A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z

    
FS. m. (Gramm.) c'est la sixieme lettre de l'alphabet latin, & de ceux des autres langues qui suivent l'ordre de cet alphabet. Le f est aussi la quatrieme des consonnes qu'on appelle muettes, c'est-à-dire de celles qui ne rendent aucun son par elles-mêmes, qui, pour être entendues, ont besoin de quelques voyelles, ou au moins de l'e muet, & qui ne sont ni liquides comme l'r, ni sifflantes comme s, z. Il y a environ cent ans que la grammaire générale de Port-Royal a proposé aux maîtres qui montrent à lire, de faire prononcer fe plûtôt que effe. Gramm. génér. ch. vj. pag. 23. sec. éd. 1664. Cette pratique, qui est la plus naturelle, comme quelques gens d'esprit l'ont remarqué avant nous, dit P. R. id. ibid. est aujourd'hui la plus suivie. Voyez CONSONNE.

Ces trois lettres F, V, & Ph, sont au fond la même lettre, c'est-à-dire qu'elles sont prononcées par une situation d'organes qui est à-peu-près la même. En effet ve n'est que le fe prononcé foiblement ; fe est le ve prononcé plus fortement ; & ph, ou plûtôt fh, n'est que le fe, qui étoit prononcé avec aspiration. Quintilien nous apprend que les Grecs ne prononçoient le fe que de cette derniere maniere (inst. orat. cap. jv.) ; & que Cicéron, dans une oraison qu'il fit pour Fundanius, se mocqua d'un témoin grec qui ne pouvoit prononcer qu'avec aspiration la premiere lettre de Fundanius. Cette oraison de Cicéron est perdue. Voici le texte de Quintilien : Graeci aspirare solent , ut pro Fundanio, Cicero testem, qui primam ejus litteram dicere non posset, irridet. Quand les latins conservoient le mot grec dans leur langue, ils le prononçoient à la greque, & l'écrivoient alors avec le signe d'aspiration : philosophus de , Philippus de , &c. mais quand ils n'aspiroient point le ils écrivoient simplement f : c'est ainsi qu'ils écrivoient fama, quoiqu'il vienne constamment de ; & de même fuga de , fur de , &c.

Pour nous qui prononçons sans aspiration le qui se trouve dans les mots latins ou dans les françois, je ne vois pas pourquoi nous écrivons philosophe, Philippe, &c. Nous avons bien le bon esprit d'écrire feu, quoiqu'il vienne de ; front, de , &c. Voyez ORTOGRAPHE.

Les Eoliens n'aimoient pas l'esprit rude ou, pour parler à notre maniere, le h aspiré : ainsi ils ne faisoient point usage du qui se prononçoit avec aspiration ; & comme dans l'usage de la parole ils faisoient souvent entendre le son du fe sans aspiration, & qu'il n'y avoit point dans l'alphabet grec de caractere pour désigner ce son simple, ils en inventerent un ; ce fut de représenter deux gamma l'un sur l'autre F, ce qui fait précisément le F qu'ils appellerent digamma ; & c'est de-là que les Latins ont pris leur grand F. Voyez la Méthode greque de P. R. p. 42. Les Eoliens se servoient sur-tout de ce digamma, pour marquer le fe doux, ou, comme on dit abusivement, l'u consonne ; ils mettoient ce v à la place de l'esprit rude : ainsi on trouve , vinum, au lieu de , au lieu de , vesperus ; , au lieu de avec l'esprit rude, vestis, &c. & même, selon la méthode de P. R. (ibid.) on trouve serFus pour servus, DaFus pour Davus, &c. Dans la suite, quand on eut donné au digamma le son du fe, on se servit du ou digamma renversé pour marquer le ve.

Martinius, à l'article F, se plaint de ce que quelques grammairiens ont mis cette lettre au nombre des demi-voyelles ; elle n'a rien de la demi-voyelle, dit-il, à moins que ce ne soit par rapport au nom qu'on lui donne effe : Nihil aliud habet semivocalis nisi nominis prolationem. Pendant que d'un côté les Eoliens changeoient l'esprit rude en f, d'un autre les Espagnols changent le f en hé aspiré ; ils disent harina pour farina, hava pour faba, hervor pour fervor, hermoso pour formoso, humo au lieu de fumo, &c.

Le double f, ff, signifie par abréviation les pandectes, autrement digeste ; c'est le recueil des livres des jurisconsultes romains, qui fut fait par ordre de Justinien empereur de Constantinople : cet empereur appella également ce recueil digeste, mot latin, & pandectes, mot grec, quoique ce livre ne fût écrit qu'en latin. Quand on appelle ce recueil digeste, on le cite en abregé par la premiere lettre de ce mot d. Quand dans les pays latins on voulut se servir de l'autre dénomination, & sur-tout dans un tems où le grec étoit peu connu, & où les Imprimeurs n'avoient point encore de caracteres grecs, on se servit du double f, ff, c'est le signe dont la partie inférieure approche le plus du grec, premiere lettre de , c'est-à-dire livres qui contiennent toutes les décisions des jurisconsultes. Telle est la raison de l'usage du double f, ff, employé pour signifier les pandectes ou digeste dont on cite tel ou tel livre.

Le dictionnaire de Trévoux, article F, fait les observations suivantes :

1°. En Musique, F-ut-fa est la troisieme des clés qu'on met sur la tablature.

2°. F, sur les pieces de monnoie, est la marque de la ville d'Angers.

3°. Dans le calendrier ecclésiastique, elle est la sixieme lettre dominicale. (F)


F(Ecriture) si l'on considere ce caractere du côté de sa formation, dans notre écriture, c'est dans l'italienne & la ronde, la huitieme, la premiere, & la seconde partie de l'o : trois flancs de l'o l'un sur l'autre, & la queue de la premiere partie de l'x. L'f coulée a les mêmes racines, à l'exception de sa partie supérieure qui se forme de la sixieme & de la septieme partie de l'o : on y employe un mouvement mixte des doigts & du poignet, le pouce plié dans ses trois jointures. Voyez les Planches à la table de l'Ecriture, planche des Alphabets.


F-UT-FA(Musique) F-ut-fa, ou simplement F ; caractere ou terme de Musique, qui indique la note de la gamme que nous appellons fa. Voyez GAMME.

C'est aussi le nom de la plus basse des trois clés de la Musique. Voyez CLES. (S)

F, (Comm.) les marchands, banquiers, teneurs de livres, se servent de cette lettre pour abréger les renvois qu'ils font aux différentes pages, ou comme ils s'expriment au folio de leurs livres & registres. Ainsi F°. 2. signifie folio 2. ou page seconde. Les florins se marquent aussi par un F de ces deux manieres : F L ou F S. Dict. du Comm. & Chambers. (G)


FABAGO(Bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposées en rond. Il sort du calice un pistil, qui devient dans la suite un fruit membraneux de forme qui approche de la cylindrique, & qui est ordinairement pentagone. Ce fruit est composé de cinq capsules, & s'ouvre en cinq parties, dont chacune est garnie d'une lame qui sert de cloison pour séparer la cavité du fruit. Il renferme des semences, applaties pour l'ordinaire. Ajoûtez aux caracteres de ce genre, que les feuilles sont opposées, & qu'elles naissent deux à deux sur les noeuds de la tige. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


FABARIAadj. pris subst. (Myth. & Hist. anc.) sacrifices qui se faisoient à Rome sur le mont Célien, avec de la farine, des feves, & du lard, en l'honneur de la déesse Carna femme de Janus. Cette cérémonie donna le nom aux calendes de Juin, tems pendant lequel elle se célébroit.


FABIENSS. m. pl. (Hist. anc.) une partie des Luperques. Voyez LUPERQUES & LUPERCALES.

Ces prêtres étoient divisés en deux colléges, dont l'un fut appellé collége des Fabiens, de Fabius leur chef ; & l'autre, collége de Quintilien, de leur chef Quintilius. Les Fabiens étoient pour Romulus, & les Quintiliens pour Remus. Voyez QUINTILIENS. Dict. de Trév. & Chambers. (G)


FABLES. f. (LA) Myth. nom collectif sans pluriel, qui renferme l'histoire théologique, l'histoire fabuleuse, l'histoire poétique, & pour le dire en un mot, toutes les fables de la théologie payenne.

Quoiqu'elles soient très-nombreuses, on est parvenu à les rapporter toutes à six ou sept classes, à indiquer leurs différentes sources, & à remonter à leur origine. Comme M. l'abbé Banier est un des mythologistes qui a jetté sur ce sujet le plus d'ordre & de netteté, voici le précis de ses recherches.

Il divise la fable, prise collectivement, en fables historiques, philosophiques, allégoriques, morales, mixtes, & fables inventées à plaisir.

Les fables historiques en grand nombre, sont des histoires vraies, mêlées de plusieurs fictions : telles sont celles qui parlent des principaux dieux & des héros, Jupiter, Apollon, Bacchus, Hercule, Jason, Achille. Le fond de leur histoire est pris dans la vérité. Les fables philosophiques sont celles que les Poëtes ont inventées pour déguiser les mysteres de la philosophie ; comme quand ils ont dit que l'Océan est le pere des fleuves ; que la Lune épousa l'air, & devint mere de la rosée. Les fables allégoriques sont des especes de paraboles, renfermant un sens mystique ; comme celle qui est dans Platon, de Porus & de Pénie, ou des richesses & de la pauvreté, d'où naquit l'Amour. Les fables morales répondent aux apologues : telle est celle qui dit que Jupiter envoye pendant le jour les étoiles sur la terre, pour s'informer des actions des hommes. Les fables mixtes sont celles qui sont mêlées d'allégorie & de morale, & qui n'ont rien d'historique ; ou qui avec un fond historique, font cependant des allusions manifestes à la Morale ou à la Physique. Les fables inventées à plaisir, n'ont d'autre but que d'amuser : telle est la fable de Psyché, & celles qu'on nommoit milésiennes & sybaritides.

Les fables historiques se distinguent aisément, parce qu'elles parlent de gens qu'on connoît d'ailleurs. Celles qui sont inventées à plaisir, se découvrent par les contes qu'elles font de personnes inconnues. Les fables morales, & quelquefois les allégoriques, s'expliquent sans peine : les philosophiques sont remplies de prosopopées qui animent la nature ; l'air & la terre y paroissent sous les noms de Jupiter, de Junon, &c.

En général, il y a peu de fables dans les anciens poëtes qui ne renferment quelques traits d'histoire ; mais ceux qui les ont suivis, y ont ajoûté mille circonstances de leur imagination. Quand Homere, par exemple, raconte qu'Eole avoit donné les vents à Ulysse enfermés dans une outre, d'où ses compagnons les laisserent échapper ; cette histoire enveloppée nous apprend que ce prince avoit prédit à Ulysse le vent qui devoit souffler pendant quelques jours, & qu'il ne fit naufrage que pour n'avoir pas suivi ses conseils : mais quand Virgile nous dit que le même Eole, à la priere de Junon, excita cette terrible tempête qui jetta la flotte d'Enée sur les côtes d'Afrique, c'est une pure fiction, fondée sur ce qu'Eole étoit regardé comme le dieu des vents. Les fables mêmes que nous avons appellées philosophiques, étoient d'abord historiques, & ce n'est qu'après coup qu'on y a jetté l'idée des choses naturelles : de-là ces fables mixtes, qui renferment un fait historique & un trait de physique, comme celle de Myrrha & de Leucothoé changées en l'arbre qui porte l'encens, & celle de Clytie en tournesol.

Venons aux diverses sources de la fable.

1°. On ne peut s'empêcher de regarder la vanité comme la 1ere source des fables payennes. Les hommes ont cru que pour rendre la vérité plus recommandable, il falloit l'habiller du brillant cortége du merveilleux : ainsi ceux qui ont raconté les premiers les actions de leurs héros, y ont mêlé mille fictions.

2°. Une seconde source des fables du Paganisme est le défaut des caracteres ou de l'écriture. Avant que l'usage des lettres eût été introduit dans la Grece, les évenemens & les actions n'avoient guere d'autres monumens que la mémoire des hommes. L'on se servit dans la suite de cette tradition confuse & défigurée ; & l'on a ainsi rendu les fables éternelles, en les faisant passer de la mémoire des hommes qui en étoient les dépositaires, dans des monumens qui devoient durer tant de siecles.

3°. La fausse éloquence des orateurs & la vanité des historiens, a dû produire une infinité de narrations fabuleuses. Les premiers se donnerent une entiere liberté de feindre & d'inventer ; & l'historien lui-même se plut à transcrire de belles choses, dont il n'étoit garant que sur la foi des panégyristes.

4°. Les relations des voyageurs ont encore introduit un grand nombre de fables. Ces sortes de gens souvent ignorans & presque toûjours menteurs, ont pû aisément tromper les autres, après avoir été trompés eux-mêmes. C'est apparemment sur leur relation que les Poëtes établirent les Champs élysées dans le charmant pays de la Bétique ; c'est de-là que nous sont venues ces fables, qui placent des monstres dans certains pays, des harpies dans d'autres, ici des peuples qui n'ont qu'un oeil, là des hommes qui ont la taille des géans.

5°. On peut regarder comme une autre source des fables du Paganisme, les Poëtes, le Théatre, les Sculpteurs, & les Peintres. Comme les Poëtes ont toûjours cherché à plaire, ils ont préféré une ingénieuse fausseté à une vérité commune ; le succès justifiant leur témérité, ils n'employerent plus que la fiction ; les bergeres devinrent des nymphes ou des nayades ; les bergers, des satyres ou des faunes ; ceux qui aimoient la musique, des Apollons ; les belles voix, des muses ; les belles femmes, des Vénus ; les oranges, des pommes d'or ; les fleches & les dards, des foudres & des carreaux. Ils allerent plus loin : ils s'attacherent à contredire la vérité, de peur de se rencontrer avec les historiens. Homere a fait d'une femme infidele, une vertueuse Pénélope ; & Virgile a fait d'un traître à sa patrie, un héros plein de piété. Ils ont tous conspiré à faire passer Tantale pour un avare, & l'ont mis de leur chef en enfer, lui qui a été un prince très-sage & très-honnête homme. Rien ne se fait chez eux que par machine. Lisez leurs poésies.

Là pour nous enchanter tout est mis en usage,

Tout prend un corps, une ame, un esprit, un visage,

Chaque vertu devient une divinité,

Minerve est la prudence, & Vénus la beauté....

Leurs fables passerent des poëmes dans les histoires, & des histoires dans la théologie ; on forma un système de religion sur les idées d'Hésiode & d'Homere ; on érigea des temples, & on offrit des victimes à des divinités qui tenoient leur existence de deux poëtes.

Il faut dire encore que la fable monta sur le théatre comme sur son throne, & ajoûter que les Peintres & les Sculpteurs travaillant d'après leur imagination, ont aussi donné cours aux histoires fabuleuses, en les consacrant par les chefs-d'oeuvre de leur art. On a tâché de surprendre le peuple de toutes manieres : les Poëtes dans leurs écrits, le théatre dans ses représentations, les Sculpteurs dans leurs statues, & les Peintres dans leurs tableaux ; ils y ont tous concouru.

6°. Une sixieme source des fables est la pluralité ou l'unité des noms. La pluralité des noms étant fort commune parmi les Orientaux, on a partagé entre plusieurs les actions & les voyages d'un seul : de-là vient ce nombre prodigieux de Jupiters, de Mercures, &c. On a quelquefois fait tout le contraire ; & quand il est arrivé que plusieurs personnes ont porté le même nom, on a attribué à un seul ce qui devoit être partagé entre plusieurs : telle est l'histoire de Jupiter fils de Saturne, dans laquelle on a rassemblé les avantures de divers rois de Crete qui ont porté ce nom, aussi commun dans ce pays-là, que l'a été celui de Ptolemée en Egypte.

7°. Une 7e source des fables fut l'établissement des colonies, & l'invention des arts. Les étrangers égyptiens ou phéniciens qui aborderent en Grece, en policerent les habitans, leur firent part de leurs coûtumes, de leurs lois, de leurs manieres de s'habiller & de se nourrir : on regarda ces hommes comme des dieux, & on leur offrit des sacrifices : tels furent sans-doute les premiers dieux des Grecs ; telle est, par exemple, l'origine de la fable de Promethée ; de même, parce qu'Apollon cultivoit la Musique & la Medecine, il fut nommé le dieu de ces arts ; Mercure fut celui de l'Eloquence, Cérès la déesse du blé, Minerve celle des manufactures de laine ; ainsi des autres.

8°. Une 8e source des fables doit sa naissance aux cérémonies de la religion. Les prêtres changerent un culte stérile en un autre qui fut lucratif, par mille histoires fabuleuses qu'ils inventerent ; on n'a jamais été trop scrupuleux sur cet article. On découvroit tous les jours quelque nouvelle divinité, à laquelle il falloit élever de nouveaux autels ; de-là ce système monstrueux que nous offre la théologie payenne. Ajoûtez ici la manie des grands d'avoir des dieux pour ancêtres ; il falloit trouver à chacun, suivant sa condition, un dieu pour premiere tige de sa race, & vraisemblablement on ne manquoit pas alors de généalogistes, aussi complaisans qu'ils le sont aujourd'hui.

Nous ne donnerons point pour une source des fables, l'abus que les Poëtes ont pû faire de l'ancien Testament, comme tant de gens pleins de savoir se le sont persuadés ; les Juifs étoient une nation trop méprisée de ses voisins, & trop peu connue des peuples éloignés, d'ailleurs trop jalouse de sa loi & de ses cérémonies, qu'elle cachoit aux étrangers, pour qu'il y ait quelque rapport entre les héros de la bible & ceux de la fable.

9°. Mais une source réellement féconde des fables payennes, c'est l'ignorance de l'Histoire & de la Chronologie. Comme on ne commença que fort tard, surtout dans la Grece, à avoir l'usage de l'écriture, il se passa plusieurs siecles pendant lesquels le souvenir des évenemens remarquables ne fut conservé que par tradition. Après qu'on avoit remonté jusqu'à trois ou quatre générations, on se trouvoit dans le labyrinthe de l'histoire des dieux, où l'on rencontroit toûjours Jupiter, Saturne, le Ciel & la Terre. Cependant comme les Grecs remplis de vanité, ainsi que les autres peuples, vouloient passer pour anciens, ils se forgerent une chronique fabuleuse de rois imaginaires, de dieux, & de héros, qui ne furent jamais. Ils transférerent dans leur histoire la plûpart des évenemens de celle d'Egypte ; & lorsqu'ils voulurent remonter plus haut, ils ne firent que substituer des fables à la vérité. Ils étoient de vrais enfans, comme le reprochoit à Solon un prêtre d'Egypte, lorsqu'il s'agissoit de parler des tems éloignés ; ils se persuadoient que leurs colonies avoient peuplé tous les autres pays, & ils tiroient leurs noms de ceux de leurs héros.

10°. L'ignorance de la Physique est une 10e source de quantité de fables payennes. On vint à rapporter à des causes animées, des effets dont on ignoroit les principes ; on prit les vents pour des divinités fougueuses, qui causent tant de ravages sur terre & sur mer. Falloit-il parler de l'arc-en-ciel dont on ignoroit la nature, on en fit une divinité. Chez les Payens,

Ce n'est pas la vapeur qui produit le tonnerre,

C'est Jupiter armé pour effrayer la terre ;

Un orage terrible aux yeux des matelots,

C'est Neptune en courroux qui gourmande les flots ;

Echo n'est pas un son qui dans l'air retentisse,

C'est une nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse.

Ainsi furent formées plusieurs divinités physiques, & tant de fables astronomiques, qui eurent cours dans le monde.

11°. L'ignorance des langues, sur-tout de la phénicienne, doit être regardée comme une onzieme source des plus fécondes d'une infinité de fables du Paganisme. Il est sûr que les colonies sorties de Phénicie, allerent peupler plusieurs contrées de la Grece ; & comme la langue phénicienne a plusieurs mots équivoques, les Grecs les expliquerent selon le sens qui étoit le plus de leur génie : par exemple, le mot Ilpha dans la langue phénicienne, signifie également un taureau, ou un navire. Les Grecs amateurs du merveilleux, au lieu de dire qu'Europe avoit été portée sur un vaisseau, publierent que Jupiter changé en taureau l'avoit enlevée. Du mot mon qui veut dire vice, ils firent le dieu Momus censeur des défauts des hommes ; & sans citer d'autres exemples, il suffit de renvoyer le lecteur aux ouvrages de Bochart sur cette matiere.

12°. Non-seulement les équivoques des langues orientales ont donné lieu à quantité de fables payennes, mais même les mots équivoques de la langue greque en ont produit un grand nombre : ainsi Vénus est sortie de l'écume de la mer, parce que Aphrodite qui étoit le nom qu'ils donnoient à cette déesse, signifioit l'écume. Ainsi le premier temple de Delphes avoit été construit par le secours des ailes d'abeilles, qu'Apollon avoit fait venir des pays hyperboréens ; parce que Pteras dont le nom veut dire une aile de plume, en avoit été l'architecte.

13°. On a prouvé par des exemples incontestables, que la plûpart des fables des Grecs venoient d'Egypte & de Phénicie. Les Grecs en apprenant la religion des Egyptiens, changerent & les noms & les cérémonies des dieux de l'Orient, pour faire croire qu'ils étoient nés dans leur pays ; comme nous le voyons dans l'exemple d'Isis, & dans une infinité d'autres. Le culte de Bacchus fut formé sur celui d'Osiris : Diodore le dit expressément. Une regle générale qui peut servir à juger de l'origine d'un grand nombre de fables du Paganisme, c'est de voir seulement les noms des choses, pour décider s'ils sont phéniciens, grecs, ou latins ; l'on découvrira par ce seul examen, le pays natal, ou le transport de quantité de fables.

En quatorzieme lieu, il ne faut point douter que l'ignorance de la navigation n'ait fait naître une infinité de fables. On ne parla, par exemple, de l'Océan que comme d'un pays couvert de ténebres, où le soleil alloit se coucher tous les soirs avec beaucoup de fracas, dans le palais de Thétis. On ne parla des rochers qui composent le détroit de Scylla & de Charybde, que comme de deux monstres qui engloutissoient les vaisseaux. Si quelqu'un alloit dans le golfe de Perse, on publioit qu'il étoit allé jusqu'au fond de l'Orient, & au pays où l'aurore ouvre la barriere du jour ; & parce que Persée eut la hardiesse de sortir du détroit de Gibraltar pour se rendre aux îles Orcades, on lui donna le cheval Pégase, avec l'équipage de Pluton & de Mercure, comme s'il avoit été impossible de faire un si long voyage sans quelque secours surnaturel. Concluons que l'ignorance des anciens peuples, soit dans l'Histoire, soit dans la Chronologie, soit dans les Langues, soit dans la Physique, soit dans la Géographie, soit dans la Navigation, a fait germer des fables innombrables.

Quinziemement, il est encore vraisemblable que plusieurs fables tirent leur source du prétendu commerce des dieux, imaginé à dessein de sauver l'honneur des dames qui avoient eû des foiblesses pour leurs amans ; on appelloit au secours de leur réputation quelque divinité favorable ; c'étoit un dieu métamorphosé qui avoit triomphé de l'insensibilité de la belle. La fable de Rhéa Sylvia mere de Remus & de Romulus, en est une preuve bien connue. Amulius son oncle, armé de toutes pieces, & sous la figure de Mars, entra dans sa cellule ; & Numitor fit courir le bruit que les deux enfans qu'elle mit au monde, avoient pour pere le dieu de la guerre. Souvent même les prêtres étant amoureux de quelque femme, lui annonçoient qu'elle étoit aimée du dieu qu'ils servoient : à cette nouvelle, elle se préparoit à aller coucher dans le temple du dieu, & les parens l'y conduisoient en cérémonie. Si nous en croyons Hérodote (liv. I. ch. xviij.), il y avoit une dame de Babylone, de celles que Jupiter Belus avoit fait choisir par son premier pontife, qui ne manquoit jamais de se rendre toutes les nuits dans son temple : de-là ce grand nombre de fils qu'on donne aux dieux. Voyez FILS DES DIEUX.

Enfin pour ne rien laisser à desirer, s'il est possible, sur les sources des fables, on doit ajoûter ici que presque toutes celles qui se trouvent dans les métamorphoses d'Ovide, d'Hyginus, & d'Antonius Liberalis, ne sont fondées que sur des manieres de s'exprimer figurées & métaphoriques : ce sont ordinairement de véritables faits, auxquels on a ajoûté quelque circonstance surnaturelle pour les parer. La cruauté de Lycaon qui condamnoit à mort les étrangers, l'a fait métamorphoser en loup. La stupidité de Mydas, ou peut-être l'excellence de son ouie, lui a fait donner des oreilles d'âne. Cérès avoit aimé Jason, parce qu'il avoit perfectionné l'agriculture, dont cette déesse, suivant l'imagination des Poëtes, avoit appris l'usage à la Grece. Dans d'autres occasions, les métamorphoses qu'on attribue à Jupiter & aux autres dieux, étoient des symboles qui marquoient les moyens, que les princes qui portoient ces noms, avoient mis en oeuvre pour séduire leurs maîtresses. Ainsi l'or dont se servit Pretus pour tromper Danaé, fit dire qu'il s'étoit changé en pluie d'or ; ou bien, comme le remarque Eustathius, ces prétendues métamorphoses n'étoient que des médailles d'or, sur lesquelles on les voyoit gravées, & que les amans donnoient à leurs maîtresses ; présent plus propre par la rareté du métal & la finesse de la gravure, à rendre sensibles les belles, que de véritables métamorphoses. Tel est le fondement des fables dont on vient de parler ; & si l'on n'en trouve pas le dénoüement dans les sources qu'on vient d'indiquer, on les découvrira dans les métaphores.

Ce seroit présentement le lieu de discuter en quel tems ont commencé les fables : mais il est impossible d'en fixer l'époque. Il suffit de savoir que nous les trouvons déjà établies dans les écrits les plus anciens qui nous restent de l'antiquité profane ; il suffit encore de ne pas ignorer que les premiers berceaux des fables sont l'Egypte & la Phénicie, d'où elles se répandirent avec les colonies en Occident, & surtout dans la Grece, où elles trouverent un sol propre à leur multiplication. Ensuite, de la Grece elles passerent en Italie, & dans les autres contrées voisines. Il est certain qu'en suivant un peu l'ancienne tradition, on découvre aisément que c'est-là le chemin de l'idolatrie & des fables, qui ont toûjours marché de compagnie. Qu'on ne dise donc point qu'Hésiode & Homere en sont les inventeurs, ils n'en parlent pas eux-mêmes sur ce ton ; elles existoient avant leur naissance dans les ouvrages des poëtes qui les précéderent ; ils ne firent que les embellir.

Mais il faut convenir que le siecle le plus fécond en fables & en héroïsme, a été celui de la guerre de Troye. On sait que cette célebre ville fut prise deux fois ; la premiere par Hercule, l'an du monde 2760 ; & la seconde, une quarantaine d'années après, par l'armée des Grecs, sous la conduite d'Agamemnon. Au tems de la premiere prise, on vit paroître Thélamon, Hercule, Thésée, Jason, Orphée, Castor, Pollux, & tous les autres héros de la toison d'or. A la seconde prise parurent leurs fils ou leurs petits-fils, Agamemnon, Ménélaüs, Achille, Diomede, Ajax, Hector, Enée, &c. Environ le même tems se fit la guerre de Thebes, où brillerent Adraste, Oedipe, Ethéocle, Polinice, Capanée, & tant d'autres héros, sujets éternels des poëmes épiques & tragiques. Aussi les théatres de la Grece ont-ils retenti mille fois de ces noms illustres ; & depuis ce tems tous les théatres du monde ont cru devoir les faire reparoître sur la scene.

Voilà pourquoi la connoissance, du moins une connoissance superficielle de la fable, est si générale. Nos spectacles, nos pieces lyriques & dramatiques, & nos poésies en tout genre, y font de perpétuelles allusions ; les estampes, les peintures, les statues qui décorent nos cabinets, nos galeries, nos plafonds, nos jardins, sont presque toûjours tirées de la fable : enfin elle est d'un si grand usage dans tous nos écrits, nos romans, nos brochures, & même dans nos discours ordinaires, qu'il n'est pas possible de l'ignorer à un certain point, sans avoir à rougir de ce manque d'éducation ; mais de porter sa curiosité jusqu'à tenter de percer les divers sens, ou les mysteres de la fable, entendre les différens systèmes de la théologie, connoître les cultes des divinités du Paganisme, c'est une science reservée pour un petit nombre de savans ; & cette science qui fait une partie très-vaste des Belles-Lettres, & qui est absolument nécessaire pour avoir l'intelligence des monumens de l'antiquité, est ce qu'on nomme la Mythologie. Voy. MYTHOLOGIE. Art. de M(D.J.)

FABLE apologue, (Belles-Lettres) instruction déguisée sous l'allégorie d'une action. C'est ainsi que la Mothe l'a définie : il ajoûte ; c'est un petit poëme épique, qui ne le cede au grand que par l'étendue. Idée du P. le Bossu, qui devient chimérique dès qu'on la presse.

Les savans font remonter l'origine de la fable, à l'invention des caracteres symboliques & du style figuré, c'est-à-dire à l'invention de l'allégorie dont la fable est une espece. Mais l'allégorie ainsi réduite à une action simple, à une moralité précise, est communément attribuée à Esope, comme à son premier inventeur. Quelques-uns l'attribuent à Hésiode & à Archiloque ; d'autres prétendent que les fables connues sous le nom d'Esope, ont été composées par Socrate. Ces opinions à discuter sont heureusement plus curieuses qu'utiles. Qu'importe après tout pour le progrès d'un art, que son inventeur ait eu nom Esope, Hésiode, Archiloque, &c. l'auteur n'est pour nous qu'un mot ; & Pope a très-bien observé que cette existence idéale qui divise en sectes les vivans sur les qualités personnelles des morts, se réduit à quatre ou cinq lettres.

On a fait consister l'artifice de la fable, à citer les hommes au tribunal des animaux. C'est comme si on prétendoit en général que la comédie citât les spectateurs au tribunal de ses personnages, les hypocrites au tribunal de Tartuffe, les avares au tribunal d'Arpagon, &c. Dans l'apologue, les animaux sont quelquefois les précepteurs des hommes, La Fontaine l'a dit : mais ce n'est que dans le cas où ils sont représentés meilleurs & plus sages que nous.

Dans le discours que la Mothe a mis à la tête de ses fables, il démêle en philosophe l'artifice caché dans ce genre de fiction : il en a bien vû le principe & la fin ; les moyens seuls lui ont échappé. Il traite, en bon critique, de la justesse & de l'unité de l'allégorie, de la vraisemblance des moeurs & des caracteres, du choix de la moralité & des images qui l'enveloppent : mais toutes ces qualités réunies ne font qu'une fable réguliere ; & un poëme qui n'est que régulier, est bien loin d'être un bon poëme.

C'est peu que dans la fable une vérité utile & peu commune, se déguise sous le voile d'une allégorie ingénieuse ; que cette allégorie, par la justesse & l'unité de ses rapports, conduise directement au sens moral qu'elle se propose ; que les personnages qu'on y employe, remplissent l'idée qu'on a d'eux. La Mothe a observé toutes ces regles dans quelques-unes de ses fables ; il reproche, avec raison, à La Fontaine de les avoir négligées dans quelques-unes des siennes. D'où vient donc que les plus défectueuses de La Fontaine ont un charme & un intérêt, que n'ont pas les plus régulieres de la Mothe ?

Ce charme & cet intérêt prennent leur source non-seulement dans le tour naturel & facile des vers, dans le coloris de l'imagination, dans le contraste & la vérité des caracteres, dans la justesse & la précision du dialogue, dans la variété, la force, & la rapidité des peintures, en un mot dans le génie poétique, don précieux & rare, auquel tout l'excellent esprit de la Mothe n'a jamais pû suppléer ; mais encore dans la naïveté du récit & du style, caractere dominant du génie de La Fontaine.

On a dit : le style de la fable doit être simple, familier, riant, gracieux, naturel, & même naïf. Il falloit dire, & sur-tout naïf.

Essayons de rendre sensible l'idée que nous attachons à ce mot naïveté, qu'on a si souvent employé sans l'entendre.

La Mothe distingue le naïf du naturel ; mais il fait consister le naïf dans l'expression fidele, & non refléchie, de ce qu'on sent ; & d'après cette idée vague, il appelle naïf le qu'il mourût du vieil Horace. Il nous semble qu'il faut aller plus loin, pour trouver le vrai caractere de naïveté qui est essentiel & propre à la fable.

La vérité de caractere a plusieurs nuances qui la distinguent d'elle-même : ou elle observe les ménagemens qu'on se doit & qu'on doit aux autres, & on l'appelle sincérité ; ou elle franchit dès qu'on la presse, la barriere des égards, & on la nomme franchise ; ou elle n'attend pas même pour se montrer à découvert, que les circonstances l'y engagent & que les décences l'y autorisent, & elle devient imprudence, indiscrétion, témérité, suivant qu'elle est plus ou moins offensante ou dangereuse. Si elle découle de l'ame par un penchant naturel & non refléchi, elle est simplicité ; si la simplicité prend sa source dans cette pureté de moeurs qui n'a rien à dissimuler ni à feindre, elle est candeur ; si la candeur se joint à une innocence peu éclairée, qui croit que tout ce qui est naturel est bien, c'est ingénuité ; si l'ingénuité se caractérise par des traits qu'on auroit eu soi-même intérêt à déguiser, & qui nous donnent quelque avantage sur celui auquel ils échappent, on la nomme naïveté, ou ingénuité naïve. Ainsi la simplicité ingénue est un caractere absolu & indépendant des circonstances ; au lieu que la naïveté est relative.

Hors les puces qui m'ont la nuit inquiétée,

ne seroit dans Agnès qu'un trait de simplicité, si elle parloit à ses compagnes.

Jamais je ne m'ennuie.

ne seroit qu'ingénu, si elle ne faisoit pas cet aveu à un homme qui doit s'en offenser. Il en est de même de

L'argent qu'en ont reçu notre Alain & Georgette, &c.

Par conséquent ce qui est compatible avec le caractere naïf dans tel tems, dans tel lieu, dans tel état, ne le seroit pas dans tel autre. Georgette est naïve autrement qu'Agnès ; Agnès autrement que ne doit l'être une jeune fille élevée à la cour, ou dans le monde : celle-ci peut dire & penser ingénuement des choses que l'éducation lui a rendues familieres, & qui paroîtroient refléchies & recherchées dans la premiere. Cela posé, voyons ce qui constitue la naïveté dans la fable, & l'effet qu'elle y produit.

La Mothe a observé que le succès constant & universel de la fable, venoit de ce que l'allégorie y ménageoit & flattoit l'amour-propre : rien n'est plus vrai, ni mieux senti ; mais cet art de ménager & de flatter l'amour propre, au lieu de le blesser, n'est autre chose que l'éloquence naïve, l'éloquence d'Esope chez les anciens, & de La Fontaine chez les modernes.

De toutes les prétentions des hommes, la plus générale & la plus décidée regarde la sagesse & les moeurs : rien n'est donc plus capable de les indisposer, que des préceptes de morale & de sagesse présentés directement. Nous ne parlerons point de la satyre ; le succès en est assûré : si elle en blesse un, elle en flate mille. Nous parlons d'une philosophie sévere, mais honnête, sans amertume & sans poison, qui n'insulte personne, & qui s'adresse à tous : c'est précisément de celle-là qu'on s'offense. Les Poëtes l'ont déguisée au théatre & dans l'épopée, sous l'allégorie d'une action, & ce ménagement la fait recevoir sans révolte : mais toute vérité ne peut pas avoir au théatre son tableau particulier ; chaque piece ne peut aboutir qu'à une moralité principale ; & les traits accessoires répandus dans le cours de l'action, passent trop rapidement pour ne pas s'effacer l'un l'autre : l'intérêt même les absorbe, & ne nous laisse pas la liberté d'y refléchir. D'ailleurs l'instruction théatrale exige un appareil qui n'est ni de tous les lieux, ni de tous les tems ; c'est un miroir public qu'on n'éleve qu'à grands frais & à force de machines. Il en est à-peu-près de même de l'épopée. On a donc voulu nous donner des glaces portatives aussi fideles & plus commodes, où chaque vérité isolée eût son image distincte ; & de-là l'invention des petits poëmes allégoriques.

Dans ces tableaux, on pouvoit nous peindre à nos yeux sous trois symboles différens ; ou sous les traits de nos semblables, comme dans la fable du Savetier & du Financier, dans celle du Berger & du Roi, dans celle du Meunier & son fils, &c. ou sous le nom des êtres surnaturels & allégoriques, comme dans la fable d'Apollon & Borée, dans celle de la Discorde, dans les contes orientaux, & dans nos contes de fées ; ou sous la figure des animaux & des êtres matériels, que le poëte fait agir & parler à notre maniere : c'est le genre le plus étendu, & peut-être le seul vrai genre de la fable, par la raison même qu'il est le plus dépourvû de vraisemblance à notre égard.

Il s'agit de ménager la répugnance que chacun sent à être corrigé par son égal. On s'apprivoise aux leçons des morts, parce qu'on n'a rien à démêler avec eux, & qu'ils ne se prévaudront jamais de l'avantage qu'on leur donne : on se plie même aux maximes outrées des fanatiques & des enthousiastes, parce que l'imagination étonnée ou éblouie en fait une espece d'hommes à part. Mais le sage qui vit simplement & familierement avec nous, & qui sans chaleur & sans violence ne nous parle que le langage de la vérité & de la vertu, nous laisse toutes nos prétentions à l'égalité : c'est donc à lui à nous persuader par une illusion passagere, qu'il est, non pas au-dessus de nous (il y auroit de l'imprudence à le tenter), mais au contraire si fort au-dessous, qu'on ne daigne pas même se piquer d'émulation à son égard, & qu'on reçoive les vérités qui semblent lui échapper, comme autant de traits de naïveté sans conséquence.

Si cette observation est fondée, voilà le prestige de la fable rendu sensible, & l'art réduit à un point déterminé. Or nous allons voir que tout ce qui concourt à nous persuader la simplicité & la crédulité du poëte, rend la fable plus intéressante ; au lieu que tout ce qui nous fait douter de la bonne-foi de son récit, en affoiblit l'intérêt.

Quintilien pensoit que les fables avoient sur-tout du pouvoir sur les esprits bruts & ignorans ; il parloit sans-doute des fables où la vérité se cache sous une enveloppe grossiere : mais le goût, le sentiment & les graces que La Fontaine y a répandus, en ont fait la nourriture & les délices des esprits les plus délicats, les plus cultivés, & les plus profonds.

Or l'intérêt qu'ils y prennent, n'est certainement pas le vain plaisir d'en pénétrer le sens. La beauté de cette allégorie est d'être simple & transparente, & il n'y a guere que les sots qui puissent s'applaudir d'en avoir percé le voile.

Le mérite de prévoir la mortalité que la Mothe veut qu'on ménage aux lecteurs, parmi lesquels il compte les sages eux-mêmes, se réduit donc à bien peu de chose : aussi La Fontaine, à l'exemple des anciens, ne s'est-il guere mis en peine de la donner à deviner ; il l'a placée tantôt au commencement, tantôt à la fin de la fable ; ce qui ne lui auroit pas été indifférent, s'il eût regardé la fable comme une énigme.

Quelle est donc l'espece d'illusion qui rend la fable si séduisante ? On croit entendre un homme assez simple & assez crédule, pour repéter sérieusement les contes puérils qu'on lui a faits ; & c'est dans cet air de bonne-foi que consiste la naïveté du récit & du style.

On reconnoît la bonne-foi d'un historien, à l'attention qu'il a de saisir & de marquer les circonstances, aux réflexions qu'il y mêle, à l'éloquence qu'il employe à exprimer ce qu'il sent ; c'est-là sur-tout ce qui met La Fontaine au-dessus de ses modeles. Esope raconte simplement, mais en peu de mots ; il semble repéter fidelement ce qu'on lui a dit : Phedre y met plus de délicatesse & d'élégance, mais aussi moins de vérité. On croiroit en effet que rien ne dût mieux caractériser la naïveté, qu'un style dénué d'ornemens ; cependant La Fontaine a répandu dans le sien tous les thrésors de la Poésie, & il n'en est que plus naïf. Ces couleurs si variées & si brillantes sont elles-mêmes les traits dont la nature se peint dans les écrits de ce poëte, avec une simplicité merveilleuse. Ce prestige de l'art paroît d'abord inconcevable ; mais dès qu'on remonte à la cause, on n'est plus surpris de l'effet.

Non-seulement La Fontaine a oüi dire ce qu'il raconte, mais il l'a vû ; il croit le voir encore. Ce n'est pas un poëte qui imagine, ce n'est pas un conteur qui plaisante ; c'est un témoin présent à l'action, & qui veut vous y rendre présent vous-même. Son érudition, son éloquence, sa philosophie, sa politique, tout ce qu'il a d'imagination, de mémoire, & de sentiment, il met tout en oeuvre de la meilleure foi du monde pour vous persuader ; & ce sont tous ces efforts, c'est le sérieux avec lequel il mêle les plus grandes choses avec les plus petites, c'est l'importance qu'il attache à des jeux d'enfans, c'est l'intérêt qu'il prend pour un lapin & une belette, qui font qu'on est tenté de s'écrier à chaque instant, le bon homme ! On le disoit de lui dans la société, son caractere n'a fait que passer dans ses fables. C'est du fond de ce caractere que sont émanés ces tours si naturels, ces expressions si naïves, ces images si fideles ; & quand la Mothe a dit, du fond de sa cervelle un trait naïf s'arrache, ce n'est certainement pas le travail de La Fontaine qu'il a peint.

S'il raconte la guerre des vautours, son génie s'éleve. Il plut du sang ; cette image lui paroît encore foible. Il ajoûte pour exprimer la dépopulation :

Et sur son roc Promethée espéra

De voir bien-tôt une fin à sa peine.

La querelle de deux coqs pour une poule, lui rappelle ce que l'amour a produit de plus funeste :

Amour tu perdis Troye.

Deux chevres se rencontrent sur un pont trop étroit pour y passer ensemble ; aucune des deux ne veut reculer : il s'imagine voir

Avec Louis le Grand,

Philippe quatre qui s'avance

Dans l'île de la Conférence.

Un renard est entré la nuit dans un poulailler :

Les marques de sa cruauté

Parurent avec l'aube. On vit un étalage

De corps sanglans & de carnage ;

Peu s'en fallut que le soleil

Ne rebroussât d'horreur vers le manoir liquide, &c.

La Mothe a fait à notre avis une étrange méprise, en employant à tout propos, pour avoir l'air naturel, des expressions populaires & proverbiales : tantôt c'est Morphée qui fait litiere de pavots ; tantôt c'est la Lune qui est empêchée par les charmes d'une magicienne ; ici le lynx attendant le gibier, prépare ses dents à l'ouvrage ; là le jeune Achille est fort bien moriginé par Chiron. La Mothe avoit dit lui-même, mais prenons garde à la bassesse, trop voisine du familier. Qu'étoit-ce donc à son avis que faire litiere de pavots ? La Fontaine a toûjours le style de la chose :

Un mal qui répand la terreur,

Mal que le ciel en sa fureur

Inventa pour punir les crimes de la terre.

....

Les tourterelles se fuyoient ;

Plus d'amour, partant plus de joie.

Ce n'est jamais la qualité des personnages qui le décide. Jupiter n'est qu'un homme dans les choses familieres ; le moucheron est un héros lorsqu'il combat le lion : rien de plus philosophique & en même tems rien de plus naïf, que ces contrastes. La Fontaine est peut-être celui de tous les Poëtes qui passe d'un extrème à l'autre avec le plus de justesse & de rapidité. La Mothe a pris ces passages pour de la gaïté philosophique, & il les regarde comme une source du riant : mais La Fontaine n'a pas dessein qu'on imagine qu'il s'égaye à rapprocher le grand du petit ; il veut que l'on pense, au contraire, que le sérieux qu'il met aux petites choses, les lui fait mêler & confondre de bonne-foi avec les grandes ; & il réussit en effet à produire cette illusion. Par-là son style ne se soûtient jamais, ni dans le familier, ni dans l'héroïque. Si ses réflexions & ses peintures l'emportent vers l'un, ses sujets le ramenent à l'autre, & toûjours si à-propos, que le lecteur n'a pas le tems de desirer qu'il prenne l'essor, ou qu'il se modere. En lui, chaque idée réveille soudain l'image & le sentiment qui lui est propre ; on le voit dans ses peintures, dans son dialogue, dans ses harangues. Qu'on lise, pour ses peintures, la fable d'Apollon & de Borée, celle du Chêne & du Roseau ; pour le dialogue, celle de l'Agneau & du Loup, celle des compagnons d'Ulysse ; pour les monologues & les harangues, celle du Loup & des Bergers, celle du Berger & du Roi, celle de l'Homme & de la Couleuvre : modeles à-la-fois de philosophie & de poésie. On a dit souvent que l'une nuisoit à l'autre ; qu'on nous cite, ou parmi les anciens, ou parmi les modernes, quelque poëte plus riant, plus fécond, plus varié, plus gracieux & plus sublime, quelque philosophe plus profond & plus sage.

Mais ni sa philosophie, ni sa poésie ne nuisent à sa naïveté : au contraire, plus il met de l'une & de l'autre dans ses récits, dans ses réflexions, dans ses peintures ; plus il semble persuadé, pénétré de ce qu'il raconte, & plus par conséquent il nous paroît simple & crédule.

Le premier soin du fabuliste doit donc être de paroître persuadé ; le second, de rendre sa persuasion amusante ; le troisieme, de rendre cet amusement utile.

Pueris dant frustula blandi

Doctores, elementa velint ut discere prima. Horat.

Nous venons de voir de quel artifice La Fontaine s'est servi pour paroître persuadé ; & nous n'avons plus que quelques réflexions à ajoûter sur ce qui détruit ou favorise cette espece d'illusion.

Tous les caracteres d'esprit se concilient avec la naïveté, hors la finesse & l'affectation. D'où vient que Janot Lapin, Robin Mouton, Carpillon Fretin, la Gent-Trote-Menu, &c. ont tant de grace & de naturel ? d'où vient que don Jugement, dame Mémoire, & demoiselle Imagination, quoique très-bien caractérisés, sont si déplacés dans la fable ? Ceux-là sont du bon homme ; ceux-ci de l'homme d'esprit.

On peut supposer tel pays, ou tel siecle, dans lequel ces figures se concilieroient avec la naïveté : par exemple, si on avoit élevé des autels au Jugement, à l'Imagination, à la Mémoire, comme à la Paix, à la Sagesse, à la Justice, &c. les attributs de ces divinités seroient des idées populaires, & il n'y auroit aucune finesse, aucune affectation à dire, le dieu Jugement, la déesse Mémoire, la nymphe Imagination ; mais le premier qui s'avise de réaliser, de caractériser ces abstractions par des épithetes recherchées, paroît trop fin pour être naïf. Qu'on refléchisse à ces dénominations, don, dame, demoiselle ; il est certain que la premiere peint la lenteur, la gravité, le recueillement, la méditation, qui caractérisent le Jugement : que la seconde exprime la pompe, le faste & l'orgueil qu'aime à étaler la Mémoire : que la troisieme réunit en un seul mot la vivacité, la legereté, le coloris, les graces, & si l'on veut le caprice & les écarts de l'imagination. Or peut-on se persuader que ce soit un homme naïf qui le premier ait vû & senti ces rapports & ces nuances ?

Si La Fontaine employe des personnages allégoriques, ce n'est pas lui qui les invente : on est déjà familiarisé avec eux. La fortune, la mort, le tems, tout cela est reçu. Si quelquefois il en introduit de sa façon, c'est toûjours en homme simple ; c'est que-si-que-non, frere de la Discorde ; c'est tien-&-mien, son pere, &c.

La Mothe, au contraire, met toute la finesse qu'il peut à personnifier des êtres moraux & métaphysiques : Personnifions, dit-il, les vertus & les vices : animons, selon nos besoins, tous les êtres ; & d'après cette licence, il introduit la vertu, le talent, & la réputation, pour faire faire à celle-ci un jeu de mots à la fin de la fable. C'est encore pis, lorsque l'ignorance grosse d'enfant, accouche d'admiration, de demoiselle opinion, & qu'on fait venir l'orgueil & la paresse pour nommer l'enfant, qu'ils appellent la vérité. La Mothe a beau dire qu'il se trace un nouveau chemin ; ce chemin l'éloigne du but.

Encore une fois le poëte doit joüer dans la fable le rôle d'un homme simple & crédule ; & celui qui personnifie des abstractions métaphysiques avec tant de subtilité, n'est pas le même qui nous dit sérieusement que Jean Lapin plaidant contre dame Belette, allégua la coûtume & l'usage.

Mais comme la crédulité du poëte n'est jamais plus naïve, ni par conséquent plus amusante que dans des sujets dépourvûs de vraisemblance à notre égard, ces sujets vont beaucoup plus droit au but de l'apologue, que ceux qui sont naturels & dans l'ordre des possibles. La Mothe après avoir dit,

Nous pouvons, s'il nous plaît, donner pour véritables

Les chimeres des tems passés,

ajoûte :

Mais quoi ? des vérités modernes

Ne pouvons-nous user aussi dans nos besoins ?

Qui peut le plus, ne peut-il pas le moins ?

Ce raisonnement du plus au moins n'est pas concevable dans un homme qui avoit l'esprit juste, & qui avoit long-tems refléchi sur la nature de l'apologue. La fable des deux Amis, le Paysan du Danube, Philemon & Baucis, ont leur charme & leur intérêt particulier : mais qu'on y prenne garde, ce n'est là ni le charme ni l'intérêt de l'apologue. Ce n'est point ce doux soûrire, cette complaisance intérieure qu'excite en nous Janot Lapin, la mouche du coche, &c. Dans les premieres, la simplicité du poëte n'est qu'ingénue & n'a rien de ridicule : dans les dernieres, elle est naïve & nous amuse à ses dépens. C'est ce qui nous a fait avancer au commencement de cet article, que les fables, où les animaux, les plantes, les êtres inanimés parlent & agissent à notre maniere, sont peut-être les seuls qui méritent le nom de fables.

Ce n'est pas que dans ces sujets même il n'y ait une sorte de vraisemblance à garder, mais elle est relative au poëte. Son caractere de naïveté une fois établi, nous devons trouver possible qu'il ajoûte foi à ce qu'il raconte ; & de-là vient la regle de suivre les moeurs ou réelles ou supposées. Son dessein n'est pas de nous persuader que le lion, l'âne & le renard ont parlé, mais d'en paroître persuadé lui-même ; & pour cela il faut qu'il observe les convenances, c'est-à-dire qu'il fasse parler & agir le lion, l'âne & le renard, chacun suivant le caractere & les intérêts qu'il est supposé leur attribuer : ainsi la regle de suivre les moeurs dans la fable, est une suite de ce principe, que tout y doit concourir à nous persuader la crédulité du poëte. Mais il faut que cette crédulité soit amusante, & c'est encore un des points où la Mothe s'est trompé ; on voit que dans ses fables il vise à être plaisant, & rien n'est si contraire au génie de ce poëme :

Un homme avoit perdu sa femme,

Il veut avoir un perroquet.

Se console qui peut : plein de la bonne dame,

Il veut du moins chez lui remplacer son caquet.

La Fontaine évite avec soin tout ce qui a l'air de la plaisanterie ; s'il lui en échappe quelque trait, il a grand soin de l'émousser :

A ces mots l'animal pervers,

C'est le serpent que je veux dire.

Voilà une excellente épigramme, & le poëte s'en seroit tenu là ; s'il avoit voulu être fin ; mais il vouloit être, ou plûtôt il étoit naïf : il a donc achevé,

C'est le serpent que je veux dire,

Et non l'homme : on pourroit aisément s'y tromper.

De même dans ces vers qui terminent la fable du rat solitaire,

Qui désignai-je, à votre avis,

Par ce rat si peu secourable ?

Un moine ? non ; mais un dervis,

il ajoûte :

Je suppose qu'un moine est toûjours charitable.

La finesse du style consiste à se laisser deviner ; la naïveté, à dire tout ce qu'on pense.

La Fontaine nous fait rire, mais à ses dépens, & c'est sur lui-même qu'il fait tomber le ridicule. Quand pour rendre raison de la maigreur d'une belette, il observe qu'elle sortoit de maladie : quand pour expliquer comment un cerf ignoroit une maxime de Salomon, il nous avertit que ce cerf n'étoit pas accoûtumé de lire : quand pour nous prouver l'expérience d'un vieux rat, & les dangers qu'il avoit courus, il remarque qu'il avoit même perdu sa queue à la bataille : quand pour nous peindre la bonne intelligence des chiens & des chats, il nous dit :

Ces animaux vivoient entr'eux comme cousins ;

Cette union si douce, & presque fraternelle,

Edifioit tous les voisins,

nous rions, mais de la naïveté du poëte, & c'est à ce piége si délicat que se prend notre vanité.

L'oracle de Delphes avoit, dit-on, conseillé à Esope de prouver des vérités importantes par des contes ridicules. Esope auroit mal entendu l'oracle, si au lieu d'être risible il s'étoit piqué d'être plaisant.

Cependant comme ce n'est pas uniquement à nous amuser, mais sur-tout à nous instruire, que la fable est destinée, l'illusion doit se terminer au développement de quelque vérité utile : nous disons au développement, & non pas à la preuve ; car il faut bien observer que la fable ne prouve rien. Quelque bien adapté que soit l'exemple à la moralité, l'exemple est un fait particulier, la moralité une maxime générale ; & l'on sait que du particulier au général il n'y a rien à conclure. Il faut donc que la moralité soit une vérité connue par elle-même, & à laquelle on n'ait besoin que de réfléchir pour en être persuadé. L'exemple contenu dans la fable, en est l'indication & non la preuve ; son but est d'avertir, & non de convaincre ; de diriger l'attention, & non d'entraîner le consentement ; de rendre enfin sensible à l'imagination ce qui est évident à la raison ; mais pour cela il faut que l'exemple mene droit à la moralité, sans diversion, sans équivoque ; & c'est ce que les plus grands maîtres semblent avoir oublié quelquefois :

La vérité doit naître de la fable.

La Mothe l'a dit & l'a pratiqué, il ne le cede même à personne dans cette partie : comme elle dépend de la justesse & de la sagacité de l'esprit, & que la Mothe avoit supérieurement l'une & l'autre, le sens moral de ses fables est presque toûjours bien saisi, bien déduit, bien préparé. Nous en exceptons quelques-unes, comme celle de l'estomac, celle de l'araignée & du pelican. L'estomac patit de ses fautes, mais s'ensuit-il que chacun soit puni des siennes ? Le même auteur a fait voir le contraire dans la fable du chat & du rat. Entre le pélican & l'araignée, entre Codrus & Néron l'alternative est-elle si pressante qu'hésiter ce fût choisir ? & à la question, lequel des deux voulez-vous imiter ? n'est-on pas fondé à répondre, ni l'un ni l'autre ? Dans ces deux fables la moralité n'est vraie que par les circonstances, elle est fausse dès qu'on la donne pour un principe général.

La Fontaine s'est plus négligé que la Mothe sur le choix de la moralité ; il semble quelquefois la chercher après avoir composé sa fable, soit qu'il affecte cette incertitude pour cacher jusqu'au bout le dessein qu'il avoit d'instruire ; soit qu'en effet il se soit livré d'abord à l'attrait d'un tableau favorable à peindre, bien sûr que d'un sujet moral il est facile de tirer une réflexion morale. Cependant sa conclusion n'est pas toûjours également heureuse ; le plus souvent profonde, lumineuse, intéressante, & amenée par un chemin de fleurs ; mais quelquefois aussi commune, fausse ou mal déduite. Par exemple, de ce qu'un gland, & non pas une citrouille, tombe sur le nez de Garo, s'ensuit-il que tout soit bien ?

Jupin pour chaque état mit deux tables au monde ;

L'adroit, le vigilant & le fort sont assis

A la premiere, & les petits

Mangent leur reste à la seconde.

Rien n'est plus vrai ; mais cela ne suit point de l'exemple de l'araignée & de l'hirondelle : car l'araignée, quoiqu'adroite & vigilante, ne laisse pas de mourir de faim. Ne seroit-ce point pour déguiser ce défaut de justesse, que dans les vers que nous avons cités, La Fontaine n'oppose que les petits à l'adroit, au vigilant & au fort ? S'il eût dit le foible, le négligent & le mal-adroit, on eût senti que les deux dernieres de ces qualités ne conviennent point à l'araignée. Dans la fable des poissons & du berger, il conseille aux rois d'user de violence : dans celle du loup déguisé en berger, il conclut,

Quiconque est loup, agisse en loup.

Si ce sont-là des vérités, elles ne sont rien moins qu'utiles aux moeurs. En général, le respect de La Fontaine pour les anciens, ne lui a pas laissé la liberté du choix dans les sujets qu'il en a pris ; presque toutes ses beautés sont de lui, presque tous ses défauts sont des autres. Ajoûtons que ses défauts sont rares, & tous faciles à éviter, & que ses beautés sans nombre sont peut-être inimitables.

Nous aurions beaucoup à dire sur sa versification, où les pédans n'ont sû relever que des négligences, & dont les beautés ravissent d'admiration les hommes de l'art les plus exercés, & les hommes de goût les plus délicats ; mais pour développer cette partie avec quelqu'étendue, nous renvoyons à l'article VERS.

Du reste, sans aucun dessein de loüer ni de critiquer, ayant à rendre sensibles par des exemples les perfections & les défauts de l'art, nous croyons devoir puiser ces exemples dans les auteurs les plus estimables, pour deux raisons, leur célébrité & leur autorité, sans toutefois manquer dans nos critiques aux égards que nous leur devons ; & ces égards consistent à parler de leurs ouvrages avec une impartialité sérieuse & décente, sans fiel & sans dérision ; méprisables recours des esprits vuides & des ames basses. Nous avons reconnu dans la Mothe une invention ingénieuse, une composition réguliere, beaucoup de justesse & de sagacité. Nous avons profité de quelques-unes de ses réflexions sur la fable, & nous renvoyons encore le lecteur à son discours, comme à un morceau de poétique excellent à beaucoup d'égards. Mais avec la même sincérité nous avons crû devoir observer ses erreurs dans la théorie, & ses fautes dans la pratique, ou du moins ce qui nous a paru tel ; c'est au lecteur à nous juger.

Comme La Fontaine a pris d'Esope, de Phedre, de Pilpay, &c. ce qu'ils ont de plus remarquable, & que deux exemples nous suffisoient pour développer nos principes, nous nous en sommes tenus aux deux fabulistes françois. Si l'on veut connoître plus particulierement les anciens qui se sont distingués dans ce genre de poésie, on peut consulter l'article FABULISTE. Article de M. MARMONTEL.

FABLE, (Belles-Lettr.) fiction morale. Voyez FICTION.

Dans les poëmes épique & dramatique, la fable, l'action, le sujet, sont communément pris pour synonymes ; mais dans une acception plus étroite, le sujet du poëme est l'idée substantielle de l'action : l'action par conséquent est le développement du sujet, l'intrigue est cette même disposition considérée du côté des incidens qui nouent & dénouent l'action.

Tantôt la fable renferme une vérité cachée, comme dans l'Iliade : tantôt elle présente directement des exemples personnels & des vérités toutes nues, comme dans le Télémaque & dans la plûpart de nos tragédies. Il n'est donc pas de l'essence de la fable d'être allégorique, il suffit qu'elle soit morale, & c'est ce que le P. le Bossu n'a pas assez distingué.

Comme le but de la Poésie est de rendre, s'il est possible, les hommes meilleurs & plus heureux, un poëte doit sans-doute avoir égard dans le choix de son action, à l'influence qu'elle peut avoir sur les moeurs ; &, suivant ce principe, on n'auroit jamais dû nous présenter le tableau qui entraîne Oedipe dans le crime, ni celui d'Electre criant au parricide Oreste : frappe, frappe, elle a tué notre pere.

Mais cette attention générale à éviter les exemples qui favorisent les méchans, & à choisir ceux qui peuvent encourager les bons, n'a rien de commun avec la regle chimérique de n'inventer la fable & les personnages d'un poëme qu'après la moralité ; méthode servile & impraticable, si ce n'est dans de petits poëmes, comme l'apologue, où l'on n'a ni les grands ressorts du pathétique à mouvoir, ni une longue suite de tableau à peindre, ni le tissu d'une intrigue vaste à former. Voyez EPOPEE.

Il est certain que l'Iliade renferme la même vérité que l'une des fables d'Esope : & que l'action qui conduit au développement de cette vérité, est la même au fond dans l'une & dans l'autre ; mais qu'Homere, ainsi qu'Esope, ait commencé par se proposer cette vérité ; qu'ensuite il ait choisi une action & des personnages convenables, & qu'il n'ait jetté les yeux sur la circonstance de la guerre de Troye, qu'après s'être décidé sur les caracteres fictifs d'Agamemnon, d'Achille, d'Hector, &c. c'est ce qui n'a pû tomber que dans l'idée d'un spéculateur qui veut mener, s'il est permis de le dire, le génie à la lisiere. Un sculpteur détermine d'abord l'expression qu'il veut rendre, puis il dessine sa figure, & choisit enfin le marbre propre à l'exécuter ; mais les évenemens historiques ou fabuleux, qui sont la matiere du poëme héroïque, ne se taillent point comme le marbre : chacun d'eux a sa forme essentielle qu'il n'est permis que d'embellir ; & c'est par le plus ou le moins de beautés qu'elle présente ou dont elle est susceptible, que se décide le choix du poëte : Homere lui-même en est un exemple.

L'action de l'Odyssée prouve, si l'on veut, qu'un état ou qu'une famille souffre de l'absence de son chef ; mais elle prouve encore mieux qu'il ne faut point abandonner ses intérêts domestiques pour se mêler des intérêts publics, ce qu'Homere certainement n'a pas eu dessein de faire voir.

De même on peut conclure de l'action de l'Enéïde, que la valeur & la piété réunies sont capables des plus grandes choses ; mais on peut conclure aussi qu'on fait quelquefois sagement d'abandonner une femme après l'avoir séduite, & de s'emparer du bien d'autrui quand on le trouve à sa bienséance ; maximes que Virgile étoit bien éloigné de vouloir établir.

Si Homere & Virgile n'avoient inventé la fable de leurs poëmes qu'en vûe de la moralité, toute l'action n'aboutiroit qu'à un seul point ; le dénouement seroit comme un foyer où se réuniroient tous les traits de lumiere répandus dans le poëme, ce qui n'est pas : ainsi l'opinion du pere le Bossu est démentie par les exemples mêmes dont il prétend l'autoriser.

La fable doit avoir différentes qualités, les unes particulieres à certains genres, les autres communes à la Poésie en genéral. Voyez pour les qualités communes, les articles FICTION, INTERET, INTRIGUE, UNITE, &c. Voyez pour les qualités particulieres, les divers genres de Poésie, à leurs articles.

Sur-tout comme il y a une vraisemblance absolue & une vraisemblance hypothétique ou de convention, & que toutes sortes de poëmes ne sont pas indifféremment susceptibles de l'une & de l'autre, voyez, pour les distinguer, les articles FICTION, MERVEILLEUX & TRAGEDIE. Article de M. MARMONTEL.


FABLIAUXS. m. (Littérat. franç.) Les anciens contes connus sous le nom de fabliaux, sont des poëmes qui, bien exécutés, renferment le récit élégant & naïf d'une action inventée, petite, plus ou moins intriguée, quoique d'une certaine proportion, mais agréable ou plaisante, dont le but est d'instruire ou d'amuser.

Il nous reste plusieurs manuscrits qui contiennent des fabliaux : il y en a dans différentes bibliotheques, & sur-tout dans celle du Roi ; mais un manuscrit des plus considérables en ce genre, est celui de la bibliotheque de saint Germain des Prés, n°. 1830. Les auteurs les moins anciens dont on y trouve les ouvrages, paroissent être du regne de S. Louis.

Ces sortes de poésies du xij. & xiij. siecles, prouvent que dans les tems de la plus grande ignorance, non-seulement on a écrit, mais qu'on a écrit en vers : le manuscrit de l'abbaye de S. Germain en contient plus de 150 mille. M. le comte de Caylus en a extrait quelques morceaux dans son mémoire sur les fabliaux, inséré au tome XX. du recueil de l'académie des Inscript. & Belles-Lettres. Cependant le meilleur des fabliaux de ce manuscrit, ainsi que ceux dont le plan est le plus exact, sont trop libres pour être cités ; & en même tems, au milieu des obscénités qu'ils renferment, on y trouve de pieuses & longues tirades de l'ancien Testament. Une telle simplicité fait-elle l'éloge de nos peres ? Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FABRICATIONS. f. terme d'Art méchan. c'est l'action par laquelle on exécute certains ouvrages selon les regles prescrites. Il s'applique plus fréquemment aux arts qui employent la laine, le fil, le coton, &c. qu'aux autres. On dit la fabrication d'une étoffe ; ainsi faire est plus général que fabriquer.

FABRICATION, s. m. à la Monnoie, est l'exécution d'une ordonnance qui prescrit la fonte & le monnoyage d'une quantité de métal. Voyez MONNOIE.


FABRICIENS. m. (Hist. mod.) officier ecclésiastique ou laïc, chargé du soin du temporel des églises. C'est dans les paroisses la même chose que le marguillier. Dans les chapitres, c'est un chanoine chargé des réparations de l'église, de celle des biens, fermes, &c. & de leur visite, dont il perçoit les revenus & en compte au chapitre. On le nomme en quelques endroits chambrier. Dans certains chapitres il est perpétuel ; dans d'autres il n'est qu'à tems, amovible ou révocable à la volonté du chapitre. (G)


FABRIQUANTS. m. (Commerce) On appelle ainsi celui qui travaille ou qui fait travailler pour son compte des ouvrages d'ourdissage de toute espece, en soie, en laine, en fil, en coton, &c. Il est rare qu'on applique à d'autres arts le terme de fabriquant. Je crois celui de fabrique un peu plus étendu.


FABRIQUEFABRIQUE

On entend encore par ce même terme de fabrique, le temporel des églises, consistant, soit en immeubles, ou en revenus ordinaires ou casuels, affectés à l'entretien de l'église & à la célébration du service divin.

Enfin par le terme de fabrique on entend aussi fort souvent ceux qui ont l'administration du temporel de l'église ; lesquels en certaines provinces sont appellés fabriciens, en d'autres marguilliers, luminiers, &c. La fabrique est aussi quelquefois prise pour le corps ou assemblée de ceux qui ont cette administration du temporel. Le bureau ou lieu d'assemblée est aussi quelquefois désigné sous le nom de fabrique.

Dans la primitive Eglise, tous les biens de chaque église étoient en commun ; l'évêque en avoit l'intendance & la direction, & ordonnoit comme il jugeoit à propos de l'emploi du temporel, soit pour la fabrique, soit pour la subsistance des ministres de l'église.

Dans presque tous les lieux les évêques avoient sous eux des économes, qui souvent étoient des prêtres & des diacres, auxquels ils confioient l'administration du temporel de leur église, dont ces économes leur rendoient compte.

Ces économes touchoient les revenus de l'église, & avoient soin de pourvoir à ses nécessités, pour lesquelles ils prenoient sur les revenus de l'église ce qui étoit nécessaire ; ensorte qu'ils faisoient vraiment la fonction de fabriciens.

Dans la neuvieme session du concile de Chalcedoine, tenu en 451, on obligea les évêques, à l'occasion d'Ibas évêque d'Edesse, de choisir ces économes de leur clergé ; de leur donner ordre sur ce qu'il convenoit faire, & de leur faire rendre compte de tout. Les évêques pouvoient déposer ces économes, pourvû que ce fût pour quelque cause légitime.

En quelques endroits, sur-tout dans l'église greque, ces économes avoient sous eux des co-adjuteurs.

On pratiquoit aussi à-peu-près la même chose dans les monasteres ; on choisissoit entre les religieux les plus anciens, celui qui étoit le plus propre à gouverner le temporel pour lui.

Vers le milieu du jv. siecle les choses changerent de forme dans l'église d'Occident ; les revenus de chaque église ou évêché furent partagés en quatre lots ou parts égales, la premiere pour l'évêque, la seconde pour son clergé & pour les autres clercs du diocèse, la troisieme pour les pauvres, & la quatrieme pour la fabrique, c'est-à-dire pour l'entretien & les réparations de l'église.

Ce partage fut ainsi ordonné dans un concile tenu à Rome du tems de Constantin. La quatrieme portion des revenus de chaque église fut destinée pour la réparation des temples & des églises.

Le pape Simplicius écrivoit à trois évêques que ce quart devoit être employé ecclesiasticis fabriciis.

C'est apparemment de-là qu'est venu le terme de fabrique.

On trouve aussi dans des lettres du pape Gelase, en 494, dont l'extrait est rapporté dans le canon vobis XXIII. causâ xij. quest. 1. que l'on devoit faire quatre parts, tant des revenus des fonds de l'église, que des oblations des fideles ; que la quatrieme portion étoit pour la fabrique, fabricis verò quartam ; que ce qui resteroit de cette portion, la dépense annuelle prélevée, seroit remis à deux gardiens idoines, choisis à cet effet, afin que s'il survenoit quelque dépense plus considérable, major fabrica, on eût la ressource de ces deniers, ou que l'on en achetât quelque fonds.

Le même pape repete cette disposition dans les can. 25. 26. & 27. au même titre. Il se sert par-tout du terme fabricis, qui signifie en cet endroit les constructions & réparations ; & la glose observe sur le canon 27, que la conséquence qui résulte naturellement de tous ces canons, est que les laïcs ne sont point tenus aux réparations de la fabrique, mais seulement les clercs.

Saint Grégoire le Grand, dans une lettre à saint Augustin apôtre d'Angleterre, prescrit pareillement la reserve du quart pour la fabrique.

Le decret de Gratien contient encore, loco citato, un canon (qui est le 31.) prétendu titré d'un concile de Tolede ; sans dire lequel, où la division & l'emploi des revenus ecclésiastiques sont ordonnés de même ; ensorte, est-il dit, que la premiere part soit employée soigneusement aux réparations des titres, c'est-à-dire des églises & à celles des cimetieres, secundùm apostolorum praecepta : mais ce canon ne se trouve dans aucun des conciles de Tolede. La collection des canons faite par un auteur incertain, qui est dans la bibliotheque vaticane ; attribue celui-ci au pape Sylvestre : on n'y trouve pas ces paroles, secundùm apostolorum praecepta ; & en effet du tems des apôtres il n'étoit pas question de fabriques dans le sens où nous le prenons aujourd'hui, ni même de réparations.

Quoi qu'il en soit de l'autorité de ce canon, celles que l'on a déjà rapportées sont plus que suffisantes au moins pour établir l'usage qui s'observoit depuis le jv. siecle par rapport aux fabriques des églises ; usage qui s'est depuis toûjours soûtenu.

Grégoire II. écrivant en 729 aux évêques & au peuple de Thuringe, leur dit qu'il avoit recommandé à Boniface leur évêque de faire quatre parts des biens d'église, comme on l'a déjà expliqué, dont une étoit pour la fabrique, ecclesiasticis fabricis reservandam.

En France on a toûjours eu une attention particuliere pour la fabrique des églises.

Le 57e canon du concile d'Orléans, tenu en 511 par ordre de Clovis, destine les fruits des terres que les églises tiennent de la libéralité du roi, aux réparations des églises, à la nourriture des prêtres & des pauvres.

Un capitulaire de Charlemagne, de l'année 801, ordonne le partage des dixmes en quatre portions, pour être distribuées de la maniere qui a déjà été dite : la quatrieme est pour la fabrique, quarta in fabricâ ipsius ecclesiae.

Cette division n'avoit d'abord lieu que pour les fruits ; & comme les évêques & les clercs avoient l'administration des portions de la fabrique & des pauvres, ce reglement fut observé plus ou moins exactement dans chaque diocèse, selon que les administrateurs de la part de la fabrique étoient plus ou moins scrupuleux.

Dans la suite l'administration de la part des fabriques, dans les cathédrales & collégiales, fut confiée à des clercs qu'on appella marguilliers en quelques églises. On leur adjoignit des marguilliers laïcs, comme dans l'église de Paris, où il y en avoit dès l'an 1204.

Dans les églises paroissiales, les biens de la fabrique ne sont gouvernés que par des marguilliers laïs.

Les revenus des fabriques sont destinés à l'entretien & réparation des églises ; ce n'est que subsidiairement, & en cas d'insuffisance des revenus des fabriques, que l'on fait contribuer les gros décimateurs & les paroissiens.

L'édit du mois de Février 1704 avoit créé en titre d'office des thrésoriers des fabriques dans toutes les villes du royaume ; mais par l'édit du mois de Septembre suivant ils furent supprimés pour la ville & fauxbourgs de Paris ; & par un arrêt du conseil du 24 Janvier 1705, ceux des autres villes furent réunis aux fabriques.

L'article 9 de l'édit de Février 1680, porte que le revenu des fabriques, après les fondations accomplies, sera appliqué aux réparations, achat d'ornemens & autres oeuvres pitoyables, suivant les saints decrets ; & que les marguilliers seront tenus de faire bon & fidele inventaire de tous les titres & enseignemens des fabriques.

Les évêques recevoient autrefois les comptes des fabriques ; mais ayant négligé cette fonction, les magistrats en prirent connoissance, suivant ce qui est dit dans une ordonnance de Charles V. du mois d'Octobre 1385.

Le concile de Trente & plusieurs conciles provinciaux de France, veulent que ces comptes soient rendus tous les ans devant l'évêque.

Charles IX. par des lettres patentes du 3 Octobre 1571, en attribua la connoissance aux évêques, archidiacres & officiaux dans leurs visites, sans frais, avec défense à tous autres juges d'en connoître ; mais cela ne fut pas bien exécuté, & il y a eu bien des variations à ce sujet.

Henri III. par un édit de Juillet 1578, attribua la connoissance de ces comptes aux élus. Le 11 Mai 1582, le clergé obtint des lettres portant révocation de cet édit, & que les comptes se rendroient comme avant l'édit de 1578. Le pouvoir des élus fut rétabli par un édit de Mars 1587 ; mais il ne fut pas registré au parlement, & le clergé en obtint encore la révocation. Les élus furent encore rétablis dans cette fonction par édit de Mai 1605.

Le 16 Mai 1609, le clergé obtint des lettres conformes à celles de 1571 ; elles furent vérifiées au parlement, à la charge que les procureurs fiscaux seroient appellés à l'audition des comptes.

Ces lettres furent confirmées par d'autres du 4 Septembre 1619, registrées au grand-conseil, & par deux déclarations de 1657 & 1666, mais qui n'ont été registrées en aucune cour.

L'édit de 1695, qui forme le dernier état sur cette matiere, ordonne, art. 17, que ces comptes seront rendus aux évêques & à leurs archidiacres ; mais ils doivent en connoître eux-mêmes, & non par leurs officiaux.

Pour ce qui est des jugemens rendus sur les comptes des fabriques, ils sont exécutoires par provision, suivant les lettres patentes de 1571, & celles de 1619.

Les biens des fabriques ne peuvent être aliénés sans nécessité, & sans y observer les formalités nécessaires pour l'aliénation des biens d'église.

Le concile de Roüen, en 1581, défend sous de grieves peines de les aliéner que par autorité de l'ordinaire, & de les employer autrement qu'à leur destination.

On ne peut même faire les baux des biens des fabriques sans publication, & l'on ne peut les faire par anticipation, ni pour plus de six ans.

La déclaration du 12 Février 1661, veut que les églises & fabriques du royaume rentrent de plein droit & de fait, sans aucune formalité de justice, dans tous les biens, terres & domaines qui leur appartiennent, & qui depuis 20 ans avoient été vendus ou engagés par les marguilliers sans permission, & sans avoir gardé les autres formalités nécessaires.

Dans les assemblées de fabrique, le curé précede les marguilliers ; mais ceux-ci précedent les officiers du bailliage, lesquels n'y assistent que comme principaux habitans. Voyez MARGUILLIER & REPARATIONS. (A)

FABRIQUE, s. f. (Archit.) maniere de construire quelqu'ouvrage, mais il ne se dit guere qu'en parlant d'un édifice. Ce mot vient du latin fabrica, qui signifie proprement forge. Il désigne en Italie tout bâtiment considérable : il signifie aussi en françois la maniere de construire, ou une belle construction ; ainsi on dit que l'observatoire, le pont-royal à Paris, &c. sont d'une belle fabrique. (P)

FABRIQUE DES VAISSEAUX, (Marine) se dit de la maniere dont un vaisseau est construit, propre à chaque nation ; desorte qu'on dit un vaisseau de fabrique hollandoise, de fabrique angloise, &c. (Z)

FABRIQUE signifie, dans le langage de la Peinture, tous les bâtimens dont cet art offre la représentation : ce mot réunit donc par sa signification, les palais ainsi que les cabanes. Le tems qui exerce également ses droits sur ces différens édifices, ne les rend que plus favorables à la Peinture ; & les débris qu'il occasionne sont aux yeux des Peintres des accidens si séduisans, qu'une classe d'artistes s'est de tout tems consacrée à peindre des ruines. Il s'est aussi toûjours trouvé des amateurs qui ont senti du penchant pour ce genre de tableaux. Lorsqu'il est bien traité, indépendamment de l'imitation de la nature, il donne à penser : est-il rien de si séduisant pour l'esprit ? Un palais construit dans un goût sage, où les parties conviennent si bien qu'il en résulte un tout parfait, ce palais si bien conservé que rien n'en est altéré, nous plaira sans-doute ; mais nous appercevons presqu'en un même instant ces beautés symmétriques, il ne nous laisse rien à desirer. Est-il à moitié renversé, les parties qui subsistent nous présentent des perfections qui nous font penser à celles qui sont déjà détruites. Nous les rebâtissons, pour ainsi dire, nous cherchons à en concevoir l'effet général. Nous nous trouvons attachés par plusieurs motifs de réflexion ; jusqu'à la variété que des plantes crûes au hasard, ajoûtent aux couleurs dont les pierres se trouvent nuancées par les influences de l'air, tout attache les regards & l'attention.

Indépendamment de cette classe d'artistes qui choisit pour principal sujet de ses ouvrages des édifices à moitié détruits, tous les Peintres ont droit de faire entrer des fabriques dans la composition de leurs tableaux, & souvent les fonds des sujets historiques peuvent ou doivent en être enrichis. Sur cette partie les regles se réduisent à quelques principes généraux, dont l'intelligence & le goût des Artistes doivent faire une application convenable. Celui qui me paroît de la plus grande importance, est l'obligation d'avoir une connoissance approfondie des regles de l'Architecture : l'habitude réitérée de former des plans géométraux, & d'élever ensuite sur ces plans les représentations perspectives de différens édifices, est une des sources principales de la vérité & de la richesse de la composition. Il résulte de cette habitude éclairée, que les édifices dont une partie intérieure est souvent le lieu choisi d'une scene pittoresque, s'offrent aux spectateurs dans la juste apparence qu'ils doivent avoir. Combien de ces péristiles, de ces sallons, de ces temples, vains fantômes de solidité & de magnificence, s'évanoüiroient avec la réputation des artistes, si d'après leurs tableaux on en faisoit l'examen en les réduisant à leurs plans géométraux ? Combien d'effets de perspectives trouverions-nous ridicules & faux, si on les soûmettoit à cette épreuve ? L'exécution sévere des regles, je ne puis trop le répeter, est le soûtien des Beaux-arts, comme les licences en sont la ruine. Dans celui de la Peinture, la perspective linéale est un des plus fermes appuis de l'illusion qu'elle produit : cette perspective donne les regles des rapports des objets ; & puisque nous ne jugeons des objets réels que par les rapports qu'ils ont entr'eux, comment espere-t-on tromper les regards, si l'on n'imite précisément ces rapports de proportions par lesquels nos sens perçoivent & nous excitent à juger ? Les grands peintres ont étudié avec soin l'Architecture indépendamment de la Perspective, & ils ont trouvé dans cette étude les moyens de rendre leurs compositions variées, riches & vraisemblables. Il seroit à souhaiter que les Architectes pussent s'enrichir aussi des connoissances & du goût qu'inspire l'art de la Peinture, en le pratiquant ; ils y puiseroient à leur tour des beautés & des graces qu'on voit souvent manquer dans l'exécution de leur composition. Les Arts ne doivent-ils pas briller d'un plus vif éclat, lorsqu'ils réünissent leurs lumieres ? Voyez PERSPECTIVE, RUINES, &c. Cet article est de M. WATELET.


FABULEUXadj. (Hist. anc.) on appelle tems fabuleux ou héroïques, la période où les Payens ont feint que regnoient les dieux & les héros.

Varron a divisé la durée du monde en trois périodes : la premiere est celle du tems obscur & incertain, qui comprend tout ce qui s'est passé jusqu'au déluge, dont les Payens avoient une tradition constante ; mais ils n'avoient aucun détail des évenemens qui avoient précédé ce déluge, excepté leurs fictions sur le cahos, sur la formation du monde & sur l'âge d'or.

La seconde période est le tems fabuleux, qui comprend les siecles écoulés depuis le déluge jusqu'à la premiere olympiade, c'est-à-dire 1552 ans, selon le P. Pétau ; ou jusqu'à la ruine de Troye, arrivée l'an 308 après la sortie des Hébreux de l'Egypte, & 1164 après le déluge. Voyez l'article FABLE. Dictionn. de Trévoux & Chambers. (G)


FABULINUS(Myth.) dieu de la parole. Les Romains l'invoquoient & lui faisoient des sacrifices lorsque leurs enfans commençoient à bégayer quelques mots.


FABULISTES. m. (Littér.) auteur qui écrit des fables, fabulas, c'est-à-dire des narrations fabuleuses, accompagnées d'une moralité qui sert de fondement à la fiction.

Non-seulement un fabuliste doit se proposer sous le voile de la fiction, d'annoncer quelque vérité morale, utile pour la conduite des hommes, mais encore l'annoncer d'une maniere qui ne rebute point l'amour-propre, toûjours rebelle aux préceptes directs, & toûjours favorable à ces déguisemens heureux qui ont l'art d'instruire en amusant.

Les enfans nouveaux venus dans le monde, n'en connoissent pas les habitans, ils ne se connoissent pas eux-mêmes ; mais il convient de les laisser dans cette ignorance le moins qu'il est possible. Il leur faut apprendre ce que c'est qu'un lion, un renard, un singe, & pour quelle raison on compare quelquefois un homme à de tels animaux : c'est à quoi les fables sont destinées, & les premieres notions de ces choses proviennent d'elles ; ensuite par les raisonnemens & les conséquences qu'on peut tirer des fables, on forme le jugement & les moeurs des enfans. Plûtôt que d'être réduits à corriger nos mauvaises habitudes, nos parens devroient travailler à les rendre bonnes, pendant qu'elles sont encore indifférentes au bien & au mal ; or les fables y peuvent contribuer infiniment, & c'est ce qui a fait dire à La Fontaine qu'elles étoient descendues du ciel pour servir à notre instruction :

L'apologue est un don qui vient des immortels,

Ou si c'est un présent des hommes,

Quiconque nous l'a fait, mérite des autels.

Esope, suivant tous les critiques, mérite ces autels : c'est à lui qu'on est redevable de ce beau présent ; c'est lui qui a la gloire de cette invention, ou du moins qui a si bien manié ce sujet, qu'on l'a regardé dans l'antiquité comme le pere ou le principal auteur des apologues : c'est ce qui a engagé Philostrate à embellir cette vérité par une fiction ingénieuse. " Esope, dit-il, étant berger, menoit souvent paître ses troupeaux près d'un temple de Mercure où il entroit quelquefois, faisant au dieu de petites offrandes, comme de fleurs, d'un peu de lait, de quelques rayons de miel, & lui demandant avec instance quelques rayons de sagesse. Plusieurs se rendoient aussi dans le même temple pour le même dessein, & faisoient au dieu des offrandes très-considérables. Mercure voulant reconnoître leur piété, donna aux uns le don de l'Astrologie, aux autres le don de l'éloquence, & à quelques-uns le don de la Musique. Il oublia par malheur Esope ; mais comme son intention étoit de le récompenser, il lui donna le don de faire des fables "... Revenons à l'histoire.

Esope a cela de commun avec Homere, qu'on ignore le vrai lieu de sa naissance ; néanmoins l'opinion générale le fait sortir d'un bourg de Phrygie. Il florissoit du tems de Solon, c'est-à-dire vers la 52e olympiade ; il naquit esclave, & servit en cette qualité plusieurs maîtres. Il apprit à Athenes la pureté de la langue greque, comme dans sa source ; perfectionna ses talens par les voyages, & se distingua par ses réponses dans l'assemblée des sept sages. Sa haute réputation étant parvenue jusqu'aux oreilles de Crésus roi de Lydie, ce monarque le fit venir à sa cour, le prit en affection, & l'honora de sa confiance. Mais l'étude favorite d'Esope fut toûjours la Philosophie morale, dont il remplit son ame & son esprit, convaincu de l'inconstance & de la vanité des grandeurs humaines : on sait son bon mot sur cet article. Chylon lui ayant demandé quelle étoit l'occupation de Jupiter, remporta d'Esope cette réponse merveilleuse : Jupiter abaisse les choses hautes, & éleve les choses basses. Cependant il fut traité comme sacrilege ; car ayant été envoyé par Crésus au temple de Delphes, pour offrir en son nom des sacrifices, ses discours sur la nature des dieux indisposerent les Delphiens, qui le condamnerent à la mort. Envain Esope leur raconta la fable de l'aigle & de l'escarbot pour les ramener à la clémence, cette fable ne toucha point leur coeur ; ils précipiterent Esope du haut de la roche d'Hyampie, & s'en repentirent trop tard.

Après sa mort les Athéniens se croyant en droit de se l'approprier, parce qu'il avoit eu pour son premier maître Démarchus citoyen d'Athenes, lui érigerent une statue, que l'on conjecture avoir été faite par Lysippe. Enfin pour consoler la Grece entiere qui pleuroit sa perte, les Poëtes furent obligés de feindre que les dieux l'avoient ressuscité. Voilà tout ce qu'on sait d'Esope, même en rassemblant divers passages d'Hérodote, d'Aristophane, de Plutarque, de Diogene de Laërce & de Suidas. M. de Méziriac en a fait un bel usage dans la vie de ce fabuliste, qu'il a publiée en 1632.

Il n'est pas facile de décider si l'inventeur de l'apologue composa ses fables de dessein formé, pour en faire une espece de code qui renfermât dans des fictions allégoriques toute la morale qu'il vouloit enseigner ; ou bien si les différentes circonstances dans lesquelles il se trouva, y ont successivement donné lieu. De quelque façon & dans quelque vûe qu'il ait composé ses fables, il est certain qu'elles ne sont pas toutes parvenues jusqu'à nous, les anciens en ont cité quelques-unes qui nous manquent ; mais il n'est pas moins certain qu'elles étoient si familieres aux Grecs, que pour taxer quelqu'un d'ignorance ou de stupidité, il avoit passé en proverbe de dire, cet homme ne connoît pas même Esope.

Il faut ajoûter à sa gloire, qu'il sut employer avec art contre les défauts des hommes, les leçons les plus sensées & les plus ingénieuses dont l'esprit humain pût s'aviser. Celui qui a dit que ses apologues sont les plus utiles de toutes les fables de l'antiquité, savoit bien juger de la valeur des choses : c'est Platon qui a porté ce jugement. Il souhaite que les enfans sucent les fables d'Esope avec le lait, & recommande aux nourrices de les leur apprendre ; parce que, dit-il, on ne sauroit accoûtumer les hommes de trop bonne heure à la vertu.

Apollonius de Thyane ne s'est pas expliqué moins clairement sur le cas qu'il faisoit des fables d'Esope, aussi ne sont-elles jamais tombées dans le mépris. Notre siecle, quelque dédaigneux & quelqu'orgueilleux qu'il soit, continue de les estimer ; & le travail que M. Lestrange a fait sur ces mêmes fables en Angleterre, y est toûjours très-applaudi.

Quoique la vie du fabuliste phrygien, donnée par Planude, soit un vrai roman, de l'aveu de tout le monde, il faut cependant convenir que c'est un roman heureusement imaginé, que d'avoir conservé dans l'inventeur de l'apologue sa qualité d'esclave, & d'avoir fait de son maître un homme plein de vanité. L'esclave ayant à ménager l'orgueil du maître, il ne devoit lui présenter certaines vérités qu'avec précaution ; & l'on voit aussi dans sa vie, que le sage Esope sait toûjours concilier les égards & la sincérité par ses apologues. D'un autre côté, le maître qui s'arroge le nom de philosophe, ne devoit pas être homme à s'en tenir à l'écorce ; il devoit tirer des fictions de l'esclave les vérités qu'il y renfermoit : il devoit se plaire à l'artifice respectueux d'Esope, & lui pardonner la leçon en faveur de l'adresse & du génie. Nous autres fabulistes, pouvoit dire Esope, nous sommes des esclaves qui voulons instruire les hommes sans les fâcher, & nous les regardons comme des maîtres intelligens qui nous savent gré de nos ménagemens, & qui reçoivent la vérité, parce que nous leur laissons l'honneur de la deviner en partie.

Socrate songeant à concilier ensemble le caractere de poëte & celui de philosophe, fit à son tour des fables qui contenoient des vérités solides, & d'excellentes regles pour les moeurs ; il consacra même les derniers momens de sa vie à mettre en vers quelques-uns des apologues d'Esope.

Mais ce digne mortel, qui passe communément pour avoir eu le plus de communication avec les dieux, n'est pas le seul qui ait considéré comme soeurs la Poësie & les Fables. Phedre, affranchi d'Auguste, & dans la suite persécuté par Séjan, suivit l'exemple de Socrate, & sa façon de penser. Se voyant sous un regne où la tyrannie rendoit dangereux tout genre d'écrire un peu libre & un peu élevé, il évita de se montrer d'une façon brillante, & vécut dans le commerce d'un petit nombre d'amis, éloigné de tous lieux où l'on pouvoit être entendu par les délateurs. " L'homme, dit-il, se trouvant dans la servitude, parce qu'il n'osoit parler tout haut, glissa dans ses narrations fabuleuses les pensées de son esprit, & se mit par ce moyen à couvert de la calomnie ". Préface du troisieme livre de ses fables, qu'il dédia à Eutyche. Il s'occupa donc dans la solitude du cabinet à écrire des fables, & son génie poétique lui fut d'une grande ressource pour les composer en vers ïambiques. Quant à la matiere, il la traita dans le goût d'Esope, comme il le déclare lui-même :

Aesopus auctor, quam materiam reperit,

Hanc ego polivi versibus senariis.

Il ne s'écarta de son modele qu'à quelques égards, mais alors ce fut pour le mieux. Du tems d'Esope, par exemple, la fable étoit comptée simplement, la moralité séparée, & toûjours de suite. Phedre ne crut pas devoir s'assujettir à cet ordre méthodique ; il embellit la narration, & transporte quelquefois la moralité de la fin au commencement de la fable. Ses fleurs, son élégance & son extrème briéveté le rendent encore très-recommandable ; & si l'on y veut faire attention, on reconnoîtra dans le poëte de Thrace le caractere de Térence. Sa simplicité est si belle, qu'il semble difficile d'élever notre langue à ce haut point de perfection. Son laconisme est toûjours clair, il peint toûjours par des épithetes convenables ; & ses descriptions renfermées souvent en un seul mot, répandent encore de nouvelles graces dans ses ouvrages.

Il est vrai que cet auteur plein d'agrémens, a été très-peu connu pendant plusieurs siecles ; mais ce phénomene doit seulement diminuer notre surprise à l'égard de l'obscurité qui a couvert la gloire de Paterculus son contemporain, & pareillement de Quinte-Curce, dont personne n'a fait mention avant le XV. siecle. Phedre a presque eu le même sort ; Pierre Pithou partage avec son frere l'honneur de l'avoir mis le premier au jour, l'an 1596. Les savans de Rome jugerent d'abord que c'étoit un faux nom ; mais bientôt après ils crurent rencontrer dans son style les caracteres du siecle d'Auguste, & personne n'en doute aujourd'hui. Phedre est devenu un de nos précieux auteurs classiques, dont on a fait plusieurs traductions françoises & de très-belles éditions latines, publiées par les soins de MM. Burmann & Hoogstraten, en Hollande, depuis l'édition de France à l'usage du Dauphin.

Après Phedre, Rufus Festus Aviénus, qui vivoit sur la fin du jv. siecle, sous l'empire de Gratien, nous a donné des fables en vers élégiaques, & les a dédiées à Théodose l'ancien, qui est le même que Macrobe. Mais les fables d'Aviénus sont bien éloignées de la beauté & de la grace de celles de Phedre ; outre qu'elles ne paroissent guere propres aux enfans, s'il est vrai, comme le pense Quintilien, qu'il ne leur faut montrer que les choses les plus pures & les plus exquises.

Faërno (Gabrieli), natif de Crémone en Italie, poëte latin du xvj. siecle, mort à Rome en 1561, s'est attiré les loüanges de quelques savans, pour avoir mis les fables d'Esope en diverses sortes de vers ; mais il auroit été plus estimé, dit M. de Thou, s'il n'eût point caché le nom de Phedre, sur lequel il s'étoit formé, ou qu'il n'eût pas supprimé ses écrits, qu'il avoit entre les mains. Vainement M. Perrault a traduit les fables de Faërno en françois ; sa traduction qui vit le jour à Paris en 1699, est entierement tombée dans l'oubli.

Je n'ai pas fait mention jusqu'ici de deux fabulistes grecs nommés Gabrias & Aphthon, parce que le petit détail qui les concerne, est plûtôt une affaire d'érudition que de goût. Au reste les curieux trouveront dans la Bibliotheque de Fabricius tout ce qui regarde ces deux auteurs ; j'ajoûterai seulement que c'est du premier que veut parler La Fontaine, quand il dit :

Mais sur-tout certain Grec renchérit, & se pique

D'une élégance laconique :

Il renferme toûjours son conte en quatre vers,

Bien ou mal ; je le laisse à juger aux experts.

Si quelqu'un me reprochoit encore mon silence à l'égard de Locman, dont les fables ont été publiées en arabe & en latin par Thomas Erpenius, je lui ferois la même réponse, & je le renverrois à la Bibliotheque de d'Herbelot, à l'Histoire orientale d'Hottinger, ou à d'autres érudits, qui ont discuté l'incertitude de toutes les traditions qu'on a débitées sur le compte de ce fabuliste étranger.

Mais Pilpay ou Bidpay paroît plus digne de nous arrêter un moment. Quoique ce rare esprit ait gouverné l'Indostan sous un puissant empereur, il n'en étoit pas pour cela moins esclave ; car les premiers ministres des souverains, & sur-tout des despotes, le sont encore plus que leurs moindres sujets : aussi Pilpay renferma sagement sa politique dans ses fables, qui devinrent le livre d'état & la discipline de l'Indostan. Un roi de Perse digne du throne, prévenu de la beauté des maximes de l'auteur, envoya recueillir ce thrésor sur les lieux, & fit traduire l'ouvrage par son premier medecin. Les Arabes lui ont aussi décerné l'honneur de la traduction, & il est demeuré en possession de tous les suffrages de l'Orient. J'accorderois volontiers à M. de la Mothe que les fables de Pilpay ont plus de réputation que de valeur ; qu'elles manquent par le naturel, l'unité & la justesse des pensées ; & que de plus elles sont un composé bizarre d'hommes & de génies dont les avantures se croisent sans-cesse. Mais d'un autre côté Pilpay est inventeur, & ce mérite compensera toûjours bien des défauts.

Enfin le célebre La Fontaine a paru pour effacer tous les fabulistes anciens & modernes ; j'ose même y comprendre Esope & Phedre réunis. Si le Phrygien a la premiere gloire de l'invention, le François a certainement celle de l'art de conter, c'est la seconde ; & ceux qui la suivront, n'en acquerront jamais une troisieme.

Envain un excellent critique des amis de La Fontaine, M. Patru, voulut le dissuader de mettre ses fables en vers ; envain il lui représenta que leur principal ornement étoit de n'en avoir aucun ; que d'ailleurs la contrainte de la poésie, jointe à la sévérité de notre langue, l'embarrasseroit continuellement, & banniroit de la plûpart de ses récits la briéveté, qu'on peut en appeller l'ame, puisque sans elle il faut nécessairement que la fable languisse. La Fontaine par son heureux génie surmonta tous ces obstacles, & fit voir que les graces du laconisme ne sont pas tellement ennemies des muses françoises, que l'on ne puisse dans le besoin les faire aller ensemble.

Nourri des meilleurs ouvrages du siecle d'Auguste, qu'il ne cessoit d'étudier, tantôt il a répandu dans ses fables une érudition enjoüée, dont ce genre d'écrire ne paroissoit pas susceptible ; tantôt, comme dans le paysan du Danube, il a saisi le sublime de l'éloquence. Mille autres beautés sans nombre qui nous enchantent & nous intéressent, brillent de toutes parts dans ses fables ; & plus on a de goût, plus on est éclairé, plus on est capable de les sentir. Quelle admirable naïveté dans le style & le récit ! Combien d'esprit voilé sous une simplicité apparente ! Quel naturel ! quelle facilité de tours & d'idées ! quelle connoissance des travers du corps humain ! quelle pureté dans la morale ! quelle finesse dans les expressions ! quel coloris dans les peintures. Voyez l'article FABLE, où l'on a si bien développé en quoi consiste le charme de celles de La Fontaine.

Ce mortel, unique dans la carriere qu'il a courue, né à Château-Thierry en 1621, mort à Paris en 1695, est le seul des grands hommes de son tems qui n'eut point de part aux bienfaits de Louis XIV. Il y avoit droit par son mérite & par sa pauvreté. Cet homme célebre, ajoûte M. de Voltaire, réunissoit en lui les graces, l'ingénuité, & la crédulité d'un enfant : il a beaucoup écrit contre les femmes, & il eut toûjours le plus grand respect pour elles : il faisoit des vers licencieux, & il ne laissa jamais échapper aucune équivoque ; si fin dans ses ouvrages, si simple dans son maintien & dans ses discours, si modeste dans ses productions, que M. de Fontenelle a dit plaisamment que c'étoit par bêtise qu'il préféroit les fables des anciens aux siennes ; en effet il a presque toûjours surpassé ses originaux, sans le croire & sans s'en douter.

Il a tiré d'Esope, de Phedre, d'Aviénus, de Faërne, de Pilpay, & de quelques autres écrivains moins connus, plusieurs de ses sujets ; mais comment les rend-t-il ? toûjours en les ornant & en les embellissant au point que toutes les beautés sont de lui, & les défauts, s'il y en a, sont des autres. Par exemple, le fond de la fable intitulée, le meûnier, son fils & l'âne, est empruntée de l'agaso de Frideric Widebrame, que Dornavius a donné dans l'amphitheatrum sapientiae socraticae, tom. I. pag. 502. in-fol. Hanovr. 1619. Dans l'auteur latin c'est un récit sans grace, sans sel & sans finesse ; dans le poëte françois c'est un chef-d'oeuvre de l'art, une fable unique en son genre, une fable qui vaut un poëme entier. Chose étonnante ! tout prend des charmes sous la plume de cet aimable auteur, jusqu'aux inégalités & aux négligences de sa poésie. D'ailleurs on ne trouve nulle part une façon de narrer plus ingénieuse, plus variée, plus séduisante ; & cela est si vrai, que ses fables sont peut-être le seul ouvrage dont le mérite ne soit ni balancé ni contredit par personne en aucun pays du monde.

En un mot, le beau génie de La Fontaine lui a fait rencontrer dans ce genre de composition mille & mille traits qui paroissent tellement propres à son sujet, que le premier mouvement du lecteur est de ne pas douter qu'il ne les trouvât aussi-bien que lui. C'est-là vraisemblablement une des raisons qui ont engagé plusieurs poëtes à l'imiter ; & tous, sans en excepter M. de la Mothe, avec trop peu de succès.

Nous ne prétendons pas nier qu'il ne se trouve dans les fables de ce dernier écrivain, de la justesse, une composition réguliere, une invention ingénieuse, quantité d'excellentes tirades, d'endroits pleins d'esprit, de finesse & de délicatesse ; mais il n'y a point ce beau naturel qui plaît tant dans La Fontaine. M. de la Mothe n'a point attrapé les graces simples & ingénues du fablier de madame de Bouillon ; il semble qu'il réfléchissoit plus qu'il ne pensoit, & qu'il avoit plus de talent pour décrire que pour peindre. Voyez encore à ce sujet l'article FABLE.

On loüa excessivement celles de M. de la Mothe, lorsqu'il les récita dans les assemblées publiques de l'Académie Françoise ; mais quand elles furent imprimées, elles ne soûtinrent plus les mêmes éloges. Quelques personnes se souviennent encore d'avoir oüi raconter qu'un de ses plus zélés partisans avoit donné à son neveu deux fables à apprendre par coeur, l'une de La Fontaine, & l'autre de la Mothe. L'enfant, âgé de six à sept ans, avoit appris promtement celle de La Fontaine, & n'avoit jamais pû retenir un vers de celle de la Mothe.

Il ne faut pas croire que le public ait un caprice injuste, quand il a improuvé dans les fables de la Mothe des naïvetés qu'il paroît avoir adoptées pour toûjours dans celles de La Fontaine : ces naïvetés ne sont point les mêmes. Que La Fontaine appelle un chat qui est pris pour juge, sa majesté fourrée, cette épithete fait une image simple, naturelle & plaisante ; mais que M. de la Mothe appelle un cadran un greffier solaire, cette idée alambiquée révolte, parce qu'elle est sans justesse & sans graces.

Je suis bien éloigné de faire ces réflexions pour jetter le moindre ridicule sur le mérite distingué d'un homme des plus estimables que la France ait eus dans les Lettres, & dont l'odieuse envie n'a pû ternir la gloire. M. Houdart de la Mothe, mort sexagénaire à Paris en 1731, après avoir eu le malheur d'être privé de l'usage de ses yeux dès l'âge de vingt-quatre ans, étoit un esprit très-pénétrant, très-étendu ; un écrivain fécond & délicat : un modele de décence, de politesse & d'honnêteté dans la critique. Ses ouvrages, en grand nombre, sont remplis de beautés, de goût & d'érudition choisie. Enfin les fables même qu'il a publiées, indépendamment des autres morceaux excellens qui nous restent de lui en plusieurs genres, empêcheront toûjours qu'on ose le mettre au rang des auteurs médiocres.

Je ne dirai rien de nos voisins ; le talent de conter supérieurement n'a point passé chez eux, ils n'ont point de fabulistes. Je sai bien que le poëte Gai a fait en anglois des fables estimées par sa nation, & que Geller, poëte saxon, a publié des fables & des contes qui ont eu beaucoup de succès dans son pays ; mais les Anglois ne regardent les fables de Gai que comme son meilleur ouvrage, & les Allemands même reprochent à Geller d'être monotone & diffus. Je doute que ce qui manque à l'un pour être excellent, & que deux défauts aussi considérables que ceux qu'on reconnoit dans l'autre, puissent être rachetés par la pureté du style, la délicatesse des pensées, & les sentimens d'amour & d'amitié qu'on dit que celui-ci a sû répandre dans ce genre d'ouvrages ; & par la force de l'expression, & la beauté de la morale & des maximes qu'on accorde à celui-là. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


    
    
FAÇADES. f. (Archit.) c'est le frontispice ou la structure extérieure d'un bâtiment. On dit le frontispice d'une église, d'un temple, d'un monument public, &c. On dit la façade du côté des jardins, du côté de la rue, de la cour, du grand chemin, &c. On appelle encore façade latérale, le mur de pignon ou le retour d'un bâtiment isolé. C'est par la décoration de la façade d'un édifice, que l'on doit juger de l'importance de ce dernier ; du motif qui l'a fait élever, & de la dignité du propriétaire : c'est par son ordonnance que la capacité d'un architecte se manifeste, & que les hommes intelligens jugent de la relation qu'il a sû observer entre la distribution des dedans, & celle des dehors, & de ces deux parties avec la solidité. L'on peut dire que la façade d'un bâtiment est à l'édifice, ce que la physionomie est au corps humain ; celle-ci prévient en faveur des qualités de l'ame ; l'autre détermine à bien juger de l'intérieur d'un bâtiment. Mais, de même qu'un peintre, un sculpteur doit varier les expressions de ses figures, afin de ne pas donner à un soldat le caractere d'un héros, ni aux dieux de la fable, des traits qui tiennent trop de l'humanité ; il convient qu'un architecte fasse choix d'un genre de décoration, qui désigne sans équivoque les monumens sacrés, les édifices publics, les maisons royales, & les demeures des particuliers : attention que nos modernes ont trop négligée jusqu'à présent. Tous nos frontispices, nos façades extérieures portent la même empreinte : celles de nos hôtels sont revêtues des mêmes membres d'architecture, & l'on y remarque les mêmes ornemens qui devroient être reservés pour nos palais ; négligence dont il résulte non-seulement un défaut de convenance condamnable, mais encore une multiplicité de petites parties, qui ne produisent le plus souvent qu'une architecture mesquine, & un desordre dont se ressentent presque toutes les productions de nos jours, sans excepter les temples consacrés à la Divinité.

Malgré l'abus général dont nous parlons, nous allons citer les frontispices & les façades de nos bâtimens françois les plus capables de servir d'autorités, & dont les compositions sont les plus exemptes des défauts que nous reprochons ici. De ce nombre sont, la façade du Louvre du côté de Saint Germain l'Auxerrois, par Claude Perrault, pour la décoration des palais des rois : la façade de Versailles, du côté des jardins, par Hardoüin Mansard, pour les maisons royales : la façade du château de Maisons, par François Mansart, pour les édifices de ce genre : la façade du côté de la cour de l'hôtel de Soubise, par M. de la Mair, pour la demeure de nos grands seigneurs : la façade de la maison de campagne de M. de la Boissiere, par M. Carpentier, pour nos belvéders & nos jolies maisons de campagne : les façades de la maison de M. de Janvri, fauxbourg Saint-Germain, par M. Cartaut, pour nos maisons particulieres : la façade du bâtiment de la Charité, rue Taranne, par M. Destouches, pour nos maisons à loyer : le frontispice de l'église de Saint Sulpice, par M. de Servandoni, pour annoncer la grandeur & la magnificence de nos édifices sacrés : celui des Feuillans du côté de la rue Saint Honoré, pour la pureté de l'architecture, par François Mansart : celui de l'église de la Culture de Sainte Catherine, pour la singularité, par le P. de Creil. Enfin nous terminerons cette énumération par la décoration de la porte de Saint-Denis, élevée sur les desseins de François Blondel, comme autant de modeles qui doivent servir d'étude à nos architectes, attirer l'attention des amateurs, & déterminer le jugement de nos propriétaires. Voyez la plus grande partie des façades que nous venons de citer, & les descriptions qui en ont été faites, répandues dans les huit volumes de l'Architecture françoise. Voyez aussi les façades que nous donnons dans cet Ouvrage, Pl. d'Architecture. (P)


FACE(Anat.) visage de l'homme. Cette partie animée par le souffle de Dieu, suivant l'expression de Moyse (Gen. ij. 7.), a des avantages très-considérables sur celle qui lui répond dans les autres animaux, & qu'on appelle bec, museau, ou hure. Voyez BEC, &c.

Cicéron, Ovide, Silius Italicus, & plusieurs autres, ont remarqué que l'homme seul de tous les animaux, a la face tournée vers le ciel. Brown, l. IV. ch. j. de son ouvrage sur les erreurs populaires, a dit là-dessus des choses assez curieuses. Voy. Brown's Worcks, p. m. 149-151.

M. de Buffon, dans le second tome de son histoire naturelle, a exprimé parfaitement les traits caractéristiques qui peignent les passions fortes par le changement de la physionomie. Si l'on considere combien les passions ont de degrés & de combinaisons différentes, si l'on observe ensuite que chaque modification des mouvemens de l'ame est reconnoissable à des yeux exercés, on sera étonné de la diversité prodigieuse des mouvemens, dont les muscles de la face sont susceptibles. Voyez PHYSIONOMIE.

On juge encore du tempérament ; & presque des moeurs & du caractere d'esprit, par l'inspection des rides du front. Le principe de cet art, dont l'application paroit fort vaine, a été singulierement défendu par M. Lancisi, dans une dissertation qui est à la tête du Theatrum anat. de Manget. Voyez METOPOSCOPIE.

Les Anatomistes sont assez d'accord sur l'exposition des os de la face ; mais ils different extrèmement dans les descriptions des muscles de cette partie. Celles de Santorini sont très-remarquables. Observ. anat. chap. j. Voyez les articles particuliers des os & des muscles de la face, comme MAXILLAIRE, MASSETER, &c.

On distingue la face en partie supérieure ou front, & en partie inférieure. Enfin on se sert du mot face, pour exprimer le côté supérieur, antérieur, &c. de différentes parties du corps. (g)

FACE, (Séméiotique) Voyez VISAGE.

Face hippocratique, voyez VISAGE HIPPOCRATIQUE.


FACETTES. f. (Géom.) est le diminutif de face. Il se dit des plans qui composent la surface d'un polyhedre, lorsque ces plans sont fort petits.

Les miroirs & verres qui multiplient les objets, sont taillés à facettes. Voyez VERRE A FACETTES ou POLYHEDRE. (O)

FACETTES, en terme de Diamantaire, voyez PANS.


FACHEUXadj. (Gramm.) terme qui est du grand nombre de ceux par lesquels nous désignons ce qui nuit à notre bien-être : nous l'appliquons aux personnes & aux choses. Si l'on fait à un commerçant quelque banqueroute considérable au moment où il est pressé par des créanciers, la banqueroute est un évenement fâcheux ; la conjoncture où il se trouve est fâcheuse, ses créanciers sont des gens fâcheux. On voit par les fâcheux de Moliere, qu'on fâcheux est un importun qui survient dans un moment intéressant, occupé, où la présence même d'un ami est de trop, & où celle d'un indifférent embarrasse, & peut donner de l'humeur quand elle dure.


FACIALEen Anatomie, nom de la principale artere de la face, Haller.


FACIENDAIRES. m. (Hist. ecclés.) nom qu'on donne dans quelques maisons religieuses, à celui qui est chargé des commissions de la maison.


FACILEadj. (Littér. & Morale) ne signifie pas seulement une chose aisément faite, mais encore qui paroît l'être. Le pinceau du Correge est facile. Le style de Quinaut est beaucoup plus facile que celui de Despréaux, comme le style d'Ovide l'emporte en facilité sur celui de Perse. Cette facilité en Peinture, en Musique, en Eloquence, en Poésie, consiste dans un naturel heureux, qui n'admet aucun tour de recherche, & qui peut se passer de force & de profondeur. Ainsi les tableaux de Paul Veronese ont un air plus facile & moins fini que ceux de Michel-Ange. Les symphonies de Rameau sont supérieures à celles de Lulli, & semblent moins faciles. Bossuet est plus véritablement éloquent & plus facile que Flechier. Rousseau dans ses épitres n'a pas à beaucoup près la facilité & la vérité de Despréaux. Le commentateur de Despréaux dit que ce poëte exact & laborieux avoit appris à l'illustre Racine à faire difficilement des vers ; & que ceux qui paroissent faciles, sont ceux qui ont été faits avec le plus de difficulté. Il est très-vrai qu'il en coûte souvent pour s'exprimer avec clarté : il est vrai qu'on peut arriver au naturel par des efforts ; mais il est vrai aussi qu'un heureux génie produit souvent des beautés faciles sans aucune peine, & que l'enthousiasme va plus loin que l'art. La plûpart des morceaux passionnés de nos bons poëtes, sont sortis achevés de leur plume, & paroissent d'autant plus faciles qu'ils ont en effet été composés sans travail : l'imagination alors conçoit & enfante aisément. Il n'en est pas ainsi dans les ouvrages didactiques : c'est-là qu'on a besoin d'art pour paroître facile. Il y a, par exemple, beaucoup moins de facilité que de profondeur dans l'admirable essai sur l'homme de Pope. On peut faire facilement de très-mauvais ouvrages qui n'auront rien de gêné, qui paroîtront faciles, & c'est le partage de ceux qui ont sans génie la malheureuse habitude de composer. C'est en ce sens qu'un personnage de l'ancienne comédie, qu'on nomme italienne, dit à un autre :

Tu fais de méchans vers admirablement bien.

Le terme de facile est une injure pour une femme : c'est quelquefois dans la société une loüange pour un homme : c'est souvent un défaut dans un homme d'état. Les moeurs d'Atticus étoient faciles, c'étoit le plus aimable des Romains. La facile Cléopatre se donna à Antoine aussi aisément qu'à César. Le facile Claude se laissa gouverner par Agrippine. Facile n'est-là, par rapport à Claude, qu'un adoucissement, le mot propre est foible. Un homme facile est en général un esprit qui se rend aisément à la raison, anx remontrances ; un coeur qui se laisse fléchir aux prieres : & foible est celui qui laisse prendre sur lui trop d'autorité. Article de M. DE VOLTAIRE.


FACILITÉS. f. terme de Peinture. Dans les Arts & dans les talens, la facilité est une suite des dispositions naturelles. Un homme né poëte répand dans ses ouvrages cette aisance qui caractérise le don que lui a fait la nature. Voyez FACILE. L'artiste que le ciel a doüé du génie de la Peinture, imprime à ses couleurs la legereté d'un pinceau facile ; les traits qu'il forme sont animés & pleins de feu. Est-ce à la conformation & à la combinaison des organes que nous devons ces dispositions qui nous entraînent comme malgré nous, & qui nous font surmonter les difficultés des Arts ? Est-ce dans l'obscurité des causes physiques de nos sensations que nous devons rechercher les principes de cette facilité ? Quelle qu'en soit la source, qu'il seroit avantageux de l'avoir assez approfondie pour pouvoir diriger les hommes vers les talens qui leur conviennent, pour aider la nature, & pour faire de tant de dispositions souvent ignorées ou trop peu secondées, un usage avantageux au bien général de l'humanité ! Au reste la facilité seule, en découvrant des dispositions marquées pour un talent, ne peut pas conduire un artiste à la perfection ; il faut que cette qualité soit susceptible d'être dirigée par la réflexion. On naît avec cette heureuse aptitude, mais il faudroit s'y refuser jusqu'à ce qu'on eût préparé les matériaux dont elle doit faire usage. Il faudroit enfin qu'elle ne se développât que par degrés, & c'est lorsque la facilité est de cette rare espece, qu'elle est un sûr moyen pour arriver aux plus grands succès. Et qu'on ne croye pas que la patience & le travail puissent subvenir absolument au défaut de facilité : non. Si l'un & l'autre peuvent conduire par une route pénible à des succès, il manquera toûjours à la perfection qu'on peut acquérir ainsi, ce qu'on desire à la beauté, lorsqu'elle n'a pas le charme des graces. On admire dans Boileau la raison fortifiée par un choix laborieux d'expressions justes & précises. Bien moins captif, le talent divin & facile de La Fontaine touche à-la-fois l'esprit & le coeur.

La facilité dont je dois parler ici, celle qui regarde particulierement l'art de la Peinture, est de deux especes. On dit facilité de composition, & le sens de cette façon de s'exprimer rentre dans celui du mot génie ; car un génie abondant est le principe fécond qui agit dans une composition facile : Il faut donc remettre à en parler lorsqu'il sera question du mot GENIE. La seconde application du terme facilité est celle qu'on en fait lorsqu'on dit un pinceau facile ; c'est l'expression de l'aisance dans la pratique de l'art. Un peintre, bon praticien, assûré dans les principes du clair-obscur, dans l'harmonie de la couleur, n'hésite point en peignant ; sa brosse se promene hardiment, en appliquant à chaque objet sa couleur locale. Il unit ensemble les lumieres & les demi-teintes ; il joint celles-ci avec les ombres. La trace de ce pinceau dont on suit la route, indique la liberté, la franchise, enfin la facilité. Voilà ce que présente l'idée de ce terme, & je finis cet article en hasardant le conseil de se rendre sévere & difficile même dans les études par lesquelles on prépare les matériaux de l'ouvrage ; mais lorsque la réflexion en a fixé le choix, de donner à l'exécution du tableau cet air de liberté, cette facilité d'exécution qui ajoûte au mérite de tous les ouvrages des Arts. Article de M. WATELET.


FAÇONS. m. (Gramm.) Ce terme a un grand nombre d'acceptions différentes. Il se dit tantôt d'une maniere d'être, tantôt d'une maniere d'agir. Il est habillé d'une étrange façon : ses façons sont étranges : les façons de cet ouvrage seront considérables, la façon en est belle & simple. Dans ces deux derniers exemples c'est un terme d'art. Il embrasse dans celui-là, tout le travail ; il a rapport dans celui-ci, au bon goût du travail. Quand on dit, cet ouvrage est en façon d'ébene, de marqueterie ou de tabatiere, on veut faire entendre qu'on lui a donné ou la forme qu'on donne au même ouvrage quand on le fait d'ébene, ou celle qu'on remarque à tout ouvrage de marqueterie en général, ou la forme même d'une tabatiere.

Façon se rapporte aussi quelquefois à la maniere de travailler d'un artiste, ainsi que dans cet exemple : ces moulures, ces contours sont à la façon de Germain ; ou même à la personne, comme quand on dit, ce trait est de votre façon ; c'est-à-dire, je crois qu'il est de vous, tant il ressemble à ceux qui vous échappent. En Grammaire il est synonyme à tour : cette façon de parler n'est pas ordinaire. Façons se prend aussi pour une sorte de procédés particuliers à un état : il a toutes les façons d'un galant homme : il est inutile d'avoir avec moi de mauvaises façons : ces gens étoient mis d'une certaine façon : ils étoient d'une certaine façon. Des façons ou des formalités déplacées, sont presque la même chose : vous faites trop de façons : abregez ces façons-là. Une façon d'astrologue, c'est un homme qu'on seroit tenté de prendre pour tel, à des ridicules qui lui sont communs, à lui & aux Astrologues. La façon en est mesquine & petite ; mais on dit mieux le faire en Peinture (voyez FAIRE EN PEINTURE) : c'est la maniere de travailler. La mal-façon est une maniere de dire abregée parmi les Artistes : vous en payeriez la mal-façon, ou la mauvaise façon. Il y a beaucoup d'autres acceptions de façon, les précédentes sont les principales. De façon que, de maniere que, sont des conjonctions qui lient ordinairement la cause avec l'effet ; la cause est dans le premier membre, l'effet dans le second : il se conduisit de façon qu'il se fit exclure de cette société ; où l'on voit que de façon que & de maniere que sont dans plusieurs cas des conjonctions collectives, & qu'elles résument toutes les différentes liaisons de la cause avec l'effet.

FAÇONS D'UN VAISSEAU, (Marine) On entend par ce mot, cette diminution qu'on fait à l'avant & à l'arriere du dessous du vaisseau ; de sorte que l'on dit les façons de l'avant & les façons de l'arriere. Voyez MARINE, Planche I. (Z)

* FAÇON, (Facture de bas au métier.) On appelle façon cette portion du bas qui est figurée, & qui est placée à l'extrémité des coins. Il y a deux façons à chaque bas. Voyez à l'article BAS, la maniere dont on les exécute.


FAÇONNERv. act. c'est, en Pâtisserie, faire au-dessus des bords d'une piece, quelle qu'elle soit, des agrémens avec le pouce de distance en distance.


FACTEURS. m. en Arithmétique & en Algebre, est un nom que l'on donne à chacune des deux quantités qu'on multiplie l'une par l'autre, c'est-à-dire au multiplicande & au multiplicateur, par la raison qu'ils font & constituent le produit. Voyez MULTIPLICATION.

En général on appelle, en Algebre, facteurs les quantités qui forment un produit quelconque. Ainsi dans le produit a b c d, a, b, c, d, sont les facteurs.

Les facteurs s'appellent autrement diviseurs, surtout en Arithmétique, & lorsqu'il s'agit d'un nombre qu'on regarde comme le produit de plusieurs autres. Ainsi 2, 3, sont diviseurs de 12 ; & le nombre 12 peut être considéré comme composé des trois facteurs 2, 2, 3, &c. & ainsi du reste. Voyez DIVISEUR.

Toute quantité algébrique de cette forme xm + a x(m - 1) + b x(m - 2).... + r, peut être divisée exactement par x x + p x + q, p & q étant des quantités réelles ; & par conséquent x x + p x + q est toûjours un facteur de cette quantité. Je suis le premier qui aye démontré cette proposition. Voyez les mém. de l'acad. de Berlin, 1746. Voyez aussi IMAGINAIRE, FRACTION RATIONNELLE, EQUATION, &c.

La difficulté d'intégrer les équations différentielles à deux variables, consiste à retrouver le facteur qui a disparu par l'égalité à zéro. M. Fontaine est le premier qui ait fait cette remarque. V. INTEGRAL. (O)

FACTEUR, dans le Commerce, est un agent qui fait les affaires & qui négocie pour un marchand par commission : on l'appelle aussi commissionnaire ; dans certains cas, courtier ; & dans l'Orient, coagis, commis. Voyez COMMISSIONNAIRE, COMMIS, &c.

La commission des facteurs est d'acheter ou de vendre des marchandises, & quelquefois l'un & l'autre.

Ceux de la premiere espece sont ordinairement établis dans les lieux où il y a des manufactures considérables, ou dans les villes bien commerçantes. Leur fonction est de faire des achats pour des marchands qui ne résident pas dans le lieu, de faire emballer les marchandises, & de les envoyer à ceux pour qui ils les ont achetées.

Les facteurs pour la vente sont ordinairement fixés dans des endroits où on fait un grand commerce ; les marchands & fabriquans leur envoyent leurs marchandises, pour les vendre au prix & autres conditions dont ils les chargent dans les ordres qu'ils leur donnent.

Les salaires & appointemens qu'on leur donne pour leur droit de vente, sont communément affranchis de toutes dépenses de voiture, d'échange, des remises, &c. excepté les ports de lettres, qui ne passent point en compte. Voyez FACTORAGE. (G)

FACTEUR signifie aussi celui qui tient les registres d'une messagerie, qui a soin de délivrer les ballots, marchandises, paquets arrivés par les chevaux, mulets, charrettes ou autres voitures d'un messager ; qui les fait décharger sur son livre, & qui reçoit les droits de voiture, s'ils n'ont pas été acquités au lieu de leur chargement. Voyez MESSAGE & MESSAGERIE. Dictionn. de Commerce, de Trévoux, & Chambers. (G)

FACTEUR d'instrumens de Musique, est un artisan qui fabrique des instrumens de musique, comme les facteurs d'orgues, de clavessins, &c.

On appelle aussi facteurs, ces ouvriers qui se transportent dans les maisons des particuliers qui les y appellent, pour accorder des instrumens de musique. Voyez INSTRUMENS DE MUSIQUE.


FACTICEadject. (Gramm.) qui est fait par art, qui n'est point naturel.

Les eaux distillées sont des liqueurs factices.

On distingue le cinnabre en naturel & en factice. Voyez CINNABRE & MERCURE.


FACTIONS. f. (Politiq. & Gram.) Le mot faction venant du latin facere, on l'employe pour signifier l'état d'un soldat à son poste en faction, les quadrilles ou les troupes des combattans dans le cirque, les factions vertes, bleues, rouges & blanches. Voyez FACTION, (Hist. anc.) La principale acception de ce terme signifie un parti séditieux dans un état. Le terme de parti par lui-même n'a rien d'odieux, celui de faction l'est toûjours. Un grand homme & un médiocre peuvent avoir aisément un parti à la cour, dans l'armée, à la ville, dans la Littérature. On peut avoir un parti par son mérite, par la chaleur & le nombre de ses amis, sans être chef de parti. Le maréchal de Catinat, peu considéré à la cour, s'étoit fait un grand parti dans l'armée, sans y prétendre. Un chef de parti est toûjours un chef de faction : tels ont été le cardinal de Retz, Henri duc de Guise, & tant d'autres.

Un parti séditieux, quand il est encore foible, quand il ne partage pas tout l'état, n'est qu'une faction. La faction de César devint bientôt un parti dominant qui engloutit la république. Quand l'empereur Charles VI. disputoit l'Espagne à Philippe V, il avoit un parti dans ce royaume, & enfin il n'y eut plus qu'une faction ; cependant on peut dire toûjours le parti de Charles VI. Il n'en est pas ainsi des hommes privés. Descartes eut long-tems un parti en France, on ne peut dire qu'il eût une faction. C'est ainsi qu'il y a des mots synonymes en plusieurs cas, qui cessent de l'être dans d'autres. Article de M. DE VOLTAIRE.

* FACTIONS, (Hist. anc.) c'est le nom que les Romains donnoient aux différentes troupes ou quadrilles de combattans qui couroient sur des chars dans les jeux du cirque. Voyez CIRQUE. Il y en avoit quatre principales, distinguées par autant de couleurs, le verd, le bleu, le rouge, & le blanc ; d'où on les appelloit la faction bleue, la faction rouge, &c. L'empereur Domitien y en ajoûta deux autres, la pourpre & la dorée ; dénomination prise de l'étoffe ou de l'ornement des casaques qu'elles portoient : mais elles ne subsisterent pas plus d'un siecle. Le nombre des factions fut réduit aux quatre anciennes dans les spectacles. La faveur des empereurs & celle du peuple se partageoient entre les factions, chacune avoit ses partisans. Caligula fut pour la faction verte, & Vitellius pour la bleue. Il résulta quelquefois de grands desordres de l'intérêt trop vif que les spectateurs prirent à leurs factions. Sous Justinien, une guerre sanglante n'eût pas plus fait de ravage ; il y eut quarante mille hommes de tués pour les factions vertes & bleues. Ce terrible évenement fit supprimer le nom de faction dans les jeux du cirque.

FACTION, dans l'Art militaire ; c'est le tems qu'un soldat demeure en sentinelle : ainsi être en faction, signifie être en sentinelle. Voyez SENTINELLE.

Un soldat en sentinelle est aussi appellé factionnaire. Il y a des factionnaires pour la garde des drapeaux, des faisceaux d'armes, des prisonniers, &c. (P)


FACTIONNAIRES. m. se dit, dans un régiment d'infanterie, du plus ancien capitaine, qui doit passer à la place de capitaine de grenadiers lorsque cette compagnie vient à vaquer ; mais on lui ajoûte le nom de premier : ainsi le premier factionnaire dans un régiment d'infanterie, est le plus ancien capitaine immédiatement après celui des grenadiers. (Q)


FACTORAGES. m. (Comm.) Voyez FACTEUR, COURTAGE, &c.

Le factorage ou les appointemens de facteurs, qu'on nomme aussi commissionnaires, varie suivant les différens pays & les différens voyages qu'ils sont obligés de faire. Le plus commun est fixé à 3 pour 100 de la valeur des marchandises, sans compter la dépense des emballages, qu'il faut encore payer indépendamment de ce droit.

A la Virginie, aux Barbades & à la Jamaïque, le factorage est depuis 3 jusqu'à 5 pour 100 : il en est de même dans la plus grande partie des Indes occidentales. En Italie il est de deux & demi pour cent ; en Hollande, un & demi ; en Espagne, en Portugal, en France, &c. deux pour cent. Voyez les dictionn. du Commerce, de Trévoux & de Chambers. (G)


FACTORERIou FACTORIE, s. f. (Gramm.) lieu où réside un facteur, bureau dans lequel un commissionnaire fait commerce pour ses maîtres ou commettans. Voyez FACTEUR, COMMISSIONNAIRE, COMMETTANT.

On appelle ainsi dans les Indes orientales & autres pays de l'Asie où trafiquent les Européens, les endroits où ils entretiennent des facteurs ou commis, soit pour l'achat des marchandises d'Asie, soit pour la vente ou l'échange de celles qu'on y porte d'Europe.

La factorie tient le milieu entre la loge & le comptoir ; elle est moins importante que celui-ci & plus considérable que l'autre. Voyez COMPTOIR & LOGE. Voyez aussi les dictionn. de Commerce, de Trévoux & de Chambers. (G)


FACTUMS. m. (Jurisprud.) Ce terme, qui est purement latin dans son origine, a été employé dans le style judiciaire, lorsque les procédures & jugemens se rédigeoient en latin, pour exprimer le fait c'est-à-dire les circonstances d'une affaire.

On a ensuite intitulé & appellé factum, un mémoire contenant l'exposition d'une affaire contentieuse. Ces sortes de mémoires furent ainsi appellés, parce que dans le tems qu'on les rédigeoit en latin, on y mettoit en tête ce mot, factum, à cause qu'ils commençoient par l'exposition du fait, qui précede ordinairement celle des moyens.

Depuis que François I. eut ordonné, en 1539, de rédiger tous les actes en françois, on ne laissa pas de conserver encore au palais quelques termes latins, du nombre desquels fut celui de factum, que l'on mettoit en tête des mémoires.

Le premier factum ou mémoire imprimé, ainsi intitulé, factum, quoique le surplus fût en françois, fut fait par M. le premier président le Maitre, dans une affaire qui lui étoit personnelle contre son gendre. Il fut fait premier président sous Henri II. en 1551, & mourut en 1562. Cette anecdote est remarquée par M. Froland, en son recueil des édits & arrêts concernant la province de Normandie, page 635.

Les avocats ont continué long-tems d'intituler leurs mémoires imprimés, factum ; il n'y a guere que vingt ou trente ans que l'on a totalement quitté cet usage, & que l'on a substitué le terme de mémoire à celui de factum.

L'arrêt du parlement du 11 Août 1708, défend à tous Imprimeurs & Libraires d'imprimer aucuns factums, requêtes ou mémoires, si les copies qu'on leur met en main ne sont signées d'un avocat ou d'un procureur. Le même arrêt enjoint aux Imprimeurs de mettre leur nom au bas des factums & mémoires qu'ils auront imprimés ou fait imprimer.

Un factum signifié est celui dont la partie ou son procureur a fait donner copie par le ministere d'un huissier. Les factums ou mémoires ne sont pieces du procès, qu'autant qu'ils sont signifiés ; ils n'entrent pourtant pas en taxe, quoiqu'ils soient signifiés, excepté au grand-conseil : dans les autres tribunaux on ne les compte point ; à moins qu'ils ne tiennent lieu d'écritures nécessaires. Voyez MEMOIRES. (A)


FACTURES. f. (Comm.) compte, état ou mémoire des marchandises qu'un facteur envoye à son maître, un commissionnaire à son commettant ; un associé à son associé, un marchand à un autre marchand.

Les factures s'écrivent ordinairement ou à la fin des lettres d'avis, ou sur des feuilles volantes renfermées dans ces mêmes lettres.

Elles doivent faire mention, 1°. de la date des envois, du nom de ceux qui les font, des personnes à qui ils sont faits, du tems des payemens, du nom du voiturier, & des marques & numéros des balles, ballots, paquets, tonneaux, caisses, &c. qui contiennent les marchandises.

2°. Des especes, quantités & qualités des marchandises qui sont renfermées sous les emballages, comme aussi de leur numéro, poids, mesure ou aunage.

3°. De leur prix, & des frais faits pour raison de ces marchandises ; comme les droits d'entrée & sortie, si on en a acquité ; ceux de commission & de courtage dont on est convenu ; de ce qu'il en a coûté pour l'emballage, portage & autres menues dépenses. On fait au pié de la facture un total de toutes les sommes avancées, droits payés, frais faits, &c. afin d'en être remboursé par celui à qui l'on envoye les marchandises.

Vendre une marchandise sur le pié de la facture, c'est la vendre au prix courant.

Les marchands appellent liasse de facture, un la cet dans lequel ils enfilent les factures, lettres d'avis, d'envoi, de demande & autres semblables écritures, pour y recourir dans le besoin.

Ils nomment aussi livre de facture, un livre sur lequel ils dressent les factures ou comptes des différentes sortes de marchandises qu'ils reçoivent, qu'ils envoyent ou qu'ils vendent. Ce livre est du nombre de ceux qu'on appelle dans le commerce livres auxiliaires. Voyez LIVRE. Voyez aussi les dictionnaires de Commerce, de Trévoux, & de Chambers. (G)


FACULES. f. terme d'Astronomie, est un nom que Scheiner & d'autres après lui ont donné à des especes de taches brillantes qui paroissent sur le soleil, & se dissipent au bout de quelque tems. Le mot de facules est opposé à macules ou taches : celles-ci sont les endroits obscurs du disque du soleil, & les facules sont les parties du disque solaire qui paroissent plus lumineuses que le reste du disque. Voyez SOLEIL.

Ce mot est un diminutif de fax, flambeau, lumiere. Les facules, ainsi que les taches, paroissent & disparoissent tour-à-tour. Voyez TACHES. (O)


FACULTATIFadj. m. (Jurisp.) se dit de ce qui donne le pouvoir & la faculté de faire quelque chose. Ce terme est sur-tout usité par rapport à certains brefs du pape qu'on appelle brefs facultatifs, parce qu'ils donnent pouvoir de faire quelque chose que l'on n'auroit pas pû faire sans un tel bref. (A)


FACULTÉS. f. (Métaphys.) est la puissance & la capacité de faire quelque chose. Voyez PUISSANCE.

Les anciens philosophes, pour expliquer l'action de la digestion, supposoient dans l'estomac une faculté digestive : pour expliquer les mouvemens du corps humain, ils supposoient une faculté motrice dans les nerfs. Cela s'appelle substituer un mot obscur à un autre qui ne l'est pas moins.

Les facultés sont ou de l'ame ou du corps.

Les facultés ou puissances de l'ame sont au nombre de deux, savoir l'entendement & la volonté. Voyez PUISSANCES. Voyez aussi ENTENDEMENT & VOLONTE.

On distingue ordinairement les facultés corporelles, par rapport à leurs différentes fonctions ; ainsi on entend par facultés animales, celles qui ont rapports aux sens & au mouvement, &c. Chambers.

FACULTE, (Physique & Medecine) en général est la même chose que puissance, vertu, pouvoir, facilité d'agir, ou le principe des forces & des actions. La science des forces & des puissances est ce que les Grecs appellent dynamique, de , je peux. Voyez DYNAMIQUE.

Quelques auteurs confondent mal-à-propos les forces avec les facultés ; mais elles different entr'elles de la même façon que les causes different des principes. La force étant la cause de l'action, entraîne l'existence actuelle. La faculté ou puissance n'en entraîne que la possibilité. Ainsi de ce qu'on a la faculté d'agir, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'on agisse ; mais toute force existante emporte proprement une action, comme un effet dont elle est la cause.

En Medecine, n'ayant à considérer que l'action de l'homme & celle des corps qui peuvent changer son état en pis ou en mieux, on a toûjours traité des facultés de l'homme, & de celles des remedes, des poisons, &c.

Les anciens ont divisé assez arbitrairement les facultés de l'homme, tantôt en deux, tantôt en trois genres, dont ils n'ont jamais donné des idées distinctes ; car les facultés qu'ils appellent animales, sont en même tems vitales & naturelles : les naturelles sont aussi vitales & animales. Ils ont même soûdivisé chacun de ces genres trop scrupuleusement, en un grand nombre d'especes, ainsi qu'on vient de le voir.

Les modernes donnant dans un excès opposé, ont voulu bannir tous ces termes consacrés par l'emploi qu'en ont fait tous les maîtres de l'art pendant deux mille ans ; ce qui nous mettroit dans l'impossibilité de profiter de leurs écrits, qui sont les sources de la Medecine.

Mais sans adopter tous les termes des facultés que les anciens ont établis, ni vouloir les justifier dans tous les usages qu'ils en faisoient, on ne peut non plus se passer en Medecine du terme de faculté ou de puissance, qu'on ne peut en Méchanique se passer des forces attractives, centripetes, accélératrices, gravitantes, &c. Ce n'est pas à dire qu'on sache mieux la raison d'un effet, comme de la chûte d'un corps, de l'assoupissement produit par l'opium, quand on dit que la gravité est le principe de l'un, & la faculté ou vertu narcotique l'est de l'autre ; mais c'est qu'on est nécessité, dans les Sciences, d'employer des expressions abrégées pour éviter des circonlocutions ; comme en Algebre, on est obligé d'exprimer des grandeurs, soit connues, soit inconnues, par des lettres de l'alphabet, pour faciliter à l'entendement les opérations qu'il doit faire sur ces objets, tout occultes ou inconnus qu'ils puissent être.

Les anciens ont reconnu dans les corps deux sortes de facultés, dont on ne doit pourtant la véritable distinction qu'à Leibnitz : savoir 1°. les facultés ou pouvoirs méchaniques, tels que sont ceux de tous les instrumens de Chirurgie, de Gymnastique, agissans par pression ou par percussion, relativement à la figure, la masse, la vîtesse, &c. des corps, & au nombre, à la situation de leurs parties sensibles ; & 2°. les facultés physiques, telles que sont celles des médicamens, des alimens, lesquels n'agissent que par leurs particules séparément imperceptibles, & dont nous ignorons la figure, la vîtesse, la grandeur, & les autres qualités méchaniques.

Comme nul changement ne peut se faire dans les corps que par le mouvement, toutes les facultés des corps agissent par des forces mouvantes, sur la premiere origine desquelles on est depuis long-tems en dispute. Les Medecins ont suivi sur cela les opinions qui ont été les plus à la mode, chacune en son tems. Aristote, Descartes, Newton, successivement les ont gouvernés.

On peut pourtant, ce me semble, quand il s'agit des facultés de l'homme, concilier ces sentimens en établissant que le principe du sentiment, du mouvement musculaire, enfin de la vie de l'homme, l'est aussi de tous ses mouvemens méchaniques, soit libres, soit naturels ; & la puissance générale qui fait approcher les corps les uns vers le centre des autres, communément nommée attraction ou adhésion, est le principe des mouvemens spontanés, qui arrivent sur-tout dans les liqueurs des animaux, des végétaux, ainsi que de l'action des médicamens & des alimens ; sauf aux Cartésiens, à expliquer ce dernier principe par leurs tourbillons, ce qui ne paroît propre qu'à transporter la difficulté.

Les facultés des médicamens, prises indépendamment de la sensibilité du sujet qui en use, & en ne les estimant que par les effets qu'ils peuvent produire sur un corps inanimé, se peuvent déduire des regles de l'adhésion, comme l'a fait le savant professeur Hamberger dans plusieurs de ses dissertations. C'est ainsi que les molécules des délayans, des humectans, s'insinuent dans les pores du corps en diminuant la cohésion de ses parties élémentaires ; au lieu que les dessicatifs font évaporer l'humidité superflue, qui empêchoit l'adhésion mutuelle des parties. On peut déduire de ce même principe, l'action propre de tous les altérans ; mais pour expliquer les effets évacuans, il faut faire concourir la faculté mouvante de l'homme, laquelle correspond à sa sensibilité : ces médicamens ne font que solliciter ces deux puissances à agir.

Quant aux facultés de l'homme, on peut les diviser en deux sortes, savoir en celles qui lui sont communes avec les végétaux ; telles sont la faculté d'engendrer, de végéter, de faire des secrétions ; & de digérer des sucs qui lui servent de nourriture. Les anciens & les Stahliens ne sont pas fondés à attribuer ces facultés à l'ame, à moins que d'abuser ridiculement de ce terme, & de lui donner une signification contraire à l'usage reçû. On ne peut pas non plus les appeller naturelles, à moins que d'entendre par le mot de nature l'univers, l'ame du monde, ou pareilles significations, qui sont le moins d'usage parmi les Medecins. Voyez NATURE.

Les facultés que l'homme possede, & qui ne se trouvent point dans les végétaux, sont de trois sortes ; savoir celle de percevoir ou connoître, celle d'appéter ou desirer, & celle de mouvoir son corps d'un lieu en un autre.

La faculté de percevoir est ou inférieure ou supérieure. L'inférieure, qui est commune à tous les animaux, s'appelle instinct ; la supérieure est l'entendement ou la raison.

L'instinct differe de l'entendement en ce qu'il ne donne que des idées confuses, & l'entendement est le pouvoir de former des idées distinctes. L'instinct se divise en sens, & en imagination. Le sens ou le sentiment, est le pouvoir de se représenter les objets qui agissent sur nos organes extérieurs ; on le divise en vûe, oüie, odorat, goût, & tact. L'imagination est le pouvoir de se représenter les objets même absens, actuels, passés, ou à venir : cette faculté comprend la mémoire & la prévision.

L'entendement forme des idées distinctes des objets, que l'ame connoît par l'entremise des sens & de l'imagination. Les sens ne nous donnent des idées que des êtres individus ; l'entendement généralise ces idées, les compare, & en tire des conséquences, & cela par le moyen de l'attention, de la réflexion, de l'esprit, du raisonnement, & sur-tout des opérations de l'Arithmétique & de l'Analyse.

Le principal usage de la perception est de connoître ce qui nous est utile & ce qui nous est nuisible ; & ainsi cette premiere faculté nous a été donnée pour diriger la seconde, qui nous fait pancher vers le bien & nous fait éloigner du mal. Le sentiment nous ayant fait connoître confusément, quoique clairement, ce qui nous est agréable, nous l'appétons ou le desirons, de même que nous avons de l'aversion pour ce qui nous paroît desagréable au sens ; ce penchant s'appelle cupidité ou aversion sensitives, desquelles on ne sauroit rendre des raisons distinctes : telle est l'aversion du vin, la cupidité ou l'appétit d'un tel aliment.

Mais quand l'entendement s'est formé des idées distinctes du bien ou du mal qui se trouve dans un objet, alors l'appétit qui nous porte vers l'un ou nous éloigne de l'autre, s'appelle volonté ou appétit rationnel, dont on peut dire les raisons ou les motifs.

Or ces penchans & ces aversions nous auroient été inutiles, si en même tems nous n'avions eu le pouvoir d'approcher les objets utiles ou agréables de notre corps, & d'en éloigner ceux qui sont nuisibles ou qui déplaisent. La faculté mouvante étoit nécessaire pour ce but ; c'est celle qui par la contraction musculaire exécute ces mouvemens qu'on ne trouve que chez l'homme & chez les animaux.

Les mouvemens qui sont excités en nous, conséquemment à des idées confuses ou au sentiment du bien ou du mal sensibles, & dont le motif est la cupidité ou l'aversion naturelle, sont communément attribués à une puissance, que les Medecins appellent la nature ; & les actions qu'elle exécute sont appellées actions naturelles. Galien dit que la nature est le principe des mouvemens qui tendent à notre conservation, & qui se font indépendamment de la volonté souvent par coûtume, ou quoique nous ne nous souvenions point des motifs qui les déterminent.

Quant aux mouvemens qui sont déterminés par la notion du bien ou du mal intellectuel, & en conséquence par la volonté ou la nolonté, comme parle M. Wolf, ils sont communément attribués à une faculté de l'ame qu'on nomme liberté, qui est le pouvoir de faire ou d'omettre ce qui parmi plusieurs choses possibles, nous paroît le mieux conformément à notre raison ; & dé-là les actions prennent le nom de libres.

Ainsi nos actions sont divisées par les philosophes moralistes en libres & en naturelles. Il y a une différence essentielle entre les unes & les autres, quoique le motif des unes & des autres soit toûjours la perception claire ou obscure du bien & du mal ; car les libres sont déterminées par la raison & la volonté, quoiqu'elles ne soient pas toûjours conformes à la droite raison & à la vérité : ce sont les seules actions qui nous sont imputées ; elles sont du ressort de la Jurisprudence & de la Morale.

Mais les actions naturelles sont déterminées par la perception claire ou obscure, mais toûjours confuse du bien & du mal, les sens ne pouvant seuls nous en donner des idées distinctes, & nous nous y portons par une cupidité ou une aversion aveugles dont nous connoissons quelquefois clairement les motifs, comme dans les passions, & quelquefois nous ignorons ce motif, comme dans le mouvement des organes cachés à la vûe ; & dans les actions que nous faisons par coûtume.

FACULTE, (Physiol.) terme générique, c'est la puissance par laquelle les parties peuvent satisfaire aux fonctions auxquelles elles sont destinées. Telle est, par exemple, la faculté qu'a l'estomac de retenir les alimens jusqu'à ce qu'ils soient suffisamment digérés, & de les chasser dans les intestins, lorsque la digestion qui se doit faire dans ce viscere est achevée.

Il y a deux choses à remarquer dans les facultés ; 1°. les organes ou les causes instrumentales, par lesquelles les opérations de l'économie animale s'exécutent : ces causes sont purement machinales ; elles dépendent uniquement de l'organisation des parties, & du principe vital qui les anime & qui les met en mouvement. 2°. La premiere cause qui donne le mouvement à ce principe matériel qui anime les organes & qui dirige leurs actions. Presque tous les philosophes anciens & modernes ont attribué à la matiere même, cette puissance motrice ou cette ame qui la dirige dans ces mouvemens, & qui l'arrange dans la construction des corps.

Comme les facultés se divisent communément en facultés animales, facultés sensitives, & facultés intellectuelles, nous suivrons ici cette division.

Il y a dans les hommes deux sortes de facultés animales ; savoir les facultés du corps qui agissent sur l'ame, & les facultés motrices de l'ame qui agissent sur le corps. Les premieres ont été attribuées par les Medecins, à l'ame sensitive ; car il n'y a que quelques philosophes modernes qui n'ont pas voulu reconnoître d'ame sensitive dans les animaux.

Les facultés du corps qui agissent sur l'ame, dépendent des différens organes qui nous procurent différentes sensations ; telles sont les sensations de la lumiere & des couleurs qui nous sont procurées par les organes de la vûe ; le sentiment du son par les organes de l'oüie ; celui des odeurs, par les organes de l'odorat ; celui des saveurs, par l'organe du goût ; ceux des qualités tactiles, par l'organe du toucher, qui est distribué dans presque toutes les parties du corps ; les appétits qui nous avertissent par divers organes des besoins du corps, ou qui nous sollicitent à satisfaire nos inclinations & nos passions : enfin les sentimens de gaïeté & d'angoisse, qui dépendent des différens états de la plûpart des visceres, par exemple du cerveau, du coeur, des poumons, de l'estomac, des intestins, de la matrice, &c.

Les esprits animaux mis en jeu par les objets qui affectent les organes des sens, contractent des mouvemens habituels, & laissent dans le cerveau ou dans les nerfs de ces organes, des traces, des modifications qui rappellent ou causent à l'ame des sensations, semblables à celles qu'elle a eues lorsque les objets mêmes ont agi sur les sens.

Tout ce que nous savons sur les facultés qui rappellent ces sensations, c'est-à-dire sur la mémoire, l'imagination, &c. se réduit à des connoissances vagues, qui ne peuvent nous servir qu'à former des conjectures sur le lieu où résident ces facultés, & sur le méchanisme par lequel elles s'exécutent.

Est-ce dans le cerveau ou dans les nerfs des organes des sens que se forment les traces, les modifications qui rappellent à l'ame, par l'entremise des esprits animaux, des sensations que lui ont causé les objets qui ont frappé les organes des sens ? Il est difficile d'assigner dans le cerveau aucun lieu, ni aucun endroit où se puissent graver ou tracer tant d'images différentes : cependant nous savons qu'un foible dérangement dans certaines parties du cerveau, mais particulierement dans le corps calleux, comme l'a prouvé M. de la Peyronie (Mémoires de l'acad. des Scienc. an. 1741.), détruit ou fait cesser entierement l'usage de toutes les facultés du corps qui peuvent agir sur l'ame. Mais que peut-on conclure de-là, si ce n'est que cette partie est le lieu où l'être sensitif reçoit les sensations que lui procurent les facultés du corps qui agissent sur lui ?

Ces facultés résident-elles dans toute l'étendue des nerfs, qui se terminent par une de leurs extrémités dans le corps calleux, & par l'autre dans les organes des sens, qui ont d'abord fourni des sensations ? Il ne paroit pas qu'elles existent dans la partie de ces nerfs, qui entre dans la composition des organes des sens ; car lorsque ces organes sont détruits, ou lorsque leur usage est suspendu, les facultés qui nous rappellent les sensations qu'ils nous ont procurées, subsistent encore. Un aveugle peut se représenter les objets qu'il a vûs ; un sourd peut se ressouvenir des airs de musique qu'il a entendus ; un homme à qui on a coupé une jambe, souffre quelquefois des douleurs qu'il croit sentir dans la jambe même qui lui manque : cependant ces exemples ne prouvent point absolument que les facultés recordatives ne s'étendent pas jusque dans la partie des nerfs qui entrent dans la composition des organes des sens ; mais seulement que ces facultés peuvent subsister indépendamment de cette partie, parce qu'elles subsistent encore dans les nerfs qui vont à ces mêmes organes, & qui restent dans leur état naturel. Concluons qu'on ne sauroit déterminer en quoi consiste le méchanisme des facultés, qui nous rappellent des sensations.

La faculté motrice de l'ame sur le corps, est la puissance qu'ont les animaux de mouvoir volontairement quelques parties organiques de leur corps : cette faculté, comme je l'ai dit ci-dessus, a été attribuée à la matiere par la plûpart des philosophes. Selon eux, la matiere n'a rien de déterminé ; ce n'est qu'une substance incomplete , qui est perfectionnée par la forme ; mais cette même substance est cependant toute en puissance ; & c'est de cette puissance que dépendent radicalement les propriétés qu'a la matiere de recevoir toutes les formes par lesquelles elle peut acquérir les facultés de sentir & de se mouvoir.

L'ame n'est point une vraie cause motrice, mais tout au plus une cause dirigente ou déterminante des mouvemens qui paroissent dépendre de la volonté des animaux, & qu'on attribue à leur ame sensitive. L'ame a dans l'homme une puissance active, qui dirige les mouvemens soûmis à sa volonté. Notre ame peut changer, modifier, suspendre, accélérer la direction naturelle du mouvement des esprits, par lequel s'exécutent ces déterminations ; elle peut affoiblir, retenir, faire disparoître, & faire renaître quand elle veut, les sensations & les perceptions que lui rappellent la mémoire & l'imagination ; elle peut se former des idées composées, des idées abstraites, des idées vagues, des idées précises, des idées factices ; elle arrange ses idées, elle les compare, elle en cherche les rapports ; elle les apprécie, elle juge, elle pese les motifs qui peuvent la déterminer à agir : toutes ces facultés supposent nécessairement dans notre ame une puissance, une activité qui maîtrise le mouvement des esprits animaux. Cependant nous ne pouvons ni imaginer ni concevoir comment l'ame dirige le mouvement des esprits animaux dans nos déterminations libres. Toutes les sensations que nous recevons d'un objet par les organes des sens, se réunissent à l'endroit du siége de l'ame, au sensorium commun, & nous causent toutes les idées que nos facultés animales peuvent procurer.

Les facultés attribuées à l'ame sensitive nous sont communes avec les bêtes, parce qu'elles se rapportent toutes aux perceptions, aux sensations, & aux sentimens que nous avons des objets qui affectent, ou qui ont affecté nos sens. Elles consistent dans les facultés du corps, qui s'exercent seulement sur la faculté passible de l'ame ; mais ces facultés sont beaucoup plus imparfaites dans les bêtes, que dans les hommes ; parce que les organes dont elles dépendent, ont des fonctions moins étendues, & parce qu'elles ont en général moins d'aptitude à recevoir les impressions des objets, & à acquérir les dispositions qui perfectionnent ces facultés.

Je dis en général, car quelques-unes de ces facultés sont plus parfaites dans certains animaux que dans les hommes ; les uns ont l'organe de l'odorat, les autres celui de la vûe, d'autres celui de l'oüie, &c. plus parfaits que nous ; mais les autres facultés s'y trouvent beaucoup plus imparfaites que dans les hommes, sur-tout les facultés recordatives, c'est-à-dire celles qui rappellent les sensations des objets : on s'en apperçoit facilement même dans les bêtes les plus dociles, lorsqu'on leur apprend quelques exercices, puisque ce n'est que par une longue suite d'actes répétés, qu'on peut les former à ces exercices.

Les bêtes ne cherchent point & ne découvrent point les différens moyens qui peuvent servir à la même fin ; elles ne choisissent point entre ces différens moyens, & ne savent point les varier ; leurs travaux ont toûjours la même forme, la même structure, les mêmes perfections, & les mêmes défauts ; elles ne conçoivent point différens projets ; elles ne tournent point leurs vûes ni leurs talens de divers côtés : que leur ame soit une substance matérielle ou une substance différente de la matiere, il est toûjours vrai qu'elle n'a rien de commun avec la nôtre, que la faculté de sentir ; & plus nous l'examinons, plus nous reconnoissons qu'elle n'est ni libre, ni intellectuelle.

Les bêtes sont donc poussées par leurs appétits, conduites par leur instinct, & assujetties en même tems à diverses sensations & perceptions sensibles qui reglent leur volonté & leurs actions, & leur tient lieu de raison & de liberté pour satisfaire à leurs penchans & à leurs besoins.

Mais malgré ces secours, les facultés des bêtes restent très-bornées ; elles sont presque entierement incapables d'instructions sur les choses mêmes qui se réduisent à une seule imitation ; avec les châtimens ; les caresses, & tous les autres moyens que l'on employe pour leur faire contracter des habitudes capables de diriger leurs déterminations, on réussit très-rarement.

Le chien, qui est la bête la plus docile, ne peut apprendre que quelques exercices qui ont rapport à son instinct. Le singe, cet animal si imitateur, est le plus inepte de tous les animaux à recevoir quelques instructions exactes, par l'imitation même : tâchez de le former à quelque exercice reglé ; à quelques services domestiques les plus simples ; employez tout l'art possible pour lui faire acquérir ces petits talens, vos efforts ne serviront qu'à vous convaincre de son imbécillité.

Il faut laisser croire au vulgaire, que c'est par la malice ou mauvaise volonté que le singe est si indocile. Les Philosophes connoissent le ridicule de cette opinion ; ils savent que toute volonté, qui n'est pas nécessairement assujettie, se regle par motifs : or il n'y a ni crainte, ni espérance, ni autres motifs qui puissent changer ni regler celle de cet animal ; c'est pourquoi il ne laisse, comme les autres bêtes, appercevoir dans tout ce qui passe les bornes de son instinct que des marques d'une insigne stupidité.

Si les hommes montrent très-peu d'intelligence dans les premiers tems de leur vie, ce défaut ne doit pas être attribué à une imperfection de leurs facultés intellectuelles, mais seulement à la privation de sensations & de perceptions qu'ils n'ont pas encore reçûes, & qui leur procurent ensuite les connoissances sur lesquelles s'exercent les facultés intellectuelles, qui sont nécessaires pour regler la volonté & pour délibérer.

C'est pourquoi les enfans se laissent entraîner par des sensations, qui les déterminent immédiatement dans leurs actions ; mais lorsqu'ils sont plus instruits, ils refléchissent, ils raisonnent, ils choisissent, ils forment des desseins, ils inventent des moyens pour les exécuter ; ils acquierent des connoissances, ils les augmentent par l'exercice ; ils apprennent, ils pratiquent, & perfectionnent les Arts & les Sciences. L'avancement de l'âge ne donne point cet avantage aux bêtes, même à celles qui vivent le plus longtems.

Ce sont donc les facultés intellectuelles qui distinguent l'homme des autres animaux ; elles consistent dans la puissance de l'ame sur les facultés animales dont nous avons parlé, & dans le pouvoir qu'elle a de s'exercer sur ses sensations & perceptions actuelles ; elles rendent les hommes maîtres de leurs délibérations ; elles leur font porter des jugemens sûrs, & leur font apprécier les motifs qui les dirigent dans leurs actions.

Mais nous ne pouvons dissimuler ici que les facultés intellectuelles ont une liaison très-étroite avec le bon état des organes du corps ; dans les maladies elles s'éclipsent, & la convalescence les fait reparoître : l'ame & le corps s'endorment ensemble. Dès que le cours des esprits, en se rallentissant, répand dans la machine un doux sentiment de repos & de tranquillité, les facultés intellectuelles deviennent paralytiques avec tous les muscles du corps : ceux-ci ne peuvent plus porter le poids de la tête ; celles-là ne peuvent plus soûtenir le fardeau de la pensée. Enfin l'état des facultés intellectuelles est si correlatif à l'état du corps, que ce n'est qu'en rétablissant les fonctions de l'un, qu'on rétablit celles de l'autre. Ainsi quiconque sait apprécier les choses, dit Boerhaave, conviendra que tout ce qui nous a été débité par les plus grands maîtres de l'art sur l'excellence de l'ame & de ses facultés, est entierement inutile pour la guérison des maladies.

Quelques physiologistes appellent facultés mixtes intellectuelles les opérations de l'ame qui s'exercent à l'aide des perceptions & des connoissances intellectuelles : telles sont le goût, le génie, & l'industrie.

Ces sortes de facultés exigent différens genres de sciences pour en étendre & perfectionner l'exercice. Le goût suppose les connoissances, par lesquelles il peut discerner ce qui doit plaire le plus généralement par le sentiment & par la perfection qui doivent réunir, sur-tout dans les productions du genie, le plaisir & l'admiration. L'exercice du génie seroit fort borné sans la connoissance des sujets intéressans qu'il peut représenter, des beautés dont il peut les décorer, des caracteres, des passions qu'il doit exprimer. L'industrie doit être dirigée par la connoissance des propriétés de la matiere, & des lois des mouvemens simples & composés, des facilités & des difficultés que les corps qui agissent les uns sur les autres, peuvent apporter dans la communication de ces mouvemens. Mais ces différentes lumieres sont bornées presque toutes à des perceptions sensibles, & aux facultés animales.

Au reste la connoissance des facultés de l'homme, fait une partie des plus importantes de la Physiologie ; parce que les dérangemens des facultés de l'ame qui agissent sur le corps, causent diverses maladies, & que le dérangement des facultés du corps trouble toutes les fonctions de l'ame. Il est donc absolument nécessaire que les Medecins & les Chirurgiens soient instruits de ces vérités, pour parvenir à la connoissance des causes des maladies qui en dépendent, & pour en regler la cure. D'ailleurs ils sont chargés de faire des rapports en justice sur des personnes dont les fonctions de l'esprit sont troublées ; il faut donc qu'ils soient éclairés sur la physique de ces fonctions pour déterminer l'état de ces personnes, & pour juger s'il est guérissable ou non.

Nous n'entrerons pas dans de plus grands détails sur cette matiere, ils nous conduiroient trop loin. Le lecteur peut consulter la physiologie de Boerhaave, & sur-tout le traité des facultés, que M. Quesnay a donné dans son économie animale. Article de M(D.J.)

FACULTE APPETITIVE, (Physiol. Medec.) c'est une faculté par laquelle l'ame se porte, soit nécessairement, soit volontairement, vers tout ce qui peut conserver le corps auquel elle est unie, & même vers ce qui peut concourir à la conservation de l'espece, & par laquelle l'ame excite dans le corps des mouvemens ou volontaires ou involontaires, pour obtenir ce qu'elle appete. Cette faculté qui est active, en suppose une autre qui est passive, & qu'on appelle sensitive, parce que ce n'est qu'en conséquence d'une sensation agréable ou desagréable, que l'ame est excitée à agir pour joüir de la sensation agréable, ou pour se délivrer de la sensation desagréable. Et comme la faculté appétitive a été donnée à l'ame pour l'entretien du corps & pour la conservation de l'espece, le Créateur lui a donné aussi des sensations relatives à cette faculté. Voyez SENSATION.

Communément on ne fait mention que de trois appétits, connus sous les noms de faim, de soif, & d'appétit commun aux deux sexes pour la propagation de l'espece. Voyez FAIM, SOIF, XESEXE. Mais il me paroît que mal-à-propos on a omis l'appétit vital, par lequel l'ame est nécessairement déterminée à mouvoir nos organes vitaux, & à en entretenir les mouvemens. Nous parlerons de l'appétit vital en traitant de la faculté vitale. Voyez l'article suiv.

C'est à ce double état de patient & d'agent, dont notre ame est capable, que Dieu a confié la conservation de l'individu & de l'espece. En qualité de principe passif, notre ame reçoit des impressions de nos sens qui l'avertissent des besoins du corps qu'elle anime, & qui la déterminent pour les moyens propres à satisfaire à ces besoins : en qualité de principe actif, elle met en mouvement les instrumens corporels qui lui sont soûmis. Lorsque ce principe est guidé par la volonté, il embrasse l'amour & la haine, ou le desir & la répugnance, & il fait mouvoir le corps pour attirer à soi les objets favorables, & pour éloigner ceux qui pourroient lui être contraires ; mais lorsqu'il agit nécessairement, il est borné au seul desir & aux mouvemens propres à satisfaire ce desir : alors cet appétit n'embrasse rien de connu, & il prouve à cet égard la fausseté du proverbe latin, ignoti nulla cupido. En effet, si par le moyen des sens extérieurs, nous n'avions pas acquis la connoissance des choses qui peuvent appaiser notre faim & notre soif, les impressions, qui de l'estomac & du gosier, seroient transmises jusqu'à notre ame, nous feroient sentir un besoin, & exciteroient en nous un desir de quelque chose inconnue, ou ce qui est le même, un desir qui ne se porteroit vers aucun objet connu. Mais lorsque par le goût, l'odorat, & les autres sens extérieurs, nous avons reconnu les objets qui peuvent contenter notre desir, & que nous en avons fait l'épreuve ; alors ce n'est plus un appétit vague & indéterminé, c'est un appétit qui a pour objet des choses connues. Voyez FAIM & SOIF.

Il faut donc, en Medecine comme en Morale, distinguer deux sortes d'appétits ; l'un aveugle ou purement sensitif ; & l'autre éclairé ou raisonnable. L'appétit aveugle n'est qu'une suite de quelque sensation excitée par le mouvement de nos organes intérieurs, qui ne nous représente aucun objet connu : l'appétit éclairé est la détermination de l'ame vers un objet représenté par les sens extérieurs, comme une chose qui nous est avantageuse, ou son éloignement pour un objet, que ces mêmes sens nous représentent comme une chose qui nous est contraire.

Du reste tout appétit suppose une sensation, & la sensation suppose quelque mouvement dans nos organes extérieurs ou intérieurs. Tout appétit suppose aussi une action dans l'ame, par laquelle elle tâche de se procurer les moyens de joüir des sensations agréables, & de se délivrer des sensations desagréables : une action supérieure à celle des causes qui lui ont donné lieu, & qui n'est point soûmise aux lois méchaniques ordinaires. Ces moyens ne sont jamais primitivement indiqués par l'appétit ; c'est aux sens extérieurs, à l'expérience & à l'usage à nous les faire connoître, à quoi le raisonnement peut aussi servir ; mais lorsque ces moyens nous sont une fois connus, l'ame se porte, pour ainsi dire, machinalement à les employer, s'ils sont avantageux, ou à les éviter, s'ils ont été reconnus nuisibles. Si ces moyens sont des instrumens corporels, cachés dans l'intérieur de notre machine, l'ame est nécessairement déterminée à s'en servir, même sans les connoître, d'autant que la volonté n'a aucun pouvoir sur eux, & que le Créateur ne les a soûmis qu'à un appétit aveugle ; tels sont nos organes vitaux, dont les mouvemens ne dépendent pas de la volonté. Voy. FACULTE VITALE. Mais si ces marques sont des objets extérieurs, & que les mouvemens nécessaires pour en user soient soûmis à la volonté, l'ame n'est point nécessairement déterminée ; elle peut reprimer son appétit, & elle le doit toutes les fois qu'il tend vers les choses défendues par les lois divines ou humaines, ou vers des choses contraires à la santé. Article de M. BOUILLET le pere.

FACULTE VITALE. C'est une certaine force qui, dès le premier instant de notre existence, met en jeu nos organes vitaux, & en entretient les mouvemens pendant toute la vie. Ce que nous savons de certain de cette force, c'est qu'elle réside en nous, qui sommes composés d'ame & de corps ; qu'elle agit en nous, soit que nous le voulions ou que nous ne le voulions pas, & qu'elle s'irrite quelquefois par les obstacles qu'elle rencontre. Mais à laquelle des deux substances, dont nous sommes composés, appartient-elle ? Est-ce uniquement au corps qu'il faut la rapporter ? ou bien n'appartient-elle qu'à l'ame ? Voilà ce qu'on ne sait point, ou du moins ce qu'on n'apperçoit pas aisément.

Ceux qui ne reconnoissent dans l'ame humaine d'autres facultés actives que la volonté & la liberté, & qui sont d'ailleurs persuadés que toutes les modifications & les actions de cet être simple, indivisible & spirituel qui nous anime, sont accompagnées d'un sentiment intérieur, croyent avec Descartes, que la faculté vitale, dont ils ne se rendent aucun témoignage à eux-mêmes, appartient uniquement au corps humain duement organisé, ou pourvû de tout ce qui est nécessaire pour exercer les actions ou les fonctions vitales, & une fois mis en mouvement par le souverain Créateur de toutes choses. Dans cette idée, il n'est point d'effort qu'ils ne fassent pour déduire ces fonctions & leurs différens phénomenes de la structure, de la liaison, du mouvement, en un mot de la disposition méchanique de nos organes vitaux, au nombre desquels on met toutes les parties intérieures, principalement le coeur & les arteres avec les nerfs qui s'y distribuent.

D'autres, tels que MM. Perrault, Borelli, Stahl, &c. placent cette faculté dans l'ame raisonnable, unie à un corps organisé. Il paroît vraisemblable, dit-on, dans le IV. tome de la société d'Edimbourg, pag. 270. de l'édition françoise, que l'ame préside non-seulement à tous les mouvemens communément appellés volontaires, mais qu'elle dirige aussi les mouvemens vitaux & naturels, qui s'arrêteroient bien-tôt d'eux-mêmes, s'ils n'étoient entretenus par l'influence de ce principe actif. Il semble de plus, ajoûte-t-on, que ces mouvemens, au commencement de la vie, sont entierement arbitraires, selon la commune signification de ce mot, & que ce n'est que par l'habitude & la coûtume qu'ils sont devenus si nécessaires, qu'il nous est impossible d'en empêcher l'exécution. On trouvera dans ce même volume d'autres preuves de ce sentiment, dont la plûpart avoient été donnés par M. Perrault, de l'académie royale des Sciences, dans ses essais de Physique, imprimés à Paris en 1680, & par Alphonse Borelli, dans la 80e proposition de la seconde partie de son traité de motu animalium, imprimé à Rome en 1682. On peut voir aussi sur ce sujet les oeuvres de M. Stahl.

Quelques autres enfin, peu contens des hypotheses précédentes, font consister la faculté vitale dans l'irritabilité des fibres de l'animal vivant. Il n'y a point, dit M. Haller, dans ses notes sur Boerhaave, §. 600. de différence entre les esprits animaux qui viennent du cerveau, & ceux qui sont fournis par le cervelet, entre la structure des organes vitaux & celle des organes destinés aux fonctions animales : ces organes agissent tous également, lorsqu'ils sont irrités par quelque cause, comme un horloge agit, lorsqu'il est mû par un poids, & se reposent tous, dès que cette cause cesse d'agir. Si par la dissipation des esprits, & par d'autres causes, tout le système nerveux vient à s'affoiblir, les fonctions animales sont suspendues, parce que les sens & la volonté ne sont point aiguillonnés ; mais les fonctions vitales ne s'arrêtent point, à moins que la disette des esprits ne soit extrème, ce qui est rare, parce que de leur nature, le coeur, le poumon, & les autres parties doüées d'un mouvement péristaltique, ont des causes particulieres & puissantes qui les irritent continuellement, & qui ne leur permettent pas le repos. M. Haller démontre l'irritation de chacun des organes vitaux, & il appuie cette théorie sur un phénomene bien simple, avoüé de tout le monde ; savoir, qu'il n'est point de fibre musculeuse dans un animal vivant, qui étant irritée par quelque cause que ce soit, n'entre d'abord en contraction, de sorte que c'est la derniere marque par laquelle on distingue les animaux les plus imparfaits d'avec les végétaux. Enfin il fait remarquer que dès que l'irritation des nerfs destinés aux mouvemens volontaires, est trop forte, ces mouvemens mêmes s'exécutent sans le consentement de la volonté, & sans interruption, comme dans les convulsions, dans l'épilepsie, &c. Et pour expliquer d'où vient que les organes vitaux ne sont pas soûmis à la volonté, il a recours à une loi du Créateur, ajoûtant que la cause méchanique de cet effet n'est autre, peut-être, que parce que l'irritation qu'occasionne la volonté, est beaucoup plus foible que celle que produisent les causes du mouvement continuel du coeur & des autres organes vitaux.

Pour moi je pense que la faculté vitale réside dan l'ame ; & je crois qu'outre la volonté & la liberté, outre les actes libres, refléchis, & dont nous avons un sentiment intérieur bien clair, notre ame est capable d'une action nécessaire, non refléchie, & dont nous n'avons aucun sentiment intérieur, ou du moins, dont nous n'avons qu'un sentiment bien obscur ; & par conséquent, que ce n'est point par une faculté active, libre, refléchie, & devenue nécessaire par l'habitude & la coûtume, que notre ame influe sur nos actions vitales & sur les mouvemens spontanés de toutes les parties de notre corps, mais par une faculté entierement nécessaire, indépendante de la volonté, non libre ni refléchie. Quand on ne supposeroit dans notre ame qu'une force unique, imprimée par le Créateur, on peut par abstraction concevoir diverses manieres d'exercer cette force ; & on le doit, ce semble, dès qu'on ne peut expliquer autrement tous les effets qui en résultent. Je conçois donc dans l'ame humaine deux puissances actives, ou deux manieres principales d'user de la force qui lui a été imprimée : l'une libre, raisonnée, ou fondée sur des idées distinctes & refléchies, & dirigée principalement vers les objets des sens extérieurs connus de tout le monde ; c'est la volonté : l'autre nécessaire, non libre, non raisonnée, fondée sur une impression purement machinale, & dirigée uniquement vers les instrumens d'un sens peu connu, que j'appelle vital, & dont je déterminerai le siege après en avoir prouvé l'existence ; c'est la faculté vitale. Mais avant que d'établir mon sentiment, il est juste d'exposer en peu de mots les raisons qui m'ont empêché d'acquiescer au sentiment des autres.

En premier lieu, il n'est pas naturel de placer la faculté vitale uniquement dans les parties de notre machine ; & quiconque saura bien les lois ordinaires de la méchanique, dont une des principales est que tout corps perd son mouvement à proportion de celui qu'il communique aux corps qu'il rencontre, conviendra aisément qu'il est tout-à-fait impossible d'expliquer la durée & les irrégularités accidentelles de nos mouvemens vitaux, uniquement par de pareilles lois. Pour mettre les lecteurs en état d'en juger, j'observerai d'abord qu'il est vrai qu'un pendule, une fois mis en branle, continueroit toûjours ses allées & venues, sans jamais s'arrêter, s'il n'éprouvoit aucun frottement autour du point fixe ou du point d'appui, auquel il est suspendu, & s'il ne trouvoit aucune résistance dans le milieu où il se meut : qu'il est vrai aussi, que deux ressorts qu'on feroit agir l'un contre l'autre, ne cesseroient jamais de se choquer alternativement, si d'un côté leurs parties ne souffroient aucun frottement entr'elles, ou si leur ressort étoit parfait, & qu'ils pussent chacun se rétablir avec la même force, précisément avec laquelle ils auroient été pliés ; & de l'autre, si le milieu, dans lequel ils se choqueroient, n'apportoit aucune résistance à leurs efforts mutuels : mais j'observerai aussi, que comme la résistance du milieu & le frottement mutuel des parties, absorbent à chaque instant une partie du mouvement de ce pendule & de ces ressorts, le mouvement total qui leur a été imprimé, quelque grand qu'il soit, doit continuellement diminuer & se terminer bien-tôt en un parfait repos. C'est ce qui arriveroit aux pendules & aux montres, si par le moyen d'un poids qu'on remonte, ou d'un ressort qu'on bande par intervalles, on n'avoit continuellement une force motrice capable de surmonter la résistance du milieu dans lequel ces machines se meuvent, & celle qu'opposent les frottemens de leurs parties.

On dira sans-doute que Dieu, dont l'intelligence surpasse infiniment celle de tous les Machinistes, & dont le pouvoir égare l'intelligence, n'a pas manqué de mettre dans le corps humain quelque chose d'équivalent au poids & au ressort dont on se sert pour faire aller les machines artificielles ; en un mot, une force motrice matérielle, capable d'entretenir les mouvemens spontanés de nos organes ; une cause méchanique qui est continuellement renouvellée par la nourriture que nous prenons chaque jour. Mais sans ramener ici une foule de difficultés qu'entraîne cette supposition, la réflexion suivante suffit pour la détruire. Dans les pendules & les montres, la force qui les fait mouvoir, est uniforme & proportionnée aux résistances qu'elle doit vaincre : elle ne s'accélere jamais d'elle-même ; & si par quelque cause que ce soit, elle vient à s'affoiblir, ou si les résistances augmentent, le mouvement de ces machines cesse entierement, à moins que l'ouvrier n'y mette la main pour augmenter la force motrice, ou pour diminuer les résistances. Il en seroit donc de même dans le corps humain, si les mouvemens vitaux n'étoient qu'une suite de la disposition méchanique des organes : ces mouvemens, loin de s'accroître jusqu'à un certain point par des obstacles qui leur sont opposés, comme il n'arrive que trop souvent, se rallentiroient & cesseroient bien-tôt entierement, à moins que Dieu ne remît presqu'à tout moment la main à son ouvrage ; ce qu'il seroit ridicule de penser. On a coûtume de faire quelques autres suppositions en faveur du méchanisme ; comme elles ne sont pas mieux fondées, il est inutile de les rapporter.

En second lieu, je ne saurois me persuader que nos mouvemens vitaux ayent jamais été arbitraires, ou ce qui revient au même, que la faculté de l'ame, qui préside à nos mouvemens volontaires, ait jamais dirigé nos mouvemens spontanés, vitaux & naturels : car quoique nous fassions sans réflexion & sans un consentement exprès de la volonté, certains mouvemens qui ont commencé par être arbitraires, quoique l'habitude & la coûtume les ait rendus entierement involontaires ; cependant lorsque nous y faisons attention, nous ne pouvons nous dissimuler que la volonté n'influe sur ces mouvemens, ou qu'elle n'y ait influé originairement. Mais nous avons beau rentrer en nous mêmes, nous avons beau nous examiner attentivement, & refléchir sur toutes les opérations de notre ame, nous ne sentons en aucune façon que le pouvoir de la volonté s'étende ou se soit jamais étendu sur nos mouvemens vitaux & naturels. L'exemple du colonel Townshend, s'il est vrai que, quelque tems avant sa mort, il eût la faculté de suspendre à son gré tous les mouvemens vitaux, comme le rapporte M. Cheyne dans son traité the English malady, pag. 307. cet exemple, dis-je, ne prouve autre chose, sinon que par l'habitude il avoit acquis un grand empire sur les organes de la respiration, dont les mouvemens sont en partie volontaires & en partie involontaires ; de sorte qu'en diminuant par degrés sa respiration, il suspendoit pour quelques momens les battemens alternatifs du coeur & des arteres, & paroissoit entierement comme un homme mort, & qu'en reprenant peu-à-peu la respiration, il remettoit en jeu tous les mouvemens qui avoient été suspendus, & se rappelloit de nouveau à la vie. D'ailleurs si l'on fait réflexion que pendant le sommeil, & dans toutes les affections soporeuses, les mouvemens mêmes que l'habitude a rendus involontaires, sont suspendus, & que les mouvemens vitaux non-seulement ne s'arrêtent point, mais augmentent même d'activité, on ne croira point que ces mouvemens ayent jamais été arbitraires, & qu'ils ne sont devenus nécessaires que par habitude & par coûtume.

En troisieme lieu, avant de discuter le sentiment de ceux qui placent la faculté vitale dans l'irritabilité des fibres des corps animés, je voudrois savoir si cette irritabilité, que je ne conteste pas, n'est qu'une propriété purement méchanique de ces fibres ; ou si elle dépend d'un principe actif, supérieur aux causes méchaniques : car l'homme n'étant composé que d'une ame & d'un corps étroitement unis ensemble par la volonté toute-puissante du Créateur, il faut nécessairement que ce qui agit en lui soit ou matiere ou esprit. Si on dit que l'irritabilité n'est qu'une suite du méchanisme, mais d'un méchanisme qui agit par des lois particulieres, & différentes des lois méchaniques ordinaires, & qui le rend capable d'entretenir, & même d'augmenter ou de diminuer les mouvemens spontanés, sans l'intervention d'aucune intelligence créée, je demande quel est ce méchanisme si surprenant ; & jusqu'à ce qu'on m'en ait prouvé la réalité, je refuse de l'admettre, avec d'autant plus de raison que je suis persuadé que les lois méchaniques qui ne me sont pas connues, ne peuvent être diamétralement opposées à celles que je connois ; que les unes doivent nécessairement appuyer les autres, & non les renverser entierement ; ce qu'il faudroit pourtant supposer, pour faire dépendre la faculté vitale du pur méchanisme. Si on prétend au contraire que l'irritabilité des fibres dépend d'un principe hyperméchanique, c'est l'attribuer à l'ame ; & alors on retombe dans l'opinion de ceux qui rapportent les mouvemens vitaux à des facultés de cet agent spirituel qui nous anime.

Revenons à notre idée ; & pour la mieux développer, prenons la chose d'un peu loin. Tâchons de découvrir s'il n'y auroit pas en nous un sens vital ou un sensorium particulier, capable de transmettre ses impressions jusqu'au sensorium principal ; & si à ce sensorium ne seroit pas attachée une faculté active de l'ame, qui soit capable d'opérer les mouvemens vitaux par le moyen des instrumens corporels, & indépendamment de tout acte de la faculté libre & réfléchie qu'on connoît sous le nom de volonté. Nous supposerons néanmoins bien des choses connues des Physiciens & des Métaphysiciens, mais qui ont été ou seront expliquées dans ce Dictionnaire. Nous observerons seulement que l'ame & le corps s'affectent mutuellement en conséquence de leur union ; & qu'étant parfaitement unis, tout le corps doit agir sur l'ame, & l'affecter réciproquement : car il ne nous paroît pas naturel de penser que cette union ne soit pas parfaite, & que ce ne soit qu'à l'égard de certains organes qu'il soit vrai de dire, affecto uno afficitur alterum. Cette idée ne s'accorde point avec la sagesse & la puissance du Créateur, qui en alliant ensemble des substances qui de leur nature sont inalliables, a mis dans son ouvrage toute la perfection possible. Nous observerons aussi que cette union a dû sans-doute altérer jusqu'à un certain point les propriétés de l'ame, soit en lui occasionnant des modifications qu'elle n'auroit point, si elle n'étoit pas unie à un corps organisé, soit en la privant d'autres modifications qu'elle n'auroit pas si elle en étoit séparée.

Comme dans l'homme il n'y a que l'ame qui soit capable de sentiment, tout sentiment considéré dans l'ame, est quelque chose de spirituel ; mais comme l'ame ne sent que dépendamment du corps, nous envisagerons tous les sens comme corporels, & nous les diviserons en ceux qui n'ont leur siége que dans le cerveau, & en ceux qui sont dispersés dans tout le reste du corps. Nous ne parlerons pas ici des premiers ; mais au nombre des seconds nous mettrons non-seulement les sens reconnus de tout le monde, tels que la vûe, l'ouie, l'odorat, le goût, le toucher ; les sens de la faim & de la soif, & celui d'où vient l'appétit commun aux deux sexes pour la propagation de l'espece, mais encore le sens d'où nait le desir naturel de perpétuer les mouvemens vitaux pour la conservation de l'individu : desir qui agit en nous indépendamment de notre volonté. Ce dernier sens, que j'appelle vital, est une espece de toucher ; ou du moins il peut, comme tous les autres sens, être rapporté au toucher. Voyez TOUCHER.

Je ne parlerai point ici du siége de tous les sens, je me bornerai au sens vital, que je place dans le coeur, dans les arteres & les veines, & dans tous les visceres, ou dans toutes les parties intérieures qui ont des mouvemens vitaux ou spontanés. J'accorde à toutes ces parties un sensorium particulier ; car pourquoi leur refuseroit-on cette prérogative ? n'ont-elles pas tout ce qui est nécessaire pour le matériel d'un sens ? leurs fibres musculeuses ou membraneuses ne sont-elles pas entrelacées de fibrilles nerveuses ? & ces fibrilles n'aboutissent-elles pas à la moëlle allongée, qui est un prolongement du cerveau & du cervelet ? c'est de quoi l'Anatomie ne nous permet pas de douter. Cela étant ainsi, & l'union du corps avec l'ame n'étant qu'une dépendance mutuelle de ces deux différentes substances, les fibrilles nerveuses du coeur, des arteres, &c. ne peuvent être affectées que l'ame ne le soit aussi ; ce qui suffit pour qu'elles soient le matériel d'un sens.

On opposera peut-être que les lois de l'union de l'ame & du corps ne s'étendent pas jusqu'aux organes qui ne sont point soûmis aux ordres de la volonté ; que ces lois n'ont été établies qu'à l'égard des parties sur lesquelles la volonté a quelqu'empire, & qu'ainsi l'ame n'est affectée que lorsque ces parties à l'égard desquelles l'union a lieu, sont affectées ; & que lorsque des organes sur lesquels la volonté n'influe point, sont affectés, tels que le coeur, les arteres, &c. l'ame n'est point affectée ; d'où l'on conclura que ces organes ne constituent point un sensorium particulier.

J'ai prévenu ci-dessus cette objection ; mais à ce que j'ai dit je vais ajoûter, 1°. que c'est bien gratuitement qu'on avance que les lois de l'union du corps avec l'ame ne s'étendent pas à toutes les parties de notre machine, & que l'ame n'est affectée que lorsque les organes à l'égard desquels l'union a lieu, sont affectés, car enfin, seroit-ce parce que Dieu ne l'a pû, ou ne l'a pas voulu ? Mais quelles raisons a-t-on pour restraindre la puissance de Dieu, ou pour limiter ainsi sa volonté ? Qu'est-ce qui peut porter à croire que Dieu n'a pas donné à cette union toute la perfection dont elle peut être susceptible ? n'est-il pas au contraire plus naturel de penser que Dieu a fait cette union aussi entiere & aussi parfaite que la nature des deux substances qu'il a unies a pû le permettre ? Or toutes les parties du corps humain étant également matérielles, il n'a pas été plus difficile à Dieu d'unir le corps à l'ame par rapport à toutes ses parties, que par rapport à quelques-uns de ses organes.

Je réponds, 2°. que l'expérience nous apprend que l'imagination & les passions de l'ame influent sensiblement sur nos mouvemens vitaux, & les troublent & les dérangent ; ce qui prouve évidemment que l'ame étant affectée, les organes vitaux sont affectés à leur tour : d'où je conclus que les affections de ces organes affectent aussi l'ame, car cela doit être réciproque à raison de la dépendance mutuelle des deux substances, dans laquelle consistent les lois de l'union. Nous avons donc l'expérience de notre côté, & nous sommes fondés à soûtenir que, puisque l'ame par ses passions agit sensiblement sur nos organes vitaux, son union avec le corps doit avoir lieu à leur égard ; & cette union étant réciproque, il faut que ces organes agissent aussi sur l'ame, & qu'ils constituent par conséquent un sensorium particulier, ou le matériel d'un sens que nous avons appellé vital.

On opposera qu'il n'y a point de sens sans sensation, ni de sensation sans sentiment intérieur, ou sans un témoignage secret de notre conscience. Or, ajoûtera-t-on, il n'y a ici ni sensation, ni sentiment intérieur d'aucune sensation ; car lorsque nous ne sommes agités d'aucune passion, nous ne sentons point que le sensorium vital affecte notre ame, ni que notre ame agisse sur ce sensorium, d'où l'on conclura qu'il n'y a point de sens vital.

Je conviens que Dieu, qui ne fait rien d'inutile, a attaché un exercice à chaque faculté, & que la sensation n'étant que l'exercice de la faculté sensitive, ou le sens réduit en acte, il ne peut y avoir aucun sens qu'il n'y ait sensation ; & que s'il n'y a pas de sensation le sensorium ou les instrumens du sens vital deviennent inutiles. Mais je nie qu'il n'y ait point ici de sensation ; & après avoir observé que toutes les sensations ne sont pas également fortes & vives, qu'il y en a de foibles & d'obscures, j'ajoûte, 1°. qu'outre que le pur sens intime de notre existence, qui, selon les principes de la Métaphysique, ne nous manque jamais, n'est dû dans bien des cas, dans l'apoplexie, par exemple, qu'à la sensation excitée par le sensorium vital ; c'est à ce même sensorium legerement effleuré que nous devons la sensation foible & obscure de la bonne disposition de notre esprit & de notre corps, de notre bien-être, ou de ce plaisir que nous ressentons intérieurement lorsque tout est en nous dans l'ordre naturel, & que le sensorium vital ne reçoit de nos humeurs qu'une legere impression, un doux tremoussement ou une espece de chatouillement. C'est encore à ce même sens, mais différemment affecté, que je rapporte les douleurs intérieures, les anxiétés, les inquiétudes, l'abattement, qui, sans cause manifeste, se font sentir lorsque quelque cause intérieure & inconnue diminue ou augmente les mouvemens de nos humeurs, & dérange plus ou moins l'action organique de nos parties. Or là où il y a plaisir ou douleur, joie ou tristesse, tranquillité ou inquiétude, vigueur ou abattement spontané, là il y a sensation agréable ou desagréable, & par conséquent faculté de sentir, aussi-bien que sensorium ou organe d'un sens particulier.

J'ajoûte, 2°. que quand même nous ne nous appercevrions pas de cette sensation, il ne s'ensuivroit pas que l'ame ne l'ait point, parce que nous ne connoissons pas toutes les modifications de notre ame, & qu'il y en a sans-doute qui ne se replient pas sur elles-mêmes, ou dont on n'a aucun sentiment intérieur. Mais il y a plus : si nous faisons une sérieuse attention à tout ce qui se passe dans l'intérieur de notre ame, en quelqu'état que nous nous trouvions, nous nous appercevrons bientôt, du moins confusément, qu'elle sent son existence agréable ou desagréable, dépendamment du bon ou mauvais état de nos organes intérieurs ou vitaux ; & notre conscience nous rendra un témoignage, du moins obscur, que nous avons une sensation qui dépend de ces mêmes organes, & qui nous informe de leur bonne ou mauvaise disposition.

Nous croyons avoir suffisamment établi cette sensation ou cette faculté passive de notre ame : il nous reste à faire voir qu'à cette faculté sensitive doit répondre une faculté appétitive ; c'est-à-dire que de l'impression du sensorium vital, ou de son action sur l'ame, doit naître une réaction ou puissance active de l'ame, qui, par le moyen du fluide nerveux, agisse à son tour sur les organes vitaux, qui en entretienne continuellement les mouvemens alternatifs ; & qui, sans attendre les ordres de la volonté, ou même contre ses ordres, les augmente ou les diminue dans certains cas, suivant les lois qu'il a plû au Créateur d'établir. Or l'on ne révoquera point en doute cette faculté active, si l'on fait attention qu'il n'est point de sens interne particulier, dont l'action n'excite dans l'ame un appétit ; que l'action de l'estomac fait naître la faim, & celle du gosier la soif. C'est une suite de la dépendance mutuelle qui regne entre l'ame & le corps, & une suite conforme aux idées que nous avons de l'action & de la réaction de ces deux substances unies par la volonté du Créateur ; & comme ces deux substances sont différentes, & que la spirituelle n'est point soûmise aux lois méchaniques, on comprend aisément d'où vient que la réaction n'est presque jamais exactement proportionnelle à l'action, & qu'ordinairement elle lui est de beaucoup supérieure. Voyez FACULTE APPETITIVE.

Mais quoique l'objet de l'appétit vital soit bien sensible, que les mouvemens spontanés, ou les effets que nous leur attribuons, ne soient point contestés, bien des gens ne conviendront point de la réalité de cette puissance active ; ils opposeront, 1°. que nous ne sentons point que notre ame opere ces effets ; 2°. que notre ame n'est pas la maîtresse de les suspendre quand elle veut, ni de les varier à son gré.

Pour résoudre ces difficultés, nous avancerons, 1°. que nous n'avons pas des idées réfléchies de toutes les opérations de notre ame, de toutes ses facultés actives, & de leur exercice ; & cela parce qu'il n'a pas plû au Créateur de rendre l'ame unie au corps humain, capable de toutes ces sortes d'idées, ou, pour mieux dire, parce qu'il n'a pas jugé que les idées réfléchies de toutes ces opérations nous fussent nécessaires pour la conservation de notre individu, ou pour les besoins des deux substances dont nous sommes composés ; qu'il a jugé au contraire, que quelques-unes de ces opérations s'exerceroient mal si nous en avions des idées réfléchies, & que nous en abuserions si elles étoient soûmises à notre volonté. 2°. Nous prétendons que la faculté vitale que nous reconnoissons dans l'ame unie au corps humain, est une puissance non-raisonnable, un appétit aveugle & distinct de la volonté & de la liberté, tel que les Grecs l'ont reconnu sous le nom d', qu'ils définissoient pars animi rationis expers, & dans lequel, au rapport de Cicéron, les anciens philosophes plaçoient tum motus irae, tum cupiditatis. Au moyen de cette faculté vitale, ou de cet appétit que Dieu a imprimé dans l'ame, de cette force nécessaire, non-éclairée, & assujettie aux lois qu'il lui a imposées ; il est aisé de comprendre que notre ame fait joüer nos organes vitaux, sans que nous sentions qu'elle opere, & sans que nous soyons les maîtres de gouverner leur jeu à notre gré, ou, ce qui est presque le même, sans que nous pussions abuser du pouvoir qu'a notre ame de les mettre en jeu.

On repliquera qu'une faculté non-raisonnable est incompatible avec une substance spirituelle, dont l'essence semble ne consister que dans la pensée ou dans la puissance de raisonner. A cela je réponds, 1°. que nous ne connoissons pas parfaitement l'essence de l'ame, non plus que ses différentes modifications : 2°. que l'ame unie au corps humain, a des propriétés qu'elle n'auroit pas, si elle n'étoit qu'un pur esprit, un esprit non uni à un corps, comme je l'ai observé plus haut ; ainsi, quoiqu'on ne conçoive pas dans un pur esprit une faculté non-raisonnable, un appétit ou une tendance tout-à-fait aveugle, on n'est pas en droit de nier une pareille propriété dans un esprit uni au corps humain, sur-tout lorsque les effets nous obligent de l'admettre, & qu'elle est nécessaire aux besoins de la substance spirituelle & de la substance corporelle unies ensemble.

Pour faire mieux comprendre comment l'ame peut avoir une faculté active non-raisonnable, un appétit différent de la volonté & de la liberté, une tendance aveugle & nécessaire, supposons, comme une chose avoüée de presque tout le monde, que l'ame réside, ou, pour mieux dire, qu'elle exerce ses différentes facultés dans un de nos organes intérieurs, d'où partent tous les filets des nerfs qui se distribuent dans toutes les parties du corps : supposons encore, comme une chose incontestable, que cet organe privilégié qu'on appelle sensorium commune, a une certaine étendue, telle que l'Anatomie nous la démontre dans la substance médullaire du cerveau, du cervelet, de la moëlle allongée & épiniere, où l'on place communément l'origine de tous les nerfs : supposons aussi que quoiqu'il n'y ait guere de parties qui ne reçoivent des nerfs du cerveau & du cervelet, ou de l'une & de l'autre moëlle, cependant les nerfs qui se repandent dans les organes des sens extérieurs, & dans toutes les parties qui exécutent des mouvemens volontaires, viennent principalement de la substance médullaire du cerveau ou du corps calleux ; que ceux qui se distribuent dans les organes vitaux, & dans toutes les parties qui n'ont que des mouvemens spontanés, ne partent la plûpart que du cervelet ou de la moëlle allongée ; & qu'aux parties qui ont des mouvemens sensiblement mixtes, ou en partie volontaires & en partie involontaires, il vient des nerfs du cerveau & du cervelet, ou de l'une & de l'autre moëlle : ou si l'on veut que la plûpart des nerfs qui se distribuent en organes vitaux, viennent du corps calleux. Supposons que l'endroit du corps calleux d'où ils partent, est différent de celui d'où naissent les nerfs destinés aux mouvemens volontaires. Supposons enfin que Dieu, en unissant l'esprit humain à un corps, a établi cette loi, que toutes les fois que l'ame auroit des perceptions claires, feroit des réflexions libres, ou exerceroit des actes de volonté & de liberté, les fibres du corps calleux, ou d'une partie du corps calleux seroient affectées ; & réciproquement qu'aux affections de ces fibres répondroient des idées claires, & toutes les modifications de l'ame qui emportent avec elles un sentiment intérieur ; & que toutes les fois que l'ame auroit des sensations obscures, qu'elle ne réfléchiroit point sur ses appétits, & qu'elle agiroit nécessairement & aveuglément, les fibres d'une autre partie du corps calleux, du cervelet ou de la moëlle allongée, seroient affectées ; & réciproquement, que des affections de ces fibres naîtroient des modifications dans l'ame, qui ne seroient suivies d'aucun sentiment intérieur.

Cela posé, on comprendra aisément la distinction des facultés de l'ame en libres & en nécessaires ; & toutes les difficultés qu'on pourroit faire contre l'appétit vital s'évanoüiront.

Au reste ces suppositions ne doivent révolter personne, &, à la derniere près, il seroit aisé d'en donner des preuves tirées de l'Anatomie : pour celle-ci, il nous suffit qu'elle ne répugne ni à la puissance de Dieu, ni à sa volonté, ni à la nature des deux substances unies.

Mais ce n'est pas tout : je puis encore appuyer cette derniere supposition sur des observations qui ne paroîtront point suspectes ; on en trouvera deux qui ont été tirées des volumes de l'académie royale des Sciences, dans le premier tome de l'Encyclopédie, au mot AME, pages 342. & 343. Il résulte de ces observations, que de l'altération du corps calleux, ou de l'une de ses parties, s'ensuit la perte de la raison, de la connoissance, des sens extérieurs & des mouvemens volontaires, mais non l'abolition des mouvemens vitaux, puisque les malades dont il est question ne sont pas morts brusquement, & que l'un d'eux reprenoit connoissance dès que le corps calleux cessoit d'être comprimé. Il falloit donc que l'ame exerçât alors dans une partie du corps calleux non comprimée, ou dans la moëlle allongée, d'autres opérations qui ne supposent aucune idée réfléchie, aucun acte de volonté, & qui ne laissent pas d'entretenir la dépendance mutuelle du corps & de l'ame, pendant la cessation ou l'interruption de la connoissance, & de tout ce qui dépend de l'entendement & de la volonté ; opérations qui ne peuvent être autre chose que l'exercice de la faculté vitale, qui doit être continuel pendant la vie.

A ces observations j'en ajoûterai une autre, rapportée dans la Physiologie de M. Fizes, imprimée à Avignon en 1750. Vitam vegetativam, dit ce professeur, in filio pauperculae mulieris septemdecim annos nato, memini me observasse. Is miser absque usu ullo sensuum, absque ullo motu artuum, colli, maxillae, omninò perfectè paralyticus undequaque septemdecim annos, velut planta à nativitate vixerat. Ejus corpus corporis infantis decem annorum vix aequabat molem, de caetero marcidum ac flaccidum : pulsus erat debilis ac languidus, respiratio lentissima : in eo nec somni nec vigiliae alternationes distingui poterant ullo signo : nulla vox, nullum signum appetitûs, nullus motus unquam in oculis, qui semper clausi erant, absque tamen palpebrarum coalitu : nulli barbae pili, nulli pubi. Mater ejus alimenta masticabat, labiisque in ejus os insertis, ea in fauces insufflabat : filius ea emollita ac propulsa deglutiebat, ut & potulenta similiter impulsa : egerebat autem, ut par erat, excrementa alvina ac urinam.

Il paroît que cet enfant n'avoit jamais exercé, du moins depuis sa naissance, aucune des fonctions qui dépendent de l'entendement, de la connoissance & de la volonté ; mais s'ensuit-il de-là que cet enfant ait vêcu pendant dix-sept ans comme une plante, & qu'il n'ait point eu une ame semblable à celle des autres hommes ? point du tout : autrement il faudroit supposer qu'un apoplectique dont les fonctions animales sont entierement abolies pendant des trois, quatre ou cinq jours ; que le paysan cité par M. de la Peyronie, à qui on ôtoit la connoissance en comprimant le corps calleux ; que l'enfant dont parle M. Littre, qui après avoir joüi deux ans & demi depuis sa naissance d'une santé parfaite, souffrit ensuite pendant dix-huit mois une telle altération dans l'exercice des facultés de son ame, qu'il vint à ne donner plus aucun signe de perception ni de mémoire, pas même de goût, d'odorat, ni d'ouie, & qui ne laissa pas de vivre dans cet état pendant six autres mois : il faudroit, dis-je, supposer que tous ces malades n'ont eu, pendant tout le tems qu'ils étoient sans connoissance & sans sentiment, qu'une vie purement végétative, & que leur ame cessoit alors d'être unie à leur corps : ou bien il faut reconnoître une ame dans l'enfant dont nous venons de parler, quoique cet enfant n'exerçât que les seules fonctions vitales & naturelles ; & on doit le faire avec d'autant plus de raison, que ces fonctions, comme on l'a vû ci-dessus, ne peuvent pas dépendre de la seule disposition méchanique du corps humain. Il paroît même que les lois de l'union de l'ame avec le corps n'ayant plus lieu à l'égard des fonctions animales dans les sujets où ces fonctions sont entierement abolies, il faut, pour que l'ame ne soit pas censée avoir abandonné le corps & s'en être séparée, que ces lois ayent lieu à l'égard d'autres fonctions, telles que les vitales, dont l'entiere abolition emporte la cessation de la vie ou la séparation de l'ame avec le corps.

De ces observations il résulte que le siége de l'ame ne doit pas être borné au seul corps calleux, ou à la partie de ce corps où l'ame apperçoit les objets, réfléchit sur ses idées, les compare les unes aux autres, & se détermine à agir d'une façon plûtôt que d'une autre ; mais qu'on doit étendre ce siége à une autre partie du corps calleux, au cervelet, à la moëlle allongée, où nous croyons que réside la faculté vitale, dont l'exercice cesse pour toûjours dès que la moëlle allongée est coupée transversalement ou fortement comprimée par la luxation de la premiere vertebre du cou ; ce qui favorise entierement ma derniere supposition.

On dira que dans les foetus humains qui naissent sans tête, la vie est entretenue pendant six, sept, ou neuf mois par la nourriture que leur fournit le cordon ombilical, & qu'alors leur vie n'est pas différente de celle des plantes. Mais si ces enfans ne sont pas des masses informes, si le reste de leur corps est bien organisé, & que les mouvemens vitaux s'y executent comme dans les autres enfans, leur vie n'est pas simplement végétative, elle dépend de leur ame, dont le siége dans ces cas extraordinaires s'étend jusqu'à la moëlle épiniere, ou à quelque chose d'équivalent. Et quoique ces enfans n'ayent jamais exercé aucune des fonctions qui caractérisent un esprit humain, on ne doit pas toutefois s'imaginer qu'ils n'eussent point d'ame ; on doit penser seulement que leur ame n'a pû exercer ces fonctions, parce qu'elle manquoit des organes nécessaires à l'exercice & à la manifestation de ses principales facultés. On doit dire la même chose des enfans, dans le crane desquels on ne trouve point de cerveau après la mort, ou dont le cerveau s'est fondu ou petrifié ; car alors ou la moëlle allongée ou la moëlle épiniere y suppléent.

La faculté vitale une fois établie dans le principe intelligent qui nous anime, on conçoit aisément que cette faculté excitée par les impressions que le sensorium vital transmet à la partie du sensorium commun à laquelle son exercice est attaché, détermine nécessairement l'influx du suc nerveux dans les fibres motrices des organes vitaux ; & qu'étant excitée alternativement par les impressions de ce sensorium qui se succedent continuellement pendant la vie, elle détermine un influx toûjours alternatif, & tel qu'il est nécessaire pour faire contracter alternativement ces organes tant que l'homme vit. On conçoit aussi que lorsque ces impressions sont plus fortes qu'à l'ordinaire, comme il arrive lorsque les organes vitaux trouvent quelqu'obstacle à leurs mouvemens, la faculté vitale est alors plus irritée, & détermine un plus grand influx pour vaincre, s'il est possible, les résistances qui lui sont opposées ; & tout cela en conséquence des lois de l'union de l'ame avec le corps. Mais comment la faculté vitale détermine-t-elle cet influx ? c'est un mystere pour nous, comme la maniere dont la volonté fait couler le suc nerveux dans les organes soûmis à ses ordres, est un écueil contre lequel toute la sagacité des Physiciens modernes a échoüé jusqu'ici. Tout ce qu'on peut avancer, c'est que la faculté vitale a cela de commun avec la volonté, qu'à l'occasion des impressions qui lui sont transmises, elle excite des mouvemens, qu'elle les augmente selon les lois qu'il a plû au Créateur de lui imposer, & que sa réaction surpasse l'action des causes qui l'ont mise en jeu, & ne suit point les lois méchaniques ordinaires ; mais qu'elle en differe en ce que la volonté étant une faculté libre & éclairée, elle suspend ou fait continuer à son gré les mouvemens qu'elle commande, au lieu que la faculté vitale étant un agent aveugle & nécessaire, elle ne peut point arrêter ou suspendre les mouvemens qu'elle excite, & qu'elle est obligée d'entretenir selon les lois qui lui ont été imposées.

L'ame par sa volonté n'a aucun pouvoir immédiat sur la faculté vitale ; car comme l'ame ne peut empêcher les sensations qui sont occasionnées par les causes de la faim & de la soif, elle ne peut aussi empêcher les sensations qui lui sont communiquées par les organes vitaux, ni par conséquent suspendre l'exercice de la faculté vitale : elle n'a qu'un pouvoir éloigné sur cette faculté, qui consiste à empêcher les organes du sentiment & du mouvement volontaire de satisfaire à la faim & à la soif. Ce n'est qu'en s'abstenant volontairement de toute nourriture, & en se laissant mourir de faim, qu'on peut arrêter l'exercice de la faculté vitale ; on le peut aussi en lui opposant des obstacles invincibles. Voyez MORT.

Observons avant que de finir, que comme les sens extérieurs, principalement le goût, l'odorat, & le toucher sont subordonnés à la faculté de l'ame qui agit à l'occasion de la faim & de la soif, de même la faim & la soif sont subordonnées à l'appétit vital ou à la faculté qui dirige & entretient nos mouvemens vitaux. Observons encore que comme la faim & la soif sont des sensations obscures, parce qu'elles ne sont excitées que par des causes cachées qui agissent sur nos organes intérieurs, & non par l'impression d'aucun objet que notre ame ait apperçu ; de même aussi & plus obscure encore est la sensation excitée par le sensorium vital, parce qu'elle n'est occasionnée que par des causes encore plus cachées, qui ont bien quelque liaison avec celles de la faim & de la soif, mais qui ne forment dans l'ame aucune image ; ensorte que l'idée réflechie que nous avons de nos sensations va toûjours en diminuant de clarté, depuis l'idée des sensations causées par les objets extérieurs que nous appercevons, jusqu'à l'idée des sensations de la faim & de la soif, & de celle-ci jusqu'à l'idée de la sensation vitale, ce qui rend cette derniere idée si confuse, que nous n'en avons presqu'aucun sentiment intérieur. Il n'étoit pas d'ailleurs nécessaire que cette sensation fût suivie d'un sentiment intérieur bien clair ; parce que, comme il a été dit, à cette sensation sont subordonnées la faim & la soif, & à celles-ci les sensations qui viennent des organes sur lesquels les objets extérieurs agissent.

Nous avons appellé faculté vitale, ce qu'Hippocrate & plusieurs medecins anciens & modernes ont appellé nature. Voyez NATURE. Cet article est de M. BOUILLET le pere.

* FACULTE, subst. f. (Hist. littéraire) il se dit des différens corps qui composent une université. Il y a dans l'université de Paris quatre facultés : celle des Arts, celle de Medecine, celle de Jurisprudence, & celle de Theologie. Voyez les articles UNIVERSITE, NATION, DOCTEUR, BACHELIER, LICENTIE, MAITRE-ES-ARTS, GRADUE. &c.


FADEadj. (Gramm.) c'est un terme qui désigne, au simple, la sensation que font sur les organes du goût, les farines de froment, d'orge, de seigle, & autres, délayées seulement avec de l'eau. On l'a appliqué, au figuré, aux personnes, aux ouvrages, & aux discours : un fade personnage ; un fade éloge ; une ironie fade. De fade on a fait fadeur.


FAENZA(Géog.) Velleius Paterculus, liv. II. chap. xxviij. Silius Italicus, lib. VIII. v. 596. & Pline, lib XIX. cap. j. en parlent : ancienne ville d'Italie dans l'état de l'Eglise & dans la Romagne, sur la riviere de l'Amona, à 11 milles de Forli, & à presqu'autant d'Immola, sur la voie flaminienne. Elle est célebre par la vaisselle de terre que l'on y a inventée, qui porte son nom, & qui depuis a été imitée, & perfectionnée en France, en Angleterre, en Hollande, & ailleurs (voyez l'art. FAYENCE) ; mais ce qui a le plus contribué à donner de la réputation à la vaisselle de terre de Faënza, qu'on nomme en Italie la Majolica, c'est que des peintres du premier ordre, comme Raphaël, Jules Romain, le Titien, & autres, ont employé leur pinceau à peindre quelques-uns des vases de fayence de cette ville, qui sont par cette raison d'un très-grand prix, Faenza a encore la gloire d'être la patrie du fameux Torricelli. Longit. 29. 28. lat. 44. 18. (D.J.)


FAGARES. m. (Hist. nat. bot.) fruit des Indes : il y a le petit & le grand ; ce dernier ressemble en forme, couleur, & épaisseur, à la coque du Levant. Il est couvert d'une écorce déliée, noire & tendre, qui enveloppe un corps dont la membrane est foible & déliée, & l'intérieur d'une consistance foible ; au centre il y a un noyau assez solide. Le petit a la figure & la grosseur de la cubebe ; il est brun, & sa saveur a du piquant & de l'amertume. Ils sont l'un & l'autre aromatiques ; quant à leurs propriétés médicinales, il faut les réduire à celles de la cubebe.


FAGONES. f. (Hist. nat. bot.) fagonia ; genre de plante, dont le nom a été dérivé de celui de M. Fagon premier medecin de Louis XIV. Les fleurs des plantes de ce genre sont faites en forme de rose, composées de plusieurs pétales disposées en rond. Il sort du milieu un pistil qui devient dans la suite un fruit rond terminé en pointe, cannelé, composé de plusieurs capsules & de plusieurs gaines, dont chacune renferme une semence arrondie. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


FAGOTS. m. (Commerce de bois) est un assemblage de menus morceaux de bois liés avec une hare, au-dedans desquels on enferme quelques broutilles appellées l'ame du fagot. On dit châtrer un fagot, quand on en ôte quelques bâtons. On les mesure avec une petite chaînette, afin de leur donner une grosseur égale & conforme à l'usage des lieux.

La falourde est plus grosse que le fagot, & est faite de perches coupées ou de menu bois flotté.

La bourrée est plus petite ; c'est le plus menu & le plus mauvais bois, qui prend feu promtement, mais qui dure peu : on s'en sert pour chauffer le four. (K)

* FAGOT, (Hist. mod.) L'usage du fagot a subsisté en Angleterre autant de tems que la religion romaine. S'il arrivoit à quelque hérétique d'abjurer son erreur & de rentrer dans le sein du catholicisme, il lui étoit imposé de notifier à tout le monde sa conversion par une marque qu'il portoit attachée à la manche de son habit, jusqu'à ce qu'il eût satisfait à une espece de pénitence publique assez singuliere ; c'étoit de promener un fagot sur son épaule, dans quelques-unes des grandes solennités de l'Eglise. Celui qui avoit pris le fagot sur sa manche, & qui le quittoit, étoit regardé comme un relaps & comme un apostat.

FAGOT, terme de Fortification. Voyez FASCINE.

Menage dérive ce mot du latin facottus, qui est tiré du grec ; Nicod le fait venir de fasciculus, un faisceau, & Ducange du latin fagatum & fagotum.

FAGOT ou PASSE-VOLANT, parmi les gens de Guerre, sont ceux qui ne sont pas réellement soldats, qui ne reçoivent point de paye, & ne font aucun service, mais qui ne sont engagés que pour paroître aux revues, rendre les compagnies complete s, & empêcher qu'on n'en voye les vuides, & pour frustrer le roi de la paye d'autant de soldats. Voyez PASSE-VOLANT. Chambers.

FAGOT de sappe, est dans la Guerre des siéges, un fagot de deux piés & demi ou trois piés de hauteur, & d'un pié & demi de diametre, dont on se sert au défaut de sacs-à-terre pour couvrir les jointures des galions dans la sappe. Voyez SAPPE. Voyez aussi la Planche XIII. de Fortification,

FAGOT, (Marine) barque en fagot, chaloupe en fagot ; c'est une barque que l'on assemble sur le chantier, ensuite on la démonte pour l'embarquer & la transporter dans les lieux où l'on en a besoin. On embarque aussi des futailles en fagot. Voyez FAGOT, Tonnelier. (Z)

FAGOT de plumes, chez les Plumassiers, ce sont des plumes d'autruches qui sont encore en paquets, telles qu'elles viennent des pays étrangers.

FAGOT, futailles en fagot, terme de Tonnelier, qui signifie des futailles dont toutes les pieces sont taillées & préparées, mais qui ne sont ni assemblées, ni montées, ni barrées, ni reliées de cerceaux.


FAGOTINESS. f. (Commerce de soie) ce sont des petites parties de soie faites par des particuliers. Ces soies ne sont point destinées pour des filages suivis ; elles sont très-inégales, parce qu'elles ont été travaillées par différentes personnes ; quoique ces personnes se soient assujetties scrupuleusement aux statuts des réglemens, il est impossible d'en former un ballot qui ne soit pas très-défectueux. Voyez l'article SOIE. Nous n'avons en France presque que des fagotines. Il y a trop peu d'organsin de tirage pour suffire à la quantité d'ouvrage qu'on fabrique.


FAGUTALS. m. (Myth.) ce fut un temple de Jupiter, qui fut ainsi nommé de l'arbre que les anciens appelloient fagus, hêtre ; cet arbre étoit consacré à Jupiter, & le hasard voulut qu'il s'en produisit un dans son temple, qui en prit le surnom de fagutal. D'autres prétendent que le fagutal fut un temple de Jupiter, élevé dans le voisinage d'une forêt de hêtres. Ils en apportoient pour preuve que la partie du mont Esquilin qu'on appelloit auparavant mons Appius, s'appella dans la suite fagutalis. Par la même raison, il y en a qui conjecturent que Jupiter fagutal est le même que Jupiter de Dodone, dont la forêt, disent-ils, étoit plantée de hêtres, fagi.


FAHLUou COPERBERG, (Géog.) ville de Suede en Dalécarlie, renommée par ses mines de cuivre. Voy. CUIVRE. Elle est à 12 lieues O. de Gévali. Long. 33. 25. lat. 60. 30.


FAIDES. f. (Jurisp.) en latin faida, faidia ou feyda, seu aperta simultas, signifioit une inimitié capitale & une guerre déclarée entre deux ou plusieurs personnes. On entendoit aussi par faide en latin faidosus ou diffidatus, celui qui s'étoit déclaré ennemi capital, qui avoit déclaré la guerre à un autre ; quelquefois aussi faide signifioit le droit que les lois barbares donnoient à quelqu'un de tirer vengeance de la mort d'un de ses parens, par-tout où on pourroit trouver le meurtrier : enfin ce même terme signifioit aussi la vengeance même que l'on tiroit, suivant le droit de faide.

L'usage de faide venoit des Germains, & autres peuples du Nord, & singulierement des Saxons, chez lesquels on écrivoit koehd ou kehd ; les Germains disoient wehd, fhede & ferde ; les peuples de la partie septentrionale d'Angleterre disent feuud ; les Francs apporterent cet usage dans les Gaules,

Comme le droit de vengeance privée avoit trop souvent des suites pernicieuses pour l'état, on accorda au coupable & à sa famille la faculté de se redimer, moyennant une certaine quantité de bestiaux qu'on donnoit aux parens de l'offensé, & qui faisoit cesser pour jamais l'inimitié. On appella cela dans la suite componere de vitâ, racheter sa vie ; ce qui faisoit dire sous Childebert II. à un certain homme, qu'un autre lui avoit obligation d'avoir tué tous ses parens, puisque par-là il l'avoit rendu riche par toutes les compositions qu'il lui avoit payées.

Pour se dispenser de venger les querelles de ses parens, on avoit imaginé chez les Francs d'abjurer la parenté du coupable, & par-là on n'étoit plus compromis dans les délits, mais aussi l'on n'avoit plus de droit à sa succession : la loi salique, & autres lois de ce tems, parlent beaucoup du cérémonial de cette abjuration.

La faide étoit proprement la même chose que ce que nous appellons deffi, du latin diffidare ; en effet, Thierry de Niem, dans son traité des droits de l'empire, qu'il publia en 1412, dit, en parlant d'un tel deffi : imperatori graeco qui tunc erat bellum indixit, eumque more saxonico diffidavit.

Il est beaucoup parlé de faide dans les anciennes lois des Saxons, dans celles des Lombards, & dans les capitulaires de Charlemagne, de Charles-le-Chauve & de Carloman, le terme faida y est pris communément pour guerre en général ; car le roi avoit sa faide appellée faida regia, de même que les particuliers avoient leurs faides ou guerres privées.

Porter la faide ou jurer la faide, c'étoit déclarer la guerre ; déposer la faide ou la pacifier, c'étoit faire la paix.

Toute inimitié n'étoit pas qualifiée de faide, il falloit qu'elle fût capitale, & qu'il y eût guerre déclarée ; ce qui arrivoit ordinairement pour le cas de meurtre ; car suivant les lois des Germains, & autres peuples du Nord, toute la famille du meurtrier étoit obligée d'en poursuivre la vengeance.

Ceux qui quittoient leur pays à cause du droit de faide, ne pouvoient pas se remarier, ni leurs femmes non plus.

Ce terme de faide étoit encore en usage du tems de S. Louis, comme on voit par un édit de ce prince du mois d'Octobre 1245, où il dit : mandantes tibi quatenus de omnibus guerris & faidiis tuae balliviae, ex parte nostrâ capias & dari facias rectas trenges ; dans la suite on ne se servit plus que du terme de guerre privée, pour designer ces sortes d'inimitiés, & ces guerres privées furent défendues.

Sur le mot faide, on peut voir Spelman & Ducange en leurs glossaires, & la dissertation 29 de Ducange sur Joinville, touchant les guerres privées. Voyez aussi les lettres historiques sur le parlement, tom. I. pag. 103 & 104. (A)


FAILINES. f. (Commerce d'étoffes) serge dont la chaîne a 880 fils, la portée 40 fils, y compris les lisieres ; la largeur au retour du foulon, une demi-aune, & les rots trois quarts & demi : elle se fabrique dans la Bourgogne. Voyez les réglemens sur le commerce.


FAILLE(soeur de la) Hist. ecclés. certaines hospitalieres, ainsi appellées de leurs grands manteaux. Un chaperon qui tenoit par en-haut à ce long manteau, leur couvroit le visage, & les empêchoit d'être vûes : elles servoient les malades : elles étoient vêtues de gris ; & c'étoit une colonie du tiers-ordre de S. François.


FAILLESS. f. (Commerce) taffetas à failles. C'est une étoffe de soie à gros grain, qui se fabriquoit en Flandre, où elle prit son nom de l'ajustement que les femmes en faisoient : c'est une écharpe qu'elles appelloient failles.


FAILLI(Jurisprud.) c'est la personne qui est en faillite. Voyez ci-après FAILLITE. (A)

FAILLI, adj. en Blason, se dit des chevrons rompus en leurs montans.

Maynier d'Oppede en Provence, d'azur à deux chevrons d'argent, l'un failli à dextre, l'autre à senestre, c'est-à-dire rompus sur les flancs & séparés.


FAILLITES. f. (Jurisprud.) decoctio bonorum, est lorsqu'un marchand ou négociant se trouve hors d'état, par le dérangement de ses affaires, de remplir les engagemens qu'il a pris relativement à son commerce ou négoce, comme lorsqu'il n'a pas payé à l'échéance les lettres de change qu'il a acceptées ; qu'il n'a pas rendu l'argent à ceux auxquels il a fourni des lettres qui sont revenues à protêt, & lui ont été dénoncées, ou lorsqu'il n'a pas payé ses billets au terme connu ; ainsi faire faillite, c'est manquer à ses créanciers. On confond quelquefois le mot de faillite avec celui de banqueroute ; & quand on veut exprimer qu'il y a de la mauvaise foi de la part du débiteur, qui manque à remplir ses engagemens, on qualifie la banqueroute de frauduleuse ; mais les ordonnances distinguent la faillite de la banqueroute.

La premiere est lorsque le dérangement du débiteur arrive par malheur, comme par un incendie, par la perte d'un vaisseau, & même par l'impéritie & la négligence du débiteur, pourvû qu'il n'y ait pas de mauvaise foi, qui fortunae vitio, vel suo ; vel partim fortunae, partim suo vitio, non solvendo factus foro cessit, dit Cicéron en sa seconde philippique.

La banqueroute proprement dite, qui est toûjours réputée frauduleuse, est lorsque le débiteur s'absente & soustrait malicieusement ses effets, pour faire perdre à ses créanciers ce qui leur est dû.

Le dérangement des affaires du débiteur n'est qualifié de faillite ou de banqueroute, que quand le débiteur est marchand ou négociant, banquier, agent de change, fermier, sous-fermier, receveur, trésorier, payeur des deniers royaux ou publics.

La faillite est réputée ouverte du jour que le débiteur s'est retiré, ou que le scellé a été mis sur ses effets, comme il est dit en l'ordonnance du commerce, tit. ij. art. 1.

On peut ajoûter encore deux autres circonstances qui caractérisent la faillite ; l'une est lorsque le débiteur a mis son bilan au greffe ; l'autre est lorsque les débiteurs ont obtenu des lettres de répi ou des arrêts de défenses générales : les faillites qui éclatent de cette derniere maniere, sont les plus suspectes & les plus dangereuses, parce qu'elles sont ordinairement préméditées, & que le débiteur peut, tandis que les défenses subsistent, achever de détourner ses effets, au préjudice de ses créanciers.

Ceux qui ont fait faillite, sont tenus de donner à leurs créanciers un état certifié d'eux de tout ce qu'ils possedent & de tout ce qu'ils doivent. Ordonnance de 1673, tit. xj. art. 2.

L'article suivant veut que les négocians, marchands & banquiers en faillite, soient aussi tenus de représenter tous leurs livres & registres, côtés & paraphés, en la forme prescrite par les articles 1, 2, 3, 4, 5, 6 & 7. du tit. iij. de la même ordonnance, pour être remis au greffe des juges & consuls, s'il y en a, sinon de l'hôtel commun des villes, ou ès mains des créanciers, à leur choix.

La déclaration du 13 Juin 1716, en expliquant ces dispositions de l'ordonnance de 1673, veut que tous marchands, négocians, & autres, qui ont fait ou feront faillite, soient tenus de déposer un état exact, détaillé & certifié véritable de tous leurs effets mobiliers & immobiliers, & de leurs dettes, comme aussi leurs livres & registres au greffe de la jurisdiction consulaire du lieu, ou la plus prochaine, & que faute de ce, ils ne puissent être reçûs à passer avec leurs créanciers aucun contrat d'atermoyement, concordat, transaction, ou autre acte, ni d'obtenir aucune sentence ou arrêt d'omologation d'iceux, ni se prévaloir d'aucun sauf-conduit accordé par leurs créanciers.

Pour faciliter à ceux qui ont fait faillite, le moyen de dresser cet état, la même déclaration veut qu'en cas d'apposition du scellé sur leurs biens & effets, leurs livres & registres leur soient remis & délivrés après néanmoins qu'ils auront été paraphés par le juge ou autre officier commis par le juge, qui apposera le scellé, & par un des créanciers qui y assisteront ; & que les feuillets blancs, si aucun y a, auront été bâtonnés par ledit juge ou autre officier ; le tout néanmoins, sans déroger aux usages des priviléges de la conservation de Lyon.

A Florence le débiteur doit se rendre prisonnier avec ses livres, les exhiber & rendre raison de sa conduite ; & si la faillite est arrivée par cas fortuit, & qu'il n'y ait pas de sa faute, il n'en est point blâmé, mais il faut qu'il représente ses livres en bonne forme.

L'ordonnance de 1673, tit. xj. art. 4. déclare nuls tous les transports, cessions, ventes & donations de biens meubles ou immeubles, faits par le failli en fraude de ses créanciers, & veut que le tout soit apporté à la masse commune des effets.

Cet article ne fixoit point où ces sortes d'actes commencent à être prohibés : mais le reglement fait pour la ville de Lyon le 2 Juin 1667, art. 13. ordonne que toutes cessions & transports sur les effets des faillis, seront nuls, s'ils ne sont faits dix jours au moins avant la faillite publiquement connue, sans y comprendre néanmoins les viremens des parties faits en bilan, lesquels sont bons & valables, tant que le failli ou son facteur porte bilan.

Cette loi a été rendue générale pour tout le royaume par une déclaration du mois de Novembre 1702, portant que toutes les cessions & transports sur les biens des marchands qui font faillite, seront nuls, s'ils ne sont faits dix jours au moins avant la faillite publiquement connue, comme aussi que les actes & obligations qu'ils passeront devant notaires, ensemble les sentences qui seront rendues contr'eux, n'acquerront aucune hypotheque ni privilége sur les créanciers chirographaires, si ces actes & obligations ne sont passés, & les sentences ne sont rendues pareillement dix jours au moins avant la faillite publiquement connue ; ce qui a été étendu aux transports faits par les gens d'affaires, en pareils cas de faillite ; suivant un arrêt de la cour des aides du 14 Mars 1710.

Tous les actes passés dans les dix jours qui précedent la faillite, sont donc nuls de plein droit, sans qu'il soit besoin de prouver spécialement qu'il y a eu fraude dans ces actes ; ce qui n'empêche pas que les actes antérieurs à ces dix jours, ne puissent être déclarés nuls, lorsque l'on peut prouver qu'ils ont été faits en fraude des créanciers.

Ceux qui ont fait faillite ne peuvent plus porter bilan sur la place des marchands ou du change : à Lyon on ne souffre pas qu'ils montent à la loge du change.

Il y a eu plusieurs déclarations du roi qui ont attribué pour un certain tems la connoissance des faillites aux juges-consuls ; savoir, celles des 10 Juin & 7 Décembre 1715, 27 Novembre 1717, 5 Août 1721, 3 Mai 1722, 21 Juillet 1726, 7 Juillet 1727, 19 Septembre 1730, & une derniere du 5 Août 1732, qui prorogeoit cette attribution jusqu'au premier Septembre 1733.

Il y a encore eu depuis une autre déclaration du 13 Septembre 1739, concernant les faillites & banqueroutes, qui regle les formalités des affirmations des créanciers & des contrats d'atermoyement. Voy. Bornier sur le tit. jx. de l'ordonnance de 1673, & les mots AFFIRMATION, ATERMOYEMENT, BANQUEROUTE, CREANCIERS, DELIBERATION, UNION. (A)


FAIMAPPÉTIT, (Gram. Syn.) l'un & l'autre désignent une sensation qui nous porte à manger. Mais la faim n'a rapport qu'au besoin, soit qu'il naisse d'une longue abstinence, soit qu'il naisse de voracité naturelle, ou de quelque autre cause. L'appétit a plus de rapport au goût & au plaisir qu'on se promet des alimens qu'on va prendre. La faim presse plus que l'appétit ; elle est plus vorace ; tout mets l'appaise. L'appétit plus patient est plus délicat ; certain mets le réveille. Lorsque le peuple meurt de faim, ce n'est jamais la faute de la providence ; c'est toûjours celle de l'administration. Il est également dangereux pour la santé de souffrir de la faim, & de tout accorder à son appétit. La faim ne se dit que des alimens ; l'appétit a quelquefois une acception plus étendue ; & la morale s'en sert pour désigner en général la pente de l'ame vers un objet qu'elle s'est représentée comme un bien, quoiqu'il n'arrive que trop souvent que ce soit un grand mal.

FAIM, s. f. (Physiol.) en grec ; par les auteurs latins esuritio, cibi cupiditas, cibi appetentia ; sensation plus ou moins importune, qui nous sollicite, nous presse de prendre des alimens, & qui cesse quand on a satisfait au besoin actuel qui l'excite.

Quelle sensation singuliere ! quel merveilleux sens que la faim ! Ce n'est point précisément de la douleur, c'est un sentiment qui ne cause d'abord qu'un petit chatouillement, un ébranlement leger ; mais qui se rend insensiblement plus importun, & non moins difficile à supporter que la douleur même : enfin il devient quelquefois si terrible & si cruel, qu'on a vû armer les meres contre les propres entrailles de leurs enfans, pour s'en faire malgré elles d'affreux festins. Nos histoires parlent de ces horreurs, commises au siége des villes de Sancerre & de Paris, dans le triste tems de nos guerres civiles. Lisez-en la peinture dans la Henriade de M. de Voltaire, & ne croyez point que ce soit une fiction poétique. Vous trouverez dans l'Ecriture-sainte de pareils exemples de cette barbarie : manus mulierum misericordium coxerunt filios suos ; facti sunt cibus earum, dit Ezéchiel, ch. v. 10. Et Josephe, au liv. V. ch. xxj. de la guerre des Juifs, raconte un trait fameux de cette inhumanité, qu'une mere exerça contre son fils pendant le dernier siége de Jérusalem par les Romains.

On recherche avec empressement quelles sont les causes de la faim, sans qu'il soit possible de rien trouver qui satisfasse pleinement la curiosité des Physiologistes. Il est cependant vraisemblable qu'on ne peut guere soupçonner d'autres causes de l'inquiétude qui nous porte à desirer & à rechercher les alimens, que la structure de l'organe de cette sensation, l'action du sang qui circule dans les vaisseaux de l'estomac, celle des liqueurs qui s'y filtrent, celle de la salive, du suc gastrique, pancréatique, & finalement l'action des nerfs lymphatiques.

Mais il ne faut point perdre ici de vûe que la sensation de la faim, celle de la soif, & celle du goût, ont ensemble la liaison la plus étroite, & ne sont, à proprement parler, qu'un organe continu. C'est ce que nous prouverons au mot GOUT (Physiolog.). Continuons à présent à établir les diverses causes de la faim que nous venons d'indiquer.

Le ventricule vuide est froissé par un mouvement continuel ; ce qui occasionne un frottement dans les rides & les houpes nerveuses de cette partie. Il paroît si vrai que le frottement des houpes & des rides nerveuses de l'estomac est une des causes de la faim, que les poissons & les serpens qui manquent de ces organes, ont peu de faim, & joüissent de la faculté de pouvoir jeûner long-tems. Mais d'où naît ce froissement ? Il vient principalement de ce que le sang ne pouvant circuler aussi librement dans un estomac flasque, que lorsque les membranes de ce sac sont tendues, il s'y ramasse & fait gonfler les vaisseaux : ainsi les vaisseaux gonflés ont plus d'action, parce que leurs battemens sont plus forts ; or ce surcroît d'action doit chatouiller tout le tissu nerveux du viscere, & l'irriter ensuite en rapprochant les rides les unes des autres. Joignez à cela l'action des muscles propres & étrangers à l'estomac, & vous concevrez encore mieux la nécessité de ces frottemens, à l'occasion desquels la faim est excitée.

Il ne faut pas douter que la salive & le suc stomacal ne produisent une sensation & une sorte d'irritation dans les houpes nerveuses du ventricule ; on l'éprouve à chaque moment en avalant sa salive, puisque l'on sent alors un picotement agréable si l'on se porte bien : d'ailleurs l'expérience nous apprend que dès que la salive est viciée ou manque de couler, l'appétit cesse. Les soldats émoussent leur faim en fumant du tabac, qui les fait beaucoup cracher. Quand Verheyen, pour démontrer que la salive ne contribuoit point à la faim, nous dit qu'il se coucha sans souper, cracha toute sa salive le lendemain matin, & n'eut pas moins d'appétit à dîner, il ne fait que prouver une chose qu'on n'aura point de peine à croire, je veux dire qu'un homme dîne bien quand il n'a pas soupé la veille. La salive & le suc gastrique sont donc de grands agens de la faim, & d'autant plus grands, qu'ils contribuent beaucoup à la trituration des alimens dans l'estomac, & à leur chylification.

Cependant pour que la salive excite l'appétit, il ne faut pas qu'elle soit trop abondante jusqu'à inonder l'estomac ; il ne faut pas aussi qu'elle le soit trop peu ; car dans le premier cas, le frottement ne se fait point sentir, il ne porte que sur l'humeur salivaire ; & dans le second, les papilles nerveuses ne sont point assez picotées par les sels de la salive : d'où il résulte que ces deux causes poussées trop loin, ôtent la faim. Mais puisqu'à force de cracher, on n'a point d'appétit, faut-il faire diete jusqu'à ce qu'il revienne ? Tout au contraire, il faut prendre des alimens pour remédier à l'épuisement où on se trouveroit, & réparer les sucs salivaires par la boisson. D'ailleurs la mastication attire toûjours une nouvelle salive, qui descend avec les alimens, & qui servant à leur digestion, redonne l'appétit.

Il est encore certain que le suc du pancréas & la bile contribuent à exciter la faim ; on trouve beaucoup de bile dans le ventricule des animaux qui sont morts de faim ; le pylore relâché, laisse facilement remonter la bile du duodenum, lorsque cet intestin en regorge : si cependant elle étoit trop abondante ou putride, l'appétit seroit détruit, il faudroit vuider l'estomac pour le renouveller, & prendre des boissons acidules pour émousser l'acrimonie bilieuse.

Enfin l'imagination étend ici ses droits avec empire. Comme on sait par l'expérience que les alimens sont le remede de cette inquiétude que nous appellons la faim, on les desire & on les recherche. L'imagination qui est maîtrisée par cette impression, se porte sur tous les objets qui ont diminué ce sentiment, ou qui l'ont rendu plus agréable : mais si elle est maîtrisée quelquefois par ce sentiment, elle le maîtrise à son tour, elle le forme, elle produit le dégoût & le goût, suivant ses caprices, ou suivant les impressions que font les nerfs lymphatiques dans le cerveau. Par exemple, dès que l'utérus est dérangé, l'appétit s'émousse, des goûts bisarres lui succedent : au contraire dès que cette partie rentre dans ses fonctions, l'appétit fait ressentir son impression ordinaire. Cet appétit bizarre s'appelle malacie. Voyez MALACIE.

Voilà, ce me semble, les causes les plus vraisemblables de la faim. Celles de l'amour, c'est-à-dire de l'instinct qui porte les deux sexes l'un vers l'autre, seroient-elles les mêmes ? Comme de la structure de l'estomac, du gonflement des vaisseaux, du mouvement du sang & des nerfs dans ce viscere, de la filtration du suc gastrique, de l'empire de l'imagination sur le goût, il s'ensuit un sentiment dont les alimens sont le remede ; de même de la structure des parties naturelles, de leur plénitude, de la filtration abondante d'une certaine liqueur, n'en résulte-t-il pas un mouvement dans ces organes ; mouvement qui agit ensuite par les nerfs sympathiques sur l'imagination, cause une vive inquiétude dans l'esprit, un desir violent de finir cette impression, enfin un penchant presque invincible qui y entraîne. Tout cela pourroit être. Mais il ne s'agit point ici d'entrer dans ces recherches délicates ; c'est assez, si les causes de la faim que nous avons établies, répondent généralement aux phénomenes de cette sensation. M. Senac le prétend dans sa physiologie : le lecteur en jugera par notre analyse.

1°. Quand on a été un peu plus long-tems que de coûtume sans manger, l'appetit s'évanouit, cela se conçoit, parce que le ventricule se resserre par l'abstinence, donne moins de prise au chatouillement du suc gastrique ; & parce que le cours du sang dans ce viscere se fait moins aisément quand il est flasque, que quand il est raisonnablement distendu.

2°. On ne sent pas de faim lorsque les parois de l'estomac sont couvertes d'une pituite épaisse : cela vient de deux raisons. La premiere, de ce que le ventricule étant relâché par cette abondance de pituite, son sentiment doit être émoussé. La seconde consiste en ce que les filtres sont remplis, & cette plénitude produit une compression qui émousse encore davantage la sensibilité de l'estomac.

3°. La faim seroit presque continuelle dans la bonne santé, si l'estomac, le duodenum, & les intestins se vuidoient promtement. Or c'est ce qui arrive dans certaines personnes, lorsqu'il y a chez elles une grande abondance de bile qui coule du foie dans les intestins ; car comme elle dissout parfaitement les alimens, elle fait que le chyle entre promtement dans les veines lactées, & par conséquent elle est cause que les intestins & l'estomac se vuident : enfin c'est un purgatif qui par son impression précipite les alimens & les excrémens hors du corps. Il y a quelquefois d'autres causes particulieres d'une faim vorace, même sans maladie, c'est cette faim qu'on appelle orexie. Voyez OREXIE.

4°. On peut donner de l'appétit par l'usage de certaines drogues : tels sont les amers qui tiennent lieu de bile, raniment l'action de l'estomac, & empêchent qu'il ne se relâche ; tel est aussi l'esprit de sel, parce qu'il picote le tissu nerveux du ventricule. Enfin il y a une infinité de choses qui excitent l'appétit, parce qu'elles flatent le goût, piquent le palais, & mettent en jeu toutes les parties qui ont une liaison intime avec le ventricule.

5°. Dans les maladies aigues, on n'a pas d'appétit ; soit parce que les humeurs sont viciées ; soit par l'inflammation des visceres, dont les nerfs communiquant à ceux de l'estomac, en resserrent le tissu, ou excitent un sentiment douloureux dans cet organe.

6°. Les jeunes gens ressentent la faim plus vivement que les autres ; cela doit être, parce que chez les jeunes gens il se fait une plus grande dissipation d'humeurs, le sang circule chez eux avec plus de promtitude, les papilles nerveuses de leur estomac sont plus sensibles.

7°. Si les tuniques du ventricule étoient fort relâchées, les nerfs le seroient aussi, le sentiment seroit moindre, & par conséquent l'appétit diminueroit : de-là vient, comme je l'ai dit ci-dessus, que lorsqu'il se filtre trop de pituite ou de suc stomacal, on ne sent plus de faim.

8°. Dès que l'estomac est plein, la sensation de l'appétit cesse jusqu'à ce qu'il soit vuide : c'est parce que dans la plénitude, les membranes du ventricule sont toutes fort tendues, & cette tension émousse la sensation ; d'ailleurs le suc salivaire & le suc gastrique étant alors mêlés avec les alimens, ils ne font plus d'impression sur l'estomac. Si même ce viscere est trop plein, cette distension produit une douleur ou une inquiétude fatigante.

9°. Quand le ventricule ne se vuide pas suffisamment, le dégoût succede. En voici les raisons. 1°. Dans ce cas, l'air qui se sépare des alimens & qui gonfle le sac qui les renferme, produit une sensation fatigante : or dès qu'il y a dans ce viscere une sensation fatigante, elle fait disparoître la sensation agréable, celle qui cause l'appétit ; c'est-là une de ces lois qu'a établi la nature par la nécessité de la construction. 2°. Le mauvais goût aigre, rancide, alkalin, que contractent les alimens par leur séjour dans le ventricule, donne de la répugnance pour toutes sortes d'alimens semblables à ceux qui se sont altérés dans cet organe de la digestion. 3°. Il faut remarquer que dès qu'il y a quelque aliment qui fait une impression desagréable sur la langue ou sur le palais, aussi-tôt le dégoût nous saisit, & l'imagination se révolte.

10°. Elle suffit seule pour jetter dans le dégoût, & peut même faire désirer des matieres pernicieuses, ou des choses qui n'ont rien qui soit alimentaire. C'est en partie l'imagination qui donne un goût si capricieux aux filles attaquées de pâles couleurs : ces filles mangent de la terre, du plâtre, de la craie, de la farine, des charbons, &c. & il n'y a qu'une imagination blessée qui puisse s'attacher à de tels objets. On doit regarder cette sorte de goût ridicule comme le délire des mélancoliques, lesquels fixent leur esprit sur un objet extravagant : mais il est certain que l'impression que font ces matieres est agréable, car elles ne rebutent point les filles qui ont de telles fantaisies. Voyez PALES COULEURS.

De plus, qui ne sait que les femmes enceintes desirent, mangent quelquefois avec plaisir du poisson crud, des fruits verds, de vieux harengs, & autres mauvaises drogues, & que même elles les digerent sans peine ? Voilà néanmoins des matieres desagréables & nuisibles, qui flatent le goût des femmes grosses sans altérer leur santé, ou sans produire d'effets mauvais qui soient bien marqués. Il est donc certain que dans ces cas les nerfs ne sont plus affectés comme ils l'étoient dans la santé, & que des choses desagréables à ceux qui se portent bien, font des impressions flateuses lorsque l'économie animale est dérangée : c'est pour cela que les chattes & d'autres femelles sont quelquefois exposées aux mêmes caprices que les filles par rapport au goût. Souvent les medecins industrieux ont éloigné ces idées extravagantes, en attachant l'esprit malade à d'autres objets : il est donc évident qu'en plusieurs cas, l'imagination conserve ses droits sur l'estomac ; elle peut même lui donner une force qu'il n'a pas naturellement. Ajoûtons que dans certains dégoûts, les malades dont l'imagination est pour ainsi dire ingénieuse à rechercher ce qui pourroit faire quelque impression agréable, s'attachent comme par une espece de délire à des alimens bisarres, & quelquefois par un instinct de la nature, à des alimens salutaires.

On pourroit sans-doute proposer plusieurs autres phénomenes de la faim, à l'explication desquels nos principes ne sauroient suffire, & nous sommes bien éloignés de le nier : mais la physiologie la plus savante ne l'est point assez pour porter la lumiere dans les détours obscurs du labyrinthe des sensations ; il s'y trouve une infinité de faits inexplicables, plusieurs autres encore qui dépendent du tempérament particulier, de l'habitude, & des jeux inconnus de la structure de notre machine.

Après ces réflexions, il ne nous reste qu'à dire en deux mots comment la faim se dissipe, même sans manger, moyen que tout le monde sait, & que l'instinct fait sentir aux bêtes : elle se dissipe outre cela, 1°. en détrempant trop les sucs dissolvans, & en relâchant les fibres à force de boire des liqueurs aqueuses chaudes, telles que le thé : 2°. en bûvant trop de liquides huileux, qui vernissent & émoussent les nerfs, ou même en respirant continuellement des exhalaisons de matieres grasses, comme font par exemple les faiseurs de chandelle : 3°. lorsque l'ame est occupée de quelque passion qui fixe son attention, comme la mélancolie, le chagrin, &c. la faim s'évanoüit, tant l'imagination agit sur l'estomac : 4°. les matieres putrides ôtent la faim sur le champ, comme un seul grain d'oeuf pourri, dont Bellini eut des rapports nidoreux pendant trois jours, &c. 5°. l'horreur ou la répugnance naturelle qu'on a pour certains alimens, pour certaines odeurs, pour la vûe d'objets extrèmement dégoûtans, ou pour entendre certains discours à table, qui affectent l'imagination d'une maniere desagréable. De cette horreur naît encore quelquefois le vomissement, qui ôte à l'estomac l'humeur utile qui picotoit auparavant ses nerfs.

Tirons maintenant une conclusion toute simple de ce discours. Nous avons déjà remarqué en le commençant, que la faim est un des plus forts instincts qui nous maîtrise : ajoûtons que si l'homme se trouvoit hors d'état d'en suivre les mouvemens, elle produiroit entr'autres accidens l'hémorrhagie du nez, la rupture de quelques vaisseaux, la putréfaction des liquides, la férocité, la fureur, & finalement la mort au sept, huit ou neuvieme jour, dans les personnes d'un tempérament robuste ; car il est difficile de croire que Charles XII. ait été sans défaillance au fort de son âge & de sa vigueur, cinq jours à ne boire ni manger, ainsi que M. de Voltaire le dit dans la vie si bien écrite qu'il nous a donnée de ce monarque. A plus forte raison devons-nous regarder comme un conte le fait rapporté par M. Maraldi, de l'académie des Sciences (ann. 1706. p. 6.), que dans un tremblement de terre arrivé à Naples, un jeune homme étoit resté vivant quinze jours entiers sous des ruines, sans prendre d'alimens ni de boisson. Il ne faudroit jamais transcrire des fables de cet ordre dans des recueils d'observations de compagnies savantes. La vie d'un homme en santé ne se soûtient sans alimens qu'un petit nombre de jours ; la nutrition, la réparation des humeurs, celle de la transpiration, l'adoucissement du frottement des solides, en un mot la conservation de la machine, ne peut s'exécuter que par un perpétuel renouvellement du chyle. La nature pour porter l'homme fréquemment & invinciblement à cette action, y a mis un sentiment de plaisir qui ne s'altere jamais dans la santé ; & de ce sentiment qu'il a reçu pour la conservation de son être, il en a fait par son intempérance un art des plus exquis, dont il devient souvent la victime. Voyez ce que nous avons dit de cet art au mot CUISINE. Voyez GOURMANDISE, INTEMPERANCE, &c. Article de M(D.J.)

FAIM, (Séméïotique) Ce sentiment qui fait desirer de prendre des alimens, l'appétit proprement dit, doit être considéré par les medecins, non-seulement entant qu'il est une des fonctions naturelles qui intéresse le plus l'économie animale, & dont les lésions sont de très-grande importance (attendu que ce desir dispose à pourvoir au premier & au plus grand des besoins de l'animal, qui est de se nourrir, & à y pourvoir d'une maniere proportionnée), mais encore entant que ce sentiment, bien ou mal réglé, peut fournir différens signes qui sont de grande conséquence pour juger des suites de l'état présent du sujet d'où ils sont tant dans la santé que dans la maladie.

On ne peut juger du bon ordre dans l'économie animale, que par la maniere dont se fait l'exercice des fonctions : lorsqu'il se soûtient avec facilité & sans aucun sentiment d'incommodité, il annonce l'état de bonne santé. Mais de ces conditions requises, celle dont il est le plus difficile de s'assûrer, est la durée de cet exercice ainsi réglé ; on ne peut y parvenir que par les indices d'une longue vie, qui sont en même tems des signes d'une santé bien établie. On doit chercher ces indices dans les effets qui résultent d'une telle disposition dans les solides & les fluides de la machine animale, qu'il s'ensuive la conservation de toutes ses parties dans l'état qui leur est naturel.

Cette disposition consiste principalement dans la faculté qui est dans cette machine, de convertir les alimens en une substance semblable à celle dont elle est déja composée dans son état naturel ; ainsi un des principaux signes que l'observation ait fournis jusqu'à présent pour faire connoître cette disposition, est le bon appétit des alimens qui se renouvelle souvent, & que l'on peut satisfaire abondamment, sans que la digestion s'en fasse avec moins de facilité & de promtitude.

Il suit de-là que cet appétit doit être une source de signes propres à faire juger des suites dans l'état de lésion des fonctions, entant que ce sentiment subsiste convenablement, ou qu'il est déréglé, soit par excès, soit par défaut. Cette conséquence, aussi-bien que son principe, n'ayant pas échappé aux plus anciens observateurs des phénomenes que présente l'économie animale, tant dans la santé que dans la maladie, ils ont recueilli un grand nombre de ceux qui sont relatifs à l'appétit des alimens : il suffira d'en rapporter quelques-uns des principaux, d'après Lommius (observ. medic. lib. III.), & d'indiquer où on pourra en trouver une exposition plus étendue.

C'est un signe salutaire dans toutes les maladies, que les malades n'ayent point de dégoût pour les alimens qui leur sont présentés convenablement ; la disposition contraire est d'un mauvais présage. Voyez DEGOUT.

S'il arrive qu'un malade ayant pris des alimens de mauvaise qualité, ou qui ne conviennent pas à son état, n'en soit cependant pas incommodé, c'est une marque de bonne disposition au rétablissement de la santé : on doit tirer une conséquence opposée, si les alimens les plus propres & les mieux administrés, bien loin de produire de bons effets, en produisent de mauvais.

Lorsque les convalescens ont appétit & mangent beaucoup, sans que les forces & l'embonpoint reviennent, c'est un mal, parce qu'alors ils prennent plus de nourriture qu'ils n'en peuvent bien digérer : il en faut retrancher. Si la même chose arrive à ceux même qui ne mangent que modérément, c'est une preuve qu'ils ont encore besoin d'abstinence ; & s'ils tardent de la faire, il y a tout lieu pour eux de craindre la rechûte : car ils y ont de la disposition tant qu'il reste encore quelque chose de morbifique à détruire, quoique la maladie soit décidée.

Ceux qui ayant fait diete rigoureusement pendant le cours de leur maladie, se sentent ensuite pressés par la faim, font beaucoup esperer pour leur rétablissement.

Pour un plus grand détail de signes diagnostics & prognostics tirés de l'appétit des alimens & de ses lésions, voyez Hippocrate & ses commentateurs, tels sur-tout que Duret, in Coacas. Voyez aussi Galien, Sennert, Riviere, & les différens auteurs d'institutions de medecine, tant anciens que modernes : en les parcourant tous, & en les comparant les uns aux autres, on peut aisément se convaincre que ceux-ci, moins observateurs, n'ont pris pour la plûpart d'autre peine que de répeter & de mal expliquer ce que ceux-là ont transmis à la postérité sur le sujet dont il s'agit, comme sur tout autre de ce genre. (d)

FAIM CANINE, (Med.) En terme de l'art, cynorexie, c'est une faim demesurée qui porte à prendre beaucoup de nourriture, quoique l'estomac la rejette peu de tems après. La faim canine est donc une vraie maladie, qu'il ne faut pas confondre, comme on fait dans le discours ordinaire, avec le grand & fréquent appétit ; état que les gens de l'art appellent orexie. Il ne faut pas non plus confondre la faim canine avec la boulimie, comme nous le dirons dans la suite.

Ainsi les medecins éclairés distinguent avec raison, d'après l'exemple des Grecs, par des termes consacrés, les différentes affections du ventricule dans la sensation de la faim, & voici comment. Ils nomment faim, le simple appétit, le besoin de manger commun à tous les hommes : ils appellent orexie, une faim dévorante qui requiert une nourriture plus abondante, & qu'on répete plus souvent que dans l'état naturel, sans néanmoins que la santé en soit dérangée : ils nomment pseudorexie, une fausse faim, telle qu'on en a quelquefois dans les maladies aiguës & chroniques : ils appellent pica ou malacie, le goût dépravé des femmes enceintes, des filles attaquées des pâles couleurs, &c. pour des alimens bisarres. Voyez FAIM, OREXIE, PSEUDOREXIE, MALACIE.

Mais la cynorexie, ou la faim canine, est cette maladie dans laquelle on éprouve une faim vorace, & néanmoins l'on vomit les alimens qu'on prend pour la satisfaire ; ainsi qu'il arrive aux chiens qui ont trop mangé. C'est en cela d'abord que la faim canine différe de la boulimie, qui n'est point suivie de vomissemens, mais d'oppression de l'estomac, de difficulté de respirer, de foiblesse de pouls, de froid & de défaillances.

Erasistrate est le premier qui ait employé le mot de boulimie, & son étymologie indique le caractere de cette affection, qui vient proprement du grand froid qui resserre l'estomac, suivant la remarque de Joseph Scaliger ; car , dit-il, apud Graecos intendit ; ut , ingens fames à refrigeratione ventriculi contracta ; sic apud Latinos particula ve intendit, ut in voce vehemens, & aliis.

En effet, la boulimie arrive principalement aux voyageurs dans les pays froids, & par conséquent elle est occasionnée par la froideur de l'air qui les saisit, ou plûtôt par les corpuscules frigorifiques qui resserrent les poumons & le ventricule. Cette idée s'accorde avec le rapport des personnes qui ont éprouvé les effets de cette maladie dans la nouvelle Zemble & autres régions septentrionales. Fromundus qui en a été attaqué lui-même, croit que le meilleur remede seroit de se procurer une forte toux, pour décharger l'estomac & les poumons des esprits de la neige, qui ont été attirés dans ces organes par la respiration, ou qui s'y sont insinués d'une autre maniere. C'est dommage que le conseil de ce medecin tende à procurer un mal pour en guérir un autre ; car d'ailleurs son idée de la cure est très-ingénieuse. Le plus sûr, ce me semble, seroit de bonnes frictions, la boisson abondante des liquides chauds & aromatiques, propres à exciter une grande transpiration ; & de recourir en même tems aux choses dont l'odeur est propre à rappeller & à rassembler les esprits vitaux dissipés, tel qu'est en particulier le pain chaud trempé dans du vin, & autres remedes semblables. Il résulte de cet exposé, que la boulimie doit être un accident fort rare dans nos climats tempérés, & qu'elle differe essentiellement de la faim canine par les causes & les symptomes.

Dans la faim canine les alimens surchargeant bientôt l'estomac, le malade qui n'a pû s'empêcher de les prendre, est contraint de les rejetter. Comme ce vomissement apporte quelque soulagement, l'appétit revient ; & cet appétit n'est pas plûtôt satisfait que le vomissement se renouvelle : ainsi l'appétit succede au vomissement, & le vomissement à l'appetit.

Entre plusieurs exemples de cette maladie, je n'en ai point lû de plus incroyable que celui qui est rapporté dans les Trans. philos. n°. 476. pag. 366. & 381. Un jeune homme, à la suite de la fievre, eut cette faim portée à un tel degré, qu'elle le fit dévorer plus de deux cent livres d'alimens en six jours ; mais il n'en fut pas mieux nourri, car il les rejetta perpétuellement, sans qu'il en passât rien dans les intestins : desorte qu'il perdit l'usage de ses jambes, & mourut peu de mois après dans une maigreur effroyable.

Les autres malades de faim canine dont il est parlé dans les annales de la Medecine, ne sont pas de cette voracité ; mais il nous offrent des causes si diversifiées de la maladie, qu'il est très-important, quand le cas se présente, de tâcher, pour la cure, de les découvrir par les symptomes qui précedent ce mal, qui l'accompagnent & qui lui succedent. Or la faim canine tire sa naissance de plusieurs causes : elle peut provenir des vers, & en particulier du ver nommé le solitaire ; d'humeurs vicieuses, acides, acres, muriatiques qui picotent le ventricule ; d'une bile rongeante qui s'y jette ; du relâchement de l'estomac, de son échauffement, de la trop grande sensibilité des nerfs & des esprits. On soupçonne qu'il y a des vers, par les symptomes qui leur sont propres : la vûe des évacuations sert à indiquer la nature des humeurs viciées ; l'abondance de la bile paroît par la jaunisse répandue dans tout le corps, la mobilité des esprits se rencontre toûjours dans les personnes faméliques, qui sont attaquées en même tems d'hystérisme ou qui sont hypocondres ; le défaut de nutrition se manifeste par la maigreur du malade, & ce symptome rend son état vraiment dangereux : car lorsque le vomissement ou le flux de ventre sont obstinés, la cachexie, l'hydropisie, la lienterie, l'atrophie, & finalement la mort, en sont les suites.

La méthode curative doit se varier suivant les diverses causes connues du mal. Si la faim canine est produite par une humeur acre quelconque qui irrite l'estomac, il faut l'évacuer, en corriger l'acrimonie, & rétablir ensuite par les fortifians le ton de l'estomac, & des organes qui servent à la digestion. Les vers se détruiront par des vermifuges, & principalement par les mercuriels. Dans la chaleur des visceres on conseillera les adoucissans & les humectans ; dans le cas de la mobilité des esprits, on employera les narcotiques. On pourroit appliquer extérieurement sur toute la région de l'estomac, les linimens & les emplâtres opposés aux causes du mal. La faim canine qui procede du défaut de conformation dans les organes, comme de la trop grande capacité de l'estomac, de l'insertion du canal cholidoque dans ce viscere, de la briéveté des intestins, en un mot, de quelque vice de conformation, ne peut être détruite par aucune méthode medicinale : mais ce sont des cas rares, & qui n'ont ordinairement aucune fâcheuse suite. Article de M(D.J.)

FAIM CANINE, (Maréchall.) Ce sentiment intime & secret qui nous avertit de nos besoins, ce vif penchant à les satisfaire ; cet instinct qui, quoiqu'aveugle, nous détermine précisement au choix des choses qui nous conviennent ; toutes ces perceptions, en un mot, agréables ou fâcheuses qui nous portent à fuir ou à rechercher machinalement ce qui tend à la conservation de notre être, ou ce qui peut en hâter la destruction, sont absolument communes à l'homme & à l'animal : la Nature a accordé à l'un & à l'autre des sens internes & externes ; elle les a également assujettis à la faim, à la soif, aux mêmes nécessités.

L'estomac étant vuide d'alimens, les membranes qui constituent ce sac, sont affaissées & repliées en sens divers : dans cet état, elles opposent un obstacle à la liberté du cours du sang dans les vaisseaux qui les parcourent. De la lenteur de la marche de ce fluide résulte le gonflement des canaux, qui dès-lors sont sollicités à des oscillations plus fortes ; & de ces oscillations augmentées naissent une irritation dans les houpes nerveuses, un sentiment d'inquiétude qui ne cesse que lorsque le ventricule distendu, les tuyaux sanguins se trouvent dans une direction propre à favoriser la circulation du fluide qu'ils charrient. Les restes acrimonieux des matieres dissoutes dans ce viscere, ainsi que l'action des liqueurs qui y sont filtrées, contribuent & peuvent même donner lieu à une sensation semblable. Dès que leurs sels s'exerceront sur les membranes seules, les papilles subiront une impression telle, que l'animal sera en proie à une perception plus ou moins approchante de la douleur, jusqu'à ce qu'une certaine quantité d'alimens s'offrant, pour ainsi dire, à leurs coups, & les occupant en partie, sauve l'organe de l'abondance funeste des particules salines, à l'activité desquelles il est exposé.

Nous n'appercevons donc point de différence dans les moyens choisis & mis en usage pour inviter l'homme & le cheval à réparer d'une part des déperditions qui sont une suite inévitable du jeu redoublé des ressorts ; & à prévenir de l'autre cette salure alkalescente que contractent nécessairement des humeurs qui circulent, sans de nouveaux rafraîchissemens, & qui ne peuvent être adoucies que par un nouveau chyle.

Nous n'en trouvons encore aucune dans les causes de cette voracité, de cette faim insatiable & contre nature dont ils sont quelquefois affectés. Supposons dans les fibres du ventricule une rigidité considérable, une forte élasticité ; il est certain que les digestions seront précipitées, l'évacuation du sac conséquemment très-promte, & les replis qui forment les obstacles dont j'ai parlé, beaucoup plus sensibles, vû l'action systaltique de ces mêmes fibres. Imaginons de plus une grande acidité dans les sucs dissolvans, ils picoteront sans-cesse les membranes : en un mot, tout ce qui pourra les irriter suscitera infailliblement cet appétit dévorant dont il s'agit, & dont nous avons des exemples fréquens dans l'homme & dans l'animal, que de longues maladies ont précipités dans le marasme. Alors les sucs glaireux qui tapissent la surface intérieure des parois de l'estomac, n'étant point assez abondans pour mettre à couvert la tunique veloutée, & leur acrimonie répondant à l'appauvrissement de la masse, ils agissent avec tant d'énergie sur le tissu cotonneux des houpes nerveuses, que ce sentiment excessif se renouvelle à chaque instant, & ne peut être modifié que par des alimens nouveaux, & pris modérément.

Il faut convenir néanmoins que relativement à la plûpart des chevaux faméliques que nous voyons, nous ne pouvons pas toûjours accuser les unes & les autres de ces causes ; il en est une étrangere, qui le plus souvent produit tous ces effets. Je veux parler ici de ces vers qui n'occupent que trop fréquemment l'estomac de l'animal. Si le ventricule est dépourvû de fourrage, & s'ils n'y sont enveloppés en quelque façon, les papilles se ressentent vivement de leur action. En second lieu, leur agitation suscite celle du viscere, & le viscere agité se délivre & se débarrasse des alimens dont la digestion lui est confiée, avant que le suc propre à s'assimiler aux parties, en ait été parfaitement extrait. Enfin ces insectes dévorent une portion de ce même suc, & en privent l'animal ; ce qui joint à l'acrimonie dont le sang se charge nécessairement, les digestions étant vicieuses, occasionne un amaigrissement, une exténuation que l'on peut envisager comme un symptome constant & assûré de la maladie dont il est question, de quelque source qu'elle provienne.

La voracité du cheval qui se gorge d'une quantité excessive de fourrage, sa tristesse, son poil hérissé & lavé, des déjections qui ne présentent que des alimens presqu'en nature, mêlés de certaines sérosités en quelque façon indépendantes de la fiente ; l'odeur aigre qui frappe l'odorat, & qui s'éleve des excrémens ; le marasme enfin, sont les signes auxquels il est aisé de la reconnoître. Lorsqu'elle est le résultat de la présence des vers dans l'estomac, elle s'annonce par tous les symptomes qui indiquent leur séjour dans cet organe, & elle ne demande que les mêmes remedes. Voyez VER.

Ceux par le secours desquels nous devons combattre & détruire les autres causes, sont les évacuans, les absorbans, les médicamens amers. On peut, après avoir purgé le cheval, le mettre à l'usage des pilules absorbantes, composées avec de la craie de Briançon, à la dose de demi-once, enveloppée dans une suffisante quantité de miel commun. L'aloès macéré dans du suc d'absynthe ; les troschisques d'agaric, à pareille dose de demi-once, seront très-salutaires : la thériaque de Venise, l'ambre gris, le safran administrés séparément, émousseront encore le sentiment trop vif de l'estomac, corrigeront la qualité maligne des humeurs, & rétabliront le ton des organes digestifs. Du reste il est bon de donner de tems en tems à l'animal atteint de la faim canine, une certaine quantité de pain trempé dans du vin, & de ne lui présenter d'ailleurs que des alimens d'une digestion assez difficile, tels que la paille, par exemple, afin que l'estomac ne se vuide point aussi aisément que si on ne lui offroit que des matieres qu'il dissout sans peine, & qu'il n'élabore point alors pour le profit du corps. L'opium dans l'eau froide, calme les douleurs que cause quelquefois dans ce même cas l'inflammation de ce viscere. (e)

FAIM-FAUSSE, (Medecine) Voyez, pour la fausse-faim, au mot PSEUDOREXIE.

FAIM-VALE, (Marechallerie) L'explication que nous avons donnée des causes & des symptomes de la maladie connue sous le nom de faim canine, & l'exposition que nous ferons de celle que nous appellons faim-vale, prouveront que l'une & l'autre ne doivent point être confondues ; & que les auteurs qui n'ont établi aucune différence entr'elles, n'ont pas moins erré que ceux qui ont envisagé celle-ci du même oeil que l'épilepsie.

Il seroit superflu sans-doute d'interroger les anciens sur l'étymologie du terme faim-vale, & de remonter à la premiere imposition de ce mot, pour découvrir la raison véritable & originaire des notions & des idées qu'on y a attachées. Je dirai simplement que la faim-vale n'est point une maladie habituelle : elle ne se manifeste qu'une seule fois, & par un seul accès, dans le même cheval, & s'il en est qui en ont essuyé plusieurs dans le cours de leur vie, on doit convenir que le cas est fort rare. Il arrive dans les grandes chaleurs, dans les grands froids & après de longues marches, & non dans les autres tems & dans d'autres circonstances. Nous voyons encore que les chevaux vifs y sont plus sujets que ceux qui ne le sont point, & que les chevaux de tirage en sont plûtôt frappés que les autres. Le cheval tombe comme s'il étoit mort : alors on lui jette plusieurs seaux d'eau fraîche sur la tête, on lui en fait entrer dans les oreilles, on lui en souffle dans la bouche & dans les naseaux ; & sur le champ il se releve, boit, mange, & continue sa route.

On ne peut attribuer cet accident qu'à l'interruption du cours des esprits animaux, produite dans les grandes chaleurs par la dissipation trop considérable des humeurs, & par le relâchement des solides ; & en hyver par l'épaississement & une sorte de condensation de ces mêmes humeurs. Souvent aussi les chevaux vifs, & qui ont beaucoup d'ardeur, se donnent à peine le tems de prendre une assez grande quantité de nourriture ; ils s'agitent, & dissipent plus. Si à ces dispositions on joint la longue diete, les fatigues excessives, l'activité & la plus grande force des sucs dissolvans, un défaut d'alimens proportionnément aux besoins de l'animal, la circulation du sang & des esprits animaux sera incontestablement ralentie. De-là une foiblesse dans le système nerveux, qui est telle, qu'elle provoque la chûte du cheval. Les aspersions d'eau froide causent une émotion subite, & remettent sur le champ les nerfs dans leur premier état ; & les substances alimentaires qu'on donne ensuite à l'animal, les y confirment. Quant au marasme, que quelques écrivains présentent comme un signe assûré & non équivoque de la faim-vale, on peut leur objecter que la maigreur des chevaux qui en ont été atteints, est telle que celle que nous reprochons à ceux que nous disons être étroits de boyau, & qui ont ordinairement trop de feu & trop de vivacité. Il est vrai que si les accidens dont il s'agit étoient répetés & fréquens, ils appauvriroient la masse, & rendroient les sucs regénérans acres & incapables de nourrir, & donneroient enfin lieu à l'atrophie : mais il est facile de les prévenir en ménageant l'animal, en ne l'outrant point par des travaux forcés, & en le maintenant dans toute sa vigueur par des alimens capables de réparer les pertes continuelles qu'il peut faire. (e)

FAIM, (LA) Mythol. divinité des poëtes du Paganisme, à laquelle on ne s'adressoit que pour l'éloigner ; & c'étoit-là la conduite qu'on tenoit sagement avec les divinités malfaisantes. Les Poëtes placent la faim à la porte de l'enfer, de même que les maladies, les chagrins, les soins rongeans, l'indigence & autres maux, dont ils ont fait autant de divinités.

Les Lacédémoniens avoient à Chalcioëque, dans le temple de Minerve, un tableau de la faim, dont la vûe seule étoit effrayante. Elle étoit représentée dans ce temple sous la figure d'une femme have, pâle, abattue, d'une maigreur effroyable, ayant les tempes creuses, la peau du front seche & retirée ; les yeux éteints, enfoncés dans la tête ; les joues plombées, les levres livides ; enfin les bras & les mains décharnées, liées derriere le dos. Quel triste tableau ! Il devroit être dans le palais de tous les despotes, pour leur mettre sans-cesse sous les yeux le spectacle du malheureux état de leurs peuples ; & dans le sallon des Apicius, qui, insensibles à la misere d'autrui, dévorent en un repas la nourriture de cent familles. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FAINES. f. (Jardins) est le fruit d'un arbre appellé hêtre, que l'on mange, & qui a le goût d'une noisette : dans les famines on en fait du pain. (K)


FAINOCANTRATONS. m. (Hist. nat.) espece de lésard de l'île de Madagascar, qui est d'une grandeur médiocre. Il s'attache si fortement aux arbres, qu'on croiroit qu'il y est collé. Il tient toûjours sa gueule ouverte, afin d'attraper des mouches & autres insectes dont il se nourrit. Les habitans du pays en ont grande peur, parce qu'on prétend qu'il saute au cou de ceux qui en approchent, & s'y applique si fortement, qu'on a beaucoup de peine à s'en débarrasser. Hubner, dictionn. univ.


FAIREv. act. (Gramm.) Excepté les auxiliaires être & avoir, il n'y a peut-être aucun autre verbe dont l'usage soit plus étendu dans notre langue que celui du verbe faire. Etre désigne l'existence & l'état ; avoir, la possession ; & faire, l'action. Nous n'entrerons point dans la multitude infinie des applications de ce mot ; on les trouvera aux actions auxquelles elles se rapportent.

FAIRE, verbe qui, dans le Commerce, a différentes acceptions, déterminées par les divers termes qu'on y joint, & dont voici les principales.

Faire prix d'une chose ; c'est convenir entre le vendeur & l'acheteur, de la somme pour laquelle le premier la livrera à l'autre.

Faire trop chere une marchandise ; c'est la priser au-delà de sa valeur.

Faire pour un autre ; c'est être son commissionnaire, vendre pour lui.

Faire bon pour quelqu'un ; c'est être sa caution, promettre de payer pour lui.

Faire bon, signifie aussi tenir compte à quelqu'un d'une somme à l'acquit d'un autre. J'ai ordre de M. N. de vous faire bon de 3000 liv. c'est-à-dire de vous payer pour lui 3000 liv.

Faire les deniers bons ; c'est s'engager à suppléer de son argent ce qui peut manquer à une somme promise.

Faire faillite, banqueroute, cession de biens. Voyez FAILLITE, BANQUEROUTE, CESSION.

Faire un trou à la lune ; c'est s'évader clandestinement pour ne pas payer ses dettes, ou être en état de traiter plus sûrement avec ses créanciers en mettant sa personne à couvert.

Faire de l'argent ; c'est recueillir de l'argent de ses débiteurs, ou en ramasser par la vente de ses marchandises, fonds, meubles, &c. pour acquiter ses billets, promesses, lettres de change, ou autres dettes.

Faire des huiles, faire des beurres, faire des eaux-de-vie, signifie fabriquer de ces sortes de marchandises ; il signifie aussi, parmi les Négocians, faire emplette de ces marchandises, en acheter par soi-même ou par ses commissionnaires & correspondans. Je compte faire cette année cent barriques d'eau-de-vie à Cognac.

Faire fond sur quelqu'un, sur sa bourse ; c'est avoir confiance qu'un ami, un parent vous aidera de son crédit ou de son argent.

Faire un fonds ; c'est rassembler de l'argent & le destiner à quelque grosse entreprise.

Faire une bonne maison, faire ses affaires ; c'est s'enrichir par son commerce.

Faire queue ; c'est demeurer reliquataire, & ne pas faire l'entier payement de la somme qu'on devoit acquiter.

Faire traite, se dit en Canada du commerce que font les François des castors & autres pelletteries, que les Sauvages leur apportent dans leurs maisons ; ce qui est fort différent d'aller en traite, ou porter aux Sauvages jusque dans leurs habitations les marchandises qu'on veut échanger avec eux. Voyez TRAITE.

On se sert aussi de ce terme pour signifier l'achat qu'on fait des Negres sur les côtes de Guinée, & qu'on transporte en Amérique. Voyez NEGRES & ASSIENTE. Cet article est tiré du Dictionn. de Comm. (G)

FAIRE LE NORD, LE SUD, L'EST, ou L'OUEST, (Marine) c'est naviger, faire route, ou courir au nord, au sud, à l'est, &c.

Ce mot faire est appliqué à beaucoup d'usages particuliers dans la Marine, dont il faut faire connoître les principaux.

Faire canal ; c'est traverser une étendue de mer pour passer d'une terre à une autre ; ce terme s'applique plûtôt aux galeres qu'aux vaisseaux.

Faire vent arriere ; c'est prendre vent en poupe.

Faire route ; c'est courir, naviger, ou cingler sur la mer.

Faire voile ; c'est partir & cingler pour un endroit.

Faire petites voiles ; c'est ne porter qu'une partie de ses voiles.

Faire plus de voiles ; c'est déferler & déployer plus de voiles qu'on n'en avoit.

Faire servir les voiles : c'est mettre le vent dedans & les empêcher de pliasser.

Faire force de voiles ; c'est porter autant de voiles qu'il est possible pour faire plus de diligence, soit pour chasser quelque vaisseau, ou pour éviter d'être joint si l'on étoit chassé.

Faire un bord ou une bordée ; c'est pousser la bordée soit à bas-bord, soit à tribord. Voyez BORD & BORDEE.

Faire la paransane ; c'est se préparer à faire route en mettant les ancres, les voiles, & les manoeuvres en état. Cette expression n'est pas d'usage ; les Levantins sont les seuls qui s'en servent.

Faire eau, se dit lorsque l'eau entre dans le vaisseau par quelque ouverture.

Faire de l'eau, faire aiguade ; c'est emplir les futailles d'eau douce pour la provision du vaisseau. Voyez EAU.

Faire du bois ; c'est faire la provision de bois pour le vaisseau, ou la renouveller lorsqu'on est de relâche.

Faire chapelle ; c'est revirer malgré soi. Voy. CHAPELLE.

Faire pavillon ; c'est arborer un pavillon quelconque, suivant les circonstances : on dit faire pavillon de France, faire pavillon blanc, &c. Voyez PAVILLON.

Faire des feux ; c'est mettre des fanaux en différens endroits du vaisseau, pour faire connoître aux autres vaisseaux avec lesquels on est en flotte, qu'on est incommodé & qu'on a besoin de secours. (Z)

FAIRE, s. m. terme de Peinture. Le mot faire tient ici le lieu de substantif. On dit le faire d'un tel artiste est peu agréable. On se recrie en voyant les ouvrages de Rubens & de Wandyck, sur le beau faire de ces deux peintres. C'est à la pratique de la peinture, c'est au méchanisme de la brosse & de la main, que tient principalement cette expression ; & on en sentira aisément la signification, si l'on veut bien donner quelque attention à la fin de l'article FACILITE. Article de M. WATELET.

Faire signifie quelquefois peindre. Faire l'histoire, faire le portrait, faire les animaux, &c. c'est peindre l'histoire, &c.

FAIRE TIRER LES TENONS, (Charpent.) c'est percer les trous de biais du côté de l'épaulement du tenon, pour qu'il joigne mieux.

FAIRE FAIRE, en termes de Charpentiers ; c'est lorsqu'ils veulent monter quelques grosses pieces de bois au haut des édifices, & c'est comme si l'on disoit : fais tourner le treuil pour monter cette piece.

FAIRE LES NOMS, (Relieur, Doreur) Voyez ALPHABET.


FAISANS. m. phasianus, (Hist. nat. Ornithol.) oiseau que la plûpart des méthodistes rangent sous un même genre avec la perdrix, la caille, &c. Aldrovande a décrit un faisan mâle, qui pesoit trois livres douze onces ; il avoit le bec de couleur de corne, & de la longueur d'un travers de pouce ; l'extrémité étoit recourbée, & la piece du dessus avançoit au-delà de celle du dessous ; il y avoit à la racine du bec une membrane charnue & tuberculeuse, sous laquelle les ouvertures des narines étoient cachées. Le sommet de la tête étoit de couleur cendrée & luisante ; les côtés de la tête avoient une couleur verte changeante selon les différens reflets de lumiere, & les yeux étoient entourés d'une belle couleur rouge ou écarlate. Il s'élevoit des plumes plus longues que les autres à l'endroit des oreilles, dont les ouvertures étoient rondes, larges & profondes. Les plumes de la partie du côté qui est au-dessus de la poitrine, & celles de la pointe, avoient trois couleurs, du brun près de la racine, & dans le reste une couleur d'or & une couleur verte ; mais on ne distinguoit le verd que quand les plumes étoient réunies plusieurs ensemble : car lorsqu'on n'en considéroit qu'une séparément des autres, elle paroissoit noire. Les plumes du dos étoient roussâtres, & avoient de petits filamens à l'extrémité. La queue étoit fort longue & très-différente de celle de la perdrix, de la caille, &c. Les plumes du milieu avoient plus de longueur que les autres, qui se trouvoient d'autant plus courtes, qu'elles étoient placées plus près des côtés. Cet oiseau a des éperons qui sont courts.

La faisande est plus petite que le faisan ; son plumage est moins beau ; car il ressemble à celui de la perdrix.

M. Klein distingue six especes de faisans.

1°. Le faisan ordinaire, qui est panaché ou blanc.

2°. Le faisan brun du Bresil, appellé jacupema & coxolitti. On trouve dans l'île de Sainte Helene des faisans dont les couleurs ressemblent à celles des perdrix, mais qui sont plus grands.

3°. Le faisan rouge de la Chine ; il a une crête, & on voit sur son plumage les plus belles couleurs, l'oranger, le citron, l'écarlate, la couleur d'émeraude, le bleu, le roux, & le jaune, & toutes les nuances de ces couleurs.

4°. Le faisan blanc de la Chine ; il a des plumes noires sur la tête ; ses yeux sont placés au milieu d'un cercle de couleur d'or ; le dessous du cou, le ventre, & le dessous de la queue, sont de couleur mêlée de noir & de bleu : il y a des taches blanches sur le cou, sur la partie supérieure du corps, & sur la queue ; le bec est roussâtre ; les piés sont rouges, & les éperons pointus.

5°. Le faisan-paon, phasianus pavoneus ; il a sur les petites plumes des ailes, des taches rouges qui sont figurées comme des yeux ; & sur la queue, des taches de même figure, mais de couleur verte.

6°. Le faisan roussâtre ; il a sur les ailes & sur la queue, des taches de couleur bleu céleste & bleu foncé, figurées en forme d'yeux comme celles du faisan-paon : aussi n'est-ce qu'une variété de la même espece, si ce n'est la femelle de ce faisan. Ordo avium, pag. 114. Voyez OISEAU. (I)

FAISAN ou PHAISAN, (Diete) La chair du jeune faisan est regardée, avec raison, comme un aliment très-nourrissant, très-sain, & de facile digestion ; elle est tendre, délicate, succulente, d'un goût relevé par un fumet leger, capable de reveiller doucement le jeu des organes de la digestion. Les personnes qui joüissent d'une bonne santé, doivent par conséquent se trouver très-bien d'une pareille nourriture ; & celles qui sont convalescentes ou valétudinaires, en retirer tous les secours qu'elles peuvent espérer de l'usage des bonnes viandes, si elles en usent cependant selon les préceptes de régime auxquels leur état les astreint. Voy. CONVALESCENCE, VALETUDINAIRE, GIMEGIME.

Au reste on ne conçoit dans le faisan aucune qualité particuliere, par laquelle on le puisse distinguer dans l'usage diététique, de la perdrix, du coq de bruyere, du coq des bois, de la gelinotte, du râle de genet, de la caille, de la palombe. du ramier : ces divers oiseaux & les individus de chaque espece ne different essentiellement entr'eux que comme plus ou moins gras, & plus ou moins jeunes. Voy. l'article VIANDE (Diete), & l'article GRAISSE (Diete) (b)


FAISANCESS. f. pl. (Jurispr.) sont des redevances annuelles qui consistent dans l'obligation de faire quelque chose. Un censitaire doit quelquefois à son seigneur, outre le cens & les rentes en argent, des faisances, operas, qui sont des especes de corvées : c'est en ce sens que ce terme est entendu dans le vieil coûtumier de Normandie. Voyez ce qui est dit dans le glossaire de Lauriere. Ce mot faisances ne signifie pourtant pas toûjours corvées, & est plûtôt synonyme de rente & redevance ; comme il paroit par une instruction faite par le conseil de Charles V. le 13 Mars 1366, qui est dans le IV. volume des ordonnances de la troisieme race, p. 716.

Quelquefois le mot faisance signifie en général payement d'une rente, comme dans la coûtume de Normandie, art. 497.

Les fermiers sont aussi quelquefois chargés par leurs baux de faisances ; comme de faire pour le propriétaire des voitures, de labourer pour lui quelque terres. Quand ces faisances ne sont pas fournies en nature, on les estime en argent. L'estimation en est quelquefois faite par le bail même ; lorsque ces faisances ne sont pas dûes purement & simplement, mais que le propriétaire a seulement la faculté de les demander chaque année, elles ne tombent point en arrérages ni estimation. Voyez ce qui a été dit de toutes ces sortes de prestations, au mot CORVEES. (A)


FAISANDE(SE), v. passif. Cuisine, c'est s'attendrir, se mortifier, & prendre avec le tems le fumet du faisan. Le faisan veut être gardé avant que d'être mangé, & c'est la raison pour laquelle on a transporté aux autres viandes le mot de faisandé, lorsqu'il étoit à-propos de les garder avant que de les faire apprêter, ou qu'on les avoit trop gardées.


FAISANDERIES. f. c'est un lieu où l'on éleve familierement des faisans & des perdrix de toute espece.

Cette éducation domestique du gibier est le meilleur moyen d'en peupler promtement une terre, & de réparer la destruction que la chasse en fait. Ce n'est que par-là que l'on est parvenu à répandre les faisans & les perdrix rouges dans des endroits que la nature ne leur avoit pas destinés. Les faisans étant le gibier qu'ordinairement on desire le plus, & que l'on sait le moins se procurer, nous donnerons ici en détail la méthode la plus sûre pour en élever dans une faisanderie. Cette méthode peut d'ailleurs s'appliquer aussi aux perdrix rouges & grises ; s'il y a quelques différences, elles sont legeres, & nous aurons soin de les marquer.

Une faisanderie doit être un enclos fermé de murs assez hauts pour n'être pas insultés par les renards, &c. & d'une étendue proportionnée à la quantité de gibier qu'on y veut élever. Dix arpens suffisent pour en contenir le nombre dont un faisandier peut prendre soin ; mais plus une faisanderie est spacieuse, meilleure elle est. Il est nécessaire que les bandes du jeune gibier qu'on éleve soient assez éloignées les unes des autres, pour que les âges ne puissent pas se confondre. Le voisinage de ceux qui sont forts est dangereux pour les plus foibles : cet espace doit d'ailleurs être disposé de maniere que l'herbe croisse dans la plus grande partie, & qu'il y ait un assez grand nombre de petits buissons épais & fourré, pour que chaque bande en ait un à portée d'elle ; ce secours leur est nécessaire pendant le tems de la grande chaleur.

Pour se procurer aisément des oeufs de faisans, il faut nourrir pendant toute l'année un certain nombre de poules : on les tient enfermées, au nombre de sept, avec un coq, dans de petits enclos séparés, auxquels on a donné le nom de parquets. L'étendue la plus juste d'un parquet est de cinq toises en quarré, & il doit être gasonné. Dans les endroits exposés aux foüines, aux chats, &c. on couvre les parquets d'un filet : dans les autres, on se contente d'éjointer les faisans pour les retenir. Ejointer, c'est enlever le foüet même d'une aile en serrant fortement la jointure avec un fil. Il faut que ce qui fait séparation entre deux parquets soit assez épais, pour que les faisans de l'un ne voyent pas ceux de l'autre. Au défaut de murs, on peut employer des roseaux, ou de la paille de seigle. La rivalité troubleroit les coqs, s'ils se voyoient, & elle nuiroit à la propagation. On nourrit les faisans dans un parquet, comme des poules de basse-cour, avec du blé, de l'orge, &c. Au commencement de Mars, il n'est pas inutile de leur donner un peu de blé noir, que l'on appelle sarrasin, pour les échauffer & hâter le tems de l'amour. Il faut qu'ils soient bien nourris ; mais il seroit dangereux qu'ils fussent engraissés. Les poules trop grasses pondent moins, & la coquille de leurs oeufs est souvent si molle, qu'ils courent risque d'être écrasés dans l'incubation. Au reste, les parquets doivent être exposés au midi, & défendus du côté du nord par un bois, ou par un mur élevé qui y fixe la chaleur.

Les faisans pondent vers la fin d'Avril ; il faut alors ramasser les oeufs avec soin tous les soirs dans chaque parquet ; sans cela ils seroient souvent cassés & mangés par les poules même. On les met, au nombre de dix-huit, sous une poule de basse-cour, de la fidélité de laquelle on s'est assûré l'année précédente ; on l'essaye même quelques jours auparavant sur des oeufs ordinaires. L'incubation doit se faire dans une chambre enterrée, assez semblable à un cellier, afin que la chaleur y soit modérée, & que l'impression du tonnerre s'y fasse moins sentir. Les oeufs de faisan sont couvés pendant vingt-quatre & quelquefois vingt-cinq jours, avant que les faisandeaux viennent à éclorre. Lorsqu'ils sont éclos, on les laisse encore sous la poule pendant vingt-quatre heures sans leur donner à manger. Une caisse de trois piés de long sur un pié & demi de large, est d'abord le seul espace qu'on leur permette de parcourir ; la poule y est avec eux, mais retenue par une grille qui n'empêche pas la communication que les faisandeaux doivent avoir avec elle. Cet endroit de la caisse que la poule habite, est fermé par le haut ; le reste est ouvert ; & comme il est souvent nécessaire de mettre le jeune gibier à l'abri, soit de la pluie, soit d'un soleil trop ardent, on y ajuste au besoin un toît de planches legeres, au moyen duquel on leur ménage le degré d'air qui leur convient. De jour en jour on donne plus d'étendue de terrein aux faisandeaux, & après quinze jours, on les laisse tout-à-fait libres ; seulement la poule qui reste toûjours enfermée dans la caisse, leur sert de point de ralliement, & en les rappellant sans-cesse, elle les empêche de s'écarter.

Les oeufs de fourmis de pré devroient être, pendant le premier mois, la principale nourriture des faisandeaux. Il est dangereux de vouloir s'en passer tout-à-fait ; mais la difficulté de s'en procurer en assez grande abondance, contraint ordinairement à chercher des moyens d'y suppléer. On se sert pour cela d'oeufs durs hachés & mêlés avec de la mie de pain & un peu de laitue. Les repas ne sauroient être trop fréquens pendant ces premiers tems ; on ne peut aussi mettre trop d'attention à ne donner que peu à la fois : c'est le seul moyen d'éviter aux faisandeaux des maladies qui deviennent contagieuses, & qui sont incurables. Cette méthode, outre que l'expérience lui est favorable, a encore cet avantage qu'elle est l'imitation de la nature. La poule faisande, dans la campagne, promene ses petits pendant presque tout le jour, quand ils sont jeunes, & ce continuel changement de lieu leur offre à tous momens de quoi manger, sans qu'ils soient jamais rassasiés. Les faisandeaux étant âgés d'un mois, on change un peu leur nourriture, & on en augmente la quantité. On leur donne des oeufs de fourmis de bois, qui sont plus gros & plus solides ; on y ajoûte du blé, mais très peu d'abord : on met aussi plus de distance entre les repas.

Ils sont sujets alors à être attaqués par une espece de poux qui leur est commune avec la volaille, & qui les met en danger. Ils maigrissent ; ils meurent à la fin, si l'on n'y remédie. On le fait en nettoyant avec grand soin leur caisse, dans laquelle ils passent ordinairement la nuit. Souvent on est obligé de leur retirer cette caisse même qui recele une partie de cette vermine ; on leur laisse seulement ce toît leger dont nous avons parlé, sous lequel ils passent la nuit, & on attache la couveuse à côté, exposée à l'air & à la rosée.

A mesure que les faisandeaux avancent en âge, les dangers diminuent pour eux. Ils ont pourtant un moment assez critique à passer, lorsqu'ils ont un peu plus de deux mois : les plumes de leur queue tombent alors, & il en pousse de nouvelles. Les oeufs de fourmis hâtent ce moment, & le rendent moins dangereux. Il ne faudroit pas leur donner de ces oeufs de fourmis de bois, sans y ajoûter au moins deux repas d'oeufs durs, hachés. L'excès des premiers seroit aussi fâcheux que l'usage en est nécessaire.

Mais de tous les soins, celui sur lequel on doit le moins se relâcher, regarde l'eau qu'on donne à boire aux faisandeaux ; elle doit être incessamment renouvellée & rafraîchie : l'inattention à cet égard expose le jeune gibier à une maladie assez commune parmi les poulets, appellée la pépie, & à laquelle il n'y a guere de remede.

Nous avons dit qu'il falloit éloigner les unes des autres les bandes de faisans, assez pour qu'elles ne pûssent pas se mêler ; mais comme une poule suffit pour en fixer un grand nombre, on unit ensemble trois ou quatre couvées d'âge à-peu-près pareil, pour en former une bande. Les plus âgés n'exigeant pas des soins continuels, on les éloigne aux extrémités de la faifanderie, & les plus jeunes doivent toûjours être sous la main du faisandier. Par ce moyen la confusion, s'il en arrive, n'est jamais qu'entre des âges moins disproportionnés, & devient moins dangereuse.

Voilà les faisandeaux élevés. La même méthode convient aux perdrix : il faut observer seulement qu'en général les perdrix rouges sont plus délicates que les faisans même, & que les oeufs de fourmis de pré leur sont plus nécessaires.

Lorsqu'elles ont atteint six semaines, & que leur tête est entierement couverte de plumes, il est dangereux de les tenir enfermées dans la faisanderie. Ce gibier naturellement sauvage, devient sujet alors à une maladie contagieuse, qu'on ne prévient qu'en le laissant libre dans la campagne. Cette maladie s'annonce par une enflure considérable à la tête & aux piés ; & elle est accompagnée d'une soif qui hâte la mort, quand on la satisfait.

A l'égard des perdrix grises, elles demandent beaucoup moins de soin & d'attention dans le choix de la nourriture : on les éleve très-sûrement par la méthode que nous avons donnée pour les faisans ; mais on peut en élever aussi sans oeufs de fourmis, avec de la mie de pain, des oeufs durs, du chénevi écrasé, & la nourriture que l'on donne ordinairement aux poulets. Il est rare qu'elles soient sujettes à des maladies, ou ce ne seroit que pour avoir trop mangé, & cela est aisé à prévenir.

L'objet de l'éducation domestique du gibier étant d'en peupler la campagne, il faut, lorsqu'il est élevé, le répandre dans les lieux où l'on veut le fixer. Nous dirons dans un autre article, comment ces lieux doivent être disposés pour chaque espece, & ce que l'art peut à cet égard ajoûter à la nature. Voyez GIBIER.

On peut donner la liberté aux faisans lorsqu'ils ont deux mois & demi ; & on doit la donner aux perdrix, sur-tout aux rouges, lorsqu'elles ont atteint six semaines. Pour les fixer on transporte avec eux leur caisse, & la poule qui les a élevés. La nécessité ne leur ayant pas appris les moyens de se procurer de la nourriture, il faut encore leur en porter pendant quelque tems : chaque jour on leur en donne un peu moins, chaque jour aussi ils s'accoûtument à en chercher eux-mêmes.

Insensiblement ils perdent de leur familiarité, mais sans jamais perdre la mémoire du lieu où ils ont été déposés & nourris. On les abandonne enfin, lorsqu'on voit qu'ils n'ont plus besoin de secours.

Nous ne devons pas finir cet article sans avertir qu'on tenteroit inutilement d'avoir des oeufs de perdrix, sur-tout des rouges, en nourrissant des paires dans des parquets ; elles ne pondent point, ou du moins pondent très-peu lorsqu'elles sont enfermées on ne peut en élever qu'en faisant ramasser des oeufs dans la campagne. On donne à une poule vingt-quatre de ces oeufs, & elle les couve deux jours de moins que ceux de faisan. Pour ceux-ci on doit renouveller les poules des parquets, lorsqu'elles ont quatre ans ; à cet âge elles commencent à pondre beaucoup moins, & les oeufs en sont souvent clairs. La durée ordinaire de la vie d'un faisan est de six à sept ans ; celle d'une perdrix paroît être moins longue à-peu-près d'une année. Cet article est de M. LE ROY, lieutenant des chasses du parc de Versailles.


FAISCEAUXS. m. pl. (Hist. rom.) Les faisceaux étoient composés de branches d'ormes, au milieu desquelles il y avoit une hache dont le fer sortoit par en-haut ; le tout attaché & lié ensemble. Plutarque, dans ses problèmes, donne des raisons de cet arrangement, que je ne crois pas nécessaire de transcrire.

Florus, Silius Italicus & la plûpart des historiens, nous apprennent que c'est le vieux Tarquin qui apporta le premier de Toscane à Rome l'usage des faisceaux, avec celui des anneaux, des chaises d'ivoire, des habits de pourpre, & semblables symboles de la grandeur de l'Empire. Quelques autres écrivains prétendent néanmoins que Romulus fut l'auteur de cette institution : qu'il l'emprunta des Etruriens ; & que le nombre de douze faisceaux qu'il faisoit porter devant lui, répondoit au nombre des oiseaux qui lui prognostiquerent son regne ; ou des douze peuples d'Etrurie qui, en le créant roi, lui donnerent chacun un officier pour lui servir de porte- faisceaux.

Quoi qu'il en soit, cet usage subsista non-seulement sous les rois, mais aussi sous les consuls & sous les premiers empereurs. Horace appelle les faisceaux superbos, parce qu'ils étoient les marques de la souveraine dignité. Les consuls se les arrogerent après l'expulsion des rois ; de-là vient que sumere fasces, prendre les faisceaux, & ponere fasces, quitter les faisceaux, sont les propres termes dont on se servoit quand on étoit reçu dans la charge de consul, ou quand on en sortoit. Il y avoit vingt-quatre faisceaux portés par autant d'huissiers devant les dictateurs, & douze devant les consuls : les préteurs des provinces & les proconsuls en avoient six, & les préteurs de ville, deux ; mais les décemvirs, peu de tems après être entrés en exercice, prirent chacun douze faisceaux & douze licteurs, avec un faste & un orgueil insupportable. Voyez DECEMVIR.

Ceux qui portoient ces faisceaux, étoient les exécuteurs de la justice ; parce que, suivant les anciennes lois de Rome, les coupables étoient battus de verges avant que d'avoir la tête tranchée, lorsqu'ils méritoient la mort : de-là vient encore cette formule : I, lictor, expedi virgas. Quand les magistrats, qui de droit étoient précédés par des licteurs portant les faisceaux, vouloient marquer de la déférence pour le peuple, ils renvoyoient leurs licteurs, ou faisoient baisser devant lui leurs faisceaux ; ce qu'on appelloit fasces submittere. C'est ainsi qu'en usa Publius Valérius après être resté seul dans le consulat ; il ordonna, pendant qu'il jouissoit de toute l'autorité, qu'on séparât les haches des faisceaux que les licteurs portoient devant les consuls, pour faire entendre que ces magistrats n'avoient point le droit de glaive, symbole de la souveraine puissance ; & dans une assemblée publique la multitude apperçut avec plaisir qu'il avoit fait baisser les faisceaux de ses licteurs, comme un hommage tacite qu'il rendoit à la souveraineté du peuple romain : Fasces, dit Tite-Live, majestati populi romani submisit. Ce fut cette sage conduite, que ses successeurs ne suivirent pas toûjours, qui fit donner à ce grand homme le nom de Publicola ; mais ce fut moins pour mériter ce titre glorieux que pour attacher plus étroitement le peuple à la défense de la liberté, qu'il relâcha de son autorité. Nous lisons dans Pline, l. VII. que lorsque Pompée entra dans la maison de Possidonius, fasces litterarum januae submisit, pour faire honneur au philosophe, aux talens & aux sciences.

Ces généralités qu'on trouve par-tout, peuvent ici suffire ; voyez -en les preuves ou de plus grands détails dans Tite-Live, Denys d'Halicarnasse, lib. III. cap. lxxxjv. Florus, liv. I. c. 5. Silius Italicus, liv. VIII. v. 486. Plutarque, Censorin, de die nat. Rosin. antiq. rom. lib. VII. cap. iij. & xjx. Rhodiginus, lib. XII. cap. vij. Godwin, anthol. rom. lib. III. c. ij. sect. 2. César Paschal, de coronis, Middleton, of roman, senate, &c. Article de M(D.J.)

FAISCEAUX D'ARMES ; c'est, dans l'Art militaire, un nombre de fusils dressés la crosse en-bas & le bout en-haut, rangés en rond autour d'un piquet principal, sur lequel sont des traverses pour arrêter le bout du fusil. On les garantit de la pluie en les couvrant d'un manteau d'armes. Voyez MANTEAU D'ARMES.

Lorsque l'infanterie est campée, chaque compagnie a son faisceau d'armes. Ces faisceaux doivent être dans le même alignement, & à dix pas de trois piés, c'est-à-dire à cinq toises en-avant du front de bandiere. Voyez FRONT DE BANDIERE. (P)

FAISCEAU OPTIQUE, (Optique) assemblage d'une infinité de rayons de lumiere qui partent de chaque point d'un objet éclairé, & s'étendent en tout sens. Alors ceux d'entre ces rayons qui tombent sur la portion de la cornée qui répond à la prunelle, feront un cone dont la pointe est dans l'objet, & la base sur la cornée ; ainsi autant de points dans l'objet éclairé, autant de cones de rayons réfléchis : or c'est l'assemblage des différens faisceaux optiques de rayons de lumiere, qui peint l'image des objets renversés dans le fond de l'oeil. Voyez RAYON, VISION, &c. article de M(D.J.)

FAISCEAU, (Pharmacie) est un terme dont on se sert pour exprimer une certaine quantité d'herbes.

Par faisceau on entend autant d'herbes qu'un homme peut en porter sur son dos, depuis les épaules jusqu'au sommet des hanches ; d'autres le prennent pour ce qu'il en peut serrer sous un seul bras. Au lieu de faisceau les Medecins écrivent par abréviation fasc.

On ne détermine que très rarement la quantité des plantes par cette mesure, qui est fort peu exacte, comme on voit. (b)

FAISCEAUX, (Jardinage) sont composés de plusieurs canaux en forme de réseaux, servant à porter le suc nourricier dans toutes les parties de l'arbre. (K)


FAISEURou celui qui fait (voyez FAIT), s. m. Gramm. Dans notre langue on ajoûte après ce substantif la sorte d'ouvrage, lorsqu'on ne peut désigner par un seul mot l'ouvrage & l'ouvrier, ou lorsqu'on affecte de les séparer par mépris : dans le premier cas on dit un faiseur d'instrumens de musique, un faiseur d'instrumens de mathématiques, un faiseur de métier à bas, un faiseur de bas au métier, &c. & dans le second, un faiseur de vers, un faiseur de phrases, &c. C'est ainsi que l'incapacité ou l'envie réussit à donner un air méchanique à la Poësie & à l'Art oratoire, & à avilir aux yeux des imbécilles, l'homme de génie qui s'en occupe.


FAISSERv. act. en terme de Vannerie ; c'est faire un petit cordon d'un ou plusieurs brins d'osier dans un ouvrage à jour.


FAISSERIES. f. en terme de Vannier ; c'est le nom de la Vannerie proprement dite : elle s'étend à tous les ouvrages à jour qui se font de toutes sortes d'osier.


FAISSESS. m. pl. en terme de Vannier ; c'est un cordon de plusieurs brins d'osier que l'on fait de distance en distance dans les ouvrages pleins ou à jour, pour leur donner plus de force.


FAITS. m. Voilà un de ces termes qu'il est difficile de définir : dire qu'il s'employe dans toutes les circonstances connues où une chose en général a passé de l'état de possibilité à l'état d'existence, ce n'est pas se rendre plus clair.

On peut distribuer les faits en trois classes ; les actes de la divinité, les phénomenes de la nature, & les actions des hommes. Les premiers appartiennent à la Théologie, les seconds à la Philosophie, & les autres à l'Histoire proprement dite. Tous sont également sujets à la critique. Voyez sur les actes de la divinité, les articles CERTITUDE & MIRACLE ; sur les phénomenes de la nature, les articles PHENOMENE, OBSERVATION, EXPERIMENTAL & PHYSIQUE ; & sur les actions des hommes, les articles HISTOIRE, CRITIQUE, ERUDITION : &c.

On considéreroit encore les faits sous deux points de vûe très-généraux : ou les faits sont naturels, ou ils sont surnaturels, ou nous en avons été les témoins oculaires, ou ils nous ont été transmis par la tradition, par l'histoire & tous ses monumens.

Lorsqu'un fait s'est passé sous nos yeux, & que nous avons pris toutes les précautions possibles pour ne pas nous tromper nous-mêmes, & pour n'être point trompés par les autres, nous avons toute la certitude que la nature du fait peut comporter. Mais cette persuasion a sa latitude ; ses degrés & sa force correspondent à toute la variété des circonstances du fait, & des qualités personnelles du témoin oculaire. La certitude alors fort grande en elle-même, l'est cependant d'autant plus que l'homme est plus crédule, & le fait plus simple & plus ordinaire ; ou d'autant moins que l'homme est plus circonspect, & le fait plus extraordinaire & plus compliqué. En un mot qu'est-ce qui dispose les hommes à croire, sinon leur organisation & leurs lumieres ? D'où tireront-ils la certitude d'avoir pris toutes les précautions nécessaires contr'eux-mêmes & contre les autres, si ce n'est de la nature du fait ?

Les précautions à prendre contre les autres, sont infinies en nombre, comme les faits dont nous avons à juger : celles qui nous concernent personnellement, se réduisent à se méfier de ses lumieres naturelles & acquises, de ses passions, de ses préjugés & de ses sens.

Si le fait nous est transmis par l'histoire ou par la tradition, nous n'avons qu'une regle pour en juger, l'application peut en être difficile, mais la regle est sûre ; l'expérience des siecles passés, & la nôtre. S'en tenir à son coup-d'oeil, ce seroit s'exposer souvent à l'erreur ; car combien de faits qui sont vrais, quoique nous soyons naturellement disposés à les regarder comme faux ? & combien d'autres qui sont faux, quoiqu'à ne consulter que le cours ordinaire des évenemens, nous ayons le penchant le plus fort à les prendre pour vrais ?

Pour éviter l'erreur, nous nous représenterons l'histoire de tous les tems & la tradition chez tous les peuples, sous l'emblème de vieillards qui ont été exceptés de la loi générale qui a borné notre vie à un petit nombre d'années, & que nous allons interroger sur des transactions dont nous ne pouvons connoître la vérité que par eux. Quelque respect que nous ayons pour leurs récits, nous nous garderons bien d'oublier que ces vieillards sont des hommes ; & que nous ne saurons jamais de leurs lumieres & de leur véracité, que ce que d'autres hommes nous en diront ou nous en ont dit, & que nous en éprouverons nous-mêmes. Nous rassemblerons scrupuleusement tout ce qui déposera pour ou contre leur témoignage ; nous examinerons les faits avec impartialité, & dans toute la variété de leurs circonstances ; & nous chercherons dans le plus grand espace que nous puissions embrasser sur la terre que les hommes ont habitée, & dans toute la durée qui nous est connue, combien il est arrivé de fois que nos vieillards interrogés en des cas semblables, ont dit la vérité ; & combien de fois il est arrivé qu'ils ont menti. Ce rapport sera l'expression de notre certitude ou de notre incertitude.

Ce principe est incontestable, Nous arrivons dans ce monde, nous y trouvons des témoins oculaires, des écrits & des monumens ; mais qu'est-ce qui nous apprend la valeur de ces témoignages, sinon notre propre expérience ?

D'où il s'ensuit que puisqu'il n'y a pas deux hommes sur la terre qui se ressemblent, soit par l'organisation, soit par les lumieres, soit par l'expérience, il n'y a pas deux hommes sur lesquels ces symboles fassent exactement la même impression ; qu'il y a même des individus entre lesquels la différence est infinie : les uns nient ce que d'autres croyent presque aussi fermement que leur propre existence ; entre ces derniers il y en a qui admettent sous certaines dénominations, ce qu'ils rejettent opiniâtrément sous d'autres noms ; & dans tous ces jugemens contradictoires ce n'est point la diversité des preuves qui fait toute la différence des opinions, les preuves & les objections étant les mêmes, à de très-petites circonstances près.

Une autre conséquence qui n'est pas moins importante que la précédente, c'est qu'il y a des ordres de faits dont la vraisemblance va toûjours en diminuant, & d'autres ordres de faits dont la vraisemblance va toûjours en augmentant. Il y avoit, quand nous commençames à interroger les vieillards, cent mille à présumer contre un qu'ils nous en imposoient en certaines circonstances, & nous disoient la vérité en d'autres. Par les expériences que nous avons faites, nous avons trouvé que le rapport varioit d'une maniere de plus en plus défavorable à leur témoignage dans le premier cas, & de plus en plus favorable à leur témoignage dans le second ; & en examinant la nature des choses, nous ne voyons rien dans l'avenir qui doive renverser les expériences, ensorte que celles de nos neveux attestent le contraire des nôtres : ainsi il y aura des points sur lesquels nos vieillards radoteront plus que jamais, & d'autres sur lesquels ils conserveront tout leur jugement, & ces points seront toûjours les mêmes.

Nous connoissons donc sur quelques faits, tout ce que notre raison & notre condition peuvent nous permettre de savoir ; & nous devons dès aujourd'hui rejetter ces faits comme des mensonges, ou les admettre comme des vérités, même au péril de notre vie, lorsqu'ils seront d'un ordre assez relevé pour mériter ce sacrifice.

Mais qui nous apprendra à discerner ces sublimes vérités pour lesquelles il est heureux de mourir ? la foi. Voyez l'article FOI.

FAIT (Jurisprud.) Ce terme a dans cette matiere plusieurs significations différentes, que l'on va expliquer dans les articles suivans.

De fait est opposé à de droit ; par exemple, être en possession de fait, c'est avoir la simple détention de quelque chose ; au lieu qu'être en possession de droit, c'est avoir l'esprit de propriété ; être en possession de fait & de droit, c'est joindre à l'esprit de propriété la possession réelle & corporelle.

Il y a des excommunications qui sont encourues par le seul fait, ipso facto. Voyez ci-devant EXCOMMUNICATION. (A)

Faits d'un acte : on entend par-là les objets d'une convention. On évalue à une certaine somme les faits d'un acte, c'est-à-dire les objets qui n'ont pas par eux-mêmes de valeur déterminée, comme une servitude, ou autre droit réel ou personnel. Cette évaluation a pour but de servir à fixer les droits d'insinuation & centieme denier. (A)

FAITS ET ARTICLES, appellés dans les anciens registres du parlement, articuli, sont des faits posés par écrit, & dont une partie se soûmet de faire preuve, ou sur lesquels elle entend faire interroger sa partie adverse, pour se procurer par ce moyen quelques éclaircissemens sur les faits dont il s'agit. Voyez ENQUETE, INTERROGATOIRE SUR FAITS ET ARTICLES, & PREUVE TESTIMONIALE. (A)

FAIT ARTICULE, est celui qu'une des parties contestantes, ou son défenseur, pose spécialement, soit en plaidant, soit dans des écritures. C'est un fait sur lequel on insiste comme étant décisif, & que l'on articule, c'est-à-dire dont on forme un article que l'on met en-avant, & dont on se soûmet à faire la preuve, soit que cette preuve soit expressément offerte, ou que l'on s'y soûmette tacitement en articulant le fait. Voyez ARTICULER. (A)

FAIT AVERE, est celui dont la vérité est prouvée & reconnue, soit par titres, ou par témoins, ou par la déclaration, ou le silence de la partie intéressée : lorsque l'on interpelle quelqu'un de répondre ou s'expliquer sur des faits, & qu'il refuse de le faire, on demande que les faits soient tenus pour confessés & avérés. Voyez le titre de l'ordonnance de 1667, article 4. (A)

FAIT D'AUTRUI, est tout ce qui est fait, dit, ou écrit par quelqu'un, relativement à une autre personne : c'est ce que l'on appelle communément en Droit, res inter alios acta. Il est de maxime que le fait d'autrui ne préjudicie point à un autre. L. 5. §. ff. lib. XXXIX. tit. j. Cette regle reçoit néanmoins quelques exceptions ; savoir lorsque celui qui a agi pour autrui, avoit le pouvoir de le faire, comme un tuteur pour son mineur ; un associé qui agit tant pour lui que pour son associé. (A)

FAIT D'UNE CAUSE, MEMOIRE, PIECE D'ECRITURE, ou D'UN PROCES, c'est l'exposition de l'espece & des circonstances qui donnent lieu à la contestation dans les plaidoyers, mémoires & écritures. Le fait ou récit du fait, suit immédiatement l'exorde, & précede les moyens. (A)

FAIT ET CAUSE, se prend pour le droit & intérêt de quelqu'un. Prendre fait & cause pour quelqu'un, ou prendre son fait & cause, c'est intervenir en justice pour le garantir de l'évenement d'une contestation, & même le tirer hors de cause. En garantie formelle, les garants peuvent prendre le fait & cause du garanti, lequel, en ce cas, est mis hors de cause, s'il le requiert avant contestation : mais en garantie simple, les garants ne peuvent prendre le fait & cause, mais seulement intervenir si bon leur semble. Voyez le titre viij. de l'ordonnance de 1667, article 9. & 12. & GARANTIE FORMELLE, & GARANTIE SIMPLE. (A)

FAIT DE CHARGE, est une malversation ou une omission frauduleuse, commise par un officier public dans l'exercice de ses fonctions, ou une dette par lui contractée pour dépôt nécessaire fait en ses mains à cause de son office ; ou enfin quelqu'autre fait, où il a excédé son pouvoir, & pour lequel il est desavoüé valablement.

La réparation du dommage résultant d'un fait de charge, est tellement privilégiée sur l'office, qu'elle est préférée à toute autre créance hypothécaire, antérieure & privilégiée, même à ceux qui ont prêté leur argent pour l'acquisition de l'office ; ce qui a été ainsi introduit à cause de la foi publique, qui veut que la charge réponde spécialement des fautes de celui qui en est revêtu envers ceux qui ont contracté nécessairement avec lui à cause de ladite charge.

Voyez Loyseau, des offices, liv. I. ch. jv. n. 65. 66. & liv. III. ch. viij. n. 49. Bougier, lettre H. p. 189. Basnage, tr. des hypotheq. p. 359. in fine ; journal des audiences, tom. IV. p. 720. & suiv. jusque & compris 743 ; & journal du palais, tome I. p. 129. (A)

FAITS CONFESSES ET AVERES, sont ceux qui sont reconnus par la partie qui se voit intéressée à les nier. Ils sont tenus pour confessés & avérés, lorsque la partie refuse de s'expliquer, & qu'il intervient en conséquence un jugement qui les déclare tels. Voyez ci-devant FAITS AVERES. (A)

FAIT CONTROUVE, est celui qui est supposé & à dessein par celui qui en veut tirer avantage. (A)

FAIT ETRANGE, dans les coûtumes de Lodunois & de Touraine, est lorsque le parageau vend ou aliene autrement que par donation, en faveur de mariage ou avancement de droit successif fait à son héritier, la chose à lui garantie, auquel cas seulement est dû rachat. C'est ainsi que l'explique l'article 136. de la coûtume de Touraine. Voyez aussi Lodunois, ch. xjv. art. 14. (A)

FAIT FORT, c'étoit le prix de la ferme des monnoies, que le maître devoit donner au roi, soit qu'il eût ouvré ou non. Voyez les annotations de Gelée correcteur des comptes, & le glossaire de Lauriere, (A)

FAITS qui gissent en preuve vocale ou littérale, sont ceux qui sont de nature à être prouvés par témoins, ou par écrit ; à la différence de certains faits, dont la preuve est impossible, ou n'est pas recevable. Voyez le tit. xx. de l'ordonnance de 1667, intitulé des faits qui gissent en preuve vocale ou littérale. (A)

FAIT GRAND ET PETIT : on distinguoit autrefois dans quelques pays, en matiere d'excès commis respectivement, le fait qui étoit le plus grand, & l'on tenoit pour maxime que le fait le plus grand emportoit toûjours le petit ; ce qui est aboli par le style des cours & justices séculieres du pays, de Liége, au chapitre xv. art. 7. (A)

FAITS IMPERTINENS, sont ceux quae non pertinent ad rem, c'est-à-dire qui sont étrangers à l'affaire, qui sont indifférens pour la décision ; on ajoûte ordinairement qu'ils sont inadmissibles, pour dire que la preuve ne peut en être ordonnée ni reçue. Ils sont opposés aux faits pertinens, qui reviennent bien à l'objet de la contestation. (A)

FAIT INADMISSIBLE, est celui dont la preuve ne peut être ordonnée ni reçûe, soit parce que le fait n'est pas pertinent, ou parce qu'il est de telle nature que la preuve n'en est pas recevable. (A)

FAITS JUSTIFICATIFS, sont ceux qui peuvent servir à prouver l'innocence d'un accusé : par exemple, lorsqu'un homme accusé d'en avoir tué un autre dans un bois, offre de prouver que ce jour-là il étoit malade au lit, & qu'il n'est point sorti de sa chambre ; ce que l'on appelle un alibi.

L'ordonnance de 1670 contient un titre exprès sur cette matiere : c'est le vingt-huitieme.

Il est défendu à tous juges, même aux cours souveraines, d'ordonner la preuve d'aucuns faits justificatifs, ni d'entendre aucuns témoins pour y parvenir, qu'après la visite du procès ; en quoi l'ordonnance a réformé la jurisprudence de quelques tribunaux, tels que le parlement de Bretagne, où l'on commençoit toûjours par la preuve des faits justificatifs de l'accusé : ce qui étoit contre l'ordre naturel, puisqu'il faut que le délit soit constaté avant d'admettre l'accusé à sa justification.

C'est par une suite de ce principe, que l'accusé n'est pas recevable avant la visite du procès, à se rendre accusateur contre un témoin, dans le dessein de se préparer un fait justificatif. Voyez Boniface, tome V. liv. III. tit. j. ch. xxiij.

L'accusé n'est reçû à faire preuve d'autres faits justificatifs, que de ceux qui ont été choisis par les juges, du nombre de ceux que l'accusé a articulés dans les interrogatoires & confrontations.

Les faits justificatifs doivent être insérés dans le même jugement qui en ordonne la preuve. Ce jugement doit être prononcé incessamment à l'accusé par le juge, & au plûtard dans les vingt-quatre heures ; & l'accusé doit être interpellé de nommer les témoins, par lesquels il entend justifier ces faits ; & faute de les nommer sur le champ, il n'y est plus reçû dans la suite.

Lorsque l'accusé a une fois nommé les témoins, il ne peut plus en nommer d'autres ; & il ne doit point être élargi pendant l'instruction de la preuve des faits justificatifs.

Les témoins qu'il administre sont assignés à la requête du ministere public de la jurisdiction où l'on instruit le procès, & sont oüis d'office par le juge.

L'accusé est tenu de consigner au greffe la somme ordonnée par le juge, pour fournir aux frais de la preuve des faits justificatifs, s'il peut le faire ; autrement les frais doivent être avancés par la partie civile s'il y en a, sinon par le roi, ou par le seigneur engagiste, ou par le seigneur haut-justicier, chacun à leur égard.

L'enquête achevée, on la communique au ministere public pour donner des conclusions, & à la partie civile s'il y en a ; & ladite enquête est jointe au procès.

Enfin les parties peuvent donner leurs requêtes, & y ajoûter telles pieces que bon leur semble sur le fait de l'enquête. Ces requêtes & pieces se signifient respectivement, & on en donne sans que pour raison de ce, il soit nécessaire de prendre aucun reglement, ni de faire une plus ample instruction. Voyez Papon, liv. XXIV. tit. v. n. 12. Bouvot, tome II. verbo monitoire, quest. 6. & 12. Basset, tom. I. l. II. tit. xiij. ch. iij. Boniface, tom. II. part. III. liv. I. tit. j. ch. jx. Pinault, tom. I. arrêt 150. (A)

FAIT NEGATIF, est celui qui consiste dans la dénégation d'un autre ; par exemple lorsqu'un homme soûtient qu'il n'a pas dit telle chose, qu'il n'a pas été à tel endroit.

On ne peut obliger personne à la preuve d'un fait purement négatif, cette preuve étant absolument impossible : per rerum naturam negantis nulla probatio est Cod. liv. IV. tit. xjx. l. 23.

Mais lorsque le fait négatif renferme un fait affirmatif, on peut faire la preuve de celui-ci, qui fournit une espece de preuve du premier ; par exemple si une personne que l'on prétend être venue à Paris un tel jour, soûtient qu'elle étoit ce jour-là à cent lieues de Paris, la preuve de l'alibi est admissible. Voyez la loi 14. cod. de contrah. & commit. stipul. (A)

FAITS NOUVEAUX, sont ceux qui n'avoient point encore été articulés, & dont on demande à faire preuve depuis un premier jugement qui a ordonné une enquête.

Autrefois il falloit obtenir des lettres en chancellerie pour être reçû à articuler faits nouveaux ; mais cette forme a été abrogée par l'article 26. du titre xj. de l'ordonnance de 1667, qui ordonne que les faits nouveaux seront posés par une simple requête. (A)

FAIT DU PRINCE, signifie un changement qui émane de l'autorité du souverain ; comme lorsqu'il révoque les aliénations ou engagemens du domaine, ou qu'il demande aux possesseurs quelque droit de confirmation ; lorsqu'il ordonne que l'on prendra quelque maison ou héritage, soit pour servir aux fortifications d'une ville, ou pour former quelque rue, place, chemin, ou édifice public ; lorsqu'il augmente ou diminue le prix des monnoies & des matieres d'or & d'argent ; lorsqu'il réduit le taux des rentes & intérêts ; lorsqu'il ordonne le remboursement des rentes constituées sur lui, & autres évenemens semblables.

Le fait du prince est considéré à l'égard des particuliers, comme un cas fortuit & une force majeure que personne ne peut prévoir ni empêcher : c'est pourquoi personne aussi n'en est garant de droit ; la garantie n'en est dûe que quand elle est expressément stipulée. Voyez FORCE MAJEURE & GARANTIE. (A)

FAIT PROPRE des officiers qui ont séance ou voix délibérative dans les cours, ou des avocats & procureurs généraux, est lorsqu'un de ces officiers s'est en quelque sorte rendu partie dans une cause, instance ou procès, en sollicitant en personne les juges de la compagnie à laquelle il est attaché, & qu'il a consulté & fourni aux frais de l'affaire. Il faut le concours de ces trois circonstances, pour que l'officier soit réputé avoir fait son fait propre ; & au cas que le fait soit prouvé, on peut évoquer du chef de cet officier, comme s'il étoit véritablement partie. Voyez l'ordonnance des évocations, art. 68. & suiv. & ce qui a été dit ci-devant au mot EVOCATION. (A)

FAIT, (question de) est celle dont la décision se tire des circonstances particulieres de l'affaire, & non d'un point de droit. Voyez QUESTION. (A)

FAITS DE REPROCHES, sont les causes pour lesquelles un témoin peut être recusé comme suspect. (A)

FAITS SECRETS, sont ceux que l'on ne signifie point à la partie qui doit subir interrogatoire sur faits & articles, mais que l'on donne en particulier & séparément au juge ou commissaire qui fait l'interrogatoire, pour être par lui proposés comme d'office, afin que la partie n'ait pas le tems d'étudier ses réponses ; comme cela paroît autorisé par l'article 7. du titre x. de l'ordonnance de 1667. (A)

FAIT VAGUE, est celui qui ne spécifie aucune circonstance précise ; par exemple si celui qui articule le fait se contente de dire qu'un tel lui a fait du tort, sans dire en quoi on lui a fait tort, & sans expliquer la qualité & la valeur du dommage. Voy. FAIT CIRCONSTANCIE. (A)

FAIT, (voie de) c'est lorsqu'un particulier fait de son autorité privée quelque entreprise sur autrui, soit pour se mettre en possession d'un héritage, soit pour abattre des arbres, exploiter des grains, ou lorsque prétendant se faire justice à lui-même, il commet quelque excès en la personne d'autrui. Les voies de fait sont toutes défendues. Voyez VOIES DE FAIT. (A)

FAIT, en terme de Commerce, signifie ce qui est consommé, dont on est convenu. On dit en ce sens, un prix fait, un compte fait, un marché fait, pour dire un prix fixé, un compte arrêté, un marché conclu.

On appelle aussi prix fait, un prix certain qu'on ne veut ni augmenter, ni diminuer. Dict. de Comm. de Trév. & Chamb. (G)

FAIT DES MARCHANDS, (Commerce) qu'on nomme autrement droit de boîte, est un droit qui se leve sur les bateaux qui navigent sur la riviere de Loire, pour l'entretien des chemins & chaussées, & pour la sûreté de la navigation. Voyez DROIT & COMPAGNIE. Dict. de Comm. & Chamb. (G)

FAIT, (Marine) Vent fait se dit lorsque le vent a soufflé assez également pendant quelque tems d'un même côté, & que l'on croit qu'il s'y maintiendra. (Z)


FAITAGES. m. (Charp.) est une piece de bois qui va d'une ferme à une autre ferme, & sert à porter le bout des chevrons par le haut. Voyez les Pl. du Charpentier.

FAITAGE, ou FETAGE, (Jurisprud.) festagium, est un droit qui se paye annuellement au seigneur par chaque propriétaire pour le faîte de sa maison, c'est-à-dire pour la faculté qui lui a été accordée d'avoir fait élever une maison dans le lieu. Il en est parlé dans les coûtumes de Berri : tit. vj. art. 3. Meneston sur Cher, art. 19. Dunois, art. 26. & 27. & au procès-verbal de la coûtume de Dourdan. Le roi au lieu de cens, leve en la ville de Vierson un droit de faîtage, qui est de cinq sous pour chaque faîte de maison. Il en est aussi parlé dans les preuves de la maison de Chatillon, liv. III. p. 41, dans un titre de l'an 1226 ; dans la confirmation des coûtumes de Lorris, pour la ville de Sancerre, accordée par Louis II. comte de Sancerre, en 1327. Les comtes de Blois levoient un pareil droit à Romorentin, suivant une charte de la comtesse Isabelle, de l'an 1240. Voyez la Thaumassierre, sur la coûtume de Berri, tit. vj. art. 3. (A)

FAITAGE ou DROIT DE FAITAGE, festagium, se prend aussi pour le droit qui appartient en certains lieux aux habitans, de prendre dans les bois du seigneur une piece de bois pour servir de comble ou faîte à leur maison. Voyez Brillon, au mot Festagium. Voyez ci-après FETAGE. (A)

FAITE, voyez FETAGE.


FAITIEREvoyez LUCARNE.

FAITIERE, (Tuile, Couvreur) c'est ainsi qu'on appelle des tuiles cintrées dont on fait le faîtage des combles : on les scelle en plâtre en forme de crête de coq. On s'en sert aussi sur les combles couverts en ardoises, lorsqu'on ne veut pas faire la dépense de faitage de plomb.

FAITIERE, en termes de Potier de terre, c'est la matiere applatie dans le moule dont on fait le carreau. Voyez POTIER DE TERRE.


FAIXvoyez l'article CHARGE.

FAIX DE PONT, (Marine) ce sont des planches épaisses & étroites, qui sont entaillées pour mettre sur les baux, dans la longueur du vaisseau depuis l'avant jusqu'à l'arriere de chaque côté, à-peu-près au tiers de la largeur du bâtiment ; les barrots y sont aussi entés pour affermir le pont qui repose dessus. Il y a aussi des faix de pont qui viennent jusqu'à la largeur des écoutilles, & qui servent à les borner : ceux qui sont posés derriere les mâts, avancent plus vers le milieu du vaisseau que ceux qui sont le long des écoutilles. Leurs entailles sous les baux doivent être de la moitié de leur épaisseur, & il doit y avoir aussi un pouce d'entaille dans le dessus de bau pour les y loger & les entretenir ensemble.

On donne souvent aux faix de pont, le quart de l'épaisseur de l'étrave, & de largeur un quart plus que l'épaisseur de l'étrave. (Z)


FAKIRou FAQUIR, s. m. (Hist. mod.) espece de dervis ou religieux mahométan, qui court le pays & vit d'aumônes.

Le mot fakir est arabe, & signifie un pauvre ou une personne qui est dans l'indigence ; il vient du verbe fakara, qui signifie être pauvre.

M. d'Herbelot prétend que fakir & derviche sont des termes synonymes. Les Persans & les Turcs appellent derviche un pauvre en général, tant celui qui l'est par nécessité, que celui qui l'est par choix & par profession. Les Arabes disent fakir dans le même sens. De-là vient que dans quelques pays mahométans les religieux sont nommés derviches, & qu'il y en a d'autres où on les nomme fakirs, comme l'on fait particulierement dans les états du Mogol. Voyez DERVIS.

Les fakirs vont quelquefois seuls & quelquefois en troupe. Quand ils vont en troupe, ils ont un chef ou supérieur que l'on distingue par son habit. Chaque fakir porte un cor, dont il sonne quand il arrive en quelque lieu & quand il en sort. Ils ont aussi une espece de racloir ou truelle pour racler la terre de l'endroit où ils s'asseyent & où ils se couchent. Quand ils sont en bande, ils partagent les aumônes qu'ils ont eues par égales parties, donnent tous les soirs le reste aux pauvres, & ne reservent rien pour le lendemain.

Il y a une autre espece de fakirs idolatres, qui menent le même genre de vie. M. d'Herbelot rapporte qu'il y a dans les Indes huit cent mille fakirs mahométans, & douze cent mille idolatres, sans compter un grand nombre d'autres fakirs, dont la pénitence & la mortification consistent dans des observances très-pénibles. Quelques-uns, par exemple, restent jour & nuit pendant plusieurs années dans des postures extrèmement génantes. D'autres ne s'asseyent ni ne se couchent jamais pour dormir, & demeurent suspendus à une corde placée pour cet effet. D'autres s'enferment neuf ou dix jours dans une fosse ou puits, sans manger ni boire : les uns levent les bras au ciel si longtems, qu'ils ne peuvent plus les baisser lorsqu'ils le veulent ; les autres se brûlent les pieds jusqu'aux os ; d'autres se roulent tout nuds sur les épines. Tavernier, &c. O miseras hominum mentes ! On se rappelle ici ce beau passage de saint Augustin : Tantus est perturbatae mentis & sedibus suis pulsae furor, ut sic dii placentur quemadmodum ne homines quidem saeviunt.

Une autre espece de fakirs dans les Indes sont des jeunes gens pauvres, qui, pour devenir moulas ou docteurs, & avoir dequoi subsister, se retirent dans les mosquées où ils vivent d'aumône, & passent le tems à l'étude de leur loi, à lire l'alcoran, à l'apprendre par coeur, & à acquérir quelques connoissances des choses naturelles.

Les fakirs mahométans conservent quelque reste de pudeur, mais les idolatres vont tout nuds comme les anciens gymnosophistes, & menent une vie très débordée. Le chef des premiers n'est distingué de ses disciples, que par une robe composée de plus de pieces de différentes couleurs, & par une chaîne de fer de la longueur de deux aunes qu'il traîne attachée à sa jambe. Dès qu'il est arrivé en quelque lieu, il fait étendre quelques tapis à terre, s'assied dessus, & donne audience à ceux qui veulent le consulter : le peuple l'écoute comme un prophete, & ses disciples ne manquent pas de le préconiser. Il y a aussi des fakirs qui marchent avec un étendart, des lances, & d'autres armes ; & sur tout les nobles qui prennent le parti de la retraite, abandonnent rarement ces anciennes marques de leur premier état. D'Herbelot, biblioth. orient. & Chambers. (G)


FALACAS. f. (Hist. mod.) bastonnade que l'on donne aux chrétiens captifs dans Alger. Le Falaca est proprement une piece de bois d'environ cinq piés de long, troüée ou entaillée en deux endroits, par où l'on fait passer les piés du patient, qui est couché à terre sur le dos, & lié de cordes par les bras. Deux hommes le frappent avec un bâton ou un nerf de boeuf sous la plante des piés, lui donnent quelquefois jusqu'à 50 ou 100 coups de ce nerf de boeuf, selon l'ordonnance du patron & du juge, & souvent pour une faute très-legere. La rigueur des châtimens s'exerce dans tous pays en raison du despotisme. Art. de M(D.J.)


FALACER(Mythol.) dieu des Romains, dont Varron ne nous a transmis que le nom. La seule chose que nous en sachions, c'est qu'entre les Flamens il y en avoit un qui étoit surnommé Flamen Falacer, de ce dieu passé de mode.


FALAISES. f. (Marine) c'est ainsi qu'on appelle les côtes de la mer qui sont élevées & escarpées. (Z)


FALAISERv. n. la mer falaise, terme peu usité, pour dire que la mer vient frapper & se briser contre une falaise ou une côte escarpée. (Z)


FALARIQUES. f. (Art. milit.) c'étoit une espece de dard composé d'artifice, qu'on tiroit avec l'arc contre les tours des assiégés pour y mettre le feu.

La falarique étoit beaucoup plus grosse que le malleolus, autre espece de dard enflammé, qui servoit à mettre le feu aux maisons ; lequel feu ne pouvoit s'éteindre avec de l'eau, mais seulement en l'étouffant avec de la poussiere.

Tite-Live en parlant du siége de Sagonte en Espagne, donne trois piés de longs à la falarique ; mais Silius Italicus, en racontant le même siége, fait mention d'une falarique beaucoup plus terrible ; c'étoit une poutre ferrée à plusieurs pointes, chargée de feux d'artifice, qui étoit jettée par la catapulte ou par la baliste. Daniel, hist. de la milice franç. (Q)


FALBALAS. m. bandes d'étoffe plissées & festonées, qui s'appliquent sur les robes & jupons des femmes. C'est la garniture des jupons qui est particulierement appellée falbala ; elle est connue aussi sous le nom de volans ; celle des robes s'appelle communément pretintaille. Les falbalas sont placés par étages autour du jupon ; cette mode est, dit-on, fort ancienne mais le mot est nouveau.

On conte que deux de ces hommes chargés de modes & de ridicules, & qui se ruinent pour être aimables, traversoient les salles du palais ; les petites marchandes leur offrirent de tout selon l'usage : il n'existe rien, dit l'un, que l'on ne trouve ici ; vous y trouverez même, répondit l'autre, ce qui n'existe pas : inventez un mot qui ne soit qu'un son sans idée, toutes ces femmes y en attacheront une ; falbala fut le mot qui s'offrit, & des garnitures de robes furent présentées avec assurance sous ce nom qui venoit d'être fait, & qu'elles porterent depuis. Voyez l'article ETYMOLOGIE.

Les savans amateurs de l'antiquité feroient remonter, s'ils pouvoient, l'origine des falbalas jusqu'au déluge ; c'est bien assez pour l'honneur de cette mode, qu'elle ait passé des Perses aux Romains : divers législateurs ennemis du luxe l'ont, dit-on, condamnée ; mais les graces & le goût ne reçoivent de lois que de l'amour & du plaisir.

Cette grande roue du monde qui ramene tous les évenemens, ramene aussi toutes les modes, & fait reparoître aujourd'hui les falbalas avec plus d'éclat que jamais ; les plus riches étoffes en sont ornées, les plus communes en reçoivent du relief, & toutes les femmes, les belles, les laides, les coquettes & les prudes, ont des falbalas jusque sur leurs jupons les plus intimes : les dévotes même en portent sous le nom de propreté recherchée : on renonce plus facilement au plaisir d'aimer qu'au desir de plaire.

FALBALA, en terme de Boutonnier, est une longueur de bouillon, attaché en demi-cercle à côté de la zone sur le roste, dans les espaces où le cerceau seul paroît.


FALCADES. f. (Manége) action provoquée par la subtilité avec laquelle, dans une allure promte & pressée, le cavalier retenant le devant & diligentant le derriere, oblige ce même derriere à des tems si courts, si subits, & si près de terre, que les hanches coulent en quelque façon ensemble, les piés qui terminent l'extrémité postérieure parvenant jusqu'à la ligne de direction du centre de gravité du cheval.

Rien n'est plus capable d'en ruiner les reins & les jarrets. Ces parties vivement & fortement employées dans les falcades, ne doivent point être sollicitées & assujetties à des mouvemens de cette nature, qu'elles n'ayent acquis le jeu, la souplesse, & la facilité qu'ils exigent. Quand on supposeroit même dans l'animal une grande legereté d'épaule & de tête, une obéissance exacte, beaucoup de sensibilité, toute l'aisance & toute la franchise qu'il est possible de desirer, il seroit toûjours très-dangereux de le soûmettre fréquemment à de pareilles épreuves ; on l'aviliroit incontestablement, ou on le détermineroit enfin à forcer la main & à fuir.

Les effets que produisent les falcades multipliées sur des chevaux nerveux, faits, & confirmés, nous indiquent tout ce que nous aurions à redouter de ces leçons hasardées sur des chevaux qui n'auroient ni vigueur, ni ressource, qui pécheroient par l'incapacité de leurs membres, que l'âge n'auroit point encore fortifiés, & auxquels le travail & l'exercice n'auroient point suggéré l'intelligence des différens mouvemens de la main, du trot uni, du galop soûtenu, de l'arrêt, du reculer, du partir, &c.

Elles ne peuvent être aussi que très-préjudiciables à ceux qui montrent de la fougue & de l'appréhension, comme à ceux qui tiennent du ramingue, qui retiennent leurs forces en courant, qui sont disposés à parer sans y être invités, qui parent court & sur les épaules, quoiqu'ils soient naturellement relevés & legers à la main à toute autre action ; car souvent l'imperfection des reins & des jarrets occasionne des fautes contraires ; c'est ainsi qu'un cheval dont ces parties sont foibles n'ose consentir à l'arrêt, tandis qu'un autre cheval dans lequel nous observons la même foiblesse, mais plus de vivacité & plus d'ardeur, pare en employant tout-à-coup toute la résolution dont il est doüé, comme s'il cherchoit à hâter la fin de la douleur que lui cause la violence du parer. Celui-ci ne se rassemble que trop. Bien loin de lui demander de falquer en parant, on doit exiger qu'il forme son arrêt lentement, en traînant, pour ainsi dire, en rallentissant insensiblement son action, & en évitant que le derriere se précipite.

Du reste l'arrêt du galop précédé de deux ou trois falcades appropriées à la nature de l'animal, & proportionnées à sa vigueur & à sa force, allegerit son devant, rend les mouvemens de l'arriere-main infiniment libres, accoûtume les hanches à accompagner les épaules, assûre la tête & la queue, & perfectionne enfin l'appui. Communément on prévient le moment de l'arrêt par l'accélération ou l'accroissement de la vîtesse de cette allure. La falcade après une course violente, est d'autant moins pénible qu'elle est presque naturelle ; le derriere embrassant beaucoup de terrein à chaque tems, il ne s'agit que de rabattre les hanches, en les contraignant par le port réitéré de la main à soi, l'instant où elles se détachent de terre ; si l'action de la main est en raison des effets qu'elle doit opérer, & que les aides des jambes du cavalier viennent au secours de la croupe, que les aides peu mesurées de la main pourroient trop ralentir, le cheval falquera inévitablement. Je dois ajoûter que l'instant précis de l'arrêt, est celui de la foulée du devant ; soudain les piés de derriere s'approchent, & le mouvement naturel qui suivra cette action étant la relevée de ce même devant, l'animal assujetti déjà par les falcades ne pourra que parer entierement sur les hanches.

On peut encore faire falquer un cheval, sans préméditer de l'arrêter. Si du petit galop je passe à un galop plus pressé, & que j'augmente ou que je fortifie de plus en plus cette allure, je rentrerai dans le premier mouvement, & j'appaiserai la vivacité de la derniere action par deux ou trois falcades, qui disposeront mon cheval à une allure plus soûtenue, plus cadencée, plus lente, & plus sonore. Aussi voyons-nous que dans les passades, & lorsque nous parvenons à leurs extrémités, nous demandons deux ou trois falcades à l'animal, pour le préparer à fournir tout de suite la volte, ses forces étant unies.

Je ne me rappelle pas, au surplus, quel est l'auteur qui recommande des pesades au bout de la ligne droite & avant d'entamer cette volte : je suis assûré d'avoir lû cette maxime dans Fréderic Grisone ou dans Caesar Fiaschi. Le fait n'est point assez important pour que je me livre à l'ennui de parcourir de nouveau leur ouvrage ; j'observerai seulement que cette action est superflue, puisqu'on peut sans y avoir recours asseoir le cheval, & le disposer par conséquent à l'accomplissement parfait de la volte. En second lieu, celui que l'on auroit habitué à des pesades avant d'effectuer l'action de tourner, pour peu qu'il fût renfermé s'éleveroit simplement du devant & seroit sujet à s'arrêter. Enfin cette habitude seroit d'autant plus dangereuse, que si l'on considere que les passades constituent toute la manoeuvre que des cavaliers pratiquent dans un combat singulier, on sera forcé d'avoüer que les pesades feroient perdre un tems considérable au cheval, & pourroient dans une circonstance où tous les instans sont précieux, coûter la vie à quiconque se conformeroit à ce principe. (e)


FALCIDIEsub. f. (Jurisprud.) Voyez QUARTE FALCIDIE.


FALCKENBERG(Géog.) petite ville maritime de Suede, dans le Halland sur la mer Baltique. Long. 29. 55. lat. 56. 54.


FALERNE(Geog. anc. & mod.) c'étoit une montagne de l'Italie, que les anciens appelloient aussi le mont Massique. Elle étoit proche de Sinuesse ; les vins en étoient excellens. Cette montagne s'appelle aujourd'hui Rocca di mondragone, monte Massico. L'endroit où elle s'éleve, est une partie de ce que nous comprenons dans la terre de Labour.


FALLOURDES. f. terme de Commerce, amas de bois fait des perches qui ont servi à construire les trains, & qu'on a coupées de la longueur d'une buche de bois de moule.


FALMOUTH(Géog.) c'est peut-être la Voliba de Ptolomée : bourg & port de mer sur la côte méridionale de Cornoüailles. Falmouth signifie l'embouchure de la Fale, parce que ce havre est l'embouchure de cette riviere. C'est un des meilleurs ports d'Angleterre, fortifié par le château de Mandai & le fort de Pindennis bâtis par Henri VIII. C'est de Falmouth que partent les paquebots pour Lisbonne. Long. 12. 36. lat. 50. 15. (D.J.)


FALQUERv. act. faire falquer un cheval ; ce cheval a très-bien marqué son arrêt après avoir falqué ; ce cheval n'a falqué que pour passer à une allure plus lente & plus soûtenue. Voyez FALCADE. (e)


FALSIFICATEURS. m. (Jurisp.) Voyez ci-après FAUSSAIRE.


FALSIFICATIONS. f. (Jurisprud.) est l'action par laquelle quelqu'un falsifie une piece qui étoit véritable en elle-même. Il y a de la différence entre fabriquer une piece fausse & falsifier une piece. Fabriquer une piece fausse, c'est fabriquer une piece qui n'existoit pas, & lui donner un caractere supposé ; au lieu que falsifier une piece, c'est retrancher ou ajoûter quelque chose à une piece véritable en elle-même, pour en induire autre chose que ce qu'elle contenoit : du reste l'une & l'autre action est également un faux. Voyez ci-après FAUX. (A)


FALSTER(Géog.) petite île de la mer Baltique. au royaume de Danemark, & abondante en grains ; Nicopingue en est la capitale. Long. 18. 50-59. 26. lat. 55. 50-56. 50. (D.J.)


FALTRANCK(Medecine) mot allemand que nous avons adopté, & qui signifie boisson contre les chûtes : c'est ce que nous appellons vulnéraires suisses.

Le faltranck est un mélange des principales herbes & fleurs vulnéraires que l'on a ramassées, choisies, & fait secher pour s'en servir en infusion : ces herbes sont les feuilles de pervenche, de sanicle, de véronique, de bugle, de pié-de-lion, de mille-pertuis, de langue de cerf, de capillaire, de pulmonaire, d'armoise, de bétoine, de verveine, de scrophulaire, d'aigre-moine, de petite centaurée, de piloselle, &c. On y ajoûte des fleurs de pié-de-chat, d'origanum, de vulnéraire rustique, de brunelle, &c. Chacun peut le faire à sa volonté : la classe des herbes vulnéraires est immense.

Ce faltranck nous vient de Suisse, d'Auvergne, des Alpes. Il est estimé bon dans les chûtes, dans l'asthme & la phthysie, pour les fievres intermittentes, pour les obstructions, pour les regles supprimées, pour les rhumes invétérés, pour la jaunisse : on y ajoûte de l'absinthe, de la racine de gentiane pour exciter l'appétit, de la petite sauge, de la primevere pour le rendre céphalique ; enfin on peut remplir avec ce remede mille indications, on peut couper l'infusion des herbes vulnéraires avec du lait, & le prendre à la façon du thé avec du sucre : cette infusion, lorsque les herbes ont été bien choisies, est fort agréable au goût, & bien des personnes la préferent au thé, sitôt qu'elles y sont habituées. (b)


FALUNIERESS. m. (Hist. nat. Minéralog.) c'est un amas considérable formé, ou de coquilles entieres, qui ont seulement perdu leur luisant & leur vernis, ou de coquilles brisées par fragmens & réduites en poussiere, ou de débris de substances marines, de madrépores, de champignons de mer, &c.... & l'on donne le nom de falun à la portion des coquilles qui est la plus divisée, & à celle qui n'est plus qu'une poussiere. Les falunieres de Touraine ont trois grandes lieues & demie de longueur sur une largeur moins considérable, mais dont les limites ne sont pas si précisément connues : cette étendue comprend depuis la petite ville de Sainte-Maure, jusqu'au Mantelan, & renferme les paroisses circonvoisines de Sainte-Catherine de Fierbois, de Louan, de Bossée.

Le falun n'est point une matiere épaisse ; c'est un massif, dont l'épaisseur n'est pas déterminée : on sait seulement qu'il a plus de vingt piés de profondeur.

Voilà donc un banc de coquilles d'environ neuf lieues quarrées de surface, sur une épaisseur au moins de vingt piés. D'où vient ce prodigieux amas dans un pays éloigné de la mer de plus de trente-six lieues ? comment s'est-il formé ?

Les paysans, dont les terres sont en ce pays naturellement stériles, exploitent les falunieres, ou creusent leurs propres terres, enlevent le falun, & le répandent sur leurs champs : cet engrais les rend fertiles, comme ailleurs la marne & le fumier.

Mais on n'exploite d'entre les falunieres, que celles qu'on peut travailler avec profit. On commence donc à chercher à quelle profondeur est le falun : il se montre quelquefois à la surface ; mais ordinairement, il est recouvert d'une couche de terre de quatre piés d'épaisseur. Si la couche de terre a plus de huit à neuf piés, il est rare qu'on fasse la fouille : les endroits bas, aquatiques, peu couverts d'herbes, promettent du falun proche de la terre.

Quand on a percé un trou, on en tire dans le jour tout ce qu'on en peut tirer. Le travail demande de la célérité, l'eau se présentant de tous côtés pour remplir le trou à mesure qu'on le rend profond ; on l'épuise, à mesure qu'on travaille.

Il est rare qu'on employe moins de quatre-vingt ouvriers à la fois ; on en assemble souvent plus de cent cinquante.

Les trous sont à-peu-près quarrés ; les côtés en ont jusqu'à trois ou quatre toises de longueur : la premiere couche de terre enlevée, & le falun qui peut être tiré, jetté sur les bords du trou, le travail se partage ; une partie des travailleurs creuse, l'autre épuise l'eau.

A mesure qu'on creuse, on laisse des retraites en gradins, pour placer les ouvriers : on répand des ouvriers sur ces gradins, depuis le bord du trou jusqu'au fond de la miniere, où les uns puisent l'eau à seau, & d'autres le falun. L'eau & le falun montent de main en main : l'eau est jettée d'un côté du trou, & le falun d'un autre.

On commence le travail de grand matin : on est forcé communément de l'abandonner sur les trois ou quatre heures après-midi.

On ne revient plus à un trou abandonné : on trouve moins pénible ou plus avantageux d'en percer un second, que d'épuiser le premier de l'eau qui le remplit. Cette eau filtrée à-travers les lits de coquille est claire, & n'a point de mauvais goût.

Jamais on n'a abandonné un trou faute de falun, quoiqu'on ait pénétré jusqu'à vingt piés.

Le lit de falun n'est mêlé d'aucune matiere étrangere : on n'y trouve ni sable, ni pierre, ni terre. Il seroit sans-doute très-intéressant de creuser en plus d'endroits, & le plus bas qu'il seroit possible, afin de connoître la profondeur de la faluniere.

On ouvre communément les falunieres vers le commencement d'Octobre : on craint moins l'affluence des eaux ; & c'est le tems des labours. On fouille quelquefois au printems, mais cela est rare.

Quand le falun a été tiré, & qu'il est égoutté, on l'étend dans les champs. Il y a des terres qui en demandent jusqu'à trente à trente-cinq charretées par arpent : il y en a d'autres pour lesquelles quinze à vingt suffisent. On ne donne aux terres aucune préparation particuliere : on laboure comme à l'ordinaire, & l'on étend le falun comme le fumier.

Il y a de la marne dans les environs des falunieres ; mais elle ne vaut rien pour les terres auxquelles le falun est bon.

Ces dernieres ne produisent naturellement que des brieres ; les herbes y naissent à peine : on les appelle dans le pays des bornais ; la moindre pluie les bat & les affaisse ; le falun répandu les soûtient. Voilà le principe de la fertilisation qu'elles en reçoivent.

Sur l'observation que le falun & la marne ne fertilisoient pas également les terres, M. de Reaumur a conclu que la nature de ces engrais étoit entierement différente. Mais il en devoit seulement conclure qu'il y avoit des terres qui s'affaissant plus ou moins facilement, demandoient un engrais qui écartât plus ou moins leurs molécules ; & c'est l'effet que doivent produire des débris de coquilles plus ou moins divisées & détruites, comme elles le sont dans le falun, dans la marne & dans la craie, qui n'ont, selon toute apparence, que cette seule différence relative à leur action sur les terres qu'elles fertilisent ou ne fertilisent point.

Une terre une fois falunée, l'est pour trente ans : son effet est moins sensible la premiere année, que dans les suivantes ; alors le falun est répandu plus uniformément. Les terres falunées deviennent très fertiles.

Le falun tiré après les premieres couches, est extrèmement blanc : les coquilles entieres qu'on y remarque, sont toutes placées horisontalement & sur le plat. D'où il est évident qu'on ne peut en expliquer l'amas par un mouvement violent & troublé, qui offriroit un spectacle d'irrégularités qu'on ne remarque point dans les falunieres.

Les bancs des falunieres ont des couches distinctes ; autre preuve que la faluniere est le résultat de plusieurs dépôts successifs, & qu'elle est l'ouvrage du séjour constant & durable d'une mer assise & tranquille, ou du moins se mouvant d'un mouvement très-lent.

On y trouve les coquilles les plus communes du Poitou, comme les palourdes, lavignans, huîtres, mais elles abondent aussi en especes inconnues sur les côtes ; telles que les meres-perles, la concha imbricata, des huîtres différentes des nôtres, la plûpart des coquilles contournées en spirales, soit rares, soit communes, des madrépores, des rétipores, des champignons de mer, &c.

Ces corps s'étant amassés successivement, & ayant séjournés un tems infini sous les eaux, ils ont eu celui de se diviser, & de former un massif uniforme, sans inégalité, sans vuide, sans rupture, &c. Voyez les mémoires & l'hist. de l'académie, année 1720.


FAMAGOUSTES. f. (Géog.) anciennement Arsinoë, ville de l'Asie, sur la côte orientale de l'ile de Chypre, défendue par deux forts, & prise par les Turcs sur les Vénitiens en 1571, après un siége de dix mois, dont tous les historiens ont parlé. Voyez de Thou, liv. XLIX. le Pelletier, hist. de la guerre de Chypre, liv. III. Tavernier, voyage de Perse ; Justinian, hist. Vénet. &c. Elle est à 12 lieues nord-est de Nicosie. Long. 52d. 40'. lat. 35d. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FAME(Jurisprud.) en style de Palais, est synonyme de réputation. On rétablit un homme en sa bonne fame & renommée, lorsqu'ayant été noté de quelque jugement qui emportoit ignominie, il parvient dans la suite à se purger des faits qui lui étoient imputés, & qu'on le remet dans tous ses honneurs. (A)


FAMILIARITÉ(Morale) c'est une liberté dans les discours & dans les manieres, qui suppose entre les hommes de la confiance & de l'égalité. Comme on n'a pas dans l'enfance de raison de se défier de son semblable, comme alors les distinctions de rang & d'état ou ne sont pas, ou sont imperceptibles, on n'apperçoit rien de contraint dans le commerce des enfans. Ils s'appuient sans crainte sur tout ce qui est homme : ils déposent leurs secrets dans les coeurs sensibles de leurs compagnons : ils laissent échapper leurs goûts, leurs espérances, leur caractere. Mais les compagnons deviennent concurrens, & enfin rivaux ; on ne court plus ensemble la même carriere ; on s'y rencontre, on s'y presse, on s'y heurte ; & bien-tôt on n'y marche plus qu'à couvert & avec précaution.

Mais ce sont sur-tout les distinctions de rangs & d'état, plus que la concurrence dans le chemin de la fortune, ou la rivalité dans les plaisirs, qui font disparoître dans l'âge mûr la familiarité du premier âge.

Elle reste toûjours dans le peuple : il la conserve même avec ses supérieurs, parce qu'alors par une sotte illusion de l'amour-propre, il croit s'égaler à eux. Le peuple ne cesse d'être familier que par défiance, & les grands que par la crainte de l'égalité. Ce qu'on appelle maintien, noblesse dans les manieres, dignité, représentation, sont des barrieres que les grands savent mettre entr'eux & l'humanité. Ils sont ennemis de la familiarité, & quelques-uns même la craignent avec leurs égaux. Les uns qui prétendent à une considération qu'on ne peut accorder qu'à leur rang, & qu'on refuseroit à leur personne, s'élevent par leur état au-dessus de tout ce qui les entoure, à proportion qu'ils prétendent plus, & qu'ils méritent moins. D'autres qui ont cette dureté de coeur, qu'on n'a que trop souvent quand on n'a point eu besoin des hommes, gênent les sentimens qu'ils inspirent, parce qu'ils ne pourroient les rendre. Ils aiment mieux qu'on leur marque du respect & des égards, parce qu'ils rendront des procédés & des attentions. Ils sont à plaindre de peu sentir, mais à admirer s'ils sont justes.

Il y a dans tous les états des hommes modestes & vertueux, qui se couvrent toûjours de quelques nuages ; ils semblent qu'ils veulent dérober leurs vertus à la profanation des loüanges ; dans l'amitié même, ils ne se montrent pas, mais ils se laissent voir.

La familiarité est le charme le plus séduisant & le lien le plus doux de l'amitié : elle nous fait connoître à nous-mêmes ; elle développe les hommes à nos yeux ; c'est par elle que nous apprenons à traiter avec eux : elle donne de l'étendue & du ressort au caractere : elle lui assûre sa forme distinctive : elle aide un naturel aimable à sortir des entraves de la coûtume, & à mépriser les détails minutieux de l'usage : elle répand, sur tout ce que nous sommes, l'énergie & les graces (voyez GRACE) : elle accélere la marche des talens, qui s'animent & s'éclairent par les conseils libres de l'amitié : elle perfectionne la raison, parce qu'elle en exerce les forces : elle nous fait rougir : elle nous guérit des petitesses de l'amour-propre : elle nous aide à nous relever de nos fautes : elle nous les rend utiles. Hé ! comment des ames vertueuses pourroient-elles regretter de frivoles démonstrations de respect, quand on les en dédommage par l'amour & par l'estime ? Voyez EGARDS.


FAMILIERSS. m. pl. (Hist. mod.) nom que l'on donne en Espagne & en Portugal aux officiers de l'inquisition, dont la fonction est de faire arrêter les accusés. Il y a des grands, & d'autres personnes considérables, qui, à la honte de l'humanité, se font gloire de ce titre odieux, & vont même jusqu'à en exercer les fonctions. Voyez INQUISITION. (G)


FAMILISTESS. m. pl. (Hist. eccles.) hérétiques qui eurent pour chef David-George Delft. Cette secte s'appella la famille d'amour ou de charité, & leur doctrine eut pour base deux principes qu'on ne peut trop recommander aux hommes en général ; c'est de s'aimer réciproquement, quelque différence qu'il puisse y avoir entre leurs sentimens sur la religion, & d'obéir à toutes les puissances temporelles, quelques tyranniques qu'elles soient. Delft se croyoit venu pour rétablir le royaume d'Israël : il faisoit assez peu de cas de Moyse, des Prophetes, & de Jesus-Christ : il prétendoit que le culte qu'ils avoient prêché sur la terre, étoit incapable de conduire les hommes à la béatitude ; que ce privilége étoit réservé à sa morale ; qu'il étoit le vrai messie ; & qu'il ne mourroit point, ou qu'il ressusciteroit : il eut des disciples qui ajoûterent à son système d'autres opinions de cette nature : ils soûtinrent que toutes les actions de l'impie sont nécessairement autant de péchés, & que les fautes sont remises à celui qui a recouvré l'amour de Dieu.


FAMILLE deourbes, s. f. (Géom.) Voyez l'article COURBE.

FAMILLE, (Droit nat.) en latin, familia. Société domestique qui constitue le premier des états accessoires & naturels de l'homme.

En effet, une famille est une société civile, établie par la nature : cette société est la plus naturelle & la plus ancienne de toutes : elle sert de fondement à la société nationale ; car un peuple ou une nation, n'est qu'un composé de plusieurs familles.

Les familles commencent par le mariage, & c'est la nature elle-même qui invite les hommes à cette union ; de-là naissent les enfans, qui en perpétuant les familles, entretiennent la société humaine, & réparent les pertes que la mort y cause chaque jour.

Lorsqu'on prend le mot de famille dans un sens étroit, elle n'est composée, 1°. que du pere de famille : 2°. de la mere de famille, qui suivant l'idée reçue presque par-tout, passe dans la famille du mari : 3°. des enfans qui étant, si l'on peut parler ainsi, formés de la substance de leurs pere & mere, appartiennent nécessairement à la famille. Mais lorsqu'on prend le mot de famille dans un sens plus étendu, on y comprend alors tous les parens ; car quoiqu'après la mort du pere de famille, chaque enfant établisse une famille particuliere, cependant tous ceux qui descendent d'une même tige : & qui sont par conséquent issus d'un même sang, sont regardés comme membres d'une même famille.

Comme tous les hommes naissent dans une famille, & tiennent leur état de la nature même, il s'ensuit que cet état, cette qualité ou condition des hommes, non-seulement ne peut leur être ôtée, mais qu'elle les rend participans des avantages, des biens, & des prérogatives attachées à la famille dans laquelle ils sont nés ; cependant l'état de famille se perd dans la société par la proscription, en vertu de laquelle un homme est condamné à mort, & déclaré déchû de tous les droits de citoyen.

Il est si vrai que la famille est une sorte de propriété, qu'un homme qui a des enfans du sexe qui ne la perpétue pas, n'est jamais content qu'il n'en ait de celui qui la perpétue : ainsi la loi qui fixe la famille dans une suite de personnes de même sexe, contribue beaucoup, indépendamment des premiers motifs, à la propagation de l'espece humaine ; ajoûtons que les noms qui donnent aux hommes l'idée d'une chose qui semble ne devoir pas périr, sont très-propres à inspirer à chaque famille le desir d'étendre sa durée ; c'est pourquoi nous approuverions davantage l'usage des peuples chez qui les noms même distinguent les familles, que de ceux chez lesquels ils ne distinguent que les personnes.

Au reste, l'état de famille produit diverses relations très-importantes ; celle de mari & de femme, de pere, de mere & d'enfans, de freres & de soeurs, & de tous les autres degrés de parenté, qui sont le premier lien des hommes entr'eux. Nous ne parlerons donc pas de ces diverses relations. Voyez -en les articles dans leur ordre, MARI, FEMME, &c. Article de M(D.J.)

* FAMILLE, (Hist. anc.) Le mot latin familia ne répondoit pas toûjours à notre mot famille. Familia étoit fait de famulia, & il embrassoit dans son acception tous les domestiques d'une maison, où il y en avoit au moins quinze. On entendoit encore par familia, un corps d'ouvriers conduits & commandés par le préfet des eaux. Il y avoit deux de ces corps ; l'un public, qu'Agrippa avoit institué ; & l'autre privé, qui fut formé sous Claude. La troupe des gladiateurs, qui faisoient leurs exercices sous un chef commun, s'appelloit aussi familia : ce chef portoit le nom de lanista.

Les familles romaines, familiae, étoient des divisions de ce qu'on appelloit gens : elles avoient un ayeul commun ; ainsi Caecilius fut le chef qui donna le nom à la gens Caecilia, & la gens Caecilia comprit les familles des Balearici, Calvi, Caprarii, Celeres, Cretici, Dalmatici, Dentrices, Macedonici, Metelli, Nepotes, Numidici, Pii, Scipiones Flacci, & Vittatores. Il y avoit des familles patriciennes & des plébéïennes, de même qu'il y avoit des gentes patriciae & plebeïae : il y en avoit même qui étoient en partie patriciennes & en partie plébéïennes, partim nobiles, partim novae, selon qu'elles avoient eu de tout tems le jus imaginum, ou qu'elles l'avoient nouvellement acquis. On pouvoit sortir d'une famille patricienne, & tomber dans une plébéïenne par dégénération ; & monter d'une famille plébéïenne dans une patricienne, sur-tout par adoption. De-là cette confusion qui regne dans les généalogies romaines ; confusion qui est encore augmentée par l'identité des noms dans les patriciennes & dans les plébéïennes : ainsi quand le patricien Q. Caepio adopta le plébéïen M. Brutus, ce M. Brutus & ses descendans devinrent patriciens, & le reste de la famille de Brutus resta plébéïen. Au contraire, lorsque le plébéïen Q. Métellus adopta le patricien P. Scipio, celui-ci & tous ses descendans devinrent plébéïens, & le reste de la famille des Scipions resta patricien. Les affranchis prirent les noms de leurs maîtres, & resterent plébéïens ; autre source d'obscurités. Ajoûtez à cela que les auteurs ont souvent employé indistinctement les mots gens & familia ; les uns désignant par gens ce que d'autres désignent par familia, & réciproquement : mais ce que nous venons d'observer suffit pour prévenir contre des erreurs dans lesquelles il seroit facile de tomber.

FAMILLE, (Jurispr.) Ce terme a dans cette matiere plusieurs significations différentes.

Famille se prend ordinairement pour l'assemblage de plusieurs personnes unies par les liens du sang ou de l'affinité.

On distinguoit chez les Romains deux sortes de familles ; savoir celle qui l'étoit jure proprio des personnes qui étoient soûmises à la puissance d'un même chef ou pere de famille, soit par la nature, comme les enfans naturels & légitimes ; soit de droit, comme les enfans adoptifs. L'autre sorte de famille comprenoit jure communi tous les agnats, & généralement toute la cognation ; car quoiqu'après la mort du pere de famille chacun des enfans qui étoient en sa puissance, devînt lui-même pere de famille, cependant on les considéroit toûjours comme étant de la même famille, attendu qu'ils procédoient de la même race. Voyez les lois 40. 195. & 196. au ff. de verb. signif.

On entend en Droit par pere de famille, toute personne, soit majeure ou mineure, qui joüit de ses droits, c'est-à-dire qui n'est point en la puissance d'autrui ; & par fils ou fille de famille, on entend pareillement un enfant majeur ou mineur, qui est en la puissance paternelle. Voyez ci-après FILS DE FAMILLE, PERE DE FAMILLE, & PUISSANCE PATERNELLE.

Les enfans suivent la famille du pere, & non celle de la mere ; c'est-à-dire qu'ils portent le nom du pere, & suivent sa condition.

Demeurer dans la famille, c'est rester sous la puissance paternelle.

Un homme est censé avoir son domicile où il a sa famille. ff. 32. tit. j. l. 33.

En matiere de substitution, le terme de famille comprend la lignité collatérale aussi-bien que la directe. Fusarius, de fidei-comm. quest. 351.

Celui qui est chargé par le testateur de rendre sa succession à un de la famille, sans autre désignation, la peut rendre à qui bon lui semble, pourvû que ce soit à quelqu'un de la famille, sans être astreint à suivre l'ordre de proximité. Voyez la Peyrere, lett. F. n. 1. (A)

FAMILLE, dans le Droit romain, se prend quelquefois pour la succession & pour les biens qui la composent, comme quand la loi des douze tables dit, proximus agnatus familiam habeto. L. 195. ff. de verb. signif.

C'est aussi en ce même sens que l'on disoit partage de la famille, familiae erciscundae, pour exprimer le partage des biens de la succession. Voyez digest. lib. X. tit. ij. & cod. lib. III. tit. xxxvj. (A)

FAMILLE DES ESCLAVES, étoit, chez les Romains, le corps général de tous les esclaves, ou quelque corps particulier de certains esclaves destinés à des fonctions qui leur étoient propres, comme la famille des publicaires ; c'est-à-dire de ceux qui étoient employés à la levée des tributs. Voyez la loi 19. dig. de verb. signif. §. 3. (A)

FAMILLE DE L'EVEQUE, dans les anciens titres, s'entend de tous ceux qui composent sa maison, soit officiers, domestiques, commensaux, & généralement tous ceux qui sont ordinairement auprès de lui, appellés familiares. (A)

FAMILLE DU PATRON, c'étoit l'assemblage des esclaves qui étoient sous sa puissance, & même de ceux qu'il avoit affranchis. Voyez la loi 195. digest. de verb. signif. (A)

FAMILLE DES PUBLICAIRES, voyez ce qui en est dit ci-devant à l'article FAMILLE DES ESCLAVES.

FAMILLE, MAISON, synon. on dit la maison de France & la famille royale, une maison souveraine & une famille estimable. C'est la vanité qui a imaginé le mot de maison, pour marquer encore davantage les distinctions de la fortune & du hasard. L'orgueil a donc établi dans notre langue, comme autrefois parmi les Romains, que les titres, les hautes dignités & les grands emplois continués aux parens du même nom, formeroient ce qu'on nomme les maisons de gens de qualité, tandis qu'on appelleroit familles celles des citoyens qui, distingués de la lie du peuple, se perpétuent dans un Etat, & passent de pere en fils par des emplois honnêtes, des charges utiles, des alliances bien assorties, une éducation convenable, des moeurs douces & cultivées ; ainsi, tout calcul fait, les familles valent bien les maisons : il n'y a guere que les Nairos de la côte de Malabar qui peuvent penser différemment. Article de M(D.J.)

FAMILLE, (Hist. nat.) ce terme est employé par les auteurs, pour exprimer un certain ordre d'animaux, de plantes ou d'autres productions naturelles, qui s'accordent dans leurs principaux caracteres, & renferment des individus nombreux, différens les uns des autres à certains égards ; mais qui réunis, ont (si l'on peut parler ainsi) un caractere distinct de famille, lequel ne se trouve pas dans ceux d'aucun autre genre.

Il n'a été que trop commun de confondre dans l'histoire naturelle, les termes de classe, famille, ordre, &c. maintenant le sens déterminé du mot famille, désigne cet ordre vaste de créatures sous lequel les classes & les genres ont des distinctions subordonnées. Parmi les quadrupedes, les divers genres de créatures munies d'ongles, conviennent ensemble dans plusieurs caracteres généraux communs à toutes ; mais elles different des autres animaux onglés, qui ont des caracteres particuliers qui les distinguent ; de cette maniere on ne met point le chat & le cheval dans une même famille.

Pareillement dans l'Icthyologie il y a plusieurs genres de poissons qui s'accordent parfaitement dans certains caracteres communs, & qui different de tous les autres genres par ces mêmes caracteres. La breme & le hareng, quoique différens pour le genre, peuvent être placés dans une même famille, parce que l'un & l'autre ont des caracteres généraux communs ; mais d'un autre côté personne ne s'avisera de mettre le hareng & la baleine dans une même famille.

L'arrangement des corps naturels en familles est d'un usage infini, quand cette distribution est bien faite, & que les divisions sont véritables & justes ; mais il est sans-doute nuisible quand on se conduit autrement, parce qu'il n'entraine que l'erreur & la confusion. Voyez METHODE.

Les divisions des regnes en familles, peuvent être ou artificielles ou naturelles.

Les familles sont artificielles chez tous les anciens naturalistes ; telles sont les distinctions & divisions qu'ils ont faites des plantes, en les fondant sur le lieu de la naissance de ces plantes, sur le tems qu'elles produisent des fleurs ; ou, en fait d'animaux, sur le terme de leur portée, leur maniere de mettre bas ; leur nourriture & leur grandeur. Telles sont encore les divisions générales prises du nombre variable de certaines parties des corps naturels.

L'absurdité de la premiere de ces méthodes saute aux yeux, puisqu'elle requiert une connoissance antécédente des objets avant que de les avoir vûs. Lorsqu'une plante inconnue, un animal, un minéral, est offert à un naturaliste ; comment peut-il savoir par lui-même le tems auquel cette plante vient à fleurir, ou la maniere dont l'animal fait ses petits ? par conséquent il est impossible qu'il puisse le rapporter à sa famille, ou le découvrir parmi les individus de cette famille.

Pour ce qui regarde la derniere méthode de prendre le nombre de certaines parties externes pour constituer le caractere d'une famille, il est aisé d'en prouver l'insuffisance ; car, par exemple, à l'égard des poissons, si l'on prend les nageoires pour regle, ces nageoires ne sont pas toûjours les mêmes, pour le nombre, dans les diverses especes qui appartiennent véritablement & proprement à un genre ; ainsi la perche, le gadus, & autres poissons d'un même genre, ont plus ou moins de nageoires. Voilà donc les erreurs des méthodes artificielles & systématiques.

Mais les familles naturelles, c'est-à-dire tirées de la nature même des êtres, ne sont point sujettes à de tels inconvéniens. Ici tous les genres se rapportent à la même famille, & s'accordent parfaitement dans leurs parties principales. Les divers individus dont ces familles sont composées, se peuvent réduire sous divers genres : ensuite ceux-ci peuvent être arrangés dans leur classe propre ; & plus le nombre des classes sera petit, plus la methode entiere sera nette & facile.

Ces familles naturelles ne doivent être uniquement fondées que sur des caracteres essentiels ; ainsi chez les quadrupedes, il faut les tirer seulement de la figure de leurs piés ou de leurs dents ; dans les oiseaux, la forme ou la proportion du bec pourra former leur caractere ; dans les poissons, la figure de la tête & la situation de la queue seront très-considérées, parce que ce sont des caracteres stables & essentiels.

Enfin, après bien des recherches, il semble que tout le monde animal, minéral, végétal & fossile, peut être ainsi réduit à des familles, à des classes, des genres & des especes ; & par ces secours l'étude de la nature deviendra facile & réguliere. Je ne dis pas que les méthodes de Hill, d'Artedi, de Linnaeus ; &c. soient telles sur cette matiere, qu'on ne puisse à l'avenir les rectifier & les perfectionner ; mais je crois que sans de semblables méthodes l'histoire naturelle ne sera que chaos & que confusion, une science vague, sans ordre & sans principe, telle qu'elle a été jusqu'à ce jour. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FAMISdrap d'or famis, (Commerce) c'est ainsi qu'on appelle à Smyrne certaines étoffes où il y a de la dorure. Ces étoffes sont fabriquées en Europe.


FAMNE(Hist. mod.) mesure suivant laquelle on compte en Suede : c'est la même chose qu'une brasse. Voyez BRASSE.


FANALS. m. TOUR A FEU, s. f. (Marine) c'est un feu allumé sur le haut d'une tour élevée sur la côte ou à l'entrée des ports & des rivieres, pour éclairer & guider pendant la nuit les vaisseaux dans leur route ; c'est ce qu'on nomme plus communément phare. Voyez PHARE. (Z)

FANAL, (Marine) c'est une grosse lanterne que l'on met sur le plus haut de la poupe d'un vaisseau. Voyez Marine, Pl. III. fig. 1. Les fanaux d'un vaisseau de guerre, cotés P. les vaisseaux commandans, comme vice-amiral, lieutenant général, chef d'escadre, portent trois fanaux à la poupe, les autres n'en peuvent porter qu'un.

Le vaisseau Commandant, outre les trois fanaux de poupe, en porte un quatrieme à la grande hune, soit pour faire des signaux, soit pour d'autres besoins.

On nomme aussi fanaux, toutes les lanternes dont on se sert dans les vaisseaux pour y mettre les lumieres dont on a besoin.

Fanal de combat, c'est une lanterne plate d'un côté, qui est formée de sorte qu'on peut l'appliquer contre les côtés d'un vaisseau en-dedans, pour éclairer lorsqu'il faut donner un combat dans la nuit.

Fanal de soute, c'est un gros falot qui sert à renfermer la lumiere pendant le combat, pour éclairer dans les soutes aux poudres.

On se sert aussi de fanaux placés différemment, pour faire les signaux dont on est convenu. (Z)


FANATISMES. m. (Philosophie) c'est un zele aveugle & passionné, qui naît des opinions superstitieuses, & fait commettre des actions ridicules, injustes, & cruelles ; non-seulement sans honte & sans remords, mais encore avec une sorte de joie & de consolation. Le fanatisme n'est donc que la superstition mise en action. Voyez SUPERSTITION.

Imaginez une immense rotonde, un panthéon à mille autels ; & placé au milieu du dôme, figurez-vous un dévot de chaque secte éteinte ou subsistante, aux piés de la divinité qu'il honore à sa façon, sous toutes les formes bisarres que l'imagination a pû créer. A droite, c'est un contemplatif étendu sur une natte, qui attend, le nombril en l'air, que la lumiere céleste vienne investir son ame ; à gauche, c'est un énergumene prosterné qui frappe du front contre la terre, pour en faire sortir l'abondance : là, c'est un saltinbanque qui danse sur la tombe de celui qu'il invoque ; ici c'est un pénitent immobile & muet, comme la statue devant laquelle il s'humilie : l'un étale ce que la pudeur cache, parce que Dieu ne rougit pas de sa ressemblance ; l'autre voile jusqu'à son visage, comme si l'ouvrier avoit horreur de son ouvrage : un autre tourne le dos au midi, parce que c'est-là le vent du démon ; un autre tend les bras vers l'orient, où Dieu montre sa face rayonnante : de jeunes filles en pleurs meurtrissent leur chair encore innocente, pour appaiser le démon de la concupiscence par des moyens capables de l'irriter ; d'autres dans une posture toute opposée, sollicitent les approches de la divinité : un jeune homme, pour amortir l'instrument de la virilité, y attache des anneaux de fer d'un poids proportionné à ses forces ; un autre arrête la tentation dès sa source, par une amputation tout-à-fait inhumaine, & suspend à l'autel les dépouilles de son sacrifice.

Voyez-les tous sortir du temple, & pleins du dieu qui les agite, répandre la frayeur & l'illusion sur la face de la terre. Ils se partagent le monde, & bientôt le feu s'allume aux quatre extrémités ; les peuples écoutent, & les rois tremblent. Cet empire que l'enthousiasme d'un seul exerce sur la multitude qui le voit ou l'entend, la chaleur que les esprits rassemblés se communiquent ; tous ces mouvemens tumultueux augmentés par le trouble de chaque particulier, rendent en peu de tems le vertige général.

Poussez-les dans le désert, la solitude entretiendra le zele : ils descendront des montagnes plus redoutables qu'auparavant ; & la crainte, ce premier sentiment de l'homme, préparera la soûmission des auditeurs. Plus ils diront de choses effrayantes, plus on les croira ; l'exemple ajoûtant sa force à l'impression de leurs discours, opérera la persuasion : des bacchantes & des corybantes feront des millions d'insensés : c'est assez d'un seul peuple enchanté à la suite de quelques imposteurs, la séduction multipliera les prodiges ; & voilà tout le monde à jamais égaré. L'esprit humain une fois sorti des routes lumineuses de la nature, n'y rentre plus ; il erre autour de la vérité, sans en rencontrer autre chose que des lueurs, qui se mêlant aux fausses clartés dont la superstition l'environne, achevent de l'enfoncer dans les ténebres.

La peur des êtres invisibles ayant troublé l'imagination, il se forme un mélange corrompu des faits de la nature avec les dogmes de la religion, qui mettant l'homme dans une contradiction éternelle avec lui-même, en font un monstre assorti de toutes les horreurs dont l'espece est capable : je dis la peur, car l'amour de la divinité n'a jamais inspiré des choses inhumaines. Le fanatisme a donc pris naissance dans les bois, au milieu des ombres de la nuit ; & les terreurs paniques ont élevé les premiers temples du Paganisme.

Plutarque dit qu'un roi d'Egypte connoissant l'inconstance de ses peuples promts à changer de joug, pour se les asservir sans retour, sema la division entr'eux, & leur fit adorer pour cela, parmi les animaux, les especes les plus antipathiques. Chacun, pour honorer son dieu, fit la guerre aux adorateurs du dieu opposé, & les nations se jurerent entr'elles la même haine qui régnoit entre leurs divinités : ainsi le loup & le mouton virent des hommes traînés en sacrifice au pié de leurs autels. Mais sans examiner si la cruauté est une des passions primitives de l'homme, & s'il est par sa nature un animal destructeur ; si la faim ou la méchanceté, la force ou la crainte, l'ont rendu l'ennemi de toutes les especes vivantes ; si c'est la jalousie ou l'intérêt qui a introduit l'homicide sur la terre ; si c'est la politique ou la superstition qui a demandé des victimes : si l'une n'a pas pris le masque de l'autre, pour combattre la nature & surmonter la force ; si les sacrifices sanglans du paganisme viennent de l'enfer, c'est-à-dire de la férocité des passions noires & turbulentes, ou de l'égarement de l'imagination, qui se perd à force de s'élever ; enfin, de quelque part que vienne l'idée de satisfaire à la divinité par l'effusion du sang, il est certain que, dès qu'il a commencé de couler sur les autels, il n'a pas été possible de l'arrêter ; & qu'après l'usage de l'expiation, qui se faisoit d'abord par le lait & le vin, on en vint de l'immolation du bouc ou de la chevre, au sacrifice des enfans. Il n'a fallu qu'un exemple mal interpreté pour autoriser les horreurs les plus révoltantes. Les nations impies à qui l'on reprochoit le culte homicide de Moloch, ne répondoient-elles pas au peuple qui alloit les exterminer de la part de dieu, à cause de ces mêmes abominations, qu'un de ses patriarches avoit conduit son fils sur le bûcher ? comme si une main invisible n'avoit pas détourné le glaive sacrilege, pour montrer que les ordres du ciel ne sont pas toûjours irrévocables.

Avant d'aller plus loin, écartons de nous toutes les fausses applications, les allusions injurieuses, & les conséquences malignes dont l'impiété pourroit s'applaudir, & qu'un zele trop promt à s'allarmer nous attribueroit peut-être. Si quelque lecteur avoit l'injustice de confondre les abus de la vraie religion avec les principes monstrueux de la superstition, nous rejettons sur lui d'avance tout l'odieux de sa pernicieuse logique. Malheur à l'écrivain téméraire & scandaleux, qui profanant le nom & l'usage de la liberté, peut avoir d'autres vûes que celles de dire la vérité par amour pour elle, & de détromper les hommes des préjugés funestes qui les détruisent. Reprenons.

Il est affreux de voir comment cette opinion d'appaiser le ciel par le massacre, une fois introduite, s'est universellement répandue dans presque toutes les religions ; & combien on a multiplié les raisons de ce sacrifice, afin que personne ne pût échapper au couteau. Tantôt ce sont des ennemis qu'il faut immoler à Mars exterminateur : les Scythes égorgent à ses autels le centieme de leurs prisonniers ; & par cet usage de la victoire, on peut juger de la justice de la guerre : aussi chez d'autres peuples ne la faisoit-on que pour avoir de quoi fournir aux sacrifices ; desorte qu'ayant d'abord été institués, ce semble, pour en expier les horreurs, ils servirent enfin à les justifier.

Tantôt ce sont des hommes justes qu'un dieu barbare demande pour victimes : les Getes se disputent l'honneur d'aller porter à Zalmoxis les voeux de la patrie. Celui qu'un heureux sort destine au sacrifice, est lancé à force de bras sur des javelots dressés : s'il reçoit un coup mortel en tombant sur les piques, c'est de bon augure pour le succès de la négociation & pour le mérite du député ; mais s'il survit à sa blessure, c'est un méchant dont le dieu n'a point affaire.

Tantôt ce sont des enfans à qui les dieux redemandent une vie qu'ils viennent de leur donner ; justice affamée du sang de l'innocence, dit Montagne. Tantôt c'est le sang le plus cher : les Carthaginois immolent leurs propres fils à Saturne, comme si le tems ne les dévoroit pas assez tôt. Tantôt c'est le sang le plus beau : cette même Amestris qui avoit fait enfoüir douze hommes vivans dans la terre, pour obtenir de Pluton, par cette offrande, une plus longue vie ; cette Amestris sacrifie encore à cette insatiable divinité quatorze jeunes enfans des premieres maisons de la Perse, parce que les sacrificateurs ont toûjours fait entendre aux hommes qu'ils devoient offrir à l'autel ce qu'ils avoient de plus précieux. C'est sur ce principe que chez quelques nations on immoloit les premiers nés, & que chez d'autres on les rachetoit par des offrandes plus utiles au ministres du sacrifice. C'est ce qui autorisa sans-doute en Europe la pratique de quelques siecles, de voüer les enfans au célibat dès l'âge de cinq ans ; & d'emprisonner dans le cloître les freres du prince héritier, comme on les égorge en Asie.

Tantôt c'est le sang le plus pur : n'y a-t-il pas des Indiens qui exercent l'hospitalité envers tous les hommes, & qui se font un mérite de tuer tout étranger vertueux & savant qui passera chez eux, afin que ses vertus & ses talens leur demeurent ? Tantôt c'est le sang le plus sacré : chez la plûpart des idolatres, ce sont les prêtres qui font la fonction des bourreaux à l'autel ; & chez les Sibériens on tue les prêtres, pour les envoyer prier dans l'autre monde à l'intention du peuple. Enfin toutes les idoles de l'Inde & de l'Amérique se sont abreuvées de sang humain. Quel spectacle pour Cortez entrant dans le Mexique, de voir immoler cinquante hommes à son heureuse arrivée ! mais quel étonnement, quand un des peuples qu'il avoit vaincus, députa vers lui avec ces paroles : " Seigneur, voilà cinq esclaves ; si tu es un dieu fier qui te paisses de chair & de sang, mange-les, & nous t'en amenerons davantage ; si tu es un dieu débonnaire, voilà de l'encens & des plumes ; si tu es homme, prends les oiseaux & les fruits que voici ". C'étoient pourtant des sauvages qui donnerent cette leçon d'humanité à des chrétiens, ou plûtôt à des barbares que les vrais chrétiens reprouvent.

Mais si l'ignorance ou la corruption abusent des meilleures institutions, quel sera l'abus des choses monstrueuses ? Aussi quand on se fut apprivoisé avec ces sacrifices inhumains, les hommes devenus les rivaux des dieux, affecterent de ne les imiter que dans leurs injustices : de-là l'usage d'appaiser les mânes, comme on appaisoit les dieux, par le sang ; en quoi l'avarice des prêtres du Paganisme ne servoit que trop bien la haine des rois. Ce ne sont plus des hécatombes où le sacrificateur trouve des dépouilles & le peuple des alimens, mais les plus cheres victimes, qu'une barbare superstition immole à la politique. Ce même Achille qui avoit arraché Iphigénie au couteau de Calchas, demande le sang de Polixene. Achille est dieu par l'homicide, comme il étoit devenu héros à force de massacres. C'est ainsi que le fanatisme a consacré la guerre, & que le fléau le plus détestable est regardé comme un acte de religion : aussi les Japonois n'ont-ils parmi leurs saints que des guerriers, & pour reliques que des sabres & des cimeteres teints de sang. C'est assez d'une injustice divinisée, pour encourager l'émulation à faire des progrès abominables. Un conquérant signalera son entrée à Corinthe par le sacrifice de six cent jeunes Grecs qu'il immole à l'ame de son pere, afin que ce sang efface ses souillures, comme si le crime pouvoit expier le crime.

Mais tous ces actes d'inhumanité feroient moins de honte à l'imbécillité de l'esprit humain, qu'à la mémoire de quelques coeurs lâches & barbares, si l'on n'avoit vû les sectes & les peuples entiers se dévoüer à la mort par des sacrifices volontaires.

Que les Gymnosophistes indiens se brûlent eux-mêmes, afin que leur ame arrive toute pure au ciel, comme ils attendent que la vieillesse ou quelque maladie violente leur ait ôté toute espérance de vivre, c'est choisir le genre de sa mort, & non en prévenir le terme : mais qu'une jeune épouse se jette dans le bûcher de son époux ; que les esclaves suivent leur maître, & les courtisans leur roi, jusqu'au milieu des flammes ; que les Tartares circassiens témoignent leur deuil à la mort d'un grand, par des meurtrissures & des incisions dans tout le corps, jusqu'à rouvrir leurs plaies pour prolonger le deuil : voilà ce dont on ne peut attribuer la cause, qu'à l'extravagance de l'imagination poussée hors des barrieres naturelles de la raison & de la vie, par une maladie inconcevable.

Quand on est entêté de ses dieux, & frappé d'une vaine terreur jusqu'à mourir pour leur plaire, ménagera-t-on beaucoup leurs ennemis ? De-là ces siecles de persécution qui acheverent de rendre le nom romain odieux à toute la terre, & qui feront à jamais l'horreur du Paganisme, & de toutes les sectes qui voudroient l'imiter. Le zele d'une religion naissante irrite les sectateurs de l'ancienne ; tous les évenemens sinistres retombent sur les nouveaux impies (car c'est sous ce nom que les ministres de la superstition ont toûjours diffamé tous leurs contradicteurs), & les ennemis du culte dominant y servent de victimes. On prend prétexte de la zizanie qui se mêle entre les enfans du même pere, pour éteindre toute la race des prétendus factieux ; mais admirez une légion de six mille hommes qui, plûtôt que de verser le sang des innocens, se laisse décimer & hacher toute en pieces : bel exemple pour les tyrans de toutes les sectes ! L'acharnement de la résistance, & l'impuissance même de la tyrannie, augmentent les torrens de sang humain : on ne voit qu'échafauds dressés dans les principales villes d'un grand empire ; &, si l'on en croit les annales de l'Eglise, les bûchers manquent aux victimes qui courent s'immoler. La fureur de mourir ayant saisi tous les esprits, on se précipite du haut des toîts ; en vain la religion défend de braver les empereurs, le fanatisme cherche la palme par la désobéissance & les hommes se poussent les uns les autres dans les supplices.

La défection enveloppe une ville entiere dans la proscription, & tous ses habitans périssent dans les flammes. L'obstination & la rigueur s'engendrent mutuellement, & se reproduisent tour-à-tour. Mais quel dût être l'étonnement des Payens, continuent les historiens ecclésiastiques, quand ils virent les Chrétiens devenus plus nombreux par la persécution, se déclarer une guerre plus implacable que celle des Nérons & des Domitiens, & continuer entr'eux les hostilités de ces monstres ? Au défaut d'autres armes, ils s'attaquent d'abord par la calomnie, sans songer qu'on ne se fait point des amis, de tous ceux qu'on suscite contre ses ennemis. On accuse les uns d'adorer Caïn & Judas, pour s'encourager à la méchanceté ; les autres de pétrir les azymes avec le sang des enfans immolés : on reproche à ceux-là des impudicités infâmes, à ceux-ci des commerces diaboliques. Nicolaïtes, Carpocratiens, Montanistes, Adamites, Donatistes, Ariens, tout cela confondu sous le nom de chrétiens, donne aux idolatres la plus mauvaise idée de la religion des saints. Ceux-ci, coupables à force de piété, renversent un temple de la fortune ; & les Payens, aussi fanatiques pour leurs dieux que quelques-uns de leurs ennemis contre les idoles, commettent des atrocités inoüies, jusqu'à ouvrir le ventre à des vierges vivantes, pour faire manger du blé, parmi leurs entrailles, à des pourceaux. Jérusalem, cette boucherie des Juifs, devient aussi celle des Chrétiens, qui y sont vendus par milliers à leurs freres de l'ancien Testament. Ceux-ci ont la cruauté de les acheter, pour en faire mourir de sang-froid quatre-vingt-dix mille : & comme si les Chrétiens avoient été la cause du massacre des onze cent mille ames qui périrent pour l'accomplissement des prédictions ; au lieu d'attribuer ces châtimens, avec Josephe leur historien, à l'impiété des zélés qui avoient répandu le sang des ennemis dans le temple, ils rejettent sur le christianisme toute la haine dont l'univers les accable ; &, ce que le fanatisme a pû seul inspirer, ils scient les prisonniers, mangent leur chair, s'habillent de leur peau, & se font des ceintures de leurs entrailles. Cet excès de vengeance cause des représailles qui font consumer dix-huit cent mille ames par le fer & par le feu.

Mais voici le fanatisme qui, l'alcoran d'une main & le glaive de l'autre, marche à la conquête de l'Asie & de l'Afrique. C'est ici qu'on peut demander si Mahomet étoit un fanatique, ou bien un imposteur. Il fut d'abord un fanatique, & puis un imposteur ; comme on voit parmi les gens destinés par état au culte des autels, les jeunes plus souvent enthousiastes, & les vieillards hypocrites ; parce que le fanatisme est un égarement de l'imagination qui domine jusqu'à un certain âge, & l'hypocrisie une réflexion de l'intérêt, qui agit de sang-froid & avec de longues combinaisons. C'est ainsi que Jurieu (s'il faut en croire les historiens d'un parti contraire au sien) disoit des prétendus prophetes du Vivarès, qu'ils pouvoient bien être devenus fripons, mais qu'ils avoient été prophetes. La jeunesse emportée par la précipitation du sang, saisit de la meilleure foi toutes les idées de religion ou de morale outrées, & se laisse toûjours aller trop avant ; mais détrompé de jour en jour par l'expérience, on tâche d'achever sa route en biaisant, parce qu'on ne peut tout-à-fait reculer sans se perdre. On rabat alors de ses maximes tout ce que l'enthousiasme y avoit ajoûté de faux ou de pernicieux ; on modifie un peu l'austérité de ses principes ; enfin on tire de ses illusions tout le parti qui se présente, & cela s'exécute sourdement par l'amour propre dans les ames les plus pures : car remarquez que le fanatisme ne regne guere que parmi ceux qui ont le coeur droit & l'esprit faux, trompés dans les principes, & justes dans les conséquences ; & que semblables aux chevaux ombrageux, on les guériroit en les familiarisant avec les objets de leur vaine frayeur. Mahomet une fois desabusé, il lui en coûta moins de soûtenir son illusion par des mensonges, que d'avoüer qu'il s'étoit égaré : son génie ardent lui avoit fait voir ce qui n'étoit pas, un archange Gabriel, un prophete dans lui-même ; & quand il se fut assez rempli de son vertige pour le communiquer, il ne lui fut pas difficile d'entretenir dans les esprits un mouvement qui avoit cessé dans le sien. D'ailleurs, comment n'eût-il pas conservé une sorte de confiance obscure en ce qui le servoit si bien ? Mais ce n'est pas assez de répondre à cette question, si l'on ne demande grace aux lecteurs pour l'avoir faite : car il est peut-être contre le droit des gens, & contre les égards que les nations se doivent entr'elles, de jetter de pareilles imputations sur les législateurs mêmes qui les ont séduites ; parce que le préjugé qui leur déguise la force des preuves d'une religion contraire, semble les autoriser à la récrimination. Ainsi, loin d'approuver celui qui mettroit sur la scene un prophete étranger pour le joüer ou le combattre ; tandis que le spectateur bat des mains & applaudit à son heureuse audace, le sage peut dire au grand poëte : si votre but avoit été d'insulter un homme célebre, ce seroit une injure à sa nation ; mais si vous ne vouliez que décrier l'abus de la religion, est-ce un bien pour la vôtre ? A Dieu ne plaise qu'on prétende justifier un culte aussi contraire à la dignité de l'homme ; mais comme on parle ici pour toutes les nations & pour tous les siecles, on deviendroit suspect au grand nombre des lecteurs qui veulent s'éclairer en s'accommodant au langage d'une legere portion de la terre. Ceux qui sont persuadés, n'ont pas besoin de preuves ; & ceux qui ne le sont pas, sans-doute ne veulent pas l'être : ainsi ne balancez pas à détester le fanatisme par-tout où vous le verrez, fût-il au milieu de vous.

Parcourez tous les ravages de ce fléau, sous les étendarts du croissant, & voyez dès les commencemens, un Calife assûrer l'empire de l'ignorance & de la superstition en brûlant tous les livres, comme inutiles, s'ils sont conformes au livre de Dieu ; ou comme pernicieux, s'ils lui sont contraires : raisonnement trop politique pour être divin. Bientôt un autre Calife contraindra les Chrétiens à la circoncision, tandis qu'un empereur chrétien force les Juifs à recevoir le baptême : zele d'autant plus blâmable dans celui-ci, qu'il professoit une religion de grace & de miséricorde. Chez le peuple conquérant, la victoire est appellée le jugement de Dieu ; & deux religions opposées mettent au rang des notes de leur divinité, la prospérité temporelle, comme si le royaume de J. C. étoit de ce monde. Des chrétiens trop fervens osent maudire Mahomet à la face des Sarrasins ; & ceux-ci, par un zele aussi barbare que celui des autres pouvoit être indiscret, coupent la tête aux blasphémateurs, & rasent les églises.

Mais voici d'autres fureurs & d'autres spectacles (Pardon, ô religion sainte, si je rouvre ici tes plaies, & la source de tes larmes éternelles). Toute l'Europe passe en Asie par un chemin inondé du sang des Juifs qui s'égorgent de leurs propres mains, pour ne pas tomber sous le fer de leurs ennemis. Cette épidémie dépeuple la moitié du monde habité ; rois, pontifes, femmes, enfans & vieillards, tout cede au vertige sacré qui fait égorger pendant deux siecles des nations innombrables sur le tombeau d'un Dieu de paix. C'est alors qu'on vit des oracles menteurs, des hermites guerriers ; les monarques dans les chaires, & les prélats dans les camps ; tous les états se perdre dans une populace insensée ; les monts & les mers franchies ; de légitimes possessions abandonnées, pour voler à des conquêtes qui n'étoient plus la Terre promise ; les moeurs, toûjours plus saines dans leur climat naturel, se corrompre sous un ciel étranger ; des princes, après avoir dépouillé leurs royaumes pour racheter un pays qui ne leur avoit jamais appartenu, achever de les ruiner pour leur rançon personnelle ; des milliers de soldats égarés sous plusieurs chefs, n'en reconnoître aucun, hâter leur défaite par la défection, & cette maladie ne finir que pour faire place à une contagion encore plus horrible.

Le même esprit de fanatisme entretenant la fureur des conquêtes éloignées, à peine l'Europe avoit réparé ses pertes, que la découverte d'un nouveau monde hâta la ruine du nôtre. A ce terrible mot, allez & forcez, l'Amérique fut désolée & ses habitans exterminés ; l'Afrique & l'Europe s'épuiserent en vain pour la repeupler ; le poison de l'or & du plaisir ayant énervé l'espece, le monde se trouva desert, & fut menacé de le devenir tous les jours davantage, par les guerres continuelles qu'allumera sur notre continent l'ambition de s'étendre dans ces îles étrangeres. Voilà pourtant où nous ont conduits les progrès du fanatisme ! Quand le plus humain des législateurs envoya des pêcheurs annoncer sa doctrine à toute la terre comme une bonne nouvelle, pensoit-il qu'on abuseroit un jour de sa parole pour bouleverser l'univers ? Il vouloit lier tous les hommes par le même esprit de charité, qu'ils vissent la lumiere avant de croire à sa mission ; mais le flambeau de la guerre n'étoit pas celui de son évangile. Il laissoit les armes aux faux prophetes qui n'auroient ni la raison ni l'exemple pour eux. Connoissant que l'hypocrisie endurcit les ames & que l'ignorance les abrutit ; que des aveugles conduits par des méchans, sont un spectacle affligeant pour le ciel, & tout-à-fait deshonorant pour la nature humaine ; il vouloit gagner & persuader, attacher les incrédules par le sentiment, & retenir les libertins par la conviction. Les nations idolatres devroient-elles lui reprocher, que depuis deux mille ans la terre éprouve les plus sanglantes révolutions dans toutes les contrées, où sa loi pure a pénétré ? Qu'est-ce donc, disent-elles, qui a fait des esclaves en Amérique, & des rebelles au Japon ? seroit-ce la contradiction qui regne entre le dogme & la morale ? non. Mais la fureur des passions soûlevées par un levain de fanatisme ; peut-être l'aheurtement à des opinions, qui n'ayant point leurs racines dans l'esprit humain, ni leur modele dans la nature, ne peuvent se soûtenir que par des ressorts violens ; la confusion des idées, l'inévidence des principes, le mélange du faux & du vrai plus funeste qu'une ignorance absolue, causent cette alternative de bien & de mal qui fait de l'homme un monstre composé de tous les autres. Est-il bien surprenant, quand il ne suivra plus le fil de la raison, le plus céleste de tous les dons, qu'un roi de Perse immole au soleil son dieu, ceux qu'il appelle les disciples du crucifié, & qu'un prince chrétien aille brûler le temple du feu, & la ville des adorateurs du soleil ; qu'on voye pendant dix siecles deux empires divisés par un seul mot ; qu'un conquérant fasse voeu d'exterminer tous les ennemis du prophete, comme ceux-ci se voüoient depuis deux cent ans au massacre des infideles, & qu'il détruise l'empire d'Orient aux acclamations des Occidentaux, qui béniront le ciel d'avoir puni leurs freres schismatiques par la main des ennemis communs ? Est-il possible que les rois condamnent à mort tous les sujets de leurs états qui veulent retourner au paganisme, parce que la nouvelle religion ne leur convient pas ; que les peuples excédés de la tyrannie de leurs conquérans, renoncent à cette même religion qu'ils ont reçûe par force ; que dans la réaction des soûlevemens, ils s'oublient jusqu'à trépaner les prêtres & raser les églises, & qu'enfin pour une église détruite, on égorge toute une nation ? Prenez garde de vous laisser séduire à ce ton emphatique ; ouvrez les annales de toutes les religions, & jugez vous-même.

Au reste, si les excès de l'ambition se trouvent ici confondus avec les égaremens du fanatisme, on sait que l'une est le vice des chefs, & l'autre la maladie du peuple. C'est aux lecteurs clairvoyans à démêler les nuances étrangeres dans la teinture dominante. Ceux-là ne commettront pas l'injustice de rejetter sur la religion, des abus qui viennent de l'ignorance des hommes. Le christianisme est la meilleure école d'humanité. Une loi, dit un auteur qu'aucun parti ne desavoüera, quelle que fût sa croyance ; " une loi qui ordonne à ses disciples d'aimer tous les hommes, sans en excepter même leurs ennemis ; qui leur défend de persécuter ceux qui les haïssent, & de haïr ceux qui les persécutent " : cette loi ne leur permet pas de maudire ceux qui bénissent Dieu dans une autre langue. Ce n'est pas à elle qu'on imputera ces fleuves de sang que le fanatisme a fait couler.

Parcourez donc la surface de la terre : & après avoir vû d'un coup-d'oeil tant d'étendarts déployés au nom de la religion, en Espagne contre les Maures, en France contre les Turcs, en Hongrie contre les Tartares, tant d'ordres militaires fondés pour convertir les infideles à coups d'épée, s'entr'égorger aux piés de l'autel qu'ils devoient défendre ; détournez vos regards de ce tribunal affreux élevé sur le corps des innocens & des malheureux, pour juger les vivans comme Dieu jugera les morts, mais avec une balance bien différente. Suspect, convaincu, pénitent & relaps ; qualifications odieuses qu'inventa la tyrannie, afin que personne ne pût se dérober aux proscriptions : car ainsi que dans une forêt on a soin de marquer d'avance à l'écorce les arbres qu'on a résolu de couper, de même jettoit-on des notes d'hérésie ou de magie sur tous ceux qu'on vouloit dépouiller & brûler. S'il est vrai qu'après les édits sanguinaires d'Adrien, qui fit périr un million d'hommes pour cause de religion, les Juifs ayant passé dans l'Arabie déserte, y établirent la loi de Moyse par la voie de l'inquisition ; les voilà dans le cas de ce tyran qui fut brulé dans un taureau d'airain, funeste invention de sa barbarie ; mais ce n'est pas à des chrétiens de les en punir, eux qui professent la loi de miséricorde, & qui reprochent aux Juifs de n'avoir imité que le dieu des vengeances.

" Cette fausse idée de Dieu & de la religion, dit Tillotson, que nous ne craindrons pas de citer encore, " les dépouille l'un & l'autre de toute leur gloire & de toute leur majesté. Séparer de la divinité la bonté & la miséricorde, & de la religion la compassion & la charité, c'est rendre inutiles les deux meilleures choses du monde, la divinité & la religion. Les Payens regardoient si fort la nature divine comme bonne & bienfaisante envers le genre humain, que les dieux immortels leur sembloient presque faits pour l'utilité & l'avantage des hommes. En effet lorsque la religion nous pousse à faire mourir les hommes pour l'amour de Dieu, & à les envoyer en enfer le plûtôt qu'il est possible ; lorsqu'elle ne sert qu'à nous rendre enfans de la colere & de la cruauté, ce n'est plus une religion, mais une impiété. Il vaudroit mieux qu'il n'y eût point de révélation, & que la nature humaine eût été abandonnée à la direction de ses penchans ordinaires, qui sont beaucoup plus doux & plus humains, beaucoup plus convenables au repos & au bonheur de la société, que de suivre les maximes d'une religion qui inspireroit une fureur si insensée, & qui travailleroit à détruire le gouvernement de l'état, & les fondemens de la prospérité du genre humain ".

Comptez maintenant les milliers d'esclaves que le fanatisme a faits, soit en Asie, où l'incirconcision étoit une tache d'infamie ; soit en Afrique, où le nom de chrétien étoit un crime ; soit en Amérique, où le prétexte du baptême étouffa l'humanité. Comptez les milliers d'hommes que la monde a vû périr, ou sur les échafauds dans les siecles de persécution, ou dans les guerres civiles par la main de leurs concitoyens, ou de leurs propres mains par des macérations excessives. La terre devient un lieu d'exil, de péril & de larmes : ses habitans ennemis d'eux-mêmes & de leurs semblables, vont partager la couche & la nourriture des ours : tremblans entre l'enfer & le ciel qu'ils n'osent regarder, les cavernes retentissent des gémissemens des criminels & du bruit des supplices. Ici les viandes sont proscrites comme une semence de corruption ; là le vin est prohibé comme une production de satan. Les abstinens appellent le mariage une invention des enfers ; & pour mieux garder la continence, ils se mettent dans l'impossibilité de la violer. Plusieurs, après avoir attenté sur eux-mêmes, rendent ce service à tous les étrangers qui passent chez eux, malgré qu'ils résistent au nouveau signe d'alliance. Les hermitages deviennent la prison des rois & le palais des pauvres, tandis que les temples sont la retraite des voleurs. On entend pendant la nuit des pénitens vagabonds traîner des chaînes, dont le bruit effrayant jette la consternation dans les ames superstitieuses. On voit courir par bandes des gens à demi-nuds qui se déchirent à coups de foüet. On se voile le visage à l'occasion d'un tremblement de terre. On passe des jours entiers les bras attachés à une croix, jusqu'à mourir de ces pieux excès. L'Italie, l'Allemagne & la Pologne sont inondées de ces maniaques destructeurs de leur être ; mais ces flagellations, aussi pernicieuses aux moeurs qu'à la santé, tombent enfin par le mépris, correctif bien plus sûr que la persécution. En effet il n'y a pas de doute qu'ils ne fussent tous morts sur la place, plûtôt que de mettre bas leurs armes de pénitence, si l'on eût tenté de les leur arracher par force ; tant de vaines terreurs de l'imagination dans les uns, & l'amour de quelque indépendance dans les autres, rendent les ames furieuses & redoutables. Aussi quand vous verrez des hommes renoncer à tout pour un seul objet, craignez de les troubler dans la possession de ce qui leur reste, parce que la violence de vos efforts rendroit leur cause bonne, fût-elle injuste ; la compassion vous attirera des ennemis, & à eux des partisans, puis des fauteurs, enfin des disciples dont le nombre se multipliera à proportion de vos rigueurs. Gardez-vous sur-tout d'en faire des victimes ; car c'est par la persécution qu'on a vû dans une religion de patience & de soûmission, s'élever l'abominable doctrine du tyrannicide, appuyée sur douze raisons en l'honneur des douze apôtres ; & ce qu'on aura de la peine à croire, c'est qu'elle fut établie pour justifier l'attentat d'un prince contre son propre sang. Après que les souverains eurent pris le prétexte de la religion pour étendre leur domination, ils furent obligés de subir un joug qu'ils avoient eux-mêmes imposé, & de se conformer à un droit abusif que la main dont ils l'avoient emprunté, reclama contr'eux. La puissance qui autorisa les conquêtes sur les nations infideles, cimenta sur ces fondemens la déposition des conquérans rebelles, & les donations établirent les réserves, par des conséquences aussi pernicieuses que les principes étoient injustes. Dès qu'il y eut des hommes assez bons, ou plûtôt assez méchans pour accepter le titre de rois in partibus, on ne dut plus s'étonner qu'il se formât une secte d'assassins, ennemis sacrés de la royauté. Des monarques accoûtumés de marcher à l'appel d'un seul homme, ne demanderent plus où, ni pourquoi, & confondirent dans leurs ligues les rivaux d'un chef ambitieux, avec les ennemis de la religion. L'enseigne des clés fut aussi respectée que l'étendart de la croix, parce que celle-ci étoit sortie des temples, sa véritable place, pour entrer dans les camps, où elle fut profanée. Il y a des abus accidentels qu'on ne peut ni prévenir ni prévoir ; mais quand ils naissent essentiellement de la chose, on ne sauroit y remédier de trop bonne heure. Dès la premiere croisade, on pouvoit s'assûrer qu'il faudroit un jour en lever une contre les croisés même. L'ambition aveugle saisit le moment & le côté favorable, sans envisager les suites fâcheuses de ces usurpations ; & quand elle se trouve liée par sa propre injustice, il n'est plus tems d'invoquer des droits qu'on a violés. Auroit-on vû dans deux vastes états une pépiniere d'enfans sortir de leurs familles, pour aller à six cent lieues battre les ennemis du baptême, si le mauvais exemple de leurs parens n'eût autorisé ce ridicule emportement ? Auroit-on vû, si l'on avoit mal économisé les thrésors spirituels, & distribué sans discernement les palmes que la religion accorde aux martyrs, une armée de bergers, de voleurs, d'hommes bannis & excommuniés, sous le nom de ribauts & de pastoureaux, attaquer les rois & le clergé, dessoler le patrimoine de l'état & de l'église, jusqu'à ce qu'un boucher ayant renversé le pasteur d'un coup de coignée, la populace se jettât sur le troupeau, & l'assommât comme du bétail ordinaire ? L'allégorie des deux glaives & des deux luminaires a fait plus de ravage que l'ambition des Tamerlan & des Genghis. Graces au ciel, il n'est plus de puissance qui se prétende établie sur les nations & sur les souverains, pour planter & pour arracher les couronnes, pour juger de tout & n'être jugée de personne. Pourquoi regarder l'hérésie comme un crime inexpiable ? eh ! n'a-t-on pas une raison de le pardonner dans ce monde, dès qu'il ne se pardonne point dans l'autre ? Pourquoi faire mourir dans les supplices un ordre de guerriers qu'il suffisoit d'éteindre ? Voyez TEMPLIERS. La persécution enfante la révolte, & la révolte augmente la persécution. Ce n'est pas qu'on doive tolérer l'audace du premier insensé qui vient troubler l'état par ses visions ou ses opinions ; mais si les maîtres de la morale violent la foi des sermens & des traités envers des novateurs, il est indubitable que leurs sectateurs, jugeant de la doctrine par les oeuvres (méthode assez conséquente, quoi qu'on en dise), ne mettront pas la vérité du côté de l'injustice, & se prendront d'un saint enthousiasme pour ces prétendus martyrs de l'erreur : alors on verra sortir de leurs cendres des étincelles qui mettront tout un royaume en combustion.

Toutes les horreurs de quinze siecles renouvellées plusieurs fois dans un seul, des peuples sans défense égorgés aux piés des autels, des rois poignardés ou empoisonnés, un vaste état réduit à sa moitié par ses propres citoyens, la nation la plus belliqueuse & la plus pacifique divisée d'avec elle-même, le glaive tiré entre le fils & le pere, des usurpateurs, des tyrans, des bourreaux, des parricides & des sacriléges violant toutes les conventions divines & humaines par esprit de religion ; voilà l'histoire du fanatisme & ses exploits.

Qu'est-ce donc que le fanatisme ? c'est l'effet d'une fausse conscience qui abuse des choses sacrées, & qui asservit la religion aux caprices de l'imagination & aux déréglemens des passions.

En genéral il vient de ce que la plûpart des législateurs ont eu des vûes trop étroites, ou de ce qu'on a passé les bornes qu'ils se prescrivoient. Leurs lois n'étoient faites que pour une société choisie. Etendues par le zèle à tout un peuple, & transportées par l'ambition d'un climat à l'autre, elles devoient changer & s'accommoder aux circonstances des lieux & des personnes. Mais qu'est-il arrivé ? c'est que certains esprits d'un caractere plus analogue à celui du petit troupeau pour lequel elles avoient été faites, les ont reçûes avec la même chaleur, en sont devenus les apôtres & même les martyrs, plûtôt que de démordre d'un seul iota. Les autres au contraire moins ardens, ou plus attachés à leurs préjugés d'éducation, ont lutté contre le nouveau joug, & n'ont consenti à l'embrasser qu'avec des adoucissemens ; & de-là le schisme entre les rigoristes & les mitigés, qui les rend tous furieux, les uns pour la servitude, & les autres pour la liberté.

Les sources particulieres du fanatisme sont,

1°. Dans la nature des dogmes ; s'ils sont contraires à la raison, ils renversent le jugement, & soûmettent tout à l'imagination, dont l'abus est le plus grand de tous les maux. Les Japonois, peuples des plus spirituels & des plus éclairés, se noyent en l'honneur d'Amida leur dieu sauveur, parce que les absurdités dont leur religion est pleine leur ont troublé le cerveau. Les dogmes obscurs engendrent la multiplicité des explications, & par celles-ci la division des sectes. La vérité ne fait point de fanatiques. Elle est si claire, qu'elle ne souffre guere de contradictions ; si pénétrante, que les plus furieuses ne peuvent rien diminuer de sa joüissance. Comme elle existe avant nous, elle se maintient sans nous & malgré nous par son évidence. Il ne suffit donc pas de dire que l'erreur a ses martyrs ; car elle en a fait beaucoup plus que la vérité, puisque chaque secte & chaque école compte les siens.

2°. Dans l'atrocité de la morale. Des hommes pour qui la vie est un état de danger & de tourment continuel, doivent ambitionner la mort, ou comme le terme, ou comme la récompense de leurs maux : mais quels ravages ne fera pas dans la société celui qui desire la mort, s'il joint aux motifs de la souffrir des raisons de la donner ? On peut donc appeller fanatiques, tous ces esprits outrés qui interpretent les maximes de la religion à la lettre, & qui suivent la lettre à la rigueur ; ces docteurs despotiques qui choisissent les systèmes les plus révoltans ; ces casuistes impitoyables qui desesperent la nature, & qui, après vous avoir arraché l'oeil & coupé la main, vous disent encore d'aimer parfaitement la chose qui vous tyrannise.

3°. Dans la confusion des devoirs. Quand des idées capricieuses sont devenues des préceptes, & que de legeres omissions sont appellées de grands crimes, l'esprit qui succombe à la multiplicité de ses obligations, ne sait plus auxquelles donner la préférence ; il viole les essentielles par respect pour les moindres : il substitue la contemplation aux bonnes oeuvres, & les sacrifices aux vertus sociales : la superstition prend la place de la loi naturelle, & la peur du sacrilege conduit à l'homicide. On voit au Japon une secte de braves dogmatistes qui décident toutes les questions, & tranchent toutes les difficultés à coups de sabre ; & ces mêmes hommes qui ne se font point un scrupule de s'égorger, épargnent très-religieusement les insectes. Dès qu'un zele barbare a fait un devoir du crime, est-il rien d'inhumain qu'on ne tente ? Ajoûtez à toute la férocité des passions, les craintes d'une conscience égarée, vous étoufferez bientôt les sentimens de la nature. Un homme qui se méconnoît lui-même au point de se traiter cruellement, & de faire consister l'esprit de pénitence dans la privation & l'horreur de tout ce qui a été fait pour l'homme, ne ramenera-t-il pas son pere à coups de bâton dans le desert qu'il avoit quitté ? Un homme pour qui un assassinat est un coup de fortune éternelle, doutera-t-il un moment d'immoler celui qu'il appelle l'ennemi de Dieu & de son culte ? Un arminien poursuivant un gomariste sur la glace, tombe dans l'eau ; celui-ci s'arrête & lui tend la main pour le tirer du péril : mais l'autre n'en est pas plûtôt sorti, qu'il poignarde son libérateur. Que pensez-vous de cela ?

4°. Dans l'usage des peines diffamantes, parce que la perte de la réputation entraîne bien des maux réels. Les révolutions doivent être plus fréquentes, ou les abus affreux, dans les pays où tombent ces foudres invisibles qui rendent un prince odieux à tout son peuple. Mais heureusement il n'y a que ceux qui n'en sont pas frappés, qui les craignent ; car un monarque n'a pas toûjours la foiblesse, comme Henri II. roi d'Angleterre, ou comme Louis le Débonnaire, de subir le châtiment des esclaves pour redevenir roi.

5°. Dans l'intolérance d'une religion à l'égard des autres, ou d'une secte entre plusieurs de la même religion, parce que toutes les mains s'arment contre l'ennemi commun. La neutralité même n'a plus lieu avec une puissance qui veut dominer ; & quiconque n'est pas pour elle, est contr'elle. Or quel trouble ne doit-il pas en résulter ? la paix ne peut devenir générale & solide que par la destruction du parti jaloux, car si cette branche venoit à ruiner toutes les autres, elle seroit bien-tôt en guerre avec elle-même : ainsi le qui vive ne cessera qu'après elle. L'intolérance qui prétend mettre fin à la division, doit l'augmenter nécessairement. Il suffit qu'on ordonne à tous les hommes de n'avoir qu'une façon de penser, dès lors chacun devient enthousiaste de ses opinions jusqu'à mourir pour leur défense. Il s'ensuivroit de l'intolérance, qu'il n'y a point de religion faite pour tous les hommes ; car l'une n'admet point de savans, l'autre point de rois, l'autre pas un riche ; celle-là rejette les enfans, celle-ci les femmes ; telle condamne le mariage, & telle le célibat. Le chef d'une secte en concluoit que la religion étoit un je ne sai quoi composé de l'esprit de Dieu & de l'opinion des hommes : il ajoûtoit qu'il falloit tolérer toutes les religions pour avoir la paix avec tout le monde : il périt sur un échafaud.

6°. Dans la persécution. Elle naît essentiellement de l'intolérance. Si le zele a fait quelquefois des persécuteurs, il faut avouer que la persécution a fait encore plus de zélateurs. A quels excès ne se portent pas ceux-ci, tantôt contr'eux-mêmes, bravant les supplices ; tantôt contre leurs tyrans, prenant leur place, & ne manquant jamais de raison pour courir tour-à-tour au feu & au sang ?

Il courut dans le xj. siecle un fleau, miraculeux selon le peuple, qu'on appella la maladie des ardens. C'étoit une espece de feu qui dévoroit les entrailles. Tel est le fanatisme, cette maladie de religion qui porte à la tête, & dont les symptomes sont aussi différens que les caracteres qu'elle attaque. Dans un tempérament flegmatique, elle produit l'obstination qui fait les zélateurs ; dans un naturel bilieux, elle devient une phrénésie qui fait les sicaires, noms particuliers aux fanatiques d'un siecle, & qu'on peut étendre à toute l'espece divisée en deux classes. La premiere ne sait que prier & mourir ; la seconde veut regner & massacrer : ou peut-être est-ce la même fureur qui, dans toutes les sectes, fait tour-à-tour des martyrs & des persécuteurs selon les tems. Venons maintenant aux symptomes de cette maladie.

Le premier & le plus ordinaire est une sombre mélancolie causée par de profondes méditations. Il est difficile de rêver long-tems à certains principes, sans en tirer les conséquences les plus terribles. Je suis étranger sur la terre, ma patrie est au ciel, la béatitude est reservée aux pauvres, & l'enfer préparé pour les riches, & vous voulez que je cultive le Commerce & les Arts, que je reste sur le throne, que je garde mes vastes domaines ? Peut-on être chrétien & César tout-à-la-fois ?.... Heureux ceux qui pleurent & qui souffrent ; que tous mes pas soient donc hérissés de ronces. Ajoûtons peine sur peine pour multiplier ma joie & ma félicité.... Que répondre à ce fanatique ?.... qu'il use très-mal des choses, parce qu'il ne prend pas bien les paroles, & qu'il reçoit de la main gauche ce qu'on lui a donné de la main droite. Relâchement que toutes ces mitigations, vous dira-t-il : quand Dieu parle, les conseils sont des préceptes ; ainsi je vais de ce pas m'enfoncer dans un desert inaccessible aux hommes. Et il part avec un bâton, un sac, & une haire, sans argent & sans provision, pour pratiquer la loi qu'il n'entend pas.

Au second rang sont les visionnaires. Quand à force de jeunes & de macérations, on ne se croit rempli que de l'esprit de Dieu ; qu'on ne vit plus, dit-on, que de sa présence ; qu'on est transformé par la contemplation en Dieu même, dans une indépendance des sens tout-à-fait merveilleuse, qui loin d'exclure la jouissance, en fait un droit acquis à la raison ; la vertu victorieuse des passions s'en sert quelquefois comme un roi de ses esclaves. Tel est le jargon mystique, dont voici à-peu-près la cause physique. Les esprits rappellés au cerveau par la vivacité & la continuité de la méditation, laissent les sens dans une espece de langueur & d'inaction. C'est sur-tout au fort du sommeil que les phantômes se précipitant tumultueusement dans le siége de l'imagination, ce mélange de traits informes produit un mouvement convulsif, pareil au choc brisé de mille rayons opposés qui coïncident & se croisent ; de-là viennent les éblouissemens & les transports extatiques, qu'on devroit traiter comme un délire, tantôt par des bains froids, tantôt par de violentes saignées, selon le tempérament & les autres situations du malade.

Le troisieme symptome est la pseudoprophétie, lorsqu'on est tellement entêté de ses chimeres phantastiques, qu'on ne peut plus les contenir en soi-même : telles étoient les sibylles aiguillonnées par Apollon. Il n'est point d'hommes d'une imagination un peu vive, qui ne sente en lui les germes de cette exaltation méchanique ; & tel qui ne croit pas aux sibylles, ne voudroit pas se hasarder à s'asseoir sur leurs trépiés, sur-tout s'il avoit quelque intérêt à débiter des oracles, ou qu'il eût à craindre une populace prête à le lapider au cas qu'il restat muet. Il faut donc parler alors, & proposer des énigmes qui seront respectées jusqu'à l'évenement, comme des mysteres sur lesquels il ne plait pas encore à la Divinité de s'expliquer.

Le quatrieme degré du fanatisme est l'impassibilité. Par un progrés de mouvemens, il se trouve que les vaisseaux sont tendus d'une roideur incompréhensible ; on diroit que l'ame est refugiée dans la tête ou qu'elle est absente de tout le corps : c'est alors que les épreuves de l'eau, du fer, & du feu ne coûtent rien ; que des blessures toutes célestes s'impriment sans douleur. Mais il faut se méfier de tout ce qui se fait dans les ténebres & devant des témoins suspects. Hé, quel est l'incrédule qui oseroit rire à la face d'une foule de fanatiques ? Quel est l'homme assez maître de ses sens pour examiner d'un oeil sec des contorsions effrayantes, & pour en pénétrer la cause ? Ne sait-on pas qu'on n'admet au fanatisme que des gens préparés par la superstition ? Toutefois comme ces énergumenes ne parviennent à l'état d'insensibilité, que par les agitations les plus violentes, il est aisé de conclure que c'est une phrénésie dont l'accès finit par la léthargie.

Si tous ces hommes aliénés que vous avez vûs dans ce vaste panthéon étoient transportés à leur demeure convenable, il seroit plaisant de les entendre parler. Je suis le monarque de toute la terre, diroit un tailleur, l'esprit-saint me l'a dit. Non, diroit son voisin, je dois savoir le contraire, car je suis son fils. Taisez-vous, que j'entende la musique des globes célestes, diroit un docteur : ne voyez-vous pas cet esprit qui passe par ma fenêtre ? il vient me révéler tout ce qui fut & qui sera.... J'ai reçu l'épée de Gédeon : allons, enfans de Dieu ; suivez moi, je suis invulnérable.... Et moi, je n'ai besoin que d'un cantique pour mettre les armées en déroute.... N'êtes-vous pas cet apôtre qui doit venir de la Transylvanie ? Nous nous promenons depuis long-tems sur les rivages de la mer pour le recevoir... Je suis venu, moi, pour la rédemption des femmes, que le Messie avoit oubliées.... Et moi je tiens école de prophétie : approchez, petits enfans.

Si ces divers caracteres de folie, qui ne sont point tracés d'imagination, avoient par malheur attaqué le peuple, quel ravage n'auroient-ils pas fait ? des hommes étonnés (genus attonitum) auroient grimpé les rochers & percé les forêts : là par mille bonds & des sauts périlleux on eût évoqué l'esprit de révélation ; un prophete bercé sur les genoux des croyantes les plus timorées, seroit tombé dans une épilepsie toute céleste, l'Esprit divin l'auroit saisi par la cuisse, elle se seroit roidie comme du fer, des frissons tels que d'un amour violent auroient couru par tout son corps ; il auroit persuadé à l'assemblée qu'elle étoit une troupe imprenable ; des soldats seroient venus à main armée, & on ne leur auroit opposé que des grimaces & des cris. Cependant ces misérables traînés dans les prisons, eussent été traités en rebelles. C'est à la Medecine qu'il faut renvoyer de pareils malades. Mais passons aux grands remedes qui sont ceux de la politique.

Ou le gouvernement est absolument fondé sur la religion, comme chez les Mahométans ; alors le fanatisme se tourne principalement au-dehors, & rend ce peuple ennemi du genre humain par un principe de zele : ou la religion entre dans le gouvernement, comme le Christianisme descendu du ciel pour sauver tous les peuples ; alors le zele, quand il est mal-entendu, peut quelquefois diviser les citoyens par des guerres intestines. L'opposition qui se trouve entre les moeurs de la nation & les dogmes de la religion, entre certains usages du monde & les pratiques du culte, entre les lois civiles & les préceptes divins, fomente ce germe de trouble. Il doit arriver alors qu'un peuple ne pouvant allier le devoir de citoyen avec celui de croyant, ébranle tour-à-tour l'autorité du Prince & celle de l'Eglise. L'inutile distinction des deux puissances a beau vouloir s'entremettre pour fixer des limites, il faudroit être neutre. Mais l'empire & la sacerdoce, au mépris de la raison, empietent mutuellement sur leurs droits ; & le peuple qui se trouve entre ces deux marteaux supporte seul tous les coups, jusqu'à ce que mutiné par ses prêtres contre ses magistrats, il prenne le fer en main pour la gloire de Dieu, comme on l'a vû si souvent en Angleterre.

Pour détourner cette source intarissable de desordres, il se présente à la vérité trois moyens ; mais quel est le meilleur ? Faut-il rendre la religion despotique, ou le monarque indépendant, ou le peuple libre ?

1°. On pourra dire que le tribunal de l'inquisition, quelque odieux qu'il dût être à tout peuple qui conserveroit encore le nom de quelque liberté, préviendroit les schismes & les querelles de religion, en ne tolérant qu'une façon de penser : qu'à la vérité une chambre toujours ardente brûleroit d'avance les victimes de l'éternité, & que la vie des particuliers seroit continuellement en proie à des soupçons d'hérésie ou d'impiété ; mais que l'état seroit tranquille & le prince en sûreté : qu'au lieu de ces violentes maladies qui épuisent tout-à-coup les veines du corps politique, le sang ne couleroit que goutte à goutte ; & que les sujets dans un état d'infirmité habituelle ne se plaindroient pas des brusques fermentations qu'éprouvent les gouvernemens d'une constitution vigoureuse.

2°. Que si vous préferiez les périls inséparables de la liberté, à l'oppression continuelle, seroit-il mieux de mettre votre souverain à l'abri de toute domination étrangere, & qu'il n'y eût qu'un seul chef dans l'état ? Mais s'il n'y a point de barriere au pouvoir du souverain.... Hé quoi ! ne nous reste-t-il pas des lois fondamentales & des corps intermédiaires ? Il s'ensuivroit donc une reforme générale dans le corps dévoué au culte religieux. Mais seroit-ce un malheur qu'un corps trop puissant perdît quelque chose, si tant d'autres devoient y gagner ? Tandis qu'il resteroit une extrème considération pour les richesses, le commerce tiendroit les autres états en équilibre, la noblesse ne prévaudroit pas ; les tribunaux se rempliroient d'excellens sujets, qui ne sont pas toûjours tels dans l'ordre ecclésiastique : au lieu de ces discussions théologiques, qui tourmentent les esprits sans affermir la religion, l'application se tourneroit vers les matieres de droit public ; on s'éclaireroit sur les véritables intérêts de la nation : cette fourmiliere, qui se jette dans les bas emplois de la Magistrature & de l'Eglise, peupleroit les campagnes & les atteliers ; on s'occuperoit du travail des mains, beaucoup plus naturel à l'homme que les travaux de l'esprit. Il ne faudroit qu'adoucir la condition du peuple, pour l'accoûtumer insensiblement à cette amélioration.

3°. Les rois ont tant d'intérêt à arrêter les progrès du fanatisme ; s'il leur fut quelquefois utile, ils ont eu tant de raisons de s'en plaindre, qu'on ne peut assez demander comment ils osent traiter avec un ennemi si dangereux. Tous ceux qui s'occupent à le détruire, de quelque nom odieux qu'on les appelle, sont les vrais citoyens qui travaillent pour l'intérêt du prince & la tranquillité du peuple. L'esprit philosophique est le grand pacificateur des états ; c'est peut-être dommage qu'on ne lui donne pas de tems-en-tems un plein pouvoir. Les Sintoïstes, secte du Naturalisme au Japon, regardent le sang comme la plus grande de toutes les souillures ; cependant les prêtres du pays les détestent & les décrient, parce qu'ils ne prêchent que la raison & la vertu, sans cérémonies.

Un peu de tolérance & de modération ; sur-tout ne confondez jamais un malheur (tel que l'incrédulité) avec un crime qui est toûjours volontaire. Toute l'amertume du zele devroit se tourner contre ceux qui croyent, & n'agissent pas ; les incrédules resteroient dans l'oubli qu'ils méritent, & qu'ils doivent souhaiter. Punissez, à la bonne heure, ces libertins qui ne secouent la religion, que parce qu'ils sont révoltés contre toute espece de joug, qui attaquent les moeurs & les lois en secret & en public : punissez-les, parce qu'ils deshonorent & la religion où ils sont nés, & la philosophie dont ils font profession : poursuivez-les comme les ennemis de l'ordre & de la société ; mais plaignez ceux qui regrettent de n'être pas persuadés. Eh ! n'est-ce pas une assez grande perte pour eux que celle de la foi, sans qu'on y ajoûte la calomnie & les tribulations ? Qu'il ne soit donc pas permis à la canaille d'insulter la maison d'un honnête homme à coups de pierre, parce qu'il est excommunié : qu'il jouisse encore de l'eau & du feu, quand on lui a interdit le pain des fideles : qu'on ne prive pas son corps de la sépulture, sous prétexte qu'il n'est point mort dans le sein des élûs ; en un mot, que les tribunaux de la justice puissent servir d'asyle au défaut des autels.... Quelle indigne licence, dites-vous, va faire tomber la religion dans le mépris ?.... Est-ce qu'elle se soutient sur des bras de chair ? Voudriez-vous la faire regarder comme un instrument de politique ? N'en appellez donc plus des decrets des hommes à l'autorité divine, & soûmettez-vous le premier à une puissance de qui vous tenez la vôtre ; mais plûtôt faites aimer la religion, en laissant à chacun la liberté de la suivre. Prouvez la verité par vos oeuvres, & non par un étalage de faits étrangers à la morale, & moins conséquens que vos exemples ; soyez doux & pacifiques ; voilà le triomphe assûré à la religion, & le chemin coupé au fanatisme.

Ajoûterons-nous, d'après un auteur anglois, que " le fanatisme est très-contraire à l'autorité du sacerdoce ? En effet portés dans leurs extases à la source même de la lumiere, loin de reconnoître les lois de l'Eglise, les fanatiques s'érigent eux-mêmes en législateurs, & publient tout haut les secrets de la Divinité, au mépris des traditions & des formes reçues ". Comme un favori du prince, qui n'attend ni son rang ni l'expérience pour commander, & qui ne pouvant être à la tête des affaires, faute d'habileté, se plaît à renverser par son crédit les dispositions du ministere ; " le fanatique, sans recevoir l'onction, se consacre lui-même ; & n'ayant pas besoin de médiateur pour aller à Dieu, il substitue ses visions à la révélation & ses grimaces aux cérémonies.

En général nous avons vû en Angleterre nos enthousiastes en fait de religion, passionnés pour le gouvernement républicain, tandis que les plus superstitieux étoient les partisans de la prérogative. De même, continue le même auteur, nous voyons ailleurs deux partis, dont l'un esclave & tyran de la cour est dévoué à l'autorité, & l'autre peu soûmis conserve quelques étincelles de l'amour pour la liberté ".

Si la superstition subjugue & dégrade les hommes, le fanatisme les releve : l'une & l'autre font de mauvais politiques ; mais celui-ci fait les bons soldats. Mahomet n'eut presque jamais qu'un croyant contre dix infideles dans la plûpart de ses combats : avec trois cent hommes, il étoit en état d'en vaincre dix mille, tant la confiance en des légions célestes & l'espérance d'une couronne immortelle donnoient de force à sa petite troupe. Un général d'armée, un ministre d'état, peuvent tirer grand parti de ces ames de feu. Mais aussi quels dangereux instrumens en de mauvaises mains ! Un enthousiaste est souvent plus redoutable avec ses armes invisibles, qu'un prince avec toute son artillerie. Que faire à des gens qui mettent leur salut dans la mort ; qui se multiplient à mesure qu'on les moissonne, & dont un seul suffit pour réparer les plus nombreuses pertes ? Semblables au polype, partagez tout le corps en mille pieces, chaque membre coupé forme un nouveau corps. Exilez ces esprits ardens au fond des provinces, ils mettront toutes les villes en feu. Il ne resteroit donc qu'à les enfermer çà & là dans les prisons, où ils se consumeroient comme des tisons embrasés, jusqu'à ce qu'ils fussent réduits en cendres.

On ne sait guere quel parti prendre avec un corps de fanatiques ; ménagez-les, ils vous foulent aux piés ; si vous les persécutez, ils se soûlevent. Le meilleur moyen de leur imposer silence, est de détourner adroitement l'attention publique sur d'autres objets ; mais ne forcez jamais. Il n'y a que le mépris & le ridicule qui puissent les décréditer & les affoiblir. On dit qu'un chef de police, pour faire cesser les prestiges du fanatisme, avoit résolu, de concert avec un chimiste célebre, de les faire parodier à la foire par des charlatans. Le remede étoit spécifique, si l'on pouvoit desabuser les hommes sans de grands risques ; mais pour peu qu'on leve le voile, il est bien-tôt déchiré. Ménagez la religion & le peuple, parce qu'ils sont redoutables l'un par l'autre.

Le fanatisme a fait beaucoup plus de mal au monde que l'impiété. Que prétendent les impies ? se délivrer d'un joug, au lieu que les fanatiques veulent étendre leurs fers sur toute la terre. Zélotypie infernale ! A-t-on vû des sectes d'incrédules s'attrouper, & marcher en armes contre la divinité ? Ce sont des ames trop foibles pour prodiguer le sang humain : cependant il faut quelque force pour pratiquer le bien sans motif, sans espoir, & sans intérêt. Il y a de la jalousie & de la méchanceté à troubler des ames en possession d'elles-mêmes, parce qu'elles n'ont ni les prétentions, ni les moyens que vous avez.... On se garde bien au reste d'adopter de semblables raisonnemens, qui ont fait le tourment de tant d'hommes aussi célebres par leurs disgraces, que par les écrits qui les leur ont attirées.

Mais s'il étoit permis d'emprunter un moment, en faveur de l'humanité, le style enthousiaste, tant de fois employé contr'elle, voici l'unique priere qu'on opposeroit aux fanatiques :

" Toi qui veux le bien de tous les hommes, & qu'aucun ne périsse ; puisque tu ne prens aucun plaisir à la mort du méchant, délivre nous, non pas des ravages de la guerre & des tremblemens de terre, ce sont des maux passagers, limités, & d'ailleurs inévitables, mais de la fureur des persécuteurs qui invoquent ton saint nom. Enseigne-leur que tu hais le sang, que l'odeur des viandes immolées ne monte point jusqu'à toi, & qu'elle n'a point la vertu de dissiper la foudre dans les airs, ni de faire descendre la rosée du ciel. Eclaire tes zélateurs, afin qu'ils se gardent au-moins de confondre l'holocauste avec l'homicide. Remplis-les tellement de l'amour d'eux-mêmes, qu'ils puissent oublier leur prochain, puisque leur pitié n'est qu'une vertu destructive. Hé ! quel est l'homme que tu as chargé du soin de tes vengeances, qui ne les mérite cent fois plus que les victimes qu'il t'immole ? Fais entendre que ce n'est ni la raison ni la force, mais ta lumiere & ta bonté, qui conduisent les ames dans tes voies, & que c'est insulter à ton pouvoir, que d'y mêler le bras de l'homme. Quand tu voulus former l'Univers, l'appellas-tu à ton secours ? & s'il te plaît de m'introduire à ton banquet, n'es-tu pas infini dans tes merveilles ? mais tu ne veux pas nous sauver malgré nous. Pourquoi n'imite-t-on pas la douceur de ta grace, & prétend-t-on m'inviter par la crainte à t'aimer ? Répands l'esprit d'humanité sur la terre, & cette bienveillance universelle, qui nous remplit de vénération pour tous les êtres avec qui nous partageons le don précieux du sentiment, & qui fait que l'or & les émeraudes fondus ensemble ne sauroient jamais égaler devant toi le voeu d'un coeur tendre & compatissant, encore moins expier l'horreur d'un homicide ".

Fanatisme du patriote. Il y a une sorte de fanatisme dans l'amour de la patrie, qu'on peut appeller le culte des foyers. Il tient aux moeurs, aux lois, à la religion, & c'est par-là sur-tout qu'il mérite davantage ce nom. On ne peut rien produire de grand sans ce zele outré, qui grossissant les objets, enfle aussi les espérances, & met au jour des prodiges incroyables de valeur & de constance. Tel étoit le patriotisme des Romains. Ce fut ce principe d'héroïsme qui donna à tous les siecles le spectacle unique d'un peuple conquérant & vertueux. On peut regarder le vieux Brutus, Caton, les Decius pere & fils, & les trois cent Fabius dans l'histoire civile, comme les lions & les baleines dans l'histoire naturelle, & leurs actions prodigieuses, comme ces volcans inattendus, qui, desolant en partie la surface du globe, affermissent ses fondemens, & causent l'admiration après l'effroi. Mais ne mettez pas au même rang les vains déclamateurs, qui s'enthousiasment indifféremment de tous les préjugés d'état, & qui préferent toûjours leur pays, uniquement parce qu'ils y sont nés. Il est sans-doute beau de mourir pour sa patrie ; & quelle est la chose pour laquelle on ne meurt pas ? Donc la nature n'a pas mis de bornes à ces maximes.... Ecoutez les plus beaux vers, ou l'idée la plus neuve & la plus sublime d'un de nos grands poëtes dans ces derniers jours. Voyez comme une mere parle à son époux, qui veut lui arracher son fils, pour le sacrifier au fils de ses rois.

Va ; le nom de sujet n'est pas plus grand pour nous,

Que ces noms si sacrés & de pere & d'époux.

La nature & l'hymen, voila les lois premieres,

Les devoirs, les liens des nations entieres :

Ces lois viennent des dieux, le reste est des humains.

Cet article est de M. DELEYRE, auteur de l'analyse de la philosophie du chancelier Bacon.

FANATISME, (maladie) voyez DEMONOMANIE, MELANCOLIE, & l'article précédent.


FANEGOSS. m. (Commerce) mesure des grains dont on se sert en Portugal ; quinze fanegos font le muid ; quatre alquiers font le fanegos ; quatre muids de Lisbonne font le last d'Amsterdam. Voyez MUID, ALQUIER, LAST. Dictionn. de Comm. de Trév. & de Chamb. (G)


FANEQUES. m. (Comm.) mesure des grains dont on se sert dans quelques villes d'Espagne, comme à Cadix, S. Sébastien, & Bilbao. Il faut vingt-trois à vingt-quatre faneques de S. Sébastien, pour le tonneau de Nantes, de la Rochelle & d'Avray, c'est-à-dire pour neuf septiers & demi de Paris. La mesure de Bilbao étant un peu plus grande, vingt à vingt-un faneques suffisent pour un tonneau de Nantes, Avray, & la Rochelle. Cinquante faneques de Cadix & de Séville, font le last d'Amsterdam ; chaque faneque pese 93 3/4 livres de Marseille ; quatre chays font la faneque, & douze anegras le catus. Voyez MUID, LAST, ANEGRAS, &c. Dictionn. de Comm. de Trév. & de Chamb. (G)


FANERv. act. (Econ. rustiq.) c'est, lorsque le foin a été fauché, qu'il a reposé sur le pré, & que le dessus en est sec, le retourner avec des fourches & l'agiter un peu en l'air : cette façon se réitere plusieurs fois, & elle rend le foin meilleur. Voyez les articles FOIN & PRE.


FANFARES. f. sorte d'air militaire, pour l'ordinaire court & brillant, qui s'exécute par des trompettes, & qu'on imite sur d'autres instrumens. La fanfare est communément à deux dessus de trompettes, accompagnées de tymbales ; & bien exécutée, elle a quelque chose de martial & de gai, qui convient fort à son usage. De toutes les troupes de l'Europe, les allemandes sont celles qui ont les meilleurs instrumens militaires ; aussi leurs marches & fanfares font-elles un effet admirable. C'est une chose à remarquer, que dans tout le royaume de France, il n'y a pas un seul trompette qui sonne juste, & que les meilleures troupes de l'Europe, sont celles qui ont le moins d'instrumens militaires & les plus discordans ; ce qui n'est pas sans inconvénient. Durant les dernieres guerres, les paysans de Baviere & d'Autriche, tous musiciens nés, ne pouvant croire que des troupes reglées eussent des instrumens si faux & si détestables, prirent tous ces vieux corps pour de nouvelles levées, qu'ils commencerent à mépriser, & l'on ne sauroit dire à combien de braves gens des tons faux ont coûté la vie. Tant il est vrai que dans l'appareil de la guerre, il ne faut rien négliger de ce qui frappe les sens. (S)


FANFARONS. m. celui qui affecte une bravoure qu'il n'a point : un vrai fanfaron sait qu'il n'est qu'un lâche. L'usage a un peu étendu l'acception de ce mot ; on l'applique à celui même qui exagere ou qui montre avec trop d'affectation & de confiance la bravoure qu'il a ; & plus généralement à celui qui se vante d'une vertu, quelle qu'elle soit, au-delà de la bienséance ; mais les lois de la bienséance varient selon les tems & les lieux. Ainsi tel homme est pour nous un fanfaron, qui ne l'étoit point pour son siecle, & qui ne le seroit point aujourd'hui pour sa nation. Il y a des peuples fanfarons. La fanfaronade est aussi dans le ton. Il y a tel discours héroïque, qu'un mot ajoûté ou changé, feroit dégénérer en fanfaronade ; & réciproquement, il y a tel propos fanfaron, qu'une pareille correction rendroit héroïque. Il y a plus, le même discours dans la bouche de deux hommes différens, est un discours élevé, ou une fanfaronade. On tolere, on admire même dans celui qui a pardevers soi de grandes actions, un ton qu'on ne souffriroit point dans un homme qui n'a rien fait encore qui garantisse & qui justifie ses promesses. Je trouve en général tous nos héros de théatre un peu fanfarons. C'est un mauvais gout qui passera difficilement ; il a pour la multitude un faux éclat qui l'ébloüit ; & il est difficile de rentrer dans les bornes de la nature, de la vérité, & de la simplicité, lorsqu'une fois on s'en est écarté. Il est bien plus facile d'entasser des sentences les unes sur les autres, que de converser.


FANIONS. m. (Art milit.) c'est une espece d'étendard qui sert à la conduite des menus bagages des régimens de cavalerie & d'infanterie. La banderole du fanion doit être d'un pié quarré, & d'étoffe de laine des couleurs affectées aux régimens. Le nom du régiment auquel le fanion appartient, est écrit dessus.

Le fanion est porté par un des valets des plus sages du régiment, lequel est choisi par le major. Il est conduit par un officier subalterne, auquel on donne le nom de waquemestre.

Le devoir de cet officier consiste à veiller à la conduite des menus bagages du régiment, & de contenir les valets tous ensemble à la suite du fanion, à l'exception néanmoins de ceux qui marchent avec leurs maîtres dans les divisions. Il est défendu aux valets de quitter le fanion de leur régiment, à peine de foüet. (Q)


FANNASHIBAS. m. (Hist. nat. bot.) c'est un grand arbre qui croît au Japon ; ses feuilles sont d'un verd foncé, & forment une espece de couronne ; ses fleurs sont en bouquets, étant attachées les unes aux autres ; elles répandent une odeur très-agréable & si forte, qu'on la peut sentir à une lieue, quand le vent donne. Les dames les font secher, & s'en servent à parfumer leurs appartemens. On plante cet arbre dans le voisinage des temples & pagodes ; & quand il est vieux, on le brûle dans les funérailles des morts. Hubner, dictionn. universel.


FANNEFANNE d’une graine, (Jardinage.) est la même chose que feuille. On se sert de ce mot, particulierement en parlant des anémones & des renoncules. (K)


FANNERFANNER, FANNÉ, (Jardinage) le trop de soleil, la cessation du mouvement de la seve, alterent tellement les feuilles d'un arbre ou d'une plante, qu'au lieu d'être fermes & élevées, elles baissent & se flétrissent ; ce qui fait dire qu'elles sont fannées. (K)


FANO(Géograph.) fanum fortunae, à cause d'un temple de la fortune qui y fut bâti par les Romains, en mémoire d'une victoire signalée qu'ils remporterent sur Asdrubal frere d'Annibal, dans la seconde guerre punique l'an de Rome 547 ; jolie petite ville maritime d'Italie, dans l'état de l'Eglise, au duché d'Urbin, avec un évêché qui releve du pape, & un ancien arc de triomphe dont les inscriptions sont presque toutes effacées. L'église cathédrale y possede de beaux tableaux du Guide. Cette ville est la patrie de deux papes ; savoir de Marcel II. qui mourut vingt-quatre heures après son élection, le 9 Avril 1555, non sans soupçon d'avoir été empoisonné ; & de Clément VIII. élu pape en 1592, mort en 1605, si connu par l'absolution d'Henri IV. & la création de plus de cinquante cardinaux pendant son pontificat. Fano est sur le golfe de Venise, à trois lieues sud-est de Pésaro, huit nord-est d'Urbin ; elle est la patrie de Taurellus (Laelius), connu par ses Pandectae Florentinae, en trois volumes in-fol. Long. 30d. 40'. lat. 43d. 53'. (D.J.)

FANO, (Comm.) petit poids dont on se sert à Goa & dans quelques autres lieux des Indes orientales, pour peser les rubis : il est de deux karats de Venise. Dictionn. de Comm. de Trév. & de Chamb. (G)


FANONS. m. (Marine) Prendre le fanon de l'artimon, c'est le raccourcissement du point de la voile que l'on trousse & ramasse avec des garcettes, pour prendre moins de vent ; ce qui ne se fait que dans de très-gros tems. Ce mot est particulierement pour la voile d'artimon, & quelquefois pour la misene. (Z)

FANON, terme de Chirurgie, piece d'appareil pour la fracture des extrémités inférieures. On fait les fanons avec deux baguettes ou petits bâtons de la grosseur du doigt : chaque baguette est garnie de paille, qu'on maintient autour du bâton avec un fil qui l'entortille d'un bout à l'autre. La longueur des fanons est différente, suivant la grandeur des sujets, & suivant la partie fracturée. Les fanons qui servent pour la jambe doivent être d'égale longueur, & s'étendre depuis le dessus du genou jusqu'à quatre travers de doigts au-delà du pié. Ceux qui doivent maintenir la cuisse sont inégaux ; l'externe doit aller depuis le dessus du pié jusqu'au-delà de l'os des îles ; l'interne est plus court, & doit se terminer supérieurement au pli de la cuisse, & ne point blesser les parties naturelles. Le mot de fanon signifie un bâton de torche. Pour s'en servir on les roule un de chaque côté dans les parties latérales d'une piece de linge d'une longueur & d'une largeur suffisantes, sur le plein de laquelle la partie puisse être placée avec tout l'appareil qui y est appliqué. Voyez Planche IV. de Chirurgie, figure 1. On serre les fanons des deux côtés du membre ; mais avant de les attacher par le moyen de trois ou quatre liens ou rubans de fil qu'on a eu soin de passer par-dessous, on a l'attention de mettre des compresses assez épaisses pour remplir les vuides, comme au-dessous du genou, & au-dessus des malléoles ou chevilles, afin que les fanons fassent une compression égale dans toute la longueur du membre, & qu'ils ne blessent point les parties sur lesquelles ils porteroient si elles n'étoient point garnies. Dans quelques hôpitaux on a pour cet usage des petits sachets remplis de paille d'avoine. On noue extérieurement les rubans qui serrent les fanons contre le membre, & on met ordinairement une petite compresse quarrée au milieu de la partie antérieure de la partie, sous chacun de ces rubans pour les soûtenir, & remplir le vuide qu'il y auroit entre le ruban & l'appareil. On voit assez par cette description, quel est l'usage des fanons ; ils maintiennent la partie fracturée dans la direction qu'on lui a donnée, & s'opposent à tous les mouvemens volontaires & involontaires, plus que toute autre partie de l'appareil ; ils servent aussi à éviter le dérangement dans le transport qu'on est quelquefois obligé de faire d'un blessé d'un lit dans un autre.

Lorsque les fanons sont appliqués, on doit poser le membre sur un coussin ou oreiller, dans une situation un peu oblique, ensorte que le pié soit plus élevé que le genou, & le genou plus que la cuisse ! cette position favorise le retour du sang des extrémités vers le centre. Dans les hôpitaux militaires, où l'on n'a point d'oreillers, on met la partie dans des faux-fanons. On donne ce nom à un drap plié de façon, qu'il n'ait de large que la hauteur des fanons ; on le roule par les deux extrémités, & on place le membre entre ces deux rouleaux, qui servent à soûtenir les fanons, & même à soûlever la partie, & à donner un peu d'air par-dessous, quand on le juge à propos. Voyez FLABELLATION. On met quelquefois les faux-fanons doubles, pour élever le membre davantage. Quand au lieu de drap on n'a que des alaises ou des nappes, il faut s'accommoder aux circonstances : alors on roule séparement les pieces de linge qu'on a, & on met les unes d'un côté & les autres de l'autre, pour remplir l'intention marquée.

Les anciens mettoient tout simplement le membre dans une espece de caisse qui contenoit fort bien tout l'appareil. M. Petit a perfectionné cette pratique : la boîte qu'il a imaginée, contient avantageusement les jambes fracturées, & elle est sur-tout très-utile dans les fractures compliquées de plaie qui exige des pansemens fréquens. Voyez BOITE.

M. de la Faye a inventé aussi une machine pour contenir les fractures, tant simples que compliquées ; elle est composée de plusieurs lames de fer blanc unies par des charnieres : il suffit de garnir la partie de compresses, & l'on roule cette machine par-dessus, comme une bande. Cette machine, qui peut être de grande utilité à l'armée dans le transport des blessés, pour empêcher les accidens fâcheux qui résultent du froissement des pieces fracturées, est décrite dans le second volume des mémoires de l'académie royale de Chirurgie. M. Coutavoz, membre de la même société académique, a fait à cette machine des additions très-importantes pour un cas particulier, dont il a donné l'observation dans le même volume.

Dans une campagne où l'on n'auroit aucun de ces secours, où l'on manqueroit même de linge, un chirurgien intelligent ne seroit pas excusable, si son esprit ne lui suggéroit quelque moyen pour maintenir les pieces d'os fracturées dans l'état convenable ; on peut faire une boîte ou caisse avec de l'écorce d'arbre, & remplir les inégalités de la partie avec quelque matiere molle, comme seroit de la mousse, &c. Voyez FRACTURE. (Y)

FANON, (Manége, Maréchall.) On appelle de ce nom cet assemblage de crins qui tombent sur la partie postérieure des boulets, & cachent celle que nous nommons l'ergot. Leur trop grande quantité décele des chevaux épais, grossiers & chargés d'humeurs ; elle est d'autant plus nuisible, qu'elle ne sert qu'à receler la crasse, la boue & toutes les matieres irritantes, que nous regardons avec raison comme les causes externes d'une foule de maux qui attaquent les jambes de l'animal. On employe des cisailles ou pinces à poil, pour dégarnir le fanon. Voyez PANSER. (e)


FANTAISIES. f. (Gramm.) signifioit autrefois l'imagination, & on ne se servoit guere de ce mot que pour exprimer cette faculté de l'ame qui reçoit les objets sensibles. Descartes, Gassendi, & tous les philosophes de leur tems, disent que les especes, les images des choses se peignent en la fantaisie ; & c'est de-là que vient le mot fantôme. Mais la plûpart des termes abstraits sont reçûs à la longue dans un sens différent de leur origine, comme des instrumens que l'industrie employe à des usages nouveaux. Fantaisie veut dire aujourd'hui un desir singulier, un gout passager : il a eu la fantaisie d'aller à la Chine : la fantaisie du jeu, du bal, lui a passé. Un peintre fait un portrait de fantaisie, qui n'est d'après aucun modele. Avoir des fantaisies, c'est avoir des goûts extraordinaires qui ne sont pas de durée. Voyez l'article suivant. Fantaisie en ce sens est moins que bisarrerie & que caprice. Le caprice peut signifier un dégout subit & déraisonnable. Il a eu la fantaisie de la musique, & il s'en est dégoûté par caprice. La bisarrerie donne une idée d'inconséquence & de mauvais goût, que la fantaisie n'exprime pas : il a eu la fantaisie de bâtir, mais il a construit sa maison dans un goût bizarre. Il y a encore des nuances entre, avoir des fantaisies & être fantasque : le fantasque approche beaucoup plus du bizarre. Ce mot désigne un caractère inégal & brusque. L'idée d'agrément est exclue du mot fantasque, au lieu qu'il y a des fantaisies agréables. On dit quelquefois en conversation familiere, des fantaisies musquées ; mais jamais on n'a entendu par ce mot, des bisarreries d'hommes d'un rang supérieur qu'on n'ose condamner, comme le dit le dictionnaire de Trévoux : au contraire, c'est en les condamnant qu'on s'exprime ainsi ; & musquée en cette occasion est une explétive qui ajoûte à la force du mot, comme on dit sottise pommée, folie fieffée, pour dire sottise & folie complete . Article de M. DE VOLTAIRE.

FANTAISIE, (Morale) c'est une passion d'un moment, qui n'a sa source que dans l'imagination : elle promet à ceux qu'elle occupe, non un grand bien, mais une joüissance agréable : elle s'exagere moins le mérite que l'agrément de son objet ; elle en desire moins la possession que l'usage : elle est contre l'ennui la ressource d'un instant : elle suspend les passions sans les détruire : elle se mêle aux penchans d'habitude, & ne fait qu'en distraire. Quelquefois elle est l'effet de la passion même ; c'est une bulle d'eau qui s'éleve sur la surface d'un liquide, & qui retourne s'y confondre ; c'est une volonté d'enfant, & qui nous ramene pendant sa courte durée, à l'imbécillité du premier âge.

Les hommes qui ont plus d'imagination que de bon-sens, sont esclaves de mille fantaisies ; elles naissent du desoeuvrement, dans un état où la fortune a donné plus qu'il ne faut à la nature, où les desirs ont été satisfaits aussi-tôt que conçûs : elles tyrannisent les hommes indécis sur le genre d'occupations, de devoirs, d'amusemens qui conviennent à leur état & à leur caractere : elles tyrannisent surtout les ames foibles, qui sentent par imitation. Il y a des fantaisies de mode, qui pendant quelque tems sont les fantaisies de tout un peuple ; j'en ai vû de ce genre, d'extravagantes, d'utiles, de frivoles, d'héroïques, &c. Je vois le patriotisme & l'humanité devenir dans beaucoup de têtes des fantaisies assez vives, & qui peut-être se répandroient, sans la crainte du ridicule.

La fantaisie suspend la passion par une volonté d'un moment ; & le caprice interrompt le caractere. Dans la fantaisie on néglige les objets de ses passions & ses principes, & dans le caprice on les change. Les hommes sensibles & legers ont des fantaisies, les esprits de travers sont fertiles en caprices.

FANTAISIE, (Musique) piece de musique instrumentale qu'on exécute en la composant. Il y a cette différence du caprice à la fantaisie, que le caprice est un recueil d'idées singulieres & sans liaison, que rassemble une imagination échauffée, & qu'on peut même composer à loisir ; au lieu que la fantaisie peut être une piece très-réguliere, qui ne differe des autres qu'en ce qu'on l'invente en l'exécutant, & qu'elle n'existe plus quand elle est achevée : ainsi le caprice est dans l'espece & l'assortiment des idées, & la fantaisie dans leur promtitude à se présenter. Il suit de-là qu'un caprice peut fort bien s'écrire, mais jamais une fantaisie ; car si-tôt qu'elle est écrite ou répetée, ce n'est plus une fantaisie, mais une piece ordinaire. (S)

FANTAISIE, (Manége) On doit nommer fantaisie dans le cheval, une action quelconque suggérée par une volonté tellement opiniâtre & rebelle, qu'elle répugne à toute autre dénomination ; & appeller du nom de défense, la résistance plus ou moins forte que l'animal oppose à toute puissance émanant d'une volonté étrangere. Voyez METTRE UN CHEVAL. (e)

FANTAISIE, (Peinture) Peindre, dessiner de fantaisie, n'est autre chose que faire d'invention, de génie : quelquefois cependant fantaisie signifie une composition qui tient du grotesque. Voyez PITTORESQUE.


FANTASSINS. m. soldat qui combat à pié seulement, & qui est partie d'une compagnie d'infanterie. Voyez INFANTERIE. (Q)


FANTIS. m. (Commerce) nom qu'on donne à Vienne aux clercs ou facteurs du Collége de Commerce, & dont les marchands se servent pour faire les protêts des billets & lettres de change. Voyez PROTET. Dictionn. de Commerce, de Trévoux & de Chambers. (G)


FANTIN(Géogr.) petit état d'Afrique, sur la Côte d'or de Guinée. Il est peuplé, riche en or, en esclaves & en grains. Il est gouverné par un chef appellé braffo, & par le conseil des vieillards, qui a beaucoup d'autorité. Les Anglois & les Hollandois y ont des forts. Voyez Bosman, voyage de Guinée ; la Croix, relation d'Afrique. Fantin & Annamabo sont les lieux principaux du pays. Long. 15d. 25'. lat. 7'. 10'. (D.J.)


FANTINES. f. (Manufacture en soie) partie du chevalet à tirer la soie de dessus les cocons. Voyez l'article SOIE.


FANTOMES. m. (Gramm.) Nous donnons le nom de fantôme à toutes les images qui nous font imaginer hors de nous des êtres corporels qui n'y sont point. Ces images peuvent être occasionnées par des causes physiques extérieures, de la lumiere, des ombres diversement modifiées, qui affectent nos yeux, & qui leur offrent des figures qui sont réelles : alors notre erreur ne consiste pas à voir une figure hors de nous, car en effet il y en a une, mais à prendre cette figure pour l'objet corporel qu'elle représente. Des objets, des bruits, des circonstances particulieres, des mouvemens de passion, peuvent aussi mettre notre imagination & nos organes en mouvement ; & ces organes mûs, agités, sans qu'il y ait aucun objet présent, mais précisément comme s'ils avoient été affectés par la présence de quelqu'objet, nous le montrent, sans qu'il y ait seulement de figure hors de nous. Quelquefois les organes se meuvent & s'agitent d'eux-mêmes, comme il nous arrive dans le sommeil ; alors nous voyons passer au-dedans de nous une scene composée d'objets plus ou moins décousus, plus ou moins liés, selon qu'il y a plus ou moins d'irrégularité ou d'analogie entre les mouvemens des organes de nos sensations. Voilà l'origine de nos songes. Voyez les articles SENS, SENSATION, SONGE. On a appliqué le mot de fantôme à toutes les idées fausses qui nous impriment de la frayeur, du respect, &c. qui nous tourmentent, & qui font le malheur de notre vie : c'est la mauvaise éducation qui produit ces fantômes, c'est l'expérience & la philosophie qui les dissipent.


FANTOou FENTON, s. m. (Serrur.) c'est une sorte de ferrure destinée à servir de chaîne aux tuyaux de cheminées : il y en a de deux sortes. Ceux dont on se sert pour les tuyaux de cheminée en plâtre, sont faits de petites tringles de fer fendues, d'environ six lignes d'épaisseur sur dix-huit pouces de longueur, terminées à chaque extrémité par un crochet. Ces crochets s'embrassent réciproquement, & forment la chaîne qu'on voit dans nos Planches de la serrurerie des bâtimens. Le maçon pose cette chaîne en élevant le tuyau de la cheminée.

On employe la seconde espece de fantons dans les cheminées de brique ; ils sont d'un fer plat, d'environ deux pouces de large, & d'une longueur qui varie selon les dimensions de la cheminée. Ces morceaux de fer plat sont fendus sur le plat par chacune de leurs extrémités, d'environ six pouces de long. On coude les parties fendues, en équerre sur leur plat, l'une de ces parties en-dessus, & l'autre en-dessous ; ensorte que ces parties coudées forment une espece de T : on les expose dans les épaisseurs du tuyau de la cheminée, comme on le voit aussi dans nos Planches de Serrurerie.

Cette ferrure contient, lie & fortifie les parties de la cheminée. Il est évident que le tuyau sera d'autant plus solide, qu'on les multipliera davantage sur sa longueur.


FANUM(Littérat.) temple ou monument qu'on élevoit aux empereurs après leur apothéose. C'est un mot grec , avec un digamma éolique , fanum, temple. Cette origine est manifeste dans le diminutif hanulum pour fanulum, petit temple.

Ciceron inconsolable de la mort de sa fille Tullia, résolut de lui bâtir un temple ; je dis un temple, & non pas un tombeau, parce qu'il vouloit que le monument qu'il lui érigeroit s'appellât fanum, dénomination consacrée aux temples, & aux seuls monumens qu'on élevoit aux empereurs après leur apothéose.

En effet, quelque magnifique qu'un tombeau pût être, il ne paroissoit point à Cicéron digne d'une personne telle que Tullie, & qu'il croyoit mériter des honneurs divins. C'est pourquoi, après avoir fait marché pour des colonnes de marbre de Chio, un des plus beaux marbres de la Grece, il insinue que l'emploi qu'il en vouloit faire pour sa fille, étoit quelque chose d'extraordinaire. Il parle en même tems de son dessein comme d'une foiblesse qu'il faut que ses amis lui pardonnent ; mais il conclud que, puisque les Grecs de qui les Romains tenoient leurs lois, avoient mis des hommes au nombre des dieux, il pouvoit bien suivre leur exemple, & que son admirable fille ne méritoit pas moins cet honneur, que les enfans de Cadmus, d'Amphion, & de Tindare : en un mot il compte que les dieux la recevront avec plaisir au milieu d'eux, & qu'ils approuveront d'autant plus volontiers son apothéose, qu'elle n'étoit point une nouveauté. Voyez APOTHEOSE & CONSECRATION.

Il est vrai qu'on trouve plusieurs exemples de ces apothéoses ou consécrations domestiques dans les inscriptions sépulcrales greques, où les parens du mort déclarent que c'est de leur propre autorité qu'il a été mis au nombre des dieux. Spon. inscript. cxjv. page 368. Reinesius, inscript. cxl. classiq. 17.

On a lieu de croire cependant que Cicéron n'exécuta pas le dessein dont il avoit parû si fort occupé, parce qu'il n'en parle plus dans ses ouvrages, & que les auteurs qui l'ont suivi n'en ont fait aucune mention. La mort de César qui arriva dans cette conjoncture, jetta Cicéron dans d'autres affaires, qui vraisemblablement ne lui laisserent pas le loisir de songer à celle-ci. Peut-être aussi que lorsque le tems eut diminué sa douleur, il ouvrit les yeux, & reconnut que si on l'avoit blâmé de s'y être trop abandonné, on le condamneroit encore davantage d'en laisser un monument si extraordinaire. Mais voyez sur le fanum de Tullia, l'abbé Montgault dans les mém. des Belles-Lettres, & Middleton dans la vie de Cicéron. Art. de M(D.J.)


FANUSS. m. (Mythologie) dieu des anciens ; c'étoit le protecteur des voyageurs, & la divinité de l'année. Les Phéniciens le représentoient sous la figure d'un serpent replié sur lui-même, qui mord sa queue.


FAONS. m. (Vénerie) petit d'une biche. Voyez l'article CERF.


FAPESMO(Logique) un des termes dont on se sert pour représenter par la différente position de ses voyelles, la qualité des propositions qui doivent former une espece déterminée de syllogisme ; a marque que la majeure en doit être universelle affirmative ; e la mineure universelle négative, o la conclusion particuliere négative. Voyez l'article SYLLOGISME.


FAQUINS. m. (Manége) courir ou courre le faquin, rompre des lances, jetter des dards contre la quintaine ; espece de jeu fort en usage chez les Romains qui y exerçoient avec soin la jeunesse qu'ils destinoient à la guerre. Il fut du nombre de ceux que l'empereur Justinien distingua des jeux de hasard qu'il défendit, & idem ludere liceat quintanam hastâ sine cuspide, L. III. tit. xliij. cod. de alcat. Suivant cette même loi, il paroît que Quintus en fut l'inventeur, & de-là l'origine du mot quintaine, à quoddam Quinto, ita nominatâ hâc lusus specie. Balsamon dans ses notes sur le Nomocanon de Photius, a embrassé ce sentiment, d'ailleurs contraire à l'opinion de Pancirole, de Ducange, & de Borel. Le premier, j. var. cap. jv. estime que cet exercice a tiré son nom à quintanâ viâ quae à castris romanis in quintanam portam exibat : le second, dissert. sur Joinville, des banlieues dans lesquelles on se rendoit à cet effet, ces banlieues étant appellées quintes ou quintaines : Borel enfin avance qu'il n'est ainsi nommé, qu'attendu que l'on a imité ce jeu de ceux des anciens qui avoient lieu de cinq en cinq ans.

Quant au terme de faquin, qui dans cette circonstance est le synonyme de celui de quintaine, sa source n'est point obscure. On peut y remonter, sans craindre de prendre une conjecture bizarre & imaginaire pour une analogie réguliere. En effet ce mot n'a été appliqué ici, que parce que l'on substitue au pal ou au pilier, contre lequel on rompoit des lances, un homme fort & vigoureux, ou un porte-faix, en italien facchino, armé de toutes pieces. Ce porte-faix étoit tantôt habillé en turc, tantôt en maure ou en sarrasin ; aussi les Italiens nommerent-ils ce jeu la course à l'homme armé, la course du sarrasin, l'huomo armato, il saraceno, il stafermo. A notre égard nous l'avons appellé la course du faquin ; terme qui peut à la vérité dans le sens figuré désigner nombre de personnes, mais qui dans son acception naturelle signifie proprement un crocheteur, nn homme de la lie du peuple.

Dans la suite, & principalement dans les manéges, on plaça au lieu du pal & de l'homme, un buste mobile sur un pivot, tenant un bouclier de la main gauche, & de la droite une épée, ou un sabre, ou un bâton, ou un sac rempli de sable ou de son. Il s'agissoit de lancer des dards & de rompre des lances contre le buste, qui atteint par l'assaillant muni de la lance, au front, entre les yeux, dans l'oeil, sur le nez, au menton, demeuroit ferme & inébranlable ; mais qui frappé par-tout ailleurs, tournoit avec une telle rapidité, que le cavalier esquivoit avec une peine extrème le coup auquel la mobilité du buste, dont la main droite étoit armée, l'exposoit, dès qu'il avoit mal ajusté : on conserve à ce buste le nom de faquin. Cette course & celle des bagues sont de toutes celles qui ont été pratiquées à cheval, les plus agréables & les moins dangereuses. On ne peut disconvenir qu'il n'y ait beaucoup d'adresse à faire les dedans, & à rompre de bonne grace ; on acquiert dans ces sortes de jeux une grande aisance, beaucoup de facilité, beaucoup de liberté ; mais on ne me persuadera point qu'ils doivent être préférés à la science du maniement des armes dont nous nous servons aujourd'hui, & que celle de mesurer des coups de lance soit assez utile, pour négliger & pour abandonner totalement la premiere. Voyez EXERCICES. Du reste la course du faquin est déjà en quelque maniere délaissée ; il n'en est plus question dans nos écoles. En ce qui concerne celle de la quintaine, nous dirons qu'elle a lieu encore dans quelques coûtumes locales, soit à l'égard des meûniers, bateliers, &c. soit à l'égard des nouveaux mariés, qui, s'ils n'ont point eu d'enfans dans l'année, sont obligés de rompre en trois coups, sous peine d'une amende, une perche contre un pilier planté dans la riviere : le tout en présence du seigneur, tandis que les femmes sont tenues de présenter au procureur du roi un chapeau de roses, ou d'autres fleurs, & de donner à goûter au greffier du juge. Il est fait mention de ce droit dans le liv. III. du recueil des arrêts du parlement de Bretagne. Nous y lisons qu'un certain prieur de Livré, soûtenant que ce droit lui appartenoit, prétendoit en user dès le lendemain de pâques ? ce qui lui fut spécialement défendu, au moins dans le cours de ces fêtes solemnelles. (e)


FARAB(Géogr.) petite ville d'Asie située sur le bord septentrional du Chesel, environ à 15 lieues de la mer Caspienne. Sa longit. varie depuis 87 à 89 degrés ; sa latit. est fixée à 38 degrés. (D.J.)


FARAILLONS. m. (Marine) c'est un petit banc de sable ou de roche, qui est séparé d'un banc plus grand par un petit canal. Ce terme n'est guere usité. (Z)


FARAIS* FARAIS & HERBAGES, (Pêche.) on appelle farais les ficelles neuves dont on travaille les rets pour la pêche des coraux ; & herbages les vieilles ficelles qu’on tire des rets usés, & qu’on remet en étoupes pour les chevrons qui servent à la même pêche.


FARATELLES. m. (Commerce) poids dont on se sert dans quelques lieux du continent des grandes Indes. Il est égal à deux livres de Lisbonne, où la livre est de 14 onces poids de marc, ce qui revient à une livre trois quarts de Paris. Voy. LIVRE, POIDS. Dictionn. de Comm. de Trév. & de Chambers. (G)


FARCES. f. (Belles-Lettres) espece de comique grossier où toutes les regles de la bienséance, de la vraisemblance, & du bon sens, sont également violées. L'absurde & l'obscene sont à la farce ce que le ridicule est à la comédie.

Or on demande s'il est bon que ce genre de spectacle ait dans un état bien policé des théatres réguliers & décens. Ceux qui protegent la farce en donnent pour raison, que puisqu'on y va, on s'y amuse, que tout le monde n'est pas en état de goûter le bon comique, & qu'il faut laisser au public le choix de ses amusemens.

Que l'on s'amuse au spectacle de la farce, c'est un fait qu'on ne peut nier. Le peuple romain desertoit le théatre de Térence pour courir aux bateleurs ; & de nos jours Mérope & le Méchant dans leur nouveauté ont à peine attiré la multitude pendant deux mois, tandis que la farce la plus monstrueuse a soûtenu son spectacle pendant deux saisons entieres.

Il est donc certain que la partie du public, dont le goût est invariablement décidé pour le vrai, l'utile, & le beau, n'a fait dans tous les tems que le très-petit nombre, & que la foule se décide pour l'extravagant & l'absurde. Ainsi, loin de disputer à la farce les succès dont elle joüit, nous ajoûterons que dès qu'on aime ce spectacle, on n'aime plus que celui-là, & qu'il seroit aussi surprenant qu'un homme qui fait ses délices journalieres de ces grossieres absurdités, fût vivement touché des beautés du Misantrope & d'Athalie, qu'il le seroit de voir un homme nourri dans la débauche se plaire à la société d'une femme vertueuse.

On va, dit-on, se délasser à la farce ; un spectacle raisonnable applique & fatigue l'esprit ; la farce amuse, fait rire, & n'occupe point. Nous avoüons qu'il est des esprits, qu'une chaîne réguliere d'idées & de sentimens doit fatiguer. L'esprit a son libertinage & son desordre où il est plus à son aise ; & le plaisir machinal & grossier qu'il y prend sans réflexion, émousse en lui le goût de l'honnête & de l'utile ; on perd l'habitude de refléchir comme celle de marcher, & l'ame s'engourdit & s'énerve comme le corps, dans une oisive indolence. La farce n'exerce, ni le goût ni la raison : de-là vient qu'elle plait à des ames paresseuses ; & c'est pour cela même que ce spectacle est pernicieux. S'il n'avoit rien d'attrayant, il ne seroit que mauvais.

Mais qu'importe, dit-on encore, que le public ait raison de s'amuser ? Ne suffit-il pas qu'il s'amuse ? C'est ainsi que tranchent sur tout ceux qui n'ont refléchi sur rien. C'est comme si on disoit : Qu'importe la qualité des alimens dont on nourrit un enfant, pourvû qu'il mange avec plaisir ? Le public comprend trois classes ; le bas peuple, dont le goût & l'esprit ne sont point cultivés, & n'ont pas besoin de l'être ; le monde honnête & poli, qui joint à la décence des moeurs une intelligence épurée & un sentiment délicat des bonnes choses ; l'état mitoyen, plus étendu qu'on ne pense, qui tâche de s'approcher par vanité de la classe des honnêtes gens, mais qui est entraîné vers le bas peuple par une pente naturelle. Il ne s'agit donc plus que de savoir de quel côté il est le plus avantageux de décider cette classe moyenne & mixte. Sous les tyrans & parmi les esclaves la question n'est pas douteuse ; il est de la politique de rapprocher l'homme des bêtes, puisque leur condition doit être la même, & qu'elle exige également une patiente stupidité. Mais dans une constitution de choses fondée sur la justice & la raison, pourquoi craindre d'étendre les lumieres, & d'ennoblir les sentimens d'une multitude de citoyens, dont la profession même exige le plus souvent des vûes nobles, un sentiment délicat & un esprit cultivé ? On n'a donc nul intérêt politique à entretenir dans cette classe du public l'amour dépravé des mauvaises choses.

La farce est le spectacle de la grossiere populace, & c'est un plaisir qu'il faut lui laisser, mais dans la forme qui lui convient, c'est-à-dire avec des treteaux pour théatres, & pour salles des carrefours ; par-là il se trouve à la bienséance des seuls spectateurs qu'il convienne d'y attirer. Lui donner des salles décentes & une forme réguliere, l'orner de musique, de danses, de décorations agréables, c'est dorer les bords de la coupe où le public va boire le poison du mauvais goût. Article de M. MARMONTEL.

FARCE, en Cuisine, est une espece de garniture ou mêlange de différentes viandes hachées bien menues, assaisonnées d'épices & de fines herbes.

FARCE, se dit encore, parmi les Cuisiniers, d'un mets fait avec plusieurs sortes d'herbes, comme oseille, laitue, porée, &c. hachées ensemble, & brouillées avec des oeufs ; avant de la servir, outre ceux qu'on y a brouillés, on y met encore des quartiers d'oeufs durs, tant pour orner le plat de farce, que pour adoucir la trop grande aigreur des herbes.


FARCINS. m. (Manége, Maréchall.) De toutes les affections cutanées, le farcin est celle qui a été envisagée comme la plus formidable.

Vanhelmont, à l'aspect de ses symptomes & de ses progrès, le déclara d'abord la source & l'origine de la vérole. Cette décision honore peu sans-doute les inquisiteurs qui attenterent pieusement à sa liberté, sous prétexte que ses succès, dans le traitement des maladies du corps humain, étoient au-dessus des forces de la nature.

Soleysel, cet oracle encore consulté de nos jours, en donne une définition qui persuaderoit que la célébrité de son nom est moins un témoignage de son savoir que de notre ignorance. Est aura venenata, dit-il, ce sont des esprits corrompus, qui pénetrent les parties du corps du cheval avec la même facilité que la lumiere du soleil passe au-travers d'un verre. L'obscurité d'un semblable texte exigeroit nécessairement un commentaire ; mais nous n'aurons pas la hardiesse & la témérité d'entreprendre d'expliquer ce que nous n'entendons pas, & ce que vraisemblablement l'auteur n'a pas compris lui-même.

Considérons le farcin dans ses signes, dans ses causes, & dans les regles thérapeutiques, auxquels nous sommes forcés de nous assujettir relativement au traitement de cette maladie.

Elle s'annonce & se manifeste toûjours par une éruption. Il importe néanmoins d'observer que les boutons qui la caractérisent, n'ont pas constamment le même aspect & le même siége.

Il en est qui se montrent indistinctement sur toutes les parties quelconques du corps de l'animal ; leur volume n'est pas considérable ; ils abscedent quelquefois.

D'autres à-peu-près semblables, mais plus multipliés, n'occupent communément que le dos, & ne sont répandus qu'en petit nombre sur l'encolure & sur la tête ; à mesure qu'il en est parmi ceux-ci qui se dessechent & s'évanoüissent, les autres se reproduisent & reparoissent.

Souvent nous n'appercevons que des tumeurs prolongées, fortement adhérentes & immobiles, avec des éminences très-dures à leurs extrémités & dans leur milieu : lorsque ces duretés suppurent, elles fournissent une matiere blanchâtre & bourbeuse.

Souvent aussi ces mêmes tumeurs prolongées suivent & accompagnent exactement quelques-unes des principales ramifications veineuses, telles que les jugulaires, les maxillaires, les axillaires, les humérales, les céphaliques, les aurales, les saphenes ; & les sortes de noeuds qui coupent d'espace en espace ces especes de cordes, dégénérant en ulceres dont les bords calleux semblent se resserrer & se retrécir, donnent un pus ichoreux, sanieux, & fétide.

Il arrive encore que les ulceres farcineux tiennent de la nature des ulceres vermineux, des ulceres secs, des ulceres chancreux ; & c'est ce que nous remarquons principalement dans ceux qui résultent de l'éclat des boutons qui surviennent d'abord près du talon, ou sur le derriere du boulet dans les extrémités postérieures. Ces extrémités exhalent dès-lors une odeur insupportable ; elles deviennent ordinairement d'un volume monstrueux, & sont en quelque façon éléphantiasées.

Enfin ces symptomes sont quelquefois unis à l'engorgement des glandes maxillaires & sublinguales, à un flux par les nasaux d'une matiere jaunâtre, verdâtre, sanguinolente, & très-différente de celle qui s'écoule par la même voie à l'occasion de quelques boutons élevés dans les cavités nasales, & d'une legere inflammation dans la membrane pituitaire, à une grande foiblesse, au marasme, & à tous les signes qui indiquent un dépérissement total & prochain.

C'est sans-doute à toutes ces variations & à toutes ces différences sensibles, que nous devons cette foule de noms imaginés pour désigner plusieurs sortes de farcin, tels que le volant, le farini oculus, le cordé, le cul de poule, le chancreux, l'intérieur, le taupin, le bifurque, &c. Elles ont aussi suggeré le prognostic que l'on a porté relativement au farcin qui attaque la tête, les épaules, le dos, le poitrail, & qui a paru très-facile à vaincre, tandis que celui qui occupe le train de derriere, qui présente un appareil d'ulceres sordides, a été déclaré très-rebelle, & meme incurable, lorsqu'il est accompagné de l'écoulement par les nasaux.

Les causes évidentes de cette maladie sont des exercices trop violens dans les grandes chaleurs, une nourriture trop abondante donnée à des chevaux maigres & échauffés, ou qui ne font que très-peu d'exercice ; des alimens tels que le foin nouveau, l'avoine nouvelle, le foin rasé, une quantité considérable de grains, l'impression d'un air froid, humide, chargé de vapeurs nuisibles, l'obstruction, le resserrement des pores cutanés, &c. tout ce qui peut accumuler dans les premieres voies des crudités acides, salines, & visqueuses, changer l'état du sang, y porter de nouvelles particules hétérogenes peu propres à s'assimiler & à se dépurer dans les couloirs, & dont l'abord continuel & successif augmentera de plus en plus l'épaississement, l'acrimonie & la dépravation des humeurs, tout ce qui embarrassera la circulation ; tout ce qui soûlevera la masse, tout ce qui influera sur le ton de la peau & s'opposera à l'excrétion de la matiere perspirable, sera donc capable de produire tous les phénomenes dont nous avons parlé.

Selon le degré d'épaississement & d'acrimonie, ils seront plus ou moins effrayans ; des boutons simplement épars çà & là, ou rassemblés sur une partie, des tumeurs prolongées qui ne s'étendront pas considérablement, une suppuration loüable, caractériseront le farcin bénin : mais des tumeurs suivies résultant du plus grand engorgement des canaux lymphatiques ; des duretés très éminentes qui marqueront pour ainsi dire, chacun des noeuds ou chacune des dilatations valvulaires de ces mêmes vaisseaux, & dont la terminaison annoncera des sucs extrèmement acres, plus ou moins difficiles à délayer, à corriger, à emporter, désigneront un farcin dont la malignité est redoutable, & qui provoquant s'il n'est arrêté dans ses progrès, & si l'on ne remédie à la perversion primitive, la tenacité, la viscosité, la coagulation de toute la masse du sang & des humeurs, l'anéantissement du principe spiritueux des sucs vitaux, l'impossibilité des sécrétions & des excrétions salutaires, & conduira inévitablement l'animal à la mort.

La preuve de la corruption putride des liqueurs, se tire non-seulement de tous les ravages dont un farcin, sur tout de ce genre & de ce caractere, nous rend les témoins, mais de sa fétidité & de la facilité avec laquelle il se répand & s'étend d'un corps à l'autre, de proche en proche, par l'attouchement immédiat, & même quelquefois à une certaine distance : aussi le danger de cette communication nous engage-t-il à éloigner l'animal atteint d'un farcin qui a de la malignité, & à le séparer de ceux qui sont sains, & la crainte d'une réproduction continuelle du levain dans un cheval qui auroit la faculté de lécher lui-même la matiere ichoreuse, sordide, sanieuse, corrosive, qui échappe de ses ulceres, nous oblige-t-elle à profiter des moyens que nous offre le chapelet pour l'en priver. Nous appellons de ce nom l'assemblage de plusieurs bâtons taillés en forme d'échelon, à-peu-près également espacés ; paralleles entr'eux dans le sens de la longueur de l'encolure, & attachés à chacune de leurs extrémités au moyen d'une corde & des encoches faites pour affermir la ligature. Nous les plaçons & les fixons sur le cou de l'animal, de maniere qu'en contre-butant du poitrail & des épaules à la mâchoire, ils s'opposent aux mouvemens de flexion de cette partie. Ne seroit-ce point trop hasarder que de supposer que l'origine de cette dénomination est dûe à la ressemblance de cette sorte particuliere de collier, avec la corde sans fin qui soûtient les godets ou les clapets d'un chapelet hydraulique ?

Quoi qu'il en soit, dans le traitement de cette maladie, dont je n'ai prétendu donner ici que des idées très-générales, on doit se proposer d'atténuer, d'inciser, de fondre les humeurs tenaces & visqueuses, de les délayer, de les évacuer, d'adoucir leurs sels, de corriger leur acrimonie, de faciliter la circulation des fluides dans les vaisseaux les plus déliés, &c.

On débutera par la saignée ; on tiendra l'animal à un régime très-doux, au son, à l'eau blanche ; on lui administrera des lavemens émolliens, des breuvages purgatifs dans lesquels on n'oubliera point de faire entrer l'aquila alba ? quelques diaphorétiques à l'usage desquels on le mettra, acheveront de dissiper les boutons & les tumeurs qui se montrent dans le farcin benin, & d'amener à un desséchement total ceux qui auront suppuré.

Le farcin invétéré & malin est infiniment plus opiniâtre. Il importe alors de multiplier les saignées, les lavemens émolliens ; de mêler à la boisson ordinaire de l'animal quelques pintes d'une décoction de mauves, guimauves, pariétaires, &c. d'humecter le son qu'on lui donne avec une tisane apéritive & rafraîchissante faite avec les racines de patience, d'aunée, de scorsonere, de bardane, de fraisier, & de chicorée sauvage ; de le maintenir long-tems à ce régime ; de ne pas recourir trop tôt à des évacuans capables d'irriter encore davantage les solides, d'agiter la masse & d'augmenter l'acreté ; de faire succéder aux purgatifs administrés, les délayans & les relâchans qui les auront précédés ; de ne pas réitérer coup sur coup ses purgatifs ; d'ordonner, avant de les prescrire de nouveau, une saignée selon le besoin. Ensuite de ces évacuations, dont le nombre doit être fixé par les circonstances, & après le régime humectant & rafraîchissant observé pendant un certain intervalle de tems, on prescrira la tisane des bois, & on en mouillera tous les matins le son que l'on donnera à l'animal : si les boutons ne s'éteignent point, si les tumeurs prolongées ont la même adhérence & la même immobilité, on recourra de nouveau à la saignée, aux lavemens, aux purgatifs, pour en revenir à-propos à la même tisane, & pour passer de-là aux préparations mercurielles, telles que l'éthiops minéral, le cinnabre, &c. dont l'énergie & la vertu sont sensibles dans toutes les maladies cutanées.

Tous ces remedes intérieurs sont d'une merveilleuse efficacité, & operent le plus souvent la guérison de l'animal lorsqu'ils sont administrés selon l'art & avec méthode : on est néanmoins quelquefois obligé d'employer des médicamens externes. Les plus convenables dans le cas de la dureté & de l'immobilité des tumeurs sont d'abord l'onguent d'althaea ; & s'il est des boutons qui ne viennent point à suppuration, & que l'animal ait été suffisamment évacué, on pourra, en usant de la plus grande circonspection, les frotter légerement avec l'onguent napolitain.

Les lotions adoucissantes faites avec les décoctions de plantes mucilagineuses, sont indiquées dans les circonstances d'une suppuration que l'on aidera par des remedes onctueux & résineux, tels que les onguens de basilicum & d'althaea ; & l'on aura attention de s'abstenir de tous remedes dessicatifs lorsqu'il y aura dureté, inflammation, & que la suppuration sera considérable : on pourra, quand la partie sera exactement dégorgée, laver les ulceres avec du vin chaud dans lequel on délayera du miel commun.

Des ulceres du genre de ceux que nous nommons vermineux, demanderont un liniment fait avec l'onguent napolitain, à la dose d'une once ; le baume d'arceus, à la dose de demi-once ; le staphisaigre & l'aloès succotrin, à la dose d'une dragme ; la myrrhe, à la dose d'une demi-dragme ; le tout dans suffisante quantité d'huile d'absynthe : ce liniment est non-seulement capable de détruire les vers, mais de déterger & de fondre les callosités, & l'on y ajoûtera le baume de Fioraventi, si l'ulcere est véritablement disposé à la corruption.

L'alun calciné mêlé avec de l'aegyptiac ou d'autres cathérétiques, seront mis en usage eu égard à des ulceres qui tiendront du caractere des ulceres chancreux ? on pourra même employer le cautere actuel, mais avec prudence : & quant à l'écoulement par les naseaux, de quelque cause qu'il provienne, on poussera plusieurs fois par jour dans les cavités nasales une injection faite avec de l'eau commune, dans laquelle on aura fait bouillir légerement de l'orge en grain & dissoudre du miel.

Il est encore très-utile de garantir les jambes éléphantiasées des impressions de l'air ; & l'on doit d'autant moins s'en dispenser, qu'il n'est pas difficile d'assujettir sur cette partie un linge grossier propre à la couvrir.

J'ai observé très-souvent au moment de la disparition de tous les symptomes du farcin, une suppuration dans l'un des piés de l'animal, & quelquefois dans les quatre piés ensemble. On doit alors faire ouverture à l'endroit d'où elle semble partir, y jetter, lorsque le mal est découvert, de la teinture de myrrhe & d'aloès, & placer des plumaceaux mouillés & baignés de cette même teinture. J'ai remarqué encore plusieurs fois dans l'intérieur de l'ongle, entre la sole & les parties qu'elle nous dérobe, un vuide considérable annoncé par le son que rend le sabot lorsqu'on le heurte ; j'ai rempli cette cavité, de l'existence de laquelle je me suis assûré, lorsqu'elle n'a pas été une suite de la suppuration, par le moyen du boutoir, avec des bourdonnets chargés d'un digestif dans lequel j'ai fait entrer l'huile d'hypericum, la terebenthine en résine, les jaunes d'oeufs, & une suffisante quantité d'eau-de-vie.

Personne n'ignore au-surplus l'utilité de la poudre de vipere, par laquelle on doit terminer la cure de la maladie qui fait l'objet de cet article ; & comme on ne doute point aussi des salutaires effets d'un exercice modéré, il est impossible qu'on ne se rende pas à la nécessité d'y solliciter régulierement l'animal pendant le traitement, & lorsque le virus montrera moins d'activité.

Il faut de plus ne remettre le cheval guéri du farcin à sa nourriture & à son régime ordinaire, que peu-à-peu, & que dans la circonstance d'un rétablissement entier & parfait.

Du reste c'en est assez, ce me semble, de ces faits de pratique constatés dans une sorte d'hôpital de chevaux que je dirige depuis sept ou huit années, & dans lequel j'en ai guéri plus de quatre-vingt du mal dont il s'agit, pour donner au moins sur les secours qu'il exige, des notions infiniment plus certaines que les connoissances que l'on imagine puiser, à cet égard, dans la plûpart de nos auteurs, connoissances qui ne nous présentent rien de plus avantageux, que tous ces secrets merveilleux débités mystérieusement & à un très-haut prix par un peuple de charlatans aussi nombreux que celui qui de nos jours infecte la Medecine des hommes. (e)


FARCINEUXadj. (Maréchall.) adjectif mis en usage pour qualifier un cheval attaqué du farcin, comme nous employons ceux de morveux & de poussif, pour désigner l'animal atteint de la morve & de la pousse. (e)


FARDS. m. (Art cosmétique) fucus, pigmentum ; se dit de toute composition soit de blanc, soit de rouge, dont les femmes, & quelques hommes mêmes, se servent pour embellir leur teint, imiter les couleurs de la jeunesse, ou les réparer par artifice.

Le nom de fard, fucus, étoit encore plus étendu autrefois qu'il ne l'est aujourd'hui, & faisoit un art particulier qu'on appella Commotique, , c'est-à-dire l'art de farder, qui comprenoit non-seulement toutes les especes de fard, mais encore tous les médicamens qui servoient à ôter, à cacher, à rectifier les difformités corporelles ; & c'est cette derniere partie de l'ancienne Commotique que nous nommons Orthopédie. Voyez ORTHOPEDIE.

L'amour de la beauté a fait imaginer de tems immémorial tous les moyens qu'on a crû propres à en augmenter l'éclat, à en perpétuer la durée, ou à en rétablir les breches ; & les femmes, chez qui le goût de plaire est très-étendu, ont cru trouver ces moyens dans les fardemens, si je puis me servir de ce vieux terme collectif, plus énergique que celui de fard.

L'auteur du livre d'Enoc assûre qu'avant le déluge, l'ange Azaliel apprit aux filles l'art de se farder, d'où l'on peut du moins inférer l'antiquité de cette pratique.

L'antimoine est le plus ancien fard dont il soit fait mention dans l'histoire, & en même tems celui qui a eu le plus de faveur. Job, chap. xl. v. 14. marque assez le cas qu'on en faisoit, lorsqu'il donne à une de ses filles le nom de vase d'antimoine, ou de boîte à mettre du fard, cornu stibii.

Comme dans l'Orient les yeux noirs, grands & fendus passoient, ainsi qu'en France aujourd'hui, pour les plus beaux, les femmes qui avoient envie de plaire, se frottoient le tour de l'oeil avec une aiguille trempée dans du fard d'antimoine pour étendre la paupiere, ou plûtôt pour la replier, afin que l'oeil en parût grand. Aussi Isaïe, ch. iij. v. 22. dans le dénombrement qu'il fait des parures des filles de Sion, n'oublie pas les aiguilles dont elles se servoient pour peindre leurs yeux & leurs paupieres. La mode en étoit si reçue, que nous lisons dans un des livres des rois, liv. IV. ch. jx. v. 30. que Jésabel ayant appris l'arrivée de Jehu à Samarie, se mit les yeux dans l'antimoine, ou les plongea dans le fard, comme s'exprime l'Ecriture, pour parler à cet usurpateur, & pour se montrer à lui. Jéremie, chap. jv. v. 50. ne cessoit de crier aux filles de Judée : Envain vous vous revêtirez de pourpre & vous mettrez vos colliers d'or ; en vain vous vous peindrez les yeux avec l'antimoine, vos amans vous mépriseront. Les filles de Judée ne crurent point le prophete, elles penserent toujours qu'il se trompoit dans ses oracles ; en un mot, rien ne fut capable de les dégoûter de leur fard : c'est pour cela qu'Ezéchiel, chap. xxiij. v. 40. dévoilant les déréglemens de la nation juive, sous l'idée d'une femme débauchée, dit, qu'elle s'est baignée. qu'elle s'est parfumée, qu'elle a peint ses yeux d'antimoine, qu'elle s'est assise sur un très-beau lit & devant une table bien couverte, &c.

Cet usage du fard tiré de l'antimoine ne finit pas dans les filles de Sion ; il se glissa, s'étendit, se perpétua par-tout. Nous trouvons que Tertullien & S. Cyprien déclamerent à leur tour très-vivement contre cette coûtume usitée de leur tems en Afrique, de se peindre les yeux & les sourcils avec du fard d'antimoine : inunge oculos tuos, non stibio diaboli, sed collyrio Christi, s'écrioit S. Cyprien.

Ce qu'il y a de singulier, c'est qu'aujourd'hui les femmes Syriennes, Babyloniennes, & Arabes, se noircissent du même fard le tour de l'oeil, & que les hommes en font autant dans les deserts de l'Arabie, pour se conserver les yeux contre l'ardeur du soleil. Voyez Tavernier, voyage de Perse, liv. II. ch. vij. & Gabriel Sionita, de moribus orient. cap. xj. M. d'Arvieux, dans ses voyages imprimés à Paris en 1717, livre XII. pag. 27, remarque, en parlant des femmes Arabes, qu'elles bordent leurs yeux d'une couleur noire composée avec de la tuthie, & qu'elles tirent une ligne de ce noir en-dehors du coin de l'oeil, pour le faire paroître plus fendu.

Depuis les voyages de M. d'Arvieux, le savant M. Shaw rapporte dans ceux qu'il a faits en Barbarie, à l'occasion des femmes de ces contrées, qu'elles croiroient qu'il manqueroit quelque chose d'essentiel à leur parure, si elles n'avoient pas teint le poil de leurs paupieres & leurs yeux de ce qu'on nomme al-co-hol, qui est la poudre de mine de plomb. Cette opération se fait en trempant dans cette poudre un petit poinçon de bois de la grosseur d'une plume, & en le passant ensuite entre les paupieres : elles se persuadent que la couleur sombre, que l'on parvient de cette façon à donner aux yeux, est un grand agrément au visage de toutes de sortes de personnes.

Entr'autres colifichets des femmes d'Egypte, ajoûte le voyageur anglois, j'ai vû tirer des catacombes de Sakara, un bout de roseau ordinaire renfermant un poinçon de la même espece de ceux des Barbaresques, & une once de la même poudre dont on se sert encore actuellement (1740) dans ce pays-là, pour le même usage.

Les femmes greques & romaines emprunterent des Asiatiques, la coûtume de se peindre les yeux avec de l'antimoine ; mais pour étendre encore plus loin l'empire de la beauté, & réparer les couleurs flétries, elles imaginerent deux nouveaux fards inconnus auparavant dans le monde, & qui ont passé jusqu'à nous : je veux dire le blanc & le rouge. Delà vient que les Poëtes feignirent que la blancheur d'Europe ne lui venoit que parce qu'une des filles de Junon avoit dérobé le petit pot de fard blanc de cette déesse, & en avoit fait présent à la fille d'Agenor. Quand les richesses affluerent dans Rome, elles y porterent un luxe affreux ; la galanterie introduisit les recherches les plus raffinées dans ce genre, & la corruption générale y mit le sceau.

Ce que Juvénal nous dit des bapses d'Athènes, de ces prêtres efféminés qu'il admet aux mysteres de la toilette, se doit entendre des dames romaines, sur l'exemple desquelles, ceux dont le poëte veut parler, mettoient du blanc & du rouge, attachoient leurs longs cheveux d'un cordon d'or, & se noircissoient le sourcil, en le tournant en demi-rond avec une aiguille de tête.

Ille supercilium madidâ fuligine factum,

Obliquâ producit acu, pingitque trementes,

Attollens oculos.

Juvén. Sat. 2.

Nos dames, dit Pline le naturaliste, se fardent par air jusqu'aux yeux, tanta est decoris affectatio, ut tingantur oculi quoque ; mais ce n'étoit-là qu'un leger crayon de leur mollesse.

Elles passoient de leurs lits dans des bains magnifiques, & là elles se servoient de pierres-ponces pour se polir & s'adoucir la peau, & elles avoient vingt sortes d'esclaves en titre pour cet usage. A cette propreté luxurieuse, succéda l'onction & les parfums d'Assyrie : enfin le visage ne reçut pas moins de façons & d'ornemens que le reste du corps.

Nous avons dans Ovide des recettes détaillées de fards, qu'il conseilloit de son tems aux dames romaines ? je dis aux dames romaines, car le fard du blanc & du rouge étoit reservé aux femmes de qualité sous le regne d'Auguste ; les courtisannes & les affranchies n'osoient point encore en mettre. Prenez donc de l'orge, leur disoit-il, qu'envoyent ici les laboureurs de Libye ; ôtez-en la paille & la robe ; prenez une pareille quantité d'ers ou d'orobe, détrempés l'un & l'autre dans des oeufs, avec proportion ? faites sécher & broyer le tout ; jettez-y de la poudre de corne de cerf ; ajoûtez-y quelques oignons de narcisse ; pilez le tout dans le mortier ; vous y admettrez enfin la gomme & la farine de froment de Toscane ; que le tout soit lié par une quantité de miel convenable : celle qui se servira de ce fard, ajoûte-il, aura le teint plus net que la glace de son miroir.

Quaecumque afficiet tali medicamine vultum,

Fulgebit speculo laevior ipsa suo.

Mais on inventa bien-tôt une recette plus simple que celle d'Ovide, & qui eut la plus grande vogue : c'étoit un fard composé de la terre de Chio, ou de Samos, que l'on faisoit dissoudre dans du vinaigre. Horace l'appelle humida creta. Pline nous apprend que les dames s'en servoient pour se blanchir la peau, de même que de la terre de Selinuse, qui est, dit-il, d'un blanc de lait, & qui se dissout promtement dans l'eau. Fabula, selon Martial, craignoit la pluie, à cause de la craie qui étoit sur son visage ; c'étoit une des terres dont nous venons de parler. Et Pétrone, en peignant un efféminé, s'exprime ainsi : Perfluebant per frontem sudantis acaciae rivi, & inter rugas malarum, tantùm erat cretae, ut putares detractum parietem nimbo laborare : " Des ruisseaux de gomme couloient sur son front avec la sueur, & la craie étoit si épaisse dans les rides de ses joues, qu'on auroit dit que c'étoit un mur que la pluie avoit déblanchi ".

Poppée, cette célebre courtisanne, doüée de tous les avantages de son sexe, hors de la chasteté, usoit pour son visage d'une espece de fard onctueux, qui formoit une croûte durable, & qui ne tomboit qu'après avoir été lavée avec une grande quantité de lait, lequel en détachoit les parties, & découvroit une extrème blancheur : Poppée, dis-je, mit ce nouveau fard à la mode, lui donna son nom, Poppaeana pingicia, & s'en servit dans son exil même, où elle fit mener avec elle un troupeau d'ânesses, & se seroit montrée avec ce cortége, dit Juvénal, jusqu'au pole hyperborée.

Cette pâte de l'invention de Poppée qui couvroit tout le visage, formoit un masque, avec lequel les femmes alloient dans l'intérieur de leur maison : c'étoit-là, pour ainsi dire, le visage domestique, & le seul qui étoit connu du mari. Ses levres, si nous écoutons Juvénal, s'y prenoient à la glu :

Hinc miseri viscantur labra mariti.

Ce teint tout neuf, cette fleur de peau, n'étoit faite que pour les amans ; & sur ce pié-là, ajoûte l'abbé Nadal, la nature ne donnoit rien ni aux uns ni aux autres.

Les dames romaines se servoient pour le rouge, au rapport de Pline, d'une espece de fucus qui étoit une racine de Syrie avec laquelle on teignoit les laines. Mais Théophraste est ici plus exact que le naturaliste romain ? les Grecs, selon lui, appelloient fucus, tout ce qui pouvoit peindre la chair ; tandis que la substance particuliere dont les femmes se servoient pour peindre leurs joues de rouge, étoit distinguée par le nom de rizion, racine qu'on apportoit de Syrie en Grece à ce sujet. Les Latins, à l'imitation du terme grec, appellerent cette plante radicula ; & Pline l'a confondue avec la racine dont on teignoit les laines.

Il est si vrai que le mot fucus étoit un terme général pour désigner le fard, que les Grecs & les Romains avoient un fucus métallique qu'ils employoient pour le blanc, & qui n'étoit autre chose que la céruse ou le blanc de plomb de nos revendeuses à la toilette. Leur fucus rouge se tiroit de la racine rizion, & étoit uniquement destiné pour rougir les joues : ils se servirent aussi dans la suite pour leur blanc, d'un fucus composé d'une espece de craie argentine ; & pour le rouge du purpurissum, préparation qu'ils faisoient de l'écume de la pourpre, lorsqu'elle étoit encore toute chaude. Voyez POURPRE, (Coquille).

C'en est assez sur les dames greques & romaines. Poursuivons à-présent l'histoire du fard jusqu'à nos jours, & prouvons que la plûpart des peuples de l'Asie & de l'Afrique sont encore dans l'usage de se colorier diverses parties du corps de noir, de blanc, de rouge, de bleu, de jaune, de verd, en un mot de toutes sortes de couleurs, suivant les idées qu'ils se sont formées de la beauté. L'amour propre & la vanité ont également leur recherche dans tous les pays du monde ; l'exemple, les tems, & les lieux, n'y mettent que le plus ou le moins d'entente, de goût, & de perfection.

En commençant par le Nord, nous apprenons qu'avant que les Moscovites eussent été policés par le czar Pierre premier, les femmes Russes savoient déjà se mettre du rouge, s'arracher les sourcils, se les peindre ou s'en former d'artificiels. Nous voyons aussi que les Groenlandoises se bariolent le visage de blanc & de jaune ; & que les Zembliennes, pour se donner des graces, se font des raies bleues au front & au menton. Les Mingreliennes, sur le retour, se peignent tout le visage, les sourcils, le front, le nez, & les joues. Les Japonoises de Jédo se colorent de bleu les sourcils & les levres. Les Insulaires de Sombréo au nord de Nicobar, se plâtrent le visage de verd & de jaune. Quelques femmes du royaume de Décan se font découper la chair en fleurs, & teignent les fleurs de diverses couleurs, avec des jus de racines de leur pays.

Les Arabes, outre ce que j'en ai dit ci-dessus, sont dans l'usage de s'appliquer une couleur bleue aux bras, aux levres, & aux parties les plus apparentes du corps ; ils mettent hommes & femmes cette couleur par petits points, & la font pénétrer dans la chair avec une aiguille faite exprès : la marque en est inaltérable.

Les Turquesses africaines s'injectent de la tutie préparée dans les yeux, pour les rendre plus noirs, & se teignent les cheveux, les mains, & les piés en couleur jaune & rouge. Les femmes maures suivent la mode des Turquesses ; mais elles ne teignent que les sourcils & les paupieres avec de la poudre de mine de plomb. Les filles qui demeurent sur les frontieres de Tunis se barbouillent de couleur bleue le menton & les levres ; quelques-unes impriment une petite fleur, dans quelque autre partie du visage, avec de la fumée de noix de galle & du safran. Les femmes du royaume de Tripoli font consister les agrémens dans des piquûres sur la face, qu'elles pointillent de vermillon ; elles peignent leurs cheveux de même. La plûpart des filles Negres du Sénégal, avant que de se marier, se font broder la peau de différentes figures d'animaux & de fleurs de toutes couleurs. Les Négresses de Serra-Liona se colorent le tour des yeux de blanc, de jaune, & de rouge.

Les Floridiennes de l'Amérique septentrionale se peignent le corps, le visage, les bras, & les jambes de toutes sortes de couleurs ineffaçables ; parce qu'elles ont été imprimées dans les chairs par le moyen de plusieurs piquûres. Enfin les femmes sauvages Caraïbes se barbouillent toute la face de rocou.

Si nous revenons en Europe, nous trouverons que le blanc & le rouge ont fait fortune en France. Nous en avons l'obligation aux Italiens, qui passerent à la cour de Catherine de Medicis : mais ce n'est que sur la fin du siecle passé, que l'usage du rouge est devenu général parmi les femmes de condition.

Callimaque, dans l'hymne intitulée les bains de Pallas, a parlé d'un fard bien plus simple. Les deux déesses Vénus & Pallas se disputoient le prix & la gloire de la beauté : Vénus fut long-tems à sa toilette ; elle ne cessa point de consulter son miroir, retoucha plus d'une fois à ses cheveux, regla la vivacité de son teint ; au lieu que Minerve ne se mira ni dans le métal, ni dans la glace des eaux, & ne trouva point d'autre secret pour se donner du rouge, que de courir un long espace de chemin, à l'exemple des filles de Lacédémone qui avoient accoûtumé de s'exercer à la course sur le bord de l'Eurotas. Si le succès alors justifia les précautions de Vénus, ne fut-ce pas la faute du juge, plûtôt que celle de la nature ?

Quoi qu'il en soit, je ne pense point qu'on puisse réparer par la force de l'art les injures du tems, ni rétablir sur les rides du visage la beauté qui s'est évanoüie. Je sens bien la justesse des réflexions de Rica dans sa lettre à Usbek : " Les femmes qui se sentent finir d'avance par la perte de leurs agrémens, voudroient reculer vers la jeunesse ; eh comment ne chercheroient-elles pas à tromper les autres ! elles font tous leurs efforts pour se tromper elles-mêmes, & pour se dérober la plus affligeante de toutes les idées ". Mais comme le dit La Fontaine :

Les fards ne peuvent faire,

Que l'on échappe au tems cet insigne larron ;

Les ruines d'une maison

Se peuvent réparer ; que n'est cet avantage

Pour les ruines du visage ?

Cependant loin que les fards produisent cet effet, j'ose assûrer au contraire qu'ils gâtent la peau, qu'ils la rident, qu'ils alterent & ruinent la couleur naturelle du visage : j'ajoûte qu'il y a peu de fards dans le genre du blanc, qui ne soit dangereux. Aussi les femmes qui se servent de l'huile de talc comme d'un fard excellent, s'abusent beaucoup ; celles qui employent la céruse, le blanc de plomb, ou le blanc d'Espagne, n'entendent pas mieux leurs intérêts ; celles qui se servent de préparations de sublimé, font encore plus de tort à leur santé : enfin l'usage continuel du rouge sur-tout de ce vermillon terrible qui jaunit tout ce qui l'environne, n'est pas sans inconvénient pour la peau. Voyez ROUGE.

Afranius répétoit souvent & avec raison à ce sujet : " des graces simples & naturelles, le rouge de la pudeur, l'enjoüement, & la complaisance, voilà le fard le plus séduisant de la jeunesse ; pour la vieillesse, il n'est point de fard qui puisse l'embellir, que l'esprit & les connoissances ".

Je ne sache aucun ouvrage sur les fards ; j'ai lû seulement que Michel Nostradamus, ce medecin si célebre par les visites & les présens qu'il reçut des rois & des reines, & par ses centuries qui l'ont fait passer pour un visionnaire, un fou, un magicien, un impie, a donné en 1552 un traité des fardemens & des senteurs, que je n'ai jamais pû trouver, & qui peut-être n'est pas fort à regretter. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FARDAGES. m. (Marine) ce sont des fagots qu'on met au fond de cale, quand on charge en grenier. (Z)


FARDERv. neut. terme de riviere ; un bateau farde sur un autre, lorsqu'il serre trop.


FARE(Marine) Voyez PHARE.

FARE DE MESSINE, (le) Géog. fretum siculum, détroit de la mer Méditerranée en Italie, entre la Sicile & la Calabre ultérieure. On l'appelle souvent le Fare, à cause de la tour du Fare placée à son entrée, dans l'endroit où il est le plus étroit ; & le Fare de Messine, à cause de la ville de Messine, qui est située sur la côte occidentale, & où on le traverse d'ordinaire. Ce canal est assez connu par son flux & reflux qui s'y fait de six heures en six heures, avec une extrème rapidité ; comme aussi par ses courans qui allant tantôt dans la mer de Toscane, & tantôt dans la mer de Sicile, ont donné lieu à tout ce que les anciens ont dit de Scylle & de Charybde. Ce dernier est un tournant d'eau, que les matelots craignoient beaucoup autrefois, & qu'on affronte aujourd'hui sans péril par le moyen des barques plates. Article de M(D.J.)

FARE LA FARE, (Pêche) étoit une fête du mois de Mai ; les pêcheurs s'assembloient avec les officiers des eaux & forêts, pour faire à grand bruit une pêche solemnelle, & une réjoüissance de plusieurs jours, qui dépeuploit les rivieres. Par l'ordonnance de 1669, cette pêche a été défendue.


FARELLONS(ILE DES) Géog. île située à l'embouchure de la Selbole, riviere de la côte de Malaguete dans la haute Guinée, abondante en fruits & en éléphans. Elle a environ six lieues de long, au rapport de Dapper ; son extrémité occidentale est nommée par les Portugais, cabo di S. Anna. Elle est bordée de rochers, & au-devant, c'est-à-dire à l'egard de ceux qui viennent du nord-oüest, il y a un grand banc de sable nommé baixos di S. Anna. Long. 5. lat. 6. 48. Suivant M. de Lisle, ce géographe la nomme Massacoye avec les Hollandois, ou Farellons, & marque exactement le cap & le banc de Ste Anne. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FARFONTEvoyez ROITELET.


FARGANAH(Géog.) ville du Zagathay dans la grande Tartarie, située au nord de Chéser, & capitale d'une province qui porte le même nom. Le pays de Farganah s'étend le long du Chéser, quoiqu'il ne soit qu'à 92d de longitude, & à 42d 20' de latitude septentrionale. Selon les tables d'Abulfeda, Vlug-Beigh met la ville de Farganah à 42d 25' de latitude Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FARGOTS. m. (Comm.) terme flamand en usage principalement du côté de Lisle ; il signifie un ballot ou petite balle de marchandises, du poids de 150 à 160 livres. Deux fargots font la charge d'un mulet, ou cheval de bât. Quelques Flamands disent aussi frangotte, qui signifie la même chose. Dict. de Comm. de Trév. & Chamb. (G)


FARGUEou FARDES, s. f. (Marine) ce sont des planches ou bordages qu'on éleve sur l'endroit du plat-bord appellé labelle, pour tenir lieu de gardes-corps, afin de défendre le pont & d'ôter à l'ennemi la vûe de ce qui s'y passe. On couvre les fargues d'une bastingure bleue ou rouge.

Les fargues servent à clorre le vaisseau par l'embelle : on les ôte & on les remet, selon le besoin, on y fait des meurtrieres rondes, & de petites portes pour descendre à la mer, ou passer ce qu'on veut.

Dans un vaisseau du premier rang, les bordages des fargues doivent avoir cinq pouces de large, & trois pouces d'épais ; les montans doivent être au nombre de cinquante-six de chaque côté, & doivent avoir deux pouces & demi d'épais.

Les fargues doivent être élevées de quinze pouces au-dessus de la lisse de vibord ; & par le haut, elles doivent être au niveau du haut de la plus basse lisse. Elles sont jointes aux montans, avec de petites chevilles de fer. (Z)


FARILLONS. m. terme de Pêche usité dans le ressort de l'amirauté de Poitou, ou des sables d'Olone ? c'est le nom qu'on donne à la pêche au feu, dont voici la description telle qu'elle se pratique par les pêcheurs du cap Breton. On y prend des éguilles ou orphies. Elle commence en même tems que celle des mêmes poissons, aux rets nommés veltes, c'est-à-dire au mois de Mars, & elle finit à la fin de Juillet. Elle ne se peut faire que de nuit. Ce sont les bateaux ou chaloupes des barques qui sont dans le port qui s'y occupent. La chaloupe est armée de six personnes, cinq hommes & un mousse. Un des hommes de l'équipage entretient le farillon, qui est placé avant. Le farillon est une espece de ces anciens réchauts portatifs, que l'on mettoit aux coins des rues pour éclairer la nuit. Le foyer a une douille de fer d'environ douze pouces de long, & un manche de quatre piés de long. Le feu est composé d'éclats de vieilles douves de barriques, vuidanges de brai ou de gaudron, coupées de demi-coudée de long. Deux hommes nagent, & trois lancent la foüanne, le salet, ou salin, dans les lits ou bouillons d'orphies, qui sont attirées par la lumiere du farillon qui frappe & éclaire la surface de l'eau. Quelquefois ces poissons s'attroupent en si grande quantité, que l'on en prend cinq à six d'un seul coup ; & comme le bateau avance toûjours doucement à la rame, le poisson n'est point effarouché par le jet des foüannes que les pêcheurs dardent.

La pêche la plus forte est de douze ou quinze cent pendant la marée de la nuit ; il faut pour y réussir, qu'elle soit noire, sombre, & calme.

Les orphies qui proviennent de cette pêche, se consomment sur les lieux. On s'en sert pour la boîte des hameçons des pêcheurs à la ligne ; on en sale aussi, mais c'est une mauvaise salaison. Les orphies annoncent à cette côte l'arrivée des sardines, comme elles annoncent celle des maquereaux, dans la manche britannique, aux côtes de la haute Normandie. Voyez la représentation de cette pêche dans nos Planches de Pêche.


FARINES. f. terme de Boulanger, est du grain moulu & réduit en poudre, dont on a séparé le son avec des bluteaux.

Les farines propres à faire du pain, sont celles de froment ou de blé, de seigle, de méteil, de sarrasin & de maïs.

Ces farines sont de différentes sortes, selon les bluteaux différens par où elles ont été passées. On les divise ordinairement en fleur de farine, farine blanche, en gruaux fins & gros, & en recoupettes. Voyez chacun de ces termes à son article.

La plûpart des farines qui s'employent à Paris, & qui ne sont point moulues dans cette ville ou aux environs, viennent de Picardie, de Meulan, de Pontoise, de Mantes, de Saint-Germain en Laie, & de Poissy. Les meilleures sont celles de Pontoise & de Meulan, les moindres sont celles de Picardie : celles de Saint-Germain & de Poissy tiennent le milieu.

On reconnoît qu'une farine est bonne, lorsqu'elle est seche, qu'elle se conserve long-tems, qu'elle rend beaucoup en un pain, qui boive bien l'eau, & auquel il faut le four bien chaud.

FARINE BLANCHE, en terme de Boulanger, est une farine tirée au bluteau, d'après la fleur de farine.

FARINE-FOLLE, en terme de Boulanger, est ce qu'il y a de plus fin & de plus leger dans la farine, ce que le vent emporte, & qui s'attache aux parois du moulin.

FARINE, (Jardinage) est une matiere blanche contenue dans la graine, qui sert à la nourrir jusqu'à ce qu'elle tire sa substance des sels de la terre par l'accroissement de ses racines.

FARINE & FARINEUX, (Chimie, Diete, & Mat. medic.) Le nom de farine pris dans son acception la plus commune, désigne une poudre subtile, douce, & pour ainsi dire moëlleuse, mollis.

Le chimiste, qui définit les corps par leurs propriétés intérieures, appelle farine, farineux, corps farineux, substance farineuse, une matiere végétale seche, capable d'être réduite en poudre, miscible à l'eau, alimenteuse & susceptible de la fermentation panaire & vinaire. Voyez PAIN & VIN.

Nous fondons la qualité de miscible à l'eau, que nous venons de donner à la farine proprement dite, sur l'espece de combinaison vraiment chimique qu'elle contracte avec l'eau, lorsqu'après l'avoir délayée dans ce liquide, on l'a réduite par une cuite convenable, en une consistance de gelée, en cette matiere connue de tout le monde sous le nom de colle de farine ou d'empois. Le corps entier de la farine ne subit point d'autre union avec l'eau ; ce menstrue ne le dissout point pleinement ; il en opere seulement, lorsqu'il est appliqué en grande masse, une dissolution partiale, une extraction. On peut voir à l'article BIERE, un exemple de cette derniere action de l'eau sur la farine.

Le corps farineux est formé par la combinaison du corps muqueux végétal, & d'une terre qui a été peu examinée jusqu'à présent, & qu'on peut regarder cependant comme analogue à la fécule qu'on retire de certaines racines, de la bryone, par exemple. Voyez FECULE. On peut concevoir encore le corps farineux comme une espece de corps muqueux dans la composition duquel le principe terreux surabonde. Voyez SURABONDANT, (Chimie). La substance farineuse possede en effet toutes les propriétés communes au corps muqueux, & ses propriétés spécifiques se déduisent toutes de cette terre étrangere ou surabondante. La distillation par le feu seul, qui est l'unique voie par laquelle on a procédé jusqu'à présent à l'examen de cette substance, concourt aussi à démontrer sa nature. Les farineux fournissent dans cette distillation, tous les produits communs des corps muqueux. Plusieurs de ces substances, savoir quelques semences des plantes céréales, donnent de plus une petite quantité de matiere phosphorique sur la fin de la distillation ; mais ce produit est dû à un principe étranger à leur composition, savoir à un sel marin qui se trouve dans ces semences. Voyez PHOSPHORE, SEL MARIN, ALYSE VEGETALETALE, au mot VEGETAL.

La substance farineuse est abondamment répandue dans le regne végétal, la nature nous la présente dans un grand nombre de plantes. Les semences de toutes les graminées & de toutes les légumineuses, sont farineuses : les fruits du marronnier, du châtaignier, le gland ou fruit de toutes les especes de chêne, la faine ou fruit du hêtre, sont farineux. Les racines de plusieurs plantes de diverses classes, fournissent de la farine. Nous connoissons une moëlle qui contient cette substance ; celle du sagoutier, sagu arbor, seu palma farinaria herbarii amboïnensis, qu'on nous apporte des Moluques sous le nom de sagou. On retire une substance vraisemblablement farineuse de l'écorce tendre d'une espece de pin, puisqu'on prépare du pain avec cette écorce, selon ce qui est rapporté dans le Flora laponica.

Les farines des semences céréales possedent au plus haut degré toutes les qualités rapportées dans la définition générale du corps farineux : les semences légumineuses ne possedent les mêmes qualités qu'en un degré inférieur. Voyez LEGUMES. Les racines farineuses & les fruits farineux sont plus éloignés encore de cette espece d'état de perfection. Toutes ces différences, & celles qui distinguent entr'elles les diverses especes de chacune de ces classes, dépendent premierement de la différente proportion de la terre surabondante : secondement, d'une variété dans la nature du corps muqueux, qui est très-indéfinie jusqu'à présent, ou qu'on n'a déterminé que d'une maniere fort vague, en disant avec l'auteur de l'Essai sur les alimens, que sa substance est plus ou moins grossiere ; que ses parties ont plus ou moins cette égalité qui caractérise une substance mucilagineuse, une atténuation plus ou moins grande ; qu'elles s'approchent ou s'éloignent de l'état de mucilage le plus parfait, le plus atténué, le plus condensé, &c. &, troisiemement enfin, dans quelques corps farineux, du mélange d'un principe étranger, tel que celui qui constitue l'acerbité du gland ou du marron d'inde, le suc venéneux du manioc, &c.

Ce sont des substances farineuses qui fournissent l'aliment principal, le fond de la nourriture de tous les peuples de la terre, & d'un grand nombre d'animaux tant domestiques que sauvages. Les hommes ont multiplié, & vraisemblablement amélioré par la culture, celles des plantes graminées qui portent les plus grosses semences, & dont on peut par conséquent retirer la farine plus abondamment & plus facilement. Le froment, le seigle, l'orge, l'avoine, le ris, sont les principales de ces semences ; nous les appellons céréales ou fromentacées : le maïs ou blé de Turquie leur a été substitué avec avantage, dans les pays stériles où les fromens croissoient difficilement, Les peuples de plusieurs contrées de l'Europe, une grande partie de ceux de l'Amérique & de l'Afrique, font leur nourriture ordinaire de la farine de maïs : celle de petit millet est mangée dans plusieurs contrées, mais beaucoup moins généralement. On prépare de la bouillie dans divers pays, avec celle du panis, panicum vulgare germanicum ; celle du gros mil ou sorpho ; celle du petit mil, panicum spicâ obtusâ caeruleâ ; la larme de Job ; les grains d'un chénopodium, appellé quinva ou quinoa, du P. Feuillée, &c. Les paysans de certains cantons très-pauvres, font du pain avec la semence du blé sarrasin : on en fait dans plusieurs pays avec les châtaignes : on en fit il y a quelques années en Allemagne, avec la racine de la petite scrophulaire. On envoya à Paris de Savoie, à-peu-près dans le même tems, du pain préparé avec la truffe rouge ou pomme de terre. Il est rapporté dans le Flora laponica, qu'on en fait en Laponie avec la farine de l'arum palustre arundinaceâ radice. La racine d'asphodele est encore propre à cet usage. On voit assez communément ici des gâteaux ou galettes préparés en Amérique avec la racine du manioc, ou avec celle du camanioc. On fait un aliment de la même espece au Brésil & au Pérou, avec la farine de la vraie cassave, farina de palo, qui est la racine d'un yuca. Voyez tous ces articles.

La poudre alimenteuse proposée par M. Boueb, chirurgien major du régiment de Salis, qui nourrit un adulte, & le met en état de soûtenir des travaux pénibles, à la dose de six onces par jour, selon les épreuves authentiques qui en ont été faites à l'hôtel royal des Invalides, dans le mois d'Octobre 1754 ; cette poudre, dis-je, n'est ou ne doit être qu'un farineux pur & simple, sans autre préparation que d'être réduit en poudre plus ou moins grossiere. Je dis doit être ; car s'il est roti, comme le soupçonne l'auteur de la lettre insérée à ce sujet dans le journal économique, Oct. 1754, c'est tant pis, la qualité nourrissante est détruite en partie par cette opération. Au reste, six onces d'une farine quelconque, j'entends de celles dont on fait communément usage, nourrissent très-bien un manoeuvre, un paysan, un voyageur pendant vingt-quatre heures. Il ne faut pas six onces de ris ou de farine de maïs, pour vivre pendant une journée entiere, & être en état de faire un certain exercice. Voyez RIS, MAÏS, URRISSANTSANT.

On a tenté sans succès de faire du pain avec la racine de fougere ; elle n'est pas farineuse. L'idée de réduire en poudre les os humains, & de les convertir en aliment à titre de corps farineux, qui fut conçûe en effet & exécutée, selon nos historiens, pendant le siége de Paris, au tems de la ligue, ne peut être tombée que dans une tête essentiellement ignorante, & bouleversée par la faim & par le desespoir. Les os ne sont pas farineux ; & lorsqu'ils sont épuisés par un long séjour dans une terre humide, ils ne contiennent aucune matiere alimenteuse.

Propriétés médicinales des farineux. Les farineux se mangent après avoir été altérés par le fermentation, ou sans avoir éprouvé ce changement. Les farineux levés ou fermentés, fournissent par une cuite convenable, cet aliment journalier qui est connu de tout le monde sous le nom de pain. Voyez PAIN.

Les farineux non fermentés dont nous faisons usage le plus ordinairement pour notre nourriture, sont, 1°. les semences légumineuses en substance, & cuites dans l'eau, le bouillon, ou le jus des viandes. Voyez SEMENCE LEGUMINEUSE. 2°. Des graines des plantes graminées diversement préparées, telles que le ris, le gruau, l'orge mondé ; la farine de froment, celle de mais ; les pâtes d'Italie, comme sémoule, vermicelli, macarons, &c. dont on fait des cremes, des bouillies, des potages. Nous employons le sagou de la même maniere. Quelques medecins ont proposé un chocolat de châtaignes, en titre d'aliment médicamenteux. Voy. RIS, GRUAU, ORGE, FROMENT, MAÏS, PATE D'ITALIE, SAGOU, CHATAIGNE.

C'est sous cette forme que les Medecins prescrivent les farineux dans le traitement de plusieurs maladies chroniques : le système de medecine dominant leur attribue une qualité adoucissante, incrassante ; corrigeant l'acrimonie alkaline ; émoussant ou embarrassant les sels exaltés, acres, corrosifs, & les huiles atténuées, dépouillées de leur terre, rendues acres, volatiles, fétides, &c. Le grand Boerhaave, qui a conçû sous cette idée le vice des humeurs, qu'il attribue à un alkali spontanée, propose les farineux contre les maladies qui dépendent de cette cause. Voyez Boerhaave, aphorism. chap. morbi ex alkalino spontaneo. Le même auteur met les farineux au nombre des causes qui produisent les constitutions des humeurs, qu'il appelle acide spontanée & glutineuse spontanée. Les farineux non fermentés sont regardés assez généralement comme souverains dans le marasme, l'hémoptysie, la phthisie pulmonaire, les ulceres des autres visceres, le scorbut de mer, &c. & leur usage est en effet assez salutaire dans ces cas ; ce qui ne prouve cependant rien en faveur des qualités adoucissantes, incrassantes, &c. dont nous venons de parler. Voyez INCRASSANT. Leur véritable utilité dans ces maladies, peut très-bien se borner à la maniere dont elles affectent les organes de la digestion, du moins cette action peut-elle se comprendre facilement ; au lieu que la nullité de leur prétendue opération sur le corps même des humeurs, est à-peu-près démontrable. Voyez INCRASSANT.

La pente à se convertir en acide, ou à engendrer dans les humeurs l'acide spontanée & le glutineux, glutinosum pingue, attribuée aux farineux, est une qualité vague, au moins trop peu définie ; qu'on pourroit même absolument nier, d'après les connoissances assez positives que nous avons, qu'un acide spontanée ne prédomine jamais dans les humeurs animales, & qu'elles ne sont jamais véritablement glutineuses. On avanceroit une chose plus vraie, si on se bornoit à dire que les farineux sont plus propres à produire des acides dans les premieres voies, que la plûpart des alimens tirés des animaux. En général, on ne sauroit admettre dans les farineux aucune qualité véritablement médicamenteuse, altérante, exerçant une action promte sur les humeurs ou sur les solides ; nous ne leur connoissons que cette opération lente, manifestée par un usage long & continu qui est propre aux alimens.

On a reproché aux farineux non fermentés d'être pesans sur l'estomac, c'est-à-dire de résister à l'action des organes digestifs, & au mélange des humeurs digestives ; aux farineux non fermentés, dis-je, car on pense que la fermentation a détruit cette qualité dans les farineux réduits en pain. M. Roüelle, qui est dans cette opinion, propose dans ses leçons de Chimie, de substituer à la farine de froment ordinaire, dont on fait à Paris de la bouillie pour les enfans, la farine du malt ou grain germé ; car la germination équivaut à la fermentation panaire. Voyez PAIN. Cette vûe est d'un esprit plein de sagacité, & tourné aux recherches utiles. Cependant la bouillie de farine non fermentée, ne produit chez les enfans aucun mal bien constaté ; la panade qu'on leur donne dans plusieurs provinces du royaume, au lieu de la bouillie, qui y est absolument inconnue, n'a sur ce dernier aliment aucun avantage observé : or la panade est absolument analogue à la bouillie de grain germé ; & dans le cas où l'on viendroit à découvrir par des observations nouvelles, qu'elle est préférable à la bouillie ordinaire, il seroit beaucoup plus commode d'y avoir recours qu'à la bouillie de grain germé, qui est une matiere assûrément moins commune que le pain.

Voici ce que nous connoissons de plus positif sur l'usage des alimens farineux non fermentés. Les peuples qui en font leur principale nourriture, ont l'air sain, le teint frais & fleuri ; ils sont gras, lourds, paresseux, peu propres aux exercices & aux travaux pénibles ; sans vivacité, sans esprit, sans desirs & sans inquiétude. Les farineux ont donc la propriété d'engraisser ou d'empâter par un long usage ; les Medecins pourroient les employer à ce titre dans plusieurs cas. Ce corollaire pratique se peut déduire facilement des effets connus que nous venons de rapporter ; mais la vûe d'engraisser n'a pas encore été comptée parmi les indications médicinales : plusieurs substances farineuses sont employées extérieurement sous la forme de cataplasme. Voyez plus bas FARINES RESOLUTIVES. (b)

FARINE DE BRIQUE, (Chimie) on appelle ainsi la brique réduite en poudre subtile.

FARINE, (Matiere médicale & Diete) On se sert en Medecine d'un grand nombre de farines : celles que l'on retire de l'orge, de l'avoine, du seigle, de la semence de lin, s'employent fort souvent en cataplasme. On leur attribue la vertu de ramollir & de résoudre. Voyez EMOLLIENT & RESOLUTIF. La farine de ris, d'avoine, sont d'un fréquent usage parmi nous : on les fait prendre cuites avec de l'eau, ou du lait, & du sucre. Voyez RIS, AVOINE.

La farine de froment est d'un usage trop connu dans l'économie ordinaire de la vie ; il suffit que l'on fasse attention que c'est avec elle que nous préparons la meilleure & la plus saine de toutes nos nourritures, le pain : mais nous ferons ici une remarque d'après M. Roüelle, célebre apoticaire & savant chimiste, qui dans ses excellentes leçons, dit que l'usage où l'on est de faire la bouillie (aliment ordinaire des enfans) avec la farine de froment, est pernicieux ; & il s'appuie sur une vérité reconnue de tout le monde. Personne, dit ce célebre académicien, ne voudroit manger de pain non levé, l'expérience apprend qu'il est alors très-indigeste ; cependant, ajoûte-t-il, nous en faisons tous les jours prendre à nos enfans ; car qu'est-ce que de la bouillie, sinon du pain non levé, non fermenté ? Il voudroit donc qu'on préparât cet aliment des enfans avec du pain leger, que l'on feroit bouillir avec le lait, c'est-à-dire qu'on leur fît de la panade, ou bien que l'on fît fermenter le grain avant que de le moudre, comme il se pratique pour la biere, c'est-à-dire que cette bouillie seroit préparée avec la farine du malt de froment : on auroit seulement la précaution de la faire moudre plus fine que pour la biere ; cette farine étant tamisée, feroit, selon M. Roüelle, une excellente nourriture pour les enfans ; la viscosité ordinaire de la farine seroit rompue par la germination du grain ; le corps muqueux, qui est la partie nutritive, seroit développé par la fermentation que le pain a éprouvé dans la germination ; en un mot, les enfans prendroient un aliment de facile digestion. Nous croyons que l'on ne sauroit trop faire d'attention à la remarque judicieuse de M. Roüelle ; elle est digne d'un physicien, ami de la société, en un mot, d'un bon citoyen. (b)

FARINES RESOLUTIVES (les quatre), Pharmacie. On entend sous cette seule dénomination les farines d'orge, de lupins, d'orobe, & de fêves ; non qu'elles soient les seules qui possedent la vertu résolutive, celles de lin, de fenugrec, & bien d'autres, le sont également : mais l'usage a prévalu ; & les quatre que nous avons nommées, ont été regardées comme possédant éminemment cette vertu. Voyez RESOLUTIF.

Les quatre farines résolutives sont d'un fréquent usage : on les fait entrer dans presque tous les cataplasmes, même dans ceux dont on n'attend qu'un effet émollient ; on les mêle avec la pulpe des plantes émollientes ou résolutives. Voyez CATAPLASME. (b)

FARINE MINERALE, (Hist. nat. minéral.) Ce nom a été donné par quelques auteurs, à une espece de terre marneuse ou crétacée, en poudre fort legere, douce au toucher, très-friable, d'une couleur blanche, & par conséquent semblable à de la farine de froment.

Plusieurs historiens allemands font mention de cette substance, & disent qu'en plusieurs endroits d'Allemagne, dans des tems de famine & de disette, causées par de grandes sécheresses, des pauvres gens, trompés par la ressemblance, ayant découvert par hasard cette espece de craie ou de marne, ont cru que la providence leur offroit un moyen de suppléer à la nourriture qui leur manquoit ; en conséquence, ils se sont servis de cette prétendue farine pour faire du pain, & la mêloient avec de la farine ordinaire : mais cette nourriture, peu analogue à l'homme, en fit périr un grand nombre, & causa des maladies très-dangereuses à beaucoup d'autres. Cela n'est pas surprenant, attendu que cette substance pouvoit contenir une portion d'arsenic, ou de quelqu'autre matiere nuisible : d'ailleurs une semblable nourriture ne pouvoit être que très-incommode & fatigante pour l'estomac. La farine minérale ne doit être regardée que comme une espece de craie fort divisée, tout-à-fait semblable à celle qu'on nomme lac lunae, ou lait de lune. Voyez la minéralogie de Wallerius, tom. I. & Bruckmann, epistolae itinerariae centuria, I. epist. xv. (-)

FARINE EMPOISONNEE, (Chimie métallurg.) expression par laquelle les Allemands designent l'arsenic sublimé dans les travaux en grand, sous la forme d'une poudre, que la fumée qui passe par le même canal, rend grise. Voyez ARSENIC, BLIMATOIRE EN GRANDRAND. Article de M. DE VILLIERS.

FARINE, FARINEUX, en Peinture, se dit d'un ouvrage où l'artiste a employé des couleurs claires & fades, & dont les carnations sont trop blanches & les ombres trop grises ; les Peintres appellent ce coloris farineux.


FARINERFARINEUX, (Jardinage) se dit d'un fruit qui manque d'eau, & qui en rend le goût très-mauvais. (K)


FARLOUSES. f. (Hist. nat. Ornitholog.) alauda pratorum, aloüette des près ; elle est presque de moitié plus petite que l'aloüette ordinaire ; elle a plus de verd sur son plumage, dont les couleurs sont cependant moins belles : la farlouse fait son nid dans les prés, & se cache quelquefois sur les arbres. Il est difficile de l'élever, mais lorsqu'on y est parvenu, elle chante très-agréablement. Ray, synop. avium meth. Voyez OISEAU. (I)


FAROS. m. (Géog.) ville de Portugal, au royaume d'Algarve, avec un port sur la côte du golphe de Cadix, & un évêché suffragant d'Evora. Alphonse roi de Portugal la prit sur les Maures en 1249 : elle est à six milles sud de Tavira, quatorze est de Lagos, quarante sud-oüest d'Evora, neuf de l'embouchure de la Guadiana. Long. 9d. 48'. lat. 36d. 54'. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FAROUCHEadj. (Gramm.) épithete que nous donnons aux animaux sauvages, pour exprimer cet excès de timidité qui les éloigne de notre présence ; qui les retient dans les antres au fond des forêts & dans les lieux deserts, & qui les arme contre nous & contr'eux-mêmes, lorsque nous en voulons à leur liberté. Le correlatif de farouche est apprivoisé. On a transporté cette épithete des animaux à l'homme, ou de l'homme aux animaux.

FAROUCHE, (Manége) Un cheval farouche est celui que la présence de l'homme étonne ; que son approche effraye, & qui peu sensible à ses caresses, le fuit & se dérobe à ses soins. Est-il saisi ? est-il arrêté par les liens, qui sont les marques ordinaires de sa dépendance & de sa captivité ? Il se rend inaccessible ; le plus leger attouchement le pénetre d'épouvante ; il s'en défend, soit avec les dents, soit avec les piés, jusqu'à ce que vaincu par la patience, la douceur, & l'habitude de ne recevoir que de nos mains les alimens qui peuvent le satisfaire, il s'apprivoise, nous desire, & s'attache à nous.

Tels sont en général les chevaux sauvages, nés dans les forêts ou dans les deserts ; tels sont les poulains que nous avons long-tems délaissés & abandonnés dans les paturages ; telles sont certaines races de chevaux indociles, & moins portés à la familiarité & à la domesticité, que le reste de l'espece ; tels étoient sans-doute ceux des Assyriens, selon le rapport de Xénophon, ils étoient toûjours entravés ; le tems que demandoit l'action de les détacher & de les harnacher, étoit si considérable, que ces peuples, dans la crainte du desordre où les auroit jettés la moindre surprise de la part des ennemis, par l'impossibilité où ils se voyoient de les équiper avec promtitude, étoient toûjours obligés de se retrancher dans leur camp.

Il en est encore, dont une éducation mal entendue a perverti pour ainsi dire, le caractere ; que les châtimens & la rigueur ont aliénés, & qui ayant contracté une sorte de férocité, haïssent l'homme plûtôt qu'ils ne le redoutent. Ceux-ci, qu'un semblable traitement auroit avilis, s'ils n'eussent apporté en naissant la fierté, la générosité, & le courage, que communément on observe en eux, n'en sont que plus indomptables. Il est extrèmement difficile de trouver une voie de les adoucir ; notre unique ressource est, en nous en défiant sans-cesse, de les prévenir par des menaces, de leur imprimer la plus grande crainte, de les châtier & de les punir de leurs moindres excès.

Quant aux premiers, si notre attention à ne les jamais surprendre en les abordant, & à ne les aborder qu'en les flatant, & en leur offrant quelques alimens ; si des caresses repétées, si l'assiduité la plus exacte à les servir & à leur parler, ne peuvent surmonter leur timidité naturelle, & captiver leur inclination ; le moyen le plus sûr d'y parvenir, est de leur supprimer d'abord, pendant l'espace de vingt-quatre heures, toute espece de nourriture ; & de leur faire éprouver la faim & la soif même. En les privant ainsi d'un bien dont il leur est impossible de se passer & de joüir, sans notre secours, nous convertissons le besoin en nécessité, & nous irritons le sentiment le plus capable de remuer l'animal. Il suffit de les approcher ensuite plusieurs fois ; de leur offrir du fourrage, poignée par poignée ; de le leur faire souhaiter, en éloignant d'eux la main qui en est pourvue, & en les contraignant d'étendre le cou pour le saisir : insensiblement ils céderont ; ils s'habitueront ; ils se plieront à nos volontés, & chériront en quelque façon leur esclavage.

On a mis en usage, pour les apprivoiser, la méthode pratiquée en Fauconnerie, lorsqu'on se propose de priver un oiseau nouvellement pris, & qu'on est dans le dessein de dresser au vol. On a placé le cheval farouche, de maniére que dans l'écurie son derriere étoit tourné du côté de la mangeoire. Un homme préposé pour le veiller nuit & jour, s'est constamment opposé à son sommeil ; il a été attentif à lui donner de tems en tems une poignée de foin, & à l'empêcher de se coucher, & ce moyen a parfaitement réussi. Il me semble néanmoins que le succès doit être plûtôt attribué au soin que l'on a eu d'aiguillonner son appétit par des poignées de fourrage, qu'à celui de lui dérober le dormir, & de tenter de l'abattre par la veille. Les chevaux dorment peu ; il en est qui ne se couchent jamais ; leur sommeil est rarement un assoupissement profond, dans lequel tous les muscles qui servent aux mouvemens volontaires, sont totalement flasques & affaissés ; parmi ceux qui se couchent, il en est même plusieurs qui dorment souvent debout & sur leurs piés ; & deux ou trois heures d'un leger repos suffisent à ces animaux, pour la réparation des pertes occasionnées par la veille & par le travail ; or il n'est pas à présumer que de tous les besoins auxquels la vie animale est assujettie, le moins pressant soit plus propre à dominer un naturel rebelle, que celui qui suscite le plus d'impatience, & qui suggere le desir le plus ardent. Pour subjuguer les animaux, pour les amener à la société de l'homme, pour les asservir en un mot, la premiere loi que nous devons nous imposer, est de leur être agréables & utiles ; agréables par la douceur que nous sommes nécessités d'opposer d'abord à leurs fougues & à leur violence ; utiles par notre application à étudier leurs penchans, & à les servir dans les choses auxquelles ils inclinent le plus : c'est ainsi que se forme cette sorte d'engagement mutuel qui nous unit à eux, qui les unit à nous : il n'a rien d'humiliant pour celui qui, bien loin d'imaginer orgueilleusement que tout l'univers est créé pour lui, & qu'il n'est point fait pour l'univers, se persuade au contraire, qu'il n'est point réellement de servitude & d'esclavage, qui ne soit réciproque ; depuis le despote le plus absolu jusqu'à l'être le plus subordonné. (e)


FARRÉATIONvoyez CONFARREATION.


FARTACH(Géog.) royaume ou principauté de l'Arabie heureuse, qui s'étend depuis le 14 degré de latitude, jusqu'au 16e degré trente minutes ; & pour la longitude, depuis soixante-sept degrés trente minutes, jusqu'au soixante-treizieme degré. Voyez les mémoires de Thomas Rhoë, ambassadeur d'Angleterre au Mogol. Le cap de Fartach est une pointe de terre qui s'avance dans la mer vers le quatorzieme degré de latitude nord, entre Aden à l'oüest, & le cap Falcalhad à l'est. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FARTEURSFARTORES, ou ENGRAISSEURS, s. m. pl. (Hist. anc.) valets destinés à engraisser de la volaille. Il y en avoit aussi d'employés dans la cuisine sous le même nom : c'étoient ceux qui faisoient les boudins, les saucisses, & autres mets de la même sorte. On appelloit encore farteurs, fartores, ceux qui, mieux connus sous le nom de nomenclateurs, nomenclatores ; disoient à l'oreille de leurs maîtres, les noms des bourgeois qu'ils rencontroient dans les rues, lorsque leurs maîtres briguoient dans la république quelque place importante, qui étoit à la nomination du peuple. Ces orgueilleux patriotes étoient alors obligés de lui faire leur cour, & ils s'en acquittoient assez communément de la maniere la plus honteuse & la plus vile. Je n'en voudrois pour preuve que l'institution de ses farteurs, qui indiquoient à l'aspirant à quelque dignité, le nom & la qualité d'un inconnu qui se trouvoit sur sa route, & qu'il alloit familierement appeller par son nom, & cajoler bassement, comme s'il eût été son protecteur de tous tems. On donnoit à ces domestiques le nom de fartores, farteurs, parce que velut infercirent nomina in aurem candidati : on les comparoit par cette dénomination aux farteurs de cuisine ; ceux-ci remplissoient des boudins, & ceux-là sembloient être gagés pour remplir & farcir de noms l'oreille de leur maître.


FASCES. f. terme de Blason, piece honorable, qui occupe le tiers de l'écu horisontalement par le milieu, & qui sépare le chef de la pointe.


FASCÉadj. en terme de Blason, se dit d'un écu couvert de fasces & de pieces, divisées par longues lisses. Fascé d'argent & d'azur. On dit, fascé, contre-fascé, lorsque l'écu fascé est parti par un trait qui change l'émail des fasces, ensorte que le métal soit opposé à la couleur, & la couleur au métal. On dit aussi, fascé, denché, lorsque toutes les fasces sont dentées, de telle façon que l'écu en soit aussi plein que vuide. Voyez le P. Ménétrier.


FASCEAUXS. m. pl. terme de Pêche ; ce sont de vieilles savattes garnies de pierres, pour faire caler le bas du sac du chalut. Voyez CHALUT.


FASCIA-LATA(Anatomie) un des muscles de la cuisse & de la jambe : son nom latin s'est conservé dans notre langue, & est beaucoup plus usité que celui de membraneux, qui lui est donné par un petit nombre de nos auteurs.

Il a son attache fixe antérieurement à la levre externe de la crête de l'os des îles, par un principe en partie charnu & en partie aponévrotique. Le corps charnu de ce muscle, qui n'a guere plus de cinq travers de doigt de longueur sur deux ou trois de largeur, est logé entre les deux lames d'une aponévrose, dans laquelle ce muscle se perd par un grand nombre de fibres tendineuses très-courtes. C'est la grande étendue de cette aponévrose qui a fait donner à ce muscle le nom de fascia-lata, c'est-à-dire bande large, quoique ce nom semble plûtôt devoir appartenir à l'aponévrose qu'au muscle même : M. Winslow le nomme le muscle du fascia-lata.

Cette aponévrose est attachée antérieurement à la levre externe de la crête des os des îles, depuis l'épine antérieure & supérieure de cet os, jusqu'environ le milieu de cette crête ; elle s'attache ensuite au grand trochanter, & postérieurement vers le milieu du fémur & à la partie supérieure du péroné ; après quoi elle se continue tout le long du tibia, en s'attachant à sa crête, & se termine enfin à la partie inférieure du péroné. Dans ce trajet, cette aponévrose couvre les muscles qui lui répondent : savoir, une portion considérable du grand & du moyen fessier, toutes les muscles qui sont couchés le long de la cuisse, principalement ceux de sa partie latérale externe, & ceux qui sont couchés antérieurement le long de la jambe entre le tibia & le péroné.

Cette aponévrose reçoit encore un très-grand nombre de fibres des muscles qu'elle couvre ; mais sur-tout du grand & du moyen fessier, de la courte tête du biceps muscle de la jambe, des péroniers, du jambier antérieur, & du long extenseur des orteils, avec tous lesquels muscles cette aponévrose se trouve comme confondue. Il est même à remarquer, à l'égard de la plûpart de ces muscles, que cette aponévrose leur fournit des cloisons qui les séparent les uns des autres. La même chose s'observe à l'aponévrose qui couvre les muscles de l'avant-bras, & principalement ceux qui sont couchés extérieurement entre ses deux os.

Nous venons de donner la description du fascia-lata d'après les plus grands maîtres ; mais il faut convenir que cette enveloppe tendineuse, qui embrasse les muscles de la partie antérieure de la cuisse, & qui communique avec plusieurs autres, est aussi difficile à décrire qu'à démontrer, parce qu'il n'est pas aisé d'en reconnoître les bornes ; de sorte qu'il ne faut pas s'étonner que les Anatomistes ne s'accordent point sur son étendue. Quoique tous les muscles qui composent la cuisse soient recouverts par une enveloppe qui paroît être continue, on peut cependant dire que le fascia-lata n'embrasse que les quatre antérieurs, & que tout ce qui est postérieurement ne lui appartient point. En effet, les cloisons tendineuses qui séparent les muscles vastes des muscles postérieurs, semblent être formées du concours de deux membranes, paroissant plus fortes & plus épaisses que les parties qui les produisent prises séparément. Le fascia-lata est donc une partie aponévrotique, qui enveloppe les quatre muscles qui font l'extension de la jambe, appellés droit, crural, vaste interne, & vaste externe.

Cette membrane a plusieurs usages ; car outre qu'elle forme une gaine très-solide qui contient les quatre muscles que nous venons de nommer, elle reçoit le tendon de l'épineux, & une partie de celui du grand & du moyen fessier : elle fournit de plus une attache solide à une partie du petit fessier, du vaste externe, & de la petite tête du biceps. La membrane qui recouvre le grand fessier, & qui produit des cloisons particulieres pour les trousseaux des fibres dont ce muscle est composé, peut être regardée comme une production du fascia-lata, qui communique encore avec le ligament inguinal & l'aponévrose de l'oblique externe.

Les Chirurgiens doivent soigneusement observer que lorsqu'il se forme un abcès sous le fascia-lata, le pus s'échappe aisément dans l'interstice des muscles qui sont au-dessous, parce que la matiere de l'abcès a plus de facilité à se glisser dans l'espace de ces chairs flexibles, qu'à pénétrer le tissu de la membrane qui forme le fascia-lata, lequel est fort serré. Il faut alors, pour prévenir cet épanchement du pus entre ces muscles, faire une grande incision selon la longueur de cette membrane, afin de donner une issue suffisante au pus contenu dans le sac de l'abcès, & empêcher qu'il n'y fasse une long séjour : pour cet effet, après l'incision faite, il faut glisser le doigt indice sous la membrane, & en rompre & détacher toutes les adhérences, afin que le pus sorte librement de toutes parts. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FASCINATIONS. f. (Hist. & Philos.) ; maléfice produit par une imagination forte, qui agit sur un esprit ou un corps foible.

Linder, dans son traité des poisons, pag. 166-8. croit qu'un corps peut en fasciner un autre sans le concours de l'imagination ; par exemple, que les émanations qui sortent par la transpiration insensible du corps d'une vieille femme peuvent, sans qu'elle le veuille, blesser les organes délicats d'un enfant. Mais ce cas, que quelques auteurs appellent fascination naturelle, présente seulement une forte antipathie, & n'a qu'un rapport éloigné avec la fascination proprement dite.

Guillaume Perkins, dans sa bascanologie, définit l'art des fascinations magiques, un art impie, qui fait voir des prodiges par le secours du démon, & avec la permission de Dieu. Cette définition paroît trop vague ; elle embrasse toutes les parties de la Magie, du moins suivant beaucoup de philosophes, qui n'admettent rien de réel dans cet art, que les apparences qu'il fait naître.

Frommann a donné un recueil très-prolixe en forme de traité de fascinatione, dans lequel, liv. III. part. IV. sect. 2. il étend la fascination, non-seulement aux animaux, comme avoient fait les anciens, mais encore aux végétaux, aux minéraux, aux vents, & aux ouvrages de l'art des hommes. Outre les défauts ordinaires des compilations, on peut reprocher à cet auteur son extrème crédulité, ses contes ridicules sur les moines, & sa calomnie grossiere contre S. Ignace de Loyola, qu'il ose dire avoir été sorcier. Le n°. 4. de l'appendix de ce livre, où Frommann veut prouver que le Diable est le singe de Dieu, est assez remarquable.

Frommann distingue, après Delrio, trois especes de fascination ; l'une vulgaire & poétique, la seconde naturelle, la troisieme magique. Il combat la premiere, quoiqu'il admette les deux autres : mais les Poëtes ont-ils pu concevoir de fascination, qu'en la rappellant à la Physique ou à la Magie ?

On conçoit que l'imagination d'un homme peut le séduire ; que trop vivement frappée elle change les idées des objets : qu'elle produit ses erreurs dans la morale, & ses fausses démarches : mais qu'elle influe, sans manifester son action, sur les opinions & la volonté d'un autre homme, c'est ce qu'on a de la peine à se persuader. Le chancelier Bacon,de augmento scientiar. liv. IV. c. iij. m. 130. croit qu'on a conjecturé que les esprits étant plus actifs & plus mobiles que les corps, devoient être plus susceptibles d'impressions analogues aux vertus magnétiques, aux maladies contagieuses, & autres phénomenes semblables.

Il n'y a peut-être pas de preuve plus sensible de la communication dangereuse des imaginations fortes, que celles qu'on tire des histoires des loups-garoux, si communes chez les démonographes : c'est une remarque du P. Malebranche, dern. ch. du liv. II. Recherche de la vérité. F. Claude prieur religieux de l'ordre des FF. mineurs de l'observance, dans son Dialogue de la Lycanthropie, imprimé à Louvain l'an 1596, prétend, fol. 20. que les hommes ne sauroient se transmuer sinon par la puissance divine, mais bien qu'ils peuvent apparoître extérieurement autres qu'ils ne sont, & se le persuader eux-mêmes, fol. 71 v°.

J. de Nynauld docteur en Medecine, dans son écrit sur la lycanthropie & extase des sorciers, imprimé à Paris l'an 1615, en combat la réalité contre Bodin, & attribue les visions des sorciers à la manie, à la mélancolie, & aux vertus des simples qu'ils emploient, parmi lesquels il en est, dit-il, p. 25. qui font voir les bons & les mauvais anges.

Les peres de l'Eglise & les commentateurs expliquent la métamorphose de Nabuchodonosor en boeuf par un accès de manie, dont Dieu se servit à la vérité pour punir ce prince. Il est parlé d'un autre changement de forme, d'un homme changé en mulet, dans l'évangile de l'enfance de Jesus-Christ, pag. 183. I. part. des pieces apocryphes concernant le nouveau Testament, données par Fabricius.

Plutarque raconte qu'Eutelidas se fascina lui-même, & devint si amoureux de ses charmes, qu'il en tomba malade ; voyez Sympos. l. V. p. m. 682. (c'est ainsi qu'il faut expliquer vraisemblablement la fable de Narcisse) : le même auteur nous apprend combien les anciens craignoient pour l'état florissant de ceux qui étoient trop loüés ou trop enviés.

Hippocrate a observé, , que les apparitions des esprits avoient plus fait perir de femmes que d'hommes, & il en donne cette raison, que les femmes ont moins de courage & de force. Mercurialis a pensé que les corps des enfans & des femmes sont plus exposés à la fascination, parce que les corps des enfans ne sont point défendus par leurs ames, & que ceux des femmes le sont par des ames foibles & timides. Voyez ses opuscules, p. m. 276. de morbis puer. l. I. c. iij.

Mercurialis, ibid. 277. dit qu'on attribue à la fascination, cette maigreur incurable des enfans à la mammelle, dont on ne peut accuser leur constitution ni de celle de leurs nourrices. Sennert, l. VI. prax. med. part. IX. p. m. 1077. tom. IV. regarde comme produites par des sortileges ces maladies que les Medecins ne connoissent pas, & qu'ils traitent sans succès ; celles, pag. 1086, qui, sans cause apparente, parviennent rapidement au période le plus dangereux, qui excitent des douleurs vagues & des mouvemens convulsifs. Willis, de morb. convuls. c. vij. p. m. 44. met hors de doute que toutes les convulsions qu'un homme en santé ne pourroit imiter, & qui demandent une force surnaturelle, sont diaboliques. Il se réunit avec Frommann, lib. cit. p. 916. & plusieurs autres, pour expliquer par l'opération du démon, les excrétions de choses qui ne peuvent se former dans le corps de l'homme. Ainsi suivant la maxime d'Hippocrate, , les hommes ont recours à un pouvoir surnaturel dans les choses dont ils n'ont aucune connoissance : mais le font-ils toûjours avec fondement ?

Dans les anciennes éphémérides des curieux de la Nature, on voit plusieurs exemples de maladies causées par la fascination. On trouve aussi des observations de maladies pareilles dans les nouveaux actes de cette académie : mais elles y sont rapportées plus philosophiquement. Westphalus, dans sa pathologie démoniaque, pag. 50. n'admet point de fascination qui ne soit magique. Cette pathologie a été imprimée en 1707. Il semble que depuis ce tems la Magie a beaucoup perdu de son crédit en Allemagne.

Frommann, lib. cit. p. 595. croit que le tact peut être fasciné, de sorte qu'il résiste à l'action du feu & des corps tranchans, & même aux balles de mousquet. Cet auteur se donne beaucoup de peine, ibid. pag. 815-6. pour expliquer comment le démon peut produire cet endurcissement de la peau. Il auroit été bien éloigné d'employer dans une maladie semblable les bains & le mercure, comme a fait avec succès un medecin italien, qui a publié récemment l'histoire de cette guérison, que M. Vandermonde a traduite. La santé des hommes est donc intéressée à la destruction des préjugés, & aux progrès de la bonne Physique.

On ne voit point dans le texte hébreu de l'Ecriture de vestige de la fascination proprement dite, si ce n'est peut-être dans le ch. xxiij. des Proverb. n. 7. au lieu de l'envieux dont parle la vulgate en cet endroit, l'hébreu dit, l'oeil malin ; râ aiin, (Don Ramirez de Prado a cité ces mots en caracteres hébreux, qu'il faudroit lire ouâ tin, ce qui ne fait aucun sens). Grotius explique cependant avec beaucoup de vraisemblance ce mauvais oeil, de celui de l'avare, dans ses notes sur le ch. xx. v. 15. évang. de S. Matthieu. Les Romains crurent qu'il falloit opposer des dieux à ces puissances mal-faisantes qui fascinent les hommes : ils créerent le dieu Fascinus & la déesse Cunina. Nous apprenons de Varron, que les symboles du dieu Fascinus étoient infames, & qu'on les suspendoit au cou des enfans, ce qui est confirmé par Pline, hist. nat. l. XXVIII. c. iiij. Le P. Hardoüin, tom. II. p. 451. col. 1. apprend que les amuletes des enfans dont parle Pline, n'avoient rien d'obscene. Il a reproché aux commentateurs de s'être trompés ; mais il étoit bien à plaindre, s'il se croyoit obligé de soûtenir ce paradoxe. Voyez ci-après FASCINUS.

Le culte que les Grecs rendoient à Priape, étoit sans-doute honteux ; mais ce culte naquit peut-être de réflexions profondes. Ils l'avoient reçu des Egyptiens, dont on sait que les hiéroglyphes présentent souvent les attributs de ce dieu. Ils étoient une image sensible de la fécondité, & apprenoient aux peuples grossiers que la nature n'est qu'une suite de générations : unis sur les monumens égyptiens, avec l'oeil symbole de la prudence (voyez Pignorius, mens. isiac. pag. 32.) ils insinuoient aux hommes, qu'une intelligence suprème reproduit sans-cesse l'univers.

Les allégories furent perdues pour les Grecs, les Etrusques, & les Romains ; ils continuerent néanmoins à regarder l'image de Priape comme un puissant préservatif. Ils n'y virent plus qu'un objet ridicule qui désarmeroit les envieux, & en partageant leur attention, affoibliroit leurs regards funestes. M. Gori, dans son Museum Etrusc. p. 143. nous assûre que les cabinets des curieux, en Toscane, sont remplis de ces amuletes que les femmes Etrusques portoient, & attachoient au cou de leurs enfans. Thomas Bartholin, de puerperio vet. p. 161. a donné un de ces infâmes amuletes, avec ceux que Pignorius avoit déjà donnés. Ceux-ci représentent seulement une main fermée, dont le pouce est inséré entre le doigt index & le doigt du milieu. Delrio, Vallesius, & Gutierrius, cités par Frommann, l. c. p. 66. assûrent que l'usage de cette main fermée s'est conservé en Espagne : on en fait de jayet, d'argent, d'ivoire, qu'on suspend au cou des enfans, & les femmes Espagnoles obligent à toucher cette main, ceux dont elles craignent les yeux malins. Voyez les mém. du chev. d'Arvieux, tom. III. p. 249.

Don Ramirez de Prado, dans son Pentecontarche, c. xxxj. p. 247-8. ajoûte que l'on appelle cette main higa, & il en tire l'origine du grec , qui fait à l'accusatif ; il doit cette étymologie au docteur François Penna Castellon ; mais ce médecin, dans ses vers, dit que l'iynx est un oiseau qui garantit de la fascination, c'est le motacella ou hoche-queue. Son opinion sur le mot higa, n'a point de fondement, mais elle a quelque rapport avec ce qu'on lit dans Suidas, que l' est une petite machine, , dont les Magiciennes se servent pour rappeller leurs amans. Biser a transcrit ce passage de Suidas, dans ces notes greques sur le v. 1112. de la Lysistrata d'Aristophane. Psellus, dans ses scholies sur les oracles chaldaïques, p. 74. donne la description de ces machines : elle est assez vague, & l'on pourroit fort bien soupçonner qu'il y avoit parmi ces machines des nevrospastes ou pantins dont parle Hérodote, Lucien, &c.

Don Ramirez de Prado a été copié par Balthasar de Vias noble Marseillois, dans ses Sylvae regiae, pag. 333-4. (Notez que Mencken dans sa dissertation sur la fascination attribuée aux loüanges, a mal cité la Via regia de cet auteur au lieu de Sylvae regiae). Ramirez nous apprend, au même endroit, qu'une vieille qui regarde un enfant, est obligée de lui présenter ses doigts dans cette disposition qu'on appelle higa. Nous appellons cela faire la figue, & les Allemands l'appellent feige ; ces derniers ont un proverbe fort singulier : lorsqu'ils veulent préserver quelqu'un de la fascination, ils souhaitent, er hat ihm eine feige bewiesen, que le Seigneur d'en-haut lui montre la figue. Frommann, l. c. p. 335.

Perkins, lib. cit. c. vij. qu. 3. & plusieurs autres, se déchaînent contre les préservatifs des catholiques romains, les Agnus Dei, &c. Ces auteurs n'ont pas fait attention que de semblables amuletes étoient usités par les premiers Chrétiens. Voyez Casalé, de R. vet. christian. p. 267. Le chancelier Bacon regarde comme illicites les amuletes, qu'il confond avec les autres cérémonies magiques, quand on les employeroit seulement comme des remedes physiques ; parce que, dit-il, cette espece de magie tend à faire joüir l'homme avec fort peu de peine, de ce qui doit être la récompense d'un travail pénible, in sudore vultûs comedes panem tuum. De augm. scient. p. m. 130.

Goropius Becanus rapporte dans ses Origines d'Anvers, p. m. 26. que les femmes les plus respectables de cette ville, appelloient Priape à leur secours au moindre accident. Cette superstition subsistoit encore de son tems, quoique Godefroi de Bouillon marquis d'Anvers, dès qu'il se fut rendu maître de Jérusalem, leur eût envoyé le prépuce de Jésus-Christ ; mais les femmes ne purent renoncer à leur premiere habitude.

Quoique les conciles ayent fait plusieurs canons contre les phylacteres, on se servoit il n'y a pas longtems dans les pays catholiques, d'ensalmes ou formules tirées des livres sacrés pour empêcher les fascinations. On peut voir sur les formules l'opusculum primum de incantationibus seu ensalmis, d'Emmanuel de Valle de Moura docteur en théologie & inquisiteur portugais ; livre rare, où entr'autres choses plaisantes, de ce que l'auteur compare les Juifs à des ronces qui se piquent elles-mêmes ; il conclut qu'il faut les brûler.

La fascination est le plus universel de tous les maux, & l'on peut bien dire que ce monde est enchanté ; non pas dans le sens de Becker, mais parce que les hommes séduits par leurs passions & leur imagination, font entr'eux un commerce perpétuel d'erreurs.

Jules César Vanini, fameux athée brûlé à Toulouse, a cru sans-doute que son système le menoit à nier qu'un homme sain pût en fasciner un autre, il credere e cortesia, dit-il, parce qu'il pense qu'il faudroit attribuer cet effet à la magie. Or l'existence des démons ne lui est connue que par la révélation ; il la combat même sous les noms de Cardan & de Pomponace ; d'ailleurs, il ne veut pas que les démons ayent du pouvoir sur des enfans exempts de péché : il aime donc mieux avoir recours à des facultés naturelles, mais il n'est pas heureux dans ses explications. Il pense que quand une sorciere se livre à des mouvemens de colere, de haine, ou d'envie, le desir de nuire formé dans son imagination, excite les esprits & leur donne une teinte de couleur triste, ce qu'il prouve parce que le sang devient livide, (tristi illâ nocendi specie, quae in illius imaginativâ residet, commoventur spiritus, imò & maestum induunt colorem, nam sanguis fit lividus. De admirandis naturae reginae, deaeque mortalium arcanis, dialog. 59. p. 73.) les esprits ramassent une matiere pernicieuse, qu'ils dardent par les yeux de la sorciere. En conséquence de cette hypothèse, Vanini assûre très-sérieusement qu'il a conseillé à ceux qui craignoient la fascination, s'ils avoient honte de détourner la tête pour l'éviter, de rassembler leurs esprits vers les yeux & de les diriger contre la magicienne, dont ils choqueroient par-là & affoibliroient les esprits nuisibles. Enfin, il prétend que les coraux en pâlissant découvrent la fascination comme la fievre, & que c'est par cette raison qu'on les suspend au cou des enfans comme des préservatifs. (g)

FASCINATION, s. f. (Medecine) on appelle de ce nom l'exercice du pouvoir prétendu de ceux qui causent des maladies aux hommes, aux enfans surtout, & aux bestiaux, par l'effet de certaines paroles magiques, & même par le regard. C'est une sorte d'enchantement.

Les symptomes dominans des maladies produites par cette cause, sont la fievre hectique, le marasme, le plus souvent suivis de la mort. Les anciens mettoient la fascination au nombre des causes occultes des maladies. Voyez MEDECINE MAGIQUE, ENCHANTEMENT, CHARME, SORCELLERIE. (d).


FASCINESS. f. (Art militaire) ce sont dans la guerre des siéges, des especes de fagots faits de menus branchages, dont on se sert pour former des tranchées & des logemens, & pour le comblement du fossé. Voyez la Pl. XIII. de Fortification.

Les fascines ont environ six piés de longueur, & huit pouces de diametre, c'est-à-dire environ 24 pouces de circonférence ; elles ont deux liens placés à-peu-près à un pié de distance des extrémités.

Trois ou quatre jours avant l'ouverture de la tranchée, lorsque les troupes ont achevé de camper & de se munir de fourrage, on commande à chaque bataillon & à chaque escadron de l'armée, de faire un certain nombre de fascines, qui est ordinairement de deux ou trois mille par bataillon, & de douze ou quinze cent par escadron.

Les fascines sont des ouvrages de corvée, c'est-à-dire qui ne sont point payés aux troupes. Tous les corps de l'armée en font des amas à la tête de leur camp, & ils y posent des sentinelles, pour veiller à ce qu'elles ne soient point enlevées.

On fait usage des fascines en les couchant horisontalement selon leur longueur ; c'est pourquoi on ne dit point planter des fascines, mais poser des fascines, ou jetter des fascines, parce qu'on les jette dans les fossés pour les combler.

On employe encore des fascines dans la construction des batteries & la réparation des breches après un siége : mais ces fascines sont beaucoup plus longues que les autres, ayant depuis dix piés jusqu'à douze. Voyez SAUCISSONS, BATTERIES & EPAULEMENT. (Q)

FASCINE GOUDRONNEE, est une fascine trempée dans de la poix, ou du goudron. On s'en sert dans la guerre des siéges, pour brûler les logemens & les autres ouvrages de l'ennemi. (Q)

FASCINE, (Jard.) Voyez CLAYONAGE.


FASCINUSS. m. divinité adorée chez les Romains. Ils en suspendoient l'image au cou de leurs petits enfans, pour les garantir du maléfice qu'ils appelloient fascinum. Ce dieu suspendu au cou des petits enfans, étoit représenté singulierement, sous la forme du membre viril. Le don de l'amulete préservative étoit accompagné de quelques cérémonies. Une de ces cérémonies, c'étoit de cracher trois fois sur le giron de l'enfant. Quoique le symbole du dieu Fascinus ne fût pas fort honnête, c'étoit cependant les vestales qui lui sacrifioient. On en attachoit encore la figure aux chars des triomphateurs.


FASIER(Marine) on dit les voiles fasient, c'est-à-dire que le vent n'y donne pas bien, & que la ralingue vacille toûjours. (Z)


FASSEN(Géog.) pays d'Afrique dans la Numidie, située entre les deserts de Libye, le pays des Negres, & l'Egypte. Sa capitale est à 44d de longitude & 26d de latitude, selon Dapper, dont le premier méridien passe à la pointe du cap Verd. (D.J.)


FASSURES. f. (Manuf. en soie) partie de l'étoffe fabriquée entre l'ensuple & le peigne, sur laquelle les espolins sont rangés, quand la nature de l'étoffe en exige. On donne le même nom à cette portion de l'étoffe, lorsqu'on n'employe point d'espolins.


FASTES. m. (Gram.) vient originairement du latin fasti, jours de fêtes. C'est en ce sens qu'Ovide l'entend dans son poëme intitulé les fastes. Godeau a fait sur ce modele les fastes de l'église, mais avec moins de succès, la religion des romains payens étant plus propre à la poésie que celle des chrétiens ; à quoi on peut ajoûter qu'Ovide étoit un meilleur poëte que Godeau. Les fastes consulaires n'étoient que la liste des consuls. Voyez ci-après les articles FASTES (Histoire).

Les fastes des magistrats étoient les jours où il étoit permis de plaider ; & ceux auxquels on ne plaidoit pas s'appelloient nefastes, nefasti, parce qu'alors on ne pouvoit parler, fari, en justice. Ce mot nefastus en ce sens ne signifioit pas malheureux ; au contraire, nefastus & nefandus furent l'attribut des jours infortunés en un autre sens, qui signifioit, jours dont on ne doit pas parler, jours dignes de l'oubli ; ille & nefasto te posuit die.

Il y avoit chez les Romains d'autres fastes encore, fasti urbis, fasti rustici ; c'étoit un calendrier à l'usage de la ville & de la campagne.

On a toûjours cherché dans ces jours de solennité à étaler quelque appareil dans ses vêtemens, dans sa suite, dans ses festins. Cet appareil étalé dans d'autres jours s'est appellé faste. Il n'exprime que la magnificence dans ceux qui par leur état doivent représenter ; il exprime la vanité dans les autres. Quoique le mot de faste ne soit pas toûjours injurieux, fastueux l'est toûjours. Il fit son entrée avec beaucoup de faste : c'est un homme fastueux : un religieux qui fait parade de sa vertu, met du faste jusque dans l'humilité même. Voyez l'article suivant.

Le faste n'est pas le luxe. On peut vivre avec luxe dans sa maison sans faste, c'est-à-dire sans se parer en public d'une opulence révoltante. On ne peut avoir de faste sans luxe. Le faste est l'étalage des dépenses que le luxe coûte. Art. de M. DE VOLTAIRE.

FASTE, (Morale) c'est l'affectation de répandre, par des marques extérieures, l'idée de son mérite, de sa puissance, de sa grandeur, &c. Il entroit du faste dans la vertu des Stoïciens. Il y en a presque toûjours dans les actions éclatantes. C'est le faste qui éleve quelquefois jusqu'à l'héroïsme, des hommes, à qui il en coûteroit d'être honnêtes. C'est le faste qui rend la générosité moins rare que l'équité ; & de belles actions, plus faciles que l'habitude d'une vertu commune. Il entre du faste dans la dévotion, quand elle inspire plus de zele que de moeurs, & moins l'attachement à ses devoirs comme homme & comme citoyen, que le goût des pratiques extraordinaires.

On se sert plus communément du mot faste, pour exprimer cet appareil de magnificence ; ce luxe d'apparence, & non de commodité, par lequel les grands prétendent annoncer leur rang au reste des hommes. Ils ont presque tous du faste dans les manieres : c'est un des signes par lesquels ils font reconnoître leur état. Dans les pays où ils ont part au gouvernement, ils ont de la morgue & du dédain : dans les pays où ils ont moins de crédit que de prétentions, ils ont une politesse qui a son faste, & par laquelle ils cherchent à plaire sans commettre leur rang.

On demande si dans ce siecle éclairé il est encore utile que les hommes qui commandent aux nations, annoncent la grandeur & la puissance des nations par des dépenses excessives, & par le luxe le plus fastueux ? Les peuples de l'Europe sont assez instruits de leurs forces mutuelles, pour distinguer chez leurs voisins un vain luxe d'une véritable opulence. Une nation auroit plus de respect pour des chefs qui l'enrichiroient, que pour des chefs qui voudroient la faire passer pour riche. Des provinces peuplées, des armées disciplinées, des finances en bon ordre, imposeroient plus aux étrangers & aux citoyens, que la magnificence de la cour. Le seul faste qui convienne à de grands peuples, ce sont les monumens, les grands ouvrages, & ces prodiges de l'art qui font admirer le génie autant qu'ils ajoûtent à l'idée de la puissance.

FASTES, s. m. pl. (Hist.) calendrier des Romains, dans lequel étoient marqués jour par jour leurs fêtes, leurs jeux, leurs cérémonies, & tout cela sous la division générale de jours fastes & néfastes, permis & défendus, c'est-à-dire de jours destinés aux affaires, & de jours destinés au repos.

Varron dans un endroit dérive le nom de fastes de fari, parler, quia jus fari licebat ; & en un autre endroit il le fait venir de fas, terme qui signifie proprement loi divine, & est différent de jus, qui signifie seulement loi humaine.

Mais les fastes, quelle qu'en soit l'étymologie, & dans quelque signification qu'on les prenne, n'étoient point connus des Romains sous Romulus. Les jours leur étoient tous indifférens, & leur année composée de dix mois selon quelques-uns, ou de douze selon d'autres, bien loin d'avoir aucune distinction certaine pour les jours, n'en avoit pas même pour les saisons, puisqu'il devoit arriver nécessairement plûtôt ou plûtard que les grandes chaleurs se fissent quelquefois sentir au milieu de Mars, & qu'il gelât à glace au milieu de Juin : en un mot Romulus étoit mieux instruit dans le métier de la guerre, que dans la science des astres.

Tout changea sous Numa : ce prince établit un ordre constant dans les choses. Après s'être concilié l'autorité, que la grandeur de son mérite & la fiction de son commerce avec les dieux pouvoient lui attirer, il fit plusieurs reglemens, tant pour la religion, que pour la politique ; mais avant tout, il ajusta son année de douze mois au cours & aux phases de la Lune ; & des jours qui composoient chaque mois, il destina les uns aux affaires, & les autres au repos. Les premiers furent appellés dies fasti, les derniers dies nefasti ; comme qui diroit jours permis, & jours défendus. Voilà la premiere origine des fastes.

Il paroît que le dessein de Numa fut seulement d'empêcher qu'on ne pût quand on voudroit, convoquer les tribus & les curies, pour établir de nouvelles lois, ou pour faire de nouveaux magistrats ; mais par une pratique constamment observée depuis ce prince jusqu'à l'empereur Auguste, c'est-à-dire pendant l'espace d'environ 660 ans, ces jours permis & défendus, fasti & nefasti, furent entendus des Romains, aussi bien pour l'administration de la justice entre les particuliers, que pour le maniment des affaires entre les magistrats. Quoi qu'il en soit, Numa voulut faire sentir à ses peuples que l'observation réguliere de ces jours permis & non-permis, étoit pour eux un point de religion, qu'ils ne pouvoient négliger sans crime : de-là vient que fas & nefas dans les bons auteurs, signifie ce qui est conforme ou contraire à la volonté des dieux.

On fit donc un livre où tous les mois de l'année, à commencer par Janvier, furent placés dans leur ordre, ainsi que les jours, avec la qualité que Numa leur avoit assignée. Ce livre fut appellé fasti, du nom des principaux jours qu'il contenoit. Dans le même livre se trouvoit une autre division des jours nommés festi, prefesti, intercisi, auxquels furent ajoûtés dans la suite, dies senatorii, dies comitiales, dies praeliares, dies fausti, dies atri, c'est-à-dire des jours destinés au culte religieux des divinités, au travail manuel des hommes, des jours partagés entre les uns & les autres, des jours indiqués pour les assemblées du sénat, des jours pour l'élection des magistrats, des jours propres à livrer bataille, des jours marqués par quelque heureux évenement, ou par quelque calamité publique. Mais toutes ces différentes especes se trouvoient dans la premiere subdivision de dies fasti & nefasti.

Cette division des jours étant un point de religion, Numa en déposa le livre entre les mains des pontifes, lesquels jouissant d'une autorité souveraine dans les choses qui n'avoient point été reglées par le monarque, pouvoient ajoûter aux fêtes ce qu'ils jugeoient à-propos : mais quand ils vouloient apporter quelque changement à ce qui avoit été une fois établi & confirmé par un long usage, il falloit que leur projet fût autorisé par un decret du sénat ; par exemple, le 15 de devant les ides du mois Sextilis, c'est-à-dire le 17 de Juin, étoit un jour de fête & de réjouissance dans Rome ; mais la perte déplorable des 300 Fabius auprès du fleuve de Crémera l'an de Rome 276, & la défaite honteuse de l'armée romaine auprès du fleuve Allia par les Gaulois l'an 372, firent convertir ce jour de fête en jour de tristesse.

Les pontifes furent déclarés les dépositaires uniques & perpétuels des fastes ; & ce privilége de posséder le livre des fastes à l'exclusion des toutes autres personnes, leur donna une autorité singuliere. Ils pouvoient sous prétexte des fastes ou néfastes, avancer ou reculer le jugement des affaires les plus importantes, & traverser les desseins les mieux concertés des magistrats & des particuliers. Enfin, comme il y avoit parmi les Romains des fêtes & des féries fixées à certains jours, il y en avoit aussi dont le jour dépendoit uniquement de la volonté des pontifes.

S'il est vrai que le contenu du livre des fastes étoit fort resserré quand il fut déposé entre les mains des prêtres de la religion, il n'est pas moins vrai que de jour en jour les fastes devinrent plus étendus. Ce ne fut plus dans la suite des tems un simple calendrier, ce fut un journal immense de divers évenemens que le hasard ou le cours ordinaire des choses produisoit. S'il s'élevoit une nouvelle guerre, si le peuple romain gagnoit ou perdoit une bataille ; si quelque magistrat recevoit un honneur extraordinaire, comme le triomphe ou le privilége de faire la dédicace d'un temple ; si l'on instituoit quelque fête ; en un mot quelque nouveauté, quelque singularité qu'il pût arriver dans l'état en matiere de politique & de religion, tout s'écrivit dans les fastes, qui par-là devinrent les mémoires les plus fideles, sur lesquels on composa l'histoire de Rome. Voyez, dans les mém. de l'acad. des B. L. le discours savant & élégant de M. l'abbé Sallier, sur les monumens historiq. des Romains.

Mais les pontifes qui disposoient des fastes, ne les communiquoient pas à tout le monde ; ce qui desespéroit ceux qui n'étoient pas de leurs amis, ou pontifes eux-mêmes, & qui travailloient à l'histoire du peuple romain. Cependant cette autorité des pontifes dura environ 400 ans, pendant lesquels ils triompherent de la patience des particuliers, des magistrats, & sur tout des prêteurs, qui ne pouvoient que sous leur bon plaisir marquer aux parties les jours qu'ils pourroient leur faire droit.

Enfin l'an de Rome 450, sous le consulat de Publius Sulpitius Averrion, & de Publius Sempronius Sophus, les pontifes eurent le déplaisir de se voir enlever ce précieux thrésor, qui jusqu'alors les avoit rendus si fiers. Un certain Cneius Flavius trouva le moyen de transcrire de leurs livres la partie des fastes qui concernoit la jurisprudence romaine, & de s'en faire un mérite auprès du peuple, qui le récompensa par l'emploi d'édile curule : alors pour donner un nouveau lustre à son premier bienfait, il fit graver pendant son édilité ces mêmes fastes sur une colonne d'airain, dans la place même où la justice se rendoit.

Dès que les fastes de Numa furent rendus publics, on y joignit de nouveaux détails sur les dieux, la religion, & les magistrats ; ensuite on y mit les empereurs, le jour de leur naissance, leurs charges, les jours qui leur étoient consacrés, les fêtes & les sacrifices établis à leur honneur, ou pour leur prospérité : c'est ainsi que la flaterie changea & corrompit les fastes de l'état. On alla même jusqu'à nommer ces derniers, grands fastes, pour les distinguer des fastes purement calendaires, qu'on appella petits fastes.

Pour ce qui regarde les fastes rustiques, on sait qu'ils ne marquoient que les fêtes des gens de la campagne, qui étoient en moindre nombre que celles des habitans des villes ; les cérémonies des calendes, des nones, & des ides ; les signes du zodiaque, les dieux tutélaires de chaque mois, l'accroissement ou le décroissement des jours, &c. ainsi c'étoit proprement des especes d'almanacs rustiques, assez semblables à ceux que nous appellons almanacs du berger, du laboureur, &c.

Enfin il arriva qu'on donna le nom de fastes à des registres de moindre importance.

1°. A de simples éphémerides, où l'année étoit distribuée en diverses parties, suivant le cours du soleil & des planetes : ainsi ce que les Grecs appelloient , fut appellé par les Latins calendarium & fasti. C'est pour cette raison qu'Ovide nomme fastes, son ouvrage qui contient les causes historiques ou fabuleuses de toutes les fêtes qu'il attribue à chaque mois, le lever & le coucher de chaque constellation, &c. sujet sur lequel il a trouvé le moyen de répandre des fleurs d'une maniere à faire regretter aux savans la perte des six derniers livres qu'il avoit composés pour complete r son année.

2°. Toutes les histoires succinctes, où les faits étoient rangés suivant l'ordre des tems, s'appellerent aussi fastes, fasti ; c'est pourquoi Servius & Porphyrion disent que fasti sunt annales dierum, & rerum indices.

3°. On nomma fastes, des registres publics où chaque année l'on marquoit tout ce qui concernoit la police particuliere de Rome ; & ces années étoient distinguées par les noms des consuls. C'est pour cela qu'Horace dit à Lycé : " Vous vieillissez, Lycé ; la richesse des habits & des pierreries ne sauroit vous ramener ces rapides années, qui se sont écoulées depuis le jour de votre naissance, dont la date n'est pas inconnue.

Tempora

Notis condita fastis.

Od. 13. liv. IV.

En effet dès qu'on savoit sous quel consul Lycé étoit née, il étoit facile de savoir son âge ; parce que l'on avoit coûtume d'inscrire dans les registres publics ceux qui naissoient & ceux qui mouroient : coûtume fort ancienne, pour le dire en passant, puisque nous voyons Platon ordonner qu'elle soit exécutée dans les chapelles de chaque tribu. Liv. VI. des Rois.

Mais au lieu de poursuivre les abus d'un mot, je dois conseiller au lecteur de s'instruire des faits, c'est-à-dire d'étudier les meilleurs ouvrages qu'on a donnés sur les fastes des Romains ; car de tant de choses curieuses qu'ils contiennent, je n'ai pû jetter ici que quelques parcelles, écrivant dans une langue étrangere à l'érudition. On trouvera de grands détails dans les mémoires de l'académie des Belles-Lettres ; le dictionnaire de Rosinus, Ultraj. 1701, in -4. celui de Pitiscus, in-fol. & dans quelques auteurs hollandois, tels que Junius, Siccama, & sur-tout Pighius, qui méritent d'être nommés préférablement à d'autres.

Junius (Adrianus), né à Hoorn en 1511, & mort en 1575 de la douleur du pillage de sa bibliotheque par les Espagnols, a publié un livre sur les fastes sous le titre de fastorum calendarium, Basileae 1553, in -8°.

Siccama (Sibrand Tétard), Frison d'origine, a traité le même sujet en deux livres imprimés à Bollswert en 1599, in -4°.

Mais Pighius (Etienne Vinant), né à Campen en 1519, & mort en 1604, est un auteur tout autrement distingué dans ces matieres. Après s'être instruit complete ment des antiquités romaines, par un long séjour sur les lieux, il se fit la plus haute réputation en publiant ses annales de la ville de Rome, & accrut sa célébrité par ses commentaires sur les fastes. Article de M(D.J.)

FASTES CONSULAIRES, (Littérat.) c'est le nom que les modernes ont donné au catalogue ou à l'histoire chronologique de la suite des consuls & autres magistrats de Rome ; telle est la table des consuls, que Riccioli a inserée dans sa chronologie réformée, revûe par le P. Pagi ; tel est encore, si l'on veut, le calendrier consulaire, fasti consulares, imprimé par Alméloveen avec de courtes notes. Mais, pour dire la vérité, c'est aux Italiens que nous sommes le plus redevables en ce genre : aussi ne peut-on se passer d'avoir les beaux ouvrages de Panvini, de Sigonius, & de quelques autres.

Onuphre Panvini, né à Vérone en 1529, & mort à Palerme en 1568, à l'âge de trente-neuf ans, nous a laissé d'excellens commentaires sur les fastes consulaires, divisés en quatre livres, & mis au jour à Vérone. Charles Sigonius, né à Modene en 1529, & mort en 1584, s'est tellement distingué par ses écrits sur les fastes consulaires, les triomphes, les magistrats romains, consuls, dictateurs, censeurs, &c. qu'il paroit supérieur à tous les écrivains qui l'ont précédé. Cependant les curieux feront bien de joindre aux livres qu'on vient de citer, celui de Reland, Hollandois, sur les fastes consulaires, parce que ce petit ouvrage méthodique a été donné pour l'éclaircissement des Codes Justinien & Théodosien, & cet ouvrage manquoit dans la république des Lettres.

Au reste, la connoissance des fastes consulaires intéresse les savans, parce que dans toute l'histoire d'Occident il y a peu d'époques plus sûres que celles qui sont tirées des consuls, soit que l'on considere l'état de la république romaine avant Auguste, soit que l'on suive les révolutions de ce grand empire jusqu'au tems de l'empereur Justinien. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FASTIDIEUXDÉGOUTANT, adj. synon. Dégoûtant se dit plus à l'égard du corps qu'à l'égard de l'esprit ; fastidieux au contraire va plus à l'esprit qu'au corps. Dégoûtant se dit au propre & au figuré ; il s'applique aux personnes, aux viandes, & à d'autres choses. La laideur est dégoûtante, la mal-propreté est dégoûtante ; il y a des gens dégoûtans avec du mérite, & d'autres qui plaisent avec des défauts. Fastidieux ne s'employe qu'au figuré. Un homme fastidieux est un homme ennuyeux, importun, fatigant par ses discours, par ses manieres, ou par ses actions. Il y a des ouvrages fastidieux. Ce qui rend les entretiens ordinaires si fastidieux, c'est l'applaudissement qu'on donne à des sottises.

Enfin le mot de fastidieux est également beau en prose & en poésie ; & l'usage a tellement adouci ce qu'il a eu d'étranger dans le dernier siecle, qu'on en a fait un terme de mode. Il commence (& c'est dommage) à être aujourd'hui un de ces mots du bel air, qui, à force d'être employés mal-à-propos dans la conversation, finiront par être bannis du style sérieux. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FASTIGIUM(Littérat.) ornement particulier que les Romains mettoient au faîte des temples des dieux ; on en voit sur les anciennes médailles. Les Grecs appelloient cet ornement consacré aux temples, , & les Romains fastigium. Cette idée de décoration réservée pour les seuls temples, étoit digne de la Grece & de Rome, les Chrétiens auroient dû l'imiter.

Pendant que Tarquin regnoit encore, dit l'Histoire, dès qu'il eut bâti sur le capitole le temple de Jupiter, il voulut y placer des fastigia, qui consistoient dans un char à quatre chevaux, fait de terre ; mais peu de tems après avoir donné le dessein à exécuter à quelques ouvriers toscans, il fut chassé, dit Plutarque.

Tite-Live rapporte que le sénat voulant faire honneur à César, lui accorda de mettre un ornement, fastigium, au-dessus de sa maison, pour la distinguer de toutes les autres. C'étoit cet ornement là que Calpurnia songeoit qu'elle voyoit arracher ; ce qui lui causa des soupirs, des gémissemens confus, & des mots entre-coupés auxquels César ne comprenoit rien, quoique, suivant le récit de Plutarque, il fût couché cette nuit avec sa femme, suivant sa coûtume.

Il s'en falloit bien qu'il dépendit des citoyens, même de ceux du plus haut rang, de mettre des fastigia sur leurs maisons ; c'étoit une grace extraordinaire qu'il falloit obtenir du sénat, comme tout ce qui se prenoit sur le public ; & César fut le premier à qui on l'accorda, par une distinction d'autant plus grande, qu'elle marquoit que son palais devoit être regardé comme un temple. Ainsi le sénat, pour honorer Publicola, lui permit de faire que la porte de sa maison s'ouvrît dans la rue, au lieu de s'ouvrir en-dedans, suivant l'usage.

Ce fastigium des hôtels des grands seigneurs, ce pinacle (qu'on me passe cette expression) étoit décoré de quelque statue des dieux ou de quelque figure de la victoire, ou d'autres ornemens, selon le rang ou la qualité de ceux à qui ce privilége fut accordé.

Le mot fastigium vint ensuite à signifier un toît élevé par le milieu, car les maisons ordinaires étoient couvertes en plate-forme. Pline remarque que la partie des édifices appellée de son tems fastigium, étoit faite pour placer des statues ; & qu'on la nomma plasta, parce qu'on avoit coûtume de l'enrichir de sculpture.

Le mot fastigium se prend aussi dans Vitruve, pour un fronton : tel est celui du porche de la Rotonde.

Il résulte de ce détail, que fastigium signifie principalement trois choses dans les auteurs ; les ornemens que l'on mettoit au faîte des temples des dieux ; ensuite ceux qu'on mit aux maisons des princes ; enfin les frontons, & les toîts qu'ils soûtiennent : mais les preuves de tout cela ne sauroient entrer dans un ouvrage tel que celui-ci. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FATS. m. (Morale) c'est un homme dont la vanité seule forme le caractere, qui ne fait rien par goût, qui n'agit que par ostentation ; & qui voulant s'élever au-dessus des autres, est descendu au-dessous de lui-même. Familier avec ses supérieurs, important avec ses égaux, impertinent avec ses inférieurs, il tutoye, il protege, il méprise. Vous le saluez, & il ne vous voit pas ; vous lui parlez, & il ne vous écoute pas ; vous parlez à un autre, & il vous interrompt. Il lorgne, il persiffle au milieu de la société la plus respectable & de la conversation la plus sérieuse ; une femme le regarde, & il s'en croit aimé ; une autre ne le regarde pas, & il s'en croit encore aimé. Soit qu'on le souffre, soit qu'on le chasse, il en tire également avantage. Il dit à l'homme vertueux de venir le voir, & il lui indique l'heure du brodeur & du bijoutier. Il offre à l'homme libre une place dans sa voiture, & il lui laisse prendre la moins commode. Il n'a aucune connoissance, il donne des avis aux savans & aux artistes ; il en eût donné à Vauban sur les Fortifications, à le Brun sur la Peinture, à Racine sur la Poésie. Sort-il du spectacle ? il parle à l'oreille de ses gens. Il part, vous croyez qu'il vole à un rendez-vous ; il va souper seul chez lui. Il se fait rendre mystérieusement en public des billets vrais ou supposés ; on croiroit qu'il a fixé une coquette, ou déterminé une prude. Il fait un long calcul de ses revenus ; il n'a que 60 mille livres de rente, il ne peut vivre. Il consulte la mode pour ses travers comme pour ses habits, pour ses indispositions comme pour ses voitures ; pour son medecin comme pour son tailleur. Vrai personnage de théatre, à le voir vous croiriez qu'il a un masque ; à l'entendre vous diriez qu'il joue un rôle : ses paroles sont vaines, ses actions sont des mensonges, son silence même est menteur. Il manque aux engagemens qu'il a, il en feint quand il n'en a pas. Il ne va point où on l'attend, il arrive tard où il n'est pas attendu. Il n'ose avoüer un parent pauvre, ou peu connu. Il se glorifie de l'amitié d'un grand à qui il n'a jamais parlé, ou qui ne lui a jamais répondu. Il a du bel esprit la suffisance & les mots satiriques, de l'homme de qualité les talons rouges, le coureur & les créanciers ; de l'homme à bonnes fortunes la petite maison, l'ambre & les grisons. Pour peu qu'il fût fripon, il seroit en tout le contraste de l'honnête-homme. En un mot, c'est un homme d'esprit pour les sots qui l'admirent, c'est un sot pour les gens sensés qui l'évitent. Mais si vous connoissez bien cet homme, ce n'est ni un homme d'esprit ni un sot, c'est un fat ; c'est le modele d'une infinité de jeunes sots mal élevés. Cet article est de M. DESMAHIS.


FATALITÉS. f. (Métaph.) c'est la cause cachée des évenemens imprévûs, relatifs au bien ou au mal des êtres sensibles.

L'évenement fatal est imprévû ; ainsi on n'attribue point à la fatalité les phénomenes réguliers de la nature, lors même que les causes en sont cachées, la mort qui suit une maladie chronique & inconnue.

L'évenement fatal tient à des causes cachées, ou est considéré dans ses rapports avec celles d'entre ses causes qui nous sont inconnues. Si dans la disposition d'une bataille je vois un homme placé vis-à-vis de la bouche d'un canon prêt à tirer, sa situation étant donnée, & l'action du canon étant prévûe, je ne regarderai plus sa mort comme fatale par rapport à ces deux causes que je connois ; mais je retrouverai la fatalité dans cette multitude de causes éloignées, cachées & compliquées, qui ont fait qu'entre une infinité d'autres parties de l'espace qu'il pouvoit occuper également, il occupât précisément celle qui est dans la direction du canon.

Enfin un évenement, quoiqu'imprévû & tenant à des causes cachées, n'est appellé fatal que lorsqu'il a quelqu'influence sur le bien ou le mal des êtres sensibles : car si je parie ma vie ou ma fortune que je n'amenerai pas six fois de suite le même point de dés, & que je l'amene, on s'en prendra à la fatalité ; mais si en remuant des dés sans dessein & sans intérêt, la même chose m'arrive, on attribuera ce phénomene au hasard.

Mais remontons à l'origine du mot fatalité, pour fixer plus sûrement nos idées sur l'usage qu'on en fait.

Fatalité vient de fatum, latin. Fatum a été fait de fari, & il a signifié d'abord, d'après son origine, le decret par lequel la cause premiere a déterminé l'existence des évenemens relatifs au bien ou au mal des êtres sensibles ; car quoique ce decret ait dû déterminer également l'existence de tous les effets, les hommes rapportant tout à eux, ne l'ont considéré que du côté par lequel il les intéressoit.

A ce decret on a substitué ensuite dans la signification du mot fatum une idée plus générale : les causes cachées des évenemens ; & comme on a pensé que ces causes étoient liées & enchaînées les unes aux autres, on a entendu par le mot de fatum, la liaison & l'enchaînement de ces causes. En ce sens le mot fatum a répondu exactement à l' des Grecs, que Chrysippe définit dans Aulugelle, l. VI. l'ordre & l'enchaînement naturel des choses, .

Le mot fatum a subi encore quelques changemens dans sa signification en passant dans notre langue, & en formant fatalité ; car nous avons employé particulierement le mot fatalité pour désigner les évenemens fâcheux ; au lieu que dans son origine il a signifié indifféremment la cause des évenemens heureux & malheureux : il a même gardé cette double signification dans le langage philosophique, & nous la lui conserverons. Quoique l'abus des termes généraux ait enfanté mille erreurs, ils sont toûjours précieux, parce qu'on ne peut pas sans leur secours s'élever aux abstractions de la Métaphysique.

Destin & destinée sont synonymes de fatalité, pris dans le sens général que nous venons de lui donner. Ils le sont aussi dans leur origine, puisqu'ils viennent de destinatum, ce qui est arrêté, déterminé, destiné. Voyez DESTIN, DESTINEE.

On ne peut pas employer l'un pour l'autre, les mots de hasard & de fatalité ; on peut s'en convaincre par l'exemple que nous avons donné plus haut de l'emploi du mot hasard, & par les remarques suivantes.

Dans l'usage qu'on fait du mot hasard, il arrive souvent, & même en Philosophie, qu'on semble vouloir exclure d'un évenement l'action d'une cause déterminée ; au lieu qu'en employant le mot de fatalité, on a ces causes en vûe ; quoiqu'on les regarde comme cachées : or comme il n'y a point d'évenement qui n'ait des causes déterminées, il suit de-là que le mot de hasard est souvent employé dans un sens faux.

On entend aussi par une action faite par le hasard, une action faite sans dessein formé ; & on voit encore que cette signification n'a rien de commun avec celle de fatalité, puisque ce hasard est aveugle, au lieu que la fatalité a un but auquel elle conduit les êtres qui sont sous son empire.

De plus, on imagine que les évenemens qu'on attribue au hasard, pouvoient arriver tout autrement, ou ne point arriver du-tout ; au lieu qu'on se représente ceux que la fatalité amene, comme infaillibles ou même nécessaires.

Les anciens ont aussi distingué le hasard de la fatalité, à-peu-près de la même maniere ; leur casus est très-différent de leur fatum, & répondoit aux mêmes idées que le mot hasard parmi nous.

La fortune n'est autre chose que la fatalité, entant qu'elle amene la possession ou la privation des richesses & des honneurs : d'où l'on peut voir que fortune dans notre langue est moins général que fatalité ou destin, puisque ces derniers mots désignent tous les évenemens qui sont relatifs aux êtres sensibles ; au lieu que celui-là ne s'applique qu'aux évenemens qui amenent la possession ou la privation des richesses & des honneurs. C'est pourquoi si un homme perd la vie par un évenement imprévû, on attribue cet évenement au destin, à la fatalité ; s'il perd ses biens, on accuse la fortune. Voyez FORTUNE.

La fortune est bonne ou mauvaise, le destin est favorable ou contraire, on est heureux ou malheureux. La fatalité est la derniere raison qu'on apporte des faveurs ou des rigueurs de la fortune, du bonheur ou du malheur.

Pour remonter aux idées les plus générales, nous allons donc traiter de la fatalité ; & d'après la notion que nous en avons donnée, nous examinerons les questions suivantes.

1°. Y a-t-il une cause qui détermine l'existence de l'évenement fatal, & quelle est cette cause ?

2°. La liaison de cette cause avec l'évenement fatal est-elle nécessaire ?

3°. Cette liaison est-elle infaillible ? peut-elle être rompue ? l'évenement fatal peut-il ne point arriver ?

4°. En supposant cette infaillibilité de l'évenement, les êtres actifs & libres peuvent-ils la faire entrer pour quelque chose dans les motifs de leurs déterminations ?

PREMIERE QUESTION.

Y a-t-il une cause de l'évenement fatal, & quelle est cette cause ?

Pour résoudre cette question, il est nécessaire de remonter à des principes généraux.

Tout fait a une raison suffisante de son actualité. La raison suffisante d'un fait, est la raison suffisante de l'action de sa cause sur lui ; mais la raison suffisante de l'action de cette cause est elle-même un effet qui a sa raison suffisante, & cette derniere raison suppose & explique encore l'action d'une seconde cause, & ainsi de suite en remontant, &c.

Un fait quelconque tient donc à une cause prochaine & à des causes éloignées, & ces causes prochaines & éloignées tiennent les unes aux autres.

Nous ne connoissons guere que les causes les plus prochaines des faits, des évenemens, parce que la multitude des causes éloignées, & la maniere secrette dont elles agissent, ne nous permettent pas de saisir leur action ; mais par le principe de la raison suffisante nous savons qu'elles tiennent toutes à une cause générale, c'est-à-dire à la force qui fait dépendre dans la nature un évenement d'un autre évenement, & qui unit les évenemens actuels & futurs aux évenemens passés : ensorte que l'état actuel d'un être quelconque dépend de son état antécedent, & qu'il n'y a point de fait isolé, & qui ne tienne, je ne dis pas à quelqu'autre fait, mais à tous les autres faits.

Ce principe, c'est-à-dire l'existence d'une force qui lie tous les faits & qui enchaîne toutes les causes, ne sauroit être contesté pour ce qui regarde l'ordre physique où nous voyons chaque phénomene naître des phénomenes antérieurs, & en amener d'autres à sa suite. Mais en supposant l'existence d'un ordre moral qui entre dans le système de l'Univers, la même loi de continuité d'action doit s'y observer que dans le monde physique : dans l'un & dans l'autre toute cause doit être mise en mouvement pour agir, & toute modification en amener une autre.

Il y a plus : ce monde moral & intelligible, & le monde matériel & physique, ne peuvent pas être deux régions à part, sans commerce & sans communication, puisqu'ils entrent tous les deux dans la composition d'un même système. Les actions physiques ameneront donc d'abord des modifications, des sensations, &c. dans les êtres intelligens ; & ces modifications, ces sensations, &c. des actions de ces mêmes êtres ; & réciproquement les actions des êtres intelligens ameneront à leur suite des mouvemens physiques.

Cette communication, ce commerce du monde sensible & du monde intellectuel, est une vérité reconnue par la plus grande partie des Philosophes. Leibnitz seulement, en admettant l'enchaînement des causes physiques avec les causes physiques, & des causes intelligentes avec les causes de même espece, a pensé qu'il n'y avoit aucune liaison, aucun enchaînement des causes physiques avec les causes intelligentes ou morales, mais seulement une harmonie préétablie entre tous les mouvemens qui s'exécutent dans l'ordre physique, & les modifications & actions qui ont lieu dans le monde intelligent ; idée trop ingénieuse, trop recherchée pour être vraie, à laquelle on ne peut pas peut-être opposer de démonstration rigoureuse, mais qui est tellement combattue par le sentiment intérieur, qu'on ne peut pas la défendre sérieusement ; & je croirois assez que c'est de cette partie de son bel ouvrage de la Théodicée, qu'il dit dans sa lettre à M. Pfaff, insérée dans les actes des Savans, mois de Mars 1728 : neque Philosophorum est rem seriò semper agere, qui in fingendis hypothesibus, uti bene mones, ingenii sui vires experiuntur. On pourra voir au mot HARMONIE l'exposition de cette opinion, & les raisons par lesquelles on la combat ; mais nous la supposerons ici réfutée, & nous dirons que l'enchaînement des causes embrasse non-seulement les mouvemens qui s'exécutent dans le monde physique, mais encore les actions des êtres intelligens ; & en effet nous voyons la plus grande partie des évenemens tenir à ces deux especes de causes réunies. Un avare ébranle une muraille en voulant se pendre ; un thrésor tombe, notre homme l'emporte ; le maître du thrésor arrive, & se pend : ne voit-on pas que les causes physiques & les causes morales sont ici mêlées & déterminées les unes par les autres ?

Je ne regarde point le système des causes occasionnelles comme interceptant la communication des deux ordres, & comme rompant l'enchaînement des causes physiques avec les causes morales, parce que dans cette opinion le pouvoir de Dieu lie ces deux especes de causes, comme le pourroit faire l'influence physique ; & les actions des êtres intelligens y amenent toûjours les mouvemens physiques, & réciproquement.

Mais quoi qu'il en soit de la communication des deux ordres, du moins dans chaque ordre en particulier les causes sont liées, & cela nous suffit pour avancer ce principe général, que la force qui lie les causes particulieres les unes aux autres, & qui enchaîne tous les faits, est la cause générale des évenemens, & par conséquent de l'évenement fatal. C'est cela même que le peuple & les philosophes ont connu sous le nom de fatalité.

D'après ce que nous avons prouvé, on conçoit que ce principe de l'enchaînement des causes doit être commun à tous les systèmes des Philosophes ; car que l'univers soit ou non l'ouvrage d'une cause intelligente ; qu'il soit composé en partie d'êtres intelligens & libres, ou que tout y soit matiere, les états divers des êtres y dépendront toûjours de l'enchaînement des causes : avec cette différence que l'athée & le matérialiste sont obligés, 1°. de se jetter dans les absurdités du progrès à l'infini, ne pouvant pas expliquer l'origine du mouvement & de l'action dans la suite des causes. 2°. Ils sont contraints de regarder la fatalité comme entraînant après elle une nécessité irrésistible, parce que dans leur opinion les causes sont enchaînées par les lois d'un rigide méchanisme. Telle a été l'opinion d'une grande partie des Philosophes ; car sans compter la plûpart des Stoïciens, Cicéron, au livre de Fato, attribue ce sentiment à Démocrite, Empédocle, Héraclide & Aristote.

Mais ces conséquences absurdes ne suivent du principe de l'enchaînement des causes, que dans le système de l'athée & du matérialiste ; & le théiste en admettant cette notion de la fatalité, trouve le principe du mouvement & de l'action dans une premiere cause, & ne donne point atteinte à la liberté ; comme nous le prouverons en répondant à la deuxieme question.

D'autres preuves plus fortes encore, s'il est possible, établissent la réalité de cet enchaînement des causes, & la justesse de la notion que nous avons donnée de la fatalité.

Le philosophe chrétien doit établir & défendre contre les difficultés des incrédules, la puissance, la prescience, la providence, & tous les attributs moraux de l'Etre suprème. Or il ne peut pas combattre ses adversaires avec quelque succès, sans avoir recours à ce même principe. C'est ce que nous allons faire voir en peu de mots, & sans sortir des bornes de cet article.

Et d'abord, pour ce qui regarde la puissance de Dieu, je dis que le decret par lequel il a donné l'existence au monde, a sans-doute déterminé l'existence de tous les évenemens qui entrent dans le système du monde, dès l'instant où ce decret a été porté. Or j'avance que ce decret n'a pû déterminer l'existence des évenemens qui devoient suivre dans les différens points de la durée, qu'au moyen de l'enchaînement des causes, qu'au moyen de ce que ces évenemens devoient être amenés à l'existence par la suite des évenemens intermédiaires entr'eux, & le decret émané de Dieu dès le commencement : de sorte que Dieu connoissant la liaison qui étoit entre les premiers effets auxquels il donnoit l'existence, & les effets postérieurs qui devoient en suivre, a déterminé l'existence de ceux-ci, en ordonnant l'existence de ceux-là. Système simple, & auquel on ne peut se refuser sans être réduit à dire, que Dieu détermine dans chaque instant de la durée l'existence des évenemens qui y répondent, & cela par des volontés particulieres, des actes répétés, &c. opinions cent fois renversées, & dont on trouvera la réfutation aux mots PROVIDENCE, PREMOTION, &c.

En second lieu, la providence entraîne, comme la création, l'enchaînement des causes. En effet la providence ne peut être autre chose que la disposition, l'ordre préétabli, la coordination des causes entr'elles, on n'en peut pas avoir d'autre notion, sans s'écarter de la vérité. Ce n'est qu'au moyen de cette coordination & de cet ordre général, qu'on peut venir à-bout de justifier la providence des maux particuliers qui se trouvent dans le système. Si l'on suppose une fois les phénomenes isolés & sans liaison, & Dieu déterminant l'existence de chacun d'eux en particulier, je défie qu'on concilie l'existence d'un seul Dieu, bon, juste, saint, avec les maux physiques & moraux qui sont dans le monde. Aussi personne n'a tenté de justifier la providence, que d'après ce grand principe de la liaison des causes. Malebranche, Léibnitz, &c. ont tous suivi cette route ; & avant eux les philosophes anciens, qui se sont faits les apologistes de la Providence. Aulugelle nous a conservé à ce sujet l'opinion de Chrysippe, cet homme qui adoucit la férocité des opinions du portique : Existimat autem non fuisse hoc principale naturae consilium, ut faceret homines morbis obnoxios : numquam enim hoc convenisse naturae autori parentique rerum omnium bonarum, sed cum multa atque magna gigneret, pareretque aptissima & utilissima, alia quoque simul agnata sunt incommoda, iis ipsis, quae faciebat, cohaerentia.

Mais, dira-t-on, cet enchaînement des causes ne justifie point Dieu des défauts particuliers du système, par exemple du mal que souffre dans l'Univers un être sensible. Qu'avois-je à faire, peut dire un homme malheureux, d'être placé dans cet ordre de causes ? Dieu n'avoit qu'à me laisser dans l'état de possible, & mettre un autre homme à ma place : ces causes sont fort bien arrangées, si l'on veut ; mais je suis fort mal. Et que me sert tout l'ordre de l'Univers, si je n'y entre que pour être malheureux.

Cette difficulté devient encore plus forte lorsqu'on la fait à un théologien, & qu'on suppose les mysteres de la grace, de la prédestination, & les peines d'une autre vie.

Mais je remarque d'abord que cette objection attaque au moins aussi fortement celui qui regarde tous les faits, tous les évenemens comme isolés & sans liaison avec le système entier, que celui qui s'efforce de justifier la providence par l'enchaînement des causes : ainsi cette difficulté ne nous est pas particuliere.

Secondement, quand cet homme malheureux dit, qu'il voudroit bien n'être pas entré dans le système de l'Univers ; c'est comme s'il disoit, qu'il voudroit bien que l'Univers entier fût resté dans le néant ; car si lui seul, & non pas un autre, pouvoit occuper la place qu'il remplit dans le système actuel, & si le système actuel exigeoit nécessairement qu'il y occupât cette même place dont il est mécontent, il desire que le système entier n'ait pas lieu, en desirant de n'y point entrer. Or je puis lui dire : Pour vous Dieu devoit-il s'abstenir de donner l'existence au système actuel, dans lequel il y a d'ailleurs tant de bonnes choses, tant d'êtres heureux ? oseriez-vous assûrer que sa justice & sa bonté exigeoient cela de lui ? Si vous l'osiez, la nature entiere qui joüit du bien de l'existence s'éleveroit contre vous, & mérite bien plus que vous d'être écoutée.

On voit bien que cette liaison étroite d'un être quelconque avec le système entier de l'Univers, qui fait que l'un ne peut pas exister sans l'autre, nous sert ici de principe pour resoudre la difficulté proposée : or cette liaison est une conséquence immédiate & nécessaire du système de l'enchaînement des causes ; puisque dans cette doctrine, un être quelconque avec ses états divers, tient tellement à tout le système des choses, que l'existence du monde entraîne & exige son existence & ses états divers, & réciproquement.

On sait qu'avec les principes de l'Origénisme on résout facilement cette objection ; parce que dans cette opinion tous les hommes devant être heureux après un tems déterminé de peines & de malheurs, il n'y en a point qui ne doive se loüer de son existence, & remercier l'auteur de la nature de l'avoir placé dans l'Univers. Cependant pour donner une réponse tout-à-fait satisfaisante, il faut toûjours que l'Origéniste lui-même explique pourquoi les hommes sont malheureux, même pendant une petite partie de la durée.

Pour cela il est nécessaire, & dans son système & dans toute philosophie, de dire que cette objection prend sa source dans l'ignorance où nous sommes des raisons pour lesquelles Dieu a créé le monde ; que nous savons certainement que ces raisons, quelles qu'elles soient, tiennent au système entier, qu'elles ont empêché que les choses ne fussent autrement ; & que si nous les connoissions, la providence seroit justifiée. Réponse qui, comme on le voit, est toûjours d'après le principe de l'enchaînement des causes.

En troisieme lieu, la prescience de l'Etre suprème suppose cet enchaînement des causes ; car Dieu ne peut prévoir les évenemens futurs, tant libres que nécessaires, que dans la suite des causes qui doivent les amener ; parce que l'infaillibilité de la prescience de Dieu ne peut avoir d'autre fondement que l'infaillibilité de l'influence des causes sur les évenemens. Nous ne pourrions pas entrer dans quelques détails à ce sujet, sans sortir des bornes de cet article : c'est pourquoi nous renvoyons les lecteurs au mot PRESCIENCE, où nous traiterons cette question.

Nous concluons que la puissance de Dieu, sa providence, sa prescience, & tous ses attributs moraux, exigent qu'on reconnoisse entre les causes secondes, cette liaison & cet enchaînement, que nous disons être la cause des évenemens, & par conséquent de tout évenement fatal.

Je ne vois que deux sortes de personnes qui combattent cet enchaînement des causes ; les défenseurs du hasard d'Epicure, & les philosophes qui soûtiennent dans la volonté l'indifférence d'équilibre.

Les premiers ont prétendu qu'il y avoit des effets sans cause, & nous voyons dans Cicéron, de fato, que les Epicuriens pressés d'expliquer d'où venoit cette déclinaison des atomes, en quoi ils faisoient consister la liberté, disoient qu'elle survenoit par hasard, casu, & que c'étoit cette déclinaison qui affranchissoit les actes de la volonté de la loi du fatum.

On peut s'en convaincre par ces vers de Lucrece, liv. II. vers. 251. & suiv.

Denique si semper motus connectitur omnis,

Et vetere exoritur semper novus ordine certo ;

Nec declinando faciunt primordia motûs

Principium quoddam, quod fati foedera rumpat,

Ex infinito ne causam causa sequatur :

Libera per terras unde haec animantibus extat,

Unde est haec, inquam, fatis avolsa voluntas

Per quam progredimur quò ducit quemque voluptas ?

Il n'est pas nécessaire de nous arrêter ici à réfuter de pareilles chimeres ; il suffira de rapporter ici ces paroles d'Abbadie (Vérité de la Relig. tom. I. c. v.) : " Le hasard n'est, à proprement parler, que notre ignorance, laquelle fait qu'une chose qui a en soi des causes déterminées de son existence, ne nous paroît pas en avoir, & que nous ne saurions dire pourquoi elle est de cette maniere, plûtôt que d'une autre ".

Les déterminations de la volonté ne peuvent pas être exceptées de cette loi ; & les attribuer au hasard avec les Epicuriens, c'est dire une absurdité.

Or les défenseurs de l'indifférence d'équilibre, en voulant les soustraire à l'enchaînement des causes, se sont rapprochés de cette opinion des Epicuriens, puisqu'ils prétendent qu'il n'y a point de causes des déterminations de la volonté.

Ils disent donc que dans l'exercice de la liberté, tout est parfaitement égal de part & d'autre, sans qu'il y ait plus d'inclination vers un côté, sans qu'il y ait de raison déterminante de causes qui nous inclinent à prendre un parti préférablement à l'autre : d'où il suit que les actions libres des êtres intelligens doivent être tirées de cet enchaînement des causes que nous avons supposées.

Mais cette opinion est insoûtenable. On trouvera à l'article LIBERTE, les principales raisons par lesquelles les Philosophes & les Théologiens combattent cette indifférence d'équilibre. D'après leur autorité, & plus encore d'après la force de leurs raisons, nous nous croyons en droit de conclure avec Léibnitz, qu'il y a toujours une raison prévalente qui porte la volonté à son choix, & qu'il suffit que cette raison incline sans nécessiter ; mais qu'il n'y a jamais d'indifférence d'équilibre, c'est-à-dire où tout soit parfaitement égal de part & d'autre. Dieu, dit-il encore, pourroit toûjours rendre raison du parti que l'homme a pris, en assignant une cause ou une raison inclinante qui l'a porté véritablement à le prendre ; quoique cette raison seroit souvent bien composée & inconcevable à nous-mêmes, parce que l'enchaînement des causes liées les unes avec les autres, va plus loin.

Les actes libres des êtres intelligens ayant eux-mêmes des raisons suffisantes de leur existence, ne rompent donc point la chaîne immense des causes ; & si un évenement quelconque est amené à l'existence par les actions combinées des êtres, tant libres que nécessaires, cet évenement est fatal ; puisqu'on trouve la raison suffisante de cet évenement dans l'ordre & l'enchaînement des causes, & que la fatalité qu'un philosophe ne peut se dispenser d'admettre, n'est autre chose que cet ordre & cet enchaînement, en tant qu'il a été préétabli par l'Etre suprème.

Je dis la fatalité qu'un philosophe ne peut se dispenser d'admettre : en effet il y en a de deux sortes ; la fatalité des athées établie sur les ruines de la liberté ; & la fatalité chrétienne, fatum christianum, comme l'appelle Léibnitz, c'est-à-dire l'ordre des évenemens établi par la providence.

Assez communément on entend les mots fatalisme, fataliste, fatalité. Dans le premier de ces sens, on ne peut lui donner la deuxieme signification qu'en Philosophie, en regardant tous ces mots comme des genres qui renferment sous eux, comme especes, le fatalisme nécessitant, & celui qui laisse subsister la liberté, la fatalité des athées, & la fatalité chrétienne. Il appartient aux Philosophes, je ne dis pas de former, mais de corriger & de fixer le langage. Qu'on prenne garde que fatalité, selon la force de ce mot, ne signifie que la cause de l'évenement fatal : or comme on est obligé de reconnoître qu'un évenement fatal a des causes, tout le monde en ce sens général est donc fataliste.

Mais si la cause de l'évenement fatal n'est, selon vous, que l'action d'un rigide méchanisme, votre fatalité est nécessitante, votre fatalisme est affreux : que si cette cause n'est que l'action puissante & douce de l'Etre suprème, qui a fait entrer tous les évenemens dans l'ordre & dans les vûes de sa providence, nous ne condamnerons point l'expression dont vous vous servez. C'est précisément ce que dit saint Augustin, au liv. V. de la cité de Dieu, chap. viij. " Ceux, dit-il, qui appellent du nom de fatalité, l'enchaînement des causes qui amenent l'existence de tout ce qui se fait, ne peuvent être ni repris, ni combattus dans l'usage qu'ils font de ce mot ; puisque cet ordre & cet enchaînement est, selon eux, l'ouvrage de la volonté & de la puissance de l'Etre suprème qui connoît tous les évenemens avant qu'ils arrivent, & qui les fait tous entrer dans l'ordre général ". Qui omnium connexionem seriemque causarum, qua fit omne quod fit, fati nomine appellant, non multùm cum eis de verbi controversiâ laborandum atque certandum est ; quandò quidem ipsum causarum ordinem & quamdam connexionem Dei summi tribuunt voluntati & potestati, qui optimè & veracissimè creditur, & cuncta scire antequam fiant, & nihil inordinatum relinquere.

Nous terminerons l'examen de la premiere question par ce passage, qui renferme l'apologie complete des principes que nous avons établis ; & en supposant démontrée l'existence de cette fatalité improprement dite, prise pour l'ordre des causes établi par la providence, nous passerons à la deuxieme question.

DEUXIEME QUESTION.

L'enchaînement des causes qui amenent l'évenement fatal, rend-il nécessaire l'évenement fatal ?

On sent assez que la difficulté en cette matiere vient de ce que, selon la remarque que nous avons faite plus haut, il y a des causes libres parmi celles qui amenent l'évenement fatal : & si ces causes sont enchaînées, ou entr'elles dans un même ordre, ou avec les causes physiques ; dès-là même ne sont-elles pas nécessitées, & l'évenement fatal n'est-il pas nécessaire ? Si c'est l'enchaînement des causes qui me fait passer dans une rue où je dois être écrasé par la chûte d'une maison, pendant que j'avois d'autres chemins à prendre, ma détermination à passer dans cette malheureuse rue, a donc été elle-même une suite de l'enchaînement des causes, puisqu'elle entre parmi celles de l'évenement fatal. Mais si cela est, cette détermination est-elle libre, & l'évenement fatal n'est-il pas nécessaire ?

Nous avons vû plus haut, que parmi les philosophes qui ont traité cette question, & qui ont reconnu cet enchaînement des causes, la plûpart ont regardé la fatalité comme entraînant après elle une nécessité absolue ; & nous avons remarqué que c'étoit une suite naturelle de cette opinion dans tout système d'athéisme & de matérialisme. Mais Cicéron nous apprend que Chrysippe en admettant la fatalité prise pour l'enchaînement des causes, rejettoit pourtant la nécessité.

Or Carnéades, cet homme à qui Cicéron accorde l'art de tout réfuter, argumentoit ainsi contre Chrysippe. Si omnia antecedentibus causis fiunt, omnia naturali colligatione contextè consertèque fiunt : quod si ita est, omnia necessitas efficit : id si verum est, nihil est in nostrâ potestate : est autem aliquod in nostrâ potestate : non igitur fato fiunt quaecumque fiunt. " Si tous les évenemens sont les suites de causes antérieures, tout arrive par une liaison naturelle & très-étroite : si cela est, tout est nécessaire, & rien n'est en notre pouvoir ". Cic. de fato.

Voilà l'état de la question bien établi, & la difficulté qu'il faut résoudre. Voyons la réponse de Chrysippe. Selon Cicéron, ce philosophe voulant éviter la nécessité, & retenir l'opinion que rien ne se fait que par l'enchaînement des causes, distinguoit différens genres de causes ; les unes parfaites & principales, les autres voisines & auxiliaires ; aliae perfectae & principales, aliae adjuvantes & proximae. Il prétendoit qu'il n'y a que l'action des causes parfaites & principales, distinguées de la volonté, qui puisse entraîner la ruine de la liberté ; & il soûtenoit que l'action de la volonté, qu'il appelloit assensio, n'a pas de causes parfaites & principales distinguées de la volonté elle-même. Il ajoûtoit que les impressions des objets extérieurs, sans lesquelles cet assentiment ne peut pas se faire (necesse est enim assensionem viso commoveri) ; que ces impressions, dis-je, ne sont que des causes voisines & auxiliaires, d'après lesquelles la volonté se meut par ses propres forces, mais toûjours conséquemment à l'impression reçue, extrinsecùs pulsa suâpte vi ac naturâ movebitur ; ce qu'il expliquoit par la comparaison d'un cylindre, qui recevant une impulsion d'une cause étrangere, ne tient que de sa nature le mouvement déterminé de rotation, de volubilité, qui suit cette impulsion.

Cette réponse n'est pas sans difficulté ; elle est établie sur de fausses notions des sensations & des opérations de l'ame ; la comparaison du cylindre n'est pas exacte. Cependant elle a quelque chose de vrai, c'est que l'action des causes qui amenent le consentement de la volonté, ne s'exerçant pas immédiatement sur ce consentement, mais sur la volonté, l'activité de l'ame & son influence libre sur le consentement qu'elle forme, ne sont lésées en aucune maniere.

C'est du moins la réponse de S. Augustin, de civit. Dei, lib. V. cap. jx. qui, après avoir rapporté cette même difficulté de Carneades contre Chrysippe, la résout à-peu-près de la même maniere : ordinem causarum, dit-il, non negamus, non est autem consequens ut si certus est or do causarum, ideò nihil sit in nostrae voluntatis arbitrio, ipsae quippe voluntates in causarum ordine sunt. Voilà le principe de Chrysippe : la volonté elle-même entre dans l'ordre des causes, selon saint Augustin ; & comme elle produit immédiatement son action ? quoiqu'elle y soit portée par des causes étrangeres, elle n'en est pas moins libre, parce que ces causes étrangeres l'inclinent sans la nécessiter.

Mais reprenons nous-mêmes la difficulté ; elle se réduit à ceci : si la volonté est mûe à donner son consentement par quelque cause que ce soit, étrangere à elle & liée avec sa détermination, elle n'est pas libre : si elle n'est pas libre, toutes les causes qui amenent l'évenement fatal sont donc nécessaires, & l'évenement fatal est nécessaire. Je répons,

En premier lieu, lorsqu'on regarde cette liaison des causes avec la détermination de la volonté comme destructive de la liberté, on doit prétendre que toute liaison d'une cause avec son effet est nécessaire, puisqu'on soûtient que la cause qui influe sur le consentement de la volonté, par cela seul qu'elle influe sur ce consentement, le rend nécessaire : or cela est insoûtenable, & les réflexions suivantes vont nous en convaincre.

Dieu peut faire un système de causes libres. Qu'est-ce qu'un système quelconque ? la suite & l'enchaînement des actions qui doivent s'exercer dans ce système. Dieu ne peut-il pas enchaîner les actions des causes libres entr'elles, de sorte que la premiere amene la seconde, & que la seconde suppose la premiere ; que la premiere & la seconde amenent la troisieme, & que la troisieme suppose la premiere & la seconde, & ainsi de suite ? Ces causes, dès-là qu'elles seront coordonnées entr'elles de sorte que les modifications & les actions de l'une amenent les modifications & les actions de l'autre, seront-elles nécessitées ? non sans-doute. Un pere tendrement aimé menace, exhorte, prie un fils bien-né : ses menaces, ses exhortations, ses prieres faites dans des circonstances favorables, produiront infailliblement leur effet, & seront causes des déterminations de la volonté de ce fils ; voilà l'influence d'une cause libre sur une cause libre ; voilà des causes dont les actions sont liées ensemble, & qui n'en sont pas moins libres.

Mais dira-t-on : que les causes intelligentes soient coordonnées & liées entr'elles, peut-être que cet enchaînement ne sera pas incompatible avec leur liberté : mais si des causes physiques agissent sur des causes intelligentes, cette action n'emportera-t-elle pas une nécessité dans les causes intelligentes ? Or il paroît que selon notre opinion ces deux especes de causes sont liées les unes aux autres, de sorte que les actions des causes physiques entraînent les actions des êtres intelligens, & réciproquement.

Je répons 1°. que la nécessité, s'il en résultoit quelqu'une de l'impulsion d'une cause physique sur une cause intelligente, s'ensuivroit de même de l'impulsion d'une cause intelligente & libre sur une cause intelligente, parce que l'action de la cause physique n'emporteroit la nécessité qu'à raison de la maniere d'agir, ou à raison de ce qu'elle seroit étrangere à la volonté ; or la cause intelligente & libre qui influeroit sur l'action d'une cause intelligente, seroit également étrangere à celle-ci & agiroit d'une maniere aussi contraire à la liberté.

2°. Ceci n'a besoin que d'une petite explication. Si l'action de la cause physique que nous disons amener l'action d'une cause libre, telle que la volonté, s'exerçoit immédiatement sur la détermination, sur le consentement de la volonté (à-peu-près comme les Théologiens savent que les Thomistes font agir leur promotion), nous convenons que la liberté seroit en danger ; mais il n'en est pas ainsi, L'action des causes physiques amene dans l'être intelligent (soit par le moyen de l'influence physique, soit dans le système des causes occasionnelles) amene, dis-je, d'abord des modifications, des sensations, des mouvemens indélibérés ; & à la suite de tels & tels mouvemens, de telles & telles modifications reçues dans l'ame naissent infailliblement, mais non nécessairement, telles actions dont ces mouvemens & ces modifications sont la cause ou la raison suffisante ; c'est cette cause ou raison suffisante qui unit le monde physique avec le monde intellectuel : or que les actions qui s'exercent dans l'ordre physique entraînent des modifications, des sensations, des mouvemens dans les causes intelligentes, & que ces modifications, ces sensations, &c. amenent des actions de ces causes intelligentes, il n'y a rien là de contraire à l'activité & à la liberté de ces êtres intelligens.

Il suit de-là, que Dieu a pû coordonner & lier entr'elles les actions qui s'exercent dans un monde physique & celles des êtres intelligens & libres, sans nuire à la liberté de ces mêmes êtres ; que dans cette hypothèse, l'enchaînement des causes établi par Dieu, amenant les actions des êtres intelligens, ne rend pas ces actions nécessaires ; que parmi les causes enchaînées de l'évenement fatal, il y en a de libres, & par conséquent que l'évenement fatal n'est pas lui-même nécessaire.

En second lieu, pour soûtenir que cette liaison des causes avec la détermination de la volonté est incompatible avec la liberté, il faut partir de ce principe, que toute liaison infaillible d'une cause avec son effet est nécessaire, & que tout enchaînement de causes est incompatible avec la liberté : si omnia naturali colligatione fiunt, omnia necessitas efficit. Or cette prétention est absolument fausse, & voici les raisons qui la combattent : 1°. rien ne se fait sans raison suffisante, & un effet qui a une raison suffisante, n'est pas pour cela nécessaire, or un effet qui a une raison suffisante est par cela même infaillible ; car si un effet qui a une raison suffisante n'étoit pas infaillible, on pourroit supposer qu'étant donnée la raison suffisante d'un tel effet, il en est arrivé un autre. Or cette supposition est absurde ; car dans ce cas la raison qui fait qu'un effet est tel, pourroit faire qu'il est tout autre, ce qui est une contradiction dans les termes, le nouvel effet n'auroit point de raison suffisante, ou l'ancien n'en auroit pas eu s'il eût existé ; car comment pourroit-on dire que cette raison étoit pour l'effet qui n'a pas eu lieu une raison suffisante d'être tel, lorsque cette même raison étant posée l'effet a été tout autre ? La raison suffisante d'un effet quelconque, quoique liée infailliblement avec cet effet, ne rend donc pas cet effet nécessaire ; d'où il suit que toute liaison infaillible n'est pas pour cela nécessaire.

2°. Je demande au philosophe qui admet la providence & la prescience de Dieu, & qui me fait cette objection, si un évenement dépendant d'une cause libre, que Dieu a prévû, qui est un moyen dans l'ordre de sa providence, & qui tient par conséquent à tout le système, si un tel évenement, dis-je, peut ne point arriver : il est obligé de me répondre qu'un tel évenement est absolument infaillible & ne peut pas ne point arriver ; or cette sorte de nécessité que l'évenement arrive, & qu'il est obligé de m'avoüer selon lui-même, n'empêche pas l'évenement d'être libre. Cette espece de nécessité n'est donc autre chose que ce que nous appellons infaillibilité, & on ne peut pas la confondre avec la nécessité métaphysique & destructive de la liberté.

3°. Si les bornes de cet article le permettoient, nous pourrions rapprocher de ces principes les doctrines les mieux établies par les Théologiens sur les matieres de la grace & de la prédestination, & faire voir combien ce que nous avançons ici y est conforme. On y voit par-tout la certitude de la prédestination, l'efficacité de la grace, &c. liées infailliblement avec le salut, avec la bonne action, & ne blessant point les droits du libre arbitre. Ce sont précisément les mêmes principes que nous généralisons, en leur faisant embrasser tous les états de l'homme & de l'univers ; mais nous laissons aux lecteurs instruits en ces matieres, le soin de s'en convaincre par quelques réflexions & d'après la lecture des articles GRACE, PREDESTINATION.

TROISIEME QUESTION.

L'évenement fatal est-il infaillible ?

Nous y répondons en disant que l'enchaînement des causes détermine infailliblement l'existence de l'évenement fatal.

Et d'abord la même force qui établit dans la nature la suite & l'enchaînement des causes qui amenent l'évenement, détermine aussi l'existence de l'évenement dans tel ou tel point de l'espace, & dans tel ou tel point de la durée ; or la force qui unit dans la nature une cause à une autre cause n'est jamais vaincue.

En second lieu, supposer que ce que la fatalité entraîne n'arrive pas, c'est supposer que l'être à qui l'évenement fatal étoit préparé n'est plus le même être, que ce monde n'est plus le même monde dont Dieu avoit déterminé l'existence & prévû les mouvemens. Car en supposant qu'il arrive un évenement différent de l'évenement fatal, la multitude infinie des effets qui tenoient à l'évenement fatal demeure supprimée ; l'évenement différent entraîne d'autres suites que l'évenement fatal, ces suites en entraînent d'autres, & ce changement unique propagant son action dans tous les sens s'étend bien-tôt à tous les êtres, boulverse l'ordre, rompt la chaîne des causes, & change la face de l'Univers. Supposition dont on sent l'absurdité.

Par-là on peut juger de ce que veulent dire toutes ces propositions : ah, si j'eusse été là, si j'avois prévû, &c. j'aurois échappé au danger dont le destin me menaçoit !

On peut dire : celui que le destin menace ne va point là, & ne prévoit point, & nous parlons de celui-là même que le destin menaçoit.

Mais ce qui trompe en ceci, c'est que les circonstances du tems & du lieu étant celles dont on fait abstraction avec le plus de facilité, on se dissimule qu'elles entrent elles-mêmes dans l'ordre des causes coordonnées, & on croit pouvoir attaquer la certitude de la futurition d'un évenement fatal avec plus de succès en le considérant relativement à ces circonstances. On dit d'un homme assommé dans une rue par la chûte d'une tuile, qu'il pouvoit bien ne pas passer par-là ou y passer dans un autre tems, & on ne se permet pas de penser que la tuile pouvoit ne pas tomber dans ce tems-là avec un tel degré de force & avec une telle direction.

On ne prend pas garde qu'il étoit aussi coordonné (& je prens ce mot à la rigueur) que cet homme passât quand la tuile tomboit, qu'il étoit coordonné que la tuile tombât quand cet homme passoit. En effet, pourquoi imagine-t-on que cet homme pouvoit bien ne pas passer ? c'est parce qu'on remarque que plusieurs déterminations libres de sa part ont concouru à lui faire prendre son chemin par là. Mais je vois aussi plusieurs causes libres parmi celles qui ont déterminé la tuile à tomber, & à tomber dans un tel tems avec un tel degré de force, &c. comme la volonté des ouvriers qui l'ont faite & placée d'une certaine maniere, la négligence du maître de la maison, &c. On pourroit donc imaginer avec autant de fondement que la tuile pouvoit ne pas tomber, qu'on imagine que l'homme assommé pouvoit ne pas passer.

Mais la vérité est que l'un & l'autre évenement étoit coordonné, infaillible, puisque l'un & l'autre étoient amenés par l'enchaînement des causes, puisque l'un & l'autre tenoient au système de l'Univers, entroient dans les vûes de la Providence, &c.

Au reste, & nous l'avons déjà remarqué, cette infaillibilité des évenemens, même alors qu'ils dépendent de l'action des causes intelligentes, n'entraîne point la ruine de leur liberté. On trouvera les preuves de cette vérité, qui est un principe en Théologie, aux articles GRACE, PREDESTINATION, & PRESCIENCE ; nous y renvoyons nos lecteurs.

QUATRIEME ET DERNIERE QUESTION.

La doctrine de la fat alité peut-elle entrer pour quelque chose dans les motifs des déterminations des êtres libres ?

Pour répondre à cette question, il suffira de réfuter le sophisme que les Philosophes appelle nt de la raison paresseuse.

On dit donc : si tout est reglé dès-à-présent ; si l'enchaînement des causes emporte l'infaillibilité de tous les évenemens, les prieres & les voeux adressés à l'Etre suprème, les conseils & les exhortations des hommes les uns envers les autres, les lois humaines, &c. tout cela ne peut servir de rien. On ajoûte que les hommes doivent demeurer dans une inaction parfaite, dans tous les cas où ils auront quelque occasion d'agir : car, ou les choses pour lesquelles on adresseroit des prieres à Dieu, doivent être amenées par l'enchaînement des causes ; & en ce cas, il est inutile de les demander, elles arriveront certainement : ou elles ne sont pas du nombre des évenemens qui doivent suivre l'enchaînement des causes ; & en ce cas, elles ne peuvent pas arriver, & il est encore inutile de les demander.

On peut dire la même chose des conseils, des exhortations, & des lois : car si les actions auxquelles nous portent tous ces motifs moraux, sont de celles qui entrent dans la suite des évenemens préétablie par Dieu, on les fera certainement ; & si elles n'y entrent pas, tous ces motifs réunis ne les feront pas faire.

Enfin, que j'agisse ou que je n'agisse point, pour procurer la réussite d'une entreprise, pour parvenir à un but ; si j'y arrive, cet évenement aura été amené par l'enchaînement des causes, & mes mouvemens n'y auront servi de rien ; si je n'y arrive pas, ce sera encore à l'enchaînement des causes que je pourrai m'en prendre.

La réponse est facile. Les prieres, les voeux, les conseils, les exhortations, les lois, les actions humaines, tout cela entre dans l'ordre des causes des évenemens. L'évenement n'est certain, que parce que les causes sont proportionnées ; de sorte qu'il sera toûjours vrai de dire, que ce seront vos prieres qui auront obtenu cet heureux succès, vos conseils qui auront fait prendre ce parti, vos mouvemens qui auront fait réussir cette affaire ; puisque dans l'ordre de la providence, vos prieres entrent parmi les causes de ce succès ; vos conseils, parmi les causes de la détermination à ce parti ; & vos actions, parmi les causes de la réussite de cette affaire.

En un mot, quoique tout l'avenir soit déterminé ; comme nous ignorons de quelle maniere il est déterminé, & que nous savons certainement que cette détermination est conséquente à nos actions ; il est clair que dans la pratique, nous devons nous conduire comme s'il n'étoit pas déterminé.

J'ajoûte qu'en se conduisant d'après les principes que nous réfutons, on prétendroit intervertir l'ordre des choses ; on voudroit mettre les actions après la préordination de Dieu, pendant qu'au contraire, cette préordination suppose nos actions dans l'ordre des possibles : donc tout ce raisonnement est d'après une fausse supposition.

D'ailleurs on voit assez que cette difficulté n'est pas particuliere à l'opinion de l'enchaînement des causes ; elle attaque la Providence en général, la prescience, la simple futurition des choses, quand on soûtient qu'elle est dès-à-présent déterminée.

Cette opinion de la fatalité, appliquée à la conduite de la vie, est ce qu'on appelle le destin à la turque, fatum mahumetanum ; parce qu'on prétend que les Turcs, & parmi eux principalement les soldats, se conduisent d'après ce principe.

Nous voyons aussi parmi nous beaucoup de gens qui portent au jeu cette opinion, & qui comptent sur leur bonheur ou sur le malheur de leur adversaire ; qui craignent de joüer lorsqu'ils sont, disent-ils, en malheur, & qui ne hasardent pas de grosses sommes contre ceux qu'ils voyent en bonheur. Cependant je crois qu'on ne doit point estimer au jeu, & faire entrer en ligne de compte, le bonheur & le malheur. Les seules regles qu'on puisse suivre à cet egard, s'il y en a quelqu'une, sont celles que prescrit le calcul, & l'analyse des hasards : or ces regles n'autorisent point du tout la conduite des joüeurs fatalistes.

Car, ou il faut avoir égard aux coups passés pour estimer le coup prochain, ou il faut considérer le coup prochain, indépendamment des coups déjà joüés (ces deux opinions ont leurs partisans). Dans le premier cas, l'analyse des hasards me conduit à penser que si les coups précédens m'ont été favorables, le coup prochain me sera contraire ; que si j'ai gagné tant de coups, il y a tant à parier que je perdrai celui que je vas joüer, & vice versâ. Je ne pourrai donc jamais dire : je suis en malheur, & je ne risquerai pas ce coup-là ; car je ne pourrois le dire que d'après les coups passés qui m'ont été contraires ; mais ces coups passés doivent plûtôt me faire espérer que le coup suivant me sera favorable.

Dans le second cas, c'est-à-dire si on regarde le coup prochain comme tout-à-fait isolé des coups précédens, on n'a point de raison d'estimer que le coup prochain sera favorable plûtôt que contraire, ou contraire plûtôt que favorable ; ainsi on ne peut pas regler sa conduite au jeu, d'après l'opinion du destin, du bonheur, ou du malheur.

Ce que nous disons ici du jeu, doit s'appliquer aussi à toutes les affaires de la vie ; car quoique le bon ou le mauvais succès dans les entreprises, dépende souvent d'une infinité de circonstances qu'on ne peut pas soûmettre aux lois du calcul, & qui semblent ne suivre que celles de la fatalité, il est pourtant déraisonnable de régler la moindre de ses démarches, & de fonder la plus foible espérance ou la crainte la plus legere, sur cette opinion du bonheur & du malheur.

Les préjugés opposent à ces principes, qu'il y a des tems malheureux où on ne peut rien entreprendre qui réussisse ; des gens malheureux à qui on ne peut rien confier, & réciproquement des tems heureux & des personnes heureuses.

Mais que veulent dire ces expressions qu'on fait valoir contre ce que nous soûtenons ici ? elles ne signifient rien autre chose, sinon qu'il y a des gens à qui ces circonstances cachées & imprévûes qu'on ne peut ni détourner ni faire naître, ont été jusqu'à présent contraires ou favorables ; mais qui nous répondra qu'elles seront encore favorables dans une affaire qu'il est question d'entreprendre, ou sur quel fondement pensons-nous qu'elles seront contraires ? le passé peut-il nous être en ceci garant de l'avenir ? De quel droit suppose-t-on quelque similitude dans des circonstances qui par l'hypothèse sont cachées & imprévûes ?

C'est pourquoi, afin de donner un exemple de ceci, le mot qu'on prête au cardinal Mazarin choisissant un général, est-il heureux ? me paroît peu juste, puisque les succès passés de ce général n'étant pas dûs à son habileté (par la supposition), ne pouvoient pas répondre de ses succès futurs ; & il falloit toûjours demander, est-il habile ? J'aimerois encore mieux la maxime opposée du cardinal de Richelieu, qu'imprudent & malheureux sont synonymes, (quoiqu'elle ne me semble pas tout-à-fait exacte) ; puisqu'on peut absolument se persuader que parmi les causes du mauvais succès d'un évenement passé, il est toûjours entré quelques fautes de la part de celui qu'on appelle malheureux ; fautes que des conjectures plus fines & une prudence plus consommée auroient pû faire éviter : au lieu qu'il est toûjours impossible de prévoir, & déraisonnable de supposer qu'un homme sera heureux ou malheureux dans une affaire qu'il est question d'entreprendre.

Nous finirons cet article par une remarque : c'est qu'il y a peu de matiere sur laquelle la Philosophie, tant ancienne que moderne, se soit autant exercée que sur celle-ci. Un auteur (Frider. Arpe, theatrum fati) compte jusqu'à cent soixante & tant d'écrivains qui ont traité ce sujet dans des ouvrages particuliers. La lecture de tous ces écrits ne pourroit pas donner des idées nettes sur le sujet que nous venons de traiter, & ne serviroit peut-être qu'à mettre beaucoup de confusion dans l'esprit. Ce qui nous fournit une réflexion que nous soûmettons au jugement des lecteurs, c'est qu'on ne lit point la bonne Métaphysique ; il faut la faire, c'est une nourriture qu'il faut digérer soi-même, si l'on veut qu'elle apporte la vie & la santé. Il me semble qu'une recherche métaphysique est un problème à résoudre : il faut avoir les données, mais on ne doit emprunter la solution de personne. Je me suis efforcé de suivre cette maxime ; & je crois que c'est faute de l'observer, que la Métaphysique a demeuré si long-tems sans faire de progrès. Celui qui observe la Nature & celui qui l'employe, peuvent suivre les traces de ceux qui les ont précédés. Dans la route immense qu'ils ont à parcourir, ils doivent partir du point où les hommes ont été conduits par les expériences, & c'est à eux à en faire de nouvelles en supposant les anciennes ; mais malheur à la Philosophie, si le métaphysicien copie le métaphysicien, parce qu'alors il suppose une opinion, & une opinion n'est pas un fait. Cependant les erreurs se perpétuent, & la vérité demeure cachée, jusqu'à ce qu'enfin par le secours de l'expérience les principes mêmes de la Métaphysique étant devenus autant de faits, puissent être regardés comme appartenant à la véritable Physique, suivant la belle prophétie du chevalier Bacon : de Metaphysicâ ne sis sollicitus, nulla enim est post veram Physicam inventam. Epist. ad redempt. Baranzau.

Il y a une fatalité, dont nous n'avons point parlé ; attachée au cours des astres. Voyez ASTROLOGIE JUDICIAIRE, NETHLIAQUESQUES. (h)


FATHIMITEou FATHEMITES, s. m. pl. (Hist. mod.) descendans de Mahomet par Fathima ou Fathamah sa fille.

La dynastie des Fathimites, c'est-à-dire des princes descendus en ligne directe d'Ali & de Fathima, fille de Mahomet son épouse, commença en Afrique l'an de l'hégire 296, de Jesus-Christ 908, par Abon Mohammed Obeidallah.

Les Fathimites conquirent ensuite l'Egypte, & s'y établirent en qualité de califes. Voyez CALIFE.

Les califes Fathimites d'Egypte finirent dans la personne d'Abed l'an 567 de l'hégire, de Jesus-Christ 1171, après avoir regné 208 ans depuis la conquête de Moez, & 268 depuis leur établissement en Afrique. Dict. de Trév. & Chambers. (G)


FATHOMS. m. (Commerce) mesure dont on se sert en Moscovie, qui contient sept piés d'Angleterre, & environ la dixieme partie d'un pouce, ce qui revient, mesure de France, à six piés sept pouces & quelques lignes, le pié d'Angleterre n'étant que d'onze pouces quatre lignes & demi de roi. Voyez PIE, POUCE, LIGNE, &c. Dictionn. de Comm. de Trév. & Chamb. (G)


FATIGUES. f. (Gramm.) c'est l'effet d'un travail considérable. Il se dit du corps & de l'esprit, & il se prend quelquefois pour le travail même : on dit indifféremment les travaux & les fatigues de la guerre ; cependant l'un est la cause, & l'autre l'effet. Il faut encore remarquer que dans l'exemple que nous venons d'apporter, le mot travaux peut avoir deux acceptions, l'une relative à la personne, & l'autre à l'ouvrage.


FATIGUERFATIGUER un arbre, (Jardinage.) en laissant trop de fruit ou trop de bois à un arbre, on le fatigue trop ; on l’expose à avorter, à devenir rabougri, & enfin à périr. (K)


FATUAIRES. m. (Hist. anc.) Les fatuaires étoient chez les anciens ceux qui paroissant inspirés, annonçoient les choses futures.

Ce nom de fatuaire vient de Fatua, femme du dieu Faune, laquelle prédisoit aux femmes l'avenir, comme Faune le prédisoit aux hommes. Fatua vient de fari, c'est-à-dire de vaticinari, prophétiser. Ser. Dictionn. de Trév. & Chambers. (G)


FATUITÉS. f. (Maladie) Voyez STUPIDITE. C'est aussi le vice du fat. Voyez ci-devant FAT.


FAU-PERDRIEUX(Venerie) c'est-à-dire faucon perdrieux, faucon qui prend des perdrix. V. FAUCON.


FAUBEou VADROUILLE, s. f. (Marine) c'est une sorte de balai fait de fils de vieux cordages, avec lequel on nettoye le vaisseau. (Z)


FAUBERTERv. act. (Marine) c'est nettoyer le vaisseau avec le fauber. (Z)


FAUCHÉE(Agricult.) c'est ce qu'un faucheur peut couper de foin dans un jour : elle s'évalue à quatre-vingt cordes.


FAUCHER(Agricult.) est l'action de tondre le gason avec la faulx. On fauche aussi les prés, les boulingrins, les grandes rampes de gason. (K)

FAUCHER, (Manége) L'action de faucher est le signe univoque des écarts, des efforts, ou d'une entre-ouverture. Voyez ECART. (e)

* FAUCHER, (Manufacture en soie) c'est une mauvaise maniere d'ourdir une étoffe, qui serre peu la trame, qui avance beaucoup l'ouvrage, mais qui le rend mou, inégal & lâche.


FAUCHETS. m. chez les Cartonniers, est un outil de bois assez semblable au rateau des Jardiniers, qui a des dents de bois ; & qui est garni par son milieu d'un long manche de bois. Les Cartonniers se servent du fauchet pour remuer de tems en tems dans la cuve à fabriquer, la matiere ou pâte dont ils font le carton. Voyez la Planche du Cartonnier.

* FAUCHET, (Taillanderie) petite faulx à l'usage des gens de la campagne, qui s'en servent pour couper de l'herbe pour leurs bestiaux.


FAUCHONS. m. terme de Riviere ; c'est un instrument de fer fait en faulx, avec lequel les Pêcheurs coupent les herbes qui sont dans le fond de l'eau, & qui arrêtent les filets.


FAUCILLES. f. (Econom. rustiq. & Tailland.) instrument dentelé, tranchant par sa partie concave, recourbé, large d'environ deux doigts à son milieu, pointu à son extrémité, formé d'environ la demi-circonférence d'un cercle qui auroit un pié de diametre, & emmanché d'un petit rouleau de bois fixé sur la queue par une virole : il sert à faire la moisson des grains. La moissonneuse embrasse de la main gauche une poignée d'épis ; elle place cette poignée dans la courbure de sa faucille, assez au-dessous de sa main, & l'abat en coupant la poignée d'un mouvement circulaire de sa faucille. Cet instrument qui sert à moissonner les blés & autres grains, est celui de tous ceux de l'Agriculture qui fatigue le plus. Les dents dont il est taillé sont en-dedans seulement ; on ne passe par conséquent sur la meule que la partie extérieure : cette opération sépare les dents. Voici comment il se fabrique. Pour forger une faucille, on corroye une barre de fer avec une barre d'acier, telles qu'on les voit dans nos Planches. Voy. ces Pl. & leurs expl. C'est de ces deux barres corroyées ensemble qu'on enleve la faucille. Quand elle est enlevée, on la sépare, on la cintre ; on la repare au marteau, on l'écorche sur la meule, on la taille au ciseau ; on la trempe, on la repasse sur la meule en-dehors, & la faucille est prête. La faucille a une soie par laquelle on la monte sur un manche de bois. On voit dans nos Planches les barres séparées, les barres corroyées, la faucille enlevée, la faucille séparée de la barre, & le ciseau à la tailler.

FAUCILLE, (Agricult.) est un instrument qui sert plûtôt à couper les blés & les autres grains de la campagne, qu'à l'usage du jardinage ; cependant les Jardiniers s'en servent pour couper les petits tapis de gason & les bordures des bassins. (K)


FAUCILLONS. m. terme de Serrurier ; c'est la moitié de la plaine-croix qui se pose sur les roüets d'une serrure.

On donne encore le même nom aux petites limes qui servent à évuider les pannetons des clés, aux endroits où il le faut pour le passage des gardes de la serrure.


FAUCONfalco, s. m. (Hist. nat. Ornith.) Il y a plusieurs especes de faucons, qui sont tous des oiseaux de proie. Ray en distingue douze.

1°. Le faucon pélerin, falco peregrinus. Aldrovande en a décrit un qui avoit le sommet de la tête applati, le bec bleu, avec une membrane d'un jaune foncé ; la tête, le derriere du cou, le dos & les ailes étoient brunes, & presque noires ; la poitrine, le ventre & les cuisses avoient une couleur blanche, avec des bandes transversales de couleur noire ; la queue étoit rousse, & traversée par des lignes noires. Cet oiseau avoit les jambes courtes & jaunes, de même que les piés.

2°. Le sacré, falco sacer ; c'est le plus grand de tous les fau cons, à l'exception du gerfaut ; il a une couleur roussâtre ; les jambes & le bec sont courts ; les doigts des piés ont une couleur bleue, de même que le bec ; le corps est allongé ; les ailes & la queue sont longues.

3°. Le gerfaut, gyrfalco : il est aussi grand que l'aigle, ce seul caractere pourroit le faire distinguer de toutes les autres especes de faucons ; mais on peut aussi le reconnoître en ce qu'il a le sommet de la tête applati, le bec, les jambes & les piés de couleur bleue ; toutes ses plumes sont blanches, mais celles du dos & des ailes ont des taches noires en forme de coeur ; la queue est courte, & traversée par des bandes noires.

4°. Le faucon de montagne, falco montanus : il est moins grand que le faucon pélerin ; il a le sommet de la tête élevé, le bec épais, court & noir ; la membrane qui se trouve au-dessus du bec, est jaune ; le corps a une couleur roussâtre, & les piés sont jaunes.

5°. Faucon gentil ; falco gentilis, id est nobilis : il differe si peu du faucon pélerin pour la figure & même pour l'instinct. qu'il est très-difficile de les distinguer l'un de l'autre.

6°. Faucon hagard ou bossu, falco ferus vel gibbosus : il a le cou très-court ; il porte ses ailes sur le dos, de façon qu'elles semblent former une bosse.

7°. Le faucon blanc, falco albus : il est aisé de le distinguer des autres par sa couleur blanche.

8°. Le faucon d'arbre & le faucon de roche, lithro-falco & dendro-falco : le premier est de grandeur moyenne entre le faucon pélerin & le faucon bossu. Willughbi croit que l'autre est le haubereau, selon la description de Gesner.

9°. Le faucon tunisien, falco tunetanus ; il est moins grand que le faucon pélerin, le faucon de montagne & le faucon gentil : il ressemble beaucoup au loriot.

10°. Le faucon rouge, falco rubeus. Ray doute de l'existence de ce faucon. Quoi qu'il en soit, on n'a jamais prétendu qu'il fût rouge en entier.

11°. Faucons rouges des Indes. Aldrovande en a décrit deux ; celui qu'il a soupçonné être une femelle, étoit le plus grand ; il avoit le sommet de la tête large & presque plat, le bec de couleur cendrée, la membrane jaune, & la partie supérieure du corps de couleur cendrée, roussâtre. On voyoit de chaque côté de la tête une bande de couleur de cinnabre, pâle, qui s'étendoit en-arriere depuis l'angle postérieur de l'oeil ; la poitrine & la partie inférieure du corps étoient de la même couleur, avec quelques taches de couleur cendrée sur la partie antérieure du sternum. L'autre faucon, qu'Aldrovande a crû être un mâle, avoit une couleur rouge, plus foncée sur la partie inférieure du corps ; la partie supérieure étoit noire.

12°. Faucon hupé des Indes : sa grandeur approche de celle de l'autour, la tête est plate & noire ; il a une double hupe qui descend derriere l'occiput ; le cou est rouge ; la poitrine & le ventre sont parsemés de lignes transversales blanches & noires, placées alternativement, & d'une couleur très-vive ; l'iris des yeux est jaune, & le bec d'un bleu foncé & presque noir, sur-tout à l'extrémité : car la membrane qui recouvre la base, a une couleur jaune ; les jambes sont garnies de plumes qui tombent jusque sur les piès, dont la couleur est jaune ; les piés sont très-noirs ; les petites plumes des aîles ont les bords blanchâtres ; il y a sur la queue des bandes noires & cendrées, posées alternativement. Ray a vû cet oiseau en Angleterre, où il avoit été apporté des Indes orientales. Syncop. meth. pag. 13. & suiv. Voyez OISEAU. (I)


FAUCONNEAUS. m. jeune faucon. V. FAUCON.

FAUCONNEAU ou FAUCON, (Artillerie) est une piece d'artillerie, ou un petit canon qui porte depuis un quart jusqu'à deux livres, & qui pese 150, 200, 400, 500, & même jusqu'à 800 livres ; sa longueur est de sept piés. Voyez CANON. Lorsque les embrasures sont ruinées, on ne peut plus continuer le service du gros canon dans les siéges ; mais il est toûjours possible de se servir de petites pieces, comme le fauconneau, qu'on transporte aisément d'un lieu à un autre sur des affuts à roüage ou à roulettes, qu'un ou deux hommes peuvent traîner aisément sur le rempart.

Les coups de ces petites pieces sont fort incertains, parce qu'on n'a pas le loisir de les disposer comme l'on veut ; mais ils donnent toûjours de l'inquiétude à l'assiégeant, & ils l'obligent de s'avancer avec plus de circonspection. Charles XII. roi de Suede, fut tué au siége de Frideriskshall en Norvege, d'un coup de fauconneau. (Q)

* FAUCONNEAU, s. m. (Charpent.) piece de la machine à élever des fardeaux, appellée l'engin. Le fauconneau a deux poulies à ses extrémités, & c'est sur ces poulies que passe le cable ; il est fixé au bout du poinçon, affermi par deux liens emmortoisés dans la sellette. Il n'y a point dans l'engin de piece plus élevée.


FAUCONNERIES. f. (Ordre encyclop. Science, Art, Economie rustiq. Chasse, Fauconn.) c'est l'art de dresser & de gouverner les oiseaux de proie destinés à la chasse. On donne aussi ce nom à l'équipage, qui comprend les fauconniers ; les chevaux, les chiens, &c. La chasse elle-même porte plus particulierement le nom de vol, & c'est à ce mot que nous parlerons des différentes chasses qui se font avec des oiseaux. Voyez VOL.

L'objet naturel de la chasse paroît être de se procurer du gibier : dans la fauconnerie on se propose la magnificence & le plaisir plus que l'utilité, sur-tout depuis que l'usage du fusil a rendu faciles les moyens de giboyer.

La fauconnerie est fort en honneur en Allemagne, où beaucoup de princes en ont une considérable & souvent exercée ; celle qui est en France, quoique très-brillante, n'est pas d'un usage aussi journalier.

C'est l'oiseau appellé faucon qui a donné le nom à la fauconnerie, parce que c'est celui qui sert à un plus grand nombre d'usages. Il y a le faucon proprement dit ; mais souvent on attribue aussi ce nom à d'autres oiseaux, en y ajoûtant une distinction particuliere. On dit faucon-gerfault, faucon-lanier, &c.

Entre les faucons de même espece, on remarque des différences qui désignent leur âge, & le tems auquel on les a pris. On appelle faucons sors, passagers ou pélerins, ceux qui, quoiqu'à leur premier pennage, ont été pris venant de loin, & dont on n'a point vû l'aire ou le nid. Le faucon niais, qu'on nomme aussi faucon royal, est celui qui a été pris dans son aire ou aux environs. Enfin le faucon appellé hagard, est celui qui a déjà mué lorsqu'on le prend.

Les auteurs qui ont écrit de la fauconnerie, font encore un grand nombre de distinctions, mais qui ne tiennent point à l'art ; elles ne font que désigner les pays d'où viennent les faucons, ou ce ne sont que différens termes de jargon qui expriment à-peu-près les mêmes choses.

Le choix des oiseaux est une chose essentielle en fauconnerie. On doit s'arrêter à la conformation que nous allons décrire, quoique toutes les marques extérieures de bonté puissent quelquefois tromper. Le faucon doit avoir la tête ronde, le bec court & gros, le cou fort long, la poitrine nerveuse, les mahutes larges, les cuisses longues, les jambes courtes, la main large, les doigts déliés, allongés, & nerveux aux articles ; les ongles fermes & recourbés, les ailes longues. Les signes de force & de courage sont les mêmes pour le gerfault, &c. & pour le tiercelet, qui est le mâle, dans toutes les especes d'oiseaux de proie, & qu'on appelle ainsi parce qu'il est d'un tiers plus petit que la femelle. Une marque de bonté moins équivoque dans un oiseau ; c'est de chevaucher le vent, c'est-à-dire de se roidir contre, & se tenir ferme sur le poing lorsqu'on l'y expose. Le pennage d'un bon faucon doit être brun & tout d'une piece, c'est-à-dire de même couleur. La bonne couleur des mains est le verd d'eau : ceux dont les mains & le bec sont jaunes, ceux dont le plumage est semé de taches, ce qu'on appelle égalé ou haglé, sont moins estimés que les autres. On fait cas des faucons noirs ; mais quel que soit leur plumage, ce sont toûjours les plus forts en courage qui sont les meilleurs.

Outre la conformation, il faut encore avoir égard à la santé de l'oiseau. Il faut voir s'il n'est point attaqué du chancre, qui est une espece de tartre qui s'attache au gosier & à la partie inférieure du bec ; s'il n'a point sa molette empelotée, c'est-à-dire si la nourriture ne reste point par pelotons dans son estomac ; s'il se tient sur la perche tranquillement & sans vaciller ; si sa langue n'est point tremblante ; s'il a les yeux perçans & assûrés ; si les émeuts sont blancs & clairs : les émeuts bleus sont un symptome de mort.

Le choix d'un oiseau ainsi fait, on passe aux soins nécessaires pour le dresser. On commence par l'armer d'entraves appellées jets, au bout desquels on met un anneau sur lequel est écrit le nom du maître : on y ajoûte des sonnettes, qui servent à indiquer le lieu où il est lorsqu'il s'écarte à la chasse. On le porte continuellement sur le poing ; on l'oblige de veiller : s'il est méchant & qu'il cherche à se défendre, on lui plonge la tête dans l'eau ; enfin on le contraint par la faim & la lassitude à se laisser couvrir la tête d'un chaperon qui lui enveloppe les yeux. Cet exercice dure souvent trois jours & trois nuits de suite ; il est rare qu'au bout de ce tems les besoins qui le tourmentent, & la privation de la lumiere, ne lui fassent pas perdre toute idée de liberté. On juge qu'il a oublié sa fierté naturelle, lorsqu'il se laisse aisément couvrir la tête, & que découvert il saisit le pât ou la viande qu'on a soin de lui présenter de tems en tems. La répetition de ces leçons en assûre peu-à-peu le succès. Les besoins étant le principe de la dépendance de l'oiseau, on cherche à les augmenter en lui nettoyant l'estomac par des cures. Ce sont de petits pelotons de filasse qu'on lui fait avaler, & qui augmentent son appétit ; on le satisfait après l'avoir excité, & la reconnoissance attache l'oiseau à celui même qui l'a tourmenté. Lorsque les premieres leçons ont réussi, & qu'il montre de la docilité, on le porte sur le gason dans un jardin. Là on le découvre, & avec l'aide de la viande on le fait sauter de lui-même sur le poing. Quand il est assûré à cet exercice, on juge qu'il est tems de lui donner le vif, & de lui faire connoître le leurre.

Ce leurre est une représentation de proie, un assemblage de piés & d'ailes, dont les fauconniers se servent pour réclamer les oiseaux, & sur lequel on attache leur viande. Cet instrument étant destiné à rappeller les oiseaux & à les conduire, il est important qu'ils y soient non-seulement accoûtumés, mais affriandés. Quelques fauconniers sont dans l'usage d'exciter l'oiseau à plusieurs reprises dans la même leçon, lorsqu'ils l'accoûtument au leurre. Dès qu'il a fondu dessus, & qu'il a seulement pris une bécade, ils le retirent sous prétexte d'irriter sa faim, & de l'obliger à y revenir encore ; mais par cette méthode on court risque de le rebuter : il est plus sûr, lorsqu'il a fait ce qu'on attendoit de lui, de le paître tout-à-fait, & ce doit être la récompense de sa docilité. Le leurre est l'appas qui doit faire revenir l'oiseau lorsqu'il sera élevé dans les airs ; mais il ne seroit pas suffisant sans la voix du fauconnier, qui l'avertit de se tourner de ce côté-là. Il faut donc que le mouvement du leurre soit toûjours accompagné du son de la voix & même des cris du fauconnier, afin que l'un & l'autre annoncent ensemble à l'oiseau que ses besoins vont être soulagés. Toutes ces leçons doivent être souvent répetées, & par le progrès de chacune le fauconnier jugera de celles qui auront besoin de l'être davantage. Il faut chercher à bien connoître le caractere de l'oiseau, parler souvent à celui qui paroît moins attentif à la voix, laisser jeûner celui qui revient moins avidement au leurre, veiller plus long-tems celui qui n'est pas assez familier, couvrir souvent du chaperon celui qui craint ce genre d'assujettissement. Lorsque la docilité & la familiarité d'un oiseau sont suffisamment confirmées dans le jardin, on le porte en plaine campagne, mais toûjours attaché à la filiere, qui est une ficelle longue d'une dixaine de toises : on le découvre ; & en l'appellant à quelques pas de distance, on lui montre le leurre. Lorsqu'il fond dessus, on le sert de la viande, & on lui en laisse prendre bonne gorge, pour continuer de l'assûrer. Le lendemain on le lui montre d'un peu plus loin, & il parvient enfin à fondre dessus du bout de la filiere : c'est alors qu'il faut faire connoître & manier plusieurs fois à l'oiseau le gibier auquel on le destine : on en conserve de privés pour cet usage : cela s'appelle donner l'escap. C'est la derniere leçon, mais elle doit se répeter jusqu'à ce qu'on soit parfaitement assûré de l'oiseau : alors on le met hors de filiere, & on le vole pour bon.

La maniere de leurrer que nous avons indiquée, ne s'employe pas à l'égard des faucons & tiercelets destinés à voler la pie, ou pour champ, c'est-à-dire pour le vol de la perdrix. Lorsque ceux-là sont assûrés au jardin, & qu'ils sautent sur le poing, on leur fait tuer un pigeon attaché à un piquet, pour leur faire connoître le vif. Après cela on leur donne un pigeon volant, au bout d'une filiere ; & lorsqu'on les juge assez sûrs pour être mis hors de filiere eux-mêmes, on leur donne un pigeon volant librement, mais auquel on a sillé les yeux. Ils le prennent, parce qu'il se défend mal. Alors, si l'on compte sur leur obéissance, on cherche à les rebuter sur les pigeons & sur tous les gibiers qu'ils ne doivent pas voler : pour cela on les jette après des bandes de pigeons, qui se défendent trop bien pour être pris, & on ne les sert de la viande, que quand on leur a fait prendre le gibier auquel on les destine. Le faucon pour corneille se dresse de la même maniere, mais sans qu'on le serve de pigeons : c'est une corneille qu'on lui donne à tuer au piquet ; & après cela on lui donne plusieurs fois l'escap au bout d'une filiere mince & courte, jusqu'à ce qu'on le juge assez confirmé pour le voler pour bon.

Les auteurs qui ont écrit sur la Fauconnerie, donnent encore d'autres méthodes dont nous ne parlerons point ; soit parce qu'elles sont contenues en substance dans ce que nous avons dit ; soit parce que l'expérience & l'usage d'aujourd'hui les ont abrégées. Un mois doit suffire pour dresser un oiseau. Il y en a qui sont lâches & paresseux : d'autres sont si fiers, qu'ils s'irritent contre tous les moyens qu'on employe pour les rendre dociles. Il faut abandonner les uns & les autres. En général, les niais sont les plus aisés : les sors le sont un peu moins, mais plus que les hagards qui, selon le langage des Fauconniers, sont souvent curieux, c'est-à-dire moins disposés par leur inquiétude à se préter aux leçons.

Le soin des oiseaux de proie, soit en santé, soit en maladie, étant une partie principale de la Fauconnerie, nous devons en parler ici. En hyver, il faut les tenir dehors pendant le jour ; mais pendant la nuit, dans des chambres échauffées. On les découvre le soir sur la perche ; ils y sont attachés de maniere qu'ils ne puissent pas se nuire l'un à l'autre. Le Fauconnier doit visiter & nettoyer exactement le chaperon, parce qu'il peut s'y introduire des ordures qui blesseroient dangereusement les yeux des oiseaux. Lorsqu'ils sont découverts, on leur laisse une lumiere pendant une heure, pendant laquelle ils se repassent ; ce qui est très-utile à leur pennage. Pendant l'été qui est le tems ordinaire de la mue, on les met en lieu frais ; & il faut placer dans leurs chambres plusieurs gasons, sur lesquels ils se tiennent, & un bacquet d'eau dans lequel ils se baignent. On ne peut pas cependant laisser ainsi en liberté toutes sortes d'oiseaux. Le gerfault d'Islande & celui de Norwege ne peuvent se souffrir : ceux de Norwege sont méchans, même entr'eux ; il faut attacher ceux-là sur le gason avec des longes, & les baigner à part tous les huit jours.

On nourrit les oiseaux avec de la tranche de boeuf & du gigot de mouton coupés par morceaux, & dont on a ôté avec soin la graisse & les parties nerveuses. Quelquefois on saigne des pigeons sur leur viande ; mais en général, le pigeon sert plus à les reprendre, qu'à les nourrir. Pendant la mue, on leur donne deux gorges par jour, mais modérées ; c'est un tems de régime. On ne leur en donne qu'une, mais bonne, dans les autres tems. La veille d'une chasse on diminue de beaucoup la gorge qu'on leur donne, & quelquefois on les cure, comme nous l'avons dit, afin de les rendre plus ardents. Une bécade de trop rendroit l'oiseau languissant, & nuiroit à la volerie. Vers le mois de Mars, qui est le tems de l'amour, on fait avaler aux faucons des caillous de la grosseur d'une noisette, pour faire avorter leurs oeufs qui prennent alors de l'accroissement. Quelques fauconniers en font avaler aussi aux tiercelets, & ils prétendent que cela les rafraichit ; mais ce remede est souvent dangereux, & il n'en faut user que rarement.

A l'égard des maladies des oiseaux, voici les principales, & les remedes que l'expérience fait juger les meilleurs.

Les cataractes ou tayes sur les yeux, elles viennent souvent de ce que le chaperon n'a pas été nettoyé avec soin ; quelquefois elles sont naturelles. Le blanc de l'émeut d'un autour, séché & soufflé en poudre à plusieurs reprises, est le meilleur remede. On se sert aussi de la même maniere, d'alun calciné.

Le rhume se connoît à un écoulement d'humeurs par les naseaux. Le remede est d'acharner l'oiseau sur le tiroir, c'est-à-dire de lui faire tirer sur le poing des parties nerveuses, comme un bout d'aile de poulet, ou un manche de gigot, qui l'excitent sans le rassasier. On mêle aussi dans sa viande de la chair de vieux pigeon. Cet exercice d'acharner sur le tiroir, est en général fort salutaire aux oiseaux.

Le pantais est un asthme causé par quelque effort ; il se marque par un battement en deux tems de la mulette, au moindre mouvement que fait l'oiseau. Le crac vient aussi d'un effort, & il se marque par un bruit que l'oiseau fait en volant, & dont le caractere est désigné par le nom crac. On guérit ces deux maladies, en arrosant la viande d'huile d'olive, & en faisant avaler à l'oiseau plein un dé de momie pulvérisée ; mais lorsque l'effort est à un certain point, la maladie est incurable.

Le chancre est de deux sortes : le jaune, & le mouillé. Le jaune s'attache à la partie inférieure du bec ; il se guérit lorsqu'en l'extirpant il ne saigne point. On se sert pour l'extirper, d'un petit bâton rond garni de filasse, & trempé dans du jus de citron, ou quelque autre corrosif du même genre. Le chancre mouillé a son siége dans la gorge ; il se marque par une mousse blanche qui sort du bec. Il est incurable & contagieux.

Les vers ou filandres s'engendrent dans la mulette. Le symptome de cette maladie est un bâillement fréquent. On fait avaler à l'oiseau une gousse d'ail ; on lui donne aussi de l'absynthe, hachée très-menu, dans une cure. La momie, prise intérieurement, est très-bonne aussi dans ce cas-là.

Les mains enflées par accident, se guérissent en les trempant dans de l'eau-de-vie de lavande, mêlée avec du persil pilé.

La goutte, celle qui vient naturellement, ne se guérit point. Celle qui vient de fatigue se guérit quelquefois, en mettant l'oiseau au frais sur un gason enduit de bouse de vache détrempée dans du vinaigre, ou sur une éponge arrosée de vin aromatique. Quelquefois on soulage, même la goutte naturelle, en faisant sous la main des incisions, par lesquelles on en fait sortir de petits morceaux de craie.

La momie est le meilleur vulnéraire intérieur pour tous les efforts de l'oiseau de proie.

On croiroit qu'il n'y a point de remede au pennage cassé. On le rajuste en entant un bout de plume sur celui qui reste, au moyen d'une aiguille que l'on introduit dans les deux bouts pour les rejoindre, & le vol n'en est point retardé. La penne cassée même dans le tuyau, se rejoint à une autre en la chevillant de deux côtés opposés avec des tuyaux de plumes de perdrix. Lorsque le pennage n'est que faussé, on le redresse en le mouillant avec de l'eau chaude, ou par le moyen d'un chou cuit sous la cendre & fendu, dont la chaleur & la pression remettent les plumes dans leur état naturel. Cet article est de M. LE ROY, Lieutenant des chasses du parc de Versailles.


FAUCONNIERS. m. (Hist. mod.) maître fauconnier du roi, aujourd'hui grand fauconnier de France. L'origine de fauconnier du roi est de l'an 1250. Jean de Beaune a exercé cette charge depuis ce tems jusqu'en 1258 ; Etienne Grange étoit maître fauconnier du roi en 1274. Tous ses successeurs ont eu la même qualité, jusqu'à Eustache de Jaucourt, qui fut établi grand fauconnier de France en 1406.

Le grand fauconnier de France a différentes sortes de gages ; outre les gages ordinaires, & ceux pour son état & appointemens, il en a comme chef du vol pour corneille, & l'entretien de ce vol ; pour l'entretien de quatre pages, pour l'achat & les fournitures de gibecieres, de leurres, de gants, de chaperons, de sonnettes, de vervelles & armures d'oiseaux, & pour l'achat des oiseaux. Il prete serment de fidélité entre les mains du roi : il nomme à toutes les charges de chefs de vol, lorsqu'elles vaquent par mort ; à la reserve de celles des chefs des oiseaux de la chambre & du cabinet du roi, & de celles de gardes des aires, des forêts de Compiegne, de l'Aigle, & autres forêts royales. Le grand fauconnier a seul le droit de commettre qui bon lui semble, pour prendre les oiseaux de proie en tous lieux, plaines, & buissons du domaine de sa majesté.

Les marchands fauconniers françois ou étrangers, sont obligés, à peine de confiscation de leurs oiseaux, avant de pouvoir les exposer en vente, de les venir présenter au grand fauconnier, qui choisit & retient ceux qu'il estime nécessaires, ou qui manquent aux plaisirs du roi.

Le grand-maître de Malte fait présenter au roi tous les ans douze oiseaux, par un chevalier de la nation, à qui le roi fait présent de mille écus, quoique le grand-maître paye à ce même chevalier son voyage à la cour de France.

Le roi de Danemark & le prince de Curlande envoyent aussi au roi des gerfauts, & autres oiseaux de proie.

Si le roi, étant à la chasse, veut avoir le plaisir de jetter lui-même un oiseau, les chefs pourvûs par le grand fauconnier, présentent l'oiseau au grand fauconnier, qui le met ensuite sur le poing de sa majesté. Quand la proie est prise, le piqueur en donne la tête à son chef, & le chef au grand fauconnier, qui la présente de même au roi. Voyez Etat de la France.

Le grand fauconnier de France d'aujourd'hui est Loüis César le Blanc de la Baume, duc de la Valiere, chevalier des ordres du Roi 2 Février 1749, capitaine des chasses de la varenne du louvre en Mars 1748, grand fauconnier de France en Mai de la même année.

FAUCONNIER, (Fauconn.) se dit de celui qui soigne & qui instruit toutes sortes d'oiseaux de proie.


FAUDAGES. m. (Drap.) Voy. PLIAGE. C'est aussi la marque ou fil de soie que les corroyeurs des étoffes de laine, attachent aux pieces qu'ils appointent. Ce fil de soie est d'une couleur & d'une qualité propre à chaque ouvrier. Il se met à la piece au sortir de dessus le courroi ; & la piece est faudée, quand elle est pliée en double sur sa longueur ; ensorte que les deux lisieres tombent l'une sur l'autre, & que la marque du faudage y est apposée. On entend aussi quelquefois par fauder, mettre l'étoffe en plis quarrés.


FAUDES. f. (Econ. rustiq.) ce mot est synonyme à charbonniere, ou fosse à charbon. Voyez l'article CHARBON.


FAUDETS. m. terme de Manufacture ; les laineurs ou emplaigneurs appellent ainsi une espece de grand gril de bois, soûtenu de quatre petits piés de bois, qui est placé sous la perche à lainer, pour recevoir l'étoffe à mesure qu'elle se laine. Les Tondeurs de draps se servent aussi d'une espece de faudet, pour mettre sous la table à tondre, dans lequel ils font tomber l'étoffe lorsque la tablée est entierement tondue. Ce faudet est composé de deux pieces, qui jointes ensemble par le milieu, ressemblent à une espece de manne qui n'auroit point de bordure aux deux bouts. Richelet, Savary, &c.


FAUFILER(Gramm.) au simple, c'est assembler lâchement avec du fil des pieces d'étoffes ou de toile, de la maniere dont elles doivent être ensuite cousues. La faufilure est à longs points ; on l'enleve communément quand l'ouvrage est fini. Faufiler est quelquefois synonyme à bâtir ; il y a cependant cette différence, que bâtir se dit de tout l'ouvrage, & faufiler, seulement de ses pieces : ainsi quand toutes les pieces sont faufilées, l'ouvrage est bâti. Avant que de finir un ouvrage, on prend quelquefois la précaution de le faufiler ou bâtir, pour l'essayer. On dit au figuré, se faufiler, être mal faufilé. Se faufiler, c'est s'insinuer adroitement dans une société, dans une compagnie. Etre bien ou mal faufilé, c'est avoir pris des liaisons avec des hommes estimés ou méprisés dans la société.


FAULTRAGou FAULTRAIGE, s. m. (Jurisp.) qu'on appelle aussi préage, est un droit de pacage dans les prés, qui a lieu au profit du seigneur dans la coûtume générale de Tours, & dans la coûtume des Escluses, locale de Touraine.

Suivant l'art. 100 de la coûtume de Tours, celui qui a droit de faultrage ou préage, doit le tenir en sa main, sans l'affermer, soit particulierement ou avec la totalité de la seigneurie, & il doit en user comme il s'ensuit ; c'est à savoir, qu'il est tenu de garder ou faire garder les prés dudit faultrage ou préage ; & quand il mettra ou fera mettre les bêtes dudit faultrage ou préage accoûtumées y être mises, il doit les faire toucher de pré en pré, sans intervalle : les bêtes qui au commencement dudit faultrage ou préage y ont été mises, ne peuvent être changées ; & si ces bêtes sont trouvées sans garde, elles peuvent être menées en prison. Ceux qui ont droit de mettre bêtes chevalines & vaches avec leurs suites, n'y peuvent mettre que le croît & suite de l'année seulement.

L'article suivant ajoûte que si faute de garder les bêtes, elles font quelque dommage, le seigneur en répondra ; & que s'il use du faultrage ou préage autrement qu'il est porté en l'article précédent, il perdra ce droit à perpétuité.

La coûtume locale des Escluses dit que le seigneur de ce lieu a droit seigneurial de mettre ou faire mettre en sa prairie des Escluses, trois jumens avec leurs poulains, & poudres de l'année ; que les seigneurs des Escluses ont toûjours affermé ou tenu en leur main ce droit, ainsi que bon leur a semblé : que ni lui ni ses fermiers ne sont tenus toucher ou faire toucher lesdites jumens ; mais que son sergent-prairier est tenu les remuer depuis qu'elles ont été quinze jours devers la Boyere des haies, & les mettre & mener en la prairie, du côté appellé la Marotte ; auquel lieu ils sont trois semaines, & puis remises du côté des haies : mais que ni lui ni son fermier ne peuvent changer les premieres jumens mises dans cette prairie. Voyez PREAGE. (A)


FAULXS. m. pl. Les anciens en avoient de toute espece ; les unes s'appelloient arborariae ; & servoient à émonder les arbres ; les autres lumariae, & c'étoit avec celles-ci qu'on sarcloit les chardons & les buissons dans les champs ; ou rustariae, avec lesquelles on défrichoit ; ou serpiculae, & c'étoit la serpette du vigneron ; ou stramentariae, qu'on employoit après la moisson à couper le chaume ; ou vinitoriae, avec lesquelles on tailloit la vigne, ou l'on détachoit du saule & de l'osier ses branches ; ou murales, & c'étoit un instrument de guerre composé d'une longue poutre, armée à son extrémité d'un crochet de fer qu'on fichoit au haut des murailles pour les renverser. On se défendoit de cette machine avec des cordes dans lesquelles on cherchoit à embarrasser le crochet, pour les enlever ensuite à l'ennemi. Il y avoit les falces navales ; c'étoient de longues faulx qui avoient pour manches des perches, & dont on se servoit sur les vaisseaux pour couper les cordages des bâtimens ennemis. Nous n'employons pour nous d'autre faulx que celle qui nous sert dans la récolte des foins : ce sont les Taillandiers qui la fabriquent. Elle est assez longue, un peu recourbée du côté du tranchant, & emmanchée d'un long bâton. Le faucheur la meut horisontalement, & tranche l'herbe par le pié. Cet instrument d'agriculture ne se fait pas autrement que la plûpart des autres outils tranchans ; il faut que l'acier en soit bon, & la trempe saine : elle se commence à la forge & au marteau, & s'acheve à la lime & à la grande meule. Voyez l'article suivant.

* FAULX, s. f. (Taillanderie & Economie rustique) instrument tranchant qui sert à couper les foins & les avoines, mais monté différemment pour ces deux ouvrages. La faulx à foin est montée sur un bâton d'environ cinq piés de long, avec une main vers le milieu. La faulx à avoine a une armure de bois. On lui a pratiqué quatre grandes dents de la longueur de la faulx, pour recevoir l'avoine fauchée, & empêcher qu'elle ne s'égrene.

Elles sont l'une & l'autre arcuées par le bout, larges du côté du coüard, & en bec de corbin par la pointe.

On distingue l'arrête, qui est la partie opposée au tranchant, qui sert à fortifier la faulx sur toute sa longueur ; & le coüard, qui est la partie la plus large de la faulx, où il sert à la monter sur son manche, par le moyen d'un talon qui empêche le coüard de sortir de la douille, où il est reçû & arrêté par un coin de bois. On voit dans nos Planches le détail du travail de la faulx par le taillandier ; une faulx enlevée ; une faulx dont le tranchant est fait, & qui est prête à être tournée, c'est-à-dire où l'on va former l'arrête ; une faulx qu'on a commencé à tourner, une faulx tournée ; le talon du coüard ; ce talon tourné ; une faulx vûe en-dedans, une autre vûe en-dessus. Voyez nos Planches de Taillanderie, & leur explication.

FAULX, (Anat.) processus de la dure-mere, qui prend son origine du crista galli de l'os ethmoïde, se recourbe en-arriere, passe entre les deux hémispheres du cerveau, & se termine au torcular Herophili, ou au concours des quatre grands sinus de la dure-mere. Voyez DURE-MERE, CERVEAU. Cette faulx, ainsi dite à cause de sa courbure, manque dans plusieurs animaux. Voyez Ridley dans son anatomie du cerveau, pag. 9. (g)

FAULX, (Astronom.) est une des phases des planetes, qu'on appelle communément croissant. Voyez PHASE, CROISSANT, RNESRNES.

Les Astronomes disent que la Lune, ou toute autre planete, est en faulx, falcata, quand la partie éclairée paroît en forme de faucille ou de faulx, que les Latins appellent falx.

Le Lune est en cet état depuis la conjonction jusqu'à la quadrature, ou depuis la nouvelle Lune jusqu'à ce qu'on en voye la moitié, & depuis la quadrature jusqu'à la nouvelle Lune ; avec cette différence, que depuis la nouvelle Lune jusqu'à la quadrature, le ventre ou le dos de la faulx regarde le couchant, & que depuis la quadrature jusqu'à la nouvelle Lune, le ventre regarde le levant. (O)


FAUNA(Myth.) la même que la bonne-déesse. Voyez BONNE-DEESSE. Elle est représentée sur les médailles comme le dieu Faune, à l'exception de la barbe, & elle a été mise par les Romains au nombre de leurs divinités tutelaires.


FAUNALESS. f. (Littér.) en latin faunalia, fêtes de campagne que tous les villages en joie célébroient dans les prairies deux fois l'année en l'honneur du dieu Faune. Ses autels avoient acquis de la célébrité, même dès le tems d'Evandre ; on y brûloit de l'encens, on y répandoit des libations de vin, on y immoloit ordinairement pour victimes la brebis & le chevreau.

Faune étoit de ces dieux qui passoient l'hyver en un lieu, & l'été dans un autre. Les Romains croyoient qu'il venoit d'Arcadie en Italie au commencement de Février, & en conséquence on le fêtoit le 11, le 13 & le 15 de ce mois dans l'île du Tibre. Comme on tiroit alors les troupeaux des étables, où ils avoient été enfermés pendant l'hyver, on faisoit des sacrifices à ce dieu nouvellement débarqué, pour l'intéresser à leur conservation ; & comme on pensoit qu'il s'en retournoit au 5 de Décembre, ou, suivant Struvius, le 9 de Novembre, on lui répetoit les mêmes sacrifices, pour obtenir la continuation de sa bienveillance. Les troupeaux avoient dans cette saison plus besoin que jamais de la faveur du dieu, à cause de l'approche de l'hyver, qui est toûjours fort à craindre pour le bétail né dans l'automne. D'ailleurs, toutes les fois qu'un dieu quittoit une terre, une ville, une maison, c'étoit une coûtume de le prier de ne point laisser des marques de sa colere ou de sa haine dans les lieux qu'il abandonnoit. Voyez comme Horace se prête à toutes ces sottises populaires :

Faune, nympharum fugientum amator

Per meos fines, & aprica rura

Lenis incedas, abeasque parvis

Aequus alumnis.

" Faune, dont la tendresse cause les allarmes des timides nymphes, je vous demande la grace que vous passiez par mes terres avec un esprit de douceur, & que vous ne les quittiez point sans répandre vos bienfaits sur mes troupeaux ". C'est le commencement de l'hymne si connue au dieu Faune, qui contient les prieres du poëte, les bienfaits du dieu, & les réjoüissances du village. Rien de plus délicat que cette ode, de l'aveu des gens de goût (Ode xviij. liv. III.) : le dessein en est bien conduit, l'expression pure & legere, la versification coulante, les pensées naturelles, les images riantes & champêtres. (Article de M(D.J.) )


FAUNES. m. Les faunes étoient, dans l'ancienne Mythologie, des divinités des forêts, qui, suivant l'opinion générale, ne different point des satyres. Voyez SATYRES.

On a prétendu que les faunes étoient des demi-dieux, connus seulement des Romains ; mais ils sont évidemment les Panes des Grecs, comme Saumaise l'a prouvé après Turnebe : ainsi l'on peut dire que leur culte est un des plus anciens & des plus répandus, & il paroît certain qu'il faut en chercher l'origine dans l'Egypte. L'incertitude attachée à cette recherche, ne doit pas en détourner un philosophe homme de Lettres. Si les diverses opinions des critiques le réduisent à dire avec Cotta dans Cicéron, l. III. c. vj. de naturâ deorum : Faunus omnino quid sit, nescio, il trouvera du moins un vaste champ de réflexions dans les terreurs paniques, les incubes, les hommes sauvages, &c.

M. Pluche, dans son histoire du ciel, tome I. rapporte avec beaucoup de vraisemblance le nom des Faunes & des Satyres à deux mots hébreux qui désignent les masques dont on se servoit dans les fêtes de Bacchus. Un Faune qui se joue avec un masque, & qu'on voit dans Beger, thes. Brandeburg. tom. I. p. 13. & tom. III. p. 252. paroît confirmer cette étymologie : peut-être aussi fait-il allusion aux comédies satyriques. Avenarius avoit tiré de même le nom des Satyres de l'hébreu satar. Le mot satar en arabe, veut dire un bouc, suivant la remarque de Bochart, Hierozoïcon, p. I. p. m. 643. On sait que les Satyres ressembloient aux boucs par la moitié inférieure du corps. Il semble qu'on ne peut contester cette étymologie ; mais celle que donne des Pans ou Faunes le même Bochart, Geog. sac. p. m. 444. n'est pas aussi heureuse : il dérive leur nom, comme avoit fait Plantavitius, qu'il ne cite pas, de la racine hébraïque pun, il a hésité, il a été abattu, ce qu'il explique des frayeurs paniques. C'est au culte des boucs qu'on adoroit en Egypte, que celui des Faunes & des Satyres semble avoir dû sa naissance. Maimonide, dans le More Nevochim, p. III. c. xlvj. observe que le culte honteux des démons étoit, sous la forme des boucs, fort étendu du tems de Moyse ; & que Dieu le défendit par une loi expresse (Levitic. XVII. 7.) aux Israélites, qui s'en étoient souillés jusqu'alors. Maimonide explique fort bien au même endroit, pourquoi le bouc du sacrifice ordonné au commencement de chaque mois (Numer. XXVIII. 15.), est dit offert pour le péché à Jehova, Chattath ladonai ; ce qui n'est pas spécifié des boucs qu'on immoloit dans les autres principales fêtes. C'est, dit-il, pour empêcher les Israélites de penser au bouc de la Néoménie, que les Egyptiens sacrifioient à la lune. Cette explication naturelle est bien différente de la fable aussi impie que ridicule imaginée par les rabbins ; ils disent que Dieu demande un sacrifice d'expiation pour le peché qu'il a commis lui-même, en diminuant la grandeur de la lune, primitivement égale à celle du soleil. Voyez la synagogue judaïque de Jean Buxtorf, p. m. 376. 377. 388. & le philologus hebraeomixtus de Leusden, p. 91.

R. Kimchi a écrit que les démons se faisoient voir à leurs adorateurs sous la figure d'un bouc, & c'est-là le dont parle Jamblique. Ces apparitions étoient d'autant plus effrayantes, que tous les Orientaux étoient persuadés qu'on ne pouvoit voir impunément la face des dieux. Voyez les notes de Grotius sur les vers. 20 & 23 du trente-troisieme chapitre de l'Exode. On peut conjecturer que les terreurs paniques sont ainsi dites de panim ( dans Homere), forme, figure, parce que des fantômes subtils affectoient vivement l'imagination échauffée qui les avoit produits. On lit dans Servius, sur le commencement du premier livre des Géorgiques de Virgile, que ce fut au tems de Faunus, roi d'Italie, que les dieux se déroberent à la vûe des mortels. Cette époque est très-incertaine, s'il y a eu deux Faunes, rois des Aborigenes, qui ayent regné dans des tems très-éloignés l'un de l'autre, comme l'assûrent Manéthon, Denys d'Halicarnasse, &c.

Servius confond ailleurs Faunus avec Pan, Ephialtes, incubus. S. Augustin, de civitate Dei, l. XV. c. xxiij. croit qu'il faut s'armer d'impudence pour nier que les Sylvains & les Pans ne soient des incubes ; qu'ils n'ayent de l'amour pour les femmes, ou qu'ils ne le satisfassent avec violence. Il nous fait connoître des démons que les Gaulois appelloient Dusii, & qui étoient aussi libertins. Voyez l'article INCUBE.

Bochart, Géog. sac. pag. m. 584. prétend que le regne de Faune en Italie est forgé par ceux qui n'ont pas connu que Faune & Pan ne faisoient qu'un. Il cite, pour prouver que Pan étoit un des capitaines de Bacchus, plusieurs auteurs, & Nonnus entr'autres ; il n'a pas pris garde que Nonnus, Dionysiac. lib. XIII. p. m. 370. dit aussi que Faune abandonna l'Italie pour venir joindre le conquérant des Indes.

Il est parlé des Fauni ficarii dans la version faite par S. Jérome d'un passage de Jéremie, ch. l. v. 39. passage susceptible dans l'hébreu d'un sens fort différent. Bochart explique ce ficarii, des fics ou tubercules qu'on voit au visage des Satyres. Quelques-uns lisent sicarii, & l'on peut entendre alors de Faunes incubes ou suffoquans.

Dans le traité attribué à Héraclite, , c. xxv. on voit que les Pans & les Satyres étoient des hommes sauvages qui habitoient les montagnes : ils vivoient sans femmes ; mais dès qu'ils en voyoient quelqu'une, elle devenoit commune entr'eux. On leur attribua le poil & les piés de bouc, à cause qu'ils négligeoient de se laver, ce qui les faisoit sentir mauvais ; & on les regardoit comme compagnons de Bacchus, parce qu'ils cultivoient les vignes. Le passage grec est corrompu, il semble qu'on ne s'en est point apperçû. Le docteur Edoüard Tyson, dans l'essai philologique sur les Pygmées, les Cynocéphales, les Satyres & les Sphinx des anciens, qu'il a mis à la suite de son anatomie de l'Orang-outang, veut que les Satyres ne soient point des hommes sauvages, mais une espece de singes qu'on trouve en Afrique (aigopithecoi). Il combat Tulpius & Bontius par des raisons qui paroissent assez foibles, & il s'appuie beaucoup pour ranger les Satyres dans la classe des singes, de l'autorité de Philostorge ; mais c'est un auteur fabuleux, puisqu'il confirme l'histoire du phénix, p. m. 494. de l'édit. de Cambridge, des historiens ecclésiastiques. Ce qui est plus singulier encore, c'est que Philostorge distingue évidemment le Pan ou Faune du Satyre, contre le sentiment de Tyson ; & que Tyson reproche à Albert le Grand de faire une chimere du Satyre, qu'il appelle pilosus, par la description qu'il en donne ; description néanmoins entierement conforme à celle de Philostorge.

Les premiers conducteurs des chevres ont peut-être donné lieu à la fable des chevrepiés, de même que les plus anciens cavaliers qu'on ait connus, ont passé pour des centaures ; car je ne pense pas qu'on veuille recourir aux pygmées, que Pline nous dit avoir été montés sur des chevres pour combattre les gruës.

Munster, dans ses notes sur la Genese, II. 3. & sur le Lévitique, XVII. 7. a recueilli sur les démons, , Faunes, Satyres, Incubes, des choses curieuses tirées des rabbins. Cette compilation a déplû à Fagius, qui dit sur ce dernier passage, qu'il ne rapporte des rabbins que ce qui est utile pour l'intelligence du texte ; ce qu'il avoit annoncé dès la préface de son livre. Il peut avoir raison en cela ; mais je doute qu'il eût le droit d'attaquer, même indirectement, Munster, qu'il copie mot à mot en un très-grand nombre d'endroits.

Quelques docteurs juifs ayant à leur tête Abraham Seba, dans son tseror hammor, ou fasciculus myrrhae, enseignent que Dieu avoit déjà créé les ames des Faunes, Satyres, &c. mais que prévenu par le jour du sabbat, il ne put les unir à des corps, & qu'ils resterent ainsi de purs esprits & des créatures imparfaites. Ils craignent le jour du sabbat, & se cachent dans les ténebres jusqu'à ce qu'il soit passé ; ils prennent quelquefois des corps pour effrayer les hommes ; ils sont sujets à la mort ; ils approchent de si près par leur vol des intelligences qui meuvent les orbes célestes, qu'ils leur dérobent quelques connoissances des évenemens futurs, quand ils ne sont pas trop éloignés ; ils changent les influences des astres, &c. &c. &c. (g)


FAUSSAIREsub. m. (Jurisprud.) est celui qui a commis quelque fausseté, soit en fabriquant une piece supposée, soit en altérant une piece qui étoit véritable. Voyez ci-après FAUX. (A)


FAUSSER LA COUou LE JUGEMENT, (Jurispr.) falsare judicium, ainsi que l'on s'exprimoit dans la basse & moyenne latinité ; c'étoit soûtenir qu'un jugement avoit été rendu méchamment par des juges corrompus ou par haine, que le jugement étoit faux & déloyal.

Pour bien entendre ce que c'étoit que cette maniere de procéder, il faut observer qu'anciennement en France on ne qualifioit pas d'appel la maniere dont on attaquoit un jugement ; on appelloit cela fausser le jugement ou accusation de fausseté de jugement, ce qui se faisoit par la bataille ou le duel, suivant le chap. iij. des assises de Jérusalem qu'on tient avoir été rédigées l'an 1099.

Dans les chartes de commune du tems de Philippe Auguste, sous lequel les baillis & sénéchaux étoient répandus dans les provinces, on ne trouve point qu'il y soit mention de la voie d'appel, mais seulement d'accusation de fausseté de jugemens & de duel ou gages de bataille pour prouver cette accusation ; ensorte que si les baillis s'entremettoient de la justice en parcourant les provinces, c'étoit officio judicis.

Il est parlé de l'accusation de fausseté du jugement dans une ordonnance de S. Louis, faite au parlement de la chandeleur en 1260, & insérée en ses établissemens, liv. I. ch. vj. qui porte art. 8. que si aucun veut fausser le jugement au pays où il appartient, que jugement soit faussé (ce pays étoit sans-doute le pays coûtumier), il n'y aura point de bataille ; mais que les clains ou actions, les respons, c'est-à-dire les défenses & les autres destrains de plet, seront apportés en la cour, que selon les erremens du plet on fera dépecier le jugement ou tenir, & que celui qui sera trouvé en son tort, l'amendera selon la coûtume de la terre.

Selon Beaumanoir, dans le chap. lxvij. de ses coûtumes de Beauvaisis, pag. 337. à la fin, il étoit deux manieres de fausser le jugement, desquels lieux des appiaux, c'est-à-dire appels, se devoient mener par gages ; c'étoit quand l'on ajoûtoit avec l'appel VILAIN CAS : l'autre se devoit demener par ERREMENS, sur quoi li jugement avoit été fait. Ne pourquant se len appelloit de faux jugemens des hommes qui jugeoient en la cour le comte, & li appellieres (l'appellant) ne mettoit en son appel VILAIN CAS, il étoit au choix de cheluy contre qui l'on vouloit fausser jugement, de faire le jugement par gages devant le comte & devant son conseil, &c.

On voit par ce que dit cet auteur, que les jugemens se faussoient, ou par défaut de droit, ou deni de justice, c'est-à-dire lorsqu'ils n'étoient pas rendus juridiquement, ou parce qu'ils étoient faussement rendus. Celui qui prenoit cette derniere voie devoit, comme dit Pierre de Fontaines en son conseil, chap. xxij. art. 19. prendre le seigneur à partie en lui disant : je fausse le mauvais jugement que vous m'avez fait par loyer que vous en avez eu ou promesse, &c.

Beaumanoir dit encore à ce sujet, pag. 315. que les appels qui étoient faits par défaut de droit, ne devoient être demenés par gages de bataille, mais par montrer raisons, parquoi le défaute de droit fut clair, & que ces raisons convenoit il averer par tesmoins loyaux si elles étoient niées de celui qui étoit appellé de defaute de droit : mais que quand les tesmoins venoient pour témoigner en tel cas, de quelque partie que ils vinssent, ou pour l'appellant ou pour celui qui étoit appellé, celui contre qui ils vouloient témoigner pouvoit, si il lui plaisoit, lever le second temoin & lui mettre sus que il étoit faux & parjure, & qu'ainsi pouvoient bien naître gages de l'appel qui étoit fait sur défaut de droit, &c.

L'accusation de fausseté contre le jugement, étoit une espece d'appellation interjettée devers le seigneur lorsque le jugement étoit faussé contre les jugeurs ; & dans ce cas le seigneur étoit tenu de nommer d'autres juges : mais si le seigneur lui-même étoit pris à partie, alors c'étoit une appellation à la cour supérieure.

On ne pouvoit fausser le jugement rendu dans les justices royales. A l'égard de ceux qui étoient émanés des justices seigneuriales, il falloit fausser le jugement le jour même qu'il avoit été rendu. C'est sans-doute par une suite de cet usage que l'on étoit autrefois obligé d'appeller illicò.

Celui qui étoit noble devoit fausser le jugement ou le reconnoître bon ; s'il le faussoit contre le seigneur, il devoit demander à le combattre & renoncer à son hommage. S'il étoit vaincu, il perdoit son fief : si au contraire il avoit l'avantage, il étoit mis hors de l'obéissance de son seigneur.

Il n'étoit pas permis au roturier de fausser le jugement de son seigneur ; s'il le faussoit, il payoit l'amende de sa loi ; & si le jugement étoit reconnu bon, il payoit en outre l'amende de 60 sous au seigneur, & une pareille amende à chacun des nobles ou possesseurs des fiefs qui avoient rendu le jugement.

Les regles que l'on suivoit dans cette accusation, sont ainsi expliquées dans différens chapitres des établissemens de S. Louis.

Defontaines, cha. xiij. & xxiij. dit, que si aucun est qui a fait faux jugement en court, il a perdu repons. Voyez M. Ducange, sur les établissemens de S. Louis, p. 162. (A)


FAUSSETS. m. (Musique) est cette espece de voix, par laquelle un homme sortant, à l'aigu, du diapason de sa voix naturelle, imite celle de femme. Un homme fait à-peu-près, quand il chante le fausset, ce que fait un tuyau d'orgue quand il octavie. (S)

FAUSSET, s. m. est un terme d'Ecriture ; il se dit du bec d'une plume lorsqu'il se termine à-peu-près en pointe ; cette sorte de plume est excellente dans l'expédition.


FAUSSETÉS. f. (Morale) le contraire de la vérité. Ce n'est pas proprement le mensonge, dans lequel il entre toûjours du dessein. On dit qu'il y a eu cent mille hommes écrasés dans le tremblement de terre de Lisbonne, ce n'est pas un mensonge, c'est une fausseté. La fausseté est presque toûjours encore plus qu'erreur. La fausseté tombe plus sur les faits ; l'erreur sur les opinions. C'est une erreur de croire que le soleil tourne autour de la terre ; c'est une fausseté d'avancer que Louis XIV. dicta le testament de Charles II. La fausseté d'un acte est un crime plus grand que le simple mensonge ; elle designe une imposture juridique, un larcin fait avec la plume.

Un homme a de la fausseté dans l'esprit, quand il prend presque toûjours à gauche ; quand ne considérant pas l'objet entier, il attribue à un côté de l'objet ce qui appartient à l'autre, & que ce vice de jugement est tourné chez lui en habitude. Il a de la fausseté dans le coeur, quand il s'est accoûtumé à flater & à se parer des sentimens qu'il n'a pas ; cette fausseté est pire que la dissimulation, & c'est ce que les Latins appelloient simulatio. Il y a beaucoup de fausseté dans les Historiens, des erreurs chez les Philosophes, des mensonges dans presque tous les écrits polémiques, & encore plus dans les satyriques. Voy. CRITIQUE. Les esprits faux sont insupportables, & les coeurs faux sont en horreur. Article de M. DE VOLTAIRE.


FAUSSURESS. f. terme de Fondeur ; c'est ainsi qu'on appelle l'endroit de la surface extérieure & inférieure d'une cloche où elle cesse de suivre la même convexité. Les faussures d'une cloche ont ordinairement un corps d'épaisseur, ou le tiers du bord de la cloche.

On les appelle faussures, parce que c'est sur cette circonférence de la cloche que se réunissent les arcs de différens cercles dont la courbure extérieure de la cloche est formée ; courbure qui par cette raison n'est pas une ligne homogene & continue.


FAUTE(Jurisprud.) en Droit, est une action ou omission faite mal-à-propos, soit par ignorance, ou par impéritie, ou par négligence.

La faute differe du dol, en ce que celui-ci est une action commise de mauvaise foi, au lieu que la faute consiste le plus souvent dans quelqu'omission & peut être commise sans dol : il y a cependant des actions qui sont considérées comme des fautes ; & il y a telle faute qui est si grossiere qu'elle approche du dol, comme on le dira dans un moment.

Il y a des contrats où les parties sont seulement responsables de leur dol, comme dans le déport volontaire & dans le précaire : il y en a d'autres où les contractans sont aussi responsables de leurs fautes, comme dans le mandat, dans le commodat ou prêt à usage, dans le prêt appellé mutuum, la vente, le gage, le loüage, la dotation, la tutele, l'administration des affaires d'autrui.

C'est une faute de ne pas apporter dans une affaire tout le soin & la diligence qu'on devoit, de faire une chose qui ne convenoit pas, ou de n'en pas faire une qui étoit nécessaire, ou de ne la pas faire en tems & lieu ; c'est pareillement une faute d'ignorer ce que tout le monde sait ou que l'on doit savoir, de sorte qu'une ignorance de cette espece, & une impéritie caractérisée, est mise au nombre des fautes.

Mais ce n'est pas par le bon ou le mauvais succès d'une affaire, que l'on juge s'il y a faute de la part des contractans ; & l'on ne doit pas imputer à faute ce qui n'est arrivé que par cas fortuit, pourvû néanmoins que la faute n'ait pas précédé le cas fortuit.

On ne peut pareillement taxer de faute, celui qui n'a fait que ce que l'on a coûtume de faire, & qui a apporté tout le soin qu'auroit eu le pere de famille le plus diligent.

L'omission de ce que l'on pouvoit faire n'est pas toûjours réputée une faute, mais seulement l'omission de ce que la loi ordonne de faire, & que l'on a négligé volontairement ; de sorte que si l'on a été empêché de faire quelque chose, soit par force majeure ou par cas fortuit, on ne peut être accusé de faute.

On divise les fautes, en faute grossiere, legere, & très-legere, lata, levis, & levissima culpa.

La faute grossiere, lata culpa, consiste à ne pas observer à l'égard d'autrui, ce que l'homme le moins attentif a coûtume d'observer dans ses propres affaires, comme de ne pas prévoir les évenemens naturels qui arrivent communément, de s'embarquer par un vent contraire, de surcharger un cheval de loüage ou de lui faire faire une course forcée, de serrer ou moissonner en tems non opportun. Cette faute ou négligence grossiere est comparée au dol, parce qu'elle est dolo proxima, c'est-à-dire qu'elle contient en soi une présomption de fraude, parce que celui qui ne fait pas ce qu'il peut faire, est reputé agir par un esprit de dol.

Cependant celui qui commet une faute grossiere n'est pas toûjours de mauvaise foi ; car il peut agir ainsi par une erreur de droit croyant bien faire ; c'est pourquoi on fait prêter serment en justice sur le dol, & non pas sur la faute.

Dans les matieres civiles, on applique communément à la faute grossiere la même peine qu'au dol ; mais il n'en est pas de même en matiere criminelle, sur-tout lorsqu'il s'agit de peine corporelle.

La faute legere qu'on appelle aussi quelquefois faute simplement, est l'omission des choses qu'un pere de famille diligent a coûtume d'observer dans ses affaires.

La faute très-legere, est l'omission du soin le plus exact, tel que l'auroit eu le pere de famille le plus diligent.

La peine de la faute legere & de la faute très-legere ne consiste qu'en dommages & intérêts ; encore y a-t-il des cas où ces sortes de fautes ne sont pas punies, par exemple, dans le prêt à usage appellé commodatum, lorsqu'il n'est fait que pour faire plaisir à celui qui prête : on ne les considere pas non plus dans le précaire, & dans le gage on n'est pas tenu de la faute très-legere.

On impute néanmoins la faute très-legere à celui qui a été diligent pour ses propres affaires, & qui pouvoit apporter le même soin pour celles d'autrui.

En matiere de dépôt on distingue. S'il a été fait en faveur de celui auquel appartient le dépôt, alors par l'action de dépôt appellée contraire, le déposant est tenu de la faute la plus legere ; & si le dépositaire s'est offert volontairement de se charger du dépôt, il est pareillement tenu de la faute la plus legere : mais s'il ne s'est pas offert, il est seulement tenu de la faute grossiere & de la faute legere : si le dépôt a été fait en faveur du dépositaire seulement, alors le dépositaire contre lequel il y a action directe est tenu de la faute la plus legere ; s'il n'y a contre lui que l'action appellée contraire, il est seulement tenu de la faute grossiere ; si le dépôt a été fait en faveur des deux parties, le dépositaire n'est tenu que de la faute legere.

Dans le mandat qui est fait en faveur du mandant, lorsqu'il s'agit de l'action directe, & que le mandat n'exigeoit aucune industrie, ou du moins fort peu, en ce cas on n'impute au mandataire que le dol & la faute grossiere, de même qu'au dépositaire. Si le mandat demande quelqu'industrie, comme d'acheter ou vendre, &c. alors le mandataire est tenu non-seulement du dol & de la faute grossiere, mais aussi de la faute legere. Enfin si le mandat exige le soin le plus diligent, le mandataire étant censé s'y être engagé est tenu de la faute la plus legere, comme cela s'observe pour un procureur ad lites ; & par l'action contraire le mandant est aussi tenu de la faute la plus legere.

Le tuteur & celui qui fait les affaires d'autrui, sont tenus seulement du dol de la faute grossiere & legere.

Dans le précaire on distingue ; celui qui tient la chose, n'est tenu que du dol & de la faute grossiere jusqu'à ce qu'il ait été mis en demeure de rendre la chose ; mais depuis qu'il a été mis en demeure de rendre la chose, il est tenu de la faute legere.

Pour ce qui est des contrats innommés, pour savoir de quelle sorte de faute les parties sont tenues, on se regle eu égard à ce qui s'observe pour les contrats nommés, auxquels ces sortes de contrats ont le plus de rapport.

En fait d'exécution des dernieres volontés d'un défunt, si l'héritier testamentaire retire moins d'avantage du testament que les légataires ou fidei-commissaires, en ce cas il n'est tenu envers eux que du dol & de la faute grossiere : si au contraire il retire un grand avantage du testament, & que les autres en ayent peu, il est tenu envers eux de la faute très-legere ; si l'avantage est égal, il n'est tenu que des fautes legeres.

En matiere de revendication, le possesseur de bonne foi n'est pas responsable de sa négligence, au lieu que le possesseur de mauvaise foi en est tenu.

Dans l'action personnelle intentée contre un débiteur qui est en demeure de rendre ce qu'il doit, il est tenu de sa négligence, soit par rapport à la chose ou par rapport aux fruits. Voyez l. contract. ff. de reg. jur. l. 213. 223. & 226. ff. de verb. signif. l. socius. ff. pro socio ; & Gregor. Tolos. in syntagm. juris univ. lib. XXI. cap. xj. (A)

FAUTE, (Hydr.) Les fautes sont inévitables, soit dans les conduites ou tuyaux qui amenent les eaux, soit dans les bassins & pieces d'eau, & il n'est souvent pas aisé d'y remédier. Quand les tuyaux conduisent des eaux forcées, la faute se découvre d'elle-même par la violence de l'eau ; mais dans les eaux roulantes ou de décharge, il faut quelquefois découvrir toute une conduite pour connoître la faute : on remet alors de nouveaux tuyaux ; on les soude, on les mastique, suivant leur nature. Le moyen de connoître une faute dans un bassin de glaise, est de mettre sur l'eau une feuille d'arbre, de la paille, ou du papier, & de suivre le côté où elle se rend. On y fait ouvrir le corroi ; on remanie les glaises, & pour les raccorder avec les autres, on les coupe en marches ou par étages, & jamais en ligne droite, ce qui feroit perdre l'eau. (K)


FAUTEUILS. m. chaise à bras avec un dossier. Voy. l'article CHAISE. Les simples chaises sont beaucoup moins d'usage dans les appartemens que les fauteuils. On a relégué les chaises dans les jardins, les antichambres, les églises, &c.

FAUTEUIL, (droit de) Police mil. c'étoit un droit arbitraire & d'usage, plus ou moins fort suivant les lieux, que les états-majors des places de guerre en France s'arrogeoient à titre d'émolumens sur chacun des régimens ou bataillons qui composoient leur garnisons, pour raison de l'entretien des fauteuils dans le corps-de-garde des officiers : les capitaines de chaque corps y contribuoient également, & la somme s'en repartissoit entre tous les officiers de l'état-major, suivant leurs grades ; mais le Roi ayant jugé ce droit, & plusieurs autres de même nature, abusif & trop onéreux aux capitaines, dont ils chargeoient les appointemens, en défendit l'exaction par son ordonnance du 25 Juin 1750, concernant le service des places.

Cette disposition essuie le sort de beaucoup d'autres de la même ordonnance ; on s'y soûmet dans quelques places, on y contrevient dans d'autres.

La France est le pays du monde qui possede les plus beaux reglemens & les plus sages, sur toutes les parties d'administration ; ils annoncent le zele, l'équité, & les lumieres des ministres & magistrats qui les ont conçus & rédigés ; tous les cas y sont prévus, toutes les difficultés résolues : il ne leur manque que l'exécution. Cet article est de M. DURIVAL le jeune.


FAUVEBÊTE-FAUVE, (Vénerie) On comprend sous cette détermination le cerf, le daim, & le chevreuil. Voyez l'article GIBIER.


FAUVETTES. f. (Hist. nat. Ornitholog.) curruca. Cet oiseau est presque aussi gros que la farlouse ou la gorge rouge ; son bec est mince, allongé & noir ; sa langue est fourchue, dure, tendineuse & noire à l'extrémité ; les narines sont oblongues ; l'iris des yeux est couleur de noisette ; les oreilles sont grandes & couvertes ; les plumes des épaules & du dessus du dos sont noires dans le milieu autour du tuyau, & de couleur rousse sur les bords : la tête & le cou sont un peu cendrés avec des taches au milieu des plumes qui sont plus foncées ; le bas du dos & le croupion sont de couleur jaunâtre avec une teinte de verd sans aucune tache noire ; les grandes plumes des aîles sont brunes, à l'exception des bords extérieurs qui sont roussâtres ; les plumes intérieures du second rang, ont chacune à la pointe deux petites taches de couleur blanchâtre ; les plus petites plumes des aîles sont de la même couleur que les plumes du dos ; la premiere grande plume est très-courte ; la queue a environ deux pouces de longueur ; elle est entierement brune ; le dessous de l'oiseau est de couleur cendrée, cependant le ventre est un peu blanchâtre ; & dans quelques individus, cette couleur est plus grise, & même plombée ; les jambes & les pattes sont de couleur de chair jaunâtre ; les ongles sont bruns ; le doigt de derriere est le plus gros & le plus long ; le doigt extérieur tient au doigt du milieu à sa naissance, comme dans les autres petits oiseaux. Celui-ci niche dans les haies ; il donne aisément dans toute sorte de piéges. Willugb. Ornit.

FAUVETTE A TETE NOIRE, atricapilla seu ficedula, Ald. oiseau qui est très-petit, & qui a le sommet de la tête noir, comme son nom le désigne. Le cou est de couleur cendrée, & le dos d'un vert foncé ; la poitrine a une couleur cendrée pâle ; le ventre est d'un blanc jaunâtre ; le bec noir, & plus mince que celui de la mesange ; les piés sont d'une couleur livide. Ray, synop. meth. avium. pag. 79. Voyez OISEAU. (I)

FAUX, adj. terme d'Arithmétique & d'Algebre. Il y a, en Arithmétique, une regle appellée regle de fausse position, qui consiste à calculer, pour la résolution d'une question, des nombres faux pris à volonté, comme si c'étoit des nombres propres à la résoudre, & à déterminer ensuite, par les différences qui en résultent, les vrais nombres cherchés.

Les regles de fausse position, où l'on ne fait qu'une seule supposition, sont appellées regles de fausse position simple, & celles dans lesquelles on fait deux fausses suppositions, s'appellent regles de fausse position double ou composée.

Exemple d'une regle de fausse position simple.

Trouver un nombre dont la moitié, le tiers, & le quart, fassent 26.

Suivant l'esprit de la regle de fausse position, prenons au hasard un nombre quelconque, tel cependant que l'on puisse en avoir exactement la moitié, le tiers, & le quart : par exemple 12, dont la moitié est 6, le tiers 4, & le quart 3, lesquelles quantités additionnées ne font que 13, fort différent de 26 ; mais dites par une regle de trois : Si 13 sont provenus de 12, d'où 26 doivent-ils provenir ? En faisant la regle, vous trouverez 24, dont effectivement la moitié 12, le tiers 8, & le quart 6, donnent 26 pour somme.

Ce problème peut évidemment se résoudre encore par l'Algebre, en faisant cette équation x /2 + x /3 + x /4 = 26 (voyez EQUATION). D'où l'on tire (12 x + 8 x + 6 x)/24 = 26, & (26 x)/24 = 26, ou x = 24. Mais alors il n'y a plus de fausse position.

Pour les regles de fausse position composée, il est beaucoup plus simple de résoudre par l'Algebre les problèmes qui s'y rapportent.

Exemple. Un particulier a pris un ouvrier pour trente jours, à condition de lui donner 30 sous chaque jour qu'il travailleroit, & de rabattre sur le gain de son travail autant de fois 10 sous, qu'il seroit de jours sans travailler. Au bout du mois l'ouvrier a reçu 25 liv. ou 500 sous. On demande combien il a travaillé de jours ?

Résolution. Appellons x le nombre des jours de travail, 30 - x exprimera le nombre des jours de repos. Ainsi, comme l'ouvrier est supposé gagner 30 sous par jour, 30 x sera le revenu des jours de son travail ; & 30 - x x 10 ou 300 - 10 x sera la quantité de sous que doit perdre l'ouvrier pour les jours où il n'aura pas travaillé ; il faut donc la retrancher de la quantité de sous qu'il devroit recevoir pour ses jours de travail ; & cette soustraction doit lui laisser 25 liv. ou 500 sous, suivant une des conditions du problème : c'est donc à dire qu'il faut ôter 300 - 10 x de 30 x pour avoir 500 sous ; on a donc cette équation 30 x - 300 + 10 x, ou 40 x - 300 = 500 ; ainsi 40 x = 800 ; donc x = 800/40 = 20 : ce qui signifie que l'ouvrier a travaillé vingt jours ; & qu'il n'a rien fait les dix autres. En effet vingt jours de travail à 30 sous par jour font 30 liv. desquelles ôtant 5 liv. pour les dix jours où il n'a point travaillé, il reste 25 liv. Les nombres 20 & 10 satisfont donc aux conditions proposées ; ainsi le problème est résolu. Voyez POSITION.

Il y a aussi, en Algebre, des racines fausses que l'on appelle autrement négatives ; ce sont celles qui sont affectées du signe -. Voyez NEGATIF, RACINE, UATIONTION. (E)

FAUX, adj. pris subst. (Jurisprud.) ce terme pris comme adjectif, se dit de quelque chose qui est contraire à la vérité ; par exemple, un fait faux, une écriture fausse ; ou bien de ce qui est contraire à la loi, comme un faux poids, une fausse mesure.

Lorsque ce même terme est pris pour substantif, comme quand on dit un faux, on entend par-là le crime de faux, lequel pris dans sa signification la plus étendue, comprend toute supposition frauduleuse, qui est faite pour cacher ou altérer la vérité au préjudice d'autrui.

Le crime de faux se commet en trois manieres ; savoir, par paroles, par des écritures, & par des faits sans paroles ni écritures.

1°. Il se commet par paroles, par les parjures ; qui font de faux sermens en justice, & autres qui font sciemment de fausses déclarations, tels que les stellionataires, les témoins qui déposent contre la vérité, soit dans une enquête, information, testament, contrat, ou autre acte, & les calomniateurs qui exposent faux dans les requêtes qu'ils présentent aux juges, ou dans les lettres qu'ils obtiennent du prince.

L'exposition qui est faite sciemment de faits faux, ou la réticence de faits véritables, est ce qu'on appelle en style de chancellerie obreption & subreption ; cette sorte de fausseté est mise au nombre de celles qui se commettent par paroles, quoique les faits soient avancés dans des requêtes ou dans des lettres du prince, qui sont des écritures, parce que ces requêtes ou lettres, en elles-mêmes, ne sont pas fausses, mais seulement les paroles qui y sont écrites, c'est pourquoi l'on ne s'inscrit pas en faux contre une enquête, quoiqu'il s'y trouve quelque déposition qui contienne des faits contraires à la vérité, on s'inscrit seulement en faux contre la déposition, c'est-à-dire contre les faits qu'elle contient. V. AFFIRMATION, CALOMNIATEUR, FAUX TEMOIN, DEPOSITION, PARJURE, SERMENT, STELLIONATAIRE, TEMOIN.

On doit aussi bien distinguer le faux qui se commet par paroles d'avec le faux énoncé ; le premier suppose qu'il y a mauvaise foi, & est un crime punissable ; au lieu qu'un simple faux énoncé, peut être commis par erreur & sans mauvaise foi.

2°. Le crime de faux se commet par le moyen de l'écriture, par ceux qui fabriquent de faux jugemens, contrats, testamens, obligations, promesses, quittances, & autres pieces, soit qu'on leur donne la forme d'actes authentiques, ou qu'elles soient seulement sous seing-privé, en contrefaisant les écritures & signatures des juges, greffiers, notaires, & autres personnes publiques, & celles des témoins & des parties.

Les personnes publiques ou privées qui suppriment les actes étant dans un dépôt public, tels que les jugemens, des contrats, testamens, &c. pour en ôter la connoissance aux parties intéressées, sont coupables du même crime de faux.

Ceux qui alterent une piece véritable, soit en y ajoûtant après coup quelques mots ou quelques clauses, ou en effaçant quelques mots ou des lignes entieres, ou en faisant quelqu'autre changement, soit dans le corps de la piece, soit dans sa date, commettent aussi un faux de même espece.

Enfin ceux qui, en passant des actes véritables, les antidatent au préjudice d'un tiers, commettent encore un faux par écrit.

3°. Le crime de faux se commet par fait ou action en plusieurs manieres, sans que la parole ni l'écriture soient employées à cet effet ; savoir, par ceux qui vendent ou achetent à faux poids ou à fausse mesure (voyez POIDS & MESURES) ; ceux qui alterent & diminuent la valeur de l'or & de l'argent par le mélange d'autres métaux ; ceux qui fabriquent de la fausse monnoie, ou qui alterent la véritable (voyez MONNOYER) ; ceux qui contrefont les sceaux du prince ou quelqu'autre scel public & authentique. Voyez SCEAUX.

Ceux qui par divers contrats, vendent une même chose à différentes personnes, étoient regardés comme faussaires, suivant la loi 22 ff. ad leg. cornel. mais parmi nous ce crime est puni comme stellionat, & non comme un faux proprement dit.

Les femmes & autres personnes qui supposent des enfans, & généralement tous ceux qui supposent une personne pour une autre ; ceux qui prennent le nom & les armes d'autrui, des titres, & autres marques d'honneur qui ne leur appartiennent point, commettent un faux. Tels furent chez les anciens un certain Equitinus qui s'annonçoit comme fils de Graccus, & cet autre qui chez les Parthes se faisoit passer pour Néron : tels furent aussi certains imposteurs fameux, dont il est fait mention dans notre histoire, l'un qui se faisoit passer pour Fréderic II. un autre qui se donnoit pour Baudoüin de Flandre empereur Grec ; le nommé la Ramée qui se disoit fils naturel de Charles IX. qui avoit été à Reims pour se faire sacrer roi, & qui fut pendu à Paris en 1596, &c.

La fabrication des fausses clés est aussi une espece de faux, & même un crime capital. Voyez CLE & SERRURIER.

Quoique toutes ces différentes sortes de délits soient comprises sous le terme de faux, pris dans un sens étendu, néanmoins quand on parle de faux simplement, ou du crime de faux, on n'entend ordinairement que celui qui se commet en fabriquant des pieces fausses, ou en supprimant ou altérant des pieces véritables ; dans ces deux cas, le faux se poursuit par la voie de l'inscription de faux, soit principal ou incident (voyez INSCRIPTION DE FAUX) ; pour ce qui est de la suppression des pieces véritables, la poursuite de ce crime se fait comme d'un vol ou larcin.

Il est plus aisé de contrefaire des écritures privées, que des écritures authentiques, parce que dans les premieres, il ne s'agit que d'imiter l'écriture d'un seul homme, & quelquefois sa signature seulement ; au lieu que pour les actes authentiques, il faut souvent contrefaire la signature de plusieurs personnes, comme celle des deux notaires, ou d'un notaire & deux témoins, & de la partie qui s'oblige : d'ailleurs il y a ordinairement des minutes de ces sortes d'actes, auxquelles on peut avoir recours.

On peut fabriquer une piece fausse, sans contrefaire l'écriture ni la signature de personne, en écrivant une promesse ou une quittance au-dessus d'un blanc-signé qui auroit été surpris, ou qui étoit destiné à quelqu'autre usage.

Il y a des faussaires qui ont l'art d'enlever l'écriture sans endommager le papier, au moyen de quoi, ne laissant subsister d'un acte véritable que les signatures, ils écrivent au-dessus ce qu'ils jugent à-propos ; ce qui peut arriver pour des actes authentiques, comme pour des écrits sous seing-privé.

Le faux qui se commet en altérant des pieces qui sont véritables dans leur substance, se fait en avançant ou reculant frauduleusement la date des actes, ou en y ajoûtant après coup quelque chose, soit au bout des lignes, ou par interligne, ou par apostille & renvoi, ou dessus des paraphes & signatures, ou avec des paraphes contrefaits, ou en rayant après coup quelque chose, & surchargeant quelques mots, sans que ces changemens ayent été approuvés de ceux qui ont signé l'acte. Voyez APOSTILLE, RENVOI, PARAPHE, SIGNATURE, INTERLIGNE.

La preuve du faux se fait tant par titres que par témoins ; & si c'est une écriture ou signature qui est arguée de fausseté, on peut aussi avoir recours à la vérification par experts, & à la preuve par comparaison d'écritures.

Les indices qui servent à reconnoître la fausseté d'une écriture, sont lorsqu'il paroît quelque mot ajoûté au bout des lignes, ou quelque ligne ajoûtée entre les autres ; lorsque les ratures sont chargées de trop d'encre, de maniere que l'on ne peut lire ce que contenoient les mots rayés ; lorsque les additions sont d'encre & de caractere différens du reste de l'acte ; & autres circonstances semblables.

La loi Cornelia de falsis, qui fait le sujet d'un titre au digeste, fut publiée à l'occasion des testamens : c'est pourquoi Cicéron & Ulpien, en quelques endroits de leurs ouvrages, l'appellent aussi la loi testamentaire. La premiere partie de cette loi concernoit les testamens de ceux qui sont prisonniers chez les ennemis ; la seconde partie avoit pour objet de mettre ordre à toutes les faussetés qui pouvoient être commises par rapport aux testamens ; soit en les tenant cachés, ou en les supprimant ; soit en les altérant par des additions ou ratures, ou autrement.

Cette même loi s'applique aussi à toutes les autres sortes de faussetés qui peuvent être commises, soit en supprimant des pieces véritables ; soit en falsifiant des poids & mesures ; soit dans la confection des actes publics & privés dans la fonction de juge, dans celle de témoin ; soit par la falsification des métaux, & singulierement de la monnoie ; soit enfin par la supposition de noms,, surnoms, & armes, & autres titres & marques usurpés indûement.

On regardoit aussi comme une contravention à cette loi, le crime de ceux qui sur un même fait rendent deux témoignages contraires, ou qui vendent la même chose à deux personnes différentes ; de ceux qui reçoivent de l'argent pour intenter un procès injuste à quelqu'un.

La peine du faux, suivant la loi Cornelia, étoit la déportation qui étoit une espece de bannissement, par lequel on assignoit à quelqu'un une île ou autre lieu pour sa demeure, avec défense d'en sortir à peine de la vie. On condamnoit même le faussaire à mort, si les circonstances du crime étoient si graves, qu'elles parussent mériter le dernier supplice.

Quelquefois on condamnoit le faussaire aux mines, comme on en usa envers un certain Archippus.

Ceux qui falsifioient les poids & les mesures étoient relégués dans une île.

Les esclaves convaincus de faux étoient condamnés à mort.

En France, suivant l'édit de François premier du mois de Mars 1531, tous ceux qui étoient convaincus d'avoir fabriqué de faux contrats, ou porté faux témoignage, devoient être punis de mort : mais Louis XIV. par son édit du mois de Mars 1680, registré au parlement le 24 Mai suivant, a établi une distinction entre ceux qui ont commis un faux dans l'exercice de quelque fonction publique, & ceux qui n'ont point de fonction semblable, ou qui ont commis le faux hors les fonctions de leur office ou emploi. Les premiers doivent être condamnés à mort, telle que les juges l'arbitreront, selon l'exigence des cas. A l'égard des autres, la peine est arbitraire ; ils peuvent néanmoins aussi être condamnés à mort, selon la qualité du crime. Ceux qui imitent, contrefont, ou supposent quelqu'un des sceaux de la grande ou petite chancellerie, doivent être punis de mort.

Pour la punition du crime de fausse monnoie, voy. MONNOIE.

Faux incident, est l'inscription de faux qui est formée contre quelque piece, incidemment à une autre contestation où cette piece est opposée ; soit que la cause se traite à l'audience, ou que l'affaire soit appointée.

L'objet du faux incident est de détruire & faire déclarer fausse ou falsifiée une piece que la partie adverse a fait signifier, communiquée ou produite.

Cette inscription de faux est appellée faux incident, pour la distinguer du faux principal, qui est intenté directement contre quelqu'un avec qui l'on n'étoit point encore en procès, pour aucun objet qui eût rapport à la piece qui est arguée de faux.

La poursuite du faux incident peut être faite devant toutes sortes de juges, soit royaux, seigneuriaux, ou d'église, qui se trouvent saisis du fond de la contestation ; & l'inscription de faux doit être instruite avant de juger le fond.

L'inscription de faux peut être reçue, quand même les pieces auroient déjà été vérifiées avec le demandeur en faux, & qu'il seroit intervenu un jugement sur le fondement de ces pieces, pourvû qu'il ne fût pas alors question du faux principal ou incident de ces mêmes pieces.

La requête en faux incident ne peut être reçue, qu'elle ne soit signée du demandeur ou de son fondé de procuration spéciale. Il faut aussi attacher à la requête la quittance de l'amende, que le demandeur doit consigner. Cette amende est de soixante livres dans les cours & autres siéges ressortissans nuement aux cours, & de 20 livres dans les autres siéges.

Quand la requête est admise, le demandeur doit former son opposition de faux au greffe dans trois jours, & sommer le défendeur de déclarer s'il entend se servir de la piece arguée de faux.

Si le défendeur refuse de faire sa déclaration, le demandeur peut se pourvoir pour faire rejetter la piece du procès ; si au contraire le défendeur déclare qu'il entend se servir de la piece, elle doit être mise au greffe ; & s'il y en a minute, on peut en ordonner l'apport ; & trois jours après la remise des pieces, on dresse procès-verbal de l'état de ces pieces.

Le rejet de la piece arguée de faux, ne peut être ordonné que sur les conclusions du ministere public ; & lorsqu'elle est rejettée par le fait du défendeur, le demandeur peut prendre la voie du faux principal, sans néanmoins retarder le jugement de la contestation à laquelle le faux étoit incident.

Les moyens de faux doivent être mis au greffe trois jours après le procès-verbal.

Si les moyens sont trouvés pertinens & admissibles, le jugement qui intervient porte qu'il en sera informé tant par titres que par témoins, comme aussi par experts & par comparaison d'écritures & signatures, selon que le cas le requiert.

Au cas que le demandeur en faux succombe, il doit être condamné en une amende, applicable les deux tiers au roi ou au seigneur, l'autre tiers à la partie ; & cette amende, y compris les sommes consignées lors de l'inscription de faux, est de 300 livres dans les cours & aux requêtes de l'hôtel & du palais ; de 100 livres aux siéges qui ressortissent nuement aux cours, & aux autres de 60 livres. Les juges peuvent aussi augmenter l'amende, selon les cas.

Lorsque la piece est déclarée fausse, l'amende est rendue au demandeur.

La procédure qui doit être observée dans cette matiere, est expliquée plus au long dans l'ordonnance de 1737. (A)

FAUX, adj. & adv. en Musique, est opposé à juste. On chante faux ce qui arrive souvent à l'opera, quand on n'entonne pas les intervalles dans leur justesse. Il en est de même du jeu des instrumens.

Il y a des gens qui ont naturellement l'oreille fausse, ou, si l'on veut, le gosier ; de sorte qu'ils ne sauroient jamais entonner juste aucun intervalle. Quelquefois aussi on chante faux, seulement faute d'habitude, & pour n'avoir pas l'oreille encore formée à l'harmonie. Pour les instrumens, quand les tons en sont faux, c'est que l'instrument est mal construit, les tuyaux mal proportionnés, ou que les cordes sont fausses, ou qu'elles ne sont pas d'accord ; que celui qui en joue touche faux, ou qu'il modifie mal le vent ou les levres. (S)

FAUX, (Manege) terme généralement employé parmi nous, à l'effet d'exprimer tout défaut de justesse & toute action non-mesurée, soit du cavalier, soit du cheval. Voy. JUSTESSE, MANEGE. Vos mouvemens sont faux ; ils ne sont pas d'accord avec ceux du cheval, & lui en suggerent qui sont totalement desordonnés. Ce cheval, quelque brillant qu'il paroisse aux yeux de l'ignorant, manie faux, sans précision ; il est hors de toute harmonie. Malheureusement pour les progrès de notre art, il n'en est que trop qui en imposent à de semblables yeux par la vivacité de leur action ; & ces yeux sont en trop grand nombre, pour ne pas laisser des doutes sur les réputations les mieux fondées en apparence. Ce cheval est parti faux, il est faux ; expressions plus particulierement usitées, lorsqu'il s'agit d'un cheval que l'on part au galop, ou qui galope. Il est dit faux, lorsque dans le manege sa jambe gauche entame à main droite, & sa jambe droite à main gauche ; ou lorsque, hors du manege & dans un lieu non-fixé & non-resserré, la jambe droite n'entame pas toûjours. Cette derniere maxime n'a eu force de loi parmi nous, qu'en conséquence de la confiance aveugle avec laquelle nous recevons comme principes, de fausses opinions, qui n'ont sans-doute regné pendant des siecles entiers, que par l'espece singuliere de voeu qu'il semble que nous ayons fait de tout croire & de tout adopter sans réflexion, sans examen, & sans en appeller à notre raison. Voyez GALOP, MANEGE. (e)

FAUX, en termes de Blason, se dit des armoiries qui ont couleur sur couleur, ou métal sur métal.

FAUX, (à la Monnoie). On se rend coupable de faux, en fait de monnoyages, en fabriquant des pieces fausses par un alliage imitant l'or, l'argent, ou le billon ; en altérant les especes, ou les répandant au public : ou tout monnoyeur fabriquant dans les hôtels, prend & vend des cisailles, grenailles, & quelqu'un les achetant quoique le sachant ; ou tout directeur de concert avec ses officiers, introduisant des especes de bas aloi : tous ces différens cas sont réputés même crime ; & ceux qui en sont convaincus, sont punis de mort.

* FAUX, (Pêche) c'est un instrument composé de trois ou quatre ains ou hameçons, qui sont joints ensemble par les branches, & entre lesquels est un petit saumon d'étain, & de la forme à-peu-près d'un hareng. Quand le pêcheur se trouve dans un lieu où les morues abondent, & qu'il voit qu'elles se refusent à la boîte ou à l'appât dont les ains sont amorcés, il se sert alors de la faux. Les poissons trompés prennent pour un hareng le petit lingot d'étain argenté & brillant, s'empressent à le mordre ; le pêcheur agitant continuellement sa faux, attrape les morues par où le hasard les fait accrocher. L'abus de cette pêche est sensible ; car il est évident que pour un poisson qu'on prend de cette maniere, on en blesse un grand nombre. Or on sait que si-tôt qu'un poisson est blessé jusqu'au sang, tous les autres le suivent à la piste, & s'éloignent avec lui. On doit par ces considérations défendre la pêche à la fouanne & autres semblables, le long des côtes.

Il y a une espece de chausse ou verveux qu'on appelle faux ; elle est composée de cerceaux assemblés & formant une espece de demi-ellipse ; les bouts en sont contenus par une corde qui sert de traverse ; autour de ce cordon est attaché un sac de rets, ou une chausse de huit à dix piés de long, à la volonté des pêcheurs. Lorsque la faux est montée, elle a environ cinq piés de hauteur dans le milieu, sur huit, dix, douze piés de longueur. Il faut être deux pêcheurs : chacun prend un bout de la faux, & en présente l'ouverture à la marée montante ou descendante, au courant d'une riviere ; & le mouvement du poisson, lorsqu'il a touché le filet, les avertit de le relever.

FAUX-ACCORD, voyez DISSONANCE.

FAUX-AVEU, est lorsqu'une partie pour avoir son renvoi, s'avoue sujet d'un autre que de son seigneur justicier, ou lorsque le vassal avoue un autre seigneur féodal que celui dont il releve. Voyez la coûtume de la Marche, art. 18, 196, & 198 ; Auxerre, art. 69. (A)

FAUX-BOIS, (Jardinage) branche d'arbre qui est crue dans un endroit où elle ne devoit pas naître selon les desirs du jardinier, & qui souvent devient plus grosse & plus longue que les autres branches de l'arbre, dont elle vole une partie de la nourriture.

Dans l'ordre naturel de la taille, les branches ne doivent venir que sur celles qui ont été raccourcies à la derniere taille ; elles doivent encore être fécondes & proportionnées dans leur jet : ainsi toutes les branches qui croissent hors de celles qui ont été taillées l'année précédente, toutes les branches qui étant venues, sont grosses où elles devroient être minces ; toutes les branches enfin qui ne donnent aucune marque de fécondité, sont des branches de faux-bois. 2°. L'ordre naturel des branches est que s'il y en a plus d'une, celle de l'extrémité soit plus grosse & plus longue que celle qui est immédiatement au-dessous, cette seconde plus que la troisieme, & ainsi de suite. Or toute branche qui ne suit pas cet ordre, est réputée branche de faux-bois. On conçoit donc qu'il faut détruire toutes les branches de faux-bois, à moins qu'on n'ait dessein de rajeunir l'arbre, & d'ôter toutes les vieilles branches pour ne conserver que la fausse ; ce qui est un cas fort rare. Voyez l'article BOIS. Article de M(D.J.)

FAUX-BOURDON, est une musique simple dont les notes sont presque toutes égales, & dont l'harmonie est toûjours syllabique, c'est-à-dire note contre note. C'est notre pleinchant, accompagné de plusieurs parties. Voyez CONTRE-POINT. (S)

FAUX-BOURG, s. m. (Géog.) c'est un terrein attenant une ville, & dont les habitans ont les mêmes priviléges & la même jurisdiction que ceux de la ville.

FAUX-BRILLANT, (Art oratoire) pensée subtile, trait d'esprit ou d'imagination, qui placé dans un ouvrage, dans un discours oratoire, étonne & surprend d'abord agréablement, mais qui par l'examen se trouve n'avoir ni justesse ni solidité.

On ne rencontre que trop de gens dans le monde aussi amoureux de ce clinquant, que le sont les ensans de l'oripeau dont on habille leurs poupées. Si ces gens-là en étoient crus, dit la Bruyere, ce seroit un défaut qu'un style châtié, net, & concis ; un tissu d'énigmes est une lecture qui les enleve ; les comparaisons tirées d'un fleuve dont le cours, quoique rapide, est égal & uniforme, ou d'un embrasement qui poussé par les vents, s'étend au loin dans une forêt où il consume les chênes & les pins, ne leur fournissent aucune idée de l'éloquence. Montrez-leur un feu grégeois, un éclair qui les ébloüisse, ils vous quittent du bon & du beau.

Gardons-nous bien de donner dans ce goût bizarre, sous prétexte que l'esprit d'exactitude & de raisonnement affoiblit les pensées, amortit le feu de l'imagination, & desseche le discours ; on ne parle, on écrit que pour être entendu, pour ne rien avancer que de vrai, de juste, de conséquent, & de convenable au sujet qu'on traite. Article de M(D.J.)

FAUX-CHASSIS, s. m. terme d'Opéra ; ce sont trois montans de bois quarrés, de quatre pouces de diametre, & de vingt-huit piés de long, joints ensemble en-haut & en-bas par deux pieces de bois de même calibre, & de la longueur de trois piés & demi. A la hauteur de huit piés, la moitié du faux-chassis est formée en échelle ; & l'autre moitié reste vuide. Dans la partie inférieure en-dessous, & à ses deux extrémités, sont deux poulies de cuivre ; & au-dessus, deux anneaux de fer.

Le faux-chassis est placé sur une plate-forme, à huit piés au-dessous du plancher du théatre. Sur cette plate-forme est une rainure ou coulisse, sur laquelle coule le faux-chassis ; il passe par la rainure ou coulisse qui est faite au plancher du théatre, & l'excede de vingt-un piés de hauteur.

A hauteur du théatre, à chacun des portans du faux-chassis, sont, du côté du parterre, des crochets de fer, sur lesquels on pose le chassis de décoration, & on l'assûre par en-haut avec une petite corde qui tient au chassis ; & qui est accrochée au faux-chassis.

Sur le côté opposé, on accroche les portans de lumiere (Voyez PORTANS) ; & la partie faite en échelle sert aux manoeuvres pour aller assûrer la décoration, & pour moucher les chandelles. Voyez CHANGEMENS, CHASSIS, COULISSE. (B)

FAUX-COMBLE, en Architecture, c'est le petit comble qui est au-dessus du brisé d'un comble à la mansarde. (P)

FAUX-COTE d'un vaisseau, (Marine) se dit du côté par lequel il cargue le plus. Voyez COTE. (Z)

FAUX-EMPLOI, (Jurisp.) Il y a faux-emploi quand dans la dépense d'un compte on a porté une somme pour des choses qui n'ont point été faites. L'ordonnance de 1667 tit. xxjx. art. 21. dit que si dans un compte il y a des erreurs, omissions de recette, ou faux-emploi, les parties pourront en former leur demande ou interjetter appel de la clôture du compte, & plaider leurs prétendus griefs en l'audience.

Le faux-emploi est différent du double emploi. Voyez DOUBLE EMPLOI. (A)

FAUX-ENONCE, (Jurispr.) c'est lorsque dans un acte on insere quelque fait qui n'est pas exact, soit que cela se fasse par erreur, ou par mauvaise foi. (A)

FAUX-ETAMBOT, s. m. (Marine) c'est une piece de bois appliqué sur l'étambot pour le renforcer. Voyez ETAMBOT. (Z)

FAUX-FEUX, s. m. (Marine) ce sont de certains signaux que l'on fait avec des amorces de poudre. Voyez SIGNAL. (Z)

FAUX-FOND, (Brasserie) c'est une partie de la cuve matiere, ou plusieurs planches de chêne coupées suivant le cintre de la cuve, percées de trous coniques à trois pouces les uns des autres ; de sorte que le trou de dessous est beaucoup plus large que celui de dessus. Les planches de ce fond sont dressées à plat-joint, & ne tiennent point les unes aux autres ; parce que lorsqu'on a fini de brasser, on les retire. Voyez l'article BRASSERIE.

FAUX-FRAIS, (Jurisprud.) sont des dépenses que les plaideurs font, sans espérance de les retirer, attendu qu'elles n'entrent point dans la taxe des dépens. (A)

FAUX-FUYANT, s. m. (Vénerie) c'est ce qu'on appelle une fente à pié dans le bois.

FAUX-GERME, s. m. (Physiol.) conception d'un foetus informe, imparfaite, & entierement défectueuse.

L'histoire naturelle de l'homme commençant à sa premiere origine, doit avoir pour principal l'instant de sa conception. On peut croire que l'homme, ainsi que tous les animaux, naît dans un oeuf, qui, par les sucs nourriciers, transmis de la matrice dans le cordon ombilical, donne au germe qu'il renferme un commencement de consistance au bout de quelques jours que cet oeuf a séjourné dans la matrice. Quelque tems après, la figure de l'homme est un peu plus apparente. Enfin après quatre ou six semaines de conception & d'accroissement perpétué, la figure humaine est tout-à-fait déterminée : on y distingue une conformation générale, des membres figurés, & des marques sensibles du sexe dont il est.

Si cependant ce bel ouvrage de la nature plus ou moins avancé, reçoit des troubles & des commotions trop fortes dès ses premiers jours d'arrangement ; que par exemple la seve nourriciere manque ou soit détournée du vrai germe avant qu'il ait acquis un commencement de solidité, de vrai germe il devient faux-germe, ses premiers linéamens s'effacent & se détruisent par le long séjour qu'il fait encore dans la matrice avant que d'être expulsé : cette congélation séminale flottante dans beaucoup plus d'eau qu'elle n'a de volume, se divise d'abord, puis elle se confond si bien dans les parties aqueuses, qu'on ne retrouve plus que de l'eau un peu louche dans le centre du faux-germe.

C'est donc dans ce point, que ce petit oeuf, régulier dans sa figure, transparent à-travers ses membranes, laissant appercevoir par sa diaphanéïté un petit corps louche dans le centre de ses eaux, change peu-à-peu, prend une figure informe, & mérite alors le nom de faux-germe.

La figure informe du faux-germe déterminée dès les premiers dérangemens du vrai germe, devient plus ou moins apparente & monstrueuse, selon le plus ou le moins de tems qu'il séjourne & qu'il vit, pour ainsi dire, dans la matrice ; les sucs nourriciers ne pouvant plus se transmettre au vrai germe, se fixent & s'arrêtent à ses membranes ; leur transparence devient opaque ; ses pellicules prennent forme de chair par une seve sur-abondante ; & le trouble mis dans la distribution des liqueurs & des esprits, fait prendre à l'oeuf une figure monstrueuse : il devient corps étranger pour la nature, & plus il reste dans la matrice, plus son irrégularité & son volume la tourmentent, & plus elle essuie d'accidens ou de violences pour s'en débarrasser.

La chûte du faux-germe, ou son expulsion la plus générale hors de la matrice, est depuis six semaines de conception jusqu'au terme de trois mois ou environ : je dis la plus générale, parce que des hasards heureux pour les gens de l'art, ont expulsé de la matrice des germes manqués si nouvellement, que la figure réguliere de l'oeuf n'avoit pas eu le tems d'être changée, qu'on distinguoit encore à-travers la transparence de ses membranes, l'embrion suspendu en forme de toison dans le centre d'une mer d'eau proportionnément au petit volume de l'embrion. Feu M. Puzos, démonstrateur pour les accouchemens à Paris, en a fait voir de très-naturels dans les écoles de S. Côme à ses écoliers : & comme le tems détruit bien-tôt ces petits phénomenes, quelque précaution qu'on apporte pour les conserver, il en a fait d'artificiels si ressemblans à ceux que la nature sembloit avoir voulu lui donner en présent, qu'il paroîtroit assez difficile de douter, & de la naissance de l'homme dans un oeuf, de son accroissement gradué dans ce même oeuf, & de la perversion de l'oeuf, & de son vrai germe par les causes déduites ci-dessus.

Ce n'est pas une regle générale dans la perversion des vrais germes, qu'on ne trouve dans ces masses informes que de l'eau : c'est à la vérité la fausse-couche la plus ordinaire, cependant il s'en fait dans lesquelles on trouve l'embrion commencé au centre du faux-germe ; il lui suffit d'avoir profité pendant une quinzaine de jours pour prendre consistance, & former un petit corps solide qui ne se détruit plus. On en voit du volume d'une mouche à miel, & ce sont les plus petits, de même que les plus gros qui se trouvent renfermés dans le faux-germe, n'excedent guere le volume du ver à soie renfermé dans sa coque avant que d'être en feve.

L'embrion au-dessus de cette derniere grosseur mérite alors le nom de foetus : cinq ou six semaines d'accroissement lui donnent forme humaine ; il est distingué & reconnu pour tel dans toutes ses parties & dans toutes ses dépendances. On le trouve renfermé dans toutes ses membranes, flottant dans ses eaux, nourri par le cordon ombilical, & muni d'un placenta adhérent au fond de la matrice ; que si par quelque cause que ce soit, ce petit foetus périt, ce qui l'entoure ne devient plus faux-germe, ni corps informe : il reste dans ses membranes & dans ses eaux jusqu'à ce que la matrice ait acquis des moyens suffisans pour l'expulser ; elle y parvient toûjours en plus ou moins de tems, & ces moyens sont toûjours ou douleurs considérables avec perte de sang legere, ou perte de sang très-violente & fort peu de douleurs.

L'expulsion du foetus bien formé hors de la matrice, est un avortement bien certain, c'est un fruit bien commencé, lequel arrêté dans son accroissement se flétrit, seche pour ainsi dire sur pié, & ne demande qu'à sortir ; pour cet effet, il fournit par son séjour des importunités à la matrice, qui à la fin tournent en douleurs & en perte de sang, & exigent un travail fort ressemblant à celui d'un enfant vivant & fort avancé ; & comme il ne résulte de ce travail qu'un homme manqué dès sa premiere configuration, on doit donner à ce travail le nom d'avortement, puisqu'il ne produit qu'un fruit avorté sans perdre la ressemblance & la figure de ce qu'il devroit être.

Nous appellerions donc volontiers avortement tout foetus expulsé hors de la matrice mort ou vivant, mais toûjours dans le cas de ne pouvoir vivre, quelque soin qu'on puisse en prendre dès qu'il est né : nous comprendrions par conséquent les termes des grossesses susceptibles d'avortement, depuis six semaines jusqu'à six mois révolus ; au septieme mois révolu de la grossesse, l'enfant venu au monde vivant, mais trop tôt, & pouvant s'élever par des soins & des hasards heureux, forme un accouchement prématuré : presque tous les enfans nés à sept mois périssent, peu d'entr'eux échappent au défaut de forces & de tems, au contraire de ceux qui naissent dans le huitieme mois, qui plus communément vivent, & sont plus en état de pouvoir profiter des alimens qui leur conviennent : enfin l'accouchement de neuf mois est celui d'une parfaite maturité ; c'est le terme que la nature a prescrit au séjour de l'enfant dans la matrice ; terme néanmoins souvent accourci par des causes naturelles, telles que la grossesse de deux ou trois enfans, l'hydropisie de la matrice, sa densité qui l'empêche de s'étendre autant que l'accroissement de l'enfant l'exige, ou la foiblesse de ses ressorts qui la font ceder trop tôt au poids des corps contenus : on pourroit joindre aux causes naturelles des accouchemens prématurés, des maladies, des coups, des chûtes, & généralement tout accident capable d'accélérer la sortie d'un enfant avant son terme.

Qui voudroit traiter cette matiere à fond, trouveroit de quoi faire un volume assez intéressant, s'il étoit entrepris par une main que l'expérience & la théorie conduisissent ; mais comme il n'est ici question que de donner une idée générale du germe manqué dans la conception de l'homme, nous croyons en avoir assez dit, pour porter les curieux à prendre quelque teinture des connoissances réservées d'ordinaire aux gens de l'art. Voyez cependant les articles AVORTEMENT, FAUSSE-COUCHE, GERME, OEUF, GENERATION, FOETUS, MOLE, ACCOUCHEMENT, ENFANTEMENT, &c. Article de M(D.J.)

FAUX-JOUR, s. m. en Architecture, est une fenêtre percée dans une cloison pour éclairer un passage de dégagement, une garde-robe ou un petit escalier, qui ne peut avoir du jour d'ailleurs. Les faux-jours sont sur-tout d'un grand secours dans la distribution pour communiquer de la lumiere dans les petites pieces pratiquées entre les grandes : on a hésité long-tems à en faire usage ; cependant l'on peut dire que c'est à ces faux-jours que l'on doit la plus grande partie des commodités qui font le mérite de la distribution françoise. La maniere dont on décore la plûpart de ces faux-jours du côté des appartemens avec des glaces, des gazes brochées, &c. est tout-à-fait ingénieuse, & mérite une attention particuliere. Voyez à Paris l'hôtel de Talmont, de Villars, de Villeroy, &c. bâtis sur les desseins de feu M. Lelion architecte du Roi. (P)

FAUX-JOUR, (Peinture) On dit qu'un tableau n'est pas dans son jour, ou qu'il est dans un faux-jour, lorsque du lieu où l'on le voit, il paroît dessus un luisant qui empêche de bien distinguer les objets. Les tableaux encaustiques n'ont point ce défaut. Voyez ENCAUSTIQUE. Dictionn. de Peint. (R)

FAUX-LIMONS, s. m. pl. (Charpent.) sont ceux qui se mettent dans les baies des croisées ou des portes. Voyez LIMON.

FAUX-MARQUE ou CONTRE-MARQUE, s. m. (Maréchall.) termes synonymes : le second est plus usité que le premier.

Le cheval contre-marqué est celui dans la table de la dent duquel on observe une cavité factice ou artificielle, & telle que l'animal paroît marquer : cette friponnerie n'est pas la seule dont les maquignons sont capables. Voyez MAQUIGNON.

Ils commettent celle dont il s'agit, par le moyen d'un burin d'acier, semblable à celui que l'on employe pour travailler l'ivoire : ils creusent legerement les dents mitoyennes, & plus profondément celles des coins. Pour contrefaire ensuite le germe de feve, ils remplissent la cavité de poix résine, ou de poix noire, ou de soufre, ou bien ils y introduisent un grain de froment, après quoi ils enfoncent un fer chaud dans cette cavité, & réiterent l'insertion de la poix, du soufre ou grain, jusqu'à ce qu'ils ayent parfaitement imité la nature : d'autres y vuident simplement de l'encre très-grasse, mais le piége est alors trop grossier.

L'impression du feu forme toûjours un petit cercle jaunâtre qui environne ces trous. Il est donc question de dérober & de soustraire ce cercle aux yeux des acheteurs. Aussi-tôt qu'il s'en présente ; le maquignon glisse le plus adroitement qu'il lui est possible dans la bouche de l'animal une legere quantité de mie de pain très-seche, & pilée avec du sel ou quelqu'autre drogue prise & tirée des apophlegmatisans, & dont la propriété est d'exciter une écume abondante : cette écume couvre & cache le cercle, mais dès qu'on en nettoye la dent avec le doigt, il reparoît, & on le découvre bien-tôt ; d'ailleurs les traits du burin sont trop sensibles pour n'être pas aisément apperçus.

Le but ou l'objet de cette fraude ne peut être parfaitement dévoilé qu'autant que nous nous livrerons à quelques réflexions sur les marques & sur les signes auxquels on peut reconnoître l'âge du cheval.

La connoissance la plus particuliere & la plus sûre qu'on puisse en avoir, se tire de la dentition, c'est-à-dire du tems & de l'époque de la pousse des dents, & de la chûte de celles qui doivent tomber pour faire place à d'autres.

La situation des quarante dents dont l'animal est pourvû, est telle qu'il en est dans les parties latérales postérieures en-delà des barres, dans les parties latérales en-deçà des barres, & dans les parties antérieures de la bouche ; de-là leur division en trois classes.

La premiere est celle des dents qui, situées dans les parties latérales postérieures en-delà des barres, sont au nombre de vingt-quatre, six à chaque côté de chaque mâchoire : elles ne peuvent servir en aucune façon pour la connoissance & pour la distinction de l'âge, d'autant plus qu'elles ne sont point à la portée de nos regards. On les nomme mâchelieres ou molaires, mâchelieres du mot mâcher, molaires du mot moudre, parce que leur usage est de triturer, de broyer, de rompre les alimens ou le fourrage : opération d'autant plus nécessaire, que sans la mastication il ne peut y avoir de digestion parfaite.

La seconde classe comprend les dents qui, placées dans les parties latérales en-deçà des barres, sont au nombre de quatre, une à chaque côté de chaque mâchoire. Les anciens les nommoient écaillons, nous les appellons crocs ou crochets ; ce sont en quelque façon les dents canines du cheval. Les jumens en sont communément privées, & n'ont par conséquent que trente-six dents : il en est néanmoins qui en ont quarante, mais leurs crochets sont toûjours très-petits, & elles sont dites brechaines. Beaucoup de personnes les regardent comme admirables pour le service, & comme très-impropres pour les haras ; d'autres au contraire les apprécient pour le haras, & les rejettent pour le service. On peut placer ces idées différentes & ces opinions opposées, dans le nombre des erreurs qui, jusqu'à présent, ont infecté la science du cheval.

La troisieme classe renferme enfin les dents qui sont situées antérieurement, & qui sont au nombre de douze, six à chaque mâchoire : leur usage est de tirer le fourrage & de brouter l'herbe, pour ensuite ce fourrage être porté sous les molaires qui, ainsi que je l'ai dit, le broyent & le triturent : aussi ces dents antérieures ont-elles bien moins de force que les autres, & sont-elles bien plus éloignées du centre de mouvement.

L'ordre, la disposition des dents dans l'animal, n'est pas moins merveilleuse que leur arrangement dans l'homme : elles sont placées de maniere que les deux mâchoires peuvent se joindre, mais non pas par-tout en même tems, afin que l'action de tirer & de brouter, & celle de rompre & de triturer, soient variées selon le besoin & la volonté. Lorsque les dents molaires se joignent, les dents antérieures de la mâchoire supérieure avancent en-dehors ; elles couvrent, elles outre-passent en partie celles de la mâchoire inférieure qui leur répondent ; & quand les extrémités ou les pointes des dents antérieures viennent à se joindre, les molaires demeurent écartées.

Les unes & les autres ont, de même que toutes les parties du corps de l'animal, leur germe dans la matrice, & celles qui succedent à d'autres ne sont pas nouvelles ; car elles étoient formées, quoiqu'elles ne parussent point. Séparez les machoires du foetus du cheval, vous y trouverez les molaires, les crochets, & les antérieures encore molles, distinguées par un interstice osseux, & dans chacune un follicule muqueux & tenace, d'où la dent sortira. Séparez encore ce rang de dents, vous en trouverez sous les antérieures un second, composé de celles qui sont destinées à remplacer celles qui doivent tomber ; je dis sous celui des antérieures, car les crochets & les molaires ne changent point. Les dents sont donc molles dans leur origine ; elles ne paroissent que comme une vessie membraneuse encore tendre & garnie à l'extérieur d'une humeur muqueuse : cette vessie abonde en vaisseaux sanguins & nerveux ; elle se durcit dans la suite par le desséchement de la matrice plâtreuse qui y aborde sans-cesse, c'est ce qui fait le corps de la dent. La substance muqueuse, que j'ai dit être à l'extérieur, devient encore plus compacte par sa propre nature, & forme ce que l'on appelle l'émail.

Les dents antérieures du cheval different de celles de l'homme, en ce que cette petite vessie, qui dans nous est close & fermée en-dessus, est au contraire ouverte dans l'animal, ce qui fait que la cavité de la dent qui ne paroît point dans l'homme, parce qu'elle est intérieure, paroît au-dehors dans le cheval. C'est cette même cavité qui s'efface avec l'âge, dans laquelle on apperçoit, tant que l'animal est jeune, une espece de tache noire que l'on nomme germe de feve, & que les maquignons veulent imiter en contre-marquant l'animal.

L'origine de ce germe de féve ne peut être ignorée : la cavité de la dent est remplie par l'extrémité des vaisseaux qui lui appartiennent ; or dès que l'air aura pénétré dans cette cavité, il desséchera la superficie de ces mêmes extrémités ; il la réduira, il la noircira, & delà cette sorte de tache connue sous le nom de germe de feve.

Prenons à présent un poulain dès sa naissance : il n'a point de dents. Quelques jours après qu'il est né, il en perce quatre sur le devant de la mâchoire, deux dessus & deux dessous ; peu de tems ensuite, il en pousse quatre autres situées à chaque côté des premieres qui lui sont venues, deux dessus & deux dessous ; enfin à trois ou quatre mois, il lui en pousse quatre autres situées à chaque côté des huit premieres, deux dessus & deux dessous ; de façon qu'alors on apperçoit douze dents de lait à la partie intérieure de la bouche du cheval.

On les distingue des dents du cheval fait, en ce que celles-ci sont larges, plates, & rayées sur-tout depuis leur sortie des alvéoles, c'est-à-dire depuis le cou de la dent jusqu'à la table, tandis que les autres sont petites, courtes, & blanches. M. de Soleysel, & presque tous les auteurs, leur ont supposé une marque plus sensible & plus distincte : ils ont prétendu qu'elles n'ont point de cavité : ce fait est absolument faux ; elles en ont une comme celles du cheval, & cette erreur seroit très-capable d'égarer ceux qui chercheront à apprendre la connoissance de l'âge d'après leur système, puisqu'il s'ensuivroit qu'en considérant la bouche d'un poulain, toutes les dents étant creuses, ils s'imagineroient que l'animal auroit cinq ans, tandis qu'il n'en auroit pas trois.

Ces douze dents de lait subsistent sans aucun changement, jusqu'à ce que le poulain ait atteint l'âge de deux ans & demi ou trois ans. Pendant cet espace de tems, on ne peut donc distinguer par la dentition le poulain d'un an, d'avec celui qui en aura deux.

On ne sauroit trop se récrier sur la négligence que l'on a apporté jusqu'à présent, même à l'égard des choses qui pouvoient nous conduire aux connoissances les plus triviales & les plus simples. Celles des dents ne demandoient que des yeux, des observations de fait, & non une étude pénible, abstraite & sérieuse. On s'est cependant contenté d'une inspection legere, d'un examen peu refléchi ; ensorte que l'on voit très-communément des écuyers qui s'honorent du titre de connoisseurs, ne se rapporter en aucune façon les uns & les autres sur l'âge de l'animal, & qu'il nous est totalement impossible de discerner avec certitude & avec précision, un poulain d'une année, dont la constitution sera forte & bonne, d'avec un poulain de deux années, dont la constitution seroit foible & délicate.

Il est vrai qu'on a eu recours à cet effet aux poils & aux crins, mais & ces objets & ces guides sont peu sûrs. Le poulain d'un an, dit-on, a toûjours le poil comme de la bourre ; il est frisé comme celui d'un barbet. Ses crins, soit de l'encolure, soit de la queue, ressemblent à de la filasse, tandis que les crins & le poil du poulain de deux ans, ne different point de ceux du cheval : or comment s'appuyer & s'étayer sur cette remarque, qui ne détermine d'ailleurs rien de fixe & de juste, sur-tout si nous considérons que les crins d'un cheval de cinq, six, sept, huit années, plus ou moins, seront tels qu'on nous les dépeint dans le poulain d'un an, si l'animal travaille continuellement à l'ardeur du Soleil, comme les chevaux de riviere, & s'il est mal soigné, mal nourri, mal pansé, mal peigné ?

Il importeroit néanmoins beaucoup de connoître l'âge du poulain depuis sa naissance jusqu'à deux ans & demi, trois ans ; la raison du non-usage que l'on en fait dans cet intervalle de tems, ne sauroit autoriser notre ignorance sur ce point. Premierement, on peut vendre un poulain d'une année, qui aura bien profité, pour un poulain de deux ans. Secondement, qu'un maquignon de mauvaise foi arrache à un poulain de cette espece huit dents de lait, les dents de cheval, qui doivent leur succéder, se montreront bientôt, & on prendra ce poulain d'un ans & demi, deux ans, pour un poulain de quatre ans. Si l'on avoit attention au contraire à la marque des dents de lait, celles du coin subsistant toûjours, nous sauveroit de l'erreur dans laquelle on veut nous induire, & du piége que notre impéritie occasionne & favorise. On objectera peut-être qu'il n'est pas possible d'y tomber, & d'acheter un poulain d'un an & demi ou deux ans, pour un poulain de quatre années, parce que dès-lors les crochets de dessous devroient avoir poussé : mais il sera facile de répondre, en premier lieu, s'il s'agit d'une jument, qui ordinairement n'a pas de crochets, comment se garantir de la fraude ? En second lieu, il est des chevaux qui n'en ont point : il est vrai que le cas est rare. En troisieme lieu, les crochets poussent à trois ans & demi, quatre ans, & la dent de quatre ans peut les devancer. Enfin, ne voit-on pas des marchands de chevaux frapper adroitement la gencive à l'endroit où le crochet doit percer ; de maniere qu'à la suite des petits coups qu'ils ont donnés, il survient une dureté qu'ils présentent comme une preuve que le crochet est prêt à sortir. Il faudroit donc nécessairement, pour éviter d'être trompé, suivre les dents de lait comme nous suivons celles du cheval : elles sont creuses, elles ont le germe de féve ; & par les remarques que l'on feroit, on se mettroit à l'abri de toute surprise & de tout détour. J'avois prié quelques inspecteurs des haras de se livrer à des observations aussi faciles, je ne sai quel a été le résultat de leurs recherches ; on ne sauroit trop les inviter à en faire part au public.

Quoi qu'il en soit, si l'on fait attention au tems de la chûte de ces dents, on verra qu'à l'âge de deux ans & demi, trois ans, celles qui sont situées à la partie antérieure de la bouche, deux dessus & deux dessous, font place à quatre autres que l'on nomme les pinces ; ainsi à deux ans & demi, trois ans, le poulain a quatre dents de cheval & huit dents de lait.

A trois ans & demi, quatre ans, les quatre dents de lait placées à chaque côté des pinces, deux dessus & deux dessous, tombent, & font place à quatre autres qui se nomment les mitoyennes, parce qu'elles sont situées entre les pinces & les coins ; de façon qu'à trois ans & demi, quatre ans, le poulain a huit dents de cheval & quatre dents de lait.

Enfin à quatre ans & demi, cinq ans, les quatre dents de lait qui lui restoient, deux dessus & deux dessous, à chaque côté des mitoyennes, tombent encore, & font place à quatre autres que l'on appelle les coins ; ensorte qu'à quatre ans & demi, cinq ans, l'animal a tout mis, c'est-à-dire les pinces, les mitoyennes, & les coins ; & perdant dèslors le nom de poulain, il prend celui de cheval. Du reste, je ne fixe point d'époque certaine & de tems absolument fixe ; je ne me fonde que sur un terme indécis d'une année ou d'une demi-année, parce que ce changement n'a pas lieu dans un espace déterminément limité. Il est des chevaux qui mettent les dents plûtôt, d'autres plûtard ; les premiers auront eu une nourriture dure, solide & ferme, telle que la paille, le foin, &c. les autres en auront une molle, telle que l'herbe : il est cependant assûré, en général, qu'à deux ans & demi l'animal met les pinces.

Les douze dents antérieures ne sont pas les seuls indices de son âge, les crochets nous l'annoncent aussi ; ils ne sont précédés d'aucune dent, & ne succedent par conséquent à aucune autre. Ceux de la mâchoire inférieure percent à trois ans & demi, quatre ans ; ceux de la mâchoire supérieure, à quatre ans, quatre ans & demi. Dès qu'ils percent, ils sont aigus, ils sont tranchans ; & à mesure qu'ils croissent, on apperçoit deux cannelures dans la partie qui est du côté du dedans de la bouche ; cannelure qui s'efface dans la suite, & qui ne subsiste pas toûjours. Il arrive quelquefois cependant que les crochets de la mâchoire supérieure précédent ceux de la mâchoire inférieure. Rien n'est au surplus moins certain que la forme & le tems de l'éruption de ces dents. Quoiqu'on prétende qu'une connoissance parfaite de la dentition à cet égard soit presque la seule qu'on doive chercher à acquérir, je peux certifier que j'ai vû nombre de chevaux qui n'étoient âgés que de cinq ans, & dont néanmoins les crochets étoient ronds & émoussés.

Nous avons conduit l'animal jusqu'à l'âge de quatre ans & demi, cinq ans, cherchons à étendre nos découvertes ; mais voyons auparavant si celles dont les auteurs nous ont fait part, ne portent point avec elles un caractere d'incertitude, source de la diversité de nos opinions.

Dès que les pinces & les mitoyennes sont déchaussées ou hors de leurs alvéoles, elles font leur crue en quinze jours ; il n'en est pas de même des coins, & c'est à cette différence à laquelle on s'est attaché. On a crû en effet que la dent de coin & les crochets devoient uniquement fixer nos regards depuis l'âge de quatre ans & demi, cinq ans, c'est-à-dire dès que le cheval a tout mis ; & comme les coins sont les dernieres dents qui rasent, on s'est contenté de s'arrêter à l'examen du plus ou moins de progrès que faisoit, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, le remplissage de la dent, pour décider si le cheval a cinq & demi, six ans ou sept ans ; car dès que la cavité cesse de paroître, on dit qu'il a rasé, ce qu'il fait environ à huit années. Il suffit d'exposer le système de M. de Soleysel sur ce point, système généralement reçû, pour être convaincu que rien n'est plus équivoque que ce qui résulte de ses principes.

Premierement, il avance que les coins de dessus percent avant ceux de dessous ; mais cette regle n'est pas invariable : car souvent les coins de la mâchoire inférieure devancent & précedent ceux de la mâchoire supérieure. D'ailleurs, comment s'en rapporter sérieusement aux observations suivantes ?

Dès que la dent de coin paroît, dit-il, elle borde seulement la gencive, le dedans & le dehors sont garnis de chair jusqu'à cinq ans ; ainsi la dent de coin dans cet état fait présumer que le cheval entre dans ses cinq ans, & qu'il ne les a pas encore : à cinq ans faits, la chair que l'on apperçoit dans cette dent est entierement retirée : de cinq ans à cinq ans & demi, la dent demeure creuse : de cinq ans & demi à six ans, ce creux, qui paroissoit, occupe le milieu de la dent, qui dès-lors est égale au-dehors & au-dedans : à sept ans cette cavité diminue & se remplit : à huit ans elle est effacée, c'est-à-dire que le cheval a rasé. En un mot, continue-t-il, le coin dès sa naissance est de l'épaisseur d'un écu ; à cinq ans, cinq ans & demi, de l'épaisseur de deux écus ; à six ans, de l'épaisseur du petit doigt ; à sept ans, de l'épaisseur du second ; à huit ans, de l'épaisseur du troisieme.

Il est singulier que M. de Soleysel ait pû croire que la nature s'assujettissoit toûjours exactement à ces dimensions & à ces mesures ; sa remarque, juste par hasard sur la bouche d'un cheval, n'aura pas lieu, si l'on fait attention aux coins placés dans la bouche de cent autres. Ajoûtons que tels chevaux, en qui les coins bordent seulement la gencive, sont âgés de sept ans ; & d'ailleurs seroit-il bien possible de juger précisément & sainement du point de diminution de la cavité, pour distinguer parfaitement l'âge de six ou sept années ? J'ose me flater que la voie & la méthode que j'indiquerai, seront & plus sûres & plus faciles.

La même regle qui a été suivie dans la pousse des dents, subsiste dans leur changement & dans leur forme.

Les premieres dents qui ont paru sont tombées les premieres, & ont fait place aux pinces : le poulain a eu alors deux ans & demi, trois ans. Les secondes sont tombées les secondes, & ont fait place aux mitoyennes : l'animal a eu dès-lors trois ans & demi, quatre ans. La chûte des troisiemes enfin a fait place aux coins, & le poulain est parvenu à quatre ans & demi, cinq ans. Les pinces raseront donc les premieres, & leur cavité remplie l'animal aura six ans : les mitoyennes raseront ensuite, l'animal aura sept ans : enfin les coins étant rasés, le cheval en aura huit.

Pour connoître & distinguer son âge, lorsqu'il ne marque plus, on a eu recours à une observation non moins fautive que les autres. On a pensé que selon que les crochets sont plus ou moins arrondis, & que les cannelures sont effacées, il doit être déclaré plus ou moins vieux. Il faut partir d'un principe plus constant : ayez égard aux marques des dents antérieures de la mâchoire supérieure ; car quoique les inférieures ayent rasé, les supérieures marquent encore ; & s'attachant au tems où elles cesseront de marquer, & où leur cavité s'effacera, on pourra suivre sûrement l'âge de l'animal, après qu'il aura atteint celui de huit années. Les pinces de la mâchoire supérieure rasent en effet à huit ans & demi, neuf ans ; les mitoyennes, à neuf ans & demi, dix ans ; & les dents de coin, à dix ans & demi, onze ans, & quelquefois à douze.

Je ne prétends pas que cette loi ne souffre aucune exception, la nature varie toûjours dans ses opérations ; il est cependant des points dans lesquels sa marche est plus uniforme que dans d'autres. J'avois observé avant l'impression de mes élémens d'Hippiatrique, ce fait sur plus de deux cent chevaux, & je n'en avois trouvé que quatre dont les dents supérieures déposent contre sa certitude ; elle a été confirmée depuis par l'aveu de tous ceux qui ont cherché à s'en assûrer, & je ne pense pas que quelques preuves très-rares du contraire suffisent pour anéantir cette regle : car il seroit absolument impossible alors d'en reconnoître une seule qui fût fixe & invariable. On ne seroit pas plus autorisé en effet à la contester à la vûe de quelques cas qui peuvent la démentir, que l'on seroit fondé à soûtenir que les chevaux marquent toûjours, parce que l'on en trouve qui ne rasent point, & dont le germe de féve ne s'efface jamais.

Ceux-ci sont nommés en général chevaux beguts ; les jumens & les chevaux hongres sont plus sujets à l'être que les chevaux entiers ; les polonois, les cravates, les transylvains, le sont presque tous.

J'en distingue trois especes : la premiere comprend ceux qui marquent toûjours, & à toutes les dents, la seconde est composée de ceux qui ne marquent qu'aux mitoyennes & aux coins : la troisieme enfin est formée par ceux dans lesquels le germe de féve subsiste toûjours, & je nomme ces derniers faux-beguts.

Nous avons déjà dit qu'un cheval a cinq ans faits, lorsqu'on apperçoit une cavité dans les pinces, les mitoyennes & les coins. Nous sommes encore convenus que les coins ne croissent que peu-à-peu & par succession de tems : or si nous appercevons que la dent de coin est égale au-dedans & au-dehors, & que la cavité que l'on y remarque soit assez diminuée pour que l'animal soit parvenu à sa sixieme année, la dent de pince doit avoir rasé ; & que si elle n'est pas entierement pleine, l'animal est begut. Ajoutez à cet indice la preuve qui suit ; car dans ce cas la cavité des dents n'est pas telle qu'elle doit être, puisqu'elles sont toutes également creuses. Or vous savez que lorsque l'animal approche de cinq ans & demi, & qu'il a cinq ans faits, les pinces qui doivent raser les premieres, ont une moindre cavité que les mitoyennes ; ainsi dès que cette cavité sera égale dans les pinces, dans les mitoyennes & dans les coins, & que celles-ci ne seront pas plus creuses que les pinces, l'animal sera incontestablement begut.

Celui qui ne marque qu'aux mitoyennes & aux coins ; c'est-à-dire dans lequel la dent de pince a rasé, quoiqu'il soit begut, sera facilement reconnu, si l'on compare, ainsi que je viens de l'expliquer, la cavité des mitoyennes & des coins ; mais l'embarras le plus grand est de discerner l'animal begut d'un cheval de sept ans faits, lorsque la dent de coin seulement ne doit jamais raser. C'est alors qu'il faut avoir recours aux crochets, & à tous les signes qui indiquent la vieillesse, d'autant plus qu'on ne peut espérer de tirer aucune connoissance des dents supérieures, parce que tout cheval begut l'est par ces dents comme par les dents inférieures.

Quand aux chevaux que j'ai nommés faux-beguts, c'est-à-dire quant à ceux dans lesquels le germe de féve ne s'efface jamais, on pourroit les diviser en deux classes, dont la premiere comprendroit l'animal dans lequel le germe de féve subsiste toûjours, & à toutes les dents ; & la seconde, celui dont le germe de féve effacé dans les pinces, ne seroit visible que dans les mitoyennes & les coins, ou que dans les coins seuls : mais comme ce germe de féve, dès qu'il n'y a plus de cavité dans la dent, n'est d'aucun présage, & que la cavité est la seule marque que nous consultions, il importe peu qu'il paroisse toûjours.

Les signes caractéristiques de la vieillesse de l'animal sont très-nombreux, si l'on adopte tous ceux qui ont été décrits par les auteurs, & auxquels ils se sont attachés pour reconnoître l'âge du cheval, les huit années étant expirées.

On peut en décider, 1°. selon eux, par les noeuds de la queue ; ils prétendent qu'à dix ou douze ans il descend un noeud de plus, & qu'à quatorze ans il en paroît un autre : 2°. par les salieres qui sont creuses, par les cils qui sont blancs, par le palais décharné, & dont les sillons ne sont plus sensibles : par la levre supérieure, qui étant relevée, fait autant de plis que le cheval a d'années ; par l'os de la ganache, qui est extrèmement tranchant à quatre doigts au-dessus de la barbe ; par la peau de l'épaule & de la ganache, qui étant pincée, conserve le pli qui y a été fait, & ne se remet point à sa place ; par la longueur des dents, par leur décharnement, par la crasse jaunâtre qu'on y apperçoit ; enfin par les crochets usés, & par la blancheur du cheval, qui de gris qu'il étoit, est entierement devenu blanc.

Tous ces prétendus témoignages sont très-équivoques ; on doit rejetter comme une absurdité des plus grossieres, celui que l'on voudroit tirer des noeuds de la queue, & celui qui résulte des salieres creuses, & de l'animal qui a cillé : car il est des chevaux très-vieux dont les salieres sont très-pleines, & de jeunes chevaux dont les cils sont très-blancs. Il faut encore abandonner toutes les conséquences que l'on déduit du décharnement du palais, des plis comptés de la levre supérieure, du tranchant de l'os de la ganache, de la peau de l'épaule, de la longueur des dents, puisque les chevaux beguts les ont très-courtes, & de la crasse jaunâtre que l'on y apperçoit. Les signes vraiment décisifs sont la situation des dents ; si elles sont comme avancées sur le devant de la bouche, & qu'elles ne portent pour ainsi dire plus à-plomb les unes sur les autres, croyez que l'animal est très-vieux. D'ailleurs, quoique la forme des crochets varie quelquefois, voyez si ceux de dessous sont usés, s'ils sont arrondis, émoussés ; si ceux de dessus ont perdu toute leur cannelure, s'ils sont aussi ronds en-dedans qu'en dehors : de-là vous pouvez conjecturer plus sûrement que l'animal n'est pas jeune.

La raison pour laquelle la cavité de la dent ne s'efface jamais dans le cheval begut, se présente naturellement à l'esprit, lorsqu'on se rappelle d'où naît le germe de féve. Il n'est formé que par la superficie des vaisseaux qui, frappés par l'air, ont été desséchés, durcis & noircis ; or si l'air les a d'abord trop resserrés, ou que la matiere qui sert de nourriture à la dent, ait été par sa propre nature plus susceptible de desséchement, le corps de la dent sera plûtôt compact ; & les sucs destinés à sa végétation ne pouvant pénétrer avec la même activité, dès-lors la cavité subsistera. Une preuve de cette vérité nous est fournie par l'expérience, qui nous montre & qui nous a appris que la dent du cheval begut est plus dure que celle de celui qui ne l'est pas.

Le germe de féve subsiste toûjours dans le faux-begut, quoique la cavité s'efface & se remplisse, par ce que la partie extérieure de la dent aura végeté plûtôt que sa partie intérieure ; c'est-à-dire que l'humeur tenace qui entouroit la vessie membraneuse dont nous avons parlé, aura acquis plûtôt un dégré de solidité, que cette vessie renfermée dans la cavité : dès-lors les petits vaisseaux noircis & durcis par l'air, ayant été resserrés & comprimés par les parois résultantes de l'humeur muqueuse destinée dès son origine à la formation de l'émail, ils n'auront pû être poussés au-dehors, & le germe de féve paroîtra toûjours, quoique la dent soit remplie.

C'est à la foiblesse des fibres de la jument, qui sont sans-doute, comme celles de toutes les femelles des animaux, comparées à celles des mâles, c'est-à-dire infiniment lâches, que nous attribuerons le nombre considérable des jumens begues. Les fibres du coeur étant par conséquent plus molles en elles, elles ne pousseront point avec la même force le fluide nécessaire à la végétation de la dent. La même cause peut être appliquée au cheval hongre, qui, dès qu'il a cessé d'être entier, perd beaucoup de son feu & de sa vigueur ; ce qui prouve évidemment que dans lui la circulation est extrèmement ralentie.

L'éruption des dents occasionne des douleurs & des maladies, principalement celle des crochets. Ils sont plus durs, plus tranchans & plus aigus que les autres, qui sont larges & émoussées. D'ailleurs n'étant précédés d'aucunes dents, comme les antérieures, leur protrusion ne peut être que très-sensible, puisqu'ils doivent nécessairement, en se faisant jour, rompre, irriter & déchirer les fibres des gencives : de-là ce flux de ventre, ces diarrhées considérables, cette espece de nuage qui semble obscurcir la cornée, attendu les spasmes qu'excite dans tout le corps la douleur violente. Les premieres voies en sont offensées, les digestions ne sauroient donc être bonnes ; & l'irritation suscitant des ébranlemens dans tout le système nerveux, l'obscurcissement des yeux ne présente rien qui doive surprendre.

Il est bon de faciliter cette éruption, en relâchant la gencive : il faut pour cet effet frotter souvent cette partie avec du miel commun ; & si en usant de cette précaution on sent la pointe du crochet, on ne risque rien de presser la gencive, de maniere qu'elle soit percée sur le champ. On oint de nouveau avec du miel ; & la douleur passée, tous les maux qu'elle avoit fait naître disparoissent.

Si l'on remonte à la cause ordinaire de la carie, on conclura que les dents du cheval peuvent se carrier ; cependant ce cas est extrêmement rare, attendu l'extrème compacticité qui en garantit la substance intérieure des impressions de l'air. Dès que la corruption est telle que l'animal a une peine extrème à manger, qu'il se tourmente, & que son inquiétude annonce la vivacité de la douleur qu'il ressent, il faut nécessairement le délivrer de la partie qui l'affecte, c'est la voie la plus sûre, & l'on ne risque point dèslors les inconvéniens qui peuvent arriver, comme des fistules, la carie de l'un ou de l'autre des os de la mâchoire. Voyez SURDENT. Il en est de même des surdents, dents de loup. Voyez ibid.

Quant aux pointes & aux âpretés des dents molaires, pointes & âpretés qui viennent à celles de presque tous les vieux chevaux, & que quelques auteurs nomment très-mal à-propos surdents, on doit, non les abattre avec la gouge, ainsi que plusieurs maréchaux le pratiquent, mais faire mâcher une lime à l'animal : cette lime détruit les inégalités qui piquent la langue & les joues, de maniere à donner lieu à des ulceres, & qui de plus empêchent l'animal de manger & de broyer parfaitement les alimens. Il n'en tire que le suc ; des pelotons de foin mâché qui retombent à terre ou dans la mangeoire, se glissent même entre les joues & les dents : c'est ce que nous appellons faire grenier, faire magasin.

Enfin il est des dents qui vacillent dans leurs alvéoles ; en ce cas on recourra à des topiques astringens, pour les raffermir en resserrant la gencive, comme à la poudre d'alun, de bistorte, d'écorce de grenade, de cochléaria, de myrthe, de quinte-feuille, de sauge, de sumac, &c.

Je ne sai si ces lumieres seront suffisantes pour guider ceux qui seront assez sinceres pour convenir de bonne-foi qu'ils errent dans les ténebres ; mais les détails dans lesquels je suis entré relativement à la connoissance de l'âge, inspireront peut-être une juste défiance aux personnes qui croyent pouvoir puiser dans les écrits dont ils sont en possession, toutes les instructions dont ils ont besoin. Ils éclaireront d'ailleurs celles qui séduites par une aveugle crédulité, imaginent que l'on a fait tous les pas qui conduisent à la perfection de notre art, puisque notre ignorance sur un point aussi facile à approfondir, pourra leur faire présumer qu'à l'égard de ceux qui exigeroient toute la contention de l'esprit, elle est encore plus grande. (e)

FAUX-MARQUE, (Venerie) il se dit d'une tête de cerf quand elle n'a que six cors d'un côté, & qu'elle en a sept de l'autre : on dit alors, le cerf porte quatorze faux-marqués, car le plus emporte le moins.

FAUX-PLANCHER, s. m. en Architecture, c'est au-dessous d'un plancher, un rang de solives ou de chevrons lambrissés de plâtre ou de menuiserie, sur lequel on ne marche point, & qui se fait pour diminuer l'exhaussement d'une piece d'appartement. Voy. ENTRE-SOL. Ces faux-planchers se pratiquent aussi dans un galetas, pour en cacher le faux-comble. Ce mot se dit encore d'un aire de lambourdes & de planches sur le couronnement d'une voûte, dont les reins ne sont pas remplis. (P)

FAUX-POIDS, voyez POIDS & MESURES.

FAUX-PONT, (Marine) c'est une espece de pont que l'on fait à fond-de-cale, pour la conservation & la commodité de la cargaison. On place le faux-pont entre le fond-de-cale & le premier pont. On lui donne peu de hauteur. Il sert à coucher des soldats & des matelots. Quelquefois on fait étendre les faux-ponts d'un bout à l'autre du vaisseau ; quelquefois jusqu'à la moitié seulement. (Z)

FAUX-POITRAIL, (Manége) Voyez POITRAIL.

FAUX-PRINCIPAL, (Jurispr.) est la poursuite qui s'intente directement contre quelqu'un, pour faire déclarer fausse une piece qu'il a en sa possession, ou dont il pourroit se servir.

Le faux-principal differe du faux-incident, en ce que celui-ci est proposé incidemment à une contestation où la piece étoit opposée au demandeur en faux ; au lieu que le faux-principal est une poursuite formée pour raison du faux, sans qu'il y eût précédemment aucune contestation sur ce qui peut avoir rapport à la piece arguée de faux.

Les plaintes, dénonciations, & accusations de faux-principal, se font en la même forme que celle des autres crimes ; sans consignation d'amende, inscription en faux, sommation, ni autres procédures, en quoi le faux-principal differe encore du faux-incident.

L'accusation de faux peut-être admise encore que les pieces prétendues fausses eussent été vérifiées, même avec le plaignant, à d'autres fins que celles d'une poursuite de faux-principal ou incident, & qu'il fût intervenu un jugement sur le fondement de ces pieces, comme si elles étoient véritables.

Sur la requête ou plainte de la partie publique ou civile, on permet d'informer tant par titres que par témoins, comme aussi par experts & par comparaison d'écriture ou signature, selon l'exigence du cas. Les experts sont toûjours entendus séparément par forme de déposition, & non par forme de rapport ou vérification. Si les experts ne s'accordent pas, ou qu'il y ait du doute, il dépend de la prudence du juge de nommer de nouveaux experts, pour être aussi entendus en information.

Les pieces arguées de faux doivent être remises au greffe, & procès-verbal d'icelles dressé comme dans le faux incident.

Voyez l'ordonnance de 1737, tit. j. où l'on trouve expliqué fort au long la procédure qui doit être tenue dans cette matiere. (A)

FAUX-QUARTIER, (Manege) Voyez QUARTIER.

FAUX-RACAGE, (Marine) c'est un second racage qu'on met sur le premier, afin qu'il soûtienne la vergue en cas que le premier soit brisé par quelque coup de canon. (Z)

FAUX-RAS est, parmi les Tireurs-d'Or, une plaque de fer percée d'un seul trou, doublée d'un morceau de bois également percé, pour laisser passer l'or de la filiere.

FAUX-REMBUCHEMENT, s. m. (Vénerie) il se dit du mouvement d'une bête qui entre dans un fort, y fait dix ou douze pas, & revient tout court sur elle pour se rembucher dans un autre lieu.

FAUX-RINJOT, (Marine) Voyez SAFRAN.

FAUX-SAUNAGE s. m. Commerce de faux-sel : ce terme n'est guere usité qu'en France, où non-seulement il est défendu de faire entrer des sels étrangers dans le royaume, mais où il n'est permis qu'au seul adjudicataire des gabelles, ou à ses commis, regrattiers, &c. d'en débiter dans toute l'étendue de sa ferme.

Le faux-saunage, qui ne s'exerce ordinairement que sur les frontieres des provinces privilégiées, mais dont on a vû quelquefois des exemples dans le coeur du royaume, est défendu sous des peines très-rigoureuses. Les nobles qui s'en mêlent, sont déchus de noblesse, privés de leurs charges, & leurs maisons rasées, si elles ont servi de retraite aux faux-sauniers. Les roturiers qui se sont attroupés avec armes, sont envoyés aux galeres pour neuf ans ; & en cas de recidive, pendus. S'ils font ce trafic sans port-d'armes, ils encourent l'amende de 300 livres, & la confiscation de leurs harnois, chevaux, charrettes, bateaux, &c. pour la premiere fois ; & pour la seconde, celle des galeres pendant neuf ans. S'ils ne sont que ce qu'on appelle, en termes de faux-saunage, de simples porte-cols, ils payent d'abord 200 l. d'amende ; & s'ils recidivent, on les condamne aux galeres pour six ans.

Les femmes & filles même sont sujettes aux peines du faux-saunage, portées par l'article 17. de l'ordonnance de 1680 ; savoir 200 livres pour la premiere fois, 300 liv. pour la seconde, & au bannissement perpétuel hors du royaume pour la troisieme.

Le commerce des sels étrangers n'est guere moins sévérement puni ; quiconque en fait entrer en France sans permission par écrit, encourt la peine des galeres. Dict. de Comm. de Trév. & Chamb. (G)

FAUX-SAUNIER, celui qui fait le trafic du faux-sel, qui exerce le faux-saunage. Voyez FAUX-SAUNAGE.

FAUX-SEL, s. m. (Commerce) c'est le sel des pays étrangers qui est entré en France sans permission, ou celui qui se trouvant dans l'étendue de la ferme des gabelles, n'a pas été pris au grenier à sel de l'adjudicataire, ou aux regrats. Voyez REGRAT & FAUX-SAUNAGE. Dict. de Comm. (G)

FAUX-SOLDAT, ou plûtôt passe-volant, (Art. mil.) soldat qu'on fait passer en revûe quoiqu'il ne soit point réellement engagé. Voyez FAGOT, PASSE-VOLANT. " Ceux qui exposent, dit le chevalier de Ville, les passe-volans & les demi-payes aux montres, s'excusent, disant que ce sont gens effectifs ; & qu'encore qu'ils ne leur donnent pas l'argent du roi, ils ne laissent pas d'être dans la place ; & qu'au besoin, ils feroient aussi-bien à la défense, comme les soldats qui reçoivent la montre tous les mois ". Cette raison n'est pas fort pertinente, parce que les passe-volans ne sont pas obligés à demeurer dans la place ni servir, &c. De la charge des gouverneurs, par le chevalier de Ville. (Q)

FAUX-TEMOIN, s. m. est celui qui dépose ou atteste quelque chose contre la vérité. Voy. TEMOIN. (A)

FAUSSE-ATTAQUE, c'est, dans la guerre des siéges, une attaque qui n'a pour objet que de partager les forces de l'ennemi, pour trouver moins de résistance du côté par où l'on veut pénétrer.

On fait ordinairement une fausse-attaque dans un siége. On en fait aussi dans l'escalade. Voyez ATTAQUE & ESCALADE.

Il arrive quelquefois que la fausse-attaque devient la véritable, lorsqu'on éprouve moins de résistance du côté qu'elle se fait, que des autres côtés. On fait encore de fausses-attaques, lorsqu'on veut forcer des lignes & des retranchemens. (Q)

FAUSSE-BRAYE, c'est, dans la Fortification, une seconde enceinte au bord du fossé ; elle consiste dans un espace de quatre ou cinq toises au niveau de la campagne, entre le bord du fossé & le côté extérieur du rempart couvert, par un parapet construit de la même maniere que celui du rempart de la place. L'usage de la fausse-braye est de défendre le fossé par des coups, qui étant tirés d'un lieu moins élevé que le rempart, peuvent plus facilement être dirigés vers toutes les parties du fossé. Marolois, Fritach, Dogen, & plusieurs autres auteurs, dont les constructions ont été adoptées des Hollandois, faisoient des fausses-brayes à leurs places. On ne s'en sert plus à-présent ; parce que l'on a observé que lorsque l'ennemi étoit maître du chemin-couvert, il lui étoit aisé de plonger du haut du glacis dans les faces de la fausse-braye, & de les faire abandonner ; ensorte qu'on ne pouvoit plus occuper que la partie de cet ouvrage vis-à-vis la courtine. Quand le rempart étoit revêtu de maçonnerie, les éclats causés par le canon, rendoient aussi cette partie très-dangereuse : les bombes y faisoient d'ailleurs des desordres, auxquels on ne pouvoit remédier. Ajoûtez à ces inconvéniens la facilité que donnoit la fausse-braye pour prendre les places par l'escalade, lorsque le fossé étoit sec. Lorsqu'il étoit plein d'eau, la fausse-braye se trouvoit également accessible dans les grandes gelées. Tous ces desavantages ont assez généralement engagé les ingénieurs modernes à ne plus faire de fausse-braye, si ce n'est vis-à-vis les courtines, où les tenailles en tiennent lieu. Voyez TENAILLES. La citadelle de Tournay, construite par M. de Megrigny, & non point par M. de Vauban, comme on le dit dans un ouvrage attribué à un auteur très-célebre, avoit cependant une fausse-braye. Mais M. de Folard prétend que cet ouvrage lui avoit été ajoûté ; pour corriger les défauts de la premiere enceinte. (Q)

FAUSSES-COTES, (Anat.) on donne ce nom aux cinq côtes inférieures de chaque côté, dont les cartilages ne s'attachent point immédiatement au sternum. Le diaphragme qui tient à ces cinq côtes par son bord circulaire, laisse dans les cadavres couchés sur le dos, un grand vuide qui répond à ces côtes, & qui renferme l'estomac, le foie, la rate. Comme ces visceres sont dits naturels, M. Monro croit qu'ils ont fait appeller les côtes correspondantes, bâtardes ou fausses. Voyez son anatomie des os, troisieme édition, pag. 223. Il est plus vraisemblable qu'on a considéré qu'elles étoient plus cartilagineuses, moins osseuses, & moins vraies en ce sens, que les supérieures. Voyez COTES. (g)

FAUSSE-COUCHE, s. f. (Physiolog. Med. Droit politiq.) expulsion du foetus avant terme.

En effet, comme une infinité de causes s'opposent souvent à l'accroissement du foetus dans l'utérus, & le chassent du sein maternel avant le tems ordinaire ; pour lors la sortie de ce foetus hors de la matrice avant le terme prescrit par la nature, a été nommée fausse-couche ou avortement.

Je sai que les Medecins & les Chirurgiens polis employent dans le discours le premier mot pour les femmes, & le dernier pour les bêtes ; mais le physicien ne fait guere d'attention au choix scrupuleux des termes, quand il est occupé de l'importance de la chose : celle-ci intéresse tous les hommes, puisqu'il s'agit de leur vie dès le moment de la conception. On ne sauroit donc trop l'envisager sous diverses faces ; & nous ne donnerons point d'excuse au lecteur pour l'entretenir plus au long sur cette matiere, qu'on ne l'a fait sous le mot avortement : il est quelquefois indispensable de se conduire ainsi pour le bien de cet ouvrage.

Les signes présomptifs d'une fausse-couche prochaine, sont la perte subite de la gorge, l'évacuation spontanée d'une liqueur séreuse, par les mamelons du sein ; l'affaissement du ventre dans sa partie supérieure & dans ses côtés ; la sensation d'un poids & d'une pesanteur dans les hanches & dans les reins, accompagnée ou suivie de douleur ; l'aversion pour le mouvement dans les femmes actives ; des maux de tête, d'yeux, d'estomac ; le froid, la foiblesse, une petite fievre, des frissons, de legeres convulsions, des mouvemens plus fréquens & moins forts du foetus, lorsque la grossesse est assez avancée pour qu'une femme le puisse sentir. Ces divers signes plus ou moins marqués, & sur-tout réunis, font craindre une fausse-couche, & quelquefois elle arrive sans eux. On la présume encore plus sûrement par les causes capables de la procurer, & par les indices du foetus mort, ou trop foible.

Les signes avant-coureurs immédiat d'une fausse-couche, sont l'accroissement & la réunion de ces symptomes, joints à la dilatation de l'orifice de la matrice, aux envies fréquentes d'uriner, à la formation des eaux, à leur écoulement, d'abord purulent, puis sanglant ; ensuite à la perte du sang pur ; enfin à celle du sang grumelé, ou de quelque excrétion semblable & extraordinaire.

Les causes propres à produire cet effet, quoique très-nombreuses, peuvent commodément se rapporter, 1° à celles qui concernent le foetus, ses membranes, les liqueurs dans lesquelles il nage, son cordon ombilical, & le placenta ; 2° à l'utérus même ; 3° à la mere qui est enceinte.

Le foetus trop foible, ou attaqué de quelque maladie, est souvent expulsé avant le terme ; accident qu'on tâche de prévenir par des corroborans : mais quand le foetus est mort, monstrueux, dans une situation contraire à la naturelle, trop gros pour pouvoir être contenu jusqu'à terme, ou nourri par la mere ; lorsque ses membranes sont trop foibles, lorsque le cordon est trop court, trop long, noüé ; il n'est point d'art pour prévenir la fausse-couche. Il est encore impossible qu'une femme ayant avorté d'un des deux enfans qu'elle a conçûs, puisse conserver l'autre jusqu'à terme ; car l'utérus s'étant ouvert pour mettre dehors le premier de ces enfans, ne se referme point que l'autre n'en soit chassé. Le cordon ombilical étant une des voies communicatives entre la mere & le foetus, toutes les fois que cette communication manque, la mort du foetus & l'avortement s'ensuivent. La même chose arrive quand les enveloppes du foetus se rompent, parce qu'elles donnent lieu à l'écoulement du liquide dans lequel il nageoit.

Le foetus reçoit principalement son accroissement par le placenta, & sa nourriture par la circulation commune entre lui & la mere. Si donc il se fait une séparation du placenta d'avec l'utérus, le sang s'écoule tant des arteres ombilicales, que des arteres utérines, dans la cavité de la matrice ; d'où suit nécessairement la mort du foetus, tandis que la mere elle-même est en grand danger. Si l'on peut empêcher les causes de cette séparation, on préviendra l'avortement ; c'est pourquoi les femmes sanguines, pléthoriques, oisives, & qui vivent d'alimens succulens, ont besoin de saignées réitérées depuis le second mois de leur grossesse, jusqu'au cinq ou sixieme, pour éviter une fausse-couche.

Elle doit encore arriver, si le placenta devient skirrheux, ou s'il s'abreuve de sérosités qui ne peuvent convenir à la nourriture du foetus.

L'utérus devient aussi très-souvent par lui-même une cause fréquente des fausses-couches ; 1°. par l'abondance du mucus, qui couvrant ses parois intérieures, donne une union trop foible au placenta ; 2°. lorsque cette partie est trop délicate ou trop petite pour contenir le foetus ; 3°. si son orifice est trop relâchée, comme dans les femmes attaquées de fleurs blanches ; 4°. si un grand nombre d'accouchemens ou d'avortemens ont précédé ; 5°. dans toutes les maladies de cette partie, comme l'inflammation, l'érésipele, l'hydropisie, la callosité, le skirrhe, la passion hystérique, quelque vice de conformation, &c. 6°. dans des blessures, des contusions, le resserrement du bas-ventre, la compression de l'épiploon, & tout autre accident qui peut chasser le foetus du sein maternel.

Les différentes causes qui de la part de la mere produisent la fausse-couche, sont certains remedes évacuans, propres à expulser le foetus : tels que les cantharides, l'armoise, l'aconit, la sabine, les emménagogues, les purgatifs, les vomitifs, les fumigations, les lavemens ; toutes les passions vives, la colere & la frayeur en particulier ; les fréquens vomissemens, les fortes toux, les grands cris, les exercices, danses, sauts, & secousses violentes ; les efforts, les faux-pas, les chûtes, les trop ardens & fréquens embrassemens, les odeurs ou vapeurs desagréables & nuisibles à la respiration, la pléthore ou le manque de sang, la diete trop sévere, le ventre trop pressé par des busques roides, ou par lui-même trop long-tems resserré ; des saignées & des purgations faites à contre-tems, la foiblesse de la constitution ; enfin toutes les maladies tant aiguës que chroniques, sont l'origine d'un grand nombre de fausses-couches.

C'est pourquoi il faut toûjours diriger les remedes à la nature de la maladie, & les diversifier en conséquence des causes qu'on tâchera de connoître par leurs signes : ainsi les saignées réitérées sont nécessaires dans la pléthore ; la bonne nourriture, dans les femmes foibles & peu sanguines ; les corroborans généraux & les topiques, dans le relâchement de l'orifice de l'utérus, &c. Enfin si les causes qui produisent l'avortement, ne peuvent être ni prévenues ni détruites, & qu'il y ait des signes que le foetus est mort, il faut le tirer hors de l'utérus par le secours de l'art.

Nous manquons d'un ouvrage particulier sur les fausses-couches ; car il faut compter pour rien celui du sieur Charles de Saint-Germain, qui parut en 1665 in -8°. Un bon traité demanderoit un homme également versé dans la théorie & la pratique. Il seroit encore à desirer que dans un ouvrage de cette nature, on réduisît sous un certain nombre d'aphorismes, les vérités incontestables qui nous sont connues sur le sujet des avortemens. J'en vais donner quelques exemples pour me faire entendre.

1°. L'avortement est plus dangereux & plus pénible au sixieme, septieme, & huitieme mois, que dans les cinq premiers ; & alors il est ordinairement accompagné d'une grande perte de sang.

2°. Il est toûjours funeste à l'enfant, ou dans le tems même de la fausse-couche, ou peu de tems après.

3°. Les femmes d'une constitution lâche ou dont quelques accidens ont affoibli la matrice, avortent le plus facilement.

4°. Cet accident arrive beaucoup plus souvent dans les deux ou trois premiers mois de la grossesse, que dans tous les autres.

5°. Comme la matrice ne s'ouvre qu'à proportion de la petitesse du foetus, l'on voit assez fréquemment que l'arriere-faix dont le volume est beaucoup plus gros, reste arrêté dans l'utérus pendant quelque tems.

6°. Dans les fausses-couches au-dessous de cinq ou six mois, il ne faut pas beaucoup se mettre en peine de réduire en une bonne figure les foetus qui se présentent mal ; car en quelque posture que soient ces avortons, la nature les expulse assez facilement à cause de leur petitesse.

7°. La grosseur des foetus avortons morts ne répond pas d'ordinaire au terme de la grossesse ; car ils n'ont communément, quand ils sont chassés de l'utérus, que la grosseur qu'ils avoient lorsque leur principe de vie a été détruit.

8°. Quand ils sont expulsés vivans, ils ont rarement de la voix avant le sixieme mois, peut-être parce que leur poumon n'a pas encore la force de pousser l'air avec assez d'impétuosité pour former aucun cri.

9°. Les fausses-couches rendent quelquefois des femmes fécondes qui ont été long-tems stériles par le défaut des regles, soit en quantité, soit en qualité.

10°. Les femmes sujettes à de fréquentes fausses-couches, produites par leur tempérament, doivent avant que de se mettre en état de concevoir, se priver pendant quelques mois des plaisirs de l'amour, & plus encore dès qu'elles seront grosses.

11°. Si le foetus est mort, il faut attendre l'avortement sans rien faire pour le hâter : excellente regle de pratique.

12°. Les précautions qu'on prend contre l'avortement pendant la grossesse, ne réussissent pas aussi souvent que celles que l'on prend entre l'avortement & la grossesse qui suit.

13°. Les femmes saines ni maigres ni grasses, qui sont dans la vigueur de leur âge, qui ont le ventre libre & l'utérus humide, supportent mieux la fausse-couche & ses suites, que ne le font d'autres femmes.

14°. Avec tous les soins & les talens imaginables, on ne prévient pas toûjours une fausse-couche de la classe de celles qui peuvent être prévûes ou prévenues.

15°. L'avortement indiqué prochain, qu'on n'a plus d'espérance de prévenir, ne peut ni ne doit être empêché par aucuns remedes, quels qu'ils puissent être.

16°. La femme grosse qui a la vérole au point d'en faire craindre les suites pour elle & pour son fruit, doit être traitée de cette maladie dans les premiers mois de sa grossesse, en suivant les précautions & les regles de l'art.

17°. Le danger principal de l'avortement, vient de l'hémorrhagie qui l'accompagne ordinairement.

18°. Celui que les femmes se procurent volontairement & par quelque cause violente, les met en plus grand péril de la vie que celui qui leur arrive sans l'exciter.

19°. Il est d'autant plus dangereux, que la cause qui le procure est violente, soit qu'il vienne par des remedes actifs pris intérieurement, ou par quelque blessure extérieure.

20°. La coûtume des accoucheuses qui ordonnent à une femme grosse, quand elle s'est blessée par une chûte ou autrement, d'avaler dans un oeuf de la soie cramoisi découpée menu, de la graine d'écarlate, de la cochenille, ou autres remedes de cette espece ; cette coûtume, dis-je, n'est qu'une pure superstition.

21°. C'est un autre abus de faire garder le lit pendant 29 jours fixes aux femmes qui se sont blessées, & de les faire saigner au bout de ce tems-là, au lieu d'employer d'abord la saignée & autres remedes convenables, & de considérer que le tems de la garde du lit peut être plus court ou plus long, suivant la nature & la violence de l'accident.

En un mot, cette matiere présente quantité de faits & de principes, dont les Medecins & les Chirurgiens peuvent tirer de grands usages pour la pratique de leur profession ; mais ce sujet n'est pas moins digne de l'attention du législateur philosophe, que du medecin physicien.

L'avortement provoqué par des breuvages ou autres remedes de quelqu'espece qu'ils soient, devient inexcusable dans la personne qui le commet, & dans ceux qui y participent. Il est vrai qu'autrefois les courtisannes en Grece se faisoient avorter sans être blâmées, & sans qu'on trouvât mauvais que le medecin y concourût ; mais les autres femmes & filles qui se procuroient des avortemens, entraînées par les mêmes motifs qu'on voit malheureusement subsister aujourd'hui, les unes pour empêcher le partage de leurs biens entre plusieurs enfans, les autres pour se conserver la taille bien faite, pour cacher leur débauche, ou pour éviter que leur ventre devint ridé, comme il arrive à celles qui ont eu des enfans, ut careat rugarum crimine venter ; de telles femmes, dis-je ont été de tout tems regardées comme criminelles.

Voyez la maniere dont Ovide s'exprime sur leur compte ; c'est un homme dont la morale n'est pas sévere, & dont le témoignage ne doit pas être suspect : celle-là, dit-il, méritoit de périr par sa méchanceté, qui la premiere a appris l'art des avortemens.

Quae prima instituit teneros avellere foetus,

Malitiâ fuerat digna perire suâ.

Et il ajoûte un peu après,

Haec neque in Armeniis tigres fecere latebris,

Perdere nec foetus ausa leaena suos :

At tenerae faciunt, sed non impunè, puellae ;

Saepe suos utero quae necat, ipsa perit,

Eleg. xjv. lib. II. amor.

Il est certain que les violens apéritifs ou purgatifs, les huiles distillées de genievre, le mercure, le safran des métaux, & semblables remedes abortifs, produisent souvent des incommodités très-fâcheuses pendant la vie, & quelquefois une mort cruelle. On peut s'en convaincre par la lecture des observations d'Albrecht, de Bartholin, de Zacutus, de Mauriceau, & autres auteurs. Hippocrate, aux V. & VI. livres des maladies populaires, rapporte le cas d'une jeune femme qui mourut en convulsion quatre jours après avoir pris un breuvage pour détruire son fruit. Tel est le danger des remedes pharmaceutiques employés pour procurer l'avortement.

Parlons à présent d'un étrange moyen qui a été imaginé depuis Hippocrate dans la même vûe. Comme il s'est perpétué jusqu'à nous, loin de le passer sous silence, je dois au contraire en publier les suites malheureuses. Ce moyen fatal se pratique par une piquûre dans l'utérus, avec une espece de stilet fait exprès. Ovide en reproche l'usage aux dames romaines de son tems, dans la même élegie que j'ai citée. Pourquoi, leur dit-il, vous percez-vous les entrailles avec de petits traits aigus ? Vestra quid effoditis subjectis viscera telis ? Mais Tertullien décrit l'instrument même en homme qui sait peindre & parler aux yeux. Voici ses paroles : est etiam aeneum spiculum quo jugulatio ipsa dirigitur coeco latrocinio ; appellant, utique viventis infantis peremptorium. Tertull. de anima, cap. xxxv. ed. Rigalt. p. 328.

Qui n'admireroit qu'une odieuse & funeste invention se soit transmise de siecle en siecle jusqu'au nôtre, & que des découvertes utiles soient tombées dans l'oubli des tems ? En 1660 une sage-femme fut exécutée à Paris pour avoir mis en pratique le coecum latrocinium dont parle Tertullien. " J'avoue, dit Guy-Patin, tom. I. lett. 191. ann. 1660. qu'elle a procuré la fausse-couche, en tuant le foetus, par l'espece de poinçon qu'elle a conduit à-travers le vagin jusque dans la matrice, mais la mere en est morte dans un état misérable " : on n'en sera pas étonné si l'on considere les dangers de la moindre blessure de l'utérus, la délicatesse de cette partie, ses vaisseaux, & ses nerfs.

La raison & l'expérience ne corrigent point les hommes ; l'espoir succede à la crainte, le tems presse, les momens sont chers, l'honneur commande & devient la victime d'un affreux combat : voilà pourquoi notre siecle fournit les mêmes exemples & les mêmes malheurs que les siecles passés. Brendelius ayant ouvert en 1714 une jeune fille morte à Nuremberg de cette opération, qu'elle avoit tentée sur elle-même, a trouvé l'utérus distendu, enflammé, corrompu ; les ligamens, les membranes & les vaisseaux de ce viscere dilacérés & gangrenés. Ephém. acad. nat. curios. obs. 167. En un mot, les filles & les femmes qui languissent, & qui périssent tous les jours par les inventions d'un art si funeste, nous instruisent assez de son impuissance & de ses effets. La fin déplorable d'une fille d'honneur de la reine mere Anne d'Autriche, Mademoiselle de *** qui se servit des talens de la Constantin, sage-femme consommée dans la science prétendue des avortemens, sera le dernier fait public que je citerai de la catastrophe des fausses-couches procurées par les secours de l'industrie : le fameux sonnet de l'avorton fait par M. Hainaut à ce sujet, & que tout le monde sait par coeur, pourra servir à peindre les agitations & le trouble des femmes qui se portent à faire périr leur fruit.

Concluons trois choses de tout ce détail : 1°. que l'avortement forcé est plus périlleux que celui qui vient naturellement : 2°. qu'il est d'autant plus à craindre, qu'il procede de causes violentes dont les suites sont très-difficiles à fixer : 3°. enfin, que la femme qui avorte par art, est en plus grand danger de sa vie que celle qui accouche à terme.

Cependant puisque le nombre des personnes qui bravent les périls de l'avortement procuré par art est extrèmement considérable, rien ne seroit plus important que de trouver des ressources supérieures à la sévérité des lois, pour épargner les crimes & pour sauver à la république tant de sujets qu'on lui ôte ; je dis, rien ne seroit plus important que de trouver des ressources supérieures à la sévérité des lois, parce que l'expérience apprend que cette sévérité ne guérit point le mal. La loi d'Henri II. roi de France, qui condamne à mort la fille dont l'enfant a péri, en cas qu'elle n'ait point déclaré sa grossesse aux magistrats, n'a point été suivie des avantages qu'on s'étoit flaté qu'elle produiroit, puisqu'elle n'a point diminué dans le royaume le nombre des avortemens. Il faut puiser les remedes du mal dans l'homme, dans la nature, dans le bien public. Les états, par exemple, qui ont établi des hôpitaux pour y recevoir & nourrir, sans faire aucune enquête, tous les enfans trouvés & tous ceux qu'on y porte, ont véritablement & sagement détourné un prodigieux nombre de meurtres.

Mais comment parer aux autres avortemens ? c'est en corrigeant, s'il est possible, les principes qui y conduisent ; c'est en rectifiant les vices intérieurs du pays, du climat, du gouvernement, dont ils émanent. Le législateur éclairé n'ignore pas que dans l'espece humaine les passions, le luxe, l'amour des plaisirs, l'idée de conserver sa beauté, l'embarras de la grossesse, l'embarras encore plus grand d'une famille nombreuse, la difficulté de pourvoir à son éducation, à son établissement par l'effet des préjugés qui regnent, &c. que toutes ces choses, en un mot, troublent la propagation de mille manieres, & font inventer mille moyens pour prévenir la conception. L'exemple passe des grands aux bourgeois ; au peuple, aux artisans, aux laboureurs qui craignent dans certains pays de perpétuer leur misere ; car enfin il est constant, suivant la réflexion de l'auteur de l'Esprit des Lois, que les sentimens naturels se peuvent détruire par les sentimens naturels mêmes. Les Amériquaines se faisoient avorter, pour que leurs enfans n'eussent pas des maîtres aussi barbares que les Espagnols. La dureté de la tyrannie les a poussés jusqu'à cette extrémité. C'est donc dans la bonté, dans la sagesse, dans les lumieres, les principes, & les vertus du gouvernement, qu'il faut chercher les remedes propres au mal dont il s'agit ; la Medecine n'y sait rien, n'y peut rien.

Séneque qui vivoit au milieu d'un peuple dont les moeurs étoient perdues, regarde comme une chose admirable dans Helvidia, de n'avoir jamais caché ses grossesses ni détruit son fruit pour conserver sa raille & sa beauté, à l'exemple des autres dames romaines. Nunquam te, dit-il à sa gloire, foecunditatis tuae quasi exprobaret aetatem, puduit ; nunquam more alienarum, quibus omnis commendatio ex formâ petitur, tumescentem uterum abscondisti, quasi indecens onus ; nec inter viscera tua, conceptas spes liberorum elisisti. Consolat. ad matrem Helviam, cap. xvj.

On rapporte que les Eskimaux permettent aux femmes, ou plûtôt les obligent souvent d'avorter par le secours d'une plante commune dans leur pays, & qui n'est pas inconnue en Europe. La seule raison de cette pratique, est pour diminuer le pesant fardeau qui opprime une pauvre femme incapable de nourrir ses enfans. Voyage de la baie d'Hudson, par Ellys.

On rapporte encore que dans l'île Formose il est défendu aux femmes d'accoucher avant trente ans, quoiqu'il leur soit libre de se marier de très-bonne heure. Quand elles sont grosses avant l'âge dont on vient de parler, les prêtresses vont jusqu'à leur fouler le ventre pour les faire avorter ; & ce seroit non-seulement une honte, mais même un péché, d'avoir un enfant avant cet âge prescrit par la loi. J'ai vû de ces femmes, dit Rechteren, voyages de la compagnie holland. tom. V. qui avoient déjà fait périr leur fruit plusieurs fois avant qu'il leur fût permis de mettre un enfant au monde. Ce seroit bien là l'usage le plus monstrueux de l'Univers, si tant est qu'on puisse s'en rapporter au témoignage de ce voyageur. Article de M(D.J.)

FAUSSE-COUPE, s. f. (Coupe des pierres) c'est la direction d'un joint de lit oblique à l'arc du ceintre, auquel il doit être perpendiculaire pour être en bonne coupe. Les joints C D, C D, (figure 13.) sont en bonne coupe, parce qu'ils sont perpendiculaires à la courbe, & les joints m n, m n, sont en fausse-coupe.

Lorsque la voûte est plate comme aux plates-bandes, ce doit être tout le contraire ; la bonne coupe doit être oblique à l'intrados, comme sont les joints m n, m n, (fig. 14.) au plat-fond A B, pour que les claveaux soient faits plus larges par le haut que par le bas (car si les joints sont perpendiculaires à la plate-bande, les claveaux deviennent d'égale épaisseur & sont alors en fausse-coupe, & ne peuvent se soûtenir que par le moyen des barres de fer qu'on leur donne pour support, ou par une bonne coupe cachée sous la face à quelques pouces d'épaisseur, comme on en voit aux portes & aux fenêtres du vieux louvre à Paris, dont voici la construction. A B C D (fig. 15.) représente la face d'une plate-bande ; C D est l'intrados ; A B F E est l'extrados en perspective ; m n, m n, est la fausse-coupe apparente ; n o, n o, est la bonne coupe qui est enfoncée dans la plate-bande de la quantité m r de trois ou quatre pouces d'épaisseur, & occupe l'espace r s t. La figure 2. représente la clé, & la figure 3. un des autres voussoirs, où l'on voit une partie concave n r s t, propre à recevoir la partie convexe n r o t v de la clé, & une partie convexe n r o t v (figure 3.) propre à être reçue dans la cavité du voussoir prochain. (D)

FAUSSE-COUPE, s. f. en terme d'Orfévre, est une maniere de vase détaché, orné de ciselure, où la coupe d'un calice paroît être emboîtée & retenue.

FAUSSE-ENONCIATION, (Jurisprud.) est la même chose que faux-énoncé. Voyez ci-devant FAUX-ENONCE. (A).

FAUSSE-EQUERRE, s. f. (Coupe des pierres) on appelle ainsi ordinairement le compas d'appareilleur, quoiqu'il signifie en général un récipiangle, c'est-à-dire un instrument propre à mesurer l'ouverture d'un angle. Voyez EQUERRE. (D)

FAUSSE-ETRAVE, (Marine) c'est une piece de bois qu'on applique sur l'étrave en-dedans pour la renforcer. (Z)

FAUSSE-GOURMETTE, (Manége) Voyez GOURMETTE. (e)

FAUSSE-GOURME, (Maréchallerie) maladie plus dangereuse que la gourme même : elle attaque les chevaux qui n'ont qu'imparfaitement jetté. Voyez GOURME.

FAUSSES-LANCES ou PASSE-VOLANS, (Marine) Ce sont des canons de bois faits au tour : on les bronze afin qu'ils ressemblent aux canons de fonte verte ; & que de loin on croye le vaisseau plus fort & plus en état de défense : les vaisseaux marchands se servent quelquefois de cette petite ruse.

FAUSSE-MESURE, voyez MESURE.

FAUSSE-MONNOIE, voyez MONNOIE.

FAUSSE-NEIGE ou NAGE, terme de Riviere ; c'est une petite buche aiguisée par un bout, que l'on met entre les chantiers pour soûtenir la véritable neige.

FAUSSE-PAGE, (Imprimerie) Voyez PAGE.

FAUSSE-PLAQUE, terme d'Horlogerie ; il signifie en général une plaque posée sur la platine des piliers, & sur laquelle est fixé le cadran.

Dans les pendules, & même dans les montres angloises, cette plaque a de petits piliers, dont les pivots entrant dans la grande platine, forment entre ces deux plaques une espece de cage qui sert à loger la cadrature. Voyez CAGE.

Fausse-plaque se dit plus particulierement d'une espece d'anneau qui entoure la cadrature d'une montre à repétition ou à réveil : cet anneau s'appuie sur la platine des piliers, & porte le cadran, afin que les pieces de la cadrature se meuvent librement entre ces deux parties, & qu'elles ayent une épaisseur convenable. On donne à la fausse-plaque une hauteur suffisante qui, dans les repétitions ordinaires, est d'environ le tiers de la cage. Voyez la fig. 61. Pl. XI. de l'Horlog.

On donne encore ce nom à une espece de plaque en forme d'anneau peu épaisse, qui, dans les anciennes montres à la françoise, tenoit par des vis à la platine des piliers, & sur laquelle posoit le cadran. Quoique dans les montres d'aujourd'hui on l'ait supprimé, en donnant plus d'épaisseur à la platine des piliers, & en la creusant pour loger le cadran ; cependant le côté de cette platine, qui regarde le cadran, s'appelle encore la fausse-plaque. Voyez REPETITION, PLATINE, MONTRE, PENDULE, &c. (T)

FAUSSE-QUEUE, (Manége) Voyez QUEUE.

FAUSSE-QUILLE, (Marine) c'est une ou plusieurs pieces de bois qu'on applique à la quille par son dessous pour la conserver. (Z)

FAUSSE-QUINTE, est, en Musique, une dissonance appellée par les Grecs hemi-diapente, dont les deux termes sont distans de quatres degrés diatoniques, ainsi que ceux de la quinte juste, mais dont l'intervalle est moindre d'un semi-ton ; celui de la quinte étant de deux tons majeurs, d'un ton mineur, & d'un semi-ton majeur, & celui de la fausse-quinte seulement d'un ton majeur, d'un ton mineur, & de deux semi-tons majeurs. Si, sur nos claviers ordinaires, on divise l'octave en deux parties égales, on aura d'un côté la fausse-quinte comme si, fa, & de l'autre le triton, comme fa, si ; mais ces deux intervalles, égaux en ce sens, ne le sont, ni quant au nombre des degrés, puisque le triton n'en a que trois, ni dans la rigueur des rapports, celui de la fausse-quinte étant de 45 à 64, & celui du triton composé de deux tons majeurs, & un mineur, de 32 à 45.

L'accord de la fausse-quinte est renversé de l'accord dominant, en mettant la note sensible au grave. Voyez au mot ACCORD, comme il s'accompagne.

Il faut bien distinguer la fausse-quinte dissonance de la quinte-fausse, réputée consonnance, & qui n'est altérée que par accident. Voyez QUINTE. (S)

FAUSSE-RELATION, en Musique, voyez RELATION.

FAUSSES-RENES, (Manége) Voyez RENES.


FAVAGNANou FAVIGLIANA, (Géog.) Aegusa des anciens. Petite île d'Italie d'environ six lieues de tour dans la mer de Sardaigne, sur la côte occidentale de la Sicile, avec un fort appellé fort de Sainte-Catherine. Long. 30. 20. lat. 38. selon de Lisle. (D.J.)


FAVEURS. f. (Morale) Faveur, du mot latin favor, suppose plûtôt un bienfait qu'une récompense. On brigue sourdement la faveur ; on mérite & on demande hautement des récompenses. Le dieu Faveur, chez les mythologistes romains, étoit fils de la Beauté & de la Fortune. Toute faveur porte l'idée de quelque chose de gratuit ; il m'a fait la faveur de m'introduire, de me présenter, de recommander mon ami, de corriger mon ouvrage. La faveur des princes est l'effet de leur goût, & de la complaisance assidue ; la faveur du peuple suppose quelquefois du mérite, & plus souvent un hasard heureux. Faveur differe beaucoup de grace. Cet homme est en faveur auprès du roi, & cependant il n'en a point encore obtenu de graces. On dit, il a été reçu en grace. On ne dit point, il a été reçû en faveur, quoiqu'on dise être en faveur : c'est que la faveur suppose un goût habituel ; & que faire grace, recevoir en grace, c'est pardonner, c'est moins que donner sa faveur. Obtenir grace, c'est l'effet d'un moment ; obtenir la faveur est l'effet du tems. Cependant on dit également, faites-moi la grace, faites-moi la faveur de recommander mon ami. Des lettres de recommandation s'appelloient autrefois des lettres de faveur. Sévere dit dans la tragédie de Polieucte,

Je mourrois mille fois plûtôt que d'abuser

Des lettres de faveur que j'ai pour l'épouser.

On a la faveur, la bienveillance, non la grace du prince & du public. On obtient la faveur de son auditoire par la modestie : mais il ne vous fait pas grace si vous êtes trop long. Les mois des gradués, Avril & Octobre, dans lesquels un collateur peut donner un bénéfice simple au gradué le moins ancien, sont des mois de faveur & de grace.

Cette expression faveur signifiant une bienveillance gratuite qu'on cherche à obtenir du prince ou du public, la galanterie l'a étendue à la complaisance des femmes : & quoiqu'on ne dise point, il a eu des faveurs du roi, on dit, il a eu les faveurs d'une dame. Voyez l'article suivant. L'équivalent de cette expression n'est point connu en Asie, où les femmes sont moins reines.

On appelloit autrefois faveurs, des rubans, des gants, des boucles, des noeuds d'épée, donnés par une dame. Le comte d'Essex portoit à son chapeau un gant de la reine Elisabeth, qu'il appelloit faveur de la reine.

Ensuite l'ironie se servit de ce mot pour signifier les suites fâcheuses d'un commerce hasardé ; faveurs de Vénus, faveurs cuisantes, &c. Article de M. DE VOLTAIRE.

FAVEURS, (Morale & Galanterie) Faveurs de l'amour, c'est tout ce que donne ou accorde l'amour sensible à l'amour heureux ; ce sont même ces riens charmans qui valent tant pour l'objet aimé : c'est que tout ce qui vient de sa maîtresse est d'un grand prix ; la fleur qu'elle a cueillie, le ruban qu'elle a porté, voilà des thrésors pour celle qui les donne & pour celui qui les reçoit. Les faveurs de l'amour, toutes plus précieuses & plus aimables, se prêtent des secours & des plaisirs égaux ; c'est qu'elles ont toutes une valeur bien grande ; c'est que toûjours plus touchantes à mesure qu'elles se multiplient, elles conduisent enfin à celle qui les couronne & qui les rassemble. Parlerons-nous de ces mysteres, sur lesquels il n'y a que l'amour qui doit jetter les yeux ; instant le plus beau de la vie, où l'on obtient & où l'on goûte tout ce que peut donner de voluptueux & de sensible, la possession entiere de la beauté qu'on aime ? Ne disons rien de ces plaisirs, ils aiment l'ombre & le silence.

Les faveurs mêmes les plus legeres, doivent être secrettes ; il ne faut pas plus avoüer le bouquet donné, que le baiser reçu. Lisette attache une rose à la houlette de Daphnis : ce berger peut l'offrir aux yeux de ses rivaux jaloux ; mais aussi discret qu'il est heureux, Daphnis content joüit en secret de sa victoire : il n'y a que lui qui sait que Lisette a donné ; il n'y a qu'elle d'instruite de sa reconnoissance. Imitons Daphnis. Cet article est de M. DE MARGENCY.

FAVEUR, (Jurisp.) est une prérogative accordée à certaines personnes & à certains actes.

Par exemple, on accorde beaucoup de faveur aux mineurs, & à l'Eglise qui joüit des mêmes priviléges.

La faveur des contrats de mariage est très grande. On fait des donations en faveur de mariage, c'est-à-dire en considération du mariage.

Les principes les plus connus par rapport à ce qui est de faveur, sont que ce qui a été introduit en faveur de quelqu'un, ne peut pas être rétorqué contre lui ; que les faveurs doivent être étendues & les choses odieuses restraintes, favores ampliandi, odia restringenda. Voyez cod. lib. I. tit. xjv. l. 6. & ff. liv. XXVIII. tit. ij. l. 19.

On appelle jugement de faveur, celui où la considération des personnes auroit eu plus de part que la justice.

Il ne doit point y avoir de faveur dans les jugemens ; tout s'y doit régler par le bon droit & l'équité, sans aucune acception des personnes au préjudice de la justice : mais il y a quelquefois des questions si problématiques entre deux contendans dont le droit paroît égal, que les juges peuvent sans injustice se déterminer pour celui qui, par de certaines considérations, mérite plus de faveur que l'autre. (A)

FAVEUR, (mois de) Jurispr. Voyez MOIS DE FAVEUR.

FAVEUR, (Commerce) On appelle, en termes de Commerce, jours de faveur, les dix jours que l'ordonnance accorde aux marchands, banquiers & négocians, après l'échéance de leurs lettres & billets de change, pour les faire protester.

Ces dix jours sont appellés de faveur, parce que proprement il ne dépend que des porteurs de lettres de les faire protester dès le lendemain de l'échéance ; & que c'est une grace qu'ils font à ceux sur qui elles sont tirées, d'en différer le protêt jusqu'à la fin de ces dix jours. Voyez JOURS DE GRACE.

Le porteur ne peut néanmoins différer de les faire protester faute de payement au-delà du dixieme jour, sans courir risque que la lettre ne demeure pour son compte particulier.

Les dix jours de faveur se comptent du lendemain du jour de l'échéance des lettres, à la reserve de celles qui sont tirées sur la ville de Lyon, payables en payemens, c'est-à-dire qui doivent être protestées dans les trois jours après le payement échû, ainsi qu'il est porté par le neuvieme article du reglement de la place des changes de Lyon, du 2 Juin 1667.

Les dimanches & fêtes, même les plus solemnelles, sont compris dans les dix jours de faveur.

Le bénéfice des dix jours de faveur n'a pas lieu pour les lettres payables à vûe, qui doivent être payées si-tôt qu'elles sont présentées, ou faute de payement, être protestées sur le champ. Voyez LETTRES DE CHANGE. Dictionn. de Commerce, de Trév. & de Chambers. (G)

FAVEUR se dit aussi, dans le Commerce, lorsqu'une marchandise n'ayant pas d'abord eu de débit, ou même ayant été donnée à perte, se remet en vogue ou redevient de mode. Les taffetas flambés ont repris faveur. Dictionn. de Comm. de Trév. & Chambers. (G)

FAVEUR s'entend encore du crédit que les actions des compagnies de Commerce, ou leurs billets, prennent dans le public ; ou, au contraire, du discrédit dans lequel ils tombent. Dictionn. de Comm. (G)


FAVIENSS. m. pl. (Hist. anc.) nom qu'on donnoit à Rome à de jeunes gens qui dans les sacrifices offerts au dieu Faune, couroient par les rues d'une maniere indécente, & n'ayant qu'une ceinture de peau. Ils étoient d'une institution très-ancienne, qu'on fait remonter jusqu'à Romulus & à Rémus. Dictionn. de Trévoux & Chambers.


FAVISSES. f. terme d'Antiquaire. Favissa, fosse, ou plûtôt chambre, voûte soûterraine dans laquelle on garde quelque chose de précieux.

Ce mot paroît formé de fovissa, diminutif de fovea, fosse.

Les favisses, suivant Varron & Aulugelle, étoient la même chose que ce que les anciens Grecs & Romains appelloient thesaurus, & non archives & thrésor dans nos églises.

Varron dit que les favisses, ou plûtôt les flavisses, comme on les nommoit d'abord, étoient des lieux destinés à renfermer de l'argent monnoyé : quos thesauros, dit-il, graeco nomine appellaremus, Latinos flavissas dixisse, quod in eas non rude aes, argentumque, sed stata, signataque pecunia conderetur. C'étoit donc des dépôts où l'on conservoit les deniers publics, aussi-bien que les choses consacrées aux dieux.

Il y avoit des favisses au capitole ; c'étoient des lieux soûterrains, murés & voûtés, qui n'avoient d'entrée & de jour que par un trou qui étoit en-haut, & que l'on bouchoit d'une grande pierre.

Elles étoient ainsi pratiquées pour y conserver les vieilles statues usées qui tomboient, & les autres vieux meubles & ustensiles consacrés, qui avoient servi à l'usage de ce temple ; tant les Romains respectoient & conservoient religieusement ce qu'ils croyoient sacré. Catullus voulut abaisser le rez-de-chaussée du capitole, mais les favisses l'en empêcherent.

Festus en donne une autre idée, & dit que c'étoit un lieu proche des temples, où il y avoit de l'eau. Les Grecs l'appelloient , nombril, parce que c'étoit un trou rond. Aulugelle décrit ces favisses ; il les appelle citernes, comme Festus, mais apparemment parce qu'elles en avoient la figure. Ces deux notions ne sont pas fort difficiles à concilier : il est certain que le thrésor dans les temples des anciens grecs, étoit aussi une espece de citerne, de reservoir d'eau, de bain, ou de salle proche du temple, dans laquelle il y avoit un reservoir d'eau, où ceux qui entroient au temple se purifioient. Dictionnaire de Trévoux & Chambers. (G)


FAVORABLE(Marine) vent favorable ; c'est un vent qui porte vers l'endroit où l'on veut aller, ou à la route qu'on veut faire. Voyez VENT, ALISE, &c.


FAVORIFAVORITE, adject. m. & f. (Hist. & Morale) Voyez FAVEUR. Ces mots ont un sens tantôt plus resserré tantôt plus étendu. Quelquefois favori emporte l'idée de puissance, quelquefois seulement il signifie un homme qui plaît à son maître.

Henri III. eut des favoris qui n'étoient que des mignons ; il en eut qui gouvernerent l'état, comme le duc de Joyeuse & d'Epernon : on peut comparer un favori à une piece d'or, qui vaut ce que veut le prince. Un ancien a dit : qui doit être le favori d'un roi ? c'est le peuple. On appelle les bons poëtes les favoris des Muses, comme les gens heureux les favoris de la fortune, parce qu'on suppose que les uns & les autres ont reçu ces dons sans travail. C'est ainsi qu'on appelle un terrein fertile & bien situé le favori de la nature.

La femme qui plaît le plus au sultan s'appelle parmi nous la sultane favorite ; on a fait l'histoire des favorites, c'est-à-dire des maitresses des plus grands princes. Plusieurs princes en Allemagne ont des maisons de campagne qu'on appelle la favorite. Favori d'une dame, ne se trouve plus que dans les romans & les historiettes du siecle passé. Voyez FAVEUR. Article de M. DE VOLTAIRE.


FAYAL(Géog.) île de l'Océan Atlantique, l'une des Açores, d'environ 18 milles de longueur, appartenante aux Portugais, mais elle a d'abord été découverte & habitée par les Flamands. Voy. Mandeslo, voyage des Indes, liv. III. & Linschot. Elle est abondante en bétail, en poisson, & en pastel, qui seul y attire les Anglois : le principal lieu où l'on aborde, est la rade de Villa d'Orta. L'extrémité orientale de cette île, est par le 350 degré de longitude, & le milieu sous le 39 degré 30' de latitude, selon l'isolaire du P. Coronelli. (D.J.)


FAYENCES. f. (Art méch.) La fayence est originaire de Faenza en Italie. On dit que la premiere fayence qui se soit fabriquée en France, s'est faite à Nevers. On raconte qu'un italien, qui avoit conduit en France un duc de Nivernois, l'ayant accompagné à Nevers, apperçut en s'y promenant, la terre de l'espece dont on faisoit la fayence en Italie, qu'il l'examina, & que l'ayant trouvée bonne, il en ramassa, la prépara, & fit construire un petit four, dans lequel fut faite la premiere fayence que nous avons eue. On est alle dans la suite fort au-delà de ces premiers essais.

La terre propre à faire la fayence, est entre la glaise & l'argile ; quand elle manque en quelques endroits, on y supplée par un mélange d'argile & de glaise, ou de glaise & de sable fin, au défaut d'argile, il y faut toûjours une portion de sable, & l'argile en contient ; sans ce mélange, la fayence se fendroit. La qualité du sable varie, selon que la glaise est plus ou moins grasse. Si une seule terre est bonne, on la délaye dans des cuves ou poinçons pleins d'eau avec la rame. (Voyez Planches du Potier de terre & du Fayencier, cet instrument, fig. 10. il est très-bien nommé, & sa figure est à-peu-près la même qu'on voit à celle de nos Bateliers). On la fait ensuite passer par un tamis de crin grossier, & tomber dans une fosse. Voyez fig. 11.

La fosse est pratiquée en terre, sur deux piés & demi de profondeur, & sur une largeur proportionnée à la grandeur des lieux & à l'importance de la manufacture : les côtés en sont garnis de planches, & le fond pavé de briques ou de tuiles. Il y a des fabriquans qui répandent un peu de sable sur le fond, avant que d'y couler la terre ; par ce moyen on l'enleve & détache du fond plus facilement, lorsqu'elle est devenue assez dure. Pendant que l'eau, chargée de la terre, séjourne dans la fosse & y repose, l'eau s'évapore & la terre se dépose. Il y a des fosses où l'on n'attend pas l'évaporation de l'eau ; il y a des décharges ou des issues pratiquées au-dessus de la terre, par lesquelles on laisse écouler l'eau, quand la chûte ou le dépôt de la terre s'est fait : lorsqu'elle est devenue assez dure pour être enlevée, on la prend dans des vaisseaux ; ce sont des bassins, des soupieres, & autres vases biscuités & défectueux.

On place ces vaisseaux sur des planches en été ; dans l'hyver autour du four, pour en faire évaporer l'humidité. Quand l'eau en est assez égouttée, on retire la terre des vaisseaux ; on la porte dans une chambre profonde & quarrelée ; on l'y répand, & on la marche pié-nud jusqu'à ce qu'elle soit liante : on la met ensuite en mottes ou masses, plus ou moins considérables, selon les différens ouvrages qu'on en veut former. Plus on la laisse de tems en masse, avant que de l'employer, meilleure elle est : on peut l'y laisser jusqu'à deux ou trois mois.

La terre brune qui résiste au feu est plus maigre que celle de la fayence ordinaire : elle est faite moitié de terre glaise, moitié d'argile. Au défaut d'argile, on substitue un tiers de sable fin. Il faut avoir égard dans ce mélange à la nature de la terre glaise, & mettre plus ou moins de sable, selon qu'elle est plus ou moins grasse, & pareillement plus ou moins d'argile : il ne faut pas dans le mélange que l'argile ou la terre soit trop liquide ; trop de fluidité donneroit lieu au sable de se séparer de la terre, & comme il pese plus qu'elle, de se déposer : cela n'arrivera point, si le mélange a quelque consistance.

Pour bien mélanger, on doit passer les matieres dans des cuves séparées ; faire le mélange, & jetter ensuite le tout dans la fosse. Observez que plus la terre se cuira blanche, moins il lui faudra de blanc ou d'émail pour la couvrir.

Ceux qui veulent avoir une fayence bien fine, passent leur mélange ou leur terre par des tamis plus fins, & se servent de fosses d'environ seize à dix-huit pouces de profondeur, afin que leur terre se seche plus vîte.

Pour la faire passer par un tamis, il faut qu'elle soit beaucoup plus fluide, & par conséquent bien plus chargée d'eau ; il faut donc prendre quelque précaution pour en hâter la dessication, & celle que l'on prend consiste principalement dans la construction des fosses.

La terre étant préparée. comme nous venons de le dire, le tourneur monte sur le tour (voyez fig. 9. le tour du fayencier) ; la construction en est si simple, qu'il est plus facile de la concevoir par un coup d'oeil sur la figure, que sur une description ; & posant un de ses piés contre la traverse ou planche, il pousse la roue, il continue de la pousser jusqu'à ce qu'elle ait un mouvement assez rapide. Alors il prend une balle, motte, ou pain, qu'il jette sur la tête du tour ; il trempe ses mains dans l'eau ; il les applique ensuite sur la terre attachée à la tête du tour, la serrant contre peu-à-peu, & l'arrondissant ; il la fait ensuite monter en forme d'aiguille, puis il met le pouce sur le bout, il le presse & le fait descendre. C'est alors qu'il commence à ouvrir la terre avec le pouce, & à former l'intérieur de la piece. Pour la hauteur & la longueur, il la détermine avec une jauge. Si la piece est délicate, il l'égalise avec l'estoc (voyez cet instrument fig. 12.) c'est une portion de cercle, percée d'un oeil dans le milieu ; il est ou de bois ou de fer en mettant ses doigts en dedans de la piece, les plaçant contre ses parois, & appliquant l'estoc avec l'autre main contre les parois extérieures & à l'endroit correspondant aux doigts qui sont appliqués aux parois intérieures ; en montant & descendant la main & l'estoc en même tems, & serrant les parois entre l'estoc & ses doigts, il les rend unis, les égalise, & leur donne la forme convenable. Il prend après cela le fil de cuivre ; il s'en sert pour couper la piece, & la séparer de la tête du tour : il l'enleve avec ses deux mains, & la pose sur une planche : il travaille ensuite à une autre piece. Quand la planche est couverte d'ouvrage, il la met sur les rayons, afin de donner le tems aux pieces de s'essuyer & de se raffermir, afin de pouvoir être tournassées ou réparées. Il a soin que les pieces ainsi ébauchées ne deviennent pas trop seches. Pour prévenir cet inconvénient, on les met en tas dans un coffre, ou on les enveloppe d'un linge mouillé. Quand il y en a un nombre suffisant, alors il fait la tournasine, selon la piece. Si c'est une assiette, il met sur la tête du tour un morceau de terre molle ; il lui donne à-peu-près la forme du dedans de l'assiette, & le laisse sur la tête du tour jusqu'à ce que toutes les pieces de la même sorte soient tournassées. Pour faire prendre à ce morceau de terre molle la forme du dedans de l'assiette, il commence par l'ébaucher avec ses doigts, puis il le laisse sécher ; & quand il est un peu sec, il acheve de lui donner la forme la plus approchante du dedans d'une assiette, qui peut avec le tournasin (voyez fig. 13 cet instrument) : c'est une tringle de fer, dont les deux extrémités ont été recourbées en sens contraires, & applaties ; ces parties recourbées & applaties, sont tranchantes ; elles sont dans des plans à-peu-près paralleles, & quand l'une est en dessus de la tringle ou du manche, l'autre est en-dessous. Ce morceau de terre, d'une forme approchée (je dis approchée, car on observe de le faire un peu plus grand, afin qu'il puisse servir à toutes les pieces de la même sorte, quand même elles seroient un peu inégales), s'appelle la tournasine. La tournasine étant achevée, on tire plusieurs tas de marchandises ébauchées du coffre, qu'on porte sur la table du tour, puis l'ouvrier monte au tour, le fait aller comme pour ébaucher, prend une assiette, la renverse sur la tournasine, où il a soin qu'elle soit posée droite & horisontale ; il prend la tournasine : il en place le tranchant au milieu ou au centre du dessous de l'assiette, le faisant un peu entrer dans la terre ; & comme la roue est en mouvement ; l'instrument enleve en copeaux la terre raboteuse depuis le centre jusqu'au bord, en le conduisant de la main. Quand le tournasin est écarté du centre, l'ouvrier y pose le pouce & tient l'assiette en respect. De cette maniere, il ôte de la terre où il y en a de trop, & façonne la piece en-dehors, car la façon du dedans se donne en ébauchant. Cette seconde opération, que nous venons de décrire, s'appelle tournasser.

Quand la piece est tournassée, on la remet sur la planche, & on passe à un autre ; quand la planche est chargée, on la met sur les rayons, afin que les pieces sechent entierement ; c'est ce qu'on appelle le cru.

Quand il y aura assez de cru pour remplir le four, on l'encastre dans des gasettes ou especes de capsules, c'est-à-dire qu'on place dans une gasette autant de pieces qu'on en peut mettre les unes sur les autres, sans que le poids des supérieures écrase les inférieures.

Une gasette est un vase de terre cylindrique, qui a pour diametre la distance d'un trou à un autre trou dont la voûte inférieure du four est percée ; la hauteur est arbitraire, ainsi que l'épaisseur : elle a 6, 7, 8 lignes. Voyez fig. 15.

Quand les gasettes sont remplies, on les porte au four, & l'enfourneur les place dans le four, en commençant par la partie du mur qu'il a en face, ou qui est vis-à-vis la bouche ou le guichet. Quand il a fait un rang, il en fait un second sur le premier, & ainsi de suite jusqu'à la seconde voûte. Cela fait il recommence un autre rang concentrique à celui-ci, & il continue jusqu'à ce que le four soit plein.

On enfourne aussi en échappade ou en chapelle : en enfournant de cette maniere, on place plus de cru dans le four qu'avec les gasettes : mais dans ce cas, on fait faire des tuiles en quarré, dont les côtés soient égaux au diametre de la gasette ; on en coupe les quatre coins ; ensorte que les parties coupées étant rassemblées, elles couvriroient justement un des trous dont la voûte inférieure est percée. On se pourvoit de piliers de terre de plusieurs hauteurs, selon les pieces. On forme ces piliers sur la roue. Quand on a fait cuire au four & les tuiles coupées par les coins, & les piliers, on peut s'en servir de la maniere suivante. On enfourne le premier rang de gasette ; on en met, si l'on veut, deux ou trois rangs l'un sur l'autre ; puis on les couvre avec des tuiles ; & sur les tuiles où les bords se touchent, on place deux piliers ; on en place deux autres contre le mur de côté ; puis deux autres, dont les bouts portent sur les tuiles ; & l'on continue ainsi tout le long jusqu'à l'autre côté du four : ensuite on remplit de marchandise, le vuide entre les piliers. Cela fait, on place encore d'autres tuiles sur les piliers, & l'on réitere jusqu'à ce que le four soit rempli. Il y a des fabriquans qui n'employent que trois piliers, parce que les tuiles portent sur tous les trois, & qu'il est difficile de les faire porter sur quatre. Mais si on met sur le pilier qui ne se trouve pas d'égale hauteur avec les trois autres, un peu de terre molle, de cette terre dont on fait les piliers & les gasettes, & que l'on appuie la tuile dessus, elle portera également sur les quatre piliers, & cette manoeuvre vaudra mieux que l'autre. Il arrive quelquefois que ces tuiles sont chargées de marchandises pesantes, & que le four étant bien chaud, le bout des tuiles qui ne sont soûtenues que d'un pilier qui répond toujours au milieu de deux, plie & donne tems aux marchandises de se défigurer. Mais il n'y a rien à craindre avec quatre piliers. Voyez fig. 21, une coupe verticale du four avec un commencement de fournée en échappade ou en chapelle. Le four étant plein, on le bouche. L'on a soin d'y laisser une ouverture, afin de retirer les montres, & s'assurer quand les marchandises sont cuites. Les montres sont de petits vases qui servent à indiquer par leur cuisson. celle du reste des pieces enfournées.

Quand le four est bouché, on met le blanc au four, dans une fosse faite de sable, pour y être calciné & réduit en émail, & ceux qui font la belle fayence, y mettent aussi leur couverte à calciner. Voici une bonne composition pour la fayence ordinaire, telle que celle de Nevers. Prenez 100 livres de calciné, 150 de sable de Nevers, 25 de salin. Le salin, c'est le sel de verre. Quant au calciné, c'est un mélange de 20 livres d'étain fin, & 100 livres de plomb. On met le tout ensemble dans la fournette : on calcine, & l'on a une poudre blanche jaunâtre. Il ne faut pas que la fournette soit trop chaude ; il faut seulement que la matiere y soit tenue bien liquide : on la remue continuellement avec un rable de fer, jusqu'à ce qu'elle soit réduite en poudre, & d'une couleur tirant sur celle du soufre pâle. La fournette est une espece de petit fourneau de réverbere.

La cuisson de la fayence est très-difficile : elle demande de l'expérience. On commence par allumer un petit feu dans le foyer de la bouche. La bouche est une ouverture profonde, oblongue, antérieure au four à potier, & presque de niveau avec la premiere voûte du four ; c'est proprement le foyer du four. Voyez dans la figure 21. l'endroit où le feu est allumé. L'on fume les marchandises en entretenant le feu modéré pendant 6, 7, 8, 9, 10 heures, selon la qualité de la terre dont la marchandise est faite. On augmente le feu peu-à-peu, en l'avançant vers la premiere voûte du four. Quand on croit pouvoir augmenter le feu, on le fait du degré moyen entre le plus petit & le plus violent, en mettant des buches fendues en deux, en quatre, à travers la bouche. On entretient ce feu pendant deux ou trois heures, puis on couvre la bouche tout-à-fait. On donne grand feu, jusqu'à ce que les marchandises soient cuites, observant de ne pas conduire le feu irrégulierement, & de ne pas exciter la fougasse.

La fougasse est une grande & forte flamme excitée par un feu irrégulierement conduit & poussé avec trop de violence, qui passe subitement par les trous de la voûte, & qui gâte les marchandises. L'ignorance ou la négligence donne lieu à cet inconvénient ; il ne faut que laisser tomber le bois dans le foyer, avant que d'avoir perdu la plus grande partie de sa flamme.

On quitte le four au bout de trente ou de trente-six heures. Puis on défourne. Il y en a qui défournent en vingt ou vingt-quatre heures : c'est selon que la terre est plus ou moins dure à cuire. Quand on a défourné, on a soin de conserver les tuiles & les piliers, pour en faire encore usage. Quant aux vaisseaux fêlés, ils serviront à mettre secher la terre. Pour la bonne marchandise que l'on appelle biscuit ; on la portera à l'endroit du laboratoire, où elle doit recevoir le blanc ou l'émail.

Après avoir défourné, on descend dans la voûte d'en-bas, & l'on en enleve le blanc que la grande chaleur du four en feu a calciné, & réduit en un gâteau ou masse de verre blanc comme du lait, & opaque. On rompt le gâteau avec un marteau, & on l'épluche, c'est-à-dire qu'on ôte le sable qui y est attaché ; puis on l'écrase bien menu, & on le porte au moulin (voyez fig. 22. une coupe du moulin avec son auge, sa meule, & son axe ou sa manivelle), où il y a de l'eau, selon la quantité de blanc qu'il peut contenir. On met le moulin en mouvement, & l'on y verse du blanc peu-à-peu, jusqu'à ce qu'il y en ait assez ; & l'on continue à tourner le moulin, qui est fort rude. Si le moulin est grand, on y employe cinq à six hommes pour engrener : au bout d'une heure de travail, 4 hommes suffiront, puis 3 ; puis au bout de quatre heures, un homme seul suffira. On continue ce travail jusqu'à ce que le blanc soit moulu aussi fin que la farine : pour s'assûrer s'il est assez menu, on en prend une goutte tandis que le moulin est en mouvement ; on la laisse tomber sur l'ongle du pouce gauche, on frotte avec le pouce droit ; & si l'on ne sent rien de rude, c'est signe qu'il est assez broyé. Quand on quitte le moulin ou le soir ou à dîner, on tourne la meule trois ou quatre tours avec toute la vîtesse possible, & on l'arrête tout-court : alors personne ne la touche que celui qui doit la faire aller, sans quoi on exposeroit, en tournant la roue, la matiere à se prendre & à se durcir ; on auroit ensuite beaucoup de peine à faire aller le moulin ; on seroit même quelquefois obligé d'enlever la plus grande partie de la matiere, ce qui deviendroit dispendieux par la perte du tems. On auroit de la peine à concevoir pourquoi en tournant trois ou quatre tours avec vîtesse, on empêche le blanc de se prendre. J'avois crû d'abord qu'en tournant ainsi très-rapidement, on forçoit les parties les plus fluides à se séparer des grossieres & à monter au-dessus d'elles ; d'où cherchant ensuite à descendre, elles arrosoient continuellement ces parties grossieres, se remêloient avec elles, & entretenoient la fluidité, qui auroit cessé bien promtement, si on n'avoit pris cette précaution de les séparer & de les faire monter par un mouvement rapide. Je pensois que, si on les eût laissé mêlées, elles se seroient séparées d'elles-mêmes ; & qu'au lieu de se trouver sur les parties grossieres, elles seroient descendues au-dessous, & que les parties grossieres se seroient prises. Un homme intelligent à qui je proposai ce phénomene à expliquer, m'en donna une autre raison qui peut être meilleure. Il me dit que dans les tours rapides qu'on faisoit faire à la roue avant que d'enrayer, les matieres montoient en abondance entre la meule & l'auge ; que c'étoit cette seule abondance de matiere dont la dessication étoit lente, qui les empêchoit de prendre & de se durcir ; & que le même phénomene arrivoit à ceux qui porphyrisent les couleurs, ces ouvriers ayant d'autant plus de peine à séparer la molette du marbre, qu'il y a moins de couleur sur le marbre.

Il faut que le blanc soit fort fin, parce qu'il en sera plus beau sur la marchandise ; & que les surfaces en étant plus multipliées, il en couvrira d'autant plus de pieces. Le blanc étant bien broyé, on le vuidera du moulin dans une cuve plus grande ou plus petite, selon la quantité qu'on en aura, & le nombre des pieces à tremper : on le remuera, pour le rendre également liquide, tant au fond qu'à la surface ; s'il étoit trop épais, on le rendra fluide en y ajoûtant de l'eau. On prend ensuite une piece de biscuit, on la plonge dans le blanc, on l'en retire promtement, laissant égoutter le superflu du blanc dans la cuve : la piece trempée se sechera sur le champ, on grattera un peu le blanc avec l'ongle ; si on le trouvoit trop épais, on ajoûteroit encore de l'eau au blanc dans la cuve, & l'on remueroit comme auparavant. On feroit ensuite un nouvel essai, en trempant un autre vaisseau. On continuera de tremper les vaisseaux les uns après les autres, & on les arrangera sur la planche. Dans le cas où le blanc fût trop clair, on le laisseroit reposer, & on ôteroit ensuite le superflu de l'eau. Une observation qu'il faut faire, c'est que quand le biscuit est déjà blanc & qu'il est bien cuit, il ne demande pas que le blanc soit si épais ; c'est le contraire si le biscuit est rouge, on se regle là-dessus. Une autre observation non moins importante, & qui peut avoir lieu dans la porcelaine, c'est que quand le biscuit est d'une extrème dureté, on prend de la terre ; on en prépare un lait d'argile, en la détrempant claire, & en donnant lieu au sable dont elle est mêlée, de tomber au fond de l'eau ; on sépare la partie la plus tendre & la plus fine, & on en donne une couche aux pieces, soit par immersion, soit à la brosse ; ce qui forme une assiette excellente à l'émail : sans cette assiette l'émail ondulera & couvrira mal. Cette manoeuvre est très-délicate ; les Chinois l'ont pratiquée dans quelques-unes de leurs porcelaines, où l'on distingue très-bien trois substances différentes, le biscuit, la couverte, & la ligne mince d'assiette qui est entre le biscuit & la couverte, & qui leur sert pour ainsi dire de gluten.

Toutes les pieces étant trempées & prêtes à être enfournées, on a des gasettes de la même figure que les premieres (voyez fig. 15.), mais d'une grandeur proportionnée à celle des pieces. Ces gasettes sont percées en trois endroits de rangs de trous paralleles & en triangle. La base du triangle est tournée vers la base de la gasette, & l'angle regarde le haut de ce vaisseau. Ces rangs de trous sont deux à deux. Par les trois trous d'en-bas, on passe trois pernettes ou prismes de terre (figure 14.), dont le bout de chacune entre en-dedans de la gasette, de neuf lignes ou environ. Sur ces trois extrémités de pernettes on pose une assiette ou un plat ; on place trois autres pernettes dans les trous qui sont au dessus des précédentes ; on y pose un second plat, & l'on continue ainsi jusqu'à ce que la gasette soit pleine. On remplit de même les autres, & on les enfourne comme ci-devant. On peut cuire dans le même four & dans la même fournée, le crû aussi-bien que le biscuit émaillé. S'il arrive que la terre soit trop dure à cuire, on met le crû en-bas ou sur la planche du four, & le biscuit émaillé en-haut : au contraire si la terre n'est pas dure, on met l'émaillé en-bas & le biscuit en-haut. Il est bon de savoir que si le biscuit est trop cuit, il ne prendra plus le blanc ; c'est pourquoi l'on place ordinairement le crû en-haut, à moins que la terre ne soit extraordinairement dure à cuire.

Les gasettes (fig. 15.) sont faites ou au tour ou au moule ; on leur donne, dans l'un & l'autre cas, l'épaisseur, la largeur & la hauteur convenables. La plûpart des fabriquans les font faire sans fond, mais leur laissent seulement un bord d'environ neuf à dix lignes de largeur.

Pour faire les gasettes au moule, il faut avoir un moule à tuile, & un autre en rond ou en ovale pour les façonner. Il y a des gasettes de soixante pouces en diametre, de vingt & de quatorze. Si on les vouloit de quatorze pouces de diametre sur autant de hauteur, le moule pour la tuile devroit être de quarante-quatre pouces de tour (parce que la terre prend retrait), d'environ quatorze pouces de longueur dans oeuvre, & de sept lignes de profondeur ou à-peu-près. On pose le moule sur une table unie ; on répand dessus un peu de sable sec & fin, & on le remplit de terre qu'on serre bien avec la main : s'il y en a trop, on enleve le superflu avec un fil d'archal ou de cuivre ; après quoi on le repasse avec une latte ou couteau, afin de l'égaliser par-tout. On enleve ensuite le moule, & la tuile reste. Alors on prend l'autre moule qui est bâti de cerceaux, comme ceux avec lesquels on fait les tambours (voyez figure 16.) ; il doit avoir quatorze pouces en diametre, & la même hauteur que la tuile ; un bâton placé en-travers à sa partie supérieure, lui sert d'anse. On place sur les parois extérieures du rond, la tuile, de sorte que les bords de la tuile & ceux du rond ne s'excedent pas ; puis avec une main, on éleve un bout de la tuile, & on la presse contre le rond ; & en tournant, les deux bouts de la tuile se rencontreront : alors on place une main où ils se rencontrent, & l'autre vis-à-vis : on enleve le rond avec la tuile, & on les pose sur une planche ronde. Là on consolide les deux bouts de la tuile ensemble, on porte le tout sur la planche ronde, & on le glisse à terre : on retire ensuite le moule, & l'on recommence.

Quand les gasettes sont un peu durcies, alors on fait les trous à pernettes. Pour cet effet on a une planche percée triangulaire (voyez figure 17.), dont les trous soient à une distance les uns des autres, telle que cette distance soit du moins égale à la hauteur d'une assiette ; puis avec un perçoir triangulaire de fer ou de bois, mais le fer vaut mieux (voyez figure 18.), la planche étant placée contre les parois de la gasette, on ouvre des trous égaux & triangulaires, en passant le perçoir par les trous de la planche d'une main, & en soûtenant de l'autre main la surface de la gasette : cela fait, on recommence la même chose en deux autres endroits de la gasette, afin que chaque plat ou assiette puisse être posée sur les angles de trois pernettes. Il faut que les pieces posent sur ces angles, parce qu'ainsi elles ne sont touchées des trois pernettes qu'en trois points ; qu'elles chauffent également par-tout ; & que s'il arrive à l'émail de couler, l'adhésion n'est rien. C'est pour empêcher cette adhésion qu'on n'apperçoit point d'émail ou de couverte à la partie inférieure des pieces sur laquelle elles sont posées dans le four. Cela fait, on met la gasette à sécher.

Ces gasettes étant faites & biscuitées, de même que les pernettes, qui ne sont qu'un prisme triangulaire fait de bonne terre, on fait les pernettes ; les pernettes se font à la main, mais on peut aussi les faire au moule. Voyez fig. 14. Quand ces pernettes sont cuites, on les ajuste dans les trous des gasettes ; quand les gasettes sont encastrées, on les enfourne, & avec elles des marchandises en échappades, comme j'ai déjà dit.

Mais la plus grande partie des fayences sont peintes : voici comment on les colore.

Bleu : on prend le meilleur safre, on le met dans un creuset ; on couvre le creuset d'une tuile qui résiste au feu ; on met le tout sous le four pour y être calciné : quand le four est froid, on retire le creuset. On prend autant de smalt (voy. SMALT), & on broye le tout ensemble, jusqu'à ce que le mélange soit aussi fin que le blanc, & l'on conserve cette couleur pour en faire usage.

Rouge : le plus bel ocre jaune calciné deux à trois fois dans le four où l'on cuit les marchandises, pilé & broyé, donnera cette couleur.

Jaune : la terre de Naples bien broyée & délayée.

Autre jaune : 4 livres mine de plomb ou de plomb rouge, 2. de cendre de plomb, 2. de sable blanc, d'ocre rouge, ou d'ocre jaune, calciné & réduit en poudre ; 2. d'antimoine crû mis en poudre, 1. de verre blanc ou crystal, aussi mis en poudre : mêlez, faites calciner doucement, faites fondre ensuite, pilez, broyez.

Vert : 2 livres vert d'ardoise, 1. limaille d'épingles, 1. minium, 1. verre blanc : mettez en poudre, mélangez, faites fondre, broyez, &c.

Autre vert : 1. de jaune, 1. de bleu : mêlez, broyez.

En unissant ces deux couleurs on aura différens verts, selon que l'on mettra plus ou moins de jaune, la quantité de bleu restant la même.

Autre vert : 4. de bouteilles cassées, 1 1/2 vert d'ardoises, 1 1/2 de limaille d'épingles, 1. de soude d'Alicant ou de Varech : mettez en poudre, mêlez, faites fondre.

Brun : calcinez l'ardoise deux fois sur le four, mettez-la en poudre, prenez-en 2 parties ; 2. de poudre de bouteilles cassées, 1. de chaux en poudre, 1. de soude, & 4 onces de Périgueux : mêlangez, faites fondre, &c.

Autre : 3. de minium ou mine de plomb, 1/2. de sable d'Anvers, 1. d'ocre rouge, & 4 onces de Périgueux.

Bleu violet : 1. de potasse, 3/4. sable blanc, 2. de blanc à biscuit, mais sec ; 8 onces de safre, 1 once de manganese : mettez en poudre, faites fondre, &c.

Les couleurs étant ainsi préparées, on les employe à l'eau.

Quand l'assiette a été trempée dans le blanc, & qu'elle est seche, le peintre la prend, & y trace la figure qu'il veut : quant au trait rond, il se sert pour le tracer d'une tournette. Voyez la tournette, fig. 19. Il place l'assiette sur la tête de la tournette ; il la met en mouvement avec la main, observant que le centre de la tête de la tournette réponde bien au centre de la piece : cela fait, il la touche du pinceau, & la tournette fait le trait.

Outre que ceux qui se piquent de faire la belle fayence, font passer leur terre au tamis fin, comme nous avons dit, ils employent aussi des couleurs & un blanc meilleurs.

Blanc fin : tirez le sel de soude, comme nous dirons à l'article de la VERRERIE ; prenez 50 parties de ce sel, 80. de beau sable blanc pur & net, réduisez le sel en poudre, mêlangez avec le sable ; faites calciner le mélange dans la fournette, comme s'il s'agissoit de faire du crystal : cela fait, mettez en poudre en le pilant ; passez au tamis ; prenez 50. d'étain fin, autant de plomb ; calcinez comme ci-dessus, broyez. Passez au tamis, ajoûtez ces calcinés en semble ; ajoûtez 1 de la plus belle potasse blanche, 3 onces & 2 gros de manganese de Piémont, préparée comme nous le dirons à l'article VERRERIE ; mêlez le tout, passez au crible, faites fondre, épluchez, broyez comme le blanc. Une livre de ce blanc équivaudra à deux livres de blanc ordinaire.

Il faut, au reste, faire une expérience de ce blanc en petit, parce que si le sable étoit tendre à fondre, comme celui de Nevers, il en faudroit ajoûter davantage.

On pourroit faire le blanc avec la soude même, sans en tirer le sel : il suffiroit d'ajoûter à la composition sur chaque 100 livres, 8 onces de manganese ; mais comme les Fayenciers ne sont point dans l'usage de la manganese pour le blanc, ils diront peut-être qu'elle rendra l'émail ou brun ou noirâtre : mais qu'ils en fassent l'expérience en petit avant que de rien prononcer ; la violence du feu détruit toutes les couleurs accidentelles & toutes les saletés.

Autre blanc à l'angloise : 150 livres de varech, ou de la soude qui se fait sur les côtes de la Normandie ; 100. de beau sable blanc : ajoûtez 18 livres d'étain & 54. de plomb, calcinés ensemble ; 12 onces de manganese préparée comme pour le crystal : mélangez, mettez fondre dans le feu, &c.

Autre de Hollande : 50. de sable bien net : 15. de potasse, 20. de soude. Quand la soude aura été mise en poudre, on ajoûtera 6 onces de manganese ; on mêlangera, on calcinera comme pour le crystal ; on pilera, passera au tamis ; on ajoûtera 20 liv. d'étain, 20 de plomb calcinés ensemble : mêlangez, faites fondre dans le four, &c.

Couleurs fines pour peindre la fayence : prenez du meilleur bol arménien, calcinez trois fois, broyez ; prenez 12 livres de blanc fin réduit en poudre, 8 onces de safre ainsi préparé, 1 gros d'aes ustum mis en poudre : mêlangez, mettez sous le four dans un grand creuset à fondre ; laissez refroidir le creuset, rompez-le pour avoir la matiere ; épluchez cette matiere des écailles du creuset ; pilez, broyez, & vous aurez un très-beau bleu.

Vert : prenez de l'écaillemine ou limaille d'épingles pilée, mettez au creuset, couvrez avec une tuile ; mettez sur un fourneau crû un peu de charbon, allumez à l'entour, puis mettez dans la cheminée & augmentez le feu peu-à-peu, jusqu'à ce que le creuset soit couvert ; continuez pendant deux heures ; laissez refroidir, pilez, broyez, gardez pour l'usage.

Prenez aussi l'écaille qui tombe de l'enclume des Serruriers, sans ordure ; pilez, broyez, & gardez pour l'usage.

Prenez du blanc en poudre 8, 5 d'écaillemine préparée : 1 gros de paille de fer préparée : mêlez, faites fondre, &c.

Pourpre commun : 6 de blanc en poudre, 3 onces 1/2 de manganese : mêlez, faites fondre, &c.

Jaune : 6. de blanc en poudre : 5 onces de tartre rouge de Montpellier ; réduisez en poudre : 1 gros 36 grains de manganese préparée : mêlez, mettez dans un grand creuset, à cause de l'ébullition : faites comme ci-dessus.

Brun : 6. de blanc commun en poudre, 3 onces de Périgueux, 1/2 de safre : mêlez, & faites comme ci-dessus.

Noir : 6. de blanc commun en poudre, 3 onces de safre non calciné, 2 de manganese, 2 onces de Périgueux, 1/2 once de paille de fer : mêlez, faites fondre, &c.

De ces couleurs mélangées on obtiendra toutes les autres.

Couverte : la couverte n'est autre chose qu'une sorte de beau crystal tendre. Prenez trente livres de litharge, 12 de potasse, 18 de beau sable blanc ; ajoûtez 2 onces d'arsenic blanc en poudre ; faites fondre au four : cela fait, épluchez comme le blanc, pilez, broyez.

Ceci donne un vernis brillant, & fait couler le blanc. Il faut que cela soit bien broyé & bien liquide, & l'on s'en sert de la maniere suivante.

On a une brosse ou aspersoire (voyez figure 20.) ; on la trempe dans la couverte, qui est fluide comme l'eau ; on l'a tient de la gauche, & avec les doigts de la main droite on tire le crin vers soi, en le laissant aller ; on asperge ou arrose la piece : on répete la même chose. Mais en Hollande on tient le vaisseau couvert de blanc, & peint, sur la paume de la main gauche, & l'aspersoir de l'autre main, & l'on répand la couverte dessus, en le secoüant.

Autre couverte blanche : prenez 4 livres de cendres de plomb, 2 livres de cendres d'étain ou de potée, & une bonne poignée de sel commun ; faites fondre le tout jusqu'à ce qu'il se vitrifie, & formez-en des gâteaux pour l'usage.

Couverte jaune : prenez de cendres de plomb, du minium & de l'antimoine, de chacun une partie ; de cailloux calcinés & broyés, deux parties ; une partie de sel gemme ou sel commun : broyez, faites fondre, & procédez du reste comme à la couverte précédente.

Ou prenez 6 livres de cendres de plomb, d'antimoine & de moulée d'ouvriers en fer, de chacun 1 livre ; de sable 6 livres : faites fondre, &c.

Couverte verte : prenez deux parties de sable, trois parties de cendres de plomb, des écailles de cuivre à volonté : faites vitrifier. Ajoûtez, si vous voulez, une partie de sel, la matiere en fondra plus aisément ; le vert sera plus ou moins foncé, selon le plus ou le moins d'écailles de cuivre.

Couverte bleue : prenez du sable blanc ou des cailloux, réduisez-les en poudre fine ; ajoûtez égale quantité de cendres de plomb, & un tiers de partie de bleu d'émail : faites fondre, formez des gâteaux, & gardez-les pour l'usage.

Ou prenez 6 livres de cendres de plomb, 4 de sable blanc bien pur, 2 de verre de Venise, une demi-livre ou trois quarterons de safre, & une bonne poignée de sel, & procédez comme ci-dessus.

Couverte violette : prenez cendre de plomb une partie, sable pur trois parties, bleu d'émail une partie, manganese un huitieme d'une partie, & procédez comme ci-dessus.

Couverte brune : prenez verre commun & manganese, de chacun une partie ; de verre de plomb deux parties, & achevez comme pour les autres.

Couverte noire ou foncée : prenez deux parties de magnésie, de bleu d'émail une partie, de cailloux calcinés, de cendres de plomb & de chaux une partie & demie, & achevez comme ci-dessus.

Couverte singuliere : prenez de minium & de cailloux calcinés parties égales, réduisez-les en poudre fine, mettez le mélange en fusion, & formez des gâteaux.

Couverte de couleur ferrugineuse : prenez deux parties de cendres de plomb ; de cendres de cuivre, & de verre commun, ou de caillou blanc, une partie ; & procédez comme ci-devant.

Les compositions suivantes sont de Kunckel, qui les a rassemblées dans son traité de la Verrerie ; elles lui ont été communiquées par ceux qui de son tems travailloient en Hollande à la fayence. Il lui en coûta beaucoup de peines & de dépenses pour les apprendre des ouvriers qui en avoient toûjours fait mystere. Il les a vûes pratiquer, & il en a éprouvé lui-même un grand nombre. Voyez la traduction que M. le baron d'H.... nous a donnée de l'ouvrage de Kunckel.

Massicot ou base de la couverte blanche : prenez du sable fin, lavez-le avec soin ; mettez sur 100 livres de sable, 44 livres de soude & 30 livres de potasse ; calcinez le tout, & vous aurez le massichot ou massicot.

Autre préparation du massicot : prenez 100 livres du premier, 80 livres de chaux d'étain, 10 livres de sel commun : faites calciner le mélange à trois différentes reprises.

Autre couverte de la chaux d'étain : prenez 100 livres de plomb, 33 livres d'étain : faites calciner, & vous aurez ce que l'on nomme la matiere fine pour la couverte blanche.

Autre couverte meilleure : prenez 40 livres de sable bien pur, 75 liv. de litharge ou cendre de plomb, 26 livres de potasse, 10 livres de sel commun, & faites calciner le mélange.

Autre couverte : prenez 50 livres de sable pur, 70 livres de litharge ou cendres de plomb, 30 livres de potasse, 12 livres de sel commun, & calcinez le mélange.

Autre couverte : prenez sable pur 48 livres, cendres de plomb 60, potasse 20, sel marin 8, calcinez le mélange.

Autre couverte : prenez sable pur 10 livres, cendres de plomb 20, sel marin 10. Ces couvertes communes sont, comme on voit, à-peu-près les mêmes.

On couvre les vaisseaux de ces compositions fluides, on les peint ensuite de la couleur qu'on veut, & on les place dans les gasettes, comme nous avons dit plus haut, & les gasettes dans le fourneau.

Email blanc : prenez 2 livres de plomb ; 1 liv. d'étain & un peu plus ; calcinez le mélange, réduisez-le en cendres : prenez de ces cendres 2 parties ; de sable blanc ou de caillou calcinés, ou de morceaux de verre blanc, 1 partie ; 1/2 partie de sel : mêlez : mettez à recuire dans un fourneau, faites fondre, & vous aurez un beau blanc.

Autre blanc : prenez de plomb une livre & 1/2, calcinez : prenez 8 parties de ces cendres, de caillou & de sel calcinés 4 parties ; faites fondre, &c.

Autre : prenez de plomb 3 livres, d'étain 1 ; faites calciner : prenez de cette chaux 2 parties, de sel 3 parties, de cailloux purs 3 parties ; faites fondre, &c.

Autre : prenez de plomb 4 livres, d'étain 1 livre ; réduisez en chaux : prenez de cette chaux 8 parties, de caillous 7 parties, de sel 14 parties ; faites fondre, &c.

Fondant pour mettre la couverte en fusion : prenez de tartre calciné 1 partie, de caillou & de sel chacun 1 partie : passez le mélange sur les vaisseaux, quand la couverte prendra mal.

Autre fondant : prenez tartre calciné à blancheur & de caillou de chacun 1 partie ; faites fondre ; mettez en gâteau ; pulvérisez : prenez de cette poussiere 1 partie, de cendres de plomb 2 ; faites fondre.

Autre : prenez de tartre calciné 1 partie, de cendres de plomb & d'étain 1 partie, de caillou 1 partie, de sel deux ; faites fondre le mélange.

Couverte blanche, qu'on portera même sur des vaisseaux de cuivre : prenez de plomb 4 livres, d'étain 3, de caillou 4, de sel 1, de verre de Venise 1 ; faites fondre.

Autre : prenez d'étain 1, de plomb 6 ; faites calciner : prenez de cette chaux 12, de caillou calciné 14, de sel 8 ; faites fondre par deux fois.

Autre : prenez de plomb 2, d'étain 1 ; calcinez : prenez de la chaux, de sel, & de caillou, de chacun 1 ; faites fondre, & la couverte sera très-belle.

Autre : prenez de plomb 3, d'étain 1, de sel 3, de tartre calciné 4 ; faites fondre, & formez des gâteaux.

Autre : prenez d'étain 1, de plomb 5, de verre de Venise 1, de tartre calciné 1/4, &c.

Autre meilleure : prenez d'étain 1 & 1/2, de plomb 1 & 1/2, de sel 1, de verre de Venise 1/4, &c.

Autre : prenez de plomb 4, d'étain 1 & 1/2, de caillou calciné 3, de sel 2, &c.

Blanc pour peindre sur un fond blanc : prenez un peu d'étain bien pur, enveloppez-le d'argille ou de terre, mettez-le dans un creuset, calcinez, cassez le creuset, vous en tirerez une chaux ou cendre blanche : servez-vous de cette cendre pour peindre ? les figures que vous en tracerez, viendront beaucoup plus blanches que le fond.

Il faut observer sur toutes les couvertes blanches qui précedent, qu'il faut sur-tout que le plomb & l'étain ayent été bien calcinés, & que le mélange, quand on y ajoûtera du sel & du sable, soit remis encore à calciner pendant douze ou seize heures.

Couvertes jaunes : prenez d'étain 2, d'antimoine 2, de plomb 3, ou de chacun égale quantité ; calcinez ; faites vitrifier ensuite : cette couverte sera belle & très-fusible.

Autre jaune : prenez de minium 3, de poudre de brique 2, de cendre de plomb 2, de sable 1 ; d'une des couvertes blanches qui précedent 1, d'antimoine 2 ; faites calciner, & mettez ensuite en fusion.

Autre jaune citron : prenez de minium 3, de poudre de brique bien rouge 3 & 1/2, d'antimoine 1 ; mettez à calciner jour & nuit pendant deux à trois jours, au fourneau de verrerie ; fondez ensuite.

Autre jaune : prenez cendres de plomb & étain calcinés ensemble, 7 parties, d'antimoine 1, & faites fondre.

Autre : prenez de verre blanc 4, d'antimoine 1, de minium 3, de mâchefer 1/2, faites fondre.

Autre : prenez de moulée 4, de minium 4, d'antimoine 2 ; mêlez & broyez, mais ne mettez pas le mélange en fusion.

Autre : prenez de caillou 16, de limaille de fer 1, de litharge 24 ; faites fondre.

Jaune clair : prenez de minium 4, d'antimoine 3, du mélange des cendres de plomb & d'étain 8, de verre 3 ; faites fondre.

Jaune d'or : prenez de minium 3, d'antimoine 2, de safran de Mars 1 ; faites fondre ensemble, pulvérisez ; faites fondre derechef, réiterez le tout jusqu'à quatre fois.

Autre : prenez de minium & d'antimoine de chacun 23, de rouille de fer 1/2 ; faites fondre à quatre à cinq reprises différentes.

Autre : prenez de cendres de plomb 8, de cailloux 6, de jaune d'ocre 1, d'antimoine 1, de verre blanc 1 ; calcinez, & ensuite faites fondre.

Autre : prenez cendres de plomb, de cailloux blancs chacun 12, de limaille de fer 1 ; faites fondre à deux reprises.

Tous ces jaunes donneront des nuances & une fusibilité différentes, si, quand ils auront été mis en fusion, on les fait recuire, le broyement même y fera.

Couverte verte sur un fond blanc : prenez des cendres de cuivre 2 parties, d'une des couvertes jaunes à volonté 2 ; mettez en fusion deux fois, & peignez legerement, pour que la couleur ne soit pas foncée.

Autre : prenez verd de montagne 1, de limaille de cuivre 1, de minium 1, de verre de Venise 1 ; faites fondre ; vous pourrez vous en servir aussi sans l'avoir mis en fusion.

Autre : prenez de minium 2, de verre de Venise 2, de limaille de cuivre 1 ; faites fondre.

Autre : prenez de verre blanc 1, de limaille de cuivre & de minium de chacun 1 ; faites fondre, broyez : prenez ensuite 2 parties de ce mélange broyé, & une de verd de montagne.

Autre : prenez d'une des couvertes jaunes précédentes, ajoûtez d'une des couvertes bleues qui suivront 1 ; mêlez & broyez.

En mêlant le bleu & le jaune, on aura différentes nuances de verd.

Couverte bleue : prenez cendres de plomb 1, cailloux pulvérisés 2 ; sel 2, tartre calciné à blancheur 1, de verre blanc ou de Venise 1/2, de safre 1/2 ; faites fondre, éteignez dans l'eau, remettez en fusion, & éteignez encore, & ainsi de suite plusieurs fois. Observez la même regle pour toutes les compositions où il entrera du tartre, sinon elles seront trop chargées de sel, & la couleur n'en sera ni belle ni durable ; calcinez aussi le mélange pendant deux fois 24 heures, au fourneau de Verrerie.

Autre : prenez de tartre une livre, de litharge ou cendres de plomb 1/4 de livre, de safre une demi-once, de beau caillou pulvérisé 1/4 de livre ; faites fondre, & procédez comme ci-dessus.

Autre : prenez de plomb 12, d'étain 1, réduisez-les en chaux ; ajoûtez de sel 5, de cailloux pulvérisés 5, de safre 1, de tartre & de verre de Venise de chacun 1 ; procédez pour la calcination comme ci-dessus, & faites ensuite fondre le mélange.

Autre : prenez de tartre 2, de sel 2, de cailloux 1, de litharge & de safre de chacun 1 ; achevez comme ci-dessus.

Autre : prenez de litharge 1, de sable 3, de safre 1, ou au défaut de safre, d'émail bleu 1.

Autre : prenez de litharge 2, de cailloux & de safre de chacun 1/4 ; broyez & faites fondre.

Autre : prenez de litharge 4, de cailloux 2, de safre 1 ; faites calciner, & faites fondre.

Autre : prenez de litharge 4, de cailloux pulvérisés 3, de safre 1, de tartre 1/2, de verre blanc 1 ; faites fondre, & achevez comme ci-dessus.

Bleu violet : prenez de tartre 12, de cailloux & de safre de chacun 12 ; achevez comme ci-dessus.

Autre : prenez d'étain 4 onces, de litharge 2 onces, de cailloux pulvérisés 5 onces, ajoûtez une demi-dragme de magnésie, & achevez comme ci-dessus.

Tous les procédés qu'on vient de donner ont été éprouvés.

Couverte rouge : prenez d'antimoine 3, de litharge 3, de rouille de fer 1 ; broyez, & gardez pour l'usage.

Autre : prenez d'antimoine 2, de litharge 3, de safran de Mars calciné 1 ; achevez comme ci-dessus.

Autre : prenez du verre blanc, réduisez-le en poudre très-fine ; prenez du vitriol calciné ou rouge, ou plûtôt le caput mortuum, de l'huile de vitriol ; édulcorez avec l'eau, mêlez avec le verre broyé, peignez, & faites ensuite recuire votre ouvrage pour faire sortir le rouge.

Autre d'un brun pourpre : prenez de litharge 15, de cailloux pulvérisés 18, de magnésie 1, de verre blanc 15 ; broyez, & faites fondre.

Couverte brune : prenez de litharge & de cailloux de chacun 14, & de magnésie 2, & faites fondre.

Autre : prenez de litharge 12, de magnésie 1 ; faites fondre.

Autre couverte brune sur fond blanc : prenez de magnésie 2, de minium & de verre blanc de chacun 1 ; faites fondre deux fois.

Couverte de couleur de fer : prenez de litharge 15 ; de sable & de caillou 14, de cendres de cuivre 5 ; faites calciner & fondre.

Autre semblable : prenez de litharge 12, de cailloux 7, de cendres de cuivre 7, & achevez comme ci-dessus.

Couverte noire : prenez de litharge 8, de limaille de fer 3, de cendre de cuivre 3, de safre 2 ; faites fondre ; & si vous voulez la couleur plus noire, ajoûtez du safre.

Tous ces procédés sont d'artistes différens, & aucun ne donne la même nuance ; il n'est donc pas superflu d'en avoir indiqué un si grand nombre. Il n'y a pas de circonstances où il importe plus d'avoir le choix. D'ailleurs Kunckel, dont on connoît l'exactitude dans le manuel & l'art expérimental, assûre positivement qu'ils réussissent tous.

Si on en desire savoir davantage, nous avons quelque espérance de pouvoir satisfaire le lecteur à l'article Porcelaine. Voyez l'article PORCELAINE.


FAYENCIERS. m. celui qui fait ou qui vend des fayences.

Il y en a une communauté à Paris sous le nom de marchands Verriers, maîtres Couvreurs de flacons &c. bouteilles en osier, fayences, &c. Ce sont ces marchands à qui l'on donne communément le nom de Fayenciers. Voyez VERRIER.


FAYMI-DROICT(Jurispr.) dans la coûtume de Solle, tit. ij. art. 8. tit. x. art. 2. & tit. xviij. art. 1, signifie la basse-justice fonciere & de semi-droit qui appartient aux seigneurs de fief, caviers & fonciers sur leurs fivatiers & sujets qui leur doivent cens, rente, ou autre devoir. (A)


FAZIou FASIN, s. m. pl. (Forges) c'est de la cendre mêlée de terre & de petites branches d'arbre & d'herbe, que le charbonnier ramasse autour de son fourneau, où elle s'est formée des cuites précédentes, & dont il se sert pour faire une couverture au fourneau qu'il acheve de construire, & auquel il mettra le feu après qu'il sera couvert. Voyez l'article CHARBON.


FEFO, FOé, (Hist. d'Asie) idole adorée sous différens noms par les Chinois idolâtres, les Japonois, & les Tartares. Ce prétendu dieu, le premier de leurs dieux qui soit descendu sur la terre, reçoit de ces peuples le culte le plus ridicule, & par conséquent le plus fait pour le peuple.

Cette idolâtrie née dans les Indes près de mille ans avant Jesus-Christ, a infecté toute l'Asie orientale ; c'est ce dieu que prêchent les bonzes à la Chine, les fakirs au Mogol, les Talapoins à Siam, les lamas en Tartarie ; c'est en son nom qu'ils promettent une vie éternelle, & que des milliers de prêtres consacrent leurs jours à des exercices de pénitence qui effrayent la nature humaine : quelques-uns passent leur vie nuds & enchaînés ; d'autres portent un carreau de fer qui plie leur corps en deux, & tient leur tête toujours baissée jusqu'à terre. Ils font accroire qu'ils chassent les démons par la puissance de cette idole ; ils operent de prétendus miracles : ils vendent au peuple la rémission des péchés ; en un mot leur fanatisme se subdivise à l'infini. Cette secte séduit quelquefois des mandarins ; & par une fatalité qui montre que la superstition est de tous les pays, quelques mandarins se sont fait tondre en bonzes par piété.

Ils prétendent qu'il y a dans la province de Fokien près la ville de Funchuen, au bord du fleuve Feu, une montagne qui représente leur dieu Fo, avec une couronne en tête, de longs cheveux pendans sur les épaules, les mains croisées sur la poitrine, & qu'il est assis sur ses piés mis en croix ; mais il suffiroit de supposer que cette montagne, comme beaucoup d'autres, vûe de loin & dans un certain aspect, eût quelque chose de cette prétendue figure, pour sentir que des imaginations échauffées y doivent trouver une parfaite ressemblance. On voit ce qu'on veut dans la Lune ; & si ces peuples idolâtres y avoient songé, ils y verroient tous leur idole. Voyez SUPERSTITION & FANATISME. Art. de M(D.J.)


FEAGES. m. (Jurispr.) dans sa signification propre, est un contrat d'inféodation, ou plûtôt c'est la tenure en fief : c'est pourquoi on dit bailler à féage ou à féager, c'est-à-dire inféoder, donner en fief. Coûtume de Bretagne, art. 358 & 359.

Dans l'ancienne coûtume de Bretagne, féage est pris, mais improprement, pour l'héritage même tenu en fief. Voyez les articles 59 & 60. Mais dans l'article 300 de la même coûtume on lit ces termes, pur féage de noble fief ; & il est parlé de celui qui fait le féage, ce qui dénote que l'on a entendu la tenure en foi, ou la foi même.

Bien & féage noble, dans la coûtume d'Anjou, art. 31, & dans celle du Maine, art. 36, signifie un héritage tenu en fief. (A)


FÉALadj. (Jurispr.) en latin fidelis, est une épithete que le roi donne ordinairement à ses vassaux, aux principaux officiers de sa maison, & aux officiers de ses cours. L'étymologie de ce terme vient de la foi que ces vassaux & officiers étoient tenus de garder au roi, à cause de leur bénéfice, fief, ou office. On disoit en vieux langage celtique, la fé, pour la foi, & de fé, on a formé féal, fidel, feauté, fidélité.

Les Leudes qui sous la premiere & la seconde race étoient les grands du royaume, étoient aussi indifféremment qualifiés de fideles, d'où est venu le titre de féaux que l'on a conservé à tous les grands vassaux & officiers de la couronne.

Le titre d'amé est ordinairement joint à celui de féal, soit dans les ordonnances, édits, & déclarations, soit dans les autres lettres de grande ou de petite chancellerie : mais le titre de féal est beaucoup plus distingué que celui d'amé ; le roi donne celui-ci à tous ses sujets indifféremment ; au lieu qu'il ne donne le titre de féal qu'aux vassaux & officiers de la couronne, & autres officiers distingués, soit de la robe ou de l'épée. Toutes les lettres que le roi envoye au parlement, contiennent cette adresse : A nos amés & féaux les gens tenans notre cour de parlement. Il en est de même à l'égard des autres cours. (A)


FEARNES(Géog.) petite ville d'Irlande dans Leinstershire, avec un évêché suffragant de Dublin, à dix-huit lieues S. de ladite ville. Long. 11. 6. lat. 52. 32. (D.J.)


FÉBRICITANTadj. pris subst. (Med.) on se sert de ce mot pour désigner les malades dans lesquels la fievre est la lésion de fonctions dominante. C'est principalement dans les hôpitaux que l'on employe le terme de fébricitans, pour distinguer les differentes sortes de malades : ainsi on dit la salle des fébricitans, la salle des blessés, &c. (d)


FÉBRIFUGEadj. pris subst. (Med. Thérapeut.) febrifuga, antifebritia ; on donne en géneral ces épithetes à tout médicament employé directement pour faire cesser la fievre, ou pour en détruire la cause & les effets.

Ainsi on ne qualifie pas de fébrifuges les purgatifs dont on use dans le traitement des fievres ; parce qu'ils ne sont pas ordinairement censés agir directement contre le vice qui les a produites & les entretient, mais pour préparer les voies aux autres sortes de médicamens qui sont particulierement jugés propres à cet effet : tels que la plûpart des amers, & le quinquina principalement, qui est regardé comme spécifique à cet égard.

Ce sont donc ces derniers, auxquels l'usage soûtenu par l'expérience ou le préjugé, a attribué spécialement la qualité de fébrifuge, sur-tout pour ce qui regarde les fievres intermittentes ; mais bien improprement, puisqu'on peut la trouver dans tous les moyens, quels qu'ils soient, qui peuvent être employés efficacement contre la cause des lésions de fonctions, en quoi consiste la fievre, de quelque nature qu'elle puisse être, soit continue, soit intermittente.

En effet quel est le fébrifuge, même le plus sûr spécifique en ce genre, qui opere aussi promtement, pour faire cesser la fievre, qu'un émétique, un cathartique placés à propos ? Cependant ces remedes évacuans ne sont jamais compris au nombre des fébrifuges : on ne cherche communément ceux-ci que dans la classe des altérans.

Or comme le mouvement accéléré, soit absolu, soit respectif, dans l'exercice des fonctions vitales, qui est le signe pathognomonique de la fievre, est le plus souvent le seul instrument que la nature mette en usage pour détruire la cause morbifique, & qui la détruise en effet, souvent même sans qu'il suive aucune évacuation, en agissant comme simple altérant ; ne pourroit-on pas conséquemment regarder à juste titre le mouvement, l'action des solides, des fluides, en un mot l'agitation fébrile, comme le premier & le plus universel des fébrifuges ? Mais on n'a peut-être pas encore bien généralement des idées justes à ce sujet : on confond le plus souvent les effets de la fievre, c'est-à-dire les mouvemens extraordinaires qui la caractérisent, avec la cause même qui rend ces mouvemens nécessaires. Voyez EFFORT (Econ. anim.) On n'a encore trop communément en vûe que les matieres médicinales, lorsqu'il s'agit de fébrifuges dans la Medecine pratique.

C'est par conséquent sous cette restriction, que pour se conformer aux idées les plus reçûes, il devroit être ici question de cette sorte de remede, s'il étoit possible d'en traiter d'une maniere méthodique : mais ce seroit induire en erreur, que de proposer des genres & des especes de fébrifuges ; ils ne sont pas susceptibles d'une pareille division, à moins que l'on n'en fasse une qui réponde à celle des genres & des especes de fievre ; que l'on n'indique ceux qui conviennent aux différentes natures de fievre : mais alors c'est tomber dans le cas de faire l'exposition de la méthode, de traiter la fievre en général & toutes ses différences en particulier, ce qui n'est pas de cet article : ainsi il faut recourir au mot FIEVRE, où se trouve, dans le plus grand détail dont soit susceptible cet ouvrage, & d'une maniere qui n'y laisse rien à desirer, tout ce qui peut être dit concernant les différentes curations de toutes les diverses affections qui sont comprises sous ce mot.

Voyez aussi toutes les généralités concernant les remedes évacuans, comme les articles VOMITIF, PURGATIF, SUDORIFIQUE, DIURETIQUE, &c. concernant les altérans, comme les articles APERITIF, ASTRINGENT, ANODYN, &c. En un mot presque toutes les classes, tous les genres de remedes tant diététiques, chirurgicaux, que pharmaceutiques, & les moraux même, peuvent fournir des fébrifuges différens, selon la différence des causes de la fievre, selon qu'elle dépend du vice des solides ou de celui des fluides, qu'elle est simple ou compliquée, qu'elle est occasionnée par des affections du corps, ou par celles de l'ame : ainsi on peut dire que le ressort des fébrifuges n'est guere différent de la Thérapeutique entiere ; parce qu'il n'est presque point de cause morbifique qui ne puisse être ou devenir celle de la fievre immédiatement ou par accident.

Telle est l'idée que l'on peut donner des fébrifuges en général.

Quant aux médicamens particuliers auxquels on attribue préférablement à tous autres la qualité de fébrifuge, voyez AMER (Mat. med.), CENTAUREE, CASCARILLE, &c. mais sur-tout QUINQUINA ou KINA, qui est le fébrifuge par excellence. (d)


FÉBRILEadj. pris subst. (Medecine) se dit de ce qui a rapport à la fievre, comme la cause fébrile, c'est-à-dire ce qui produit la fievre : on appelle aussi fébrile, ce qui est l'effet de la fievre, comme le froid fébrile, la chaleur fébrile, le délire fébrile, le vomissement, la diarrhée, &c. fébriles, c'est-à-dire les symptomes tels & tels produits par la fievre. Voyez FIEVRE. (d)


FEBRUAou FEBRUATA, (Mytholog.) c'est le surnom de Junon regardée comme déesse des purifications, & comme présidant à la délivrance des femmes dans les douleurs de l'enfantement. Les fébruales ou fébrues, fêtes célébrées en Février, lui étoient consacrées. Voyez l'article suivant.

FEBRUA ou FEBRUES, s. f. pl. (Hist. anc.) c'est-à-dire purification, est le nom d'une fête que les Romains célébroient au mois de Février, pour les manes des morts. Voyez MANES.

On y faisoit des sacrifices, & on rendoit les derniers devoirs aux ames des défunts, dit Macrobe, Satur. l. I. c. xiij. & c'est de cette fête que le mois de Février prit son nom. Voyez FEVRIER.

On ne sait point au juste quel étoit le but de ces sacrifices : Pline dit qu'on les faisoit pour rendre les dieux infernaux propices aux morts, plûtôt que pour les appaiser (comme quelques modernes semblent le croire), & qu'ils s'offroient à ces dieux. Ce qui confirme ce sentiment, est que Pluton est surnommé Februos. Ils duroient douze jours.

Ce mot est fort ancien dans la langue latine, où dès l'origine de Rome on disoit februa pour purification, & februare pour purifier. Varron nous apprend, de ling. l. V. qu'il venoit de Fabius. Vossius & plusieurs autres croyent qu'il étoit formé de ferveo, j'ai chaud, parce que les purifications se faisoient par le feu ou avec l'eau chaude. Quelques-uns remontent plus haut, & font descendre ce mot de phar ou phavar ; qui en syriaque & en arabe signifient la même chose que ferbaet, efferbait, & peut-être a-t-il eu dans ces langues le sens de purifier ; car ce verbe phavar, signifie en arabe préparer un certain mets particulier à une femme en couche, pour chasser l'arriere-faix & autres impuretés qui restent dans la matrice après l'enfantement ; de même que les Romains ont donné le nom de februa à la divinité, qui, selon eux, délivroit les femmes de ces mêmes impuretés. Ovide, Fast. l. II. v. 4. dit qu'anciennement februa signifioit de la laine, & que ce nom fut donné aux purifications, parce qu'on s'y servoit de laine. Dictionn. de Trévoux & Chambers. (G)


FECAL(MATIERE), Medecine. Les Medecins donnent ce nom aux excrémens du ventre, dont l'évacuation se fait par le fondement, au marc des alimens mêlé avec la partie grossiere des sucs digestifs qui n'ont pas été susceptibles d'entrer dans la composition du chyle. Voyez EXCREMENT, DEJECTION. Il a été traité au long de ce qui a rapport à ce sujet, dans ce dernier article. (d)


FECESS. f. pl. (Pharmacie, Chimie) On appelle en Chimie & en Pharmacie feces ; le sédiment qui se forme sous une liqueur qui a fermenté comme le vin, la biere, le cidre, &c. c'est ce que tout le monde connoît sous le nom de lie. Voyez LIE DE VIN. Ce nom se donne aussi aux matieres non dissoutes qui troublent les infusions, les décoctions, & qui se précipitent ou s'affaissent par le repos, ou qu'on sépare du liquide par la voie de la filtration ou de la clarification avec le blanc-d'oeuf. Voyez FILTRATION, CLARIFICATION.

On appelle aussi feces, la partie colorante verte qui trouble les sucs exprimés des plantes ; cette partie est encore plus connue en Pharmacie sous le nom particulier de fécule. Voyez FECULE, SUC.

FECES ou LIE D'HUILE, amurca. Voyez LIE D'HUILE. (b)


FÉCIAou FÉCIALIEN, s. m. (Hist. rom.) fetialis ou fecialis ; nom d'un officier public chez les anciens Romains, dont le principal ministere étoit de déclarer la guerre ou de négocier la paix.

Je glisse sur l'origine inconnue du mot fécial, pour rapporter uniquement l'étymologie qu'en donne Festus, laquelle, quoique très-recherchée, est encore moins ridicule que celles de Plutarque, de Varron, & de nos modernes. Festus la tire du verbe ferio, je frappe, parce que ferire foedus ; signifie faire un traité ; de sorte qu'il faut, selon notre grammairien, qu'on ait dit par abus fecialis pour ferialis. Passons à l'histoire.

Les féciaux furent institués au nombre de vingt : on les choisissoit des meilleures familles, & ils composoient un collége fort considérable à Rome. Denys d'Halicarnasse ajoûte que leur charge, qu'il nomme sacerdoce, ne finissoit qu'avec la vie ; que leur personne étoit sacrée comme celle des autres prêtres ; que c'étoit à eux à écouter les plaintes des peuples qui soûtenoient avoir reçu quelque injure des Romains, & qu'ils devoient, si les plaintes étoient réputées justes, se saisir des coupables & les livrer à ceux qui avoient été lésés ; qu'ils connoissoient du droit des ambassadeurs & des envoyés ; qu'ils faisoient les traités de paix & d'alliance ; & qu'enfin ils veilloient à leur observation.

Ce détail est très-instructif, & de plus prouve deux choses : la premiere, qu'il y avoit quelque rapport entre les féciaux de Rome & les officiers que les Grecs appelloient érénophylaques, c'est-à-dire conservateurs de la paix : la seconde, que nos anciens hérauts d'armes ne répondent point à la dignité dont jouissoient les féciaux. Voyez HERAUT D'ARMES.

L'an de Rome 114, dit Tite-Live, Rome vit ses frontieres ravagées par les incursions des Latins, & Ancus Martius connut par sa propre expérience, que le throne exige encore d'autres vertus que la piété ; cependant pour soûtenir toûjours son caractere, avant que de prendre les armes, il envoya aux ennemis un héraut ou officier qu'on appelloit fécialien. Ce héraut tenoit en main une javeline ferrée pour preuve de sa commission.

Armé de cette javeline, il se transportoit sur les frontieres du peuple dont les Romains croyoient avoir droit de se plaindre. Dès qu'il y étoit arrivé, il reclamoit à haute voix l'objet que Rome prétendoit qu'on avoit usurpé sur elle, ou bien il exposoit d'autres griefs, & la satisfaction que Rome demandoit pour les torts qu'elle avoit reçûs : il en prenoit Jupiter à témoin en ces termes, qui renfermoient une terrible imprécation contre lui-même : " Grands dieux ! si c'est contre l'équité & la justice que je viens ici au nom du peuple romain demander satisfaction, ne souffrez point que je revoye jamais ma patrie ". Il repétoit les mêmes termes à l'entrée de la ville & dans la place publique.

Lorsqu'au bout de 33 jours Rome ne recevoit point la satisfaction qu'elle avoit demandée, le fécial alloit une seconde fois vers le même peuple, & prononçoit publiquement les paroles suivantes : " Ecoutez, Jupiter, & vous Junon ; écoutez Quirinus, écoutez dieux du ciel, de la terre, & des enfers : je vous prens à témoin qu'un tel peuple (il le nommoit) refuse à tort de nous rendre justice ; nous délibérerons à Rome dans le sénat sur les moyens de l'obtenir ".

En arrivant à Rome il prenoit avec lui ses collegues, & à la tête de son corps il alloit faire son rapport au sénat. Alors on mettoit la chose en délibération ; & si le plus grand nombre de suffrages étoit pour déclarer la guerre, le fécial retournoit une troisieme fois sur les frontieres du même pays, ayant la tête couverte d'un voile de lin, avec une couronne de verveine par-dessus ; là il prononçoit en présence au moins de trois témoins, la formule suivante de déclaration de guerre. " Ecoutez Jupiter, & vous Junon ; écoutez Quirinus, écoutez dieux du ciel, de la terre, & des enfers : comme ce peuple a outragé le peuple romain, le peuple romain & moi, du consentement du sénat, lui déclarons la guerre ". Après ces mots, il jettoit sur les terres de l'ennemi un javelot ensanglanté & brûlé par le bout, qui marquoit que la guerre étoit déclarée ; & cette cérémonie se conserva long-tems chez les Romains.

On voit par cette derniere formule que nous a conservé Tite-Live, que le roi n'y est point nommé, & que tout se faisoit au nom & par l'autorité du peuple, c'est-à-dire de tout le corps de la nation.

Les historiens ne s'accordent point sur l'institution des féciaux ; mais soit qu'on la donne à Numa, comme le prétendent Denys d'Halicarnasse & Plutarque, soit qu'on aime mieux l'attribuer à Ancus Martius, conformément à l'opinion de Tite-Live & d'Aulugelle, il est toûjours très-vraisemblable que l'un ou l'autre de ces deux princes ont tiré l'idée de cet établissement des anciens peuples du Latium ou de ceux d'Ardée ; & l'on ne peut guere douter qu'il n'ait été porté en Italie par les Pélasges, dont les armées étoient précédées par des hommes sacrés, qui n'avoient pour armes qu'un caducée avec des bandelettes.

Au reste, Varron remarque que de son tems les fonctions des fécialiens étoient entierement abolies, comme celles des hérauts d'armes le sont parmi nous.

Celui qui sera curieux de recourir sur ce sujet aux sources mêmes, peut se satisfaire dans Tite-Live, déc. 1. liv. I. c. xxjv. Cicéron, liv. II. des lois ; Aulugelle, liv. XVI. ch. jv. Denys d'Halicarnasse, liv. II. Plutarque, vie de Numa ; Ammien Marcellin, l. XIX. ch. j. Diodore de Sicile, liv. VII. ch. ij. & parmi les modernes, Rosinus Ant. Rom. lib. III. c. xxj. Struvius Ant. Rom. synt. chap. xiij. Pitisci, lexicon, &c. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FÉCONDadj. (Littérature) est le synonyme de fertile quand il s'agit de la culture des terres : on peut dire également un terrein fécond & fertile ; fertiliser & féconder un champ. La maxime qu'il n'y a point de synonymes, veut dire seulement qu'on ne peut se servir dans toutes les occasions des mêmes mots. Voyez DICTIONNAIRE, ENCYCLOPEDIE, NONYMENYME. Ainsi une femelle de quelqu'espece qu'elle soit n'est point fertile, elle est féconde. On féconde des oeufs, on ne les fertilise pas. La nature n'est pas fertile, elle est féconde. Ces deux expressions sont quelquefois également employées au figuré & au propre. Un esprit est fertile ou fécond en grandes idées. Cependant les nuances sont si délicates qu'on dit un orateur fécond, & non pas un orateur fertile ; fécondité, & non fertilité de paroles ; cette méthode, ce principe, ce sujet est d'une grande fécondité, & non pas d'une grande fertilité. La raison en est qu'un principe, un sujet, une méthode, produisent des idées qui naissent les unes des autres comme des êtres successivement enfantés, ce qui a rapport à la génération. Bienheureux Scuderi, dont la fertile plume ; le mot fertile est-là bien placé, parce que cette plume s'exerçoit, se répandoit sur toutes sortes de sujets. Le mot fécond convient plus au génie qu'à la plume. Il y a des tems féconds en crimes ; & non pas fertiles en crimes. L'usage enseigne toutes ces petites différences. Article de M. DE VOLTAIRE.


FÉCONDATIONS. f. (Economie animale) on appelle ainsi la faculté prolifique, la fécondité réduite en acte, le moment de la conception, celui où toutes les conditions requises de la part de l'animal mâle & de la femelle, respectivement, concourent dans celle-ci & commencent à y opérer les changemens, les mouvemens, en un mot, les effets nécessaires pour la génération. Voyez GENERATION.

Ainsi la fécondation regarde proprement l'animal femelle, dans lequel se fait la conception, la formation du foetus, du petit animal ordinairement de la même espece que celle du mâle & de la femelle qui ont coopéré pour sa génération. Voyez GROSSESSE, pour les femmes, IMPREGNATION, pour les autres animaux. Voyez aussi FOETUS. (d)


FÉCONDITÉS. f. (Mythol. Médaill. Littérat.) divinité romaine, qui n'étoit autre que Junon : les femmes l'invoquoient pour avoir des enfans, & se soûmettoient volontiers pour en obtenir, à une pratique également ridicule & obscene. Lorsqu'elles alloient à ce dessein dans le temple de la déesse, les prêtres du temple les faisoient deshabiller, & les frappoient sur le ventre avec un foüet qui étoit fait de lanieres de peau de bouc.

Quelquefois on confond la fécondité avec la déesse Tellus, & alors elle est représentée nue jusqu'à la ceinture, & à demi-couchée par terre, s'appuyant du bras gauche sur un panier plein d'épis & autres fruits, auprès d'un arbre ou sep de vigne qui l'ombrage, & de son bras droit elle embrasse un globe ceint du zodiaque, orné de quelques étoiles ; c'est ainsi qu'elle est représentée dans quelques médailles de Julia Domna ; dans d'autres, c'est seulement une femme assise, tenant de la main gauche une corne d'abondance, & tendant la droite à un enfant qui est à ses genoux ; enfin, dans d'autres médailles c'est une femme qui a quatre enfans, deux entre ses bras & deux debout à ses côtés : voilà sans-doute le vrai symbole de la fécondité.

Au reste, Tacite rapporte que les Romains pousserent la flaterie envers Néron jusqu'à ériger un temple à la fécondité de Poppée ; mais cet historien nous raconte lui-même bien d'autres traits de flaterie ; c'est un vice qui n'a point de bornes sous les tyrans & les despotes. Voyez FLATERIE. Article de M(D.J.)

FECONDITE, s. f. (Econom. anim.) c'est la faculté politique, la disposition dans l'homme & dans les animaux mâles & femelles à satisfaire à toutes les conditions requises (respectivement au sexe de chaque individu) pour l'ouvrage de la génération, pour la production de son semblable.

Comme il est nécessaire en traitant de cette disposition entant que lésée, d'exposer en quoi elle consiste dans l'état de perfection ; il est jugé convenable, pour éviter la répétition, de renvoyer aux articles où il sera question du défaut de fécondité, ce qu'il y a à dire sur cette faculté, & les conditions qu'elle exige pour être réduite en acte : ainsi voyez IMPUISSANCE, pour ce qui regarde le sexe masculin ; STERILITE, pour ce qui est du féminin. Voyez surtout GENERATION. (d)


FÉCULES. f. (Pharmacie) On appelle fécule, une poudre blanche assez semblable à l'amydon, qui se separe du suc exprimé de certaines racines, & se précipite à la maniere des feces.

Les racines dont on tire communément les fécules, sont la bryone, l'iris nostras, & le pié-de-veau. Voyez ces différens articles.

On attribuoit autrefois à ces fécules les vertus médicinales des racines dont on les retiroit. Zwelfer a le premier combattu cette erreur : il dit dans ses notes sur la pharmacopée d'Augsbourg, que les fécules ne sont rien autre chose que des poudres subtiles farineuses, privées du suc végétal, qui n'ont conséquemment aucune efficacité, aucune vertu. Dans son appendix ad animadversiones, il appelle les fécules un médicament inutile & épuisé, inutile & effetum medicamenti genus. Qui pourra croire, ajoûte-t-il, qu'une racine que l'on a épuisée de son suc par l'expression, ait encore les vertus qu'elle avoit auparavant ? or les fécules sont dans ce cas ; elles ne different point du reste de la racine que l'on rejette comme inutile, & conséquemment on doit les bannir de l'usage médicinal.

Nous pensons aujourd'hui comme Zwelfer : on ne garde plus les fécules dans les boutiques, & les Medecins ne les demandent plus.

On donne aussi quelquefois le nom de fécules, à ces feces vertes qui se séparent des sucs exprimés des plantes lorsqu'on les purifie. Voyez Partie colorante verte des plantes, au mot VEGETAL. (b)


FÉCULENCES. f. (Medecine) Les Medecins se servent quelquefois de ce terme, pour désigner la matiere sédimenteuse des urines. Voyez URINE, SEDIMENT. (d)


FÉERIES. f. On a introduit la férie à l'opéra, comme un nouveau moyen de produire le merveilleux, seul vrai fond de ce spectacle. Voyez MERVEILLEUX, OPERA.

On s'est servi d'abord de la magie. Voyez MAGIE. Quinault traça d'un pinceau mâle & vigoureux les grands tableaux des Medée, des Arcabonne, des Armide, &c. les Argines, les Zoradïes, les Phéano, ne sont que des copies de ces brillans originaux.

Mais ce grand poëte n'introduisit la férie dans ses opéra, qu'en sous-ordre. Urgande dans Amadis, & Logistille dans Roland, ne sont que des personnages sans intérêt, & tels qu'on les apperçoit à peine.

De nos jours le fond de la férie, dont nous nous sommes formés une idée vive, légere & riante, a paru propre à produire une illusion agréable, & des actions aussi intéressantes que merveilleuses.

On avoit tenté ce genre autrefois ; mais le peu de succès de Manto la fée, & de la Reine des Peris, sembloit l'avoir décrédité. Un auteur moderne, en le maniant d'une maniere ingénieuse, a montré que le malheur de cette premiere tentative ne devoit être imputé ni à l'art ni au genre.

En 1733, M. de Moncrif mit une entrée de féerie dans son ballet, de l'empire de l'Amour ; & il acheva de faire goûter ce genre, en donnant Zelindor roi des Silphes.

Cet ouvrage qui fut représenté à la cour, fit partie des fêtes qui y furent données après la victoire de Fontenoy. Voyez FETES DE LA COUR.

MM. Rebel & Francoeur qui en ont fait la musique, ont répandu dans le chant une expression aimable, & dans la plûpart des symphonies un ton d'enchantement qui fait illusion : c'est presque partout une musique qui peint, & il n'y a que celle-là qui prouve le talent, & qui mérite des éloges. (B)


FÉESS. f. (Belles-Lettr.) termes qu'on rencontre fréquemment dans les vieux romans & les anciennes traditions ; il signifie une espece de génies ou de divinités imaginaires qui habitoient sur la terre, & s'y distinguoient par quantité d'actions & de fonctions merveilleuses, tantôt bonnes, tantôt mauvaises.

Les fées étoient une espece particuliere de divinités qui n'avoient guere de rapport avec aucune de celles des anciens Grecs & Romains, si ce n'est avec les larves. Voyez LARVES. Cependant d'autres prétendent avec raison qu'on ne doit pas les mettre au rang des dieux ; mais ils supposent qu'elles étoient une espece d'êtres mitoyens qui n'étoient ni dieux ni anges, ni hommes ni démons.

Leur origine vient d'Orient, & il semble que les Persans & les Arabes en sont les inventeurs, leur histoire & leur religion étant remplies d'histoires de fées & de dragons. Les Perses les appellent peri, & les Arabes ginn, parce qu'ils ont une province particuliere qu'ils prétendent habitée par les fées ; ils l'appellent Gimnistan, & nous la nommons pays des fées. La reine des fées, qui est le chef-d'oeuvre du poëte anglois Spencer, est un poëme épique, dont les personnages & les caracteres sont tirés des histoires des fées.

Naudé, dans son Mascurat, tire l'origine des contes des fées, des traditions fabuleuses sur les parques des anciens, & suppose que les unes & les autres ont été des députés & des interpretes des volontés des dieux sur les hommes ; mais ensuite il entend par fées, une espece de sorcieres qui se rendirent célébres en prédisant l'avenir, par quelque communication qu'elles avoient avec les génies. Les idées religieuses des anciens, observe-t-il n'étoient pas à beaucoup près aussi effrayantes que les nôtres, & leur enfer & leurs furies n'avoient rien qui pût être comparé à nos démons. Selon lui, au lieu de nos sorcieres & de nos magiciennes, qui ne font que du mal, & qui sont employées aux fonctions les plus viles & les plus basses les anciens admettoient une espece de déesses moins malfaisantes, que les auteurs latins appelloient albas dominas : rarement elles faisoient du mal, elles se plaisoient davantage aux actions utiles & favorables. Telle étoit leur nymphe Egerie, d'où sont sorties sans-doute les dernieres reines fées, Morgane, Alcine, la fée Manto de l'Arioste, la Gloriane de Spencer, & d'autres qu'on trouve dans les romans anglois & françois ; quelques-unes présidoient à la naissance des jeunes princes & des cavaliers, pour leur annoncer leur destinée, ainsi que faisoient autrefois les parques, comme le prétend Hygin, ch. clxxj & clxxjv.

Quoiqu'en dise Naudé, les anciens ne manquoient point de sorcieres aussi méchantes qu'on suppose les nôtres, témoin la Canidie d'Horace, ode V. & satyre j. 5. Les fées ne succéderent point aux parques ni aux sorcieres des anciens, mais plûtôt aux nymphes ; car telle étoit Egerie. Voyez NYMPHES, PARQUES, &c.

Les fées de nos romans modernes sont des êtres imaginaires que les auteurs de ces sortes d'ouvrages ont employés pour opérer le merveilleux ou le ridicule qu'ils y sement, comme autrefois les poëtes faisoient intervenir dans l'épopée, dans la tragédie, & quelquefois dans la comédie, les divinités du Paganisme : avec ce secours, il n'y a point d'idée folle & bizarre qu'on ne puisse hasarder. Voy. l'article MERVEILLEUX. Dictionn. de Chambers. (G)


FÉEZS. f. pl. (Jurisp.) dans la coûtume d'Anjou, article 359, sont les faix ou charges féodales & foncieres, & toutes autres charges réelles des héritages. (A)


FEILLETTEFEUILLETTE ou FILLETTE, s. f. (Comm.) sorte de tonneau destiné à mettre du vin ; il signifie aussi une petite mesure de liqueurs. Voyez FEUILLETTE. Dictionn. de Commerce, de Trévoux, & Chambers. (G)


FEINDREc'est en général se servir, pour tromper les hommes ; & leur en imposer, de toutes les démonstrations extérieures qui designent ce qui se passe dans l'ame. On feint des passions, des desseins, &c. Feindre a une acception propre à la Poésie. Voyez l'article FICTION.

FEINDRE, BOITER, (Manége, Maréchallerie) ces deux mots ne sont pas exactement synonymes ; le premier n'est d'usage que dans le cas d'une claudication legere ; & en quelque sorte imperceptible. Si nombre de personnes ont une peine extrème à discerner la partie qui dans l'animal qui boîte est affectée, quelle difficulté n'auront-elles pas à la reconnoitre dans l'animal qui feint ? Un cheval voisin de sa chûte, à chaque pas qu'il fait boîte tout bas. Feindre se dit encore lorsqu'en frappant sur le pié de l'animal, ou en comprimant quelque partie de son corps, il nous donne par le mouvement auquel cette compression ou ce heurt langage, des signes de douleur. On doit d'abord sonder le pié de tout cheval qui feint ou qui boîte, en frappant avec le brochoir sur la tête des clous qui maintiennent le fer. Voyez ECART. Lorsque le clou frappé occasionne la douleur, & par conséquent l'action de feindre ou de boiter, on observe un mouvement très-sensible dans l'avant-bras, & nous exprimons ce mouvement par le terme de feindre pris dans le dernier sens. (e)


FEINTES. f. en Musique, est l'altération d'une note ou d'un ton, par dièse ou par bémol. C'est proprement le nom générique du dièse & du bémol même. Ce mot n'est plus guere en usage.

C'est de-là qu'on appelloit aussi feintes les touches chromatiques du clavier, que nous appellons aujourd'hui touches blanches, & qu'autrefois on faisoit noires plus ordinairement. Voyez CHROMATIQUE, & l'article suivant. (S)

FEINTE COUPEE des épinettes & des clavessins qui ne sont pas à ravalement, est la touche du demi-ton de l'ut de l'octave des basses que l'on coupe en deux, ensorte que cela forme deux touches que l'on accorde en b-fa-si & en a-mi-la, lorsqu'elles sont suivie d'un g-ré-sol, qui est la touche noire qui précede les quatriemes octaves. Voyez la figure de l'épinette à l'italienne, Pl. VI. de Lutherie, fig. 6. & son article.

FEINTE, (Escrime) est une attaque qui a l'apparence d'une botte, & qui détermine l'ennemi à parer d'un côté, tandis qu'on le frappe d'un autre.

Pour bien faire une feinte, il faut, 1°. dégager (voyez DEGAGEMENT VOLONTAIRE), & faire le mouvement de porter une botte sans avancer le pié droit : 2°. dans l'instant que l'ennemi pare cette fausse botte, vous évitez la rencontre de son épée (voyez l'article DEGAGEMENT FORCE), & incontinent on allonge l'estocade, pour saisir le tems que son bras est occupé à parer.

Double feinte ; elle se fait lorsqu'on attaque l'ennemi par deux feintes.

Feinte droite, c'est faire une feinte sans dégager.

FEINTE, dans l'usage de l'Imprimerie, s'entend d'un manque de couleur qui se trouve à certains endroits d'une feuille imprimée, par comparaison au reste de la feuille. Un ouvrier fait une feinte, pour le peu qu'il manque à la justesse qu'il faut avoir pour appuyer également la balle sur la forme dans toute l'étendue de sa surface.


FEINTIERou ALOSIERES, VERGUES, VERGUEUX ou RETS VERGUANS, CAHUYAUTIERS, termes de Pêche qui sont synonymes, & qui désignent une sorte de filet propre à prendre des aloses ; ce qui leur a fait donner aussi le nom d'alosieres : en voici la description.

Ce filet, qui est travaillé, est semblable à ceux dont on fait la dreige dans la mer (voy. DREIGE), & fabriqué de même, à cette différence près, qu'il court 3 cordes le long du filet ; celle de la tête, que les Pêcheurs nomment la corde du liége ; celle du milieu, qu'ils nomment la corde du parmi ; & celle du pié, qu'ils appellent la corde du plomb, parce qu'elle en est garnie, comme les tramaux de la dreige : elle sépare la nappe & les tramaux en deux. La corde du parmi, qui ne se trouve point dans les filets de mer, sert à mieux soûtenir le filet, dont la nappe est formée d'un fil très-fin, & que les aloses, les saumons & autres gros poissons creveroient aisément sans cette précaution.

Pour faire cette pêche on jette le filet dans l'eau, après avoir mis une bouée au bout forain. Il y a dans chaque bateau quatre hommes d'équipage, deux qui rament, un qui gouverne, & un quatrieme qui pare ou tend le filet, dont la position est en-travers de la riviere, pour que le poisson qui s'abandonne au courant de l'eau, puisse s'y prendre. On pêche de flot & de jusant.

Cette pêche des aloses dure depuis le mois de Février jusqu'à la fin de Mai.

Les alosieres ont les mailles des hamaux, qui sont les deux rets extérieurs du tramail, de huit pouces en quarré. La toile, nappe ou flue a les mailles de deux pouces quatre lignes en quarré. Ces filets ne sont pas chargés de beaucoup de plomb par bas ; ensorte qu'étant considérés comme une dreige, ils ne causent point sur le fond de la riviere le même désordre que la dreige dans la mer, puisqu'ils ne font presque que rouler sur le sable.


FELAPTON(Logique) terme technique où les voyelles désignent la qualité des propositions qui entrent dans un syllogisme particulier ; ainsi la voyelle E marque que la majeure doit être universelle négative ; la voyelle A, la mineure universelle affirmative ; la voyelle O, la conclusion particuliere négative. Voyez SYLLOGISME.


FELD(Géog.) Ce mot qui en allemand signifie une plaine, une campagne, entre dans la composition de plusieurs noms géographiques, & se met dans quelques-uns au commencement, & dans quelques autres à la fin du mot, selon le caprice de l'usage. (C. D. J.)


FELDKIRCou VELDKIRCH, Velcurium, (Géogr.) ville d'Allemagne, capitale du comté de même nom, au Tirol, sur l'Ill, à deux milles d'Appenzell, entre le lac de Constance au septentrion, & Coire au midi ; elle est marchande, & a de beaux priviléges. Long. 27. 24. lat. 47. 14.

C'est à Feldkirch que naquit Bernhardi, (Barthélemi) fameux pour avoir été le premier ministre luthérien qui se soit marié publiquement, & qui ait soûtenu par ses écrits la condamnation du célibat des prêtres. Son mariage étonna Luther même, quoiqu'il approuvât son opinion ; mais il scandalisa tellement les Catholiques, qu'ils chercherent à s'en venger : de-là vint que des soldats espagnols étant entrés chez lui, le pendirent dans son cabinet ; heureusement sa femme accourut assez tôt pour le détacher & lui sauver la vie. Il mourut naturellement en 1551, âgé de soixante-quatre ans. (C. D. J.)


FELENIES. f. (Jurisp.) se disoit anciennement pour félonie ou infidélité. Voyez Beaumanoir, chap. j. Defontaines, tit. xvj. liv. IV. & ci-après FELONIE. (A)


FÊLERv. act. (Gram. & Art méch.) Ce terme n'est applicable qu'aux ouvrages de terre, de verre, &c. qu'aux vaisseaux de porcelaine, &c. Ils sont fêlés, lorsque la continuité de leurs parties est rompue d'une maniere apparente ou non apparente, sans qu'il y ait une séparation totale : si la séparation étoit entiere, alors le vaisseau seroit ou cassé ou brisé. De fêler on a fait le substantif fêlure. Un valet dit de lui-même, dans l'Andrienne, à propos d'un secret qu'on lui recommande : Plenus rimarum sum, hac illac perfluo ; ce qu'on rendroit très-bien de cette maniere : Comment voulez-vous que je le garde ? je suis fêlé de tous côtés ?


FÉLICITÉS. f. (Gramm. & Morale) est l'état permanent, du moins pour quelque tems, d'une ame contente, & cet état est bien rare. Le bonheur vient du dehors, c'est originairement une bonne heure. Un bonheur vient, on a un bonheur ; mais on ne peut dire, il m'est venu une félicité, j'ai eu une félicité : & quand on dit, cet homme joüit d'une félicité parfaite, une alors n'est pas prise numériquement, & signifie seulement qu'on croit que sa félicité est parfaite. On peut avoir un bonheur sans être heureux. Un homme a eu le bonheur d'échapper à un piege, & n'en est quelquefois que plus malheureux ; on ne peut pas dire de lui qu'il a éprouvé la félicité. Il y a encore de la différence entre un bonheur & le bonheur, différence que le mot félicité n'admet point. Un bonheur est un évenement heureux. Le bonheur pris indéfinitivement, signifie une suite de ces évenemens. Le plaisir est un sentiment agréable & passager, le bonheur considéré comme sentiment, est une suite de plaisirs, la prospérité une suite d'heureux évenemens, la félicité une joüissance intime de sa prospérité. L'auteur des synonymes dit que le bonheur est pour les riches, la félicité pour les sages, la béatitude pour les pauvres d'esprit ; mais le bonheur paroît plûtôt le partage des riches qu'il ne l'est en effet, & la félicité est un état dont on parle plus qu'on ne l'éprouve. Ce mot ne se dit guere en prose au pluriel, par la raison que c'est un état de l'ame, comme tranquillité, sagesse, repos ; cependant la poésie qui s'éleve au-dessus de la prose, permet qu'on dise dans Polieucte :

Ou leurs félicités doivent être infinies.

Que vos félicités, s'il se peut, soient parfaites.

Les mots, en passant du substantif au verbe, ont rarement la même signification. Féliciter, qu'on employe au lieu de congratuler, ne veut pas dire rendre heureux, il ne dit pas même se réjoüir avec quelqu'un de sa félicité, il veut dire simplement faire compliment sur un succès, sur un évenement agréable. Il a pris la place de congratuler, parce qu'il est d'une prononciation plus douce & plus sonore. Article de M. DE VOLTAIRE.

FELICITE, (Mythol.) c'étoit une déesse chez les Romains, aussi-bien que chez les Grecs, qui la nommoient Eudomonie, . Vossius, de Idololat. lib. VIII. c. xviij. ne la croit point différente de la déesse Salus ; mais il est presque le seul de son opinion.

Quoi qu'il en soit, on assûre que Lucullus, après avoir eu le bonheur dans ses premieres campagnes de conquérir l'Arménie, de remporter des victoires signalées contre Mithridate, de le chasser de son royaume, & de finir par se rendre maître de Sinope, crut à son retour à Rome devoir par reconnoissance une statue magnifique à la Félicité. Il fit donc avec le sculpteur Archésilas le marché de cette statue pour la somme de 60 mille sesterces ; mais ils moururent l'un & l'autre avant que la statue fût achevée : c'est Pline qui rapporte ce fait, lib. XXXV. c. xij.

On conçoit sans peine qu'il ne convenoit pas à César d'ériger à la Félicité une simple statue, lui qui en avoit une dans Rome qui marchoit à côté de la Victoire ; il falloit qu'un homme de cet ordre fît plus que Lucullus pour la déesse qui l'avoit élevé au comble de ses voeux : aussi Dion, lib. XLIV. raconte que dès que César se vit maître de la république, il forma le projet de bâtir à la Félicité un temple superbe dans la place du palais, appellée curia hostilia ; mais sa mort prématurée fit encore échoüer ce dessein, & Lépide le triumvir eut l'honneur de l'exécuter.

Alors les prêtres, toûjours avides de nouveaux cultes qui augmentoient leurs richesses & leur crédit, ne manquerent pas de vanter la gloire du temple fondé par Lépide, précédemment leur souverain pontife, & d'exagérer les avantages qu'auroient ceux qui feroient fumer de l'encens sur ses autels. On dit à ce sujet que l'un de ces prêtres, sacrificateur de Cérès, promettant un bonheur éternel à ceux qui se feroient initier dans les mysteres de la déesse Félicité, quelqu'un lui répondit assez plaisamment : " Que ne te laisses-tu donc mourir, pour aller joüir de ce bonheur que tu promets aux autres avec tant d'assûrance " ?

S. Augustin, dans son ouvrage de la cité de Dieu, liv. II. ch. xxiij. & liv. IV. ch. xviij. parlant de la Félicité, que les Romains n'admirent que fort tard dans leur culte, s'étonne avec raison que Romulus qui vouloit fonder le bonheur de sa ville naissante, & que Tatius, aussi-bien que Numa, entre tant de dieux & de déesses qu'ils avoient établis, eussent oublié la Félicité ; & il ajoûte à ce sujet, que si Tullus Hostilius avoit connu la déesse, il ne se seroit pas avisé de s'adresser à la Peur & à la Pâleur pour en faire de nouvelles divinités, puisque quand on a la Félicité pour soi, l'on a tout, & l'on ne doit plus rien appréhender.

Mais les Payens auroient pû répondre deux choses à saint Augustin sur sa derniere remarque : 1°. que Tullus n'avoit bâti des temples à la Peur & à la Pâleur, que pour prévenir la terreur panique dans son armée, & porter l'épouvante chez les ennemis ; c'est pourquoi Hésiode, dans sa description du bouclier d'Hercule, y représente Mars accompagné de la Peur & de la Crainte. 2°. L'on pouvoit répondre à S. Augustin, que les Romains pensoient qu'il étoit absolument nécessaire d'imprimer dans l'esprit des méchans la crainte d'être séverement punis, & que c'étoit par cette raison qu'ils avoient consacré des temples & des autels à la peur, à la fraude & à la discorde, &c.

Au reste, l'histoire ne nous apprend point si la déesse Félicité avoit beaucoup de temples à Rome ; mais nous savons qu'elle se trouve souvent représentée sur les médailles antiques, quelquefois avec figure humaine, & le plus souvent par des symboles. En figure humaine, c'est une femme qui tient la corne d'abondance de la main gauche, & le caducée de la droite. Les symboles ordinaires représentent la Félicité sous deux cornes d'abondance qui se croisent, & un épi qui s'éleve entre les deux. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FELINS. f. (Comm.) petit poids dont se servent les Orfévres & les Monnoyeurs, qui pese sept grains & un cinquieme de grain. Les deux felins font la maille. Le marc est composé de six cent quarante felins. Voyez ONCE, MARC, GRAIN, POIDS, &c. Dictionn. de Comm. de Trév. & Chamb. (G)


FELIXFELICISSIMUS, FELICITAS, (Littérature) en françois heureux, très-heureux, &c. titres fréquens dans les monumens publics des Romains, adoptés d'abord par Sylla, prodigués ensuite aux empereurs, & qu'enfin les villes, les provinces & les colonies les plus malheureuses, dépendantes de l'empire, eurent la bassesse de s'appliquer, pour ne pas déplaire aux souverains de Rome.

Ajoûtons même qu'entre les différens titres qui se lisent sur les monumens antiques, celui de felix ou felicitas, est un de ceux qui s'y trouvent le plus souvent. Sylla, le barbare Sylla, que la fortune combla de ses faveurs jusqu'à la mort, quoique sa cruauté l'en eût rendu très-indigne, fut le premier des Romains qui prit le nom de felix, heureux.

Mais à qui ou à quoi dans la suite ne prodigua-t-on pas faussement ce glorieux titre de felix ou de felicitas ? Il fut attribué au triste tems présent, felicitas temporis, felix temporum reparatio ; au siecle infortuné, saeculi felicitas : au sénat abattu, au peuple romain asservi, felicitas populi romani ; à Rome malheureuse, romae felici ; à l'empire consterné sous Macrin, ce vil gladiateur & chasseur de bêtes sauvages, felicitas imperii ; à toute la terre gémissante, felicitas orbis ; mais sur-tout aux plus infâmes empereurs, depuis que Commode prince détestable, & détesté de tout l'Univers, se le fut approprié.

On donna même à ses successeurs le titre de felicissimus, dans le bas-empire ; la mode s'étoit alors introduite de porter au superlatif la plûpart des titres, à proportion qu'ils étoient le moins mérités, beatissimus, nobilissimus, piissimus.

A l'exemple de l'état romain & des empereurs, quantité de colonies se piquerent de se dire heureuses sur leurs monnoies, par adulation pour les princes regnans dont elles vouloient tâcher de gagner les bonnes graces, en se vantant de joüir d'une félicité qu'elles étoient bien éloignées de posséder. Il suffit pour s'en convaincre de se rappeller qu'entre les colonies qui prirent le titre de felix, les médailles nomment Carthage & Jérusalem.

Les provinces, à l'imitation des villes, affecterent aussi sur leurs monumens publics, de se proclamer heureuses. La Dace publie qu'elle est heureuse sous Marc-Jules-Philippe : oui, Dacia felix se trouve sur les médailles frappées sous le regne de cet arabe, qui parvint au throne par le brigandage & le poison.

Enfin pour abréger, l'on poussa la bassesse sous Commode, jusqu'à faire graver sur les médailles de ce monstre dont j'ai déjà parlé, que le monde étoit heureux d'être sous son empire : .

C'en est assez pour qu'on puisse apprécier dans l'occasion les monumens de ce genre à leur juste valeur ; car les excès de la flaterie sont & seront toûjours en raison de la servitude. Cicéron a si bien connu cette vérité, quand il nous peint les Asiatiques en ces mots ; diuturnâ servitute ad nimiam ascentationem eruditi. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FELLES. f. (Verrerie) morceau de fer en forme de canne, creusée dans toute sa longueur, qui est d'environ quatre piés & demi ; elle est armée par un bout d'une poignée de bois, pour empêcher l'ouvrier de se brûler, ayant l'autre bout un peu plus gros. La felle sert à cueillir la matiere dans les pots pour en faire le verre à vitre.


FELONS. m. (Jurisprudence) signifie en général traître, cruel, & inhumain. En matiere féodale, il se dit du vassal qui a offensé grievement son seigneur, ou qui a été déloyal envers lui. Le seigneur peut aussi être felon envers son vassal, lorsqu'il commet contre lui quelque forfait & déloyauté notable. Voyez ci-après FELONIE. (A)


FELONIES. f. (Jurisprud.) dans un sens étendu se prend pour toute sorte de crimes, autre que celui de lése-majesté, tels que l'incendie, le rapt, l'homicide, le vol, & autres délits par lesquels on attente à la personne d'autrui.

Mais dans le sens propre & le plus ordinaire, le terme de félonie est le crime que commet le vassal qui offense grievement son seigneur.

La distinction de ce crime d'avec les autres délits tire, comme on voit, son origine des lois des fiefs.

Le vassal se rend coupable de félonie lorsqu'il met la main sur son seigneur pour l'outrager, lorsqu'il le maltraite en effet lui, sa femme, ou ses enfans, soit de coups ou de paroles injurieuses ; lorsqu'il a deshonoré la femme ou la fille de son seigneur, ou qu'il a attenté à la vie de son seigneur, de sa femme, ou de ses enfans.

Boniface, tom. V. liv. III. tit. j. ch. xjx. rapporte un arrêt du parlement de Provence du mois de Décembre 1675, qui condamna un vassal à une amende honorable, & déclara ses biens confisqués, pour avoir dépouillé son seigneur dans le cercueil, & lu avoir dérobé ses habits.

Le roi Henri II. déclara, en 1556, coupables de félonie tous les vassaux des seigneurs qui lui devoient apporter la foi & hommage, & ne le faisoient pas, tels que les vassaux de la Franche-Comté, de Flandres, Artois, Hainaut, &c.

Le démenti donné au seigneur est aussi réputé félonie ; il y a deux exemples de confiscation du fief prononcée dans ce cas contre le vassal, par arrêts des 31 Décembre 1556 & Mai 1574, rapportés par Papon, liv. XIII. tit. j. n. 11. & par Bouchel, bibliot, verbo félonie.

Le desaveu est différent de la félonie, quoique la commise ait lieu en l'un & l'autre cas.

Le crime de félonie ne se peut commettre qu'envers le propriétaire du fief dominant, & non envers l'usufruitier, si ce n'est à l'égard d'un bénéficier, lequel tient lieu de propriétaire, auquel cas le fief servant n'est pas confisqué au profit du bénéficier, mais de son église.

La peine ordinaire de la félonie est la confiscation du fief au profit du seigneur dominant ; un des plus anciens & des plus mémorables exemples de cet usage, est la confiscation qui fut prononcée pour félonie commise par le seigneur de Craon contre le roi de Sicile & de Jérusalem. Par arrêt du parlement de Paris, de l'an 1394, ses biens furent déclarés acquis & confisqués à la reine, avec tous les fiefs qu'il tenoit de ladite dame, tant en son nom que de ses enfans ; & comme traître à son seigneur & roi, il fut condamné en 100000 ducats & banni hors du royaume ; mais l'exécution de cet arrêt fut empêchée par le roi son oncle & par le duc d'Orléans. Papon, liv. XIII. tit j. n. 11.

Les bénéficiers coupables de félonie ne confisquent pas la propriété du fief dépendant de leur bénéfice, mais seulement leur droit d'usufruit. Forget, ch. xxiij.

La félonie & rebellion de l'évêque donnent ouverture au droit de regale, ainsi qu'il fut jugé par un arrêt du parlement de Paris, du mois d'Août 1598. Filleau, part. IV. quest. 1.

Celui qui tient un héritage à cens, doit aussi être privé de ce fonds pour félonie. Lapeyrere, lett. f. n. 61. & 114.

Mais la confiscation pour félonie, soit contre le vassal ou contre le censitaire, n'a pas lieu de plein droit ; il faut qu'il soit intervenu un jugement qui l'ordonne sur les poursuites du seigneur dominant Voyez Andr. Gail. lib. II. observ. 51.

Outre la peine de la commise, le vassal peut être condamné à mort naturelle, ou aux galeres, au bannissement, en l'amende honorable, ou en une simple amende, selon l'atrocité du délit qui dépend des circonstances.

Si le seigneur dominant ne s'est pas plaint de son vivant de la félonie commise envers lui par son vassal, il est censé lui avoir remis l'offense, & ne peut pas intenter d'action contre ses héritiers, à moins qu'elle n'eût été commencée du vivant du seigneur dominant & du vassal qui a commis l'offense. Voyez Balde sur la loi derniere, cod. de revoc. Donat ; Mynsinger, cent. iij. observ. 97. Wourmser, tit. ij. de feud. observ. 36. n. 2. & 3. Decianus, rep. 23. n. 15. vol. I. Wulteius, de feudis, c. xj. n. 13. Obrecht, de jure feudor. lib. IV. cap. viij. p. 57. Voyez aussi le manifeste fait en 1703, par le comte Paul Perroni pour le duc de Mantoue, cité au ban de l'Empire, qui forme un traité complet du droit féodal par rapport à la félonie. (A)

Félonie du seigneur envers son vassal, est lorsque le seigneur commet contre lui quelque forfait & déloyauté notable.

Cette espece de félonie fait perdre au seigneur dominant l'hommage & la mouvance du fief servant, qui retourne au seigneur suzerain de celui qui a commis la félonie, & le vassal outragé par son seigneur est exempt, & ses successeurs, pour toûjours de la jurisdiction du seigneur dominant, & de lui payer aucuns droits seigneuriaux, ce qui est fondé sur ce que les devoirs du seigneur & du vassal sont réciproques ; le vassal doit honneur & fidélité à son seigneur & celui-ci doit protection & amitié à son vassal.

Le plus ancien & le plus fameux exemple que l'on rapporte de la confiscation qui a lieu en ce cas contre le seigneur dominant, est celui de Clotaire I. lequel, au rapport de Guaguin, du Haillan, & quelques autres historiens, fut privé de la mouvance de la seigneurie d'Yvetot en Normandie, pour avoir tué dans l'église, le jour du vendredi saint, Gauthier seigneur de ce lieu, lequel ayant été exilé par ce prince, étoit revenu près de lui muni de lettres du pape Agapet. On prétend que Clotaire pour réparer son crime, érigea Yvetot en royaume ; mais cette histoire, dont on n'a parlé pour la premiere fois que 900 ans après la mort de ceux qui y avoient quelque part, est regardée comme fabuleuse par tous les bons historiens.

Chopin, sur la coûtume d'Anjou, liv. II. part. III. tit. jv. ch. ij. n. 2. rapporte un arrêt du 13 Mars 1562, par lequel un seigneur fut privé de la foi, hommage, & service que son vassal lui devoit pour lui avoir donné un soufflet dans une chambre du parlement de Paris.

Voyez les coûtumes de Laon, articles 196. & 197. Chalons, art. 197. & 198. Rheims, art. 129. & 130. Ribemont, art. 31. Saint-Pol, art. 32. & Billecoq, tr. des fiefs, liv. XII. ch. ij. jv. & xiij. (A)


FELOUQUES. f. (Marine) c'est un petit bâtiment de la mer Méditerranée, en forme de chaloupe, qui va à la voile & à la rame. Ce bâtiment a cela de particulier, qu'il peut porter son gouvernail à l'avant ou à l'arriere selon son besoin, à cause que son étrave & son étambort sont également garnis de penture pour le soûtenir. Ce bâtiment a d'ordinaire six ou sept rameurs, & va très-vite. (Z)


FELOURSS. m. (Comm.) monnoie de cuivre ; c'est le liard de Maroc ; il en faut huit pour la blanquette, & la blanquette fait six blancs de notre monnoie.


FELTRIFeltria ; (Géog.) ancienne ville d'Italie, dans la marche Trévisane, capitale d'un petit pays de même nom, avec un évêque suffragant d'Aquilée. Les Vénitiens possedent le Feltrin, & Feltri depuis 1404. Elle est sur l'Arona, à 12 lieues N. de Padoüe, 7 S. O. de Belluno, 16 N. O. de Venise. C'est la patrie de Victorin, l'un des premiers restaurateurs de l'ancienne latinité. Long. 29. 26. lat. 46. 3. (D.J.)


FEMELLES. f. (Hist. nat.) c'est le correlatif de mâle. C'est celui qui conçoit & met au monde le petit. Voyez SEXE.


FEMELLESS. f. (Marine) ce sont des anneaux qui portent le gouvernail : on appelle mâles, les fers qui entrent dans ces anneaux. Voyez FERRURE DE GOUVERNAIL. (Z)

FEMELLE. Les Filassiers appellent de ce nom une espece de chanvre menu & fin, qui ne produit point de graine, mais dont la filasse est beaucoup plus belle que le mâle, qui n'est propre qu'à faire des cordages ou des grosses toiles à vil prix. Voyez CORDERIE.

FEMELLE CLAIRE, en terme de Plumassier ; ce sont des plumes d'une autruche femelle, blanches & noires, mais où le blanc domine sur le noir.

FEMELLE OBSCURE, en Plumasserie, ce sont des plumes d'une autruche femelle, noires & blanches, mais où il y a plus de noir que de blanc.


FEMEREou FEMERN, (Géog.) Cimbria, dont ensuite on a fait Simbria, est une petite île de Danemark, dans la mer Baltique, à deux milles du duché d'Holstein. Elle est fort fertile en grains & en pâturages. Voyez Audrifret, Maty ; Deshayes, voyage de Danemark, &c. Long. 28. 50-29. lat. 54. 40-4. 2.

Kortholt (Christian) professeur en Théologie à Kiell, né dans l'île de Fémeren en 1633, mort en 1694, enrichit l'Allemagne d'un grand nombre de livres, & laissa des fils qui marcherent sur ses traces. (D.J.)


FEMINININE, adj. (Gramm.) c'est un qualificatif qui marque que l'on joint à son substantif une idée accessoire de femelle : par exemple, on dit d'un homme qu'il a un visage féminin, une mine féminine, une voix féminine, &c. On doit observer que ce mot a une terminaison masculine & une féminine. Si le substantif est du genre masculin, alors la Grammaire exige que l'on énonce l'adjectif avec la terminaison masculine : ainsi l'on dit, un air féminin, selon la forme grammaticale de l'élocution ; ce qui ne fait rien perdre du sens, qui est que l'homme dont on parle a une configuration, un teint, un coloris, une voix, &c. qui ressemblent à l'air & aux manieres des femmes, ou qui réveillent une idée de femme. On dit au contraire, une voix féminine, parce que voix est du genre féminin : ainsi il faut bien distinguer la forme grammaticale, & le sens ou signification ; ensorte qu'un mot peut avoir une forme grammaticale masculine, selon l'usage de l'élocution, & réveiller en même tems un sens féminin.

En Poésie on dit, rime féminine, vers féminins, quoique ces rimes & ces vers ne réveillent par eux-mêmes aucune idée de femme. Il a plû aux maîtres de l'art d'appeller ainsi, par extension ou imitation, les vers qui finissent par un e muet ; ce qui a donné lieu à cette dénomination, c'est que la terminaison féminine de nos adjectifs finit toûjours par un e muet, bon, bon-ne ; un, u-ne ; saint, sain-te ; pur, pu-re ; horloger, horloge-re, &c.

Il y a différentes observations à faire sur la rime féminine ; on les trouvera dans les divers traités que nous avons de la poésie françoise. Nous en parlons au mot RIME.

Le peuple de Paris fait du genre féminin certains mots que les personnes qui parlent bien font, sans contestation, masculins ; le peuple dit : une belle éventaille, au lieu d'un bel éventail ; & de même une belle hôtel, au lieu d'un bel hôtel. Je crois que le l qui finit le mot bel, & qui se joint à la voyelle qui commence le mot a donné lieu à cette méprise. Ils disent enfin, la premiere âge, la belle âge ; cependant âge est masculin, l'âge viril, l'âge mûr, un âge avancé. Voyez GENRE. (F)


FEMMES. f. (Anthropologie) faemina, , ischa en hébreu ; c'est la femelle de l'homme. Voyez HOMME, FEMELLE, XESEXE.

Je ne parlerai point des différences du squelete de l'homme & de la femme : on peut consulter là-dessus M. Daubenton, description du cabinet du Roi, tome III. hist. natur. pag. 29 & 30 ; Monro, appendix de son Ostéologie ; & Ruysch qui a observé quelque chose de particulier sur la comparaison des côtes dans les deux sexes. Voyez SQUELETE.

Je ne ferai point une description des organes de la génération ; ce sujet appartient plus directement à d'autres articles. Mais il semble qu'il faut rapporter ici un système ingénieux sur la différence de ces organes dans l'homme & dans la femme.

M. Daubenton, tom. III. hist. nat. pag. 200. après avoir remarqué la plus grande analogie entre les deux sexes pour la secrétion & l'émission de la semence, croit que toute la différence que l'on peut trouver dans la grandeur & la position de certaines parties, dépend de la matrice qui est de plus dans les femmes que dans les hommes, & que ce viscere rendroit les organes de la génération dans les hommes absolument semblables à ceux des femmes, s'il en faisoit partie.

M. Daubenton appuie ce système sur la description de quelques foetus peu avancés, que Ruysch a fait connoître, ou qui sont au cabinet du Roi. Ces foetus, quoique du sexe féminin, paroissent mâles au premier coup-d'oeil, & Ruysch en a fait une regle générale pour les foetus femelles de quatre mois environ, dans un passage qu'on peut ajoûter à ceux que M. Daubenton a cités, thes. jv. n°. 42. foetus humanus quatuor praeter propter mensium, quamvis primâ fronte visus masculini videatur sexus, tamen sequioris est, id quod in omnibus foetibus humanis, sexus faeminini eâ aetate reperitur.

M. Daubenton s'est rencontré jusqu'à un certain point avec Galien, qui dans le second livre , chap. v. ne met d'autre différence entre les parties génitales de l'homme & de la femme, que celle de la situation ou du développement. Pour prouver que ces parties, d'abord ébauchées dans le sac du péritoine, y restent renfermées, ou en sortent suivant les forces ou l'imperfection de l'animal ; il a aussi recours aux dissections de femelles pleines, & aux foetus nés avant terme. On retrouve la même hypothèse dans le traité de Galien, de usu partium, l. XIV. c. vj. & Avicenne l'a entierement adoptée dans le troisieme livre de son canon, fen. 21. tract. I. cap. j.

Mais Galien ne croit pas que les hommes manquent de matrice ; il croit qu'en se renversant, elle forme le scrotum, & renferme les testicules, qui sont extérieurs à la matrice. Il fait naître la verge d'un prolapsus du vagin, au lieu de la chercher dans le clitoris.

Piccolomini & Paré avoient embrassé l'opinion de Galien ; Dulaurent, Kyper, & plusieurs autres anatomistes, n'y ont trouvé qu'un faux air de vraisemblance. Cette question paroît intimement liée avec celle des hermaphrodites, d'autant plus que nous n'avons que des exemples fabuleux & poétiques d'hommes devenus femmes ; au lieu qu'on trouve plusieurs femmes changées en hommes, dont les métamorphoses sont attestées sérieusement. Cette remarque singuliere, avec les preuves dont elle est susceptible, se trouve dans Frommann, de fascinatione magicâ, pag. 866. Voyez HERMAPHRODITE.

Hippocrate, aphor. 43. liv. VII. dit positivement qu'une femme ne devient point ambidextre. Galien le confirme, & ajoûte que c'est à cause de la foiblesse qui lui est naturelle ; cependant on voit des dames de charité qui saignent fort bien avec l'une & l'autre main. Je sai que cet aphorisme a été expliqué par Sextus Empiricus, p. m. 380. des foetus femelles qui ne sont jamais conçus dans le côté droit de la matrice. J. Albert Fabricius a fort bien remarqué que cette interprétation a été indiquée par Galien dans son commentaire ; mais il devoit ajoûter que Galien la desapprouve au même endroit.

Les Anatomistes ne sont pas les seuls qui ayent regardé en quelque maniere la femme comme un homme manqué ; des philosophes platoniciens ont eu une idée semblable. Marsile Ficin dans son commentaire sur le second livre de la troisieme enneade de Plotin (qui est le premier ), chap. xj. assûre que la vertu générative dans chaque animal, s'efforce de produire un mâle, comme étant ce qu'il y a de plus parfait dans son genre ; mais que la nature universelle veut quelquefois une femelle, afin que la propagation, dûe au concours des deux sexes, perfectionne l'univers. Voyez tom. II. des oeuvres de Marsile Ficin, pag. 1693.

Les divers préjugés sur le rapport d'excellence de l'homme à la femme, ont été produits par les coûtumes des anciens peuples, les systèmes de politique & les religions qu'ils ont modifiés à leur tour. J'en excepte la religion chrétienne, qui a établi, comme je le dirai plus bas, une supériorité réelle dans l'homme, en conservant néanmoins à la femme les droits de l'égalité.

On a si fort négligé l'éducation des femmes chez tous les peuples policés, qu'il est surprenant qu'on en compte un aussi grand nombre d'illustres par leur érudition & leurs ouvrages. M. Chrétien Wolf a donné un catalogue de femmes célebres, à la suite des fragmens des illustres greques, qui ont écrit en prose. Il a publié séparément les fragmens de Sapho, & les éloges qu'elle a reçus. Les Romains, les Juifs, & tous les peuples de l'Europe, qui connoissent les lettres, ont eu des femmes savantes.

A. Marie de Schurman a proposé ce problème : l'étude des lettres convient-elle à une femme chrétienne ? Elle soûtient l'affirmative ; elle veut même que les dames chrétiennes n'en exceptent aucune, & qu'elles embrassent la science universelle. Son deuxieme argument est fondé sur ce que l'étude des lettres éclaire, & donne une sagesse qu'on n'achete point par les secours dangereux de l'expérience. Mais on pourroit douter si cette prudence précoce ne coûte point un peu d'innocence. Ce qu'on peut dire de plus avantageux, pour porter à l'étude des Sciences & des Lettres, c'est qu'il paroît certain que cette étude cause des distractions qui affoiblissent les penchans vicieux.

Un proverbe hébreu borne presque toute l'habileté des femmes à leur quenouille, & Sophocle a dit que le silence étoit leur plus grand ornement. Par un excès opposé, Platon veut qu'elles ayent les mêmes occupations que les hommes. Voyez le cinquieme dialogue .

Ce grand philosophe veut au même endroit que les femmes & les enfans soient en commun dans sa république. Ce réglement paroît absurde ; aussi a-t-il donné lieu aux déclamations de Jean de Serres, qui sont fort vives.

La servitude domestique des femmes, & la polygamie, ont fait mépriser le beau sexe en Orient, & l'y ont enfin rendu méprisable. La répudiation & le divorce ont été interdits au sexe qui en avoit le plus de besoin, & qui en pouvoit le moins abuser. La loi des Bourguignons condamnoit à être étouffée dans la fange, une femme qui auroit renvoyé son légitime époux. On peut voir sur tous ces sujets l'excellent ouvrage de l'Esprit des lois, liv. XVI. Tous les Poëtes grecs depuis Orphée, jusqu'à S. Grégoire de Nazianze, ont dit beaucoup de mal des femmes. Euripide s'est acharné à les insulter, & il ne nous reste presque de Simonide, qu'une violente invective contr'elles. L'on trouvera un grand nombre de citations de poëtes grecs, injurieuses aux femmes, dans le commentaire de Samuel Clarke, sur les vers 416 & 455, liv. XI. de l'Odyssée. Clarke a pris ce recueil de la Gnomologia Homerica de Duport, page 208, qu'il n'a point cité. Le galant Anacréon, en même tems qu'il attribue aux femmes une beauté qui triomphe du fer & de la flamme, dit que la nature leur a refusé la prudence ; qui est le partage des hommes.

Les poëtes latins ne sont pas plus favorables au sexe ; & sans parler de la fameuse satyre de Juvénal, sans compiler des passages d'Ovide, & de plusieurs autres, je me contenterai de citer cette sentence de Publius Syrus : mulier qua sola cogitat, male cogitat, qu'un de nos poëtes a ainsi rendue : femme qui pense, à coup sûr pense mal. Platon dans son dialogue, , tom. II. pag. 909. E. attribue principalement aux femmes l'origine de la superstition, des voeux, & des sacrifices. Strabon est du même sentiment, liv. VII. de sa géographie : les Juifs qui ne croyent pas leurs cérémonies superstitieuses, accusent les femmes de magie, & disent que plus il y a de femmes, plus il y a de sorcieres.

Peut-être n'a-t-on attribué aux femmes, des arts d'une vertu occulte, tels que la superstition & la magie, que parce qu'on leur a reconnu plus de ressources dans l'esprit qu'on ne vouloit leur en accorder ; c'est ce qui a fait dire à Tite-Live, que la femme est un animal impuissant & indomptable. Le principe de la foiblesse & de l'infériorité des femmes, leur seroit avantageux, si tout le monde en concluoit avec Aristote, que c'est un plus grand crime de tuer une femme qu'un homme. Voyez les problemes d'Aristote, sect. 29. 11.

C'est une chose remarquable, qu'on a cru être souillé par le commerce légitime des femmes, & qu'on s'en est abstenu la veille des sacrifices chez les Babyloniens, les Arabes, les Egyptiens, les Grecs, & les Romains. Les Hébreux pensent qu'on perd l'esprit de prophétie par un commerce même légitime ; ce qui me rappelle la maxime orgueilleuse d'un ancien philosophe, qui disoit qu'il ne falloit habiter avec les femmes, que quand on vouloit devenir pire.

Les rabbins ne croyent pas que la femme fût créée à l'image de Dieu ; ils assûrent qu'elle fut moins parfaite que l'homme, parce que Dieu ne l'avoit formée que pour lui être un aide. Un théologien chrétien (Lambert Danaeus, in antiquitatibus, pag. 42.) a enseigné que l'image de Dieu étoit beaucoup plus vive dans l'homme que dans la femme. On trouve un passage curieux dans l'histoire des Juifs de M. Basnage, vol. VII. pag. 301 & 302. " Dieu ne voulut point former la femme de la tête, ni des yeux, ni, &c. (de peur qu'elle n'eût les vices attachés à ces parties) ; mais on a eu beau choisir une partie honnête & dure de l'homme, d'où il semble qu'il ne pouvoit sortir aucun défaut (une côte), la femme n'a pas laissé de les avoir tous ". C'est la description que les auteurs Juifs nous en donnent. On la trouvera peut-être si juste, ajoûte M. Basnage, qu'on ne voudra point la mettre au rang de leurs visions, & on s'imaginera qu'ils ont voulu renfermer une vérité connue sous des termes figurés.

D'autres rabbins ont traduit par côté le mot hébreu stelah, qu'on explique vulgairement côte : ils racontent que le premier homme étoit double & androgyne, & qu'on n'eut besoin que d'un coup de hache pour séparer les deux corps. On lit la même fable dans Platon, de qui les rabbins l'ont empruntée, s'il faut en croire M. le Clerc dans son commentaire sur le pentateuque.

Heidegger a observé, exercitat. 4. de historia patriarcharum, n°. 30. que Moyse ne parle point de l'ame d'Eve, & qu'on doute quelle en est la raison. Il est certain que les femmes étoient à plaindre dans la loi juive, comme M. le Clerc l'a remarqué, lib. cit. pag. 309. col. 2. Jesus-Christ lui-même nous a appris que la répudiation fut permise aux Hébreux, à cause de la dureté de leur coeur ; mais lorsqu'il n'a pas voulu que l'homme pût desunir ce que Dieu avoit joint, ses disciples se sont récriés, & ont trouvé que le mariage devenoit onéreux. Th. Crenius dans ses animadversiones philologicae, & historicae, part. XV, pag. 61. x. remarque que personne n'a plus maltraité les femmes, & n'a plus recommandé de s'en garder, que Salomon, qui néanmoins s'y est abandonné ; au lieu que Jesus-Christ a été plus doux à leur égard, & en a converti un grand nombre ; c'est pourquoi, dit-il, il en est qui pensent que Jesus-Christ a eu de la prédilection pour ce sexe. En effet, il a eu une mere sur la terre, & n'a point eu de pere ; la premiere personne à qui il s'est montré après sa résurrection, a été Marie-Madeleine, &c.

Les personnes qui renoncent au mariage, sont censées approcher davantage de la perfection, depuis l'établissement de la religion chrétienne ; les Juifs au contraire, regardent le célibat comme un état de malédiction. Voyez Pirke Aboth, chap. j. n°. 5.

S. Pierre dans sa premiere épitre, chap. iij. vers. 7. ordonne aux maris de traiter leurs femmes avec honneur, parce qu'elles sont des vases plus fragiles. Les Juifs disent que la femme est un vase imparfait ; que l'époux, acheve l'hébreu, a encore plus de force ; car il peut signifier que la femme, sans le secours du mari, n'est qu'un embryon. Voyez Gemare sur le titre sanhedrin du talmud, chap. ij. segm. 15.

Petrus Calanna, dans un livre rare intitulé, philosophia seniorum sacerdotia & platonica, pag. 173, ose dire que Dieu est mâle & femelle en même tems. Godofredus Arnoldus, dans son livre de sophiâ, a soûtenu cette opinion monstrueuse, dérivée du platonisme, qui a aussi donné le jour aux éons, ou divinités hermaphrodites des Valentiniens. M. de Beausobre, histoire du Manichéisme, tom. II. pag. 584. veut que ces éons fussent allégoriques ; & il se fonde sur ce que Synesius évêque chrétien, attribue à Dieu les deux sexes, quoiqu'il n'ignorât pas que Dieu n'a point d'organes corporels, bien loin d'avoir ceux de la génération. Mais on lit seulement dans Sinesius, pag. 140. édition du P. Petau, que le corps de la Divinité n'est point formé de la lie de la matiere ; ce qui n'est pas dire que Dieu n'ait aucun organe corporel. D'ailleurs on peut prouver aisément, & Nicephore Grégoras dans son commentaire sur Synesius, nous avertit en plusieurs endroits, que Synesius étoit imitateur & sectateur de Platon.

Les Manichéens pensoient que lorsque Dieu créa l'homme, il ne le forma ni mâle ni femelle, mais que la distinction des sexes est l'ouvrage du diable.

On dit assez communément que Mahomet a exclu les femmes du paradis ; le verset 30. de la sura 33. de son alcoran, insinue le contraire. C'est pourtant une tradition sur laquelle deux auteurs musulmans ont écrit, comme on peut voir dans la bibliotheque orientale de M. d'Herbelot.

Mahomet condamne à quatre-vingt coups de foüet ceux qui accuseront les femmes, sans pouvoir produire quatre témoins contr'elles ; & il charge les calomniateurs de malédictions en ce monde & en l'autre. Le mari peut, sans avoir des témoins, accuser sa femme, pour vû qu'il jure quatre fois qu'il dit vrai, & qu'il joigne l'imprécation au serment à la cinquieme fois. La femme peut se disculper de la même maniere. Sura 24. vers. 4. & 6. Mahomet recommande la chasteté aux femmes en des termes très-peu chastes (ib. vers. 32.) ; mais il n'est pas bien clair qu'il promette la miséricorde divine aux femmes qui sont forcées de se prostituer, comme l'a prétendu le savant Loüis Maracci dans sa réfutation de l'alcoran.

Le prophete arabe, dans le sura 4. veut qu'un mâle ait une part d'héritage double de celle de la femelle. Il décide formellement (vers. 33.) la supériorité des hommes, auxquels il veut que les femmes obéissent. Si elles sont indociles, il conseille aux maris de les faire coucher à part, & même de les battre. Il a établi de grandes peines contre les femmes coupables de fornication ou d'adultere ; mais quoique Maracci l'accuse de ne pas punir les hommes coupables de ces crimes, il est certain qu'il les condamne à cent coups de foüet, comme Selden l'a remarqué, uxor ebraica, pag. 392. On verra aussi avec plaisir dans ce livre de Selden (p. 467 & suiv.), l'origine des Hullas parmi les Mahométans.

Tout le monde a entendu parler d'une dissertation anonyme, où l'on prétend que les femmes ne font point partie du genre humain, mulieres homines non esse. Dans cet ouvrage, Acidalius explique tous les textes qui parlent du salut des femmes, de leur bien-être temporel. Il s'appuie sur cinquante témoignages tirés de l'Ecriture ; finit par demander aux femmes leur ancienne bienveillance pour lui ; quod si noluerint, dit-il, pereant bestiae in saecula saeculorum. Il en veut à la maniere d'expliquer l'Ecriture des Anabaptistes & des autres hérétiques ; mais son badinage est indécent.

Simon Gediccus, après l'avoir réfuté aussi maussadement qu'il soit possible de le faire, après l'avoir chargé d'injures théologiques, lui reproche enfin qu'il est un être bâtard, formé de l'accouplement monstrueux de satan avec l'espece humaine, & lui souhaite la perdition éternelle. (g)

FEMME, (Droit nat.) en latin uxor, femelle de l'homme, considérée en tant qu'elle lui est unie par les liens du mariage. Voyez donc MARIAGE & MARI.

L'Etre suprème ayant jugé qu'il n'étoit pas bon que l'homme fut seul, lui a inspiré le de sir de se joindre en société très-étroite avec une compagne, & cette société se forme par un accord volontaire entre les parties. Comme cette société a pour but principal la procréation & la conservation des enfans qui naîtront, elle exige que le pere & la mere consacrent tous leurs soins à nourrir & à bien élever ces gages de leur amour, jusqu'à ce qu'ils soient en état de s'entretenir & de se conduire eux-mêmes.

Mais quoique le mari & la femme ayent au fond les mêmes intérêts dans leur société, il est pourtant essentiel que l'autorité du gouvernement appartienne à l'un ou à l'autre : or le droit positif des nations policées, les lois & les coûtumes de l'Europe donnent cette autorité unanimement & définitivement au mâle, comme à celui qui étant doüé d'une plus grande force d'esprit & de corps, contribue davantage au bien commun, en matiere de choses humaines & sacrées ; ensorte que la femme doit nécessairement être subordonnée à son mari & obéir à ses ordres dans toutes les affaires domestiques. C'est-là le sentiment des jurisconsultes anciens & modernes, & la décision formelle des législateurs.

Aussi le code Frédéric qui a paru en 1750, & qui semble avoir tenté d'introduire un droit certain & universel, déclare que le mari est par la nature même le maître de la maison, le chef de la famille ; & que dès que la femme y entre de son bon gré, elle est en quelque sorte sous la puissance du mari, d'où découlent diverses prérogatives qui le regardent personnellement. Enfin l'Ecriture-sainte prescrit à la femme de lui être soûmise comme à son maître.

Cependant les raisons qu'on vient d'alléguer pour le pouvoir marital, ne sont pas sans replique, humainement parlant ; & le caractere de cet ouvrage nous permet de le dire hardiment.

Il paroît d'abord 1°. qu'il seroit difficile de démontrer que l'autorité du mari vienne de la nature ; parce que ce principe est contraire à l'égalité naturelle des hommes ; & de cela seul que l'on est propre à commander, il ne s'ensuit pas qu'on en ait actuellement le droit : 2°. l'homme n'a pas toûjours plus de force de corps, de sagesse, d'esprit, & de conduite, que la femme : 3°. le précepte de l'Ecriture étant établi en forme de peine, indique assez qu'il n'est que de droit positif. On peut donc soûtenir qu'il n'y a point d'autre subordination dans la société conjugale, que celle de la loi civile, & par conséquent rien n'empêche que des conventions particulieres ne puissent changer la loi civile, dès que la loi naturelle & la religion ne déterminent rien au contraire.

Nous ne nions pas que dans une société composée de deux personnes, il ne faille nécessairement que la loi délibérative de l'une ou de l'autre l'emporte ; & puisque ordinairement les hommes sont plus capables que les femmes de bien gouverner les affaires particulieres, il est très-judicieux d'établir pour regle générale, que la voix de l'homme l'emportera tant que les parties n'auront point fait ensemble d'accord contraire, parce que la loi générale découle de l'institution humaine, & non pas du droit naturel. De cette maniere, une femme qui sait quel est le précepte de la loi civile, & qui a contracté son mariage purement, & simplement, s'est par-là soumise tacitement à cette loi civile.

Mais si quelque femme, persuadée qu'elle a plus de jugement & de conduite, ou sachant qu'elle est d'une fortune ou d'une condition plus relevée que celle de l'homme qui se présente pour son époux, stipule le contraire de ce que porte la loi, & cela du consentement de cet époux, ne doit-elle pas avoir, en vertu de la loi naturelle, le même pouvoir qu'a le mari en vertu de la loi du prince ? Le cas d'une reine qui, étant souveraine de son chef, épouse un prince au-dessous de son rang, ou, si l'on veut, un de ses sujets, suffit pour montrer que l'autorité d'une femme sur son mari, en matiere même de choses qui concernent le gouvernement de la famille, n'a rien d'incompatible avec la nature de la société conjugale.

En effet on a vû chez les nations les plus civilisées, des mariages qui soûmettent le mari à l'empire de la femme ; on a vû une princesse, héritiere d'un royaume, conserver elle seule, en se mariant, la puissance souveraine dans l'état. Personne n'ignore les conventions de mariage qui se firent entre Philippe II. & Marie reine d'Angleterre ; celles de Marie reine d'Ecosse, & celles de Ferdinand & d'Isabelle, pour gouverner en commun le royaume de Castille. Le lecteur en peut lire les détails dans M. de Thou, liv. XIII. ann. 1553, 1554. liv. XX. an. 1558. Mariana, hist. d'Espagne, liv. XXIV. ch. v. Guicciardin, liv. VI. pag. 346. Et pour citer quelque chose de plus fort, nous le renvoyons à la curieuse dissertation de Palthénius, de Marito Reginae, imprimée à Gripswald en 1707, in -4°.

L'exemple de l'Angleterre & de la Moscovie fait bien voir que les femmes peuvent réussir également, & dans le gouvernement modéré, & dans le gouvernement despotique ; & s'il n'est pas contre la raison & contre la nature qu'elles régissent un empire, il semble qu'il n'est pas plus contradictoire qu'elles soient maîtresses dans une famille.

Lorsque le mariage des Lacédémoniens étoit prêt à se consommer, la femme prenoit l'habit d'un homme ; & c'étoit-là le symbole du pouvoir égal qu'elle alloit partager avec son mari. On sait à ce sujet ce que dit Gorgone, femme de Léonidas roi de Sparte, à une femme étrangere qui étoit fort surprise de cette égalité : Ignorez-vous, répondit la reine, que nous mettons des hommes au monde ? Autrefois même en Egypte, les contrats de mariage entre particuliers, aussi-bien que ceux du roi & de la reine, donnoient à la femme l'autorité sur le mari. Diodore de Sicile, liv. I. ch. xxvij.

Rien n'empêche au moins (car il ne s'agit pas ici de se prévaloir d'exemples uniques & qui prouvent trop) ; rien n'empêche, dis-je, que l'autorité d'une femme dans le mariage ne puisse avoir lieu en vertu des conventions, entre des personnes d'une condition égale, à moins que le législateur ne défende toute exception à la loi, malgré le libre consentement des parties.

Le mariage est de sa nature un contrat ; & par conséquent dans tout ce qui n'est point défendu par la loi naturelle, les engagemens contractés entre le mari & la femme en déterminent les droits réciproques.

Enfin, pourquoi l'ancienne maxime, provisio hominis tollit provisionem legis, ne pourroit-elle pas être reçûe dans cette occasion, ainsi qu'on l'autorise dans les doüaires, dans le partage des biens, & en plusieurs autres choses, où la loi ne regne que quand les parties n'ont pas cru devoir stipuler différemment de ce que la loi prescrit ? Article de M(D.J.)

FEMME, (Morale) ce nom seul touche l'ame, mais il ne l'éleve pas toûjours ; il ne fait naître que des idées agréables, qui deviennent un moment après des sensations inquietes, ou des sentimens tendres ; & le philosophe qui croit contempler, n'est bien-tôt qu'un homme qui desire, ou qu'un amant qui rêve.

Une femme se faisoit peindre ; ce qui lui manquoit pour être belle, étoit précisément ce qui la rendoit jolie. Elle vouloit qu'on ajoûtât à sa beauté, sans rien ôter à ses graces ; elle vouloit tout-à-la-fois, & que le peintre fût infidele, & que le portrait fût ressemblant : voilà ce qu'elles seront toutes pour l'écrivain qui doit parler d'elles.

Cette moitié du genre humain, comparée physiquement à l'autre, lui est supérieure en agrémens, inférieure en force. La rondeur des formes, la finesse des traits, l'éclat du teint, voilà ses attributs distinctifs.

Les femmes ne different pas moins des hommes par le coeur & par l'esprit, que par la taille & par la figure ; mais l'éducation a modifié leurs dispositions naturelles en tant de manieres, la dissimulation qui semble être pour elles un devoir d'état, a rendu leur ame si secrette, les exceptions sont en si grand nombre, si confondues avec les généralités, que plus on fait d'observations, moins on trouve de résultats.

Il en est de l'ame des femmes comme de leur beauté ; il semble qu'elles ne fassent appercevoir que pour laisser imaginer. Il en est des caracteres en général, comme des couleurs ; il y en a de primitives, il y en a de changeantes ; il y a des nuances à l'infini, pour passer de l'une à l'autre. Les femmes n'ont guere que des caracteres mixtes, intermédiaires ou variables ; soit que l'éducation altere plus leur naturel que le nôtre ; soit que la délicatesse de leur organisation fasse de leur ame une glace qui reçoit tous les objets, les rend vivement, & n'en conserve aucun.

Qui peut définir les femmes ? Tout à la vérité parle en elles, mais un langage équivoque. Celle qui paroît la plus indifférente, est quelquefois la plus sensible ; la plus indiscrette passe souvent pour la plus fausse : toûjours prévenus, l'amour ou le dépit dicte les jugemens que nous en portons ; & l'esprit le plus libre, celui qui les a le mieux étudiées, en croyant resoudre des problèmes, ne fait qu'en proposer de nouveaux. Il y a trois choses, disoit un bel esprit, que j'ai toûjours beaucoup aimées sans jamais y rien comprendre, la peinture, la musique, & les femmes.

S'il est vrai que de la foiblesse naît la timidité, de la timidité la finesse, & de la finesse la fausseté, il faut conclure que la vérité est une vertu bien estimable dans les femmes.

Si cette même délicatesse d'organes qui rend l'imagination des femmes plus vive, rend leur esprit moins capable d'attention, on peut dire qu'elles apperçoivent plus vîte, peuvent voir aussi bien, regardent moins longtems.

Que j'admire les femmes vertueuses, si elles sont aussi fermes dans la vertu, que les femmes vicieuses me paroissent intrépides dans le vice !

La jeunesse des femmes est plus courte & plus brillante que celle des hommes ; leur vieillesse est plus fâcheuse & plus longue.

Les femmes sont vindicatives. La vengeance qui est l'acte d'une puissance momentanée, est une preuve de foiblesse. Les plus foibles & les plus timides doivent être cruelles : c'est la loi générale de la nature, qui dans tous les êtres sensibles proportionne le ressentiment au danger.

Comment seroient-elles discrettes ? elles sont curieuses ; & comment ne seroient-elles pas curieuses ? on leur fait mystere de tout : elles ne sont appellées ni au conseil, ni à l'exécution.

Il y a moins d'union entre les femmes qu'entre les hommes, parce qu'elles n'ont qu'un objet.

Distingués par des inégalités, les deux sexes ont des avantages presque égaux. La nature a mis d'un côté la force & la majesté, le courage & la raison ; de l'autre, les graces & la beauté, la finesse & le sentiment. Ces avantages ne sont pas toûjours incompatibles ; ce sont quelquefois des attributs différens qui se servent de contre-poids ; ce sont quelquefois les mêmes qualités, mais dans un degré différent. Ce qui est agrément ou vertu dans un sexe, est défaut ou difformité dans l'autre. Les différences de la nature devoient en mettre dans l'éducation ; c'est la main du statuaire qui pouvoit donner tant de prix à un morceau d'argile.

Pour les hommes qui partagent entr'eux les emplois de la vie civile, l'état auquel ils sont destinés décide l'éducation & la différence. Pour les femmes, l'éducation est d'autant plus mauvaise qu'elle est plus générale, & d'autant plus négligée qu'elle est plus utile. On doit être surpris que des ames si incultes puissent produire tant de vertus, & qu'il n'y germe pas plus de vices.

Des femmes qui ont renoncé au monde avant que de le connoître, sont chargées de donner des principes à celles qui doivent y vivre. C'est de-là que souvent une fille est menée devant un autel, pour s'imposer par serment des devoirs qu'elle ne connoît point, & s'unir pour toûjours à un homme qu'elle n'a jamais vû. Plus souvent elle est rappellée dans sa famille, pour y recevoir une seconde éducation qui renverse toutes les idées de la premiere, & qui portant plus sur les manieres que sur les moeurs, échange continuellement des diamans mal-taillés ou mal-assortis, contre des pierres de composition.

C'est alors, c'est après avoir passé les trois quarts du jour devant un miroir & devant un clavecin, que Chloé entre avec sa mere dans le labyrinthe du monde : là son esprit errant s'égare dans mille détours, dont on ne peut sortir qu'avec le fil de l'expérience : là toûjours droite & silentieuse, sans aucune connoissance de ce qui est digne d'estime ou de mépris, elle ne sait que penser, elle craint de sentir, elle n'ose ni voir ni entendre ; ou plûtôt observant tout avec autant de curiosité que d'ignorance, voit souvent plus qu'il n'y en a, entend plus qu'on ne dit, rougit indécemment, soûrit à contre-sens, & sûre d'être également reprise de ce qu'elle a paru savoir & de ce qu'elle ignore, attend avec impatience dans la contrainte & dans l'ennui, qu'un changement de nom la mene à l'indépendance & au plaisir.

On ne l'entretient que de sa beauté, qui est un moyen simple & naturel de plaire, quand on n'en est point occupé ; & de la parure, qui est un système de moyens artificiels pour augmenter l'effet du premier, ou pour en tenir lieu, & qui le plus souvent ne fait ni l'un ni l'autre. L'éloge du caractere ou de l'esprit d'une femme est presque toûjours une preuve de laideur ; il semble que le sentiment & la raison ne soient que le supplément de la beauté. Après avoir formé Chloé pour l'amour, on a soin de lui en défendre l'usage.

La nature semble avoir conféré aux hommes le droit de gouverner. Les femmes ont eu recours à l'art pour s'affranchir. Les deux sexes ont abusé réciproquement de leurs avantages, de la force & de la beauté, ces deux moyens de faire des malheureux. Les hommes ont augmenté leur puissance naturelle par les lois qu'ils ont dictées ; les femmes ont augmenté le prix de leur possession par la difficulté de l'obtenir. Il ne seroit pas difficile de dire de quel côté est aujourd'hui la servitude. Quoi qu'il en soit, l'autorité est le but où tendent les femmes : l'amour qu'elles donnent les y conduit ; celui qu'elles prennent les en éloigne ; tâcher d'en inspirer, s'efforcer de n'en point sentir, ou de cacher du moins celui qu'elles sentent : voilà toute leur politique & toute leur morale.

Cet art de plaire, ce desir de plaire à tous, cette envie de plaire plus qu'une autre, ce silence du coeur, ce déréglement de l'esprit, ce mensonge continuel appellé coquetterie, semble être dans les femmes un caractere primitif, qui né de leur condition naturellement subordonnée, injustement servile ; étendu, & fortifié par l'éducation, ne peut être affoibli que par un effort de raison, & détruit que par une grande chaleur de sentiment : on a même comparé ce caractere au feu sacré qui ne s'éteint jamais.

Voyez entrer Chloé sur la scene du monde ; celui qui vient de lui donner le droit d'aller seule, trop aimable pour aimer sa femme, ou trop disgracié de la nature, trop désigné par le devoir pour en être aimé, semble lui donner encore le droit d'en aimer un autre. Vaine & legere, moins empressée de voir que de se montrer, Chloé vole à tous les spectacles, à toutes les fêtes : à peine y paroît-elle, qu'elle est entourée de ces hommes, qui confians & dédaigneux, sans vertus & sans talens, séduisent les femmes par des travers, mettent leur gloire à les deshonorer, se font un plaisir de leur desespoir, & qui par les indiscrétions, les infidélités & les ruptures, semblent augmenter chaque jour le nombre de leurs bonnes fortunes ; espece d'oiseleurs qui font crier les oiseaux qu'ils ont pris pour en appeller d'autres.

Suivez Chloé au milieu de cette foule empressée ; c'est la coquette venue de l'île de Crete au temple de Gnide ; elle soûrit à l'un, parle à l'oreille à l'autre, soûtient son bras sur un troisieme, fait signe à deux autres de la suivre ? l'un d'eux lui parle-t-il de son amour ? c'est Armide, elle le quitte en ce moment, elle le rejoint un moment après, & puis le quitte encore : sont-ils jaloux les uns des autres ? c'est la Célimene du Misantrope, elle les rassûre tour-à-tour par le mal qu'elle dit à chacun d'eux de ses rivaux ; ainsi mêlant artificieusement les dédains & les préférences, elle reprime la témérité par un regard sévere, elle ranime l'espérance avec un soûris tendre : c'est la femme trompeuse d'Archiloque, qui tient l'eau d'une main & le feu de l'autre.

Mais plus les femmes ont perfectionné l'art de faire desirer, espérer, poursuivre ce qu'elles ont résolu de ne point accorder ; plus les hommes ont multiplié les moyens d'en obtenir la possession : l'art d'inspirer des desirs qu'on ne veut point satisfaire, a tout-au-plus produit l'art de feindre des sentimens qu'on n'a pas. Chloé ne veut se cacher qu'après avoir été vûe ; Damis sait l'arrêter en feignant de ne la point voir : l'un & l'autre, après avoir parcouru tous les détours de l'art, se retrouvent enfin où la nature les avoit placés.

Il y a dans tous les coeurs un principe secret d'union. Il y a un feu qui, caché plus ou moins longtems, s'allume à notre insû, s'étend d'autant plus qu'on fait plus d'efforts pour l'éteindre, & qui ensuite s'éteint malgré nous. Il y a un germe où sont renfermés la crainte & l'espérance, la peine & le plaisir, le mystere & l'indiscrétion ; qui contient les querelles & les raccommodemens, les plaintes & les ris, les larmes douces & ameres : répandu partout, il est plus ou moins promt à se développer, selon les secours qu'on lui prête, & les obstacles qu'on lui oppose.

Comme un foible enfant qu'elle protege, Chloé prend l'amour sur ses genoux, badine avec son arc, se joue avec ses traits, coupe l'extrémité de ses ailes, lui lie les mains avec des fleurs ; & déjà prise elle-même dans des liens qu'elle ne voit pas, se croit encore en liberté. Tandis qu'elle l'approche de son sein, qu'elle l'écoute, qu'elle lui sourit, qu'elle s'amuse également & de ceux qui s'en plaignent & de celles qui en ont peur, un charme involontaire la fait tout-à-coup le presser dans ses bras, & déjà l'amour est dans son coeur : elle n'ose encore s'avoüer qu'elle aime, elle commence à penser qu'il est doux d'aimer. Tous ces amans qu'elle traîne en triomphe à sa suite, elle sent plus d'envie de les écarter qu'elle n'eut de plaisir à les attirer. Il en est un sur qui ses yeux se portent sans-cesse, dont ils se détournent toûjours. On diroit quelquefois qu'elle s'apperçoit à peine de sa présence, mais il n'a rien fait qu'elle n'ait vû. S'il parle, elle ne paroît point l'écouter ; mais il n'a rien dit qu'elle n'ait entendu : lui parle-t-elle au contraire ? sa voix devient plus timide, ses expressions sont plus animées. Va-t-elle au spectacle, est-il moins en vûe ? il est pourtant le premier qu'elle y voit, son nom est toûjours le dernier qu'elle prononce. Si le sentiment de son coeur est encore ignoré, ce n'est plus que d'elle seule ; il a été dévoilé par tout ce qu'elle a fait pour le cacher ; il s'est irrité par tout ce qu'elle a fait pour l'éteindre : elle est triste, mais sa tristesse est un des charmes de l'amour. Elle cesse enfin d'être coquette à mesure qu'elle devient sensible, & semble n'avoir tendu perpétuellement des piéges que pour y tomber elle-même.

J'ai lû que de toutes les passions, l'amour est celle qui sied le mieux aux femmes ; il est du moins vrai qu'elles portent ce sentiment, qui est le plus tendre caractere de l'humanité, à un degré de délicatesse & de vivacité où il y a bien peu d'hommes qui puissent atteindre. Leur ame semble n'avoir été faite que pour sentir, elles semblent n'avoir été formées que pour le doux emploi d'aimer. A cette passion qui leur est si naturelle, on donne pour antagoniste une privation qu'on appelle l'honneur ; mais on a dit, & il n'est que trop vrai, que l'honneur semble n'avoir été imaginé que pour être sacrifié.

A peine Chloé a-t-elle prononcé le mot fatal à sa liberté, qu'elle fait de son amant l'objet de toutes ses vûes, le but de toutes ses actions, l'arbitre de sa vie. Elle ne connoissoit que l'amusement & l'ennui, elle ignoroit la peine & le plaisir. Tous ses jours sont pleins, toutes ses heures sont vivantes, plus d'intervalles languissans ; le tems, toûjours trop lent ou trop rapide pour elle, coule cependant à son insû ; tous ces noms si vains, si chers, ce doux commerce de regards & de soûrires, ce silence plus éloquent que la parole, mille souvenirs, mille projets, mille idées, mille sentimens, viennent à tous les instans renouveller son ame & étendre son existence ; mais la derniere preuve de sa sensibilité est la premiere époque de l'inconstance de son amant. Les noeuds de l'amour ne peuvent-ils donc jamais se resserrer d'un côté, qu'ils ne se relâchent de l'autre ?

S'il est parmi les hommes quelques ames privilégiées en qui l'amour, loin d'être affoibli par les plaisirs, semble emprunter d'eux de nouvelles forces, pour la plûpart c'est une fausse joüissance qui, précédée d'un desir incertain, est immédiatement suivie d'un dégoût marqué, qu'accompagne encore trop souvent la haine ou le mépris. On dit qu'il croît sur le rivage d'une mer, des fruits d'une beauté rare, qui, dès qu'on y touche, tombent en poussiere : c'est l'image de cet amour éphémere, vaine saillie de l'imagination, fragile ouvrage des sens, foible tribut qu'on paye à la beauté. Quand la source des plaisirs est dans le coeur, elle ne tarit point ; l'amour fondé sur l'estime est inaltérable, il est le charme de la vie & le prix de la vertu.

Uniquement occupée de son amant, Chloé s'apperçoit d'abord qu'il est moins tendre, elle soupçonne bientôt qu'il est infidele ; elle se plaint, il la rassûre ; il continue d'avoir des torts, elle recommence à se plaindre ; les infidélités se succedent d'un côté, les reproches se multiplient de l'autre : les querelles sont vives & fréquentes, les brouilleries longues, les raccommodemens froids ; les rendez-vous s'éloignent, les têtes-à-têtes s'abregent, toutes les larmes sont ameres. Chloé demande justice à l'Amour. Qu'est devenue, dit-elle, la foi des sermens.... ? Mais c'en est fait, Chloé est quittée ; elle est quittée pour une autre, elle est quittée avec éclat.

Livrée à la honte & à la douleur, elle fait autant de sermens de n'aimer jamais, qu'elle en avoit fait d'aimer toûjours ; mais quand une fois on a vécu pour l'amour, on ne peut plus vivre que pour lui. Quand il s'établit dans une ame, il y répand je ne sai quel charme qui altere la source de tous les autres plaisirs ; quand il s'envole, il y laisse toute l'horreur du desert & de la solitude : c'est sans-doute ce qui a fait dire qu'il est plus facile de trouver une femme qui n'ait point eu d'engagement, que d'en trouver qui n'en ait eu qu'un.

Le desespoir de Chloé se change insensiblement en une langueur qui fait de tous ses jours un tissu d'ennuis ; accablée du poids de son existence, elle ne sait plus que faire de la vie, c'est un rocher aride auquel elle est attachée. Mais d'anciens amans rentrent chez elle avec l'espérance, de nouveaux se déclarent, des femmes arrangent des soupers ; elle consent à se distraire, elle finit par se consoler. Elle a fait un nouveau choix qui ne sera guere plus heureux que le premier, quoique plus volontaire, & qui bientôt sera suivi d'un autre. Elle appartenoit à l'amour, la voilà qui appartient au plaisir ; ses sens étoient à l'usage de son coeur, son esprit est à l'usage de ses sens : l'art, si facile à distinguer par-tout ailleurs de la nature, n'en est ici séparé que par une nuance imperceptible : Chloé s'y méprend quelquefois elle-même ; eh qu'importe que son amant y soit trompé, s'il est heureux ! Il en est des mensonges de la galanterie comme des fictions de théatre, où la vraisemblance a souvent plus d'attraits que la vérité.

Horace fait ainsi la peinture des moeurs de son tems, od. vj. l. III. " A peine une fille est-elle sortie des jeux innocens de la tendre enfance, qu'elle se plaît à étudier des danses voluptueuses, & tous les arts & tous les mysteres de l'amour. A peine une femme est-elle assise à la table de son mari, que d'un regard inquiet elle y cherche un amant ; bientôt elle ne choisit plus, elle croit que dans l'obscurité tous les plaisirs sont légitimes ". Bientôt aussi Chloé arrivera à ce dernier période de la galanterie. Déjà elle sait donner à la volupté toutes les apparences du sentiment, à la complaisance tous les charmes de la volupté. Elle sait également & dissimuler des desirs & feindre des sentimens, & composer des ris & verser des larmes. Elle a rarement dans l'ame ce qu'elle a dans les yeux ; elle n'a presque jamais sur les levres, ni ce qu'elle a dans les yeux, ni ce qu'elle a dans l'ame : ce qu'elle a fait en secret, elle se persuade ne l'avoir point fait ; ce qu'on lui a vû faire, elle sait persuader qu'on ne l'a point vû ; & ce que l'artifice des paroles ne peut justifier, ses larmes le font excuser, ses caresses le font oublier.

Les femmes galantes ont aussi leur morale. Chloé s'est fait un code où elle a dit qu'il est malhonnête à une femme, quelque goût qu'on ait pour elle, quelque passion qu'on lui témoigne, de prendre l'amant d'une femme de sa société. Il y est dit encore qu'il n'y a point d'amours éternels ; mais qu'on ne doit jamais former un engagement, quand on en prévoit la fin. Elle a ajoûté qu'entre une rupture & un nouveau noeud, il faut un intervalle de six mois ; & tout de suite elle a établi qu'il ne faut jamais quitter un amant sans lui avoir désigné un successeur.

Chloé vient enfin à penser qu'il n'y a qu'un engagement solide, ou ce qu'elle appelle une affaire suivie, qui perde une femme. Elle se conduit en conséquence ; elle n'a plus que de ces goûts passagers qu'elle appelle fantaisies, qui peuvent bien laisser former un soupçon, mais qui ne lui donnent jamais le tems de se changer en certitude. Le public porte à peine la vûe sur un objet, qu'il lui échappe, déjà remplacé par un autre ; je n'ose dire que souvent il s'en présente plusieurs tout-à-la-fois. Dans les fantaisies de Chloé, l'esprit est d'abord subordonné à la figure, bientôt la figure est subordonnée à la fortune ; elle néglige à la cour ceux qu'elle a recherchés à la ville, méconnoît à la ville ceux qu'elle a prévenus à la campagne ; & oublie si parfaitement le soir la fantaisie du matin, qu'elle en fait presque douter celui qui en a été l'objet. Dans son dépit il se croit dispensé de taire ce qu'on l'a dispensé de mériter, oubliant à son tour qu'une femme a toûjours le droit de nier ce qu'un homme n'a jamais le droit de dire. Il est bien plus sûr de montrer des desirs à Chloé, que de lui déclarer des sentimens : quelquefois elle permet encore des sermens de constance & de fidélité ; mais qui la persuade est mal-adroit, qui lui tient parole est perfide. Le seul moyen qu'il y auroit de la rendre constante, seroit peut-être de lui pardonner d'être infidele ; elle craint plus la jalousie que le parjure, l'importunité que l'abandon. Elle pardonne tout à ses amans, & se permet tout à elle-même, excepté l'amour.

Plus que galante, elle croit cependant n'être que coquette. C'est dans cette persuasion qu'à une table de jeu, alternativement attentive & distraite, elle répond du genou à l'un, serre la main à l'autre en loüant ses dentelles, & jette en même tems quelques mots convenus à un troisieme. Elle se dit sans préjugés, parce qu'elle est sans principes ; elle s'arroge le titre d'honnête homme, parce qu'elle a renoncé à celui d'honnête femme ; & ce qui pourra vous surprendre, c'est que dans toute la variété de ses fantaisies le plaisir lui serviroit rarement d'excuse.

Elle a un grand nom, & un mari facile : tant qu'elle aura de la beauté ou des graces, ou du moins les agrémens de la jeunesse, les desirs des hommes, la jalousie des femmes, lui tiendront lieu de considération. Ses travers ne l'exileront de la société, que lorsqu'ils seront confirmés par le ridicule. Il arrive enfin ce ridicule, plus cruel que le deshonneur. Chloé cesse de plaire, & ne veut point cesser d'aimer ; elle veut toûjours paroître, & personne ne veut se montrer avec elle. Dans cette position, sa vie est un sommeil inquiet & pénible, un accablement profond, mêlé d'agitations ; elle n'a guere que l'alternative du bel-esprit ou de la dévotion. La véritable dévotion est l'asyle le plus honnête pour les femmes galantes ; mais il en est peu qui puissent passer de l'amour des hommes à l'amour de Dieu : il en est peu qui pleurant de regret, sachent se persuader que c'est de repentir ; il en est peu même qui, après avoir affiché le vice, puissent se déterminer à feindre du moins la vertu.

Il en est beaucoup moins qui puissent passer du temple de l'amour dans le sanctuaire des muses, & qui gagnent à se faire entendre, ce qu'elles perdent à se laisser voir. Quoi qu'il en soit, Chloé qui s'est tant de fois égarée, courant toûjours après de vains plaisirs, & s'éloignant toûjours du bonheur, s'égare encore en prenant une nouvelle route. Après avoir perdu quinze ou vingt ans à lorgner, à persiffler, à minauder, à faire des noeuds & des tracasseries ; après avoir rendu quelque honnête-homme malheureux, s'être livrée à un fat, s'être prêtée à une foule de sots, cette folle change de rôle, passe d'un théatre sur un autre ; & ne pouvant plus être Phryné, croit pouvoir être Aspasie.

Je suis sûr qu'aucune femme ne se reconnoîtra dans le portrait de Chloé ; en effet il y en a peu dont la vie ait eu ses périodes aussi marqués.

Il est une femme qui a de l'esprit pour se faire aimer, non pour se faire craindre, de la vertu pour se faire estimer, non pour mépriser les autres ; assez de beauté pour donner du prix à sa vertu. Egalement éloignée de la honte d'aimer sans retenue, du tourment de n'oser aimer, & de l'ennui de vivre sans amour, elle a tant d'indulgence pour les foiblesses de son sexe, que la femme la plus galante lui pardonne d'être fidele ; elle a tant de respect pour les bienséances, que la plus prude lui pardonne d'être tendre. Laissant aux folles dont elle est entourée, la coquetterie, la frivolité, les caprices, les jalousies, toutes ces petites passions, toutes ces bagatelles qui rendent leur vie nulle ou contentieuse ; au milieu de ces commerces contagieux, elle consulte toûjours son coeur qui est pur, & sa raison qui est saine, préférablement à l'opinion, cette reine du monde, qui gouverne si despotiquement les insensés & les sots. Heureuse la femme qui possede ces avantages, plus heureux celui qui possede le coeur d'une telle femme !

Enfin il en est une autre plus solidement heureuse encore ; son bonheur est d'ignorer ce que le monde appelle les plaisirs, sa gloire est de vivre ignorée. Renfermée dans les devoirs de femme & de mere, elle consacre ses jours à la pratique des vertus obscures : occupée du gouvernement de sa famille, elle regne sur son mari par la complaisance, sur ses enfans par la douceur, sur ses domestiques par la bonté : sa maison est la demeure des sentimens religieux, de la piété filiale, de l'amour conjugal, de la tendresse maternelle, de l'ordre, de la paix intérieure, du doux sommeil, & de la santé : économe & sédentaire, elle en écarte les passions & les besoins ; l'indigent qui se présente à sa porte, n'en est jamais repoussé ; l'homme licentieux ne s'y présente point. Elle a un caractere de reserve & de dignité qui la fait respecter, d'indulgence & de sensibilité qui la fait aimer, de prudence & de fermeté qui la fait craindre ; elle répand autour d'elle une douce chaleur, une lumiere pure qui éclaire & vivifie tout ce qui l'environne. Est-ce la nature qui l'a placée, ou la raison qui l'a conduite au rang suprème où je la vois ? Cet article est de M. DESMAHIS.

FEMME, (Jurisp.) on comprend en général sous ce terme, toutes les personnes du sexe féminin, soit filles, femmes mariées ou veuves ; mais à certains égards les femmes sont distinguées des filles, & les veuves des femmes mariées.

Toutes les femmes & filles sont quelquefois comprises sous le terme d'hommes. L. 1. & 152. ff. de verb. signif.

La condition des femmes en général est néanmoins différente en plusieurs choses de celle des hommes proprement dits.

Les femmes sont plûtôt nubiles que les hommes, l'âge de puberté est fixé pour elles à douze ans ; leur esprit est communément formé plûtôt que celui des hommes, elles sont aussi plûtôt hors d'état d'avoir des enfans ? citiùs pubescunt, citiùs senescunt.

Les hommes, par la prérogative de leur sexe & par la force de leur tempérament, sont naturellement capables de toutes sortes d'emplois & d'engagemens ; au lieu que les femmes, soit à cause de la fragilité de leur sexe & de leur délicatesse naturelle, sont excluses de plusieurs fonctions, & incapables de certains engagemens.

D'abord, pour ce qui regarde l'état ecclésiastique, les femmes peuvent être chanoinesses, religieuses, abbesses d'une abbaye de filles ; mais elles ne peuvent posséder d'évêché ni d'autres bénéfices, ni être admises aux ordres ecclésiastiques, soit majeurs ou mineurs. Il y avoit néanmoins des diaconesses dans la primitive Eglise, mais cet usage ne subsiste plus.

Dans certains états monarchiques, comme en France, les femmes, soit filles, mariées ou veuves, ne succedent point à la couronne.

Les femmes ne sont pas non plus admises aux emplois militaires ni aux ordres de chevalerie ; si ce n'est quelques-unes, par des considérations particulieres.

Suivant le droit romain, qui est en ce point suivi dans tout le royaume, les femmes ne sont point admises aux charges publiques ; ainsi elles ne peuvent faire l'office de juge, ni exercer aucune magistrature, ni faire la fonction d'avocat ou de procureur. L. 2. ff. de regul. jur.

Elles faisoient autrefois l'office de pair, &, en cette qualité, siégeoient au parlement. Présentement elles peuvent bien posséder un duché-fémelle & en prendre le titre, mais elles ne font plus l'office de pair. Voyez PAIR & PAIRIE.

Autrefois en France les femmes pouvoient être arbitres, elles rendoient même en personne la justice dans leurs terres ; mais depuis que les seigneurs ne sont plus admis à rendre la justice en personne, les femmes ne peuvent plus êtres juges ni arbitres.

Elles peuvent néanmoins faire la fonction d'experts, en ce qui est de leur connoissance, dans quelqu'art ou profession qui est propre à leur sexe.

On voit dans les anciennes ordonnances, que c'étoit autrefois une femme qui faisoit la fonction de bourreau pour les femmes, comme lorsqu'il s'agit d'en fustiger quelqu'une. Voyez ci-dev. au mot EXECUTEUR DE LA HAUTE-JUSTICE.

On ne les peut nommer tutrices ou curatrices que de leurs propres enfans ou petits-enfans ; il y a néanmoins des exemples qu'une femme a été nommée curatrice de son mari prodigue, furieux & interdit.

Les femmes sont exemptes de la collecte des tailles & autres impositions.

Mais elles ne sont point exemptes des impositions, ni des corvées ou autres charges, soit réelles ou personnelles. La corvée d'une femme est évaluée à 6 deniers par la coûtume de Troyes, article 192. & celle d'un homme à 12 deniers.

Quelques femmes & filles ont été admises dans les académies littéraires ; il y en a même eu plusieurs qui ont reçu le bonnet de docteur dans les universités. Hélene-Lucrece Piscopia Cornara demanda le doctorat en Théologie dans l'université de Padoue ; le cardinal Barbarigo, évêque de Padoue, s'y opposa : elle fut réduite à se contenter du doctorat en Philosophie, qui lui fut conféré avec l'applaudissement de tout le monde, le 25 Juin 1678. Bayle, oeuvres, tome I. p. 361. La demoiselle Patin y reçut aussi le même grade ; & le 10 Mai 1732, Laure Bassi, bourgeoise de la ville de Boulogne, y reçut le doctorat en Medecine en présence du sénat, du cardinal de Polignac, de deux évêques, de la principale noblesse, & du corps des docteurs de l'université. Enfin en 1750, la signora Maria-Gaetana Agnesi fut nommée pour remplir publiquement les fonctions de professeur de Mathématique à Boulogne en Italie.

On ne peut prendre des femmes pour témoins dans des testamens, ni dans des actes devant notaires ; mais on les peut entendre en déposition, tant en matiere civile que criminelle. Voyez l'édit du 15 Novembre 1394 ; Joly, aux addit. t. II. p. 20. Fontanon, xxxjx. tome I. page 618. le Prêtre, cant. III. ch.

On dit vulgairement qu'il faut deux femmes pour faire un témoin : ce n'est pas néanmoins que les déposition des femmes se comptent dans cette proportion arithmétique, relativement aux dépositions des hommes, cela est seulement fondé sur ce que le témoignage des femmes en général est leger & sujet à variation ; c'est pourquoi l'on y a moins d'égard qu'aux dépositions des hommes : il dépend de la prudence du juge d'ajoûter plus ou moins de foi aux dépositions des femmes, selon la qualité de celles qui déposent, & les autres circonstances.

Il y a des maisons religieuses, communautés & hôpitaux pour les femmes & filles, dont le gouvernement est confié à des femmes.

On ne reçoit point de femmes dans les corps & communautés d'hommes, tels que les communautés de marchands & artisans ; car les femmes qui se mêlent du commerce & métier de leur mari, ne sont pas pour cela réputées marchandes publiques : mais dans plusieurs de ces communautés, les filles de maîtres ont le privilége de communiquer la maîtrise à celui qu'elles épousent ; & les veuves de maître ont le droit de continuer le commerce & métier de leur mari, tant qu'elles restent en viduité ; ou si c'est un art qu'une femme ne puisse exercer, elles peuvent loüer leur privilége, comme font les veuves de chirurgien.

Il y a certains commerces & métiers affectés aux femmes & filles, lesquelles forment entr'elles des corps & communautés qui leur sont propres, comme les Matrones ou Sages- femmes, les marchandes Lingeres, les marchandes de Marée, les marchandes Grainieres, les Couturieres, Bouquetieres, &c.

Les femmes ne sont point contraignables par corps pour dettes civiles, si ce n'est qu'elles soient marchandes publiques, ou pour stellionat procédant de leur fait. Voyez CONTRAINTE PAR CORPS.

On a fait en divers tems des lois pour réprimer le luxe des femmes, dont la plus ancienne est la loi Oppia. Voyez LOI OPPIA & LUXE.

Il y a aussi quelques reglemens particuliers pour la sépulture des femmes ; dans l'abbaye de S. Bertin on n'en inhumoit aucune. Voyez la chronologie des souverains d'Artois, dans le commentaire de Maillart, article des propriétaires, n. 3. de l'édit. de 1704. (A)

FEMME AMOUREUSE, est le nom que l'on donnoit anciennement aux femmes publiques, comme on le voit dans deux comptes du receveur du domaine de Paris, des années 1428 & 1446, rapportés dans les antiquités de Sauval : on trouve aussi dans un ancien style du châtelet, imprimé en gothique, une ordonnance de l'an 1483, laquelle défend, art. 3. au prevôt de Paris de prendre pour lui les ceintures, joyaux, habits, ou autres paremens défendus aux fillettes & femmes amoureuses ou dissolues. (A)

FEMME AUTHENTIQUEE, est celle qui pour cause d'adultere, a été condamnée aux peines portées par l'authentique sed hodie, au code ad legem Juliam, de adulteriis.

Ces peines sont, que la femme après avoir été foüettée, doit être enfermée dans un monastere pendant deux ans. Dans cet espace de tems il est permis au mari de la reprendre ; ce tems écoulé, ou le mari étant décedé sans avoir repris sa femme, elle doit être rasée & voilée, & demeurer cloîtrée sa vie durant. Si elle a des enfans, on leur accorde les deux tiers du bien de la mere, & l'autre tiers au monastere. S'il n'y a point d'enfans, en ce cas les pere & mere ont un tiers de la dot, & le monastere les deux autres tiers ; s'il n'y a ni enfans, ni pere & mere, toute la dot est appliquée au profit du monastere ; mais dans tous les cas on réserve au mari les droits qu'il avoit sur la dot. (A)

FEMME AUTORISEE, est celle à laquelle l'autorisation ou habilitation nécessaire, soit pour contracter ou pour ester en jugement, a été accordée, soit par son mari, soit par justice au refus de son mari. Une femme qui plaide en séparation, se fait autoriser par justice à la poursuite de ses droits. Voyez AUTORISATION, FEMME SEPAREE, SEPARATION. (A)

FEMME COMMUNE EN BIENS ou COMMUNE simplement, est celle qui, soit en vertu de son contrat de mariage, ou en vertu de la coûtume, est en communauté de biens avec son mari.

Femme non commune, est celle qui a été mariée suivant une coûtume ou loi qui n'admet point la communauté de biens entre conjoints, ou par le contrat de mariage, de laquelle la communauté a été excluse.

Il y a différence entre une femme séparée de biens & une femme non commune ; la premiere joüit de son bien à part & divis de son mari, au lieu que le mari joüit du bien de la femme non commune ; mais il n'y a point de communauté entr'eux. Voyez COMMUNAUTE DE BIENS, RENONCIATION A LA COMMUNAUTE, SEPARATION DE BIENS. (A)

FEMME CONVOLANT EN SECONDES NOCES, est celle qui se remarie. Voyez MARIAGE & SECONDES NOCES. (A)

FEMME DE CORPS, est celle qui est de condition serve. Voyez la coûtume de Meaux, art. 31. celle de Bar, art. 72. & au mot GENS DE CORPS. (A)

FEMME COTTIERE ou COUTUMIERE, c'est une femme de condition roturiere. Voyez la coûtume d'Artois, art. 1.

FEMME COUTUMIERE. Voyez ci-devant FEMME COTTIERE.

FEMME DELAISSEE, se dit en quelques provinces pour femme veuve ; femme délaissée d'un tel ; en d'autres pays on dit relicte, quasi derelicta. (A)

FEMME DIVORCEE, dans la coûtume de Hainaut signifie femme séparée d'avec son mari, ce qui est conforme au droit canon où le mot divortium est souvent employé pour exprimer la séparation, soit de corps & de biens, soit de biens seulement. (A)

FEMME DOUAIRIERE, est celle qui joüit d'un doüaire. Voyez DOUAIRE & l'article suivant. (A)

FEMME DOUAIREE, comme il est dit dans quelques coûtumes, est celle à laquelle la coûtume ou le contrat de mariage accorde un doüaire, soit coûtumier ou préfix ; au lieu que la femme doüairiere est celle qui joüit actuellement de son doüaire. (A)

FEMME FRANCHE, signifie ordinairement une femme qui est de condition libre & non serve ; mais dans la coûtume de Cambray, tit. j. art. 6. une femme franche est celle qui possede un fief qu'elle a acquis avant son mariage, ou qu'elle a eu par succession héréditaire depuis qu'elle est mariée, & qui par le moyen de la franchise de ce fief, succede en tous biens meubles à son mari prédécédé sans enfans. (A)

FEMME JOUISSANTE DE SES DROITS, est celle qui est séparée de biens d'avec son mari, soit par contrat de mariage, soit par justice, de maniere qu'elle est maîtresse de ses droits, & qu'elle en peut disposer sans le consentement & l'autorisation de son mari. (A)

FEMME LIGE, est celle qui possede un fief qui est chargé du service militaire. Voyez ci-après FIEF LIGE, HOMME LIGE, & LIGE. (A)

FEMME MARIEE, est celle qui est unie avec un homme par les liens sacrés du mariage.

Pour connoître de quelle maniere la femme doit être considérée dans l'état du mariage, nous n'aurons point recours à ce que certains critiques ont écrit contre les femmes ; nous consulterons une source plus pure, qui est l'Ecriture même.

Le Créateur ayant déclaré qu'il n'étoit pas bon à l'homme d'être seul, résolut de lui donner une compagne & une aide, adjutorium simile sibi. Adam ayant vû Eve, dit que c'étoit l'os de ses os & la chair de sa chair ; & l'Ecriture ajoûte que l'homme quittera son pere & sa mere pour demeurer avec sa femme, & qu'ils ne feront plus qu'une même chair.

Adam interrogé par le Créateur, qualifioit Eve de sa compagne, mulier quam dedisti mihi sociam. Dieu dit à Eve, que pour peine de son péché elle seroit sous la puissance de son mari, qui domineroit sur elle : & sub viri potestate eris, & ipse dominabitur tui.

Les autres textes de l'ancien Testament ont tous sur ce point le même esprit.

S. Paul s'explique aussi à-peu-près de même dans son épître aux Ephésiens, ch. v. il veut que les femmes soient soûmises à leur mari comme à leur seigneur & maître, parce que, dit-il, le mari est le chef de la femme, de même que J. C. est le chef de l'Eglise ; & que comme l'Eglise est soûmise à J. C. de même les femmes doivent l'être en toutes choses à leurs maris : il ordonne aux maris d'aimer leurs femmes, & aux femmes de craindre leurs maris.

Ainsi, suivant les lois anciennes & nouvelles, la femme mariée est soûmise à son mari ; elle est in sacris mariti, c'est-à-dire en sa puissance, de sorte qu'elle doit lui obéir ; & si elle manque aux devoirs de son état, il peut la corriger modérément.

Ce droit de correction étoit déjà bien restreint par les lois du code, qui ne veulent pas qu'un mari puisse frapper sa femme.

Les anciennes lois des Francs rendoient les maris beaucoup plus absolus ; mais les femmes obtinrent des priviléges pour n'être point battues : c'est ainsi que les ducs de Bourgogne en ordonnerent dans leur pays ; les statuts de Ville-Franche en Beaujolois font la même défense de battre les femmes.

Présentement en France un mari ne peut guere impunément châtier sa femme, vû que les sévices & les mauvais traitemens forment pour la femme un moyen de séparation.

Le principal effet de la puissance que le mari a sur sa femme, est qu'elle ne peut s'obliger, elle ni ses biens, sans le consentement & l'autorisation de son mari, si ce n'est pour ses biens paraphernaux dont elle est maîtresse.

Elle ne peut aussi ester en jugement en matiere civile, sans être autorisée de son mari, ou par justice à son refus.

Mais elle peut tester sans autorisation, parce que le testament ne doit avoir son effet que dans un tems où la femme cesse d'être en la puissance de son mari.

La femme doit garder fidélité à son mari ; celle qui commet adultere, encourt les peines de l'authentique sed hodie. Voyez ADULTERE, AUTHENTIQUE, MME AUTHENTIQUEEQUEE.

Chez les Romains, une femme mariée qui se livroit à un esclave, devenoit elle-même esclave, & leurs enfans étoient réputés affranchis, suivant un édit de l'empereur Claude ; cette loi fut renouvellée par Vespasien, & subsista long-tems dans les Gaules.

Une femme dont le mari est absent, ne doit pas se remarier qu'il n'y ait nouvelle certaine de la mort de son mari. Il y a cependant une bulle d'un pape, pour la Pologne, qui permet aux femmes de ce royaume de se remarier en cas de longue absence de leur mari, quoiqu'on n'ait point de certitude de leur mort, ce qui est regardé comme un privilége particulier à la Pologne.

Un homme ne peut avoir à la fois qu'une seule femme légitime, le mariage ayant été ainsi reglé d'institution divine, masculum & foeminam creavit eos, à quoi les lois de l'Eglise sont conformes.

La pluralité des femmes qui étoit autrefois tolérée chez les Juifs, n'avoit pas lieu de la même maniere chez les Romains & dans les Gaules. Un homme pouvoit avoir à la fois plusieurs concubines, mais il ne pouvoit avoir qu'une femme ; ces concubines étoient cependant différentes des maîtresses, c'étoient des femme épousées moins solennellement.

Quant à la communauté des femmes, qui avoit lieu à Rome, cette coûtume barbare commença longtems après Numa : elle n'étoit pas générale. Caton d'Utique prêta sa femme Martia à Hortensius pour en avoir des enfans ; il en eut en effet d'elle plusieurs ; & après sa mort, Martia, qu'il avoit fait son héritiere, retourna avec Caton qui la reprit pour femme : ce qui donna occasion à César de reprocher à Caton qu'il l'avoit donnée pauvre, avec dessein de la reprendre quand elle seroit devenue riche.

Parmi nous les femmes mariées portent le nom de leurs maris ; elles ne perdent pourtant pas absolument le leur, il sert toûjours à les désigner dans tous les actes qu'elles passent, en y ajoûtant leur qualité de femme d'un tel ; & elles signent leurs noms de bapteme & de famille auxquels elles ajoûtent ordinairement celui de leur mari.

La femme suit la condition de son mari, tant pour la qualité que pour le rang & les honneurs & priviléges ; c'est ce que la loi 21. au code de donat. inter vir. & ux. exprime par ces mots, uxor radiis maritalibus coruscat.

Celle qui étant roturiere épouse un noble, participe au titre & aux priviléges de noblesse, non-seulement tant que le mariage subsiste, mais même après la mort de son mari tant qu'elle reste en viduité.

Les titres de dignité du mari se communiquent à la femme : on appelle duchesse, marquise, comtesse, la femme d'un duc, d'un marquis, d'un comte ; la femme d'un maréchal de France prend le titre de maréchale ; la femme de chancelier, premier président, présidens, avocats, & procureurs généraux, & autres principaux officiers de judicature, prennent de même les titres de chanceliere, premiere présidente, &c.

Au contraire celle qui étant noble épouse un roturier, est déchue des priviléges de noblesse tant que ce mariage subsiste ; mais si elle devient veuve, elle rentre dans ses priviléges, pourvû qu'elle vive noblement.

La femme du patron & du seigneur haut-justicier participe aux droits honorifiques dont ils joüissent ; elle est recommandée aux prieres nominales, & reçoit après eux l'encens, l'eau-benite, le pain-beni ; elle suit son mari à la procession, elle a droit d'être inhumée au choeur.

Le mari étant le chef de sa femme, & le maître de toutes les affaires, c'est à lui à choisir le domicile : on dit néanmoins communément que le domicile de la femme est celui du mari ; ce qui ne signifie pas que la femme soit la maîtresse de choisir son domicile, mais que le lieu où la femme demeure du consentement de son mari est réputé le domicile de l'un & de l'autre ; ce qui a lieu principalement lorsque le mari, par son état, n'a pas de résidence fixe.

Au reste la femme est obligée de suivre son mari partout où il juge à-propos d'aller. On trouve dans le code Frédéric, part. I. liv. I. tit. viij. §. 3. trois exceptions à cette regle : la premiere est pour le cas où l'on auroit stipulé par contrat de mariage, que la femme ne seroit pas tenue de suivre son mari s'il vouloit s'établir ailleurs ; mais cette exception n'est pas de notre usage : les deux autres sont, si c'étoit pour crime que le mari fût obligé de changer de domicile, ou qu'il fût banni du pays.

Chez les Romains, les femmes mariées avoient trois sortes de biens ; savoir, les biens dotaux, les paraphernaux, & un troisieme genre de bien que l'on appelloit res receptitias ; c'étoient les choses que la femme avoit apportées dans la maison de son mari pour son usage particulier, la femme en tenoit un petit registre sur lequel le mari reconnoissoit que sa femme, outre sa dot, lui avoit apporté tous les effets couchés sur ce registre, afin que la femme, après la dissolution du mariage, pût les reprendre.

La femme avoit droit de reprendre sur les biens de son mari prédécédé, une donation à cause de nôces égale à sa dot.

L'ancienne façon des Francs étoit d'acheter leurs femmes, tant veuves que filles ; le prix étoit pour les parens, & à leur défaut au roi, suivant le tit. lxvj. de la loi salique. La même chose avoit été ordonnée par Licurgue à Lacédemone, & par Frothon roi de Danemark.

Sous la premiere & la seconde race de nos rois, les maris ne recevoient point de dot de leurs femmes, elles leur donnoient seulement quelques armes, mais ils ne recevoient d'elles ni terres ni argent. Voyez ce qui a été dit au mot DOT.

Présentement on distingue suivant quelle loi la femme a été mariée.

Si c'est suivant la loi des pays de droit écrit, la femme se constitue ordinairement en dot ses biens en tout ou partie, & quelquefois elle se les reserve en paraphernal aussi en tout ou partie.

En pays coûtumier tous les biens d'une femme mariée sont réputés dotaux ; mais elle ne les met pas toûjours tous en communauté, elle en stipule une partie propre à elle & aux siens de son côté & ligne.

On dit qu'une femme est mariée suivant la coûtume de Paris, ou suivant quelqu'autre coûtume, lorsque par le contrat de mariage les contractans ont adopté les dispositions de cette coûtume, par rapport aux droits appartenans à gens mariés, ou qu'ils sont convenus de s'en rapporter à cette coûtume ; ou s'il n'y a point de contrat ou qu'on ne s'y soit pas expliqué sur ce point, c'est la loi du domicile que les conjoints avoient au tems du mariage, suivant laquelle ils sont censés mariés.

Les lois & les coûtumes de chaque pays sont différentes sur les droits qu'elles accordent aux femmes mariées ; mais elles s'accordent en ce que la plûpart accordent à la femme quelque avantage pour la faire subsister après le décès de son mari.

En pays de droit écrit, la femme, outre sa dot & ses paraphernaux qu'elle retire, prend sur les biens de son mari un gain de survie qu'on appelle augment de dot ; on lui accorde aussi un droit de bagues & joyaux, & même en certaines provinces il a lieu sans stipulation.

Le mari de sa part prend sur la dot de sa femme, en cas de prédécès, un droit de contre-augment ; mais dans la plûpart des pays de droit écrit ce droit dépend du contrat.

Dans d'autres provinces au lieu d'augment & de contre-augment, les futurs conjoints se font l'un à l'autre une donation de survie.

En pays coûtumier la femme, outre ses propres, sa part de la communauté de biens, & son préciput, a un doüaire, soit coûtumier ou préfix : on stipule encore quelquefois pour elle d'autres avantages. V. CONVENTIONS MATRIMONIALES, COMMUNAUTE, DOT, DOUAIRE, PRECIPUT.

Lorsqu'il s'agit de savoir si la prescription a couru contre une femme mariée & en puissance de mari, on distingue si l'action a dû être dirigée contre le mari & sur ses biens, ou si c'est contre un tiers ; au premier cas la prescription n'a pas lieu ; au second cas elle court nonobstant le mariage subsistant, & la crainte maritale n'est pas un moyen valable pour se défendre de la prescription.

Il en est de même des dix ans accordés par l'ordonnance de 1510, pour se pourvoir contre les actes faits en majorité ; ces dix ans courent contre la femme mariée, de même que contre toute autre personne, l'ordonnance ne distingue point. Voyez PRESCRIPTION. (A)

FEMME EN PUISSANCE DE MARI, est toute femme mariée qui n'est point séparée d'avec son mari, soit de corps & de biens, ou de biens seulement, pour savoir quel est l'effet plus ou moins étendu de ces diverses sortes de séparations. Voyez PUISSANCE MARITALE & SEPARATION. (A)

FEMME RELICTE, se dit en quelques provinces pour veuve d'un tel. (A)

FEMME REMARIEE, est celle qui a passé à de secondes, troisiemes, ou autres nôces. Les femmes remariées n'ont pas communément les mêmes droits que celles qui se marient pour la premiere fois, & elles sont sujettes à certaines lois qu'on appelle peine des secondes nôces. Voyez EDIT DES SECONDES NOCES, PEINE DES SECONDES NOCES, CONDES NOCESOCES. (A)

FEMME REPUDIEE, est celle avec qui son mari a fait divorce. Voyez DIVORCE. (A)

FEMME SEPAREE, est celle qui ne demeure pas avec son mari, ou qui est maîtresse de ses biens. Une femme peut être séparée de son mari en cinq manieres différentes ; savoir, de fait, c'est-à-dire lorsqu'elle a une demeure à part de son mari sans y être autorisée par justice ; séparée volontairement, lorsque son mari y a consenti ; séparée par contrat de mariage, ce qui ne s'entend que de la séparation de biens ; séparée de corps ou d'habitation & de biens, ce qui doit être ordonné par justice en cas de sévices & mauvais traitemens ; & enfin elle peut être séparée de biens seulement, ce qui a lieu en cas de dissipation de son mari, & lorsque la dot est en péril. V. DOT & SEPARATION. (A)

FEMME EN VIDUITE, est celle qui ayant survécu à son premier, second, ou autre mari, n'a point passé depuis à d'autres nôces. Voyez ANNEE DE VIDUITE, DEUIL, VIDUITE, CONDES NOCESOCES. (A)

FEMME USANTE & JOUISSANTE DE SES DROITS, est celle qui n'est point en la puissance de son mari pour l'administration de ses biens, telles que sont les femmes en pays de droit écrit pour les paraphernaux, & les femmes séparées de biens en pays coûtumier. (A)

FEMME ADULTERE, (la) Théol. critiq. mots consacrés pour désigner celle que Jesus-Christ renvoya sans la condamner.

L'histoire de la femme adultere (j'ai presque dit comme les Latins, les Anglois, & comme Bayle, de l'adultéresse) que S. Jean rapporte dans le chapitre viij. de son évangile, est reconnue pour authentique par l'Eglise : cependant son authenticité a été combattue par plusieurs critiques qui ont travaillé sur l'Ecriture-sainte ; elle fait même le sujet d'un grand partage dans les avis.

Plusieurs de ceux qui doutent de l'authenticité de cette histoire, soupçonnent que c'est une interpolation du texte faite par Papias ; soit qu'il l'ait prise de l'évangile des Nasaréens, dans lequel seul on la trouvoit du tems d'Eusebe ; soit tout-au-plus qu'il l'ait tirée d'une tradition apostolique. Les raisons de ce soupçon sont 1° que cette histoire n'étoit point dans le texte sacré du tems d'Eusebe ; 2° qu'elle manque encore dans plusieurs anciens manuscrits grecs, particulierement dans celui d'Alexandrie & dans les versions syriaque & copthe, quoiqu'on la trouve dans les versions latine & arabe ; 3°. qu'elle étoit inconnue à l'ancienne église greque, quoiqu'elle fût avoüée par la latine, & qu'on la lise dans S. Irenée ; 4°. qu'elle est obmise par les PP. grecs dans leurs commentaires sur S. Jean, comme par S. Chrysostome, S. Cyrille, &c. quoique les PP. latins, comme S. Jérôme, S. Augustin, en parlent comme étant authentique ; 5°. qu'Euthymius est le seul grec qui en fasse mention, & même avec cette remarque importante, que l'histoire dont il s'agit n'existoit point dans les meilleures copies.

Beze semble la rejetter ; Calvin l'adopte ; M. Simon en doute ; Grotius la rebute ; le P. Saint-Honoré & autres la défendent & la soûtiennent ; M. Leclerc insinue qu'elle pourroit bien avoir été empruntée de l'avanture obscene de Menedemus, rapportée dans Diogene de Laërce : insinuation qui a suscité à notre critique moderne des reproches très-vifs & trop séveres. Enfin quelques-uns prétendent que c'est Origene qui a rayé l'histoire de la femme adultere de plusieurs manuscrits ; mais ils le disent sans preuves.

Quoi qu'il en soit, nous renvoyons le lecteur à un savant traité, publié sur cette matiere par Schertzer (Jean Adam), théologien de Leipsic du xvij. siecle, dont Bayle a fait l'article sans avoir connu l'ouvrage dont je veux parler ; il est intitulé, Historia adulterae ; Lipsiae, 1671, in -4°. Mais comme le sujet est très-intéressant, il faut que les curieux joignent à la lecture du livre de Schertzer, celle des ouvrages qui suivent, & qui leur apprendront mille choses sur la route.

Ouvrages des Sav. Sept. ann. 1706, p. 404. & seq. Nouv. de la répub. des Lett. tom. XV. p. 245. Idem, tom. XXIII. p. 176. Id. tom. XLIV. pag. 56. Bibl. anc. & mod. tom. VII. p. 202. Journ. des Sav. tom. XXII. p. 580. Bibl. chois. tom. XVI. p. 294. Honoré de Sainte-Marie, Réflex. sur les régl. de critiq. diss. ij. p. 119. Mackenz Scot. Writ. tom. II. p. 313. Mém. de Trév. ann. 1710, p. 802. Bibl. univ. tom. XII. p. 436. Dupin, Bibl. ecclés. tom. XXIX. pag. 318. Id. Disc. prélim. liv. II. chap. ij. §. 6. Simon, Notes sur le nouv. Test. tom. II. pag. 54. Acta erud. Lips. ann. 1704, p. 82. Id. ann. 1708, p. 5. Leclerc, Not. ad Hammond, in Loc. La Croze, Diss. histor. p. 56. Hist. critiq. de la républ. des Lett. tom. IX. p. 342. Journ. littér. tom. XII. p. 136. Grotius, in evang. Joh. cap. viij. Calmet, Dict. de la Bible, tom. I. p. 54.

Je tire cet article de l'Encyclopédie angloise (supplément) ; il est court, précis, & met en état de connoître les raisons des uns & des autres, en indiquant les sources où l'on peut s'en instruire à fond. Article de M(D.J.)

FEMME EN COUCHE, (Med.) état de la femme qui vient d'être délivrée de son fruit. Cet état mérite toute notre attention par humanité, par devoir, & par sentiment. Les meres de nos enfans nous font revivre dans ces précieux gages de leur amour ; négligerions-nous de soulager avec zele les propagatrices du genre humain dans le tems critique où elles ont le plus de besoin des secours éclairés de la Medecine ? Non sans-doute.

Ainsi d'abord que la femme sera délivrée de son enfant & de son arriere-faix, il faut commencer par lui mettre au-devant de l'entrée de la vulve un linge assez épais, doux, maniable, & un peu chaud, pour éviter l'air froid du dehors, & prévenir la suppression des vuidanges.

Après cela si la femme n'a pas été accouchée dans son lit ordinaire, on ne manquera pas de l'y porter incessamment ; bien entendu qu'il se trouvera tout fait, tout prêt, chauffé attentivement, & garni de linges nécessaires pour l'écoulement des vuidanges. Mais si la femme a été accouchée dans son propre lit, pratique qui semble être la meilleure & la plus sûre pour parer l'inconvénient du transport, on ôtera de ce lit les linges & garnitures qu'on y avoit mises pour recevoir les eaux, le sang, & les autres humeurs qui proviennent de l'accouchement. Ensuite on placera l'accouchée dans la situation propre à lui procurer le repos & le rétablissement dont elle a besoin. Cette situation demande une position égale & horisontale sur le milieu du dos, la tête & le corps néanmoins un peu élevés, les cuisses abaissées, les jambes jointes l'une contre l'autre, & par-dessous les jarrets un petit oreiller, sur lequel elles puissent être appuyées.

Notre femme étant ainsi couchée, & un peu remise de l'émotion de son travail précédent, on entourera lâchement son ventre d'une large bande de maillot, ou d'une longue serviette pliée en deux ou trois doubles, de la largeur de dix à douze pouces ; on garantira son sein du froid, & on pansera ses parties externes qui ont souffert dans la délivrance. Alors il est à-propos de lui donner quelque restaurant, comme peut être un bon bouillon, & finalement de la laisser dormir, les rideaux de son lit, les portes, & les fenêtres de sa chambre fermées, afin que ne voyant aucune clarté, elle s'assoupisse plus aisément.

On garantira soigneusement les nouvelles accouchées du froid extérieur ; parce que les sueurs qui naissent de leur foiblesse, & l'écoulement des vuidanges, les rendent extrèmement sensibles à cette impression, qui pourroit produire de fâcheux accidens ; mais il ne faut pas non plus tomber dans l'autre extrémité. La chaleur de la chambre doit être toûjours aussi égale qu'il est possible, & on y réussira sans peine par le moyen des thermometres.

Pour prévenir l'inflammation des parties qui ont souffert une violente distension dans l'enfantement, il faut, après les avoir nettoyé des grumeaux de sang qui peuvent y être restés, appliquer à l'entrée de ces parties un cataplasme mollet, anodyn, & médiocrement chaud ; on renouvellera ce cataplasme de trois en trois heures. On se servira d'une décoction d'orge, de graine de lin, & de cerfeuil, ou autre semblable, pour laver, nettoyer, & étuver deux fois dans la journée les levres de la vulve pendant les six premiers jours de la couche. Au bout d'une quinzaine on usera d'une décoction un peu plus astringente, & bien-tôt après d'une lotion encore plus propre à fortifier, à raffermir, & à resserrer les parties relâchées.

A l'égard du bandage dont j'ai parlé ci-dessus, on le fera très-lâche le premier jour, & simplement contentif, pendant que les vuidanges coulent. Il n'est pas mal de joindre au bandage une bonne grande compresse quarrée sur tout le ventre ; & si cette partie est douloureuse, on l'oindra de tems en tems avec une huile adoucissante.

Je pense qu'au bout des douze premiers jours de la couche, on doit serrer plus fortement & insensiblement le bandage, pour ramener peu-à-peu, rassembler, & soûtenir les diverses parties qui ont été étrangement distendues durant le cours de la grossesse.

Si l'accouchée ne peut ou, ce qui n'est que trop ordinaire, ne veut pas être nourrice, il faudra bien mettre sur son sein & contre l'intention de la nature, des remedes propres à faire évader le lait ; mais si l'accouchée est assez sage pour vouloir nourrir son fruit, on se contentera de lui tenir la gorge couverte avec des linges doux & mollets : alors la mere nourrice observera seulement d'attendre quatre ou cinq jours, avant que de donner le téton à son enfant. Voyez NOURRICE.

Ajoûtons un mot sur le régime de vie de la femme en couche. Sa boisson doit être toûjours chaude dans le commencement ; & sa nourriture composée de panades, de creme de ris, d'orge, de gruau, de bouillons legers de veau & de volaille, ou autres alimens semblables. Au bout du quatrieme jour, & quand la fievre de lait sera passée, on lui permettra un régime moins sévere ; mais ici, comme dans plusieurs autres cas, il faut se prêter au tems, au pays, à l'âge, à la coûtume, à la délicatesse, ou à la force de la constitution de l'accouchée.

Pour ce qui regarde la conduite qu'elle doit avoir dans son lit, c'est de s'y tenir en repos, d'éviter les passions tumultueuses, le trop grand jour, le bruit, la conversation, le babillage, en un mot tout ce qui pourroit l'émouvoir, l'agiter, ou lui causer du trouble.

Ces préceptes me paroissent suffisans pour le cours ordinaire des choses ; mais il faut réunir des vûes plus savantes pour la cure d'un grand nombre d'accidens, d'indispositions, & de maladies qui n'arrivent que trop souvent aux femmes en couche.

1°. Une des principales maladies dont le traitement s'offre communément aux observations cliniques, est la suppression ou le flux immodéré des vuidanges ; sur quoi je renvoye le lecteur au mot VUIDANGES, me contentant ici d'observer seulement qu'il ne faut ni trop augmenter leur écoulement par des remedes chauds, ni les supprimer par un régime froid.

2°. L'hémorrhagie considérable qui survient à l'accouchée, soit parce que le délivre a été détaché avec trop de hâte & de violence, soit parce qu'il en est resté quelque portion dans l'utérus, soit par quelque espece de faux-germe, conduit la malade au tombeau, si on n'a pas le tems d'y porter du secours. On fera donc de promts efforts pour arrêter la perte de sang ; & pour la détourner, on procurera par quelque moyen l'expulsion du faux-germe, de la portion de l'arriere-faix, ou des caillots de sang restés dans la matrice. La saignée du bras sera pratiquée & répétée, selon les forces de la malade. Après avoir relâché ses bandages, on la couchera plus également, plus fraîchement, & même sur de la paille sans matelas, si la perte de sang continue ; on lui mettra le long des lombes, des serviettes trempées dans de l'oxicrat froid : en même tems on ranimera la région du coeur avec des linges chauds aromatisés, & on soûtiendra ses forces par des restaurans.

3°. On voit les nouvelles accouchées tomber en syncope, 1° par la perte de leur sang, 2° lorsque leur corps demeure trop long-tems élevé, 3° lorsque les hypochondres sont trop serrés : rétablissez alors les esprits par la nourriture ; mettez le corps dans une position horisontale ; relâchez les hypochondres, & soûtenez le bas-ventre.

4°. Les fievres inflammatoires des femmes en couche peuvent être produites par la retenue d'une partie du délivre, par le froid, par de violentes passions, lorsque les vuidanges n'en sont pas la cause : de telles fievres deviennent souvent fatales, si on ignore la maniere de les traiter. Il me semble que la méthode consiste dans l'usage de doux alexipharmaques & d'absorbans, joints aux acides & aux poudres tempérées de nitre ; dans de legers suppositoires, des lavemens émolliens, & de simples eccoprotiques. Ces remedes seront précédés de la saignée dans les femmes sanguines & pléthoriques : à la fin de la cure on employera quelques legeres doses de rhubarbe.

5°. La diarrhée succede ici quelquefois à la suppression des vuidanges, & fait un symptome très-dangereux quand elle accompagne une fievre aiguë pendant quelques jours ; il faut la traiter avec beaucoup de précaution par les adoucissans, les poudres testacées, les extraits stomachiques & corroborans, tels que ceux de gentiane donnés de tems à autre ; un peu de rhubarbe, & même s'il est besoin des anodyns administrés prudemment : mais il est toûjours nécessaire d'ordonner à la malade des diluans nitrés & acidulés. On tempérera l'acrimonie des matieres qui sont dans les gros boyaux, par des lavemens.

6°. En échange la constipation ne doit pas effrayer durant les deux ou trois premiers jours de la couche ; parce que le principe vital est alors tellement engagé dans la secrétion des vuidanges & du lait, qu'il est naturel que les entrailles ne soient pas stimulées : mais on pourra dans la suite employer des clysteres & des alimens propres à oindre les intestins, & à les dégager.

7°. Les vents & les flatuosités sont très-ordinaires aux femmes en couche. On y portera remede extérieurement par les bandages & l'application de sachets carminatifs sur le bas-ventre ; on employera intérieurement les absorbans mêlés avec de la chaux d'antimoine, l'huile d'amandes douces fraîchement exprimée, de l'esprit anisé de sel ammoniac, des gouttes de l'essence d'écorce de citron, &c. Pour les personnes d'un tempérament chaud, on mêlera de l'esprit de nitre dulcifié dans leurs boissons carminatives.

8°. Les tranchées sont les plaintes les plus ordinaires des nouvelles accouchées. Ce nom vulgaire & général de tranchées, désigne des douleurs qu'elles ressentent quelquefois vers les reins, aux lombes & aux aînes, quelquefois dans la matrice seulement, quelquefois vers le nombril & par-tout le ventre, soit continuellement, soit par intervalle, soit en un lieu fixe, soit vaguement, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Ces tranchées, ou douleurs de ventre, procedent de différentes causes ; 1°. de l'évacuation desordonnée des vuidanges, ou de leur suppression subite ; 2°. de quelque partie de l'arriere-faix, de sang coagulé, ou de quelque autre corps étranger resté dans la matrice ; 3°. du froid, de l'omission du bandage après la couche ; 4°. de la grande extension des ligamens de la matrice, arrivée par un rude & fâcheux travail ; 5°. enfin de la constriction spasmodique, ou de la sympathie des nerfs de l'utérus. On opposera les remedes aux causes connues.

Ce mal finira en modérant ou rétablissant l'évacuation des vuidanges, par les moyens qu'on indiquera au mot VUIDANGES. La deuxieme cause des douleurs de ventre ne se dissipera que lorsque les corps étrangers auront été expulsés de la matrice. On diminuera les tranchées par un bandage, si on l'avoit obmis ; on tiendra le ventre chaudement, on y fera des oignemens aromatiques, des frictions nervines, & des fomentations de décoctions de romarin, de menthe, de fleurs de camomille, & autres semblables. Dans la distension des ligamens de la matrice, le repos, le tems, & la bonne situation du corps, suffiront pour les raffermir. La derniere cause des tranchées requiert les remedes nervins, les balsamiques, les anti-hystériques, & les calmans.

9°. L'enflûre du ventre dans la femme en couche naît fréquemment de l'omission des bandages nécessaires après la délivrance : on doit donc recourir à ces bandages, auxquels on peut joindre les frictions, l'usage interne des plantes aromatiques, conjointement avec les pilules de Stahl & de Becker, mais seulement pendant quelque tems.

10°. L'inflammation de la matrice survient quelquefois par la suppression des vuidanges, par la corruption d'un corps étranger, par quelque contusion, blessure, chûte, ou violente compression qu'a souffert ce viscere, soit dans le travail, soit après le travail, par des gens mal-habiles. Il en résulte l'enflûre, la douleur de cette partie, une pesanteur au bas-ventre, une grande tension, la difficulté de respirer, d'uriner, d'aller à la selle, la fievre, le hoquet, le vomissement, les convulsions, le délire, la mort ; il faut y porter de promts remedes, tirer les corps étrangers, détourner & évacuer les humeurs par la saignée du bras, & ensuite du pié, faire des embrocations sur le ventre, prescrire à la malade un grand repos, une diete humectante, adoucissante, & legere, de simples lavemens anodyns, & s'abstenir de tout purgatif. Si par malheur l'inflammation se convertit en apostème, en ulcere, en skirrhe, il n'est plus d'autres remedes que des palliatifs pour ces tristes maladies.

1°. Quand le relâchement, la descente, la chûte de la matrice & du fondement, sont des suites de la couche ; la cure de ces accidens demande deux choses, 1°. de réduire les parties dans leur lieu naturel : 2°. de les y contenir & fortifier par des pessaires, ou autres moyens analogues. Voyez MATRICE, PESSAIRE, &c.

12°. Les hémorrhoïdes, dont les femmes sont ordinairement incommodées dans leurs couches, requierent la vapeur de l'eau chaude, les fomentations de lait tiede, l'onguent populeum, basilicum, ou autres pareils, qui ne peuvent irriter le mal ; mais sur toutes choses, il s'agit de procurer l'évacuation des vuidanges ; car par ce moyen salutaire, la douleur des hémorrhoïdes ne manquera pas de cesser.

13°. La tuméfaction des parties a toûjours lieu dans les personnes qui ont souffert un accouchement laborieux. Les remedes propres au mal, seront de simples oignemens de fleurs de sureau, de mauve, de guimauve, de miel rosat, & autres semblables. Les coussinets de fleurs de camomille, de graine de lin, jointe à du camfre bouilli dans du lait, & doucement exprimé, pourront encore être utiles.

14°. Lorsqu'il y a déchirement, écorchure, ou contusion aux parties naturelles, ce qui arrive presque toûjours dans le premier accouchement : on ne négligera pas ces contusions & dilacérations, de peur qu'elles ne se convertissent en ulceres ; c'est pourquoi nous avons déjà recommandé, en commençant cet article, un cataplasme mollet étendu sur du linge, & chaudement appliqué sur tout l'extérieur de la vulve, pour y rester cinq ou six heures après l'accouchement. Ensuite on ôtera ce cataplasme pour mettre sur les grandes levres de petits linges trempés dans l'huile d'hypéricum ; en renouvellant ces linges deux ou trois fois par jour, on étuvera les parties avec de l'eau d'orge miellée pour les nettoyer. Si les écorchures sont douloureuses, on oindra les endroits écorchés d'huile de myrrhe par défaillance : si la contusion & l'inflammation des levres ont produit un abcès, il faut donner une issue déclive à la matiere, déterger l'ulcere, & le panser suivant les regles.

15°. On a des observations d'un accident bien plus déplorable, causé par la sortie de l'enfant dans un travail pénible, je veux dire d'une dilacération de la partie inférieure de la fente que les Accoucheurs nomment la fourchette ; dilacération étendue jusqu'au fondement. Ce triste état demande qu'on pratique deux choses ; l'une, que le chirurgien procure habilement la réunion nécessaire de la plaie ; l'autre, que la femme ne fasse plus d'enfans. Si même pour avoir négligé ce déchirement, les grandes levres étoient cicatrisées, il faudroit renouveller la cicatrice comme au bec de lievre, & former la réunion de la vulve, comme si elle avoit été nouvellement déchirée. Ce n'est point pour la beauté d'une partie qu'on doit cacher, & qu'on cache en effet soigneusement à la vûe, que je conseille à aucune femme cette opération douloureuse, j'ai des motifs plus sensés qui me déterminent. Voyez FOURCHETTE, LEVRES, VULVE.

16°. S'il est arrivé malheureusement que le col de la vessie ait été comprimé pendant quelques jours par la tête de l'enfant, restée au passage, au point qu'il en résulte après l'inflammation dudit col de la vessie, une fistule avec un écoulement d'urine involontaire, le mal devient incurable quand la fistule est grande ; cependant quand elle est petite, il se guérit au bout de quelques mois avec quelques secours chirurgicaux. Si la compression du col de la vessie n'a produit que la dysurie, on la traite par la méthode ordinaire. Voyez DYSURIE, STRANGURIE, ISCHURIE.

17°. L'enflure des jambes & des cuisses n'est pas un phénomene rare aux femmes en couche, & même après des accouchemens assez heureux. On voit des femmes dans cet état qui ont des enflures depuis l'aîne jusqu'au bout du pié, quelquefois d'un seul côté, & d'autres fois de tous les deux. Ces accidens procedent communément de la suppression des eaux, des vuidanges, de l'urine, ou du reflux de lait, &c. On procurera l'écoulement naturel de toutes les humeurs retenues ; on ouvrira les voies de l'urine & du ventre par des tisanes apéritives & par les laxatifs : ensuite on fortifiera les parties oedémateuses par des frictions, des fumigations seches, & des bandages. On tâchera d'attirer le lait sur les mammelles, pour l'évacuer par le téton.

18°. La douleur du sein, sa tumeur & sa dureté, sont encore des maux ordinaires aux nouvelles accouchées, quand leurs mammelles commencent à se remplir de lait. On y remédiera par de legeres frictions, par de douces fomentations, par la suction du téton repétée, par la résolution, la dissipation, l'évacuation du lait. De quelque cause que procede son caillement qui survient ici quelquefois, il faut qu'indépendamment des embrocations résolutives, la femme en couche se fasse teter jusqu'à tarir les mammelles, & qu'elle ne souffre point de froid au sein.

19°. Il seroit superflu de parler de la passion hystérique, parce que cette maladie est également commune aux femmes en couche, & à celles qui ne le sont pas. Les remedes sont les mêmes. Voyez PASSION HYSTERIQUE.

Finissons par une remarque générale. Quand l'accouchée a eu d'heureuses couches sans accidens, mais qu'elle est néanmoins d'un tempérament foible & délicat, il est de la prudence de ne lui pas permettre de sortir du lit avant les huit ou dix premiers jours, ni de son appartement, avant le mois écoulé.

Nous venons de parcourir méthodiquement les principales maladies des femmes en couche ; mais elles en éprouvent quelquefois d'autres, dont la singularité ou la complication demandent les talens des gens les plus consommés dans la pratique & la théorie. Voy. à ce sujet les beaux ouvrages des auteurs indiqués au mot ENFANTEMENT.

On dit que dans quelques pays les Accoucheurs se sont emparés du traitement des maladies des femmes en couche ; je crois qu'on a tort de le souffrir ; ce traitement appartient de droit aux Medecins ; les Accoucheurs n'y doivent paroître qu'en sous-ordre, & toûjours proportionnellement à l'étendue de leurs lumieres en Medecine ; si elles sont supérieures en ce genre, tout parle en leur faveur, tout conspire à leur rendre hommage dans cette conjoncture. Article de M(D.J.)

FEMME, (SAGE) accoucheuse (Medecine) obstetrix. On appelle de ces différens noms toute femme qui exerce la profession des Accoucheurs ; la partie de la science & de l'art de Chirurgie, qui concerne les secours nécessaires aux femmes en travail d'enfant : on se servoit aussi autrefois du nom de matrone, pour designer une sage-femme. Voyez ACCOUCHEUSE, ACCOUCHEMENT, DOULEURS, ENFANTEMENT, &c. (d)


FEMURS. m. (Anat.) est le nom latin de l'os de la cuisse ; nom que les Anatomistes ont conservé. On l'appelle en grec .

Cet os est le plus considérable & le plus fort des os cylindriques : il se porte de dehors en-dedans. Les femurs très-écartés supérieurement, se touchent presque vers les genoux. Un des principaux avantages de cette situation, est de donner plus de vîtesse & de sûreté à notre démarche. Si les femurs eussent été paralleles, notre corps auroit été obligé de décrire une portion de cercle à chaque enjambée, & notre centre de gravité auroit été trop en danger de n'être pas soûtenu. Afin que les femurs qui tendent obliquement l'un vers l'autre, puissent s'appuyer sur les jambes, dont la situation est perpendiculaire, leur extrémité inférieure est un peu recourbée en-dehors.

La partie inférieure du femur présente une tête grosse & polie, dans laquelle on observe un creux spongieux : dans ce creux spongieux est fixé un ligament appellé improprement ligament rond. Cette partie plus déliée au-dessous de la tête, qu'on appelle le cou de l'os femur, a un grand nombre de trous, dans lesquels pénetrent, suivant quelques-uns, des vaisseaux nourriciers, & selon d'autres, les fibres d'un ligament fort, annulaire, qui s'attache encore à un rebord rude, qu'on trouve à la racine de ce cou. Ce ligament contient & assujettit toute l'articulation ; l'obliquité du cou, qui est presqu'horisontal, augmente l'écartement des femurs, dont nous avons déjà parlé, & donne une position favorable aux muscles, qui sont par-là plus éloignés du point fixe, & dont quelques-uns joüent par un levier coudé, le cou du femur faisant un angle obtus avec le reste de l'os qui tend en-bas.

La partie supérieure du femur a deux apophyses, qui ne sont (aussi-bien que la tête) que des épiphyses dans un âge tendre ; on appelle ces apophyses trochanters : l'un est grand & externe, l'autre petit & interne. Ces deux processus ont reçu le nom de trochanters, parce qu'ils servent à l'insertion de ces muscles, qui sont les principaux instrumens du mouvement de rotation de la cuisse, ou bien parce que le mouvement de rotation y est plus sensible que dans le corps du femur.

L'extrémité inférieure du femur est beaucoup plus grosse qu'aucune de ses parties : elle forme deux tubérosités qu'on appelle condyles, séparés par une cavité considérable, & s'articule par ginglyme avec le tibia. On y remarque deux cavités ; l'une antérieure, pour le mouvement libre de la rotule ; l'autre postérieure, où les vaisseaux cruraux sont enveloppés dans la graisse. On trouve quelquefois des os sésamoïdes sur ces condyles, principalement sur l'extérieur. Nous ne dirons rien des ligamens & des muscles qui s'attachent à cette extrémité de l'os femur, qui n'est qu'une épiphyse dans la jeunesse.

Ce que le corps de l'os femur présente de plus singulier, c'est sa courbure. Il est convexe extérieurement, & voûté par derriere ; l'utilité & la cause de cette courbure sont assez inconnues. Il semble que deux remarques ayent échappé aux auteurs qui en ont fait la description : la premiere, que le plus grand angle de cette courbure est plus proche de la partie supérieure du femur, ce qu'on pourroit attribuer à la résistance de la rotule, contre laquelle cet os arc-boute ; peut-être la courbure même du femur est-elle produite par le poids du corps dans les enfans qui s'abaissent, & ne peuvent fléchir le genou.

La seconde remarque est que le corps du femur paroît être tors en quelque maniere ; un plan qui passeroit par les centres des deux condyles, & par le milieu de l'os, feroit un angle très-remarquable avec un autre plan qui passeroit par ce même milieu, & par les centres de la tête du femur & du trochanter-major. (g)


FENDERIES. f. (Art méch.) ce terme a deux acceptions ; il se dit & des machines destinées à mettre le fer de forge en barres, & des usines où sont placées ces machines & s'exécute ce travail. Il y a de grandes & de petites fonderies. Voyez l'article FORGES (GROSSES), & l'explication des machines, & leur usage.


FENDISS. m. (Ardoisieres) c'est l'ardoise brute, ou poussée au point de division, où il ne lui reste plus, pour être de service, qu'à recevoir sa forme sur le chaput. Voyez l'article ARDOISE.


FENDOIRS. m. en terme de Cardier ; c'est un instrument d'acier, large & coupé en biseau par un bout, assez aigu, mais sans tranchant ; l'autre bout lui tient lieu de manche : cet instrument sert à refendre.

* FENDOIR, outil de Vannier & de Tonnelier ; c'est un morceau de buis ou d'autre bois dur, de sept ou huit pouces de long, qui a une espece de tête partagée en trois rainures ou gouttieres, dont chaque séparation est formée en tranchant. On se sert du fendoir pour partager les brins d'osier en trois ; pour cet effet, on amorce le gros bout de l'osier, c'est-à-dire on l'ouvre en trois parties ; & après y avoir insinué la tête de l'outil, on le conduit en lui donnant un mouvement demi-circulaire, jusqu'à la derniere pointe de l'osier.

* FENDOIR ou COUPERET, outil dont se servent, pour diviser le bois, les Tourneurs & ceux qui font de la latte, du mérin, de l'échalas de quartier, &c. La figure de cet outil est représentée dans nos Planches de Taillanderie. Pour le faire, le taillandier prend une barre de fer plate, qu'il plie en deux, de la longueur qu'il veut donner au fendoir ; entre ces deux fers, il place l'acérure, c'est-à-dire une bille d'acier, & il corroye le tout ensemble ; lorsqu'il a bien corroyé la piece, & que ses parties sont bien soudées, il enleve le fendoir. On voit dans nos Planches le fendoir achevé, reparé, & prêt à l'être ; lorsque le fendoir est entierement fini de forger, il le faut limer & le tremper.


FENDREv. act. terme relatif à la solution de continuité des parties d'un corps solide ; ce corps est fendu, lorsque la continuité en est rompue en quelqu'endroit, soit avec séparation totale des parties, soit sans cette séparation totale. Les pierres, les bois, la terre, &c. se fendent. Par une espece de métaphore, le même mot s'applique à l'eau & à l'air. L'oiseau ou la fleche qui vole, fend l'air ; & le poisson qui nage, ou le vaisseau qui vogue, fend les eaux. Il s'employe encore en hyperbole & en ironie, & l'on dit d'un grand bruit, qu'il fend la tête ; d'un petit malheur, cela fend le coeur.

FENDRE, en terme de Cornetier, s'entend de l'action d'ouvrir à la serpette les galins bruts pour les ouvriers. Voyez GALINS & OUVRIER.

FENDRE, (MACHINE A) Méchaniq. Horlogerie, &c. La machine à fendre est un outil à l'aide duquel les Horlogers divisent & fendent les dents des roues des pendules, montres, &c. en tels nombres de parties que l'exigent les machines auxquelles ils employent ces roues.

Il y a peu de machine à l'usage des Arts qui soit plus nécessaire, & dont la justesse soit aussi essentielle que celle de la machine à fendre. C'est de-là que dépend la perfection des machines qui servent à mesurer le tems, comme pendules, montres, &c. car quel que soit le principe du régulateur, si les dents des roues & des pignons sont inégales, le mouvement imperceptible des aiguilles ne peut-être uniforme, ni la puissance de la force motrice sur le régulateur égale, si les roues elles-mêmes ne le sont ; par conséquent, il est lui-même accéléré ou retardé, suivant ces inégalités.

Mais je ne dois pas m'arrêter à prouver son utilité (elle est connue) : la décrire, faire connoître ses différens usages, donner les moyens, ou faire observer les soins d'exécution qu'elle exige ; voilà quel doit être mon objet.

Je serois très-embarrassé de nommer l'auteur de cette belle machine ; il nous est inconnu, ainsi que l'ont presque toûjours été ceux qui ont fait des découvertes utiles à l'état, tandis que l'on sait les noms de plusieurs inventeurs d'inutilités.

Tout ce que j'ai donc pû apprendre, c'est qu'elle vient d'Angleterre, & que le premier qui en ait fait ici, a été M. Taillemard, très-bon machiniste, mort il y a environ vingt ans. Telle est l'idée que m'en a fournie M. Camus de l'académie des Sciences.

Le premier moyen dont se soient servis les anciens ouvriers qui eurent des roues à fendre, fut de les diviser avec le compas, au nombre de parties dont ils avoient besoin, & de les fendre ensuite avec des limes ; il n'y a pas long-tems que cela se pratiquoit encore : or quel tems n'exigeoient pas de telles opérations, & quelle justesse pouvoit-on attendre de ce moyen ? Mais quelque ouvrier intelligent ne laissa pas long-tems cette partie en cet état ; il vit un meilleur moyen, qui fut de former sur une grande plaque de cuivre différens cercles concentriques, qu'il divisa en des nombres de parties dont il faisoit usage dans les machines qu'il exécutoit ; de sorte que cela une fois fait, il n'étoit plus besoin que de faire convenir le centre de la roue à diviser avec celui de la plaque qui servoit de diviseur, & moyennant une regle ou alidade, qui se mouvoit au centre du diviseur, qu'on posoit alternativement sur tous les points de divisions d'un même cercle, on traçoit sur la roue les mêmes divisions ; ainsi elle se trouvoit par-là divisée exactement au même nombre de parties que le cercle du diviseur, ensorte qu'il ne restoit plus qu'à former les dents avec des limes convenables : enfin il y eut des artistes qui sûrent profiter du point où se trouvoit cette machine simple, pour la mener à celui de tailler des dents en même tems qu'elle les divisoit ; ce fut de substituer, à l'effet de fendre les roues avec des limes, & à la main, une lime qui se mouvoit en ligne droite dans une coulisse que portoit un chassis, sur lequel se mouvoit le diviseur & la roue à fendre : ensuite ce fut une lime circulaire (on l'appelle fraise) qu'on fit tourner par le moyen d'un archet sur une piece que portoit le chassis (qui étoit de bois) : ce chassis contenoit en même tems la grande plaque ou diviseur, qui tournoit dans ce chassis, ainsi que la roue à fendre ; celle-ci étoit fixée sur l'arbre qui portoit le diviseur : il n'étoit plus question, pour diviser & former les dents, que de fixer la grande plaque ou diviseur, & de terminer le mouvement qu'il devoit faire, pour former la distance d'une dent à l'autre : c'étoit-là l'effet d'une piece * fixée sur le chassis, laquelle portoit une pointe qui alloit presser le diviseur dans un des points de division de tel cercle, & empêchoit par ce moyen le diviseur de tourner, tandis qu'avec la fraise, au moyen de l'archet, on formoit une dent, on faisoit une fente ; ensuite levant la pointe de l'alidade, qui empêchoit le diviseur de tourner, & faisant passer ce diviseur jusqu'au premier point, on laissoit poser la pointe de l'alidade dans le trou de division ; & fixant de nouveau le diviseur, on faisoit une seconde fente à la roue, & ainsi de suite, jusqu'à ce que le diviseur eût achevé sa révolution, & que par conséquent, il y eût autant de dents fendues à la roue, que de points de division dans le cercle qu'on auroit pris.

Telle a été l'origine de la machine à fendre, on peut voir à-peu-près son méchanisme par l'idée que je viens de donner ; mais les figures & la description qui vont suivre, en feront beaucoup mieux comprendre la composition : & telle encore est la machine à fendre, que l'on a perfectionnée depuis, mais dont les effets sont les mêmes ; ainsi ce que j'ai dit sur son origine & ses progrès, facilitera l'intelligence de celles que je vais décrire.

Je commencerai par la description de la machine à fendre, la plus parfaite qui ait été construite jusqu'à ce jour, & qui est en même tems la plus simple ; ensuite je donnerai la description de celle de Sully. J'ajoûterai après cela une idée des machines que l'on a faites pour fendre toutes sortes de nombres. Enfin je terminerai cet article par quelques remarques sur les soins d'exécution qu'exige une machine à fendre.

Comme la machine de Sully est plus composée que celle que l'on a faite depuis, j'ai crû devoir commencer par la derniere construction, qui est de feu M. Taillemard, & perfectionnée par son éleve, M. Hullot, dont le talent pour les machines est fort connu, mais peut-être pas autant qu'il le mérite. J'ai aussi ajoûté à cette machine, une piece qui peut servir à sa perfection ; c'est une machine au moyen de laquelle on détermine dans un instant la position des roues arbrées, comme rochets, roues de rencontre, &c. & les centre parfaitement avec la plateforme ou diviseur.

Description de la machine à fendre, exécutée & construite par M. Hullot, Méchanicien du Roi.

Le chassis A B C D I F G (Pl. XXIV. fig. 1.), est fait de deux pieces à-peu-près de la forme d'un Y. Chaque bout de la partie A E C est plié à l'équerre, ensorte que les parties G F D n'en sont que le prolongement, & servent de piliers ; elles entrent quarrément dans l'autre partie du chassis, dont on ne voit que les bouts B I. Les excédans des parties G F D en-dessous de la partie B I du chassis, sont taraudés, ensorte que les vases a, b, c, servent en même tems d'écroux pour assembler les deux parties du chassis, & de piés pour soûtenir la machine, dont la propre pesanteur suffit pour la rendre solide, n'étant que posée simplement sur une table quelconque M N, & y fendre toutes les roues possibles.

P est la plate-forme ou le diviseur : il est fixé sur l'arbre O p q (fig. 1. Pl. XXV.) Cet arbre est porté par le chassis, dans lequel il tourne. Les deux points d'appui de cet arbre sont placés à une plus grande distance que la hauteur même du chassis, au moyen du pont r s fixé au-dessous de la piece B I du chassis, & de la plaque ou assiette tournée t, fixée au-dessus de l'autre partie A C du chassis. Le trou de l'assiette t dans lequel se meut l'arbre, est tourné en cône, ainsi que la partie de l'arbre qui y porte. C'est dans cette partie ou assiette t qu'est le point d'appui supérieur de l'arbre O p q. L'autre point d'appui est formé par la partie inférieure p du même arbre, laquelle est portée par un point concentrique à la vis o. Cette vis sert en même tems à donner plus ou moins de liberté à l'arbre pour se mouvoir ; ce qui se fait en faisant monter & descendre la vis o, ainsi que l'arbre O p q, dont la partie conique entrant plus ou moins dans le trou, ôte ou donne la liberté à l'arbre pour se mouvoir.

L'arbre O p q est percé dans sa longueur, ce qui forme un trou cylindrique dans lequel s'ajustent les tasseaux ou petits arbres à écrous m n. C'est sur ces arbres que l'on fixe les roues qu'on veut fendre, & dont les assiettes & grosseurs de vis sont proportionnées à la grandeur des roues. Les parties des tasseaux qui entrent dans l'arbre O p q, sont tournées sur leurs pointes, ainsi que les vis & assiettes. Au-dessous de ces assiettes est formé un petit cône, comme on le voit Planche XXVI. fig. 3. il porte sur la partie q de l'arbre O p q, tourné de même en cône dans cette partie intérieure q du trou cylindrique. Pour fixer ces tasseaux après l'arbre O p q, & le faire de façon que le centre

* L'on appelle cette piéce alidade ; son effet est le même que celui de la regle dont je viens de parler ; avec cette différence que celle-là passoit alternativement sur tous les points de division du cercle du diviseur, tandis que ce diviseur restoit immobile ; au lieu que dans l'alidade dont il est question, le diviseur tourne & présente alternativement toutes les divisions du même cercle, & l'alidade ou regle reste immobile.

du tasseau soit le même que celui de l'arbre, il y a un grand écrou e f (Pl. XXV. fig. 1.), qui entre à vis sur la partie extérieure de l'arbre O p q. Cet écrou sert à presser parallelement à l'axe de l'arbre, une clavette qui traverse l'arbre O p q & le tasseau m n, au moyen d'une fente faite dans ces deux pieces. C'est sur le bas de cette ouverture (Pl. XXVI. fig. 3.), que porte la clavette f ; ensorte qu'en faisant descendre l'écrou, on fait presser le tasseau contre la partie conique q, ce qui le fixe très-solidement, & le centre en même tems. La pression seule de l'écrou empêcheroit le tasseau de pouvoir tourner séparément de l'arbre ; mais la clavette, qui passe juste dans l'ouverture transversale de l'arbre, le fait encore mieux.

La piece Q R (Pl. XXIV. fig. 1.) se meut sur la longueur du plan A X : son assemblage sur ce plan est fait de la maniere suivante. Les côtés du plan A X, dont on ne voit que celui g, ne sont point d'équerre avec ce plan ; au contraire, ils forment avec lui un angle aigu : la rainure de la piece Q R a la même forme, ainsi elle porte sur la piece A X du chassis sur trois plans (on appelle cet assemblage, queue d'aronde). La pression de la vis i, perpendiculaire au plan g, fixe très-solidement cette piece Q R. Sur la longueur du chassis il y a une longue vis V V (Pl. XXV. fig. 1.). Cette vis porte à l'endroit D du chassis une largeur ou espece de tête qui entre dans une noyeure de ce chassis, laquelle est couverte par une plaque i fixée au chassis par deux petites vis ; ainsi la vis ne peut que tourner dans cette partie, sans changer de place : or en faisant tourner la vis V V par le quarré c au moyen d'une manivelle, l'inclinaison des pas de la vis V V qui entre dans la partie z fixée à la piece Q R, oblige cette piece à se mouvoir suivant le sens dont on fait tourner la vis. Ce mouvement de la piece Q R sert à déterminer les enfoncemens des dents des roues plates ; on la fait approcher ou éloigner du centre du diviseur, suivant les grandeurs des roues que l'on veut fendre.

Cette piece Q R en porte d'autres, qui servent à donner différens mouvemens d'inclinaison à l'H, ou porte-fraise qu'on appelle H ; ce qui sert à fendre à rochet, à vis sans fin ; à faire les dents des roues de rencontre inclinées, &c. comme on le verra par la description que je vais faire de cette partie.

K L (Pl. XXV.) est une forte piece de fer pliée à l'équerre, dont la base porte sur le plan supérieur de la piece Q R. La piece Q R porte au centre de ce plan une tetine qui entre juste dans une creusure tournée, faite à la base de la piece K L ; ensorte que cette derniere peut se mouvoir circulairement sur le plan Q R ; & former différens angles par rapport au centre du diviseur : elle porte une aiguille 2. qui les indique sur le plan Q R, divisés en degrés du cercle de 360 parties. Cette inclinaison de la piece Q R, & de l'H qu'elle porte, sert pour fendre des roues à rochet, &c. Pour fixer la piece K L sur le plan Q R, il y a une forte vis v qui entre dans un trou taraudé à la tetine dont j'ai parlé, qui sert pour cet usage.

Pour que les fonds des dents de roues soient toûjours perpendiculaires à leur plan, il faut que le centre du mouvement de l'H soit élevé au-dessus du plan A x, de la même quantité que l'est le milieu de la roue lorsqu'elle est sur son tasseau. C'est pour produire cet effet que la vis 3. (Pl. XXV. fig. 1.) fait monter ou descendre la piece qui porte l'H, par un moyen semblable à celui qui fait mouvoir la piece Q R sur la longueur du plan A x.

Les vis T de l'H ou porte-fraise (Pl. XXIV. & XXV. fig. 1.), se meuvent dans deux points opposés, faits sur la piece U (Pl. XXIV. fig. 1.). Cette piece U porte à son centre une forte tige qui passe au-travers de la piece L, & dont le bout est taraudé ; ensorte qu'avec l'écrou 4. (Pl. XXV. fig. 1.) on fixe la piece U, ainsi que l'H, cette derniere ne pouvant pour lors que tourner sur son centre T.

La piece U (Pl. XXIV. fig. 1.) porte un index qui sert à marquer sur le cadran 6 divisé en degrés du cercle de 360 parties, l'inclinaison de l'H par rapport à la largeur du plan A x, & conséquemment à celui de la roue & du diviseur ; c'est ce qui sert à faire des roues à vis sans fin, & à donner l'inclinaison des dents de roues de rencontre.

La vis 5. sert à regler la profondeur que l'on veut donner à la denture des roues de rencontre, puisque suivant qu'on la fait monter ou descendre, l'H & la fraise approchent plus ou moins du plan A x. On se sert aussi de cette vis lorsqu'on fend des roues ordinaires, pour faire passer le centre de la fraise au dessous de l'épaisseur des roues. Pl. XXIV. & XXV. fig. 1.

h h est l'alidade ; elle est mobile en y, & se meut sur ce centre. L'effet de cette piece est d'empêcher le diviseur de tourner, ce qui se fait en plaçant la pointe 9. dans un des points du diviseur.

Le nombre dont on veut se servir étant donné, on fixe l'alidade, ensorte qu'elle ne peut s'écarter de ce cercle, au moyen de la vis 7. qui sert à la presser contre le plan z qui la porte. Ce plan peut se mouvoir sur la longueur de la piece 8. (Pl. XXIV. fig. 1.), dans laquelle il est ajusté en queue d'aronde, & s'y meut lorsqu'on fait tourner la vis v v. Pl. XXV. fig. 1.

Comme le plan z porte l'alidade, il est clair que le mouvement que l'on donne à ce plan, fait mouvoir de même l'alidade, & éloigne ou approche le centre y de l'alidade de celui du diviseur. Or si on suppose que la pointe 9. de la vis d de l'alidade est posée sur un point du diviseur, & qu'en cet état on fasse mouvoir la vis v & le plan z, il est évident que le diviseur tournera suivant le côté dont on fait mouvoir la vis v. On se sert très-souvent de ce mouvement, un seul exemple suffira pour en faire concevoir l'utilité.

Je veux fendre une roue sur le nombre 120, mais il n'y a que 60 sur mon diviseur. Je commence d'abord à fendre la roue en 60 parties ; & sans déranger l'alidade, je ferai tourner la vis v v, & par conséquent le diviseur & la roue, jusqu'à ce que le milieu d'une des dents déjà fendue, se trouve répondre au milieu de la fraise H : alors je fendrai cette dent, & ensuite les autres à l'ordinaire, ce qui me donnera une roue double de 60. Telle est la propriété de cet ajustement, de faire mouvoir la plate-forme insensiblement, & de la quantité qu'on le veut, sans être obligé de démonter les roues de dessus les tasseaux, où souvent on a eu de la peine à les mettre rondes.

Sur l'H (Pl. XXIV. fig. 1.) s'ajuste la fraise f, laquelle est fixée par un écrou sur un arbre qui porte aussi le pignon p. L'arbre tourne sur ses pointes dans les points faits au centre des vis v v, paralleles aux vis T T sur lesquelles se meut l'H.

12. est une manivelle qui entre en quarré sur le prolongement de l'arbre qui porte la roue b : cette roue a 40 dents ; elle engrene dans le pignon p, qui en a 16. C'est en faisant tourner la manivelle que la fraise se meut, & fait les ouvertures ou fentes des dents. On se sert aussi d'un archet dont la corde s'enveloppe sur un cuivrot qui tient lieu du pignon ; mais cela devient trop embarrassant, ainsi je préfere la manivelle.

Pour fendre des roues épaisses dont les dents sont fort grosses, M. Hullot se sert d'une grande manivelle qui entre en quarré sur le prolongement de l'arbre même qui porte la fraise. Voyez Planche XXVI. fig. 1. Pour cela il a percé la vis v dans toute sa longueur, & la tige de l'arbre qui porte la fraise y, passe & se termine en quarré qui entre dans la manivelle ; par-là il acquiert plus de force, puisque la fraise a moins de vîtesse, laquelle est la même que celle de la manivelle.

M. Hullot se sert d'un très-bon moyen pour fixer les vis T T, v v de l'h (Planche XXVI. fig. 1.) ; c'est par une pression perpendiculaire à l'axe des vis, tout comme on fixe les broches d'un tour à coussinet d'horloger. Pour cela il a fait des entailles e e au-travers des canons taraudés de l'H : c'est dans ces ouvertures e e que sont ajustés les coussinets C, percés & taraudés comme les vis T v. Ces coussinets portent les parties taraudées d, sur lesquelles entrent les écroux f, dont les bords appuient sur les dessous des ouvertures e e de l'H ; ainsi en tournant cet écrou on fait presser les coussinets sur les vis, & on les empêche par-là de tourner. Cette pression a l'avantage d'être solide, & de ne pas changer les directions des vis. Au-dessous de l'H il y a un ressort pour la faire remonter dès qu'on cesse d'appuyer dessus ; ce qui dégage la fraise de la denture, & permet de faire tourner le diviseur.

Le diviseur P est, comme on l'a vû, une grande plaque de cuivre sur laquelle on a tracé autant de cercles concentriques que de nombres on veut y marquer ; ainsi chaque cercle est pointé d'un nombre différent.

Voici ceux qui sont sur le diviseur : 720. 487. 396. 366. 365. 360. 249. 192. 186. 150. 144. 142. 120. 110. 108. 102. 101. 100. 96. 90. 88. 85. 84. 80. 78. 76. 74. 72. 70. 69. 68. 66. 64. 63. 60. 59. 58. 56. 54. 52. 50. 48. 46.

On peut par le moyen que j'ai expliqué ci-devant, doubler tous ces nombres, en faisant mouvoir l'alidade après avoir fendu la roue sur le nombre qui est sur le diviseur, & pris une fraise qui laisse assez de largeur aux dents pour être divisées en deux ; ainsi voilà d'abord pour les grands nombres. Pour en avoir de moindres que ceux du diviseur, il faut chercher s'il n'y en a point qui soient multiples de celui qu'on cherche. Exemple. Je voudrois fendre une roue sur le nombre 73, qui n'est pas sur le diviseur. Je cherche dans un grand nombre s'il n'y est point contenu exactement un certain nombre de fois : se prends au hasard le 365, lequel se divise par 3, par 4, & enfin par 5 ; ce qui me donne 73 au quotient, lequel est celui que je cherche : ainsi en mettant l'alidade sur le nombre de 365, & arrêtant le diviseur à chaque cinquieme division, on fendra une roue de 73 dents, & ainsi pour les autres nombres. Voyez ALIQUOTE, DIVISEUR, &c.

Pour fendre les roues ordinaires de la pendule, on commencera par faire entrer juste cette roue sur le tasseau m n (Pl. XXVI. fig. 3.) : on la fixera par le moyen d'un écrou & d'une rondelle tournée, mise entre l'écrou & la roue ; ensuite on mettra la pointe 9. de l'alidade sur le cercle où est divisé le nombre sur lequel on veut fendre la roue. On fera après cela approcher la piece Q R du centre du diviseur, par le moyen de la manivelle & de la vis V, jusqu'à ce que la fraise passe sur la roue de la quantité à-peu-près pour la longueur de la dent. Il faut avoir soin aussi que la fraise soit exactement dirigée au centre du diviseur ; ensorte que si on la faisoit avancer jusqu'à ce centre, la pointe du tasseau partageât l'épaisseur de la fraise : c'est une condition essentielle pour faire que la denture soit droite. Pour éviter de rapprocher du centre du diviseur la fraise H, &c. à chaque fraise qu'on change on peut se servir de la piece S (Planc. XXVI. fig. 5.), & en place du rouleau A on fixera une pointe, placée de sorte que lorsque la fraise est bien au centre du tasseau, elle se rencontre exactement avec cette pointe, & tienne lieu du centre du tasseau. Ainsi, à quelque distance de ce centre que soit la fraise, on pourra toûjours s'assûrer par cette pointe de la piece S, que la fraise est bien dirigée. On tournera la vis i, (Pl. XXIV. & XXV. fig.) pour fixer la piece Q R sur le chassis ; alors faisant tourner la fraise par sa manivelle, on fera la fente d'une dent : cela fait, on levera la pointe d de l'alidade, afin que le diviseur puisse tourner. On le fera passer au 1er point du même cercle ; & laissant poser la pointe de l'alidade dans ce point (la pointe 9. étant forcée d'y entrer par le ressort que fait l'alidade), on fendra une seconde dent, ainsi de suite, en s'arrêtant sur tous les points de division du cercle, jusqu'à ce que la révolution soit faite.

Pour fendre des roues d'un grand diametre, comme d'un pié, &c. il est nécessaire de leur donner un point d'appui près de l'endroit où agit la fraise, pour empêcher la roue de flechir : c'est-là l'effet de la piece S (Pl. XXVI. fig. 5.). Elle s'ajuste sur le plan A x du chassis. Le rouleau A de cette piece étant élevé jusqu'au-dessous de la roue, il fait un point d'appui qui la rend solide.

Pour fendre les roues de montres, toute la différence d'avec les grandes consiste dans la maniere de fixer la roue sur le tasseau. Les roues des pendules se fixent, comme on l'a vû, par le moyen d'un écrou ; pour celles des montres, on se sert de la pression de la piece a (Pl. XXVI. fig. 2.) : elle forme une espece de cône dont la base appuie sur la roue & la pointe, dans un point fait à l'extrémité b du levier L. Ce cône ou cette assiette a est percée dans sa base, d'un trou qui est pour laisser passer la pointe du tasseau qui centre la roue, & dont le bout saillit au-dessus de l'épaisseur de la roue.

La piece A est portée par celle B, fixée après le pilier F du chassis, par le moyen d'une vis V qui fixe en même tems la piece C. Cette piece C porte un rouleau r, qui fait un point d'appui du levier L. Ce rouleau est mobile, pour faciliter le mouvement du levier.

L'autre point d'appui du levier se fait sur la pointe du cône a. La vis T appuie environ au milieu du levier L ; ainsi si on la fait tourner ensorte qu'elle descende, elle fera aussi descendre la partie b du levier & le cône a, jusqu'à ce que sa base appuie sur la roue, & celle-ci sur le tasseau. C'est cette pression qui fixe la roue sur le tasseau, & l'oblige de tourner avec lui. Pour mieux empêcher la roue de tourner séparement du tasseau, on taille comme une lime les bases du cône & du tasseau, lesquelles on trempe. Ainsi, cela entre dans les pores du cuivre, & fixe la roue très-solidement. On peut changer les pressions du levier sur le cône, & les rendre plus ou moins puissantes, suivant le trou où on place la cheville c qui entre dans les trous de la piece B.

La piece A a deux mouvemens, l'un sur cette cheville c, & l'autre sur celle d ; ce qui lui donne la facilité de se mouvoir en tout sens : cela sert dans le cas où le cône ne seroit pas parfaitement au centre du tasseau : ces mouvemens évitent de s'assujettir à le faire.

Pour fendre les roues de rencontre & rochets d'échappement avec plus de précision, on les fend toutes montées sur leurs pignons : or comme il faut que les tasseaux soient percés pour laisser passer les tiges, & qu'il n'est plus question dans ce cas d'employer d'écrou, on s'est servi de plusieurs moyens pour les fixer, comme de la cire, des viroles de la grandeur des roues, &c. Je ne m'arrêterai qu'au moyen qui me paroît le meilleur pour les pendules : c'est un tasseau m n (Pl. XXVI. fig. 3.), sur lequel on fixe la roue par la pression de 4 vis sur la plaque P, qui presse par ce moyen la roue contre l'assiette A du tasseau ; voilà pour la fixer : mais pour la placer parfaitement au centre du tasseau, on ne le faisoit qu'en tatonnant ; c'est donc pour le faire aisément & avec précision, que j'ai construit la machine, fig. 4. même Pl. Elle s'ajuste sur le chassis, comme on le voit figure 2. A est un cadran divisé en 60 ; l'aiguille e est portée par le prolongement du pivot d'une petite poulie, mise dans une espece de cage formée par le cadran & la piece ponctuée B ; la piece C est posée dans cette même cage, & est mobile en i ; la partie o p de la piece C, est un ressort qui forme une espece d'arc ; aux deux bouts est attaché un fil de soie, qui s'enveloppe sur la poulie n qui porte l'aiguille : à deux lignes de distance du centre de la piece C, est placée une cheville S, qui appuie sur la partie b de la piece D, laquelle se meut en coulisse dans la piece E, & dans l'ouverture où passe la vis V ; le ressort r est pour faire presser la cheville S sur la partie l de la piece D : ainsi si l'on fait mouvoir cette piece D dans son coulant, le plus petit espace qu'elle parcourra, en fera faire de très-grands à l'aiguille. Maintenant si on suppose que le rochet R (Pl. XXVI. fig. 2. & 3) est attaché sur le tasseau m n, par la pression des vis sur la plaque P, & qu'en cet état le tasseau est fixe sur l'arbre O p q, & que l'on fasse appuyer le bout d de la piece D sur le bord du rochet, & qu'on fasse tourner le diviseur, on verra par la variation de l'aiguille sur le cadran pour un tour du rochet, le nombre de degrés qu'elle aura parcourus. Or en repoussant le rochet par le côté opposé à celui sur lequel appuie la piece D, d'une quantité qui fasse revenir l'aiguille à la moitié de l'espace qu'elle avoit parcouru, on aura le centre pour ce point-là. On continuera à faire tourner le diviseur & le rochet, jusqu'à ce que l'aiguille ne se meuve plus : dès-lors on sera sûr que le rochet aura le même centre que le diviseur.

De la machine à fendre de M. SULLY.

Les Pl. XX. XXI. XXII. XXIII. &c. représentent cette machine, décrite & dessinée dans le traité d'Horlogerie de M. Thiout. Je donne la description qu'en a fait cet auteur dans son traité, t. I. p. 46 ; & comme les Planches que je donne pour cette machine sont dessinées d'après celles du livre de M. Thiout, & que la description qu'il a donnée est mieux faite que je n'aurois pû la faire, je n'ai pas cru devoir y changer.

Machine à fendre les roues, inventée par le Sr SULLY, & perfectionnée par feu M. DE LA FAUTRIERE, conseiller au parlement. (Pl. XXII.)

" La plate-forme P est renfermée dans un chassis ABCD ; la piece d'en-bas BC se peut démonter, lorsque l'on veut retourner la plate-forme qui est divisée des deux côtés : ces deux pieces qui forment le bâti, sont soûtenues par deux traverses D E que quatre colonnes de cuivre tiennent élevées à une certaine hauteur.

La roue F (Pl. XX.) qui fait mouvoir la fraise, est soûtenue par son arbre qui traverse les deux montans G, H dans lesquelles elle peut tourner librement lorsqu'on la fait tourner avec la manivelle I. Ces montans G, H sont fixés sur le tour K L, qui est mobile de bas en-haut autour des deux vis, telles que M pratiqué dans un second tour M N. Ce tour peut se mouvoir autour du point N, le long des arcs O, R, où on peut le fixer à l'inclinaison que l'on veut, en serrant l'écrou N à deux vis, telles que Q ; de maniere que le premier tour K L, & le second tour M N, tournant ensemble, peuvent s'incliner plus ou moins : ce que l'on pratique lorsque l'on veut tailler des roues de rencontre. Outre ce mouvement, cet assemblage peut encore s'approcher ou s'éloigner du centre de la roue ou de la plate-forme en faisant tourner la vis S. Les courbes O R sur quoi roulent ces deux tours, sont assemblées à deux coulisses, telles que V, que l'on assujettit à l'endroit nécessaire par les vis T T. S est un écrou qui tient au chassis, & dans lequel passe la vis qui fait avancer ou reculer ce composé ; car cette vis est fixée à l'endroit N par un collet, & son extrémité est rivée, entretenue par un ressort placé à la traverse qui supporte les arcs. L'arbre de la fraise X tourne sur les deux points K, L ; il porte le pignon Y, dans lequel engrene la roue F : on regle l'abatage de ce tour par la vis Z, qui porte sur une piece que l'on ne peut voir dans cette figure, mais qui est attachée au tour M, du côté G. Il faut observer que le tour M demeure constamment à l'endroit où il se trouve fixé, & qu'il n'y a que le tour K L qui puisse s'abaisser ou s'élever, par le moyen du levier W qui tient à ce tour. La vis Z se fixe aussi par l'abatage du petit levier 4, qui porte une vis placée horisontalement, & qui assujettit la premiere dans son écrou.

Je reserve à la description de la Planche XXIII. des développemens, à expliquer différens détails & mouvemens de la machine. Je dirai dans ce même article, la façon dont il faut assujettir la roue à fendre sur l'arbre de la plate-forme. Cette roue représentée par le chiffre 5 (Pl. XX. XXI. & XXII.), est affermie sur son centre par la piece 6, qui est fixée à l'extrémité 7 du coq 789. Ce coq fait charniere autour des deux vis 8, 10 ; de maniere qu'en tournant la vis 11 pour faire monter l'extrémité 9, l'autre extrémité 7 descend, en appuyant fortement sur le chapeau qui retient la roue sur son arbre. Une alidade ou index 12 (Pl. XXI.) qui tient sur le milieu du tour K, vers le point N, sert à diriger la fraise au centre. Cette piece, sur la longueur de laquelle est tracée une ligne qui répond dans le plan vertical du centre, est mobile autour d'une vis, & porte sur l'épaisseur de la fraise. La grande vis 15 (Pl. XXII.) sert à affermir le coq 78 pour lui ôter le jeu & le ressort que pourroient faire les vis, lorsque l'on a assujetti la roue sur son centre. La vis 16 n'est qu'une vis d'assemblage du bâti. La vis 17 (Pl. XX. & XXI.) retient l'alidade 18 19, composée de deux pieces principales : la premiere est le bras 18 : la seconde est une lame de laiton 19, 12, qui est pareillement retenue au-dessus de la traverse D. Le bras 18 19 (Pl. XX.), qui est coudé à l'endroit 20, porte une S à l'extrémité supérieure. 22 est une fourchette recourbée, mobile autour de la goupille 22, qui la retient par la piece faite en S. La partie 23 porte sur une tige 25 : cette tige porte & appuie sur la lame de laiton 19 21 ; de maniere que le ressort 24 qui tient à l'endroit 20, & qui arcboute par son autre bout contre une cheville de la fourchette, tend à faire baisser l'extrémité 23. Ce qui ne peut arriver sans que la tige 25 communique la force du ressort à la piece 19, 21 ; car la fourchette ne peut couler le long de la tige, étant retenue à l'endroit 23. La force de ce ressort est transmise à l'extrémité 19 de la pointe 26, qui retient la plate-forme pendant que l'on fend une dent. Le profil de cette alidade se verra mieux dans la Pl. XXIII. fig. 13.

La petite auge 18 (Pl. XX.) est pour recevoir la limaille quand on fend la roue ; on en joint une seconde de la même figure, qui n'est que posée sur la traverse A, au-dessous de la roue F, & qui anticipe un peu sur le bord de la premiere.

Explication du plan de cette machine. (Pl. XXI.)

M M est le premier tour qui peut s'incliner plus ou moins, étant mobile autour du point N. On fixe ce tour à l'endroit nécessaire, par le moyen des vis Q, Q, qui traversent dans les arcs O, R, B, B, sont des vis qui retiennent le second tour KHHG dans le premier, & autour desquels il peut se mouvoir. C C est un arbre horisontal, qui tourne librement dans les montans H, H, & qui porte les roues F, E. La premiere F qui engrene dans le pignon Y, est pour faire tourner la fraise X d'un mouvement médiocre ; & la seconde E sert pour avoir un mouvement plus promt, en plaçant un pignon sur l'arbre L L, dans lequel on puisse engrener. On donnera dans la Planc. XXIII. la maniere de fixer ces fraises sur l'arbre.

A 12 (Pl. XXI.) est l'alidade, qui sert à diriger la fraise vers le centre 5 de la roue à fendre ; elle est mobile autour de la vis A.

K, G, sont des vis qui soûtiennent l'arbre L L de la fraise & du pignon.

Z est une vis qui détermine l'abatage du tour mobile H H, en s'élevant par le bras W. Le petit levier 4 est pour assujettir & fixer la vis Z.

5 est la roue à fendre, qui est retenue par la piece marquée 6. Cette piece qui est faite en maniere de fourchette, passe dessous le pont 29 où elle est fixée par une vis, & retenue à l'autre bout 30 par une espece de T d'acier, dessous lequel les branches de la fourchette s'engagent, de façon que quand on veut retirer la roue 5 de dessus son arbre, on ne fait que desserrer la vis 29, & tirer à soi la piece 6, après l'avoir dégagée de dessous la piece faite en forme de T, & on la tire de dessous la roue avec beaucoup de facilité.

7, 9 est le coq sur lequel est fixé le pont 29, & où s'engage la piece 6. Ce coq fait charniere sur les deux vis 8, 10 ; de sorte qu'en élevant l'extrémité 9 au moyen de la vis 11, l'autre extrémité 7 s'abaisse, & assujettit par la piece 6 la roue 5 sur son arbre.

16 est une vis d'assemblage qui retient l'équerre dans laquelle la vis 15 est placée, qui affermit le coq. Cette équerre est fixée sur la traverse D D.

La vis 17 tient sur la même traverse D l'alidade. La piece 23 est le plan de la fourchette qui porte sur la tige 25. Cette fourchette étant poussée par le ressort 24 (Voyez Planche XX.), communique la force du ressort à la lame 21, & par conséquent à la pointe 26, qui entre successivement dans les divisions de la plate-forme, lorsque l'on s'en sert.

Profil sur la longueur de la machine. (Pl. XXII.)

A B est la derniere piece du tour, solidement assemblée aux traverses portées par les colonnes.

C D est une pareille piece à la premiere ; mais elle se peut démonter quand on veut, pour retourner la plate-forme : ce qui se fait en démontant l'écrou I, qui laisse tomber les collets, entre lesquels l'extrémité D est assujettie. L'autre extrémité C est retenue par un verrou C E qui porte cette piece. Ce verrou se fixe par les vis E, L ; son extrémité C entre à queue d'aronde dans le montant 26 ; de maniere que quand on veut retourner la plate-forme, on commence par ôter l'écrou I ; ensuite on lâche les deux vis L, E, & l'on tire le verrou par son bouton F de F vers E. On éleve un peu l'extrémité D pour le dégager de dessous le petit support 10, dans lequel il entre à cliquet. Après quoi l'autre vis Y & AE étant desserrée, on déplace facilement la plate forme P pour la retourner ; car la vis AE n'est que pour recevoir la pointe de la vis de la plate-forme, & la seconde vis Y sert à l'affermir dans son écrou.

S V est la vis qui sert à avancer & à reculer du centre 5, les tours M, K, de même que les arcs R, & toutes les pieces qui en dépendent.

M est le premier tour mobile autour du point N, & qui se fixe par les vis Q. Le second tour K compris dans le premier tour M, a son centre au point 24. Le centre K est celui de la fraise & du pignon. Le centre H est celui des roues marquées F E dans la Planche XXI. Il sert à faire mouvoir le pignon, & par conséquent la fraise. La vis G est pour fixer l'arbre du pignon.

O X est l'alidade qui sert à centrer la fraise, c'est-à-dire à diriger son taillant ou son épaisseur vers le centre de la roue 5.

W est le levier qui sert à élever & à baisser le tour K autour du centre 24. Le petit levier 4 est pour serrer la vis Z dans son écrou ; ce qui se fait en l'abattant. La vis Z porte sur le support 21, mobile au point 23 dans une chape 22, qui est fixée au tour M. La piece 21 se fixe à la chape par une vis, dont on voit le bout au point 22 : cette piece est encore tenue par un ressort 27.

6789 marque le profil de la piece 6 qui retient la roue 5, & celui du coq 79 qui fait charniere au point 8.

29 & 30 est la vis & la piece qu'on appelle T, qui retient le profil 6. La vis 11 sert à élever le coq. La vis 25 est pour l'affermir. Et enfin la vis 16 sert à assembler l'équerre 8, 31, 32 au bâti de la machine.

Explication de la Planche XXIII.

ABCD (fig. 112.) est le profil sur la largeur ; ce sont des arcs dans lesquels sont mobiles les tours, suivant les courbures E C, F B, ou F A, E D. Le centre des tours est au point G ; on les fixe comme on l'a déjà dit, par le moyen des vis E F. La piece A B C D tient aux coulisses H, I, par les consoles K, L. On arrête les coulisses pareillement par les vis T, T.

L'écrou M retient les collets que porte la piece N, qui se démonte quand on veut, soit pour retourner la plate-forme, soit pour autre chose.

La figure 113. est le profil de l'alidade de la plateforme, qui est retenu au bâti de la machine par la vis A, autour de laquelle elle se peut mouvoir. La partie B C qui est dessus la traverse D, porte la tige E mobile dans la fourchette F G H, & dans la partie C où elle est prise. La fourchette est aussi mobile au point G. La cheville F qui tient cette fourchette étant poussée en-haut par le ressort K, tend à faire baisser l'extrémité H suivant l'arc H h : la tige E communique dans la tige du ressort K à la lame L M, qui porte la pointe N. Cette lame qui n'est retenue qu'au point L dessus la piece D, est obligée de fléchir & d'obéir à la force du ressort : cette pointe retient alors la plate-forme par ses divisions avec toute la force dont le ressort K est capable. Il est évident que quand on change de divisions en élevant un peu l'alidade, que l'on contraint le ressort K ; qui ensuite étant mis en liberté, appuie de toute sa force contre la cheville F, & par conséquent contre la tige E ; car la fourchette H ne peut pas couler le long de cette tige.

La vis P sert à fixer plus ou moins la monture qui porte la pointe N. Cette monture tient à la lame M par une 2e vis R. On assujettit la fraise Q (fig. 114.) sur l'arbre du pignon O, par le moyen d'une seconde piece S, qui porte une pointe T qui entre dans un trou fait à la fraise à l'endroit V : après quoi on assujettit le tout ensemble par l'écrou X. Il faut remarquer que la piece S doit entrer quarrément dans une partie de l'arbre.

La roue à fendre Y se place en cette sorte. On a (fig. 116.) plusieurs arbres d'acier, tels que Z, qui entrent dans le canon W de la plate-forme l'arbre d'acier portent deux pointes, 4, 5, qui entrent dans la petite ouverture diamétralement opposée, pratiquée à la partie supérieure du canon W, à l'endroit 6, 7 ; de maniere que les deux pointes 4 & 5 étant engagées dans les ouvertures 6, 7, l'arbre Z ne peut tourner que quand le canon W tourne. On place ensuite la roue Y à l'endroit Z ; on assujettit par le chapeau AE fait en écrou : c'est sur ce chapeau que porte la piece 6 dont on a parlé dans les Planches précédentes. L'assiette 9 du canon W se fixe au centre de la plate-forme par le moyen de trois vis, telles que 10 ; de sorte que quand on change de plate-forme de côté, il faut démonter cette piece pour la monter ensuite du côté que l'on veut opérer.

Voici comme on employe les vis dans cette machine. La piece 11 est supposée un des côtés du tour, qui est traversé par la vis 12, qui sert à recevoir le pivot de l'arbre du pignon O. Cette vis traverse un tenon 13, placé dans une mortoise ; pratiquée à la piece 11. Ce tenon porte une seconde vis 14, dans laquelle est enfilé le collet 15 ; & dessus ce collet est l'écrou 16, fait du même pas que la vis 14 ; de maniere qu'en serrant cet écrou, on fait monter la vis, qui tirant à soi le tenon, retient fortement la vis 12 contre les côtés de la piece 11 qu'elle traverse : on évite par-là le ballotage des vis dans leurs écrous. La figure 115 est un des bassins qui reçoit la limaille, à mesure que l'on fend la roue.

De cette construction il résulte plusieurs avantages. 1°. La maniere d'employer les vis pour éviter le jeu dans leurs écroux, si petit qu'il soit, est toûjours nuisible dans la denture.

2°. La maniere de diriger la fraise au centre est d'une utilité infinie, puisque par ce moyen on ne sauroit faire de denture qu'elle ne soit droite.

3°. La maniere d'assujettir la roue à fendre sur son centre, est très-bien employée ; les vis sur lesquelles est porté le coq, étant aussi bien retenues qu'elles le sont, ne sauroient faire ressort.

4°. L'alidade de la plate-forme, quoiqu'elle paroisse composée, doit être considérée comme une piece bien construite, ayant un ressort qui agit avec beaucoup de douceur ; ce qui donne le moyen de changer cette alidade plus facilement que d'autres, qui font leur ressort directement.

La plus grande partie des perfections que l'on reconnoîtra dans la pratique de cette machine, lui ont été données par M. de la Fautriere, à qui elle appartenoit ".

De la machine à fendre toutes sortes de nombres.

M. Pierre Fardoil horloger à Paris, & très-bon machiniste, auquel nous sommes redevables de plusieurs outils composés, lesquels on peut voir dans le traité d'Horlogerie de M. Thiout, est l'auteur de l'ingénieuse machine à fendre toutes sortes de nombres ; elle peut s'adapter à une machine à fendre ordinaire dont toutes les pieces restent les mêmes, & servent également à fendre, à l'exception de l'alidade que l'on supprime, & du diviseur qui est denté comme une roue ; ce qui tient lieu des points de division.

Le diviseur est fendu à vis sans fin sur le nombre 420 (il a choisi ce nombre à cause des aliquotes qu'il contient). Dans les dents du diviseur engrene une vis sans fin simple, qui est attachée par des pieces quelconques sur le chassis de la machine à fendre ordinaire : ainsi en faisant faire un tour à la vis sans fin, la roue sera avancée d'une dent. Or si on fend à chaque tour de la vis sans fin une dent de la roue mise sur le tasseau, comme nous avons vû ci-devant, il est évident que l'on fera une roue qui aura 420 dents : mais si au lieu de faire faire un tour à la vis, on ne lui en fait faire que la moitié, & qu'on fende une dent, & ainsi de suite à chaque demi-révolution, la roue sera de 840 ; & si on ne fait tourner la vis que d'un quart de tour, & qu'à chaque quart on fende une dent, la roue sera de 1680 : ainsi de suite, & le nombre deviendra d'autant plus grand, que la vis fera une plus petite partie de révolution. Si au contraire on fait faire deux tours à la vis pour chaque dent que l'on fendra, on fera une roue de 210 dents ; si on fait faire quatre tours, la roue sera de 105, &c.

Tel est le principe de cette machine, de laquelle on peut se former une idée par ce que je viens de dire : mais pour voir mieux tout ce méchanisme, on peut recourir au traité de M. Thiout, page 46. où il est bien décrit. Cependant pour en donner ici une idée, je tâcherai de faire entendre les moyens dont s'est servi M. Fardoil pour fendre toutes sortes de nombres, ou, ce qui revient au même, pour regler les parties de révolution de la vis sans fin.

Le prolongement de la tige de la vis sans fin porte quarrément une assiette, sur laquelle est fixé un rochet fort nombré & à volonté. Sur la piece qui porte la vis sans fin, est placé un cliquet & un ressort qui agissent sur le rochet en question ; ce qui l'empêche de rétrograder, ainsi que la vis sans fin. Sur l'assiette qui porte ce rochet, est fixé un autre rochet (lequel se change suivant le nombre des roues), dont le nombre est relatif à celui de la roue que l'on veut fendre ; ce que l'on verra ci-après. Enfin sur le bout de cette même tige de vis sans fin, se meut une manivelle ; elle porte un ressort & un cliquet qui agissent sur le second rochet ; de sorte qu'en tournant la manivelle en arriere, la vis sans fin reste immobile : ce n'est qu'en tournant la manivelle à droite, que la vis sans fin se meut. C'est par ce mouvement de rétrogradation que l'on détermine la quantité dont on doit avancer la vis pour chaque dent de la roue à fendre, lequel est reglé par le nombre des dents du rochet : ce que l'on verra par l'exemple suivant. " Soit donné le nombre 249 qu'il faut fendre sur cette machine, dont le diviseur est fendu en 420 ; pour trouver le nombre de dents du rochet, il faut diviser 420 & 249 par trois, qui est le seul diviseur convenable aux deux nombres : les quotients seront 140 & 83. On prendra donc un rochet de 83 ; & à chaque dent qu'on voudra fendre, on fera avancer 140 dents de ce rochet, c'est-à-dire qu'on fera d'abord faire une révolution entiere qui est de 83 dents, & qu'on en fera encore passer 59 : ce qui fera les 140 dents. Ce qui se détermine de la façon suivante ".

A chaque tour de la manivelle elle rencontre une piece qui arrête son mouvement, de sorte qu'elle ne peut aller plus loin sans qu'on leve cette piece. On fait rétrograder la manivelle du nombre de dents du rochet, qu'il faut faire passer après avoir fait faire un tour. Dans l'exemple proposé, c'est 57 dents du rochet. Pour empêcher la manivelle de rétrograder plus que pour faire tourner 57 dents, elle porte un second bras que l'on fixe au point que l'on veut. Dans cet exemple, il faut qu'entre les deux bras de la manivelle il y ait un intervalle de 57 dents du rochet. Ce bras va appuyer contre cette même piece qui empêche d'avancer la manivelle, laquelle empêche aussi de rétrograder plus de 57 dents. On fait pour lors tourner la manivelle à droite, jusqu'à ce qu'elle rencontre la piece qui l'empêche de tourner. On fait faire un tour à la manivelle, & la fait rétrograder de la quantité susdite. On fend une seconde dent, & ainsi de suite jusqu'à ce que la roue soit fendue.

On trouvera avec le plan & la description de cette machine dans le traité de M. Thiout, une table des différens nombres que l'on peut y fendre, depuis 102 jusqu'à 800 ; les rochets différens dont on a besoin pour telles roues ; les nombres de tours ou parties de tours qu'il faut faire, &c.

Or comme il y a une difficulté considérable dans cette construction, qui est des différens rochets dont il faut se servir, il faut chercher à la supprimer ; car il n'y a pas moins de difficulté à fendre un rochet sur un nombre qu'on n'a pas, qu'à fendre une roue sur une autre qui nous manque.

Mais d'ailleurs ce principe des parties de mouvement de la vis sans fin, est très-bon, & on peut en tirer un meilleur parti ; ce que l'on pourra voir à l'art. MACHINES A FENDRE TOUTES SORTES DE NOMBRES.

On pourra voir dans le traité de M. Thiout, le plan d'une machine à fendre toutes sortes de nombres, dont les rochets sont supprimés ; elle est de la composition de M. Varinge, qui étoit horloger du duc de Toscane.

Comme à celle de M. Fardoil, c'est une vis sans fin qui fait mouvoir le diviseur, lequel il a fendu sur le nombre 360. La vis sans fin porte une roue de champ de 60, laquelle engrene dans un pignon de 10. La tige de ce pignon porte une aiguille qui se meut au centre d'un cadran divisé en 60 : cette aiguille est de deux pieces, dont l'une d'acier, & l'autre de cuivre ; elles tournent à frottement l'une sur l'autre. Il y a au-dessous du cadran, une plaque qui y tourne à frottement : elle sert à porter un index qui vient répondre à l'aiguille d'acier ; ce qui sert à marquer le point d'où on part lorsqu'on fend. Il y a aussi derriere la roue de champ, une platine qui peut y tourner à frottement : elle sert à porter un bouton qui donne un coup contre un ressort à chaque tour que fait la roue de champ ; ce qui sert à compter les tours qu'elle fait.

Si on fait faire un tour à cette roue de champ, au moyen de la manivelle qui entre quarrément sur l'arbre de la vis sans fin, & qu'à chaque tour on fende une dent, on fera une roue de 360 ; or, dans ce cas, à chaque tour de la manivelle la roue de champ aura fait faire six tours à l'aiguille dont j'ai parlé, laquelle auroit parcouru six fois 60 degrés du cadran, égale 360 degrés. Pour avoir un nombre au-dessous de 360, il faut, comme dans celle du sieur Fardoil, que la vis sans fin fasse plus d'un tour pour chaque dent ; ainsi pour une roue de 90, il faut qu'elle fasse 4 tours, &c.

Et si on veut avoir un nombre plus grand que 360, il faut qu'elle fasse moins d'un tour : c'est pour exprimer les parties de la révolution dans ces deux cas, que servent l'aiguille & le cadran ; ainsi on peut voir une 360e partie de la révolution de la roue de champ ; desorte que l'on pourroit fendre par ce moyen une roue qui auroit 129600 dents, en ne faisant tourner la roue de champ que pour qu'elle fît faire un degré à l'aiguille pour chaque dent.

Si on fait faire un tour à l'aiguille à chaque dent que l'on fendra, on fera une roue de 2160 dents, &c.

En supprimant le rochet de Fardoil, M. Varinge n'a pas évité un défaut, qui est celui des balotages, d'engrenages, d'inégalités, &c. mais c'est toûjours un pas de fait pour arriver à la perfection de cette machine ; & celle de M. Varinge est préférable à celle qui lui en a donné l'idée, qui est celle de Fardoil.

Pour remédier aux défauts que l'on apperçoit dans ces deux machines, & pour les simplifier encore, voici le moyen que je veux faire exécuter.

Je ferai fendre le diviseur de ma machine à fendre, sur le nombre 720. Il sera mû par une vis sans fin simple, laquelle tournera au centre d'une grande plaque que l'on fixera avec deux vis sur le chassis de la machine. Cette plaque sera divisée en 720. La tige de la vis sans fin portera quarrément une aiguille & une manivelle ; ainsi en tournant la manivelle, on fera tourner l'aiguille suivant le nombre de dents sur lequel on veut fendre une roue. La pression d'une espece de pince servira à fixer l'aiguille sur les degrés, ce qui empêchera qu'en fendant elle ne puisse tourner. Je donnerai une table d'une partie des nombres qu'on pourra fendre, & du nombre de degrés qu'il faudra faire parcourir à l'aiguille, & une regle pour les trouver. Voyez MACHINE A FENDRE TOUTES SORTES DE NOMBRES.

Dans le cas où le nombre 720 ne contiendroit pas assez d'aliquots pour tous les nombres, on peut encore en marquer d'autres sur la plaque où est divisé le 720, lesquels seroient divisés sur d'autres cercles concentriques : par ce moyen on pourra fendre tous les nombres dont on pourra avoir besoin, & s'en servir particulierement pour des machines composées, comme spheres, planispheres, instrumens, &c.

De l'exécution des machines à fendre, je me suis engagé de terminer cet article par parler des soins qu'exige une machine à fendre pour être bien exécutée & juste : on n'attendra pas de moi que je le fasse avec toute l'étendue que demanderoit cette partie ; cet article, déjà trop long, ne permet de m'arrêter que sur les parties les plus essentielles.

Pour avoir l'application de tous les soins, délicatesses d'opérations, raisonnemens, &c. il ne faut que voir la machine à fendre que j'ai décrite, laquelle est de M. Hullot ; cet habile artiste l'a mise au point qu'il ne reste rien à desirer pour la perfection : je ne ferai donc que le suivre dans ces opérations. Une des principales parties d'un outil à fendre, est le diviseur ; c'est en partie de lui que dépend la justesse des roues. Il faut qu'il soit le plus grand possible, il n'est simple que dans ce cas ; s'il y a des inégalités, elles sont ou apparentes, alors on les corrige, ou très-petites, & dans ce cas elles deviennent moins sensibles pour des roues qui sont infiniment plus petites.

Par des raisons semblables, ces diviseurs demandent d'être divisés sur d'autres beaucoup plus grands. C'est pour approcher autant qu'il est possible du point de perfection, que M. Hullot a fait un diviseur pour pointer les plates-formes, lequel a six piés de diametre ; il est solidement fait, divisé avec exactitude : les ajustemens des pieces qui servent à former les points sur les plates-formes ou diviseurs, sont construits ou exécutés avec beaucoup de soin ; ainsi on doit attendre toute la justesse possible des plates-formes piquées sur le diviseur : j'en juge par expérience.

Comme cette partie intéresse également l'Astronomie, l'Horlogerie, & différens instrumens de Mathématique, je crois qu'il ne faut rien négliger pour la porter à sa perfection ; & c'est en donnant à ceux qui ont du talent, les moyens de profiter de ce que l'on a fait, qu'on peut y travailler : pour cet effet il faut leur faire part de l'état où tel art est porté. Je pourrai donc donner la description du diviseur de M. Hullot, à l'article machine à fendre toutes sortes de nombres. Voyez MACHINE A FENDRE TOUTES SORTES DE NOMBRES.

Les arbres qui portent les diviseurs ou plates-formes, exigent une infinité de soins. Pour les faire parfaitement, M. Hullot les perce d'un bout à l'autre ; & non content de les tourner sur des arbres lisses, il les fait tourner sur l'arbre lisse, sans que ce dernier tourne : il s'assûre par-là que le trou a le même centre que l'extérieur de l'arbre ; & que les tasseaux & leurs roues étant bien tournés, ont aussi le même centre. Après que l'arbre est ainsi tourné, on fait entrer à frottement dans la partie inférieure du trou de cet arbre, un cylindre d'acier trempé, long d'environ trois pouces, lequel se termine en pointe, ce qui fait la partie p qui porte sur le point o de la vis, & fait le point d'appui inférieur de l'arbre.

La plate-forme est tournée sur son arbre ; & les traits sur lesquels sont pointés les différens nombres, sont faits en faisant tourner ce diviseur & son arbre dans le chassis.

La partie conique du trou de l'arbre, qui est au haut de cet arbre, est faite en faisant tourner cet arbre dans son chassis.

Le chassis doit être solide, & proportionné à la grandeur des roues que l'on veut fendre. Pour en donner une idée, je joins ici les dimensions de la machine à fendre de M. Hullot, sur laquelle on peut fendre des roues très-fortes ; & de 18 pouces de diametre ; elle peut très-bien servir de regle, car elle est raisonnée.

Le diviseur a 17 pouces & demi de diametre. La longueur des parties E C (Pl. XXIV.) du chassis n'est depuis le centre m, que de la longueur nécessaire pour laisser passer le diviseur. La partie Ax du chassis a 13 pouces de long, 2 pouces 1/2 de large, & 9 lignes d'épaisseur. Les autres parties du chassis ont les mêmes largeurs & épaisseurs. L'assiette de l'arbre O p q (Pl. XXV.) a 4 pouces de diametre ; le corps de l'arbre, 1 pouce & demi de grosseur ; la longueur depuis le point d'appui ou de mouvement o, jusqu'au t, est de 8 pouces ; l'élevation des tasseaux au-dessus du plan Ax, est d'environ 2 pouces 2 lignes ; la hauteur du chassis, y compris l'épaisseur des pieces qui le forment, est de 6 pouces un quart.

Tous les plans des parties du chassis doivent être parfaitement dressés ; & ceux de la partie inférieure, parallele à celle de dessus l'axe du diviseur, doivent être perpendiculaires à tous ces plans, & en tout sens. C'est sur-tout le plan Ax qui exige des soins infinis. Son plan doit d'abord être, comme je viens de le dire, parfaitement dressé, & perpendiculaire à l'axe de l'arbre. Les côtés de ce plan doivent être non-seulement paralleles & bien dressés, mais il faut en outre qu'ils tendent tous deux à la même distance du centre de l'arbre ; ainsi il faut qu'une ligne qui diviseroit en deux parties égales la longueur du plan A, &c. & seroit parallele aux côtés, passe parfaitement au centre de l'arbre O p q ; de sorte que dans ce cas on peut faire avancer ou reculer le coulant Q R, l'H & la fraise, sans que la fraise change de place par rapport à une dent commencée.

Le coulant ou la piece Q R, ainsi que toutes les pieces qui sont ajustées dessus, demande tous les soins possibles ; il faut chercher sur-tout à donner beaucoup de base à cette piece Q R. Celle de cette piece, dans la machine de M. Hullot, a 4 pouces & demi de long ; la largeur est celle du plan A x, qui est 2 pouces & demi. La vis 2 (Pl. XXV.) est perpendiculaire au plan g ; elle ne presse pas directement sur ce plan. Il y a un coussinet de la largeur de ce plan g, & de la longueur de la piece Q R qui reçoit cette pression de la vis ; ainsi non-seulement elle ne marque pas le plan g par sa pression, mais encore l'appui se fait dans toute la longueur du coussinet ; par ce moyen il y a toûjours trois plans qui fixent la piece Q R sur le plan ou la piece A x.

Pour donner toute la solidité possible à la piece K (Pl. XXV.) sur le coulant Q R, il faut que la base K soit & bien dressée & grande, & de même pour la piece U qui porte l'H.

L'H de cette machine de M. Hullot, (Pl. XXVI.) fig. 1.) a 5 pouces de long ; de f en g la distance des vis T U, est de 2 pouces & demi d'un centre à l'autre. Les trous dans lesquels entrent ces vis, doivent être parfaitement paralleles, & il faut que les axes de ces vis soient dans le même plan, les trous bien cylindriques, les pas des vis fins, &c.

C'est la réunion de ces différens ajustemens, soins, raisonnemens, &c. qui fait la justesse d'une machine à fendre ; je suis bien éloigné de les avoir tous marqués, j'ai déjà prévenu que ce n'étoit pas mon dessein : l'ouvrier intelligent qui fera des machines à fendre, pourra puiser dans l'idée que j'ai donnée de celle de M. Hullot, des lumieres ; mais il faut en outre qu'il se rende raison de ce qu'il fait : ainsi ce que j'aurois dit de plus, lui seroit devenu inutile. Quant à l'ouvrier sans talent, il lui reste toûjours à desirer ; & des machines qui exigent autant de précision & de raisonnement que celles de cette espece, ne doivent pas être faites par eux. Cet article est de M. FERDINAND BERTHOUD.

FENDRE, (machine à) Fendre les roues de montres arbrées. Cette machine est faite sur les mêmes principes que celles dont j'ai donné la description ; & quoiqu'elle en differe peu, il sera à-propos d'en donner un plan, & de la décrire. Voyez MACHINE A FENDRE LES ROUES DE RENCONTRE ET MONTRES.

FENDRE, (Jardin.) se dit d'une terre gersée dans une plate-bande, dans une caisse, & qui dénote que l'arbre a besoin d'être arrosé.


FENDU(POINT) en terme de Brodeur au métier, se fait de divers points inégaux, dont le premier commence à l'extrémité supérieure du trait du crayon marquant la nervure (voyez NERVURE) ; le second à côté, mais en descendant & remontant à la pointe du premier, à proportion de ce qu'il est descendu, ainsi des autres. On observe dans ce point, de laisser l'intervalle d'un fil entre-deux pour la seconde nuance, dont les points entrent plus ou moins dans ceux de la premiere ; ce qui proprement fait le point fendu, & produit des passages ménagés aux nuances, qui sans cela se couperoient trop rudement, & représenteroient des parties de fleurs différentes cousues l'une à l'autre.

FENDU EN PAL, (Blason) il se dit d'une croix, & fait entendre qu'elle est fendue de haut en-bas, & que les parties sont placées à quelque distance l'une de l'autre.


FENESTRAGES. m. (Jurisprud.) dans le pays d'Aunis, est le droit d'avoir des ouvertures ou especes de fenêtres dans les bois de haute-futaye. Les bécasses passent le matin & le soir dans ces fenêtres, & se prennent dans les filets qu'on y tend.

A Chartres on appelle fenestrage, le droit qui se paye au seigneur pour avoir boutique ou fenêtre sur la rue, pour y exposer des marchandises en vente. Le livre des cens & coûtumes de la ville de Chartres, qui est en la chambre des comptes, fol. 55. porte que le fenestrage est de 15 sous pour chaque personne qui vend pain à fenêtre en la partie que le compte a à Châteauneuf. (A)


FENESTRELLES(Géog.) petit bourg dans la vallée des Vaudois sur le Cluson, avec une forteresse qui appartient au roi de Sardaigne ; elle est entre Suze & Pignerol. Longit. 44. 45. latit. 44. 58. (D.J.)


FENÊTRES. f. (Architect. voyez CROISEE) Phys. On remarque ordinairement qu'en hyver les fenêtres se couvrent de glace en-dedans, & non pas en-dehors. Voici la raison (purement conjecturale) qu'on peut en donner. L'air du dedans de la chambre étant plus échauffé que l'air extérieur, laisse retomber les vapeurs qu'il contient : ces vapeurs s'attachent aux vîtres ; ensuite pendant la nuit l'air intérieur se refroidissant, ces vapeurs se gelent sur les vîtres auxquelles elles sont attachées. Voyez GIVRE. (O)

FENETRE, (Anat.) On appelle ainsi deux cavités de l'os pierreux, placées dans le fond de la caisse du tambour, dont l'une est ovale & supérieure, l'autre ronde & inférieure. La premiere, qui tend au vestibule, est fermée par la base de l'étrier. Cette base adhere à la fenêtre ovale par une petite membrane fort fine, qui ne l'empêche pas néanmoins d'obéir au muscle de l'étrier.

La seconde cavité est ronde & plus petite ; elle est aussi bouchée par une membrane déliée, qui paroît venir de la portion molle du nerf auditif. La fenêtre ronde forme l'embouchure du canal postérieur de la coquille. Voyez OREILLE, LABYRINTHE, TEMPORAL. (g)

FENETRE, parmi les Horlogers, signifie une petite ouverture faite dans une platine au-dessus d'un pignon, pour voir si son engrenure a les conditions requises. (T)


FENILS. m. (Econom. rustiq.) On appelle de ce nom tous les lieux destinés à serrer le foin : il faut les construire de maniere que l'aliment des bestiaux n'y soit exposé ni à la chaleur ni à l'humidité.

FENIL, (Econom. rustiq.) est une grosse meule de foin élevée en pyramide au milieu de la campagne ou dans une basse-cour, faute de greniers. On met une grande perche dans le milieu, & de grosses pierres attachées à des cordes que soûtient le bout de la perche, lesquelles pressent toûjours le foin contre la perche, & entretiennent la pyramide dans les tems d'orages. (K)


FENINS. m. (Commerce) monnoie de compte à Naumbourg ; c'est aussi une espece courante de cuivre : l'une & l'autre vaut deux deniers & demi de France. Il en faut douze pour le gros ; & vingt-quatre gros pour la rixdale, comparée à notre écu de soixante sols.


FENOUILS. m. foeniculum, (Hist. nat. botan.) genre de plante à fleurs en roses disposées en ombelle, & composées de plusieurs pétales rangées en rond, & soûtenues par un calice qui devient un fruit dans lequel il y a deux semences oblongues, épaisses, convexes & cannelées d'un côté, & applaties de l'autre. Ajoûtez aux caracteres de ce genre, que les feuilles sont découpées par parties fort longues & fort menues, & qu'elles tiennent à une côte. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Il y a plusieurs especes de fenouil.

Le fenouil commun, foeniculum vulgare, Off. Ger. 877. Emac. 1032. Park. theat. 884 Rau hist. 1. 457. &c. est ainsi décrit par nos Botanistes.

Sa racine est vivace, & dure plusieurs années ; elle est de la grosseur du doigt, & plus droite ; blanche, d'une saveur aromatique, mêlée de quelque douceur. Sa tige est haute de trois ou quatre coudées, droite, cylindrique, cannelée, noüeuse, lisse, divisée vers le sommet en plusieurs rameaux ; couverte d'une écorce mince & verte, remplie intérieurement d'une moelle fongueuse & blanche. Ses feuilles sont amples, découpées en plusieurs lanieres, ou en lobes étroits ; d'un verd foncé, d'une saveur douce, d'une odeur suave : chaque lobe est cylindrique ; & ceux qui sont à l'extrémité, sont comme des cheveux. Ces feuilles sont portées sur des queues qui embrassent en maniere de gaînes la tige & les branches. Le sommet des tiges & des rameaux porte des ombelles ou parasols arrondis, dont les fleurs sont en rose, à cinq pétales jaunes, odorans, appuyées sur un calice qui se change en un fruit composé de deux graines oblongues, un peu grosses, convexes & cannelées d'un côté, applaties de l'autre, noirâtres, d'une saveur âcre & un peu forte. Cette plante croît parmi les cailloux dans les pays chauds ; cette graine devient douce par la culture, & la plante un peu différente : de-là naissent les variétés de cette espece de fenouil. On le cultive dans nos jardins.

Le fenouil doux s'appelle foeniculum dulce, Off. Ger. 877. Emac. 1032. Park. theat. 884. C. B. P. 147. Raü, hist. 1. 458. Foeniculum dulce, majori & albo semine. J. B. 3. 4. Tourn. inst. 311. Rapp. flor. jen. 224. Foeniculum, sive marathrum vulgatius, dulce, Lob. icon. 775.

A peine paroît-il différent du fenouil commun, si ce n'est en ce que sa tige est moins haute, plus grêle, & ses feuilles plus petites ; mais ces graines sont plus longues & plus étroites, cannelées, blanchâtres, plus douces & moins âcres. Si on seme cette espece de fenouil, elle dégénere peu-à-peu à mesure qu'on la reseme ; de sorte que dans l'espace de deux ans elle devient un fenouil commun : c'est pourquoi Ray pense que cette graine est apportée des pays les plus méridionaux, peut-être de Syrie, comme Lobel le dit ; ou des îles Açores, comme d'autres le prétendent.

Le fenouil d'Italie, foeniculum italicum vulgare, L. B. & en italien finocchio, ne differe du fenouil doux que par l'extrème agrément de son goût & de son odeur : aussi n'est-il cultivé que pour être servi sur les tables, comme le céleri, en guise de salade. Voyez FENOUIL, (Jardinage). Article de M(D.J.)

FENOUIL, (Jardinage) Le fenouil commun & le fenouil doux sont cultivés dans nos jardins, tant pour les tables qu'à cause de la graine, employée en cuisine & en pharmacie.

Quelques Apicius de nos jours ordonnent d'envelopper le poisson dans les feuilles de fenouil, pour le rendre plus ferme & plus savoureux, soit qu'on veuille l'apprêter frais, ou le garder dans de la saumure.

Les sommités de fenouil vertes & tendres, mêlées dans nos salades, y donnent de l'agrément. Dans les pays chauds on sert les jeunes pousses du fenouil avec la partie supérieure de la racine, que l'on assaisonne de poivre, d'huile & de vinaigre, comme nous faisons le céleri.

La culture du fenouil commun n'a rien de particulier. Quand le plan a six semaines ou deux mois, on l'éclaircit & on le sarcle. Il demande peu d'eau, à moins qu'on ne le destine à être mangé en pié, & alors il faut préférer le fenouil doux. On le repique, comme le céleri, & on l'espace à un pié en tout sens. On ôte soigneusement les mauvaises herbes, on l'arrose, on le bute ; il grossit, il blanchit, forme un pié plus gros que le céleri, & le surpasse même en bonté.

Mais le fenouil d'Italie a bien d'autres qualités que le nôtre, soit que le climat de Paris ne lui soit pas favorable, soit plûtôt que nous ignorions l'art de le cultiver. Il est certain que la saveur, la finesse & l'odeur du fenouil en Italie, charment le goût & l'odorat : aussi les Italiens en font un grand usage. La pointe des jeunes feuilles entre dans leurs fournitures de salade, & ils mangent par délices les extrémités des jeunes branches avec du sel, ou sans assaisonnement.

Comme cette sorte de sensualité a passé en Angleterre, où elle prend tous les jours plus de faveur, Miller n'a pas dédaigné de s'attacher à la culture du finocchio, & d'en donner les préceptes dans son dictionnaire, j'y renvoye nos jardiniers curieux. Article de M(D.J.)

FENOUIL, foeniculum, (Pharmac. Mat. medic.) La plante, la racine & la semence de cette plante sont d'un usage fréquent dans nos boutiques, où on employe indifféremment l'une & l'autre espece de fenouil.

La racine est une des cinq racines apéritives, & elle entre à ce titre dans beaucoup de compositions officinales.

On tire par la distillation de la plante verte, une eau qui est fort aromatique, & de la graine verte ou séchée, une huile essentielle, & une eau très-chargée de parties huileuses. Voyez HUILE ESSENTIELLE, EAU DISTILLEE.

On fait sécher les racines & les semences de fenouil, & on les conserve pour s'en servir au besoin, soit dans les préparations officinales, soit dans les préparations magistrales.

Les semences, qui sont du nombre des quatre grandes semences chaudes, entrent dans beaucoup de préparations, comme correctif de certains purgatifs. Voyez CORRECTIF. Elles sont estimées bonnes pour fortifier l'estomac, aider la digestion ; on les a sur-tout recommandées pour dissiper les vents, de-là cet adage de l'école de Salerne :

Semen foeniculi reserat spiracula culi.

On prend cette graine en poudre avec du sucre dans du vin, depuis un demi-gros jusqu'à un gros ; on la mêle aussi avec les remedes bechiques, & on la regarde comme contribuant beaucoup à leurs bons effets, sur-tout dans la toux invéterée & opiniâtre.

On recommande beaucoup le fenouil pour les maladies des yeux. Galien dit que le suc exprimé de la plante, est très-bon dans l'inflammation de cet organe : il a été recommandé pour le même mal par beaucoup de medecins, même des plus modernes, pris intérieurement à la dose de quatre onces. Mais c'est sur-tout l'eau distillée de la plante ou de la semence, que nous employons dans ce cas ; on la fait entrer dans presque tous les collyres, ou remedes destinés pour les yeux. Arnaud de Villeneuve est un des plus zélés panégyristes de la vertu ophthalmique du fenouil ; il recommande sa semence macerée dans du vinaigre, ensuite sechée & mêlée avec un peu de cannelle & de sucre, pour conserver la vûe, ou pour la rétablir lorsqu'elle est affoiblie & presque perdue dans des vieillards, même de 80 ans.

Cette même eau est beaucoup célébrée prise intérieurement, pour dissiper les coliques venteuses, & pour aider la digestion.

La racine de fenouil, qui, comme nous l'avons dit, est une des cinq racines apéritives, est recommandée par quelques auteurs, comme un spécifique dans les petites véroles & dans la rougeole ; Etmuller la propose comme un remede excellent dans la douleur des reins & la strangurie, & comme un des meilleurs antinéphrétiques. On lui attribue aussi la propriété d'augmenter le lait dans les mammelles : on ne le fait guere prendre qu'en infusion, & Herman remarque qu'il ne faut employer de cette racine que l'écorce extérieure, & rejetter toute la substance intérieure. (b)


FENTES PERPENDICULAIRESS. f. (Géogr. phys.) Voici ce que dit sur ces fentes M. de Buffon, Hist. nat. tom. I. p. 552. & suiv.

" On trouve de ces sortes de fentes dans toutes les couches de la terre. Ces fentes sont sensibles & aisées à reconnoître, non-seulement dans les rochers, dans les carrieres de marbre & de pierre, mais encore dans les argilles, & dans les terres de toute espece qui n'ont pas été remuées ; & on peut les observer dans toutes les coupes un peu profondes des terreins, & dans toutes les cavernes & les excavations. Je les appelle fentes perpendiculaires, parce que ce n'est jamais que par accident qu'elles sont obliques, comme les couches horisontales ne sont inclinées que par accident. Woodward & Ray parlent de ces fentes, mais d'une maniere confuse ; & ils ne les appellent pas fentes perpendiculaires, parce qu'ils croyent qu'elles peuvent être indifféremment obliques ou perpendiculaires, & aucun auteur n'en a expliqué l'origine. Cependant il est visible que ces fentes ont été produites par le dessechement des matieres qui composent les couches horisontales. De quelque maniere que ce desséchement soit arrivé, il a dû produire des fentes perpendiculaires ; les matieres qui composent les couches n'ont pas dû diminuer de volume, sans se fendre de distance en distance dans une direction perpendiculaire à ces mêmes couches. Je comprends sous ce nom de fentes perpendiculaires, toutes les séparations naturelles des rochers, soit qu'ils se trouvent dans leur position originaire, soit qu'ils ayent un peu glissé sur leur base, & que par conséquent ils se soient un peu éloignés les uns des autres. Lorsqu'il est arrivé quelque mouvement considérable à des masses de rochers, ces fentes se trouvent quelquefois posées obliquement, mais c'est parce que la masse est elle-même oblique ; & avec un peu d'attention il est toûjours fort aisé de reconnoître que ces fentes sont en général perpendiculaires aux couches horisontales, sur-tout dans les carrieres de marbre, de pierre à chaux, & dans toutes les grandes chaînes de rochers ".

Tel est l'exposé général du système de M. de Buffon sur les fentes ; on en peut voir le détail & les conséquences dans l'endroit cité, p. 553. & suiv. nous nous contenterons de recueillir ici les principaux faits qu'il rapporte.

On trouve souvent entre les lits horisontaux des montagnes, de petites couches d'une matiere moins dure que la pierre, & les fentes perpendiculaires sont remplies de sables, de crystaux, de minéraux, &c. Les lits supérieurs des montagnes sont ordinairement divisés par des fentes perpendiculaires très-fréquentes, qui ressemblent à des gersures d'une terre desséchée, & qui ne parviennent pas jusqu'au pié de la montagne, mais disparoissent pour la plûpart à mesure qu'elles descendent. Les fentes perpendiculaires coupent encore plus à-plomb les bancs inférieurs que les supérieurs.

Quelquefois entre la premiere couche de terre végétale & celle de gravier, on en trouve une de marne ; alors les fentes perpendiculaires inférieures sont remplies de cette marne, qui s'amollit & se gerce à l'air.

Les fentes perpendiculaires des carrieres & les joints des lits de pierre, sont incrustés de concrétions tantôt régulieres & transparentes, tantôt opaques & terreuses. C'est par ces fentes que l'eau coule dans l'intérieur des montagnes, dans les grottes & les cavités des rochers, qu'on doit regarder comme les bassins & les égouts des fentes perpendiculaires.

On trouve les fentes perpendiculaires dans le roc & dans les lits de caillou en grande masse, aussi-bien que dans les lits de marbre & de pierre dure.

On peut observer dans la plûpart des rochers découverts, que les parois des fentes perpendiculaires, soit larges, soit étroites, se correspondent aussi exactement que celles d'un bois fendu. Dans les grandes carrieres de l'Arabie, qui sont presque toutes de granit, ces fentes sont très-fréquentes, très-sensibles, & quelquefois larges de 20 à 30 aunes ; cependant la correspondance s'y remarque toûjours.

Assez souvent on trouve dans les fentes perpendiculaires, des coquilles rompues en deux, de maniere que chaque morceau demeure attaché à la pierre de chaque côté de la fente ; ce qui prouve que ces coquilles étoient placées dans le solide de la courbe horisontale, avant qu'elle se fendît.

Les fentes sont fort étroites dans la marne, dans l'argille, dans la craie ; elles sont plus larges dans les marbres & dans les pierres dures. Voyez hist. nat. p. 552-568. (O)

FENTE, s. f. (Anatom.) On donne ce nom à la cavité d'un os, qui est étroite, longue & profonde. (g)

FENTE, en Chirurgie, se dit aussi d'une espece de fracture fort étroite, & quelquefois si fine qu'on a de la peine à la découvrir : elle se nomme fente capillaire. Voyez FISSURE, (Y)

FENTE, (Hydraul.) se dit dans une gerbe d'eau, de plusieurs fentes circulaires opposées l'une à l'autre, que l'on appelle portions de couronnes. Ce sont souvent des ouvertures en long, formant de petits parallélogrammes. Voyez GERBE. (K)

FENTE, (Greffer en) Jardinage. Voyez GREFFER.

FENTE, en terme de Cornetier, se dit de l'opération par laquelle on sépare un ergot sur une partie de sa superficie, sans le desunir entierement. Voyez FENDRE.


FENU-GRECS. m. foenum-graecum, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur papilionacée ; il sort du calice un pistil qui devient dans la suite une silique un peu applatie, & faite comme une corne. Elle renferme des semences qui sont pour l'ordinaire de forme rhomboïdale, ou de la forme d'un rein. Ajoûtez aux caracteres de ce genre, qu'il y a trois feuilles sur un seul pédicule. Tournef. inst. rei herb. Voy. PLANTE. (I)

Boerhaave compte sept especes de fénu-grec, mais nous ne décrirons que la principale. Elle se nomme dans les auteurs foenum-graecum, Off. J. B. 2. 263. Raü, histor. 954. Foenum-graecum sativum, C. B. P : 248. J R. H. 409.

Sa racine est menue, blanche, simple, ligneuse, & périt tous les ans. Sa tige est unique, haute d'une demi-coudée, grêle, verte, creuse, partagée en des branches & en des rameaux. Ses feuilles sont au nombre de trois sur une même queue, semblables à celles du treffle des prés, plus petites cependant ; dentelées legerement tout-autour, tantôt oblongues, tantôt plus larges que longues ; vertes en-dessus, cendrées en-dessous. Ses fleurs naissent de l'aisselle des feuilles ; elles sont légumineuses, blanchâtres, papilionacées, plus petites que celles du pois. Ses siliques sont longues d'une palme ou d'une palme & demie, un peu applaties, courbées, foibles, grêles, étroites, terminées en une longue pointe, remplies de graines dures, jaunâtres, à-peu-près rhomboïdes, avec une échancrure ; sillonnées, d'une odeur un peu forte, & qui porte à la tête. On seme cette plante dans les champs en Provence, en Languedoc, en Italie & autres pays chauds. Sa graine est employée par les Medecins. Voyez FENU-GREC, (Mat. méd.) Article de M(D.J.)

FENU-GREC, (Pharm. & Mat. méd.) on n'employe de cette plante que la semence qui est connue dans les boutiques sous le nom de semence de fenu-grec, ou de fenu-grec simplement ; & on ne l'employe que pour des usages extérieurs.

Cette semence est très-mucilagineuse. Voyez MUCILAGE. Elle est recommandée pour amollir les tumeurs, les faire mûrir, les resoudre, & appaiser les douleurs. On la réduit en farine, que l'on employe dans les cataplasmes émolliens & résolutifs ; ou bien on extrait de la semence entiere le mucilage, avec lequel on fait des fomentations. On en prescrit utilement la décoction pour des lavemens émolliens, carminatifs, & anodyns, contre la colique, le flux de ventre, & la dyssenterie.

On vante beaucoup le mucilage que l'on retire de cette graine, pour dissiper la meurtrissure des yeux. Simon Pauli & Riviere disent que c'est un excellent remede contre l'ophtalmie.

Le fenu-grec a une odeur très-forte, qui n'est point desagréable, mais qui porte facilement à la tête.

Cette semence entre dans plusieurs préparations officinales, par exemple dans l'huile de mucilage, l'onguent martiatum : son mucilage est un des ingrédiens de l'emplâtre diachylon, de l'emplâtre de mucilage, & de l'onguent de guimauve ou althaea. (b)


FÉODALadj. (Jurispr.) se dit de tout ce qui appartient à un fief.

Bien ou héritage féodal, est celui qui est tenu en fief.

Seigneur féodal, est le seigneur d'un fief.

Droit féodal, est un droit seigneurial qui appartient à cause du fief, comme les cens, lods & ventes, droits de quint, &c. On entend aussi quelquefois par droit féodal, le droit des fiefs, c'est-à-dire les lois féodales.

Retrait féodal, est le droit que le seigneur a de retenir par puissance de fief l'héritage noble, vendu par son vassal. Voyez RETRAIT FEODAL.

Saisie féodale, est la main mise dont le seigneur dominant use sur le fief de son vassal par faute d'homme, droits, & devoirs non-faits & non-payés. Voy. SAISIE FEODALE. Voyez ci-après FIEF. (A)


FÉODALEMENTadv. (Jurispr.) se dit de ce qui est fait en la maniere qui convient pour les fiefs : ainsi tenir un héritage féodalement, c'est le posséder à titre de fief ; retirer féodalement, c'est évincer l'acquéreur par puissance de fief ; saisir féodalement, c'est de la part du seigneur dominant, mettre en sa main le fief servant par faute d'homme, droits, & devoirs non-faits & non-payés. Voyez FIEF, RETRAIT FEODAL, SAISIE FEODALE. (A)


FÉODALITÉS. f. (Jurisprud.) c'est la qualité de fief, la tenure d'un héritage à titre de fief. Quelquefois le terme de féodalité se prend pour la foi & hommage, laquelle constitue l'essence du fief : c'est en ce sens qu'on dit, que la féodalité ne se prescrit point, ce qui signifie que la foi est imprescriptible de la part du vassal contre son seigneur dominant ; au lieu que les autres droits & devoirs peuvent être prescrits. Voy. CENS, CENSIVE, FIEF, PRESCRIPTION. (A)


FÉODERS. m. (Comm.) mesure des liquides en Allemagne. Le féoder est estimé la charge d'une charrette tirée par deux chevaux. Deux féoders & demi font le roder ; six ames, le féoder ; vingt fertels, l'ame ; & quatre massins ou masses, le fertel : ensorte que le féoder contient 480 masses, l'ame 80, & le fertel 41. Quoique le féoder soit comme la mesure commune d'Allemagne, ses divisions ou diminutions ne sont pas pourtant les mêmes par-tout ; & l'on peut presque dire qu'il n'y a que le nom qui soit semblable. A Nuremberg, le féoder est de 12 heemers, & le heemer de 64 masses ; ce qui fait 768 masses au féoder. A Vienne, le féoder est de 32 heemers, le heemer de 32 achtelings, & l'achteling de 4 seiltens ; l'ame y est de 80 masses, le fertel, qu'on nomme aussi schreve, de quatre masses ; & le driclink, mesure qui est propre à cette capitale d'Autriche, de 14 heemers. A Augsbourg, le féoder est de 8 jés, & le jé de deux muids ou douze besons, le beson de 8 masses ; ce qui fait 768 masses au féoder, comme à celui de Nuremberg. A Heidelberg, le féoder est de 10 ames, l'ame de 12 vertels, le vertel de 4 masses : ainsi le féoder n'est que de 480 masses. Dans le Virtemberg, le féoder est de 6 ames, l'ame de 16 yunes, l'yune de 10 masses, & par conséquent il y a 960 masses dans le féoder. Voyez RODER, FERTEL, MASSE, HEEMER, ACHTELING, SEILTEN, SCHRENE, DRICLINK, JE, BESON, VERTEL, YUNE, &c. Dictionn. du Commerce, de Trév. & de Chamb. (G)


FERS. m. (Hist. nat. Minéral. Métall. & Chim.) ferrum, mars. Le fer est un métal imparfait, d'un gris tirant sur le noir à l'extérieur, mais d'un gris clair & brillant à l'intérieur. C'est le plus dur, le plus élastique, mais le moins ductile des métaux. Il n'y en a point qui entre aussi difficilement en fusion : cela ne lui arrive qu'après qu'il a rougi pendant fort longtems. La principale propriété à laquelle on le reconnoît, c'est d'être attiré par l'aimant. La pesanteur spécifique du fer est à celle de l'eau, à-peu-près comme sept & demi est à un ; mais cela doit nécessairement varier à proportion du plus ou du moins de pureté de ce métal.

Le fer étant le plus utile des métaux, la providence l'a fort abondamment répandu dans toutes les parties de notre globe. Il y en a des mines très-riches en France, en Allemagne, en Angleterre, en Norwege ; mais il n'y a point de pays en Europe qui en fournisse une aussi grande quantité, de la meilleure espece, que la Suede, soit par la bonté de la nature de ses mines, soit par les soins que l'on se donne pour le travail de ce métal.

On a été long-tems dans l'idée qu'il n'y avoit point de mines de fer en Amérique ; mais c'est une erreur dont on est revenu depuis long-tems ; & des observations plus exactes nous assûrent que cette partie du monde ne le cede en rien aux autres pour ses richesses en ce genre.

Les mines de fer varient & pour la figure & pour la couleur. Les principales sont :

1°. Le fer natif. On entend par-là du fer qui se trouve tout formé dans la nature, & qui est dégagé de toute matiere étrangere, au point de pouvoir être travaillé & traité au marteau sans avoir éprouvé l'action du feu. Les Minéralogistes ont été très-partagés sur l'existence du fer natif, que plusieurs d'entr'eux ont absolument niée : mais cette question est aujourd'hui pleinement décidée. En effet M. Roüelle de l'académie royale des Sciences, a reçu par la voie de la compagnie des Indes, des morceaux de fer natif, apportés du Sénégal où il s'en trouve des masses & des roches très-considérables. Ce savant chimiste les a forgés, & il en a fait au marteau des barres sans qu'il ait été nécessaire de traiter ce fer par aucun travail préliminaire.

2°. La mine de fer crystallisée. Elle est d'une figure ou octahedre, ou cubique, ayant la couleur de fer même. La fameuse mine de fer de l'île d'Elbe, connue du tems des Romains, est de cette espece.

3°. La mine de fer blanche. Elle est en rameaux, ou elle est en crystaux, ou bien elle ressemble à du spath rhomboïdal, étant formée comme le lin d'un assemblage de feuillets ou de lames étroitement unies les unes aux autres. Celle d'Alvare en Dauphiné est de cette espece : au coup-d'oeil on n'y soupçonneroit point de fer, cependant elle est très-riche, & fournit 70 à 80 livres de fer au quintal. Pour distinguer la mine de fer blanche du spath, il n'y a qu'à la faire rougir dans le feu ; si elle devient noire, ce sera une marque qui annoncera la présence du fer.

4°. La mine de fer noirâtre. Elle est très-riche, attirable par l'aimant, d'un tissu compact ; ou bien elle est parsemée de petits points brillans, ou formée par un assemblage de petits grains ou paillettes de différentes figures & grandeurs.

5°. La mine de fer d'un gris de cendre. Elle est un peu arsénicale, & n'est point attirable par l'aimant.

6°. La mine de fer bleue. Elle n'est point attirable par l'aimant ; sa couleur est d'un bleu plus ou moins foncé ; elle est ou en grains, ou en petites lames, &c.

7°. La mine de fer spéculaire. Elle est formée par un amas de lames ou de feuilles luisantes, d'un gris obscur ; l'aimant l'attire.

8°. L'hématite ou sanguine. Sa couleur est ou rouge, ou jaune, ou pourpre, ou ressemble à de l'acier poli, c'est-à-dire est d'un noir luisant ; elle varie aussi quant à la figure, étant ou sphérique, ou demi-sphérique, ou pyramidale, ou en mamelons. Quand on casse cette mine, ou la trouve intérieurement striée. Quand on l'écrase, elle se réduit en une poudre ou rouge, ou jaune. Cette mine se trouve souvent en petits globules bruns ou jaunes, semblables à des pois, des feves, ou des noisettes. Il y a des pays où il s'en trouve des amas immenses : ce sont autant de petites hématites dont on peut tirer de très-bon fer.

9°. L'aimant. C'est une mine de fer qui est ou d'un tissu compact, ou composée de petits grains, ou parsemée de points brillans ; la couleur est ou rougeâtre, ou bleuâtre, c'est-à-dire de la couleur de l'ardoise ; elle a la propriété d'attirer le fer. Voyez l'article AIMANT.

10°. La mine de fer sabloneuse. Il paroît que cette mine ne devroit point faire une espece particuliere ; en effet elle ne differe des autres qui précedent, que par la petitesse de ses parties, qui sont détachées les unes des autres. C'est ordinairement dans un sable de cette espece que se trouve l'or en paillettes, ou l'or de lavage.

11°. La mine de fer limoneuse, (palustris). Elle est d'un brun plus ou moins foncé à l'extérieur, & d'un gris bleuâtre, ou d'un gris de fer à l'intérieur quand on la brise. C'est de toutes les mines de fer la plus ordinaire ; elle n'affecte point de figure déterminée, mais se trouve par couches & par lits dans le sein de la terre, ou au fond de quelques marais ou lacs.

12°. L'ochre. C'est une terre, ou plûtôt du fer décomposé par la nature ; il y en a de brune, de jaune, & de rouge : c'est à la décomposition des pyrites & du vitriol, qu'on doit attribuer la formation de l'ochre.

Toutes ces mines de fer sont décrites en détail dans la Minéralogie de Wallerius, tom. I. pag. 459. & suiv. de la traduction françoise, que l'on pourra consulter, ainsi que l'Introduction à la Minéralogie de Henckel, pag. 151. & suiv. de la premiere partie dans la traduction.

Quelques auteurs ont parlé de mines d'acier ; mais ces mines ne doivent être regardées que comme des mines de fer qui donnent de l'acier dès la premiere fusion, parce qu'elles sont très-pures & dégagées de substances étrangeres nuisibles à la perfection du fer. Peut-être aussi que des voyageurs peu instruits ont appellé mines d'acier, des substances qui n'ont rien de commun avec l'acier qu'une ressemblance extérieure souvent trompeuse.

On voit par ce qui vient d'être dit, que parmi les mines de fer il y en a qui sont attirables par l'aimant, tandis que d'autres ne le sont point ; ce qui prouve que ce n'est pas à ce caractere seul qu'on peut reconnoître la présence du fer dans un morceau de mine. On verra même dans la suite de cet article, que le fer peut être allié avec une portion considérable d'autres substances métalliques, sans perdre pour cela la propriété d'être attiré par l'aimant. On a lieu de croire que cette propriété dépend du phlogistique. Voyez la Minéralogie de Wallerius, tom. I. pag. 493. & suiv.

M. Henckel pense que la division la plus commode des mines de fer, se fait en consultant leur couleur. Suivant ce principe, il les divise en blanches, en grises, en noires, en jaunes, en rouges, en brunes, &c. Voyez l'introduction à la Minéralogie, partie I. Il est certain que la couleur peut servir beaucoup à nous faire reconnoître les substances qui contiennent du fer ; mais ce signe seul ne peut toûjours suffire : il est donc à-propos pour plus de sûreté d'avoir recours à l'essai.

La meilleure maniere de faire l'essai d'une mine de fer, suivant M. Henckel, c'est de commencer par griller & pulvériser la mine, d'en prendre un quintal docimastique, deux quintaux de flux noir, un demi-quintal de verre, de borax, de sel ammoniac, & de charbon en poudre, de chacun un quart de quintal ; on fait fondre le tout à grand feu dans un creuset. Il ajoûte qu'il y a de l'avantage à y joindre de l'huile de lin. Voyez Introduction à la Minéralogie, partie II. liv. IX. chap. ij. sect. 7.

Les mines de fer que nous avons décrites, ne sont pas les seules substances qui contiennent ce métal ; il est si universellement répandu dans la nature, qu'il n'y a presque point de terres ou de pierres dans lesquelles il ne s'en trouve une portion plus ou moins grande, sans que pour cela on puisse l'en retirer avec avantage. Un grand nombre de pierres précieuses, telles que les rubis, les jaspes, l'amétiste, la cornaline, &c. lui doivent leurs couleurs, sinon en tout, du moins en grande partie. Presque toutes les pierres & terres colorées sont ferrugineuses, & il y en a très-peu qui soient entierement exemptes de quelque portion de ce métal : mais il se trouve sur-tout d'une façon sensible, sans cependant pouvoir en être tiré avec profit, dans l'émeril, la manganese, les mines de fer arsenicales, que les Allemands nomment Schirl, Wolfram, Eisenram ; dans la calamine, les étites ou pierres d'aigle ; dans l'argile des potiers, &c. Il en entre une portion plus ou moins grande dans les différentes pyrites. C'est le fer qui fait la base du vitriol martial, ou de la couperose ; il se trouve dans un grand nombre d'eaux minérales, & il est joint avec presque toutes les mines des autres métaux & demi-métaux, au point que l'on peut regarder la terre martiale comme une matrice de ces substances. Cependant le fer se trouve uni par préférence aux mines de cuivre ; il est très-rare de le voir joint avec les mines de plomb : mais on a observé qu'il se trouve inséparablement uni avec les mines d'or ; & il n'y a point, suivant les plus célebres naturalistes, de mines de fer qui ne contiennent un vestige de ce métal précieux. Fondés sur cette analogie, quelques-uns ont pensé que le fer pouvoit bien contribuer en quelque chose à la formation de l'or ; d'autant plus que Becher, Kunckel, & quelqu'autres chimistes du premier ordre, ont assûré qu'on pouvoit tirer de l'or du fer : mais c'est dans une quantité si petite, qu'elle ne doit point tenter les adeptes qui voudroient réitérer leurs expériences.

Les mines de fer se trouvent dans la terre, ou par filons, ou par lits & en couches suivies, ou par fragmens détachés que l'on nomme rognons ; on les trouve souvent dès la premiere couche de la terre ; il s'en rencontre aussi au fond de quelques lacs & marais.

On ne donnera point ici la description des travaux, par lesquels on fait passer les mines pour en tirer le fer ; on en trouvera les détails à l'article FORGE qui a été fourni par un homme intelligent & expérimenté. On se contentera donc d'observer que ce travail n'est point par-tout le même. En effet quelquefois, lorsque la mine de fer a été tirée de la terre, on peut après l'avoir écrasée & lavée pour en séparer les substances étrangeres, la traiter sur le champ dans la forge, tandis qu'il y en a d'autres qu'il faut commencer par griller préalablement avant que de les laver : la mine de fer blanche d'Alvare du numéro 3 est dans ce cas ; on la fait griller pour que la pierre se gerce ; ensuite on la laisse exposée à l'air pendant quelque tems, & plus elle y reste, plus le fer qu'on en tire est doux. On est encore obligé de griller les mines de fer argilleuses qui portent des empreintes de poissons & de végétaux, comme il s'en trouve en plusieurs endroits de l'Allemagne : mais il faut sur-tout avoir soin de griller suffisamment, avant que de faire fondre les mines de fer qui sont mêlées d'arsenic, parce que l'arsenic a la propriété de s'unir si étroitement avec le fer dans la fusion, qu'il est impossible ensuite de l'en séparer, ce qui rend le fer aigre & cassant : on ne sauroit donc apporter trop d'attention à griller les mines de fer arsénicales. Il en est de même de celles qui sont chargées de soufre. On trouvera à la fin de cet article, la maniere de remédier à ces inconvéniens. Il y a des mines de fer qui pour être traitées dans le fourneau, demandent qu'on leur joigne des additions ou fondans analogues à leur nature, & propres à faciliter leur fusion, ce qui exige beaucoup d'expérience & de connoissances ; & cela varie selon les différentes mines que l'on a à traiter, & selon les différentes substances qui les accompagnent : d'où l'on voit qu'il est impossible de donner là-dessus des regles invariables, & qui puissent s'appliquer à tous les cas. Ceux qui exigeront un plus grand détail, pourront consulter Emanuel Swedenborg, de ferro, ouvrage dans lequel l'auteur a compilé presque toutes les manieres de traiter le fer, qui se pratiquent dans les différentes parties de l'Europe.

Le fer qui vient de la premiere fonte de la mine, s'appelle fer de gueuse ; il est rarement pur & propre à être traité au marteau : cependant on peut s'en servir à différens usages, comme pour faire des plaques de cheminées, des chaudieres, &c. Mais pour lui donner la ductilité & la pureté qui conviennent, il faut le faire fondre à plusieurs reprises, & le frapper à grands coups de marteau ; c'est ce qu'on nomme affiner. Ce n'est qu'à force de forger le fer, qu'on lui donne de la ductilité, la tenacité & la douceur ; qualités qui lui sont nécessaires pour qu'il passe par les autres opérations de la forge. Voyez FORGE, &c.

L'acier n'est autre chose qu'un fer très-pur, & dans lequel, par différens moyens, on a fait entrer le plus de phlogistique qu'il est possible. V. ACIER, TREMPE, &c. Ainsi pour convertir le fer en acier, il n'est question que d'augmenter le phlogistique qu'il contient déjà, en lui joignant, dans des vaisseaux fermés, des substances qui contiennent beaucoup de matiere grasse ; telles que de la corne, des poils, & d'autres substances animales ou végétales, fort chargées du principe inflammable. Voyez l'article ACIER.

On a crû fort long-tems qu'on ne pouvoit employer que du charbon de bois pour l'exploitation des mines de fer, & que le charbon de terre n'y étoit point propre ; mais il n'y a pas long-tems qu'en Angleterre on a trouvé le moyen de se servir avec assez de succès du charbon de terre dans le traitement des mines de fer. Il faut pour cela qu'il ne contienne que très-peu, ou même point de parties sulphureuses, & beaucoup de matiere bitumineuse. Voyez Wright, dissert. de ferro, page 4.

Nous avons dit plus haut que le fer est si abondamment répandu dans le regne minéral, qu'il y a très-peu de terres & de pierres qui n'en contiennent une portion. C'est ici le lieu de rapporter la fameuse expérience de Becher. Ce chimiste prit de l'argille ou terre à potier ordinaire, dont on se sert pour faire les briques. Après l'avoir séchée & pulvérisée, il la mêla avec de l'huile de lin, & en forma des boules qu'il mit dans une cornue ; & ayant donné un degré de feu qui alloit en augmentant pendant quelques heures, l'huile passa à la distillation, & les boules resterent au fond de la cornue : elles étoient devenues noires. Après les avoir pulvérisées, tamisées & lavées, elles déposerent un sédiment noir, dont, après l'avoir séché, il tira du fer en poudre au moyen d'un aimant.

Cette expérience de Becher donna lieu à beaucoup d'autres, & l'on trouva que non-seulement l'argille, mais encore toutes les substances végétales, donnoient, après avoir été réduites en cendres, une certaine quantité d'une matiere attirable par l'aimant. C'est-là ce qui donna lieu à la fameuse question de M. Geoffroy, de l'académie royale des Sciences de Paris : s'il étoit possible de trouver des cendres des plantes sans fer ? sur quoi il s'éleva une dispute très-vive, pour savoir si le fer qu'on trouvoit dans les cendres des végétaux, y existoit réellement avant qu'elles eussent été brûlées ; ou si ce métal n'y avoit été formé que par l'incinération & la combustion du végétal.

M. Lemery le jeune soûtint le premier sentiment contre M. Geoffroy qui maintenoit le dernier, & la dispute dura pendant plusieurs années entre ces deux académiciens, comme on peut le voir dans les mémoires de l'académie royale des Sciences, des années 1704, 1705, 1706, 1707, 1708 & 1709, où l'on trouvera les raisons sur lesquelles chacun des adversaires établissoit son sentiment.

Ces deux avis ont eu chacun leurs partisans. M. Henckel, dans sa pyritologie, semble pancher pour celui de M. Lemery ; mais il trouve qu'il n'avoit pas toutes les connoissances nécessaires pour bien défendre sa cause. M. Neumann au contraire pense que le fer n'est composé que de deux principes ; savoir d'une terre propre à ce métal, qu'il appelle terre martiale, & du phlogistique ; & que c'est de la combinaison de ces deux principes que résulte le fer. Il se fonde sur ce qu'il seroit inutile de traiter à la forge la mine de fer la plus riche au plus grand feu, dont jamais on n'obtiendra du fer, si l'on n'y joint pas du phlogistique. Voyez la chimie de Neumann.

Quoi qu'il en soit, il est certain que le fer étant si généralement répandu dans le regne minéral, & ce métal étant disposé à se dissoudre & à être décomposé par tous les acides, par l'eau, & même par l'air, il n'est pas surprenant qu'il soit porté dans les végétaux, pour servir à leur accroissement & entrer dans leur composition. Il y a même lieu de croire que c'est le fer diversement modifié, qui est le principe des différentes couleurs que l'on y remarque. Cela posé, il n'y a pas non plus à s'étonner s'il se trouve du fer dans les cendres des substances animales ; il est aisé de voir qu'il a dû nécessairement passer dans le corps des animaux, au moyen des végétaux qui leur ont servi d'alimens. Des expériences réitérées prouvent ce que nous avançons. En effet, il se trouve plus ou moins de fer dans le sang de tous les animaux : c'est la chair & le sang des hommes qui en contiennent une plus grande quantité ; les quadrupedes, les poissons, & enfin les oiseaux, viennent ensuite. Il faut pour cela que les parties des animaux soient réduites en cendres, & alors on trouvera que dans les os & les graisses il n'y a point du tout de fer ; qu'il n'y en a que très-peu dans la chair, mais que le sang en contient beaucoup. Ces parties ferrugineuses ne se trouvent point dans la partie séreuse, mais dans les globules rouges, qui donnent la couleur & la consistance au sang. M. Menghini, savant Italien, a cherché à calculer la quantité de fer contenue dans chaque animal, & il a trouvé que deux onces de la partie rouge du sang humain donnoient vingt grains d'une cendre attirable par l'aimant ; d'où il conclut qu'en supposant qu'il y ait dans le corps d'un adulte 25 livres de sang, dont la moitié est rouge dans la plûpart des animaux, on doit y trouver 70 scrupules de particules de fer attirables par l'aimant.

M. Gesner, auteur d'un ouvrage allemand qui a pour titre, selecta physico-oeconomica, tome I. p. 244. imprimé à Stutgard, rapporte ces expériences ; il y joint ses conjectures, qui sont que les particules de fer qui se trouvent dans le sang, doivent contribuer à sa chaleur, en ce qu'elles doivent s'échauffer par le frottement que le mouvement doit causer entr'elles ; & il insinue que ces phénomenes étant examinés avec soin, peuvent éclairer la Medecine, & jetter du jour sur le traitement des maladies inflammatoires : d'ailleurs on sait que les remedes martiaux excitent au commencement un mouvement de fievre dans ceux qui en font usage.

Le fer, suivant les meilleurs chimistes, est composé d'une portion considérable de phlogistique, du principe mercuriel ou métallique, & d'une grande quantité de terre grossiere ; à quoi quelques-uns ajoûtent qu'il entre un sel vitriolique dans sa composition. Nous allons examiner ce métal, eu égard aux substances dont la Chimie se sert pour le décomposer.

Le fer à l'air perd une partie de son phlogistique, ce qui fait qu'il se convertit en rouille, qui est une chaux martiale : sur quoi il faut observer que l'acier, qui, comme nous l'avons déjà remarqué, n'est que du fer très-chargé de phlogistique, ne se rouille pas si promtement à l'air que le fer ordinaire.

L'eau agit sur le fer ; mais, suivant M. Roüelle, ce n'est pas comme dissolvant : cependant elle le dégage de son phlogistique, & le change en rouille.

Quant aux différens effets du fer allié avec les autres substances métalliques, on n'a crû pouvoir mieux faire que de rapporter ici les expériences que M. Brandt, célebre chimiste suédois, a communiquées à l'académie de Stockolm, dont il est membre, dans un mémoire inséré dans le tome XIII. des mémoires de l'académie royale de Suede, année 1751, dont nous donnons ici l'extrait.

Le fer & l'or fondus en parties égales, donnent un alliage d'une couleur grise, un peu aigre, & attirable par l'aimant.

Parties égales de fer & d'argent donnent une composition dont la couleur est à peu de chose près aussi blanche que celle de l'argent ; mais elle est plus dure, quoiqu'assez ductile : elle est attirable par l'aimant.

Si on fait fondre une partie de fer avec deux parties d'étain, on aura une composition qui sera d'un gris obscur dans l'endroit de la fracture, malléable, & attirable par l'aimant.

Le cuivre s'unit avec le fer par la fusion, & acquiert par-là de la dureté. Cette composition est grise, aigre, & peu ductile : elle est attirable par l'aimant.

Une partie de fer & trois parties de plomb fondus à l'aide du flux noir & de la poussiere de charbon, donnent une composition qui ressemble à du plomb, & qui est attirable par l'aimant. On peut douter de cette expérience de M. Brandt.

Le fer peut être amalgamé avec le mercure, si pendant qu'on triture ensemble ces deux substances, on verse dessus une dissolution de vitriol ; mais l'union qui se fait pour lors n'est point durable, & le mercure au bout de quelque tems se sépare du fer, qui est réduit en rouille ou en safran de Mars.

Parties égales de fer & de régule d'antimoine fondus ensemble, font une composition qui ressemble à du fer de gueuse, & qui n'est point attirable par l'aimant.

Le fer fondu avec l'arsenic & le flux noir, forme une composition semblable au fer de gueuse, qui n'est point attirable par l'aimant.

Le régule du cobalt s'unit avec le fer, sans qu'il arrive aucun déchet de leur poids. Quand la fusion s'opere à l'aide d'un alkali & d'une matiere inflammable, la composition qui en résulte est attirable par l'aimant.

Le fer & le bismuth s'unissent par la fusion, & le tout qui s'est formé est attirable par l'aimant.

Le fer & le zinc ne peuvent point former d'union, parce que le zinc se brûle & se dissipe à un degré de chaleur aussi violent que celui qu'il faut pour mettre le fer en fusion.

Le fer seul exposé à la flamme, se réduit en une chaux ou safran de Mars ; phénomene qui n'arrive point dans les vaisseaux fermés, quelle que fût la violence du feu : pour lors ce métal ne fait que se purifier & se perfectionner.

Le fer se dissout avec une effervescence considérable dans l'acide nitreux ; mais lorsque cet acide est très-concentré, la dissolution n'est jamais claire & transparente. Quand on veut qu'elle soit claire, il faut affoiblir l'acide nitreux avec une grande quantité d'eau, & n'y mettre qu'un peu de fer. C'est un moyen d'avoir de l'esprit de nitre fumant, très-fort, que de le distiller sur du fer.

L'acide du sel marin dissout le fer aussi-bien que l'acide végétal. L'eau régale, soit qu'elle ait été faite avec du sel ammoniac, soit avec du sel marin, agit aussi sur le fer.

L'acide vitriolique dissout le fer, & forme avec lui un sel que l'on nomme vitriol ; mais pour que la dissolution se fasse promtement, il faut que l'acide vitriolique ne soit pas concentré. Pendant que cette dissolution s'opere, il s'en dégage des vapeurs qui s'enflamment avec explosion. La même chose arrive avec l'acide du sel marin.

Le fer, quand il a été mis dans l'état de chaux métallique, n'est plus soluble, ni dans l'acide nitreux, ni dans l'acide végétal : celui du sel marin agit un peu sur la chaux martiale, & la dissolution devient d'un rouge très-vif : celle qui se fait dans l'acide vitriolique, est verte.

Parties égales de limaille de fer & de nitre triturées ensemble, s'enflamment & détonnent quand on met ce mêlange dans un creuset rougi : par-là le fer est mis dans l'état de chaux ; phénomene qui prouve évidemment que le fer contient du phlogistique. Cette vérité est encore confirmée par l'expérience que rapporte M. Brandt, qui dit que lorsque pour dégager l'argent du plomb on se sert d'un têt ou d'une grande coupelle entourée d'un cercle de fer, la litharge ou le verre de plomb qui se fait dans cette opération, se réduit en plomb, lorsqu'il vient à toucher le cercle de fer qui entoure la coupelle.

On peut encore ajoûter une expérience qui prouve cette vérité : c'est qu'on peut enlever à du fer son phlogistique, pour le faire passer dans d'autre fer. C'est ainsi qu'en trempant une barre de fer dans du fer de gueuse en fusion, la barre se change en acier.

Le fer mêlé avec du soufre, & mis à rougir dans les vaisseaux fermés, se change en une chaux métallique ou en safran de Mars ; mais si l'on applique du soufre à du fer qui a été rougi jusqu'à blancheur ou jusqu'au point de la souder, le fer & le soufre se combinent, & forment une union semblable à celle qu'ils font dans la pyrite martiale, & le corps qui en résulte se décompose à l'air & y tombe en efflorescence, comme cela arrive à quelques pyrites.

Si l'on triture une chaux martiale, ou de la mine de fer qui a été grillée avec du sel ammoniac, le tout devient susceptible de la sublimation.

Le foie de soufre, le sel de Glauber, le sel de duobus, & les autres sels formés par l'union de l'alkali fixe & de l'acide vitriolique, dissolvent le fer, comme les autres métaux, à l'aide de la fusion, & forment des sels avec lui, sur-tout si l'on joint aux deux derniers sels une quantité suffisante de matiere inflammable.

Lorsque le fer est dans l'état d'une chaux métallique, ou de ce qu'on nomme safran de Mars, il entre aisément en fusion avec les matieres vitrifiables ; c'est ce qui fait que l'on peut s'en servir avec succès dans les émaux, la peinture sur la porcelaine & sur la fayence, &c.

Un phénomene digne d'attention, que nous devons à M. Brandt ; c'est que les chaux martiales mêlées avec des matieres vitrifiables, demandent un degré de feu moins violent pour être vitrifiées, que celui qu'elles exigent pour être réduites, c'est-à-dire remises dans l'état métallique, tandis que les autres métaux demandent un feu plus fort pour leur vitrification que pour leur réduction : sur quoi ce savant chimiste observe qu'il est important de faire attention à cette propriété du fer dans le traitement de ce métal, & lorsqu'il est question de le séparer d'avec les métaux parfaits.

Ni la mine de fer, après qu'elle a été grillée, ni la pierre à chaux, traitées séparément dans un creuset couvert au fourneau du fusion, ne se changent en verre, quand même on donneroit un feu très-violent pendant une demi-heure ; mais si on mêle ensemble ces deux substances en parties égales, en donnant le même degré de feu, en beaucoup moins de tems elles seront entierement vitrifiées, & changées en un verre noir. M. Brandt ajoûte que si l'on joint du spath fusible à la pierre calcaire, la vitrification se fera encore plus promtement.

Il y a du fer qui a la propriété d'être cassant lorsqu'il est froid : c'est à l'arsenic que M. Brandt attribue cette mauvaise qualité. En effet, comme on l'a déjà remarqué, ce demi-métal s'unit très-intimement avec le fer par la fusion, desorte qu'il est ensuite très-difficile de l'en séparer. Ce qui prouve le sentiment de M. Brandt, c'est que le fer cassant à froid est très-fusible, & que de toutes les substances minérales il n'y en a point qui facilite plus la fusion que l'arsenic. Le moyen le plus sûr de prévenir cette union du fer & de l'arsenic, c'est de griller soigneusement la mine avant que de la faire fondre ; car il est plus facile de faire partir ainsi la partie arsénicale, qu'à l'aide des additions, telles que les alkalis, les pierres calcaires, le soufre, &c. d'autant plus que l'arsenic s'en va en fumée quand il ne rencontre point de substance à laquelle il s'attache & qu'il mette en fusion. Pour que ce grillage soit plus exact, M. Brandt conseille de mêler du charbon pilé grossierement, avec la mine qu'on veut griller, afin que la chaleur soit assez forte pour en expulser la plus grande partie de l'arsenic.

Quand à la propriété que le fer a quelquefois de se casser quand il est rougi, M. Brandt l'attribue à l'acide du soufre, qui n'en a pas été suffisamment dégagé par le grillage : c'est aussi la raison pourquoi le fer de cette espece est plus difficile à mettre en fusion. Pour remédier à cet inconvénient, il faut faire essuyer au fer un grand feu dans les premieres opérations ; & pour que la masse de fer fondu soit mieux pénétrée dans le fourneau, il faut faire ensorte que le sol n'en soit point trop profond. Voyez les mémoires de l'académie royale des Sciences de Suede, vol. XIII. année 1751.

Le fer exposé au miroir ardent, se vitrifie, & se change en un verre qui ressemble à de la poix résine.

Si l'on mêle ensemble partie égale de limaille de fer & de soufre en poudre, & qu'on les humecte avec de l'eau, au bout de quelque tems il part des vapeurs & fumées de ce mélange, qui à la fin s'enflamme. M. Lemery, à qui on doit cette expérience, prétend expliquer par-là la formation des volcans & des embrasemens soûterrains.

Personne n'ignore qu'un caillou frappé avec du fer, donne des étincelles. Quoique cette expérience soit très-commune, elle présente un phénomene très-digne de remarque. En effet, le fer est de tous les métaux le plus difficile à faire entrer en fusion ; cependant dans l'expérience dont il s'agit, il y entre en un clin-d'oeil, puisque chaque étincelle qui part, n'est autre chose que du fer fondu & réduit en une scorie, comme on peut s'en assûrer à l'aide du microscope. Voyez FEU.

Le fer a plus de disposition à s'unir avec le soufre, que les autres substances métalliques ; c'est pourquoi on peut s'en servir pour les dégager de leur soufre. C'est cette propriété du fer qui a donné lieu à la phrase dont se servent les métallurgistes allemands, qui disent que le fer est le maître dans le fourneau.

Si la seule utilité décidoit du prix des choses, il est certain que le fer devroit être regardé comme le plus précieux des métaux ; il n'y a point de profession, d'art ou de métier dans lesquels on n'en ait un besoin indispensable, & il faudroit des volumes pour indiquer seulement ses différens usages : tout le monde sait que la Medecine en tire des avantages très-réels dans un grand nombre de maladies, on les trouvera à l'article REMEDES MARTIAUX. (-)

FER CASSANT A FROID ; il se connoît en ce qu'il a le grain gros & clair à la cassure, comme l'étain de glace. Quand on manie la barre, on le trouve rude à la main ; il est tendre au feu ; il ne peut endurer une grande chaleur sans se brûler. Il y a de ces sortes de fers qui deviennent plus cassans en les forgeant, & ne peuvent être ni dressés ni tournés à froid.

FER DOUX. Le fer doux se connoît à la cassure, qui doit être noire tout-en-travers de la barre : alors il est malléable à froid, & tendre à la lime ; mais il est plus sujet à être cendreux, c'est-à-dire moins clair & moins luisant après qu'il est poli ; il s'y trouve des taches grises : ce n'est pas qu'il ne se trouve des barres de ce fer qui n'ont point ces défauts.

Il y a d'autres fers qui à la cassure paroissent gris, noirs, & tirant sur le blanc, qui sont beaucoup plus roides que le précédent ; ils sont très-bons pour les Maréchaux, les Serruriers, les Taillandiers, & en général tous les ouvriers en gros ouvrages noirs ; car à la lime on lui remarque des grains qu'on ne peut emporter.

Il y a d'autres fers mêlés à la cassure ; ils ont une partie blanche, & l'autre grise ou noire ; le grain en est un peu plus gros qu'aux fers ci-dessus ; ils sont réputés les meilleurs ; ils se forgent facilement ; ils se liment bien prenant un beau poli, & ne sont sujets ni à des grains, ni à des cendrures, parce qu'ils s'affinent à mesure qu'on les travaille.

Il y a une autre sorte de fer qui a le grain fort petit, comme l'acier ; il est pliant à froid, & bouillant à la forge ; ce qui le rend difficile à forger & à limer. Il est bon pour les outils & les travaux de la terre.

FER ROUVERAIN ; il se connoît à des gerçures ou découpures qu'on voit traverser les quarrés des barres ; il est pliant, malléable à froid, & cassant à chaud ; il rend une odeur de soufre à la forge ; si on le frappe, il en sort des étincelles semblables à de petites flammes en étoile. Quand on le chauffe un peu plus blanc que couleur de cerise rouge, il s'ouvre à chaud, & quelquefois presque tout-en-travers de la barre, sur-tout lorsqu'on le bat, ou qu'on le ploye. Il est sujet à avoir des pailles & des grains : c'est le défaut du fer d'Espagne.

Les vieux fers qui ont été exposés long-tems à l'air, sont sujets à devenir rouverains.

FLEUR DE FER, voyez FLOS MARTIS.

FER, (Marque des Fers) droit domanial de la couronne, faisant partie de la ferme générale des aides, consistant au dixieme qui se devoit prendre sur tout ce qui se tiroit des mines & minieres du royaume, dont Charles VI. ordonna la levée à son profit par lettres patentes du 30 Mai 1413, comme lui appartenant de plein droit en qualité de roi, & non aux seigneurs qui le prétendoient.

Il fut rendu par la suite plusieurs édits & arrêts, pour créer divers officiers, remédier aux abus, & empêcher les inconvéniens qui n'arrivoient que trop fréquemment par la rupture des ouvrages. En 1602, la charge de sur-intendant des mines fut créée en faveur de Roger de Bellegarde, & Beringhen en eut le contrôle général. Le meilleur moyen qui fut employé, fut de rétablir l'usage du fer doux, & de ne permettre celui du fer aigre qu'aux ouvrages dont la rupture ne pouvoit causer aucun accident ; il fut créé à cette occasion de nouveaux officiers, pour connoître, marquer, & distinguer le fer doux d'avec le fer aigre ; il fut attribué à tous ces officiers divers droits. En 1628, le fer mis en oeuvre & apporté des pays étrangers, fut déclaré sujet, ainsi que celui des forges du royaume, & assujettis à être conduits & déchargés aux bureaux pour y payer les droits.

La quincaillerie étant un composé de fer & d'acier, fut déclarée sujette en 1636.

La mine de fer est sujette auxdits droits, sauf l'évaluation que l'on a fixée au quart ; & s'il est réduit en quintal de gueuses, il paye comme fer parfait, parce que les fontes ne sont plus sujettes à aucun déchet. Ces droits sont fixés par l'ordonnance de 1680, sur le fait des aides & entrées, à raison de 13 sous 6 den. par quintal de fer, 18 sous par quintal de quincaillerie grosse & menue, 20 sous par quintal d'acier, & 3 sous 4 den. par quintal de mine de fer, sur le pié de 100 l. poids de marc par quintal, pour distinguer le poids de forges qui est beaucoup plus fort.

Il n'y a nulle exemption de ces droits, ni aucun privilége ; les fermiers du domaine, les propriétaires des forges de quelque qualité qu'ils soient, même les ecclésiastiques pour celles qui sont du temporel de leurs bénéfices, encore qu'ils les fassent valoir par les mains de leurs domestiques, tous indistinctement y sont assujettis. Les boulets de canon, bombes, & grenades, quoique pour le service de S. M. y ont été déclarés sujets.

Ces droits font partie de la ferme générale, & sont soûfermés pour tout le royaume à une seule compagnie. Les baux sont de six ans, comme ceux des autres droits d'aides. La régie est la même. Cet article est de M. DUFOUR.

* FER-BLANC. M. Colbert appella en France les premiers manufacturiers en fer-blanc qu'on y ait vûs. Les uns s'établirent à Chenesey en Franche-Comté, les autres à Beaumont-la-Ferriere en Nivernois ; mais ces ouvriers précieux ne trouvant pour les soûtenir, ni une intelligence ni une protection telles que celles qui les avoient attirés, n'eurent aucun succès, & se retirerent. Il s'en éleva une manufacture à Strasbourg sur la fin de la régence. Il y a actuellement quatre manufactures de fer-blanc en France : 1° celle de Mansvaux en Alsace, établie il y a quarante-deux ans : 2° celle de Bain en Lorraine, établie en 1733, sur des lettres-patentes du duc François III. confirmées en 1745 par le roi Stanislas de Pologne : 3° celle de Moramber en Franche-Comté, établie depuis cinq années ; 4° une établie depuis trois ans à une lieue de Nevers. On y porte le fer en petits barreaux : le meilleur est celui qui s'étend facilement, qui est ductile & doux, & qui se forge bien à-froid ; mais il ne faut pas qu'il ait ces qualités avec excès. On le chauffe en A ; on l'applatit d'abord un peu en B, & dès le premier voyage sous le gros marteau C, on le coupe en petits morceaux qu'on appelle semelles. La semelle peut fournir deux feuilles de fer-blanc, d d d. On chauffe ces morceaux jusqu'à étinceler violemment, dans l'espece de forge A ; on les applatit grossierement. On rechauffe une troisieme fois, & on les étend sous le même gros marteau C, jusqu'à doubler à-peu-près leurs dimensions ; puis on les plie en deux, suivant la longueur. On les trempe dans une eau trouble qui contient une terre sabuleuse, à laquelle il seroit peut-être très-à-propos d'ajoûter du charbon en poudre, les semelles en seroient moins brûlées. L'effet de cette immersion est d'empêcher les plis de souder. Quand on a une grande quantité de ces feuilles pliées en deux, on les transporte à la forge S ; on les y range à côté les unes des autres verticalement, sur deux barres de fer qui les tiennent élevées, & l'on en forme une file plus ou moins grande, selon leur épaisseur : on appelle cette file, une trousse. Un levier de fer qu'on leve ou qu'on abaisse quand il en est tems, sert à tenir la trousse serrée : on met ensuite dessous & dessus du plus gros charbon, & l'on chauffe. Quand on s'apperçoit que la file est bien rouge, un ouvrier prend un paquet ou une trousse de quarante de ces feuilles doubles, & le porte sous le marteau. Ce second marteau est plus gros que le précédent ; il pese 700, & n'est point acéré. Là ce paquet est battu jusqu'à ce que les feuilles ayent acquis à-peu-près leur dimension ; mais il faut observer que les feuilles extérieures, celles qui touchent immédiatement à l'enclume & au marteau, ne s'étendent pas autant que celles qui sont renfermées entr'elles, celles-ci conservant la chaleur plus long-tems, & cedant par conséquent aux coups plûtôt & plus long-tems.

Après cette premiere façon, parmi ces feuilles on en entre-larde quelques-unes qui dans le travail précédent n'avoient pas été assez étendues ; puis on fait la même opération sur tous les paquets ou trousses. On remet au feu chaque paquet entrelardé, on chauffe. Quand le tout est assez chaud, on retire les feuilles du feu par paquets d'environ cent feuilles chacun. On divise un paquet en deux parties égales, & l'on applique ces deux parties de maniere que ce qui étoit en-dedans se trouve en-dehors. On les porte en cet état sous le gros marteau, on bat, on épuise la trousse : on entrelarde encore des feuilles de rebut, on remet au feu, on retire du feu : on divise encore en deux parties chaque paquet, remettant le dedans en-dehors, & l'on bat pour la troisieme fois sous le marteau. Il faut observer que dans les deux dernieres opérations on ne remet plus en trousse, on se contente seulement de rechauffer par paquet. Dans la succession de ce travail, chaque feuille a eu un côté tourné vers le dedans de la trousse ou du paquet, & un côté tourné vers le marteau, & exposé à l'action immédiate du feu. Ce dernier côté a nécessairement été mieux plané que l'autre, plus net, moins chargé de crasse ; ce qui produit aussi quelque inégalité dans le succès de l'étamage.

Tandis qu'on forme une nouvelle trousse dans la forge A, & que des feuilles s'y préparent à être mises dans l'état où nous avons conduit celles-ci, les mêmes ouvriers rognent ; ils se servent pour cet effet d'une cisaille, & d'un chassis qui détermine l'étendue de la feuille. Chaque feuille est rognée séparément. Quand les feuilles sont rognées & équarries, opération dans laquelle chaque feuille pliée se trouve coupée en deux, la cisaille emportant le pli, on prend toutes ces feuilles, on en forme des piles sur deux grosses barres de fer rouge qu'on met à terre ; on contient ces piles par une ou deux autres grosses barres de fer rouges qu'on pose dessus.

Cependant les feuilles de la trousse en travail, du paquet qui suit, s'avancent jusqu'à l'état d'être équarries ; mais dans la chaude qui précede immédiatement leur équarrissage, on divise chaque paquet en deux, & l'on met entre ces deux portions égales de feuilles non-équarries, une certaine quantité de feuilles équarries : on porte le tout sous le gros marteau ; on bat, & les feuilles équarries reçoivent ainsi leur dernier poli. Après cette opération, les feuilles équarries des paquets iront à la cave, & les non-équarries, à la cisaille.

De ces feuilles prêtes à aller à la cave, les unes sont gardées en tôle, ce sont les moins parfaites ; les autres sont destinées à être mises en fer-blanc. Avant que de les y porter, on les décape grossierement au grès, puis elles descendent à la cave ou étuve, où elles sont mises dans des tonneaux pleins d'eaux sûres, c'est-à-dire dans un mélange d'eau & de farine de seigle, à laquelle on a excité une fermentation acéteuse, par l'action d'une grande chaleur répandue & entretenue par des fourneaux F dans ces caves, où il put fort, & où il fait très-chaud. C'est-là qu'elles achevent de se décaper, c'est-à-dire que la crasse de forge qui les couvre encore, en est tout-à-fait enlevée. Peut-être feroit-on bien d'enlever en partie cette crasse des feuilles avant que de les mettre dans l'eau sûre ; cette eau en agiroit sûrement d'autant mieux. Les feuilles passent trois fois vingt-quatre heures dans ces eaux, où on les tourne & retourne de tems en tems, pour les exposer à l'action du fluide en tout sens ; puis on les retire, & on les donne à des femmes G, qui se servent pour cet effet de sable, d'eau, de liége, & d'un chiffon : cela s'appelle blanchir, & les ouvriers & ouvrieres occupés à ce travail, blanchisseurs. Après l'écurage ou blanchiment des feuilles, on les jette à l'eau pour les préserver de la grosse rouille ; la rouille fine qui s'y forme, tombe d'elle-même : c'est de-là qu'elles passent à l'étamage.

L'attellier d'étamage E consiste en une chaudiere de fer fondu, E, placée dans le milieu d'une espece de table de plaques de fer inclinées legerement vers la chaudiere qu'elles continuent proprement. Cette chaudiere a beaucoup plus de profondeur que n'a de hauteur la feuille qui s'y plonge toûjours verticalement, & jamais à plat ; elle contient 1500 à 2000 d'étain. Dans le massif qui soûtient ceci, est pratiqué un four, comme de boulanger, dont la cheminée est sur la gueule, & qui n'a d'autre ouverture que cette gueule, qui est opposée au côté de l'étameur. Ce four se chauffe avec du bois.

L'étamage doit commencer à six heures du matin. La veille de ce jour, l'étameur met son étain à fondre en F à dix heures du soir ; il fait feu, son étain est bientôt fondu : il le laisse six heures en fusion, puis il y introduit l'arcane, qu'on ignore ; il est à présumer que c'est du cuivre, & ce soupçon est fondé sur ce que la chose qu'on ajoûte doit servir à la soudure : or le cuivre peut avoir cette qualité, puisqu'il est d'une fusibilité moyenne entre le fer & l'étain. Peut-être faudroit-il employer celui qui a été enlevé des vaisseaux de cuivre étamés, & qui a déjà avec lui une partie d'étain. Il ne faut ni trop ni trop peu d'arcane. L'arcane est en si petite quantité dans l'étain, qu'en enlevant l'étamage d'un grand nombre de plaques de fer étamées, & faisant l'essai de cet étain, on ne peut rendre l'addition sensible : il faut donc très-peu d'addition. Nous pouvons assûrer que c'est un alliage ; mais s'il en faut peu, il ne faut non plus ni trop ni trop peu de feu. Mais ces choses ne se décrivent point, & font l'ouvrier ; elles consistent dans un degré qui ne s'apprécie que par l'usage.

On fait fondre l'étain sous un tectum de suif de quatre à cinq pouces d'épaisseur, parce que l'étain fondu se calcine facilement quand il est en fusion, & qu'il a communication avec l'air. Cette précaution empêche la communication, & peut même réduire quelque petite portion d'étain qui pourroit se calciner ; secret que n'ignorent point les fondeurs de cuilleres d'étain. Ils savent bien que la prétendue crasse qui se forme à la surface de l'étain qu'ils fondent, est une véritable chaux d'étain qu'ils pourront réduire en la fondant avec du suif ou autre matiere grasse. Ce tectum de suif est de suif brûlé, & c'est-là ce qui lui donne sa couleur noire.

Dès les six heures du matin, lorsque l'étain a le degré de chaleur convenable (car s'il n'est pas assez chaud, il ne s'attache point au fer, trop chaud, l'étamage est trop mince & inégal), on commence à travailler. On trempe dans l'étain, en F, les feuilles retirées de l'eau ; l'ouvrier les jette ensuite à côté, sans s'embarrasser de les séparer les unes des autres, & en effet elles sont presque toutes prises ensemble. Ce premier travail fait sur toutes les feuilles, l'ouvrier en reprend une partie qu'il trempe toutes ensemble dans son étain fondu : il les y tourne, retourne en tout sens, divisant, soûdivisant son paquet sans le sortir de la chaudiere ; puis il les prend une à une, & les trempe séparément dans un espace séparé par une plaque de fer qui forme dans la chaudiere même un retranchement. Il les tire donc de la grande partie de la chaudiere, pour les plonger une à une dans ce retranchement. Cela fait, il les met à égoutter sur deux petites barres de fer assemblées parallelement, & hérissées d'autres petites barres de fer fixées perpendiculairement sur chacune, comme en n. Les feuilles sont placées sur les barres de fer paralleles qui les soûtiennent, & entre les barres verticales qui les conservent verticales.

Une petite fille o prend chaque feuille de dessus l'égouttoir ; & s'il y a de petites places qui n'ayent pas pris l'étain, elle les racle fortement avec une espece de grattoir, & les remet à côté de l'attelier, d'où elles retourneront à l'étamage. Quant à celles qui sont parfaites, elles sont distribuées à des filles qui avec de la sciûre de bois & de la mousse, les frottent long-tems pour les dégraisser ; après quoi il ne s'agit plus que d'emporter une espece de lisiere ou reborde qui s'est formé à l'un des côtés de la feuille tandis qu'on les mettoit à égoutter. Pour cet effet on trempe exactement ce rebord dans l'étain fondu, en q. Il y a un point à observer, c'est qu'il ne faut tremper ni trop ni trop peu long-tems, sans quoi un des étains, en coulant, feroit couler l'autre, & la plaque resteroit noire & imparfaite. Les défauts principaux de cette lisiere sont de se calciner, ronger, détruire, sur-tout dans les ouvrages qui doivent souffrir le feu, où elle ne devroit jamais se trouver. Après cette immersion, un ouvrier frotte fortement des deux côtés l'endroit trempé, avec de la mousse, emporte l'étain superflu, & les feuilles sont faites.

On fait des plaques de différentes largeur, longueur & épaisseur : les ouvriers disent que le profit est immense. La fabrique est à Mansvaux, en Alsace.

p, chaudiere où l'on fait fondre le suif. q, fourneau d'étain fondu pour les rebords.

FER A CHEVAL, ferrum equinum, genre de plante à fleurs papilionacées. Il sort du calice un pistil qui devient dans la suite une silique applatie, composée de plusieurs pieces courbées en forme de croissant, ou de fer à cheval. Cette silique renferme des semences qui ont la même forme. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Les Botanistes comptent trois especes générales de fer à cheval, & la plus commune, ou la germanique, qui se trouve dans les boutiques, est mise au rang des plantes astringentes ; elle vient dans les terres à marne, fleurit en Juin & Juillet, & perfectionne sa semence en Août & Septembre.

Il seroit aisé de multiplier le fer à cheval, en semant ses graines au mois de Mars dans un terrein sec, sans les porter ailleurs ; car elles ne souffrent pas la transplantation : alors il faudroit les espacer à un grand pié de distance, parce que cette plante trace sur le terrein, & couvre cet espace en s'étendant. Article de M(D.J.)

FER, (Age de) Myth. L'âge de fer est le dernier des quatre âges que les Poëtes ont imaginé. Je m'exprime mal, cet âge n'est point le fruit de leur imagination, c'est le tableau du spectacle de la nature humaine. Voici comme Dryden le dépeint.

Hard steel succeeded then,

And stubborn as the metal, were the men.

Truth, modesty, and shame, the world forsook ;

Fraud, avarice, and force, their places took ;

Then land-marks limited to each his right,

For all before was common as the light :

Nor was the ground alone requir'd to bear

Her annual income to the crooked share :

But greedy mortals, rummaging her store,

Dig'd from her entrails first the precious ore ;

Which next to helle the prudent gods had laid,

And that alluring ill to sight display'd :

And double death did wretched men invade

By steel assaulted, and by gold betray'd.

Now brandish'd weapons glitt, ring in their hands,

Mankind is broken loose from mortal bands.

No rights of hospitality remain ;

The guest, by him that harbour'd him, is slain :

The son-in laws pursues the father's life ;

The wife her husband murthers, he the wife ;

The stepdame poison for the son prepares ;

The son enquires into his father's years :

Faith flies, and Piety in exile mourns :

And justice, here oppress'd, to heav'n returns.

" L'âge de fer, digne de la race des mortels, vint à succéder ; alors la bonne-foi & la vérité bannies du monde, firent place à la violence, à la trahison, à l'insatiable avarice : rien ne resta de commun parmi les hommes que l'usage de la lumiere, qu'ils ne purent se ravir les uns aux autres. On fouilla dans les mines pour en tirer ces métaux, que la sagesse des dieux avoit enfoüis près du Tartare : l'or servit à trahir, & le fer à porter la mort & le carnage. L'hospitalité ne fut plus un asile assuré ; la paix ne régna que rarement entre les freres ; les enfans compterent les années de leur pere ; la cruelle marâtre employa le poison ; le mari attenta sur la vie de sa femme, la femme sur celle de son mari ; Astrée tout en larmes abandonna le séjour de la terre, qu'elle vit couverte de sang ; & la Piété désolée se retira dans le ciel ".

Je sens bien que j'affoiblis les images du poëte anglois, mais j'ai donné l'original. Voulez-vous, peut-être, quelque chose de mieux encore ? voyez la peinture qu'Hésiode a faite de cet âge de fer dans son poëme intitulé, Opera & Dies. Je ne dis rien de la peinture d'Ovide (Métamorph. lib. I.) ; elle est connue de tout le monde, & il semble s'y être surpassé lui-même. Article de M(D.J.)

FER D'OR, (Chevalier du) Hist. mod. Les chevaliers du fer d'or & écuyers du fer d'argent (car ils réunissoient ces deux titres), étoient une société de seize gentilshommes, en partie chevaliers, & en partie écuyers.

Cette société fut établie dans l'église de Notre-Dame de Paris en 1414, par Jean duc de Bourbon, qui s'y proposa, comme il le dit lui-même, d'acquérir de la gloire & les bonnes graces d'une dame qu'il servoit. Ceux qui entrerent dans cette société, se proposerent aussi de se rendre par-là recommandables à leurs maîtresses. On ne sauroit concevoir un plan plus extravagant d'actions de piété & de fureur romanesque, que celui qui fut imaginé par le duc de Bourbon.

Les chevaliers de sa société devoient porter, aussi bien que lui, à la jambe gauche, un fer d'or de prisonnier pendant à une chaîne ; les écuyers en devoient porter un semblable d'argent. Le duc de Bourbon eut soin d'unir étroitement tous les membres de son ordre ; & pour cet effet il leur fit promettre de l'accompagner, dans deux ans au plûtard, en Angleterre, pour s'y battre en l'honneur de leurs dames, armés de haches, de lances, d'épées, de poignards, ou même de bâtons, au choix des adversaires. Ils s'obligerent pareillement de faire peindre leurs armes dans la chapelle où ils firent ce voeu, qui est la chapelle de Notre-Dame de Grace, & d'y mettre un fer d'or semblable à celui qu'ils portoient, avec la seule différence qu'il seroit fait en chandelier, pour y brûler continuellement un cierge allumé jusqu'au jour du combat.

Ils réglerent encore qu'il y auroit tous les jours une messe en l'honneur de la Vierge, & que s'ils revenoient victorieux, chacun d'eux fonderoit une seconde messe, feroit brûler un cierge à perpétuité, & de plus se feroit représenter revêtu de sa cotte d'armes, avec toutes ses armes de combattant ; que si par malheur quelqu'un d'eux étoit tué, chacun des survivans, outre un service digne du mort, lui feroit dire dix-sept messes, où il assisteroit en habit de deuil.

Cette société pour comble d'extravagance, fut instituée au nom de la sainte Trinité & de saint Michel, & elle eut le succès qu'elle méritoit. Le duc de Bourbon alla véritablement en Angleterre, à-peu-près dans le tems qu'il avoit marqué ; mais il y alla en qualité de prisonnier de guerre, & il y mourut au bout de 19 ans sans avoir pu obtenir sa liberté. Voy. si vous êtes curieux de plus grands détails, l'histoire des ordres de chevalerie du P. Héliot, tom. VIII. ch. v. c'est-à-dire le recueil des folies de l'esprit humain en ce genre bizarre, depuis l'origine du Christianisme jusqu'au commencement de notre siecle. Article de M(D.J.)

FER, en termes de Blason, se dit de plusieurs sortes de fers dont on charge les écus, tels que sont les fers de lame, de javelot, de pique, de fleche, & de cheval : ces dernieres sont ordinairement représentées la pince en-haut ; & lorsque les places des clous sont d'une couleur ou d'un métal différens, on les blasonne cloüés. Voyez CLOUE. Ménétr. & Trév.

FER DE FOURCHETTE, Croix à fer de fourchette, (Blason) est une croix qui a à chacune de ses extrémités un fer recourbé, tel que celui dont les soldats se servent ordinairement pour attacher leurs mousquets. Elle differe de la croix fourchée, en ce que les extrémités de celle-ci sont recourbées en tournant ; au lieu que dans la premiere, la fourchette est placée au quarré de l'extrémité. Voyez-en la figure dans les Planches hérald. ou du Blason, fig. 20.

FER DE MOULIN ; est une piece qui entre dans le Blason, & qu'on suppose représenter l'ancre de fer qui soûtient la meule d'un moulin ; il est représenté dans les Planc. hérald.

FER, (L'île de) Géog. L'île de Fer, autrement Ferro, ou comme les Espagnols à qui elle appartient la nomment, la isla de Hierro, est une île d'Afrique la plus occidentale des Canaries, d'environ sept lieues de long, six de large, & vingt-deux de tour. Elle n'est guere remarquable que parce que les géographes françois placent leur premier méridien à l'extrémité occidentale de cette île, par ordonnance de Louis XIII. Les Hollandois placent le leur d'ordinaire au pié de l'île Ténériffe, l'une des Canaries. Le P. Riccioli met le sien à l'île de Palma : il est fâcheux qu'on ne soit pas généralement convenu de prendre le même méridien, quoiqu'on remédie à cette diversité par une conciliation des divers méridiens. Voyez MERIDIEN. L'île de Fer est à environ dix-huit lieues de Ténériffe. Sa différence du méridien de Paris, est, suivant M. Cassini, 1 heu. 19' 26". Sa latitude 27d. 47' 51".

FER A CHEVAL, (Architect.) terrasse circulaire à deux rampes en pente douce, comme celles du bout du jardin du palais des Tuileries, & du parterre de Latone à Versailles : toutes deux du dessein de M. le Nôtre. (P)

FER A CHEVAL, (Fortific.) c'est dans la Fortification un ouvrage de figure à-peu-près ronde ou ovale, formé d'un rempart & d'un parapet, qu'on construit quelquefois dans les environs d'une place de guerre, pour en empêcher l'accès à l'ennemi.

La figure de ces sortes d'ouvrages n'est point déterminée. On en construit aussi dans les places maritimes, à l'extrémité des jettées, ou dans les lieux où ils peuvent servir à défendre l'entrée du port aux vaisseaux ennemis. (Q)

FER, (Marine) on se sert de ce mot pour signifier grapin ou érisson. Il n'est guere en usage que sur les galeres, où l'on dit être sur le fer, pour dire être à l'ancre. (Z)

FERS D'ARC-BOUTANS, ou BOUTE DEHORS, (Marine) ce sont des fers à trois pointes, qu'on met au bout d'un arc-boutant avec un piton à grille. (Z)

FER DE CHANDELIER DE PIERRIER, (Marine) c'est une bande de fer qui est troüée par le haut, & que l'on applique sur un chandelier de bois, par où passe le pivot du chandelier de fer, sur lequel le pierrier tourne. (Z)

FER DE PIROUETTE, (Marine) c'est une verge de fer qu'on met au bout du plus haut mât, où la giroüette est passée. (Z)

FER, (Maréch.) on appelle de ce nom en général l'espece de semelle que l'on fixe par clous sous le pié du cheval, du mulet, &c. à l'effet d'en défendre l'ongle de l'usure & de la destruction, à laquelle il seroit exposé sans cette précaution.

Communément cette semelle est formée par une bande de ce métal. Cette bande applatie & plus ou moins large, est courbée sur son épaisseur, de maniere qu'elle représente un croissant allongé.

On peut y considérer deux faces & plusieurs parties. La face inférieure porte & repose directement sur le terrein. La face supérieure touche immediatement le dessous du sabot, dont le fer suit exactement le contour. La voûte est le champ compris entre la rive extérieure & la rive intérieure, à l'endroit où la courbure du fer est le plus sensible. On nomme ainsi cette partie, parce qu'ordinairement le fer est dans ce même lieu relevé plus ou moins en bateau. La pince répond précisément à la pince du pié ; les branches aux mammelles ou aux quartiers, elles regnent depuis la voûte jusqu'aux éponges ; les éponges répondent aux talons, & sont proprement les extrémités de chaque branche : enfin les trous dont le fer est percé pour livrer passage aux clous, & pour en noyer en partie la tête, sont ce que nous appellons étampures. Ces trous nous indiquent le pié auquel le fer est destiné ; les étampures d'un fer de devant étant placées en pince, & celles d'un fer de derriere en talon, & ces mêmes étampures étant toûjours plus maigres ou plus rapprochées du bord extérieur du fer, dans la branche qui doit garantir & couvrir le quartier de dedans.

Il seroit inutile de fixer & d'assigner ici des proportions, relativement à la construction de chacune des parties que je viens de désigner ; elles varient & doivent varier dans leur longueur, dans leur épaisseur, & dans leur contour, selon la disposition & la forme des différens piés auxquels le fer doit être adapté : j'observerai donc simplement & en général, qu'il doit être façonné de telle sorte, que la largeur des branches décroisse toûjours insensiblement jusqu'aux éponges ; que la face intérieure d'épaisseur diminue imperceptiblement de hauteur, depuis une éponge jusqu'à l'autre ; que la face extérieure s'accorde en hauteur avec elle à ces mêmes éponges, & dans tout le contour du fer, excepté la pince, où on lui en donne communément un peu plus ; que la face supérieure soit legerement concave, à commencer depuis la premiere étampure jusqu'à celle qui dans l'autre branche répond à celle-ci ; que la face inférieure de chaque branche reste dans le même plan ; que la partie antérieure du fer soit foiblement relevée en bateau ; que les éponges soient proportionnées au pié par leur longueur, &c.

Quant aux différentes especes de fer, il en est une multitude, & on peut les multiplier encore relativement aux différens besoins des piés des chevaux, & même des défectuosités de leurs membres ; mais je me contenterai de décrire ici celles qui sont les plus connues, & dont l'usage est le plus familier.

Fer ordinaire de devant, de derriere, du pié gauche & du pié droit. Le fer ordinaire n'est autre chose que celui dont l'ajusture est telle que je l'ai prescrit ci-dessus ; & ce que j'ai dit plus haut de l'étampure, suffit pour déterminer le pié pour lequel il a été forgé.

Fer couvert. On entend par couvert, celui qui par la largeur de ses branches, ainsi que de sa voûte, occupe une grande partie du dessous du pié.

Fer mi-couvert. Le fer mi-couvert est celui dont une seule des branches est plus large qu'à l'ordinaire.

Fer à l'angloise. On appelle fer à l'angloise, un fer absolument plat. Le champ en est tellement étroit, qu'il anticipe à peine sur la sole ; ses branches perdent de plus en plus de leur largeur, ainsi que de leur épaisseur, jusqu'aux éponges qui se terminent presque en pointe. Il n'y a que six étampures.

Autre espece de fer à l'angloise. Quelques-uns ont encore nommé ainsi un fer dont les branches augmentent intérieurement de largeur entre l'éponge & leur naissance. L'étampure n'en est point quarrée & séparée ; elle est pour chaque branche une rainure au fond de laquelle sont percés quatre trous : les têtes des clous dont on se sert alors ne se noyent dans cette rainure, que parce qu'elles ne débordent les lames que latéralement. Cette maniere d'étampure affoiblit le fer plus que l'étampure ordinaire, dont les interstices tiennent liées les rives que desunit la rainure.

Fer à pantoufle. Ce fer ne differe d'un fer ordinaire, qu'en ce que son épaisseur intérieure augmente uniformément depuis la voûte jusqu'aux éponges ; ensorte que le dessus de chaque branche présente un glacis incliné de dedans en-dehors, commençant à rien au milieu de cette même branche, & augmentant insensiblement jusqu'aux éponges.

Fer demi-pantoufle. Ce fer est proprement un fer ordinaire dont on a simplement tordu les branches, afin que la face supérieure imite le glacis des fers à pantoufle. Le point d'appui du pié sur ce fer est fixé à l'intérieur des branches, mais l'extérieur seul est chargé de tout le fardeau du corps ; de maniere que le fer peut plier, porter, ou entrer dans les talons, & rendre l'animal boiteux ; d'où l'on doit juger de la nécessité de n'en faire aucun usage dans la pratique.

Fer à lunette. Le fer à lunette est celui dont on a supprimé les éponges & une partie des branches.

Fer à demi-lunette. Dans celui-ci il n'est qu'une éponge, & une partie d'une seule des branches qui ayent été coupées.

Fer voûté. Le fer voûté est un fer plus couvert qu'à l'ordinaire, & dont la rive intérieure plus épaisse que l'extérieure, doit chercher la sole & la contraindre legerement. Nombre de maréchaux observent très-mal à-propos le contraire.

Fer geneté. On appelle ainsi celui dont les éponges sont courbées sur plat en contre-haut.

Fer à crampon. On ajoûte quelquefois au fer ordinaire un ou deux, & même en quelque pays jusqu'à trois crampons. Le crampon est une sorte de crochet formé par le retour d'équerre en-dessous de l'extrémité prolongée, élargie, & fortifiée de l'éponge. Le fer à crampon est celui qui a un crampon placé à l'extrémité de la branche extérieure. On dit fer à deux crampons, si les branches portent chacune le leur ; & à trois crampons, si, outre ces deux premiers, il en part un de la pince en contre-bas.

Fer à pinçon. On tire dans de certains cas de la rive supérieure de la pince une petite griffe, que l'on rabat sur la pince du pié : c'est cette griffe que l'on appelle pinçon.

Fer à tous piés. Il en est de plusieurs sortes.

1°. Le fer à tous piés simple n'est différent d'un fer ordinaire, qu'en ce que ses deux branches sont plus larges, & qu'elles sont percées sur deux rangs d'étampures distribuées tout autour du fer. Pour que les trous percés sur ces deux rangs près l'un de l'autre, n'affoiblissent point le fer, le rang extérieur n'en contient que huit, & le rang intérieur sept, & chaque étampure d'un rang répond à l'espace qui sépare celles de l'autre.

2°. Le brisé a un seul rang. Les branches en sont réunies à la voûte par entaille, & sont mobiles sur un clou rond rivé dessus & dessous.

3°. Le brisé à deux rangs. Il est semblable à ce dernier par la brisure, & au premier par l'étampure.

4°. Le fer à tous piés sans étampures. Il est brisé en voûte comme les précédens ; & le long de sa rive extérieure s'éleve une espece de sertissure tirée de la piece, qui reçoit l'extrémité de l'ongle comme celle d'un chaton reçoit le biseau de la pierre dont il est la monture. L'une & l'autre éponge est terminée en empatement vertical, lequel est percé pour recevoir une aiguille à tête refendue ; dont le bout est taillé en vis. Cette aiguille enfile librement ces empatemens, & reçoit en-dehors un écrou, au moyen duquel on serre le fer jusqu'à ce qu'il tienne fermement au pié. On peut avec le brochoir incliner plus ou moins la sertissure pour l'ajuster au sabot.

5°. Le fer à double brisure. Ses branches sont brisées comme la voûte de ces derniers, & leurs parties mobiles sont taillées sur champ & en-dedans de plusieurs crans, depuis le clou jusqu'aux éponges ; elles sont percées de trois étampures, dont deux sont au long de la rive extérieure, & la troisieme en-dedans & vis-à-vis l'espace qui les sépare. Un petit étrésillon de fer dont les bouts fourchus entrent & s'engagent dans les crans des branches mobiles, entr'ouvre de plus en plus le vuide du fer, à mesure qu'on l'engage dans les crans les plus éloignés des brisures : aussi ce fer est-il d'une grande ressource pour ouvrir les talons.

Fer à patin. Il en est aussi de plusieurs sortes.

La premiere espece présente un fer à trois crampons ; celui de la pince étant plus long que les autres. Comme ce fer n'est point destiné à un cheval qui doit cheminer, on se contente ordinairement de prolonger les éponges, & d'en enrouler les extrémités pour former les crampons de derriere, & l'on soude sur plat à la voûte une bande, qu'on enroule aussi en forme d'anneau jetté en-avant.

La seconde offre encore un fer ordinaire, sous lequel on soude quatre tiges, une à chaque éponge, & une à la naissance de chaque branche : ces tiges sont égales & tirées des quatre angles d'un petite platine de fer quarré long, dont l'assiette est parallele à celle du fer à deux pouces de distance plus ou moins, & répond à la direction de l'appui du pié.

La troisieme enfin est un fer ordinaire de la pince, duquel on a tiré une lame de cinq ou six pouces de longueur, prolongée sur plat dans un plan parallele à celui de l'assiette du fer, & suivant sa ligne de foi. Cette lame est quelquefois terminée par un petit enroulement en-dessous.

Fer à la turque. Nous en connoissons aussi plusieurs especes.

Nous nommons ainsi 1°. un fer dont la branche intérieure dénuée d'étampure depuis la voûte, augmente uniformément d'épaisseur en-dessous jusqu'à son extrémité, où elle se trouve portée jusqu'à environ neuf ou dix lignes, diminuant en même tems de largeur jusqu'au point d'en avoir à peine une ligne à l'éponge.

2°. Un autre fer sous le milieu de la branche intérieure, duquel s'éleve dans la longueur d'environ un pouce une sorte de bouton tiré de la piece, lequel n'en excede pas la largeur, & qui saillant de trois ou quatre lignes, est bombé seulement dans le sens de sa longueur. Sa largeur est partagée en deux éminences longitudinales par une cannelure peu profonde ; il n'est aucune étampure dans toute l'étendue de ce bouton, mais il en est une qui est portée en-arriere entre ce bouton & l'éponge.

3°. Il en est un troisieme dont il est rare que nous fassions usage. Ce fer n'est autre chose qu'une platine couronnée pour le pié de l'animal, & percée dans son milieu d'un trou fort petit, eu égard au vuide des fers ordinaires.

Fer prolongé en pince. Nous ajoûtons aux piés des chevaux rampins un fer dont la pince déborde d'un pouce, plus ou moins, celle du sabot. Cet excédent est relevé en bateau par une courbure plus ou moins sensible.

Fers à mulet. Ces fers ne different de ceux qui sont destinés aux chevaux, qu'autant que la structure & la forme du pié de cet animal different de celles du pié du cheval. Le vuide en est moins large pour l'ordinaire ; les branches en sont plus longues, & débordent communément le sabot, &c.

On doit adapter souvent aux piés des mulets des fers de chevaux. Voyez FERRURE. Ceux qui sont dans la pratique particuliere à ces animaux, sont la planche & la florentine.

La planche est une large platine de figure à-peu-près ovalaire, ouverte d'un trou de la même forme, relatif aux proportions de la solle. La partie de cette platine qui fait office de la branche intérieure du fer ordinaire, n'est large qu'autant qu'il le faut pour saillir de quelques lignes hors du quartier. Celle qui recouvre & défend le talon est un peu plus large & déborde à proportion. La portion qui tient lieu de la branche extérieure, a encore plus de largeur ; son bord extérieur est relevé d'environ trois ou quatre lignes, par une courbure très-précipitée, dont la naissance n'est éloignée de la rive que d'environ quatre lignes. Cette courbure regne depuis le talon jusqu'à la pointe du fer. La partie antérieure qui s'étend au-delà de la pince d'environ trois pouces, est elle-même relevée en bateau par une courbure fort précipitée, qui commence dès le dessous de la pince de l'animal. Les étampures sont semblables à celle de fers ordinaires de derriere. Outre ces étampures, on perce encore deux trous plus larges, un de chaque côté de la pince & hors de son assiette, pour recevoir de forts clous à glace quand le cas le requiert.

Fer à la florentine. Ce fer est proprement une planche dont l'ouverture est telle, qu'elle le divise en deux branches, comme les fers ordinaires. L'extrémité des éponges en est legerement relevée : on y perce également des trous en pince pour les clous à glace. La bordure de ceux qu'on destine aux piés de derriere n'est pas relevée, & la courbure de la partie antérieure n'est point aussi précipitée. Les éponges prolongées à dessein sont rejettées en-dessous, & tordues de dehors en-dedans pour former des crampons, tels que ceux que l'on nomme à oreille de lievre ou de chat. Voyez FORGER. Outre les deux trous percés pour les clous à glace, on en perce un troisieme, environ au milieu de la portion antérieure & relevée de ce fer pour le même usage. (e)

FER A LAMPAS, (Maréchall.) tige de fer dont une extrémité portée par son applatissement à une largeur de cinq ou six lignes environ, est relevée pour former une sorte de crochet tranchant, & en sens croisé à la longueur de la tige. Voyez FEVE. (e)

FERS A CAHIERS, en terme d'Aiguilletier, sont des fers attachés au bout d'un petit ruban de fil, à l'usage des gens de pratique.

* FERS, (ardoisieres), ce sont des instrumens qui servent dans les mines d'ardoise à en détacher des morceaux ; il y en a de grands & de moyens. Voyez ce que nous en avons dit à l'article ARDOISE.

FER A FORGER ou FER A CREUSER, parmi les Batteurs d'or & autres ouvriers ; c'est une lame de fer courbée, assez semblable à un fer à cheval, que l'on met devant le creuset pour ralentir & modérer la chaleur, & rendre l'action du feu sur le creuset toûjours égale.

FER A REPASSER, est un outil dont se servent les Blanchisseuses & autres ouvrieres, pour unir la surface du linge, des dentelles & des étoffes, & leur donner de la consistance au sortir du blanchissage. Le fer à repasser est quarré par le bas, & rond par la tête ; sa longueur est double de sa largeur : son épaisseur est ordinairement de quatre lignes, suivant la grandeur des fers : sa face doit être polie. A la partie opposée à cette face, est une poignée aussi de fer, & soudée sur ledit fer. Il y a des fers à repasser pour les Chapeliers ; ils ne different des précédens, qu'en ce qu'ils ont un pouce d'épaisseur, & sont presqu'aussi larges que longs, mais toûjours ronds par la tête. Pour faire un fer à repasser, le taillandier prend une barre de fer plat, qu'il courbe pour en former la table du fer à repasser, comme on le voit dans nos Planches. Cela fait, il coupe les angles du côté de la tête, il les arrondit ensuite ; il forge la poignée, il l'enleve & la tourne. Cette poignée est creuse, afin qu'elle ne prenne point trop de chaleur ; cela fait, il tourne les piés de la poignée. Cette partie est ordinairement de la longueur de la table du fer, & soudée dessus au milieu de la tête & du pié. On a représenté dans la Planche, un taillandier qui tient avec des tenailles un fer à repasser, pour le dresser sur une meule d'acier. Cette façon de dresser n'est pas usitée de tous les ouvriers : il y en a qui dressent les fers à la lime, & les finissent sur la meule de grès ; d'autres les finissent tout à la lime.

On voit ailleurs un autre compagnon qui polit un fer à repasser avec une arbalête. Pour appuyer plus fort l'arbalête contre le fer, on s'est servi d'un bâton d'épine ou d'érable, courbé en arc, comme à la manufacture des glaces. On appelle ce bâton ainsi courbé, fleche. Il y a des fers à repasser pointus.

Le fer à repasser en cage, est une espece de fer rond ou pointu, composé de la semelle sur laquelle est montée une cloison, comme la cloison d'une serrure, avec une couverture à charniere montée sur la cloison, & une poignée fixée sur la couverture. Au lieu de faire chauffer ce fer devant le feu, on met dans la cavité de ce fer un morceau de fer chaud. Voyez dans nos Planches de Taillanderie ce fer, son ouverture, sa semelle, sa cloison montée sur la semelle, la couverture garnie de sa poignée & charniere.

FER A ROULER, terme de Boutonnier ; c'est une espece de poinçon long de trois pouces & demi ou quatre pouces, qui se termine en vis par la pointe. On se sert de cet instrument pour assujettir les moules, lorsqu'on veut travailler les boutons à l'aiguille. Pour cet effet on enfonce la pointe ou vis du poinçon dans le trou où le moule est percé au centre. Voyez la figure K, Pl. I. M. représente le même fer à rouler, sur lequel est monté un moule de bouton. Les figures 1. & 2. de la vignette travaillent avec cet instrument, qui sert à tenir les moules de boutons pour les revêtir de soie ou de trait d'or & d'argent.

FERS, outils de Cartiers ; ce sont des especes de poinçons ou emporte-pieces, au bout desquels sont gravées les marques distinctives des cartes, comme le carreau, le coeur, le pique & le treffle. Ces fers, qui sont coupans par en-bas, servent à marquer sur les patrons, les endroits où doivent être empreintes ces marques différentes. Voyez EMPORTE-PIECE.

FER A SOUDER, (Chauderonniers, Ferblantiers, & autres ouvriers.) Ils en ont de deux sortes, les uns pour l'étain, & les autres pour le cuivre : ces derniers sont de cuivre, & les autres de fer. Des uns & des autres il y en a de ronds & de quarrés : ceux-ci sont pour souder dans le milieu de la piece. Il y en a aussi de plats, pour souder dans la quarre des chauderons & autres ouvrages de cuivre. Ils sont presque tous sans manche de bois ; mais au lieu de moufflettes on les tient par une longue queue de fer. Leur longueur est depuis 12 jusqu'à 18 à 20 pouces. Le côté qui sert à souder, est un peu recourbé en croissant à ceux qui sont ronds : aux quarrés c'est un morceau de fer en forme de cube, d'environ 28 lignes, qui est rivé au bout de la queue.

FER, terme de Corderie, est un morceau de fer plat, large de trois à quatre pouces, épais de deux lignes, long de deux piés & demi, solidement attaché dans une situation verticale à un poteau ou à une muraille par deux barreaux de fer soudés à ses extrémités ; enfin le bord intérieur du fer plat forme un tranchant mousse. Voyez les Planches de Corderie.

Le peigneur tient sa poignée de chanvre, comme s'il vouloit la passer sur le peigne, excepté qu'il prend dans sa main le gros bout, & qu'il laisse pendre le plus de chanvre qu'il lui est possible, afin de faire passer le milieu sur le tranchant du fer : tenant donc la poignée de chanvre, comme nous venons de le dire, il la passe dans le fer ; & retenant le petit bout de la main gauche, il appuie le chanvre sur le tranchant mousse du fer ; & tirant fortement de la main droite, le chanvre frotte sur le tranchant ; ce qui étant répeté plusieurs fois, le chanvre a reçu la préparation qu'on vouloit lui donner, & on l'acheve en le pressant legerement sur le peigne à finir. Voyez l'article CORDERIE, & les figures.

FERS A DECOUPER, en terme de Découpeur, sont des emporte-pieces modelés selon le goût & la fantaisie, dont on se sert pour découper divers desseins sur les étoffes. Voyez les figures de la Planche du Découpeur, qui représentent ces sortes d'outils. On frappe sur la tête avec un maillet de bois, comme sur un ciseau, & le fer à découper tranche l'étoffe mise en plusieurs doubles sur une planche.

FERS A GAUFRER, en terme de Découpeur, ce sont des planches de cuivre qu'on applique sur les étoffes, pour y imprimer les caracteres qui sont gravés sur ces fers. Voyez Planche du Découpeur, une épreuve de ce fer.

FERS A REPARER, en terme de Doreur sur bois, est un terme général qui signifie tous les outils sans distinction, dont on se sert pour reparer les pieces déjà blanchies. Chacun de ces fers a son nom particulier ; l'un est une spatule, l'autre est un fer à refendre ; celui-ci un fer à coups fins, celui-là un fer à gros coups. Voyez ces termes ci-après, & la figure 5. de la Planche du Doreur.

FER A GROS COUPS, en terme de Doreur sur bois, est un outil dont la tranche, moins fine que celle du fer à coups fins, prépare la piece, & la met en état d'être achevée de reparer par ce dernier. Voyez les figures, Planche du Doreur.

FER A COUPS FINS, en terme de Doreur, se dit d'un outil qui ne differe des autres qui sont nécessaires au reparage, que parce que sa tranche est fort petite, & qu'on s'en sert pour reparer en derniere façon. Voyez Planche du Doreur.

FER A REFENDRE, en terme de Doreur sur bois, est un outil dont la tranche se termine en demi-losange : il sert à dégager les coups de ciseau couverts par le blanc. Voyez la Planche du Doreur.

FER QUARRE, en terme d'Eperonnier, est le nom d'un outil de fer dont la forme est quarrée, sur-tout vers sa pointe ; l'autre bout, plus large & presque plat, se replie plusieurs fois sur lui-même, ce qui lui sert de poignée. Son usage est de donner à des trous de la grandeur à discrétion. Voyez les figures de la Pl. de l'Eperonnier.

FER A SOUDER, outil de Ferblantier ; c'est un morceau de fer long d'un pié & demi, quarré, de la grosseur d'un doigt, qui est emmanché dans un morceau de bois de la longueur de trois à quatre pouces, rond, & gros à proportion. A côté & dans le bas de ce fer, est un oeil dans lequel se rive un morceau de cuivre rouge, qui est de l'épaisseur d'environ deux lignes par en-bas ; & du côté où il est rivé, il est environ de la grosseur d'un pouce en quarré. Les Ferblantiers font chauffer cet outil, & posent leur soudure dessus les pieces à souder ; & la chaleur de ce fer faisant fondre la soudure, l'attache dessus le fer blanc, & assujettit plusieurs pieces ensemble. Voyez les figures, Planche du Ferblantier.

FER, en terme de Filassier ; c'est un instrument de fer attaché à un mur ou contre quelque chose de solide, dont le ventre large & obtus brise la filasse qu'on y frotte, & en fait tomber les chenevottes qui y sont restées. Voyez Planche du Cordier.

FER A SOUDER, outil de Fontainier : cet instrument ne differe pas des fers à souder ordinaires.

FER A FILETER, outil de Gaînier ; c'est un petit morceau de fer plat, quarré, de la largeur d'un bon pouce, qui est arrondi par en-bas, & qui a une petite meche qui s'emmanche dans un morceau de bois de la longueur de deux pouces, & gros à proportion. Les Gaîniers s'en servent, après l'avoir fait chauffer, pour marquer des filets sur leurs ouvrages. Voyez la figure, Planche du Gaînier.

FERS, outils de Luthier ; il y en a de plusieurs sortes, & ils servent à divers usages.

Fer pour les éclisses des basses, bassons, violons, &c. c'est un fer d'une forme prismatique, dont la base est une ellipse. Ce prisme est terminé par un manche assez long. Voyez la figure 32. Planche XII. de Lutherie. Il sert à plier les éclisses des instrumens nommés ci-dessus.

Pour s'en servir, on le fait chauffer modérément, on le pose ensuite horisontalement sur un établi de menuisier, ensorte que la partie prismatique déborde en-dehors : on l'assûre par le moyen d'un valet, dont la patte s'applique sur la tige qui forme le manche de cet instrument. On place ensuite les planches minces dont les éclisses doivent être faites, sur le corps de cet outil, & on les comprime pour les plier jusqu'à ce qu'elles ayent acquis la courbure requise, qu'elles conservent à cause de l'espece d'ustion dont le côté appliqué au fer, qui est le concave, a été affecté. On se sert du côté plat de cet outil, c'est-à-dire du côté où il est moins courbé, lorsqu'on veut plier les grands contours des éclisses ; & de l'autre côté, lorsqu'on veut plier de petits contours.

FERS RONDS, FERS PLATS, outils de Luthier, représentés figures 26. 27. & 30. Pl. XII. de Lutherie ; ce sont des fers qui chauffés modérément, aident à recoller les fentes qui arrivent aux instrumens. Si on veut, par exemple, recoller ensemble les deux parties d'une table de violon, après avoir mis de la colle-forte entre les parties à rejoindre, on colle des deux côtés une bande de fort papier ; & se servant de l'un ou de l'autre des fers chauffés au degré convenable, selon que les parties planes ou concaves de la table l'exigent, & frottant legerement, on rechauffe la colle, que l'on parvient par ce moyen à faire sortir en partie d'entre les côtés de la fente, qui est d'autant mieux collée qu'il y reste moins de colle. D'ailleurs la chaleur communiquée au bois, en ouvre les pores, dans lesquels la pression de l'air force la colle rendue très-fluide, d'entrer : c'est la raison physique de toutes les soudures, dont le collage peut être regardé comme une espece. (D)

FERS CROCHUS, (Marqueterie) outils dont les Ebénistes se servent pour creuser dans les bois de leurs ouvrages, les places ou les pênes de leurs serrures doivent se loger ; & aussi pour creuser les mortoises dans lesquelles les pattes des fiches des gonds des portes doivent entrer. Cet outil a deux tranchans A & D. Voyez la figure, Planche de Marqueterie. Le premier est tourné en-travers de la tige B C de l'outil, & l'autre, D, lui est parallele. On se sert de l'un ou l'autre, selon que l'ouvrage ou la commodité de l'ouvrier l'exige. Cet outil est poussé dans le bois au moyen des coups de marteau que l'on frappe sur les talons B & C ; & la tige sert comme de levier pour retirer le tranchant, lorsqu'il est engagé trop fortement dans le bois. (D)

FERS DE VARLOPE, DE DEMI-VARLOPE, VARLOPE A ONGLET, & DE RABOT : ils ont tous la même forme, & se font de même ; ils ne différent que sur la largeur : ils sont à un biseau, comme les ciseaux du Menuisier. Pour les faire, l'ouvrier prend une barre de fer, la corroye, enleve un fer de varlope ou autre, comme on le démontre dans la Planche du Taillandier, où l'on voit l'acérure ou la mise d'acier ; ensuite il place l'acérure à la piece enlevée, il corroye les deux ensemble ; il repare & forme le biseau, desorte que l'acier soit du côté qui forme le tranchant. Voyez dans la même Planche un fer de varlope vû du côté du biseau.

FER, (Menuiserie) Donner du fer à une varlope, demi-varlope, rabot, & généralement à toutes sortes d'outils de Menuiserie, s'ils sont montés dans des futs ; c'est, lorsqu'il ne mordent pas assez, frapper dessus la tête doucement pour les faire mordre davantage, en en faisant sortir le tranchant.

FER, (à la Monnoie) il se dit de l'exact équilibre du métal au poids lors de la pesée, comme une once d'or tenant un parfait équilibre avec le talon, les deux plateaux ne trébuchant point.

FER A FRISER, (Perruquier) est un instrument dont les Perruquiers se servent pour dessécher les cheveux renfermés dans des papillotes, & leur faire tenir la frisure. Cet instrument est une espece de pince dont les deux branches sont faites à-peu-près comme celles des ciseaux du côté des anneaux, & se terminent par deux plaques unies & disposées de maniere, que quand on ferme la pince, elles se serrent l'une contre l'autre. On fait chauffer ce fer au feu ; & quand il est chaud, on pince les papillotes entre ces deux plaques. Voyez la Planche.

FER A TOUPET, (Perruquier) est une espece de pince dont les deux branches sont allongées, & construites de maniere que l'une est ronde comme un cylindre, & l'autre a une rainure creusée, & propre à recevoir la branche ronde. On s'en sert pour friser le toupet, ou les cheveux qui bordent le front : pour cet effet on le fait chauffer ; on pince entre les deux branches la pointe des cheveux, & on roule les cheveux autour du fer ; de façon que la chaleur leur fait conserver le pli que le tortillement leur a imprimé avec le fer.

FER ROND A SOUDER, de Plombier ; c'est un cône tronqué arrondi par la tête, avec une queue pour le prendre.

Fer pointu, quarré, à souder ; il a la forme pyramidale.

Fer rond, pointu, à souder, des Vitriers, il a la forme de la pointe d'un oeuf, sa queue est plus longue qu'au fer du Plombier ; il est terminé par un crochet. Pour faire ces sortes de fers, le forgeron prend une barre de fer, comme on voit dans nos Planches de Taillanderie ; ensuite une virole qu'il soude au bout de la barre, ce qui forme la tête du fer : il repare, lime & dresse.

FER A POLIR, (Reliûre) Pour polir on se sert d'un fer de la longueur d'un pié, sur lequel il doit y avoir une platine de cinq pouces de long sur deux de large. Il faut que cette platine soit très-égale ; le reste est en queue, pour être emmanché. Voyez les Planches de la Reliûre. Voyez POLIR.

Quand le livre est glairé sur la couverture, & que le blanc-d'oeuf est sec, on se sert du fer à polir chaud, qu'on passe legerement une fois ou deux sur tout le livre, pour lui donner du lustre.

FER A DORER, (Reliûre) Les Relieurs usent de différens fers pour dorer les livres. Voy. ALPHABET, ARME, COIN, BOUQUET, DENTELLE, PALETTE, ROULETTE, FLEURON.

FERS, (Rubanier). Voyez DENT DE RAT.

FER DE VELOURS A CANNELURE, (Instrument du métier de l'étoffe de soie.) Le fer de velours est une petite broche de cuivre qui est applatie plus d'un côté que d'un autre, & qui a sur un des dos une petite cannelure dans laquelle la taillerole entre pour couper le poil.

FERS DE VELOURS FRISE : les fers de velours frisé sont parfaitement ronds, & sont de fer, au lieu que les autres sont de léton, & non de cuivre, & d'ailleurs n'ont point de cannelure.

FER DE PELUCHE : les fers de peluche ont une cannelure, comme les fers à velours, mais sont de beaucoup plus hauts : il y a des fers de peluche qui sont de bois, quoiqu'ils soient nommés fers.


FERABATH(Géogr.) ville agréable de Perse, dans les montagnes qui bornent la mer Caspienne au midi, dans le Mésenderan, à cinq lieues de la mer : le grand Chah-Abas y passoit souvent l'hyver. Long. 76. 12. lat. 39. 46. (C. D. J.)


FERALES(Hist. anc.) nom d'une fête que les anciens Romains célébroient le 12 Février à l'honneur des morts. Voyez FEBRUA & MANES.

Varron dérive ce mot de inferi ou de fero, parce qu'on portoit un repas au sépulchre de ceux auxquels on rendoit ce jour-là les derniers devoirs. Festus le dérive de fero, par la même raison, ou de ferio, parce qu'on immoloit des victimes. Vossius observe que les Romains appelloient la mort fera, cruelle, & que delà peut venir feralia. Dictionn. étymol.

Macrobe, Saturn. l. I. c. xiij. en rapporte l'origine à Numa Pompilius. Ovide, dans ses Fastes, remonte jusqu'à Enée pour en trouver l'origine, & les décrit. Il dit encore qu'en ce jour on faisoit aussi un sacrifice à la déesse Muta, ou muette, & que c'étoit une vieille femme accompagnée de jeunes filles, qui faisoit ce sacrifice. Dictionn. de Trév. & Chambers.

Cette fête ayant été long-tems négligée à Rome depuis sa premiere institution, à cause des guerres continuelles, Ovide raconte au second livre des Fastes, que cette ville fut desolée par la peste, & qu'on jugea que ce fléau étoit un effet de la vengeance des dieux Manes. Les esprits étant aussi malades que les corps, on vit, dit-on, les ombres des morts sortir de leurs tombeaux, se promener dans les campagnes & dans les rues de la ville avec des hurlemens affreux. On ne trouva point d'autre remede à cette desolation, que de rétablir les cérémonies négligées, feralia : la peste cessa, & les Manes appaisés retournerent dans leurs tombeaux ; il falloit bien que cela arrivât. (G)


FERBLANTIERS. m. ouvrier qui travaille à divers ouvrages de fer-blanc, comme plats, assiettes, lampes, lanternes, &c.

La véritable qualité des Ferblantiers est Taillandiers, Ouvriers en fer-blanc & noir ; ils sont de la communauté des Taillandiers. Voyez TAILLANDIER.

Les Ferblantiers & les Vitriers n'ont besoin que de fers à souder, mais plus petits que ceux des Plombiers. Les uns & les autres se servent de poix résine pour mieux faire prendre la soudure. Lorsqu'on veut au contraire qu'elle ne prenne pas dans de certains endroits, on les salit avec la main ou de la craie.


FERDEou VERDEN, (Géog.) ville du cercle de la basse Saxe en Allemagne, capitale de la province du même nom, autrefois épiscopale & impériale, mais à-présent sujette à l'électeur d'Hanovre, auquel les Danois la cederent, après l'avoir prise en 1712. Elle est sur l'Aller proche le Wéser, à 10 lieues S. E. de Breme, 26 S. de Hambourg, 22 S. O. de Lunebourg, 20 N. O. d'Hanovre. Long. 26. 58. lat. 53. 3. (C. D. J.)


FERDINANDINE(Géog.) petite ville de la côte occidentale de l'île de Luçon, près de l'embouchure de la riviere de Bigan : Gemelli Carreri fixe l'époque de sa fondation en 1574. Elle est par les 138d de longit. & par les 17d 30' de latitude septentrionale.


FERE(LA) Géog. petite ville de France dans le comté de Thiérache en Picardie, entre Noyon & Saint-Quentin, sur l'Oise, remarquable par un moulin à poudre, où l'on en fabrique quelquefois 120 milliers par an. Le roi Eudes mourut à la Fere en 898. Long. 21. 2. lat. 49. 40.

Le mot de Fere est originairement Franc, & signifie l'habitation de plusieurs personnes d'un même pays ; de-là vient que le nom de Fere, tiré de Fara, est resté dans beaucoup de noms de villes & bourgs.


FERENTAIREou FERENDAIRES, (Hist. anc.) étoient chez les Romains des troupes auxiliaires armées à la legere : leurs armes étoient l'épée, les fleches, la fronde, qui sont des armes plus legeres & moins embarrassantes que le bouclier, la hache, la pique, &c.

Le nom de Ferentaires vient de ce que ces soldats étoient troupes auxiliaires à ferendo auxilio, quoique Varron prétende que ce nom leur fut donné parce que la fronde & les pierres se portent, & ne s'empoignent pas ; feruntur, non tenentur.

Il y avoit une autre espece de Ferentaires, dont l'emploi étoit de porter des armes à la suite des armées, afin d'en fournir aux soldats dans les combats.

Quelques auteurs nomment Ferentaires, des cavaliers armés de pié-en-cap, armés pesamment cataphracti equites. Dictionn. de Trév. & Chamb. (G)


FERENTINO(Géog.) ou FIORENTINO, comme disent les Italiens, Ferentium, petite ville d'Italie & de l'état de l'Eglise, dans la campagne de Rome, avec un évêché qui ne releve que du pape : elle est sur une montagne à 3 li. N. E. d'Anagny, 15 S. E. de Rome. Long. 30. 52. lat. 41. 43.


FERETRES. m. (Hist. anc.) nom commun qui renfermoit sous son acception le lectique & la sandapile, deux especes différentes de brancards ou de lits dont on se servoit pour porter les corps morts au lieu de leur sépulture. Ils désignent aussi les brancards sur lesquels des hommes qui accompagnoient les triomphateurs, portoient par ostentation & pour ajoûter à l'éclat de la pompe, des vases d'or & d'argent, des rechauds ardens, des ornemens somptueux, les images des rois, &c. On lit : feretra dicebantur ea quibus fercula & spolia in triumphis & pompis ferebantur. On a quelquefois étendu l'acception de ce mot à toute pompe en général ; & l'on a dit , pour être conduit en pompe. Il y eut des occasions où le triomphateur étoit porté par les prêtres mêmes : sacerdotes gravissimi & perfectissimi gestatores erant qui gestabant & portabant ipsum (Vaphrem) : " Vaphris venoit ensuite, porté par de graves pontifes, qui étoient aussi des porteurs excellens ".


FERETRIUS(Myth.) Jupiter fut ainsi appellé du verbe fero, je porte. Jupiter-Feretrius est la même chose que Jupiter-porte-paix : quod pacem ferre putaretur, ex cujus templo sumebant sceptrum, per quod jurarent, & lapidem silicem, quo foedus ferirent. La premiere loi de Numa Pompilius ordonnoit des sacrifices à Jupiter- Feretrius après une victoire : quojus auspicio, classe procinctâ, opima spolia capiuntur, Jovi-Feretrio bovem caedito. Martinius.


FÉRIES(Hist. anc.) c'étoient chez les Romains des jours pendant lesquels on s'abstenoit de travailler. Voyez JOUR.

Le mot feriae est ordinairement dérivé d'à ferendis victimis, parce que l'on tuoit des victimes ce jour-là. Martinius dit que les féries, feriae, sont ainsi appellées, velut , dies sacri, jours de fêtes. D'autres observent que les jours en général, & quoiqu'ils ne fussent point jours de fêtes, ont été autrefois appellés festae, ou, comme Vossius veut qu'on lise, fesiae ; d'où s'est formé, suivant cet auteur, le mot feriae.

Ces jours-là étoient principalement marqués par le repos ; au lieu que les jours de fêtes étoient célébrés par des sacrifices ou des jeux, aussi-bien que par la cessation du travail. Il y a cependant des auteurs qui confondent les jours de fêtes avec les féries, feriae. Voyez FETES & JOURS DE FETES.

D'autres confondent les féries, feriae, avec les jours de vacation, dies nefasti. Voyez FASTES.

Le mot de férie revient au mot de sabbat, dont les Israélites se servoient. Voyez SABBAT.

Les Romains avoient plusieurs especes de féries. Voici leurs noms, au moins des principales : aestivales, ou féries d'été ; anniversariae, les féries anniversaires ; compitalitiae, les compitalices, ou fêtes & féries des rues, ou des carrefours ; conceptivae, les féries votives que les magistrats promettoient chaque année ; denicales, pour l'expiation des familles polluées par un mort ; imperativae ou indictivae, celles que le magistrat ordonnoit ; latinae, les féries latines instituées par Tarquin le Superbe pour tous les peuples, voyez FERIES LATINES ; messis feriae, les féries de la moisson ; les paganales, paganales feriae, ou paganalia, voyez PAGANALES ; praecidaneae, qui étoient proprement ce que nous appellons la vigile d'une fête ; les féries particulieres ou propres, privatae ou propriae, celles qui étoient propres à diverses familles, comme à la famille claudienne, aemilienne, julienne, &c. les publiques, publicae, celles que tout le monde gardoit, ou que l'on observoit pour le bien & le salut public ; sementinae, celles que l'on célébroit pour les semailles ; stativae, les féries fixes, & qui se célébroient toûjours au même jour ; saturnales, les saturnales, voyez ce mot ; stultorum feriae ou quirinaliae, les feries des fous & des sots, qui se célébroient le 17 de Février, & qu'on nommoit aussi quirinales ; victoriae feriae, celles de la victoire, au mois d'Août ; vindemiales, celles des vendanges, qui duroient depuis le 20 d'Août jusqu'au 15 d'Octobre ; les féries de Vulcain, feriae Vulcani, qui tomboient le 22 de Mai ; les féries mobiles, feriae conceptivae ; les féries de commandement, imperativae.

Férie se disoit aussi chez les Romains pour un jour de foire, parce qu'on tenoit les foires les jours de férie ou jours de fêtes. Struv. Synt. antiq. rom. chap. jx. pag. 425, 443, &c. Voyez FOIRES.

FERIE, (Hist. eccl.) Ce mot en ce sens est dérivé, selon toute apparence, de feria, qui signifioit autrefois fête ou solennité, où l'on étoit obligé à la cessation de tout travail ; d'où vient que le dimanche est la premiere férie, car autrefois toute la semaine de pâques étoit fêtée par une ordonnance de l'empereur Constantin : ainsi l'on appella ces sept jours féries. Le dimanche étoit la premiere, le lundi la seconde, &c. & comme cette semaine étoit alors la premiere de l'année ecclésiastique, on s'accoûtuma à appeller les jours des autres semaines, 2, 3, & 4 féries. D'autres disent que les jours de la semaine n'ont point été appellés féries de ce qu'on les fêtoit, ou qu'on les chommoit, c'est-à-dire parce qu'on étoit obligé de s'abstenir d'oeuvres serviles, mais pour avertir les fideles qu'ils devoient s'abstenir de pécher. Voyez Durand, de Offic. div. liv. VIII. ch. j.

On a conservé ce mot dans le breviaire romain, mais dans un sens un peu différent de celui que les anciens lui donnoient ; car c'est ainsi qu'on nomme les jours de la semaine qui suivent le dimanche, sans aucune célébration de fête ni d'octave ; le lundi est la seconde férie, le mardi la troisieme, &c.

Ce sont-là les féries ordinaires ; mais il y a encore des féries extraordinaires ou majeures, savoir les trois derniers jours de la semaine sainte, les deux jours d'après pâques, la pentecôte, & la seconde férie des rogations. Voyez le dictionnaire de Trévoux & Chambers. (G)

FERIES LATINES, (Littérat.) dans Horace indictae latinae, fête publique & solemnelle des peuples du Latium, imaginée politiquement par Tarquin, & que les consuls de Rome qui y présidoient de droit, ne devoient pas manquer de fêter sur le mont d'Albe un jour de chaque année à leur choix. Développons, d'après M. l'abbé Couture (Mém. des Belles-Lettres, tom. VIII.), l'art de l'institution de cette fête, & la scrupuleuse exactitude que les Romains porterent à la célébrer religieusement, & quelquefois même extraordinairement.

Tarquin le Superbe, que Denis d'Halicarnasse nous représente comme un adroit politique, après avoir, par la plus insigne de toutes les impostures, opprimé Turnus chef des Latins, projetta d'assujettir insensiblement tous les peuples du voisinage, en les accoûtumant peu-à-peu à reconnoître la supériorité des Romains. Il commença par leur envoyer des ambassadeurs, pour demander leur alliance & leur amitié. Il n'y eut que quelques villes des Volsques qui firent les difficiles ; la proposition fut agréablement reçûe de toutes les autres ; & afin que cette confédération fût durable, il la scella, pour ainsi dire, du sceau de la religion. Il imagina une fête commune à tous ceux qui seroient entrés dans l'alliance. Ils devoient tous les ans se trouver au même lieu, assister aux mêmes sacrifices, & manger ensemble, en témoignage d'une union parfaite. La chose ayant été approuvée, il assigna pour cette assemblée, la haute montagne aujourd'hui Monte-Cavallo, qui étoit au milieu du pays, & qui commandoit la ville d'Albe.

La premiere condition de ce traité fut, que quelque guerre qui pût malheureusement arriver à ces peuples associés, il y auroit une suspension d'armes tant que dureroit la cérémonie de la fête. La deuxieme condition, que chaque ville contribueroit à la dépense, & que les unes fourniroient des agneaux, les autres du lait, du fromage, & semblables especes de libation, indépendamment de la liberté qu'auroit chacun des assistans d'y porter son offrande particuliere ; mais la principale victime devoit être un boeuf dont chaque ville auroit sa part. La troisieme condition, que le dieu en l'honneur duquel on célébroit la fête, seroit principalement Jupiter latiaris, c'est-à-dire Jupiter protecteur du Latium ; & c'est en partie pour cela que les féries furent appellées latines ; on demanderoit à ce dieu la conservation & la prospérité de tous les peuples confédérés en général, & celle de chacun en particulier. Toutes ces clauses parurent justes, & il fut pour cet effet dressé une espece de rituel, qui devoit être scrupuleusement observé.

Quarante-sept peuples, dit Denis d'Halicarnasse, se trouverent par leurs députés à la célébration des premieres féries latines, & tout fut égal entr'eux, excepté que le président étoit romain, & le fut toûjours depuis.

Les féries latines étoient ordinaires ou extraordinaires ; les féries ordinaires étoient annuelles, sans néanmoins être fixées à certains jours. Le consul romain pouvoit les publier pour tel jour qu'il jugeroit à-propos ; mais en même tems il ne pouvoit y manquer qu'on n'attribuât à sa négligence tous les malheurs qui arrivoient dans son armée : c'est ainsi qu'après la défaite des Romains au lac de Trasimene, l'an de Rome 536, le prodictateur remontra que ce n'étoit point par l'incapacité de Flaminius que la république avoit reçû cette grande plaie, mais seulement par le mépris qu'il avoit eû de la religion, n'ayant fait ni les féries latines sur le mont Albain, ni les voeux accoûtumés sur le capitole : le prodictateur ajoûta qu'il falloit consulter les dieux mêmes par l'inspection des livres sybillins, pour savoir quelles réparations ils exigeoient. En conséquence il fut arrêté qu'on doubleroit la dépense, pour remplir avec plus de solennité ce qui avoit été obmis par Flaminius, savoir des sacrifices, des temples, des lectisternes, & par dessus tout cela un printems sacré, c'est-à-dire qu'on immoleroit tout ce qui naîtroit dans les troupeaux depuis le premier Mars jusqu'au dernier jour d'Avril. Il est aisé de juger par ce seul trait, jusqu'à quel point alloit le scrupule des Romains sur l'omission des féries latines.

Je dis plus, le moindre défaut dans les circonstances étoit capable de troubler la fête. Tite-Live nous apprend que parce qu'on avoit reconnu que pendant le sacrifice d'une des victimes, le magistrat de Lanuvium n'avoit point prié Jupiter pour le peuple romain, on en fut si scandalisé, que la chose ayant été mise en délibération dans le sénat, & par le sénat renvoyée au jugement des pontifes ; ceux-ci ordonnerent que les féries seroit recommencées tout de nouveau, & que les Lanuviens seuls en feroient les frais. On sait qu'on immoloit plusieurs victimes dans les féries, & qu'il y avoit aussi plusieurs autels, sur lesquels on immoloit successivement.

Au reste si l'exactitude devoit être infinie pour l'exécution, le scrupule n'alla pas si loin pour le nombre des jours, ou pour mieux dire, on les augmenta par de nouveaux scrupules ; on crut qu'au lieu d'offenser les dieux en redoublant les offrandes qu'on leur faisoit, on se les rendroit par ce moyen encore plus favorables. Les féries latines dans leur institution n'étoient que d'un seul jour, on y en ajoûta un second après l'expulsion de Tarquin, & un troisieme après la réconciliation des plébéiens avec les patriciens : deux évenemens trop intéressans pour ne pas mériter les actions de graces les plus solemnelles.

Enfin long-tems après, on les prolongea jusqu'à quatre jours ; mais à parler juste, ce quatrieme jour n'étoit qu'une addition étrangere, puisque la cérémonie de ce jour ne se faisoit point dans le lieu marqué par la loi, & que c'étoit au capitole, & non sur le mont Albain, où le principal de cette fête du quatrieme jour, consistoit en courses de quadriges, à la fin desquelles le vainqueur recevoit un prix assez singulier ; on lui donnoit du jus d'absynthe à boire, les anciens étant persuadés, dit Pline, que la santé est une des plus honorables récompenses du mérite.

Les féries latines extraordinaires impératives, étoient si rares, que dans toute l'histoire romaine on n'en trouve que deux exemples ; le premier sous la dictature de Valérius Publicola, & le second sous celle de Q. Ogulnius Gallus, l'an de Rome 696 : encore ce second exemple nous seroit-il absolument inconnu, si la mémoire ne s'en étoit conservée dans les tables capitolines : ce n'est pas qu'il n'arrivât de tems en tems dans l'air, & dans les autres élémens, cent prodiges qui réveilloient la superstition, & pour lesquels prodiges on faisoit des supplications extraordinaires, qui étoient de véritables féries ; mais comme elles se passoient dans Rome, nous ne les comptons point parmi les latines, où les peuples voisins fussent obligés de se trouver, & eussent droit de participer aux sacrifices. Le tems que duroit les expiations des autres prodiges, étoit assez borné ; un jour suffisoit, & on y en employa rarement un deuxieme, ou un troisieme : cependant dans des cas extraordinaires où les aruspices jugeoient qu'il étoit besoin de grandes supplications pour détourner le fléau dont on étoit menacé, alors, soit que les sacrifices & les supplications se fissent seulement dans la ville & entre les citoyens, soit qu'il fallût aller sur le mont d'Albe & y appeller les peuples qui étoient compris dans l'ancien traité, les féries étoient immuablement de neuf jours.

On voit présentement que les féries latines ordinaires étoient du nombre de celles qu'on nommoit indictae ou conceptivae, c'est-à-dire mobiles, parce qu'on ne les célébroit qu'au jour marqué par le consul. On voit aussi qu'on poussa au plus haut point le scrupule sur leur omission & leur rituel, & que ce fut même par principe de religion qu'on étendit leur durée. Nous ajoûterons seulement que lorsque ces fêtes vinrent à se célébrer pendant trois ou 4 jours, Rome étoit presque deserte : c'est pourquoi de peur que les voisins n'entreprissent alors quelque chose contre elle, on créoit un gouverneur dans cette ville, seulement pour le tems de la célébration des féries. Nous en avons la preuve dans les paroles d'une lettre qu'Auguste écrivoit à Livie, au sujet de son fils le jeune Tibere, qui fut ensuite empereur. In Albanum montem ire eum non placet nobis, aut esse Romae latinarum diebus : cur enim non praeficitur urbi, si potest fratrem suum sequi in montem ? " Nous ne trouvons pas à-propos qu'il aille au mont d'Albe, ni qu'il soit à Rome pendant les fêtes latines : car pourquoi ne le fait-on pas gouverneur de Rome, s'il est capable de suivre son frere au mont d'Albe pour cette solennité " ? On trouvera tous ces faits dans Tite-Live, liv. X. dec. v. Denis d'Halicarnasse, livre IV. Aulugelle, liv. IX. & X. Macrobe, saturn. liv. I. ch. xvj. & si l'on veut parmi nos compilateurs modernes, dans Struvius, Rosinus, & Pitiscus. Nous croyons cependant n'avoir rien omis d'intéressant. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FERININE, adj. (Medecine) C'est un terme employé par les anciens, pour désigner des maladies ou des causes de maladie d'une nature très-mauvaise, qui porte un caractere de malignité, qui supposent une altération très-considérable & très-pernicieuse dans la masse des humeurs.

C'est dans ce sens qu'Hippocrate fait usage de ce terme dans ses épidémies, lib. VI. il appelle férins, les vers, la toux, qui sont produits par une cause de corruption extraordinaire. Le délire est aussi férin, selon cet auteur dans ses prorhétiques, dans ses coaques, lorsqu'il est accompagné de symptomes de malignité. Voyez DELIRE, MALIGNITE.

Erotion avertit que quelques auteurs appellent férins, theriomata, des ulceres de mauvaise qualité, même ceux des poumons, qui forment l'espece de phthisie, qu'ils nomment aussi férine. Voyez PHTHISIE. On trouve encore que les malades eux-mêmes atteints de maladies férines, sont appellés férins, en grec , dans les épidémies du pere de la Medecine. Castelli lexicon medic. (d)


FERISON(Logique) terme technique où les voyelles désignent la qualité des propositions qui entrent dans une espece particuliere de syllogisme : ainsi la voyelle e de ferison marque que la majeure doit être universelle affirmative ; l'i, que la mineure doit être particuliere affirmative ; & l'o, que la conclusion doit être particuliere négative.


FERLEou SERRER LES VOILES, (Marine) c'est les plier & trousser en fagot ; car lorsqu'on ne les trousse qu'en partie, cela s'appelle carguer. Voyez VOILES. (Z)


FERMAGESS. m. pl. (Jurisprud.) sont le prix & la redevance que le fermier ou locataire d'un bien de campagne, est tenu de payer annuellement au propriétaire pendant la durée du bail.

On donne aussi ce nom à la redevance annuelle que payent les fermiers des droits du roi, ou de quelques droits seigneuriaux.

On confond quelquefois les loyers des biens de campagne, avec les fermages ; les uns & les autres ont cependant un caractere différent. Les loyers sont pour des maisons, soit de ville ou de campagne ; les fermages proprement dits, sont pour les terres, prés, vignes, bois, & pour les bâtimens qui servent à l'exploitation de ces sortes d'héritages. On peut stipuler la contrainte par corps pour fermages ; au lieu qu'on ne le peut pas pour des loyers proprement dits. Le propriétaire d'une métairie a un privilége sur les fruits pour les fermages ; de même que le propriétaire d'une maison a un privilége sur les meubles pour les loyers. Le droit romain ne donne point de privilége pour les fermages sur les meubles du fermier. L'article 171 de la coûtume de Paris donne privilége pour les fermages, tant sur les fruits que sur les meubles ; mais cette disposition est particuliere à cette coûtume.

Le propriétaire pour les fermages à lui dûs, est préféré à tous autres simples créanciers, quoique leur saisie fût antérieure à la sienne. Son privilége a lieu non-seulement pour l'année courante, mais aussi pour les fermages précédens ; il est même préféré à la taille ; mais quand il se trouve en concurrence avec cette créance, il n'est préféré que pour l'année courante. Voyez LOYER, PROPRIETAIRE, PRIVILEGE. (A)


FERMAILS. m. & FERMAUX, au pl. (Blason) ce vieux mot signifie les agraffes, crochets, boucles garnies de leurs ardillons, & autres fermoirs de ce genre, dont on s'est servi anciennement pour fermer des livres, & dont l'usage a été transporté aux manteaux, aux chapes, aux baudriers ou ceintures, pour les attacher. On les a aussi nommé fermalets ou fermaillets ; & ils faisoient alors une espece de parure tant pour les hommes que pour les femmes.

Les fermaux son ordinairement représentés ronds & quelquefois en losange ; ce qu'alors il faut spécifier en blasonnant. Quelques-uns appellent un écu fermaillé, quand il est chargé de plusieurs fermaux. Stuard comte de Buchan, portoit de France à la bordure de gueule fermaillée d'or : on dit maintenant semée de boucles d'or.

J'ai avancé tout-à-l'heure que le fermail étoit autrefois une espece de parure. Joinville décrivant une grande fête, qu'il appelle une grand'court & maison ouverte, dit : " Et à une autre table mangeoit le roi de Navarre, qui moult estoit paré de drap d'or, en cotte & mantel, la ceinture, fermail & chapel d'or fin, devant lequel je tranchoie ". Selon Borel, le fermail étoit un crochet, une boucle, un carquant, & autre atifet de femme. Mais on voit par cet endroit de l'histoire de Joinville, que les hommes & les femmes se servoient de cette parure, que les hommes mettoient tantôt sur le devant du chapeau, & tantôt sur l'épaule en l'assemblage du manteau. Aussi lisons-nous ces paroles dans Amadis, liv. II. " Et laissant pendre ses cheveux qui étoient les plus beaux que nature produit, onc n'avoit sur son chef qu'un fermaillet d'or enrichi de maintes pierres précieuses ". Sur quoi Nicod ajoûte : Et il a ce nom, parce qu'il ferme avec une petite bande, laquelle est appellée fermeille ou fermaille. Et quant aux femmes, elles plaçoient leur fermail sur le sein. Il est dit dans Froissard, II. vol. ch. cljv. " Et si eut pour le prix un fermail à pierres précieuses, que madame de Bourgogne prit en sa poitrine ". Voyez Ducange. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FERMEadj. (Physiq.) On appelle corps ferme, celui dont les parties ne se déplacent pas par le toucher. Les corps de cette espece sont opposés aux corps fluides, dont les parties cedent à la moindre pression ; & aux corps mous, dont les parties se déplacent aisément par une force très-médiocre. Voy. FLUIDE. Les corps fermes sont appellés plus ordinairement corps solides ; cependant ce mot solide ne me paroît pas exprimer aussi précisément la propriété dont il s'agit, pour plusieurs raisons : 1°. parce que le mot solide se prend encore en d'autres acceptions ; soit pour désigner les corps géométriques, c'est-à-dire l'étendue considérée avec ses trois dimensions ; soit pour désigner l'impénétrabilité des corps, & pour les distinguer de l'étendue pure & simple, auquel cas solide peut se dire également des corps fluides : 2°. parce que le mot solide se dit en général de tout corps qui n'est pas fluide ; soit que ce corps soit mou, soit qu'il soit dur ; & en ce sens on peut dire de la cire, de la glaise, qu'elle est corps solide, mais on ne dira pas qu'elle est un corps ferme. Le mot ferme me paroît donc devoir être préféré dans l'acception présente ; cependant l'usage a prévalu.

La fermeté des corps n'est proprement qu'une dureté plus ou moins grande ; & par conséquent la cause en est aussi inconnue que celle de la dureté. Voyez DURETE. Il faut distinguer la fermeté des corps durs proprement dits, de celle des corps élastiques. Les premiers gardent constamment leur figure, quelque choc qu'ils éprouvent ; les seconds la changent par le choc, mais la reprennent aussi-tôt. Voyez ELASTIQUE, RESSORT, PERCUSSION, &c. (O)

FERME, s. m. (Jurispr.) dans la basse latinité firma, est un domaine à la campagne, qui est ordinairement composé d'une certaine quantité de terres labourables, & quelquefois aussi de quelques prés, vignes, bois, & autres héritages que l'on donne à ferme ou loyer pour un certain tems, avec un logement pour le fermier, & autres bâtimens nécessaires pour l'exploitation des héritages qui en dépendent.

Quelquefois le terme de ferme est pris pour la location du domaine ; c'est en ce sens que l'on dit donner un bien à ferme, prendre un héritage ou quelque droit à ferme ; car on peut donner & prendre à ferme non-seulement des héritages, mais aussi toutes sortes de droits produisant des fruits, comme dixmes, champarts, & autres droits seigneuriaux, des amendes, un bac, un péage, &c.

Quelquefois aussi par le terme de ferme, on entend seulement l'enclos de bâtimens destinés pour le logement du fermier & l'exploitation des héritages.

Les uns pensent que ce terme ferme vient de firma, qui dans la basse latinité signifie un lieu clos ou fermé : c'est pourquoi M. Ménage observe que dans quelques provinces on appelle enclos, clôture, ou closerie, ce que dans d'autres pays on appelle ferme.

D'autres tiennent que donner à ferme, locare ad firmam, signifioit assûrer au locataire la joüissance d'un domaine pendant quelque tems, à la différence d'un simple possesseur précaire, qui n'en joüit qu'autant qu'il plaît au propriétaire. On disoit aussi donner à main-ferme, dare ad manum firmam ; parce que le pacte firmabatur manu donatorum, c'est-à-dire des bailleurs : mais la main-ferme attribuoit aux preneurs un droit plus étendu que la simple ferme, ou ferme muable. La main-ferme étoit à-peu-près la même chose que le bail à cens, ou bail emphitéotique. Voyez MAIN-FERME & FIEF-FERME.

Spelman & Skinner dérivent le mot ferme du saxon fearme ou feorme, c'est-à-dire victus ou provisions ; parce que les fermiers & autres habitans de la campagne payoient anciennement leurs redevances en vivres & autres denrées ou provisions. Ce ne fut que par la suite qu'elles furent converties en argent ; d'où est venue la distinction qui est encore usitée en Normandie, des simples fermes d'avec les fermes blanches. Les premieres sont celles dont la redevance se paye en denrées : les autres, celles qui se payent en monnoie blanche ou argent.

Spelman fait voir que le mot firma signifioit autrefois non-seulement ce que nous appellons ferme, mais aussi un repas ou entretien de bouche que le fermier fournissoit à son seigneur ou propriétaire pendant un certain tems & à un certain prix, en considération des terres & autres héritages qu'il tenoit de lui.

Ainsi M. Lambard traduit le mot fearm qui se trouve dans les lois du roi Canut par victus, & ces expressions reddere firmam unius noctis, & reddebat unum diem de firma, signifient des provisions pour un jour & une nuit. Dans le tems de la conquête de l'Angleterre par le roi Guillaume, toutes les redevances qu'on se reservoit étoient des provisions. On prétend que ce fut sous le regne d'Henri premier que cette coûtume commença à changer.

Une ferme peut être loüée verbalement ou par écrit, soit sous seing privé, ou devant notaire. Il y a aussi certaines fermes qui s'adjugent en justice, comme les baux judiciaires & les fermes du roi.

L'acte par lequel une ferme est donnée à loüage, s'appelle communément bail à ferme. Ce bail ne peut être fait pour plus de neuf années ; mais on peut le renouveller quelque tems avant l'expiration d'icelui. Voyez BAIL.

Celui qui loue sa ferme s'appelle bailleur, propriétaire, ou maître : & celui qui la prend à loyer, le preneur ou fermier. La redevance que paye le fermier s'appelle fermage, pour la distinguer des loyers qui se payent pour les autres biens.

Les gentilshommes laïcs peuvent sans déroger se rendre adjudicataires ou cautions des fermes du roi. Voyez ci-après FERMES DU ROI. Ils peuvent aussi tenir à ferme les terres & seigneuries appartenantes aux princes & princesses du sang.

Mais il est défendu aux gentilshommes & à ceux qui servent dans les troupes du roi, de tenir aucune ferme, à peine de dérogeance pour ceux qui sont nobles, & d'être imposés à la taille.

Les ecclésiastiques ne peuvent aussi sans déroger à leurs priviléges, tenir aucune ferme, si ce n'est celle des dixmes, lorsqu'ils ont déjà quelque droit aux dixmes, parce qu'en ce cas on présume qu'ils n'ont pris la ferme du surplus des dixmes, que pour prévenir les difficultés qui arrivent souvent entre les co-décimateurs & leurs fermiers. Voyez DIXMES.

En Droit, le propriétaire des fermes des champs n'a point de privilége sur les meubles de son fermier appellés invecta & illata, à cause que les fruits lui servent de gage.

Mais la coûtume de Paris, article 171, & quelques autres coûtumes semblables, donnent au propriétaire un privilége sur les meubles pour les fermes comme pour les maisons.

Le privilége du propriétaire sur les fruits provenant de sa ferme, a lieu non-seulement pour l'année courante, mais aussi pour les arrérages précédens : néanmoins il n'est préféré aux collecteurs que pour une année.

L'héritier du propriétaire ou autre successeur à titre universel, est obligé d'entretenir le bail à ferme passé par son auteur ; le fermier, son héritier ou légataire universel, la veuve du fermier comme commune, sont aussi obligés d'entretenir le bail de leur part : ainsi le vieux proverbe françois qui dit que mort & mariage rompent tout loüage, est absolument faux.

La vente de l'héritage affermé rompt le bail à ferme, à moins que l'acquéreur ne se soit obligé de laisser joüir le fermier, ou qu'il n'ait approuvé tacitement le bail ; mais en cas de dépossession du fermier, il a son recours contre le propriétaire pour ses dommages & intérêts.

La contrainte par corps peut être stipulée pour les fermes des champs, mais elle ne se supplée point si elle n'y est pas exprimée ; & les femmes veuves ou filles ne peuvent point s'obliger par corps, même dans ces sortes de baux.

Un fermier n'est pas reçû à faire cession de biens, parce que c'est une espece de larcin de sa part, de consumer les fruits qui naissent sur le fonds sans payer le propriétaire.

On peut faire résilier le bail quand le fermier est deux ans sans payer : il dépend néanmoins de la prudence du juge de donner encore quelque tems. Le fermier peut aussi être expulsé, lorsqu'il dégrade les lieux & les héritages : mais le propriétaire ne peut pas expulser le fermier pour faire valoir sa ferme par ses mains ; comme il peut expulser un locataire de maison pour occuper en personne.

Le fermier doit joüir en bon pere de famille, cultiver les terres dans les tems & saisons convenables, les fumer & ensemencer, ne les point dessoler, & les entretenir en bon état, chacune selon la nature dont elles sont ; il doit pareillement faire les réparations portées par son bail.

Il ne peut pas demander de diminution sur le prix du bail, sous prétexte que la récolte n'a pas été si abondante que les autres, quand même les fruits ne suffiroient pas pour payer tout le prix du bail ; car comme il profite seul des fertilités extraordinaires, sans que le propriétaire puisse demander aucune augmentation sur le prix du bail, il doit aussi supporter les années stériles.

Il supporte pareillement seul la perte qui peut survenir sur les fruits après qu'ils ont été recueillis.

Mais si les fruits qui sont encore sur pié sont entierement perdus par une force majeure, ou que la terre en ait produit si peu qu'ils n'excedent pas la valeur des labours & semences ; en ce cas le fermier peut demander pour cette année une diminution sur le prix de son bail, à moins que la perte qu'il souffre cette année ne puisse être compensée par l'abondance des précédentes ; ou bien, s'il reste encore plusieurs années à écouler du bail, on peut en attendre l'évenement pour voir si les fruits de ces dernieres années ne le dédommageront pas de la stérilité précédente ; & en ce cas on peut suspendre le payement du prix de l'année stérile, ou du moins d'une partie, ce qui dépend de la prudence du juge & des circonstances.

S'il étoit dit par le bail que le fermier ne pourra prétendre aucune diminution pour quelque cause que ce soit, cela n'empêcheroit pas qu'il ne pût en demander pour raison des vimaires ou forces majeures ; parce qu'on présume que ce cas n'a pas été prévû par les parties : mais si le bail portoit expressément que le fermier ne pourra prétendre aucune diminution, même pour force majeure & autres cas prévûs ou non-prévûs, alors il faudroit suivre la clause du bail.

Dans les baux à moison, c'est-à-dire où le fermier au lieu d'argent rend une certaine portion des fruits, comme la moitié ou le tiers, il ne peut prétendre de diminution sous prétexte de stérilité, n'étant tenu de donner des fruits qu'à proportion de ce qu'il en a recueilli : mais s'il étoit obligé de fournir une certaine quantité fixe de fruits, & qu'il n'en eût pas recueilli suffisamment pour acquiter la redevance, alors il pourroit obtenir une diminution, en observant néanmoins les mêmes regles que l'on a expliquées ci-devant par rapport aux baux en argent.

Suivant l'article 142 de l'ordonnance de 1629, les fermiers ne peuvent être recherchés pour le prix de leur ferme cinq années après le bail échû : mais cette loi est peu observée, sur-tout au parlement de Paris ; & il paroît plus naturel de s'en tenir au principe général, que l'action personnelle résultante d'un bail à ferme dure 30 ans.

La tacite reconduction pour les baux à ferme, est ordinairement de trois ans, afin que le fermier ait le tems de recueillir de chaque espece de fruits que doit porter chaque sole ou saison des terres ; ce qui dépend néanmoins de l'usage du pays pour la distribution des terres des fermes.

Le premier bail à ferme étant fini, la caution ne demeure point obligée, soit au nouveau bail fait au même fermier, soit pour la tacite reconduction s'il continue de joüir à ce titre. Perezius, ad. cod. de loc. cond. n. 14. Voyez au ff. le titre locati conducti, & au code celui de locato conducto ; les instit. d'Argou, tom. II. liv. III. ch. xxvij. les maximes journalieres, au mot Fermier. (A)

FERME, dans quelques coûtumes, signifie l'affirmation ou serment que le demandeur fait en justice pour assûrer son bon droit, en touchant dans la main du baile ou du juge ; c'est proprement juramentum calumniae praestare, affirmer la vérité de ses faits.

Le serment que le demandeur fait de sa part pour attester la vérité de sa demande, est appellé contre-ferme.

Il est parlé de ces fermes & contre-fermes dans les coûtumes d'Acqs, tit. xvj. art. 3. 4. & 5. & de Saint-Sever, tit. j. art. 2. 8. 9. 10. 12. 13. 15. 18.

M. de Lauriere en sa note sur le mot ferme (gloss. de Ragueau), dit que ces sermens se faisoient presque dans chaque interlocutoire ; que le baile prenoit pour chaque ferme & contre-ferme 11 sous 3 den. tournois, ce qui est aboli. (A)

FERME DES AMENDES, est un bail que le Roi ou quelque seigneur ayant droit de justice, fait à quelqu'un de la perception des amendes qui peuvent être prononcées dans le courant du bail. Voyez AMENDES & FERMES DU ROI. (A)

FERME BLANCHE, alba firma ou album ; c'est une ferme dont le loyer se paye en monnoie blanche ou argent, à la différence de celles dont les fermages se payent en blé, ou autres provisions en nature, qu'on appelle simplement fermes. Cette distinction est encore usitée en Normandie.

En Angleterre, ferme blanche étoit une rente annuelle qui se payoit au seigneur suzerain d'une gundred : on l'appelloit ainsi, parce qu'elle se payoit en argent ou monnoie blanche, & non pas en blé, comme d'autres rentes qu'on appelloit par opposition aux premieres, le denier noir, black-mail. (A)

FERME d'une, deux, ou trois charrues, est celle dont les terres ne composent que la quantité que l'on peut labourer annuellement avec une, deux, ou trois charrues. Cette quantité de terre est plus ou moins considérable, selon que les terres sont plus ou moins fortes à labourer. Voyez CHARRUE. (A)

FERME DE DROIT, juris firma ; c'étoit le serment décisoire que l'on déféroit à l'accusé ou défendeur ; il en est parlé dans l'ancien for d'Aragon, liv. XII. fol. 16. où il est appellé firma juris, & la réception de ce serment, receptio juris firmae. (A)

FERME-FIEF ou FIEFFE. Voyez ci-après aux mots FIEF & FIEFFE. (A)

FERME GENERALE, est celle qui comprend l'universalité des terres, héritages, & droits de quelqu'un ; elle est souvent composée de plusieurs fermes particulieres, & quelquefois de plusieurs sous-fermes. Voyez ci-après FERMES (Finances). (A)

FERME-MAIN, voyez au mot MAIN. (A)

FERME A MOISON, est celle dont le bail est à moison, c'est-à-dire qu'au lieu d'argent pour prix de la ferme, le fermier doit donner annuellement une certaine quantité de grains ; ou autres fruits. Voyez BAIL A MOISON & MOISON. (A)

FERME A MOITIE FRUITS, est celle dont le fermier rend au propriétaire la moitié des fruits en nature, au lieu de redevance en argent. Voy. ci-devant

FERME A MOISON, & ci-après FERME AU TIERS FRANC. (A)

FERME PARTICULIERE, est celle qui ne comprend qu'un seul objet, comme une seule métairie, ou les droits d'une seule seigneurie, ou même quelquefois seulement les droits d'une seule espece, comme les amendes, &c. elle est opposée à ferme générale, qui comprend ordinairement l'exploitation de tous les héritages ou droits de quelqu'un, du moins dans une certaine étendue de pays. (A)

FERME, (SOUS-) est un bail que le fermier fait à une autre personne, soit de la totalité de ce qui est compris au premier bail, ou de quelqu'un des objets qui en font partie. Voyez ci-apr. FERMES DU ROI. (A)

FERME AU TIERS FRANC, est celle pour laquelle le fermier rend au propriétaire, au lieu de loyer en argent, le tiers des fruits en nature franc de tous frais de labour, semence, récolte, & autres frais d'exploitation. Voyez ci-dev. FERME A MOITIE FRUITS. (A)

FERMES GENERALES DES POSTES & MESSAGERIES DE FRANCE. Voyez au mot POSTES.

FERME, (Economie rustiq.) Ce mot désigne un assemblage de terres labourables, de prés, &c. unis à une maison composée de tous les bâtimens nécessaires pour le labourage. On donne aussi le nom de ferme à la maison des champs, indépendamment des terres qui y sont attachées.

C'est le dégoût des soins pénibles de l'Agriculture qui a rendu ce mot synonyme avec celui de maison rustique. Presque toutes nos terres sont affermées ; & cette sorte d'abandon vaut encore mieux que les soins peu suivis, & les demi-connoissances que pourroient y apporter la plûpart des propriétaires. Les détails de la culture doivent être réservés à ceux qui en font leur unique occupation. L'habitude seule apprend à sentir toutes les convenances particulieres ; mais il y en a de générales dont il est également honnête & avantageux au propriétaire d'être instruit. Qui peut avec plus d'intérêt décider de la proportion qui doit être entre les bâtimens & les terres de la ferme, rassembler ou séparer ces terres, choisir un fermier, mesurer le degré de confiance & les égards qu'il mérite ? L'ignorance sur tous ces points expose à être grossierement trompé, ou même à devenir injuste. Voyez FERMIER.

On n'est que très-rarement dans le cas de bâtir une ferme entiere ; les terres que l'on acquiert sont presque toûjours attachées à quelques bâtimens déjà faits. Cependant il peut arriver qu'il n'y en ait point, ou qu'ils tombent en ruine, & que l'on soit contraint à une nouvelle construction. Alors la place naturelle de la maison est au milieu des terres qui en dépendent ; leur éloignement augmente les dépenses de la culture ; il y a plus de fatigue & de tems perdu. Cette position n'est cependant à rechercher que dans une plaine où il y a peu d'inégalités. Si les terres sont disposées en côteaux, la maison doit être placée au bas, afin que les voitures chargées de la récolte n'ayent qu'à descendre pour arriver aux granges.

Il faut proscrire tout ce qui est inutile dans les bâtimens d'une ferme, mais se garder encore plus de rien retrancher qui soit nécessaire. Si les granges ne peuvent pas contenir toute la récolte ; s'il n'y a pas assez d'étables pour la quantité de bétail que les terres peuvent nourrir ; si l'on manque de greniers où l'on puisse conserver le grain, lorsqu'il est à vil prix, un bon laboureur ne se chargera pas d'une ferme dans laquelle son industrie seroit contrainte. On n'établira cette proportion entre les bâtimens & les terres, qu'en s'instruisant parfaitement de la nature & de la quantité des récoltes qui varient dans les différens pays. Ce qui est nécessaire par-tout, c'est une cour spacieuse, & dans cette cour un lieu destiné au dépôt des fumiers. C'est-là que se prépare la fécondité des terres & la richesse du laboureur.

Il est essentiel que la cour d'une ferme soit défendue des brigands & enfermée de murs ; mais il ne l'est pas moins que les différens bâtimens dont elle est composée soient isolés entr'eux, pour empêcher la communication du feu, en cas d'accident. Cette crainte de l'incendie, & beaucoup d'autres raisons d'utilité doivent engager à placer une maison rustique dans un lieu voisin de l'eau. Il y a même peu d'autres avantages, qui ne doivent être sacrifiés à celui-là.

Choisir un fermier, seroit une chose assez difficile, s'il falloit entrer dans le détail des connoissances qui lui sont nécessaires ; mais il y a des traits marqués auxquels on peut reconnoître celui qui est bon : par exemple, la richesse. Elle dépose en faveur des talens d'un laboureur, & elle répond d'une culture, qui sans elle ne peut être qu'imparfaite.

On regarde assez généralement l'Agriculture comme un art seulement pénible, qui peut être exercé par quiconque a du courage & des forces. On feroit plus de cas des laboureurs, vû le respect qu'on a pour l'opulence, si l'on savoit qu'ils ne peuvent rien sans elle. Pour s'en convaincre, on n'a qu'à regarder ce qu'un homme qui se charge d'une ferme est contraint de dépenser avant de recueillir.

Qu'on prenne pour exemple une ferme de cinq cent arpens de terres labourables. Il faut d'abord monter la ferme en chevaux, en bestiaux, en instrumens, & en équipages ; & voici ce qu'il en doit coûter.

Nous ne parlons ici que du nécessaire le plus exact. Sans ce préalable la culture seroit impossible, ou tout-à-fait infructueuse. Après cela, voici le détail des frais annuels. Il s'en faut de beaucoup que nous les portions au prix auquel on fixe ordinairement les labours, les fumiers, &c. Nous les évaluons sur les facilités qu'a un fermier de nourrir ses chevaux & son bétail. On sait que les terres se divisent en trois soles égales. Voyez AGRICULTURE.

Il faut donc au moins 27000 liv. d'argent dépensé dans une ferme, telle que nous l'avons dite, avant la premiere récolte, & elle n'arrive que dix-huit mois après le premier labour ; souvent même elle ne répond pas aux soins du fermier. Quelque habileté qu'ait un laboureur, il n'apprend à exciter toute la fécondité de ses terres, qu'en se familiarisant avec elles. Ainsi il ne doit pas attendre d'abord un dédommagement proportionné à ses avances ; & il ne peut raisonnablement l'espérer, qu'après de nouvelles dépenses & de nouveaux soins.

On voit que le labourage est une entreprise qui demande une fortune déjà commencée. Si le fermier n'est pas assez riche, il deviendra plus pauvre d'année en année, & ses terres s'appauvriront avec lui. Que le propriétaire examine donc quelle est la fortune du fermier qui se présente ; mais qu'il ne néglige pas non plus de s'assûrer de ses talens. Il est essentiel qu'ils soient proportionnés à l'étendue de la ferme dont on lui remet le soin.

Un homme ordinaire peut être chargé sans embarras de l'emploi de quatre voitures. Une voiture suffit à cent vingt-cinq arpens de terre d'une qualité moyenne ; & la voiture est composée pour ces terres de trois ou quatre chevaux, selon les circonstances, & la profondeur qu'on veut donner au labour. Nous parlerons ailleurs de la culture à laquelle on employe des boeufs. Voyez LABOUR.

Une ferme qui n'est composée que de terres labourables, peut souvent tromper, ou du moins ne pas remplir entierement les espérances de fermier. Il est très-avantageux d'y joindre des prés, des pâturages, des arbres fruitiers, de ces bois plantés dans les haies, dont on élague les branches ; le fourrage & les fruits peuvent servir de dédommagement dans les années médiocres. Le produit des haies dispense le laboureur d'acheter du bois ; & pour le plus grand nombre d'entr'eux, épargner, c'est plus que gagner. Une ferme de cette étendue, & ainsi composée, fournit à un homme intelligent les moyens de développer une industrie qui est toûjours plus active en grand, parce qu'elle est plus intéressée. Il résulte delà, que si l'on a deux petites fermes, dont les terres soient contigues, il est toûjours avantageux de les réunir. Elles auront ensemble plus de valeur ; il y aura moins de bâtimens à entretenir, & un fermier vivra seul avec aisance, où deux se seroient peut-être ruinés.

Pour fixer le prix d'une ferme, il faut qu'un propriétaire connoisse bien la nature de ses terres, & qu'il juge des avantages ou des desavantages qui peuvent résulter de leur quantité combinée avec leur mélange. On regarde ordinairement comme une chose fâcheuse d'avoir une telle quantité de terres, qu'elle ne soit pas entierement proportionnée à un certain nombre de voitures : par exemple, d'en avoir plus que trois voitures n'en peuvent cultiver, & pas assez pour en occuper quatre. Et moi je dis, heureux le bon laboureur qui est dans ce cas-là ! Il aura quatre voitures ; ses labours, ses semailles, le transport de ses fumiers, tout sera fait plus promtement. Si quelques-uns de ses chevaux deviennent malades, rien n'en sera retardé ; & la nécessité le rendant industrieux, il trouvera mille moyens avantageux d'employer le tems superflu de sa voiture.

La nature & l'assemblage des terres ne sont pas les seules choses à considérer avant de se décider sur le prix. Il varie encore dans les différens lieux en proportion de la rareté de l'argent, de la consommation des denrées, de la commodité des chemins, & de l'incertitude des récoltes qui n'est pas égale par-tout. Nous ne pouvons donc rien dire de précis là-dessus, & nous devons nous borner à montrer les objets sur lesquels il faut être attentif.

Les redevances en denrées sont celles qui coûtent le moins à la plûpart des fermiers. Ils sont plus attachés à l'argent, parce qu'ils en ont moins, que tous les jours ils sont dans le cas d'en dépenser nécessairement, & que d'ailleurs cette sorte de richesse n'est point embarrassante. Les autres réalisent leur argent ; pour eux acquérir de l'argent, c'est réaliser.

Si le propriétaire est en doute sur la valeur juste de ses terres, il est de son intérêt de laisser l'avantage du côté du fermier. L'avarice la plus sujette à manquer son but, est celle qui fait outrer le prix d'une ferme. Elle expose à ne trouver pour fermiers que de ces malheureux qui risquent tout, parce qu'ils n'ont rien à perdre, qui épuisent les terres par de mauvaises récoltes, & sont contraints de les abandonner, après les avoir perdues. L'Agriculture est trop pénible, pour que ceux qui la professent, ne retirent pas un profit honnête de leur attention suivie & de leurs travaux constans. Aussi les fermiers habiles & déjà riches ne se chargent-ils pas d'un emploi sans une espece de certitude d'y amasser de quoi établir leur famille, & s'assûrer une retraite dans la vieillesse. Il n'y a guere que les imprudens auxquels l'agriculture ne procure pas cet avantage, à moins que des accidens extraordinaires & répétés n'alterent considérablement les récoltes : telles sont une grêle, une rouille généralement répandue sur les blés, &c. C'est alors que le propriétaire est contraint de partager la perte avec son fermier ; mais pour remplir à cet égard ce qu'on doit aux autres & à soi-même, il est nécessaire de bien distinguer ce qu'on ne peut attribuer qu'au malheur d'avec ce qui pourroit venir de la négligence. Il faut des lumieres pour être juste & bon. Il est des fermiers pour qui une indulgence poussée trop loin deviendroit ruineuse, sur qui la crainte d'être forcés au payement est plus puissante que l'intérêt même ; race lâche & paresseuse, une exigence dure les oblige à des efforts qui les menent quelquefois à la fortune.

Il n'est que trop vrai, que dans toute convention faite avec des hommes, on a besoin de précautions contre l'avidité & la mauvaise foi ; il faut donc que le propriétaire prévienne dans les clauses d'un bail, & empêche pendant sa durée l'abus qu'on pourroit faire de sa confiance. Par exemple, dans les lieux où la marne est en usage, le fermier s'oblige ordinairement à marner chaque année un certain nombre d'arpens de terre ; mais si l'on n'y veille pas, il épargnera peut-être sur la quantité de cet engrais durable, & la terre n'en recevra qu'une fécondation momentanée. On stipule souvent, & avec raison, que les pailles ne soient point vendues, mais qu'elles soient consommées par les bestiaux, & au profit des fumiers. Cela s'exécute sans difficulté dans tous les lieux éloignés des villes ; mais par-tout où la paille se vend cher, c'est une convention que le plus grand nombre des fermiers cherche à éluder. Ce n'est pas qu'il n'y ait réellement un plus grand avantage à multiplier les engrais, sans lesquels on ne doit point attendre de grandes récoltes ; mais l'avarice est aveugle, on ne voit que ce qui est près d'elle. La vente actuelle des pailles touche plus ces laboureurs, que l'espérance bien fondée d'une suite de bonnes récoltes. Il faut donc qu'un propriétaire ait toûjours les yeux ouverts sur cet objet : il n'en est point de plus intéressant pour lui, puisque la conservation du fonds même de sa terre en dépend ; cependant dans les années & dans les lieux où la paille est à un très-haut prix, on peut procurer à son fermier l'avantage d'en vendre ; mais il faut exiger que la voiture qui porte ce fourrage à la ville, revienne à la ferme chargée de fumier. Cette condition est une de celles sur lesquelles on ne doit jamais se relâcher.

On voit par-là qu'un propriétaire qui a donné ses terres à bail, seroit imprudent s'il les regardoit comme passées dans des mains étrangeres. Une distraction totale l'exposeroit à les retrouver après quelques années dans une dégradation ruineuse. L'attention devient moins nécessaire, lorsqu'on a pû s'assûrer d'un fermier riche & intelligent ; alors son intérêt répond de ses soins. La mauvaise foi, en Agriculture, est presque toûjours un effet de la pauvreté ou du défaut de lumieres. Cet homme étant trouvé, on ne peut le conserver avec trop de soin ; ni le mettre trop-tôt dans le cas de compter sur un long fermage ; en prolongeant ses espérances, on lui inspire presque le goût de propriété ; goût plus actif que tout autre, parce qu'il unit la vanité à l'intérêt.

Il ne faut que connoître l'effet naturel de l'habitude, pour sentir qu'une ferme devient chere à un laboureur, à proportion du tems qu'il en joüit, & de ce qu'elle s'améliore entre ses mains. On s'attache à ses propres soins, à ses inquiétudes, aux dépenses qu'on a faites. Tout ce qui a été pour nous l'objet d'une occupation constante, devient celui d'un intérêt vif. Lorsque par toutes ces raisons une ferme est devenue en quelque sorte le patrimoine d'un laboureur, il est certain que le propriétaire pourroit en attendre des augmentations considérables, s'il vouloit user tyranniquement de son droit ; mais outre qu'il seroit mal d'abuser d'un sentiment honnête imprimé par la nature, on doit encore par intérêt être très-réservé sur les augmentations. Quoique le fermier paroisse se prêter à ce qu'on exige, il est à craindre qu'il ne se décourage ; sa langueur ameneroit la ruine de la ferme. Le véritable intérêt se trouve ici d'accord avec l'équité naturelle ; peut-être ce concours est-il plus fréquent qu'on ne croit.

Loin de décourager un fermier par des augmentations rigoureuses, un propriétaire éclairé doit entrer dans des vûes d'amélioration, & ne point se refuser aux dépenses qui y contribuent. S'il voit, par exemple, que son fermier veuille augmenter son bétail, qu'il n'hésite pas à lui en faciliter les moyens. C'est ainsi qu'il pourra acquérir le droit d'exiger dans la suite des augmentations qui ne seront point onéreuses au fermier, & qui seront même offertes par lui.

Nous ne saurions trop le répéter, l'Agriculture ne peut avoir des succès étendus, & généralement intéressans, que par la multiplication des bestiaux. Ce qu'ils rendent à la terre par l'engrais, est infiniment au-dessus de ce qu'elle leur fournit pour leur subsistance.

J'ai actuellement sous les yeux une ferme, dont les terres sont bonnes, sans être du premier ordre. Elles étoient il y a quatre ans entre les mains d'un fermier qui les labouroit assez bien, mais qui les fumoit très-mal, parce qu'il vendoit ses pailles, & nourrissoit peu de bétail. Ces terres ne rapportoient que trois à quatre septiers de blé par arpent dans les meilleures années. Il s'est ruiné, & on l'a contraint de remettre sa ferme à un cultivateur plus industrieux. Tout a changé de face ; la dépense n'a point été épargnée ; les terres encore mieux labourées qu'elles n'étoient, ont de plus été couvertes de troupeaux & de fumier. En deux ans elles ont été améliorées au point de rapporter dix septiers de blé par arpent, & d'en faire espérer plus encore pour la suite. Ce succès sera répété toutes les fois qu'il sera tenté. Multiplions nos troupeaux, nous doublerons presque nos récoltes en tout genre. Puisse cette utile persuasion frapper également les fermiers & les propriétaires ! Si elle devenoit active & générale, si elle étoit encouragée, nous verrions bien-tôt l'Agriculture faire des progrès rapides ; nous lui devrions l'abondance avec tous ses effets. On verroit la matiere du Commerce augmentée, le paysan plus robuste & plus courageux, la population rétablie, les impôts payés sans peine, l'état plus riche, & le peuple plus heureux. Cet article est de M. LE ROY, lieutenant des chasses du parc de Versailles.

FERMES DU ROI, (Bail des) Finances. En général, une ferme est un bail ou loüage que l'on fait d'un fonds, d'un héritage, d'un droit quelconque, moyennant un certain prix, une certaine redevance que l'on paye tous les ans au propriétaire, qui, pour éviter le danger de recevoir beaucoup moins, abandonne l'espérance de toucher davantage, préférant, par une compensation qui s'accorde aussi bien avec la justice qu'avec la raison, une somme fixe & bornée, mais dégagée de tout embarras, à des sommes plus considérables achetées par les soins de la manutention, & par l'incertitude des évenemens.

Il ne s'agit dans cet article que des droits du Roi, que l'on est dans l'usage d'affermer ; & sur ce sujet on a souvent demandé laquelle des deux méthodes est préférable, d'affermer les revenus publics, ou de les mettre en Régie : le célebre auteur de l'esprit des lois en a même fait un chapitre de son ouvrage ; & quoiqu'il ait eu la modestie de le mettre en question, on n'apperçoit pas moins de quel côté panche l'affirmative par les principes qu'il pose en faveur de la régie. On va les reprendre ici successivement, pour se mettre en état de s'en convaincre ou de s'en éloigner ; & si l'on se permet de les combattre, ce ne sera qu'avec tout le respect que l'on doit au sentiment d'un si grand homme : un philosophe n'est point subjugué par les grandes réputations, mais il honore les génies sublimes & les vrais talens.

Premier principe de M. le président de Montesquieu.

" La régie est l'administration d'un bon pere de famille, qui leve lui-même avec économie & avec ordre ses revenus ".

Observations. Tout se réduit à savoir si dans la régie il en coûte moins au peuple que dans la ferme ; & si le peuple payant tout autant d'une façon que de l'autre, le prince reçoit autant des régisseurs que des fermiers : car s'il arrive dans l'un ou dans l'autre cas (quoique par un inconvénient différent) que le peuple soit surchargé, poursuivi, tourmenté, sans que le souverain reçoive plus dans une hypothèse que dans l'autre ; si le régisseur fait perdre par sa négligence, ce que l'on prétend que le fermier gagne par exaction, la ferme & la régie ne seront-elles pas également propres à produire l'avantage de l'état, dès que l'on voudra & que l'on saura bien les gouverner ? Peut-être néanmoins pourroit-on penser avec quelque fondement, que dans le cas d'une bonne administration il seroit plus facile encore d'arrêter la vivacité du fermier, que de hâter la lenteur de ceux qui régissent, c'est-à-dire qui prennent soin des intérêts d'autrui.

Quant à l'ordre & à l'économie, ne peut-on pas avec raison imaginer qu'ils sont moins bien observés dans les régies que dans les fermes, puisqu'ils sont confiés, savoir, l'ordre à des gens qui n'ont aucun intérêt de le garder dans la perception ; l'économie à ceux qui n'ont aucune raison personnelle d'épargner les frais du recouvrement : c'est une vérité dont l'expérience a fourni plus d'une fois la démonstration.

Le souverain qui pourroit percevoir par lui-même, seroit sans contredit un bon pere de famille, puisqu'en exigeant ce qui lui seroit dû, il seroit bien sûr de ne prendre rien de trop. Mais cette perception, praticable pour un simple particulier & pour un domaine de peu d'étendue, est impossible pour un roi ; & dès qu'il agit, comme il y est obligé, par un tiers, intermédiaire entre le peuple & lui, ce tiers, quel qu'il soit, régisseur ou fermier, peut intervertir l'ordre admirable dont on vient de parler, & les grands principes du gouvernement peuvent seuls le rétablir & le réhabiliter. Mais ce bon ordre qui dépend de la bonne administration, ne peut-il pas avoir lieu pour la ferme comme pour la régie, en réformant dans l'une & dans l'autre les abus dont chacune est susceptible en particulier ?

Second principe de M. de Montesquieu.

" Par la régie le prince est le maître de presser ou de retarder la levée des tributs, ou suivant ses besoins, ou suivant ceux de ses peuples ".

Observations. Il l'est également quand ses revenus sont affermés, lorsque par l'amélioration de certaines parties de la recette, & par la diminution de la dépense, il se met en état ou de se relâcher du prix de bail convenu, ou d'accorder des indemnités. Les sacrifices qu'il fait alors en faveur de l'Agriculture, du Commerce & de l'industrie, se retrouvent dans un produit plus considérable des droits d'une autre espece. Mais ces loüables opérations ne sont ni particulieres à la régie, ni étrangeres à la ferme ; elles dépendent, dans l'un & dans l'autre cas, d'une administration qui mette à portée de soulager le peuple & d'encourager la nation. Et n'a-t-on pas vû dans des tems d'ailleurs difficiles en France, où les principaux revenus du Roi sont affermés, sacrifier au bien du commerce & de l'état, le produit des droits d'entrée sur les matieres premieres, & de sortie sur les choses fabriquées ?

Troisieme principe de M. de Montesquieu.

" Par la régie le prince épargne à l'état les profits immenses des fermiers, qui l'appauvrissent d'une infinité de manieres ".

Observations. Ce que la ferme absorbe en profits, la régie le perd en frais ; ensorte que ce que l'état dans le dernier cas gagne d'un côté, il le perd de l'autre. Qui ne voit un objet que sous un seul aspect, n'a pas tout vû, n'a pas bien vû ; il faut l'envisager sous toutes les faces. On verra que le fermier n'exigera trop, que parce qu'il ne sera pas surveillé ; que le régisseur ne fera des frais immenses, que parce qu'il ne sera point arrêté : mais l'un ne peut-il pas être excité ? ne peut-on pas contenir l'autre ? C'est aux hommes d'état à juger des obstacles & des facilités, des inconvéniens & des avantages qui peuvent se trouver dans l'une & dans l'autre de ces opérations ; mais on ne voit point les raisons de se décider en faveur de la régie, aussi promtement, aussi positivement que le fait l'auteur de l'esprit des lois.

Quatrieme principe de M. de Montesquieu.

" Par la régie le prince épargne au peuple un spectacle de fortunes subites qui l'affligent ".

Observations. C'est moins le spectacle de la fortune de quelques particuliers qu'il faut épargner au peuple, que l'appauvrissement de provinces entieres ; ce sont moins aussi les fortunes subites qui frappent le peuple, qui l'étonnent & qui l'affligent, que les moyens d'y parvenir, & les abus que l'on en fait. Le gouvernement peut en purifier les moyens, & l'on est puni des abus par le ridicule auquel ils exposent, souvent même par une chûte qui tient moins du malheur que de l'humiliation. Ce ne sont pas là des raisons de loüer ou de blâmer, de rejetter ou d'admettre la régie ni la ferme. Une intelligence, une industrie active, mais loüable, & renfermée dans les bornes de la justice & de l'humanité, peut donner au fermier des produits honnêtes, quoique considérables. La négligence & le défaut d'économie rendent le régisseur d'autant plus coupable de l'affoiblissement de la recette & de l'augmentation de la dépense, que l'on ne peut alors remplir le vuide de l'une & pourvoir à l'excédent de l'autre, qu'en chargeant le peuple de nouvelles impositions ; au lieu que l'enrichissement des fermiers laisse au moins la ressource de mettre à contribution leur opulence & leur crédit.

Cinquieme principe de M. de Montesquieu.

" Par la régie l'argent levé passe par peu de mains ; il va directement au prince ; & par conséquent revient plus promtement au peuple ".

Observations. L'auteur de l'esprit des lois appuie tout ce qu'il dit, sur la supposition que le régisseur, qui n'est que trop communément avare de peines & prodigue de frais, gagne & produit à l'état autant que le fermier, qu'un intérêt personnel & des engagemens considérables excitent sans-cesse à suivre de près la perception. Mais cette présomption est-elle bien fondée ? est-elle bien conforme à la connoissance que l'on a du coeur & de l'esprit humain, & de tout ce qui détermine les hommes ? Est-il bien vrai d'ailleurs que les grandes fortunes des fermiers interceptent la circulation ? tout ne prouve-t-il pas le contraire ?

Sixieme principe de M. de Montesquieu.

" Par la régie le prince épargne au peuple une infinité de mauvaises lois qu'exige toûjours de lui l'avarice importune des fermiers, qui montrent un avantage présent pour des réglemens funestes pour l'avenir. ".

Observations. On ne connoît en finances, comme en d'autres matieres, que deux sortes de lois, les lois faites & les lois à faire ; il faut être exact à faire exécuter les unes, il faut être réservé pour accorder les autres. Ces principes sont incontestables ; mais conviennent-ils à la régie plus qu'à la ferme ? Le fermier, dit-on, va trop loin sur les lois à faire ; mais le régisseur ne se relâche-t-il pas trop sur les lois qui sont faites ? On craint que l'ennemi ne s'introduise par la breche, & l'on ne s'apperçoit pas que l'on a laissé la porte ouverte.

Septieme principe de M. de Montesquieu.

" Comme celui qui a l'argent est toûjours le maître de l'autre, le traitant se rend despotique sur le prince même ; il n'est pas législateur, mais il le force à donner des lois ".

Observations. Le prince a tout l'argent qu'il doit avoir, quand il fait un bail raisonnable & bien entendu : il laissera sans-doute aux fermiers qui se chargent d'une somme considérable, fixe, indépendante des évenemens par rapport au Roi, un profit proportionné aux fruits qu'ils doivent équitablement attendre & recueillir de leurs frais, de leurs avances, de leurs risques & leurs travaux.

Le prétendu despotisme du fermier n'a point de réalité. La dénomination de traitant manque de justesse : on s'est fait illusion sur l'espece de crédit dont il joüit effectivement ; il a celui des ressources, & le gouvernement sait en profiter. Il ne sera jamais despotique quand il sera question de faire des lois ; mais il reconnoîtra toûjours un maître, quand il s'agira de venir au secours de la nation avec la fortune même qu'il aura acquise légitimement.

Huitieme principe de M. de Montesquieu.

" Dans les républiques, les revenus de l'état sont presque toûjours en régie : l'établissement contraire fut un grand vice du gouvernement de Rome. Dans les états despotiques où la régie est établie, les peuples sont infiniment plus heureux, témoin la Perse & la Chine. Les plus malheureux sont ceux où le prince donne à ferme ses ports de mer & ses villes de commerce. L'histoire des monarchies est pleine de maux faits par les traitans ".

Observations. Ce seroit un examen fort long, très-difficile, & peut-être assez inutile à faire dans l'espece présente, que de discuter & d'approfondir la question de savoir ce qui convient le mieux de la ferme ou de la régie, relativement aux différentes sortes de gouvernemens. Il est certain qu'en tout tems, en tous lieux, & chez toutes les nations, il faudra dans l'établissement des impositions, se tenir extrèmement en reserve sur les nouveautés ; & qu'il faudra veiller dans la perception, à ce que tout rentre exactement dans le thrésor public, ou, si l'on veut, dans celui du souverain.

Reste à savoir quel est le moyen le plus convenable, de la ferme ou de la régie, de procurer le plus sûrement & le plus doucement le plus d'argent. C'est sur quoi l'on pourroit ajoûter bien des réflexions à celles que l'on vient de faire ; & c'est aussi sur quoi les sentimens peuvent être partagés, sans blesser en aucune façon la gloire ou les intérêts de l'état. Mais ce que l'on ne peut faire sans les compromettre, ce seroit d'imaginer que l'on pût tirer d'une régie tous les avantages apparens qu'elle présente, sans la suivre & la surveiller avec la plus grande attention ; & certainement le même degré d'attention mis en usage pour les fermes, auroit la même utilité présente, sans compter, pour certaines conjonctures, la ressource toûjours prête que l'on trouve, & souvent à peu de frais, dans l'opulence & le crédit des citoyens enrichis.

Neuvieme réflexion de M. de Montesquieu.

" Néron indigné des vexations des publicains, forma le projet impossible & magnanime d'abolir les impôts. Il n'imagina point la régie : il fit quatre ordonnances ; que les lois faites contre les publicains, qui avoient été jusque-là tenues secrettes, seroient publiées ; qu'ils ne pourroient plus exiger ce qu'ils avoient négligé de demander dans l'année ; qu'il y auroit un préteur établi pour juger leurs prétentions, sans formalité ; que les marchands ne payeroient rien pour les navires. Voilà les beaux jours de cet empereur ".

Observations. Il paroît par ce trait de Néron, que cet empereur avoit dans ses beaux jours le fanatisme des vertus, comme il est depuis tombé dans l'excès des vices.

L'idée de l'entiere abolition des impôts n'a jamais pû entrer dans une tête bien saine, dans quelques circonstances qu'on la suppose, de tems, d'hommes, & de lieux.

Les quatre ordonnances qu'il substitua sagement à cette magnanime extravagance, approchoient du moins des bons principes de l'administration. Nous avons sur les mêmes objets plusieurs lois rendues dans le même esprit, & que l'on pourroit comparer à celles-là. S'il arrive souvent que les réglemens deviennent illusoires, & que les abus leur résistent, c'est que le sort de la sagesse humaine est de pécher par le principe, par le moyen, par l'objet, ou par l'évenement. Article de M. PESSELIER.

L'impartialité dont nous faisons profession, & le desir que nous avons d'occasionner la discussion & l'éclaircissement d'une question importante, nous a engagés à insérer ici cet article. L'Encyclopédie ayant pour but principal l'utilité & l'instruction publiques, nous insérerons à l'article REGIE, sans prendre aucun parti, toutes les raisons pour & contre qu'on voudra nous faire parvenir sur l'objet de cet article, pourvû qu'elles soient exposées avec la sagesse & la modération convenables.

FERMES, (Cinq grosses), Finances. Lorsque M. Colbert eut formé le projet, bien digne d'un aussi grand génie, & d'un ministre aussi bien intentionné pour le Commerce, d'affranchir l'intérieur du royaume de tous les droits locaux qui donnent des entraves à la circulation, & de porter sur les frontieres tout ce qui devoit charger ou favoriser, étendre ou restreindre, accélérer ou retarder le commerce avec l'étranger, il trouva dans un plan aussi grand, aussi beau, aussi bien conçû, les obstacles que rencontrent ordinairement dans leur exécution, les entreprises qui contredisent les opinions reçûes ; &, ce qui n'est pas moins ordinaire dans ces sortes de cas, il eut à surmonter les oppositions de ceux même qu'il vouloit favoriser le plus, en les débarrassant par l'uniformité du droit & par la simplicité de la perception, de tout ce qui peut retarder le progrès d'un commerce fait pour les enrichir, par la facilité de leur communication avec les autres nations.

La plûpart des provinces frontieres successivement réunies à la couronne, voulurent garder leurs anciennes lois sur l'article des doüannes, comme sur plusieurs autres objets. Leurs anciens tarifs, tout embarrassans, tout compliqués, tout arbitraires qu'ils sont, leur devinrent chers dès que l'on voulut les anéantir : elles ne voulurent point recevoir celui qui leur fut proposé ; & par une condescendance aussi sage que tout le reste, M. Colbert ne voulut rien forcer, parce qu'il espéroit tout gagner par degrés.

Le tarif de 1664 n'eut donc lieu que dans les provinces de l'intérieur, qui consentirent à l'admettre d'autant plus volontiers, qu'étant de tous les tems sous notre domination, elles tenoient moins à des opinions étrangeres au plan général de l'administration.

Ces provinces que l'on désigne & que l'on connoît en finances sous la dénomination de provinces de cinq grosses fermes, sont la Normandie, la Picardie, la Champagne, la Bourgogne, la Bresse, le Poitou, le pays d'Aunis, le Berri, le Bourbonnois, l'Anjou, le Maine, Thoüars & la châtellenie de Chantoceaux, & leurs dépendances.

On perçoit, tant à l'entrée de ces provinces qu'à la sortie, 1°. les droits du tarif de 1664, général pour toutes les marchandises : 2°. ceux du tarif de 1667, qui portent sur certains objets dans lesquels on a crû devoir, depuis le tarif de 1664, faire différens changemens ; & les réglemens postérieurs, qui ont confirmé, ou interpreté, ou détruit les dispositions des premieres lois.

Aux provinces de cinq grosses fermes on oppose celles qui sont connues sous le nom de provinces réputées étrangeres, parce qu'en effet elles le sont par rapport aux droits dont il s'agit dans ces articles, quoique d'ailleurs soûmises au même souverain.

Ces provinces sont la Bretagne, la Saintonge, la Guienne, la Gascogne, le Languedoc, la Provence, le Dauphiné, le Lyonnois, la Franche-Comté, la Flandre, le Hainault, & les lieux en dépendans.

Dans ces provinces on perçoit les droits, 1°. des tarifs propres à chacune en particulier ; car toutes en ont un, quoique la dénomination & la quotité du droit varient, ainsi que la forme de la perception : 2°. les droits du tarif de 1667, qui portent sur des objets si intéressans pour notre commerce, que M. Colbert, lors même qu'il déféra sur tout le reste aux préjugés de ces provinces pour leurs anciens tarifs, ne jugea pas à-propos de les laisser libres sur les articles dont il s'agit dans le tarif de 1667, & dans les réglemens qui sont intervenus dans le même esprit.

En faisant topographiquement la comparaison des provinces de cinq grosses fermes & de celles réputées étrangeres, on s'appercevra que celles de cinq grosses fermes forment dans l'intérieur du royaume une presqu'île dont les provinces réputées étrangeres sont le continent ; & que sans la Normandie, qui a reçû le tarif de 1664, elles formeroient une île toute entiere isolée par rapport aux droits du Roi, quoique comprise sous la même dénomination. Voyez TRAITES, où cette matiere se trouvera développée d'une façon plus détaillée. Article de M. PESSELIER.

FERME, (à l'Opera) c'est la partie de la décoration qui ferme le théatre, & c'est de-là qu'elle a pris son nom. La ferme au théatre de l'opéra de Paris, se place pour l'ordinaire après le sixieme chassis : elle est partagée en deux. On pousse à la main chacune de ses deux parties sur deux chevrons de bois qui ont une rainure, & qui sont placés horisontalement sur un plancher du théatre. Des cordes qui sont attachées à l'un des côtés du mur, & qu'on bande par le moyen d'un tourniquet qui est placé du côté opposé, soûtiennent la ferme par en-haut. On donne à ces cordes le nom de bandage.

Cette maniere de soûtenir la ferme, qui a d'abord paru facile, entraîne plusieurs inconvéniens, & ôte une partie du plaisir que feroit le spectacle. 1°. Les cordes d'un changement à l'autre sont jettées à la main, & troublent presque toûjours la représentation. 2°. Elles restent quelquefois après que la ferme a été retirée, & cette vûe coupe la perspective & ôte l'illusion. 3°. Le bandage étant d'une très-grande longueur, il ne sauroit jamais être assez fort pour que la ferme soit bien stable ; ensorte que pour peu qu'on la touche en passant, elle remue, & paroît prête à tomber. Il seroit très-aisé de remédier à tous ces inconvéniens, & les moyens sont trouvés depuis long-tems. Une multitude de petites parties de cette espece trop négligées, diminuent beaucoup le charme du spectacle ; mieux soignées, elles le rendroient infiniment plus agréable. La beauté d'un ensemble dépend toûjours de l'attention qu'on donne à ses moindres parties. Voyez MACHINE, DECORATION, &c. (B)

FERME-A-FERME, (Manége) expression par laquelle nous désignons l'action d'un cheval qui manie ou qui saute en une seule même place ; ainsi nous disons, demi-air de ferme-à-ferme, ballotades de ferme-à-ferme, cabrioles de ferme-à-ferme, &c. (e)

FERME, (Charpenterie) est un assemblage de plusieurs pieces de bois, dont les principales sont les arbalêtriers, le poinçon, les esseliers & antraits ; elle fait partie du comble des édifices. Voyez la figure, Planche du Charpentier.

FERME, jeu de la ferme avec des dés, (Jeu de hasard). On se sert dans ce jeu de six dés, dont chacun n'est marqué que d'un côté, depuis un point jusqu'à six ; ensorte que le plus grand coup qu'on puisse faire après avoir jetté les six dés dehors du cornet, est de vingt-un points. Chaque joüeur met d'abord son enjeu, ce qui forme une poule ou masse plus ou moins grosse, suivant la volonté des joüeurs, dont le nombre n'est point fixé. Ensuite on tire au sort à qui aura le dé, qui passe successivement aux autres joüeurs, en commençant à la droite de celui qui a joüé le premier, & de-là en-avant. On tire autant de jettons qu'on a amené de points, mais il faut pour cela que la poule les puisse fournir ; car s'il y en a moins que le joüeur n'en a amené, il est obligé de suppléer ce qui manque. Si, par exemple, il amene six, & qu'il n'y en ait que deux à la poule, il faut qu'il y en mette quatre, c'est pourquoi il est avantageux de joüer des premiers, quand la poule est bien grasse. Si on fait un coup-blanc, c'est-à-dire si aucun des six dés ne marque, ce qui est assez ordinaire, on met un jetton à la masse, & le dé passe au voisin à droite. Le jeu finit lorsqu'on amene autant de points qu'il y a de jettons à la poule. Quelque rare que soit le coup de vingt-un, je ne laisserai pas d'observer qu'il feroit gagner toute la poule à celui qui auroit eu assez de bonheur pour le faire. Il y a d'autres manieres de joüer ce jeu, comme quand un des joüeurs devient fermier, c'est-à-dire se charge de la ferme ou poule, qui est pour lors à part. Trév. dict. Mais pour savoir quel est le nombre qu'il y a le plus à parier qu'on amenera avec les six dés, appliquez ici les principes de calcul exposés au mot DE (analyse des hasards). Voyez aussi RAFLE. Article de M(D.J.)

FERME, (Jeu) jeu de cartes qui se joue jusqu'à dix ou douze personnes, & avec le jeu complet de 52 cartes, excepté qu'on en ôte les huit & les six, à la reserve du six de coeur, à cause que par les huit & les six on feroit trop facilement seize, qui est le nombre fatal par lequel on gagne le prix de la ferme, & l'on dépossede le fermier. Le six de coeur qui reste, s'appelle le brillant, par excellence, & gagne par préférence à cartes égales, tous les autres joüeurs, & même celui qui a la primauté. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FERMENou LEVAIN, (Chimie) on appelle ainsi un corps actuellement fermentant, qui étant mêlé exactement & en petite quantité dans une masse considérable de matiere fermentable, détermine dans cette matiere le mouvement de fermentation. Voyez la théorie de l'action des fermens, aux articles FERMENTATION, PAIN, VIN, VINAIGRE, PUTREFACTION. (b)

FERMENT, (Econ. anim. Med.) Les anciens chimistes désignoient par le nom de ferment, tout ce qui a la propriété, par son mélange avec une matiere de différente nature, de convertir, de changer cette matiere en sa propre nature.

Un grain de blé semé dans un terroir bien fertile, peut produire cent grains de son espece : chacun de ceux-ci peut en produire cent autres, par la même vertu de fécondité ; ensorte que du seul premier grain il en résulte une multiplication de dix mille, dont chacun a les mêmes qualités que celui qui en a été le germe. Chacun a la même quantité de farine, la même disposition à former un très-bon aliment ; cependant il a été produit dans le même terrein, en même tems, parmi les plantes du blé, des plantes d'une qualité bien différente, telles que celles de tytimale, d'euphorbe, de moutarde. Il y a donc quelque chose dans le grain de blé, qui a la faculté de changer en une substance qui lui est propre, le suc que la terre lui fournit ; pour peu qu'il manquât à cette faculté, il ne se formeroit point de nouveau grain de blé. Ce même suc reçû dans un germe different, seroit changé en une toute autre substance, jamais en celle du blé : ainsi dans un grain de cette espece, dont la matiere productrice n'a guere plus de volume qu'un grain de sable, si on la dépouille de ses enveloppes, de ses cellules, se trouve renfermée cette puissance, qui fait la transmutation du suc de la terre en dix mille plantes de blé ; par conséquent cette puissance consiste à convertir en la substance propre à cette sorte de grain, un suc qui lui est absolument étranger avant la transmutation.

C'est à cette puissance que les anciens chimistes avoient donné le nom de ferment. Ils avoient conséquemment transporté cette idée aux changemens qui se font dans le corps humain, quelque grande que soit la différence ; mais ils sont excusables, parce qu'ils n'avoient pas encore connoissance de la véritable structure des parties, de la méchanique par laquelle s'operent les fonctions dans l'économie animale ; parce qu'ils ignoroient qu'il existe dans cette économie, une faculté par laquelle il n'est presque aucun germe de matiere qui ne puisse être converti en notre propre substance, qui ne puisse fournir les élémens du corps humain.

Qui est-ce qui pourroit imaginer de premier abord, qu'il peut être produit, ce corps animal, de farine & d'eau ? cependant un grand nombre d'enfans ne se nourrissent que de cela, & ils ne laissent pas de croître, & par conséquent d'augmenter le volume & le poids de leur corps. L'homme adulte peut également se borner à cette nourriture, ensorte que de farine & d'eau il peut être produit encore dans les organes propres au sexe masculin, par la faculté attachée aux actions de la vie, une véritable liqueur séminale, qui étant reçûe dans les organes propres à la femme, peut servir à former, à reproduire un individu du même genre, mâle ou femelle, en un mot un autre homme. Cette liqueur est ainsi considérée comme un ferment : on peut dans ce cas passer le terme, quelque peu convenable qu'il soit à l'idée qu'il doit exprimer.

Mais si on entend par ferment, avec plusieurs auteurs modernes, ce qui étant mêlé avec une autre substance, a la propriété d'y faire naître un mouvement intestin quelconque, & de changer par cet effet la nature de cette substance, ou si on ne veut appeller ferment que ce qui peut donner lieu au combat qui semble se faire entre des sels de nature opposée mêlés ensemble ; alors il ne peut que s'ensuivre des erreurs d'un terme employé d'une maniere aussi impropre : il convient donc d'en bannir absolument l'usage pour tout ce qui a rapport à l'exposition de l'économie animale, dans tous les cas où il peut être pris dans l'un des deux sens qui viennent d'être mentionnés, attendu que ce n'est pas seulement à la théorie de l'art qu'est nuisible l'abus des comparaisons tirées de la Chimie, à l'égard des différentes opérations du corps humain ; cet abus porte essentiellement sur la pratique de la Medecine, entant qu'il lui fournit des regles, qu'il dirige les indications & les moyens de les remplir.

Ainsi Vanhelmont qui supposoit différens fermens, auxquels il attribuoit cela de commun, de contenir un principe ayant la faculté de produire une chose d'une autre, generandi rem ex re (Imago ferm. impraeg. mass. semin. §. 23. 8. 12.) ; qui établissoit un ferment de ce genre particulier à chaque espece d'animal & à l'homme, pour changer en sa nature les liquides qu'on lui associoit par la voie des alimens ou de toute autre maniere ; qui plaçoit dans la rate un acide digestif d'une nature singuliere, susceptible d'être porté dans l'estomac par les vaisseaux courts, pour donner de l'action au ventricule, & la vitalité aux alimens : calor effic. non diger. §. 30. Vanhelmont, par cette hypothèse, donnoit lieu à ce qu'on en tirât la conséquence, que les acides sont les seuls moyens propres à exciter, à favoriser la digestion. Voyez ce sentiment réfuté à l'article FAIM. Voyez-en une réfutation plus étendue dans les oeuvres de Bohn, Circ. anat. physiol. progymn. x. & dans l'article suiv. FERMENTATION, (Econ. anim. Med.).

Sylvius (Prax. med.) attribuoit la cause des fievres au suc pancréatique ; conséquemment il employoit pour les détruire un sel volatil huileux, formé de l'esprit de sel ammoniac & d'aromates : il imputoit aussi à l'acide la cause de la petite vérole, prax. med. app. d'où il s'ensuivoit qu'il traitoit ces maladies avec des alkalis absorbans, &c. Dans l'idée que la pleurésie est causée par un ferment acide qui coagule le sang, Vanhelmont fit sur lui-même une funeste expérience, en se traitant pour cette maladie avec les opposés des acides. C'est ce que rapporte son fils dans la préface des ouvrages de cet auteur.

Ainsi il est arrivé de-là que les opinions de ces fameux maîtres ayant été transmises à un grand nombre de disciples, s'acquirent pour ainsi dire le droit de vie & de mort sur le genre humain. Les fermens de toute espece, salins, acides, alkalis, neutres, devinrent la base de la théorie & de la pratique médicinale. Descartes (de homine), & Vieussens (de corde), les adopterent pour rendre raison du mouvement du coeur & de la circulation du sang ; & sur la fin du siecle dernier, on en étendit le domaine jusque sur l'opération des secrétions : ces différens fermens placés dans les divers collatoires, parurent suffisans pour expliquer toute la différence des humeurs séparées du sang. Voyez CHYLE, DIGESTION, CIRCULATION, COEUR, SANG, SECRETION. Ainsi les fermens introduits dans toutes les parties du corps pour toutes les fonctions, déterminerent les moyens relatifs, propres à en corriger les vices ; par conséquent ce qui n'étoit que le fruit de l'imagination sans aucune preuve bien déterminée, ne laissa pas d'être reçû comme un principe, d'après lequel on fixoit les moyens de contribuer à la conservation des hommes.

Mais l'amour de la nouveauté ne laisse pas subsister long-tems l'illusion en faveur d'une opinion ; nous serions trop heureux, si l'expérience n'avoit pas appris qu'on ne renonce le plus souvent à une erreur, que pour passer à une autre quelquefois plus dangereuse. La lumiere de la vérité peut seule fixer l'esprit humain, lorsqu'elle est connue ; mais le voile qui la dérobe à nos yeux est si épais, qu'il est très-rare que notre foible vûe soit frappée du petit nombre de rayons qui le traversent. Voyez, pour l'histoire des fermens dans l'économie animale, les commentaires de Boerhaave sur ses institutions, avec les notes de Haller, passim : les essais de Physique sur l'anatomie d'Heister, par M. Senac. Voyez aussi FERMENTATION (Economie animale), où il est traité assez au long des effets prétendus des différens fermens dans la plûpart des fonctions du corps humain. (d)


FERMENTAIRESS. m. plur. (Hist. ecclés.) fermentarii ou fermentacei, nom que les Catholiques d'Occident ont quelquefois donné aux Grecs dans leurs disputes réciproques sur la matiere de l'eucharistie ; parce que ceux-ci dans la consécration se servent de pain fermenté, ou avec du levain. On croit que les Latins n'ont donné ce nom aux Grecs, que parce que les premiers les avoient appellés par dérision azymites. Voyez AZYMITES. (G)


FERMENTATIONS. f. (Chimie) ce mot tiré du latin fervere, bouillir, a été pris par les chimistes postérieurs à Paracelse, dans un sens beaucoup plus étendu que celui que lui ont donné les anciens philosophes. Ces derniers ne l'ont employé que pour exprimer l'altération qu'éprouve la farine pétrie avec de l'eau, celle qui constitue la pâte levée. Voy. PAIN. Les modernes, au contraire, ont fait de ce mot une dénomination générique, sous laquelle ils ont compris tout bouillonnement ou tout gonflement excité dans un corps naturel par la diverse agitation de ses parties. Willis, de fermentatione, la définit ainsi.

La fermentation a été dans la doctrine chimique & médicinale du siecle dernier, ce qu'a été dans la Physique la matiere subtile, & ce qu'est aujourd'hui l'attraction : elle eut aussi le même sort que l'agent cartésien, que la qualité newtonienne, & en général que tous les principes philosophiques les plus solidement établis. La foule des demi-chimistes, la Tourbe entendit mal la doctrine de la fermentation, l'employa de travers, l'altéra, la défigura ; les Medecins en firent sur-tout l'usage le plus ridicule pour expliquer l'économie animale. Voyez FERMENTATION (Med.) & MEDECINE.

Les notions que nous ont donné de la fermentation ses premiers promoteurs, Vanhelmont, Deleboé, Billich, Willis, Tachenius, & sur-tout notre célebre Becher, n'ont eu besoin que d'être expliquées, mieux ordonnées, rendues plus distinctes, plus philosophiques, pour nous fournir un principe aussi fécond qu'évident, d'un grand nombre de phénomenes chimiques, de l'efflorescence des pyrites, de la décomposition de certaines mines, & peut-être de leur génération ; de la putréfaction de l'eau commune, des diverses altérations de tous les sucs animaux hors du corps vivant, & vraisemblablement de leur formation & de leurs différens vices dans l'animal vivant ; de la germination des grains, de la maturation des fruits, du changement des substances muqueuses en vin, de celui des matieres acescibles en vinaigre, de la putréfaction, de la moisissure, de la vappidité des liqueurs spiritueuses, de leur graisser, de leur tourner ; de la rancidité des huiles, &c. J'omets à dessein le mouvement violent & tumultueux, occasionné dans un liquide par l'union de deux substances miscibles, opérée dans le sein de ce liquide. Les chimistes exacts ont distingué ce phénomene sous le nom d'effervescence. Voyez EFFERVESCENCE.

Ils ont consacré le mot de fermentation, pour exprimer l'action réciproque de divers principes préexistans ensemble dans un seul & même corps naturel sensiblement homogene, y étant d'abord cachés, oisifs, inerts, & ensuite développés, reveillés, mis en jeu.

Le mouvement qu'une pareille réaction occasionne est insensible, comme celui qui constitue la liquidité. Il ne faut pas le confondre avec le bouillonnement sensible, qui accompagne quelquefois les fermentations ; ce dernier n'est qu'accidentel, il ne contribue vraisemblablement en rien à l'ouvrage de la fermentation.

Les sujets fermentables sont des corps de l'ordre des composés, ou des surcomposés (voyez MIXTION) dont le tissu est lâche, laxae compagis, & à la composition desquels concourt le principe aqueux.

La fin ou l'effet principal & essentiel de la fermentation, c'est la décomposition du corps fermentant, la séparation & l'atténuation de ses principes. Becher & Stahl ont pensé que les principaux produits des fermentations les mieux connues, étoient dûs à une récomposition. Nous exposerons ailleurs les raisons de doute que nous avons contre cette opinion. Voyez FERMENTATION VINEUSE au mot VIN.

Il paroît clair à-présent que l'effervescence, qu'il eût été toûjours utile de distinguer de la fermentation, ne fût-ce que pour la précision de l'idiome chimique, en est réellement distincte par le fond même des choses ; car l'essence, le caractere distinctif de l'effervescence, consiste précisément dans le bouillonnement d'une liqueur, occasionné par une éruption rapide de bulles d'air : ce phénomene extérieur est au contraire accidentel à la fermentation, ensorte qu'on s'exprimeroit d'une façon assez exacte, en disant que certaines fermentations, celles des sucs doux par exemple, se font avec effervescence, & que quelques autres, telles que la plûpart des putréfactions, se font sans effervescence.

La fermentation du chimiste qui considere les objets qui lui sont propres, intus & in cute, est donc absolument & essentiellement distincte de l'effervescence ; on ne peut les confondre, les identifier, que lorsqu'on ne les considere que comme mouvement intestin sensible. Sous cet aspect, le phénomene est en effet le même ; c'est proprement une effervescence dans les deux cas.

Cette discussion nous a paru nécessaire pour fixer la véritable valeur du mot fermentation, employé dans un grand nombre d'ouvrages modernes où il est pris indifféremment, soit dans le sens ordinaire que nous donnons à celui d'effervescence (V. EFFERVESCENCE), soit dans celui que nous attachons nous-mêmes au mot fermentation, soit enfin pour exprimer le phénomene accidentel à notre fermentation, que nous venons de regarder comme une véritable effervescence.

Il est évident d'après les mêmes notions, qu'il ne faut pas comprendre dans l'ordre des fermentations l'ébullition ou le mouvement intestin sensible, qu'éprouve un liquide par la plus grande intensité de chaleur dont il soit susceptible, comme plusieurs auteurs l'ont fait, & comme on seroit en droit de le faire d'après la définition de Willis ; car l'ébullition differe si essentiellement des autres especes de mouvement intestin, qu'elle n'est pas même un phénomene chimique : en effet l'ébullition n'est que le degré extrème de la liquidité ; or la liquidité n'est pas une propriété chimique. Voyez l'article CHIMIE, page 412. col. premiere, pag. 414. col. seconde, & page 415. col. prem. D'ailleurs l'ébullition comme telle ne produisant pas nécessairement dans le corps bouillant une altération intérieure ou chimique, puisqu'elle est aussi bien propre aux corps simples ou inaltérables qu'aux corps composés, il est clair qu'elle n'a de commun avec la fermentation qu'un phénomene extérieur & purement accidentel.

Revenons à la fermentation proprement dite. Les différentes altérations spontanées dont nous avons donné la liste au commencement de cet article, en sont réellement des especes ; & tout ce que nous avons dit jusqu'à présent de la fermentation en général, convient également à chacun de ces phénomenes en particulier : mais il n'est qu'un petit nombre de fermentations qui ayent été soigneusement étudiées, & qui soient suffisamment connues ; savoir, celles qui produisent le vin, le vinaigre, & l'alkali volatil fermenté, qui portent les noms de fermentation vineuse, de fermentation acéteuse, & de putréfaction, & celle des farines pétries avec de l'eau, qui n'est qu'une branche ou variété de la premiere. Ce sont-là les fermentations par excellence, les seules même qui ayent été examinées ex professo, les uniques especes qui remplissent toute l'extension qu'on donne communément au phénomene général énoncé sous le nom de fermentation. Les autres especes ne s'y rapportent que par une analogie qui paroît à la vérité bien naturelle, mais qui n'est pas encore établie démonstrativement. On a sur les premieres especes des connoissances positives ; & sur les autres seulement des vérités entrevûes, des prétentions.

Nous croyons que c'est en traitant des trois especes de fermentations généralement reconnues par les Chimistes, que nous devons examiner toutes les questions particulieres qui appartiennent à ce sujet, & dont l'éclaircissement est nécessaire pour l'exposer d'une maniere satisfaisante. En nous en tenant à des considérations générales, qui seules conviendroient à cet article, nous resterions dans un vague qui n'apprendroit rien ; car les généralités vagues n'apprennent rien, non-seulement parce que les vérités abstraites ne trouvent accès que dans peu de têtes, même prises dans l'ordre de celles qui s'occupent par état des faits particuliers dont ces vérités sont formées, mais encore parce que la précision qu'elles exigent, retranche & châtre beaucoup d'idées qui porteroient le plus grand jour sur le sujet traité, mais qui ne représentent pas des propriétés exactement communes à la totalité des objets, embrassés par une contemplation générale.

Nous nous proposons donc de répandre tout ce qui nous reste à dire sur le sujet très-curieux que nous venons d'ébaucher, dans les articles particuliers VIN, PAIN, VINAIGRE, PUTREFACTION. Voyez ces articles. (b)

FERMENTATION, (Econ. anim.) la signification de ce mot a été restrainte sur la fin du siecle dernier seulement ; il n'est employé aujourd'hui, parmi les Chimistes, les Physiciens, & les Medecins instruits, que pour exprimer un mouvement intestin, qui peut être produit, sans aucune cause externe sensible, dans la plûpart des végétaux & dans les seuls corps de ce genre, dont les parties intégrantes étoient auparavant dans un état de repos ; mouvement par le moyen duquel il s'opere un changement dans la substance de ces corps, qui rend leur nature différente de ce qu'elle étoit, ensorte qu'il leur donne une propriété qu'ils n'avoient pas auparavant, de fournir un esprit ardent, ou un esprit acide : d'où s'ensuit la distinction de la fermentation en vineuse & en acéteuse. Voyez FERMENTATION (Chimie).

Il n'est plus question de fermentation dans la théorie de la Medecine, que relativement à l'idée qui vient d'en être donnée, & à ce qui en sera dit à la fin de cet article : on évite ainsi la confusion, qui ne pourroit manquer de suivre de l'abus de ce terme dont on faisoit usage indistinctement (depuis Vanhelmont jusqu'à l'extinction de la secte des medecins, que l'on appelloit chimique), pour exprimer toute sorte de mouvement intestin, excité par un principe quelconque, dans les parties intégrantes de deux corps de nature hétérogene telle qu'elle soit, avec tendance à la perfection des corps fermentans, ou à leur transformation en des substances différentes de ce qu'ils étoient ; ensorte que la raréfaction, l'effervescence, la putréfaction, n'étoient aucunement distingués de la fermentation, & étoient prises assez indifféremment les unes pour les autres. C'est ainsi que Willis représente la fermentation, dans la définition que l'on en trouve dans le traité de cet auteur sur ce sujet, de fermentat. cap. iij. définition aussi vague, aussi peu appropriée, que le système auquel elle servoit de principe pour rendre raison de tous les phénomenes de l'économie animale.

Les différentes fermentations que l'on imaginoit dans les différens fluides du corps humain ; les fermens, c'est-à-dire les substances auxquelles on attribuoit la propriété de produire des mouvemens intestins, par leur mélange dans nos humeurs, étoient en effet les grands agens auxquels on attribuoit toutes les opérations du corps humain, tant dans l'état de santé que dans celui de maladie. Voyez FERMENT. Telle étoit la base de la théorie de Vanhelmont, de Sylvius Deleboë, de Viridetus, & de toute la secte chimique, qui varioient dans les combinaisons des fermens & de leur action : mais ils se réunissoient tous en ce point principal, qui consistoit à ne raisonner en Medecine que d'après l'idée des mouvemens intestins dans les humeurs, à ne faire contribuer pour ainsi dire en rien l'action des parties organiques dans les diverses fonctions du corps humain.

C'est pourquoi ces medecins ont été mis au nombre des humoristes. Voyez HUMORISTES. Et pour les distinguer parmi ceux-là qui sont partagés en différentes sectes, on a donné le nom de fermentateurs à ceux dont il s'agit ici : c'est au moins ainsi qu'ils ont été désignés dans plusieurs ouvrages modernes, tels que ceux de M. Senac, celui de M. Quesnay sur les fievres continues, &c.

L'histoire des erreurs n'est peut-être pas moins utile, & ne fournit pas moins d'instruction que celle des vérités les plus reconnues ; ainsi il est à-propos de ne pas se borner ici à donner une idée générale des opinions des fermentateurs qui ont joué un si grand rôle sur le théatre de la Medecine moderne, il convient encore d'y joindre une exposition particuliere de ce qui peut servir à faire connoître l'essentiel de leur doctrine, & de la maniere dont elle a été réfutée, pour ne rien laisser à desirer sur ce sujet, dans un ouvrage fait pour transmettre à la postérité toutes les productions de l'esprit humain connues de nos jours, toutes les opinions, tous les systèmes scientifiques qui sont jugés dignes par eux-mêmes ou par la réputation de leurs auteurs d'être relevés, & que l'on peut regarder comme des vérités à cultiver, ou comme des écueils à éviter : ainsi après avoir rappellé combien on a abusé, par rapport à la fermentation, & du terme & de la chose, il sera à-propos de terminer ce qu'il y a à dire sur ce sujet concernant la physique du corps humain, en indiquant la véritable & la seule acception sous laquelle on employe & on restreint aujourd'hui le mot de fermentation dans les ouvrages de Medecine.

C'est principalement à l'égard de l'élaboration des alimens dans les premieres voies, & de leur conversion en un fluide animal, que les partisans de la fermentation mal-conçûe se sont d'abord exercés à lui attribuer toute l'efficacité imaginable ; c'est conséquemment dans l'estomac & dans les intestins qu'ils commencerent à en établir les opérations : d'où ils étendirent ensuite son domaine dans les voies du sang & dans celles de toutes les humeurs du corps humain, par un enchaînement de conséquences qui résultoient de leurs principes, toûjours ajustés à se prêter à tout ce que peut suggérer l'imagination, lorsqu'elle n'est pas reglée par le frein de l'expérience.

C'est une opinion fort ancienne, que l'acide sert à la chylification. Galien fait mention d'un acide pour cet usage, dans son traité de usu partium, lib. IV. cap. viij. il conjecture qu'il est porté de la rate dans l'estomac une sorte d'excrément mélancholique ou d'humeur atrabilaire, qui par sa nature acide & âpre, a la faculté d'exciter les contractions de ce viscere. Avicenne paroît avoir positivement adopté ce sentiment : lib. I. can. feu. 1. doctr. 4. cap. j. C'est aussi dans le même sens que l'on trouve que Riolan (antropogr. l. II. c. xx.) attribue à l'acide la chylification. Castellus, medecin de l'école de Messine, alla plus loin ; ne trouvant pas (selon ce qui est rapporté dans sa lettre à Severinus) que la coction des alimens puisse s'opérer par le seul effet de la chaleur, puisqu'on ne peut pas faire du chyle, dans une marmite sur le feu, parla le premier de fermentation comme d'un moyen propre à suppléer à ce défaut. Il prétendit que cette puissance physique est nécessaire, & employée par la nature pour ouvrir, dilater les pores des alimens dans l'estomac, pour les faire enfler & les rendre perméables comme une éponge, afin que la chaleur puisse ensuite les pénétrer d'une maniere plus efficace qu'elle ne feroit sans cette préparation, afin qu'elle en opere mieux la dissolution & les rende plus miscibles entr'eux. Telle fut l'opinion de celui que l'on pourroit regarder à juste titre comme le chef des fermentateurs (qui n'en est certainement pas le moins raisonnable), c'est-à-dire de ceux qui ont introduit la fermentation dans la physique du corps humain.

Mais personne avant le fameux Vanhelmont ne s'étoit avisé, pour expliquer l'oeuvre de la digestion, de soûtenir l'existence d'une humeur acide en qualité de ferment, qui soit produite & inhérente dans le corps humain ; personne avant cet auteur n'avoit enseigné qu'un ferment peut dissoudre les alimens de la même maniere que se font les dissolutions chimiques par l'effet d'un menstrue. Vanhelmont conçut cette idée avant qu'il pût avoir connoissance de la découverte de la circulation du sang ; & quoique cette découverte ait été faite de son tems, il s'étoit trop acquis de réputation par son système, & il en étoit trop prévenu, peut-être même trop persuadé, pour y renoncer.

Ainsi tant que la circulation n'étoit pas admise, on étoit fort embarrassé de trouver une cause à laquelle on pût solidement attribuer la chaleur animale : cependant on voyoit que les alimens les plus froids de leur nature, & qui n'ont aucun principe de vie par eux-mêmes, contractent dans le corps humain la chaleur vitale, qu'ils semblent porter & renouveller continuellement dans toutes ses parties ; chaleur absolument semblable à celle qui les animoit avant que ces alimens fussent pris, digérés, & mêlés avec les différentes humeurs animales. On observoit par les expériences convenables, que les substances acides employées pour la nourriture, sont changées par l'effet de la digestion & de la coction des humeurs, en un fluide d'une nature si différente, qu'on peut sans aucune altération en tirer un sel volatil ; changement dont il est certainement bien difficile de rendre raison.

Helmont, qui étoit tellement passionné pour la Chimie qu'il ne croyoit pas qu'il y eût d'autre moyen d'étudier la nature que ceux que pouvoit fournir cette science, s'appliqua à chercher la cause d'un phénomene si admirable. Il ne crut pas qu'on pût la trouver ailleurs que dans la fermentation, dans l'effet du mouvement intestin qui résulte du mélange de principes hétérogenes, d'où s'ensuit une chaleur susceptible de se communiquer, de s'étendre dans toutes les parties de la machine, & d'y rendre fluide & mobile tout ce qui doit l'être pour l'entretien de la vie : il tiroit cette derniere conséquence des expériences qui lui étoient connues, par lesquelles il est prouvé qu'il peut être produit une chaleur considérable de l'effervescence excitée entre des corps très-froids par eux-mêmes, ainsi qu'il arrive à l'égard du mélange de l'huile de vitriol, avec le sel fixe de tartre.

Cela posé, il forma son système ; il crut qu'il étoit hors de doute que la transmutation des alimens en chyle devoit être attribuée à l'efficacité d'un ferment acide, sextupl. digest. §. 2, 3, 4, 11, 12, 13 ; il supposoit ce ferment d'une nature absolument différente de celle d'un ferment végétal ou de tout autre acide chimique : ce ferment avoit, selon lui, un caractere spécifique ; ce qu'il établissoit par des comparaisons, en le regardant comme l'esprit-de-sel qui peut dissoudre l'or, ce que ne peut faire aucun autre esprit acide ; tandis que ce même esprit-de-sel n'a aucune action sur l'argent : en un mot ce ferment étoit un acide propre au corps humain, doué de qualités convenables, pour changer les alimens en une humeur vitale par son mélange avec eux, & par la fermentation qui s'ensuivoit ; en quoi il pensoit moins mal encore que ceux qui soûtenoient que le chyle ne pouvoit être préparé que par l'efficacité d'un esprit de nitre. Lowthorp. abrigdam. iij. Helmont croyoit cependant son ferment stomacal d'une nature plus subtile encore que cet esprit ; il regardoit cet acide comme une exhalaison, qu'il comparoit à ce qui s'évapore des corps odoriférans ; il les désignoit souvent, sub nomine fraudinis, odoris fermentativi, impregnantis : il ne pensoit pas par conséquent qu'il existât sous la forme d'un liquide bien sensible & bien abondant ; encore moins, qu'il formât un ferment grossier, tel que le levain du pain, quoique celui-là excite la fermentation dans les matieres alimentaires, à-peu-près de la même maniere que celui-ci dans la pâte. Voyez un plus grand détail sur tout ceci dans les propres ouvrages d'Helmont, dans ceux d'Ettmuller, &c.

Helmont donnoit la même origine que Galien & Avicenne, au prétendu acide digestif ; il supposoit également avec eux, qu'il étoit porté de la rate dans l'estomac par les vaisseaux courts. Pylor. rector. §. 26.

Sylvius l'un des plus zélés sectateurs d'Helmont, après avoir connu la circulation du sang, moins obstiné que son maître, crut devoir s'écarter de son sentiment au sujet de cette origine du ferment acide ; il fut convaincu, d'après les expériences anatomiques, que les vaisseaux courts sont des veines qui portent le sang du ventricule à la rate, & qui ne fournissent rien au ventricule ; que la rate pouvant être emportée sans que la digestion cesse de se faire, ce viscere n'y contribue donc immédiatement en rien : ces raisons étoient sans replique. Il chercha une autre source à ce ferment ; il imagina la trouver dans les glandes salivaires, parce qu'il arrive quelquefois que l'on a dans la bouche une humeur regorgée si aigre, que les dents en sont agacées ; ce qu'il pensa ne pouvoir être attribué qu'à la salive même.

Quant à la nature du ferment digestif, considéré par rapport à son action dans le ventricule, Helmont & toute la secte chimique cartésienne, prétendoient établir son acidité par différentes preuves ; les principales qu'ils alléguoient, sont, 1°. qu'il a été observé que le gosier des moineaux exhale une odeur aigre ; 2°. que plusieurs oiseaux avalent des grains de sable, pour corriger, disent les fermentateurs, l'activité de l'acide de leur estomac, & que l'on y trouve souvent de petits graviers qui paroissent rongés par l'effet du ferment acide ; 3°. qu'il arrive souvent que les alimens aigrissent très-peu de tems après avoir été avalés ; 4°. que le lait pris à jeûn, & rejetté bientôt après par le vomissement, sent fortement l'aigre, & se trouve souvent caillé ; 5°. que les acides sont propres à exciter l'appétit ; 6°. que les rapports d'un goût aigre sont regardés, selon Hippocrate, sect. vj. aphor. 1. & par expérience, comme un bon signe à la suite des longues inappétences, des flux de ventre, des lienteries invétérées, parce qu'ils annoncent, selon les partisans de la fermentation, que le menstrue digestif recouvre l'activité qu'il avoit perdue ; 7°. que les préparations martiales produisent, pendant qu'elles sont retenues dans l'estomac, des rapports d'une odeur sulphureuse, empyreumatique ; 8°. que le ventricule des animaux ouvert peu de tems après, répand de fortes exhalaisons de nature spiritueuse & véritablement acide. Telles sont les raisons les plus fortes dont se servoient les fermentateurs pour donner un fondement à leur opinion sur le ferment acide, par le moyen duquel ils prétendoient que la digestion s'opere dans l'estomac.

Mais toutes ces raisons n'ont pû tenir contre les expériences plus éclairées, faites sans préjugé, & dans lesquelles on ne cherchoit à voir que ce qui se présentoit, & non pas ce que l'on souhaitoit être conforme au système préétabli. Les Anatomistes, les Physiciens, scrutateurs de la seule vérité, se sont donc convaincus qu'il n'y a jamais de suc acide dans l'estomac, qui soit propre à ce viscere ; que qui que ce soit n'y en a jamais trouvé, ni ne peut y en trouver ; que toutes les humeurs du corps humain sont insipides, & ne sont chargées d'autre principe salin que d'une sorte de sel neutre, qui approche de la nature du sel ammoniac ; & qui, si on veut le rapporter à une des deux classes de sel acide & de sel alkali, auroit plus d'affinité avec la derniere.

Mais le sang tiré d'un animal à jeûn, dit M. Senac, ne présente au goût ni un acide, ni un alkali ; il n'a qu'un goût de sel marin : si on le mêle même tout chaud avec des acides ou avec des alkalis, il ne s'y excite aucun bouillonnement. De ces deux résultats on peut conclure évidemment que le sang n'est ni acide ni alkali ; il n'a certainement pas plus d'acidité ou d'alkalinité que les sels concrets. On peut ajoûter à tout cela, que la distillation du sang ne donne ni des acides ni des alkalis. Helmont lui-même a été forcé de convenir qu'il n'y a point d'acide dans le sang d'un homme sain (plevra furens, §. xjv. seqq.) ; & que s'il s'y en trouve, c'est contre nature, puisqu'il produit alors des pleurésies : ainsi puisqu'il accorde le fait, que le sang, dans les vaisseaux qui portent les humeurs aux glandes salivaires, aux glandes du ventricule, ne contient qu'un sel muriatique, sans goût, sans piquant, comment peut-il imaginer que d'un fluide que l'on pourroit tout au plus regarder comme étant de nature presqu'alkalescente, il puisse par une métamorphose subite, en être séparé un ferment de nature acide ? D'ailleurs, selon lui, la lymphe n'est pas acide. Il est prouvé que la salive & le suc gastrique ne different en rien de cette partie de nos humeurs, & que ces deux sortes de sucs digestifs contiennent les mêmes principes qu'elle.

Pour ce qui est des preuves détaillées ci-devant en faveur du ferment acide, voici comment on en a détruit le spécieux. 1°. L'exhalaison aigre que rend le gosier des moineaux, n'a rien qui doive tirer à conséquence, si l'on fait attention que ces oiseaux qui ont fourni cette expérience, avoient certainement été nourris avec du pain fermenté, qui contracte d'autant plus facilement l'acescence, que l'estomac de ces animaux est extrèmement chaud. 2°. Quant aux grains de sable, aux graviers qu'avalent certains oiseaux, ce n'est pas pour tempérer l'activité du ferment acide de l'estomac, mais pour contribuer à la division des grains de blé ou autres, par le mélange & l'application qu'en fait l'action des parois de l'estomac, qui sont extrèmement fortes. Ces petits corps durs sont comme autant de dents mobiles en tout sens, qui servent à broyer des corps moins durs parmi lesquels elles roulent : c'est un supplément au défaut de la mastication. Ces mêmes graviers, qui paroissent rongés, ne prouvent rien en faveur de l'acide digestif, puisqu'un menstrue alkalin peut produire le même effet ; mais l'humidité seule de l'estomac, en ramollissant ces substances pierreuses avec le frottement, suffit pour cela. 3°. L'acidité que contractent certains alimens peu de tems après avoir été reçûs dans le ventricule, ne provient pas du ferment acide auquel ils sont mêlés, mais de la disposition particuliere qu'ils ont par leur nature à s'aigrir, attendu que si ce changement dépendoit de ce ferment, toutes sortes d'alimens l'éprouveroient de la même maniere, ce qui est contre l'expérience, & que n'avancent pas les fermentateurs. 4°. C'est par la même raison que le lait s'aigrit aisément dans l'estomac, c'est-à-dire par sa tendance naturelle à l'acescence. Outre cela, l'usage d'alimens acescens, & ce qui en reste dans l'estomac de la digestion précédente, surtout lorsqu'elle se fait lentement, & que les matieres alimentaires sont trop long-tems retenues dans ce viscere, sont des causes qui font que bien des personnes ne peuvent pas prendre du lait sans qu'il s'aigrisse & qu'il se caille. D'ailleurs, qui ignore que la seule chaleur suffit pour faire aigrir & cailler le lait, sans le moyen d'aucun acide, sur-tout lorsque le lait n'est pas récemment tiré ? 5°. Il est vrai que les acides sont quelquefois employés utilement pour exciter l'appétit, mais ce n'est que dans certains cas. Voyez FAIM. Il suffit que l'expérience prouve qu'ils ne produisent pas toûjours cet effet, pour que l'on ne puisse rien en conclure en faveur du ferment acide. 6°. Les rapports d'un goût aigre ne sont un bon signe que dans les longues inappétences, dans les cours de ventre, les lienteries invétérées par cause de relâchement ; & ce n'est qu'autant qu'ils annoncent que les alimens sont retenus dans l'estomac & dans les intestins plus qu'ils ne l'étoient auparavant, sans y être suffisamment travaillés pour être bien digérés, ensorte qu'ils commencent à s'y corrompre de la maniere à laquelle ils ont le plus de disposition : ainsi c'est juger de la diminution d'un vice par un autre, mais qui est moins considérable, qui peut être corrigé plus facilement. C'est une preuve que la digestion commence à se faire, mais qu'elle se fait imparfaitement : on en tire une conséquence avantageuse, dans la supposition que cette fonction ne se faisoit auparavant presque pas du tout. Des rapports nidoreux, d'un goût pourri, annoncent la même chose que les rapports aigres, dans ce cas, lorsqu'ils viennent après que l'on a mangé de la viande ou d'autres alimens susceptibles de putréfaction. 7°. Les rapports d'une odeur sulphureuse ne suivent pas dans tous les sujets l'usage des préparations martiales, ce sont principalement les hypocondriaques qui éprouvent cet effet : d'ailleurs il ne faut pas toûjours les attribuer aux acides, puisque le simple mélange de limaille de fer avec de l'eau pure, suffit pour produire des exhalaisons de la même nature. 8°. Pour que les exhalaisons acides qui sortent du ventricule ouvert d'un animal, prouvassent quelque chose en faveur du ferment acide, il faudroit que cette expérience se fît dans le tems où ce viscere est absolument vuide d'alimens ; au contraire elle est alléguée comme ayant été faite peu de tems après que l'animal a mangé : c'est alors à la nature des alimens qu'il a pris, qu'il faut attribuer ces vapeurs acides, parce qu'ils étoient vraisemblablement susceptibles de corruption acide. On n'ignore pas que le lait caillé dans le ventricule d'un veau, fait un puissant ferment acide que l'on employe pour séparer la partie caséeuse des autres parties du lait ; mais les fermentateurs ne se sont jamais avisés de dire que l'animal employé pour l'expérience dont il s'agit ici, n'eût été nourri que de viande, parce qu'avec cette condition l'expérience n'auroit pas fourni le même résultat.

C'est ainsi qu'a été détruit par les fondemens l'édifice du système chimique, quant à la maniere dont ils prétendoient expliquer l'oeuvre de la digestion dans le ventricule ; mais comme ils ne se bornoient pas à établir dans ce viscere les merveilles de la fermentation, il faut les suivre dans le canal intestinal, où ils font encore joüer bien des rôles à ce même principe, pour lui attribuer l'entiere perfection du chyle.

Helmont supposant que le chyle a été rendu acide par l'effet du ferment de même nature qu'il a établi dans l'estomac, faisoit opérer une précipitation par le moyen de cette acidité du suc alimentaire, lorsqu'il est porté dans les intestins, & d'une sorte de qualité de la bile qui équivaloit à l'alkalinité. Quoiqu'il ne s'en expliquât pas bien clairement, il lui attribuoit cependant de contenir beaucoup de sel lixiviel & d'esprit huileux. Il pensoit qu'après cette précipitation le chyle n'avoit plus qu'une salure douce, & plus convenable au caractere de nos humeurs en général, & il se représentoit cette transmutation de la maniere suivante. Le concours de ces deux fluides donnant lieu à leur mélange, ils devoient s'unir intimement l'un à l'autre par leurs parties intégrantes, se fondre l'un dans l'autre par l'affinité qui se trouve entr'eux ; ensorte que le sel acide du chyle pénétrant l'alkali de la bile, devoit exciter une effervescence, une douce fermentation d'où résultât un tout d'une nature différente de ce qu'étoit le double ingrédient avant le mélange ; savoir un fluide salin, acide, cependant volatil.

Pour réfuter toutes ces nouvelles idées d'Helmont, on n'a eu d'abord qu'à nier que le ferment du ventricule soit acide, & à le prouver ainsi qu'il a été fait ci-devant. Ensuite on a démontré que la bile dans l'état naturel, c'est-à-dire tirée d'un animal sain, n'a fermenté, n'a produit aucune effervescence (pour parler plus correctement) avec aucune sorte d'acide. La chose a été tentée de différentes manieres. Bohn rapporte, circul. anat. phys. progymn. x. qu'il a mêlé de l'esprit de vitriol, de celui de nitre, de celui de sel, avec une certaine quantité de bile de boeuf récemment tirée de sa source, sans qu'il y ait jamais apperçû aucune marque d'agitation intestine ; le mêlange se changeoit seulement en une substance coagulée, de différente couleur & de différente consistance. Cet auteur fait même observer que les acides ne produisent pas cette coagulation avec toute sorte de bile : celle du chien mêlée avec de l'esprit de sel, ne fit que prendre une couleur verte, sans changer de consistance. D'autres ne conviennent pas qu'il ne se fasse point d'effervescence dans un pareil mélange ; mais on a observé un mouvement de cette espece dans l'eau pure, qui s'échauffe par l'huile de vitriol (Boerh. élém. chem. ij.) : ainsi on ne peut tirer de-là aucune conséquence pour l'alkalinité de la bile. Voy. BILE.

Sylvius fit quelques changemens au système de son maître : il crut trouver de l'acidité dans le suc pancréatique ; & ayant à-peu-près la même idée de la bile qu'Helmont, puisqu'il la trouvoit fort approchante du sel volatil alkalin, joint à une huile volatile, il n'eut pas de peine à tirer de ces principes, la conséquence, que ces deux sortes d'humeurs étant mêlées l'une avec l'autre, & toutes les deux avec le chyle déjà supposé acide, elles doivent produire une fermentation. Il imagina outre ce, qu'il s'ensuivroit de-là une précipitation des parties grossieres de ce mélange, qui n'avoient pas de l'affinité avec les parties intégrantes de ces différens fluides ; d'où résultoit la séparation des matieres fécales, tandis que les plus homogenes & les plus atténuées, composées du suc des alimens, des deux fermens dépurés, & de la pituite intestinale, rendue aussi plus fluide par la même cause, pénétroient dans les veines lactées sous le nom de chyle, ou étoient absorbées dans ces vaisseaux, pour être portées à leur destination.

Cette derniere opinion eut un grand nombre de partisans, parmi lesquels il y en avoit de célebres, tels que Schuyl, de Graaf, Swalve, Harder, Diemerbroek, &c. qui la soûtinrent avec autant d'obstination qu'ils l'avoient embrassée avec peu de fondement.

Il suffiroit, pour le prouver, de rappeller ce qui a été dit ci-devant au sujet du sang, dont la nature ne comporte aucunement qu'il fournisse dans l'état de santé ni acide ni alkali, soit par lui-même, soit par les fluides qui en sont séparés ; mais il ne faut rien omettre de ce qui a été dit de plus important pour renverser cette partie si fameuse du système chimique.

On a démontré que dans toute cette hypothèse il n'y a rien qui soit conforme à la nature. 1°. Il existe une définition, une idée précise du caractere qui distingue les substances acides de toute autre substance. Sylvius n'ignoroit pas quels en sont les signes distinctifs ; cependant de toutes les propriétés de l'acide il n'en est aucune qui se trouve dans le suc pancréatique : on ne l'a jamais vû former aucune effervescence avec un sel alkali ; il ne donne pas la couleur rouge au sirop violat ou à celui de tournesol, il ne caille pas le lait, &c. il n'a aucune sorte d'aigreur dans un animal sain : si on en a trouvé quelqu'indice, on a dû l'attribuer ou à quelque portion de suc d'alimens de nature acescente imparfaitement digérés, qui s'est mêlée avec le suc pancréatique sur lequel on a fait l'expérience, ou à quelque changement produit par maladie. Graaf lui-même n'a pas pû manquer de sincérité en faveur de son préjugé, au point de soûtenir qu'il ait toûjours trouvé au suc pancréatique un goût acide : il est convenu (de succo pancr. in operib.) en présence de Sylvius son maître, qu'il est le plus souvent seulement d'un goût salé ; qu'il n'a quelquefois aucun goût ; qu'il est insipide, quelquefois d'une salure acide, & qu'il ne l'a trouvé que rarement ayant un goût acide bien décidé. L'expérience qu'il cite entr'autres, faite sur le cadavre d'un matelot d'Angers, ouvert dans le moment de sa mort arrivée subitement par accident, dans lequel on trouva ce suc digestif bien acide, est regardée comme faite avec peu de soin ; le fait en a été contesté par Pechlin (metam. apott. & aesc.) qui alléguoit le témoignage d'une personne présente à l'ouverture du cadavre ; lequel témoin nioit le résultat de Graaf, & rapportoit la chose d'une maniere toute différente.

1°. Le goût le plus ordinaire du suc pancréatique est d'être salé dans l'homme, & insipide dans les animaux, qui n'usent pas du sel commun, selon ce qu'enseigne Brunner, & ce dont chacun peut s'assûrer par soi-même en le goûtant. Il ne peut être acide que par l'effet des maladies dans lesquelles il y a dans les humeurs une acidité dominante. 2°. Le subterfuge de Sylvius, qui objectoit que le suc pancréatique étant fourni par les nerfs, devoit participer à la nature du fluide nerveux, qu'il supposoit acide, ne lui réussit pas mieux que ses autres prétentions. On n'eut qu'à lui demander comment il avoit pû s'assûrer de l'acidité du fluide nerveux, qui jusqu'à présent a été si peu susceptible de tomber sous les sens, qu'on a crû conséquemment être autorisé à douter de son existence. D'ailleurs la difficulté déjà rebattue se présente encore. Comment le sang de nature alkalescente, selon cet auteur même, peut-il fournir de sa masse un fluide d'une nature opposée ? Sylvius se retrancha ensuite à dire que l'acide du suc pancréatique n'y est pas développé ; mais s'il ne peut pas donner des indices de sa présence, s'il n'est pas sensible, comment peut-on s'assûrer qu'il existe, qu'il peut produire une effervescence sensible ? Sylvius n'avoit donc pas d'autre raison de vouloir que ce suc pancréatique fût acide, que le besoin d'avoir un principe à opposer à la bile, pour établir la fermentation dans les intestins, comme il l'avoit déjà établie dans l'estomac. 3°. La fameuse expérience de Schuyl, rapportée dans son ouvrage de medicina veterum, avec laquelle il venoit à l'appui du système ébranlé de Sylvius, & que toute la secte chimique regarda comme invincible, n'est pas moins facile à réfuter que toutes les preuves alléguées précédemment. Cette expérience consistoit en ce que le duodénum étant lié au-dessus & au-dessous des conduits pancréatique & cholidoque dans un animal vivant, l'espace entre les deux ligatures s'enfle considérablement, avec une tension & une chaleur bien notables ; & le boyau étant ensuite ouvert en cet endroit, répandoit une liqueur écumeuse, avec une odeur très-forte : d'où on concluoit que l'effet de la fermentation du suc pancréatique avec la bile, étoit ainsi mis sous les yeux, & rendu incontestable. On croyoit cette derniere preuve suffisante pour suppléer à toutes celles qui avoient été rejettées, & on la présentoit avec l'assûrance qu'elle devoit imposer silence à tous les adversaires de l'école hollandoise ; cependant elle ne coûta pas plus à détruire que les autres : il n'y eut qu'à répéter la même expérience sur une autre portion du canal intestinal, où il ne se faisoit aucun mélange du suc pancréatique & de bile ; les ligatures faites, les mêmes effets s'ensuivirent que ceux rapportés ci-devant. On trouve dans les oeuvres de Verheyen, lib. II. tr. j. c. xviij. qu'ayant lié de même le duodénum d'un lapin, dans lequel le conduit biliaire s'insere à quinze pouces de distance du conduit pancréatique, ensorte qu'il n'y avoit que ce dernier qui fût compris entre les ligatures, les mêmes phénomenes se montrerent que dans l'expérience de Schuyl. Mais il n'y a rien de bien singulier dans toutes les différentes circonstances de ces différentes expériences, une cause commune produit les mêmes effets dans les trois cas : c'est l'air enfermé dans la portion de boyau liée, mêlé avec de la pâte alimentaire, qui étant échauffé par la chaleur de l'animal, se rarefie, sort des matieres qui le contiennent, dilate, distend les parois du canal où il est resserré ; & lorsqu'on lui donne une issuë, il s'échappe encore de l'écume qu'il a formée dans les fluides avec lesquels il étoit confondu. Voilà l'explication bien simple & vraiment sans replique de ces merveilleux effets d'où on tiroit des conséquences si importantes, qui sont par-là réduites à ne prouver rien du tout pour ce que l'on vouloit prouver, puisque la fameuse expérience de Schuyl réussit aussi-bien là où il n'y a ni bile ni suc pancréatique, que s'il n'existoit dans la nature aucun de ces deux fluides digestifs. On peut ajoûter à tout cela, qu'il n'y a pas même bien de l'accord entre les auteurs, sur la vérité de cette expérience ; ayant été tentée six fois par le très-véridique physiologiste Bonh, elle ne lui réussit presque pas une seule fois. Enfin, dans la supposition même de Schuyl, l'effervescence fermentative qui se fait entre les deux ligatures du boyau, ne prouve pas qu'elle se fasse sans ligature ; il est démontré au contraire qu'il n'en paroît pas le moindre indice dans les animaux vivans, pas même dans le cas où le suc pancréatique, par l'insertion de son canal dans le cholidoque, se trouve mêlé avec la bile dans un lieu si resserré, avant que de couler dans l'intestin : ce mélange se fait avec aussi peu d'agitation que celui de l'eau avec de l'eau. Il y a plusieurs animaux dont le suc pancréatique & la bile coulent à de très-grandes distances dans le canal intestinal, ensorte qu'ils sont mêlés avec d'autres fluides, avec les alimens, & ont ainsi perdu beaucoup de leur énergie avant de s'unir l'un à l'autre. Ces animaux ne font pas moins bien leurs fonctions, relativement à la chylification ; ils n'en vivent pas moins sainement. Voyez PANCREATIQUE (suc), BILE, DIGESTION, pour y trouver l'exposition des véritables usages de ces fluides digestifs dans l'économie animale, connue d'après la nature seule, & non d'après les préjugés, les fruits de l'imagination.

Celle des fermentateurs étoit si féconde en ce genre, qu'il n'y avoit aucune circonstance de la chylification à laquelle ils ne fissent l'application de leur principe, que tout s'opere dans le corps humain par fermentation. Il paroît d'abord assez singulier que les alimens dont nous usons pour la plûpart, qui sont de nature & de couleur si différentes, étant pris séparément ou mêlés dans les premieres voies, fournissent également un extrait toûjours uniforme, toûjours de couleur laiteuse : Willis, avec d'autres partisans de la fermentation, ne trouverent pas la moindre difficulté à lui attribuer encore ce phénomene. Ils penserent que ce ne pouvoit être que l'effet de la combinaison du soufre & du sel volatil des alimens avec l'acide du ventricule & des intestins, de la même maniere ; par exemple, que l'esprit de corne de cerf, ou une dissolution de soufre faite avec un fluide lixiviel, ou l'extrait résineux des végétaux, blanchissent, deviennent laiteux par l'affusion d'un acide : mais l'erreur est manifeste dans cette explication ; car ces sortes de mélanges qui forment ce qu'on appelle des laits virginaux, n'operent ce changement qu'autant qu'ils disposent à une précipitation de la partie résineuse, qui étant d'abord suspendue dans son véhicule comme un sable fin, qui le rend d'un blanc opaque, ce véhicule perd bientôt après sa blancheur, se clarifie ensuite, la poudre résineuse tombant au fond du vase qui contient le mélange : mais il n'arrive rien de pareil à l'égard du chyle, qui conserve constamment sa couleur laiteuse jusqu'à ce qu'il soit intimement mêlé avec le sang, & peut-être même jusqu'à ce qu'il soit décomposé par l'action des organes qui le convertissent en sang. Voyez SANGUIFICATION. D'ailleurs, l'existence du ferment acide dans les premieres voies étant démontrée faussement supposée, joint à ce que les parties sulphureuses & salines ne sont pas toûjours en même proportion dans les alimens, quoique le chyle ait toûjours le même degré de blancheur, les fondemens de l'explication dont il s'agit manquent de tous les côtés.

Cependant non-seulement la couleur du chyle, mais encore l'odeur des matieres fécales a paru à certains fermentateurs devoir être attribuée à l'effet de quelque ferment. Vanhelmont ne se contentant pas de la précipitation ci-dessus mentionnée, pour la séparation des parties excrémenteuses des alimens & des sucs digestifs, parce qu'il ne la trouvoit pas suffisante pour rendre raison de la puanteur que contractent assez promtement ces excrémens lorsqu'ils sont parvenus dans les gros intestins, crut devoir attribuer ce changement à un ferment stercoral, c'est-à-dire, destiné à exciter la putréfaction dans les matieres fécales, en se mêlant avec elles, & y faisant naître une fermentation corruptive pour les faire dégénérer en matieres absolument stercorales. Il faisoit résider ce ferment dans l'appendice vermiforme qui le fournissoit continuellement à la cavité du boyau caecum ; Voyez ses oeuvres, sextupl. digest. paragr. 81. mais il ne donne aucune preuve de l'existence d'un tel ferment ; il répugne d'ailleurs à ce qu'exige l'économie animale saine, qui est si ennemie de toute sorte de pourriture, que la Nature ait fournie elle-même, dans une partie du corps, une cause toûjours existante de putréfaction. Il étoit cependant bien peu nécessaire, ce me semble, d'y avoir recours : sur-tout pour celles des excrémens. La disposition qu'ont toutes les humeurs animales à contracter ce genre de corruption, lorsqu'elles sont retenues dans un lieu chaud & humide ; les parties grossieres des différens sucs digestifs, & sur-tout de la bile alkalescente de sa nature, mêlées avec le marc des alimens aussi putrescibles pour la plûpart, suffisent pour y produire le genre de corruption & la puanteur qu'ils ont dans les gros boyaux. Voyez DEJECTION. Les différentes combinaisons, dans le concours des puissances tant physiques que méchaniques, qui coopérant à tout l'ouvrage de la digestion dans les différens animaux, établissent les différences essentielles que l'on observe dans les matieres fécales de chaque espece d'animal, sans recourir à autant de sortes de fermens.

Il ne reste plus rien à dire de la fermentation concernant les premieres voies. Si les disciples n'étoient pas toûjours excessifs dans le parti qu'ils prennent en faveur d'un maître fameux par quelque nouveauté, lorsqu'elle est attaquée ; si les sectaires ne se faisoient pas un devoir, une gloire d'enchérir sur les écarts de leur chef, en quelque genre que ce soit, les fermentateurs se seroient bornés avec Vanhelmont, à faire usage de leur grand principe de l'effervescence fermentative des acides avec les alkalis, pour la seule chylification ; car cet auteur dit expressément que tout acide est ennemi du corps humain, dans quelque partie qu'il se trouve, excepté l'estomac & le duodenum, attendu qu'il suppose que son ferment acide mêlé avec le chyle, a changé de nature par son union avec la bile. S'il n'y a point, selon lui, d'acide naturellement dans le sang, il ne peut y avoir de fermentation, dans le sens de ce chimiste.

Mais Sylvius, Dissert. VIII. 63. X. 58. & toute sa secte, trouverent que l'idée de cette puissance physique étoit trop féconde en moyens de rendre raison de tout dans l'économie animale, pour qu'ils ne s'empressassent pas à l'introduire dans les secondes voies, pour étendre son influence sur toutes les fonctions. Ils imaginerent donc que le chyle étant imprégné d'acides par son mélange avec le ferment stomachal & le suc pancréatique, & par son union à la lymphe des glandes conglobées du mésentere, supposée acide & rendue telle par son séjour dans les glandes, avec la propriété conséquente de continuer, dans toutes les voies du chyle, la fermentation commencée entre tous les fermens digestifs, devoit, étant portée dans toute la masse du sang avec son acidité dominante, nécessairement fermenter ou produire une effervescence avec ce fluide alkalescent de sa nature ; ce qui formoit le mouvement intestin qui étoit attribué au sang pour conserver sa fluidité.

Voici quelques observations tirées de l'Essai de Physique sur l'usage des parties du corps humain, attribué à M. Senac, qui pourront faire juger combien les expériences sont contraires à cette opinion. 1°. Le chyle d'un animal bien sain, nourri d'alimens qui ne soient pas pour la plûpart acescens ou alkalescens, étant mêlés avec des acides ou des alkalis, ne bouillonne pas : s'il est arrivé quelquefois qu'il ait paru bouillonner, c'est à cause de la grande quantité des substances de l'une ou de l'autre nature, qui ont fourni le chyle ; il n'est pas surprenant qu'il arrive quelque ébullition par le mélange des sels acides ou alkalis. 2°. Quand on reçoit le chyle dans un vaisseau, on ne remarque pas d'ébullition : cependant, selon les fermentateurs, cela devroit arriver quand le chyle est tiré du canal torachique : car c'est alors que les sels de nature opposée qu'il renferme, doivent agir les uns sur les autres ; mais on a beau examiner le chyle dans le canal même avec le microscope, on n'y observe pas le moindre mouvement. Ces deux raisons sont suffisantes pour prouver qu'il ne doit pas fermenter avec le sang ; car il ne peut pas trouver dans le sang quelque cause de fermentation plus forte que le mélange des acides avec les alkalis : mais voici encore des raisons plus pressantes. 3°. Si on lie la veine où le chyle se décharge, on n'y remarque aucune effervescence dans le tems qu'il se mêle avec le sang : quelque chose qu'on dise, on ne sauroit l'établir. 4°. Les matieres qui composent le sang sont huileuses en bonne partie : or on sait par la Chymie, que les huiles grasses empêchent les fermentations. Les acides du vinaigre qui ont dissous le plomb, & qui sont mêlés avec beaucoup d'huile, comme l'analyse nous l'apprend, ne bouillonnent point avec les alkalis. Il y a plusieurs autres exemples qu'il seroit trop long de rapporter ici. 5°. Jamais il n'y a eu de fermentation sans repos dans les substances fermentescibles, c'est-à-dire, qu'elles ne doivent être agitées par aucune cause externe. Or comment trouver ce repos dans le sang, qui est porté par tout le corps avec une assez grande rapidité ?

Mais, dira-t-on, d'où vient la chaleur animale ? la fermentation n'est-elle pas absolument nécessaire pour la produire ? Voyez ce qui a été dit à ce sujet dans l'excellent article fourni par M. Venel, sur la chaleur animale.

Les Chymistes ont aussi crû trouver la cause de la rougeur du sang dans divers mélanges, comme de l'alkali avec des matieres sulphureuses, avec le nitre de l'air. Voyez SANG.

Les opinions ayant été fort partagées au sujet du mouvement du coeur, de ce qui cause sa dilatation & sa contraction, de ce qui lui donne la force de pousser le sang dans toutes les parties du corps, & de ce qui le force à recevoir ensuite le sang qui est rapporté de toutes ces parties ; les anciens & quelques auteurs du siecle passé croyoient déjà qu'il y avoit un feu concentré qui étoit la cause du mouvement de cet organe. Lorsque Descartes, qui portoit ses vûes sur tout, produisit un sentiment qui ne différoit pas beaucoup de celui-là, comme on ne parloit de son tems que de ferment & de fermentation dans les écoles de Medecine, il en prit le ton, lui qui le donnoit alors à toutes les écoles de Philosophie. Selon lui, il y a un ferment dans le coeur, qui donne aux humeurs une grande expansion : dès qu'une goutte de sang tombe dans cet organe, elle se raréfie, éleve les parois du coeur par l'augmentation de son volume, ouvre au sang qui suit, un passage ; les ventricules se trouvant ainsi remplis, le sang par sa raréfaction s'élance dans les arteres, & alors les parois du coeur retombent par elles-mêmes.

On omettra ici les expériences qui renversent l'opinion de Descartes, en tant qu'elles prouvent qu'il n'y a pas plus de chaleur dans le coeur, que dans toutes les parties internes du corps humain ; que le sang ne sort pas du coeur durant sa dilatation, mais durant sa contraction ; que le battement du coeur & des arteres qui se fait en même tems, l'a induit en erreur, parce qu'il croyoit que le coeur, ainsi que les arteres, ne pouvoit battre qu'en se remplissant. On peut trouver, par la raison seule, des difficultés contre cette cause prétendue du mouvement du coeur, qu'il est impossible de résoudre. Une goutte de sang qui entre dans le coeur se raréfie, & ouvre les ventricules au sang qui suit ; mais ce sang qui suit ne doit-il pas de même tenir les cavités du coeur ouvertes à celui qu'il précede ? & si cela est ainsi, n'est-il pas impossible que les parois du coeur se resserrent jamais ? D'ailleurs comment peut-on rendre raison de la nature, de l'origine, de la reproduction continuelle du ferment, auquel on attribue des effets si merveilleux ? Comment peut-on concevoir que dans moins d'une seconde ce ferment puisse échauffer & changer si fort le sang veineux, qu'il lui donne la force de surmonter la résistance de toutes les arteres, de tout le poids de l'atmosphere ? C'en est assez pour se convaincre que cette opinion, qui n'avoit coûté qu'un instant à l'imagination, a pû être détruite par un instant de réflexion.

Ainsi la secte chimique, après avoir fait dépendre de la fermentation, ou de quelque puissance physique analogue, les principaux changemens qui se font dans les humeurs primitives, voulut encore transporter dans tous les organes où sont préparées celles qui en dérivent, les fermens des laboratoires, pour leur faire opérer toute la variété des secrétions ; on imagina donc que dans chaque couloir il y a des levains particuliers qui changent les fluides qui y abondent par le mélange qui se fait entr'eux, & par les effets qui s'ensuivent, c'est à-dire toûjours par une fermentation ou une effervescence : mais rien ne prouve ce sentiment, qui est d'ailleurs combattu par une raison d'expérience sans replique. Chaque organe secrétoire ne devroit jamais filtrer que le fluide qui a du rapport avec le ferment dont il est imbu, ou lorsqu'il arrive que quelqu'autre fluide y pénetre, celui qui est étranger devroit participer de la nature que le ferment de cet organe a la propriété de donner, ou au moins perdre quelque chose de sa nature par l'effet d'un mélange qui doit lui être bien hétérogene : cependant dans l'ictere la bile comme bile se répand dans toutes les parties du corps, & par conséquent dans tous les couloirs des secrétions ; elle se mêle donc avec tous les fermens sans en changer de qualité. D'ailleurs, d'où viennent les fermens supposés ? où est l'organe particulier qui les fournit, qui les renouvelle continuellement ? Il n'a pas encore été fait une réponse solidement affirmative à ces questions. Voyez SECRETION.

Après avoir parcouru toutes les parties du corps, pour y voir tous les différens usages que les fermentateurs ont fait de leur principe, pour en tirer l'explication de presque tous les phénomenes de l'économie animale saine, ce seroit ici le lieu de voir comment ils se sont encore servis de la fermentation pour rendre raison des principales causes prochaines des maladies, telles que celles de la fievre, de l'inflammation ; pour faire connoître à quoi doivent être attribués les grands effets de ces causes, tels que la coction, la crise : mais outre que cela meneroit trop loin pour cet article-ci, on s'exposeroit à des répétitions ; d'ailleurs il n'est pas difficile d'imaginer le rôle que l'on a fait joüer à la fermentation pour la fievre, la coction, la crise, voyez les articles où il est traité de ces choses. Ainsi voyez FIEVRE, COCTION, CRISE.

Tout ce qui a été dit jusqu'ici au sujet de la fermentation, n'est, ainsi qu'il a été annoncé, que l'histoire des erreurs qu'a produites l'abus du terme & de la chose ; du terme, parce qu'on n'avoit point déterminé sa signification caractéristique, parce qu'on confondoit la fermentation avec toute sorte de mouvemens intestins ; de la chose, parce qu'on employoit cette puissance physique pour rendre raison de toutes les opérations de la nature dans le corps humain. On n'entreprend presque jamais de corriger un excès que par un autre excès. Les adversaires des fermentateurs eurent autant à coeur de bannir la fermentation de toute l'économie animale, non-seulement quant à l'effet, mais encore quant au nom, que ceux-ci cherchoient à l'établir par-tout : ils ont eu tort de part & d'autre. Il n'existe point de fermentation dans le corps humain, dans un sens aussi étendu, aussi vague que celui que donnoit à ce terme la secte chimique : mais la fermentation a lieu dans le corps humain, en tant qu'on en restraint la signification au mouvement intestin produit dans les matieres végétales seules, & dans celles qui en sont susceptibles, par lequel elles changent de nature, & fournissent un esprit ardent, ou un esprit acide, ce qu'elles n'auroient pas fait avant ce changement ; en tant qu'elle s'opere seulement dans des substances destinées à être converties en humeurs animales, & non dans la substance de ces humeurs mêmes, qui lorsqu'elles sont formées ont perdu toute disposition à fermenter.

Cela posé, toutes les fois qu'une substance fermentescible se trouve contenue dans un lieu convenablement chaud avec de l'air & de l'humidité suffisante, il ne peut pas se faire qu'elle ne fermente pas : par exemple, le pain est une matiere susceptible par sa nature de la fermentation acéteuse (ayant déjà éprouvé la fermentation vineuse, pour que la farine dont il est formé ait été convertie en pain) ; le mélange qui se fait lorsqu'on le mange, de la salive dans la bouche, du suc gastrique dans l'estomac, fournit l'humidité ; l'air s'y mêle aussi librement, la bouche & l'estomac ont la chaleur nécessaire ; il doit s'exciter inévitablement un mouvement intestin fermentatif dans cette matiere alimentaire, & il est prouvé en effet que la chose s'opere ainsi par les portions d'air qui en sortent avec effort, quelque tems après que l'on a mangé ; ce qui forme les rapports (c'est-à-dire les vents qui s'élevent de l'estomac), & les borborygmes, qui ne sont autre chose que d'autres portions d'air des ventosités qui descendent & roulent dans les boyaux. De semblables phénomenes s'observent lorsqu'une matiere fermente sous les yeux : ainsi on ne peut attribuer qu'à la même cause ceux qui viennent d'être mentionnés.

Mais cette fermentation ne fait que commencer dans un corps bien constitué dont l'estomac est agissant ; elle ne subsiste pas assez long-tems pour que la matiere qui fermente vienne véritablement au terme de sa tendance naturelle. Plusieurs choses concourent à s'opposer à ce que le changement que pourroit produire la fermentation, devienne complet ; c'est que cette matiere est continuellement agitée par l'action de l'estomac, & qu'elle y séjourne trop peu, puisqu'il faudroit que la fermentation continuât pendant quatre ou cinq jours, pour que ses effets fussent entiers ; c'est qu'il se mêle à cette matiere une trop grande quantité de fluide ; c'est que le vase qui la renferme n'est pas assez bien fermé pour retenir l'air, & que celui-ci se renouvelle trop aisément ; c'est que le pain & les autres matieres fermentescibles ne sont pas mangées ordinairement sans être mêlées avec des matieres susceptibles d'autre sorte de dégénération, comme les putrescibles, c'est-à-dire les viandes : ainsi le mélange des substances alimentaires de différente nature, empêche que chacune en particulier ne dégénere selon sa disposition ; parce que les mouvemens opposés qui résultent de cette disposition propre, s'arrêtent, se fixent, se corrigent les uns les autres. Le lait, par exemple, que l'on laisse exposé à la chaleur de l'air pendant l'été, s'aigrit en moins de la moitié d'un jour ; le sang laissé de même se corrompt, tombe en putréfaction en aussi peu de tems : cependant si on les mêle ensemble, il ne se fait aucune de ces deux dégénérations ; par conséquent elles sont suspendues par l'effet du mélange, pourvû toutefois qu'avant le mélange la putréfaction n'ait pas commencé dans les substances animales ; car alors, bien loin d'empêcher, d'arrêter la fermentation, elles deviennent propres à l'exciter, à l'accélérer, selon le résultat des expériences du docteur Pringle. Voyez son traité sur les substances septiques & antiseptiques, Mémoire IV. & V. dans la traduction de ses oeuvres, Paris, 1755. Voyez PUTREFACTION.

Mais dans le cas où les dégénérations sont arrêtées, il ne s'ensuit pas moins qu'elles ont commencé à se faire : or comme les mouvemens intestins qui tendent à les produire ont cela de commun, qu'ils ne peuvent opérer ces effets sans altérer la force de cohésion des substances dans lesquelles ils ont lieu, il résulte de-là qu'ils disposent ces substances à la dissolution ; par conséquent ils concourent à l'élaboration des alimens, qui tend à en extraire le suc propre à former le chyle. La fermentation, dans le sens auquel le terme a été restreint, est donc réellement un agent dans l'économie animale : la fermentation comme la putréfaction commençantes servent donc à la digestion dans l'état le plus naturel ; mais elles ne sont jamais poussées dans cet état jusqu'à produire respectivement un esprit ardent ou acide, un alkali volatil ; la confection du chyle est entierement finie, & ce fluide est admis dans le sang avant que les alimens puissent souffrir une altération si considérable.

Mais il n'en est pas de même dans l'état de maladie, les effets de ces puissances physiques sont plus sensibles dans les personnes d'une foible constitution, dont les fibres musculaires de l'estomac agissant peu, laissent séjourner long-tems, à proportion de l'état de santé, les alimens dans ce viscere, & leur permettent d'éprouver d'une maniere plus étendue les changemens auxquels ils ont de la disposition : alors la fermentation comme la putréfaction étant poussée trop loin, est un vice dont les suites sont très-nuisibles à l'économie animale. Voyez REGIME.

Ainsi puisqu'il est utile & nécessaire même que la fermentation soit excitée jusqu'à un certain point dans les matieres alimentaires qui en sont susceptibles ; puisqu'il est aussi important pour la conservation ou pour le rétablissement de la santé, d'empêcher que cette espece de dégénération ne soit trop considérable ; il est donc très-intéressant de rechercher les moyens de suppléer au defaut de fermentation commençante, de la procurer, ou de corriger l'excès de la fermentation trop continuée, de la retenir dans les bornes qu'elle doit avoir.

C'est l'objet que s'est proposé le docteur anglois dont il vient d'être fait mention, par les expériences singulieres qu'il a faites & présentées à la société royale des Sciences de Londres, dont on trouve le détail dans son traité déjà cité sur les substances septiques & anti-septiques ; expériences dont les différens résultats sont d'une si grande conséquence pour la théorie & la pratique de la Medecine, qu'on ne sauroit trop répéter & étendre les procédés qui ont fourni ces résultats pour confirmer ceux-ci, ou pour les changer, ou enfin pour les fixer de la maniere la plus sûre.

Le nombre des expériences de M. Pringle & leurs circonstances ne permettent pas de les rapporter ici : on ne peut que se borner à donner une idée générale des procédés & des principales conclusions qui ont été tirées de leurs effets.

Les expériences de ce medecin consistent donc, 1°. à faire des mélanges de différentes substances alimentaires, végétales, & animales, conjointement & séparément entr'elles, avec de l'eau & différens autres liquides, avec des humeurs animales, particulierement de la salive pour ce qui concerne la fermentation ; avec différentes préparations, analogues à celles qu'éprouvent les alimens par l'effet des puissances méchaniques & physiques de la digestion ; le tout diversement combiné, exposé dans des vases appropriés au degré de chaleur du corps humain : 2°. à observer les changemens, les dégénérations différentes qui suivent de ces différentes opérations.

Les conclusions principales qu'il tire des effets de ses procédés concernant la fermentation alimentaire, sont, 1°. que si la salive est bien préparée, qu'il y en ait une quantité suffisante, qu'elle soit bien mélangée avec les alimens, elle arrête la putréfaction, prévient la fermentation immodérée, les vents, & l'acidité dans les premieres voies ; ce qui est contraire au sentiment de Stahl, fundam. chim. part. II. qui met la salive saine au nombre des substances propres à exciter la fermentation végétale. Selon M. Pringle, l'auteur allemand a été induit en erreur par des expériences faites dans des pays chauds, où la salive n'est presque jamais exempte de corruption : ainsi lorsque ce récrément manque, qu'il est vicié, corrompu, ou qu'il ne se trouve pas bien mêlé avec les alimens, ces derniers se putréfient promtement s'ils sont du regne animal, ou ils fermentent violemment si ce sont des végétaux, ils engendrent beaucoup d'air dans l'estomac & les intestins ; d'où s'ensuivent les aigreurs, les chaleurs d'entrailles. Les mélancoliques qui sont de grands cracheurs, qui avalent sans mâcher, éprouvent ordinairement tous ces effets d'une maniere bien marquée : aussi trouve-t-on dans la pratique, que tout ce qui provoque une plus grande secrétion de cette humeur, ou qui aide à la mêler avec nos alimens, est le meilleur remede pour de pareilles indigestions. 2°. Que la plûpart des substances animales qui tendent à la putréfaction, sont doüées de la faculté d'exciter une fermentation dans les farineux, & même de la renouveller dans ceux qui ont fermenté auparavant. 3°. Que les mélanges qui se sont aigris dans l'estomac, ne reviennent jamais à un état putride. 4°. Que toutes les substances animales putrides ont la force d'exciter, proportionnellement à leur degré de corruption, une fermentation dans les farineux ordinaires, dans la plûpart des végétaux, & même dans le lait, quoique déjà un peu assimilé en une substance animale ; d'où on peut inférer qu'il n'y a pas de doute que la fermentation commence dans l'estomac, dès qu'il s'y trouve quelque substance animale qui agit comme un levain, & des végétaux disposés à fermenter. 5°. Que quoique la viande paroisse bien éloignée de s'aigrir, & sa corruption directement opposée à l'acidité ; il est néanmoins certain que bien des personnes sont fort incommodées d'aigreurs, quoiqu'elles ne vivent que de viande avec du pain & de l'eau ; effet dont on peut à peine rendre raison par les idées ordinaires de la digestion, & on le fait aisément par le principe de la fermentation, tel qu'il vient d'être établi. 6°. Que les esprits, les acides, les amers, les aromatiques, & les plantes anti-scorbutiques chaudes, retardent la fermentation par la qualité qu'ils ont de retarder la putréfaction ; d'où il suit que la fermentation & putréfaction commençantes étant nécessaires dans la digestion, tout ce qui s'oppose à ces deux choses lui doit être totalement contraire. 7°. Que dans le cas où la salive manque, où ce récrément est putride, occasionne une fermentation trop violente ; dans le cas où l'estomac est si foible que les alimens y séjournent trop long-tems, y fermentent trop, les acides, les amers, les aromatiques, le vin, &c. ont alors leurs diverses utilités, les uns arrêtant la fermentation immodérée, & les autres fortifiant l'estomac & le mettant en état de se débarrasser à-propos de ce qu'il contient. 8°. Que puisqu'un des plus grands effets utiles de la salive est de modérer la fermentation, il est probable que les substances qui approchent davantage de cette qualité sont les meilleurs stomachiques, quand cette humeur manque ; tels sont les acides & les amers : or comme non-seulement ils moderent la fermentation, mais encore ils la retardent beaucoup, ils conviennent souvent moins que quelques anti-scorbutiques qui retardent fort peu la fermentation, & la tiennent cependant dans de justes bornes ; tels que la moutarde, le cochléaria des jardins. 9°. Qu'à l'égard des aromatiques, quoiqu'ils aident la digestion par leur stimulus, & la chaleur qui en résulte, ils annoncent moins de vertu carminative que les amers & les anti-scorbutiques ; parce qu'ils ont plus de disposition à augmenter, qu'à modérer la fermentation, & à engendrer de l'air, qu'à le supprimer. 10°. Que contre l'opinion commune, il n'y a point de conformité entre un amer animal, & un amer végétal ; puisque celui-là excite puissamment la fermentation, & que les amers au contraire la retardent & la moderent : d'où s'ensuit que ceux-ci doivent par conséquent influer sur la digestion d'une maniere fort différente de la bile, qui possede toutes les qualités opposées. 11°. Que le sel marin, qui a été contre toute attente trouvé septique lorsqu'il est employé à petite dose, telle que celle qui est en usage pour manger les viandes, comme de 20 grains pour chaque demi-once, a aussi été trouvé propre à exciter la fermentation lorsqu'il est employé à la même quantité ; mais le sel d'absynthe & la lessive de tartre, comme ils sont toûjours anti-septiques, ils retardent toûjours aussi la fermentation, & cela à proportion de leur quantité. 12°. Enfin que les oeufs sont du nombre des substances animales qui se corrompent le plus difficilement, & par conséquent de celles qui sont les plus lentes à exciter la fermentation ; d'où doit s'ensuivre que l'oeuf doit être, eu égard à son volume, la plus pesante des substances animales tendres, quoiqu'il puisse être considéré d'un autre côté comme l'aliment le plus leger, relativement à la nutrition du poulet.

Tel est le précis de presque tous les corollaires que tire de ses expériences le docteur Pringle, concernant la fermentation des matieres alimentaires. Ceux qui regardent la putréfaction de ces mêmes matieres, ne sont pas moins intéressans. Voyez PUTREFACTION, (Econ. anim.) Mais il y a plus encore à profiter, de chercher à s'instruire sur tous ces sujets d'après l'ouvrage même, dont on ne peut trouver que l'extrait dans un dictionnaire. (d)


FERMERv. act. terme relatif à tout corps ouvert ou creux ; ce corps est fermé, si l'on a appliqué & fixé à l'entrée de la cavité ou du trou un autre corps qui empêcheroit les substances extérieures de s'y porter, & les intérieures d'en sortir sans déplacer ce corps : ainsi on dit, fermer une fenêtre, fermer une bouteille, fermer une porte, &c. Voilà un de ces termes dont la définition en contient d'autres plus obscurs que lui, & qu'il ne faudroit point définir.

FERMER LES PORTS ou METTRE UN EMBARGO, en termes de commerce de Mer ; c'est empêcher qu'il n'entre ou sorte aucun bâtiment dans les ports d'un état.

On ferme les ports de deux manieres ; ou par une défense générale qui regarde tous les navires, ce qui se pratique souvent en Angleterre lorsqu'on y veut tenir quelque entreprise ou quelque nouvelle secrette ; ou par une défense particuliere qui ne tombe que sur les vaisseaux marchands, pour obliger les matelots qui en forment les équipages, à servir sur les vaisseaux de guerre. Voyez EMBARGO. Dictionn. de Comm. de Trév. & de Chamb. (G)

FERMER UN COMPTE, c'est la même chose que le solder. Voyez SOLDER.

FERMER SA BOUTIQUE, se dit, en termes de Commerce, d'un marchand qui a quitté le commerce ou fait banqueroute. Voyez BANQUEROUTE.

On dit aussi dans le Commerce que les bourses sont fermées, pour signifier que l'argent est rare, qu'on en trouve difficilement à emprunter. Dict. de Comm. de Trév. & Chamb. (G)

FERMER UN BATEAU, terme de riviere ; c'est-à-dire le lier, le garer, l'arrêter. Défermer est le contraire.

FERMER UNE VOLTE, (Manege) un changement de main. Voyez VOLTE.

FERMER, (Coupe des pierres) Fermer une voûte, c'est y mettre le dernier rang de voussoirs, qu'on appelle collectivement la clé par la même métaphore ; le dernier claveau s'appelle clausoir, du mot latin claudere, fermer. Voyez VOUTE. (D)


FERMETÉS. f. (Gramm. & Lit.) vient de ferme, & signifie autre chose que solidité & dureté. Une toile serrée, un sable battu, ont de la fermeté sans être durs ni solides. Il faut toûjours se souvenir que les modifications de l'ame ne peuvent s'exprimer que par des images physiques : on dit la fermeté de l'ame, de l'esprit ; ce qui ne signifie pas plus solidité ou dureté qu'au propre. La fermeté est l'exercice du courage de l'esprit ; elle suppose une résolution éclairée : l'opiniâtreté au contraire suppose de l'aveuglement. Ceux qui ont loüé la fermeté du style de Tacite, n'ont pas tant de tort que le prétend le P. Bouhours : c'est un terme hasardé, mais placé, qui exprime l'énergie & la force des pensées & du style. On peut dire que la Bruyere a un style ferme, & que d'autres écrivains n'ont qu'un style dur. Article de M. DE VOLTAIRE.

FERMETE & CONSTANCE, synon. La fermeté est le courage de suivre ses desseins & sa raison ; & la constance est une persévérance dans ses goûts. L'homme ferme résiste à la séduction, aux forces étrangeres, à lui-même : l'homme constant n'est point ému par de nouveaux objets, & il suit le même penchant qui l'entraîne toûjours également. On peut être constant en condamnant soi-même sa constance ; celui-là seul est ferme, que la crainte des disgraces, de la douleur, & de la mort même, l'espérance de la gloire, de la fortune, ou des plaisirs, ne peuvent écarter du parti qu'il a jugé le plus raisonnable & le plus honnête. Dans les difficultés & les obstacles, l'homme ferme est soûtenu par son courage, & conduit par sa raison ; il va toûjours au même but, l'homme constant est conduit par son coeur ; il a toûjours les mêmes besoins. On peut être constant avec une ame pusillanime, un esprit borné : mais la fermeté ne peut être que dans un caractere plein de force, d'élevation, & de raison. La legereté & la facilité sont opposées à la constance ; la fragilité & la foiblesse sont opposées à la fermeté. Voyez CONSTANT, (Synon.)

FERMETE, (Physiol.) stabilité du corps, de ses membres, se dit de l'attitude dans laquelle on se tient ferme, c'est-à-dire dans laquelle l'action continuée des muscles retient le corps ou quelque membre dans une situation, dans un état où il ne cede pas aisément aux puissances qui tendent à le faire changer, soit que cette attitude consiste à être debout, ou assis, ou couché ; soit qu'il soit question d'avoir les bras ou les jambes étendus ou fléchis d'une maniere fixe, appuyant, soûtenant quelque fardeau, pressant quelque levier ; soit qu'il s'agisse de s'empêcher de tomber, d'être renversé par un coup de vent, d'être terrassé par un adversaire dans un combat de lutte, &c.

La fermeté, dans ce sens, consiste donc à conserver sans relâche la position dans laquelle on s'est mis ; à faire cesser tout mouvement, sans cesser de soûtenir les efforts contraires à cette position. Voyez MUSCLE, DEBOUT. (d)


FERMETUREFERMETURE

FERMETURE DE PORTES DE GUERRE, (Fortification). Voyez OUVERTURE.

FERMETURE DE PORTS, (Marine) c'est un terme dont l'ordonnance se sert. Voyez PORT.

FERMETURE, (Batte de) terme de Bijoutier ; c'est la partie supérieure de la batte que la moulure du dessus de la boîte recouvre, quand la boîte est fermée.

FERMETURES, en terme de Serrurier ; ce sont les ouvertures dans lesquelles entrent les aubrons aux serrures appellées serrures en bord : elles sont faites sur la tête du palatre. Il en est de même des ouvertures faites au palatre des serrures à aubronnier & en bosse, dans lesquelles entrent les aubrons des aubronniers.

Fermeture, est la même chose que pêne ; & lorsque l'on dit une serrure à une, deux ou trois, &c. fermetures, on désigne une serrure à un, deux ou trois pênes. Voyez PENE & SERRURE.

FERMETURE DU COQ ou DE LA COQUE, (Serrurerie) c'est la partie où l'aubron entre dans le coq, lorsqu'il est ouvert ; & où il se trouve retenu, lorsque le coq est fermé. C'est la même chose pour les serrures en bosses.


FERMIERS. m. (Econom. rust.) celui qui cultive des terres dont un autre est propriétaire, & qui en recueille le fruit à des conditions fixes : c'est ce qui distingue le fermier du métayer. Ce que le fermier rend au propriétaire, soit en argent, soit en denrées, est indépendant de la variété des récoltes. Le métayer partage la récolte même, bonne ou mauvaise, dans une certaine proportion. Voyez METAYER.

Les fermiers sont ordinairement dans les pays riches, & les métayers dans ceux où l'argent est rare. Les uns & les autres sont connus aussi sous le nom de laboureurs. Voyez FERMIERS, (Economie politiq.)

Les devoirs d'un fermier à l'égard de son propriétaire, sont ceux de tout homme qui fait une convention avec un autre : il ne doit point l'éluder par mauvaise foi, ni se mettre par négligence dans le cas d'y manquer. Il faut donc qu'avant de prendre un engagement, il en examine mûrement la nature, & qu'il en mesure l'étendue avec ses forces.

L'assiduité & l'activité sont les qualités essentielles d'un fermier. L'Agriculture demande une attention suivie, & des détails d'intelligence qui suffisent pour occuper un homme tout entier. Chaque saison, chaque mois amene de nouveaux soins pour tous les cultivateurs. Voyez l'article AGRICULTURE. Voyez aussi l'art. CULTURE DES TERRES. Chaque jour & presque chaque instant font naître pour le cultivateur assidu, des variations & des circonstances particulieres. Parmi les fermiers, ceux qui, sous prétexte de joindre le commerce au labourage, se répandent souvent dans les marchés publics, n'en rapportent que le goût de la dissipation, & perdent de vûe la seule affaire qui leur soit importante. Que peuvent-ils attendre de la part des rustres qui manient la charrue ? ces hommes sont pour la plûpart comme des automates qui ont besoin à tous les momens d'être animés & conduits ; le privilege de ne guere penser est pour eux le dédommagement d'un travail assidu. D'ailleurs ils sont privés de l'instinct qui produit l'activité & les lumieres. S'ils sont abandonnés à eux-mêmes, on a toûjours à craindre ou de leur maladresse ou de leur inaction. Telle piece de terre a be soin d'être incessamment labourée ; telle autre, quoique voisine, ne peut l'être avec fruit que plusieurs jours après. Ici il est nécessaire de doubler, là il peut être utile de diminuer l'engrais. Différentes raisons peuvent demander que cette année le grain soit enterré avec la charrue, dans une terre où l'on n'a coûtume de se servir que de la herse. Quelle étrange diminution dans la récolte, si les fautes se multiplient sur tous ces points ! La même ferme qui enrichira son fermier, si elle est bien conduite, lui fournira à peine les moyens de vivre, si elle ne l'est que médiocrement. On ne peut donc trop insister sur la nécessité de la présence du fermier à toutes les opérations de la culture ; ce soin extérieur lui appartient, & n'appartient qu'à lui. A l'égard de l'ordre intérieur de la maison, du soin des bestiaux, du détail de la basse-cour, la fermiere doit en être chargée. Ces objets demandent une vigilance plus resserrée, une économie exacte & minutieuse, qu'il seroit dangereux d'appliquer aux grandes parties de l'agriculture. Dans la maison on ne gagne qu'en épargnant, dans le champ une grande hardiesse à dépenser est souvent nécessaire pour gagner beaucoup. Il arrive très-souvent que les fermieres qui deviennent veuves, se ruinent, parce qu'elles conduisent toute la ferme par les principes qui ne conviennent qu'à la basse-cour.

On ne peut pas entreprendre de détailler tout ce qu'un fermier doit savoir pour diriger son labourage le mieux qu'il est possible. La théorie de l'agriculture est simple, les principes sont en petit nombre ; mais les circonstances obligent à les modifier de tant de manieres, que les regles échappent à-travers la foule des exceptions. La vraie science ne peut être enseignée que par la pratique, qui est la grande maîtresse des arts ; & elle n'est donnée dans toute son étendue, qu'à ceux qui sont nés avec du sens & de l'esprit. Pour ceux-là, nous pouvons assûrer qu'ils savent beaucoup ; nous oserions presque dire qu'on n'en saura pas plus qu'eux, s'il n'étoit pas plus utile & plus doux d'espérer toûjours des progrès.

Pourquoi les Philosophes, amis de l'humanité, qui ont tenté d'ouvrir des routes nouvelles dans l'agriculture, n'ont-ils pas eu cette opinion raisonnable de nos bons fermiers ? en se familiarisant avec eux, ils auroient trouvé dans des faits constans la solution de leurs problèmes ; ils se seroient épargné beaucoup d'expériences, en s'instruisant de celles qui sont déjà faites : faute de ce soin, ils ont quelquefois marché à tâtons dans un lieu qui n'étoit point obscur. Cependant le tems s'écoule, l'esprit s'appesantit ; on s'attache à des puérilités, & l'on perd de vûe le grand objet, qui à la vérité demande un coup d'oeil plus étendu.

Les cultivateurs philosophes ont encore eu quelquefois un autre tort. Lorsqu'en proposant leurs découvertes ils ont trouvé dans les praticiens de la froideur ou de la répugnance, une vanité peu philosophique leur a fait envisager comme un effet de stupidité ou de mauvaise volonté, une disposition née d'une connoissance intime & profonde qui produit un pressentiment sûr. Les bons fermiers ne sont ni stupides ni mal-intentionnés ; une vraie science qu'ils doivent à une pratique réfléchie, les défend contre l'enthousiasme des nouveautés. Ce qu'ils savent les met dans le cas de juger promtement & sûrement des choses qui en sont voisines. Ils ne sont point séduits par les préjugés qui se perpétuent dans les livres : ils lisent peu, ils cultivent beaucoup ; & la nature qu'ils observent avec intérêt, mais sans passion, ne les trompe point sur des faits simples.

On voit combien les véritables connoissances en agriculture, dépendent de la pratique, par l'exemple d'un grand nombre de personnes qui ont essayé sans succès de faire valoir leurs terres ; cependant parmi ceux qui ont fait ces tentatives malheureuses, il s'en est trouvé qui ne manquoient ni de sens ni d'esprit, & qui n'avoient pas négligé de s'instruire. Mais où puiser des instructions vraiment utiles, sinon dans la nature ? On se plaint avec raison des livres qui traitent de l'agriculture ; ils ne sont pas bons, mais il est plus aisé de les trouver mauvais que d'en faire de meilleurs. Quelque bien fait que fût un livre en ce genre, il ne parviendroit jamais à donner une forme constante à l'art, parce que la nature ne s'y prête pas. Il faut donc, lorsqu'on porte ses vûes sur les progrès de l'agriculture, voir beaucoup en détail & d'une maniere suivie, la pratique des fermiers ; il faut souvent leur demander, plus souvent deviner les raisons qui les font agir. Quand on aura mis à cette étude le tems & l'attention nécessaires, on verra peut-être que la science de l'économie rustique est portée très-loin par les bons fermiers ; qu'elle n'en existe pas moins, parce qu'il y a beaucoup d'ignorans, mais qu'en général le courage & l'argent manquent plus que les lumieres.

Nous disons le courage & l'argent ; il faut beaucoup de l'un & de l'autre pour réussir à un certain point dans le labourage. La culture la plus ordinaire exige des avances assez grandes, la bonne culture en demande de plus grandes encore ; & ce n'est qu'en multipliant les dépenses de toute espece, qu'on parvient à des succès intéressans. Voyez FERME.

Il ne faut pas moins de courage pour ne pas se rebuter d'une assiduité aussi laborieuse sans être soûtenu par la considération qui couronne les efforts dans presque toutes les occupations frivoles.

Quelqu'habileté qu'ait un fermier, il est toûjours ignoré, souvent il est méprisé. Bien des gens mettent peu de différence entre cette classe d'hommes, & les animaux dont ils se servent pour cultiver nos terres. Cette façon de penser est très-ancienne, & vraisemblablement elle subsistera long-tems. Quelques auteurs, il est vrai, Caton, par exemple, disent que les Romains voulant loüer un citoyen vertueux, l'appelloient un bon laboureur ; mais c'étoit dans les premiers tems de la république. D'autres écrivains envisagent l'agriculture comme une fonction sacrée, qui ne doit être confiée qu'à des mains pures. Ils disent qu'elle est voisine de la sagesse, & alliée de près à la vertu. Mais il en est de ce goût respectable comme de l'intégrité précieuse, à laquelle les Latins ajoûtoient l'épithete d'antique. L'un & l'autre sont relégués ensemble dans les premiers âges, toûjours distingués par des regrets, jamais par des égards : aussi les auteurs qui sont habitans des villes, ne parlent que des vertus anciennes & des vices présens. Mais en pénétrant dans les maisons des laboureurs, on retrouve, de nos jours même, les moeurs que le luxe a chassées des grandes villes ; on peut y admirer encore la droiture, l'humanité, la foi conjugale, une religieuse simplicité. Les fermiers par leur état n'éprouvent ni le dégoût des besoins pressans de la vie, ni l'inquiétude de ceux de la vanité ; leurs desirs ne sont point exaltés par cette fermentation de chimeres & d'intérêts qui agitent les citoyens des villes : ils n'ont point de craintes outrées, leurs espérances sont modérées & légitimes : une honnête abondance est le fruit de leurs soins, ils n'en joüissent pas sans la partager : leurs maisons sont l'asyle de ceux qui n'ont point de demeure, & leurs travaux la ressource de ceux qui ne vivent que par le travail. A tant de motifs d'estime si l'on joint l'importance de l'objet dont s'occupent les fermiers, on verra qu'ils méritent d'être encouragés par le gouvernement & par l'opinion publique ; mais en les garantissant de l'avilissement, en leur accordant des distinctions, il faudroit se conduire de maniere à ne pas leur enlever un bien infiniment plus précieux, leur simplicité ; elle est peut-être la sauve-garde de leur vertu. Cet article est de M. LE ROY, lieutenant des chasses du parc de Versailles.

FERMIERS, (Econ. polit.) sont ceux qui afferment & font valoir les biens des campagnes, & qui procurent les richesses & les ressources les plus essentielles pour le soûtien de l'état ; ainsi l'emploi du fermier est un objet très-important dans le royaume, & mérite une grande attention de la part du gouvernement.

Si on ne considere l'agriculture en France que sous un aspect général, on ne peut s'en former que des idées vagues & imparfaites. On voit vulgairement que la culture ne manque que dans les endroits où les terres restent en friche ; on imagine que les travaux du pauvre cultivateur sont aussi avantageux que ceux du riche fermier. Les moissons qui couvrent les terres nous en imposent ; nos regards qui les parcourent rapidement, nous assûrent à la vérité que ces terres sont cultivées, mais ce coup-d'oeil ne nous instruit pas du produit des récoltes ni de l'état de la culture, & encore moins des profits qu'on peut retirer des bestiaux & des autres parties nécessaires de l'agriculture : on ne peut connoître ces objets que par un examen fort étendu & fort approfondi. Les différentes manieres de traiter les terres que l'on cultive, & les causes qui y contribuent, décident des produits de l'agriculture ; ce sont les différentes sortes de cultures, qu'il faut bien connoître pour juger de l'état actuel de l'agriculture dans le royaume.

Les terres sont communément cultivées par des fermiers avec des chevaux, ou par des métayers avec des boeufs. Il s'en faut peu qu'on ne croye que l'usage des chevaux & l'usage des boeufs ne soient également avantageux. Consultez les cultivateurs mêmes, vous les trouverez décidés en faveur du genre de culture qui domine dans leur province. Il faudroit qu'ils fussent également instruits des avantages & des desavantages de l'un & de l'autre, pour les évaluer & les comparer ; mais cet examen leur est inutile, car les causes qui obligent de cultiver avec des boeufs, ne permettent pas de cultiver avec des chevaux.

Il n'y a que des fermiers riches qui puissent se servir de chevaux pour labourer les terres. Il faut qu'un fermier qui s'établit avec une charrue de quatre chevaux, fasse des dépenses considérables avant que d'obtenir une premiere récolte : il cultive pendant un an les terres qu'il doit ensemencer en blé ; & après qu'il a ensemencé, il ne recueille qu'au mois d'Août de l'année suivante : ainsi il attend près de deux ans les fruits de ses travaux & de ses dépenses. Il a fait les frais des chevaux & des autres bestiaux qui lui sont nécessaires ; il fournit les grains pour ensemencer les terres, il nourrit les chevaux, il paye les gages & la nourriture des domestiques : toutes ces dépenses qu'il est obligé d'avancer pour les deux premieres années de culture d'un domaine d'une charrue de quatre chevaux, sont estimés à 10 ou 12 mille livres ; pour deux ou trois charrues, 20 ou 30 mille livres.

Dans les provinces où il n'y a pas de fermier en état de se procurer de tels établissemens, les propriétaires des terres n'ont d'autres ressources pour retirer quelques produits de leurs biens, que de les faire cultiver avec des boeufs, par des paysans qui leur rendent la moitié de la récolte. Cette sorte de culture exige très-peu de frais de la part du métayer ; le propriétaire lui fournit les boeufs & la semence, les boeufs vont après leur travail prendre leur nourriture dans les pâturages ; tous les frais du métayer se réduisent aux instrumens du labourage & aux dépenses pour sa nourriture jusqu'au tems de la premiere récolte, souvent même le propriétaire est obligé de lui faire les avances de ces frais.

Dans quelques pays les propriétaires assujettis à toutes ces dépenses, ne partagent pas les récoltes ; les métayers leur payent un revenu en argent pour le fermage des terres, & les intérêts du prix des bestiaux. Mais ordinairement ce revenu est fort modique : cependant beaucoup de propriétaires qui ne résident pas dans leurs terres, & qui ne peuvent pas être présens au partage des récoltes, préferent cet arrangement.

Les propriétaires qui se chargeroient eux-mêmes de la culture de leurs terres dans les provinces où l'on ne cultive qu'avec des boeufs, seroient obligés de suivre le même usage ; parce qu'ils ne trouveroient dans ces provinces ni métayers ni charretiers en état de gouverner & de conduire des chevaux. Il faudroit qu'ils en fissent venir de pays éloignés, ce qui est sujet à beaucoup d'inconvéniens ; car si un charretier se retire, ou s'il tombe malade, le travail cesse. Ces évenemens sont fort préjudiciables, surtout dans les saisons pressantes : d'ailleurs le maître est trop dépendant de ses domestiques, qu'il ne peut pas remplacer facilement lorsqu'ils veulent le quitter, ou lorsqu'ils servent mal.

Dans tous les tems & dans tous les pays on a cultivé les terres avec des boeufs ; cet usage a été plus ou moins suivi, selon que la nécessité l'a exigé : car les causes qui ont fixé les hommes à ce genre de culture, sont de tout tems & de tout pays ; mais elles augmentent ou diminuent, selon la puissance & le gouvernement des nations.

Le travail des boeufs est beaucoup plus lent que celui des chevaux : d'ailleurs les boeufs passent beaucoup de tems dans les pâturages pour prendre leur nourriture ; c'est pourquoi on employe ordinairement douze boeufs, & quelquefois jusqu'à dix-huit, dans un domaine qui peut être cultivé par quatre chevaux. Il y en a qui laissent les boeufs moins de tems au pâturage, & qui les nourrissent en partie avec du fourrage sec : par cet arrangement ils tirent plus de travail de leurs boeufs ; mais cet usage est peu suivi.

On croit vulgairement que les boeufs ont plus de force que les chevaux, qu'ils sont nécessaires pour la culture des terres fortes, que les chevaux, dit-on, ne pourroient pas labourer ; mais ce préjugé ne s'accorde pas avec l'expérience. Dans les charrois, six boeufs voiturent deux ou trois milliers pesant, au lieu que six chevaux voiturent six à sept milliers.

Les boeufs retiennent plus fortement aux montagnes, que les chevaux ; mais ils tirent avec moins de force. Il semble que les charrois se tirent mieux dans les mauvais chemins par les boeufs que par les chevaux ; mais leur charge étant moins pesante, elle s'engage beaucoup moins dans les terres molles ; ce qui a fait croire que les boeufs tirent plus fortement que les chevaux, qui à la vérité n'appuyent pas fermement quand le terrein n'est pas solide.

On peut labourer les terres fort legeres avec deux boeufs, on les laboure aussi avec deux petits chevaux. Dans les terres qui ont plus de corps, on met quatre boeufs à chaque charrue, ou bien trois chevaux.

Il faut six boeufs par charrue dans les terres un peu pesantes : quatre bons chevaux suffisent pour ces terres.

On met huit boeufs pour labourer les terres fortes : on les laboure aussi avec quatre forts chevaux.

Quand on met beaucoup de boeufs à une charrue, on y ajoûte un ou deux petits chevaux ; mais ils ne servent guere qu'à guider les boeufs. Ces chevaux assujettis à la lenteur des boeufs, tirent très-peu, ainsi ce n'est qu'un surcroît de dépense

Une charrue menée par des boeufs, laboure dans les grands jours environ trois quartiers de terre, une charrue tirée par des chevaux, en laboure environ un arpent & demi : ainsi lorsqu'il faut quatre boeufs à une charrue, il en faudroit douze pour trois charrues, lesquelles laboureroient environ deux arpens de terre par jour ; au lieu que trois charrues menées chacune par trois chevaux, en laboureroient environ quatre arpens & demi.

Si on met six boeufs à chaque charrue, douze boeufs qui tireroient deux charrues, laboureroient environ un arpent & demi ; mais huit bons chevaux qui meneroient deux charrues, laboureroient environ trois arpens.

S'il faut huit boeufs par charrue, vingt-quatre boeufs ou trois charrues labourent deux arpens ; au lieu que quatre forts chevaux étant suffisans pour une charrue, vingt-quatre chevaux, ou six charrues, labourent neuf arpens : ainsi en réduisant ces différens cas à un état moyen, on voit que les chevaux labourent trois fois autant de terre que les boeufs. Il faut donc au moins douze boeufs où il ne faudroit que quatre chevaux.

L'usage des boeufs ne paroît préférable à celui des chevaux, que dans les pays montagneux ou dans des terreins ingrats, où il n'y a que de petites portions de terres labourables dispersées, parce que les chevaux perdroient trop de tems à se transporter à toutes ces petites portions de terre, & qu'on ne profiteroit pas assez de leur travail ; au lieu que l'emploi d'une charrue tirée par des boeufs, est borné à une petite quantité de terre, & par conséquent à un terrein beaucoup moins étendu que celui que les chevaux parcouroient pour labourer une plus grande quantité de terres si dispersées.

Les boeufs peuvent convenir pour les terres à seigle, ou fort legeres, peu propres à produire de l'avoine ; cependant comme il ne faut que deux petits chevaux pour ces terres, il leur faut peu d'avoine, & il y a toûjours quelques parties de terres qui peuvent en produire suffisamment.

Comme on ne laboure les terres avec les boeufs qu'au défaut de fermiers en état de cultiver avec des chevaux, les propriétaires qui fournissent des boeufs aux paysans pour labourer les terres, n'osent pas ordinairement leur confier des troupeaux de moutons, qui serviroient à faire des fumiers & à parquer les terres ; on craint que ces troupeaux ne soient mal gouvernés, & qu'ils ne périssent.

Les boeufs qui passent la nuit & une partie du jour dans les pâturages, ne donnent point de fumier ; ils n'en produisent que lorsqu'on les nourrit pendant l'hyver dans les étables.

Il s'ensuit de-là que les terres qu'on laboure avec des boeufs, produisent beaucoup moins que celles qui sont cultivées avec des chevaux par des riches fermiers. En effet, dans le premier cas les bonnes terres ne produisent qu'environ quatre septiers de blé mesure de Paris ; & dans le second elles en produisent sept ou huit. Cette même différence dans le produit se trouve dans les fourrages, qui serviroient à nourrir des bestiaux, & qui procureroient des fumiers.

Il y a même un autre inconvénient qui n'est pas moins préjudiciable : les métayers qui partagent la récolte avec le propriétaire, occupent, autant qu'ils peuvent, les boeufs qui leur sont confiés, à tirer des charrois pour leur profit, ce qui les intéresse plus que le labourage des terres ; ainsi ils en négligent tellement la culture, que si le propriétaire n'y apporte pas d'attention, la plus grande partie des terres reste en friche.

Quand les terres restent en friche & qu'elles s'enbuissonnent, c'est un grand inconvénient dans les pays où l'on cultive avec des boeufs, c'est-à-dire où l'on cultive mal, car les terres y sont à très-bas prix ; ensorte qu'un arpent de terre qu'on esserteroit & défricheroit, coûteroit deux fois plus de frais que le prix que l'on acheteroit un arpent de terre qui seroit en culture : ainsi on aime mieux acquérir que de faire ces frais, ainsi les terres tombées en friche restent pour toûjours en vaine pâture, ce qui dégrade essentiellement les fonds des propriétaires.

On croit vulgairement qu'il y a beaucoup plus de profit, par rapport à la dépense, à labourer avec des boeufs, qu'avec des chevaux : c'est ce qu'il faut examiner en détail.

Nous avons remarqué qu'il ne faut que quatre chevaux pour cultiver un domaine où l'on employe douze boeufs.

Les chevaux & les boeufs sont de différens prix. Le prix des chevaux de labour est depuis 60 liv. jusqu'à 400 liv. celui des boeufs est depuis 100 livres la paire, jusqu'à 500 liv. & au-dessus ; mais en supposant de bons attelages ; il faut estimer chaque cheval 300 livres, & la paire de gros boeufs 400 livres, pour comparer les frais d'achat des uns & des autres.

Un cheval employé au labour, que l'on garde tant qu'il peut travailler, peut servir pendant douze années. Mais on varie beaucoup par rapport au tems qu'on retient les boeufs au labour ; les uns les renouvellent au bout de quatre années, les autres au bout de six années, d'autres après huit années : ainsi en réduisant ces différens usages à un tems mitoyen, on le fixera à six années. Après que les boeufs ont travaillé au labour, on les engraisse pour la boucherie ; mais ordinairement ce n'est pas ceux qui les employent au labour, qui les engraissent ; ils les vendent maigres à d'autres, qui ont des pâturages convenables pour cet engrais. Ainsi l'engrais est un objet à part, qu'il faut distinguer du service des boeufs. Quand on vend les boeufs maigres après six années de travail, ils ont environ dix ans, & on perd à-peu-près le quart du prix qu'ils ont coûté ; quand on les garde plus long-tems, on y perd davantage.

Après ce détail, il sera facile de connoître les frais d'achat des boeufs & des chevaux, & d'appercevoir s'il y a à cet égard plus d'avantage sur l'achat des uns que sur celui des autres.

La dépense des boeufs surpasse donc à cet égard celle des chevaux d'environ 700 livres. Supposons même moitié moins de perte sur la vente des boeufs, quand on les renouvelle ; cette dépense surpasseroit encore celle des chevaux : mais la différence en douze ans est pour chaque année un petit objet.

Si on suppose le prix d'achat des chevaux & celui des boeufs de moitié moins, c'est-à-dire chaque cheval à 150 livres, & le boeuf à 100 livres, on trouvera toûjours que la perte sur les boeufs surpassera dans la même proportion celle que l'on fait sur les chevaux.

Il y en a qui n'employent les boeufs que quelques années, c'est-à-dire jusqu'à l'âge le plus avantageux pour la vente.

Il y a des fermiers qui suivent le même usage pour les chevaux de labour, & qui les vendent plus qu'ils ne les achetent. Mais dans ces cas on fait travailler les boeufs & les chevaux avec ménagement, & il y a moins d'avantage pour la culture.

On dit que les chevaux sont plus sujets aux accidens & aux maladies que les boeufs ; c'est accorder beaucoup que de convenir qu'il y a trois fois plus de risque à cet égard pour les chevaux que pour les boeufs : ainsi par proportion, il y a le même danger pour douze boeufs que pour quatre chevaux.

Le desastre général que causent les maladies épidémiques des boeufs, est plus dangereux que les maladies particulieres des chevaux : on perd tous les boeufs, le travail cesse ; & si on ne peut pas réparer promtement cette perte, les terres restent incultes. Les boeufs, par rapport à la quantité qu'il en faut, coûtent pour l'achat une fois plus que les chevaux ; ainsi la perte est plus difficile à réparer. Les chevaux ne sont pas sujets, comme les boeufs, à ces maladies générales ; leurs maladies particulieres n'exposent pas le cultivateur à de si grands dangers.

On fait des dépenses pour le ferrage & le harnois des chevaux, qu'on ne fait pas pour les boeufs : mais il ne faut qu'un charretier pour labourer avec quatre chevaux, & il en faut plusieurs pour labourer avec douze boeufs. Ces frais de part & d'autre peuvent être estimés à-peu-près les mêmes.

Mais il y a un autre objet à considérer, c'est la nourriture : le préjugé est en faveur des boeufs. Pour le dissiper, il faut entrer dans le détail de quelque point d'agriculture, qu'il est nécessaire d'apprécier.

Les terres qu'on cultive avec des chevaux sont assolées par tiers : un tiers est ensemencé en blé, un tiers en avoine & autres grains qu'on seme après l'hyver, l'autre tiers est en jachere. Celles qu'on cultive avec les boeufs sont assolées par moitié : une moitié est ensemencée en blé, & l'autre est en jachere. On seme peu d'avoine & d'autres grains de Mars, parce qu'on n'en a pas besoin pour la nourriture des boeufs ; le même arpent de terre produit en six ans trois récoltes de blé, & reste alternativement trois années en repos : au lieu que par la culture des chevaux, le même arpent de terre ne produit en six ans que deux récoltes en blé ; mais il fournit aussi deux récoltes de grains de Mars, & il n'est que deux années en repos pendant six ans.

La récolte en blé est plus profitable, parce que les chevaux consomment pour leur nourriture une partie des grains de Mars : or on a en six années une récolte en blé de plus par la culture des boeufs, que par la culture des chevaux ; d'où il semble que la culture qui se fait avec les boeufs, est à cet égard plus avantageuse que celle qui se fait avec les chevaux. Il faut cependant remarquer qu'ordinairement la sole de terre qui fournit la moisson, n'est pas toute ensemencée en blé ; la lenteur du travail des boeufs détermine à en mettre quelquefois plus d'un quart en menus grains, qui exigent moins de labour : dès-là tout l'avantage disparoît.

Mais de plus on a reconnu qu'une même terre qui n'est ensemencée en blé qu'une fois en trois ans, en produit plus, à culture égale, que si elle en portoit tous les deux ans ; & on estime à un cinquieme ce qu'elle produit de plus : ainsi en supposant que trois récoltes en six ans produisent vingt-quatre mesures, deux récoltes en trois ans doivent en produire vingt. Les deux récoltes ne produisent donc qu'un sixieme de moins que ce que les trois produisent.

Ce sixieme & plus se retrouve facilement par la culture faite avec des chevaux ; car de la sole cultivée avec des boeufs, il n'y a ordinairement que les trois quarts ensemencés en blé, & un quart en menus grains : ces trois récoltes en blé ne forment donc réellement que deux récoltes & un quart. Ainsi au lieu de trois récoltes que nous avons supposées produire vingt-quatre mesures, il n'y en a que deux & un quart qui ne fournissent, selon la même proportion, que dix-huit mesures ; les deux récoltes que produit la culture faite avec les chevaux, donne 20 mesures : cette culture produit donc en blé un dixieme de plus que celle qui se fait avec les boeufs. Nous supposons toûjours que les terres soient également bonnes & également bien cultivées de part & d'autre, quoiqu'on ne tire ordinairement par la culture faite avec les boeufs, qu'environ la moitié du produit que les bons fermiers retirent de la culture qu'ils font avec les chevaux. Mais pour comparer plus facilement la dépense de la nourriture des chevaux avec celle des boeufs, nous supposons que des terres également bonnes, soient également bien cultivées dans l'un & l'autre cas : or dans cette supposition même le produit du blé, par la culture qui se fait avec les boeufs, égaleroit tout au plus celui que l'on retire par la culture qui se fait avec les chevaux.

Nous avons remarqué que les fermiers qui cultivent avec des chevaux, recueillent tous les ans le produit d'une sole entiere en avoine, & que les métayers qui cultivent avec des boeufs, n'en recueillent qu'un quart. Les chevaux de labour consomment les trois quarts de la récolte d'avoine, & l'autre quart est au profit du fermier. On donne aussi quelque peu d'avoine aux boeufs dans les tems où le travail presse ; ainsi les boeufs consomment à-peu-près la moitié de l'avoine que les métayers recueillent. Ils en recueillent trois quarts moins que les fermiers qui cultivent avec des chevaux : il n'en reste donc au métayer qu'un huitieme, qui n'est pas consommé par les boeufs ; au lieu qu'il peut en rester au fermier un quart, qui n'est pas consommé par les chevaux. Ainsi malgré la grande consommation d'avoine pour la nourriture des chevaux, il y a à cet égard plus de profit pour le fermier qui cultive avec des chevaux, que pour le métayer qui cultive avec des boeufs. D'ailleurs à culture égale, quand même la sole du métayer seroit toute en blé, comme l'exécutent une partie des métayers, la récolte de ceux-ci n'est pas plus avantageuse que celle du fermier, la consommation de l'avoine pour la nourriture des chevaux étant fournie. Et dans le cas même où les chevaux consommeroient toute la récolte d'avoine, la comparaison en ce point ne seroit pas encore au desavantage du fermier. Cependant cette consommation est l'objet qui en impose sur la nourriture des chevaux de labour. Il faut encore faire attention qu'il y a une récolte de plus en fourrage ; car par la culture faite avec les chevaux, il n'y a que deux années de jachere en six ans.

Il y en a qui cultivent avec des boeufs, & qui assolent les terres par tiers : ainsi, à culture égale, les récoltes sont les mêmes que celles que procure l'usage des chevaux, le laboureur a presque toute la récolte de l'avoine ; il nourrit les boeufs avec le fourrage d'avoine ; ces boeufs restent moins dans les pâtures, on en tire plus de travail, ils forment plus de fumier ; le fourrage du blé reste en entier pour les troupeaux, on peut en avoir davantage ; ces troupeaux procurent un bon revenu, & fournissent beaucoup d'engrais aux terres. Ces avantages peuvent approcher de ceux de la culture qui se fait avec les chevaux. Mais cet usage ne peut avoir lieu avec les métayers ; il faut que le propriétaire qui fait la dépense des troupeaux, se charge lui-même du gouvernement de cette sorte de culture ; de-là vient qu'elle n'est presque pas usitée. Elle n'est pas même préférée par les propriétaires qui font valoir leurs terres dans les pays où l'on ne cultive qu'avec des boeufs ; parce qu'on suit aveuglément l'usage général. Il n'y a que les hommes intelligens & instruits qui peuvent se préserver des erreurs communes, préjudiciables à leurs intérêts : mais encore faut-il pour réussir qu'ils soient en état d'avancer les fonds nécessaires pour l'achat des troupeaux & des autres bestiaux, & pour subvenir aux autres dépenses, car l'établissement d'une bonne culture est toûjours fort cher.

Outre la consommation de l'avoine, il faut encore, pour la nourriture des chevaux, du foin & du fourrage. Le fourrage est fourni par la culture du blé ; car la paille du froment est le fourrage qui convient aux chevaux ; les pois, les vesses, les féverolles, les lentilles, &c. en fournissent qui suppléent au foin : ainsi par le moyen de ces fourrages, les chevaux ne consomment point de foin, ou n'en consomment que fort peu ; mais la consommation des pailles & fourrages est avantageuse pour procurer des fumiers : ainsi l'on ne doit pas la regarder comme une dépense préjudiciable au cultivateur.

Les chevaux par leur travail se procurent donc eux-mêmes leur nourriture, sans diminuer le profit que la culture doit fournir au laboureur.

Il n'en est pas de même de la culture ordinaire qui se fait avec les boeufs, car les récoltes ne fournissent pas la nourriture de ces animaux, il leur faut des pâturages pendant l'été & du foin pendant l'hyver. S'il y a des laboureurs qui donnent du foin aux chevaux, ce n'est qu'en petite quantité, parce qu'on peut y suppléer par d'autres fourrages que les grains de Mars fournissent : d'ailleurs la quantité de foin que douze boeufs consomment pendant l'hyver & lorsque le pâturage manque, surpasse la petite quantité que quatre chevaux en consomment pendant l'année ; ainsi il y a encore à cet égard de l'épargne sur la nourriture des chevaux : mais il y a de plus pour les boeufs que pour les chevaux, la dépense des pâturages.

Cette dépense paroît de peu de conséquence, cependant elle mérite attention ; car des pâturages propres à nourrir les boeufs occupés à labourer les terres, pourroient de même servir à élever ou à nourrir d'autres bestiaux, dont on pourroit tirer annuellement un profit réel. Cette perte est plus considérable encore, lorsque les pâturages peuvent être mis en culture : on ne sait que trop combien, sous le prétexte de conserver des pâturages pour les boeufs de labour, il reste de terres en friche qui pourroient être cultivées. Malheureusement il est même de l'intérêt des métayers de cultiver le moins de terres qu'ils peuvent, afin d'avoir plus de tems pour faire des charrois à leur profit. D'ailleurs il faut enclorre de haies, faites de branchages, les terres ensemencées pour les garantir des boeufs qui sont en liberté dans les pâturages ; les cultivateurs employent beaucoup de tems à faire ces clôtures dans une saison où ils devroient être occupés à labourer les terres. Toutes ces causes contribuent à rendre la dépense du pâturage des boeufs de labour fort onéreuse ; dépense qu'on évite entierement dans les pays où l'on cultive avec des chevaux : ainsi ceux qui croyent que la nourriture des boeufs de labour coute moins que celle des chevaux, se trompent beaucoup.

Un propriétaire d'une terre de huit domaines a environ cent boeufs de labour, qui lui coûtent pour leur nourriture au moins 4000 liv. chaque année, la dépense de chaque boeuf étant estimée à 40 liv. pour la consommation des pacages & du foin ; dépense qu'il éviteroit entierement par l'usage des chevaux.

Mais si l'on considere dans le vrai la différence des produits de la culture qui se fait avec les boeufs, & de celle qui se fait avec les chevaux, on appercevra qu'il y a moitié à perdre sur le produit des terres qu'on cultive avec des boeufs. Il faut encore ajoûter la perte du revenu des terres qui pourroient être cultivées, & qu'on laisse en friche pour le pâturage des boeufs. De plus, il faut observer que dans les tems secs où les pâturages sont arides, les boeufs trouvent peu de nourriture, & ne peuvent presque pas travailler : ainsi le défaut de fourrage & de fumier, le peu de travail, les charrois des métayers, bornent tellement la culture, que les terres, même les terres fort étendues, ne produisent que très-peu de revenu, & ruinent souvent les métayers & les propriétaires.

On prétend que les sept huitiemes des terres du royaume sont cultivées avec des boeufs : cette estimation peut au moins être admise, en comprenant sous le même point de vûe les terres mal cultivées avec des chevaux, par des pauvres fermiers, qui ne peuvent pas subvenir aux dépenses nécessaires pour une bonne culture. Ainsi une partie de toutes ces terres sont en friche, & l'autre partie presqu'en friche ; ce qui découvre une dégradation énorme de l'agriculture en France, par le défaut de fermiers.

Ce desastre peut être attribué à trois causes, 1° à la desertion des enfans des laboureurs qui sont forcés à se réfugier dans les grandes villes, où ils portent les richesses que leurs peres employent à la culture des terres : 2° aux impositions arbitraires, qui ne laissent aucune sûreté dans l'emploi des fonds nécessaires pour les dépenses de l'agriculture : 3° à la gêne, à laquelle on s'est trouvé assujetti dans le commerce des grains.

On a cru que la politique regardoit l'indigence des habitans de la campagne, comme un aiguillon nécessaire pour les exciter au travail : mais il n'y a point d'homme qui ne sache que les richesses sont le grand ressort de l'agriculture, & qu'il en faut beaucoup pour bien cultiver. Voyez l'article précédent FERMIER, (Econ. rust.) Ceux qui en ont ne veulent pas être ruinés : ceux qui n'en ont pas travailleroient inutilement, & les hommes ne sont point excités au travail, quand ils n'ont rien à espérer pour leur fortune ; leur activité est toujours proportionnée à leurs succès. On ne peut donc pas attribuer à la politique des vûes si contraires au bien de l'état, si préjudiciables au souverain, & si desavantageuses aux propriétaires des biens du royaume.

Le territoire du royaume contient environ cent millions d'arpens. On suppose qu'il y en a la moitié en montagnes, bois, prés, vignes, chemins, terres ingrates, emplacemens d'habitations, jardins, herbages, ou prés artificiels, étangs, & rivieres ; & que le reste peut être employé à la culture des grains.

On estime donc qu'il y a cinquante millions d'arpens de terres labourables dans le royaume ; si on y comprend la Lorraine, on peut croire que cette estimation n'est pas forcée. Mais, de ces cinquante millions d'arpens, il est à présumer qu'il y en a plus d'un quart qui sont négligés ou en friche.

Il n'y en a donc qu'environ trente-six millions qui sont cultivés, dont six ou sept millions sont traités par la grande culture, & environ trente millions cultivés avec des boeufs.

Les sept millions cultivés avec des chevaux, sont assolés par tiers : il y en a un tiers chaque année qui produit du blé, & qui année commune peut donner par arpent environ six septiers, semence prélevée la sole donnera quatorze millions de septiers.

Les trente millions traités par la petite culture, sont assolés par moitié. La moitié qui produit la récolte n'est pas toute ensemencée en blé, il y en a ordinairement le quart en menus grains ; ainsi il n'y auroit chaque année qu'environ onze millions d'arpens ensemencés en blé. Chaque arpent, année commune, peut produire par cette culture environ trois septiers de blé, dont il faut retrancher la semence ; ainsi la sole donnera 28 millions de septiers.

Le produit total des deux parties est 42 millions.

On estime, selon M. Dupré de Saint-Maur, qu'il y a environ seize millions d'habitans dans le royaume. Si chaque habitant consommoit trois septiers de blé, la consommation totale seroit de quarante-huit millions de septiers : mais de seize millions d'habitans, il en meurt moitié avant l'âge de quinze ans. Ainsi de seize millions il n'y en a que huit millions qui passent l'âge de 15 ans, & leur consommation annuelle en blé ne passe pas vingt-quatre millions de septiers. Supposez-en la moitié encore pour les enfans au-dessous de l'âge de 15 ans, la consommation totale sera trente-six millions de septiers. M. Dupré de Saint-Maur estime nos récoltes en blé, année commune, à trente-sept millions de septiers ; d'où il paroît qu'il n'y auroit pas d'excédent dans nos récoltes en blé. Mais il y a d'autres grains & des fruits dont les paysans font usage pour leur nourriture : d'ailleurs je crois qu'en estimant le produit de nos récoltes par les deux sortes de cultures dont nous venons de parler, elles peuvent produire, année commune, quarante-deux millions de septiers.

Si les 50 millions d'arpens de terres labourables (a) qu'il y a pour le moins dans le royaume, étoient tous traités par la grande culture, chaque arpent de terre, tant bonne que médiocre, donneroit, année commune, au moins cinq septiers, semence prélevée : le produit du tiers chaque année, seroit 85 millions de septiers de blé ; mais il y auroit au moins un huitieme de ces terres employé à la culture des légumes, du lin, du chanvre, &c. qui exigent de bonnes terres & une bonne culture ; il n'y auroit donc par an qu'environ quatorze millions d'arpens qui porteroient du blé, & dont le produit seroit 70 millions de septiers.

Ainsi l'augmentation de récolte seroit chaque année, de vingt-six millions de septiers.

Ces vingt-six millions de septiers seroient surabondans dans le royaume, puisque les récoltes actuelles sont plus que suffisantes pour nourrir les habitans : car on présume avec raison qu'elles excedent, année commune, d'environ neuf millions de septiers.

Ainsi quand on supposeroit à l'avenir un surcroît d'habitans fort considérable, il y auroit encore plus de 26 millions de septiers à vendre à l'étranger.

Mais il n'est pas vraisemblable qu'on pût en vendre à bon prix une si grande quantité. Les Anglois n'en exportent pas plus d'un million chaque année ; la Barbarie n'en exporte pas un million de septiers. Leurs colonies, sur-tout la Pensylvanie qui est extrèmement fertile, en exportent à-peu-près autant. Il en sort aussi de la Pologne environ huit cent mille tonneaux, ou sept millions de septiers ; ce qui fournit les nations qui en achetent. Elles ne le payent pas même fort cherement, à en juger par le prix que les Anglois le vendent ; mais on peut toûjours conclure de-là que nous ne pourrions pas leur vendre vingt-six millions de septiers de blé, du moins à un prix qui pût dédommager le laboureur de ses frais.

Il faut donc envisager par d'autres côtés les produits de l'agriculture ; portée au degré le plus avantageux.

Les profits sur les bestiaux en forment la partie la plus considérable. La culture du blé exige beaucoup de dépenses. La vente de ce grain est fort inégale ; si le laboureur est forcé de le vendre à bas prix, ou de le garder, il ne peut se soûtenir que par les profits qu'il fait sur les bestiaux. Mais la culture des grains n'en est pas moins le fondement & l'essence de son état : ce n'est que par elle qu'il peut nourrir beaucoup de bestiaux ; car il ne suffit pas pour les bestiaux d'avoir des pâturages pendant l'été, il leur faut des fourrages pendant l'hyver, & il faut aussi des grains à la plûpart pour leur nourriture. Ce sont les riches moissons qui les procurent : c'est donc sous ces deux points de vûe qu'on doit envisager la régie de l'agriculture.

Dans un royaume comme la France dont le territoire est si étendu, & qui produiroit beaucoup plus de blé que l'on n'en pourroit vendre, on ne doit s'attacher qu'à la culture des bonnes terres pour la production du blé ; les terres fort médiocres qu'on cultive pour le blé, ne dédommagent pas suffisamment des frais de cette culture. Nous ne parlons pas ici des améliorations de ces terres ; il s'en faut beaucoup qu'on puisse en faire les frais en France, où l'on ne peut pas même, à beaucoup près, subvenir aux dépens de la simple agriculture. Mais ces mêmes terres peuvent être plus profitables, si on les fait valoir par la culture de menus grains, de racines, d'herbages, ou de prés artificiels, pour la nourriture des bestiaux ; plus on peut par le moyen de cette culture nourrir les bestiaux dans leurs étables, plus ils fournissent de fumier pour l'engrais des terres, plus les récoltes sont abondantes en grains & en fourrages, & plus on peut multiplier les bestiaux. Les bois, les vignes qui sont des objets importans, peuvent aussi occuper beaucoup de terres sans préjudicier à la culture des grains. On a prétendu qu'il falloit restreindre la culture des vignes, pour étendre davantage la culture du blé : mais ce seroit encore priver le royaume d'un produit considérable sans nécessité, & sans remédier aux empêchemens qui s'opposent à la culture des terres. Le vigneron trouve apparemment plus d'avantage à cultiver des vignes ; ou bien il lui faut moins de richesses pour soûtenir cette culture, que pour préparer des terres à produire du blé. Chacun consulte ses facultés ; si on restreint par des lois des usages établis par des raisons invincibles, ces lois ne sont que de nouveaux obstacles qu'on oppose à l'agriculture : cette législation est d'autant plus déplacée à l'égard des vignes, que ce ne sont pas les terres qui manquent pour la culture du blé ; ce sont les moyens de les mettre en valeur.

En Angleterre, on réserve beaucoup de terres pour procurer de la nourriture aux bestiaux. Il y a une quantité prodigieuse de bestiaux dans cette île ; & le profit en est si considérable, que le seul produit des laines est évalué à plus de cent soixante millions.

Il n'y a aucune branche de commerce qui puisse être comparée à cette seule partie du produit des bestiaux ; la traite des negres, qui est l'objet capital du commerce extérieur de cette nation, ne monte qu'environ à soixante millions : ainsi la partie du cultivateur excede infiniment celle du négociant. La vente des grains forme le quart du commerce intérieur de l'Angleterre, & le produit des bestiaux est bien supérieur à celui des grains. Cette abondance est dûe aux richesses du cultivateur. En Angleterre, l'état de fermier est un état fort riche & fort estimé, un état singulierement protégé par le gouvernement. Le cultivateur y fait valoir ses richesses à découvert, sans craindre que son gain attire sa ruine par des impositions arbitraires & indéterminées.

Plus les laboureurs sont riches, plus ils augmentent par leurs facultés le produit des terres, & la puissance de la nation. Un fermier pauvre ne peut cultiver qu'au desavantage de l'état, parce qu'il ne peut obtenir par son travail les productions que la terre n'accorde qu'à une culture opulente.

(a) Selon la carte de M. de Cassini, il y a en tout environ cent vingt-cinq millions d'arpens ; la moitié pourroit être cultivée en blé.

Cependant il faut convenir que dans un royaume fort étendu, les bonnes terres doivent être préférées pour la culture du blé, parce que cette culture est fort dispendieuse ; plus les terres sont ingrates, plus elles exigent de dépenses, & moins elles peuvent par leur propre valeur dédommager le laboureur.

En supposant donc qu'on bornât en France la culture du blé aux bonnes terres, cette culture pourroit se réduire à trente millions d'arpens, dont dix seroient chaque année ensemencés en blé, dix en avoine, & dix en jachere.

Dix millions d'arpens de bonnes terres bien cultivées ensemencées en blé, produiroient, année commune, au moins six septiers par arpent, semence prélevée ; ainsi les dix millions d'arpens donneroient soixante millions de septiers.

Cette quantité surpasseroit de dix-huit millions de septiers le produit de nos récoltes actuelles de blé. Ce surcroît vendu à l'étranger dix-sept livres le septier seulement, à cause de l'abondance, les dix-huit millions de septiers produiroient plus de trois cent millions ; & il resteroit encore 20 ou 30 millions d'arpens de nos terres, non compris les vignes, qui seroient employés à d'autres cultures.

Le surcroît de la récolte en avoine & menus grains qui suivent le blé, seroit dans la même proportion ; il serviroit avec le produit de la culture des terres médiocres, à l'augmentation du profit sur les bestiaux.

On pourroit même présumer que le blé qu'on porteroit à l'étranger se vendroit environ vingt livres le septier prix commun, le commerce du blé étant libre ; car depuis Charles IX. jusqu'à la fin du regne de Louis XIV. les prix communs, formés par dixaines d'années, ont varié depuis 20 jusqu'à 30 livres de notre monnoie d'aujourd'hui ; c'est-à-dire environ depuis le tiers jusqu'à la moitié de la valeur du marc d'argent monnoyé ; la livre de blé qui produit une livre de gros pain, valoit environ un sou, c'est-à-dire deux sous de notre monnoye actuelle.

En Angleterre le blé se vend environ vingt-deux livres, prix commun ; mais ; à cause de la liberté du commerce, il n'y a point eu de variations excessives dans le prix des différentes années ; la nation n'essuie ni disettes ni non-valeurs. Cette régularité dans les prix des grains est un grand avantage pour le soûtien de l'agriculture ; parce que le laboureur n'étant point obligé de garder ses grains, il peut toûjours par le produit annuel des récoltes, faire les dépenses nécessaires pour la culture.

Il est étonnant qu'en France dans ces derniers tems le blé soit tombé si fort au-dessous de son prix ordinaire, & qu'on y éprouve si souvent des disettes : car depuis plus de 30 ans le prix commun du blé n'a monté qu'à 17 liv. dans ce cas le bas prix du blé est de onze à treize livres. Alors les disettes arrivent facilement à la suite d'un prix si bas, dans un royaume où il y a tant de cultivateurs pauvres ; car ils ne peuvent pas attendre les tems favorables pour vendre leur grain ; ils sont même obligés, faute de débit, de faire consommer une partie de leur blé par les bestiaux pour en tirer quelques profits. Ces mauvais succès les découragent ; la culture & la quantité du blé diminuent en même tems, & la disette survient.

C'est un usage fort commun parmi les laboureurs, quand le blé est à bas prix, de ne pas faire battre les gerbes entierement, afin qu'il reste beaucoup de grain dans le fourrage qu'ils donnent aux moutons ; par cette pratique ils les entretiennent gras pendant l'hyver & au printems, & ils tirent plus de profit de la vente de ces moutons que de la vente du blé. Ainsi il est facile de comprendre, par cet usage, pourquoi les disettes surviennent lorsqu'il arrive de mauvaises années.

On estime, année commune, que les récoltes produisent du blé environ pour deux mois plus que la consommation d'une année : mais l'estimation d'une année commune est établie sur les bonnes & les mauvaises récoltes, & on suppose la conservation des grains que produisent de trop les bonnes récoltes. Cette supposition étant fausse, il s'ensuit que le blé doit revenir fort cher quand il arrive une mauvaise récolte : parce que le bas prix du blé dans les années précédentes, a déterminé le cultivateur à l'employer pour l'engrais des bestiaux, & lui a fait négliger la culture : aussi a-t-on remarqué que les années abondantes, où le blé a été à bas prix, & qui sont suivies d'une mauvaise année, ne préservent pas de la disette. Mais la cherté du blé ne dédommage pas alors le pauvre laboureur, parce qu'il en a peu à vendre dans les mauvaises années. Le prix commun qu'on forme des prix de plusieurs années n'est pas une regle pour lui ; il ne participe point à cette compensation qui n'existe que dans le calcul à son égard.

Pour mieux comprendre le dépérissement indispensable de l'agriculture, par l'inégalité excessive des prix du blé, il ne faut pas perdre de vûe les dépenses qu'exige la culture du blé.

Une charrue de quatre forts chevaux cultive quarante arpens de blé, & quarante arpens de menus grains qui se sement au mois de Mars.

C'est par arpent de blé environ quatre-vingt liv. de dépense, & chaque arpent de blé peut être estimé porter six septiers & demi, mesure de Paris : c'est une récolte passable, eu égard à la diversité des terres bonnes & mauvaises d'une ferme, aux accidens, aux années plus ou moins avantageuses. De six septiers & demi que rapporte un arpent de terre, il faut en déduire la semence ; ainsi il ne reste que cinq septiers & dix boisseaux pour le fermier. La sole de quarante arpens produit des blés de différente valeur ; car elle produit du seigle, du méteil, & du froment pur. Si le prix du froment pur étoit à seize livres le septier, il faudroit réduire le prix commun de ces différens blés à quatorze livres : le produit d'un arpent seroit donc quatre-vingt-une liv. treize sols ; ainsi quand la tête du blé est à seize livres le septier, le cultivateur retire à peine ses frais, & il est exposé aux tristes évenemens de la grêle, des années stériles, de la mortalité des chevaux, &c.

Pour estimer les frais & le produit des menus grains qu'on seme au mois de Mars, nous les réduirons tous sur le pié de l'avoine ; ainsi en supposant une sole de quarante arpens d'avoine, & en observant qu'une grande partie des dépenses faites pour le blé, sert pour la culture de cette sole, il n'y a à compter de plus que

Ainsi le produit total du blé & de l'avoine n'excede alors que de 150 liv. les frais dans lesquels on n'a point compris sa nourriture ni son entretien pour sa famille & pour lui. Il ne pourroit satisfaire à ces besoins essentiels que par le produit de quelques bestiaux, & il resteroit toûjours pauvre, & en danger d'être ruiné par les pertes : il faut donc que les grains soient à plus haut prix, pour qu'il puisse se soûtenir & établir ses enfans.

Le métayer qui cultive avec des boeufs, ne recueille communément que sur le pié du grain cinq ; c'est trois septiers & un tiers par arpent : il faut en retrancher un cinquieme pour la semence. Il partage cette recolte par moitié avec le propriétaire, qui lui fournit les boeufs, les friches, les prairies pour la nourriture des boeufs, le décharge du loyer des terres, lui fournit d'ailleurs quelqu'autres bestiaux dont il partage le profit. Ce métayer avec sa famille cultive lui-même, & évite les frais des domestiques, une partie des frais de la moisson, & les frais de battage : il fait peu de dépense pour le bourrelier & le maréchal, &c. Si ce métayer cultive trente arpens de blé chaque année, il recueille communément pour sa part environ trente ou trente-cinq septiers, dont il consomme la plus grande partie pour sa nourriture & celle de sa famille : le reste est employé à payer sa taille, les frais d'ouvriers qu'il ne peut pas éviter, & la dépense qu'il est obligé de faire pour ses besoins & ceux de sa famille. Il reste toûjours très-pauvre ; & même quand les terres sont médiocres, il ne peut se soûtenir que par les charrois qu'il fait à son profit. La taille qu'on lui impose est peu de chose en comparaison de celle du fermier, parce qu'il recueille peu, & qu'il n'a point d'effets à lui qui assûrent l'imposition : ses recoltes étant très-foibles, il a peu de fourrages pour la nourriture des bestiaux pendant l'hyver ; ensorte que ses profits sont fort bornés sur cette partie, qui dépend essentiellement d'une bonne culture.

La condition du propriétaire n'est pas plus avantageuse ; il retire environ 15 boisseaux par arpent, au lieu d'un loyer de deux années que lui payeroit un fermier : il perd les intérêts du fonds des avances qu'il fournit au métayer pour les boeufs. Ces boeufs consomment les foins de ses prairies, & une grande partie des terres de ses domaines reste en friche pour leur pâturage ; ainsi son bien est mal cultivé & presqu'en non-valeur. Mais quelle diminution de produit, & quelle perte pour l'état !

Le fermier est toûjours plus avantageux à l'état, dans les tems mêmes où il ne gagne pas sur ses recoltes, à cause du bas prix des grains ; le produit de ses dépenses procure du moins dans le royaume un accroissement annuel de richesses réelles. A la vérité cet accroissement de richesses ne peut pas continuer, lorsque les particuliers qui en font les frais n'en retirent point de profit, & souffrent même des pertes qui diminuent leurs facultés. Si on tend à favoriser par le bon marché du blé les habitans des villes, les ouvriers des manufactures, & les artisans, on desole les campagnes, qui sont la source des vraies richesses de l'état : d'ailleurs ce dessein réussit mal. Le pain n'est pas la seule nourriture des hommes ; & c'est encore l'agriculture, lorsqu'elle est protégée, qui procure les autres alimens avec abondance.

Les citoyens, en achetant la livre de pain quelques liards plus cher, dépenseroient beaucoup moins pour satisfaire à leurs besoins. La police n'a de pouvoir que pour la diminution du prix du blé, en empêchant l'exportation ; mais le prix des autres denrées n'est pas de même à sa disposition, & elle nuit beaucoup à l'aisance des habitans des villes, en leur procurant quelque légere épargne sur le blé, & en détruisant l'agriculture. Le beurre, le fromage, les oeufs, les légumes, &c. sont à des prix exorbitans, ce qui enchérit à proportion les vêtemens & les autres ouvrages des artisans dont le bas peuple a besoin. La cherté de ces denrées augmente le salaire des ouvriers. La dépense inévitable & journaliere de ces mêmes ouvriers deviendroit moins onéreuse, si les campagnes étoient peuplées d'habitans occupés à élever des volailles, à nourrir des vaches, à cultiver des feves, des haricots, des pois, &c.

Le riche fermier occupe & soûtient le paysan, le paysan procure au pauvre citoyen la plûpart des denrées nécessaires aux besoins de la vie. Par-tout où le fermier manque & où les boeufs labourent la terre, les paysans languissent dans la misere ; le métayer qui est pauvre ne peut les occuper : ils abandonnent la campagne, ou bien ils y sont réduits à se nourrir d'avoine, d'orge, de blé noir, de pommes de terre, & d'autres productions de vil prix qu'ils cultivent eux-mêmes, & dont la récolte se fait peu attendre. La culture du blé exige trop de tems & de travail ; ils ne peuvent attendre deux années pour obtenir une récolte. Cette culture est réservée au fermier qui en peut faire les frais, ou au métayer qui est aidé par le propriétaire, & qui d'ailleurs est une foible ressource pour l'agriculture ; mais c'est la seule pour les propriétaires dépourvûs de fermiers. Les fermiers eux-mêmes ne peuvent profiter que par la supériorité de leur culture, & par la bonne qualité des terres qu'ils cultivent ; car ils ne peuvent gagner qu'autant que leurs récoltes surpassent leurs dépenses. Si, la semence & les frais prélevés, un fermier a un septier de plus par arpent, c'est ce qui fait son avantage ; car quarante arpens ensemencés en blé, lui forment alors un bénéfice de quarante septiers, qui valent environ 600 livres ; & s'il cultive si bien qu'il puisse avoir pour lui deux septiers par arpent, son profit est doublé. Il faut pour cela que chaque arpent de terre produise sept à huit septiers ; mais il ne peut obtenir ce produit que d'une bonne terre. Quand les terres qu'il cultive sont les unes bonnes & les autres mauvaises, le profit ne peut être que fort médiocre.

Le paysan qui entreprendroit de cultiver du blé avec ses bras, ne pourroit pas se dédommager de son travail ; car il en cultiveroit si peu, que quand même il auroit quelques septiers de profit au-delà de sa nourriture & de ses frais, cet avantage ne pourroit suffire à ses besoins : ce n'est que sur de grandes récoltes qu'on peut retirer quelque profit. C'est pourquoi un fermier qui employe plusieurs charrues, & qui cultive de bonnes terres, profite beaucoup plus que celui qui est borné à une seule charrue, & qui cultiveroit des terres également bonnes : & même dans ce dernier cas les frais sont, à bien des égards, plus considérables à proportion. Mais si celui qui est borné à une seule charrue manque de richesses pour étendre son emploi, il fait bien de se restreindre, parce qu'il ne pourroit pas subvenir aux frais qu'exigeroit une plus grande entreprise.

L'Agriculture n'a pas, comme le Commerce, une ressource dans le crédit. Un marchand peut emprunter pour acheter de la marchandise, ou il peut l'acheter à crédit, parce qu'en peu de tems le profit & le fonds de l'achat lui rentrent ; il peut faire le remboursement des sommes qu'il emprunte : mais le laboureur ne peut retirer que le profit des avances qu'il a faites pour l'agriculture ; le fonds reste pour soûtenir la même entreprise de culture ; ainsi il ne peut l'emprunter pour le rendre à des termes préfixs ; & ses effets étant en mobilier, ceux qui pourroient lui prêter n'y trouveroient pas assez de sûreté pour placer leur argent à demeure. Il faut donc que les fermiers soient riches par eux-mêmes ; & le gouvernement doit avoir beaucoup d'égards à ces circonstances, pour relever un état si essentiel dans le royaume.

Mais on ne doit pas espérer d'y réussir, tant qu'on imaginera que l'agriculture n'exige que des hommes & du travail ; & qu'on n'aura pas d'égard à la sûreté & au revenu des fonds que le laboureur doit avancer. Ceux qui sont en état de faire ces dépenses, examinent, & n'exposent pas leurs biens à une perte certaine. On entretient le blé à un prix très-bas, dans un siecle où toutes les autres denrées & la main-d'oeuvre sont devenues fort cheres. Les dépenses du laboureur se trouvent donc augmentées de plus d'un tiers, dans le tems que ses profits sont diminués d'un tiers ; ainsi il souffre une double perte qui diminue ses facultés, & le met hors d'état de soûtenir les frais d'une bonne culture : aussi l'état de fermier ne subsiste-t-il presque plus ; l'agriculture est abandonnée aux métayers, au grand préjudice de l'état.

Ce ne sont pas simplement les bonnes ou mauvaises récoltes qui reglent le prix du blé ; c'est principalement la liberté ou la contrainte dans le commerce de cette denrée, qui décide de sa valeur. Si on veut en restraindre ou en gêner le commerce dans les tems des bonnes récoltes, on dérange les produits de l'agriculture, on affoiblit l'état, on diminue le revenu des propriétaires des terres, on fomente la paresse & l'arrogance du domestique & du manouvrier qui doivent aider à l'agriculture ; on ruine les laboureurs, on dépeuple les campagnes. Ce ne seroit pas connoître les avantages de la France, que d'empêcher l'exportation du blé par la crainte d'en manquer, dans un royaume qui peut en produire beaucoup plus que l'on n'en pourroit vendre à l'étranger.

La conduite de l'Angleterre à cet égard, prouve au contraire qu'il n'y a point de moyen plus sûr pour soûtenir l'agriculture, entretenir l'abondance & obvier aux famines, que la vente d'une partie des récoltes à l'étranger. Cette nation n'a point essuyé de cherté extraordinaire ni de non-valeur du blé, depuis qu'elle en a favorisé & excité l'exportation.

Cependant je crois qu'outre la retenue des blés dans le royaume, il y a quelqu'autre cause qui a contribué à en diminuer le prix ; car il a diminué aussi en Angleterre assez considérablement depuis un tems, ce qu'on attribue à l'accroissement de l'agriculture dans ce royaume. Mais on peut présumer aussi que le bon état de l'agriculture dans les colonies, surtout dans la Pensylvanie, où elle a tant fait de progrès depuis environ cinquante ans, & qui fournit tant de blé & de farine aux Antilles & en Europe, en est la principale cause, & cette cause pourra s'accroître encore dans la suite : c'est pourquoi je borne le prix commun du blé en France à 18 livres, en supposant l'exportation & le rétablissement de la grande culture ; mais on seroit bien dédommagé par l'accroissement du produit des terres, & par un débit assûré & invariable, qui soûtiendroient constamment l'agriculture.

La liberté de la vente de nos grains à l'étranger, est donc un moyen essentiel & même indispensable pour ranimer l'agriculture dans le royaume ; cependant ce seul moyen ne suffit pas. On appercevroit à la vérité que la culture des terres procureroit de plus grands profits ; mais il faut encore que le cultivateur ne soit pas inquiété par des impositions arbitraires & indéterminées : car si cet état n'est pas protégé, on n'exposera pas des richesses dans un emploi si dangereux. La sécurité dont on joüit dans les grandes villes, sera toûjours préférable à l'apparence d'un profit qui peut occasionner la perte des fonds nécessaires pour former un établissement si peu solide.

Les enfans des fermiers redoutent trop la milice ; cependant la défense de l'état est un des premiers devoirs de la nation : personne à la rigueur n'en est exempt, qu'autant que le gouvernement qui regle l'emploi des hommes, en dispense pour le bien de l'état. Dans ces vûes, il ne réduit pas à la simple condition de soldat ceux qui par leurs richesses ou par leurs professions peuvent être plus utiles à la société. Par cette raison l'état du fermier pourroit être distingué de celui du métayer, si ces deux états étoient bien connus.

Ceux qui sont assez riches pour embrasser l'état de fermier, ont par leurs facultés la facilité de choisir d'autres professions ; ainsi le gouvernement ne peut les déterminer que par une protection décidée, à se livrer à l'agriculture *.

* La petite quantité d'enfans de fermiers que la milice enleve, est un fort petit objet ; mais ceux qu'elle détermine à abandonner la profession de leurs peres, méritent une plus grande attention par rapport à l'Agriculture qui fait la vraie force de l'état. Il y a actuellement, selon M. Dupré de Saint-Maur, environ les 7/8 du royaume cultivés avec des boeufs : ainsi il n'y a qu'un huitieme des terres cultivées par des fermiers, dont le nombre ne va pas à 30000, ce qui ne peut pas fournir 1000 miliciens fils de fermiers. Cette petite quantité est zéro dans nos armées : mais 4000 qui sont effrayés & qui abandonnent les campagnes chaque fois qu'on tire la milice, sont un grand objet pour la culture des terres. Nous ne parlerons ici que des laboureurs qui cultivent avec des chevaux ; car (selon l'auteur de cet article) les autres n'en méritent pas le nom. Or il y a environ six ou sept millions d'arpens de terre cultivée par des chevaux, ce qui peut être l'emploi de 30000 charrues, à 120 arpens par chacune. Une grande partie des fermiers ont deux charrues : beaucoup en ont trois. Ainsi le nombre des fermiers qui cultivent par des chevaux, ne va guere qu'à 30000 : sur tout si on ne les confond pas avec les propriétaires nobles & privilégiés qui exercent la même culture. La moitié de ces fermiers n'ont pas des enfans en âge de tirer à la milice ; car ce ne peut être qu'après dix-huit ou vingt ans de leur mariage qu'ils peuvent avoir un enfant à cet âge, & il y a autant de femelles que de mâles. Ainsi il ne peut pas y avoir 10000 fils de fermiers en état de tirer à la milice : une partie s'enfuit dans les villes : ceux qui restent exposés au sort, tirent avec les autres paysans ; il n'y en a donc pas mille, peut-être pas cinq cent, qui échoient à la milice. Quand le nombre des fermiers augmenteroit autant qu'il est possible, l'état devroit encore les protéger pour le soûtien de l'Agriculture, & en faveur des contributions considérables qu'il en retireroit. Note des Editeurs.

Jettons les yeux sur un objet qui n'est pas moins important que la culture des grains, je veux dire sur le profit des bestiaux dans l'état actuel de l'agriculture en France.

Les 30 millions d'arpens traités par la petite culture, peuvent former 375 mille domaines de chacun 80 arpens en culture. En supposant 12 boeufs par domaine, il y a 4 millions 500000 boeufs employés à la culture de ces domaines : la petite culture occupe donc pour le labour des terres 4 ou 5 millions de boeufs. On met un boeuf au travail à trois ou quatre ans ; il y en a qui ne les y laissent que trois, quatre, cinq ou six ans : mais la plûpart les y retiennent pendant sept, huit ou neuf ans. Dans ce cas on ne les vend à ceux qui les mettent à l'engrais pour la boucherie, que quand ils ont douze ou treize ans ; alors ils sont moins bons, & on les vend moins cher qu'ils ne valoient avant que de les mettre au labour. Ces boeufs occupent pendant long-tems des pâturages dont on ne tire aucun profit ; au lieu que si on ne faisoit usage de ces pâturages que pour élever simplement des boeufs jusqu'au tems où ils seroient en état d'être mis à l'engrais pour la boucherie, ces boeufs seroient renouvellés tous les cinq ou six ans.

Par la grande culture les chevaux laissent les pâturages libres ; ils se procurent eux-mêmes leur nourriture sans préjudicier au profit du laboureur, qui tire encore un plus grand produit de leur travail que de celui des boeufs ; ainsi par cette culture on mettroit à profit les pâturages qui servent en pure perte à nourrir 4 ou 5 millions de boeufs que la petite culture retient au labour, & qui occupent, pris tous ensemble, au moins pendant six ans, les pâturages qui pourroient servir à élever pour la boucherie 4 ou 5 autres millions de boeufs.

Les boeufs, avant que d'être mis à l'engrais pour la boucherie, se vendent différens prix, selon leur grosseur : le prix moyen peut être réduit à 100 liv. ainsi 4 millions 500 mille boeufs qu'il y auroit de surcroît en six ans, produiroient 450 millions de plus tous les six ans. Ajoûtez un tiers de plus que produiroit l'engrais ; le total seroit de 600 millions, qui, divisés par six années, fourniroient un profit annuel de 100 millions. Nous ne considérons ce produit que relativement à la perte des pâturages ou des friches abandonnés aux boeufs qu'on retient au labour ; mais ces pâturages pourroient pour la plûpart être remis en culture, du moins en une culture qui fourniroit plus de nourriture aux bestiaux : alors le produit en seroit beaucoup plus grand.

Les troupeaux de moutons présentent encore un avantage qui seroit plus considérable, par l'accroissement du produit des laines & de la vente annuelle de ces bestiaux. Dans les 375 mille domaines cultivés par des boeufs, il n'y a pas le tiers des troupeaux qui pourroient y être nourris, si ces terres étoient mieux cultivées, & produisoient une plus grande quantité de fourrages. Chacun de ces domaines avec ses friches nourriroit un troupeau de 250 moutons ; ainsi une augmentation des deux tiers seroit environ de 250 mille troupeaux, ou de 60 millions de moutons, qui partagés en brebis, agneaux, & moutons proprement dits, il y auroit 30 millions de brebis qui produiroient 30 millions d'agneaux, dont moitié seroient mâles ; on garderoit ces mâles, qui forment des moutons que l'on vend pour la boucherie quand ils ont deux ou trois ans. On vend les agneaux femelles, à la reserve d'une partie que l'on garde pour renouveller les brebis. Il y auroit 15 millions d'agneaux femelles ; on en vendroit 10 millions, qui, à 3 liv. piece, produiroient 30 millions.

Il y auroit 15 millions de moutons qui se succéderoient tous les ans ; ainsi ce seroit tous les ans 15 millions de moutons à vendre pour la boucherie, qui étant supposés pour le prix commun à huit livres la piece, produiroient 120 millions. On vendroit par an cinq millions de vieilles brebis, qui, à 3 livres piece, produiroient 15 millions de livres. Il y auroit chaque année 60 millions de toisons (non compris celles des agneaux), qui réduites les unes avec les autres à un prix commun de 40 sous la toison, produiroient 120 millions ; l'accroissement du produit annuel des troupeaux monteroit donc à plus de 285 millions ; ainsi le surcroît total en blé, en boeufs & en moutons, seroit un objet de 685 millions.

Peut-être objectera-t-on que l'on n'obtiendroit pas ces produits sans de grandes dépenses. Il est vrai que si on examinoit simplement le profit du laboureur, il faudroit en soustraire les frais ; mais en envisageant ces objets relativement à l'état, on apperçoit que l'argent employé pour ces frais reste dans le royaume, & tout le produit se trouve de plus.

Les observations qu'on vient de faire sur l'accroissement du produit des boeufs & des troupeaux, doivent s'étendre sur les chevaux, sur les vaches, sur les veaux, sur les porcs, sur les volailles, sur les vers à soie, &c. car par le rétablissement de la grande culture on auroit de riches moissons, qui procureroient beaucoup de grains, de légumes & de fourrages. Mais en faisant valoir les terres médiocres par la culture des menus grains, des racines, des herbages, des prés artificiels, des mûriers, &c. on multiplieroit beaucoup plus encore la nourriture des bestiaux, des volailles, & des vers à soie, dont il résulteroit un surcroît de revenu qui seroit aussi considérable que celui qu'on tireroit des bestiaux que nous avons évalués ; ainsi il y auroit par le rétablissement total de la grande culture, une augmentation continuelle de richesses de plus d'un milliard.

Ces richesses se répandroient sur tous les habitans, elles leur procureroient de meilleurs alimens, elles satisferoient à leurs besoins, elles les rendroient heureux, elles augmenteroient la population, elles accroîtroient les revenus des propriétaires & ceux de l'état.

Les frais de la culture n'en seroient guere plus considérables, il faudroit seulement de plus grands fonds pour en former l'établissement ; mais ces fonds manquent dans les campagnes, parce qu'on les a attirés dans les grandes villes. Le gouvernement qui fait mouvoir les ressorts de la société, qui dispose de l'ordre général, peut trouver les expédiens convenables & intéressans pour les faire retourner d'eux-mêmes à l'agriculture, où ils seroient beaucoup plus profitables aux particuliers, & beaucoup plus avantageux à l'état. Le lin, le chanvre, les laines, la soie, &c. seroient les matieres premieres de nos manufactures ; le blé, les vins, l'eau-de-vie, les cuirs, les viandes salées, le beurre, le fromage, les graisses, le suif, les toiles, les cordages, les draps, les étoffes, formeroient le principal objet de notre commerce avec l'étranger. Ces marchandises seroient indépendantes du luxe, les besoins des hommes leur assûrent une valeur réelle ; elles naîtroient de notre propre fonds, & seroient en pur profit pour l'état : ce seroit des richesses toûjours renaissantes, & toûjours supérieures à celles des autres nations.

Ces avantages, si essentiels au bonheur & à la prospérité des sujets, en procureroient un autre qui ne contribue pas moins à la force & aux richesses de l'état ; ils favoriseroient la propagation & la conservation des hommes, sur-tout l'augmentation des habitans de la campagne. Les fermiers riches occupent les paysans, que l'attrait de l'argent détermine au travail : ils deviennent laborieux, leur gain leur procure une aisance qui les fixe dans les provinces, & qui les met en état d'alimenter leurs enfans, de les retenir auprès d'eux, & de les établir dans leur province. Les habitans des campagnes se multiplient donc à proportion que les richesses y soûtiennent l'agriculture, & que l'agriculture augmente les richesses.

Dans les provinces où la culture se fait avec des boeufs, l'agriculteur est pauvre, il ne peut occuper le paysan : celui-ci n'étant point excité au travail par l'appât du gain, devient paresseux, & languit dans la misere ; sa seule ressource est de cultiver un peu de terre pour se procurer de quoi vivre. Mais quelle est la nourriture qu'il obtient par cette culture ? Trop pauvre pour préparer la terre à produire du blé & pour en attendre la récolte, il se borne, nous l'avons déjà dit, à une culture moins pénible, moins longue, qui peut en quelques mois procurer la moisson : l'orge, l'avoine, le blé noir, les pommes de terre, le blé de Turquie ou d'autres productions de vil prix, sont les fruits de ses travaux ; voilà la nourriture qu'il se procure, & avec laquelle il éleve ses enfans. Ces alimens, qui à peine soûtiennent la vie en ruinant le corps, font périr une partie des hommes dès l'enfance ; ceux qui résistent à une telle nourriture, qui conservent de la santé & des forces, & qui ont de l'intelligence, se délivrent de cet état malheureux en se refugiant dans les villes : les plus débiles & les plus ineptes restent dans les campagnes, où ils sont aussi inutiles à l'état qu'à charge à eux-mêmes.

Les habitans des villes croyent ingénument que ce sont les bras des paysans qui cultivent la terre, & que l'agriculture ne dépérit que parce que les hommes manquent dans les campagnes. Il faut, dit-on, en chasser les maîtres d'école, qui par les instructions qu'ils donnent aux paysans, facilitent leur désertion : on imagine ainsi des petits moyens, aussi ridicules que desavantageux ; on regarde les paysans comme les esclaves de l'état ; la vie rustique paroît la plus dure, la plus pénible, & la plus méprisable, parce qu'on destine les habitans des campagnes aux travaux qui sont réservés aux animaux. Quand le paysan laboure lui-même la terre, c'est une preuve de sa misere & de son inutilité. Quatre chevaux cultivent plus de cent arpens de terre ; quatre hommes n'en cultiveroient pas 8. A la reserve du vigneron, du jardinier, qui se livrent à cette espece de travail, les paysans sont employés par les riches fermiers à d'autres ouvrages plus avantageux pour eux, & plus utiles à l'agriculture. Dans les provinces riches où la culture est bien entretenue, les paysans ont beaucoup de ressources ; ils ensemencent quelques arpens de terre en blé & autres grains : ce sont les fermiers pour lesquels ils travaillent qui en font les labours, & c'est la femme & les enfans qui en recueillent les produits : ces petites moissons qui leur donnent une partie de leur nourriture, leur produisent des fourrages & des fumiers. Ils cultivent du lin, du chanvre, des herbes potageres, des légumes de toute espece ; ils ont des bestiaux & des volailles qui leur fournissent de bons alimens, & sur lesquels ils retirent des profits ; ils se procurent par le travail de la moisson du laboureur, d'autres grains pour le reste de l'année ; ils sont toûjours employés aux travaux de la campagne ; ils vivent sans contrainte & sans inquiétude ; ils méprisent la servitude des domestiques, valets, esclaves des autres hommes ; ils n'envient pas le sort du bas peuple qui habite les villes, qui loge au sommet des maisons, qui est borné à un gain à peine suffisant au besoin présent, qui étant obligé de vivre sans aucune prévoyance & sans aucune provision pour les besoins à venir, est continuellement exposé à languir dans l'indigence.

Les paysans ne tombent dans la misere & n'abandonnent la province, que quand ils sont trop inquiétés par les vexations auxquelles ils sont exposés, ou quand il n'y a pas de fermiers qui leur procurent du travail, & que la campagne est cultivée par de pauvres métayers bornés à une petite culture, qu'ils exécutent eux-mêmes fort imparfaitement. La portion que ces métayers retirent de leur petite récolte, qui est partagée avec le propriétaire, ne peut suffire que pour leurs propres besoins ; ils ne peuvent réparer ni améliorer les biens.

Ces pauvres cultivateurs, si peu utiles à l'état, ne représentent point le vrai laboureur, le riche fermier qui cultive en grand, qui gouverne, qui commande, qui multiplie les dépenses pour augmenter les profits ; qui ne négligeant aucun moyen, aucun avantage particulier, fait le bien général ; qui employe utilement les habitans de la campagne, qui peut choisir & attendre les tems favorables pour le débit de ses grains, pour l'achat & pour la vente de ses bestiaux.

Ce sont les richesses des fermiers qui fertilisent les terres, qui multiplient les bestiaux, qui attirent, qui fixent les habitans des campagnes, & qui font la force & la prospérité de la nation.

Les manufactures & le commerce entretenus par les desordres du luxe, accumulent les hommes & les richesses dans les grandes villes, s'opposent à l'amélioration des biens, dévastent les campagnes, inspirent du mépris pour l'agriculture, augmentent excessivement les dépenses des particuliers, nuisent au soûtien des familles, s'opposent à la propagation des hommes, & affoiblissent l'état.

La décadence des empires a souvent suivi de près un commerce florissant. Quand une nation dépense par le luxe ce qu'elle gagne par le commerce, il n'en résulte qu'un mouvement d'argent sans augmentation réelle de richesses. C'est la vente du superflu qui enrichit les sujets & le souverain. Les productions de nos terres doivent être la matiere premiere des manufactures & l'objet du commerce : tout autre commerce qui n'est pas établi sur ces fondemens, est peu assûré ; plus il est brillant dans un royaume, plus il excite l'émulation des nations voisines, & plus il se partage. Un royaume riche en terres fertiles, ne peut être imité dans l'agriculture par un autre qui n'a pas le même avantage. Mais pour en profiter, il faut éloigner les causes qui font abandonner les campagnes, qui rassemblent & retiennent les richesses dans les grandes villes. Tous les seigneurs, tous les gens riches, tous ceux qui ont des rentes ou des pensions suffisantes pour vivre commodément, fixent leur séjour à Paris ou dans quelqu'autre grande ville, où ils dépensent presque tous les revenus des fonds du royaume. Ces dépenses attirent une multitude de marchands, d'artisans, de domestiques, & de manouvriers : cette mauvaise distribution des hommes & des richesses est inévitable, mais elle s'étend beaucoup trop loin ; peut-être y aura-t-on d'abord beaucoup contribué, en protégeant plus les citoyens que les habitans des campagnes. Les hommes sont attirés par l'intérêt & par la tranquillité. Qu'on procure ces avantages à la campagne, elle ne sera pas moins peuplée à proportion que les villes. Tous les habitans des villes ne sont pas riches, ni dans l'aisance. La campagne a ses richesses & ses agrémens : on ne l'abandonne que pour éviter les vexations auxquelles on y est exposé ; mais le gouvernement peut remédier à ces inconvéniens. Le commerce paroît florissant dans les villes, parce qu'elles sont remplies de riches marchands. Mais qu'en résulte-t-il, sinon que presque tout l'argent du royaume est employé à un commerce qui n'augmente point les richesses de la nation ? Locke le compare au jeu, où, après le gain & la perte des joüeurs, la somme d'argent reste la même qu'elle étoit auparavant. Le commerce intérieur est nécessaire pour procurer les besoins, pour entretenir le luxe, & pour faciliter la consommation ; mais il contribue peu à la force & à la prospérité de l'état. Si une partie des richesses immenses qu'il retient, & dont l'emploi produit si peu au royaume, étoit distribuée à l'agriculture, elle procureroit des revenus bien plus réels & plus considérables. L'agriculture est le patrimoine du souverain : toutes ses productions sont visibles ; on peut les assujettir convenablement aux impositions ; les richesses pécuniaires échappent à la répartition des subsides, le gouvernement n'y peut prendre que par des moyens onéreux à l'état.

Cependant la répartition des impositions sur les laboureurs, présente aussi de grandes difficultés. Les taxes arbitraires sont trop effrayantes & trop injustes pour ne pas s'opposer toûjours puissamment au rétablissement de l'agriculture. La répartition proportionnelle n'est guere possible ; il ne paroît pas qu'on puisse la régler par l'évaluation & par la taxe des terres : car les deux sortes d'agriculture dont nous avons parlé, emportent beaucoup de différence dans les produits des terres d'une même valeur ; ainsi tant que ces deux sortes de culture subsisteront & varieront, les terres ne pourront pas servir de mesure proportionnelle pour l'imposition de la taille. Si l'on taxoit les terres selon l'état actuel, le tableau deviendroit défectueux à mesure que la grande culture s'accroîtroit : d'ailleurs il y a des provinces où le profit sur les bestiaux est bien plus considérable que le produit des récoltes, & d'autres où le produit des récoltes surpasse le profit que l'on retire des bestiaux ; de plus cette diversité de circonstances est fort susceptible de changemens. Il n'est donc guere possible d'imaginer aucun plan général, pour établir une répartition proportionnelle des impositions.

Mais il s'agit moins pour la sûreté des fonds du cultivateur d'une répartition exacte, que d'établir un frein à l'estimation arbitraire de la fortune du laboureur. Il suffiroit d'assujettir les impositions à des regles invariables & judicieuses, qui assûreroient le payement de l'imposition, & qui garantiroient celui qui la supporte, des mauvaises intentions ou des fausses conjectures de ceux qui l'imposent. Il ne faudroit se régler que sur les effets visibles ; les estimations de la fortune secrette des particuliers sont trompeuses ; & c'est toûjours le prétexte qui autorise les abus qu'on veut éviter.

Les effets visibles sont pour tous les laboureurs des moyens communs pour procurer les mêmes profits ; s'il y a des hommes plus laborieux, plus intelligens, plus économes, qui en tirent un plus grand avantage, ils méritent de joüir en paix des fruits de leurs épargnes & de leurs talens. Il suffiroit donc d'obliger le laboureur de donner tous les ans aux collecteurs une déclaration fidele de la quantité & de la nature des biens dont il est propriétaire ou fermier, & un dénombrement de ses récoltes, de ses bestiaux, &c. sous les peines d'être imposé arbitrairement s'il est convaincu de fraude. Tous les habitans d'un village connoissent exactement les richesses visibles de chacun d'eux ; les déclarations frauduleuses seroient facilement apperçûes. On assujettiroit de même rigoureusement les collecteurs à régler la répartition des impositions, relativement & proportionnellement à ces déclarations. Quant aux simples manouvriers & artisans, leur état serviroit de regle pour les uns & pour les autres, ayant égard à leurs enfans en bas âge, & à ceux qui sont en état de travailler. Quoiqu'il y eût de la disproportion entre ces habitans, la modicité de la taxe imposée à ces sortes d'ouvriers dans les villages, rendroit les inconvéniens peu considérables.

Les impositions à répartir sur les commerçans établis dans les villages, sont les plus difficiles à régler ; mais leur déclaration sur l'étendue & les objets de leur commerce, pourroit être admise ou contestée par les collecteurs ; & dans le dernier cas elle seroit approuvée ou réformée dans une assemblée des habitans de la paroisse. La décision formée par la notoriété, reprimeroit la fraude du taillable, & les abus de l'imposition arbitraire des collecteurs. Les commerçans sont en petit nombre dans les villages : ainsi ces précautions pourroient suffire à leur égard.

Nous n'envisageons ici que les campagnes, & surtout relativement à la sûreté du laboureur. Quant aux villes des provinces qui payent la taille, ce seroit à elles-mêmes à former les arrangemens qui leur conviendroient pour éviter l'imposition arbitraire.

Si ces regles n'obvient pas à tous les inconvéniens, ceux qui resteroient, & ceux même qu'elles pourroient occasionner, ne seroient point comparables à celui d'être exposé tous les ans à la discrétion des collecteurs ; chacun se dévoueroit sans peine à une imposition reglée par la loi. Cet avantage si essentiel & si desiré, dissiperoit les inquiétudes excessives que causent dans les campagnes la répartition arbitraire de la taille.

On objectera peut-être que les déclarations exactes que l'on exigeroit, & qui régleroient la taxe de chaque laboureur, pourroient le déterminer à restreindre sa culture & ses bestiaux pour moins payer de taille ; ce qui seroit encore un obstacle à l'accroissement de l'agriculture. Mais soyez assûré que le laboureur ne s'y tromperoit pas ; car ses récoltes, ses bestiaux, & ses autres effets, ne pourroient plus servir de prétexte pour le surcharger d'impositions ; il se décideroit alors pour le profit.

On pourroit dire aussi que cette répartition proportionnelle seroit fort composée, & par conséquent difficile à exécuter par des collecteurs qui ne sont pas versés dans le calcul : ce seroit l'ouvrage de l'écrivain, que les collecteurs chargent de la confection du rôle. La communauté formeroit d'abord un tarif fondamental, conformément à l'estimation du produit des objets dans le pays : elle pourroit être aidée dans cette premiere opération par le curé, ou par le seigneur, ou par son régisseur, ou par d'autres personnes capables & bienfaisantes. Ce tarif étant décidé & admis par les habitans, il deviendroit bientôt familier à tous les particuliers ; parce que chacun auroit intérêt de connoître la cotte qu'il doit payer : ainsi en peu de tems cette imposition proportionnelle leur deviendroit très-facile.

Si les habitans des campagnes étoient délivrés de l'imposition arbitraire de la taille, ils vivroient dans la même sécurité que les habitans des grandes villes : beaucoup de propriétaires iroient faire valoir eux-mêmes leurs biens ; on n'abandonneroit plus les campagnes ; les richesses & la population s'y retabliroient : ainsi en éloignant d'ailleurs toutes les autres causes préjudiciables aux progrès de l'agriculture, les forces du royaume se répareroient peu-à-peu par l'augmentation des hommes, & par l'accroissement des revenus de l'état. Art. de M. QUESNAY, le fils.

FERMIER, (Jurispr.) est celui qui tient quelque chose à ferme, soit un bien de campagne, ou quelque droit royal ou seigneurial.

Quand on dit le fermier simplement, on entend quelquefois par-là le fermier du roi, soit l'adjudicataire des fermes générales, ou l'adjudicataire de quelque ferme particuliere, telle que celle du tabac. Voyez ci-devant FERME. (A)

FERMIER CONVENTIONNEL, est celui qui joüit en vertu d'un bail volontaire. Cette qualification est opposée à celle de fermier judiciaire. Voy. BAIL CONVENTIONNEL & FERMIER JUDICIAIRE. (A)

FERMIER GENERAL, est celui qui tient toutes les fermes du roi ou de quelqu'autre personne. On donne quelquefois ce titre à celui qui a toutes les fermes d'une certaine nature de droits, ou du moins dans l'étendue d'une province, en le distinguant par le titre de fermier général de telle chose ou de telle province.

Cette qualification de fermier général est opposée à celle de fermier particulier, par où l'on entend un fermier qui ne tient qu'une seule ferme.

Sous le nom de fermier général du roi, pris dans son étroite signification, on entend l'adjudicataire des fermes générales du roi ; mais dans l'usage commun on entend l'une des cautions de l'adjudicataire, que l'on regarde comme les vrais fermiers généraux, l'adjudicataire n'étant que leur prête-nom. Voyez ci-devant FERMES GENERALES. (A)

Le fermier général est celui qui tient à bail les revenus du souverain ou de l'état, quelle que soit la nature du gouvernement : c'est ce que l'on oppose à la régie, comme on l'a vû dans l'article précédent.

Dans la régie le propriétaire accorde une certaine rétribution pour faire valoir son fonds & lui en remettre le produit, quel qu'il soit, sans qu'il y ait de la part du régisseur aucune garantie des évenemens, sans aucun partage des frais de l'administration.

Dans le bail à ferme, au contraire, le fermier donne au propriétaire une somme fixe, aux conditions qu'il le laissera joüir du produit, sans que le propriétaire garantisse les évenemens, sans qu'il entre pour rien dans les dépenses de la manutention.

Le régisseur est donc obligé de tirer du fonds tout ce qu'il peut produire, d'en soûtenir la valeur, de l'augmenter même, s'il est possible ; d'en remettre exactement le produit, d'économiser sur la dépense, de tenir la recette en bon ordre, & d'agir, en un mot, comme pour lui-même.

Le fermier doit acquiter exactement le prix de son bail, & ne rien excéder dans la perception, souvent même oublier ses propres intérêts, pour se rappeller qu'il n'est que le dépositaire d'un fonds qu'il ne peut équitablement ni laisser en friche ni détériorer.

Si dans cet état, autrefois exercé par les chevaliers romains, & susceptible, comme tous les autres, d'honneur & de considération, il s'est trouvé des citoyens fort éloignés d'en mériter, doit-on regarder avec une sorte d'indignation, & avilir en quelque maniere tous ceux qui exercent la même profession ? Rien n'est plus contraire à la justice, autant qu'à la véritable Philosophie, quand il est question de prononcer sur les moeurs, que de condamner l'universalité d'après les fautes des particuliers. Voyez au mot FINANCIER ce que l'on dit sur ce sujet ; à l'occasion d'un passage de l'esprit des lois. Voyez aussi FERMES (Bail des). Article de M. PESSELIER.

FERMIER JUDICIAIRE, est celui auquel le bail d'une maison ou autre héritage saisi réellement, a été adjugé par autorité de justice.

Il est défendu à certaines personnes d'être fermiers judiciaires ; savoir aux mineurs & aux septuagénaires, suivant l'arrêt de réglement du 3 Septembre 1690.

L'ordonnance de Blois, article 132, défend à tous avocats, procureurs, solliciteurs, greffiers, de se rendre fermiers judiciaires, ni cautions d'iceux. Le réglement du 27 Avril 1722, article 35, défend la même chose aux commissaires aux saisies réelles, & à leurs commis.

Les femmes ne peuvent aussi prendre un bail judiciaire, ni en être cautions.

Le poursuivant criées ne peut pas non plus être fermier judiciaire ni caution du bail, parce que l'ayant à bas prix, il ne poursuivroit pas l'adjudication par decret : d'ailleurs c'est à lui à veiller aux dégradations, & à empêcher que l'on ne consume tout le prix du bail judiciaire en réparations ; car le fermier judiciaire ne peut régulierement y employer annuellement que le tiers du prix du bail, à moins qu'il n'y ait une nécessité urgente d'en employer davantage, & que cela ne soit ordonné par justice.

Avant d'entrer en joüissance des lieux, le fermier judiciaire doit donner caution du prix du bail, si ce n'est lorsque le bail conventionnel est converti en judiciaire.

Le fermier judiciaire & sa caution sont contraignables par corps, excepté dans le cas dont on vient de parler, c'est-à-dire lorsque le bail conventionnel a été converti en judiciaire.

Il peut percevoir tous les droits utiles, mais il ne peut prétendre les droits honorifiques attachés à la personne du patron ou à celle du haut justicier, ou à celle du seigneur féodal ; ainsi il ne peut nommer aux bénéfices ni aux offices, recevoir la foi & hommage, ni chasser ou faire chasser sur les terres comprises dans son bail : il peut seulement, s'il y a une garenne, y fureter.

A l'égard des charges réelles, il n'est tenu que de celles qui sont exprimées dans son bail ; s'il se trouve contraint d'en acquiter quelqu'autre, il doit en être indemnisé sur le prix de son bail.

En cas de main-levée de la saisie réelle ou d'adjudication par decret, le fermier judiciaire doit joüir des loyers de la maison saisie, & des revenus des terres qu'il a labourées on ensemencées, en payant le prix du bail au propriétaire, suivant un arrêt de réglement du parlement de Paris, du 12 Août 1664. Voyez le réglement du 22 Juillet 1690 ; le Maistre, traité des criées, chap. viij. & aux mots ADJUDICATION PAR DECRET, BAIL JUDICIAIRE, DECRET, SAISIE REELLE. (A)

FERMIER PARTIAIRE, est un métayer qui prend des terres à exploiter, à condition d'en rendre au propriétaire une portion des fruits, telle qu'il en est convenu avec le bailleur, comme la moitié, ou autre portion plus ou moins forte. Voyez ADMODIATEUR, METAYER. (A)

FERMIER PARTICULIER, est celui qui ne tient qu'une seule ferme ou le bail d'un seul objet, à la différence d'un fermier général, qui tient toutes les fermes du roi ou de quelqu'autre personne. Voyez ci-devant FERMIER GENERAL & FERMES GENERALES. (A)

FERMIER, au jeu de la Ferme, est celui des joüeurs qui a pris la ferme au plus haut prix, soit à 10, 15 ou 20 sols, écus, &c. plus ou moins, selon que l'on évalue les jettons.

FERMIERE, s. f. en terme de Marchand de bois, est un outil fait d'un gros chantier, garni par chacune de ses extrémités d'une grosse houpliere : on s'en sert à fermer les trains en route. Voyez TRAIN.


FERMou FIRMO, Firmium, (Géog.) ville de l'état de l'Eglise, dans la Marche d'Ancone, avec un archevêché érigé en 1589 par Sixte V. remarquable par la naissance de Lactance, & du P. Annibal Adami, jésuite italien, né en 1626, connu par des ouvrages de poésie & d'éloquence. Elle est aussi la patrie du cardinal Phil. Ant. Gualtério, qui y naquit en 1660, & qui cultiva sans-cesse les Arts & les Sciences avec une espece de passion. Deux fois il perdit ses livres & ses manuscrits, entr'autres une histoire universelle qu'il avoit composée, dont les matériaux formoient quinze grandes caisses ; ses médailles, ses recueils de toutes sortes de raretés : & réparant toûjours ses pertes, il laissa après sa mort, arrivée en 1727, une nouvelle bibliotheque de 32 mille volumes imprimés ou manuscrits, outre une dixaine de cabinets remplis de curiosités de l'art & de la nature.

Je reviens à Fermo : elle est située proche du golfe de Venise, à 7 lieues S. E. de Macérata, 9 N. E. d'Ascoli, 13 S. E. d'Ancone, 40 N. E. de Rome. Long. 31. 28. lat. 43. 8. (C. D. J.)


FERMOIRS. m. (Tailland.) c'est un ciseau qui a deux biseaux. Il a différentes formes. Les ouvriers en bois, comme les Menuisiers, les Ebénistes, les Sculpteurs, les Charpentiers, les Charrons, sont ceux qui s'en servent le plus. Pour faire cet outil, le forgeron prend une barre de fer, la plie en deux, met une acérure entre deux, corroye le tout ensemble, & enleve le fermoir. La partie qui n'est point acérée, forme la tige & l'embase : la tige est la pointe qui entre dans le manche de bois : l'embase est cette saillie qui arrête le manche, & qui empêche que la tige ne dépasse plus ou moins. Le fermoir, en cette partie, est semblable au ciseau de menuisier. Voyez les Planches de la Taillanderie.

FERMOIR, (Bourr. & autres ouvriers) celui des Tonneliers est un instrument de fer dont les Bourreliers se servent pour tracer sur des bandes de cuir des raies pointées. Il est rond, un peu courbé, de la longueur d'un pié, garni d'un manche de six pouces. Ce manche s'applatit par le bout, & se sépare en deux parties, entre lesquelles est placée une petite roue dentelée, fort mince, dont le centre est traversé par un clou rivé, dont les extrémités sont soûtenues dans les plaques du manche ; en conséquence cette roue tourne sur son axe, & marque sur le cuir une raie pointée, lorsqu'on glisse cet instrument dessus. Voyez les figures, Pl. du Bourrelier.

FERMOIR, (Charpenterie) c'est un ciseau à deux biseaux, qui sert aux Charpentiers & aux Menuisiers à ébaucher & hacher leur bois avant de passer la demi-varlope dessus.

FERMOIR, (Jardinage) voyez l'art. JARDINIER, où nous donnerons le détail de ses principaux outils.

FERMOIR, (Menuiserie) est un ciseau à deux biseaux, qui sert aux Menuisiers à ébaucher ou hacher le bois : il y en a de différentes largeurs ; il a un manche de bois. Voyez les figures des Planches de Menuiserie.

* FERMOIRS, (Reliûre) ce sont des assemblages de pieces de cuivre, d'argent, ou d'un autre métal. L'une de ces pieces est une plaque, sur laquelle un crochet se meut à charniere. Cette plaque s'attache avec de petits clous sur un des côtés de la couverture du livre ; sur l'autre côté, & à un endroit correspondant à ce crochet, est attachée une autre plaque qui fait la fonction d'agraffe : le crochet entre dans cette agraffe, & tient le livre fermé. Quelquefois l'extrémité du crochet, au lieu d'être recourbée pour saisir l'agraffe, est percée d'un trou, & l'agraffe est alors terminée par un bouton : ce bouton entrant avec force dans l'oeil du crochet, tient le livre fermé. On appelle les premiers fermoirs, fermoirs à crochet ; & les seconds, fermoirs à bouton. Les fermoirs ne sont plus guere d'usage qu'à ces livres d'église de peu de volume, qu'on appelle des heures. Ils se font de cuivre jaune, avec des emporte-pieces qui coupent d'un coup une des plaques, d'un autre coup l'autre plaque, ensuite le crochet. Nous donnerons dans nos Planches la figure de ces emporte-pieces. Voyez ces Planches & leur explication.

FERMOIR, (Stucateur) c'est une espece de ciseaux dont les Artistes se servent pour travailler en stuc. Voyez la Planche de Stuc.


FERMURESS. f. pl. (Marine) ce sont des bordages qui se mettent par couples entre les préceintes ; ils s'appellent aussi couples. Voyez BORDAGES & COUPLES. (Z).

FERMURE, terme de Riviere, perche qui a aux extrémités une roüette pour attacher un bout au train, & l'autre à la rive, avec des pieux.


FERNANDO(Géog.) île de la mer du Sud, d'environ douze lieues de tour, à quelque distance du Chily, découverte par Jean Fernando, mais qui est encore deserte. Longit. 302. 40. lat. mérid. 36. 30. (D.J.)


FERou FARE, en latin Glossariae, (Géog.) île de l'Océan septentrional, au nord des Westernes & de l'Irlande, en allant vers l'Islande ; elles dépendent du roi de Danemarck. Il y en a vingt-quatre, douze grandes & douze petites. M. d'Audifret se trompe en les mettant entre le 51 & le 61e degré de latitude, puisque la plus méridionale est au-delà du 61e degré, & qu'elles occupent tout le 62e de latitude dans leur longueur. Elles sont au nord N. O. sous le même méridien d'Armagh en Irlande, pour les plus orientales, c'est-à-dire par les 10 degrés de longitude pour la pointe boréale de Suidro. (D.J.)


FÉROCEadj. épithete que l'homme a inventée pour designer dans quelques animaux qui partagent la terre avec lui, une disposition naturelle à l'attaquer, & que tous les animaux lui rendroient à juste titre, s'ils avoient une langue ; car quel animal dans la nature est plus féroce que l'homme ? L'homme a transporté cette dénomination à l'homme qui porte contre ses semblables la même violence & la même cruauté que l'espece humaine entiere exerce sur tous les êtres sensibles & vivans. Mais si l'homme est un animal féroce qui s'immole les animaux, quelle bête est-ce que le tyran qui dévore les hommes ? Il y a, ce me semble, entre la férocité & la cruauté cette différence que, la cruauté étant d'un être qui raisonne, elle est particuliere à l'homme ; au lieu que la férocité étant d'un être qui sent, elle peut être commune à l'homme & à l'animal.


FERONIA(Mythol.) divinité célebre à laquelle on donnoit l'intendance des bois, des jardins, des vergers. Les affranchis la regardoient aussi comme leur patrone, parce que c'étoit sur ses autels qu'ils prenoient le chapeau ou le bonnet qui marquoit leur nouvelle condition.

Feronia avoit dans toute l'Italie des temples, des sacrifices, des fêtes & des statues. Un de ses temples étoit bâti in campis Pometinis, dans le territoire de Suessia-Pométia, à 24 milles du marché d'Appius. C'est-là qu'Horace décrivant son voyage de Rome à Brindes, ajoûte en plaisantant qu'il ne manqua pas de s'arrêter pour rendre ses hommages à Féronie : " ô déesse, s'écrie-t-il, nous nous lavâmes les mains & le visage dans la fontaine qui vous est consacrée ".

Ora, manusque, tuâ lavimus, Feronia, lymphâ.

Sat. V. liv. I. v. 24.

Mais le temple principal de cette divinité champêtre étoit sur le Mont-Soracte (aujourd'hui Monte-tristo), dans le pays des Falisques, à 24 milles de Rome, entre le Tibre & le chemin de Flaminius, près de la ville Feronia, d'où la déesse avoit pris son nom. Les habitans de Capene, dit Tite-Live, & ceux des environs, qui alloient offrir dans ce temple les prémices de leurs fruits, & y consacrer des offrandes à proportion de leurs biens, l'avoient enrichi de beaucoup de dons d'or & d'argent, quand Annibal le ravagea & emporta toutes ses richesses.

Auprès de ce temple, que les Romains rebâtirent étoit un petit bois dans lequel on célébroit la fête de la déesse par un grand concours de monde qui s'y rendoit assidûment. Ovide se plaît à nous assûrer que ce bois ayant été brûlé une fois par hasard, on voulut transporter ailleurs la statue de Féronie ; mais que le bois ayant aussi-tôt reverdi, on changea de dessein, & on y laissa la statue. Strabon parlant de ce bois, rapporte une autre particularité très-curieuse : c'est que tous les ans on y faisoit un grand sacrifice, où les prêtres de la déesse, animés par son esprit, marchoient nuds piés sur des brasiers, sans en ressentir aucun mal. Voyez EPREUVES.

Il ne faut pas oublier de remarquer ici que les prêtres d'Apollon, leurs voisins, avoient aussi le même privilége, du moins Virgile le prétend. Il raconte dans son Enéïde, liv. XI. qu'Arons, avant que d'attaquer Chlorée, fit cette priere : " Grand Apollon, qui tenez un rang si considérable parmi les dieux ; vous qui protégez le sacré Mont-Soracte ; vous qui êtes le digne objet de notre vénération ; vous pour qui nous entretenons un feu perpétuel de pins ; vous enfin qui nous accordez la grace de marcher sur les charbons ardens au-travers du feu, sans nous brûler, pour récompenser les soins que nous prenons d'encenser vos autels.... " Voilà donc divers prêtres qui, dans un même lieu, faisoient à l'envi, sans disputes & avec le même succès, l'épreuve du fer chaud, quoique, suivant Pline & Varron, ils ne marchoient impunément sur les charbons ardens qu'après s'être frottés en secret d'un certain onguent la plante des piés ; mais le vulgaire attribuoit toûjours à la puissance des divinités dont ils étoient les ministres, ce qui n'étoit que l'effet de leur supercherie.

Maintenant personne ne sera surpris que pendant la solemnité des fêtes de Féronie les peuples voisins de Rome y accourussent de toutes parts, & qu'on eût dressé à cette déesse quantité d'autels & de monumens dont il nous reste encore quelques inscriptions : voyez -en des exemples dans Feretti, inscript. p. 443. Gruter, inscript. tom. III. p. 308. & Spon, antiq. sect. iij. n°. 23.

Nous avons aussi des médailles d'Auguste qui représentent la tête de Feronia avec une couronne, & c'est sans-doute par cette raison qu'on la nommoit , qui aime les couronnes. On l'appelloit encore , porte-fleurs. Au reste Servius a travesti Féronie en Junon, & le scholiaste d'Horace en a fait une maîtresse de Jupiter. Virgile lui donne pour fils Hérilus, roi de Préneste. Consultez sur tout cela nos Antiquaires, nos Mythologistes, nos Littérateurs, & en particulier Struvius, antiq. rom. synt. cap. j. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FERRAS. f. (Hist. nat. Ichtiolog.) poisson du lac de Geneve ; il est aussi appellé par les gens du pays ferra & pala : ce poisson ressemble au lavaret, il a une coudée de longueur, & une couleur cendrée ; le corps est large & applati, & la bouche petite sans aucunes dents. Il a la chair blanche & aussi bonne au goût que celle du lavaret & de la truite. On le pêche en été & en automne, on le sale pour l'hyver ; dans cette saison il reste au fond du lac. Rondelet, Histoire des poissons des lacs, chap. xvij. Voyez POISSON. (I)


FERRAGES. m. (Commerce) droit qu'on paye aux esgards ou jurés de la sajetterie d'Amiens pour marquer les étoffes & leur apposer le plomb. Voyez ESGARDS, JURES, PLOMB. Dictionn. de Commerce, de Trév. & de Chambers. (G)

FERRAGES, ancien terme de monnoie ; droit qu'on avoit établi pour remplir les frais des tailleurs particuliers qui étoient obligés de fournir les fers nécessaires pour monnoyer les especes. Ce droit de ferrage étoit de seize deniers par marc d'or, & de huit par marc d'argent, que le directeur payoit en conséquence de la quantité de marcs d'or, d'argent, passés en délivrance.


FERRAILLES. f. (Chauderonnerie) Les Chauderonniers appellent ainsi les fers qui servent à monter les réchaux de tôle, comme sont les piés, la grille & la fourchette.


FERRAILLEURS. m. (Chauderonnerie) Les Chauderonniers nomment ainsi des maîtres Serruriers, qui ne travaillent que pour eux, & dont tout l'ouvrage consiste à faire les grilles, les piés & les fourchettes des réchaux de tôle. Diction. de Trév.


FERRANDINE(Géog.) petite ville d'Italie au royaume de Naples dans la Balizicate, sur le Basiento, avec titre de duché. Long. 43. 10. lat. 41. 40. (D.J.)


FERRANDINESS. m. pl. manufacture en soie, étoffes dont la chaîne est de soie & la trame de laine, de fleuret, ou de coton ; elles sont ordonnées par les reglemens à demi-aulne de largeur sur vingt-une aulnes de longueur ; & dans un autre endroit des mêmes reglemens, il est permis de les faire de quatre largeurs, ou d'un quartier & demi, ou de demi-aulne moins un seize ; ou de demi-aulne entiere, ou de demi-aulne & un seize, sans qu'elles puissent être plus larges ou plus étroites que de deux dents de peigne. Il est ordonné enfin 1°. qui ces étoffes & d'autres seront de soie cuite en chaîne, poil, trame, ou brochée, ou toutes de soie crue, sans aucun mélange de soie crue avec la soie cuite.

2°. Qu'elles se fabriqueront à vingt-huit buhots, & trente portées, & qu'elles auront de largeur, entre deux gardes, un pié & demi de roi, & de longueur vingt & une aulne & demie de roi hors de l'étille, pour revenir apprêtées à vingt aulnes un quart, ou vingt aulnes & demie. Il est de la derniere importance que les hommes qui donnent des réglemens aux manufactures, soient très-versés dans les Arts ; qu'ils ayent de justes notions du commerce & des avantages de sa liberté ; qu'ils ne s'en laissent point imposer par les apparences, & qu'ils sachent que ceux qui leur proposent des réformes d'abus, sont quelquefois des gens qui cherchent ou à se faire valoir auprès de leurs supérieurs par une sévérité mal-entendue, afin d'en obtenir des récompenses, ou à jetter le manufacturier dans une contrainte à laquelle il ne parvient à se soustraire, qu'en se soûmettant à des exactions.


FERRANTadj. (Maréchall.) Maréchal ferrant, ouvrier, artisan dont la profession devroit être bornée à l'emploi de ferrer les chevaux, &c. Voyez HIPPIATRIQUE. Voyez aussi MARECHAL. (e)

FERRANT, s. m. (Manége) vieille expression usitée par nos anciens romanciers, pour designer, selon Ducange, un cheval gris pommelé ; selon Ménage, un cheval d'une robe semblable à celle que les Latins appelloient color ferrugineus ; & selon Bessi, avocat du Roi de Fontenai-le-Comte, un cheval de guerre. Ménage a prétendu que dans le cas où sa conjecture seroit bien fondée, le terme dont il s'agit dériveroit de ferrum. Bessi avance qu'il est tiré de celui de waranus, lequel a été dit pour waranio, mot, qui dans la loi salique signifie un cheval ou un étalon. Si quis waranionem homini franco furaverit, culpabilis judicetur, &c. tome IV. pag. 2.

Nous trouvons dans la vie de Philippe-Auguste par Rigord, & dans la Philippide de Guillaume le Breton, une anecdote sur l'insulte que le peuple de Paris fit à Ferrand comte de Flandre, après qu'il eut été fait prisonnier à la bataille de Bovines.

Nec verecumdabantur, dit le premier, illudere comiti Ferrando rustici, vetulae, & pueri, nactâ occasione ab aequivocatione nominis ; quia nomen ejus tam equo, quam homini, erat aequivocum ; & casu mirabili, duo equi ejus coloris, qui hoc nomen equis imponit, ipsum in lecticâ vehebant. Unde & ei improperabant, quod modo ipse errat ferratus, quod recalcitrare non poterat, qui prius impinguatus, dilatatus, recalcitravit & calcaneum in dominum suum elevavit.

Le Breton rapporte ainsi ce fait.

At Ferrandus, equis evectus forte duobus,

Lectica, duplici Temone, vehentibus ipsum,

Nomine quos illi color aequivocabat, ut esset

Nomen idem comitis, & equorum, parisianis

Civibus offertur, luparâ claudendus in arce.

Un semblable jeu de mots peut-il dédommager de la honte d'avoir osé insulter au vaincu ? (e)


FERRARE(Géog.) ville d'Italie, qui n'a porté ce titre que dans le vij siecle, capitale du duché de même nom, dans l'état ecclésiastique, avec un évêché qui ne releve que du pape. Elle a de belles églises, & une bonne citadelle que Clement VIII. a fait bâtir, & qui lui coûta, dit-on, deux millions d'écus d'or. Ferrare autrefois florissante, ainsi que tout le Ferrarois, est entierement déchue de sa splendeur, depuis qu'elle a passé avec le duché en 1597 sous la domination du saint siége, qui n'y entretient qu'un légat, chef de la police & de la justice du pays. En effet cette ville est aujourd'hui si pauvre, qu'elle a plus de maisons que d'habitans. Elle est située sur la plus petite branche du Pô, à dix lieues nord-est de Bologne, quinze nord-ouest de Ravenne, vingt-huit nord-est de Florence, soixante-seize nord-ouest de Rome. Long. 29d. 11'. 30". lat. 44d. 54'. 0".

Entre les illustres personnages, dont elle a été la patrie avant la fin de ses beaux jours, on compte avec raison Giraldi, Guarini, Riccioli, & le cardinal Bentivoglio.

Lilio Gregorio Giraldi né en 1478, mort en 1552, s'est distingué par son histoire des dieux des payens, par celle des poëtes de son tems, & par son invention des trente nombres épactaux ; mais ce savant éprouva toutes sortes de malheurs pendant le cours de sa vie, & son mérite le rendoit digne d'une plus heureuse destinée.

Baptiste Guarini né en 1537, mort en 1612, passa ses jours dans le trouble des négociations & des changemens de maîtres, après avoir immortalisé son nom par sa tragi-comédie pastorale, le Pastor Fido qui fut représenté en 1570 pour la premiere fois à la cour de Philippe II. roi d'Espagne, avec une grande magnificence.

Jean-Baptiste Riccioli jésuite, né en 1598, mort en 1671, s'est fait connoître par ses ouvrages astronomiques & chronologiques.

Guy Bentivoglio cardinal, né en 1579, mort en 1644, au moment qu'il alloit être élevé sur le throne pontifical, a rendu sa plume célebre par son histoire des guerres civiles de Flandre, ses lettres, & ses mémoires qui sont des modeles de diction. (D.J.).


FERRES. f. (Verrerie) instrument de fer, c'est une espece de pince dont on se sert dans les verreries à bouteilles, pour façonner la cordeline, & faire l'embouchure de la bouteille. Voyez CORDELINE. Voyez aussi l'article VERRERIE.


FERRERFERRER une piece d’étoffe, (Commerce.) c’est y apposer un plomb de visite & le marquer avec un coin d’acier. Voyez PLOMB.

Ce terme est particulierement usité dans la fabrique de la sajetterie d'Amiens : dans les autres manufactures de lainage, on dit plomber ou marquer. Voyez PLOMBER & MARQUER. (G)

FERRER, v. act. en Architecture, c'est mettre les garnitures en fer nécessaires aux portes & aux croisées d'un bâtiment, comme equerres, gonds, fiches, verroux, targettes, loquets, serrures, &c. Voyez ces mots, & les planches & les articles de la Serrurerie.

FERRER, en terme d'Aiguilletier, c'est garnir un ruban de fil, ou de soie, ou une tresse, d'un ferret de quelque espece qu'il puisse être.

FERRER, c'est parmi les filassieres, frotter la filasse contre un fer obtus qui la broye, pour ainsi dire, & en fait tomber les chenevottes. Voyez FER.

FERRER UN CHEVAL, (Maréchallerie) Expression qui caractérise non-seulement l'action d'attacher des fers aux piés du cheval, mais celle de couper l'ongle en le parant ou le rognant. Voyez FERRURE.

Le premier soin que doit avoir le maréchal, que l'on charge de ferrer un cheval, doit être d'en examiner attentivement les piés, à l'effet de se conformer ensuite dans son opération aux principes que l'on trouvera discutés au mot ferrure. Cet examen fait, il prendra la mesure de la longueur & de la largeur de cette partie, & forgera sur le champ des fers convenables aux piés sur lesquels il doit travailler ; ou s'il en a qui puissent y être appliqués & ajustés, il les appropriera de maniere à en faire usage. Voyez FORGER & FER.

Je suis toûjours étonné de voir dans les boutiques de maréchaux un appareil de fers tout étampés, & que quelques coups de ferretier disposent après un moment de séjour dans la forge, à être placés sur le pié du premier animal qu'on leur confie. Que de variétés ! que de différences n'observe-t-on pas dans les piés des chevaux, & souvent dans les piés d'un même cheval ! Quiconque les considérera avec des yeux éclairés, partagera sans-doute ma surprise, & ne se persuadera jamais que des fers faits & forgés presque tous sur un même modele, puissent recevoir dans un seul instant les changemens que demanderoient les piés auxquels on les destine. D'ailleurs il n'est assûrément pas possible de remédier assez parfaitement aux étampures qui doivent être ou plus grasses ou plus maigres. Voyez FERRURE. Et il résulte de l'attention du maréchal à se précautionner ainsi contre la disette des fers, des inconveniens qui tendent à ruiner réellement les piés de l'animal, & à le rendre totalement inutile.

Ces sortes d'ouvriers cherchent à justifier cet abus, & à s'excuser sur la longueur du tems qu'il faudroit employer pour la ferrure de chaque cheval, si leurs boutiques n'étoient pas meublées de fers ainsi préparés ; on se contente de cette raison spécieuse, & l'abus subsiste ; mais rien ne sauroit l'autoriser, lorsque l'on envisage l'importance de cette opération. D'ailleurs il n'est pas difficile de se convaincre de l'illusion du prétexte sur lequel ils se fondent : ou les chevaux qu'ils doivent ferrer, sont en effet des chevaux qu'ils ferrent ordinairement ; ou ce sont des chevaux étrangers, & qui passent. Dans le premier cas, il est incontestable qu'ils peuvent prévoir l'espece de fers qui conviendront, & l'instant où il faudra les renouveller, & dès-lors ils ne seront pas contraints d'attendre celui où les chevaux dont ils connoissent les piés, leur seront amenés, pour se mettre à un ouvrage auquel ils pourront se livrer la veille du jour pris & choisi pour les ferrer. Dans le second cas, ils consommeront plus de tems ; mais ce tems ne sera pas considérable, dès qu'ils auront une quantité de fers auxquels ils auront donné d'avance une sorte de contours, qu'ils auront dégrossis, & qu'il ne s'agira que d'étamper & de perfectionner ; il n'est donc aucune circonstance qui puisse engager à tolérer ces approvisionnemens suggérés par le desir immodéré du gain ; desir qui l'emporte dans la plus grande partie de ces artisans sur celui de pratiquer d'une maniere qui soit avantageuse au public, bien loin de lui être onéreuse & préjudiciable.

Quoi qu'il en soit, le fer étant forgé ou préparé, le maréchal, muni de son tablier (voyez TABLIER), ordonnera au palefrenier ou à un aide, de lever un des piés de l'animal. Ceux de devant seront tenus simplement avec les deux mains ; à l'égard de ceux de derriere, le canon & le boulet appuyeront & reposeront sur la cuisse du palefrenier, qui passera, pour mieux s'en assûrer, son bras gauche, s'il s'agit du pié gauche, & son bras droit, s'il s'agit du pié droit, sur le jarret du cheval.

Il est une multitude de chevaux qui ne supportent que très-impatiemment l'action du maréchal ferrant, & qui se défendent violemment lorsqu'on entreprend de leur lever les piés. Ce vice provient dans les uns & dans les autres du peu de soin que l'on a eu dans le tems qu'ils n'étoient que poulains, de les habituer à donner & à présenter cette partie sur laquelle on devoit frapper, & que l'on devoit alors lever très-souvent en les flatant. Il peut encore reconnoître pour cause la brutalité des maréchaux & des palefreniers, qui bien loin de caresser l'animal & d'en agir avec douceur, le maltraitent & le châtient au moindre mouvement qu'il fait ; & il est quelquefois occasionné par la contrainte dans laquelle ils le mettent, & dans laquelle ils le tiennent pendant un intervalle trop long. Quelle qu'en puisse être la source, on doit le placer au rang des défauts les plus essentiels, soit à raison de l'embarras dans lequel il jette inévitablement lorsque le cheval se deferre dans une route ; soit par rapport aux conséquences funestes des efforts qu'il peut faire, lorsque pour pratiquer cette opération on est obligé de le placer dans le travail, ou d'avoir recours à la plate-longe : soit par le danger continuel auquel sont exposés les maréchaux & leurs aides quand il est question de le ferrer. On ne doit prendre les voies de la rigueur qu'après avoir vainement épuisé toutes les autres. Si celles-ci ne produisent point relativement à de certains chevaux tout l'effet qu'on s'en promettoit, on est toûjours à tems d'en revenir aux premieres, & du moins n'est-on pas dans le cas de se reprocher d'avoir donné lieu à la répugnance de l'animal, ou d'avoir contribué à le confirmer dans toutes les défenses auxquelles il a recours pour se soustraire à la main du maréchal. J'avoue que la longue habitude de ces mêmes défenses présente des obstacles très-difficiles à surmonter ; mais enfin la patience ne nuit point, & ne sauroit augmenter un vice contre lequel les ressources que l'on espere de trouver dans les châtimens sont toûjours impuissantes. Souvent elle a ramené à la tranquillité des chevaux que les coups auroient précipités dans les plus grands desordres. On ne court donc aucun risque de recommander aux palefreniers de tâcher d'adoucir la fougue de l'animal, & de l'accoûtumer insensiblement à se prêter à cette opération. Ils lui manieront pour cet effet les jambes en le caressant, en lui parlant, & en lui donnant du pain ; ils ne lui distribueront jamais le son, l'avoine, le fourrage en un mot, que cette distribution ne soit précédée & suivie de cette attention de leur part. Si le cheval ne se révolte point, ils tenteront en en usant toûjours de même, de lui soulever peu-à-peu les piés, & de leur faire d'abord seulement perdre terre. Ils observeront de débuter par l'un d'eux, ils en viendront par gradation aux trois autres, & enfin ils conduiront d'une maniere insensible ces mêmes piés au degré d'élévation nécessaires pour être à la portée de la main de l'ouvrier. A mesure que le palefrenier vaincra la résistance de l'animal, il frappera legerement sur le pié ; les coups qu'il donnera seront successivement plus forts, & cette conduite pourra peut-être dans la suite corriger un défaut dans lequel le cheval eût persévéré, s'il eût été pris autrement, & qui l'auroit même rendu inaccessible si l'on eût eu recours à la force & à la violence.

Il en est qui se laissent tranquillement ferrer à l'écurie, pourvû qu'on ne les mette point hors de leurs places : les attentions que je viens de prescrire, operent souvent cet effet. D'autres exigent simplement un torchené, voyez TORCHENE ; ou les morailles, voyez MORAILLES. Les uns ne remuent point lorsqu'ils sont montés ; la plate-longe, le travail soûmet les autres. Voyez PLATE-LONGE, TRAVAIL. Mais si ces dernieres précautions effarouchent l'animal, il est à craindre qu'elles ne lui soient nuisibles, sur-tout s'il est contraint & maintenu de façon que les efforts qu'il peut faire pour se dégager, puissent s'étendre & répondre à des parties essentielles.

Le parti de le renverser est encore le moins sûr à tous égards, outre que la situation de l'animal couché n'est point favorable au maréchal qui travaille, & qu'il n'est pas possible dans cet état de n'omettre aucun des points que l'on doit considérer pour la perfection de cette opération.

Celui que quelques maréchaux prennent d'étourdir le cheval en le faisant troter sur des cercles, après lui avoir mis des lunettes (voyez LUNETTES), & en choisissant pour cet effet un terrein difficile, est le dernier auquel on doive s'arrêter. La chûte provoquée du cheval sur un pareil terrein, peut être dangereuse : d'ailleurs un étourdissement ainsi occasionné, excite toûjours le desordre & le trouble dans l'économie animale, & peut susciter beaucoup de maux ; tels que les vives douleurs dans la tête, le vertige, &c. on ne doit par conséquent mettre en pratique ces deux dernieres voies, que dans l'impossibilité de réussir au moyen de celles dont nous avons parlé.

Il en est une autre qui paroît d'abord singuliere : c'est d'abandonner totalement le cheval, de lui ôter jusqu'à son licol, ou de ne le tenir que par le bout de longe de ce même licol, sans l'attacher en aucune façon. Plusieurs chevaux ne se livrent qu'à ces conditions. Ceux-ci ont été gênés & contraints autrement dans les premiers tems où ils ont été ferrés, & la contrainte & la gêne sont l'unique objet de leur crainte & de leur appréhension. J'en ai vû un de cette espece, qu'un maréchal tentoit inutilement de réduire après l'avoir renversé, & qui auroit peut-être été la victime de cet ouvrier, si je n'avois indiqué cette route ; il la suivit, le cheval cessa de se défendre, & présentoit lui-même ses piés.

Supposons donc que l'aide ou le palefrenier soit saisi du pié de l'animal, le maréchal ôtera d'abord le vieux fer. Pour y parvenir, il appuyera un coin du tranchant du rogne-pié sur les uns & les autres des rivets, & frappera avec son brochoir sur ce même rogne-pié, à l'effet de détacher les rivets. Ces rivets détachés, il prendra avec ses triquoises le fer par l'une des éponges, & le soûlevera ; dès-lors il entraînera les lames brochées ; & en donnant avec ses mêmes triquoises un coup sur le fer pour le rabattre sur l'ongle, les clous se trouveront dans une situation telle qu'il pourra les pincer par leurs têtes, & les arracher entierement. D'une éponge il passera à l'autre, & des deux éponges à la pince ; & c'est ainsi qu'il déferrera l'animal. Il est bon d'examiner les lames que l'on retire ; une portion de clou restée dans le pié du cheval, forme ce que nous appellons une retraite. Voyez RETRAITE. Le plus grand inconvénient qui puisse en arriver, n'est pas de gâter & d'ébrecher le boutoir du maréchal ; mais si malheureusement la nouvelle lame que l'on brochera, chasse & détermine cette retraite contre le vif ou dans le vif, l'animal boitera, le pié sera serré, ou il en résultera une plaie compliquée.

Le fer étant enlevé, il s'agira de nettoyer le pié de toutes les ordures qui peuvent soustraire la sole, la fourchette & les mammelles, ou le bras des quartiers (Voyez FERRURE) aux yeux de l'opérateur. C'est ce qu'il fera en partie avec son brochoir, & en partie avec son rogne-pié. Il s'armera ensuite de son boutoir pour couper l'ongle, & pour parer le pié. Il doit tenir cet instrument très-ferme dans sa main droite, en en appuyant le manche contre lui, & en maintenant continuellement cet appui, qui lui donne la force de faire à l'ongle tous les retranchemens qu'il juge convenables, voy. FERRURE : car ce n'est qu'en poussant avec le corps, qu'il pourra les opérer & assûrer ses coups ; autrement il ne pourroit l'emporter sur la dureté de l'ongle, & il risqueroit s'il agissoit avec la main seule de donner le coup à l'aide ou au cheval, & d'estropier ou de blesser l'un ou l'autre. Il importe aussi, pour prévenir ces accidens cruels, de tenir toûjours les piés de l'animal dans un certain degré d'humidité : ce degré d'humidité s'opposera d'ailleurs au desséchement, source de mille maux, & on pourra les humecter davantage quelques jours avant la ferrure. Voyez PANSER, PALEFRENIER. Dès que la corne sera ramollie, la parure en coûtera moins au maréchal.

La plûpart d'entr'eux pour hâter la besogne, pour satisfaire leur avidité, & pour s'épargner une peine qu'ils redoutent, appliquent le fer rouge sur l'ongle, & consument par ce moyen la partie qu'ils devroient supprimer uniquement avec le boutoir. Rien n'est plus dangereux que cette façon de pratiquer ; elle tend à l'altération entiere du sabot, & doit lui être absolument interdite. J'ai été témoin oculaire d'évenemens encore plus sinistres, causés par l'application du fer brûlant sur la sole. La chaleur racornit cette partie, & suscite une longue claudication, & souvent les chevaux meurent après une pareille épreuve. Ce fait attesté par quelques-uns de nos écrivains & par un auteur moderne, auroit au moins dû être accompagné de leur part de quelques détails sur la maniere de remédier à cet accident ; leur silence ne sauve point le maréchal de l'embarras dans lequel il est plongé, lorsqu'il a le malheur de se trouver dans ce cas affligeant pour le propriétaire du cheval, & humiliant pour lui. J'ai été consulté dans une semblable occasion. Le feu avoit voûté la sole, de maniere qu'extérieurement & principalement dans son milieu, elle paroissoit entierement concave : sa convexité pressoit donc intérieurement toutes les parties qu'elle recouvre, & la douleur que ressentoit l'animal étoit si vive, qu'elle étoit suivie de la fievre & d'un battement de flanc considérable. Si le maréchal avoit eu la plus legere théorie, son inquiétude auroit été bien-tôt dissipée ; mais les circonstances les moins difficiles, effrayent & arrêtent les artistes qui marchent aveuglément dans les chemins qui leur ont été tracés, & qui sont incapables de s'en écarter pour s'en frayer d'autres. Je lui conseillai de dessoler sur le champ le cheval ; & à l'aide de cette opération, il lui conserva la vie : on doit par conséquent s'opposer à des manoeuvres qui mettent l'animal dans des risques évidens ; & si l'on permet au maréchal d'approcher le fer, & de le placer sur le pié en le retirant de la forge, il faut faire attention que ce même fer ne soit point rouge, n'affecte & ne touche en aucune façon la sole, & qu'il ne soit appliqué que pendant un instant très-court, & pour marquer seulement les inégalités qui subsistent après la parure, & qui doivent être applanies avec le boutoir.

On peut rapporter encore à la paresse des ouvriers, l'inégalité fréquente des quartiers : outre qu'en coupant l'ongle ils n'observent point à cet égard de justesse & de précision, le moins de facilité qu'ils ont dans le maniement de cet instrument lorsqu'il s'agit de retrancher du quartier de dehors du pié du montoir, & du quartier de dedans du pié hors du montoir (Voyez MONTOIR), fait que ces quartiers sont toûjours plus hauts que les autres, les piés sont conséquemment de travers, & une ferrure ainsi continuée suffit pour donner naissance à une difformité incurable. Que l'on examine les piés de presque tous les chevaux, on se convaincra par soi-même de la justice de ce reproche. Le resserrement des quartiers, leur élargissement, le retrécissement des talons, l'encastelure, sont de plus très-souvent un effet de leur ignorance. Voyez FERRURE. A défaut par eux de parer à plat les talons, ils les resserrent plûtôt qu'ils ne les ouvrent. Voyez Ibid.

Après qu'on a retranché de l'ongle tout ce qui en a été envisagé comme superflu, que l'on a donné au pié la forme qu'il doit avoir, que l'on a rectifié les imperfections, & que le maréchal ayant fait poser le pié à terre, s'est assûré que relativement à la hauteur des quartiers il n'est point tombé dans l'erreur commune, car il ne peut juger sainement de leur égalité que par ce moyen, le palefrenier levera de nouveau le pié, & le maréchal présentera le fer sur l'ongle : ce fer y portera justement & également, sans reposer sur la sole ; s'il vacilloit sur les mammelles, l'animal ne marcheroit point sûrement, les lames brochées seroient bien-tôt ébranlées par le mouvement que recevroit le fer à chaque pas du cheval, dès que ce fer n'appuyeroit pas également par-tout ; & si son appui s'étendoit jusque sur la sole, l'animal en souffriroit assez ou pour boiter tout bas, ou du moins pour feindre. La preuve que le fer a porté sur cette partie, se tire encore de l'inspection du fer même qui dans la portion même sur laquelle a été fixé l'appui dont il s'agit, est beaucoup plus lisse, plus brillant, & plus uni que dans toutes les autres. Il est néanmoins des exceptions & des cas où la sole doit être contrainte ; mais alors le maréchal n'en diminue pas la force, & lui conserve toute celle dont elle a besoin. Voyez FERRURE. Lorsque je dis au reste qu'il est important que le fer porte par-tout également, je n'entends pas donner atteinte à la regle & au principe auquel on se conforme, en éloignant le fer du pié depuis la premiere étampure en-dedans & en talon jusqu'au bout de l'éponge, ensorte qu'il y ait un intervalle sensible entre l'ongle & cette partie de la branche : cet intervalle qui peut regner sans occasionner le chancellement du fer est nécessaire, & par lui le quartier de dedans toûjours & dans tous les chevaux plus foible que celui de dehors, se trouve extrèmement soulagé.

Aussi-tôt que l'appui du fer est tel qu'on est en droit de l'exiger, le maréchal doit l'assujettir ; il broche d'abord deux clous, un de chaque côté, après quoi le pié étant à terre, il considere si le fer est dans une juste position : il fait ensuite reprendre le pié par le palefrenier, & il broche les autres. La lame de ces clous doit être déliée & proportionnée à la finesse du cheval & à l'épaisseur de l'ongle ; il faut cependant toûjours bannir, tant à l'égard des chevaux de legere taille que par rapport aux chevaux plus épais, celles qui par leur grosseur & par les ouvertures énormes qu'elles font, détruisent l'ongle & peuvent encore presser le vif & serrer le pié. Le maréchal brochera d'abord à petits coups, & en maintenant avec le pouce & l'index de la main gauche, la lame sur laquelle il frappe. Lorsqu'elle aura fait un certain chemin dans l'ongle, & qu'il pourra reconnoître le lieu de la sortie, il reculera sa main droite pour tenir son brochoir par le bout du manche ; il soûtiendra la lame avec un des côtés du manche de ses tricoises, & la chassera hardiment jusqu'à ce qu'elle ait entierement pénétré, & que l'affilure se montre totalement en-dehors. Il est ici plusieurs choses à observer attentivement. La premiere est que la lame ne soit point coudée, c'est-à-dire qu'elle n'ait point fléchi en conséquence d'un coup de brochoir donné à faux ; alors la coudure est extérieure & s'apperçoit aisément : ou en conséquence d'un resistance trop forte que la pointe de la lame aura rencontrée, & qu'elle n'aura pu vaincre ; & souvent alors la coudure est extérieure, & ne peut être soupçonnée que par la claudication de l'animal dont elle presse & serre le pié. La seconde considération à faire est de ne point casser cette même lame dans le pié en retirant ou en poussant le clou ; de l'extraire sur le champ, ainsi que les pailles ou les brins de lame qui peuvent s'être séparés de la lame même (Voyez RETRAITE), & de chasser la retraite avec le repoussoir, si cela se peut. Voyez TABLIER, REPOUSSOIR. On ne sauroit encore se dispenser de prendre garde de brocher trop haut ; en brochant bas, on ne court point le hasard d'encloüer. Le quartier de dedans demande, attendu sa foiblesse naturelle, une brochure plus basse que celui de dehors : c'est un précepte que les Maréchaux ont consacré par ce proverbe misérable & trivial, adopté par tous les écuyers qui ont écrit : madame ne doit pas commander à monsieur. Les lames doivent être chassées, de façon qu'elles ne pénetrent point de côté, & que leur sortie réponde à leur étampure. Il faut de plus qu'elles soient sur une même ligne, c'est-à-dire qu'elles regnent également autour des parois du sabot, les rivets se trouvant tous à une même hauteur, & l'un n'étant pas plus bas que l'autre ; ce qui est encore recommandé dans les boutiques, & ce que l'on y enseigne en débitant cet autre proverbe, il ne faut pas brocher en musique.

Les étampures fixant le lieu où l'on doit brocher, il seroit sans-doute inutile de rapporter ici celui que renferment ces expressions, pince devant, talon derriere, & qui ne signifient autre chose, si ce n'est que les fers de devant doivent être assujettis en pince, & les fers de derriere en talon. La routine seule suffit pour graver de tels principes dans l'esprit des maréchaux : il en est cependant plusieurs dans les campagnes qui n'adoptent point celui-ci ou qui l'ignorent, & qui sans égard à la foiblesse de la pince des piés de derriere & des talons des piés de devant, brochent indifféremment par-tout, après avoir indifféremment étampé leurs fers selon leur caprice & leurs idées. Il est facile de prévoir les malheurs qui peuvent en arriver.

Revenons à notre opération. Dès que chaque lame est brochée, l'opérateur doit par un coup de brochoir sur l'affilure, abattre la portion de la lame qui saillit en-dehors le long de l'ongle, ensorte que la pointe soit tournée en-dessous ; & tous les clous étant posés, il doit avec ses triquoises rompre & couper toutes les affilures qui ont été pliées & qui excedent les parois du sabot. Il coupe ensuite avec le rogne-pié toute la portion de l'ongle qui outrepasse les fers, ainsi que les éclats que les clous ont pû occasionner : mais il ne frappe pour cet effet avec son brochoir sur le rogne-pié, que modérément & à petits coups. De-là il rive les clous en en adressant d'autres moins ménagés, sur ce qui paroît encore des affilures coupées ou rompues : mais comme ces mêmes coups sur les affilures pourroient rechasser les clous par la tête, il oppose les triquoises sur chaque caboche, à l'effet de maintenir & d'assûrer les lames dont la tête s'éleveroit au-dessus du fer, & s'éloigneroit de l'étampure sans cette précaution. Il en prend encore une autre ; les affilures frappées, ou, quoi qu'il en soit, ce qu'il en reste se trouve seulement émoussé. Il enleve donc avec le coin tranchant du rogne-pié, une legere partie de la corne qui environne chaque clou ; & alors au lieu de cogner sur la pointe des affilures, il cogne sur les parties latérales, & insere cette même pointe dans l'ongle, de façon qu'elle ne surmonte point, & que les rivets sont tels qu'ils ne peuvent point blesser l'animal, & occasionner ce que nous nommons entretaillure. Voyez FERRURE.

Il ne reste plus ensuite au maréchal qu'à unir avec la râpe (Voyez RAPE, TABLIER) tout le tour du sabot, lorsque le palefrenier a remis le pié à terre ; & quelques coups legers redonnés sur les rivets, terminent toute l'opération.

Il seroit superflu de parler des clous à glace & des clous à grosse tête, que l'on employe pour empêcher les chevaux de glisser ; il n'est personne qui ne connoisse la forme de ces sortes de clous : mais je ne puis en finissant cet article, trop faire sentir la nécessité de ferrer les chevaux un peu plus souvent que l'on ne fait communément. Il est nombre de personnes qui se persuadent qu'il est bon d'attendre que les fers soient entierement usés pour en mettre de nouveaux ; & il en est d'autres qui veulent épargner les relevées ou les rassis (Voyez RELEVEES, RASSIS), convaincus que l'action de parer ou de rafraîchir l'ongle, n'est nullement utile & ne profite qu'au maréchal : ce préjugé nuit à ceux qu'il aveugle & qu'il séduit, car insensiblement les piés de l'animal se ruinent & dépérissent s'ils sont ainsi négligés. Il seroit à propos de les visiter & d'y retoucher au moins tous les mois, ce qui n'arrive point aux maréchaux avec lesquels on a traité pour l'année entiere ; ils attendent en effet la derniere extrémité pour réparer des piés qu'ils endommagent la plûpart & par leur ignorance & par l'abandon dans lequel ils les laissent. (e)

FERRER, (Serrurerie) c'est poser toutes les pieces de fer dont les ouvrages, tant en bois que d'une autre matiere, excepté le fer, doivent être garnis. Quand on dit ferrer une porte de bois de pieces de fer, ce mot enferme les fiches, verrouils, pentures, serrures, boutons, élons, &c. dont elle doit être garnie. Il en est de même d'une croisée ; la ferrer, c'est la garnir de ses fiches, épagnolettes, &c.


FERRETS. m. en termes d'Aiguilletier, c'est une petite plaque de laiton ou de cuivre, mince, taillé en triangle isocele, tronqué, dans laquelle on embrasse & serre, sur les crénelures d'un petit enclumeau & avec le marteau, un bout ou même les deux bouts d'un cordon, d'un lacet, &c. pour en faciliter le passage dans les trous ou oeillets qui lui sont destinés. Il y a des ferrets simples, à clavier, & à embrasser.

Les simples prennent un ruban sur sa longueur, le serrent, & vont en diminuant vers leur extrémité.

Les ferrets à embrasser sont des especes de fers fort courts, assez semblables à l'anneau dont on se sert pour retenir la tresse des aiguillettes & à autres usages.

Ceux à bandages sont des fers montés sur des rubans de fil, servant dans les bandages pour les descentes.

Les ferrets de caparasson sont montés sur des gances de fil ou de soie, dont on se sert pour attacher un harnois. Il y a une infinité d'autres ferrets.

FERRET, en terme de Cirier, c'est un petit tuyau de fer-blanc, dans lequel on introduit la tête d'une meche de bougie, pour l'empêcher de prendre de la cire, ce qui la rendroit difficile à allumer. Il s'appelle ferret, parce qu'en effet il ressemble parfaitement au ferret d'un lacet.

* FERRET, (Verrerie) canne de fer plus menue que la felle, & moins longue, armée de même d'une poignée de bois. Elle n'est point creuse, l'ouvrier ne s'en servant que pour prendre dans un pot un peu de matiere, qu'il attache à la bosse par la boudine pour l'ouvrir & en faire un plat de verre. Voyez l'article VERRERIE.

FERRET ou FERRETTO, (Verrerie) c'est le nom que donne Antoine Neri, dans son art de la Verrerie, à du cuivre brûlé ou de l'aes ustum, dont on peut se servir pour donner une couleur verte au verre, afin de contrefaire les émeraudes. Voyez l'article AESUSTUM, & l'art de la Verrerie de Neri, Merret, & Kunckel, pag. 59. & 61. Il ne faut pas confondre ce mot avec le mot ferretes d'Espagne. (-)


FERRETE(Géog.) par les Allemands Pfirth, en latin Fierritum ; petite ville d'Alsace sur la riviere d'Ill, chef-lieu d'un comté de même nom, dans le Sundgaw-propre, sujette à la France depuis 1648. Ferrette ressortit du conseil de Colmar, & est dans un terroir très-fertile, à 4 lieues S. O. de Bâle, 9 E. de Montbelliard. Long. 25d. 10'. lat. 47d. 40'. (D.J.)

FERRETES D'ESPAGNE, (Hist. nat. Minéralogie) Quelques auteurs, entr'autres Lémery dans son dictionnaire des drogues, nomment ainsi une espece d'hématite qui est une vraie mine de fer, d'une figure réguliere & déterminée, que l'on trouve dans quelques endroits d'Espagne. On dit aussi qu'il s'en rencontre une grande quantité en France, à Bagneres au pié des pyrenées & aux environs. Ce sont de petits corps solides qui n'excedent guere la grosseur du pouce, d'une couleur d'ochre ou de fer rouillé, qui ont ou la forme d'un parallélépipede à six côtés inégaux, & dont les angles sont inclinés ; ou bien ils formeroient des cubes parfaits, & ressembleroient à des dés à joüer, si leurs surfaces n'étoient point un peu inclinées les unes sur les autres. On trouve ces pierres ou ferretes seules & détachées ; mais souvent elles sont grouppées ensemble, & l'on en rencontre quelquefois une centaine attachées les unes aux autres : il y en a qui ont une espece d'écorce luisante, qui ressemble à une substance métallique. On les trouve par couches dans une espece d'ardoise bleuâtre, enveloppées d'une matiere transparente & fibreuse. Voyez le supplément de Chambers, & les Transact. philosoph. n°. 472. p. 30. (-)


FERRETIERS. m. (Maréchall.) marteau dont le maréchal se sert d'une seule main, pour forger le fer qu'il tient de l'autre main avec la tenaille. Sa longueur n'excede pas cinq pouces : il n'a ni panne ni oreille : son oeil, d'environ quinze lignes de longueur sur douze de largeur, est percé précisément au haut du front. Cette face diminue de largeur également par l'un & l'autre de ses bords, depuis sa sommité jusqu'à la bouche, où elle se trouve réduite à moins de deux pouces dans les plus gros ferretiers. Il n'en est pas de même des joues ; elles s'élargissent à mesure qu'elles en approchent, mais un peu plus du côté du bout du manche que de l'autre, & leur largeur en cet endroit est portée jusqu'à trois pouces. Quant aux angles, ils sont si fortement abattus, que la bouche est circonscrite par un octogone très-allongé ; elle est de plus très-bombée, & convexe par l'arrondissement de tous ces angles, jusqu'au point qu'il ne reste aucun méplat dans le milieu. Sa longueur doit concourir avec celle du manche, de maniere que son grand axe prolongé idéalement, remonteroit à environ deux pouces près de ce même manche, dont la longueur totale n'en excede pas dix.

On donne à cette sorte de marteau depuis quatre jusqu'à huit ou neuf livres de poids, selon le volume & la force des fers à forger. Voyez FORGER. (e)


FERREURS. m. (Comm.) celui qui plombe & qui marque avec un coin d'acier les étoffes de laine. A Amiens il y a six esgards ou jurés de la sayetterie, que l'on appelle ferreurs en blanc ; d'autres qu'on nomme ferreurs en noir, & d'autres encore qu'on nomme ferreurs de gueldes. Dictionn. de Comm. de Trévoux & Chambers. (G)


FERRIERES. f. (Manége, Maréchall.) sorte de valise placée communément dans le train d'une voiture destinée au voyage. Voyez CHAISE DE POSTE. Quelques-uns donnent très-mal-à-propos ce nom au tablier à ferrer du maréchal. Voyez TABLIER. (e)


FERRONNERIES. f. ouvrage de ferronnerie : ce terme comprend tous les petits ouvrages de fer que les Cloutiers & autres artisans qui travaillent en fer, ont droit de forger & fabriquer.


FERRONNIERS. m. artisan qui fait & vend des ouvrages de ferronnerie. Les maîtres Cloutiers de Paris prennent la qualité de maîtres Marchands-Cloutiers-Ferronniers. Voyez CLOUTIER.


FERRUGINEUXadj. (Medecine) ce qui participe de la nature du fer, ou qui contient des particules de ce métal. Voyez FER.

On applique particulierement ce mot à de certaines sources minérales dont l'eau, en passant par les entrailles de la terre, s'impregne des principes de ce métal.

Ces eaux sont encore appellées ferrées & martiales. Voyez FER & MARTIAUX.


FERRURES. f. (Architect. & Serrurerie) s'entend de tout le fer qui s'employe à un bâtiment, pour les gonds, les serrures, les gaches, les esses, &c. (P)

FERRURES d'un vaisseau, (Marine) c'est tout l'ouvrage de fer qui s'employe dans la construction d'un vaisseau ; clous, pentures, ferrures de sabords, de gourvernail, &c. garnitures de poulies, &c. & même les ancres. (Z)

FERRURE, (Maréchall.) La ferrure est une action méthodique de la main du maréchal sur le pié du cheval, c'est-à-dire une opération qui consiste à parer, à couper l'ongle, & à y ajuster des fers convenables. Par elle le pié doit être entretenu dans l'état où il est, si sa conformation est belle & réguliere ; ou les défectuosités en être réparées, si elle se trouve vicieuse & difforme.

A la vûe d'un passage qui se trouve dans Xénophon, de re equestri, & par lequel les moyens de donner à l'ongle une consistance dure & compacte, nous sont tracés, on a sur le champ conclu que l'opération dont il s'agit n'étoit point en usage chez les Grecs. Homere & Appien cependant parlent & font mention d'un fer à cheval ; le premier dans le 151e vers du second livre de l'Iliade, l'autre dans son livre de bello mithridatico. La conséquence que l'on a tirée, en se fondant sur l'autorité de Xénophon, me paroît donc très-hasardée. On pourroit en effet avancer, sur-tout après ce que nous lisons dans les deux autres auteurs grecs, que ce même Xénophon ne prescrit une recette pour durcir & resserrer le sabot, que dans le cas où les chevaux auroient les piés extrèmement mous & foibles ; & dès-lors cette prétendue preuve que les chevaux n'étoient pas ferrés de son tems, s'évanoüit avec d'autant plus de raison, que quoique nous nous servions nous-mêmes de topiques astringens dans de semblables circonstances, il n'en est pas moins certain que la ferrure est en usage parmi nous. On ne sait si cette pratique étoit générale chez les Romains. Fabretti, qui prétend avoir examiné tous les chevaux représentés sur les anciens monumens, sur les colonnes & sur les marbres, déclare n'en avoir jamais vû qu'un qui soit ferré. Quant aux mules & aux mulets, nous ne pouvons avoir aucun doute à cet égard. Suétone, in Nerone, cap. xxx. nous apprend que le luxe de Néron étoit tel, qu'il ne voyageoit jamais qu'il n'eût à sa suite mille voitures au moins, dont les mules étoient ferrées d'argent : Pline assûre que les fers de celles de Poppée, femme de cet empereur, étoient d'or ; & Catulle compare un homme indolent & paresseux, à une mule dont les fers sont arrêtés dans une boue épaisse & profonde, ensorte qu'elle ne peut en sortir. Or si la ferrure, relativement aux mules, étoit si fort en vigueur, pourquoi ne l'auroit-elle pas été relativement aux chevaux, & pourquoi s'éleveroit-on contre ceux qui feroient remonter cette opération jusqu'à des siecles très-reculés ? Ces questions ne nous intéressent pas assez pour nous livrer ici à la discussion qu'elles exigeroient de nous, dès que nous entreprendrions de les éclaircir. La fixation de l'époque & du tems auquel les hommes ont imaginé de ferrer les chevaux, ne sauroit nous être de quelqu'utilité, qu'autant que nous pourrions, en partant de ce fait, comparer les idées des anciens & les nôtres, en établir en quelque façon la généalogie, & découvrir, en revenant sur nos pas, & à la faveur d'un enchaînement & d'une succession constante de lumieres, des principes oubliés, & peut-être ensevelis dans des écrits délaissés ; mais en ce point, ainsi que dans tous ceux qui concernent l'Hippiatrique, il n'est pas possible d'espérer de tirer de pareils avantages de l'étude des ouvrages qui nous ont été transmis. Sacrifions donc sans balancer, des recherches qui concouroient plûtôt à flater notre curiosité qu'à nous instruire, & ne nous exposons point au reproche d'avoir dans une indigence telle que la nôtre, & dans les besoins les plus pressans, abandonné le nécessaire & l'utile pour ne nous attacher qu'au superflu.

De toutes les opérations pratiquées sur l'animal, il en est peu d'aussi commune & d'aussi répetée que celle-ci ; or l'ignorance de la plûpart des artisans auxquels elle est confiée, & qui, pour preuve de leur savoir, attestent sans-cesse une longue pratique, nous démontre assez que le travail des mains ne peut conduire à rien, s'il n'est soûtenu par l'étude & par la réflexion. Toute opération demande en effet de la part de celui qui l'entreprend, une connoissance entiere de la partie sur laquelle elle doit être faite : dès que le maréchal-ferrant ignorera la structure, la formation, & les moyens de l'accroissement & de la régénération de l'ongle, il ne remplira jamais les différentes vûes qu'il doit se proposer, & il courra toûjours risque de l'endommager & d'en augmenter les imperfections, bien loin d'y remédier.

Le sabot ou le pié n'est autre chose que ce même ongle dont les quatre extrémités inférieures du cheval sont garnies. La partie qui regne directement autour de sa portion supérieure, est ce que nous nommons précisément la couronne ; sa consistance est plus compacte que celle de la peau par-tout ailleurs : les parties latérales internes & externes en forment les quartier (voyez QUARTIERS) ; la portion antérieure, la pince (voyez PINCE) ; la portion postérieure, les talons (voyez TALONS) ; la portion inférieure enfin contient la fourchette & la sole (voyez FOURCHETTE, voyez SOLE) : celle-ci tapisse tout le dessous du pié.

La forme naturelle du sabot & de l'ongle entier, est la même que celle de l'os qui compose le petit pié, elle nous présente un ovale tronqué, ouvert sur les talons, & tirant sur le rond en pince. Dans le poulain qui naît, l'ongle a moins de force & de soûtien ; la sole est molle & comme charnue ; la fourchette n'a ni saillie ni forme ; elle n'est exactement visible & saillante en-dehors, qu'à mesure que la sole parvient à une certaine consistance, & se durcit. Il en est à cet égard comme des os mêmes, c'est-à-dire qu'ici l'ongle est plus mou que dans le cheval, parce qu'il y a plus d'humidité, & que les parties n'ont pû acquérir leur force & leur solidité.

Quelque compacte que soit dans l'animal fait la substance du sabot, il est constant que l'ongle dépend des parties molles, & reconnoît le même principe. Il n'est réellement dans son origine, ainsi que nous l'observons dans le foetus & dans le poulain naissant, qu'une suite & une production du système général des fibres & des vaisseaux cutanés, & n'est formé que par la continuité de ces fibres & par l'extrémité de ces mêmes vaisseaux. Ces fibres à l'endroit de la couronne sont infiniment plus rapprochées les unes des autres, qu'elles ne l'étoient en formant le tissu des tégumens ; & elles se resserrent & s'unissent toûjours davantage à mesure qu'elles se prolongent, & qu'elles parviennent à la pince & aux extrémités du pié : de-là la dureté & la consistance de l'ongle. Quant aux vaisseaux, leur union plus étroite & plus intime contribue à cette solidité ; mais ils ne s'étendent pas aussi loin que les fibres : arrivés à une certaine portion du sabot, leur diametre est tellement diminué que leurs liqueurs ne circulent plus, & ne peuvent s'échapper que par des porosités formées par l'extrémité de ces tuyaux. La liqueur échappée par ces porosités, nourrit la portion qui en est imbue ; mais comme elle n'est plus soûmise à l'action systaltique, elle ne peut être portée jusqu'à la partie inférieure de l'ongle, aussi cette partie ne reçoit-elle point de nourriture.

Distinguons donc trois parties dans le sabot ; la partie supérieure sera la partie vive ; la partie moyenne sera la partie demi-vive, si je peux m'exprimer ainsi ; & la portion inférieure sera la partie morte.

La partie supérieure, ou la partie vive, sera aussi la partie la plus molle, parce qu'elle sera tissue de vaisseaux & de fibres qui seront moins serrés à l'origine de l'ongle qu'à son milieu & à sa fin : aussi voyons-nous que le sabot, à la couronne & à son commencement, est moins compacte qu'il ne l'est dans le reste de son étendue, soit par le moindre rapprochement des fibres, soit parce que les liqueurs y circulent & l'abreuvent, malgré l'étroitesse des canaux, dont le diametre, quelque petit qu'il soit, laisse un passage à l'humeur dont il tire & dont il reçoit sa nourriture.

La partie moyenne, ou la partie demi-vive, sera d'une consistance plus dure que la partie supérieure, parce que les fibres y seront plus unies ; & que d'ailleurs les vaisseaux s'y terminant, ce n'est que par des filieres extrèmement tenues, ou par des porosités imperceptibles, que la partie la plus subtile de la lymphe qui sert à son entretien & à sa nutrition, pourra y être transmise & y pénétrer.

Enfin la partie inférieure, que j'ai crû devoir appeller la partie morte, sera d'une substance encore plus solide que les autres, parce que la réunion des fibres sera plus intime ; & que quand même on pourroit y supposer des vaisseaux, ils seroient tellement oblitérés qu'ils n'admettroient aucun liquide, ce qui est pleinement démontré par l'expérience. En effet, lorsqu'on coupe l'ongle en cet endroit, & que l'on pare un pié, les premieres couches que l'on enleve ne laissent pas entrevoir seulement des vestiges d'humidité ; or dès que les liqueurs ne peuvent être charriées jusqu'à cette partie, elle ne peut être envisagée que comme une portion morte, & non comme une portion joüissante de la vie.

Le méchanisme de la formation & de l'entretien du sabot, est le même que celui de son accroissement. Nous avons reconnu dans la couronne & dans la partie vive, des vaisseaux destinés à y porter la nourriture, de maniere que les lois de la circulation s'y exécutent comme dans toutes les autres parties du corps ; c'est-à-dire que la liqueur apportée par les arteres, est rapportée par des veines qui leur répondent. Nous avons observé, en second lieu, que les extrémités de ces mêmes vaisseaux qui donnent la vie à la partie supérieure, sont directement à la partie moyenne ; & que conséquemment le suc nourricier suintant dans cette partie, & y transsudant par les porosités que forment les extrémités de ces canaux, s'y distribue, sans que cette humeur puisse être repompée & rentrer dans la masse. Enfin nous avons envisagé la partie inférieure, comme une partie absolument morte ; or si la partie supérieure est la seule dans laquelle nous admettions des vaisseaux, elle est aussi sans contestation la seule qui soit exposée à l'impulsion des liquides, & c'est conséquemment en elle que s'exécutera l'oeuvre de la nutrition & de l'accroissement.

L'ongle ne s'accroît & ne se prolonge pas en effet par son extrémité ; elle ne tire son accroissement que depuis la couronne ; de même que dans la végétation la tige ne se prolonge qu'à commencer par la racine. Cette partie & la portion supérieure du sabot, sont, ainsi que je viens de le remarquer, les seules exposées à l'impulsion des liquides. Cette impulsion n'a lieu que par la contraction du coeur, & par le battement continuel des arteres ; la force de l'un & l'action constante des autres, suffisent pour opérer non-seulement la nutrition, mais encore l'accroissement : car le fluide qu'ils y poussent sans-cesse, y aborde avec assez de vélocité pour surmonter & pour vaincre insensiblement l'obstacle que lui présentent & la portion moyenne & la portion inférieure de l'ongle, de maniere que l'une & l'autre sont chassées par la portion supérieure. A mesure que celle-ci-descend, & qu'elle s'éloigne du centre de la circulation, il se fait une régénération ; & cette même portion étant alors hors du jeu des vaisseaux, & n'étant plus entretenue que par la transudation dont j'ai parlé, elle devient portion moyenne & demi-vive : est-elle pressée & chassée encore plus loin ? elle cesse d'être portion demi-vive, & elle devient portion morte.

Ce n'est pas que la portion demi-vive chasse la portion morte. Dès que la portion supérieure, en se régénérant, pousse, au moyen de l'effort des liqueurs qui y abordent, la portion moyenne, elle chasse conséquemment la partie inférieure, qui en est une suite, & de-là le prolongement du sabot ; car la portion demi-vive n'étant plus soûmise aux lois du mouvement circulaire, on ne peut supposer en elle la faculté & la puissance d'exercer aucune action : ce n'est donc qu'autant qu'elle est un corps continu à la partie inférieure, qu'elle paroît le chasser devant elle, tandis qu'elle est elle-même chassée par la portion supérieure, à laquelle on doit attribuer tout l'ouvrage de la nutrition & de l'accroissement.

J'avoue que peut-être on sera surpris que la force du coeur & celle du jeu des arteres soient telles, qu'elles puissent pousser les liquides avec une véhémence capable de forcer la résistance de deux corps aussi solides que ceux de la portion moyenne & de la portion inférieure ; mais il faut ajoûter à ces causes motrices, la puissance qui résulte de l'action des muscles & de la pression de l'air, qui sont autant d'agens auxiliaires qui poussent les fluides.

Une simple observation vient à l'appui de toutes ces vérités. Si l'on demeure un long intervalle de tems sans parer le pié d'un cheval, l'ongle croît peu, & croît moins vîte : pourquoi ? parce que la partie morte ou la partie inférieure ayant acquis dès-lors une étendue & un volume plus considérable, opposera une plus grande résistance, & contre-balancera en quelque façon la force par le moyen de laquelle les liqueurs sont portées à la partie vive ou à la partie supérieure. Si au contraire le pié de l'animal est souvent paré, l'accroissement sera moins difficile, parce qu'une portion de l'ongle mort étant enlevée, l'obstacle sera moindre, & pourra être plus aisément surmonté par l'abord, l'impulsion & le choc de ces mêmes liqueurs.

Un autre fait non moins certain nous prouve que l'ongle ne se prolonge point par son extrémité. Lorsque, par exemple, dans l'intention de resserrer une seyme (voyez SEYME), & de réunir les parties divisées du sabot, nous avons appliqué à la naissance de la fente & de la division, c'est-à-dire très-près de la couronne, de feu (voyez FEU), cette lettre formée par l'application du cautere actuel sur lequel elle étoit imprimée, descendra peu-à-peu & plus ou moins promtement, selon que le pié sera plus ou moins souvent paré, & s'évanoüira enfin promtement. Il est donc parfaitement démontré que l'accroissement ne se fait & ne peut avoir lieu que dans la couronne & dans la partie vive.

Dès que cette portion change, pour ainsi dire, & qu'elle devient demi-vive, il est incontestable qu'il se fait une régénération. Tâchons donc de développer, s'il est possible, les moyens dont la nature se sert pour renouveller cette partie.

Il ne s'agit pas ici, comme dans les plaies, de la réparation d'une substance absolument détruite & perdue ; elle est néanmoins produite selon les lois du même méchanisme : elle est en effet opérée & par le suc nourricier, & par le prolongement des vaisseaux qui y ont une part considérable. J'ai dit que la circulation s'exécute dans la couronne & dès l'origine de l'ongle ; il est par conséquent dans l'une & dans l'autre de ces parties, des tuyaux destinés à apporter & à rapporter les liqueurs : mais comme nous sommes forcés d'avoüer que ceux qui sont à la couronne, sont, à raison de leur union plus intime, d'une plus grande exilité que ceux qui sont au-dessus & à la peau, nous sommes aussi contraints de conclure que le diametre de ceux qui seront au-dessous & à l'origine du sabot, sera encore bien moindre, & qu'il admettra moins de liquide. Disons encore que la solidité de cette partie ne permet pas de penser que la plus grande quantité des fibres dont elle est formée, soit vasculeuse, principalement celles qui sont les plus extérieures, & que le contact de l'air tend toûjours à dessécher ; ou si nous leur supposons une cavité, elles ne seront que l'extrémité d'une partie des vaisseaux qui se distribuent à la couronne : or le suc nourricier étant parvenu dans ces extrémités, s'y arrête ; & étant continuellement poussé par la liqueur qui le suit, il s'engage dans les porosités, & prend lui-même une consistance solide qui commence à avoir moins de sentiment. Cette substance compacte est toûjours chassée devant elle par le nouvel abord des liqueurs ; les vaisseaux eux-mêmes se prolongent, & c'est ainsi qu'elle est régénérée.

En parlant de l'extrémité de l'ongle, je n'ai encore entendu parler que de la partie inférieure de ses parois, & non de la sole.

Celle-ci de même que la fourchette qui en est le milieu, est une suite & une continuation des fibres & des vaisseaux d'une portion de la peau qui se propage autour du petit pié, & qui est tellement adhérente à l'intérieur des parois du sabot, qu'elle y est intimement unie par des crénelures, de maniere qu'elle est comme enclavée dans des sillons formés à l'ongle même. Son milieu, c'est-à-dire, la fourchette que l'on nomme ainsi, attendu la bifurcation que l'on y remarque, tire sa forme d'une espece de corps charnu d'une substance spongieuse, lequel est directement situé au-dessous de l'aponévrose du muscle profond qui tapisse & qui revêt la portion inférieure de l'os du petit pié. Il est à-peu près semblable à celui que l'on apperçoit à l'extrémité des doigts de l'homme lorsqu'on en a enlevé la peau, excepté qu'il est plus compacte & plus solide. Sa figure est celle d'un cône dont la pointe est tournée en-devant, & dont la base échancré répond aux deux talons. C'est à ce corps spongieux que la fourchette adhere par de petites fibres & des vaisseaux de communication. Que si elle est d'une consistance moindre que le sabot, & même que la sole, c'est que les fibres & les vaisseaux qui la composent sont plus lâches. Que si elle acquiert enfin plus de solidité à sa partie extérieure que dans le reste de son étendue, ce ne sera que parce que le liquide n'y affluera pas, & que ces mêmes fibres & ces mêmes vaisseaux se resserreront toûjours de plus en plus.

Venons à l'application de ces principes ; eux seuls peuvent mettre le maréchal ferrant en état de donner à chaque portion du pié la configuration qu'elle doit avoir, & de remplir par conséquent les deux intentions qu'il doit se proposer dans cette opération.

La premiere de ces intentions est, ainsi que je l'ai dit, d'entretenir le pié dans l'état où il est quand il est régulierement beau ; & la seconde consiste à en réparer les défectuosités lorsqu'il peche dans sa forme, & dans quelques-unes de ses parties.

Un pié qui n'est ni trop gros, ni trop grand, ni trop large, ni trop petit, dont la corne est douce, unie, liante, haute, épaisse & ferme sans être cassante, voyez PIE ; dont les quartiers sont parfaitement égaux, voyez QUARTIERS ; dont les talons ne seront ni trop hauts ni trop bas, & seront égaux, larges, & ouverts, voyez TALON ; dont la sole sera d'une consistance solide, & laissera au-dessus du pié une cavité proportionnée, voyez SOLE ; dont la fourchette enfin ne sera ni trop grasse, ni trop maigre, voyez FOURCHETTE ; & qui d'ailleurs aura la forme de cet ovale tronqué dont j'ai parlé, sera toûjours envisagé comme un beau pié.

Ceux dans lesquels on observera un quartier plus haut que l'autre, voyez QUARTIER, & qui seront conséquemment de travers, ou dans lesquels un des quartiers se jettera en-dehors ou en-dedans ; ceux dans lesquels les talons seront bas, voyez TALON, seront flexibles, seront hauts, non sujets ou sujets à l'encastelure, voyez ibid. PIE ; qui seront encastelés, qui seront plats, voyez PIE, SOLE, TALON ; qui auront acquis cette difformité à la suite d'une fourbure, & dans lesquels on entreverra des croissans, voyez FOURBURE, SOLE ; qui auront un ou deux oignons, voyez SOLE ; qui seront comblés, affectés par des bleymes, voyez ibid. PIE ; qui seront gras ou foibles, voyez PIE ; qui auront des soies, des seymes, voyez QUARTIERS, SEYMES, SOIES ; qui seront trop petits, trop longs en pince & en talon, voyez PIE, seront des piés défectueux : ils demanderont toute l'attention du maréchal, qui travaillant avec succès d'après les connoissances que nous avons développées, en corrigera inévitablement les vices, & qui pourra encore remédier aux défauts qu'entraînent celui d'être argué, brassicourt, droit sur ses membres, voyez BOUTE, RAMPIN, JAMBES, & ceux de se couper, de forger, voyez FORGER, &c.

Ferrure d'un pié naturellement beau. Blanchissez simplement la sole, c'est-à-dire, n'en coupez que ce qu'il en faut pour découvrir la blancheur naturelle ; enlevez le superflu des quartiers, observant d'y laisser dequoi brocher ; ouvrez les talons en penchant le boutoir en dehors, & non en creusant ; abattez-les de maniere que le pié étant en terre, l'animal soit dans une juste position ; coupez le superflu de la fourchette ; ouvrez la bifurcation jusqu'à l'épanchement d'une espece de sérosité, & non jusqu'au sang, & maintenez par le fer comme par la parure le sabot dans la configuration qu'il avoit.

Ajustez à ce pié un fer qui l'accompagne dans toute sa forme, qui ne soit ni trop ni trop peu couvert, ni trop leger ni trop pesant, qui ait la même épaisseur aux éponges qu'à la pince, voyez FER, & qui en ait quelques lignes de plus à la voûte qu'à cette derniere partie. Etampez un peu plus gras en-dehors qu'en-dedans ; qu'il y ait quatre étampures de chaque côté avec une distance marquée à la pince pour séparer celle de chaque branche ; que ces étampures ne soient ni trop grasses ni trop maigres. Voyez FORGER UN FER ; que le fer au talon ne soit point trop séparé du pié ; que les éponges ne débordent que proportionnément à sa forme ; & que l'on apperçoive enfin pour la grace du contour & de l'ajusture une simple élévation tout-autour de ce fer depuis la premiere étampure jusqu'à la derniere, en passant sur la pince.

L'action de pancher le boutoir en-dehors pour ouvrir les talons ou de les parer à plat, est totalement contraire à la pratique ordinaire de presque tous les maréchaux. Toûjours guidés par une fausse routine, & jamais par le raisonnement, ils ne cessent de creuser au lieu d'abattre, c'est-à-dire qu'ils coupent continuellement la portion de l'ongle qui se trouve entre la fourchette & le talon, ensorte qu'au moment où ils croyent ouvrir cette partie, ils la resserrent de plus en plus : dès qu'ils enlevent en effet l'appui qui étaye & qui sépare le talon & la fourchette, les parois extérieures de l'ongle n'étant plus gênées, contenues, & n'ayant plus de soûtien, se jettent & se portent en-dedans d'autant plus aisément, que le tissu de la corne est tel qu'il tend toûjours à se contracter ; de-là une des causes fréquentes de l'encastelure, & c'est ainsi que le plus beau pié devient difforme quand il est livré à des mains ignorantes. Mais voyons si la méthode que nous prescrivons est réellement établie sur les fondemens inébranlables que nous avons jettés, on en sera toûjours de plus en plus convaincu ; car nous expliquerons dans tous les différens genres de ferrure les raisons qui nous inspirent & qui nous déterminent.

Ici, c'est-à-dire, dans le cas où il s'agit d'un beau pié, nous ne changeons rien à la configuration de l'ongle ; les retranchemens que nous faisons à chaque partie sont tels que chacune d'elles subsiste dans le même état où elle étoit auparavant ; tout l'effet qui en résulte se borne à en diminuer le volume & l'étendue.

Le fer que nous y plaçons accompagne le pié dans toute sa forme, parce que si l'on ne faisoit pas cette attention, il en résulteroit une difformité lors de l'accroissement selon le défaut du fer même. D'ailleurs, si le fer débordoit trop, l'animal se déferreroit ; & s'il ne débordoit pas ou ne couvroit pas assez, les mammelles croîtroient beaucoup plus que ce qui porteroit sur le fer, qui n'appuyant que sur la sole feroit incontestablement boiter le cheval.

Ce même fer ne sera ni trop leger ni trop pesant : dans le premier cas il ne résisteroit pas ; dans le second il ruineroit les jambes de l'animal, & par son propre poids dériveroit & entraîneroit les lames. Voyez FER.

Il y aura même épaisseur aux éponges qu'à la pince, afin que le pié soit toûjours égal par-tout, & qu'une de ses parties n'étant pas plus contrainte que l'autre, les liqueurs ne trouvent pas une résistance plus forte, ce qui les détermineroit à se jetter & à refluer sur les parties moins gênées.

La force de la voûte excédera celle de la pince, parce que l'animal use toûjours plûtôt le fer sur les extrémités de cette portion, & que si la voûte étoit aussi foible, le fer plieroit & porteroit sur la sole.

Il sera étampé plus gras en-dehors qu'en-dedans, parce qu'il doit toûjours plus garnir de ce côté que de l'autre. S'il étoit aussi garni en-dedans, l'animal se couperoit, s'attraperoit, voyez ferrure du cheval qui se coupe, ou se déferreroit en marchant sur son fer. D'ailleurs, le quartier de dehors s'usant ordinairement davantage, il est bon qu'il soit plus garni ; & l'étampure y sera plus grasse, parce que celui de dedans est toûjours plus foible. Voyez QUARTIERS.

Ferrure d'un pié de travers, un quartier étant plus haut que l'autre. Abattez d'abord le quartier plus haut presque jusqu'au sang ; creusez le talon, sans cependant trop pancher le boutoir. Coupez ensuite assez de l'autre quartier pour enlever une portion de la partie morte, contentez-vous d'ouvrir le talon de ce même côté ; ajustez enfin à ce pié un fer beaucoup plus mince du côté du quartier qui sera trop haut, plus couvert du côté du quartier plus bas. Etampez plus gras de ce même côté, & plus maigre de l'autre. Le fer garnira & débordera du côté bas ; il sera si juste du côté haut, qu'il y aura à rogner en supposant que ce quartier se renverse, ce qui arrive communément à tous les quartiers trop hauts qui se jettent & qui se portent le plus souvent en-dehors. L'éponge du quartier plus bas sera proportionnée à la force de la branche, & par conséquent plus épaisse que celle du quartier plus haut. Elle garnira sur le talon, afin que l'ongle ne s'use point & s'y étende ; à l'égard de celle du quartier haut, elle ne débordera point, & sera juste à la forme du pié.

Vous abattrez le quartier plus haut, parce que par sa hauteur excessive non-seulement le pié est difforme, mais l'animal n'est pas dans son point de force & d'appui. Vous en creuserez le talon, c'est-à-dire que votre intention étant de le resserrer, vous parerez comme le commun des maréchaux quand il veulent les ouvrir, & vous aurez attention de les resserrer pour éviter qu'il ne se porte en-dehors ; or en diminuant la force de l'ongle qui est entre le talon & la fourchette, la paroi extérieure se portera en-dedans.

Vous ouvrirez le talon qui est plus bas, en renversant le boutoir en-dehors pour lui laisser toute sa force, & vous en abattrez une partie ainsi qu'une portion du quartier ; car si vous n'y touchiez pas, & si vous laissiez subsister l'ongle mort dans son entier, les liqueurs trouveroient lors de leur impulsion une trop grande résistance, elles auroient plus de corps à chasser, & ce quartier recevroit moins de nourriture. La maniere d'ouvrir ce talon produira un effet opposé & contraire à l'autre, c'est-à-dire qu'il s'ouvrira toûjours de plus en plus, attendu la force qui sera conservée dans le dedans, force qui sera supérieure à celle du dehors.

D'une autre part, le fer sera plus mince du côté du quartier haut par rapport à cette hauteur excessive même. Il sera étampé plus maigre de ce même côté, vû le défaut de l'ongle que vous avez coupé, & dont vous avez diminué la force en-dedans, tandis qu'il sera plus couvert & étampé plus gras du côté du quartier bas, parce que le fer débordant, l'ongle pourra s'étendre en-dehors.

Vous gênerez enfin, vous contiendrez le quartier haut, & le fer y sera extrèmement juste, parce que la nourriture n'est jamais aussi abondante dans une partie contrainte & gênée. Le suc nourricier ne pouvant dès-lors forcer & surmonter l'obstacle qui lui est présenté, est obligé de se détourner & de se déterminer sur les autres. Voyez QUARTIERS.

Ferrure d'un pié de travers, un des quartiers se jettant en-dehors ou en-dedans. Je n'entends pas parler ici d'un pié dont un des quartiers se jettant en-dedans, & pouvant resserrer & entraîner le talon, tendroit à l'encastelure ; je ne considere que celui dont la forme seroit irréguliere dans l'un ou dans l'autre des cas que je suppose. Parez donc le pié également partout ; ouvrez les talons, la fourchette, & ajustez-y un fer ordinaire qui sera plus couvert & étampé plus gras du côté du quartier qui rentrera, qui garnira également au talon de ce même côté, & qui sera juste du côté sain. Si la difformité du pié & l'inégalité des quartiers proviennent de ce que l'un d'eux se portera en-dehors, que l'étampure de ce côté soit alors extrèmement maigre, placez le fer de maniere qu'il réponde à la ligne de la couronne ; après quoi avec le rogne-pié (voyez ROGNE-PIE), coupez tout l'ongle qui excédera le fer. Que si enfin le pié est de travers à la raison de la défectuosité des deux quartiers, parez-le de même, & mettez-y un fer figuré selon ces principes. Vous parerez le pié également partout, parce qu'ensuite de cette parure la configuration du fer dirigera l'ongle dans son accroissement.

Il sera étampé plus gras, il sera plus couvert du côté du quartier qui rentrera, parce qu'il débordera de ce côté, & qu'en débordant il soulagera l'ongle au quartier, & le laissera croître sur-tout n'ayant pas de bordure. D'ailleurs, le fer devant déborder, si la branche n'étoit pas plus couverte, celle du quartier sain seroit contrainte de gêner la fourchette. Quand à l'étampure, quoiqu'elle paroisse plus grasse elle ne le sera réellement pas ; car elle ne sera telle, que parce que la branche sera plus couverte.

Dans le cas où l'un des quartiers se porteroit en-dehors, vous placeriez le fer, ensorte qu'il répondroit à la ligne de la couronne, & vous rogneriez tout l'ongle qui excéderoit le fer ; or en le coupant ainsi, vous répareriez la difformité, & cette difformité ne se reproduiroit point, parce que la branche seroit juste au quartier. Au surplus, vous n'étamperiez maigre, que parce qu'autrement le clou broché se trouveroit dans le vif. Voyez QUARTIERS.

Ferrure d'un pié dont les talons sont bas. Parez le pié à l'ordinaire ; ouvrez par conséquent le peu de talon que vous rencontrez, diminuez le volume de la fourchette, & ne coupez point en pince avec le boutoir : que les éponges de fer soient fort épaisses, étampez-le en pince le plus qu'il vous sera possible, placez le de façon que cette partie l'excede beaucoup, & après avoir broché, coupez cet excédent avec le rogne-pié.

Par le plus de force & la plus grande épaisseur des éponges, vous releverez le pié du cheval, & vous obvierez à son défaut naturel. Vous le rognerez en pince, parce que le pié étant plus court, la pince portera davantage ; dès-lors le talon sera donc soulagé, & la nourriture y affluera avec plus d'aisance. Enfin l'étampure en pince n'aura lieu que pour ne pas gêner les talons, qui dans ces sortes de circonstances sont très-délicats, & si foibles, qu'ils ne peuvent pas résister à la lame, & qui en éclatant se détruisent toûjours davantage. Voyez TALON.

Ferrure d'un pié dont les talons sont flexibles. Voyez TALON. N'ouvrez pas les talons, laissez-leur toute leur force. Si néanmoins ils sont trop hauts, abattez-les, mais en parant à plat ; s'ils sont trop bas, blanchissez-les ; mettez un fer ordinaire étampé en pince autant qu'il se pourra, & qui garnira beaucoup sur les talons à l'effet de les renforcer, de les soûtenir, & de les soulager.

Ferrure d'un pié dont les talons sont trop hauts, mais qui cependant sont trop ouverts pour qu'on puisse redouter l'encastelure. Voyez TALON. Parez le talon presque jusqu'au vif & à plat, c'est-à-dire que vous devez dégager la fourchette en tenant votre boutoir renversé, parez-la ensuite, & ayez attention de ne pas diminuer beaucoup en pince. Mettez à ce pié un fer ordinaire, dont l'épaisseur sera égale à la pince & aux éponges, qui sera relevé comme de coûtume, qui garnira tout le tour du pié, qui portera également par-tout, & dont les étampures seront plus grasses en pinces qu'elles ne le sont communément.

Je conseille d'abattre le talon jusqu'au vif, pour en diminuer la hauteur, & à plat, parce que si l'on creusoit, on encasteleroit le pié.

Vous ne diminuerez pas beaucoup de la pince, parce que le défaut commun à ces piés, est de manquer par cette partie.

Votre fer sera aussi épais aux éponges qu'en pince ; la raison en est que s'il avoit plus d'épaisseur aux éponges, vous entretiendriez le défaut par votre fer, tandis que vous auriez fait des efforts pour le réparer par la ferrure.

Le fer portera sur les talons ; parce que, comme vous devez le savoir, des talons gênés reçoivent moins de nourriture, & le suc nourricier se distribuera ailleurs.

Il garnira tout-autour du pié, & dès-lors la pince ne s'usera pas ; ce qui arrive presque toûjours à ces sortes de piés.

Je demande, en un mot, une étampure plus grasse, parce que l'étampure étant ordinaire, & le fer devant garnir, le pié seroit broché trop maigre.

Ferrure d'un pié dont les talons seroient trop hauts ; & qui tendroient à l'encastelure. Voyez au mot TALON. Abattez considérablement les talons ; mais parez toûjours à plat, & n'affoiblissez jamais l'appui qui est entre cette partie & la fourchette : parez celle-ci sans l'ouvrier, & diminuez de la pince proportionnément au talon, par le moyen du rogne-pié.

Ajustez à ce pié un fer à pantoufle. Voyez FER. Ce fer sera étampé à l'ordinaire, mais plûtôt en pince qu'en talon ; il garnira beaucoup à cette derniere partie, & portera également par-tout.

Ferrure d'un pié encastelé. Voyez TALON. Parez-le & ferrez-le, de même que celui qui tend à l'encastelure, en augmentant néanmoins l'épaisseur de la pantoufle, selon la défectuosité du pié.

Vous abattrez le talon à plat, & je crois qu'il est superflu de répeter ici les raisons de parer ainsi. Vous ne diminuerez point l'appui qui est entre la fourchette & cette partie, parce que le fer doit y porter. Vous n'ouvrirez point la fourchette ; dès-lors vous lui conserverez la force nécessaire pour s'opposer au resserrement du talon. Vous rognerez enfin la pince, soit pour recouvrir le pié, soit pour que la nourriture se distribue aux talons ; parce que la longueur du pié étant diminuée, l'animal ne travaillera pas tant sur eux ; & la contrainte étant moindre, les liqueurs s'y détermineront avec plus d'aisance & plus de facilité.

La nécessité du fer à pantoufle est évidente. L'intérieur de cette pantoufle portant aux talons, & les gênant en-dedans, ils s'ouvriront par eux-mêmes, vû que dès-lors le suc nourricier gagnera la partie de dehors, & que l'ongle de ce côté n'aura rien qui puisse le gêner dans son accroissement, puisqu'étant d'ailleurs chassé par l'épaisseur intérieure de la pantoufle, le talus qui est observé depuis cette épaisseur intérieure jusqu'à l'extérieur de la branche, facilitera son extension de ce même côté.

L'étampure en pince est enfin préférable, attendu que les quartiers affoiblis par la parure, ne seroient pas en état de supporter les lames ; & vous garnirez beaucoup en talons, parce que dès qu'ils seront soulagés, non-seulement ils reviendront sur la ligne de la couronne, mais ils s'élargiront toûjours davantage, à l'aide & par le secours du fer proposé.

Ferrure du pié plat. Voyez PIE, SOLE. Parez & diminuez l'ongle le moins qu'il vous sera possible ; ajustez un fer plus couvert qu'un fer ordinaire, étampez-le plûtôt maigre que gras : que la voûte soit très-près de la sole ; placez-le sur le pié, de maniere encore que vous puissiez couper avec le rogne-pié le superflu de l'ongle qui déborde : que les éponges en soient fortes & épaisses, & qu'elles ne débordent pas extraordinairement en talons.

Parez & diminuez très-peu l'ongle ; en en abattant trop, vous pénétreriez bientôt jusqu'au vif : l'animal n'auroit pour ainsi dire plus de pié, & il ne pourroit se soûtenir, par la douleur que lui causeroit & cette diminution & ce retranchement trop considérable.

Que le fer soit plus couvert, & que la voûte soit très-près de la sole ; par ce moyen cette partie sera gênée & contenue ; la nourriture ne pouvant plus s'y porter en aussi grande quantité, se déterminera sur les autres ; ce qui, en remontant à la source & à la cause de la difformité du pié, en arrêtera les progrès.

Le fer sera ajusté de façon que vous pourrez couper avec le rogne-pié le superflu de l'ongle ; & vous couperez ce superflu, parce que si vous ne l'enleviez pas, le pié paroîtroit toûjours évasé.

L'étampure sera maigre, parce qu'en rognant tout le tour du pié, vous approcheriez plus du vif que si vous ne rogniez point.

Enfin ce n'est que parce que ces sortes de piés portent sur les talons, que je prescris des éponges plus fortes & qui ne débordent pas extraordinairement, car une ferrure trop longue feroit infailliblement user cette partie.

Ferrure du pié plat ensuite d'une fourbure, l'ongle s'étendant vers la pince, & la sole laissant apparoître des croissans. Voyez PIE, FOURBURE. Ouvrez d'abord les talons ; abattez-les, s'ils sont trop hauts ; blanchissez les, s'ils sont trop bas, étampez le fer sur les talons, & non en pince ; mettez-y un pinçon assez large (voyez FER) ; & lorsque les clous seront brochés, rognez l'ongle excédant le fer, & râpez la pince.

Abattez les talons, pour parer à l'inconvénient de ces sortes de piés, qui est de travailler toûjours sur les talons, la pince ayant rarement de l'appui ; ce qui fait que quand l'animal ne boiteroit pas ensuite des croissans, il boiteroit par le racourcissement du tendon, vû que le talon étant trop élevé, ce même tendon n'a pas son extension naturelle, & ce qui peut bouter l'animal. Voyez JAMBE.

Etampez le fer sur les talons, & non en pince, parce que cette partie ne supporteroit pas la brochure. D'ailleurs, tout cheval dans lequel on entrevoit des croissans, est rarement encloué sur la premiere, pourvû néanmoins que le fer ne soit pas étampé trop gras.

Mettez-y un pinçon assez large pour tenir le fer, parce que si le pinçon étoit trop petit, il entreroit dans l'ongle, & le fer se déplaceroit. Du reste, lorsqu'en râpant la pince vous diminuez la force de l'ongle en cet endroit, c'est pour moins contraindre le pié, & pour que les croissans ne soient pas si douloureux.

A l'égard du pié plat, large & étendu, vous ne couperez la sole que le moins que vous pourrez ; vous vous contenterez de la nettoyer simplement, après quoi vous y ajusterez un fer semblable à celui que vous avez employé en ferrant le pié plat, dont j'ai parlé précédemment à ce dernier.

Ne coupez la sole que le moins que vous pourrez, & ne faites que la blanchir ; car en retranchant une portion de la partie morte, le suc nourricier trouveroit moins d'obstacle, & vous attireriez conséquemment plus de nourriture ; ce qui ne feroit qu'entretenir, & ce qui pourroit même augmenter la difformité du pié dont il s'agit.

Ferrure d'un pié qui aura un ou deux oignons. Voyez SOLE. En parant le pié, laissez autant d'ongle qu'il sera possible sur les oignons ; mettez un fer assez fort & assez couvert, du côté des oignons mêmes : que l'étampure soit ordinaire, & ne differe que par une moindre qualité de ce même côté : le tout pour gêner & pour contraindre la partie tuméfiée, & pour ne pas l'offenser par la brochure ; ce qui réussit quelquefois, pourvû que les oignons ne proviennent pas d'une tumeur formée dans les parties molles.

Ferrure du pié comble. Voyez SOLE. Laissez, en parant le pié, autant de talon que vous le pourrez, & tachez de conserver à cette partie toute sa force : blanchissez la sole : ne coupez point avec le boutoir, la pince ni les quartiers ; mais servez-vous à cet effet du rogne-pié : forgez un fer extrèmement fort, à commencer depuis la voûte jusqu'à la partie interne des deux éponges, le dehors en étant extrèmement mince ; qu'il soit très couvert, sans néanmoins que les éponges puissent gêner la fourchette : étampez-le assez maigre, & sur-tout en pince : voûtez-le à proportion du pié, de maniere qu'il ne porte pas absolument sur la sole, mais qu'il la contraigne un peu : placez-le en talon le plus qu'il vous sera possible, sans qu'il y garnisse trop, & qu'il s'avance ; brochez au surplus assez avant.

Taillez autant de talon que vous le pourrez, parce que ces piés manquent ordinairement par cette partie. On ne doit que blanchir la sole, parce que dès que toute sa force sera conservée, elle résistera davantage, non-seulement à celle de l'impulsion des liqueurs, mais encore à l'impression du fer, qui doit la gêner & la contraindre ; vous le forgerez très-fort sur la voûte, dès-lors il ne pliera point. Cette précaution est d'autant meilleure, que ces sortes de piés travaillent beaucoup sur cette partie ; & que si le fer plioit, il les élargiroit, & en emporteroit tout l'ongle. Il ne sera pas aussi épais en-dehors, parce qu'il seroit trop pesant. Les étampures seront maigres & bien en pince, attendu qu'il faut nécessairement rogner pour donner la forme au pié. Vous placerez le fer beaucoup en talon, autrement le pié seroit trop long : vous brocherez avant, pour que l'ongle, que vous devez d'ailleurs rogner, puisse soûtenir le fer : vous ferrerez plus court que long, dans la crainte que le talon ne s'use davantage, & le cheval en marchera plus à son aise : enfin voûtez proportionnément le fer, parce que la sole étant contrainte, elle cessera d'avoir une nourriture aussi abondante ; & que celle qui s'y portoit y affluant en moindre quantité, & se distribuant sur les autres parties, la difformité sera réparée insensiblement & avec le tems.

Tel est le juste milieu que l'on doit prendre. Je ne proscris point entierement la méthode des fers voûtés, pourvû que la contournure ne soit point celle que les Maréchaux leur donnent ordinairement ; contournure si défectueuse, qu'elle met enfin le cheval hors de service : car ces sortes de fers gênant l'ongle par leur bord extérieur, renvoyent toute la nourriture à la sole, dont le volume augmente sans-cesse, & qui croît & saillit en-dehors de plus en plus, parce que d'ailleurs elle n'est en aucune façon contrainte & resserrée.

Ferrure d'un pié gras ou foible, d'un pié trop long en pince & en talon ; & d'un pié trop petit. Parez le pié gras à l'ordinaire ; que le fer que vous y ajusterez n'ait rien de particulier, & qu'il soit étampé plus maigre, dans la crainte de serrer ou de pénétrer le vif en brochant.

Quant au pié trop long en pince, rognez-le : à l'égard du pié trop long en talon, abattez cette partie, & que les fers n'y avancent point trop : pour les piés trop petits, votre fer débordera tout-autour, à l'effet de faciliter l'extension de l'ongle.

Ferrure d'un cheval arqué, brassicourt, droit sur ses membres, bouté, rampin. Voyez JAMBE. Pour obvier à ces défauts essentiels, on doit considérablement abattre les talons ; & outre ce grand retranchement, vous y ajusterez un fer dont les éponges seront beaucoup plus minces que la pince : étampez-le encore plus en cette partie qu'en talon, & ferrez extrèmement court.

Par le fort abatement des talons, vous parerez au vice principal qui resulte du défaut d'extension, & de la retraction même du tendon. Le fer sera beaucoup moins épais en talon qu'en pince, toûjours dans la même intention ; & pour ne pas détruire par le fer les effets qui doivent suivre la parure, vous étamperez plus en pince qu'en talon, parce que le talon étant fort abattu, les lames pourroient intéresser les parties molles ; & vous ferrerez extrèmement court, afin que le talon porte toûjours plus bas. Si l'animal est bouté, vous lui mettrez ensuite de la même parure, un fer de mulet (voyez FERRURE DES MULETS), relevant plus ou moins en pince pour l'asseoir toûjours davantage sur les talons, pour contraindre la partie à rentrer sur la ligne qu'elle a quittée dans ce cas, & pour remettre le cheval dans sa position naturelle.

Il est cependant important d'observer qu'une extension trop subite des tendons retirés, causeroit des douleurs inévitables à l'animal, & occasionneroit infailliblement une claudication : aussi ne doit-on l'asseoir ainsi qu'insensiblement, par degrés, & en facilitant le jeu de cette partie par des applications d'herbes émollientes, telles que les feuilles de mauve, guimauve, & de bouillon-blanc, que l'on fait bouillir jusqu'à ce qu'elles acquierent une consistance palpeuse. On les place sur la partie postérieure du canon, depuis le genou jusqu'au boulet ; on les y arrête par le moyen d'une ligature ou d'un bandage (voyez LIGATURE, PANSEMENT, EXTENSION), & on les humecte plusieurs fois par jour avec ce qui reste de la décoction de ces mêmes plantes.

Ferrure des chevaux qui se coupent, & qui forgent. Voyez FORGER. Nous disons qu'un cheval s'entretaille ou se coupe, lorsqu'en cheminant il touche sans-cesse & à chaque pas avec le pié qu'il meut, le boulet de la jambe qui est à terre ; de maniere qu'à l'endroit frappé le poil paroît totalement enlevé, & qu'il résulte souvent de ce heurt ou de ce frottement continuel, une plaie plus ou moins profonde, que l'on apperçoit aisément à la partie latérale interne du boulet, & d'autres fois derriere le boulet même, surtout lorsque l'animal a été vivement troté sur des cercles ou à la longe. Voyez TROT & LONGE.

Il s'entre-taille plus communément des piés de derriere que de ceux de devant ; souvent il ne se coupe que d'un pié, quelquefois de deux, d'autres fois encore de tous les quatre ensemble.

Quelle que soit la cause du défaut dont il est question, on peut se flater de le détruire par la voie de la ferrure, à moins que la foiblesse de l'animal ne soit telle, qu'il soit absolument à rejetter. Ce n'est pas que je prétende que la ferrure donne de la force, change la conformation du cheval, s'oppose à sa lassitude, diminue sa paresse, & lui forme l'habitude de cheminer ; mais elle l'oblige & le contraint à une situation & à une action, qui éloignent le port de son pié du boulet qui seroit atteint & heurté.

Les chevaux peuvent se couper aux talons ou en pince : dans le premier cas, si après avoir abattu le quartier de dehors jusqu'au vif, & laissé subsister le quartier de dedans dans son entier, vous n'avez pû remplir votre objet, ajustez un fer à la turque, c'est-à-dire un fer dont la branche de dedans ait le triple ou le quadruple d'épaisseur de plus que celle de dehors (voyez FER), & n'étampez point à cette branche : alors le quartier de dedans étant beaucoup relevé, & l'animal reposant beaucoup plus sur celui de dehors, ce qui change la situation de sa jambe & le port de son pié, il ne se coupe plus. J'ai au contraire éprouvé plusieurs fois aussi, qu'en mettant la branche à la turque en-dehors, & en suivant une méthode diamétralement opposée, je parvenois au but auquel il ne m'avoit pas été possible d'arriver par le secours de la premiere.

Dans le second cas, c'est-à-dire dans celui où le cheval se coupera en pince, que votre fer à la turque ne soit pas d'une égale épaisseur dans toute l'étendue de la branche de dedans ; qu'il ait seulement une élevation, un croissant, & point de clous à l'endroit où il se coupera. Si vous en brochez à côté du croissant, rivez-les avec le feu ; brûlez l'ongle au-dessous de la sortie des lames, pour y faire entrer les rivets : & comme le fer à la turque, dans toute l'étendue de la branche de dedans, n'est point arrêté, mettez-y un pinçon capable de le maintenir en place.

Quant au cheval qui forge, ou il forge sur les éponges, ou il forge sur la voûte.

Mettez à celui qui forge sur les éponges, un fer ordinaire dont les éponges ne déborderont point, & seront comme genetées (voyez FER) : abattez beaucoup les talons des piés de devant ; que ceux de derriere soient très-courts & très-relevés en pinces ; que leurs talons soient néanmoins abattus, dans la crainte que le cheval ne devienne rampin : & s'il forge à la voûte, ajustez un fer anglois (voyez FER) en-devant, dont la voûte sera extrèmement étroite.

Ferrure des chevaux qui ont des seymes. Voyez SEYMES, QUARTIERS. Parez le pié à l'ordinaire, abattez les talons, & ajustez un fer à lunette ou un fer à demi-lunette (voyez FER). Le quartier, à l'endroit où est la seyme, ne reposant point sur un corps dur, sera infiniment soulagé, & la seyme pourra se reprendre plus aisément. Substituez ensuite à ce fer à lunette ou à demi-lunette, un fer à pantoufle, à l'effet d'ouvrir les talons qui n'auront pas été maintenus, les éponges des premiers fers ayant été coupées jusqu'à la premiere étampure.

Ferrure des chevaux qui ont des soies ou des piés de boeuf. Voyez SOIE, QUARTIER. Mettez un fer ordinaire ; mais pour empêcher que la partie affectée porte & repose sur le fer, pratiquez un sifflet ; entaillez l'ongle au bas de la pince, au-dessous de la fente & de la division ; & que votre fer ait deux pinçons répondant aux deux cotés du sifflet, afin qu'il soit plus sûrement maintenu.

Ferrure des chevaux qui ont des bleymes. Voyez SOLE. Découvrez, en parant, la bleyme autant qu'il est possible ; abattez le talon sain au niveau de l'autre, pour que le pié soit égal ; ferrez à demi-lunette, pour que la bleyme non contrainte de porter sur un corps dur, se guérisse plus aisément, & pour parer à l'encastelure : ferrez ensuite à pantoufle.

Ferrure des chevaux qui butent. Les termes de buter & de broncher sont ceux dont nous nous servons pour exprimer en général l'action d'un cheval qui fait un faux-pas : il bute, lorsque ce faux-pas est occasionné par le heurt de l'un de ses piés contre un corps quelconque plus ou moins haut, & qu'il auroit franchi, si le mouvement de sa jambe eût été plus relevé : il bronche, lorsque le pié qu'il met à terre est mal assûré & porte à faux. Ces deux vices sont essentiels, si les faux-pas sont souvent répetés ; car l'animal peut enfin tomber & estropier le cavalier, qui d'ailleurs doit être dans une appréhension continuelle, & sans-cesse occupé du soin de soûtenir son cheval. Voyez SOUTENIR. Ils proviennent ordinairement d'une foiblesse naturelle ou d'une foiblesse acquise, & quelquefois aussi de la froideur de l'allure de certains chevaux, ou de leur paresse. J'ai remarqué que dans des chemins difficiles, l'animal sujet à broncher ou à buter, étoit plus ferme que sur un terrein bon & uni, pourvû que celui qui le monte ne le presse point & le soûtienne, en lui laissant néanmoins la liberté de choisir, pour ainsi parler, ses pas. Sans-doute que l'attention du cheval, dans de pareilles circonstances, est fixée par la crainte où il est de buter, de broncher, & de faire une chûte. Du reste il est rare que des chevaux chargés d'épaules, abandonnés sur leur devant, & non assis, & qui ne font montre d'aucune liberté & d'aucune souplesse en maniant leurs membres, ne butent ou ne bronchent, puisqu'ils rasent nécessairement toûjours le tapis.

On conçoit que des jambes fortement usées, des épaules froides, chevillées, foibles, engourdies & paresseuses, ne pourront acquérir plus de perfection dans leur jeu au moyen de la ferrure ; mais on peut du moins par la parure & par l'ajusture du fer, donner à leurs piés une forme telle, qu'elle diminuera la facilité qu'ils auroient à heurter, & à rencontrer les obstacles qui se trouvent sur leur passage. Pour cet effet, abattez beaucoup le talon ; que le fer garnisse fort en pince, & releve legerement : étampez-y gras, puisque le fer doit garnir ; & genetez un peu en talon, parce que n'ayant pas, étant geneté, le même point d'appui, l'animal sera forcé de porter beaucoup moins en pince ; & l'extension du tendon étant plus grande, le mouvement sera beaucoup plus facile.

Ferrure contre les clous de rue & contre les chicots. Voyez SOLE. Il semble que le plus court moyen de défendre cette partie des accidens dont il s'agit, seroit d'employer des fers couverts, tels que ceux que l'on met aux piés des mulets ; mais la différence des piés du cheval & de ceux de ces animaux, ne permet pas d'en user ainsi. La force des piés de devant du cheval réside dans la pince ; celle des piés des mulets dans les talons : or les fers couverts demandent nécessairement que l'on pratique un sifflet pour l'écoulement des eaux qui pénetrent entre l'ongle & le fer ; & cette méthode est absolument impraticable aux chevaux, par la raison que le sifflet fait en pince affoibliroit cette partie, qui est la plus solide : d'ailleurs le pié du cheval naturellement moins sec & plus humide que celui du mulet, se corromproit dans les tems froids, & se dessécheroit dans le tems des chaleurs par la privation de l'air. Le parti que quelques-uns prennent à cet égard, c'est-à-dire pour obvier aux inconvéniens des clous de rue & des chicots, est de ne jamais parer ni la sole ni la fourchette, à moins que la sole ne s'écaille avec le tems ; car alors on enleve la portion qui se détache : on procede ainsi, sous le prétexte que la sole par son épaisseur sera capable de resister à la piquûre des corps qui pourroient pénétrer dans le pié, & en empêchera l'introduction. Mais d'une autre part, cette maniere de ferrure peut endommager le pié, & y susciter d'autres maux plus dangereux quelquefois que ceux dont on veut les préserver.

Ferrure des chevaux sujets à se déferrer. Les chevaux sujets à se déferrer sont ceux dont les piés sont trop gras, trop grands ou trop larges ; ceux qui forgent & ceux dont les piés sont dérobés, c'est-à-dire dont l'ongle est si cassant que la lame la plus déliée y fait des breches considérables près du fer, & laisse entrevoir des éclats à l'endroit où les clous sont rivés. Les premiers exigent que le maréchal broche le plus haut qu'il est possible, l'affilure étant exactement droite ; il est conséquemment obligé malgré lui de risquer de serrer ou d'enclouer. Quant aux seconds, les fers doivent être genetés, & la ferrure ne différera en rien de celle que j'ai prescrit pour les chevaux qui forgent. A l'égard des derniers, on cherchera à contenir le fer par un pinçon ; on l'étampera, & on le percera sans aucune attention aux regles ordinaires, puisqu'il n'est plus de prise aux lieux où devroient être brochés les clous.

Ferrure des mulets. Rarement le pié de ces sortes d'animaux est-il encastelé, vû la force dont sont pourvûs en eux les talons. On doit en général en parer l'ongle, de façon qu'on en resserre les talons s'ils ne se resserrent pas d'eux-mêmes ; mais en les abattant, il ne faut néanmoins pas les trop affoiblir. Ajustez-y un fer à la florentine, c'est-à-dire un fer dont la branche de dehors soit fort couverte, celle de dedans extrèmement étroite & dégorgée ; que la pince en soit couverte & longue ; que l'étampure soit près du bord inférieur du fer à la branche de dehors, & le plus en talon qu'il sera possible ; & quant à la branche de dedans, étampez très-maigre, & que les trous soient au nombre de quatre à chaque branche. Dans le cas où l'on seroit contraint d'en préparer pour le passage des clous à glace, faites-en un de chaque coté de la voûte entre les quatre étampures du dedans & du dehors ; que le fer, si c'est pour le pié de devant, releve beaucoup en pince, & qu'il releve moins, si c'est pour un pié de derriere ; que les éponges en soient très-minces, que la voûte soit très-forte dans tout son contour, que la branche de dedans en égale l'épaisseur en pince, & que l'excédent du fer en-dehors & en pince en ait très-peu. Du reste n'oubliez pas en parant de pratiquer un sifflet : coupez donc l'ongle en pince en forme d'arc, pour faciliter le nettoyement du pié & l'écoulement de l'eau qui sert à ce nettoyement. Observez encore que le fer à la florentine est infiniment préférable aux planches que l'on ajuste communément. Voyez FER. Je conviens que le premier n'est adapté qu'aux bons piés, & que les seconds ne s'employent que pour les piés foibles ; mais dans tous les cas il vaut mieux user de la florentine. Au surplus, lorsque le mulet s'encastele ou est encastelé, on peut donner à ce même fer la figure de la pantoufle, comme on le donne aux planches. Voyez FER.

Ferrure des mulets qui posent le pié à terre à la maniere du cheval. La plûpart des mulets heurtent en posant le pié à terre, la pince y atteint plûtôt que le talon. Il en est néanmoins qui y posent le pié comme le cheval : ceux-ci demandent des fers à cheval dont l'étampure soit très-grasse en-dehors, c'est-à-dire presque dans le bord intérieur du fer, & un peu plus maigre en-dedans ; ce fer aura une égale force, soit dans la voûte, soit dans son rebord extérieur, & relevera beaucoup plus en pince que le fer du cheval.

Ferrure des mulets dont le talon est bas. Parez beaucoup en pince, ouvrez & blanchissez les talons ; mettez un fer à cheval dont les étampures rogneront autour de la voûte. Si l'on étampoit les fers des mulets comme ceux des chevaux, c'est-à-dire en-delà de la voûte du côté extérieur, ils couvriroient dès-lors tout le pié & ne déborderoient point assez, & ils doivent déborder, parce que le mulet a ordinairement le pié trop petit proportionnément à son corps : que ce même fer garnisse en-dehors & en-arriere du talon, qu'il soit relevé en pince, que les deux branches soient égales, afin que les talons portent également ; & faites, si vous le voulez, de chaque côté deux petits crampons, ou en oreille de lievre (Voyez FER), ou suivant la ligne directe de la branche.

Ferrure des mulets dont la fourchette est grasse & les talons bas. Parez la fourchette presque jusqu'au vif, & ferrez-le ainsi que je viens de le prescrire pour le talon bas ; l'éponge étant plus étroite, ne portera pas sur la fourchette.

Ferrure des mulets qui ont des soies. Voyez QUARTIERS, SOIE, SEYME. Les piés de derriere sont plus fréquemment atteints de ce mal que ceux de devant, sur-tout s'ils sont courts en pince. Faites usage de l'opération indiquée dans ces sortes de cas, mais relativement à la ferrure ; pratiquez en pince un sifflet plus grand qu'à l'ordinaire, parce que l'animal portant dès-lors sur les quartiers, la soie se resserrera plus aisément : que ce même fer déborde beaucoup, & que les talons soient au surplus considérablement abattus.

Ferrure des mulets qui ont des seymes. Voy. SEYMES, QUARTIERS. Les seymes exigent la même opération que les soies ; pratiquez-la conséquemment. Ménagez un sifflet au quartier endommagé par la seyme ; abattez beaucoup de talon, & mettez un fer ordinaire.

Ferrure des mulets panards & qui se coupent. Voyez PANARDS. Abattez les quartiers de dehors autant qu'il est possible, afin de faciliter l'appui de la pince ; & maintenez le quartier de dedans en pince plus haut que le talon, pour que ce même talon se tourne plus aisément en-dehors : que le fer soit couvert en-dehors depuis le bout de la pince en-dedans jusqu'au talon, & que la branche de dedans soit à la turque. Voyez FER. Etampez gras, parce que le fer doit déborder en-dehors ; qu'il garnisse beaucoup en talon, sans outrepasser en-arriere en-dedans, & pouvant outrepasser en-arriere en-dehors. On ne peut remédier à cette défectuosité, que par la parure & par le fer, puisque la petitesse du pié de l'animal exclut totalement l'usage du rogne-pié. V. TABLIER. On ne doit pas du reste oublier le sifflet ; & quant à l'ajusture du fer, il sera toûjours également relevé en pince.

Ferrure des mulets qui se coupent en pince. Parez le pié droit, & à l'ordinaire : que la branche de dehors du fer soit très-couverte ; ne changez rien à celle de dedans : que la pince suive la rondeur du pié en-dedans, & la forme de la branche bien courte en-dehors : laissez vis-à-vis l'endroit où vous vous appercevez que le mulet se coupe, une épaisseur plus ou moins considérable ; qu'il n'y ait point d'étampure à cette épaisseur : percez un ou deux trous sur le talon, étampez en-dehors comme de coûtume. On doit cependant avoüer, malgré ces précautions, qu'un fer à cheval conviendroit beaucoup mieux.

Ferrure des mulets qui se coupent par foiblesse de reins & ensuite de quelque effort. Les mulets qui ont fait quelque effort par quelque cause que ce soit, se coupent tous du derriere, & d'autant plus aisément, qu'ils sont ordinairement ferrés de maniere que la pince est beaucoup trop longue : faites-la donc plus courte & plus épaisse, & que la branche de dedans soit à la turque ; ou bien faites à l'éponge un bouton à la turque, qui diminue imperceptiblement à son extrémité. Ce bouton est une sorte de crampon. Que cette même branche soit étampée maigre, pour qu'elle puisse accompagner la rondeur du pié, & que celle de dehors, à laquelle vous laisserez un leger crampon, soit étampée plus gras.

Ferrure des mulets de charrette. Ajustez aux piés des mulets destinés à tirer, un fer à cheval débordant en-dedans, en-dehors, en pince, & relevé à cette derniere partie ; qu'il y ait deux crampons à chaque fer : on ne peut s'en dispenser ; car sans crampon & avec un fer à la florentine, le mulet ne pourroit ni tirer ni retenir.

Ferrure des mulets de charrette qui sont boutés. Ferrez-les de même que ces derniers, mais n'ajoûtez point de crampons : ceux-ci retiendront de la pince.

Quelque long que paroisse cet article, il ne renferme pas néanmoins tous les cas qui peuvent se présenter relativement à la ferrure des chevaux, & relativement à celle des mulets : mais nous avons assez discuté les principes, pour que ces cas cessent de jetter dans l'embarras ceux auxquels ils peuvent s'offrir ; car lorsqu'ils allieront la théorie & la pratique, ils surmonteront tous les obstacles, & leurs progrès seront assûrés. Qui n'admirera pas néanmoins après tous les détails dans lesquels j'ai été contraint d'entrer, la sécurité des maréchaux qui dans la plûpart de leur communauté, & avant d'admettre un aspirant au nombre des maîtres, l'obligent à faire un chef-d'oeuvre de ferrure ? La forme de l'épreuve est singuliere. On choisit un cheval, on le fait passer trois fois en présence de l'aspirant, qui est censé en examiner les piés, & en avoir connu toutes les imperfections & tous les défauts, quoique ces défauts échappent presque toûjours aux yeux des maîtres même. Si la communauté lui est favorable, on lui permet seulement de prendre la mesure des piés : après quoi on renvoye l'aspirant forger les fers nécessaires. Le jour pris & fixé pour le chef-d'oeuvre, l'aspirant pare le pié d'après la routine qu'il s'est fait en errant de boutique en boutique, & il attache les fers forgés tels qu'ils sont : car il est expressement défendu de les porter de nouveau à la forge, il doit ferrer à froid : il est donc obligé de se conduire en cette occasion, comme la plus grande partie de ceux qui composent la communauté se conduisent en opérant, c'est-à-dire qu'il prépare & qu'il accommode à leur imitation le pié au fer, plûtôt qu'il n'ajuste le fer pour le pié. Je laisse aux lecteurs le soin de juger des suites d'une opération ainsi pratiquée : mais j'ai de la peine à croire qu'ils puissent concilier d'une part les plaintes qu'excite l'ignorance de ces sortes d'ouvriers, & dont retentissent unanimement toutes les villes du royaume, & de l'autre le peu d'attention que l'on a d'y remédier en leur fournissant les moyens de s'instruire. Voyez MARECHAL. Voyez au surplus FER, FERRER, TABLIER, FORGER. (e)


FERSE de toile(Marine) On appelle ferse, un lé de toile ; & dans ce sens on dit qu'une voile a tant de ferses, pour désigner sa hauteur & sa largeur. C'est la même chose que cueille. Voyez CUEILLE. (Z)


FERTÉ-ALAIS(LA) Géog. petite ville de l'île de France dans le Gatinois, sur le ruisseau de Juine, à 7 lieues S. de Paris. Long. 20d. 2'. lat. 48d. 26'. Le nom de Ferté, commun à plusieurs places de France, signifie un lieu fort bâti sur quelque roche ferme.

En effet on voit dans l'histoire de notre nation, que les François avoient des places fortes, plûtôt destinées à se mettre à couvert de l'incursion des ennemis, qu'à loger des habitans. L'auteur des annales de Mets les appelle Firmitates. Nous lisons dans l'histoire ecclésiastique d'Orderic. Vital. page 738. Tales tantique hostes ad pontem ferreum castra metati sunt, & firmitatem illam confestim expugnaverunt. Brompton, historien anglois, s'est servi de ce terme que Somner explique ainsi dans son glossaire : " Un lieu, dit-il, fortifié, un donjon, une espece de citadelle " ; & il le dérive du saxon. Nos anciens poëtes ont dit fermeté dans le sens de firmitas.

Li ont tolu par la guerre

Et ses castiaux, & ses cités ;

Et ses bourgs, & ses fermetés.

dit Philippe Mouskes. Et dans la vie de Bertrand du Guesclin, pag. 18. " Et n'y avoit audit chastel guere de gens qui puissent garder la fermeté ". De fermeté on a fait ferté, pour signifier une forteresse, une place de guerre. Dans le roman de Garin,

Le siége a mis environ la Ferté.

Ce terme subsiste encore : car il y a plusieurs villes & châteaux que l'on appelle la Ferté, en y ajoûtant un surnom pour les distinguer ; comme la Ferté-Alais qui a donné lieu à la remarque qu'on vient de transcrire, la Ferté-Bernard, la Ferté-Milon, & tant d'autres qu'on trouvera dans les dictionnaires géographiques, ainsi que dans Trévoux.

Dans le cartulaire de Philippe-Auguste, fol. 23, on joint le nom de celui qui a fait bâtir la forteresse ; comme dans la Ferté-Milon, la Ferté -Baudoüin.

La Ferté-Alais, en latin Firmitas Adelaidis, tire son nom, suivant Adrien de Valois, de la comtesse Adelaïde femme de Gui le Rouge, ou de la reine Adelaïde épouse, de Louis VII. & mere de Philippe-Auguste. Voyez sur tout ce détail ce savant écrivain, Notit. Gall. pag. 194. Pasquier, recherch. lib. VIII. chap. xxxviij. &c. (D.J.)

FERTE-BERNARD, (Géog.) petite ville de France dans le Maine sur l'Huisne, à six lieues du Mans. Elle est la patrie de Robert Garnier poëte françois, né en 1534, mort vers l'an 1595, & dont les tragédies ont été admirées avant le regne du bon goût. Long. suivant Cassini, 18d. 10'. 5". latit. 48d. 11'. 10". (D.J.)

FERTE-MILON, (la) Géog. petite ville de l'île de France sur l'Ourque, uniquement remarquable par la naissance du célebre Racine, qui après avoir partagé le sceptre dramatique avec Corneille, est mort à Paris le 22 Avril 1699, âgé de 60 ans, & comblé de gloire dans la carriere qu'il a courue. Heureux s'il eût été aussi philosophe que grand poëte ! Long. 20d. 40'. lat. 49d. 8'. (D.J.)


FERTEou SCHREVE, s. m. (Comm.) mesure d'Allemagne pour les liquides. Le fertel est de quatre masses, & il faut vingt fertels pour une ame. Le fertel se nomme vertel à Heidelberg. Voyez les articles FEODER, MASSE, &c. Dict. de Comm. de Trév. & de Chambers. (G)

FERTEL ou FERTELLE, (Commerce) mesure des grains qui contient le quart d'un boisseau. Elle n'est guere en usage que dans le pays de Brabant. On se sert aussi du fertel au Fort-Louis du Rhin, pour mesurer les grains. Quelques-uns l'appellent sac. Le fertel ou sac de froment de cette ville, pese 161 livres poids de marc, le méteil 156, & le seigle 150. Voy. MESURE, MUID, Dict. de Comm. de Trévoux, & de Chambers. (G).


FERTILEFERTILITé, (Jard.) se dit d'une terre qui répondant aux soins du jardinier, du vigneron, du laboureur, rapporte abondamment. (K)


FERULEferula, s. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleurs, en rose, disposées en ombelle & composées de plusieurs pétales, rangées en rond & soûtenues par un calice, qui devient dans la suite un fruit, dans lequel il y a deux semences fort grandes de forme ovoïde, applaties & minces, qui quittent souvent leur enveloppe. Ajoûtez aux caracteres de ce genre, que les feuilles de la férule sont à-peu-près semblables à celles du fenouil & du persil. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

FERULE, (Jard.) La férule vient dans les pays chauds, en Languedoc, en Provence, en Italie, en Sicile, en Espagne, en Grece, en Afrique, à Tanger, &c. On la cultive dans les jardins de quelques curieux. On en compte quatorze à quinze especes, parmi lesquelles il faut distinguer les férules de France ou d'Italie, de celle de la Grece ; & la férule de Grece, de celle d'Afrique.

La férule ordinaire se nomme ferula ; offic. ferula major, seu foemina Plini, Boerh. alt. 64. C. B. P. 148. Tourn. Inst. 321. Ses racines sont longues, un peu branchues, vivaces : elle pousse des tiges moelleuses, legeres, hautes de sept à huit piés, garnies de leur bas de feuilles fort grandes, branchues, découpées en une infinité de lanieres. Ses feuilles embrassent la tige par leur queue, qui est creusée en forme de gouttiere : elles sont d'un verd foncé & plombé. L'extrémité de la tige est garnie de branches, qui sont soûtenues par de petites feuilles coupées en quelques lanieres. Ses branches portent des ombelles de fleurs, composées chacune de cinq petits pétales jaunâtres, soûtenus par un fruit qui contient deux semences applaties, longues d'un demi-pouce sur quatre lignes de largeur.

C'est des tiges de cette espece de férule qui vient en Italie, en France, en Espagne, sur les côtes de la Méditerranée, dont Martial parloit quand il a dit qu'elle étoit le sceptre des pédagogues, à cause qu'ils s'en servoient à châtier les écoliers, ferulaeque tristes sceptra paedagogorum cessent, lib. X. épigram. & c'est de-là que le mot de férule est demeuré à l'instrument, soit de bois, soit de cuir, dont on use encore aujourd'hui dans les colléges. C'est encore de-là, suivant les apparences, que férule, en termes de Liturgie, signifioit dans l'église orientale un lieu séparé de l'église, dans lequel s'assembloient les pénitens du second ordre, & où ils se tenoient en pénitence : Ibi stabant sub ferula ecclesiae.

Comme le bois de la férule est très-leger, & néanmoins assez ferme, les auteurs racontent que les vieillards s'en servoient ordinairement en guise de canne. On l'attribuoit à Pluton, apparemment, dit Tristan (comment. hist. tom. I. pp. 46 & 47. où l'on trouvera plusieurs remarques sur la férule, en partie bonnes, en partie mauvaises), pour conduire les morts ; ou parce que Pluton étoit représenté sous la figure d'un vieillard ; ou plûtôt, selon mon idée, parce qu'il étoit le roi des enfers, car la férule étoit, comme nous le dirons tout-à-l'heure, la marque du commandement. Pline (liv. IV. chap. xij.) rapporte que les ânes mangent cette plante avec beaucoup d'avidité & sans aucun accident, quoiqu'elle soit un poison aux autres bêtes de somme. La vérité de cette observation n'est pas justifiée par l'expérience, du moins en Italie, & ne le seroit pas vraisemblablement davantage en Grece.

On cultive cette espece de férule assez communément dans les jardins ; elle y vient fort bien : plantée dans un bon terroir, elle s'éleve à plus de douze piés de haut & se partage en plusieurs branches qui s'étendent beaucoup ; de sorte que si on la met trop près d'autres plantes, elle les suffoque & les détruit. Elle meurt l'automne dans le bas, & pousse cependant au printems suivant. Elle fleurit en Juin, & ses graines sont mûres en Septembre.

La férule de Grece nommée par Tournefort, ferula glauco folio, caule crassissimo, ad singulos nodos ramoso & ombellifero. Coroll. Inst. rei herb. xxij, mérite ici sa place. Elle croit en abondance dans l'isle de Skinosa, où elle y a même conservé son ancien nom parmi les Grecs d'aujourd'hui, qui l'appellent nartheca, du grec littéral narthex, dit Tournefort. Voyez Hist. du Levant, tom. I.

Elle porte une tige de cinq piés de haut, de l'épaisseur d'environ trois pouces, noüeuse ordinairement de dix pouces en dix pouces, branchue à chaque noeud, couverte d'une écorce assez dure de deux lignes d'épaisseur. Le creux de cette tige est rempli d'une moëlle blanche, qui étant bien seche, prend feu tout comme la meche : ce feu s'y conserve parfaitement bien, & ne consume que peu-à-peu la moëlle, sans endommager l'écorce ; ce qui fait qu'on se sert de cette plante pour porter du feu d'un lieu à un autre. Cet usage est de la premiere antiquité, & nous explique le passage de Martial, où il fait dire aux férules, Epig. lib. XIV. " Nous éclairons par les bienfaits de Prométhée ".

Clara, Promethei munere, ligna summus.

Cet usage peut aussi servir par la même raison à expliquer l'endroit où Hésiode parlant du feu que Promethée vola dans le ciel, dit qu'il l'emporta dans une férule, .

Le fondement de cette fable vient sans-doute de ce que Prométhée, selon Diodore de Sicile, Bibl. Hist. lib. V. fut l'inventeur du fusil d'acier, , avec lequel on tire, comme l'on dit, du feu des cailloux : Prométhée se servit vraisemblablement de moëlle de férule au lieu de meche, & apprit aux hommes à conserver le feu dans les tiges de cette plante.

Ces tiges sont assez fortes pour servir d'appui, & trop legeres pour blesser ceux que l'on frappe : c'est pourquoi Bacchus, l'un des grands législateurs de l'antiquité, ordonna sagement aux hommes qui boiroient du vin, de porter des cannes de férules, . Plato in Phaed. parce que souvent, dans la fureur du vin, ils se cassoient la tête avec des bâtons ordinaires. Les prêtres du même dieu s'appuyoient sur des tiges de férule : elle étoit aussi le sceptre des Empereurs dans le bas empire ; car on ne peut guere douter que la tige, dont le haut est plat & quarré, & qui est empreinte sur les médailles de ce tems-là, ne désigne la férule. L'usage en étoit fort commun parmi les Grecs, qui appelloient leurs princes , c'est-à-dire porte-férules.

La férule des Grecs, qui étoit autrefois la marque de l'autorité des rois, & qu'on employoit alors avec art en particulier, pour faire les ouvrages d'ébénistes les plus précieux, se brûle à-présent dans la Pouille en guise d'autre bois, & ne sert plus en Grece qu'à faire des tabourets. On applique alternativement en long & en large les tiges seches de cette plante, pour en former des cubes arrêtés aux quatre coins avec des chevilles : ces cubes sont les placets des dames d'Amorgos. Quelle différence, dit M. de Tournefort, de ces placets aux ouvrages auxquels les anciens employoient la férule !

Plutarque & Strabon remarquent qu'Alexandre tenoit les oeuvres d'Homere dans une cassette de férule : on en formoit le corps de la cassette, que l'on couvroit de quelque riche étoffe, ou de quelque peau relevée de plaques d'or, de perles, & de pierreries : celle d'Alexandre étoit d'un prix inestimable ; il l'a trouva parmi les bijoux de Darius qui tomberent entre ses mains. Ce prince, après l'avoir examinée, la destina, selon Pline, à renfermer les poëmes d'Homere, afin que l'ouvrage le plus parfait de l'esprit humain fût enfermé dans la plus précieuse cassette. Dans la suite, on appella narthex toute boîte dans laquelle on gardoit des onguens de prix. Enfin les anciens medecins donnerent ce titre aux livres importans qu'ils composerent sur leur art : je pourrois prouver tout cela par beaucoup de traits d'érudition, si c'en étoit ici le lieu ; mais je renvoye le lecteur à Saumaise, & je passe à la férule d'Arménie.

La férule d'Arménie, ferula orientalis, cachryos folio & facie. Coroll. Inst. rei herb. xxij. est décrite par M. de Tournefort dans son voyage du Levant, lett. xjx. t. III. où il en donne la figure. Sa racine est grosse comme le bras, longue de deux piés & demi, branchue, peu chevelue, blanche, couverte d'une écorce jaunâtre, & qui rend du lait de la même couleur. La tige s'éleve jusqu'à trois piés, est épaisse de demi-pouce, lisse, ferme, rougeâtre, pleine de moëlle blanche, garnie de feuilles semblables à celles du fenouil, longues d'un pié & demi ou deux, dont la côte se divise & subdivise en brins aussi menus que ceux des feuilles de la cachrys ferulae folio, semine fungoso, laevi, de Morisson, à laquelle cette plante ressemble si fort, qu'on se tromperoit si on ne voyoit pas les graines. Les feuilles qui accompagnent les tiges sont beaucoup plus courtes & plus éloignées les unes des autres : elles commencent par une étamine longue de trois pouces, large de deux, lisse, roussâtre, terminée par une feuille d'environ deux pouces de long, découpée aussi menu que les autres.

Au-delà de la moitié de la tige, naissent plusieurs branches des aisselles des feuilles ; ces branches n'ont guere plus d'un empan de long, & soûtiennent des ombelles chargées de fleurs jaunes, composées depuis cinq jusqu'à sept ou huit pétales longs de demi-ligne. Les graines sont tout-à-fait semblables à celles de la férule ordinaire, longues d'environ demi-pouce, sur deux lignes & demi de large, minces vers le bord, roussâtres, legerement rayées sur le dos, ameres, & huileuses.

Dioscoride & Pline ont attribué à la férule de Grece & d'Italie de grandes vertus. Ils ont dit, entr'autres choses, que la moëlle de cette plante étoit bonne pour guérir le crachement de sang & la passion céliaque ; que sa graine soulageoit la colique venteuse, & excitoit la sueur ; que sa racine séchée détergeoit les ulceres, provoquoit l'urine & les regles. Nos médecins sont détrompés de toutes ces fadaises, & vraisemblablement pour toûjours.

L'espece de férule à laquelle la Médecine s'intéresse uniquement aujourd'hui, est celle d'Afrique, de Syrie, de Perse, des grandes Indes, non pas par rapport aux propriétés de sa moëlle, de sa racine, de ses feuilles, ou de ses graines, mais parce que c'est d'elle que découle le galbanum, ou dont il se tire : on en donnera la description au mot GALBANUM. En vain l'on incise les diverses tiges des autres especes de férules, le lait qui en sort, de même que les grumeaux qui se forment naturellement sur d'autres tiges, ne ressemblent point à cette substance grasse, ductile, & d'une odeur forte, qui participe de la gomme & de la résine, & que nous nommons galbanum. Voyez GALBANUM. Article de M(D.J.)

FERULE, (Hist. anc. & mod.) petite palette de bois assez épaisse, sceptre de pédant, dont il se sert pour frapper dans la main des écoliers qui ont manqué à leur devoir. Ce mot est latin, & l'on s'en est servi pour signifier la crosse & le bâton des prélats : il vient, à ce qu'on prétend, de ferire, frapper ; car anciennement on châtioit les enfans avec les tiges de ces sortes de plantes ; & c'est delà que le mot de férule est demeuré à l'instrument dont on se sert pour châtier les enfans. Voyez l'article précédent.

En termes de Lithurgie, férule signifie dans l'église d'Orient, un lieu séparé de l'église, où les pénitens ou cathécumenes du second ordre appellés auscultantes, se tenoient, & n'avoient pas permission d'entrer dans l'église. Le nom de férule fut donné à ce lieu, parce que ceux qui s'y tenoient étoient en pénitence par ordre de l'église, sub ferulâ erant ecclesiae. Voyez PENITENCE, CATHECUMENE, &c. Dict. de Trévoux & Chambers. (G)

FERULE, (Hist. ecclés.) bâton pastoral que les Latins appelloient pedum & caniboca, marque de dignité que portoient non-seulement les évêques & les abbés, mais même quelquefois les papes. Luitprand, hist. liv. VI. chap. xj. raconte que le pape Benoît ayant été dégradé, se jetta aux piés du Pape Léon & de l'empereur, & que rendant au premier la férule ou bâton pastoral, celui-ci le rompit & le montra au peuple. Voyez CROSSE. (G)


FESCAMP(Géog.) Fiscamnum, petite ville de France en Normandie au pays de Caux, assez commerçante avec un port défendu par une tour, & une ancienne abbaye royale de Bénédictins. Voy. sur cette abbaye dom Duplessis, descr. géog. & hist. de la haute Normandie. Fescamp est proche la mer, entre le Havre de Grace & Dieppe, sur une petite riviere à huit lieues du Havre de Grace, 12 sud-oüest de Dieppe, 45 nord-est de Paris, Long. 18. 1. 45. lat. 49. 46. 0. (D.J.)


FESCENNI(vers) adj. m. (Littérat.) en latin fescennini versus, vers libres & grossiers qu'on chantoit à Rome dans les fêtes, dans les divertissemens ordinaires, & principalement dans les nôces.

Les vers fescennins ou saturnins (car on leur a donné cette seconde épithete), étoient rudes, sans aucune mesure juste, & tenoient plus de la prose cadencée que des vers, comme étant nés sur le champ & faits pour un peuple encore sauvage, qui ne connoissoit d'autres maîtres que la joie & les vapeurs du vin. Ces vers étoient souvent remplis de railleries grossieres, & accompagnées de postures libres & de danses deshonnêtes. On n'a qu'à se représenter des paysans qui dansent lourdement, qui se raillent par des impromptus rustiques ; & dans ces momens, ou avec une malignité naturelle à l'homme, & de plus aiguisée par le vin, on les voit se reprocher tour-à-tour tout ce qu'ils savent les uns des autres : c'est ce qu'Horace nous apprend dans une épître qu'il adresse à Auguste :

Fescennina per hunc inventa licentia morem.

Versibus alternis, opprobria rustica fudit.

Epist. 1. lib. II. v. 145.

Les vers libres & obscenes prirent le nom de fescennins, parce qu'ils furent inventés par les habitans de Fescennie, ville de Toscane, dont les ruines se voyent encore à un bon quart de lieue de Galèse.

Les peuples de Fescennie accompagnoient leurs fêtes & leurs réjoüissances publiques, de représentations champêtres, où des baladins déclamoient des especes de vers fort grossiers, & faisoient mille bouffonneries dans le même goût. Ils gardoient encore moins de mesure dans la célébration des nôces, où ils ne rougissoient point de salir leurs poésies par la licence des expressions : c'est de-là que les Latins ont dit, fescennina licentia, & fescennina locutio, pour marquer principalement les vers sales & deshonnêtes que l'on chantoit aux nôces.

Ces sortes de vers parurent sur le théatre, & tinrent lieu aux Romains de drame régulier pendant près de six vingt ans. La satyre mordante à laquelle on les employa, les décrédita encore plus que leur grossiereté primitive ; & pour lors ils devinrent vraiment redoutables. On rapporte qu'Auguste, pendant le Triumvirat, fit des vers fescennins contre Pollion, mais que celui-ci, avec tout l'esprit propre pour y bien répondre, eut la prudence de n'en rien faire ; " parce que, disoit-il, il y avoit trop à risquer d'écrire contre un homme qui pouvoit proscrire ".

Enfin Catulle voyant que les vers fescennins employés pour la satyre étoient proscrits par l'autorité publique, & que leur grossiereté dans les épithalames n'étoit plus du goût de son siecle, il les perfectionna & les châtia en apparence du côté de l'expression : mais s'il les rendit plus chastes par le style, en proscrivant les termes grossiers, ils ne furent pas moins obscenes pour le sens, & bien plus dangereux pour les moeurs. Les termes libres d'un soldat gâtent moins le coeur, que les discours fins, ingénieux, & délicatement tournés d'un homme qui fait métier de la galanterie. Pétrone est moins à craindre dans ses ordures grossieres que ne le sont des expressions voilées semblables à celles dont le comte de Bussy Rabutin a revêtu ses Amours des Gaules. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FESOLou FIESOLI, (Hist. ecclés.) congrégation de religieux, qu'on nomme aussi les freres mendians de saint Jérôme. Elle a eu pour fondateur le B. Charles, fils du comte de Montgranello, qui s'étant retiré dans une solitude au milieu des montagnes voisines de Fiésole, ville épiscopale de Toscane, fut suivi de quelques autres personnes pieuses, & donna ainsi naissance à cette congrégation. Le Pape Innocent VII. l'approuva, c'est pourquoi Onuphre en met la fondation sous son pontificat ; mais elle avoit commencé du tems du schisme d'Avignon, vers l'an 1386. Les papes Grégoire XII. & Eugene IV. la confirmerent aussi sous la regle de S. Augustin. (G)


FESSEou FISEN, (Géog.) contrée de Numidie qui confine avec les deserts de la Libye, & dans laquelle sont les ruines d'Eléocat, à 60 journées du Caire. Cette contrée comprend plusieurs villages & villes dont, la capitale est à 44d de long. & à 26 de latit. Voyez Marmol, & de la croix sur l'Afrique. (D.J.)


FESSERv. act. en terme d'Epinglier ; c'est l'action de battre un paquet ou botte de fil de laiton à force de bras sur un billot, en le tenant d'un côté, & le tournant de l'autre à mesure qu'on le fesse. Par-là la rouille en tombe, & il devient d'un jaune plus ou moins vif, selon qu'il a été fessé plus ou moins longtems, & par de meilleurs bras. Voyez les Planches de l'Epinglier.


FESSESS. f. pl. (Anat.) sont deux parties charnues, inférieures & postérieures du tronc, sur lesquelles l'homme s'assied. Trois muscles composent principalement les fesses, savoir le grand, le moyen, & le petit fessier. Voyez en les art. au mot FESSIER.

Le grand fessier cache, outre le petit fessier, une portion du moyen, & s'étend jusqu'au tiers supérieur de l'os de la cuisse. On apperçoit, après les avoir détachés, d'autres muscles disposés en maniere de rayons, & qui viennent se terminer aux environs du grand trochanter. Ces muscles sont le pyramidal, qui sort du bassin par l'échancrure ischiastique ; ensuite le cannelé, qui est creusé pour donner passage aux tendons de l'obturateur interne ; enfin le quarré, qui est au niveau de la tubérosité de l'os ischium. Quoique tous ces muscles ayent un usage relatif à la cuisse, ils paroissent par leur situation ne lui point appartenir.

Aucun des animaux quadrupedes n'a de fesses, à proprement parler ; ce que l'on prend pour cette partie, appartient proprement à leurs cuisses. L'homme est le seul qui se soûtienne dans une position droite & perpendiculaire. C'est en conséquence de cette position des parties inférieures du corps humain, qu'est relatif ce renflement au haut des cuisses qui forme les fesses, & d'ou dépend l'équilibre. En effet, comme la masse du ventre s'étend en-devant d'un côté à l'autre dans l'espece humaine, cette masse se trouve balancée en-arriere par une autre masse, qui sont les fesses ; sans quoi le corps pancheroit trop en avant : aussi les femmes ont naturellement les fesses plus grosses que les hommes, parce qu'elles ont le ventre plus gros.

Les personnes qui, sans avoir de grosses fesses, ont un gros ventre, se panchent en-arriere ; celles au contraire qui ont les fesses trop grosses, sans avoir le ventre gros, se panchent en devant. Les femmes enceintes se panchent toutes en arriere, ce qui fait le contre-poids de leur gros ventre : par la même raison, les femmes qui ont la gorge grosse & avancée, se tiennent, choses égales, plus droites que celles qui l'ont maigre & plate. En un mot le corps ne manque jamais, sans même que nous y pensions, de se porter de la maniere la plus convenable pour se soûtenir en équilibre ; & il n'est personne qui ne prenne cet équilibre, comme s'il en savoit parfaitement les regles.

Si cependant un enfant contractoit l'habitude d'avancer trop le derriere, on demande quel est le moyen de corriger cet enfant : je réponds que ce seroit, au cas qu'il n'eût point les jambes trop foibles, de lui mettre un plomb sur le ventre ; ce poids obligeroit bientôt cette partie à revenir en-devant, & le derriere à s'applatir. Un second moyen seroit de donner à l'enfant un corps piqué qui repousse les fesses : par la raison contraire, le moyen de l'empêcher d'avancer le ventre, est de lui donner un corps dont la pointe de devant soit assez longue pour repousser le ventre. Article de M(D.J.)

FESSES D'UN VAISSEAU, (Marine) Ce mot, qui n'est guere en usage, se dit particulierement de la rondeur ou des façons qui sont à l'arriere d'une flûte sous les trepots. (Z)

FESSES, (Manége) Nous appellons de ce nom dans le cheval, la partie de l'arriere-main qui commence directement à la queue, & qui dans les extrémités postérieures descend & se termine au pli que l'on apperçoit à l'opposite du grasset.

FESSES LAVEES, voyez FEU, (marque de). (e)


FESSIERS. m. (Anatom.) nom de trois muscles considérables, extenseurs de la cuisse, & qui ont encore d'autres usages.

Le grand fessier s'attache au coccyx, aux apophyses épineuses de l'os sacrum, à la face externe de l'os des iles. Il adhere très-fortement à la gaîne tendineuse, qui le recouvre extérieurement, & à deux ligamens, qui partant de l'os sacrum, se rendent, l'un à la crête des iles, & l'autre à l'ischium. Le tendon de ce muscle se fléchit vers le dos du grand trochanter, sur lequel est fixé en partie au-dessous de l'extrémité du moyen fessier, un bourrelet délié qui facilite le jeu de ce tendon sur le grand trochanter. On observe de semblables bourrelets dans les insertions du moyen & du petit fessier. Le tendon du grand fessier se termine dans une ou deux fosses inégales qu'on voit à la partie supérieure de la ligne âpre. Ce muscle éleve le fémur postérieurement vers l'épine du dos, & tourne en même tems un peu en-arriere sa partie extérieure. Lorsqu'un fémur est fléchi en-avant, il l'écarte aussi de l'autre.

Le moyen fessier vient de toute la largeur de la face externe de l'os des iles, & d'une aponévrose dont il est extérieurement enveloppé : il se retrécit ensuite, jusqu'à ce qu'il n'ait plus qu'une largeur égale à la hauteur du grand trochanter, auquel il s'attache obliquement depuis sa racine jusqu'à son extrémité la plus élevée. Ce muscle éloigne un fémur de l'autre : le fémur étant porté en-haut & en-avant, il le tourne de maniere qu'il dirige un peu vers le fémur la partie qui est alors supérieure.

Le petit fessier occupe la face externe de l'os des iles : d'abord assez délié, il est grossi ensuite par des fibres qui viennent de l'os ; il commence à devenir tendineux vers le milieu de sa partie extérieure. Ce muscle finit vers la partie antérieure du grand trochanter, qui s'étend le long de son côté externe, depuis sa racine jusqu'au haut ; il s'attache, avant que de finir, à la capsule de l'articulation de la cuisse ; il meut la cuisse, de même que le moyen fessier.

On appelle aussi arteres & veines fessieres, les branches des hypogastriques qui se distribuent dans les fesses. (g)


FESTAGES. m. (Jurisp.) dans quelques anciens titres, est dit pour droit de festin ou fête que certains chapitres ou bénéficiers doivent à leur supérieur ecclésiastique, ou au seigneur à son avenement. Voyez le glossaire de Lauriere, au mot FESTIN. (A)

FESTAGE se trouve aussi écrit dans quelques anciens titres, au lieu de faistage, droit seigneurial dû pour le faîte de chaque maison, mais on doit dire & écrire faistage. Voyez ci-devant FAISTAGE. (A)


FESTIN(Littér.) voyez REPAS.

FESTINS ROYAUX. On n'a point dans cet article le vaste dessein de traiter des festins royaux que l'histoire ancienne nous a décrits, encore moins de ceux de tant de princes d'Europe qui, pendant les siecles obscurs qui ont suivi la chûte de l'Empire, ne se sont montrés magnifiques dans les occasions éclatantes, que par une profusion déplacée, une pompe gigantesque, une morgue insultante. Ces assemblées tumultueuses, presque toûjours la source des vaines disputes sur le rang, ne finissoient guere que par la grossiereté des injures, & par l'effusion du sang des convives. V. hist. de France de Daniel, & Mezeray, &c.

Les festins, dégoûtans pour les siecles où la politesse & le goût nous ont enfin liés par les moeurs aimables d'une société douce, n'offrent rien qui mérite qu'on les rappelle au souvenir des hommes ; il suffit de leur faire appercevoir en passant que, c'est le charme & le progrès des arts qui seul en a successivement délivré l'humanité.

Par le titre de cet article nous désignons ces banquets extraordinaires que nos Rois daignent quelquefois accepter dans le sein de leur capitale ou en d'autres lieux, à la suite des grandes cérémonies, telle que fut celle du sacre à Rheims en 1722, le mariage de S. M. en 1725, &c.

C'est un doux spectacle pour un peuple aussi tendrement attaché à son Roi, de le voir au milieu de ses magistrats s'entretenir avec bonté dans le sein de la capitale, avec les personnages établis pour représenter le monarque & pour gouverner les sujets.

Ces occasions sont toûjours l'objet d'une réjoüissance générale, & l'hôtel-de-ville de Paris y déploye, pour signaler son zele, sa joie & sa reconnoissance, le goût le plus exquis, les soins les plus élégans, les dépenses les mieux ordonnées.

Tels furent les arrangemens magnifiques qui se déployerent le 15 Novembre 1744, jour solemnel où le Roi, à son retour de Metz, vint joüir des transports d'amour & de joie d'un peuple qui venoit de trembler pour ses jours.

Nous donnons le détail de ces festins, 1°. parce qu'ils ont été occasionnés par les évenemens les plus intéressans ; 2°. parce que les décorations qui les ont accompagnés appartiennent à l'histoire des Arts ; 3°. enfin parce qu'il est bon de conserver le cérémonial observé dans ces sortes d'occasions.

Décoration générale pour le festin royal du 15 Novembre 1744.

La décoration de la place devant l'hôtel-de-ville, étoit.

Un arc de triomphe placé entre la maison appellée le coin du roi, & la maison qui fait encoignure sur la place du côté du quai.

Cet arc de triomphe avoit 70 piés de face sur 87 piés d'élevation, & d'un ordre d'architecture régulier, représentant un grand portique. Il étoit orné de quatre colonnes grouppées, d'ordre ionique, sur la principale face : & de quatre colonnes isolées sur les deux retours ; un grand attique au-dessus de l'entablement, sur lequel étoit un grouppe de relief de 48 piés de face sur 28 piés de haut, représentoit le Roi couronné de laurier par une renommée placée debout dans un char tiré par quatre chevaux, dont le Roi tenoit les rênes d'une main, & un bâton de commandant de l'autre. Plusieurs trophées de guerre & de victoire ornoient la face & le retour de cet attique.

Quatre figures allégoriques étoient placées sur les pié-d'estaux, entre les colonnes.

Les deux sur la face principale, représentoient la paix & la victoire ayant ces mots écrits au-dessous, aut haec, aut illa.

Le grand édifice étoit construit en relief, & peint de différens marbres.

Au-devant de l'attique & au-dessous du Roi, étoient écrits en lettres d'or sur un fond de marbre, en deux lignes, Ludovico redivivo, Ludovico triumphatori.

Le pourtour de la place de l'hôtel-de-ville étoit décoré par une colonnade divisée en quinze grouppes d'ordre ionique & de relief, montés sur des socles & pié-d'estaux, & couronnés de leur entablement : au-dessus de ces grouppes étoient dressés des trophées dorés, représentant différens attributs de guerre & de victoire.

Cette colonnade étoit peinte de différens marbres, dont les bases & chapiteaux étoient dorés. Les fûts des colonnes étoient ornés de guirlandes de lauriers. D'un grouppe à l'autre de cette colonnade partoient des guirlandes pareilles, qui formoient un entablement à l'autre.

Les fonds des piés-d'estaux étoient ornés de trophées peints en bronze doré, & représentoient différens attributs de victoire.

La face extérieure de l'hôtel-de-ville avoit été nettoyée & reblanchie en toute sa hauteur, y compris les pavillons & les cheminées ; le cadran peint à neuf & redoré, ainsi que les inscriptions ; la statue équestre d'Henri IV. rebronzée, & la porte principale peinte & redorée.

Au-dessus & au-dehors de la croisée du milieu, étoit placée une grande couronne royale en verre transparent & de couleur, ornée de pentes de gaze d'or & de taffetas cramoisi, qui descendoient jusque sur l'appui de cette croisée.

Au milieu de la place ordinaire aux canons, au bas du quai Pelletier, étoit représenté par des décorations un corps de fontaine dont l'architecture étoit traitée en pierre, & d'une construction rustique.

La calotte & le dessus de l'entablement étoient ornés de trophées & attributs convenables à la fontaine & à l'objet de la fête.

Dans l'intérieur de cette fontaine étoit placée une grande cuve qui avoit été remplie de douze muids de vin, qui fut distribué au peuple par trois faces de cette fontaine : elle commença à couler au moment de l'arrivée du Roi à l'hôtel-de-ville, & ne cessa qu'après son départ.

A côté de cette fontaine, & adossé au mur du quai, étoit dressé un amphithéatre par gradins, orné de décorations, sur lequel étoient placés des musiciens qui joüerent de toutes especes d'instrumens toute la journée & bien avant dans la nuit.

Aux deux côtés de cet amphithéatre étoient disposés deux especes de balcons ornés de décorations, & c'étoit par-là que se faisoit la distribution au peuple, du pain & des viandes.

La place au centre de laquelle étoit cette fontaine, étoit entourée de plusieurs poteaux qui formoient un parc de toute l'étendue de la place ; sur lesquels étoient des girandoles dorées, garnies de forts lampions.

Ces poteaux étoient ornés & entourés de laurier, dont l'effet formoit un coup-d'oeil agréable, pour représenter des arbres lumineux.

D'une tête de poteau à une autre étoient suspendues en festons à double rang, une quantité considérable de lampes de Surene *, qui se continuoient au pourtour de la place.

Le pourtour de la barriere de l'hôtel-de-ville étoit fermé de cloisons de planches peintes en pierres, pour empêcher le peuple d'entrer dans l'intérieur du perron.

Les murs de face de la cour, les inscriptions & armoiries ont été blanchis, ainsi que le pourtour du péristile, les murs, voûtes, escaliers, corridors & passages de dégagement.

Sur le pallier du milieu du grand escalier étoient deux lustres de crystal, & plusieurs girandoles en cire le long des murs des deux rampes.

La grande salle n'avoit point de piece qui la précédât : on construisit une antichambre ou salle des gardes, de plain-pié à la grande salle ; on la prit sur la cour, & le dessous forma par cet ordre un péristile au rez de chaussée de la cour.

Cette salle des gardes étoit construite d'une solide

* Ce nom leur a été donné du lieu où elles furent inventées pendant le cours des fêtes que l'électeur de Baviere donna à Surene. Voyez LAMPES & SURENE.

charpente & maçonnerie, elle procuroit une entrée à la grande salle par son milieu ; & loin de gâter la symmétrie & l'ordonnance de la cour, elle l'a rendoit plus réguliere.

Les sept fenêtres de la grande salle furent garnies de grandes croisées neuves à grands carreaux & à deux battans, avec des espagnolettes bronzées.

Le pourtour de la salle étoit décoré d'un lambris d'appui : les cadres & les panneaux en étoient dorés.

Les murs, trumeaux, embrasemens & plafonds des croisées de cette salle, ainsi que le pourtour des tableaux, étoient recouverts de damas cramoisi en toute la hauteur, bordé d'un double galon d'or.

Le dessus de la nouvelle porte d'entrée étoit orné d'un grand panneau d'étoffe cramoisi, enrichi d'un grand cartouche qui renfermoit le chiffre du Roi.

Toutes les croisées étoient garnies de rideaux de taffetas cramoisi, bordé d'un galon d'or, avec frange au pourtour.

Les portieres ouvertes & feintes étoient de damas cramoisi, & garnies d'un double galon d'or.

La peinture & dorure de ces portes avoient été renouvellées, & toutes les ferrures des portes & des croisées étoient bronzées.

La salle étoit garnie de banquettes cramoisi : sur la cheminée, du côté de la chambre qui étoit destinée au Roi, étoit placé un riche dais, sur la queuë duquel étoit le portrait de S. M.

Ce dais étoit de damas cramoisi, chargé de galons d'or, & des aigrettes de plumes blanches au-dessus.

Le buste du Roi, en marbre blanc, étoit placé au-dessous de ce tableau, sur une console dorée.

Le trumeaux des fenêtres étoient garnis chacun de trois girandoles de crystal, posées sur des consoles richement sculptées & dorées.

Le mur opposé aux trumeaux étoit pareillement garni de girandoles disposées avec symmétrie.

Dans la longueur de la grande salle pendoient quatorze beaux lustres de forts crystaux disposés en rangs en des dispositions variées, mais relatives entr'eux, & d'une symmétrie fort élégante.

Dans cette grande salle étoit dressé, dans l'angle à côté de la cheminée, un amphithéatre en gradins, sur lequel étoient placés soixante musiciens qui devoient exécuter des morceaux de musique pendant le festin du Roi.

Cet amphithéatre étoit couvert tout-autour de damas cramoisi galonné d'or.

Le grand buffet de vermeil de la ville étoit dressé dans l'angle de l'autre cheminée, vis-à-vis de l'amphithéatre où étoit la symphonie.

Les deux cheminées étoient garnies de grandes grilles neuves, ornées de belles & grandes figures de bronze doré.

Le plancher de la salle étoit couvert de tapis de Turquie, & d'un double tapis de perse à l'endroit où le Roi devoit se mettre à table.

La table pour le festin du Roi, que S. M. avoit permis que l'on dressât avant son arrivée, étoit placée dans cette grande salle. Elle avoit trente piés de longueur sur huit piés de large ; elle étoit composée de neuf parties, sur quatre piés brisés en forme de piés de biche : elle avoit été faite pour trente-deux couverts.

Les appartemens destinés pour le Roi, pour la Reine, pour monseigneur le Dauphin, pour Mesdames, étoient décorés avec la plus grande magnificence ; mais la Reine & Mesdames ne vinrent point à l'hôtel-de-ville.

Décoration de la cour de l'Hôtel-de-Ville.

Aux deux côtés de la statue de Louis XIV. étoient deux grand lis de fer-blanc, garnis d'un grand nombre de forts lampions.

Au-devant de chaque colonne du premier ordre étoient des torches dorées, portant chacune des girandoles dorées à neuf branches, garnies de bougies.

Le surplis de ces colonnes, jusqu'à leurs chapiteaux, étoit garni de deux panneaux de lampions, dont le supérieur formoit un coeur.

Au centre de chaque arcade étoit suspendu un lustre de crystal, au-dessus duquel étoit une agraffe dorée, d'où sortoient des festons & chûtes de fleurs d'Italie.

Les embrasemens de chaque arcade étoient garnis de girandoles dorées à cinq branches. L'architecture de ce premier ordre étoit garnie d'un fil de lampions au pourtour.

Le dessus de l'entablement étoit garni de falots. Les colonnes du second ordre étoient décorées & garnies chacune d'un génie de ronde bosse d'or, portant d'une main une girandole dorée à sept branches, & de l'autre main tenant une branche de laurier qui montoit en tournant autour du fût de la colonne jusqu'au chapiteau : cette branche de laurier étoit dorée.

Dans la frise de l'entablement, au-dessus des colonnes, étoient des médaillons d'or à fond d'azur, avec fleurs-de-lis & chiffres alternativement rehaussés d'or.

Au centre de chacune des croisées ceintrées étoit placé un lustre de crystal, suspendu par un noeud doré.

Au-dessus de chaque lustre étoit une grande agraffe dorée, d'où sortoient des festons aussi dorés.

Au-dessus de l'entablement du second ordre étoient placées des lanternes de verre, formant pavillons au-dessus des colonnes, & festons au-dessus des croisées ceintrées.

Au-devant de la lucarne, au-dessus de la statue du roi, étoit un tableau transparent, avec une inscription portant ces mots : Recepto Caesare felix. Le nouveau péristile étoit orné de lustres de crystal, & de girandoles dorées sur les colonnes & les embrasemens des arcades.

L'ancien péristile étoit orné de cinq lustres de crystal, dont celui du milieu en face du premier escalier, étoit à vingt-quatre branches, avec festons & chûtes de fleurs d'Italie qui formoient un pavillon.

Sur le pallier du milieu du grand escalier étoit un lustre, aussi bien que dans le vestibule & dans tous les corridors.

Marche du Roi.

Sur les deux heures le Roi partit du château des Tuileries ; ayant devant & derriere ses carrosses les gendarmes, chevaux-legers, les deux compagnies des mousquetaires, & ses gardes-du-corps.

Comme la route de sa Majesté étoit par la rue S. Honoré, celle du Roule, & celle de la Monnoie, la ville avoit fait élever pour son passage une fontaine de vin à la croix du Trahoir, & on y distribuoit au peuple du vin & de la viande. Sa Majesté étant au commencement du quai de Gesvres, les boites & les canons de la ville firent une décharge, & le conduisirent à ce bruit jusque dans l'hôtel-de-ville.

Sa Majesté étant arrivée dans la place, y trouva les gardes françoises & suisses ; les gendarmes & les chevaux-legers filerent du côté de la rue du Mouton, & les mousquetaires allerent par-dessus le port pour se poster à la place aux Veaux.

Lorsque le Roi fut arrivé près la barriere de l'hôtel-de-ville avec ses gardes-du-corps, il fut reçu à la descente de son carrosse par le prevôt des marchands & les échevins, qui mirent un genou à terre : ils furent présentés par M. le duc de Gesvres comme gouverneur, & conduit par M. Desgranges maître des cérémonies.

M. le prevôt des marchands complimenta sa Majesté, laquelle répondit avec sa bonté naturelle ; & sa Majesté s'étant mise en marche pour monter l'escalier, les prevôt des marchands & échevins passerent avant sa Majesté, laquelle trouva sur le haut de l'escalier les gardes-du-corps en haie & sous les armes.

Elle fut conduite dans la grande salle en passant par la salle des gardes, & de-là dans son appartement, dont la porte étoit gardée par les huissiers de la chambre, & qui avoient sous leurs ordres des garçons, que la ville avoit fait habiller de drap bleu galonné en argent, pour servir de garçons de la chambre, tant chez le Roi que dans l'appartement de monseigneur le Dauphin.

Monseigneur le Dauphin qui étoit arrivé avec le Roi, de même que les princes & autres seigneurs, le suivirent dans son appartement.

Les prevôt des marchands & échevins s'étoient tenus dans la grande salle ; le Roi ordonna de les faire entrer & M. le gouverneur les présenta à sa Majesté tous ensemble, & chacun en particulier.

Quelque tems après M. le prevôt des marchands eut l'honneur de présenter un livre relié en maroquin bleu sur vélin & en lettres d'or, à sa Majesté, à monseigneur le Dauphin, & aux princes. Il contenoit une ode faite pour la circonstance, & qui fut exécutée en musique pendant le festin de sa Majesté.

Sur les trois heures M. le prevôt des marchands, qui étoit sorti un instant de l'appartement du Roi, y rentra, & eut l'honneur de dire à sa Majesté qu'elle étoit servie. Le Roi sortit de son appartement, passa dans la grande salle, & se mit à table.

Pendant le festin, l'ode qui avoit été présentée au Roi fut exécutée ; & il y eut d'autres morceaux de musique exécutés par la symphonie. Pendant le festin, M. le prevôt des marchands eut l'honneur de servir le Roi.

Outre la table de sa Majesté, il y avoit plusieurs tables pour les seigneurs & les personnes de considération, qui n'avoient pas été nommées pour la table du Roi, Il y avoit aussi des tables pour les personnes de la suite du Roi, pour les gardes-du-corps, les pages, &c.

Après le festin, le Roi & monseigneur le Dauphin passerent dans leur appartement. Le Roi regarda par ses croisées l'illumination de la place.

Toutes les parties principales de l'architecture de l'arc de triomphe étoient dessinées & représentées en illumination & en relief, suivant leurs saillies & contours ; ce qui composoit environ quatorze mille lumieres, tant en falots qu'en lampes à plaque.

Les entablemens de la colonade autour de la place, étoient garnis de falots ; les fûts des colonnes étoient couverts de tringles, portant un grand nombre de lampes à plaque ; les couronnemens des pié-d'estaux étoient pareillement garnis de falots.

Le corps de la fontaine qui étoit dans le milieu de la place ordinaire des canons, étoit décoré d'un grand nombre de lumieres en falots ou lampes à plaque, qui traçoient la principale partie de la décoration & ses saillies.

Tout le pourtour de cette fontaine qui formoit une salle de lumieres, & les poteaux, étoient illuminés par des lustres de fil-de-fer, avec lampes de Surene ; & les doubles guirlandes de lampes qui joignoient chaque poteau ou pié d'arbre, faisoient un effet admirable.

Au-dehors & sur les retours de la barriere de l'hôtel-de-ville, étoient quatre grands ifs de fer en consoles bronzées, portant chacun cent cinquante fortes lampes.

La face extérieure de l'hôtel-de-ville étoit illuminée de cette maniere.

Les deux lanternes du clocher étoient garnies de lampes à plaque, qui figuroient les ceintres des arcades, avec festons de lumieres au-devant des appuis.

Le pourtour du pié-d'estal & du grand socle étoit orné de forts lustres de fil-de-fer, garnis de lampes de Surene, & leurs corniches avec des falots.

Le grand comble du milieu étoit orné à ses extrémités, de deux grandes pyramides circulaires, garnies de lampes de Surene.

Le faîte & les arrêtiers étoient bordées de falots. La face principale de ce comble & celle des deux pavillons, étoient garnies en plein de lampes à plaque.

Les entablemens des deux pavillons, l'acrotaire du milieu & le grand entablement, étoient bordés de falots.

L'illumination de la cour étoit telle qu'elle est décrite ci-devant.

Après avoir considéré quelque tems l'illumination de la place, le Roi sortit de son appartement avec monseigneur le Dauphin, descendit dans la cour ; il regarda quelque tems l'illumination, & monta dans son carosse.

On croit devoir ajoûter à ces premiers détails, la description du souper du Roi à l'hôtel-de-ville, le 8 Septembre 1745, après les mémorables victoires de la France.

Le cérémonial de tous ces festins est toûjours le même : mais les préparatifs changent, & forment des tableaux nouveaux qui peuvent ranimer l'industrie des Arts : les articles de ce genre ne peuvent donc être faits dans l'Encyclopédie avec trop de zele & de soin. Puissent-ils y devenir des archives durables de la magnificence & du goût d'une ville illustre, dont le bon ordre & l'opulence attirent dans son sein tous les Arts, & qui par le concours immense des plus excellens artistes de l'Europe, est unanimement regardée comme l'école de l'Univers !

Souper du Roi en banquet royal dans l'hôtel-de-ville le 8 Septembre 1745.

Sur les sept heures du soir, leurs Majestés, avec toute la famille royale, entrerent dans la place de l'hôtel-de-ville, précedées des détachemens des deux compagnies des mousquetaires, des chevaux-legers, des gardes-du-corps, & des gendarmes. Les gardes françoises & suisses bordoient la place des deux côtés.

Le carosse de sa Majesté étant devant la barriere de l'hôtel-de-ville, MM. de la ville s'avancerent de dix pas au-dehors de la barriere de l'hôtel-de-ville, M. le duc de Gesvres les ayant présentés aussi-tôt que sa majesté fut descendue de carrosse, ils mirent un genou à terre, & M. le prevôt des marchands fit un discours au Roi.

Ces messieurs qui étoient vêtus de leurs robes de velours, prirent aussi-tôt le devant, & conduisirent le Roi, la Reine, monseigneur le Dauphin, madame la Dauphine, & Mesdames, dans la grande salle, & de-là à l'appartement du Roi, où ils eurent l'honneur d'être encore présentés au Roi, par M. le duc de Gesvres.

Sur les huit heures & demie du soir M. le prevôt des marchands demanda l'ordre du Roi pour faire tirer le feu d'artifice. On commença par faire une décharge des boîtes & des canons ; ensuite on tira les fusées volantes, & différentes pieces d'artifices qui parurent d'une forme très-nouvelle. Le feu d'abord forma une brillante illumination, & au haut de l'artifice étoit un Vive le Roi, dont le brillant & la nouveauté frappa d'admiration tous les spectateurs. L'artifice étoit disposé de façon qu'il s'embrasa tout-à-coup, & que les desseins ne perdirent rien à sa rapidité. Le Roi qui parut fort satisfait, vit tirer ce feu à la croisée du milieu de la grande salle ; les deux croisées à côté étoient distinguées & renfermées dans une estrade de la hauteur d'une marche, entourée d'une balustrade dorée : elle étoit couverte : ainsi que toute l'étendue de la salle, d'un tapis. Il y avoit un dais au-dessus de ladite croisée du milieu, sans queue ni aigrette ; & au-dehors de cette croisée sur la place, étoit un autre dais très-riche avec aigrette & queue.

La Reine y étoit aussi. Il y avoit deux fauteuils pour leurs Majestés ; & la famille royale & toute la cour, étoient sur cette estrade sur des banquettes.

Après le feu, leurs Majestés passerent dans la salle des gouverneurs, qui avoit été décorée en salle de concert. On y exécuta une ode sur le retour de sa Majesté. Les vers étoient de M. Roy ; MM. Rebel & Francoeur en avoient fait la musique.

Pendant le concert, on avoit ôté l'estrade de la grande salle & les tapis, pour dresser la table.

Le Roi, après le concert, rentra dans son appartement ; la Reine & la famille royale l'y suivirent, & M. le prevôt des marchands eut l'honneur de dire au Roi que sa Majesté étoit servie : alors le Roi, la Reine & toute la famille royale, allerent se mettre à table.

La table contenoit quarante-deux couverts. Le Roi & la Reine se mirent à table au bout du côté de l'appartement du Roi, dans deux fauteuils ; & sur le retour à droite, étoit sur un pliant monseigneur le Dauphin ; à gauche sur le retour, madame la Dauphine ; à droite, après monseigneur le Dauphin, étoit madame premiere ; à gauche, après madame la Dauphine, étoit madame seconde ; à droite, après madame premiere, étoit madame la duchesse de Modene, & tout de suite après elle étoit mademoiselle de la Roche-sur-Yon ; & de l'autre côté, après madame seconde, étoit madame la princesse de Conti, & ensuite toutes les dames de la cour.

Le Roi & la Reine & la famille royale furent servis en vaisselle d'or, & les princesses en vaisselle de vermeil. M. le prevôt des marchands eut l'honneur de servir le Roi.

La salle étoit remplie de personnes de la premiere considération qui étoient entrées par des billets, des officiers des gardes-du-corps, du premier gentilhomme de la chambre de M. le duc de Gesvres.

La décoration de la grand salle étoit telle.

Etant d'usage d'appuyer les planchers lorsque le Roi honore de sa présence l'hôtel-de-ville, il avoit été mis quatorze forts poteaux sous la portée des poutres, au-devant des trumeaux des croisées sur la place, & à l'opposé, & deux autres près des angles. Ces seize poteaux étoient recouverts & ornés de thermes ou cariathides, sur des piés-d'estaux ; ils représentoient les dieux & déesses de la Victoire, avec leurs attributs. Le corps des figures étoit en blanc, pour imiter le marbre, & les gaînes étoient en marbre de couleur rehaussé d'or, ainsi que les piés-d'estaux. Le plafond étoit tendu d'une toile blanche au-dessous des poutres, encadrée d'une bordure dorée, faisant ressaut au-dessus des cariathides. Les embrasemens des croisées sur la place étoient ornés de chambranles dorés, & les traverses ceintrées embellies de guirlandes sur les montans & au-dessous des traverses.

La face opposée aux croisées étoit répétée de symmétrie, & figuroit des croisées feintes. Les portes ouvrantes & feintes étoient pareillement ornées de chambranles. Les fonds & les embrasemens étoient garnis de taffetas cramoisi, enrichi de galons d'or, & ils formoient des panneaux & des compartimens dessinés avec goût. Les deux cheminées avoient été repeintes, les ornemens redorés, ainsi que les draperies des figures.

Cette salle, à laquelle la décoration donnoit la forme d'une galerie, étoit ornée & éclairée par quatorze beaux lustres qui pendoient du plafond, disposés à quatre rangs, d'une position variée, pour l'alignement & la hauteur. Les retours de chacun des seize pié-d'estaux étoient ornés de deux girandoles à cinq branches, formant des bouquets de lis. Au-devant de chacune des gaînes des cariathides étoit une guirlande à sept branches, composée de branches de fleurs. Au-devant de la cheminée, du côté de la chambre du Roi, étoit dressé un riche dais avec une queue, sur laquelle étoit le portrait du Roi. Le buste de marbre du Roi étoit au-dessous, sur une console, dorée, posée sur le chambranle de la cheminée. La cheminée opposée du côté de la chambre de la Reine, avoit été de même répeinte & redorée ; & pour l'éclairer, il avoit été fait deux consoles dorées, qui paroissoient être tenues par les deux figures couchées sur le chambranle pour porter deux girandoles de cristal.

L'orchestre où s'exécutoit le concert pendant le souper, étoit à un des côtés de cette cheminée ; il étoit composé de cinquante instrumens, & recouvert de taffetas cramoisi galonné d'or.

Le buffet de la ville étoit dressé dès le matin dans la partie de cette salle, auprès de la cheminée du côté de la chambre du Roi.

Au bas, pour le souper, il y avoit un petit buffet particulier pour le Roi & la Reine, & la famille royale.

Après le souper, qui dura deux heures, le Roi passa avec la Reine & la famille royale dans son appartement. Ils virent par les fenêtres l'illumination de la place.

Illumination de la place.

Le pourtour de la place étoit décoré par quinze pié-d'estaux quarrés, qui portoient des drapeaux entrelacés de lauriers, & entouroient le pié d'un grouppe de lumieres ; treize autres piés triangulaires portoient des pyramides ou ifs de lumieres, & chacune de ces vingt-huit pieces portoit quatre-vingt & cent grosses bougies, ce qui faisoit environ trois mille lumieres. Le contour du feu d'artifice étoit illuminé, ensorte que cela faisoit tableau pour les quatre faces.

Après avoir examiné l'illumination de la place, leurs Majestés & la famille royale quitterent les appartemens, & descendirent dans la cour.

L'enceinte de la cour étoit ornée d'une chaîne de guirlandes de fleurs, qui formoient des festons d'une colonne à l'autre, avec de belles chûtes au-devant des colonnes, & sur les lustres des croisées du second ordre. Au-dessus de ces lustres étoient des couronnes de feuilles de laurier. Au-devant du bas de chaque colonne du second ordre, étoit une girandole formant des branches de roseau. Au-devant des piés-droits des croisées ceintrées, étoient d'autres girandoles qui figuroient des bouquets de roses. Au rez-de-chaussée les arcades étoient ornées de lustres, couronnées d'un treffle de fleurs, avec des cordons soie & or, chûtes ; d'où les lustres pendoient. Au-devant du bas de chaque colonne étoit une girandole dorée à fleurs-de-lis. Les embrasemens étoient garnis de filets de terrines. Aux côtés de la statue de Louis XIV. étoient deux grands lis de fer-blanc, garnis de forts lampions. La grande couronne royale transparente étoit placée sur l'entablement supérieur, au-dessus de la croisée du milieu de la nouvelle salle des gardes : au-dessous de cette couronne étoient des pentes de rideaux de taffetas bleu, avec galons & franges d'or, retroussés en forme de pavillon, sous lequel étoit le chiffre du Roi en fleurs : au-dessous & sur l'entablement du premier ordre, étoient les armes de France & de Navarre, soûtenues par des génies aux deux côtés de la couronne. Sur l'entablement étoient posés des grouppes d'enfans, badinant avec des guirlandes qui se joignoient à la couronne & aux guirlandes du pourtour de la cour.

Le grand escalier, le vestibule du premier & du rez-de-chaussée étoient ornés de lustres & de girandoles de fer-blanc : le tout garni de grosses bougies.

Le clocher de l'hôtel-de-ville étoit entierement illuminé, ainsi que le comble de la grande salle.

Leurs Majestés regarderent quelque tems cette illumination, & ensuite descendirent le grand escalier pour monter dans leurs carrosses, avec monseigneur le Dauphin, madame la Dauphine, & Mesdames. MM. de la ville les avoient reconduits jusqu'à leurs carrosses.

Il a été donné par la ville de Paris plusieurs autres festins au Roi, à la Reine, à la famille royale.

Jamais monarque n'a gouverné ses peuples avec autant de douceur ; jamais peuples aussi n'ont été si tendrement attachés à leur roi. (B)


FESTONS. m. (Architecture.) Les festons sont des cordons ou faisceaux de fleurs, de fruits, & de feuilles, liés ensemble plus gros par le milieu, & suspendus par les extrémités d'où ils retombent. Les anciens mettoient autrefois ces ornemens aux portes des temples ou des lieux où l'on célebroit quelque fête : on les employe aujourd'hui dans les frises le long des bordures & autres lieux vuides que l'on veut orner.

On appelle festons postiches ceux qui sont composés de feuilles, de fleurs, & de fruits fabriqués de carton, clinquant, & papier de couleur, qui servent à la décoration momentanée des arcs de triomphe, &c. & quelquefois dans les églises à des fêtes particulieres, ainsi que les festaroles ou les décorateurs le pratiquent en Italie. (P)


FÉTATIOou FOETATION, s. f. (Oecon. anim.) c'est l'acte par lequel est formé le foetus dans le corps de l'animal femelle, c'est-à-dire par lequel il est donné un principe de vie aux rudimens de l'animal contenus dans l'oeuf, un principe de mouvement qui leur est propre : au lieu qu'auparavant ils ne faisoient que participer à celui de l'animal dans le corps duquel se trouve renfermé l'oeuf qui les contient.

Il n'y a d'autre différence entre la fétation & la fécondation, si ce n'est que le premier terme regarde l'embryon qui est vivifié, & le second n'a rapport qu'à l'animal femelle dans lequel se fait ce changement, qui est la conception. Voyez FOETUS, EMBRYON, GENERATION, GROSSESSE, IMPREGNATION, OEUF. (d)


FÊTESFÊTES des Hébreux. On ne sait s’il y avoit des jours de fêtes marqués & reglés avant la loi de Moyse : cependant l’opinion la plus commune est que le jour du sabbat a été de tout tems un jour de fête. C’est la raison pour laquelle Moyse en ordonna la sanctification, non comme une institution nouvelle, mais comme la confirmation d’un ancien usage. Souvenez-vous, dit-il, de sanctifier le jour du sabbat. Ainsi depuis la loi donnée, outre le sacrifice qu’on faisoit tous les jours parmi les Juifs, aux dépens du public, on en faisoit encore une toutes les semaines le jour du sabbat qui étoit leur fête ordinaire, en mémoire de ce que le Seigneur se reposa au septieme jour après avoir créé le monde. Le premier jour de chacun de leurs mois, qui étoient lunaires, étoit aussi parmi eux une fête qu’on appelloit néoménie. Voyez NÉOMÉNIE.

Leurs autres fêtes principales étoient celles de la Pâque, de la Pentecôte, des trompettes, de l'expiation, des tabernacles, de la dédicace du temple, de sa purification par Judas Macchabée nommée encenies, celle qu'ils appelloient purin. Voyez PAQUES, PENTECOTE, TROMPETTES, EXPIATION, ENCENIES, PURIN, &c.

Les Juifs modernes font encore quelques autres fêtes marquées dans leur calendrier, mais dont la plûpart sont d'une institution récente, & étoient inconnues aux anciens. Il faut ajoûter deux observations générales sur toutes les fêtes des Juifs : la premiere, qu'elles commençoient toutes le soir, & finissoient le lendemain au soir ; la seconde, qu'ils s'abstenoient en ces jours-là de toute oeuvre servile, & qu'ils poussoient même quelquefois cette abstinence, à l'égard du sabbat, jusqu'à la superstition, en demeurant dans le repos & l'inaction pour les choses nécessaires à la vie, & même pour leur défense, lorsqu'ils étoient attaqués par leurs ennemis. (G).

FETES DES PAYENS, (Hist. anc.) Numa partagea les jours de l'année en festi, profesti, & intercisi : les premiers étoient consacrés aux dieux, les seconds étoient accordés aux hommes pour vacquer à leurs propres affaires, & les derniers étoient partagés entre les dieux & les hommes.

Les jours de fête, dies festi, étoient encore divisés, suivant Macrobe, saturn. c. xxj. en sacrifices, épulae ou banquets, ludi ou jeux, & feriae, féries. Voyez FERIES, &c. Dies profesti étoient partagés en fasti, comitiales, comperendini, stati, & praeliares. Voyez FASTES, &c.

Les jours de fêtes on ne rendoit point la justice, c'est-à-dire que les tribunaux étoient fermés ; le négoce & le travail des mains cessoit, & le peuple les passoit en réjoüissances. On offroit des sacrifices ; on faisoit des festins ; on célebroit des jeux : il y en avoit de fixes appellés annales ou stativi, & de mobiles. Les premieres fêtes chez les Grecs étoient ces assemblées solemnelles de toute la nation où l'on célebroit des jeux, comme les olympiques, les pythiens, les isthmiens, & les néméens. A l'imitation des Grecs, les Romains donnoient les jours de fêtes des jeux ou dans le cirque, ludi circenses, ou des spectacles sur le théatre, ludi scenici ; c'étoit aux dépens de l'état pour l'ordinaire, & le soin en rouloit sur les principaux magistrats, qui dans certaines occasions, en faisoient eux-mêmes les frais. Parmi les fêtes, il y en avoit de fixées qui revenoient tous les mois, les néoménies chez les Grecs, c'est-à-dire les jours de la nouvelle lune, les calendes, ou le premier jour du mois chez les Latins, les nones qui se célebroient le 3 ou le 7 du mois, & les ides le 13 ou le 15. Ces fêtes étoient consacrées à Jupiter & à Junon.

Sans entrer ici dans un détail d'autant plus inutile du nom & des céremonies propres à chacune de ces fêtes chez les anciens, qu'on les trouvera dans ce Dictionnaire chacune à leur article, qu'il nous suffise de remarquer que quoique ces fêtes paroissent occuper la plus considérable partie de l'année, il ne faut cependant pas s'imaginer que tous les jours fussent employés en solennités qui empêchassent l'artisan de travailler, ni personne de vacquer à ses affaires ; car de ces fêtes un très-petit nombre obligeoit généralement tout le monde ; la plûpart des autres n'étoient, s'il est permis de s'exprimer ainsi, que des dévotions particulieres affectées à certaines communautés ou sociétés, tantôt aux prêtres de Jupiter, tantôt à ceux de Mars, un jour aux sacrificateurs de Minerve, un autre aux Vestales : ainsi le public n'y étoit pas régulierement obligé ; dans la plûpart, on ne s'abstenoit ni de travailler ni de rendre la justice dans les tribunaux ; & Jules Capitolin remarque que l'empereur Antonin regla qu'il y auroit trois cent trente jours dans l'année où l'on pourroit vacquer librement à ses affaires : en sorte qu'il n'en restoit plus que trente-cinq qui fussent universellement fêtés.

Il y avoit outre cela des fêtes qui ne revenoient qu'après un certain nombre d'années révolues, comme les jeux capitolins qui ne se célebroient que tous les cinq ans, les jeux séculaires qu'on ne renouvelloit qu'au bout de cent ans, & d'autres fêtes qui recommençoient tous les dix, vingt, ou trente ans, & qui étoient généralement observées. (G)

FETES DES MAHOMETANS. La fête des Mahométans par chaque semaine est le vendredi : ce jour est pour eux ce qu'est pour nous le dimanche, & ce qu'étoit pour les Juifs le sabbat, c'est-à-dire le jour de la priere publique. Ils ont outre cela deux fêtes solemnelles : la premiere appellée la fête des victimes, qui se fait le dixieme jour du dernier mois de leur année ; la seconde est celle du bairam, qui termine le ramadhan ou carême. Voy. BAIRAM & RAMADHAN.

FETES DES CHINOIS. Ces peuples célebrent deux fêtes solemnelles dans l'année, en mémoire de Confucius, & d'autres moins solemnelles en d'autres jours de l'année. Ils offrent aussi deux fois l'an des sacrifices solemnels aux esprits de leurs ancêtres défunts, & d'autres moins solemnels chaque mois dans la nouvelle & dans la pleine lune, le premier jour de l'an, & dans les solstices. Le quinzieme jour de la premiere lune de leur année, ils allument, en signe de fête, un grand nombre de feux & de lanternes. Le cinquieme jour de la cinquieme lune, & le quinzieme jour de la huitieme, sont encore pour eux des jours de fêtes. Voyez CHINOIS. Les indiens orientaux font aussi des solennités, tant en autonne que dans les autres saisons, en l'honneur de leurs idoles. Les sauvages d'Amérique ont aussi les leurs. Voyez FETES DES MORTS. Enfin il n'est point de peuple qui n'ait eu ses fêtes, pour peu qu'il ait professé quelque religion. (G)

FETES DES CHRETIENS, (Hist. ecclés.) Les fêtes prises en général & dans leur institution, sont proprement des jours de réjoüissance établis dans les premiers tems pour honorer les princes & les héros, ou pour remercier les dieux de quelque évenement favorable. Telles étoient les fêtes chez les peuples policés du paganisme, & telle est à-peu-près l'origine des fêtes parmi les Chrétiens ; avec cette différence néanmoins, que, dans l'institution de nos fêtes, les pasteurs ont eu principalement en vûe le bien de la religion & le maintien de la piété.

En révérant par des fêtes des hommes qu'une vie sainte & mortifiée a rendus recommandables, ils ont voulu nous proposer leur exemple, & nous rappeller le souvenir de leurs vertus ; mais sur-tout en instituant leurs fêtes, ils ont voulu consacrer les grands évenemens de la religion ; évenemens par lesquels Dieu nous a manifesté ses desseins, sa bonté, sa puissance. Telles sont dans le Christianisme la naissance du Sauveur, & sa résurrection ; telles sont encore l'ascension, la descente du S. Esprit, &c.

Les fêtes, qui n'étoient pas d'abord en grand nombre, se multiplierent dans la suite à l'excès ; à la fin tout le monde en a senti l'abus. Ce fut l'un des premiers objets de réforme parmi les Protestans. On a de même supprimé bien des fêtes parmi les Catholiques ; & il semble que l'usage soit aujourd'hui de les retrancher presque partout. Ces changemens au reste se font tous les jours par les évêques, sans que l'église ni le gouvernement ayent rien déterminé là-dessus ; ce qui seroit néanmoins beaucoup plus convenable, pour établir l'uniformité du culte dans les différens diocèses.

Quand l'esprit de piété n'anime point les fideles dans la célébration des fêtes, ce qui n'est que trop ordinaire aujourd'hui parmi nous, il est certain qu'elles nuisent sensiblement à la religion ; c'est une vérité que Dieu a pris soin d'annoncer lui-même par la bouche d'Isaïe, & que M. Thiers, entr'autres modernes, a bien développée de nos jours.

On n'a pas démontré de même, quant à l'intérêt national, à quel point le public étoit lésé dans la cessation des travaux, prescrite aux jours de fêtes. C'est là néanmoins une discussion des plus intéressantes ; & c'est à quoi cet article est principalement destiné.

Les biens physiques & réels, je veux dire les fruits de la terre & toutes les productions sensibles de la nature & de l'art, en un mot les biens nécessaires pour notre subsistance & notre entretien, ne se produisent point d'eux-mêmes, sur-tout dans ces climats ; la providence les a comme attachés & même proportionnés au travail effectif des hommes. Il est visible que si nous travaillons davantage, nous augmenterons par cela même la quantité de nos biens ; & cette augmentation sera plus sensible encore, si nous faisons beaucoup moins de dépense. Or je trouve qu'en diminuant le nombre des fêtes, on rempliroit tout-à-la-fois ces deux objets ; puisque multipliant par-là les jours ouvrables, & par conséquent les produits ordinaires du travail, on multiplieroit à proportion toutes les especes de biens, & de plus on sauveroit des dépenses considérables, qui sont une suite naturelle de nos fêtes ; sur quoi je fais les observations suivantes.

On compte environ trente-sept fêtes à Paris, mais il y en a beaucoup moins en plusieurs provinces. Après une suppression qui s'est faite dans quelques diocèses, il s'y en trouve encore vingt-quatre : partons de ce point-là, & supposons vingt-quatre fêtes actuellement chommées dans tout le royaume. Maintenant je suppose qu'on ne réserve que le lundi de Pâque, l'Ascension, la Notre-dame d'Août, la Toussaint, & le jour de Noël, je suppose ; dis-je, qu'on laisse ces cinq fêtes telles à-peu-près qu'elles sont à présent, & qu'on transporte les autres au dimanche.

On sait qu'il est consacré par-tout aux plus grandes fêtes de l'année, telles que Pâque, la Pentecôte, la Trinité : les autres fêtes les plus solemnelles, comme Noel, la Circoncision, l'Epiphanie, l'Assomption, la Toussaint, se chomment également le dimanche, quand elles tombent ce jour-là, sans qu'on y trouve aucun inconvénient.

Je m'imagine donc que les plus religieux ne désapprouveront pas l'arrangement proposé, sur-tout si l'on se rappelle que la loi d'un travail habituel & pénible fut la premiere & presque la seule imposée à l'homme prévaricateur, & qu'elle entre ainsi beaucoup mieux que les fêtes dans le système de la vraie piété. Maledicta terra in opere tuo ; in laboribus comedes ex eâ cunctis diebus vitae tuae.... in sudore vultûs tui vesceris panne. Genese, 3. 17. 19. En effet, l'établissement arbitraire de nos fêtes n'est-il pas une violation de la loi divine qui nous assujettit à travailler durant six jours, sex diebus operaberis ? Exod. 20. 9. Et peut-il être permis à l'homme de renverser un ordre que Dieu a prescrit lui-même, ordre d'ailleurs qui tient essentiellement à l'économie nationale ? ce qui est au reste si notoire & si constant, que si les supérieurs ecclésiastiques instituoient de nos jours de nouvelles fêtes, de même que des jeûnes, des abstinences, &c. le ministere public, plus éclairé qu'autrefois, ne manqueroit pas d'arrêter ces entreprises, qui ne peuvent avoir lieu qu'après une discussion politique, & de l'aveu du gouvernement ; & qui ne se sont formées pour la plûpart que dans les premiers accès d'une ferveur souvent mal ordonnée, ou dans ces siecles d'ignorance & de barbarie, qui n'avoient pas de justes notions de la piété.

Au surplus, il est certain qu'en considérant les abus inséparables des fêtes, la transposition que je propose est à desirer pour le bien de la religion ; attendu que ces saints jours consacrés par l'Eglise à la piété, deviennent dans la pratique des occasions de crapule & de libertinage, souvent même de batteries & de meurtres ; excès déplorables qui font dire à Dieu par Isaïe, & cela sur le même sujet : " A quoi bon tant de victimes ? Que sert de répandre pour moi le sang des animaux ? Ce n'est point-là ce que j'exige de vous ; j'abhorre vos sacrifices, vos cérémonies, vos fêtes, le sabbat même tel que vous l'observez ; je ne vois dans tout cela que de l'abus & du désordre capable d'exciter mon indignation. En vain vous éleverez les mains vers moi, ces mains sont souillées de sang, je n'écouterai point vos prieres ; mais purifiez votre coeur, ne méditez plus de projets iniques, cessez d'être méchans & pervers, observez la justice, pratiquez la bienfaisance, secourez les opprimés, défendez la veuve & l'orphelin ; après cela venez à moi, venez en toute assûrance, & quand vous seriez tout noircis de crimes, je vous rendrai plus blancs que la neige ". Quò mihi multitudinem victimarum vestrarum, dicit Dominus... ? Quis quaesivit haec de manibus vestris... ? incensum abominatio est mihi. Neomeniam & sabbatum & festivitates alias non feram, iniqui sunt coetus vestri ; calendas vestras & solemnitates vestras odivit anima mea.... Cum extenderitis manus vestras, avertam oculos meos à vobis ; cum multiplicaveritis orationem, non exaudiam, manus enim vestrae sanguine plenae sunt. Lavamini, mundi estote, auferte malum cogitationum vestrarum ab oculis meis, quiescite agere perversè, discite benefacere, quaerite judicium, subvenite oppresso, judicate pupillo ; defendite viduam ; & venite & arguite me, dicit Dominus. Si fuerint peccata vestra ut coccinum, quasi nix dealbabuntur ; & si fuerint rubra quasi vermiculum, velut lana alba erunt. Si volueritis & audieritis me, bona terrae comedetis. Quod si nolueritis & me ad iracundiam provocaveritis, gladius devorabit vos, quia os Domini locutum est. Isaïe, ch. j. v. 11, 12, 13, 14, &c.

Qui ne voit par-là que nos fêtes, dès-là qu'elles sont profanées par le grand nombre, nous éloignent véritablement du but qu'on s'est proposé dans leur institution ?

Mais du reste en les portant comme on a dit aux dimanches, les ames pieuses s'en occuperoient comme auparavant, & comme elles s'en occupent dès-à-présent toutes les fois qu'elles tombent ces jours-là. Rien ne convient mieux en effet pour sanctifier le jour du Seigneur, que d'y faire mémoire des Saints, de les invoquer, chanter leurs louanges ; leur gloire est celle de Dieu même : mirabilis Deus in Sanctis suis. Ps. 67. On peut donc remplir ces pieux devoirs au jour du dimanche, sans perdre civilement des jours que Dieu a destinés au travail. Sex diebus operaberis. Revenons à notre calcul.

Supposant comme on a dit, vingt-quatre fêtes pour tout le royaume, & les chommant desormais le dimanche, à l'exception des cinq des plus solemnelles, c'est dix-neuf fêtes épargnées en faveur de nos travaux ; cependant comme il en tombe toûjours quelques-unes au dimanche, ce qui les diminue d'autant, ne comptons que sur seize journées acquises par la transposition des fêtes.

Nous pouvons évaluer les journées pour hommes & pour femmes dans les campagnes éloignées à six sous prix commun pour toutes les saisons, & c'est mettre les choses fort au-dessous du vrai. Mais, la bonne moitié de nos travailleurs, je veux dire tous ceux qui sont employés dans les villes considérables & dans les campagnes qui en sont voisines, tous ceux-là, dis-je, gagnent au moins du fort au foible quatorze sous par jour. Mettons donc quatorze sous pour la plus forte journée, & six sous pour la plus foible, c'est-à-dire dix sous pour la journée commune.

Nous pouvons mettre au moins cinq sous de perte réelle pour un travailleur, en ce qu'il dépense de plus aux jours de fêtes, pour la parure, pour la bonne chere & la boisson ; article important, & qui pourroit être porté plus haut, puisqu'une fête outre la perte & les dépenses du jour, entraîne bien souvent son lendemain. Voilà donc du plus au moins à toute fête quinze sous de vraie perte pour chaque travailleur ; or quinze sous multipliés par seize fêtes qu'on suppose transportées au dimanche, font pour lui une perte actuelle de douze francs toutes les années.

Je conviens qu'il peut y avoir quelques ouvriers & autres petites gens, sur-tout dans les campagnes, qui en non-travail & surcroît de dépenses, ne perdent pas quinze sous par jour de fête ; mais combien en trouvera-t-on d'autres qui perdent infiniment davantage ? Un bon ouvrier dans les grandes villes, un homme qui travaille avec des compagnons, un chef, un maître de manufacture, un voiturier que le respect d'une fête arrête avec ses chevaux, un laboureur qui perd une belle journée, & qui, au milieu de l'ouvrage demeure à rien faire lui & tout son monde, un maître maçon, un maître charpentier, &c. tous ces gens-là, dis-je, comptant le non-travail & l'augmentation de dépense ne perdent-ils que quinze sous par jour de fête ? D'autre côté les négocians, les gens de plume & d'affaires, qui tous profitent moins pendant les fêtes ; & qui font eux & leur famille beaucoup plus de dépense, ne perdent-ils aussi que quinze sous chacun ? On en jugera sans peine, pour peu qu'on connoisse leur façon de vivre.

Maintenant sur dix-huit à vingt-millions d'ames que l'on compte dans le royaume, supposons huit millions de travailleurs, y compris les artisans, manufacturiers, laboureurs, vignerons, voituriers, marchands, praticiens, gens d'affaires, &c. y compris encore un grand nombre de femmes tant marchandes qu'ouvrieres, qui toutes perdent aux fêtes à-peu-près comme les hommes. Or s'il y a huit millions de travailleurs en France à qui l'on puisse procurer de plus tous les ans seize jours de travail & d'épargne, à quinze sous par jour, ou comme on a vû à douze francs par année, c'est tout d'un coup quatre-vingt-seize millions de livres que les fêtes nous enlevent, & que nous gagnerions annuellement si l'on exécutoit ce que je propose.

En effet, l'argent n'entrant dans le royaume, & sur-tout les biens physiques ne s'y multipliant qu'à proportion du travail & de l'épargne, nous les verrons croître sensiblement dès que nous travaillerons davantage, & que nous dépenserons moins. Conséquemment tous nos ouvrages, toutes nos marchandises & denrées deviendront plus abondantes & à meilleur compte, & nos manufactures ne seront pas moins fructueuses que celles des Anglois, des Allemands, & des Hollandois, à qui la suppression des fêtes est devenue extrèmement profitable.

Au reste, outre la perte du tems & les frais superflus qui s'ensuivent de nos fêtes, elles dérangent tellement les foires & les marchés, que les commerçans voituriers & autres ne savent bien souvent à quoi s'en tenir là-dessus ; ce qui cause immanquablement de l'inquiétude & du dommage ; au lieu que si nos fêtes étoient supprimées ou mises au dimanche ; les marchés ordinaires ne seroient plus dérangés. A l'égard des foires qui suivroient les fêtes transposées, on pourroit les fixer au lundi d'après chaque fête, elles y seroient beaucoup mieux qu'aux jours maigres qui ne sont jamais commodes pour la tenue des foires.

Quoi qu'il en soit ; il est certain que les fêtes nuisent plus qu'on ne sauroit dire à toutes sortes d'entreprises & de travaux, & qu'elles contribuent même à débaucher les ouvriers : elles leur fournissent de fréquentes occasions de s'enivrer ; & l'habitude de la crapule une fois contractée, se réveille malheureusement au milieu même de leur occupation ; on ne l'éprouve que trop tous les jours, pour peu qu'on fasse travailler. On voit avec chagrin que les ouvrages languissent, & que rien ne se finit qu'avec beaucoup de lenteur ; le tout au grand dommage du public, sur qui tombent ces retardemens & ces pertes. On peut dire encore que la décision des procès & l'expédition des autres affaires souffrent beaucoup des fêtes, & il n'est pas jusqu'aux études classiques qui n'en soient fort dérangées.

Les Arméniens, en partie catholiques, & tous négocians des plus habiles, sentant le préjudice que leur causoient les fêtes, les ont toutes mises au dimanche, à l'exception de quatre. Voyez état présent de l'Empire ottoman, page 406. Une disposition semblable fut proposée à Rome en 1741 ou 1742 ; & après une discussion de plusieurs années sur cette matiere importante, le pape Benoît XIV. à-présent regnant, a laissé toute liberté en Italie de retrancher ou de modifier le nombre des fêtes : c'est pourquoi, disent des journalistes non suspects en cette matiere, " plusieurs évêques de ce pays-là ont considéré que les dimanches & quatre ou cinq grandes solennités suffisoient au peuple, & qu'il ne falloit pas lui laisser dans une multitude d'autres fêtes, le prétexte ou l'occasion de perdre son tems, son argent, son innocence, & le fruit de l'instruction des pasteurs. En conséquence, nous dit-on, les retranchemens ont été faits ; & après quelques petites contradictions, qui étoient le cri de la coûtume plûtôt que de la piété, tout le monde a été content ". Journ. de Trév. I. vol. de Mai 1754.

Pareil retranchement s'est fait dans les états du roi de Prusse & dans les Pays-Bas catholiques (Gazette de France, 21 Août 1751) : un autre enfin tout récemment dans l'Autriche & pays héréditaires, où l'on a supprimé tout-d'un-coup vingt-quatre fêtes (Mercure d'Avril 1754) ; desorte que dans tout le monde chrétien nous sommes aujourd'hui presque les seuls esclaves sur cela de l'ignorance & de la coûtume ; & qu'ainsi nos voisins, si glorieux autrefois de nous imiter, ne veulent plus nous laisser que l'honneur de marcher sur leurs traces.

Supposé donc l'abus des fêtes une fois bien reconnu, je crois, sauf meilleur avis, que la distribution suivante seroit tout ensemble commode & raisonnable ; & pour commencer par la Circoncision, elle sera fixée au premier dimanche de Janvier ; les Rois seront fêtés le second dimanche du même mois ; sainte Génevieve sera mise au dimanche suivant.

La Purification viendra toûjours le premier dimanche de Février, S. Matthias le dernier dimanche du même mois. L'Annonciation sera chommée le premier dimanche ou tel autre que l'on voudra du mois de Mars.

Au surplus on fêtera le lundi de Pâque, afin de procurer du loisir aux peuples pour satisfaire au devoir pascal : c'est ainsi qu'en ont usé quelques évêques. Mais pour ce qui est de la Pentecôte, il n'y aura pas plus de fêtes qu'à la Trinité ; & cela, comme on l'a dit, parce que ce tems, si propre pour toutes sortes de travaux, devient, au moyen des fêtes, un tems de plaisir, d'excès & de libertinage ; ce qui nuit également aux bonnes moeurs & à l'économie publique : Neomeniam & sabbatum, & festivitates alias non feram ; iniqui sunt coetus vestri. Isaïe j. 13.

La fête de S. Jacques & S. Philippe tombera au premier dimanche de Mai. On ne touchera point à l'Ascension ; mais la Fête-Dieu sera transportée au dimanche d'après la Trinité, & la petite Fête-Dieu au dimanche suivant.

La S. Jean viendra le dernier dimanche de Juin, & la S. Pierre le premier dimanche de Juillet, S. Jacques & S. Christophe le dernier dimanche du même mois.

La fête de S. Laurent se chommera le premier dimanche du mois d'Août ; l'Assomption sera mise au samedi suivant ; & le vendredi, veille de la fête, sera jeûne à l'ordinaire. S. Barthelemi & S. Louis seront fêtés les deux derniers dimanches du même mois.

La Nativité vient naturellement le premier dimanche de Septembre ; S. Matthieu & S. Michel, les deux derniers dimanches du même mois. S. Denis & S. Simon seront chommés en deux dimanches d'Octobre.

La fête de tous les Saints sera fixée au samedi qui précédera le premier dimanche de Novembre, & les Trépassés au lendemain, ou, si l'on veut, au lundi subséquent ; mais avec ordre de la police d'ouvrir de bonne-heure les atteliers & les boutiques. Saint Marcel, S. Martin & S. André se chommeront aussi le dimanche, & dans le mois de Novembre. La Conception, S. Thomas, S. Etienne & S. Jean occuperont les dimanches du mois de Décembre.

Les Innocens seront supprimés par-tout, comme ils le sont déjà dans plusieurs diocèses ; mais le jour de Noël sera fêté séparément le samedi, veille du dernier dimanche de l'année. Au reste la raison de convenance pour fixer les plus grandes fêtes au samedi, c'est pour en augmenter la solennité en les rapprochant du dimanche, & sur-tout pour faire tomber le jeune au vendredi.

Les fêtes de patron peuvent aussi être chommées le dimanche ; & feu M. Languet, curé de S. Sulpice, en a donné l'exemple à tout Paris. Plût au ciel que les curés & autres supérieurs ecclésiastiques voulussent bien établir partout la même pratique ! Du reste plusieurs paroisses ont deux patrons, & conséquemment deux fêtes : mais, en bonne foi, c'en est trop, & rien n'est plus nuisible pour les gens laborieux : on pourroit en épargner une, indépendamment de toute autre nouveauté, en fêtant les deux patrons dans un seul jour.

Je ne dois pas oublier un abus qui mériteroit bien l'attention de la police : c'est que les communautés des arts & du négoce ne manquent point de fermer boutique le jour de leur prétendue fête, il y a même des communautés qui en ont deux par an ; & quoiqu'il n'y ait rien de plus arbitraire que de pareilles institutions, elles font payer une amende à ceux de leur corps qui vendent ou qui travaillent ces jours-là. Si ce n'est pas là de l'abus, j'avoue que je n'y connois rien. Je voudrois donc rejetter ces sortes de fêtes au dimanche, ou mieux encore les supprimer tout-à-fait, attendu qu'elles sont toûjours moins favorables à la piété qu'à la fainéantise & à l'ivrognerie : iniqui sunt coetus vestri, calendas vestras & solemnitates vestras odivit anima mea. Isaïe j. 13.

On me permettra bien de dire un mot des fêtes de palais, & sur-tout des fêtes de collége, du lundi, des processions du recteur, &c. Tout cela n'est appuyé, ce me semble, que sur le penchant que nous avons à la paresse ; mais tout cela n'entre point dans l'esprit des fondateurs, & ne s'accorde point avec le service du public. Il vaudroit mieux faire son devoir & son métier, veiller, instruire & former la jeunesse, que de s'amuser, comme des enfans, à faire des processions & des tournées qui embarrassent la voie publique, & qui ne sont d'aucune utilité. Encore seroit-ce demi-mal, si l'on y employoit des fêtes ou des congés ordinaires ; mais on s'en donne bien de garde : la tournée ne seroit pas complete , si l'on ne perdoit un jour entier à la faire, sans préjudice de tant d'autres congés qui emportent la meilleure partie de l'année, & qui nuisent infiniment au bien des études & à l'institution des moeurs.

Au reste, l'arrangement qu'on a vû ci-devant, est relatif aux fêtes chommées à Paris : mais s'il se fait là-dessus un réglement pour tout le royaume, il sera aisé d'arranger le tout pour le mieux & d'une maniere uniforme. En général, il est certain que moins il y aura de fêtes, plus on aura de respect pour les dimanches & pour les fêtes restantes, & sur-tout moins il y aura de misérables. Une grande commodité qui s'ensuivroit pour le public, c'est que les jeûnes qui précédent les fêtes, tomberoient toûjours le vendredi ou le samedi, & conséquemment s'observeroient avec moins de répugnance que lorsqu'ils viennent à la traverse au milieu des jours gras : outre que ce nouvel ordre fixant la suite du gras & du maigre, ce seroit, en considérant les choses civilement, un avantage sensible pour le ménage & pour le commerce, qui seroient en cela moins dérangés.

J'observerai à cette occasion, qu'au lieu d'entremêler, comme on fait, les jours gras & les jours maigres, il conviendroit, pour l'économie générale & particuliere, de restraindre aux vendredis & samedis tous les jours de jeûne & d'abstinence, non compris le carême.

On pourroit donc, dans cette vûe de commodité publique, supprimer l'abstinence des Rogations, aussi-bien que celle de S. Marc. Quant aux processions que l'on fait ces jours-là, on devroit, pour le bien des travailleurs, les rejetter sur autant de dimanches, dont le loisir, après tout, ne sauroit être mieux rempli que par ces exercices de piété.

A l'égard du maigre qu'on nous épargneroit, je trouve, si l'on veut, une compensation facile ; ce seroit de rétablir dans tout le royaume l'abstinence de cinq ou six samedis qu'il y a de Noël à la Purification.

Quant aux jeûnes, il me semble, vû le relâchement des Chrétiens, qu'il y en a trop aujourd'hui, & qu'il en faudroit supprimer quelques-uns ; par exemple, ceux de S. Laurent, S. Matthieu, S. Simon & S. André, aussi-bien que les trois mercredis des quatre-tems de la Trinité, de la S. Michel & de Noël : pour lors il n'y auroit plus, outre le carême, que douze jours de jeûne par année ; savoir six jours pour les quatre-tems, & six autres jours pour les vigiles de la Pentecôte, de la S. Jean, de la S. Pierre, de l'Assomption, de la Toussaint, & de Noël.

Ainsi, hors le carême qui demeure en son entier, on ne verroit que les vendredis & samedis sujets au jeûne & au maigre ; arrangement beaucoup plus supportable, & qui nous exposeroit moins à la transgression du précepte, ce qui est fort à considérer pour le bien de la religion & la tranquillité des consciences.

J'ajoûte enfin que pour procurer quelque douceur aux pauvres peuples, & pour les soulager, autant qu'il est possible, en ce qui est d'institution arbitraire, nos magistrats & nos évêques, loin d'appesantir le joug de Jesus-Christ, devroient concourir une bonne fois pour assûrer l'usage des oeufs en tout tems : j'y voudrois même joindre l'usage de la graisse, lequel pourroit être permis en France, comme il l'est, à ce qu'on dit, en Espagne & ailleurs. Et, pour parler en chrétien rigide, il vaudroit mieux défendre dans le jeûne toutes les liqueurs vineuses, de même que le café, le thé, le chocolat ; interdire alors les cabarets aux peuples, hors les cas de nécessité, que de leur envier de la graisse & des oeufs. Ils ont communément ces denrées pour un prix assez modique, au lieu qu'ils ne peuvent guere atteindre au beurre, encore moins au poisson, & que les moindres légumes sont souvent rares & fort chers ; ce qui feroit peut-être une raison pour fixer la fête de Pâque au premier dimanche de Mai, dans la vûe de rapprocher le carême des herbes & légumes du printems.

A l'égard des grands & des riches de toutes conditions & de toutes robes, ces sortes de lois ne sont pas proprement faites pour eux ; & si quelques-uns se privent de certains mets, ils savent bien d'ailleurs s'en procurer d'excellens : alligant onera gravia. Matth. xxiij. 4.

N'en disons pas davantage ; & concluons que pour diminuer le scandale des transgressions, pour tranquilliser les ames timorées, & sur-tout pour l'aisance & la douceur d'une vie d'ailleurs remplie d'amertume, le libre usage de la graisse & des oeufs doit être établi par-tout, & pour tous les tems de l'année.

Je dois encore remarquer ici que la transposition des fêtes seroit un objet d'économie pour la fabrique des églises, puisqu'il y auroit moins de dépense à faire en cire, ornemens, service, &c. Il s'ensuivroit encore un autre avantage considérable, en ce que ce seroit un moyen de rendre simple & uniforme l'office divin. En effet, comme il n'y a pas d'apparence que pour une fête ainsi transposée on changeât sensiblement l'office ordinaire du dimanche, il est à croire qu'on y laisseroit les mêmes pseaumes & autres prieres qu'on y fait entrer, & qu'il n'y auroit de changement que pour les oraisons & les hymnes appropriées aux fêtes.

Ce seroit pareillement une occasion favorable pour réformer le bréviaire, le chant, & les cérémonies, tant des paroisses que des communautés & collégiales.

Tout cela auroit besoin de revision, & pourroit devenir plus simple & plus uniforme ; d'autant mieux que les arrangemens proposés se faisant de l'autorité du roi & des évêques, seroient en conséquence moins confus & moins variables. Il n'est pas douteux que ces changemens n'inspirassent plus de respect, & ne donnassent plus de goût pour le service divin ;au lieu que les variétés bisarres qu'on y voit aujourd'hui, formant une espece de science peu connue des fideles, je dis même des gens instruits, plusieurs se dégoûtent de l'office paroissial, & perdent les précieux fruits qu'ils en pourroient tirer. A quoi contribue bien encore le peu de commodité qu'il y a dans nos églises ; il y manque presque toûjours ce qui devroit s'y trouver gratis pour tout le monde, je veux dire le moyen d'y être à l'aise, & proprement assis ou à genoux.

En effet n'est-on pas un peu scandalisé de voir l'attention de nos pasteurs à se procurer leurs aises & leurs commodités dans les églises, & de voir en même tems leur quiétude & leur indifférence sur la position incommode & peu décente où s'y trouvent la plûpart des fideles, ordinairement pressés & coudoyés dans la foule, étourdis par le bruit des cloches & des orgues, importunés par des mendians, interpellés pour des chaises, enfin mis à contribution par des quêteuses jeunes & brillantes ? Qui pourroit compter avec cela sur quelques momens d'attention ?

J'ajoûterai à ces réflexions, que les messes en plusieurs églises ne sont point assez bien distribuées ; il arrive souvent qu'on en commence deux ou trois à-la-fois, & qu'ensuite il se passe un tems considérable sans qu'on en dise : de sorte qu'un voyageur, une femme occupée de son ménage, & autres gens semblables, ne trouvent que trop de difficulté pour satisfaire au précepte.

On diroit à voir certains célébrans, qu'ils regardent la messe comme une tâche rebutante & pénible dont il faut se libérer au plus vîte, & sans égard pour la commodité des fideles.

Quelqu'un s'étant plaint de ce peu d'attention dans une communauté près de Paris, on lui répondit honnêtement, que la communauté n'étoit pas faite pour le public. Il ne s'attendoit pas à cette réponse, & il en fut fort scandalisé : mais c'est tout ce qu'il en arriva, & les choses allerent leur train à l'ordinaire. Une conduite si peu religieuse & si peu chrétienne nuit infiniment à la piété.

Une derniere observation que je fais sur les arrangemens exposés ci-dessus, c'est qu'ils ôteroient tout prétexte, ce me semble, à la plûpart des railleries & des reproches que font les Déistes & les Protestans sur la religion. On sait que s'ils attaquent cette religion sainte, c'est moins dans ses fondemens inébranlables, que dans sa forme & dans ses usages indifférens : or toutes les propositions de ce mémoire tendent à leur ôter les occasions de plainte & de murmure. Aussi bien convaincu que les pratiques arbitraires, usitées dans l'église romaine, lui ont plus attiré d'ennemis que tous les articles de la créance catholique, je pense, à l'égard des Protestans, que si l'on se rapprochoit un peu d'eux sur la discipline, ils pourroient bien se rapprocher de nous sur le dogme.

Premiere objection. Le grand avantage que vous envisagez dans la suppression des fêtes, c'est l'épargne des dépenses superflues qui se font ces jours-là, & que l'on éviteroit, dites-vous, en rejettant les fêtes au dimanche : mais cette épargne prétendue est indifférente à la société, d'autant que l'argent déboursé par les uns, va nécessairement au profit des autres, je veux dire à tous ceux qui travaillent pour la bonne chere & la parure, pour les amusemens, les jeux, & les plaisirs. L'un gagne ce que l'autre est censé perdre, & par-là tout rentre dans la masse. Ainsi le dommage que vous imaginez dans certaines dépenses, & le gain que vous croyez appercevoir dans certaines épargnes, sont absolument chimériques.

REPONSE. La grande utilité que j'envisage dans l'exécution de mon projet, n'est point l'épargne qu'on gagne par la suppression des fêtes, puisque je ne la porte qu'au tiers du gain total que je démontre. En effet j'estime à dix sous par jour de fête la perte que fait chaque travailleur par la cessation des travaux, & je ne mets qu'à cinq sous l'augmentation de dépense : ainsi l'épargne dont il s'agit n'est que la moindre partie des avantages qu'on trouveroit dans la diminution des fêtes. La principale utilité d'un tel retranchement, consiste dans l'augmentation des travaux, & conséquemment des fruits qu'un travail continu ne peut manquer de produire. Mais indépendamment de ce défaut dans l'objection, je soûtiens quant au fond, que le raisonnement qu'on oppose là-dessus est frivole & mal fondé : car enfin la question dont il s'agit ne roule point sur l'argent qui se dépense durant les fêtes, & que je veuille épargner en faveur du public. Il est bien certain que l'argent circule & qu'il passe d'une main à l'autre dans le commerce des amusemens & des plaisirs ; mais tout cela ne produit rien de physique, & n'empêche point la perte générale & particuliere qu'entraîne toûjours le divertissement & l'oisiveté. Si chacun pouvoit se réjoüir & dépenser à son gré, sans que la masse des biens diminuât, ce seroit une pratique des plus commodes : malheureusement cela n'est pas possible ; on voit au contraire que des dépenses inutiles & mal-placées, loin de soûtenir le commerce & l'opulence générale, ne produisent au vrai que des anéantissemens & de la ruine : le tout indépendamment de l'espece, qui ne sert en tout cela que de véhicule.

Et qu'on ne dise point, comme c'est l'ordinaire, que les amusemens, les jeux, les festins, &c. occupent & font vivre bien du monde, & qu'ils produisent par conséquent une heureuse circulation : car c'est une raison pitoyable. Avec ce raisonnement, on va montrer que la plûpart des pertes & des calamités publiques & particulieres, sont de vrais biens politiques.

La guerre qu'on regarde comme un fléau, n'est plus un malheur pour l'état, puisqu'enfin elle occupe & fait vivre bien du monde. Une maladie contagieuse qui desole une ville ou une province, n'est point encore un grand mal, vû qu'elle occupe avec fruit tous les suppôts de la Medecine, &c. & suivant le même raisonnement, celui qui se ruine par les procès ou par la débauche, se rend par-là fort utile au public, d'autant qu'il fait le profit de ceux qui servent ses excès ou ses folies ; que dis-je, un incendiaire en brûlant nos maisons mérite des récompenses, attendu qu'il nous met dans l'heureuse nécessité d'employer bien du monde pour les rétablir, & un machiniste, au contraire, en produisant des facilités nouvelles pour diminuer le travail & la peine dans les gros ouvrages, ne peut mériter que du blâme pour une malheureuse découverte qui doit faire congédier plusieurs ouvriers.

Pour moi je pense que l'enrichissement d'une nation est de même nature que celui d'une famille. Comment devient-on riche pour l'ordinaire ? Par le travail & par l'économie ; travail qui enfante de nouveaux biens ; économie qui sait les conserver & les employer à-propos. Ce n'est pas assez pour enrichir un peuple, de lui procurer de l'occupation. La guerre, les procès, les maladies, les jeux, & les festins occupent aussi réellement que les travaux de l'agriculture, des fabriques, ou du commerce : mais de ces occupations les unes sont fructueuses & produisent de nouveaux biens, les autres sont stériles & destructives.

Je dis plus, quand même le goût du luxe & des superfluités feroit entrer de l'argent dans le royaume, cela ne prouveroit point du tout l'accroissement de nos richesses, & n'empêcheroit pas les dommages qui suivent toûjours la dissipation & la prodigalité. Voilà sur cela mon raisonnement.

L'Europe entiere possede au moins trois fois plus d'especes qu'elle n'en avoit il y a trois cent ans ; elle a même pour en faciliter la circulation bien des moyens qu'on n'avoit pas encore trouvés. L'Europe est-elle à proportion plus riche qu'elle n'étoit dans ces tems-là ? Il s'en faut certainement beaucoup. Les divers états, royaumes, ou républiques, ne connoissoient point alors les dettes nationales ; presque tous aujourd'hui sont obérés à ne pouvoir s'en relever de long-tems. On ne connoissoit point aussi pour lors ce grand nombre d'impositions dont les peuples d'Europe sont chargés de nos jours.

Les arts, les métiers, les négoces étoient pour tout le monde d'un abord libre & gratuit ; au lieu qu'on n'y entre à-présent qu'en déboursant des sommes considérables. Les offices & les charges de judicature, les emplois civils & militaires étoient le fruit de la faveur ou du mérite ; maintenant il faut les acheter, si l'on y veut parvenir : par conséquent il étoit plus facile de se donner un état, & de vivre à son aise en travaillant ; & dès-là il étoit plus facile de se marier & d'élever une famille. On sent qu'il ne falloit qu'être laborieux & rangé. Qu'il s'en faut aujourd'hui que cela suffise !

Je conclus de ces tristes différences, que nous sommes réellement plus agités, plus pauvres, plus exposés aux chagrins & aux miseres, en un mot moins heureux & moins opulens, malgré les riches buffets & les tas d'or & d'argent si communs de nos jours.

L'acquisition des métaux précieux, ni la circulation des especes ne sont donc pas la juste mesure de la richesse nationale ; & comme je l'ai dit, ce n'est point sur cela que doit rouler la question présente.

Il s'agit simplement de savoir si le surcroît de dépense qui se fait toûjours pendant les fêtes, n'occasionne pas quelque diminution des biens réels ; & si les excès, les festins, & autres superfluités communes en ces sortes de jours, bien que profitables à quelques particuliers, ne sont pas véritablement dommageables à la société : sur quoi l'on peut établir comme un axiome de gouvernement, que l'augmentation ou la diminution des biens physiques, est la mesure infaillible de l'enrichissement ou de l'appauvrissement des états ; & qu'ainsi un travail continu de la part des sujets augmentant à coup sûr la quantité de ces biens, doit être beaucoup plus avantageux à la nation, que les superfluités & les dépenses qui accompagnent les fêtes parmi nous.

Il est visible en effet, qu'une portion considérable des biens les plus solides se prodigant chez nous durant les fêtes, la masse entiere de ces vrais biens est nécessairement diminuée d'autant ; perte qui se répand ensuite sur le public & sur les particuliers : car il n'est pas vrai, comme on le dit, que l'un gagne tout ce que l'autre dépense. Le bûveur, l'homme de bonne-chere & de plaisir, qui dissipe un loüis mal-à-propos, perd à la vérité son loüis à pur & à plein ; mais le cabaretier, le traiteur qui le reçoit, ne le gagne pas également : à peine y fait-il un quart ou un cinquieme de profit, le reste est en pure perte pour la société. En un mot toute consommation de vivres ou d'autres biens dont on use à contretems & dont on prive souvent sa famille, devient une véritable perte que l'argent ne répare point en passant d'une main à l'autre : l'argent reste, il est vrai ; mais le bien s'anéantit. Il en résulte que si par la suppression des fêtes nous étions tout-à-coup délivrés des folles dépenses qui en sont la suite inévitable, ce seroit sans contredit une épargne fructueuse & une augmentation sensible de notre opulence ; outre que les travaux utiles, alors beaucoup mieux suivis qu'à présent, produiroient chez nous une abondance générale.

Pour mieux développer cette vérité, supposons que la nation françoise dépensât durant une année moitié moins de toute sorte de biens ; que néanmoins les choses fussent arrangées de façon que chacun travaillât moitié davantage ou moitié plus fructueusement, & qu'en conséquence toutes les productions de nos terres, fabriques, & manufactures, devinssent deux ou trois fois plus abondantes ; n'est-il pas visible qu'à la fin d'une telle année la nation se trouveroit infiniment plus à l'aise, ou pour mieux dire, dans l'affluence de tous biens, quand même il n'y auroit pas un sou de plus dans le royaume ?

Si cet accroissement de richesses est constant pour une année entiere, il l'est à proportion pour six mois, pour quatre, ou pour deux ; & il l'est enfin à proportion pour tant de fêtes qu'il s'agit de supprimer, & qui nous ôtent à Paris un douzieme des jours ouvrables. En un mot, il est également vrai dans la politique & dans l'économie, également vrai pour le public & pour les particuliers, que le grand moyen de s'élever & de s'enrichir est de travailler beaucoup, & d'éviter la dépense : c'est par ce loüable moyen que des nations entieres se sont aggrandies, & c'est par la même voie que tant de familles s'élevent encore tous les jours. Voyez EPARGNE.

Mais, poursuit-on, qu'on dise & qu'on fasse tout ce que l'on voudra, il est toûjours vrai que si le public gagnoit à la suppression des fêtes, certaines professions y perdroient infailliblement, comme les Cabaretiers, les Traiteurs, & les autres artisans du luxe & des plaisirs.

A cela je pourrois dire : soit, que quelques professions perdent, pourvû que la totalité gagne sensiblement. Plusieurs gagnent aux maladies populaires ; s'avise-t-on de les plaindre parce que leur gain diminue avec le mal épidémique ? Le bien & le plus grand bien national ne doit-il pas l'emporter sur ces considérations particulieres ?

Au reste, je veux répondre plus positivement, en montrant que les professions que l'on croit devoir être lésées dans la suppression des fêtes, n'y perdront ou rien ou presque rien. Qui ne voit en effet que si les moindres particuliers gagnent à cette suppression, tant par l'augmentation de leurs gains que par la cessation des folles dépenses, ils pourront faire alors & feront communément une dépense plus forte & plus raisonnable ? Tel, par exemple, qui dissipe 30 sous pour s'enivrer un jour de fête, & qui en conséquence fait maigre chere & boit de l'eau le reste du tems ; au lieu de faire cette dépense ruineuse pour le ménage & pour la santé, fera la même dépense dans le cours de la semaine, & boira du vin tous les jours de travail ; ce qui sera pour lui une nourriture journaliere, & une source de joie, d'union, & de paix dans sa famille.

Remarquez que les raisonnemens qui sont voir en ceci l'avantage des particuliers, prouvent en même tems une augmentation de gain pour les fermiers des aides : ainsi l'on se persuade qu'ils ne seront point allarmés des arrangemens que nous proposons.

Au surplus, ce que nous disons du vin se peut dire également de la viande & des autres denrées. Le surcroît d'aisance où sera chaque travailleur influera bien-tôt sur sa table ; il fera beaucoup moins d'excès à la vérité, mais fera meilleure chere tout les jours ; & les professions qui travaillent pour la bouche, loin de perdre à ce changement verront augmenter leur commerce.

J'en dis autant de la dépense des habits. Quand une fois les fêtes seront rejettées au dimanche, on aura moins de frais à faire pour l'élégance & la parure superflue ; & c'est pourquoi l'on s'accordera plus volontiers le nécessaire & le commode : & non-seulement chaque ménage, mais encore chaque branche de commerce y trouvera des utilités sensibles.

J'ajoûte enfin que si ces nouveaux arrangemens faisoient tort à quelques professions, c'est un si petit objet, comparé à l'économie publique & particuliere, qu'il ne mérite pas qu'on y fasse attention. D'ailleurs ces pretendus torts, s'il en est, ne se font pas sentir tout d'un coup. Les habitudes vicieuses ne sont que trop difficiles à déraciner, & les réformes dont il s'agit iront toûjours avec assez de lenteur : de sorte que la profession qui sera moins employée se tournera insensiblement d'un autre côté, & chacun trouvera sa place comme auparavant.

II. Objection. Vous ne prenez pas garde que vous donnez dans un relâchement dangereux ; & que dans un tems où les fideles ne sont déjà que trop portés à secoüer le joug de l'austérité chrétienne, vous faites des propositions qui ne respirent que l'aisance & la douceur de la vie.

REPONSE. Je ne vois pas sur quoi fondé l'on m'accuse de tendre au relâchement par les diverses propositions que je fais dans cet écrit : ce n'est point sans-doute sur ce que je propose de supprimer la plûpart de nos fêtes ; c'est là une proposition rebattue, qui n'est pas plus de moi que de mille autres. Plusieurs de nos évêques ont déjà commencé la réforme ; &, comme on l'a dit ci-devant, presque toutes les nations chrétiennes nous ont donné l'exemple, en Italie, en Allemagne, dans les Pays-Bas, & jusqu'en Arménie. En un mot, ce qu'il y a de moi proprement dans ce plan de la transposition des fêtes, c'est la simple exposition des avantages qui en résulteroient & pour la religion & pour l'économie publique ; avantages au reste que je n'ai point vûs démontrés ailleurs.

On vous passe bien cela, dira-t-on ; mais ne proposez-vous pas l'usage perpétuel de la graisse & des oeufs ? N'insinuez-vous pas encore la suppression de certains jours d'abstinence, & même de quelques jeûnes prescrits par l'église ?

A l'égard de la graisse & des oeufs, c'est une espece de condescendance autorisée en plusieurs endroits, & qui se doit par justice & par humanité, à la triste situation du peuple & des pauvres : car, je l'ai dit & je le répete, cela ne fait rien aux riches de tous états & de tous ordres ; ils se mettent au-dessus de la regle pour la plûpart ; & au pis aller, la mer & les rivieres leur fournissent pour le maigre des mets délicats & succulens.

Il est vrai que les arrangemens indiqués ci-dessus emportent l'abolition de quatre jours d'abstinence, & de six ou sept jours de jeûne : mais premierement cela vaut-il la peine d'en parler ? d'ailleurs n'ai-je pas proposé le rétablissement du maigre pour les cinq ou six samedis que l'on compte de Noël à la Chandeleur, & dans lesquels on permet le gras en plusieurs endroits du royaume ? N'ai-je pas encore proposé un jeûne plus rigide & plus édifiant, lorsque j'ai suggeré l'interdiction du vin & de mille autres délicatesses peu conformes à l'esprit du jeûne ? Je ne vois donc pas que la saine Morale risque beaucoup avec moi : & si quelques-uns me trouvent trop relâché, combien d'autres me trouveront trop sévere ?

C'est en vain que Jesus-Christ nous apprend à négliger les traditions humaines, pour nous attacher à l'observation de la loi ; nous voulons toûjours tenir, comme les Juifs, à des observances & à des institutions arbitraires. Cependant les austérités, les mortifications, & les autres pratiques de notre choix, nous sont bien moins nécessaires que la patience & la résignation dans nos maux. En effet, la vie n'est-elle point assez traversée, assez malheureuse ? & n'est-il point en ce monde assez d'occasions de souffrir, sans nous assujettir sans-cesse à des embarras & des peines de création libre ? Notre fardeau est-il trop leger, pour que nous y ajoûtions de nous-mêmes ? & le chemin du ciel est-il trop large, pour que nous travaillions à le retrécir ?

On dira sans-doute que les abstinences multipliées & prescrites par l'église sont autant de moyens sagement établis pour modérer la fougue de nos passions, pour nous contenir dans la crainte du Seigneur, & pour nous faciliter l'observation de ses commandemens.

Toutes ces raisons pouvoient être bonnes dans ces siecles heureux où les peuples fervens & soûtenus par de grands exemples, étoient parfaitement dociles à la voix des pasteurs : mais aujourd'hui que l'indépendance & la tiédeur sont générales, aujourd'hui que l'irréligion & le scandale sont montés à leur comble, telle observance qui fut jadis un moyen de salut, n'est le plus souvent pour nous qu'une occasion de chûte : inventum est mihi mandatum quod erat ad vitam, hoc esse ad mortem. Rom. vij. chap. x.

Par conséquent, vû l'état languissant où le Christianisme se trouve de nos jours, on ne sauroit multiplier nos devoirs sans nous exposer à des transgressions presque inévitables, qui attirent de plus en plus la colere de Dieu sur nous. C'est donc plûtôt sagesse que relâchement d'adoucir la rigueur des préceptes humains, & de diminuer, autant qu'il est possible, le poids des abstinences qui paroît trop onéreux au commun des fideles, & qui ne fait plus que des prévaricateurs.

Du reste, obligés que nous sommes de conserver pour Dieu, dans tous les tems, cet amour de préférence que nous lui devons, & qui est si puissamment disputé par les créatures ; obligés d'aimer nos ennemis, de prier pour nos persécuteurs, & de souffrir sans murmure les afflictions & les chagrins de la vie ; obligés enfin de combattre sans relâche nos passions & nos penchans, pour mépriser le monde & ses plaisirs, pour ne ravir ni ne desirer le bien ou la femme du prochain, & pour détester constamment & de bonne foi tout ce qui n'est pas légitimé par le sacrement, n'avons-nous point en ce peu de préceptes dictés par Jesus-Christ lui-même, de quoi soûtenir notre vigilance & de quoi exercer notre vertu, sans être surchargés tous les jours par des traditions humaines ?

Enfin, de quoi s'agit-il dans tout ce que je propose ? de quelques adoucissemens fort simples, & qui, à le bien prendre, ne valent pas les frais de la contradiction ; adoucissemens néanmoins qui applaniroient bien des difficultés, & qui rendroient l'observation du reste beaucoup plus facile : au lieu que les institutions arbitraires, mais en même tems gênantes & répétées à tout moment, sont capables de contrister des gens d'ailleurs réglés & vertueux. Il semble qu'elles atiédissent le courage, & qu'elles énervent une piété qui se doit toute entiere à de plus grands objets. Aussi, que de chrétiens qui prennent le change, qui fideles à ces pratiques minutieuses, négligent l'observation des préceptes, & à qui l'on pourroit appliquer ce que le Seigneur disoit aux Pharisiens : relinquentes mandatum dei, tenetis traditiones hominum ! Marc. chap. vij. 8.

J'ajoûte enfin, comme je l'ai déjà dit, que ces pratiques peu nécessaires indisposent non-seulement les Protestans, mais encore tous ceux qui ont de la pente au libertinage du coeur & de l'esprit, & qu'elles les révoltent d'ordinaire sans espérance de retour.

Tout cela mûrement considéré, on ne peut, ce me semble, mieux faire que de transporter presque toutes nos fêtes au dimanche, réduire à quelque chose de plus simple & de plus uniforme nos offices, nos chants, nos cérémonies, &c. accorder pour tous les tems l'usage libre de la graisse & des oeufs ; & sans toucher au carême pour le reste, déclarer les vendredis & samedis seuls sujets au maigre ; supprimer à cette fin l'abstinence des Rogations & celle de S. Marc ; à l'égard des jeûnes passagers annexés à telles saisons ou telles fêtes, les restraindre à deux jours pour les quatre-tems ; plus aux vigiles de la Pentecôte, de la S. Jean, de la S. Pierre, de l'Assomption de la Toussaint, & de Noël.

Pour lors ce petit nombre de jeûnes tombant aux jours maigres ordinaires s'observeroit plus facilement, & ne dérangeroit plus ni le ménage ni le commerce ; & je crois enfin que tous ces changemens sont fort à souhaiter, tant pour l'enrichissement de la nation & l'aisance générale des petits & des médiocres, que pour empêcher une infinité de prévarications & de murmures. Je me flate que les gens éclairés ne penseront pas autrement ; & que loin d'appercevoir dans ces propositions aucun risque pour la discipline ou pour les moeurs, ils y trouveront de grands avantages pour la religion & pour la politique : en un mot, on éviteroit par-là des scandales & des transgressions sans nombre qui nuisent infiniment à la piété ; & de plus, on augmenteroit les richesses du royaume de cent millions par an, comme je l'ai prouvé. Si cela n'est pas raisonnable, qu'on me dise ce que c'est que raison. Voyez DIMANCHE. Article de M. FAIGUET.

FETES MOBILES, (Chronologie) on appelle ainsi celles qui ne sont point fixement attachées à un certain jour du même mois, mais qui changent de place chaque année : il y en a quatre, Pâque, l'Ascension, la Pentecôte, la Fête -Dieu. Les trois dernieres dépendent de la premiere, & en sont toûjours à la même distance ; d'où il s'ensuit que Pâque changeant de place, elles doivent en changer aussi. Pâque ne peut être plûtôt que le 22 Mars, & plûtard que le 25 Avril. Voyez PASQUE. L'Ascension, qui vient quarante jours après, ne peut être plûtôt que le 30 Avril, & plûtard que le 3 Juin. La Pentecôte, qui vient dix jours après l'Ascension, ne peut être plûtôt que le 10 Mai, & plûtard que le 13 Juin. Et enfin la Fête -Dieu, qui vient dix jours après la Pentecôte, ne peut être plûtôt que le 21 Mai, & plûtard que le 24 Juin.

La mobilité de la fête de Pâque entraîne celle de beaucoup d'autres jours, entr'autres du mercredi des Cendres, premier jour de carême, de la Septuagesime, &c.

Le mercredi des Cendres, qui est le premier jour de carême, ne peut être plûtôt que le 4 Février dans les années communes, & que le 5 dans les bissextiles ; & il ne peut être, dans quelqu'année que ce soit, plûtard que le 10 Mars. La Septuagesime ne peut être plûtôt que le 18 Janvier dans les années communes, & que le 19 dans les bissextiles ; & elle ne peut être plûtard que le 21 Février dans les années communes, & que le 22 dans les bissextiles.

Il y a dans l'année un autre jour mobile qui ne dépend point de la fête de Pâque, c'est le premier dimanche de l'Avent. Il doit y avoir quatre dimanches de l'Avent avant Noël ; ainsi quand la lettre dominicale est B, & que par conséquent Noël tombe un dimanche (car B est la lettre du 25 Décembre), le quatrieme dimanche de l'Avent doit être le dimanche d'auparavant : alors le premier dimanche de l'Avent tombe le 27 Novembre, c'est le plûtôt qu'il puisse arriver. Au contraire quand la lettre dominicale est A, & que par conséquent Noël tombe un lundi, le dimanche précédent est le quatrieme dimanche de l'Avent : alors le premier dimanche tombe le 3 Décembre : c'est le plûtard qu'il puisse tomber.

Il y a encore des fêtes qui n'étant pas mobiles par elles-mêmes, le deviennent par les circonstances. Par exemple, l'Annonciation, qui est le 25 Mars, quand elle tombe dans la quinzaine de Pâque, se remet après la quinzaine, le lendemain de Quasimodo ; ce qui arrive toutes les fois que Pâque tombe au-dessus du 2 Avril.

Les anciens computistes, pour trouver les fêtes mobiles, se servoient de certains chiffres qu'ils appelloient claves terminorum (voyez TERME PASCAL), & que les modernes ont appellés clés des fêtes mobiles. On peut voir l'usage de ces chiffres dans l'art de vérifier les dates, pag. xlij. de la préface. Ils sont aujourd'hui devenus inutiles, ou du moins on ne s'en sert plus. Pour les avoir, on ajoûte 19 au chiffre de l'année précédente ; & si la somme surpasse 39 jours, on ôte 30 : ainsi le cycle de ces clés est de dix-neuf ans. Elles sont marquées pour chaque année dans l'art de vérifier les dates, jusqu'en 1582, année de la réformation du calendrier.

On pourroit aussi mettre parmi les fêtes mobiles les Quatre-tems, qui tombent le premier mercredi après les Cendres, le premier après la Pentecôte, le premier après le 14 Septembre, & le premier après le 13 Décembre (voyez QUATRE-TEMS) : mais cette dénomination de fêtes mobiles n'est point en usage pour les Quatre-tems. (O)

FETE-DIEU, (Théol.) fête très-solemnelle instituée pour rendre un culte particulier à Jesus-Christ dans le sacrement de l'eucharistie. L'Eglise a toûjours célébré la mémoire de l'institution de ce sacrement le jeudi de la semaine-sainte, qui en est comme l'anniversaire ; mais parce que les longs offices & les cérémonies lugubres de cette semaine ne lui permettent pas d'honorer ce mystere avec toute la solennité requise, elle a jugé à propos d'en établir une fête particuliere le jeudi d'après l'octave de la Pentecôte, c'est-à-dire après le dimanche de la Trinité. Ce fut le pape Urbain IV. françois de nation, né au diocèse de Troyes, qui institua cette solennité par toute l'Eglise l'an 1264 ; car elle l'étoit déjà auparavant dans celle de Liege, dont Urbain avoit été archidiacre avant que d'être élevé au souverain pontificat. Il fit composer pour cette fête, par saint Thomas d'Aquin, un office qui est très-beau, & très-propre à inspirer la piété. Les vûes de ce pape n'eurent pas d'abord tout le succès qu'il en attendoit, parce que l'Italie étoit alors violemment agitée par les factions des Guelphes & des Gibelins ; mais au concile général de Vienne, tenu en 1311 sous le pape Clément V. en présence des rois de France, d'Angleterre & d'Aragon, la bulle d'Urbain IV. fut confirmée, & l'on en ordonna l'exécution par toute l'Eglise. L'an 1316, le pape Jean XXII. y ajoûta une octave pour en augmenter la solennité, avec ordre de porter publiquement le S. Sacrement en procession ; ce qui s'exécute ordinairement avec beaucoup de pompe & de décence, les rues étant tapissées & jonchées de fleurs, le clergé en bel ordre, & revêtu des plus riches ornemens ; le saint Sacrement est porté sous un dais, & d'espace en espace dans les rues & les places publiques sont des chapelles ou reposoirs fort ornés, où l'on fait une station que le célébrant termine par la bénédiction du saint-sacrement : on la donne aussi tous les jours à la grande messe & le soir au salut pendant l'octave. Dans la plûpart des diocèses de France il y a pendant cette même octave des prédications, pour entretenir la foi du peuple sur le mystere de l'eucharistie. Cette fête se célebre à Angers avec une magnificence extraordinaire ; & la procession, qu'on y nomme le sacre, sacrum, est célébre par le concours des peuples & des étrangers. On prétend qu'elle y fut instituée dès l'an 1019, pour faire amende honorable à Jesus-Christ des erreurs de Berenger, archidiacre de cette ville, & chef des sacramentaires. Voyez BERENGARIENS. (G)

FETE DES MORTS ou FESTIN DES MORTS, (Hist. mod.) cérémonie de religion très-solemnelle en l'honneur des morts, usitée parmi les Sauvages d'Amérique, qui se renouvelle tous les huit ans parmi quelques nations, & tous les dix ans chez les Hurons & les Iroquois.

Voici la description qu'en donne le P. de Charlevoix, dans son journal d'un voyage d'Amérique, p. 377. " On commence, dit cet auteur, par convenir du lieu où se fera l'assemblée, puis on choisit le roi de la fête, dont le devoir est de tout ordonner, & de faire les invitations aux villages voisins. Le jour marqué étant venu, les Sauvages s'assemblent, & vont processionnellement deux à deux au cimetiere. Là chacun travaille à découvrir les corps, ensuite on demeure quelque tems à considérer en silence un spectacle si capable de fournir les plus sérieuses réflexions. Les femmes interrompent les premieres ce religieux silence, en jettant des cris lamentables qui augmentent encore l'horreur dont tout le monde est pénétré.

Ce premier acte fini, on prend ces cadavres, on ramasse les ossemens secs & détachés, on les met en paquets ; & ceux qui sont marqués pour les porter, les chargent sur les épaules. S'il y a des corps qui ne soient pas entierement corrompus, on en détache les chairs pourries & toutes les ordures ; on les lave, & on les enveloppe dans des robes de castors toutes neuves. Ensuite on s'en retourne dans le même ordre qu'on avoit gardé en venant ; & quand la procession est rentrée dans le village, chacun dépose dans sa cabane le dépôt dont il étoit chargé. Pendant la marche, les femmes continuent leurs éjaculations, & les hommes donnent les mêmes marques de douleur qu'au jour de la mort de ceux dont ils viennent de lever les tristes restes : & ce second acte est suivi d'un festin dans chaque cabane, en l'honneur des morts de sa famille.

Les jours suivans on en fait de publics, accompagnés de danses, de jeux, de combats, pour lesquels il y a des prix proposés. De tems en tems on jette de certains cris, qui s'appellent les cris des ames. On fait des présens aux étrangers, parmi lesquels il y en a quelquefois qui sont envoyés à 150 lieues, on en reçoit d'eux. On profite même de ces occasions pour traiter des affaires communes, ou de l'élection d'un chef... Tout, jusqu'aux danses, y respire je ne sai quoi de lugubre, & on y sent des coeurs percés de la plus vive douleur.... Au bout de quelques jours on se rend encore processionnellement dans une grande salle du conseil, dressée exprès ; on y suspend contre les parois, les ossemens & les cadavres, dans le même état où on les a tirés du cimetiere ; on y étale les présens destinés pour les morts. Si parmi ces tristes restes il se trouve ceux d'un chef, son successeur donne un grand repas en son nom, & chante sa chanson. En plusieurs endroits les corps sont promenés de bourgade en bourgade, & reçus par-tout avec de grandes démonstrations de douleur & de tendresse. Par-tout on leur fait des présens, & on les porte enfin à l'endroit où ils doivent être déposés pour toûjours.... Toutes ces marches se font au son des instrumens, accompagnés des plus belles voix, & chacun y marche en cadence.

La derniere & commune sépulture est une grande fosse qu'on tapisse des plus belles pelletteries & de ce qu'on a de plus précieux. Les présens destinés pour les morts, sont placés à part. A mesure que la procession arrive, chaque famille s'arrange sur des especes d'échafauds dressés autour de la fosse ; & au moment que les corps sont déposés, les femmes recommencent à crier & à pleurer ; ensuite tous les assistans descendent dans la fosse, & il n'est personne qui n'en prenne un peu de terre, qui se conserve précieusement. Ils s'imaginent que cette terre porte bonheur au jeu. Les corps & les ossemens sont arrangés par ordre, couverts de fourrures toutes neuves, & par-dessus d'écorces, sur lesquelles on jette des pierres, du bois & de la terre. Chacun se retire ensuite chez soi, &c. "

FETE DE L 'O ou DES O, (Théol.) que l'on appelle autrement la fête de l'attente des couches de la Vierge. Elle fut établie en Espagne au dixieme concile de Tolede, tenu en 656 sous le regne de Recesuinde, roi des Wisigoths alors maîtres de l'Espagne & du tems de S. Eugene III. évêque de Tolede. On y ordonna que la fête de l'Annonciation de N. D. & de l'Incarnation du Verbe divin, se célébreroit huit jours avant Noël ; parce que le 25 de Mars, auquel ces mysteres ont été accomplis, arrive ordinairement en carême, & assez souvent dans la semaine de la Passion & dans la solennité de Pâque, où l'Eglise est occupée d'autres objets & de cérémonies différentes. Saint Ildephonse, successeur d'Eugene, confirma cet établissement, & ordonna que cette fête seroit aussi appellée de l'attente des couches de N. D. On lui donna encore le nom de fête des O ou de l'O, parce que durant cette octave on chante après le cantique Magnificat, chaque jour, une antienne solemnelle qui commence par O, qui est une exclamation de joie & de desir, comme O Adonaï ! O rex gentium ! O radix Jesse ! O clavis David ! &c.

Dans l'église de rome & dans celle de France, il n'y a point de fête particuliere sous ce nom ; mais depuis le 15 Décembre jusqu'au 23 inclusivement, on y chante tous les jours à vêpres, au son des cloches, une de ces antiennes.

FETE DES ANES, (Hist. mod.) cérémonie qu'on faisoit anciennement dans l'église cathédrale de Roüen le jour de Noël. C'étoit une procession où certains ecclésiastiques choisis représentoient les prophetes de l'ancien Testament qui avoient prédit la naissance du Messie. Balaam y paroissoit monté sur une ânesse, & c'est ce qui avoit donné le nom à la fête. On y voyoit aussi Zacharie, sainte Elisabeth, saint Jean-Baptiste, Siméon, la sybille Erythrée, Virgile, à cause de son églogue, Sicelides Musae, &c. Nabuchodonosor, & les trois enfans dans la fournaise. La procession, qui sortoit du cloître, étant entrée dans l'église, s'arrêtoit entre un nombre de personnes qui étoient rangées des deux côtés pour marquer les Juifs & les Gentils, auxquels les chantres disoient quelques paroles ; puis ils appelloient les prophetes l'un après l'autre, qui prononçoient chacun un passage touchant le Messie. Ceux qui faisoient les autres personnages, s'avançoient en leur rang, les chantres leur faisant la demande, & chantant ensuite les versets qui se rapportoient aux Juifs & aux Gentils ; & après avoir représenté le miracle de la fournaise, & fait parler Nabuchodonosor, la sybille paroissoit la derniere, puis tous les prophetes & les choeurs chantoient un motet qui terminoit la cérémonie. Ducange, gloss. (G)

FETE DES FOUS, (Hist. mod.) réjoüissance pleine de desordres, de grossieretés & d'impiétés, que les sous-diacres, les diacres & les prêtres même faisoient dans la plûpart des églises durant l'office divin, principalement depuis les fêtes de Noël jusqu'à l'Epiphanie.

Ducange, dans son glossaire, en parle au mot kalendae, & remarque qu'on la nommoit encore la fête des sous-diacres ; non pas qu'il n'y eût qu'eux qui la fêtassent, mais par un mauvais jeu de mots tombant sur la débauche des diacres, & cette pointe signifioit la fête des diacres saouls & ivres.

Cette fête étoit réellement d'une telle extravagance, que le lecteur auroit peine à y ajoûter foi, s'il n'étoit instruit de l'ignorance & de la barbarie des siecles qui ont précédé la renaissance des Lettres en Europe.

Nos dévots ancêtres ne croyoient pas deshonorer Dieu par les cérémonies bouffonnes & grossieres que je vais décrire, dérivées presque toutes du Paganisme, introduites en des tems peu éclairés, & contre lesquelles l'Eglise a souvent lancé ses foudres sans aucun succès.

Par la connoissance des Saturnales on peut se former une idée de la fête des fous, elle en étoit une imitation ; & les puérilités qui regnent encore dans quelques-unes de nos églises le jour des Innocens, ne sont que des vestiges de la fête dont il s'agit ici.

Comme dans les Saturnales les valets faisoient les fonctions de leurs maîtres, de même dans la fête des fous les jeunes clercs & les autres ministres inférieurs officioient publiquement pendant certains jours consacrés aux mysteres du Christianisme.

Il est très-difficile de fixer l'époque de la fête des fous, qui dégénéra si promtement en abus monstrueux. Il suffira de remarquer sur son ancienneté, que le concile de Tolede, tenu en 633, fit l'impossible pour l'abolir ; & que S. Augustin, long-tems auparavant, avoit recommandé qu'on châtiât ceux qui seroient convaincus de cette impiété. Cedrenus, hist. pag. 639. nous apprend que dans le dixieme siecle Théophylacte, patriarche de Constantinople, avoit introduit cette fête dans son diocèse ; d'où l'on peut juger sans peine qu'elle s'étendit de tous côtés dans l'église greque comme dans la latine.

On élisoit dans les églises cathédrales, un évêque ou un archevêque des fous, & son élection étoit confirmée par beaucoup de bouffonneries qui servoient de sacre. Cet évêque élu officioit pontificalement, & donnoit la bénédiction publique & solemnelle au peuple, devant lequel il portoit la mitre, la crosse, & même la croix archiépiscopale. Dans les églises qui relevoient immédiatement du saint siége, on élisoit un pape des fous, à qui l'on accordoit les ornemens de la papauté, afin qu'il pût agir & officier solennellement, comme le saint pere.

Des pontifes de cette espece étoient accompagnés d'un clergé aussi licentieux. Tous assistoient ces jours-là au service divin en habits de mascarade & de comédie. Ceux-ci prenoient des habits de pantomimes ; ceux-là se masquoient, se barbouilloient le visage, à dessein de faire peur ou de faire rire. Quand la messe étoit dite, ils couroient, sautoient & dansoient dans l'église avec tant d'impudence, que quelques-uns n'avoient pas honte de se mettre presque nuds : ensuite ils se faisoient traîner par les rues dans des tombereaux pleins d'ordures, pour en jetter à la populace qui s'assembloit autour d'eux. Les plus libertins d'entre les séculiers se mêloient parmi le clergé, pour joüer aussi quelque personnage de fou en habit ecclésiastique. Ces abus vinrent jusqu'à se glisser également dans les monasteres de moines & de religieuses. En un mot, dit un savant auteur, c'étoit l'abomination de la désolation dans le lieu saint, & dans les personnes qui par leur état devoient avoir la conduite la plus sainte.

Le portrait que nous venons de tracer des desordres de la fête des fous, loin d'être chargé, est extrèmement adouci ; le lecteur pourra s'en convaincre en lisant la lettre circulaire du 12 Mars 1444, adressée au clergé du royaume par l'université de Paris. On trouve cette lettre à la suite des ouvrages de Pierre de Blois ; & Sauval, tom. II. pag. 624. en donne un extrait qui ne suffit que trop sur cette matiere.

Cette lettre porte que pendant l'office divin les prêtres & les clercs étoient vêtus, les uns comme des bouffons, les autres en habits de femme, ou masqués d'une façon monstrueuse. Non contens de chanter dans le choeur des chansons deshonnêtes, ils mangeoient & joüoient aux dés sur l'autel, à côté du prêtre qui célébroit la messe. Ils mettoient des ordures dans les encensoirs, & couroient autour de l'église, sautant, riant, chantant, proférant des paroles sales, & faisant mille postures indécentes. Ils alloient ensuite par toute la ville se faire voir sur des chariots. Quelquefois, comme on l'a dit, ils sacroient un évêque ou pape des fous, qui célébroit l'office, & qui revêtu d'habits pontificaux, donnoit la bénédiction au peuple. Ces folies leur plaisoient tant, & paroissoient à leurs yeux si bien pensées & si chrétiennes, qu'ils regardoient comme excommuniés ceux qui vouloient les proscrire.

Dans le registre de 1494 de l'église de S. Etienne de Dijon, on lit qu'à la fête des fous on faisoit une espece de farce sur un théatre devant une église, où on rasoit la barbe au préchantre des fous, & qu'on y disoit plusieurs obscénités. Dans les registres de 1521, ibid. on voit que les vicaires couroient par les rues avec fifres, tambours & autres instrumens, & portoient des lanternes devant le préchantre des fous, à qui l'honneur de la fête appartenoit principalement.

Dans le second registre de l'église cathédrale d'Autun, du secrétaire Rotarii, qui commence en 1411 & finit en 1416, il est dit qu'à la fête des fous, follorum, on conduisoit un âne, & que l'on chantoit, hé, sire âne, he, hé, & que plusieurs alloient à l'église déguisés en habits grotesques ; ce qui fut alors abrogé. Cet âne étoit honoré d'une chape qu'on lui mettoit sur le dos. On nous a conservé la rubrique que l'on chantoit alors, & le P. Théophile Raynaud témoigne l'avoir vû dans le rituel d'une de nos églises métropolitaines.

Il y a un ancien manuscrit de l'église de Sens, où l'on trouve l'office des fous tout entier.

Enfin, pour abreger, presque toutes les églises de France ont célébré la fête des fous sans interruption pendant plusieurs siecles durant l'octave des Rois. On l'a marquée de ce nom dans les livres des offices divins : festum fatuorum in Epiphaniâ & ejus octavis.

Mais ce n'est pas seulement en France que s'étendirent les abus de cette fête ; ils passerent la mer, & ils regnoient peut-être encore en Angleterre vers l'an 1530 : du moins dans un inventaire des ornemens de l'église d'Yorck, fait en ce tems-là, il est parlé d'une petite mitre & d'un anneau pour l'évêque des fous.

Ajoûtons ici que cette fête n'étoit pas célébrée moins ridiculement dans les autres parties septentrionales & méridionales de l'Europe, en Allemagne, en Espagne, en Italie, & qu'il en reste encore çà & là des traces que le tems n'a point effacées.

Outre les jours de la Nativité de Notre Seigneur, de S. Etienne, de S. Jean l'Evangeliste, des Innocens, de la Circoncision, de l'Epiphanie, ou de l'octave des Innocens, que se célébroit la fête des fous, il se pratiquoit quelque chose de semblable le jour de S. Nicolas & le jour de sainte Catherine dans divers diocèses, & particulierement dans celui de Chartres. Tout le monde sait, dit M. Lancelot, hist. de l'acad. des Inscript. tome IV. qu'il s'étoit introduit pendant les siecles d'ignorance, des fêtes différemment appellées des fous, des ânes, des innocens, des calendes. Cette différence venoit des jours & des lieux où elles se faisoient ; le plus souvent c'étoit dans les fêtes de Noël, à la Circoncision ou à l'Epiphanie.

Quoique cette fête eût été taxée de paganisme & d'idolatrie par la Sorbonne en 1444, elle trouva des apologistes qui en défendirent l'innocence par des raisonnemens dignes de ces tems-là. Nos prédécesseurs, disoient-ils, graves & saints personnages, ont toûjours célébré cette fête ; pouvons-nous suivre de meilleurs exemples ? D'ailleurs la folie qui nous est naturelle, & qui semble née avec nous, se dissipe du moins une fois chaque année par cette douce recréation ; les tonneaux de vin creveroient, si on ne leur ouvroit la bonde pour leur donner de l'air : nous sommes des tonneaux mal reliés, que le puissant vin de la sagesse feroit rompre, si nous le laissions bouillir par une dévotion continuelle. Il faut donc donner quelquefois de l'air à ce vin, de peur qu'il ne se perde & ne se répande sans profit.

L'auteur du curieux traité contre le paganisme du roit-boit, prétend même qu'un docteur de Théologie soûtint publiquement à Auxerre sur la fin du XV. siecle, que la fête des fous n'étoit pas moins approuvée de Dieu que la fête de la Conception immaculée de Notre-Dame, outre qu'elle étoit d'une tout autre ancienneté dans l'Eglise.

Aussi les censures des évêques des xiij. & xjv. siecles eurent si peu d'efficace contre la pratique de la fête des fous, que le concile de Sens, tenu en 1460 & en 1485, en parle comme d'un abus pernicieux qu'il falloit nécessairement retrancher.

Ce fut seulement alors que les évêques, les papes & les conciles se réunirent plus étroitement dans toute l'Europe, pour abroger les extravagantes cérémonies de cette fête. Les constitutions synodales du diocèse de Chartres, publiées en 1550, ordonnerent que l'on bannît des églises les habits des fous qui sont des personnages de théatre. Les statuts synodaux de Lyon, en 1566 & 1577, défendirent toutes les farces de la fête des fous dans les églises. Le concile de Tolede, en 1566, entra dans le sentiment des autres conciles. Le concile provincial d'Aix, en 1585, ordonna que l'on fît cesser dans les églises, le jour de la fête des Innocens, tous les divertissemens, tous les jeux d'enfans & de théatre qui y avoient subsisté jusqu'alors. Enfin le concile provincial de Bordeaux, tenu à Cognac en 1620, condamna severement les danses & les autres pratiques ridicules qui se faisoient encore dans ce diocèse le jour de la fête des fous.

Les séculiers concoururent avec le clergé pour faire cesser à jamais la fête des fous, comme le prouve l'arrêt du parlement de Dijon du 19 Janvier 1552 : mais malgré tant de forces réunies, l'on peut dire que la renaissance des Lettres contribua plus dans l'espace de cinquante ans à l'abolition de cette ancienne & honteuse fête, que la puissance ecclésiastique & séculiere dans le cours de mille ans. Article de M(D.J.)

Nous allons joindre à ce mémoire, en faveur de plusieurs lecteurs, la description de la fête des fous, telle qu'elle se célébroit à Viviers, & cette description sera tirée du vieux rituel manuscrit de cette église.

Elle commençoit par l'élection d'un abbé du clergé ; c'étoit le bas-choeur, les jeunes chanoines, les clercs & enfans-de-choeur qui le faisoient. L'abbé élû & le Te Deum chanté, on le portoit sur les épaules dans la maison où tout le reste du chapitre étoit assemblé. Tout le monde se levoit à son arrivée, l'évêque lui-même, s'il y étoit présent. Cela étoit suivi d'une ample collation, après laquelle le haut-choeur d'un côté & le bas-choeur de l'autre, commençoient à chanter certaines paroles qui n'avoient aucune suite : sed dum earum cantus saepius & frequentius per partes continuando cantatur, tanto amplius ascendendo eleyatur in tantum, quod una pars cantando, clamando E FORT CRIDAR vincit aliam. Tunc enim inter se ad invicem clamando, sibilando, ululando, cachinnando, deridendo, ac cum suis manibus demonstrando, pars victrix, quantum potest, partem adversam deridere conatur & superare, jocosasque trufas sine taedis breviter inserre. A parte abatis HEROS, alter chorus & NOLIE NOLIERNO ; à parte abatis AD FONS SANCTI BACON, alii KYRIE ELEISON, &c.

Cela finissoit par une procession qui se faisoit tous les jours de l'octave. Enfin le jour de saint Etienne, paroissoit l'évêque fou ou l'évêque des fous, episcopus stultus. C'étoit aussi un jeune clerc, différent de l'abbé du clergé. Quoiqu'il fût élû dès le jour des Innocens de l'année précédente, il ne joüissoit, à proprement parler, des droits de sa dignité que ces trois jours de S. Etienne, de S. Jean, & des Innocens. Après s'être revêtu des ornemens pontificaux, en chape, mitre, crosse, &c. suivi de son aumônier aussi en chape, qui avoit sur sa tête un petit coussin au lieu de bonnet, il venoit s'asseoir dans la chaire épiscopale, & assistoit à l'office, recevant les mêmes honneurs que le véritable évêque auroit reçûs. A la fin de l'office, l'aumônier disoit à pleine voix, silete, silete, silentium habete : le choeur répondoit, Deo gratias. L'évêque des fous, après avoir dit l'adjutorium, &c. donnoit sa bénédiction, qui étoit immédiatement suivie de ces prétendues indulgences que son aumônier prononçoit avec gravité :

De part mossenhor l'évesque

Que Dieu vos done grand mal al bescle

Aves una plena banasta de pardos

E dos des de raycha de sot lo mento.

C'est-à-dire, de par monseigneur l'évêque, que Dieu vous donne grand mal au foie, avec une pleine pannerée de pardons, & deux doigts de rache & de gale rogneuse dessous le menton. Les autres jours les mêmes cérémonies se pratiquoient, avec la seule différence que les indulgences varioient. Voici celles du second jour, qui se repétoient aussi le troisieme :

Mossenhor quez ayssi presenz

Vos dona xx banastas de mal de dens

Et a vos autras donas a tressi

Dona una cua de rossi.

Ce qu'on peut rendre par ces mots : monseigneur qui est ici présent, vous donne vingt pannerées de mal de dents ; & ajoûte aux autres dons qu'il vous a faits, celui d'une queue de rosse.

Ces abus, quelques indécens & condamnables qu'ils fussent, n'approchoient pas encore des impiétés qui se pratiquoient dans d'autres églises du royaume, si l'on en croit la lettre circulaire citée ci-dessus, des docteurs de la faculté de Paris, envoyée en 1444 à tous les prélats de France, pour les engager à abolir cette détestable coûtume.

Belet docteur de la même faculté, qui vivoit plus de deux cent ans auparavant, écrit qu'il y avoit quatre sortes de danses ; celle des lévites ou diacres, celle des prêtres, celle des enfans ou clercs, & celle des soûdiacres. Théophile Raynaud témoigne qu'à la messe de cette abominable fête, le jour de saint Etienne on chantoit une prose de l'âne, qu'on nommoit aussi la prose des fous ; & que le jour de S. Jean on en chantoit encore une autre, qu'on appelloit la prose du boeuf. On conserve dans la bibliotheque du chapitre de Sens, un manuscrit en vélin avec des miniatures, où sont représentées les cérémonies de la fête des fous. Le texte en contient la description. Cette prose de l'âne s'y trouve ; on la chantoit à deux choeurs, qui imitoient par intervalles & comme pour refrain, le braire de cet animal.

Cet abus a regné dans cette église, comme dans presque toutes les autres du royaume ; mais elle a été une des premieres à le réformer, comme il paroît par une lettre de Jean Leguise évêque de Troyes, à Tristan de Salasar archevêque de Sens. Elle porte entr'autres ; que aucuns gens d'église de cette ville (de Troyes), sous umbre de leur fête aux fous, ont fait plusieurs grandes mocqueries, dérisions, & folies contre l'onneur & révérence de Dieu, & au grand contempt & vitupere des gens d'église & de tout l'état ecclésiastique... ont éleu & fait un arcevesque des fols ; lequel, la veille & jour de la circoncision de Notre-Seigneur, fit l'office... vêtu in pontificalibus, en baillant la bénédiction solemnelle au peuple ; & avec ledit arcevesque, en allant parmi la ville, faisoit porter la croix devant ly, & baillant la bénédiction en allant en grand dérision & vitupere de la dignité arciépiscopale ; & quand on leur a dit que c'étoit mal fait, ils ont dit que ainsi le fait-on à Sens, & que vous même avez commandé & ordonné faire ladite feste, combien que soye informé du contraire, &c. En effet l'évêque de Troyes auroit eu mauvaise grace de s'adresser à son métropolitain pour faire cesser cet abus, si celui-ci en eût toléré un semblable dans sa propre cathédrale. Cette lettre est de la fin du quinzieme siecle, & il paroît par-là que cette fête étoit déjà abolie dans l'église de Sens. Elle l'étoit également en beaucoup d'autres, conformément aux décisions de plusieurs conciles, par le zele & la vigilance qu'apporterent les évêques à retrancher des abus si crians.

Quelques autres auteurs parlent de la coûtume établie dans certains diocèses, où sur la fin de Décembre les évêques joüoient familierement avec leur clergé, à la paume, à la boule, à l'imitation, disent-ils, des saturnales des Payens : mais cette derniere pratique, qu'on regarderoit aujourd'hui comme indécente, n'étoit mêlée d'aucune impiété, comme il en regnoit dans la fête des fous. D'autres auteurs prétendent que les Latins avoient emprunté cette derniere des Grecs : mais il est plus vraisemblable que la premiere origine de cette fête vient de la superstition des Payens qui se masquoient le premier jour de l'an, & se couvroient de peaux de cerfs ou de biches pour représenter ces animaux ; ce que les Chrétiens imiterent nonobstant les défenses des conciles & des peres. Dans les siecles moins éclairés, on crut rectifier ces abus en y mêlant des représentations des mysteres ; mais, comme on voit, la licence & l'impiété prirent le dessus ; & de ce mélange bizarre du sacré & du profane, il ne résulta qu'une profanation des choses les plus respectables.

Si malgré ces détails quelqu'un est encore curieux d'éclaircissemens sur cette matiere, il peut consulter les ouvrages de Pierre de Blois ; Thiers, traité des jeux ; l'histoire de Bretagne, tome I. pag. 586 ; Mezerai, abregé de l'histoire de France, tom. I. pag. 578. éd. in -4°. dom Lobineau, histoire de Paris, tom. I. pag. 224. dom Marlot, histoire de Rheims, tome II. page 769. & enfin les mémoires de du Tillot, pour servir à l'histoire de la fête des fous, imprimés à Lausanne en 1751, in -12. Article de M(D.J.)

FETE DES INNOCENS : cette fête étoit comme une branche de l'ancienne fête des fous, & on la célébroit le jour des Innocens. Elle n'a pas disparu sitôt que la premiere ; puisque Naudé, dans sa plainte à Gassendi en 1645, témoigne qu'elle subsistoit encore alors dans quelques monasteres de Province. Cet auteur raconte qu'à Antibes, dans le couvent des Franciscains, les religieux prêtres ni le gardien n'alloient point au choeur le jour des Innocens, & que les freres lais qui vont à la quête, ou qui travaillent au jardin & à la cuisine, occupoient leurs places dans l'église, & faisoient une maniere d'office avec des extravagances & des profanations horribles. Ils se revêtoient d'ornemens sacerdotaux, mais tous déchirés, s'il en trouvoient, & tournés à l'envers. Ils tenoient des livres à rebours, où ils faisoient semblant de lire avec des lunettes qui avoient de l'écorce d'orange pour verre. Ils ne chantoient ni hymnes, ni pseaumes, ni messes à l'ordinaire ; mais tantôt ils marmotoient certains mots confus, & tantôt ils poussoient des cris avec des contorsions qui faisoient horreur aux personnes sensées. Thiers, traité des jeux. Voyez FETE DES FOUS.

On a conservé dans quelques cathédrales & collégiales, l'usage de faire officier ce jour-là les enfans de-choeur, c'est-à-dire de leur faire porter chape à la messe & à vêpres, & de leur donner place dans les hautes stalles, pour honorer la mémoire des enfans égorgés par l'ordre d'Hérode. C'est une pratique pieuse qui n'étant accompagnée d'aucune indécence, ne se ressent en rien de la mascarade contre laquelle Naudé s'est élevé si justement, & encore moins de l'ancienne fête des fous. (G)

FETES, (Jurispr.) on ne peut faire aucun exploit les jours de fêtes & dimanche, ni rendre aucune ordonnance de justice, si ce n'est dans les cas qui requierent célérité. Voy. AJOURNEMENT & EXPLOIT.

Le conseil du roi s'assemble les jours de fêtes & dimanche comme les autres jours, attendu l'importance des matieres qui y sont portées.

C'est au juge laïc & non à l'official, à connoître de l'inobservation des fêtes commandées par l'église, contre ceux qui les ont transgressées en travaillant à des oeuvres serviles un jour férié. Voyez Fevret en son traité de l'abus, liv. IV. ch. viij. n°. 3.

FETES DE PALAIS, sont certains jours fériés ou de vacations, auxquels les tribunaux n'ouvrent point. On peut néanmoins ces jours-là faire tous exploits, ces jours de fêtes n'étant point chommés. (A)

FETE DE VILLAGE : le droit de l'annoncer par un cri public, est un droit seigneurial. Voyez ce qui en a été dit ci-devant au mot CRI DE LA FETE. (A)

FETE, (Beaux-Arts) solennité ou réjoüissance, & quelquefois l'une & l'autre, établie ou par la religion, ou par l'usage, ou occasionnée par quelque évenement extraordinaire, qui intéresse un état, une province, une ville, un peuple, &c.

Ce mot a été nécessaire à toutes les nations : elles ont toutes eu des fêtes. On lit dans tous les historiens, que les Juifs, les Payens, les Turcs, les Chinois ont eu leurs solennités & leurs réjoüissances publiques. Les uns dérivent ce mot de l'hébreu , qui signifie feu de Dieu : les autres pensent qu'il vient du mot latin feriari : quelques savans ont écrit qu'il tiroit son origine du grec , qui veut dire foyer, &c.

Toutes ces étymologies paroissent inutiles : elles indiquent seulement l'antiquité de la chose que notre mot fête nous désigne.

Nous passerons rapidement sur les fêtes de solennité & de réjoüissance des Juifs, des Payens, & de l'Eglise. Il y en a qui furent établies par les lois politiques, telles que celles qu'on célébroit en Grece. Celles des Juifs émanoient toutes de la loi de Moyse ; & les réjoüissances ou solennités des Romains, tenoient également à la religion & à la politique.

On les connoîtra successivement dans l'Encyclopédie, si on veut bien les chercher à leurs articles. Voyez BACCHANALES, SATURNALES, TABERNACLES, &c. & les articles précédens.

Il ne sera point question non plus des fêtes de notre sainte religion, dont les plus considérables sont ou seront aussi détaillées sous les mots qui les désignent. On se borne ici à faire connoître quelques-unes de ces magnifiques réjoüissances qui ont honoré en différens tems les états, les princes, les particuliers même, à qui les Arts ont servi à manifester leur goût, leur richesse, & leur génie.

Les bornes qui me sont prescrites m'empêcheront aussi de parler des fêtes des siecles trop reculés : les triomphes d'Alexandre, les entrées des conquérans, les superbes retours des vainqueurs romains dans la capitale du monde, sont répandus dans toutes nos anciennes histoires. Je ne m'attache ici qu'à rassembler quelques détails, qui forment un tableau historique des ressources ingénieuses de nos Arts dans les occasions éclatantes. Les exemples frappent l'imagination & l'échauffent. On peint les actions des grands hommes aux jeunes héros, pour les animer à les égaler ; il faut de même retracer aux jeunes esprits, qu'un penchant vif entraîne vers les Arts, les effets surprenans dont ils ont avant nous été capables : à cette vûe, on les verra prendre peut-être un noble essor pour suivre ces glorieux modeles, & s'échauffer même de l'espoir tout-puissant de les surpasser quelque jour.

Je prens pour époque en ce genre des premiers jets du génie, la fête de Bergonce de Botta, gentilhomme de Lombardie ; il la donna dans Tortone vers l'année 1480, à Galéas duc de Milan, & à la princesse Isabelle d'Aragon sa nouvelle épouse.

Dans un magnifique sallon entouré d'une galerie, où étoient distribués plusieurs joüeurs de divers instrumens, on avoit dressé une table tout-à-fait vuide. Au moment que le duc & la duchesse parurent, on vit Jason & les argonautes s'avancer fierement sur une symphonie guerriere ; ils portoient la fameuse toison-d'or, dont ils couvrirent la table après avoir dansé une entrée noble, qui exprimoit leur admiration à la vûe d'une princesse si belle, & d'un prince si digne de la posséder.

Cette troupe céda la place à Mercure. Il chanta un récit, dans lequel il racontoit l'adresse dont il venoit de se servir pour ravir à Apollon qui gardoit les troupeaux d'Admette, un veau gras dont il faisoit hommage aux nouveaux mariés. Pendant qu'il le mit sur la table, trois quadrilles qui le suivoient exécuterent une entrée.

Diane & ses nymphes succéderent à Mercure : La déesse faisoit suivre une espece de brancard doré ; sur lequel on voyoit un cerf : c'étoit, disoit-elle, un Actéon qui étoit trop heureux d'avoir cessé de vivre, puisqu'il alloit être offert à une nymphe aussi aimable & aussi sage qu'Isabelle.

Dans ce moment une symphonie mélodieuse attira l'attention des convives ; elle annonçoit le chantre de la Thrace ; on le vit joüant de sa lyre & chantant les louanges de la jeune duchesse.

" Je pleurois, dit-il, sur le mont Apennin la mort de la tendre Euridice ; j'ai appris l'union de deux amans dignes de vivre l'un pour l'autre, & j'ai senti pour la premiere fois, depuis mon malheur, quelque mouvement de joie ; mes chants ont changé avec les sentimens de mon coeur ; une foule d'oiseaux a volé pour m'entendre, je les offre à la plus belle princesse de la terre, puisque la charmante Euridice n'est plus ".

Des sons éclatans interrompirent cette mélodie ; Atalante & Thésée conduisant avec eux une troupe leste & brillante, représenterent par des danses vives une chasse à grand bruit : elle fut terminée par la mort du sanglier de Calydon, qu'ils offrirent au jeune duc en exécutant des ballets de triomphe.

Un spectacle magnifique succéda à cette entrée pittoresque : on vit d'un côté Iris sur un char traîné par des paons, & suivie de plusieurs nymphes vêtues d'une gase legere, qui portoient des plats couverts de ces superbes oiseaux.

La jeune Hébé parut de l'autre, portant le nectar qu'elle verse aux dieux ; elle étoit accompagnée des bergers d'Arcadie chargés de toutes les especes de laitages, de Vertumne & de Pomone qui servirent toutes les sortes de fruits.

Dans le même tems l'ombre du délicat Apicius sortit de terre ; il venoit prêter à ce superbe festin les finesses qu'il avoit inventées, & qui lui avoient acquis la réputation du plus voluptueux des Romains.

Ce spectacle disparut, & il se forma un grand ballet composé des dieux de la mer & de tous les fleuves de Lombardie. Ils portoient les poissons les plus exquis, & ils les servirent en exécutant des danses de différens caracteres.

Ce repas extraordinaire fut suivi d'un spectacle encore plus singulier. Orphée en fit l'ouverture ; il conduisoit l'hymen & une troupe d'amours : les graces qui les suivoient entouroient la foi conjugale, qu'ils présenterent à la princesse, & qui s'offrit à elle pour la servir.

Dans ce moment Sémiramis, Helene, Médée, & Cléopatre interrompirent le récit de la foi conjugale, en chantant les égaremens de leurs passions. Celle-ci indignée qu'on osât souiller, par des récits aussi coupables, l'union pure des nouveaux époux, ordonna à ces reines criminelles de disparoître. A sa voix, les amours dont elle étoit accompagnée fondirent, par une danse vive & rapide, sur elles, les poursuivirent avec leurs flambeaux allumés, & mirent le feu aux voiles de gase dont elles étoient coiffées.

Lucrece, Pénélope, Thomiris, Judith, Porcie & Sulpicie, les remplacerent en présentant à la jeune princesse les palmes de la pudeur, qu'elles avoient méritées pendant leur vie. Leur danse noble & modeste fut adroitement coupée par Bacchus, Silene & les Egypans, qui venoient célébrer une noce si illustre ; & la fête fut ainsi terminée d'une maniere aussi gaie qu'ingénieuse.

Cet assemblage de tableaux en action, assez peu relatifs peut-être l'un à l'autre, mais remplis cependant de galanterie, d'imagination, & de variété, fit le plus grand bruit en Italie, & donna dans la suite l'idée des carrousels réguliers, des operas, des grands ballets à machines, & des fêtes ingénieuses avec lesquelles on a célébré en Europe les grands évenemens. Voyez le traité de la danse, liv. I. ch. ij. pag. 2, & les articles BALLET, OPERA, SPECTACLE.

On apperçut dès-lors que dans les grandes circonstances, la joie des princes, des peuples, des particuliers même, pouvoit être exprimée d'une façon plus noble, que par quelques cavalcades monotones, par de tristes fagots embrasés en cérémonie dans les places publiques & devant les maisons des particuliers ; par l'invention grossiere de tous ces amphithéatres de viandes entassées dans les lieux les plus apparens, & de ces dégoûtantes fontaines de vin dans les coins des rues ; ou enfin par ces mascarades déplaisantes qui, au bruit des fifres & des tambours, n'apprêtent à rire qu'à l'ivresse seule de la canaille, & infectent les rues d'une grande ville, dont l'extrème propreté dans ces momens heureux, devroit être une des plus agréables démonstrations de l'allégresse publique.

Dans les cours des rois on sentit par cet exemple, que les mariages, les victoires, tous les évenemens heureux ou glorieux, pouvoient donner lieu à des spectacles nouveaux, à des divertissemens inconnus, à des festins magnifiques, que les plus aimables allégories animeroient ainsi de tous les charmes des fables anciennes ; enfin que la descente des dieux parmi nous embelliroit la terre, & donneroit une espece de vie à tous les amusemens que le génie pouvoit inventer ; que l'art sauroit mettre en mouvemens les objets qu'on avoit regardés jusqu'alors comme des masses immobiles, & qu'à force de combinaisons & d'efforts, il arriveroit au point de perfection dont il est capable.

C'est sur ce développement que les cours d'Italie imiterent tour-à-tour la fête de Bergonce de Botta ; & Catherine de Medicis en portant en France le germe des beaux Arts qu'elle avoit vû renaître à Florence, y porta aussi le goût de ces fêtes brillantes, qui depuis y fut poussé jusqu'à la plus superbe magnificence & la plus glorieuse perfection.

On ne parlera ici que d'une seule des fêtes de cette reine, qui avoit toûjours des desseins, n'eut jamais de scrupules, & qui sut si cruellement se servir du talent dangereux de ramener tout ce qui échappoit de ses mains, à l'accomplissement de ses vûes.

Pendant sa régence, elle mena le roi à Bayonne, où sa fille reine d'Espagne, vint la joindre avec le duc d'Albe, que la régente vouloit entretenir : c'est-là qu'elle déploya tous les petits ressorts de sa politique vis-à-vis d'un ministre qui en connoissoit de plus grands, & les ressources d'une fine galanterie vis-à-vis d'une foule de courtisans divisés, qu'elle avoit intérêt de distraire de l'objet principal qui l'avoit amenée.

Les ducs de Savoye & de Lorraine, plusieurs autres princes étrangers, étoient accourus à la cour de France, qui étoit aussi magnifique que nombreuse. La reine qui vouloit donner une haute idée de son administration, donna le bal deux fois le jour, festins sur festins, fête sur fête. Voici celle où je trouve le plus de variété, de goût, & d'invention. Voyez les mémoires de la reine de Navarre.

Dans une petite île située dans la riviere de Bayonne, couverte d'un bois de haute-futaie, la reine fit faire douze grands berceaux qui aboutissoient à un sallon de forme ronde, qu'on avoit pratiqué dans le milieu. Une quantité immense de lustres de fleurs furent suspendus aux arbres, & on plaça une table de douze couverts dans chacun des berceaux.

La table du roi, des reines, des princes & des princesses du sang, étoit dressée dans le milieu du sallon ; ensorte que rien ne leur cachoit la vûe des douze berceaux où étoient les tables destinées au reste de la cour.

Plusieurs symphonistes distribués derriere les berceaux & cachés par les arbres, se firent entendre dès que le roi parut. Les filles d'honneur des deux reines, vêtues élégamment partie en nymphes, partie en nayades, servirent la table du roi. Des satyres qui sortoient du bois leurs apportoient tout ce qui étoit nécessaire pour le service.

On avoit à peine joüi quelques momens de cet agréable coup-d'oeil, qu'on vit successivement paroître pendant la durée de ce festin, différentes troupes de danseurs & de danseuses, représentant les habitans des provinces voisines, qui danserent les uns après les autres les danses qui leur étoient propres, avec les instrumens & les habits de leur pays.

Le festin fini, les tables disparurent : des amphithéatres de verdure & un parquet de gason furent mis en place comme par magie : le bal de cérémonie commença, & la cour s'y distingua par la noble gravité des danses sérieuses, qui étoient alors le fond unique de ces pompeuses assemblées.

C'est ainsi que le goût pour les divers ornemens que les fables anciennes peuvent fournir dans toutes les occasions d'éclat à la galanterie, à l'imagination, à la variété, à la pompe, à la magnificence, gagnoit les esprits de l'Europe depuis la fête ingénieuse de Bergonce de Botta.

Les tableaux merveilleux qu'on peut tirer de la fable, l'immensité de personnages qu'elle procure, la foule de caracteres qu'elle offre à peindre & à faire agir, sont en effet les ressources les plus abondantes. On ne doit pas s'étonner si elles furent saisies avec ardeur & adoptées sans scrupule, par les personnages les plus graves, les esprits les plus éclairés, & les ames les plus pures.

J'en trouve un exemple qui fera connoître l'état des moeurs du tems, dans une fête publique préparée avec toute la dépense possible, & exécutée avec la pompe la plus solemnelle. Je n'en parle que d'après un religieux aussi connu de son tems par sa piété, que par l'abondance de ses recherches & de ses ouvrages sur cette matiere. C'est à Lisbonne que fut célebrée la fête qu'il va décrire.

" Le 31 * Janvier (1610), après l'office solemnel du matin & du soir, sur les quatre heures après midi, deux cent arquebusiers se rendirent à la porte de Notre-Dame de Lorette, où ils trouverent une machine de bois d'une grandeur énorme, qui représentoit le cheval de Troye.

Ce cheval commença dès-lors à se mouvoir par de secrets ressorts, tandis qu'au tour de ce cheval se représentoient en ballets les principaux évenemens de la guerre de Troye.

Ces représentations durerent deux bonnes heures, après quoi on arriva à la place S. Roch, où est la maison professe des Jésuites.

Une partie de cette place représentoit la ville de Troye avec ses tours & ses murailles. Aux approches du cheval, une partie des murailles tomba ; les soldats grecs sortirent de cette machine, & les Troyens de leur ville, armés & couverts de feux d'artifice, avec lesquels ils firent un combat merveilleux.

Le cheval jettoit des feux contre la ville, la ville contre le cheval ; & l'un des plus beaux spectacles fut la décharge de dix-huit arbres tous chargés de semblables feux.

Le lendemain, d'abord après le dîné, parurent sur mer au quartier de Pampuglia, quatre brigantins richement parés, peints & dorés, avec quantité de banderoles & de grands choeurs de musique. Quatre ambassadeurs, au nom des quatre parties du monde, ayant appris la béatification d'Ignace de Loyola, pour reconnoître les bienfaits que toutes les parties du monde avoient reçus de lui, venoient lui faire hommage, & lui offrir des présens, avec les respects des royaumes & des provinces de chacune de ces parties.

Toutes les galeres & les vaisseaux du port saluerent ces brigantins : étant arrivés à la place de la marine, les ambassadeurs descendirent, & monterent en même tems sur des chars superbement ornés, & accompagnés de trois cent cavaliers, s'avancerent vers le collége, précedés de plusieurs trompettes.

Après quoi des peuples de diverses nations, vétus à la maniere de leur pays, faisoient un ballet très agréable, composant quatre troupes ou quadrilles pour les quatre parties du monde.

Les royaumes & les provinces, représentés par autant de génies, marchoient avec ces nations & les peuples différens devant les chars des ambassadeurs de l'Europe, de l'Asie, de l'Afrique & de l'Amérique, dont chacun étoit escorté de soixante-dix cavaliers.

La troupe de l'Amérique étoit la premiere, & entre ses danses elle en avoit une plaisante de jeunes enfans déguisés en singes, en guenons, & en perroquets. Devant le char étoient douze nains montés sur des haquenées ; le char étoit tiré par un dragon.

La diversité & la richesse des habits ne faisoient pas le moindre ornement de cette fête, quelques-uns ayant pour plus de deux cent mille écus de pierreries ".

Les trois fêtes qu'on a mis sous les yeux des lecteurs, doivent leur faire pressentir que ce genre très-peu connu, & sur lequel on a trop négligé d'écrire, embrasse cependant une vaste étendue, offre à l'imagination une grande variété, & au génie une carriere brillante.

Ainsi pour donner une idée suffisante sur cette matiere, on croit qu'une relation succincte d'une fête plus générale, qui fit dans son tems l'admiration de l'Angleterre, & qui peut-être pourroit servir de modele dans des cas semblables, ne sera pas tout-à-fait inutile à l'art.

Entre plusieurs personnages médiocres qui entouroient le cardinal de Richelieu, il s'étoit pris de quelque amitié pour Durand, homme maintenant tout-à-fait inconnu, & qu'on n'arrache aujourd'hui à son obscurité, que pour faire connoître combien les préférences ou les dédains des gens en place, qui donnent toûjours le ton de leur tems, influent peu cependant sur le nom des artistes dans la postérité.

Ce Durand, courtisan sans talens d'un très-grand ministre, en qui le défaut de goût n'étoit peut-être que celui de son siecle, avoit imaginé & conduit le plus grand nombre des fêtes de la cour de Louis XIII. Quelques françois qui avoient du génie trouverent les accès difficiles & la place prise : ils se répandirent dans les pays étrangers, & ils y firent éclater l'imagination, la galanterie & le goût, qu'on ne leur avoit pas permis de déployer dans le sein de leur patrie.

La gloire qu'ils y acquirent rejaillit cependant sur elle ; & il est flateur encore pour nous aujourd'hui, que les fêtes les plus magnifiques & les plus galantes qu'on ait jamais données à la cour d'Angleterre, ayent été l'ouvrage des François.

Le mariage de Frédéric cinquieme comte Palatin

* On transcrit tout ceci, mot-à-mot, du traité des Ballets, du pere Menestrier, jésuite.

du Rhin, avec la princesse d'Angleterre, en fut l'occasion & l'objet. Elles commencerent le premier jour par des feux d'artifice en action sur la Tamise ; idée noble, ingénieuse, & nouvelle, qu'on a trop négligée après l'avoir trouvée, & qu'on auroit dû employer toûjours à la place de ces desseins sans imagination & sans art, qui ne produisent que quelques étincelles, de la fumée, & du bruit.

Ces feux furent suivis d'un festin superbe, dont tous les dieux de la fable apporterent les services, en dansant des ballets formés de leurs divers caracteres *. Un bal éclairé avec beaucoup de goût, dans des salles préparées avec grande magnificence, termina cette premiere nuit.

La seconde commença par une mascarade aux flambeaux, composée de plusieurs troupes de masques à cheval. Elles précédoient deux grands chariots éclairés par un nombre immense de lumieres, cachées avec art aux yeux du peuple, & qui portoient toutes sur plusieurs grouppes de personnages qui y étoient placés en différentes positions. Dans des coins dérobés à la vûe par des toiles peintes en nuages, on avoit rangé une foule de joüeurs d'instrumens ; on joüissoit ainsi de l'effet, sans en appercevoir la cause, & l'harmonie alors a les charmes de l'enchantement.

Les personnages qu'on voyoit sur ces chariots étoient ceux qui alloient représenter un ballet devant le roi, & qui formoient par cet arrangement un premier spectacle pour le peuple, dont la foule ne sauroit à la vérité être admise dans le palais, mais qui dans des occasions doit toûjours être comptée pour beaucoup plus qu'on ne pense.

Toute cette pompe, après avoir traversé la ville de Londres, arriva en bon ordre, & le ballet commença. Le sujet étoit le temple de l'honneur, dont la justice étoit établie solennellement la prêtresse.

Le superbe conquérant de l'Inde, le dieu des richesses, l'ambition, le caprice, chercherent en vain à s'introduire dans ce temple ; l'honneur n'y laissa pénétrer que l'amour & la beauté, pour chanter l'hymne nuptial des deux nouveaux époux.

Rien n'est plus ingénieux que cette composition, qui respiroit par-tout la simplicité & la galanterie.

Deux jours après, trois cent gentilshommes représentant toutes les nations du monde, & divisés par troupes, parurent sur la Tamise dans des bateaux ornés avec autant de richesse que d'art. Ils étoient précédés & suivis d'un nombre infini d'instrumens, qui joüoient sans-cesse des fanfares, en se répondant les uns les autres. Après s'être montrés ainsi à une multitude innombrable, ils arriverent au palais du roi où ils danserent un grand ballet allégorique.

La religion réunissant la Grande-Bretagne au reste de la terre (a) étoit le sujet de ce spectacle.

Le théatre représentoit le globe du monde : la vérité, sous le nom d'Alithie, étoit tranquillement couchée à un des côtés du théatre. Après l'ouverture, les Muses exposerent le sujet.

Atlas parut avec elles ; il dit qu'ayant appris d'Archimede que si on trouvoit un point fixe, il seroit aisé d'enlever toute la masse du monde, il étoit venu en Angleterre, qui étoit ce point si difficile à trouver, & qu'il se déchargeroit desormais du poids qui l'avoit accablé, sur Alithie, compagne inséparable du plus sage & du plus éclairé des rois.

Après ce récit, le vieillard accompagné de trois muses, Uranie, Terpsicore, & Clio, s'approcha du globe, & il s'ouvrit.

L'Europe vêtue en reine en sortit la premiere suivie de ses filles, la France, l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, & la Grece : l'Océan & la Méditerranée l'accompagnoient, & ils avoient à leur suite la Loire, le Guadalquivir, le Rhin, le Tibre, & l'Acheloüs.

Chacune des filles de l'Europe avoit trois pages caractérisés par les habits de leurs provinces. La France menoit avec elle un Basque, un Bas-Breton ; l'Espagne, un Arragonois & un Catalan : l'Allemagne, un Hongrois, un Bohémien, & un Danois ; l'Italie, un Napolitain, un Vénitien, & un Bergamasque ; la Grece, un Turc, un Albanois, & un Bulgare.

Cette suite nombreuse dansa un avant-ballet ; & des princes de toutes les nations qui sortirent du globe avec un cortege brillant, vinrent danser successivement des entrées de plusieurs caracteres avec les personnages qui étoient déjà sur la scène.

Atlas fit ensuite sortir dans le même ordre les autres parties de la terre, ce qui forma une division simple & naturelle du ballet, dont chacun des actes fut terminé par les hommages que toutes ces nations rendirent à la jeune princesse d'Angleterre, & par des présens magnifiques qu'elles lui firent.

L'objet philosophique de tous les articles de cet Ouvrage, est de répandre, autant qu'il est possible, des lumieres nouvelles sur les différentes opérations des Arts ; mais on est bien loin de vouloir s'arroger le droit de leur prescrire des regles, dans les cas mêmes où ils operent à l'aventure, & où nulle loi écrite, nulle réflexion, nul écrit, ne leur a tracé les routes qu'ils doivent suivre. L'honneur de la législation ne tente point des hommes qui ne savent qu'aimer leurs semblables ; ils écrivent moins dans le dessein de les instruire, que dans l'espérance de les rendre un jour plus heureux.

C'est l'unique but & la gloire véritable des Arts. Comme on doit à leur industrie les commodités, les plaisirs, les charmes de la vie, plus ils seront éclairés, plus leurs opérations répandront d'agréables délassemens sur la terre ; plus les nations où ils seront favorisés auront des connoissances, & plus le goût fera naître dans leur ame des sentimens délicieux de plaisir.

C'est dans cette vûe qu'on s'est étendu sur cet article. On a déjà dû appercevoir, par le détail où on est entré, que le point capital dans ces grands spectacles, est d'y répandre la joie, la magnificence, l'imagination, & sur-tout la décence : mais une qualité essentielle qu'il faut leur procurer avec adresse, est la participation sage, juste, & utile, qu'on doit y ménager au peuple dans tous les cas de réjoüissance générale. On a démélé sans peine dans les fêtes de Londres, que les préparatifs des spectacles qu'on donna à la cour, furent presque tous offerts à la curiosité des Anglois. Outre les feux d'artifice donnés sur la Tamise, on eut l'habileté de faire partir des quartiers les plus éloignés de Londres, & d'une maniere aussi élégante qu'ingénieuse, les acteurs qui devoient amuser la cour. On donnoit ainsi à tous les citoyens la part raisonnable qui leur étoit dûe des plaisirs qu'alloient prendre leurs maîtres.

Le peuple, qu'on croit faussement ne servir que de nombre, nos numerus summus, &c. n'est pas moins cependant le vrai trésor des rois : il est, par son industrie & sa fidélité, cette mine féconde qui fournit sans-cesse à leur magnificence ; la nécessité le ranime, l'habitude le soûtient, & l'opiniâtreté de ses travaux devient la source intarissable de leurs forces, de leur pouvoir, de leur grandeur. Ils doivent donc lui donner une grande part aux réjoüissances solemnelles, puisqu'il a été l'instrument secret des avantages glorieux qui les causent. Voyez FETES DE LA COUR, DE LA VILLE, DES PRINCES DE FRANCE, &c. FESTINS ROYAUX, ILLUMINATIONS, &c. FEU D'ARTIFICE. (B)

* Cette partie étoit imitée de la fête de Bergonce de Botta.

(a) En opposition à cet ancien proverbe, & toto divisos orbe Britannos.

FETES DE LA COUR DE FRANCE. Les tournois & & les carrousels, ces fêtes guerrieres & magnifiques, avoient produit à la cour de France en l'année 1559 un évenement trop tragique pour qu'on pût songer à les y faire servir souvent dans les réjoüissances solemnelles. Ainsi les bals, les mascarades, & sur-tout les ballets qui n'entraînoient après eux aucun danger, & que la reine Catherine de Médicis avoit connus à Florence, furent pendant plus de 50 ans la ressource de la galanterie & de la magnificence françoise.

L'aîné des enfans de Henri II. ne regna que dix-sept mois ; il en coûta peu de soins à sa mere pour le distraire du gouvernement, que son imbécillité le mettoit hors d'état de lui disputer ; mais le caractere de Charles IX. prince fougueux, qui joignoit à quelque esprit un penchant naturel pour les Beaux-Arts, tint dans un mouvement continuel l'adresse, les ressources, la politique de la reine : elle imagina fêtes sur fêtes pour lui faire perdre de vûe sans-cesse le seul objet dont elle auroit dû toûjours l'occuper. Henri III. devoit tout à sa mere ; il n'étoit point naturellement ingrat ; il avoit la pente la plus forte au libertinage, un goût excessif pour le plaisir, l'esprit leger, le coeur gâté, l'ame foible. Catherine profita de cette vertu & de ces vices pour arriver à ses fins : elle mit en jeu les festins, les bals, les mascarades, les ballets, les femmes les plus belles, les courtisans les plus libertins. Elle endormit ainsi ce prince malheureux sur un throne entouré de précipices : sa vie ne fut qu'un long sommeil embelli quelquefois par des images riantes, & troublé plus souvent par des songes funestes.

Pour remplir l'objet que je me propose ici, je crois devoir choisir parmi le grand nombre de fêtes qui furent imaginées durant ce regne, celles qu'on donna en 1581 pour le mariage du duc de Joyeuse & de Marguerite de Lorraine, belle-soeur du roi. Je ne fais au reste que copier d'un historien contemporain les détails que je vais décrire.

" Le lundi 18 Septembre 1581, le duc de Joyeuse & Marguerite de Lorraine, fille de Nicolas de Vaudemont, soeur de la reine, furent fiancés en la chambre de la reine, & le dimanche suivant furent mariés à trois heures après midi en la paroisse de S. Germain de l'Auxerrois.

Le roi mena la mariée au moûtier, suivie de la reine, princesses, & dames tant richement vêtues, qu'il n'est mémoire en France d'avoir vû chose si somptueuse. Les habillemens du roi & du marié étoient semblables, tant couverts de broderie, de perles, pierreries, qu'il n'étoit possible de les estimer ; car tel accoûtrement y avoit qui coûtoit dix mille écus de façon : & toutefois, aux dix-sept festins qui de rang & de jour à autre, par ordonnance du roi, furent faits depuis les nôces, par les princes, seigneurs, parens de la mariée, & autres des plus grands de la cour, tous les seigneurs & dames changerent d'accoûtremens, dont la plûpart étoient de toile & drap d'or & d'argent, enrichis de broderies & de pierreries en grand nombre & de grand prix.

La dépense y fut si grande, y compris les tournois, mascarades, présens, devises, musique, livrées, que le bruit étoit que le roi n'en seroit pas quitte pour cent mille écus.

Le mardi 18 Octobre, le cardinal de Bourbon fit son festin de nôces en l'hôtel de son abbaye S. Germain des Prés, & fit faire à grands frais sur la riviere de Seine, un grand & superbe appareil d'un grand bac accommodé en forme de char triomphant, dans lequel le roi, princes, princesses, & les mariés devoient passer du louvre au pré-aux-clercs, en pompe moult solemnelle ; car ce beau char triomphant devoit être tiré par-dessus l'eau par d'autres bateaux déguisés en chevaux marins, tritons, dauphins, baleines, & autres monstres marins, en nombre de vingt-quatre, en aucun desquels étoient portés à couvert au ventre desdits monstres, trompettes, clairons, cornets, violons, haut-bois, & plusieurs musiciens d'excellence, même quelques tireurs de feux artificiels, qui pendant le trajet devoient donner maints passe-tems, tant au roi qu'à 50000 personnes qui étoient sur le rivage ; mais le mystere ne fut pas bien joüé, & ne put-on faire marcher les animaux, ainsi qu'on l'avoit projetté ; de façon que le roi ayant attendu depuis quatre heures du soir jusqu'à sept, aux Tuileries, le mouvement & acheminement de ces animaux, sans en appercevoir aucun effet, dépité, dit, qu'il voyoit bien que c'étoient des bêtes qui commandoient à d'autres bêtes ; & étant monté en coche, s'en alla avec la reine & toute la suite, au festin qui fut le plus magnifique de tous, nommément en ce que ledit cardinal fit représenter un jardin artificiel garni de fleurs & de fruits, comme si c'eût été en Mai ou en Juillet & Août.

Le dimanche 15 Octobre, festin de la reine dans le Louvre ; & après le festin, le ballet de Circé & de ses nymphes ".

Le triomphe de Jupiter & de Minerve étoit le sujet de ce ballet, qui fut donné sous le titre de ballet comique de la reine ; il fut représenté dans la grande salle de Bourbon par la reine, les princesses, les princes, & les plus grands seigneurs de la cour.

Balthazar de Boisjoyeux, qui étoit dans ce tems un des meilleurs joüeurs de violon de l'Europe, fut l'inventeur du sujet, & en disposa toute l'ordonnance. L'ouvrage est imprimé, & il est plein d'inventions d'esprit ; il en communiqua le plan à la reine, qui l'approuva : enfin tout ce qui peut démontrer la propriété d'une composition se trouve pour lui dans l'histoire. D'Aubigné cependant, dans sa vie qui est à la tête du baron de Foeneste, se prétend hardiment auteur de ce ballet. Nous datons de loin pour les vols littéraires.

" Le lundi 16, en la belle & grande lice dressée & bâtie au jardin du Louvre, se fit un combat de quatorze blancs contre quatorze jaunes, à huit heures du soir, aux flambeaux.

Le mardi 17, autre combat à la pique, à l'estoc, au tronçon de la lance, à pié & à cheval ; & le jeudi 19, fut fait le ballet des chevaux, auquel les chevaux d'Espagne, coursiers, & autres en combattant s'avançoient, se retournoient, contournoient au son & à la cadence des trompettes & clairons, y ayant été dressés cinq mois auparavant.

Tout cela fut beau & plaisant : mais la grande excellence qui se vit les jours de mardi & jeudi, fut la musique de voix & d'instrumens la plus harmonieuse & la plus déliée qu'on ait jamais ouie (on la devoit au goût & aux soins de Baïf) ; furent aussi les feux artificiels qui brillerent avec effroyable épouvantement & contentement de toutes personnes, sans qu'aucun en fût offensé ".

La partie éclatante de cette fête, qui a été saisie par l'historien que j'ai copié, n'est pas celle qui méritoit le plus d'éloges : il y en eut une qui lui fut très-supérieure, & qui ne l'a pas frappé.

La reine & les princesses qui représentoient dans le ballet les nayades & les néréïdes, terminerent ce spectacle par des présens ingénieux qu'elles offrirent aux princes & seigneurs, qui, sous la figure de tritons, avoient dansé avec elles. C'étoient des médailles d'or gravées avec assez de finesse pour le tems : peut-être ne sera-t-on pas fâché d'en trouver ici quelques-unes. Celle que la reine offrit au roi représentoit un dauphin qui nageoit sur les flots ; ces mots étoient gravés sur les revers : delphinum, ut delphinum rependat, ce qui veut dire :

Je vous donne un dauphin, & j'en attens un autre.

Madame de Nevers en donna une au duc de Guise sur laquelle étoit gravé un cheval marin avec ces mots : adversus semper in hostem, prêt à fondre sur l'ennemi. Il y avoit sur celle que M. de Genevois reçut de madame de Guise un arion avec ces paroles : populi superat prudentia fluctus ;

Le peuple en vain s'émeut, la prudence l'appaise.

Madame d'Aumale en donna une à M. de Chaussin, sur laquelle étoit gravée une baleine avec cette belle maxime : cui sat, nil ultrà ;

Avoir assez, c'est avoir tout.

Un physite, qui est une espece d'orque ou de baleine, étoit représenté sur la médaille que madame de Joyeuse offrit au marquis de Pons ; ces mots lui servoient de devise : sic famam jungere famae ;

Si vous voulez pour vous fixer la renommée,

Occupez toûjours ses cent voix.

Le duc d'Aumale reçut un triton tenant un trident, & voguant sur les flots irrités ; ces trois mots étoient gravés sur les revers : commovet & sedat ;

Il les trouble & les calme.

Une branche de corail sortant de l'eau, étoit gravée sur la médaille que madame de l'Archant présenta au duc de Joyeuse ; elle avoit ces mots pour devise : eadem natura remansit ;

Il change en vain, il est le même.

Ainsi la cour de France, troublée par la mauvaise politique de la reine, divisée par l'intrigue, déchirée par le fanatisme, ne cessoit point cependant d'être enjoüée, polie & galante. Trait singulier & de caractere, qui seroit sans-doute une sorte de mérite, si le goût des plaisirs, sous un roi efféminé, n'y avoit été poussé jusqu'à la licence la plus effrénée ; ce qui est toûjours une tache pour le souverain, une flétrissure pour les courtisans, & une contagion funeste pour le peuple.

On ne s'est point refusé à ce récit, peut-être trop long, parce qu'on a cru qu'il seroit suffisant pour faire connoître le goût de ce tems, & que moyennant cet avantage il dispenseroit de bien d'autres détails. Les regnes suivans prirent le ton de celui-ci. Henri IV. aimoit les plaisirs, la danse, & les fêtes. Malgré l'agitation de son administration pénible, il se livra à cet aimable penchant ; mais par une impulsion de ce bon esprit, qui regloit presque toutes les opérations de son regne, ce fut Sully, le grave, le severe, l'exact Sully, qui eut l'intendance des ballets, des bals, des mascarades, de toutes les fêtes, en un mot, d'un roi aussi aimable que grand, & qui méritoit à tant de titres de pareils ministres.

Il est singulier que le regne de Louis XIII. & le ministere du plus grand génie qui ait jamais gouverné la France, n'offrent rien sur cet article, qui mérite d'être rapporté. La cour pendant tout ce tems ne cessa d'être triste, que pour descendre jusqu'à une sorte de joie basse, pire cent fois que la tristesse. Presque tous les grands spectacles de ce tems, qui étoient les seuls amusemens du roi & des courtisans françois, ne furent que de froides allusions, des compositions triviales, des fonds misérables. La plaisanterie la moins noble, & du plus mauvais goût, s'empara pour lors sans contradiction du palais de nos rois. On croyoit s'y être bien réjoüi, lorsqu'on y avoit exécuté le ballet le maître Galimathias, pour le grand bal de la doüairiere de Billebahaut, & de son fanfan de Sotteville.

On applaudissoit au duc de Nemours, qui imaginoit de pareils sujets ; & les courtisans toûjours persuadés que le lieu qu'ils habitent, est le seul lieu de la terre où le bon goût réside, regardoient en pitié toutes les nations qui ne partageoient point avec eux des divertissemens aussi délicats.

La reine avoit proposé au cardinal de Savoie, qui étoit pour lors chargé en France des négociations de sa cour, de donner au roi une fête de ce genre. La nouvelle s'en répandit, & les courtisans en rirent. Ils trouvoient du dernier ridicule, qu'on s'adressât à de plats montagnards, pour divertir une cour aussi polie que l'étoit la cour de France.

On dit au cardinal de Savoie les propos courans. Il étoit magnifique, & il avoit auprès de lui le comte Philippe d'Aglié. Voyez BALLET. Il accepta avec respect la proposition de la reine, & il donna à Monceaux un grand ballet, sous le titre de gli habitatori di monti, ou les montagnards.

Ce spectacle eut toutes les graces de la nouveauté ; l'exécution en fut vive & rapide, & la variété, les contrastes, la galanterie dont il étoit rempli, arracherent les applaudissemens & les suffrages de toute la cour.

C'est par cette galanterie ingénieuse, que le cardinal de Savoie se vengea de la fausse opinion que les courtisans de Louis XIII. avoient pris d'une nation spirituelle & polie, qui excelloit depuis long-tems dans un genre que les François avoient gâté.

Telle fut la nuit profonde, dont le goût fut enveloppé à la cour de Louis XIII. Les rayons éclatans de lumiere, que le génie de Corneille répandoit dans Paris, n'allerent point jusqu'à elle : ils se perdirent dans des nuages épais, qui sembloient sur ce point séparer la cour de la ville.

Mais cette nuit & ses sombres nuages ne faisoient que préparer à la France ses plus beaux jours, & la minorité de Louis XIV. y fut l'aurore du goût & des Beaux-Arts.

Soit que l'esprit se fût developpé par la continuité des spectacles publics, qui furent, & qui seront toûjours un amusement instructif ; soit qu'à force de donner des fêtes à la cour, l'imagination s'y fût peu-à-peu échauffée ; soit enfin que le cardinal Mazarin, malgré les tracasseries qu'il eut à soûtenir & à détruire, y eût porté ce sentiment vif des choses aimables, qui est si naturel à sa nation, il est certain que les spectacles, les plaisirs, pendant son ministere, n'eurent plus ni la grossiereté, ni l'enflure, qui furent le caractere de toutes les fêtes d'éclat du regne précédent.

Le cardinal Mazarin avoit de la gaieté dans l'esprit, du goût pour le plaisir dans le coeur, & dans l'imagination moins de faste que de galanterie. On trouve les traces de ce qu'on vient de dire dans toutes les fêtes qui furent données sous ses yeux. Benserade fut chargé, par son choix, de l'invention, de la conduite, & de l'exécution de presque tous ces aimables amusemens. Un ministre a tout fait dans ces occasions qui paroissent, pour l'honneur des états, trop frivoles, & peut-être même dans celles qu'on regarde comme les plus importantes, lorsque son discernement a sû lui suggérer le choix qu'il falloit faire.

La fête brillante que ce ministre donna dans son palais au jeune roi, le 26 Février 1651, justifia le choix qu'il avoit fait de Benserade. On y représenta le magnifique ballet de Cassandre. C'est le premier spectacle où Louis XIV. parut sur le théatre : il n'avoit alors que treize ans : il continua depuis à y étaler toutes ses graces, les proportions marquées, les attitudes nobles, dont la nature l'avoit embelli, & qu'un art facile & toûjours caché, rendoit admirables, jusqu'au 13 Février 1669, où il dansa pour la derniere fois dans le ballet de Flore.

Sa grande ame fut frappée de ces quatre vers du Britannicus de Racine :

Pour toute ambition, pour vertu singuliere,

Il excelle à conduire un char dans la carriere,

A disputer des prix indignes de ses mains,

A se donner lui-même en spectacle aux Romains.

On ne s'attachera point à rapporter les fêtes si connues de ce regne éclatant ; on sait dans les royaumes voisins, comme en France, qu'elles furent l'époque de la grandeur de cet état, de la gloire des arts, & de la splendeur de l'Europe : elles sont d'ailleurs imprimées dans tant de recueils différens ; nos peres nous les ont tant de fois retracées, & avec des transports d'amour & d'admiration si expressifs, que le souvenir en est resté gravé pour jamais dans les coeurs de tous les François. On se contente donc de présenter aux lecteurs une réflexion qu'ils ont peut-être déjà faite ; mais au moins n'est-elle, si l'on ne se trompe, écrite encore nulle part.

Louis XIV. qui porta jusqu'au plus haut degré le rare & noble talent de la représentation, eut la bonté constante dans toutes les fêtes superbes, qui charmerent sa cour & qui étonnerent l'Europe, de faire inviter les femmes de la ville les plus distinguées, & de les y faire placer sans les séparer des femmes de la cour. Il honoroit ainsi, dans la plus belle moitié d'eux-mêmes, ces hommes sages, qui gouvernoient sous ses yeux une nation heureuse. Que ces magnifiques spectacles doivent charmer un bon citoyen, quand ils lui offrent ainsi entre-mêlés dans le même tableau, ces noms illustres qui lui rappellent à la fois & nos jours de victoire, & les sources heureuses du doux calme dont nous jouissons ! Voyez les mémoires du tems, & les diverses relations des fêtes de Louis XIV. sur-tout de celle de 1668.

La minorité de Louis XV. fournit peu d'occasions de fêtes : mais la cérémonie auguste de son sacre à Rheims, fit renaître la magnificence qu'on avoit vûe dans tout son éclat, sous le regne florissant de Louis XIV. Voyez FETES DES PRINCES DE LA COUR DE FRANCE, &c.

Elle s'est ainsi soûtenue dans toutes les circonstances pareilles ; mais celles où elle offrit ce que la connoissance & l'amour des Arts peuvent faire imaginer de plus utile & de plus agréable, semblent avoir été réservées au successeur du nom & des qualités brillantes du cardinal de Richelieu. En lui mille traits annonçoient à la cour l'homme aimable du siecle, aux Arts un protecteur, à la France un général. En attendant ces tems de trouble, où l'ordre & la paix le suivirent dans Genes, & ces jours de vengeance, où une forteresse qu'on croyoit imprenable devoit céder à ses efforts, son génie s'embellissoit sans s'amollir, par les jeux rians des Muses & des Graces.

Il éleva dans le grand manége la plus belle, la plus élégante, la plus commode salle de spectacle, dont la France eût encore joüi. Le théatre étoit vaste ; le cadre qui le bordoit, de la plus élégante richesse, & la découpure de la salle, d'une adresse assez singuliere, pour que le Roi & toute la cour pussent voir d'un coup-d'oeil le nombre incroyable de spectateurs qui s'empresserent d'accourir aux divers spectacles qu'on y donna pendant tout l'hyver.

C'est-là qu'on pouvoit faire voir successivement & avec dignité les chefs-d'oeuvre immortels qui ont illustré la France, autant que l'étendue de son pouvoir, & plus, peut-être, que ses victoires. C'étoit sans-doute le projet honorable de M. le maréchal de Richelieu. Une salle de théatre une fois élevée le suppose. La fête du moment n'étoit qu'un prétexte respectable, pour procurer à jamais aux Beaux-Arts un azyle digne d'eux, dans une cour qui les connoît & qui les aime.

Une impulsion de goût & de génie détermina d'abord l'illustre ordonnateur de cette fête, à rassembler, par un enchaînement théatral, tous les genres dramatiques.

Il est beau d'avoir imaginé un ensemble composé de différentes parties, qui, séparées les unes des autres, forment pour l'ordinaire toutes les especes connues. L'idée vaste d'un pareil spectacle, ne pouvoit naître que dans l'esprit d'un homme capable des plus grandes choses : & si, à quelques égards, l'exécution ne fut pas aussi admirable qu'on pouvoit l'attendre, si les efforts redoublés des deux plus beaux génies de notre siecle, qui furent employés à cet ouvrage, ont épuisé leurs ressources sans pouvoir porter ce grand projet jusqu'à la derniere perfection, cet évenement a du moins cet avantage pour les Arts, qu'il leur annonce l'impossibilité d'une pareille entreprise pour l'avenir.

La nouvelle salle de spectacle, construite avec la rapidité la plus surprenante, par un essor inattendu de méchanique, se métamorphosoit à la volonté en une salle étendue & magnifique de bal. Peu de momens après y avoir vû la représentation pompeuse & touchante d'Armide, on y trouvoit un bal le plus nombreux & le mieux ordonné. Les amusemens variés & choisis se succédoient ainsi tous les jours ; & la lumiere éclatante des illuminations, imaginées avec goût, embellies par mille nouveaux desseins, relatifs à la circonstance, & dont la riche & promte exécution, paroissoit être un enchantement, prêtoit aux nuits les plus sombres tous les charmes des plus beaux jours. Voyez SALLE DE SPECTACLE, ILLUMINATION, FEU D'ARTIFICE, &c.

Le ton de magnificence étoit pris, & les successeurs de M. le maréchal de Richelieu avoient dans leur coeur le même desir de plaire, dans leur esprit un fonds de connoissances capables de le bien soûtenir, & cette portion rare de goût, qui dans ces occasions devient toûjours comme une espece de mine abondante de moyens & de ressources.

M. le duc d'Aumont, premier gentilhomme de la chambre, qui succéda à M. le maréchal de Richelieu, tenta une grande partie de ce que celui-ci avoit courageusement imaginé ; mais il eut l'adresse de recourir au seul moyen qui pouvoit lui procurer le succès, & il sut éviter l'obstacle qui devoit le faire échoüer. Dans un grand théatre, avec d'excellens artistes, des acteurs pleins de zele & de talens, que ne peut-on pas espérer du secours du merveilleux, pourvû qu'on sache s'abstenir de le gâter par le mélange burlesque du comique ? Sur ce principe, M. le duc d'Aumont fit travailler à un ouvrage, dont il n'y avoit point de modele. Un combat continuel de l'art & de la nature en étoit le fond, l'amour en étoit l'ame, & le triomphe de la nature en fut le dénouement.

On n'a point vû à la fois sur les théatres de l'Europe un pareil assemblage de mouvemens & de machines, si capables de répandre une aimable illusion, ni des décorations d'un dessein plus brillant, plus agréable & plus susceptible d'expression. Les meilleurs chanteurs de l'opéra ; les acteurs de notre théatre les plus sûrs de plaire ; tous ceux qui brilloient dans la danse françoise, la seule que le génie ait inventée, & que le goût puisse adopter, furent entre-mêlés avec choix dans le cours de ce superbe spectacle. Aussi vit-on Zulisca amuser le roi, plaire à la cour, mériter les suffrages de tous les amateurs des Arts, & captiver ceux de nos meilleurs artistes.

Le zele de M. le Duc de Gesvres fut éclairé, ardent, & soûtenu, comme l'avoit été celui de ses prédécesseurs ; il sembloit que le Roi ne se servît que de la même main pour faire éclater aux yeux de l'Europe son amour pour les Arts ; & sa magnificence.

Le 2d mariage de M. le Dauphin en 1747 ouvrit une carriere nouvelle à M. le duc de Gesvres, & il la remplit de la maniere la plus glorieuse. Les bals parés & masqués donnés avec l'ordre le plus desirable, de brillantes illuminations, voyez ILLUMINATION ; les feux d'artifice embellis par des desseins nouveaux, voyez FEU D'ARTIFICE ; tout cela préparé sans embarras, sans confusion, conservant dans l'exécution cet air enchanteur d'aisance, qui fait toûjours le charme de ces pompeux amusemens, ne furent pas les seuls plaisirs qui animerent le cours de ces fêtes. Le théatre du manege fournit encore à M. le duc de Gesvres des ressources dignes de son goût & de celui d'une cour éclairée.

Outre les chefs-d'oeuvre du théatre françois, qu'on vit se succéder sur un autre théatre moins vaste d'une maniere capable de rendre leurs beautés encore plus séduisantes, les opéra de la plus grande réputation firent revivre sur le théatre du manége l'ancienne gloire de Quinault, créateur de ce beau genre, & de Lulli, qui lui prêta tous ces embellissemens nobles & simples qui annoncent le génie & la supériorité qu'il avoit acquise sur tous les musiciens de son tems.

M. le duc de Gesvres fit plus ; il voulut montrer combien il desiroit d'encourager les beaux Arts modernes, & il fit représenter deux grands ballets nouveaux, relatifs à la fête auguste qu'on célebroit, avec toute la dépense, l'habileté, & le goût dont ces deux ouvrages étoient susceptibles. L'année galante fit l'ouverture des fêtes & du théatre ; les fêtes de l'hymen & de l'amour furent choisies pour en faire la clôture.

Ainsi ce théatre, superbe édifice du goût de M. le maréchal de Richelieu, étoit devenu l'objet des efforts & du zele de nos divers talens ; on y joüit tour-à-tour des charmes variés du beau chant françois, de la pompe de son opéra, de toutes les graces de la danse, du feu, de l'harmonieux accord de ses symphonies, des prodiges de machines, de l'imitation habile de la nature dans toutes les décorations.

On ne s'en tint point aux ouvrages choisis pour annoncer par de nobles allégories les fêtes qu'on vouloit célebrer ; on prit tous ceux qu'on crut capables de varier les plaisirs. M. le maréchal de Richelieu avoit fait succéder à la Princesse de Navarre, le Temple de la Gloire, & Jupiter vainqueur des Titans, spectacle magnifique, digne en tout de l'auteur ingénieux & modeste (M. de Bonneval, pour lors intendant des menus-plaisirs du Roi), qui avoit eu la plus grande part à l'exécution des belles idées de M. le maréchal de Richelieu. Il est honorable pour les gens du monde, qu'il se trouve quelquefois parmi eux, des hommes aussi éclairés sur les Arts.

On vit avec la satisfaction la plus vive Zelindor, petit opéra dont les paroles & la musique ont été inspirées par les graces, & dont toutes les parties forment une foule de jolis tableaux de la plus douce volupté.

C'est-là que parut pour la premiere fois Platée, ce composé extraordinaire de la plus noble & de la plus puissante musique, assemblage nouveau en France de grandes images & de tableaux ridicules, ouvrage produit par la gaieté, enfant de la saillie, & notre chef-d'oeuvre de génie musical qui n'eut pas alors tout le succès qu'il méritoit.

Le ballet de la Félicité, allégorie ingénieuse de celle dont joüissoit la France, parut ensuite sous l'administration de M. le duc d'Aumont, & Zulisca, dont nous avons parlé, couronna la beauté des spectacles de l'hyver 1746. On a détaillé l'année 1747.

Les machines nouvelles qui, pendant le long cours de ces fêtes magnifiques, parurent les plus dignes de loüange, furent, 1°. celle qui d'un coup-d'oeil changeoit une belle salle de spectacle en une magnifique salle de bal : 2°. celle qui servit aux travaux & à la chûte des Titans, dans l'opéra de M. de Bonneval, mis en musique par M. de Blamont sur-intendant de celle du Roi, auteur célebre des fêtes greques & romaines : 3°. les cataractes du Nil & le débordement de ce fleuve. Le vol rapide & surprenant du dieu qui partoit du haut des cataractes, & se précipitoit au milieu des flots irrités en maître suprème de tous ces torrens réunis pour servir sa colere, excita la surprise, & mérita le suffrage de l'assemblée la plus nombreuse & la plus auguste de l'univers. Cette machine formoit le noeud du second acte des fêtes de l'Hymen & de l'Amour, opéra de MM. de Cahusac & Rameau, qui fit la clôture des fêtes de cette année.

Elles furent suspendues dans l'attente d'un bonheur qui intéressoit tous les François. La grossesse enfin de madame la dauphine ranima leur joie ; & M. le duc d'Aumont, pour lors premier gentilhomme de la chambre de service, eut ordre de faire les préparatifs des plaisirs éclatans, où la cour espéroit de pouvoir se livrer.

Je vais tracer ici une sorte d'esquisse de tous ces préparatifs, parce qu'ils peuvent donner une idée juste des ressources du génie françois, & du bon caractere d'esprit de nos grands seigneurs dans les occasions éclatantes.

On a vû une partie de ce qu'exécuta le goût ingénieux de M. le duc d'Aumont dans son année précédente. Voyons en peu de mots ce qu'il avoit déterminé d'offrir au roi, dans l'espérance où l'on étoit de la naissance d'un duc de Bourgogne. L'histoire, les relations, les mémoires, nous apprennent ce que les hommes célebres ont fait. La Philosophie va plus loin ; elle les examine, les peint, & les juge sur ce qu'ils ont voulu faire.

M. le duc d'Aumont avoit choisi pour servir de théatre aux différens spectacles qu'il avoit projettés, le terrein le plus vaste du parc de Versailles, & le plus propre à la fois à fournir les agréables points de vûe qu'il vouloit y ménager pour la cour, & pour la curiosité des François que l'amour national & la curiosité naturelle font courir à ces beaux spectacles.

La piece immense des Suisses étoit le premier local où les yeux devoient être amusés pendant plusieurs heures par mille objets différens.

Sur les bords de la piece des Suisses, en face de l'orangerie, on avoit placé une ville édifiée avec art, & fortifiée suivant les regles antiques.

Plusieurs fermes joignant les bords du bassin, élevées de distance en distance sur les deux côtés, formoient des amphithéatres surmontés par des terrasses ; elles portoient & soûtenoient les décorations qu'on avoit imaginées en beaux paysages coupés de palais, de maisons, de cabanes même. Les parties isolées de ces décorations étoient des percées immenses que la disposition des clairs, des obscurs, & les positions ingenieuses des lumieres devoient faire paroître à perte de vûe.

Tous ces beaux préparatifs avoient pour objet l'amusement du Roi, de la famille royale, & de la cour, qui devoient être placés dans l'orangerie, & de la multitude qui auroit occupé les terrasses supérieures, tous les bas côtés de la piece des Suisses, &c.

Voici l'ingénieux, l'élégant, & magnifique arrangement qui avoit été fait dans l'orangerie.

En perspective de la piece des Suisses & de toute l'étendue de l'orangerie, on avoit élevé une grande galerie terminée par deux beaux sallons de chaque côté, & suivie dans ses derrieres de toutes les pieces nécessaires pour le service. Un grand sallon de forme ronde étoit au milieu de cette superbe galerie : l'intérieur des sallons, de la galerie, & de toutes les parties accessoires, étoit décoré d'architecture d'ordres composés. Les pilastres étoient peints en lapis ; les chapiteaux, les bases, les corniches étoient rehaussés d'or ; & la frise peinte en lapis étoit ornée de guirlandes de fleurs.

Dans les parties accessoires, les panneaux étoient peints en breche violette, & les bords d'architecture en blanc veiné. Les moulures étoient dorées, ainsi que les ornemens & les accessoires.

On avoit rassemblé dans les plafonds les sujets les plus rians de l'Histoire & de la Fable : ils étoient comme encadrés par des chaines de fleurs peintes en coloris, portées par des grouppes d'amours & de génies joüans, avec leurs divers attributs.

Les trumeaux & les panneaux étoient couverts des glaces les plus belles ; & on y avoit multiplié les girandoles & les lustres, autant que la symmétrie & les places l'avoient permis.

C'est dans le sallon du milieu de cette galerie que devoit être dressée la table du banquet royal.

L'extérieur de ces édifices orné d'une noble architecture, étoit décoré de riches pentes à la turque, avec portiques, pilastres, bandeaux, architraves, corniches, & plusieurs grouppes de figures allégoriques à la fête. Tous les ornemens en fleurs étoient peints en coloris ; tous les autres étoient rehaussés d'or : au tour intérieur de l'orangerie, en face de la galerie, on avoit construit un portique élégant dont les colonnes séparées étoient fermées par des cloisons peintes des attributs des diverses nations de l'Europe. Les voûtes représentoient l'air, & des génies en grouppes variés & galans, qui portoient les fleurs & les fruits que ces divers climats produisent. Dans les côtés étoient une immense quantité de girandoles cachées par la bâtisse ingénieuse, à différens étages, sur lesquels étoient étalés des marchandises, bijoux, tableaux, étoffes, &c. des pays auxquels elles étoient censées appartenir.

Dans le fond étoit élevé un théatre ; il y en avoit encore un dans le milieu & à chacun des côtés : aux quatre coins étoient des amphithéatres remplis de musiciens habillés richement, avec des habits des quatre parties de l'Europe. Tout le reste étoit destiné aux différens objets de modes, d'industrie, de magnificence, & de luxe, qui caractérisent les moeurs & les usages des divers habitans de cette belle partie de l'univers.

Au moment que le roi seroit arrivé, cinquante vaisseaux équipés richement à l'antique, de grandeurs & de formes différentes ; vingt frégates & autant de galeres portant des troupes innombrables de guerriers répandus sur les ponts & armés à la greque, auroient paru courir à pleines voiles contre la ville bâtie : le feu de ces vaisseaux & celui de la ville étoit composé par un artifice singulier, que la fumée ne devoit point obscurcir, & qui auroit laissé voir sans confusion tous ses desseins & tous ses effets. Les assaillans après les plus grands efforts, & malgré la défense opiniâtre de la ville, étoient cependant vainqueurs ; la ville étoit prise, saccagée, détruite ; & sur ses débris s'élevoit tout-à-coup un riche palais à jour. Voyez FEU D'ARTIFICE.

Le festin alors devoit être servi ; & comme un changement rapide de théatre, toutes les différentes parties de l'orangerie, telles qu'on les a dépeintes, se trouvoient frappées de lumiere ; le palais magique du fond de la piece des Suisses, les fermes qui représentoient à ses côtés les divers paysages, la suite de maisons, les coupures de campagne, &c. qu'on a expliquées plus haut, se trouvoient éclairés sur les divers desseins de cette construction, ou suivant les différentes formes des arbres dont la campagne étoit couverte.

Les deux côtés du château, toute la partie des jardins qui aboutissoit en angle sur l'orangerie & sur la piece des Suisses, étoient remplis de lumieres qui dessinoient les attributs de l'amour & ceux de l'hymen. Des ruches couvertes d'abeilles figurées par des lampions du plus petit calibre & multipliées à l'infini, offroient une allégorie ingénieuse & saillante de la fête qu'on célébroit, & de l'abondance des biens qui devoient la suivre. Les trompettes, les tymbales, & les corps de musique des quatre coins de l'orangerie, devoient faire retentir les airs pendant que le Roi, la Reine, & la famille royale, dans le sallon du milieu, & toute la cour, à vingt autres tables différentes, joüiroient du service le plus exquis. Après le soupé, le premier coup-d'oeil auroit fait voir cette immensité de desseins formés au loin par la lumiere, & cette foule de personnages répandus dans l'enceinte de l'orangerie représentant les différentes nations de l'Europe, & placés avec ordre dans les cases brillantes où ils avoient été distribués.

On devoit trouver, au sortir de la galerie, en joüissant de la vûe de toutes les richesses étrangeres, qui avoient été rassemblées sous les beaux portiques, un magnifique opéra, qui, au moment de l'arrivée du roi, auroit commencé son spectacle.

Au sortir du grand théatre, la cour auroit suivi le Roi sous tous les portiques : les étoffes, le goût, les meubles élégans, les bijoux de prix, auroient été distribués par une loterie amusante & pleine de galanterie, à toutes les dames & à tous les seigneurs de la cour.

Le magnifique spectacle de ce séjour, après qu'on auroit remonté le grand escalier, & qu'on auroit apperçû l'illumination du bassin, de l'orangerie, des deux faces du château, & des deux parties des jardins qui y répondent, auroit servi de clôture aux fêtes surprenantes de ce jour tant desiré.

L'attente de la nation fut retardée d'une année ; & alors des circonstances qui nous sont inconnues lierent sans-doute les mains zélées des ordonnateurs. Sans autre fête qu'un grand feu d'artifice, ils laisserent la cour & la ville se livrer aux vifs transports de joie que la naissance d'un prince avoit fait passer dans les coeurs de tous les François. Voyez FETES DE LA VILLE DE PARIS.

Les douceurs de la paix & un accroissement de bonheur, par la naissance de Monseigneur le duc de Berry, firent renaître le goût pour les plaisirs. M. le duc d'Aumont fut chargé en 1754 des préparatifs des spectacles. Le théatre de Fontainebleau fut repris sous oeuvre, & exerça l'adresse féconde du sieur Arnoult, machiniste du roi, aidée des soins actifs de l'ordonnateur & du zele infatigable des exécutans. On vit représenter avec la plus grande magnificence, six différens opéra françois qui étoient entremêlés les jours qu'ils laissoient libres des plus excellentes tragédies & comédies de notre théatre.

L'ouverture de ce théatre fut faite par la naissance d'Osiris, prologue allégorique à la naissance de monseigneur le duc de Berry ; on en avoit chargé les auteurs du ballet des fêtes de l'hymen & de l'amour, qui avoient fait la clôture des fêtes du mariage : ainsi les talens modernes furent appellés dans les lieux même où les anciens étoient si glorieusement applaudis. Le petit opéra d'Anacréon, ouvrage de ces deux auteurs ; Alcimadure, opéra en trois actes précédé d'un prologue, & en langue languedocienne, de M. Mondonville, eurent l'honneur de se trouver à la suite de Thésée, cet ouvrage si fort d'action ; d'Alceste, le chef-d'oeuvre du merveilleux & du pathétique ; enfin de Thétis, opéra renommé du célebre M. de Fontenelle. On a vû ce poëte philosophe emprunter la main des graces pour offrir la lumiere au dernier siecle. Il joüit à la fois de l'honneur de l'avoir éclairé, & des progrès rapides que doivent à ses efforts les Lettres, les Arts, & les Sciences dans le nôtre.

M. Blondel de Gagny, Intendant pour lors des menus-plaisirs du Roi, seconda tout le zele de l'ordonnateur. Par malheur pour les Arts & les talens, qu'il sait discerner & qu'il aime, il a préféré le repos aux agrémens dont il étoit sûr de joüir dans l'exercice d'une charge à laquelle il étoit propre. Tous les sujets différens qui pendant cinquante jours avoient déployé leurs talens & leurs efforts pour contribuer au grand succès de tant d'ouvrages, se retirerent comblés d'éloges, encouragés par mille attentions, récompensés avec libéralité. (B)

FETES DE LA VILLE DE PARIS. On a vû dans tous les tems le zele & la magnificence fournir à la capitale de ce royaume des moyens éclatans de signaler son zele & son amour pour nos rois. L'histoire de tous les regnes rappelle aux Parisiens quelque heureuse circonstance que leurs magistrats ont célébrée par des fêtes. Notre objet nous borne à ne parler que de celles qui peuvent honorer ou éclairer les Arts.

Le mariage de Madame, infante, offrit à feu M. Turgot une occasion d'en donner une de ce genre ; on croit devoir la décrire avec quelque détail. L'administration de ce magistrat sera toûjours trop chere aux vrais citoyens, pour qu'on puisse craindre à son égard d'en trop dire.

Le Roi, toute la famille royale lui firent espérer d'honorer ses fêtes de leur présence ; il crut devoir ne leur offrir que des objets dignes d'eux.

On étoit en usage de prendre l'hôtel-de-ville pour le centre des réjoüissances publiques. Les anciennes rubriques, que les esprits médiocres réverent comme des lois sacrées, ne sont pour les têtes fortes que des abus ; leur destruction est le premier degré par lequel ils montent bientôt aux plus grandes choses. Telle fut la maniere constante dont M. Turgot se peignit aux François, pendant le cours de ses brillantes prevôtés. Il pensa qu'une belle fête ne pouvoit être placée sur un terrein trop beau, & il choisit l'éperon du pont-neuf sur lequel la statue d'Henri IV. est élevée, pour former le point de vûe principal de son plan.

Ce lieu, par son étendue, par la riche décoration de divers édifices qu'il domine & qui l'environnent, sur-tout par le bassin régulier sur lequel il est élevé, pouvoit faire naître à un ordonnateur de la trempe de celui-ci, les riantes idées des plus singuliers spectacles. Voici celles qu'il déploya aux yeux les plus dignes de les admirer.

On vit d'abord s'élever rapidement sur cette espece d'esplanade un temple consacré à l'hymen ; il étoit dans le ton antique ; ses portiques étoient de cent-vingt piés de face, & de quatre-vingt piés de haut, sans y comprendre la hauteur de l'appui & de la terrasse de l'éperon, qui servoit de base à tout l'édifice, & qui avoit quarante piés de hauteur.

Le premier ordre du temple étoit composé de trente-deux colonnes d'ordre dorique, de quatre piés de diametre & trente-trois piés de fust, formant un quarré long de huit colonnes de face, sur quatre de retour.

Elles servoient d'appui à une galerie en terrasse de cent cinq piés de long, ornée de distance en distance de belles statues sur leurs piés-d'estaux. Au dessus de la terrasse, & à l'à-plomb des colonnes du milieu, s'élevoit un socle antique formé de divers compartimens ornés de bas-reliefs, & couronné de douze vases.

Deux massifs étoient bâtis dans l'intérieur, afin d'y pratiquer des escaliers commodes. Le socle au reste formoit une seconde terrasse de retour avec les bases, chapiteaux, entablemens, & balustrades, servans d'appui à une galerie en terrasse de cent cinq piés de long, divisée par des pié-d'estaux. Au dessus de cette terrasse, & à l'à-plomb des colonnes du milieu ; s'élevoit un socle en attique, formé de compartimens ornés de bas-reliefs, & couronné de douze vases ; deux corps solides étoient construits dans l'intérieur, dans lesquels on avoit pratiqué des escaliers.

Toute la construction de cet édifice étoit en relief, ainsi que les plafonds, enrichis de compartimens en mosaïque, guillochés, rosettes, festons, &c. à l'imitation des anciens temples, & tels qu'on le voit au panthéon, dont on avoit imité les ornemens ; à la reserve cependant des bases que l'on jugea à propos de donner aux colonnes, pour s'accommoder à l'usage du siecle : elles y furent élevées sur des socles d'environ quatre piés de haut, servans comme de repos aux balustrades de même hauteur qui étoient entre les entre-colonnemens. C'est la seule différence que le nouvel édifice eût avec ceux de l'antiquité, où les colonnes d'ordre dorique étoient presque toûjours posées sur le rez-de-chaussée, quoique sans base. A cela près, toutes les proportions y furent très-bien gardées. Ces colonnes avoient huit diametres un quart de longueur, qui est la véritable proportion que l'espace des entre-colonnemens exige de cette ordonnance : il devoit y avoir un second ordre ionique ; mais le tems trop court pour l'exécution, força de s'en tenir au premier ordre dorique, qui se grouppant avec le massif, pour monter au haut de l'édifice, formoit un très-beau quarré long.

Vingt-huit statues isolées, de ronde bosse, de dix piés de proportion, représentant diverses divinités avec leurs symboles & attributs, étoient posées sur les pié-d'estaux de la balustrade, à l'à-plomb des colonnes.

On préféra pour tout cet édifice & pour ses ornemens, la couleur de pierre blanche à celle des différens marbres qu'on auroit pû imiter ; outre que la couleur blanche a toûjours plus de relief, sur-tout aux lumieres & dans les ténebres, la vraisemblance est aussi plus naturelle & l'illusion plus certaine : aussi ce temple faisoit-il l'effet d'un édifice réel, construit depuis long-tems dans la plus noble simplicité de l'antique sans ornement postiche, & sans mélange d'aucun faux brillant. Telle renaîtra de nos jours la belle & noble Architecture ; nous la reverrons sortir des mains d'un moderne qui manquoit à la gloire de la nation : le choix éclairé de M. le marquis de Marigny a sû le mettre à sa place. C'est-là le vrai coup de maître dans l'ordonnateur. Le talent une fois placé, les beautés de l'art pour éclorre en foule n'ont besoin que du tems.

La terrasse en saillie qui portoit le temple, étoit décorée en face d'une architecture qui formoit trois arcades & deux pilastres en avant-corps dans les angles : on voyoit aussi dans chacun des deux côtés, une arcade accompagnée de ses pilastres. Toute cette décoration étoit formée par des refends & bossages rustiques : & elle étoit parfaitement d'accord avec le temple. Tous les membres de l'architecture étoient dessinés par des lampions ; & l'intérieur des arcades, à la hauteur de l'imposte, étoit préparé pour donner dans le tems une libre issuë à des cascades, des nappes, des torrens de feu, qui firent un effet aussi agréable que surprenant.

Sur la terrasse du temple s'élevoit un attique porté par des colonnes intérieures, & orné de panneaux chargés de bas-reliefs : des vases ornés de sculpture étoient posés au haut de l'attique, à l'à-plomb des colonnes.

Les corps solides des escaliers étoient ornés d'architecture & de bas-reliefs, de niches, de statues, &c.

Aux deux côtés de cet édifice s'élevoient, le long des parapets du pont-neuf, trente-six pyramides, dont dix-huit de quarante piés de haut, & dix-huit de vingt-six, qui se joignoient par de grandes consoles, & qui portoient des vases sur leur sommet. Cette décoration, préparée particulierement pour l'illumination, accompagnoit le bâtiment du milieu ; elle étoit du dessein de feu M. Gabriel, premier architecte du Roi : la premier étoit du chevalier Servandoni.

Décoration de la Riviere, illumination, &c.

Dans le milieu du canal que forme la Seine, & vis-à-vis le balcon préparé pour leurs Majestés, s'élevoit un temple transparent, composé de huit portiques en arcades & pilastres, avec des figures relatives au sujet de la fête. Il formoit un sallon à huit pans, du milieu desquels s'élevoit une colonne transparente qui avoit le double de la hauteur du portique, & qui étoit terminée par un globe aussi transparent, semé de fleurs-de-lis & de tours. Tous les chassis de ce temple, qui sembloit consacré à Apollon, étoient peints, & présentoient aux yeux mille divers ornemens : il paroissoit construit sur des rochers, entre lesquels on avoit pratiqué des escaliers qui y conduisoient.

Ce sallon disposé en gradins, & destiné pour la musique, étoit rempli d'un très-grand nombre des plus habiles symphonistes. Le concert commença d'une maniere vive & bruyante, au moment que le Roi parut sur son balcon ; il se fit entendre tant que dura la fête, & ne fut interrompu que par les acclamations réitérées du peuple.

Entre le temple & le pont-neuf étoient quatre grands bateaux en monstres marins ; il y en avoit quatre autres dans la même position entre le temple & le pont-royal, & tout-à-coup on joüit du spectacle de divers combats des uns contre les autres. Ces monstres vomissoient de leurs gueules & de leurs narines, des feux étincelans d'un volume prodigieux & de diverses couleurs : les uns traçoient en l'air des figures singulieres ; les autres tombant comme épuisés dans les eaux, y reprenoient une nouvelle force, & y formoient des pyramides & des gerbes de feu, des soleils, &c.

Une joûte commença la fête. Il y avoit deux troupes de joûteurs, l'une à la droite, & l'autre à la gauche du temple. Chacune étoit composée de vingt joûteurs & de trente-six rameurs. Les maîtres de la joûte étoient dans des bateaux particuliers. Tous les joûteurs étoient habillés de blanc uniformément, & à la legere ; leurs vêtemens, leurs bonnets & leurs jarretieres étoient ornés de touffes de rubans de différentes couleurs, avec des écharpes de taffetas, &c. Ils joûterent avec beaucoup d'adresse, de force & de résolution, & avec un zele & une ardeur admirables. La ville récompensa les deux joûteurs victorieux par un prix de la valeur de vingt pistoles chacun, & d'une médaille.

A la premiere obscurité de la nuit on vit paroître l'illumination ; elle embellissoit les mouvemens de la multitude, en éclairant les flots de ce peuple innombrable répandu sur les quais. On joüissoit à-la-fois des lumieres qui éclairoient les échafauds, de celles qui brilloient aux fenêtres, aux balcons, & sur des terrasses richement & ingénieusement ornées ; ce qui se joignant à la variété des couleurs des habits, & à la parure recherchée & brillante des hommes & des femmes, dont la clarté des lumieres relevoit encore l'éclat, faisoit un coup-d'oeil & divers points de perspective dont la vûe étoit éblouie & séduite.

L'illumination commença par le temple de l'hymen, dont tout l'entablement étoit profilé de lumieres, ainsi que les balustrades, sur lesquelles s'élevoient de grands lustres ou girandoles en ifs dans les entre-colonnes, formés par plus de cent lumieres chacun. Toute la suite des pyramides & pilastres chantournés, avec leurs pié-d'estaux réunis par des consoles, dont on a parlé, élevés sur les parapets du pont à droite & à gauche, étoit couverte d'illuminations, ainsi que toute la décoration de la terrasse en saillie, dont les refends & les ceintres étoient profilés, & chargés de gros lampions & de terrines.

Ce qui répondoit parfaitement à la magnificence de cette illumination, c'étoit de voir le long des deux quais, sur le pont-neuf & le pont-royal, des lustres composés chacun d'environ quatre-vingt grosses lumieres, suspendus aux mêmes endroits où l'on met ordinairement les lanternes de nuit.

Mais voici une illumination toute nouvelle. Quatre-vingt petits bâtimens de différentes formes, dont la mâture, les vergues, les agrès & les cordages étoient dessinés par de petites lanternes de verre, & mouvantes, au nombre de plus de dix mille, entrerent dans le grand canal du côté du pont-neuf ; & après diverses marches figurées, elles se diviserent en quatre quadrilles, & borderent les rivages de la Seine entre le pont-neuf & le pont-royal.

Un même nombre de bateaux de formes singulieres, & chargés de divers artifices, se mêlerent avec symmétrie aux premiers ; le sallon octogone, transparent, paroissoit comme au centre de cette brillante & galante fête, & sembloit sortir du sein des feux & des eaux.

On ne s'apperçut point de la fuite du jour ; la nuit qui lui succéda, étoit environnée de la plus brillante lumiere.

Le signal fut donné, & dans le même instant le temple de l'hymen, tous les édifices qui bordent des deux côtés les quais superbes qui servoient de cadre à ce spectacle éclatant, le pont-royal & le pont-neuf, les échafauds qui étoient élevés pour porter cette foule de spectateurs, les amphithéatres qui remplissoient les terreins depuis les bords de la Seine jusqu'à fleur des parapets, tout fut illuminé presqu'au même moment : on ne vit plus que des torrens de lumiere soûmis à l'art du dessein, & formant mille figures nouvelles, embellies par des contrastes, détachées avec adresse les unes des autres, ou par les formes de l'architecture sur lesquelles elles étoient placées, ou par l'ingénieuse variété des couleurs dont on avoit eu l'habileté d'embellir les feux divers de la lumiere.

Feu d'artifice.

Le bruit de l'artillerie, le son éclatant des trompettes, annoncerent tout-à-coup un spectacle nouveau. On vit s'élancer dans les airs de chaque côté du temple de l'hymen, un nombre immense de fusées qui partirent douze à douze des huit tourelles du pont-neuf ; cent quatre-vingt pots à aigrette & plusieurs gerbes de feu leur succéderent. Dans le même tems on vit briller une suite de gerbes sur la tablette de la corniche du pont ; & le grand soleil fixe, de soixante piés de diametre, parut dans toute sa splendeur au milieu de l'entablement. Directement au-dessous on avoit placé un grand chiffre d'illumination de couleurs différentes, imitant l'éclat des pierreries, lequel, avec la couronne dont il étoit surmonté, avoit trente piés de haut ; & aux côtés, vis-à-vis les entre-colonnes du temple, on voyoit deux autres chiffres d'artifice de dix piés de haut, formant les noms des illustres époux, en feu bleu, qui contrastoit avec les feux différens dont ils étoient entourés.

On avoit placé sur les deux trotoirs du pont-neuf, à la droite & à la gauche du temple, au-delà de l'illumination des pyramides, deux cent caisses de fusées de cinq à six douzaines chacune. Ces caisses tirées cinq à la fois, succéderent à celles qu'on avoit vû partir des tourelles, à commencer de chaque côté, depuis les premieres, auprès du temple, & successivement jusqu'aux extrémités à droite & à gauche.

Alors les cascades ou nappes de feu rouge sortirent des cinq arcades de l'éperon du pont-neuf ; elles sembloient percer l'illumination dont les trois façades étoient revêtues, & dont les yeux pouvoient à peine soûtenir l'éclat. Dans le même tems un combat de plusieurs dragons commença sur la Seine, & le feu d'eau couvrit presque toute la surface de la riviere.

Au combat des dragons succéderent les artifices dont les huit bateaux de lumieres étoient chargés. Au même endroit, dans un ordre différent, étoient trente-six cascades ou fontaines d'artifices d'environ trente piés de haut, dans de petits bateaux, mais qui paroissoient sortir de la riviere.

Ce spectacle des cascades, dont le signal avoit été donné par un soleil tournant, avoit été précédé d'un berceau d'étoiles produit par cent soixante pots à aigrettes, placés au bas de la terrasse de l'éperon.

Quatre grands bateaux servant de magasin à l'artifice d'eau, étoient amarrés près des arches du pont-neuf, au courant de la riviere, & quatre autres pareils du côté du pont-royal. L'artifice qu'on tiroit de ces bateaux, consistoit dans un grand nombre de gros & petits barrils chargés de gerbes & de pots, qui remplissoient l'air de serpenteaux, d'étoiles & de genouillieres. Il y avoit aussi un nombre considérable de gerbes à jetter à la main, & de soleils tournant sur l'eau.

La fin des cascades fut le signal de la grande girande sur l'attique du temple, qui étoit composée de près de six mille fusées. On y mit le feu par les deux extrémités au même instant ; & au moment qu'elle parut, les deux petites girandes d'accompagnement, placées sur le milieu des trotoirs du pont-neuf, de chaque côté, composées chacune d'environ cinq cent fusées, partirent, & une derniere salve de canon termina cette magnifique fête.

Tout l'artifice étoit de la composition de M. Elric, saxon, capitaine d'Artillerie dans les troupes du roi de Prusse.

Le lendemain, 30 Août, M. Turgot voulut encore donner un nouveau témoignage de zele au Roi, à madame Infante, & à la famille royale. Il étoit un de ces hommes rares qui ont l'art de rajeunir les objets ; ils les mettent dans un jour dont on ne s'étoit pas avisé avant eux, ils ne sont plus reconnoissables. Telle fut la magie dont se servit alors feu M. Turgot. Il trouva le secret de donner un bal magnifique qui amusa la Cour & Paris toute la nuit, dans le local le moins disposé peut-être pour une pareille entreprise. M. le maréchal de Richelieu parut en 1745 avoir hérité du secret de ce magistrat célebre. Voyez FETES DE LA COUR DE FRANCE.

Bal de la ville de Paris, donné dans son hôtel la nuit du 30 Août 1739.

Trois grandes salles dans lesquelles on dansa, avoient été préparées avec le plus de soin, & décorées avec autant d'adresse que d'élégance. L'architecture noble de la premiere, qu'on avoit placée dans la cour, étoit composée d'arcades & d'une double colonnade à deux étages, qui contribuoient à l'ingénieuse & riche décoration dont cette salle fut ornée. Pour la rendre plus magnifique & plus brillante par la variété des couleurs, toute l'architecture fut peinte en marbre de différentes especes ; on y préféra ceux dont les couleurs étoient les plus vives, les mieux assorties, & les plus convenables à la clarté des lumieres & aux divers ornemens de relief rehaussés d'or, qui représentoient les sujets les plus agréables de la fable, embellis encore par des positions & des attributs relatifs à l'objet de la fête.

Au fond de cette cour changée en salle de bal, on avoit construit un magnifique balcon en amphithéatre, qui étoit rempli d'un grand nombre de symphonistes. L'intérieur de toutes ces arcades étoit en gradins, couverts de tapis en forme de loges, d'une très-belle disposition, & d'une grande commodité pour les masques, auxquels on pouvoit servir des rafraîchissemens par les derrieres. Elle étoit couverte d'un plafond de niveau, & éclairée d'un très-grand nombre de lustres, de girandoles & de bras à plusieurs branches, dont l'ordonnance déceloit le goût exquis qui ordonnoit tous ces arrangemens.

La grande salle de l'hôtel-de-ville, qui s'étend sur toute la façade, servoit de seconde salle ; elle étoit décorée de damas jaune, enrichi de fleurs en argent : on y avoit élevé un grand amphithéatre pour la symphonie. Les embrasures & les croisées étoient disposées en estrades & en gradins, & la salle étoit éclairée par un grand nombre de bougies.

La troisieme salle étoit disposée dans celle qu'on nomme des gouverneurs ; on l'avoit décorée d'étoffe bleue, ornée de galons & gaze d'or, ainsi que l'amphithéatre pour la symphonie : elle étoit éclairée par une infinité de lumieres placées avec art.

On voyoit par les croisées de ces deux salles, tout ce qui se passoit dans la premiere : c'étoit une perspective ingénieuse qu'on avoit ménagée pour multiplier les plaisirs. On communiquoit d'une salle à l'autre par un grand appartement éclairé avec un art extrème.

Auprès de ces trois salles on avoit dressé des buffets décorés avec beaucoup d'art, & munis de toutes sortes de rafraîchissemens, qui furent offerts & distribués avec autant d'ordre & d'abondance que de politesse.

On compte que le concours des masques a monté à plus de 12000 depuis les huit heures du soir, que le bal commença, jusqu'à huit heures du matin. Toute cette fête se passa avec tout l'amusement, l'ordre & la tranquillité qu'on pouvoit desirer, & avec une satisfaction & un applaudissement général.

Les ordres avoient été si bien donnés, que rien de ce qu'on auroit pû desirer n'y avoit été oublié. Les précautions avoient été portées jusqu'à l'extrème, & tous les accidens quelconques avoient dans des endroits secrets, les remedes, les secours, les expédiens qui peuvent les prévenir ou les réparer. La place de Greve & toutes les avenues furent toûjours libres, ensorte qu'on abordoit à l'hôtel-de-ville commodément, sans accidens & sans tumulte. Des fallots sur des poteaux, éclairoient la place & le port de la Greve, jusque vers le Pont-Marie, où l'on avoit soin de faire défiler & ranger les carosses ; il y avoit des barrieres sur le rivage, pour prévenir les accidens.

Toutes les dispositions de cette grande fête ont été conservées dans leur état parfait pendant huit jours, pour donner au peuple la liberté de les voir.

Les grands effets que produisit cette merveilleuse fête, sur plus de 600000 spectateurs, sont restés gravés pour jamais dans le souvenir de tous les François. Aussi le nom des Turgots sera-t-il toûjours cher à une nation sensible à la gloire, & qui mérite plus qu'une autre de voir éclorre dans son sein les grandes idées des hommes. Voyez ILLUMINATION, FEU d'ARTIFICE, &c.

Il y a eu depuis des occasions multipliées, où la ville de Paris a fait éclater son zele & sa magnificence, ainsi la convalescence du plus chéri de nos Roi, son retour de Metz (voyez FESTINS ROYAUX), nos victoires, les deux mariages de monseigneur le Dauphin ont été célébrés par des fêtes, des illuminations, des bals, des feux d'artifice ; mais un trait éclatant, supérieur à tous ceux que peuvent produire les arts, un trait qui fait honneur à l'humanité, & digne en tout d'être éternisé dans les fastes de l'Europe, est l'action généreuse qui tint lieu de fête à la naissance de monseigneur le duc de Bourgogne.

Six cent mariages faits & célébrés aux dépens de la ville, furent le témoignage de son amour pour l'état, de son ardeur pour l'accroissement de ses forces, de l'humanité tendre qui guide ses opérations dans l'administration des biens publics.

Dans tous les tems cette action auroit mérité les loüanges de tous les gens de bien, & les transports de reconnoissance de la nation entiere. Une circonstance doit la rendre encore plus chere aux contemporains, & plus respectable à la postérité.

Au moment que le projet fut proposé à la ville, les préparatifs de la plus belle fête étoient au point de l'exécution. C'est à l'hôtel de Conty que devoit être donné le spectacle le plus ingénieux, le plus noble, le moins ressemblant qu'on eût imaginé encore. Presque toutes les dépenses étoient faites. J'ai vû, j'ai admiré cent fois tous ces magnifiques préparatifs. On avoit pris des précautions infaillibles contre les caprices du tems, l'évenement auroit illustré pour jamais & l'ordonnateur, & nos meilleurs artistes occupés à ce superbe ouvrage. Le succès paroissoit sûr. La gloire qui devoit le suivre fut sacrifiée, sans balancer, au bien plus solide de donner à la patrie de nouveaux citoyens. Quel est le vrai françois qui ne sente la grandeur, l'utilité, la générosité noble de cette résolution glorieuse ? Quelle admirable leçon pour ces hommes superficiels, qui croyent se faire honneur de leurs richesses en se livrant à mille goûts frivoles ! Quel exemple pour nos riches modernes, qui ne restituent au public les biens immenses qu'ils lui ont ravis, que par les dépenses superflues d'un luxe mal entendu, qui, en les déplaçant, les rend ridicules !

Toutes les villes considérables du royaume imiterent un exemple aussi respectable ; & l'état doit ainsi à l'hotel-de-ville de sa capitale, une foule d'hommes nés pour l'aimer, le servir, & le défendre. (B)

FETES DES GRANDES VILLES DU ROYAUME DE FRANCE. C'est ici qu'on doit craindre les dangers d'une matiere trop vaste. Rien ne seroit plus agréable pour nous, que de nous livrer à décrire par des exemples aussi honorables que multipliés les ressources du zêle de nos compatriotes, dans les circonstances, où leur amour pour le sang de leurs rois a la liberté d'éclater. On verroit dans le même tableau la magnificence constante de la ville de Lyon embellie par le goût des hommes choisis qui la gouvernent, toûjours marquée au coin de cet amour national, qui fait le caractere distinctif de ses citoyens. A côté des fêtes brillantes, qui ont illustré cette ville opulente, on seroit frappé des ressources des habitans de nos beaux ports de mer, dans les circonstances où le bonheur de nos rois, ou la gloire de la patrie, leur ont fourni les occasions de montrer leur adresse & leur amour. On trouveroit dans le coeur de la France, sous les yeux toûjours ouverts de nos Parlemens, des villes plus tranquilles, mais moins opulentes, suppléer dans ces momens de joie, à tous les moyens faciles qu'offre aux autres la fortune par l'activité, l'élégance, les nouveautés heureuses, les prodiges imprévûs que fournit à l'industrie & au bon esprit la fécondité des talens & des arts. Telles seroient les fêtes de Toulouse, de Rennes, de Rouen, de Dijon, de Mets, &c. que nous pourrions décrire ; mais on s'attache ici au nécessaire. Les soins qu'on a pris à Bordeaux, lors du passage de notre premiere dauphine dans cette ville, sont un précis de tout ce qui s'est jamais pratiqué de plus riche, de plus élégant dans les différentes villes du royaume ; & les arts différens, qui se sont unis pour embellir ces jours de gloire, ont laissé dans cette occasion aux artistes plusieurs modeles à méditer & à suivre.

On commence cette relation du jour que madame la dauphine arriva à Bayonne ; parce que les moyens qu'on prit pour lui rendre son voyage agréable & facile, méritent d'être connus des lecteurs qui savent apprécier les efforts & les inventions des arts.

Madame la dauphine arriva le 15 Janvier 1745 à Bayonne. Elle passa sous un arc de triomphe de quarante piés de hauteur, au-dessus duquel étoient accollées les armes de France & celles d'Espagne, soûtenues par deux dauphins, avec cette inscription : Quam bene perpetuis sociantur nexibus ambo ! De chaque côté de l'arc de triomphe régnoient deux galeries, dont la supérieure étoit remplie par les dames les plus distinguées de la ville, & l'autre l'étoit par cinquante-deux jeunes demoiselles habillées à l'espagnole. Toutes les rues par lesquelles madame la dauphine passa, étoient jonchées de verdure, tendues de tapisseries de haute-lisse, & bordées de troupes sous les armes.

Une compagnie de basques qui étoit allée au-devant de cette princesse à une lieue de la ville, l'accompagna en dansant au son des flûtes & des tambours jusqu'au palais épiscopal, où elle logea pendant son séjour à Bayonne.

Dès que le jour fut baissé, les places publiques, l'hôtel-de-ville & toutes les rues furent illuminées ; le 17 madame la dauphine partit de Bayonne, & continua sa route.

En venant de Bayonne, on entre dans la généralité de Bordeaux par les landes de captioux, qui contiennent une grande étendue de pays plat, où on n'apperçoit que trois ou quatre habitations dispersées au loin, avec quelques arbres aux environs.

L'année précédente, l'intendant de Guienne prévoyant le passage de l'auguste princesse que la France attendoit, fit au-travers de ces landes aligner & mettre en état un chemin large de quarante-deux piés, bordés de fossés de six piés.

Vers le commencement du chemin, dans une partie tout-à-fait unie & horisontale, les pâtres du pays, huit jours avant l'arrivée de madame la dauphine, avoient fait planter de chaque côté, à six piés des bords extérieurs des fossés, 300 pins espacés de 24 piés entr'eux ; ils formoient une allée de 1200 toises de longueur, d'autant plus agréable à la vûe, que tous ces pins étoient entierement semblables les uns aux autres, de 8 à 9 piés de tige, de 4 piés de tête, & d'une grosseur proportionnée. On sait la propriété qu'ont ces arbres, d'être naturellement droits & toûjours verds.

Au milieu de l'allée on avoit élevé un arc de triomphe de verdure, présentant au chemin trois portiques. Celui du milieu avoit 24 piés de haut sur 16 de large, & ceux des côtés en avoient 17 de haut sur quatre de large. Ces trois portiques étoient répétés sur les flancs, mais tous trois de hauteur seulement de 17 piés, & de 9 de largeur : le tout formant un quarré long sur la largeur du chemin, par l'arrangement de 16 gros pins, dont les têtes s'élevoient dans une juste proportion au-dessus des portiques. Les ceintres de ces portiques étoient formés avec des branchages d'autres pins, de chênes verds, de lierres, de lauriers & de myrtes, & il en pendoit des guirlandes de même espece faites avec soin, soit pour leurs formes, soit pour les nuances des différens verds. Les tiges des pins, par le moyen de pareils branchages, étoient proprement ajustées en colonnes torses : de la voûte centrale de cet arc de triomphe champêtre, descendoit une couronne de verdure, & au-dessus du portique du côté que venoit madame la dauphine, étoit un grand cartouche verd, où on lisoit en gros caracteres : A la bonne arribado de noste dauphino.

On voyoit sur la même façade cette autre inscription latine ; les six mots dont elle étoit composée furent rangés ainsi :

Jubet amor,

Fortuna negat,

Natura juvat.

Les pâtres, au nombre de trois cent, étoient rangés en haie entre les arbres, à commencer de l'arc de triomphe du côté que venoit madame la dauphine ; ils avoient tous un bâton, dont le gros bout se perdoit dans une touffe de verdure. Ils étoient habillés uniformément comme ils ont coûtume d'être en hyver, avec une espece de sur-tout de peau de mouton, fournie de sa laine, des guêtres de même, & sur la tête, une toque appellée vulgairement barret, qui étoit garnie d'une cocarde de rubans de soie blanche & rouge.

Outre ces trois cent pâtres à pié, il y en avoit à leur tête cinquante habillés de même, montés sur des échasses d'environ 4 piés. Ils étoient commandés par un d'entr'eux, qui eut l'honneur de présenter par écrit à madame la dauphine, leur compliment en vers dans leur langage.

Le compliment fut terminé par mille & mille cris de vive le Roi, vive la Reine, vive monseigneur le Dauphin, vive madame la dauphine.

Les députés du corps de ville de Bordeaux vinrent à Castres le 26. Ils furent présentés à madame la dauphine, & le lendemain elle arriva à Bordeaux sur les trois heures & demie du soir, au bruit du canon de la ville & de celui des trois forts. La princesse trouva à la porte S. Julien un arc de triomphe très-beau que la ville avoit fait élever.

Le plan que formoit la base de cet édifice, étoit un rectangle de 60 piés de longueur & de 18 piés de largeur, élevé de soixante piés de hauteur, non compris le couronnement. Ses deux grandes faces étoient retournées d'équerre sur le grand chemin, ornées d'architecture d'ordre dorique, enrichies de sculpture & d'inscriptions. Il étoit ouvert dans son milieu par une arcade de plein ceintre, en chacune de ses deux faces, qui étoient réunies entr'elles par une voûte en berceau, dont les naissances portoient sur quatre colonnes isolées, avec leurs arriere-pilastres, ce qui formoit un portique de 14 piés de largeur sur 30 piés de hauteur.

Les deux côtés de cet édifice en avant-corps formoient deux quarrés, dont les angles étoient ornés par des pilastres corniers & en retour, avec leurs bases & chapiteaux portant un entablement qui regnoit sur les quatre faces de l'arc de triomphe. La frise étoit ornée de ses triglifes & métopes, enrichis alternativement de fleurs-de-lis & de tours en bas relief. La corniche l'étoit de ses mutules, & de toutes les moulures que cet ordre prescrit.

Au-dessus de cet entablement s'élevoit un attique, où étoient les compartimens qui renfermoient des inscriptions que nous rapporterons plus bas.

A l'à-plomb de huit pilastres, & au-dessus de l'attique, étoient posés huit vases, quatre sur chaque face, au milieu desquelles étoient deux grandes volutes en adoucissement, qui servoient de support aux armes de l'alliance, dont l'ensemble formoit un fronton, au sommet duquel étoit un étendart de 27 piés de hauteur sur 36 de largeur, avec les armes de France & d'Espagne.

Les entre-pilastres au pourtour étoient enrichis de médaillons, avec leurs festons en sculpture : au bas desquels & à leur à-plomb étoient des tables refoüillées, entourées de moulures ; l'imposte qui regnoit entre deux, servoit d'architrave aux quatre colonnes & aux quatre pilastres, portant le ceintre avec son archivolte.

Cet édifice, qui étoit de relief en toutes ses parties, étoit feint de marbre blanc. Il étoit exécuté avec toute la sévérité des regles attachées à l'ordre dorique.

Sur le compartiment de l'attique, tant du côté de la campagne que de celui de la ville, étoit l'inscription suivante : Anagramma numericum. Unigenito regis filio Ludovico, & augustae principi Hispaniae, connubio junctis, civitas Burdegalensis & sex viri erexerunt. *

Au-dessous de cette inscription & dans la frise de l'entablement, étoit ce vers tiré de Virgile.

Ingredere, & votis jam nunc assuesce vocari. **

Les médaillons en bas-relief des entre-pilastres, placés au-dessus des tables refouillées & impostes ci-dessus décrits, renfermoient les emblêmes suivans.

Dans l'un, vers la campagne, on voyoit la France tenant d'une main une fleur-de-lis, & de l'autre une corne d'abondance.

Elle étoit habillée à l'antique, avec un diadème sur la tête & un écusson des armes de France à ses piés. L'Espagne étoit à la gauche, en habit militaire, comme on la voit dans les médailles antiques, avec ces mots pour ame, concordia aeterna, union éternelle ; dans l'exergue étoit écrit, Hispania, Gallia ; l'Espagne, la France.

Dans l'autre, aussi vers la campagne, la ville de Bordeaux étoit représentée par une figure, tenant une corne d'abondance d'une main, & faisant remarquer de l'autre son port. Derriere elle on voyoit son ancien amphithéatre, vis-à-vis la Garonne, qui étoit reconnoissable par un vaisseau qui paroissoit arriver : l'inscription, Burdigalensium gaudium, & dans l'exergue ces mots, adventus Delphinae 1745 ; l'arrivée de madame la dauphine remplit de joie la ville de Bordeaux.

Du côté de la ville, l'emblème de la droite représentoit un miroir ardent qui reçoit les rayons du soleil, & qui les refléchit sur un flambeau qu'il allume ; & pour légende, coelesti accenditur igne, le feu qui l'a allumé vient du ciel.

Dans l'autre, on voyoit la déesse Cybele assise entre deux lions, couronnée de tours, tenant dans sa main droite les armes de France, & dans sa gauche une tige de lis. Pour légende, ditabit olympum nova Cybeles, cette nouvelle Cybele enrichira l'olympe de nouveaux dieux.

Sur les côtés de cet arc de triomphe, étoient deux médaillons sans emblème. Au premier, felici adventui, à l'heureuse arrivée. Au second, venit expectata dies, le jour si attendu est arrivé.

Madame la dauphine trouva auprès de cet arc de triomphe de corps de ville qui l'attendoit. Le comte de Segur étoit à la tête. Le corps de ville eut l'honneur d'être présenté à madame la dauphine par M. Desgranges, & de la complimenter : le comte de Segur porta la parole.

Le compliment fini, le carrosse de madame la dauphine passa lentement sous l'arc de triomphe, & entra dans la rue Bouhaut. Toutes les maisons de cette rue, qui a plus de deux cent toises de long en

* Anagramme numérique. La ville & les jurats de Bordeaux ont érigé cet arc de triomphe en l'honneur du mariage de monseigneur le Dauphin, fils unique du Roi, & de madame infante d'Espagne.

** Arrivez, auguste Princesse, & recevez avec bonté l'hommage de nos coeurs.

ligne presque droite, & que l'Intendant avoit eu soin de faire paver de neuf, pour que la marche y fût plus douce, étoient couvertes des plus belles tapisseries.

Au bout de la rue, madame la dauphine vit la perspective du palais que l'on y avoit peint. De la porte de S. Julien on découvre du fond de la rue Bouhaut, à la distance d'environ deux cent toises, les faces des deux premieres maisons qui forment l'embouchure de la rue du Cahernan, qui est à la suite & sur la même direction que la précédente. Celle de la droite, qui est d'un goût moderne & fort enrichie d'architecture, présentoit un point de vûe agréable, bien différente de celle de la gauche, qui n'étoit qu'une masure informe.

Pour éviter cette difformité & corriger le défaut de symmétrie, on y éleva en peinture le pendant de la maison de la droite ; & entre les deux on forma une grande arcade, au-dessus de laquelle les derniers étages de ces deux maisons étoient prolongés, de façon qu'ils s'y réunissoient, & que par leur ensemble elles présentoient un palais de marbre lapis & bronze, richement orné de peintures & dorures, avec les armes de France & d'Espagne accompagnées de plusieurs trophées & attributs rélatifs à la fête.

Ce bâtiment, dont le portique ou arcade faisoit l'entrée de la rue de Cahernan, produisoit un heureux effet ; le carosse de madame la dauphine tourna à droite pour entrer sur les fossés où étoit le corps des six régimens des troupes bourgeoises. Elle passa sous un nouvel arc de triomphe, placé vis-à-vis les fenêtres de son appartement.

La rue des Fossés est très-considérable, tant par sa longueur, qui est de plus de 400 toises, que par sa largeur, d'environ 80 piés : on s'y replie sur la droite dans une allée d'ormeaux, qui regne au milieu & sur toute la longueur de la rue.

On avoit élevé dans cette allée un superbe corps de bâtiment isolé, de 32 piés en quarré, sur 48 piés de hauteur, qui répondoit exactement aux fenêtres de l'appartement préparé pour madame la dauphine.

L'avantage de cette situation avoit animé l'architecte à rendre ce morceau d'architecture digne des regards de l'auguste princesse pour laquelle il étoit destiné.

Cet ouvrage, qui formoit un arc de triomphe, étoit ouvert en quatre faces par quatre arcades, chacune de 32 piés de hauteur sur 16 piés de largeur, dont les opposées étoient réunies par deux berceaux qui perçoient totalement l'édifice, & formoient par leur rencontre une voûte d'arête dans le milieu.

Ce bâtiment, quoique sans colonnes & sans pilastres, étoit aussi riche qu'élégant. Les ornemens y étoient en abondance, & sans confusion ; le tout en sculpture de relief & en dorure, sur un fond de marbre de différentes couleurs.

Ces ornemens consistoient en seize tables saillantes, couronnées de leurs corniches, & accompagnées de leurs chûtes de festons.

Seize médailles entourées de palmes, avec les chiffres en bas-relief de monseigneur le Dauphin & de madame la dauphine.

Quatre impostes avec leurs frises couronnoient les quatre corps solides sur lesquels reposoit l'édifice, & entre lesquels étoient les arcades ou portiques, dont les voûtes étoient enrichies de compartimens de mosaïque, parsemés de fleurs-de-lis, & de tours de Castille dorées.

On avoit suspendu sous la clé de la voûte d'arête une couronne de six piés de diametre, & de hauteur proportionnée, garnie de lauriers & de fleurs, avec des guirlandes dans le même goût : ouvrage que madame la dauphine pouvoit appercevoir sans-cesse de ses fenêtres.

Au-dessus des impostes & à côté de chaque archivolte, étoient deux panneaux refouillés & enrichis de moulures.

L'entablement qui couronnoit cet édifice, étoit d'ordre composite, avec architrave, frise en corniche, enrichie de ses médaillons & de rosettes, dont les profils & saillies étoient d'une élégante proportion.

Quatre écussons aux armes de France & d'Espagne étoient posés aux quatre clés des ceintres, & s'élevoient jusqu'au haut de l'entablement. Ces armes étoient accompagnées de festons & chûtes de fleurs.

L'édifice étoit terminé par des acroteres ou pié-d'estaux couronnés de leurs vases, posés à l'à-plomb de quatre angles, dont les intervalles étoient remplis de balustrades qui renfermoient une terrasse de 30 piés en quarré, sur quoi étoit élevée une pyramide de 40 piés de hauteur, pour recevoir l'appareil d'un feu d'artifice qui devoit être exécuté le soir de l'arrivée de madame la dauphine.

Cet édifice avoit environ 86 piés d'élevation, y compris la pyramide.

Madame la dauphine entra enfin dans la cour de l'hôtel-de-ville destiné pour son palais, pendant le séjour qu'elle feroit à Bordeaux.

A l'entrée de la cour, étoit l'élite d'un régiment des troupes bourgeoises, dont les jurats avoient composé la garde de jour & de nuit.

Les gardes de la porte & ceux de la prevôté occupoient la premiere salle de l'hôtel-de-ville ; la porte de cette salle étoit gardée au-dehors par les troupes bourgeoises.

Les cent-suisses occupoient la seconde salle ; les gardes-du-corps la troisieme.

Dans la quatrieme, il y avoit un dais garni de velours cramoisi, avec des galons & des franges d'or ; le ciel & le dossier étoient ornés dans leurs milieux des écussons des armes de France & d'Espagne, d'une magnifique broderie en or & argent ; sous ce dais, un fauteüil doré sur un tapis de pié, avec un carreau, le tout de même velours, garni de galons, glands, & crépines d'or.

La chambre de madame la dauphine étoit meublée d'une belle tapisserie, avec plusieurs trumeaux de glace, tables en consoles, lustres & girandoles ; on n'y avoit pas oublié, non plus que dans la piece précédente, le portrait de monseigneur le Dauphin.

Les jurats revêtus de leurs robes de cérémonie, vinrent recevoir les ordres de madame la dauphine, & lui offrir les présens de la ville.

A l'entrée de la nuit il fut fait une illumination générale, tant dans la ville que dans les fauxbourgs ; & sur les huit heures on tira un feu d'artifice. On servit ensuite le souper de madame la dauphine, pendant lequel plusieurs musiciens placés dans une chambre voisine, exécuterent des symphonies italiennes.

Le 28 la ville offrit des présens aux dames & aux seigneurs de la cour de madame la dauphine, & aux principaux officiers de sa maison.

A midi madame la dauphine se rendit à l'église métropolitaine, accompagnée des dames & seigneurs de sa cour, & des principaux officiers de sa maison.

Elle entra dans cette église par la porte royale, dont le parvis étoit jonché de fleurs naturelles.

On avoit aussi fait orner cette porte de guirlandes de fleurs semblables, & on y avoit mis les armes de France & d'Espagne, & de monseigneur le Dauphin, celles du chapitre au-dessous.

Cette princesse fut haranguée par le doyen du chapitre, & conduite processionnellement jusqu'au milieu du choeur ; & quand la messe fut finie, le chapitre qui s'étoit placé dans les stalles, en sortit pour aller au milieu du choeur prendre madame la dauphine, & la précéder processionnellement jusqu'à la porte royale.

Ce jour elle reçut les complimens de toutes les cours : elle alla ensuite à l'opéra ; l'amphithéatre étoit réservé pour cette princesse & sa cour.

On avoit fait au milieu de la balustrade, sur la longueur de huit piés, un avancement en portion de cercle de trois piés de saillie ; madame la dauphine se plaça dans un fauteuil de velours cramoisi, sur un tapis de pié vis-à-vis cette saillie circulaire, qui étoit aussi couverte d'un tapis de pareil velours bordé d'un galon d'or.

Il y eut d'abord un prologue à l'honneur de monseigneur le Dauphin & de madame la dauphine * : ensuite on joüa deux actes des Indes galantes, celui des Incas, & celui des Fleurs, & on y joignit deux ballets pantomimes ; & cette princesse sortant de l'opéra & rentrant par la principale porte de l'hôtel-de-ville, trouva un nouveau spectacle : c'étoit un palais de l'hymen illuminé.

Dans le fond de l'hôtel-de-ville, en face de la principale entrée qui est sur la rue des Fossés, on avoit construit un temple d'ordre ionique. Ce temple qui désignoit le palais de l'hymen, avoit 90 piés de largeur sur 45 piés de hauteur, non compris le sommet du fronton.

Le porche étoit ouvert par six colonnes isolées, qui formoient un exastile.

Aux deux extrémités se trouvoient deux corps solides, flanqués par deux pilastres de chaque côté.

Les six colonnes & les quatre pilastres avec leurs entablemens, étoient couronnés par un fronton de 71 piés de long.

On montoit dans ce porche de 61 piés 6 pouces de long, sur 9 piés de large par sept marches de 59 piés de long.

Les colonnes avoient 27 piés de hauteur, 3 piés de diametre, & 6 piés d'entre-colonne, appellé systile.

La porte & les croisées à deux étages étoient en face des autres colonnes.

Le plafond du porche que portoient les colonnes, étoit un compartiment régulier de caisses quarrées, coupées par des plates-bandes, ornées de moulures dans le goût antique.

Cet ouvrage étoit exécuté avec toute la sévérité & l'exactitude des regles de l'ordre ionique. Les colonnes, leurs bases, leurs chapiteaux, l'entablement, le fronton & le tympan enrichi de sculpture, représentoient les armes de France & d'Espagne ornées de festons : le tout en général étoit de relief, avec une simple couleur de pierre sur tous les bois & autres matieres employées à la construction de ce palais. Les chambranles des croisées & de la porte, leurs plates-bandes & appuis ornés de leurs moulures, imitoient parfaitement la réalité ; les chassis des mêmes croisées étoient à petit bois, garnies de leurs carreaux de verre effectif, avec des rideaux couleur de feu qui paroissoient au derriere. Les deux ventaux de la porte étoient d'assemblage, avec panneaux en saillie sur leurs bâtis, les cadres avec leurs moulures de relief, pour recevoir des emblèmes qui furent peints en camayeu. Tout étoit si bien concerté, que cet ouvrage pouvoit passer pour un chef-d'oeuvre.

Au milieu de l'entablement de ce palais étoit une table avec un cadre doré, qui occupoit en hauteur celle de l'architrave & de la frise, & en largeur celle de quatre colonnes. Elle renfermoit en lettres dorées, l'inscription suivante : Ad honorem connubii augustissimi & felicissimi Ludovici Delphini Franciae, & Mariae Theresiae Hispaniae, hoc aedisicium erexit & dedicavit civitas Burdigalensis *.

En face de l'édifice sur chacun des deux corps solides, étoit un médaillon renfermant un emblême. Celui de la droite représentoit deux lis, qui fleurissent d'eux-mêmes & sans culture étrangere ; ce qui faisoit allusion au prince & à la princesse, en qui le sang a réuni toutes les graces & toutes les vertus. Cela étoit exprimé par l'inscription, nativo cultu florescunt.

L'emblème de la gauche représentoit deux amours qui soûtenoient les armes de France & d'Espagne, avec ces mots, propagini imperii gallicani, à la gloire de l'empire françois.

Un troisieme médaillon qui couronnoit la porte d'entrée du palais, renfermoit un emblème qui représentoit deux mains jointes tenant un flambeau allumé, avec l'inscription, fides & ardor mutuus, l'union & la tendresse mutuelle de deux époux.

Sur les retours des corps solides, dans l'intérieur du porche, étoient deux autres médaillons sans emblème : au premier, amor aquitanicus : au second, fidelitas aquitanica : l'amour & la fidélité inviolables de la Guienne.

La façade sous le porche étoit éclairée d'un grand nombre de pots-à-feu non-apparens, & attachés près-à-près au derriere des colonnes, depuis leur base jusqu'à leur chapiteau ; ce qui lui donnoit un éclat très-brillant. Les corniches du fronton & celles de tout l'entablement, étoient aussi illuminées de quantité de terrines, dont les lumieres produisoient un fort bel effet.

Lorsque la princesse fut dans son appartement, elle vit l'illumination de l'arc de triomphe, placé vis-à-vis ses fenêtres. On fit les mêmes illuminations les vendredi, samedi, & dimanche suivans, & chaque fois dans un goût différent.

Après le souper de madame la dauphine, il y eut un bal dans la salle de spectacle ; & comme cette salle fait partie de l'hôtel-de-ville, elle s'y rendit par la porte de l'intérieur.

Le 29 madame la dauphine, suivie de toute sa cour, sortit de l'hôtel-de-ville en carrosse à huit chevaux, pour se rendre sur le port de Bordeaux, & y voir mettre à l'eau un vaisseau percé pour 22 canons, du port d'environ 350 tonneaux.

Sur le chemin que cette princesse devoit faire pour aller au port, à l'extrémité de la rue des Fossés, à quelque distance de la porte de la ville, on avoit élevé une colonne d'ordre dorique de 6 piés de diametre, de 50 piés de hauteur compris sa base & son chapiteau.

Le pié-d'estal qui avoit 18 piés de hauteur, étoit orné, sur les quatre angles de sa corniche, de quatre dauphins & autres attributs ; ses quatre faces étoient décorées de tables avec moulures, qui renfermoient quatre inscriptions ; la premiere en françois, la seconde en espagnol, la troisieme en italien, & la quatrieme en latin.

Au-haut du chapiteau, un amortissement de 8 piés de haut, sur lequel étoit posé un globe de 6 piés de diametre : ce globe étoit d'azur, parsemé de fleurs-de-lis & de tours de Castille.

On avoit placé au-dessus de ce globe un étendard de 20 piés de hauteur, sur 30 piés de largeur, où étoient les armes de France & d'Espagne.

Cette colonne étoit feinte de marbre blanc veiné, ainsi que le pié-d'estal ; les moulures, ornemens, vases, & chapiteaux, étoient en dorure, & toutes ces hauteurs réunies formoient une élevation de 102 piés.

* Les paroles sont de Fuzelier, la musique est de M. Rameau.

* La ville de Bordeaux a élevé ce palais en l'honneur du très-auguste & très-heureux mariage de Louis dauphin de France, & de Marie Thérese infante d'Espagne.

Madame la dauphine s'arrêta auprès de cette colonne, tant pour la considérer que pour lire les quatre inscriptions composées en quatre différentes langues.

Elle alla ensuite sur le port, & fut placée dans un fauteuil sous une espece de pavillon tapissé, couvert d'un voile, dont les bords étoient garnis d'une guirlande de laurier.

Le vaisseau ayant été béni, madame la dauphine lui donna son nom, & sur le champ il fut lancé à l'eau.

Madame la dauphine, après avoir admiré quelque tems ce point de vûe, fut conduite dans une salle où les officiers de la bouche avoient préparé sa collation.

La princesse se retira ensuite aux flambeaux, & se rendit à l'hôtel des fermes du roi.

Cet hôtel compose une des façades latérales de la place royale, construite sur le bord de la Garonne ; il avoit été fait pour en illuminer les façades extérieures & intérieures, de grands préparatifs qui ne purent réussir ce jour-là, quant à la façade extérieure, parce qu'un vent de nord violent qui y donnoit directement, éteignoit une partie des lampions & des pots-à-feu à mesure qu'on les allumoit. La même raison empêcha que l'illumination des vaisseaux que les jurats avoient ordonnée, & que madame la dauphine devoit voir de cet hôtel, ne pût être exécutée.

Quant à la façade intérieure, comme elle se trouvoit à l'abri du vent, l'illumination y eut un succès entier.

Les préparatifs n'avoient pas été moindres pour le dedans de la maison ; on avoit garni les piliers des voûtes, les escaliers, les plafonds, & les corridors d'une infinité de placards à double rang, portant chacun deux bougies.

Les appartemens du premier étage destinés pour recevoir madame la dauphine & toute sa cour, étoient richement meublés & éclairés par quantité de lustres qui se répétoient dans les glaces.

Dans une chambre à côté de celle de la princesse, étoient les plus habiles musiciens de la ville, qui exécuterent un concert dont madame la dauphine parut satisfaite.

On avoit servi une collation avec des rafraîchissemens, dans une autre chambre de l'appartement.

La princesse qui étoit arrivée vers les six heures à l'hôtel des fermes, y resta jusqu'à huit heures.

Le soir madame la dauphine alla au bal, habillée en domino bleu ; elle se plaça dans la même loge & en même compagnie que le jour précédent, & honora l'assemblée de sa présence pendant plus de deux heures.

Le même jour la princesse honora pour la seconde fois de sa présence l'opéra ; elle étoit placée comme la premiere fois, & les mêmes personnes eurent l'honneur d'être admises à l'amphithéatre : on joüa l'opera d'Issé sans prologue, & à cette représentation parut une décoration qui venoit d'être achevée sur les desseins & par les soins du cher Servandoni.

Le 31 Janvier elle y alla pour la troisieme fois, & l'on représenta l'opera d'Hippolyte & Aricie.

Le soir il fut déclaré qu'elle partiroit sûrement le lendemain à 6 heures & demie précises du matin.

Le lendemain, au moment que madame la dauphine sortoit de son appartement, les jurats revêtus de leurs robes de cérémonie, eurent l'honneur de lui rendre leurs respects, & de la supplier d'accepter la maison navale, que la ville avoit fait préparer pour son voyage, & que cette princesse eut la bonté d'accepter.

Cette maison navale étoit en forme de char de triomphe ; le corps de la barque, du port de quarante tonneaux, étoit enrichi de bas-reliefs en dorure sur tout son pourtour ; la proue l'étoit d'un magnifique éperon, représentant une renommée d'une attitude élégante ; les porte-vergues étoient ornées de fleurs-de-lis & de tours ; le haut de l'étrave terminé par un dauphin ; la poupe décorée sur toute la hauteur & la largeur, des armes de France & d'Espagne, avec une grande couronne en relief ; les bouteilles étoient en forme de grands écussons aux armes de France, dont les trois fleurs-de-lis étoient d'or sur un fond d'azur, le tout de relief ; les préceintes formoient comme de gros cordons de feuilles de laurier, aussi en bas-relief en dorure ; le restant de la barque jusqu'à la flotaison, étoit doré en plein & chargé de fleurs-de-lis & de tours en relief.

La chambre de 20 piés de longueur sur 10 piés de largeur, étoit percée de huit croisées garnies de leurs chassis à verre, à deux rangs de montans ; il y avoit trois portes aussi avec leurs chassis, pareils à ceux des croisées ; tout l'intérieur, ainsi que le dessous de l'impériale, étoit garni de velours cramoisi enrichi de galons & de crêpines d'or, avec un dais placé sur l'arriere, sur une estrade de 8 piés de profondeur & de la largeur de la chambre, du surplus de laquelle elle étoit séparée par une balustrade dorée en plein, ouverte dans son milieu pour le passage.

Le ciel & le dossier du dais étoient enrichis dans leur milieu de broderie ; il y avoit sous ce dais un fauteuil & un carreau aussi de velours cramoisi, avec des glands & galons d'or.

Le dessus de l'impériale étoit d'un fond rouge parsemé de fleurs-de-lis & de tours de relief, toutes dorées ; ce qui formoit une mosaïque d'une beauté singuliere.

Les deux épis étoient ornés d'amortissemens en sculpture, & les quatre arrêtiers l'étoient de quatre dauphins, dont les têtes paroissoient sur l'à-plomb des quatre angles de l'entablement, & leurs queues se réunissoient aux deux épis : le tout de relief & dorure.

Les trumeaux d'entre les croisées & portes étoient ornés extérieurement de chûtes de festons ; le dessus des linteaux, tant des croisées que des portes, ornés aussi d'autres festons, le tout de relief & dorés en plein ; une galerie de 2 piés 6 pouces de largeur, bordée d'une balustrade, dont les balustrades, le socle, & l'appui étoient également dorés en plein, entouroit la chambre qui étoit isolée ; ce qui ajoûtoit une nouvelle grace à ce bâtiment naval, dont la décoration avoit été ménagée avec prudence & sans confusion.

Il étoit remorqué par quatre chaloupes peintes ; le fond bleu, les préceintes, & les carreaux dorés.

Dans chaque chaloupe étoient vingt matelots, un maître de chaloupe, & un pilote, habillés d'un uniforme bleu, garni d'un galon d'argent, ainsi que les bonnets qui étoient de même couleur.

Les rames étoient peintes, le fond bleu, avec des fleurs-de-lis en or & des croissans en argent, qui font partie des armes de la ville.

Il y avoit aussi une chaloupe pour la symphonie, qui étoit armée comme celles de remorque.

Enfin dans la maison navale il y avoit deux premiers pilotes, quatre autres pour faire passer la voix, & six matelots pour la manoeuvre.

Avant sept heures madame la dauphine se rendit sur le port dans sa chaise ; elle fut portée jusque sur un pont préparé pour faciliter l'embarquement. Les jurats y étoient en robes de cérémonie, avec un corps de troupes bourgeoises.

Cette princesse étant sortie de sa chaise, le comte de Rubempré, alors malade, prit sa main gauche, & elle donna sa main droite à M. de Ségur sous-maire de Bordeaux. Elle entra ainsi suivie de toute sa cour dans la maison navale, dans laquelle étoient l'intendant de la province & sa suite, le corps-de-ville, l'ordonnateur de la marine, &c.

Au départ de la princesse, l'air retentit des voeux que faisoit pour elle une multitude prodigieuse de peuple, répandu sur le rivage, dans les vaisseaux & dans les bateaux du port.

Une batterie de canon, que les jurats avoient fait placer environ cent pas au-dessous du lieu de l'embarquement, fit une salve qui servit de signal pour celle du premier vaisseau ; celle-ci pour celle du second, & successivement jusqu'au dernier : ces vaisseaux, tant françois qu'étrangers, tous pavoisés, pavillons & flammes dehors, étoient rangés sur deux lignes : ces salves différentes furent réitérées, aussi-bien que celles des trois châteaux, qui furent faites chacune en son tems.

Une chaloupe remplie de symphonistes, tournoit sans-cesse autour de la maison navale ; mais ce n'étoit pas le seul bateau qui voltigeoit ; il y en avoit autour d'elle quantité d'autres de toute espece, & différemment ornés, qui faisoient de tems en tems des salves de petits canons.

Dans la distance qu'il y a du bout des chartreux à la traverse de Lormont, le tems étoit si calme & la marée si belle, qu'on se détermina à continuer la route de la même maniere jusqu'à Blaye.

La navigation continua ainsi par le plus beau tems du monde : on arriva insensiblement au lieu appellé le Bec-d'Ambés, où les deux rivieres, de Garonne & Dordogne, se réunissent, & où commence la Gironde ; l'eau étoit très-calme, madame la dauphine alla sur la galerie, & y demeura près d'un quart d'heure à considérer les différens tableaux dont la nature a embelli cet admirable point-de-vûe.

Lorsque madame la dauphine fut rentrée, les députés du corps-de-ville de Bordeaux lui demanderent la permission de lui présenter un dîner que la ville avoit fait préparer, & d'avoir l'honneur de l'y servir ; ce que madame la dauphine ayant eu la bonté d'agréer, suivant ce qui s'étoit pratiqué lors du passage de sa Majesté catholique, pere de cette princesse, la cuisine de la ville aborda la maison navale, & celle de la bouche qui avoit suivi depuis Bordeaux, se retira.

Au signal qui fut donné, les chaloupes de remorque leverent les rames, soûtenant seulement de la chaloupe de devant, pour tenir les autres en ligne.

M. Cazalet eut l'honneur d'entrer dans l'intérieur de la chambre de madame la dauphine, séparée du reste par une balustrade, de mettre le couvert, & de présenter le pain ; les deux autres députés se joignirent à lui, & ils eurent l'honneur de servir ensemble madame la dauphine, & de lui verser à boire.

On se trouva au port à la fin du dîner, après l'abordage la princesse sortit sur un pont que les jurats de Bordeaux avoient fait construire ; le comte de Rubempré tenant sa main gauche, M. Cazalet ayant l'honneur de tenir la droite, elle se mit dans sa chaise pour se rendre à l'hôtel qui lui étoit préparé.

On voit par ces détails ce que le génie & le zele peuvent unis ensemble. On ne vit à Bordeaux, pendant le séjour de madame la dauphine, que des réjoüissances & des acclamations de joie ; ce n'étoit que fêtes continuelles dans la plûpart des maisons. Le premier président du parlement & l'intendant donnerent l'exemple ; ils tinrent soir & matin des tables aussi délicatement que magnifiquement servies.

Le corps-de-ville de Bordeaux tint aussi matin & soir des tables très-délicates, & tout s'y passa avec cette élégance aimable, dont le goût sait embellir les efforts de la richesse. (B)

FETES DES PRINCES DE FRANCE. Nos princes, dans les circonstances du bonheur de la nation, signalent souvent par leur magnificence leur amour pour la maison auguste dont ils ont la gloire de descendre, & se plaisent à faire éclater leur zele aux yeux du peuple heureux qu'elle gouverne.

C'est cet esprit dont tous les Bourbons sont animés, qui produisit lors du sacre du Roi en 1725, ces fêtes éclatantes à Villers-Coterets, & à Chantilly, dont l'idée, l'exécution & le succès furent le chef-d'oeuvre du zele & du génie. On croit devoir en rapporter quelques détails qu'on a rassemblés d'après les mémoires du tems.

Le Roi après son sacre partit de Soissons le 2 de Novembre 1722 à dix heures du matin, & il arriva à Villers-Coterets sur les trois heures & demie, par la grande avenue de Soissons. On l'avoit ornée dans tous les intervalles des arbres, de torcheres de feuillée portant des pots à feu. L'avenue de Paris, qui se joint à celle-ci dans le même alignement, faisant ensemble une étendue de près d'une lieue, étoit décorée de la même maniere.

Premiere journée. Après que Sa Majesté se fut reposée un peu de tems, elle parut sur le balcon qui donne sur l'avant-cour du château.

Cette avant-cour est très-vaste, tous les appartemens bas étoient autant de cuisines, offices & salles à manger ; ainsi pour la dérober à la vûe, & à trois toises de distance, on avoit élévé deux amphithéatres longs de seize toises sur vingt piés de hauteur, distribués par arcade, sur un plan à pan coupé & isolé. Les gradins couverts de tapis, étoient placés dans l'intervalle des avant-corps ; les parois des amphithéatres étoient revêtus de feuillées, qui contournoient toutes les architectures des arcades, ornées de festons & de guirlandes, & éclairées de lustres, chargés de longs flambeaux de cire blanche. Des lumieres arrangées ingénieusement sous différentes formes, terminoient ces amphithéatres.

Au milieu de l'avant-cour on avoit élevé entre les deux amphithéatres une espece de terrasse fort vaste, qui devoit servir à plusieurs exercices, & on avoit menagé tout autour des espaces très-larges pour le passage des carrosses, qui pouvoient y tourner partout avec une grande facilité. A six toises des quatre encognures, on avoit établi quatre tourniquets à courir la bague, peints & décorés d'une maniere uniforme.

Pour former une liaison agréable entre toutes ces parties, on avoit posé des guéridons de feuillées chargés de lumieres, qui conduisoient la vûe d'un objet à l'autre par des lignes droites & circulaires. Ces guéridons lumineux étoient placés dans un tel ordre, qu'ils laissoient toute la liberté du passage.

Quand le Roi fut sur son balcon, ayant auprès de sa personne une partie de sa cour, le reste alla occuper les fenêtres du corps du château, qui, aussi-bien que les aîles, étoit illuminé avec une grande quantité de lampions & de flambeaux de cire blanche : ces lumieres rangées avec art sur les différentes parties de l'architecture, produisoient diverses formes agréables & une variété infinie.

L'arrivée de Sa Majesté sur son balcon, fut célébrée par l'harmonie bruyante de toute la symphonie, placée sur les amphithéatres, & composée des instrumens les plus champêtres & les plus éclatans : car dans cet orchestre, qui réunissoit un très-grand nombre de violons, de haut-bois & de trompettes-marines, on comptoit plus de quarante cors-de-chasse. Les tourniquets à courir la bague, occupés par des dames supposées des campagnes & des châteaux voisins, & par des cavaliers du même ordre, divertirent d'abord le Roi. Les danseurs de corde commencerent ensuite leurs exercices, au son des violons & des haut-bois : dans les vuides de ce spectacle, les trompettes-marines & les cors-de-chasse se joignoient aux violons & aux haut-bois, & joüoient les airs de la plus noble gaieté. La joie regnoit souverainement dans toute l'assemblée, & les sauteurs pendant ce tems l'entretenoient par leur souplesse & par les mouvemens variés de la plus surprenante agilité.

Après ce divertissement, le Roi voulut voir courir la bague de plus près ; alors les tourniquets furent remplis de jeunes princes & seigneurs, qui briguerent l'emploi d'amuser Sa Majesté, parmi lesquels le duc de Chartres, le comte de Clermont, le grand-prieur & le prince de Valdeik, le duc de Retz, le marquis d'Alincourt, le chevalier de Pesé, se distinguerent.

Après avoir été témoin de leur adresse, le Roi remonta & se mit au jeu. Dès que la partie du Roi fut finie, les comédiens Italiens donnerent un impromptu comique, composé des plus plaisantes scenes de leur théatre, que Lelio avoit rassemblées, & qui réjoüirent fort Sa Majesté.

Tous les gens de goût sont d'accord sur la beauté de l'ordonnance du parc & des jardins de Villers-Coterets : le parterre, la grande allée du parc, & les deux qui sont à droite & à gauche du château, furent illuminées par une quantité prodigieuse de pots-à-feu. Tous les compartimens, dessinés par les lumieres, ne laissoient rien échapper de leurs agrémens particuliers.

Sa Majesté descendit pour voir de plus près l'effet de cette magnifique illumination. Tout-d'un-coup l'attention générale fut interrompue par le son des hautbois & des musettes ; les yeux se porterent aussi-tôt où les oreilles avertissoient qu'il se présentoit un plaisir nouveau. On apperçut au fond du parterre, à la clarté de cent flambeaux, portés par des faunes & des satyres, une nôce de village, qui avançoit en dansant vers la terrasse, sur laquelle le Roi étoit ; Thevenard marchoit à la tête de la troupe, portant un drapeau. La nôce rustique étoit composée de danseurs & de danseuses de l'opéra. Dumoulin & la Prévôt représentoient le marié & la mariée. Ce petit ballet fut suivi du souper du Roi & de son coucher.

M. le régent, M. le duc de Chartres, & les grands officiers de leurs maisons, tinrent les différentes tables nécessaires à la foule de grands seigneurs & d'officiers qui formoient la cour de Sa Majesté ; il y eut pendant tout son séjour quatre tables de trente couverts, vingt-une de vingt-cinq, douze de douze, toutes servies en même tems & avec la plus exquise délicatesse.

On calcula dans le tems, que l'on servoit à chaque repas, 5916 plats.

Seconde journée ; chasse du sanglier. Le mardi 3 Novembre, une triple salve de l'artillerie & des boîtes annonça le lever de Sa Majesté ; après la messe, elle descendit pour se rendre à l'amphithéatre qui avoit été dressé dans le parc, où S. M. devoit prendre le plaisir d'une chasse de sanglier dans les toiles. Les princes du sang & les principaux officiers de S. M. le suivirent : l'équipage du Roi pour le sanglier, commandé par le marquis d'Ecquevilly, qui en est capitaine, devoit faire entrer plusieurs sangliers dans l'enceinte qu'on avoit formée près du jardin de l'orangerie.

Pour placer le Roi & toute sa cour, on avoit construit trois galeries découvertes dans la partie intérieure de l'avenue, & sur son alignement, à commencer depuis la grille jusqu'à la contre-allée du parterre. La galerie du milieu préparée pour le Roi avoit douze toises de longueur & trois de largeur ; on y montoit sept marches par un escalier à double rampe qui conduisoit à un repos, d'où l'on montoit sept autres marches de front, qui conduisoient sur le plancher. Cette galerie étoit ornée de colonnes de verdure, dont les entablemens s'unissoient aux branches des arbres de l'avenue, & formoient une architecture rustique plus convenable à la fête, que le marbre & les lambris dorés. Cette union des entablemens & des arbres ressembloit assez à un dais qui servoit de couronnement à la place du Roi. Le plancher étoit couvert de tapis de Turquie, ainsi que les balustrades ; un tapis de velours cramoisi, brodé de grandes crépines d'or, distinguoit la place de S. M. Tout le pourtour de cet édifice, & les rampes des escaliers, étoient revêtus de feuillées.

Aux deux côtés, & à neuf piés de distance de cette grande galerie, on en avoit construit deux autres plus étroites & moins élevées pour le reste des spectateurs, qui ne pouvoient pas tous avoir place sur la galerie du Roi. Ces deux galeries étoient décorées de feuillages comme la grande, & toutes les trois étoient d'une charpente très-solide, & dont l'assemblage avoit été fait avec des précautions infinies, pour prévenir les moindres dangers.

Dès que le Roi fut placé, on lâcha l'un après l'autre cinq sangliers dans les toiles. Cette chasse fut parfaitement belle. Le comte de Saxe, le prince de Valdeik, & quelques autres seigneurs françois y firent éclater leur adresse & leur intrépidité ; ils entrerent dans les toiles armés seulement d'un couteau de chasse & d'un épieu.

Le comte de Saxe se distingua beaucoup dans cette chasse. Le Roi ayant blessé un sanglier d'un dard qu'il lui lança, le comte de Saxe l'arracha d'une main du corps de l'animal, que sa blessure rendoit plus redoutable, tandis que de l'autre main il en arrêta la fureur & les efforts. Il en poursuivit ensuite un autre qu'il irrita de cent façons différentes : lorsqu'il crut avoir poussé sa rage jusqu'au dernier excès, il feignit de fuir ; le sanglier courut sur lui, il se retourna & l'attendit ; appuyé d'une main sur son épieu, il tenoit de l'autre son couteau de chasse. Le sanglier furieux s'élance sur lui ; dans le moment l'intrépide chasseur lui enfonce son couteau de chasse au milieu du front, l'arrête ainsi & le renverse.

Cette chasse, qui divertit beaucoup S. M. & toute la cour, dura jusqu'à une heure après midi, que le Roi rentra pour dîner.

Chasse du cerf. Après le dîné, S. M. monta en caleche au bas de la terrasse ; les princes, toute la cour, le suivirent à cheval.

Le cerf fut chassé pendant plus de deux heures par la meute du Roi ; le comte de Toulouse, grand-veneur de France, en habit uniforme, piquant à la tête. S. M. parcourut toutes les routes du parc : la chasse passa plusieurs fois devant sa caleche ; & le cerf, après avoir tenu très-long-tems devant les chiens, alla donner de la tête contre une grille, & se tua.

Le Roi revint sur les cinq heures dans son appartement, & changea d'habit pour aller à la foire.

Salle de la foire. La foire que M. le duc d'Orléans avoit fait préparer avec magnificence, étoit établie dans la cour intérieure du château ; elle est quarrée & bâtie sur un dessein semblable à l'avant-cour.

Le lecteur ne sera peut-être pas fâché de trouver ici quelque détail de cette foire galante ; l'idée en est riante & magnifique, & peut lui peindre quelques-uns de ces traits saillans du génie aussi vaste qu'aimable du grand prince qui l'avoit imaginée.

On avoit laissé de grands espaces qui avoient la forme de rues, tout-au-tour de la cour, entre les boutiques & le milieu du terrein, qu'on avoit parqueté & élevé seulement d'une marche : ce milieu étoit destiné à une salle de bal ; & on n'avoit rien oublié de ce qui pouvoit la rendre aussi magnifique que commode.

La salle n'étoit séparée de ces especes de rues que par une banquette continue, couverte de velours cramoisi. Toute la cour qui renfermoit cette foire étoit couverte de fortes bannes soûtenues par des travées solides, qui servoient encore à suspendre vingt-quatre lustres. Toutes les différentes parties de cette foire étoient ornées d'une très-grande quantité de lustres ; & ces lumieres réfléchies sur des grands miroirs & trumeaux de glaces, étoient multipliées à l'infini.

On entroit dans cette foire par quatre passages qui répondoient aux escaliers du château ; ce lieu n'étant point quarré, & se trouvant plus long que large, les deux faces plus étroites étoient remplies par deux édifices élégans, & les deux autres faces étoient subdivisées en boutiques, séparées au milieu par deux petits théatres.

En entrant de l'avant-cour dans la foire, on rencontroit à droite le théatre de la comédie italienne, qui remplissoit seul une des faces moins larges de la cour. Il étoit ouvert par quatre pilastres peints en marbre blanc, cantonnés de demi-colonnes d'arabesque & de cariatides de bronze doré, qui portoient une corniche dorée, d'où pendoit une pente de velours à crépines d'or, chargée de festons de fleurs : au-dessus regnoit un pié-d'estal en balustrade de marbre blanc à moulure d'or, orné de compartimens, de rinceaux de feuilles entrelacées & liées avec des girandoles chargées de bougies.

On voyoit au haut de ce théatre les armes du Roi grouppées avec des guirlandes de fleurs ; le chiffre de S. M. figuré par deux L L entrelacées, paroissoit dans deux cartouches qui couronnoient les deux ouvertures faites aux deux côtés du théatre pour le passage des acteurs ; ces deux passages étoient doublés d'une double portiere de damas cramoisi à crépines d'or, festonnant sur le haut. Ce théatre élevé seulement de trois piés du rez-de-chaussée représentoit un temple de Bacchus dans un jardin à treillage d'or, couvert de vignes & de raisins. On voyoit la statue du dieu en marbre blanc, qu'environnoient les satyres en lui présentant leurs hommages.

Le théatre italien étoit occupé par deux acteurs & une actrice, Arlequin, Pantalon, & Silvia, qui, par des saillies italiennes & des scènes réjoüissantes, commençoient les plaisirs qu'on avoit répandus à chaque pas dans ce séjour.

Toutes les boutiques de cette foire brillante étoient séparées par deux pilastres de marbre blanc, de l'entre-deux desquels sortoient trois bras en hauteur, à plusieurs branches, garnis de bougies jusqu'au bas de la balustrade. Ces pilastres étoient cantonnés de colonnes arabesques, portant des vases de bronze doré, d'où paroissoient sortir des orangers chargés d'une quantité prodigieuse de fruits & de fleurs ; ils étoient alignés sur les galeries qui regnoient sur tout l'édifice autour de la foire.

Immédiatement au-dessus des boutiques, qui avoient environ huit piés de profondeur & quinze à seize de hauteur, regnoit tout-au-tour la balustrade dont il a été parlé : à chaque côté des orangers, qui étoient deux à deux, il y avoit une girandole garnie de bougies en pyramide ; & entre chaque grouppe d'orangers & de girandoles, il y avoit un ou plusieurs acteurs ou actrices de l'opéra, appuyés sur la balustrade, masqués en domino ou autre habit de bal, dont les couleurs étoient très-éclatantes ; ce qui formoit le tableau en même tems le plus surprenant & le plus agréable.

Chaque boutique étoit éclairée par quantité de bras à plusieurs branches & par deux lustres à huit bougies, qui se répétoient dans les glaces. A celles qui étoient destinées pour la bouche, il y avoit de plus des buffets rangés avec art & garnis de girandoles. Toutes les boutiques avoient pour couronnement un cartouche qui contenoit en lettres d'or le nom du marchand le plus connu de la cour, par rapport à la marchandise de la boutique. Les supports des cartouches étoient ornés des attributs qui pouvoient caractériser chaque négoce dans un goût noble. Les musiciens & musiciennes, danseurs & danseuses de l'opéra, vêtus d'habits galans faits d'étoffes brillantes, & cependant convenables aux marchands qu'ils représentoient, y distribuoient généreusement & à tous venans leur marchandise. La premiere boutique étoit celle du pâtissier, sous le nom de Godart ; elle étoit meublée d'un cuir argenté : le fond séparé au milieu par un trumeau de glace, laissoit voir dans ses côtés le lieu destiné au travail du métier, avec tous les ustensiles nécessaires ; la Thierry, danseuse, représentoit la pâtissiere ; elle avoit pour garçons Malterre & Javilliers, qui habillés de toile d'argent, & portant des clayons chargés de ratons tout chauds, couroient vîte les débiter dans la foire. Cette boutique étoit garnie de toute sorte de pâtisserie fine.

La boutique suivante avoit pour inscription Perdrigeon ; elle étoit meublée d'une tenture de brocatelle de Venise, & de glaces, & garnie de dragonnes brodées en or & en argent, noeuds d'épée & de cannes, ceinturons & bonnets brodés richement ; les rubans de toutes sortes de couleurs & d'or & d'argent, les plus à la mode & du meilleur goût, y pendoient en festons de tous côtés : le maître & la maîtresse de la boutique étoient représentés par Dumoulin danseur, & par la Rey, danseuse.

La troisieme boutique étoit un caffé ; on lisoit dans le cartouche le nom de Benachi. Elle étoit tendue d'un beau cuir doré avec des buffets chargés de tasses, soucoupes, & cabarets du Japon & des Indes, & de girandoles de lumieres qui se répétoient dans les trumeaux. Corbie & Julie, chanteur & chanteuse, déguisés en turc & turquesse, ainsi que Deshayes, chanteur, qui leur servoit de garçon, distribuoient le caffé, le thé, & le chocolat.

La quatrieme boutique élevée en théatre d'opérateur, étoit inscrite, le docteur Barry. La forme de ce théatre représentoit une place publique & les rues adjacentes. Scapin en opérateur, Trivelin son garçon, Paqueti en aveugle, & Flaminia femme de l'opérateur, remplissoient ce théatre, & contrefaisoient parfaitement le manége & l'éloquence des arracheurs de dents.

La cinquieme boutique représentoit un ridotto de Venise. Le meuble étoit de velours ; les trumeaux & les bougies y étoient répandus avec profusion. On voyoit plusieurs tables de bassette & de pharaon, tenues par des banquiers bien en fonds, & tous masqués à la vénitienne : c'étoient des courtisans, qui se démasquerent d'abord que le Roi parut.

La sixieme, intitulée Ducreux & Baraillon, avoit pour marchande la Duval, danseuse ; & pour marchandise, des masques, des habits de bal, & des dominos de toutes les couleurs & de toutes les tailles.

Dans la septieme, où étoient Saint-Martin & la Souris la cadette, habillés à l'allemande, on montroit un tableau changeant, d'une invention & d'une variété très-ingénieuse ; & un veau vivant ayant huit jambes. Cette loge étoit meublée de damas, & s'appelloit cadet.

On se trouvoit, en tournant, en face de la cour opposée à celle que remplissoit le théatre de la comédie italienne. Elle étoit décorée de la même ordonnance dans le dehors ; le dedans figuroit une superbe boutique de fayencier, meublée de damas cramoisi, & remplie de tablettes chargées de crystaux rares & singuliers, & de porcelaines fines, des plus belles formes, de la Chine, du Japon & des Indes, qui faisoient partie des lots que le Roi devoit tirer. Javilliers pere, & la Mangot, en hollandois & hollandoise, occupoient cette riche boutique, qui avoit pour inscription, Messager.

La premiere boutique après le magasin de porcelaine, en tournant toûjours à droite, étoit la loge des joüeurs de gobelets, habitée par eux-mêmes, & meublée de drap d'or, avec des glaces. Dans le cartouche étoient les noms de Baptiste & de Dimanche, fameux alors par leurs tours d'adresse.

La seconde, intitulée Lesgu & la Frenaye, & dont les officiers de M. le duc d'Orléans faisoient les honneurs, étoit la bijouterie ; elle étoit meublée de moire d'or, avec une pente autour, relevée en broderie d'or & ornée de glaces. Cette boutique étoit remplie de tout ce que l'on peut imaginer en bijoux précieux, exposés sur des tablettes ; d'autres étoient renfermés dans des coffres de vernis de la Chine, mêlés de curiosités indiennes.

La troisieme, portant le nom de Fredoc, étoit l'académie des jeux de dés, du biribi & du hoca, meublée d'un gros damas galonné d'or.

La quatrieme, faisant face au théatre de l'opérateur, étoit un jeu de marionnettes qui avoit pour titre, Brioché.

La cinquieme, nommée Procope, étoit meublée d'un cuir argenté, & ornée de buffets, de trumeaux, de glaces & de girandoles ; elle étoit destinée par la distribution de toutes les liqueurs fraîches, & des glaces. Buzeau en arménien, & la Perignon en arménienne, présidoient à cette distribution.

La sixieme, tendue de brocatelle, s'appelloit Bréard ; Dumirail, danseur, en étoit le maître, & y débitoit les ratafia, rossoli, & liqueurs chaudes de toutes les sortes.

La derniere, qui se trouvoit dans l'encoignure, près du théatre italien, étoit enfin intitulée, M. Blanche, & occupée par la Souris l'aînée, & la du Coudray, marchandes de dragées & de toutes sortes de confitures fines.

Un grand amphithéatre paré de tapis & bien illuminé, regnoit tout le long & au-dessus du théatre de la comédie italienne : il étoit rempli par une quantité prodigieuse d'excellens symphonistes.

Les dessus de la loge intitulée Messager, située en face, étoit aussi couronné par un semblable amphithéatre, où étoient placés les musiciens & musiciennes, danseurs & danseuses qui n'avoient point d'emploi dans les boutiques de la foire, déguisés en différens caracteres sérieux, galans & comiques.

La galerie ornée d'orangers & de girandoles, qui avoit bien plus de profondeur aux faces qu'aux ailes, servoit comme de base & d'accompagnement à ces deux amphithéatres, & rendoit le point de vûe d'une beauté & d'une singularité inexprimables. Tel est toûjours l'effet des beaux contrastes.

Le Roi suivi de sa cour, entrant dans ce lieu enchanté, s'arrêta d'abord au théatre de la comédie italienne, où Arlequin, Pantalon & Silvia ne firent pas des efforts inutiles pour divertir Sa Majesté : elle se rendit de-là aux marionnettes, & ensuite aux jeux ; s'y amusa quelque tems : & joüa au hoca & au biribi. Après le jeu, le Roi alla au théatre du docteur Barry : Scapin commença sa harangue, que Trivelin expliquoit en françois, pendant que Flaminia présentoit au Roi, dans un mouchoir de soie, les raretés que lui offroit l'opérateur. Des tablettes garnies d'or, & d'un travail fini, furent le premier bijou qui lui fut offert ; Scapin l'accompagna de ce discours qu'il adressa au Roi :

Voilà des tablettes qui renferment le thrésor de tous les thrésors, Sa Majesté y trouvera l'abregé de tous mes secrets ; le papier qui les contient est incorruptible, & les secrets impayables.

Flaminia eut encore l'honneur de présenter deux autres bijoux au Roi ; un cachet précieux & d'une gravûre parfaite, composé d'une grosse perle ; & d'une antique, avec un petit vase d'une pierre rare, & garni d'or. Scapin fit à chaque présent un commentaire, à la maniere des vendeurs d'orviétan. On distribua ainsi aux princes & aux seigneurs de la cour, des bijoux d'or de toute espece.

Sa Majesté continua sa promenade & fit plusieurs tours dans la foire, pour joüir des divers tours & propos dont les marchands & les marchandes se servent à Paris pour attirer les chalans dans leurs boutiques. Leurs cris, en effet, & leurs empressemens à étaler & à faire accepter leur marchandises, imitoient parfaitement quoiqu'en beau, le tumulte, le bruit & l'espece de confusion qu'on trouve dans les foires S. Germain & S. Laurent, dans les tems où elles sont belles. Enfin le Roi, après avoir été longtems diverti par la variété des spectacles & des amusemens de la foire, entra dans la boutique de Lesgu & la Frenaye, & tira lui-même une loterie qui, en terminant la fête, surpassa toute la magnificence qu'elle avoit étalée jusqu'à ce moment ; en faisant voir l'élégance, la quantité & la richesse des bijoux qui furent donnés par le sort à toute la cour, & à toute la suite qu'elle avoit attirée à Villers-Coterets.

Cette loterie, la plus fidele qu'on ait jamais tirée, occupa Sa Majesté jusqu'à près de neuf heures du soir. Alors le Roi passa sur le parquet de la salle du bal, située au milieu de la foire, & se plaça dans un fauteuil vers le théatre de la comédie italienne : les princes se rangerent auprès de Sa Majesté. Les banquettes couvertes de velours cramoisi, qui entouroient cette salle, servoient de barriere aux spectateurs. La symphonie placée sur l'amphithéatre, commença le divertissement par une ritournelle. La Julie représentant Terpsicore, accompagnée de Pecourt, compositeur de toutes les danses gracieuses & variées exécutées à Villers-Coterets ; & de Mouret, qui avoit composé tous les airs de ces danses, chanta un récit au Roi.

Après ce récit la suite de Terpsicore se montra digne d'être amenée par une muse. Deux tambourins basques se mirent à la tête de la danse ; un tambourin provençal se rangea au fond de la salle, & on commença un petit ballet, sans chant, très diversifié par les pas & les caracteres, qui fut exécuté par les meilleurs danseurs de l'opéra.

Dès que la danse cessa, on entendit tout-d'un-coup un magnifique choeur en acclamations, mêlé de fanfares, & chanté par tous les acteurs & actrices masqués, placés sur les deux amphithéatres & les deux galeries qui les accompagnoient ; ce qui causa une surprise très-agréable.

Après ce choeur le Roi alla souper, & les masques s'emparerent de la salle du bal. Ensuite on distribua à ceux qui se trouvoient alors dans la foire, tout ce qui étoit resté dans les boutiques des marchands, qui étoient si abondamment fournies, qu'après que toute la cour fut satisfaite, il s'en trouva encore une assez grande quantité pour contenter tous les curieux.

Ce seroit ici le lieu de parler de la fête de Chantilly, donnée dans le même tems ; & de celle donnée à Saint-Cloud par S. A. S. Mgr. le duc d'Orléans pour la Naissance de Monseigneur le duc de Bourgogne ; mais on en trouvera un précis assez détaillé dans quelques autres articles. Voyez SACRE DES ROIS DE FRANCE, ILLUMINATION, FEU D'ARTIFICE, &c.

On terminera donc celui-ci, déjà peut-être trop long, par le récit d'une fête d'un genre aussi neuf qu'élégant, dont on n'a parlé dans aucun des mémoires du tems, qui mérite à tous égards d'être mieux connue, & qui rappellera à la cour de France le souvenir d'une aimable princesse, qui en étoit adorée.

On doit pressentir à ce peu de mots, que l'on veut parler de S. A. S. mademoiselle de Clermont, surintendante de la maison de la Reine. Ce fut elle, en effet, qui donna à S. M. cette marque publique de l'attachement tendre & respectueux qu'elle inspire à tous ceux qui ont le bonheur de l'approcher. Cette princesse, doüée des dons les plus rares, & les mieux faits pour être bientôt démêlés, malgré la douceur modeste qui, en s'efforçant de les cacher, sembloit encore les embellir, fit préparer en secret le spectacle élégant dont elle vouloit surprendre la Reine. Ainsi le soir du 12 Juillet 1729, en se promenant avec elle sur la terrasse du château de Versailles, elle l'engagea à descendre aux flambeaux jusqu'au labyrinthe.

L'entrée de ce bois charmant se trouva tout-à-coup éclairée par une illumination ingénieuse, & dont les lumieres qui la formoient, étoient cachées par des transparens de feuillées.

Esope & l'Amour sont les deux statues qu'on voit aux deux côtés de la grille. Dès que la Reine parut, une symphonie harmonieuse se fit entendre ; & l'on vit tout-à-coup la fée des plaisirs champêtres, qui en étoit suivie. Elle adressa les chants les plus doux à la Reine, en la pressant de goûter quelques momens les innocens plaisirs qu'elle alloit lui offrir. Les vers qu'elle chantoit, étoient des loüanges délicates, mais sans flaterie ; ils avoient été dictés par le coeur de mademoiselle de Clermont : cette princesse ne flata jamais, & mérita de n'être jamais flatée.

La fée, après son récit, toucha de sa baguette les deux statues dont on a parlé. Au son touchant d'une symphonie mélodieuse elles s'animerent, & joüerent avec la fée une jolie scene, dont les traits legers amuserent la Reine & la cour.

Après ce début, les trois acteurs conduisirent la Reine dans les allées du labyrinthe ; l'illumination en étoit si brillante, qu'on y lisoit les fables qui y sont répandues en inscriptions, aussi aisément qu'en plein jour.

Au premier carrefour, la Reine trouva une troupe de jardiniers qui formerent un joli ballet mêlé de chants & de danses. Cette troupe précéda la Reine en dansant, & l'engagea à venir à la fontaine qu'on trouve avec le grand berceau des oiseaux.

Là plusieurs bergers & bergeres divisés par quadrilles, coururent en dansant au-devant de S. M. & ils représenterent un ballet très-court & fort ingénieux, dont le charme des plaisirs champêtres étoit le sujet.

On peut juger que les eaux admirables de tous ces jolis bosquets joüerent pendant tout le tems que la Reine voulut bien y rester ; & la réflexion des coups de lumiere qui partoient du nombre immense des lumieres qu'on y avoit répandues, augmentoit & varioit à tous les instans les charmes de cet agréable séjour.

La Reine, après le ballet, passa dans le berceau couvert ; il étoit embelli par mille guirlandes de fleurs naturelles, qui entrelacées avec une quantité immense de lustres de crystal & de girandoles dorées, formoient des especes de berceaux aussi riches que galans.

Douze jeunes bouquetieres galamment ajustées, parurent en dansant. Une encore mieux parée, & qui se distinguoit de sa troupe par les graces de ses mouvemens & l'élégance de ses pas, présenta un bouquet de fleurs les plus belles à la Reine : les autres en offrirent à toutes les dames de la cour. Il y avoit autour du berceau un grand nombre de tables de gazon, sur lesquelles on voyoit des corbeilles dorées, remplies de toutes sortes de fleurs, & dont tout le monde avoit la liberté de se parer.

On passa d'allée en allée jusqu'au carrefour ; on y trouva sur un banc élevé en forme de théatre, deux femmes qui paroissoient en grande querelle. Une symphonie assez longue pour donner à la cour le tems de s'approcher, finit lorsqu'on eut fait un grand demi-cercle autour de ce banc où elles étoient placées : on connut bientôt à leurs discours que l'une étoit la flaterie, & l'autre la critique. Celle-ci, après quelques courtes discussions qui avoient pour objet le bien qu'on avoit à dire d'une si brillante cour, fit convenir la flaterie qu'on n'avoit que faire d'elle pour célébrer les vertus d'une Reine adorée, qui comptoit tous ses momens par quelque nouvelle marque de bonté.

Cette scene fut interrompue par une espece d'allemand, qui perça la foule pour dire, à demi-ivre, que c'étoit bien la peine de tant dépenser en lumieres, pour ne faire voir que de l'eau. Un gascon qui passa d'un autre côté, dit : hé ! sandis, je meurs de faim ; on vit donc de l'air à la cour des rois de France ? A ces deux originaux, en succéderent quelques autres. Ils s'unirent tous à la fin pour chanter leurs plaintes, & ce choeur comique, finit d'une maniere plaisante cette partie de la fête.

La reine & la cour arriverent dans la grande allée qui sépare le labyrinthe de l'île d'amour : on y avoit formé une salle de spectacle de toute la largeur de l'allée, & d'une longueur proportionnée. La salle & le théatre étoient ornés avec autant de magnificence que de goût. Les comédiens françois y représenterent une piece en cinq actes : elle avoit été composée par feu Coypel, qui est mort premier peintre du Roi, & qui a laissé après lui la réputation la plus desirable pour les hommes qui, comme lui, ont constamment aimé la vertu.

Cette piece, dont je n'ai pu trouver ni le sujet ni le titre, fut ornée de cinq intermedes de danse, qui furent exécutés par les meilleurs danseurs de l'opéra.

La reine, après la comédie, rentra dans le labyrinthe, & le parcourut par des routes nouvelles, qu'elle trouva coupées par de jolis amphithéatres, occupés par des orchestres brillans.

Elle se rendit ensuite à l'orangerie, qu'on avoit ornée pour un bal paré : il commença & dura jusqu'à l'heure du festin, qui fut donné chez mademoiselle de Clermont, avec toute l'élégance qui lui étoit naturelle. Toute la cour y assista. Les tables, cachées par de riches rideaux, parurent tout-à-coup dans toutes les salles ; elles sembloient se multiplier, comme la multitude des plaisirs dont on avoit joüi dans la fête.

Croiroit-on que tous ces apprêts, l'idée, la conduite, l'enchaînement des diverses parties de cette fête, furent l'ouvrage de trois jours ? C'est un fait certain qui, vérifié dans le tems, fit donner à tous ces amusemens le nom d'impromptu du labyrinthe. La Reine ignoroit tout ce qui devoit l'amuser pendant cette agréable soirée ; la cour n'étoit pas mieux instruite : hors le festin chez mademoiselle de Clermont, qui avoit été annoncé sans mystere, tout le reste demeura caché, & fut successivement embelli du charme de la surprise.

Les courtisans loüerent beaucoup l'invention, la conduite, l'exécution de cette fête ingénieuse, & toute la cour s'intrigua pour en découvrir l'inventeur. Après bien des propos, des contradictions, des conjectures, les soupçons & les voeux se réunirent sur M. le duc de Saint-Aignan.

Le caractere des hommes se peint presque toûjours dans les traits saillans de leurs ouvrages. Ce secret profond, gardé par tant de monde ; la prévoyance, toûjours si rare dans la distribution des différens emplois ; le choix & l'instruction des Artistes ; l'enchaînement ingénieux des plaisirs, déceloient, malgré sa modestie, l'esprit sage & délicat, qui avoit fait tous ces beaux arrangemens.

Ces jeux legers, qu'une imagination aussi réglée que riante répandoit sur les pas de la Reine la plus respectable, n'étoient que les prémices de ce que M. le duc de Saint-Aignan devoit faire un jour pour servir l'état & pour plaire à son Roi.

M. de Blamont, chevalier de l'ordre de S. Michel, & surintendant de la musique de S. M. composa toutes les symphonies & les chants de cette fête. Il étoit déjà depuis long-tems en possession de la bienveillance de la cour, que sa conduite & ses talens lui ont toûjours conservée. (B)

FETE, est le nom à l'opéra de presque tous les divertissemens. La fête que Neptune donne à Thétis, dans le premier acte, est infiniment plus agréable que celle que Jupiter lui donne dans le second. Un des grands défauts de l'opéra de Thétis, est d'avoir deux actes de suite sans fêtes ; il étoit peut-être moins sensible autrefois, mais il a paru très-frappant de nos jours, parce que le goût du public est décidé pour les fêtes.

L'art d'amener les fêtes, de les animer, de les faire servir à l'action principale, est fort rare : cependant, sans cet art, les plus belles fêtes ne sont qu'un ornement postiche. Voyez BALLET, COUPE, COUPER, DIVERTISSEMENT.

Il semble qu'on se serve plus communément du terme de fête pour les divertissemens des tragédies en musique, que pour ceux des ballets. C'est un plus grand mot consacré au genre, que l'opinion, l'habitude & le préjugé paroissent avoir décidé le plus grand. Voyez OPERA. (B)


FÉTEURS. f. (Medecine) se dit de la mauvaise odeur, de la puanteur qu'exhalent certaines parties du corps humain, par un vice qui leur est particulier, ou par celui des matieres qu'elles contiennent, des humeurs qui y sont séparées, qui s'évacuent actuellement.

Il n'est produit aucune mauvaise odeur dans aucun endroit du corps d'un homme qui se porte bien, excepté dans les gros intestins, & sur-tout dans l'intestin rectum, par l'amas & le séjour qui s'y font des matieres fécales : l'odeur de l'urine, dans le moment qu'elle est rendue, est sans puanteur ; il s'en répand tout-au-plus une odeur un peu forte lixivielle.

Ce sont des matieres ou humeurs odorantes, contenues dans le bas-ventre, qui sont cause qu'il s'exhale de cette cavité, lors de l'ouverture des corps des animaux les plus sains, une certaine odeur desagréable, que la transpiration de toutes les parties contenues emporte avec elle : une odeur de semblable nature, cependant beaucoup moins sensible, se fait sentir à l'ouverture de la poitrine ; mais on ne sent presque rien du tout à l'ouverture du crane.

Ainsi, lorsqu'il est produit quelque mauvaise odeur dans quelque partie du corps, qui n'en rend point dans l'état de santé, c'est un signe qu'il y a des humeurs dans cette partie qui se corrompent, que les sels s'y alkalisent, que les huiles s'y rancissent.

La puanteur de la bouche, par exemple, provient le plus ordinairement ou des ordures qu'on laisse se ramasser entre les dents, & par conséquent de ce qu'on n'a pas attention de se laver cette cavité, ou des exhalaisons des poumons remplis de matieres muqueuses corrompues ; ou des poumons ulcérés, ou des exhalaisons de l'estomac, dans lequel les digestions se font habituellement mal, les alimens séjournent trop long-tems & se corrompent différemment, soit par acescence, par alkalescence, soit par tendance à la rancidité.

On peut corriger ce vice, lorsqu'il dépend de la mal-propreté de la bouche, en se lavant souvent avec de l'eau, dans laquelle on a ajoûté une dixieme partie de vin, & dissous une huitieme partie de sel marin : lorsque la mauvaise odeur, rendue par la bouche, vient des poumons, l'exercice à cheval est un moyen très-propre à en dissiper la cause ; lorsque l'odeur forte vient de l'estomac, rien n'est plus propre à la faire cesser, que l'usage des eaux minérales.

Les animaux qui ne vivent que de végétaux, rendent leurs excrémens presque sans féteur : l'homme rendroit les siens de même, s'il ne se nourrissoit que de pain & d'eau ; mais tous les animaux qui font leur principale nourriture de viande, de poissons, d'oeufs, ont leurs matieres fécales très-puantes.

Il est des personnes qui sont incommodées par la mauvaise odeur de leur déjection : elles peuvent corriger ce vice, en faisant usage d'alimens aqueux, acides, salés ; on peut conseiller avec succès ce régime, toutes les fois que les excrémens sont plus jaunes que la couleur naturelle de la paille.

Lorsque les déjections sont fort puantes dans la phthisie, il est de la plus grande importance de s'abstenir de l'usage des viandes, & d'employer beaucoup le suc de limon : on doit observer la même chose, quand les urines récentes sont de mauvaise odeur : on peut regarder comme une regle, pour les hydropiques, qu'ils ne se trouvent pas mal de faire usage de viande pour leur nourriture, tant que les excrémens ne sont pas extraordinairement puans ; il faut renoncer bien-tôt à ce genre d'aliment, & recourir aux acides, dès que les déjections deviennent d'une odeur plus fétide. Extrait de Boerhaave, comment. institut. pathol. symptomatolog. §. 970.

Galien, dans son commentaire sur le troisieme livre des épidémies, regarde la féteur extraordinaire de toute sorte d'excrémens, comme un signe certain de pourriture : la mauvaise odeur dans les ulceres annonce qu'ils sont de mauvais caractere.

Pour la cause physique des mauvaises odeurs en général, voyez ODEUR, PUANTEUR. Quant au détail concernant les parties du corps, où il s'établit des causes de puanteur, voyez les articles de ces parties même, telles que le NEZ, les OREILLES, les AISSELLES, les AINES, les PIES ; & pour les humeurs, voyez DEJECTION, URINE, TRANSPIRATION, SUEUR, CRACHAT, ULCERE, OZENE, &c. (d)


FETFAS. m. (Hist. mod.) nom que les Turcs donnent aux jugemens ou décisions que le muphti rend par écrit. Ce mot, en langage turc, signifie sentence, & en arabe, la réponse ou le jugement d'un homme sage ; & ils appellent ainsi, par excellence, les jugemens du muphti. (G)


FÉTICHES. f. (Hist. mod.) nom que les peuples de Guinée en Afrique donnent à leurs divinités. Ils ont une fétiche pour toute une province, & des fétiches particulieres pour chaque famille. Cette idole est un arbre, une tête de singe, un oiseau, ou quelque chose de semblable, suivant leur fantaisie. Dapper, description de l'Afrique. (G)


FÉTIDEadj. (Medecine) Voyez FETEUR.

FETIDES, (PILULES) Pharm. & Matiere médicale. On trouve dans les dispensaires deux sortes de pilules, qui portent le nom de fétides ; savoir, les pilules fétides majeures, & les pilules fétides mineures. Elles sont l'une & l'autre de Mesué.

Pilules fétides majeures de Mesué. Prenez du sagapenum, de la gomme ammoniac, opopanax, bdellium, de la coloquinte, de l'aloès succotrin, de la semence de rue, de l'épithyme, de chacun cinq dragmes ; de la scammonée, trois dragmes ; de l'ésule préparée dans le vinaigre, & des hermodactes, de chacun deux dragmes ; du meilleur turbith, demi-once ; du gingembre, une dragme & demie ; de la canelle, du spica indica, du safran, du castoreum, de chacun une dragme ; de l'euphorbe, deux scrupules. Faites-en une masse avec le suc de poireau, selon l'art.

On trouve dans la pharmacopée universelle de Lémery, des pilules fétides majeures réformées. Elles different de celles de Mesué, en ce qu'on en a retranché l'épithyme, le spicanard, la canelle, le gingembre, le bdellium & l'euphorbe, & qu'il a employé le sirop de pomme composé du roi Sapor ou Sabor, à la place du suc de poireau.

Les pilules fétides majeures de la pharmacopée de Paris, different de celles de Mesué, en ce qu'on en a retranché l'euphorbe, & qu'on y a ajoûté la myrrhe & l'assa foetida, & qu'on a substitué avec Lémery le sirop de pomme au suc de poireau.

Ces pilules sont hydragogues, fondantes, hystériques, emmenagogues : elles ont été recommandées par les anciens medecins, qui osoient employer des remedes héroïques, beaucoup célebrés contre les obstructions, les suppressions de regles & les vuidanges, les vapeurs hystériques, la goutte, l'hydropisie, le rhumatisme, certaines coliques, &c. Mais la medecine moderne proscrit, sans-doute trop généralement, les remedes de cette classe. Voyez HEROÏQUE (traitement).

Les pilules fétides mineures sont absolument hors d'usage parmi nous. La faculté de Medecine de Paris ne les a pas fait entrer dans sa pharmacopée. (b)

FETIDE, (Chimie). On donne ce nom à quelques huiles tirées des végétaux & des animaux par la violence du feu. Voyez HUILE. (b)


FETMENTS. m. (Commerce) monnoie d'Allemagne ; c'est la moitié du petriment, ou le demi-albs ou sou, ou la vingt-quatrieme partie du kopfstuck, ou six sous huit deniers de France.


FÊTUS. m. (Hist. nat. bot.) en latin, festua avenacea sterilis elatior. C. B. sorte d'avoine sauvage, qui dans le système de Linnoeus constitue un genre distinctif de plante. Voici ses caracteres. Le calice est un tuyau bivalve, droit, portant des fleurs rangées ensemble sur un frêle épic. La fleur est à deux levres, dont l'inférieure a la forme du calice, & est en quelque maniere cylindrique, se terminant néanmoins par un barbillon pointu. Les étamines sont trois filamens capillaires, plus courts que la fleur. Cette fleur entoure étroitement la graine qui est unique, oblongue, même très-aiguë aux deux extrémités, convexe d'un côté, & sillonnée de l'autre. Art. de M(D.J.)

FETU, (Géogr.) petit royaume de l'Afrique, sur la côte d'or de Guinée, d'environ quatre lieues de long, sur quatre de large ; il abonde en fruits, bétail, huile, & palmiers qui fournissent du vin. Les Hollandois y ont eu un fort. (D.J.)

FETU EN CUL, s. m. (Hist. nat. ornitol.) oiseau ainsi nommé, parce qu'il a dans la queue deux plumes longues d'un pié & plus, qui sont si bien jointes l'une à l'autre, qu'elles paroissent n'en faire qu'une ; on l'appelle aussi l'oiseau du tropique, parce qu'il ne se trouve qu'entre les deux tropiques. Le P. du Tertre croit que c'est un oiseau de paradis ; on ne le voit presque jamais à terre, que pour couver & nourrir ses petits. Il a le corps gros comme un pigeonneau ; la tête petite ; le bec gros & long comme le petit doigt, pointu & rouge comme du corail ; les piés sont de la même couleur ; celle des plumes est blanche comme la neige. Cet oiseau vole très-haut & fort loin des terres ; il a un cri perçant. Les Sauvages font grand cas des deux longues plumes de la queue, ils les mettent dans leurs cheveux, & les passent dans l'entre-deux de leurs narines en guise de moustaches. Hist. nat. des antilles. Tom. II. page 276. (I)


FEUS. m. (Physiq.) Le caractere le plus essentiel du feu, celui que tout le monde lui reconnoît, est de donner de la chaleur. Ainsi on peut définir en général le feu, la matiere qui par son action produit immédiatement la chaleur en nous. Mais le feu est-il une matiere particuliere ? ou n'est-ce que la matiere des corps mise en mouvement ? c'est sur quoi les Philosophes sont partagés. Les scholastiques regardent le feu comme un des quatre élémens ou principes des corps, en quoi ils ne sont pas fort éloignés des principes de la chimie moderne. Voyez plus bas FEU, (Chimie.)

Le feu, selon Aristote, rassemble les parties homogenes, & sépare les hétérogenes, ce qui n'est pas vrai, du moins en général ; puisque si l'on fait fondre dans un même vase, du suif, de la cire, de la poix, de la résine, le tout s'incorpore ensemble.

Selon les Cartésiens, le feu n'est autre chose que le mouvement excité dans les particules des corps par la matiere du premier élément dans laquelle ils nagent. Voyez CARTESIANISME & MATIERE SUBTILE. Selon Newton, le feu n'est qu'un corps échauffé. Voyez CHALEUR. Enfin selon un grand nombre de philosophes modernes, c'est une matiere particuliere. Voyez CHALEUR, & la suite de cet article.

Comme le feu échappe à nos sens, & qu'il se rencontre dans tous les corps & dans tous les lieux où il est possible de faire des expériences, il est très-difficile de distinguer les vrais caracteres qui lui sont propres. M. Musschenbroeck lui en donne deux, savoir la lumiere & la raréfaction. Voyez LUMIERE & RAREFACTION. Ce physicien prétend que partout où il y a lumiere, même sans chaleur, il y a feu. Il le prouve par la lumiere de la lune, qui rassemblée au foyer d'un verre ardent, éclaire beaucoup sans brûler. Mais il semble qu'on peut contester que cette lumiere, en ce cas, soit du feu. Il n'est pas démontré que la matiere qui produit la lumiere, soit la même que celle qui produit la chaleur. Il est vrai que la lumiere de la lune est refléchie de celle du soleil, & que la lumiere du soleil est accompagnée de chaleur. Mais encore une fois, il faudroit avoir prouvé incontestablement que la lumiere & la chaleur du soleil sont absolument produites par le même principe & par la même matiere. D'ailleurs, supposons même qu'il n'y ait d'autre différence entre la lumiere du soleil & celle de la lune, sinon que celle-ci n'échauffe pas parce qu'elle est produite par un mouvement trop ralenti ; on pourroit dire en ce cas, que la lumiere de la lune ne seroit point proprement du feu, puisqu'elle manqueroit du mouvement nécessaire pour être un feu véritable.

De la raréfaction des corps par le feu. Tous les corps, si on en excepte un petit nombre dont nous parlerons plus bas, se raréfient ou se dilatent en tout sens par le moyen du feu. Cette raréfaction continue aussi long-tems que le feu reste appliqué à ces corps. Elle est d'autant plus grande que le feu est plus ardent ; cependant elle ne va pas à l'infini, & ne passe pas une certaine étendue déterminée. C'est au moyen du pyrometre (Voyez PYROMETRE.), qu'on mesure la raréfaction des corps par le feu. La raréfaction d'un corps exposé au feu se fait d'abord lentement, puis s'accélere jusqu'à un certain maximum d'accélération, au-delà duquel la raréfaction se fait encore, & continue toûjours, mais moins vîte, jusqu'à ce que le corps soit arrivé à sa plus grande dilatation. Le même feu qui raréfie divers corps, ne les dilate ni en raison inverse de leur pesanteur, ni en raison inverse de leur force ou résistance à être divisés, ni en raison composée de ces deux-là, mais suivant un autre rapport tout-à-fait inconnu.

L'étain (à un même degré de feu) est celui de tous les métaux qui se raréfie le plus vîte ; ensuite le plomb, puis l'argent, le cuivre jaune, le rouge, & le fer.

Non-seulement le feu raréfie les métaux, mais il les fond ; les uns ont besoin pour cela d'un degré de feu beaucoup plus grand que les autres. L'étain, d'abord froid comme la glace, ensuite fondu, fait raréfier au pyrometre un lingot de fer, jusqu'à 109 degrés ; le plomb, dans les mêmes circonstances, fait raréfier le même lingot de 217 degrés. Les métaux qui se fondent avant que d'être rougis, n'ont pas encore acquis leur plus grand degré de chaleur dans l'instant de la fusion ; car après cet instant, ils continuent à raréfier encore considérablement les métaux plus durs qu'on plonge dans ces métaux fondus. Cela est au moins vrai du plomb, comme M. Musschenbroeck s'en est assûré par des expériences, & il est porté à croire qu'il en est de même de l'or, de l'argent, du cuivre & du fer. Voyez l'article FUSION.

Lorsque le feu volatilise les parties du corps, on dit que ces parties se réduisent en vapeurs, & on donne à cette action le nom d'évaporation. Voyez ÉVAPORATION, FUMEE, &c.

Après que le feu a dissipé les particules les plus subtiles des corps, il ne reste plus que les plus grossieres, qui par l'action du feu, ont cessé d'être adhérentes les unes aux autres. Voyez CENDRES.

Dès que les corps cessent d'être échauffés ou entretenus dans la chaleur qu'ils ont acquise, ils se condensent, & se condensent d'autant plus vîte que le fluide dans lequel ils nagent, contient moins de feu. C'est pour cela que les corps chauds qui se refroidissent, se condensent plus vîte, toutes choses d'ailleurs égales, que ceux qui sont moins chauds, parce que le fluide où ces corps nagent, est plus froid par rapport aux premiers. Les corps qui se raréfient le plus vîte par la présence du feu, sont aussi ceux qui se condensent le plus vîte dès que le feu cesse d'agir. Les fluides, ainsi que les solides, se dilatent par le feu, & se condensent par le froid.

Le fluide qui se dilate le plus & le plus promtement, est l'air ; ensuite l'esprit-de-vin, l'huile de pétrole, celle de térebenthine, celle de navet, le vinaigre distillé, l'eau douce, l'eau salée, l'eau-forte, l'huile de vitriol, l'esprit-de-nitre, le vif-argent. C'est sur la dilatation des fluides par le feu, qu'est fondée la construction des thermometres. V. THERMOMETRE.

Il résulte de ces différens faits, que les corps doivent se raréfier de plus en plus aux approches de l'été, & se condenser à celles de l'hyver ; que les corps doivent se dilater davantage dans les pays plus chauds (c'est pour cela que le pendule d'un horloge se dilate davantage sous l'équateur que près des poles) ; qu'enfin les corps doivent se dilater le jour, & se condenser la nuit.

Au reste il y a des corps solides que le feu condense au lieu de les dilater, comme les bois, les os, les membranes, les cordes-à-boyau, &c.

Un verre épais & vuide que l'on approche subitement du feu, se casse & éclate en pieces, parce que la facilité du verre à être dilaté par le feu, fait que les parties extérieures sont d'abord violemment dilatées à l'approche du feu, tandis que les parties extérieures ne le sont pas encore, ce qui cause la séparation de ces parties. Au contraire quand le verre est mince, il ne se casse pas, parce que la dilatation se fait en même tems à l'intérieur & à l'extérieur.

De l'augmentation du poids des corps par le feu. Le feu en s'introduisant dans les corps, augmente leur poids ; c'est ce que M. Musschenbroeck prouve, art. 954-957 de ses Essais de Physique, par différentes expériences ; on sent combien elles sont aisées à faire, puisqu'il ne s'agit que de peser un corps avant qu'il soit pénétré par le feu, & immédiatement après qu'il l'a été. Nous y renvoyons donc, & nous avertirons seulement que quand même on trouveroit dans certains cas un corps moins pesant après qu'il a été exposé au feu, qu'après qu'il a été refroidi, ou avant qu'il y fût exposé, il ne faudroit pas se flater d'en rien conclure contre le principe général que nous avançons ici. Car les corps se dilatent par le feu ; & par conséquent par les lois de l'hydrostatique, ils doivent perdre dans l'air une plus grande partie de leur poids, que quand ils ne sont pas dilatés. Si donc ce surplus qu'ils perdent de leur poids est plus grand que le poids que le feu leur ajoûte, ils paroîtront moins pesans, quoiqu'en effet ils le soient davantage. Mais si on fait l'expérience dans le vuide, alors l'augmentation du poids par le feu sera sensible.

Conséquences sur la matiere du feu, tirées des faits precédens. M. Musschenbroeck conclut de-là avec M. Lemery & plusieurs autres (Voyez CHALEUR), que le feu est un corps particulier qui s'insinue dans les autres ; que ce corps est pesant, qu'il est impénétrable, puisqu'il est refléchi par le miroir ardent ; que ses parties sont très-subtiles, par conséquent fort solides & fort poreuses ; qu'elles sont fort lisses & à ressort ; qu'enfin elles peuvent être ou mûes avec beaucoup de rapidité (mouvement nécessaire pour produire la chaleur), ou en repos dans les pores des corps, comme dans ceux de la chaux. Nous passons legerement sur ces conclusions conjecturales.

Il n'y a, dit Boerhaave, aucune expérience par laquelle on ait prouvé que le feu eût changé d'autres corps en véritable feu, quoique ces corps fussent la nourriture même du feu. Si donc le feu n'est pas en état de produire du feu de quelqu'autre matiere étrangere, il ne se trouvera non plus aucune matiere qui puisse le produire ; car il n'y a en effet que le feu qui ait la vertu de produire du feu. Mais tout le feu est-il donc d'une seule & même matiere, ou y en a-t-il de diverses sortes ? nous l'ignorons. Si les écoulemens électriques ne sont que du feu, il y a, selon M. Musschenbroeck, différentes sortes de feu.

Il est difficile, selon quelques philosophes, de penser que le feu ne soit autre chose que du mouvement, puisque le mouvement se perd en se communiquant, & que le feu s'augmente au contraire à mesure qu'il se communique. Cette preuve ne nous paroît pas sans réplique ; car 1°. le mouvement peut s'augmenter par la communication, comme il arrive dans le choc des corps élastiques & dans les fluides. 2°. Il ne seroit pas moins difficile d'expliquer, en regardant le feu comme une matiere particuliere, comment une petite portion de cette matiere mise en mouvement, communique son mouvement avec tant de force & de rapidité à un beaucoup plus grand nombre d'autres parties de la même matiere.

Quelques physiciens ont pensé que le feu étoit plus approchant de la nature de l'esprit que de celle du corps ; ils ont nié que ce fût une matiere. Cette opinion soûtenue avec esprit dans une dissertation moderne, est trop erronée pour mériter d'être refutée. D'autres ont crû que la nature du feu étoit de n'avoir point de pesanteur ; les expériences dont nous venons de parler semblent prouver le contraire : & Boyle a, comme l'on sait, écrit un livre de ponderabilitate flammae. Il est vrai (car pourquoi ne le pas avoüer ?) que ces expériences ne sont pas rigoureusement démonstratives. Car l'excès de pesanteur qu'acquierent les corps calcinés, pourroit venir à la rigueur, non du feu qui est entré dans leurs pores, mais de quelque matiere étrangere qu'il a entraînée & qui s'y est jointe ; mais comme on n'a point non plus de preuves de la jonction de cette matiere étrangere au feu, il est plus naturel de croire que l'augmentation du poids vient du feu même.

Au reste, il n'est pas inutile d'observer que de grands physiciens sont là-dessus peu d'accord entr'eux : Lemery & Homberg tiennent pour le poids, & Boerhaave le nie ; il prétend qu'ayant pesé une barre de fer embrasée, il ne l'a pas trouvée plus pesante ; mais, comme on l'a déjà insinué, cette barre en augmentant de volume par le feu, pourroit avoir autant perdu de poids par cette augmentation, qu'elle pouvoit en avoir gagné par la quantité de feu introduite dans ses pores ; ainsi cette expérience bien entendue seroit contre Boerhaave.

Le feu est-il un fluide, comme plusieurs physiciens le prétendent ? Il est certain qu'il a une des propriétés des fluides, la mobilité & la ténuité des parties ; mais les fluides ont d'autres propriétés qui ne les caractérisent pas moins, & qu'on n'a point encore reconnus dans le feu, comme la propriété de presser également en tout sens, celle de se mettre de niveau, &c. Voyez FLUIDE.

Au reste, après avoir examiné & comparé les différentes opinions des Philosophes sur la matiere du feu, ce qu'il en résulte de plus certain, ou du moins de plus vraisemblable, c'est que le feu est une matiere particuliere & présente dans tous les corps. Les expériences de l'électricité ne laissent presque aucun lieu d'en douter. Voyez ÉLECTRICITE, & plus bas FEU ELECTRIQUE.

Divers phénomenes physiques du feu. L'eau chaude se refroidit bien plus vîte dans le vuide que dans l'air ; c'est le contraire du fer. M. Musschenbroeck tente d'expliquer ce fait, en disant que l'eau manquant d'huile, & le fer au contraire en ayant beaucoup, il doit nourrir le feu plus long-tems que l'eau ; que de plus, le feu sort plus facilement de l'eau dans le vuide que dans l'air, au lieu qu'il sort plus difficilement du fer : explication que nous donnons pour ce qu'elle est.

Le bois luisant vermoulu, perd toute sa lumiere dans le vuide, & ne la reprend plus ; au contraire les mouches luisantes la perdent dans le vuide, & la reprennent à l'air.

Si on met dans un lieu spacieux plusieurs corps, tant solides que fluides de différente espece, & qu'on les y laisse pendant quelques heures sans donner aucune chaleur à l'endroit où ils sont, on trouvera par l'application du thermometre à ces corps, qu'ils sont tous devenus également chauds.

On observe que dans les maisons à plusieurs étages, l'étage supérieur est le plus chaud pendant le jour, & le plus froid pendant la nuit ; parce que le feu qui a pénétré l'étage supérieur pendant le jour, descend pendant la nuit aux étages inférieurs.

Les observations du thermometre que M. Cossigny a faites dans son voyage aux Indes orientales, nous apprennent que la chaleur n'avoit pas été plus grande en aucun endroit pendant ce voyage, que celle qui fut observée en même tems à Paris. M. Musschenbroeck paroît porté à conclure de-là, que la chaleur de l'été est à-peu-près égale dans tous les pays ; on expliqueroit même ce phénomene en cas de besoin, par la plus longue ou la plus courte durée des jours qui compense le plus ou le moins d'obliquité des rayons du soleil. Sur quoi voyez CHALEUR. Mais malheureusement le fait n'est pas vrai, & il est certain qu'il y a des pays, tels que le Sénégal & plusieurs autres, où il fait beaucoup plus chaud en été que dans nos climats. Voyez les mém. de l'Acad. de 1738.

Un même corps échauffé, appliqué sur un corps dur & dense, se refroidit beaucoup plus vîte qu'appliqué sur un corps mou & poreux, quoique le corps dur paroisse devenir moins chaud que le corps mou ; il en est de même d'un corps chaud appliqué à des fluides de différente densité.

La main appliquée sur de la laine aussi froide que du métal, trouve le métal plus froid, parce qu'elle le touche en un plus grand nombre de points. Voyez FROID, DEGEL, ACELACE.

Si on frotte des corps durs & secs les uns contre les autres, ils s'échauffent & s'enflamment. Le seul frottement met le bois en feu ; c'est pour cela que des forêts entieres se consument lorsque les branches des arbres sont agitées par un vent violent. Le frottement produit quelquefois non-seulement de la chaleur, mais de la lumiere. Voyez ELECTRICITE & FEU ELECTRIQUE. Lorsque l'on bat un caillou en plein air avec un fusil d'acier, il en sort des étincelles brillantes & éclatantes, qui ne sont autre chose, du moins en grande partie, que des globules de métal fondu, puisque l'aimant les attire. Mais si l'on bat le caillou dans le vuide, les mêmes globules sortent sans faire d'étincelles, parce que l'huile qui est dans l'air ne prend pas flamme dans le vuide. Sur la nature des étincelles tirées de l'acier par la pierre à fusil, on peut voir un mém. de M. de Reaumur, dans le volume de l'Acad. pour l'année 1736.

On n'observe pas en général, que le frottement des fluides contre les corps solides, produise dans ces derniers du feu, ou même de la chaleur. On prétend cependant qu'un boulet de canon devient chaud en traversant l'air. Si ce fait est vrai, il me paroît difficile de l'attribuer à d'autres causes qu'au frottement, qu'éprouve le boulet en traversant l'air. En effet, cette chaleur ne pourroit guere venir, ni de la poudre qui s'enflamme & se dissipe trop vîte, ni du frottement du boulet contre les parois de la piece, qui n'est pas assez longue pour cet effet, & que le boulet parcourt d'ailleurs en trop peu de tems, ni des bonds que fait le boulet avant son repos, & qui par leur rapidité & leur peu de durée, ne paroissent guere propres à produire cet effet.

Les corps élastiques paroissent les plus propres à contenir ou à rassembler le feu ; c'est en partie pour cela que l'acier trempé est meilleur que le fer souple pour faire sortir d'un caillou des étincelles ; c'est aussi pour cette raison que les animaux les plus chauds sont ceux dont les vaisseaux ont beaucoup de solidité & d'élasticité.

Comme on ne peut guere douter ni que les corps ne contiennent du feu, ni qu'ils ne l'attirent, il y a apparence que les corps qu'on échauffe en les frottant, deviennent chauds, tant par le mouvement que ce frottement excite dans les parties du feu qu'ils contiennent, que par un nouveau feu qu'ils attirent dans leurs pores à l'aide du frottement. Si on enduit de quelque liqueur les corps que l'on frotte, ils ne deviendront presque pas chauds, parce que l'on détruit par-là l'aspérité de leur surface, & par conséquent la vivacité du frottement.

Les corps blancs s'échauffent le plus difficilement, & les corps noirs le plus facilement, parce que les corps blancs refléchissent plus de rayons que les autres, & que les noirs au contraire en absorbent plus que les autres. Voyez COULEUR, BLANCHEUR, NOIR, &c. Cela est si vrai que si on enduit de noir, ou qu'on fasse avec une matiere noire un miroir ardent concave, il ne brûlera plus, ou brûlera beaucoup moins qu'un autre. Dans les pays où la terre est blanche, l'air est beaucoup plus chaud, & la terre plus fraîche qu'ailleurs, parce que les rayons sont refléchis en plus grand nombre. Les miroirs ardens de reflexion brûlent mieux en hyver qu'en été, apparemment parce qu'en été les pores étant plus larges, absorbent plus de rayons. Voyez MIROIR ARDENT, VERRE, LENTILLE & FOYER.

On a déjà dit que la lumiere de la lune ne produisoit aucune chaleur, étant rassemblée au foyer d'un miroir ardent. Suivant le calcul de M. Bouguer, la lumiere de la lune dans son plein est 3000000 fois moins dense que celle du soleil : or la lumiere du soleil rassemblée au foyer du miroir du jardin du Roi, n'est que 300 fois environ plus dense qu'auparavant : ainsi la lumiere de la lune rassemblée au foyer est encore 10000 fois plus dense que la lumiere directe du soleil. Faut-il s'étonner qu'elle ne produise aucune chaleur ?

On rassemble le feu dans les corps en les laissant pourrir & fermenter en plein air ; on le voit par les cadavres des animaux, qui s'échauffent & se corrompent. Le foin humide que l'on entasse s'échauffe aussi & même s'enflamme, &c. les raisons physiques de ces faits sont inconnues. Enfin on peut exciter le feu, par le mélange de différens fluides, par exemple, de l'esprit de nitre avec le sel des plantes. Voyez EFFERVESCENCE & FERMENTATION ; & sur les raisons bonnes ou mauvaises qu'on a données de ce phénomene, voyez ATTRACTION.

On a vû au mot DIGESTEUR l'effet que produit sur les corps durs, tels que les os des animaux, la vapeur de l'eau élevée par le feu ; on a vû aussi au mot ÉOLYPILE, l'effet du feu sur l'eau renfermée dans cet instrument.

Nous ajoûterons à ce qui a été dit dans cet article, que si on met l'éolypile sur des charbons ardens, comme il est représenté dans la figure 28. de Phys. la compression de la vapeur sur l'eau qui est contenue dans l'éolypile, fait sortir l'eau du tuyau B C, sous la forme d'une fontaine, jusqu'à la hauteur de vingt piés : au contraire, si on retourne l'éolypile (toûjours rempli d'eau & placé sur le feu), en sorte que la partie A soit dessous, & par conséquent dans une situation opposée à celle qui est représentée dans la figure, alors il ne sort plus d'eau en forme de jet, mais la vapeur sort, comme nous l'avons dit, avec bruit, & en formant un vent violent.

Enfin nous avons parlé dans l'article EAU, des effets du feu dans les machines hydrauliques pour élever l'eau. Voyez aussi POMPE, MACHINE HYDRAULIQUE, & à l'art. suivant, l'explication de la pompe à feu.

Je me contenterai d'exposer ici l'effet du feu pour élever de l'eau dans une machine assez simple, dont M. Musschenbroeck fait la description dans son Essai de Physique paragr. 872. A, fig. 22 Pneumat. est un vase posé sur un fourneau D E, dont les ouvertures f, f, f, sont pour laisser échapper la fumée : ce vase est rempli d'eau jusqu'au robinet B ; ensorte que depuis B jusqu'à A il est vuide : le feu étant allumé, la vapeur de l'eau monte par le tuyau G G, & de-là dans le vase H, en supposant que l'on tourne le robinet Y, qui forme ou ferme la communication entre G G & H ; cette vapeur chasse l'air de tout l'espace H I M K O O : fermons ensuite le robinet Y, alors la soupape qui est en N, & qui s'ouvre de bas en haut, n'est plus pressée par l'air supérieur que le tuyau O O contenoit auparavant ; & l'air extérieur pesant sur la surface de l'eau R, le fait monter par le tuyau R N ; elle ouvre la soupape N, & remplit l'espace N K M I H ; qu'on ouvre alors une seconde fois le robinet Y, une nouvelle vapeur rentrera dans H, pressera l'eau, & la fera monter par la soupape M (qui s'ouvre aussi de bas en haut), dans le tuyau O O ; elle remplira le bacquet F, d'où elle retombera par le tuyau T R. Voy. un plus grand détail dans l'endroit cité de M. Musschenbroeck.

Au reste, en renvoyant à l'article suivant, & à MACHINES HYDRAULIQUES, pour le détail & l'explication de la pompe à feu, nous ne pouvons trop nous presser d'observer que cette idée appartient primitivement aux François. En 1695, M. Papin proposa dans un petit ouvrage qu'il publia, la construction d'une nouvelle pompe, dont les pistons seroient mis en mouvement par la vapeur de l'eau bouillante, alternativement condensée & raréfiée. Cette idée fut exécutée en 1705 par M. Dalesme, de l'académie des Sciences. Voyez l'histoire de cette année-là, p. 137. enfin les Anglois l'exécuterent en grand. C'est par le moyen de cette machine qu'on dessécha les mines de Condé en Flandres ; les Anglois s'en servent aussi dans leurs mines de charbon ; mais ils ne s'en servent plus pour élever les eaux de la Tamise, & cela pour deux raisons, parce qu'elle consume trop de matiere, & qu'elle enfume toute la ville.

De l'aliment du feu. On appelle ainsi les corps qui servent à augmenter ou à entretenir le feu, & qui diminuant par son action s'évaporent insensiblement, comme les huiles que l'on tire ou de la terre, ou des végétaux, ou des animaux, ou de certains fluides. Voyez HUILE, PHOSPHORE, & sur-tout ce dernier article, où l'on trouvera les propriétés des corps qu'on appelle de ce nom, & qui contiennent en plus grande abondance que les autres la matiere du feu.

L'eau, ni les sels, ni la terre pure, ne peuvent nourrir le feu. Lorsque le feu sépare du reste de la masse les autres parties les plus grossieres de cette nourriture, savoir les parties aqueuses, salines, & terrestres, & même quelques parties oléagineuses, elles s'échappent sous la forme de fumée ; & cette fumée attachée aux parois des cheminées, prend le nom de suie. Mais si les parties oléagineuses abondent dans la fumée, & se trouvent imprégnées de beaucoup de feu, alors la fumée se change en flamme. Voyez FLAMME & FUMEE. Nous renvoyons à ces articles, & sur-tout au premier, pour ne pas rendre celui-ci trop long.

Outre cette nourriture, pour ainsi dire terrestre, dont le feu a besoin pour se conserver, il est encore nécessaire que l'air y ait un accès libre, & que les parties grossieres de l'aliment, comme la fumée, soient détournées du feu. En effet, l'expérience prouve que le feu s'éteint très-promtement dans la machine du vuide ; & d'autant plus vîte qu'on pompera l'air plus vîte, & que le récipient sera plus petit & mieux fermé. On voit aussi qu'un corps reste d'autant plus long-tems allumé, qu'il jette moins de fumée, comme cela se voit dans la meche & les charbons de tourbes. Le feu s'éteint aussi très-promtement dans de longs vaisseaux ouverts & d'un diametre peu considérable, quoique l'on ne pompe pas l'air qu'ils renferment. Le feu ordinaire brûle mieux en hyver qu'en été, parce que l'air étant plus condensé par le froid, retient plus long-tems dans les corps ignés les particules qui sont l'aliment du feu : c'est aussi par cette raison que le soleil éteint un charbon de tourbe quand il y darde ses rayons avec force, parce que la chaleur du soleil raréfie l'air environnant. Au reste, il y a des corps qui n'ont pas besoin d'air pour brûler, comme le phosphore d'urine renfermé dans une phiole vuide d'air, l'esprit de nitre versé dans le vuide sur l'huile de carvi, le minium brûlé dans le vuide avec un verre ardent.

Voilà l'extrait des principaux faits que M. Musschenbroeck a rassemblés sur le feu, dans son Essai de Physiq. & auquel nous avons ajoûté quelques réflexions. Il termine ces faits par l'explication de plusieurs questions sur les effets du feu ; mais ces explications nous ayant paru purement conjecturales, & pour la plûpart peu satisfaisantes & assez vagues, nous prenons le parti d'y renvoyer le lecteur, s'il en est curieux. Voyez aussi les articles FROID, CHALEUR, &c.

Ceux qui voudront s'instruire plus à fond sur cette matiere, pourront lire ce que M. Boerhaave a écrit sur le feu dans sa Chimie, & les dissertations couronnées ou approuvées par l'académie des Sciences de Paris en 1738, sur la nature du feu & sa propagation. Parmi les dissertations couronnées, il y en a une du célebre M. Euler, dans laquelle il explique d'une maniere ingénieuse la propagation du feu ; on peut voir l'extrait de cette dissertation dans les leçons de Physique de M. l'abbé Nollet, tome IV. p. 190 & suiv. Aux trois dissertations couronnées l'académie en a joint deux autres qu'elle a jugées dignes de l'impression, parce qu'elles supposent (ce sont les termes des commissaires du prix) la lecture de plusieurs bons livres de Physique, & qu'elles sont remplies de vûes & de faits très-bien exposés. Une de ces dissertations est de feue madame la marquise du Châtelet, & l'autre est du célebre M. de Voltaire ; il a mis à sa piece cette belle devise, qui contient & rappelle en deux vers toutes les propriétés du feu.

Ignis ubique latet, naturam amplectitur omnem ;

Cuncta parit, renovat, dividit, unit, alit. (O)

Avant que de passer à l'examen du feu envisagé chimiquement, donnons le détail de la pompe à feu.

* FEU, (Pompe à) Hydraul. & Arts méchaniques : la premiere a été construite en Angleterre ; plusieurs auteurs se sont occupés successivement à la perfectionner & à la simplifier. On en peut regarder Papin comme l'inventeur : car que fait celui qui construit une pompe à feu ? il adapte un corps de pompe ordinaire à la machine de Papin. Voyez son ouvrage, l'article DIGESTEUR, & sur-tout l'article précédent.

Tout ce que nous allons dire de cette pompe, est tiré d'un mémoire qui nous a été communiqué avec les figures qui y sont relatives, par M. P... homme d'un mérite distingué, qui a bien voulu s'intéresser à la perfection de notre ouvrage.

Détail explicatif de la machine de bois de Bossu proche Saint-Guilain, en la province du Hainaut autrichien, pour élever les eaux par l'action du feu.

ARTICLE 1. Du balancier qui est la principale partie de la machine, des jantes qui l'accompagnent, & de leurs dimensions. Le balancier est composé d'une grosse poutre a b, de 26 piés 8 pouces, sur 20 & 23 pouces de grosseur (Pl. III. & IV.), soûtenue dans le milieu par deux tourillons c, d, de trois pouces de diametre, dont les paliers portent sur un des pignons du bâtiment qui renferme la machine. Les extrémités de cette poutre sont accompagnées de deux jantes cannelées e, f, de huit piés 2 pouces de longueur, sur 20 & 22 pouces de grosseur, dont la courbe a pour centre le point d'appui g. Les chaînes qui y sont suspendues, sont toûjours dans la même direction : la premiere h porte le piston du cylindre ; & la seconde i le grand chevron, qui meut les pompes aspirantes pour enlever l'eau du puits, laquelle se décharge dans la basche K, où elle est toûjours entretenue. Sur une des faces de la même poutre, est attachée à une autre jante l de 6 piés de longueur sur 5 pouces par les deux bouts, & dans le milieu 11 pouces sur 3 pouces d'épaisseur, semblable aux précédentes, qui fait agir le régulateur avec le robinet d'injection ; elle soûtient une chaîne m, à laquelle aboutit une coulisse m 2, servant à ouvrir & fermer le robinet d'injection, & à mouvoir le diaphragme nommé régulateur, qui regle l'action de la vapeur de l'eau chaude.

ART. 2. D'une pompe refoulante, avec son tire-boute & ses dimensions. Le tire-boute n a 9 piés 3 pouces de longueur sur 1 pouce de diametre (Pl. IV.), est attaché avec des écrous & étriers de fer, au grand chevron aboutissant au piston O, d'une pompe refoulante de 4 pouc. 4 lig. de diametre, qui éleve à 36 piés une partie de l'eau de la basche K provenant du puits, montant par un tuyau p de 5 pouces 5 lig. de diametre, se déchargeant dans une cuvette q (Plan. III. fig. 6.) qui représente le plan du troisieme étage réduit, ainsi que tous les autres plans de cette machine, à une échelle sous-double de celle des coupes verticales, contenues dans les Planches IV. & V.). Cette cuvette sert à entretenir le robinet d'injection dont on expliquera l'effet. Le piston de cette pompe est de 4 pouces 2 lig. de diametre ; il est semblable à celui du plan 7.

ARTICLE 3. Des pompes aspirantes qui élevent l'eau successivement du puits, avec les dimensions. L'ouverture du puits X Y (Pl. I. fig. 1.), qui est le plan du rez-de-chaussée, est de 6 piés en quarré, sur 244 piés de profondeur, & de 60 piés en 60 piés, il y a deux basches K, r, visibles dans la Plan. IV. dont on peut connoître les dimensions par l'échelle de cette Planche. Dans la basche r est un corps de pompe aspirante de 9 pouces de diametre ; & dans celui K, trempe le tuyau d'aspiration de la pompe supérieure de 4 pouces 6 lignes de diametre. Tous les pistons de ces pompes ont 8 pouces 3 lignes de diametre sur 6 piés de levée. Voyez leur construction, Pl. III. fig. 23, 24, 25, 26. Les chevrons qui soûtiennent les pistons ont 3 pouces quarrés, & sont suspendus à un autre i

de 6 pouces en quarré, composé de plusieurs pieces liées les unes aux autres, comme on les voit par le profil fig. 22. Pl. VI. Ils composent un train suspendu à la jante du balancier qui est au-dessus du centre du puits, & au fond duquel est un puisart où viennent se rassembler les eaux de tous les rameaux de la mine. Dans ce puisart trempe le premier tuyau d'aspiration d'une pompe qui aspire l'eau à 28 piés de hauteur, & remonte par le tuyau au-dessus du piston de 32 piés, pour se décharger dans les basches ; d'où elle est reprise par une seconde pompe, qui l'éleve encore à 28 piés plus haut, & 32 piés plus bas que le piston, & successivement par d'autres qui la font monter de basche en basche, parce que tous les pistons de ces pompes jouent tous ensemble. Au reste on voit, Planche IV. la manoeuvre d'un relai ; il y en a encore trois semblables avant d'arriver au puisart : on observera que le puits dont nous parlons, n'a lieu que pour puiser les eaux de la mine.

ARTICLE 4. De la situation du balancier, lorsque la machine ne joue pas. La charge que soûtient la chaîne ne i

(Pl. IV.), & le tire-boute n, est beaucoup plus grande que celle que portent les chaînes h, m, lorsque le poids de la colonne d'air n'agit pas sur le piston u ; ainsi la situation naturelle du balancier est de s'incliner du côté du puits, au lieu que la Pl. V. le représente dans un sens contraire, c'est-à-dire dans celui où il se trouve lorsque l'injection d'eau froide ayant condensé la vapeur renfermée dans le cylindre, le poids de la colonne d'air fait baisser le piston : alors l'eau du puits est aspirée, & celle de la basche K est refoulée dans la cuvette q. Mais quand la vapeur vient à s'introduire dans le cylindre, sa force étant supérieure au poids de la colonne d'air, soûleve le piston, laisse agir le poids des attirails que porte la chaîne i

, & le tire-boute n o, & le balancier s'incline du côté du puits, qui est la situation où il reste lorsque la machine ne joue pas, parce qu'il s'introduit de l'air dans le cylindre au-dessous du piston, qui se met en équilibre par son ressort avec le poids de celui qui est au-dessus.

ART. 5. Le mouvement du balancier est limité par des chevrons à ressort. Pour limiter le mouvement du balancier & amortir sa violence, pour que la machine n'en reçoive point de trop grandes secousses, l'on fait sortir en-dehors du bâtiment les deux extrémités W des deux poutres, pour soûtenir deux chevrons à ressort recevant les boulons X (Pl. III. & IV.), qui traversent le sommet des jantes du balancier ; & c'est la même chose du côté du cylindre pour le soulager dans sa chûte.

ARTICLE 6. Description du cylindre avec ses dimensions. Le cylindre y Z (Pl. IV. & V.) est accompagné des tuyaux qui contribuent au jeu de la machine ; il est de fer coulé bien alaisé ; il a intérieurement 2 piés 6 pouces 6 lignes, sur 8 piés 6 pouces de hauteur en-dedans oeuvre, & un pouce d'épaisseur. A six pouces au-dessous de son sommet, &c. regne tout autour un bord Ay, sur lequel est attaché une coupe de plomb A B, de 12 pouces de hauteur ; & à trois piés six pouces plus bas, il y a un second rebord C, servant à le soûtenir sur les deux poutres D, où il est arrêté par deux traverses de bois E.

ART. 7. Le cylindre est percé de deux trous opposés pour deux causes essentielles. A trois pouces au-dessus de la base, le cylindre est percé de deux trous opposés l'un à l'autre, chacun accompagné d'un collet F ; ils ont intérieurement 3 pouces 10 lig. de diametre. Le premier sert à introduire le tuyau d'injection G ; & le second aboutit à un godet de cuivre H, dans le fond duquel est une soupape chargée de plomb suspendue à un ressort de fer, pour la maintenir toûjours dans la même direction : cette soupape que l'on nomme reniflante, sert à évacuer l'air que la vapeur chasse du cylindre, lorsqu'on commence à faire joüer la machine, & ensuite celui qui y est porté par l'eau d'injection, & qui empêcheroit son effet, s'il n'avoit aucune issue.

ARTICLE 8. Description du fond du cylindre. Le fond Z I du cylindre est une plaque de fer postiche, attachée avec des vis à écrous ; il est traversé par un tuyau L d'un pié de hauteur, ayant intérieurement 6 pouces de diametre, l'un & l'autre coulés ensemble de maniere qu'une moitié se trouve dans le cylindre, pour empêcher que l'eau qui tombe sur le fond n'entre dans l'alembic, & l'autre moitié en-dehors, pour faciliter la jonction du cylindre avec le régulateur & l'alembic.

ART. 9. L'eau provenant d'injection, s'évacue par le fond du cylindre. Le fond du cylindre est encore percé vers sa circonférence, d'un trou N de 4 pouces 4 lignes de diametre, avec un collet C I de 6 pouces de hauteur. Il a pour objet de faciliter l'évacuation de l'eau d'injection par un tuyau de cuivre h m l, Pl. V.

ART. 10. Description du piston qui joue dans le cylindre, avec ses dimensions. Le piston u dans les mêmes Planches, & dont la construction est représentée en grand, fig. 17, 18, & 19, Pl. VI. dont la tige d e a 4 piés de hauteur, est un plateau de fer R S de 2 piés 6 pouces 4 lignes de diametre, sur un pouce d'épaisseur. Aux extrémités sont appliquées deux ou trois bandes d'un cuir a a a fort épais, saillant d'une ligne sur le pourtour du piston. L'on maintient ce cuir inébranlable, en le chargeant d'un anneau de plomb de 2 pouces 6 lignes de largeur, divisés en trois parties égales, chacune accompagnée d'une queue C. Le centre de ce piston est percé d'un trou qui reçoit le bout de la tige d e, par le moyen d'un tenon arrêté avec une clavette, & cette tige est suspendue à la chaîne du balancier.

ART. 11. De quelle maniere l'eau de la cuvette d'injection s'introduit dans le cylindre. Au fond de la cuvette q (Pl. IV. & V.) qui fournit l'eau d'injection, aboutit un tuyau de plomb G P de 2 pouces 2 lignes de diametre, qui s'introduit dans le cylindre en passant au-travers du collet F (art. 7.) Ce tuyau est terminé par un ajutage plat, dont l'oeil a 2 pouces 2 lignes de diametre réduit, d'où sortent environ 8 pintes d'eau froide pour chaque injection, suivant l'expérience que j'en ai fait, & qui se fait par le moyen du jeu de la clé d'un robinet P (Pl. VI.), qui s'ouvre & se ferme alternativement, comme il sera expliqué à l'article 28.

ART. 12. De quelle maniere l'eau s'introduit au-dessus du piston. Il y a un robinet R (Pl. V.), dont l'oeil a 14 lignes de diametre réduit. Le tuyau Q a 2 pouces 2 lignes de diametre, par lequel on fait couler sans-cesse de l'eau au-dessus du piston, provenant de la cuvette q : cette eau sert à en humecter le cuir, & empêcher l'air extérieur de s'insinuer dans le cylindre, & pour que cette eau ne déborde pas la coupe lorsque le piston vient à remonter ; & pour évacuer le superflu, on a joint le tuyau S S S de 4 pouces 4 lignes de diametre, qui va se rendre dans le réservoir provisionnel V (Pl. IV.), placé en-dehors du bâtiment. La partie supérieure S N sert au même effet, c'est-à-dire à décharger le superflu de la cuvette q, provenant d'une pompe refoulante (art. 2.).

ART. 13. Description de la chaudiere qui compose le fond de l'alembic, avec ses dimensions. L'alembic (Pl. IV. & V.) est composé d'une chaudiere X Y z &, évasée de 3 pouces par le haut, ayant un diametre de 7 piés 8 pouces par le haut, & 7 piés 3 pouces par le bas, sur 3 piés 6 pouces de profondeur, sans y comprendre 3 pouces de bombage dans le milieu ; elle est accompagnée d'un plat-bord a a de 11 pouces de saillie, qui s'appuie sur une retraite X & de 2 pouces ménagés dans la maçonnerie qui entoure cette chaudiere, dont la surface extérieure est isolée par une petite galerie X Y z & & l m n o I K, fig. 2. Pl. I. de 9 pouces de largeur par le haut, & 12 par le bas, qui regne tout autour, & dans laquelle circule la fumée du fourneau Y b c z, pour entretenir la chaleur & l'eau bouillante.

ARTICLE 14. Description du chapiteau de l'alembic. Le chapiteau X d & (Pl. IV. & V. où l'on voit le plan, & différentes parties du régulateur), a 4 piés de hauteur, sur 9 piés 6 pouces de diametre ; il a la forme d'un dôme composé de plusieurs plaques de cuivre liées ensemble par des rivetes, & revêtues de maçonnerie sur la hauteur de 2 piés 3 pouces, pour le fortifier contre la force de la vapeur, & le garantir des atteintes de tout ce qui pourroit l'endommager. Son sommet est terminé par une piece de cuivre battu, percée d'un trou de 6 pouces 6 lignes de diametre ; le sommet est accompagné d'un collet de 3 pouces 1 ligne de saillie, pour se raccorder avec le tuyau de communication L qui joint le cylindre. Le régulateur est le sommet du chapiteau de l'alembic.

ART. 15. Explication des parties qui appartiennent au régulateur ou diaphragme, avec ses dimensions. Les lettres a a a (fig. 12. Pl. III.) représentent un anneau de fer, dont le diametre intérieur est de 11 pouces 8 lignes, sur un pouce 6 lignes de largeur, & 6 lignes d'épaisseur. Les quatre supports cotés des lettres b, b, b, b, qui suspendent l'anneau a a a, ont 4 pouces 6 lignes de hauteur, sur 9 lignes en quarré ; à l'anneau est attaché un ressort de fer G c H du profil (fig. 15.) & NO du plan (fig. 12.), de 2 pouces de largeur, sur 3 lignes d'épaisseur, servant à soûtenir le régulateur d, dont le diametre est de 7 pouces, & est accompagné d'un manche dont l'extrémité e est percée quarrément, pour recevoir l'essieu vertical f g (fig. 16.), ayant son centre de mouvement éloigné de 6 pouces 7 lignes du centre du régulateur : le pivot inférieur de cet essieu joue dans un trou f pratiqué dans l'anneau a a a, ou G H, fig. 16. La partie e ou i k (fig. 16.) du régulateur, est liée par une clavette à l'essieu vertical f g, & la partie i l de cet essieu qui est arrondie, joue exactement dans un canon l n, adapté à la plaque N O, fig. 13. & 16. La partie supérieure l g de l'essieu vertical, reçoit une clé qui communique le mouvement au régulateur, dont le bouton m (fig. 15.) glisse sur le ressort G c H, qui est fort poli, en descendant de c en m : ce mouvement ouvre l'orifice n o, qui a intérieurement 5 pouces 6 lignes de diametre, sur 13 pouces 6 lignes de hauteur. La figure 13, qui est la plaque dont on a parlé, est plombée au sommet de l'alembic, pour que l'air ne s'introduise pas. La figure 14. représente en plan la partie supérieure du tuyau L, désignée par L M (fig. 15 & 16.), par laquelle ce tuyau se raccorde avec celui qui est au centre de la base du cylindre, avec des vis & écroux (art. 8.).

ART. 16. Situation de l'alembic & du fourneau dans le bâtiment qui renferme la machine. L'on voit l'emplacement de l'alembic dans les bâtimens où il est renfermé, par les figures qui représentent les plans des différens étages, dont le premier est élevé de 7 piés au-dessus du niveau des terres ; & à trois piés six pouces plus bas, est le niveau du cendrier : l'on y verra une coupe horisontale du fond de l'alembic (Pl. II. fig. 3.), accompagnée d'un revêtement de maçonnerie qui en soûtient le chapiteau ; de cet étage l'on peut descendre par un escalier a b, dans l'endroit où est le fourneau, fig. 1 & 2. Le fond dudit fourneau est une grille C, élevée de 4 piés au-dessus du niveau du cendrier d (Voyez les profils, Pl. IV & V.), servant de foyer, & on introduit le charbon de terre ou de bois par une ouverture e, vis-à-vis de laquelle est une porte f qui répond au rez-de-chaussée. On a pratiqué une ventouse g f dans l'épaisseur du massif de la maçonnerie, afin que l'air extérieur puisse aisément s'introduire dans le cendrier sous la grille, pour animer le feu dont la fumée ne peut échapper par la cheminée I K opposée à l'entrée du fourneau, qu'après avoir circulé autour de la chaudiere dans la galerie l m n o I K, fig. 2. Pl. I.

ART. 17. Au-dessus du chapiteau de l'alembic est une ventouse, pour laisser échapper la vapeur quand elle est trop forte. Sur la surface du chapiteau de l'alembic, il y a un bout de tuyau f (Pl. V.) de 4 pouces de hauteur, sur 3 pouces 3 lignes de diametre, soudé verticalement sur le chapiteau. Au sommet de ce tuyau est adapté une soupape chargée de plomb, que l'on nommera ventouse, dont l'objet est de donner issue à la vapeur de l'alembic lorsqu'elle devient par trop forte : cette soupape se leve assez souvent quand le régulateur est fermé, & que le piston descend.

ART. 18. Usages des deux tuyaux pour éprouver la hauteur de l'eau dans l'alembic. L'on remarquera l'ellipse a, b, fig. 5, Pl. II. dont le grand axe a 18 pouces & le petit 12. C'est une plaque de cuivre qui se détache quand on veut entrer dedans l'alembic lorsqu'il y a quelques réparations à y faire. A cette plaque sont attachés aux endroits c g, deux tuyaux de 11 lignes de diametre, dont le premier c est plus court que le second g. Celui g descend jusqu'au niveau a, a, du plat-bord de la chaudiere, comme on peut voir Pl. V. Ces tuyaux ont au sommet chacun une clé de robinet servant à éprouver à quelle hauteur est la surface de l'eau dans l'alembic ; par exemple, si en les ouvrant, on s'apperçoit qu'ils donnent tous deux de la vapeur, c'est une marque que l'eau est trop basse ; & au contraire, s'ils donnent tous deux de l'eau, c'en est une qu'elle est trop haute : mais si l'un donne de l'eau & l'autre de la vapeur, alors la surface de l'eau est à une hauteur convenable, ce qui arrive quand elle se rencontre à 4 & 5 pouces au-dessus du plat-bord, a, a, de la chaudiere : si l'eau sort par les tuyaux d'épreuve, cela vient de ce que la vapeur faisant effort de toutes parts pour s'échapper, presse la surface de l'eau dans laquelle le tuyau trempe & l'oblige à monter comme dans les pompes foulantes.

ART 19. De quelle maniere on évacue la vapeur de l'alembic pour arrêter la machine. Au chapiteau de l'alembic, Pl. IV. est adapté un tuyau de plomb r, f, t, que l'on nomme cheminée, dont l'extrémité t, qui aboutit hors du bâtiment, est fermée d'une soupape chargée de plomb, attachée à une corde qui passe sur une poulie M. Ce tuyau qui a 4 pouces 4 lignes de diamêtre, sert à évacuer la vapeur en ouvrant la soupape lorsqu'on veut arrêter la machine, & à lui donner une échappée lorsqu'elle acquiert assez de force pour lever la soupape ; autrement l'alembic seroit en danger de crever.

ART. 20. Usage d'un réservoir provisionnel pour fournir de l'eau à l'alembic. Il y a en-dehors du bâtiment deux murs, a b, fig. 1, 2, 3, Pl. I. & II. de maçonnerie, sur lesquels est placé un réservoir provisionnel V, fig. 3, & Pl. IV, fait de madriers doublés de plomb ; il contient 339 piés cubes ou 42 3/8 muids d'eau, que l'on entretient ordinairement à cette quantité. Cette eau provient du superflu de la cuvette q d'injection, qui descend par les tuyaux cotés des lettres N S ; ce réservoir est accompagné d'un tuyau R T de 2 pouces 2 lignes de diametre ; il sert à introduire de l'eau dans l'alembic par le moyen d'un robinet m, dont l'oeil a 2 pouces 2 lignes de diametre réduit ; & on vuide ledit alembic par le moyen d'un autre tuyau de cuivre z W Q de 3 pouces 3 lignes de diametre, accompagné du robinet W, dont l'oeil a 2 pouces de diametre réduit. Ce tuyau passe sous le réservoir provisionnel.

ART. 21. De quelle maniere l'eau d'injection sort du cylindre. On a dit (art. 9.) que le collet C N, Pl. IV. facilite l'évacuation de l'eau d'injection qui tomboit dans le cylindre ; pour cela le collet est raccordé avec un tuyau de cuivre h, l, m, Pl. V. nommé rameau d'évacuation de 4 pouces 4 lignes de diametre, qui va aboutir au fond d'une petite citerne n, dont on voit le plan fig. 2, Pl. I. dans laquelle se décharge environ les 3/4 de l'eau tiede d'injection : à ce rameau il y a une soupape P dans la citerne suspendue à un ressort de fer ; cette soupape, qui est fermée quand le piston descend, & qui est toûjours baignée d'eau afin que l'air extérieur ne puisse y entrer, est chargée de plomb, de maniere que le poids de l'eau qui remplit le rameau d'évacuation ne puisse lever à chaque injection la soupape, qu'il ne soit aidé par la force de la vapeur. A la citerne il y a une décharge P q, de superficie, représentée fig. 2, Pl. I.

ART. 22. Une partie de l'eau d'injection passe dans l'alembic pour suppléer au déchet que cause la vapeur. L'on remarquera que le godet a, Pl. V. communique par un tuyau horisontal à un autre tuyau de cuivre i k, nommé tuyau nourricier, de 2 pouces 2 lignes de diametre sur 8 piés 6 pouces de hauteur, dont une partie trempe dans l'eau de l'alembic jusqu'à 15 pouces du fond, & l'autre par saillie de 2 piés 10 pouces en-dehors ; l'on saura que 1/4 qui nous reste de l'eau d'injection, & qui sort tiede du cylindre, vient remplacer par ce tuyau le déchet que cause la vapeur à l'eau de l'alembic, qui se trouve par là toûjours entretenue à la même hauteur.

ART. 23. Description du tuyau nourricier. Ayant dit (art. 18.) que la force de la vapeur faisoit monter l'eau bouillante dans des tuyaux d'épreuves lorsqu'ils y trempoient, l'on voit que la même cause doit aussi la faire monter dans le tuyau nourricier i k, puisqu'il est ouvert par les deux bouts ; & à un pouce au-dessus du plat-bord a, a, il y a un trou à l'endroit m, par où monte l'eau bouillante, qui fait voir qu'il faut en remettre dans la chaudiere pour conserver le plat-bord : l'eau monte jusqu'à un certain point où la vapeur la soûtient en équilibre avec le poids de la colonne d'air qui est opposé.

ART. 24. De quelle maniere se font les opérations des articles 22 & 23. L'action de la vapeur ne pouvant pousser de bas en haut le piston avec une force capable de surmonter le poids de la colonne d'air dont il est chargé, sans presser de haut en bas avec la même force, la surface de l'eau qui est tombée dans le fond du cylindre ; cette eau qui est refoulée dans les deux rameaux, de maniere que celui d'évacuation h, l, m, en reçoit les 3/4 (art. 21) & l'autre passe 1/4 par le collet Z, a, & le tuyau horisontal dans le tuyau nourricier, où elle contraint l'eau chaude qui s'y trouve de descendre pour en occuper la place, jusqu'à l'instant que renouvellant les opérations, elle l'obligera de passer à son tour au fond de l'alembic.

ART. 25. Détail des pieces qui font joüer le régulateur. Ces pieces sont représentées au plan fig. V. Pl. II. & en perspective, fig. 20, Pl. VI. où l'on voit deux poteaux d d, soûtenant un essieu, e, h, sur lequel passent les anneaux d'un étrier 1, 2, 3, 4. Cet étrier est traversé par un boulon 4, autour duquel joue une fourche 55, dont la queue A aboutit à la clé B du régulateur (art. 15.). Au même essieu est fixé une patte c e 6 à deux griffes, & dont la partie e sert de manche au marteau ou poids 6. Les 2 griffes embrassent le boulon 4 de l'étrier : sur le même axe sont encore deux branches de fer 7, 8, 9. Dans la situation que l'on voit ces attirails, le régulateur est ouvert ; il produit des vapeurs dans le cylindre sous le piston, & le robinet P d'injection est fermé.

ART. 26. De quelle maniere le chevron pendant fait agir le régulateur & le robinet d'injection. On a dit (art. 1.) que la chaîne l m attachée à une des jantes du balancier, portoit une coulisse m a, qui n'est autre chose qu'un chevron pendant de 16 piés 6 pouces de longueur, ayant une fente dans le milieu. Cette coulisse dont on voit une portion X Y, fig. 20. joue de même sens que le piston, & sert à communiquer le mouvement au régulateur & au robinet d'injection, elle enfile sur le rez-de-chaussée du premier étage un bout de madrier z de 3 piés 6 pouc. de longueur, sur 14 pouces de large & 4 d'épaisseur, qui la maintient toûjours verticale en montant ou en descendant dans le trou C, pratiqué au-dessous de sa direction, comme on peut voir dans la Planche IV.

ART. 27. De quelle maniere le mouvement se communique au régulateur. La fente de la coulisse fig. 20, Pl. VI. est traversée d'un boulon revêtu de plusieurs morceaux de cuir, au-dessus duquel vient se rendre par intervalle la branche 8, 9. A l'instant que le piston étant parvenu au bas du cylindre, le régulateur s'ouvre pour laisser passer la vapeur, alors le balancier éleve la coulisse X Y, le boulon fait monter l'extrémité 9 de cette branche, par conséquent fait tourner l'essieu qui releve le poids 6, & pendant ce tems-là l'étrier reste immobile, à cause de l'intervalle qui est entre les griffes ; mais aussi-tôt que le poids 6 a passé le vertical, il imprime en tombant du côté du cylindre une force à une des griffes qui frappe le boulon 4, le chasse, & l'étrier en arriere, & par conséquent la manivelle B ferme alors le régulateur, quand la coulisse monte, elle entraîne avec elle la branche 8, 9, qui fait tourner l'essieu. L'essieu en tournant & la chûte du poids 6 font monter aussi l'autre branche 8, 7. Peu après cette coulisse venant à descendre, une cheville 69 attachée à une de ses faces, ramene la branche 8, 9, qui fait tourner l'essieu & releve le poids 6, qui tombe ensuite de la gauche à la droite ; l'autre griffe pousse en avant l'étrier qui étoit resté immobile pendant la descente de la coulisse, alors la manivelle ouvre le régulateur : les chûtes du marteau 6 sont limitées de part & d'autres par des cordes attachées aux parties fixes du bâtiment dans lequel la machine est renfermée.

ART. 28. Détail des pieces qui appartiennent au robinet d'injection. La clé du robinet d'injection P, fig. 20, Pl. VI. & Pl. IV. est en forme d'une patte d'écrevisse ou de fourche, dans laquelle agit une broche de fer m, qui la frappe par un mouvement de vibration, tantôt d'un sens & tantôt de l'autre, pour ouvrir & fermer le passage de l'eau de la cuvette q dont on a parlé. Cette broche M attachée à l'essieu d'un levier n o, sur lequel se meut un marteau R échancré par-dessus, pour s'accrocher par intervalle dans une coche pratiquée à un morceau de bois TV, nommé décliq, qui passe au-travers d'une fente pratiquée au poteau pendant, l'extrémité T est mobile autour d'un boulon, & l'autre V baisse & hausse suivant le mouvement de la coulisse X Y.

ART. 29. Explication du mouvement qui fait agir le robinet d'injection. On saura qu'à l'une des faces de la coulisse opposée à celle dont on vient de parler (art. 27.), est aussi attachée une cheville qui soûleve le décliq TV, lorsque la coulisse est parvenue à sa plus haute élevation ; alors le marteau R cessant d'être soûtenu, tombe avec violence sur le levier ou broche m, & agit contre une des branches de la fourche qui forme la clé ; ce qui ouvre le robinet P d'injection. Pendant que l'eau jaillit dans le cylindre court (fig. 4.), le marteau repose sur une piece de bois, après avoir décrit une courbe R P. Après cette opération, la coulisse X Y redescend ; & la cheville qui a levé le décliq, rencontrant en chemin le levier n S, l'oblige de descendre pour relever le marteau R, & le remettre dans sa premiere situation. Cela ne se peut faire sans que la broche m ne pousse en-avant l'autre patte de la clé du robinet, pour la ramener d'où elle étoit partie. Le robinet d'injection se referme donc jusqu'au moment où la coulisse remontant de nouveau, recommence la premiere manoeuvre pour faire ouvrir ledit robinet d'injection.

ART. 30. Conclusion sur le jeu du régulateur, & celui du robinet d'injection. Il suit de ce qu'on vient d'exposer, que la coulisse descendant, elle ferme le robinet d'injection immédiatement après le régulateur, dans l'instant qu'elle est parvenue au plus bas ; & qu'au contraire lorsqu'elle est montée au plus haut, le robinet d'injection s'ouvre, & le régulateur se ferme : ainsi ces deux effets, quoique contraires, entretiennent toûjours la machine dans un mouvement régulier, lorsque la chaleur du fourneau est uniforme, & que toutes les autres pieces de la machine agissent comme il faut.

Il faut remarquer que l'on rend le jeu du régulateur & celui du robinet d'injection plus ou moins promts, selon que les chevilles qui accompagnent la coulisse X Y sont placées plus ou moins hautes. Dans la situation où est la machine aujourd'hui, elle a six piés de levée (art. 3.) ; & si on vouloit lui en donner moins, il faudroit placer une autre cheville plus haut que celle qui fait agir le régulateur, & la charger de cuir (art. 27.) : alors la machine auroit moins de levée ; & le régulateur étant ouvert produiroit plus de vapeur. La raison en est claire, car alors le mouvement seroit moins accéleré ; & qu'au contraire si on lui donne plus d'injection, il faudroit placer une autre cheville plus haut que celle qui leve le décliq : alors le mouvement de la machine seroit plus accéleré, & par conséquent produiroit plus d'injection.

ART. 31. Explication de la manoeuvre que l'on exécute pour commencer à faire joüer la machine. Pour donner le premier mouvement à la machine, l'un commence par remplir d'eau la chaudiere (art. 20.) ; ensuite on allume le feu, & on laisse couler l'eau dans la coupe (art. 11.) Immédiatement après, celui qui dirige la machine, vient voir dans quelle situation est le régulateur, afin de l'ouvrir s'il étoit fermé ; ayant la facilité, à l'aide d'une manivelle, de donner à l'essieu le même mouvement que lui imprime la coulisse. La vapeur entre dans le cylindre, en chasse l'air, & échauffe l'eau qui est au-dessus du piston, que l'on fait couler dans le godet, pour remplir les tuyaux par lesquels se décharge l'eau d'injection (art. 21.) Pendant cette manoeuvre, la machine reste en repos jusqu'au moment qu'elle donne le signal pour avertir qu'il est tems de la faire joüer ; ce qui s'éprouve lorsque la vapeur ayant acquis assez de force pour ouvrir la soupape qui fermoit sa cheminée (art. 19.), en sort avec détonation. Aussi-tôt le directeur de la machine, qui attend ce moment, prend de la main droite la queue du marteau (art. 29.), de la gauche la branche (art. 27.) ; ferme le régulateur, & un instant après ouvre le robinet d'injection qui fait descendre le piston. Ensuite le régulateur s'ouvre de lui-même, & la machine continue de joüer, sans qu'on y touche, par un effet alternatif de vapeur & d'injection d'eau froide, secondé du poids de l'atmosphere.

ART. 32. Le mouvement de la machine doit être réglé de maniere qu'elle produise quatorze impulsions par minute. Quand le mouvement de la machine est bien réglé, elle produit ordinairement quatorze impulsions par minute, ainsi qu'on l'a observé ; & dans un cas forcé, on peut en donner jusqu'à 16 & 17. On a aussi observé que le piston mettoit un peu plus de tems à monter qu'à descendre.

ART. 33. Conjecture sur la maniere dont se forme la vapeur. Il faut considérer que le feu, qui est une matiere subtile, pénetre le fond de l'alembic, passe au-travers de ses pores, met les parties de l'eau dans une extrème agitation ; & comme cette matiere ne cherche qu'à s'étendre pour se mouvoir avec plus de liberté, elle s'éleve au-dessus de l'eau, dont elle entraîne les parcelles les plus déliées en une quantité prodigieuse, qui font effort de toutes parts pour s'échapper, avec une force qui devient supérieure à celle du poids de l'air ; & quand le régulateur vient à s'ouvrir, elle entre avec impétuosité dans le cylindre, pousse le piston devant elle, jusqu'à l'instant où l'injection d'eau froide condense cette vapeur & anéantisse sa force : alors elle retombe en eau. Ainsi l'on voit que le jeu de cette machine dépend de l'effet alternatif de l'eau chaude & de l'eau froide, joint à l'action de l'atmosphere ; le cylindre reste vuide, & donne lieu au poids de l'atmosphere de ramener le piston : ainsi l'on voit que dans l'espace d'environ deux secondes que dure l'injection des huit pintes d'eau froide (art. 11.), il se condense environ 4 3/4 muids de vapeur ; & pendant ce tems-là il s'en forme une assez grande quantité pour relever le piston de nouveau, aussi-tôt que le régulateur lui en laisse la liberté. On a dit (art. 24.) que quand la vapeur entre dans le cylindre, elle refoule l'eau qui se trouve au fond, & en fait passer environ six pintes dans le rameau d'évacuation (art. 21.), & deux dans l'alembic par le tuyau nourricier (art. 22.), suivant l'expérience que j'en ai faite.

ART. 34. Expérience de M. Desaguliers sur la force de la vapeur de l'eau bouillante. M. Desaguliers, qui a fait beaucoup d'expériences sur la machine à feu, dit que la force de la vapeur dans le cylindre, ne surpassoit jamais d'un 1/10 la résistance de l'air extérieur, & n'y étoit jamais d'un 1/10 plus foible ; mais entre ces deux termes cette force change continuellement, selon que le piston est plus ou moins élevé, c'est-à-dire selon que l'espace est plus ou moins grand. Il prétend aussi que la vapeur de l'eau bouillante est environ 14000 fois plus rare que l'eau froide ; & qu'alors elle est aussi forte par son ressort que l'air commun, quoique 16 fois plus rare. Voyez EAU.

ART. 35. Expérience faite sur la quantité de charbon de terre ou de bois nécessaire pour l'entretien du fourneau pendant 24 heures. Le fourneau consume en 24 heures 6 muids de charbon de terre, contenant chacun 13 piés cubes, ou deux cordes de bois chacune de 7 piés 7 pouces de longueur sur autant de hauteur, & 3 piés 3 pouces de largeur.

On observe que deux hommes suffisent pour veiller autour de la machine. Il y a un chef qui fait manoeuvrer ladite machine, & un second qui a soin de faire le feu au fourneau.

ART. 36. Quand la machine produit 14 impulsions par minute, elle épuise 255 muids d'eau par heure, élevée à 242 piés de hauteur. On a dit (art. 32.) que la machine produisoit 14 impulsions par minute, lorsque le mouvement est bien réglé. L'on voit que dans le même tems elle épuise une colonne d'eau de 112 piés de hauteur sur 8 pouces 3 lig. de diametre, ou 85 pintes par chaque impulsion ; & qu'à cause de 14 qu'elle donne dans une minute, elle produit 1190 pintes d'eau : partant dans une heure elle produit 71400 pintes, ou 255 muids d'eau, le muid contenant 8 piés cubes, ou 280 pintes mesure de Paris.

ART. 37. Calcul de la puissance qui fait agir cette machine. Pour insinuer de quelle maniere l'on doit faire le calcul de cette machine, il faut considérer que le diametre du piston étant de 30 pouces 6 lig. (art. 6.), sa superficie sera d'environ 5 1/6 piés quarrés, qu'il faut multiplier par 2205 lignes, pesanteur d'une colonne d'air d'un pié quarré de base, sur 31 1/2 piés de hauteur. Il viendra 11392 1/2 liv. pour l'action de l'air extérieur sur le piston, & par conséquent pour la force de la puissance motrice.

ART. 38. Remarque essentielle pour calculer l'effort de la puissance qui fait agir les pompes. La force de la puissance qui aspire l'eau dans une pompe, doit être au moins égale au poids de la colonne d'eau qui auroit pour base le cercle du piston, & pour hauteur la distance du puisart au piston, lorsqu'il est parvenu dans sa plus haute élevation. A quoi il faut ajoûter le poids de l'eau dont le piston est surmonté lorsqu'il s'éleve au-dessus du terme de l'aspiration pour la dégorger dans les bâches. Si l'on considere les choses avec attention, on verra que, quelle que soit la grosseur du tuyau d'aspiration, la puissance qui éleve le piston, soûtiendra toûjours le même poids, dans quelques dispositions que soient ses parties, posées contre un plan vertical, ou sur un plan incliné ; que la puissance appliquée au piston d'un diametre égal, plus grand ou plus petit que le fond du tuyau, il sera toûjours chargé du poids d'une colonne d'eau qui auroit pour base le cercle du piston, & pour hauteur celui du niveau de l'eau au-dessus du même piston.

ART. 39. Calculer la puissance ou le poids de la colonne d'eau des pompes aspirantes. Les pompes aspirantes élevant ensemble une colonne d'eau de 242 piés de hauteur sur 8 pouces 3 lignes de diametre, l'on trouvera que cette colonne pese 6290 1/4 l. La pompe de la bâche faisant monter l'eau à 36 piés de hauteur (art. 2.), le diametre de son piston n'est que de 4 pouces 2 l. Le poids de la colonne d'eau qu'elle refoule, est de 237 11/16 l. qui étant ajoûtées à 6290 1/4 l. il viendra 6527 15/16 liv. à quoi il faut encore ajoûter le poids des attirails qui répond au puits, que j'estime d'environ 3000 liv. ainsi la puissance aura à surmonter une résistance d'environ 9527 15/16 l. & comme cette puissance a été trouvée de 11392 1/2 l. (art. 37.), elle sera donc supérieure de 1864 9/16 l. au poids qu'elle doit enlever.

ART. 40. La puissance doit être au poids comme 6 à 5, pour prévenir tout inconvénient. On remarquera que cette supériorité de la puissance sur le poids, doit être au moins dans le rapport de 6 à 5 ; elle est nécessaire, non-seulement pour rompre l'équilibre, mais encore parce que le piston n'est point chassé tout-à-fait par la pesanteur absolue de l'air, puisqu'il fuit & se dérobe en partie à son impression ; & que d'ailleurs il ne faut pas compter que quand le piston descend, le cylindre soit entierement privé d'air grossier, puisque l'eau d'injection en entraîne toûjours une certaine quantité, qui se trouvant renfermée dans un plus petit espace à mesure que le piston descend, pourroit acquérir une force de ressort assez sensible pour lui résister.

ART. 41. Cette machine peut aussi servir à élever l'eau aussi haut que l'on voudra au-dessus de l'horison. On remarquera que si l'on avoit à élever l'eau d'une source à une hauteur considérable au-dessus de l'horison dans des tuyaux posés verticalement, ou sur un plan incliné, on pourroit se servir de la même machine, en disposant des pompes aspirantes & refoulantes, de la maniere la plus convenable, suivant la situation des lieux.

ART. 42. La théorie des machines à feu, à l'égard de leurs effets, est la même que celle des pompes mûes par un courant. Il faut remarquer que lorsqu'un fluide fait mouvoir des pompes à l'aide d'une machine où le bras du levier du poids est égal à celui de la puissance, il arrivera toûjours que la superficie du piston, celle d'une des aubes, la chûte capable de la vîtesse respective du fluide, & la hauteur où l'on veut élever l'eau, composeront quatre termes réciproquement proportionnels. L'on verra que cette regle pourroit s'appliquer aux machines à feu, si l'on pouvoit faire abstraction du poids des attirails & de la pompe refoulante qui est dans la bâche supérieure ; car l'on peut regarder la superficie du piston qui joue dans le cylindre, comme celle d'une aube, c'est-à-dire le poids de la colonne d'air, ou celui d'une colonne d'eau de 31 1/2 piés de hauteur (article 37.), comme la force absolue du fluide, qu'il faut multiplier par 5/6 pour avoir la force relative (article 40) : alors le produit du quarré du diametre du grand piston, par la hauteur réduite de la colonne équivalente au poids de l'atmosphere, seroit égal au produit du quarré du diametre du petit piston qui doit aspirer ou refouler l'eau ; & par la hauteur où elle doit être élevée, il arriveroit que si le tourillon n'étoit pas au centre, c'est-à-dire dans le milieu du balancier, il faudroit que ces deux produits fussent dans la raison réciproque du bras du levier du grand & du petit piston, suivant le principe de la méchanique. Nous supposerons que la valeur de toutes les lignes que nous allons désigner par des lettres, seront exprimées en piés ou fraction de piés.

ART. 43. Formule générale pour déterminer les dimensions des principales parties des machines à feu. Je nomme P le poids du grand piston, D son diametre ou celui du cylindre, & a son bras de levier, p le poids des attirails qui répondent au petit piston, d son diametre, & b son bras de levier, h hauteur où l'eau doit être élevée, ou profondeur du puits, C poids de la colonne d'eau que la pompe de la bâche supérieure doit refouler, y compris le poids des attirails de son piston, e son bras de levier, f poids de la coulisse, & i son bras de levier. On prendra la superficie du cercle du grand piston ; on la multipliera par 2205 (art. 37.), & l'on aura l'action de l'air extérieur sur le piston, ou la force de la puissance motrice qu'il faut multiplier par 5/6, y ajoûter ensuite P, & multiplier le tout par le bras de levier a, puis ajoûter au produit le poids de la coulisse multiplié par son bras de levier, l'on aura une expression de l'action de la puissance autour du cylindre ; ensuite on cherchera la superficie du cercle du petit piston qu'on multipliera par la hauteur h du puits, & l'on aura l'expression du volume de la colonne d'eau qu'il faut aspirer ou refouler ; & pour en avoir le poids, on multipliera par 70 liv. pesanteur d'un pié cube d'eau ; on ajoûtera au produit le poids des attirails, multipliant cette quantité par son bras de levier b, à quoi il faudra encore ajoûter le produit du poids de la colonne d'eau de la bâche supérieure ou de la pompe refoulante par son bras de levier, & l'on aura l'action de la puissance autour du puits ; égalant les deux actions, on aura la formule générale pour la machine à feu. A l'égard des frottemens, comme leur résistance dans cette machine est presque insensible, n'ayant guere lieu qu'aux tourillons du balancier, dont le rayon est extrèmement petit par rapport au bras du levier de la puissance ; on les regarde comme nuls, pour ne point trop composer la formule.

ART. 44. L'on peut rendre la formule plus simple dans le cas où l'on veut en faire usage. Je considere que parmi les grandeurs qui composent la formule ci-dessus, il y en a plusieurs qui sont déterminées par la disposition qu'il faudra donner à la machine ; par exemple, l'on connoîtra toûjours le bras du levier & le poids de la colonne d'eau qu'il faudra élever dans la cuvette d'injection, par la disposition des tourillons du balancier, & par conséquent le rapport des deux bras du levier, le poids des attirails des pompes aspirantes ayant déterminé la profondeur du puits, la pesanteur du grand piston & celle de la coulisse ; c'est-à-dire qu'il faut supprimer de la formule ci-dessus la pesanteur du grand piston, le produit du poids de la coulisse par son bras de levier : si on soustrait d'abord le poids des attirails pour avantager la puissance agissante, il est aussi naturel de placer les tourillons dans le milieu du balancier, à moins qu'on ne soit contraint d'en user autrement pour rendre le bras du levier de la puissance plus grand que celui du poids, & il ne restera plus dans la formule que les trois grandeurs D, d & h, qui sont sujettes à varier.

ART. 45. Connoissant le diametre du piston des pompes, & la hauteur où l'on veut élever l'eau, c'est-à-dire la profondeur du puits, trouver le diametre du cylindre. On a déterminé le diametre des pompes (art. 43.), afin que la machine puisse fournir une certaine quantité d'eau proportionnée à la relevée du piston, & au nombre des impulsions par minute. Par le même article, on a aussi déterminé la profondeur du puits ; il ne s'agit, pour connoître le diametre du cylindre, qu'à supposer D = x & D2 = x2, & dégager cette inconnue. Voyez EQUATION.

ART. 46. Connoissant la hauteur où l'on doit élever l'eau, ou la profondeur du puits, & le diametre du cylindre, trouver le diametre du piston des pompes. Pour connoître le diametre du piston des pompes, on suppose que le diametre du cylindre est déterminé de même que la profondeur du puits où l'on veut faire monter l'eau, en la refoulant sur une éminence. Pour cela, il faut supposer d = x & d2 = x2 en la place de d2, & résoudre l'équation.

ART. 47. Connoissant le diametre du cylindre & celui des pompes, trouver la hauteur où l'on veut enlever l'eau, ou la profondeur du puits. Pour connoître la profondeur du puits, on suppose que le diametre du cylindre est déterminé de même que celui du piston des pompes, qui doit aspirer ou refouler l'eau ; il faut supposer h = x, & en la place de h, il faut mettre sa valeur qui est x dans la formule générale.

On observe que la dépense d'une semblable machine à feu, paroît coûter environ cinquante-cinq mille livres, & c'est suivant que le puits est plus ou moins profond, & que la nature du terrein peut permettre de creuser le puits de la profondeur proposée.

Le jeu de cette machine est très-extraordinaire, & s'il falloit ajoûter foi au système de Descartes, qui regarde les machines comme des animaux, il faudroit convenir que l'homme auroit imité de fort près le Créateur, dans la construction de la pompe à feu, qui doit être aux yeux de tout cartésien conséquent, une espece d'animal vivant, aspirant, agissant, se mouvant de lui-même par le moyen de l'air, & tant qu'il y a de la chaleur.

FEU, (Chimie) Le chimiste, du moins le chimiste Stahlien, considere le feu sous deux aspects bien différens.

Premierement, comme un des matériaux ou principes de la composition des corps ; car, selon la doctrine de Stahl bien résumée, le principe que les Chimistes ont designé par les noms de soufre, principe sulphureux, soufre principe, principe huileux, principe inflammable, terre inflammable & colorante, & par quelqu'autres noms moins connus, que nous rapporterons ailleurs, voyez PHLOGISTIQUE ; ce principe, dis-je, n'est autre chose que le feu même, qu'une substance particuliere, pure & élémentaire, la vraie matiere, l'être propre du feu, le feu de Démocrite & de quelques physiciens modernes.

Stahl a designé cette matiere par le mot grec phlogiston, qui signifie combustible, inflammable ; expression que nous avons traduite par celle de phlogistique, qui est devenue technique, & qui n'est pour nous, malgré sa signification littérale, qu'une de ces dénominations indéterminées qu'on doit toûjours sagement donner aux substances, sur l'essence desquelles regnent diverses opinions très-opposées : or les dogmes de Becher & de Stahl, sur le principe du feu, qui paroissent démontrables à quelques chimistes, sont au contraire, pour quelqu'autres & pour un certain ordre de physiciens, incompréhensibles & absolument paradoxes, & par conséquent faux ; conséquence que les premiers trouveront, pour l'observer en passant, aussi peu modeste que légitime. Quoi qu'il en soit, ce sera sous ce nom de phlogistique que nous traiterons du principe de la composition des corps, que nous croyons être le feu. Voyez PHLOGISTIQUE.

Les phénomenes de la combustion, de la calcination, de la réduction, de la détonation, en un mot, de tous les moyens chimiques, dans lesquels le feu combiné éprouve quelque changement chimique ; tous ces phénomenes, dis-je, appartiennent au feu, considéré sous ce premier point de vûe. Voyez COMBUSTION, CALCINATION, DETONATION, REDUCTION, PHLOGISTIQUE.

Secondement, les Chimistes considerent le feu comme principe de la chaleur. Le mot feu, pris dans ce sens, est absolument synonyme dans le langage chimique, à celui de chaleur. Ainsi nous disons indifféremment le degré de chaleur de l'eau bouillante, ou le degré de feu de l'eau bouillante.

Nous avons dit ailleurs (article CHIMIE, pag. 414. col. 2.) que le feu, considéré comme principe de la chaleur, étoit un instrument ou agent universel que le chimiste employoit dans l'opération de l'art, ou dont il contemploit les effets dans le laboratoire de la nature. Nous allons nous occuper dans cet article de ses effets chimiques, dirigés par l'art.

Toutes les opérations chimique s'exécutent par deux agens généraux, la chaleur & les menstrues. Mais cette derniere cause elle-même, quelque générale & essentielle que soit son influence dans les changemens chimiques, est entierement subordonnée à la chaleur, puisque le feu produit absolument & indépendamment du concours de tout autre agent, un grand nombre de changemens chimiques, au lieu que l'action des menstrues suppose nécessairement la chaleur (voyez l'article CHIMIE, pag. 417. col. 2. le mot MENSTRUE, & la suite de cet article) ; ensorte que le feu doit être regardé comme le moyen premier & universel de la chimie pratique. Aussi le feu a-t-il mérité de donner son nom à l'art ; la Chimie s'appelle dès long-tems pyrotechnie, l'art du feu.

Les Chimistes ont exalté les propriétés du feu avec un enthousiasme également digne du sujet & de l'art. Le passage de Vigenere, cité à l'article CHIMIE, pag. 422. col. 1. est sur-tout remarquable à cet égard.

Un célebre chimiste de nos jours, l'illustre M. Pott, fait cet éloge magnifique du feu, dans son traité du feu & de la lumiere. " La dignité & l'excellence de cet être, dit M. Pott, est publiée dans l'Ecriture-sainte, où Dieu même se fait appeller du nom de la lumiere ou du feu, quand il y est dit, que Dieu est une lumiere, qu'il demeure dans la lumiere, que la lumiere est son habit.... que Dieu est un feu dévorant, qu'il fait ses anges de flamme de feu, &c. " Le feu est appellé dans la même dissertation le vicaire ou le lieutenant de Dieu dans la nature, c'est-à-dire, comme on l'a sagement exprimé dans la traduction françoise, le premier instrument que Dieu met en oeuvre dans la nature. Van-Helmont avoit déjà fait honneur au feu, de l'image sublime tracée par David (ps. 18.), en représentant le souverain moteur de la nature, comme ayant posé son tabernacle dans le Soleil. Van-Helmont, formarum ortus, §. 38.

D'un autre côté, c'est principalement sur les changemens opérés par le feu dans les sujets chimiques, que les détracteurs de la Chimie, soit philosophes, soit medecins, ont fondé leurs déclamations contre cette science. Ils ont prétendu que le feu bouleversoit, confondoit, dénaturoit la composition intérieure dans les corps ; qu'il dissipoit, détruisoit, anéantissoit leurs principes naturels ou hypostatiques ; que ceux qu'il manifestoit étoient ses ouvrages, ses créatures, &c. &c. &c. Ces imputations sont exactement évaluées dans plusieurs articles de ce Dictionnaire, & nous les croyons sur-tout solidement réfutées par les notions claires & positives sur l'action du feu, que nous croyons avoir exposées dans les différens articles où il s'agit des effets de ce premier agent, voy. CHIMIE, pag. 417. 418. & CENDRE ; voy. aussi MENSTRUE, MENSTRUELLE, ANALYSE, SUBSTANCES ANIMALES, VEGETAL, & les articles de plusieurs opérations dont nous allons donner la liste sous le titre suivant, & particulierement dans celui-ci.

Usage chimique du feu ou de la chaleur. Le feu est employé par le chimiste dans les distillations, les sublimations, les évaporations, les dessications, l'espece de grillage que nous appellons en latin difflatio, les liquefactions, les fusions, les précipitations par la fonte, les liquations, les dissolutions, les digestions, les cémentations, & même les fermentations. Il faut remarquer que le principe igné, le phlogistique, n'éprouve dans aucune de ces opérations ni combinaison ni précipitation.

La façon d'appliquer le feu aux différens sujets de toutes ces opérations, & la théorie de son action dans ces divers cas, sont exposées dans les articles particuliers. Voyez ces articles, & sur-tout l'article DISTILLATION.

Effets généraux du feu. Les effets chimiques du feu dans toutes ces opérations, se réduisent à trois ; ou le feu relâche, laxat, l'aggrégation de certaines substances jusqu'à les réduire en liqueur & même en vapeur, sans altérer en aucune façon la constitution intérieure du sujet ainsi disposé (voyez l'article CHIMIE, pag. 415 col. 1. pag. 417. col. 2. & l'art. DISTILLATION) ; ou il produit des diacreses pures (voyez au mot DISTILLATION ce qui est dit de ces effets sur la seconde classe des sujets de cette opération, & le mot DIACRESE à l'errata du V. volume) ; ou enfin il dispose à la combinaison chimique les substances miscibles ; il divise, solvit, ces corps qui n'agissent qu'étant ainsi divisés, nisi soluta ; & il favorise cette action réciproque, soit que les principes qu'il met en jeu se rencontrent dans un composé naturel, comme dans les fermentations & dans l'analyse par le feu seul des matieres dont j'ai formé la troisieme classe des sujets de la distillation (voyez l'article DISTILLATION, & l'art. FERMENTATION), soit qu'ils se trouvent dans des mélanges artificiels, comme dans toutes les opérations de l'analyse menstruelle (voyez MENSTRUE & MENSTRUELLE, (Analyse) & le mot CHIMIE). Remarquez pourtant que ce troisieme effet ne differe pas essentiellement du premier ; car l'action directe & réelle de la chaleur se borne dans les deux cas au relâchement de l'aggrégation ; il a été utile néanmoins de les distinguer ici, parce qu'il auroit été révoltant, pour la plûpart des lecteurs, de voir identifier l'effet de la chaleur considéré dans la fusion ou l'évaporation, & dans la dissolution ou la fermentation ; car que la chaleur n'ait qu'une influence passive dans l'exercice de l'action menstruelle, ce n'est pas une vérité reçue, mais simplement démontrable, & proposée dans plusieurs endroits de ce Dictionnaire. Voyez l'article CHIMIE, pag. 417. col. 2. le même art. pag. 415. col. 2. & les articles MENSTRUE & MENSTRUELLE, (Analyse).

Les divers effets généraux que nous venons de rapporter sont dûs à une seule & même cause, savoir à la propriété de raréfier du feu, exercée dans une très-grande latitude, depuis le terme où commence la liquidité de l'eau jusqu'à celui que l'on a crû suffisant pour volatiliser les métaux parfaits, selon les fameuses expériences exécutées au foyer de la lentille du palais-royal, & rapportées dans les Mém. de l'académie royale des Sciences, année 1702.

Sources & application du feu. Nous trouvons ce principe de chaleur dans la température même de notre atmosphere : nous nous le procurons en exposant les sujets de nos opérations aux rayons directs du soleil. Nous mettons à profit quelquefois la chaleur excitée dans certaines matieres fermentantes ou pourrissantes, telles que le marc de raisin & le fumier ; ou enfin, ce qui est notre ressource la plus ordinaire & la plus commode, nous appliquons aux matieres que nous voulons échauffer, des corps inflammables actuellement brûlans, tels que le charbon, le bois, la tourbe, le charbon de terre, l'esprit-de-vin, les huiles par expression dans le fourneau à lampe, &c. de tous ces alimens du feu, celui que nous employons généralement & avec le plus d'avantage, c'est le charbon. Voyez CHARBON, ESPRIT-DE-VIN, MPEAMPE.

Cette application du feu varie selon qu'elle est plus ou moins immédiate ; car ou on expose la matiere à traiter au contact immédiat du corps dont on employe la chaleur, comme dans la dessication au soleil, la distillation par le premier fourneau de Glauber, la sublimation gébériene, la réverbération de la flamme, &c. voy. ces articles ; ou on place les matieres dans des vaisseaux, voyez VAISSEAUX ; & ces vaisseaux, ou on les expose au contact immédiat du principe de la chaleur, c'est-à-dire au feu nud, selon l'expression technique ; ou on interpose entre le feu & les vaisseaux, différens corps connus sous le nom d'intermede ou de bain. Voyez BAIN en Chimie, TERMEDEMEDE.

Degrés de feu. La latitude entiere de la chaleur employée aux usages chimiques, a été divisée en différentes portions ou degrés déterminés par divers moyens ; premierement par espece de matiere échauffée ou brûlante qui fournissoit la chaleur : ainsi le feu chimique a été distingué en insolation, ventre de cheval, bain de marc de raisin, feu de lampe, feu de bois, feu de charbon, &c. secondement par la circonstance de l'application plus ou moins immédiate, & par les différens milieux interposés entre le corps & le feu : le feu a été divisé sous ce point de vûe en feu nud, bain-marie, bain de sable, de cendres, de limaille, &c. Voyez BAIN en Chimie. Le feu nud, selon qu'il a été placé sous le corps à traiter, sur ce corps, autour de ce corps, qu'il a été couvert ou libre, &c. s'est appellé feu de roue, feu de suppression, feu de reverbere, feu ouvert, &c. Toutes ces distinctions sont entierement abandonnées, & avec raison sans-doute, puisque la plûpart sont inutiles, relativement à la détermination de l'intensité du feu. Ceux qui avoient partagé la latitude du feu chimique par degrés qu'ils appelloient premier, second, troisieme, quatrieme, avoient déterminé chacun de ces degrés d'une maniere si vague, que l'insuffisance ou plûtôt l'inutilité de cette distinction est aussi absolument reconnue.

Les chimistes modernes ont rectifié toutes ces divisions, & les ont réduites à la plus grande simplicité, en ne retenant qu'un petit nombre de termes fixes, établis sur la connoissance réfléchie des effets du feu, & très-suffisans dans la pratique.

Ces chimistes ont observé premierement que l'analyse ou solution réelle de la combinaison chimique, ne s'opéroit dans tous les sujets que par le secours d'une chaleur supérieure à celle qui faisoit bouillir l'eau commune ; secondement que plusieurs unions beaucoup moins intimes, celles dont j'ai fait la premiere classe des sujets de la distillation, voyez cet article, cédoient à l'action d'une chaleur capable de faire bouillir l'eau, & quelques-unes même à une chaleur plus foible ; troisiemement que la plûpart des menstrues appellés communément liquides, du nom de leur état ordinaire, agissoient sous un degré de chaleur inférieur à celui de l'eau bouillante ; quatriemement que quelques évaporations, dessications, & un très-grand nombre de combinaisons, s'opéroient sous la température ordinaire de l'air qui nous environne, lors même qu'il n'est échauffé que par les rayons réfléchis du soleil, c'est-à-dire sans feu & à l'ombre.

Ils ont, en conséquence de ces observations, divisé le feu chimique en quatre degrés ; le premier ou le plus foible commence à la liquidité de l'eau, & s'étend jusqu'au degré qui nous fait éprouver un sentiment de chaleur ; nous appellons ce degré froid. C'est à ce degré que s'exécutent un très-grand nombre d'opérations telles que les dissolutions à froid, les macérations ou extractions à froid, les calcinations à l'air, les dessications à l'ombre, les évaporations insensibles, la plûpart des fermentations, &c. Voyez ces articles particuliers.

Rien n'est si aisé que de se procurer exactement ce degré de feu dans la pratique, puisqu'il ne s'agit que d'éloigner les substances traitées, de toute source de chaleur sensible. Quant au plus ou au moins de chaleur dans la latitude qu'embrasse ce degré, le plus haut terme n'est, dans aucun cas, assez considérable pour nuire à la perfection absolue de l'opération ; & le trop foible n'a jamais d'autre inconvénient que de la-suspendre : les seules fermentations vineuses méritent d'être exécutées à un degré plus constant. Voyez FERMENTATION.

Le second degré commence à la chaleur sensible pour nos corps, & s'étend jusqu'à la chaleur presque suffisante pour faire bouillir l'eau : c'est à ce degré que s'exécutent les digestions, les infusions, la plûpart des dissolutions aidées par un feu sensible, les dessications des plantes & des substances animales, les évaporations, distillations, & toutes les cuites pharmaceutiques exécutées au bain-marie, les fermentations faites à l'étuve, quelques distillations à feu nud, telle que celle du vinaigre, &c. voyez ces articles.

Le bain-marie fournit un moyen aussi sûr que commode d'obtenir ce degré de feu, dont le plus ou le moins d'intensité n'est pas d'une plus grande conséquence que les variations du même genre du degré précédent.

Le troisieme degré est celui de l'eau bouillante ; celui-ci est fixe & invariable : on exécute à ce degré toutes les decoctions des substances végétales & animales, la distillation des plantes avec l'eau, la cuite des emplâtres dans lesquelles entrent des chaux de plomb qu'on ne veut pas brûler. On peut compter encore parmi les opérations exécutées à ce degré, la distillation du lait, & celle du vin ; parce que la chaleur qui fait bouillir le lait & le vin, ne differe pas beaucoup de celle qui fait bouillir l'eau.

L'application de l'eau bouillante ou de la vapeur de l'eau bouillante à un vaisseau, ne communique jamais aux matieres contenues dans ce vaisseau une chaleur égale à celle de cette eau ou de cette vapeur ; c'est un fait observé, & dont la raison se déduit bien simplement des lois de la communication de la chaleur généralement connues : c'est en consequence de ces observations que nous avons rangé le bain-marie parmi les moyens d'appliquer aux sujets chimiques un degré de chaleur inférieur à celui de l'eau bouillante. Ce n'est pas ici une observation de pure précision ; elle est au contraire immédiatement applicable à la pratique, & d'autant plus nécessaire que les auteurs ne s'expliquent pas assez clairement sur la détermination de ce degré. La chaleur du bain-marie bouillant est communément désignée par le nom de chaleur de l'eau bouillante.

Cependant si quelqu'un, après avoir vû dans un livre qu'au degré de l'eau bouillante les huiles essentielles s'élevent, que les sucs des viandes en sont extraits par l'eau, &c. si cet homme, dis-je, s'avisoit en conséquence de ces connoissances, de distiller au bain-marie une plante aromatique, pour en séparer l'huile essentielle, ou de mettre son pot au bain-marie, & non pas au feu, il n'obtiendroit point d'huile, & il feroit un très-mauvais bouillon.

Nous avons déjà observé que ce troisieme degré étoit fixe & invariable ; il devient par-là extrèmement commode dans la pratique, comme nous l'avons déjà dit du bain-marie ; & il l'est d'autant plus que c'est heureusement à ce degré de chaleur que se fait la séparation & la combinaison de certaines substances que leurs usages pharmaceutiques ou économiques nous obligent de traiter en grand ; & qu'un feu moins constant, & qui pourroit devenir quelquefois trop fort, altereroit la perfection de ces matieres, procureroit, par exemple, des eaux distillées qui sentiroient l'empyreume, des emplâtres brûlés, &c.

Le quatrieme degré de feu chimique est plus étendu ; il comprend tout le reste de sa latitude depuis la chaleur de l'eau bouillante jusqu'à l'extrème violence du feu, toutes les vraies altérations chimiques opérées sur les substances métalliques, sur les terres, sur les pierres, sur les sels par le moyen du feu seul : les dissolutions par les menstrues salins, liquides, bouillans, ou par les menstrues ordinairement consistans mis en fusion ; & enfin la décomposition des substances végétales & animales, par le moyen du feu seul, demandent ce dernier degré. La latitude immense de ce degré doit laisser un sujet d'inquiétude au chimiste apprentif sur des subdivisions qu'il desireroit, & dont, si par hasard il a quelque teinture de Physique expérimentale, il pourra bien imaginer sur le champ des mesures exactes, différens thermometres & pyrometres bien gradués, bien sûrs ; mais ces moyens lui paroîtront aussi inutiles qu'impraticables, dès qu'il aura appris par sa propre expérience combien il est facile, sur ce point important de manuel chimique, comme sur tant d'autres de la même classe, d'acquérir par l'exercice le coup-d'oeil ou l'instinct d'ouvrier ; combien l'aptitude que ce coup-d'oeil donne est supérieure, même pour la précision, à l'emploi des moyens physiques, & enfin combien la lenteur & la minutie de ces derniers moyens les rendent peu propres à diriger l'emploi journalier du principal instrument d'un art. Je renvoye encore sur ce point à l'expérience ; car vraisemblablement on ne persuadera jamais par raisons à un savant, tel que je suppose notre éleve, que les moyens de déterminer rigoureusement les variations d'un agent physique, mis en oeuvre dans un art quelconque, puissent être de trop, & que les descriptions exactes, & pour ainsi dire notées, des opérations de cet art qu'on pourroit se procurer par là, soient un bien absolument illusoire. Voyez l'art. CHIMIE, pag. 420. col. 2.

Ce que nous venons de dire de l'inutilité pratique des mesures physiques de la chaleur, n'empêche point qu'on ne fût très-sage d'y avoir recours, si dans un procédé nouveau & extrèmement délicat, la nécessité d'avoir des degrés de feu déterminés rigoureusement, constans, invariables, l'emportoit sur l'incommodité de ces mesures. Les bains bouillans d'huile, de lessive plus ou moins chargée, de mercure, & même de diverses substances métalliques tenues en fusion par l'application de la plus grande chaleur dont elles seroient susceptibles ; ces bains, dis-je, fourniroient un grand nombre de divers degrés fixes & constans, & qu'on pourroit varier avec la plus grande précision : mais les cas où il seroit nécessaire de recourir à ces expédiens sont très-rares, si même ils ne sont pas de pure spéculation, & par conséquent ils ne constituent pas le fond de l'art, rara non sunt artis.

Gouvernement du feu. Le gouvernement ou le régime du feu, qui fait le grand art du chimiste praticien, porté sur deux points généraux : savoir le choix du degré ou des diverses variations méthodiques des degrés propres à chaque opération, & au traitement de chaque substance particuliere ; & la connoissance des moyens de produire ces divers degrés.

Nous avons répandu dans divers articles chimiques de ce Dictionnaire, les connoissances de détail que l'expérience a fournies sur le premier point. On trouvera, par ex. au mot MENSTRUE, & dans tous les articles où il sera question de l'action de quelque menstrue particulier, par quel degré de chaleur il faut favoriser son action ; au mot DIGESTION, CIRCULATION, CEMENTATION, &c. quelle chaleur est propre à ces diverses opérations ; aux articles VIN, VEGETAL, LAIT, HUILE ESSENTIELLE, MUQUEUX, ETHER, SUBSTANCE METALLIQUE, VERRE METALLIQUE, NITRE, SEL MARIN, VITRIOL, &c. &c. &c. à quel degré de feu il faut exposer chacune de ces substances, ou celles dont elles sont retirées, pour les altérer diversement.

D'ailleurs il n'existe dans l'art que peu de préceptes généraux sur cette matiere ; celui qui prescrit, par ex. de commencer toûjours par le degré le plus foible, d'élever le feu insensiblement, de le soûtenir pendant un certain tems à un degré uniforme, & de le laisser ensuite tomber peu-à-peu ; celui-là, dis-je, souffre un grand nombre d'exceptions, quoiqu'il soit établi dans la plûpart des livres de Chimie comme la premiere loi de manuel, & qu'il soit en effet nécessaire de l'observer dans les cas les plus ordinaires, & sur-tout dans toute analyse, par la chaleur seule des substances végétales ou animales. Voyez SUBSTANCES ANIMALES, GETALETAL, (Chim.) & qu'il faille même y avoir toûjours égard jusqu'à un certain point, ne fût-ce que pour ménager des vaisseaux fragiles : mais un feu trop foible ou élevé trop lentement, est aussi nuisible dans certains cas à la perfection & même au succès de quelques opérations, que le feu trop fort ou poussé trop brusquement, l'est dans le plus grand nombre. Un feu trop foible long-tems soûtenu rendroit impossible la vitrification de certaines substances métalliques (voyez VERRE METALLIQUE), & dissiperoit des matieres qu'un feu plus fort retient en les fondant. Voyez FUSION, &c. On ne fait point d'éther vitriolique à un feu trop foible. Voyez ETHER.

Quant aux moyens de produire & de varier les degrés du feu, ils se réduisent à ces quatre chefs généraux : on fait essuyer à un sujet chimique une chaleur plus ou moins grande ; 1°. en variant la qualité de l'aliment du feu ; car les divers corps brûlans fournissent, tout étant d'ailleurs égal, des degrés de feu bien différens : ainsi un bon charbon dur & pesant donne bien plus de chaleur que le charbon rare & léger qui est connu à Paris sous le nom de braise ; la flamme d'un bon bois plus que celle de la paille ou de l'esprit de vin ; une flamme vive & claire plus que le brasier le plus ardent : 2°. en en variant la quantité ; personne n'ignore qu'on fait un meilleur feu avec beaucoup de bois ou de charbon qu'avec peu : 3°. en excitant le feu par un courant plus ou moins rapide d'air plus ou moins dense ou froid, plus ou moins humide : 4°. enfin en plaçant le vaisseau ou le corps à traiter dans un lieu tellement disposé, que l'artiste puisse à volonté diriger, autant qu'il est possible, sur sa matiere, la chaleur entiere du corps brûlant, sans la laisser dissiper par une communication trop libre avec l'atmosphere ; ou au contraire de ménager ou de favoriser cette dissipation.

La machine (s'il est permis d'appeller ainsi avec Boerhaave la chose dont il s'agit), à l'aide de laquelle nous graduons le feu avec le plus grand avantage par ces divers moyens, & sur-tout par le dernier, est généralement connue sous le nom de fourneau. Voyez FOURNEAU.

C'est dans les diverses combinaisons de tous ces moyens, que consiste l'art du feu chimique, sur lesquels les préceptes écrits sont absolument insuffisans. Les véritables livres de cette science sont les laboratoires des Chimistes, les différentes usines où l'on travaille les mines, les métaux, les sels, les pierres, les terres, &c. par le moyen du feu ; les boutiques de tous les ouvriers qui exercent des arts chimiques, comme teinturier, émailleur, distillateur, &c. l'office & la cuisine peuvent fournir sur ce point plusieurs leçons utiles. On trouvera cependant dans les articles de ce Dictionnaire, où il est expressément traité des diverses opérations qui s'exécutent par le moyen du feu, les regles fondamentales propres à chacune. Voyez sur-tout CALCINATION, DISTILLATION, SUBLIMATION, FUSION, &c.

L'artiste, & sur-tout l'artiste peu expérimenté, qui traite par le secours du feu certaines matieres inflammables, singulierement rarescibles ou fulminantes, doit procéder avec beaucoup de circonspection ; ou même il ne doit entreprendre aucune opération sans s'être fait instruire auparavant de tous les dangers auxquels il peut s'exposer, & même exposer les assistans, en maniant certaines matieres.

Les substances inflammables réduites en vapeur, prennent feu avec une facilité singuliere ; ainsi on risque d'allumer ces vapeurs, si l'on approche imprudemment la flamme d'une bougie du petit trou d'un ballon, ou des jointures mal lutées d'un appareil de distillation, fournissant actuellement des produits huileux, comme dans la distillation à la violence du feu des substances végétales & animales ; dans celle du vin, des eaux spiritueuses.

Les plantes mucilagineuses & aqueuses, les corps doux proprement dits, peuvent, comme sujets à être singulierement gonflés par le feu, faire sauter en éclats les vaisseaux dans lesquels on les chauffe trop brusquement ; les précautions à prendre contre cet inconvénient, sont de traiter ces matieres dans des vaisseaux hauts, & qu'on laisse vuides aux trois quarts, & d'augmenter le feu insensiblement. Le résidu du mélange qui a fourni l'éther vitriolique lorsqu'il commence à s'épaissir, est singulierement sujet à cet accident. Voyez ÉTHER. L'air dégagé en abondance par le feu de certains corps, tels que les bois très-durs, les os des animaux, la pierre de la vessie, le tartre du vin, &c. feroit sauter avec un effort prodigieux des vaisseaux fermés exactement. L'unique moyen de prévenir cet inconvénient, c'est de ménager une issue à ce principe incoercible dans les appareils ordinaires.

Enfin, non-seulement les poudres explosives généralement connues, telles que la poudre à canon, la poudre fulminante & l'or fulminant, mais même plusieurs mélanges liquides, tels que celui de l'esprit-de-vin & de l'acide nitreux, le baume de soufre, &c. peuvent produire, lorsque leur action est excitée dans des vaisseaux fermés, la plûpart même en plein air, peuvent produire, dis-je, dans l'air qui les environne, une commotion dont les redoutables effets ne sont connus que par trop d'exemples. Voyez POUDRE A CANON, FULMINATION, ETHER NITREUX, SOUFRE : l'eau mise soudainement en expansion par un corps très-chaud qui l'entoure exactement, tel que l'huile bouillante ou le cuivre en fusion, lance avec force ces corps brûlans de toute part ; elle fait éclater avec plus de violence que l'air le plus condensé, un vaisseau exactement fermé, dans lequel on l'a fait boüillir. On trouvera un plus grand détail sur ces matieres dans les articles particuliers. Voyez sur-tout à l'article SOUFRE, l'histoire abregée de l'accident rapporté par Fr. Hoffman, Obs. Phys. Chimic. Select. lib. 3°. obs. 15. Au reste, on se rend si familieres par l'usage les précautions à prendre contre ces divers accidens, qu'on ne peut les ranger raisonnablement qu'avec les évenemens les plus fortuits, & dont on doit le moins s'allarmer. (b)

FEU CENTRAL & FEUX SOUTERRAINS. (Physiq.) Quelques physiciens avoient placé au centre de la terre un feu perpétuel, nommé central, à cause de sa situation prétendue ; ils le regardoient comme la cause efficiente des végétaux, des minéraux & des animaux. Etienne de Clave employe les premiers chapitres du XI. livre de ses traités philosophiques, à établir l'existence de ce feu. René Bary en parle au long dans sa physique, & s'en sert à expliquer entr'autre chose, la maniere dont l'hyver dépoüille les arbres de leur verdure. Comme la chaleur du soleil ne pénetre jamais plus de 10 piés en-avant dans terre, ils attribuoient à ce feu toutes les fermentations & productions qui sont hors de la portée de l'action de cet astre. Le feu central qu'ils appelloient le soleil de la terre, concouroit dans leur systême avec le soleil du ciel, à la formation des végétaux. M. Gassendi a chassé ce feu du poste qu'on lui avoit assigné, en faisant voir qu'on l'avoit placé sans raison dans un lieu où l'air & l'aliment lui manquoient ; & que tout ce qu'on pouvoit conclure des feux qui se manifestent par diverses éruptions & autres signes, c'est qu'il y a effectivement des feux soûterreins renfermés dans diverses cavernes, où des matieres grasses, sulphureuses & oléagineuses les entretiennent. L'existence de ces feux est incontestable. 1°. Ils se font sentir dans les bains chauds & dans les fontaines qui brûlent.

2°. Ils se manifestent par une foule de volcans, qui sont répandus dans toutes les parties du monde ; on trouve près de cinq cent de ces volcans ou montagnes brûlantes, dans les relations des voyageurs. Voyez VOLCANS.

3°. Ils sont attestés par le témoignage de ceux qui travaillent aux mines métalliques. Les mineurs assûrent que plus on creuse avant en terre, plus on éprouve une chaleur très-incommode, & qui s'augmente toûjours à mesure qu'on descend ; sur-tout au-dessous de 480 piés de profondeur. Les fourneaux soûterreins servent à fondre & purifier les métaux dans le sein des minieres, comme dans autant de creusets fabriqués par la terre. Ils distillent aussi dans les parties creuses de l'intérieur de la terre, comme dans autant d'alembics, les matieres minérales, afin d'élever vers la surface de la terre, des vapeurs chaudes & des esprits alumineux, sulphureux, salins, vitrioliques, nitreux, &c. pour communiquer des vertus medicinales aux plantes & aux eaux minérales. Quand l'air manque à ces feux renfermés, ils ouvrent le haut des montagnes, & déchirent les entrailles de la terre, qui en souffre une grande agitation. Voyez VOLCAN & TREMBLEMENT DE TERRE. Quelquefois quand le foyer est sous la mer, il en agite les eaux avec une violence qui fait remonter les fleuves, & qui cause des inondations. Voy. INONDATIONS. C'est à cette cause qu'on doit attribuer les tremblemens de terre & une partie des inondations qu'on a essuyés dans plusieurs endroits de l'Europe en 1755 ; année qui sera tristement fameuse dans l'histoire. Voyez LISBONNE, &c. Il paroît par les historiens, que l'année 1531 ou 1530, selon d'autres manieres de compter, fut aussi funeste à l'Europe & à Lisbonne en particulier ; que les tremblemens de terre & les inondations y furent considérables. Des feux soûterreins, il y en a qui s'allument par l'effervescence fortuite de quelques mélanges propres à exciter du feu ; mais il est probable que d'autres ont été placés de tous tems dans les entrailles de la terre ; pourquoi n'y auroit-il pas des réservoirs de feu comme il y a des réservoirs d'eau ? Lisez le mémoire sur la théorie de la terre, inséré à la fin des lettres philosophiques sur la formation des sels & des crystaux, &c. par M. Bourguet. Cet auteur prétend, " que le feu consume actuellement la terre ; que l'effet de ce feu va insensiblement en augmentant ; & qu'il continuera de même jusqu'à ce qu'il cause l'embrasement dont les anciens philosophes ont parlé, &c. " Cet article est tiré des papiers de M. FORMEY.

FEUX FOLLETS, (Ambulones) ce sont de petites flammes foibles, qui volent dans l'air à peu de distance de la terre, & qui paroissent aller çà & là à l'aventure. On en trouve ordinairement dans les lieux gras, marécageux, & dans ceux d'où l'on tire les tourbes. On en voit aussi dans les cimetieres, près des gibets & des fumiers ; ils paroissent sur-tout en été & au commencement de l'automne, & il s'en rencontre davantage dans les pays chauds que dans les pays froids. De-là vient qu'ils sont communs en Ethiopie & en Espagne, mais ils sont rares en Allemagne.

Ils paroissent suivre ceux qui les évitent, & fuir ceux qui les poursuivent. Voici pourquoi. Le moindre mouvement fait avancer ces petites flammes, de sorte que lorsqu'on vient à leur rencontre, on les chasse devant soi, à l'aide de l'air que l'on pousse en avant, ce qui donne lieu de croire qu'elles fuient ceux qui vont à leur rencontre. Lorsqu'on les a à-dos, on laisse comme un vuide derriere soi, de sorte que l'air qui se trouve derriere ce vuide, venant à s'y jetter dans l'instant & à le remplir, emporte en même tems ces petites flammes, qui paroissent suivre l'homme qui marche devant elles.

Lorsqu'on les saisit, on trouve que ce n'est autre chose qu'une matiere lumineuse, visqueuse & glaireuse, comme le frai de grenoüilles. Cette matiere n'est ni brûlante ni chaude. Il paroît que c'est une matiere comme le phosphore, laquelle doit son origine aux plantes pourries & aux cadavres, &c. comme elle vient à être ensuite élevée dans l'air par la chaleur du soleil, elle s'y épaissit & s'y condense par le froid qui survient le soir. Le soleil fait ici le même effet que le feu artificiel ; & la vapeur de l'eau ne produit dans l'air qu'une legere condensation. Tous les poissons pourris luisent la nuit, comme si c'étoit du feu, & on a aussi observé la même chose en été à l'égard de quelques cadavres. Le peuple de la campagne croit que ces petites flammes sont de malins esprits ou des ames damnées, qui vont roder par-tout, & qui étant mortes excommuniées, conservent toute leur malice. Il y a encore une autre espece de feu follet, appellé en latin ignis lambens. Ce n'est autre chose qu'une petite flamme ou lumiere, que l'on voit quelquefois sur la tête des enfans & sur les cheveux des hommes. On en remarque aussi de semblables sur la criniere des chevaux quand on la peigne. Ces petites flammes n'appartiennent point aux météores aériens, quoique les anciens philosophes les ayent mises dans cette classe. C'est une espece de phosphore produit par la nature du corps, & que l'on pourroit imiter. L'exhalaison onctueuse de la tête s'attache aux cheveux, & s'enflamme aussitôt qu'on les frotte ou qu'on les peigne. Les anciens regardoient comme un feu sacré les petites flammes qui paroissoient sur la tête des enfans, & en tiroient d'heureux présages. Voy. ce que Ciceron, Tite-Live, Florus, & Valere-Maxime disent de Servius Tullius encore enfant. Joignez-y le récit de Virgile dans l'Enéïde, livre II. v. 680, &c. Les étincelles qui sortent dans l'obscurité du dos des chats en le frottant à contre-poil, sont de même nature que l'ignis lambens. Article de M. FORMEY, qui l'a tiré de l'Essai de Physique de M. Musschenbroeck, tom. II. p. 855 & suiv.

Il est évident, par ce qui sera dit plus bas au mot FEU ELECTRIQUE, que la matiere des feux follets n'est autre chose que la matiere même de l'électricité.

FEU S. ELME. On appelle ainsi de petites flammes que l'on voit sur mer dans les tems d'orage aux pavillons, aux cordages, aux mâts, & à toutes les parties saillantes & supérieures du vaisseau. Ce feu qu'on a aussi nommé castor & pollux, n'est encore autre chose que le feu électrique. Voyez l'article suivant. On peut voir un plus long détail sur le feu S. Elme dans M. Mussch. Essai de Physique, §. 1684 & suivans. On y trouvera ses conjectures sur la cause de ce phénomene, & ce que les anciens en ont raconté. Plutarque, dit-il, rapporte dans la vie de Lysandre, que ces flammes se tenoient aux deux côtés de son vaisseau, & qu'on les vit aussi luire autour du gouvernail. Frésier remarque dans son voyage à la mer du Sud, qu'après une tempête de 23 heures, il parut la nuit une lumiere aux vergues du vaisseau, d'où elle s'élança comme une fleche jusqu'au milieu du hauban, d'où elle disparut en un clin-d'oeil.

La tradition des anciens au sujet de ces petites flammes, est fort fabuleuse. Ils disoient qu'une seule de ces petites flammes étoit un mauvais prognostic, & présageoit de l'orage ; au lieu que deux étoient un présage heureux, & un signe que le calme alloit succéder à la tempête. Pline dit en effet, que lorsqu'il vient une petite flamme ou étoile ; elle coule le navire à fond, & qu'elle y met le feu lorsqu'elle descend vers la quille du vaisseau.

Cardan rapporte, que lorsqu'on en voit une proche du mât du vaisseau, & qu'elle vient à tomber, elle fond les bassins de cuivre, & ne manque pas de faire périr le vaisseau. Mais si ce que dit cet auteur étoit vrai, on ne verroit presque jamais revenir aucun vaisseau des Indes, puisqu'il ne se fait guere de voyage, sans que les mariniers apperçoivent pendant la tempête ces petites flammes, qui tombent çà & là sur le vaisseau. Voyez Musschenbr. loco citato. Voyez aussi METEORE, &c. (O)

FEU ELECTRIQUE, phénomene de l'électricité. Nous appercevons le feu électrique, lorsque la matiere de l'électricité étant suffisamment rassemblée & dirigée d'une maniere convenable, éclate & brille à nos yeux, s'élance comme un éclair, embrase, fond, & consume les corps capables d'être consumés, & produit dans ces corps plusieurs effets du feu ordinaire.

On entend aussi par le feu électrique, ce fluide très-délié & très-actif, qui est répandu dans tous les corps, qui les pénetre, & les fait mouvoir suivant de certaines lois d'attraction & de répulsion, & qui opere en un mot tous les phénomenes de l'électricité. On a donné à ce fluide le nom de feu, à cause des propriétés qui lui sont communes avec le feu élémentaire, entr'autres celle de luire à nos yeux au moment qu'il s'élance avec impétuosité pour entrer ou sortir des différens corps, d'allumer les matieres inflammables, &c. Voyez FEU.

Nous devons donc considérer le feu électrique sous deux points de vûe différens : premierement comme phénomene de l'électricité ; nous examinerons sa production, sa force, sa propagation, &c. Ensuite nous les considérerons comme cause des effets de l'électricité, & nous rapporterons les sentimens des principaux physiciens, sur sa nature & sur la maniere dont il produit les phénomenes électriques.

Otto Guericke & Boyle ont remarqué qu'en frottant vivement de certains corps électriques, ils répandoient une lumiere plus ou moins vive dans l'obscurité, que quelques-uns, comme les diamans, conservoient pendant un tems assez considérable. On trouve dans le recueil des expériences d'Hauksbée, une suite d'observations très-curieuses sur la lumiere que répandent plusieurs corps frottés contre différentes matieres, tant en plein air que dans le vuide de la machine pneumatique : mais alors les Physiciens regardoient cette lumiere plûtôt comme un phosphore, que comme le fluide électrique rendu sensible à nos yeux par l'effet du frottement.

Ce fut à l'occasion de la douleur que ressentit M. Dufay, en tirant par hasard une étincelle de la jambe d'une personne suspendue sur des cordons de soie, qu'il pensa que la matiere électrique étoit un véritable feu, capable de brûler aussi bien que le feu ordinaire ; & que la piquûre douloureuse qu'il avoit ressentie, étoit une vraie brûlure. Enfin plusieurs savans d'Allemagne ayant répété les expériences de M. Dusay, & poursuivi ses recherches, M. Ludolf vint à bout d'enflammer l'esprit-de-vin par une étincelle électrique qu'il tira du pommeau d'une épée, & confirma par cette belle expérience, la vérité de ce qu'avoit avancé M. Dufay, sur la ressemblance du feu & de la matiere électrique.

On sait aujourd'hui que tous les corps susceptibles d'électricité, c'est-à-dire presque tous les corps de la nature, font appercevoir le feu électrique d'une maniere plus ou moins sensible, dès qu'on les électrise à un certain degré. Dans les corps naturellement électriques, on ne manque guere de produire ce feu en les frottant un peu vivement, après les avoir bien dépouillés de toute leur humidité : la lumiere qu'ils répandent est plus ou moins vive, suivant la nature de ces corps ; celle du diamant, des pierres précieuses, du verre, &c. est plus blanche, plus vive, & a bien plus d'éclat que celle qui sort de l'ambre, du soufre, de la cire d'Espagne, des matieres résineuses, ou de la soie. Les uns & les autres brillent encore davantage, lorsqu'ils sont frottés avec des substances peu électriques, comme du papier doré, la main, un morceau d'étoffe de laine, que lorsqu'on employe une étoffe de soie, la peau d'un animal garnie de poil, ou même du cuir : mais quelles que soient les matieres que l'on employe pour frotter les corps électriques, ils ne rendent presque point de lumiere, si les corps avec lesquels on les frotte n'ont quelque communication avec la terre, soit immédiatement, soit par une suite de corps non électriques. Par exemple, si une personne étant sur le plancher frotte vivement un tube de verre, elle en verra bien-tôt sortir des éclats de lumiere : mais si cette personne fait la même opération étant montée sur un pain de résine, avec quelque vivacité qu'elle frotte le tube, la lumiere s'affoiblit, s'éteint, & ne reparoît que lorsque la personne se remet sur le plancher, ou lorsqu'on approche d'elle quelque corps non électrique qui communique avec la terre.

Cette lumiere est plus abondante & a encore plus d'éclat, lorsque les frottemens se font dans le vuide, ou sur quelque vaisseau dont on a épuisé l'air intérieur par la machine pneumatique ; on peut dire en général, que le feu électrique se manifeste bien plus aisément dans un espace vuide, ou presque vuide, que dans celui qui est rempli d'air : en voici les preuves.

Lorsqu'on frotte contre un coussin un globe plein d'air, l'un & l'autre renfermés sous le récipient de la machine pneumatique ; ce globe, après qu'on a épuisé l'air intermédiaire, répand continuellement & tant que dure le frottement, une lumiere très-vive & très-abondante : cette lumiere s'affoiblit à mesure qu'on laisse rentrer l'air, quoique l'on continue de frotter le globe avec la même force. Il en est de même d'un globe vuide d'air que l'on frotte dans l'air libre ; le plus leger frottement excite dans son intérieur beaucoup de lumiere, dont l'éclat diminue graduellement à mesure que l'on introduit de l'air dans le globe. C'est une observation assez générale, que la lumiere que l'on excite dans un vaisseau épuisé d'air, paroît toûjours plus dans son intérieur, & y prend sa direction de tous les points de la surface : elle ne s'attache pas aux doigts, lorsqu'on les approche à une petite distance, comme dans le cas ordinaire ; elle s'anime seulement & devient plus vive à l'approche du doigt, même quelque tems après qu'on a cessé de frotter. Cependant tous les traits de lumiere tendent toûjours vers l'intérieur du globe.

Le feu électrique se répand avec tant de facilité au-travers d'un espace vuide d'air, qu'on l'excite sur le champ dans un récipient, ou dans tout autre vaisseau bien vuidé, par la simple approche du tube ou de tout autre corps électrisé ; & on a observé que cette lumiere étoit encore plus vive, lorsque les vaisseaux vuides d'air tournoient sur leur axe, ou étoient agités d'un mouvement quelconque. Lorsque les deux corps sont en repos, la lumiere s'éteint par degrés ; mais si on touche le corps frotté avant qu'il ait entierement perdu son électricité, la lumiere se ranime aussi-tôt dans celui qui est vuide d'air.

C'est sans-doute à cette facilité qu'a le feu électrique de se manifester dans un espace vuide d'air, qu'on doit rapporter la lumiere qu'on apperçoit au-haut du barometre, en électrisant cette partie du tuyau par le balancement du mercure ; celle d'une bouteille mince & bien purgée d'air, qui contient quelques onces de mercure bien sec, & que l'on secoue dans l'obscurité ; enfin celle d'une semblable bouteille bien seche & purgée d'air, que l'on frappe simplement à l'extérieur avec le plat de la main.

Mais de toutes ces expériences faites dans le vuide, il n'y en a pas de plus curieuse que celle que fit M. Hauksbée, avec un globe de verre de 6 pouces de diametre, enduit intérieurement vers son équateur d'une large bande de cire à cacheter fondue : ce globe ayant été bien exactement vuidé d'air, & appliqué à la machine de rotation, fit voir le phantôme lumineux de la main avec laquelle on le frottoit, peint très-distinctement dans la partie concave du globe, malgré le défaut de transparence de la bande de cire d'Espagne. Ce phénomene fut vû par les endroits des poles que l'on avoit conservés transparens.

Le feu qui sort des animaux, des métaux, & autres corps électrisés par communication, est beaucoup plus vif, plus impétueux, & mieux rassemblé que celui qui sort immédiatement d'un vase de verre, d'un morceau d'ambre, ou d'un canon de soufre. Par exemple, on tirera d'une barre de fer posée sur des cordons de soie, & électrisée par le moyen d'un tube, une étincelle plus brillante & qui éclatera avec beaucoup plus de bruit que celle que l'on tireroit immédiatement de ce tube ; & plus on augmentera le volume & l'étendue de ces corps électrisés par communication, en joignant à cette barre de larges surfaces métalliques isolées comme elle, plus l'étincelle que l'on en tirera en approchant le tube électrisé au même degré, sera vive & pétillera avec force.

En général ce feu est d'autant plus brillant, que l'explosion se fait avec plus d'impétuosité ; & l'explosion est d'autant plus grande, qu'il s'échappe une plus grande quantité de matiere électrique, accumulée précédemment sur un corps : c'est pourquoi si à des tuyaux de fer-blanc, d'une très-grande longueur & d'un très-grand diametre, on applique l'électricité d'un ou de plusieurs globes de verre bien frottés, on aura les étincelles les plus vives, qui semblables à de véritables éclairs, s'élanceront d'une très-grande distance avec bruit vers le doigt, & qui occasionneront une vive douleur.

Lorsqu'un corps métallique, ou autre de même nature, a acquis par communication une atmosphere d'une certaine densité, la matiere électrique que l'on continue de lui appliquer, s'en échappe à la fin & répand de la lumiere ; quelquefois elle sort en forme d'étincelles, semblables à celles que l'on excite avec le doigt ; sur-tout si le conducteur n'a que des angles obtus, & qu'il ne soit pas fort éloigné de quelque corps non électrique : mais plus communément le feu s'échappe par les angles & par les pointes du conducteur, sous la forme d'une aigrette ou pinceau lumineux dont la pointe est un corps électrisé, & les rayons vont en divergeant à mesure qu'ils s'éloignent. Ces rayons sont d'autant plus divergens, que la vertu électrique est plus forte dans le conducteur : leur sortie est accompagnée d'un souffle & d'un murmure qui expriment l'effet avec lequel ils écartent les parties de l'air. Les matieres qu'on plonge dans ces rayons, retiennent une odeur sulphureuse, & les roses rouges qu'on y expose pendant quelque tems y pâlissent.

En présentant le doigt, ou tout autre corps non électrique un peu pointu, à l'aigrette qui sort d'un conducteur électrisé, on en voit paroître une autre, mais dans un sens opposé, à l'extrémité de ces corps qui regarde le conducteur. La distance à laquelle cette nouvelle aigrette paroît, varie non-seulement suivant la densité de l'atmosphere du conducteur, mais encore suivant sa forme & celle du corps que l'on présente ; plus le conducteur est vaste & moins il a d'angles, plus cette distance est considérable ; plus le corps que l'on approche est mince, tranchant, ou pointu, plus cette distance est encore grande. A mesure que l'on approche le doigt du conducteur, ou quelque métal terminé en pointe, les aigrettes deviennent de part & d'autre plus fortes & plus brillantes ; elles se condensent bien-tôt quand la distance est peu considérable, & elles forment enfin ce trait de feu si vif, si subit, & si impétueux, qui caractérise si bien les éclairs : la personne qui présente son doigt ressent à chaque étincelle une vive douleur, & l'endroit où se fait l'explosion est marqué par une piquûre, accompagnée d'une échymose, comme seroit l'effet d'une legere brûlure.

C'est avec un pareil trait de lumiere, que l'on enflamme de l'esprit-de-vin un peu tiede, en le présentant, dans une cuillere de métal, à quelque angle émoussé du conducteur électrisé : on a allumé par le même moyen de la poudre à canon, & d'autres matieres combustibles.

Mais le feu électrique dont nous avons parlé jusqu'à présent, n'est qu'une bluette en comparaison de celui qu'on peut exciter, en faisant l'expérience de Leyde : on a substitué à la bouteille dont on se servoit pour cette expérience, un large carreau de verre étamé des deux côtés, à la reserve d'une bande large d'environ deux pouces, qu'on a conservé tout-autour sans étain. On place ce carreau sur un guéridon de métal, ensorte que la lame d'étain inférieur ait une communication libre avec la terre ; on fait communiquer, par le moyen d'une chaîne, la lame supérieure avec le conducteur qui reçoit l'électricité du globe : tout étant dans cet état, & le globe vigoureusement frotté, le carreau s'électrise, comme la bouteille dans l'expérience de Leyde ; & si avec un gros fil-de-fer courbé, émoussé par les bouts, & emmanché à l'extrémité d'une canne de verre, on ouvre une communication entre les deux surfaces étamées, il en sort un éclair terrible dont les yeux ne sauroient soûtenir l'éclat, & dont le bruit se fait entendre de fort loin. Cette étincelle perce une main entiere de papier que l'on pose sur la lame d'étain supérieure, & dont on approche le fil-de-fer courbé ; elle fond une feuille d'or serrée entre deux plaques de verre, & arrangée de maniere que l'étincelle de l'explosion passe au-travers, en faisant le circuit qui communique d'une lame à l'autre : la fusion est si complete , que le métal se trouve incorporé au verre à tel point, qu'il élude l'action des plus puissans menstrues.

Cette étincelle ressemble si fort par ses effets aux éclairs & aux tonnerres, que plusieurs physiciens n'ont pas fait difficulté d'assûrer qu'un éclat de tonnerre n'étoit autre chose qu'une très-violente étincelle électrique. Nous examinerons plus particulierement cette analogie aux articles METEORES & TONNERRE. Nous ne pouvons cependant pas nous dispenser d'avancer ici, que les nuages orageux qui passent assez près de la terre, électrisent si fort nos barres de fer isolées sur des gâteaux de cire, qu'elles rendent des étincelles beaucoup plus fortes que celles que nous pouvons produire par nos machines : que c'est cette matiere électrique des nuages qui occasionne le feu S. Elme, les trombes de mer, & quantité d'autres phénomenes, dont les causes étoient ignorées avant qu'on eût connoissance de l'électricité des nuages. Voyez ELECTRICITE.

FEU ELECTRIQUE, FLUIDE ELECTRIQUE, ou MATIERE ELECTRIQUE ; on entend sous ces différentes dénominations, ce fluide très-subtil, très-mobile, qui se trouve répandu dans tous les corps, qui pénetre avec la plus grande facilité la plûpart des milieux ; enfin qui cause immédiatement tous les phénomenes de l'électricité, comme l'attraction & la répulsion des corps legers, l'explosion de l'étincelle, les émanations lumineuses, &c.

Les Physiciens sont partagés sur la nature du fluide électrique : les uns considérant ses propriétés singulieres & différentes de celles de tous les autres fluides connus, le distinguent absolument des autres, & en font une espece particuliere ; ainsi que les propriétés de l'aimant, qui paroissent bornées à cette pierre & aux corps aimantés, on fait donner le nom de magnétique au fluide subtil qui les produit : d'autres trouvent dans le feu électrique beaucoup de propriétés du feu élémentaire, dont la présence échauffe, agite, & raréfie les corps, qui les pénetre tous par sa grande subtilité, dans lesquels il éprouve cependant différens degrés de résistance ; qui se fixe & se concentre dans quelques-uns, d'où il ne cesse de lancer pendant quelque tems des émanations lumineuses : d'autres enfin veulent que le feu électrique soit l'éther des anciens ; cet argent universel, que les philosophes grecs regardoient comme l'instrument de toutes les opérations de la nature, & dont le mouvement variable à l'infini leur paroissoit agiter tout le reste de la matiere. Ces derniers commencent donc par établir l'existence d'un fluide subtil & répandu partout, qui reçoit le mouvement immédiatement des mains de Dieu, & le communique à tous les corps solides & fluides, suivant des lois que sa Sagesse infinie a établies pour entretenir l'ordre dans l'Univers ; & ils rapportent à la diversité de ces lois, la variété des opérations de la nature. Ainsi les effets de gravité, de ressort, de dureté, de chaleur, de magnétisme, & d'électricité, leur paroissent produits par les mouvemens de cet éther, dirigés par le Créateur suivant de certaines lois, qui suffisent pour différencier tous ces effets d'une même cause. Voyez ETHER, &c.

Il est vrai qu'il n'est pas facile de comprendre au premier abord, comment les mouvemens de l'éther peuvent être assez variés dans un même corps, par exemple dans une barre d'acier, pour produire à la fois & sans le moindre trouble, les effets de gravité, de ressort, de magnétisme, & d'électricité. Car pour nous borner seulement aux effets de chaleur & d'électricité, il est incontestable qu'ils existent souvent ensemble dans les mêmes corps, & qu'ils y sont susceptibles d'accroissement & de diminution indépendamment l'un de l'autre.

On sait, par exemple, qu'une barre de fer peut être échauffée jusqu'au blanc dans une de ses parties, ou refroidie par le plus grand froid, agitée, dilatée, ou condensée aux plus grands degrés auxquels nous puissions parvenir, sans que tous ces différens effets apportent de changement sensible à son état d'électricité ; & réciproquement un corps rempli de matiere électrique, attire & repousse de très-loin les corps legers, contracte une atmosphere très-sensible, étincelle même de toute part, sans qu'il en paroisse plus échauffé, ni le moindrement augmenté de volume. Or on peut demander comment l'éther appliqué en si grande abondance à des corps très-échauffés ou très-électrisés, ne produit-il pas quelque chaleur, quelque dilatation sensible dans ceux-ci, ou quelques effets d'attraction & de répulsion dans ceux-là ? comment le milieu de cette barre, entouré ou pénétré de l'éther igné, n'arrête-t-il pas, n'absorbe-t-il pas, ne dissipe, ne raréfie-t-il pas l'éther électrique que l'on a communiqué à la barre ? enfin comment la matiere électrique, loin de se confondre avec l'atmosphere du fer embrasé, la pénetre-t-elle, s'étend-elle, se conserve-t-elle dans une densité uniforme, aussi bien sur la partie la plus échauffée de la barre, que sur celles qui sont demeurées froides ?

Il faut avoüer que ces différens mouvemens d'un même fluide qui s'exécutent à-la-fois dans un corps, ne se présentent pas bien clairement à l'esprit ; cependant ce systême est encore plus simple : car si on faisoit dépendre ces mêmes effets de chaleur & d'électricité, de deux différens fluides qui exerçassent en même tems & sans confusion chacun leurs mouvemens particuliers, il est clair que cette explication ne seroit pas plus heureuse, & deviendroit sujette à des difficultés d'autant plus grandes, qu'on auroit à rendre raison d'un plus grand nombre d'effets, comme dans l'exemple d'une barre d'acier, dans laquelle on considéreroit les effets de pesanteur, de ressort, de dureté, d'électricité, de magnétisme, de chaleur, &c.

On peut citer en faveur de ceux qui n'admettent que l'éther pour cause de le plûpart des phénomenes, des exemples de plusieurs effets différens qui sont produits par des mouvemens variés d'un même fluide. Par exemple, le vent & le son sont deux effets très-différens, qui dépendent certainement de deux mouvemens bien distincts excités dans l'air ; & l'on est très-assûré que ces deux sortes de mouvemens peuvent exister ensemble ou séparément dans ce fluide, sans que la violence de l'un puisse jamais nuire à l'uniformité de l'autre.

Le feu différemment modifié dans un même corps, produit les effets de chaleur, de dilatation, de coruscation. La lumiere du soleil réfléchie par un miroir concave, échauffe des particules de sable exposées au foyer, & les dissipe par une répulsion semblable à celle qu'elles éprouveroient, si elles étoient placées sur l'extrémité d'une barre de fer électrisée. Or, pour nous rapprocher de notre objet, le fluide électrique produit, quand nous voulons, des effets d'attraction, des étincelles & du magnétisme. En effet, l'explosion d'une violente étincelle électrique altere quelquefois la boussole ou aimante de petites aiguilles, suivant la direction que l'on donne à cette étincelle : or il y a long-tems que l'on a observé qu'un éclat de tonnerre (qui n'est qu'une grosse étincelle électrique) est capable d'aimanter toute sorte d'outils de fer & d'acier enfermés dans des caisses ; de donner aux clous d'un vaisseau assez de vertu magnétique pour faire varier d'assez loin les boussoles ; en un mot, de changer en véritables aimans les croix de fer des anciens clochers, qui ont été plusieurs fois exposés aux vives impressions de ce terrible fluide. Voyez MAGNETIQUE, où nous détaillerons plus amplement ces effets.

Ces exemples, & plusieurs autres qu'il seroit facile de rapporter, prouvent qu'il n'est pas impossible qu'un fluide dont les parties sont agitées par différentes sortes de mouvemens, ne puisse produire des effets qui nous paroissent si peu tenir ensemble, que nous sommes portés à les attribuer à des causes absolument différentes ; que si nous découvrions les lois suivant lesquelles le Créateur a réglé ces sortes de mouvemens, nous serions en état d'expliquer beaucoup de phénomenes qui nous paroissent incompréhensibles. C'est à la recherche que d'habiles physiciens ont faite de ces lois, que nous devons les explications les plus satisfaisantes que nous ayons des phénomenes de l'électricité ; & l'on peut dire que si ces explications ne sont pas entierement conformes à la nature ; ou nous paroissent insuffisantes pour expliquer certains phénomenes ; elles n'ont pas moins servi à étendre infiniment nos connoissances sur cette matiere.

M. Wilson a fait une heureuse application des propriétés de l'éther, découvertes par M. Newton, pour expliquer les phénomenes de l'électricité, par la conformité qu'il trouve entre les propriétés connues de ce fluide & celles du fluide électrique, qu'il a déduites d'une infinité d'expériences. Il ne doute pas que le fluide électrique ne soit le même que celui qui cause la réfraction & la réflexion de la lumiere, la gravitation & toutes les grandes opérations de la nature. Nous allons exposer d'abord les propriétés générales du fluide électrique établies sur des expériences, & nous verrons ensuite quel usage il fait de l'éther pour rendre raison de tous ces phénomenes.

Lorsqu'on fait tourner rapidement par le moyen d'une roue, & que l'on frotte un globe de verre dans le voisinage duquel est une barre de fer suspendue par des cordons de soie, on excite aussitôt le fluide électrique ; & on peut reconnoître sa présence par une étincelle qui sort de cette barre quand on en approche le doigt, par le bruit qu'elle fait entendre, & par la douleur qu'elle fait ressentir au bout du doigt ; enfin par les mouvemens d'attraction & de répulsion qu'on apperçoit dans tous les corps legers qui sont proche de la barre ou du globe.

Comme aucun de ces effets n'arriveroit si on n'avoit pas frotté le globe, il est naturel de conclure que le frottement est nécessaire pour exciter le fluide électrique, & nous faire appercevoir ses effets.

Quand la barre est ainsi électrisée, si on y porte le doigt, un morceau de métal, ou tout autre corps non-électrique, on tire par l'explosion de l'étincelle presque tout le fluide dont elle a été chargée ; car on ne sauroit réitérer cette expérience sans frotter de nouveau le globe : au lieu qu'en touchant à la barre avec du verre, de l'ambre, de la cire d'Espagne, de la résine ou de la soie, il ne se fait aucune explosion, qui cependant arrive ensuite, dès qu'on y porte le doigt.

De même une ou plusieurs personnes étant montées sur des gâteaux de résine, & communiquant avec des métaux d'une grande étendue en surface, suspendus par des cordons de soie ; si une de ces personnes touche & tient la barre dans sa main, tous ces corps recevront, comme la barre, le fluide électrique qu'élance le globe, & acquerront autour d'eux une atmosphere d'une densité uniforme ; elles attireront d'une égale distance des corps legers, & on pourra tirer des étincelles également fortes de tous les points de leur surface. Si les gâteaux de résine sont très-minces, les effets seront moins sensibles ; & il n'en arrivera aucun, s'il n'y a pas quelque corps naturellement électrique entre leurs piés & le plancher : d'où il est naturel de conclure que la matiere qui s'étend si uniformément sur tous ces corps, est vraiment fluide ; qu'elle passe bien plus difficilement au-travers du verre, de la résine & de la soie, quand ces corps ont une certaine épaisseur, que quand ils sont très-minces : mais que ce fluide passe avec la plus grande facilité dans les métaux, dans les animaux, &c. & que par leur moyen il se répand dans la terre, à moins qu'il ne soit arrêté par quelque corps naturellement électrique.

Quand tout l'appareil, ainsi que l'homme qui tourne la roue, sont placés sur des gâteaux de résine, ou bien quand on met une plaque de verre bien épaisse entre le coussin & la table, les effets d'électricité sont presqu'insensibles, quoique l'on continue de tourner le globe & de le frotter vivement ; au contraire ils ont lieu quand l'homme qui tourne pose seulement le bout du pié par terre : d'où l'on conclut facilement que le fluide électrique n'est pas produit par la machine ni par le globe, mais qu'il est pompé de la terre, & répandu dans la barre par le moyen de ces instrumens.

L'expérience a fait connoître qu'il se trouve naturellement dans tous les corps une quantité déterminée de fluide électrique, laquelle nous sommes les maîtres d'augmenter ou de diminuer à volonté. Ce n'est même que lorsque nous avons augmenté ou diminué dans un corps sa quantité naturelle de fluide électrique, que nous le jugeons électrisé ; & sans ces changemens, il n'attire ni ne repousse point les corps legers. On a une preuve de cette accumulation dans l'écartement qui arrive entre deux fils d'argent égaux, & suspendus à une barre de fer électrisée. Si le fluide que ces fils reçoivent de la barre, en sortoit à mesure qu'il y est apporté, ils devroient rester immobiles & ne jamais s'écarter ; & si ce fluide entre dans ces fils plus facilement qu'il n'en sort, il doit s'y accumuler : or on observe que ces fils s'écartent dès qu'ils ont reçû le fluide électrique ; & que cet écartement est plus ou moins considérable, suivant que le fluide est plus ou moins condensé dans la barre, & par conséquent dans les fils : ensorte que cet écartement peut assez bien nous représenter la densité du fluide électrique dans la barre & dans les corps qui lui communiquent. Car il faut remarquer que les effets d'attraction & de répulsion dépendent plus de la densité du fluide électrique, que de la quantité de ce même fluide : en voici la preuve. Soient deux globes de métal A & B, dont A ait trois piés de diametre, & B seulement trois pouces ; qu'ils soient posés chacun sur un gâteau de cire d'une épaisseur suffisante, & qu'ils reçoivent en même tems l'électricité d'une barre de fer suspendue par des soies, & que l'on puisse hausser ou baisser par le moyen des poulies ; la barre étant posée sur les globes, & ayant été électrisée, ces deux globes & la barre attireront les corps legers à-peu-près d'une égale distance. Enlevez promtement la barre, cette égalité de force attractive paroîtra encore en cet instant dans les deux globes, qui n'ont plus maintenant de communication ; mais peu-à-peu elle s'affoiblit dans le globe de trois pouces, tandis qu'elle reste long-tems sensible dans celui de trois piés : or au moment que la barre est enlevée, le fluide électrique se trouve d'une égale densité dans les deux globes, aussi opere-t-il des effets égaux ; cependant les quantités de matiere électrique répandues dans ces deux corps, sont bien inégales.

Quand on électrise le globe de métal de trois piés de diametre, suspendu à des cordons de soie, on éprouve que plus on introduit de fluide électrique dans ce corps, plus il résiste à en recevoir une nouvelle quantité, plus il s'échappe de ce corps avec impétuosité, lorsqu'on en approche le doigt ou tout autre corps non-électrique ; au lieu que cette quantité surabondante sort & se dissipe dans l'air d'une maniere insensible, & dans un espace de tems assez long, lorsque ce corps reste parfaitement isolé.

Le même globe étant électrisé & amené en contact avec un autre de même nature, de telle grandeur qu'on voudra, & qui ne soit point électrisé, partagera avec celui-ci le fluide électrique qu'il contient, de maniere qu'il se trouve d'une égale densité dans l'un & dans l'autre ; ensorte que si ce nouveau corps est infiniment grand par rapport au premier, les effets d'électricité seront presqu'insensibles dans tous les deux : c'est le cas des corps électrisés qu'on fait communiquer avec la terre.

Lorsqu'on électrise un fil-de-fer très-long, supporté par des cordons de soie, le fluide électrique s'élance d'une extrémité à l'autre avec une vîtesse si grande, qu'elle n'a point encore de mesure. En touchant à ce fil-de-fer avec le doigt aussi-tôt qu'il vient d'être électrisé, on retire avec la même vîtesse le fluide électrique accumulé dans toute son étendue ; & plus le fil-de-fer est long, plus l'explosion qui accompagne l'étincelle paroît forte.

A tous ces caracteres on ne sauroit douter que le fluide de l'électricité ne soit très-élastique ; & si sa prodigieuse propagation le long d'un fil-de-fer, est, comme il est vraisemblable, un effet de son ressort, on peut dire que ce fluide est le plus élastique que nous connoissions. C'est une suite nécessaire de l'élasticité de ce fluide, qu'il puisse se raréfier dans les corps, ainsi qu'il y est quelquefois condensé. On parvient en effet à le raréfier, soit qu'il ait été condensé précédemment dans un corps, soit qu'il n'y ait que sa densité ordinaire ; mais en quelqu'état qu'il se trouve de raréfaction ou de condensation par rapport à son état ordinaire, ses effets d'attraction & de répulsion sont sensiblement les mêmes. Dans le dernier cas, les corps legers gagnent & partagent avec le corps électrisé, le fluide condensé dans celui-ci ; dans le premier, ils perdent & partagent avec ce même corps, la petite portion du fluide qu'ils contiennent naturellement.

Si la machine & l'homme qui tourne la roue sont posés sur de bons gâteaux de résine, & qu'on établisse au bout du conducteur une communication avec la terre par le moyen d'une chaîne ; après quelques tours de roue, l'homme & la machine attireront des corps legers, & donneront des étincelles, lorsqu'une autre personne posée sur le plancher en approchera le doigt. Dans ce cas le fluide naturellement répandu dans l'homme & dans la machine, est pompé par le globe, transmis à la barre, & dissipé dans la terre par le moyen de la chaîne ; car si on approche de l'homme ou de la machine un vaste conducteur de métal bien électrisé par un autre globe, & suspendu par des soies, l'homme qui tourne la roue en tirera une étincelle très-vive, & dissipera presque tout-à-fait la vertu électrique de ce conducteur, sans paroître après cela davantage électrique ; effet qui ne devroit pas arriver, si ce fluide étoit condensé dans cet homme, comme il l'est sur le conducteur.

L'homme qui tourne restant toûjours sur des gâteaux de résine, & ayant ôté la chaine qui pendoit de l'extrémité de la barre jusqu'à terre ; après quelques tours de roue, la machine, l'homme & la barre paroissent électriques, & une personne posée sur le plancher en peut tirer des étincelles ; mais bientôt elle cessera d'en tirer de la barre, quelque long-tems qu'on tourne la roue : alors si l'homme qui tourne touche d'une main le grand conducteur métallique, qui dans ce cas ne doit point être électrisé, on pourra encore tirer de la barre quelques legeres étincelles, mais qui s'affoibliront & s'évanouiront bientôt. Enfin si on attache la chaîne à ce large conducteur, pour qu'il puisse communiquer avec la terre, & que l'homme qui tourne ne cesse d'y avoir la main, on tirera sans fin des étincelles de la barre, la barre fournissant continuellement à ce que le globe pompe de la machine, de l'homme & du conducteur, & qu'il transmet à la barre. Dans ce dernier cas, lorsque la machine, l'homme qui tourne, & la barre, sont parfaitement isolés, & paroissent électriques à une personne posée sur le plancher, quoique l'effet soit le même, la condition du fluide électrique est cependant bien différente ; car il est raréfié dans l'homme qui tourne, ainsi que dans la machine, & la personne leur rend ce qu'ils ont perdu, & qui a été transmis à la barre : au lieu que dans celle-ci le fluide électrique est condensé aux dépens de celui de l'homme & de la machine, & cette quantité surabondante passe dans la personne qui en approche le doigt. Il est très-facile de s'assûrer de cette vérité, si la personne, au lieu de toucher à ces corps avec son doigt, tient à sa main une canne de verre à laquelle soit fixé un fil-de-fer en demi-cercle, & forme avec ce fil-de-fer une communication entre la barre & la machine ; car après une explosion assez forte, le fluide accumulé dans la barre repassera dans la machine & dans l'homme d'où il est sorti ; & chacun ayant repris sa quantité naturelle de fluide électrique, tout paroîtra comme s'il fût toûjours demeuré dans un parfait repos, sans donner davantage de signes d'électricité.

Il y a dans tous les corps un terme au-delà duquel on ne sauroit accumuler ni raréfier le fluide électrique : après un certain nombre de tours de roue, les corps sont attirés par la machine ou par la barre d'une certaine distance qui n'augmente point, quelque long-tems que l'on continue de tourner. Ce terme dépend non-seulement de la nature des corps dans lesquels on accumule ou on raréfie ce fluide, mais principalement de leur figure ; car ayant remis la machine & l'homme qui tourne, sur le plancher, si on attache un poinçon bien aigu à chaque extrémité de la barre, de maniere que ces pointes débordent d'un pouce ou deux, dès qu'on aura frotté le globe, le fluide électrique sortira sous la forme d'une aigrette lumineuse par chacun de ces poinçons, & la barre sera très-peu électrique, comme on pourra s'en assûrer en présentant une balle de liége suspendue à un fil.

Si on répete l'expérience en ne mettant qu'un seul poinçon, l'autre extrémité de la barre étant bien arrondie, l'aigrette paroîtra seulement au poinçon, & l'électricité de la barre sera plus forte. Enfin si la barre est arrondie par les deux extrémités, il ne paroîtra aucune aigrette : l'électricité sera la plus forte, & continuera d'attirer la balle de liége, même assez long-tems après qu'on aura cessé de frotter le globe ; mais elle ne deviendra jamais plus forte, quelque tems qu'on employe à frotter le globe & à tourner la roue.

Il paroît donc par ces expériences, que les pointes résistent moins que les surfaces arrondies à la sortie du fluide électrique ; & que dans les différentes circonstances de ces expériences, la barre n'a jamais pû recevoir ni garder qu'une quantité déterminée de ce fluide, après un certain nombre de tours de roue : d'où l'on voit que les quantités de fluide électrique qui peuvent s'accumuler sur les corps électriques, sont extrèmement variables à proportion de la figure & des angles.

Cette accumulation du fluide électrique dans la barre, varie encore infiniment, suivant qu'on en approche de plus ou moins près une aiguille bien pointue ; ensorte que cette aiguille présentée à une petite distance, enleve presque tout le fluide que la barre reçoit du globe, & le transmettant aussi promtement à la terre, empêche qu'il ne s'accumule. Entre deux corps pointus que l'on approche de la barre à une égale distance, celui qui est le plus aigu enleve davantage de matiere électrique ; & si ce corps est émoussé au point d'être terminé par une large surface bien arrondie, on pourra l'approcher de très-près, sans que la barre paroisse perdre sensiblement de son électricité.

Tout ceci prouve que le fluide électrique éprouve moins de résistance, tant à entrer qu'à sortir, dans des corps terminés en pointe, que dans ceux dont les angles sont émoussés, & qui présentent de larges surfaces, par conséquent que l'accumulation du fluide électrique est, dans ces circonstances, en raison directe de la résistance que ce fluide éprouve à s'échapper des corps dans lesquels on l'accumule. Dans d'autres circonstances l'accumulation du fluide électrique se fait en raison réciproque de la résistance qu'il trouve à sortir du corps dans lequel on l'introduit, comme on va le voir par les expériences suivantes.

Quand on suspend à la barre la bouteille de Leyde par le moyen de son crochet, quelque tems qu'on tourne la roue, il ne s'accumule presque pas de fluide électrique dans l'intérieur de cette bouteille, tant qu'elle reste ainsi isolée ; au lieu que si on la tient à la main tandis qu'elle pend à la barre par son crochet, elle se charge intérieurement de beaucoup de fluide électrique : or ce fluide éprouve moins de résistance pour s'échapper de la bouteille lorsqu'une personne la tient dans sa main, que lorsqu'elle est suspendue à la barre, ou posée sur un gâteau de cire ; car quand elle est électrisée par la barre lorsqu'elle est absolument isolée, elle prend au premier tour de roue toute la quantité de fluide qu'elle peut retenir, & sa surface extérieure attire les corps legers, mais bien plus foiblement que ne fait la barre ; & cette différence d'attraction ne change point, pour quelque tems qu'on tourne la roue : d'où il paroît que la matiere électrique sort plus librement de la bouteille que de la barre, & par conséquent que la résistance est moins grande à l'extérieur de la bouteille qu'à la surface de la barre.

Si on présente à la bouteille suspendue à la barre, une aiguille bien pointue à la distance d'un pié, la bouteille deviendra plus électrique que la barre ; mais elle le sera encore moins que lorsqu'on la tient dans la main : en approchant l'aiguille de plus près, elle le deviendra davantage ; enfin en la touchant avec la pointe de l'aiguille, elle devient peu-à-peu aussi électrique que lorsqu'on la tient dans la main : d'où il paroît qu'il entre plus de matiere électrique dans la bouteille, qu'il n'en sort dans un tems donné ; & que les trois différens degrés de condensation du fluide électrique répondent aux trois différens degrés de résistance que ce fluide éprouve à sortir de la bouteille, mais que la moindre résistance produit la plus grande condensation.

La même chose arrive dans des corps émoussés, ou terminés par de larges surfaces arrondies, avec cette différence, qu'étant approchés de la bouteille aux mêmes distances que l'aiguille, ils produisent dans cette bouteille différens degrés de condensation, d'autant moindre, que les surfaces sont plus larges & plus sphériques. Cependant lorsque tous ces corps viennent à toucher la bouteille, ils produisent tous un égal degré de condensation, c'est-à-dire le plus grand que la bouteille puisse acquérir : or puisqu'en présentant à une égale distance de la bouteille une aiguille bien pointue, un fer émoussé, ou une large surface bien polie & bien arrondie, on accumule dans cette bouteille le fluide électrique à différens degrés, l'air qui résiste dans tous ces cas par différentes épaisseurs à la sortie du fluide, ne seroit-il pas la cause de toutes ces différences ?

Lorsqu'une bouteille est suspendue à la barre par son crochet, tandis qu'une personne qui communique avec la terre la tient dans sa main, si l'on examine les mouvemens d'une balle de liége suspendue auprès de la barre, on verra qu'elle n'est attirée qu'au bout de cinq ou six tours de roue, c'est-à-dire quand la bouteille est chargée ; au lieu que si rien ne touche à la bouteille, la balle est attirée dès le premier tour de roue : d'où l'on voit que la résistance est moindre dans la barre vers la bouteille, que vers l'air qui environne la barre, jusqu'à ce que la bouteille soit pleinement chargée ; au lieu qu'elle est à-peu-près égale, quand une fois la bouteille est chargée.

Lorsque la bouteille est trop épaisse ou trop mince, elle ne se charge pas : dans le premier cas, la résistance que le fluide éprouve est trop grande, & trop petite dans le second. Il paroît donc que pour qu'il se fasse la plus grande condensation possible dans la bouteille, il faut que le fluide trouve un certain degré de résistance, & sur-tout qu'elle soit égale & uniforme.

Voici donc à quoi se réduisent toutes les vérités qui résultent des expériences précédentes, pour ce qui concerne la résistance qu'éprouve le fluide électrique, soit en entrant, soit en sortant, dans les corps.

I. Le verre, l'ambre, la cire, la résine, le soufre, &c. s'opposent plus que tous les autres corps aux écoulemens du fluide électrique, & même plus que l'air, pourvû que ces corps ne soient pas trop minces.

II. Une couche d'air d'un pouce d'épaisseur, résiste moins qu'une autre d'un pié d'épaisseur, & celle-ci moins qu'une de trois piés, &c.

III. L'air en général résiste plus que les surfaces des corps non-électriques.

IV. De larges surfaces arrondies des substances métalliques, résistent plus que les pointes émoussées, & que les angles obtus.

V. Ces dernieres résistent plus que les angles aigus, les tranchans & les pointes, & que celles-ci résistent le moins de toutes.

Les plus célebres physiciens, entr'autres l'illustre M. Newton ; s'accordent à regarder l'éther comme un fluide très-subtil & très-élastique, qui pénetre promtement tous les corps, & qui par la force de son ressort remplit presque tout l'espace de l'Univers. Sa force élastique est immense en proportion de sa densité, & dans une bien plus grande proportion que celle de l'air : ce fluide est inégalement distribué dans les différens corps à proportion de leur densité : plus ils sont denses, moins ils ont de pores, & plus l'éther qu'ils contiennent est rare ; plus ils sont rares au contraire, plus il est condensé. Ensorte qu'il est le plus dense qu'il puisse être dans l'espace le plus approchant du vuide, & le plus rare dans l'or qui est le corps plus dense que nous connoissions.

M. Newton a découvert qu'il existe autour de tous les corps une atmosphere très-dense, qui s'étend à une très-petite distance de leur surface : elle est formée par l'action réciproque de l'éther, répandu autour de ces corps sur celui qu'ils contiennent dans leurs pores, & sur la lumiere qui entre dans leur composition. La densité de cette atmosphere varie suivant la nature des corps ; elle dépend de la densité de ces mêmes corps, & de la quantité de lumiere qui entre dans leur composition : en général les corps qui ont le plus de densité sont ceux qui ont les atmospheres les plus denses. On excepte les corps résineux & sulphureux, & tous ceux qui contiennent beaucoup de lumiere, qui ont des atmospheres très-denses, quoiqu'ils soient eux-mêmes la plûpart assez rares. C'est à ce milieu éthéré que M. Newton attribue les effets de réflexion, de réfraction, & de l'inflexion de la lumiere : (Voyez les preuves de son existence à l'article REFRACTION) & c'est ce même milieu qui paroît aussi opérer les effets de l'électricité.

A mesure donc qu'un corps se raréfie, l'éther qu'il contient dans ses pores doit devenir plus dense & plus rare à mesure que le corps se resserre : or le frottement & la chaleur raréfient les corps, tant que leur action continue ; & dès que ces actions cessent, les corps se remettent en leur premier état : donc par l'effet de la chaleur & du frottement, l'éther doit s'accumuler dans leur intérieur, y affluer des autres corps qui les environnent ; & le contraire doit arriver par le froid ou quand le frottement cesse. Ces propriétés de l'éther sont conformes à celles du fluide électrique ; rien n'empêche de croire que ce fluide ne soit l'éther lui-même, chargé quelquefois des particules grossieres des corps par lesquels il passe.

Tous les corps ayant autour d'eux des atmospheres de différente densité, il est facile de concevoir comment l'éther introduit dans leur intérieur, y est retenu plus ou moins fortement, suivant la densité de cette atmosphere : on conçoit aussi quelle disposition ces mêmes corps ont à admettre un éther étranger, qui doit traverser leurs atmospheres : ainsi les corps les plus denses, & qui ont le plus de lumiere dans leur composition, ayant des atmospheres de la plus grande densité, tels que les diamans, le verre, l'ambre, la cire, &c. doivent retenir bien plus fortement l'éther admis dans leur intérieur, le laisser échapper avec plus de résistance, enfin l'admettre plus difficilement que les métaux, les animaux & les autres corps non électriques qui n'ont pas tant de densité. Ainsi donc, le verre, l'ambre, la cire, la résine, &c. étant une fois remplis d'éther électrique, agissent bien plus long-tems sur les corps legers, que le fer & les autres métaux, rendus électriques par communication ; & par la même raison, ceux-ci, dont les atmospheres résistent peu, reçoivent mieux l'électricité par communication, que le verre, la cire, la résine, l'ambre, &c. Or, voici comment l'éther extérieur pénetre l'atmosphere très-dense d'un corps électrique, par exemple d'un cylindre de verre, pour se condenser dans son intérieur.

Quand les parties de sa surface sont raréfiées par le frottement, les particules d'éther qui les environnent sont aussi raréfiées : la résistance de cette atmosphere diminue donc sur la partie frottée ; & si l'éther extérieur tend à s'introduire dans le cylindre par cet endroit, il est évident que son passage en sera plus facile. Voyons maintenant ce qui cause ce flux d'éther qui arrive des corps du voisinage, comment il s'échappe du globe pour passer dans les corps qu'on électrise par communication, & pourquoi le frottement seul peut produire tous ces effets. Supposons que la machine & tout ce qui tient au coussin soient d'une densité uniforme, d'une grandeur déterminée, & que l'éther s'y trouve répandu uniformément ; enfin que ces corps soient parfaitement isolés sur des gâteaux de résine : lorsqu'on raréfie par le frottement une partie du coussin & du verre, l'éther doit devenir plus dense dans ces parties qui viennent d'être raréfiées : il doit donc se faire un flux d'éther des parties qui ne sont pas raréfiées, vers celles qui l'ont été ; & la machine contenant beaucoup plus de matiere que le cylindre de verre, doit fournir plus d'éther que ce cylindre, pour que ce fluide reste également raréfié dans la machine & dans le cylindre après l'opération : par conséquent il y aura un flux du coussin & de la machine ensemble vers le verre. Quoique l'éther soit plus dense dans les parties raréfiées du cylindre & du coussin, qu'il n'étoit dans ces parties avant le frottement ; cependant la résistance que lui oppose l'atmosphere qui environne ces parties raréfiées, est diminuée par la raréfaction qu'elle éprouve aussi par le frottement ; c'est pourquoi l'éther peut s'échapper par cette voie, & passer dans une barre de fer isolée, qui sera proche du cylindre, & diminue d'autant la quantité du fluide éthéré qui étoit contenu d'abord dans tout l'appareil. Cette diminution au reste est bornée ; & quand la machine est sur de la cire, on ne peut faire passer qu'une très-petite quantité d'éther dans la barre, quelque long-tems que l'on continue le frottement.

En faisant communiquer à la machine d'autres corps non électriques aussi posés sur des gâteaux de cire, la quantité d'éther contenue dans tout ce rassemblage de la machine & du coussin sera augmentée ; il en coulera donc vers le globe une plus grande quantité, qui sera transmise à la barre : c'est aussi ce que l'expérience confirme.

De-là on voit pourquoi quand la machine communique avec la terre, vû l'immensité de cette masse, nous ne saurions parvenir à raréfier sensiblement l'éther dans la machine : c'est aussi le cas où il en passe davantage dans la barre, où les effets d'électricité sont les plus sensibles, & dans lequel le frottement continué, aussi long-tems qu'on voudra, produira toûjours les mêmes effets.

Le flux d'éther doit continuer aussi long-tems que le frottement ; car la surface du verre en l'éloignant à chaque instant du coussin, se refroidit & se resserre, de sorte que l'éther qui a passé du coussin dans les parties raréfiées du verre, y trouvant maintenant de la résistance, sortira par la barre où il en rencontre moins : car l'intérieur du cylindre avec l'air qu'il renferme, résiste plus à la sortie de l'éther, que la barre qui touche à sa surface extérieure : le fluide ne sauroit retourner par le coussin, parce que les parties du verre les plus proches du coussin sont toûjours plus raréfiées que celles qui en sont les plus éloignées ; enfin une infinité d'expériences prouvent que ce fluide a plus de facilité à passer dans les corps métalliques posés proche du cylindre, qu'à s'échapper dans l'air extérieur. D'où l'on voit qu'il n'y a que le frottement qui puisse produire ces effets, la chaleur du feu ni celle du soleil ne produisant point cette alternative de raréfaction & de condensation dans les mêmes parties : on voit encore pourquoi le flux d'éther diminue sensiblement, & cesse enfin quand on a fini de frotter ; pourquoi les effets électriques du verre s'affoiblissent à mesure qu'il se refroidit & qu'il reprend son premier état ; pourquoi deux corps électriques épais & frottés l'un contre l'autre, ne produisent que de foibles effets ; pourquoi quand la machine est posée sur des corps non électriques, & le coussin couvert d'un cuir doré, le cylindre produit les plus grands effets ; pourquoi le verre, l'ambre, la résine, la soie, &c. qui s'opposent à l'entrée ou à la sortie de l'éther plus que ne font les métaux, les animaux & les autres corps non électriques, sont absolument nécessaires pour supporter ceux que nous voulons électriser par communication ; enfin pourquoi ces corps doivent être exempts de toute vapeur & de toute humidité.

M. l'abbé Nollet pense que la matiere électrique est la même que celle du feu élementaire, qu'elle est très-subtile, capable de se mettre en mouvement avec la plus grande facilité : qu'elle est répandue partout, dans l'air qui nous environne, dans nous-mêmes, & dans tous les corps liquides & solides quelque durs qu'ils soient, qu'elle les pénetre en tous sens, la plûpart avec une grande facilité, les autres plus difficilement : enfin, qu'elle entraîne avec elle des particules des corps au-travers desquels elle passe.

Electriser un corps, c'est, selon lui, mettre en mouvement le fluide électrique qui en remplit les pores, ce fluide reçoit le mouvement des parties propres, qui sont agitées par l'effet du frottement ; & les parties propres des corps, que nous nommons électriques, sont plus susceptibles que les autres de ce mouvement de vibration qu'inspire le frottement, & par conséquent plus capables d'agiter le fluide électrique. Ce fluide une fois mis en mouvement dans les corps électriques peut agiter de même un pareil fluide lorsqu'il se rencontrera, nommément celui qui se trouve dans les pores des corps métalliques, qui ne s'électrisent que par cette communication. Or, comme cette matiere, toute subtile qu'elle est, ne pénetre pas tous les corps indistinctement avec la même facilité, il en résulte qu'il y en a quelques-uns qui doivent s'électriser plus facilement que les autres.

Les corps gras, résineux, sulphureux, & en général ceux qui peuvent acquérir de l'électricité par le simple frottement, contiennent dans leurs pores moins de matiere électrique, que les métaux, les animaux, &c ; mais leurs parties propres sont plus susceptibles du mouvement central pour agiter le fluide électrique, que celles des métaux, des animaux & des autres corps, qui ne sauroient devenir électriques par la voie du frottement : une des conséquences de ce mouvement, est que la matiere électrique s'élance sensiblement du dedans au-dehors des corps jusqu'à une certaine distance ; & les faits prouvent que ces émanations se font en forme d'aigrettes, ou de rayons divergens. Mais le corps ne s'épuise point par cette opération, parce que ce fluide est continuellement remplacé par un autre de même nature qui arrive non-seulement de l'air environnant, mais aussi de tous les corps du voisinage : ensorte que ces deux courans de matiere électrique exercent leurs mouvemens en sens contraire & pendant le même tems : cette circulation continue quelquefois pendant plusieurs heures après que le corps a cessé d'être frotté.

M. l'abbé Nollet définit donc l'électricité, l'état d'un corps qui reçoit continuellement de dehors les rayons d'une matiere subtile, tandis qu'il élance au-dehors des rayons divergens d'une semblable matiere. L'auteur appelle effluente la matiere qui s'élance des corps électrisés, & affluente celle qui vient de l'air & de la plûpart des corps du voisinage.

Ce principe des effluences & affluences simultanées, que M. l'abbé Nollet appuie sur quantité d'expériences, est le principal fondement de son système sur l'électricité. Voici comme il l'applique à quelques-uns des principaux phénomenes.

Lorsqu'une feuille de métal, ou tout autre corps leger, se trouve plongée dans la sphere d'activité d'un corps actuellement électrique, on doit la considérer comme agitée par deux puissances directement opposées l'une à l'autre ; savoir la matiere effluente qui tend à l'éloigner du corps électrique, & la matiere affluente qui l'entraîne vers ce corps : elle reste quelquefois immobile quand ces deux forces opposées sont en équilibre, mais elle cede ordinairement à la matiere affluente, dont l'activité est presque toujours supérieure. Cette supériorité de la matiere affluente dépend principalement de la convergence de ses rayons vers le corps électrisé ; au lieu que les rayons effluens qui tendent à l'écarter de ce corps, sont très-divergens. D'ailleurs, plusieurs expériences autorisent à croire que les pores par où s'échappent les rayons effluens, sont en bien plus petit nombre que ceux qui admettent la matiere affluente, ainsi cette derniere matiere par sa force supérieure, doit emporter la feuille d'or vers le corps, électriser & produire le phénomene de l'attraction. Cependant comme ce n'est pas sans obstacle de la part des rayons effluens, que la feuille d'or est emportée vers le corps électrisé, il n'est pas surprenant qu'elle n'aille pas directement au corps électrique, sur-tout si elle a une certaine largeur ; c'est aussi ce qui arrive le plus souvent.

La répulsion se fait, parce que la feuille d'or parvenue jusqu'au corps électrique s'électrise par communication, & se forme autour d'elle une atmosphere d'aigrettes, qui augmentant considérablement son volume, la rend plus en prise aux rayons de la matiere effluente, dont l'action l'écarte du corps électrisé, autant de tems que l'électricité subsiste dans l'un & dans l'autre. Mais comme la feuille d'or perd en un instant son atmosphere, dès qu'elle a touché à un corps non électrique, elle suit comme auparavant l'effort de la matiere affluente, & se précipite sur le corps électrisé. Le verre rendu électrique par le frottement, continue de represser une feuille d'or suspendue par un fil de soie, tant que celle-ci conserve l'atmosphere qui lui a été communiquée ; il n'en est pas de même d'un bâton de cire d'Espagne, d'un morceau d'ambre, d'un canon de soufre, &c. qu'on présente à cette feuille mise en répulsion, après avoir excité leur vertu par un vigoureux frottement : les pores par où s'échappent les rayons effluens étant plus rares dans ces corps résineux que dans le verre, la matiere affluente agit sur la feuille d'or repoussée avec toute sa force, & l'entraîne vers ces corps résineux malgré l'effet de leurs rayons effluens.

Pour communiquer de l'électricité à un corps, par exemple à une barre de fer, il ne s'agit, comme nous avons dit, que de mettre en mouvement par le moyen de quelque corps déja électrisé, le fluide électrique qu'il contient naturellement dans ses pores : or comme un premier choc ne peut agiter sensiblement qu'une certaine quantité de matiere, il est nécessaire de limiter celle que peuvent mouvoir les rayons qui émanent du corps électrisé, c'est ce que l'on fait en isolant cette barre, sur de la soie, de la résine, de la cire, &c. & en séparant par le moyen de ces corps qui n'admettent pas facilement la matiere électrique, la masse du fluide que contient cette barre d'avec cette masse immense qui est répandue dans le globe de la terre.

Ce mouvement imprimé au fluide électrique qui réside naturellement dans chaque corps, & plus abondamment dans ceux qui ne sont pas réputés électriques, doit être très-promt, & se faire appercevoir en un instant à une très-grande distance, si ce corps qu'on électrise par communication a une longueur suffisante ; & comme le fluide électrique trouve moins d'obstacle dans ces sortes de corps que dans l'air, il les parcourt très-promtement sans résistance, & suit dans sa propagation toutes les sinuosités & tous les replis de ces corps électrisés.

Chaque particule de matiere électrique est comme une petite portion du feu élementaire, enveloppée de quelque matiere grasse, saline ou sulphureuse, qui la contient & qui s'oppose à son expansion : lors donc que la matiere effluente qui s'élance d'un corps électrisé, rencontre l'affluente qui se présente pour entrer ; si la vîtesse respective de ces deux courans est assez grande, le choc brise les enveloppes de ces particules, & le feu qu'elles renferment devenu libre, éclate, brille, & anime du même mouvement les parties semblables qui sont contiguës, comme pourroit un grain de poudre à canon enflammé en embraser une infinité d'autres placés de suite. Or comme la matiere effluente s'élance en forme d'aigrettes, ces rayons lumineux conservent la même forme : il résulte de ce choc subit un bruit ou sifflement qu'on entend quand les aigrettes sortent, & qui est d'autant plus sensible que le corps est plus fortement électrisé.

L'étincelle qu'on apperçoit lorsqu'on approche le doigt ou quelque morceau de métal du corps électrisé, vient de ce que les rayons effluens de celui-ci acquierent par la proximité du doigt une plus grande force. 1°. Parce qu'ils coulent alors avec plus de vîtesse ; 2°. parce que la divergence naturelle de ces rayons diminue, & qu'ils se condensent ; ce n'est plus alors une matiere effluente, rare & dispersée, qui frappe avec plus d'efforts une autre matiere venant de l'air : c'est un fluide condensé & accéléré qui en rencontre un autre presqu'aussi animé que lui ; ainsi le choc doit être plus violent, le bruit plus fort, l'embrasement plus considérable, enfin l'étincelle doit paroître.

L'étincelle qui naît du choc de ces deux matieres effluentes & affluentes, peut devenir assez forte pour causer l'inflammation d'une liqueur spiritueuse, surtout si on l'y a disposée en la faisant un peu tiédir, & si cette liqueur est contenue dans le creux de la main, dans un vase de métal, ou dans tout autre corps que la matiere électrique puisse pénétrer avec facilité ; car la matiere affluente qui viendra de la cuillere ou de la main, pénétrera facilement la liqueur, donnera lieu à un choc plus violent & à une étincelle plus brûlante.

A l'égard de l'expérience de Leyde, M. l'abbé Nollet observe que la bouteille remplie d'eau, est très-susceptible d'électricité par communication ; que l'électricité que l'eau reçoit, se transmet au verre, qu'elle le pénetre & se répand sur sa surface extérieure ; que dans cette expérience, la bouteille ne laisse pas que de continuer long-tems dans son état d'électricité, soit qu'elle soit posée sur une table ou sur d'autres corps non électriques. Maintenant la violence avec laquelle l'étincelle éclate & frappe dans l'expérience de Leyde, dépend de ce que le choc est double & qu'il se fait en même tems en deux endroits différens. Le premier se fait à l'extrémité du doigt que l'on présente au conducteur entre la matiere effluente de ce conducteur, & la matiere affluente qui sort du doigt ; il s'en fait un autre à la main gauche qui tient la bouteille, entre le fluide qui sort du verre électrisé par communication, & celui qui arrive de cette même main vers la bouteille. Or comme par l'effet de ce double choc, la matiere affluente rétrograde avec force de chaque côté, elle produit aux deux poignets & dans l'intérieur du corps une commotion subite & très-violente, plus sensible dans les bras & dans la poitrine qui se trouvent placés dans sa direction.

M. l'abbé Nollet applique de même son principe des effluences & affluences simultanées, pour expliquer les autres phénomenes de l'électricité ; mais nous renvoyons à ses ouvrages, où l'on trouvera toutes les preuves qu'il a réunies pour établir la vérité de ce principe.

M. Franklin pense que la matiere électrique est un véritable feu qui traverse & pénetre la matiere commune avec tant de liberté, qu'elle n'éprouve aucune résistance sensible ; il prouve cette pénétration intérieure des corps par l'expérience de Leyde, dans laquelle on sent une commotion intérieure, qui ne devroit pas arriver si la matiere électrique ne faisoit que glisser le long des surfaces. Ce feu & le feu commun ne sortent peut-être que des modifications du même élément, quoiqu'ils paroissent avoir des propriétés différentes : ces deux matieres fluides, si on veut les distinguer, existent souvent ensemble dans les mêmes corps, en remplissent les pores, s'y meuvent avec une entiere liberté sans aucune confusion dans leurs effets.

Au reste le feu électrique est universellement répandu par-tout ; on le trouve dans l'air & dans tous les corps qui nous environnent : ainsi nos machines électriques ne le produisent point, mais elles le dirigent, le rassemblent, le condensent & le raréfient à notre volonté dans les différens corps. M. Franklin croit que ce fluide remplit à-peu-près les pores des corps ordinaires, & que quand au moyen de nos machines, on leur en ajoûte une quantité, cette quantité ajoûtée n'entre pas dans leur intérieur, mais forme autour d'eux une atmosphere plus ou moins dense, suivant la quantité que l'on a ajoûtée. Il suppose que les particules de matiere électrique se repoussent mutuellement, au contraire des particules de matiere commune, qui tendent toutes à s'attirer : & c'est à cette qualité répulsive qu'il attribue la divergence des rayons électriques, l'écartement de deux fils électrisés, la divergence des rayons des aigrettes lumineuses, l'évaporation accélerée des liqueurs électrisées, & plusieurs autres effets. Ces mêmes particules se repoussent entr'elles, sont très bien attirées par la matiere commune avec une force plus ou moins grande, suivant les différentes sortes de matiere : car le verre, la cire, l'ambre & les autres corps appellés électriques, l'attirent & la retiennent plus fortement que les autres, & en contiennent aussi une plus grande quantité. C'est pourquoi admettant la subtilité des particules de la matiere électrique, leur répulsion mutuelle & l'attraction réciproque entr'elles & les parties de la matiere commune, il résulte que quand une quantité de matiere électrique est appliquée à une certaine quantité de matiere commune qui n'en contient pas déjà, le fluide électrique se répand aussi-tôt également & uniformément dans toute l'étendue de cette quantité de matiere : mais dans la matiere commune il y a ordinairement autant de matiere électrique qu'elle en peut contenir ; si l'on en ajoûte davantage, le surplus se distribue encore également & uniformément dans toute l'étendue de sa surface, & forme une atmosphere. L'attraction entre le fluide électrique & la matiere commune est réciproque ; c'est pourquoi les corps dans lesquels le fluide électrique est condensé, attirent les petits corps legers qui se trouvent dans leur sphere d'activité ; c'est en vertu de cette propriété que le fluide électrique passe du corps électrisé dans celui qui ne l'est pas, & lui fait exercer tous les effets des corps électriques ; que l'électricité communiquée à une barre de fer isolée, se dissipe en un instant dès qu'on approche de cette barre un corps non électrique, tel que le bout du doigt.

M. Franklin explique l'expérience de Leyde d'une maniere différente de celle de tous les autres physiciens : il observe d'abord que le verre est absolument impénétrable au fluide électrique ; car il ne conçoit pas comment on pourroit charger la bouteille si le fluide électrique passoit au-travers du verre, & s'il pouvoit s'échapper par la main de celui qui tient la bouteille : en effet la bouteille ne se charge pas si elle a la moindre félure ou le moindre petit trou dans sa surface. Il prétend que dans cette merveilleuse expérience le fluide n'entre du conducteur dans la bouteille, qu'autant qu'il en sort de celui qui existe naturellement sur sa surface extérieure : que cette matiere n'est pas condensée dans l'eau ou dans le corps non électrique qui est dans la bouteille, mais uniquement sur la surface intérieure du verre : que l'explosion violente qui se fait lorsque tenant la bouteille d'une main, on touche de l'autre au fil d'archal, n'est que le remplacement du fluide épuisé & chassé de la surface extérieure par le fluide accumulé sur la surface intérieure de la bouteille ; ce qu'il prouve parce qu'un homme posé sur un gâteau de cire & qui fait l'expérience de Leyde, n'est ni plus ni moins électrisé après l'expérience, qu'il l'étoit auparavant.

Cependant comme la surface extérieure d'une bouteille chargée qui est privée selon lui, de sa quantité de fluide électrique ordinaire, attire, repousse & communique de l'électricité aux autres corps, aussi-bien que le fil-d'archal qui est électrisé par le fluide condensé & introduit dans la bouteille, il est obligé de distinguer deux sortes d'électricité.

Il appelle positive, celle de l'intérieur de la bouteille ; & négative, celle de sa surface intérieure : or tous les corps électrisés positivement se repoussent entr'eux, comme font aussi tous ceux qui le sont négativement : les uns & les autres attirent les corps legers à-peu-près avec la même force ; mais toutes choses égales, les corps électrisés positivement, attirent ceux qui le sont négativement avec une plus grande force que les uns & les autres n'attirent ceux qui ne sont point du tout électrisés. Nous donnerons aux articles METEORES & TONNERRE un extrait du sentiment de M. Franklin, sur la formation des orages, dont il rapporte l'origine aux effets du feu électrique. Ces deux articles sur le feu électrique sont de M. le MONNIER, de l'Académie royale des Sciences, & Médecin ordinaire de S. M. à S. Germain-en-Laye, auteur de l'article ELECTRICITE. Voyez ce dernier mot : voyez aussi COUP FOUDROYANT, CONDUCTEUR, &c.

FEU en Chirurgie, signifie la même chose que cautere actuel. Voyez CAUTERE. L'application du feu est fort recommandée par les anciens pour la guérison des maladies ; Hippocrate ne desesperoit jamais d'un malade, que quand le feu ne pouvoit produire aucun effet ; il comptoit encore efficacement sur cette ressource, après avoir tenté inutilement tous les autres moyens que l'art prescrit. Quae medicamenta non sanant, ea ferrum sanat ; quae ferrum non sanat, ea ignis sanat ; quae verò ignis non sanat, ea insanabilia reputare oportet. Hipp. aphorism. sect. 7. Il ne faut pas croire qu'Hippocrate se soit servi du feu sans autre regle que l'inutilité reconnue des autres moyens, & qu'il ait envisagé son application comme un procédé douteux qu'on met en pratique à tout évenement dans un cas desespéré ; l'administration de ce secours étoit méthodique ; on raisonnoit sur son action & sur ses effets, les succès avoient confirmé les raisons de son usage, & les différentes circonstances avoient déterminé quelques variétés dans la façon de s'en servir suivant différentes intentions.

Lorsqu'il est nécessaire de procurer l'évacuation des matieres épanchées, Hippocrate paroît quelquefois laisser l'alternative de l'usage du fer ou du feu, mais il préfere absolument la cautérisation pour l'ouverture des abcès profonds ; la crainte de l'hémorrhagie pourroit autoriser cette pratique ; on évitoit aussi par la déperdition de substance que la cautérisation produit, la nécessité de l'usage des tentes, des cannules & autres dilatans, sans lesquels la trop promte réunion des parties extérieures mettroit obstacle à la sortie du pus avant l'entiere détersion du foyer de l'abcès. Hippocrate conseille la cautérisation pour l'ouverture des abcès au foie ; mais au lieu du cautere actuel, c'est-à-dire du fer ardent, il parle de fuseaux de buis trempés dans de l'huile bouillante ; son intention dans cette méthode étoit peut-être de vaincre la répugnance de certains malades timides, que l'aspect du feu actuel auroit portés à rejetter lâchement les secours efficaces de l'art.

Les douleurs opiniâtrement fixées sur une partie, lorsqu'elles avoient résisté à tous les autres moyens curatifs, exigeoient la cautérisation ; Hippocrate la recommande dans les maux de tête rebelles. Il conseille de brûler du lin crud dans l'affection sciatique sur le lieu où la douleur se fait sentir. Cette maniere de cautériser est encore aujourd'hui pratiquée aux Indes ; on se sert d'une mousse nommée moya. Quelques auteurs prétendent que par le lin crud d'Hippocrate, il ne faut pas entendre les étoupes ou la filasse de lin, mais plûtôt la toile de lin neuve. Les Egyptiens en ont conservé l'usage, suivant Prosper Alpin, qui dit que dans ce pays on enveloppe un peu de coton dans une piece de toile de lin, roulée en forme de pyramide : & le feu étant mis du côté pointu, on applique la base de cette pyramide sur la partie qu'on veut cautériser.

On lit dans les actes de Copenhague, volume V. une lettre de Thomas Bartholin à Horstius, sur le moya, dont il assûre avoir vû les bons effets sur des tophus vénériens à Naples, chez Marc Aurele Séverin. Il en conseille l'usage dans les douleurs des articulations causées par fluxions d'humeurs froides & flatueuses. Horstius écrit de Francfort à Bartholin, que l'usage du moya est ordinaire dans les affections arthritiques & goutteuses, & que cette brûlure n'est pas fort douloureuse, quoiqu'on la fasse sur une partie saine, ce qu'il assûre avoir éprouvé sur lui-même. Sa lettre est du 17 Avril 1678. On voit que le moya dont Horstius vante les bons effets, n'agit pas différemment que le coton des Egyptiens, que le lin crud d'Hippocrate, & de même que feroit un morceau d'amadou.

Hippocrate nous enseigne un moyen de cautériser, dont on pourroit se servir utilement dans certains cas. Lorsqu'il vouloit brûler profondement, il mettoit dans la plaie faite par l'application du cautere, une éponge trempée dans de l'huile, & sur laquelle on appliquoit le feu de nouveau. On réitéroit cette opération autant qu'on le jugeoit convenable. Cette méthode de cautériser n'est point à négliger ; elle paroît sur-tout convenir pour dessécher la carie & en prévenir les progrès dans les os spongieux, où elle fait de si grands ravages, par la facilité qu'ils ont d'absorber les matieres purulentes. Il est évident que l'application immédiate du feu ne peut agir que sur l'extérieur (cette action est bornée à la surface découverte de l'os) ; & qu'on pourroit faire pénétrer profondement dans sa substance des remedes puissamment dessicatifs, par le procédé que je viens d'exposer.

Celse recommande la cautérisation dans les érésypeles gangréneux, si la pourriture est considérable : si le mal s'étend & gagne les parties circonvoisines, il faut brûler, dit-il, jusqu'à ce qu'il ne découle plus d'humeur ; car les parties saines demeurent seches lorsqu'on les brûle. Cette pratique seroit aussi salutaire de nos jours, que du tems de Celse.

La morsure des animaux enragés est un cas où la méthode des anciens devroit être la regle de notre conduite. Ils ne manquoient pas de cautériser ces sortes de plaies. Celse prescrit cette opération ; mais Aetius a parlé plus amplement sur ce point. On ne peut, dit-il, donner trop promtement du secours à ceux qui ont été mordus d'un chien enragé, quam celerrimè ; car aucun de ceux qui n'ont pas été traités méthodiquement, n'en est échappé. D'abord on commence par aggrandir la plaie avec l'instrument tranchant, & l'on en scarifie assez profondément l'intérieur, pour faire sortir beaucoup de sang de cet endroit. On cautérise ensuite avec des fers rouges. On panse avec des poireaux, des oignons ou de l'ail avec du sel ; & lorsque les escares seront tombées, il faut bien se garder de cicatriser les ulceres avant quarante ou soixante jours ; & s'ils viennent à se fermer, il ne faut point hésiter à les ouvrir de nouveau. Voilà la doctrine d'Aetius ; les modernes n'ont rien dit de mieux sur ce cas.

Les anciens abusoient du feu en beaucoup de circonstances, mais les modernes le négligent trop. Le célebre Ambroise Paré, par l'invention de la ligature des vaisseaux, a banni le cautere actuel de la pratique ordinaire des opérations. Il a proscrit la cautérisation avec l'huile bouillante du traitement des plaies d'armes-à-feu. Mais il recommande le cautere en beaucoup de cas, & il donne la préférence au cautere actuel sur le potentiel. L'opération du feu est plus promte & plus sûre ; & l'on ne touche absolument que la partie qu'on veut cautériser. Les cauteres actuels sont, dit-il, ennemis de toute pourriture, parce qu'ils consument & dessechent l'humidité étrangere imbue en la substance des parties, & corrigent l'intempérature froide & humide, ce que ne peuvent faire les potentiels ; lesquels aux corps cacochymes causent quelquefois inflammation, gangrene & mortification ; ce que j'ai vû, dit Paré, à mon grand regret : toutefois nous sommes souvent obligés d'en user par l'horreur que les malades ont du fer ardent. Cette horreur est un préjugé, car Glandorp qui a fait un traité dans lequel il rapporte tout ce qui a été dit sur la matiere des cauteres par les anciens & par les modernes, assûre, après avoir éprouvé lui-même la différence du cautere actuel & du potentiel, qu'il aimeroit mieux qu'on lui en appliquât six de la premiere espece, qu'un de la seconde. Le cautere actuel fait plus de peur que de mal, majorem metum quam dolorem incutit.

Fabrice d'Aquapendente tient un rang distingué parmi les auteurs de Chirurgie ; il avoit étudié les anciens avec le plus grand soin, mais il ne suit pas aveuglément leurs préceptes : il rejette l'usage du feu en beaucoup de cas où les anciens l'employoient. En général, il est le partisan déclaré des moyens les plus doux ; il conseille néanmoins de cautériser les articulations abreuvées de sucs pituiteux : il rapporte à cette occasion les préceptes des anciens, mais il se décide d'après sa propre expérience. Il avoit essayé sans succès l'application des remedes capables d'amollir & de discuter la matiere que rendoit un genou fort gonflé & très-dur : le malade guérit par l'application de cinq ou six cauteres actuels, ronds, & assez larges. Il cite un autre cas qui lui fera encore plus d'honneur dans l'esprit des gens de bien. Un homme de considération avoit le genou si gonflé & si dur, qu'il ne pouvoit le faire mouvoir. Fabrice, appellé avec Capivaccius, jugea que cette maladie étoit incurable. Un empyrique qu'on appella, mit un médicament irritant sur la partie, qui y excita une grande inflammation, avec chaleur, rougeur & douleur. Dès ce moment même le genou acquit un peu de mouvement, & les choses ont toûjours été de mieux en mieux jusqu'à la parfaite guérison. L'amour de la vérité & du bien public fait dire à notre auteur que cet empyrique a fait une cure qu'il n'a pas osé entreprendre, & il en prend occasion d'expliquer le fait, en disant que le caustique a échauffé & atténué la matiere froide & épaisse qui formoit la tumeur.

Fabrice d'Aquapendente appliquoit quelquefois le feu de façon qu'il n'avoit point d'action immédiate sur la partie. Pour la guérison d'un ozeme ou ulcere de l'intérieur du nez, il mit une cannule dans la narine, & porta le fer ardent dans cette cannule, dans la vûe d'échauffer la partie, & d'en dessécher l'humidité.

Le cautere actuel paroît n'être resté dans la Chirurgie, que lorsqu'il s'agit de détruire les caries & de hâter les exfoliations ; encore n'est-ce que dans le cas où l'on ne peut être sûr d'enlever exactement le vice local par le tranchant de la gouge ou du ciseau. Il est certain que l'instrument tranchant est en général préférable pour l'ouverture ou pour l'extirpation des tumeurs ; mais dans les abcès gangréneux on ne retirera pas le même effet de l'instrument tranchant, que du cautere actuel. Dans les tumeurs dures qui ne sont pas susceptibles d'être simplement ouvertes, si l'indication exige qu'on y attire de l'inflammation pour les faire suppurer plus promtement, les cauteres potentiels peuvent être employés ; ils font naître & attirent la putréfaction. Mais si la tumeur est déjà disposée à la pourriture, le cautere potentiel ne convient point, le feu actuel est préférable. L'incision nécessaire pour donner issuë aux matieres, a souvent donné lieu à une plus grande corruption dans certains anthrax. L'excès de l'air rend la pourriture contagieuse, & lui fait faire des progrès. L'application du feu n'a pas cet inconvénient ; il augmente la force vitale dans les vaisseaux circonvoisins, & il forme à l'extrémité divisée des vaisseaux, une escare solide qui tient lieu des tégumens naturels. Que pouvoit-on faire de mieux que de porter le feu sur ces maux de gorge gangréneux qui ces années dernieres ont fait périr tant de monde ? C'étoit une espece de charbon placé dans un lieu chaud & humide, disposé par conséquent à une promte putréfaction par sa situation même, indépendamment de sa nature. Les scarifications n'ont fait aucun bien, & la cautérisation auroit probablement arrêté les progrès du mal, si on l'eût employée à tems. (Y)

FEU, (Jurisprud.) Ce terme a dans cette matiere plusieurs significations différentes.

Feu signifie fort souvent ménage. Chaque feu, dans certains endroits, paye au seigneur un droit appellé foüage : foragium, à foro. (A)

Feu est pris quelquefois pour domicile ; c'est en ce sens que l'on dit que les mandians & vagabonds n'ont ni feu ni lieu. Voyez MANDIANS & VAGABONDS. (A)

Feu, dans d'autres occasions, est pris pour incendie. Les regles que l'on suit, dans ce cas, pour savoir qui est garant du dommage causé par le feu, seront expliquées au mot INCENDIE. (A)

Feu du ciel, c'est le tonnerre. Personne n'est garant du feu du ciel, c'est-à-dire du dommage causé par le tonnerre, qui est un cas fortuit & une cause majeure. Voyez INCENDIE. (A)

Feu se dit aussi, par abréviation, pour exprimer la peine du feu : on dit condamner au feu, ou à être brûlé vif, &c. On condamne au feu ceux qui ont commis quelque sacrilege, les empoisonneurs, les incendiaires, &c. Voyez PEINES. (A)

Feu ou défunt, fato functus.

Feu signifie aussi quelquefois les chandelles ou bougies dont on se sert pour certaines adjudications. On compte le premier feu, le second feu, le troisieme feu, c'est-à-dire la premiere, seconde, troisieme bougie, &c. On adjuge à l'extinction des feux. Voyez CHANDELLE ETEINTE. (A)

Feu, (Couvre-) voyez COUVRE-FEU.

Feu croissant & vacant, en Bresse, signifie la vie d'un homme. Il est dû chaque année au seigneur d'Artemare par ses hommes de main-morte ou affranchis, une gerbe de froment pour le feu croissant & vacant, ou une bicherée de froment mesure de Châteauneuf. Collet, sur les statuts de Savoie, livre III. titre j. des droits seigneuriaux, p. 37. est d'avis que ces termes, feu croissant & vacant, signifient la vie d'un homme, parce qu'il est sujet à ce devoir dès sa naissance jusqu'à sa mort ; ou dès qu'il fait son habitation à part, & qu'il devient chef de famille, jusqu'à ce qu'il cesse de demeurer dans cet état. Collet pense aussi que ces termes, feu croissant & vacant, veulent dire que ceux qui vont s'établir dans cette terre d'Artemare, & font feu croissant & augmentant le nombre des feux du lieu, deviennent sujets à la redevance dont on a parlé ; & que ceux qui quittent ce lieu pour aller demeurer ailleurs, & par-là font feu vacant, n'en sont pas pour cela exempts. Voyez MAIN-MORTE & suite. (A)

FEU, dans l'Art militaire, exprime les coups qu'on tire avec les armes à feu, comme les canons, les mortiers, les fusils, les mousquetons, &c.

Ainsi faire feu sur une troupe, c'est tirer sur elle avec des armes à feu.

Le terme de feu s'employe plus ordinairement pour exprimer les coups qu'on tire avec le fusil, qu'avec les autres armes à feu.

Le feu de l'infanterie ne consiste que dans les décharges successives du fusil ; & celui de la cavalerie, dans celles du mousqueton & du pistolet, dont les cavaliers sont armés.

Le feu d'une place est formé des décharges que l'on fait de la place, avec les armes à feu dont on la défend ; mais on entend néanmoins ordinairement par ce feu, celui du canon de la place : c'est pourquoi on dit qu'on a fait taire le feu d'une place, lorsqu'on en a démonté les batteries.

On distingue plusieurs sortes de feux dans l'infanterie, suivant l'ordre dans lequel on fait tirer les soldats.

L'ordonnance du 6 Mai 1755, sur l'exercice de l'infanterie, en établit cinq ; savoir le feu par section, par peloton, par deux pelotons, par demi-rang & par bataillon.

Il faut observer que, suivant cette ordonnance, la section est formée d'une compagnie, & le peloton de deux ; ainsi les deux pelotons font quatre compagnies, c'est-à-dire le tiers du bataillon, lorsqu'il est de douze, non compris celle des grenadiers.

On voit par-là que le feu de section consiste à tirer par compagnie ; celui de peloton, par deux ; celui de deux pelotons, par quatre ; & celui des trois pelotons, par six compagnies. A l'égard du feu par bataillon, c'est celui qui est exécuté par toutes les compagnies du bataillon qui tirent ensemble dans le même tems.

A ces différens feux il faut encore ajoûter le feu par rangs, qui s'exécute successivement par chacun des rangs du bataillon ; & le feu roulant ou de rempart, qui se fait ordinairement dans les salves & les réjoüissances.

Pour exécuter ce dernier feu, si les troupes sont sur plusieurs rangs, l'aile droite du premier commence à tirer au signal qui lui en est donné ; le feu va jusqu'à l'autre aîle, ensuite il commence par la gauche du second rang, & il vient à la droite ; puis de la droite du troisieme il va à la gauche de ce même rang, & ainsi de suite des autres rangs sans interruption.

Ces différens feux peuvent être appellés réguliers, parce qu'ils s'exécutent avec regle. Il y en a un autre qu'on nomme feu de billebaude ou sans ordre, que les soldats exécutent en tirant ensemble ou séparément, à leur volonté.

Le feu de peloton, que l'ordonnance du 6 Mai 1755 établit en France, est en usage depuis longtems parmi les Hollandois : il y a quelqu'apparence que l'invention leur en est dûe, & que ce sont eux qui en ont fourni le modele aux autres nations de l'Europe qui l'ont adoptée. Quoi qu'il en soit, observons qu'on a cependant tiré autrefois en France par différentes divisions ou différentes petites parties du bataillon, qu'on appelloit pelotons ; mais seulement dans des cas particuliers de retraite, d'attaques de postes, de chaussées, &c.

L'ancien feu le plus ordinaire & le plus commun, étoit le feu par rangs ; c'est en effet celui qui paroît le plus simple & d'une exécution plus aisée : il a l'inconvénient que les tirs n'en peuvent être que perpendiculaires au front du bataillon. On prétend encore qu'il s'exécute rarement avec ordre quelques précautions qu'on puisse prendre ; mais c'est que rien ne se fait avec ordre à la guerre, qu'autant que les troupes y ont été long-tems exercées : car il est évident qu'on peut parvenir assez promtement à faire tirer sans confusion les troupes par rangs, sur-tout à trois ou quatre de hauteur, puisqu'on l'a fait autrefois sans inconvénient sur un plus grand nombre de rangs.

Le bataillon étant rangé sur cinq ou sur six rangs, chacun tiroit successivement ; ou bien on en faisoit tirer deux ou trois à-la-fois, ou cinq en même tems. Voyez EMBOITEMENT.

Mais on a remarqué depuis, que lorsqu'il y a seulement quatre rangs, le feu du dernier devient très-dangereux pour le premier ; c'est par cette raison que l'ordre sur trois rangs a été proposé, comme le plus convenable pour le feu. Voyez EVOLUTIONS.

Un autre inconvénient du feu par rangs, c'est qu'on ne peut que très-difficilement le rendre continuel.

En effet, si l'on suppose une troupe rangée sur quatre rangs, & que le dernier rang tire le premier, les autres étant genou en terre, le troisieme peut, en se levant, tirer ensuite, puis le second, & le premier qui, aussi-tôt après sa décharge, doit remettre genou à terre, ainsi que le second & le troisieme, pour laisser tirer le dernier, qui a eu le tems de recharger pendant la durée du feu de trois autres rangs. Mais ces derniers ne peuvent guere recharger leurs fusils le genou à terre ; parce que cette manoeuvre, à laquelle M. le maréchal de Puysegur dit qu'on devroit exercer les troupes, ne leur est pas enseignée (a). Voyez EXERCICE. Il faut par conséquent, pour recharger, qu'ils se tiennent de bout, & qu'ils interrompent la continuité de l'action du feu.

En tirant par section ou par peloton, on peut se procurer des tirs perpendiculaires ou obliques, suivant le besoin : on a d'ailleurs un feu continuel, parce que le premier peut avoir rechargé lorsque le dernier a tiré. D'ailleurs ce feu s'exécutant sur un front beaucoup plus petit que celui du bataillon, paroît devoir être plus aisément réglé : il en parcourt rapidement toutes les parties, comme le feu, par rangs ; mais chaque partie est successivement exposée au feu de l'ennemi pendant le tems qu'elle recharge ses armes.

Il est vrai que le front du bataillon n'y est jamais exposé tout entier, comme en tirant par rangs ; mais il faut convenir qu'en revanche le feu par peloton peut être sujet, à moins qu'on n'y soit extrèmement exercé, à plus de confusion que celui des rangs.

Pour donner une idée plus parfaite du feu par peloton, nous mettrons sous les yeux un bataillon divisé dans ses six pelotons, rangé suivant l'ordonnance du 6 Mai 1755.

(d) Il seroit fort difficile de le faire, à cause de la longueur du fusil, & de la pression des files.

Soit A B le bataillon ainsi divisé : chaque peloton est désigné par un chiffre qui en indique le rang, & par la lettre P, renfermés l'un & l'autre dans des accolades qui joignent les extrémités des deux compagnies dont ils sont formés.

Ces pelotons sont divisés dans les deux compagnies qui les composent, & qui les partagent en deux sections.

Les chiffres renfermés dans chaque peloton, expriment les différentes compagnies du bataillon qu'il contient.

On suppose que le bataillon est à trois de hauteur, & que les rangs sont serrés à la pointe de l'épée.

Cela posé, observons d'abord que le feu de section & celui de peloton doivent commencer par le centre.

Pour exécuter ce dernier feu, le commandant du bataillon ordonne d'abord au cinquieme peloton de faire feu : alors les soldats du premier rang mettent genou en terre, ceux des deux derniers s'arrangent pour pouvoir tirer en même tems que le premier ;

& au commandement feu, ils tirent tous ensemble (a).

Lorsque ce peloton a fait feu, le sixieme s'arrange pour en faire de même immédiatement après ; puis le troisieme & le quatrieme, deux tems (b) après que le cinquieme & le sixieme ont fait feu. Le premier & le deuxieme font également feu deux tems après que le troisieme & le quatrieme ont tiré. A l'égard des grenadiers & du piquet, ils exécutent leur feu deux tems après celui du premier & du second peloton.

On voit par-là que le feu par peloton ayant commencé par le centre, se porte ensuite successivement du centre aux ailes : mais de maniere que les pelotons à côté les uns des autres, excepté les deux du centre, ne tirent pas de suite, mais successivement un peloton de la droite & un de la gauche.

Il est bien difficile qu'une manoeuvre aussi composée & aussi variée, & qui demande autant d'attention, puisse s'exécuter sans desordre ou confusion un jour d'action : aussi prétend-on avoir remarqué, comme on le verra bientôt, que ce feu, dont l'exécution est si brillante dans les exercices, est peu dangereux un jour de combat (c)

Le feu par section s'exécute de la même maniere que celui par peloton, il commence également par le centre. La onzieme compagnie tire la premiere, puis la douzieme, ensuite la troisieme, la quatrieme, &c. Voyez l'ordonnance du 6 Mai 1755.

Le feu par rangs est d'une exécution plus simple, eu égard aux commandemens, que les deux précédens. Le premier rang, comme on l'a déja dit ci-devant, met d'abord genou à terre, ainsi que le second & le troisieme, s'il y a quatre rangs ; le quatrieme se tient debout, & tire ; le troisieme se leve ensuite, & tire aussi ; le second fait immédiatement après la même manoeuvre, & ensuite le premier.

Pendant le tems que ces deux derniers rangs tirent, le quatrieme & le troisieme ont le tems de recharger leurs armes, & ils peuvent recommencer à tirer immédiatement après le premier ; mais le premier & le second sont obligés de recharger debout, & de suspendre, pendant le tems qu'ils y employent, le feu du bataillon.

Dans l'ancienne maniere de tirer par rangs, on évitoit cet inconvénient.

Le premier rang tiroit d'abord, & il alloit ensuite, en passant dans les files du bataillon, en gagner la queue : le deuxieme en faisoit de même, après avoir tiré ; puis le troisieme & le quatrieme, &c. De cette façon, les rangs qui avoient tiré les premiers, avoient le tems de recharger leurs armes avant de se retrouver en face de l'ennemi. Nos files serrées ne permettent point cette manoeuvre ; cependant lorsque l'on fait tirer les troupes dans ces circonstances où elles ne peuvent pas s'aborder, on pourroit peut-être encore se servir de cette méthode sans inconvénient, sur-tout en faisant faire à-droite aux rangs qui sont derriere celui qui est en face à l'ennemi ; & cela afin d'avoir plus d'espace entre les files pour le passage des soldats qui vont se reformer à la queue du bataillon.

On faisoit aussi quelquefois passer à droite & à gauche par les ailes du bataillon, les rangs qui avoient tiré, pour les faire regagner la queue ; mais cette pratique étoit défectueuse, en ce que les soldats du second rang ne pouvoient tirer que lorsque le premier avoit quitté le front du bataillon ; ce qui interrompoit la continuité du feu de la troupe, & le ralentissoit.

Il y avoit encore plusieurs autres manieres de tirer, qu'on peut voir dans le maréchal de Bataille de Lostelneau, dans la pratique de la guerre du chevalier de la Valiere, &c. mais qui seroient toutes de peu d'usage aujourd'hui, parce qu'elles exigent différens mouvemens devant l'ennemi, dont l'exécution seroit très-dangereuse. En effet, ceux qui ont le plus d'expérience dans cette matiere, prétendent que tout mouvement que l'on fait à portée de l'ennemi, qui change l'ordre & l'union des différentes parties du bataillon, l'expose presque toûjours à se rompre lui-même, & à faire volte-face.

On a toûjours cherché le moyen de faire faire aux troupes un feu réglé, de maniere que les soldats bien exercés pussent l'exécuter sans confusion. Cette régularité peut produire de grands avantages. Car par elle on ne se défait que de telle partie de son feu que l'on veut, & quand on le veut ; au lieu qu'en laissant tirer les soldats à leur volonté, on peut se trouver dégarni de feu dans le tems qu'il est le plus nécessaire.

Il y a cependant quelques circonstances particulieres, où le feu sans ordre peut l'emporter sur le régulier, comme lorsque des troupes sont derriere des lignes ou des retranchemens. M. de Turenne l'ordonna dans un cas pareil au siege d'Etampes en 1652.

Les troupes qui défendoient cette ville contre l'armée du roi, ayant résolu de reprendre un ouvrage dont elle s'étoit emparée le matin, & d'insulter en même tems les lignes ; elles sortirent en force de la place pour cet effet. Les lignes des assiegeans étoient presque entierement dégarnies de soldats, parce que les troupes qui les gardoient avoient été se reposer dans un des fauxbourgs de la ville assez éloigné du camp, à cause de l'action du matin, qui avoit été fort vive, laquelle avoit fait présumer par cette raison, que les assiegés n'entreprendroient rien de considérable pendant la journée.

On se trouvoit tout prêt d'être attaqué lorsqu'il " arriva dans le même moment 200 mousquetaires du régiment aux gardes. C'étoit tout ce qu'on avoit pû ramasser au camp. M. de Turenne leur recommanda, sans s'amuser à tirer tous ensemble, de bien ajuster leurs coups ; ce qu'ils firent si à propos, que jamais un si petit nombre de soldats n'a " fait tant d'exécution. Mém. du duc d'Yorck, p. 17, II. vol. de l'Hist. de M. de Turenne, par M. de Ramsay.

Dans des cas de cette espece les soldats s'animent les uns & les autres à charger promtement & à tirer à coup sûr. L'attention n'est point distraite ou partagée par l'observation des commandemens pour tirer. Chacun le fait de son mieux, & ne le fait guere alors inutilement. Aussi M. Bottée dit-il que les Allemands craignent plus notre feu confus que notre feu ordonné. La raison qu'il en donne, c'est que le défaut d'exercice rend ce dernier défectueux, au lieu que dans l'autre un nombre de bons soldats tirent avec dessein & avec attention.

Il tire de-là cette conséquence, que si nos soldats étoient bien disciplinés à cet égard, ils apporteroient en tirant avec ordre, la même attention que lorsqu'ils le font sans ordre. Alors le feu régulier seroit

(a) Il y auroit peut-être plus d'avantage à faire tirer les differens rangs du peloton immédiatement les uns après les autres, parce que l'effet des coups du premier rang ne se confondroit pas avec celui des coups du second, ni l'effet de celui-ci avec celui du troisieme. Il peut arriver en faisant tirer tous les rangs à la fois, qu'un même soldat ennemi reçoive deux coups également mortels ; au lieu que s'il étoit tombé du premier, le soldat qui le suit auroit reçû le second.

(b) L'intervalle ou la durée d'un tems dans l'exercice est à-peu-près celui d'une seconde, pendant laquelle on peut prononcer, un, deux. Voyez l'Ordonnance du 6 Mai 1755.

(c) On ne peut en attribuer la cause qu'au peu d'exercice des troupes. Il paroît à la vérité que l'exécution du feu par peloton peut être susceptible de plusieurs inconvéniens, à cause des différens commandemens qui se font en même tems aux pelotons qui doivent tirer de suite ; mais le grand usage doit y former les troupes insensiblement.

sans difficulté dans toute occasion préférable au feu confus ou irrégulier ; ce qui paroît évident.

Mais pour cet effet, il faut que le feu régulier soit si simple, que les soldats puissent, pour ainsi dire, l'exécuter d'eux-mêmes, & avec très-peu de formalités ; c'est ce qui n'est pas facile à trouver. Ce point si important de l'art militaire exige encore bien des tentatives & des expériences des officiers les plus consommés dans la pratique de la guerre.

Quel que soit le feu qu'on adopte, comme il est une des principales défenses de l'infanterie, elle ne sauroit trop y être exercée, non-seulement pour tirer avec vîtesse, mais encore en ajustant, sans quoi l'effet n'en est pas fort important. L'expérience des batailles de la guerre de 1733 & de 1741, dit M. de Rostaing, dans un mémoire manuscrit sur l'essai de la légion, ne nous a pas convaincu, que le feu des Autrichiens & des Hollandois fût excessivement formidable (a) ; & j'ai oui dire, ajoûte cet habile officier (que nous venons de perdre) à un de nos généraux de la plus grande distinction, dont je supprime le nom par respect, qu'après la bataille de Czaslau gagnée par le roi de Prusse en 1742, la ligne d'infanterie des Prussiens étoit marquée par un tas prodigieux de cartouches, lequel auroit fait présumer la destruction totale de l'infanterie autrichienne, de laquelle cependant il y eut à peine deux mille hommes de tués ou blessés.

C'est que les soldats Prussiens n'avoient point encore acquis alors cette justesse dans leur feu, qu'on assûre qu'ils ont aujourd'hui, & qui égale la promtitude avec laquelle ils l'exécutent. On sait qu'ils peuvent tirer aisément six coups par minute, même en suivant les tems de leur exercice.

C'est un fait constant, dit M. le Maréchal de Puységur, que le plus grand feu fait taire celui qui l'est moins ; que si, par exemple, " huit mille hommes font feu contre six mille, qui tirent aussi vîte les uns que les autres, & qu'ils soient à bonne portée, & également à découvert, les huit mille en peu de tems détruiront les six mille. Mais si les huit mille sont plus long-tems à charger leurs armes, qu'ils ne soient pas exercés à tirer bien juste, comme on voit des bataillons faire des décharges de toutes leurs armes contre d'autres, sans pourtant voir tomber personne, je jugerai pour lors que les six mille hommes pourroient l'emporter sur les huit mille. " Art de la guerre.

Un problème assez intéressant qu'on pourroit proposer sur cette matiere, seroit de déterminer lequel est le plus avantageux de combattre de loin à coups de fusil, ou de près à l'arme blanche, c'est-à-dire la bayonnette au bout du fusil.

Sans vouloir entrer dans tout le détail dont cette question est susceptible, nous observerons seulement que les anciens avoient leurs armes de jet, qui répondoient à-peu-près à l'effet de nos fusils ; mais qu'ils ne s'en servoient que pour offenser l'ennemi d'aussi loin qu'ils le pouvoient, en avançant pour le combattre de près. Lorsqu'on étoit parvenu à se joindre, ce qu'on faisoit toûjours, on combattoit uniquement avec les armes blanches, c'est-à-dire avec l'épée & les autres armes en usage alors. Voyez ARMES. Cette méthode est en effet celle qui paroît la plus naturelle. Car, comme le dit Montecuculli, " la fin des armes offensives est d'attaquer l'ennemi & de le battre incessamment depuis qu'on le découvre jusqu'à ce qu'on l'ait entierement défait : à mesure qu'on s'en approche, la tempête des coups doit redoubler ; d'abord de loin avec le canon ; ensuite de plus près avec le mousquet, & successivement avec les carabines, les pistolets, les lances, les piques, les épées, & par le choc même des troupes. "

C'étoit l'ancienne pratique des troupes de France, & suivant M. de Folard, " celle qui convient le mieux au caractere de la nation, dont tout l'avantage consiste dans sa premiere ardeur. Vouloir la retenir, dit cet auteur, par une prudence mal entendue, c'est une vraie poltronnerie ; c'est tromper les soldats & leur couper les bras & les jambes. Ceux qui la font combattre de loin dans les actions de rase compagne, ne la connoissent pas, & s'ils sont battus, ils méritent de l'être. Il faut, continue ce même auteur, laisser aux Hollandois, comme plus flegmatiques, leurs pelotons, & prendre toute maniere de combattre qui nous porte à l'action & à joindre l'ennemi. " Traité de la colonne, par M. le chevalier de Folard.

Quoique l'expérience & le sentiment des plus habiles militaires concourent à démontrer le principe de M. de Folard à cet égard, il ne s'ensuit pas de-là qu'on doive négliger le feu. " Tant que la situation des lieux où vous combattez, dit M. le maréchal de Puysegur, peut vous permettre d'en venir aux mains, il faut le faire, & préférer cette façon de combattre à toute autre. Mais comme l'ennemi vous contrarie, ajoute-t-il, avec beaucoup de raison, s'il se croit supérieur par les armes à feu, il cherchera les moyens d'éviter les combats en plaine ; & si vous voulez l'attaquer, vous serez souvent contraint de le faire dans des postes, où les armes à feu seront nécessaires avant d'en pouvoir venir aux coups de main. (a) C'est pourquoi il est très-important d'exercer le soldat à savoir faire usage de toutes les sortes d'armes dont il doit se servir. Il faut tâcher de se rendre supérieur en tout aux ennemis que l'on peut avoir à combattre, & ne rien négliger pour cela ; s'informant chez les nations étrangeres comment ils instruisent leurs troupes, pour prendre d'elles ce qui aura été reconnu meilleur que ce que nous pratiquons. "

Rien de plus sensé & de plus judicieux que ces préceptes de l'illustre maréchal que nous venons de nommer. C'est ainsi que les Romains adopterent avec beaucoup de sagesse, tout ce qu'ils trouverent de bon dans la maniere de combattre & de s'armer de leurs ennemis ; & cette pratique, qui fait tant d'honneur à leur discernement, ne contribua pas peu à leur faire surmonter des nations plus nombreuses & aussi braves, & à les rendre les maîtres de la terre.

Quoiqu'il paroisse décidé par les autorités précédentes, que lorsqu'une troupe d'infanterie françoise combat une autre troupe, & qu'elle peut la joindre, elle doit l'aborder sans hésiter ; on croit néanmoins qu'il y a des circonstances particulieres où il ne seroit pas prudent de le faire.

Supposons, par exemple, qu'un général commande des troupes peu aguerries & peu exercées, ou qui n'ayent point encore vû l'ennemi. S'il veut les faire approcher pour combattre à l'arme blanche, il est à craindre que la présence de l'ennemi ne les trouble, & qu'elle ne les mette en desordre. Au lieu qu'en les mettant en état d'exécuter leur feu, sans pouvoir être abordées, le danger, quoique plus grand qu'en se joignant la bayonnette au bout du fusil, leur paroîtra plus éloigné, & par cette

(a) Ces troupes exécutent leur feu par peloton.

(a) L'auteur des Sentimens d'un homme de guerre sur la colonne de M. de Folard, tient à-peu-près le même langage que M. de Puységur. " Il est très-certain, dit cet auteur, premierement que dans un terrein libre il dépend toûjours de celui à qui l'envie en prend, de combattre de loin & de près, tout comme il le trouve à propos ; secondement que celui qui ne voudroit que combattre de loin n'en est jamais le maître ; son ennemi lui donne l'ordre ; s'il refuse d'y obéir il faut céder. S'il obéit sans être préparé, il est maltraité : en un mot, d'une maniere ou d'autre il est puni, soit pour cause de désobéissance, soit pour cause d'imprudence ; & il le mérite ".

considération elles en seront moins effrayées, & moins disposées à fuir. D'ailleurs il est alors plus aisé de les contenir, que si l'ennemi paroissoit prêt à tomber sur elles.

De cette maniere en général, pour accoûtumer insensiblement de nouvelles troupes à envisager l'ennemi avec moins de crainte lorsqu'elles y seront une fois parvenues, il sera fort aisé de leur faire comprendre qu'en marchant résolument à l'ennemi pour le charger la bayonnette au bout du fusil, le danger durera bien moins de tems qu'en restant exposé à son feu, & en tiraillant les uns contre les autres. Car lorsqu'on marche avec fermeté pour tomber sur une troupe, il arrive rarement qu'elle attende pour se retirer, qu'elle soit chargée la bayonnette au bout du fusil. On prétend au moins qu'il y a peu d'exemples du contraire. Il y a même des officiers qui ont beaucoup de pratique de la guerre, & qui doutent qu'il y en ait aucun ; M. le maréchal de Puységur assûroit cependant l'avoir vû une fois. On peut conclure de-là que le choc de pié ferme de deux troupes d'infanterie dans un combat est un évenement si peu commun à la guerre, qu'on peut presque assûrer qu'il n'arrive jamais. C'est aussi ce que dit sur ce sujet l'auteur des Sentimens d'un homme de guerre sur la colonne de M. de Folard : " lorsqu'un bataillon voit qu'un autre s'avance pour l'attaquer, le soldat étonné de l'intrépidité avec laquelle son ennemi lui vient au-devant, le tiraille, ajuste mal son coup, & tire, pour la plûpart, en l'air. Le feu auquel il avoit mis sa principale confiance n'arrête pas son ennemi, & qui pis est, il n'est plus tems de recharger. La bayonnette qui lui reste ne sauroit le rassûrer ; le trouble augmente, il fait volte-face, & quitte ainsi la partie. S'il en arrive autrement, c'est chose rare, & peut-être même hors d'exemple.

Lorsqu'un bataillon marche pour en attaquer un autre, doit-il essuyer le feu du bataillon ennemi, & le joindre, ou, pour mieux dire, chercher à le joindre sans tirer ? Cette question n'est pas un problème à résoudre dans la milice françoise.

L'usage constant des troupes de France est d'essuyer le feu de l'ennemi, & de tomber ensuite dessus sans tirer. Les évenemens heureux qui suivent presque toûjours cette pratique, comme on vient de le voir précédemment, semblent en démontrer la bonté. Cependant les autres peuples de l'Europe ne l'ont point encore adoptée : c'est apparemment que leurs troupes ne vont point à l'abordage avec la même impétuosité & la même ardeur que le François ; car si tout étoit égal de part & d'autre, il est certain qu'il y auroit un desavantage considérable à essuyer les décharges de l'ennemi en s'approchant pour le combattre, sans faire usage de son feu.

En effet, supposons deux troupes d'infanterie, ou deux bataillons, composés chacun de soldats également braves & disciplinés, & que l'un arrive fierement sur l'autre sans tirer, tandis que celui-ci lui fait successivement essuyer, dès qu'il est à portée, le feu de ses differens rangs, & cela avec fermeté, sans se troubler & en ajustant bien ; peut-on douter que le bataillon assaillant qui a souffert plusieurs décharges, ne soit dans un plus grand desordre, & un plus grand état de foiblesse que l'autre ? Comme on suppose que les soldats de ce dernier bataillon ne s'étonnent point, qu'ils savent les pertes que leur feu a dû faire souffrir à l'ennemi, & la supériorité qu'il a dû par conséquent leur donner ; il paroît évident que dans ces circonstances le bataillon qui a tiré, doit l'emporter sur celui qui a été plus ménagé de son feu : s'il en arrive autrement, c'est que les soldats ne sont point assez exercés, qu'on ne leur fait pas sentir, comme on le devroit, le dommage que des décharges faites avec attention & justesse doivent causer à l'ennemi. Dans cet état il n'est pas étonnant que la frayeur s'empare de leur esprit, & qu'elle les porte à faire volte-face, comme on vient de le dire ci-devant. C'est pourquoi les succès de la méthode d'aborder l'ennemi sans tirer, ne prouvent point que cette méthode soit la meilleure ; mais seulement que les troupes contre lesquelles elle a réussi avoient peu de fermeté, qu'elles mettoient uniquement leur confiance dans leur feu, & qu'elles n'étoient point suffisamment exercées.

Il suit de-là que si l'on attaquoit des troupes également fermes & aguerries, il seroit très-important de se servir de son feu en allant à l'abordage. C'est le sentiment de M. le marquis de Santa-Crux.

Si dès que vous êtes à portée de tirer sur les ennemis, vous ne le faites pas, dit ce savant auteur, " vous vous privez de l'avantage d'en tuer plusieurs & d'en intimider plusieurs autres par le sifflement des balles & par le spectacle de leurs camarades morts ou blessés : vous ne profitez pas de l'effet, continue-t-il, que cette frayeur & ce spectacle auroient fait sur les ennemis, & principalement sur leurs hommes de recrue & leurs nouveaux soldats qui sont plus troublés par le danger, & ayant leurs mains & leurs armes aussi tremblantes que leur pouls est agité, tireront aussi-tôt vers le ciel que vers la terre ; au lieu que n'étant point encore effrayés par aucune perte, ils coucheront en joue avec moins de trouble, & vous aborderont ensuite avec l'arme blanche, lorsque par leur feu votre armée sera déjà beaucoup diminuée & intimidée ".

M. de Santa-Crux confirme ce raisonnement par un exemple qu'il rapporte de l'attaque des lignes de Turin, au dernier siége de cette ville en 1706.

Lorsque les Impériaux voulurent forcer ces lignes, ils furent d'abord repoussés par les décharges qu'on leur fit essuyer : " mais lorsque peu après Victor Amedée roi de Sardaigne, le prince Eugene de Savoie, & le prince d'Anhalt, eurent par leurs paroles & par leurs exemples rallié ces mêmes troupes, on donna ordre aux troupes françoises (qui défendoient les lignes) de reserver leur feu, & de ne tirer qu'à brûle-pourpoint. Dans cette seconde attaque, les Allemands n'ayant eu que ce seul feu à essuyer, aborderent avec toutes leurs forces, & sans avoir le tems de refléchir sur le danger, ils franchirent en un instant le retranchement ".

Cet exemple, quoique d'une espece un peu différente de celle de deux troupes d'infanterie qui se chargent en plaine ou en terrein uni, prouve au moins l'impression que fait sur les troupes le feu qui précede le moment où elles peuvent se joindre ou s'aborder ; car à l'égard de celles qui sont derriere des lignes ou des retranchemens, personne n'ignore qu'elles doivent faire le plus grand feu qu'il est possible, lorsque l'ennemi est une fois parvenu à la portée du fusil ; c'est même pour l'y exposer plus longtems qu'on fait des avant-fossés, des puits, &c. Voy. LIGNES.

En supposant les troupes d'infanterie à quatre de hauteur, comme elles l'étoient dans la guerre de 1701, & dans les deux dernieres guerres, M. de Santa-Crux propose de les faire tirer par rang, mais en faisant une espece de feu roulant par demi-rang de compagnie. Le premier demi-rang de la premiere compagnie à droite ou à gauche, doit d'abord commencer à faire feu ; les premiers demi-rangs de chaque compagnie en font successivement de même, en suivant tout le front de la ligne ; le second rang fait ensuite la même manoeuvre, puis le troisieme & le quatrieme.

Cet auteur pense aussi, comme beaucoup d'autres habiles militaires, qu'il faut dans un combat placer les meilleurs tireurs au premier rang, & leur ordonner de tirer sur les officiers ; parce que lorsqu'une troupe est une fois privée de ses commandans, il est ordinairement fort aisé de la rompre.

" Lorsqu'il s'agit de faire feu, les officiers doivent s'incorporer dans le premier rang, & mettre un genou à terre lorsque ce rang le met ; autrement dans peu de minutes, il n'y aura plus d'officiers, soit par leurs propres soldats qui involontairement tireront sur eux, soit par les ennemis qui ajusteront leurs coups contre ceux qu'ils distingueroient ainsi pour officiers ". Réflex. militaires de M. de Santa-Crux.

C'est pour éviter cet inconvénient, que les rangs pour tirer doivent s'emboîter, pour ainsi dire, les uns dans les autres. Voyez EMBOITEMENT.

Le savant militaire que nous venons de citer, propose pour rendre le feu des ennemis moins dangereux, de faire mettre genou à terre à toute la troupe qui est à portée de l'essuyer, & cela lorsqu'on voit qu'ils mettent en joue. Cet expédient peut rendre inutile un grand nombre de leurs coups, parce qu'il n'y a plus guere que la moitié du corps qui y soit exposée, & que d'ailleurs le défaut des soldats est de tirer presque toûjours trop haut. Il est clair que pour se placer ainsi, il faut que les ennemis soient assez éloignés, pour qu'on ait le tems de se relever avant de pouvoir en être joint. Cet auteur rapporte à ce sujet, que le chevalier d'Alsfeld ayant attaqué auprès de Saint-Etienne de Liter " un détachement d'infanterie angloise, qui mit genou à terre au moment qu'elle vit les François en posture de faire leur décharge, elle se releva aussi-tôt sans en avoir reçu aucun mal ".

Ce même expédient a été pratiqué dans plusieurs autres occasions, avec le même succès.

Au lieu de faire mettre genou en terre aux troupes, on pourroit les garantir encore davantage du feu de l'ennemi, en leur faisant mettre ventre à terre : mais il ne seroit pas sûr de l'ordonner à celles dont la bravoure ne seroit pas parfaitement reconnue ; parce qu'il pourroit arriver qu'on eût ensuite quelque difficulté à les faire relever.

Lorsqu'un bataillon fait usage de son feu sur un bataillon ennemi, & que les deux troupes ne sont au plus qu'à la demi-portée du fusil, les soldats doivent s'appliquer à tirer au ventre de ceux qui leur sont opposés ; & si on les fait tirer sur une troupe de cavalerie, au poitral des chevaux.

M. de Santa-Crux prétend que les Hollandois, pour tirer, appuient la crosse du fusil au milieu de l'estomac, afin d'être forcés par cette posture à tirer bas ; & il observe que cette maniere de tirer, qui ne doit point être imitée parce qu'elle est très-incommode, & qu'elle ne permet guere d'ajuster le coup, fait voir au moins que cette nation a parfaitement compris que le défaut ordinaire des soldats est de tirer trop haut, & qu'elle a cherché le moyen d'y remédier. Si elle ne l'a point fait avec succès, les autres nations peuvent le faire plus heureusement. Cette découverte paroît mériter l'attention des militaires les plus appliqués à leur métier.

Jusqu'ici nous n'avons parlé que du feu de l'infanterie : il s'agit de dire à-présent un mot de celui de la cavalerie.

Suivant M. de Folard, le feu de la cavalerie est moins que rien, l'avantage du cavalier ne consistant que dans son épée de bonne longueur.

Cette décision de l'habile commentateur de Polybe est sans-doute trop rigoureuse : car il y a beaucoup d'occasions où le feu de la cavalerie est très-utile. Il est vrai que les coups tirés à cheval ne s'ajustent pas avec la même facilité que ceux que l'on tire à pié ; mais dans les marches où la cavalerie se trouve quelquefois sans infanterie, elle peut se servir très-avantageusement de son feu, soit pour franchir un passage défendu par des paysans, ou pour éloigner des troupes legeres qui veulent l'harceler dans sa marche. Elle peut encore se servir de son feu très-avantageusement dans les fourrages & dans beaucoup d'autres occasions. Mais la cavalerie doit elle se servir de son feu dans une bataille rangée ? M. de Santa-Crux prétend que non, sur-tout si, comme la cavalerie espagnole, elle est montée sur des chevaux d'Espagne, qui par leur vivacité & leur ardeur, mettent le desordre dans les escadrons au bruit des coups de fusils de ceux qui les montent.

M. le maréchal de Puységur pense sur ce sujet autrement que le savant auteur espagnol : " Mon opinion, dit-il (dans son livre de l'art de la guerre), est que les escadrons qui marchent l'un à l'autre pour charger l'épée à la main, peuvent avant de se servir de l'épée, tirer de fort près, & ce au moindre signal ou parole du commandant de l'escadron, & charger aussi-tôt l'épée à la main ".

A l'égard de la maniere de charger, voici, dit cet illustre auteur, ce que j'ai vû & ce que j'ai reconnu être facile à pratiquer.

" La ligne des escadrons de l'ennemi voyoit notre ligne de cavalerie marcher au pas, pour la charger l'épée à la main, sans se servir d'aucune arme à feu, soit officiers ou cavaliers. Quand notre ligne fut environ à huit toises de distance (cette cavalerie avoit son épée pendue au poignet, officiers & cavaliers avoient leurs mousquetons pendans à la bandouliere), les officiers & cavaliers prirent le mousqueton de la main droite, & de cette seule main coucherent en joue, chacun choisissant celui qu'il vouloit tirer : dès que le coup fut parti, ils laisserent tomber le mousqueton qui étoit attaché à la bandouliere ; & empoignant leur épée, ils reçurent notre cavalerie l'épée à la main, & combattirent très-bien. Par ce feu tiré de près, il tomba bien de nos gens ; néanmoins malgré cela, comme notre corps de cavalerie étoit tout ce que nous avions de meilleur, celle de l'ennemi, quoiqu'elle fût encore plus nombreuse que la nôtre, fut battue. Mais ce ne fut pas les armes à feu dont ils se servirent, qui en furent cause ; car s'ils n'avoient pas tiré & tué des hommes de notre premier rang, ils en auroient été plûtôt renversés. J'ai reconnu même, continue M. de Puységur, que si notre cavalerie qui renversa cette ligne des ennemis, avoit tiré, celle-ci n'auroit pas tiré avec la même assûrance qu'elle a pû faire ; & comme nos troupes étoient un corps distingué, il auroit commencé par mettre bien des hommes hors de combat. Ainsi quand on dit que des escadrons pour avoir tiré ont été battus, je réponds que quand ils n'auroient pas tiré, ils ne l'eussent pas été moins. De pareilles raisons sont souvent un prétexte pour ne pas avoüer qu'on a mal combattu. Cela peut encore venir de ce que les officiers & les cavaliers ne sont ni instruits ni exercés. Or l'on doit avoir pour principe de ne jamais rien demander à des troupes dans l'action, à quoi elles n'auront pas été exercées d'avance ". C'est pourquoi lorsqu'on est sûr des troupes de cavalerie qu'on fait combattre, il n'y a pas à balancer de les faire tirer, & même les autres, dit-il, quand on les aura instruits. Art de la guerre de M. le maréchal de Puységur, tom. I. pag. 253.

Quant à l'inconvénient qu'on prétend qui résulte du bruit des armes à feu, par rapport au mouvement qu'il cause parmi les chevaux de l'escadron, M. de Puységur y répond, en faisant observer " qu'il n'est point prouvé que si votre ennemi tire sur vous, & que vous ne tiriez pas, vos chevaux ayent moins de peur que les siens, puisque le feu va droit aux yeux des vôtres, & qu'ils entendent aussi le sifflement de la balle qui leur fait peur ".

De toutes ces raisons, il s'ensuit que conformément à ce qui a déjà été remarqué sur le feu de l'infanterie, toutes les fois qu'on approche de l'ennemi pour le combattre, il faut toûjours lui faire tout le mal possible avant de le joindre ; comme lorsque la cavalerie s'avance pour charger, il n'y a que le premier rang qui puisse tirer ; il ne doit faire sa décharge, comme M. de Puységur l'a vû pratiquer, que lorsqu'il est au moment de tomber sur l'ennemi : mais si les troupes de cavalerie ne peuvent se joindre, chaque rang peut alors tirer successivement en défilant à droite & à gauche de l'escadron, après avoir tiré, pour aller se reformer derriere les autres rangs.

Les cavaliers & les dragons armés de carabines, & que pour cet effet on appelle carabiniers, ayant des armes dont la portée est plus grande que celle du fusil & du mousqueton, doivent en faire usage sur l'ennemi dès qu'il peut être atteint : c'est-à-dire, suivant M. de Santa-Crux, depuis que les ennemis sont à la distance d'environ douze cent piés ou deux cent toises, jusqu'à ce qu'ils arrivent à la portée des fusils ordinaires qu'il évalue à huit cent piés : pendant que l'ennemi parcourt cet espace, les carabiniers de cavalerie & de dragons ont le tems, dit cet auteur, de pouvoir à l'aise assûrer leurs armes dans le porte-fusil ou porte-mousqueton.

La distance de huit cent piés ou de cent trente toises, que M. de Santa-Crux donne à la portée du fusil, paroît être tirée des auteurs qui ont écrit sur la fortification, lesquels presque tous fixent leur ligne de défense de cette quantité, pour la rendre égale à la portée du fusil de but en blanc.

Dans la guerre des siéges on ne peut guere faire usage que de cette portée, au moins dans le feu des flancs ; parce qu'autrement l'effet en seroit trop incertain : mais seroit-ce la même chose dans la guerre de campagne ? C'est un point qui n'a pas encore été examiné, & qui semble néanmoins mériter de l'être.

Il est évident que si le fusil porte cent vingt & cent trente toises de but en blanc, tiré à-peu-près horisontalement, sa portée sera plus grande sous un angle d'élévation, comme de douze ou quinze degrés, & qu'elle augmentera jusqu'à ce que cet angle soit de quarante-cinq degrés.

Le canon dont la portée de but en blanc n'est guere que de trois cent toises, porte son boulet, étant tiré à toute volée, depuis 1500 toises jusqu'à deux mille & plus. On convient que l'effet du fusil tiré de cette maniere ne seroit nullement dangereux, parce que la balle, eu égard à son peu de grosseur, perd plûtôt son mouvement que le boulet de canon : mais on pourroit éprouver la force & la portée de la balle sous des angles au-dessous de quarante-cinq degrés, comme de douze, quinze, ou vingt degrés ; & alors on verroit si l'on peut faire usage du fusil à une plus grande distance que celle de cent vingt ou cent trente toises.

Comme toutes les choses qui peuvent nous procurer des connoissances sur les effets & les propriétés des armes dont nous nous servons à la guerre, ne peuvent être regardées comme indifférentes ; on croit que les expériences qu'on vient de proposer, qui ne sont ni difficiles ni dispendieuses, méritent d'être exécutées.

En supposant qu'elles fassent voir, comme il y a beaucoup d'apparence, que le fusil tiré à-peu-près sous un angle de quinze degrés, peut endommager l'ennemi à la distance de trois cent toises, & au-delà, on pourra dire qu'il sera fort difficile de faire tirer le soldat de cette maniere : d'autant plus qu'aujourd'hui on a beaucoup de peine à le faire tirer horisontalement ; que d'ailleurs si l'on pouvoit y parvenir, il seroit à craindre qu'il ne contractât l'habitude de tirer de même lorsque l'ennemi seroit plus près, ce qui seroit un très-grand inconvénient. Mais on peut répondre à ces difficultés que dans le cas d'un éloignement, comme de trois cent toises, le soldat seroit averti de tirer vers le sommet de la tête de l'ennemi ; & lorsqu'il en seroit plus près, de tirer au milieu du corps, comme on le fait ordinairement.

Mais quand il y auroit des difficultés insurmontables à faire tirer le soldat à la distance de trois cent toises, lorsqu'il s'avance vers l'ennemi pour le combattre, ne seroit-il pas toûjours très-avantageux de pouvoir faire usage de la mousqueterie à cette distance, lorsqu'on est derriere des retranchemens dans un chemin-couvert ? &c. C'est aux maîtres de l'art à le décider.

Nous n'avons parlé jusqu'ici que du feu de la mousqueterie ; il s'agiroit d'entrer dans quelques détails sur celui de l'artillerie, c'est-à-dire sur celui du canon & des bombes : mais pour ne pas trop allonger cet article, nous observerons seulement à cet égard que ce feu qui inquiete toûjours beaucoup le soldat ne doit point être négligé ; qu'une armée ou un détachement ne sauroit exécuter aucune opération importante sans canon ; & qu'il seroit peut-être fort utile qu'à l'imitation de plusieurs nations de l'Europe, chaque bataillon eût toûjours avec lui quelques petites pieces d'artillerie dont il pût se servir dans toutes les occasions.

Comme le feu du canon agit de très-loin, personne n'a pensé qu'il fallût l'essuyer sans y répondre : le seul moyen d'en diminuer l'activité est d'en faire un plus grand, si l'on peut. Les tirs dans une bataille doivent être toûjours obliques au front de l'armée ennemie, afin d'en parcourir une plus grande partie. Les plus avantageux sont ceux qui sont perpendiculaires aux aîles ou aux flancs de l'armée ; mais un ennemi un peu intelligent a grand soin d'éviter que ses flancs soient ainsi exposés au canon de son adversaire.

La maniere la plus convenable de tirer le canon, lorsque l'on n'est guere qu'à la distance de cinq ou six cent toises de l'ennemi, est à ricochet. Voyez RICOCHET. Le boulet fait alors beaucoup plus d'effet que lorsque le canon est tiré avec plus de violence, ou avec de plus fortes charges que n'en exige le ricochet.

M. de Folard prétend que le feu du canon n'est redoutable que contre les corps qui restent fixes, sans mouvement & action ; ce qu'il dit avoir observé dans plusieurs affaires, " où les deux partis se passoient réciproquement par les armes, sans que l'un ni l'autre pensât, ou pour mieux dire, osât en venir aux mains dans un terrein libre. Une canonnade réciproque, selon cet auteur, marque une grande fermeté dans les troupes qui l'essuient sans branler, mais trop de circonspection, d'incertitude, ou de timidité dans le général : car le secret de s'en délivrer n'est pas, dit-il, la magie noire. Il n'y a qu'à joindre l'ennemi ; on évite par ce moyen la perte d'une infinité de braves gens ; & le général se garantit du blâme qui suit ordinairement ces sortes de manoeuvres ". Traité de la colonne, p. 48. (Q)

FEU est aussi un terme de guerre qui signifie les feux qu'on allume dans un camp pendant la nuit. Chambers.

FEU DE COURTINE, voyez SECOND FLANC.

FEU FICHANT, voyez FICHANT.

FEU RASANT, c'est dans la Fortification celui qui est fait par des armes à feu dont les coups sont tirés parallelement à l'horison, & un peu au-dessus ; ou bien c'est celui qui est tiré parallelement aux parties de la fortification que l'on défend.

Ainsi lorsque les lignes de défenses sont rasantes, le feu du flanc est rasant ; celui du chemin-couvert & des autres dehors dont le terre-plein est au niveau de la campagne, est aussi un feu rasant. (Q)

FEU, (Marine) Donner le feu aux bâtimens, c'est à-dire mettre le vaisseau en état d'être braié : cela se fait par les calfateurs, qui après avoir rempli d'étoupes les jointures du bordage, allument de petits fagots faits de branches de sapin, & emmanchés au bout d'un bâton ; ils les portent tous flambans sur la partie du bordage qui a besoin d'être carénée ; & quand elle est bien chaude par le feu qu'on y a mis, ils appliquent le brai dessus. Voyez CHAUFFER UN VAISSEAU.

Donner le feu à une planche, c'est la mettre sur le feu & la chauffer pour la courber. Voyez CHAUFFER UN BORDAGE. (Z)

FEU, (Marine). On donne ce nom au fanal ou lanterne que l'on allume de nuit sur la poupe des vaisseaux, lorsque l'on marche en flotte. Quand il fait un gros tems & nuit obscure, & que l'on craint que les vaisseaux ne s'abordent les uns les autres, ils mettent tous des feux à l'arriere, on se sert des feux ou fanaux pour signaux des différentes manoeuvres dont on veut avertir l'escadre, ou pour indiquer les besoins qu'on peut avoir.

La situation & le nombre des feux de chaque vaisseau de guerre se regle sur le rang des commandans : le roi de France, par son ordonnance de 1670, veut que l'amiral porte quatre fanaux ; que le vice-amiral, le contre-amiral, & le chef d'escadre, en portent chacun trois en poupe ; les autres vaisseaux n'en doivent porter qu'un.

On porte des feux de diverses manieres, soit à la grande hune, soit à celle d'artimon, soit aux haubans, selon que le commandant l'a reglé pour indiquer certains signaux dont on est convenu. (Z)

FEU, (Marine) terme de commandement sur un vaisseau pour dire aux canonniers de tirer.

Faire feu des deux bords, c'est tirer le canon des deux côtés du vaisseau en même tems. (Z)

FEU, CAUTERE, (Manége & Maréchal.) termes synonymes. Le premier est particulierement usité parmi les maréchaux dans le sens des cauteres actuels : quelques-uns de nos auteurs l'ont aussi employé dans le sens des cauteres potentiels qu'ils ont appellés feux morts, & quelquefois rétoires, du mot italien retorio, cautere. Voyez CAUTERE.

Le feu actuel ou le cautere actuel n'est à proprement parler que le feu même uni & communiqué à tels corps ou à telles matieres solides capables de le retenir en plus ou moins grande quantité, & pendant un espace de tems plus ou moins long.

Ses effets sur le corps de l'animal varient selon la différence de ses degrés.

1°. L'irritation des solides, la raréfaction des humeurs, sont le résultat d'une legere brûlure.

2°. Cette brûlure est-elle moins foible ? La sérosité s'extravase ; les liens qui unissoient l'épiderme à la peau sont détruits ; & cette cuticule soûlevée, nous appercevons des phlictenes.

3°. Une impression plus violente altere & consume le tissu des solides : par elle les fluides sont absorbés ; leurs particules les plus subtiles s'exaltent & s'évaporent ; de maniere que dans le lieu qui a subi le contact du feu, on n'entrevoit qu'une masse noirâtre que nous nommons escare, & qui n° est autre chose qu'un débris informe des solides brûlés & des liquides dessechés ou concrets.

C'est cette escare que nous nous proposons toûjours de solliciter dans l'usage & dans l'emploi que nous faisons du cautere. On doit l'envisager comme une portion qui privée de la vie est devenue totalement étrangere : elle est de plus nuisible en ce qu'elle s'oppose à la circulation ; mais bientôt la nature elle-même fait ses efforts pour s'en délivrer. Les liqueurs contenues dans les tuyaux dont les extrémités ont cédé à l'action du fer brûlant, arrivent jusqu'à l'obstacle que leur présente ce corps dur & pour ainsi dire isolé ; elles le heurtent conséquemment à chaque pulsation, soit du coeur, soit des arteres ; elles s'y accumulent, elles produisent dans les canaux voisins un engorgement tel que leurs fibres distendues & irritées donnent lieu à un gonflement, à une douleur pulsative ; & les oscillations redoublées des vaisseaux operent enfin un déchirement. Un suintement des sucs que renfermoient ces mêmes vaisseaux oblitérés annonce cette rupture ; & ce suintement est insensiblement suivi d'une dissolution véritable des liqueurs mêlées avec une portion des canaux qui ont souffert ; dissolution qui anéantissant toute communication, & détruisant absolument tous points d'union entre le vif & le mort, provoque la chûte entiere du sequestre, & ne nous montre dans la partie cautérisée qu'un ulcere dans lequel la suppuration est plus ou moins abondante, selon le nombre des canaux ouverts.

De la nature des sucs qui s'écoulent & qui forment la matiere suppurée, dépendent une heureuse réunion & une promte cicatrice : des liqueurs qui sont le fruit d'une fermentation tumultueuse, & dont l'acreté, ainsi que l'exaltation de leurs principes, démontrent plûtôt en elles une faculté destructive qu'une faculté régénérante, ne nous prouvent que le retardement de l'accroissement que nous desirons ; elles le favorisent, il est vrai, mais indirectement, c'est-à-dire en dissipant les engorgemens qui s'opposent à l'épanchement de cette lymphe douce & balsamique, qui, parfaitement analogue à toutes les parties du corps de l'animal, & répandue sur les chairs, en hâte la reproduction par une assimilation inévitable. Tant que ces matieres qui ont leur source dans les humeurs qui gorgent les cavités & les interstices des vaisseaux, subsistent & fluent, toute régénération est donc impossible. Dès qu'elles font place à ce suc, dont toutes les qualités extérieures nous attestent l'étroite affinité qui regne entre ses molécules & les parties qui constituent le fond même sur lequel il doit être versé, & que ce même suc peut suinter des tuyaux lymphatiques dans la plaie, sans aucune contrainte & sans aucun mélange d'un fluide étranger capable de le vicier & de combattre ses effets, la réunion que nous attendons est prochaine.

Elle sera dûe non-seulement à la juxta-position & à l'exsiccation de la seve nourriciere charriée vers les extrémités des capillaires dégagés, conséquemment aux mêmes mouvemens des solides & des fluides, qui dans la substance engorgée formoient le pus, mais encore à un leger prolongement des canaux. J'observe d'une part que le jour que les liquides se sont frayés n'est pas tel que le diametre des vaisseaux dilacérés soit dans un état naturel : l'issue des liqueurs n'est donc pas absolument libre. Or la résistance qu'elles éprouvent, quelque foible qu'elle puisse être, les oblige de heurter contre les parois de ces mêmes vaisseaux, qui, vû la déperdition de substance, ont cessé d'être gênés, comprimés, & soûtenus par les parties qui les avoisinoient : ainsi leurs fibres cédant aux chocs & aux coups multipliés & réitérés qu'elles essuient, se trouvent nécessairement & facilement distendues dans le vuide : cette augmentation de longueur ne peut être telle néanmoins qu'elle procure l'entiere réunion ; aussi je remarque d'un autre côté que les liquides consomment l'ouvrage. La plus grande partie de ceux qui s'évacuent par les orifices des vaisseaux legerement ouverts, fournit la matiere suppurée : mais la portion la plus onctueuse de la lymphe poussée vers l'extrémité des canaux des bords de l'ulcere, en suinte goutte-à-goutte. Chaque molécule qui excede l'aire du calibre tronqué, s'arrête à l'embouchure, s'y congele, s'y épaissit, & s'y range circulairement, de maniere qu'elle offre un passage à celles qui la suivent, & qui se figent & se placent de même, jusqu'à ce que le progrès des couches soit à un tel degré que les capillaires n'admettant que les parties vaporeuses, & contraignant les liqueurs qui se présentent & qu'ils rejettent, d'enfiler les veines qui les rapportent à la masse, la cavité de l'ulcere soit remplie & la cicatrice parfaite.

Les moyens de cette reproduction nous indiquent 1°. comment les cicatrices, sur-tout celles qui sont considérables, forment toûjours des brides ; ils nous apprennent 2°. pourquoi elles sont plus basses que le niveau de la peau ; 3°. par eux nous pouvons expliquer comment, dans cette substance régénérée, on ne voit au lieu d'un ensemble de tuyaux exactement cylindriques & parfaitement distincts, qu'un amas de petites cavités dont les parois, irrégulierement adhérentes les unes aux autres, ne présentent, pour ainsi dire, qu'un corps spongieux, mais assez dense, dont la solidité accroît à mesure qu'il s'éloigne du fond, & que les fluides y sont plus rares, ce qui rend la cicatrice extérieurement plus dure & plus compacte ; 4°. Enfin ils nous dévoilent sensiblement les effets des cicatrices multipliées.

Les suites de la cautérisation des parties dures sont à-peu-près les mêmes que celles qui ont fixé notre attention relativement aux parties molles.

Le feu appliqué sur les os, desseche en un instant les fibres osseuses, il crispe, il oblitere les vaisseaux qui rampent entr'elles ; les sucs nécessaires que ces vaisseaux charrient, sont aussi-tôt exaltés & dissipés, & toute la portion soûmise à l'instrument brûlant, jaunit, noircit ; elle cesse d'être vivante, & répond precisément à ce que nous venons de nommer escare. Ici elle n'est jamais aussi profonde. La chûte en est plus lente & plus tardive, parce que les vaisseaux de la substance osseuse ne sont point en aussi grande quantité, & que les sucs y sont moins abondans. Quoiqu'il en soit, les bornes de l'exsiccation sont celles de la partie ruinée qui doit être détachée de la partie saine & non morte. C'est à la surface de celle-ci que les oscillations redoublées qui commencent à ébranler la premiere, se font sentir. Ces oscillations sont suivies de la rupture des canaux à leurs extrémités, la séparation desirée se trouve alors ébauchée ; mais ces canaux dilacérés, qui laissent échapper une humeur qui s'extravase, végétant, pullulant eux-mêmes, se propageant & s'unissant insensiblement, fournissent-ils une chair véritable ? l'exfoliation sera bien-tôt accomplie, vû l'accroissement de cette même chair qui soûlevera & détachera entierement enfin le corps étranger, & qui acquierra une consistance aussi ferme & aussi solide que celle dont joüissoit le corps auquel elle succede.

Ces effets divers que je ne pouvois me dispenser de détailler, parce qu'ils ont été jusqu'ici également inconnus aux écuyers qui ont écrit, aux maréchaux qui pratiquent, & aux demi-savans qui dogmatisent, sont la base sur laquelle nous devons asseoir tous les principes en matiere de cautérisation.

Il est des cas où elle est salutaire, il en est où elle est nuisible, il en est où elle inutile.

Ceux dans lesquels l'énergie du feu est évidente, sont, quant aux parties dures, les caries, puisque l'exfoliation qu'il procure n'est autre chose que la chûte de la portion viciée de l'os ; & quant aux parties molles, les bubons pestilentiels ; les ulceres chancreux qui n'avoisinent point, ainsi que le fic, connu sous le nom de crapaud, des parties délicates, telles, par exemple, que l'expansion aponévrotique sur laquelle il est quelquefois situé ; les morsures des animaux venimeux ; celles des animaux enragés ; les gangrenes humides, qui sans être précédées d'inflammation, font tomber les parties en fonte ; les gangrenes avancées ; les ulceres avec hyporsarcose ; les engorgemens oedémateux accidentels, & même les engorgemens tendans au skirrhe, qui occupent une grande étendue ; les tumeurs dures, skirrheuses, circonscrites, les hémorrhagies qui n'ont pas lieu par des vaisseaux d'un diametre absolument considérable, pourvû que les vaisseaux puissent être atteints sans danger ; les solutions de continuité de l'ongle, telles que les seymes, les legeres excroissances que nous appellons fic, verrues ou poireaux, &c. en un mot, dans toutes les circonstances où il importe de frayer une issue à une matiere ennemie, dont le séjour dans la partie, ou dont le retour dans les routes circulaires seroit funeste, & qu'il seroit extrèmement dangereux de laisser pénétrer dans la masse des liqueurs ; de constituer une humeur morbifique & maligne dans une entiere impuissance, soit par l'évaporation de ses parties les plus subtiles, soit par la fixation ou la coagulation de ses parties les plus grossieres ; de dessécher puissamment, & de produire dans les vaisseaux dont l'affaissement ne s'étend pas au-delà de la partie affectée, une irritation absolument nécessaire ; d'interrompre toute communication entre des parties saines & une partie mortifiée ; d'en hâter la séparation ; de dissiper une humidité surabondante, & de procurer à des fibres dont le relâchement donne lieu à des chairs fongueuses & superflues, la fermeté & la solidité dont elles ont besoin ; d'absorber la sérosité arrêtée & infiltrée dans les tégumens, lorsque nul topique n'a pû l'atténuer & la résoudre ; de l'évacuer & de faire rentrer par une suppuration convenable les vaisseaux dans leur ton & dans leur état naturel, ce qui demande beaucoup de sagacité & de prudence ; de mettre en mouvement une humeur stagnante & endurcie, & d'en faciliter le dégorgement ; d'accélerer par l'explosion une dissolution & une fonte heureuse de la matiere épaissie qui forme les tumeurs skirrheuses, ce qui se pratique plus communément que dans le cas précédent, pourvû que l'on n'apperçoive aucune disposition inflammatoire ; de crisper & de contracter dans l'instant l'orifice d'un vaisseau coupé, & de réduire le sang en une masse épaisse qui bouche ce même orifice ; de faire une plaie à l'effet de solliciter la végétation de plusieurs petits vaisseaux qui par leur régénération procureront la réunion de l'ongle dont ils acquierront la consistance ; de détruire & de consumer en entier des tubercules legers ou des corps végétaux contre nature, qui s'élevent sur la superficie de la peau ; de prévenir les enflures & les engorgemens auxquels les parties déclives peuvent paroître disposées, en soûtenant par des cicatrices fortes & multipliées, la foiblesse & l'inertie des vaisseaux : dans toutes ces circonstances, dis-je, l'application du cautere ardent est d'une efficacité véritable.

Elle est incontestablement nuisible, lorsque l'oedeme reconnoît pour cause une cachexie ou une mauvaise disposition intérieure ; elle est toûjours pernicieuse dans tous les cas où l'inflammation est marquée sensiblement. Tout habile praticien la rejette, quand il prévoit qu'elle peut offenser des vaisseaux considérables ; il la bannit à jamais relativement aux parties tendineuses, aponévrotiques & nerveuses, attendu les accidens mortels qui peuvent en être les suites.

Son insuffisance enfin est réelle, & son inutilité manifeste, dès que l'action du feu n'a pas lieu immédiatement sur la partie malade. Elle ne produit & ne peut donc rien produire d'avantageux, par exemple, dans les luxations, dans les entorses, dans toutes les extensions forcées des tendons, des muscles, des ligamens, & des fibres nerveuses, dans les courbes, dans les éparvins, dans les suros, dans les fusées, dans les osselets, &c. dans de semblables occasions en effet, nous ne portons jamais le cautere sur le siége du mal. J'ajoûterai que dans la plûpart d'entr'elles nous ne pourrions outre-percer le cuir & parvenir à ce siége, sans un péril certain & éminent, & sans rendre l'animal la victime d'une opération non moins préjudiciable & non moins superflue dans une multitude d'autres cas que je ne spécifierai point, la doctrine que j'ai établie & les vérités que je consacre ici, suffisant sans-doute à la révélation de toutes les erreurs de la Chirurgie vétérinaire à cet égard.

Parmi les matieres propres à l'oeuvre de la cautérisation, les métaux nous ont parû mériter la préférence. Nos instrumens sont ou de fer, ou de cuivre, ou d'argent. Les escares qui résultent de l'application des cauteres formés dans ce dernier métal, sont moins considérables : mais la dépense que ces cauteres occasionneroient, oblige nos maréchaux à employer plus généralement le cuivre & le fer. Nous donnons à ces métaux des formes diverses. Il est des cauteres plats ; il en est à noeud ou à bouton ; il en est de cutellaires ; il en est dont l'extrémité se termine en S, &c. Ceux dont on fait fréquemment usage, sont les cutellaires, les essiformes, & les cauteres à boutons.

Le cautere cutellaire est un demi-croissant, dont le contour intérieur tient lieu de côté au tranchant non affilé, formé par le contour extérieur. Cette portion de métal est toûjours emmanchée par sa partie la plus large & près de la côte, d'une tige, ou postiche, ou de même métal, à laquelle on donne plus ou moins de longueur. Ce manche est dans le même plan que la lame, & dans la même direction que le commencement de la courbure au départ du manche.

Le cautere essiforme est fait d'une lame de métal contournée & enroulée de telle sorte, qu'en la présentant de champ sur une surface, elle y imprime le caractere . Cette lame enroulée a environ une demi-ligne d'épaisseur, & l'S qu'elle trace est d'environ huit ou neuf lignes. Elle est ordinairement tirée d'une longue tige qui lui sert de manche, & dans le cas où elle seroit d'un autre métal, on lui en adapteroit une d'environ un pié de longueur.

Le cautere à bouton n'est proprement qu'une tige de fer terminée en une pointe courte, à quatre pans à-peu-près égaux : quelquefois ce bouton est de figure conoïde, & tel que celui que les Chirurgiens appellent bouton à olive.

Il est encore des cauteres destinés à passer des sétons. Voyez SETON.

Les Maréchaux se servent du couteau pour donner le feu en croix, en étoiles, en maniere de raies plus ou moins étendues, différemment disposées, & qui représentent tantôt une patte d'oie, tantôt des feuilles de fougere ou de palme, tantôt la barbe d'une plume. Quelquefois ils l'appliquent en forme de roue, ils impriment alors très-légerement des especes de raies dans l'intérieur du cercle qu'ils ont marqué. Il en est qui au lieu de ces raies, y dessinent avec un cautere terminé en pointe, un pot de fleur : les armoiries du maître auquel appartient l'animal, une couronne, un oiseau, une rose ou autres fleurs quelconques, &c. soins inutiles, qui ne suffisent que trop souvent pour élever un aspirant au grade de maître, & qui, relativement à l'art, seront toûjours envisagés par ceux qui en connoîtront les vrais principes, comme chef-d'oeuvre de l'ignorance.

Les cauteres à bouton sont employés dans les cas où le maréchal veut donner quelques grains d'orge, ou semences de feu, c'est-à-dire, quand il se propose d'en introduire, par exemple, quelques pointes sur des lignes déjà tracées avec le cautere cutellaire. Ces boutons lui sont encore d'un grand secours, lorsqu'il s'agit d'ouvrir un abcès, de percer une tumeur, mais il est blâmable de ne pas considérer avec assez d'attention les circonstances dans lesquelles l'instrument tranchant seroit préférable. Voyez TUMEUR.

Quant aux cauteres essiformes, ils sont véritablement efficaces, eu égard aux seymes, en les appliquant transversalement, & de façon que l'S placée à l'origine de la solution de continuité, y réponde par son milieu ; ses deux extrémités s'étendent également sur chaque portion de l'ongle disjoint & séparé. Voyez SEYME.

Je ne peux me refuser ici à l'obligation de ne pas omettre quelques maximes qui ont rapport au manuel de la cautérisation.

La nécessité de s'assûrer parfaitement du cheval sur lequel on doit opérer, ne peut être révoquée en doute. Les uns le renversent & le couchent à terre, les autres l'assujettissent dans le travail ; il en est qui se contentent de se mettre, par le moyen des entraves & des longes, à l'abri des atteintes qu'ils pourroient en recevoir. Toutes ces précautions différentes dépendent du plus ou du moins de sensibilité & de docilité de l'animal, du tems que demande l'opération, & des douleurs plus ou moins vives qu'elle peut susciter. C'est aussi par la grandeur, la figure, la nature & le siége du mal, que nous devons nous regler & nous décider sur le choix des cauteres, qui d'ailleurs ne doivent point être chauffés au feu de la forge, mais à un feu de charbon de bois, toûjours moins acre que celui des charbons fossiles. S'il s'agit de cautériser à l'effet de procurer une exfoliation, il faut garantir avec soin les parties qui avoisinent lorsque nous nous disposons à brûler : nous méditons, par exemple, de porter un bouton de feu sur l'os angulaire, voyez FISTULE LACRYMALE ; alors par le moyen de l'entonnoir ou de la cannule, instrumens accessoires au cautere, nous remplissons cette intention. Dans d'autres cas où ces instrumens ne sauroient être d'usage, nous garnissons les chairs de compresses ou plumaceaux imbibés de quelque liqueur froide, & nous les préservons ainsi de l'impression de la chaleur & du feu. Il doit être en un degré plus ou moins considérable dans le cautere, & le cautere doit être plus ou moins fortement & long-tems appliqué, selon l'effet que nous en attendons, selon la profondeur de la carie, selon que l'os est spongieux ou compact, selon enfin que l'animal est plus ou moins avancé en âge ; on peut dire néanmoins en général, que relativement à la cautérisation des parties dures, l'instrument brûlant doit être plus chaud que relativement à la cautérisation des parties molles. Est-il question, eû égard à celles-ci, de remédier à une enflûre accidentelle oedémateuse, ou à un engorgement des jambes de la nature de celui qui tend au skirrhe ? le maréchal doit s'armer du cautere cutellaire chauffé, & tracer de haut en-bas sur les faces latérales de la partie engorgée, une ligne verticale directement posée sur l'intervalle qui sépare l'os & le tendon, & des lignes obliques qui partent de la premiere qui a été imprimée, & qui se répondent par leurs extrémités supérieures. Ici le cautere ne doit point outre-percer le cuir, la main qui opere doit être extrèmement legere ; il suffit d'abord d'indiquer seulement par une premiere application la direction de ces lignes ou de ces raies ; on y introduit ensuite d'autres couteaux de la même forme & de la même épaisseur, disposés exprès dans le feu & rougis de maniere qu'ils n'enflamment point le bois sur lequel on les passe, soit pour juger du degré de chaleur, soit pour en enlever la crasse ou les especes de scories que l'on y observe ; & la cautérisation doit être réiterée jusqu'à ce que le fond des raies marquées ait acquis & présente une couleur vive, qui approche de celle que nous nommons couleur de cerise. Une des conditions de cette opération, est d'appuyer sans force, mais également, le cautere dans toute l'étendue qu'il parcourt ; les couteaux dont se servent ordinairement les maréchaux, sont moins commodes & moins propres à cet effet que les couteaux à roulette, avec lesquels je pratique. Ceux-ci sont formés d'une plaque circulaire d'environ un pouce & demi de diametre, & de trois quarts de ligne d'épaisseur, percée dans son centre pour recevoir un clou rond qui l'assemble mobilement dans sa tige refendue par le bout, & en chape. L'impression de cette plaque rougie & qui roule sur la partie que je cautérise, par le seul mouvement & par la seule action de ma main & de mon poignet, est toûjours plus douce, moins vive & plus égale. Les cicatrices sont encore très-apparentes lorsque l'opérateur n'a pas eu attention à la direction des poils, il ne peut donc se dispenser de la suivre, pour ne pas détruire entierement ceux qui bordent l'endroit cautérisé, & qui peuvent le recouvrir après la réunion de la plaie. J'en ménage les oignons ou les bulbes, au moyen d'une incision que je fais à la superficie de la peau, incision qui précede l'application du cautere, & par laquelle je fais avec le bistouri le chemin que doit décrire l'instrument brûlant que j'insinue dans les ouvertures longitudinales que j'ai pratiquées, & dont l'activité est telle alors, que je suis rarement obligé de cautériser à plusieurs reprises. Cette maniere d'opérer semble exiger plus de soins, vû l'emploi du fer tranchant, mais les cicatrices qui en résultent, sont à peine sensibles au tact, & ne sont en aucune façon visibles. Leur difformité est moins souvent occasionnée par le feu, que par la négligence des palefreniers ou du maréchal, qui ont abandonné l'animal à lui-même, sans penser aux moyens de l'empêcher de mordre, de lécher, d'écorcher, de déchirer avec les dents les endroits sur lesquels on a mis le cautere, ou de frotter avec le pied voisin ces mêmes endroits brûlés ; ils pouvoient facilement y obvier par le secours du chapelet, voyez FARCIN, ou par celui des entraves dégagées de leurs entravons, auxquels on substitue alors un bâton d'une longueur proportionnée, qui ne permettant pas l'approche de la jambe saine, met celle qui a été cautérisée à l'abri de tout contact, de toute insulte & de tout frottement pernicieux.

M. de Soleysel fixe à vingt-sept jours la durée de l'effet du feu ; il en compte neuf pour l'augmentation, neuf pour l'état, & neuf pour le déclin. On pourroit demander à ses sectateurs, ou à ceux de ses copistes qui existent encore, ce qu'ils entendent véritablement par ce terme d'effet, & ce à quoi ils le bornent. Le restreignent-ils, comme ils le devroient, à la simple brûlure, c'est-à-dire à la simple production de l'escare ? l'étendent-ils à tous les accidens qui doivent précéder la suppuration qui occasionne la chûte du sequestre ? comprennent-ils dans ces mêmes effets, l'établissement de cette suppuration loüable qui nous annonce une promte régénération, & la terminaison de la cure ? Dans les uns ou dans les autres de ces sens, ils ne peuvent raisonnablement rien déterminer de certain. Le feu est appliqué sur des parties malades, tuméfiées, dont l'état differe toûjours ; les dispositions intérieures de chaque cheval sur lequel on opere, varient à l'infini : or comment assigner un terme précis aux changemens qui doivent arriver, & décider positivement du tems du rétablissement entier de l'animal ? Ce n'est, au reste, que quelques jours après que l'escare est tombée, qu'on doit le promener au pas & en main, pourvû que la situation actuelle de la plaie prudemment examinée avant de le solliciter à cet exercice, ne nous fournisse aucune indication contraire.

Quant à l'usage des cauteres à bouton, relativement aux tumeurs, nous devons, dans les circonstances où nous le croyons nécessaire, l'appliquer de maniere que nous puissions faire évanoüir toute dureté, tout engorgement, & que rien ne puisse s'opposer à la suppuration régénérante qui part des tuyaux sains, & de laquelle nous attendons de bonnes chairs, & une cicatrice solide & parfaite. Il est essentiel néanmoins de ne pénétrer jusqu'à la base de la tumeur, que lorsque cette même tumeur n'est pas située sur des parties auxquelles on doit redouter de porter atteinte. S'il en étoit autrement, je ne cautériserois point aussi profondément ; & dans le cas, par exemple, d'une tumeur skirrheuse placée sur une partie tendineuse, osseuse, &c. je me contenterois d'introduire le bouton de feu moins avant, sauf, lorsque le séquestre seroit absolument détaché, à détruire le reste des duretés, si j'en appercevois, par des pansemens méthodiques, & avec des cathérétiques convenables, c'est-à-dire avec des médicamens du genre de ceux dont je vais parler.

Feu mort, rétoire, cautere potentiel, caustiques, termes synonymes. Nous appellons en général des uns & des autres de ces noms, toute substance qui appliquée en maniere de topique sur le corps vivant, & fondue par la lymphe dont elle s'imbibe, ronge, brûle, consume, détruit les solides & les fluides, & les change, ainsi que le feu même, en une matiere noirâtre, qui n'est autre chose qu'une véritable escare.

C'est par les divers degrés d'activité de ces mixtes, que nous en distinguons les especes.

Les uns agissent seulement sur la peau, les autres n'agissent que sur les chairs dépouillées des tégumens ; il en est enfin qui operent sur la peau & sur les chairs ensemble.

Les premiers de ces topiques comprennent les médicamens que nous appellons proprement rétoires, & qui dans la Chirurgie sont particulierement désignés par le terme de vésicatoires. Les seconds renferment les cathérétiques ; & ceux de la troisieme espece, les escarotiques ou les ruptoires.

Le pouvoir des unes & des autres de ces substances résulte uniquement, quand elles sont simples, des sels acres qu'elles contiennent ; & quand elles sont composées, des particules ignées qui les ont pénétrées, ou de ces particules ignées & de leurs particules salines en même tems.

Les suites de l'application des caustiques naturels & non-préparés, doivent donc se rapporter à l'action stimulante de ces remedes, c'est-à-dire à l'irritation qu'ils suscitent dans les solides, & à la violence des mouvemens oscillatoires qu'ils provoquent ; mouvemens en conséquence desquels les fibres agacées sollicitent & hâtent elles-mêmes leur propre destruction, en heurtant avec force & à coups redoublés contre les angles & les pointes des sels dont ces mixtes sont pourvûs, & qui ont été dissous par l'humidité de la partie vivante.

A l'égard des caustiques composés, c'est-à-dire de ceux qui par le moyen des préparations galéniques & chimiques, ont subi quelqu'altération, non-seulement ils occasionneront les mêmes dilacérations & les mêmes ruptures ensuite de la dissolution de leurs sels, s'il en est en eux, mais ils consumeront le tissu des corps sur lesquels on leur proposera de s'exercer immédiatement ; leurs particules ignées suffisamment développées, & d'ailleurs raréfiées par la chaleur, joüissant de toute l'activité du feu, & se manifestant par les mêmes troubles & par les mêmes effets.

Les vésicatoires, de la classe de ceux que l'on distingue par la dénomination de rubéfians ou de phénigmes, n'excitant qu'une legere inflammation dans les tégumens du corps humain, seroient totalement impuissans sur le cuir du cheval ; mais l'impression des épispastiques, auxquels on accorderoit un certain intervalle de tems pour agir, seroit très-sensible. Les particules acres & salines de ceux-ci sont doüées d'une telle subtilité, qu'elles enfilent sans peine les pores, quelle que soit leur ténuité : elles s'insinuent dans les vaisseaux sudorifiques, elles y fermentent avec la sérosité qu'ils contiennent ; & les tuniques de ces canaux cedant enfin à leurs efforts, & à un engorgement qui augmente sans-cesse par la raréfaction & par le nouvel abord des liqueurs, laissent échapper une humeur lymphatique qui soûleve l'épiderme, & forme un plus ou moins grand nombre de vessies qui se montrent à la superficie de la peau. Les allongemens par lesquels cette membrane déliée se trouvoit unie aux vaisseaux qui ont été dilacérés, demeurent flottans, & s'opposent à la sortie de la sérosité dans laquelle ils nagent ; mais cette humeur triomphe néanmoins de ces obstacles après un certain tems, puisqu'elle se fait jour, & qu'elle suinte sous la forme d'une eau rousse & plus ou moins limpide.

A la vûe de l'inertie des cathérétiques appliqués sur les tégumens, & de leur activité sur les chairs vives, on ne sauroit douter de la difficulté que leurs principes salins ont de se dégager, puisqu'il ne faut pas moins qu'une humidité aussi considérable que celle dont les chairs sont abreuvées, pour les mettre en fonte, pour briser leurs entraves, pour les extraire, & pour les faire joüir de cette liberté sans laquelle ils ne peuvent consumer & détruire toutes les fangosités qui leur sont offertes.

Ceux qui composent une partie de la substance des ruptoires, sont sans-doute moins enveloppés, plus acres, plus grossiers, plus divisés & plus susceptibles de dissolution, dès qu'ils corrodent la peau même, & que de concert avec les particules ignées qu'ils renferment, ils privent de la vie la partie sur laquelle leur action est imprimée ; ce que nous observons aussi dans les cathérétiques, qui, de même que les ruptoires, ne peuvent jamais être envisagés comme des caustiques simples, & qui brûlent plus ou moins vivement toutes celles que la peau ne garantit pas de leurs atteintes.

Les ouvrages qui ont eu pour objet la medecine des chevaux, contiennent plusieurs formules des médicamens rétoires : celui qui a été le plus usité, est un onguent décrit par M. de Soleysel. L'insecte qui en fait la base, est le méloé ; il est désigné dans le système de la Nature, par ces mots, antennae filiformes, elytra dimidiata, alae nullae. Linnaeus, Fauna suecica, n°. 596. l'appelle encore scarabaeus majalis unctuosus. Quelques auteurs le nomment proscarabaeus, cantharus unctuosus ; le scarabé des Maréchaux. Il est mou, & d'un noir-foncé ; il a les piés, les antennes, le ventre, un peu violets, & les fourreaux coriaces. On le trouve dans les mois d'Avril & de Mai, dans les terreins humides & labourés, ou dans les blés. On en prend un certain nombre que l'on broye dans suffisante quantité d'huile de laurier, & au bout de trois mois on fait fondre le tout : on coule, on jette le marc, & on garde le reste comme un remede très-précieux, & qui doit, selon Soleysel, dissiper des suros, des molettes, des vessigons, &c. mais qui est très-inutile & très impuissant, selon moi, dans de pareilles circonstances.

Il est encore d'autres rétoires faits avec le soufre en poudre, du beurre vieux, de l'huile de laurier, des poudres d'euphorbe & de cantharides. J'ai reconnu que la qualité drastique de ces insectes n'est pas moins nuisible à l'animal qu'à l'homme, & qu'ils ne font pas en lui des impressions moins fâcheuses sur la vessie & sur les conduits urinaires ; mais quoique ces vésicatoires m'ayent réussi dans une paralysie subite de la cuisse, il faut convenir que dans la pratique nous pouvons nous dispenser en général d'en faire usage ; le séton brûlant opérant avec beaucoup plus de succès dans les cas où ils semblent indiqués, c'est-à-dire dans l'épilepsie, l'apoplexie, la léthargie, la paralysie, les affections soporeuses, les maladies des yeux, en un mot dans toutes celles où il s'agit d'ébranler fortement le genre nerveux, d'exciter des secousses favorables, & de produire des révulsions salutaires.

Les cathérétiques que nous employons le plus communément, sont l'alun brûlé, le cuivre brûlé, le verdet, l'iris de Florence, la sabine, l'arsenic blanc, le sublimé corrosif, l'arsenic caustique, le précipité blanc, l'onguent brun, l'onguent égyptiac, le baume d'acier ou le baume d'aiguille, &c.

Les ruptoires, que nous ne mettons presque toûjours en oeuvre que comme cathérétiques, sont l'eau ou la dissolution mercurielle, l'esprit de vitriol, l'esprit de sel, l'esprit de nitre, le beurre d'antimoine, l'huile de vitriol, l'eau-forte, la pierre infernale. Je dis que nous ne les appliquons communément que sur les chairs découvertes de la peau : il est rare en effet que dans les cas où il est question d'ouvrir des tumeurs, nous ne préférions pas le cautere actuel, dont les opérations sont toûjours plus promtes, & dont les malades que nous traitons ne sont point effrayés, à ces médicamens potentiels, qui peuvent d'ailleurs porter le poison dans le sang par l'introduction de leurs corpuscules, & qui demandent, eu égard à ce danger, beaucoup de circonspection & de sagacité dans le choix, dans les préparations, & dans l'application que l'on en fait. (e)

FEU, (Manége) cheval qui a du feu, cheval qui a de la vivacité, expressions synonymes. Il y a une très-grande différence entre le feu ou la vivacité de cheval, & ce que nous nommons en lui proprement ardeur. Le feu ou la vivacité s'appaisent, l'ardeur ne s'éteint point. Trop de feu, trop de vivacité formeront, si on le veut, ce que l'on doit entendre par le mot ardeur, & conséquemment ce terme présentera toûjours à l'esprit l'idée de quelque chose de plus que celle que nous attachons à ceux de vivacité & de feu. Le cheval qui a de l'ardeur, quelque vigoureux, quelque nerveux qu'il puisse être, doit être peu estimé. Le desir ardent & immodéré qu'il a d'aller en-avant, & de devancer les chevaux qui marchent ou qui galopent devant lui ; son inquiétude continuelle, son action toûjours turbulente, son trépignement, les différens mouvemens auxquels il se livre en se traversant sans-cesse, & en se jettant indistinctement tantôt sur un talon, tantôt sur un autre ; sa disposition à forcer la main, sont autant de raisons de le rejetter. Non-seulement il est très-incommode & très-fatigant pour le cavalier qui le monte, mais il se lasse & s'épuise lui-même ; la sueur dont il est couvert dans le moment, en est une preuve. Ces chevaux, dont le naturel est à-jamais invincible, sont d'ailleurs bientôt ruinés ; s'ils manquent de corps, la nourriture la meilleure & la plus abondante, l'appétit le plus fort, ne peuvent en réparer les flancs : ils demeurent toûjours étroits de boyau, & très-souvent la pousse termine leur vie. Tous ces vices ne se rencontrent point dans le cheval qui n'a que du feu : si son éducation est confiée à des mains habiles, sa vivacité ne le soustraira point à l'obéissance ; elle sera le garant de sa sensibilité & de son courage, elle ne se montrera que lorsque l'animal sera recherché, il n'en répondra que plus promtement aux aides, il n'en aura que plus de finesse ; & lorsqu'elle le déterminera à hâter, sans en être sollicité, ses mouvemens & sa marche, elle ne sera jamais telle qu'elle lui suggere des desordres, & qu'elle l'empêche de reconnoître le pouvoir de la main qui le guide. En un mot, la vivacité ou le feu du cheval peut être tempéré, son ardeur ne peut être amortie. Pourquoi donc a-t-on jusqu'à présent confondu ces expressions ? Il n'est pas étonnant que l'on abuse des termes dans un art où l'on n'a point encore médité sur les choses. (e)

FEU, (Manége) Accoûtumer le cheval au feu. Si la perte de la vie, & si, dans de certaines circonstances, la perte de l'honneur même du cavalier, peuvent être les suites funestes de l'emportement & de la fougue d'un animal qui, frappé de l'impression subite & fâcheuse de quelqu'objet, méconnoît aussitôt l'empire de toutes les puissances extérieures qui le maîtrisent, il est d'une importance extrème de ne négliger aucune des voies qui sont propres à donner de l'assûrance à des chevaux timides & peureux.

M. de la Porterie, mestre de camp de dragons, dans ses institutions militaires, ouvrage qui n'a paru minutieux qu'à des personnes peut-être plus bornées que les petits détails qu'elles méprisent & qu'elles dédaignent, propose des moyens d'autant plus sûrs d'accoûtumer l'animal au feu, que l'expérience a démontré l'excellence de sa méthode.

Il recommande d'abord d'en user avec beaucoup de sagesse & de patience : le succès dépend en effet de ces deux points. Il ne s'agit pas ici de vaincre & de dominer par la force un tempérament naturellement porté à l'effroi ; une terreur réitérée ne pourroit que donner aux fibres un nouveau degré de propension à celle qu'elles ont déjà ; il ne faut que les obliger insensiblement à céder & à se prêter au pli & aux déterminations qu'il est essentiel de leur suggérer.

La route que tient M. de la Porterie, est entierement conforme à ces vûes. Le bruit qui résulte du jeu des ressorts différens des armes à feu, est le premier auquel il tente d'habituer le cheval. Il fait mouvoir ces ressorts dès le matin à la porte & aux fenêtres de l'écurie, & ensuite dans l'écurie même avant la distribution de l'avoine ou du fourrage, qui est aussi précédée de l'action de flater, de caresser l'animal, & de s'en approcher avec circonspection, de maniere qu'il puisse flairer ou sentir le bassinet. Cette manoeuvre répetée & continuée chaque fois qu'on doit lui présenter la ration du grain qui lui est destinée, appaise & familiarise peu-à-peu ceux qui semblent être les plus farouches, sur-tout si l'on a encore, & tandis qu'ils mangent, le soin de laisser les pistolets devant eux & dans l'auge. Alors on brûle des amorces, en observant les mêmes gradations ; & sans oublier qu'il est d'une nécessité indispensable d'accoûtumer le cheval à l'odeur de la poudre, & de le mettre par conséquent à portée de la recevoir. Des amorces on en vient aux coups à poudre ; on n'employe que la demi-charge, & les armes ne sont point bourrées. Enfin M. de la Porterie conseille de frapper de grands coups de bâtons sur les portes, pour suppléer au défaut de la quantité de munition dont les régimens auroient besoin à cet effet ; & la fréquente répetition du mot feu, pour habituer l'animal à ce commandement, qu'il redoute souvent autant que le feu même.

Telles sont les opérations qui se pratiquent dans l'écurie : celles qu'il prescrit ensuite dans le dehors, concourent au même but, & ne tendent qu'à confirmer le cheval, & à le guérir de toute appréhension. On place & l'on assûre dans un lieu convenable, des especes d'auges volantes, à l'effet d'y déposer différentes portions d'avoine. On monte quelques chevaux que l'on mene à ces auges, & devant lesquels marchent des hommes à pié qui font joüer & mouvoir les ressorts des armes dont ils sont munis ; & qui arrivés dans l'endroit fixé, les portent aux naseaux de ces animaux. Tandis qu'ils commencent à manger leur avoine, un ou deux de ces hommes à pié tournent autour d'eux, & leur font entendre de nouveau & par intervalle le bruit des ressorts. On les fait reculer encore à dix ou douze pas. Quand ils sont éloignés ainsi de l'auge, les hommes à pié s'en approchent, meuvent les chiens & les platines, pendant qu'on sollicite & qu'on presse les chevaux de se porter en-avant, & de revenir au lieu qu'ils ont abandonné ; après quoi on leur permet de manger : & on les interrompt de même plusieurs fois, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de leur ration. On les reconduit dans l'écurie & à leur place avec le même appareil ; on les y flate, on leur parle, & on leur fait sentir les armes.

C'est avec de semblables précautions & de tels procédés plus ou moins long-tems mis en usage, que l'on parvient à leur ôter entierement la crainte & l'effroi que peuvent leur inspirer les amorces & le bruit des pistolets, mousquetons ou fusils que l'on décharge. Dans la leçon qui suit immédiatement celle que nous venons de détailler, il faut seulement observer qu'aucun grain de poudre & qu'aucun éclat de la pierre n'atteignent le nez du cheval, ce qui le révolteroit, & le rendroit infiniment plus difficile à réduire & à apprivoiser ; & dans la manoeuvre qui consiste à tirer des coups à poudre, les armes étant bourrées, on doit faire attention, 1° de ne point les adresser directement sous les auges, afin de ne chasser ni terre ni gravier contre ses jambes ; 2° de tenir en-haut le bout des pistolets lorsqu'on les tirera, les chevaux ayant reculé, pour que les bourres ne les offensent point & ne soient point dirigées vers eux, & à l'effet de les accoûtumer à les voir enflammées, supposé qu'elles tombent sur le chemin qu'ils ont à faire pour se rapprocher de leur avoine.

Dans les exercices, M. de la Porterie ne s'écarte point de cet ordre ; mais soit qu'il fasse tirer des pistolets non-amorcés, soit qu'il fasse brûler des amorces, soit qu'il s'agisse d'une véritable décharge de la part de deux troupes vis-à-vis l'une de l'autre, il faut toûjours faire halte pour tirer, & marcher ensuite en-avant, au lieu de faire demi-tour à droite sur le coup ; mouvement pernicieux, & auquel les chevaux ne sont que trop disposés au moindre objet qui les épouvante.

Du reste nous avons simplement ici rendu ses idées & développé ses principes, nous ne saurions en proposer de meilleurs ; & nous osons assûrer qu'il suffira de les appliquer à-propos, de s'armer de la patience qu'exige la réitération de ces leçons, & de saisir & de suivre exactement l'esprit dans lequel il pratique, pour réussir pleinement dans cette partie essentielle de l'éducation des chevaux. (e)

FEU, (marque de) Manége, Maréchal. Nous appellons de ce nom le roux éclatant quoiqu'obscur ; dont est teint & coloré naturellement le poil de certains chevaux bais-brun, à l'endroit des flancs, du bout du nez & des fesses. Ce cheval, disons-nous, a des marques de feu ; ces marques sont directement opposées à celle du cheval bai-brun, fessés lavées, qui est nommé ainsi, lorsque ces mêmes parties sont couvertes d'un poil jaune, mais mort, éteint & blanchâtre. (e)

FEU, (mal de feu) Maréchal. Je ne sai pourquoi les auteurs qui ont écrit sur l'Hippiatrique nomment ainsi la fievre ardente dans le cheval ; il me semble que les choses devroient tirer & prendre leur dénomination de ce qu'elles sont en effet, Voyez FIEVRE. (e)

FEU DE JOIE, (Littérat.) illumination nocturne donnée au peuple pour spectacle public dans des occasions de réjoüissances réelles ou supposées.

C'est une question encore indécise de savoir si les anciens, dans les fêtes publiques, allumoient des feux par un autre motif que par esprit de religion. Un membre de l'académie des Belles-Lettres de Paris soûtient la négative : ce n'est pas qu'il nie que les anciens ne fissent comme nous des réjoüissances aux publications de paix, aux nouvelles des victoires remportées sur leurs ennemis, aux jours de naissance, de proclamation, de mariage de leurs princes, & dans leur convalescence après des maladies dangereuses ; mais, selon M. Mahudel, le feu dans toutes ces occasions ne servoit qu'à brûler les victimes ou l'encens ; & comme la plûpart de ces sacrifices se faisoient la nuit, les illuminations n'étoient employées que pour éclairer la cérémonie, & non pour divertir le peuple.

Quant aux buchers qu'on élevoit après la mort des empereurs, quelque magnifiques qu'ils fussent, on conçoit bien que ce spectacle lugubre n'avoit aucun rapport avec des feux de joie. D'un autre côté, quoique la pompe de la marche des triomphes se terminât toûjours par un sacrifice au capitole, où un feu allumé pour la consécration de la victime l'attendoit, ce feu ne peut point passer pour un feu de joie : enfin par rapport aux feux d'artifices qui étoient en usage parmi les anciens, & qu'on pourroit présumer avoir fait partie des réjoüissances publiques, M. Mahudel prétend qu'on n'en voit d'autre emploi que dans les seules machines de guerre, propres à porter l'incendie dans les villes & dans les bâtimens ennemis.

Mais toutes ces raisons ne prouvent point que les anciens n'allumassent aussi des feux de joie en signe de réjoüissances publiques. En effet, il est difficile de se persuader que dans toutes les fêtes des Grecs & des Romains, & dans toutes les célébrations de leurs jeux, les feux & les illuminations publiques se rapportassent toûjours uniquement à la religion, sans que le peuple n'y prît part à-peu-près comme parmi nous.

Dans les lampadophories des Grecs, où l'on se servoit de lampes pour les sacrifices, on y célébroit pour le peuple différens jeux à la lueur des lampes ; & comme ces jeux étoient accompagnés de danses & de divertissemens, on voit que ces sortes d'illuminations étoient en même tems prophanes & sacrées. L'appareil d'une autre fête nommée lamptéries, qui se faisoit à Pallene, & qui étoit dédiée à Bacchus, consistoit en une grande illumination nocturne & dans une profusion de vin qu'on versoit aux passans.

Il faut dire la même chose des illuminations qui entroient dans la solennité de plusieurs fêtes des Romains, & entr'autres dans celle des jeux séculaires qui duroient trois nuits, pendant lesquelles il sembloit que les empereurs & les édiles qui en faisoient la dépense, voulussent, par un excès de somptuosité, dédommager le peuple de la rareté de leur célébration. Capitolin observe que l'illumination que donna Philippe, dans les jeux qu'il célébra à ce sujet, fut si magnifique, que ces trois nuits n'eurent point d'obscurité.

On n'a pas d'exemple de feu de joie plus remarquable que celui que Paul Emile, après la conquête de la Macédoine, alluma lui-même à Amphipolis, en présence de tous les princes de la Grece qu'il y avoit invités. La décoration lui coûta une année entiere de préparatifs ; & quoique l'appareil en eût été composé pour rendre hommage aux dieux qui présidoient à la victoire, cette fête fut accompagnée de tous les spectacles auxquels le peuple est sensible.

Enfin depuis les derniers siecles du paganisme, on pourroit citer plusieurs exemples de feux allumés pour d'autres sujets que pour des cérémonies sacrées. Saint Bernard remarque que le feu de la veille de S. Jean-Baptiste continué jusqu'à nos jours, se pratiquoit déjà chez les Sarrasins & chez les Turcs. Il semble résulter de ce détail, qu'on peut dater l'usage des feux de joie de la premiere antiquité, & par conséquent long-tems avant la découverte de la poudre, qui seulement y a joint les agrémens des feux d'artifice, qu'on y employe avec grand succès dans nos feux de joie, malgré le vent, la pluie, les eaux courantes & profondes.

Au surplus, quel que soit le mérite de nos illuminations modernes, il ne s'en est point fait dans le monde qui ait procuré de plaisir pareil à celui du simple feu d'Hadrien. Ce prince ordonna qu'on le préparât dans la place de Trajan, & que le peuple romain fût invité de s'y rendre. Là, dit Dion, (liv. LXXIX.) l'empereur, en présence de la ville entiere, annula toutes ses créances sur les provinces, en brûla, dans le feu qu'il avoit commandé, les obligations & les mémoires, afin qu'on ne pût craindre d'en être un jour recherché, & ensuite il se retira pour laisser le peuple libre de célébrer ses bienfaits. Ils montoient à une somme immense, que des personnes habiles à réduire la valeur des monnoies de ce tems-là, évaluent à environ 133 millions 500 milles livres argent de France (1756). Aussi la mémoire de cette belle action ne périra jamais, puisqu'elle s'est conservée dans les historiens, les inscriptions, & les médailles. Voyez Mabillon, analect. tom. IV. pag. 484 & 486. Onuphre, in fastis, pag. 220 Spanheim de numismat. pag. 811. &c. Mais comme cette libéralité n'avoit point eu d'exemple jusqu'alors dans aucun souverain, il faut ajoûter à la honte des souverains de la terre, qu'elle n'a point eu depuis d'imitateurs. Article de M(D.J.)

FEU SACRE, (Littérat.) brasier qu'on conservoit toûjours allumé dans les temples, & dont le soin étoit confié aux prêtres ou aux prêtresses de la religion.

Il n'est pas surprenant que des hommes, qui ne consultoient que les effets qui s'operent dans la nature, ayent adoré le Soleil comme le créateur & le maître de l'univers. Le culte du feu suivit de près celui qu'on rendit au Soleil ; vive image de cet astre lumineux & le plus pur des élémens, il s'attira des especes d'adorations de tous les peuples du monde, & devint pour eux un grand objet de respect, ou pour mieux dire, un instrument de terreur. L'Ecriture nous enseigne que Dieu s'en est servi de ces deux manieres. Tantôt le Seigneur se compare à un feu ardent pour designer sa sainteté ; tantôt il se rend visible sous l'apparence d'un buisson enflammé, ou formidable par des menaces d'un feu dévorant, & par des pluies de soufre ; quelquefois avant que de parler aux Juifs, il saisit leur attention par des éclairs ; & d'autres fois marchant, pour ainsi dire, avec son peuple, il se fait précéder d'une colonne de feu.

Les rois d'Asie, au rapport d'Hérodote, faisoient toûjours porter du feu devant eux : Ammien Marcellin, parlant de cette coûtume, la tire d'une tradition qu'avoient ces rois, que le feu qu'ils conservoient pour cet usage, étoit descendu du ciel : Quinte-Curce ajoûte que ce feu sacré & éternel étoit aussi porté dans la marche de leurs armées à la tête des troupes sur de petits autels d'argent, au milieu des mages qui chantoient les cantiques de leur pays.

Ainsi la vénération pour le feu se répandit chez toutes les nations, qui toutes l'envisagerent comme une chose sacrée, parce que le même esprit de la nature regnoit dans leurs rites & leur culte extérieur. On ne voyoit alors aucun sacrifice, aucune cérémonie religieuse où il n'entrât du feu ; & celui qui servoit à parer les autels & à consumer les victimes, étoit sur-tout regardé avec le plus grand respect. C'est par cette raison que l'on gardoit le feu perpétuellement allumé dans les temples des Perses, des Chaldéens, des Grecs, des Romains & des Egyptiens. Moyse, établi de Dieu le conducteur des Hébreux, en fit de la part du Seigneur une loi pour ce peuple. " Le feu, dit-il, brûlera sans-cesse sur l'autel, & le prêtre aura soin de l'entretenir, en y mettant le matin de chaque jour du bois, sur lequel ayant posé l'holocauste, il fera brûler par-dessus la graisse des hosties pacifiques, & c'est-là le feu qui brûlera toûjours sans qu'on le puisse éteindre ". Lévitiq. ch. vj.

Il semble toutefois que le lieu du monde où l'on révéra davantage cet élément, étoit la Perse : on y trouvoit par-tout des enclos fermés de murailles & sans toîts, où l'on faisoit assidûment du feu, & où le peuple dévot venoit en foule à certaines heures pour prier. Les grands seigneurs se ruinoient à y jetter des essences précieuses & des fleurs odoriférantes ; privilége qu'ils regardoient comme un des plus beaux droits de la noblesse. Ces enclos ou ces temples découverts, ont été connus des Grecs sous le nom de , & ce sont les plus anciens monumens qui nous restent de l'idolatrie du feu. Strabon qui avoit eu la curiosité de les examiner, raconte qu'il y avoit un autel au milieu de ces sortes de temples, avec beaucoup de cendres, sur lesquelles les mages entretenoient un feu perpétuel.

Quand les rois de Perse étoient à l'agonie, on éteignoit le feu dans les villes principales du royaume ; & pour le rallumer, il falloit que son successeur fût couronné. Ces peuples s'imaginoient que le feu avoit été apporté du ciel, & mis sur l'autel du premier temple que Zoroastre avoit fait bâtir dans la ville de Xis en Médie. Il étoit défendu d'y jetter rien de gras ni d'impur ; on n'osoit pas même le regarder fixement. Enfin pour en imposer davantage, les prêtres entretenoient ce feu secrettement, & faisoient accroire au peuple qu'il étoit inaltérable, & se nourrissoit de lui-même. Voyez Th. Hyde, de relig. Persarum.

Cette folie du culte du feu passa chez les Grecs ; un feu sacré brûloit dans le temple d'Apollon à Athenes, & dans celui que Delphes, où des veuves chargées de ce soin, devoient avoir une attention vigilante pour que le brasier fût toûjours ardent. Un feu semblable brûloit dans le temple de Cérès à Mantinée, ville de Péloponese ; Sétenus commit un nombre de filles à la garde du feu sacré, & du simulacre de Pallas dans le temple de Minerve. Plutarque parle d'une lampe qui brûloit continuellement dans le temple de Jupiter Hammon, , & l'on y mettoit de l'huile en cachette une seule fois l'année.

Mais dans l'antiquité payenne, nul feu sacré n'est plus célebre que le feu de Vesta, la divinité du Feu, ou le feu même. Son culte consistoit à veiller à la conservation du feu qui lui étoit consacré, & à prendre bien garde qu'il ne s'éteignît ; ce qui faisoit le principal devoir des vestales, c'est-à-dire des prêtresses vierges attachées au service de la déesse. V. VESTA & VESTALES.

L'extinction du feu sacré de Vesta, dont la durée passoit pour le type de la grandeur de l'empire, étoit regardé conséquemment comme un présage des plus funestes ; & la négligence des vestales à cet égard, étoit punie du foüet. D'éclatans & de malheureux évenemens que la fortune avoit placés à-peu-près dans les tems où le feu sacré s'étoit éteint, avoient fait naître une superstition qui s'étendit jusque sur les gens les plus sensés. Le feu sacré s'éteignit dans la conjoncture de la guerre de Mithridate ; Rome vit encore consumer le feu & l'autel de Vesta, pendant ses troubles intestins. C'est à cette occasion que Plutarque remarque que la lampe sacrée finit à Athenes durant la tyrannie d'Aristion, & qu'on éprouva la même chose à Delphes, peu de tems après l'incendie du temple d'Apollon, l'évenement néanmoins ne justifia pas toûjours la foiblesse d'esprit, & le scrupule des Romains.

Dans la seconde guerre punique, parmi tous les prodiges vûs à Rome ou rapportés du dehors, selon Tite-Live, la consternation ne fut jamais plus grande que lorsqu'on apprit que le feu sacré venoit de s'éteindre au temple de Vesta : ni, selon cet historien, les épis devenus sanglans entre les mains des moissonneurs, ni deux soleils apperçûs à-la-fois dans la ville d'Albe, ni la foudre tombée sur plusieurs temples des dieux, ne firent point sur le peuple la même impression qu'un accident arrivé de nuit par une pure négligence humaine. On en fit une punition exemplaire ; le pontife n'eut d'égard qu'à la loi coesa flagro est vestalis ; toutes les affaires cesserent, tant publiques que particulieres ; on alla en procession au temple de Vesta, & on expia le crime de la vestale par l'immolation des grandes victimes. L'appréhension du peuple romain portoit cependant à faux dans cette occasion ; & cet accident qui avoit mis tout Rome en mouvement, fut précédé du triomphe de Marcus Livius & de Claudius Néron, & suivi des grands avantages par lesquels Scipion finit la guerre d'Espagne contre les Carthaginois.

Quoi qu'il en soit, quand le feu sacré venoit à s'éteindre par malheur, on ne songeoit qu'à le rallumer le plûtôt possible : mais comment s'y prenoit-on ? car il ne falloit pas user pour cela d'un feu matériel, comme si ce feu nouveau ne pouvoit être qu'un présent du ciel ? du moins, selon Plutarque, il n'étoit permis de le tirer que des rayons même du Soleil : à l'aide d'un vase d'airain les rayons venant à se réunir, la matiere seche & aride sur laquelle tomboient ces rayons, s'allumoit aussi-tôt ; ce vase d'airain étoit, comme l'on voit, une espece de miroir ardent. Voyez ARDENT.

On sait que Festus n'est point d'accord avec Plutarque sur ce sujet ; car il assûre que pour rallumer le feu sacré, on prenoit une table de bois qu'on perçoit avec un vilbrequin, jusqu'à ce que l'attrition produisît du feu qu'une vestale recevoit dans un crible d'airain, & le portoit en hâte au temple de Vesta, bâti par Numa Pompilius ; & alors elle jettoit ce feu dans des réchauds ou vaisseaux de terre, qui étoient placés sur l'autel de la déesse.

Lipse adopte ce dernier sentiment de Festus, & soûtient que le passage de Plutarque cité ci-dessus, se doit entendre des Grecs & non des Romains, d'autant mieux que les vases creux dont il parle, & qui n'étoient autre chose que les miroirs paraboliques, ont été inventés par Archimede, lequel est postérieur à Numa de plus de 500 ans.

Cependant, outre qu'on ne peut guere appliquer les paroles de Plutarque à la coûtume des Grecs sans leur faire une grande violence, il seroit aisé de concilier Festus & Plutarque, en ayant égard aux divers tems de la république. Je croirois donc que depuis Numa jusqu'à Archimede, les Romains ignorant l'usage des miroirs ardens, ont pû se servir de l'invention de produire du feu qui est décrite par Festus : mais depuis qu'Archimede eut fait des épreuves merveilleuses avec ses miroirs, & sur-tout depuis qu'il en eut écrit un livre exprès, comme Pappus le rapporte, cette invention fut connue de tout le monde, & pour lors les Romains s'en servirent sans-doute comme d'un moyen plus noble & plus facile que tout autre pour rallumer le feu sacré. Article de M(D.J.)

FEUX D'ARTIFICE, composition de matieres combustibles, faite dans les regles de l'art (Voyez PYROTECHNIE), pour servir ou dans les grandes occasions de joie, ou dans la guerre, pour être employée comme arme offensive, ou comme moyen brillant de réjoüissance.

Le méchanisme d'un feu d'artifice dans les deux genres ; la partie physique qui guide sa composition, la géométrique qui la distribue, sont des objets déjà traités dans l'article ARTIFICE ; dans les savans écrits de M. Frezier ; &, en 1750, dans un traité des feux d'artifice de M. Perrinet d'Orval, où la clarté, mille choses nouvelles, le desir d'en trouver encore beaucoup d'autres, l'indication des moyens pour y parvenir, montrent cette sagacité si utile aux progrès des Arts, cette étude assidue des causes & des effets, cette opiniâtreté dans les expériences, qui caractérisent à-la-fois une théorie profonde & une pratique sûre. Voyez l'article suivant.

Je ne crois point devoir toucher à ces objets ; je n'ai cherché à les connoître qu'autant qu'ils m'ont paru liés aux grands spectacles que les rois, les villes, les provinces, &c. offrent aux peuples dans les occasions solemnelles : ils m'ont paru dans ce cas tenir & devoir être soûmis à des lois générales, qui furent toûjours la regle de tous les Arts.

L'artificier doit donc, par exemple, avoir devant les yeux sans-cesse, en formant le plan de différens feux qu'il fait entrer dans sa composition, non-seulement de les assortir les uns avec les autres, de faire ressortir leurs effets par des contrastes, d'animer les couleurs par les mouvemens, & de donner à leur rapidité la plus grande ou la moindre vîtesse, &c. mais encore de combiner toutes ces parties avec le plan général du spectacle que la décoration indique.

Cette loi primitive fait assez pressentir le point fixe où l'art a toûjours voulu atteindre. Il est dans la nature de la chose même, que tout spectacle représente quelque chose : or on ne représente rien dans ces occasions, lorsqu'on ne peint que des objets sans action ; le mouvement de la fusée la plus brillante, si elle n'a point de but fixe, ne montre qu'une traînée de feu qui se perd dans les airs.

Ces feux d'artifice qui représentent seulement & comme en répétition, par les différens effets des couleurs, des mouvemens, des brillans du feu, la décoration sur laquelle ils sont posés, fût-elle du plus ingénieux dessein, n'auront jamais que le frivole mérite des découpures. Il faut peindre dans tous les Arts ; & dans ce qu'on nomme spectacle, il faut peindre par les actions. Les exemples de ce genre de feux d'artifice sont répandus dans les différens articles de l'Encyclopédie qui y ont quelque rapport. Voyez FETES, FETES DE LA VILLE DE PARIS, &c.

Les Chinois ont poussé l'art pour la variété des formes, des couleurs, des effets, jusqu'au dernier période. Les Moscovites sont supérieurs au reste de l'Europe, dans les combinaisons des figures, des mouvemens, des contrastes du feu artificiel : pourquoi, dans le sein de la France, ne pourrions-nous pas, en adoptant tout ce que ces nations étrangeres ont déjà trouvé, inventer des moyens, des secours nouveaux, pour étendre les bornes d'un art dont les effets sont déjà fort agréables, & qui pourroient devenir aussi honorables pour les inventeurs, qu'honorables pour la nation ?

Y a-t-il en encore rien d'aussi imposant en feu d'artifice, que le seroit le combat des bons anges contre les méchans ? Les airs sont le lieu de la scene, indiqué par l'action même ? Les détails sont offerts par le sublime Milton. Dessinez à votre imagination, échauffée par cette grande image, l'attaque, le combat, la chûte ; peignez-vous le spectacle magnifique de ce moment de triomphe des bons anges ; calculez les coups d'un effet sûr, qui naissent en foule de ce grand sujet.

Mais il faudroit donc employer à tous ces spectacles des machines ? Et pourquoi non ? A quoi destinera-t-on ces ingénieuses ressources de l'art, si on les laisse oisives dans les plus belles occasions ? Sans doute qu'il faudroit donner à l'artifice du feu, dans ces représentations surprenantes, le secours des belles machines, qui en ranimant l'action, entretiendroient l'illusion qui est le charme le plus nécessaire. Les Arts ne sont-ils pas destinés à s'entre-aider & à s'unir ensemble ?

On vit à Paris, le 24 Janvier 1730, une fête aussi belle que toutes celles qu'on y avoit données dans les occasions d'éclat. J'en vais donner l'esquisse, parce qu'elle servira de preuve à la proposition que j'ai avancée sur l'action que je souhaite dans les feux d'artifice, & aux principes que je propose plus haut sur leur composition. Voyez FETES DE LA COUR.

La naissance de monseigneur le Dauphin fut le sujet de cette fête. MM. de Santa-Crux & de Barenechea, ambassadeurs du roi d'Espagne, en avoient été chargés par S. M. Catholique.

L'hôtel de Bouillon situé sur le quai des Théatins vis-à-vis le Louvre, servit d'emplacement à la scene principale ; il fut comme le centre de la fête & du spectacle.

Le 24 Janvier 1730, à 6 heures du soir, les illuminations préparées avec un art extrème, & dont on trouvera ailleurs la description (Voyez ILLUMINATION), commencerent avec la plus grande célérité, & la surface de la riviere offrit tout-à-coup un spectacle enchanteur ; c'étoit un vaste jardin de l'un à l'autre rivage du fleuve, qui à cet endroit a environ 90 toises de large, sur un espace de 70 dans sa longueur. La situation étoit des plus magnifiques & des plus avantageuses, étant naturellement bien décorée par le quai du collége des Quatre-Nations d'un côté, par celui des galeries du Louvre de l'autre, & aux deux bouts par le Pont-Neuf & par le pont-royal.

Deux rochers isolés ou montagnes escarpées, symbole des monts Pyrénées, qui séparent la France de l'Espagne, formoient le principal objet de cette pompeuse décoration au milieu de la riviere. Les deux monts étoient joints par leurs bases sur un plan d'environ 140 piés de long, sur 60 de large, & séparés par leur cime de près de 40 piés, ayant chacun 8, piés d'élevation au-dessus de la surface de l'eau, & des deux grands bateaux sur lesquels tout l'édifice étoit construit.

On voyoit une agréable variété sur ces montagnes, où la nature étoit imitée avec beaucoup d'art dans tout ce qu'elle a d'agreste & de sauvage. Dans un endroit c'étoient des crevasses, avec des quartiers de rochers en saillie : dans d'autres, des plantes & des arbustes, des cascades ; des nappes & chûtes d'eau imitées par des gases d'argent, des antres, des cavernes, &c. Il y avoit tout au pourtour, à fleur-d'eau, des sirenes, des tritons, des néréides, & autres monstres marins.

A une certaine distance, au-dessus & au-dessous des rochers, on voyoit à fleur d'eau deux parterres de lumieres qui occupoient chacun un espace de 18 toises sur 15, dont les bordures étoient ornées alternativement d'ifs & d'orangers, avec leurs fruits, de 12 piés de haut, chargés de lumieres. Le dessein des parterres étoit tracé & figuré d'une maniere variée & agréable par des terrines, par du gazon & du sable de diverses couleurs.

Du milieu de chacun de ces parterres s'élevoient des especes de rochers jusqu'à la hauteur de 15 piés, sur un plan de 30 piés sur 22. On avoit placé au-dessus une figure colossale, bronzée en ronde bosse, de 16 piés de proportion. A l'un c'étoit le fleuve du Guadalquivir, avec un lion au bas ; on lisoit en lettres d'or, sur l'urne de ce fleuve ces deux vers d'Ovide :

Non illo melior quisquam, nec amantior aequi

Rex fuit, aut illâ reverentior ulla dearum.

& à l'autre parterre c'étoit la riviere de Seine avec un coq. On voyoit sur l'urne, d'où l'eau du fleuve paroissoit sortir en gaze d'argent, ces vers de Tibulle :

Et longe ante alias omnes mitissima mater,

Isque pater, quo non alter amabilior.

Aux deux côtés des parterres & des deux monts regnoient six plates-bandes sur deux lignes aussi à fleur d'eau, ornées & décorées dans le même goût des parterres. Les trois de chaque côté occupoient un espace de plus de cent piés de long sur 15 de large.

Deux terrasses de charpente, à doubles rampes de 20 piés de haut, étoient adossées aux quais des deux côtés, & se terminoient en gradins jusque sur le rivage. Elles regnoient sur toute la longueur du jardin, & occupoient un terrein de 408 piés sur la même ligne, en y comprenant une suite de décorations rustiques, qui sembloient servir d'appui à ces deux grands perrons ; le tout étoit garni d'une si grande quantité de terrines, que les yeux en étoient ébloüis, & les ténebres de la nuit entierement dissipées. Le mouvement des lumieres, qui en les confondant leur donnoit encore plus d'éclat, faisoit un tel effet à une certaine distance, qu'on croyoit voir des nappes & des cascades de feu.

Entre ces terrasses lumineuses & le brillant jardin, à la hauteur des deux montagnes, on avoit placé deux bateaux de 70 piés de long, sur 24 de large, d'une forme singuliere & agréable, ornés de sculpture & dorés. Du milieu du chacun de ces bateaux, s'élevoit une espece de temple octogone, couvert en maniere de baldaquin, soûtenu par huit palmiers avec des guirlandes, des festons de fleurs, & des lustres de crystal. Les bateaux étoient remplis de musiciens pour les fanfares qu'on entendoit alternativement.

Sur la partie la plus élevée du temple, placé du côté de l'hôtel de Bouillon, on lisoit ce vers de Tibulle.

Omnibus ille dies semper natalis agatur.

Pour inscription sur l'autre temple du côté du Louvre, on lisoit cet autre vers du même Poëte :

O quantùm felix, terque quaterque dies !

Le sommet de ces deux magnifiques gondoles étoit terminé par de gros fanaux & par des étendarts, sur lesquels on avoit représenté des dauphins & des amours.

Les quatre coins de ce vaste, lumineux, & magnifique jardin, étoient terminés par quatre brillantes tours, couvertes de lampions à plaque de fer-blanc, qui augmentoient considérablement l'éclat des lumieres, & qui pendant le jour faisoient paroître les tours comme argentées. Elles sembloient s'élever sur quatre terrasses de lumieres, ayant 18 piés de diametre, sur 70 de haut, en y comprenant les étendarts aux armes de France & d'Espagne, qu'on y avoit arborés à un petit mât chargé d'un gros falot.

C'est du haut de ces tours que commença une partie de l'artifice de ce grand spectacle, après que le signal en eut été donné par une décharge de boîte & de canons, placés sur le quai du côté des Tuileries, & après que les princes & princesses du sang, les ambassadeurs & ministres étrangers, & les seigneurs & dames de la cour, invités à la fête, furent arrivés à l'hôtel de Bouillon.

On vit partir en même tems de ces tours les fusées d'honneur, & ensuite quantité d'autres artifices, soleils fixes & tournans, gerbes, &c. après quoi commença le spectacle d'un combat sur la riviere, dans les intervalles & les allées du jardin, de douze monstres marins, tous différens, figurés sur autant de bateaux de plus de 20 piés de long, d'où on vit sortir une grande quantité de serpenteaux, de grenades, ballons d'eau, & autres artifices qui plongeoient dans la riviere, & qui en ressortoient avec une extrème vîtesse, prenant différentes formes, comme de serpens, &c.

Pour troisieme acte de cet agréable spectacle, on fit partir d'abord du bas des deux montagnes, & ensuite par gradation, des saillies, des crevasses, des cavités, & enfin du sommet des deux monts, une très-grande quantité d'artifice suivi & diversifié, ce qui formoit comme deux montagnes de feu dont l'action n'étoit interrompue que par des volcans clairs & brillans, qui sortoient à plusieurs reprises de tous côtés & du sommet des rochers. Les intervalles des différens tems auxquels les volcans partoient, étoient remplis par des fougades très-vives par le grand nombre & par la singularité des fusées. La fin fut marquée par plusieurs girandes. (B)

FEUX D'ARTIFICE, (Artificier) on comprend sous ce nom tout ce qui s'exécute en général dans les fêtes de nuit, par le moyen de la poudre, du salpetre, du soufre, du charbon, du fer, & autres matieres inflammables & lumineuses. Nous traiterons d'abord de ces différentes matieres.

De la préparation des matieres, & de l'outillage.

Article I. Des matières dont on compose les feux. Le salpetre, le soufre, le charbon, & le fer, sont presque les seules matieres dont on fasse usage dans l'artifice ; leurs différentes combinaisons varient les effets & la couleur des feux : ces couleurs consistent en une dégradation de nuances du rouge au blanc, le brillant, & un petit bleu clair. On a fait beaucoup d'expériences pour trouver d'autres couleurs ; mais aucune n'a réussi : les matieres les plus propres à en donner, & qui en produisent naturellement lorsqu'on les fond, comme le zink, la matte de cuivre, & autres minéraux, n'ont aucun effet ; dès qu'elles sont mêlées avec le soufre & le salpetre, leur feu trop vif détruit dans ces matieres le phlogistique qui donnoit de la couleur.

Il y a bien une composition qui produit une belle flamme verte, lorsque l'on brûle quelque matiere, telle que du papier, du linge, ou de minces coupeaux de bois qui ont trempé dedans ; elle se fait avec demi-once de sel ammoniac & demi-once de vers-de-gris, que l'on met dissoudre dans un verre de vinaigre : mais comme elle ne résiste point au feu du salpetre & du soufre, on n'en fait aucun usage dans l'artifice.

Art. II. Du salpetre. Le salpetre pour l'artifice, comme pour la poudre, doit être de la troisieme cuite ; la premiere cuite le forme, & les deux autres le purifient : on le pile, ou, ce qui est encore plus commode, on le broye sur une table de bois dur avec une molette de bois, & on le passe au tamis de soie ; plus il est fin & plus son effet est grand.

Le salpetre par lui-même incombustible ne brûle que lorsqu'il est mêlé avec des matieres qui contiennent un soufre principe, ou ce que les Chimistes nomment phlogistique, propre à diviser ses parties & à les mettre en mouvement ; tels sont le soufre commun, la limaille de fer, l'antimoine, le charbon de bois, &c. Cette derniere matiere y convient mieux que toute autre ; puisqu'il suffit pour enflammer le salpetre, de le toucher avec un charbon ardent ; le phlogistique du charbon qui le pénetre, développe, & met en action l'air & la matiere ignée que le salpetre contient, d'où suit l'inflammation ; elle est plus ou moins subite, à proportion que les parties de salpetre sont pénétrées par plus de côtés à la fois de ce principe inflammable qui les fond & les réduit en vapeurs, & que les ressorts de l'air qu'elles renferment peuvent se débander & agir en même tems : c'est leur action simultanée qui fait l'explosion ; elle est l'effet du mélange intime du charbon avec le salpetre. La trituration rend ce mélange plus parfait ; & le grainage de la poudre que l'on en compose en accélere l'inflammation, en multipliant ses surfaces ; & c'est de la force de l'air subitement dilaté, unie à celle du fluide réduit en vapeurs, que résulte la force de la poudre.

Le charbon de bois est la seule matiere que l'on connoisse qui mêlée au salpetre puisse produire l'explosion : un fer rouge fond le salpetre sans l'enflammer ; il contient cependant ce soufre principe qui dans la limaille fait brûler le salpetre mis en fusion ; mais il est trop enveloppé pour agir : il faudroit un degré de feu assez fort pour opérer comme dans la limaille, un commencement de calcination nécessaire à son développement.

Art. III. Du soufre. Le soufre le plus jaune est le meilleur ; il est communément bon tel qu'il se trouve chez les marchands : s'il étoit trop gras, ou s'il contenoit quelques impuretés, il faudroit le faire fondre & le passer par un gros linge.

Le soufre ajoûte de la force au mélange du salpetre avec le charbon, jusqu'à un certain point, qui sera indiqué à l'article ci-après ; & passé ce point, il affoiblit les compositions dans lesquelles on le fait entrer, & ne sert que pour les faire brûler lentement, & pour donner au feu une couleur claire & lumineuse. Il n'est pas d'une nécessité indispensable de faire entrer le soufre dans la composition de la poudre ; on peut en faire sans cette matiere, mais elle a moins de force, quoiqu'également inflammable.

Les fusées volantes & les jets composés sans soufre & seulement de salpetre & de charbon, réussissent très-bien.

Article IV. Du charbon. Tout charbon de bois est propre à l'artifice ; & s'il y a quelque différence pour les effets entre les diverses especes, elle n'est guere sensible que par la couleur que certains bois, comme le chêne, donnent un peu plus rouge ; cependant on préfere communément le bois tendre & leger, tel que le saule. On doit seulement observer que comme le bois tendre donne un charbon plus leger, qui fait, à poids égal, un volume de près du double, étant au charbon de bois dur dans la proportion de 16 à 9, il en faut diminuer le poids, non dans cette proportion, mais seulement d'un huitieme. Celui dont on s'est servi pour les compositions d'artifice données dans ce mémoire, étoit fait de bois de hêtre, qui est du nombre des bois durs.

Le bois que l'on destine à faire du charbon doit être bien sec & dépouillé de son écorce ; on le brûle soit dans la cheminée, soit dehors ; & à mesure qu'il se fait de la braise, on l'étouffe dans un vaisseau fermé, comme font les Boulangers. Lorsqu'elle est entierement éteinte, on ôte la cendre qui y est attachée, en la remuant dans un crible jusqu'à ce qu'elle devienne noire. La dose de charbon & de soufre qui doit donner le plus de force au salpetre, n'est pas la même pour l'artifice que pour la poudre.

Dans la poudre, la trituration tient lieu d'une partie de cette dose de charbon & de soufre ; c'est-à-dire, qu'il en faut moins que dans les compositions d'artifice, pour lesquelles il suffit de méler les matieres.

Pour l'artifice, la plus grande force que le charbon seul & sans soufre puisse donner au salpetre, est six onces de charbon de bois dur, ou cinq onces deux gros de charbon de bois tendre, sur la livre de salpetre, en le supposant d'une grosseur moyenne ; car s'il étoit fort gros ou fort fin, il en faudroit une plus grande ou une moindre quantité ; il en est de même des autres matieres. Du soufre étant ajoûté à cette dose en augmente la force jusqu'à la quantité de deux onces : mais elle augmentera davantage si en ajoûtant ces deux onces de soufre, on réduit la dose du charbon de bois dur à cinq onces. Ainsi la dose qui fait la composition la plus forte est de cinq onces de charbon & de deux onces de soufre, sur la livre de salpetre, poids de seize onces.

Pour la poudre, on trouvera à l'article qui suit la dose de charbon & de soufre qui peut donner le plus de force au salpetre, dans la trituration & le grainage de ces matieres, qui en les divisant en plus petites parties qu'elles ne peuvent l'être dans l'artifice, les multiplient en quelque sorte, & obligent d'en diminuer la quantité. On broye le charbon sur une table, comme il a été dit pour le salpetre, & on le passe par le tamis qui lui est propre. Le soufre se prépare de même.

Art. V. De la poudre. La poudre s'employe dans l'artifice ; ou grainée, pour faire crever avec bruit le cartouche qui la renferme ; ou réduite en poudre qu'on nomme poussier, dont l'effet est de fuser, lorsqu'il est comprimé dans un cartouche.

On l'employe encore en pâte ; pour faire de l'amorce & de l'étoupille.

Pour la réduire en poussier, on la broye sur une table avec une molette de bois, & on la passe par le tamis de soie le plus fin ; on met à part ce qui n'a pû passer, pour s'en servir à faire les chasses des pots à feu, c'est ce qu'on nomme relien. Cette poudre à moitié écrasée est plus propre à cet usage que la poudre entiere, dont l'effet est trop promt pour que la garniture que la chasse doit jetter puisse bien prendre feu.

L'auteur de ce mémoire voulant connoître la meilleure proportion des matieres pour composer la poudre, a fait des essais graduels, où partant du premier degré de force que le charbon seul & le charbon joint au soufre peuvent donner au salpetre, jusqu'au terme où la force de la poudre commence à diminuer par la trop grande quantité de ces matieres, ces essais lui ont donné les résultats ci-après.

1°. Le charbon seul & sans soufre étant joint au salpetre, en augmente la force jusqu'à quatre onces de charbon de bois tendre, sur une livre de salpetre ; & la poudre faite dans cette proportion donne à l'éprouvette neuf degrés. Elle s'enflamme assez subitement dans le bassinet du fusil, pour faire juger que le soufre ne contribue point ou contribue très-peu à l'inflammation dans la poudre ordinaire. Si cette poudre, comme on le présume, avoit assez de force pour l'usage de l'artillerie, elle auroit l'avantage de donner beaucoup moins de fumée que la poudre ordinaire, & de ne causer aucune altération à la lumiere des canons ; le soufre étant ce qui produit ces deux mauvais effets, la fumée & l'évasement des lumieres.

2°. Du soufre ayant été ajoûté par degrés aux doses de salpetre & de charbon ci-dessus, les essais qui ont été faits ont augmenté en force jusqu'à une once ; & à cette dose, la poudre a donné quinze degrés.

3°. La dose du charbon ayant été diminuée d'autant pesant qu'on y a ajouté de soufre, c'est-à-dire cette poudre composée de

a donné dix-sept degrés.

4°. Ayant comparé cette poudre à dix-sept degrés avec des poudres faites dans les proportions qui en approchent le plus, elle les a surpassées en force, & de même les poudres faites, suivant les proportions les plus en usage en Europe & en Chine.

Celle d'Europe composée de 2 on. 5 gr. 1. tiers charbon & 2 on. 5 gr. 1. tiers soufre sur une livre de salpetre, n'ayant que 11 degrés.

Et celle de Chine, composée de trois onces de charbon & de deux onces de soufre, sur la livre de salpetre, que 14 degrés.

Ces essais sur la poudre ont été faits avec du charbon de bois de coudre, dont on fait usage en Allemagne. En France, on préfere le charbon de bois de bourdaine, & en Chine le charbon de saule. Ces trois especes different peu entr'elles pour la qualité, & c'est moins à l'espece de charbon qu'à la dose de cette matiere que l'on doit attribuer le plus ou le moins de force des différentes poudres.

Il a été fait le 12 Février 1756 au moulin à poudre d'Essaune, des épreuves sur les poudres numéros 5, 13, & 20, qui y avoient été fabriquées la veille.

Ces épreuves ont été faites avec l'éprouvette d'ordonnance qui est un mortier de sept pouces, lequel avec trois onces de poudre doit jetter à 50 toises un globe de cuivre de 60 livres pour que la poudre soit recevable ; & leur produit moyen a été, savoir

Il résulte de ces épreuves, que la poudre n°. 13 (qui est celle que les essais mentionnés en la table ci-dessus ont indiqué pour être la meilleure proportion des matieres) est plus forte que celle n°. 20. dont on fait usage en France.

Et que la poudre sans soufre n°. 5. augmente de force à proportion qu'on en augmente la quantité par comparaison à une pareille quantité d'autre poudre, puisqu'à trois onces elle a surpassé les poudres de comparaison auxquelles à deux onces & au-dessus elle étoit inférieure.

A juger de ces poudres par les épreuves ci-dessus, il paroît que celle n°. 13. qui a conservé dans les épreuves en petit comme en grand la supériorité sur le n°. 20. sera très-propre pour le fusil, & que celle n°. 5. qui gagne dans les épreuves en grand, conviendra mieux pour l'artillerie que la poudre ordinaire, puisqu'avec une plus grande force elle donne moins de fumée, & qu'elle ne causera point, ou très-peu d'altération à la lumiere des canons.

Comme il y a aussi un maximum à atteindre pour le tems que la poudre doit être battue relativement à la pesanteur des matieres que contient le mortier, & à la pesanteur du pilon au-dessus & au-dessous duquel la poudre est moins forte, il est très-nécessaire de le connoître, & de porter ses attentions sur beaucoup d'autres objets qui, quelque petits qu'ils paroissent, ne laissent pas de contribuer à la bonté & perfection de la poudre.

Art. VI. Du fer. La limaille de fer, & encore mieux celle d'acier, parce qu'elle contient plus de soufre, donne un feu très-brillant dans l'artifice. On en trouve communément de toute faite chez les ouvriers qui travaillent le fer. Il ne faut prendre que la plus nouvelle, celle qui seroit rouillée ne donneroit que peu ou point de brillant. L'artifice dans lequel il en entre ne peut guere se conserver que six jours ; le salpetre qui la ronge & la détruit, lui fait perdre chaque jour de son brillant.

On est redevable au pere d'Incarville, jésuite de Pekin, d'une préparation de fer dont les Chinois se servent pour former leur feu brillant, & pour représenter des fleurs.

Cette préparation, dont jusqu'à présent on avoit fait un secret, consiste à réduire la fonte de fer en assez petites parties, pour que le feu de la composition dans laquelle on fait entrer cette matiere puisse la mettre en fusion. Chaque partie, en se fondant, quoiqu'elle ne soit guere plus grosse qu'une graine de pavot, donne une fleur large de douze à quinze lignes, d'un feu très-brillant, & la forme des fleurs est variée, suivant la qualité de la fonte, & suivant la figure & la grosseur des grains, qui, s'ils sont ronds, plats, oblongs, triangulaires, &c. donnent des fleurs d'autant d'especes différentes.

Cette matiere, que le pere d'Incarville nomme sable de fer, se fait avec des vieilles marmites ou tels autres ouvrages de fonte, assez minces pour pouvoir être cassés & réduits en sable sur une enclume ; & comme malgré leur peu d'épaisseur, on auroit encore beaucoup de peine à les écraser, on facilite cette opération, en faisant rougir la fonte à un feu de forge, & en la trempant toute rouge dans un bacquet d'eau fraîche ; cette trempe la rend plus cassante. Elle se casse mieux aussi lorsque l'enclume & le marteau sont de fonte : on étend des draps autour de l'enclume pour que le sable ne se perde point, & l'on a soin qu'il ne s'y mêle aucune ordure. Quand on a une certaine quantité de sable, on le passe d'abord par un tamis très-fin pour en ôter une poussiere inutile, on le passe ensuite par des tamis de différentes grosseurs pour en faire six ordres différens, depuis le plus fin jusqu'à la grosseur d'une graine de rave. On met à part chaque espece, & on les conserve dans un endroit bien sec, pour les garantir de la rouille. Si la trempe donne de la facilité à réduire la fonte en sable, ce n'est pas sans y causer quelque altération, & l'on remarque une différence sensible entre les fleurs que donne celle-ci avec celle de la fonte neuve non trempée, qui sont beaucoup plus grosses & plus brillantes ; elle se conserve aussi plus long-tems sans être altérée par la rouille, la difficulté est de la casser ; cependant lorsqu'elle est fort mince l'on en vient à bout, & même on pourroit s'en épargner la peine, en la faisant écraser sous un marteau de forge.

La petite grenaille de fer, dont on se sert pour tirer avec le fusil, se casse aisément sans être trempée, & donne un très-beau feu ; il s'en trouve même d'assez petite pour être employée en grain.

Comme cette matiere n'a d'effet qu'autant qu'elle se met en fusion, & qu'il faut un plus grand feu pour fondre le gros sable que pour le fin, on observera d'y proportionner la grosseur des cartouches & même la dose des matieres, qui forment le feu, dont il faut ralentir l'effet, en augmentant la dose du soufre, à proportion que l'on employe de plus gros sable, pour que le feu agisse plus long-tems dessus. On trouvera ces proportions dans les recettes des différentes compositions de feu chinois, qu'on trouvera ailleurs.

On peut connoître l'effet du sable fin sans aucune préparation d'artifice. Il ne s'agit que d'en jetter une pincée sur la flamme d'une chandelle ; il se fond en la traversant & donne des fleurs. On essaye la limaille de la même maniere, comme elle contient moins de soufre que la fonte, elle ne donne que des étincelles semblables à celles que rend l'acier, lorsqu'on le frappe avec un caillou.

L'artifice dans lequel il entre du sable de fer, ne se conserve que depuis huit jours pour le petit, jusqu'à quinze jours pour le plus gros, à cause du salpetre qui le ronge & le détruit. Il seroit à souhaiter que l'on trouvât quelque moyen pour le préserver de son action.

ART. VII. Du carton. Le carton propre à l'artifice, se nomme carte de moulage. Il est fait de plusieurs feuilles de bon papier gris pour le milieu, & blanc pour l'extérieur, collées ensemble avec de la colle de farine ; il doit être assez mince pour que l'on puisse le rouler commodément pour en former le cartouche. Il suffit d'en avoir de trois épaisseurs, savoir de trois feuilles pour les petites fusées, jusque & compris celles de dix-huit lignes de diametre ; de cinq feuilles pour celles d'au-dessus, & de huit feuilles pour les pots à aigrettes. On se sert de grandes brosses de poil de porc pour faire ce collage ; quand on a deux cent cartons de collés, on les met en presse entre deux planches bien unies, & au défaut de presse on charge les planches avec quelque chose de pesant. Après que les cartons ont été six heures en presse, on les met sécher, en les suspendant à des cordes avec des crochets de fil de laiton. On perce avec un poinçon chaque feuille dans deux de ses coins pour passer les crochets qui doivent la suspendre ; & quand les feuilles sont bien seches, on les remet encore en presse pour ôter la courbure qu'elles ont pû prendre en séchant.

La colle pour le carton & pour le moulage se fait avec de la fleur de farine de froment : il faut la bien détremper dans de l'eau, & l'ayant mise sur le feu, on la fait bouillir jusqu'à ce qu'elle ait perdu son odeur de farine ; on la passe ensuite par un tamis de crin, dans lequel on la manie pour diviser les grumeaux & ôter tout ce qui pourroit faire quelque bosse au carton dans le collage.

Le pere d'Incarville, ci-devant cité pour la maniere de faire des fleurs dans l'artifice, nous a aussi appris que les Chinois, pour obvier aux accidens du feu, mettent dans la colle des cartouches, de l'argille & du sel commun, ce qui les empêche de prendre feu : ce procédé dont on a fait l'essai est fort bon ; on a seulement trouvé que l'alun convient mieux que le sel marin, en ce qu'il n'attire pas l'humidité comme fait ce sel, & qu'il est également incombustible ; le carton doit être fait avec la même colle. Sur une livre de farine, il faut mettre une poignée d'alun en poudre : quand la colle est faite, on la retire du feu & on y mêle à-peu-près autant d'argile détrempée qu'il y a de colle, & aussi claire.

ART. VIII. De l'étoupille. On se sert d'étoupille pour amorcer les fusées & pour conduire le feu d'une piece à une autre.

La matiere de l'étoupille est du coton filé ; on lui donne la grosseur que l'on veut en le mettant en plusieurs doubles. Il faut le faire tremper pendant quelques heures dans du vinaigre, ou pour le mieux dans de l'eau-de-vie ; après qu'il en est suffisamment imbibé, on répand dessus du poussier, & on manie le coton dans le plat où il a trempé, pour qu'il se pénetre & se couvre de cette pâte de poudre ; lorsqu'il en est suffisamment couvert, on le retire du plat, en le passant legerement dans les doigts pour étendre la pâte, de maniere qu'il en soit par-tout également couvert, & on le met sécher à l'ombre sur des cordes.

Quand l'étoupille est seche, on la coupe par morceaux de deux piés & demi de longueur, on en forme des bottes ou paquets, & on les conserve dans un endroit bien sec.

La grosseur commune de l'étoupille pour les communications de feu & pour les fusées de moyenne grosseur, est d'une ligne & demi de diametre ; pour les serpenteaux, d'une ligne, & pour les plus grosses fusées, de deux lignes.

ART. IX. De l'amorce. On prend de la poudre en grain, que l'on humecte d'un peu d'eau, & on la broye sur une table avec une molette de bois, jusqu'à ce qu'elle soit réduite en pâte bien fine. On s'en sert comme d'un mastic, pour coller & retenir l'étoupille dans la gorge des fusées.

ART. X. Outils les plus nécessaires. Une table de bois dur & une molette pour broyer les matieres ; au défaut de molette, on se sert d'un maillet à charger les fusées.

Quelques écremoires pour amasser ou mélanger les compositions ; ce sont des feuilles de laiton fort mince, de quatre à cinq pouces de longueur sur environ trois pouces de largeur.

Quelques pattes de lievre pour servir avec l'écremoire à amasser les compositions.

Une table pour faire le moulage.

Trois ou quatre brosses de différentes grandeurs, faites de poil de porc, pour coller à la colle de farine.

Quelques pinceaux de poil de porc pour coller à la colle forte & pour graisser l'artifice d'eau.

Une scie à main pour rogner les gros cartouches.

Un grand couteau pour rogner les moyens cartouches & pour couper le carton.

De grands & de petits ciseaux, pour rogner les pots & les petits cartouches.

Un tambour de parfumeur garni de six tamis, savoir,

Trois tamis de gaze de soie.

Le premier, d'un tissu fort serré pour passer le poussier, & pour ôter la poussiere inutile du sable de fer.

Le deuxieme un peu plus clair, pour passer le soufre, le salpetre, & le sable le plus fin ou du premier ordre.

Le troisieme encore plus clair, pour passer le sable du deuxieme ordre.

Trois tamis de crin.

Le premier d'un tissu serré, pour passer du charbon fin pour le petit artifice, & pour le sable du troisieme ordre.

Le deuxieme moins serré, pour passer du gros charbon pour les fusées volantes, & pour le sable du quatrieme ordre.

Le troisieme plus clair, pour mélanger les matieres dont on fait les compositions, & pour le sable du sixieme ordre. Le sable du cinquieme ordre se fait en mettant à part ce qui passe le dernier du quatrieme ordre qui est le plus gros, avec ce qui passe le premier du sixieme ordre qui est le plus fin.

Des balances assez grandes pour tenir deux livres de composition.

Un poids de marc depuis le demi gros jusqu'à deux livres.

Quelques boîtes fermantes à coulisse, comme celles des épiciers, pour serrer les matieres tamisées & les compositions.

Deux cuilleres de bois ou de fer-blanc pour prendre les matieres dans les boîtes.

Trois petits tonnelets pour mettre séparément le salpetre, le soufre & le charbon non broyés.

Un barril pour la poudre, de la contenance de dix à douze livres.

Des moules de fusées volantes de différentes grosseurs garnis de leur culot, portant sa broche & des pieces ci-après.

La baguette à rouler.

Les trois baguettes creuses.

La baguette à charger le massif.

La baguette à rendoubler le carton.

Le maillet.

La cornée ou cuillere à charger, qui est la mesure de chaque charge de composition.

Et le moule à former le pot.

Quelques culots à pointe, pour charger des serpenteaux & jets, garnis de leurs baguettes à rouler & à charger.

Quelques culots sans pointe pour charger les fusées de table & autres, qui doivent prendre feu par des trous que l'on perce sur la circonférence de leur cylindre.

Un outillage pour les lances à feu, qui consiste en une baguette à rouler, quatre baguettes à charger, & une palette pour frapper.

Un boisseau pour charger les petits serpenteaux qu'on nomme vetille.

Deux moules de différentes grosseurs pour former des étoiles.

Trois poinçons à arrêt, de différentes grosseurs, pour percer la communication du massif à la chasse des fusées volantes.

Un long poinçon sans arrêt pour piquer les chasses des pots à feu, & un autre plus petit pour percer les marons & saucissons.

Des vrilles de différentes grosseurs pour percer les fusées de table & autres.

Un compas & un pié de roi pour mesurer le diametre & la longueur des fusées.

Un gros piton à vis que l'on place dans un poteau de bois pour étrangler les cartouches.

Un rabot pour diminuer la grosseur des baguettes des fusées volantes lorsqu'elles sont trop pesantes.

Du fil de fer & des pinces plates, pour attacher les baguettes aux fusées de tables.

Une petite marmite de fer blanc pour faire chauffer la colle-forte au bain-marie.

Une enclume de fonte, & deux gros marteaux de la même nature, pour faire le sable de fer.

Un assortiment de cordes & ficelles de différentes grosseurs, pour étrangler & lier les fusées.

Un assortiment de carton & de papier de différentes qualités.

Une planchette pour tracer les cartouches cubiques des marons.

Un chevalet pour tenir les fusées volantes.

Un étau de serrurier, un marteau, une rape-à-bois, & quelques limes.

Ces outils n'ont point d'usage particulier dans l'artifice ; mais ils servent dans beaucoup d'occasions, & il seroit difficile de s'en passer.

Les différentes especes de feu d'artifice peuvent se distribuer.

1°. En feux qui s'élevent ou qui sont portés dans l'air ; tels que les fusées de plusieurs sortes, les serpenteaux, les pluies de feu, les marons, les saucissons, les étoiles, &c. Voyez ces articles.

2°. En feux qui brûlent sur terre, tels que les lances à feu, les jets de feu, les soleils, les girandoles, &c. Voyez ces articles.

3°. En feux préparés pour l'eau, tels que les genouillers, les trompes, les jattes, &c. V. ces articles.

Les effets de ces derniers articles qui brûlent sur l'eau & dans l'eau, paroissent si contraires à la nature du feu, qu'il n'est pas étonnant que des charlatans, pour rendre la chose plus merveilleuse & en tirer plus de lucre, ayent fait croire qu'il y entroit des drogues fort cheres, comme le vif-argent, l'ambre jaune, le camphre, les huiles de soufre, de salpetre, le petrole, l'huile de térebenthine, l'antimoine, la sciûre d'ivoire & de bois, & d'autres ingrédiens, qui produisent pour la plûpart un mauvais effet, qui est de donner beaucoup de fumée.

Toutes les fusées d'air & de terre brûlent dans l'eau, il ne s'agit que de les mettre en état de surnager.

Art. XI. De la maniere de communiquer le feu d'un artifice mobile à un artifice fixe. Le secret de cette communication de feu a été apporté de Bologne en France, en 1743, par les sieurs Ruggieri, actuellement artificiers du Roi & de la ville. On admira dans les spectacles pyriques qu'ils donnerent sur le théatre de la comédie italienne, l'art avec lequel ils faisoient communiquer le feu successivement & à tems, d'un soleil tournant à un soleil fixe, & de suite à plusieurs autres pieces mobiles & fixes, placées sur un même axe de fer.

L'auteur de ce mémoire ayant trouvé ce secret, il s'est fait un plaisir de le rendre public dans son traité d'artifice, imprimé à Berne en 1750. Il consiste dans une chose fort simple, c'est d'approcher deux étoupilles l'une de l'autre, assez près, sans cependant qu'elles se touchent, pour que l'une ne puisse brûler sans donner feu à l'autre : voici la maniere dont il faut opérer.

On suppose un soleil fixe, placé entre deux soleils tournans sur un axe de fer ; le premier est fixé dessus par une cheville qui traverse son moyeu & l'axe ; les deux autres sont retenus par des écrous vissés sur l'axe, au moyen desquels on leur donne pour tourner autant & si peu de jeu que l'on veut.

L'espace entre le premier soleil tournant & le soleil fixe, est de six pouces quatre lignes. On le remplit par deux cylindres de chacun trois pouces de longueur & de deux pouces de diametre, aussi enfilés sur l'axe ; ils sont collés de colle forte, l'un sur le moyeu du soleil fixe, & l'autre sur le moyeu du soleil tournant.

Entre ces deux cylindres, doit être enfilé sur l'axe un bouton de quatre lignes d'épaisseur, sur un pouce de diametre : il sert à les tenir dans un écartement de quatre lignes l'un de l'autre ; & pour ne pas multiplier les pieces, on prend ordinairement ce bouton sur l'un des cylindres dont il fait partie, ou bien on l'y ajoûte en le collant dessus.

Sur la surface plane de chaque cylindre un peu au-dessus du bouton, doit être creusée une rainure circulaire de deux lignes & demie de largeur, & d'autant de profondeur, dans lesquelles on colle une étoupille avec de l'amorce ; c'est par ces étoupilles que se doit faire la communication du feu, celle d'un cylindre ne pouvant brûler qu'elle ne donne feu à celle de l'autre vis-à-vis, n'y ayant que quatre lignes de distance entr'elles. Le feu est apporté à l'une par une étoupille, qui partant de l'extrémité du dernier des jets du soleil tournant, vient rendre à l'étoupille de ladite rainure circulaire, y étant conduite dans une rainure creusée sur le rayon qui porte le jet d'où elle part, sur le moyeu & sur le cylindre, d'où s'étant communiqué par son extension à l'étoupille de la rainure circulaire opposée, il est conduit de-là à la gorge de l'un des jets du soleil fixe, par une étoupille couchée dans une rainure faite sur son cylindre & sur son moyeu, jusqu'au pié du jet d'où elle va se rendre à sa gorge. Ces étoupilles doivent être bien couvertes avec du papier collé dessus ; excepté celles qui sont placées dans les rainures circulaires ; on les garantit des étincelles de feu avec un tuyau de carton ou de laiton bien mince, dans lequel on place les deux cylindres : ce tuyau doit les couvrir presqu'en entier ; & pour qu'il ne gêne pas leur mouvement, on lui donne de diametre deux lignes de plus qu'aux cylindres.

La longueur que l'on donne aux cylindres, a deux objets : le premier est d'éloigner les étoupilles circulaires des bords du tuyau qui les couvre, par où les étincelles pourroient s'introduire : le second est de tenir les soleils fixes & tournans dans un écartement assez grand pour que le feu ne puisse se communiquer de l'un à l'autre ; ce qui arriveroit s'ils étoient plus proches, quoique les communications soient bien couvertes.

L'espace entre le soleil fixe & le second soleil tournant, étant garni d'une pareille communication entre deux cylindres, le feu se portera à ce second soleil par une étoupille qui tirera son feu du pié de l'un des jets du soleil fixe ; on y percera un trou pour y faire communiquer l'étoupille, & à laquelle il donnera feu en finissant.

De ce second soleil tournant, le feu peut de même être conduit à un second fixe, & ainsi successivement à plusieurs pieces.

Cette piece d'artifice qu'on nomme machine pyrique, se termine ordinairement par une étoile ; elle est formée par six barres de trois à quatre piés de longueur, on les visse sur un moyeu pareil à celui d'un soleil fixe, il y a deux jets attachés au bout de chacune sur une traverse qui croise la barre, leurs gorges se croisent, & l'ouverture de l'angle qu'on leur donne est mesurée pour former une étoile ; une étoupille couchée dans une rainure sur chacune des barres, qui communique d'un bout à la gorge des jets, & de l'autre à une étoupille circulaire qui entoure le moyeu au pié des barres, leur communique à tous le feu en même tems.

En place des jets qui forment l'étoile, on peut garnir les barres de six soleils tournans ; ils doivent être composés, quoique plus petits, comme ceux décrits ci-dessus, savoir, d'une communication de feu entre deux cylindres, séparés par un bouton, & couverts d'un tuyau de laiton ; le tout ne doit avoir au plus que quatre pouces de longueur : l'axe sur lequel ils doivent tourner, est une cheville de fer qui traverse la roue & les deux cylindres. Elle est vissée par le bout, & assez longue pour traverser la barre sur laquelle on veut la placer ; on l'arrête avec un écrou derriere la barre qui est percée pour y donner passage, il reçoit le feu par l'étoupille couchée sur la barre à laquelle on joint celle du cylindre qui est appliqué dessus.

C'est avec de pareils soleils que l'on éclaire les décorations en découpures & les berceaux en treillages ; on les fait ordinairement à trois jets qui prennent feu successivement.

Art. XII. D'une pâte dont les Chinois se servent pour représenter en feu des figures d'animaux & des devises. Nous devons encore au pere d'Incarville, cette maniere de former des figures. Elle consiste en une pâte faite de soufre en poudre impalpable & de colle de farine, dont on couvre des figures d'ozier, de carton ou de bois ; ces figures doivent être premierement enduites d'argille ou terre grasse, pour les empêcher de brûler ; après que la couche de pâte de soufre est posée, & pendant qu'elle est encore humide, on la poudre de poussier qui s'y attache ; lorsqu'elle est bien seche, on colle des étoupilles sur ses principales parties, pour que le feu se porte par-tout en même tems, & on la couvre en entier de papier collé : les Chinois peignent ces figures de la couleur des animaux qu'elles représentent ; leur durée en feu est proportionnée à l'épaisseur de la couche de pâte qui les couvre.

Lorsque les figures sont petites, on peut les mouler ou les modeler massives, comme cette pâte ne coule point en brûlant, elles conservent leurs formes jusqu'à ce qu'elles soient entierement consumées.

On peut aussi en faire usage pour former des devises & autres desseins.

Les Chinois s'en servent encore pour représenter des raisins ; ils leur donnent la couleur pourprée en substituant à la colle de farine de la chair de jujubes ; ils les font cuire, & en séparent la peau & le noyau. Cet article est tiré du Manuel de l'artificier de M. PERRINET D'ORVAL, ouvrage excellent, qui nous fournira de plus tous les autres articles que nous avons cités plus haut.

FEU GREGEOIS, (Hist. du moyen âge) espece de feu d'artifice qui étoit composé de naphte, de poix, de résine, de bitume, & autres corps inflammables.

Feu grégeois signifie feu grec, parce qu'anciennement nous nommions les Grecs Grégeois ; que ce furent eux qui s'en servirent les premiers, vers l'an 660, au rapport de Nicétas, Théophane, Cédrenus & autres ; & qu'enfin ils furent en possession pendant trois siecles, de brûler par le secret de ce feu, les flottes de leurs ennemis.

L'inventeur du feu grégeois, suivant les historiens du tems, fut un ingénieur d'Héliopolis en Syrie, nommé Callinicus qui l'employa pour la premiere fois dans le combat naval que Constantin Pogonat livra contre les Sarrasins, proche de Cizique sur l'Hellespont. Son effet fut si terrible, ajoûtent les mêmes écrivains, qu'il brûla toute la flotte composée d'une trentaine de mille hommes.

Il est vrai que quelques modernes, & Scaliger entr'autres, donnent une date plus ancienne à cette découverte, & l'attribuent à Marcus Gracchus : mais les passages des auteurs grecs & latins qu'on cite pour favoriser cette opinion, n'en prouvent point la vérité.

Ce qu'on sait plus positivement, c'est que les successeurs de Constantin se servirent du feu grégeois en différentes occasions, presqu'avec autant de succès que lui ; & ce qu'il y a de remarquable, c'est qu'ils eurent le bonheur de garder pour eux seuls le secret de cette composition, jusque vers le milieu du x. siecle, tems auquel il paroît qu'aucun autre peuple ne le savoit encore.

Aussi le feu grégeois fut mis au rang des secrets de l'état par Constantin Porphyrogenete ; en conséquence dans son ouvrage dédié à Romain son fils, sur l'administration de l'empire, il l'avertit que lorsque les Barbares lui demanderont du feu grégeois, il doit répondre qu'il ne lui est pas permis de leur en donner, parce qu'un ange qui l'apporta à l'empereur Constantin, défendit de le communiquer aux autres nations, & que ceux qui avoient osé le faire, avoient été dévorés par le feu du ciel, dès qu'ils étoient entrés dans l'église.

Cependant malgré les précautions de Constantin Porphyrogenete, la composition du feu grégeois vint à être connue ou découverte par les ennemis. Le P. Daniel, dans son histoire du siege de Damiette en 1249, sous S. Louis, rapporte que les Turcs en firent alors un terrible usage. Ils le lançoient, dit-il, avec une espece de mortier, & quelquefois avec une sorte d'arbalête singuliere, qui étoit tendue fortement par le moyen d'une machine, supérieure en force à celle des bras & des mains. Celui qu'on tiroit avec une espece de mortier, paroissoit quelquefois en l'air de la grosseur d'un tonneau, jettant une longue queue, & faisant un bruit semblable à celui du tonnerre. Mais voici les propres paroles de Joinville, qui étoit présent. " Les Turcs emmenerent un engin, qu'ils appelloient la perriere, un terrible engin à mal-faire, & les misdrent vis-à-vis des chats chateils, que messire Gaultier de Curel & moi, guettions de nuit ; par lequel engin ils nous jetterent le feu grégeois à planté, qui étoit la plus terrible chose que onques jamais je veisse. " Au reste M. Ducange a fait une ample note sur cet endroit, dans laquelle il explique la composition & l'usage de ce feu ; j'y renvoye le lecteur pour abréger.

On croit communément que le feu grégeois brûloit dans l'eau, & même avec plus de violence que dehors, opinion qui est hors de toute vraisemblance. Il est vrai qu'Albert d'Aix (liv. VII. ch. v.), a écrit qu'on ne pouvoit point éteindre ce feu avec de l'eau ; mais en accordant même qu'il ne s'est pas trompé, ses paroles ne veulent point dire que le feu grégeois brûlât dans l'eau.

Encore moins faut-il penser que ce feu fût inextinguible ; puisque selon Matthieu Paris en l'an 1219, on pouvoit l'éteindre avec du vinaigre & du sable. Les François y parvinrent plusieurs fois en l'étouffant avec adresse, & en empêchant la communication de l'air extérieur, par des peaux humides d'animaux nouvellement écorchés, qu'on jettoit dessus. Aussi lit-on dans la même histoire de Joinville. " Et incontinent fut éteint le feu grégeois par cinq hommes que avions propres à ce faire. "

Enfin l'invention du feu grégeois s'est perdue au moyen de la poudre à canon qui lui a succédé, & qui fait, par le secours de l'artillerie, bien d'autres ravages que ceux que produisoit le feu grégeois par le souffle dans des tuyaux de cuivre, par des arbalêtes-à-tour, ou autres machines à ressort, Reposons-nous-en sur les hommes policés ; ils ne manqueront jamais des arts les plus propres à se détruire, & à joncher la face de la terre de morts & de mourans. Article de M(D.J.)

FEU, (Théolog.) terme usité en Théologie pour exprimer la punition éternelle reservée aux méchans. Voyez ce qu'on doit penser de la réalité de ce feu, au mot ENFER. On croit communément qu'à la fin des siecles & avant le jugement dernier, ce monde visible sera détruit & consumé par le feu.

Dieu s'est manifesté lui-même plusieurs fois sous l'apparence du feu. C'est ainsi qu'il apparut à Moyse dans le desert, dans un buisson ardent ; sur le mont Sinaï, au milieu des feux & des éclairs : le camp des Israëlites étoit conduit pendant la nuit par une colonne de feu ; & le S. Esprit descendit sur les apôtres le jour de la Pentecôte, sous la forme de langues de feu. Aussi est-il appellé dans les Ecritures & dans les peres, feu, ignis, pour marquer l'ardeur de l'amour divin. C'est dans le même sens que la charité est appellée un feu sacré, un feu divin, & qu'on la représente sous le symbole d'un coeur enflammé.

Les Persans adoroient leur dieu sous l'image & la représentation d'un feu, parce qu'ils croyoient que cet élément est le premier mobile de la nature. Eux, les Hébreux & les Romains conservoient religieusement le feu sacré. Voyez FEU SACRE.

Vulcain étoit honoré chez les anciens, & particulierement chez les Egyptiens, comme l'inventeur du feu. Boerhaave prétend qu'il est fort probable que le Vulcain des Payens étoit le Tubal-caïn des Hébreux, qui semble avoir connu le premier l'usage du feu pour la fonte des métaux & pour d'autres préparations chimiques. Voyez CHIMIE. (G)

FEU, (Mythol. Litter.) Ce fut Prométhée, suivant la fable, qui déroba le feu du ciel, & qui en fit un présent aux hommes ; ce n'est pas à dire cependant, qu'il leur en ait fait connoître le premier l'usage & les effets : cette connoissance est sans-doute presque aussi ancienne que le monde, soit que la foudre ait porté le feu sur la terre, soit qu'on ait fait du feu par hasard en frappant des cailloux, ou de toute autre maniere qui en peut produire artificiellement ; mais Prométhée qui étoit un prince éclairé, découvrit aux habitans de la Scythie, gens barbares & grossiers, la maniere d'appliquer le feu à leurs besoins, & à plusieurs opérations des arts manuels. Voilà ce que designe le feu qu'il emprunta du ciel.

Ainsi Vulcain, premier roi d'Egypte, ayant établi des forges dans l'île de Lemnos, & appris aux insulaires l'art de rendre les métaux fusibles ou malléables, par le moyen du feu, il arriva que tous ceux qui profiterent dans la suite de ses inventions, nommerent Vulcain le dieu du feu, & offrirent à ce dieu des sacrifices, en reconnoissance de ses bienfaits.

Ce dieu eut plusieurs temples à Rome, & un entr'autres dans lequel le peuple traitoit souvent les affaires les plus graves de la république, parce que les Romains ne croyoient pas pouvoir rien invoquer de plus sacré, pour assûrer les décisions qui s'y prenoient, que le feu vengeur dont ce dieu étoit le symbole ; & dans les sacrifices qu'on lui offroit, on consumoit par le feu toute la victime ; c'étoient de véritables holocaustes.

Mais pourquoi les Romains présentoient-ils aux nouvelles mariées du feu & de l'eau, lorsqu'elles entroient dans la maison de leurs époux ? Denis d'Halycarnasse nous apprend (liv. II.) que Romulus institua cette cérémonie, lorsqu'il unit les Sabines à leurs ravisseurs ; & ce qu'il y a de plus singulier, c'est qu'elle se perpétua d'âge en âge : les Poëtes nous en fournissent la preuve.

Stace feint agréablement dans son épithalame de Stella & de Violentilla, que les Muses descendent du Parnasse, pour venir présenter le feu & l'eau aux nouveaux mariés.

Procul ecce canorae

Demigrant Helicone Deae, quatiuntque novena

Lampade, solemnem thalamis coeuntibus ignem,

Et de pieriis vocalem fontibus undam.

Valerius Flaccus a orné de la même image son poëme des Argonautes.

Inde ubi saccificas cum conjuge venit ad aras

Aesonides : unâque adeunt, pariterque precari

Incipiunt, ignem Pollux undamque fugalem

Praetulit.

Plutarque épuise en vain son esprit à chercher des raisons allégoriques du fondement de cet usage, qui de son tems étoit encore à la mode. De pareilles coûtumes n'ont guere d'autres sources que la superstition des peuples qui les imaginent, ou qui les empruntent de leurs voisins. Article de M(D.J.)

FEU S. ANTOINE, (Medecine) On a donné le nom de feu S. Antoine à deux maladies bien différentes, & qui n'ont que quelques signes semblables, en quoi l'on a fait comme le petit peuple du royaume, qui dans la derniere guerre appelloit pandours tous les corps de cavalerie des ennemis.

Nos anciens historiens parlent brievement & très-obscurément de l'une de ces deux maladies, & nos journaux des savans ont caractérisé l'autre fort au long & fort nettement.

La premiere maladie, connue sous le nom de feu S. Antoine, fit de grands ravages en France dans le xj. & xij. siecles. Elle causoit, dit l'histoire, la perte des membres du corps, auxquels elle s'attachoit ; elle les dessechoit, les rendoit livides, noirs & gangrenés ; ce mal épidémique & contagieux attaquoit les parties externes & internes, & s'étendoit sur tout le monde : c'étoit une vraie maladie pestilentielle.

On mettoit les malades dans des lieux écartés ; & pour empêcher qu'on eût avec eux quelque communication, on peignoit du feu sur les murailles des endroits où on les avoit renfermés. On trouvera dans la satyre Ménippée & dans Rabelais (deux livres uniques en leur genre), des preuves de cet usage.

Les gens au fait de l'institution des ordres monastiques, savent que ce fut pour ceux qui étoient atteints de cette espece de peste, qu'Urbain II. ce pape si connu dans l'Histoire par les guerres des croisades (voyez l'article CROISADE), fonda deux ans auparavant, l'an 1093, l'ordre religieux de S. Antoine de Viennois ; & l'on dit qu'on montre encore aujourd'hui des membres desséchés de personnes mortes de la maladie en question, dans l'hôpital de S. Antoine en Dauphiné, qui est l'abbaye chef-d'ordre de la congrégation des religieux dont nous venons d'indiquer l'origine.

La seconde maladie qui porte le nom de feu S. Antoine, est d'un tout autre genre. Elle ne paroît que dans quelques pays & dans certaines années : elle n'est point contagieuse, & ne regne guere que parmi le petit peuple : elle provient d'une cause connue, de la nourriture de pain fait d'une espece de seigle, qui a dégénéré par des causes particulieres. Voyez ERGOT.

Pour ce qui regarde quelques maladies érésipélateuses, auxquelles le vulgaire a donné le nom de feu S. Antoine, voyez ces maladies sous leur véritable dénomination. Article de M(D.J.)

FEU PERSIQUE, (Medecine) espece particuliere d'érésipele, à laquelle les anciens ont fait quelque attention. Pline l'appelle zoster ; il paroît qu'elle étoit alors moins rare qu'aujourd'hui ; mais comme elle demande le même traitement que l'érésipele maligne, nous renvoyons le lecteur à l'article ERESIPELE.

Le feu persique se manifeste souvent au-dessus du nombril par une grande tache qui s'étend ensuite, & forme autour du corps une espece de ceinture, large de quelques pouces, accompagnée d'une ardeur violente & de pustules acres & corrosives, qui brûlent comme le feu. Cette érésipele est fort dangereuse dans les vieillards cacochymes ; elle l'est encore davantage, lorsqu'elle se manifeste dans les fievres pestilentielles sous les mammelles, les aisselles, sur le bas-ventre, le nombril, les aines, la région du coeur, & sur les autres parties glanduleuses du corps. Si la tache ou ceinture qui caractérise le feu persique, au lieu d'être rouge, se trouve de couleur livide & plombée, on remarque que cette lividité dégénére assez promtement en une gangrene mortelle. J'en ai vû le triste exemple une seule fois, & le malade déjà sexagénaire, périt en 24 heures, sans presque aucune souffrance. Platérus a décrit cette maladie sous le nom de macula lata, mais il n'en a pas indiqué les causes ; & par malheur les remedes ne sont que trop communément inutiles, si la nature ne fait par sa vigueur le principal de la guérison. Article de M(D.J.)

FEU, (terre de) Géog. Voyez TERRE DE FEU, ou TERRA DEL FUEGO.

FEU, (Littérat.) après avoir parcouru les différentes acceptions de feu au physique, il faut passer au moral. Le feu, sur-tout en poésie, signifie souvent l'amour, & on l'employe plus élégamment au pluriel qu'au singulier. Corneille dit souvent un beau feu, pour un amour vertueux & noble : un homme a du feu dans la conversation, cela ne veut pas dire qu'il a des idées brillantes & lumineuses, mais des expressions vives, animées par les gestes. Le feu dans les écrits ne suppose pas non plus nécessairement de la lumiere & de la beauté, mais de la vivacité, des figures multipliées, des idées pressées. Le feu n'est un mérite dans le discours & dans les ouvrages que quand il est bien conduit. On a dit que les Poëtes étoient animés d'un feu divin, quand ils étoient sublimes : on n'a point de génie sans feu, mais on peut avoir du feu sans génie. Article de M. DE VOLTAIRE.


FEU(Art milit.) se dit de l'action d'enflammer la poudre dans les armes : on dit, mettre le feu à un canon, à un mortier, & faire feu d'un fusil, d'un pistolet ; on dit d'un feu de mousqueterie, qu'il est vif, plein, bien suivi ; lorsqu'on commande à une troupe de tirer, on se sert du mot feu.

Dans le dernier siecle, le feu ne faisoit pas comme à présent, la plus grande force de l'infanterie exercée à tirer ; les armes à feu n'étoient pas si faciles à manier, & peut-être ne sont-elles pas encore à la perfection où elles seront portées. Voy. la fin du viij. chap. de l'art de la guerre, p. 1. La force des ordres de bataille suppressés des anciens étoit, selon Végece, parce qu'un plus grand nombre pouvoit lancer ses traits en un endroit, quia à pluribus in unum locum tela mittuntur. C'est le même principe qui a établi l'axiome reçu à présent, que le plus grand feu fait taire l'autre ; en effet, de deux troupes d'infanterie de même nombre, sur un égal front, également découvertes, & qui sont feu l'une sur l'autre, sans se joindre, celle-là perdra davantage, par conséquent sera battue, qui essuyera plus de coups de fusil qu'elle n'en pourra faire essuyer à celle qui lui est opposée.

Ce n'est pas dans les auteurs anciens que l'on peut espérer de trouver quelques éclaircissemens sur l'usage qu'on doit faire des armes à feu, elles leur étoient inconnues ; au commencement de ce siecle, & même jusqu'au tems où M. le chev. Folard a écrit, l'usage n'en étoit pas aussi facile, & aussi commun qu'il l'est devenu ; presque tous ceux qui depuis ce tems ont donné des ouvrages sur la guerre (qui sont presque tous copiés les uns sur les autres), n'ont rapporté que des faits peu détaillés, ou bien ils ont donné pour axiomes certains des maximes qu'ils avoient adoptées ; mais ils n'en ont pas démontré l'évidence, & ne sont point entré dans aucune discussion sur le meilleur emploi de telle façon de tirer, plutôt que de telle autre, dans telle ou telle occasion. Le maréchal de Puisegur est le premier qui paroît discuter sans prévention l'avantage ou le désavantage que l'on peut trouver dans l'usage des armes à feu, ou des halebardes. Voyez chap. vij. & article iv. du xj. chap. premiere partie. Néanmoins il n'entre point encore dans l'explication des moyens de pratiquer tel feu, plutôt que tel autre, il n'entreprend pas non plus de donner aucune solution sur l'effet qui doit résulter de tel ou tel feu.

Pour savoir l'emploi que l'on doit faire des armes à feu, le militaire n'a donc que 1°. les réflexions que chacun peut faire sur les faits dont il a eu connoissance ; 2°. les instructions qu'il peut trouver dans les exercices qui sont ordonnés ; mais ces exercices sont bornés à donner l'habitude aux soldats de faire feu de différentes façons, & n'entrent pas dans la discussion des raisons qui doivent faire préférer telle façon à telle autre ; il ne reste donc pour se décider que l'instruction que chaque militaire peut tirer des faits qui sont venus à sa connoissance, & il leur manque une théorie démontrée de l'effet qui doit résulter de tel feu, plutôt que de tel autre, dans telle ou telle occasion.

Je vais rapporter différens faits connus de l'usage des armes à feu, sans m'ingérer d'en déduire quelles regles on en doit tirer ; j'essayerai ensuite d'analyser & expliquer les différens feux, & les effets qui en doivent résulter, ainsi que les moyens de faire des expériences qui puissent constater ces résultats ; au-reste je ferai les calculs, en supposant pour leur facilité, que la division par files puisse subsister ailleurs comme dans les exercices.

Faits. Des portions de lignes d'infanterie se sont trouvées en présence séparées par une chaussée bordée d'un ou de deux fossés secs ou pleins d'eau, mais qui pouvoient se traverser sans danger, ces troupes ont fait feu l'une sur l'autre pendant des demi-heures ou trois quarts-d'heure, une heure même ; elles ne se sont point détruites, elles n'ont pas perdu un quart, compris les blessés, elles ne se sont point dépostées, ni l'une ni l'autre n'a pas pu dire avoir vaincu ; l'événement, dans une autre partie de la ligne, ou la nuit, a déterminé la retraite de l'une des deux.

Des troupes d'infanterie ont marché en plaine contre d'autres qui les attendoient de pié ferme & sans tirer, elles se sont approchées assez pour que les officiers de chaque côté pussent parler ensemble ; quelques-uns même ont croisé l'esponton, d'autres se sont poussé des bottes l'épée à la main ; ces troupes ont été arrêtées quelques momens dans cette proximité, l'infanterie d'un côté a fait feu, l'autre a marché, & culbuté sans résistance celle qui venoit de faire feu.

Différentes fois l'infanterie qui avoit marché sans tirer, avoit essuyé deux ou trois décharges de celle qui l'attendoit de pié ferme, elle s'en étoit approchée plus par une droite ou par une gauche que par l'autre extrémité ; elle a hésité pour charger, l'autre a fait un mouvement irrégulier (peut-être de crainte) & a fait encore une fois feu ; celle qui avoit marché jusqu'alors & sans tirer, étoit déja en fuite, elle a été suivie & chargée dans sa fuite.

Des troupes d'infanterie ont marché en plaine contre d'autres, jusqu'à trente pas, & sans tirer ; d'un côté les unes ont fait feu, puis se sont enfuies, les autres les ont poursuivies.

D'autres fois dans la même position, d'un côté les troupes ont fait feu, & des deux côtés elles se sont enfuies, les unes sans aucunes pertes, & les autres avec un trentieme au plus ; une des deux troupes est peut-être revenue ensuite sur son champ de bataille.

Deux corps d'infanterie ont marché en plaine, l'un contre l'autre, sans faire feu ; à quarante pas l'un a fait feu de son premier rang seulement, & a mis hors de combat tous les officiers de l'ennemi qui se trouvoient tous au premier rang ; ces deux corps ont continué de marcher, celui-ci qui avoit perdu ses officiers a été enfoncé sans résistance.

De ces mêmes corps, l'un a marché contre l'autre qui l'attendoit de pié ferme, & faisant un feu par lequel il avoit mis hors de combat près d'un quart du corps qui marchoit, celui-ci s'est arrêté lorsqu'il s'est trouvé à quarante pas, a fait feu de son premier rang, a continué sa marche, & quoi qu'ayant détruit presque tous les officiers ennemis, il ne l'a enfoncé qu'après une vigoureuse résistance, & par la force de ses armes de main.

L'infanterie d'une ligne a fait un feu lent par pelotons (Voyez ci-après feu par section, par pelotons) sur son ennemi éloigné de près de cinq cent toises, elle l'a continué & rendu plus vif, jusqu'à ce qu'il fût à cent toises ou environ, elle a fait alors le feu plein, (Voyez ci-après feu plein) l'ennemi y a répondu aussi-tôt par un pareil, & après quatre ou cinq décharges de part & d'autre, les armes de l'infanterie qui tiroit depuis longtems, n'ont plus été toutes en état de tirer, son feu a langui, elle avoit alors mis hors de combat un sixieme de ses ennemis, & n'avoit pas un douzieme de perte ; en un moment elle s'est trouvée plus d'un tiers de perte, l'ennemi s'est mis en marche pour l'attaquer à l'arme blanche, & elle a fui.

De l'infanterie a marché de front contre d'autre qui étoit placée derriere des haies coupées à quatre piés de hauteur, elle s'est avancée jusqu'à cinquante pas, sans avoir essuyé aucun feu, alors elle a essuyé une décharge générale, toute cette infanterie est tombée à terre, presqu'un tiers a été tué, un tiers blessé, & un tiers qui s'est relevé petit-à-petit, s'est enfui à mesure, sans avoir été atteint par le feu que l'infanterie retranchée avoit continué de faire.

L'infanterie a marché contre d'autre qui étoit couverte par des retranchemens, de laquelle elle essuyoit le feu depuis long-tems ; à cinquante pas, elle s'est arrêtée dans sa marche, elle a fait feu ; après quatre ou cinq décharges, elle s'est avancée contre le retranchement, & celle qui le défendoit s'est enfuie.

Une autre fois l'infanterie qui défendoit le retranchement a monté sur le parapet, a fait feu sur l'infanterie qui descendoit dans le fossé, ou qui y étoit déja ; celle-ci s'est enfuie, & a été presque toute détruite dans sa retraite par l'infanterie retranchée.

On peut sans doute de ces faits & d'autres aussi diversifiés conclure qu'il est possible que le feu de l'infanterie soit plus ou moins meurtrier, mais tous les faits rapportés ici ne sont point encore des expériences. Pour bien faire une expérience, il faut tant de considérations, dont plusieurs paroissent d'abord des minuties, qu'il n'est presque jamais possible d'en faire sur certaines choses, mais sur-tout lorsqu'on ne pourroit y procéder que par la destruction de l'humanité, & elles seroient presque impossibles à faire dans une action de guerre ; le danger auquel l'observateur se trouveroit exposé, détourneroit aisément son attention des circonstances qui paroissent au premier coup-d'oeil les moins importantes : ce n'est que dans la solitude & la tranquillité de la retraite que les curieux observateurs de la nature, après avoir étudié à fond la composition de l'objet de leurs recherches, parviennent enfin à découvrir ses propriété par le concours de diverses expériences qu'ils suivent en différens tems, en différens lieux, & relativement à toutes les positions possibles. Ce n'est point à la guerre qu'il est possible de faire de semblables expériences ; ce n'est point à des militaires qui ne se sont point fait une étude particuliere de l'art d'observer, qu'il faut en demander de semblables. Les génies heureux, qui savent allier l'étude de toutes les sciences & des arts au grand art de la guerre dont ils font profession, sont occupés pour le bien de l'état, d'objets trop variés & trop importans pour croire qu'on doive attendre d'eux qu'ils fassent part aux autres des lumieres qu'ils ont acquises sur les circonstances militaires qu'ils ont observées ; trop heureux d'entendre leurs décisions, on doit se contenter de ce qu'ils prescrivent de faire, sans les obliger de rendre de leurs décisions un compte à la portée des esprits ordinaires ; il faut seulement espérer qu'ils voudront bien concourir à la perfection de la théorie de leur art, par les objections raisonnées que leur expérience réfléchie pourra leur fournir contre les calculs & les démonstrations que le zele d'un esprit géométrique peut ici leur fournir. Cette science de la guerre ne peut se perpétuer, & s'établir solidement sans une étude réfléchie.... Ce n'est que par des gens de lettres aidés des lumieres des officiers habiles.... qu'on peut espérer de la transmettre à la postérité, art. 5. dern. chap. de l'art de la guerre, du maréchal de Puységur.

Différentes façons dont l'infanterie fait ou peut faire feu. 1°. Feu roulant par rang successif, il ne part qu'un coup de fusil à la fois, & chaque soldat du même rang tire successivement d'une extrémité à l'autre, & le feu se continue par l'extrémité d'un autre rang du même côté, où le premier qui a tiré a fini de faire feu.

2°. Feu roulant par rangs, c'est le même feu que le précédent, mais exécuté par tous les rangs à-la-fois ; & chaque file tirant successivement, il part autant de coups de fusil à-la-fois qu'il y a de rangs.

3°. Feu par rangs. Tous les rangs font feu successivement l'un après l'autre, & les premiers mettent genou en terre quand les derniers font feu, il part à-la-fois autant de coups de fusil qu'il y a d'hommes dans chaque rang que l'on fait tirer. Les soldats des premiers rangs ne peuvent charger leurs fusils dans le tems que les derniers rangs font feu ; ou s'ils les chargent à genoux, ils sont plus long-tems à les charger que s'ils étoient debout. Ces feux ne s'exécutent que de pié-ferme.

4°. Feu roulant par files. Il part autant de coups de fusil qu'il y a de couples de files, & chaque soldat fait feu lorsqu'il se trouve au premier rang. Voyez au mot MARCHE contre-marche par files, & les ordonnances & instructions de 1753 & 1754. Ce feu peut être le plus suivi, c'est-à-dire durer le plus longtems, il s'exécute ou en avançant, ou en reculant, ou sans changer de terrein.

5°. Feu de rempart se prend quelquefois pour ce que j'appelle ici feu roulant par files sans quitter son terrein, il vaudroit mieux entendre par feu de rempart un feu qui ne doit s'exécuter exactement que derriere un rempart ; c'est de faire faire feu au premier rang avec tous les fusils de chaque file ; il peut partir par ce feu autant de coups de fusil à-la-fois qu'il y a de files, ou du-moins autant qu'il y a de creneaux ou meurtrieres d'où l'on peut faire feu ; ce feu doit s'exécuter, sur-tout lorsque l'on ne peut derriere un parapet ou muraille crenelée exécuter le feu roulant par files, à cause de l'irrégularité de la construction des remparts ou banquettes.

6°. Feu de chaussée par rangs. On peut tirer par ce feu autant de coups de fusil à-la-fois qu'il peut contenir de files de front sur la chaussée à deux piés, si le rang qui a fait feu défile à côté des autres ; & alors plus le front est étendu, moins le feu est vif, parce qu'il faut que le rang qui a fait feu défile devant le rang qui va tirer.

7°. Feu de chaussée par division. Ce feu peut s'exécuter par un front de vingt-quatre hommes sur une chaussée à contenir trente-deux hommes de front, alors les divisions qui ont fait feu, soit sur trois, soit sur quatre rangs, défilent par le vuide des quatre files qui sont sur les flancs ; toutes les divisions font feu successivement ; & moins le front est étendu, plus le feu est vif : mais pour que le nombre des coups de fusil soit en proportion avec la vîtesse avec laquelle la division peut défiler, il faut faire un calcul selon cette vîtesse & le front de la division. Voyez ci-après.

8°. Feu par sections, pelotons, divisions, marches, voyez ces mots. Ce feu, soit qu'il se fasse avec trois ou quatre rangs, est plus ou moins vif, selon qu'il y a une plus grande partie de front, qui tire en même-tems jusqu'au nombre de division qui se trouve en proportion avec la vîtesse avec laquelle tout soldat peut tirer, & ce nombre est celui des coups de fusil que chaque soldat peut tirer dans une minute. Ces trois derniers feux peuvent s'exécuter en avançant, ou reculant, ou faisant retraite, & sans changer de terrein.

9°. Feu de tout le bataillon. Ce feu pourroit s'appeller feu plein ; c'est le feu qui peut le plus facilement être le plus vif, & en même-tems le plus nourri sur un terrein uni. Ce feu ne peut s'exécuter que de pié-ferme.

10°. Feu de bille-baude, appellé aussi feu à la françoise, parce que la nation n'en exécutoit pas d'autre ; c'est lorsque chaque soldat tire le plus vîte qu'il peut, & sans en recevoir l'ordre à chaque coup de fusil ; ce feu peut être aussi vif que le feu plein, mais il ne peut l'être davantage ; il ne pourroit être pratiquable par préférence que lorsqu'une troupe se trouveroit postée en amphithéatre, comme sur des marches d'escalier, alors huit, dix rangs, & plus même peuvent faire feu en même-tems ; on pourroit donc le nommer feu d'amphithéatre. C'est le feu qui peut être le plus plein, parce qu'il se peut faire avec plus de rangs. Ce feu ne peut s'exécuter que de pié-ferme.

Pour connoître l'usage qu'il convient de faire des différens feux, il faudroit déterminer les questions ci-après.

Quelle est la plus grande vîtesse dont peut marcher une troupe d'infanterie pour charger l'ennemi, dont elle essuie un feu vif, & tire de pié-ferme ? Voyez MARCHE.

Quelle étendue peut parcourir une troupe avec le plus de vîtesse qu'il est possible ? Voyez MARCHE & PAS.

A quelle distance une troupe commence-t-elle à perdre du monde par un feu vif qu'elle essuie ? 1°. Etant sur un terrein uni, 2°. sous une hauteur, 3°. plus élevée que celle qui fait feu. Voyez FUSIL, sa portée.

En terrein uni, en plaine, combien porte-il de coups de fusil sur l'ennemi à telle distance ; combien à telle autre, &c. combien dans les différentes positions ; combien derriere un retranchement ? Voyez FUSIL, moyens de faire des épreuves sur les différentes façons de faire feu.

A combien de rangs peut-on faire faire feu à-la-fois ?

A l'égard du nombre des rangs qui peuvent tirer à-la-fois sur un terrein uni, il ne peut être de plus de quatre avec les armes qui sont en usage ; il n'est pas douteux qu'il peut être de ce nombre dans les exercices, l'expérience en a été souvent faite en tirant à la vérité sans balles ; ce qui pourroit empêcher que l'infanterie ne fît ce feu devant l'ennemi, c'est que des soldats des derniers rangs qui ne seroient pas bien exercés, pourroient blesser ceux des premiers, sur-tout si les premiers ne mettoient pas les genoux en terre ; si l'on ne peut faire que quatre rangs, desquels les deux premiers ou un seul mettroit genoux en terre, tirent aussi vîte que trois rangs debout ; le feu de quatre rangs seroit dès le premier moment un quart plus plein que celui fait par trois rangs, par conséquent l'avantage augmenteroit à mesure que le feu dureroit, & il viendroit à être double ; puisque la troupe sur quatre rangs ne perdroit pas tant de monde que si le feu ennemi étoit égal au sien, & que l'ennemi perdroit davantage que s'il essuyoit seulement un feu égal. Si le feu sur quatre rangs s'exécutoit avec un quart moins de vîtesse que le feu sur trois, les deux feux seroient égaux, la perte en nombre seroit égale, mais moindre en proportion du côté de la troupe qui seroit sur quatre rangs : donc s'il est possible de faire tirer les quatre rangs à la fois, de façon que la différence de la vîtesse du feu des quatre rangs soit moindre que le quart de la vîtesse qu'emploieroient les trois rangs ; il est nécessaire de faire feu sur quatre rangs, autrement dit à quatre de hauteur.

Quelle est la plus grande vîtesse avec laquelle l'infanterie peut faire feu, & combien peut-elle tirer de coups de suite ? Le fusil s'échauffe au point de n'être point maniable quelquefois avant le douzieme coup de fusil. Si l'on a tiré ces douze coups de fusil en trois ou quatre minutes, il ne s'échauffe pas davantage ; quand ces douze coups sont tirés dans deux minutes, quand on a fait feu vingt-cinq ou trente fois, il arrive assez souvent que l'intérieur du canon de fusil est sale, gras, & que la cartouche ne peut plus y descendre ; ou si elle y descend, elle pousse vers la culasse assez de suie ou de crasse pour boucher la lumiere.

Supposant que l'on tire quatre coups par minute, une troupe qui feroit le feu plein sur une autre, ne pourroit pas le continuer plus de trois minutes ; si une troupe ne parcourt que quatre piés par seconde, (voyez ordonnances & instructions de 1713 & 1714) elle sera trois minutes à parcourir cent vingt toises, distance à laquelle tout le monde convient qu'elle peut perdre du monde. Voyez ci-après fusil, sa portée. Donc la troupe qui se mettra en marche pour aller charger l'ennemi à l'arme blanche, essuiera tout le feu qu'il est possible, & cela sans avoir riposté d'un seul ; ensorte que sans rien faire perdre à son ennemi, elle aura perdu autant que cet ennemi auroit perdu lui-même, si elle avoit répondu par un feu égal.

Supposant que de cent coups de fusil, un porte, elle aura perdu plus d'un huitieme ; & par conséquent, (l'attaquant dans un ordre semblable) elle aura un desavantage à l'arme blanche, de la même proportion ; mais ce desavantage sera-t-il compensé par l'audace qu'aura pu lui inspirer la marche qu'elle a fait pour attaquer ?

Il paroît certain qu'à ordre semblable, courage ou valeur égale, position égale de terrein, & persuasion égale de la force de leurs ordres, la troupe plus nombreuse d'un huitieme, & qui n'a pas perdu aucun officier, doit repousser & battre celle qui n'a point fait feu ; donc en faisant le feu le plus vif, & plein, dès que l'ennemi marche à vous pour charger à l'arme blanche, on doit être sûr de le battre.

Si le feu au lieu d'être de douze coups par homme dans trois minutes, a été de dix-huit, l'avantage sera de plus d'un tiers.

Si la troupe qui a marché a employé plus de trois minutes à parcourir les cent vingt toises, l'avantage sera encore plus grand ; mais si elle a employé quatre minutes ou quatre minutes & demie, elle aura perdu la moitié de son monde ou plus, l'autre ayant pu tirer vingt-quatre ou vingt-sept coups.

Mais comment faire tirer vingt-quatre coups de suite, les fusils n'en pouvant tirer que douze ? C'est en faisant remplacer les rangs qui auroient tiré douze coups par un même nombre d'autres rangs ; les fusils auroient alors autant de tems à se rafraîchir, qu'on auroit été de tems à s'en servir, & successivement le feu seroit continuel, jusqu'à ce que les fusils fussent trop sales.

Les fusils ne sont sales qu'après avoir tiré vingt-cinq coups ; il se trouveroit donc que l'ennemi pourroit en essuyer cinquante de suite ; mais si de cent coups un seulement porte, il faut que l'ennemi en ait essuyé cent pour être détruit ; donc il faudroit que les troupes qui sont placées dans des endroits où elles ne peuvent se défendre qu'à coups de feu, pussent être remplacées par un nombre égal, après qu'elles ont tiré vingt-cinq fois : pour cela il faudroit un ordre ou ordonnance sur quatre fois plus de hauteur qu'on ne peut faire tirer de rangs à-la-fois ; si trois sur douze ; si quatre sur seize.

Si de cent coups un porte ; si l'on peut tirer six coups par minute, en quatre minutes un rang ennemi sera détruit ; en huit deux rangs ; en seize quatre rangs ; en vingt-quatre minutes six rangs.

Si de cinquante coups un porte, il faut la moitié moins de tems ; si de vingt-cinq un porte, c'est un quart : en six minutes de feu six rangs seroient détruits, quelque ordre ou ordonnance que prennent les six rangs. Voyez ordre ou ordonnances de bataille.

Mais plus la marche est précipitée, moins l'on perd de monde ; si une troupe parcouroit tout l'espace pendant lequel elle est exposée dans le tems qu'elle ne pourroit essuyer que sept ou huit coups de fusil, elle ne perdroit environ qu'un seizieme ; ce qui ne feroit pas une différence assez sensible pour perdre nécessairement l'égalité à l'arme blanche ; mais je suppose ici que la troupe qui marche pour charger, va jusqu'au terrein qu'occupe celle qui fait le feu le plus vif & le plus plein, & que celle-ci ne le cesse qu'au moment où elle est jointe par l'autre.

Celle qui a marché se trouve alors ses armes chargées & présentées ; elle arrive avec beaucoup de vîtesse contre l'autre qui peut-être est encore occupée d'achever de charger ses armes : cette derniere auroit peut-être encore un desavantage de n'avoir pas été mise en mouvement en-avant auparavant de recevoir le choc.

Il faut donc reconnoître quel est le tems nécessaire pour faire charger les fusils, & s'ébranler en-avant de dix ou douze pas. Cette étendue doit suffire pour recevoir le choc, & contre-balancer toute la marche de l'ennemi, lequel n'acquiert pas de force ni n'en perd par la longueur de sa course ou marche.

A quatre coups par minute, il faut pour charger le fusil quinze secondes, pour le commandement cessez le feu deux ; pour celui marchez en-avant, pas pour le choc, deux ; total dix-neuf secondes ou un tiers de minute : donc le feu doit cesser lorsque l'ennemi a encore à parcourir l'espace de terrein qu'il lui est possible de parcourir en moins d'une demi-minute, ou moins encore, si on charge le fusil en dix secondes, au lieu que nous le supposons ici en quinze.

Supposant des troupes d'infanterie de nombre égal, marchant l'une contre l'autre en plaine unie, dès que l'une des deux après s'être arrêtée, commence à faire feu, & qu'elle est à portée de faire perdre du monde à l'autre, elle a un avantage sur celle qui marche encore ; soit que cette derniere tire en marchant, ou ne tire pas.

Il semble donc que si-tôt que cette derniere voit qu'elle perd quelques hommes, il faut qu'elle arrête & fasse feu de pié ferme ; & si le feu de part & d'autre est aussi vif, & aussi plein, & aussi-bien dirigé, sa partie redevient égale.

Dès que l'une des deux s'apperçoit que le feu qu'elle fait est moins vif, moins plein, ou moins bien dirigé que celui qu'elle essuie, il faut qu'elle marche de la plus grande vîtesse qu'il lui est possible, pour aller charger à l'arme blanche : quand celle qui ne marche pas voit marcher l'autre, elle doit faire toujours le feu le plus vif qu'il lui est possible, jusqu'à ce que l'autre n'ait plus que pour une demi-minute environ de terrein à parcourir ; celle qui n'a pas marché doit alors charger ses armes, & aller en-avant.

Dès que celle qui a marché la premiere voit cesser le feu à cette distance, il est peut-être nécessaire (comme César fit à Pharsale) qu'elle s'arrête pour reprendre haleine, & se remettre en ordre, en remplaçant dans ses rangs la perte qu'elle a soufferte.

Avant que d'un côté l'on ait remarqué que le feu a cessé, & de l'autre que l'ennemi s'est arrêté, il y a presque une demi-minute de tems passé, & la troupe qui a fait feu jusque alors est à la distance d'une demi-minute de chemin de l'autre, ou bien à un quart seulement, si cette troupe qui a fait feu & a cessé de tirer, a pris son parti de marcher en-avant aussi-tôt qu'elle a eu rechargé ses armes ; il faut alors que celle qui a arrêté sa marche & repris haleine, se remette en marche ; elles se rencontreront toutes deux à un quart de minute dans un premier cas, à un huitieme dans le second.

La troupe qui a marché n'a pris ce parti qu'à cause de l'infériorité de son feu ; elle auroit été obligée de céder, si elle n'avoit pas marché en-avant. Voyez ci-dessus pag. précéd. Elle se trouve en présence pour combattre à l'arme blanche ; elle n'a d'infériorité que la perte des hommes qu'elle a essuyée ; cette infériorité peut se réparer à arme blanche & ordre égal, par l'adresse, la force, & la valeur ; la force & la valeur ne peuvent rien à-présent contre l'arme à feu : donc la troupe qui réunit l'adresse, la force, & la valeur (toutes les fois qu'elle n'a pas la supériorité du feu), doit nécessairement charger à l'arme blanche, ou se retirer si quelque obstacle insurmontable l'empêche de joindre l'ennemi.

Il n'est pas unanimement reconnu qu'une troupe puisse tirer six coups par minute ; l'avantage qui pourroit résulter de cette vîtesse paroît même problématique à plusieurs ; parce qu'ils voyent souvent dans les exercices que plus on fait un feu vif, plus il y a de fusils qui cessent de faire feu ; ensorte qu'il est arrivé quelquefois qu'à la sixieme décharge, il n'y avoit peut-être pas la moitié des fusils qui tirassent ; mais une expérience bien faite pourroit constater ou détruire ce problême ; on connoît mieux le fusil, les moyens de le manier aisément ; on tire beaucoup plus vîte à-présent qu'on ne faisoit il y a trente ans ; peut-être n'est-on pas encore dans toute l'Europe au point de la perfection ; & telle nation n'en est peut-être pas aussi près qu'elle se flatte de l'être ; mais on peut faire des épreuves.

Les troupes dont les fusils n'ont pas fait feu dans toutes les décharges, avoient peut-être des armes défectueuses ; voyez POUDRE A TIRER ; leurs cartouches étoient peut-être mal-faites ; de papier trop fort, ou trop collé ; leur poudre étoit trop humide, ou leurs fusils étoient peut-être sales depuis long-tems ; mais sur-tout ces troupes manquoient peut-être d'adresse & d'habitude ; & quand même il seroit arrivé une fois qu'une troupe d'infanterie eût fait feu sur l'ennemi, & qu'il se trouvât après un certain tems une grande quantité de poudre, de bales, ou de cartouches répandues devant elle, ce ne pourroit être encore-là une expérience constatée. 1°. Si cette troupe a fait plus de douze décharges de suite, les soldats n'ont pu manier leurs fusils, par conséquent le charger comme il faut ; si le canon des fusils étoit léger & mince, ils n'étoient peut-être plus maniables au huitieme ou au dixieme. 2°. Si cette troupe n'étoit pas persuadée intimement & parfaitement que son feu pouvoit la rendre victorieuse, & la garantir sûrement de sa perte, les soldats ont pu être troublés par la crainte du danger. La nécessité démontrée & connue de tout le monde de tenir tel ordre, de se défendre par tel moyen, dans telle position, peut seule donner cette confiance ; l'incertitude universelle de l'ordre qu'on doit tenir & des moyens de défenses, fait qu'on la perd nécessairement.

A-propos du feu de chaussée par divisions, j'ai dit qu'il falloit faire un calcul suivant la vîtesse avec laquelle on pouvoit tirer, & l'étendue du front de la division ; j'ai dit ci-devant que pour faire un feu continuel, il falloit quatre fois plus de rangs qu'on n'en peut faire tirer à la fois, l'explication du feu de chaussée plein peut éclaircir ces deux propositions.

En supposant une chaussée de 64 piés de large, elle pourroit contenir trente-deux files, estimant pour ce calcul chaque soldat occuper deux piés. Pour le feu de chaussée, n °. 7. (voyez ci-devant), il faudroit laisser à la droite & à la gauche huit piés pour laisser défiler quatre rangs, resteroit dont 24 files à placer de front, dont la moitié est douze, qui doivent parcourir le front de la division qui suit, lorsqu'ils auront cessé de faire feu. En suivant le commandement il faut deux secondes, pour qu'un à droite & un à gauche soient exécutés, & une seconde pour parcourir quatre piés ; ainsi il faut au premier tiers, composé de quatre hommes de front & quatre de hauteur, quatre secondes pour quitter son terrein, après lesquelles il en faut deux, pour que les quatre files du milieu occupent la place que les premieres ont quittée ; il en faut à celles-ci deux pour l'abandonner, & deux secondes après, il est rempli par les quatre dernieres files de ces douze, ce qui fait en tout dix secondes, la division qui suit peut alors faire feu en laissant perdre le terrein qu'occupoit la premiere, & supposant que l'on tire six coups par minutes, ce qui fait un par dix secondes ; de ce calcul que le feu est continuel & sans retard, par un front de 24 hommes sur une chaussée à contenir un front de 32, & qu'il seroit plus vif d'une seconde à chaque changement de divisions autant de fois que l'on le diminueroit de quatre files, puisqu'il faut une seconde pour parcourir le front de deux files, mais une seconde n'est point une augmentation de vîtesse sensible, & le nombre de quatre files est le sixieme du feu que l'on perdroit. Si la chaussée étoit de 72 piés, on pourroit avoir quatre files de plus, le feu ne seroit plus lent que d'une minute à chaque changement de division, & il seroit plus fourni d'un sixieme en sus.

Mais dans les 64 piés, on pourroit faire un feu qui ne seroit que d'un vingt-quatre, même d'un vingt-septieme plus lent, & qui seroit d'un tiers en sus plus nombreux, c'est ce que je nommerai feu plein de chaussée ; pour faire ce feu sur une chaussée de 64 piés, il faut quatre divisions de trente-deux hommes de front chacune placée l'une derriere l'autre avec quelqu'intervalle, il faut que ces divisions soient partagées en deux demi ; pendant que les deux premieres demi-divisions font feu, les trois divisions entieres qui suivent la premiere, doivent aussi se partager en demi-divisions de seize hommes de front ; de chacune de ces demi-divisions, il faut que les quatre files de droite & de gauche doublent en arriere sur les huit files du centre de leurs demi-divisions, ce qui formera des carrés pleins (si les troupes sont à quatre de hauteur) : lorsque les deux premieres demi-divisions ont tiré douze coups, elles doivent défiler par leur droite, & leur gauche pour aller se reformer, après la derniere division ; lorsqu'elles ont abandonné leur terrein, les deux demi-divisions qui les doivent remplacer se mettent en mouvement, les huit files du centre marchant en avant quatre pas, & les quatre files de leur droite, & leur gauche qui avoit doublé, vont en dédoublant par le pas oblique reprendre leurs places, & ainsi successivement de division en division. Pour que la division qui a fait feu quitte son terrein, les quatre files de la droite & de la gauche de chaque demi-division font demi-tour à droite, & marchent douze grands pas en avant ; pendant leur demi-tour à droite, les huit files du centre restent en face, ce qui dure deux secondes de tems ; ensuite la moitié de ces huit files du centre fait à droite, & l'autre à gauche, pour cela encore deux secondes, elles font après quatre pas, & le front des huit filles des demi-divisions qui suivoient celles-ci, est découvert ; pour ces quatre pas, deux secondes, donc jusqu'à ce moment en total six secondes : les huit files du centre de cette premiere division (déja mises en marche) font, après ces six secondes de tems, encore un à droit, ou un à gauche, pour cela c'est deux secondes, elles suivent ensuite les files qu'elles avoient à leurs flancs ; & font huit pas pour les joindre, pour cela il leur faut quatre secondes, qui, avec les deux ci-devant, font six, & ces six, avec les six comptées encore ci-devant, font en tout douze ; alors les quatre files de droite & de gauche des divisions secondes à faire feu, ont déja commencé à occuper le terrein abandonné sur leur flanc, & à se dédoubler 1°. par le pas oblique ; pour ce pas, quatre secondes, ensuite par les pas en avant, elles en font quatre, & sont à les faire deux secondes, total six, ce qui joint aux douze ci-dessus fait en tout dix-huit secondes ; la décharge que cette division seconde à tirer pourroit faire alors, seroit donc retardée de huit secondes, mais c'est la douze & treizieme décharge, donc ce ne seroit qu'un quinzieme de retard sur les douze, ce qui est peu de chose, & le feu au-lieu d'être de vingt-quatre de front, seroit de trente-deux, donc d'un tiers en sus plus nombreux, ce qui est beaucoup : mais après six minutes le front des huit files du centre de chaque demi-division seconde à tirer est découvert, il lui faut deux minutes pour aller occuper le terrein abandonné, alors ces huit files peuvent faire feu huit secondes après la derniere décharge de la premiere division ; ce qui loin de faire un retard dans la vivacité du feu, fait une vîtesse d'un soixantieme en sus ; mais cette treizieme décharge est de la moitié moins fournie que les autres ; par conséquent ce n'est plus qu'un vingt-septieme de diminution sur la quotité du feu ; cette ordonnance sur seize de hauteur peut donc faire un feu continuel, & la division qui a fait feu, peut avoir quatre ou cinq minutes pour rajuster ses armes.

Si les fusils trop courts étoient un inconvénient pour faire feu des quatre rangs, ne pourroit-il pas être réparé en plaçant les plus grands hommes au dernier rang ? Ne pourroit-on pas encore leur donner des fusils plus longs ? Quand un quatrieme rang de soldats mettroient à charger les fusils long le double du tems que mettent les autres, son feu n'augmenteroit-il pas d'un sixieme en sus le feu de la troupe sur deux décharges ; les quatre rangs tireroient sans que les deux premiers missent genou en terre, & qu'il y eût un quatrieme & cinquieme rangs armés de fusils longs, ne pourroit-on pas faire alors feu des cinq rangs ? Si trois rangs mettoient genou en terre, ne pourroit-on pas faire feu de six ? La moitié de la troupe seroit armée de fusils longs, & même de fort longues bayonnettes. Voyez FUSIL, ARMES A FEU, Moyen de les perfectionner.

Feu de cavalerie contre cavalerie. Si le feu de l'infanterie peut-être très-meurtrier, il n'en est pas de même de celui de la cavalerie ; mais une question que je ne vois pas décidée par de bonnes épreuves, c'est de savoir s'il convient oui ou non que la cavalerie fasse feu avant de charger, il paroît bien impossible que le second rang d'un escadron puisse faire feu de son mousqueton ; il semble donc que si, comme nous avons supposé, de cent coups un seul porte, en faisant la même évaluation dans la cavalerie, son feu ne mettroit pas par chaque escadron un seul homme hors de combat, 1°. parce qu'elle ne peut faire qu'une décharge, à cause qu'il faut plus de tems à cheval pour charger un mousqueton, que pour un fusil à pié ; 2°. qu'il passe pour constant que le feu du mousqueton doit être fait de plus près pour faire un feu égal à celui du fusil ; 3°. une troupe à cheval parcourt l'espace qui la sépare de l'ennemi plus vîte qu'une troupe à pié ; 4°. S'il est avantageux à une troupe d'infanterie de s'ébranler en avant pour recevoir & donner le choc, il l'est indubitablement davantage à la cavalerie ; 5°. il faut une espace pour se mettre au trot, peut-être même au galop, sa troupe ne pouvant être assez parfaitement dressée pour partir de l'arrêt au grand trot ; 6°. la cavalerie qui a fait feu avant le choc se trouve dégarnie du feu de son mousqueton lors de la poursuite, si elle a battu, ou de sa retraite, si elle a plié ; on ne peut pas donner pour raison de ne pas faire faire feu à la cavalerie ; la frayeur qu'a causé quelquefois aux chevaux de leurs troupes le feu que des escadrons ont faits. Voyez façon de dresser les chevaux au feu, & institutions militaires de M. de la Poterie.

Si l'infanterie présente un but de cinq piés & demi de haut, la cavalerie en présente un tiers plus élevé, & par conséquent plus de moitié plus aisé à atteindre, donc on devroit en même proportion estimer que de cinquante coups un portera ; la cavalerie tire de plus près, cela compense la difficulté qu'elle a de tirer juste : un cheval du premier rang ne peut culbuter celui ou ceux qui le suivent, & si ces premiers ne culbutent pas, ils causent peut-être plus de désordre encore dans l'escadron ; le feu du mousqueton ne doit point servir après la défaite, parce qu'alors étant mêlés, on ne doit tirer qu'à bout touchant, & le pistolet suffit pour cela, le mousqueton est inutile dans la retraite ; il est nécessaire qu'un escadron s'ébranle avant de recevoir le choc, & prenne la même vîtesse que son ennemi, non-seulement pour avoir la même force, mais pour que cette vîtesse cause aux chevaux de son ennemi la même frayeur que la vîtesse de cet ennemi cause aux siens (il est très-nécessaire de s'appliquer dans les exercices à diminuer dans les chevaux cette frayeur causée par l'approche d'un escadron, & même d'un bataillon). L'espace pour mettre un escadron en train au grand trop ou galop est d'environ dix toises pour toute cavalerie ; douze à quinze toises que l'ennemi peut parcourir pendant ce même tems, font vingt-cinq ou trente ; donc un escadron peut encore faire feu de son mousqueton lorsque son ennemi n'est plus qu'à vingt-cinq ou trente toises de lui : or à cette distance le feu doit être mieux ajusté, & l'on pourroit compter peut-être que de huit ou dix coups un portera.

Sur un front de cinquante maîtres qui fait feu sur un pareil front, ce sont cinq maîtres de l'escadron ennemi qui sont frappés, sans compter ceux que la chûte de ceux-ci peut faire culbuter ; mais enfin il semble au-moins que le feu que peut faire une troupe bien exercée ne peut pas lui nuire ; voilà à-peu-près les raisons pour & contre. Pour des autorités en faveur du feu, voyez art de la guerre, p.... c'est le seul auteur qui l'ait approuvé.

Feu de l'infanterie contre la cavalerie. Le feu de l'infanterie peut atteindre la cavalerie de plus loin qu'il n'atteint d'autre infanterie, puisque la cavalerie présente un plus grand but (voyez FUSIL, sa portée), quelque vîtesse que la cavalerie mette à parcourir cet espace, elle ne peut le faire en moins de huit minutes ; or elle essuyera au moins huit décharges à quatre par minute, deux files de cavalerie occupant au-moins un front égal à trois files de soldats à quatre de hauteur, c'est quarante-huit coups de fusil pour chaque file de cavalier, si des quarante-huit deux coups portent, que l'escadron soit sur deux rangs, il n'arrivera pas un seul cavalier sur l'infanterie ; mais s'il ne portoit que deux coups des quarante-huit qui seroient tirés, & que l'escadron fût sur trois rangs, il resteroit un tiers ; si ce tiers arrivoit sur les bayonnettes (fussent-elles larges comme les pertuisanes de M. le chevalier Folard), il enfonceroit l'infanterie sans être quasi arrêté, mais il seroit pié à terre en partie ou culbuté à cinquante pas de-là ; l'infanterie perdroit ici de sa force à s'ébranler en avant contre le choc de cette cavalerie, non-seulement parce qu'elle pourroit perdre la forme de son ordre, mais parce qu'elle diminueroit la force de stabilité que lui donne l'union adhérente de ses parties, & que la force & la vîtesse du choc de la cavalerie a une supériorité incommensurable sur la force & la vîtesse de l'infanterie, non-seulement à raison de la masse & de la vîtesse des corps, mais encore par leur étendue, leurs ressorts & leur forme différente.

Nous avons supposé que si de trois rangs un seul arrivoit sur l'infanterie, il la renverseroit, c'est-à-dire la traverseroit, que ce tiers seroit mis pié à terre, & cela parce que chaque cheval emporteroit au travers du corps quelques bayonnettes ou autres armes.

Mais des soldats aguerris ne pourroient-ils pas se remettre en ordre, & seroient-ils donc nécessairement battus par des cavaliers en partie démontés & culbutés en nombre aussi inégal, puisque les soldats seroient huit contre un cavalier ? leur dernier rang seul pourroit, leur faisant face, se trouver le double plus nombreux.

Une seconde attaque à cette infanterie, seroit plus redoutable que la premiere ; elle auroit un quart moins de feu pour s'y opposer, & il arriveroit un plus grand nombre de cavaliers sur elle ; quand elle ne seroit pas encore battue par cette seconde charge, vraisemblablement elle le seroit par une troisieme.

Il semble donc qu'on doit conclure de-là que la cavalerie doit battre l'infanterie : on suppose qu'une portion de ligne d'infanterie est attaquée par un front de cavalerie égal au sien ; que l'infanterie est à quatre de hauteur, & la cavalerie à trois ; il se trouve alors qu'à la seconde charge, l'infanterie aura été attaquée par un nombre de gens de cheval égal au sien ; & à la troisieme par un qui seroit la moitié plus nombreux, il y auroit peu de soldats blessés d'armes à feu, quelques-uns le seroient par les piés des chevaux, & vraisemblablement les vainqueurs seroient après leurs victoires moins nombreux que les vaincus ; que peut faire cette cavalerie à de tels vaincus, si ceux-ci ne jettent leurs armes à terre, & ne demandent grace ? mais c'est à quoi le désordre & la frayeur (suite nécessaire du désordre), les obligeront infailliblement. La frayeur est contagieuse ; quelquefois elle se communique d'un coup d'oeil, d'un bruit, d'un mot ; elle devient elle-même cause du désordre qui la redouble toujours. Si donc un front d'infanterie étoit pénétré dans une partie par la cavalerie, il est très-possible que le manque de confiance en la force de son ordre, mette le reste de la ligne en désordre, qu'il prenne l'épouvante, qu'il jette ses armes, & qu'il se rende.

Si l'infanterie détruit une grande partie de la cavalerie qui vient l'attaquer, c'est par son feu ; avantage qu'elle n'avoit pas quand elle étoit armée de piques, tous les rangs à la vérité présentoient par échelons, en avant de son premier, le fer des piques incliné à la hauteur du poitrail des chevaux, & le talon des piques étoit arbouté contre terre, & retenu par le pié droit du piquier ; il passoit alors pour certain que la cavalerie ne pouvoit enfoncer l'infanterie, cependant il étoit arrivé assez souvent le contraire : on disoit pourtant comme aujourd'hui, si l'infanterie connoissoit sa force, jamais la cavalerie ne l'enfonceroit. Si cet axiome a jamais été vrai, ne le seroit-il plus ?

L'infanterie a deux moyens de se défendre ; ses armes & son ordre ; si par ses armes, & par tel ou tel ordre, elle n'a pu ni dû résister ; il n'est pas dit que avec ces mêmes armes, & tel autre ordre, elle ne le puisse faire ; il est certain que si la cavalerie ne vient pas heurter les armes de l'infanterie, jamais elle ne l'abattra, car ce n'est que par son choc que la cavalerie peut la vaincre ; puisque elle ne peut contre cette infanterie se servir d'aucunes armes de près ou de loin ; le but que l'infanterie doit se proposer pour résister à la cavalerie, est donc de détruire le plus qu'il est possible par son feu, & d'éviter son choc par l'ordre qu'elle doit tenir. Voyez ordre ou ordonnance, infanterie contre la cavalerie.

Feu du canon. Il n'est pas nécessaire d'avoir recours aux chroniques chinoises, pour se persuader que le nombre des pieces de canon de campagne, peut devenir très-considérable, l'expérience des dernieres années de la guerre, peut en convaincre ; l'artillerie de campagne, à la fin du siecle précédent, n'alloit pas au-delà de cinquante à soixante bouches à feu, & on mettoit ordinairement à la suite de chaque armée, autant de pieces de canon qu'il y avoit de milliers d'hommes de pié.

Les équipages de campagne qui ont été mis sur pié dans les Pays-bas, pendant les dernieres campagnes de 1747 & 1748, étoient de cent cinquante pieces de canons, dont 14 de seize, 16 de douze, 30 de huit, 80 de quatre longues ordinaires, & 10 à la suédoise ; chaque piece approvisionnée pour tirer deux cent coups ; cinquante caissons d'infanterie, portant chacun quatorze mille quatre cent cartouches, & douze cent pierres à fusil ; soixante & dix pontons de cuivre, & trente de fer blanc ; les haquets de rechange, & agrets nécessaires à leur suite. Le tout ainsi, les forces, ce qu'on appelle le petit parc, (Voyez ce mot), les outils, menus achats, cent coups d'approvisionnement par chaque piece, & quatre-vingt de cent pontons, attelés avec trois mille chevaux d'artillerie ; les cent autres coups par piece, ainsi que sept cent vingt mille cartouches d'infanterie, deux cent mille pierres à fusils, trois mille outils à pionniers, vingt milliers de plomb, & vingtquatre de poudre ; des meches & artifices portés sur quatre à cinq cent chariots du pays ; on ajoutoit encore deux cent chevaux du pays pour atteler vingt des pontons de fer blanc, & mettre deux chevaux en avant de l'attelage de chacun des autres.

On a joint à ces équipages, dans la derniere campagne, quelques obus, espece de bouche à feu dont l'usage a été reconnu assez utile pour croire qu'il pouvoit être ordonné par la suite qu'il y en ait un certain nombre fixé aux équipages de sieges & de campagne ; il est assez vraisemblable qu'il sera aussi ordonné en France d'avoir, outre ce nombre de canons, encore deux pieces attachées à chaque bataillon, à l'imitation de quelques autres puissances.

Le service du canon est au moins autant perfectionné que le maniement du fusil, les écoles d'artillerie dont le but a été principalement d'instruire sur l'usage que l'on en doit faire pour l'attaque & la défense des places, ne se sont point bornées à ce seul objet ; & quoique le service de campagne ne demande pas tant de soins, de fraix, d'attirails, de précautions, ni de théorie, il a cependant toujours fait dans ces écoles une partie qu'on ne peut négliger, & nonseulement l'étude de l'artillerie par rapport aux sieges, mais encore celle de la guerre de campagne en a formé également l'objet.

Ce qu'on appelle pour une armée artillerie de campagne, est séparé de celle que l'on fait joindre pour les sieges ; elle a des officiers nommés pour y servir, des entrepreneurs, des chevaux, un détachement du régiment & corps royal de l'artillerie & du génie, indépendamment de ceux qu'on y attache, tirés de l'infanterie de l'armée.

Le commandant en chef de l'artillerie d'une armée, l'est également de celle de siege & de celle de campagne ; mais il envoie un officier supérieur, qui lui est subordonné, pour commander celle de campagne dans les endroits où le général de l'armée ne juge pas sa présence nécessaire.

Toutes les différentes parties de l'attirail de l'artillerie, sont séparées & reparties par brigades, pour la commodité du service.

Le major de ce corps prend le mot du maréchal de camp de jour, mais n'est point dispensé d'aller ou d'envoyer tous les jours un officier major au détail de l'infanterie, chez le major général, pour l'exécution des ordres qui s'y donnent relatives à l'artillerie, soit pour marche, détachemens, escorte, distribution de bouche, ou de munitions, ou fourrages.

Dans les détachemens un peu considérables en infanterie, on envoie assez souvent jusqu'à deux brigades du canon de quatre livres de balles, & même quelquefois une du calibre de huit, aux arrieres gardes d'armées, ainsi qu'aux campemens on en envoie selon le besoin ; un jour d'affaire on distribue le canon le long du front de la ligne, mais par préférence devant l'infanterie à portée de défendre le canon qui peut n'avoir pas la facilité de se retirer aussi vîte que la cavalerie peut être contrainte de le faire.

Quoiqu'on ait jusqu'à la fin de la derniere guerre négligé d'instruire l'infanterie françoise de se servir de son feu le plus vivement qu'il est possible, sous le prétexte que le génie de la nation est d'attaquer avec les armes blanches, & que le feu ne pouvoit pas faire gagner les batailles ; l'expérience faite dans certains cas, a prouvé le contraire, assez pour engager à ne point négliger d'instruire les troupes au feu ; & il est à croire que l'on cessera également de dire par la suite que le feu du canon est peu de chose, qu'il faille être prédestiné pour en être frappé, & qu'il ne peut causer aucun dérangement aux manoeuvres des troupes aguerries ; qu'enfin on n'y doit point avoir égard.

Cent pieces de canons peuvent être portées au front d'une premiere ligne, si l'infanterie de cette ligne est de quarante bataillons partagés en dix brigades, il peut y avoir dix batteries sur cette étendue ; elles peuvent être supposées de huit pieces, il en resteroit encore vingt pour répartir aux extrémités des aîles, où l'on a souvent placé de l'infanterie ; ce seroit donc huit pieces vis-à-vis quatre bataillons ; ces huit pieces tireroient dès que l'ennemi seroit à cinq cent toises, & comme les bataillons seroient par le pas redoublé de l'ordonnance dix minutes un quart à parcourir cet espace, les canons tireront bien mirés & ajustés, cinq coups par chaque minute ; c'est donc cinquante coups par piece, & quatre cent pour les huit : si un quart des coups porte, il frappera chaque fois quatre hommes au moins, donc ce sera quatre cent hommes hors du combat, ce qui fait un sixieme sur quatre bataillons supposés de six cent hommes chaque.

Mais est-il nécessaire de mirer contre l'infanterie, dans une plaine bien unie ? ne suffit-il pas d'arrêter le canon sur son affut, de façon que la piece reste toujours horisontale ? le but sur lequel il doit tirer ne varie pas, il est toujours de 5 à 6 piés de haut, & de 200 toises de large. Le canon peut être servi assez promptement pour faire feu plus de dix fois par minute sur un pareil but : ce but avance toujours & devient d'autant plus aisé à attraper.

D'ailleurs presque tous les coups qui frappent à terre au-devant du but sont aussi meurtriers que les autres, l'angle d'incidence n'étant pas assez ouvert, & la résistance de la terre ordinairement pas assez forte pour occasionner une réflexion ou resaut par-dessus la hauteur du but. On pourroit compter que le quart des coups porteroit, chaque canon en tirera 100 coups, c'est pour les 8 pieces 200 coups qui portent. De plus, dès que l'ennemi n'est plus qu'à 50 toises, le canon sera tiré à cartouches, & chaque coup frappera 12 ou 15 hommes ; supposé seulement par canon, douze ou treize coups à boulets portans, c'est cinquante hommes par chaque canon hors de combat, & six coups à cartouches, c'est 180 autres ; ce qui fait 130 par chaque piece, & pour les 8 plus de mille hommes ; nous avons calculé que les coups de fusils pourroient en détruire un sixieme, cela feroit 400, & il ne resteroit donc qu'un peu plus d'un tiers. Le canon opposé auroit fait de l'autre côté une destruction égale, & la troupe qui se seroit avancée auroit sur celle qui seroit restée à faire feu, une infériorité en nombre d'un tiers environ.

Si l'on calculoit l'effet qui devroit résulter du feu des deux pieces de canon que l'on peut donner de plus à chaque bataillon, il se trouveroit que le feu détruiroit une troupe dans l'espace de tems qu'elle mettroit à parcourir la portée du canon de campagne, & on ne pourroit plus dire alors que l'effet du feu du canon ne doit pas être regardé comme capable de causer un dérangement notable à l'ordonnance de l'infanterie.

Au reste, tous ces calculs sont faits dans la supposition que le feu de la mousqueterie, ainsi que celui du canon fait tout l'effet qu'il peut faire, mais cet effet ne peut avoir lieu, qu'autant que les troupes seroient exercées au feu aussi parfaitement qu'il est possible qu'elles le soient, & qu'elles auroient la fermeté que leur auroit acquis de longue main la certitude de la supériorité " par une théorie démontrée de l'effet qui doit résulter de tel feu, plutôt que de tel autre dans telle & telle occasion ".

Le moyen de pratiquer ce qu'il y a de mieux lors de l'exécution de chacune des parties de la guerre, est de connoître par des combinaisons ou démonstrations arithmétiques, ou géométriques, la possibilité & le point de justesse que peut présenter la théorie ; il faut ensuite par des épreuves faites en conséquence (avec tout le soin possible) chercher celui que la pratique peut donner, tout est supputation à la guerre, tout doit se dessiner.

Le feu doit être le dernier moyen d'acquérir la supériorité, on est vaincu par un feu plus meurtrier, l'on n'est battu que par les armes blanches, & l'on peut conquérir par des manoeuvres habiles, & souvent sans coup férir. Voyez art de la Guerre, du maréchal de Puysegur, la savante dissertation sur les trois combats de Fribourg, & les moyens qu'on auroit pu prendre pour les éviter & parvenir au même but.

Tous ceux qui jusqu'à présent ont travaillé sur la pirotechnie militaire, n'ont eu pour but que de faciliter la plus grande destruction de l'espece humaine (quel but quand on veut y réfléchir) : tous les Arts en ont un bien opposé ; ceux du-moins dont l'objet unique n'est pas sa conservation, n'ont en vue que ses goûts, ses plaisirs, son bien-être, son bonheur enfin. La guerre (ce fleau inévitable) ne peut-elle donc se faire sans avoir pour unique & principal but la plus grande destruction de l'humanité ? seroit-il impossible de trouver une armure d'un poids supportable dans l'action, qui puisse parer de l'effet des fusils ? Qu'il seroit digne du génie de ce siecle éclairé, de faire cette découverte ? quel prix plus digne d'ambition ; que doit-on desirer davantage, que d'être le conservateur de l'humanité ? mais en attendant la découverte de ce secret, s'il est un moyen sûr d'éviter la moitié des coups de fusils & de canon que l'on essuie ordinairement ; n'est-il pas contre toute raison de ne pas chercher à y parvenir ; or, si l'on peut parcourir la moitié plus vîte qu'on ne fait, l'espace de terrein où l'on essuie des coups de feu, & arriver cependant en aussi bon ordre sur son ennemi : il est certain que l'on en évite la moitié. Voyez MARCHE, sa vîtesse ordonnée & sa vîtesse possible.


FEUDAL(Jurisprud.) est le même que féodal. Voyez ci-devant FEODAL. (A)


FEUDATAIRE(Jurispr.) est celui qui tient un héritage en fief de quelqu'un ; le vassal ou seigneur du fief servant est feudataire du seigneur dominant. Voyez FIEF & VASSAL. (A)


FEUDE(Jurispr.) du latin feudum, se disoit anciennement pour fief. Voyez ci-après FIEF. (A)


FEUDISTE(Jurispr.) c'est une personne versée dans la matiere des fiefs : on dit quelquefois un auteur ou docteur feudiste, ou simplement un feudiste. (A)


FEUILLAGE(Jardinage) est l'assemblage des branches & des feuilles que l'on voit sur les arbres, & qui donnent de l'ombre. Le châtaignier, par exemple, est dit avoir un beau feuillage qui porte une grande ombre.


FEUILLANSS. m. pl. (Hist. ecclés.) ordre de religieux vêtus de blanc, qui vivent sous l'étroite observance de la regle de S. Bernard. Voyez BERNARDINS.

Ce nom est venu d'une réforme de cet ordre qui a été premierement faite dans l'abbaye de Feuillans, à cinq lieues de Toulouse, par le bienheureux Jean de la Barriere qui en étoit abbé commendataire ; & qui ayant pris l'habit de Cîteaux, travailla à la réforme, qu'il établit, après plusieurs contradictions, vers l'an 1580.

Le pape Sixte V. l'approuva, & les papes Clément VIII. & Paul V. lui accorderent des supérieurs particuliers. Le roi Henri III. fonda un couvent de cet ordre au fauxbourg de S. Honoré à Paris en 1587 : Jean de la Barriere vint lui-même s'y établir avec soixante de ses religieux. Les Feuillans ont plusieurs autres maisons en France sous un général particulier.

Il y a aussi des religieuses appellées Feuillantines, qui suivent la même réforme, & dont le premier couvent fut établi près de Toulouse en 1590, & depuis transféré au fauxbourg de saint Cyprien de la même ville. (G)


FEUILLANTINES. f. en terme de Pâtissier, est une espece de chausson qui se sert aux entre-mets.


FEUILLES. f. (Botan.) en latin, folium, lorsqu'on parle de feuilles des plantes ; & pétale, petalum, quand on parle de feuilles des fleurs. C'est Columna qui le premier a fixé le mot pétale à signifier la feuille des fleurs, & nous avions besoin de ce nouveau terme (voyez donc PETALE) ; car nous ne parlons ici que des feuilles des plantes, d'après la méthode de M. de Tournefort, que nous suivons assez volontiers dans cet ouvrage.

Tout le monde connoît de vûe cette partie des plantes nommée feuilles, qui vient ordinairement au printems, & qui tombe au commencement de l'autonne. Tout le monde sait encore qu'il y a des plantes qui les conservent, & d'autres qui n'en ont point, comme les trufles, & quelques especes de champignons.

On peut considérer les feuilles des plantes par rapport à leur structure, à leur superficie, à leur figure, à leur consistance, à leurs découpures, à leur situation & à leur grandeur.

Par rapport à leur structure, les feuilles sont ou simples ou composées.

Les feuilles simples sont celles qui naissent seules sur la même queue, ou qui sont attachées immédiatement à la tige & aux branches, sans être subdivisées en d'autres feuilles, telles sont les feuilles du poirier, du pommier, du giroflier, de l'oeillet.

Les feuilles composées sont rangées plusieurs ensemble sur la même queue ou sur la même côte, ou bien elles sont divisées en plusieurs autres feuilles ; ensorte que le tout ensemble se prend pour une seule feuille : telles sont les feuilles du rosier, du persil, de l'angélique, du chanvre, &c.

Par rapport à la superficie, les feuilles sont plates, creuses, en bosse, lisses, rares, velues, &c.

Les feuilles plates, considérées par rapport à leur figures, sont rondes, comme celles de la nummulaire ; rondes à oreillons, comme celles du cabaret ; en fer de pique, comme celles de l'origan ; oblongues, comme celles de l'androsaemum ; à pans, comme celles de la bryone du Canada ; pointues par les deux bouts & larges vers le milieu, comme celles du laurier-rose ; étroites & longues, comme celles de l'oeillet & du chien-dent ; presqu'ovales, terminées en pointe, comme celles du chanvre jaune fertile.

Les feuilles creuses sont ou fistuleuses, comme celles du petit asphodele, de l'oignon, &c. ou pliées en gouttiere, comme celles de l'asphodele commun, qui sont aussi relevées en côtes par-dessous.

Les feuilles en bosse sont cylindriques dans quelques plantes, comme celles de plusieurs sortes de soude, de salicot & de joubarbe. Elles sont quelquefois à trois coins, comme on le voit dans quelques especes de ficoïdes. Il y en a quelques-unes qui sont anguleuses & irrégulieres ; savoir celles de la fritillaire épaisse, fritillaria crassa.

Par rapport à la consistance, les feuilles sont ou minces ou déliées, comme celles du mille-pertuis ; ou épaisses, comme celles du pourpier ; ou charnues, comme celles de plusieurs sortes de joubarbe ; ou drapées, comme celles du bouillon-blanc.

Par rapport aux découpures, les feuilles sont découpées legerement ou profondement.

Les feuilles découpées legerement, sont crenelées, dentelées, frisées & plissées.

Les feuilles crenelées ont les découpures à anse à panier, ou en tiers-point, comme celles des especes d'egeum.

Les feuilles dentelées sont découpées à dent de scie plus ou moins régulierement, comme celles du rosier ou du chanvre jaune fertile.

Les feuilles découpées profondément, sont découpées jusqu'à la tête ou jusqu'à la base, ou d'une maniere particuliere ; savoir en treffle ou fleche, &c.

Celles qui sont découpées jusqu'à la côte, le sont en différentes manieres. Il y en a quelques-unes qui sont découpées irrégulierement jusqu'à la côte, comme celles de l'armoise ; quelques autres le sont en feuilles d'acanthe, en feuilles de cétérac, en feuilles de méliante. Cette derniere découpure est singuliere, & l'on peut la proposer, quoique la méliante soit une plante assez rare.

Les feuilles composées sont soûtenues par une queue, ou rangées sur une côte simple, ou sur une côte branchue.

Les feuilles soûtenues sur une queue, sont ou deux à deux, comme celles du fabago ; ou trois à trois, comme celles du treffle & de l'ellébore noir trifolié : ou sur la même queue, comme celles de l'agnus castus ; ou en plus grand nombre, disposées en éventail ouvert ; savoir celles de la plûpart des especes d'ellébore noir.

Les feuilles rangées sur une côte, sont ou rangées par paires, ou elles naissent alternativement sur une côte.

La côte de celles qui sont rangées par paires, est terminée par une seule feuille, comme celle de la reglisse ; ou terminée par une paire de feuilles, comme celle de la sophera, de l'orobe, &c. Les feuilles qui sont sur ces côtes, sont à-peu-près égales, comme on le voit dans celles dont on vient de parler ; mais il s'en trouve aussi quelques-unes qui sont entre-semées de plusieurs autres feuilles plus petites.

Les feuilles composées de plusieurs feuilles, rangées sur une côte branchue, sont ou à grandes feuilles ou à petites feuilles, ou bien elles sont laciniées, c'est-à-dire composées de feuilles étroites & longues comme des lanieres. Celles de l'angelica alpina ad nodos florida, sont à grandes feuilles ; celles du persil ou de la ciguë, sont à petites feuilles ; celles du fenouil & du meum sont laciniées ou découpées en lanieres fort étroites.

Par rapport à la situation, les feuilles sont ou alternes, c'est-à-dire rangées alternativement le long des tiges & des branches, comme celles de l'alaterne ; ou opposées deux à deux, comme celles de la phillyria ; ou opposées en plus grand nombre, disposées en rayon ou en fraise, comme celle des especes de rubia.

Par rapport à la grandeur, les feuilles sont ou très-grandes, comme celles de colocasia : de sphondylium, &c. ou médiocres, comme celles du pié-de-veau, de la bistorte, du figuier, &c. ou petites, comme celles du pommier, du poirier, du pêcher, &c. ou enfin très-menues, comme celles du mille-pertuis, de la renoüée, du coris, & de plusieurs autres plantes. Voyez les élémens de Botanique, & l'explication de nos Planches d'Histoire naturelle.

M. Linnaeus est entré dans un plus grand détail pour diviser les feuilles en classes, en genres & en especes. Il en fait trois classes, dont la premiere comprend les feuilles simples, la seconde les feuilles composées, & la troisieme les feuilles déterminées.

Les feuilles simples sont seules, chacune sur un pedicule ou petiole. On les distingue en sept ordres, par des caracteres tirés de la circonférence, des angles, des sinus, de la bordure, de la surface, du sommet & des côtés de ces feuilles : ces sept ordres sont sous-divisés en 78 genres.

M. Linnaeus distingue trois sortes de feuilles composées ; savoir les composées proprement dites, les recomposées, decomposita ; & les sur-composées, supra-decomposita. On a donné le nom de foliole, foliolum, à chacune des petites feuilles qui composent la grande. Les feuilles composées proprement dites, sont celles qui se trouvent plusieurs ensemble sur un même pédicule simple ou branchu ; les recomposées sont celles dont le pédicule commun se divise & se subdivise avant de former le pédicule particulier à chaque foliole. Dans les feuilles sur-composées, le pédicule commun se divise plus de deux fois avant d'arriver aux folioles. Il y a quatorze genres de feuilles composées.

Les feuilles déterminées sont celles que l'on distingue des autres par leur direction, leur position sur la plante, leur insertion, & leur situation respective, sans avoir égard à leur forme ni à leur structure. Ces feuilles déterminées sont divisées en 34 genres ; ce qui fait en tout 126 genres de feuilles, dont on peut faire un beaucoup plus grand nombre d'especes, en employant leurs caracteres pour la description des plantes. Voyez florae parisiensis prodrom. par M. Dalibard. Paris, 1749. (I)

Observations sur la distribution, les usages, l'utilité, la multiplication, la direction, le retournement des feuilles, leur inspection au microscope, l'art de les disséquer, & d'en prendre l'empreinte. Les Botanistes se sont déjà beaucoup exercés à chercher dans les feuilles, des caracteres propres à distinguer les plantes, à les ranger en classes & en genres ; & si cette ingénieuse idée ne réussit pas, du moins peut-elle fournir des vûes & des avantages assez importans. Les mêmes Botanistes ont tâché de ramener toutes les distributions différentes des feuilles à des classes fixes. M. Bonnet, si distingué par ses connoissances en Histoire naturelle, a établi cinq ordres principaux de cette distribution dans son bel ouvrage sur les feuilles, publié à Leyde en 1754, in -4°. avec figures ; & quoiqu'on puisse sans-doute découvrir de nouveaux genres de distribution, sa méthode ne mérite pas moins nos éloges.

Le premier ordre, que ce curieux observateur appelle alterne, & qu'il faut regarder comme le plus simple, est celui dans lequel les feuilles sont distribuées le long des branches, sur deux lignes paralleles à ces mêmes branches, & diamétralement opposées l'une à l'autre ; ensorte qu'une feuille placée sur la ligne droite, est suivie immédiatement d'une autre située sur la ligne gauche : celle-ci l'est d'une 3e placée sur la ligne droite, & ainsi alternativement.

Le second ordre, que l'on peut nommer à paires croisées, est composé de feuilles distribuées par paires vis-à-vis l'une de l'autre, de façon que celles d'une paire croisent à angles droits celles de la paire qui suit.

Le troisieme ordre, que les Botanistes connoissent sous le nom de feuilles verticillées, est celui dans lequel les feuilles sont distribuées autour des tiges ou des branches, à-peu-près comme les rayons d'une roue le sont autour du moyeu. Cet ordre peut être sous-divisé par le nombre des feuilles, suivant qu'elles sont distribuées de trois en trois, de quatre en quatre, &c.

Le quatrieme ordre peut se nommer en quinconce, & est composé de feuilles distribuées de cinq en cinq.

Le cinquieme ordre, qui est le plus composé, peut se nommer à spirales redoublées ; il est formé de feuilles arrangées sur plusieurs spirales paralleles. Le nombre de ces spirales, & celui des feuilles dont chaque tour est composé, peuvent donner naissance à des sous-divisions ; traçons sur un bâton trois ou cinq spirales paralleles ; sur chaque tour de ces spirales piquons à une distance à-peu-près égale les unes des autres, sept ou onze épingles, & nous aurons une idée très-nette de cet arrangement. Le pin & le sapin sont de ce cinquieme ordre qui est extrèmement rare.

On ne peut voir ces divers ordres de distributions de feuilles, sans se livrer aux sentimens d'admiration pour les lois éternelles, qui ont merveilleusement approprié les moyens à la fin.

On est pénétré des mêmes sentimens, quand on considere la régularité avec laquelle les feuilles sont couchées & pliées avant que de sortir du bouton, & la prévoyance de la Nature pour les mettre à l'abri de tout accident. La position réguliere des feuilles est telle, qu'elle embrasse la sixieme partie d'un cercle, comme dans le syringa, ou la huitieme comme dans la mauve, & généralement la douzieme comme dans le houx.

Le soin que la nature a pris de la conservation des feuilles, n'est pas moins digne d'attention ; en effet, autant que leur figure le permet, elles sont toûjours défendues par les autres parties du bouton, ou se servent de défense respective. Lorsqu'elles sont en trop petit nombre & trop minces pour former ensemble un corps élevé en surface convexe, alors elles se déployent ou se roulent en tant de manieres, qu'il a fallu inventer des mots pour pouvoir les exprimer. A ces différens rouleaux, établis pour la défense des feuilles, nous pouvons ajoûter celle que procure l'interposition de diverses membranes fines qui servent au même but. Le docteur Grew en compte jusqu'à six, qu'il désigne par les noms de feuilles, de surfeuilles, d'entre-feuilles, de tiges des feuilles, de chaperons, & de petits manteaux ou voiles qui les couvrent. Voy. l'anat. des plantes de ce curieux physicien, liv. I. tab. 41, 42. Voyez aussi Malpighi de gemmis ; nous ne pouvons pas entrer dans ces détails.

Les feuilles si bien distribuées, si variées dans leurs formes, si régulierement couchées & pliées, si savamment défendues contre les accidens, n'ont pas été données aux plantes uniquement pour les orner ; elles ont des usages plus importans, & qui répondent mieux aux grandes idées que nous avons de l'ordre général.

Entre ces usages, celui d'élever le fluide nourricier, est un des principaux & des mieux constatés par les belles expériences de M. Halles ; mais la préparation de ce fluide, l'introduction de l'air dans le corps de la plante, & la succession des particules aqueuses répandues dans l'atmosphere, ont d'autres fonctions, qui demandent encore d'être approfondies.

On distingue deux surfaces dans les feuilles des plantes ; la surface supérieure, ou celle qui regarde le ciel, & la surface inférieure, ou celle qui regarde la terre ; ces deux surfaces different sensiblement l'une de l'autre dans presque toutes les plantes terrestres. La surface supérieure est ordinairement lisse & lustrée, ses nervûres ne sont pas saillantes ; la surface inférieure est pleine de petites aspérités, ou garnie de poils courts, ses nervûres ont du relief, & sa couleur toujours plus pâle que celle de la surface supérieure n'a que peu ou point de lustre. Ces différences assez frappantes ont sans-doute une fin. L'expérience démontre que la rosée s'éleve de la terre ; la surface des feuilles auroit-elle été principalement destinée à pomper cette vapeur, & à la transmettre dans l'intérieur de la plante ? La pointe des feuilles relativement à la terre, & le tissu de leur surface inférieure, semblent l'indiquer.

Il y a une étroite communication entre toutes les parties de la feuille ; les vaisseaux en s'abouchant les uns avec les autres, se communiquent réciproquement les sucs qu'ils reçoivent des pores absorbans les plus voisins ; une médiocre attention suffit, pour découvrir à l'oeil cette communication ; elle forme sur les deux côtés de la feuille, une espece de réseau qu'on ne se lasse point d'admirer, lorsqu'il est devenu plus sensible par une longue macération, ou que de petits insectes ont consumé la substance délicate qui en remplissoit les moelles ; mais cette correspondance réciproque jusqu'où s'étend-elle ? Les feuilles se transmettent-elles mutuellement les sucs qu'elles ont pompés ?

Il est bien prouvé que les plantes tirent leur humidité par leurs feuilles ; il ne l'est pas moins, qu'il y a une étroite communication entre ces feuilles, & que cette communication s'étend à tout le corps de la plante. Ainsi on peut dire que les végétaux sont plantés dans l'air, a peu près comme ils le sont dans la terre. Les feuilles sont aux branches, ce que le chevelu est aux racines. L'air est un terrein fertile, où les feuilles puisent abondamment des nourritures de toute espece. La nature a donné beaucoup de surface à ces racines aëriennes, afin de les mettre en état de rassembler plus de vapeurs & d'exhalaisons : les poils dont elle les a pourvûes, arrêtent ces sucs ; de petits tuyaux, toujours ouverts, les reçoivent, & les transmettent à l'intérieur. On peut même douter si les poils ne sont pas eux-mêmes des especes de suçoirs.

Dans les feuilles des herbes, les deux surfaces ont une disposition à-peu-près égale à pomper l'humidité ; au lieu que dans les feuilles des arbres, la surface inférieure est ordinairement plus propre à cette fonction que la surface supérieure : la raison de ces différences vient vraisemblablement de la nature du tissu.

Les bulles qui s'élevent en si grand nombre sur les feuilles qu'on tient plongées dans l'eau, prouvent que l'air adhere fortement à ces parties de la plante ; on peut en inférer que les feuilles ne servent pas seulement à pomper l'humidité, mais qu'elles sont encore destinées à introduire dans le corps des végétaux beaucoup d'air frais & élastique.

Les expériences de M. Halles démontrent que les feuilles sont le principal agent de l'ascension de la séve, & de sa transpiration hors de la plante. Mais la surface supérieure étant la plus exposée à l'action du soleil & de l'air (causes premieres de ces deux effets), on pourroit inférer que cette surface est celle qui doit avoir ici le plus d'influence : elle est d'ailleurs très-propre par son extrème poli, à faciliter le départ du suc ; il ne se trouve ordinairement ni poils, ni aspérités qui puissent le retenir & l'empêcher de céder à l'impression de l'air qui tend à le détacher. Ainsi le principal usage de la surface supérieure des feuilles consiste peut-être à servir de défense ou d'abri à la surface inférieure, à fournir un filtre plus fin, qui ne laisse passer que les matieres les plus subtiles.

Dès que les feuilles servent à la fois à élever le suc nourricier & à en augmenter la masse, nous avons un moyen très-simple d'augmenter ou de diminuer la force d'une branche dans un arbre fruitier : nous l'augmenterons en laissant à cette branche toutes ses feuilles ; nous le diminuerons par le procédé contraire. Nous comprendrons par le même moyen, que le vrai tems d'effeuiller n'est pas celui où le fruit est dans son plein accroissement ; il a besoin alors de toutes ses racines : les feuilles qui l'environnent immédiatement, sont ses racines.

Si l'on dépouille une plante de toutes ses feuilles à mesure qu'elles paroissent, cette plante périra. L'herbe commune de nos prairies & celle de nos paturages, semble d'abord une exception à cette regle générale ; mais il faut considérer, que quoique nos bestiaux, mangent les feuilles à mesure qu'elles croissent, néanmoins ils n'emportent qu'une très-petite partie de la feuille qui s'éleve pour lors en tige. D'ailleurs il y a une succession constante de nouvelles feuilles, qui poussent à la place des vieilles, & comme elles sont enfoncées en terre, & très-courtes, elles suppléent à celles qui ont été dévorées. De plus, il est certain que l'on fait tort au sainfoin, aux luzernes, aux treffles, quand on les fait paître de trop près par les bestiaux. Quoique la racine vivace du sainfoin, le fasse pousser plusieurs années, la récolte de cette denrée, qui est un objet de conséquence, est souvent détruite de bonne heure, lorsqu'on souffre que le bétail s'en nourrisse à discrétion. On ne peut donc approuver la pratique des fermiers, qui mettent leurs troupeaux sur leurs blés quand ils les trouvent trop forts.

Personne n'ignore que plusieurs especes de plantes ont pour leur conservation des feuilles printanieres, & des feuilles automnales. Ces dernieres rendent un service infini à quelques arbres, par exemple, au mûrier, & lui sauvent la vie quand toutes les feuilles printanieres ont été mangées par les vers à soie.

Il est des feuilles dont les principales fonctions sont moins de pomper l'humidité, & d'aider à l'évaporation des humeurs superflues, que de préparer le suc nourricier, & de fournir peut-être de leur propre substance, une nourriture convenable à la petite tige qu'elles renferment ; la pomme du chou en est un exemple extrèmement remarquable : concluons que les feuilles, de quelque façon qu'on les considere, fournissent aux plantes de tels avantages, que leur vie dépend de leurs feuilles, de maniere ou d'autre. Ainsi l'étroite communication qui est entre les parties d'un arbre, & sur-tout entre les feuilles & les branches, doit rendre très-attentif à l'état des feuilles ; & s'il leur survient quelquefois des maladies qu'elles communiquent aux branches, on en préviendra l'effet en retranchant les feuilles altérées ou mal-saines.

On ne peut douter de la vérité des expériences d'Agricola sur la multiplication des plantes par leurs feuilles ; M. Bonnet a répété ces expériences avec un succès égal, sur-tout dans les plantes herbacées. Voyez son excellent ouvrage cité ci-dessus.

La direction des feuilles est un autre objet qui mérite notre considération. M. Linnaeus parle de la direction des feuilles comme d'un caractere, mais elle n'est qu'un pur accident. On a beaucoup admiré le retournement de la radicule dans les graines semées à contre-sens ; on n'a pas moins admiré le mouvement des racines qui suit ceux d'une éponge imbibée d'eau. Les feuilles si semblables aux racines dans une de leurs principales fonctions, leur ressembleroient-elles encore par la singuliere propriété de se retourner, ou de changer de direction ? M. Bonnet s'est assûré de la vérité de cette conjecture par diverses expériences très-curieuses. Toutes choses égales, les jeunes feuilles se retournent plus promtement que les vieilles, celles des herbes, que celles des arbres ; & ce retournement est plus promt dans un tems chaud & serein, que dans un tems froid & pluvieux.

Les feuilles qui ont subi plusieurs inversions, paroissent s'amincir ; leur surface inférieure se desseche, & semble s'écailler. Le soleil par son action sur la surface supérieure des feuilles, change souvent leur direction, & les détermine à se tourner de son côté ; il rend encore la surface supérieure des feuilles concave en maniere d'entonnoir ou de gouttiere, dont la profondeur varie suivant l'espece ou le degré de chaleur ; la rosée produit un effet contraire.

Quoique le retournement des feuilles s'exécute sur le pédicule, ce retournement s'opere encore souvent sans que le pédicule y ait aucune part. Enfin les feuilles ont la propriété de se retourner, quoiqu'elles soient séparées de la plante ; cette même propriété se manifeste aussi dans des portions de feuilles coupées à volonté ; est-ce la lumiere, la chaleur, la communication de l'air extérieur qui operent ce retournement ? on ne peut encore offrir là-dessus que des conjectures, & d'autant mieux que les feuilles se retournent dans l'eau comme dans l'air.

L'inspection des feuilles au microscope nous offre le spectacle de milles autres beautés frappantes que l'oeil nud ne peut appercevoir : vous en serez convaincu par la lecture des observations microscopiques de Bakker. La feuille de rose, par exemple, en particulier de certaines roses, est toute diaprée d'argent sur sa surface externe. Celle de sauge offre une étoffe raboteuse, mais entierement formée de touffes & de noeuds aussi brillans que le crystal. La surface supérieure de la mercurielle est un vrai parquetage argentin, & ses côtes un tissu de perles rondes & transparentes, attachées en maniere de grappes, par des queues très-fines & très-déliées. Les feuilles de rue sont criblées de trous semblables à ceux d'un rayon de miel ; d'autres feuilles présentent comme autant d'étoffes ou de velours raz de diverses couleurs. Mais que dirai-je de la quantité presque innombrable de pores de certaines feuilles ? Leuwenhoek en a compté plus de 162 mille sur un seul côté d'une feuille de buis. Quant aux singularités de la feuille d'ortie piquante dont nous devons la connoissance au microscope, voyez ORTIE.

L'industrie des hommes est parvenue à disséquer les feuilles supérieurement. L'on fait aujourd'hui par art des squeletes de feuilles beaucoup plus parfaits que ceux que nous fournissent les insectes, si vantés dans ce travail par quelques naturalistes. Severinus est un des premiers qui ait montré l'exemple, quoique seulement sur un petit nombre de feuilles. Mais de nos jours Musschenbroeck, Kundman, & autres ont poussé le succès jusqu'à faire des squeletes de toutes sortes de feuilles. Voyez aussi les observations & expériences de Thummingius sur l'anatomie des feuilles dans le journal de Leipsick, ann. 1722. page 24.

Enfin Boyle, car il faut finir, a indiqué un moyen de prendre l'empreinte grossiere de la figure des feuilles de toutes sortes de plantes. Noircissez une feuille quelconque à la fumée de quelque résine, du camphre, d'une chandelle, &c. Ensuite après avoir noirci cette feuille suffisamment, mettez-la en presse entre deux papiers brouillards, par exemple deux papiers de la Chine, & vous aurez l'exacte étendue, figure, & ramifications des fibres de votre feuille. Voyez Boyle's Works Abridg'd, vol. I. page 132. Cette méthode néanmoins ne peut guere être d'usage qu'à ceux qui ne savent pas dessiner, & l'empreinte s'efface très-aisément en tout ou en partie.

Au reste, on s'appercevra par les détails qu'on vient de lire, qu'un sujet de Physique, quelque stérile qu'il paroisse, devient fécond en découvertes à mesure qu'on l'approfondit ; mais ce n'est pas à moi qu'appartient cet honneur, il est dû sur cette matiere aux Grew, aux Malpighi, aux Halles, aux Bonnet, & à ceux qui les imiteront. Article de M(D.J.)

FEUILLES, (Econom. rustique) On tire dans l'économie rustique d'assez grands avantages des feuilles d'arbres ou d'arbrisseaux ; par exemple, les feuilles d'ormes & de vignes cueillies vertes, se donnent en nourriture aux bêtes à cornes dans les pays où les pâturages manquent. Les feuilles de mûrier servent à nourrir les vers à soie, mais il faut prendre garde de ne pas trop effeuiller cet arbre ; car si l'on dépouilloit sa tige par le bas, on risqueroit de le faire périr. Les feuilles tombées & rassemblées en monceaux, fournissent un excellent fumier pour fertiliser les terres. Enfin on pourra dans la suite tourner les feuilles d'arbres, du moins celles de certains arbres étrangers, à plusieurs usages qui nous sont encore inconnus, & dont on devra la découverte au tems, au hasard, à la nécessité, ou si l'on veut à l'industrie. Article de M(D.J.)

FEUILLE AMBULANTE, (Hist. des Insectes) nom d'un insecte aîlé des Indes, sur lequel par malheur les observations fideles nous manquent encore. Les aîles de cet insecte ressemblent assez bien par leur forme, leurs nervûres, & leur couleur, à des feuilles d'arbres. Quelques-uns ont les aîles d'un verd naissant, d'autres d'un verd foncé, & d'autres les ont feuille morte. Mais on assûre de plus, que leurs aîles sont de la premiere couleur au printems, de la seconde en été, & de la troisieme vers la fin de l'autonne ; qu'ensuite elles tombent, que l'insecte reste sans aîles pendant tout l'hyver, & qu'elles repoussent aux printems suivant. Si tous ces faits étoient véritables, cet insecte seroit bien singulier, & peut-être unique en son genre, car on n'en connoît point dont les aîles soient sujettes à de pareilles vicissitudes ; mais il est très-permis de se défier d'un rapport si singulierement marqué, & vraisemblablement imaginé, entre les aîles d'un insecte étranger & les feuilles de la plûpart de nos arbres. Article de M(D.J.)

FEUILLES SEMINALES, (Botan.) en latin folia seminalia. On entend par feuilles séminales, deux feuilles simples, douces, non partagées, qui sortent les premieres de la plus grande partie de toutes les graines qu'on a semées.

En effet, quand le germe de la plante a percé l'air de sa pointe, les deux bouts de la fine pellicule qui couvre la pulpe de la graine, étant d'un tissu moins nourri que la tige, s'abaissent peu-à-peu de côté & d'autre, sous la forme de deux petites feuilles vertes, nommées feuilles séminales, ou fausses feuilles, qui sont différentes en grosseur, figure, surface, & position, de celles de la plante qui leur succéderont. Il faut donc les bien distinguer du feuillage que la plante produira par la suite ; car l'épiderme des deux lobes venant à se sécher, ses deux premieres feuilles qui ne sont que les deux bouts de l'épiderme, se sechent de même par une suite nécessaire, tombent, & disparoissent. Article de M(D.J.)

FEUILLE- INDIENNE, (Mat. med. & Pharmacie) Voyez MALABATRE.

FEUILLE DE MYRTE, instrument de Chirurgie, espece de spatule, dont l'extrémité terminée en pointe, le fait ressembler à la feuille de l'arbrisseau dont il porte le nom. L'usage de cet instrument est de nettoyer les bords des plaies & des ulceres, & d'en ôter les ordures que le pus, les onguens, les emplâtres ou autres topiques peuvent y laisser. Cet instrument est ordinairement double ; parce qu'on fait de l'extrémité qui sert de manche, une pince propre à disséquer & à panser les plaies & les ulceres ; ou une petite cuillere pour tirer les balles & autres petits corps étrangers ; ou elle est creusée en gouttiere, & forme une sonde cannelée. Comme la feuille de myrte dont le manche est terminé par une pincette, est la plus difficile à construire & la plus recherchée, c'est celle dont je vais faire la description d'après M. de Garengeot, dans son traité des instrumens de Chirurgie.

Pour fabriquer cet instrument, les ouvriers prennent deux morceaux de fer plat, longs d'environ six pouces, & larges d'un travers de doigt ; ils les façonnent un peu, & les ayant ajustés l'un sur l'autre, ils en mettent un bout dans le feu, afin de le souder de la longueur de deux pouces & quelques lignes ; cet endroit soudé reçoit sous le marteau la figure d'une feuille de myrte, en le rendant comme elle large par son milieu, & le diminuant par ses deux extrémités. Il est plat d'un côté, & de l'autre il a une vive-arrête faite à la lime, qui de sa base se continue jusqu'à la pointe. Les côtés de la vive-arrête vont en arrondissant se terminer à deux tranchans fort mousses, qui font les parties latérales de la feuille de myrte. On observe que la longueur de cette premiere partie de l'instrument n'excede pas deux pouces, ni sa largeur cinq lignes ; & on lui donne une douce courbure, dont la convexité regarde le côté plane, & la cavité presque insensible, le côté de la vive-arrête.

La seconde partie de la feuille de myrte, & qui lui sert de manche, est une pincette formée par les deux morceaux de fer appliqués l'un contre l'autre, & qui ne sont soudés qu'à l'endroit qui caractérise la feuille de myrte. Ces deux morceaux de fer vont en diminuant jusqu'à leur extrémité, & sont limés d'une maniere à les rendre élastiques : ils s'écartent l'un de l'autre par leur propre ressort, qui est encore augmenté par une courbure qu'on donne à chaque branche de la pincette, à l'extrémité intérieure desquelles on a fait des rainures transversales, pour que l'instrument serre plus exactement. Cet instrument est gravé à la Planche I. fig. 3. Il doit avoir cinq pouces quatre ou cinq lignes de long, & les branches, deux à trois lignes de large. (Y)

FEUILLE DE SAUGE, (Manege, Maréch.) instrument de maréchallerie. Sorte de bistouri dont la forme indique les usages, & auquel nous avons recours lorsqu'il s'agit dans des parties caves & profondes, de couper & d'enlever des chairs superflues, de quelque espece qu'elles puissent être.

La longueur de la lame est d'environ trois pouces. Celle du manche qui lui est adapté par soie ou par quelqu'autre monture fixe, est à-peu-près la même. Cette même lame est pointue ; elle a deux tranchans bombés également en-dedans & en-dehors ; elle est recourbée sur plat, dès le tiers de sa longueur, à compter depuis le manche, suivant la même courbe que celle du bombement de ses tranchans. Cette courbe est l'arc d'un cercle d'environ cinq pouces de rayon. La plus grande largeur de la lame se rencontre à la naissance de la courbure, & ne passe pas huit lignes. Sa surface concave, relativement à sa courbure sur plat, est divisée en deux pans égaux & semblables, depuis le manche jusqu'à la pointe, par une arrête formée par la naissance des deux biseaux qui constituent les tranchans de droite & de gauche. Cette arrête près du manche, a un peu plus d'une ligne de hauteur perpendiculaire, & là se rencontre la plus grande épaisseur de la lame, qui va constamment en décroissant insensiblement jusqu'à sa pointe. Sa surface convexe, toûjours relativement à sa courbure sur plat, est droite dans le sens de sa largeur, ou plûtôt un peu creusée par la rondeur de la meule. Quant aux côtés, ce n'est que depuis le milieu jusqu'à l'extrémité de la lame, qu'ils sont ordinairement affilés & réellement tranchans. (e)

FEUILLE DE SCIE, en Blason, signifie une piece de l'écusson, comme fasce, pal, ou autre semblable, qui est édentée seulement d'un côté ; ainsi nommée, parce qu'elle ressemble à une scie, comme l'explique le mot françois.

FEUILLE, (Commerce) signifie en termes de messageries & de voitures publiques, l'extrait ou duplicata des registres de voyage, que portent avec eux les Cochers, Charretiers & Voituriers, & qui leur tient lieu de lettres de voiture. On les appelle feuilles, parce que ces extraits sont écrits sur des feuilles volantes de papier. Elles doivent être toutes conformes aux registres, & porter la quantité, poids & qualité des marchandises, le nom & la qualité des personnes qui sont voiturées par les coches, carrosses, &c. C'est ordinairement sur ces feuilles que ceux à qui les ballots, marchandises & denrées sont adressés, mettent leur décharge au bas des articles qui les concernent, ce qu'on appelle décharger la feuille. Dictionn. de Comm. de Trév. & de Chambers. (G)

FEUILLES, s. f. en Architecture, ornement de sculpture, imité de celle de chêne, de laurier, d'acanthe, de persil, &c. qui servent à la décoration des bâtimens tant intérieurs qu'extérieurs. Ces feuilles sont connues en général sous le nom de refend, parce qu'elles sont refendues & différentes de celles qu'on appelle feuilles d'eau, parce que ces dernieres ne sont qu'ondulées. Voyez l'article SCULPTURE. (P)

FEUILLE A DOS, en terme de Brodeur au métier, ce sont des feuilles que le dessein représente à demi-pliées, & dont on ne voit que le dessous. Ces feuilles sont brodées pour l'ordinaire, d'un point fendu en commençant la nervure, comme dans les autres feuilles, & formant les nuances de la même maniere. V. POINT FENDU.

FEUILLE, en terme d'Eventailliste, c'est une feuille de papier préparée pour recevoir la peinture & les autres ornemens dont on a coûtume de la décorer. Cette feuille est coupée de façon qu'elle forme un demi-cercle régulier. Voyez l'article EVENTAIL, & les figures de l'éventailliste.

FEUILLE DE FER BLANC, (Ferblantier) c'est du fer réduit en feuille, & blanchi avec l'étain. Feuille de fer noir, c'est le même fer, qui n'a point été étamé. On l'appelle aussi de la tôle, quand on lui a laissé une certaine épaisseur.

FEUILLE DE REFEND, (Jardinage) est un double bec de corbin que l'on refend dans le milieu pour la variété, imitant les feuilles d'achante & de persil. (K)

FEUILLE, (Marqueterie) se dit de ces menues pieces de bois précieux & de diverses couleurs, que les Ebénistes ou Menuisiers de placage ont réduites en lames d'environ une ligne d'épaisseur, avec la scie à refendre. Voyez MARQUETERIE.

FEUILLE à mettre sous les pierres, (Metteur-en-oeuvre) C'est une feuille d'argent battu, mince à-peu-près comme une feuille de papier, & brunie ensuite d'un bruni extrèmement doux & vif : on met de cette feuille blanche sous les pierres blanches, pour y donner du brillant, & on teint cette même feuille de toutes couleurs, pour mettre sous les pierres de couleurs ; il y a un art à bien couper sa feuille, & à la bien disposer dans le chaton, car il y a des pierres, & surtout des pierres de couleur, qui perdent beaucoup à n'être pas bien mises sur la feuille.

FEUILLE, en terme de Miroitier, c'est une couche d'étain, de vif-argent, &c. que l'on applique sur le derriere d'un miroir, afin qu'il refléchisse les rayons de lumiere avec plus d'abondance. Voyez ETAMER.

FEUILLE, terme d'Orfévre, se dit de tout ornement représentant feuille de persil, de choux ou autres, que l'on applique sur divers ouvrages d'orfévrerie, comme chandelier, éguiere, écuelle & autres. On se sert aussi de ce terme pour exprimer en gravûre de certains ornemens délicats, qui ont quelque similitude avec les feuilles de la nature, par les rouleaux, les revers & les refentes dont elles sont remplies.

FEUILLE DE PAPIER, (Papetier) c'est du papier qui, après être sorti du moule & avoir été collé & seché, se plie en deux feuillets. Il faut vingt-cinq feuilles pour composer une main de papier. V. PAPIER.

* FEUILLE D'EAU, (Serrurerie) c'est une piece d'ornement qui se place sur les rouleaux ou dedans, aux grands ouvrages de serrurerie : (par grands ouvrages, on entend les balcons, les grilles ornées, &c.). Cette sorte de feuille est la plus simple dans tout l'ornement. Pour la faire, le forgeron étire du fer de la largeur & longueur convenables, & lorsqu'il a une épaisseur plus forte que celle de la tôle dont on se sert pour les autres ornemens, il l'emboutit dans un tasseau avec un poinçon qui forme la contre-partie ; de sorte que le bout de la feuille qui est renversé, paroît avoir une côte par-dessous avec une rainure, semblable à la fente d'un abricot : & par-dessus, le reste de la feuille est concave, & les côtes ont une arrête. Voyez Planch. de Serrurerie, la feuille d'eau enlevée, étampée par le bout ; vûe par-dessus ; vûe par-derriere & pat-dessous ; tournée de côté ; puis cintrée & vûe aussi de côté ; enfin, prête à être montée.

La feuille de palmier se découpe comme les autres ornemens, & se fait avec de la tôle ou fer battu, suivant la grandeur & la force que doit avoir la branche. Voyez dans les Planches, une feuille de palmier, enlevée, découpée, relevée, une branche de palmier commencée, vêtue, garnie, la branche achevée.

La feuille de laurier se fait comme les précédentes, & se voit dans les planches, avant que d'être montée. On y trouvera le même détail sur la feuille de vigne.

La feuille de revers, est un ornement qui se met sur les rouleaux, selon que le dessein courant le requiert ; elle se fait & se releve comme dans les autres ouvrages d'ornemens. Voyez dans les Planches la feuille évidée & relevée.


FEUILLÉen terme de Blason, se dit d'une plante qui a des feuilles.

Thumery à Paris, d'or à la croix engrelée de sable, accompagnée de quatre tulipes tigées & feuillées de synople.


FEUILLÉES. f. (Architect.) espece de berceau couvert & orné par compartiment de plusieurs branches d'arbres garnies de leurs feuilles. (P)

FEUILLEES, c'est dans l'Art milit. des especes de petits bâtimens de feuillages que les troupes font ordinairement dans le camp, lorsqu'elles doivent y rester plusieurs jours. (Q)


FEUILLERETS. m. (Menuiserie) outil qui sert aux Charpentiers & aux Menuisiers, à dégauchir les bois, & à former une feuillure sur les rives suivant le gauche, en la rendant plus profonde d'un bout que de l'autre ; & cela se connoît en posant les reglets à piés dessus lesdites feuillures. Voyez les figures de Menuiserie.

Il y a le feuilleret à petit bois, c'est celui qui sert pour faire les feuillures pour les vitres des croisées.

Le feuilleret est fait d'un morceau de bois dur de 18 à 20 pouces de long sur 5 à 6 pouces de large, & épais d'un pouce, plus ou moins. Dans le milieu il y a une entaille qu'on nomme lumiere, pour mettre le fer & un coin pour les serrer dedans : au bas, du côté du tranchant, est la joue qui sert à le conduire, lorsqu'on veut faire une feuillure. Voyez les figures de Menuiserie.


FEUILLETS. m. (Commerce) moitié d'une feuille pliée en deux.

L'ordonnance de 1673, concernant le commerce, art. 3. & 4. du titre iij. veut que les livres des Négocians & Marchands, aussi-bien que ceux des agens de change & de banque, soient cotés, signés, & paraphés, les uns sur le premier & dernier feuillet, & les autres sur tous les feuillets, par les consuls ou maires des villes, s'il n'y a point de jurisdiction consulaire ; & de plus, qu'à ceux des agens de banque, il sera fait mention au premier feuillet du nom de celui qui doit s'en servir, de la qualité du livre, & si c'est le premier ou second. Dictionn. de Comm. de Chamb. & de Trév. (G)

FEUILLETS, en terme de Cardeur ; ce sont des rouleaux de laine préparés pour être filés.

FEUILLET, en terme de Cardier ; c'est une peau de veau qui sert d'assiette aux pointes de la carde (voyez CARDE) ; quand elle n'est pas assez épaisse, on la recouvre en-dessous de papier ou de parchemin.


FEUILLETIERS. m. c'est une des qualités que les maîtres Cartiers, faiseurs de cartes à joüer, prennent dans leurs statuts : on les nomme maîtres Cartiers-Tarotiers-Feuilletiers & Cartonniers. Voyez CARTIER.


FEUILLETISS. m. (Ardoisier) c'est le nom que les ouvriers donnent à l'endroit où ils travaillent dans la carriere, lorsque l'ardoise y est tendre & facile à diviser : ils appellent cela être en feuilletis.


FEUILLETTES. f. (Comm.) que l'on écrit aussi FEILLETTE, & que quelques-uns appellent fillette ; sorte de futaille ou moyen tonneau, servant à mettre du vin ou d'autres liqueurs. La feuillette est la moitié du muid de Paris, aussi l'appelle-t-on le plus souvent demi-muid. Ce terme est particulierement en usage en Bourgogne. Voyez MUID.

En quelques provinces de France, sur-tout vers Lyon, la feuillette est aussi une petite mesure de liqueurs qui revient à une chopine de Paris.

On prétend que nous avons emprunté ce terme des Italiens, qui nomment foglietta une petite mesure ; d'autres au contraire soûtiennent que c'est de notre mot feuillette, que les Italiens ont fait leur foglietta. Dict. de Comm. de Trév. & de Chamb. (G)


FEUILLUZES. f. en Architecture : c'est l'entaille en angle droit qui est entre le tableau & l'embrasure d'une porte ou d'une croisée, pour y loger la menuiserie. (P)


FEUR-MARIAGE(Jurisprud.) est la même chose que for-mariage ; mais on dit plus communément for-mariage. Voyez ci-après FOR-MARIAGE. (A)


FEURRES. f. terme de Riviere ; paille longue qui sert à empailler les chaises : celle qui vient par eau paye un droit de feurre.


FEURou FEUR, (Géog.) forum Segusianorum. ancienne ville de France, capitale du haut-Forêt, sur la Loire, à 10 lieues sud-est de Roüane, 10 sud-oüest de Lyon, 95 sud-est de Paris. Long. 21. 53. 33. lat. 45. 44. 43. Joseph Guichard du Verney, célebre anatomiste, naquit à Feurs en 1648, & est mort à Paris en 1730. (D.J.)


FEUTRAITTE(Commerce) droit que l'on paye aux seigneurs en quelques endroits de France, pour avoir permission de tirer sur leurs terres la mine de fer, qui sert à entretenir les fourneaux des forges & fonderies. Dictionnaire de Commerce, de Trév. & de Chamb. (G)


FEUTRES. m. (Chapellerie) est une espece d'étoffe de laine, ou de laine & de poil, qui n'est ni croisée ni tissue, mais qui tire toute sa consistance de ce qu'elle a été travaillée & foulée avec de la lie & de la colle, & ensuite façonnée dans un moule par le moyen du feu & de l'eau.

Le poil de castor, de chameau & de lapin, la laine des agneaux & des moutons, sont les matieres qui entrent communément dans la composition du feutre, & les différentes sortes de chapeaux sont les ouvrages à quoi on l'employe.

Le feutre qu'on destine pour un chapeau, étant suffisamment foulé & préparé, on le réduit en une piece qui est à-peu-près de la figure d'un large entonnoir ; dans cet état on le met en forme, & on en fait un chapeau. Voyez CHAPEAU.

FEUTRE, (Chimie & Pharmacie) c'est un morceau de drap de flanelle ou d'étamine, & quelquefois de coton, que l'on employoit beaucoup autrefois en guise de filtre, avant l'usage du papier gris. Il y a toute apparence que ce mot n'a passé au drap & à la flanelle, que parce qu'ils ont été substitués à l'étoffe de poils foulés, qu'on nomme feutre (voyez CHAPEAU) : car Ménage dérive ce mot de philtrum, qui, chez les auteurs de la basse latinité, signifie l'étoffe en question, & vient de l'allemand filt, qui a la même signification, selon du Cange, lequel ajoûte qu'elle a été nommée aussi filtrus, filtra, pheltrum, philtrum & viltrum. On se sert encore de feutres ou blanchets dans quelques opérations. Ils prennent différentes formes, selon l'usage auquel on veut les appliquer. Ils sont quarrés quand ils doivent aller sur le carrelet : voyez ce mot ; en laniere, quand on veut leur faire faire l'office d'un syphon. Voyez LANGUETTE. Enfin la chausse ou la manche d'Hippocrate, n'est elle-même qu'un feutre en capuchon. Voyez FILTRATION. Article de M. DE VILLIERS.

FEUTRE, terme de Draperie. Voyez l'article LAINE (manufacture en).

FEUTRE. Les Potiers d'étain appellent ainsi des morceaux de vieux chapeaux, qui leur servent à manier les moules chauds, lorsqu'ils jettent dedans, soit pour les former, soit pour les ouvrir & dépouiller les pieces jettées toutes chaudes, crainte de se brûler. Ils appellent aussi feutre un morceau de la forme du chapeau, coupé comme une bande, qu'ils mettent dans les pots en-dedans dans l'endroit où ils les soudent. Voyez FONDRE L'ETAIN & SOUDER LES POTS D'ETAIN.

FEUTRES, terme de Papeterie ; ce sont des morceaux de revesche, ou autre étoffe de laine, sur lesquels des ouvriers, qui travaillent dans les manufactures de papier, mettent les feuilles de papier au sortir du moule, à mesure qu'on les fabrique. On les appelle aussi flotres. Voyez PAPIER, & les Planches de Papeterie.


FEUTRERterme de Chapelier, qui signifie manier l'étoffe d'un chapeau réduite en capade, pour lui donner du corps. On feutre d'abord à froid, & ensuite à chaud sur le bassin. Voyez CHAPEAU.

FEUTRER UNE SELLE, terme de Sellier ; c'est la remplir de bourre.


FEUTRIERES. f. terme de Chapelier ; c'est un morceau de toile forte & neuve, dans laquelle on enveloppe les capades, le lambeau entre deux, afin de les marcher, ou feutrer à chaud sur le bassin, pour les disposer à en former un chapeau. Voyez CHAPEAU.


FEVES. f. faba (Hist. nat. bot.) ; genre de plantes à fleurs papilionacées ; le pistil sort du calice, & devient dans la suite une gousse longue, qui renferme des semences applaties, & faites à-peu-près en forme de rein : ajoûtez aux caracteres de ce genre, que les tiges sont fermes & garnies de feuilles rangées par paires sur une côte terminée par une petite pointe. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

FEVE, (Jardinage) Boerhaave compte six especes de ce genre de plante, & Tournefort huit ; mais il suffira de décrire la principale, que les Botanistes appellent faba major, & les François feve de jardin ou de marais. Voyez donc FEVE de jardin, (Botan.)

Dodonée donne le nom de boona à la graine de cette plante ; les Allemands disent boon, les Anglois bean, & les habitans de la Lombardie bajana.

Ce fruit légumineux est un de ceux qui peuvent le mieux servir à découvrir la nature & la structure des graines en général. On distingue dans celle-ci, outre ses deux peaux ; trois parties qui la composent ; de plus son corps est partagé en deux lobes, dont l'un est appellé la radicule, & l'autre la plume ; la radicule devient la racine de la plante, & la plume forme sa tige, portant feuilles & fleurs : c'est dans la plume qu'existent les feuilles de la feve délicatement roulées, & déjà formées dans le même état où elles doivent se déployer hors de terre.

Les parties organiques & similaires de la feve sont, 1°. la cuticule qui se nourrit, croît avec la feve, & s'étend sur toute sa surface ; 2°. le parenchyme qui est le même dans les lobes, la radicule, la plume, & le corps de la feve ; 3°. le corps intérieur, distribué partout le parenchyme, & que Grew nomme la racine séminale, & distingue de la radicule. Dans la racine qui est composée d'une pellicule, d'une partie corticale, & d'un partie ligneuse, se trouve souvent une espece de moëlle douce & pulpeuse. Voyez ici l'anatomie des plantes du célebre auteur anglois ; car comme il n'est pas possible d'entrer dans les détails, nous ajoûterons seulement, que suivant les observations de Boyle, l'expansion de la feve dans sa croissance, est si considérable, qu'elle peut élever un corps chargé de cent livres de poids. Article de M(D.J.)

FEVE de jardin, (Botaniq.) faba, Raii hist. 909. faba major hortensis, Off. faba flore candido lituris nigris conspicuo, C. B. P. 338. faba cyamos, J. B. 2. 278. faba major recentiorum, Lob. Icon. 57. &c.

La racine de feve de jardin ou de marais, comme on dit à Paris, est en partie droite & en partie rempante, garnie de tubercules & de fibres : ses tiges sont hautes de deux coudées & plus, quadrangulaires, creuses, couvertes de plusieurs côtes qui naissent par intervalles, terminées en pointe, auxquelles sont attachées des paires de feuilles sans symmétrie, au nombre de trois, de quatre, de cinq, ou davantage, oblongues, arrondies, un peu épaisses, bleuâtres, veinées, & lisses.

Ses feuilles naissent plusieurs en nombre des aisselles des côtes sur un même pédicule, rangées par ordre & du même côté : elles sont légumineuses ; la feuille supérieure ou l'étendard est blanc, pannaché de veines purpurines, & pourpré à sa base ; les feuilles latérales ou les aîles, sont noires au milieu, & blanches à leur bord ; la feuille inférieure ou la carine, carina, est verdâtre.

Leur calice est verd, partagé en cinq quartiers ; il en sort un pistil qui se change dans la suite en une gousse longue, épaisse, charnue, velue, relevée, remplie de graines ou de feves, au nombre de trois, de quatre, de cinq, & rarement d'un plus grand nombre : elles sont oblongues, larges, applaties, en forme de rein, grosses, & pesant quelquefois une demi-dragme ; ordinairement elles sont blanches, quelquefois rouges ; elles ont une marque longue & noire à l'endroit où elles sont attachées à leur gousse. L'écorce de cette fêve est épaisse, & comme coriace, sa substance intérieure étant desséchée, est dure, solide, & se partage aisément en deux parties, entre lesquelles se trouve à une des extrémités la plontale, qui est très-apparente.

Après que cette plante a donné sa graine, elle se desseche entierement. Les feves vertes & mûres sont des légumes don on mange souvent ; on les cultive beaucoup dans toute l'Europe.

Mais il regne une grande dispute parmi les Botanistes, pour savoir si notre feve ou le boona de quelques modernes (boon par les Allemands, & bean par les Anglois), est la feve des anciens. On trouvera cette question traitée dans Tragus, Dodonée, J. Bauhin, C. Hoffman, Melchior Sebizius, &c. Ce qui est certain, c'est que la feve des anciens étoit petite & ronde, comme on le peut voir dans plusieurs endroits de Théophraste, de Dioscoride, & autres. D'un autre côté, on a bien de la peine à croire qu'un légume qui étoit si commun, & que l'on employoit tous les jours, ne soit plus en usage à présent, ou qu'il ait changé de nom, & que le boona ait pris sa place & son nom, sans que personne s'en soit apperçu ; car ce boona nous est donné d'un consentement unanime pour la feve, & le mot faba des Latins, répond au des Grecs ; ce changement de nom n'est cependant pas sans exemples.

Les feves vertes contiennent un sel essentiel ammoniacal, tellement mêlé de soufre, de terre, & de flegme, qu'il en résulte un mucilage ; mais lorsqu'elles sont mûres, un peu gardées & desséchées, il se fait une certaine fermentation intérieure, qui dissout ce mucilage, & qui développe de plus en plus les principes. Les sels acides, par un nouveau mélange avec le soufre & la terre, se changent en des sels urineux volatils, ou en alkalis fixes : c'est pourquoi on trouve une plus grande quantité de ces sels volatils dans les feves mûres, & elles ne donnent presqu'aucun sel acide dans la distillation. Ces remarques sont de M. Geoffroy.

Pour ce qui regarde la nature & les vertus de la feve, voyez FEVE de jardin, (Matiere médic. & Diete) Article de M(D.J.)

FEVE DE JARDIN, (Mat. méd. & Diete) nous faisons beaucoup plus d'usage aujourd'hui de la feve de jardin ou marais, dans nos cuisines, que dans nos boutiques : on les mange vertes & fraîches dans les meilleures tables, après les avoir fait cuire avec des herbes aromatiques, la sarriette, par exemple, & les autres assaisonnemens ordinaires ; entieres, lorsqu'elles sont tendres ; & écorcées, lorsqu'elles commencent à durcir en mûrissant ; lorsqu'elles sont seches, on en fait de la purée : en général on en mange peu de séchées à Paris. Mais il y a certaines provinces où elles sont une nourriture fort ordinaire : sur mer les matelots en font un usage journalier. L'opinion commune est que nos feves sont venteuses & difficiles à digérer : mais en général on peut dire que c'est un mets fort bon pour les gens de la campagne, qui sont accoûtumés à des travaux durs, aussi-bien que pour les gens de mer ; au lieu qu'il ne convient point aux personnes délicates, ni à celles qui ne s'occupent point de travaux pénibles.

Isidore assûre que les feves ont été le premier légume dont les hommes ayent fait usage. Pline rapporte que les feves étoient de tous les légumes ceux qu'on révéroit le plus ; parce que, dit cet auteur, on avoit tenté d'en faire du pain. Il ajoûte que la farine de feves s'appelloit lomentum ; qu'on la vendoit publiquement, & que l'usage en étoit fort commun tant pour les hommes que pour les bestiaux. Il y avoit, selon le même Pline, des nations qui mêloient cette farine avec celle de froment.

Quant à l'usage médicinal, on peut dire en général que nous employons rarement les feves ; leur farine est une des quatre farines résolutives. Voyez FARINES (les quatre). Riviere & Ettmuller recommandent celle de feve en particulier comme un excellent discussif & résolutif, appliquée en cataplasme, dans les inflammations des testicules.

On distille quelquefois, chez les Apothicaires, les fleurs de feves, & cette eau est estimée bonne pour tenir le teint frais, & blanchir la peau : on fait avec cette eau & la farine de feve, un cataplasme très-liquide, qui, appliqué sur le visage, passe pour en ôter les taches de rousseur.

On tenoit autrefois dans les boutiques une eau distillée de gouttes de feves, & un sel fixe tiré des cendres de toute la plante ; on regardoit cette eau & ce sel comme de puissans diurétiques, & même comme des spécifiques dans la néphrétique : mais on est revenu de cette niaiserie ; on ne prépare plus cette eau, & fort rarement ce sel. (b)

FEVE DE BENGALE, (Mat. méd.) fruit étranger, qu'on trouve souvent avec le myrobolan citrin, & qui nous vient des Indes orientales par les vaisseaux de nos compagnies. Myrobolani species à nonnullis credita, Raii Dendrol. 134. Faba Bengalensis, Angl. C'est une excroissance compacte, ridée, ronde, applatie, creusée en matiere de nombril, large d'environ un pouce, brune en-dehors, noirâtre en-dedans, d'un goût stiptique & astringent sans odeur.

Le docteur Marloë medecin anglois, est le premier, dit Samuel Dale, qui ait fait connoître & mis en usage ce remede étranger sous le nom énigmatique de feve de Bengale : c'est pourquoi quelques-uns ont cru que c'étoit le fruit de Bengale de Clusius, Exot. liv. II. ch. xxjv. d'autres, que c'est une espece de myrobolans ; d'autres enfin, que c'est la fleur du myrobolan citrin, parce qu'il se trouve souvent avec ces fruits. Mais Dale croît que c'est une excroissance qui s'est formée par la piquûre de quelque insecte, ou plûtôt que c'est le myrobolan citrin lui-même, qui blessé par cette piquûre, a pris une forme monstrueuse. On observe souvent que les prunes étant piquées par quelque insecte, perdent leur figure naturelle & deviennent creuses en-dedans sans contenir aucun osselet.

Ce fruit n'est pas d'un grand usage en France : cependant comme il est fort astringent, on peut l'employer avec utilité seul, ou joint aux myrobolans, & autres remedes de même espece, dans les diarrhées, les dyssenteries, les hémorrhagies, & tous cas où il s'agit d'incrasser modérément le sang, de resserrer les orifices des veines & artérioles, & d'adoucir les humeurs acres. Article de M(D.J.)

FEVE D'ÉGYPTE, (Bot. exotiq.) cette plante curieuse par sa beauté, est la nymphaea affinis malabarica, folio & flore amplo, colore candido, Hort. Mal. 11. 39. fab. 30. Breyn Nelumbo Zeylonensium. Tour. inst. 261. Nelumbo nymphaea alba indica, maxima, flore albo, fabifera, Herm. Mus. Zeyl. 66. Nymphaea indica, glandifera, indiae paludum, gaudens foliis umbilicatis, amplis, pediculis spinosis, flore roseo, purpureo, & albo. Pluk. Almag. 267.

Ainsi nos meilleurs botanistes connoissent la feve d'Egypte pour une espece de nymphée à fleurs blanches, pourpres, & incarnates ; idée qu'Hérodote semble en avoir eue, lorsqu'il a parlé d'un lis d'eau, couleur de rose, & d'un lis blanc, qui naissent dans le Nil.

Sa fleur est peut-être la même qu'un certain poëte présenta comme une merveille à Hadrien, sous le nom de lotus antinoien, suivant le témoignage d'Athénée, liv. XV. & Plutarque l'appelle le crépuscule ; par rapport à la couleur de ce beau moment du jour.

Son fruit, qui a la forme d'une coupe de ciboire, en portoit le nom chez les Grecs ; dans les bas-reliefs, sur les médailles, & sur les pierres gravées, il sert souvent de siége à un enfant.

La tige de la feve d'Egypte a une coudée de haut ; ses feuilles sont très-larges, creusées en forme de nombril, & attachées à des pédicules hérissés de piquans. Voyez les figures de la plante entiere dans les auteurs que nous avons cités, Plucknet, Breynius, & Commelin. Article de M(D.J.)

FEVE DE S. IGNACE, (Bot. & Mat. méd.) en latin faba sancti Ignatii, off. Igasur, seu nux vomica legitima serap. G. Camelli, Mananaag, Indor. Cathologan, & Pepita de Bisayas, Hispanor.

Cette feve est un noyau arrondi, inégal, en quelque maniere noüeux, très-dur, à demi-transparent, & d'une substance comme de corne, très-difficile à rompre, facile à raper, semblable à la noix vomique, de la grosseur d'une aveline, du goût d'un pepin de citron, mais beaucoup plus amer ; d'une couleur grise, verdâtre, ou rougeâtre en-dehors, blanchâtre en-dedans. Voyez Hill's, hist. mat. med. pag. 509.

Les PP. Jésuites portugais-missionnaires nous ont apporté vers le commencement de ce siecle, des îles Philippines, cette espece de noyau qui étoit inconnu jusqu'alors en Europe.

La plante qui le produit s'appelle catalongay, & cantara, G. Camelli, act. philos. Lond. 2°. 250. Cucurbitifera Malabathri foliis scandens ; catalongay & cantara Philippinis orientalibus dicta, cujus nuclei Pepitas de Bisayas, aut catalogan, & fabae sancti Ignatii ab Hispanis, Igasur, & Mananaag insulanis nuncupati, Pluck. Mant.

Cette plante qui vient dans l'île de Luzone & dans les autres Philippines, est de la classe des grimpantes, & monte même en serpentant jusqu'au haut des plus grands arbres. Son tronc est ligneux, lisse, poreux, quelquefois de la grosseur du bras, couvert d'une écorce raboteuse, épaisse, & cendrée. Ses feuilles sont grandes, garnies de nervures, ameres, presque semblables à celles du malabathrum, mais plus larges. Sa fleur ressemble à celle du grenadier.

Il lui succede un fruit plus gros qu'un melon, couvert d'une peau fort mince, luisante, lisse, & d'un verd sale, ou de couleur d'albâtre : sous cette petite peau est une autre écorce d'une substance dure, & comme pierreuse. L'intérieur de ce fruit est rempli d'une chair un peu amere, jaune & molle, dans laquelle sont renfermés le plus souvent vingt-quatre noyaux de la grosseur d'une noix, lorsqu'ils sont frais, couverts d'un duvet argenté & de différentes & inégales figures : ces noyaux en séchant diminuent & n'ont plus que la grosseur d'une noisette ou aveline. Voilà cette aveline connue en matiere médicale sous le nom de feve de S. Ignace.

Ceux qui en font usage, la donnent aux adultes, réduite en poudre par le moyen d'une fine rape, à la dose de 24 grains, & à celle de 4 grains pour les petits enfans : d'autres la font macérer pendant douze heures dans du vin, ou quelque eau distillée convenable, & en prescrivent l'infusion. L'huile de ces feves est un puissant émétique, à la dose d'once j. La teinture jaunâtre de cette noix, par le secours de l'esprit-de-vin, se prescrit intérieurement depuis scrupule j. jusqu'à demi-dragme, & est recommandée extérieurement contre la sciatique & autres douleurs des articulations.

Quelques-uns vantent les vertus de ces noyaux & leurs diverses préparations dans les affections comateuses, la léthargie, l'apoplexie, la paralysie, l'épilepsie, les poisons, & même dans d'autres maladies plus communes, comme le catarrhe, les vers, la colique, la suppression des mois & des vuidanges. Wedelius prétend avoir heureusement employé la feve de S. Ignace dans les fievres continues. Michel Bernard Valentin, qui a le premier publié une dissertation sur cette feve, dans son traité des polychrestes exotiques, & depuis dans son histoire réformée des simples n'en fait pas de moindres éloges que son compatriote, pour la cure des maladies chroniques invétérées.

Le P. Georges Camelli jésuite, dans sa description des plantes de l'île de Luzone, la principale des Philippines, croit que ce noyau est la noix vomique de Sérapion. Voyez la lettre de ce curieux jésuite, adressée à Rai & à Petiver, dans les Trans. philosoph. ann. 1699, pag. 87, & dans les acta eruditor, an. 1700, pag. 552. Il rapporte dans cette lettre plusieurs détails, que nous ne transcrirons pas, sur l'estime singuliere qu'en font les Indiens ; mais il ajoûte à son récit des observations qui prouvent clairement combien la feve de S. Ignace est dangereuse, puisqu'elle produit dans les Espagnols des mouvemens spasmodiques, le vertige, la syncope, & des sueurs froides. C'en est trop pour justifier que les qualités de ce noyau ne sont guere différentes de celles de la noix vomique : aussi ce remede n'est point usité par tout ce qu'il y a de médecins éclairés, sages & prudens ; peut-être même feroit-on bien de le bannir entierement de la Medecine. En effet qu'avons-nous besoin de drogues étrangeres, plus capables d'inspirer des allarmes que de la confiance, dans le succès de leurs opérations ? Article de M(D.J.)

FEVE, (Hist. anc.). La feve, je dirai mieux le des Grecs, & le faba des Latins, étoit respectée ou regardée comme impure par plusieurs peuples de l'antiquité, & en particulier par les Egyptiens ; car leurs prêtres s'en abstenoient, selon le témoignage d'Hérodote. Les Romains les employoient dans les funérailles, & autres cérémonies funebres. Voyez LEMURALES.

Le vulgaire croyoit que ce monde étoit rempli de démons, lemures, les uns bons qu'ils appelloient lares, les autres mauvais qu'ils nommoient spectres, larvae, spectra. Il étoit persuadé de l'apparition de ces derniers ; opinion folle dont il n'est pas encore revenu, & dont il ne reviendra jamais.

Ce fut pour appaiser ces malins génies, qu'on jettoit sur les tombeaux quantité de feves, qui passoient pour le symbole de la mort. Ces idées ridicules donnerent naissance à la Nécromantie, que l'avidité du gain fit embrasser à plusieurs imposteurs. Ils mirent à profit l'ignorante crédulité du peuple, en s'attribuant le pouvoir d'évoquer les ames, de les interroger, & d'en apprendre l'avenir. Voy. EVOCATION & NECROMANTIE.

On peut lire dans les fastes d'Ovide, la maniere dont ils évoquoient les mauvais esprits, en leur offrant des feves. N'est-ce point-là l'origine de l'usage qui regne encore en plusieurs pays catholiques, d'en manger & d'en distribuer le jour de la commémoration des morts.

Mais qu'a voulu dire Pythagore par la célebre ordonnance qu'il fit à ses disciples de s'abstenir des feves, ? Les anciens eux-mêmes expliquent diversement ce précepte, & par conséquent en ignorent le véritable sens. Quelques-uns l'entendent des feves au propre ; parce que leur nourriture est nuisible à la santé des Gens de Lettres, qu'elle cause des vents, des obstructions dans les visceres, appesantit la tête, trouble l'esprit, & obscurcit la vûe : c'est le sentiment de Cicéron, de divinat. lib. I. cap. xxx. D'autres comme Pline raconte, l'attribuent à ce que les feves contiennent les ames des morts, & qu'on trouve sur leurs fleurs des lettres lugubres. D'autres prennent le mot de énigmatiquement, pour l'impureté & la luxure.

Il y en a qui interpretent, avec Plutarque, cette défense des charges de la république ; car on sait que plusieurs peuples de la Grece se servoient des fêves au lieu de petites pierres, pour l'élection de leurs magistrats. A Athenes, la feve blanche désignoit la réception, l'absolution ; & la noire la réjection, & la condamnation. Ainsi, selon Plutarque, Pythagore recommandoit ici figurément à ses disciples, de préférer une vie privée toûjours sûre & tranquille, aux magistratures pleines de troubles & de dangers.

Enfin plusieurs anciens & modernes cherchent dans la philosophie de Pythagore, l'explication naturelle de son précepte ; & ces derniers me semblent approcher le plus près de la vérité. En effet Pythagore avoit enseigné que la feve étoit née en même tems que l'homme, & formée de la même corruption : or comme il trouvoit dans la feve je ne sai quelle ressemblance avec les corps animés, il ne doutoit point qu'elle n'eût aussi une ame sujette comme les autres aux vicissitudes de la transmigration, & par conséquent que quelques-uns de ses parens ne fussent devenus feves ; de-là le respect qu'il avoit pour ce légume, & l'interdiction de son usage à tous ses disciples.

Cette opinion de Pythagore que nous venons d'exposer, n'est point un sentiment qu'on lui prete ; elle se trouve détaillée dans la vie que Porphyre a faite de ce philosophe. Aussi Horace, qui long-tems avant Porphyre ne doutoit point que cette idée de transmigration ne fût celle de Pythagore, s'en est moqué plaisamment dans une de ses satyres :

O quando faba Pythagorae cognata, simulque

Uncta satis pingui ponentur oluscula lardo ?

Sat. vj. lib. II. V. 63.

" Quand pourrai-je, dit-il, dans mes repas rustiques, en dépit de Pythagore, me régaler d'un plat de feves, & manger à discrétion de mes légumes, nourries de petit-lard " ?

Au reste le lecteur est maître de consulter sur cette matiere Vossius, de Idolol. lib. III. cap. xxxv. l. IV. cap. xcvij. lib. V. cap. xj. xij. xxv. & xljx. & quelques auteurs qui ont développé le système de Pythagore. Voyez aussi PYTHAGORICIENS. Article de M(D.J.)

FEVE, (Manège, Maréchall.) maladie de la bouche ; elle est encore connue sous le nom de lampas. Elle consiste dans un tel degré d'épaisseur de la membrane qui tapisse intérieurement la mâchoire supérieure, & qui revêt le palais, que cette membrane excede considérablement la hauteur des pinces ; souvent aussi elle se propage de maniere qu'elle anticipe sur ces mêmes dents. Je ne sai pourquoi les auteurs qui ont traité de l'art vétérinaire, n'ont point parlé de ce dernier cas. Ce prolongement ou ce volume contre nature n'a rien qui doive étonner, lorsque l'on considere que la mucosité filtrée & séparée dans la membrane de Schneider, se répandant sur celle dont il s'agit, par les ouvertures que lui présentent les fentes incisives, l'humecte & l'abreuve sans-cesse. C'est précisément dans le lieu de ces ouvertures qu'elle s'étend ou s'épaissit au point de rendre l'action de manger difficile à l'animal ; & celle de tirer le fourrage encore plus laborieuse & même impossible, vû la douleur qu'il ressent à chaque instant où se joignent les extrémités des dents antérieures, entre lesquelles cette membrane se trouve prise & serrée. Dans la pratique, on remédie par le moyen du cautere actuel à cette maladie. Le maréchal, après avoir mis un pas-d'âne dans la bouche du cheval, & s'être armé d'un fer chaud, tranchant & recourbé à l'une de ses extrémités (voyez FER A LAMPAS), consume cette partie gonflée précisément entre les deux premiers de ces sillons transverses qui, très-évidens dans l'animal & fort obscurs dans l'homme, s'étendent d'un bord de la mâchoire à l'autre. On observe que le fer ne soit point trop brûlant, & ne porte atteinte à la portion osseuse de la voûte palatine ; ce qui nécessairement occasionneroit une exfoliation & de véritables accidens. Quelqu'ancienne, quelque commune que soit cette opération ; je ne la crois point indispensable. S'il n'est question que du gonflement de la membrane, gonflement qui ne survient ordinairement que dans la bouche des jeunes chevaux, & qui souvent ne les incommode point, il suffira, pour le dissiper, d'ouvrir la veine palatine avec la lancette ou avec la corne. Voyez PHLEBOTOMIE. Si la membrane s'est prolongée jusque sur les pinces, on pratiquera la même saignée, après avoir coupé avec des ciseaux ou avec un bistouri cette partie excédante ; & lorsque l'animal aura répandu une suffisante quantité de sang, on lui lavera la bouche avec du vinaigre, du poivre & du sel, & on lui fera manger ensuite du son sec. Ces précautions réussissent toûjours, ainsi on peut envisager l'application du cautere comme une ressource consacrée plûtôt par l'usage que par la nécessité. (e)

FEVE, (Germe de) Manége, Maréchall. c'est ainsi que nous nommons l'espece de tache ou de marque noire que nous observons dans le milieu des douze dents antérieures des poulains, jusqu'à un certain tems ; des chevaux, jusqu'à ce qu'ils ayent rasé ; & de ceux qui sont béguts ou faux béguts, pendant toute leur vie. Voyez FAUX-MARQUE. (e)

FEVE, (Pêche) Comme les fêves procurent un des meilleurs appâts connus pour attraper le poisson, on peut indiquer ici la maniere dont les Anglois les préparent à ce dessein. Prenez un pot de terre neuf, vernissé en-dedans ; faites-y cuire dans de l'eau de riviere une certaine quantité de fêves (supposons quatre litrons de feves), qui auront été auparavant macérées dans de l'eau chaude pendant six heures. Lorsqu'elles seront à demi-cuites, ajoûtez-y quatre onces de miel & quatre grains de musc ; donnez au tout encore quelques bouillons ; & retirez votre pot du feu. Maintenant, pour employer votre amorce avec succès, choisissez un endroit clair, net & propre de là riviere, afin que le poisson puisse voir au fond de l'eau sa pâture : mettez dans cet endroit une douzaine de feves soir & matin pendant quelques jours. Dès que le poisson aura goûté de vos feves, il ne manquera pas d'accourir en foule dans le même lieu pour en rechercher de nouvelles, & pour lors il vous sera facile de prendre une grande quantité de ce poisson avec le filet qu'on nomme épervier. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FEVERSHAM(Géogr.) petite ville à marché d'Angleterre, avec titre de comté, dans la province de Kent, entre Cantorberi & Rochester, sur un petit golfe. Elle est remarquable dans l'histoire ecclésiastique d'Angleterre, par un monastere de l'abbaye de l'ordre de Clugny, que le roi Etienne y fonda, & où la reine sa femme, le prince Eustache son fils, & lui, furent inhumés. Voyez Rappin Thoyras, tome II. p. 140. Feversham est à 5 lieues E. de Rochester, 12 lieues de Londres. Longit. 18. 25. latit. 51. 19. (D.J.)


FEVRESS. m. pl. (Fontaines salantes) espece de maréchaux chargés de l'entretien des chaudieres, en leur fournissant les fers. Ils sont affectés aux salines par des finances payées au roi, ce qui n'est pas tout-à-fait du bien du service, parce qu'ils sont à couvert de la révocation. Au lieu de fers, on leur donne une somme fixe pour chaque remandure, avec une autre somme qui les indemnise des vieux fers. Il y a en tout deux fevres dans les salines de Moyenvic, qui avoient chacun deux demi-chaudieres ; mais on en a supprimé une, & il y a un de ces deux fevres qui n'a qu'une demi-chaudiere, inégalité qui cause de l'altercation. Les fevres ont un inspecteur.


FÉVRIERS. m. (Hist. rom.) c'est parmi nous, comme tout le monde le sait, le nom du second mois de l'année, à commencer par Janvier. Il n'a que 28 jours dans les années ordinaires, & 29 dans les bissextiles, à cause d'un jour intercalaire qu'on y ajoûte. Voyez BISSEXTILE.

On écrivoit autrefois febvrier, & cette orthographe approchoit davantage du mot latin februarius, à qui Festus donne les deux origines suivantes.

Februarius, dit-il, mensis dictus, quòd tum, id est extremo mense anni, populus februaretur, id est lustraretur, ac purgaretur. Cette étymologie paroît naturelle. Le peuple romain faisoit des sacrifices pendant les douze derniers jours de l'année, pour se purifier & pour demander aux dieux le repos des ames de ceux qui étoient décédés ; & comme ces sacrifices & ces purifications étoient appellés februa, on nomma le mois où l'on faisoit ces sacrifices & ces purifications februarius. Ovide assûre la même chose : tout ce qui servoit, dit-il, à nous purifier, étoit appellé februa par nos ancêtres ; d'où il conclut, mensis ab his dictus.

La seconde étymologie du mot février, peut venir, selon Festus, de ce que ce mois étoit consacré à Junon, que les Romains appelloient februata ou februalis ; c'est pourquoi ils l'honoroient d'un culte particulier pendant le mois de Février.

Enfin Ovide nous donne une derniere étymologie du mot februarius : elle peut encore venir, dit-il, de ce que dans ce mois on faisoit des sacrifices sur les tombeaux, & que par le moyen de ces solennités funebres, l'on purifioit le tems ; mais je m'en tiens toûjours à la premiere étymologie de Festus.

Le mois de Février n'étoit point dans le calendrier de Romulus ; il fut ajoûté par Numa Pompilius ; de là vient que dans les premiers siecles de Rome, Février étoit le dernier mois de l'année, comme il paroît par le passage de Festus, que nous avons cité. Février précéda Janvier jusqu'au tems où les Décemvirs ordonnerent qu'il deviendroit le second mois de l'année, & suivroit Janvier immédiatement.

Le Soleil, durant la plus grande partie de ce mois, parcourt le signe du Verseau, & vers la fin il entre au signe des Poissons. Voyez SIGNE. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FEZ(Géog.) royaume considérable de l'Afrique, sur la côte de Barbarie, enfermé entre le royaume d'Alger au levant, de Maroc au midi, & la mer partout ailleurs. Il fait une partie de l'ancienne Mauritanie Tangitane. Le pays est plein de montagnes, principalement vers le couchant & le midi, où est le mont-Atlas. Il est arrosé de plusieurs rivieres. On le divise en sept provinces. Il est bien peuplé, fertile, & abonde en grains, bestiaux, légumes, fruits & cire. Le fleuve de Sébou le traverse, & va se décharger par la Mancmore dans l'Océan. Ce royaume a eu autrefois ses rois particuliers ; mais il est à présent uni à celui de Maroc, & n'a qu'un même souverain, qui fait sa résidence à Miquenez. Il ne faut pas confondre le royaume de Fez avec la province de Fez, qui n'en fait qu'une partie, & dont la fertilité est prodigieuse. Voyez S. Olon, état de l'empire de Maroc ; Marmol, Moüette, histoire du royaume de Maroc ; de la Croix, hist. de l'Afrique ; histoire des Chérifs par Diégo de Torrès, & autres. (D.J.)

FEZ, (Géog.) ville assez forte, & l'une des plus belles d'Afrique, dans la province & sur la riviere de même nom, en Barbarie, capitale du royaume de Fez. Elle est composée comme de trois villes ; elle a des mosquées magnifiques, & plusieurs écoles de la secte de Mahomet, où l'on apprend pour toute science l'arabe de l'alcoran. Les Juifs y sont en grand nombre, & y ont des synagogues. Il y a un muphti. Les dames riches y portent des chaînes d'or & d'argent autour de leurs jambes. Fez est à cent lieues sud-est de Maroc, trente-cinq sud de Salé. Longit. selon les tables arabiques 18. & lat. 32. 3. mais, selon Harris, la long. est 11. 34. 45. lat. 33. 10. 0. Voyez les auteurs cités ci-dessus.

Je parcourois pour faire cet art. (le 2 Janv. 1756) ce que quelques géographes rapportent de la ville de Fez, de sa disposition, de son étendue, de ses mosquées, des synagogues que les Juifs ont dans cette capitale, &c. lorsqu'on m'a communiqué copie d'une lettre des missionnaires de saint François établis en Barbarie. Cette lettre maintenant imprimée, raconte entr'autres détails des ravages causés en Afrique par le tremblement de terre du 1, 18 & 19 Novembre 1755, que la plus grande partie de la ville de Fez en a été renversée, qu'il y a péri trois mille personnes, que Miquenez a été entierement détruite, & qu'un corps de cavalerie de mille hommes a été englouti par ce même tremblement.

Je ne prétends point révoquer en doute tous les effets extraordinaires qu'a pû produire ce singulier phénomene de la nature sur une partie de notre globe : comme il y a une sotte simplicité qui croit tout, il y a de même une sotte présomption, qui rejette tout ce qui ne frappe pas communément nos yeux ; mais je dis que plus le tremblement de terre dont il s'agit, est unique dans l'histoire du monde, plus on doit se défier de la fidélité des relations qu'on en a répandues de toutes parts principalement de celles qui nous viennent des pays éloignés ; ces relations sont toujours suspectes par le petit nombre d'observateurs incapables de nous tromper, ou d'être trompés eux-mêmes. Si l'on fait mille faux rapports des événemens les plus communs, que doit-ce être dans les cas affreux où tous les esprits sont glacés d'effroi ? Voyez donc TREMBLEMENT DE TERRE. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FIACRES. m. (Police) c'est ainsi qu'on appelle tous les carosses de place ; ce nom leur vient de l'image de saint Fiacre, enseigne d'un logis de la rue saint Antoine où on loüa les premieres voitures publiques de cette espece. Elles ont toujours été si mauvaises & si mal entretenues, qu'on a donné par mépris le nom de fiacre à tout mauvais équipage. Il seroit aisé de remédier à cet inconvénient, qui, à ce qu'on assûre n'a pas lieu à Londres. En revanche, la police de nos fiacres est très-bien entendue ; il y a au derriere des numeros & des lettres, qui indiquent la voiture dont on s'est servi : & l'on peut toûjours la retrouver, soit qu'on ait été insulté par le cocher de place, (ce qui n'arrive que trop souvent,) soit qu'on ait oublié quelque chose dans la voiture. Les fiacres sont même obligés de déclarer, sous peine afflictive, ce qu'ils y ont trouvé. On leur doit en course dans la ville, vingt-cinq sous pour la premiere heure & vingt sous pour les autres.


FIANÇAILLESS. f. pl. (Hist. anc. & mod.) Promesse réciproque de mariage futur qui se fait en face d'église. Mais en général ce mot désigne les cérémonies qui se pratiquent solennellement avant la célébration du mariage, & où les deux personnes qui doivent s'épouser, se promettent mutuellement de se prendre pour mari & pour femme.

Le terme de fiancer, despondere, est ancien ; il signifioit promettre, engager sa foi, comme dans le roman de la Rose : & promets, & fiance, & jure. Et dans l'histoire de Bertrand du Guesclin : " au partir, lui & ses gens prindrent quatre chevaliers anglois, qui fiancerent de la main, lesquels se rendirent tant seulement à Bertrand ". Enfin il est dit dans les grandes chroniques de France, que Clotilde ayant recommandé le secret à Aurélien " il lui jura & fiança, que james onc ne le sçauroit. " Nous avons conservé ce terme fiancé, d'où nous avons fait fiançailles, pour exprimer l'engagement que l'on contracte avant que d'épouser. Les latins ont employé les mots spondeo, sponsalia, dans le même sens. Plaute s'en est servi plusieurs fois : on lit dans l'Aululaire :

M. Quid nunc etiam despondes mihi filiam ? E. Illis legibus, cum illâ dote quam tibi dixi. M. Spondere ergo. E. Spondeo.

De même, Térence, dans sa premiere scène de l'Andrienne :

Hâc famâ impulsus Chremes

Ultrò ad me venit, unicam gnatam suam

Cum dote summâ filio uxorem ut dares :

Placuit, despondi, hic nuptiis dictus est dies.

Les fiançailles sont presque aussi anciennes que le mariage ; elles ont été de tout tems des préliminaires d'une union si importante dans la société civile ; & quoiqu'il semble que M. Fleury ait crû que les mariages des Israélites n'étoient accompagnés d'aucune cérémonie de religion, il paroît par les exemples qu'il cite, que le mariage étoit précédé ou par des présens, ou par des démarches, que l'on peut regarder comme des fiançailles, dont la forme a changé dans la suite selon le génie des peuples ; en effet l'écriture remarque dans le chap. xxjv. de la Genèse, que " Laban & Batuel ayant consenti au mariage de Rebecca avec Isaac, le serviteur d'Abraham se prosterna contre terre, & adora le Seigneur ; il tira ensuite des vases d'or & d'argent, & de riches vêtemens, dont il fit présent à Rebecca ; & il donna aussi des présens à ses freres, & à sa mere ; ils firent ensuite le festin ; ils mangerent & burent ce jour-là. " N'est-ce pas là ce que nous appellons fiançailles ?

Le mariage du jeune Tobie est encore une preuve de l'ancienneté des fiançailles ; on lit dans le chap. vij. que " Raguel prit la main droite de sa fille, la mit dans la main droite de Tobie, & lui dit : que le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, & le Dieu de Jacob soit avec vous ; que lui-même vous unisse, & qu'il accomplisse sa bénédiction en vous ; & ayant pris du papier, ils dresserent le contrat de mariage ; après cela ils firent le festin en bénissant Dieu. "

Nous pratiquons encore aujourd'hui la même chose ; l'on s'engage l'un à l'autre, en se donnant la main ; on écrit les conventions, & souvent la cérémonie finit par un festin : les successeurs des premiers hommes dont il est parlé, ont suivi leur exemple par une tradition subsistante encore parmi ceux qui professent le Judaïsme.

Selden en a recueilli les preuves, & a même rapporté dans le ch. du deuxieme livre de son traité, intitulé, uxor hebraïca, la formule du contrat de fiançailles des Juifs ; l'on ne peut guere douter que les autres nations n'ayent fait précéder la solennité du mariage par des fiançailles ; plusieurs auteurs en ont publié des traités exprès, où l'on trouvera un détail historique des particularités observées dans cette premiere fête nuptiale.

Mais nous allons laisser les cérémonies des fiançailles du paganisme & du judaïsme, pour dire un mot de leur usage parmi les chrétiens.

L'église greque & l'église latine ont eu des sentimens différens sur la nature des fiançailles, & sur les effets qu'elles doivent produire. L'empereur Alexis Comnene fit une loi, par laquelle il donnoit aux fiançailles la même force qu'au mariage électif ; ensorte que sur ce principe, les peres du sixieme concile tenu in Trullo, l'an 98, déclarerent que celui qui épouseroit une fille fiancée à un autre, seroit puni comme adultere, si le fiancé vivoit dans le tems du mariage.

Cette décision du concile parut injuste à plusieurs personnes ; les uns disoient (au rapport de Balsamon) que la fille fiancée n'étant point sous la puissance de son fiancé, celui qui l'épousoit ne pouvoit être accusé ni d'adultere, ni même de fornication : les autres trouvoient injuste de punir le mari, qui pouvoit même être dans la bonne-foi, & ignorer les fiançailles de sa femme, & de ne prononcer aucune peine contre cette femme, dont la faute ne pouvoit être justifiée par aucune raison : mais pour éviter cet inconvénient, les Grecs ne mirent point d'intervalle entre les fiançailles & le mariage ; ils accomplissoient l'un & l'autre dans le même jour.

L'église latine a toujours regardé les fiançailles comme de simples promesses de s'unir par le mariage contracté selon les loix de l'église : & quoiqu'elles ayent été autorisées par la présence d'un prêtre, elles ne sont pas indissolubles. C'est donc une maxime certaine dans tous les tribunaux, que fille fiancée n'est pas mariée, & que par conséquent elle peut disposer de sa personne & de son bien, pendant les fiançailles, sans blesser la foi conjugale, & sans avoir besoin de l'autorité de son fiancé, parce qu'enfin elle n'est point sa femme, & il n'est point son mari. Elle est si peu sa femme, que s'il vient à décéder avant la célébration du mariage, & qu'elle se trouve grosse du fait de son fiancé, elle ne peut prendre la qualité de veuve, ni l'enfant être censé légitime, & habile à succéder. Dict. de Richelet, édit de Lyon, enrichie des notes de M. Aubert.

Aussi la donation faite par un fiancé à sa fiancée entre le contrat de mariage & la consommation, est nulle, & la répétition des présens a lieu, lorsque les nôces ne s'ensuivent point. Il y a ce me semble beaucoup d'équité dans un passage de l'alcoran sur ce sujet ; il dit que si le fiancé répudie sa fiancée avant la consommation du mariage, elle peut garder la moitié des présens qu'il lui avoit faits, si le fiancé ne veut pas les lui laisser tout entiers.

Nous ne passons point en revûe toutes les diversités d'usages qui se sont succédés dans la célébration des fiançailles, tant en France qu'ailleurs, c'est assez de remarquer ici, qu'autrefois dans notre royaume on ne marioit les grands, comme les petits, qu'à la porte de l'église. En 1559, lorsqu'Elisabeth de France, fille d'Henri II, épousa Philippe II roi d'Espagne, Eustache de Bellay, évêque de Paris, alla à la porte de Notre-Dame & se fit (pour me servir des termes du cérémonial françois) la célébration des fiançailles audit portail, selon la coûtume de notre mere sainte Eglise. Quand le cardinal de Bourbon eut fiancé au Louvre en 1572 Henri de Bourbon roi de Navarre, & Marguerite de Valois, il les épousa sur un échafaud, posé pareillement devant Notre-Dame ; la discipline est différente à cet égard aujourd'hui ; c'est dans l'église que se fait la célébration des fiançailles, ainsi que du sacrement de mariage. Article de M(D.J.)

FIANÇAILLES, (Jurispr.) du latin fido, qui signifie se fier à quelqu'un, sont les promesses de mariage futur que deux personnes font publiquement & en face de l'Eglise, qui reçoit ces promesses & les autorise.

Elles sont de bienséance, & non de nécessité.

Elles se peuvent contracter par toutes sortes de personnes qui peuvent exprimer leur volonté & leur consentement, c'est-à-dire saines d'entendement, & âgées de sept ans au moins, & du consentement de ceux qui les ont en leur puissance, & entre personnes qui pourroient contracter mariage ensemble, lorsqu'elles seront en âge ; de sorte que s'il y a quelque autre empêchement au mariage, les fiançailles ne sont pas valables.

L'usage des fiançailles est fort ancien. Il en est parlé dans le digeste, au titre de sponsalibus ; dans le code théodosien, dans celui de Justinien, dans le decret de Gratien & les decrétales, & dans les novelles 18, 93, & 109 de l'empereur Léon.

Cet usage a été introduit, afin que les futurs conjoints s'assûrent de leurs dispositions mutuelles, par rapport au mariage, avant de se présenter pour recevoir la bénédiction nuptiale ; & afin qu'ils ne s'engagent pas avec trop de précipitation, dans une société dont les suites ne peuvent être que très fâcheuses, quand les esprits sont mal assortis.

Il y avoit autrefois des fiançailles par paroles de présent appellées sponsalia de praesenti, qui ne différoient du mariage qu'en ce qu'elles n'étoient point accompagnées de la bénédiction sacerdotale : mais ces sortes de fiançailles ont été entierement défendues par l'article 44 de l'ordonnance de Blois, comme le concile de Trente l'avoit déjà fait, ordonnant que aucuns mariages ne seroient valables, qu'ils ne fussent précédés de publication de bans, & faits en présence du propre curé, ou autre par lui commis, & des témoins : ensorte qu'il n'y a plus d'autres fiançailles valables, que celles appellées en droit sponsalia de futuro c'est-à-dire la promesse de se prendre pour mari & femme.

L'effet des fiançailles est :

1°. Qu'elles produisent une obligation réciproque de contracter mariage ensemble : mais si l'un des fiancés refuse d'accomplir sa promesse, le juge d'église ni le juge laïc ne peuvent pas l'y contraindre, & l'obligation se résout en dommages & intérêts, sur lesquels le juge laïc peut seul statuer, & non le juge d'église. Ces dommages & intérêts s'estiment, eu égard au préjudice réel que l'autre fiancé a pû souffrir, & non pas eu égard à l'avantage qu'il peut perdre.

2°. Il se forme par les fiançailles une espece d'affinité réciproque, appellée en droit canon justitia publicae honestatis, entre chacun des fiancés & les parens de l'autre ; de maniere que les parens du fiancé ne peuvent pas épouser la fiancée ; & vice versâ, les parentes de la fiancée ne peuvent pas épouser le fiancé : mais le concile de Trente a restraint cet empêchement au premier degré, & a décidé que cette affinité, & conséquemment que l'empêchement qui en résulte, n'ont point lieu lorsque les fiançailles sont nulles.

La fiancée n'est point en la puissance du fiancé, & conséquemment elle n'a pas besoin de son autorisation, soit pour contracter avec lui ou avec quelqu'autre, soit pour ester en jugement.

Les fiancés peuvent se faire toutes sortes d'avantages permis par les lois, & qui sont seulement défendus aux conjoints, pourvû que ce soit par contrat de mariage, ou que l'acte soit fait en présence de tous les parens qui ont assisté au contrat.

L'engagement résultant des fiançailles peut être résolu de plusieurs manieres :

1°. Par le consentement mutuel des parties.

2°. Par la longue absence de l'un des fiancés ; mais si le fiancé s'absente pour une cause nécessaire, & que ce soit dans la même province, la fiancée doit attendre deux ans ; & si c'est dans une autre province, trois ans.

3°. Par la profession monastique des fiancés, ou de l'un d'eux ; mais le simple voeu de chasteté ne dissout pas les fiançailles.

4°. Lorsque le fiancé prend les ordres sacrés.

5°. Si l'un des deux fiancés contracte mariage avec une autre personne ; auquel cas il ne reste à l'autre fiancé que l'action en dommages & intérêts, supposé qu'il y ait lieu.

6°. Par la fornication commise par l'un des fiancés, ou par tous les deux, avec une autre personne depuis les fiançailles, & même auparavant, si c'est de la part de la fiancée, & que le fiancé n'en eût pas connoissance lors des fiançailles. Voyez Fevret, traité de l'abus, lib. V. ch. j. n. 12.

Il faut encore observer à cet égard, que si c'est la fiancée qui commet une telle faute, elle peut être accusée d'adultere, parce que les fiançailles sont l'image du mariage. L. si uxor §. divus, & l. penult. ff. ad leg. jul. de adult.

Si c'est le fiancé qui a abusé sa fiancée, il doit être puni, poena stupri, quoique la fiancée fût proche de l'âge de puberté, & qu'elle ait consenti à ses desirs : mais s'il y a eu de la violence de la part du fiancé, il doit être puni comme ravisseur. Voyez Franc. Marc. part. II. quest. 70. Chorier ; jurisprud. de Guipape, pag. 270.

La seule jactance publique vraie ou fausse de la part du fiancé d'avoir eu commerce avec sa fiancée, est un moyen pour rompre les fiançailles.

Si le fiancé a rendu sa fiancée enceinte, & qu'il décede avant le mariage, la fiancée ne peut se dire sa veuve, & l'enfant qui en provient n'est point censé légitime, ni habile à succéder. D'Olive, act. for. part. III. act. 13.

7°. Si l'un des fiancés avoit quelque vice considérable, dont l'autre n'avoit pas connoissance lors des fiançailles, c'est encore un moyen de dissolution. Par exemple, si la fiancée apprend que son fiancé est totalement adonné au vin, ou qu'il soit brutal & violent à l'excès ; ou si l'un des fiancés apprend que l'autre ait en lui quelque cause d'impuissance, soit qu'elle ait précédé ou suivi les fiançailles.

8°. Si l'un des fiancés étoit sujet au mal caduc, ou à quelque infirmité considérable, dont l'autre n'eût pas connoissance.

9°. Si depuis les fiançailles il étoit survenu à l'un des fiancés quelque difformité considérable ; comme s'il avoit perdu la vûe, ou seulement un oeil, s'il étoit estropié de quelque membre.

10°. L'infamie survenue.

Les dons & avantages faits de part & autre entre fiancés en contemplation du futur mariage, ne sont point réalisés par les fiançailles, si le mariage ne suit pas.

La loi si à sponso, cod. de donat. ant. nupt. décide que le fiancé venant à décéder post osculum, c'est-à-dire après le baiser que la fiancée lui accorde ordinairement, elle est bien fondée à retenir la moitié des bagues & joyaux, & autres choses qu'elle a reçûs de son fiancé. Le motif de cette loi étoit, que osculo delibata censebatur virginitas. Mais en France où ces sortes de baisers ne sont considérés que comme une simple civilité, la fiancée en pareil cas n'est point en droit de rien retenir ; & Godefroi, Mornac, Loüet, & Automne, disent que cette loi n'est point suivie en France.

M. de Catelan rapporte cependant. l. W. ch. ij. un arrêt du parlement de Toulouse du 11 Avril 1656, qui permit à la fiancée de garder des habits & linge que son fiancé lui avoit donnés ; mais on l'obligea de rapporter les perles, les diamans, & l'argent, & des habits qu'elle avoit retirés du tailleur depuis le décès du fiancé. Voyez ONSELAGE.

Voyez Cujas, ad cap. j. de sponsalibus ; Florent, de sponsal. pag. 114 ; Cironius, in paratit. Covarruvias, de sponsal. Franc. Marc. tom. II. quest. 709 ; Papon, liv. XXII. tit. vj. n. 6. Louet, lett. F, n°. 18. Cambolas, liv. V. ch. xvij. (A)


FIARNAUXS. m. pl. (Hist. mod.) M. Vertot dit, dans ses statuts de l'ordre de Malthe, qu'on appelloit ainsi, durant les guerres de la palestine, les chevaliers qui arrivoient dans cette contrée, d'au-delà de la mer ; & polans, ceux qui y avoient pris naissance. Les fiarnaux sont maintenant dans le même ordre, les derniers ou nouveaux profès.


FIASCONÉ(Géog.) ou MONTE-FIASCONE, Faliscorum mons ; petite ville d'Italie dans l'état de l'Eglise, avec un évêché qui ne releve que du pape, remarquable par ses bons vins muscats. Elle est sur une montagne proche du lac de Bolsena, à 5 lieues N. E. de Viterbe. Longit. 29d. 40'. latit. 4d. 34'. (D.J.)


FIASQUES. m. (Com.) en italien fiasco, mesure des liqueurs dont on se sert en quelques villes d'Italie : elle revient à-peu-près à la bouteille ou pinte de Paris. A Florence, vingt fiasques font le barril, & soixante fiasques le star ou staro. Voyez BARRIL, STAR, PINTE, MESURE. Dict. de Comm. de Trév. & Chamb.


FIATS. m. (Jurispr.) en matiere bénéficiale signifie une réponse du pape à la supplique qui lui est présentée pour avoir sa signature : cette réponse se met entre la supplique & les clauses ; elle est conçue en ces termes, fiat ut petitur. Ces mots sont écrits de la main du pape, lequel y ajoûte la lettre initiale du nom qu'il portoit avant d'être pape.

Pour mieux entendre quel est l'usage du fiat, il faut observer qu'il se fait deux sortes d'expéditions en cour de Rome.

Les unes regardées comme matieres ordinaires, lesquelles sont signées par le préfet de la signature de grace qui y met le concessum, c'est-à-dire la réponse ; il écrit entre la supplique & les clauses, ces mots concessum ut petitur, & il signe.

Les autres signatures ou expéditions de cour de Rome qui portent quelque dispense importante, les provisions des dignités in cathedrali vel collegiali, celles des prieurés conventuels, des canonicats in cathedrali, doivent être signées par le pape : c'est ce que l'on appelle passer par le fiat. Cette réponse du pape tient la place du concessum dans les autres signatures.

Suivant les regles de la chancellerie romaine, en concurrence de deux provisions du même jour, l'une expédiée par la voie du fiat, l'autre par concessum ; la premiere est préférée, le préfet qui donne le concessum n'étant à l'égard du pape, que ce que le grand vicaire est à l'égard de l'évêque. Mais la distinction du fiat d'avec le concessum, n'est pas reçûe dans ce royaume ? le concessum y a la même autorité que le fiat. Voyez le traité somm. de l'usage de cour de Rome, tom. I. pag. 320. & suiv. avec les remarques. (A)


FIATOLES. f. (Hist. nat. Ichthiol.) fiatola, poisson de mer fort commun à Rome ; il a le dos & les côtés de couleur bleue, le ventre blanc, & les levres rouges ; il est presque rond & applati. On voit aussi à Rome un autre poisson, auquel on donne le nom de fiatola, parce qu'il ressemble au précédent pour la figure : c'est le stromateus des anciens ; il ne differe de la saupe, qu'en ce que les bandes de couleur d'or qui sont sur son corps, ne s'étendent pas jusqu'à la queue. Rondelet, hist. des poissons, l. VIII. chap. xx. & liv. V. chap. xxiij. Voyez POISSON. (I)


FIBRE LIGNEUSES. f. (Bot.) on nomme, en Botanique, fibre ligneuse, les vaisseaux fibreux destinés principalement à conduire le suc nourricier dans toutes les parties de la plante ; mais on distingue dans les arbres & les arbrisseaux les fibres ligneuses de l'écorce, d'avec celles du bois, quoique leur composition soit à-peu-près la même.

Les fibres ligneuses de l'écorce sont certains corps tubulaires ; composés de quantité d'autres fibres qui communiquent ensemble ; ils sont ramassés pour l'ordinaire en paquets ou faisceaux, qui en s'étendant & se séparant les uns des autres, forment une espece de tunique réticulaire qui embrasse le bois. M. Grew les appelle des conduits lymphatiques, parce qu'ils contiennent un fluide aqueux, lympide, & pour l'ordinaire sans saveur.

Les fibres ligneuses du bois sont les mêmes que dans l'écorce ; avec cette différence seulement, que si l'on coupe le tronc en-travers, la seve découle de celles de l'écorce, & rarement de celles du bois ; elles forment la plus considérable partie du bois, & servent à le rendre plus fort & plus compact.

Les fibres ligneuses semblent être aux plantes ce que les fibres osseuses sont aux animaux. D'habiles gens prétendent que c'est sur-tout par les fibres ligneuses de la racine, que le suc nourricier s'éleve dans la plante, & que c'est à leur extrémité que sont les principales bouches qui donnent entrée dans l'intérieur : mais quoique cette hypothèse soit vraisemblable à l'égard de plusieurs plantes, il est absolument besoin de l'établir par des expériences, parce qu'il n'appartient qu'aux expériences de consacrer les hypotheses. Article de M(D.J.)

FIBRE, (Anat.) on en distingue d'osseuses, de nerveuses, ligamenteuses, &c. mais celle qui a le plus occupé les Anatomistes méchaniciens, c'est la fibre musculaire.

Borelli observa dans les fibres musculaires, une substance spongieuse (peut-être analogue à celle qu'on trouve dans les tuyaux de plume) ; il en conclut que ces fibres étoient creuses, conjecture qui a été presque généralement adoptée. Mais comme ces fibres devenoient par-là des membranes roulées, il restoit à déterminer quels plis recevoient les filamens de ces membranes dans le mouvement des muscles. On suppose qu'alors les fibrilles transversales qui forment dans l'état de repos des réseaux lâches & paralleles autour des grosses fibres, se tendent, resserrent ces fibres en différens points, & y produisent des vésicules qu'enflent les esprits animaux.

Rien n'est plus incertain que la courbure des fibres de ces vésicules. Si on n'a égard qu'à l'action des esprits animaux, on trouvera toûjours (à cause de la pression perpendiculaire des fluides) que dans chaque point le rayon du cercle osculateur est en raison réciproque de la pression du fluide en ce même point ; comme l'ont démontré M. Jean Bernoulli, chap. xvj. de sa théorie de la manoeuvre des vaisseaux ; & après lui M. Michelotti, p. 60-1. de sa dissertation de separatione fluidorum. Mais si l'on a aussi égard à la pesanteur des molécules de la fibre musculaire, les vésicules prendront toutes les courbures comprises sous l'équation générale des courbes produites par deux puissances, dont l'une est perpendiculaire à la courbe, & l'autre toûjours parallele à une ligne donnée quelconque ; équation que M. Daniel Bernoulli a donnée dans le t. III. des mémoires de Petersbourg. Je ne parle point encore de l'extensibilité de la fibre musculaire.

On éluderoit ces difficultés, si l'on pouvoit démontrer la supposition sur laquelle raisonne M. Mead dans son mémoire sur le mouvement musculaire, imprimé à la tête de la Myotomia reformata de Cowper. M. Mead, ou plûtôt M. Pemberton, prétend que la courbe qui convient aux fibres des vésicules musculaires, est entre les courbes isopérimetres, celle dont la révolution autour de son axe produit le plus grand solide. Il détermine cette courbe par les quadratures d'aires curvilignes, suivant la méthode de M. Newton ; mais il ne dit point que cette courbe est l'Elastique, ce que M. Jacques Bernoulli avoit démontré long-tems auparavant. Voyez ELASTIQUE. Ce silence est d'autant plus surprenant, que la construction que donne M. Pemberton de la courbe isopérimetre cherchée, est absolument la même que celle de la lintearia qu'il a pû voir dans la phoronomie d'Herman, liv. II. pag. 167-8 : mais cette construction même suppose les démonstrations de M. Bernoulli.

M. Daniel Bernoulli (mém. acad. de Petersbourg, tom. I. pag. 306.) croit aussi que chaque filament du petit cylindre creux ; qui forme une fibre musculaire, se courbe en élastique : mais comme on ne peut déterminer la rectification de cette courbe, & le solide formé par sa révolution autour de son axe, que par des approximations pénibles, M. Daniel Bernoulli lui substitue une parabole, dont le parametre est fort grand, & les branches de côté & d'autre du sommet, fort petites.

M. Jean Bernoulli, qui a le premier appliqué les nouveaux calculs à la recherche de la courbure des fibres de la vésicule musculaire, a pensé avec beaucoup de vraisemblance que cette courbure est circulaire.

Lorsque le mouvement du muscle cesse, quelle est la direction des filamens qui composent une fibre musculaire, creuse cylindrique ? M. le marquis Poleni répond, & tous les auteurs paroissent l'avoir supposé, que ces filamens reprennent leur premiere longueur, & se couchent les uns sur les autres en ligne droite. Voyez sa lettre de causâ motûs musculorum, à l'abbé Guido Grandi, p. 5.

Il semble que ces auteurs n'ont pas fait assez d'attention au mouvement tonique des fibres, que d'autres physiologistes ont très-bien distingué de leur mouvement musculaire. Ce mouvement tonique suppose un influx continuel des esprits animaux, qui les fait passer librement & successivement d'une vésicule dans une autre, lorsque les fibrilles transversales sont relâchées ; on voit que la courbure des filamens des vésicules est alors la même que la courbure de la voile, ou la chaînette. Voyez CHAINETTE.

On sait qu'entre toutes les surfaces égales produites par la révolution des courbes quelconques, la chaînette est celle qui a la moindre périmétrie. L'avantage de cette courbure est donc de rassembler sous la surface donnée d'un muscle en repos, le plus grand nombre possible de machines musculaires.

S'il est quelque sujet dans la Physiologie qu'on puisse ramener à la nouvelle Géométrie, c'est assûrément celui-ci, sur-tout après les théories de MM. Bernoulli. Par l'incertitude attachée à cette recherche, qu'on juge du succès des autres applications du calcul pour éclaircir les points importans de l'économie animale. Voyez APPLICATION de la Géométrie à la Physique. (g)

FIBRE, (Economie anim. Medecine.) On entend en général par fibres, dans la physique du corps animal, & par conséquent du corps humain, les filamens les plus simples qui entrent dans la composition, la structure des parties solides dont il est formé.

Les anciens ne sont jamais entrés dans un si grand détail sur cette composition, ils ne cherchoient pas à y voir au-delà de ce qu'ils pouvoient découvrir à l'aide des sens ; ils n'avoient pas même poussé bien loin leurs recherches par ce moyen ; ils étoient par conséquent bien éloignés d'employer le raisonnement analytique pour parvenir à se faire une idée des parties élémentaires du corps humain qu'on appelle fibres ; ils faisoient pourtant usage de ce mot. Les auteurs grecs qui ont écrit touchant les plantes, ont appellé de ce nom les nerfs ou les filets qui paroissent au dos des feuilles, & les filamens qui sont à l'extrémité des racines. Ceux qui ont traité de la composition des parties des animaux, ont nommé de mêmes les filets qui sont dans les chairs & en d'autres parties : c'est ce qu'ils expriment par le mot grec , dont le pluriel est , que les Latins ont rendu par celui de fibra, par lequel on prétend qu'Hippocrate ait marqué également un fibre & un nerf. Personne ne nie qu'il n'ait aussi employé le mot fibre pour signifier un filet charnu ; il a même fait mention des fibres qui sont dans le sang, lib. de carn. & princip. & lib. II. de morb. Voyez SANG. Galien, lib. V. de usu part. regarde aussi les fibres comme des filets déliés & subtils qui entrent dans la composition des nerfs, des ligamens, des muscles ; mais il n'avoit même point d'idée des filamens élémentaires, non plus que tous les auteurs qui l'ont suivi, jusqu'au siecle dernier, où l'Anatomie perfectionnée a poussé la décomposition du corps animal jusqu'à ses parties les plus simples par la pénétration de l'esprit, pour suppléer à la grossiereté à cet égard de tous les instrumens possibles.

On se représente donc aujourd'hui ces fibres animales comme des filamens d'une petitesse indéfinie par rapport à leur largeur & leur épaisseur, & d'une étendue différente, selon les différentes parties à qui elles appartiennent. On conçoit qu'elles sont comme un assemblage de particules élémentaires, unies l'une à l'autre selon la direction d'une ligne. C'est conséquemment ce que l'on ne peut savoir que par le raisonnement, l'expérience apprenant seulement que les chairs, les os, &c. peuvent être divisés plus ou moins aisément en parties linéaires extrèmement déliées, & qu'il n'est aucun organe qui n'en soit composé. L'insuffisance de nos instrumens, & même de nos sens, ne nous permet pas de parvenir à les diviser méchaniquement jusqu'à leurs élémens. Ce qui va être exposé sur les fibres élémentaires, ne peut par conséquent être présenté que comme une suite de conjectures ; mais outre que les conjectures deviennent des raisons, quand elles sont les plus probables qu'on puisse tirer de la nature des choses, & les seuls moyens qu'on puisse avoir de découvrir la vérité, les conséquences que l'on se propose de déduire de celles qui suivent, ne seront point pour cela conjecturales, puisque sur les principes qui seront établis, il ne paroît pas que l'on puisse former aucun autre système sur ce sujet, qui ne fournisse les mêmes résultats, & dont on ne puisse tirer les mêmes conclusions.

Généralités physiques : principes des fibres. Ce n'est donc aussi que par le raisonnement que l'on peut savoir que chaque partie élémentaire proprement dite des fibres, considérée séparément, est formée de particules de matiere unies entr'elles d'un lien indissoluble ; qu'elle est immuable ; qu'aucun agent dans la nature ne peut lui causer aucune altération, soit pour sa forme intrinseque, soit pour sa figure, soit pour la cohésion des particules dont elle est formée : c'est la conséquence qu'on peut tirer de la face constante de l'Univers, qui est toûjours la même, & qui ne présente jamais des corps essentiellement nouveaux, mais seulement des combinaisons variées de la matiere élémentaire, absolument toûjours la même en qualité, en quantité, & seulement différente respectivement aux différens aggrégats qui en sont formés par les puissances de la nature ou par celles de l'art.

Les atomes ou principes de la matiere qui constituent les corps, de quelque genre que ce soit, sont donc de vrais solides d'une dureté à toute épreuve, & vraisemblablement d'une densité égale entr'eux, qui ne different que par la forme extérieure & par le volume, ou seulement par les différentes manieres d'être unis & mêlés entr'eux. Ce sont les seuls solides parfaits qui résistent à la division de leurs parties avec une force insurmontable, puisqu'il n'est aucun corps composé qui oppose une pareille résistance. Ils sont véritablement tels, étant considérés séparément ; mais assemblés en masse, la différente maniere dont ils le sont, forme la différence qui constitue la solidité ou la fluidité dans les masses qui résultent de l'assemblage ; & ces deux qualités des corps composés varient même indéfiniment chacune en particulier, par les différentes combinaisons qui les déterminent : ensorte que le passage de la solidité à la fluidité se fait pour ainsi dire par une infinité de nuances graduées imperceptiblement ; d'où résulte par conséquent une infinité, ou, pour parler plus exactement, une indéfinité de sortes de corps, tant solides que fluides. La différence essentielle de ces deux genres de corps ne consiste cependant qu'en ce que dans les solides la force de cohésion oppose une résistance toûjours bien sensible, quoique plus ou moins, à la division de leurs parties ; & dans les fluides cette résistance ne se fait point ou presque point sentir. Les contacts entre les élémens des corps, ou entre les petites masses de ces élémens, par des surfaces d'une étendue plus ou moins considérable, qualité à laquelle est attachée la force de cohésion (voyez COHESION), forment la solidité. Les contacts par des points seulement, en plus ou moins petit nombre, mais toûjours si bornés qu'ils ne donnent presque point ou très-peu de prise à la force de cohésion, forment la fluidité : de-là toute la différence des corps entr'eux, c'est-à-dire des corps solides comparés aux fluides, des solides comparés entr'eux, & des fluides aussi comparés les uns aux autres.

Le solide le plus simple est donc celui que l'on peut se représenter composé d'un certain nombre d'élémens, c'est-à-dire de corpuscules séparément indivisibles assemblés, de maniere qu'après leur union ils résistent sensiblement, par quelque cause que ce soit, à la force qui tendoit à les séparer. Ces corpuscules, qui sont du genre des corps que l'on peut concevoir comme constituant chacun séparément un solide parfait, qui sont par conséquent, comme il a été dit, les seuls dans la nature qui résistent avec une force insurmontable à la division de leur matiere propre ; ces corpuscules ou atomes qui n'appartenoient auparavant ni à un aggrégé solide, ni à un aggrégé fluide, forment par l'assemblage qui vient d'être supposé, un aggrégé du premier genre. Cette connexion, quoique très-simple, fait toute la différence entre les solides & les fluides. Elle manque dans ceux-ci, parce que leurs parties élémentaires n'opposent point de résistance à celles du feu qui pénetrent tous les corps, & tendent à détruire toute consistance. On peut regarder l'état des fluides comme un état de fusion, au lieu que la force de cohésion entre les parties intégrantes des solides, est supérieure à la force desunissante du plus actif des élémens ; par conséquent la connexion subsiste tant qu'il n'y a pas excès de cette force-ci sur celle-là. C'est ainsi que la cire, qui a tous les caracteres de la solidité en hyver, devient presque fluide par l'augmentation de l'action du feu universel en été ; & au contraire l'eau, qui est presque toûjours sous forme fluide, devient un corps solide par une grande diminution de cette action. Voyez GLACE.

Il est cependant à-propos d'observer ici qu'il y a quelque différence dans la signification des termes de solide & de fluide, par rapport à l'économie animale. Les Physiologistes ne les adoptent pas dans le sens absolu qui vient d'être établi ; ainsi, selon eux, pour qu'une partie du corps humain soit regardée comme solide, il suffit qu'elle ait assez de force de cohésion pour éprouver sans solution de continuité, les allongemens, les distensions, les efforts répetés qui résultent des différens mouvemens, tant ordinaires qu'extraordinaires, en quoi consistent les actions de la vie saine, & même lésée, proportionnées à la constitution naturelle du sujet dans lequel elles s'exercent, ensorte que cette cohésion soit supérieure à tout ce qui tend à la détruire par un effet nécessaire de ces actions. Les parties fluides propres au corps animal, sont composées de molécules qui n'ont presque point d'adhérence entr'elles, qui sont séparables & mobiles en tous sens, mais seulement par accident, c'est-à-dire entant qu'elles sont suffisamment agitées par les mouvemens des organes qui les contiennent ; sans quoi elles cesseroient d'avoir ces qualités.

Il suit de ces principes posés, que dans l'embryon (qui, aux yeux du physicien dans les premiers tems après la génération, ne paroît être pour ainsi dire qu'une goutte de liquide, qui en a les caracteres, selon lui, par le peu de cohésion de ses parties, le peu de résistance qu'elles opposent à leur division), le physiologiste conçoit, par le raisonnement & par analogie, des parties assez solides pour contenir des fluides, pour les mettre en mouvement, & résister aux efforts de ce mouvement ; assez liées entr'elles pour former dès-lors une véritable machine hydraulique, un corps organisé, par un assemblage de différens instrumens dont les effets sont aussi parfaits à proportion & plus admirables encore que ceux qui sont produits dans le corps d'un adulte. De même le sang & plusieurs autres humeurs du corps humain, que le medecin regarde comme fluides, laissés à eux-mêmes hors de leurs conduits, perdent entierement, pour la plus grande partie, la propriété en quoi consiste la fluidité, c'est-à-dire la disposition à ce que les particules qui les composent se séparent entr'elles par le moindre effort. Ces humeurs animales forment bientôt une masse coagulée, qui oppose une résistance marquée à la division de ses parties ; cependant tant qu'elles étoient contenues dans le corps de l'animal, elles étoient susceptibles de couler, & couloient en effet sous forme liquide dans les plus petits canaux du corps. La solidité des rudimens de l'animal, contenus dans l'oeuf, & la fluidité de la plûpart des humeurs, ne sont donc que des propriétés seulement respectives, accidentelles, entant qu'elles sont considérées sous le point de vûe qui vient d'être présenté. L'observation des Medecins à cet égard est donc nécessaire, & n'est pas déplacée ici, lorsqu'il s'agit des principes qui constituent les parties solides du corps humain.

Formation des fibres. Un élement séparé peut être consideré comme un point mathématique, qui n'a ni longueur, ni largeur, ni profondeur ; mais dès qu'il est uni à d'autres, selon la direction d'une ligne, avec quelque sorte de résistance à la division des parties du tout qui en est formé, il en résulte une des trois sortes de dimensions, qui est la longueur ; c'est un corps composé, étendu seulement selon cette direction ; c'est un corps divisible seulement en ce sens-là : c'est ainsi que peut être conçûe la formation de la fibre simple, qui, par rapport à la divisibilité, est censée n'avoir ni longueur, ni épaisseur ; puisqu'elle n'est susceptible de séparation de ses parties, dans aucune de ces deux dimensions, mais seulement dans sa longueur, parce qu'elle n'est formée que de parties élémentaires disposées selon cette dimension. Cette fibre est donc très-simple, puisqu'aucune partie divisible en soi, aucune partie composée n'entre dans sa formation ; elle n'a rien d'organisé, quoiqu'elle puisse entrer dans la composition des organes, ou qu'elle en ait fait partie. Ses principes sont tels, que ni l'eau, ni l'air, ni le feu, ne peuvent les pénétrer, diviser leur substance ; ils ne sont susceptibles d'altération que relativement à leur union extrinseque entr'eux, qui forme la production que nous avons appellée fibre ; union qui peut par conséquent cesser d'avoir lieu.

Les qualités de cette fibre ou de ses élémens conviennent parfaitement à la vraie terre, à la terre pure, qui est un corps simple, solide, formé de parties similaires, le seul que nous puissions saisir, fixer ; mais les parties terrestres, telles qu'elles tombent sous nos sens, n'ont guere de force de cohésion, sans quelqu'autre moyen que le contact, qui n'est vraisemblablement suffisant que pour former des aggrégés des plus simples, c'est-à-dire des amas de parties élémentaires figurées de maniere à pouvoir se toucher & s'unir par des surfaces. Les cendres des animaux, comme des végétaux, se séparent aisément entr'elles par l'agitation du moindre souffle. Donc les aggrégés primitifs de corpuscules simples ont presque tous besoin pour former des solides, de quelque moyen intermédiaire, de quelque espece de glu, de colle, qui les retienne dans l'état de cohésion, en étendant leur surface contiguë, en multipliant par conséquent les points de contact. Dès que ce moyen, quel qu'il soit, est enlevé, les petites parties qui composent les solides se dissipent aisément en poussiere. L'expérience nous engage à penser que ce qui constitue cette colle est de nature aqueuse ou huileuse ; la chose peut être rendue sensible par un exemple.

Que l'on prenne des cendres bien lavées, pour les dépouiller de tout sel, que l'on en fasse un creuset ; il faut pour cet effet paitrir ces cendres avec de l'eau : la pâte étant formée & séchée, elles restent unies en un corps solide, mais qui est percé comme un filtre. Si on paitrit les mêmes cendres avec de l'huile, encore sous forme de vase, & que l'on les fasse sécher dans un four afin que l'huile se cuise, c'est-à-dire que les parties aqueuses s'en séparent, alors ces cendres auront une très-grande force de cohésion, & ce vase ainsi formé sera très-ferme. Si cependant à force de feu, on vient à expulser de sa substance toute l'huile qui y étoit incorporée, les cendres retourneront en poussiere comme auparavant. C'est ainsi qu'une sécheresse de tems de longue durée, fait que la terre qui formoit de la boue, tant qu'elle étoit mêlée avec de l'eau, se réduit en poudre volatile que le vent agite, enleve sous forme de nuée. Si-tôt qu'il vient à pleuvoir, cette même poudre venant à être détrempée de nouveau, retourne en boue & forme une pâte si tenace, si gluante, qu'elle peut par son adhérence aux roues des voitures en arrêter le mouvement, en les retenant avec plus de force qu'elles ne sont tirées.

Il suit de ces raisonnemens appuyés sur des comparaisons de faits, qu'il doit entrer quelque substance glutineuse dans la composition des fibres animales ; mais ce qui semble prouver invinciblement que la chose est ainsi, c'est l'expérience faite sur les fibres même, c'est-à-dire sur des parties qui en sont composées. 1°. Si l'on prend de ces parties, comme quelque portion charnue, bien lavée pour en séparer le sang, ensorte qu'elle soit devenue bien blanche, & qu'on la fasse ensuite bouillir dans de l'eau pendant long-tems ; elle se change en une matiere informe, qui n'est que gélatineuse : ce que savent bien ceux qui font la colle forte, pour laquelle ils n'employent que des morceaux de peaux, de tendons, de membranes cartilagineuses de différens animaux, dont ils font de fortes décoctions ; la dissipation des parties aqueuses laisse un résidu sous forme de gelée, qui, étant desséchée, devient extrèmement ferme & compacte comme de la corne. 2°. Les parties les plus dures, les os peuvent être réduits par la coction en substance de gelée, comme on le prouve par les effets de la machine de Papin, & par l'expérience de Clopton Havers rapportée dans son ouvrage intitulé nova osteologia. V. DIGESTEUR. 3°. La partie mucilagineuse du sang séparée de la partie rouge par l'agitation, la conquassation, étendue en forme de lame, & ainsi séchée, paroît être une membrane fibreuse, qui imite celles qui sont véritablement organisées ; de maniere qu'on peut la conserver longtems dans cet état, selon ce qui est rapporté dans le thrésor anatomique de Ruysch. 4°. Cette même partie gélatineuse séparée du sang, de laquelle il vient d'être fait mention, étant fraîche & mise en masse ; comprimée par quelque moyen que ce soit, & rendue un peu compacte, a souvent été prise pour de la vraie chair fibreuse, comme il arrive sur-tout à l'égard des concrétions qui se forment dans le coeur, dans la matrice, que l'on prend pour des polypes, pour des moles, & qui en ont souvent imposé, même à des medecins éclairés, mais trop peu sur leur garde. 5°. Dans les premiers tems de la génération, les rudimens qui forment l'embryon, tout organisé qu'il est, se présentent sous forme de gelée ; ils ne prennent de la consistance que par les suites de l'accroissement ; & cependant peu de tems avant de l'exclusion naturelle du foetus, les os même ressemblent encore à une substance gélatineuse, sur-tout entre la partie la plus solide & le périoste, comme l'a observé dans son ostéologie, l'auteur déjà cité.

Ces dernieres considérations sur la nature de la fibre, conduisent à traiter de ses propriétés.

Propriétés de la fibre en général. Toute fibre, telle même que nous pouvons l'avoir par une division grossiere (qui est bien éloignée de parvenir à nous donner la fibre élémentaire, la fibre simple), par une division qui ne peut nous fournir rien de plus fin, de plus menu, qu'un fascicule de fibres simples, dont le nombre est aussi petit qu'il est possible, en conservant un volume suffisant, pour tomber sous les sens ; toute fibre est transparente, c'est-à-dire qu'elle transmet en tous sens les rayons de lumiere, comme tous les corps homogenes réduits en filets bien subtils ou en lames très-minces. Lorsqu'une fibre est seche, qu'elle est par conséquent dépouillée des parties hétérogenes des fluides dont elle étoit pénétrée, elle a encore cette propriété plus marquée ; elle peut produire alors les effets d'un prisme, c'est-à-dire qu'elle peut décomposer un rayon de lumiere, & en exhiber les couleurs primitives, en les séparant ; c'est une propriété que l'on peut aussi observer dans un cheveu, dans un poil.

Toutes les fibres du corps humain ont de la flexibilité ; cette propriété est sensible dans toutes les parties molles, sans qu'elles soient décomposées ; elle n'est pas moins dans les parties les plus dures, lorsqu'elles sont divisées en petites lames, qui sont alors susceptibles d'être pliées, courbées aisément, sans qu'il s'y fasse de solution de continuité. Les parties élémentaires qui forment les fibres ainsi flexibles, ne sont donc pas unies entr'elles par des surfaces si étendues & si pleines, qu'elles se touchent exactement dans tous leurs points ; parce qu'il résulteroit d'un tel arrangement des corps aussi solides que leurs élémens mêmes, qui n'auroient ni flexibilité ni divisibilité : les fibres étant susceptibles de l'une & de l'autre de ces propriétés, sont par conséquent composées de parties qui ne se touchent que par des portions de surfaces interrompues ; c'est-à-dire, que les élémens des fibres & les fibres elles-mêmes unies pour former les organes, laissent des points, des espaces entr'eux, c'est-à-dire des pores, selon l'étendue desquels il n'y a point de contact ; qui sont plus ou moins petits, à proportion de la densité propre à ces organes ; & ceux-ci sont conséquemment plus ou moins compressibles, ce qui contribue beaucoup à déterminer les différens degrés de dureté & de mollesse qui les différencie.

Toute fibre, dans quelque partie du corps humain que ce soit, est doüée plus ou moins d'une force élastique : c'est ce qui est prouvé, par ce que l'on voit constamment arriver dans les parties molles coupées, dont chaque portion se retire sur elle-même, se raccourcit sensiblement vers la partie fixe : en quelque sens que soient coupées des chairs, des membranes, des vaisseaux, des fibres de toutes ces sortes d'organes, la même retraction des portions séparées se fait toûjours, & elles restent dans cet état jusqu'à ce qu'on les rapproche de force l'une de l'autre ; ce qui ne se fait qu'avec beaucoup de peine dans les muscles, les tendons. Ce raccourcissement n'a pas lieu d'une maniere sensible dans les nerfs ; mais s'ils sont susceptibles de vibratilité, ils doivent avoir de l'élasticité : cette force contractile ne se montre pas non plus dans les fibres osseuses coupées ; cependant le son qui résulte des os lorsqu'on les frappe, dénote assez que la substance osseuse est élastique ; mais il n'y a guere lieu à ce qu'elle s'exerce dans le corps humain, parce qu'il ne s'y fait naturellement aucun effort suffisant pour mettre les os dans un état d'élongation : cependant les os des enfans résistent plus à être cassés, rompus, que ceux des vieillards : c'est parce qu'il y a plus de flexibilité dans ceux-là que dans ceux-ci. Mais alors même les os sont absolument moins élastiques, quoiqu'ils soient en disposition de paroître tels moins difficilement : l'élasticité, dans toutes les parties du corps humain comparées entr'elles à cet égard, paroît être en raison inverse de leur flexibilité : car les substances nerveuses qui sont les plus flexibles, semblent, comme on a dit ci-devant, n'être point du tout élastiques : mais par opposition, quelle n'est pas l'élasticité des os, à en juger (proportion gardée de leur plus ou moins grande dureté) par l'élasticité de l'yvoire ? on ne peut cependant en tirer aucune conséquence pour le corps vivant ; ainsi l'élasticité de ses fibres ne regarde presque que les parties molles, attendu que ces seules parties sont véritablement susceptibles d'être allongées, pliées, fléchies : cette force, en vertu de laquelle les fibres de ces parties tendent à se raccourcir, leur est tellement inhérente, que non-seulement pendant la vie, de quelque maniere qu'elles soient tirées, elles font effort pour se raccourcir, en se contractant en effet dès qu'elles cessent d'être tendues & qu'elles sont livrées à elles-mêmes par solution de continuité ou autrement ; mais encore après la mort, elles ne sont pas privées de cette force élastique, comme on peut en juger par les peaux des animaux & par les cordes que l'on fait de leurs boyaux & de différentes autres de leurs parties, qui conservent toutes beaucoup d'élasticité.

Mais cette propriété suppose dans la fibre une autre propriété, qui, bien qu'elle consiste dans un effet opposé, en est cependant une disposition nécessaire ; c'est la faculté de pouvoir être allongée, c'est la distractilité : car puisque l'élasticité consiste dans la faculté qu'a un corps qui a souffert un changement dans la situation intrinseque de ses parties intégrantes sans solution de continuité, de les remettre dans leur premier état (par une force qui lui est propre) ; dès que la cause de ce changement cesse, il faut absolument que ce corps soit susceptible de ce premier effet dans ses parties ; qu'elles soient mises dans une sorte d'éloignement, les unes par rapport aux autres ; en un mot, que le contact cesse entr'elles (sans qu'elles se séparent les unes des autres, au point de faire solution de continuité pour le tout qu'elles composent) avant de leur faire recouvrer leur précédente situation respective, & de les ramener à leur premier état : c'est donc, ce me semble, fort à propos que l'on distingue deux effets bien différens, qui s'operent toutes les fois que la faculté élastique est réduite en acte dans les corps qui en sont susceptibles, d'autant plus que ces deux effets dépendent l'un & l'autre d'une puissance réellement aussi active pour l'un que pour l'autre : l'une sert autant à retenir les parties qui tendent à être écartées les unes des autres, & entierement desunies, que l'autre sert à les rapprocher & rétablir entr'elles le contact d'union, au point où il étoit ; l'élasticité tend à raccourcir les fibres plus allongées que ne le comporte leur tendance naturelle ; cet effet s'opere de la même maniere qu'un piston rentre avec force dans une pompe dont il a été tiré en partie ; c'est-à-dire, sans sortir du tuyau, sans cesser d'aspirer. La distractilité permet l'allongement des fibres, en faisant néanmoins continuellement effort pour retenir leurs parties dans la sphere de cohésion ; en empêchant qu'elles n'en sortent ; en conservant ainsi la continuité, ou au moins la contiguité entr'elles : ce qui prouve, pour l'observer en passant, que la force de cohésion dans les corps élastiques, ne consiste pas dans le contact immédiat, puisqu'il peut être diminué très-considérablement, sans que cette force perde son activité : d'où on peut tirer la conséquence, que c'est cette force unique qui opere pour la même fin dans la distractilité, dans l'élasticité & dans le repos des corps, c'est-à-dire qu'elle agit toûjours dans ces différens cas, pour conserver l'assemblage des parties qui forment les aggrégats.

Il suit donc de ce qui vient d'être dit concernant la distractilité, qu'elle doit avoir lieu dans la fibre, pour que celle-ci puisse exercer son élasticité : ce qui arrive toûjours, soit que la cause qui tend la fibre la tire selon sa longueur, soit que la fibre de droite qu'elle est entre deux points fixés, soit forcée à se courber, ou que de courbe qu'elle est, elle le devienne davantage ; soit qu'étant courbe sans avoir d'attache fixe, elle soit forcée à prendre une courbure plus étendue, quoique de la même modification (car ce sont-là les combinaisons générales selon lesquelles la fibre peut être allongée, tirée, forcée en différens sens) : mais puisque la fibre entiere se laisse ainsi distendre, & qu'il s'ensuit que les particules élémentaires dont elle est formée, se séparent alors les unes des autres selon sa longueur, sans que pour cela il y ait d'association complete , attendu qu'il n'y a point de solution de continuité apparente ; comment cela peut-il se faire ? est-ce, selon l'idée de Bellini, parce que les élémens des fibres sont disposés de maniere que le milieu de leurs surfaces répond au joint de deux autres contiguës, selon ce que l'on observe dans la construction des murs de brique ou de pierre de taille, ce qui fait dépendre la propriété dont il s'agit, non des élémens de chaque fibre entr'eux, mais de la totalité des fibres entr'elles, en tant qu'elles concourent à former un organe quelconque ? est-ce par la raison, que les fibres ont des parties rameuses, qui s'entrelacent & se lient ensemble, selon l'idée de quelques autres physiologistes ? est-ce par la force d'attraction newtonienne, qui conserve la continuité, quoique le contact immédiat soit diminué jusqu'à un certain point ? Cette derniere opinion paroît la plus probable ; mais de quelque maniere que la chose se fasse, c'est tout un ; peu importe : cette recherche appartient absolument à la Physique générale, ainsi que ce qui regarde l'élasticité, la distractilité ; ce n'est donc pas ici le lieu d'examiner quelle peut être la cause de ces phénomenes : d'ailleurs, il vaudroit mieux les admettre eux-mêmes, comme des causes dont il n'est intéressant de savoir que les lois constantes, que de se rendre le joüet de l'imagination, en travaillant à donner des explications qui auroient le sort de toutes celles qui ont paru jusqu'à présent ; dont on peut dire qu'elles se sont détruites les unes les autres, au point de s'être presque fait oublier. Voyez ATTRACTION, COHESION, ELASTICITE, &c.

Ce sur quoi il importe le plus d'insister, est l'effet des deux propriétés dont il vient d'être question, bien avérées dans toutes les fibres animales ; d'où il résulte que tant qu'elles sont entieres, de quelque maniere qu'elles soient disposées dans le corps vivant, elles sont absolument dans un état de distension ; par conséquent elles ne sont jamais laissées à elles-mêmes ; elles sont toujours dans un état violent ; elles font continuellement effort pour se raccourcir selon toute l'étendue de leur puissance élastique, & elles ne parviennent jamais entierement à l'état qu'elles affectent, même dans le plus grand relâchement que puissent produire les causes morbifiques.

C'est cette tendance, cet effort continuel des fibres, qui sont les principaux moyens par lesquels la vie se maintient : car étant toûjours distendues, elles sont dans une disposition continuelle à agir pour se raccourcir, dès que la force qui les allonge vient à diminuer ; elles résistent à être ultérieurement distendues, tant que leur force de ressort est supérieure ou même égale à celle qui tend à les allonger davantage. Il y a plusieurs raisons d'empêchement à ce que les fibres ne puissent pas se raccourcir autant que leur élasticité le comporteroit : les raisons particulieres à chaque aggrégé de fibres, sont tirées de leurs différentes positions méchaniques : ainsi p. e. dans celles qui sont antagonistes les unes des autres réciproquement, quoiqu'elles paroissent dans certains cas, comme le relâchement des muscles, n'être plus dans un état violent ; cependant si on vient à couper un des aggrégés antagonistes, il se fait toûjours un raccourcissement dans chacune des portions séparées ; elles s'écartent l'une de l'autre, se retirent vers leur point fixe ; & l'antagoniste, qui reste entier, se contracte tout autant à proportion que celui qui a été coupé se retire : ce qui prouve bien que toutes ces fibres de part & d'autre, n'étoient pas sans tension ; qu'elles faisoient encore effort pour se raccourcir davantage ; & par conséquent, qu'elles ne cessoient pas d'être en action, quoique sans effet sensible.

Quant à l'obstacle général au relâchement entier des fibres, la cause en est facile à trouver ; c'est la masse des fluides contenus dans les vaisseaux, qui tient les fibres dont ils sont composés, dans un état de distension continuelle, plus ou moins forte cependant, selon que le volume des fluides augmente ou diminue : dans le premier cas, les fibres sont tendues ultérieurement en quelque sens qu'elles soient posées : dans le second cas, elles se détendent de même en tous sens ; mais ce relâchement n'est jamais parfait, tant qu'il reste des fluides dans les parties contenantes ; il n'est que respectif ; il n'est qu'un état de moindre distension ; les fibres sont toûjours distendues en tous sens ; dans le premier cas, c'est la distractilité des fibres qui est exercée, & l'élasticité dans le second ; changemens qui ne cessent de se succéder tant que dure la vie, ensorte qu'elle semble dépendre d'un perpétuel inéquilibre.

Mais cet inéquilibre ne peut être connu que par rapport aux solides comparés aux fluides, & réciproquement ; car pour ce qui est des solides entr'eux & des fluides entr'eux respectivement, on peut au contraire se les représenter comme dans un perpétuel équilibre de forces, d'action, de réaction proportionnées, au moins dans l'état de santé, qui est la vie la plus parfaite ; équilibre dont les maladies ne sont que des lésions. Voyez EQUILIBRE, (Econom. anim.) il se trouve sous ce mot bien des choses, qui ont rapport aux fibres en général ; voyez aussi CIRCULATION DU SANG, SANTE.

Une autre propriété des fibres, qui dérive bien naturellement de la force élastique, c'est la vibratilité ; ce seroit ici le lieu d'en traiter aussi ; mais elle appartient de trop près au méchanisme de l'oüie, pour en séparer ce qu'il y a à dire de cette propriété consectaire. Voyez SON, OUIE, OREILLE.

Quant à l'irritabilité observée particulierement par M. Haller, dans quelques-unes des parties du corps humain, il suffit qu'elle ne soit pas une propriété commune à toutes les fibres, pour qu'il ne doive pas en être fait ici mention d'une maniere détaillée. Voyez IRRITABILITE.

Composés des fibres. Après avoir traité de la fibre, de sa nature & de ses propriétés, en tant qu'elle est simple & considérée séparément des organes qui ne sont qu'un composé de fibres ; il reste à rechercher comment on peut concevoir que se forme ce composé, puisque c'est des fibres premieres, que sont construites toutes les parties consistantes du corps humain disposées à contenir, à transférer, à distribuer, à préparer, à séparer, à évacuer les différens fluides qui sont nécessaires, utiles ou inutiles à l'économie animale. Destinés à des actions purement méchaniques, les fibres par leur union différemment combinée, composent des solides, des machines & des instrumens de toute espece ; on trouve en effet dans l'inspection des parties, des filets, des cordons, des cordes, des poulies, des leviers, des colonnes, des solives, des soufflets, des canaux, des reservoirs, des sacs, des soupapes, des filtres, & plusieurs autres choses diversement figurées, qui entrent dans la construction du corps humain, & qui concourent à l'exercice de ses fonctions, à leur perfection & à son ornement.

C'est sous la forme de tuyau principalement, que les fibres unies sont employées à contenir les fluides, qui est l'usage le plus général, commun à tous les organes, à quelques fonctions qu'ils soient destinés. Les tuyaux, qui sont aussi communément appellés conduits, canaux, sont spécialement désignés par les Anatomistes sous le nom de vaisseaux ; ils les distinguent ensuite sous quatre genres principaux, savoir, d'arteres, de veines, de sécrétoires & d'excrétoires, qui comprennent les vaisseaux de toutes les especes connues ; voyez VAISSEAUX. De tous ces différens vaisseaux, les uns sont facilement apperçûs par les sens, les autres le sont difficilement, ou ne le peuvent être que par les secours de l'art, ou ne le peuvent pas être du tout, à cause de leur extrème petitesse ; ensorte qu'il n'en est qu'un certain nombre de ceux qui échappent à la vûe, même aidée des microscopes, qui ont pû être démontrés par les travaux singuliers & les soins industrieux de quelques célebres anatomistes, & entr'autres, par l'art admirable des injections du grand Ruysch ; on juge par analogie de ceux qui ne sont pas susceptibles d'être rendus sensibles. Il est par conséquent reçû à présent assez généralement, que toutes les parties solides du corps sont chacune formées d'un tissu de vaisseaux, depuis sur-tout qu'il a été démontré que toutes les substances des parties qui n'avoient été que grossierement anatomisées par les anciens, & que l'on avoit crû en conséquence spongieuses, parenchymateuses, ou de telle autre structure aussi éloignée de la véritable, sont réellement un composé de vaisseaux, & pour la plûpart de toutes les especes.

Cette multiplicité de vaisseaux extrèmement subtils, a donné lieu à quelques auteurs de penser, que l'on n'est pas encore parvenu à connoître tous les différens vaisseaux qui entrent dans la composition des parties du corps humain, & ensuite, que le décroissement des vaisseaux va à l'infini : mais quoique l'on accorde la premiere proposition, parce qu'il paroît en effet, que la science de l'anatomie n'est pas portée à sa perfection, & qu'il est probable qu'elle n'y atteindra jamais, bien qu'elle puisse acquérir de plus en plus de nouvelles connoissances ; on ne peut pas, sur une simple conjecture, se déterminer à admettre que la petitesse des vaisseaux n'ait point de bornes ; pendant que la raison indique au contraire qu'il y a des derniers vaisseaux, des vaisseaux au-delà desquels il n'y a pas de division ultérieure en plus petites parties contenantes : ce qui suit peut servir de démonstration pour cette assertion.

Les forces méchaniques, dans quelque machine que ce soit, & par conséquent dans le corps humain, ne sont pas infinies ; l'expérience prouve toûjours qu'elles ont un terme : la division des parties, dont sont composés les fluides, doit aussi conséquemment avoir des bornes : il y a donc des molécules de ces fluides : qui toutes petites qu'elles sont, doivent cependant être conçues d'un volume déterminé, & non pas diminué à l'infini : elles retiennent aussi un certain degré de cohésion entr'elles ; ensorte que le vaisseau destiné à les recevoir doit avoir une capacité déterminée, proportionnée à chacune de ces molécules, & non pas d'un diametre infiniment petit : d'après cette idée, on est fondé à conclure, avec juste raison ; donc il existe un dernier vaisseau d'une petitesse indéfinie, mais bornée.

Mais, puisque l'existence de ce dernier vaisseau est établie, on ne peut se le représenter que très-simple ; donc la tunique ou membrane qui le compose, de la maniere qui sera bien-tôt décrite, ne doit pas être faite d'autres vaisseaux : on doit donc la concevoir construite de filamens simples, c'est-à-dire de fibres premieres, telle que l'idée en a été donnée dans cet article : il existe donc une fibre, qui n'est point vasculeuse, qui n'a point de cavité ; par conséquent ce n'est qu'un filet, sans largeur ni épaisseur divisibles, mais étendu en longueur par une suite des parties élementaires, unies les unes aux autres, selon cette derniere dimension ; c'est ce qu'il falloit établir, pour ne laisser aucun doute sur l'existence de la fibre élementaire ; avant de considérer comment elle est la base de la structure du corps humain.

Ce n'est que par les yeux de la raison, que l'on peut suivre la composition de cet ouvrage admirable, comme il vient d'être pratiqué pour en faire l'analyse physique : on peut donc se représenter ainsi cette composition des parties, qui résulte de l'union différemment combinée des fibres simples.

Un certain nombre de ces fibres similaires appliquées les unes à côté des autres par leurs surfaces longitudinaires, selon toute leur étendue, adhérentes les unes aux autres par le contact auquel est attachée la force de cohésion, & par quelque sorte de colle qu'on a dit avoir raison de croire de nature glutineuse, forme ainsi une espece d'étoffe sans qu'il soit besoin d'entrelacement pour ses filamens : & la preuve que cet entrelacement n'existe pas dans l'assemblage des fibres, se trouve dans la différence que l'on observe à l'égard des effets de l'humidité sur les tissus des filets simples ou de fil de quelque nature que ce soit, comme les toiles, les cordes, & sur les organes composés de fibres animales : elle donne une sorte de rigidité à ceux-là, tandis qu'elle ramollit ceux-ci : les anatomistes donnent à ce composé ainsi conçû le nom de membrane ; nom qu'ils donnent à toute substance fibreuse ou vasculeuse, très-mince, à proportion de son étendue en longueur & en largeur. Celle dont on vient de dire qu'elle est formée de fibres élementaires, est elle-même la membrane la plus simple. Si on se la représente figurée en parallelogramme ou approchant, repliée sur elle-même, & soudée par les deux bords longitudinaux ; elle a sous cette forme le nom de tunique, & elle est dès-lors tournée en canal fermé de tous côtés, par des parois, excepté par ses deux extrémités : c'est un véritable vaisseau, propre à contenir un fluide ; mais c'est un vaisseau très-simple, dont la tunique n'est formée que de parties élementaires, unies entr'elles, sous la forme de fibres & de membranes. Si l'on se représente après cela plusieurs vaisseaux de cette espece unis ensemble, selon leur longueur, pour ne former qu'un corps étendu en largeur, sans autre épaisseur que celle de chacun de ces vaisseaux ; on a l'idée de la premiere membrane vasculeuse, la moins composée de cette espece, que l'on puisse imaginer ; cette même membrane repliée sur elle-même, pour former un canal cylindrique ou conique, fait le premier vaisseau dont la tunique soit vasculeuse : plusieurs vaisseaux de cette espece, unis entr'eux, pour former des membranes toûjours plus composées, sont les matériaux des tuniques de vaisseaux toûjours plus considérables ; & ainsi en remontant de ceux-ci à de plus grands encore, jusqu'aux principales ramifications & aux troncs des vaisseaux sanguins qui tiennent au centre commun de tous les canaux du corps humain, qui en est formé dans son tout & dans ses différentes parties, & d'où résulte la fabrique de ce chef-d'oeuvre de la nature.

Mais cette construction, telle qu'elle vient d'être représentée, par rapport à la formation des fibres, des membranes, qui ne sont qu'un assemblage de fibres, des vaisseaux formés de ces membranes, simples & composées ; & de tous les organes construits de l'union de ces vaisseaux différens entr'eux & différemment associés ; cette construction ne peut être rendue, que par parties & par opérations successives, mais la nature travaille différemment, elle jette, pour ainsi dire, son ouvrage au moule ; tout se forme en même tems, fibres, tuniques, vaisseaux, organes de toute espece ; tout sort achevé de ses mains, conformément à son archétype ; l'embryon est aussi parfait dans son état que l'adulte ; l'accroissement n'est qu'une perfection respective, en tant qu'elle est une tendance au terme que se propose la nature, qui est de donner une consistance à l'union des parties qui forment cet embryon ; consistance qui puisse en conserver & faire durer l'édifice, jusqu'à ce que cette cause conservatrice devienne elle-même, par une suite nécessaire de ses effets, la cause destructive de ce même édifice par le méchanisme qui commence la vie & qui la maintient ; méchanisme dont l'exposition ne sera pas déplacée ici.

Le corps humain, quelque grand & quelque volumineux qu'il puisse être ; quelque fermes & compactes que soient la plûpart des organes dont il est composé, lorsqu'il a atteint le dernier degré d'increment, a été formé d'un assemblage de parties de la matiere, infiniment plus petit que le plus petit grain de sable, qui n'a commencé à tomber sous les sens que sous la forme d'une goutte de liquide ; cet assemblage renfermoit cependant proportionnément le même nombre d'organes, la même distribution de vaisseaux & d'humeurs diversement élaborés que l'on trouve ensuite dans l'adulte : ce n'est pas par une addition extérieure de nouvelles parties, que ces rudimens de l'homme ainsi conçus s'étendent & grossissent, mais par une intus-susception des fluides, dont les parties intégrantes sont propres à produire cet effet ; fluides qui ne peuvent être ainsi préparés que dans le petit individu, tel qu'il vient d'être représenté, tout impuissant qu'il paroît pour cela, tout informe qu'il se présente à nos sens : ces changemens admirables sont produits par une double cause, qui ne cesse d'agir tant que la vie subsiste, c'est-à-dire par le méchanisme de l'accroissement & par celui de la solidescence.

Les effets du premier consistent en ce que quelques particules des fluides qui ont été élaborées, affinées, & rendues homogènes au point de pouvoir pénétrer dans les vaisseaux les plus simples, s'appliquent aux parois de ces vaisseaux, s'insinuent dans l'intervalle des élemens de la fibre dont ils sont composés, à mesure que les élémens sont écartés les uns des autres par la cause de la distension, de l'allongement des solides, de l'accroissement, & laissent entr'eux des vuides, des scrobicules à remplir ; ensorte que l'embryon acquiert ainsi toûjours plus d'étendue. Voyez ACCROISSEMENT, NUTRITION.

Quant à la force & à la fermeté de la fibre, c'est la solidescence qui les lui donne par le méchanisme qui va être exposé : il consiste dans la force de pression des vaisseaux les uns sur les autres, dans le tems de leur diastole : il est sûr, d'après les principes d'Hydrostatique, que les liquides qui sont mûs dans des canaux, agissent, font effort contre les parois : or une pareille impulsion se faisant de l'axe vers les parties latérales dans chacun des vaisseaux qui sont tous flexibles dans les premiers tems de la vie, il doit s'ensuivre qu'ils se dilatent tous. Et plusieurs vaisseaux qui se trouvent contigus, qui forment une masse entr'eux, étant conçus agir ainsi les uns sur les autres, par la dilatation syncrone qu'ils éprouvent tous ; mais cette dilatation ne se faisant pas dans tous avec une égale force, parce qu'ils n'ont pas tous le même diametre, parce qu'ils sont plus ou moins grands, parce qu'il y en a de composés & de simples ; ceux qui sont les plus petits, dont les fluides contenus se meuvent par conséquent avec plus de lenteur, non-seulement ne peuvent pas se dilater comme les grands, mais encore ils ne peuvent pas conserver la cavité qui leur est propre ; ils sont pressés, comprimés de tous côtés par les vaisseaux qui les environnent, dont la dilatation se fait avec une force supérieure ; ils cedent à ces forces réunies contr'eux, jusqu'à ce que les parois de ces petits vaisseaux étant de plus en plus portées les unes contre les autres, leur cavité se perd, s'oblitere peu-à-peu ; elles viennent à se toucher à l'opposite, à être fortement appliquées les unes contre les autres, & cessent de former un vaisseau pour n'être plus qu'un aggrégé ou un fascicule de fibres intimement unies entr'elles, & par le contact réciproque, & peut-être aussi par la concrétion du peu de fluides propres qui restent dans leurs cavités, qui a par conséquent beaucoup plus de force qu'il n'y en avoit auparavant dans ces mêmes fibres, lorsqu'elles se touchoient entr'elles par moins de côtés : la cohésion ainsi augmentée, les rend plus fermes, plus compactes, & par conséquent plus propres à conserver leur continuité, à résister à tout effort, qui tend à en opérer la solution.

Si l'on connoît qu'un semblable effet soit produit dans un grand nombre de vaisseaux simples des différentes parties du corps, on doit en conclure que la fermeté, la solidité doit augmenter dans toutes ses parties : or comme, par le méchanisme général du corps humain, cette force de pression des vaisseaux les uns sur les autres, qui tend ainsi à convertir les vaisseaux simples en fibres composées, produit ses effets par degrés pendant tout le cours de la vie, en les augmentant continuellement à mesure qu'elle augmente elle-même ; il s'ensuit que toutes les parties du corps tendent continuellement à devenir plus solides, plus dures jusqu'à perdre leur flexibilité, être desséchées presqu'entierement ; c'est cette considération qui a fait dire aux anciens que vivere est continuo rigescere, que l'action de vie est une tendance continuelle à priver de leur flexibilité toutes les parties solides de l'animal, à détruire par conséquent la qualité la plus nécessaire pour l'exercice de cette action : ensorte que ce qui constitue la cause essentielle de la vie & l'entretient, tend de plus en plus à devenir la cause de la cessation de la vie : c'est une loi commune, non-seulement à tout ce qui est animé, mais même à ce qui végete ; un chêne naissant est aussi mou, aussi flexible que l'herbe fraîche : quelle dureté, quelle roideur n'acquiert-il pas par son accroissement & par la durée de sa végétation !Les parties de l'embryon, qui ne sont que pulpeuses dans les premiers tems de la vie, prennent peu-à-peu & de plus en plus une consistance qui augmente sensiblement d'âge en âge dans l'adulte, & qui parvenue à son dernier degré de rigidité, constitue la cause de la vieillesse & de la fin des actions de la vie, parce qu'elles dépendent de la flexibilité des organes, qui ne subsiste plus dans le cas dont il s'agit, les fibres étant dures & desséchées par le long exercice de ces actions mêmes.

L'expérience démontre ces effets, puisque non-seulement ils ont lieu d'une maniere bien sensible dans la peau, les muscles, les tendons, mais encore dans des substances des plus molles respectivement (telles que les membranes, comme la plevre, la dure-mere, les tuniques des vaisseaux, le tronc de l'aorte même, des portions du foie, de la rate), qui ont été trouvées dans des vieillards véritablement ossifiées ; ce qui arrive en général, principalement dans les parties exposées à des fortes pressions.

Quoique dans l'embryon les parties paroissent toutes également molles & pulpeuses, & ne semblent pas avoir plus de consistance les unes que les autres ; les progrès de la solidité ne se font pas en même proportion dans toutes ; elle parvient à une très-grande fermeté dans les os ; elle est toûjours moindre dans les cartilages, & beaucoup moindre encore dans les membranes, les chairs, que dans ces dernieres : elle acquiert même des degrés différens dans les différentes parties molles, selon que le sage auteur de l'édifice l'a jugé nécessaire pour les usages auxquels elles sont destinées, pour le rapport qu'elles ont entr'elles, en un mot pour la direction & la conservation de l'économie animale. Cette différence remarquable, il faut l'attribuer toûjours à la cause générale, ci-devant assignée, c'est-à-dire à l'inégalité de pression entre les vaisseaux des uns sur les autres, des plus forts sur les plus foibles : cette cause agit par conséquent plus ou moins, selon la différence des parties ; ainsi dans celles où il se trouve un très-grand nombre de petits vaisseaux contigus, exposés tout-à-la-fois à la compression d'un nombre suffisant de grands vaisseaux ambians ; ceux-là sont également changés en fibres grossieres, c'est-à-dire formées de vaisseaux oblitérés, qui unis les uns aux autres, forment des masses de fibres toûjours plus épaisses, sans cavité ; d'où résulte la dureté des substances osseuses, cartilagineuses, ce qui ne se fait que peu-à-peu, & à proportion que les petits vaisseaux sont ainsi convertis en fibres composées : car, comme nous l'enseigne la formation des os, l'os dur a été d'abord un composé de plusieurs membranes vasculeuses très-fines, disposées en lames appliquées les unes aux autres, qui ayant perdu peu-à-peu de sa flexibilité, a acquis la consistance d'un cartilage avant que de parvenir à l'état de dureté, propre à la substance osseuse : il s'ensuit donc que les parties de l'embryon, destinées à former les os, sont composées de maniere qu'elles ont, sous un volume donné, un plus grand nombre de petits vaisseaux que les autres parties, lesquelles soient susceptibles de se laisser comprimer librement par les vaisseaux qui les environnent : conséquemment, la solidité ne discontinuant d'augmenter dans toutes les parties pendant toute la vie, est cependant différente quant aux effets, par la différence de proportion qui existe dans les différentes parties entre les vaisseaux qui compriment & ceux qui sont comprimés au point d'en perdre leur cavité ; ensorte que cette solidescence, qui s'opere par le changement des petits vaisseaux en fibres composées, ne peut être attribuée qu'à l'inégalité de pression des vaisseaux entr'eux.

C'est pourquoi, puisque le cerveau est toûjours une partie si molle, même dans l'âge avancé, il y a lieu de croire que cette égalité de consistance dans toutes les parties de ce viscere, subsiste ainsi la même à-peu-près, parce qu'il n'y a point ou presque point d'inégalité de pression dans les vaisseaux dont il est composé, qu'ils se dilatent avec une égale force, & qu'aucun ne cede assez à d'autres pour être comprimé, perdre sa cavité, & être changé en fibre composée. Cette égalité de consistance étoit absolument nécessaire à un organe ; dont les fonctions exigent une flexibilité constante, & respectivement égale dans les parties auxquelles il appartient de les opérer.

Différences des composés de la fibre. Après avoir vû en quoi consiste la différence entre la fibre simple & la fibre composée, il reste à désigner les différentes especes de celle-ci : on la divise ordinairement en osseuse, en charnue, & en nerveuse.

La premiere espece est celle qui concourt à former les parties les plus dures, les plus compactes du corps humain, c'est-à-dire les os : les fibres osseuses sont disposées en long dans les os figurés selon cette dimension, & du centre à la circonférence dans les os plats ; elles forment dans les uns & les autres des lames, des couches appliquées les unes aux autres, & différemment graduées, contournées selon la destination des os (voyez OS) ; elles sont unies entr'elles en beaucoup plus grand nombre, sous un volume donné, que celles des autres especes ; elles se touchent par conséquent par un plus grand nombre de points ; d'où résulte dans les substances osseuses plus de densité, de force, de cohésion, de solidité, de dureté, que dans toutes les autres parties du corps ; cependant ces qualités varient encore du plus au moins par rapport aux os composés entr'eux : on peut comprendre sous cette espece les substances cornées comme les ongles, dont les qualités approchent beaucoup de celles des os. Voyez ONGLE, CORNE.

La fibre charnue est un assemblage de plusieurs fascicules ou petits paquets de fibres simples, ou de vaisseaux simples dégénérés en fibres composées, qui ne sont pas unis entr'eux d'une maniere bien intime ? ils forment une masse très-peu compacte, aisément compressible, molle, ils contiennent dans leurs interstices des vaisseaux de différens genres, sanguins, lymphatiques, nerveux ; ils sont aussi séparés par de fines membranes qui forment comme des cloisons : ces fascicules de fibres charnues sont de différentes longueurs & de différentes positions, ils s'étendent d'un os à un autre os, ou d'un os à un autre point fixe quelconque ; ou ils sont repliés sur eux-mêmes, & soudés par les extrémités de maniere à former une fibre circulaire, un anneau charnu comme dans les muscles sphincter ; ou ils sont disposés en spirale différemment combinée, comme dans la structure du coeur. Les fibres charnues sont rouges, lorsqu'il y a du sang dans les interstices des fascicules fibreux, qui étant lavés ou considérés séparément, sont blancs comme dans les tendons qui ne sont qu'une extension des fibres charnues dont sont formés les muscles, mais plus resserrées dans ceux-là que dans ceux-ci ; de maniere qu'elles ne reçoivent point entr'elles de vaisseaux sanguins : il en est de même des aponévroses & des membranes qui sont comme des lames, des toiles plus ou moins approchantes de la nature du tendon.

La fibre nerveuse est un composé de filets pulpeux blancs, qui entrent dans la composition du cerveau, du cervelet, de la moelle allongée & épiniere, des ganglions & des productions de toutes ces parties : ces productions sont appellées nerfs, lorsqu'elles sont disposées en forme de cordons étendus en ligne droite ou approchant, & qu'elles sont revêtues d'une gaîne membraneuse, prolongement de la dure-mere qui accompagne leur distribution dans toutes les parties du corps.

On peut rapporter à ces trois especes de fibres composées, toutes celles qui se trouvent dans le corps humain : elles sont toutes très-flexibles (sans en excepter les osseuses) prises séparément ; mais unies en masse, elles different à cet égard : les os, les cornes n'ont presque point de flexibilité, sur-tout dans les adultes ; les ongles en ont un peu, lorsqu'elles sont en lames ; les cartilages en ont davantage que les ongles, tout étant égal ; les chairs, les tendons, les membranes, les masses nerveuses & les nerfs, sont des parties toutes très-flexibles. Voyez ce qui a été dit ci-devant des propriétés des fibres.

Les especes de fibres, dont on vient de faire mention, quoique bien différentes entr'elles par leurs qualités sensibles, ne sont néanmoins qu'un composé de fibres simples, sous forme de vaisseaux infiniment petits, ou des vaisseaux oblitérés, plus ou moins fortement adhérentes les unes aux autres, qui ne different entr'elles que par les diverses combinaisons de leur union : les parties élémentaires qui forment les fibres, sont les mêmes, c'est-à-dire de même nature, de même figure, de même volume, selon Leuwenhoeck, & vraisemblablement elles ont aussi, à l'égard de chaque individu, la même force de cohésion pour leur union, sous forme de fibres simples, à la composition de quelque partie qu'elles puissent être destinées : ainsi c'est avec raison que l'on a retenu des anciens, pour les élémens des fibres, & pour les fibres même en tant que simples, le nom des parties similaires, afin de les distinguer des parties qui en sont composées, des instrumens dont l'assemblage forme l'individu, qui servent aux différentes actions de la machine animale, qui sont par conséquent d'une grande différence entr'eux par leur structure, & qui sont ainsi réellement dissimilaires : on a aussi conservé à ces dernieres parties leur ancienne dénomination ; elles sont encore appellées organiques. Il existe donc de cette maniere deux genres de parties solides, dont les différences ne sont que les especes : tous les animaux (& les végétaux même) sont composés de parties similaires primitives, & de parties qui en sont formées, c'est-à-dire de parties secondaires, organiques, instrumentaires : voilà ce qu'ils ont de commun ; mais par quoi ils different, c'est par la disposition de toutes ces différentes parties, tant simples que composées, par le plus ou moins de force de cohésion de celles-là, & par l'organisme, le méchanisme de celles-ci ; non-seulement chaque classe d'animaux possede ces trois qualités d'une maniere qui lui est propre, mais encore chaque ordre, chaque espece, chaque individu a une sorte de cohésion dans les fibres dont il est formé, une sorte d'organisation, qui ne sont communes qu'à une même classe, qui deviennent particulieres à un même ordre, qui sont plus particulieres encore à une même espece, & qui examinées avec plus d'attention, sont absolument propres & différentes dans chaque individu : on peut même pousser cette considération jusqu'aux différentes parties, dont l'assemblage forme l'individu, comparées entr'elles, qui sont aussi disposées, par rapport à leurs principes & à leur masse, d'une maniere qui leur est particuliere, proportionnément au tout.

La différente combinaison des fibres produit donc seule la différence caractéristique entre les animaux, entre les parties qui les forment ; & les individus qui résultent de ces parties, comparés les uns aux autres, en tant que ces fibres sont réunies entr'elles de différentes manieres, forment en conséquence des organes plus ou moins consistans, plus ou moins denses, plus ou moins fermes, élastiques, distractiles, flexibles, & en un mot plus ou moins forts, & disposés à exercer les fonctions auxquelles ils sont destinés : toutes ces qualités dépendent donc du contact des fibres entr'elles, plus ou moins étendu, c'est-à-dire selon qu'elles sont unies par des surfaces ou par des points avec des modifications indéfinies, qui rendent plus ou moins robustes ou foibles les vaisseaux formés de ces fibres, & les disposent à convertir en plus ou moins grand nombre, plus ou moins promtement les petits vaisseaux en fibres, formées de celles qui ne sont que des vaisseaux simples oblitérés par la compression des composés, par les causes de la vie, conséquemment plus puissantes dans certains sujets que dans d'autres : de-là s'ensuit, par la comparaison de ces différentes qualités des parties solides & de leurs effets dans chaque individu, la différence de ce qu'on entend par tempérament, par constitution, complexion particuliere ; c'est l'idiosyncrase des anciens : des auteurs distinguent même encore le tempérament de la constitution, en ce que celui-ci est tiré des principes physiques, des causes primordiales de la structure du corps humain, & la constitution dépend de ses principes méchaniques, du jeu, de l'action des organes. Voyez TEMPERAMENT.

En voilà assez sur les fibres, tant simples que composées, considérées physiologiquement ; cependant quelqu'étendu que soit le détail dans lequel on vient d'entrer à ce sujet, la matiere en est si abondante, qu'il laisse encore bien des choses à desirer par rapport à ce qui en a été dit : pour suppléer à ce défaut, il faut avoir recours aux différens ouvrages sur l'économie animale, dont ce siecle a enrichi la Medecine, tels que ceux de Leuwenhoeck, de Baglivi, d'Hoffman ; les commentaires de Boerhaave par MM. Haller & Wanswieten ; le mot fibre du dictionnaire de Medecine, d'après ce dernier ; la physiologie de M. de Sauvages, & particulierement la dissertation de M. Fizes, célebre professeur praticien de Montpellier, intitulée conspectus anatomico-mechanicus partium humani corporis solidarum, dans laquelle la physique des fibres, & des parties qui en sont formées, paroît être mise dans tout son jour. Voyez aussi les articles FOETUS, NUTRITION, MUSCLE, OS.

Après avoir examiné la fibre en général, relativement à l'état naturel, à l'état de conformation, tel que l'exige la santé de chaque individu, il reste à voir à quels changemens elle est exposée dans l'état que l'on appelle dans les écoles contre-nature, c'est-à-dire dans celui de lésion, de maladie.

Nous venons de voir ci-devant, que le corps humain, par rapport à ses fibres & à leur assemblage, est un composé de parties similaires ou simples, & de parties dissimilaires ou organiques : de cette distinction des parties solides en deux especes principales, qui peuvent avoir chacune leurs vices, leurs maladies propres, il en résulte aussi deux especes de lésions principales, dont sont susceptibles les parties solides ; la premiere regarde les parties simples, l'autre les parties composées : les anciens n'ont presque point fait mention de celle-là, si l'on en excepte Galien, comme on le prouvera ci-après. Les méthodiques même, qui ne cherchoient les causes des maladies absolument que dans les solides, dont la doctrine est ordinairement appellée de stricto & laxo, c'est-à-dire, de la constriction ou roideur & du relâchement ou de la débilité des parties, n'ont point considéré ces vices dans les fibres premieres, mais seulement dans les parties organiques ; ils n'ont rien dit des maladies des fibres proprement dites : Medici sunt sensuales artifices, les Médecins ne doivent rechercher leur objet que dans ce qui tombe sous les sens, pourroit-on dire, pour approuver la conduite des anciens à cet égard ; mais on ne feroit pas attention, qu'il ne s'agit dans cette maxime que des effets, & non pas des causes ; on ne doit raisonner & tirer des conséquences de celles-ci, que d'après les phénomenes qui s'ensuivent. Que ces causes soient sensibles ou non, les effets doivent toûjours l'être pour déterminer les Medecins à s'y intéresser : c'est ce que Galien paroît avoir très-bien observé, même pour le sujet dont il s'agit (méth. l. II. cap. jv. : il établit d'abord les deux vices dont peuvent être principalement affectés les solides : sunt autem duae primae passiones, dit-il ; altera angustatio seu constrictio meatuum, altera ampliatio seu relaxatio. " Les lésions radicales des canaux, c'est-à-dire par conséquent des solides en général, ne peuvent être que leur resserrement ou leur relâchement ". Nam si prima element a supponantur impossibilia, continue le même auteur, nullae erunt aliae, praeterquam in compositione, passiones ; sola autem compositio ea quae dicimus discrimina recipit. " Car si on suppose les premiers élémens inaltérables, il ne peut y avoir de lésions que dans les parties qui en sont composées ; ces lésions n'admettent d'autre différence, que celle qui vient d'être mentionnée " ; quare necesse est similarium quamlibet partium tunc suum habere robur, ajoûte-t-il ; cum meatuum moderationem obtinet, quâ moderatione corruptâ, à naturali dispositione digrediatur oportet. " C'est pourquoi il est nécessaire que chacune des parties similaires ait une force qui lui soit propre, tant que les canaux sont dans l'état convenable ; mais lorsque cet état vient à souffrir quelque dérangement, il s'ensuit que les parties ne restent plus dans leur disposition naturelle ". Et pour ne laisser aucun doute sur ce qu'il entend par parties similaires, il finit par cette considération, dont on ne peut certainement faire l'application qu'aux fibres primitives. Sed quoniam una quaeque mediocritas duplicem patitur corruptionem, alteram exuperantiam, alteram defectum ; liquet, quod primae passiones corporum simplicium duplices erunt, quarum alterae ex ampliatione, alterae ex angustatione meatuum consistunt. " Mais parce que l'état moyen, qui est l'état naturel, est susceptible d'être vicié de deux manieres, savoir par excès ou par défaut, il paroît évident qu'il ne peut y avoir d'autre maladie des corps simples, que le resserrement & le relâchement des conduits qui en sont formés ".

C'est ainsi que le fameux auteur dont il s'agit, jette le fondement de la théorie des maladies des solides, sans s'appercevoir que c'est celui de la doctrine des méthodiques, qu'il a tant combattu ; mais ils n'ont jamais si bien posé leurs principes, que Galien le fait pour eux ; ils vouloient réduire toutes les maladies à celles des solides, au lieu que Galien, reconnoissant ces lésions primordiales des parties consistantes, ne se bornoit pas là ; il sentoit la nécessité d'admettre des générations dans les fluides, indépendantes des vices dans les solides : mais c'est de ces vices dont il doit être question ici, & de ceux qui regardent les parties similaires seulement, c'est-à-dire les fibres simples ; quand à celles des parties dissimilaires ou instrumentaires, voyez ORGANE, ORGANIQUES (maladies).

Une partie élémentaire prise séparément, dit Boerhaave (d'après Galien, ainsi qu'on vient de le voir) n'éprouve aucune altération dans sa substance, aucune maladie par conséquent ; & quand même on en supposeroit quelqu'espece, elle resteroit toûjours inconnue, parce qu'il n'y a pas apparence que les effets pussent tomber sous les sens ; d'ailleurs on ne pourroit pas distinguer ces effets de ceux des vices, dont sont affectées les parties composées de corpuscules élémentaires : mais l'élément est inaltérable de sa nature, ainsi qu'il a été établi au commencement de cet article ; on peut décider conséquemment, qu'il ne sauroit être affecté d'aucune façon : il ne peut non plus y avoir aucune lésion dans les parties qui sont immédiatement formées de ces corpuscules primitifs, unis entr'eux, c'est-à-dire dans les fibres simples, si ce n'est eu égard à leur connexion ; qui peut être ou trop forte ou trop foible : la solution de continuité regarde les parties composées : il n'est pas possible de donner ici une regle générale, par laquelle on puisse déterminer quel doit être le degré de cohésion des parties élémentaires de la fibre, pour qu'il soit le plus convenable à la santé ; il n'y en a réellement point de fixe ; il varie selon les différens tempéramens ; d'ailleurs il n'est pas toûjours le même dans un même sujet : il change avec l'âge, & dans tous les tems de la vie il est susceptible d'une certaine extension, en plus ou en moins, sans que la santé en souffre ; cette extension est nécessaire pour l'exercice de la plûpart des fonctions, qui donne lieu à l'allongement, au tiraillement des organes, par conséquent, des fibres dont ils sont composés ; ainsi les principaux vices de ces parties simples consistent principalement en ce qu'elles cedent trop ou trop peu aux efforts qui tendent à les allonger : d'où il suit que l'on peut comprendre ces vices sous deux genres essentiellement bien différens ; le premier est caractérisé par la laxité, par le défaut de ressort des fibres : le second, par l'astriction & l'excès d'élasticité ; c'est par conséquent dans tous les deux cas, par la seule cohésion que l'on connoit, que peche la fibre ; ce défaut & l'excès de l'union des parties élémentaires qui la composent, font toute la différence.

Il n'est pas possible de juger de ces lésions des solides simples, sans en considérer les effets dans les organes qui en sont composés, parce que ceux-ci ne peuvent que participer à la nature & à toutes les qualités de leurs principes ; & ceux-là ne sont jamais apperçûs séparément pendant la vie de l'animal auquel ils appartiennent : ils sont toûjours des parties intimement liées à leur tout : il ne se trouve dans aucune partie du corps aucune fibre simple, qui ne soit pas unie à d'autres pour former une membrane ; il ne se trouve aussi aucune membrane simple, qui ne soit repliée sur elle-même pour former un vaisseau simple : cette membrane n'est pas susceptible d'autre vice, que les fibres qui entrent dans sa composition, par leur union entr'elles, selon leur longueur : cette union, semblable à celle des parties élémentaires, peut également pécher, ou parce qu'elle est trop forte, ou parce qu'elle l'est trop peu : on peut dire la même chose des membranes plus composées, & de toutes les autres parties qui forment les organes par leur union entr'elles, en tant que cette union se fait par le contact, par la cohésion, ainsi que celle des élémens pour les fibres, des fibres pour les membranes primitives : ainsi tous les organes, quelque composés qu'ils soient, sont sujets aux mêmes vices que les parties les plus simples : les vaisseaux de cette qualité ne sont point connus par les sens, ni même ceux du second, du troisieme ordre ; on n'apperçoit guere que ceux du cinquieme, du sixieme. L'aorte est composée de plus d'un million de vaisseaux & de membranes de ces différens ordres ; cependant cette artere n'est pas exposée à d'autres maladies que la fibre simple, dont les deux genres principaux sont ainsi qu'il a été dit ci-devant, & qu'il va être expliqué, la laxité & l'astriction.

On appelle laxité dans les fibres, l'état dans lequel les corpuscules élémentaires qui concourent par leur union à la formation des fibres, ont si peu de force de cohésion entr'eux, qu'elle cede aisément aux moindres efforts des mouvemens nécessaires pour la santé, ou au moins de ceux qui ne sont guere plus considérables qu'il ne faut dans l'état le plus naturel, le plus reglé, le plus tranquille, respectivement aux différens tems de la vie : ensorte que les fibres éprouvent par la moindre cause de cette nature, des changemens dans leur longueur, qui augmentent celle-ci plus qu'il n'est convenable, pour l'intégrité de ces parties, tendent à leur causer la solution de continuité, ou réduisent presqu'à rien les effets qui pouvoient résulter de la continuité, tant qu'elle auroit subsisté au degré de force propre à la santé : le même vice qui fait la laxité dans les fibres par le peu de cohésion entre leurs corpuscules intégrans, fait aussi la laxité dans les parties composées des fibres, par le défaut de cohésion entr'elles ; celle-ci ne pouvant pas être connue différemment de celle des parties intégrantes des fibres même : pour la formation de celles-ci, elles sont unies en long ; pour l'union des fibres entr'elles, les parties intégrantes sont mises en large : ces corpuscules élémentaires sont les seuls moyens d'union dans la composition de toutes les parties du corps, quelque variées qu'elles soient pour la forme & pour le volume.

La cause prochaine de la laxité, tant dans les parties simples que composées, est la position trop éloignée des corpuscules intégrans des fibres entr'eux, & des fibres elles-mêmes entr'elles : ensorte que ces différentes parties sont presque hors de la sphere de la puissance qui les retient unies les unes aux autres ; ainsi, sous un volume donné, comparé à l'état naturel, il y a dans ce cas moins de corpuscules pour former les fibres, & moins de fibres pour former la partie composée quelconque ; ainsi la cause de la laxité établit en même tems le défaut de densité, puisqu'il entre moins de matiere sous forme solide dans la composition de la partie d'un volume donné : conséquemment doit-il y avoir aussi défaut de ressort, puisque c'est la multiplicité plus ou moins considérable des points de contact dans les parties intégrantes des corps, qui rend ceux-ci plus ou moins élastiques ; plus le nombre de ces points diminue, moins il y a de force de cohésion pour remettre dans leur premier état ces parties, lorsque la force qui les a écartées les unes des autres, vient à cesser ses effets.

C'est aussi de la laxité des fibres, que provient la débilité, la mollesse des parties qui en sont composées ; en effet, celles-ci sont dites foibles lorsqu'elles ne peuvent ni produire ni soûtenir les efforts nécessaires pour les actions ordinaires de la vie, auxquelles ces parties concourent : mais ces efforts ne pouvant se faire sans allonger, sans distendre les fibres, soit que ce soit des fluides qui dilatent des vaisseaux, qui en écartent les parois, soit que ce soit un muscle tiraillé par la contraction de son antagoniste, ou par sa propre tension ; pour opérer cette contraction, ces efforts tendent à la solution de continuité des fibres ; dans tous ces cas, cet effet sera produit d'autant plus aisément, qu'il y aura moins de résistance de la part de la force cohésive, ou tout au moins la distension lorsqu'elle n'est pas poussée jusqu'à causer la rupture, fait-elle perdre presque toute l'élasticité aux fibres ; parce que la force distendante tend à éloigner de plus en plus les parties intégrantes les unes des autres, à les tirer de la sphere de cohésion.

On appelle mous, les corps solides dont les parties sont aisément déplacées par la pression, sans cesser d'être continues : la laxité ne peut qu'augmenter la flexibilité des fibres, jusqu'à la rendre défectueuse à proportion que ce premier vice est plus considérablement établi ; cela suit de tout ce qui vient d'être dit : par conséquent les parties composées de fibres ainsi trop flexibles, doivent être d'une trop grande mollesse.

Les causes qui disposent à ces différens vices provenant de la laxité des fibres, sont la disposition héréditaire dans certaines familles qui consiste dans une délicatesse d'organes, dépendante du trop peu de résistance des fibres, à se laisser distendre outre mesure ; l'habitude ou l'usage de se nourrir d'alimens de bon suc, mais de qualité à humecter, pris en grande quantité avec la faculté de les bien digérer ; joints à cela sur-tout le défaut d'exercice, la résidence dans un climat chaud & humide, tout ce qui peut avoir rapport à ces circonstances, tout ce qui tend à faire surabonder les fluides dans le corps humain, qui empêche ou ne favorise pas la dissipation de leur superflu, qui fait séjourner les sucs aqueux, huileux, dans les vaisseaux simples, ensorte qu'il s'en introduise des molécules entre les parties intégrantes des fibres & entre les fibres même ; que ces molécules interposées écartent celles-là, en diminuent la cohésion, s'insinuent entre celles-ci, empêchent qu'elles se touchent entr'elles, de maniere que le contact qui se faisoit par des surfaces linéaires, ne se fasse plus que par des points entre ces molécules sphériques & les fibres : d'où il arrive que la solidité des parties qui en sont composées, diminue en raison directe de la diminution de contact, & par conséquent de la cohésion ; c'est ce qu'on observe bien sensiblement à l'égard des cuirs macérés dans l'eau, de l'effet des bains sur la peau, de la putréfaction commençante, qui ne peut jamais se faire qu'à la faveur de l'humidité, &c.

Tout ce qui peut contribuer à diminuer les forces ambiantes qui servent à presser tout le corps en général (comme la chaleur de l'air ou la diminution de son poids, ainsi qu'on l'observe sur les animaux mis dans un four chaud, dans la machine du vuide) ; tout ce qui tend à affoiblir les puissances qui peuvent comprimer les vaisseaux simples, susceptibles de s'oblitérer, d'être convertis en fibre composée ; enfin tout ce qui peut rendre imparfait l'ouvrage de la nutrition, empêcher l'assimilation des parties destinées à réparer les pertes, les abrasions des solides, corrompre la qualité des humeurs plastiques, susceptibles de s'épaissir, de se durcir dans certains petits vaisseaux, & de les convertir par-là d'une autre maniere, en partie plus solide, en fibre composée : telles sont en général les différentes causes qui peuvent établir la laxité, la débilité des fibres ; on peut en tirer aisément toutes les conséquences particulieres qui peuvent avoir rapport à ce sujet ; on peut se rendre facilement raison d'après ces principes de tous les phénomenes, de tous les effets de ce genre de vice des fibres.

Ces effets sont différens, selon les différentes fonctions des parties qui pechent ; ainsi la laxité dans les fibres musculaires, dans les organes du mouvement volontaire, produit la difficulté de mettre en jeu les membres, de soûtenir les fatigues du corps, de se livrer à l'exercice, au travail, de marcher, de porter des fardeaux, & de faire des efforts de quelque espece que ce soit, rend tout le corps affaissé, les muscles disposés à la paralysie ; & cette disposition est proportionnée au degré du vice, qui l'entretient dans les fibres nerveuses : ce vice produit la foiblesse de l'esprit, la stupidité, l'insensibilité de l'ame, en un mot la diminution & l'abolition même de la faculté que ces fibres ont de procurer le sentiment & le mouvement aux parties auxquelles elles se distribuent. Voyez PARALYSIE. Dans les membranes, la laxité produit le relâchement, la distensibilité ; d'où peuvent s'ensuivre les hernies de toute espece, les luxations, &c. Dans les fibres vasculeuses, la laxité produit des tumeurs enkistées, anévrysmales, variqueuses. Dans les fibres osseuses, ce vice produit le défaut de fermeté, de dureté dans les os ; la disposition à ce qu'ils se renflent, deviennent difformes, se courbent, se ramollissent : d'où s'ensuit la difficulté à soûtenir le corps debout, sur son séant, élevé, & même l'immobilité totale.

Passons au second genre des principaux vices qui affectent les fibres ; c'est celui de l'astriction, qui est l'opposé de la laxité.

On appelle astriction dans les fibres simples, & conséquemment dans les parties composées de fibres, l'état dans lequel elles sont trop denses, trop compactes, trop peu flexibles, trop peu susceptibles de distractilité ; ensorte qu'elles ne cedent pas suffisamment aux puissances qui font effort pour distendre les organes par l'impulsion des fluides ; qu'elles résistent trop à l'action de ceux-ci sur les solides ; qu'elles s'opposent à leur cours reglé : deux effets qui sont cependant les conditions nécessaires pour l'entretien de la vie & de la vie saine.

La cause prochaine de l'astriction des parties tant simples que composées, consiste dans la position des corpuscules intégrans qui forment les fibres, & dans la position des fibres elles-mêmes, trop rapprochés entr'eux ; ensorte que la force de cohésion qui dépend du contact, ou au moins de la proximité des parties entr'elles, est trop considérable ; parce qu'elles se présentent réciproquement des surfaces trop étendues, ce qui en multipliant les points de contact, augmente par conséquent l'adhérence & la résistance à tout ce qui peut disposer à la solution de continuité, ou la procurer ; par conséquent à tout ce qui tend à causer des allongemens, des distensions dans les parties : ainsi sous un volume donné de parties solides qui pêchent par astriction, il y a plus de corpuscules élémentaires pour la formation des fibres, & plus de fibres pour la composition de ces parties, d'où suit la densité des masses. La force de cohésion décide de la plus ou moins grande élasticité ; l'astriction suppose par conséquent celle-ci à un dégré proportionné à celle-là ; par conséquent encore elle rend les parties du corps humain trop élastiques, d'où il suit aussi qu'elles doivent trop résister à tout ce qui peut donner lieu à l'exercice de cette propriété. Elles sont donc trop peu distractiles, trop peu flexibles, ce qui doit encore les rendre très-peu molles ; & la faculté qu'elles ont de soûtenir les efforts de la vie même, lorsqu'ils sont trop violens, comme dans la fievre, les convulsions, & de ne leur céder qu'avec difficulté, devient excessive au point qu'elle ne se prete pas suffisamment, même au jeu ordinaire & le plus nécessaire des organes.

Les causes qui disposent aux différens vices provenans de l'astriction, sont aussi la disposition naturelle, la constitution que l'on reçoit dès la conception ; mais ce sont sur-tout l'éducation, le régime opposé à ceux qui contribuent à la laxité (voyez ci-devant), la vie laborieuse & trop violemment exercée, le climat froid, l'âge avancé ; tout ce qui peut dessécher les parties solides, en dissipant les fluides par le moyen de l'air, du feu, de la chaleur, en tirant ou faisant sortir les molécules aqueuses, huileuses, placées entre les élémens des fibres, & entre les fibres elles-mêmes, de maniere à en empêcher le contact ; tout ce qui peut l'augmenter par l'intrusion en remplissant les pores intimes des fibres simples & décomposées, comme l'esprit-de-vin, le sel. C'est ainsi qu'en Espagne, en Portugal, on sait borner l'accroissement de certains chiens pour les rendre plus agréables aux dames, en les lavant fréquemment avec des liqueurs spiritueuses : c'est ainsi que le lard se durcit dans la saumure ; tout ce qui peut augmenter la force vitale en fortifiant les organes, & la rendre propre à convertir un grand nombre de vaisseaux simples en fibres composées ; tout ce qui peut par une vertu plastique, disposer les sucs nourriciers à s'épaissir, se figer dans leurs propres vaisseaux, ensorte que la cavité devienne remplie d'un solide immobile, au lieu du fluide qui y couloit auparavant : tel est l'effet des acides minéraux, mêlés avec les humeurs animales, en un mot le contraire de tout ce qui peut contribuer à la laxité des fibres ; d'où on peut tirer des corollaires sur tout ce qui a rapport à l'astriction.

Les effets de ce genre de vice dans les solides, sont, comme il a été dit de ceux du vice opposé, différens selon les différentes parties qui en sont affectées : ainsi dans les fibres musculaires, ce vice produit l'inflexibilité des chairs, la roideur dans le jeu des muscles, tant que les forces subsistent ; & dès qu'elles s'affoiblissent, le tremblement des membres, leur engourdissement : dans les fibres tendineuses endurcies, le changement en substance osseuse : dans les fibres nerveuses, il produit l'apathie, c'est-à-dire qu'il rend les sens peu susceptibles d'impression, l'esprit pesant : dans les fibres osseuses, il rend les parties qui en sont composées très fragiles ; les vieillards sont plus susceptibles de fractures que les jeunes gens, parce que leurs os ont perdu par la dureté toute leur flexibilité. Dans tous les vaisseaux ; l'astriction cause aussi le défaut de flexibilité, d'où résulte la résistance à être dilatés, à recevoir les fluides ; d'où l'irrégularité du pouls des vieilles gens, les palpitations auxquelles ils sont sujets. La roideur de la membrane du tambour cause la surdité ; la sécheresse de la glotte cause la raucité ; l'inflexibilité de l'estomac cause le dégoût ; la matrice devenue d'un tissu trop serré, donne lieu à la stérilité, &c.

Les différens vices provenans tant de la laxité que de l'astriction, pouvant être contractés par toutes les parties du corps, ensuite d'une cause commune, ou par quelques-unes seulement, ensuite de quelque cause particuliere ; il faut, pour juger de ces vices, avoir toûjours égard aux différens degrés de densité, de force, de souplesse, qui sont propres à chaque partie dans l'état naturel, respectivement à la constitution particuliere de chaque individu ; à l'âge, au sexe, au climat, à la saison ; enfin à tout ce qui peut faire varier la consistance, la solidité, la fermeté des parties, sans que l'économie animale en soit troublée habituellement.

On met mal-à-propos, dans plusieurs pathologies, la grosseur & l'exilité des fibres contre nature, au nombre des défauts que les fibres simples peuvent avoir ; parce que, selon qu'il a été dit dans cet article d'après Ruysch, les fibres les plus petites que l'on peut avoir par la division des parties, qui sont encore bien éloignées d'être les fibres élémentaires, sont les mêmes dans tous les animaux : elles ne sont pas plus déliées dans une puce que dans un boeuf ; à plus forte raison peut-on dire que les fibres simples sont égales entr'elles en grosseur, ou au moins qu'on peut encore moins appercevoir la différence des unes aux autres : ainsi cette qualité lorsqu'elle peche dans les fibres, doit être attribuée aux plus composées, aux plus sensibles, telles que les fibres charnues, qui sont dites plus grossieres, lorsqu'elles sont moins susceptibles, par l'excès de leur force de cohésion, d'être divisées en plus petites parties ; ce qui peut être rapporté à l'astriction.

On n'est pas mieux fondé à faire mention de la tension & du relâchement excessifs parmi les vices des fibres simples, ainsi que le font Boerhaave & bien d'autres. Dans quelque état & de quelle nature que l'on suppose un filet, fût-il d'acier, il ne peut être tendu que par une puissance étrangere au corps, ainsi les vaisseaux sont tendus par les fluides qui en écartent les parois. La vessie, le ventre peuvent être tendus par un plus grand volume des parties qu'ils contiennent : les chairs, les tendons peuvent être tendus par la contraction musculaire, par le spasme ; on ne peut pas même dire que le desséchement des fibres qui en procure le raccourcissement, les tende si elles n'ont pas de points fixes auxquels elles soient attachées ; c'est plûtôt dans ce cas un resserrement, par le rapprochement des corpuscules élémentaires de cette partie, qu'une tension. On ne peut regarder comme vices propres d'une partie, que ceux qui lui sont inhérens, indépendamment du concours d'aucune autre.

Par l'exposé qui vient d'être fait des différens vices des fibres, il paroît qu'ils peuvent tous être rapportés au relâché & au serré, qui font la base de la doctrine des méthodiques : c'est à quoi l'on peut réduire toutes les causes des différentes maladies des parties similaires. Car si on veut faire des recherches plus précises à cet égard, on tombe inévitablement, dit Boerhaave, dans les vices compliqués des solides & des fluides, ou dans des subtilités que l'on ne peut vérifier ni par le témoignage des sens, ni par celui de la raison, & qui ne sont d'aucune utilité pour l'art de guérir.

Il reste à traiter des indications que présentent à remplir les maladies des fibres, telles qu'on vient d'en donner l'idée. Les indications ne peuvent être que très-simples, comme les vices à corriger ; ils consistent dans l'excès ou le défaut des qualités propres à la fibre simple. Il n'y a pas autre chose dans toutes les différentes combinaisons défectueuses de ses parties intégrantes ; c'est trop de resserrement de ces parties entr'elles, ou trop d'écartement : d'où trop ou trop peu de cohésion, de densité, d'élasticité, de force, &c. Il ne peut donc être question que d'employer les moyens propres à resserrer dans la laxité, & de relâcher dans l'astriction ; mais il faut se bien assûrer de la nature du vice, & faire attention qu'il n'est souvent pas sans contre-indication. Il s'agit ici du vice sans complication.

Ainsi pour satisfaire à la premiere indication, c'est-à-dire celle qui regarde la laxité, il convient d'employer 1°. les remedes tirés des matieres alimentaires de bon suc & de facile digestion, qui soient aromatisées, très-peu humectées, & par conséquent propres à ranimer, à échauffer, à pénétrer. Une nourriture qui réunit ces différentes qualités, & mise en usage avec regle pour la quantité, ne peut que contribuer à raffermir les fibres, en fournissant une plus grande abondance de suc nourricier, avec plus de disposition à être employé à l'ouvrage de la nutrition : tels sont le pain de la fleur de farine de froment bien fermenté, bien cuit ; la chair de boeuf ou de mouton ; les petits oiseaux ; les perdrix ; la volaille nourrie de grain ; ces différentes viandes rôties, grillées, assaisonnées d'épicerie ; les chapons adultes avec d'autres bonnes viandes, pour faire des consommés & autres choses de cette espece ; le bon vin pur, bien mûr, de qualité un peu astringente ; les liqueurs ardentes spiritueuses ; le café, le chocolat, l'un & l'autre au lait ou aux oeufs frais, &c. 2°. Les différentes manieres d'exercer le corps ; comme les douces secousses dans les voitures d'eau, de terre, par l'équitation, le jeu de paume, le saut, la course & autres semblables, qui concourent à dessécher les fibres, en dissipant la sérosité dont elles sont abreuvées ; à en augmenter la solidité par la force graduée, avec laquelle elles sont rapprochées, resserrées les unes contre les autres, par la répétition des contractions musculaires. 3°. Les longues veilles, que l'on sait être propres à augmenter la secrétion du fluide nerveux, à en accélérer le cours, à exciter les mouvemens musculaires, & à dessécher conséquemment les solides ; ce qui doit aussi augmenter par bien des raisons, la fermeté des fibres, pourvû que les veilles ainsi prolongées, ne soient pas excessives, & qu'elles soient proportionnées à la nourriture que l'on a prise auparavant, pour ne pas épuiser les forces. 4°. L'habitude à contracter d'endurer le froid, le chaud, de s'exposer au vent ; ce qui contribue beaucoup à raffermir les fibres, en les faisant se resserrer, en les desséchant, en les rendant plus compactes : cet effet a lieu d'autant plus aisément, que l'air chaud ou froid auquel on s'expose, est plus pur & plus sec. 5°. Les embrocations, les bains des eaux minérales chaudes, l'immersion de tout le corps dans le sable de mer bien sec, échauffé & entassé ; on augmente par ces différens moyens le ton & l'élasticité des fibres, en les comprimant, en les appliquant plus fortement les unes aux autres, & en multipliant les points de contact entr'elles : d'où doit résulter plus de force de cohésion, &c. 6°. Enfin les remedes propres à fournir des parties intégrantes, qui en s'attachant aux fibres relâchées, peuvent en resserrer les corpuscules élémentaires, & les rendre ainsi plus liés entr'eux, & plus disposés à résister à leur écartement, à leur séparation : tels sont en général tous ceux à qui on connoît une vertu astringente, stiptique bien décidée, mais modérée ; tels sont, parmi les végétaux, les fleurs de roses rouges, les balaustes, les feuilles de plantain, de sumach, les fruits de mirthe, les coings, les galles, les neffles, les sorbes ; les sucs d'acacia, d'hypocistis, la gomme de mastic, le san-dragon, les écorces de grenadier, de tamarisc, de kina, simarouba ; les racines de tormentille, de bistorte, de fougere : parmi les minéraux, l'alun, le vitriol réduit en colchotar, le safran de Mars astringent, le bol d'Arménie. De tous ces médicamens différemment combinés, les Medecins en font faire différentes préparations & compositions pharmaceutiques & chimiques, destinées à être employées pour tout le corps, ou seulement pour quelques-unes de ses parties, extérieurement ou intérieurement, selon que le besoin l'exige.

Passons à la seconde indication, savoir celle que présente à remplir le second genre de vice des parties similaires, l'astriction : il doit être corrigé 1°. par l'usage des alimens émolliens, relâchans, qui fournissent un suc nourricier de bonne qualité, qui assouplisse les fibres, en rende les corpuscules intégrans moins serrés par l'interposition de molécules aqueuses, huileuses ; qui corrige en les humectant leur trop grande siccité : tels sont le pain frais de seigle ou d'orge bien préparé, les viandes cuites à l'eau, comme celles de veau, d'agneau, de chevreau, de poulet & des jeunes chapons ; toutes celles en un mot qui peuvent fournir un suc fin, mucilagineux, noyé dans des parties aqueuses, tels que les bouillons, les potages, les crêmes claires de ris, d'avoine, d'orge, &c. Les herbages tendres, comme la blete, l'endive, la chicorée, la laitue, le pourpier, l'épinar ; les fruits propres à la saison bien mûrs, d'un suc abondant, aqueux, doux ou aigre-doux, les cérises douces, les fraises, les poires, les pommes, les raisins, les oranges douces, le concombre, le melon, &c. la boisson d'eau de riviere ou de fontaine préparée par l'ébullition d'une décoction farineuse, comme d'orge & de chiendent ; du vin leger en petite quantité bien trempé, de différentes infusions théiformes de fleurs de mauves, de violettes, de bouillon blanc, & autres d'une nature approchante. 2°. Par un genre de vie molle, tranquille, sédentaire, livré en bonne partie au sommeil ; qui ne soit exercée pendant la veille que par un mouvement modéré, de peu de durée, cependant assez fréquent ; en un mot, par un genre de vie, qui soit propre à tous égards, à relâcher, à rendre flasques les fibres trop tendues. 3°. Par une chaleur externe, humide, en vivant autant qu'il est possible dans des lieux dont l'air ait cette qualité, naturellement ou par art. Rien n'est plus propre dans ce cas, que d'être exposé de tems en tems à recevoir la vapeur de l'eau tiede, qui pénetre très-intimement le corps animal. (On en a vû très-souvent de bons effets, dit Boerhaave, comment. in inst. therap. Il rapporte entr'autres observations, avoir traité un paysan qui avoit le genou pris d'un anchylose, par conséquent immobile. Il faisoit mettre ce malade pendant deux heures par jour dans un bain de vapeurs ; il faisoit ensuite bien frotter la partie & oindre d'huile douce : après avoir répété ce remede pendant quelques jours, il eut la satisfaction de voir cet homme parfaitement guéri). Par le fréquent usage des bains dans l'eau de riviere tiede, des fomentations faites avec des décoctions émollientes, relâchantes ; par des onctions faites avec des huiles, des graisses récentes, pour ramollir les fibres & les rendre flexibles. 4°. Enfin, par des remedes internes propres à produire les mêmes effets, qui en portant de la détrempe avec des parties mucilagineuses, huileuses, fines, atténuées dans le sang, puissent rendre toutes les humeurs qui en dérivent, propres à pénétrer le tissu des organes, à diminuer la densité, la roideur, l'élasticité, la siccité des fibres, par l'interposition des parties, qui sont figurées de maniere à rendre peu nombreux les points de contact entr'elles & les corpuscules élémentaires, par conséquent à diminuer la force de cohésion qui les tenoit auparavant trop fortement unis : on peut employer pour cet effet des médicamens tirés des deux regnes végétal & animal, du premier les fleurs, les feuilles, & les fruits, dont il vient d'être fait mention (on peut ajoûter à ces derniers, comme médicamens, les raisins secs, les figues grasses, les jujubes) ; les huiles récentes d'amandes douces, d'olive, de lis, de lin ; les racines de mauve, d'althea, de lis, de nymphaea : du regne animal le beurre frais non salé, la graisse de volatiles, comme canards, oies, chapons ; la moelle de veau, de cerf, &c. De toutes ces choses différemment préparés ; mêlées, on peut prescrire des médicamens de forme convenable aux matieres, tels que des tisanes, des apozemes, des bouillons ; des bains, des fomentations, des injections, des potions laxatives, avec ce qui est tiré des végétaux, des embrocations, des linimens, avec ce qui est tiré des animaux : on fait usage de ces différens remedes d'une maniere qui intéresse tout le corps, ou seulement quelques-unes de ses parties intérieurement ou extérieurement, selon qu'il s'agit de relâcher, de ramollir ou toutes les fibres en général & tous les organes qui en sont composés, ou seulement quelques-uns de ces organes, conformément à leur situation particuliere, interne, moyenne, ou externe.

On n'a fait mention qu'en dernier lieu des médicamens dans les différens traitemens proposés contre les vices généraux des fibres ; pour donner à entendre que dans les maladies qui ne sont pas susceptibles d'être guéries promtement, & dont la guérison ne peut être opérée que par des changemens lents & successifs ; on doit plus insister sur le bon régime que sur l'usage des drogues, auxquels on ne doit pas se presser de recourir ; les moyens les plus simples & les moins extraordinaires sont toûjours plus propres à seconder la nature, sur-tout lorsqu'elle est gênée dans ses opérations, & que le besoin d'opérer des changemens n'est pas urgent.

On n'a aussi fait qu'ébaucher ces traitemens généraux, parce que les bornes de cet ouvrage ne permettent pas d'entrer dans un plus grand détail ; auquel il seroit même nécessaire de joindre des observations pratiques. On peut suppléer à ce défaut, en consultant différens ouvrages dans lesquels ce sujet est traité au long, tels que celui de Cheyne, de naturâ fibrae ejusque morbis ; ceux de Baglivi, passim ; la thérapeutique d'Astruc ; les commentaires de Boerhaave, par MM. Wanswieten & Haller ; & la traduction dans le dictionnaire de Medecine, de ce qu'a dit le premier de ces commentateurs concernant la nature & les maladies des fibres. (d).

FIBRE, ou VENULE, (Hist. nat. minéral.) l'on nomme ainsi dans l'histoire naturelle du regne minéral des petites fentes ou gersures qui accompagnent les grands filons ou les veines métalliques, & qui quelquefois sont remplies des mêmes substances, & par-là enrichissent le filon auquel ils tiennent : quelquefois les fibres sont vuides ou remplies de matieres tout-à-fait étrangeres, de crystallisations, de terre, &c. Voyez FILON. (-)


FIBREUXEUSE, adj. qui à des fibres. Voyez FIBRE.


FIBRILLES. f. (Anat.) diminutif de fibre. On peut donner ce nom plus particulierement aux filets transverses qui lient les fibres musculaires cylindriques. Les fibres du corps animal forment à la vûe simple des paquets d'autres fibres plus déliées, qui vûes au microscope, présentent un nombre prodigieux de petits filets renfermés dans une enveloppe commune, & ainsi de suite. On ignore où s'arrête cette progression observée par Leuwenhoeck & par plusieurs autres. (g)


FIBULAinstrument de Chirurgie, espece de boucle ou d'anneau dont les anciens se servoient dans une opération particuliere, par laquelle ils se proposoient d'empêcher les jeunes hommes d'avoir commerce avec des femmes, lorsqu'on pensoit que cela seroit contraire à la santé. Celse décrit cette opération à la fin du chapitre xxv. du liv. VII. sous ce titre, Infibulandi ratio. Voici la traduction de cet article.... " On boucle quelquefois les jeunes gens pour leur conserver la santé. Cela se fait de la maniere suivante. On tire le prépuce & on marque à gauche & à droite avec de l'encre, l'endroit qu'on veut percer : ensuite on laisse retomber le prépuce. Si les marques se trouvent vis-à-vis le gland, c'est une preuve qu'on a trop pris du prépuce ; il faut faire les marques plus bas : si elles se trouvent au-dessous du gland, c'est à cet endroit qu'on doit placer la boucle. C'est-là qu'il faut percer le prépuce avec une aiguille enfilée d'un fil. On noue ensuite les deux bouts de ce fil, on le remue tous les jours, jusqu'à ce que les cicatrices des trous soient affermies. Pour lors on ôte le fil, & on y passe une boucle, qui sera d'autant meilleure qu'elle sera plus legere. " Celse ajoûte que l'infibulation est plus du nombre des opérations superflues, que des nécessaires. Sed hoc quidem saepius inter supervacua quàm inter necessaria est. On a conservé cette opération dans la vétérinaire, pour empêcher l'accouplement du cheval avec la jument ; mais c'est à la jument qu'on fait porter l'anneau. Voyez BOUCLER. Fabrice d'Aquapendente, dans ses leçons de Chirurgie, montroit à ses auditeurs une boucle dont les anciens se servoient pour l'infibulation des jeunes hommes. Il l'avoit eue d'un savant antiquaire. Nous ne connoissons plus cet instrument. (Y)


FICS. m. terme de Chirurgie, tumeur qui ressemble à une figue, & qui peut arriver dans toutes les parties du corps. Cette tumeur est quelquefois molle & de la nature des loupes graisseuses ; quelquefois elle est dure & skirrheuse. Elle est ordinairement indolente. Il y a des fics qui deviennent douloureux, & qui s'exulcerent. Cette terminaison rend cancereux les fics qui tenoient de la nature du skirrhe.

On coupe le fic avec des ciseaux ou avec le bistouri. Comme la base de la tumeur est étroite, on peut la lier & en étrangler le pédicule pour la faire tomber. Les fics qui viennent au fondement & autour des parties naturelles, & qui sont des symptomes de la maladie vénérienne, se flétrissent & se dessechent quelquefois dans le cours du traitement méthodique de cette maladie ; sinon il faut les détruire de l'une ou de l'autre des façons que nous venons d'indiquer. Ceux qui ne font pas reflexion que le mot fic ne caractérise aucun genre ni aucune espece particuliere de tumeur, & que c'est simplement un nom de similitude, croyent trouver dans une épigramme de Martial, une preuve que la maladie vénérienne existoit dans l'ancienne Rome.

Cum dixi ficus, rides quasi barbara verba ;

Et dici ficos, Caeciliane, jubes.

Dicemus ficus quas scimus in arbore nasci ;

Dicemus ficos, Caeciliane, tuos.

Il y a apparence que ce Caecilianus avoit le visage défiguré par de grosses verrues ; car il n'y auroit eu aucun lieu à la plaisanterie, si ces tubercules eussent été dans une partie cachée. (Y)

FIC, (Manége, Maréchall.) terme par lequel nous désignons certaines excroissances legeres, dures, indolentes, dénuées de poils, qui naissent indistinctement sur les parties quelconques du corps de l'animal, & qui sont en tous points comparables à ces élévations cutanées, que nous nommons verrues ou porreaux dans l'homme. Leurs causes, leurs effets, leur forme & les remedes qu'elles exigent, sont précisement les mêmes. Elles doivent toûjours être envisagées comme le résultat de quelqu'obstacle qui, dans le lieu où elles se montrent, s'est opposé au cours du suc nourricier, soit que les tuyaux exigus qui charrient ce suc, ayent été obstrués, comprimés, ou ayent éprouvé d'autres atteintes, soit que ce suc lui-même ait péché par sa grossiereté & par sa viscosité. Ces sortes de fics n'ont rien de dangereux ; & d'ailleurs en supposant que relativement à la place qu'ils occupent, ils produisent quelqu'incommodité, ce qui peut arriver, eu égard aux parties exposées à des frottemens, ou eu égard à des parties de la sensibilité desquelles nous profitons, comme celle que nous appellons la barbe, il est très-facile de les détruire. Il est néanmoins très-important, pour se déterminer sur le choix des moyens que l'on doit employer à cet effet, d'examiner l'espece du fic. Ces excroissances varient quant à leur forme & quant à leur volume ; mais il ne s'agit ici que d'en considérer la figure. Les unes sont plus ou moins applaties, & leur base est très-large ; le siége de celles-ci est communément dans les lieux où le tissu de la peau est assez ferme pour les empêcher de s'élever considérablement. Les autres ont une tête ronde ou oblongue, & sont suspendues par une sorte de pédicule très-mince, attendu le petit nombre de fibres qui ont obéi & cédé à l'impulsion du suc dont quelques globules ont été contraints de s'arrêter. Il est rare que l'on soit obligé de recourir aux remedes internes, tels que les diaphorétiques, les fondans, &c. pour la guérison de ces sortes de tumeurs. Les fics, qui relativement au corps humain sont appellés verruae pensiles, & qui dans l'animal sont de la même nature, peuvent être très-aisément emportés ou par la ligature, ou par le fer. Liez-les par leur base étroite avec un crin de cheval ou de la soie, serrez la ligature de tems en tems, vous intercepterez par cette voie toute communication ; & le fic ne recevant plus aucune nourriture, se desséchera & tombera infailliblement ; coupez encore avec des ciseaux très-près de la peau, & appliquez ensuite un caustique comme la pierre infernale, par exemple, dèslors non-seulement vous étancherez le sang, mais vous consumerez toutes les racines qui pourroient donner naissance à un autre tubercule. L'huile de tartre par défaillance, ou l'esprit de sel, conviendront parfaitement dans le cas où le fic sera considérablement applati ; on l'ouvrira d'abord par sa pointe avec un instrument tranchant, & on mettra précisement sur l'ouverture pratiquée, des gouttes de cette huile ou de cet esprit ; si l'effet n'en est pas aussi promt ou aussi évident qu'on l'esperoit, substituez-y l'eau-forte ou l'huile de vitriol, ou le beurre d'antimoine, observant soigneusement que ces médicamens n'étendent pas au-delà de la tumeur & sur les parties voisines, qu'ils ne pourroient qu'endommager. On peut employer avec plus d'avantage le cautere actuel. Prenez un fer dont la forme réponde au volume du fic ; faites-le chauffer de façon qu'étant appliqué sur ce même fic, il puisse le détruire & le consumer jusque dans ses plus profondes racines ; graissez ensuite la partie brûlée avec parties égales de miel commun & d'onguent d'althaea : cette maniere de pratiquer qui peut être mise en usage pour l'extirpation des tubercules à base large, qui n'avoisinent & qui ne sont situées sur aucune partie délicate du corps de l'animal, me semble préférable à toute autre, vû la promtitude & la certitude du succès qui l'accompagne. (e)

FIC, vulgairement appellé CRAPAUD, (Manége, Maréchall.) excroissance fongueuse qui naît ordinairement dans le corps spongieux d'où la fourchette tire sa forme & sa figure. Les chevaux épais, grossiers, chargés d'humeurs, dont les piés sont extrèmement caves, dont les talons sont amples & larges, sont plus sujets à cette maladie que tous les autres. Le caractere en est plus ou moins benin. Si elle n'a d'autre cause que l'épaississement de la lymphe arrêtée dans cette partie qui, par sa propre nature, est très-disposée à l'y retenir, & qu'elle ne soit point négligée ou irritée par des médicamens peu convenables, ses progrès n'auront rien de funeste ; mais si outre cet excès de consistance il y a une grande acrimonie dans la masse, les accidens se multiplieront bien-tôt. La tumeur, qui dans son principe n'occasionnoit pas la claudication, contraindra l'animal de boiter, vû les douleurs plus ou moins vives qu'il éprouvera ; au leger suintement que l'on appercevoit d'abord, succédera une supuration considérable ; l'inflammation augmentera sans-cesse, le cheval souffrira toûjours de plus en plus : enfin le mal dégénérant en veritable ulcere chancreux que l'on reconnoîtra à la qualité de la matiere, qui dèslors sera ichoreuse, sanieuse & extrèmement foetide, s'étendra promtement, si l'on n'en arrête le cours, jusqu'aux talons, à la sole, aux quartiers ou à la pince. L'engorgement de tous les vaisseaux du pié, causé par l'arrêt des sucs dans les tuyaux qui s'y distribuent, rendra cette partie difforme, évasée ; & toutes les portions tant aponévrotiques que ligamenteuses de cette extrémité, étant incessamment altérées & corrompues, l'animal sera absolument incapable de service.

On ne sauroit trop tôt entreprendre la cure de cette espece de fic.

Il est d'abord à propos de saigner une ou deux fois l'animal, selon les degrés divers de l'inflammation & de la douleur. On le tiendra à une diete atténuante & adoucissante ; on lui administrera des lavemens émolliens, qui seront suivis d'un ou deux breuvages purgatifs ; & on le mettra à l'usage des remedes propres à détruire la viscosité des humeurs & à accélerer la circulation, tels que les atténuans, les apéritifs, &c.

Quant à l'excroissance, on l'attaquera en l'emportant avec l'instrument tranchant, & en s'efforçant de consumer tout ce qui aura été soustrait à l'action de la feuille de sauge. avec laquelle l'incision doit être faite. Si le fic ne présage rien de fâcheux ; s'il n'est point trop étendu, trop enflammé ; s'il ne suinte que legerement, on pourra se dispenser de dessoler l'animal. On se contentera de parer le pié jusqu'au vif, on coupera ensuite la sole avec l'instrument dont j'ai parlé, en cernant profondement autour du fic ; après quoi on emportera la tumeur, on consumera exactement avec des cathérétiques appropriés toutes les racines par lesquelles elle semble attachée au corps spongieux de la fourchette, & quelquefois à l'expansion aponévrotique, & qui ne sont autre chose que le prolongement des vaisseaux lymphatiques, qui sans cette précaution susciteroient inévitablement une nouvelle excroissance. Lorsque le crapaud est accompagné de tous les signes qui peuvent en faire redouter les suites, il sera plus à propos de dessoler le cheval, afin de mettre parfaitement à découvert toute la partie malade, & de pouvoir juger exactement des progrès du mal, & l'on pratiquera plus sûrement encore ce que j'ai prescrit dans le premier cas. J'ai guéri plusieurs fics du genre de ceux dont le génie ne doit point effrayer ; sans avoir recours au fer dont je n'ai fait usage que sur la sole & par la simple consomption : mais la méthode que je viens d'indiquer est préférable à tous égards. Tout dépend principalement au surplus des pansemens, de la sagacité avec laquelle le maréchal les diversifie, & des lumieres qui le guident en pareilles circonstances. (e)


FICELERv. act. (Commerce) lier un paquet de marchandise, ou autre chose, avec de la ficelle. On dit en termes de Douanne, qu'un ballot, une balle ou une caisse de marchandises a été ficelée & plombée, pour signifier que l'on a passé un morceau de ficelle autour du noeud de la corde de l'embalage, au bout de laquelle les visiteurs ont mis le plomb du bureau.

On ficelle les ballots pour empêcher qu'ils ne soient ouverts ou visités en chemin dans les autres bureaux de la route par où ils doivent passer, & aussi afin qu'on ne puisse en tirer des marchandises & en substituer d'autres à la place. Dictionn. de Comm. de Trév. & Chamb. (G)

FICELER, DEFICELER, REFICELER, v. act. c'est parmi les graveurs en bois l'action de mettre la ficelle autour du manche de la pointe à graver, de l'ôter de ce manche quand la pointe est cassée à son extrémité pointue & devient trop courte, afin d'en allonger la lame : refaire sa pointe, & ensuite reficeler le manche pour remettre cet outil en état de pouvoir s'en servir. Voyez les figures, Planches de la gravure en bois. Article de M. PAPILLON.


FICELLES. f. (Corderie) c'est la plus petite espece de corde que l'on file chez les Cordiers. Voyez l'article CORDERIE.

FICELLE ; c'est ainsi que les Chapeliers appellent la marque que la ficelle a faite au pié de la forme du chapeau quand on l'a enficelé. Cette marque se nomme aussi le lien du chapeau. Voyez CHAPEAU.

FICELLE, Rubanier, & autres ouvriers Tissutiers. Il en faut au métier du rubanier, de trois grosseurs : celle que l'on appelle ficelle à tirans, & qui est la plus grosse des trois ; la ficelle à maille, qui est de moyenne grosseur ; & la ficelle à rames, qui est la plus fine, & qui pourvû qu'elle soit bien fabriquée, ne peut être trop fine.


FICELLIERS. m. (Comm.) espece de devidoir fixé sur les comptoirs des marchands qui font un grand débit. La ficelle est sur ce devidoir, d'où le marchand la tire par le bout pour ficeler ses paquets. Il n'y a aucune différence entre le ficellier & la tournette : ces deux instrumens tournent également sur un pié, & envident ou devident la ficelle ou le fil dont ils sont chargés.


FICHANT(Fortificat.) se dit, en terme de Fortification, du feu du flanc, lorsque la ligne de défense est fichante ; parce qu'alors la balle du fusil tiré du flanc à la face du bastion, entre dans cette face. Voyez LIGNE DE DEFENSE. (Q)


FICHÉadj. en termes de Blason, se dit de ce qui a une pointe qui le rend propre à être fiché dans quelque chose. Les croix fichées, ou au pié fiché, y sont fort communes. On le dit encore des croisettes qui ont le pié aiguisé. Voyez CROISETTE.

De Bueil, d'azur au croissant montant d'argent, accompagné de six croisettes au pié fiché d'or, trois en chef & trois en pointe.


FICHEAUS. m. terme de riviere, est un morceau de bois dont les mariniers de trains se servent pour le composer. Voyez TRAIN.


FICHENARDS. m. (Cloutier) espece de clou dont on se sert pour tenir les plats-bords d'un bateau foncet.


FICHERv. act. (Art méch.) il désigne en général l'action de faire entrer un corps ordinairement pointu, dans un autre. Ainsi on fiche un clou dans une muraille, un pieu dans la terre, &c.

FICHER, terme de Maçonnerie, c'est faire entrer du mortier, avec une latte, dans les joints du lit des pierres lorsqu'ils sont calés : & remplir les joints montans d'un coulis de mortier clair, après avoir bouché les bords des uns & des autres avec de l'étoupe. On fiche aussi quelquefois les pierres avec moitié de mortier & moitié de plâtre clair. On appelle ficheur, l'ouvrier qui sert à couler le mortier entre les pierres, & à les jointoyer & refaire les joints. (P)

FICHER, en terme de Cardier, c'est l'action d'insérer les pointes dans les petits trous du feuillet. Voyez FEUILLET.

FICHER, (Jard.) se dit de l'opération de mettre les échalas en terre ; soit le long des espaliers, pour soûtenir les seps de vigne, de verjus ; soit dans la vigne même. (K)


FICHERONS. f. (Taillandier) cheville de fer quarrée & endentée, dont la tête est percée d'un trou, & qui se termine quelquefois en pointe. On s'en sert aux affuts.


FICHESS. f. pl. ce sont, dans l'Art militaire, des especes de grands bâtons, piquets, ou halebardes, dont on se sert pour marquer ou aligner les différentes lignes du camp : c'est proprement ce que l'on appelle jalons dans la Géométrie pratique. Voyez JALONS. (Q)

FICHES, terme de Lutherie, sont des chevilles de fer, autour desquelles on entortille les cordes de fer ou de cuivre des clavecins, épinettes, psaltérions, & autres instrumens de cette espece. Ces fiches ont leur partie inférieure terminée en pointe obtuse, c'est celle qui entre dans le bois ; l'autre extrémité est applatie, pour donner prise à l'accordoir, ou à la clé avec laquelle on les tourne pour tendre les cordes, jusqu'à ce qu'elles soient d'accord entr'elles.

Il y a des instrumens dont les fiches sont fendues par la tête ; ensorte que l'on peut passer une boucle, formée à l'extrémité de la corde, sur un des fourchons. Cette maniere de chevilles est bonne pour les instrumens dont les cordes souffrent de grands efforts, comme celle du tympanon ou psaltérion.

Mais dans les instrumens à clavier, cela n'est pas nécessaire ; il suffit qu'un demi-pouce, ou environ, des cordes soit pris entre la fiche & les différens tours que la corde fait autour d'elle ; il faut seulement observer que la corde soit tellement entortillée, que pour tendre ou faire monter le ton, on doive tourner à droite, & pour descendre ou lâcher, on doive tourner à gauche.

FICHE, (Peinture) instrument dont les Peintres se servent pour piquer leurs traits ou poncis. C'est un petit bâton de quatre à cinq pouces de long, sur environ trois lignes de diametre, dans lequel on a fiché une aiguille à coudre. (R)

* FICHES, (Serrur.) c'est ainsi qu'on appelle ces pieces de fermeture de fer, sur lesquelles sont soûtenues & se meuvent les portes d'armoires, les fenêtres, &c. Il y en a de différentes sortes.

Il y a des fiches à vase ; elles different des fiches à noeuds & à chapelets, en ce qu'elles n'ont que deux noeuds ; que le noeud qui forme la partie d'en-bas de la fiche, porte un mamelon : ce qui l'a fait appeller le gond de la fiche. Le gond est ferré sur les dormans des croisées, les chambranles des portes, les piés cormiers des armoires, &c. Quant au noeud qui entre sur le mamelon du gond, il est ferré sur les feuilles des portes ; & tous les deux ainsi assemblés, tant la partie du haut que celle du bas, forment la fiche à vase. Le détail de cette fiche se voit dans nos Planches de Serrurerie. A fiche enlevée ; B fiche tournée, c'est-à-dire dont le noeud est formé ; C broche ou mamelon, portant une tête pour former le vase de la fiche ; D partie de fiche à vase forgée ; E vase de la broche fini ; F gond de fiche enlevé & reparé ; G mamelon du gond ; H H la fiche ; I le gond dont le vase ou le bouton n'est point encore fait ; L K la fiche dont les deux parties sont assemblées, M la fiche à demi dans son gond.

La fiche de brisure, qui est une fiche à noeuds, qu'on ferre aux guichets des croisées & autres ouvrages semblables, brisée en plusieurs parties ; comme on le peut voir dans la vignette d'une de nos Planches de Serrurerie, au haut de laquelle on a représenté la boutique d'un serrurier qui ferre une croisée.

La fiche à chapelet, qui differe de la fiche à noeuds en ce que chaque noeud est séparé, & qu'ils sont tous enfilés par le moyen d'un mamelon ou d'une broche ; de ces noeuds l'un tourne à droite, & l'autre à gauche : ce qui fait qu'il y a entre les noeuds la hauteur d'un noeud de vuide de chaque côté, comme on le voit dans nos Planches de Serrurerie. 1, 2, 3, est la fiche à chapelet, ou à noeuds ; 1, 2, la tête ou boule du mamelon ; 3, 3, 3, le noeud ; 5 le mamelon ; 4, 6, le noeud.

La fiche de porte cochere qui est composée d'un seul noeud, qui a de la hauteur à proportion de la force de la porte ; & pour gond, un gond à repos simple ou double, selon que le cas le requiert. Cette sorte de fiche & de gond est d'usage pour les grosses portes d'allées, auxquelles on ne met point de penture.

La fiche à noeuds, qui est une espece de fiche faite comme une charniere, à travers des noeuds de laquelle passe une broche ; ou, en termes propres de l'art, un mamelon, qui fait la fonction d'une goupille dans la charniere. Voyez nos Planches de Serrurerie, en X & K.

* FICHE, (Jeux de cartes & autres) ce sont des petites lames d'ivoire, de bois, ou d'autres matieres colorées, dont les joueurs se servent lorsqu'ils n'ont plus de jettons, pour s'acquiter commodément les uns envers les autres dans le cours de certains jeux, tels que le médiateur, l'ombre, le piquet à écrire, &c. ainsi les jettons & les fiches sont au jeu des représentations de l'argent. On leur donne la valeur qu'on veut ; & à la fin du jeu on retire ses fiches & ses jettons ; on évalue la perte, & on se rembourse en argent. La raison pour laquelle les fiches sont de diverses couleurs à tous les jeux où il y a un certain nombre de joueurs dont les intérêts sont séparés, est évidente. Ces couleurs qu'on tire au sort, désignent chaque joueur, & les fiches marquent son gain ou sa perte. Quant aux jettons, ils se donnent au compte ; & à la fin de la partie du jeu, on en paye autant qu'on en a de moins qu'on n'en a reçu. Il n'est pas nécessaire qu'ils soient distingués par des couleurs. Si on prenoit aussi les fiches au compte, il seroit inutile qu'elles fussent de différentes couleurs ; le nombre que chaque joueur en auroit pris en commençant le jeu, suffiroit pour déterminer sa perte ou son gain en le finissant.


FICHETS. m. morceau de papier dont on traversoit une lettre à l'endroit où on la cachette à présent : au lieu de cacheter la lettre, comme est notre usage : on cachetoit les deux extrémités du fichet.

FICHET A TRICTRAC, en terme d'Aiguilletier, sont des fers d'environ un pouce de longueur, ayant une petite touffe de soie à chacune de leurs extrémités. Ils servent à désigner le commencement, les progrès, & la fin de la partie, en un mot le nombre des trous qu'on a pris, par celui qu'ils occupent sur les bords du trictrac, où l'on en a percé douze ; parce que la partie du trictrac est de douze trous.


FICHOIRS. m. (Imager) c'est un petit morceau de bois, applati & fendu par un des bouts en forme de pince. Les Imagers qui étalent le long des murs sur des cordes, arrêtent leurs images sur ces cordes, en en saisissant le bord supérieur avec la corde, entre les mâchoires élastiques de cette espece de pince.


FICHUS. m. (Mode) c'est une partie du vêtement des femmes en deshabillé. C'est un morceau quarré ou oblong de mousseline, d'autre toile blanche ou peinte, ou même de soie, qui se plie en deux par les angles, & dont on se couvre le cou. La pointe du fichu tombe sur le milieu du dos, & couvre les épaules ; ses cornes viennent se croiser par-devant & couvrir la gorge : mais quand on a une peau blanche, de l'embonpoint, des chairs fermes, & de la gorge, la paysanne même la plus innocente sait ménager des jours à-travers les plis de son fichu.


FICHURES. f. (Econ. rust. & Pêche) espece de trident avec lequel on darde le poisson dans l'eau.


FICOIDESS. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante dont les fleurs sont des cloches évasées, découpées ordinairement fort menu, & percées dans le fond, par où elles s'articulent avec le pistil. Lorsque les fleurs sont passées, le pistil & le calice deviennent tous les deux ensemble un fruit divisé en plusieurs loges, remplies de semences. Tournefort, mémoires de l'acad. roy. des Sciences, ann. 1705. Voy. PLANTE. (I)

FICOÏDES, (Bot. exot.) genre de plante exotique, qui n'est connue que des Botanistes & des curieux, & beaucoup plus en Hollande & en Angleterre, qu'en France & en Allemagne. Voici ses caracteres.

Toute cette plante est succulente ; elle ressemble à la joubarbe. Ses feuilles sont conjuguées, & croissent deux à deux. Le calice environne l'extrémité des bords de l'ovaire : c'est une substance charnue ; il est à cinq pieces, ou pentaphylloïdal ; sa fleur est polypétale, très-finement découpée, & sortant de la partie supérieure d'un capsule. L'ovaire pousse cinq tuyaux courbés, se remplit d'abord de suc, mais devient dans la suite un fruit fongueux ; il est divisé en cinq cellules, ou plus ; ces cellules ressemblent à de petites gousses, & sont pleines d'une grande quantité de semences très-menues. Le fruit du ficoïde se mange, & il fait la plus grande partie de la nourriture des Hottentots.

Boerhaave distingue cinquante-trois especes de ficoïdes ; & Miller en nomme quarante-un, qui sont aujourd'hui cultivées dans les jardins d'Angleterre. C'est mal-à-propos que quelques botanistes ont confondu le ficoïde avec le bananier, & d'autres avec l'opuntia, ou figuier d'Inde, pour me servir du terme vulgaire. Le ficoïde a pourtant cette ressemblance avec cette derniere plante, que son fruit est toûjours formé avant que sa fleur s'épanoüisse, & qu'il a à-peu-près la figure d'une figue ; ce qui a engagé Bradley à le nommer soucy-figue.

Les feuilles du ficoïde sont toûjours pleines de suc, & il est rare de trouver dans sa classe nombreuse des especes qui n'ayent pas les feuilles conjuguées, c'est-à-dire dont les feuilles ne naissent pas par paires à chaque jointure. Presque tous les ficoïdes sont originaires d'Afrique, sur-tout des environs du cap de Bonne-Espérance dont nous les tirons.

Ils croissent communément dans les pierres & les rocailles, aux endroits où il n'y a pas trop d'humidité ; & on les multiplie aisément de graine, ou de bouture, pourvû qu'on s'y prenne dès le commencement du printems : mais les boutures doivent être plantées dans une terre naturelle, legere, sablonneuse, & au mois de Mai ; elles y réussiront fort bien, & seront en état d'être mises au mois d'Août suivant dans des pots & couches chaudes, où on les laissera en plein air jusqu'au mois de Septembre ; car les ficoïdes se plaisent à découvert, & les petites gelées ont de la peine à mordre dessus. Par rapport au tems de leur durée, la plûpart des especes en buisson veulent être renouvellées tous les deux ou trois ans, aussi bien que les especes rampantes ; car les plantes de ce genre qui ont trois ans périssent souvent, ou si elles vivent, elles sont ordinairement mal-faites & délabrées.

Il est d'usage en plusieurs endroits d'Angleterre, de faire venir ces boutures sur une couche faite avec du tan, qui est un mélange, lequel, sans brûler les plantes, leur fournit une chaleur douce pendant trois ou quatre mois.

Il y a quelques especes de ficoïdes qui sont annuelles, & qu'on doit multiplier de graine tous les ans. Leurs feuilles sont d'abord à-peu-près comme celles de la tête de fleche, couvertes de petites vessies remplies d'un jus clair, qui les fait paroître comme autant de diamans lorsque le soleil donne dessus ; mais à mesure que la plante grossit, les feuilles diminuent & changent de figure. Leurs branches sont couvertes de vésicules transparentes, & produisent au mois de Septembre des petites fleurs blanches. Cette espece passera l'hyver, pourvû qu'on fasse lever les jeunes plantes vers le mois de Juillet & d'Août ; car alors elles ne se disposeront point à fleurir pendant trois ou quatre mois.

Il y a une autre espece de ficoïdes qui sont nains, & qui ont la même forme que l'aloès ; ils croissent toûjours fort près de terre, sans pousser de branches. La plûpart durent cinq ou six ans sans être renouvellées ; mais elles pourront perdre quelques-unes de leurs feuilles les plus proches de terre, si la surface du terrein n'est pas couverte de décombres criblés, qui contribuent à boire l'humidité, & à empêcher les feuilles de se pourrir. Ces especes basses ont ordinairement les feuilles plus succulentes, & par conséquent ont plus à craindre l'humidité que les autres : on les plante sur de petites élévations de terre au milieu des pots.

Pareillement, quelques-unes des especes rampantes, qui ont les feuilles bien succulentes & les tiges tendres, doivent être mises dans une terre dont le sommet soit couvert d'une couche mince de décombres, ou de cendres de charbon de terre, pour empêcher que le trop d'humidité ne les pourrisse. La terre que l'on destine à chaque espece de cette plante, doit être legere & sablonneuse, & mêlée avec une quatrieme partie de décombres.

Les especes en buisson dont la tige est ligneuse, doivent être arrosées modérément. Cette classe de ficoïdes demande la chaleur & l'avantage du soleil, sans quoi leurs fleurs ne s'épanoüiroient jamais, à l'exception des especes qui ne fleurissent que la nuit. Il est bon de ne planter les boutures, que quand la cicatrice de leur coupe est formée.

Les ficoïdes sont très-diversifiés par la couleur de leurs fleurs blanches, jaunes, dorées, orangées, bleues, pourpres, écarlates ; & même quelques especes sont continuellement en fleurs. Un des plus remarquables ficoïde est celui que les Anglois nomment diamond plant, ou ice plant, & les Botanistes ficoïde d'Afrique, à fleurs de plantain ondées, argentées, & brillantes comme des facettes de glace. Miller a trouvé le secret d'en perfectionner la culture, & de faire venir en Angleterre la tige, les branches & les feuilles de cette espece, plus belles qu'en Afrique. Voyez ce qu'il dit à ce sujet dans son dictionnaire des plantes de jardin, & joignez-y l'ouvrage de Bradley, intitule Historia plantar. succulentar. ornée de figures en taille-douce, & dont les diverses décades ont paru successivement à Londres en 1716, 1717, 1725, & 1727, in -4°. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FICTIou FICTICE, adj. (car ces deux mots paroissent l'un & l'autre en usage), se dit, en Philosophie, des choses qu'on suppose sans fondement ; un être fictif, une hypothese fictice. Fictif paroît aujourd'hui plus usité ; fictice est plus analogue au latin fictitius, qui a le même sens.

FICTIF, (Jurisprud.) se dit de quelque chose qui n'est point réel, mais que l'on suppose par fiction ; par exemple, une rente, un office, sont des immeubles fictifs, au lieu qu'un héritage est un immeuble réel. Voyez IMMEUBLES. Il y a des propres fictifs, qui sont les deniers stipulés propres. Voyez PROPRES. (A)

FICTIF, (Docimast.) Voyez POIDS FICTIF.


FICTIONS. f. (Belles-Lettres) production des Arts qui n'a point de modele complet dans la nature.

L'imagination compose & ne crée point : ses tableaux les plus originaux ne sont eux-mêmes que des copies en détail ; & c'est le plus ou le moins d'analogie entre les différens traits qu'elle assemble, qui constitue les quatre genres de fiction que nous allons distinguer ; savoir, le parfait, l'exagéré, le monstrueux, & le fanatique.

La fiction qui tend au parfait, ou la fiction en beau, est l'assemblage régulier des plus belles parties dont un composé naturel est susceptible, & dans ce sens étendu, la fiction est essentielle à tous les arts d'imitation. En Peinture, les Vierges de Raphael & les Hercules du Guide, n'ont point dans la nature de modele individuel ; il en est de même en Sculpture de la Vénus pudique & de l'Apollon du Vatican ; en Poësie de Cornélie & de Didon. Qu'ont fait les Artistes ? ils ont recueilli les beautés éparses des modeles existans, & en ont composé un tout plus ou moins parfait, suivant le choix plus ou moins heureux de ces beautés réunies. Voyez dans l'article CRITIQUE, la formation du modele intellectuel, d'après lequel l'imitation doit corriger la nature.

Ce que nous disons d'un caractere ou d'une figure, doit s'entendre de toute composition artificielle & imitative.

Cependant la beauté de composition n'est pas toûjours un assemblage de beautés particulieres. Elle est relative à l'effet qu'on se propose, & consiste dans le choix des moyens les plus capables d'émouvoir l'ame, de l'étonner, de l'attendrir, &c. Ainsi la furie qui poursuit Io, doit être décharnée ; ainsi le gardien d'un serrail doit être hideux. La bassesse & la noirceur concourent de même à la beauté d'un tableau héroïque. Dans la tragédie de la mort de Pompée, la composition est belle autant par les vices de Ptolomée, d'Achillas, & de Septime, que par les vertus de Cornélie & de César. Un même caractere a aussi ses traits d'ombre & de lumiere, qui s'embellissent par leur mêlange : les sentimens bas & lâches de Felix achevent de peindre un politique. Mais il faut que les traits opposés contrastent ensemble, & ne détonnent pas. Narcisse est du même ton que Burrhus ; Tersite n'est pas du même ton qu'Achille.

C'est sur-tout dans ces compositions morales, que le peintre a besoin de l'étude la plus profonde, non-seulement de la nature entant que modele, pour l'imiter, mais de la nature spectatrice pour l'intéresser & l'émouvoir.

Horace, dans la peinture des moeurs, laisse le choix ou de suivre l'opinion, ou d'observer les convenances ; mais le dernier parti a cet avantage sur le premier, que dans tous les tems les convenances suffisent à la persuasion & à l'intérêt. On n'a besoin de recourir ni aux moeurs ni aux préjugés du siecle d'Homere, pour fonder les caracteres d'Ulysse & d'Achille : le premier est dissimulé, le poëte lui donne pour vertu la prudence : le second est colere, il lui donne la valeur. Ces convenances sont invariables comme les essences des choses, au lieu que l'autorité de l'opinion tombe avec elle : tout ce qui est faux est passager : l'erreur elle-même méprise l'erreur : la vérité seule, ou ce qui lui ressemble, est de tous les pays & de tous les siecles.

La fiction doit donc être la peinture de la vérité, mais de la vérité embellie, animée par le choix & le mêlange des couleurs qu'elle puise dans la nature. Il n'y a point de tableau si parfait dans la disposition naturelle des choses, auquel l'imagination n'ait encore à retoucher. La nature dans ses opérations ne pense à rien moins qu'à être pittoresque. Ici elle étend des plaines où l'oeil demande des collines ; là elle resserre l'horison par des montagnes, où l'oeil aimeroit à s'égarer dans le lointain. Il en est du moral comme du physique. L'histoire a peu de sujets que la Poësie ne soit obligée de corriger & d'embellir pour les rendre intéressans. C'est donc au peintre à composer des productions & des accidens de la nature un mêlange plus vivant, plus varié, plus touchant que ses modeles. Et quel est le mérite de les copier servilement ? Combien ces copies sont froides & monotones, auprès des compositions hardies du génie en liberté ? Pour voir le monde tel qu'il est, nous n'avons qu'à le voir en lui-même ; c'est un monde nouveau qu'on demande aux Arts ; un monde tel qu'il devroit être, s'il n'étoit fait que pour nos plaisirs. C'est donc à l'artiste à se mettre à la place de la nature, & à disposer les choses suivant l'espece d'émotion qu'il a dessein de nous causer, comme la nature les eût disposées elle-même, si elle avoit eu pour premier objet de nous donner un spectacle riant, gracieux, ou pathétique.

On a prétendu que ce genre de fiction n'avoit point de regle sûre, par la raison que l'idée du beau, soit en Morale, soit en Physique, n'étoit ni absolue ni invariable. Quoi qu'il en soit de la beauté physique, sur laquelle du moins les nations éclairées & polies sont d'accord depuis trois mille ans, la beauté morale est la même chez-tous les peuples de la terre. Les Européens ont trouvé une égale vénération pour la justice, la générosité, la constance, une égale horreur pour la cruauté, la lâcheté, la trahison, chez les sauvages du nouveau monde, que chez les peuples les plus vertueux.

Le mot du cacique Guatimosin, & moi, suis-je sur un lit de roses ? auroit été beau dans l'ancienne Rome ; & la réponse de l'un des proscrits de Néron au licteur, utinam tu tam fortiter ferias, auroit été admirée dans la cour de Montésuma.

Mais plus l'idée & le sentiment de la belle nature sont déterminés & unanimes, moins le choix en est arbitraire, & plus par conséquent l'imitation en est difficile, & la comparaison dangereuse du modele à l'imitation. C'est-là ce qui rend si glissante la carriere du génie dans la fiction qui s'éleve au parfait ; c'est sur-tout dans la partie morale que nos idées se sont étendues. Nous ne parlons point de cette anatomie subtile qui recherche, s'il est permis de s'exprimer ainsi, jusqu'aux fibres les plus déliées de l'ame : nous parlons de ces idées grandes & justes, qui embrassent le système des passions, des vices & des vertus, dans leurs rapports les plus éloignés. Jamais le coloris, le dessein, les nuances d'un caractere ; jamais le contraste des sentimens & le combat des intérêts n'ont eu des juges plus éclairés ni plus rigoureux ; jamais par conséquent, on n'a eu besoin de plus de talens & d'étude pour réussir, aux yeux de son siecle, dans la fiction morale en beau. Mais en même tems que les idées des juges se sont épurées, étendues, élevées, le goût & les lumieres des Peintres ont dû s'épurer, s'élever, & s'étendre. Homere seroit mal reçu aujourd'hui à nous peindre un sage comme Nestor ; mais aussi ne le peindroit-il pas de même. On voit l'exemple des progrès de la poésie philosophique dans les tragédies de M. de Voltaire. Les premiers maîtres du théatre sembloient avoir épuisé les combinaisons des caracteres, des intérêts, & des passions ; la Philosophie lui a ouvert de nouvelles routes. Mahomet, Alzire, Idamé, sont du siecle de l'Esprit des lois ; & dans cette partie même, le génie n'est donc pas sans ressource, & la fiction peut encore y trouver, quoiqu'avec peine, de nouveaux tableaux à former.

La nature physique est plus féconde & moins épuisée ; & sans nous mêler de pressentir ce que peuvent le travail & le génie, nous croyons entrevoir des veines profondes, & jusqu'ici peu connues, où la fiction peut s'étendre, & l'imagination s'enrichir. Voyez EPOPEE.

Il est des arts sur-tout pour lesquels la nature est toute neuve. La Poésie, dans sa course rapide, semble avoir tout moissonné ; mais la Peinture, dont la carriere est à-peu-près la même, en est encore aux premiers pas. Homere, lui seul, à fait plus de tableaux que tous les Peintres ensemble. Il faut que les difficultés méchaniques de la Peinture donnent à l'imagination des entraves bien gênantes, pour l'avoir retenue si long-tems dans le cercle étroit qu'elle s'est prescrit.

Cependant dès qu'un génie audacieux & mâle a conduit le pinceau, on a vû éclorre des morceaux sublimes ; les difficultés de l'art n'ont pas empêché Raphael de peindre la transfiguration, Rubens le massacre des innocens, Poussin les horreurs de la peste & le déluge, &c. Et combien ces grandes compositions laissent au-dessous d'elles tous ces morceaux d'une invention froide & commune, dans lesquels on admire sans émotion des beautés inanimées ! Qu'on ne dise point que les sujets pathétiques & pittoresques sont rares ; l'Histoire en est semée, & la Poésie encore plus. Les grands poëtes semblent n'avoir écrit que pour les grands peintres : c'est bien dommage que le premier qui, parmi nous, a tenté de rendre les sujets de nos tragédies (Coypel), n'ait pas eu autant de talent que de goût, autant de génie que d'esprit ! C'est-là que la fiction en beau, l'art de réunir les plus grands traits de la nature, trouveroit à se déployer. Qu'on s'imagine voir exprimés sur la toile Clitemnestre, Iphigénie, Achille, Eriphile, & Arcas, dans le moment où celui-ci leur dit :

Gardez-vous d'envoyer la princesse à son pere....

Il l'attend à l'autel pour la sacrifier.

Le cinquieme acte de Rodogune a lui seul de quoi occuper tout la vie d'un peintre laborieux & fécond. Rappellons-nous ces momens :

Une main qui nous fut bien chere !

Madame, est-ce la vôtre ou celle de ma mere ?


FIDÉI-COMMISS. m. (Jurispr.) est une libéralité, qu'un testateur exerce envers quelqu'un, verbis indirectis & precariis, par le ministere de son héritier ou de quelque autre personne qu'il charge de remettre au fidéi-commissaire cette libéralité.

Lorsque les lois romaines parlent de substitutions, elles ne doivent s'entendre que des substitutions directes, & non des substitutions fidéi-commissaires, auxquelles elles donnent toûjours le nom de fidéicommis, & non de substitution.

Les substitutions fidéi-commissaires sont celles par lesquelles un testatur, après avoir institué un héritier, ou donné quelque chose à un légataire, le charge de rendre sa succession ou le legs à une autre personne.

Dans notre usage ; & surtout en pays coûtumier, on confond souvent les termes de substitution & de fidéi-commis.

Chez les Romains, les fidéi-commis étoient comparés aux legs per damnationem ; ensorte qu'on pouvoit laisser par fidéi-commis les mêmes choses qui pouvoient être léguées per damnationem, c'est-à-dire toutes les choses qui étoient dans le commerce, soit qu'elles appartinssent au testateur ou à autrui.

Aussi les fidéi-commis, non plus que les legs per damnationem, ne produisoient qu'une action personnelle ex testamento.

On ne les demandoit pourtant pas par formule ; comme les legs : l'action s'en intentoit à Rome devant les consuls ou devant le préteur fidei-commissaire ; & dans les provinces, devant le président.

On pratiquoit aussi une mise en possession appellée missio in rem, contre les tiers détenteurs des choses laissées par fidéi-commis, lorsque l'héritier étoit insolvable.

Suivant l'ancien droit, les fidéi-commis étoient presque toûjours inutiles en ce que la restitution en étoit confiée à la bonne-foi de l'héritier, qui souvent négligeoit d'accomplir cette partie de la volonté du testateur : ce qui engagea l'empereur Auguste à faire des lois & à créer un préteur surnommé fidéi-commissaire, pour obliger les héritiers de restituer les fidéi-commis.

Il étoit autrefois nécessaire pour la validité des fidéi-commis, qu'il y eût un héritier institué ; mais par le droit du code, il fut permis de laisser des fidéi-commis par testamens ; ce qui se pratique encore aujourd'hui dans les provinces qui se régissent par le droit écrit : & en ce cas, l'héritier ab intestat est censé chargé de la restitution du fidéi-commis énoncé dans le codicille.

Les empereurs Constantin, Constantius, & Constans abrogerent la formalité des paroles qui étoient nécessaires pour les legs & les fidéi-commis, & ordonnerent qu'ils seroient valables, en quelques termes qu'ils fussent conçus.

Justinien corrigea encore l'ancien droit, en abrogeant la mise en possession spéciale qui se pratiquoit pour les fidéi-commis, & il égala en toutes choses les legs & les fidéi-commis, en accordant pour les uns & les autres les mêmes actions, il accorda aussi pour les fidéi-commis trois actions différentes, de même que pour les legs ; savoir, l'action personnelle, la réelle ou vendication, & l'action hypothéquaire sur tous les biens du défunt : il assujettit aussi tous les légataires & fidéi-commissaires à demander la délivrance de leur legs.

En matiere de fidéi-commis, la volonté du testateur est toûjours préférée à l'observation trop scrupuleuse des formalités ; & le fidéi-commis est valable présentement, soit que le défunt en charge par forme de priere l'héritier testamentaire ou ab intestat, ou que l'héritier soit expressément chargé de rendre.

On recevoit autrefois dans les parlemens de droit écrit la preuve du fidéi-commis verbal, pourvû que la volonté du testateur fût établie par cinq témoins qui eussent été employés en même tems ; mais cela ne se pratique plus depuis l'ordonnance de 1735 qui défend la preuve par témoins de toutes dispositions à cause de mort.

Il faut, pour la validité du fidéi-commis, que celui qui en charge son héritier testamentaire ou ab intestat, ait le pouvoir de tester : ainsi le fils de famille & autres qui ne peuvent tester, ne peuvent faire de fidéi-commis ; néanmoins s'ils deviennent dans la suite capables de tester, les fidéi-commis portés par leurs codicilles précédens sont valables.

Il faut aussi que le fidéi-commis soit fait au profit d'une personne capable & sans fraude ; tellement que ceux qui prêtent leur nom pour un fidéi-commis tacite ou simulé, commettent un vrai larcin : autrefois le fidéi-commis appartenoit en ce cas au fisc ; présentement il doit être remis à l'héritier, avec restitution de fruits.

L'héritier chargé de rendre après sa mort l'hérédité, doit aussi rendre le prélegs, à moins que l'intention du testateur ne paroisse contraire.

Il n'est pas obligé de rendre ce qu'il a eu par donation ou par droit de transmission, non plus que ce qu'il a acquis par son industrie, à l'occasion des biens substitués.

L'héritier grevé de fidéi-commis est tenu, suivant les lois romaines, de donner caution, de rendre les biens au fidéi-commissaire : mais un pere grevé envers ses enfans est dispensé de donner cette caution, à moins qu'il ne passe à de secondes nôces. Quelques-uns exceptent aussi le cas où le fidéi-commis est fait par des collatéraux : au reste le pere & la mere sont tenus de donner caution lorsque le testateur l'a ainsi ordonné ; néanmoins toutes ces cautions ne s'exigent pas toûjours à la rigueur.

Le fidéi-commissaire peut obliger l'héritier grevé de faire inventaire, à moins qu'il n'en ait été dispensé par le testateur ; & l'inventaire fait par le grevé sert au fidéi-commissaire contre les créanciers, à l'effet de n'être tenu des dettes qu'intrà vires.

Il y a une grande différence à faire par rapport aux fidéi-commis entre l'héritier fiduciaire & l'héritier institué : le premier est lorsqu'un pere ou une mere sont chargés de remettre l'hoirie à leurs enfans dans un certain tems, avec prohibition de quarte, ce grevé ne fait pas les fruits siens dans l'intervalle de l'ouverture de la succession & de la remise ; au lieu que l'héritier institué, qui est seulement chargé de rendre dans un tems incertain, comme après sa mort, ou quand bon lui semblera, est véritablement héritier, & ne doit aucun compte des fruits.

L'héritier grevé de fidéi-commis peut retenir la quarte trébellianique. Voyez TREBELLIANIQUE,

Nous ne nous étendrons pas davantage ici sur les fidéi-commis, la plûpart des principes qui servent aux fidéi-commis étant communs aux substitutions en général. Voyez SUBSTITUTION, TRANSMISSION. (A)

FIDEI-COMMIS CADUC est celui qui ne peut avoir lieu, soit par le prédécès de celui qui y est appellé, ou par l'évenement de quelque autre condition qui le rend sans effet. (A)

FIDEI-COMMIS A LA CHARGE D'ELIRE, c'est lorsque le testateur institue un héritier ou légataire, à la charge de remettre l'hoirie ou le legs à telle personne que l'héritier ou légataire voudra choisir, ou à celle qu'il choisira d'entre plusieurs personnes qui lui sont désignées. Ces sortes de fidéi-commis sont fort usités dans les pays de droit écrit. Un mari, par exemple, institue sa femme son héritiere, à la charge par elle de remettre l'hoirie à celui de leurs enfans qu'elle choisira, soit au bout d'un certain tems fixé par le testament, soit après la majorité de tous les enfans. (A)

FIDEI-COMMIS CONDITIONNEL, est celui qui est fait sous une condition qui en suspend l'effet jusqu'à ce qu'elle soit arrivée : il doit être remis aussitôt l'évenement de la condition : pour décider du droit de ceux qui y prétendent, on doit les considérer non pas eu égard au tems du testament ni au tems de la mort du testateur, mais au tems que la condition est arrivée. Ainsi lorsque le plus proche parent habile à succéder est appellé, c'est celui qui se trouve le plus proche & habile, au tems de la condition, quoiqu'il ne le fût pas au tems du testament ni de la mort du testateur : on y admet aussi ceux qui n'étoient pas nés dans ces deux tems, pourvû qu'ils soient nés ou du moins conçus, lorsque la condition arrive. (A)

FIDEI-COMMIS CONTRACTUEL, est une substitution faite par donation entre vifs, & ordinairement par contrat de mariage ; c'est lorsque la donation ou contrat contient une institution d'héritier ; qu'on appelle institution contractuelle, & que l'héritier est grevé de fidéi-commis. Le fidéi-commis contractuel est irrévocable, & il a effet dès le tems du contrat ; on le regarde non comme une donation à cause de mort, mais comme un contrat entre vifs. Voyez Basset, tome II. liv. VIII. tit. xj. c. jx. (A)

FIDEI-COMMIS ETEINT, c'est lorsqu'il n'y a plus personne de ceux qui y étoient appellés, qui soit vivant ou habile de recueillir le fidéi-commis. Voyez FIDEI-COMMIS CADUC. (A)

FIDEI-COMMIS GRADUEL, c'est la même chose qu'une substitution graduelle, c'est-à-dire, où les personnes sont appellées successivement selon l'ordre de proximité des degrés. Voyez SUBSTITUTION GRADUELLE. (A)

FIDEI-COMMIS LEGAL, voyez SUBSTITUTION LEGALE.

FIDEI-COMMIS LINEAL, est celui pour lequel le testateur a suivi l'ordre des lignes par rapport aux personnes de différentes lignes qu'il y a appellées successivement, voulant qu'une ligne soit entierement épuisée avant qu'aucune personne d'une autre ligne puisse recueillir le fidéi-commis. (A)

FIDEI-COMMIS MASCULIN, est celui qui est fait en faveur des mâles à l'exclusion des femelles ; ou du moins d'abord pour les mâles par préférence aux femelles. Voyez SUBSTITUTION MASCULINE.

FIDEI-COMMIS OUVERT ; c'est lorsqu'un des appellés à la substitution ou fidéi-commis, est en état & en droit de joüir de l'effet du fidéi-commis. Le fidéicommis n'est point encore ouvert lors du testament, ni même lors de la mort du testateur ; mais il l'est après l'échéance du terme ou l'évenement de la condition, d'où dépendoit le droit de fidéi-commissaire. (A)

FIDEI-COMMIS PARTICULIER ; c'est lorsque le testateur charge son héritier de rendre à un tiers, non pas toute sa succession, mais seulement une certaine chose ou une certaine somme, à la différence du fidéi-commis universel, où l'héritier est chargé de rendre toute la succession. Voyez Argou, Instit. liv. II. c. jv. (A)

FIDEI-COMMIS PERPETUEL, est celui qui s'étend à l'infini. Autrefois le testateur avoit la liberté de faire des substitutions graduelles & perpétuelles jusqu'à l'infini ; Justinien les réduisit par sa novelle 150. à quatre degrés, non compris l'institution : l'ordonnance d'Orléans les a réduites à deux degrés ; ce qui a été confirmé par l'ordonnance de Moulins, qui a seulement laissé subsister jusqu'à quatre degrés celles qui étoient antérieures à l'ordonnance d'Orléans. Au parlement de Toulouse, les fidéi-commis ou substitutions s'étendent encore jusqu'à quatre degrés : depuis cette réduction des fidéi-commis à un certain nombre de degrés, on appelle fidéi-commis perpétuels ceux où la vocation des substitués est faite à l'infini ; bien entendu néanmoins qu'elle n'a effet que jusqu'à ce que le nombre de degrés fixé par l'ordonnance soit rempli. (A)

FIDEI-COMMIS PUPILLAIRE, ou substitution pupillaire, est une disposition par laquelle un pere qui a des enfans impuberes en sa puissance, peut leur nommer un héritier, au cas qu'ils décedent avant l'âge de puberté, auquel on peut tester : il en est parlé dans la loi v. au code de fidei-commissis. (A)

FIDEI-COMMIS PUR ET SIMPLE, est celui qui est ordonné pour avoir son effet sans aucun délai, & sans dépendre de l'évenement d'aucune condition ; il est opposé au fidéi-commis conditionnel. (A)

FIDEI-COMMIS RECIPROQUE, est la même chose que substitution réciproque ; c'est lorsque les appellés sont substitués les uns aux autres. (A)

FIDEI-COMMIS TACITE, est celui qui sans être ordonné en termes exprès, résulte nécessairement de quelque autre disposition qui le suppose.

On entend plus communément par fidéi-commis tacite une disposition simulée faite en apparence au profit de quelqu'un, mais avec intention secrette de faire passer le bénéfice de cette disposition à une autre personne qui n'est point nommée dans le testament ou la donation.

Ces sortes de fidéi-commis ne se font ordinairement que pour avantager indirectement quelque personne prohibée ; comme le mari ou la femme dans les pays & les cas où ils ne peuvent s'avantager, ou pour donner à des bâtards au-delà de leurs alimens, &c.

Ceux qui veulent faire de tels fidéi-commis choisissent ordinairement un ami en qui ils ont confiance, ou bien quelque personne de probité sur le desintéressement de laquelle ils comptent : ils nomment cet ami ou autre personne héritier légataire ou donataire, soit universel ou particulier, dans l'espérance que l'héritier légataire ou donataire pénétrant leurs intentions secrettes, pour s'y conformer, remettra à la personne prohibée que le testateur ou donateur a eu en vûe, les biens qui font l'objet du fidéi-commis.

Ces sortes de dispositions faites en fraude de la loi par personnes interposées, sont défendues par les lois romaines, & notamment par les lois 11. & 18. au digeste de his quae ut indignis auferuntur ; la premiere de ces lois veut que l'héritier qui tacitam fidem contrà leges accommodaverit, ne puisse prendre la falcidie sur les biens qu'il a remis en fraude à une personne prohibée ; la seconde veut qu'il soit tenu de rendre les fruits qu'il a perçûs ante litem motam.

Ces fidéi-commis tacites sont aussi prohibés parmi nous, tant en pays coûtumier qu'en pays de droit écrit.

Lorsque les héritiers attaquent une disposition, comme contenant un fidéi-commis tacite, on peut, s'il y a un commencement de preuve par écrit, ou quelque forte présomption de la fraude, admettre la preuve testimoniale. Voyez Soefve, tome II. cent. ij. chap. xxxiij.

On peut encore faire affirmer le légataire ou donataire, qu'il n'a point intention de rendre les biens à une personne prohibée : il y en a plusieurs exemples rapportés par Brillon en son dictionnaire, au mot fidéi-commis tacite. (A)

FIDEI-COMMIS UNIVERSEL, est celui qui comprend tous les biens ou du moins une universalité de biens ; il est opposé au fidei-commis particulier dont il est parlé ci devant. Voyez FIDEI-COMMIS PARTICULIER. (A)


FIDÉI-COMMISSAIRES. m. (Jurispr.) se dit d'une personne ou d'une succession, ou d'un legs, qui sont à droit de fidéi-commis ; par exemple :

Héritier fidéi-commissaire est celui qui est chargé de rendre l'hérédité à un autre, à titre de fidéi-commis. Voyez HERITIER FIDEI-COMMISSAIRE.

Substitution fidéi-commissaire est celle par laquelle l'héritier ou le légataire est chargé, par forme de fidéi-commis, de remettre l'hoirie ou le legs à une autre personne. Voyez SUBSTITUTION FIDEI-COMMISSAIRE. (A)


FIDÉJUSSEURS. m. (Jurisprud.) appellé en Droit fidejussor, & dans notre usage caution, est celui qui s'oblige pour la dette d'un autre, promettant de payer pour lui au cas qu'il ne satisfasse pas à son créancier : est is qui fide suâ jubet quod alius debet.

Le fidéjusseur est différent du co-obligé, en ce que celui-ci entre directement dans l'obligation principale avec les autres obligés, au lieu que le fidéjusseur ne s'oblige que subsidiairement au cas que le principal obligé ne satisfasse pas.

L'invention du fidéjusseur n'éteint pas l'engagement du principal obligé ; ce n'est qu'une sûreté de plus qu'on ajoûte à son obligation. Celle du fidéjusseur au contraire n'est qu'accessoire à la principale, c'est pourquoi elle est éteinte aussi-tôt que celle du principal obligé.

Par l'ancien droit romain le créancier pouvoit s'adresser directement au fidéjusseur ou caution, & lui faire acquiter le total de la dette sans être tenu de faire aucunes poursuites contre le principal obligé ; & s'il y avoit plusieurs fidéjusseurs, ils étoient tous obligés solidairement.

L'empereur Adrien leur accorda d'abord le bénéfice de division, au moyen duquel lorsqu'il y a plusieurs fidéjusseurs, ils peuvent contraindre le créancier à diviser son action contr'eux, & à ne les poursuivre chacun que pour leur part & portion, pourvû qu'ils fussent tous solvables lorsque la division étoit demandée.

Dans la suite Justinien par sa novelle 4 chap. j. leur accorda en outre le bénéfice d'ordre & de discussion, qui consiste à ne pouvoir être poursuivis qu'après la discussion entiere du principal obligé.

Présentement ces deux bénéfices sont devenus presque entierement inutiles aux fidéjusseurs ou cautions, attendu que les créanciers ne manquent guere de les y faire renoncer tant entr'eux, s'ils sont plusieurs, qu'à l'égard du principal obligé, au moyen de quoi ils deviennent obligés solidairement, ce que les notaires ont coûtume d'exprimer en ces termes : s'obligeant par ces présentes l'un pour l'autre, & chacun d'eux seul pour le tout, sans division ni discussion, renonçant aux bénéfices de division, ordre de droit & de discussion. Voyez BENEFICE DE DIVISION & DE DISCUSSION, BENEFICE D'ORDRE, & aux mots DISCUSSION, DIVISION, ORDRE.

La formalité des stipulations par interrogations & réponses, qui étoit usitée chez les Romains, & nécessaire pour les fidéjussions, ne se pratique point parmi nous ; les fidéjusseurs s'y obligent de la même maniere que les principaux obligés, sans aucune solennité particuliere de paroles, & sans qu'il soit besoin que le fidéjusseur soit présent en personne, pourvû qu'on justifie de son consentement par une procuration signée de lui.

Toutes les exceptions réelles qui périment l'obligation principale, servent aussi au fidéjusseur, comme quand l'obligation est pour une chose non-licite. Il en est autrement des exceptions personnelles au principal obligé, telles que la minorité, la cession de biens ; ces exceptions ne profitent pas au fidéjusseur.

Le fidéjusseur qui a payé pour le principal obligé a un recours contre lui.

Voyez au digeste, au code, & aux institutes les titres de fidejussoribus, les traités de fidejussoribus faits par Heringius & par Hipp. de Mar. in rubr. ff. de fidejuss. Guypape, quest. 570, Domat, tit. ij. les arrêtés de M. de Lamoignon, au titre des cautions, &c.

Voyez aux mots CAUTION, CAUTIONNEMENT, CERTIFICATEUR, PLEGE. (A)


FIDÉJUSSIONS. f. (Jurisprud.) est l'engagement que contracte un fidéjusseur ou caution. Voyez CAUTION & FIDEJUSSEUR. (A)


FIDELEadj. pris subst. (Théol. & Hist. ecclés.) parmi les Chrétiens signifie en général celui qui a la foi en Jesus-Christ, par opposition à ceux qui professent de fausses religions comme les idolatres.

Dans la primitive Eglise le nom de fideles étoit particulierement affecté aux laïcs baptisés, distingués des cathécumenes qui n'avoient pas encore reçû ce sacrement, & des clercs ou consacrés par l'ordination, ou attachés par quelque fonction au ministere des autels & au service des églises. Voyez CATHECUMENES & CLERCS. Ainsi dans les anciennes liturgies & dans les canons le nom de fideles désigne la portion du peuple chrétien qui étoit admise à la célébration & à la participation des SS. mysteres ; ce qui n'étoit point accordé aux cathécumenes. Aussi distinguoit-on la messe en deux parties, dont la premiere étoit appellée messe des cathécumenes, composée de quelques pseaumes, de collectes, de la lecture de l'épître & de l'évangile, & de l'instruction de l'évêque ou du pasteur, après laquelle on congédioit les cathécumenes. La seconde qu'on appelloit messe des fideles, commençoit alors & consistoit dans l'oblation des dons, leur consécration, les prieres liturgiques, & la distribution de l'Eucharistie. Voyez MESSE.

Les priviléges des fideles étoient de participer à l'Eucharistie ; d'assister à toutes les prieres de l'Eglise ; de réciter l'oraison dominicale, qu'on appelloit par cette raison l'oraison des fideles, ; & enfin d'assister aux discours où l'on traitoit le plus à fond des mysteres. Bingham, orig. ecclésiast. tom. I. lib. I. c. jv. §. 1. 2. 3. 4. & seq.

Mais lorsque l'Eglise se fut partagée en différentes sectes, on ne comptoit sous le nom de fideles, que les Chrétiens catholiques, c'est-à-dire ceux qui ont la véritable foi, la foi par excellence. Jesus-Christ a déterminé lui-même le principal caractere du fidele ; il le fait consister dans l'intime persuasion de sa puissance & de sa divinité, dans la confiance, la foi invariable en sa parole & en sa mission. C'est ce qu'il témoigne sans équivoque dans les divers passages où il parle de la foi ; on en met ici quelques-uns sous les yeux du lecteur.

Jesus voyant l'extrème confiance du centenier ; dit en marquant sa surprise : en vérité, je n'ai point trouvé une si grande foi, même en Israel. Matth. viij. 10. 13.

Dans une autre occasion comme il se fut endormi dans une barque où il étoit avec ses disciples, une tempête qui s'éleva tout-à-coup, leur fit craindre d'être submergés ; sur quoi ils l'éveillerent en lui disant, sauvez-nous, Seigneur, nous périssons. Il leur répondit : pourquoi craignez-vous, hommes de peu de foi ! c'est-à-dire hommes de peu de confiance. Matt. viij. 25. 26.

S. Pierre marchant sur les eaux, mais craignant d'enfoncer, & paroissant fort allarmé, Jesus lui tendit la main & lui dit : homme de peu de foi, pourquoi avez-vous douté ? Matt. xjv. 31.

Jesus dit à l'hémorroïsse : ma fille ayez confiance, votre foi vous a guérie. Matt. jx. 22.

Approchez votre main, dit-il à Thomas, mettez-la dans mon côté, & ne soyez pas incrédule, mais fidele. Jean, xx. 27.

Ces miracles-ci sont écrits afin que vous croyiez que Jesus est fils de Dieu, & qu'en croyant vous ayez la vie en son nom. Jean, xx. 31.

Voilà l'idée unique & simple que Jesus-Christ nous donne de la foi & du fidele ; tous les passages qu'on voit ici, & un plus grand nombre d'autres qu'on omet, ne présentent point d'autre sens ; c'est de quoi l'on peut s'assûrer en parcourant les quatre évangélistes.

Ces passages, dira-t-on, semblent donner à la foi des bornes bien étroites ; à ce compte on pourroit être fidele à peu de frais, & toutes les sociétés chrétiennes pourroient prétendre à cette qualité, puisque toutes admettent également la médiation & les mérites infinis du Sauveur ; mais à Dieu ne plaise qu'on tire cette conséquence ! elle seroit absolument mauvaise & absolument erronée ; en voici la raison, qui est sans replique : c'est que l'Eglise ayant été souvent obligée d'expliquer & de fixer les articles de sa croyance, qui se trouvoit attaquée par les hérétiques, les termes de fidele & de foi ont eu nécessairement plus d'extension dans la Théologie, qu'ils n'en avoient dans la bouche de Jesus-Christ. En effet, puisque nous devons écouter l'Eglise comme notre mere, nous devons une humble soûmission à ses decrets : si autem Ecclesiam non audierit, sit tibi sicut ethnicus & publicanus. Matt. xviij. 17. Il ne suffit donc pas d'avoir cette confiance essentielle en la puissance & en la médiation du Sauveur ; le vrai fidele doit joindre à cette foi principale & primitive, ce que l'on peut appeller la foi des dogmes, c'est-à-dire l'adhésion pure & simple aux décisions de l'Eglise catholique. Le chrétien qui montre des dispositions contraires, étale en effet son orgueil, & ne mérite plus le titre de fidele : sit tibi sicut ethnicus & publicanus. Article de M. FAIGUET.


FIDELITÉS. f. (Morale) c'est une vertu qui consiste à garder fermement sa parole, ses promesses ou ses conventions, en tant qu'elles ne renferment rien de contraire aux lois naturelles, qui en ce cas-là rendent illicite la parole donnée, les promesses faites & les engagemens contractés ; mais autrement rien ne peut dispenser de ce à quoi l'on s'est engagé envers quelqu'un : encore moins est-il permis en parlant, en promettant, en contractant, d'user d'équivoques ou autres obscurités dans le langage ; ce ne sont-là que des artifices odieux.

Les vices ne doivent pas non plus donner atteinte à la fidélité, & ne fournissent point par eux-mêmes un sujet suffisant de refuser à l'homme vicieux l'accomplissement de ce qu'on lui a promis. Lorsqu'un poëte, dit admirablement Ciceron dans ses Offices, (liv. III. ch. xxjx.), met dans la bouche d'Atrée ces paroles : " je n'ai point donné & ne donne point ma foi à qui n'en a point ; il a raison de faire parler ainsi ce méchant roi, pour bien représenter son caractere : mais si l'on veut établir là-dessus pour regle générale, que la foi donnée à un homme sans foi, est nulle, je crains bien que l'on ne cherche sous ce voile spécieux, une excuse au parjure & à l'infidélité. " Ainsi le serment, la promesse, la parole une fois donnée de faire quelque chose, en demande absolument l'exécution ; la bonne foi ne souffre point de raisonnemens & d'incertitude.

Elle est la source de presque tout commerce entre les êtres raisonnables : c'est un noeud sacré qui fait l'unique bien de la confiance dans la société de particulier à particulier ; car dès l'instant qu'on auroit posé pour maxime qu'on peut manquer à la fidélité sous quelque prétexte que ce soit, par exemple, pour un grand intérêt, il n'est pas possible de se fier à un autre lorsque cet autre pourra trouver un grand avantage à violer la foi qu'il a donnée. Mais si cette foi est inviolable dans les particuliers, elle l'est encore plus pour les souverains, soit vis-à-vis les uns des autres, soit vis-à-vis de leurs sujets : quand même elle seroit bannie du reste du monde, disoit l'infortuné roi Jean, elle devroit toûjours demeurer inébranlable dans la bouche des princes. Article de M(D.J.)

FIDELITE. (Morale) La fidélité en amour n'est pas la constance, mais c'est une vertu plus délicate, plus scrupuleuse & plus rare. Je dis que c'est une vertu plus rare. En effet, on voit beaucoup d'amans constans. On trouve peu d'amans fideles. C'est qu'en général les hommes sont plus aisément séduits qu'ils ne sont véritablement touchés.

La fidélité est donc cette attention continuelle par laquelle l'amant occupé des sermens qu'il a faits, est engagé sans-cesse à ne jamais devenir parjure. C'est par elle que toûjours tendre, toûjours vrai, toûjours le même, il n'existe, ne pense & ne sent que pour l'objet aimé ; il ne trouve que lui d'aimable. Lisant dans les yeux adorés & son amour & son devoir, il sait que pour prouver la vérité de l'un, il ne doit s'écarter jamais des regles que lui prescrit l'autre.

Que de choses charmantes pour l'amant qui est fidele ! Qu'il trouve de bonheur à l'être, & de plaisir à penser qu'il le sera toûjours ! Les plus grands sacrifices sont pour lui les plus chers. Sa délicatesse voudroit qu'ils fussent plus précieux encore. C'est la belle Thetis qui desiroit que Jupiter soûpirant pour elle, eût encore plus de grandeur, pour le sacrifier à Pelée avec plus de plaisir.

La fidélité est la preuve d'un sentiment très-vrai & l'effet d'une probité bien grande.

Il ne faut qu'aimer d'un amour sincere, pour goûter la douceur qu'on sent à demeurer fidele. Passer tous les instans de sa vie près de l'objet qui en fait le charme, employer tous ses jours à faire l'agrément & le plaisir des siens, ne songer qu'à lui plaire, & penser qu'en ne cessant point de l'aimer on lui plaira toûjours, voilà les idées délicieuses du véritable amant, & la situation enchantée de l'amant fidele.

Je dis encore que la fidélité appartient à une ame honnête. En effet, examinons ce qu'en amour les femmes font pour nous, & nous verrons par-là ce que nous devons faire pour elles.

Ce qui est préjugé dans l'ordre naturel, devient loi dans l'ordre civil. L'honneur, la réputation & la gloire, pures chimeres pour la femme de la nature, sont pour la femme qui vit en société, dans l'ordre le plus nécessaire de ses devoirs. Instruite dès l'enfance de ce que prescrivent ces derniers & de ce qui les altere, quels efforts ne doit-elle pas faire, quand elle veut y manquer ? que l'on regarde la force de ses chaînes, & l'on jugera de celle qu'il faut pour les briser. Voilà pourtant tout ce qu'il en coûte à la femme qui devient sensible, pour l'avoüer. Ajoûtez à cet état forcé les craintes de la foiblesse naturelle & les combats de la fierté mourante. Quelle reconnoissance ne devons-nous donc pas avoir pour de si grands sacrifices ! Ce n'est qu'en aimant bien, comme en aimant toûjours, que nous pouvons les mériter ; c'est en portant la fidélité jusqu'au scrupule, en pensant enfin que les choses agréables, même les plus legeres, que l'on dit à l'objet qui n'est pas l'objet aimé, sont autant de larcins que l'on fait à l'amour. On voit assez par-là qu'il n'y a guere que l'amour vertueux qui puisse donner l'amour fidele. Cet article est de M. DE MARGENCY.

FIDELITE, (Mythol. Médailles, Littér.) en latin fides, déesse des Romains qui présidoit à la bonne foi dans le commerce de la vie, & à la sûreté dans les promesses. On la prenoit à temoin dans ses engagemens, & le serment qu'on faisoit par elle, étoit de tous les sermens le plus inviolable ; elle tenoit en conséquence le premier rang dans la religion, & étoit regardée comme la principale conservatrice de la sûreté publique.

On la représentoit par deux mains qui se joignoient ensemble, ainsi qu'on le voit sur plusieurs médailles, par exemple, dans celles d'Antoine, de Vitellius, de Vespasien & d'autres, avec ces mots, fides exercituum, & dans celle d'Hostilien, avec ceux-ci, fides senatus. Consultez l'ouvrage numismatique de Bandury. Ailleurs elle est représentée debout, tenant d'une main une patere, & quelquefois de l'autre une corne d'abondance, avec ces paroles, fides publica. Souvent elle paroît avec une ou plusieurs aigles romaines.

On voit encore cette déesse gravée sur les médailles, sous la figure d'une femme couronnée de feuilles d'olivier ; d'autres fois elle est assise tenant d'une main une tourterelle, symbole de la fidélité, & de l'autre un signe militaire. Enfin elle est dépeinte avec plusieurs autres attributs sur quantité de médailles, qui ont pour inscription, fides aug. mutua, publica, equit. exercitus, militum, cohortium, legionum, &c. Quelquefois avec ces inscriptions, on trouve deux figures qui joignent la main ensemble, pour désigner l'union de gens qui se conservent la foi les uns aux autres. Dans une médaille de Titus, derriere les deux mains jointes, s'élevent un caducée & deux épics de blé.

Cette divinité n'avoit pour tout habillement qu'un voile blanc, symbole de sa candeur & de sa franchise ; te spes & albo rara fides colit velata panno, dit Horace. Ses autels n'étoient point arrosés de sang, & on ne tuoit aucun animal dans ses sacrifices, parce qu'elle détestoit l'ombre même du carnage. Ses prêtres avoient à son exemple la tête & les mains couvertes d'un voile blanc, pour faire connoître qu'ils agissoient avec une extrème sincérité, & dans ce qu'ils méditoient, & dans ce qu'ils exécutoient. Ils lui présentoient toûjours leurs offrandes avec la main droite enveloppée du voile ; & c'est par cette raison, suivant quelques-uns, que l'on prête encore serment de cette main.

Numa, selon les historiens de Rome, considérant la fidélité comme la chose du monde la plus sainte & la plus vénérable, fut le premier de tous les hommes qui lui bâtit un temple : & il voulut que les frais de son culte & de ses autels se fissent aux dépens du public, qui y étoit si fort intéressé. Ce temple de Numa étant tombé en ruine, fut réédifié par les soins d'Attilius Collatinus, car c'est ainsi qu'on doit interprêter un passage du II. livre de la nature des dieux. La statue de la fidélité fut placée dans le capitole, tout près de celle de Jupiter, quam in capitolio, dit Ciceron, vicinam Jovis optimi maximi majores nostri esse voluerunt ; ils croyoient qu'elle étoit respectable à Jupiter même, dont elle scelloit les sermens. C'est ce qu'Ennius nous apprend dans ce passage que Ciceron rapporte, & trouve avec raison si beau :

O fides alma, apta pinnis, & jusjurandum Jovis !

" O divine foi, vous méritez d'être placée au plus haut des temples, vous qui proprement n'êtes rien autre chose que le serment de Jupiter " !

En effet, Numa ne fit rien de plus digne de lui, que de consacrer un temple à la fidélité, afin que tout ce qu'on promettoit sans écriture & sans témoins fût aussi stable que ce qui seroit promis & juré avec toutes les formalités des contrats, & le peuple qu'il gouvernoit pensa de même que le législateur. Polybe & Plutarque rendent aux Romains ce témoignage glorieux, qu'ils garderent long-tems & inviolablement leur foi, sans caution, témoin ni promesse ; au lieu, disent-ils, que dix cautions, vingt promesses & autant de témoins, ne mettoient personne en sûreté contre l'infidélité des Grecs. Je crains bien que les peuples de nos jours si civilisés, ne ressemblent aux Grecs de Plutarque & de Polybe ; hé comment ne leur ressembleroit-il pas, puisque les Romains mêmes ne tenoient plus aucun compte de la foi sous le regne d'Octave ! C'est pourquoi les écrivains du siecle de cet empereur donnoient à cette vertu le nom d'antique, cana fides, pour marquer que les siecles où elle avoit été dans sa force, étoient déjà bien éloignés ; elle existoit avant Jupiter, dit Silius Italicus, Ils l'appelloient encore rare, rara fides, pour faire entendre qu'elle ne se trouvoit presque plus chez les nations policées, & qu'elle n'y a guere paru depuis. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FIDIUS(Littér. & Mythol.) dieu de la bonne foi ou de la fidélité, par lequel on juroit chez les Romains, en disant me dius Fidius, & en sous-entendant adjuvet : que le dieu Fidius me soit favorable !

J'ai lû avec grand plaisir dans une dissertation de M. l'abbé Massieu (Mém. de l'Acad. des Belles-Lettres, tom. I.), quelques détails instructifs sur le dieu Fidius, dont je vais profiter, parce que personne ne s'est encore donné la peine d'éclaircir bien des choses qui concernent ce dieu. Tout ce qu'on sait de plus sûr ; c'est qu'il présidoit à la religion des contrats & des sermens : du reste on ignore sa véritable généalogie, la force de ses différens noms, & même la maniere dont ils doivent être lûs.

Denys d'Halycarnasse semble confondre le dieu Fidius avec Jupiter ; car en plusieurs endroits où il est obligé de traduire le dieu Fidius des Romains, il le rend par le des Grecs. Mais il est abandonné sur ce point par tout ce qu'il y a de meilleurs critiques.

La plûpart croyent que ce dieu étoit le même qu'Hercule, & que ces deux mots dius fidius ne signifient autre chose que Jovis filius. Nos anciens, dit Festus, se servoient souvent de la lettre d au lieu de la lettre l, & disoient fidius au lieu de filius : c'étoit aussi le sentiment d'Elius, au rapport de Varron.

Quelques-uns prennent ce dieu pour Janus, d'autres pour Sylvanus, dieu des forêts : ceux qui prétendent avoir le plus approfondi cette matiere, soûtiennent après Lactance, que c'étoit un dieu étranger, & que les Romains l'avoient emprunté des Sabins. Ils lui donnent une naissance miraculeuse, qui dès ce tems même de superstition, parut fort équivoque & fort suspecte.

Les sentimens ne sont pas moins partagés sur les noms de ce dieu que sur son origine. Les trois noms qu'on lui donnoit le plus communément, étoient ceux de Sancus, de Fidius, & de Semi-pater.

C'est encore un nouveau sujet de dispute entre les Savans, que de déterminer la maniere dont on doit lire ces trois noms, car ils ne s'accordent que touchant fidius, & sont très-divisés, au sujet de sancus & de semi-pater. En effet, à l'égard du premier nom, les uns tiennent pour sancus, les autres pour sangus, d'autres pour sanctus, & ceux-ci concluent que ce dieu étoit le même qu'Hercule. Quant au dernier nom, les uns lisent semi-pater, & par ce mot n'entendent autre chose que demi-dieu ; les autres semi-caper, dans la persuasion où ils sont que dius fidius étoit le même que Sylvanus, qui comme toutes les divinités champêtres, avoit des piés de chevre : enfin la plûpart lisent semo-pater, c'est-à-dire dieu mitoyen, dieu qui faisoit son séjour dans l'air, n'étant pas assez éminent pour être dieu du ciel, & l'étant trop pour être simple dieu de la terre.

Mais ce qui rend le choix difficile entre tant d'opinions, c'est que chacun des auteurs qui les soûtiennent, a ses autorités ; & que dans ce grand nombre de diverses leçons, il n'y en a point qui ne soit fondée sur de vieux manuscrits & sur d'anciennes inscriptions.

Au reste, si nous en croyons des critiques dignes de foi, la ressemblance qui se trouve entre les mots semo & simo, fit tomber S. Justin le martyr dans une grande erreur ; ce pere grec, mal instruit de ce qui regardoit la langue & les usages des Romains, s'imagina sur quelques inscriptions de semo-sancus, qu'il s'agissoit de ces sortes de monumens de Simon le magicien : de sorte que dans cette idée il chargea les Romains de n'avoir point de honte d'admettre parmi leurs dieux un imposteur avéré ; & cette méprise de Justin martyr passa dans les écrits de plusieurs autres peres de l'église, dit M. l'abbé Massieu.

Si jamais un dieu mérita des temples, c'est le dieu Fidius ; aussi en avoit-il plusieurs à Rome : l'un dans la treizieme région de la ville ; un autre qui étoit appellé aedes dii Fidii sponsoris, temple du dieu Fidius sponsor, c'est-à-dire garant des promesses ; & un troisieme situé sur le mont Quirinal, où l'on célebroit la fête de ce dieu le 5 Juin de chaque année. Ovide dit au sujet de ce dernier temple, qu'il étoit l'ouvrage des anciens Sabins, Fast. liv. VI. v. 217. Denys d'Halycarnasse assûre au contraire positivement que Tarquin le Superbe l'avoit bâti, & qu'environ quarante ans après la mort de ce roi, Spurius Posthumius étant consul, en fit la dédicace.

Mais sans examiner qui a raison du poëte ou de l'historien, & sans chercher à les concilier, il est toûjours certain que quel que fût le dieu Fidius, ou Jupiter vengeur des faux sermens, ou Hercule son fils, ou tout autre, & de quelque maniere qu'on l'appellât, ce dieu présidoit à la sainteté des engagemens. On lui donnoit par cette raison pour compagnie, l'honneur & la vérité. Un ancien marbre qui existe encore à Rome, en fait foi ; il représente d'un côté sous une espece de pavillon, un homme vêtu à la romaine, près duquel est écrit honor, & de l'autre côté une femme couronnée de laurier, avec cette inscription, veritas ; ces deux figures se touchent dans la main ; au milieu d'elles est représenté un jeune garçon d'une figure charmante, & au-dessus on lit dius fidius. Voilà une idée bien noble & bien juste ! ne seroit-elle gravée que sur le marbre ?

Après ce détail, on sera maître de consulter ou de ne pas consulter Festus & Scaliger sur Denys d'Halycarnasse ; Vossius de idolol. lib. I. cap. xij. lib. VIII. cap. xiij. Struvius antiq. Rom. synt. cap. j. les Dictionnaires de Pitiscus & de Martinius, &c. Au reste la fidélité étoit une divinité différente du dieu Fidius ; ou pour mieux dire, les Romains avoient un dieu & une déesse qui présidoient à la bonne foi, à la sûreté des engagemens & des promesses. Voyez donc FIDELITE. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FIDUCIAIRES. m. (Jurisprud.) se dit d'un héritier ou légataire, qui est chargé par le défunt de rendre à quelqu'un la succession ou le legs, en tout ou partie. Voyez FIDUCIE, FIDEICOMMIS, HERITIER FIDUCIAIRE, SUBSTITUTION. (A)


FIDUCIES. f. (Jurispr.) fiducia seu pactum fiduciae, étoit chez les Romains une vente simulée faite à l'acheteur, sous la condition de retrocéder la chose au vendeur au bout d'un certain tems.

Ce terme fiducia, qui est fort commun dans les anciens livres, ne se trouve point dans tout le corps de droit, du moins pour signifier un gage.

L'origine de ce pacte vint de ce qu'on fut long-tems à Rome, sans connoître l'usage des hypotheques ; de sorte que pour pouvoir engager les immeubles aussi bien que les meubles, on inventa cette maniere de vente simulée appellée fiducia, par laquelle celui qui avoit besoin d'argent, vendoit & livroit, par l'ancienne cérémonie de la mancipation, son héritage à celui qui lui prétoit de l'argent, à condition néanmoins que celui-ci seroit tenu de lui vendre & livrer l'héritage avec la même cérémonie, lorsqu'il lui rendroit ses deniers. Fiducia contrahitur, dit Boëce sur les topiques de Cicéron, cum res alicui mancipatur, ea lege ut eam mancipanti remancipes est quae remancipatio fiduciaria, cum restituendi fides interponitur.

Le créancier ou acheteur fiduciaire, avoit coûtume de prendre pour lui les fruits de l'héritage.

Ces ventes fiduciaires étoient si communes anciennement chez les Romains, que parmi le petit nombre de formules qu'ils avoient pour les actions, il y en avoit une exprès pour ce pacte, appellée judicium fiduciae, dont la formule étoit, inter bonos bene agies, & sine fraudatione, dit Cicéron, au troisieme de ses offices. Ce jugement étoit, dit-il, magnae existimationis, imo etiam famosum. Voyez Orat. pro Ros. com. & pro caecinnâ.

Mais depuis que les engagemens & même les simples hypotheques conventionnelles des immeubles furent autorisées, on n'eut plus besoin de ces ventes simulées, ni de ces formalités de mancipations & de rémancipations ; dans lesquelles il y avoit toûjours du hasard à courir, au cas que l'acheteur fiduciaire fût de mauvaise foi.

Les peres qui vouloient mettre leurs enfans hors de leur puissance, les vendoient aussi autrefois, titulo fiduciae, à quelqu'un de leurs amis, qui à l'instant leur donnoit la liberté ; ce qui s'appelloit émancipation. Mais Justinien, par une de ses constitutions qui étoit redigée en grec & qui est perdue, ordonna que toutes les émancipations seroient censées faites contractâ fiduciâ. Il en est fait mention dans la loi derniere, au code de emancipat. liber. Voyez Cujas, sur le §. 8. des instit. lib. III. tit. iij. & Loyseau, des offic. liv. II. ch. iij. n. 31. & suiv. (A)


FIDUCIELLE(LIGNE) Horlog. c'est le point d'un limbe divisé par degrés, par lequel passe une ligne perpendiculaire à l'horison. Ainsi le point fiduciel dans une oscillation de pendule, est le plus bas de sa descente.


FIEFS. m. (Droit politiq. Hist. littér.) Un fief étoit, dans son origine, un certain district de terrein possédé par un leude, avec des prérogatives inhérentes à ce don, ou à cette possession qui étoit amovible. Mais du tems de Charlemagne & de Lothaire I. il y avoit déjà quelques-uns de ces sortes de biens qui passoient aux héritiers, & se partageoient entr'eux : ensuite les fiefs devinrent héréditaires ; & pour lors leur hérédité jointe à l'établissement général des arriere-fiefs, éteignirent le gouvernement politique, & formerent le gouvernement féodal.

Je n'ai pas dessein de traiter ici de nos fiefs modernes ; je me propose d'envisager cette matiere sous une face plus générale, plus noble, & j'ose ajoûter, plus digne de nos regards. Quel spectacle singulier que celui de l'établissement des fiefs ! " Un chêne antique s'éleve, l'oeil en voit de loin les feuillages ; il approche, il en voit la tige, mais il n'en apperçoit point les racines, il faut percer la terre pour les fouiller ". C'est la comparaison d'un des beaux génies de notre siecle (Esprit des Lois, tome III.), qui après avoir découvert les racines de ce chêne antique, l'a représenté dans son vrai point de vûe.

L'origine des fiefs vient de l'invasion des peuples du Nord en occident & en orient. Personne n'ignore l'évenement qui est une fois arrivé dans le monde, & qui n'arrivera peut-être jamais ; je veux parler de l'irruption des nations septentrionales, connues sous le nom de Goths, Visigoths, Ostrogoths, Vandales, Anglo-Saxons, Francs, Bourguignons, qui se répandirent dans toute l'Europe, s'y établirent, & donnerent le commencement aux états, aux fiefs, qui partagent aujourd'hui cette partie du monde.

Ces peuples barbares, c'est-à-dire ces peuples étrangers à la langue & aux moeurs des pays qu'ils inonderent, descendoient des anciens Germains, dont César & Tacite nous ont si bien dépeint les moeurs. Nos deux historiens se rencontrent dans un tel concert, avec les codes des lois de ces peuples, qu'en lisant César & Tacite, on trouve par-tout ces codes ; & qu'en lisant ces codes, on trouve par-tout César & Tacite.

Raisons de cette invasion en occident. Après que le vainqueur de Pompée eut opprimé sa patrie, & qu'elle eut été soûmise à la domination la plus tyrannique, l'Europe gémit long-tems sous un gouvernement violent, & la douceur romaine fut changée en une oppression des plus cruelles. Enfin les nations du Nord favorisées par les autres peuples également opprimés, se rassemblerent & se réunirent ensemble pour vanger le monde : elles se jetterent comme des torrens en Italie, en France, en Espagne, dans toutes les provinces romaines du midi, les conquirent, les démembrerent, & en firent des royaumes ; Rome avoit si bien anéanti tous les peuples, que lorsqu'elle fut vaincue elle-même, il sembla que la terre en eût enfanté de nouveaux pour la détruire.

Les princes des grands états ont ordinairement peu de pays voisins qui puissent être l'objet de leur ambition ; s'il y en avoit eû de tels, ils auroient été enveloppés dans le cours de la conquête : ils sont donc bornés par des mers, des rivieres, des montagnes, & de vastes deserts, que leur pauvreté fait mépriser. Aussi les Romains laisserent-ils les Germains septentrionaux dans leurs forêts, & les peuples du Nord dans leurs glaces ; & il s'y conserva, ou il s'y forma des nations qui les asservirent eux-mêmes.

Raisons de cette invasion en Orient. Pendant que les Goths établissoient un nouvel empire en Occident, à la place de celui des Romains, il y avoit en Orient les nations des Huns, des Alains, des Avares, habitans de la Sarmatie & de la Scythie, auprès des Palus-Méotides, peuples terribles, nés dans la guerre & dans le brigandage, errans presque toûjours à cheval ou sur leurs chariots, dans le pays où ils étoient enfermés.

On raconte que deux jeunes Scythes poursuivant une biche qui traversa le bosphore Cimmérien, aujourd'hui le détroit de Kapha, le traverserent aussi. Ils furent étonnés de voir un nouveau monde ; & retournant dans l'ancien, ils firent connoître à leurs compatriotes les nouvelles terres, & si l'on peut se servir de ce terme, les Indes qu'ils avoient découvertes.

D'abord les armées innombrables de ces peuples Huns, Alains, Avares, passerent le bosphore, & chasserent sans exception tout ce qu'ils rencontrerent sur leur route ; il sembloit que les nations se précipitassent les unes les autres, & que l'Asie pour écraser l'Europe, eût acquis un nouveau poids. La Thrace, l'Illyrie, l'Achaïe, la Dalmatie, la Macédoine, en un mot, toute la Grece fut ravagée.

Enfin sous l'empereur Théodose, dans le cinquieme siecle, Attila vint au monde pour dessoler l'Univers. Cet homme, un des plus grands monarques dont l'histoire ait parlé, logé dans sa maison de bois où nous le représente l'histoire, étant maître de tous ces peuples Scythes, craint de ses sujets sans être haï, rusé, fier, ardent dans sa colere, & sachant la regler suivant ses intérêts ; fidelement servi des rois mêmes qui étoient sous sa dépendance ; simple dans sa conduite, & d'ailleurs d'une bravoure qu'on ne peut guere loüer dans le chef d'une nation, où les enfans entroient en fureur au récit des beaux faits d'armes de leurs peres, & où les peres versoient des larmes lorsqu'ils ne pouvoient pas imiter leurs enfans ; Attila, dis-je, soûmit tout le Nord, traversa la Germanie, entra dans les Gaules, ravagea l'Italie, détruisit Aquilée, retourna victorieux dans la Pannonie, & y mourut après avoir imposé ses lois à l'empire d'Orient & d'Occident, & se préparant encore à envahir l'Asie & l'Afrique. Envain, après sa mort, les nations barbares se diviserent, l'empire des Romains étoit perdu ; il alla de degrés en degrés, de la décadence à sa chûte, jusqu'à ce qu'il s'affaissa tout-à-coup sous Arcadius & Honorius. Ainsi changea la face de l'Univers.

Différence qui a résulté de l'invasion en Occident & en Orient. Par le tableau que nous venons de tracer de ce grand évenement qu'ont produit les invasions successives des Goths & des Huns, le lecteur est en état de juger de la différence qui a dû résulter de l'irruption de ces divers peuples du Nord. Les derniers n'ont fait que ravager les pays de l'Europe où ils ont passé, sans y former d'établissement ; semblables aux Tartares leurs compatriotes, soûmis à la volonté d'un seul, avides de butin, ils n'ont songé dans leurs conquêtes qu'à se rendre formidables, à imposer des tributs exorbitans, & à affermir par les armes l'autorité violente de leur chef. Les premiers au contraire se fixerent dans les royaumes qu'ils soûmirent ; & ces royaumes, quoique fondés par la force, ne sentirent point le joug du vainqueur. De plus, ces premiers, libres dans leurs pays, lorsqu'ils s'emparerent des provinces romaines en Occident, n'accorderent jamais à leur général qu'un pouvoir limité.

Quelques-uns même de ces peuples, comme les Vandales en Afrique, les Goths dans l'Espagne, déposoient leur roi dès qu'ils n'en étoient pas contens ; & chez les autres, l'autorité du prince étoit bornée de mille manieres différentes. Un grand nombre de seigneurs la partageoient avec lui ; les guerres n'étoient entreprises que de leur consentement ; les dépouilles étoient communes entre le chef & les soldats ; aucun impôt en faveur du prince ; & les lois étoient faites dans les assemblées de la nation.

Quelle différence entre les Goths & les Tartares ! Ces derniers en renversant l'empire grec, établirent dans les pays conquis le despotisme & la servitude ; les Goths conquérant l'empire romain, fonderent partout la monarchie & la liberté. Jornandez appelle le nord de l'Europe, la fabrique du genre humain ; il seroit encore mieux de l'appeller, la fabrique des instrumens qui ont brisé les fers forgés au midi : c'est-là en effet que se sont formées ces nations vaillantes, qui sont sorties de leurs pays pour détruire les tyrans & les esclaves, & pour apprendre aux hommes que la nature les ayant fait égaux, la raison n'a pû les rendre dépendans que pour leur bonheur.

Autres preuves de cette différence. On comprendra mieux ces vérités, si l'on veut se rappeller les moeurs, le caractere, & le génie des Germains dont sortirent ces peuples, que Tacite nomme Gethones, & qui subjuguerent l'empire d'Occident. Ils ne s'appliquoient point à l'agriculture ; ils vivoient de lait, de fromage, & de chair ; personne n'avoit de terres ni de limites qui lui fussent propres. Les princes & les magistrats de chaque nation donnoient aux particuliers la portion de terrein qu'ils vouloient dans le lieu qu'ils vouloient, & les obligeoient l'année suivante de passer ailleurs.

Chaque prince avoit une troupe de compagnons (comites) qui s'attachoient à lui & le suivoient. Il y avoit entr'eux une émulation singuliere pour obtenir quelque distinction auprès du prince ; il regnoit de même une vive émulation entre les princes sur le nombre & la bravoure de leurs compagnons. Dans le combat, il étoit honteux au prince d'être inférieur en courage à ses compagnons ; il étoit honteux aux compagnons de ne point égaler la valeur du prince, & de lui survivre. Ils recevoient de lui le cheval du combat, & le javelot terrible. Les repas peu délicats, mais grands, étoient une espece de solde pour ces braves gens.

Il n'y avoit point chez eux de fiefs, mais il y avoit des vassaux. Il n'y avoit point de fiefs, puisque leurs princes n'avoient point de terrein fixe à leur donner ; ou si l'on veut, leurs fiefs étoient des chevaux de bataille, des armes, des repas. Il y avoit des vassaux, parce qu'il y avoit des hommes fideles, liés par leur parole, par leur inclination, par leurs sentimens, pour suivre le prince à la guerre. Quand un d'eux, dit César, déclaroit à l'assemblée qu'il avoit formé le projet de quelque expédition, & demandoit qu'on le suivît ; ceux qui approuvoient le chef & l'entreprise, se levoient & offroient leur secours. Il ne faut pas s'étonner que les descendans de ces Peuples ayant le même gouvernement, les mêmes moeurs, le même caractere, & marchant sur les mêmes traces, ayent conquis l'empire romain.

Idée du gouvernement féodal établi par les peuples du Nord en Europe. Mais pour avoir une idée du gouvernement qu'ils établirent dans les divers royaumes de leur domination, il est nécessaire de considérer plus particulierement la nature de leurs armées envoyées pour chercher de nouvelles habitations, & la conduite qu'ils tinrent. La nation entiere étoit divisée, comme les Israélites, en plusieurs tribus distinctes & séparées, dont chacune avoit ses juges sans aucun supérieur commun, excepté en tems de guerre, tels qu'étoient les dictateurs parmi les Romains : ainsi les armées ou colonies qu'on faisoit partir de leurs pays surchargés d'habitans, n'étoient pas des armées de mercenaires qui fissent des conquêtes pour l'avantage de ceux qui les payoient ; c'étoient des sociétés volontaires, ou des co-partageans dans l'expédition qu'on avoit entreprise. Ces sociétés étoient autant d'armées distinctes, tirées de chaque tribu, chacune conduite par ses propres chefs, sous un supérieur ou général choisi par le commun consentement, & qui étoit aussi le chef ou capitaine de sa tribu : c'étoit en un mot une armée de confédérés. Ainsi la nature de leur société exigeoit que la propriété du pays conquis fût acquise à tout le corps des associés, & que chacun eût une portion dans le tout qu'il avoit aidé à conquérir.

Pour fixer cette portion, le pays conquis étoit divisé en autant de districts que l'armée contenoit de tribus ; on les appella provinces, comtés (en anglois shire, qui vient du mot saxon scyre, c'est-à-dire diviser, partager). Après cette division générale, les terres étoient encore partagées entre les chefs des tribus. Comme il étoit nécessaire à leur établissement, dans un pays nouvellement conquis, de continuer leur général dans son autorité, on doit le considérer sous deux divers égards ; comme seigneur d'un district particulier, divisé parmi ses propres volontaires ; ou comme seigneur ou chef de la grande seigneurie du royaume. A chaque district ou comté présidoit le comte (en anglois ealdorman), qui avec une assemblée de vassaux tenanciers (landholders) régloit toutes les affaires du comté ; & sur toute la seigneurie du royaume, présidoit le général ou roi, lequel avec une assemblée générale des vassaux de la couronne, regloit les affaires qui regardoient tout le corps de la république ou communauté.

Ainsi quand les Gaules furent envahies par les nations germaines, les Visigoths occuperent la Gaule narbonnoise, & presque tout le midi ; les Bourguignons se fixerent dans la partie qui regarde l'orient ; les Francs conquirent à-peu-près le reste ; & ces peuples conserverent dans leurs conquêtes les moeurs, les inclinations, & les usages qu'ils avoient dans leur pays, parce qu'une nation ne change pas dans un instant de manieres de penser & d'agir. Ces peuples, dans la Germanie, cultivoient peu les terres, & s'appliquoient beaucoup à la vie pastorale. Roricon, qui écrivoit l'histoire chez les Francs, étoit pasteur.

Le partage des terres se fit différemment chez les divers peuples qui envahirent l'empire : les uns comme les Goths & les Bourguignons, firent des conventions avec les anciens habitans sur le partage des terres du pays : les seconds, comme les Francs dans les Gaules, prirent ce qu'ils voulurent, & ne firent de réglemens qu'entr'eux ; mais dans ce partage même, les Francs & les Bourguignons agirent avec la même modération. Ils ne dépouillerent point les peuples conquis de toute l'étendue de leurs terres ; ils en prirent tantôt les deux tiers, tantôt la moitié, & seulement dans certains quartiers. Qu'auroient-ils fait de tant de terres ?

D'ailleurs il faut considérer que les partages ne furent point exécutés dans un esprit tyrannique, mais dans l'idée de subvenir aux besoins mutuels de deux peuples qui devoient habiter le même pays. La loi des Bourguignons veut que chaque bourguignon soit reçu en qualité d'hôte chez un romain : le nombre des romains qui donnerent le partage, fut donc égal à celui des bourguignons qui le reçurent. Le romain fut lésé le moins qu'il lui fut possible : le bourguignon chasseur & pasteur, ne dédaignoit pas de prendre des friches ; le romain gardoit les terres les plus propres à la culture ; les troupeaux du bourguignon engraissoient le champ du romain.

Ces partages de terres sont appellés par les écrivains du dernier tems, sortes gothicae, & sortes romanae en Italie. La portion du terrein que les Francs prirent pour eux dans les Gaules, fut appellée terra salica, terre salique ; le reste fut nommé allodium, en françois aleu, de la particule négative à, & heud qui signifie en langue teutonique, les personnes attachées par des tenemens de fief, qui seules avoient part à l'établissement des loix.

Le romain ne vivoit pas plus dans l'esclavage chez les Francs, que chez les autres conquérans de la Gaule ; & jamais les Francs ne firent de réglement général qui mit le romain dans une espece de servitude. Quant aux tributs, si les Gaulois & les Romains vaincus en payerent aux Francs, ce qui n'est pas vraisemblable dans la monarchie de ces peuples simples, ces tributs n'eurent pas lieu long-tems, & furent changés en un service militaire : quand au cens, il ne se levoit que sur les serfs, & jamais sur les hommes libres.

Comme les Germains avoient des volontaires qui suivoient les princes dans leurs entreprises, le même usage se conserva après la conquête. Tacite les désigne par le nom de compagnons, comites ; la loi salique par celui d'hommes qui sont sous la foi du roi, qui sunt in truste regis, tit. xljv. art. 4 ; ces formules de Marculfe (l. I. form. 18), par celui d'antrustions du roi du mot trew, qui signifie fidel chez les Allemands, & chez les Anglois true, vrai ; nos premiers historiens par celui de leudes, de fideles) & les suivans par celui de vassaux, & seigneurs, vassali, seniores.

Les biens réservés pour les leudes, furent appellés dans les divers auteurs & dans les divers tems, des biens fiscaux, des bénéfices ; termes que l'on a ensuite appropriés aux promotions ecclésiastiques ; des honneurs, des fiefs, c'est-à-dire, dons ou possessions, du mot teutonique, feld ou foeld, qui a cette signification ; dans la langue angloise on les appella fees.

On ne peut pas douter que les fiefs ne fussent d'abord amovibles. Les historiens, les formules, les codes des différens peuples barbares, tous les monumens qui nous restent, sont unanimes sur ce fait. Enfin, ceux qui ont écrit le livre des fiefs, nous apprennent que d'abord les seigneurs purent les ôter à leur volonté, qu'ensuite ils les assûrerent pour un an, & ensuite les donnerent pour la vie.

Deux sortes de gens étoient tenus au service militaire ; les leudes vassaux qui y étoient obligés en conséquence de leur fief ; & les hommes libres francs, romains & gaulois, qui servoient sous le comte, & étoient menés par lui & ses officiers.

On appelloit hommes libres, ceux qui d'un côté n'avoient point de bénéfices ou fiefs, & qui de l'autre n'étoient point soûmis à la servitude de la glebe ; ces terres qu'ils possédoient, étoient ce qu'on appelloit des terres allodiales.

Il y avoit un principe fondamental, que ceux qui étoient sous la puissance militaire de quelqu'un, étoient aussi sous sa jurisdiction civile. Une des raisons qui attachoit ce droit de justice, au droit de mener à la guerre, faisoit en même tems payer les droits du fisc, qui consistoient uniquement en quelques services de voiture dûs par les hommes libres, & en général en de certains profits judiciaires très-limités. Les seigneurs eurent le droit de rendre la justice dans leurs fiefs, par le même principe qui fit que les comtes eurent le droit de la rendre dans leur comté.

Les fiefs comprenoient de grands territoires ; comme les rois ne levoient rien sur les terres qui étoient du partage des francs, encore moins pouvoient-ils se réserver des droits sur les fiefs ; ceux qui les obtinrent eurent à cet égard la joüissance la plus étendue : la justice fut donc un droit inhérent au fief même. On ne peut pas, il est vrai, prouver par des contrats originaires, que les justices dans les commencemens ayent été attachées aux fiefs, puisqu'ils furent établis par le partage qu'en firent les vainqueurs ; mais comme dans les formules des confirmations de ces fiefs, on trouve que la justice y étoit établie, il résulte que ce droit de justice étoit de la nature du fief, & une de ses prérogatives.

On sait bien que dans la suite, la justice a été séparée d'avec le fief, d'où s'est formée la regle des jurisconsultes françois, autre chose est le fief, autre chose est la justice : mais voici une des grandes causes de cette séparation ; c'est que, y ayant une infinité d'hommes de fiefs, qui n'avoient point d'hommes sous eux, ils ne furent pas en état de tenir leurs cours : toutes les affaires furent donc portées à la cour de leur seigneur suzerain, & les hommes de fiefs perdirent le droit de justice, parce qu'ils n'eurent ni le pouvoir ni la volonté de le reclamer.

Présentement nous pouvons nous former une idée de la nature des gouvernemens établis en Europe, par les nations du nord. Nous voyons de-là l'origine des principautés, duchés, comtés, dans lesquels les royaumes de l'Europe ont été partagés ; de-là nous pouvons remarquer, que la propriété, le domaine (directum dominium) du pays, résidoit dans le corps politique ; que les tenanciers en fief étoient seulement revêtus du domaine utile, dominium utile ; & que par conséquent les grands tenoient leurs seigneuries du public, du royaume & non du roi. C'est ainsi que les Princes d'Allemagne tiennent leurs principautés de l'Empire & non de l'empereur ; & c'est aussi pourquoi les seigneurs anglois sont nommés pairs du royaume, quoiqu'on croye communément qu'ils tiennent leur titre du roi. C'est encore par la même raison qu'en Angleterre.... Mais laissons aux particuliers des diverses nations, les remarques intéressantes qui les concernent, & hâtons-nous de parler des principaux changemens, qui par succession de tems, sont arrivés dans le gouvernement féodal & politique de notre royaume.

Changemens arrivés dans le gouvernement féodal & politique de France. Quoique par la loi, les fiefs fussent amovibles, ils ne se donnoient pourtant, ni ne s'ôtoient d'une maniere arbitraire, & c'étoit ordinairement une des principales choses qui se traitoit dans les assemblées de la nation ; on peut bien penser que la corruption se glissa parmi nous sur ce point, l'on continua la possession des fiefs pour de l'argent, comme on fit pour la possession des comtés.

Ceux qui tenoient des fiefs avoient de très-grands avantages. La composition pour les torts qu'on leur faisoit, étoit plus forte que celle des hommes libres. On ne pouvoit obliger un vassal du roi de jurer par lui-même, mais seulement par la bouche de ses propres vassaux. Il ne pouvoit être contraint de jurer en justice contre un autre vassal. Ces avantages firent que l'on vint à changer son aleu en fief, c'est-à-dire qu'on donnoit sa terre au roi, qui la donnoit aux donateurs en usufruit ou bénéfice, & celui-ci désignoit au roi ses héritiers.

Comme il arriva sous Charles Martel, que les fiefs furent changés en biens d'église, & les biens d'église en fiefs, les fiefs & les biens d'église prirent réciproquement quelque chose de la nature de l'un & de l'autre. Ainsi les biens d'église eurent les priviléges des fiefs, & les fiefs eurent le privilége des biens d'église. Voilà l'origine des droits honorifiques dans les églises.

Les hommes libres ne pouvoient point dans les commencemens se recommander pour un fief ; mais ils le purent dans la suite, & ce changement se fit dans le tems qui s'écoula depuis le regne de Gontrand jusqu'à celui de Charlemagne. Ce prince dans le partage fait à ses enfans, déclara que tout homme libre pourroit après la mort de son seigneur, se recommander pour un fief dans les trois royaumes, à qui il voudroit, de même que celui qui n'avoit jamais eu de seigneur. Ensuite tout homme libre put choisir pour son seigneur qui il voulut, du roi ou des autres seigneurs. Ainsi ceux qui étoient autrefois nuement sous la puissance du roi, en qualité d'hommes libres sous la puissance du comte, devinrent insensiblement vassaux les uns des autres à cause de cette liberté.

Voici d'autres changemens qui arriverent en France dans les fiefs depuis Charles le Chauve. Il ordonna dans ses capitulaires, que les comtés seroient donnés aux enfans du comte, & il voulut que ce réglement eût encore lieu pour les fiefs. Ainsi les fiefs passerent aux enfans par droit de succession & par droit d'élection.

L'Empire étoit sorti de la maison de Charlemagne dans le tems que l'hérédité des fiefs ne s'établissoit que par condescendance ; au contraire, quand la couronne de France sortit de la maison de Charlemagne, les fiefs étoient réellement héréditaires dans ce royaume ; la couronne, comme un grand fief, le fut aussi.

Après que les fiefs, d'annuels qu'ils étoient, furent devenus héréditaires, il s'éleva plusieurs contestations entre les seigneurs & leurs vassaux & entre les vassaux eux-mêmes ; dans ces contestations il fallut faire des réglemens concernant les droits & les fonctions réciproques de chacun. Ces réglemens ramassés peu-à-peu des décisions particulieres ; furent appellés la loi des fiefs, & on s'en servit en Europe pendant plusieurs siecles.

Cette loi est distinguée par le docteur Nicholson, un des plus savans prélats d'Angleterre en matiere d'antiquités, dans les périodes suivantes : 1°. sa naissance depuis l'irruption des nations septentrionales jusqu'à l'an 650 : 2°. son enfance depuis ce tems-là jusqu'en 800 : en 3e. lieu sa jeunesse depuis le même tems jusqu'en 1027 : enfin 4°, son état de perfection peu de tems après.

Les princes de l'Europe & leurs sujets se trouvant unis mutuellement par des titres de possessions en fief (ce qui étant duement considéré, montra la vraie nature du pouvoir de la royauté) ; cette union subsista long-tems dans un heureux état, pendant lequel, aucun prince de l'Europe ne s'imagina être revêtu d'un pouvoir arbitraire, jusqu'à ce que la loi civile ayant été ensevelie dans l'oubli après l'établissement des nations du nord dans l'occident de l'Empire, cette nouvelle idée parut au jour. Alors quelques princes se servirent de la loi Regia pour s'attribuer un pouvoir despotique, & introduire dans leurs royaumes la loi civile, uniquement par ce motif. Cette entreprise n'eut point de succès en Angleterre, mais elle gagna le dessus dans d'autres parties de l'Europe ; en Espagne, par exemple, où la lecture de cette loi fut pour cette raison défendue sur peine de la vie.

Effets qui ont résultés de l'hérédité des fiefs. Une infinité de conséquences ont résulté de la perpétuité des fiefs. Il arriva de cette perpétuité des fiefs, que le droit d'aînesse ou de primogéniture s'établit dans l'Europe, chez les François, les Espagnols, les Italiens, les Anglois, les Allemands. Cependant on ne connoissoit point en France cet injuste droit d'aînesse dans la premiere race ; la couronne se partageoit entre les freres, les aleus se divisoient de même, & les fiefs amovibles ou à vie n'étant pas un objet de succession, ne pouvoient être un objet de partage. Dans la seconde race, le titre d'empereur qu'avoit Louis le Débonnaire, & dont il honora Lothaire son fils aîné, lui fit imaginer de donner à ce prince une espece de primauté sur ses cadets.

On juge bien que le droit d'aînesse établi dans la succession des fiefs, le fut de même dans celle de la couronne, qui étoit le grand fief. La loi ancienne qui formoit des partages, ne subsista plus : les fiefs étant chargés d'un service, il falloit que le possesseur fût en état de le remplir : la raison de la loi féodale força celle de la loi politique ou civile.

Dès que les fiefs furent devenus héréditaires, les ducs ou gouverneurs des provinces, les comtes ou gouverneurs des villes, non contens de perpétuer ces fiefs dans leurs maisons, s'érigerent eux-mêmes en seigneurs propriétaires des lieux, dont ils n'étoient que les magistrats, soit militaires, soit civiles, soit tous les deux ensemble. Par-là fut introduit un nouveau genre d'autorité dans l'état, auquel on donna le nom de suzeraineté ; mot, dit Loyseau, qui est aussi étrange que cette espece de seigneurie est absurde.

A l'égard des fiefs qui étoient dans leurs gouvernemens, & qu'ils ne purent pas s'approprier, parce qu'ils passoient par hérédité aux enfans du possesseur, ils inventerent, pour s'en dédommager, un droit qu'on appella le droit de rachat, qui se paya d'abord en ligne directe, & qui par usage, vint à ne se payer plus qu'en ligne collatérale. Voilà l'origine du droit de rachat reçu par nos coûtumes.

Bien-tôt les fiefs pûrent être transportés aux étrangers comme un bien patrimonial ; c'est à quoi l'on attribue en général l'origine du droit de lods & ventes ; mais consultez là-dessus ceux qui ont traité de cette matiere, relativement aux différentes coûtumes du royaume.

Lorsque les fiefs étoient à vie, on ne pouvoit pas donner une partie de son fief, pour le tenir à toûjours en arriere-fief ; il eût été absurde qu'un simple usufruitier eût disposé de la propriété de la chose ; mais lorsqu'ils devinrent perpétuels, cela fut permis avec de certaines restrictions, que nos coûtumes ont en partie adoptées, c'est-là ce qu'on a nommé se joüer de son fief.

La perpétuité des fiefs ayant établi le droit de rachat, comme nous l'avons dit, il arriva que les filles purent succéder à un fief au défaut des mâles ; car le seigneur donnant le fief à la fille, il multiplioit les cas de son droit de rachat, parce que le mari devoit le payer comme la femme : mais cette disposition ne pouvoit avoir lieu pour la couronne ; car comme elle ne relevoit de personne, il ne pouvoit y avoir de droit de rachat sur elle.

Eléonore succéda à l'Aquitaine, & Mathilde à la Normandie. Le droit des filles à la succession des fiefs parut dans ce tems-là si bien établi, que Louis VII. dit le jeune, après la dissolution de son mariage avec Eléonore, ne fit aucune difficulté de lui rendre la Guienne en 1150.

Quand les fiefs étoient amovibles, on les donnoit à des gens qui pouvoient les servir ; & il n'étoit point question de mineur : mais quand ils furent perpétuels, les seigneurs prirent le fief jusqu'à la majorité, soit pour augmenter leur profit, soit pour faire élever le pupille dans l'exercice des armes. Ce fut, je pense, vers l'an 877, que les rois firent administrer les fiefs, pour les conserver aux mineurs ; exemple qui fut suivi par les seigneurs, & qui donna l'origine à ce que nous appellons la garde-noble ; laquelle est fondée sur d'autres principes que ceux de la tutele, & en est entierement distincte.

Quand les fiefs étoient à vie, on se recommandoit pour un fief ; & la tradition réelle qui se faisoit par le sceptre, constatoit le fief, comme fait aujourd'hui ce que nous nommons l'hommage.

Lorsque les fiefs passerent aux héritiers, la reconnoissance du vassal, qui n'étoit dans les premiers tems qu'une chose occasionnelle, devint une action réglée ; elle fut faite d'une maniere plus éclatante ; elle fut remplie de plus de formalités, parce qu'elle devoit porter la mémoire des devoirs du seigneur & du vassal, dans tous les âges.

Quand les fiefs étoient amovibles ou à vie, ils n'appartenoient guere qu'aux lois politiques ; c'est pour cela que dans les lois civiles de ce tems là il est fait si peu mention des lois des fiefs : mais lorsqu'ils devinrent héréditaires, qu'ils purent se donner, se vendre, se léguer, ils appartinrent & aux lois politiques & aux lois civiles. Le fief considéré comme une obligation au service militaire, tenoit au droit politique ; considéré comme un genre de bien qui étoit dans le commerce, il tenoit au droit civil : cela donna naissance aux lois civiles sur les fiefs.

Les fiefs étant devenus héréditaires, les lois concernant l'ordre des successions dûrent être relatives à la loi de la perpétuité des fiefs : ainsi s'établit, malgré la disposition du droit romain & de la loi salique, cette regle du droit françois, propres ne remontent point. Il falloit que le fief fût servi ; mais un ayeul, un grand oncle, auroient été de mauvais vassaux à donner au seigneur : aussi cette regle n'eut-elle d'abord lieu que pour les fiefs, comme nous l'apprenons de Boutillier.

Les fiefs étant devenus héréditaires, les seigneurs soigneux de veiller à ce que le fief fût servi, exigerent que les filles qui devoient succéder aux fiefs ne puissent se marier sans leur consentement ; de sorte que les contrats de mariage devinrent pour les nobles une disposition féodale, & une disposition civile. Dans un acte pareil fait sous les yeux du seigneur, on faisoit des dispositions pour la succession future, dans la vûe que le fief pût être servi par les héritiers.

En un mot, les fiefs étant devenus héréditaires'& les arriere-fiefs s'étant étendus, il s'introduisit beaucoup d'usages en France, auxquels les lois saliques, ripuaires, bourguignones, & visigothes n'étoient plus applicables : on en retint bien pendant quelque tems l'esprit, qui étoit de regler la plûpart des affaires par des amendes ; mais les valeurs ayant changé, les amendes changerent aussi. L'on suivit l'esprit de la loi, sans suivre la loi même. D'ailleurs la France se trouvant divisée en une infinité de petites seigneuries qui reconnoissoient plûtôt une dépendance féodale, qu'une dépendance politique, il n'y eut plus de loi commune. Les lois saliques, bourguignones, & visigothes, furent donc extrèmement négligées à la fin de la seconde race ; & au commencement de la troisieme on n'en entendit presque plus parler. C'est ainsi que les codes des lois des barbares & les capitulaires se perdirent.

Enfin le gouvernement féodal commença entre le douzieme & treizieme siecle, à déplaire également aux monarques qui gouvernoient la France, l'Angleterre, & l'Allemagne : ils s'y prirent tous à-peu-près de même, & presque en même tems, pour le faire évanoüir, & former sur ses ruines une espece de gouvernement municipal de villes & de bourgs. Pour cet effet, ils accorderent aux villes & aux bourgs de leur domination plusieurs priviléges. Quelques serfs devinrent citoyens ; & les citoyens acquirent pour de l'argent le droit d'élire leurs officiers municipaux. C'est vers le milieu du douzieme siecle qu'on peut fixer en France l'époque de l'établissement municipal des cités & des bourgs. Henri II. roi d'Angleterre donna des prérogatives semblables aux villes de son royaume ; les empereurs suivirent les mêmes principes en Allemagne : Spire, par exemple acheta en 1166 le droit de se choisir des bourguemestres, malgré l'évêque qui s'y opposoit : ainsi la liberté naturelle aux hommes sembla vouloir renaître de la conjoncture des tems & du besoin d'argent où se trouvoient les princes. Mais cette liberté n'étoit encore qu'une servitude réelle, en comparaison de celle de plusieurs villes d'Italie qui s'érigerent alors en république, au grand étonnement de toute l'Europe.

Il arriva cependant qu'insensiblement les villes & les bourgs de divers royaumes s'accrurent en nombre, & devinrent de plus en plus considérables : ensuite la nécessité, mere de l'industrie, obligea quantité de personnes à imaginer des moyens de contribuer aux commodités des gens riches, pour avoir de quoi subsister : de-là, l'invention de divers métiers en divers lieux & en divers pays. Enfin parut en Europe le commerce qui fructifie tout, le retour aimable des Lettres, des Arts, des Sciences, leur encouragement & leur progrès : mais comme rien n'est pur ici bas, de-là vint la renaissance odieuse de la maltôte romaine, si nuisible & si cruelle, inconnue dans la monarchie des Francs, & malheureusement remise en pratique parmi nous, lorsque les hommes commencerent à joüir des Arts & du Commerce.

Auteurs théoriques sur les fiefs. C'est précisément lorsque les fiefs furent rendus héréditaires, que presque tous les auteurs ont commencé leurs traités sur ce sujet, en appliquant communément aux tems éloignés les idées générales de leur siecle ; source d'erreurs intarissable. Ceux qui ont remonté plus haut ont bâti des systèmes sur leurs préjugés. Peu de gens ont sû porter leur esprit sans prévention aux vraies sources des lois féodales ; de ces lois qu'on vit paroître inopinément en Europe, sans qu'elles tinssent à celles qu'on avoit jusqu'alors connues ; de ces lois qui ont fait des biens & des maux infinis ; de ces lois enfin qui ont produit la regle avec une inclination à l'anarchie, & l'anarchie avec une tendance à la regle. M. de Montesquieu tenant le bout du fil est entré dans ce labyrinthe, l'a tout vû, en a peint le commencement, les routes, & les détours, dans un tableau lumineux dont je viens de donner l'esquisse, en empruntant perpétuellement son crayon, je ne dis pas son coloris.

Ceux qui seront curieux de comparer son excellent ouvrage avec d'autres sur la même matiere, peuvent lire, par exemple, de Hauteserre, Origines feudorum pro moribus Galliae, liber singularis ; il se trouve à la fin de ses trois livres de ducibus & comitibus provincialibus Galliae, Toulouse, 1643, in -4°. Le Fevre de Chantereau, de l'origine des fiefs ; Loyseau, Boutillier, Pasquier ; quelques-uns de nos historiens ; Cambden, dans sa Britannia ; Spelman, & Saint-Amand, dans son Essai sur le pouvoir législatif de l'Angleterre. Article de M(D.J.)

FIEF, (Jurisprud.) en latin feudum, & quelquefois anciennement feodum, est un immeuble ou droit réel qui est tenu & mouvant d'un seigneur, à la charge de lui faire la foi & hommage, quand il y a mutation & changement de personne, soit de la part du seigneur dont releve le fief, soit de la part du vassal, qui est le possesseur du fief.

Il est aussi ordinairement dû des droits en argent au seigneur, pour certaines mutations ; mais il n'y a que la foi & hommage qui soit de l'essence du fief : c'est ce qui le distingue des autres biens.

Les auteurs sont fort partagés sur l'étymologie du mot fief : les uns le font venir de foedus, à cause de l'alliance qui se fait entre le seigneur & le vassal ; d'autres, comme Cujas, le font venir de fides, ou du mot gaulois fé ou fié, qui signifie foi, parce que la foi est ce qui constitue l'essence du fief ; d'autres, du mot saxon feh, gages. Bodin prétend que le mot latin foedus est formé des lettres initiales de ces mots, fidelis ero domino vero meo, qui étoient une ancienne formule de la foi & hommage : Hottoman le fait venir du mot allemand qui signifie guerre : Pontanus le tire du mot danois feid, service militaire : d'autres du mot hongrois foeld, terre : d'autres, de foden, nourrir ; mais l'opinion de Selden, qui paroît la plus suivie, est que ce mot fief tire son étymologie de l'ancien saxon feod, qui signifie joüissance ou possession de la solde ; parce qu'en effet les fiefs, dans leur origine, ont été donnés pour récompense du service militaire, & à la charge de faire ce service gratuitement : de maniere que le fief tenoit lieu de solde. De feod on a fait en latin feodum, & par corruption feudum : aussi les termes de féodal & de féodalité sont-ils plus usités dans nos coûtumes, que celui de feudal.

Tous les héritages & droits réels réputés immeubles, sont tenus en fief, ou en censive, ou en franc-aleu.

Les fiefs sont opposés aux rotures, qui sont les biens tenus en censive ; ils sont aussi différens des franc-aleux, qui ne relevent d'aucun seigneur.

Dans le doute, une terre est présumée roture, s'il n'appert du contraire.

La qualité de fief doit être prouvée par des actes de foi & hommage, par des aveux & dénombremens, par des partages, ou par des jugemens contradictoires, & autres actes authentiques.

Un seul dénombrement ne suffit pas pour la preuve du fief, à moins qu'il ne soit soûtenu d'autres adminicules : la preuve par témoins n'est point admise en cette matiere.

On peut tenir en fief toutes sortes d'immeubles, tels que les maisons & autres bâtimens, cours, basse-cours, jardins, & autres dépendances, les terres labourables, prés, vignes, bois, étangs, rivieres, &c.

M. le Laboureur, sur les Masures de l'isle Barbe, p. 181. dit, à l'occasion d'un titre de l'an 1341, que l'érection d'un fief ne se pouvoit faire qu'il n'y eût 10 liv. de rente ; ce qui suffisoit alors pour l'entretien d'un gentilhomme.

On peut aussi tenir en fief toutes sortes de droits réels à prendre sur des immeubles tels que le cens, rentes foncieres, dixmes, champarts, &c. les propriétaires de ces droits sont obligés d'en faire la foi au seigneur dont ils les tiennent.

Les justices seigneuriales sont aussi toutes tenues en fief du roi, & attachées à quelque fief corporel dont elles ne peuvent être séparées par le possesseur.

L'origine des fiefs est un des points les plus obscurs & les plus embrouillés de notre histoire ; elle paroît venir de l'ancienne coûtume de toutes les nations, d'imposer un hommage & un tribut au plus foible.

Plusieurs tiennent que les fiefs étoient absolument inconnus aux Romains ; parce qu'en effet il n'en est point parlé dans leurs lois : il est néanmoins certain que les empereurs romains donnerent à leurs capitaines & à leurs soldats des terres conquises sur les ennemis, avec des esclaves & des animaux pour les cultiver ; ces concessions furent faites à la charge de l'hommage ou reconnoissance envers celui dont ils tenoient ces bienfaits ; & à condition de ne passer aux enfans mâles qu'au cas qu'ils portassent les armes. S'il n'y avoit que des filles, ou que les garçons ne portassent pas les armes, l'empereur donnoit les terres à d'autres officiers ou soldats ; ce qu'il faisoit, dit Lampride en la vie de Sévere, pour les engager à mieux défendre les frontieres qui étoient devenues leur propre bien. On trouve plusieurs exemples de ces concessions sous les empereurs Alexandre Severe & Probus, l'un mort l'an 211 ; l'autre, en 282.

On trouve donc dès le tems des Romains le premier modele des fiefs, & l'obligation du service militaire imposée aux possesseurs ; & comme c'étoient principalement les terres des frontieres que l'on accordoit ainsi aux officiers, on peut rapporter à cette époque la premiere origine de nos marquis, qui, dans leur institution, étoient destinés à garder les marches ou frontieres du royaume.

Comme les empereurs faisoient ces sortes de concessions dans les pays qu'ils avoient conquis, on conçoit qu'ils ne manquerent pas d'en faire dans les Gaules, que Jules César avoit réduites en province romaine.

Quelques auteurs croyent entrevoir des traces des devoirs réciproques du seigneur & du vassal, dans l'ancienne relation qu'il y avoit entre le patron & le client.

Il faut néanmoins convenir que les Romains n'avoient point dans leurs états de fiefs tels qu'ils ont été pratiqués en France, sur-tout depuis le tems de la seconde race de nos rois.

Mezeray prétend que la donation des fiefs à la noblesse de France commença sous Charles-Martel.

D'autres tiennent que l'usage des fiefs nous est venu des Lombards, & que Charlemagne l'emprunta d'eux. Il est certain en effet que les Lombards furent les premiers qui érigerent des duchés, pour relever en fief de leur état.

Ces peuples voyant en 584 que l'empereur Maurice vouloit faire les derniers efforts pour les exterminer, remirent leur état en royaume : néanmoins les trente-six ducs qui gouvernoient leurs villes, les garderent en propre & à titre héréditaire ; mais ils demeurerent obligés envers le roi à certains devoirs, particulierement de lui obéir & le suivre en guerre. Spolete & Benevent furent sous les Lombards des duchés héréditaires avant Charlemagne.

Ce qui a pû accréditer cette opinion, est que les livres des fiefs que l'on a joints au corps de droit, sont principalement l'ouvrage de deux jurisconsultes lombards nommés Gérard le Noir & Obert de Horto, qui étoient consuls de Milan en 1158 : ce sont les jurisconsultes lombards qui ont embrouillé le droit des fiefs des subtilités du digeste ; celui de France étoit auparavant fort simple.

D'autres encore pensent que Charlemagne prit l'idée des fiefs chez les peuples du nord : en effet, comme on l'a déjà observé, le mot fief paroît venir du mot saxon feod, qui signifie la joüissance ou la possession de la solde ; & de feod on a fait feodum, & en françois féodal.

Quelques-uns pour concilier ces deux dernieres opinions, disent que Charlemagne, après avoir pris l'idée des fiefs chez les peuples du nord, s'y confirma par l'exemple des Lombards ; & qu'après en avoir fait l'expérience en Italie, il estima tant cette police, qu'il l'introduisit dans tous les pays où il le put faire sans détruire les lois qui y étoient d'ancienneté. C'est ainsi que Tassillon possédoit le duché de Baviere, à condition d'un hommage ; & ce duché eût appartenu à ses descendans, si Charlemagne ayant vaincu ce prince n'eût dépouillé le pere & les enfans.

Il y a aussi des historiens qui rapportent l'établissement des fiefs en France au roi Raoul, lequel, pour gagner l'affection des grands, fut obligé de leur donner plusieurs domaines.

D'autres enfin fixent cette époque au tems de Hugues Capet.

Mais nonobstant ces diverses opinions, il paroît constant que l'usage des fiefs est venu en France du nord ; qu'il y fut apporté par les Francs lorsqu'ils firent la conquête des Gaules.

M. Schilter, en ses notes sur le traité des fiefs de Struvius, remarque que ce n'est point aux seuls Lombards qu'on doit l'origine des fiefs ; qu'ils étoient en usage en Allemagne, avant que le droit des Lombards y eût été reçû ; que les François ont beaucoup plus contribué que les Lombards à introduire l'usage des fiefs ; que c'est par eux que les fiefs ont passé en Allemagne.

Il observe encore que les fiefs sont inconnus en Espagne, quoique les Visigoths s'y soient établis : d'où il infere que cet usage n'étoit pas commun à tous les peuples de Germanie ; qu'il s'est introduit peu après chez les François & les Lombards, depuis que les uns & les autres furent sortis de Germanie : il y a lieu de croire que les Francs avoient emprunté cet usage des Saxons.

Il est vrai que le terme de fief étoit totalement inconnu sous la premiere race de nos rois : aussi n'en est-il rien dit dans la loi salique ni dans celle des Ripuariens : il n'y est parlé que des terres saliques & des aleux. Les aleux étoient les biens libres qui étoient demeurés aux anciens propriétaires : les terres saliques étoient celles qui étoient données aux officiers & soldats, jure beneficii, c'est-à-dire à titre de bienfait & de récompense, & à la charge du service militaire. Ce fut à ce titre que Clovis donna Melun à Aurélien, jure beneficii concessit : ainsi ces bénéfices qui sont les premiers fondemens des fiefs, sont aussi anciens que la monarchie.

Dumoulin ne doute point que ces distributions de terres appellées bénéfices, dont l'usage avoit commencé chez les Romains, ne soient la premiere origine de nos fiefs ; c'est pourquoi il se sert indifféremment des mots bénéfice & fief, quoiqu'il y ait une différence essentielle entre bénéfice & fief. Est-ce que ces bénéfices n'obligeoient point à la foi & hommage, ni aux autres devoirs féodaux ? d'ailleurs ces bénéfices n'étoient point héréditaires.

L'usage que l'on observoit, par rapport à ces bénéfices, éprouva plusieurs changemens.

Dans le premier état, le seigneur en pouvoit dépouiller arbitrairement le vassal. Ils furent ensuite annals, comme étoient toutes les commissions, puis on les concéda pour la vie du vassal. Les seigneurs accorderent après, que le fief passeroit à celui des fils du vassal qu'ils voudroient choisir ; & comme on choisissoit ordinairement l'aîné, c'est peut-être de-là que viennent les prérogatives que les aînés mâles ont conservées dans les fiefs : les autres fils obtinrent, par succession de tems, le droit de partager avec l'aîné. Ce droit de succéder fut étendu aux petits-fils, & même à defaut de descendans, au frere, si c'étoit un fief ancien.

Les femmes ne succédoient pas d'abord aux fiefs, ni les collatéraux au-delà des cousins-germains ; dans la suite les collatéraux succéderent jusqu'au septieme degré, & présentement ils succedent à l'infini. En France les femelles concourent avec les mâles en directe, & succedent en collatérales à défaut de mâles ; mais en Allemagne & en Italie, elles sont encore excluses des fiefs.

On ne peut pas fixer précisément le tems auquel ces changemens arriverent, car les fiefs n'ont pas été établis tous à la fois sur le pié qu'ils sont présentement : ces changemens s'introduisirent peu-à-peu en divers lieux & en divers tems, & d'une maniere différente.

Les ducs & les comtes, établis d'abord par les Romains & conservés ensuite par les François, de simples officiers qu'ils étoient, se rendirent peu-à-peu seigneurs de leur gouvernement : les comtes étoient vassaux des ducs, & ces comtes se firent eux-mêmes des vassaux : de-là vinrent les arriere-fiefs ; & comme tout le royaume étoit partagé en fiefs & arriere-fiefs, qui tous se rapportoient médiatement ou immédiatement au roi, la France se trouva insensiblement gouvernée comme un grand fief, plûtôt que comme une monarchie.

Ce gouvernement féodal fut fondé par Charlemagne en Allemagne, où il subsiste encore dans toute son autorité, & même en Septimanie, qui formoit la partie méridionale des Gaules. Depuis le regne de ce prince, le terme de vassal se trouve commun dans les chartres & ordonnances, pour exprimer un homme engagé au service d'un autre, par la possession de quelques terres.

Charles-le-Chauve étendit le progrès des fiefs en France, par le démembrement du duché de France & du comté de Flandre, qui furent donnés en fief, l'un à Robert-le-Fort, tige de Hugues Capet, l'autre à Baudoüin : l'ordonnance que ce prince fit au parlement de Chierzy, avant son second voyage d'Italie, assûra pleinement la succession des enfans à leur pere dans tous les bénéfices ou fiefs du royaume.

Louis-le-Begue, roi & empereur, pour regagner les mécontens, fut forcé de démembrer vers l'an 879 une grande partie de son domaine, ce qui multiplia beaucoup les duchés & comtés.

Les usurpations des seigneurs augmenterent encore ces démembremens.

Charles-le-Simple, prince trop foible, perdit la couronne impériale ; ce fut de son tems, & vers l'an 900, que les bénéfices prirent le nom de fiefs, & qu'ils commencerent à devenir héréditaires.

Il y eut encore d'autres démembremens, de sorte qu'il ne restoit plus à Lothaire que trois villes, Laon, Soissons & la Fere ; & quelques-uns croyent que ce fut par cette raison que l'on cessa alors de partager le royaume.

Raoul fut aussi obligé, comme on l'a dit, de donner aux grands plusieurs domaines.

Ce qui est de plus certain, est que la plûpart des grands fiefs ne se formerent, ou du moins ne devinrent héréditaires, que lors de l'avenement d'Hugues Capet à la couronne : les ducs & les comtes se rendirent propriétaires de leurs gouvernemens, & Hugues Capet ayant trop peu d'autorité pour s'opposer à ces usurpations, se contenta d'exiger des seigneurs qu'ils lui fissent la foi & hommage des terres en seigneuries dont ils s'étoient ainsi emparés.

L'origine des fiefs en Angleterre remonte, suivant Cambden, jusqu'au tems d'Alexandre Severe ; ce prince ayant fait bâtir une muraille dans le nord de l'Angleterre pour empêcher les incursions des Pictes, commença quelque tems après à en négliger la défense, & donna, au rapport de Lampride, les terres qu'il avoit conquises sur l'ennemi à ses capitaines & à ses soldats, que cet auteur appelle limitarios duces & milites, c'est-à-dire capitaines & soldats des frontieres : on pouvoit aussi tirer de-là l'origine des marquis. Ces concessions furent faites à condition que les héritiers de ces officiers gardiens des frontieres resteroient toûjours au service, & que ces terres ne pourroient jamais parvenir à des personnes privées, c'est-à-dire à des personnes qui ne porteroient pas les armes. Le motif de ce prince étoit que ceux qui en servant défendent leur propre bien, servent avec beaucoup plus de zele que d'autres. Toutes les terres en Angleterre sont de la nature des fiefs, excepté le domaine de la couronne, c'est-à-dire que personne ne peut posséder des terres, soit par succession ou par acquisition, qu'avec les charges qui ont été imposées au premier possesseur du bénéfice.

Au reste, ce qui vient d'être dit des fiefs d'Angleterre, ne doit pas faire croire que leur origine soit plus ancienne que celle des fiefs de France ; il en résulte seulement qu'ils peuvent également tirer leur origine des bénéfices romains, dont on trouve des traces dès le tems d'Alexandre Severe ; mais il y a toute apparence que les fiefs d'Angleterre n'ont pris la véritable forme de fief qu'à l'imitation des fiefs de France, & que ces usages ont été portés de Normandie en Angleterre par Guillaume le Conquérant.

Les principales divisions des fiefs sont :

1°. Qu'il y a des fiefs de dignité & des fiefs simples ; les premiers sont les principautés, duchés, marquisats, comtés, vicomtés & baronies ; les fiefs simples sont ceux qui n'ont aucun titre de dignité.

2°. La qualité de fief simple est aussi quelquefois opposée à celle de fief lige, lequel est ainsi appellé à ligando, parce qu'il oblige le vassal plus étroitement qu'un fief simple & ordinaire : le vassal en faisant la foi pour un tel fief, promet à son seigneur de le servir envers & contre tous, & y oblige tous ses biens. Voyez ci-après FIEF LIGE.

3°. Les fiefs sont suzerains, dominans, ou servans. Le fief qui releve d'un autre est appellé fief servant, & celui dont il releve fief dominant ; & lorsque celui-ci est lui-même mouvant d'un autre fief, le plus élevé s'appelle fief suzerain : le fief qui tient le milieu entre les deux autres, est fief servant à l'égard du suzerain, & fief dominant à l'égard du troisieme qu'on appelle aussi arriere-fief par rapport au fief suzerain.

Les seigneurs prennent chacun le titre convenable à leur fief : le seigneur d'un simple fief qui releve d'un autre, s'appelle seigneur de fief ou vassal ; celui dont ce fief releve, est appellé seigneur féodal ou seigneur dominant ; celui-ci a aussi son seigneur dominant, qu'on appelle suzerain par rapport au fief inférieur qui releve de lui en arriere-fief. Voyez ARRIERE-FIEF, FIEF DOMINANT, FIEF SERVANT, FIEF SUZERAIN.

Il y a encore plusieurs autres divisions des fiefs, & plusieurs autres qualifications que l'on leur donne ; mais comme elles sont moins ordinaires, on les expliquera chacune en leur rang dans les subdivisions des fiefs, qui suivront les notions générales.

On appelle vassal celui qui possede un fief en propriété, & arriere-vassal, celui qui possede un arriere-fief.

Les vassaux sont aussi quelquefois appellés hommes de fief, pairs de fief, hommes du seigneur.

Anciennement les vassaux étoient tous obligés d'assister aux audiences du juge de leur seigneur dominant, & de lui donner conseil, comme cela se pratique encore dans les coûtumes de Picardie, Artois, & autres coûtumes voisines : on les appelle hommes de fiefs & pairs.

Lorsque les vassaux avoient quelque procès entre eux, ils avoient droit d'être jugés par leurs pairs, & le seigneur du fief dominant y présidoit : ce droit d'être jugé par ses pairs, subsiste encore à l'égard des pairs de France.

Comme les seigneurs se faisoient souvent la guerre, leurs vassaux étoient obligés de les accompagner & de mener avec eux leurs arriere-vassaux. Le tems de ce service n'étoit que de 40 jours, à compter du moment que l'on étoit arrivé au camp ; celui qui vouloit servir pour deux personnes, restoit 80 jours.

Depuis que les guerres privées ont été abolies, il n'y a plus que le roi qui puisse faire marcher ses vassaux à la guerre, ce qu'il fait quelquefois par la convocation du ban & de l'arriere-ban. Voyez ARRIERE-BAN & BAN.

Le seigneur féodal ou dominant a une nue directe & seigneurie du fief servant qui est mouvant de lui : le vassal en a la directe immédiate avec le domaine utile.

La mouvance est la supériorité d'un fief sur un autre ; il y a des fiefs qui ont beaucoup d'autres fiefs qui en relevent ; mais il y en a aussi qui n'ont aucune mouvance ni censive. Voyez MOUVANCE.

Les fiefs servans relevent du roi ou de quelques autres seigneurs, soit particulier, ou corps & communauté auxquels appartient le fief dominant.

Tous les fiefs de France relevent du roi, ou en pleins fiefs, c'est-à-dire immédiatement, comme sont les fiefs de dignité ; ou médiatement en arriere-fiefs, comme sont les fiefs simples, qui sont mouvans d'autres fiefs qui relevent du roi immédiatement.

Un fief, soit suzerain, dominant ou servant, peut appartenir à plusieurs seigneurs ; mais un même fief ne peut pas relever en même degré de plusieurs seigneurs ; il peut néanmoins relever immédiatement d'un ou de plusieurs co-seigneurs ; & en arriere-fief, d'un ou plusieurs co-seigneurs suzerains.

Lorsque deux seigneurs prétendent respectivement la mouvance d'un fief, le vassal, pour ne point reconnoître l'un au préjudice de l'autre, doit se faire recevoir par main souveraine. Voyez FOI & HOMMAGE, IN SOUVERAINEAINE.

Toutes sortes de personnes peuvent présentement posséder des fiefs ; les roturiers comme les nobles, hommes & femmes, ecclésiastiques & laïques.

Sous les derniers rois de la seconde race, & au commencement de la troisieme, tout homme libre qui faisoit profession des armes, pouvoit acquérir & posséder un fief, ou faire convertir en fief son aleu.

Du tems des croisades, les roturiers même possédoient déjà des fiefs, quoiqu'ils ne fissent pas profession des armes ; mais comme la principale obligation des vassaux étoit le service militaire, & que la plûpart des roturiers ne desservoient pas leurs fiefs, saint Louis, ou selon d'autres, Philippe III. dit le Hardi, défendit aux roturiers de posséder des fiefs, à moins qu'ils ne leur échussent par succession, ou qu'il ne les eussent acquis 20 ans auparavant. Beaumanoir parle de ce reglement comme d'une disposition nouvelle ; il paroît en effet que c'est la premiere ordonnance qui ait exclu les roturiers de la possession des fiefs ; dans la suite les besoins de l'état ont obligé nos rois à permettre peu-à-peu aux roturiers de posséder des fiefs, en payant au roi une certaine finance.

Philippe-le-Hardi, par une ordonnance de 1275. & Philippe-le-Bel, par une autre de 1291, taxerent les roturiers pour les fiefs qu'ils possédoient hors les terres des barons.

Philippe V. dit le Long, les taxa même pour les fiefs qu'ils possédoient dans ses terres, à l'exception des fiefs tenus de lui en quart-degré.

Enfin les roturiers ont été assujettis, pour toutes sortes de fiefs, à payer tous les 20 ans au roi une finance qu'on appelle droit de francs-fiefs. Voyez ci-après FRANCS-FIEFS.

Les gens d'église & autres gens de main-morte, ne peuvent acquérir ni posséder aucun fief ou autre héritage, sans payer au roi le droit d'amortissement : & aux seigneurs le droit d'indemnité ; ce qui fut ainsi établi par S. Louis. Voyez AMORTISSEMENT & INDEMNITE.

Il y a des fiefs auxquels se trouve attaché un droit de justice, soit haute, moyenne & basse, soit moyenne ou basse seulement, d'autres fiefs n'ont point droit de justice, c'est pourquoi l'on dit que fief & justice n'ont rien de commun, c'est-à-dire que le fief peut être sans droit de justice & la justice sans le fief. Quand on dit que la justice peut être sans le fief, on entend que le seigneur qui a la justice dans un lieu, n'y a pas toûjours la seigneurie directe ou féodale ; mais ce droit de justice est toûjours attaché à quelque fief.

Il faut aussi observer qu'il y a quelques coûtumes où le fief & la justice sont réciproques, c'est-à-dire que tout seigneur direct a par sa qualité, droit de justice dans sa seigneurie, telles sont les coûtumes d'Artois, Anjou & Maine. Voy. JUSTICE SEIGNEURIALE.

Anciennement l'investiture des fiefs de dignité, donnée par le roi, annoblissoit le possesseur ; mais depuis l'ordonnance de Blois, les fiefs n'annoblissent plus.

Le seigneur qui joüit du fief de son vassal, en conséquence de la saisie féodale qu'il en a faite, ne peut le prescrire par quelque laps de tems que ce soit, parce qu'il n'en joüit que comme d'une espece de dépôt, jusqu'à ce qu'on lui ait porté la foi & payé les droits : les héritiers du seigneur, & ses autres successeurs à titre universel, ne peuvent pas non plus prescrire dans ce cas.

Les contestations qui s'élevent au sujet des fiefs, soit pour leur qualité ou pour leur droit, doivent être reglées par le titre d'investiture, par les fois & hommages, aveux & dénombremens, par la coûtume du lieu du fief dominant, pour ce qui concerne la forme de la foi & hommage ; & par la coûtume du fief servant, pour les droits qui peuvent être dûs.

Au défaut de la coûtume du lieu, on a recours à la coûtume de Paris, aux coûtumes voisines, ou au droit le plus général, & à ce qui paroît le plus équitable.

La connoissance des matieres féodales appartient aux baillis & sénéchaux royaux, privativement aux prévôts.

Le seigneur plaide devant son juge au nom de son procureur fiscal, lorsqu'il s'agit du domaine & des droits & revenus ordinaires ou casuels de son fief, comme relief, quint, requint, lods & ventes, amendes, cens & rentes, baux, sous-baux, &c.

Le vassal est obligé de plaider devant le juge de son seigneur, quand il s'agit des droits prétendus par le seigneur, quoique le fief servant soit situé dans une autre jurisdiction. Voyez JUSTICE SEIGNEURIALE, SEIGNEUR, OCUREUR-FISCALSCAL.

La propriété d'un fief oblige en outre le vassal à quatre choses envers le seigneur.

1°. A lui faire la foi & hommage dans le tems de la coûtume, à moins qu'il n'ait obtenu souffrance, c'est-à-dire un délai, lequel ne s'accorde que pour quelque empêchement légitime, comme pour minorité. Voyez ci-après FOI & SOUFFRANCE.

2°. A payer au seigneur les droits utiles qui lui sont dûs, comme quint, requint, relief, & autres, selon l'usage du lieu & les différentes mutations.

3°. A donner l'aveu & dénombrement de son fief. Voyez DENOMBREMENT.

4°. A comparoître aux plaids du seigneur par-devant ses officiers, quand il est assigné à cette fin. Voy. PLAIDS, SERVICE DE PLAIDS.

Les fiefs peuvent avoir deux sortes de droits qui y soient attachés ; savoir des droits honorifiques, & des droits utiles.

Les droits honorifiques des fiefs sont, 1°. la justice pour ceux auxquels ce droit est attaché, & les droits de deshérence & de bâtardise, qui sont une suite de la haute justice.

2°. Le droit de patronage, attaché à certaines seigneuries.

3°. Les droits honorifiques proprement dits, ou grands honneurs de l'église qui peuvent appartenir au seigneur, soit comme patron, soit comme seigneur haut-justicier. Voyez DROITS HONORIFIQUES.

4°. Les seigneurs moyens & bas-justiciers, & les simples seigneurs de fief jouissent, après le patron & le haut-justicier, des moindres honneurs de l'église, & autres préséances sur les personnes qui leur sont inférieures en dignité.

5°. Le droit de colombier à pié.

6°. La chasse & la pêche, droit de garenne & d'étang.

7°. Le droit de retrait féodal.

8°. Le droit de commise.

Les droits utiles des fiefs sont les droits de quint, requint & relief, dûs pour les fiefs qui sont mouvans d'un autre, lorsqu'il y a mutation sujette aux droits, & pour les rotures les lods & ventes.

Il y a aussi des redevances dûes annuellement sur les rotures au seigneur de fiefs, tels que les droits de cens, champart, terrage, dixmes inféodées, & plusieurs autres droits extraordinaires, tels que corvées & bannalités, qui dépendent des titres de la possession & de l'usage des lieux. Les droits casuels des fiefs étoient inconnus jusqu'au tems de la troisieme race, auparavant les fiefs n'étoient que d'honneur simplement. Voyez DROITS SEIGNEURIAUX, LODS & VENTES, QUINT, REQUINT, CENS, CHAMPART, &c.

Les seigneurs qui ont des censives, peuvent obliger leurs censitaires de passer déclaration à leur terrier. Voyez DECLARATION, RECONNOISSANCE, LETTRES DE TERRIER, TERRIER.

Il se forme quelquefois un combat de fief entre deux seigneurs ; on appelle combat de fief une contestation qui survient entre deux seigneurs qui prétendent respectivement la mouvance d'un héritage, soit en fief ou en censive.

Si c'est un fief qui forme l'objet de ce combat, les seigneurs contendans peuvent faire saisir le fief pour la conservation de leurs droits ; & le nouveau vassal doit se faire recevoir par main souveraine, & consigner les droits.

Quand le fief est ouvert par le changement de vassal, ou qu'il y a mutation de seigneur, & que le vassal n'a pas fait la foi & payé les droits qui peuvent être dûs, le seigneur peut faire saisir féodalement ou procéder par voie d'action ; lorsqu'il prend cette derniere voie, il ne gagne point les fruits. Voyez SAISIE FEODALE.

Le fief étant saisi féodalement, le vassal, pour en avoir main-levée, doit avant toute chose avouer ou desavouer le seigneur ; avouer, c'est se reconnoître son vassal ; desavouer, c'est nier qu'on releve de lui.

La peine du desaveu téméraire, est que le vassal perd son fief, qui demeure confisqué au profit du seigneur. Voyez AVEU & DESAVEU.

La commise ou confiscation du fief a aussi lieu pour crime de félonie, c'est-à-dire lorsque le vassal offense grievement son seigneur. Voyez FELONIE.

Le démembrement de fief en général est défendu, c'est-à-dire qu'il n'est pas permis au vassal de faire d'un même fief plusieurs fiefs séparés & indépendans les uns des autres, à moins que ce ne soit du consentement du seigneur dominant, ou que ce ne soit dans quelques coûtumes qui le permettent ou le tolerent expressément, comme Artois & Boulogne, Péronne & Amiens, qui le permettent dans tous les actes & dans toutes les aliénations ; celle de Vermandois le permet pour le partage successif ; mais il faut dans toutes ces coûtumes, que la volonté de démembrer soit constante. Voyez DEMEMBREMENT.

Le jeu de fief, même excessif, est différent du démembrement ; c'est une aliénation des parties du corps matériel du fief, sans division de la foi dûe pour la totalité du fief : l'on peut se jouer de son fief, soit en faisant des sous-inféodations, ou en donnant quelque portion du domaine du fief à cens ou à rente, ou en la vendant.

Le jeu de fief est permis pour la totalité dans les pays de droit écrit ; mais dans les pays coûtumiers, il est regardé comme excessif, lorsqu'il excede la portion dont la coûtume permet de se jouer. La plûpart des coûtumes veulent que le vassal réserve du moins le tiers des domaines en fonds, comme celle de Paris, article 51, qui permet au vassal de se jouer de son fief, & faire son profit des héritages, rentes ou cens étant du fief, sans payer aucun profit au seigneur dominant, pourvû que l'aliénation n'excede pas les deux tiers, & que l'on retienne la foi entiere & quelque droit seigneurial & domanial sur ce qu'il aliene.

Ce que les coutumes d'Anjou, du Maine & de Touraine appellent depié de fief, n'est pas le démembrement du fief, mais plûtôt le jeu excessif du fief.

La peine du depié de fief & du jeu excessif, est que tout ce qui est aliéné releve dorénavant, immédiatement du seigneur dominant du vassal qui a fait l'aliénation excessive ; au lieu que toute la peine du démembrement, est que le seigneur dominant n'est pas obligé de reconnoître la division que l'on a voulu faire du fief. Voyez DEPIE DE FIEF & JEU DE FIEF.

Lorsque le propriétaire d'un fief acquiert un autre fief mouvant de lui, ou quelque héritage qui étoit tenu de lui à cens, ce fief ou autre héritage est réuni au fief de l'acquéreur, à moins que par le contrat il ne déclare qu'il entend tenir séparément ce qu'il acquiert. Cette déclaration doit être renouvellée par chaque possesseur qui se trouve propriétaire du fief & des portions acquises.

La succession des fiefs se regle en pays de droit écrit comme celle des autres biens ; mais il n'en est pas de même en pays coûtumier ; on trouve presque dans chaque coûtume des regles particulieres pour le partage des fiefs : de sorte qu'il n'est pas possible d'asseoir sur cette matiere des principes qui conviennent par-tout : voici néanmoins les usages les plus généraux.

L'aîné mâle a dans le partage des fiefs en ligne directe le droit d'aînesse, qui consiste dans le préciput & la part avantageuse.

Le préciput consiste dans le principal manoir, cour, basse-cour & bâtimens en dépendans, avec un arpent de jardin, qui est ce que quelques coûtumes appellent le vol du chapon. Il a aussi la faculté de retenir le surplus de l'enclos, en récompensant les puinés. Voyez PRECIPUT, L DU CHAPONAPON.

La part avantageuse, lorsqu'il n'y a que deux enfans, est de deux tiers pour l'aîné, & de moitié seulement lorsqu'il y a plus de deux enfans. Coûtume de Paris, art. 15. & 16.

Quelques coûtumes, comme Tours, Angoumois & Poitou, accordent un droit d'aînesse en collatérale ; & dans quelques-unes de ces coûtumes, le plus âgé des mâles extans lors de la succession, est considéré comme l'aîné, quoiqu'il ne soit pas descendant de l'aîné.

Les coûtumes de Picardie & Artois donnent tous ces fiefs à l'aîné, même en collatérale, sauf le quint hérédital aux puinés ; encore l'aîné a-t-il un tems pour retirer ce quint.

En Anjou & Maine, les roturiers partagent les fiefs roturierement jusqu'à ce qu'ils soient tombés en tierce foi ; entre nobles l'aîné a tout ; les puînés n'ont leur portion qu'en bienfait, c'est-à-dire à vie : cependant les pere & mere, oncle, frere, peuvent donner aux puinés leurs portions par héritage, c'est-à-dire en propriété. Pour ce qui est des femelles, elles l'ont toûjours par héritage.

En collatérale, le mâle exclut la femelle en parité de degré ; il n'y a d'exception à cet égard que dans les coûtumes où la représentation a lieu à l'infini, même en collatérale, comme dans la coûtume du grand Perche.

Dans quelques coûtumes, il y a une maniere particuliere de partager les fiefs entre freres & soeurs, qui est ce que l'on appelle parage ; c'étoit anciennement le seul partage usité pour les fiefs dans toutes les coûtumes.

Tenir en parage, c'est posséder une portion d'un fief avec les mêmes droits que l'aîné a pour la sienne ; l'aîné fait la foi pour tous. Dans quelques coûtumes on l'appelle chemier ou parageur, & les puînés parageaux ou paragers ; en Angoumois les puînés sont nommés parageurs, en Bretagne juveigneurs.

Il y a deux sortes de parage, le légal & le conventionnel ; ce dernier n'est connu qu'en Poitou, Saintonge & Angoumois, & n'a lieu qu'avec permission du roi ou du seigneur dominant. Voyez PARAGE & FRERAGE.

Il est permis à celui qui possede un fief de le convertir en roture, sans qu'il ait besoin du consentement de ses enfans ou autres héritiers, pourvû que cela soit convenu avec le seigneur dominant.

Sur les fiefs en général on peut voir Struvius, Frecias, Oneronus, Julius Clarus, Flornius, Schilter, Dumoulin, Dargentré, & les autres commentateurs des coûtumes sur le titre des fiefs ; Salvaing, Chantereau, le Fevret, Brusselles, Billecoq, Poquet de Livonieres, Guyot. (A)

FIEF ABONNE, est celui dont le relief ou rachat, les droits de quint, requint, & autres auxquels il étoit naturellement sujet, & quelquefois l'hommage même, sont changés & convertis en rentes ou redevances annuelles. Voyez LOYSEL, Instit. coûtum. liv. IV. tit. iij. n. 23. & les notes.

FIEF ABREGE, ou comme on disoit anciennement abregié, & qu'on appelle aussi fief restraint, & dans quelques coûtumes fief non noble, c'est celui pour lequel il est dû des services qui ont été limités & diminués. Beaumanoir sur les coûtumes de Beauvaisis, c. xxviij. p. 142. dit qu'il y a des fiefs que l'on appelle fiefs abregiés ; que quand on est semons pour le service de tels fiefs, l'on doit offrir à son seigneur ce qui est dû pour raison de l'abregement ; que le seigneur ne peut pas demander autre chose, si l'abregement est prouvé ou connu, & s'il est suffisamment octroyé par le comte ; car je ne puis, dit-il, souffrir que l'on abrege le plein service que l'on tient de moi sans l'octroi du comte, encore qu'il y ait plusieurs seigneurs au-dessous du comte l'un après l'autre, & qu'ils se soient tous accordés à l'abregement : & s'ils se sont tous ainsi accordés, & que le comte le sache, il gagne l'hommage de celui qui tient la chose, & l'hommage revient en nature de plein service ; & si le doit amender celui qui l'abregea à son homme de 60 livres au comte.

Dans la coûtume d'Amiens le fief abregé ou restraint & non noble, est un fief dont le relief est abonné à une somme au-dessous de 60 sous parisis & le chambellage, à moins de 20 sous. Voyez les art. 25. 71. 84. & 132. de cette coûtume, voyez aussi l'art. 4. de celle de Ponthieu, & la coûtume d'Anjou, art. 258.

FIEF D'ACQUET, dans certaines coûtumes signifie un fief acquis pendant le mariage. Par exemple, dans la coûtume de Haynault, on distingue les fiefs d'acquêts, des fiefs patrimoniaux ; les enfans du second lit succedent avec ceux du premier aux fiefs patrimoniaux de leurs pere & mere ; mais les enfans du second lit ne succedent point aux fiefs d'acquêts faits pendant le premier mariage ou pendant le veuvage ; ils succedent seulement aux fiefs d'acquêts faits pendant le second mariage. Voyez le ch. lxxvj.

FIEF EN L'AIR, ou FIEF INCORPOREL, est celui qui n'a ni fonds ni domaine, & qui ne consiste qu'en mouvances & en censives, rentes ou autres droits, quelquefois en censives seules. On l'appelle fief en l'air par opposition au fief corporel, qui consiste en domaines réels. Ces sortes de fiefs se sont formés depuis la patrimonialité des fiefs & par la liberté que les coûtumes donnoient autrefois de se joüer de son fief, jusqu'à mettre la main au bâton, ce qu'on appelle au parlement de Bordeaux, se joüer de son fief, usque ad minimam glebam.

Le fief en l'air, est continu ou volant ; continu, lorsqu'il a un territoire circonscrit & limité ; volant, lorsque ses mouvances & censives sont éparses.

Avant la réformation de la coûtume de Paris, le vassal pouvoit aliéner tout le domaine de son fief, en retenant seulement quelque droit domanial & seigneurial sur ce qu'il aliénoit.

Mais afin de maintenir l'honneur & la consistance du fief, & que le vassal soit en état de satisfaire dans l'occasion aux charges du fief, les réformateurs ont décidé en l'art. 51. de la nouvelle coûtume, que le vassal ne peut aliéner plus des deux tiers de son fief, sans démission de foi.

Cependant les fiefs en l'air sont usités encore dans quelques coûtumes ; il y en a même plusieurs dans Paris qui ne consistent qu'en censives.

Ces fiefs ne peuvent être saisis que par main-mise sur les arriere-fiefs. Voyez Peleus, qu. 75. & Carondas, liv. II. rep. 6. (A)

FIEF AMETE, dont il est parlé à la fin de l'article 23. de la coûtume de Mantes, est la même chose que le fief abonné, c'est-à-dire un fief pour lequel le seigneur est convenu avec le vassal de ce que ce dernier doit payer au seigneur pour les droits de mutation. (A)

FIEF D'AMITIE, qu'on appelloit aussi DRUERIE, étoit celui que le prince donnoit à un de ses druds ou fideles, qui étoient les grands du royaume, auxquels on donnoit aussi le nom de leudes. Il est parlé de ces drueries ou fiefs d'amitié dans les anciens auteurs. Voyez DRUDS & LEUDES. (A)

FIEF ANCIEN ou PATERNEL, antiquum seu paternum : quelques-uns appellent ainsi un fief concédé d'ancienneté à une certaine famille, de maniere qu'il ne puisse être possédé que par les mâles à moins que les femelles n'ayent aussi la capacité d'y succéder par le titre d'inféodation, & à la charge que la ligne des aînés venant à manquer, les puînés y succedent, sans que ce fief puisse jamais être aliéné. Voyez ci-après FIEF NOUVEAU. (A)

FIEF ANNUEL, feudum annuum seu stipendium, étoit la joüissance d'un fonds qui étoit donnée à titre de fief pendant l'espace d'une année pour tenir lieu de solde & récompense à quelqu'un par rapport à son office, dignité ou autre ministere ; ce fut le second état des fiefs ; car dans le premier, le seigneur pouvoit arbitrairement dépoüiller son vassal de ce qu'il lui avoit donné en fief, ensuite les fiefs devinrent annals, comme l'étoient toutes les commissions. Voyez les notes de Godefroy sur le premier titre du livre des fiefs de Gerard le Noir, & le glossaire de Ducange au mot feudum annuum. (A)

FIEF EN ARGENT, feudum nummorum, c'étoit une somme d'argent assignée à titre de fief par le seigneur, sur son trésor, en attendant qu'il l'eût assignée sur quelque terre. On trouve un exemple d'un tel fief créé par l'empereur pour le seigneur de Beaujeu en 1245, de 100 marcs d'argent sur la chambre impériale, jusqu'à ce qu'il l'eût assigné sur quelque terre. Ces sortes de fiefs étoient alors fréquens. Voyez les mémoires manuscrits de M. Aubert, pour servir à l'histoire de Dombes. (A)

FIEF AROTURE, c'est un bien féodal que l'on a mis en roture ; cela s'appelle proprement commuer le fief en censive. (A)

FIEF ARRIERE, est un fief qui releve d'un autre, lequel est lui-même mouvant d'un autre fief supérieur.

Il est appellé arriere-fief à l'égard du seigneur suzerain, dont il ne releve pas immédiatement, mais en arriere-fief.

Ainsi le vassal tient en plein fief du seigneur féodal ou dominant, dont il releve immédiatement, & il tient ce même fief en arriere fief du seigneur suzerain qui est le seigneur féodal ou dominant de son seigneur féodal immédiat.

Celui qui possede un arriere-fief est appellé arriere-vassal, par rapport au seigneur suzerain, c'est le vassal du vassal.

Les premiers fiefs furent érigés par les souverains en faveur des ducs, marquis, comtes, vicomtes, barons & autres vassaux mouvans immédiatement de la couronne.

Ceux-ci, à l'imitation du souverain, voulurent aussi avoir des vassaux ; & pour cet effet, ils sousinféoderent une partie de leurs fiefs à ceux qui les avoient accompagnés à la guerre, ou qui étoient attachés à eux par quelque emploi qui les rendoit commençaux de leur maison ; ces sous-inféodations formerent les premiers arriere-fiefs.

Les arriere-vassaux firent aussi des sous-inféodations, ce qui forma encore d'autres arriere-fiefs, plus éloignés d'un degré que les premiers, & ces arriere-fiefs ont été ainsi multipliés de degré en degré.

Le parage a aussi formé des arriere-fiefs, puisque par la fin du parage les portions des cadets deviennent fiefs tenant de la portion de l'aîné, etiam invito domino.

Enfin, les fiefs de protection & les fiefs de reprise ont encore produit des arriere-fiefs, de sorte qu'ils ne procedent pas tous de la même source. Voyez les inst. feod. de Guyot, chap. j. n. 8.

Quand le seigneur trouve des arriere-fiefs ouverts pendant la saisie féodale qu'il a faite du fief mouvant immédiatement de lui, soit que l'ouverture de ces arriere-fiefs soit arrivée avant ou depuis sa saisie féodale ; il a droit de les saisir aussi & de faire les fruits siens, jusqu'à ce que les arriere-vassaux ayent satisfait aux causes de la saisie ; parce que le seigneur entre dans tous les droits du vassal pendant la saisie, & le dépossede entierement, & que les arriere-fiefs aussi bien que le fief supérieur procedent du même seigneur ou de ses prédécesseurs qui ont donné l'un & l'autre à leur vassal.

Le seigneur suzerain peut aussi accorder souffrance.

Les arriere-vassaux peuvent avoir main-levée de la saisie, en faisant la foi & hommage & payant les droits qui sont dûs au seigneur suzerain.

Si les arriere-vassaux avoient fait la foi & hommage à leur seigneur, il n'y auroit point de lieu à la saisie.

Quand le seigneur suzerain n'a pas saisi les arriere-fiefs, les arriere-vassaux peuvent faire la foi & hommage & payer les droits à leur seigneur.

Lorsque la saisie du fief du vassal est faite faute de dénombrement, le seigneur ne peut pas saisir les arriere-fiefs, parce qu'il ne fait pas les fruits siens.

La saisie des arriere-fiefs se fait avec les mêmes formalités que celle des fiefs. Voyez SAISIE FEODALE.

Le suzerain ne peut pas saisir les arriere-fiefs, qu'il n'ait auparavant saisi le fief de son vassal.

Pendant la saisie des arriere-fiefs, le seigneur suzerain a les mêmes droits qu'y auroit eu le vassal ; il peut en faire payer les censives & droits seigneuriaux, même saisir pour iceux, obliger les arriere-vassaux de communiquer leurs papiers de recette & de donner une déclaration du revenu de leurs fiefs.

Les arriere-vassaux sont obligés de faire la foi & hommage, & payer les droits dûs pour leur mutation, au seigneur suzerain lorsqu'il a saisi les arriere-fiefs ; il peut seul leur donner main-levée de saisie, il peut aussi les obliger de donner leur aveu, lequel ne préjudicie pas au vassal, n'étant pas fait avec lui.

Après la main-levée, le seigneur suzerain est obligé de rendre au vassal les originaux des fois & hommages & aveux ; mais il en peut tirer des copies à ses dépens.

Quand l'arriere-fief est vendu pendant la saisie, le seigneur suzerain peut le retirer par retrait féodal, ou recevoir le droit de mutation. Mais si la vente avoit été faite avant la saisie, les droits appartiendroient au vassal, & le suzerain ne pourroit pas retirer féodalement. (A)

FIEF-AUMONE ou AUMONE FIEFFEE, est celui que le seigneur a donné à l'église par forme d'aumône, pour quelque fondation. Voyez AUMONE, FRANCHE AUMONE, PURE AUMONE, FONDATION. (A)

FIEF D'AVOUERIE, (feudum advocatiae) étoit celui dont le possesseur étoit l'avoué du seigneur dominant, c'est-à-dire chargé de le défendre en jugement. Voyez AVOUEE & AVOUERIE. (A)

FIEF BANDERET ou BANNERET, on dit communément banneret. Voyez FIEF BANNERET. (A)

FIEF BANNERET ou BANDERET, c'est-à-dire fief de banniere, feudum vexilli ; c'est un fief de chevalier banneret, lequel doit à son seigneur dominant le service de banniere, c'est-à-dire de venir au commandement de son seigneur, en armes & avec sa banniere, suffisamment accompagné de ceux qui doivent servir sous sa banniere. Voyez ARRIERE-BAN, BAN, BANNERET, BANNIERE, CHEVALIER BANNERET, SERVICE DE BANNIERE. (A)

FIEF BOURGEOIS, feudum burgense seu ignobile, fief rural ou roturier, ou non noble, sont termes synonymes. Voyez ci-après FIEF NOBLE, FIEF ROTURIER, FIEF RURAL, & le glossaire de Ducange ; verbo feudum burgense. (A)

FIEF DE BOURSE COUTUMIERE, n'est pas la même chose que fief boursal ou boursier ; c'est un fief acquis de bourse coûtumiere, c'est-à-dire par une personne roturiere & non noble, que dans quelques coûtumes on appelle les hommes coûtumiers. (A)

FIEF BOURSAL ou DE BOURSE, ou BOURSIER, selon quelques-uns est une portion du revenu d'un fief que l'aîné donne à ses puînés, ou une rente par lui créée en leur faveur, pour les remplir de leurs droits dans la succession paternelle ; ce qui est conforme à ce que dit Bracton liv. IV. tit. iij. cap. jx. §. 6. feudum est id quod quis tenet ex quâcumque causâ sibi & haeredibus suis, sive sit tenementum, sive sit reditus, ita quod reditus non accipiatur sub nomine ejus, quod venit ex camerâ alicujus.

M. Henin, dans ses observations sur le §. 1. de l'assise du comte Geoffroy, tome II. des arrêts de Frain, p. 522, dit qu'un fief boursier est une rente que l'aîné constitue à ses puînés, pour leur tenir lieu de leur part & portion sur un fief commun, afin que ce fief ne soit point démembré ; les coûtumes du grand Perche, art. 77. & 78. & de Chartres, art. 17. font connoître, dit-il, que l'aîné constituoit aux puînés une rente sur la seigneurie, pour leur tenir lieu de partage, ce qui se faisoit pour empêcher le démembrement actuel de la seigneurie : à raison de quoi les puînés ainsi partagés en vente, sont appellés boursaux ou boursiers ; & tel assignat est dit fief boursier, consistant en deniers.

Loyseau avoit déjà dit la même chose en son tr. des offices, liv. II. ch. ij. n. 56.

Du Cange en son glossaire, au mot feudum bursae seu bursale, est aussi de ce sentiment ; il cite les coûtumes du Perche & de Chartres, & celle du Maine, art. 282.

Mais M. de Lauriere en ses notes sur le glossaire, ou au dire de Ragueau au mot fief boursal, fait connoître que ces auteurs se sont trompés & ont mal entendu les termes de coûtumes qu'ils citent ; il fait voir que dans ces coûtumes les fiefs qui ne se partagent pas entre roturiers, sont appellés fiefs boursaux ou boursiers, & que les puînés copartageans entre roturiers, sont de même appellés boursaux ou boursiers : que cette dénomination vient de ce qu'entre roturiers qui partagent un fief, tous les enfans sont obligés de contribuer aux rachats qui doivent être présentés au seigneur féodal, par l'aîné ou par celui qui est possesseur du lieu tenu en fief, suivant l'art. 59. de la coûtume du Perche, & que comme tous les enfans tirent chacun en particulier de l'argent de leur bourse pour composer les rachats, les fiefs échûs à des roturiers ont été par cette raison nommés boursiers ou boursaux, ce qui est conforme à ce que dit Bodreau sur l'article 282. de la coûtume du Maine : au lieu que dans ces coûtumes, quand les fiefs se partagent entre nobles, l'aîné est seul tenu du rachat de la maniere dont l'expliquent ces coûtumes. Cette opinion paroît en effet la mieux fondée & la plus conforme aux textes des coûtumes du Maine, de Chartres & du Perche. (A)

FIEF DE BOURSE, feudum bursae, seu de camerâ vel canevâ, aut cavenâ, est une rente réputée immeuble, assignée sur la chambre ou thrésor du roi, ou sur le fisc du seigneur, & concédée en fief. On l'appelle fief de bourse, parce que le terme bourse se prend quelquefois pour le fisc, de même que chambre se prenoit autrefois pour le domaine ou thrésor du roi. C'est ainsi que ces termes s'entendent suivant les regles des fiefs, & telle est l'explication qu'en donne Rasius, part. II. de feudis. Voyez aussi le glossaire de Ducange, au mot feudum bursae. Voy. ci-devant FIEF BOURSAL, &c. (A)

FIEF BOURSIER ou BOURSAL, voyez ci-devant FIEF BOURSAL.

FIEF DE CAMERA seu CANEVAE aut CAVENAE, voyez après FIEF DE CHAMBRE.

FIEF DE CAHIER, feudum quaternatum, est un grand fief qui se trouve inscrit dans le dénombrement des fiefs mouvans du prince, sur les cahiers ou registres de la douanne, in quaternionibus, comme il paroit par les constitutions des rois de Sicile, lib. I. tit. xxxvij. xxxjx. lxj. lxjv. lxviij. lxxiij. lxxxvj. & lib. III. tit. xxiij. & xxvij. Voyez le glossaire de Lauriere au mot fief en chef. (A)

FIEF CAPITAL, feudum capitale, est celui qui releve immédiatement du roi, comme les duchés, les comtés, les baronies. Voyez le gloss. de Ducange, au mot feudum capitale. (A)

FIEF CASTRENSE, feudum castrense, c'est lorsque le seigneur dominant donne à son vassal une certaine somme d'argent ou un tenement, à condition de garder & défendre le château que le seigneur lui a donné. Voyez le glossaire de Ducange, au mot feudum castrense. (A)

FIEF CENSUEL, est la même chose que fief roturier ou non noble, ou pour parler plus exactement, c'est un héritage tenu à cens, que l'on appelloit aussi fief, quoique improprement & pour le distinguer des véritables fiefs qui sont francs, c'est-à-dire nobles & libres de toute redevance ; on appelloit celui-ci censuel, à cause du cens dont il étoit chargé. Il est parlé de ces sortes de fiefs dans les lettres de Charles VI. du mois d'Avril 1393, art. 2. où l'on voit que ces fiefs étoient opposés aux fiefs francs. L'abbé & couvent de S. André associent le roi in omnibus feodis, retrofeodis, franchis & censualibus, &c. (A)

FIEF DE CHAMBRE, feudum camerae, seu cavenae, aut canevae, c'est une rente tenue en fief, assignée sur le thrésor du roi, qu'on appelloit autrefois la chambre du roi. Voyez CHAMBRE DU ROI, CHAMBRE DE LA COURONNE, DOMAINE & THRESOR, le glossaire de Ducange, au mot feudum camerae. (A)

FIEF CHEVANT & LEVANT, en Bretagne, est de telle nature, que tout teneur doit par an quatre boisseaux d'avoine, poule & corvée. Mais si un teneur retire par promesse l'héritage vendu, il n'est point rechargé de la vente que devoit le vendeur ; elle s'éteint en diminution du devoir du seigneur, & cela s'appelle faire abattue. Si au contraire il acquiert sans moyen de promesse, il doit le même devoir que devoit le bailleur. Voyez Dargentré sur l'art. 418. de l'anc. coût. gloss. ij. n. 9. (A)

FIEF EN CHEF, ou CHEVEL, feudum capitale, est un fief noble en titre, ayant justice comme les comtés, baronies, les fiefs de haubert, à la différence des vavassouries qui sont tenues par sommage, par service de cheval, par acres, & des autres fiefs vilains ou roturiers : on le définit aussi feudum magnum & quaternatum, id est in quaternionibus doanae inscriptum quelques-uns ajoûtent quod à principe tantum tenetur ; & c'est ainsi que l'ont pensé Ragueau & Ducange, mais M. de Lauriere, en ses notes sur le glossaire de Ragueau, au mot fief en chef, prouve par la glose de l'ancienne coûtume de Normandie, ch. xxxjv. vers la fin, que le fief en chef n'est pas toûjours tenu immédiatement du roi ; qu'un fief relevant d'un autre seigneur, peut aussi être fief en chef, mais que ces sortes de fiefs sont fiefs nobles, & non pas tenus à aucun fief de haubert, comme vilain fief. Voyez l'art. 166. de la nouvelle coûtume de Normandie, & terrier sur le mot fief ou membre de haubert, avec les mots chef seigneur & vavassouerie. (A)

FIEF DE CHEVALIER, ou FIEF DE HAUBERT, feudum loricae, est celui qui ne pouvoit être possédé que par un chevalier, lequel devoit à son seigneur dominant le service de chevalier ; celui qui le possédoit étoit obligé à 21 ans de se faire chevalier, c'est à-dire de vêtir le haubert ou la cotte de maille, qui étoit une espece d'armure dont il n'y avoit que les chevaliers qui pussent se servir. Le vassal devoit servir à cheval avec le haubert, l'écu, l'épée & le héaume ; la qualité de fief de chevalier ne faisoit pas néanmoins que le vassal dût absolument servir en personne, mais seulement qu'il devoit le service d'un homme de cheval. Quelquefois par le partage d'un fief de cette espece, on ne devoit qu'un demi-chevalier, comme le remarque M. Boulainvilliers, en son traité de la pairie, tom. II. p. 110. Voyez FIEF DE HAUBERT. (A)

FIEF COMMIS, c'est le fief tombé en commise ou confiscation, pour cause de desaveu ou félonie de la part du vassal. Voyez COMMISE, CONFISCATION, DESAVEU, FELONIE. (A)

FIEF DE CONDITION FEUDALE ; quelques coûtumes donnent cette qualité aux fiefs proprement dits, qui se transmettent par succession, à la différence de certains fiefs auxquels on ne succede point, comme on voit dans les livres des fiefs. Voyez le glossaire de Lauriere, au mot fief. (A)

FIEF CONDITIONNEL, est un fief temporaire qui ne doit subsister que jusqu'à l'événement de la condition portée par le titre de concession ; tels sont les fiefs consistans en rente créée sur des fiefs dont le créancier se fait recevoir en foi ; ces fiefs ne sont créés que conditionnellement, tant que la rente subsistera, tant que le vassal ne remboursera pas, & s'éteignent totalement par le remboursement. Voyez Guyot en ses observat. sur les droits honorifiques, ch. v. p. 187. & ci-après FIEF TEMPORAIRE. (A)

FIEF CONTINU, est celui qui a un territoire circonscrit & limité, dont les mouvances & censives sont tenantes l'une à l'autre ; ce fief jouit du privilége de l'enclave, qui forme un moyen puissant, tant contre un seigneur voisin, que contre un censitaire. Voyez ENCLAVE.

Un fief incorporel ou en l'air, peut être continu pour ses mouvances & censives, de même qu'un fief corporel. Voyez Guyot, instit. féodales. cap. j. n. 6.

Le fief continu est opposé au fief volant. Voyez ci-après VOLANT. (A)

FIEF CORPOREL, est celui qui est composé d'un domaine utile & d'un domaine direct : le domaine utile, ce sont les fonds de terre, maisons ou héritages tenus en fief, dont le seigneur jouit par lui-même ou par son fermier ; le domaine direct, ce sont les fiefs mouvans de celui dont il s'agit, les censives & autres devoirs retenus sur les héritages dont le seigneur s'est joué. Voyez Dumoulin, §. olim 35. de l'ancienne, & 51. de la nouvelle, gloss. j. n. 1.

Le fief corporel est opposé au fief incorporel ou fief en l'air. Voyez ci-devant FIEF EN L'AIR. (A)

FIEF DE CORPS, c'est un fief lige, c'est-à-dire dont le possesseur, outre la foi & hommage, entr'autres devoirs personnels, est obligé d'aller lui-même à la guerre, ou de s'acquiter des autres services militaires qu'il doit au seigneur dominant ; il a été ainsi nommé fief de corps, à la différence des fiefs dont les possesseurs ne sont tenus de rendre au seigneur dominant, que certaines redevances ou prestations, au lieu de services personnels & militaires, tels que sont les fiefs oubliaux dont il est parlé dans la coûtume de Toulouse, ou de fournir & entretenir un ou deux hommes de guerre, plus ou moins.

Le service du fief de corps est ainsi expliqué dans le ch. ccxxx. des assises de Jérusalem, p. 156. ils doivent service d'aller à cheval & à armes (à la semonce de leur seigneur), dans tous les lieux du royaume où il les semondra ou fera semondre, à tel service, comme ils doivent, & y demeurer tant comme il les semondra ou fera semondre jusqu'à un an. Par l'assise & usage de Jérusalem, la semonce ne doit pas accueillir l'homme pour plus d'un an ; celui qui doit service de son corps, de chevalier ou de sergent, en doit faire par tout le royaume le service avec le seigneur, ou sans lui s'il en semond, comme il le doit quand il est à court d'aller à conseil de celui ou de celle à qui le seigneur le donnera, si ce n'est au conseil de son adversaire, ou si la querelle est contre lui-même. Nul ne doit plaidoyer par commandement du seigneur ni d'autre, ils doivent faire égard ou connoissance & recort de court, si le seigneur leur commande de le faire ; ils doivent aller voir meurtre ou homicide, si le seigneur leur commande d'aller voir comme court, & ils doivent par commandement du seigneur, voir les choses dont on se clame de lui, & que l'on veut montrer à court. Ils doivent, quand le seigneur leur commandera, aller par tout le royaume semondre comme court, aller faire devise de terre & d'eaux entre gens qui ont contention, faire enquêtes quand on le demande au seigneur & qu'il l'ordonne, voir les monstrées de terres & autres choses telles qu'elles soient, que le seigneur leur commande de voir comme court. Ils doivent faire toutes les autres choses que les hommes de court doivent faire comme court quand le seigneur le commande ; ils lui doivent ce service par tout le royaume ; ils lui doivent même service hors du royaume, en tous les lieux où le seigneur ne va pas, pour trois choses, l'une pour son mariage ou pour celui de quelqu'un de ses enfans, l'autre pour garder & défendre sa foi ou son honneur, la troisieme pour le besoin apparent de sa seigneurie, ou le commun profit de sa terre ; & celui ou ceux que le seigneur semond ou fait semondre, comme il doit, de l'une desdites trois choses, & s'ils acquiescent à la semonce & vont au service du seigneur, il doit donner à chacun ses estouviers, c'est-à-dire son nécessaire, suffisamment tant qu'ils seront à son service, &c. & celui ou ceux que le seigneur a semond ou fait semondre dudit service, & qui n'acquiescent pas à la semonce ou ne disent pas la raison pour quoi, & telle que court y ait égard, le seigneur en peut avoir droit comme de défaut de service. Le service des trois choses dessus dites, est dû hors le royaume à celui à qui les possesseurs doivent service de leur corps & au chef seigneur ; ils doivent tous les autres services comme il a été dit ci-dessus ; & si une femme tient fief qui doive service de corps au seigneur, elle lui doit tel service que si elle étoit mariée, & quand elle sera mariée, son baron (c'est-à-dire son mari), devra au seigneur tous les services ci-dessus expliqués. Voyez Littletons, chap. jv. of. Knights service sect. 103. fol. 74. v°. & Bouteiller dans sa somme rurale, liv. I. ch. lxxxiij. p. 486.

FIEF-COTTIER, c'est le nom que l'on donne dans quelques coûtumes aux héritages roturiers, & qui sont de la nature des main-fermes ; le terme de fief ne signifie pas en cette occasion un bien noble, mais seulement la concession à perpétuité d'un héritage à titre de censive. Voyez la coûtume de Cambrai, tit. j. art. 74. (A)

FIEF EN LA COURT DU SEIGNEUR, feudum in curia seu in curte, c'est lorsque le seigneur dominant donne à titre d'inféodation une partie de son château ou village, ou de son fisc ou de ses recettes, & que la portion inféodée est moindre que celle qui reste au seigneur dominant. C'est ainsi que l'explique Rosentalius, cap. ij. §. 40. Voyez FIEF HORS LA COURT.

Baron, de beneficiis, liv. I. & Loyseau, des seign. ch. xij. n. 47. dit que les fiefs mouvans d'un seigneur haut-justicier qui sont hors les limites de sa justice, sont appellés fiefs extra curtem ; ainsi fief en la court peut aussi s'entendre de celui qui est enclavé dans la justice du seigneur, (A)

FIEF HORS LA COURT DU SEIGNEUR DOMINANT, c'est lorsque le seigneur d'un château ou village donne à titre d'inféodation à quelqu'un la jurisdiction & le ressort dans son château ou village avec un modique domaine, le surplus des fonds appartenant à d'autres. C'est ainsi que le définit Rasius, part. II. de feud. §. 1.

On entend aussi par là celui qui est situé hors les limites de la justice du seigneur. Voyez ce qui est dit en l'article précédent sur les fiefs en la court du seigneur, vers la fin. (A)

FIEF COUVERT, est celui dont l'ouverture a été fermée, c'est-à-dire pour lequel on a fait la foi & hommage, & payé les droits de mutation. En couvrant ainsi le fief, on prévient la saisie féodale : ou si elle est déja faite, on en obtient main-levée : il y a ouverture au fief jusqu'à ce qu'il soit couvert. Voyez

FIEF OUVERT, & OUVERTURE DE FIEF. (A)

FIEF IN CURIA seu IN CURTE. Voyez FIEF EN LA COURT.

FIEF DE DANGER, est celui dont on ne peut prendre possession ou faire aucune disposition, sans le congé du seigneur, autrement le fief tombe en commise ; ce qui fait appeller ces sortes de fiefs de danger, eò quòd periculo sunt obnoxia & domino committuntur. Il en est parlé dans la coût. de Troyes ; art. 37. Chaumont, art. 56. Bar-le-Duc. art. 1. en l'ancienne coûtume du bailliage de Bar, art. 1. & en l'article 31. de l'ancienne coûtume d'Amiens. Suivant ces coûtumes, quand le fief est ouvert ou sans homme, le nouveau vassal ne doit point y entrer, ni en prendre possession sans premierement en faire foi & hommage au seigneur dominant, sans quoi il encourreroit la commise. Anciennement en Bourgogne le fief de danger tomboit en commise s'il étoit aliéné sans le congé du seigneur, comme il paroît par un arrêt du parlement de Paris du 20 Décembre 1393, cité par du Tillet. Mais par la coûtume du duché ch. iij. & du comté ch. j. rédigées l'une & l'autre en 1549, le danger de commise est aboli en plusieurs cas, suivant les loix des Lombards, si le vassal est en demeure pendant an & jour à demander l'investiture, il perd son fief comme il est dit dans les livres des fiefs, lib. I. tit. xxj. & lib. IV. tit. lxxvj. Cette cause de danger fut aussi autorisée par les constitutions des empereurs Lothaire & Frederic ; mais par les statuts de Milan, la commise n'a point lieu dans ce cas non plus qu'en France. Voyez COMMISE. (A)

FIEF DEMI-LIGE, dont il est parlé dans l'art. 21. de la coûtume du comté de S. Pol rédigée en 1507, est celui pour lequel le vassal promet la fidélité contre tous à l'exception des supérieurs, à la différence du fief -lige où le vassal promet fidélité à son seigneur envers tous & contre tous.

Les fiefs demi-liges différent encore des fiefs -liges, en ce que le relief des fiefs -liges dans cette même coûtume est de dix livres ; au lieu que celui des demi-liges est seulement de 60 sous, & de moitié de chambellage, pourvû que le contraire n'ait pas été reglé, ou par convention ou par prescription.

La coûtume de S. Pol réformée en 1631, ne parle point de fief -lige. Voyez FIEF-LIGE. (A)

FIEFS DE DEVOTION ou DE PIETE, sont ceux que les seigneurs reconnoissoient autrefois par humilité tenir de Dieu ou de quelque saint, église ou monastere, à la charge de l'hommage & de quelques redevances d'honneur, comme de cire & autres choses semblables. Plusieurs souverains ont ainsi fait hommage de leurs états à certaines églises ; ce qui n'a point donné pour cela atteinte à leur souveraineté, ni attribué à ces églises aucune puissance temporelle sur les états & autres seigneuries dont on leur a rendu un hommage de dévotion. Voyez S. Julien dans ses mélanges, p. 657. Doublet, dans ses antiquités de S. Denis, liv. I. ch. xxiv. & xxviij. liv. III. ch. iij. & vj. Brodeau sur Paris, art. 63. Voyez HOMMAGE DE DEVOTION. (A)

FIEF DIGNITAIRE ou DE DIGNITE, est celui auquel il y a quelque dignité annexée, tels que les principautés, duchés, marquisats, comtés, vicomtés, baronies. Voyez chacun de ces termes en leur lieu.

Le fief de dignité est opposé au fief simple, auquel il n'y a aucune dignité annexée.

On a toûjours pris soin de conserver ces sortes de fiefs dans leur entier autant qu'il est possible ; c'est pourquoi ils sont de leur nature indivisibles, & appartiennent en entier à l'ainé, sauf à lui à recompenser les puînés pour les droits qu'ils peuvent y avoir. Chopin sur la coûtume d'Anjou, lib. III. tit. ij. n. 6. & Salvaing de l'usage des fiefs.

On étoit même obligé anciennement, lorsqu'on vouloit partager un fief de cette qualité, d'obtenir la permission du roi. L'histoire en fournit plusieurs exemples, entr'autres celui du seigneur d'Authoüin lequel en l'année 1486 obtint du roi Charles VIII. que sa pairie de Dombes & Domnat près d'Abbeville, mouvante du roi à une seule foi fut divisée en deux, afin qu'il pût pourvoir plus facilement à l'établissement de ses enfans. Duranti, dec. xxx. n. 10. Graverol & la Rochefl. liv. VI. tit. lxiij. art. 1.

On ne peut encore démembrer ces fiefs, ni s'en joüer & disposer de quelque partie que ce soit, sans le consentement du roi, suivant un arrêt du parlement du 18 Juillet 1654.

Les lettres d'érection des terres en dignité ne se vérifient dans les cours que pour le nom & le titre seulement, c'est-à-dire que les fiefs ainsi érigés n'acquierent pas pour cela toutes les prérogatives attribuées par les coûtumes aux anciennes dignités. Chopin de doman. & sur la coûtume d'Anjou. Ainsi le parlement de Paris ne vérifia l'érection en marquisat de la terre de Maigneley en Vermandois, de Suses au Maine, & de Durestal en Anjou en comté, que pour le titre seulement, suivant ses arrêts des 14 Août, 19 Octobre, & 12 Décembre 1566.

Le parlement de Grenoble procédant à l'enregistrement des lettres-patentes portant érection de la terre d'Ornacieu en marquisat, arrêta le 19 Juin 1646, les chambres consultées, que dorénavant il ne procéderoit à la vérification d'aucunes lettres, portant érection des terres en marquisat, comté, vicomté, & baronie, que l'impétrant ne fût présent & poursuivant la vérification ; de quoi il ne pourroit être dispensé que pour des causes très justes & légitimes concernant le service de S. M. qu'avant la vérification, il sera informé par un commissaire de la cour, de l'étendue, revenus & mouvance desdites terres, pour savoir si elles seront capables du titre qui leur sera imposé ; que les impétrans ne pourront unir aux marquisats, comtés, vicomtés, & baronies, aucunes terres se mouvant pleinement du fief de S. M. qu'ils ne pourront aussi démembrer, vendre, donner, ni aliéner, pour quelque cause que ce soit, aucunes dépendances des terres qui composeront le corps de la qualité qui sera sur elle imposée, faute de quoi la terre reprendra sa premiere qualité ; que la vérification sera faite sans préjudice des droits des quatre barons anciens de la province, & sans que pour raison desdites qualités, les impétrans puissent prétendre d'avoir leurs causes commises en premiere instance pardevant la cour, si ce n'est qu'il s'agît des droits seigneuriaux en général, des marquisats, comtés, vicomtés, & baronies, de la totalité de la terre & seigneurie, mais qu'ils se pourvoiront tant en demandant que defendant pardevant les juges ordinaires & royaux, & que les appellations des juges des marquisats, comtés, vicomtés, & baronies, ressortiront pardevant les vice-baillifs & juges royaux, ainsi qu'elles faisoient auparavant.

La chambre des comptes par un arrêté du 28 Juillet 1645, déclara que les fonds & héritages de franc-aleu composant le revenu des marquisats ou comtés, sortiront nature de fief, pour être insérés & compris aux aveux & dénombremens qui en seront donnés.

Le seigneur féodal ne perd pas son droit de féodalité par l'érection en dignité de la terre de son vassal ; c'est pourquoi les lettres portent communément la clause que c'est sans rien innover aux droits de justice, foi & hommage appartenans à autres qu'au roi ; c'est pourquoi le seigneur dominant du fief ne peut s'opposer à l'érection pour la conservation des droits de féodalité seulement, parce que le roi peut honorer son arriere-fief de telle dignité que bon lui semble, sans préjudice de la mouvance des autres seigneurs. Chopin sur Anjou, liv. I. art. 48. n. 8. Salvaing, de l'usage des fiefs, ch. l. Bodin, liv. I. de sa républ. ch. vij. (A)

FIEF DOMINANT, est celui duquel un autre releve immédiatement. La qualité de fief dominant est opposée à celle de fief servant, qui est celui qui releve directement du fief dominant ; & ce dernier est différent du fief suzerain, dont le fief servant ne releve que médiatement.

Un même fief peut être dominant à l'égard d'un autre, & servant à l'égard d'un troisieme : ainsi si le seigneur dominant a un suzerain, son fief est dominant à l'égard de l'arriere-fief, & servant à l'égard du seigneur suzerain. Voyez ci-après FIEF SERVANT & SEIGNEUR DOMINANT.

Il est parlé du fief dominant dans plusieurs coûtumes, notamment dans celles de Melun, artic. 24. & 37 ; Estampes, art. 12, 16, 20, 38 ; Mantes, art. 44 ; Laon, art. 186, 187, 188, 202, 219, 224 ; Châlons, art. 177, 189, 190, 219, 224 ; Rheims, art. 120, 138 ; Ribemont, art. 19 ; Montargis, ch. prem. art. 11, 66, 85 ; Grand-Perche, art. 35, 38, 44, 46, 47, 48, 65 ; Châteauneuf, art. 16 ; Poitou, art. 23 ; Péronne, art. 30, 52, 56, 81 ; Berri : tit. v. art. 20 ; Dourdan, art. 25. (K)

FIEF DROIT, feudum rectum, seu cujus possessio recta est ; c'est celui qui passe aux héritiers à perpétuité. Voyez Razius, de feud. part. XII.

FIEF DE DROIT FRANÇOIS, feudum jur. francisci, est celui qui se regle par les lois de France au sujet des fiefs. Schilter, en son traité du parage & de l'apanage, observe qu'il ne faut pas confondre les fiefs du droit françois, juris francisci, avec les francs-fiefs, feuda franca ; ni avec les fiefs de France, feuda Franciae : en effet il y a beaucoup de fiefs situés hors les limites de la France, qui ne laissent pas d'être fiefs de droit françois ; & il y a bien des fiefs de droit françois qui ne sont pas pour cela des francs-fiefs. (A)

FIEF ECHEANT ET LEVANT ; voyez ci-après FIEF REVANCHABLE.

FIEF D'ECUYER, feudum scutiferi, scutarii, seu armigeri ; c'étoit celui qui pouvoit être possédé par un simple écuyer, & pour lequel il n'étoit dû au seigneur dominant que le service d'écuyer ou d'écuyage, servitium scuti, scutagium. L'écuyer n'avoit point de cotte d'armes ni de casque, mais seulement un écu, une épée, & un bonnet ou chapeau de fer. Ce fief étoit différent du fief de haubert ou haubergeon, feudum loricae, pour lequel il falloit être chevalier. Voyez l'histoire de la pairie par Boulainvilliers, tom. II. pag. 117, & aux mots ECUYER, FIEF DE HAUBERT & HAUBERT, FIEF DE CHEVALIER, FIEF BANNERET. (A)

FIEF EGALABLE, voyez FIEF REVANCHABLE.

FIEF ENTIER ou PLEIN FIEF, c'est un fief non divisé, que le vassal doit desservir par pleines armes ; au lieu que les membres ou portions d'un fief de haubert, ne doivent quelquefois chacun qu'une portion d'un chevalier. Voyez FIEF DE CHEVALIER, FIEF DE HAUBERT.

Fief entier dans la coûtume de Chartres, art. 10, & dans celle de Châteauneuf en Thimerais, art. 9, est celui qui vaut trente livres tournois de revenu par an, ce qui suffisoit apparemment autrefois dans ces coûtumes pour l'entretien d'un noble ou seigneur de fief portant les armes. Suivant l'article 10 & 21 de la coûtume de Châteauneuf, & le 15 de celle de Chartres, le fief entier doit pour raison d'un cheval de service, soixante sous de rachat. Voyez ci-après FIEF SOLIDE & PLEIN FIEF. (A)

FIEF EPISCOPAL, étoit celui qu'un vassal laïc tenoit d'un évêque, qui étoit son seigneur dominant ; ou plûtôt c'étoit le fief même que tenoit l'évêque, ou ce que son vassal tenoit de lui comme étant une portion du fief épiscopal. On en trouve un exemple dans les preuves de l'histoire de Montmorency, pag. 37, à la fin. Ego Girbertus, Dei gratiâ Parisiensis episcopus, &c. Assensu domini Stephani archidiaconi, ecclesiam & altare Bullariae de Moncellis monasterio B. Martini de Pontisarâ concessi : annuente Burcardo de monte Morenciaco, qui eum de episcopali feudo possidebat, &c. Actum publice Parisiis in capitulo B. Mariae, anno Incarnationis dominicae 1122. Voyez aussi les preuves du pénitentiel de Théodore, pag. 411, & Marlot dans sa métropole de Rheims, tome II. pag. 114.

Les fiefs épiscopaux & presbytéraux commencerent vers la fin de la seconde race ; lorsque les seigneurs laïques s'emparerent de la plûpart des biens ecclésiastiques, des dixmes, offrandes, &c. Voyez le glossaire de Lauriere, au mot Fief épiscopal, & ci-après FIEF PRESBYTERAL. (A)

FIEF EXTRA CURIAM, voyez FIEF HORS LA COURT DU SEIGNEUR DOMINANT.

FIEF FEMININ, dans son étroite signification, est celui qui par la premiere investiture a été accordé à une femme ou fille, & à la succession duquel les femmes & filles sont admises à défaut de mâles.

Dans un sens plus étendu, on entend par fiefs féminins, tous les fiefs à la succession desquels les femmes & filles sont admises à défaut de mâles, quoique la premiere investiture de fief n'ait pas été accordée à une femme ou fille ; & pour distinguer ceux-ci des premiers, on les appelle ordinairement fiefs féminins héréditaires.

Enfin on entend aussi par fiefs féminins, ceux qui peuvent être possédés par des femmes ou filles à quelque titre qu'ils leur soient échûs, soit par succession, donation, legs, ou acquisition.

Le fief féminin est opposé au fief masculin, qui ne peut être possédé que par un mâle ; comme le royaume de France, lequel ne tombe point en quenouille ; le duché de Bourgogne & celui de Normandie étoient aussi des fiefs masculins.

Suivant la coûtume de chaque province ; il y avoit de grands fiefs féminins, tels que le duché de Guienne, & le comté d'Artois. Mahaut comtesse d'Artois, paire de France, au sacre de Philippe-le-Long, soûtint la couronne du roi avec les autres pairs : cependant c'étoit elle-même qui étoit excluse de la couronne. Mais celle-ci est un fief masculin suivant la loi salique, au lieu que l'Artois est un fief féminin. Voyez Struvius, syntagm. juris feud. cap. jv. n. 17 ; M. le président Henault, en son abrégé chronologique. (A)

FIEF-FERME, feudo firma, vel feudi firma, étoit un tenement ou certaine étendue de terres, accordé à quelqu'un & à ses héritiers, moyennant une redevance annuelle qui égaloit le tiers, ou au moins le quart du revenu, sans aucune autre charge que celles qui étoient exprimées dans la charte d'inféodation. Ces sortes de concessions étoient telles, que si le tenancier étoit deux années sans payer la redevance, le bailleur avoit une action pour rentrer dans son fonds. Ces fiefs-fermes ressemblent beaucoup à nos baux à rente, & aux baux emphythéotiques. Voyez Britton, pag. 164 ; Cowel, lib. II. instit. tit. ij. §. 16, & tit. jv. §. 1, lib. III. tit. xxv. §. 2 ; Leges Henrici I. regis Angl. cap. lvj. Matth. Paris, à l'an 1250. Charte de Philippe-le-Bel, de l'an 1384, au thrésor des chartes, reg. 49. Gloss. de Ducange, au mot feudo firma. (A)

FIEF-FERME, au pays de Normandie est encore une concession d'héritage faite à perpétuité, & qui est opposée à ferme muable : mais on doit plûtôt écrire & dire fieffe-ferme, que fief-ferme ; c'est pourquoi voyez ci-après FIEFFE-FERME & MAIN-FERME. (A)

FIEF FINI, feudum finitum, est celui dont le cas de reversion au seigneur est arrivé, soit par quelque clause du premier acte d'inféodation, soit par quelque cause postérieure, comme pour félonie ou desaveu. Le fief fini est différent du fief ouvert, que le seigneur dominant peut bien aussi mettre en sa main, mais non pas irrévocablement : c'est pourquoi le fief en ce cas n'est pas fini, c'est-à-dire éteint. Voy. Loiseau, tr. des off. liv. II. ch. viij. n. 51. (A)

FIEF FORAIN, feudum forinsecum, est une pension annuelle assignée sur le fisc, & que le thrésorier du roi est chargé de payer à quelqu'un qui n'est pas de l'hôtel du roi. Voyez le glossaire de Ducange au mot feudum forinsecum, & ci-devant au mot FIEF EN LA COURT DU SEIGNEUR.

Les fiefs forains sont opposés à ces fiefs en la cour. Voyez aussi FIEF HORS LA COURT DU SEIGNEUR. (A)

FIEF FRANC ou FRANC FIEF, feudum francale seu francum ; c'est ainsi que tous fiefs étoient autrefois appellés, à cause de la franchise ou des prérogatives qui y étoient annexées, & dont joüissoient ceux qui les possédoient. Ce nom convient singulierement aux fiefs nobles & militaires. Voyez ci-après FRANCS FIEFS, FIEF MILITAIRE, & FIEF VILAIN, ROTURIER, RURAL. (A)

FIEFS, (francs) dans sa signification propre doit s'entendre de tous fiefs tenus franchement & noblement, c'est-à-dire sans aucune charge de devoir ou prestation annuelle, comme les biens roturiers que l'on qualifioit aussi quelquefois de fiefs ; mais au lieu de les appeller francs-fiefs, on les appelloit fiefs roturiers, fiefs non-nobles, &c.

On entend plus communément par le terme de francs-fiefs, la taxe que les roturiers possédant quelque fief, payent au roi tous les vingt ans pour la permission de garder leurs fiefs.

Ce droit est royal & domanial ; les seigneurs n'y ont plus aucune part.

L'origine de ce droit vient de ce qu'anciennement les nobles étoient les seuls auxquels on concédoit les fiefs. Il étoit défendu aux roturiers d'en acquérir ; comme il paroît par deux anciens arrêts, l'un de 1265, l'autre de 1282 ; & comme il est porté dans les coûtumes de Meaux, art. 144 ; Artois, 137 : ce qui s'observe aussi en Bretagne.

Ce ne fut qu'à l'occasion des croisades, lesquelles commencerent l'an 1095, que les roturiers commencerent à posséder des fiefs. Les nobles qui s'empressoient presque tous à faire paroître leur zele dans ces expéditions, pour en soûtenir la dépense se trouverent obligés de vendre une partie de leurs fiefs & seigneuries ; & comme il se trouvoit peu de nobles pour les acheter, parce que la plûpart s'engageoit dans ces croisades, ils furent contraints de les vendre à des roturiers, auxquels nos rois permirent de posséder ces fiefs en leur payant une certaine finance, qui fut dans la suite appellée droit de franc-fief.

Ce droit fut regardé comme un rachat de la peine encourue par les roturiers, pour avoir acquis des fiefs contre la prohibition des anciennes ordonnances ; & comme il n'appartient qu'au souverain de dispenser des lois & d'en faire de nouvelles, le roi est aussi le seul qui puisse permettre aux roturiers de posséder des fiefs, & exiger d'eux pour cette permission la taxe appellée droit de franc-fief.

La permission accordée aux roturiers de posséder des fiefs, étoit d'autant plus importante, que la possession de ces sortes de biens avoit le privilége d'affranchir les roturiers qui demeuroient dans leur fief, tant qu'ils y étoient levans & couchans. M. de Boulainvilliers, en son histoire de la pairie, prétend même que le roturier qui acquéroit un fief & vouloit bien en faire le service militaire, devenoit noble, & qu'il ne payoit le droit de franc-fief que comme une indemnité, lorsqu'il ne vouloit pas vivre saliquement ou noblement, c'est-à-dire faire le service militaire.

Il paroît du moins certain, que les roturiers possesseurs de fiefs étoient reputés nobles, lorsque leurs fiefs étoient tombés en tierce-foi ; c'est-à-dire que lorsqu'ils avoient déjà été partagés deux fois entre roturiers, à la troisieme fois ils les partageoient noblement & de même que les nobles.

Nos rois n'approuvoient pourtant pas ces usurpations de noblesse ; & pour en interrompre la possession, ils faisoient de tems en tems payer aux roturiers une taxe pour leurs fiefs. Cependant les roturiers possesseurs de fiefs ayant toûjours continué de prendre le titre d'écuyers, l'ordonnance de Blois statua enfin par l'article 258, que les roturiers & non-nobles achetant fiefs nobles, ne seroient pour ce annoblis, de quelque revenu que fussent les fiefs par eux acquis. Et tel est l'usage que l'on suit présentement.

Anciennement les roturiers ne pouvoient acquérir un fief sans le consentement du seigneur immédiat dont le fief relevoit. Il étoit permis aux seigneurs particuliers de recevoir des roturiers pour vassaux, pourvû que les droits du roi ne fussent point diminués, c'est-à-dire que les roturiers s'obligeassent de faire le service du fief, ce qui intéressoit le roi en remontant jusqu'à lui de degré en degré.

Mais comme ordinairement les roturiers qui achetoient des fiefs ne s'engageoient pas à faire le service militaire, on appelloit cela abreger le fief, c'est-à-dire que le service du fief étoit abregé ou perdu.

Il arrivoit de-là que le fief étoit dévolu au seigneur supérieur immédiat, au même état que ce fief étoit avant l'abregement ; & comme ce seigneur diminuoit lui-même son fief en approuvant ce qui avoit été fait par son vassal, le fief de ce seigneur supérieur immédiat étoit à son tour dévolu à son seigneur supérieur, & ainsi de seigneur supérieur en seigneur supérieur jusqu'au roi ; de maniere que pour desintéresser tous ces seigneurs, il falloit leur payer à chacun une finance ou indemnité.

Philippe III. dit le Hardi abolit cet ancien droit par son ordonnance de 1275, par laquelle il ordonne que les personnes non-nobles qui auroient acquis des fiefs & les tiendroient par hommage à service compétent, ne pourroient être inquiétés par ses juges, lesquels les laisseroient joüir paisiblement de ces biens ; qu'au cas où ces personnes non-nobles auroient fait de telles acquisitions de fiefs ou arriere-fiefs, hors les terres des barons, si entre le roi & celui qui avoit fait l'aliénation il ne se trouvoit pas trois seigneurs, & s'ils possédoient les fiefs acquis avec abregement de service, ils seroient contraints de les mettre hors de leurs mains, ou de payer la valeur des fruits de deux années ; & que si un fief étoit commué en roture, les choses seroient remises en leur premier état, à moins que le possesseur ne payât au roi l'estimation des fruits de quatre années.

Cependant depuis, en quelques lieux, l'ancien droit fut suivi par rapport à l'abregement de fief ; comme il se voit dans l'ancienne coûtume de Bourges, qui porte, que là où aucune personne non-noble acquiert de noble, telle personne acquérant ne peut tenir l'acquêt si elle ne fait finance au seigneur de fief, & aussi de seigneur en seigneur jusqu'au roi.

Philippe-le-Bel par son ordonnance de 1291, dérogea en quelque chose à celle de Philippe-le-Hardi, ayant ordonné que, quant aux personnes non-nobles qui acquerroient des terres en fiefs ou arriere-fiefs du roi, hors les terres des barons, sans son consentement, s'il n'y avoit pas entre le roi & celui qui avoit fait l'aliénation trois seigneurs intermédiaires, soit que les acquéreurs tinssent à la charge de desservir les fiefs ou non, ils payeroient au roi la valeur des fruits de trois années : & que s'il y avoit abregement de fief, ils en payeroient le dédommagement au dire de prudhommes.

Le droit de francs-fiefs fut aussi levé par Philippe V. dit le Long, lequel par son ordonnance du mois de Mars 1320, renouvella celle de Philippe-le-Bel, excepté qu'au lieu du dire de prudhommes, que les roturiers devoient payer en cas d'abregement de service, il ordonna qu'ils payeroient l'estimation des fruits de quatre années.

Charles-le-Bel fit deux ordonnances touchant les francs-fiefs.

L'une en 1322, portant que les personnes non-nobles qui avoient acquis depuis trente ans sans la permission du roi des fiefs & arriere-fiefs & des aleux, seroient obligés de mettre ces acquisitions hors de leurs mains sous peine de confiscation, avec défense de faire dans la suite de semblables acquisitions.

L'autre ordonnance du même prince, qui est du 18 Juillet 1326, est conforme à celles de Philippe-le-Bel & de Philippe-le-Long, & qui porte que dans le cas expliqué par ces précédentes ordonnances, les roturiers payeroient seulement la valeur des fruits de deux années, & qu'ils en payeroient quatre pour la conversion d'un fief en roture.

On trouve aussi une déclaration de la même année, portant que les roturiers ne payeroient pas de finance pour les biens qu'ils auroient acquis à titre d'emphytéose, moyennant un certain cens ou pension, pourvû que ce fût sans jurisdiction, & que la valeur du fief ne fût pas diminuée.

Il est aussi ordonné que les roturiers descendant d'un pere non-noble & d'une mere noble, ne payeront aucune finance pour les biens qui leur viendroient par succession de leur mere, ou de ses collatéraux nobles.

Du tems de Philippe-de-Valois, on fit une recherche du droit de franc-fief. Ce prince fit le 18 Juin 1328 une ordonnance latine à ce sujet, portant entr'autres choses, que pour les choses & possessions que les personnes non-nobles avoient acquises depuis trente ans en-çà dans les fiefs ou arriere-fiefs du roi, sans le consentement de lui ou de ses devanciers, posé qu'il n'y eût pas entre le roi & la personne qui avoit fait cette aliénation, trois seigneurs intermédiaires ou plus, ils payeroient pour finance l'estimation des fruits de trois ans.

Que si aucune personne non-noble acquéroit d'une autre personne non-noble quelque fief, & que le vendeur l'eût tenu plus anciennement que depuis trente ans, ou qu'au bout de trente ans il eût payé une finance ; l'acquéreur ne seroit point contraint de payer une nouvelle finance, ou de mettre le fief hors de ses mains.

Suivant cette même ordonnance, dans le cas où une personne non-noble devoit payer quelque finance pour son assignation, les commissaires députés pour demander & lever lesdites finances, ne devoient point assigner ni mettre la main, si ce n'est sur les biens acquis, avant que la finance fût accordée entre le commissaire & l'acquéreur.

On voit par un mandement qui fut adressé à cette occasion aux commissaires députés pour la recherche des francs-fiefs, que quand un noble vendoit son fief à un non-noble moyennant une somme d'argent, & en outre une certaine rente ou pension annuelle, on ne devoit avoir égard qu'au prix payé en argent pour estimer la finance qui étoit dûe, sans compter la rente ou pension retenue par le vendeur.

Philippe-de-Valois renouvella son ordonnance du 6 Juin 1328, le 23 Novembre suivant ; avec cette différence qu'au lieu de trois années que l'on devoit payer pour le droit de franc-fief, il en mit quatre par cette derniere ordonnance.

Comme les nobles outre leurs fiefs possédoient aussi quelquefois des biens roturiers, il expliqua par un mandement adressé le 10 Juin 1331 au sénéchal de Beaucaire, que les roturiers qui acquéroient des nobles de tels biens, auxquels il n'y avoit ni fief, ni hommage, ni justice attachée, ne devoient pour cette acquisition aucune finance au roi.

Le droit de franc-fief étoit dû par les non-nobles, quoiqu'ils eussent acquis d'un noble ; comme il paroît par des lettres du même prince du 24 Août 1338.

Mais ce qui est encore plus remarquable, c'est que du tems de Philippe de Valois & de ses prédécesseurs, l'affranchissement d'un fief où l'acquittement du droit de franc-fief étoit réputé réel, de maniere qu'un non-noble pouvoit, sans payer au roi aucune nouvelle finance, acheter le fief d'un autre non-noble qui l'avoit acquis, & qui avoit payé au roi le droit de franc-fief, pour obtenir de Sa Majesté l'abregement & affranchissement de service ; ce qui fut changé environ deux cent ans après, en établissant que ces sortes d'affranchissemens ne seroient plus que personnels à chaque possesseur, & non réels.

L'ordonnance de 1302, donnée par Charles IV. dont on a parlé ci-devant eut quelques suites, non-seulement alors, mais même sous les regnes suivans. En conséquence de cette ordonnance, on envoya plusieurs commissaires dans la sénéchaussée de Beaucaire, pour faire saisir & confisquer au profit du roi les acquisitions de biens nobles faites depuis 30 ans par des roturiers ; il y eut en effet quelques-uns de ces biens saisis : quelques acquéreurs payerent des finances pour conserver leurs acquisitions ; les commissaires ne tirerent pourtant pas de-là les finances infinies qu'ils auroient pû, dit-on, en tirer. Ceux dont les acquisitions avoient été servies, continuerent depuis d'en percevoir les fruits & revenus.

Le duc de Berry & d'Auvergne, & comte de Poitiers, fils & lieutenant du roi Jean dans le Languedoc, donna des lettres pour continuer à exécuter l'ordonnance de 1322, & l'on fit en conséquence quelques poursuites qui furent interrompues lorsqu'il sortit du Languedoc.

Mais le maréchal Daudeneham, lieutenant du roi dans ce pays, envoya des commissaires dans la sénéchaussée de Beaucaire avec ordre de s'informer de ces nouvelles acquisitions, soit par témoins ou par titres, d'obliger même à cet effet les notaires de donner des copies des actes qui seroient dans leurs protocoles & dans ceux de leurs prédécesseurs contenant ces sortes d'acquisitions, & après cette information faite, de faire saisir toutes ces nouvelles acquisitions, d'en faire percevoir tous les revenus, de faire défenses à ceux qui les possédoient de les recevoir, & même de les vendre, de les donner à cens ou moyennant quelque redevance annuelle, & enfin de faire rendre compte à ceux qui avoient perçu les revenus de ces biens au préjudice de la saisie qui en avoit été faite au nom du roi.

Le maréchal Daudeneham donna néanmoins pouvoir à ces commissaires de composer avec ceux qui avoient fait de telles acquisitions, ou qui avoient perçu les fruits de celles qui étoient saisies, & de leur permettre moyennant une finance qu'ils payeroient, de les garder, sans qu'ils pussent être contraints à s'en désaisir dans la suite.

Le détail que l'on vient de faire sur l'exécution de l'ordonnance de 1322, se trouve dans les lettres du maréchal de Daudeneham du 15 Août 1363.

On suivit toûjours les mêmes principes au sujet des francs-fiefs du tems du roi Jean, comme il paroît par des lettres de ce prince du mois d'Octobre 1354, confirmatives d'autres lettres du 4 Mai 1324, portant concession aux citoyens & habitans de Toulouse d'acquérir des personnes nobles des biens-fonds, pourvû que ces biens fussent sans justice, & qu'il n'en fût pas dû d'hommage.

Louis duc d'Anjou, lieutenant de Charles V. dans le Languedoc, ordonna par des lettres données à Nismes le 16 Février 1367, qu'il ne seroit point payé de finances par les roturiers pour les acquisitions d'aleux non nobles, & ne relevant point du roi ni en fief ni en arriere-fief, quoique faites de personnes nobles, & que ceux qui n'auroient point payé la finance des francs-fiefs, n'y pourroient être contraints par emprisonnement de leur personne, mais seulement par saisie & vente de leurs biens.

Charles V. ordonna depuis en 1370, que ceux qui auroient refusé de payer le droit de franc-fief, & auroient fatigué les commissaires par des tours & des chicanes, seroient contraints de payer une double finance.

De tems immémorial, les bourgeois de Paris ont été exemptés des droits de franc-fief, tant pour les biens nobles par eux acquis dans les fiefs du roi & dans ceux des seigneurs, que pour les francs-aleux ; on publia à Paris vers l'année 1371 une ordonnance, portant que les non nobles qui avoient acquis depuis 1324 des biens nobles, en fissent dans un mois leur déclaration au receveur de Paris, qui mettroit ces biens dans la main du roi jusqu'à ce que ces acquéreurs eussent payé finance ; mais Charles V. par des lettres du 9 Août 1371, confirma les bourgeois de Paris dans leur exemption des droits de franc-fief dans toute l'étendue du royaume ; ils ont en conséquence joui de ce privilége sans aucun trouble, si ce n'est depuis quelque tems qu'on les a inquiétés à ce sujet, pour raison de quoi il y a une instance pendante & indécise au conseil, où les prévôt des marchands & échevins de la ville de Paris sont intervenus pour soûtenir le droit des bourgeois de Paris, lesquels néanmoins sont contraints par provision de payer le droit de franc-fief.

Les bourgeois de Paris ne sont pas les seuls auxquels l'exemption du droit de franc-fief eût été accordée ; ce privilége fut communiqué par Charles V. aux habitans de plusieurs autres villes ; mais tous ne l'eurent pas avec la même étendue.

On croit que ce privilége fut accordé aux habitans de Montpellier, suivant des lettres du mois de Juillet 1369, qui leur permettent d'acheter toutes sortes de biens ; mais l'exemption des francs-fiefs n'y est pas exprimée clairement.

Elle fut accordée purement & simplement aux habitans de la ville de Caylus-de-Bonnette en Languedoc, par Charles V. en 1370.

Ceux de Ville-Franche & Roüergue obtinrent la même exception pour le passé, & pour les acquisitions qu'ils feroient pendant dix ans.

Par d'autres lettres de 1370, les habitans de la ville de Caussade en Languedoc, furent déclarés exempts du droit de franc-fief pour les fiefs qu'ils acquerroient, pourvû que ce ne fût pas des fiefs de chevalerie ou des aleux d'un prix considérable.

Le 19 Juillet de la même année, les habitans de la ville de Milhaud furent déclarés exempts des francs-fiefs pour les biens nobles qu'ils avoient acquis, & qu'ils acquerroient dans la suite.

La même chose fut ordonnée en faveur des habitans de Puy-la-Roque, par d'autres lettres des mêmes mois & an.

Les priviléges accordés en la même année à la ville de Cahors, portent entr'autres choses que les habitans de cette ville seroient exemts du droit de franc-fief, pour les biens nobles qu'ils acquerroient dans la suite, quand même ces biens seroient situés dans des fiefs ou arriere-fiefs du roi, & quand même ils les auroient acquis de personnes nobles ou ecclésiastiques.

Les habitans de Puy-Mirol dans l'Agenois, obtinrent aussi au mois de Juin de la même année des priviléges, portant qu'ils jouiroient des fiefs & autres droits nobles qu'ils possédoient depuis 30 ans, qu'ils jouiroient pareillement des fiefs & autres droits nobles qu'ils pourroient acquérir pendant l'espace de dix ans dans le duché d'Aquitaine, pourvû cependant qu'il n'y eût point de forteresse sur ces fiefs ni d'arriere-fiefs qui relevassent de ces fiefs.

Les habitans de Saint-Antonin obtinrent le même privilége pour dix ans, pourvû qu'il n'y eût pas de justice attachée aux fiefs qu'ils acheteroient ; on leur remit seulement les droits pour le passé.

Les mêmes conditions furent imposées aux habitans de Moissac.

La ville de Fleurence obtint aussi en 1371 pour ses habitans, le privilége d'acquerir pendant cinq ans des fiefs nobles & militaires, pourvû qu'il n'y eût point de justice attachée, & à condition qu'ils ne rendroient point hommage de ces fiefs. Ce terme de cinq ans fut ensuite prorogé jusqu'à huit.

Charles V. accorda aussi en 1371 des lettres aux habitans de Rhodès, portant qu'ils seroient exempts du droit de franc-fief pour les biens nobles relevans du roi, qu'ils acquerroient hors du comté de Roüergue, & des terres appartenantes au comte d'Armagnac.

Il exempta pareillement des francs-fiefs les bourgeois de la Rochelle, mais seulement ceux qui auroient 500 liv. de rente.

L'exemption fut accordée pour 20 ans en 1369 aux habitans de Lauserte, à condition qu'ils n'acquerroient point des hommages, des forteresses & des aleux d'un grand prix.

Charles VI. exempta des francs-fiefs les habitans de Condom.

Ceux de Bourges en furent exemptés en 1438, & ceux d'Angers & du Mans en 1483.

Plusieurs autres villes obtinrent en divers tems de semblables exemptions.

Il fut nommé par Charles VI. en 1388 deux commissaires dans chaque prévôté, sur le fait des acquisitions faites par les gens d'église & personnes non nobles, avec des receveurs sur les lieux ; & depuis par des lettres du 8 Juillet 1394, il confirma ce qui avoit été fait par ces commissaires touchant les francs-fiefs ; & depuis nos rois ont de tems en tems nommé de semblables commissaires pour la recherche des francs-fiefs.

Par des lettres patentes de 1445, Charles VII. ordonna que les thrésoriers de France pourroient contraindre toutes personnes non nobles, ou qui ne vivoient pas noblement, de mettre hors de leurs mains tous les fiefs qu'ils possédoient par succession ou autrement, sans en avoir suffisante provision du roi, ou de les en laisser jouir en payant la finance au roi, telle que lesdits thrésoriers aviseroient.

Louis XI. donna des lettres patentes en forme d'amortissement général pour tous les pays de Normandie, pour les nouveaux acquêts faits par les gens de main-morte & pour les fiefs & biens nobles acquis par les roturiers, portant qu'après 40 ans tous fiefs nobles acquis par des roturiers seroient réputés amortis, & que les détenteurs ne seroient contraints d'en vuider leurs mains ni d'en payer finance : ces lettres portoient même, que tous roturiers ayant acquis des héritages nobles en Normandie, étoient annoblis & leur postérité.

François I. par ses lettres du 6 Septembre 1520, défendit à tous roturiers de tenir des héritages féodaux.

Henri II. enjoignit le 7 Janvier 1547 à toutes personnes non nobles possédant fiefs, d'en fournir déclaration pour en payer le droit.

Charles IX. par des lettres patentes du 5 Septembre 1571, nomma des commissaires pour procéder à la liquidation de la finance dûe à cause des droits de franc-fief & nouveaux acquêts, & ordonna que tous les roturiers & non nobles fourniroient leur déclaration de tous les fiefs, arriere-fiefs, héritages, rentes & possessions nobles qu'ils tenoient dans chaque bailliage & sénéchaussée.

Henri IV. nomma aussi des commissaires pour la liquidation des droits de franc-fief, par des lettres du mois d'Avril 1609, dont Louis XIII. ordonna l'exécution par d'autres lettres du 20 Octobre 1613 : il ordonna encore en 1633 la levée du droit de franc-fief sur le pié du revenu d'une année, & il en fut fait un traité en forme de bail, à commencer depuis le 21 Février 1609, jusqu'au dernier Décembre 1633.

La levée du droit de franc-fief fut encore ordonnée au mois de Janvier 1648, quoiqu'il n'y eût alors que 14 ans depuis la derniere recherche : mais l'exécution de cet édit fut sursise jusqu'à la déclaration du 29 Décembre 1652, qui ordonna la levée du droit pour les 20 années qui avoient couru depuis 1638.

On voit donc que le tems au bout duquel se fit la recherche des francs-fiefs, a été réglé différemment ; qu'anciennement elle ne se faisoit que tous les 30 ou 40 ans ; que quelquefois elle s'est faite plûtôt : par exemple, sous François I. elle se fit pour les 33 années que dura son regne : sous Charles IX. on la fit au bout de 25 ans, & depuis ce tems, elle se fait ordinairement tous les 20 ans, au bout duquel tems les roturiers payent pour le droit de franc-fief une année du revenu.

Cet ordre fut observé jusqu'en 1655, où par l'édit du mois de Mars de ladite année, on ordonna que le droit de franc-fief, qui jusqu'alors ne s'étoit levé que de 20 ans en 20 ans au moins, & pour la jouissance de 20 années, une année de revenu des fiefs & biens nobles, seroit dorénavant payée par tous les roturiers possédant fief sur le pié de la 20e partie d'une année du revenu.

Mais sur ce qui fut représenté, que les frais du recouvrement de ces sommes qui se trouveroient pour la plûpart très-modiques, seroient plus à charge aux sujets du roi que le payement du principal, l'édit de 1655 fut révoqué par un autre édit du mois de Novembre 1656, qui ordonna que les roturiers qui possédoient alors des fiefs & biens nobles, seroient à l'avenir, eux & leurs successeurs & ayans cause à perpétuité, exempts du droit de francs-fiefs en payant au roi une certaine finance.

Depuis par un autre édit du mois de Mars 1672, la même exemption fut accordée aux roturiers qui possédoient alors des fiefs & biens nobles ; en payant au roi trois années de revenu desdits biens ; savoir une année pour la jouissance qu'ils avoient eue pour les 20 années commencées en 1652 & finies en 1672, & la valeur de deux autres années pour jouir à l'avenir dudit affranchissement.

On reconnut depuis que le droit de franc-fief étant domanial & inaliénable, il étoit contraire aux principes d'avoir accordé un tel affranchissement à perpétuité ; c'est pourquoi le roi par un édit du mois d'Avril 1692, le restraignit à la vie de ceux qui possédoient alors des fiefs, & qui avoient financé en conséquence de l'édit de 1672.

La recherche des francs-fiefs fut or donnée par une déclaration du 9 Mars 1700, sur tous ceux dont l'affranchissement étoit expiré depuis 1692 jusqu'au premier Janvier 1700.

Par deux autres édits des mois de Mai 1708, & Septembre 1710, Louis XIV. ordonna la recherche des francs-fiefs sur tous ceux qui s'en trouveroient redevables, soit par l'expiration des 20 années d'affranchissement, soit par acquisition, donation ou autre mutation quelconque : ces droits furent mis en parti pour 7 années, & ensuite affermés.

Il fut établi en 1633 une chambre souveraine pour connoître des droits de franc-fief dûs dans toute l'étendue du parlement de Paris depuis le 21 Février 1609 jusqu'au dernier Décembre 1633 : la déclaration du 29 Décembre 1652 établit une semblable chambre, qui subsistoit encore en 1660 : il en avoit aussi été établi quelques autres, & notamment une en Bourgogne, qui fut supprimée par une déclaration du mois d'Août 1669.

Présentement les contestations qui s'élevent sur cette matiere, sont portées devant les intendans, & par appel au conseil. Voyez le gloss. de Lauriere au mot francs-fiefs ; le traité des amortissemens & francs-fiefs de M. le Maître ; le traité des francs-fiefs de Bacquet ; le traité des amortissement du sieur Jarry.

FIEF FURCAL, feudum furcale, est celui qui a droit de haute justice, conséquemment d'avoir des fourches patibulaires qui en sont le signe public extérieur. (A)

FIEF FUTUR, feudum futurum, seu de futuro, est celui que le seigneur dominant accorde à quelqu'un pour en être investi seulement après la mort du possesseur actuel. (A)

FIEF DE GARDE, ou ANNAL, feudum guardiae, c'étoit lorsque la garde d'un château ou d'une maison étoit confiée à quelqu'un pour un an, moyennant une récompense annuelle, promise à titre de fief. Voyez FIEF DE GUET & GARDE. (A)

FIEF, dit FEUDUM GASTALDIAE SEU GUASTALDIAE, étoit lorsqu'un seigneur donnoit à titre de fief à quelqu'un la charge d'intendant ou agent de sa maison, ou de quelqu'une de ses terres. Voyez le glossaire de Ducange, au mot gastaldus.

FIEFS GENTILS, en Bretagne sont les baronies & chevaleries & autres fiefs de dignité encore plus élevée, lesquels se gouvernent & se sont gouvernés par les auteurs des co-partageans, selon l'assise du comte Geoffroy III. fils d'Henri II. roi d'Angleterre, qui devint duc de Bretagne par le mariage de Constance fille de Conan le petit, duc de Bretagne. On distingue ces fiefs gentils des autres fiefs qui ne se gouvernent pas selon l'assise dans les premiers ; les puînés mâles n'ont leur tiers qu'en bienfait, c'est-à-dire à viage, comme en Anjou & au Maine. (A)

FIEF GRAND, feudum magnum & quaternatum, n'est pas toûjours celui qui a le plus d'étendue, mais celui qui est le plus qualifié ; c'est un fief royal ou de dignité. Voyez le glossaire de Lauriere, au mot fief en chef. (A)

FIEF appellé GUASTALDIAE FEUDUM, voyez ci-devant FIEF dit FEUDUM GASTALDIAE.

FIEF D'HABITATION, est celui qui n'est concedé que pour le vassal personnel. Il en est parlé dans les coûtumes des fiefs, lib. I. tit. cv. & par Razius, part. III. de feudis. (A)

FIEF DE HAUBERT ou DE HAUBERGEON, feudum loricae, c'est un fief de chevalier, c'est-à-dire dont le possesseur étoit obligé à 21 ans de se faire armer chevalier, & de servir avec le haubert, haubergeon ou cotte de maille, qui étoit une espece d'armure dont il n'y avoit que les chevaliers qui pussent se servir.

Ce fief est le même que les Anglois appellent feudum militare.

Quelques-uns écrivent fief de haubert, comme qui diroit fief de haut baron, car dans tous les anciens livres de pratique, ber & baron, haubert & haut-baron, sont termes synonymes.

Comme le haubert ou seigneur du fief de haubert étoit obligé de servir le roi avec armes pleines, c'est-à-dire armé de toutes pieces, & conséquemment avec l'arme du corps, qui étoit la cotte de maille ; cette armure fut appellée haubert ou haubergeon, & par succession de tems le fief de haubert a été pris pour toute espece de fief dont le seigneur est tenu de servir le roi avec le haubert ou haubergeon, ce qui a fait croire à quelques-uns que le fief de haubert étoit ainsi appellé à cause du haubergeon, comme le dit Cujas sur le tit. jx. du liv. I. des fiefs quoique ce soit au contraire le terme de haubergeon qui vienne de haubert, & que haubergeon fût l'arme du haubert.

Cette erreur est cependant cause aujourd'hui qu'en la coûtume reformée de Normandie, fief de haubert est moins que baronie. Les art. 155. & 156. taxent le relief de baronie à 100 liv. & celui du fief de haubert entier, à 15 liv. seulement.

Bouteiller, Ragueau & Charondas supposent que le fief de haubert releve toûjours immédiatement du roi, ce qui est une erreur. Terrien qui savoit très-bien l'usage de son pays, remarque sur le chap. ij. du liv. V. p. 171. de l'édition de 1654, qu'un fief de haubert peut être tenu de baronie, la baronie de la comté, la comté de la duché, & la duché du roi.

Suivant l'ancienne & la nouvelle coûtume de Normandie, le fief de haubert est un plein fief ou fief entier ; le possesseur le dessert par pleines armes qu'il doit porter au commandement du roi. Ce service se fait par le cheval, le haubert, l'écu, l'épée & le heaume ; ce fief ne peut être partagé entre mâles, mais quand il n'y a que des filles pour héritieres, il peut être divisé jusqu'en huit parties, chacune desquelles parties peut avoir droit de court & usage, jurisdiction & gage plége, & chacune de ces huit portions est appellée membre de haubert. Mais si le fief est divisé en plus de huit parts, en ce cas chaque portion est tenue séparément comme fief vilain, & dans ce cas aucune de ces portions n'a court ni usage. Ces droits reviennent au seigneur supérieur dont le fief étoit tenu. Il en est de même lorsqu'une des huitiemes est subdivisée en plusieurs portions, chacune perd sa court & usage. Voyez Couvel, lib. II. instit. tit. iij. §. 5 ; Loyseau, des seigneurs ch. vij. n. 45. & suiv. (A)

FIEF HEREDITAIRE, est celui qui passe aux héritiers du vassal, à la différence des fiefs qui n'étoient anciennement concédés que pour la vie du vassal. Vers la fin de la seconde race de nos rois, & au commencement de la troisieme, les fiefs devinrent héréditaires. Voyez ce qui est dit ci-devant des fiefs en général. (A)

FIEF HEREDITAIRE, est aussi celui qui non-seulement se transmet par succession, mais qui ne peut être recueilli à la mort du dernier possesseur que par une personne qui soit véritablement son héritiere, de maniere qu'en renonçant à la succession, elle ne puisse plus le vendre. La succession de ces fiefs est pourtant reglée par le droit féodal, en ce que les femelles n'y concourent point avec les mâles, du moins dans les pays où ce droit est observé, comme en Allemagne ; mais du reste le fief héréditaire est reglé par le droit civil, en ce que l'on y succede suivant le droit civil, ultimo possessori, de même que dans la succession des allodes.

Le fief héréditaire est opposé au fief ex pacto & providentiâ, ou fief propre. Voyez ci-après FIEF EX PACTO & FIEF PROPRE.

Les feudistes distinguent quatre sortes de fiefs héréditaires.

La premiere est celle où le vassal est investi, de maniere que l'investiture lui donne le pouvoir non-seulement de transmettre le fief par succession à toutes sortes d'héritiers sans exception, mais même d'en disposer par actes entre-vifs ou de derniere volonté. Un tel fief, dit Struvius, est moins un fief qu'un alode, & il est considéré comme tel ; c'est ce que les feudistes appellent un fief purement héréditaire. Les femmes y peuvent succéder à défaut de mâle, & en ce sens, on peut aussi l'appeller fief féminin héréditaire : mais suivant le droit féodal, les femmes n'y concourent jamais avec les mâles.

La seconde espece de fief héréditaire est celle où le fief est concédé par l'investiture, pour être tenu par le vassal & ses héritiers en fief héréditaire ; & dans ce cas, il n'y a que les héritiers mâles du vassal qui y succedent ; c'est pourquoi on l'appelle aussi fief masculin héréditaire : dans tout le reste, ce fief conserve toûjours la vraie nature de fief, ensorte que le vassal n'en sauroit disposer sans le consentement du seigneur, & qu'il n'y a que les mâles qui y puissent succéder.

La troisieme espece de fief héréditaire est celle où l'investiture permet au vassal de transmettre le fief par succession à ses héritiers quelconques. Dans cette troisieme espece quelques auteurs pensent que la femme est admise à la succession du fief, d'autres pensent le contraire : mais ceux qui tiennent que la femme a droit d'y succéder, conviennent qu'elle n'y succede jamais concurremment avec les mâles, mais seulement à défaut de mâles.

Enfin la quatrieme espece de fief héréditaire est celle où l'investiture porte expressément cette clause extraordinaire, que les femmes seront admises à la succession du fief, concurremment avec les mâles, comme dans la succession des allodes ; il est constant que c'est-là le seul cas où elles ne sont point excluses par les mâles en parité de degré, & où elles recueillent le fief héréditaire conjointement avec eux ; telles sont les divisions des fiefs héréditaires, suivant le droit féodal. Voyez Struvius syntagm. juris feud. & Schilter en ses notes ; ibid. Rosenthal, c. ij. conclus. 26. Gail. lib. II. observat. cliv. n. ult.

Suivant l'état présent de notre droit coûtumier, par rapport aux fiefs, les femelles y concourent avec les mâles en parité de degré dans les successions directes, mais en succession collatérale le mâle exclud la femelle en parité de degré. (A)

FIEF D'HONNEUR ou FIEF LIBRE, feudum honoratum, est celui qui ne consiste que dans la mouvance & la foi & hommage, sans aucun profit pécuniaire pour le seigneur dominant.

Dans les provinces de Lyonnois, Forêt, Beaujolois, Maconnois, Auvergne, les fiefs sont nobles, mais simplement fiefs d'honneur ; ils ne produisent aucun profit pour quelque mutation que ce soit, en directe ou collatérale, ni même en cas de vente. C'est pourquoi l'on est peu exact à y faire passer des aveux. Voyez les observat. de M. Bretonnier sur Henrys, tom. I. liv. III. chap. iij. quest. 38.

Ils sont aussi de même qualité dans les deux Bourgognes & dans l'Armagnac, ainsi que l'atteste Salvaing en son tr. de l'usage des fiefs, ch. iij. Il en est de même dans le Bugei, suivant Faber en son code de jure emphit. defin. xljv.

Il y a quelques coûtumes qui en disposent de même. Celle de Metz, art. 1. des fiefs, dit que les fiefs au pays messin sont patrimoniaux & héréditaires, & que le vassal ne doit pour hommage que la bouche & les mains, s'il n'appert par l'investiture que le fief soit d'autre condition. La coutûme de Thionville, art. 3. des fiefs, dit la même chose. (A).

FIEF IMMEDIAT, est celui qui releve directement d'un seigneur, à la différence du fief médiat ou fief subalterne qui releve directement de son vassal, & qui forme à l'égard du seigneur suzerain, ce que l'on appelle un arriere-fief. Voyez ARRIERE-FIEF. (A)

FIEF IMPERIAL, en Allemagne, est celui qui releve immédiatement de l'empereur, à cause de sa dignité impériale. (A)

FIEF IMPROPRE, c'est un fief roturier & non noble. Voyez ci-après FIEF PROPRE. (A)

FIEF INCORPOREL ou FIEF EN L'AIR, est un fief impropre qui ne consiste qu'en mouvances & censives, ou en mouvances seules ou en censives seules, & plus ordinairement en censives qu'en mouvances ; il est opposé au fief corporel. Voyez ci-devant FIEF EN L'AIR & FIEF CORPOREL. (A).

FIEF INFERIEUR, s'entend de tout fief qui releve d'un autre médiatement ou immédiatement. Il est opposé à fief supérieur.

Le fief servant est un fief inférieur par rapport au fief dominant.

Un même fief peut être inférieur par rapport à un autre, & supérieur par rapport à un arriere- fief.

Pour savoir quand le fief inférieur est confondu avec le fief supérieur lorsqu'ils sont tous deux en la même main, voyez ci-devant au mot FIEF, & ci-après REUNION, FIEF DOMINANT & FIEF SERVANT. (A).

FIEF INFINI, voyez ci-devant FIEF FINI.

FIEF JURABLE, feudum jurabile, est chez les ultramontains celui pour lequel le vassal doit à son seigneur le serment de fidélité. Jacobinus de sancto Georgio, de feudis v°, in feudum n°. 29. dit : Decima divisio est quia feudum quoddam est jurabile, quoddam non jurabile : feudum jurabile est pro quo juratur fidelitas domino ; non jurabile, quando conceditur eo pacto ut fidelitas non juretur. cap. j. §. nulla, in titulo, per quos fiat investitura in lib. feud. Voyez Wenher p. 532. col. I. in fine, & Lucium 5. lib. I. placitorum tit. j. n°. 2. p. 201.

Dans la coûtume de Bar, le fief jurable & rendable étoit celui que le vassal étoit obligé de livrer à son seigneur. Coût. de Bar, art. 1. Voyez ci-après FIEF RENDABLE. (A)

FIEF LAÏCAL, est celui qui ne releve d'aucun ecclésiastique, mais est dépendant d'un fief purement temporel. (A).

FIEF LEVANT & CHEANT, voyez FIEF CHEANT & FIEF REVANCHABLE.

FIEF LIBRE ou FIEF D'HONNEUR, feudum liberum seu honoratum, il en est parlé dans plusieurs anciennes chartes, entr'autres dans la charte de commune d'Abbeville, c. xxjv. Voyez le gloss. de Ducange, au mot feudum liberum, & ci-devant FIEF D'HONNEUR. (A).

FIEF LIEGE, est la même chose que fief lige. Il est ainsi appellé dans quelques coûtumes, comme dans celle de Hainault, ch. lxxjx. & dans celle de Cambrai, tit. j. art. xlvj. xlvij. xlvjx. l. lj. Voyez FIEF LIGE, HOMME & FEMME LIGE, LIGE FOI & HOMMAGE LIGE. (A).

FIEF LIGE, est celui pour lequel le vassal en faisant la foi & hommage à son seigneur dominant, promet de le servir envers & contre tous, & y oblige tous ses biens.

Le possesseur d'un fief lige est appellé vassal lige, ou homme lige de son seigneur ; l'hommage qu'il lui rend est appellé hommagelige, & l'obligation spéciale qui attache ce vassal à son seigneur, est appellée dans les anciens titres ligence ou ligeité.

Le fief lige est opposé au fief simple.

La différence que les feudistes françois font entre ces deux sortes de fiefs ; est que l'hommage simple que le vassal rend pour un fief simple, n'est nullement personnel, mais purement réel ; il n'est rendu que pour raison du fonds érigé en fief, auquel fonds il est tellement attaché, que dès que le vassal le quitte, ce qu'il peut faire en tout tems, etiam invito domino, il demeure dès cet instant libre de l'obligation qu'il avoit contractée, laquelle passe avec le fonds à celui qui y succede.

L'hommage lige au contraire magis cohaeret personae quam patrimonio ; & quoique la ligence affecte le fonds, qui par la premiere érection y a été assujetti, le possesseur qui s'en est fait investir, se charge personnellement du devoir de vassal lige ; il y affecte tous ses autres biens sans jamais pouvoir s'en affranchir, non pas même en quittant le fief lige, ne pouvant jamais le faire sans le consentement de son seigneur.

Il y a aussi cela de particulier dans l'hommage que l'on rend pour un fief lige, que cet hommage, à chaque fois qu'il est rendu, doit être qualifié d'hommagé lige ; c'est pourquoi à chaque nouvelle reception en foi, le vassal devoit en signe de sujétion mettre ses mains jointes en celles de son seigneur, & ensuite être admis par lui au baiser.

Les auteurs ne sont pas trop d'accord sur l'étymologie de ce mot lige.

Les uns ont écrit que le fief étoit appellé lige à ligando, parce que le vassal étoit lié à son seigneur féodal, lui jurant & promettant une fidélité toute singuliere. Jason, de usib. feud. n. 108.

D'autres tel que Matheus, sur la decis. 309. de Guypape, ont avancé que le fief lige avoit pris ce nom de l'effet & de la suite des obligations sous lesquelles il avoit été originairement donné, en ce que ceux qui s'en faisoient investir, étoient soûmis & engagés à des conditions plus onéreuses que celles qui étoient attachées aux fiefs simples.

D'autres encore ont tenu que ce terme lige venoit de la forme particuliere qui se rendoit pour ces sortes de fiefs, savoir, que les pouces du vassal étoient liés & ses mains jointes entre celles de son seigneur ; opinion que Ragueau, au mot hommage lige, traite avec raison de ridicule.

Quelques-uns ont soûtenu que le mot lige tiroit son origine de la ligne & confédération que quelques personnes font ensemble, en ce que les seigneurs & les vassaux se liguoient & confédéroient par serment les uns aux autres ; & sur ce fondement les feudistes allemands prétendent que les fiefs liges ont commencé en Italie, & qu'ils ont été ainsi appellés à liga, mot italien, qui selon eux signifie ligue ; opinion que Dargentré paroît avoir adoptée après Albert Krantz : mais Brodeau sur Paris, art. lxiij. dit que liga est un ancien mot françois, qui signifie colligationem, pacem & confederationem, une ligue.

Mais il est constant que liga n'est ni italien ni françois ; une ligue en italien, c'est lega. D'ailleurs l'origine des fiefs liges ne peut venir d'Italie, puisque les constitutions napolitaines, quoique postérieures en partie aux usages des fiefs, ne parlent point de fiefs liges.

Le mot liga n'est pas non plus gaulois ; car les fiefs liges n'ayant commencé à être connus que bien avant dans le xij. siecle, comme on le prouvera dans un moment, il est aisé de connoître par les auteurs de ce tems, que leur langage n'étoit point thiois.

Quelques-uns ont encore voulu tirer le mot lige du grec , à quoi il n'y a aucune apparence, la langue greque n'étant pas alors assez familiere pour en tirer cette dénomination.

S. Antonin, sous l'an 1224, écrivant la maniere dont S. Jean d'Angely se rendit à Louis VIII. dit que l'abbé & les bourgeois rendirent la ville au roi, ei ligam exhibentes fidelitatem. Le jésuite Maturus explique ce mot liga par obsequium : mais S. Antonin qui vivoit jusqu'au milieu du xv. siecle, n'a parlé que sur la foi de Vincent de Beauvais, en son miroir historial où, sous l'an 1224, il dit en parlant du même fait, legitimam facientes ei fidelitatem ; ainsi ou le texte a été corrompu, ou c'est une abréviation qui a été mal rendue.

Parmi tant d'opinions controversées, la premiere qui fait venir le mot lige à ligando, paroît la plus naturelle.

Pour ce qui est de l'origine des fiefs liges, ou du moins du tems où ils ont commencé à être qualifiés du surnom de liges, l'époque n'en remonte guere plus haut que dans le xij. siecle, vers l'an 1130.

En effet, il n'en est fait aucune mention dans les monumens qui nous restent du tems des deux premieres races de nos rois, tels que la loi salique, les formules de Marculphe, & celles des auteurs anonymes ; ni dans les ouvrages de Gregoire de Tours, Frédégaire, Nitard, Thegan, Frodoard, Aymoin, Flodoard ; ni même dans les capitulaires de Charlemagne, de Louis le Débonnaire & de Charles le Chauve, quoique les usages des fiefs, tant simples que de dignité, qui se pratiquoient alors en France, & les devoirs réciproques des seigneurs & des vassaux, y soient assez détaillés.

On ne voit même point que les termes de lige, ligeance & ligeité, fussent encore usités sous les quatre premiers rois de la troisieme race, dont le dernier, qui fut Philippe I. mourut en 1108.

Fulbert, chancelier de France, élevé à l'évêché de Chartres en 1007, & que l'on a regardé comme un homme consommé dans la jurisprudence féodale de son siecle, ne parle point des fiefs liges dans ses épîtres, quoique dans plusieurs il traite des fiefs, & notamment dans la 101e, qui comprend en abregé les devoirs réciproques du vassal & du seigneur.

Les fragmens des auteurs qui ont écrit sous Henri I. & sous Philippe I. n'en disent pas davantage, non plus que Yves évêque de Chartres sous Philippe I. & sous Louis-le-Gros. Suger, abbé de Saint-Denis, n'en dit rien dans la vie de Louis-le-Gros, ni dans les mémoires qu'il a laissés des choses les plus importantes qui se sont passées de son tems, quoiqu'il y donne plusieurs éclaircissemens sur les usages des fiefs.

On trouve dans le livre des fiefs un chapitre exprès de feudo ligio ; mais il est essentiel d'observer que ce chapitre n'est point de Gerard le Noir, ni de Obertus de Horto. Ces deux jurisconsultes, qui vivoient vers le milieu du xij. siecle, ne sont auteurs que des trois premiers livres des fiefs, dans lesquels il n'est rien dit du fief lige.

Le chapitre dont on vient de parler, fait partie du quatrieme livre, dans lequel on a ramassé les écrits de plusieurs feudistes anonymes ; & par les constitutions qui y sont citées de Frédéric I. dit Barberousse, qui tint l'Empire jusqu'en 1190, il paroît que ces auteurs ne peuvent être au plûtôt que de la fin du xij. siecle, ou du commencement du xiij. aussi Dumolin sur l'ancienne coûtume de Paris, §. 1. gl. 5. n. 12. dit que ce mot lige est barbarius feudo : qu'il étoit encore inconnu du tems des livres des fiefs, & qu'il fut ensuite introduit pour exprimer qu'on se rendoit homme d'un autre.

Il y a lieu de croire que la dénomination & les devoirs du fief lige furent introduits d'abord en France ; que ce fut sous le regne de Louis VI. dit le-Gros, lequel regna depuis l'an 1108 jusqu'en 1137.

Ce prince fut obligé de réprimer l'insolence des principaux vassaux de la couronne, lesquels refusoient absolument de lui faire hommage de leurs terres ; ou s'ils lui prêtoient serment de fidélité, ils se mettoient peu en peine de l'enfreindre, s'imaginant être libres de s'en départir, selon que leurs intérêts particuliers ou ceux de leurs alliés sembloient le demander.

Ce fut sans-doute le motif qui porta Louis-le-Gros à revêtir l'hommage de solennités plus rigoureuses que celles qui avoient été pratiquées jusqu'alors, & d'obliger ses vassaux de se reconnoître ses hommes liges ; d'où leurs fiefs furent appellés fiefs liges, pour les distinguer des fiefs simples subordonnés à ceux-ci, dont aucun n'avoit encore la qualité ni les attributs de fief lige.

C'est aussi probablement ce que l'abbé Suger a eu en vûe, lorsqu'il a parlé des précautions singulieres que Louis-le-Gros prit pour s'assûrer de la fidélité de Foulques, comte d'Anjou : l'hommage fut suivi de sermens réitérés, on donna au roi plusieurs ôtages ; & dans l'hommage lige fait en 1190 par Thibaut, comte de Champagne, à Philippe-Auguste, le serment fut fait sur l'hostie & sur l'évangile : plusieurs personnes qualifiées se rendirent aussi avec serment, cautions de la fidélité du vassal, jusqu'à promettre de se rendre prisonniers dans les lieux spécifiés, au cas que dans le tems convenu le vassal n'amendât pas son manque de fidélité, & d'y garder prison jusqu'à ce qu'il l'eût réparé. Enfin le comte se soûmit à la puissance ecclésiastique, afin que sa terre pût être mise en interdit si-tôt que le délai seroit expiré, s'il n'avoit amendé sa faute.

Cette formule d'hommage étant toute nouvelle, & beaucoup plus onéreuse que la formule ordinaire, il fallut un nom particulier pour la désigner ; on l'appella hommage lige.

Le continuateur d'Aymoin, dont l'ouvrage fut parachevé en 1165, rapporte l'investiture lige du duché de Normandie, accordée par Louis VII. dit le Jeune, à Henri fils de Geoffroi comte d'Anjou ; ce qui arriva vers l'an 1150. Il dit en propres termes, & eum pro eadem terra in hominem ligium accepit.

L'usage des fiefs liges fut introduit à-peu près dans le même tems dans le patrimoine du saint siége, en Angleterre & en Ecosse, & dans les autres souverainetés qui avoient le plus de liaisons avec la France.

On voit pour l'Italie, que l'anti-pape Pierre de Léon étant mort en 1138, ses freres reprirent d'Innocent II. les fiefs qu'ils tenoient de l'église, & lui en firent l'hommage lige, & facti homines ejus ligii juraverunt ei ligiam fidelitatem : c'est ainsi que saint Bernard le rapporte dans son épître 320. adressée à Geoffroi lors prieur de Clairvaux.

Le même pape Innocent II. ayant en 1139 investi le comte Roger du royaume de Sicile & autres terres, la charte d'investiture fait mention que Roger lui fit l'hommage lige, qui nobis & successoribus nostris ligium homagium fecerint ; termes qui ne se trouvent point dans l'investiture des mêmes terres, accordée en 1130 : ce qui suppose que l'usage des fiefs liges n'avoit été introduit en Italie qu'entre l'année 1130 & l'année 1137.

On trouve aussi dans le septieme tome des conciles, part. II. la sentence d'excommunication fulminée l'an 1245 par Innocent VI. au concile de Lyon contre l'empereur Frédéric second qui fait mention expresse d'hommage lige. Une partie de cette sentence est rapportée dans le sexte. Un des crimes dont Frédéric étoit prévenu, étoit qu'en persécutant l'Eglise il avoit violé le serment solemnel dont il s'étoit lié envers elle, lorsqu'en recevant du pape Innocent III. l'investiture du royaume de Sicile, il s'étoit reconnu vassal lige du saint siége.

Les fiefs liges sont de deux sortes ; les uns primitifs & immédiats ; les autres subordinés, médiats & subalternes.

Les premiers, qui sont les plus anciens, relevent nuement du roi ; les autres relevent des vassaux de la couronne ou autres seigneurs particuliers, lesquels eurent aussi l'ambition d'avoir des vassaux liges, ce qui n'appartenoit pourtant régulierement qu'aux souverains : aussi les fiefs liges médiats & subalternes ne furent-ils point d'abord reçûs en Italie, & c'est sans-doute la raison pour laquelle les auteurs des livres des fiefs n'en ont point parlé.

L'origine des fiefs liges, médiats & subordinés, n'est que de la fin du regne de Louis VII. dit le Jeune, & voici à quelle occasion l'usage en fut introduit. Henri II. roi d'Angleterre, prétendoit, du chef d'Eléonor de Guienne sa femme, que le comté de Toulouse lui appartenoit. Après de longues guerres, Raymond, comte de Toulouse, s'accorda avec Henri, roi d'Angleterre, en se rendant son vassal lige pour le duché de Guienne. Louis-le-Jeune ne put supporter qu'un duc de Guienne eût des vassaux liges, ce qu'il savoit n'appartenir qu'aux souverains. On apprend ces faits par l'épître 153. de Pierre de Blois. Le tempérament que l'on trouva pour terminer ce différend, fut que le comte de Toulouse demeureroit vassal lige du roi d'Angleterre, comme duc de Guienne, sauf & excepté néanmoins l'hommage lige qu'il devoit au roi de France. Voyez Catel, hist. de Toulouse, liv. II. ch. v.

Deux choses sont requises, suivant Dumolin, pour donner à un fief le caractere de fief lige ; savoir que dans la premiere investiture le fief soit qualifié lige ; & que le serment de fidélité soit fait au seigneur, pour le servir envers & contre tous, sans exception d'aucune personne.

Cette définition de Dumolin n'est pourtant pas bien exacte ; car les fiefs tenus immédiatement de la couronne, n'ont pas été d'abord qualifiés de fiefs liges par les premiers actes d'investiture ; & à l'égard des fiefs liges médiats & subordinés, le vassal ne doit pas y promettre au seigneur de le servir contre tous sans exception, le souverain doit toûjours être excepté.

L'obligation personnelle du vassal de servir son seigneur envers & contre tous, ne fut pas l'effet de l'hommage lige à l'égard des fiefs liges immédiats : car les vassaux de la couronne avoient toûjours été obligés tacitement à servir leur souverain, avant que la formule de l'hommage lige fût introduite ; & les formalités ajoûtées à cet hommage, qui le firent qualifier de lige, ne furent que des précautions établies pour assûrer & faciliter l'exécution de cette obligation personnelle, tant sur la personne du vassal & sur son fief, que sur tous ses autres biens.

Pour ce qui est des fiefs liges médiats & subordinés, auxquels l'obligation personnelle de servir le seigneur n'étoit pas de droit attachée, on eut soin de l'exprimer dans les premieres investitures ; il s'en trouve des exemples dans le livre des fiefs de l'évêché de Langres, dans plusieurs concessions de la fin du xiij. siecle : mais les hommages subséquens à la premiere investiture, ne reprenoient point nommément l'obligation personnelle de tous biens, étant suffisamment sous-entendue par la qualité de fief lige ou d'hommage lige.

Les obligations de l'hommage lige furent dans la suite des tems trouvées si onéreuses, que nombre de vassaux liges firent tous leurs efforts pour se soustraire à ces obligations.

C'est ainsi que malgré les hommages liges rendus pour le duché de Bretagne par Arthus I. à Philippe-Auguste, au mois de Juillet 1202 ; par Pierre de Dreux, dit Mauclerc, tant au même Philippe-Auguste, le dimanche avant la Chandeleur 1212, qu'au roi S. Louis par le traité d'Angers de l'an 1231 ; & par Jean, dit le Roux, au même roi S. Louis en 1239, leurs successeurs au duché de Bretagne prétendirent ne devoir que l'hommage simple, & ne purent jamais être réduits à s'avoüer hommes & vassaux liges : nos rois se contenterent que l'hommage fût rendu tel qu'il avoit été fait par les précédens ducs de Bretagne. Les chanceliers de France firent des protestations à ce sujet ; les ducs en firent de leur part dans le même acte, comme on voit dans les fois & hommages des ducs de Bretagne, de 1366, 1381, 1403, 1445 & 1458.

Les historiens ont aussi remarqué qu'en 1329 Edoüard III. roi d'Angleterre, s'étant rendu en France pour porter l'hommage qu'il devoit à Philippe de Valois pour le duché de Guienne & comté de Ponthieu, refusa de le faire en qualité d'homme lige, alléguant qu'il ne devoit pas s'obliger plus étroitement que ses prédécesseurs. On reçut pour lors son hommage conçû en termes généraux, avec serment qu'il feroit dans la suite la foi en la même forme que ses prédécesseurs. Etant ensuite retourné en Angleterre, & ayant été informé qu'il devoit l'hommage lige, il en donna ses lettres, datées du 30 Mars 1331, par lesquelles il s'avoüoit homme lige du roi de France, en qualité de duc de Guienne, de pair de France, & de comte de Ponthieu.

Le jurisconsulte Jason, qui enseignoit à Padoue en 1486, dans son traité super usib. feudor. & Sainxon sur l'ancienne coûtume de Tours, remarquent tous deux n'avoir trouvé dans tout le droit qu'un seul texte touchant l'hommage lige ; savoir en la clémentine, appellée vulgairement pastoralis, qui est une sentence du pape Clément V. rendue en 1313, par laquelle il cassa & annulla le jugement que Henri VII. empereur, avoit prononcé contre Robert, roi de Sicile, fondée entr'autres moyens sur ce que Robert étant vassal lige de l'Eglise & du saint siége, à cause du royaume de Sicile, Henri n'avoit pû s'attribuer de jurisdiction sur lui, comme s'il eût été vassal de l'Empire, ni conséquemment le priver, comme il avoit fait, de son royaume.

Les livres des fiefs, ajoûtés au corps de Droit, contiennent aussi, comme on l'a déjà observé, un chapitre de feudo ligio.

Il faut encore joindre à ces textes, ceux des coûtumes qui parlent de fiefs liges, d'hommage lige, & de vassaux liges.

Il y avoit autrefois deux sortes d'hommage lige ; l'un où le vassal promettoit de servir son seigneur envers & contre tous, sans exception même du souverain, comme l'a remarqué Cujas, lib. II. feudor. tit. v. & lib. IV. tit. xxxj. xc. & xcjx. & suivant l'article 50. des établissemens de France, publiés par Chantereau ; & en son origine des fiefs, p. 16. & 17. L'autre sorte d'hommage lige étoit celui où le vassal, en s'obligeant de servir son seigneur contre tous, en exceptoit les autres seigneurs dont il étoit déjà homme lige. Il y en a plusieurs exemples dans les preuves des histoires des grandes maisons. Voyez aussi Chantereau, des fiefs, p. 15. & 16.

Les guerres privées que se faisoient autrefois les seigneurs entr'eux, dont quelques-uns osoient même faire la guerre à leur souverain, donnerent lieu aux arriere- fiefs liges & aux hommages liges dûs à d'autres seigneurs qu'au roi ; mais les guerres privées ayant été peu-à-peu abolies, l'hommage lige ne peut régulierement être dû qu'au roi : quand il est rendu aux ducs & autres grands seigneurs, on doit excepter le roi.

La foi & hommage dûe pour les fiefs liges, doit toûjours être faite par le vassal en personne, de quelque condition qu'il soit, même dans les coûtumes où le vassal simple est admis à faire la foi par procureur, comme dans celle de Peronne, Montdidier & Roye, art. 53. Voyez les traités des fiefs, & les commentateurs des coûtumes, sur le titre des fiefs ; le premier factum de M. Husson, qui est dans les oeuvres de Duplessis ; & HOMMAGE LIGE, HOMME LIGE, VASSAL LIGE. Voyez aussi ci-dev. FIEF DEMI-LIGE, & ci-après FIEF A SIMPLE HOMMAGE LIGE, FIEF TENU A PLEIN LIGE. (A)

FIEF DE MAITRE ou OFFICIER, ou FIEF D'OFFICE, est celui qui consiste dans un office inféodé. Voyez OFFICE INFEODE. (A)

FIEF MASCULIN, est celui qui est affecté aux mâles à l'exclusion des femelles.

Dans l'origine tous les fiefs étoient masculins ; les femmes n'y succédoient point, & elles ne pouvoient en acquérir. Dans la suite on a admis les femelles à concourir avec les mâles en pareil degré dans la succession directe, & en collatérale à défaut de mâles.

Mais il y a certains grands fiefs qui sont toûjours demeurés masculins, tels que le royaume de France ; c'est pourquoi on dit qu'il ne tombe point en quenouille.

Les duchés-pairies sont aussi des fiefs masculins, à l'exception des duchés qu'on appelle femelles, à cause que les femmes y succedent. Voyez DUCHE. Voyez ci-devant FIEF FEMININ. (A)

FIEF MEDIAT, est celui qui forme un arriere- fief par rapport au seigneur suzerain. Voyez ARRIERE-FIEF. Il est opposé au fief immédiat. (A)

FIEF MEMBRE DE HAUBERT, est une portion d'un fief de haubert en Normandie. Un fief de cette qualité peut être partagé entre filles jusqu'en huit parties, & alors chaque partie est appellée membre de haubert ; mais s'il y a plus de huit parties, en ce cas aucune n'a court ni usage ; elles sont tenues comme fief vilain. Voyez FIEF DE HAUBERT, FIEF VILAIN, & le gloss. de Lauriere au mot fief. (A)

FIEF MENU au pays de Liége, est celui qui n'a aucune jurisdiction, il est opposé au plein fief. Voyez ci-après. PLEIN FIEF. (A)

FIEF DE MEUBLES, on donne quelquefois ce nom à un fief abonné, c'est-à-dire celui dont les reliefs ou rachats, quints & requints, & quelquefois l'hommage même, sont changés & convertis en rentes ou redevances annuelles, payables en deniers ou en grains. Voyez Loysel, liv. I. tit. j. regle 72. avec l'observation de M. de Lauriere. (A)

FIEF MILITAIRE, feudum militare, seu francale militare, signifioit un fief qui ne pouvoit être possédé que par des nobles & non par des roturiers. On l'appelloit fief militaire, parce qu'il obligeoit le vassal au service militaire ; tous les seigneurs de fiefs & arriere- fiefs sont encore sujets à la convocation du ban ou arriere-ban. Voyez le gloss. de Ducange au mot feudum francale & feudum militare.

Les Anglois appellent fief militaire, ce que nous appellons fief de haubert ou de chevalier, feudum loricae. Ce fief oblige en effet le vassal de rendre le service militaire à son seigneur dominant. Voyez FIEF DE CHEVALIER, EF DE HAUBERTBERT. (A)

FIEFS DE MIROIR, dans les coûtumes de parage sont les fiefs ou portions de fief des puînés garantis sous l'hommage de l'aîné. Ils ont été ainsi appellés, parce que dans les coûtumes de parage l'aîné est par rapport au seigneur dominant le seul homme de fief, & par rapport aux puînés une espece d'homme vivant & mourant, sur lequel le seigneur féodal se regle & mire, pour ainsi parler, pour regler ses droits seigneuriaux ; c'est aussi de-là que dans le Vexin françois le parage est appellé mirouer de fief. Voyez les notes de M. de Lauriere sur le glossaire de Ragueau au mot fief boursal vers la fin, & aux mots FRERAGE & PARAGE. (A)

FIEF MORT, qui est opposé à fief vif, est proprement un sous-acasement & un héritage tenu à rente seche, non à cens ou rente fonciere ; c'est lorsque le fief ne porte aucun profit à son seigneur. Voyez la coûtume d'Acqs, tit. viij. art. 2. 5. 6. 7. & 8. Voyez FIEF VIF. (A)

FIEF MOUVANT D'UN AUTRE, c'est-à-dire qui en dépend & en releve à charge de foi & hommage & autres droits & devoirs, selon que cela est porté par l'acte d'inféodation. (A)

FIEF NOBLE, est entendu de diverses manieres : selon Balde, le fief noble est celui qui annoblit le possesseur ; définition qui ne convient plus aux fiefs même de dignité, car la possession des fiefs n'annoblit plus. Selon Jacob de Delvis, in praelud. feudor. & Jean André, in addit. ad speculator. rubric. de praescript. le fief noble est proprement celui qui est concedé par le souverain, comme sont les duchés, marquisats & comtés : le fief moins noble est celui qui est concedé par les ducs, les marquis, & les comtes : le médiocrement noble, est celui qui est concedé par les vassaux qui relevent immédiatement des ducs, des marquis, & des comtes. Enfin le fief non noble est celui qui est concedé par ceux qui relevent de ces derniers vassaux, c'est-à-dire qui est tenu du souverain en quart degré & au-dessous. En Normandie on appelloit fief noble, celui qui étoit possedé à charge de foi & hommage & de service militaire, & auquel il avoit court & usage ; au lieu que s'il étoit possedé à la charge de payer des tailles, des corvées, & autres vilains services, c'étoit un fief roturier. Voyez l'ancienne coûtume de Normandie, ch. liij. à la fin, & ch. lxxxvij. & la nouvelle, art. 2. & 336. Terrier, liv. V. ch. clxxj. Berault, sur l'art. 2. & 100. Basnage, p. 164. tom. I. Voyez ci-devant FIEF COTTIER, & ci-après FIEF ROTURIER, FIEF VILAIN. (A)

FIEF NON NOBLE ou ROTURIER, ou FIEF ABREGE, & RESTRAINT. Voyez ci-devant FIEF ABREGE, & FIEF NOBLE. (A)

FIEF DE NU A NU ; on donne quelquefois ce nom aux fiefs qui relevent nuëment & sans moyen du prince. (A)

FIEF EN NUESSE, dans les coûtumes d'Anjou & du Maine, signifie celui dans l'étendue duquel se trouvent les héritages auxquels le seigneur peut prétendre quelque droit ; car nuesse est l'étendue de la seigneurie féodale ou censuelle dont les choses sont tenues sans moyen & nuement. Voyez la coûtume d'Anjou, art. 10. 12. 13. 29. 61. 221. 351. Maine, art. 9. 11. 13. 34. 236. & 362. & Brodeau, sur l'article 13. (A).

FIEF OUBLIAL, est celui qui est chargé envers le seigneur dominant d'une redevance annuelle d'oublies ou pains ronds appellés pains d'hotelage & oublies, oblitae quasi oblatae, parce que ces oublies doivent être présentées au seigneur.

Cette charge ne peut guere se trouver que sur des fiefs cottiers ou roturiers, & non sur des fiefs nobles. Voyez le gloss. de M. de Lauriere au mot obliage. (A)

FIEF OUVERT, est celui qui n'est point rempli, & dont le seigneur dominant n'est point servi par faute d'homme, droits & devoirs non faits & non payés.

Le fief est ouvert quand il y a mutation de vassal jusqu'à ce qu'il ait fait la foi & hommage, & payé les droits.

La mort civile du vassal fait ouverture au fief, à moins que le vassal ne fût un homme vivant & mourant donné par des gens de main-morte ; parce que n'étant pas propriétaire du fief, il n'y a que sa mort naturelle qui puisse former une mutation.

Quand le vassal est absent, & qu'on n'a point de ses nouvelles, le fief n'est point ouvert, sinon après que l'absent auroit atteint l'âge de cent ans.

Toute sorte d'ouverture du fief ne donne pas lieu aux droits seigneuriaux, les mutations par vente ou autre contrat équipollant produisent des droits de quint, les successions & les donations en directe ne produisent aucuns droits ; toutes les autres mutations produisent communément un droit de relief. Voyez MUTATIONS, QUINT, RACHAT, RELIEF.

Tant que le fief est ouvert, le seigneur peut saisir féodalement ; pour prévenir cette saisie, ou pour en avoir main-levée lorsqu'elle est faite, il faut couvrir le fief, c'est-à-dire faire la foi & hommage, & payer les droits. Voyez FIEF COUVERT, OUVERTURE DE FIEF, SAISIE FEODALE. (A)

FIEF EX PACTO ET PROVIDENTIA, ou FIEF PROPRE, est celui dont la concession a été faite à un mâle purement & simplement, sans aucune clause qui exprime quel ordre de succéder sera observé entre les héritiers de l'investi, de maniere que la succession à ce fief est reglée par les lois féodales qui n'admettent que les mâles descendus de l'investi & jamais les filles ; c'est pourquoi on l'appelle aussi fief masculin. Il est opposé au fief héréditaire que l'on ne peut recueillir sans être héritier du dernier possesseur, au lieu que le fief ex pacto ou proprement dit peut être recueilli en vertu du titre d'investiture, même en renonçant à la succession du dernier possesseur. Voyez Struvius, syntagm. jurispr. feud. cap. jv. n. 12. & ci-devant FIEF HEREDITAIRE. (A)

FIEF TENU EN PAIRIE, est celui dont les hommes ou les possesseurs sont tenus de juger ou d'être jugés à la semonce de leur seigneur, suivant les termes de Bouteiller dans sa somme rurale, liv. I. tit. iij. pag. 13. Voyez l'art. 66. de la coûtume de Ponthieu, & les mots CONJURE, HOMMES DE FIEFS, PAIRIE, PAIRS.

Il est parlé de ces fiefs dans l'article x. de la coûtume de S. Pol, où l'on voit qu'ils doivent dix livres de relief, & qu'ils sont différens des fiefs tenus à plein lige. Voyez FIEF TENU A PLEIN LIGE. (A)

FIEF DE PAISSE, feudum procurationis ; c'est un fief chargé tous les ans d'un ou de plusieurs repas envers une communauté ecclésiastique. Voy. Salvaing, traité de l'usage des fiefs, chap. lxxjv ; Ducange, gloss. verbo procuratio, & GISTE. (A).

FIEF PARAGER, dont il est parlé dans la coûtume de Normandie art. 134. & 135. est la portion d'un fief qui est tenue en parage, c'est-à-dire avec pareil droit que sont tenues les autres portions du même fief. Voyez PARAGE. (A)

FIEF PATERNEL, ANCIEN ou PATRIMONIAL. Voyez ci-devant FIEF ANCIEN, & ci-après FIEF PATRIMONIAL. (A).

FIEF PATRIMONIAL, est celui qui est provenu au vassal par succession, donation ou legs de sa famille, à la différence des fiefs acquis pendant le mariage ou pendant le veuvage, qui dans certaines coûtumes sont appellés fiefs d'acquêts, & se partagent différemment. Voyez la coûtume de Hainault, chap. lxxvj. & ce qui est dit ci-devant au mot FIEF D'ACQUET. (A).

FIEF PERPETUEL, est celui qui est concédé au vassal pour en joüir à perpétuité lui & les siens & ses ayans cause, il est opposé au fief annal, au fief à vie ou autre fief temporaire ; présentement tous les fiefs sont perpétuels, suivant le droit commun. Voyez FIEF ANNAL, ANNUEL, A VIE, DE RENTE, TEMPORAIRE. (A).

FIEF PERSONNEL, est celui qui n'a été concédé que pour celui que le seigneur dominant en a investi & qui ne passe point à ses héritiers. Rasius parle de ces sortes de fiefs, part. III. de feudis : s'il paroît que le fief personnel est le même que l'on appelle aussi fief d'habitation. Ibid. (A)

FIEF DE PIETE. Voyez ci-dev. FIEF DE DEVOTION.

FIEF PLAIN, ou comme on l'écrit communément, quoique par erreur fief plein ou plûtôt plein fief ; c'est celui qui est mouvant d'un autre directement & sans moyen, à la différence de l'arriere fief qui ne releve que médiatement. Voyez les coûtumes de Nivernois, tit. xxxvij. art. 9. & 18. Montargis, ch. j. art. 44. 45. 67. 68. Orléans, chap. 1. art. 47. 48. 67. 68. Chartres, 65. Dunois, 15. & 21. Bourbonnois, 373. 388. Auxerre, 52. 67. 72. Bar, 21. & 24. & au procès-verbal de la coûtume de Berry ; Melun, 74. & 75. Clermont, 199. Troyes, 45. 190. Laon, 260. Rheims, 222.

Plein-fief, en quelques pays, signifie un grand fief qui a justice annexée à la différence du menu fief qui n'est de pareille valeur & n'a aucune jurisdiction. Voyez le stile du pays de Liége, chap. xxv. art. 21. & le ch. xxvj. (A).

FIEF DE PLEJURE, est celui qui oblige le vassal de se rendre plége & caution de son seigneur dans certains cas : il reste encore des vestiges de ces sortes de fiefs dans les coûtumes de Normandie, art. 205. de Bretagne art. 87. & en Dauphiné, suivant la remarque de M. Salvaing, ch. lxxiij. (A).

FIEF PRESBYTERAL, étoit de deux sortes ; l'un étoit un fief possédé par un laïc, consistant en revenus ecclésiastiques, tenus en fief d'un curé ou autre prêtre ; l'autre sorte de fief presbytéral avoit lieu, lorsque les seigneurs laïcs, qui avoient usurpé des chapelles, bénéfices, offrandes & revenus ecclésiastiques, les vendoient aux prêtres, à la charge de les tenir d'eux en fief ; mais comme il étoit indécent que des ecclésiastiques tinssent en fiefs leurs propres offrandes & leurs propres revenus de seigneurs, ces sortes de fiefs presbytéraux furent défendus par un concile tenu à Bourges en 1031, can. 21. en ces termes : ut seculares viri ecclesiastica beneficia quos fevos presbyterales vocant, non habeant super presbyteros, &c. Voyez Belium, in episcopis pictavini, pag. 73. 85. & in comit. pag. 384. 407. & Gervasium, in obronico, col. 1387. art. 11. tom. III. hist. Francor. Voyez aussi l'Orbandalle, tom. II. pag. 7. au trait de la jurisd. de l'évêq. de Châlons ; M. de Marca, en son hist. de Bearn, pag. 219. Voyez ci-devant FIEF EPISCOPAL. (A).

FIEF PRIN, quasi feudum primum ; c'est le fief du seigneur supérieur : il est ainsi appellé dans la coûtume de Bayonne. (A).

FIEF DE PROCURATION, feudum procurationis, étoit un fief chargé de quelques repas par chaque année envers le seigneur dominant & sa famille : cette dénomination vient du latin procurare, qui signifie se bien traiter, faire bonne chere. Voyez Poquet de Livonieres, traité des fiefs, chap. iij. Voyez ci-devant FIEF DE PAISSE. (A).

FIEF DE PROFIT, sont ceux qui produisent des droits en cas de mutation des héritages qui en relevent, au profit du seigneur dominant : ils sont opposés aux fiefs d'honneur, pour lesquels il n'est dû que la foi & hommage. Les fiefs de Dauphiné sont de danger & de profit. Voyez Salvaing, part. I. ch. ij. & iij. & ci-devant FIEF D'HONNEUR. (A)

FIEF PROPRE, s'entend souvent de celui qui a fait souche dans une famille. Voyez FIEF ANCIEN.

Mais le terme de fief propre est aussi quelquefois opposé à fief impropre ; de maniere que fief propre est celui qui a véritablement le caractere de fief qui est tenu noblement, & chargé seulement de la foi & hommage des droits de quint ou de relief, aux mutations qui y sont sujettes, à la différence du fief impropre ou improprement dit, tel que le fief roturier ou non noble. Voyez FIEF ex pacto & providentia, FIEF COTTIER, COUTUMIER, NON NOBLE, ROTURIER, RURAL. (A)

FIEFS PROPRIETAIRES, sont ceux que le vassal possede en propriété, & qui sont patrimoniaux, & passent à ses héritiers & ayans cause, à la différence des bénéfices qui n'étoient qu'à tems ou à vie.

Il y avoit de ces fiefs dès le tems de la premiere race de nos rois ; mais ils ne devinrent communs que vers la fin de la seconde race & au commencement de la troisieme. Voyez FIEFS PATRIMONIAUX. (A)

FIEF DE PROTECTION. On donna ce nom à des aleux ou francs-aleux, dont les possesseurs se voyant opprimés par des seigneurs puissans, mettoient leurs aleux sous la protection de quelques grands ; dans la suite ces fiefs de protection sont devenus des fiefs servans de ces grands, & par ce moyen arriere- fiefs de la couronne. Voyez les instit. féod. de Guyot, ch. j. n°. 8. (A)

FIEF EN QUART-DEGRE, voyez ci-après FIEF TENU EN QUART-DEGRE.

FIEF RECEVABLE & NON RENDABLE, est celui dans le château ou manoir duquel le vassal est obligé de recevoir son seigneur dominant, lorsque celui-ci juge à-propos d'y venir pour sa commodité, de maniere néanmoins que le vassal n'est pas obligé de le céder entierement ni d'en sortir. Voyez FIEF RENDABLE. (A)

FIEF EN REGALE ; quelques-uns ont ainsi appellé le fief royal ou de dignité, feudum magnum & quaternatum. Voyez FIEF DE DIGNITE & FIEF ROYAL ; le glossaire de Lauriere, au mot fief en chef. (A)

FIEF RENDABLE, feudum reddibile, étoit celui que le vassal devoit rendre à son seigneur pour s'en servir dans ses guerres. N. Aubret, dans ses mémoires manuscrits sur l'histoire de Dombes, dit que le fief rendable devoit être rendu au seigneur supérieur en quelque état qu'il parût, soit avec peu ou beaucoup de troupes ; & en effet la coûtume de Bar, art. 1. dit que la coûtume est telle, que tous les fiefs tenus du duc de Bar, en son bailliage dudit Bar, sont fiefs de danger rendables à lui à grande & petite force, sous peine de commise. M. Ducange a traité fort au long des fiefs jurables & rendables dans sa trentieme dissertation sur Joinville. Voyez aussi le for d'Aragon, fol. 130. v°. col. 1. & ci-devant FIEF JURABLE. (A)

FIEF DE RENTE, c'est lorsqu'une rente est assignée sur un fief avec retention de foi : il n'y a régulierement que des rentes foncieres non rachetables, que l'on puisse ainsi ériger en fief ; parce que suivant le droit présent des fiefs, le fief est de sa nature perpétuel, encore faut-il qu'il y ait retention expresse de foi, si ce n'est dans la coûtume de Montargis, où la foi, dans ce cas, est censée retenue, ce qui paroît répugner aux principes.

Une rente rachetable, suivant le bail à rente, ne peut être fief, parce que le débiteur est le maître de l'amortir, & qu'il ne doit pas dépendre du vassal d'éteindre & abolir le fief, ce qui arriveroit néanmoins par le rachat.

Les rentes constituées à prix d'argent, ne peuvent pareillement former des fiefs, si ce n'est dans les coûtumes où le créancier est nanti, & se fait recevoir en foi pour la rente ; telles sont celles qu'en Normandie on appelle rentes hypotheques ; en Picardie, rentes nanties sur le fief du débiteur ; & que dans la très-ancienne coûtume de Paris, on appelloit rentes par assignat, lesquelles emportoient aliénation du fonds au prorata de la rente. Ces rentes, dit-on, peuvent être tenues en fief ; le créancier se fait recevoir en foi, comme cela se pratique suivant la coûtume de Cambrai, tit. j. art. 30. & 38. Berri, tit. des fiefs, art. 5. Ribemont, 79. Orléans, art. 5. Ces sortes de rentes forment un fief conditionnel, tant que la rente subsistera : fief qui est distinct & séparé de celui du vassal qui s'est chargé de la rente. Voyez Dumoulin sur Paris, §. 13. hodiè 20. gl. 5. n°. 58. & §. 28. n°. 11. & seq. Guyot, instit. féod. & ci-devant FIEF CONDITIONNEL, & ci-après FIEF DE REVENUE. (A)

FIEF DE REPRISE, étoit lorsque le possesseur d'un héritage allodial & noble le remettoit à un seigneur, non pas simplement pour se mettre sous sa protection, moyennant une somme convenue & quelques autres fonds de terre que ce seigneur lui donnoit ; par le même acte le possesseur de l'aleu reprenoit en fief cet aleu du seigneur acquéreur, à la charge de la foi & hommage. M. Brusselles, tom. I. pag. 126. en rapporte plusieurs exemples, tirés des cartulaires de Champagne, entr'autres un acte du mois de Janvier 1220, vieux style.

Cet aleu devenoit par ce moyen fief servant de ce haut seigneur, & arriere- fief de la couronne. Voyez Salvaing, des fiefs, ch. xljv.

Il ne faut pas confondre ces fiefs de reprise avec ce que l'on appelle en Bourgogne reprise de fief, qui est quand le nouveau vassal fait l'hommage ; il reprend son fief des mains du seigneur. (A)

FIEF RESTRAINT ou ABREGE, voyez ci-devant FIEF ABREGE.

FIEF DE RETOUR, c'étoit lorsque le prince donnoit quelque terre, château ou seigneurie en fief à quelqu'un & à ses descendans mâles, à l'exclusion des femelles, à condition qu'à défaut de mâles, ce fief feroit retour, c'est-à-dire reviendroit de plein droit au prince, ce qui ne se pratiquoit guere qu'aux fiefs de haute dignité, comme duchés, comtés & marquisats.

Ceux qui étoient mieux conseillés, pour éviter ce retour, faisoient insérer dans l'inféodation cette clause-ci, & liberis suis sive successoribus in infinitum quibuscumque utriusque sexus, comme il fut fait en l'érection du comté du Pont-de-Vaux ; ou bien ils se faisoient quitter du droit de retour par un contrat particulier pour récompense de service, ou moyennant quelque finance, ainsi qu'il fut fait en l'érection de la terre de Mirebel en marquisat.

Depuis que les fiefs sont devenus patrimoniaux & héréditaires, on ne connoît plus guere de fiefs de retour, si ce n'est les apanages, lesquels à défaut d'hoirs mâles, sont reversibles à la couronne ; car les duchés pairies dans le même cas, ne sont plus reversibles, le titre de duché-pairie est seulement éteint. Voyez APANAGE, DUCHE & PAIRIE, & l'hist. de Bresse, par Guichenon, chap. xij. des fiefs (A)

FIEF DE RETRAITE participoit de la nature du fief-lige ; mais il y avoit cela de particulier, que le prince qui faisoit une semblable inféodation ou concession, se réservoit la liberté & le pouvoir, en cas de guerre ou de nécessité, de se servir du château qu'il avoit donné en fief, lequel le vassal étoit tenu de lui rendre à sa premiere demande ; c'est pourquoi, dans les anciens titres, ce fief s'appelloit feudum reddibile. Le sire de Thoire & de Villars inféoda sous cette condition la seigneurie de Mirigna en Bugei à Pierre de Chatard damoiseau ; cela se pratiqua aussi au comté de Bourgogne par Jean dit le Sage, comte de Bourgogne & seigneur de Salins, lequel donna à Jean son second fils, surnommé de Châlons, son château de Montgesson en Comté, in feudum ligium & casamentum jurabile & reddibile ; & quand le feudataire ne vouloit point s'assujettir à cela, on en faisoit une réserve expresse, comme on voit dans l'hommage que le dauphin de Viennois fit à l'archevêque de Lyon au mois de Janvier 1230, des châteaux d'Annonai & d'Argental : il est dit que le dauphin a pris ces terres in feudum francum sine redditione. Hist. de Bresse par Guichenon, ch. xij. des fiefs. (A)

FIEF REVANCHABLE, EGALABLE, ECHEANT, & LEVANT, est ainsi appellé, parce que tous ceux qui le possedent en général, & chacun d'eux en particulier, sont de la même condition, & également astraints aux mêmes devoirs & prestations envers leur seigneur. D'Argentré, sur l'art. 277. de l'ancienne coutume de Bretagne, en parlant de ces fiefs, leur donne ces qualifications. (A)

FIEF DE REVENUE, est celui qui est sans terres & sans titre d'office, qui ne consiste qu'en une rente ou pension, tenue à la charge de l'hommage, & assignée sur la chambre ou thrésor du roi, ou sur le fisc de quelque autre seigneur : c'est de cette espece de fief que parle Bracton, liv. IV. tract. 3. cap. jx. §. 6. feodum est id quod quis tenet ex quâcumque causâ sibi & heredibus suis, sive tenementum, sive sit reditus : ita quod reditus non accipiatur sub nomine ejus quod venit ex camerâ alicujus. Voyez Loyseau, traité des offices, liv. II. ch. ij. n°. 57. Voyez ci-devant FIEF CONDITIONNEL, FIEF DE RENTE. (A)

FIEF RIERRE, est la même chose qu'arriere-fief ; il est ainsi nommé dans l'ancienne assiette de Bourgogne, & en la derniere coûtume du duché. Voyez ci-devant ARRIERE-FIEF. (A)

FIEF ROTURIER, feudum ignobile, est celui qui n'a ni justice, ni censive, ni fief mouvant de lui.

En Artois on nomme fief roturier celui qui n'a ni justice ni seigneurie, c'est-à-dire qui est sans mouvance. Ce fief roturier ne peut pas devenir noble, c'est-à-dire acquérir des mouvances par le bail à cens ou à rente seigneuriale du gros domaine du fief, sans le consentement du seigneur dominant ; mais si le seigneur ou ses officiers y ont une fois consenti, les baux à cens ou à rentes seigneuriales subsistent, & de roturier que le fief étoit auparavant, il devient fief noble ; de sorte qu'en Artois il est permis aux seigneurs de donner la justice & la seigneurie au fief roturier. Voyez Maillart, sur l'art. 17. de la coûtume d'Artois.

Le fief roturier de Bretagne n'est pas proprement le fief, c'est la terre du fief donnée à cens, ou à rente, ou autre devoir roturier ; il est ainsi nommé fief roturier, parce que la terre du fief est possédée par un roturier, ou du moins roturierement ; car le devoir retenu est toûjours noble dans la main de celui qui le perçoit, & il se partage comme noble. Voyez Guyot, instit. féod. ch. j. n°. 5.

On entend aussi quelquefois par fief roturier, celui qui étoit chargé de payer des tailles, des corvées, & autres services de vilain, c'est pourquoi on l'appelloit aussi fief vilain. Voyez FIEF COTTIER, FIEF NOBLE, FIEF NON-NOBLE, FIEF RURAL, & l'ancienne coûtume de Normandie, chap. liij. à la fin. (A)

FIEF ROYAL, est celui qui a été concédé par le roi avec titre de dignité, comme sont les principautés, duchés, marquisats, comtés, baronies : ces sortes de fiefs donnent tous le titre de chevalier à celui qui en possede un de cette espece. Voyez Loyseau, en son traité des offices ; Cowel, lib. II. instit. tit. ij. §. 7. (A)

FIEF RURAL, dans quelques coûtumes est la même chose que fief non noble ; il en est parlé dans la coûtume de Nivernois, tit. jv. art. 27. 28. 29. & dans celle d'Acqs, tit. ij. Dans ces coûtumes le fief noble est celui auquel il y a justice ou maison fort notable, édifice, motte, fossés, ou autres semblables signes de noblesse & d'ancienneté ; tous autres fiefs sont réputés ruraux & non nobles. (A)

FIEF DE SERGENTERIE, c'est un office de sergent tenu en fief, comme il y en a dans plusieurs provinces, & même au châtelet de Paris. Voyez HUISSIERS-FIEFFES & SERGENTERIE-FIEFFEE. (A)

FIEF SERVANT, est celui qui releve d'un autre fief qu'on appelle fief dominant, lequel est lui-même fief servant à l'égard du fief suzerain ; il est ainsi appellé à cause des services & devoirs qu'il doit au seigneur dominant.

Le fief servant, quant aux profits, est régi par la coûtume du lieu où il est assis ; & quant à l'honneur du service, par la coûtume du lieu du fief dominant. Voyez Coquille, tom. II. quest. 267. & Bouvot, troisieme partie, au mot charge de fief. Voyez ci-devant FIEF DOMINANT & FOI & HOMMAGE. (A)

FIEF SERVI, est celui dont le possesseur a acquité les droits & devoirs qui étoient dûs au seigneur dominant. Quand le fief est ouvert, il n'est pas servi ; ou bien on dit que le seigneur n'est pas servi de son fief. Voyez FIEF OUVERT. (A)

FIEF SIMPLE, est celui qui n'a aucun titre de dignité. Voyez ci-devant FIEF DE DIGNITE.

Le terme de fief simple est aussi opposé à fief lige. Voyez ci-devant FIEF LIGE.

En quelques pays, comme en Dauphiné, on entendoit par fief simple, celui qui étoit sine mero & mixto imperio, c'est-à-dire qui n'avoit ni la haute ni la moyenne justice, mais seulement la justice fonciere, qui n'attribuoit au seigneur d'un tel fief d'autre droit que celui de connoître des différends mûs pour raison des fonds qui en relevoient. Cette jurisdiction étoit fort limitée, car tous les hommes liges du dauphin pouvoient appeller à sa cour des jugemens rendus par d'autres seigneurs, quand il ne vouloient pas y acquiescer. Il y a même un article du statut delphinal, qui restraint encore davantage la jurisdiction attachée à ces fiefs simples, ne leur attribuant la connoissance des causes dont on a parlé, qu'au cas exprimé par ces paroles, quod querelantes de & super ipsis rebus velint ad eos recurrere. Voyez l'hist. de Dauphiné, par Valbonay, discours ij. p. 5. (A)

FIEF A SIMPLE HOMMAGE LIGE, est un fief lige qui est simplement chargé de l'hommage, sans aucun autre droit ni devoir seigneurial. Voyez la coûtume de Cambrai, tit. j. art. 46. 47. 49. 50. 51. (A)

FIEF DE SODOYER DANS LES ASSISES DE JERUSALEM, est dit pour fief de solde, feudum soldata, seu stipendium. C'étoit lorsqu'on donnoit à un noble à titre de fief, une certaine provision alimentaire & annuelle, qui n'étoit pas néanmoins assignée sur la chambre ou thrésor, ni sur les impositions publiques : ce fief étoit viager. Voy. Razius, part. XII. de feudis, §. 32. (A)

FIEF DE SOLDE, voyez ci-devant FIEF DE SODOYER.

FIEF SOLIDE ou ENTIER, solidum, dans les constitutions de Catalogne, est la même chose que fief lige. Voyez FIEF ENTIER, FIEF LIGE. (A)

FIEF SUBALTERNE, subfeudum, retrofeudum, est celui qui est d'un ordre inférieur aux fief émanés directement du souverain : c'est la même chose qu'arriere-fief. Voyez ARRIERE-FIEF. (A)

FIEF SUPERIEUR, est celui dont un autre releve médiatement ou immédiatement. Voyez ci-dev. FIEF DOMINANT, FIEF INFERIEUR, FIEF SERVANT, FIEF SUZERAIN au mot SUZERAIN. (A)

FIEF TAILLE, talliatum, en termes de Pratique, est un héritage concédé à titre de fief, avec de certaines limitations & conditions, car le terme talliare signifie fixer une certaine quantité, limiter. Cela arriveroit, par exemple, si le fief n'étoit donné que pour le possesseur actuel, & ses enfans nés & à naître en légitime mariage ; tellement que le vassal venant à mourir sans enfans, le fief retourneroit au seigneur dominant.

Le fief taillé paroît différent du fief restreint & abregé, lequel est ordinairement sujet à certaines charges censuelles. Voyez ci-devant FIEF ABREGE. (A)

FIEF TEMPORAIRE, est celui dont la concession n'est pas faite à perpétuité, mais seulement pour un certain tems fini ou indéfini : tels étoient autrefois les fiefs concédés à vie ou pour un certain nombre de générations. On peut mettre aussi dans cette même classe les aliénations & engagemens du domaine du roi & des droits domaniaux, lesquelles, quoique faites comme toutes les concessions ordinaires de fief, à la charge de la foi & hommage, ne forment qu'un fief temporaire, tant qu'il plaira au roi de le laisser subsister, c'est-à-dire jusqu'au rachat que le roi en fera. Tels sont aussi les fiefs de rentes créées sur des fiefs, & pour lesquelles le créancier se fait recevoir en foi. Ce sont des fiefs créés conditionnellement, tant que la rente subsistera, tant que le vassal ne remboursera pas, & qui s'éteignent totalement par le remboursement. Ces fiefs temporaires ne sont même pas de vrais fiefs ; le vrai fief, la véritable seigneurie demeure toûjours au roi, nonobstant l'engagement, à tel titre qu'il soit fait : car à parler exactement, l'engagiste n'a pas le fief, lorsque le roi exerce le rachat ; ces fiefs s'évanoüissent, tous les droits qu'avoit l'engagiste sont effacés ; ses héritiers ne peuvent retenir aucune des prérogatives de leur auteur, quelque longue qu'ait été sa possession, par ce que ces engagemens ou ces rentes n'étoient que des fiefs conditionnels, créés pour avoir lieu tant que le roi ne racheteroit pas. Le droit de ces fiefs conditionnels est moindre en cela que celui des vrais fiefs temporaires qui avoit un tems limité, pendant lequel on ne pouvoit évincer le vassal. Voyez Dumolin, §. 13. hodiè 20. gl. 5. n. 58. & §. 28. n. 13. Guyot en son traité des fiefs, tom. II. ch. 9. du relief ; & tom. V. tr. de l'engagement du domaine ; & en ses observations sur les droits honorifiques, ch. v. p. 187. (A)

FIEF TENU A PLEIN LIGE, paroît être celui qui doit le service de fief lige en plein, à la différence des fiefs demi-lige, dont il a été parlé ci-devant, qui ne doivent que la moitié de ce service. Il est fait mention de ces fiefs tenus à plein lige, dans la coûtume de Saint-Pol, art. 10 où l'on voit qu'ils doivent 60 sous parisis de relief, 30 sous parisis de chambellage, & pareille aide, quand le cas y échet. Ces fiefs sont différens des fiefs tenus en pairie. (A)

FIEF TENU EN QUART DEGRE DU ROI, est celui qui a été concédé par un arriere-vassal du roi ; de maniere qu'entre le roi & le possesseur de ce fief il se trouve trois seigneurs, c'est-à-dire trois degrés de seigneuries : c'est pourquoi on compte que ce fief forme un quatrieme degré par rapport au roi, qui est le premier seigneur.

Philippe-le-Long, par son ordonnance de l'an 1320, ayant taxé le premier les roturiers pour les fiefs qu'ils possédoient, exempta de cette taxe les roturiers qui possédoient des fiefs tenus en quart degré de lui. Ils ne payoient encore aucune finance pour ces fiefs du tems de Bouteiller, qui vivoit en 1402, suivant que le remarque cet auteur dans sa somme rurale, liv. II. tit. j. p. 648. Voyez le glossaire de Lauriere, au mot fief de danger & au mot francs-fiefs, aux notes. (A)

FIEFS TERRIAUX ou TERRIENS, sont ceux qui consistent en fonds de terre ; ils sont opposés aux fiefs de revenue, qui ne consistent qu'en rentes ou pension. Voyez FIEF DE REVENUE. (A)

FIEF EN TIERCE-FOI, ou TOMBE EN TIERCE-FOI. Dans les coutûmes d'Anjou & Maine ; les roturiers partagent également les fiefs, jusqu'à ce qu'ils soient tombés en tierce-foi. Par exemple, un roturier acquiert un fief, il fait la foi ; son fils lui succede, il fait aussi la foi ; les petits-fils lui succedent, voilà le fief tombé en tierce-foi : & alors il se partage noblement, quoiqu'entre roturiers. Voyez la coûtume d'Anjou, art. 255. & 256. Maine, 274. & 275. (A)

FIEF VASSALIQUE, est celui qui est sujet au service ordinaire de vassal. Voy. le glossaire de Ducange, au mot feudum vassaliticum. (A)

FIEFS qui se gouvernent suivant la coûtume DU VEXIN FRANÇOIS, sont ceux qui, par le titre d'inféodation, se reglent pour les profits des fiefs dûs aux mutations, suivant les usages du Vexin françois : ce ne sont pas seulement ceux situés dans le Vexin, mais tous ceux qui doivent en suivre les usages ; car il n'y a point de coûtume particuliere pour le Vexin ; & ce que l'on entend ici par le terme de coûtume, n'est qu'un usage, suivant lequel il n'est jamais dû de quint ni requint pour les fiefs qui se régissent par cette coûtume du Vexin ; mais aussi il est dû relief à toute mutation.

La coûtume de Paris qui fait mention de ces fiefs, art. 3, ne dit pas quels sont ceux de son territoire qui se gouvernent suivant cet usage du Vexin françois : il paroît, suivant ce que dit l'auteur du grand coûtumier, que ce sont les fiefs du pays de Gonest (voyez liv. II. ch. xxxij. p. 312.) mais, encore une fois, cela dépend des titres & des aveux.

Brodeau sur l'art. 3. de la coûtume de Paris, n. 14. à la fin, cite une ordonnance du mois de Mai de l'an 1235 faite à Saint-Germain en Laye, du consentement du roi S. Louis, pour les chevaliers du Vexin françois, touchant les droits de relief, qui porte que le seigneur féodal aura la moitié des fruits pour une année tant des terres labourables que des vignes ; pour les étangs qu'il percevra la cinquieme partie du revenu qu'ils rendent en cinq années ; & que pour les bois & forêts il aura le revenu d'une année, en estimant ce qu'ils peuvent rendre durant sept années : & il rapporte une ordonnance intitulée vulcassinum gallicum tirée du registre 26. du thrésor de la chambre des comptes, fol. 291. & 344. qui est conforme à ce qui vient d'être dit. Voy. aussi l'article 158. de la coûtume de Senlis, & le glossaire de Lauriere, au mot fiefs qui se gouvernent suivant la coûtume du Vexin françois. (A)

FIEF A VIE, est celui qui n'est concédé que pour la vie de celui qui en est investi. Dans l'origine tous les fiefs n'étoient qu'à vie, ils devinrent ensuite héréditaires. Il y a aussi des fiefs temporaires différens des fiefs à vie. Voyez ci-devant FIEF TEMPORAIRE. (A).

FIEF VIF, est celui qui produit des droits au seigneur, en cas de mutation ; il est opposé au fief mort, ou héritage tenu à rente seche.

Fief vif se dit aussi quelquefois pour rente fonciere, comme dans la coûtume d'Aqcs, tit. viij. art. 2. 6. 8. 11. & 19. On entend aussi quelquefois par-là que le possesseur de ce fief est obligé d'y entretenir un feu vif, c'est-à-dire d'y faire une continuelle résidence. (A).

FIEF VILAIN, est celui qui, outre la foi & hommage, est encore chargé par chacun an de quelque redevance en argent, grain, volaille, ou autre espece.

Il est ainsi appellé, parce que ces redevances dûes outre la foi & hommage, sont par leur nature service de vilain ou roturier. Voyez FIEF COTTIER, FIEF NOBLE, FIEF NON-NOBLE, FIEF ROTURIER, FIEF RURAL. (A)

FIEF VOLANT, est celui dont les mouvances sont éparses en différens endroits ; il est opposé au fief continu, qui a un territoire circonscrit & limité. Voyez FIEF EN L'AIR. (A).

FIEF VRAI, est dit en certaines occasions pour fief actuellement existant ; il est opposé au fief futur, qui ne doit se réaliser que dans un tems à venir.

Cette distinction se trouve marquée dans le droit féodal des Saxons, cap. xxjx. §. 12. (A)


FIEFFAL(Jurispr.) se dit en Normandie de ce qui appartient au seigneur féodal, comme jurisdiction fieffal, possession fiessal. Norm. chap. ij. & cjx. (A)


FIEFFE(Jurispr.) en Normandie, signifie bail à rente. La premiere fieffe dont il est parlé en l'art. 31. c'est le titre primordial de la rente fief-ferme, que l'on écrit plus correctement fieffe-ferme. Il est aussi usité en Normandie pour exprimer un bail à rente, ou plûtôt l'héritage même, soit noble ou roturier, qui est donné à rente. On l'appelle fieffe-ferme, pour le distinguer de la ferme muable, qui n'est que pour un tems, au lieu que le bail à rente est à perpétuité. Il y avoit peu de différence entre fieffe-ferme & ce que l'on appelloit main-ferme. Voyez le glossaire de Lauriere, au mot fief-ferme, & MAIN-FERME. (A)


FIEFFÉ(Jurispr.) se dit de ce qui est tenu en fief.

Il y a des officiers fieffés, dont il est parlé dans une ordonnance de Charles VI. de l'an 1382, dite des maillotins ; & au registre E. de la chambre des comptes, 64, v°. à la fin. Ces officiers sont le connétable, le chambrier, le pannetier, le bouteiller.

Il y a encore présentement quelques offices fieffés, notamment des offices d'huissier & de sergens fieffés, qui sont tenus en fiefs, ou qui dépendent de quelque fief.

Un homme fieffé ou fiefvé ou homme de fief, est un vassal qui tient en foi du seigneur dominant.

Les pairs fieffés sont les hommes de fiefs. Voyez la coûtume de Lorraine, tit. j. art. 5.

Tailleur fieffé, étoit un officier qui tenoit en fief le droit de tailler les monnoies. Voyez Lauriere, gloss. au mot fief.

Héritiers fieffés ou fiefvés, sont les vassaux propriétaires de fiefs dont ils ont été adhérités, c'est-à-dire saisis & vêtus par le seigneur féodal. Coût. de Hainaut, ch. lxxvij. ancienne coûtume du Perche, ch. ij. art. 7. Celle de Saint-Paul sous Artois, article 73. parle des héritages fieffés ou fiefvés.

En Normandie, héritage fieffé signifie quelquefois un héritage donné à rente. Coût. de Normandie, art. 452. (A)


FIELS. m. (VESICULE DU) Anatomie. La vésicule du fiel est une poche membraneuse, d'une figure approchant de celle d'une poire, ayant un fond & un cou, & même un conduit particulier. Le volume ordinaire de cette vésicule n'excede guere celui d'un petit oeuf de poule.

Elle est située dans la partie concave du grand lobe du foie, dans un enfoncement, assez souvent en forme d'échancrure, qui se trouve à son bord antérieur à deux travers de doigt environ de la scissure ; elle déborde quelquefois le foie, mais sur-tout lorsque son volume ordinaire est augmenté par la bile retenue, ou par quelqu'autre cause.

La situation de la vésicule est telle que quand on est debout, elle est dans un plan un peu incliné de derriere en-devant ; & quand on est couché sur le dos, elle est presque toute renversée. Son fond est plus en-bas quand on est couché sur le côté droit, & il est obliquement en-haut quand on est couché sur le côté gauche. Ces situations varient encore, selon les différens degrés de ces attitudes ; c'est une remarque de M. Winslow. On observe que la vésicule du fiel ne se trouve attachée pour l'ordinaire au foie, que par le tiers de sa longueur & de sa circonférence. Cette vésicule touche à l'intestin colon, & lui communique la couleur de la liqueur qu'elle contient.

Le conduit qui est une continuation du cou de la vésicule, se nomme cystique. Voyez CYSTIQUE. Sa longueur est d'environ deux travers de doigt ; il vient s'ouvrir conjointement avec le conduit hépatique, dans le canal commun nommé cholidoque. Voyez CHOLIDOQUE.

Ces deux conduits se rapprochent l'un de l'autre, & s'unissent même par le moyen de quelques fibres membraneuses ; ensorte qu'ils ne forment point un Y majuscule, comme quelques-uns se l'imaginent.

Le conduit de la vésicule n'est point dans une même ligne droite avec le cou ; car on remarque que dès son commencement il fait le coude avec le cou, par le moyen d'un petit ligament membraneux qui est attaché extérieurement à l'un & à l'autre. De l'union du conduit hépatique avec le cystique, il en résulte le troisieme canal appellé conduit commun ou cholidoque : celui-ci dont la longueur est d'environ quatre travers de doigt, vient gagner la partie postérieure du duodenum ; & après avoir percé obliquement ses différentes membranes, il s'ouvre dans sa cavité quatre travers de doigt environ au-dessus du pylore.

La vesicule du fiel est composée de plusieurs membranes ou tuniques, qui sont dans le même ordre que celles de l'estomac. La premiere ou la plus extérieure paroît une continuation de celle qui a recouvert toute la substance du foie. La seconde est musculeuse ; elle est faite de plusieurs fibres charnues, disposées en trois plans différens : de ces fibres les premieres sont longitudinales, les secondes obliques, & les troisiemes circulaires. Il se rencontre entre ces deux tuniques un tissu cellulaire, qui pénetre même l'intervalle des fibres charnues. La troisieme tunique est nerveuse, & la quatrieme veloutée.

Sur la surface externe de la tunique nerveuse, se voit un réseau merveilleux, formé par les vaisseaux sanguins, par les nerveux, & par les lymphatiques qui se distribuent à la vésicule. Les arteres & les veines sanguines sont nommées cystiques. Les arteres sont des ramifications de l'hépatique, & les veines vont se décharger dans la veine-porte. Les veines lymphatiques vont se rendre au reservoir du chyle. A l'égard des nerfs, ce sont des rameaux du plexus hépatique.

On découvre dans la surface interne de la vésicule du fiel, plusieurs petites fosses semblables à celles qui se trouvent dans les ruches des mouches à miel : ces fosses sont formées par autant de replis de la tunique veloutée. On y découvre aussi, suivant les observations de quelques anatomistes modernes, les embouchures de plusieurs conduits, qui au lieu de se rendre dans le conduit hépatique, se déchargent dans la cavité de la vésicule : on les nomme canaux hépaticystiques. Voyez HEPATI-CYSTIQUE.

Le cou de la vésicule du fiel & son conduit se trouvent aussi garnis en-dedans de plusieurs replis, formés par la membrane interne : ces plis font tous ensemble, suivant l'observation de M. Heister, une espece de rampe spirale en-dedans, & font paroître en-dehors, dans quelques sujets, un contour de vis, principalement quand le cou & le conduit sont remplis ou gonflés. Telle est la structure de la vésicule. Passons à ses usages.

Usages de la vésicule du fiel. La bile qui a été séparée dans le foie, est reprise par les pores biliaires, qui vont s'en décharger en partie dans le conduit hépatique, d'où elle coule continuellement dans le duodenum par l'entremise du canal cholidoque. & en partie dans la vésicule du fiel par les pores biliaires qui y répondent, & que l'on a nommés conduits hépati-cystiques ; mais elle ne sort de la vésicule par les conduits hépati-cystiques, que dans certains tems, & le plus ordinairement dans le tems de la digestion des alimens : car la bile étant alors comprimée par l'estomac, s'échappe par son conduit cystique dans le cholidoque, se mêle avec celle qui est apportée par le conduit hépatique, & ces deux biles entrent ensuite dans le duodenum. Le mélange de ces deux biles est peut-être utile pour la parfaite digestion : quoi qu'il en soit, elles sont bien différentes l'une de l'autre ; car celle de la vésicule du fiel est plus jaune, plus épaisse, & plus amere que celle du conduit hépatique, ce qu'on ne peut vraisemblablement attribuer qu'au séjour de la bile dans la vésicule du fiel.

Il est très-vraisemblable 1°. que la bile du foie coule quelquefois dans la vésicule ; 2°. qu'elle acquiert la qualité de bile cystique en croupissant dans la vésicule ; 3°. que son amertume vient peut-être aussi des glandes qui sont placées dans la membrane de cette vésicule, & qu'arrosent les arteres cystiques, comme il arrive dans la membrane du conduit auditif ; 4°. tous les canaux qui du foie & du pore hépatique se rendent à la vésicule du fiel, & y portent sans-cesse le suc hépatique, ont été justifiés par les découvertes de Glisson, de Verheyen, de Perrault, & de Bianchi. Consultez-les.

Observations particulieres. Il s'est trouvé plusieurs fois des pierres ou des concrétions pierreuses dans la vésicule du fiel : ce sont des faits très-connus. Hildanus a vû une de ces pierres de la grosseur d'une noix. Hoffman rapporte avoir trouvé dans la vésicule d'un fourbisseur, extrèmement élargie & aggrandie, trois mille six cent quarante six grains de bile coagulée & pétrifiée. En effet toutes les concrétions pierreuses qu'on a remarqué par hasard dans la vésicule du fiel, sont formées par l'épaississement & le desséchement de la bile, ce qui est prouvé par la nature de ces pierres ; car elles conservent la couleur & le goût de la bile, & elles s'enflamment lorsqu'on les met sur le feu : on a vû même de ces pierres qui ayant traversé le conduit cystique & le cholidoque, sont parvenues jusqu'à l'intestin duodenum & le malade les a rendues par les selles.

Jeux de la nature. L'anatomie nous apprend que la vésicule du fiel manque quelquefois dans l'homme, comme dans les animaux. L'histoire de l'académie des Sciences (année 1705, pag. 33), en fournit un exemple. Dans un enfant de neuf jours, mort d'un polype qui fermoit l'embouchure du ventricule droit, comme auroit fait un bouchon de figure conique, M. Littre n'a trouvé nulle apparence de vésicule, quoique le foie fût d'ailleurs très-bien formé, ainsi que les autres parties du bas-ventre. Les deux arteres qui doivent se distribuer à la vésicule, se distribuoient au foie à l'endroit où elles auroient dû être ; & le canal hépatique, beaucoup plus gros que de coûtume, se terminoit à l'ordinaire par un seul tronc dans l'intestin duodenum.

Mais si la vésicule du fiel manque quelquefois, ne se trouve-t-elle point aussi d'autres fois double ? Il est vrai qu'il y a dans les ouvrages des Anatomistes plusieurs observations, qui disent qu'on a trouvé au foie deux vésicules du fiel : cependant malgré ces attestations, on doit regarder ce jeu de la nature comme un des plus rares, au cas même qu'il ait existé. Il est certain qu'on rencontre souvent dans les vaches & les veaux, la vésicule du fiel fourchue ; mais trouver dans un homme deux vésicules du fiel bien distinctes, c'est un phénomene qui demande des témoignages irréprochables pour pouvoir être cru. Si l'on trouvoit deux vésicules, il y auroit aussi en même tems deux canaux cystiques, sans quoi l'on ne pourroit soûtenir que la vésicule du fiel fût entierement double. Toutes les vesicules du fiel que Ruysch a eu occasion de voir, étoient fourchues & n'avoient qu'un seul canal cystique. Article de M. le Chev(D.J.)

FIEL, (Econ. anim.) c'est l'humeur jaune, onctueuse, & amere, qu'on trouve dans une petite vessie attachée à la partie concave du foie. Voy. FOIE, & l'article précédent. C'est une sorte de bile qui, outre les qualités qu'elle a contractées par la secrétion qui s'en est faite dans les vaisseaux du foie propres à cet effet, en a acquis de nouvelles par son séjour dans cette vessie, où elle est retenue comme dans un reservoir.

Cependant comme la bile n'est en quantité remarquable que dans ce reservoir, qu'elle se présente moins dans les pores biliaires, dans les conduits hépatiques & cholidoques, qu'elle n'est pas sans mélange dans le canal intestinal ; on ne fait communément point de distinction entre le fiel & la bile proprement dite, c'est-à-dire telle qu'elle est dans ses conduits excrétoires, avant d'avoir contracté aucune sorte d'altération étrangere à la secrétion qui s'en est faite du sang de la veine-porte, & à l'élaboration qu'elle reçoit dans ses colatoires : c'est pourquoi les Grecs n'avoient qu'un nom commun , pour designer ces deux sortes d'humeurs qu'ils confondoient l'une avec l'autre.

La distinction entre le fiel & la bile n'est admise que par les Anatomistes & par les Physiologistes, qui donnent le nom de fiel à la petite portion de la bile, qui est continuellement portée & déposée dans la vésicule, & qui y contracte par son séjour des qualités qui lui sont propres ; savoir la couleur jaune, l'amertume, l'acrimonie, l'alkalescence, & la consistance, que n'a point la plus grande partie de la bile, c'est-à-dire celle qui coule tout de suite & sans interruption vers le conduit cholidoque, à mesure qu'elle est séparée dans le foie, pour être de ce conduit versée dans les intestins. Voyez BILE, FOIE, (Physiol.).

Ainsi ces deux biles, quoique de la même nature dans leur origine, dans leurs vaisseaux secrétoires, étant devenues si différentes par le cours continuel de l'une, & la stagnation de l'autre, sont conséquemment destinées à opérer des effets différens, qui décident de leur usage respectif. Il est donc très-important de ne pas confondre ces effets, soit rélativement aux fonctions auxquelles ils servent dans l'état de santé ; soit par rapport aux symptomes qui en sont produits, & aux signes diagnostics & prognostics qu'on peut en tirer dans les maladies.

Il conviendroit encore que dans les expériences, les analyses chimiques, faites pour en tirer des conséquences sur la nature de la bile, on ne se bornât pas à n'opérer que sur la bile cystique, ou sur son mélange avec la bile hépatique, pris dans le canal cholidoque, ou à la sortie de ce canal. Il faudroit tâcher de ramasser assez de chacune des deux biles séparément, pour pouvoir les soûmettre à l'examen chacune à son tour ; en recueillir & en comparer les résultats ; ce qui seroit d'une grande utilité pour la théorie & pour la pratique de la science médicinale. Voyez FOIE, (Pathol.) (d)

FIEL DES ANIMAUX, (Pharm. & Mat. méd.) ce n'est autre chose que la bile cystique, desséchée à l'air dans sa propre vésicule. Voyez BILE.

Le fiel de boeuf a été mis autrefois au rang des médicamens qu'on gardoit dans les boutiques, & qu'on faisoit entrer dans quelques préparations officinales, destinées à l'usage extérieur.

Il entre dans la composition de l'onguent d'arthanita, qui est un de ceux de la pharmacopée de Paris. Je ne lui connois d'ailleurs aucun usage, soit extérieur, soit intérieur. C'est ici une matiere qui pourroit bien être négligée mal-à-propos, & dont il seroit très-raisonnable, ce semble, d'essayer les propriétés, principalement dans certains vices de digestion. (b)

FIEL, (pierre de) Peinture. La pierre de fiel se trouve dans les amers ou fiels des boeufs plus ou moins grosse, ronde ou ovale ; étant broyée sur le porphyre très-fine, elle fait un jaune doré très-beau : elle peut s'employer à l'huile, quoique rarement, son plus grand usage étant pour la miniature ou détrempe.


FIENTES. f. (Gramm.) c'est ainsi qu'on nomme les excrémens de plusieurs animaux, dont on fait usage, soit en Medecine, soit ailleurs. Voyez EXCREMENS.

FIENTE DES ANIMAUX, (Mat. Méd.) on a attribué des vertus médicinales à la fiente de divers animaux, & principalement aux suivantes.

Fiente de boeuf ou de vache. Voyez VACHE.

Fiente de bouc ou de chevre. Voy. BOUC & CHEVRE.

Fiente de cochon. Voyez COCHON.

Fiente de pigeon. Voyez PIGEON.

Fiente de poule. Voyez POULE.

Fiente de cigogne. Voyez CIGOGNE.

Fiente de vautour. Voyez VAUTOUR.

Fiente ou crottes de souris. Voyez SOURIS.

Fiente ou crottes de chien. Voyez CHIEN.

Dioscoride parle de la fiente de crocodile terrestre comme d'un cosmétique, dont les femmes se servoient pour se rendre le teint brillant.

Les excrémens humains passent pour vulnéraires, cicatrisans, & maturatifs. Voy. MATURATIF. (b)

FIENTE, CROTIN, (Manége & Maréch.) termes synonymes. Nous nommons ainsi les excrémens du cheval. Voyez l'article FUMIER.

On observe à l'extérieur de l'intestin coecum quatre bandes blanchâtres & ligamenteuses, très-adhérentes à sa membrane commune & à sa tunique charnue. Ces bandes le partagent longitudinalement en quatre portions, & se propagent sur la partie large du colon. elles brident principalement cet intestin, de maniere qu'il est alternativement enfoncé par des plis transverses, & alternativement élevé en bosses très-considérables. Ces bosses sont autant de cellules espacées également, dans lesquelles la fiente séjourne ; & de-là la forme maronnée qu'elle contracte, & qu'elle ne tire que de la figure même de ces especes de loges.

L'examen de la qualité de la fiente, de sa couleur, de son odeur, de sa consistance, est important dans le traitement des maladies de l'animal. Voyez SEMEIOTIQUE. (e)


FIERadj. (Morale) Voyez FIERTE.

FIER, FIERTE, FIEREMENT, (Peint.) on appelle en Peinture une chose fierement faite, lorsqu'elle l'est avec liberté ; que les coups de pinceau ou touches sont grandes & larges ; qu'elles sont vives en clairs & en bruns : quelquefois l'on n'entend parler que du coloris ou du dessein ; fierement colorié, fierement dessiné, &c.

FIER, adj. (Architecture) épithete que les ouvriers de bâtimens donnent à la pierre, au marbre & au bois qui est fort dur. On dit aussi qu'un dessein est fier & hardi, quand il est touché avec art & qu'il part d'une main habile, telle que celle de feu M. Oppenord. (P)

FIER, en termes de Blason, se dit d'un lion dont le poil est hérissé.


FIERLINS. m. (Saline) mesure en usage dans nos salines de Moyenvic & autres. Seize fierlins, mesure de Berne, sont évalués à quatre charges & deux tiers de charge, & la charge est évaluée à cent trente livres ; cependant les seize fierlins ne pesent qu'environ cinq cent cinquante à cinq cent soixante livres.


FIERLINER BOSSES(Salines.) les bosses sont des tonneaux qu’on remplit de sel en grain ou sel tiré, destiné à satisfaire aux engagemens de la France avec les cantons catholiques suisses ; & la mesure à laquelle on rapporte le contenu d’une bosse, s’appelle un fierlin, dont on a fait le verbe fierlenir. Voyez l’article FIERLIN. La bosse contient seize fierlins, mesure de Berne.


FIERTES. f. (Jurisprud.) du latin ferebrum, qui signifie cercueil, châsse, n'est plus en usage qu'en Normandie, pour exprimer la châsse de S. Romain, archevêque de Roüen. Le chapitre de la cathédrale qui possede cette châsse, jouit en conséquence du privilége de délivrer & absoudre un criminel & ses complices, à la fête de l'ascension, en le faisant passer sous la fierte, ce que l'on appelle lever la fierte, pourvû que ce ne soit pas pour un crime de lése majesté, hérésie, fausse monnoie, viol, assassinat de guet-à-pens ; ces crimes ne sont point fiertables, selon le langage du pays, c'est-à-dire susceptibles du privilége de la fierte. Suivant la déclaration d'Henri IV. du 25 Janvier 1597, registrée au parlement de Rouen le 23 Avril suivant, le chapitre nomme au roi celui qu'il desire jouir du privilége de la fierte, & l'accusé pour jouir de ce privilége, est obligé d'obtenir des lettres d'abolition, scellées du grand sceau, n'y ayant que le prince qui puisse faire grace à un criminel. Voyez les recherches de la France de Pasquier, liv. IX. chap. xlij. les plaidoyers au sujet de la fierte. Mezeray, hist. d'Henri IV. à l'an 1593. Journ. du palais. Arrêt du 15. Septemb. 1672. Le recueil des mémoires de M. de Sacy, tom. I. p. 1. (A)


FIERTÉS. f. (Morale) est une de ces expressions, qui n'ayant d'abord été employées que dans un sens odieux, ont été ensuite détournées à un sens favorable. C'est un blâme quand ce mot signifie la vanité hautaine, altiere, orgueilleuse, dédaigneuse. C'est presque une louange quand il signifie la hauteur d'une ame noble. C'est un juste éloge dans un genéral qui marche avec fierté à l'ennemi. Les écrivains ont loué la fierté de la démarche de Louis XIV. Ils auroient dû se contenter d'en remarquer la noblesse. La fierté de l'ame sans hauteur est un mérite compatible avec la modestie. Il n'y a que la fierté dans l'air & dans les manieres qui choque ; elle déplait dans les rois mêmes. La fierté dans l'extérieur, dans la société, est l'expression de l'orgueil : la fierté dans l'ame est de la grandeur. Les nuances sont si délicates, qu'esprit fier est un blâme, ame fiere une louange ; c'est que par esprit fier, on entend un homme qui pense avantageusement de soi-même ; & par ame fiere, on entend des sentimens élevés. La fierté annoncée par l'extérieur est tellement un défaut, que les petits qui louent bassement les grands de ce défaut, sont obligés de l'adoucir, ou plûtôt de le relever par une épithete, cette noble fierté. Elle n'est pas simplement la vanité qui consiste à se faire valoir par les petites choses, elle n'est pas la présomption qui se croit capable des grandes, elle n'est pas le dédain qui ajoûte encore le mépris des autres à l'air de la grande opinion de soi-même, mais elle s'allie intimement avec tous ces défauts. On s'est servi de ce mot dans les romans & dans les vers, sur-tout dans les opéra, pour exprimer la sévérité de la pudeur ; on y rencontre par-tout vaine fierté, rigoureuse fierté. Les poëtes ont eu peut-être plus de raison qu'ils ne pensoient. La fierté d'une femme n'est pas seulement la pudeur sévere, l'amour du devoir, mais le haut prix que son amour propre met à sa beauté. On a dit quelquefois la fierté du pinceau, pour signifier des touches libres & hardies. Article de M. de VOLTAIRE.

FIERTE, terme de Blason, qui se dit des baleines dont on voit les dents.


FIERTONS. m. (ancien terme de Monnoyage) sorte de poids qui contenoit en lui le poids du remede de poids, ensorte que le trebuchant y étoit compris. Voyez MONNOYAGE.


FIESOLI(Géog.) ancienne petite ville d'Italie, connue des Romains sous le nom de Fesulae, dans le Florentin, sur une côte, avec un évêché suffragant de Florence, & à deux lieues de cette ville. Elle ne vaut guere mieux aujourd'hui qu'un village. C'est la patrie de Jean Angelic, surnommé de Fiesole, religieux Dominiquain, mort en 1455, & qui se seroit distingué parmi les peintres, s'il n'avoit eu l'imbécillité de laisser dans ses plus beaux ouvrages des fautes grossieres, afin de modérer les loüanges qu'une trop grande perfection pouvoit lui attirer. Mais Varchi (Benoist) natif de cette ville, s'est acquis de la considération par ses poésies italiennes & par d'autres écrits. Il mourut à Florence en 1566, âgé de 63 ans. Long. 28d. 59'. Lat. 43d. 44'. (D.J.)


FIEVREFIEVRE en général, s. f. (Medec.) febris, πυρετὸς ; maladie universelle très-fréquente, qui en produit plusieurs autres, cause la mort par sa violence & ses complications, procure aussi très-souvent une heureuse guérison, & est quelquefois salutaire par elle-même.

Nature individuelle de la fievre. La nature de la fievre est si cachée, qu'on doit prendre garde de se tromper en la recherchant ; ce qui peut aisément arriver, à cause du grand nombre d'affections accidentelles dont elle est fréquemment accompagnée, & sans lesquelles cependant elle peut exister, & existe effectivement

Pour éviter l'erreur, il faut envisager uniquement les symptomes qui sont inséparables de toutes especes de fievres, & pour lors on pourra parvenir à connoître la nature individuelle de la fievre. Aujourd'hui qu'on a saisi cette sage méthode, en écartant les hypothèses, fruits de l'intempérance de l'esprit, on est convaincu que c'est l'augmentation de la vîtesse du jeu des arteres qui constitue la fievre, & que la chaleur qui accompagne cette maladie, est l'effet de l'action accélérée des vaisseaux. La cause prochaine de la vélocité du pouls, est une plus fréquente contraction du coeur ; c'est donc l'effort que fait la vie, tant dans le froid que dans la chaleur, pour éloigner la mort.

Puisque la fievre consiste dans l'excès de l'action organique des arteres, c'est-à-dire dans cette action accélérée au-delà de l'état naturel, on peut, pour marquer toute l'étendue de son méchanisme, la définir avec M. Quesnay, une accélération spasmodique du mouvement organique des arteres, qui est excitée par une cause irritante, & qui augmente la chaleur du corps au-delà de celle de l'état naturel. Nous disons que dans la fievre, l'accélération du mouvement des arteres est spasmodique, pour la distinguer de la simple accélération du pouls & de l'augmentation de chaleur excitées par des mouvemens véhémens du corps, qui s'exercent volontairement & sans altérer la santé.

Symptomes de la fievre. Les vrais symptomes ou les dépendances essentielles & inséparables dans toute fievre dont le méchanisme s'exerce librement, sont 1°. l'accélération de la vîtesse du pouls ; 2°. celle de la force du pouls ; 3°. le surcroît de chaleur ; 4°. l'augmentation du volume du pouls ; 5°. la respiration plus promte ; 6°. le sentiment pénible de lassitude qui s'oppose aux mouvemens du corps.

Les trois premiers symptomes peuvent être regardés comme les symptomes primitifs de la fievre, desquels les trois autres résultent ; & quant au sentiment pénible de lassitude, il n'est sensible qu'aux malades mêmes, le medecin ne le connoît que par leur récit. Ajoûtons que quoiqu'il n'y ait point de fievre dans lesquelles ces six symptomes ne se rencontrent, cependant la vîtesse du pouls est la seule chose qu'on observe en tout tems de la fievre, depuis le commencement jusqu'à la fin. Si le contraire arrive, c'est que la fievre n'est pas simple, & qu'elle est troublée par d'autres affections étrangeres, qui s'opposent à ses opérations salutaires.

Je n'ose mettre le frisson au rang des symptomes inséparables de la fievre, parce que cette maladie peut s'allumer & subsister indépendamment d'aucun frisson, sans qu'elle soit alors une maladie incomplete . Il est bien vrai que la fievre existe avec le frisson, & qu'elle naît pour ainsi dire avec lui, mais c'est qu'alors la fievre n'a pas encore acquis son état parfait, puisqu'elle est au contraire empêchée par une autre affection spasmodique toute opposée, qui subsiste jusqu'à ce qu'elle l'ait dominée & dissipée.

Cours de la fievre. Quoi qu'il en soit, voici le cours de presque toute fievre qui procede des causes internes. Elle commence d'abord par un sentiment de froid & d'horripilation ; lequel est plus grand ou plus petit, a plus ou moins de durée, est interne ou externe, selon les divers sujets, les différentes causes & la différente nature de la fievre. Alors le pouls devient fréquent, petit, quelquefois intermittent ; la pâleur, la rigidité, le tremblement, le froid, l'insensibilité saisissent souvent les extrémités ; on voit succéder ensuite une chaleur plus ou moins grande, qui dure peu ou beaucoup de tems, interne, externe, universelle, locale, &c. enfin dans les fievres intermittentes, ces symptomes se calment & se terminent par une parfaite apyrexie.

Affections morbifiques accidentelles à la fievre. Plusieurs medecins ont entierement défiguré le caractere essentiel & individuel de la fievre, en y joignant diverses affections morbifiques qui se trouvent quelquefois, mais non toûjours, avec la fievre, & qui par conséquent ne constituent point son essence. Les affections morbifiques dont je veux parler, sont les contractions, la foiblesse, les irrégularités du pouls, les angoisses, la débilité, les agitations du corps, les douleurs vagues, la grande douleur de tête, le délire, la sueur, l'assoupissement, l'insomnie, le vertige, la surdité, les yeux fixes ou hagards, le vomissement, le hoquet, les convulsions, la tension du ventre, des hypochondres, l'oppression, les exanthèmes, les aphthes, la soif, le dégoût, les rots, le froid, le tremblement, l'ardeur, la sécheresse, la couleur pâle & plombée de la peau, les mauvaises qualités des urines, leur suppression, le diabetes, les sueurs immodérées, la diarrhée, les hémorrhagies, &c.

Mais quelque nombreuses, foibles ou considérables que soient ces affections morbifiques, elles ne naissent point de la fievre ; elles sont produites par différentes causes, qui sont même opposées au méchanisme de la fievre ; par conséquent on doit les regarder comme des symptomes étrangers à cette maladie. Les medecins qui ont voulu les établir comme des signes pathognomiques de la fievre, n'ont fait qu'introduire une multitude d'erreurs pernicieuses dans la pratique de la Medecine.

Causes de la fievre. La cause prochaine de la fievre reconnoit elle-même une infinité d'autres causes immédiates, qu'on peut néanmoins diviser en causes particulieres à chaque cas, & en causes communes à plusieurs. Les dernieres dépendent ordinairement de l'air, des alimens, d'un genre de vie commun, & on les nomme causes épidémiques.

Les causes particulieres peuvent se réduire à neuf ou dix classes capitales ; 1°. aux mixtes sensibles qui renferment naturellement des hétérogenes qui nous sont pernicieux ; je rapporte à cette classe les remedes actifs employés à contre tems ou à trop grande dose, car ils peuvent exciter ou augmenter la fievre, & produire d'autres accidens plus fâcheux ; ce sont même de véritables poisons entre les mains des medecins qui suivent de fausses routes dans la cure des maladies.

2°. Aux matieres acres prises en aliment, en boissons, en telle abondance qu'elles irritent, suffoquent, obstruent & se corrompent. Nos alimens sont même exposés à être dépravés, lorsqu'ils sont reçûs dans l'estomac & dans les intestins.

3°. A l'application extérieure de matieres acres qui piquent, corrodent, déchirent, brûlent, enflamment.

4°. Aux mauvaises qualités de l'air par son infection, son intempérie, sa pesanteur, sa legereté, ses variations subites, &c.

5°. Aux vices de régime, comme sont l'intempérance dans l'usage des alimens, les grandes abstinences, les exercices outrés, la vie trop sédentaire, le déreglement des passions, l'incontinence, les veilles immodérées, l'application excessive de l'esprit, &c. Le tempérament ou la complexion du corps peu capable de soûtenir les excès, occasionne aussi la fievre.

6°. A la contagion, qui dans certain cas produit par le contact, la respiration & les exhalaisons, des fievres putrides, rougeoliques, scorbutiques, hectiques, dyssentériques, &c.

7°. Aux défauts des excrétions & des secrétions.

8°. A la suppression lente ou subite des excrétions ou évacuations accoûtumées, par quelque cause que ce soit.

9°. Aux maladies qui sont elles-mêmes des causes de maladies. Ainsi les inflammations des parties nerveuses procurent la fievre.

Enfin toutes les causes qui produisent en nous quelque lésion, & les lésions elles-mêmes, peuvent produire la fievre ; mais la puissance de l'art ne s'étend pas jusqu'aux hétérogenes fébriles, lorsqu'ils sont confondus avec nos humeurs ; la nature seule a le pouvoir de les dompter dans les fievres continues ; la Medecine n'est capable que de remédier quelquefois aux dérangemens ou aux obstacles qui s'opposent à la défense de la nature, & qui peuvent la faire succomber.

Effets généraux de la fievre. L'expulsion, la propulsion plus promte des liqueurs, l'agitation des humeurs qui sont en stagnation, le mélange, la confusion de toutes ensemble, la résistance vaincue, la coction, la secrétion de l'humeur digérée, la crise de la matiere qui en irritant & en coagulant, avoit produit la fievre, le changement des humeurs saines en une nature propre à supporter ce à quoi le malade étoit le moins accoûtumé, l'expression du pus liquide, l'épaississement du reste, la soif, la chaleur, la douleur, l'anxiété, la foiblesse, un sentiment de lassitude, de pesanteur, l'anorexie, sont les effets de la fievre.

Périodes de la fievre. On en distingue quatre périodes : son commencement, son augmentation, son état & son déclin ; mais comme ce sont des choses fort connues, passons aux différentes manieres dont la fievre se termine.

Terminaison de la fievre. La fievre se termine de trois manieres différentes ; ou elle cause la mort, ou elle dégénere en une autre maladie, ou elle se guérit.

La fievre cause la mort, lorsque les solides se détruisent par la violence qu'ils souffrent, ou lorsque le sang est tellement vicié, qu'il bouche les vaisseaux vitaux, ou ceux qui doivent porter de quoi réparer la déperdition. C'est ainsi que la fievre produit dans les visceres nobles, tels que le coeur, le poumon & le cervelet, l'inflammation, la suppuration, la gangrene, ou des aphthes dans les premieres voies.

Elle dégénere en une autre maladie, quand elle cause une si grande agitation, que les vaisseaux en sont endommagés, & qu'à force de dissiper les parties les plus fluides des humeurs, elle épaissit le reste ; ou quand elle n'a pas la force de résoudre par elle-même la matiere coagulée ; ou lorsqu'elle dépose la matiere critique dans certains vaisseaux obstrués, dilatés ou rompus. De-là des taches rouges, des pustules, des phlegmons, des bubons, la parotide, la suppuration, la gangrene, le sphacele, &c.

La fievre se guérit, 1°. toutes les fois qu'elle peut d'elle-même dompter sa cause matérielle, la rendre mobile, & l'expulser par les voies de l'insensible transpiration ; il faut en même tems que son mouvement se calme, & que la circulation se rétablisse dans toute sa liberté : 2°. lorsque la matiere morbifique, domptée & devenue mobile, n'est pas parfaitement saine, de sorte qu'elle empêche l'égale distribution des fluides, & irrite les vaisseaux, ce qui occasionne quelqu'évacuation sensible, avec laquelle cette matiere est expulsée hors du corps ; comme par des sueurs, des crachats, des vomissemens, des diarrhées, & des urines qui surviennent après la coction : 3°. la matiere de la maladie domptée, résolue, devenue mobile par l'action de la fievre même, assimilée de nouveau aux humeurs saines, circule avec elle sans produire aucune crise, ni d'autres maux.

Pour bien connoître la terminaison des fievres, il faut observer leur nature, leur commencement, & leur progrès.

Prognostics. Plus une fievre s'écarte de son cours ordinaire, & moins le présage devient favorable : d'un autre côté, moins il faut de tems pour résoudre la lenteur, & pour calmer l'irritation de l'accéleration du pouls, plus la fievre est douce & salutaire, & réciproquement au contraire. Toute fievre qui a été mal gouvernée, devient plus opiniâtre & plus difficile à guérir, que si elle eût été abandonnée à elle-même. Le malade dont la fievre se dissipe naturellement, aisement & sans remede, jouit pour lors d'une meilleure santé qu'auparavant.

On tire aussi différens présages de toutes les affections morbifiques qui peuvent accompagner la fievre ; par exemple, du spasme & de ses especes, du coma, du délire, de la prostration des forces, de la déglutition, de la respiration, de l'état du bas-ventre, des hypochondres, des lassitudes, des angoisses, de la chaleur, du froid, des tremblemens, des urines, du vomissement, du flux de ventre, des déjections sanguines & putrides, des sueurs, des pustules inflammatoires, des douleurs locales, des aphthes, &c. mais nous n'entrerons point dans ce détail qui est immense, & qui a été savamment exposé par M. Quesnay ; le lecteur peut y avoir recours.

Cure. Pour parvenir à la meilleure méthode de traiter toutes les fievres, & à leur cure générale, 1°. il faut pourvoir à la vie & aux forces du malade : 2°. corriger & expulser l'acrimonie irritante : 3°. dissoudre la lenteur & l'évacuer : 4°. calmer les symptomes.

On ménage la vie & les forces du malade par des alimens & des boissons fluides, aisés à digérer, qui résistent à la putréfaction, & qui sont opposés à la cause connue de la fievre : on donne ces alimens dans le tems & la quantité nécessaire ; ce qu'on regle sur l'âge du malade, son habitude, le climat qu'il habite, l'état & la véhémence du mal.

On corrige l'acrimonie irritante par les remedes opposés à cette acrimonie ; on l'expulse par les vomitifs, les purgatifs, ou de simples laxatifs. Si le corps irritant qui donne la fievre étoit étranger, on l'ôtera promtement, & on fomentera la partie lésée par des matieres mucilagineuses, douces, anodynes, un peu apéritives.

On dissout la lenteur par divers remedes, dont le principal est la fievre même, modérée, de façon à pouvoir dissiper la viscosité. On y parvient aussi en diminuant le volume du sang par la saignée, ou en augmentant son mouvement par des irritans. Enfin l'on rend aux matieres visqueuses leur fluidité par les diluans, les sels, les fondans & les frictions.

Quand on a détruit la cause fébrile, les symptomes ou accidens qui accompagnent la fievre cessent avec elle ; s'ils peuvent subsister avec la fievre sans danger, ils demandent à peine une cure particuliere. Quand ils viennent des efforts de la nature qui se dispose à une crise, ou à évacuer la matiere critique, il ne faut point les interrompre ; mais si ces symptomes arrivent à contre-tems, ou qu'ils soient trop violens, il faut les calmer par des remedes qui leur soient propres, ayant toûjours égard à la cause & à l'état de la fievre subsistante.

Semblablement la fievre trop violente, demande à être réprimée par la saignée, par l'abstinence, par une nourriture legere, par des médicamens doux, aqueux, glutineux, rafraîchissans ; par des lavemens, par des anodyns ; en respirant un air un peu froid, & en calmant les passions. Si la fievre au contraire paroît trop lente, on animera son action par l'usage d'alimens & de boissons cordiales, par un air un peu chaud, par des médicamens acres, volatils, aromatiques, & qui ont fermenté ; par des potions plus vives, par des frictions, par la chaleur, par le mouvement musculaire.

Après tout, comme la fievre n'est qu'un moyen dont la nature se sert pour se délivrer d'une cause qui l'opprime, l'office du medecin ne consiste qu'à prêter à cette nature une main secourable dans les efforts de la secrétion & de l'excrétion. Il peut bien tempérer quelquefois sa véhémence, mais il ne doit jamais troubler ses opérations. Ainsi ne croyons pas avec le vulgaire, que la fievre soit un de nos plus cruels ennemis ; cette idée est absolument contraire à l'expérience, puisque de tant de gens attaqués de la fievre qu'ils abandonnent à elle-même, il en est peu qui y succombent ; & quand elle est fatale, il faut plûtôt rejetter l'évenement sur les fautes, ou la mauvaise constitution du malade, que sur la cruauté de la fievre.

Il est cependant très-vrai que dans plusieurs conjonctures, la fievre emporte beaucoup de personnes d'un tempérament fort & vigoureux ; mais il faut remarquer que c'est seulement, lorsque les affections morbifiques violentes, malignes, ou nombreuses, viennent à la fois troubler le méchanisme de la fievre, le surmontant, & en empêchant les opérations salutaires. On doit, ou on peut dire alors, que ces gens-là sont morts avec la fievre, mais non pas de la main de la fievre ; car ce sont deux choses fort différentes.

Observations générales sur les divisions des fievres. La plus simple distinction des fievres est de les diviser en deux classes générales ; celle des fievres continues, & celle des fievres intermittentes ; car on peut rapporter sous ces deux classes toutes les especes de fievres connues.

La distinction la plus utile pour la pratique, consiste à démêler les fievres qui se guérissent par coction, d'avec celles qui ne procurent pas de coction ; car par ce moyen, les praticiens se trouveront en état de pouvoir diriger leurs vûes pour le traitement des fievres.

Mais la distinction la plus contraire à la connoissance de ce qui constitue essentiellement la fievre, c'est d'avoir fait d'une infinité d'affections morbifiques, de symptomes violens étrangers à la fievre, ou de maladies qui l'accompagnent, tout autant de fievres particulieres. L'assoupissement dominant, les sueurs continuelles, le froid douloureux, le frissonnement fréquent, la syncope, le frisson qui persiste avec le sentiment de chaleur, &c. ont établi dans la Medecine la fievre comateuse, la fievre sudatoire, la fievre algide, la fievre horrifique, la fievre syncopale, la fievre épiole, &c.

C'est encor là l'origine de toutes les prétendues fievres nommées putrides, pourpreuses, miliaires, contagieuses, colliquatives, malignes, diarrhitiques, dissentériques, pétéchiales, &c. car on a imputé à la fievre même, la pourriture, les tâches pourprées, les éruptions miliaires, l'infection contagieuse, les colliquations, la malignité, les cours de ventre, le flux de sang, les pustules, &c.

Cependant l'usage de toutes ces fausses dénominations a tellement prévalu, que nous sommes obligés de nous y conformer dans un Dictionnaire encyclopédique, pour que les lecteurs y puissent trouver les articles de toutes les fievres qu'ils connoissent uniquement par leurs anciens noms consacrés d'âge en âge ; mais du moins en nous pliant à la coûtume, nous tâcherons d'être attentifs à déterminer le sens qu'on doit donner à chaque mot, pour éviter d'induire en erreur ; & si nous l'oublions dans l'occasion, nous avertissons ici une fois pour toutes, qu'il ne faut point confondre les symptômes étrangers à la fievre, ou les affections morbifiques & compliquées qui peuvent quelquefois l'accompagner, avec les symptomes inséparables qui constituent l'essence de la fievre, qui ont été mentionnés au commencement de cet article.

Auteurs recommandables sur la fievre. Ma liste sera courte. Si par hasard, & je ne puis l'imaginer, quelqu'un ignoroit le mérite de la doctrine & des présages d'Hippocrate sur les fievres, il l'apprendra par les commentaires de Friend de febribus, & par le petit ouvrage du docteur Glass.

Le petit livre de Lommius, qui parut pour la premiere fois en 1563 in -8°. sera toûjours loüé, goûté, & lû des praticiens avec fruit.

Sydenham est jusqu'à ce jour un auteur unique par la vérité & l'exactitude de ses observations sur les fievres dans les constitutions épidémiques.

Hoffman a donné sur les fievres un traité complet, & rempli d'excellentes choses puisées dans la pratique & dans la lecture des plus grands maîtres de l'art, c'est dommage qu'il ait infecté son ouvrage d'opinions triviales, qui rendent sa théorie diffuse, & sa pratique très-défectueuse.

Boerhaave au contraire, toûjours sûr de sa marche, évitant toûjours les opinions & les raisonnemens hasardés, démêlant habilement le vrai du faux, le principal de l'accessoire, a sû le premier se frayer le chemin de la vérité ; c'est lui qui a découvert la cause réelle du méchanisme de la fievre & par conséquent celle de la bonne méthode curative. Tenant d'une main les écrits d'Hippocrate, & portant de l'autre le flambeau du génie, il a démontré que ce méchanisme s'exécute par l'action accélérée des arteres, qui fait naître & entretient l'excès de chaleur qui constitue l'essence de la fievre. Lisez les aphorismes de ce grand homme, avec les beaux commentaires du docteur Vanswieten.

Enfin en 1754 M. Quesnay a prouvé, que puisque l'action accélérée des arteres & l'action de la chaleur constituent ensemble le méchanisme de la fievre, il faut considérer ensemble ces deux choses, pour comprendre toute la physique de cette maladie. Voyez son excellent traité des fievres en 2 vol. in -12.

Je me suis particulierement nourri des écrits que je viens de citer, & j'ai tâché d'en saisir les vûes, les idées & les principes.

FIEVRE ACRITIQUE. On entend par fievre acritique ou non critique, toute fievre continue qui ne se termine point par coction, ou par une crise remarquable. Il y a diverses especes de maladies aiguës accompagnées de fievres non critiques ; telles sont les fievres spasmodiques d'un mauvais caractere, les fievres compliquées d'inflammation, de sphacele, de gangrene, les fievres pestilentielles, & autres semblables.

Les fievres acritiques, comme toutes les autres fievres, reconnoissent différentes causes, entr'autres celle des matieres corrompues dans les premieres voies, & mêlées dans la masse des humeurs circulantes.

Les prédictions sont très-infideles dans les fievres acritiques ; parce qu'il n'y a point de méthode reglée, distincte, & précise, pour en diriger le prognostic. Ce n'est pas ordinairement dans les maladies que la nature dompte elle-même, que le ministere du medecin est fort nécessaire ; c'est dans celles qu'elle ne peut vaincre en aucune maniere, où des medecins suffisamment instruits seroient fort utiles, & où les ressources de l'art seroient essentielles : mais malheureusement de tels medecins n'ont été que trop rares dans tous les tems.

FIEVRE AIGUE, febris acuta, se dit de toute fievre qui s'étend rarement au-delà de 14 jours, mais dont les accidens viennent promtement, & sont accompagnés de dangers dans leur cours ; cette fievre est épidémique ou particuliere à tel homme.

La contraction du coeur plus fréquente, & la résistance augmentée vers les vaisseaux capillaires, donnent une idée absolue de la nature de toute fievre aigue : or l'une & l'autre de ces deux choses peuvent être produites par des causes infinies en nombre & en variétés, & arriver ensemble ou l'une après l'autre.

Les symptomes de la fievre aigue particuliere, sont le froid, le tremblement, l'anxiété, la soif, les nausées, les rots, le vomissement, la débilité, la chaleur, l'ardeur, la sécheresse, le délire, l'assoupissement, l'insomnie, les convulsions, les sueurs, la diarrhée, les pustules inflammatoires.

Si ces symptomes arrivent à contre-tems ; s'ils se trouvent en nombre ; s'ils sont si violens qu'il y ait lieu de craindre pour la vie du malade, ou qu'il ne puisse les supporter ; s'ils le menacent de quelque accident funeste, il faut les adoucir, les calmer chacun en particulier par les remedes qui leur sont propres, & conformément aux regles de l'art : mais comme les commencemens, les progrès, l'état, la diminution, la crise, le changement, varient extrèmement dans les fievres aiguës ; ils demandent par conséquent une méthode curative très-variée, toûjours relative aux différentes causes & à l'état de la maladie. En général, la saignée, les antiphlogistiques internes, conviennent. Voyez FIEVRE ARDENTE.

Toutes les fievres aiguës qui affectent de produire une inflammation particuliere dans tel ou tel organe, & qui en lesent la fonction, forment la classe des maladies aigues, dont chacune est traitée à son article particulier. Voyez MALADIE AIGUE.

FIEVRE ALGIDE, febris algida ; ce n'est point une fievre particuliere, c'est simplement une affection morbifique qui se trouve quelquefois avec la fievre continue, & qui consiste dans un froid perpétuel & douloureux.

La fievre algide existe 1°. quand la matiere fébrile est tellement abondante qu'elle opprime les forces de la vie ; 2°. quand l'action vitale n'est pas capable de produire la chaleur qui devroit suivre le frisson ; 3°. quand les humeurs commencent à se corrompre.

Les remedes sont 1°. de diminuer l'abondance de la matiere fébrile, & de la détruire ; 2°. de ranimer les forces languissantes ; 3°. de corriger les humeurs, si elles sont putrides : par exemple, on usera des anti-septiques échauffans ; en un mot, on opposera les contraires. Au reste, le froid douloureux & continuel d'une fievre aiguë présage le danger, ou du moins la longueur de la maladie. Voyez FIEVRE HORRIFIQUE.

FIEVRE ARDENTE, causus, de , brûler ; fievre aiguë, continue, ou rémittente, ainsi nommée de la chaleur brûlante, & d'une soif insatiable qui l'accompagne : c'est l'idée générale qu'en donnent nos auteurs modernes.

Tous les anciens s'accordent également à regarder ces deux symptomes comme les causes pathognomiques du causus ; c'est pourquoi ils l'ont aussi appellé fievre chaude & brûlante. Voyez la maniere dont en parle Hippocrate dans son livre de affectionibus : voyez encore Arétée, liv. II. des maladies aiguës, chap. jv. mais voyez sur-tout la description étendue & détaillée de l'exact Lommius ; tout ce qu'il en dit dans ses observations est admirable : aussi la fievre ardente mérite-t-elle un examen très-particulier, parce qu'elle est fréquente, dangereuse, & difficile à guérir.

Symptomes. Ses symptomes principaux sont une chaleur presque brûlante au toucher, inégale en divers endroits, très-ardente aux parties vitales ; tandis qu'aux extrémités elle est souvent modérée, & que même quelquefois elles sont froides : cette chaleur du malade se communique à l'air qui sort par l'expiration. Il y a une sécheresse dans toute la peau, aux narines, à la bouche, à la langue, au gosier, aux poumons, & même quelquefois autour des yeux : le malade a une respiration serrée, laborieuse, fréquente ; une langue seche, jaune, noire, brûlée, âpre, ou raboteuse ; une soif qu'on ne peut éteindre & qui cesse souvent tout-à-coup ; un dégoût pour les alimens, des nausées, le vomissement, l'anxiété, l'inquiétude ; un accablement extrème, une petite toux, une voix claire & aiguë ; l'urine en petite quantité, acre, très-rouge ; la déglutition difficile, la constipation du ventre ; le délire, la phrénésie, l'insomnie, le coma, la convulsion, & des redoublemens aux jours impairs. Telle est la fievre ardente dans toute sa force.

Ses causes. Elle a pour causes un travail excessif, un long voyage, l'ardeur du soleil, la respiration d'un air sec & brûlant, la soif long-tems soufferte, l'abus des liqueurs fermentées, aromatiques, acres, échauffantes, celui des plaisirs de l'amour, des études poussées trop loin ; en un mot, tout excès qui tend à priver le sang de sa lymphe, à l'épaissir, & à l'enflammer. Cette même fievre peut être causée par des substances fort corrompues, telles que la bile dépravée dans la vésicule du fiel, & rendue très-acre. Enfin elle est produite par la constitution épidémique de l'air dans les pays chauds.

La fievre ardente symptomatique procede de l'inflammation du cerveau, des méninges, de la plevre, du poumon, du mésentere, &c.

Son cours & ses effets. On en meurt souvent le troisieme & le quatrieme jour ; on passe rarement le septieme, lorsque le causus est parfait. Il se termine quelquefois par une hémorrhagie abondante, & qui est annoncée par une douleur à la nuque, par la pesanteur & la tension des tempes, par l'obscurcissement des yeux, par la tension des parties précordiales sans douleurs, l'écoulement involontaire des larmes, sans autres signes mortels, la rougeur du visage, le prurit des narines. La fievre ardente se termine semblablement aux jours critiques par le vomissement, le cours de ventre, le flux des hémorroïdes, les urines abondantes avec sédiment, les sueurs, les crachats épais, une forte transpiration universelle.

Prognostics. C'est un fâcheux présage dans la fievre ardente, si l'hémorrhagie survient le troisieme ou quatrieme jour avec trop de médiocrité ; le redoublement qui arrive un jour pair avant le sixieme ; est très-mauvais. L'urine noire, tenue, & qui sort en petite quantité, menace la vie : le crachement & le pissement de sang sont mortels. La difficulté d'avaler est un très-mauvais signe ; le froid aux extrémités est pernicieux. La rougeur du visage, & la sueur qui en sort, sont d'un sinistre présage ; la parotide qui ne vient point à suppuration, est mortelle. La diarrhée trop abondante fait périr le malade : les mouvemens convulsifs annoncent le délire, & ensuite la mort. On peut former le même présage si les forces diminuent, si la respiration est continuellement embarrassée, s'il y a une douleur aiguë permanente à l'une des oreilles, si la soif vient à cesser, quoique la fievre continue dans toute sa violence, si le bas-ventre s'enfle, & s'il se fait une éruption de pustules gangréneuses par tout le corps. Voyez Lommius.

La fievre ardente qui dégenere en colliquation, produit une diarrhée fétide, le pissement de sang, la tympanite, la péripneumonie accompagnée de délire, des tremblemens, des frissons, des convulsions, & des sueurs froides qui emportent le malade.

Toutes ces choses bien examinées, on peut connoître la cause immédiate de la fievre chaude, qui n'est en effet qu'un sang dépouillé de ses parties les plus douces & les plus liquides : en un mot, une inflammation universelle produite par la trop grande force des solides & des fluides.

Cure. L'ardeur extrème du causus indique l'usage de la saignée au commencement de la maladie, & la répétition de ce remede, s'il y a des marques de pléthore, d'inflammation violente, d'une chaleur insupportable, d'une raréfaction excessive, & des symptomes pressans qui ne cedent point aux autres secours de l'art.

L'air doit être pur, froid, renouvellé, les couvertures legeres, le corps souvent élevé, la boisson abondante, aqueuse, chaude, adoucissante, antiphlogistique. Tels sont les aigrelets, l'esprit de soufre, le nitre, le crystal minéral, le petit-lait ; car il ne faut pas des réfrigérans qui ralentissent l'action organique des vaisseaux. Les lavemens seront anodyns, délayans, laxatifs, & anti-phlogistiques.

Il faut humecter tout le corps, déterminer dans les narines la vapeur de l'eau chaude, gargariser la bouche & le gosier, laver les piés & les mains dans l'eau tiede, fomenter avec des éponges trempées dans l'eau chaude, les parties où il y a plusieurs vaisseaux qui présentent bien leurs surfaces ; employer les médicamens aqueux, doux, nitrés, d'une agréable acidité, qui lâchent très-doucement le ventre, qui poussent par les urines & les réparent, qui servent de véhicule à la sueur par leur quantité, & non par aucune acrimonie, & qui enfin relâchent toute la contraction des fibres, dissolvent les liqueurs épaissies, les délayent & les corrigent.

Observations de pratique. 1°. Il est bon d'observer que les fievres ardentes, fort aiguës, & accompagnées de symptomes dangereux, sont souvent compliquées de quelque inflammation intérieure qui dégénere souvent en gangrene. Alors la cure ordinaire des inflammations réussit rarement ; & l'art a très-peu de ressources contre une maladie si funeste.

2°. Il y a des fievres ardentes simples qui finissent au premier septenaire, & d'autres s'étendent jusqu'au second : les premieres n'ont pas besoin pour leur guérison d'une coction parfaitement purulente ; elles peuvent être terminées par une crise, qui est annoncée, comme le dit Hippocrate, par un nuage rouge dans les urines ; souvent aussi la maladie se termine alors par une hémorrhagie du nez. Il n'en est pas de même de la fievre ardente, qui s'étend jusqu'au quatorzieme jour, car elle cesse par une coction parfaitement purulente : dans ces dernieres, le tartre stibié délayé dans beaucoup d'eau, & distribué en plusieurs prises, est un des purgatifs les plus avantageux & les plus sûrs, parce qu'il ne laisse après lui aucune impression fâcheuse à l'estomac ni aux intestins ; mais il faut s'en abstenir lorsque les premieres voies sont évacuées.

3°. La connoissance des fievres ardentes & de leur traitement, répand un grand jour sur toutes les fievres aiguës particulieres ; car elles ne sont que des symptomes ou des effets d'une autre maladie aiguë.

FIEVRE ASODE, febris asodes, fievre continue ou remittente compliquée, accompagnée d'inquiétudes, d'agitations, d'anxiétés, de dégoûts, de nausées, & de vomissemens : désigne dans plusieurs endroits d'Hippocrate, toutes fievres accompagnées d'agitations & d'anxiétés extrèmes. Galien ajoûte que de tels malades sont nommés pour deux raisons ; la premiere, quand ils ont des mouvemens très-inquiets ; la seconde, quand leur estomac est picoté par des humeurs corrompues.

Causes. Les principales causes de la fievre asode sont la dépravation de la bile, la putridité des humeurs circulantes retenues dans les premieres voies, quelque inflammation ou autre maladie du ventricule & des visceres voisins.

Prognostic. Cette fievre est dangereuse, parce qu'elle trouble le repos & le sommeil, empêche l'usage des médicamens, intercepte celui des alimens, ou en corrompt la qualité, enflamme le sang, abat les forces ; & dans une longue durée, produit nécessairement la sécheresse, l'atrophie, le dépérissement, les convulsions, la mort.

Cure. La méthode curative consiste à expulser les humeurs corrompues, en corriger la nature par des nitreux, des acides agréables legerement astringens ; dériver la matiere métastatique, appaiser les mouvemens troublés de l'estomac par des narcotiques, & appliquer sur la partie affectée des fomentations, des épithèmes, des cataplasmes relâchans, émolliens, anodyns.

FIEVRE BILIEUSE, fievre aiguë qui doit son origine, soit à la surabondance, soit aux dépravations de la bile dispersée contre nature dans la masse des humeurs circulantes, ou extravasée dans quelqu'un des visceres.

Les anciens appelloient bilieuse la fievre ardente, causum, parce qu'ils supposoient qu'elle étoit produite par une bile chaude & vicieuse ; mais les modernes ont sagement distingué ces deux fievres, parce qu'elles ont effectivement des différences caractéristiques, quoiqu'elles ayent des symptomes communs. Voyez FIEVRE ARDENTE.

Ses signes. Les symptomes de la fievre purement bilieuse sont très-nombreux ; & ce qui est singulier, je les trouve presque rassemblés dans un seul passage d'Hippocrate, de medicina veteri. Les voici néanmoins encore plus exactement : le dégoût, la nausée, de fréquentes & vives anxiétés, l'oppression, la cardialgie, le gonflement de l'estomac & du bas-ventre, la constipation, des tranchées, des tiraillemens d'entrailles, une chaleur douloureuse par tout le corps, une soif intolérable, des urines claires & hautes en couleur, sans sédiment ; la sécheresse de la bouche & de la langue, avec un sentiment d'amertume ; des douleurs dans le dos, l'ardeur du gosier, le blanc des yeux & quelquefois tout le corps couvert de jaunisse. Ajoûtez à ces marques, des toux convulsives, le hoquet, des maux de tête insupportables, l'insomnie, le délire, une foiblesse extrème dans tous les membres, des tremblemens & des spasmes dans les jointures, des défaillances fréquentes.

Mais les symptomes caractéristiques de cette fievre, sont des efforts pour vomir, suivis de vomissemens d'une bile acre, caustique, qui en sortant ulcere le gosier, & qui en tombant sur la pierre, fait souvent une effervescence, comme l'eau-forte. Si le vomissement s'arrête, il lui succede une diarrhée bilieuse, avec tenesme, & quelquefois les déjections de la bile se font également par haut & par bas.

Causes. L'abus immodéré des alimens gras, putrescens, chauds, aromatisés, sur-tout dans les grandes chaleurs, & dans le tems que le sang est dans un mouvement excessif, sont les causes les plus fréquentes des fievres de cette nature ; de-là vient qu'elles attaquent les personnes sanguines-bilieuses, celles qui se nourrissent de mets fortement épicés, qui boivent une grande quantité de liqueurs mal fermentées, & qui tombent dans des passions violentes après de pareils excès. Le balancement d'un vaisseau suffit seul pour jetter tout-d'un-coup dans l'estomac une bile étrangere, porracée & érugineuse, sans qu'on ait guere pû jusqu'à ce jour expliquer ce phénomene. De plus, la jaunisse se répand dans tout le corps par la seule constriction des conduits biliaires qui aboutissent au duodenum ; & quelquefois de grands accès de colere suffisent pour former l'expulsion de la bile dans cet intestin, d'où elle passe dans la masse du sang, & y produit des symptomes terribles. La bile verdâtre épanchée aux environs du foie, dit Hippocrate, est la cause fréquente des fievres qui naissent dans l'intérieur du corps humain.

Enfin, comme la dépravation de la bile, les couleurs étrangeres de cette humeur, & la fievre qui en résulte, peuvent être produites par le spasme seul, qui est capable de pervertir en un moment les sucs bilieux les plus loüables ; on doit être attentif à démêler si un tel état a causé le spasme, ou si le spasme a été la cause de cet état, afin de ne pas tirer de fausses inductions pour le prognostic, ou par rapport à la pratique.

Prognostics. Cette fievre, soit qu'elle procede du mouvement excessif, de la surabondance, ou de la qualité dépravée de la bile, menace la vie de péril, si l'on n'entreprend pas à tems d'y remédier par le secours de l'art ; car c'est ici que la nature en a un besoin indispensable, parce que la force & la durée de la fievre augmentent extrèmement les ravages de l'humeur bilieuse dont elle émane.

La plus heureuse tournure que cette fievre puisse prendre, est de se porter à une évacuation promte & abondante de la matiere viciée, & d'y parvenir par le vomissement, plûtôt encore que par les selles. Quand les efforts pour vomir sont excessifs & avec peu d'effet, le malade ne manque guere d'éprouver un hoquet douloureux, des spasmes, & des défaillances qui en sont les suites. Quand au contraire les vomissemens sont aisés & abondans, que de plus la bile rejettée est d'une assez bonne qualité, on a raison d'espérer favorablement de l'issue de la maladie ; mais si le délire subsiste long-tems & avec violence, le péril est considérable ; il est extrème, si les douleurs, l'anxiété, l'oppression, la chaleur brûlante, sont tout-d'un-coup suivies de l'abattement des esprits, du froid & des convulsions.

Cure. La méthode curative doit tendre nécessairement à provoquer l'évacuation de la bile vicieuse, à adoucir son âcreté, à abattre la chaleur, & les symptomes qui en sont les effets.

On provoquera l'évacuation de la matiere morbifique par de doux vomitifs, tels que la camomille, le tartre stibié en petites doses souvent répetées, & l'on en continuera l'usage tant que l'on appercevra dans les évacuations une bile fort jaune, verte, brune ou sanguinolente. Si le flux de la bile se fait par la voie des selles, on l'aidera puissamment par les décoctions laxatives de pruneaux, ou autres, jusqu'à ce que l'évacuation de la bile morbifique ait été complete . Après les évacuations suffisantes par haut ou par bas, on calmera le mouvement antipéristaltique de l'estomac & des intestins, par des parégoriques ou des calmans.

On adoucira l'âcreté de la bile par les diluans nitrés, les sels neutres, les lubréfians, le petit-lait, les aigrelets, les émulsions legeres, acidulées, prises fréquemment, & modérément chaudes. Les absorbans qui ne sont pas astringens, mêlés avec le nitre, peuvent être quelquefois utiles.

On abattra la chaleur fébrile, & les symptomes qui en dépendent, par l'usage des mêmes remedes. On arrêtera les gonflemens du ventricule après les vomissemens, en appliquant sur le creux de l'estomac des linges trempés dans de l'esprit-de-vin camphré. Enfin dans les spasmes, qui procedent uniquement de la mobilité des esprits, on usera d'anti-spasmodiques convenables.

Observations de pratique. Suivant les observations des praticiens éclairés, les huileux, les acres, les volatils & tous les échauffans, changent une fievre bilieuse en inflammatoire. Les sudorifiques portent la matiere morbifique dans le sang, & le privent de sa lymphe. La saignée, faite même au commencement de la maladie, ne convient cependant que dans les constitutions sanguines-pléthoriques, & lorsqu'on voit une grande raréfaction du sang qui circule dans les vaisseaux.

Les fievres bilieuses regnent beaucoup plus fréquemment dans les pays chauds que dans les pays froids : celles qu'on voit si communément dans les armées, y sont d'ordinaire épidémiques, & l'on ne doit pas s'en étonner ; la même nourriture, les mêmes mouvemens, & le même air qu'on respire, expliquent ce phénomene. L'on comprend par les mêmes raisons, que parmi des troupes perpétuellement exposées au soleil, à des marches forcées, & à des campemens dans toutes sortes de terreins, la bile se trouvant alors nécessairement en plus grande quantité, & plus acre que de coûtume, doit produire ces fievres bilieuses de l'automne, qui emportent plus de monde que les batailles les plus sanglantes. M. Pringle en a fait un chapitre particulier dans ses observations sur les maladies d'armées, j'y renvoye le lecteur.

FIEVRE CACOCHYMIQUE, febris cacochymica, fievre lente, legere, intermittente ou remittente, d'ordinaire erratique, rarement continue quand elle est simple.

Elle a pour cause principale une abondance d'humeurs crûes, qui se sont corrompues par leur stagnation suivie de la chaleur.

Ceux que cette fievre attaque, éprouvent de fréquens frissons, suent beaucoup, rendent des urines jaunes, chargées, lesquelles déposent un sédiment considérable qui présage la guérison.

Il faut donc aider l'atténuation des humeurs cruës, procurer leur expulsion par les apéritifs & les laxatifs ; enfin fortifier le corps par l'exercice, les stomachiques & les corroborans. Voyez CACHEXIE.

FIEVRE CATARRHEUSE, fievre secondaire ou symptomatique, par le secours de laquelle la nature, en augmentant le mouvement des solides & des fluides, s'efforce de corriger la qualité viciée de la lymphe, de se débarrasser de la surabondance de cette lymphe, & de la chasser hors du corps d'une maniere critique & salutaire.

Ses symptomes. Cette fievre attaque ordinairement le soir avec continuité ou rémission. Ses symptomes, quand elle est très-grave, sont des frissonnemens suivis de chaleur, un pouls fréquent & petit, l'enrouement, la pesanteur de tête plus foible que douloureuse, la lassitude par tout le corps, la soif, la difficulté d'avaler, le dégoût, une chaleur dans la gorge, un picotement dans le larynx ; un sommeil interrompu, suivi le matin d'engourdissement ; l'augmentation du pouls ; les urines enflammées, troubles, couvertes au-dessus d'une pellicule blanchâtre, & déposant au fond du vaisseau un sédiment briqueté. A ces symptomes succedent l'oppression, des sueurs nocturnes abondantes, des douleurs dans les hypochondres & dans les reins ; la strangurie, qui se termine par une évacuation critique & copieuse d'urine ; quelquefois des nausées, des vomissemens, la constipation, les tranchées, & le cours de ventre salutaire qui les accompagne.

Quand l'acrimonie séreuse est seulement logée dans les organes de la respiration & de la membrane pituitaire, elle produit une fievre legere, avec alternative de frissons & de petites chaleurs plus mordicantes qu'ardentes ; l'enchifrenement, la douleur de tête, les yeux larmoyans, gonflés ; les narines rouges, qui laissent écouler une sérosité acre & corrosive ; l'éternuement, l'enflure du nez & des levres, la respiration un peu difficile ; la toux, les crachats qui se cuisent insensiblement, se détachent, & annoncent la fin de la maladie.

Causes. La cause immédiate, est une lymphe abondante & acre qui, dispersée par tout le corps, ou logée dans les tuniques glanduleuses, suscite une inflammation accompagnée de douleur, de tumeur & de rougeur. Cette sérosité est principalement produite par le défaut ou par la suppression de transpiration, quelle qu'en soit la cause ; d'où il arrive que cette fievre se manifeste davantage dans les vicissitudes considérables de tems, & principalement aux équinoxes.

Il se trouve aussi quelquefois dans l'air une matiere subtile & caustique qui s'insinue par le moyen de l'inspiration dans le corps humain, où elle excite promtement une fievre catarrhale, qui est d'ordinaire épidémique, & quelquefois contagieuse.

Prognostics. Plus la quantité de lymphe acre est grande, plus les symptomes sont violens, & plus la maladie est longue. La simple fievre catarrhale s'en va communément d'elle-même, sans le secours de l'art ; mais elle peut devenir fâcheuse par de mauvais traitemens, & dans des constitutions particulieres. Plus elle s'éloigne de sa douceur naturelle, plus l'inflammation est considérable, & plus on doit craindre que les visceres n'en souffrent. Son meilleur signe est une résolution journaliere & une dissipation successive de la matiere morbifique.

Cette maladie se termine par une expectoration abondante des bronches pulmonaires par les sueurs, les selles, les urines, ou l'excrétion de sérosité muqueuse par le nez.

Cure. Il faut se proposer, 1°. de corriger & d'émousser l'acrimonie de la lymphe ; 2°. de rétablir la transpiration, dont l'interruption a produit la fievre ; 3°. d'évacuer les humeurs visqueuses, & d'en prévenir la formation pour l'avenir.

On corrigera l'acrimonie de la lymphe par les substances onctueuses, comme les émulsions, les bouillons de navets, les gruaux, les tisanes d'orge mondé, avec de la rapure de corne de cerf, des raisins, & de la réglisse. On divisera la sérosité glutineuse par les incisifs, tels que la racine d'aunée, de pimprenelle & de dompte-venin infusées ensemble, ou autres semblables ; par les sels neutres, tels que le nitre & le tartre vitriolé. On peut en particulier atténuer la lymphe qui est en stagnation dans les cavités des narines, par le sel volatil ammoniac sec, imprégné de quelques gouttes d'huile de marjolaine ; on seconde les excrétions par des infusions chaudes, & des poudres diaphorétiques. On procure l'évacuation de la lymphe visqueuse qui séjourne dans les glandes de la gorge, par les pectoraux.

On calmera la toux par des parégoriques, les pilules de styrax ou de cynoglosse. Le ventre doit être tenu ouvert par de fréquentes boissons de liqueurs émollientes, par des lavemens, par des décoctions de manne, de pruneaux & de raisins. Si l'on soupçonne quelqu'inflammation dans les parties internes, les émulsions seront nitrées. Un de nos modernes donne la cure de la fievre catarrhale en deux lignes : acre tenue concoquendum hypnoticis, condiendum resinosis, evacuandum diaphoreticis & diureticis.

Observation de pratique. Les Medecins ont observé de tout tems que les personnes d'un tempérament phlegmatique & sanguin, les enfans, les filles & les femmes, sont beaucoup plus sujettes aux fievres catarrhales, que les hommes & les adultes d'un tempérament fort & sec. Hippocrate avoit dit autrefois (Epidem. lib. VI. sect. iij.) que l'enrouement, les maux de tête & les migraines, sont emportés par une fievre catarrhale qui leur succede : c'est aussi ce que l'expérience journaliere apprend tous les jours aux praticiens.

Pour ce qui regarde la fievre maligne catarrhale, comme elle est plus connue sous le nom de fievre pétéchiale, voyez FIEVRE PETECHIALE.

FIEVRE CATHARTIQUE ou DIARRHETIQUE : fievre continue, accompagnée de flux de ventre très-opiniâtre. Comme elle fait les plus grands ravages dans les villes & dans les camps, je me propose d'en parler avec toute l'étendue qu'elle mérite.

Causes. Il y a dans les fievres continues un grand nombre d'especes de flux de ventre, tant par rapport à la matiere & à la cause, que par rapport aux effets & à l'évenement, & par conséquent il en résulte, que le medecin y doit donner toute son attention pour bien traiter ce genre de maladie.

Le flux de ventre qui accompagne cette fievre, vient quelquefois d'un hétérogène qui agit sur les intestins par une forte irritation, & qui cause à-peu-près les mêmes effets que ceux que produisent de puissans purgatifs. Quelquefois cet hétérogène est répandu dans la masse des humeurs, & entretient un flux de ventre, en excitant continuellement l'action des excrétoires des intestins ; d'autres fois il réside, du moins en partie, dans les premieres voies, sur-tout dans la vésicule du fiel ; car la bile elle-même peut se dépraver & devenir purgative, & même un purgatif fort irritant : elle peut aussi recevoir de la masse des humeurs un suc vicieux & irritant, qui se mêle & séjourne avec elle, & qui lui communique ses mauvaises qualités, ensorte qu'il entretiendra le flux de ventre, en s'écoulant continuellement dans les intestins : si une telle bile est successivement refournie à la vésicule par la masse du sang, elle perpétuera la diarrhée : il paroît que de pareils flux de ventre sont toûjours accompagnés d'une sorte de dissolution des humeurs, & que c'est une acrimonie qui les produit par irritation, & qui est dans le cas présent la cause de la dissolution.

Ses effets. Si le flux de ventre fébrile dure longtems, il dispose de plus en plus les visceres de l'abdomen à la même maladie ; il les affoiblit, les excorie, les enflamme, vuide, épuise le reste des visceres & des vaisseaux : d'où naissent la maigreur, l'atrophie, la débilité, la dissenterie, l'épaississement des fluides dans toute l'habitude du corps, le relâchement des solides, la perte des parties fluides, la leucophlegmatie, l'hydropisie, la consomption, & la mort.

Cure. La cure de ce mal en général consiste à adoucir l'acreté qui fait irritation ; à l'évacuer par des émétiques, des purgatifs, des lavemens ; à raffermir les parties lâches, à calmer l'impétuosité des liqueurs par des narcotiques, à déterminer la matiere morbifique d'un autre côté par les sueurs ou par les urines, à l'expulser après en avoir corrigé la premiere source.

Mais M. Vanswieten, mon ancien maître & mon ami (je supprime ses titres & ses qualités) a détaillé cette cure avec tant de savoir & d'intelligence dans ses comment. sur Boerhaave §. 722, que je crois en devoir donner ici le précis, pour n'en pas faire un renvoi.

Lorsqu'on soupçonne qu'une diarrhée ou dyssenterie est entretenue par des matieres irritantes, retenues dans les premieres voies, les saignées proportionnées à l'irritation, les émétiques, les purgatifs, les lavemens, & une boisson délayante très-abondante, sont les remedes les plus promts & les plus sûrs pour enlever la cause de cette maladie : souvent on est obligé de faire vomir & de purger plusieurs fois, pour détacher & évacuer totalement cette matiere, qui, quoiqu'en petite quantité, peut encore causer des irritations douloureuses ; ainsi, ce n'est pas uniquement par la quantité des matieres que les émétiques ou les purgatifs évacuent, qu'on doit juger de la nécessité de répéter les purgations ; c'est encore par l'irritation qui excite le flux de ventre, & qui marque la mauvaise qualité de la matiere irritante ; aussi arrive-t-il souvent, comme le dit Sydenham, que de très-petites évacuations, procurées par l'art, ont été suivies d'un soulagement remarquable.

Les lavemens à demi-dose de liquide, rendus purgatifs, en y doublant ou triplant la dose des purgatifs, à laquelle on prescrit ces purgatifs intérieurement, sont employés avec succès. On doit avoir recours aux narcotiques ou calmans, après chaque purgation ; sur-tout lorsque l'irritation est un peu remarquable : & quand elle fait craindre l'inflammation, on ne doit pas négliger les saignées. Lorsque la matiere irritante réside seulement dans les premieres voies, la méthode que nous venons d'exposer, a un succès plus promt que dans le cas suivant.

Si c'est la bile retenue dans la vésicule qui est dépravée, & qui entretient le flux de ventre, on ne peut guere enlever cette cause que par le secours des émétiques, qui en excitant le vomissement, compriment la vésicule de la bile, & expulsent cette humeur dans les intestins, d'où elle est évacuée par le vomissement & par la voie des selles. On doit en différens jours répéter les émétiques, soit le tartre stibié, soit l'ipécacuanha, tant que l'on apperçoit dans les évacuations une bile fort jaune, ou verte, ou brune, ou sanguinolente ; car elle est par elle-même un signe manifeste de la véritable cause de l'irritation & de la diarrhée. Si elle est fort irritante, les lubréfians, le petit-lait, la décoction de pruneaux, les aigrelets, sont indiqués pour en corriger l'acrimonie, en attendant que l'on soit parvenu à l'évacuer totalement. On peut aussi, dans la même vûe, ordonner le petit-lait pour boisson ordinaire.

Les farineux & les absorbans qui ne sont pas astringens, telles que les poudres de coquilles d'oeufs & d'yeux d'écrevisses, mêlés avec le nitre, peuvent être aussi de quelque utilité ; mais le principal objet de la cure consiste à obtenir, par les vomitifs, l'évacuation complete de la bile irritante, sur-tout de celle qui est dépravée dans la vésicule ; il ne faut pas négliger de prescrire, entre les purgations, l'usage des parégoriques, afin de modérer l'irritation de la cause de la maladie, & de s'opposer au spasme, qui peut être excité par les évacuations. Voyez FIEVRE BILIEUSE.

Les mauvaises déjections qu'on observe dans ces diarrhées fébriles, indiquent la nécessité de réitérer les purgations ; mais dans ce cas, il faut prendre garde si la diarrhée n'est point spasmodique, afin d'appaiser le spasme qui en est la cause, quelquefois encore les inflammations des visceres du bas-ventre produisent de pareilles diarrhées, & il faut convenir que ces différentes causes sont difficiles à démêler sans beaucoup d'attention & de discernement.

Si le flux de ventre dans cette espece de fievre est procuré par une cause irritante, répandue dans la masse des humeurs qui se mêlent avec la bile filtrée par le foie, & avec les sucs qui passent par les couloirs de l'estomac & des intestins, les purgatifs & les vomitifs sont encore indiqués, parce que la bile de la vésicule du fiel est chargée de l'hétérogène qui entretient le flux de ventre, & que ce réservoir seroit une source intarissable qui perpétueroit la diarrhée fébrile : mais cette source seroit difficile à détruire, si on ne s'appliquoit pas à détourner vers d'autres voies l'hétérogène répandu dans la masse des humeurs : ainsi, outre les émétiques & les purgatifs, les diurétiques & les diaphorétiques peuvent être employés utilement avec les premieres purgations.

L'usage des narcotiques, mêlés aux diaphorétiques, est très-avantageux, parce que les narcotiques facilitent par eux-mêmes la transpiration, & moderent l'irritation des premieres voies ; ainsi ils contribuent beaucoup avec les diaphorétiques, à procurer une diversion favorable.

On redoute les astringens dans les premiers tems de ces diarrhées fébriles ; mais lorsqu'elles traînent en longueur, & qu'on a employé avec discernement les remedes dont nous venons de parler, ils ont souvent un très-bon succès, même dans les dyssenteries opiniâtres : le plus sûr, lorsqu'on a recours à ces remedes, est de prescrire d'abord les astringens absorbans, qui favorisent la transpiration ; tels sont le diaphorétique minéral, la corne de cerf préparée, &c. ces remedes adoucissent dans les premieres voies l'acrimonie des sucs qui y abordent, & y agissent par leur astriction : ainsi ils peuvent, par cette double propriété, modérer & même arrêter le flux de ventre : mais quand ils ne réussissent pas, on peut ensuite recourir à de plus forts astringens, comme à l'acacia-nostras, le sumac, & les autres austeres ou acerbes du regne végétal.

Si la fievre diarrhétique persiste après que le flux de ventre est cessé, elle se termine ordinairement par une espece de coction, qui procure la dépuration de la masse des humeurs : cependant il faut être attentif au caractere de la maladie ; car si les symptomes manifestent une malignité ou une acrimonie capables de causer du desordre dans les solides, on doit être circonspect sur l'emploi des astringens ; il y a pour lors beaucoup plus de sûreté après l'usage des purgatifs & des vomitifs, de se fixer aux autres évacuans qui peuvent terminer le flux de ventre par diversion.

Observation de pratique. Les diarrhées fébriles causées par l'inflammation des visceres de l'abdomen, sont accompagnées d'une chaleur fort ardente : le flux de ventre & la puanteur des déjections peuvent se trouver ensemble ; mais un tel flux de ventre cesse ordinairement par l'évacuation des matieres corrompues, pourvû qu'il n'y ait point de colliquation putride : le flux de ventre causé par la bile dépravée, est ordinairement douloureux, & les évacuations moins fétides ; ces évacuations sont fort séreuses & peu fétides dans les flux de ventre occasionnés par un hétérogène irritant. La diarrhée produite par une colliquation putride des humeurs, persiste pour l'ordinaire fort long-tems, malgré les purgations : on comprend donc assez par cette diversité de cause des fievres diarrhétiques, que dans ce genre de maladie, on ne peut juger du danger, ni tirer des indications sûres, qu'autant qu'on peut démêler & distinguer ces différentes causes : ainsi les présages des medecins, qui ne sont établis que sur les qualités des évacuations, doivent être fort incertains ; mais en les réunissant à d'autres signes plus instructifs, on découvre le cas où ils sont conformes aux décisions de ces maîtres. Voyez M. Quesnay dans son traité des fievres.

FIEVRE CHRONIQUE, voyez FIEVRE LENTE.

FIEVRE COLLIQUATIVE ; fievre ainsi nommée quand elle est accompagnée de la colliquation des humeurs & de leur évacuation fréquente & abondante, par les selles, les urines, la peau, & autres émunctoires du corps humain.

Ses signes. Elle se manifeste par une petite sueur, une chaleur acre, un pouls serré, la lassitude, des urines ordinairement troubles, pâles, & blanchâtres : la partie rouge du sang tirée par la saignée nageante dans un fluide très-abondant.

Ses effets. Les effets de cette fievre sont des sueurs continuelles & excessives, ou des déjections abondantes de matieres ténues sans puanteur ; l'abattement des forces, la cachexie, l'hydropisie, l'émaciation du corps, le marasme, la corruption de toutes les humeurs saines, & la chaîne des autres maux qui en résultent.

Ses causes. Cette fievre reconnoît plusieurs causes, la transpiration empêchée après des exercices violens ; l'usage trop long-tems continué des fondans ; les poisons ; le virus scorbutique ; l'abondance de la bile qui refluant du foie, s'est mêlée dans le sang ; la foiblesse des vaisseaux ; la mauvaise qualité de l'air & des alimens. Toutes ces causes peuvent produire la colliquation des humeurs, qui se trouve différente selon la différente nature du vice dominant de l'humeur qui tombe en fonte, acide, alkaline, acre, muriatique, huileuse, bilieuse, &c. Le sang est aussi susceptible de dissolutions glaireuses, putrides, occasionnées par des substances putrides, & des miasmes pernicieux.

Cure. La méthode curative consiste à opposer les remedes aux causes du mal. On corrigera les humeurs corrompues ; on les évacuera modérément par l'organe convenable ; on tâchera d'arrêter les progrès de la corruption par les anti-septiques ; on tempérera les sueurs excessives par les opiates ; on renforcera le corps par les stomachiques, les corroborans, l'exercice reglé, sans lequel l'usage de la diete blanche incrassante, ou autre régime contraire au caractere de la fievre colliquative, ne produiroit aucun effet.

FIEVRE COLLIQUATIVE PUTRIDE, voyez SYNOQUE PUTRIDE.

FIEVRE COMATEUSE, affection morbifique qui accompagne quelquefois la fievre, & qui consiste dans l'assoupissement, ou dans une envie continuelle de dormir, soit avec effet, soit sans effet.

Le comat fébrile suppose dans tout le cerveau certaine disposition qui empêche l'exercice des sens & des mouvemens animaux. Cet empêchement peut procéder de ce qu'il ne vient pas au cerveau une assez grande quantité de sang artériel, ou de ce qu'il n'y circule pas librement ; ou de ce que les esprits ne peuvent se séparer du sang dans les nerfs ; ou enfin de ce que leur flux & leur reflux par les nerfs ne peut se faire.

Causes. Plusieurs causes différentes & souvent contraires, telles que sont toutes les évacuations ou replétions considérables ; le trop grand épaississement du sang devenu gluant, gras, ou inflammatoire ; le défaut d'action des solides, la dépravation putride des alimens, la suppression de l'urine, une bile acre ou autre matiere retenue dans l'estomac : enfin toutes les causes qui compriment la substance même du cerveau, quelles qu'elles soient, peuvent occasionner cette affection dans les fievres ; elle peut être aussi l'effet de la compression des nerfs. Enfin le spasme des membranes du cerveau est peut-être sa cause la plus commune.

Réflexions sur ces causes. On comprend par ce détail, qu'un medecin doit bien faire attention aux signes qui peuvent manifester la cause particuliere de ce mal, avant que de déterminer quels remedes conviennent, & comment il faut les employer ; car on est souvent obligé d'avoir recours à des choses contraires les unes aux autres ; & souvent un assoupissement long & opiniatre, après qu'on a tout tenté inutilement, cesse enfin de lui-même, quand le pépasme de la fievre est achevé.

Cure. Ainsi les remedes seront dirigés & variés suivant la différence des causes. Les fomentations appliquées à la tête & au cou, le bain tiede des piés, les épispastiques, les frictions aux parties inférieures, les boissons délayantes, les alimens legers, les lavemens simples, conviennent en général. Si l'on voit les signes d'une grande inflammation, on traitera cette affection comme la maladie principale.

Observations pratiques. Les fievres épidémiques érésypélateuses, malignes, pétéchiales, pourprées, qui produisent la corruption des humeurs, en changeant la nature des esprits, & en opprimant le cerveau, causent assez communément des affections comateuses accompagnées de péril. Leur méthode curative demande souvent la saignée, les lavemens réfrigérans ou purgatifs, les vésicatoires appliqués à la nuque du cou, les antiphlogistiques internes legerement astringens, &c.

L'affection comateuse a encore un danger plus considérable dans la fievre aiguë, ardente, inflammatoire, s'il ne survient au commencement de la maladie une crise par l'hémorrhagie, le cours de ventre, des urines abondantes & qui déposent, ou des parotides qui suppurent.

Les humeurs crues qui sont dégénérées par leur corruption, & devenues insuffisantes à fournir les esprits nécessaires, causent quelquefois des affections soporeuses avec ou sans fievre, comme dans les scorbutiques, les cacochymiques, les valétudinaires, &c. Dans ce cas, la crudité doit être corrigée par les anti-scorbutiques, les stomachiques, les fortifians ; & l'on ranimera les esprits par la respiration des sels volatils.

Si l'affection comateuse est produite dans la fievre par une évacuation considérable des regles, des vuidanges, il faut reprimer cette évacuation, soûtenir le bas-ventre par des bandages, & réparer les forces par des alimens convenables. Quand au contraire la suppression des évacuations cause une fievre comateuse, on la traitera par la saignée, les purgatifs, les vomitifs, &c. Mais si des narcotiques imprudemment donnés ont produit cet accident ; il faut y remédier par des boissons acides.

On a remarqué que l'assoupissement arrive quelquefois dans le fort des redoublemens des fievres critiques, & qu'il est d'un présage fâcheux dans le tems du frisson : il est fort ordinaire dans les fievres malignes, la suette, & la peste.

Il faut toûjours bien distinguer l'assoupissement passager des assoupissemens opiniâtres dans les fievres : les premiers sont communs & ne présagent rien de fâcheux ; les autres, au contraire, sont souvent funestes, parce qu'ils dépendent de quelque dérangement grave de l'organe des fonctions de l'ame.

FIEVRE COMPLIQUEE. On nomme ainsi toute fievre continue accompagnée de symptomes & de desordres considérables, qui troublent son méchanisme, & embarrassent extrèmement l'esprit du medecin, pour le traitement d'une telle fievre.

On impute presque toûjours à la fievre les funestes effets produits par la complication des accidens qui s'y joignent. Comme la fievre est le mal le plus apparent & le plus connu dans les complications des maladies aiguës, on lui attribue toutes les affections morbifiques qu'on y remarque : on fait plus ; car lorsque la fievre elle-même n'est pas remarquable, la prévention habituelle fait supposer à quelques medecins une fievre sourde, une fievre cachée & insidieuse, à laquelle ils imputent, sans aucune raison ; toutes les mauvaises dispositions du malade.

Cependant dans les affections morbifiques compliquées, qui paroissent avec la fievre, ce n'est pas ordinairement elle qui est le plus dangereuse, ni qui présente les indications les plus essentielles, ou les plus pressantes à remplir pour le soulagement & pour la sûreté du malade. Pour se représenter sensiblement cette vérité, il suffit de se rappeller les effets des poisons & des venins. Dans la morsure d'une vipere, par exemple, le venin qui s'insinue dans la playe cause une douleur fort vive, un engorgement inflammatoire & gangréneux à la partie blessée, des tremblemens, des convulsions, la fievre, des angoisses avec cardialgie, des vomissemens, le hoquet, la difficulté de respirer, l'abatement, des syncopes, des ébloüissemens, des sueurs froides, des urines sanguinolentes, la paralysie, des extravasations, des dissolutions de sang, des gangrenes en différentes parties : or, dans de telles complications, ce n'est pas la fievre, quoique souvent très-vive, qui est l'objet de l'attention du medecin ; ce n'est pas elle qui lui fournit les indications qu'il doit remplir : il ne pense pas à l'éteindre ; il songe à satisfaire à d'autres indications plus importantes.

Ainsi lorsque la fievre est compliquée avec d'autres affections très-dangereuses, il est essentiel de la distinguer de toutes les affections qui ont été produites avec elle par une même cause ; & c'est la destruction de cette cause qui demande seule les secours de l'art. Mais lorsque dans les fievres il se présente différens symptomes compliqués qui tendent à produire des effets différens, les uns avantageux & les autres desavantageux en apparence, quelle conduite doit tenir le medecin dans cette complication ? Je répons qu'il ne peut la prendre, cette conduite, que de son génie & de ses lumieres ; elles seules lui indiqueront à distinguer le caractere des symptomes que la maladie lui présente ; à saisir ses indications avec discernement ; à prévenir les effets funestes, & à faciliter les effets salutaires.

FIEVRE CONTINENTE. On nomme fievre continente, toute fievre dont la durée s'étend au-delà de trente-six heures : c'est cette durée qui distingue la fievre continente de l'éphémere. Voyez éPHEMERE.

FIEVRE CONTINUE, est celle qui est sans interruption depuis son commencement jusqu'à sa fin ; elle reçoit quantité de noms d'après sa durée, ses complications, & les symptomes qui l'accompagnent : delà viennent tant de divers genres & especes de fievres établies par les medecins ; & pour nous conformer à leur langage, nous avons suivi dans ce Dictionnaire les dénominations qu'ils leur ont données : on en peut voir les articles ; car nous n'envisagerons dans celui-ci que la cure de la fievre continue prise en général, simplement, & sans complications : ses causes & ses signes ont été exposés au mot FIEVRE.

Cure. La méthode curative des fievres continues simples consiste principalement dans l'administration de la saignée, de quelques remedes altérans, légerement apéritifs, & de la purgation. La diete austere & humectante qui y convient ordinairement, n'est pas même ignorée du vulgaire. Les tempérans légerement apéritifs, y sont continuellement indiqués, pour procurer, sur-tout par les urines, l'expulsion des sucs excrémenteux, produits en abondance par l'action accélérée des vaisseaux : aussi l'usage de ces remedes est-il assez généralement reconnu. La saignée est absolument nécessaire, pour peu que l'inflammation prédomine.

Les medecins ne s'accordent point sur l'administration de la purgation, dans la cure des fievres continues. Peut-être que ceux qui en bornent trop l'usage, & ceux qui l'étendent trop soin, ne réussissent pas moins bien les uns que les autres, parce qu'il se rencontre autant de fievres où un grand usage de la purgation est funeste, qu'il y en a où il est nécessaire. Mais quoique des méthodes si opposées puissent être également salutaires, & cependant également pernicieuses, ceux qui se fixent à l'une ou à l'autre, n'en sont pas moins de très-mauvais medecins. Ce n'est pas par les succès, par les observations, ou les simples récits des cures de ces praticiens, qui réduisent mal les maladies & les indications, que l'on doit ici déterminer l'usage de la purgation : c'est en réunissant aux connoissances évidentes de la théorie une expérience exacte, complete & étendue, qu'on acquerra des lumieres pour décider sûrement cette question importante de la Medecine.

Observations de pratique. Les fievres continues peuvent se diviser en fievres critiques, qui se terminent par coctions & par crises ; & en fievres non-critiques, qui se terminent sans coctions & sans crises remarquables.

Les fievres continues qui ont des redoublemens tous les jours, parviennent difficilement à la coction, tant que ces redoublemens journaliers persistent, à moins que la cause de ces fievres ne soit entraînée par la voie des excrétoires ; autrement elles durent d'ordinaire fort long-tems. Dans quelques pays, on a presque toûjours recours à l'usage du quinquina pour les guérir, quoique les habiles gens ayent remarqué que ce fébrifuge ne réussit point dans les fievres véritablement continues. Ceux qui employent ce remede lui attribuent par erreur des guérisons qui arrivent naturellement aux périodes critiques, & auxquelles il n'a aucune part : il peut à la vérité très-bien guérir les fievres intermittentes subintrantes ; mais il ne faut pas les confondre avec celles qui n'ont aucune intermission dans les tems du relâche.

La plus legere fievre continue est celle qui naît de crudités, ou de la transpiration arrêtée, dont la matiere est chassée par le mouvement fébrile. On la guérit par la boisson abondante, un peu échauffante & diaphorétique.

Les humeurs naturellement corrompues ou dégénérantes dans les gens foibles, âgés, cacochymes, scorbutiques, valétudinaires, produisent souvent chez eux une fievre continue, qui d'ordinaire devient rémittente : la cure exige de legers purgatifs, les anti-putrides, les stomachiques, & les corroborans.

Quelquefois au commencement de la constitution épidémique des intermittentes, il paroît des fievres continues qui ne doivent être considérées pour la méthode curative, que comme de vraies intermittentes. En général, toute fievre continue épidémique & endémique, veut être traitée d'après la connoissance de la constitution de l'air, de la saison, du climat, &c. mais la fievre continue qui procede d'une maladie particuliere aiguë ou chronique, comme du rhûmatisme, de la goutte, d'un abcès, d'une blessure, de la phthisie, de l'hydropisie, &c. doit être regardée comme symptomatique. Voyez FIEVRE SYMPTOMATIQUE.

Le medecin qui voudra s'instruire complete ment des fievres continues, étudiera sans-cesse l'ouvrage de M. Quesnay.

FIEVRE CONTINUE REMITTENTE, est celle qui sans discontinuer, donne de tems en tems quelque relâche, & ensuite quelques redoublemens : comme sa cure est la même que pour la fievre continue, voyez FIEVRE CONTINUE.

FIEVRE CRITIQUE, est toute fievre continue qui se termine par coction purulente, & par crises.

On peut admettre trois sortes de fievres critiques : 1°. celles qui dépendent d'inflammations locales, dont la terminaison se fait par résolution ; 2°. les fievres humorales que les anciens appelloient synoques putrides, & qui se terminent par coction purulente. Voyez SYNOQUE. 3°. Les fievres que les mêmes anciens nommoient bilieuses ou ardentes, parce qu'étant accompagnées de chaleur brûlante, & d'une soif intolérable, ils jugeoient qu'elles dépendoient plus d'une bile vicieuse que du sang corrompu. Voyez FIEVRE ARDENTE.

Mais les fievres véritablement & régulierement critiques, sont celles qui procurent une coction purulente, dont les progrès sont marqués par des signes qui annoncent sûrement, & à jour préfix, des évacuations salubres. Toute fievre continue, qui ne se termine pas avant la quatrieme exacerbation, ou avant le septieme jour, dont la cause n'est pas indomtable, & qui n'est pas compliquée à d'autres maladies ou accidens, capables d'empêcher ses propres effets, se guérit par cette coction & par ces évacuations critiques.

FIEVRE DEPURATOIRE, est celle dont la nature tempere tellement les symptomes, qu'elle chasse la matiere fébrile bien préparée dans un certain tems, soit par transpiration ou par coction.

On peut compter trois sortes de fievres dépuratoires, 1°. les fievres simples dépuratoires par elles-mêmes, comme la fievre éphémere, la fievre synoque sanguine ou non putride, &c. 2°. les fievres dépuratoires qui cessent heureusement par les évacuations sans coction ni crise ; 3°. les fievres dépuratoires dont la cause seroit indomtable par la coction, & incapable d'expulsion par les excrétoires naturels, & qui se guérissent par des dépôts, par des eruptions extérieures où de telles causes trouvent des issues qui en procurent l'évacuation. Cette voie est même ordinaire dans plusieurs maladies qui se terminent par des éruptions à la peau ; telles sont les fievres scarlatines, la petite vérole discrette, la rougeole bénigne, &c. Mais dans d'autres maladies cette voie est fort incertaine, comme lorsque les dépôts ou les éruptions arrivent irrégulierement aux parties intérieures, ou aux parties extérieures, ou en même tems aux unes & aux autres ; telles sont les pustules ichoreuses, & les dépôts sanieux dans les petites véroles confluentes.

FIEVRE DIARRHETIQUE, voyez FIEVRE CATHARTIQUE.

FIEVRE DYSSENTERIQUE, febris dyssenterica : on nomme fievres dyssentériques, celles qui sont jointes à des tranchées douloureuses dans le bas-ventre, suivies de déjections muqueuses & sanglantes avec exulcération des intestins ; la dyssenterie est l'affection morbifique qui a donné le nom à cette fievre.

Cause prochaine. Une matiere active, acre, tenace, caustique, peut-être analogique dans ses effets, avec les parties sur lesquelles elle agit, transportée dans les couloirs des intestins qu'elle irrite & qu'elle ronge, produit ce genre de fievre qu'on voit fréquemment dans les constitutions épidémiques.

Ses signes. Alors la fievre dyssentérique se fait connoître par un frisson suivi de chaleur, de vives douleurs d'entrailles, de tenesme, de déjections glaireuses & sanguinolentes, de soif, de dégoût, de langueur, de défaillances, de sueurs froides, & de l'exolution des forces.

Prognostics. Les pellicules d'intestins qu'on trouve dans les selles, l'inflammation à la langue, les aphthes dans la gorge, les évacuations qu'on fait sans s'en appercevoir, le délire, les convulsions, le froid des extrémités, & le hoquet qui survient alors, annoncent une fin prochaine de cette fievre, par la destruction de la machine.

Cure. La méthode curative doit tendre à diminuer l'inflammation, corriger l'acrimonie de la matiere caustique, évacuer les humeurs morbifiques, adoucir les entrailles, consolider l'exulcération, & arrêter le flux de ventre invétéré.

On remplit ces indications par la saignée, les vomitifs, les purgatifs, entre lesquels l'ipécacuanha, la rhubarbe, & le simarouba sont les principaux ; il faut les donner à petites doses, & en calmer les effets par des parégoriques. Les lavemens seront composés de choses grasses & onctueuses ; comme de décoctions de mauve, de guimauve, ou de bouillons de tripes : on se servira des mêmes décoctions en fomentations sur le bas-ventre ; on usera pour boisson & alimens d'eau de poulet, de ris, d'orge, ou de lait de chevre coupé ; les tisanes seront émulsionnées, & quelquefois acidulées. Enfin si les astringens deviennent nécessaires, on les employera prudemment, graduellement, & on y joindra le laudanum liquide. Consultez ici l'article DYSSENTERIE, & sur la dyssenterie, consultez Degnerus.

La meilleure cure prophylactique dans les épidémies qui produisent cette fievre d'une maniere fatale, est de fuir la contagion, se tenir le ventre libre, user de régime & d'alimens adoucissans, éviter de respirer les exhalaisons des excrémens.

Observation. La fievre dyssentérique est une des plus fréquentes & des plus cruelles épidémies des camps ; on en trouvera la diagnose, la prognose, & le traitement dans l'ouvrage anglois du docteur Pringle, sur les maladies d'armées. Je remarquerai seulement, que les principaux moyens pour en arrêter le progrès, sont de décharger les hôpitaux autant qu'il est possible, de renouveller continuellement l'air des infirmeries par un ventilateur, d'en balayer toutes les ordures avec grand soin, de remettre les malades dans des églises, dans des baraques, des maisons ruinées, où ils ne communiquent point ensemble, de ne point confiner au lit ceux qui en peuvent sortir, de tenir très-propres leurs chambres, leurs hardes, leurs bassins, & tous les ustensiles dont ils se servent ; enfin sur toutes choses, de couvrir chaque jour les privés d'une nouvelle terre ; car c'est principalement de l'exhalaison putride des latrines publiques des camps, que dépend la contagion & la propagation de ce mal funeste.

FIEVRE ENDEMIQUE, ainsi dite de , & , peuple. Les fievres endémiques sont celles qui regnent tous les ans avec des symptomes assez semblables dans un même pays, & qui y sont plus fréquentes que dans un autre, à cause du climat, de l'air, de l'eau, de la situation du lieu, de la maniere de vivre des habitans. Voyez ENDEMIES. Consultez Hippocrate de aere, locis, & aquis ; & si vous voulez parmi les modernes, Wintringham's (Clifton) a treatise of endemic diseases. London, 1718. 8°.

FIEVRE EPHEMERE, ephemera, la plus simple des fievres continues, dont le commencement, l'état, & le déclin, se font ordinairement dans l'espace de 12, 24, ou au plus de 36 heures. Voyez EPHEMERE.

FIEVRE EPHEMERE BRITANNIQUE, nom vulgaire qu'on a donné à la suette, espece de peste qui passa en Angleterre en 1485, & qui emportoit les malades en 24 heures. Voyez SUETTE.

FIEVRE EPIALE, epialis febris, , fievre, dit Galien, dans laquelle le malade ressent une chaleur extraordinaire, & frissonne en même tems. Les anciens latins lui donnent le nom de quercera, c'est-à-dire qui produit de violens frissons.

C'est, suivant nous, cette affection morbifique de la fievre qui consiste dans le frisson, lequel persiste avec le sentiment de chaleur. On en peut indiquer pour cause générale une acrimonie irritante que les forces vitales ne peuvent pas chasser.

L'acrimonie de la cause de la fievre produit souvent un genre de chaleur, ou plûtôt une sensation de chaleur, qu'il ne faut pas confondre avec la chaleur même de la fievre ; celle-ci dépend de l'augmentation de la circulation du sang. Celle-là est causée par l'impression que fait l'acrimonie de substances acres qui agissent rarement sur les filets nerveux ; telle est la chaleur brûlante que les malades ressentent intérieurement dans la fievre épiale.

Cette fievre est en même tems accompagnée d'un froid violent & douloureux dans les parties extérieures du corps ; ce froid est peut-être occasionné par la même acrimonie qui excite dans les muscles de ces parties un spasme capable de resserrer les vaisseaux, & de n'y laisser passer que fort peu de sang. Par-là, il prive non-seulement les parties extérieures de chaleur, mais il y cause une sorte d'horripilation, & d'érétisme douloureux, qui se joignent au sentiment de froid, & qui le rendent plus insupportable.

Quoi qu'il en soit, cette affection morbifique de la fievre demande la destruction du vice irritant, & requiert en même tems les antiseptiques cardiaques, propres à ranimer les forces & la circulation languissante du sang & des humeurs. Les frictions faites avec des liqueurs spiritueuses, chaudes, souvent répétées par tout le corps, contribueront efficacement au même but. Voyez FIEVRE HORRIFIQUE.

FIEVRE EPIDEMIQUE, de , sur, & , peuple. On nomme fievres épidémiques, populaires, ou communes, les fievres de même espece, qui changent néanmoins souvent de caractere & de nature, attaquent indifféremment dans certains tems toutes sortes de personnes de l'un & de l'autre sexe, de tout âge, de tout ordre, & comme par une espece de contagion. Voyez EPIDEMIES.

On ne peut trop lire les auteurs qui ont traité ce sujet ; Hippocrate, epidemior. Baillou, Sydenham ; les observations des medecins de Breslaw, d'Edimbourg ; Roger, dans son essai on épidémical diseases ; Cleghorn, on epidemical diseases of minorca, &c. Et pour les fievres épidemiques des armées, des camps, des hôpitaux, fievres bien différentes de celles qui regnent ailleurs, voyez l'excellent livre du docteur Pringle, intitulé observations on the diseases of the army. London. 1753, in -8°.

FIEVRE ERESYPELATEUSE ; est celle qui est accompagnée d'érésypele, ou qui en est l'effet. Voyez ERESYPELE.

La cause prochaine de l'érésypele est le passage des globules rouges du sang dans les vaisseaux lymphatiques de la peau, sur-tout dans ceux qui composent le lacis lymphatique.

Causes de cette fievre. Cette fievre procede ordinairement, 1°. d'un sang chargé d'une humeur acre & subtile de la bile, de l'humeur de la transpiration, ou de celle de la sueur, qui ont été arrêtées : 2°. de l'usage d'alimens gras, & de boissons échauffantes & spiritueuses : 3°. dans les personnes cacochymes, foibles, scorbutiques, ou dans celles-là même qui joüissent d'une bonne santé, de la corruption spontanée des humeurs excrémenteuses, mises en mouvement par quelque faute ou abus des choses non-naturelles : 4°. de la constitution particuliere du malade.

Effets. L'humeur érésypélateuse ne produit aucun signe critique dans les urines ; mais quand elle est dispersée dans la masse des humeurs par la circulation, elle excite une fievre plus ou moins forte, la nature tendant à se décharger de l'hétérogene morbifique par une éruption sur la peau.

Cure. Lorsque la fievre érésypélateuse est considérable, accompagnée de fâcheux symptomes, & que l'érésypele est malin, il faut recourir à la saignée, la répéter à proportion de la constitution du malade, & de la violence des symptomes. On doit joindre à ce remede les délayans, les calmans, les évacuans, & les diaphorétiques. Les délayans donnent aux humeurs plus de fluidité ; les calmans appaisent la douleur ; & les diaphorétiques conviennent lorsque la maladie est occasionnée par la suppression de la transpiration. Les purgatifs sont nécessaires dans les fievres érésypélateuses, produites par des humeurs qui ont enflammé le sang, & qui l'ont déterminé à passer dans les vaisseaux lymphatiques. On corrigera les humeurs pourrissantes par les anti-septiques, legerement astringens.

Quant à l'érésypele même qui produit cette fievre, on en peut tirer le prognostic de son espece, de sa cause, de la partie que l'érésypele attaque, & des accidens. L'érésypele qui est accompagné de douleurs violentes, de fievre considérable, de diarrhée, est beaucoup plus fâcheux que celui qui est sans aucun de ces accidens : mais l'érésypele qui est simple, benin, leger, se dissipe promtement, & cesse avec la fievre, avant, ou peu de tems après.

FIEVRE ERRATIQUE, febris erratica, . On nomme fievre erratique, vague, irréguliere, intercurrente, toute fievre intermittente ou remittente, qui a ses vicissitudes, ses exacerbations, son cours, & sa durée dans des tems incertains.

De telles fievres se présentent souvent aux observations des Medecins, dans les commencemens des intermittentes, sur-tout des quartes de l'automne, & elles sont pour lors très-irrégulieres : de plus, l'on remarque que les intermittentes long-tems prolongées, deviennent fréquemment erratiques, & que quelquefois les erratiques se changent en intermittentes régulieres ; mais la méthode curative est constamment la même, ou doit l'être, pour les fievres erratiques, comme pour les diverses intermittentes. Aussi nous ne nous y arrêterons pas ici. Voyez l'article FIEVRE INTERMITTENTE.

On nomme encore fievre erratique, celle qui survient aux femmes par la suppression du flux menstruel. La cure de cette espece de fievre erratique, consiste à procurer l'écoulement des regles par la saignée du pié, l'usage des vapeurs, des linimens, des fumigations, des purgatifs utérins, les emménagogues, les stomachiques, les corroborans, les chalybés, l'exercice.

FIEVRE ETIQUE : dans l'usage ordinaire on écrit étique, & on le prononce de même ; mais comme les Latins disent hectica febris, & les Grecs , de qui répond au mot habitus, qualité qu'on a peine à séparer du sujet ; il en résulte que laissant à part la prononciation, il faut toûjours écrire hectique dans un dictionnaire d'Arts, qui doit conserver l'origine des mots autant qu'il est possible. Voyez donc FIEVRE HECTIQUE.

FIEVRE EXANTHEMATEUSE, c'est une fievre accompagnée sur tout le corps, ou sur une partie du corps, de boutons inflammatoires nommés exanthemes.

On sait que ce sont de petites taches ou tubercules rouges, plus ou moins larges, avec ou sans élévation, d'une bonne ou d'une mauvaise qualité. Voyez EXANTHEME.

Causes. Ces taches ou tubercules inflammatoires ont le plus souvent 1°. pour matiere celle qui ne pouvant circuler dans les petits vaisseaux de la peau, s'y arrête ; & 2°. pour causes, la suppression de la transpiration, la dépravation des humeurs, la force de la circulation des secrétions, des excrétions, &c. De ces différentes causes proviennent bien des sortes de pustules, qui donnent aux fievres qui les accompagnent, les divers noms d'exanthémateuse, d'érésypélateuse, de scarlatine, de pétéchiale rouge, de pétéchiale pourpre, de miliaire blanche & rouge, de rougeole, & de petite vérole. Voyez tous ces mots.

Prognostics. La nature des exanthemes, leur caractere, & les symptomes qui les accompagnent dans cette fievre, prognostiquent le bien ou le mal qu'on en peut attendre. La plûpart des fievres exanthémateuses se terminent presque toûjours sûrement par des éruptions benignes à la peau, & de telles éruptions calment souvent les fâcheux symptomes des fievres aiguës ; mais les humeurs corrompues dans le corps, qui s'arrêtent sur les parties extérieures par un transport imparfait, & se déposent en même tems sur les parties intérieures, où elles produisent des oppressions, des anxiétés, & autres desordres, sont d'un fâcheux présage, surtout quand elles sont suivies de déjections putrides sans aucun soulagement. L'hétérogene qui forme une éruption imparfaite, menace les malades d'un plus grand danger dans les fievres pourpreuses, pétéchiales, & miliaires, que dans les exanthémateuses, scarlatines, & rougeoliques. Les fievres exanthémateuses épidémiques sont ordinairement contagieuses & d'une mauvaise espece.

Cure. La méthode curative exige en général les boissons legeres, diluantes, apéritives, pour donner de la mobilité à la matiere, & pour que la force de la vie persévere toûjours dans une juste modération ; car par ce moyen les exanthemes se dissipent, en faisant tomber l'épiderme par écailles. La cure particuliere doit se rapporter aux diverses causes de la fievre. Par exemple,

Les fievres exanthémateuses occasionnées par la transpiration ou par la sueur, dont la matiere retenue est devenue plus acre dans les gens foibles, valétudinaires, cacochymes, bilieux, demandent pour remedes de legers diaphorétiques internes, & quelques anti-putrides.

Lorsque les fievres exanthémateuses procedent de mauvaises humeurs, assemblées dans le ventricule & dans les intestins, de bile corrompue, de la nourriture de moules, ou autres crustacés vénimeux, il faut commencer par les purgatif ou vomitif, pour chasser du corps la matiere morbifique.

Dans les fievres exanthémateuses produites par de violens exercices, l'abus des échauffans & des acres, on usera de diluans, de réfrigérans, & de relâchans ; mais les fievres exanthémateuses épidémiques, qui ont été animées par des échauffans, ou par des cardiaques stimulans, veulent une diete legere, des laxatifs, & des anti-phlogistiques, pour éviter la métastase dans les parties internes.

Observations de pratique. Le préjugé trop reçu sur la maniere d'agir des remedes échauffans, a fait imaginer qu'ils poussoient l'hétérogene morbifique vers la peau, & qu'ils le détournoient des parties internes, parce qu'on a vû que quelquefois l'éruption est accélérée par leur secours, que les pustules sont fort vives, & qu'elles croissent promtement ; mais bien des raisons nous empêchent d'avoir une opinion avantageuse de ces sortes de remedes. En effet lorsque l'éruption extérieure est d'un mauvais caractere, que les accidens de la maladie sont formidables, les remedes échauffans augmentant la fievre & l'acrimonie des humeurs, portent la violence de l'éruption intérieurement comme extérieurement, & par conséquent aggravent la maladie : de plus ils n'ont aucune vertu pour dompter la malignité du venin & du délétere ; aussi les bons praticiens n'osent les prescrire que lorsqu'ils sont indiqués par l'abattement des forces & la débilité du pouls, que l'on ne peut attribuer à la pléthore sanguine : hors de ce cas, leur circonspection les engage à les supprimer entierement.

Il est vrai que la fievre précede & accompagne toûjours les éruptions les plus favorables ; il est vrai encore qu'elle n'est point suspecte aux grands maîtres, quand elle est simple ; mais le rapport des remedes échauffans avec celui de la fievre, n'est point le même, on ne doit pas les comparer ensemble, & leur attribuer les mêmes avantages. L'action que les remedes échauffans excitent, n'est pas comme la fievre, un effet du propre méchanisme de la maladie, c'est l'effet d'une cause étrangere à cette maladie : ainsi l'action des remedes échauffans peut altérer l'ordre de ce méchanisme, & produire quelques accidens spasmodiques, capables de s'opposer & à la dépuration & à l'éruption. Il faut donc les regarder presque toûjours ou comme nuisibles, ou du moins comme inutiles.

L'idée qu'on s'est formée de l'opération des grands diaphorétiques & des sudorifiques dans les éruptions cutanées, ne paroît pas moins chimérique. L'effet propre de ces remedes est d'exciter l'action des filtres de la peau, & de provoquer une plus grande excrétion par la voie de la transpiration ; mais ils ne poussent point, comme plusieurs medecins se l'imaginent, du centre à la circonférence (pour me servir des termes vulgaires), ils ne conduisent point à la peau les humeurs dont ils provoquent l'excrétion ; elles y sont entraînées par le cours ordinaire de la circulation, & ce n'est que là où les diaphorétiques & les sudorifiques agissent, en provoquant l'évacuation de ces humeurs : mais dans les éruptions, il ne s'agit nullement de cette évacuation ; ainsi ces remedes ne sont encore d'aucun avantage à cet égard ; ils ne peuvent pas même alors produire leur effet ordinaire, parce que les organes de la transpiration sont d'autant plus lésés, & leurs fonctions d'autant plus empêchées, que l'éruption est considérable, & qu'elle dérange le tissu de la peau. Enfin les éruptions se font par l'affinité du délétere ou du venin, avec la partie qui est plus susceptible que les autres de son impression.

Concluons, avec M. Quesnay, que les idées communes sur la dépuration des humeurs par l'évacuation, & sur la maniere de la procurer par les échauffans, les diaphorétiques & les sudorifiques, ne présentent à l'esprit que des erreurs, qui deviennent pernicieuses par les fausses indications qu'elles suggerent dans la pratique de la Medecine. Voyez aussi Huxham, in Fevers.

FIEVRE HECTIQUE, febris tabida, & par les modernes hectica ; fievre chronique, continue, ou rémittente, qui dans la durée de son cours croît en violence & en nombre de fâcheux symptomes, mine peu-à-peu tout le corps, consume les sucs, détruit les forces, & conduit ordinairement le malade au tombeau.

Signes de cette fievre. Cette fievre se manifeste par un pouls foible, dur, petit, & fréquent ; la rougeur des levres, de la bouche, des joues, qui s'augmente dans le tems qu'il entre de nouveau chyle dans le sang ; une chaleur inquiétante, une aridité brûlante dans la peau, qui est sur-tout sensible aux mains après les repas ; une urine nidoreuse, écumeuse, qui dépose un sédiment & porte sur sa surface un nuage leger, gras, de couleur foncée ; le desir de toute nourriture froide, la sécheresse de la bouche, une soif continuelle, le sommeil de la nuit sans soulagement, & la langueur répandue par tout le corps.

A cet état succedent des crachats glutineux & écumeux, un sentiment de poids & de douleur dans les hypochondres, une grande sensibilité aux moindres changemens de tems, un état qui empire dans les équinoxes, & principalement dans celui de l'automne ; une tête étourdie au reveil, des évacuations d'humeurs ténues & fétides par les sueurs, les urines, les selles ; l'abattement de toutes les forces, & cette émaciation universelle qu'on nomme marasme.

Le mal croissant toûjours, produit de nouveaux symptomes encore plus funestes, des tremblemens, des taches, des pustules, une couleur livide & plombée, le visage cadavéreux qui ne se voit dans aucune autre maladie aussi complete ment que dans celle-ci & dans la consomption.

Enfin la scene se termine par des aphthes de mauvais présages, le vertige, le délire, la suffocation, l'enflûre des piés, des sueurs perpétuelles & excessives, des diarrhées colliquatives, le hoquet, les convulsions, la mort.

Cause prochaine. La fievre hectique suppose la corruption dans la masse générale des humeurs ; corruption par laquelle les sucs albumineux, gélatineux, tombés en colliquation, fournissent un aliment perpétuel à cette maladie. C'est cette même putridité qui procure la chaleur dont cette fievre est accompagnée ; en même tems l'humeur putride nuit aux fluides nerveux & aux parties nerveuses, & les jette dans une violente contraction. Plus la quantité des humeurs corrompues produites par la maladie incurable des visceres est grande, plus aussi les symptomes de la fievre sont terribles.

Prognostics. Les jeunes gens sont promtement emportés, & plus exposés à la fievre hectique que les adultes. Dans le premier commencement de l'ulcération de quelque viscere, cette fievre suscitée par la nature, est quelquefois le remede du mal au moyen d'une heureuse crise : mais si la cause ne peut être détruite, la fievre hectique subsiste sans-cesse. Le flux hémorrhoïdal ou autre quelconque, avance communément la mort dans le dernier période de la fievre hectique ; au lieu qu'au commencement il en produit quelquefois la cure. Une fievre hectique confirmée & parvenue à son dernier période, n'admet jamais de guérison ; tout l'art humain consiste à adoucir les symptomes de la maladie, & à éloigner son période fatal.

Méthode curative. La fievre hectique procede nécessairement des mêmes causes que la fievre lente ; ainsi voyez l'article FIEVRE LENTE.

Mais comme ici les mêmes causes ont déjà fait de plus grands ravages, les ressources de l'art & de la nature donnent de beaucoup plus foibles espérances ; les corps sont plus épuisés, & les sucs sont plus éloignés de leur homogénéité ; le mouvement péristaltique de l'estomac & des intestins se trouvant plus affoibli, le chyle qui passe comme crud & épais dans la masse du sang, détruit par sa qualité hétérogene la crasse des fluides, & interrompt le mouvement uniforme des solides.

Si la fievre hectique paroît après la suppression des évacuations ordinaires d'un flux hémorrhoïdal, des menstrues, des vuidanges, du lait, ou après la suppression d'une gonorrhée arrêtée, de l'écoulement d'un ulcere, d'une fistule, d'un cautere, ou en conséquence de la rentrée de pustules cutanées, exanthémateuses, dartreuses, &c. on comprend sans peine qu'il faut ramener prudemment les évacuations supprimées, regénérer des sucs loüables, & garantir les humeurs d'une nouvelle éruption par le secours des anti-putrides & des doux balsamiques.

La fievre hectique qui se manifeste après l'hémoptysie, la pleurésie, la péripneumonie, & autres maladies aiguës, en conséquence de quelque ulcere dont le pus s'est porté dans la masse du sang, demande tous les soins possibles pour corriger cette infection, la diete analeptique, le lait de femme, d'ânesse, les tisanes préparées avec l'avoine, la racine de chicorée sauvage, les fleurs de pavot, & quelque peu de nitre antimonié ; les substances gélatineuses acidulées, les parégoriques après de douces évacuations, les balsamiques, les corroborans, dont le plus important est l'exercice modéré du cheval.

Lorsque cette fievre émane de sucs visqueux dans les premieres voies, le but de la cure doit tendre à atténuer ces sucs, les expulser par les sels neutres donnés en petites doses & souvent répétées ; ensuite à employer les analeptiques & les stomachiques, tels que sont l'essence de cascarilles, avec un peu d'esprit de nitre dulcifié.

Si l'on soupçonne que la fievre hectique vienne de l'obstruction des visceres, & sur-tout de l'obstruction du mésentere, ce qui arrive fréquemment, il faut lever ces obstructions par les remedes capables d'y parvenir, comme par exemple, par la teinture martiale jointe au suc de pomme, secondée des eaux minérales chaudes, & de l'exercice.

Les symptomes de la fievre hectique ne souffrent que de legers palliatifs. On adoucit la chaleur fébrile par la boisson des émulsions de semences froides, préparées avec une décoction de corne de cerf & d'eau-rose ; par les gouttes anodynes d'Hoffman, ou par celles d'esprit de soufre & de vitriol. L'acrimonie de la matiere ulcéreuse peut être émoussée par les incrassans, les adoucissans, & les balsamiques. On reprime la toux par les mêmes remedes, auxquels on joint les parégoriques prudemment employés, les pilules de storax, le laudanum liquide en petite dose, le blanc de baleine mêlé avec le sirop de pavot, &c. Dans la diarrhée, on peut joindre la conserve de rose au lait chalybé, & la gomme arabique aux émulsions calmantes. Les sueurs colliquatives ne doivent pas être supprimées violemment, mais modérées par les opiates, par l'écorce de cascarille mise en électuaire ; avec le sirop de jus de citron & la conserve de rose. En général, plus la fievre hectique augmente, moins elle demande de remedes multipliés.

Pour ce qui regarde la fievre hectique des vieillards nommée marasme, voyez MARASME.

Observations. Hippocrate a décrit fort exactement la fievre hectique sous le nom de consomption du corps, tabes, dans son traité de internis affectionibus. L'ouverture des sujets morts de cette maladie offre tantôt des abcès dans quelqu'un des visceres, & tantôt des tumeurs skirrheuses ou stéatomateuses.

FIEVRE HEMITRITEE. Voyez HEMITRITEE.

FIEVRE HOMOTONE : on nomme fievres homotones, toutes fievres continentes qui restent pendant leur durée à-peu-près dans le même degré de force, sans augmenter ni diminuer ; mais l'existence de ces prétendues fievres est fort douteuse, comme le remarque M. Quesnay. On en trouve très-peu d'exemples dans les observations des praticiens, & ces observations mêmes ne pourroient mériter de créance, qu'autant qu'elles seroient données par plusieurs observateurs véridiques, qui auroient passé assidument les nuits & les jours auprès des fébricitans.

FIEVRE HONGROISE, febris hungarica, espece de fievre endémique, maligne, contagieuse, & spécialement caractérisée par une douleur intolérable vers l'orifice de l'estomac ; mais comme on connoît davantage cette fievre sous le nom particulier de maladie hongroise, voyez MALADIE HONGROISE.

FIEVRE D'HOPITAL, espece de fievre continue, contagieuse & de mauvais caractere, qui regne dans les hôpitaux des villes & d'armées, dans les prisons, dans les vaisseaux de transport pleins de passagers, qui y ont été long-tems renfermés, en un mot dans tous les lieux sales, mal aérés, & exposés aux exhalaisons putrides animales, de gens mal-sains, blessés, malades, pressés ensemble, & retenus dans le même endroit.

Symptomes. Cette fievre commence lentement par des alternatives de froid & de chaud, de petits tremblemens, un engourdissement dans les bras & dans les jambes, le dégoût, une douleur de tête sourde, un pouls fréquent, la langue blanche & humide.

A ces symptomes succedent de grandes lassitudes, des nausées, des douleurs dans le dos, la stupeur dans la tête, l'altération dans la voix, l'inégalité de la fréquence du pouls, la sécheresse d'une peau brûlante, l'abatement des esprits, les tremblemens de mains, souvent des taches pétéchiales, quelquefois des sueurs froides & des diarrhées non critiques.

Enfin l'insomnie, le coma vigil arrivent, le visage devient blême, le regard sombre, les yeux sont enflammés & boüeux, le délire s'allume, l'oüie se perd, la langue tremble, les tendons sont attaqués de soubresauts subsultibus, la vûe se trouble, les déjections sont colliquatives & d'une odeur cadavéreuse, le froid s'empare des extrémités, les convulsions emportent le malade.

La durée de cette scène est fort incertaine, car elle finit quelquefois en 5 ou 6 jours, d'autrefois en 14 ou 21 ; quelquefois cette fievre se transforme en hectique, & d'autres fois elle se termine en suppuration des parotides.

Prognostics. Ceux qui ont été affoiblis par des maladies précédentes, ou qui ont été guéris par la salivation, sont plus susceptibles d'infection que d'autres. Les femmes y sont moins exposées que les hommes, & en échappent plus aisément, mais la guérison ne préserve personne de la rechûte. Les plus mauvais signes sont ceux du troisieme période de cette maladie, ils annoncent presque toûjours la mort.

Cure. La cure demande d'être variée suivant l'état & les périodes de la fievre. On peut employer dans le commencement avec succès les atténuans, les sudorifiques & les anti-putrides ; la saignée devient seulement nécessaire si le malade est pléthorique. La transpiration veut être toûjours entretenue. Dans le second état, la saignée est pernicieuse, & les vomitifs inutiles. Les diaphorétiques legers sont toûjours convenables ; les tisanes doivent être acidulées d'esprit-de-soufre ou de vitriol ; le vin de Canarie mêlé dans du petit-lait, fournit une des meilleures boissons, & des plus propres à procurer une heureuse crise.

Dans le troisieme état, la medecine n'offre presque d'autres secours, que de tâcher de ranimer & de soûtenir les forces de la nature, ce qu'on peut essayer par des liquides visqueux, aromatiques ; l'esprit-de-corne de cerf donné de tems en tems, & par la poudre de contrayerva, réunie à une legere teinture de l'écorce du Pérou ; la diarrhée doit être modérée & non supprimée. Le délire demande l'application des vésicatoires & des sinapismes. Dans la suppuration des parotides, on ouvrira l'abcès aussi-tôt qu'il sera formé. En cas du rétablissement du malade, après avoir nettoyé les premieres voies, on employera les corroborans, les stomachiques, le quinquina, l'exercice, & sur-tout le changement d'air.

La partie fondamentale de la méthode curative, est d'éloigner le malade du mauvais air. Quand cela n'est pas possible, il faut purifier l'air qu'il respire par le feu, la fumée de vinaigre, les bayes de genievre, & autres semblables, ensuite renouveller cet air très-souvent jour & nuit, tenir les rideaux des lits ouverts, & séparer les malades ; sans ces moyens préliminaires, il y a peu d'espérance de parvenir à leur rétablissement. Voyez l'excellent chap. que M. Pringle a fait de cette fievre maligne, dans ses observations sur les maladies d'armées.

FIEVRE HORRIFIQUE, phricodes febris, fievre accompagnée de frissons & de tremblemens plus ou moins longs, lesquels frissons & tremblemens sont une action morbifique rarement séparée de la fievre.

Leur cause prochaine. Les frissons montrent qu'il y a une stagnation des fluides dans les extrémités, avec une moindre contraction du coeur ; le tremblement marque une alternative de tension & de relâchement dans les muscles en peu de tems & involontairement, de sorte que la circulation du liquide artériel & du suc nerveux est tantôt continuée & tantôt interrompue. Quelquefois ces deux symptomes sont causés par l'engorgement spasmodique du cerveau, qui porte le désordre dans tout le genre nerveux. Si le froid & le tremblement sont violens & de longue durée, ils forment des obstacles à la circulation des humeurs, & produisent les vices qui en sont les suites.

Cure. La méthode curative consiste à rétablir l'égalité de la circulation & celle de la pression du sang artériel, & des esprits de l'un contre les parois des arteres, & des autres sur les fibres motrices : c'est ce qu'on peut faire au commencement de la fievre dans laquelle ces deux symptomes de frissons & de tremblement se trouvent trop violens, en employant les remedes qui dissipent la lenteur, tels que sont des boissons d'eau chaude nitrée avec un peu de miel & de vin, les lotions des liqueurs spiritueuses & nervines, les fomentations faites avec ces mêmes liqueurs, & les legeres frictions par tout le corps. On y joindra les corroborans & les fortifians.

Observations de pratique. On doit regarder en général les frissons, les horripulations, les tremblemens souvent répétés, comme des états convulsifs fort desavantageux dans le cours des fievres continues, parce qu'ils affectent beaucoup l'action du coeur & des arteres, & dérangent le méchanisme de la coction, comme on le remarque aisément par le changement qui arrive alors dans les urines. Les frissons & les tremblemens qui succedent à la sueur, sont d'autant plus dangereux, qu'ils marquent que la sueur elle-même n'est qu'un mauvais symptome de la maladie. Enfin les tremblemens convulsifs sont de mauvais présage dans le tems du frisson critique des fievres continues, lorsqu'ils sont suivis de chaleurs passageres qui s'entre-succedent alternativement. Voyez Hippocrate.

FIEVRE HUMORALE, fievre causée & entretenue par une matiere hétérogene quelconque ; dispersée dans la masse des humeurs circulantes.

On est porté à admettre ces sortes de fievres, si l'on considére qu'une matiere acre introduite dans nos humeurs, & qui circule avec elles dans les arteres, peut irriter immédiatement les membranes de ces vaisseaux, & y produire la fréquence de vibrations que nous nommons fievre.

La cause des fievres humorales est évidente par les effets mêmes des matieres irritantes qui passent dans les voies de la circulation. Les inspections anatomiques de cadavres où l'on ne découvre aucun vice des parties, donne lieu de croire que la fievre & autres accidens qui pouvoient l'accompagner ne survenoient pas d'une irritation locale, d'où l'on juge qu'il faut les attribuer à une cause errante, dispersée dans la masse des humeurs. Le déletere de la petite vérole, ce principe de la fievre dans cette maladie, & souvent de beaucoup de désordres avant l'éruption, est certainement errant & dispersé ; l'éruption qui en résulte par tout le corps, & qui apporte ensuite le calme, en est une preuve manifeste.

Cet exemple, & plusieurs autres qu'il seroit inutile d'alléguer ne permettent pas de douter de l'existence des causes humorales, qui, livrées au torrent de la circulation, peuvent susciter la fievre. C'est aussi ce qu'on voit arriver tous les jours dans les fievres qui commencent par des frissons & des tremblemens considérables, car alors le premier effet de l'hétérogene errant est d'exciter avec la fievre, un spasme qui domine sur elle, & qui en suspend presque tous les phénomenes.

Ce spasme mérite notre attention ; 1°. parce qu'il dénote un caractere irritant ; 2°. parce qu'il s'oppose souvent aux opérations salutaires de la fievre, qui tend à la guérison du malade ; 3°. parce qu'il arrête les secrétions des sucs excrémenteux qui se forment continuellement, & qui doivent être chassés hors du corps.

Ainsi l'indication curative dans de telles fievres, est de chercher à connoître le caractere de l'hétérogene irritant, pour le corriger & le détruire par les remedes convenables.

FIEVRE INFLAMMATOIRE, fievre aiguë ou fievre ardente dont l'inflammation est répandue généralement sur tout le corps, lorsqu'elle n'est pas fixée particulierement dans tel ou tel organe. Elle consiste dans la vîtesse de la circulation rendue plus forte & plus fréquente par la contraction du coeur, en même tems que la résistance est augmentée vers les vaisseaux capillaires. Ainsi son siége est toute partie du corps où se distribuent des arteres sanguines, & où les lymphatiques prennent leur origine. Voyez FIEVRE AIGUE, FIEVRE ARDENTE, INFLAMMATION.

FIEVRE INTERMITTENTE, febris intermittens, c'est celle dont l'intermission périodique produit toûjours une entiere apyrexie entre deux paroxysmes.

Ses distinctions en différentes classes sont faciles à faire, n'étant fondées que sur la seule différence du tems que ce mal dure ; & c'est d'après la différente durée de ces fievres, qu'on les nomme quotidienne, tierce, demi-tierce, quarte, double-quarte, &c. Il y en a quelquefois de quintes, , & même Boerhaave en a vû de septenaires exquises.

Distinction des fievres du printems & d'automne. Mais une distinction essentielle, c'est celle des fievres intermittentes de printems & d'automne. On appelle en général fievres intermittentes de printems, celles qui regnent depuis le mois de Février jusqu'à celui d'Août : & fievres intermittentes d'automne, celles qui commencent au mois d'Août & finissent en Février. Cette distinction est très-nécessaire à cause de la différence qui se trouve, tant dans la nature & les symptomes de ces deux sortes de fievres, que dans leur fin, leur durée & leur traitement ; d'ailleurs l'une se change en l'autre. Souvent même au commencement de l'automne ; elles imitent exactement les fievres continues à cause de la longueur & du redoublement des accès ; cependant leur caractere & leur cure different extrèmement.

Cours & caracteres de la fievre intermittente. Elle commence avec des bâillemens, des allongemens, avec lassitude, débilité, froid, frisson, tremblement, pâleur aux extrémités, respiration difficile, anxiété, nausée, vomissement, célérité, foiblesse & petitesse de pouls. Plus ces accidens sont considérables & plus il s'en trouve de réunis ensemble, plus la fievre, la chaleur & les autres symptomes qui la suivent, sont mauvais ; tel est le premier état de la fievre intermittente, & cet état qui répond à l'augment des fievres continues, est aussi le plus dangereux de tous : alors l'urine est ordinairement crûe & ténue.

Harvée en ouvrant des cadavres de gens morts dans ce premier degré de fievre intermittente, après des oppressions, des soûpirs, des anxiétés, des langueurs qu'ils avoient souffert, a trouvé le poumon farci de sang épais. Harv. exercit. anat. ch. xvj.

Au premier état il en succede un second, qui commence avec chaleur, rougeur, respiration forte, étendue, libre, moins d'anxiété, un pouls plus élevé, plus fort, une grande soif, de la douleur aux articulations & à la tête, le plus souvent avec des urines rouges & enflammées.

Enfin 3°. la maladie finit d'ordinaire par des sueurs plus ou moins abondantes : tous les symptomes se calment, les urines sont épaisses, & déposent un sédiment ressemblant à de la brique broyée ; le sommeil, l'apyrexie & la lassitude surviennent.

Ses effets. La fievre intermittente qui est de longue durée, endommage les fibres des petits vaisseaux & des visceres par la stagnation, l'obstruction ; la coagulation, l'atténuation qu'elle cause ; de-là non-seulement les vaisseaux s'affoiblissent, mais les liquides dégénerent principalement, en ce que leurs parties sont moins homogenes & moins également mêlées ; de ces vices naît l'acrimonie des liqueurs, & de toutes ces choses ensemble, suit une disposition aux sueurs, qui débilite beaucoup par la perte de la viscosité même du sang qui sort avec elles ; l'urine est alors trouble, grasse & épaisse : telle est aussi la salive : ainsi le sang étant affoibli, dissous, privé de sa meilleure partie, celle qui reste devient acre & tenace, c'est conséquemment par le relâchement des vaisseaux, l'épaississement & l'acreté des liqueurs, que ces fievres, lorsqu'elles durent long-tems, dégénerent quelquefois en maladies chroniques, telles que le scorbut, l'hydropisie, l'ictere, la leucophlegmatie, les tumeurs skirrheuses du bas-ventre, & autres maux qui en résultent.

Cause prochaine des fievres intermittentes. Après cette exacte discussion du cours des fievres intermittentes, on établit pour leur cause prochaine la viscosité du liquide artériel, & peut-être l'inaction des esprits, tant du cerveau que du cervelet, qui sont destinés pour le coeur, quand par quelque cause que ce soit, la contraction du coeur devient ensuite plus promte & plus forte, & quand la résolution des humeurs qui sont en stagnation, vient à se faire. Par conséquent comme il n'est point de fievre intermittente qui ne garde cet ordre, il paroît que celui qui a pû surmonter le premier tems & la premiere cause, aura la force de supporter entierement le paroxysme.

Mais comme le premier état d'une fievre intermittente & sa cause prochaine peuvent venir d'une infinité de causes, même assez peu considérables, lesquelles peuvent plusieurs à la fois, prendre naissance au-dedans du corps, & y faire des progrès dans un état déterminé ; nos foibles lumieres ne sauroient distinguer cette cause actuelle d'une infinité d'autres possibles, encore moins donner la raison du retour périodique des fievres, suivant les lois de l'économie animale. Ce sont des secrets que la nature se plaît à cacher à l'intelligence humaine.

Cure. Dans le tems de l'apyrexie, ou même dans le premier état de la fievre intermittente, on doit avoir recours aux apéritifs salins, aux alkalis, aux aromatiques, aux sels minéraux, aux délayans, aux matieres douces & balsamiques ; la chaleur, le mouvement & les frictions conviennent aussi.

De plus, s'il s'est fait dans les premieres voies un grand amas de mauvaises humeurs, on les évacue par un purgatif ou souvent par un vomitif, pourvû qu'on le prenne dans un tems assez éloigné du paroxysme, pour qu'il fasse son effet avant son retour. Ce remede est indiqué par le régime qu'on a observé, par les maladies & les symptomes qui ont précédé, par les nausées, le vomissement, les rapports, le gonflement ; par l'haleine, par les saletés qui paroissent sur la langue, au gosier, au palais, par l'anorexie, par l'amertume de la bouche, par le vertige ténébreux ; après l'opération du purgatif ou du vomitif, il faut avant le retour de l'accès suivant, appaiser le trouble qu'il a pû causer, par le secours d'un opiat, d'un calmant, d'un narcotique.

On dissipe aussi & le froid de la fievre, & la fievre même, par un sudorifique ; & voici comment. Quelques heures avant le retour de l'accès, on donne au malade une grande quantité de tisane apéritive, délayante, un peu narcotique : ensuite une heure avant le paroxysme, on le fait suer, & on ne cesse que deux heures après le tems que l'accès a recommencé, ou qu'il auroit dû reparoître.

Le second état de la fievre intermittente indique la nécessité d'une boisson aqueuse, chaude, nitrée, un peu acide, avec de la chicorée & de semblables apéritifs doux. Le malade doit d'ailleurs se tenir en repos, & dans une chaleur modérée.

Quand la crise met fin à l'accès, on répare les sueurs & les urines par des tisanes vineuses, des bouillons de viande, des décoctions tiedes ; ainsi loin d'exciter la sueur par la chaleur, par des médicamens ou à force de couvertures, il suffit de l'entretenir doucement, en augmentant seulement la quantité des fluides qui doivent lui servir de matiere. Enfin on remédie aux symptomes pressans, selon les regles de l'art.

La fievre étant tout-à-fait dissipée, on restaure le malade par un régime analeptique, par des corroborans : on le purge ensuite quand ses forces le permettent.

S'il s'agit d'une violente fievre d'automne, si le corps est affoibli par la maladie, si elle est déjà invétérée, s'il n'y a aucun signe d'inflammation, de suppuration interne, ni d'aucune obstruction considérable dans quelque viscere, c'est alors que le quinquina donné dans l'apyrexie est essentiel, en poudre, en infusion, en extrait, en décoction, en syrop, avec les remedes convenables, en observant la méthode, la dose & le régime nécessaire. De plus les épithèmes, l'onction de l'épine du dos, & les boissons astringentes sont de quelque utilité.

Observations de pratique. Pour traiter chaque fievre d'une maniere qui lui soit particuliere, il faut remarquer, 1°. que les fievres intermittentes, vraies, finissent d'autant plûtôt, qu'elles ont moins de remise, & réciproquement au contraire ; 2°. qu'alors elles approchent plus de la nature des fievres aiguës, & ont plus de disposition à se convertir en elles ; 3°. qu'elles naissent d'un plus grand nombre de causes, & peut-être de causes plus mobiles ; 4°. que conséquemment les fievres de printems se dissipent d'elles-mêmes par la chaleur qui survient ; 5°. qu'au contraire en automne le froid succédant au chaud, rend les fievres intermittentes plus violentes & plus opiniâtres ; 6°. que de-là il est facile de juger quelles sont les fievres qui demandent à être traitées, & comment elles le doivent être ; 7°. quelles sont au contraire les fievres dont il faut abandonner le traitement au régime, au tems, à la nature ; par exemple la plûpart des fievres intermittentes de printems, qui n'accablent ni ne débilitent point le malade, sont dans ce dernier cas. L'ancien proverbe anglois, an ague in the spring, is à physick for à king, la fievre du printems est un remede pour un roi ; ce proverbe, dis-je, est fondé en lumieres & en expériences, & M. Ray n'a pas dédaigné de prouver qu'on pouvoit le réduire à des principes incontestables d'une savante medecine.

En effet, la fievre bénigne intermittente est un des moyens dont se sert la nature pour se rétablir elle-même d'un état qui l'opprime, opérer la coction des crudités qui la surchargent, ouvrir les obstructions, tarir les humeurs surabondantes, dénoüer les articulations, & disposer les corps des jeunes gens à prendre tout l'accroissement, la force & la vigueur dont ils sont susceptibles. Voyez FIEVRE SALUBRE.

J'ai lû quelque part (lettr. édif. tom. VII.) que l'empereur qui regnoit à la Chine en 1689, envoya trois de ses medecins en exil, pour ne lui avoir point donné de remedes dans une fievre intermittente. On diroit que quelques-uns de nos praticiens appréhendent d'éprouver le sort de ces trois medecins chinois, par l'attention qu'ils ont de ne les point imiter ; cependant la liberté de leur profession, nos moeurs & nos usages doivent les rassûrer : ils peuvent laisser passer le cours de la fievre intermittente d'un monarque, sans danger pour leurs personnes, & sans crainte pour la vie du malade.

Mais la fievre intermittente se change en remittente continue, aiguë, lente, hectique ; c'est alors sans-doute qu'elle demande les secours de l'art. Il faut toûjours observer en même tems, si cette fievre est pure ou symptomatique, ce qu'on découvrira en considérant attentivement les divers symptomes qui l'accompagnent, la chaleur, le froid, la qualité du pouls, les déjections, les urines, les sueurs, la foiblesse, la durée, les redoublemens, les rechûtes. La fievre simple obéit naturellement aux remedes ordinaires ; mais la fievre symptomatique accompagne toûjours la cause dont elle émane, & ne cesse que par la destruction de cette cause.

FIEVRE LENTE, febris chronica, lenta. Febricula lenta, Cels. Fievre continue ou remittente, par laquelle la nature s'efforce lentement de se débarrasser de l'amas croupissant du sang ou des humeurs dans quelqu'un des principaux visceres, & de préserver cette partie du danger qui la menace.

Différence de la fievre lente & de la fievre hectique. La fievre lente proprement & distinctement ainsi nommée, differe à plusieurs égards de la fievre hectique, avec laquelle on la confond souvent. D'abord elle differe de la fievre hectique dans son origine ; car elle est assez généralement produite par la dégénération de fievres intermittentes mal traitées, ou violemment supprimées par des astringens ; mais la fievre hectique procede ordinairement de causes plus graves, & est liée aux terribles accidens des abcès, des vomiques & des empyemes. Dans la fievre lente les visceres ne sont point encore grievement attaqués ; mais dans la fievre hectique, ils le sont déjà par quelque ulcere, apostume, ou skirrhe.

Ces deux maladies different aussi beaucoup par le caractere de leurs symptomes ; dans la fievre lente, ils sont si legers, que les malades doutent au commencement de l'existence de leur fievre ; mais ils sont violens dans la fievre hectique. Ces mêmes symptomes diminuent quelquefois dans la continuité d'une fievre lente ; ils empirent dans la fievre hectique. Dans la fievre lente, les sueurs sont d'abord abondantes ; & dans la fievre hectique, les sueurs n'abondent que quand cette fievre est parvenue à son dernier période. La fievre lente est sujette à dégénérer en d'autres maladies ; la fievre hectique ne souffre aucun changement. Enfin la fievre lente se termine souvent & heureusement d'elle-même par les seules sueurs de la nature ; la fievre hectique au contraire n'amende point, & devient presque toûjours fatale.

Signes de la fievre lente. La fievre lente se manifeste par une chaleur non naturelle, à peine sensible au tact & aux yeux du medecin ; le pouls foible, fréquent, inégal ; des urines troubles qui déposent en s'éclaircissant, un froid interne avec de legers tremblemens, de la pesanteur dans les membres, de la lassitude sans travail, une langue blanche, une bouche seche, le manque d'appétit : ces symptomes sont succédés par des sueurs abondantes pendant la nuit, une soif continuelle, l'abattement des forces, le dépérissement, la maigreur, la cacochymie, & autres maux qui en résultent.

Ses causes. La fievre lente se forme insensiblement dans la santé par la destruction de l'équilibre, par les passions tristes de l'ame, par l'habitation des pays marécageux, par la corruption spontanée des humeurs dans les scorbutiques & dans les femmes attaquées de fleurs blanches. Elle tire aussi son origine de l'obstruction des visceres, de quelque maladie aiguë qui a précédé, de fievres intermittentes de toute espece qui ont été mal gouvernées, de la suppression des évacuations accoûtumées, ou au contraire de l'épuisement des forces par de trop grandes évacuations, soit de sang, soit des humeurs.

Prognostics. Quand la fievre lente succede à une intermittente, & revient de nouveau dans son ancien état, elle n'est point dangereuse ; mais elle l'est beaucoup quand elle reste la même, ou qu'elle dégénere dans une maladie aiguë, & sur-tout dans une fievre hectique : on pourra la soupçonner vraiment hectique, si l'appetit reparoît, & que tous les mêmes symptomes continuent ; s'il s'y joint une petite toux, une respiration difficile, une pesanteur dans le bas-ventre, une douleur dans la maniere d'être couché, une chaleur seche, un pouls plus fréquent & plus agité.

Cure. On tâchera d'adoucir les passions tristes par les réflexions & les moyens les plus propres à y parvenir : on changera de demeure, s'il est possible. La corruption spontanée des humeurs doit être traitée par les antiseptiques, les infusions de quinquina & l'usage des corroborans. On tentera de lever les obstructions par les atténuans, les incisifs gommeux, ou les sels neutres ; ensuite on raffermira les visceres par les stomachiques & les chalybés les plus doux. Si la fievre lente provient d'une maladie aiguë, le tartre vitriolé & l'antimoine diaphorétique, avec de legers cathartiques dans les jours intermédiaires, peuvent opérer la guérison. Quand la fievre lente procede d'une intermittente, il faut tenter de la ramener à son ancien état. Stahl propose, pour y parvenir, une boisson habituelle d'une infusion d'aunée, de pimprenelle, de centaurée, d'écorce d'orange & de séné, avec une petite quantité de rhubarbe dans quelque liqueur appropriée. Les évacuations supprimées en demandent le cours pour la guérison de la fievre lente ; mais au contraire, si cette maladie est l'effet de trop grandes évacuations du sang ou des humeurs, il convient de recourir aux alimens analeptiques pour réparer les forces, aux legeres teintures d'acier pour rétablir le ton des visceres, & aux corroborans pour diminuer les sueurs nocturnes.

Observations de pratique. Les Medecins ont observé que les enfans sont sujets à une espece particuliere de fievre lente, qui est accompagnée d'une enflûre considérable du bas-ventre, de l'exténuation des parties supérieures, d'une chaleur vague, d'une toux seche, & d'une grande foiblesse. Cette espece de fievre lente provient d'ordinaire de la viscosité du chyle & de la lymphe, qui obstrue les glandes du mésentere. La méthode curative consiste dans les atténuans, les résolutifs, les fondans, les savonneux, & les apéritifs. Hoffman conseille ici les sels de tartre, de nitre, d'arcanum duplicatum en parties égales, avec du sel ammoniac par moitié, le tout dissous dans une liqueur convenable. Les bains, la chaleur, l'exercice, les frictions, les vesicatoires, méritent encore d'être recommandés.

C'est Celse qui a le premier indiqué la cure de la fievre lente, consultez-le.

FIEVRE LIPYRIE, lipyria. On nomme ainsi la fievre qui est accompagnée de froid extérieur du corps, & de l'ardeur intérieure des entrailles : c'est une espece de fievre épiale. Voyez EPIALE & LIPYRIE.

FIEVRE MALIGNE, voyez MALIGNE.

FIEVRE MILIAIRE ou VESICULAIRE, voyez MILIAIRE.

FIEVRE PESTILENTIELLE, est celle qui est produite par une cause funeste, qui n'a aucune affinité avec nos excrétoires, qui est indomptable à la coction, & qui ordinairement ne souffre pas d'issues à l'extérieur.

Lorsque cette cause est extrèmement pernicieuse, spasmodique, colliquative, sphacélique, caustique, on donne le nom de peste à la maladie qu'elle procure. Voyez PESTE.

Toute fievre qui se termine par la gangrene de quelque partie intérieure, a par-là le caractere des fievres qu'on appelle pestilentielles. Si la dissolution putride des humeurs est excessive, les actions organiques sont si déréglées, & la corruption qu'elle communique aux solides est si rapide, qu'elle cause promtement la mort ; espece de peste, & même de peste terrible & irremédiable.

L'acrimonie de la pourriture se manifeste dans les fievres pestilentielles par des tumeurs brûlantes, où les humeurs qui s'y fixent cautérisent, pour ainsi dire, les chairs de la même maniere que le font les caustiques. Cependant ces fievres ne se terminent pas toûjours sûrement & heureusement par les bubons, charbons, & gangrenes. Tous ces dépôts extérieurs sont insuffisans, quand il n'y a qu'une partie de la cause de la maladie qui se fixe au-dehors, & qu'il en reste assez dans la masse des humeurs, pour produire dans l'économie animale des desordres mortels. Il faut donc trouver le secret de procurer des ouvertures & des suppurations par lesquelles le délétere entier puisse être entraîné. Ainsi tant que les Medecins ne connoîtront pas d'antidote capable de dompter ces déléteres, ou de s'opposer à ses effets, ils manqueront la vraie cure des fievres pestilentielles.

Au reste, comme on a souvent caractérisé de fievres pestilentielles de simples maladies épidémiques putrides, d'un mauvais caractere, on a pareillement donné le nom de pure peste à des épidémiques pestilentielles ; c'est ce qui est arrivé à Plater ; mais comme il a eu occasion de voir dans le cours de sa vie, depuis 1539 jusqu'à 1611, les regnes différens de sept sortes de fievres pestilentielles, ses observations en ce genre méritent d'être lûes ; voyez aussi Riverius, de febribus pestilentialibus ; & Vander-Mye, de morbis popularibus bredanis tempore pestis, Antuerp. 1627, in 4°. & sur-tout Diversus (Petrus Salius) dans son excellent traité de febre pestilenti, Bonon. 1584, in -4°. ed. prim. Amstel. 1681. in -8°. ed. opt.

FIEVRE PETECHIALE, voyez PETECHIALE & PETECHIES.

FIEVRE POURPREE, voyez POURPRE.

FIEVRE PUTRIDE, est suivant les modernes cette fievre dont la colliquation putréfactive des humeurs, forme le caractere distinctif. Voyez FIEVRE COLLIQUATIVE & SYNOQUE PUTRIDE.

Je n'ajoûte ici qu'une seule remarque qui pourroit m'échapper dans le tems, & qui regarde une erreur très-commune & très-funeste dans la pratique de la Medecine. Lorsqu'une cause quelconque portant la corruption dans nos humeurs, vient à exciter la fievre, l'on ne manque guere d'imputer la putréfaction à la fievre qu'elle a suscitée, & l'on pense que cette fievre est réellement une fievre putride. Pareillement quand une cause maligne quelconque, produit outre la fievre d'autres accidens considérables qui l'accompagnent, on croit que c'est la fievre elle-même qui est maligne, & on la regarde comme le principe de toutes les fâcheuses affections morbifiques qui se trouvent avec elle. Dans cette idée, la fievre devient seule l'objet de l'attention du medecin, & pour lors il l'attaque avec tant de hâte & de violence, consécutivement par les vomitifs, les cathartiques, les saignées abondantes repétées coup-sur-coup, qu'en peu de jours il n'est plus question de la fievre ni du malade. Aedepol amice jugulasti febrem !

FIEVRE QUARTE, voyez QUARTE.

FIEVRE QUOTIDIENNE, voyez QUOTIDIENNE.

FIEVRE REMITTENTE, est cette espece de fievre qui a son cours, de maniere que l'accès suivant commence avant que le précédent ait entierement cessé.

Observations sur les fievres rémittentes. 1°. Il n'est point de fievre intermittente qui ne soit exposée à dégénérer en rémittente, avec des redoublemens fixes ou inconstans, plus ou moins pressés, plus ou moins forts. 2°. De telles fievres deviennent ordinairement longues, dangereuses, & produisent rarement une bonne crise, parce que leurs causes inconnues sont difficiles à surmonter par les forces de la nature 3°. Quelquefois les fievres endémiques, épidémiques, & pestilentielles, revêtent la nature des fievres rémittentes. 4°. La même chose arrive fréquemment aux maladies chroniques, dans la fonte de la graisse, dans la corruption accidentelle des sucs albumineux & gélatineux, ainsi que dans la suppuration de quelque abcès interne des diverses ulceres du corps humain. 5°. La fievre inflammatoire, ardente, aiguë, continue, qui par ses exacerbations se change en fievre remittente, en caractérise un des genres de la plus mauvaise espece.

Méthode curative. Cependant on ne connoît point de méthode curative particuliere pour le traitement des fievres rémittentes ; il faut se conduire ici suivant les regles prescrites pour la guérison des fievres en général ; & quand la fievre rémittente est symptomatique, sa cure dépend uniquement de la maladie dont elle émane.

FIEVRE SALUBRE : les fievres salubres sont celles qui procurent la dépuration & l'expulsion de la cause qui les produit, & qui par ces heureux effets rétablissent parfaitement la santé.

On peut distinguer deux especes de fievres salubres ; celles qui sont simplement dépuratoires, & celles qui réguliérement critiques, se guérissent à jour préfix, par coction ou par évacuation purulente. Voyez FIEVRE DEPURATOIRE & FIEVRE CRITIQUE.

Mais il y a selon moi, des fievres salubres, ou pour mieux dire, salutaires, relativement à elles-mêmes & à leurs effets avantageux : car quoique la fievre soit souvent funeste aux hommes, elle n'est pas toûjours le sergent de la mort, comme l'appelle un de nos poëtes, qui avoit puisé cette idée dans la doctrine des medecins de son tems & de son pays. Aujourd'hui on ne peut ignorer que plusieurs fievres intermittentes, & sur-tout la fievre tierce & la fievre quarte, ne soient des fievres plus communément salutaires que nuisibles : en effet, toutes les fois que ces sortes de fievres parcourent leurs périodes sans trop de violence ; toutes les fois qu'elles n'attaquent point des gens d'un âge décrépit & dont les forces soient épuisées, elles purifient merveilleusement le sang, résolvent puissamment les engorgemens des visceres, atténuent & mettent dehors les matieres morbifiques, dessechent les nerfs trop humectés, & raffermissent ceux qui sont trop relâchés.

C'est la seule action du mouvement fébrile, excité dans le genre musculaire, qui chasse par les excrétoires destinés à telles ou telles évacuations, la quantité surabondante de sérosité acre, circulante dans les humeurs ou dans quelque organe, comme on le voit dans les fievres catarrheuses & scarlatines.

La fievre est encore salutaire par elle-meme dans des maux inaccessibles aux secrets de la Medecine. Elle appaise, par exemple, les douleurs des hypochondres, quand elles ne sont point accompagnées d'inflammation, & elle soulage la passion iliaque causée par la difficulté d'uriner.

Les maladies produites par des obstructions & par la viscosité des humeurs, se guérissent heureusement par le secours de la fievre, qui fait diviser & résoudre les liqueurs épaissies ou croupissantes, les préparer & les disposer à l'excrétion plus salutairement que ne le peut faire le plus habile praticien. Voilà pourquoi dans les obstructions considérables, c'est un mauvais signe, lorsque le mouvement fébrile n'est point proportionné à sa cause.

Si donc le génie du medecin consiste à arrêter une fievre pernicieuse, il ne consiste pas moins à soûtenir une fievre salutaire. Il doit faire plus, il doit l'allumer quand elle est trop lente, afin qu'elle travaille encore mieux à délivrer le corps des atteintes qui lui deviendroient funestes. Telle est la doctrine des anciens, telle est celle des modernes véritablement éclairés. L'ordre que la divine Providence a établi dans le méchanisme des êtres corporels, est si beau, & ses vûes si bienfaisantes, que ce que le premier coup-d'oeil présente comme nuisible, est souvent institué pour notre conservation. Nous mettons la fievre de ce nombre, puisque tout calculé, elle est en général plus salutaire que préjudiciable aux hommes. Sydenham, Boerhaave, MM. Vanswieten, Quesnay, Tronchin, & autres maîtres de l'art, la regardent comme un effort de la nature, & comme une arme dont elle se sert pour remporter la victoire dans plusieurs maladies qui menacent sa destruction.

FIEVRE SCARLATINE, affection morbifique consistante dans des taches d'un rouge d'écarlate qui accompagnent quelquefois la fievre, & qui lui ont donné le nom de scarlatine.

Ces taches, plus fréquentes dans l'âge tendre que dans aucun tems de la vie, ont coûtume de paroître sur le visage, & quelquefois même couvrent tout le corps. Elles commencent d'ordinaire le trois ou le quatrieme jour d'une petite fievre, deviennent insensiblement plus larges, subsistent peu de tems, & s'évanoüissent en ne laissant sur la peau que quelques écailles farineuses.

Cette maladie paroît avoir son siege dans les vaisseaux de la transpiration, & pour cause une dépravation bilieuse déposée sur la peau par un mouvement fébrile, en conséquence de la chaleur de la saison ou du tempérament. Alors cette matiere dispersée dans la circulation avant l'éruption, & portée au-dehors par le secours de la fievre, produit extérieurement sur la peau un leger sentiment de douleur & de chaleur, & intérieurement quelqu'anxiété, jointe à une petite toux assez fréquente. Si dans cet état l'on faisoit rentrer la matiere morbifique, le mal ne seroit pas sans danger ; mais la nature montre le chemin de la guérison : elle ne demande que les diluens, de legers diaphorétiques, un régime convenable, une chaleur modérée, & l'abstinence des remedes échauffans. Au reste, les fievres scarlatines sont les plus douces de toutes les fievres exanthémateuses ; il est très-rare qu'elles soient suivies de dépôts intérieurs.

FIEVRE SCORBUTIQUE, fievre anomale, vague, périodique, communément intermittente, prenant toute la forme des autres fievres, mais qui est particuliere aux scorbutiques, & ne cede point à l'usage du quinquina.

Ses signes. Dans cette fievre les urines déposent un sédiment briqueté, dont les molécules rouges, adhérentes à l'urinal en forme de crystaux, y tiennent fortement, tandis qu'il se forme sur l'urine une pellicule qui s'attache au bord du vaisseau, quand on l'incline. C'est à cet indice & aux autres symptomes du scorbut, qu'on reconnoit l'espece de fievre dont il s'agit ici, laquelle est ordinairement plus fatigante que dangereuse.

Mais il y a néanmoins des fievres scorbutiques continues, malignes, contagieuses & cruelles. De telles fievres produisent des vomissemens, des diarrhées, des dyssenteries, des anxiétés, des taches noires ; l'abattement des forces ; la putréfaction du foie, de la rate, du pancréas, du mésentere ; l'atrophie, la phthisie, la mort.

Cure. Cependant, quelle que soit la nature de ces sortes de fievres, on doit toûjours les traiter par les anti-scorbutiques opposés à l'espece particuliere de scorbut dont le malade est attaqué, & à l'acrimonie dominante, saline, muriatique, acide, alkaline, fétide, huileuse ou rancide. Voyez SCORBUT.

FIEVRE SEPTIMANE, c'est une fievre continue qui s'étend jusqu'au septieme jour, & que termine la simple défécation.

Par le secours de cette défécation, la fievre s'affoiblit à mesure que la dépuration se fait ; & cette dépuration se manifeste dans les urines, qui sont ici fort chargées, troubles & épaisses : car cette fievre n'a ni la violence ni le tems convenable pour produire d'autre coction. Il n'y a même ni jour indicatif ni jour confirmatif, qui marque régulierement le tems où ces sortes de fievres doivent finir : quelquefois c'est à la premiere, d'autres fois à la seconde, & d'autres fois à la troisieme exacerbation ; rarement elles s'étendent jusqu'à la quatrieme, & par conséquent elles se terminent dans la semaine où elles ont commencé, ce qui leur a fait donner le nom de septimane.

FIEVRE SPASMODIQUE, febris spasmodica. Ce n'est point une fievre particuliere, c'est une affection symptomatique & très-effrayante, qui se rencontre quelquefois jointe à la fievre.

Cause prochaine. Elle est produite par un vice du cerveau, lequel provient ou d'une irritation qui se communique au cerveau par le moyen des nerfs, ou du mouvement irrégulier & déréglé des liqueurs qui circulent dans ce viscere ; & cette irrégularité peut avoir pour causes toutes celles du délire, du coma, de l'insomnie.

Effets. Si le spasme dure long-tems ; il affecte tout le genre nerveux, par la communication réciproque que les nerfs ont ensemble, d'où naissent tant de tristes maux.

Prognostics. L'affection fébrile convulsive est plus ou moins dangereuse, suivant sa violence, ses répétitions, & les causes dont elle émane. Les convulsions qui succedent dans la fievre à de grandes évacuations, sont pour l'ordinaire mortelles, ainsi que celles qui sont accompagnées d'un délire perpétuel.

Cure. On reglera toûjours la méthode curative sur la variété des causes. En général, on tentera d'adoucir l'acreté dominante, de résoudre la matiere engagée, de relâcher les parties qui sont en contraction, de fortifier celles qui sont foibles, de procurer une révulsion, &c. Si la fievre spasmodique est occasionnée par une irritation locale, on portera les remedes sur la partie irritée. En un mot, pour abreger ce vaste sujet selon les indications différentes, les causes, les parties affectées, les fonctions dérangées ou suspendues, on combattra le mal par des remedes différens ; par la saignée, les purgatifs, les émétiques, les bains, les vésicatoires, les épispastiques, les fomentations, les frictions, les relâchans, les calmans, les cordiaux, les aromatiques, les nervins, les fétides, &c. d'où l'on voit assez combien sont ridicules les prétendus spécifiques anti-spasmodiques, auxquels le vulgaire, & principalement les grands seigneurs, donnent sottement leur confiance.

FIEVRE SPORADIQUE, ainsi dire de , je disperse. Ce sont des fievres de différentes especes, semées çà & là sur certaines personnes seulement, qu'elles attaquent en divers tems & lieux parce qu'elles procedent d'une cause qui leur est propre & particuliere. Voyez SPORADIQUE.

Je connois un ancien auteur qui a traité exprès ce sujet ; c'est Amicus (Diomedes), dont l'ouvrage écrit en latin, parut à Venise en 1605, in -4°. Mais l'ouvrage de Ramazzini, de morbis artificum, fournit encore plus de connoissances sur les maladies sporadiques particulieres.

FIEVRE STATIONNAIRE, voyez FIEVRE HOMOTONE. Mais Sydenham appelle fievres stationnaires, febres stationarias, les fievres continues épidémiques, qui dépendant d'une constitution particuliere & inconnue de l'air, regnent pendant tout le tems de la durée de cette constitution, & ne paroissent jamais autrement.

FIEVRE STERCORALE. Je donne, avec M. Quesnay, le nom de fievres stercorales à celles qui sont causées par des matieres viciées retenues dans les premieres voies, & qui se terminent par l'évacuation de ces matieres, lorsqu'on a recours à la purgation avant que ces mêmes matieres ayent infecté la masse des humeurs.

Nous comprenons ici sous le nom de matieres stercorales, non-seulement les matieres fécales dépravées dans les intestins, mais les matieres perverties contenues dans l'estomac, la bile dépravée qui est versée dans les intestins, les sucs vicieux qui séjournent dans les premieres voies, en un mot toutes les matieres qui sont immédiatement en prise à la purgation, & dont l'évacuation termine la maladie. Il faut par conséquent distinguer cette fievre de la fievre putride, qui dépend réellement de la dépravation putride des humeurs. Voyez FIEVRE PUTRIDE.

Caractere de cette fievre. La fievre stercorale n'a aucun caractere distinct ; c'est une fievre plus ou moins compliquée, selon le degré d'érétisme que causent dans les premieres voies les matieres nuisibles qui y sont retenues ; ensorte que ce genre de maladie est susceptible de plusieurs symptomes spasmodiques plus ou moins considérables.

Signes. Les signes que peut fournir cette fievre, sont un grand dégoût, les rapports desagréables & de mauvaise odeur, l'amertume de la bouche, la langue chargée, la liberté du ventre, la fluidité & la puanteur des déjections, les angoisses ou le mal aise des premieres voies, les borborygmes douloureux, les gonflemens, les contractions de l'abdomen, les débilités ou les défaillances qui précedent les évacuations. Quand ces signes manquent, & qu'on redoute néanmoins des matieres dépravées dans les premieres voies, on tentera d'exciter des évacuations par le moyen de lavemens un peu purgatifs, comme de crystal minéral, dans une décoction émolliente, afin de s'assûrer des qualités des déjections.

Causes. Parmi les causes qui occasionnent les fievres stercorales, souvent épidémiques, la mauvaise constitution de l'air est la plus imperceptible, mais la plus fréquente, & la plus capable de pervertir les alimens dans l'estomac.

Cure. L'essentiel de la cure consiste, comme il est aisé de le comprendre, dans l'évacuation des matieres dépravées, par le vomissement ou par la voie des selles, selon les dispositions favorables à l'un ou à l'autre genre d'évacuation. Les humectans, les relâchans sont nécessaires, & doivent y être joints pour faciliter l'effet des purgatifs, & prévenir l'irritation qu'ils peuvent causer. Si la fievre est violente, le pouls dur & fort, on commencera par la saignée ; on la répetera promtement, & on recourra aux lavemens adoucissans & laxatifs, au petit-lait pris en abondance, aux huileux, aux cataplasmes émolliens, pour pouvoir satisfaire au plûtôt à la principale indication par les purgatifs les plus convenables, administrés alternativement avec les parégoriques & les autres remedes relâchans. Si la fievre est accompagnée d'ardeur & de soif pressante, on doit donner au malade pour boisson ordinaire, & en quantité, le petit-lait chargé de crême de tartre, parce qu'il relâche, tempere & évacue sans irritation. On peut encore conseiller la décoction legere de tamarins, ou celle de pruneaux avec le crystal minéral. Voyez Ballonius, epid. lib. II. qui est excellent sur ce sujet.

FIEVRE SUBINTRANTE, est celle dont l'intermission n'est point sensible : on la nomme autrement continue-remittente. Voyez FIEVRE REMITTENTE, EVRE CONTINUE-REMITTENTEENTE.

FIEVRE SUDATOIRE, helodes febris. La fievre sudatoire est une affection morbifique, laquelle consiste en sueurs immodérées qui accompagnent les fievres aiguës.

Causes. La sueur fébrile est produite par le relâchement & la foiblesse des petits vaisseaux, par la violence de la circulation du sang, par la facilité avec laquelle l'eau se dégage des autres principes du sang, par la dépravation des humeurs, par leur dissolution putride. Enfin les sueurs continuelles sont quelquefois causées par une simple acrimonie ; car suivant que cette acrimonie a une affinité particuliere avec les organes de quelques-unes des voies excrétoires, elle excite, de même que celle des remedes évacuans, l'action de ces organes, & provoque les évacuations qui se font par ces mêmes organes.

Effets. La sueur fébrile qui dure long-tems & immodérément, prive le sang de son liquide délayant ; épaissit le reste, excepté dans les fievres colliquatives ; enleve la partie la plus subtile des humeurs, produit des obstructions, des foiblesses, l'exténuation du corps, l'abattement des forces.

Cure. Il ne faut ni provoquer la sueur, ni l'arrêter par le froid, mais la modérer en se couvrant moins, en s'abstenant de tout ce qui est échauffant, en réparant les pertes par des boissons douces & délayantes, en émoussant l'acreté, quelle qu'elle soit ; en corrigeant la colliquation des humeurs par les boissons anti-septiques & legerement astringentes : mais quand les sueurs colliquatives jettent les malades dans une foiblesse extrème, elles peuvent être supprimées avec succès. Il est facile de remarquer dans de telles maladies, que le sang ou la partie la plus grossiere des humeurs tombe en dissolution ; & que malgré les sueurs copieuses, la partie fluide domine encore dans le sang, comme il paroît par celui qu'on tire alors des veines.

Observations de pratique. Les praticiens observent, 1°. que les évacuations critiques se font souvent tout-à-coup par le secours des sueurs, sur-tout dans les crises des inflammations & des fievres aiguës ; mais les fievres qui durent plusieurs semaines, se terminent rarement par des sueurs critiques remarquables. 2°. Les sueurs critiques abondantes s'annoncent d'ordinaire par un pouls véhément, gros, souple, mou & ondulent. 3°. Une grande sueur termine communément les accès de fievres intermittentes ; mais les sueurs qui sont legeres, fréquentes ou continuelles, annoncent la lenteur de la coction, ou la longueur de la maladie. Voyez Hippocrate & ses commentateurs.

FIEVRE SYMPATHIQUE, fievre excitée par la communication & la correspondance des nerfs du corps humain avec la partie où la cause irritante se trouve fixée.

On a mille exemples de ces sortes de fievres ; car toutes celles qui sont occasionnées par des plaies, celles qui sont produites par une inflammation locale, celles qui sont causées par des douleurs ou des irritations dans une partie nerveuse, comme au bout du doigt lorsqu'il est attaqué d'un panaris, sont autant de fievres sympathiques, qui cesseront seulement par la guérison de la plaie, de l'inflammation & de l'irritation locale, ou par l'amputation de la partie malade.

FIEVRE SYMPTOMATIQUE, c'est ainsi qu'on appelle toute fievre excitée par quelque maladie générale ou particuliere, & qui loin d'adoucir ou de détruire cette premiere maladie, ne fait au contraire que l'aggraver.

Causes. Sa cause prochaine est donc toûjours une maladie précédente, qui par son accroissement ou sa fâcheuse métamorphose, excite en vain les forces de la nature pour en opérer la guérison par le secours de la fievre.

Signes. On juge qu'une fievre est symptomatique, 1°. quand elle ne paroît qu'après une autre maladie qui a précédé ; 2°. quand cette premiere maladie venant à s'augmenter, la fievre s'allume aussi davantage ; 3°. quand le sédiment briqueté des urines ne marque plus les paroxysmes de la fievre précédente ; 4°. quand on sait par le tems de l'année ou de la constitution épidémique, que la même nature de fievre ne regne point ; 5°. quand cette fievre ne cede pas aux meilleurs fébrifuges.

Cure. Sa guérison dépend uniquement de celle des maladies aiguës ou chroniques dont elle est l'effet, comme par exemple, quand elle survient à la goutte, au rhûmatisme, au scorbut, à l'hydropisie, &c. Il faut donc bien distinguer la fievre symptomatique de celle qui se guérit naturellement par coction ou par crise : autre chose est la fievre qui se manifeste avant l'éruption de la petite vérole, autre chose est celle qui paroît symptomatiquement après cette éruption.

FIEVRE SYNCOPALE, affection morbifique qui consiste dans de fréquentes syncopes, lesquelles surviennent au retour de l'accès ou du redoublement de la fievre. Voyez SYNCOPE.

Comme ce symptome est effrayant par la pâleur qu'il produit, la petitesse du pouls, la collabescence des vaisseaux, la flaccidité des muscles ; que d'ailleurs il n'est pas sans danger, parce qu'il arrête le cours du suc nerveux & suspend le mouvement de la circulation du sang, il faut tâcher d'en découvrir les diverses causes, pour y diriger les remedes.

Si la syncope survient dans la fievre, de la foiblesse de la circulation, on la ranimera par des alimens liquides, analogues, doux, gélatineux, artificiellement digérés, agréables, vineux, cardiaques, aromatiques, tirés du regne animal & végétal, donnés souvent en petite quantité, & aidés dans leurs effets par de legeres frictions aux parties extérieures du corps.

La syncope fébrile qui procede d'humeurs dépravées dans le ventricule, & quelquefois de vers qui s'y rencontrent, se dissipera par des vomitifs & par les vermifuges, & l'on en préviendra le retour par les stomachiques.

Quand la syncope procede de la mobilité des esprits, il faut les rappeller par les volatils portés fréquemment aux narines, les anti-hystériques, les cardiaques, les corroborans, & fortifier ensuite le corps par les stomachiques nervins.

La défaillance qui est occasionnée par des concrétions du sang qui commencent à se former, demande les délayans, les atténuans, les savonneux, l'action des muscles.

On connoit que la compression du cerveau & du cervelet est la cause des défaillances, par la lésion des fonctions qui dépendent de leurs bonnes dispositions, lorsque, par exemple, la syncope est accompagnée de délire, de vertiges, de tremblemens, &c. On relâchera les vaisseaux, en humectant par de douces fomentations la tête, le visage, les narines, la bouche, le cou, & en appliquant aux piés les épispastiques.

FIEVRE TIERCE, voyez TIERCE.

FIEVRE TRITAEOPHIE, TRITAEOPHES, de , tierce, & , être de même nature & de même origine. Cette fievre vient le troisieme jour, & arrive alors presqu'à son plus haut période ; ce qui la distingue de la tierce proprement dite, de la tierce allongée, & de la demi-tierce. Du reste son nom est une épithete commune à toutes les fievres qui ont leur accès ou leur retour périodique le troisieme jour ; elle ne forme jamais de crise parfaite par les urines ou par les sueurs, mais les évacuations bilieuses naturelles l'appaisent. Comme ses causes & son prognostic sont les mêmes que de la fievre tierce ou intermittente prolongée, elle demande le même traitement : voyez donc FIEVRE TIERCE.

FIEVRE TROPIQUE, tropica febris. Les anciens appelloient fievres tropiques, les colliquatives putrides qui s'étendent jusqu'au quarantieme jour : on leur a donné vraisemblablement ce nom, parce que le quarantieme jour est le terme des révolutions septenaires.

Les crises sont bien moins violentes & moins remarquables dans les fievres tropiques que dans les fievres aiguës de toute espece : apparemment que pendant un période si long, la coction qui se fait ne procure qu'une médiocre dépuration à chaque exacerbation ; c'est-à-dire que les crises s'operent seulement en détail & à différentes fois, jusqu'à ce que la maladie soit parfaitement terminée.

Il faut donc distinguer ces sortes de fievres chroniques des fievres hectiques, lesquelles dépendent d'une cause qui perpétue ou renouvelle continuellement celle qui les entretient, ensorte qu'elles ne peuvent produire ni coction ni crise qui les consume. Voyez FIEVRE HECTIQUE.

Toutes les fievres dont la durée passe quarante jours, sont envisagées comme des maladies entretenues d'ordinaire par quelque vice des organes, ou même encore par l'impéritie du medecin. Tous articles du mot FIEVRE, sont de M(D.J.)

FIEVRE, (Mytholog.) nom propre d'une divinité payenne, Febris. Les Romains firent de la Fievre une déesse, & l'honorerent seulement pour l'engager à moins nuire, suivant la remarque de Valere-Maxime, liv. II. ch. v. n. 6.

Cette déesse avoit à Rome plusieurs temples ; & du tems de l'auteur que nous venons de citer, trois de ces temples subsistoient encore, l'un sur le mont Palatin, l'autre dans la place des monumens de Marius, & le troisieme au haut de la rue longue. On apportoit dans ces temples les remedes contre la Fievre, avant de les donner aux malades, & on les exposoit quelque tems sur l'autel de la divinité. Ce moyen servoit plus à guérir l'esprit que le corps, dit Valere-Maxime lui-même ; & les anciens Romains qui mirent la Fievre au rang des dieux, dûrent leur santé bien plus à leur frugalité qu'à la protection de la déesse.

Nous ignorons comment ils la représentoient ; mais nous avons la formule d'une priere ou d'un voeu qui lui a été fait, & qui s'est conservé dans une inscription trouvée en Transylvanie. Cette inscription publiée par Gruter, donne à la Fievre les noms de divine, de sainte, & de grande. La voici : FEBRI DIVAE, FEBRI SANCTAE, FEBRI MAGNAE, CAMILLA AMATA, PRO FILIO MALE AFFECTO, P. " Camilla Amata offre ses voeux pour son fils malade, à la divine Fievre, à la sainte Fievre, à la grande Fievre. "

Au reste les Romains avoient reçû cette divinité des Grecs, avec cette différence que ces derniers en faisoient un dieu, parce que le mot , fievre, est masculin, & que febris est féminin ; mais c'est toûjours le même être qu'ils ont divinisé dans chaque pays, pour satisfaire aux préjugés du peuple. Article de M(D.J.)

FIEVRE, (Manege, Maréchall.) maladie commune à l'homme & à l'animal. Le medecin profond & éclairé en recherche encore la nature individuelle ; l'ignorant toûjours présomptueux se flate de l'avoir saisie, la sage timidité de l'un, la précipitation hardie de l'autre, doivent inspirer la plus grande réserve. Je ne joindrai donc point témérairement ici mes foibles efforts à ceux du premier ; & je ne me livrerai pas d'une autre part, à l'inutile soin de reprimer le ton impérieux & décisif du second. Les divisions que suggerent les différences que l'on remarque dans les fievres dont le cheval est atteint ; les causes évidentes de ces fievres, leurs symptomes, les justes indications qui peuvent déterminer le maréchal dans le choix & dans l'application des remedes, sont les uniques points dans lesquels je me propose de me renfermer. Si je ne lui présente que les faits que j'ai scrupuleusement observés ; & si de ces faits présentés & certains je ne tente pas de m'élever par la voie des inductions & des conséquences, à la découverte d'un principe ou d'une cause prochaine jusqu'à présent ensevelie dans les ténebres de la nature, qu'il sache que la nuit profonde qui nous dérobe une foule innombrable d'objets & de vérités, est préférable aux vaines & fausses lueurs que nous ne prenons que trop souvent pour de véritables lumieres ; qu'il apprenne que les systèmes, les hypothèses, & toutes les bisarres productions d'une imagination ou d'un esprit qui se perd, peuvent d'autant plus aisément l'égarer, qu'elles ont fait de la Medecine des hommes, c'est-à-dire de l'art le plus utile & le plus salutaire, un art funeste & dangereux ; & que qui méconnoît le doute & ne craint point l'erreur, est inévitablement sujet à des écarts également indignes de la raison & du savoir, qui ne sauroient en être la source.

Toute fievre qui ne subsiste pas par elle-même, & qui n'est que l'effet d'une maladie quelconque qui affecte quelque partie du corps de l'animal, est dite fievre secondaire ou symptomatique.

Toute fievre qui forme principalement la maladie, & qui ne peut en être regardée comme une dépendance, un accident, ou une suite, est appellée fievre absolue, ou fievre idiopathique, ou fievre essentielle.

Celle-ci est intermittente ou continue.

On nomme fievres intermittentes celles qui cessent par intervalles, & qui reprennent par accès, soit que leurs périodes soient reglées, soit qu'elles se montrent erratiques ou confuses.

Dans la distinction que M. de la Guériniere a faite des fievres considérées par rapport à l'animal, il admet la fievre tierce & la fievre quarte. La définition triviale qu'il nous en donne, & à laquelle il se borne, ne dispose point à croire qu'il les ait réellement apperçûes dans le cheval : son témoignage ne peut donc être de quelque poids qu'autant qu'il se trouve appuyé de l'autorité de Ruini. Ce dernier est de tous les auteurs qui méritent quelque confiance & que j'ai consultés, le seul qui en fasse mention : il parle même d'une sorte de fievre intermittente subintrante qu'il appelle, d'après les Medecins, fievre quarte continue. Je ne nie point, relativement à l'animal dont il s'agit, la possibilité de leur existence, de leur retour, & de leurs redoublemens périodiques ; mais je me suis imposé la loi de ne rien avancer qui ne soit généralement avoüé, ou qui ne soit établi sur mes observations particulieres ; & cette même loi m'interdit toute discussion à cet égard.

Il n'en est pas ainsi des fievres continues, je veux dire de celles qui sont sans intermission : l'expérience m'a appris qu'il en est qui ne lui sont que trop souvent funestes.

Les unes m'ont paru simples, & les autres composées.

Celles-ci different essentiellement de celles qui sont simples, par les accès, les invasions, les redoublemens, l'augmentation des symptomes qui pendant leur durée, prouvent & annoncent de plus grands efforts de la part de la cause morbifique : j'ajoûterai que ces paroxysmes ou ces redoublemens n'ont jamais à mes yeux évidemment gardé aucun ordre.

De toutes les fievres continues, l'éphémere est la plus simple ; elle se termine ordinairement dans l'espace de vingt-quatre heures, quelquefois dans l'espace de trente-six. Si la durée s'étend au-delà de ce tems, elle est dite fievre éphémere étendue, ou, pour me servir du langage de l'école, fievre synoque simple : c'est cette même fievre dont le cours est plus ou moins long, que l'on ne suppose point fomentée par l'amas & la corruption des humeurs, qui est égale depuis son commencement jusqu'à sa fin, & qui tant qu'elle subsiste, ne laisse entrevoir aucune diminution & aucune augmentation sensibles.

On peut encore envisager les fievres continues par leur violence, par leur qualité, par leur constance, par leurs causes, & par leurs symptomes.

1°. Selon la rapidité de leurs progrès & selon la promtitude avec laquelle elles se terminent ; elles sont ou simplement aiguës, ou fort aiguës, ou extrèmement aiguës.

2°. La difficulté avec laquelle elles cedent aux remedes, leur constance, la lenteur de leurs mouvemens, dénotent des fievres chroniques, semblables à celles que suscitent des dépôts internes, & telles, par exemple, que la fievre colliquative qui accompagne la morve, quand elle est parvenue à un certain degré. Ces fievres lentes sont toûjours symptomatiques : on ne peut conséquemment en triompher qu'en attaquant & en domptant la maladie qui les occasionne. Il arrive aussi dans le cheval, comme dans l'homme, que des fievres aiguës dégénerent en fievres de ce caractere.

3°. Dès qu'on se croit en droit d'accuser de la maladie présente une matiere fébrile considérable, & que l'on suppose cachée dans le sang ou dans les premieres voies, la fievre continue ou synoque putride ; & si la perversion prétendue des humeurs est excessive ou entiere, elle est ardente ou maligne. Les maréchaux la nomment alors feu, mal de feu, mal d'Espagne ; & elle est directement opposée par sa qualité aux fievres synoques simples, & aux fievres éphémeres, qui sont des fievres bénignes.

4°. Enfin si à tous les signes de la fievre maligne se joignent une grande prostration des forces, des exanthèmes, des bubons, des anthrax, &c. la maladie se manifestera par des symptomes trop positifs pour qu'il soit permis d'y méconnoître la fievre pestilentielle.

Ces détails que je n'étendrai pas plus loin, suffisent à quiconque prétend se former une idée des fievres qui peuvent survenir à l'animal ; elles sont toutes renfermées dans les divisions que j'en ai faites : celles dont le traitement m'a été confié, se réduisent à des fievres continues, ou lentes, ou aiguës, ou éphémeres, ou non putrides, ou putrides, ou pestilentielles, ou malignes.

Un travail immodéré & trop violent, un refroidissement, un repos trop constant & trop long, un défaut dans le régime, une nourriture abondante capable de surcharger l'estomac, à la suite d'un exercice pénible & forcé ; la faim, la soif même ; des eaux croupies, corrompues, indigestes ; une boisson froide donnée à un cheval échauffé ou qui est en sueur ; des alimens trop chauds, des fourrages aigres, le foin vasé & qui a été mouillé, le foin nouveau, de mauvais grains ; les vicissitudes de l'air ambiant ; des chaleurs excessives, des froids demesurés, des transitions subites & répétées des premieres à ceux-ci ; des tems humides & pluvieux, des tems de sécheresse & d'aridité ; l'ardeur d'un soleil brûlant, des exhalaisons putrides qui infectent quelquefois tout un pays, tout un camp, &c. telles sont en général les causes évidentes des unes & des autres ; à l'exception de la fievre lente qui n'est point essentielle, ainsi que je l'ai déjà remarqué, qui n'est que le produit de la lésion de quelques visceres, ou d'une maladie chronique quelconque.

Les autres fievres symptomatiques que le cheval éprouve, & qui peuvent être placées au rang des fievres aiguës, procedent communément de la douleur plus ou moins vive que suscitent en lui de fortes tranchées, l'érésypele, l'étranguillon, la fourbure, des tumeurs phlegmoneuses, des abcès, des plaies, &c. Les médicamens propres à calmer & à détruire ces maux, sont aussi les seuls qu'il convient d'employer pour en abréger le cours.

Il est des signes généraux des fievres ; il en est de particuliers à chacune d'elles.

Les signes généraux sont une respiration plus ou moins difficile, plus ou moins laborieuse, plus ou moins fréquente, & une accélération plus ou moins considérable des mouvemens ordinaires du diaphragme & des muscles abdominaux ; mouvemens très-sensibles dans les flancs, & accélérés selon la fréquence des inspirations que l'animal est machinalement obligé de faire pour faciliter & pour subvenir au passage du sang que le coeur agité chasse dans les poumons avec plus d'impétuosité & en plus grande abondance que ces organes ne peuvent en admettre dans l'état naturel.

Dans la plus nombreuse partie des chevaux, vainement tenterions-nous de consulter le pouls, cette regle des grands medecins, cet oracle qui leur dévoile la force du coeur & des vaisseaux, la quantité du sang, sa rapidité, la liberté de son cours, les obstacles qui s'y opposent, l'activité de l'esprit vital, son inaction, le siege, les causes, le danger d'une foule de maladies ; mais qui cesse d'être intelligible, & qui devient ambigu, obscur, & captieux pour ces docteurs frivoles, fourbes, ou ignorans, qui, sans égard à l'inégalité de la force de ce muscle, des canaux & du fluide sanguin dans les divers sujets, & aux variétés de cette même force dans un même individu, & sans la plus legere connoissance de la constitution & du tempérament du malade, prononcent au premier abord, & tirent ensuite du tact & de l'examen le moins réfléchi, des indications & des conséquences fausses & souvent meurtrieres.

Il faut convenir néanmoins que ce signe ou cette mesure de l'action & des mouvemens qui constituent la vie, ne nous abandonne pas toûjours. J'ai vû quelques chevaux dont l'artere du larmier étoit assez superficielle & le cuir assez fin pour permettre de distinguer les pulsations, & même de juger de leur dureté, de leur mollesse, de leur fréquence, de leur rareté, de leur intermittence, de leur uniformité, de leur grandeur, de leur petitesse, de leur continuité, & de leur interruption. J'ai vérifié sur eux les observations rapportées dans l'Haemastatique de M. Halles, en ce qui concerne le nombre des battemens, & j'en ai suivi la progression dans les divers âges : j'en ai compté quarante-deux par minute dans le cheval fait & tranquille ; soixante-cinq dans un poulain extrèmement jeune ; cinquante-cinq dans un poulain de trois ans ; quarante-huit dans un cheval de cinq ans, mais limosin, & par conséquent d'un pays où ces sortes d'animaux sont long-tems attendus ; trente dans un cheval qui présentoit des marques évidentes de vieillesse ; cinquante-cinq, soixante, & même cent dans le même cheval dont j'avois ouvert les arteres crurales, & que je sacrifiois à ma curiosité ; la fréquence des pulsations augmentant à mesure qu'il approche de sa fin : enfin dans des jumens faites j'en ai compté trente-quatre & trente-six ; ce qui prouve que dans les femelles des animaux, le pouls est plus lent que dans les mâles ; & ce qui démontre, lorsque cette différence nous frappe dans les personnes des deux sexes, que la marche, les lois & les opérations de la nature sont à-peu-près les mêmes dans le corps de l'homme & de l'animal. Du reste, si les battemens des arteres de la machine humaine sont en raison double de ceux des arteres du cheval, on ne doit point imaginer avec M. de Garsault que la consistance naturellement plus épaisse du sang de l'animal, soit en lui une des causes principales de l'éloignement des contractions du coeur ; elles sont toûjours moins distantes les unes des autres dans les grands animaux, & elles sont toûjours plus fréquentes dans les plus petits : on pourroit même s'en convaincre par leur variété dans un bidet & dans un grand cheval de carrosse ; non que la force du sang artériel ne l'emporte dans les animaux les plus grands, ainsi qu'on peut s'en assûrer dans les tables de Halles, en comparant les hauteurs perpendiculaires du sang dans les tubes fixés aux arteres, mais parce que ce liquide ayant en eux un plus grand nombre de ramifications, & des vaisseaux d'une bien plus grande étendue à parcourir, éprouve dans son cours beaucoup plus d'obstacle & de résistance.

Il est encore des chevaux dans lesquels les pulsations du tronc des carotides sont appercevables à la vûe, précisément à l'insertion de l'encolure dans le poitrail, quand ils sont atteints de la fievre : communément aussi dans la plûpart de ceux qui fébricitent, le battement du coeur n'est point obscur ; mais ceux de toutes les arteres sont absolument inaccessibles au tact : nous ne pouvons donc juger alors avec certitude de la liberté de l'action de ces canaux, de leur resserrement, de leur tension, de leur dureté, de leur sécheresse, &c. ni saisir avec précision une multitude de différences très-capables de guider des esprits éclairés ; & ces battemens ne nous apprennent rien de plus positif que ce dont nous instruisent les symptomes généraux dont j'ai parlé, c'est-à-dire la respiration fréquente, & l'accélération du mouvement des flancs.

Les signes particuliers à la fievre éphémere sont l'accès subit de cette fievre, qui n'est annoncée par aucun dégoût, & qui se montre tout-à-coup dans toute sa force, la chaleur modérément augmentée de l'animal, le défaut des accidens graves qui accompagnent les autres fievres, & la promtitude de sa terminaison.

Ceux qui sont propres à la fievre éphémere étendue, ou à la fievre continue simple, different de ceux-ci par leur durée, & par la tristesse plus grande du cheval.

Des frissons qui s'observent, sur-tout aux mouvemens convulsifs du dos & des reins ; la chaleur vive qui leur succede ; la véhémence du battement du flanc, sa tension, l'excessive difficulté de la respiration ; l'aridité de la bouche ; une soif ardente, l'enflure des parties de la génération ; la position basse de la tête ; beaucoup de peine à la relever ; la froideur extrème des oreilles & des extrémités ; des yeux mornes, troubles, & larmoyans ; une foiblesse considérable, une marche chancelante ; un dégoût constant ; la fétidité d'une fiente quelquefois dure, quelquefois peu liée, quelquefois graisseuse ; une urine crue & aqueuse ; la chûte du membre ; la couleur fanée du poil ; une sorte de strangurie, qui n'a lieu que quand l'animal chemine ; la persévérance avec laquelle il demeure debout & sans se coucher, sont autant de symptomes qui appartiennent à la fievre putride.

La plûpart de ces mêmes symptomes sont aussi communs aux fievres ardentes ; mais ils se présentent avec un appareil plus effrayant.

La chaleur d'ailleurs inégale en divers endroits, est telle qu'elle est brûlante, sur-tout au front, autour des yeux, à la bouche, à la langue qui est âpre & noire, raboteuse, & à laquelle il survient souvent des especes d'ulceres. L'air qui sort par l'expiration n'est pas plus tempéré ; l'accablement est encore plus grand ; la soif est inextinguible ; une toux seche se fait entendre ; la respiration est accompagnée d'un râlement ; la tête est basse & immobile ; l'haleine est puante ; une matiere jaunâtre, verdâtre, noirâtre, flue quelquefois des nasaux, les excrémens sont desséchés, ou bien ils sont semblables à ceux qui caractérisent le flux dissentérique : si l'ischurie n'a pas lieu, l'urine qui coule est noire & très-souvent sanguinolente ; enfin le cheval peut à peine avaler la boisson qu'il prend & qu'il rend alors par les nasaux dans lesquels elle remonte par l'arriere-bouche.

Dans la fievre pestilentielle, tous ces signes d'une inflammation funeste s'offrent également ; les tumeurs critiques qui paroissent au-dehors, ainsi que je l'ai déjà dit, la désignent spécialement & d'une maniere non équivoque.

Quant à la fievre lente, dès que les lumieres que nous pourrions acquérir par le pouls nous sont en général & presque toûjours interdites, le seul symptome univoque qui nous reste est le marasme, la consomption & un dépérissement insensible.

De toutes ces fievres, celles qui portent avec elles un caractere de putridité, de malignité, & de contagion, sont les seules qui soient vraiment dangereuses ; la fievre lente ne l'est pas par elle-même ; elle n'est que l'effet des progrès fâcheux d'une maladie chronique, qui conduit le cheval pas-à-pas à sa perte. Les suites de l'éphémere qui s'étend ou se prolonge ne sont redoutables qu'autant qu'elle dégénere en synoque putride : mais dans celle-ci comme dans les autres, la violence des signes que j'ai décrits, doit tout faire craindre : l'obscurcissement des yeux, leur immobilité, l'affaissement des paupieres, le larmoyement involontaire, la difficulté de la déglutition, la sueur froide des parties génitales, le relâchement de la peau des tempes, la sécheresse de celle du front, la froideur & la puanteur de l'haleine, le refus obstiné de toute boisson & de tout aliment, l'inquiétude continuelle de l'animal qui se couche, se jette à terre, se releve, retombe, se roidit, s'agite, & se débat ; ses plaintes, son insensibilité totale, la pâleur & la lividité de ses levres, le grincement de ses dents, l'augmentation du râlement, la disparition subite des bubons & des charbons qui s'étoient montrés & qui ne reparoissent plus, &c. tels sont les présages presque assûrés d'une mort plus ou moins prochaine.

La route des succès dans le traitement de ces maux seroit bien incertaine, si pour y parvenir il étoit question de remonter à la connoissance intime des degrés par lesquels les humeurs dégénerent, de tous les changemens & de tous les desordres que cette dégénération produit dans l'économie animale, des sources & de la transmission de toutes les impuretés qui les pervertissent, de la véritable action, des diverses combinaisons, de la forme, & des autres dispositions méchaniques de ces substances nuisibles, de leur affinité & de leurs rapports cachés avec les différentes parties qui composent la machine : pour moi, j'avoue que je n'aurai jamais assez d'audace & assez d'amour-propre pour entreprendre de pénétrer jusqu'à ces agens & à ces êtres imperceptibles & pernicieux ; content de m'opposer aux effets dont mes sens sont témoins, je n'ai garde de vouloir m'adresser à la cause efficiente qui m'est voilée.

Le soin de guérir la fievre éphémere doit être abandonné aux mouvemens spontanés des vaisseaux & du sang ; tout l'art consiste à ne point troubler l'ouvrage de la nature, le repos, la diete, l'eau blanche, l'usage des délayans concourront avec elles. Si cette fievre outre-passe le tems ordinaire de sa durée, on examinera attentivement les signes qui l'accompagnent, à l'effet de distinguer si elle sera continue, simple, ou continue putride : dans le premier cas, on saignera l'animal, on lui administrera des lavemens émolliens ; on jettera dans son eau blanchie quelques pintes de la décoction émolliente faite avec la mauve, la guimauve, la pariétaire ; on le tiendra au son, & on ne lui donnera point de fourrage, pour éviter que des mauvais sucs formés dans les premieres voies, vû le trouble des fonctions des organes de la digestion dans cette circonstance, ne sollicitent des accidens plus graves : dans le second cas, les mêmes remedes sont salutaires ; les saignées seront réitérées selon la véhémence des signes, les lavemens émolliens multipliés ; on y ajoûtera le crystal minéral ; on en jettera dans sa boisson. Lorsque les principaux symptomes seront évanoüis ou calmés, on rendra purgatifs les lavemens émolliens, en y délayant du miel mercuriel de nymphéa ou de violettes, environ quatre onces, & deux onces de pulpe de casse : on fera enfin observer à l'animal un régime toûjours exact ; & s'il est encore besoin d'évacuer, on pourra terminer la cure par un purgatif : car ces sortes de médicamens ne sont funestes qu'autant qu'ils sont très-mal composés par les maréchaux, ou donnés avant que l'irritation soit appaisée.

Une écurie dans laquelle l'air sera pur, froid, & souvent renouvellé, sera très-convenable au cheval attaqué de la fievre ardente. Elle demande dans les commencemens, sur-tout si elle est avec toutes les marques d'inflammation que j'ai désignées, les secours de la saignée. La boisson de l'animal sera tiede, abondante ; on aura attention d'y jetter du crystal minéral. Si on peut lui faire avaler quelque chose avec la corne, on lui donnera de la décoction émolliente dans laquelle on aura ajoûté des gouttes d'eau de rabel, jusqu'à ce qu'elle ait acquis une certaine acidité. On coupera avec cette même décoction émolliente, le lait de vache écremé dont on composera des lavemens en y mêlant deux ou trois jaunes d'oeufs : s'il en est besoin, on pourra employer en même tems le syrop de pavot blanc, à la dose de trois onces ; les indications devant nous diriger dans le choix des clysteres. La vapeur de l'eau chaude déterminée dans ses nasaux, des injections poussées par la même voie dans l'arriere-bouche, & faites avec une décoction de feuilles d'alléluya, & quelques gouttes d'esprit de soufre ou d'eau de rabel, seront encore très-utiles : il s'agira en un mot de mettre fin à la contraction des fibres, par tous les moyens possibles, de délayer exactement les liqueurs, & d'évacuer insensiblement par les urines, par l'insensible transpiration, tout ce qui peut entretenir la maladie.

La saignée, les purgatifs doivent être proscrits dans la fievre pestilentielle : il en est de même de la boisson nitrée, attendu l'abattement considérable des forces. Si néanmoins l'animal n'est pas beaucoup affaissé, & si l'on remarque une agitation très-vive dans les solides & dans les fluides, ainsi que tous les symptomes qui l'annoncent, on pourra tenter avec la plus grande circonspection, de l'appaiser par des lavemens, & en lui ouvrant la veine. Cet objet rempli, on aura recours à des cordiaux tempérés, tels que les eaux de chardon benit, de scorsonere & de scabieuse, qu'on lui donnera avec la corne : peu-à-peu on passera de ces cordiaux tempérés à des cordiaux plus chauds & plus actifs, tels que le diaphorétique minéral, le bèzoard, la poudre de viperes, le sel volatil de corne de cerf, la thériaque, &c. dont l'effet est de chasser & de pousser à l'habitude du corps la matiere morbifique, & par lesquels il est à propos de débuter, lorsque le cheval est, pour ainsi dire, anéanti.

A l'égard des tumeurs critiques, notre but principal doit être d'attirer le venin au-dehors, en favorisant la suppuration, pour rendre la crise parfaite. On employera pour y parvenir le cataplasme maturatif fait avec le levain, l'oseille, le basilicum, la fiente de pigeon : mais on appliquera, s'il est nécessaire, les ventouses sur le bubon qui dès que nous appercevrons de la fluctuation, sera ouvert avec un bouton de feu. Nous entretiendrons la suppuration jusqu'à ce que toute la dureté soit consumée : après quoi nous détergerons l'ulcere, nous le mondifierons, & nous le conduirons à une parfaite cicatrice ; sauf à mettre ensuite en usage les purgatifs pour terminer entierement la cure. (e)


FIFE(Géog.) Otholinia, province méridionale d'Ecosse, bornée au nord par le golfe de Fai ; à l'orient, par la mer ; au midi, par le golfe de Forth ; & à l'oüest, par les monts Orchell (Ochell-hills) : elle se divise fort communément en orient & occident. L'air y est bon, & ses bords sont fertiles en blé & en pâturages. Saint-André en est la capitale. Cette province fut d'abord nommée Ross, c'est à-dire presqu'isle ; & en effet, c'en est une, qui fut réunie à la couronne sous le regne de Jacques I. M. de Lisle met la pointe la plus orientale de la province de Fife, dite Fife-ness, à 16 deg. 20 min. de long. & sa latit. à 56 deg. 27. min. (D.J.)


FIFREluth. instrument à vent, de la nature des petites flûtes : il y en a de deux especes, l'une qui s'embouche comme la flûte allemande, & l'autre qui est à bec : voyez ces deux fifres dans nos Planches. Le fifre s'accompagne ordinairement du tambour. Son étendue commune n'est que d'une quinzieme. Il est percé de six trous, sans compter celui du bout ni celui de l'embouchure. Son canal est court & étroit, & ses sons vifs & éclatans : voici sa tablature.


FIGALES. f. (Marine) C'est un bâtiment dont on se sert dans l'inde, qui ne porte qu'un mât qui est placé au milieu ; il y a une dunette qui est toute ouverte, & qui fait une petite saillie sur l'eau ; il va toûjours à la rame, quoique la voile soit déployée : à l'avent il n'y a qu'une piece de bois en pointe qui sert d'épéron. (Z)


FIGEAC(Géog.) bourg de France dans le Quercy, avec une ancienne abbaye de l'ordre de saint Benoît, fondée par le roi Pepin, dont le monastere fut rebâti par ce prince l'an 755 : elle fut sécularisée par le pape Paul III. Figeac est sur la Selle, à 9 lieues N. E. de Cahors, & 19 lieues N. O. d'Albi Long. 19d. 40'. latit. 44d. 40'. (D.J.)


FIGEN(Géog.) province du Japon dans l'isle de Ximo : c'est dans cette province que se fait toute la porcelaine du Japon : la matiere dont on la forme est un argile blanchâtre qui se tire en grande quantité du voisinage d'Urisano, de Suwota, sur des montagnes qui n'en sont pas fort éloignées. (D.J.)


FIGER(se) verbe pas. c'est prendre une consistance molle par l'évaporation, le refroidissement ou une autre cause : on sait que la chaleur mettant les parties des corps en mouvement, les écarte les unes des autres ; qu'à mesure que la chaleur cesse, le mouvement cesse, que la dilatation ou expansion diminue, que les parties se rapprochent & qu'elles peuvent s'appliquer les unes aux autres, de maniere que le corps perde son état de fluidité : l'évaporation produit aussi les mêmes effets ; mais on ne dit guere que des cires, des huiles, des graisses, & des liqueurs animales, qu'elles se figent. Voyez GLACE.


FIGUERIES. f. (Jardinage) lieu où on éleve des figuiers. Dans les grands potagers, il y a toûjours un petit jardin séparé pour ces arbres, de même qu'une melonniere. (K)


FIGUIERS. m. (Hist. nat. bot.) ficus, genre de plante dont les fleurs, au rapport de Valerius-Cordus, naissent dans la cavité du fruit en forme de petits filets qui tiennent à une sorte d'enveloppe qui renferme une semence ordinairement arrondie : le fruit est le plus souvent en forme de poire ou arrondi ou ovoïde, il est charnu, mol, & n'a presque point de pédicule. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PANTE. (I)

Les caracteres du figuier ont été parfaitement établis par nos botanistes modernes, par Tournefort, Miller, Boerhaave, & sur-tout par Linnaeus.

Ses fleurs, dit Miller, toûjours renfermées au milieu du fruit, sont monopétales, mâles & femelles. Les fleurs mâles sont situées autour de la couronne du fruit ; les femelles croissent près du pédicule, & sont succédées par de petites graines dures : le fruit entier est de figure de poire, ronde ou ovale, charnu, succulent & d'une saveur douce.

Boerhaave caracterise ainsi le figuier : de l'extrémité du pédicule, part un petit calice à trois pieces, d'où naît le péricarpe, enfermé dans une membrane tant-soit-peu épineuse, & retrécie au sommet du fruit ; il y forme un ombilic, & s'insere dans plusieurs petites feuilles écailleuses & pointues par le bout, couchées successivement les unes sur les autres, & couvrant presque entierement la cavité du péricarpe. Les feuilles extérieures soûtenues par des pédicules forts, s'appliquent étroitement ensemble, & celles qui sont les plus avancées en-dedans, n'ont point de pédicule : de la cavité du péricarpe, partent circulairement des fleurs longues, tubuleuses, à plusieurs pétales, hermaphrodites, avec des ovaires qui sont autant de capsules testacées, croissant les unes dans les autres, rudes, & formant des gousses pulpeuses.

Notre illustre botaniste fait mention de huit especes de figuiers communs, Miller de quinze, Tournefort de dix-sept ; mais de ce grand nombre d'especes, nous ne parlerons que du figuier domestique, & du figuier sauvage ordinaire ; car il n'y a pas un moindre nombre d'especes de figuiers sauvages, & de figuiers exotiques, qu'il y en a de cultivés.

Le figuier commun cultivé, s'appelle en grec , & par les botanistes ficus, ficus communis, ficus sativa, &c. c'est un arbre d'une hauteur médiocre, branchu, touffu ; son tronc n'est pas tout-à-fait droit ; son écorce n'est pas unie, mais un peu raboteuse, sur-tout lorsqu'il est vieux : son bois est blanchâtre, mou, moëlleux, il n'est pas employé : ses feuilles sont amples, découpées en maniere de main ouverte, partagées en cinq parties, & ayant cinq angles ; elles sont rudes, dures, & d'un verd foncé : les fruits naissent auprès de l'origine des feuilles, sans aucune fleur apparente qui ait précédé : ils sont petits dans le commencement, grossissent peu-à-peu, verds d'abord, ensuite pâles, rougeâtres, ou tirant sur le violet ; ils sont tous moëlleux, mous, & remplis d'une infinité de petits grains ; si l'on blesse ces fruits avant leur maturité, ou la queue des feuilles, ou l'écorce nouvelle du figuier, il en sort un suc laiteux, acre & amer.

Cette plante n'est pas privée de fleurs, comme plusieurs l'ont crû ; mais elles sont cachées dans le fruit même, comme Tournefort l'avoit soupçonné après Valerius-Cordus ; quoique ni lui ni les autres botanistes n'ayent connu les vraies parties essentielles de ces fleurs, jusqu'à l'année 1712, que M. de la Hire, medecin, & membre de l'académie des Sciences, a découvert & démontré publiquement dans cette célebre académie, les étamines des figues, & leurs sommets couverts d'une poussiere très-fine ; car M. Tournefort avoit pris pour les fleurs, de certains filamens extrèmement fins, qui sortent des enveloppes qui renferment la graine, & même les pistiles de ces mêmes graines ; mais comme les parties naturelles des fleurs sont, sur-tout les étamines & les sommets, pleines d'une poussiere très-fine, & que les filamens de Tournefort ne sont point garnis de ces sommets, ils ne doivent pas être appellés fleurs, sur-tout si l'on trouve de ces étamines ailleurs garnies de leurs sommets. La fleur dans cette plante est donc renfermée dans le fruit lui-même ; ou plûtôt le fruit est le calice, dans lequel la fleur & les graines sont cachées.

Voici quelle est la disposition & la forme des différentes fleurs du figuier, selon M. Linnaeus (Genera Plant. 776). Le calice des fleurs est commun, ou plûtôt c'est la figue elle-même ; il est en forme de poire, très-gros, charnu, creux, fermé à sa partie supérieure par beaucoup d'écailles triangulaires, pointues, dentelées & recourbées. Sa surface interne est toute couverte de petites fleurs, dont les extérieures, ou les plus proches de ces écailles sont les fleurs mâles, qui sont en petit nombre ; & au-dessous de celles-là, sont les fleurs femelles en très-grand nombre.

Chaque fleur mâle a son pédicule, & son propre calice partagé en trois, quatre & cinq parties, dont les découpures sont en forme de lance, droites, égales, sans pétales : elle a trois étamines ou cinq. Selon Pontedera, ce sont des filets déliés de la longueur du calice, qui portent chacun un sommet à deux loges, & entre ces étamines est une apparence de pistiles. Les fleurs femelles ont chacune leur pédicule, & leur calice propre partagé en cinq parties, dont les découpures sont pointues en forme de lance, droites, presqu'égales, mais sans pétales. L'embryon est ovalaire, & de la longueur du calice propre ; il est surmonté d'un stile en forme d'alêne qui sort de l'embryon, à côté de son sommet, ce stile est terminé par deux stigmates pointus & refléchis, dont l'un est plus court que l'autre : le calice est placé obliquement & contient une seule graine assez grosse, arrondie & applatie.

Le suc du figuier tiré de l'arbre par incision, ou exprimé des feuilles, est clair, laiteux, amer, acre & chaud. Il enleve la peau & l'excorie ; on s'en sert même pour extirper les porreaux appellés myrmeciae ; quelques-uns le préparent, & en font un détersif, pour appliquer extérieurement dans les maladies cutanées ; mais nous avons de beaucoup meilleurs remedes. L'acidité du même suc fait coaguler le lait, & le met en fromage ; cela doit être.

Il entre encore dans la classe de ces écritures sympathiques, qui ne sont visibles qu'en les chauffant ; c'est-à-dire que si l'on trace des lettres sur un papier avec le lait, ou le suc des jeunes branches de figuier, elles disparoîtront ; pour les lire il faut approcher le papier du feu ; lorsque ce papier sera fort échauffé, alors les caracteres deviendront lisibles ; c'est une expérience fort connue ; & l'on sait que le suc du figuier la partage non-seulement avec le vinaigre, le suc du limon, & les autres acides, mais de plus, toutes les infusions, & toutes les dissolutions, dont la matiere dissoute, peut se brûler à très-petit feu, & se réduire en une espece de charbon, produisent le même effet. Voyez ENCRE SYMPATHIQUE.

Le figuier est un arbre très-connu dans les régions chaudes ; on n'y en rencontre pas de plus communs, soit dans les jardins domestiques, soit dans la campagne. On le cultive beaucoup dans les climats tempérés. La culture en est facile, les progrès assez promts, le fruit exquis, & la récolte revient deux fois par an ; avantages qui ne se trouvent peut-être pas dans aucune autre plante. La Quintinie, Bradley & Miller, ont déployé tout leur art pour la perfection de cette culture, & pour celle des figueries ; mais outre qu'on n'y peut parvenir qu'à grands frais, il est certain que toutes sortes de figues ne peuvent réussir dans nos climats : c'est en Languedoc, en Provence, en Italie, en Espagne, en Portugal, & autres pays chauds, qu'il faut les aller chercher. Voyez cependant les recherches faites en ce genre par Bradley, Miller & la Quintinie, au mot FIGUIER. (Agric.)

Le figuier sauvage, appellé par les Grecs , & par nos Botanistes caprificus, ficus sylvestris, &c. est semblable en toutes ses parties au figuier ordinaire ; mais il porte des figues qui ne mûrissent pas, & qui servent par art à la caprification dont les anciens ont tant parlé : je dis les anciens, car rien n'est plus antique que la caprification. Amos étant repris par Amasias, prêtre de Béthel, de ce qu'il prophétisoit des choses fâcheuses contre Israël, répondit à Amasias : " Je ne suis ni prophete, ni fils de prophete, mon occupation est de conduire mes troupeaux, & de piquer des figues sauvages ". Amos, chap. viij. vers. 14. D'un autre côté, Théophraste, liv. II. de histor. plantar. cap. iij., Dioscoride, & Pline, liv. XVI. cap. xxvij. nous entretiennent de ces figues sauvages, & de la maniere de les piquer avec des crochets de fer, pour faire mûrir les figuiers domestiques : ce qu'ils nous en disent n'est point imaginaire, c'est un fait très-vrai & très-curieux, dont M. de Tournefort nous a instruit fort au long dans ses voyages, & dans les mém. de l'académie des Sciences, ann. 1705. On trouvera ce détail au mot CAPRIFICATION ; & sans cette connoissance, il n'est guere possible de bien entendre les auteurs grecs & latins qui en ont parlé. Voyez donc CAPRIFICATION. Article de M(D.J.)

FIGUIER, (Agriculture). On cultive ce petit arbre fruitier très-communément dans les pays méridionaux de l'Europe ; mais il n'est pas assez robuste pour résister en plein air aux grands hyvers dans nos contrées septentrionales, sans des précautions qui très-souvent ne le garantissent pas. On voit rarement des figuiers d'une belle tige & d'une forme réguliere : cet arbre est trop sujet à jetter du pié quantité de rejettons, qui l'affoiblissent & y mettent la confusion. Il fait de copieuses racines qui sont menues, jaunâtres, tortueuses, & qui ne s'étendent qu'à fleur de terre. Son bois est blanc, leger, spongieux, cassant, & n'est d'aucun usage : l'écorce en est unie, & d'une couleur cendrée fort claire : ses feuilles viennent tard, & tombent de bonne heure ; elles ont pour la plûpart quatre échancrures profondes, qui les divisent en cinq parties, & ce sont les plus grandes feuilles de tous les arbres fruitiers de ce climat. Son fruit est de différentes formes, couleurs & grosseurs, selon les différentes especes ; mais il est bien meilleur qu'il n'est beau. Le figuier se multiplie fort aisément, croît très-promtement, réussit dans les plus mauvais terreins, produit d'excellent fruit, & donne deux récoltes par an ; mais il est de courte durée, & il ne s'éleve guere qu'à quinze piés.

On peut multiplier cet arbre, soit en enlevant les rejettons qui se trouvent communément au pié, soit en couchant ses branches qui font de bonnes racines en un an, ou bien en faisant des boutures avec les jeunes branches & un peu de vieux bois, ou même en greffant une espece sur une autre, ou enfin en semant les graines que renferme la figue. Le premier moyen est le plus simple & le plus court ; le second supplée à son défaut ; on se sert du troisieme, quand on ne peut faire autrement ; le quatrieme n'est pratiqué que par quelques curieux, qui veulent perfectionner le fruit ; & le dernier n'est point en usage, parce que c'est la voie la plus longue, & que la plûpart des plants qui en proviennent, sont des especes bâtardes ou dégénérées.

Quoique le figuier puisse venir dans presque tous les terreins & à toutes les expositions, il se plaît pourtant mieux dans les terres legeres, où il donne plus de fruit que dans celles qui sont fermes & humides, où il jette beaucoup de bois & fait peu de rapport. Il y auroit même inconvénient à mettre cet arbre à une mauvaise exposition : celles où il réussit le mieux, sont le midi, le sud-est, le sud-oüest. On ne sauroit trop prendre de mesures pour lui procurer en été toute la chaleur possible, & pour le garantir en hyver contre les diverses intempéries que cette saison amene, & qui obligent à mettre cet arbre dans les endroits les mieux abrités. On fait quelquefois la tentative de mettre le figuier à plein vent ; il est vrai qu'il y produit de meilleur fruit & en une plus grande quantité : mais quelques précautions que l'on puisse prendre pour le défendre contre les gelées, il y résiste rarement aux hyvers un peu rigoureux. Tout au moins doit-on lui donner l'abri des murailles de bonne exposition, où on le forme en espalier autant qu'il est possible d'y astreindre cet arbre, dont le bois n'est pas assez souple pour être assujetti régulierement contre une palissade, encore n'est-on pas certain de le voir garanti par-là de l'atteinte des grandes gelées. Il n'y a donc de parti sûr, que celui d'avoir ces arbres dans des caisses, que l'on peut mettre dans la serre pendant l'hyver : c'est d'ailleurs le moyen d'avoir des figues plus précoces, en plus grande abondance & de meilleur goût.

Le figuier, comme tous les autres arbres fruitiers, a besoin d'être taillé pour une plus longue durée & un meilleur rapport. Cette taille doit avoir pour objet de couper tout le bois mort ; de supprimer les parties de l'arbre qui, en s'élançant irrégulierement, contrarient la figure qu'on lui veut faire prendre ; de retrancher les branches menues & confuses, car ce sont celles qui ne donnent point de fruit ; d'accourcir les branches de faux bois, que l'on reconnoît à ce que les yeux en sont plats & fort écartés. Mais il faut se garder, autant que l'on peut, de rien couper des branches à fruit, parce que c'est sur-tout à leur extrémité que viennent les figues, & que le bois en étant fort spongieux & plein de moëlle, la moindre entamure peut faire périr la branche. Par la même raison, on doit avoir attention de tailler le figuier avant que la seve soit en mouvement, parce que l'arbre s'affoibliroit en perdant de ce suc laiteux, dont il abonde alors, & qui est si acre, si brûlant, & si corrosif, qu'il fait perdre le lait comme la presure, qu'il dissout celui qui est caillé comme le vinaigre, & qu'il enleve la peau lorsqu'on l'applique dessus : cependant cette seve, avec de si étranges qualités, produit les fruits les plus doux, les plus sains, & les plus agréables au goût : tels sont les procédés, ou plûtôt les miracles de la nature.

On connoît plus de quarante especes de figuiers, que l'on se dispensera de rapporter ici, parce que le plus grand nombre ne profite pas dans ce climat. Celles qui y réussissent le mieux, sont les figues blanches, la ronde & la longue, celle-ci est plus abondante, l'autre est plus précoce, toutes deux sont excellentes. (c)

FIGUIER & FIGUE, (Diete & Mat. med.) La figue fraîche & parfaitement mûre est regardée comme humectante, adoucissante, tempérante, comme se digérant facilement, produisant un suc loüable, lâchant doucement le ventre, nettoyant les voies urinaires, chassant ou fondant les graviers & le calcul, & sur-tout comme très-amie de la poitrine.

Cette derniere qualité est principalement & plus éminemment attribuée aux figues seches, designées chez les pharmacologistes latins par le nom de caricae ou ficus passae. Ces figues seches tiennent donc un rang distingué parmi les fruits pectoraux. Voyez BECHIQUE & PECTORAL. Ce n'est que dans cet état qu'on l'employe à titre de médicament. Plusieurs medecins, tant anciens que modernes, leur ont attribué un grand nombre d'autres propriétés, soit utiles, soit nuisibles : celles, par exemple, de faciliter l'accouchement, de provoquer les sueurs jusqu'au point de causer des exanthemes ou échauboulures, de résister au poison, d'engendrer des poux, de rendre la chair molasse & bouffie, de causer des obstructions, &c. Ces vertus & ces qualités nuisibles ne nous paroissent fondées que sur des prétentions : on croit assez généralement aujourd'hui, que les figues, soit nouvelles, soit sechées, sont un aliment très-salutaire, pourvû qu'on en use modérément. On remédie à une certaine viscosité incommode de la salive qu'elles procurent en avalant abondamment de l'eau fraîche.

On a observé dans les provinces méridionales du royaume, où les figues sont un aliment très-commun & très-ordinaire pendant cinq mois consécutifs, qu'elles ne produisoient aucun mauvais effet avec quelque excès qu'on en mangeât, pourvû qu'on eût soin de les choisir bien mûres ; mais que celles qui n'avoient pas acquis une maturité parfaite, qui contenoient encore un suc laiteux dans leur pédicule & dans leur peau, causoient très-communément des dyssenteries & des fievres.

Galien dit que depuis l'âge de vingt-huit ans, il s'est abstenu de toute sorte de fruits d'été, horaei, fugaces, excepté des figues bien mûres & des raisins ; & il attribue à ce sage régime, la santé dont il a joüi jusque dans un âge avancé.

L'emploi des figues seches à titre de remede, est borné dans l'usage ordinaire, à être un des ingrédiens des décoctions pectorales, des gargarismes adoucissans & maturatifs quelquefois, mais plus rarement des lavemens adoucissans, & à être appliquées extérieurement sur les tumeurs inflammatoires à titre de maturatif. Voyez MATURATIF.

On s'en sert pour corriger efficacement la saveur desagréable du séné. Voyez CORRECTIF.

Sylvius Deleboé dit que leur décoction excite le vomissement aussi-bien que l'eau tiede, ficubus priùs comestis superbibite ; quo artificio, ajoûte-il, innocentiam suam probavit Aesopus.

Plusieurs medecins anciens ont recommandé le suc laiteux & les feuilles de figuier dans bien des cas. Pline (liv. XXIII. chap. vij.) parle de l'usage extérieur du suc, comme caustique, dépilatoire, mondificatif, utile contre la goutte, la gale, & diverses maladies de la peau, comme excitant les regles, pris intérieurement. Mais le suc de figuier n'est plus un remede pour nous.

Le même auteur dit qu'on employoit de son tems les feuilles de figuier contre les écroüelles, & que les jeunes pousses étoient bonnes contre la morsure des chiens enragés. Ces remedes sont encore absolument inusités aujourd'hui. (b)

FIGUIER D'AMERIQUE, grand figuier ou figuier admirable. Le dictionnaire de Trévoux confond cet arbre avec le paléturier, quoique ce soit deux arbres différens qui n'ont rien de commun que la façon dont ils se produisent & s'étendent à la ronde, au moyen de leurs branches, qui en se recourbant prennent racine & forment de nouveaux troncs.

Le fruit du figuier est à-peu-près de la grosseur d'une noisette. Il ressemble exactement à la figue d'Europe, tant extérieurement qu'intérieurement ; il en a même le goût : cependant il est un peu plus fade, & moins succulent. Article de M. LE ROMAIN.

FIGUIER D'ADAM : cette grande & belle plante que l'on nomme plane en quelques contrées, ne porte point ce nom aux Antilles, comme le dit le diction. de Trév. on l'appelle simplement figuier bananier, si semblable au bananier simple, qu'à moins d'une grande habitude on ne peut les distinguer que par le fruit, qui dans le premier est plus petit & plus gras à proportion de sa longueur, la chair en étant d'ailleurs beaucoup plus délicate. Les Espagnols les nomment plantains. Article de M. LE ROMAIN.

FIGUIER D'INDE, (Mat. méd. & Pharm.) Voyez RAQUETTE.

FIGUIER DE NAVIUS, (Hist. anc.) figuier que Tarquin le vieux fit planter à Rome dans le comice, où l'augure Accius Navius avoit coupé en deux une pierre à aiguiser avec un rasoir. Il y avoit un préjugé populaire, que le destin de Rome étoit attaché à cet arbre, & que la ville dureroit autant que le figuier.

Il y en a qui confondent le ficus Navii, ou figuier d'Accius Navius, avec le ficus ruminalis, ou figuier ruminal ; mais celui-ci est l'arbre sous lequel on découvrit la louve qui alaitoit Remus & Romulus. Cet arbre fut sacré ; il dura très-longtems, & l'on prit sa chûte à mauvais augure.

FIGUIER, (Malédiction du) Théol. Crit. La malédiction que J. C. donna au figuier stérile dans un tems, dit S. Marc, qui n'étoit pas la saison des figues, est un des endroits du Nouveau Testament qui a le plus exercé les interpretes de l'Ecriture.

" Jesus-Christ ayant faim au sortir de Béthanie, apperçut de loin un figuier qui avoit des feuilles : il s'avança pour voir s'il y trouveroit quelque fruit ; mais s'en étant approché, il n'y trouva que des feuilles, car ce n'étoit pas la saison des figues : alors Jesus dit au figuier, que personne ne mange plus de toi ". Ce sont les paroles de S. Marc, ch. xj. . 13 & 14.

Ce qui vient d'être raconté par cet évangéliste, arriva quatre ou cinq jours avant la pâque, & par conséquent avant le quinzieme de la lune de Mars : or en cette saison il paroît qu'il n'étoit pas tems de chercher des figues à manger sur un figuier. Ainsi dans cette supposition, il paroîtroit qu'il y a un défaut d'équité dans la conduite de Jesus-Christ : 1°. d'aller chercher des fruits sur un arbre dans un tems qu'il n'en doit pas porter : & 2°. de maudire cet arbre, parce qu'il n'a point de fruit, comme si c'étoit sa faute.

Pour justifier J. C. d'une action qui semble d'abord emporter quelque idée d'injustice, les interpretes, ignorans en Botanique, se sont fort tourmentés.

Hammond, Simon, le Clerc, ne paroissent point avoir résolu la difficulté en traduisant les termes de S. Marc, , par ceux-ci, car ce n'étoit point une année de figues. En effet, outre que le texte grec a de la peine à souffrir ce sens, J. C. qui va chercher des figues sur un arbre au milieu du mois de Mars, ne doit pas maudire ce figuier en particulier, par la raison que les figues auroient manqué cette année-là.

D'autres critiques, comme Heinsius & Gataker, traduisent, car là où il étoit c'étoit le tems des figues. Cette traduction est très-ingénieuse ; mais il faut pour la soûtenir changer la ponctuation, de même que les accens ordinaires du texte ; 2°. il faut faire parler l'évangéliste avec une concision qui est éloignée de son style ordinaire ; 3°. il ne paroît point que dans la Palestine, le dixieme ou le douzieme de la lune de Mars fût la saison des figues ordinaires, car il est certain qu'elles n'y mûrissent pas si-tôt.

Enfin divers interpretes, Calmet, Beausobre, Lenfant, & plusieurs autres anciens & modernes, regardent cette action de J. C. comme une action symbolique de la réprobation des Juifs, une leçon qu'il leur donne s'ils viennent à ne pas porter le fruit des bonnes oeuvres. La nation judaïque est le figuier ; le figuier dont nous parlons n'avoit que des feuilles, en quoi il ressembloit aux Juifs, qui n'avoient que les apparences de la religion & de la piété.

Théophraste, hist. plant. lib. IV. cap. ij. & Pline, lib. XIII. cap. viij. & lib. XV. cap. xviij. parlent d'une sorte de figuiers toûjours verds & toûjours chargés de fruits, les uns mûrs & fort avancés, selon la saison ; & les autres en fleurs ou en boutons. Dans la Palestine où l'hyver est fort tempéré, & où le pays est fort chaud, Jesus-Christ pouvoit espérer de trouver quelques figues précoces à un figuier de cette espece.

Suivant cette idée, S. Marc ne rend point ici la raison pourquoi Notre Sauveur ne trouva point de figues à ce figuier, mais pourquoi il s'adresse plûtôt à ce figuier -là qu'à un figuier d'une autre espece, à un figuier plus tardif ; c'est parce que ce n'étoit pas la saison des figues ordinaires, au lieu qu'il pouvoit se flater d'en trouver sur cette espece de figuier. Ces paroles donc, car ce n'étoit pas la saison des figues, c'est-à-dire des figues ordinaires, sont une parenthese de l'historien ; parenthese que S. Matthieu (ch. xxj. . 19.) n'a point mise en rapportant le même fait de la malédiction du figuier. Cette interprétation concilie les deux historiens sacrés, & n'a rien qui blesse dans la conduite de Jesus-Christ. C'est ainsi qu'au défaut de l'érudition qui laissoit encore des nuages, la connoissance de la Botanique est venue pour les dissiper. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FIGURABILITÉS. f. (Physiq.) On appelle ainsi cet attribut essentiel des corps, qui consiste 1°. en ce qu'ils ne peuvent exister sans avoir une certaine figure ; 2°. en ce que telle ou telle figure particuliere n'est pas nécessaire à leur existence, & qu'on peut leur supposer celle qu'on voudra. La figure ronde est essentielle à un globe entant que globe, mais non entant que portion de matiere. Voyez FIGURE & CONFIGURATION. (O)


FIGURANTANTE, adj. terme d'Opera ; c'est le nom qu'on donne aux danseurs qui figurent dans les corps d'entrées, parce que le corps d'entrée dessine dans sa danse des figures diverses.

Les maîtres de ballets ont senti eux-mêmes combien les figures étoient nécessaires à leurs corps d'entrée. N'ayant pour l'ordinaire rien à dessiner dans les compositions, ils ont recours à l'imagination, & ils font figurer leurs danseurs trois à trois, quatre à quatre, &c. Quelque fertile cependant que soit l'imagination d'un compositeur en ce genre, il faut nécessairement qu'il se répete bientôt, lorsqu'il ne peut employer des danseurs que pour danser. Il faut des actions pour animer la danse ; elle perd la plus grande partie de son agrément, & cesse d'être dans sa nature, lorsqu'elle n'exprime rien & qu'elle ne fait que des pas. Voyez BALLET, DANSE PANTOMIME, (B)


FIGURATIF(Jurisp.) en style de Palais, se dit de ce qui représente la figure de quelque chose, comme un plan figuratif d'une maison, c'est-à-dire la figure de cette maison représentée en relief, en petit, à la différence d'un simple plan géométral, qui ne figure que l'emplacement de la maison par des lignes. Voyez PLAN & FIGURE. (A)


FIGURATIVEadj. pris sub. terme de Grammaire, & sur-tout de Grammaire greque ; on sousentend lettre. La figurative est aussi appellée caractéristique. En grec, la figurative est la lettre qui précede la terminaison, c'est-à-dire la voyelle qui termine ou le présent, ou le futur premier, ou le prétérit parfait. On garde cette lettre pour former chacun des tems qui viennent de ceux-là : car comme en latin tous les tems dépendent les uns du présent, les autres du prétérit parfait, & enfin d'autres du supin ; que de amo on forme amabam, amabo ; que de amavi on fait amaveram, amavero, amaverim, amavissem ; & qu'enfin d'amatum on fait amaturus, & que par conséquent on doit remarquer le m dans amo, le v dans amavi, & le t dans amatum, & regarder ces trois lettres comme autant de figuratives : de même en grec, il y a des tems qui se forment du présent de l'indicatif ; d'autres du futur premier, & d'autres du prétérit parfait : la lettre que l'on garde pour former chacun de ces tems dérivés, est appellée figurative.

Telle est l'idée que l'on doit avoir de la figurative en grec : cependant la plûpart des Grammairiens donnent aussi le nom de figurative aux consonnes qui leur ont donné lieu d'imaginer six conjugaisons différentes des verbes barytons. Dans chaque conjugaison il y a trois figuratives, celle du présent, celle du futur, & celle du prétérit ; mais la conjugaison a aussi ses figuratives, qui la distinguent d'une autre conjugaison : ainsi , , , sont les figuratives des verbes de la premiere conjugaison, en , , phigrec>, & , dont le ne se compte point, parce qu'il ne subsiste qu'au présent & à l'imparfait.

, , khigrec> sont les trois figuratives des verbes de la seconde conjugaison, en , , , & , dont le se perd comme à la premiere. Il en est de même des autres quatre conjugaisons des verbes barytons ; mais puisque les terminaisons de ces verbes sont les mêmes dans chacune de ces conjugaisons, c'est avec trop peu de fondement, dit la méthode de P. R. pag. 115, qu'on a imaginé ces prétendues six conjugaisons. Ainsi tenons-nous à l'idée que nous avons d'abord donné de la figurative ; les personnes qui étudient la langue greque, apprendront plus de détail sur ce point dans les livres élémentaires de cette langue, & sur-tout dans la pratique de l'explication. (F)


FIGURES. f. (Physique) se dit de la forme extérieure des corps ; je dis extérieure, les anciens philosophes ayant distingué par ce moyen la figure de la forme proprement dite, qui n'est autre chose que l'arrangement intérieur de leurs parties. Plusieurs philosophes modernes ont prétendu que les corps ne différoient les uns des autres, que par l'arrangement & la figure de leurs particules. Sur quoi voyez l'article CONFIGURATION. Cette question est de celles qui ne seront jamais décidées en Physique, parce qu'elle tient à d'autres qui ne le seront jamais, celles de la nature des élémens de la matiere, de la dureté, &c. Voyez ELEMENS, MATIERE, PRINCIPE, DURETE, &c.

FIGURE, en Géométrie, se prend dans deux acceptions différentes.

Dans la premiere, il signifie en général un espace terminé de tous les côtés, soit par des surfaces, soit par des lignes. S'il est terminé par des surfaces, c'est un solide ; s'il est terminé par des lignes, c'est une surface : dans ce sens les lignes, les angles ne sont point des figures. La ligne, soit droite, soit courbe, est plûtôt le terme & la limite d'une figure, qu'elle n'est une figure. La ligne est sans largeur, & n'existe que par une abstraction de l'esprit ; au lieu que la surface, quoique sans profondeur, existe, puisque la surface d'un corps est ce que nous en voyons à l'extérieur. Voyez LIGNE, POINT, SURFACE, GEOMETRIE, &c. Un angle n'est point une figure, puisque ce n'est autre chose que l'ouverture de deux lignes droites, inclinées l'une à l'autre, & que ces deux lignes droites peuvent être indéfinies. L'angle n'est pas l'espace compris entre ces lignes ; car la grandeur de l'angle est indépendante de celle de l'espace dont il s'agit ; l'espace augmente quand les lignes croissent, & l'angle demeure le même.

Au reste on applique encore plus souvent, en Géométrie, le nom de figure aux surfaces qu'aux solides, qui conservent pour l'ordinaire ce dernier nom. Or une surface est un espace terminé en tout sens par des lignes droites ou courbes : ainsi on peut, suivant l'acception la plus ordinaire, définir la figure, un espace terminé en tout sens par des lignes.

Si la figure est terminée en tout sens par des lignes droites, on l'appelle surface plane : cette condition, en tout sens, est ici absolument nécessaire, car il faut que l'on puisse en tout sens appliquer une ligne droite à la figure pour qu'elle soit plane ; en effet une figure pourroit être terminée extérieurement par des lignes droites, sans être plane : telle seroit une voûte qui auroit un quarré pour base.

Si on ne peut appliquer une ligne droite en tout sens à la surface, elle se nomme figure courbe, & plus communément surface courbe. Voyez COURBE & SURFACE.

Si les figures planes sont terminées par des lignes droites, en ce cas on les nomme figures planes rectilignes, ou simplement figures rectilignes : tels sont le triangle, le parallélogramme, & les polygones quelconques, &c. Si les figures planes sont terminées par des lignes courbes, comme le cercle, l'ellipse, &c. on les nomme figures planes curvilignes. Voy. COURBE & CURVILIGNE. On appelle aussi quelquefois figures curvilignes les surfaces courbes, comme le triangle sphérique. Enfin on appelle figures mixtilignes ou mixtes, celles qui sont terminées en parties par des lignes droites, & en partie par des lignes courbes.

On appelle côtés d'une figure, les lignes qui la terminent : cette dénomination a lieu sur-tout quand ces lignes sont droites. Elle n'a guere lieu pour les surfaces courbes, que dans le triangle sphérique. Figure équilatere ou équilatérale, est celle dont les côtés sont égaux. Figures équilateres sont celles dont les côtés sont égaux, chacun à son correspondant. Voyez EQUILATERAL. Figure équiangle, est celle dont les angles sont tous égaux entr'eux. Figures équiangles entr'elles, sont celles dont les angles sont égaux, chacun à son correspondant. Figure réguliere, est celle dont les côtés & les angles sont égaux. Figures semblables, sont celles qui ont leurs angles égaux & leurs côtés homologues proportionnels. Voy. SEMBLABLE. Une figure est dite inscrite dans une autre, lorsqu'elle est renfermée au-dedans, & que ses côtés aboutissent à la circonférence de la figure dans laquelle elle est inscrite : en ce cas la figure dans laquelle la proposée est inscrite, est dite circonscrite à cette même proposée.

FIGURE, (Géom.) pris dans la seconde acception, signifie la représentation faite sur le papier de l'objet d'un théorème, d'un problème, pour en rendre la démonstration ou la solution plus facile à concevoir. En ce sens une simple, un angle, &c. sont des figures, quoiqu'elles n'en soient point dans le premier sens.

Il y a un art à bien faire les figures de Géométrie, à éviter les points d'intersection équivoques, & les points qui sont trop près l'un de l'autre, & qu'on ne peut distinguer commodément par des lettres ; à éviter aussi les positions de lignes qui peuvent induire le lecteur en erreur, comme de faire paralleles ou perpendiculaires les lignes qui ne le doivent pas être nécessairement ; à marquer par des lettres semblables les points correspondans ; à séparer en plusieurs figures, celles qui seroient trop compliquées ; à désigner par les lignes ponctuées, les lignes qui ne servent qu'à la démonstration, &c. & mille autres détails que l'usage seul peut apprendre.

La difficulté est encore plus grande, si on a des solides ou des plans différens à représenter. La difficulté du relief & de la perspective empêche souvent que ces figures ne soient bien faites. On peut y remédier par des ombres, qui font sortir les différentes parties, & marquent différens plans : mais les ombres ont un inconvénient, c'est celui d'être souvent trop noires, & de cacher les lignes qui doivent y être tirées, & les points qui désignent ces lignes.

Les figures en bois, gravées à côté de la démonstration, & répétées à chaque page si la démonstration en a plusieurs, sont plus commodes que les figures placées à la fin du livre, même lorsque ces figures sortent entierement. Mais d'un autre côté, les figures en bois ont communément le desavantage d'être mal faites, & d'avoir peu de netteté. (O)

FIGURE, se dit quelquefois en Arithmétique, des chiffres qui composent un nombre. Voyez CHIFFRE, CARACTERE, &c.

FIGURES DES SYLLOGISMES, voyez SYLLOGISME, & plus bas FIGURE, (Gramm. & Logiq.)

FIGURE DE LA TERRE, (Astron. Géog. Physiq. & Méch.) Cette importante question a fait tant de bruit dans ces derniers tems, les Savans s'en sont tellement occupés, sur-tout en France, que nous avons crû devoir en faire l'objet d'un article particulier, sans renvoyer au mot TERRE, qui nous fournira d'ailleurs assez de matiere sur d'autres objets.

Nous n'entrerons point dans le détail des opinions extravagantes que les anciens ont eues, ou qu'on leur attribue sur la figure de la Terre. On peut s'en instruire dans l'Almageste de Riccioli & ailleurs. Anaximandre, dit-on, crut la terre semblable à une colonne, Leucippe à un cylindre, Cléanthe à un cone, Héraclite à un esquif, Démocrite à un disque creux, Anaximene & Empedocle à un disque plat, enfin Xenophane de Colophon s'est imaginé qu'elle avoit une racine infinie sur laquelle elle portoit. Cette derniere opinion rappelle celle des peuples indiens, qui croyent la terre portée sur quatre éléphans. Mais on nous permettra de douter que la plûpart des philosophes qu'on vient de nommer, ayent eu des idées si absurdes. L'Astronomie avoit déjà fait de leur tems de grands progrès, puisque Thales qui les précéda, avoit prédit des éclipses. Or il n'est pas vraisemblable, ce me semble, que dans des tems où l'Astronomie étoit déjà si avancée, on fût encore si ignorant sur la figure de la Terre ; car on va voir que les premieres observations astronomiques ont dû faire connoître qu'elle étoit ronde en tout sens. Aussi Aristote qui a été contemporain, ou même prédécesseur de plusieurs des philosophes nommés ci-dessus, établit & prouve la rondeur de la terre dans son second livre de coelo chap. xjv. par des raisons très-solides, & à-peu-près semblables à celles que nous allons en donner.

On s'apperçut d'abord que parmi les étoiles qu'on voyoit tourner autour de la terre, il y en avoit quelques-unes qui restoient toûjours dans la même place, ou à-peu-près, & que par conséquent toute la sphere des étoiles tournoit autour d'un point fixe dans le ciel ; on appella ce point le pole ; on remarqua bien-tôt après, que lorsque le soleil se trouvoit chaque jour dans sa plus grande élévation au-dessus de notre tête, il étoit constamment alors dans le plan qui passoit par le pole & par une ligne à-plomb ; on appella ce plan méridien : on observa ensuite que quand on voyageoit dans la direction du méridien, les étoiles vers lesquelles on alloit, paroissoient s'approcher du haut de la tête, & que les autres au contraire paroissoient s'en éloigner ; que de plus ces dernieres étoiles, à force de s'abaisser, disparoissoient tout-à-fait, & que d'autres commençoient à paroître vers la partie opposée. De-là il étoit aisé de conclure que la ligne à-plomb, c'est-à-dire la ligne perpendiculaire à la surface de la Terre, & passant par le sommet de notre tête, changeoit de direction à mesure qu'on avançoit sur le méridien, & ne demeuroit pas toûjours parallele à elle-même ; que par conséquent la surface de la Terre n'étoit pas plane, mais courbe dans le sens du méridien. Or les plans de tous les méridiens concourant au pole, comme on vient de le remarquer, il ne faut qu'un peu de réflexion (même sans aucune teinture de Géométrie), pour voir que la terre ne sauroit être courbe dans le sens du méridien, qu'elle ne soit courbe aussi dans le sens perpendiculaire au méridien, & que par conséquent elle est courbe dans tous les sens. D'ailleurs d'autres observations astronomiques, comme celles du lever & du coucher des astres, & de la différence des tems où il arrivoit selon le lieu de la Terre où on étoit placé, confirmoient la rondeur de la Terre dans le sens perpendiculaire au méridien. Enfin l'observation des éclipses de Lune dans lesquelles on voyoit l'ombre de la Terre avancer sur le disque de la Lune, fit connoître que cette ombre étoit non-seulement courbe, mais sensiblement circulaire ; d'où on conclut avec raison que la Terre avoit aussi à-peu-près la figure sphérique ; je dis à-peu-près, parce qu'il y a eu en effet quelques anciens qui ont crû que la Terre n'avoit pas exactement cette figure ; voyez les Mém. de l'Acad. des Belles-Lettres, t. XVIII. p. 97. Mais nonobstant cette opinion des anciens, la non-sphéricité de la Terre doit être regardée comme une découverte qui appartient absolument & uniquement à la philosophie moderne, par les raisons qui ont été exposées dans l'article ERUDITION, tom. V. p. 918. col. 1. Quoi qu'il en soit, il est certain du moins qu'en général les philosophes anciens attribuoient à la Terre une sphéricité parfaite ; & il étoit naturel de le croire jusqu'à ce que l'observation en eût détrompé.

Si la rondeur de la Terre avoit besoin d'une autre preuve encore plus à la portée de tout le monde, ceux qui ont souvent fait le tour de la Terre nous assûroient aussi de sa rondeur. La premiere fois qu'on en a fait le tour, ç'a été en 1519. Ce fut Ferdinand Magellan qui l'entreprit, & il employa 1124 jours à faire le tour entier ; François Drake, anglois, en fit autant l'an 1577 en 1056 jours ; Thomas Cavendish en 1586 fit le même voyage en 777 jours ; Simon Cordes de Rotterdam l'a fait en l'année 1590 ; Olivier Hoort, Hollandois, en 1077 jours. Guillaume Corn. Van Schout, en l'an 1615, en 749 jours. Jacques Heremites & Jean Huyghens, l'an 1653, en 802 jours. En dernier lieu ce voyage a été fait par l'amiral Anson, dont on a imprimé la relation si intéressante & si curieuse. Tous ces navigateurs alloient de l'est à l'oüest, pour revenir enfin en Europe d'où ils étoient partis, & les phénomenes, soit célestes soit terrestres qu'ils observerent pendant leur voyage, leur prouverent que la Terre est ronde.

La sphéricité de la Terre admise, il étoit assez facile de connoître la valeur d'un degré du méridien, & par conséquent la circonférence & le diametre de la Terre. On a expliqué en général au mot DEGRE, comment on mesure un degré du méridien, nous y renvoyons, & cela nous suffit quant à présent, reservant un plus grand détail pour la suite de cet article ; le degré du méridien s'est trouvé par cette méthode d'environ 25 de nos lieues, & comme il y a 360 degrés, on concluoit que la circonférence de la terre est par conséquent de 9000 lieues, & le rayon ou demi-diametre de la Terre, de 14 à 15 cent lieues, le tout en nombres ronds ; car il ne s'agit pas encore ici de la mesure exacte & rigoureuse.

La physique du tems se joignoit aux observations pour prouver la sphéricité de la Terre ; on supposoit que la pesanteur faisoit tendre tous les corps à un même centre ; on croyoit de plus presque généralement la terre immobile. Or cela posé, la surface des mers devoit être sphérique, pour que les eaux y restassent en équilibre : & comme les mers couvrent une grande partie de la surface de la terre, on en concluoit que la partie solide de cette surface étoit aussi sphérique ; & cette conclusion, ainsi que le principe qui l'avoit produite, furent regardés comme incontestables, même après qu'on eut découvert le mouvement de la Terre autour de son axe. Voyez COPERNIC, &c. Voyons maintenant comment on s'est desabusé de cette sphéricité, & quel est l'état actuel de nos connoissances sur ce point : commençons par quelques réflexions générales.

Le génie des philosophes, en cela peu différent de celui des autres hommes, les porte à ne chercher d'abord ni uniformité ni loi dans les phénomenes qu'ils observent ; commencent-ils à y remarquer, ou même à y soupçonner quelque marche réguliere, ils imaginent aussi-tôt la plus parfaite & la plus simple ; bientôt une observation plus suivie les détrompe, & souvent même les ramene à leur premier avis avec assez de précipitation, & comme par une espece de dépit ; enfin une étude longue, assidue, dégagée de prévention & de système, les remet dans les limites du vrai, & leur apprend que pour l'ordinaire la loi des phénomenes n'est ni assez peu composée pour être apperçue tout-d'un-coup, ni aussi irréguliere qu'on pourroit le penser ; que chaque effet venant presque toûjours du concours de plusieurs causes, la maniere d'agir de chacune est simple, mais que le résultat de leur action réunie est compliqué, quoique régulier, & que tout se réduit à décomposer ce résultat pour en démêler les différentes parties. Parmi une infinité d'exemples qu'on pourroit apporter de ce que nous avançons ici, les orbites des planetes en fournissent un bien frappant : à peine a-t-on soupçonné que les planetes se mouvoient circulairement, qu'on leur a fait décrire des cercles parfaits, & d'un mouvement uniforme, d'abord autour de la Terre, puis autour du Soleil, comme centres. L'observation ayant montré bien-tôt après que les planetes étoient tantôt plus, tantôt moins éloignées du Soleil, on a déplacé cet astre du centre des orbites, mais sans rien changer ni à la figure circulaire, ni à l'uniformité de mouvement qu'on avoit supposées ; on s'est apperçû ensuite que les orbites n'étoient ni circulaires ni décrites uniformément ; on en a fait des ovales, & on leur a donné la figure elliptique, la plus simple des ovales que nous connoissions ; enfin on a vû que cette figure ne répondoit pas encore à tout, que plusieurs des planetes, entr'autres Saturne, Jupiter, la Terre même & sur-tout la Lune, ne s'y assujettissoient pas exactement dans leurs cours. On a taché de trouver la loi de leurs inégalités, & c'est le grand objet qui occupe aujourd'hui les savans. Voyez TERRE, LUNE, JUPITER, SATURNE, &c.

Il en a été à-peu-près de même de la figure de la Terre : à peine a-t-on reconnu qu'elle étoit courbe, qu'on l'a supposée sphérique ; enfin on a reconnu dans les derniers siecles, par les raisons que nous dirons dans un moment, qu'elle n'étoit pas parfaitement ronde ; on l'a supposée elliptique, parce qu'après la figure sphérique, c'étoit la plus simple qu'on pût lui donner. Aujourd'hui les observations & les recherches multipliées commencent à faire douter de cette figure, & quelques philosophes prétendent même que la Terre est absolument irréguliere. Discutons toutes ces différentes prétentions, & entrons dans le détail des raisons sur lesquelles elles sont fondées ; mais voyons d'abord en détail comment on s'y prend pour connoître la longueur d'un degré de la Terre.

Tout se réduit à deux opérations ; la mesure de l'amplitude de l'arc céleste, compris entre deux lieux placés sous le même méridien à différentes latitudes, & la mesure de la distance terrestre de ces deux lieux. En effet, si on connoît en degrés, minutes & secondes l'amplitude de l'arc céleste compris entre ces deux lieux, & qu'on connoisse outre cela leur distance terrestre, on fera cette proportion ; comme le nombre de degrés, minutes & secondes que contient l'amplitude, est à un degré, ainsi la distance terrestre connue entre les deux lieux, est à la longueur d'un degré de la Terre.

Pour mesurer l'amplitude de l'arc céleste, on observe dans l'un des deux lieux la hauteur méridienne d'une étoile, & dans l'autre lieu, on observe la hauteur méridienne de la même étoile ; la différence des deux hauteurs donne l'amplitude de l'arc, c'est-à-dire le nombre de degrés du ciel qui répond à la distance des deux lieux terrestres. Voyez l'article DEGRE, où l'on en a expliqué la raison. Il est inutile de dire qu'on doit corriger les hauteurs observées par les réfractions. Voyez REFRACTION. De plus, afin que l'erreur causée par la réfraction soit la moindre qu'il est possible, on a soin de prendre, autant qu'on le peut, une étoile près du zénith, parce que la réfraction au zénith est nulle, & presqu'insensible à 4 ou 5 degrés du zénith. Il est bon aussi que les observations de l'étoile dans les deux endroits soient simultanées, c'est-à-dire qu'elles soient faites dans le même tems, autant qu'il est possible, par deux observateurs différens placés chacun en même tems dans chacun des deux lieux ; par ce moyen on évite toutes les réductions & corrections à faire en vertu des mouvemens apparens des étoiles, tels que la précession, l'aberration & la nutation. Voyez ces mots. Cependant s'il n'est pas possible de faire des observations simultanées, alors il faut avoir égard aux corrections que ces mouvemens produisent. Ajoûtons que quand les lieux ne sont pas situés exactement sous le même méridien, ce qui arrive presqu'infailliblement, l'observation de l'amplitude, faite avec les précautions qu'on vient d'indiquer, donne l'amplitude de l'arc céleste compris entre les paralleles de ces deux lieux, & cela suffit pour faire connoître le degré qu'on cherche, au moins dans la supposition que les paralleles soient des cercles ; cette supposition a toûjours été faite jusqu'ici dans toutes les opérations qui ont été entreprises pour déterminer la figure de la Terre ; il est vrai qu'on a cherché dans ces derniers tems à l'ébranler ; c'est ce que nous examinerons plus bas ; nous nous contenterons de dire quant à présent, que cette supposition des paralleles circulaires est absolument nécessaire pour pouvoir conclure quelque chose des opérations par lesquelles on mesure les degrés, puisque si les paralleles ne sont pas des cercles, il est absolument impossible, comme on le verra aussi plus bas, de connoître par cette mesure la figure de la Terre, ni même d'être assûré que ce qu'on a mesuré est un degré de latitude.

L'amplitude de l'arc céleste étant connue, il s'agit de mesurer la distance terrestre des deux lieux, ou s'ils ne sont pas placés sur le même méridien, la distance entre les paralleles. Pour cela on choisit sur des montagnes élevées différens points, qui forment avec les deux lieux dont il s'agit, une suite de triangles dont on observe les angles le plus exactement qu'il est possible. Comme la somme des angles de chaque triangle est égale à 180 degrés (voyez TRIANGLE), on sera certain de l'exactitude de l'observation, si la somme des angles observés est égale à 180 degrés ou n'en differe pas sensiblement. Il faut remarquer de plus que les différens points qui forment ces triangles ne sont point pour l'ordinaire placés dans un même plan, ni dans un même niveau, ainsi il faut les y réduire, en observant la hauteur de ces différens points au-dessus du niveau d'une surface concentrique à celle de la Terre, qu'on imagine passer par l'un des deux lieux. Cela fait, on mesure quelque part sur le terrein une base de quelque étendue, comme de 6 à 7000 toises ; on observe les angles d'un triangle formé par les deux extrémités de cette base, & par un des points de la suite de triangles. Ainsi on a (y compris les deux extrémités de la base) une suite de triangles dans laquelle on connoît tous les angles & un côté, savoir la base mesurée ; donc par le calcul trigonométrique on connoîtra les côtés de chacun de ces triangles : on connoît de plus l'élévation de chaque point au-dessus du niveau ; ainsi on connoît les côtés de chaque triangle réduits au même niveau ; enfin on connoît encore par l'observation les angles que font les verticaux où sont placés les côtés des triangles, avec le méridien qu'on imagine passer par l'un des deux lieux, & en conséquence on connoît par les réductions que la Géométrie enseigne, les angles que les côtés des triangles réduits au même niveau font avec la direction de la méridienne passant par ce lieu. Donc employant le calcul trigonométrique, & ayant égard, si on le juge nécessaire, à la petite courbure du méridien dans l'espace compris entre les deux lieux, on connoîtra la longueur de l'arc du méridien compris entre les paralleles des deux lieux. Enfin l'on fait à cette longueur une petite réduction, eu égard à la quantité dont s'éleve au-dessus du niveau de la mer celui des deux lieux d'où l'on fait partir la méridienne. Cette réduction faite, on a la longueur de l'arc, réduite au niveau de la mer. Pour vérifier cette longueur, on mesure ordinairement une seconde base en un autre endroit que la premiere, & par cette seconde base liée avec les triangles, on calcule de nouveau un ou plusieurs côtés de ces triangles ; si le second résultat s'accorde avec le premier, on est assûré de la bonté de l'opération. La longueur de l'arc terrestre, & l'amplitude de l'arc céleste étant ainsi connues, on en conclut la longueur du degré, comme on l'a expliqué plus haut.

On peut voir dans les différens ouvrages qui ont été publiés sur la figure de la Terre, & que nous indiquerons à la fin de cet article, les précautions qu'on doit prendre pour mesurer l'arc céleste & l'arc terrestre avec toute l'exactitude possible. Ces précautions sont si nécessaires, & doivent être portées si loin, que selon M. Bouguer, on ne peut répondre de 5" dans la mesure de l'amplitude de l'arc céleste qu'en y mettant le plus grand scrupule. Or une seconde d'erreur dans la mesure de l'arc céleste donne environ 16 toises d'erreur dans le degré terrestre, parce qu'une seconde de degré terrestre est d'environ 16 toises ; donc on ne pourroit selon M. Bouguer répondre de 80 toises sur le degré, si on n'avoit mesuré qu'un degré. Si l'on mesuroit 3 degrés, comme on l'a fait sous l'équateur, alors l'erreur sur chacun ne seroit que d'environ le tiers de 80 toises, c'est-à-dire environ 27 toises. Il faut pourtant ajoûter que si l'instrument dont on se sert pour mesurer l'arc céleste est fait avec un soin extrème, tel que le secteur employé aux opérations du nord, on peut compter alors sur une plus grande exactitude, surtout quand cet instrument sera mis en oeuvre comme il l'a été par les plus habiles observateurs.

Je ne parle point de quelques autres méthodes que les anciens ont employées pour connoître la figure de la Terre ; elles sont trop peu exactes pour qu'on en fasse mention ici, & celle dont nous venons de donner le procédé mérite à tous égards la préférence. Je ne parle point non plus, ou plûtôt je ne dirai qu'un mot d'une autre méthode qu'on peut employer pour déterminer cette figure, celle de la mesure des degrés de longitude à différentes latitudes. Quelque exactitude qu'on puisse mettre à cette derniere mesure, elle sera toûjours beaucoup plus susceptible d'erreur que celle de la mesure des degrés de latitude. M. Bouguer estime que l'erreur peut être d'une 240e partie sur la mesure d'un arc de deux degrés de longitude, & six ou sept fois plus grande que sur la mesure d'un arc de latitude de deux degrés.

Voici maintenant les différentes valeurs du degré de la Terre, trouvées jusqu'à M. Picard inclusivement, dans l'hypothèse de la Terre sphérique. Nous n'avons pas besoin de dire que les mesures des anciens doivent être regardées comme très-fautives, attendu l'imperfection des méthodes & des instrumens dont ils se servoient ; mais nous avons cru que le lecteur verroit avec plaisir le progrès des connoissances humaines sur cet objet.

Selon Aristote la circonférence de la Terre est de 400000 stades, ce qui donnera le degré de 1111 stades en divisant par 360.

Selon Eratosthene, cette circonférence est de 250000 stades, ou 252000 en prenant 700 stades pour le degré.

Selon Hipparque, la circonférence de la Terre est de 2520 stades plus grande que 252000 ; cependant il s'en est tenu à cette derniere mesure d'Eratosthene.

Selon Possidonius, la circonférence de la Terre est de 240000 stades. Strabon, corrigeant le calcul de Possidonius, ne donne à la circonférence de la Terre que 180000 stades. Cette derniere mesure a été adoptée par Ptolomée. Voyez l'ouvrage de M. Cassini, qui a pour titre de la grandeur & de la figure de la Terre, 1718.

Les mathématiciens du calife Almamon dans le jx. siecle, trouverent le degré dans les plaines de Sennaar de 56 milles, & l'estimerent 10 mille toises moindre que Ptolomée ne l'avoit donné.

Le géographe de Nubie dans le xij. siecle, donne 25 lieues au degré.

Fernel, medecin d'Henri II. trouva le degré de 56746 toises ; mais par une mesure très-peu exacte rapportée au mot DEGRE. Snellius de 57000 toises (cette mesure a depuis été corrigée par M. Musschenbroeck, & mise à 57033) ; Riccioli, de 62650 (c'est-à-dire plus grand de 5650 toises que Snellius, ce qui donne 1/10 de différence sur la circonférence de la Terre) ; Norwood, en 1633, de 57300.

Enfin en 1670, M. Picard ayant mesuré la distance entre Paris & Amiens par la méthode exposée ci-dessus, a trouvé le degré de France de 57060 toises à la latitude de 49d 23', moyenne entre celle de ces deux villes ; mais on ne pensoit point encore que la Terre pût avoir une autre figure que la sphérique.

En 1672, M. Richer étant allé à l'isle de Cayenne, environ à 5d de l'équateur, pour y faire des observations astronomiques, trouva que son horloge à pendule qu'il avoit reglée à Paris, retardoit de 2' 28" par jour. De-là on conclut, toute déduction faite de la quantité dont le pendule devoit être allongé à Cayenne par la chaleur, voyez PENDULE, &c. que le même pendule se mouvoit plus lentement à Cayenne qu'à Paris ; que par conséquent l'action de la pesanteur étoit moindre sous l'équateur que dans nos climats. L'académie avoit déja soupçonné ce fait (comme le remarque M. le Monnier dans l'hist. céleste publiée en 1741) d'après quelques expériences faites en divers lieux de l'Europe ; mais il semble, pour le dire en passant, qu'on auroit pû s'en douter sans avoir besoin du secours de l'expérience, puisque les corps à l'équateur étant plus éloignés de l'axe de la terre, la force centrifuge produite par la rotation y est plus grande, & par conséquent, toutes choses d'ailleurs égales, ôte davantage à la pesanteur ; voyez FORCE CENTRIFUGE, &c. C'est ainsi que par une espece de fatalité attachée à l'avancement des sciences, certains faits qui ne sont que des conséquences simples & immédiates des principes connus, demeurent néanmoins souvent ignorés avant que l'observation les découvre. Quoi qu'il en soit, dès qu'on eut reconnu que la pesanteur étoit moindre à l'équateur qu'au pole, on fit le raisonnement suivant : la terre est en grande partie fluide à sa surface, & l'on peut supposer sans beaucoup d'erreur, qu'elle a à-peu-près la même figure que si elle étoit fluide dans son entier. Or, dans ce cas la pesanteur étant moindre à l'équateur qu'au pole, & la colonne de fluide qui iroit d'un des points de l'équateur au centre de la terre, devant nécessairement contrebalancer la colonne qui iroit du pole au même centre, la premiere de ces colonnes doit être plus longue que la seconde ; donc la terre doit être plus élevée sous l'équateur que sous les poles ; donc la Terre est un sphéroïde applati vers les poles.

Ce raisonnement étoit confirmé par une observation. On avoit découvert que Jupiter tournoit fort vîte autour de son axe (voyez JUPITER) ; cette rotation rapide devoit imprimer aux parties de cette planete une force centrifuge considérable, & par conséquent l'applatir sensiblement ; or en mesurant les diametres de Jupiter, on les avoit trouvés très-sensiblement inégaux ; nouvelle preuve en faveur de la Terre applatie.

On alla même jusqu'à essayer de déterminer la quantité de son applatissement ; mais à la vérité les résultats différoient entr'eux, selon la nature des hypotheses sur lesquelles on s'appuyoit. M. Huyghens supposant que la pesanteur primitive, c'est-à-dire non altérée par la force centrifuge, fût dirigée vers le centre, avoit trouvé que la Terre étoit un sphéroïde elliptique, dont l'axe étoit au diametre de l'équateur environ comme 577 à 578. Voyez TERRE, HYDROSTATIQUE & SPHEROÏDE ; M. Newton étoit parti d'un autre principe, il supposoit que la pesanteur primitive vînt de l'attraction de toutes les parties du globe, & trouvoit que la Terre étoit encore un sphéroïde elliptique, mais dont les axes étoient entr'eux comme 229 à 230 ; applatissement plus que double de celui de M. Huyghens.

Ces deux théories, quoique très-ingénieuses, ne résolvoient pas suffisamment la question de la figure de la Terre : premierement il falloit décider lequel des deux résultats étoit le plus conforme à la vérité, & le système de M. Newton, alors dans sa naissance, n'avoit pas fait encore assez de progrès pour qu'on donnât l'exclusion à l'hypothese de M. Huyghens ; en second lieu, dans chacune de ces deux théories, on supposoit que la Terre eût absolument la même figure que si elle étoit entierement fluide & homogene, c'est-à-dire également dense dans toutes ses parties ; or l'on sentoit que cette supposition gratuite renfermoit peut-être beaucoup d'arbitraire, & que si elle s'écartoit un peu de la vérité (ce qui n'étoit pas impossible), la figure réelle de la Terre pouvoit être fort différente de celle que la théorie lui donnoit.

De-là on conclut avec raison, que le moyen le plus sûr de connoître la vraie figure de la Terre, étoit la mesure actuelle des degrés.

En effet, si la Terre étoit sphérique, tous les degrés seroient égaux, & par conséquent, comme on l'a prouvé au mot DEGRE, il faudroit faire par-tout le même chemin sur le méridien, pour que la hauteur d'une même étoile donnée augmentât ou diminuât d'un degré ; mais si la Terre n'est pas sphérique, alors ses degrés seront inégaux, il faudra faire plus ou moins de chemin sur le méridien, selon le lieu de la Terre où l'on sera, pour que la hauteur d'une étoile qu'on observe, diminue ou augmente d'un degré. Maintenant, pour déterminer suivant quel sens les degrés doivent croître & décroître dans cette hypothese, supposons d'abord la Terre sphérique & d'une substance molle, & imaginons qu'une double puissance appliquée aux extrémités de l'axe, comprime la Terre de dehors en dedans, suivant la direction de cet axe : qu'arrivera-t-il ? certainement l'axe diminuera de longueur, & l'équateur s'élevera : mais de plus la Terre sera moins courbe aux extrémités de l'axe qu'elle n'étoit auparavant, elle sera plus applatie vers l'axe, & au contraire elle sera plus courbe à l'équateur. Or, plus la Terre a de courbure dans la direction du méridien, moins il faut faire de chemin dans cette même direction, pour que la hauteur observée d'une étoile augmente ou diminue d'un degré ; par conséquent si la Terre est applatie vers les poles, il faudra faire moins de chemin sur le méridien près de l'équateur que près du pole pour gagner ou pour perdre un degré de latitude ; par conséquent si la Terre est applatie, les degrés doivent aller en augmentant de l'équateur vers le pole & réciproquement ; la raison qu'on vient d'en donner est suffisante pour ceux qui ne sont pas géometres ; en voici une rigoureuse pour ceux qui le sont.

Soit (fig. 12. Géog.) C le centre de la Terre ; C P l'axe : E C le rayon de l'équateur ; E H P une portion du méridien ; par le point H quelconque, soit menée H O perpendiculaire au meridien E H P, laquelle ligne H O touche en O la développée G O F. Voyez DEVELOPPEE ; H O sera le rayon osculateur en H. Voy. OSCULATEUR : soit pris ensuite le point h tel que le rayon osculateur h o fasse un angle d'un degré avec H O ; il est aisé de voir que H h représentera un degré du méridien ; c'est-à-dire, comme il a été prouvé au mot DEGRE, qu'un observateur qui avanceroit de H en h, trouveroit en h un degré de plus ou de moins qu'en H dans la hauteur de toutes les étoiles placées sous le méridien. Or, H h étant à très-peu près un arc de cercle décrit du rayon H O (ou h o qui lui est sensiblement égal) il saute aux yeux, que si les degrés H h vont en augmentant de l'équateur E vers le pole P, les rayons osculateurs H O iront aussi en augmentant ; puisque le rayon d'un cercle est d'autant plus grand que le degré ou la 360e partie de ce cercle a plus d'étendue. Donc la développée G O F sera toute entiere dans l'angle E C F. Or, par la propriété de la développée, voyez DEVELOPPEE, on a E G O F = F C P, & il est visible par les axiomes de Géometrie que E G O F est < E C + C F ; donc E C + C F > C P + C F ; donc E C > C P ; donc la Terre est applatie si les degrés vont en augmentant de l'équateur vers le pole. Ceux qui après M. Picard, mesurerent les premiers degrés du méridien en France pour savoir si la Terre étoit sphérique ou non, n'avoient pas tiré cette conclusion ; soit inattention, soit faute de connoissances géometriques suffisantes, ils avoient crû au contraire que si la Terre étoit applatie, les degrés devoient aller en diminuant de l'équateur vers le pole. Voici, selon toutes les apparences, le raisonnement qu'ils faisoient : soit tirée du centre une ligne qui fasse avec E C un angle d'un degré, & du même centre C soit tirée une ligne qui fasse avec P C un angle d'un degré, il est certain que E C étant supposé plus grand que P C, la partie de la Terre interceptée en E entre les deux lignes qui font un angle d'un degré, sera plus grande qu'en P ; donc (concluoient-ils peut-être) le degré près de l'équateur sera plus grand qu'au pole. Le parallogisme de ce raisonnement consiste en ce que le degré de la terre n'est pas déterminé par deux lignes qui vont au centre, & qui font un angle d'un degré ; mais par deux lignes qui sont perpendiculaires à la surface de la Terre, & qui font un angle d'un degré. C'est par rapport à ces perpendiculaires (déterminées par la situation du fil à plomb) qu'on mesure la distance des étoiles au zénith, & par conséquent leur hauteur : or ces perpendiculaires ne passeront pas par le centre de la Terre, quand la Terre n'est pas sphérique. Voyez DEVELOPPEE, OSCULATEUR, &c.

Quoi qu'il en soit de cette conjecture, ceux qui les premiers mesurerent les degrés dans l'étendue de la France, préoccupés peut-être de cette idée, que la Terre applatie donnoit les degrés vers le nord plus petits que ceux du midi, trouverent en effet que dans toute l'étendue de la France en latitude, les degrés alloient en diminuant vers le nord. Mais à peine eurent-ils fait part de ce résultat aux savans de l'Europe, qu'on leur démontra qu'en conséquence la Terre devoit être allongée. Il fallut en passer par-là ; car comment revenir sur des mesures qu'on assûroit très-exactes ? on demeura donc assez persuadé en France de l'allongement de la Terre, nonobstant les conséquences contraires tirées de la théorie.

Cette conclusion fut confirmée dans le livre de la grandeur & de la figure de la Terre, publié en 1718 par M. Cassini, que l'académie des Sciences de Paris vient de perdre. Dans cet ouvrage M. Cassini donna le résultat de toutes les opérations faites par lui & par M. Dominique Cassini son pere, pour déterminer la longueur des degrés. Il en concluoit que le degré moyen de France étoit de 57061 toises, à une toise près de celui de M. Picard ; & que les degrés alloient en diminuant dans toute l'étendue de la France du sud au nord, depuis Collioure jusqu'à Dunkerque. Voyez DEGRE. D'autres opérations faites depuis en 1733, 1734, 1736, confirmoient cette conclusion ; ainsi toutes les mesures s'accordoient, en dépit de la théorie, à faire la Terre allongée.

Mais les partisans de Newton, tant en Angleterre que dans le reste de l'Europe, & les principaux géometres de la France même, jugerent que ces mesures ne renversoient pas invinciblement la théorie ; ils oserent croire qu'elles n'étoient peut-être pas assez exactes. D'ailleurs en les supposant faites avec soin, il étoit possible, disoient-ils, que par les erreurs de l'observation, la différence entre des degrés immédiatement voisins, ou peu distans (différence très-petite par elle-même), ne fût pas susceptible d'une détermination bien sûre. On jugea donc à-propos de mesurer deux degrés très-éloignés, afin que leur différence fût assez grande pour ne pas être imputée à l'erreur de l'observation. On proposa de mesurer le premier degré du méridien sous l'équateur, & le degré le plus près du pole qu'on pourroit. MM. Godin, Bouguer, & de la Condamine, partirent pour le premier voyage en 1735 ; & en 1736 MM. de Maupertuis, Clairaut, Camus, & le Monnier, partirent pour la Laponie. Ces derniers furent de retour en 1737. Ils avoient mesuré le degré de latitude qui passe par le cercle polaire, à environ 23d 1/2 du pole, & l'avoient trouvé considérablement plus grand que le degré moyen de France ; d'où ils conclurent que la Terre étoit applatie.

Le degré de Laponie, à 66d 20', avoit été trouvé par ces savans observateurs, de 57438 toises, plus grand de 378 toises que le degré de 57060 toises de M. Picard, mesuré par 49d 23' ; mais avant que d'en conclure la figure de la Terre, ils jugerent à-propos de corriger le degré de M. Picard, en ayant égard à l'aberration des étoiles, que M. Picard ne connoissoit pas, comme aussi à la précession & à la réfraction, que cet astronome avoit négligées. Par ce moyen le degré de 57060 toises, déterminé par M. Picard, se réduisit à 56925 toises, plus court que celui de Laponie de 513 toises.

En supposant que le méridien de la Terre soit une ellipse peu différente d'un cercle, on sait par la Géométrie que l'accroissement des degrés, en allant de l'équateur vers le pole, doit être sensiblement proportionnel aux quarrés des sinus de latitude. De plus la même Géométrie démontre que si on a dans un méridien elliptique la valeur de deux degrés à des latitudes connues, on aura le rapport des axes de la Terre par une formule très-simple. En effet, si on nomme E, F la longueur de deux degrés mesurés à des latitudes dont les sinus soient s & s, on aura pour la différence des axes (E - F) /3(Ess - Fss). M. de Maupertuis a donné cette formule dans les mémoires de l'Académie de 1737, & dans son livre de la figure de la Terre déterminée, & il est très-facile de la trouver par différentes méthodes. Si le degré F est sous l'équateur, on a s = 0, & la formule devient plus simple, se réduisant à (E - F) /3 Ess. MM. les académiciens du Nord appliquant à cette formule les mesures du degré en Laponie & en France, trouverent que le rapport de l'axe de la Terre au diametre de l'équateur, étoit 173 à 174 ; ce qui ne s'éloignoit pas extrèmement du rapport de 229 à 230 donné par M. Newton, surtout en supposant des erreurs inévitables dans la mesure du degré. Il n'est pas inutile de remarquer que MM. les académiciens du Nord avoient négligé environ 1" pour la réfraction dans l'amplitude de leur arc céleste. Cette petite correction étant faite, le degré de Laponie devoit être diminué de 16 toises, & se réduisoit à 57422 ; mais le rapport de l'axe au diametre de l'équateur demeuroit toûjours sensiblement le même, celui de 173 à 174. Suivant les mesures de M. Cassini, la Terre étoit un sphéroïde allongé, dont l'axe surpassoit le diametre de l'équateur d'environ 1/100. Le degré de Laponie devoit être, dans cette hypothése, d'environ 1000 toises plus petit que ne l'avoient trouvé les académiciens du Nord ; erreur dans laquelle on ne pouvoit les soupçonner d'être tombés.

Les partisans de l'allongement de la Terre firent d'abord toutes les objections qu'il étoit possible d'imaginer contre les opérations sur lesquelles étoit appuyée la mesure du Nord. On crut, dit un auteur moderne, qu'il y alloit de l'honneur de la nation à ne pas laisser donner à la Terre une figure étrangere, une figure imaginée par un Anglois & un Hollandois, à-peu-près comme on a crû long-tems l'honneur de la nation intéressé à défendre les tourbillons & la matiere subtile, & à proscrire la gravitation Newtonienne. Paris, & l'Académie même, se divisa entre les deux partis : enfin la mesure du Nord fut victorieuse ; & ses adversaires en furent si convaincus, qu'ils demanderent qu'on mesurât une seconde fois les degrés du méridien dans toute l'étendue de la France. L'opération fut faite plus exactement que la premiere fois, l'Astronomie s'étant perfectionnée beaucoup dans l'intervalle des deux mesures : on s'assûra en 1740 que les degrés alloient en augmentant du midi au nord, & par conséquent la Terre se retrouva applatie. C'est ce qu'on peut voir dans le livre qui a pour titre, la méridienne vérifiée dans toute l'étendue du royaume, &c. par M. Cassini de Thury, fils de M. Cassini, & aujourd'hui pensionnaire & astronome de l'académie des Sciences. Paris, 1744. Il faut pourtant remarquer, pour plus d'exactitude dans ce récit, que les degrés de France n'alloient pas tous & sans exception en diminuant du nord au sud, mais cela étoit vrai du plus grand nombre ; & dans les degrés qui s'écartoient de cette loi la différence étoit si excessivement petite, qu'on pouvoit & qu'on devoit l'attribuer toute entiere aux erreurs inévitables de l'observation.

Il est nécessaire d'ajouter que les académiciens du Nord de retour à Paris, crurent en 1739 qu'il étoit nécessaire de faire quelques corrections au degré de M. Picard, qu'ils avoient déja réduit à 56925 toises. Voici quelle étoit leur raison. La mesure de ce degré en général dépend, comme on l'a déjà dit, de deux observations, celle de la différence entre les hauteurs d'une étoile observées aux deux extrémités du degré, & celle de la distance géographique entre les paralleles tracés aux deux extrémités du degré. On ne doutoit point que cette derniere distance n'eût été mesurée très-exactement par M. Picard ; mais on n'étoit pas aussi sûr de l'observation céleste : quelqu'exact que fût cet astronome, il ignoroit, ainsi qu'on l'a déjà remarqué, quelques mouvemens observés depuis dans les étoiles fixes ; il en avoit négligé quelques autres, ainsi que la réfraction : d'ailleurs les instrumens astronomiques modernes ont été portés à un degré de précision qu'ils n'avoient pas de son tems. On recommença donc l'observation de l'amplitude de l'arc céleste compris entre les deux extrémités du degré de Paris à Amiens ; & en conséquence au lieu de 57060 toises pour ce degré, on en trouva 57183 : ce degré nouveau, plus grand que M. Picard ne l'avoit trouvé, étoit toûjours beaucoup plus petit que celui du Nord, & l'applatissement de la Terre subsistoit : mais cet applatissement étoit un peu moindre que de 173 à 174 ; il étoit de 177 à 178, toûjours néanmoins dans l'hypothèse de la Terre elliptique.

En 1740, ceux qui avoient soûtenu d'abord l'allongement de la Terre, ayant eu occasion de vérifier la base qui avoit servi à la mesure de M. Picard, prétendirent que cette base étoit plus courte de près de six toises que M. Picard ne l'avoit trouvée ; & en conséquence admettant la correction faite à l'amplitude de l'arc de M. Picard par les académiciens du Nord, ils fixerent le degré de M. Picard à 57074 toises 1/2, à 14 toises près de la longueur que M. Picard lui avoit donnée ; ainsi les deux erreurs de M. Picard dans la mesure de la base & dans celle de l'arc céleste, formoient, selon eux, une espece de compensation.

Cependant plusieurs académiciens douterent encore que M. Picard se fût trompé sur sa base. M. de la Condamine nous paroit avoir très-bien traité cette matiere dans sa mesure des trois premiers degrés du méridien, art. xxjx. pag. 246. & suiv. Il ne croit point que l'erreur de M. Picard, si en effet il y en a une, vienne, comme le pense M. Bouguer, de ce que cet astronome avoit peut-être fait sa toise d'un 1/1000 trop courte : sa raison est que la longueur du pendule à Paris, déterminée par M. Picard, differe à peine de 1/15 de ligne de celle que M. de Mairan a trouvée dans ces derniers tems. Cela posé, on ne sauroit douter que la toise des deux observateurs n'ait été exactement la même ; or la toise de M. de Mairan est aussi la même qui a servi à la mesure des degrés sous l'équateur & sous le cercle polaire, & la même qu'on a employée pour vérifier en 1740 la base de M. Picard. Mais d'un autre côté M. Cassini a vérifié cette base jusqu'à cinq fois, & en différens tems, & l'a toûjours trouvée plus courte de 6 toises que M. Picard. Plusieurs autres moyens directs & indirects, dont M. de la Condamine fait mention, ont été employés pour vérifier cette base, & on l'a toûjours trouvée plus courte de 6 toises. M. de la Condamine soupçonne que l'erreur de M. Picard, s'il y en a une, peut venir, 1°. de la longueur des perches de bois qu'il employoit, & dans laquelle il a pû se glisser plusieurs erreurs sur lesquelles on étoit moins en garde alors qu'on ne l'est aujourd'hui ; 2°. de la maniere dont on les posoit sur le terrein. C'est un détail qu'il faut voir dans son livre, & auquel nous renvoyons, ne prenant point encore de parti sur l'erreur vraie ou fausse de M. Picard, jusqu'à ce que cette erreur soit constatée ou justifiée pleinement, comme elle le sera bien-tôt.

Cette incertitude sur la longueur du degré de M. Picard, rendoit nécessairement très-incertaine la quantité de l'applatissement de la Terre ; car en supposant la Terre un sphéroïde elliptique, on a vû qu'on pouvoit déterminer par la mesure de deux degrés de latitude, la quantité de son applatissement ; & l'on n'avoit alors que deux degrés de latitude, celui du Nord & celui de France, dont le dernier (chose très-singuliere) étoit beaucoup moins connu que le premier après 80 ans de travail, la différence entre les deux valeurs qu'on lui donnoit, étant de près de 110 toises.

Les académiciens du Pérou, à leur retour, rendirent la question encore plus difficile à résoudre. Ils avoient mesuré le premier degré de latitude, & l'avoient trouvé de 56753 toises, c'est-à-dire considérablement plus petit que le degré de France, soit qu'on mît ce dernier à 57074 toises, ou à 57183. La comparaison des degrés de l'équateur & de Laponie, donnoit, dans l'hypothèse elliptique, le rapport des axes de 214 à 215, fort près de celui de M. Newton : or dans cette hypothèse, & supposé cet applatissement, le degré de France devoit avoir nécessairement une certaine valeur ; cette valeur étoit assez conforme à la longueur de 57183 toises, assignée au degré de France par les académiciens du Nord, & nullement à celle de 57074 toises qu'on lui donnoit en dernier lieu. Il n'est pas inutile d'ajoûter qu'en 1740, lorsqu'on avoit trouvé la diminution des degrés de France du nord au midi, telle qu'elle doit être dans la Terre applatie, on avoit mesuré un degré de longitude, à la latitude de 43d 32' ; & ce degré de longitude s'accordoit aussi très-bien avec ce qu'il devoit être dans l'hypothèse de la Terre elliptique & de l'applatissement égal à 1/215.

Cependant M. Bouguer, sans égard aux quatre degrés qui s'accordoient dans l'hypothèse elliptique, & qui donnoient l'applatissement de 1/215, crut devoir préférer le degré de France déterminé à 57074 toises, à ce même degré déterminé à 57183 : il ôta donc à la Terre la figure elliptique ; il lui donna celle d'un sphéroïde, dans lequel les accroissemens des degrés suivroient la proportion, non des quarrés des sinus de latitude, mais des quatriemes puissances de ces sinus. Il trouva que le degré du Nord, celui du Pérou, celui de France supposé de 57074 toises, & le degré de longitude mesuré à 43d 32' de latitude, s'accordoient dans cette hypothèse. Il en conclut donc que la Terre étoit un sphéroïde non elliptique, dans lequel le rapport des axes étoit de 178 à 179, presqu'égal à celui de 177 à 178, trouvé en dernier lieu par les académiciens du Nord, mais à la vérité dans l'hypothèse elliptique ; ce qui donnoit deux sphéroïdes fort différens, quoiqu'à-peu-près également applatis. On verra dans un instant que les mesures faites depuis en d'autres endroits, ne sauroient subsister avec l'hypothèse de M. Bouguer, qui à la vérité ne la pouvoit prévoir alors, & qui croyoit tout faire pour le mieux, en ajustant à une même hypothèse les données qu'il avoit choisies.

Les choses en étoient là, lorsqu'en 1752 M. l'abbé de la Caille, un de ceux qui avoient eu le plus de part à la mesure des degrés de France en 1740, se trouvant au cap de Bonne-Espérance par 33d 18' de latitude, où il avoit été envoyé par l'académie pour y faire des observations astronomiques, principalement relatives à la parallaxe de la Lune, y mesura le degré du méridien, & le trouva de 57037 toises. Ce degré s'accordoit encore très-bien avec l'hypothèse elliptique & l'applatissement de 1/125, & ce qu'il faut bien remarquer, avec le degré de France supposé de 57183 toises ; mais il étoit presque égal au degré de France, supposé de 57074 toises ; & si cela étoit vrai, il en résulteroit que non-seulement la Terre ne seroit pas elliptique, mais que les deux hémispheres de la Terre ne seroient pas semblables, puisque les degrés seroient presque égaux à des latitudes aussi différentes que celle de France à 49d, & celle du cap à 33d. Il est visible au reste que le degré du cap ne s'accorderoit plus avec l'hypothèse de M. Bouguer, puisque le degré de France de 57074 toises, presque égal au degré du cap, quoiqu'à une latitude fort différente, étoit conforme à cette hypothèse.

Enfin la mesure du degré, récemment faite en Italie par les PP. Maire & Boscovich, à 43d 1' de latitude, produit de nouvelles difficultés. Ce degré s'est trouvé de 56979 toises ; ainsi non-seulement il differe beaucoup de ce qu'il doit être dans l'hypothèse de la Terre elliptique & de l'applatissement supposé 1/215, mais encore il s'est trouvé différer de plus de 70 toises d'un des degrés mesurés en France en 1740, presqu'à la même latitude que le degré d'Italie ; car le degré de latitude en France, à 43d 31', a été déterminé de 57058 toises.

Si cette derniere différence étoit réelle, il s'ensuivroit que le méridien qui traverse l'Italie, ne seroit pas semblable au méridien qui traverse la France, & qu'ainsi les méridiens n'étant pas les mêmes, la Terre ne pourroit plus être regardée comme parfaitement ou même sensiblement circulaire dans le sens de l'équateur, comme on l'avoit toûjours supposé jusqu'ici. Il en résulteroit de plus d'autres conséquences très-fâcheuses, que l'on verra dans la suite de cet article. On peut remarquer en même tems que le degré d'Italie quadre assez bien avec l'hypothèse de M. Bouguer, à laquelle celui du cap ne s'accorde pas ; ainsi de quelque côté qu'on se tourne, aucune hypothèse ne peut s'accorder avec la longueur de tous les degrés mesurés jusqu'ici. Il ne manque plus rien, comme l'on voit, pour rendre la figure de la Terre aussi incertaine que le pyrrhonisme peut le desirer.

Pour mettre en un coup-d'oeil sous les yeux du lecteur les degrés mesurés jusqu'à présent, nous les rassemblerons dans cette table.

Cette table vérifie ce que nous avons remarqué plus haut, que tous les degrés mesurés en France ne vont pas exactement en diminuant du nord au sud ; mais le dernier degré de France vers le sud est de 36 toises plus petit que le dernier degré vers le nord ; & cela suffit pour qu'il soit certain que les degrés vont en diminuant du nord au sud dans l'étendue de la France.

A cette table j'ajoûterai la suivante que M. l'abbé de la Caille m'a communiquée.

Dans l'hypothèse de la longueur d'un degré du méridien sous l'équateur, de 56753 toises, comme il résulte des mesures faites sous l'équateur, & de celle de 57422 toises sous le parallele de 66d 19'1/2 selon la mesure du nord, après en avoir ôté 16 toises pour l'effet de la réfraction, ainsi que l'ont pratiqué tous ceux qui ont mesuré des degrés, on a le rapport des axes de 214 à 215 ou de 1, à 1, 00467, en supposant la Terre un sphéroïde elliptique régulier. Et en supposant que les accroissemens des degrés du méridien sont comme les quarrés des sinus des latitudes, on a les longueurs suivantes :

On voit par cette table, que le degré du cap est moindre de 44 toises seulement que le degré mesuré ; que celui de France à 49d 22' est plus grand de 29 toises seulement que le degré de France supposé de 57183, mais plus grand de 138 toises que le degré supposé de 57074 ; enfin que le degré d'Italie est plus grand de 152 toises, que le degré mesuré. Ainsi il n'y a proprement que le degré d'Italie, & le degré de France supposé de 57074 toises (degré encore en litige), qui ne quadrent pas avec l'hypothèse elliptique & l'applatissement de 1/215 ; car les différences des autres sont trop petites, pour ne pas être mises sur le compte de l'observation. Je ne parle point de la valeur des autres degrés de France ; elle est encore incertaine, jusqu'à ce qu'on ait vérifié la correction faite à la base de M. Picard. Il n'est pas inutile d'ajoûter que le degré de longitude mesuré à 43d 32', & trouvé de 41618 toises, differe aussi de très-peu de toises de ce qu'il doit être dans l'hypothèse de la terre elliptique & de l'applatissement supposé à 1/215. En effet M. Bouguer a trouvé que ce degré ne différoit que de 11 toises de la longueur qu'il devroit avoir, en supposant l'applatissement de 1/223, qui differe peu de 1/215. De plus il n'est pas inutile de remarquer qu'en faisant de legeres corrections aux degrés qui quadrent avec ce dernier applatissement de 1/215, on retrouveroit exactement l'applatissement de 1/230, tel que Newton l'a donné. M. de la Condamine, comparant deux à deux dans l'hypothèse elliptique les quatre degrés suivans, celui du Pérou, celui de Laponie, celui de France supposé de 57183 toises, & le même degré supposé de 57074, trouve que le rapport des axes varie depuis 1/232 jusqu'à 1/303. Voyez son ouvrage, page 261. Enfin nous devons ajoûter que l'applatissement de la Terre a toûjours été trouvé beaucoup plus grand que celui de M. Huyghens, soit par la mesure des degrés, soit par l'observation du pendule ; d'où il semble qu'on peut conclure avec assez de fondement, que la pesanteur primitive n'est pas dirigée vers le centre de la Terre, ni même vers un seul centre, comme M. Huyghens le supposoit.

Avant que de porter notre jugement sur l'état présent de cette grande question de la figure de la Terre, & sur tout ce qui a été fait pour la résoudre, il est nécessaire que nous parlions des expériences sur l'allongement & l'accourcissement du pendule, observés aux différentes latitudes ; car ces expériences tiennent immédiatement à la question de la figure de la Terre. Il est certain en général, que si la Terre est applatie, la pesanteur doit être moindre à l'équateur qu'au pole, que par conséquent le pendule à secondes doit retarder en allant du pole vers l'équateur, & que par la même raison, le pendule qui bat les secondes à l'équateur, doit être allongé en allant de l'équateur vers le pole. De plus, si l'applatissement 1/230, donné par M. Newton, avoit lieu, il est démontré que la pesanteur à l'équateur seroit moindre de 1/230 que la pesanteur au pole, & de plus, que l'accroissement de la pesanteur, de l'équateur au pole, doit suivre la raison des quarrés des sinus de latitude. Or, par la loi observée de l'allongement du pendule, en allant de l'équateur vers le pole, on connoît la loi de l'augmentation de la pesanteur dans le même sens, & cette augmentation qui est proportionnelle à l'allongement du pendule (voyez PENDULE), se trouve, par les observations, assez exactement proportionnelle aux quarrés des sinus de latitude.

Or, selon le calcul du P. Boscovich, les différences proportionnelles aux quarrés des sinus de latitude, ou, ce qui revient au même, à la moitié du sinus verse du double de la latitude (voyez SINUS), sont 7, 24, 138, 206, un peu plus petites à la vérité que celles de la table, comme je l'avois déjà remarqué dans mes Recherches sur le système du monde, II. part. pag. 288 & 289. en employant un calcul moins rigoureux que le précédent ; cependant comme le plus grand écart entre l'observation & la théorie est ici de 8/100 de ligne, il semble qu'on peut regarder la proportion des quarrés des sinus de latitude comme assez exactement observée dans l'allongement du pendule. Il est à remarquer que dans la table précédente, on a augmenté de 1/10 de ligne les longueurs du pendule observées à Paris & à Pello (ce que je n'avois pas fait dans l'endroit cité de mes Recherches sur le système du monde) ; parce que les longueurs observées 440, 57, & 441, 17, sont celles du pendule dans l'air, & que les longueurs 440, 67, 441, 27, sont celles du même pendule dans un milieu non résistant, ainsi que les trois autres qui les précedent.

Mais si d'un côté la loi de l'accourcissement du pendule est assez conforme à l'hypothèse elliptique, de l'autre la quantité de l'accourcissement sous l'équateur ne se trouve pas telle qu'elle devroit être, si l'applatissement de la Terre étoit 1/230 ; elle est plus grande que cette fraction. Ainsi les expériences du pendule semblent aussi donner quelque échec à la théorie Newtonienne de la figure de la Terre, dans laquelle on regarde cette planete comme fluide & homogene. Ceci nous conduit naturellement à parler de tout ce qui a été fait jusqu'à nos jours, pour étendre & perfectionner cette théorie.

M. Huyghens avoit déterminé la figure de la Terre dans l'hypothèse, que la pesanteur primitive fût dirigée au centre, & que la pesanteur altérée par la force centrifuge fût perpendiculaire à la surface. M. Newton avoit supposé que la pesanteur primitive résultât de l'attraction de toutes les parties de la Terre, & que les colonnes centrales fussent en équilibre, sans égard à la perpendicularité à la surface. MM. Bouguer & de Maupertuis ont fait voir de plus dans les mémoires de l'académie des Sciences de 1734, que la Terre étant supposée fluide avec MM. Huyghens & Newton, il étoit nécessaire, pour qu'il y eût équilibre entre les parties, dans une hypothèse quelconque de pesanteur vers un ou plusieurs centres, que les deux principes hydrostatiques de M. Huyghens & de M. Newton s'accordassent entr'eux, c'est-à-dire que la direction de la pesanteur fût perpendiculaire à la surface, & que de plus les colonnes centrales fussent en équilibre. Ils ont démontré l'un & l'autre qu'il y a une infinité de cas où les colonnes centrales peuvent être en équilibre, sans que la pesanteur soit perpendiculaire à la surface, & réciproquement ; & qu'il n'y a point d'équilibre, à moins que l'observation de ces deux principes ne s'accorde à donner la même figure. Du reste ces deux habiles géometres ont principalement envisagé la question de la figure de la Terre, dans la supposition que la pesanteur primitive ait des directions données vers un ou plusieurs centres : l'hypothèse newtonienne de l'attraction des parties rendoit le problème beaucoup plus difficile.

Il l'étoit d'autant plus que la maniere dont il avoit été résolu par M. Newton pouvoit être regardée non-seulement comme indirecte, mais encore comme insuffisante & imparfaite à certains égards : dans cette solution, M. Newton supposoit d'abord que la Terre fût elliptique, & il déterminoit d'après cette hypothèse l'applatissement qu'elle devoit avoir : or quoique cette supposition de la Terre elliptique fût légitime dans l'hypothèse de la Terre homogène, cependant elle avoit besoin d'être démontrée ; sans cela c'étoit proprement supposer ce qui étoit en question. M. Stirling démontra le premier rigoureusement dans les Transactions philosoph. que la supposition de M. Newton étoit en effet légitime, en regardant la Terre comme un fluide homogene, & comme très-peu applatie. Bien-tôt après M. Clairaut, dans les mêmes Transactions, n°. 449. étendit cette théorie beaucoup plus loin. Il prouva que la Terre devoit être un sphéroïde elliptique, en supposant non-seulement qu'elle fût homogene, mais qu'elle fût composée de couches concentriques, dont chacune en particulier différât par sa densité des autres couches ; il est vrai qu'il regardoit alors les couches comme semblables ; or la similitude des couches, ainsi que nous le verrons plus bas, & que M. Clairaut s'en est assûré ensuite, ne peut subsister dans l'hypothèse que ces couches soient fluides.

En 1740, M. Maclaurin, dans son excellente piece sur le flux & reflux de la mer, qui partagea le prix de l'académie des Sciences, démontra le premier cette belle proposition, que si la Terre est supposée un fluide homogene, dont les parties s'attirent, & soient attirées outre cela par le Soleil ou par la Lune, suivant les lois ordinaires de la gravitation, ce fluide tournant autour de son axe avec une vîtesse quelconque, prendra nécessairement la forme d'un sphéroïde elliptique, quel que soit son applatissement, c'est-à-dire très-petit ou non. De plus M. Maclaurin faisoit voir que dans ce sphéroïde, non-seulement la pesanteur étoit perpendiculaire à la surface, & les colonnes centrales en équilibre, mais encore qu'un point quelconque pris à volonté au-dedans du sphéroïde, étoit également pressé en tout sens. Cette derniere condition n'étoit pas moins nécessaire que les deux autres, pour qu'il y eût équilibre ; cependant aucun de ceux qui jusqu'alors avoient traité de la figure de la Terre, n'y avoient pensé ; on se bornoit à la perpendicularité de la pesanteur à la surface, & à l'équilibre des colonnes centrales, & on ne songeoit pas que selon les lois de l'Hydrostatique (voyez FLUIDE & HYDROSTATIQUE), il faut qu'un point quelconque du fluide soit également pressé en tout sens, c'est-à-dire que les colonnes du fluide, dirigées à un point quelconque, & non pas seulement au centre, soient en équilibre entr'elles.

M. Clairaut ayant médité sur cette derniere condition, en a déduit des conséquences profondes & curieuses, qu'il a exposées en 1742 dans son traité intitulé, Théorie de la figure de la Terre, tirée des principes de l'Hydrostatique. Selon M. Clairaut, il faut pour qu'un fluide soit en équilibre, que les efforts de toutes les parties comprises dans un canal de figure quelconque qu'on imagine traverser la masse entiere, se détruisent mutuellement. Ce principe est en apparence plus général que celui de M. Maclaurin ; mais j'ai fait voir dans mon essai sur la résistance des fluides, 1752. art. 18. que l'équilibre des canaux curvilignes n'est qu'un corollaire du principe plus simple de l'équilibre des canaux rectilignes de M. Maclaurin ; ce qui, au reste, ne diminue rien du mérite de M. Clairaut, puisqu'il a déduit de ce principe un grand nombre de vérités importantes que M. Maclaurin n'en avoit pas tirées, & qu'il avoit même assez peu connues pour tomber dans quelques erreurs ; par exemple, dans celles de supposer semblables entr'elles les couches d'un sphéroïde fluide, comme on le peut voir dans son traité des fluxions, art. 670. & suiv.

M. Clairaut, dans l'ouvrage que nous venons de citer, prouve (ce que M. Maclaurin n'avoit pas fait directement) qu'il y a une infinité d'hypothèses, où le fluide ne seroit pas en équilibre quoique les colonnes centrales se contre-balançassent, & que la pesanteur fût perpendiculaire à la surface. Il donne une méthode pour reconnoître les hypothèses de pesanteur, dans lesquelles une masse fluide peut être en équilibre, & pour en déterminer la figure ; il démontre de plus, que dans le système de l'attraction des parties, pourvû que la pesanteur soit perpendiculaire à la surface, tous les points du sphéroïde seront également pressés en tout sens, & qu'ainsi l'équilibre du sphéroïde dans l'hypothèse de l'attraction, se réduit à la simple loi de la perpendicularité à la surface. D'après ce principe, il cherche les lois de la figure de la Terre dans l'hypothèse que les parties s'attirent, & qu'elle soit composée de couches hétérogenes, soit solides, soit fluides ; il trouve que la Terre doit avoir dans tous ces cas une figure elliptique plus ou moins applatie, selon la disposition & la densité des couches : il prouve que les couches ne doivent pas être semblables, si elles sont fluides ; que les accroissemens de la pesanteur de l'équateur au pole, doivent être proportionnels au quarré des sinus de latitude, comme dans le sphéroïde homogene ; proposition très-remarquable & très-utile dans la théorie de la Terre : il prouve de plus que la Terre ne sauroit être plus applatie que dans le cas de l'homogénéité, savoir de 1/230 ; mais cette proposition n'a lieu qu'en supposant que les couches de la Terre, si elle n'est pas homogene, vont en augmentant de densité de la circonférence vers le centre ; condition qui n'est pas absolument nécessaire, sur-tout si les couches intérieures sont supposées solides ; de plus, en supposant même que les couches les plus denses soient les plus proches du centre, l'applatissement peut être plus grand que 1/230, si la Terre a un noyau solide intérieur plus applati que 1/230. V. la III. part. de mes Recherches sur le systeme du monde, p. 187. Enfin M. Clairaut démontre, par un très-beau théorème, que la diminution de la pesanteur de l'équateur au pole, est égale à deux fois 1/230 (applatissement de la Terre homogene) moins l'applatissement réel de la Terre. Ce n'est là qu'une très-legere esquisse de ce qui se trouve d'excellent & de remarquable dans cet ouvrage, très-supérieur à tout ce qui avoit été fait jusque-là sur la même matiere. V. HYDROSTATIQUE, TUYAUX CAPILLAIRES, &c.

Après avoir refléchi long-tems sur cet important objet & avoir lû avec attention toutes les recherches qu'il a produites, il m'a paru qu'on pouvoit les pousser encore beaucoup plus loin.

Jusqu'ici on avoit supposé que dans un fluide composé de couches de différentes densités, les couches devoient être toutes de niveau, c'est-à-dire que la pesanteur devoit être perpendiculaire à chacune de ces couches. Dans mes réflexions sur la cause des vents 1746, article 86. j'avois déjà prouvé que cette condition n'étoit point absolument nécessaire à l'équilibre, & depuis je l'ai démontré d'une maniere plus directe & plus générale, dans mon essai sur la résistance des fluides 1752, articles 167 & 168. Dans le même ouvrage, depuis l'art. 161. jusque & compris l'art. 166. j'ai prouvé que les couches concentriques & non semblables de ce même fluide, ne devoient pas non plus être nécessairement de la même densité dans toute leur étendue, pour que le fluide fût en équilibre ; & j'ai présenté, ce me semble, sous un point de vûe plus étendu qu'on ne l'avoit fait encore, & d'une maniere très-simple & très-directe, les équations qui expriment la loi de l'équilibre des fluides. (Voyez à l'article HYDROSTATIQUE un plus grand détail sur ces différens objets, & sur quelques autres qui ont rapport aux lois de l'équilibre des fluides, & à d'autres remarques que j'ai faites par rapport à ces lois). Enfin dans l'art. 169. du même ouvrage, j'ai déterminé l'équation des différentes couches du sphéroïde, non-seulement en supposant, comme on l'avoit fait avant moi, que ces couches soient fluides, qu'elles s'attirent, & qu'elles aillent en diminuant ou en augmentant de densité, suivant une loi quelconque, du centre à la circonférence, mais en supposant de plus, ce que personne n'avoit encore fait, que la pesanteur ne soit point perpendiculaire à ces couches ; excepté à la couche supérieure ; je trouve dans cette hypothèse une équation générale, dont celles qui avoient été données avant moi, ne sont qu'un cas particulier ; il est à remarquer que dans tous les cas où ces équations limitées & particulieres peuvent être intégrées, les équations beaucoup plus générales que j'ai données, peuvent être intégrées aussi ; c'est ce qui résulte de quelques recherches particulieres sur le calcul intégral, que j'ai publiées dans les mém. de l'Acad. des Sciences de Prusse de 1750.

Néanmoins dans ces formules généralisées, j'avois toûjours supposé la Terre elliptique, ainsi que tous ceux qui m'avoient précédé, n'ayant trouvé jusqu'alors aucun moyen de déterminer l'attraction de la Terre dans d'autres hypothèses ; mais ayant fait de nouveaux efforts sur ce problème, j'ai enfin donné en 1754, à la fin de mes recherches sur le système du monde, une méthode que les Géometres desiroient, ce me semble, depuis longtems, pour trouver l'attraction du sphéroïde terrestre dans une infinité d'autres suppositions que celle de la figure elliptique. J'ai donc imaginé que l'équation du sphéroïde fût représentée par celle-ci, r'= r + a + b t + c t2 + e t3 + f t4 + g t5, &c. r' étant le rayon de la Terre à un lieu quelconque, r le demi-axe de la Terre, t le sinus de la latitude, a, b, c &c. des coefficiens constans quelconques ; & j'ai trouvé l'attraction d'un pareil sphéroïde. Cette équation est infiniment plus générale que celle qu'on avoit supposée jusqu'alors ; car dans la Terre supposée elliptique, on a seulement r'= r + a-at2.

J'ai tiré de la solution de cet important problème de très-grandes conséquences dans la troisieme partie de mes recherches sur le systême du monde, qui est sous presse au moment que j'écris ceci (Mai 1756), & qui probablement aura paru avant la publication de ce sixieme volume de l'Encyclopédie. J'ai fait voir de plus que le problème ne seroit pas plus difficile, mais seulement d'un calcul plus long, dans l'hypothèse de l'attraction proportionnelle non-seulement au quarré inverse de la distance, mais à une somme quelconque de puissances quelconques de cette distance ; ce qui peut être très-utile dans la recherche de la figure de la Terre, lorsqu'on a égard à l'action que le soleil & la lune exercent sur elle, ou (ce qui revient au même) dans la recherche de l'élévation des eaux de la mer par l'action de ces deux astres ; voyez FLUX & REFLUX : j'ai fait voir enfin qu'en supposant le sphéroïde fluide & hétérogene, & les couches de niveau ou non, il pourroit très-bien être en équilibre sans avoir la figure elliptique ; & j'ai donné l'équation qui exprime la figure de ses différentes couches.

Ce n'est pas tout. J'ai supposé que dans ce sphéroïde les méridiens ne fussent pas semblables, que non-seulement chaque couche y différât des autres en densité, mais que tous les points d'une même couche différassent en densité entr'eux ; & j'enseigne la méthode de trouver l'attraction des parties du sphéroïde dans cette hypothèse si générale ; méthode qui pourroit être fort utile dans la suite, si la Terre se trouvoit avoir en effet une figure irréguliere. Il ne nous reste plus qu'à examiner cette derniere opinion, & les raisons qu'on peut avoir pour la soûtenir ou pour la combattre.

M. de Buffon est le premier (que je sache) qui ait avancé que la Terre a vraisemblablement de grandes irrégularités dans sa figure, & que ses méridiens ne sont pas semblables. Voyez hist. nat. tom. I. p. 165 & suiv. M. de la Condamine ne s'est pas éloigné de cette idée dans l'ouvrage même où il rend compte de la mesure du degré à l'équateur, p. 262 ; M. de Maupertuis qui l'avoit d'abord combattue dans ses élémens de Géographie, semble depuis l'avoir adoptée dans ses Lettres sur le progrès des Sciences ; enfin le P. Boscovich, dans l'ouvrage qu'il a publié l'année derniere sur la mesure du degré en Italie, non-seulement panche à croire que les méridiens de la Terre ne sont pas semblables, mais en paroît même assez fortement convaincu, à cause de la différence qui se trouve entre le degré d'Italie & celui de France à la même latitude.

Il est certain premierement que les observations astronomiques ne prouvent point invinciblement la régularité de la Terre & la similitude de ses méridiens. On suppose à la vérité dans ces observations que la ligne du zénith ou du fil-à-plomb (ce qui est la même chose) passe par l'axe de la Terre ; qu'elle est perpendiculaire à l'horison ; & que le méridien, c'est-à-dire le plan où le Soleil se trouve à midi, & qui passe par la ligne du zénith, passe aussi par l'axe de la Terre ; mais j'ai prouvé dans la troisieme partie de mes recherches sur le système du monde (& je crois avoir fait le premier cette remarque), qu'aucune de ces suppositions n'est démontrée rigoureusement, qu'il est comme impossible de s'assûrer par l'observation de la vérité de la premiere & de la troisieme, & qu'il est au moins extrèmement difficile de s'assûrer de la vérité de la seconde. Cependant il faut avouer en même tems que ces trois suppositions étant assez naturelles, la seule difficulté ou l'impossibilité même d'en constater rigoureusement la vérité, n'est pas une raison pour les proscrire, sur-tout si les observations n'y sont pas sensiblement contraires. La question se réduit donc à savoir si la mesure du degré faite récemment en Italie, est une preuve suffisante de la dissimilitude des méridiens. Cette dissimilitude une fois avouée, la Terre ne seroit plus un solide de révolution ; & non-seulement il demeureroit très-incertain si la ligne du zénith passe par l'axe de la Terre, & si elle est perpendiculaire à l'horison, mais le contraire seroit même beaucoup plus probable. En ce cas la direction du fil-à-plomb n'indiqueroit plus celle de la perpendiculaire à la surface de la Terre, ni celle du plan du méridien ; l'observation de la distance des étoiles au zénith ne donneroit plus la vraie mesure du degré, & toutes les opérations faites jusqu'à présent pour déterminer la figure de la Terre & la longueur du degré à différentes latitudes, seroient en pure perte. Cette question, comme l'on voit, mérite un sérieux examen ; envisageons-la d'abord par le côté physique.

Si la Terre avoit été primitivement fluide & homogene, la gravitation mutuelle de ses parties, combinée avec la rotation autour de son axe, lui eût certainement donné la forme d'un sphéroïde applati, dont tous les méridiens eussent été semblables : si la Terre eût été originairement formée de fluides de différentes densités, ces fluides cherchant à se mettre en équilibre entr'eux, se seroient aussi disposés de la même maniere dans chacun des plans qui auroient passé par l'axe de rotation du sphéroïde, & par conséquent les méridiens eussent encore été semblables. Mais est-il bien prouvé, dira-t-on, que la Terre ait été originairement fluide ? & quand elle l'eût été, quand elle eût pris la figure que cette hypothèse demandoit, est-il bien certain qu'elle l'eût conservée ? Pour ne point dissimuler ni diminuer la force de cette objection, appuyons-là encore avant que d'en apprécier la valeur, par la réflexion suivante. La fluidité du sphéroïde demande une certaine régularité dans la disposition de ses parties, régularité que nous n'observons pas dans la Terre que nous habitons. La surface du sphéroïde fluide devroit être homogene ; celle de la Terre est composée de parties fluides & de parties solides, différentes par leur densité. Les boulversemens évidens que la surface de la Terre a essuyés, boulversemens qui ne sont cachés qu'à ceux qui ne veulent pas les voir (& dont nous n'avons qu'une foible, mais triste image, dans celui que viennent d'éprouver Quito, le Portugal & l'Afrique), le changement évident des terres en mers & des mers en terres, l'affaissement du globe en certains lieux, son exhaussement en d'autres, tout cela n'a-t-il pas dû altérer considérablement la figure primitive ? (Voy. GEOGRAPHIE PHYSIQUE, TERRE, TREMBLEMENT DE TERRE, &c. la Géographie de Varenius, & le premier volume de l'Histoire naturelle de M. de Buffon). Or la figure primitive de la Terre étant une fois altérée, & la plus grande partie de la Terre étant solide, qui nous assûrera qu'elle ait conservé aucune régularité dans la figure ni dans la distribution de ses parties ? Il seroit d'autant plus difficile de le croire, que cette distribution semble, pour ainsi dire, faite au hasard dans la partie que nous pouvons connoître de l'intérieur & de la surface de la Terre ? La circularité apparente de l'ombre de la Terre dans les éclipses de Lune, ne prouve autre chose sinon que les méridiens & l'équateur sont à-peu-près des cercles ; or il faut que l'équateur soit exactement un cercle, pour que les méridiens soient semblables. La circularité apparente de l'ombre ne prouve point que les méridiens soient des cercles exacts, puisque les mesures ont prouvé qu'ils n'en sont pas ; pourquoi prouveroit-elle la circularité parfaite de l'équateur ? Les mêmes hauteurs du pole observées, après avoir parcouru des distances égales sous différens méridiens, en partant de la même latitude, ne prouvent rien non plus, puisqu'il faudroit être certain qu'il n'y a point d'erreur commise ni dans la mesure terrestre, ni dans l'observation astronomique ; or l'on sait que les erreurs sont inévitables dans ces mesures & dans ces opérations. Enfin les regles de la navigation qui dirigent d'autant plus sûrement un vaisseau, qu'elles sont mieux pratiquées, prouvent seulement que la Terre est à-peu-près sphérique, & non que l'équateur est un cercle. Car la pratique la plus exacte de ces regles est elle-même sujette à beaucoup d'erreurs.

Voilà les raisons sur lesquelles on se fonde, pour douter de la régularité de la Terre que nous habitons, & même pour lui donner une figure irréguliere. Mais n'y auroit-il pas d'autres inconvéniens à admettre cette irrégularité ? La rotation uniforme & constante de la Terre autour de son axe, ne semble-t-elle pas prouver (comme l'ont déjà remarqué d'autres philosophes) que ses parties sont à-peu-près également distribuées autour de son centre ? Il est vrai que ce phénomene pourroit absolument avoir lieu dans l'hypothèse de la dissimilitude des méridiens, & de la densité irréguliere des parties de notre globe ; mais alors l'axe de la rotation de la Terre ne passeroit pas par son centre de figure ; & le rapport entre la durée des jours & des nuits à chaque latitude, ne seroit pas tel que l'observation & le calcul le donne ; ou si on vouloit que l'axe de rotation passât par le centre de la Terre, comme les observations semblent le prouver, il faudroit supposer dans les parties irrégulieres du globe un arrangement particulier, dont la symmétrie seroit beaucoup plus singuliere & plus surprenante, que la similitude des méridiens ne pourroit l'être, sur-tout si cette similitude n'étoit que très-approchée, comme on le suppose dans les opérations astronomiques, & non absolument rigoureuse.

D'ailleurs les phénomenes de la précession des équinoxes, si bien d'accord avec l'hypothèse que les méridiens soient semblables, & que l'arrangement des parties de la Terre soit régulier, ne semblent-ils pas prouver qu'en effet cette hypothèse est légitime ? Ces phénomenes auroient-ils également lieu, si les parties extérieures de notre globe étoient disposées sans ordre & sans loi ? Car la précession des équinoxes venant uniquement de la non-sphéricité de la Terre, ces parties extérieures influeroient beaucoup sur la quantité & la loi de ce mouvement dont elles pourroient alors déranger l'uniformité. Enfin la surface de la Terre dans sa glus grande partie est fluide, & par conséquent homogene ; la matiere solide qui couvre le reste de cette surface, est presque par-tout peu différente en pesanteur de l'eau commune ; n'est-il donc pas naturel de supposer que cette matiere solide fait à-peu-près le même effet qu'une matiere fluide, & que la Terre est à-peu-près dans le même état, que si sa surface étoit par-tout fluide & homogene ; qu'ainsi la direction de la pesanteur est sensiblement perpendiculaire à cette surface, & dans le plan de l'axe de la Terre, & que par conséquent tous les méridiens sont semblables sinon à la rigueur, au moins sensiblement. Les inégalités de la surface de la Terre, les montagnes qui la couvrent, sont moins considérables par rapport au diametre du globe, que ne le seroient de petites éminences d'un dixieme de ligne de hauteur, répandues çà & là sur la surface d'un globe de deux piés de diametre. D'ailleurs le peu d'attraction que les montagnes exercent par rapport à leur masse (Voyez ATTRACTION & MONTAGNES), semble prouver que cette masse est très-petite par rapport à leur volume. L'attraction des montagnes du Pérou élevées de plus d'une lieue, n'écarte le pendule de sa direction que de sept secondes : or une montagne hémisphérique d'une lieue de hauteur, devroit faire écarter le pendule d'environ la 3000e partie du sinus total, c'est-à-dire d'une minute 18 secondes : les montagnes paroissent donc avoir très-peu de matiere propre par rapport au reste du globe terrestre ; & cette conjecture est appuyée par d'autres observations, qui nous ont découvert d'immenses cavités dans plusieurs de ces montagnes. Ces inégalités qui nous paroissent si considérables, & qui le sont si peu, ont été produites par les boulversemens que la Terre a soufferts, & dont vraisemblablement l'effet ne s'est pas étendu fort au-delà de la surface & des premieres couches.

Ainsi de toutes les raisons qu'on apporte pour soûtenir que les méridiens sont dissemblables, la seule de quelque poids, est la différence du degré mesuré en Italie, & du degré mesuré en France, à une latitude pareille & sous un autre méridien. Mais cette différence qui n'est que de 70 toises, c'est-à-dire d'environ 35 pour chacun des deux degrés, est-elle assez considérable pour n'être pas attribuée aux observations, quelque exactes qu'on les suppose ? Deux secondes d'erreur dans la seule mesure de l'arc céleste, donnent 32 toises d'erreur sur le degré ; & quel observateur peut repondre de deux secondes ? Ceux qui sont tout-à-la-fois les plus exacts & les plus sinceres, oseroient-ils même répondre de 60 toises sur la mesure du degré, puisque 60 toises ne supposent pas une erreur de quatre secondes dans la mesure de l'arc céleste, & aucune dans les opérations géographiques ?

Rien ne nous oblige donc encore à croire les méridiens dissemblables ; il faudroit pour autoriser pleinement cette opinion, avoir mesuré deux ou plusieurs degrés à la même latitude, dans des lieux de la Terre très-éloignés, & y avoir trouvé trop de différence pour l'imputer aux observateurs : je dis dans des lieux très-éloignés, car quand le méridien d'Italie par exemple, & celui de France, seroient réellement différens, comme ces méridiens ne sont pas fort distans l'un de l'autre, on pourroit toûjours rejetter sur les erreurs de l'observation, la différence qu'on trouveroit entre les dégrés correspondans de France & d'Italie à la même latitude.

Il y auroit un autre moyen d'examiner la vérité de l'opinion dont il s'agit ; ce seroit de faire l'observation du pendule à même latitude, & à des distances très-éloignées : car si en ayant égard aux erreurs inévitables de l'observation, la longueur du pendule se trouvoit différente dans ces deux endroits, on en pourroit conclure (au moins vraisemblablement) que les méridiens ne seroient pas semblables. Voilà donc deux opérations importantes qui sont encore à faire pour décider la question, la mesure du degré, & celle du pendule, sous la même latitude, à des longitudes extrèmement différentes. Il est à souhaiter que quelque observateur exact & intelligent veuille bien se charger de cette entreprise, digne d'être encouragée par les souverains, & surtout par le ministere de France, qui a déjà fait plus qu'aucun autre pour la détermination de la figure de la Terre.

Au reste, en attendant que l'observation directe du pendule, ou la mesure immédiate des degrés nous donne à cet égard les connoissances qui nous manquent ; l'analogie, quelquefois si utile en Physique, pourroit nous éclairer jusqu'à un certain point sur l'objet dont il s'agit, en y employant les observations de la figure de Jupiter. L'applatissement de cette planete observé dès l'an 1666 par M. Picard, avoit déjà fait soupçonner celui de la Terre long-tems avant qu'on s'en fût invinciblement assûré par la comparaison des degrés du Nord & de France. Des observations réitérées de cette même planete nous apprendroient aisément si son équateur est circulaire. Pour cela il suffiroit d'observer l'applatissement de Jupiter dans différens tems. Comme son axe est à-peu-près perpendiculaire à son orbite, & par conséquent à l'écliptique qui ne forme qu'un angle d'un degré avec l'orbite de Jupiter, il est évident que si l'équateur de Jupiter est un cercle, le méridien de cette planete, perpendiculaire au rayon visuel tiré de la Terre, doit toûjours être le même, & qu'ainsi Jupiter doit paroître toûjours également applati, dans quelque tems qu'on l'observe. Ce seroit le contraire, si les méridiens de Jupiter étoient dissemblables. Je sai que cette observation ne sera pas démonstrative par rapport à la similitude ou à la dissimilitude des méridiens de la Terre. Mais enfin si les méridiens de Jupiter se trouvoient semblables, comme j'ai lieu de le soupçonner par les questions que j'ai faites là-dessus à un très-habile astronome, on seroit, ce me semble, assez bien fondé à croire, au défaut de preuves plus rigoureuses, que la Terre auroit aussi ses méridiens semblables. Car les observations nous prouvent que la surface de Jupiter est sujette à des altérations sans comparaison plus considérables & plus frequentes que celle de la Terre, voyez BANDES, &c. or si ces altérations n'influoient en rien sur la figure de l'équateur de Jupiter, pourquoi la figure de l'équateur de la Terre seroit-elle altérée par des mouvemens beaucoup moindres ?

Mais quand on s'assûreroit même par les moyens que nous venons d'indiquer, que les méridiens sont sensiblement semblables, il resteroit encore à examiner si ces méridiens ont la figure d'un ellipse. Jusqu'ici la théorie n'a point donné formellement l'exclusion aux autres figures ; elle s'est bornée à montrer que la figure elliptique de la Terre s'accordoit avec les lois de l'Hydrostatique : j'ai fait voir de plus, je le répete, dans la troisieme partie de mes recherches sur le système du monde, qu'il y a une infinité d'autres figures qui s'accordent avec ces lois, sur-tout si on ne suppose pas la Terre homogene. Ainsi en imaginant que le méridien de la Terre ne soit pas elliptique, j'ai donné dans cette même troisieme partie de mes recherches, une méthode aussi simple qu'on peut le desirer, pour déterminer géographiquement & astronomiquement sans aucune hypothèse, la figure de la Terre, par la mesure de tant de degrés qu'on voudra de latitude & de longitude. Cette méthode est d'autant plus nécessaire à pratiquer, que non-seulement la théorie, mais encore les mesures actuelles, ne nous forcent pas à donner à la Terre la figure d'un sphéroïde elliptique ; car les cinq degrés du nord, du Pérou, de France, d'Italie, & du Cap, ne s'accordent point avec cette figure : d'un autre côté les expériences du pendule s'accordent assez bien à donner à la Terre la figure elliptique, mais elles la donnent plus applatie que de 1/230 : enfin ce dernier applatissement s'accorde assez bien avec les cinq degrés suivans, celui du Nord, celui du Pérou, celui du Cap, le degré de France supposé de 57183 toises, & le degré de longitude mesuré à 43d 22' de latitude ; mais le degré de France supposé de 57074 toises, comme on le veut aujourd'hui, & le degré d'Italie, dérangent tout.

M. le Monnier cherchant à lever une partie de ces doutes, a entrepris de vérifier de nouveau la base de M. Picard, pour proscrire ou pour rétablir irrévocablement le degré de France, fixé par les académiciens du Nord à 57183 toises.

Si ce degré est rétabli, alors ce seroit aux Astronomes à décider jusqu'à quel point l'hypothèse elliptique seroit ébranlée par le degré d'Italie, le seul qui s'éloigneroit alors de cette hypothèse, & même de l'applatissement supposé de 1/230. (Ne pourroit-on pas croire que dans un pays aussi plein de hautes montagnes que l'Italie, l'attraction de ces montagnes doit influer sur la direction du fil-à-plomb, & que par conséquent la mesure du degré doit y être moins exacte & moins sûre ? c'est une conjecture legere que je ne fais que hasarder ici). Il faudroit examiner de plus jusqu'à quel point les observations du pendule s'écarteroient de ce même applatissement de 1/230, déduction faite des erreurs qu'on peut commettre dans les observations.

Mais si le degré de 57183 toises est proscrit, il faudra en ce cas discuter soigneusement les erreurs qu'on peut commettre dans les observations, tant du pendule que des degrés ; & si ces erreurs devoient être supposées trop grandes pour accommoder l'hypothèse elliptique aux observations, on seroit forcé d'abandonner cette hypothèse, & de faire usage des nouvelles méthodes que j'ai proposées, pour déterminer par la théorie & par les observations, la figure de la Terre.

L'observation de l'applatissement de Jupiter pourroit encore nous être utile ici jusqu'à un certain point. Il est aisé de trouver par la théorie quel doit être le rapport des axes de cette planete, en la regardant comme homogene. Si ce rapport étoit sensiblement égal au rapport observé, on pourroit en conclure avec assez de vraisemblance que la Terre seroit aussi dans le même cas, & que son applatissement seroit 1/230, le même que dans le cas de l'homogénéité ; mais si le rapport observé des axes de Jupiter est différent de celui que la théorie donne, alors on en pourra conclure par la même raison que la Terre n'est pas homogene, & peut-être même qu'elle n'a pas la figure elliptique. Cette derniere conclusion pourroit encore être confirmée ou infirmée par l'observation de la figure de Jupiter ; car il seroit aisé de déterminer si le méridien de cette planete est une ellipse, ou non. Pour cela il suffiroit de mesurer le parallele à l'équateur de Jupiter, qui en seroit éloigné de 60 degrés ; si ce parallele se trouvoit sensiblement égal ou inégal à la moitié de l'équateur, le méridien de Jupiter seroit elliptique, ou ne le seroit pas.

Je ne parle point de la méthode de déterminer la figure de la Terre par les parallaxes de la Lune : cette méthode imaginée d'abord par M. Manfredi, dans les mémoires de l'académie des Sciences de 1734, est sujette à trop d'erreurs pour pouvoir rien donner de certain. Il est indubitable que les parallaxes doivent être différentes sur une sphere & sur un sphéroïde ; mais la différence est si petite, que quelques secondes d'erreur dans l'observation emportent toute la précision qu'on peut desirer ici. Il est bien plus sûr de déterminer la différence des parallaxes par la figure de la Terre supposée connue, que la figure de la Terre par la différence des parallaxes ; & je me suis attaché par cette raison au premier de ces deux objets, dans la troisieme partie de mes recherches sur le système du monde déjà citées. Voyez PARALLAXE.

Il ne nous reste plus qu'un mot à dire sur l'utilité de cette question de la figure de la Terre. On doit avouer de bonne-foi, qu'eu égard à l'état présent de la navigation, & à l'imperfection des méthodes par lesquelles on peut mesurer en mer le chemin du vaisseau, & connoître en conséquence le point de la Terre où il se trouve, il nous est assez indifférent de savoir si la Terre est exactement sphérique ou non. Les erreurs des estimations nautiques sont beaucoup plus grandes, que celles qui peuvent résulter de la non-sphéricité de la Terre. Mais les méthodes de la navigation se perfectionneront peut-être un jour assez, pour qu'il soit alors important au pilote de savoir sur quel sphéroïde il fait sa route. D'ailleurs n'est-ce pas une recherche bien digne de notre curiosité, que celle de la figure du globe que nous habitons ? & cette recherche, outre cela, n'est-elle pas fort importante pour la perfection des observations astronomiques ? Voyez PARALLAXE, &c.

Quoi qu'il en soit, voilà l'histoire exacte des progrès qu'on a faits jusqu'ici sur la figure de la Terre. On voit combien la solution complete de cette grande question demande encore de discussion, d'observations, & de recherches. Aidé du travail de mes prédécesseurs, j'ai tâché dans mon dernier ouvrage, de préparer les matériaux de ce qui reste à faire, & d'en faciliter les moyens. Quel parti prendre jusqu'à ce que le tems nous procure de nouvelles lumieres ? savoir attendre & douter.

Il est tems de finir cet article, dont je crains qu'on ne me reproche la longueur, quoique je l'aye abregé le plus qu'il m'a été possible : je crains encore plus qu'on ne fasse aux Savans une espece de reproche, quoique très-mal fondé, de l'incertitude où ils sont encore sur la figure de la Terre, après plus de 80 ans de travaux entrepris pour la déterminer. Ce qui doit néanmoins me rassûrer, c'est que j'ai principalement destiné l'article qu'on vient de lire, à ceux qui s'intéressent vraiment au progrès des Sciences ; qui savent que le vrai moyen de le hâter est de bien démêler tout ce qui peut le suspendre ; qui connoissent enfin les bornes de notre esprit & de nos efforts, & les obstacles que la nature oppose à nos recherches, espece de lecteurs à laquelle seule les Savans doivent faire attention, & non à cette partie du public indifférente & curieuse, qui plus avide du nouveau que du vrai, use tout en se contentant de tout effleurer.

Ceux qui voudront s'instruire plus à fond, ou plus en détail, sur l'objet de cet article, doivent lire : la mesure du degré du méridien entre Paris & Amiens, par M. Picard, corrigée par MM. les académiciens du Nord, Paris, 1740 : le traité de la grandeur & de la figure de la Terre, par M. Cassini, Paris, 1718. le discours de M. de Maupertuis sur la figure des astres, Paris, 1732 : la mesure du degré au cercle polaire, par les académiciens du Nord, 1738 : la théorie de la figure de la Terre, par M. Clairaut, 1742 : la méridienne de Paris vérifiée dans toute l'étendue de la France, par M. Cassini de Thury, 1744 : la figure de la Terre, par M. Bouguer, 1749 : la mesure des trois premiers degrés du méridien, par M. de la Condamine, 1751 : l'ouvrage des PP. Maire & Boscovich, qui a pour titre, de litterariâ expeditione per pontificiam ditionem, &c. Romae, 1755 : mes réflexions sur la cause des vents, 1746 : la seconde & la troisieme partie de mes recherches sur le système du monde, 1754 & 1756 ; & plusieurs savans mémoires de MM. Euler, Clairaut, Bouguer, de Maupertuis, &c. répandus dans les recueils des académies des Sciences de Paris, de Petersbourg, de Berlin, &c. (O)

FIGURE, en Astrologie, est une description ou représentation de l'état & de la disposition du ciel à une certaine heure, qui contient les lieux des planetes & des étoiles, marqués dans une figure de douze triangles appellés maisons. Voyez MAISONS.

On la nomme aussi horoscope, & thème. Voyez HOROSCOPE, &c.

FIGURE, en Géomancie, s'applique aux extrémités des points, lignes ou nombres jettés au hasard, sur les combinaisons ou variations desquels ceux qui font profession de cet art, fondent leurs prédictions chimériques.

FIGURE, (Théolog.) est aussi un terme qui est en usage parmi les Théologiens, pour désigner les mysteres qui nous sont représentés & annoncés d'une maniere obscure sous de certains types ou de certains faits de l'ancien Testament. Voyez TYPE.

Ainsi la manne est regardée comme le type & la figure de l'Eucharistie : la mort d'Abel est une figure des souffrances de Jesus-Christ, &c.

Beaucoup de théologiens & de critiques soûtiennent que toutes les actions, les histoires, les cérémonies, &c. de l'ancien Testament, ne sont que des figures, des types & des prophéties de ce qui devoit arriver dans le nouveau. Voy. MYSTIQUE. Chambers.

M. l'abbé de la Chambre, dans son traité de la religion, tome IV. définit. jv. p. 270. donne plusieurs regles pour l'intelligence du sens figuré des Ecritures, que nous rapporterons ici, parce qu'il n'arrive que trop souvent qu'on se livre à cette opinion, que tout est figure, sur-tout dans l'ancien Testament, & qu'on en abuse pour y voir des choses qui n'y furent jamais.

Premiere regle. On doit donner à l'Ecriture un sens figuré & métaphorique, lorsque le sens littéral renferme une doctrine qui met sur le compte de Dieu quelqu'imperfection ou quelqu'impiété.

Seconde regle. On doit donner un sens figuré, spirituel & métaphorique aux propositions de l'Ecriture, lorsque leur sens littéral n'a aucun rapport naturel avec les objets dont elles veulent tracer l'image.

Troisieme regle. La simple force des expressions pompeuses de l'Ecriture n'établit point la nécessité de recourir au sens figuré. Lorsque les expressions de l'Ecriture sont trop magnifiques pour le sujet qu'elles semblent regarder, ce n'est pas une preuve générale & nécessaire qu'elles désignent un objet plus auguste.

Quatrieme regle. On ne doit admettre de figures & d'allégories dans l'Ecriture de l'ancien Testament, comme étant de l'intention du S. Esprit, que celles qui sont appuyées sur l'autorité de Jesus-Christ, sur celle des apôtres, ou sur celle d'une tradition constante & uniforme de tous les siecles.

Cinquieme regle. Il faut voir Jesus-Christ & les mysteres de la nouvelle alliance dans l'ancien Testament, par-tout où les apôtres les ont vûs ; mais il faut ne les y voir qu'en la maniere qu'ils les y ont vûs.

Sixieme regle. Quand un passage des Livres saints a un double sens, un littéral & un figuratif, il faut expliquer le passage en entier de la figure, aussi-bien que de la chose figurée : on doit conserver, autant qu'il est possible, le sens littéral dans tout le texte. Il est faux que la figure disparoisse quelquefois entierement, pour faire place à la chose figurée.

On peut voir les preuves solides qu'apporte de toutes ces regles le même auteur, qui les termine par ces deux observations importantes sur la nature des types & des figures.

1°. Les endroits de la bible les moins propres à figurer quelque chose qui ait rapport à la nouvelle alliance, ce sont ceux qui ne contiennent que des actions repréhensibles & criminelles. Ces sortes de figures ont quelque chose d'indécent & de très-peu naturel.

2°. Il est faux que les fautes des saints de l'ancien Testament cessent d'être fautes, parce qu'elles sont figuratives. La prérogative du type & de la figure n'est point de diviniser & de sanctifier les actions qui sont figuratives : ces actions demeurent telles qu'elles sont en elles-mêmes & par leur nature ; si elles sont bonnes, elles demeurent bonnes ; & si elles sont mauvaises, elles demeurent mauvaises. Une action ne change pas de nature parce qu'elle en figure une autre, la qualité de type ne lui donne aucune qualité morale ; sa bonté ou sa malice ne dépendent essentiellement que de sa conformité ou de son opposition avec la loi de Dieu. S. Augustin, qui est dans le principe que les fautes des patriarches sont figuratives, in peccatis magnorum virorum aliquando rerum figuras animadverti & indagari posse, ne croit pas qu'elles cessent d'être fautes par cet endroit. " L'action de Loth & de ses filles, dit-il, est une prophétie dans l'Ecriture qui la raconte ; mais dans la vie des personnes qui l'ont commise, c'est un crime " : aliquando res gesta in facto causa damnationis, in scripto prophetia virtutis. Lib. II. contr. Faust. c. xlij. (G)

A ces regles & à ces observations de M. l'abbé de la Chambre, nous ajoûterons quelques remarques sur la même matiere. Figure, en Théologie, a deux acceptions très-différentes : c'est dans deux sens divers qu'on dit que l'expression oculi Domini super justos est figurée, & qu'on dit que la narration du sacrifice d'Isaac dans la Genese est figurée. Dans le premier cas il y a une figure, au sens que les rhéteurs donnent à ce mot, une métaphore. Dans le second il y a une figure, c'est-à-dire un type, une représentation d'un évenement distingué de celui qu'on raconte.

La premiere des regles qu'on vient de lire, est relative aux figures de l'Ecriture prises dans le premier sens, aux expressions figurées ; & on peut dire en général que toutes les regles qu'on peut prescrire pour distinguer dans les écrits l'expression naturelle de l'expression figurée, peuvent s'appliquer à l'Ecriture.

Les cinq autres de M. l'abbé de la Chambre, ont pour objet les figures de l'Ecriture prises au second sens, c'est-à-dire les narrations typiques ; & c'est sur celles-ci que nous allons nous arrêter.

On peut voir au mot ECRITURE, (Théol.) les définitions des différentes sortes de sens figurés qu'on trouve dans les Ecritures. Il nous suffira ici de les envisager sous un point de vûe très-simple, je veux dire par leur distinction du sens littéral. En effet le sens mystique ou spirituel, allégorique, tropologique, anagogique ; tous ces sens-là, dis-je, sont toûjours unis avec un sens littéral, sous l'écorce duquel ils sont, pour ainsi dire, cachés.

On a remarqué à l'article ECRITURE-SAINTE, les excès dans lesquels sont tombés ceux qui ont voulu voir des sens figurés dans toute l'Ecriture. Selon ces interpretes, il n'y a point de texte où Dieu n'ait voulu renfermer sous l'enveloppe du sens littéral, les vérités de la Morale, ou les évenemens de la religion chrétienne. Comme on a déjà combattu ce principe directement, nous allons nous arrêter ici à faire connoître 1°. les causes qui ont amené l'usage abusif des explications figurées ; 2°. les inconvéniens qu'a entraînés cette méthode d'expliquer l'Ecriture. Nous croyons que des détails & des exemples sur ces deux objets, seront de quelque utilité.

La premiere cause de l'abus des sens figurés dans l'interprétation de l'Ecriture, a été l'usage qu'en font les écrivains du nouveau Testament. Les premiers écrivains ecclésiastiques se sont crus en droit d'employer, comme les apôtres, ces sortes d'explications ; & il faut avouer que quelques-unes des applications de l'ancien Testament faites par les évangélistes, sembleroient autoriser à expliquer toute l'Ecriture figurément, parce qu'elles semblent un peu détournées, & ne se présentent pas tout de suite : mais selon la quatrieme regle qu'on vient de lire, on ne devoit admettre de figures & d'allégories dans l'écriture de l'ancien Testament, comme étant d'institution divine, que celles qui sont appuyées sur l'autorité de J. C. des apôtres, ou de la tradition.

La seconde cause de l'emploi excessif des sens figurés, me semble avoir été pour les premiers écrivains ecclésiastiques, la coûtume des Juifs qui donnoient à l'Ecriture des explications spirituelles, & ce goût a duré chez eux jusqu'au viij. siecle.

Je trouve une troisieme cause de ces mêmes abus dans la méthode que les peres avoient d'instruire les fideles par des homélies, qui n'étoient que des commentaires suivis sur l'Ecriture ; car dans la nécessité de faire entrer dans ces commentaires les vérités de la Morale & de la religion, ils s'efforçoient de les trouver là-même où elles n'étoient pas, dans des récits purement historiques. Leur éloquence trouvoit son compte à s'écarter du sens littéral, & à secouer le joug d'une rigoureuse précision. On peut se convaincre de la vérité de ce que nous disons, en ouvrant au hasard des homélies, & on verra que les explications figurées sont prodiguées dans cette espece d'ouvrages : d'ailleurs, comme ils travailloient tous leurs commentaires sur l'Ecriture, dans la vûe de les employer à l'instruction des fideles, plûtôt qu'à l'éclaircissement & à l'intelligence du texte, ils s'attachoient plus fortement à une maniere de l'expliquer, qui leur donnoit plus d'occasion de développer les vérités de la religion, sur-tout en matiere de Morale ; & c'est à quoi les explications figurées leur servoient merveilleusement.

Je donnerai ici un exemple de l'usage qu'ils en faisoient. Ce passage du Deutéronome : & erit vita tua pendens ante oculos tuos, & non credes vitae tuae, chap. xxviij. signifie que si les Israëlites ne sont pas fideles à observer la loi de Dieu, tant de maux les accableront, que leur vie sera suspendue à un filet, & qu'ils croiront la voir terminer à tous momens ; c'est ce que la suite démontre : timebis nocte & die, dit Moyse, & non credes vitae tuae ; manè dices quis mihi det vesperum, & vesperè quis mihi det manè.

Voilà le sens naturel du texte, c'est assûrément le seul que Moyse ait eu en vûe. S. Augustin l'a saisi sans-doute ; mais quand on a donné ce sens si simple & si naturel, tout est dit ; cela ne fournit pas de certains détails dans une homélie. Sur cela S. Augustin laisse à côté ce premier sens, & se jettant dans une autre explication du passage en question, il y trouve la passion, le genre de mort de Jesus-Christ, sa qualité de redempteur, d'auteur de la vie, l'incrédulité des Juifs, &c. Et il dit là-dessus de fort belles choses, mais qui malheureusement ne sont point-du-tout relatives au texte.

Tous nos prédicateurs ont donné dans ces mêmes défauts ; & je trouve dans ceux qui jouissent de la plus grande réputation, des applications de l'Ecriture aussi fausses & aussi détournées que celle que je viens de rapporter.

Une quatrieme & une cinquieme cause de ces abus, sont, selon le judicieux M. Fleury (discours sur l'Hist. ecclés.), le mauvais goût qui faisoit mépriser ce qui étoit simple & naturel, & la difficulté d'entendre la lettre de l'Ecriture, faute de savoir les langues originales, je veux dire le grec & l'hébreu, & de connoître l'histoire & les moeurs de cette antiquité si reculée. C'étoit plûtôt fait de donner des sens mystérieux à ce que l'on n'entendoit pas ; & en effet, si l'on y prend garde, S. Augustin, S. Grégoire & la plus grande partie des peres qui ont travaillé sur l'Ecriture de cette façon, n'entendoient ni le grec ni l'hébreu. Au lieu que S. Jérôme qui connoissoit les sources, ne s'attache qu'au sens littéral.

Pour montrer que cette ignorance des langues originales a souvent influé dans la maniere dont les peres ont expliqué l'Ecriture, je citerai un exemple tiré encore de S. Augustin.

Au livre XIII. de la cité de Dieu, chap. xij. il explique ainsi la menace faite par Dieu au ch. ij. de la Genese. In quocumque die comederis ex eo, morte morieris : morte moriemini, dit-il, non tantum animae mortis partem priorem ubi anima privatur Deo, nec tantùm posteriorem ubi corpus privatur animâ, nec solùm ipsam totam primam ubi anima & à Deo & à corpore separata punitur, sed quidquid mortis est usque ad novissimam quae secunda dicitur, & quâ est nulla posterior comminatio illa amplexa est.

On voit bien que dans toute cette explication S. Augustin se fonde sur l'énergie & l'emphase qu'il prête à l'expression mortem moriemini ; & c'est l'ignorance de la langue hébraïque qui le fait tomber dans cette erreur, selon la remarque du savant le Clerc, qui me fournit cet exemple, Artis crit. p. 11. sect. primâ, ch. jv. En hébreu on joint assez souvent l'infinitif au verbe, comme un nom, sans que ce redoublement donne aucune énergie à la phrase. Par exemple, au verset précédent on lit dans l'hébreu & dans les Septante, comedendo comedes, mis simplement pour comedes ; le même tour à-peu-près a lieu dans la dialecte attique. On trouve dans Homere concionem concionari ; les Latins mêmes disent vivere vitam, &c. & toutes ces expressions n'ont point l'emphase que S. Augustin a vûe ici.

Sixieme cause. L'opinion de l'inspiration rigoureuse de tous les mots, de toutes les syllabes de l'Ecriture & de tous les faits, c'est-à-dire de ceux-là mêmes dont les écrivains sacrés avoient été les témoins, & qu'ils pouvoient raconter d'après eux-mêmes. Car dans cette opinion on a regardé chaque mot de l'Ecriture, comme renfermant des mysteres cachés, & les circonstances les plus minutieuses des faits les plus simples, comme destinées par Dieu à nous fournir des connoissances très-relevées. Ce principe a été adopté par la plûpart des peres.

Je le trouve très-bien developpé par le jésuite Kirker, au liv. II. de son ouvrage de arcâ Noë. C'est au ch. viij. qu'il intitule de mystico-allegorico-tropologicâ arcae expositione : il dit que puisque Dieu pouvoit d'un seul mot sauver du déluge Noë, ses enfans & les animaux, sans tout cet appareil d'arche, de provisions, &c. il est probable qu'il n'a fait construire ce grand bâtiment, & qu'il n'en a fait faire à l'historien sacré une description si exacte, que pour nous élever à la contemplation des choses invisibles par le moyen de ces choses visibles, & que cette arche cache & renferme de grands mysteres. Les bois durs & qui ne se corrompent point, sont les gens vertueux qui sont dans l'Eglise ; ces bois sont polis, pour marquer la douceur & l'humilité : les bois quarrés, sont les docteurs ; les trois étages de l'arche, sont les trois états qu'on voit dans l'Eglise, le séculier, l'ecclésiastique & le monastique. Il met les moines au troisieme étage, mais il n'assigne point aux deux autres ordres leurs places respectives, &c.

Voilà, je crois, les principales causes qui ont introduit les explications figurées. Je vais tâcher à présent de faire sentir les inconvéniens qu'a entraînés cette méthode d'interpreter l'Ecriture.

Premier inconvénient. Quoique les explications figurées puissent le plus souvent être rejettées, par cela seul qu'elles ne sont pas fondées, elles ne sont pas bien dangereuses tant qu'elles ne consistent qu'à chercher avec trop de subtilité dans les sens figurés de l'Ecriture, les dogmes établis d'ailleurs sur des passages pris dans leur sens propre & naturel. Mais le mal est qu'on ne s'est pas toûjours renfermé dans des bornes légitimes, & qu'on s'est efforcé d'ériger des sens figurés en dogmes. Ce nouvel usage, comme on voit, pouvoit s'introduire assez facilement ; en effet, lorsqu'on se servoit du sens figuré pour établir un dogme déjà reçû, on n'avoit garde de nier le sens figuré, ou de dire qu'il ne prouvoit rien, parce qu'on eût passé pour nier le dogme ; par-là le sens figuré acquit bien-tôt une autorité considérable, & on ne craignit pas de l'apporter en preuves d'opinions nouvelles. En voici un exemple frappant, & que tout le monde connoît : c'est l'usage qu'on a voulu faire de l'allégorie des deux glaives pour attribuer à l'Eglise une autorité sur les souverains, même dans le temporel ; & il est à remarquer que cette méthode d'expliquer l'Ecriture & l'autorité des allégories apportées en preuves des dogmes, étoit tellement établie dans le xj. siecle, que les défenseurs de l'empereur Henri IV. contre Grégoire VII. ne s'avisoient pas de dire que cette figure ne prouvoit rien.

Cet abus étoit monté au comble au tems dont nous parlons, & nous n'en sommes pas encore tout-à-fait corrigés ; Vivès au xvj. siecle s'en plaignoit amerement : quo magis miror, dit-il sur le ch. iij. du livre XVII. de civitate Dei, stultitiam, ne dicam an impudentiam, an utrumque eorum, qui ex allegoriis praecepta & leges vitae, dogmata religionis, vincula quibus ligemur teneamurque, colligant atque innodant, & ea pro certissimis in vulgum efferunt, ac haereticum clamant si quis dissentiat.

Mais même en supposant que le sens figuré soit employé par les Théologiens en preuve d'un dogme bien établi d'ailleurs, c'est toûjours un inconvénient considérable que d'employer une aussi mauvaise raison, & on doit bannir absolument de la Théologie, l'usage de ces sortes d'explications. Cependant les anciens théologiens (& les modernes ne sont pas tout-à-fait exempts de ce reproche) ont tombé fréquemment dans ce défaut. Il s'en présente à moi un exemple tiré de S. Thomas. Pour prouver que les simples ne sont pas tenus d'avoir une foi explicite de toutes les vérités de la religion, il s'appuie sur le passage de Job. 1. Boves arabant & asinae pascebantur juxta eos ; quia scilicet minores, dit-il, qui significantur per asinos debent in credendis adhaerere majoribus, qui per boves significantur. Voilà une mauvaise preuve & une étrange explication. Il est vrai que saint Grégoire a donné le même sens à ce texte (lib. II. Moral.) : mais on voit assez la différence qu'il y a entre l'emploi d'une semblable explication dans un traité de Morale, & celui que S. Thomas en fait dans un traité de Théologie.

Cet abus est si grand, que je ne fais point de doute que si Dieu n'eût veillé sur son Eglise, cette prodigieuse quantité d'explications détournées, de sens allégoriques, &c. ne fût entrée dans le corps de la doctrine chrétienne, comme la cabale des Juifs dans leur théologie : mais la Providence avoit placé dans l'Eglise une barriere à ces excès, l'autorité de l'Eglise elle-même, qui seule ayant le droit suprème d'interpréter les Livres saints, anéantit & laisse oubliées les gloses des docteurs particuliers, qui ne rendent point le vrai sens des Ecritures, pendant qu'elle adopte celles qui sont conformes à la doctrine qu'elle a reçûe de J. C.

Le second inconvénient de cette méthode est que les incrédules en ont pris occasion de dire que ces explications précaires ont autant corrompu l'Ecriture parmi les Chrétiens, en en faisant perdre l'intelligence, qu'auroit pû le faire l'altération du texte même. La liberté d'expliquer ainsi l'Ecriture, dit M. Fleury, a été poussée à un tel excès, qu'elle l'a enfin rendue méprisable aux gens d'esprit mal instruits de la religion ; ils l'ont regardée comme un livre inintelligible qui ne signifioit rien par lui-même, & qui étoit le jouet des interpretes. C'est par-là, disent les Sociniens, que nous en avons perdu le vrai sens sur les dogmes importans de la Trinité, de la satisfaction de Jesus-Christ, du péché originel, &c. de sorte que nous ne pouvons plus y rien entendre, préoccupés que nous sommes de sens figurés qu'une longue habitude nous fait regarder comme propres, quoique nous ayons perdu le sens simple & naturel que les écrivains sacrés avoient en vûe. Il est facile de répondre à cela, que la doctrine catholique n'est point fondée sur ces explications arbitraires & figurées de certains passages, mais sur leur sens propre & naturel, comme le prouvent les Théologiens en établissant chaque dogme en particulier ; que quelle que soit l'ancienneté de ces explications figurées, nous pouvons aujourd'hui dans l'examen des dogmes, examiner & saisir le sens propre & naturel des passages sur lesquels nous les établissons, & que ce sens propre & naturel est celui auquel l'Eglise catholique les entend, &c. mais c'est toûjours, comme on voit, sur l'abus des sens figurés dans l'interprétation de l'Ecriture, que les Sociniens fondent de pareils reproches, & c'est ce que nous voulions faire remarquer.

En troisieme lieu, d'après la persuasion que l'Ecriture sainte est inspirée, celui qui prétend trouver une vérité de morale ou un dogme dans un passage, au moyen du sens figuré qu'il y découvre, donne de son autorité privée une définition en matiere de foi. En effet, cet homme, en interprétant ainsi l'Ecriture, suppose sans-doute que Dieu, en inspirant à l'écrivain le passage en question, avoit en vûe ce sens figuré ; autrement il ne pourroit pas employer en preuve ce sens, qui ne seroit que dans sa tête. Il doit donc penser que ce passage renferme une vérité de foi, & imposer aux autres la nécessité de croire ce qu'il voit si clairement contenu dans la parole de Dieu. De-là naissent bien des inconvéniens, des opinions théologiques érigées en dogmes, les reproches d'hérésie prodigués, &c. Il est vrai pourtant que ceux qui ont donné des explications figurées, n'ont pas toûjours prétendu qu'elles devinssent un objet de foi. C'est ainsi que S. Augustin, au quinzieme livre de civitate Dei, où il fait une grande comparaison de J. C. & de l'arche, insinue que quelqu'un avoit proposé une autre interprétation que la sienne, de ce qu'on lit au ch. vj. v. 16. de la Genese, dans les Septante & dans l'hébreu-samaritain (voyez la poliglotte de Walton) : inferiora, bicamerata & tricamerata facies. Il avoit dit que bicamerata signifioit que l'Eglise renfermoit la multitude des nations, parce que cette multitude étoit bipartita, propter circumcisionem & praeputium ; & tripartita, propter tres filios Noë. Mais il permet qu'on entende par-là la foi, l'espérance & la charité ; ou les trois abondances de ces terres, dont les unes, selon Jesus-Christ, portent 30, d'autres 60, & d'autres 100 ; ou encore la pureté des femmes mariées, celle des veuves, & celle des vierges.

Ce pere n'oblige pas, comme on voit, à recevoir son explication : mais d'abord tous n'ont pas eu autant de modestie ; & d'ailleurs je trouve que son opinion devoit le conduire là, puisqu'en pensant, comme il faisoit, que le saint Esprit avoit eu ce premier sens en vûe, il devoit regarder son explication comme un objet de foi, quoiqu'elle soit arbitraire.

Je finis en observant un quatrieme inconvénient des explications figurées ; c'est qu'elles font tort à la majestueuse simplicité des Ecritures ; & on est fâché de voir les ouvrages de beaucoup de peres gâtés par ce défaut. Souvent on y voit tout au-travers du plus beau plan du monde une explication de cette nature qui défigure tout : par exemple, S. Augustin, au douzieme livre contra Faustum, se proposant de montrer que J. C. avoit été figuré & annoncé par les prophetes, a recours à une prodigieuse quantité de figures, d'allégories, de rapports qu'il trouve entre J. C. & l'arche de Noë : il fonde ces rapports principalement sur ce que la longueur & la largeur de l'arche sont dans la même proportion que la longueur & la largeur du corps humain que J. C. a bien voulu prendre ; la porte de l'arche, c'est la blessure que J. C. reçut au côté ; les bois quarrés signifient la stabilité de la vie des saints, &c. S. Ambroise en suivant à-peu-près la même idée, entre dans des détails encore plus petits : il explique le nidos facies in arcâ, en disant que ces nids ou loges sont nos yeux, nos oreilles, notre bouche, notre cerveau, notre poumon, la moëlle de nos os : quant à la porte de l'arche, pulchrè autem addidit, dit-il, ostium ex adverso facies eam partem declarans corporis per quam cibos egere consuevimus, ut quae putamus ignobiliora esse corporis, his honorem abundantiorem circumdaret. Lib. VII. de Noë & arcà.

Au reste, il y a ici une remarque importante à faire ; c'est que les peres ont donné dans ces explications figurées, d'après des principes fixes & un système suivi : leur concert en cela pourroit seul en fournir la preuve ; mais il y a plus ; ils ont exposé en plusieurs endroits ces principes & ce système.

Origene entr'autres, dont l'autorité & la méthode ont été respectées dans les deux églises, avance que toute l'Ecriture doit être interpretée allégoriquement, & il va même jusqu'à exclure en plusieurs endroits des livres saints, le sens littéral. Universam porrò sacram scripturam ad allegoricum sensum esse sumendam admonet nos, vel illud aperiam in par abolis os meum. Origen. in praefat. Historia scripturae interdùm interserit quaedam vel minùs gesta, vel quae omninò geri non possunt, interdùm quae possunt geri nec tamen gesta sunt. IV. de princip. S. Augustin, en rejettant cette opinion d'Origene, qu'il y avoit dans l'Ecriture des choses qui n'étoit jamais arrivées, & qu'on ne pouvoit pas entendre à la lettre, soûtient qu'il faut pourtant rapporter les évenemens de l'ancien Testament à la cité de Dieu, à l'Eglise chrétienne, à moins qu'on ne veuille s'écarter beaucoup du sens de celui qui a dicté les livres saints : ad hanc de quâ loquimur Dei civitatem omnia referantur, si ab ejus sensu qui ista conscripsit non vult longè aberrare qui exponit. Lib. XV. c. xxvj. de civitate Dei.

En général, ils ont presque tous dit que Dieu en inspirant les Ecritures, ne seroit point entré dans les petits détails qu'on y trouve à chaque pas, s'il n'avoit eu le dessein de cacher sous ces détails les vérités de la Morale & de la religion chrétienne : d'où l'on voit que c'est d'après des principes fixes & un système suivi, qu'ils ont expliqué les Ecritures de cette façon.

Je me crois obligé de terminer cet article par une remarque du savant & judicieux Fleury. Je sai, dit-il, que les sens figurés ont été de tout tems reçûs dans l'Eglise.... Nous en voyons dans l'Ecriture même, comme l'allégorie des deux alliances, signifiées par les deux femmes d'Abraham ; mais puisque nous savons que l'épître de S. Paul aux Galates n'est pas moins écrite par inspiration divine que le livre de la Genese, nous sommes également assûrés de l'histoire & de l'application, & cette application est le sens littéral du passage de S. Paul. Il n'en est pas de même des sens figurés que nous lisons dans Origene, dans S. Ambroise, dans S. Augustin. Nous pouvons les regarder comme les pensées particulieres de ces docteurs.... & nous ne devons suivre ces applications, qu'autant qu'elles contiennent des vérités conformes à celles que nous trouvons ailleurs dans l'Ecriture, prise en son sens littéral. Cinquieme discours. (h)

FIGURE, (Logiq. Métaphys.) tours de mots & de pensées qui animent ou ornent le discours. C'est aux Rhéteurs à indiquer toutes les especes de figures ; nous ne cherchons ici que leur origine, & la cause du plaisir qu'elles nous font.

Aristote trouve l'origine des figures dans l'inclination qui nous porte à goûter tout ce qui n'est pas commun. Les mots figurés n'ayant plus leur signification naturelle, nous plaisent, selon lui, par leur déguisement, & nous les admirons à cause de leur habillement étranger ; mais il s'en faut bien que les figures ayent été dans leur berceau des expressions déguisées, inventées pour plaire par leur déguisement. Ce n'est pas non plus la hardiesse des expressions étrangeres que nous aimons dans les figures, puisqu'elles cessent de plaire si-tôt qu'elles paroissent tirées de trop loin. Nous donnons sans aucune recherche le nom de nuée à cet amas de traits que deux armées lançoient autrefois l'une contre l'autre ; & parce que l'air en étoit obscurci, l'image d'une nuée se présente tout naturellement, & le terme suit cette image. Voici donc des idées plus philosophiques que celles d'Aristote sur cette matiere.

Le langage, si l'on en juge par les monumens de l'antiquité & par le caractere de la chose, a été d'abord nécessairement figuré, stérile & grossier ; ensorte que la nature porta les hommes, pour se faire entendre les uns des autres, à joindre le langage d'action & des images sensibles à celui des sons articulés ; en conséquence la conversation, dans les premiers siecles du monde, fut soûtenue par un discours entremêlé de mots & d'actions. Dans la suite, l'usage des hiéroglyphes concourut à rendre le style de plus en plus figuré. Comme la nature & la nécessité, & non pas le choix & l'art, ont produit les diverses especes d'écritures hiéroglyphiques, la même chose est arrivée dans l'art de la parole. Ces deux manieres de communiquer nos pensées ont nécessairement influé l'une sur l'autre ; & pour s'en convaincre on n'a qu'à lire dans M. Warburthon le parallele ingénieux qu'il fait entre l'apologue, la parabole, l'énigme & les figures du langage, d'une part, & d'autre part les différentes especes d'écritures. Il étoit aussi simple en parlant d'une chose, de se servir du nom de la figure hiéroglyphique, symbole de cette chose, qu'il avoit été naturel, lors de l'origine des hiéroglyphes, de peindre les figures auxquelles la coûtume avoit donné cours. Le langage figuré est proprement celui des prophetes, & leur style n'est pour ainsi dire qu'un hiéroglyphe parlant. Enfin les progrès & les changemens du langage ont suivi le sort de l'écriture ; & les premiers efforts dûs à la nécessité de communiquer ses pensées dans la conversation, sont venus par la suite des siecles, de même que les premiers hiéroglyphes, à se changer en mysteres, & finalement à s'élever jusqu'à l'art de l'éloquence & de la persuasion.

On comprend maintenant que les expressions figurées étant naturelles à des gens simples, ignorans & grossiers dans leurs conceptions, ont dû faire fortune dans leurs langues pauvres & stériles : voilà pourquoi celles des Orientaux abondent en pléonasmes & en métaphores. Ces deux figures constituent l'élegance & la beauté de leurs discours, & l'art de leurs orateurs & de leurs poëtes consiste à y exceller.

Le pléonasme se doit visiblement aux bornes étroites d'un langage simple : l'hébreu, par exemple, où cette figure se trouve fréquemment, est la moins abondante de toutes les langues orientales ; de-là vient que la langue hébraïque exprime des choses différentes par le même mot, ou une même chose par plusieurs synonymes. Lorsque les expressions ne répondent pas entierement aux idées de celui qui parle, comme il arrive souvent en se servant d'une langue qui est pauvre, il cherche nécessairement à s'expliquer en repétant sa pensée en d'autres termes, à-peu-près comme celui dont le corps est gêné dans un endroit, cherche continuellement une place qui le satisfasse.

La métaphore paroît dûe évidemment à la grossiereté de la conception, de même que le pléonasme tire son origine du manque de mots. Les premiers hommes étant simples, grossiers & plongés dans les sens, ne pouvoient exprimer leur conception des idées abstraites, & les opérations réfléchies de l'entendement, qu'à l'aide des images sensibles, qui au moyen de cette application, devenoient métaphores.

Telle est l'origine des figures ; & la chose est si vraie, que quiconque voudra faire attention au peuple dans son langage, il le verra presque toûjours porté à parler figurément. Ces expressions, une maison triste, une campagne riante, le froid d'un discours, le feu des yeux, sont dans la bouche de ceux qui courent le moins après les métaphores, & qui ne savent pas même ce que c'est qu'une métaphore.

Nous parlons naturellement un langage figuré, lorsque nous sommes animés d'une violente passion. Quand il est de notre intérêt de persuader aux autres ce que nous pensons, & de faire sur eux une impression pareille à celle dont nous sommes frappés, la nature nous dicte & nous inspire son langage : alors toutes les figures de l'art oratoire, que les Rhéteurs ont revêtu de tant de noms pompeux, ne sont que des façons de parler très-communes, que nous prodiguons sans aucune connoissance de la Rhétorique ; ainsi le langage figuré n'est que le langage de la simple nature, appliqué aux circonstances où nous le devons parler.

Dans le trouble d'une passion violente, il s'éleve en nous un nuage qui nous fait paroître les objets, non tels qu'ils sont en effet, mais tels que nous les voulons voir ; c'est-à-dire ou plus grands & plus admirables, ou plus petits & plus méprisables, suivant que nous sommes emportés par l'amour ou par la haine. Quand l'amour nous anime, tout est merveilleux à nos yeux ; & tout devient horreur quand la haine nous transporte. Nous voulons intéresser à notre cause tous les êtres éloignés, présens, absens, sensibles ou inanimés ; & comme nos connoissances ont enrichi nos langues, nous appellons ces êtres en grand nombre, nous leur parlons, & nous les comparons ensemble, par l'habitude où nous sommes de juger de tout par comparaison. A ces mouvemens divers, qui se succedent rapidement & sans ordre, répond un discours plein de ces tours qu'on nomme hyperboles, similitudes, prosopopées, hyperbates, c'est-à-dire plein de toutes les figures, soit de mots, soit de pensées. Ce langage nous est utile, parce qu'il est propre à persuader les autres ; il est propre à les persuader, parce qu'il leur plaît ; il leur plaît, parce qu'il les échauffe & les remue, en ne leur présentant que des peintures vivantes, & leur donnant le plaisir de juger de la vérité des images : ainsi c'est dans la nature qu'on doit chercher l'origine du style figuré ; & dans l'imitation, la source du plaisir qu'il nous cause.

Pourquoi les mêmes pensées nous paroissent-elles beaucoup plus vives quand elles sont exprimées par une figure, que si elles étoient enfermées dans des expressions toutes simples ? Cela vient de ce que les expressions figurées marquent, outre la chose dont il s'agit, le mouvement & la passion de celui qui parle, & impriment ainsi l'une & l'autre idée dans l'esprit ; au lieu que l'expression simple ne marque que la vérité toute nue. Par exemple, si ce demi-vers de Virgile, usque adeò ne mori miserum ? étoit exprimé sans figure de cette sorte, non est usque adeò mori miserum, il auroit sans-doute beaucoup moins de force. La raison est que la premiere construction signifie beaucoup plus que la seconde ; car elle exprime non-seulement cette pensée, que la mort n'est pas un si grand mal que l'on s'imagine, mais elle représente de plus l'idée d'une personne qui se roidit contre la mort, & qui l'envisage sans effroi ; image beaucoup plus vive que n'est la pensée même à laquelle elle est jointe : il n'est donc pas étrange qu'elle frappe davantage, parce que l'ame s'instruit par les images des vérités, mais elle ne s'émeut guere que par l'image des mouvemens.

Au reste les figures, après avoir tiré leur premiere origine de la nature, des bornes d'un langage simple, & de la grossiereté des conceptions, ont contribué dans la suite à l'ornement du discours, de même que les habits, qu'on a cherché d'abord par la nécessité de se couvrir, ont avec le tems servi de parure. La conduite de l'homme a toûjours été de changer ses besoins & ses nécessités en parade & en luxe, toutes les fois qu'il a pû le faire. Les figures devinrent l'ornement du discours, quand les hommes eurent acquis des connoissances assez étendues des Arts & des Sciences, pour en tirer des images qui, sans nuire à la clarté, étoient aussi riantes, aussi nobles, aussi sublimes que la matiere le demandoit. Enfin, comme on abuse de tout, on crut trouver de grandes beautés à surcharger le style d'ornemens ; pour lors le fonds ne devint plus que l'accessoire, & l'art tomba dans la décadence.

Il est certain néanmoins que l'emploi des figures bien ménagé, décore le discours, l'anime, le soûtient, lui donne de l'élévation, touche le coeur, réveille l'esprit, l'ébranle & le frappe vivement. La Poésie sur-tout est en possession de s'en servir, elle a droit d'en étendre l'usage plus loin que la prose ; elle peut enfin personnifier noblement les choses inanimées. Aristote, Cicéron, Quintilien, Longin ; &, pour nommer encore de plus grands maîtres, le goût & le génie, vous apprendront l'art de placer les figures, de les diversifier, de les multiplier à-propos, de les cacher, de les négliger, de les omettre, &c. Tout cela n'est point de mon sujet ; je me contenterai seulement de remarquer que comme les figures signifient ordinairement avec les choses, les mouvemens que nous ressentons en les recevant & en parlant, on peut juger assez bien par cette regle générale, de l'usage que l'on doit en faire, & des sujets auxquels elles sont propres. Il est visible qu'il est ridicule de s'en servir dans les matieres que l'on regarde d'un oeil tranquille, & qui ne produisent aucun mouvement dans l'esprit ; car puisque les figures expriment les mouvemens de notre ame, celles que l'on met dans les sujets où l'ame ne s'émeut point, sont des mouvemens contre nature, & des especes de convulsions. Article de M(D.J.)

FIGURE, terme de Rhétorique, de Logique & de Grammaire. Ce mot vient de fingere, dans le sens d'efformare, componere, former, disposer, arranger. C'est dans ce sens que Scaliger dit que la figure n'est autre chose qu'une disposition particuliere d'un ou de plusieurs mots : nihil aliud est figura quàm termini aut terminorum dispositio. Scal. exercit. lxj. c. j. A quoi on peut ajoûter, 1°. que cette disposition particuliere est relative à l'état primitif & pour ainsi dire fondamental des mots ou des phrases. Les différens écarts que l'on fait dans cet état primitif, & les différentes altérations qu'on y apporte, font les différentes figures de mots & de pensées. C'est ainsi qu'en Grammaire les divers modes & les différens tems des verbes supposent toûjours le thème du verbe, c'est-à-dire la premiere personne de l'indicatif ; est le thème de ce verbe. Ainsi les mots & les phrases sont pris dans leur état simple, lorsqu'on les prend selon leur premiere destination, & qu'on ne leur donne aucun de ces tours ou caracteres singuliers qui s'éloignent de cette premiere destination, & qu'on appelle figures.

Je vais faire entendre ma pensée par des exemples : selon la construction simple & nécessaire, pour dire en latin ils ont aimé, on dit amaverunt ; si au lieu d'amaverunt vous dites amarunt, vous changez l'état original du mot, vous vous en écartez par une figure qu'on appelle syncope : c'est ainsi qu'Horace a dit evasti pour evasisti, II. satyre vij. v. 68. Au contraire, si vous ajoûtez une syllabe que le mot n'a point dans son état primitif, & qu'au lieu de dire amari, être aimé, vous disiez amarier, vous faites une figure qu'on appelle paragoge.

Autre exemple : ces deux mots Cérès & Bacchus sont les noms propres & primitifs de deux divinités du paganisme ; ils sont pris dans le sens propre, c'est-à-dire, selon leur premiere destination, lorsqu'ils signifient simplement l'une ou l'autre de ces divinités : mais comme Cérès étoit la déesse du blé & Bacchus le dieu du vin, on a souvent pris Cérès pour le pain & Bacchus pour le vin ; & alors les adjoints ou les circonstances font connoître que l'esprit considere ces mots sous une nouvelle forme, sous une autre figure, & l'on dit qu'ils sont pris dans un sens figuré : il y a un grand nombre d'exemples de cette acception, sous lesquels les noms de Cérès & Bacchus sont pris, sur-tout en latin ; ce que quelques-uns de nos poëtes ont imité. Madame des Houllieres a pris pour refrein d'une ballade,

L'amour languit sans Bacchus & Cérès.

c'est-à-dire, qu'on ne songe guere à faire l'amour quand on n'a pas dequoi vivre : cette figure s'appelle métonymie.

I. Les figures sont distinguées l'une de l'autre par une conformation particuliere ou caractere propre qui fait leur différence ; c'est la considération de cette différence qui leur a fait donner à chacune un nom particulier.

Nous sommes accoûtumés à donner des noms tant aux êtres réels qu'aux êtres métaphysiques ; c'est une suite de la réflexion que nous faisons sur les différentes vûes de notre esprit : ces noms nous servent à rendre, pour ainsi dire, sensibles les objets métaphysiques qu'ils signifient, & nous aident à mettre de l'ordre & de la précision dans nos pensées.

II. Le mot de figure est pris ici dans un sens métaphysique & par imitation ; car comme tous les corps, outre leur étendue, ont chacun leur figure ou conformation particuliere, & que lorsqu'ils viennent à en changer, on dit qu'ils ont changé de figure ; de même tous les mots construits ont d'abord la propriété générale qui consiste à signifier un sens, en vertu de la construction grammaticale ; ce qui convient à toutes les phrases & à tous les assemblages de mots construits ; mais de plus, les expressions figurées ont encore chacune une modification singuliere qui leur est propre, & qui les distingue l'une de l'autre. On ne sauroit croire jusqu'à quel point les Grammairiens & les Rhéteurs ont multiplié leurs observations, & par conséquent les noms de ces figures. Il est, ce me semble, assez inutile de charger la mémoire du détail de ces différens noms ; mais on doit connoître les différentes sortes ou especes de figures, & savoir les noms de celles de chaque espece qui sont le plus en usage.

Il y a d'abord deux especes générales de figures ; 1°. figures de mots ; 2°. figures de pensées : la différence qui se trouve entre ces deux sortes de figures, est bien sensible.

" Si vous changez le mot, dit Cicéron, vous ôtez la figure du mot, au lieu que la figure de pensée subsiste toûjours, quels que soient les mots dont vous vous serviez pour l'énoncer : conformatio verborum tollitur, si verba mutatis ; sententiarum permanet, quibuscunque verbis uti velis. De Orat. lib. III. e. lij. Par exemple, si en parlant d'une flotte, vous dites qu'elle est composée de cent voiles, vous faites une figure de mots ; substituez vaisseaux à voiles, il n'y a plus de figure.

Les figures de mots tiennent donc essentiellement au matériel des mots ; au lieu que les figures de pensées n'ont besoin des mots que pour être énoncées ; elles sont essentiellement dans l'ame, & consistent dans la forme de la pensée, & dans l'espece du sentiment.

A l'égard des figures de mots, il y en a de quatre sortes. I. par rapport au matériel du mot, c'est-à-dire par rapport aux changemens qui arrivent aux lettres ou sons dont les mots sont composés : on les appelle figures de diction.

II. Ou par rapport à la construction grammaticale ; on les appelle figures de construction.

III. La troisieme classe de figures de mots, ce sont celles qu'on appelle tropes, par rapport au changement qui arrive alors à la signification du mot ; c'est lorsqu'on donne à un mot un sens différent de celui pour lequel il a été premierement établi ; , conversio ; , verto.

IV. La quatrieme sorte de figure de mots, ce sont celles qu'on ne sauroit ranger dans la classe des tropes, puisque les mots y conservent leur premiere signification : on ne peut pas dire non plus que ce sont des figures de pensées, puisque ce n'est que par les mots & les syllabes, & non par la pensée, qu'elles sont figures, c'est-à-dire, qu'elles ont cette conformation particuliere qui les distingue des autres façons de parler.

Donnons des exemples de chacune de ces figures de mots, ou du moins des principales de chaque espece.

Des figures de diction qui regardent le matériel du mot. Les altérations qui arrivent au matériel d'un mot se font en cinq manieres différentes ; 1°. ou par augmentation ; 2°. ou par diminution de quelque lettre, ou du son ; 3°. par transposition de lettres ou de syllabes ; 4°. par la séparation d'une syllabe en deux ; 5°. par la réunion de deux syllabes en une.

I. Par augmentation ou pléonasme ; ce qui se fait au commencement du mot, ou au milieu, ou à la fin.

1°. L'augmentation qui se fait au commencement du mot est appellée prosthêse, , comme gnatus pour natus, vesper, du grec .

2°. Celle du milieu est appellée éphenthèse, , religio pour religio ; Mavors au lieu de Mars ; induperator pour imperator.

3°. Celle de la fin, paragoge, , comme amarier au lieu d'amari.

II. Le retranchement se fait de même.

1°. Au commencement, & on l'appelle aphérese, , comme dans Virgile temnere pour contemnere.

Discite justitiam moniti, & non temnere divos.

Aeneïd. VI. v. 620.

2°. Au milieu, & on le nomme syncope, , amarit pour amaverit, scuta virûm pour virorum.

3°. A la fin du mot, on le nomme apocope, , negotî pour negotii, cura peculi, pour peculii.

Nec spes libertatis erat, nec cura peculi.

Virg. Ecl. I. v. 34.

III. La transposition de lettres ou de syllabes est appellée metathèse, , c'est ainsi que nous disons Hanovre pour Hanover.

IV. La séparation d'une syllabe en deux est appellée dierèse, comme aulaï de trois syllabes au lieu d'aulae, vitaï pour vitae ; & dans Tibulle dissoluenda pour dissolvenda. En françois Laïs, nom propre, est de deux syllabes, & dans les freres-lais, ce mot n'est que d'une syllabe ; & de même Créüse, nom propre de trois syllabes, creuse, adjectif feminin dissyllabe ; nom, monosyllabe, Antinoüs, quatre syllabes, &c.

V. La contraction ou réunion de deux syllabes en une se fait en deux manieres : 1°. lorsque deux syllabes se réunissent en une sans rien changer dans l'écriture : on appelle cette contraction synérèze ; comme lorsqu'au lieu d'aureïs en trois syllabes, Virgile a dit aureis en deux syllabes.

Dependent lychni laquearibus aureis.

Aen. l. I. v. 730.

2°. Mais lorsqu'il résulte un nouveau son de la contraction, la figure est appellée crase, , c'est-à-dire mélange, comme en françois Oût pour Août, pan au lieu de paon ; & en latin min pour mihi-ne ?

Ces diverses altérations, dans le matériel des mots, s'appellent d'un nom général, métaplasme, , transformatio, de , transformo.

II. La seconde sorte de figures qui regardent les mots, ce sont les figures de construction ; quoique nous en ayons parlé au mot CONSTRUCTION, ce que nous en dirons ici ne sera pas inutile.

D'abord il faut observer que lorsque les mots sont rangés selon l'ordre successif de leurs rapports dans le discours, & que le mot qui en détermine un autre est placé immédiatement & sans interruption après le mot qu'il détermine, alors il n'y a point de figures de construction ; mais lorsque l'on s'écarte de la simplicité de cet ordre, il y a figure : voici les principales.

1°. L'ellipse, , derelictio, praetermissio, defectus, de , linquo : ainsi quand l'empressement de l'imagination fait supprimer quelque mot qui seroit exprimé selon la construction pleine, on dit qu'il y a ellipse. Pour rendre raison des phrases elliptiques, il faut les réduire à la construction pleine, en exprimant ce qui est sous-entendu selon l'analogie commune : par exemple, accusare furti, c'est accusare de crimine furti ; & dans Virgile : quos ego. Aen. l. I. v. 139. la construction est, vos quos ego in ditione meâ teneo. " Quoi ! vous que je tiens sous mon empire ; vous, mes sujets, vous que je pourrois punir, vous osez exciter de pareilles tempêtes sans mon aveu " ? Ad Castoris, suppléez ad aedem ; maneo Romae, suppléez in urbe comme Ciceron a dit : in oppido Antiochiae ; & Virgile, Aen. l. III. v. 293. Celsam Buthroti ascendimus urbem, passage remarquable & bien contraire aux regles communes sur les questions de lieu. Est regis tueri subditos, suppléez officium, &c.

Il y a une sorte d'ellipse qu'on appelle zeugma, mot grec qui signifie connexion, assemblage : c'est lorsqu'un mot qui n'est exprimé qu'une fois, rassemble pour ainsi dire sous lui divers autres mots énoncés en d'autres membres ou incises de la période. Donat en rapporte cet exemple du III. liv. de l'Aeneïde, v. 359.

Trojugena interpres divum, qui numina Phaebi,

Qui tripodas, Clarii lauros, qui sidera sentis

Et volucrum linguas, & praepetis omina pennae.

Ce troyen, c'est Helenus, fils de Priam & d'Hecube. Dans cet exemple, sentis, qui n'est exprimé qu'une fois, rassemble sous lui cinq incises où il est sous-entendu : qui sentis, id est, qui cognoscis numina Phaebi, qui sentis tripodas, qui sentis lauros Clarii, qui sentis sidera, qui sentis linguas volucrum, qui sentis omina pennae praepetis. Voyez ce que nous avons dit du zeugma, au mot CONSTRUCTION.

II. Le pléonasme, mot grec qui signifie surabondance, , abundantia ; , plenus ; , plus habeo, abundo. Cette figure est le contraire de l'ellipse ; il y a pléonasme lorsqu'il y a dans la phrase quelque mot superflu, ensorte que le sens n'en seroit pas moins entendu, quand ce mot ne seroit pas exprimé, comme quand on dit, je l ai vû de mes yeux, je l'ai entendu de mes oreilles, j'irai moi-même ; mes yeux, mes oreilles, moi-même, sont autant de pléonasmes.

Lorsque ces mots superflus quant au sens, servent à donner au discours, ou plus de grace, ou plus de netteté, ou plus de force & d'énergie, ils font une figure approuvée comme dans les exemples ci-dessus ; mais quand le pléonasme ne produit aucun de ces avantages, c'est un défaut du style, ou du moins une négligence qu'on doit éviter.

III. La syllepse ou synthèse sert lorsqu'au lieu de construire les mots selon les regles ordinaires du nombre, des genres, des cas, on en fait la construction relativement à la pensée que l'on a dans l'esprit ; en un mot, il y a syllepse, lorsqu'on fait la construction selon le sens, & non pas selon les mots : c'est ainsi qu'Horace l. I. Od. 2. a dit : fatale monstrum quae, parce que ce monstre fatal c'étoit Cléopatre ; ainsi il a dit quae relativement à Cléopatre qu'il avoit dans l'esprit, & non pas relativement à monstrum. C'est ainsi que nous disons, la plûpart des hommes s'imaginent, parce que nous avons dans l'esprit une pluralité, & non le singulier, la plûpart. C'est par la même figure que le mot de personne, qui grammaticalement est du genre féminin, se trouve souvent suivi de il ou de ils, parce qu'on a dans l'esprit l'homme ou les hommes dont on parle.

IV. La quatrieme sorte de figure c'est l'hyperbate, c'est-à dire confusion, mélange de mots ; c'est lorsque l'on s'écarte de l'ordre successif des rapports des mots, selon la construction simple : en voici un exemple où il n'y a pas un seul mot qui soit placé après son correlatif, & selon la construction simple.

Aret ager ; vitio, moriens, sitit, aeris, herba.

Virg. Ecl. VII. v. 52.

La construction simple est ager aret ; herba moriens prae vitio aëris sitit. L'ellipse & l'hyperbate sont fort en usage dans les langues où les mots changent de terminaisons, parce que ces terminaisons indiquent les rapports des mots, & par-là font appercevoir l'ordre ; mais dans les langues qui n'ont point de cas, ces figures ne peuvent être admises que lorsque les mots sous-entendus peuvent être aisément suppléés, & que l'on peut facilement appercevoir l'ordre des mots qui sont transposés : alors les ellipses & les transpositions donnent à l'esprit une occupation qui le flatte : il est facile d'en trouver des exemples dans les dialogues, dans le style soûtenu, & sur-tout dans les poëtes : par exemple, la vérité a besoin des ornemens que lui prête l'imagination, Discours sur Télémaque ; on voit aisément que l'imagination est le sujet, & que lui est pour à elle.

Le livre si connu de l'histoire de dom Quichotte, commence par une transposition : dans une contrée d'Espagne, qu'on appelle la Manche, vivoit, il n'y a pas long-tems, un gentilhomme, &c. la construction est : un gentilhomme vivoit dans, &c.

V. L'imitation : les relations que les peuples ont les uns avec les autres, soit par le commerce, soit pour d'autres intérêts, introduisent réciproquement parmi eux, non-seulement des mots, mais encore des tours & des façons de parler qui ne sont pas analogues à la langue qui les adopte ; c'est ainsi que dans les auteurs latins on observe des phrases greques qu'on appelle des hellénismes, qu'on doit pourtant toûjours réduire à la construction pleine de toutes les langues. Voyez CONSTRUCTION.

VI. L'attraction : le méchanisme des organes de la parole apporte des changemens dans les lettres ou dans les mots qui en suivent ou qui en précedent d'autres : c'est ainsi qu'une lettre forte que l'on a à prononcer, fait changer en forte la douce qui la précede ; il y a en grec de fréquens exemples de ces changemens qui sont amenés par le méchanisme des organes : c'est ainsi qu'en latin on dit alloqui au lieu d'ad-loqui ; irruere pour in-ruere, &c.

De même la vûe de l'esprit tourné vers un certain mot, fait souvent donner une terminaison semblable à un autre mot qui a relation à celui-là : c'est ainsi qu'Horace, dans l'Art poétique, a dit, mediocribus esse poëtis, où l'on voit que mediocribus est attiré par poëtis.

On peut joindre à ces figures l'archaïsme, , façon de parler à l'imitation des anciens ; , antiquus : c'est ainsi que Virgile a dit, olli subridens pour illi ; & c'est ainsi que nos poëtes, pour plus de naïveté, imitent quelquefois Marot.

Le contraire de l'archaïsme c'est le néologisme, c'est-à-dire façon de parler nouvelle : nous avons un Dictionnaire néologique, composé par un critique connu, contre certains auteurs modernes, qui veulent introduire des mots nouveaux & des façons de parler nouvelles & affectées, qui ne sont pas consacrées par le bon usage, & que nos bons écrivains évitent. Ce mot vient de deux mots grecs, , novus, & , sermo.

Il y a quelques autres figures qu'il n'est utile de connoître, que parce qu'on en trouve souvent les noms dans les commentateurs ; mais on doit les réduire à celles dont nous venons de parler. En voici quelques-unes qu'on doit rapporter à l'hyperbate.

L'anastrophe, , convertere, , verto ; l'anastrophe est le renversement des mots, comme mecum, tecum, vobiscum ; au lieu de cum me, cum te, cum vobis ; quam ob rem, au lieu de ob quam rem ; his accensa super, Virgile, Aeneïd. l. I. v. 23. pour accensa super his. Robertson, dans le supplément de son Dictionnaire, lettre A, dit inversio, praepostera rerum seu verborum collocatio.

2. Tmesis, R. , futur premier du verbe inusité , seco, je coupe : il y a tmésis lorsqu'un mot est coupé en deux : c'est ainsi que Virgile, au lieu de dire subjecta septemtrioni, a dit septem subjecta trioni. Georg. l. III. v. 381. & au liv. VIII. de l'Aeneïd. v. 74. il a dit quo te cunque pour quocumque te, &c. quando consumet cunque, pour quando quocunque consumet. Il y a plusieurs exemples pareils dans Horace & ailleurs.

3. La parenthèse est aussi considérée comme causant une espece d'hyperbate, parce que la parenthèse est un sens à part, inséré dans un autre dont il interrompt la suite ; ce mot vient de qui entre en composition, de , in, & de , pono. Il y a dans l'opéra d'Armide une parenthèse célebre, en ce que le musicien l'a observée aussi dans le chant.

Le vainqueur de Renaud (si quelqu'un le peut être)

Sera digne de moi.

On doit éviter les parenthèses trop longues, & les placer de façon qu'elles ne rendent point la phrase louche, & qu'elles n'empêchent pas l'esprit d'appercevoir la suite des correlatifs.

4. Synchysis, c'est lorsque tout l'ordre de la construction est confondu, comme dans ce vers de Virgile, que nous avons déjà cité.

Aret ager ; vitio, moriens ; sitit, aëris, herba.

Et encore

Saxa, vocant Itali, mediis quae in fluctibus, aras.

c'est-à-dire, Itali vocant aras illa saxa quae sunt in mediis fluctibus. Il n'est que trop aisé de trouver des exemples de cette figure. Au reste, synchysis est purement grec, , & signifie confusion, , confundo. Faber dit que synchysis est ordo dictionum confusior, & que Donat l'appelle hyperbate : en voici encore un exemple tiré d'Horace, I. sat. 5. v. 49.

Namque pilâ lippis inimicum & ludere crudis.

l'ordre est ludere pilâ est inimicum lippis & crudis, " le jeu de paume est contraire à ceux qui ont mal aux yeux, & à ceux qui ont mal à l'estomac ".

Voici une cinquieme sorte d'hyperbate, qu'on appelle anacholuthon, , quand ce qui suit n'est pas lié avec ce qui précede ; c'est plûtôt un vice, dit Erasme, qu'une figure : vitium orationis quando non redditur quod superioribus respondeat. Il doit y avoir entre les parties d'une période, une certaine suite & un certain rapport grammatical qui est nécessaire pour la netteté du style, & une certaine correspondance que l'esprit du lecteur attend, comme entre tot & quot, tantum & quantum, tel & quel, quoique, cependant, &c. Quand ce rapport ne se trouve point, c'est un anacoluthon ; en voici deux exemples tirés de Virgile.

Sed tamen idem olim curru succedere sueti.

Aen. l. III. v. 141.

C'est un anacoluthon, dit Servius ; car tamen n'est pas précédé de quamquàm : anacoluthon, nam quamquam non praemisit ; & au l. II. v. 331. on trouve quot sans tot.

Millia quot magnis nunquam venere Mycoenis.

ce qui fait dire encore à Servius que c'est un anacoluthon, & qu'il faut suppléer tot, tot millia.

Ce mot vient 1°. d', comes, , consectarium, qui suit, qui accompagne, qui est apparié ; 2°. à on ajoûte l' privatif, suivi du euphonique, qui n'est que pour empêcher le bâillement entre les deux à, , comme nous ajoûtons le t entre dira-on, dira-t-on.

Voici deux autres figures qui n'en méritent pas le nom, mais que nous croyons devoir expliquer, parce que les Commentateurs & les Grammairiens en font souvent mention : par exemple, lorsque Virgile fait dire à Didon urbem quam statue vestra est, I. Aen. v. 573. les Commentateurs disent que cela est un exemple incontestable de la figure qu'ils appellent antiptose, du grec, , pro, qui entre en composition, & de , casus ; ensorte que c'est-là un cas pour un autre : Virgile, disent-ils, a dit urbem pour urbs par antiptose ; c'est une ancienne figure, dit Servius ; c'est ainsi, ajoûte-t-il, que Caton a dit agrum, quem vir habet tollitur ; agrum au lieu d'ager ; & Terence, eunuchum quem dedisti nobis quas turbas dedit, où eunuchum est visiblement au lieu d'eunuchus. Terent. Eun. act. IV. sc. iij. v. 11.

Les jeunes gens qui apprennent le latin, ne devroient pas ignorer cette belle figure ; elle seroit pour eux d'une grande ressource. Quand on les blâmeroit d'avoir mis un cas pour un autre, l'autorité de Despautere qui dit que antiptosis fit per omnes casus, & qui en cite des exemples dans sa Syntaxe, p. 221. cette autorité, dis-je, seroit pour eux une excuse sans replique.

Mais qui ne voit que si ces changemens avoient été permis arbitrairement aux anciens, toutes les regles de la Grammaire seroient devenues inutiles ? V. la méthode latine de P. R. page 562.

C'est pourquoi les Grammairiens analogistes, qui font usage de leur raison, rejettent l'antiptose, & expliquent plus raisonnablement les exemples qu'on en donne : ainsi à l'égard de eunuchum quem dedisti, &c. il faut suppléer, dit Donat, is eunuchus ; Pythias a dit eunuchum quem, parce qu'elle avoit dans l'esprit dedisti eunuchum ; enim ad dedisti verbum retulit, dit Donat. Il y a deux propositions dans tous ces exemples ; il doit donc y avoir deux nominatifs : si l'un n'est pas exprimé, il faut le suppléer, parce qu'il est réellement dans le sens ; & puisqu'il n'est pas dans la phrase, il faut le tirer du dehors, dit Donat, assumendum extrinsecùs, pour faire la construction pleine : ainsi dans les exemples ci-dessus, l'ordre est haec urbs, quam urbem statuo, est vestra. Ille ager, quem agrum vir habet, tollitur. Ille eunuchus, quem eunuchum dedisti nobis, quas turbas dedit. Il en est de même de l'exemple tiré du prologue de l'Andrienne de Térence, populo ut placerent quas fecisset fabulas, la construction est ut fabulae, quas fabulas fecisset, placerent populo.

Ce qui fait bien voir la vérité & la fécondité du principe que nous avons établi au mot CONSTRUCTION, qu'il faut toûjours réduire à la forme de la proposition toutes les phrases particulieres & tous les membres d'une période.

L'autre figure dont les Grammairiens font mention avec aussi peu de raison, c'est l'énallage, , permutatio. Le simple changement des cas est une antiptose ; mais s'il y a un mode pour un autre mode qui devoit y être selon l'analogie de la langue, s'il y a un tems pour un autre, ou un genre pour un autre genre, ou enfin s'il arrive à un mot quelque changement qui paroisse contraire aux regles communes, c'est un énallage ; par exemple, dans l'Eunuque de Térence, Thrason qui venoit de faire un présent à Thaïs, dit, magnas verò agere gratias Thaïs mihi, c'est-là une énallage, disent les Commentateurs, agere est pour agit ; mais en ces occasions on peut aisément faire la construction selon l'analogie ordinaire, en suppléant quelque verbe au mode fini, comme Thaïs tibi visa est agere, &c. ou caepit, ou non cessat. Cette façon de parler par l'infinitif, met l'action devant les yeux dans toute son étendue, & en marque la continuité ; le mode fini est plus momentané : c'est aussi ce que la Fontaine, dans la fable des deux rats, dit

Le bruit cesse, on se retire,

Rats en campagne aussi-tôt,

Et le citadin de dire,

Achevons tout notre rôt.

c'est comme s'il y avoit, & le citadin ne cessoit de dire, se mit à dire, &c. ou pour parler grammaticalement, le citadin fit l'action de dire. Et dans la premiere fable du liv. VIII. il dit :

Ainsi, dit le Renard, & flatteurs d'applaudir.

la construction est les flatteurs ne cesserent d'applaudir ; les flatteurs firent l'action d'applaudir.

On doit regarder ces locutions comme autant d'idiotismes consacrés par l'usage ; ce sont des façons de parler de la construction usuelle & élégante, mais que l'on peut réduire par imitation & par analogie à la forme de la construction commune, au lieu de recourir à de prétendues figures contraires à tous les principes.

Au reste, l'inattention des copistes, & souvent la négligence des auteurs même, qui s'endorment quelquefois, comme on le dit d'Homere, apportent des difficultés que l'on feroit mieux de reconnoître comme autant de fautes, plûtôt que de vouloir y trouver une régularité qui n'y est pas. La prévention voit les choses comme elle voudroit qu'elles fussent ; mais la raison ne les voit que telles qu'elles sont.

Il y a des figures de mots qu'on appelle tropes, à cause du changement qui arrive alors à la signification propre du mot ; car trope vient du grec, , conversio, changement, transformation ; , verto. In tropo est nativae significationis commutatio, dit Martinius : ainsi toutes les fois qu'on donne à un mot un sens différent de celui pour lequel il a été premierement établi, c'est un trope. Ces écarts de la premiere signification du mot se font en bien des manieres différentes, auxquelles les Rhéteurs ont donné des noms particuliers. Il y a un grand nombre de ces noms dont il est inutile de charger la mémoire ; c'est ici une des occasions où l'on peut dire que le nom ne fait rien à la chose : mais il faut du moins connoître que l'expression est figurée, & en quoi elle est figurée : par exemple, quand le duc d'Anjou, petit-fils de Louis XIV. fut appellé à la couronne d'Espagne, le roi dit, il n'y a plus de Pyrénées ; personne ne prit ce mot à la lettre & dans le sens propre : on ne crut point que le roi eût voulu dire que les Pyrénées avoient été abysmées ou anéanties ; tout le monde entendit le sens figuré, il n'y a plus de Pyrénées, c'est-à-dire, plus de séparation, plus de divisions, plus de guerre entre la France & l'Espagne ; on se contenta de saisir le sens de ces paroles ; mais les personnes instruites y reconnurent une métaphore.

Les principaux tropes dont on entend souvent parler, sont la métaphore, l'allégorie, l'allusion, l'ironie, le sarcasme, qui est une raillerie piquante & amere, irrisio amarulenta, dit Robertson ; la catachrèse, abus, extension ou imitation, comme quand on dit ferré d'argent, aller à cheval sur un bâton ; l'hyperbole, la synecdoque, la métonymie, l'euphémisme qui est fort en usage parmi les honnêtes gens, & qui consiste à déguiser des idées desagréables, odieuses, tristes ou peu honnêtes, sous des termes plus convenables & plus décens. L'ironie est un trope ; car puisque l'ironie fait entendre le contraire de ce qu'on dit, il est évident que les mots dont on se sert dans l'ironie, ne sont pas pris dans le sens propre & primitif. Ainsi, quand Boileau, satyre IX. dit

Je le déclare donc, Quinault est un Virgile,

il vouloit faire entendre précisément le contraire. On trouvera en sa place dans ce Dictionnaire, le nom de chaque trope particulier, avec une explication suffisante. Nous renvoyons aussi au mot TROPE, pour parler de l'origine, de l'usage & de l'abus des tropes.

Il y a une derniere sorte de figures de mots, qu'il ne faut point confondre avec celles dont nous venons de parler ; les figures dont il s'agit ne sont point des tropes, puisque les mots y conservent leur signification propre. Ce ne sont point des figures de pensées, puisque ce n'est que des mots qu'elles tirent ce qu'elles sont ; par exemple, dans la répétition, le mot se prend dans sa signification ordinaire ; mais si vous ne répetez pas le mot, il n'y a plus de figure qu'on puisse appeller répétition.

Il y a plusieurs sortes de répétitions auxquelles les Rhéteurs ont pris la peine de donner assez inutilement des noms particuliers. Ils appellent climax, lorsque le mot est répété, pour passer comme par degrés d'une idée à une autre : cette figure est regardée comme une figure de mots, à cause de la répétition des mots, & on la regarde comme une figure de pensée, lorsqu'on s'éleve d'une pensée à une autre : par exemple, aux discours il ajoûtoit les prieres, aux prieres les soûmissions, aux soûmissions les promesses, &c.

La synonymie est un assemblage de mots qui ont une signification à-peu-près semblable, comme ces quatre mots de la seconde Catilinaire de Ciceron : abiit, excessit, evasit, erupit ; " il s'est en allé, il s'est retiré, il s'est évadé, il a disparu ". Voici quelques autres figures de mots.

L'onomatopée, , c'est la transformation d'un mot qui exprime le son de la chose ; , nomen, & , facio ; c'est une imitation du son naturel de ce que le mot signifie, comme le glouglou de la bouteille, & en latin bilbire, bilbit amphora, la bouteille fait glouglou ; tinnitus aeris, le tintement des métaux, le cliquetis des armes, des épées ; le trictrac, qu'on appelloit autrefois tictac, sorte de jeu ainsi nommé : du bruit que font les dames & les dés dont on se sert. Taratantara, le bruit de la trompette, ce mot se trouve dans un ancien vers d'Ennius, que Servius a rapporté :

At tuba terribili sonitu taratantara dixit.

Voyez Servius sur le 503. vers du IX. livre de l'Enéïde. Boubari, aboyer, se dit des gros chiens ; mutire, se dit des chiens qui grondent, mu canum est undè mutire, dit Chorisius.

Les noms de plusieurs animaux sont tirés de leur cri ; upupa, une hupe ; cuculus, qu'on prononçoit coucoulous, un coucou, oiseau ; hirundo, une hirondelle ; ulula, une choüette ; bubo, un hibou ; graculus, une espece particuliere de corneille.

Paranomasie, ressemblance que les mots ont entr'eux ; c'est une espece de jeu de mots : amantes sunt amentes, les amans sont insensés. La figure n'est que dans le latin, comme dans cet autre exemple, cum lectum petis de letho cogita, " pensez à la mort quand vous entrez dans votre lit ".

Les jeunes gens aiment ces sortes de figures ; mais il faut se ressouvenir de ce que Moliere en dit dans le Misantrope,

Ce style figuré dont on fait vanité,

Sort du bon caractere & de la vérité.

Ce n'est que jeux de mots, qu'affectation pure,

Et ce n'est point ainsi que parle la nature.

Voici deux autres figures qui ont du rapport à celles dont nous venons de parler : l'une s'appelle similiter cadens, c'est quand les différens membres ou incises d'une période finissent par des cas ou par des tems dont la terminaison est semblable.

L'autre figure qu'on appelle similiter desinens, n'est différente de la précédente, que parce qu'il ne s'y agit ni d'une ressemblance de cas ni de tems : mais il suffit que les membres ou incises ayent une désinance semblable, comme facere fortiter, & vivere turpiter. On trouve un grand nombre d'exemples de ces deux figures : ubi amatur, non laboratur, dit S. Augustin ; " quand le goût y est, il n'y a plus de peine ".

Il y a encore l'isocolon, c'est-à-dire l'égalité dans les membres ou dans les incises d'une période : ce mot vient de , égal, & , membre ; lorsque les différens membres d'une période ont un nombre de syllabes à-peu-près égal.

Enfin observons ce qu'on appelle polysyndeton, , de , multus, , cum, & , ligo, lorsque les membres ou incises d'une période sont joints ensemble par la même conjonction répétée : ni les caresses, ni les menaces, ni les supplices, ni les recompenses, rien ne le fera changer de sentiment. Il est évident qu'il n'y a en ces figures, ni tropes, ni figures de pensées.

Il nous reste à parler des figures de pensées ou de discours que les maîtres de l'art appellent figures de sentences, figurae sententiarum, schemata ; , forme, habit, habitude, attitude ; , habeo, & , plus usité.

Elles consistent dans la pensée, dans le sentiment, dans le tour d'esprit ; ensorte que l'on conserve la figure, quelles que soient les paroles dont on se sert pour l'exprimer.

Les figures ou expressions figurées ont chacune une forme particuliere qui leur est propre, & qui les distingue les unes des autres ; par exemple l'antithèse est distinguée des autres manieres de parler, en ce que les mots qui forment l'antithèse ont une signification opposée l'une à l'autre, comme quand S. Paul dit : " on nous maudit, & nous bénissons ; on nous persécute, & nous souffrons la persécution ; on prononce des blasphèmes contre nous, & nous répondons par des prieres ". I. cor. c. jv. v. 12.

" Jesus-Christ s'est fait fils de l'homme, dit S. Cyprien, pour nous faire enfans de Dieu ; il a été blessé pour guérir nos plaies ; il s'est fait esclave, pour nous rendre libres ; il est mort pour nous faire vivre ". Ainsi quand on trouve des exemples de ces sortes d'oppositions, on les rapporte à l'antithèse.

L'apostrophe est différente des autres figures ; parce que ce n'est que dans l'apostrophe qu'on adresse tout-d'un coup la parole à quelque personne présente ou absente : ce n'est que dans la prosopopée que l'on fait parler les morts, les absens, ou les êtres inanimés. Il en est de même des autres figures ; elles ont chacune leur caractere particulier, qui les distingue des autres assemblages de mots.

Les Grammairiens & les Rhéteurs ont fait des classes particulieres de ces différentes manieres, & ont donné le nom de figure de pensées à celles qui énoncent les pensées sous une forme particuliere qui les distingue les unes des autres, & de tout ce qui n'est que phrase ou expression.

Nous ne pouvons que recueillir ici les noms des principales de ces figures, nous reservant de parler en son lieu de chacune en particulier : nous avons déjà fait mention de l'antithèse, de l'apostrophe, & de la prosopopée.

L'exclamation ; c'est ainsi que S. Paul, après avoir parlé de ses foiblesses, s'écrie : Malheureux que je suis, qui me délivrera de ce corps mortel ? Ad Rom. cap. vij.

L'épiphoneme ou sentence courte, par laquelle on conclut un raisonnement.

La description des personnes, du lieu, du tems.

L'interrogation, qui consiste à s'interroger soi-même & à se répondre.

La communication, quand l'orateur expose amicalement ses raisons à ses propres adversaires ; il en délibere avec eux, il les prend pour juges, pour leur faire mieux sentir qu'ils ont tort.

L'énumération ou distribution, qui consiste à parcourir en détail divers états, diverses circonstances & diverses parties. On doit éviter les minuties dans l'énumération.

La concession, par laquelle on accorde quelque chose pour en tirer avantage : Vous êtes riche, servez-vous de vos richesses ; mais faites-en de bonnes oeuvres.

La gradation, lorsqu'on s'éleve comme par degrés de pensées en pensées, qui vont toûjours en augmentant : nous en avons fait mention en parlant du climax, , échelle, degré.

La suspension, qui consiste à faire attendre une pensée qui surprend.

Il y a une figure qu'on appelle congeries, assemblage ; elle consiste à rassembler plusieurs pensées & plusieurs raisonnemens serrés.

La réticence consiste à passer sous silence des pensées que l'on fait mieux connoître par ce silence, que si on en parloit ouvertement.

L'interrogation, qui consiste à faire quelques demandes, qui donnent ensuite lieu d'y répondre avec plus de force.

L'interruption, par laquelle l'orateur interrompt tout-à-coup son discours, pour entrer dans quelque mouvement pathétique placé à-propos.

Il y a une figure qu'on appelle optatio, souhait ; on s'y exprime ordinairement par ces paroles : Ha, plût à Dieu que, &c. Fasse le ciel ! Puissiez-vous !

L'obsécration, par laquelle on conjure ses auditeurs au nom de leurs plus chers intérêts.

La périphrase, qui consiste à donner à une pensée, en l'exprimant par plusieurs mots, plus de grace & plus de force qu'elle n'en auroit si on l'énonçoit simplement en un seul mot. Les idées accessoires que l'on substitue au mot propre, sont moins seches & occupent l'imagination. C'est le goût, ce sont les circonstances qui doivent décider entre le mot propre & la périphrase.

L'hyperbole est une exagération, soit en augmentant ou en diminuant.

On met aussi au nombre des figures l'admiration & les sentences, & quelques autres faciles à remarquer.

Les figures rendent le discours plus insinuant, plus agréable, plus vif, plus énergique, plus pathétique ; mais elles doivent être rares & bien amenées. Il faut laisser aux écoliers à faire des figures de commande. Les figures ne doivent être que l'effet du sentiment & des mouvemens naturels, & l'art n'y doit point paroître. Voyez ELOCUTION.

Quand on a cultivé un heureux naturel, & qu'on s'est rempli de bons modeles, on sent ce qui est décent, ce qui est à-propos, & ce que le bon sens adopte ou rejette. C'est en ce point, dit Horace, que consiste l'art d'écrire ; c'est du bon sens que les ouvrages d'esprit doivent tirer tout leur prix. En effet pour bien écrire, il faut d'abord un sens droit :

Scribendi rectè, sapere est principium & fons.

Hor. de arte poet. v. 309.

.... Laissons à l'Italie

De tous ces traits brillans l'éclatante folie :

Tout doit tendre au bon sens,. dit Boileau.

Les honnêtes gens sont blessés des figures affectées.

Offenduntur enim quibus est equus & pater & res,

Nec si quid fricti ciceris probat, aut nucis emtor

Aequis accipiunt animis, donant ve coronâ.

Hor. de arte poet. v. 248.

Aimez donc la raison, ajoûte Boileau ; que toûjours vos écrits

Empruntent d'elle seule & leur lustre & leur prix.

Figure est aussi un terme de Logique. Pour bien entendre ce mot, il faut se rappeller que tout syllogisme régulier est composé de trois termes. Faisons connoître par un exemple ce qu'on entend ici par terme. Supposons qu'il s'agisse de prouver cette proposition, un atome est divisible ; voilà déjà deux termes qui font la matiere du jugement, l'un est sujet, l'autre est attribut : atome est appellé le petit terme, parce qu'il est le moins étendu, il ne se dit que de l'atome ; au lieu que divisible est le grand terme, parce qu'il se dit d'un grand nombre d'objets, il a une plus grande étendue.

Si la personne à qui je veux prouver que tout atome est divisible n'apperçoit pas la connexion ou identité qu'il y a entre ces deux termes, & que divisible est un attribut inséparable de tout atome, j'ai recours à une troisieme idée qui me paroît propre à faire appercevoir cette connexion ou identité, & je dis à mon antagoniste : vous convenez que tout ce qui est étendu est divisible ; vous convenez aussi que tout atome est étendu ; vous devez donc convenir que tout atome est divisible, parce qu'une chose ne peut pas être & n'être pas ce qu'elle est. Ainsi l'idée d'étendu vous doit faire appercevoir la connexion ou rapport d'identité qu'il y a entre atome & divisible ; étendu est donc un troisieme terme qu'on appelle le medium ou moyen, par lequel on apperçoit la connexion des deux termes de la conclusion, c'est-à-dire que le moyen est le terme qui donne lieu à l'esprit d'appercevoir le rapport qu'il y a entre l'un & l'autre des termes de la conclusion : ainsi petit terme, grand terme, moyen terme, voilà les trois termes essentiels à tout syllogisme régulier.

Or la disposition du moyen terme avec les deux autres termes de la conclusion, est ce que les Logiciens appellent figure.

1°. Quand le moyen est sujet en la majeure & attribut en la mineure, c'est la premiere figure.

Tout ce qui est étendu est divisible,

Tout atome est étendu ;

Donc tout atome est divisible.

Voilà un syllogisme de la premiere figure ; étendu est le sujet de la majeure & l'attribut de la mineure.

2°. Si le moyen est attribut en la majeure & en la mineure, c'est la seconde figure.

3°. Si le moyen est sujet en l'une & en l'autre, cela fait la troisieme figure.

4°. Enfin si le moyen est attribut dans la majeure & sujet en la mineure, c'est la quatrieme figure.

Il n'y a point d'autre disposition du moyen terme avec les deux autres termes de la conclusion : ainsi il n'y a que quatre figures en Logique.

Outre les figures il y a encore les modes, qui sont les différens arrangemens des propositions ou prémisses par rapport à leur étendue & à leur qualité. L'étendue d'une proposition consiste à être ou universelle, ou particuliere, ou singuliere, & la qualité c'est d'être affirmative ou négative.

Au reste ces observations méchaniques sur les figures & sur les modes des syllogismes, peuvent avoir leur utilité ; mais ce n'est pas-là le droit chemin qui mene à la connoissance de la vérité. Il est bien plus utile de s'appliquer à appercevoir, 1° la connexion ou identité de l'attribut avec le sujet : 2° de voir si le sujet de la proposition qui est en question, est compris dans l'étendue de la proposition générale ; car alors l'attribut de cette proposition générale conviendra au sujet de la proposition en question, puisque ce sujet particulier est compris dans l'étendue de la proposition générale : par exemple, ce que je dis de tout homme, je le dis de Pierre & de tous les individus de l'espece humaine. Ainsi quand je dis que tout homme est sujet à l'erreur, je suis censé le dire de Pierre, de Paul &c. c'est en cela que consiste toute la valeur du syllogisme. On ne sauroit refuser en détail ce qu'on a accordé expressement, quoiqu'en termes généraux.

Figure est encore un terme particulier de Grammaire fort usité par les grammairiens qui ont écrit en latin : c'est un accident qui arrive aux mots, & qui consiste à être simple, ou à être composé ; res est de la figure simple, publica est aussi de la figure simple, mais respublica est un mot de la figure composée. C'est ainsi que Despautere dit, que la figure est la différence qu'il y a dans les mots entre être simple ou être composé : figura est simplicis à composito discretio. Mais aujourd'hui nous nous contentons de dire qu'il y a des mots simples, & qu'il y en a de composés, & nous laissons au mot figure les autres acceptions dont nous avons parlé. (F)

FIGURE, dans la Fortification, c'est le plan d'une place fortifiée, ou le polygone intérieur. Voyez POLYGONE.

Quand les côtés & les angles sont égaux, on l'appelle figure réguliere ; quand ils sont inégaux, la figure est irréguliere. Voyez REGULIER, &c. Chamb. (Q)

FIGURE, en Architecture & en Sculpture, signifie des représentations de quelque chose, faites sur des matieres solides, comme des statues, &c. Par exemple on dit des figures d'airain, de marbre, de stuc, de plâtre, &c. mais dans ce sens ce terme s'applique plus ordinairement aux représentations humaines, qu'aux autres choses, sur-tout lorsqu'elles sont représentées assises, comme les PP. de l'Eglise, les évangelistes, &c. ou à genoux, comme sur les tombeaux ; ou couchées, comme les fleuves : car lorsqu'elles sont debout on les appelle statues. Voyez FIGURE, (Peint.) Figure se dit aussi du trait qu'on fait de la forme d'un bâtiment pour en lever les mesures : ainsi faire la figure d'un plan, ou d'une élevation & d'un profil, c'est les dessiner à vûe, pour ensuite les mettre au net. (P)

FIGURES, FIGULES, ENFLECHURES, (Marine Le terme de figures n'est guere en usage ; c'est enflechures qu'il faut dire : ce sont de petites cordes en maniere d'échelons en-travers des hautbans. (Z)

FIGURE, (Physiol.) se prend pour le visage. Cet homme a une belle ou une vilaine figure. Elle est le siége principal de la beauté. Mais quels traits, quels contours exige-t-elle ? En un mot, qu'est-ce que la beauté ?

Mille voix s'élevent & s'empressent de me satisfaire. Oüi, j'en conviens avec vous, François, Italien, Allemand, Européans, qu'à s'en tenir à vos expressions en général, ce que vous appellez beauté chez l'un, peut passer pour beauté chez l'autre. Mais dans le fait, que vos belles se ressemblent peu ! L'une est blonde, l'autre est brune : l'une regorge d'embonpoint, & l'autre en manque ; j'admire avec celui-ci les graces de celle-là, avec l'autre la vivacité de la sienne ; avec vous l'air fin de la vôtre ; je vous suis tous dans les contours du modele que vous me présentez. Je n'y vois pas toûjours ce que vous y voyez, mais n'importe, je consens qu'il y soit ; & malgré ma complaisance, je ne trouve point de raison pour me déterminer en faveur de l'une au préjudice de l'autre.

Vous criez tous à l'injustice, mais vous n'êtes pas d'accord entre vous ; & voilà la preuve de mon impartialité. Si je veux bien convenir que chacun des traits que vous relevez avec tant de feu, soient des traits de beauté, convenez à votre tour qu'aucun de vos objets ne rassemblant lui seul tous ceux que vous m'avez vantés, du moins il ne doit pas être préféré.

Mais d'ailleurs, qui vous a accordé qu'il n'y a point d'autres traits de beauté, & qui plus est, que les contraires ne les constituent pas ? Voyez cette Chinoise ? elle est ce que son pays a jamais imaginé de plus beau ; le bruit de ses charmes retentit dans un empire aussi-bien civilisé & plus puissant qu'aucun autre. Vous demandez de grands yeux bien fendus, bien ouverts, & celle-ci les a très-petits, extrèmement distans l'un de l'autre, & ses paupieres pendantes en couvrent la plus grande partie. Le nez, selon vous, doit être bien pris & élevé, remarquez combien celui-ci est court & écrasé. Vous exigez un visage rond & poupin, le sien est plat & carré ; des oreilles petites, elle les a prodigieusement grandes ; une taille fine & aisée, elle l'a lourde & pesante ; des cheveux blonds, si elle les avoit tels, elle seroit en horreur ; des piés mignons, ici seulement vous vous accordez : mais qu'est-ce que les vôtres, en comparaison des siens ? un enfant de 6 ans ne mettroit pas sa chaussure.

Ce contraste vous étonne, mais ce n'est pas le seul ; parcourons rapidement le globe ; & chaque degré, pour ainsi dire, nous en fournira d'aussi frappans. Ici les uns pressent les levres à leurs enfans, pour les leur rendre plus grosses, & leur écrasent le nez & le front ; & là les autres leur applatissent la tête entre deux planches ou avec des plaques de plomb, pour leur rendre le visage plus grand & plus large. Ils ont tous le même but ; ils s'empressent tandis que les os sont encore tendres, de les former au moule de la beauté qu'ils ont imaginée. Le tartare ne veut que très-peu de nez ; & dans presque toute l'Inde orientale, on demande des oreilles immenses ; il y a des peuples entiers à qui elles descendent jusque sur les épaules. Cette nation aime les cheveux noirs & les dents blanches ; & la nation voisine idolatre les cheveux blancs & les dents noires. Celle-ci s'arrache les deux dents du milieu de la mâchoire supérieure, & celle-là se perce la mâchoire inférieure. L'une se met une cheville tout-au-travers du nez, & l'autre y attache des anneaux à tous les cartilages. Le Chinois a le visage plat & quarré ; & le front du Siamois se retrécissant en pointe autant que le menton, forme un losange. Le Persan veut des brunes, & le Turc des rousses. Ici les teints sont rouges ou jaunes, & là verds ou bleus. Enfin, car ce détail seroit immense, tous les hommes se figurent leurs dieux fort beaux, & les diables fort laids ; mais par-tout où les hommes sont blancs, les dieux sont blancs & les diables noirs ; & par-tout où les hommes sont noirs, les dieux sont noirs & les diables blancs.

Quel affreux spectacle, me dites-vous ! j'en conviens ; mais je remarque par-tout dans les yeux des amans le même feu & la même langueur. On jure au nez court & aux vastes oreilles d'une belle, la même ardeur & la même constance que vous jurez à la petite bouche & aux grands yeux de celle qui vous charme.

N'allez pas m'opposer que ce sont des barbares : les Asiatiques, & parmi eux les Chinois, ne le sont point-du-tout. Les Grecs & les Romains dont le bon goût est reconnu, & à qui nous devons nos meilleures idées sur le beau, n'étoient pas plus d'accord entre eux & avec vous. Les premiers aimoient de grands & de gros yeux, & les autres de petits fronts & des sourcils croisés. Des beautés greques & romaines ne feroient assûrément pas une beauté françoise, italienne ou angloise, &c.

Tous les coeurs, dites-vous, volent au-devant de celle que j'aime. Tous les amans parlent ainsi : & je sai mille autres femmes de qui l'on en dit autant, qui n'ont point le moindre trait de ressemblance avec l'objet que vous préférez. Bien plus, interrogeons ses prétendus adorateurs. L'un est épris de sa bouche, l'autre est enchanté de sa taille ; celui-ci adore ses yeux, celui-là ne voit rien de comparable à son teint ; il y en a qui aiment en elle des qualités qu'elle n'a pas. Aucun n'a été blessé du même trait, & tous s'étonnent qu'on puisse l'avoir été d'un autre.

Vous-même, avez-vous eu toûjours les mêmes goûts ? Opposez vos amours d'un tems à vos amours d'un autre ; & par la contradiction qui en résulte, jugez de vos idées.

Je ne suis donc pas plus éclairé, malgré vos promesses, que je ne l'étois auparavant. La revûe que nous avons faite des différens peuples de la Terre, bien loin de nous fixer dans nos recherches, n'a servi qu'à y jetter plus de difficulté. Il n'en est pas ainsi du beau en général ; car quand la définition que j'en donnerois ne vous satisferoit pas, je ne serois pas du moins en peine de vous montrer des modeles qui enleveroient tous les suffrages. Tous les peuples de la Terre admireroient la façade du Louvre, les jardins de Versailles & de Marli, l'église de S. Pierre à Rome, en un mot les merveilles de ce genre qui sont répandues dans le Monde. Les chefs-d'oeuvres des Raphaël, des Michel-Ange, des Titiens, des Rubens, des le Bruns, des Pugets, des Girardons, frapperont quiconque aura des yeux. L'Iliade, l'Enéïde, Rodogune, Athalie, &c. feront toûjours & par-tout les délices des amateurs des Belles-Lettres. Enfin ce qui sera réellement beau chez l'un, sera beau chez l'autre ; l'on en rendra raison, l'on en donnera même des regles. Voyez BEAU. Il n'en sera pas de même de la beauté. Transportez une Françoise à la Chine & une Chinoise à Paris, elles exciteront beaucoup de curiosité, si vous voulez, mais pas à beaucoup près autant de sentiment ; & ces deux peuples si opposés dans leur goût, ne se céderont rien l'un à l'autre.

Si l'Androgyne de Platon étoit aussi vrai qu'il est ingénieusement trouvé (voyez ANDROGYNE), rien ne seroit si facile que la solution de ce problème. Essayons de le dénoüer d'une autre façon.

L'intérêt, les passions, les préjugés, les usages, les moeurs, le climat, l'âge, le tempérament, agissent diversement sur chaque individu, & doivent produire par conséquent une variété infinie de sensations.

Notre imagination qui nous sert si bien dans toutes les occasions, se surpasse dans celles de ce genre : elle ne nous laisse voir que par ses yeux ; & cette enchanteresse nous déguise si bien ses caprices, qu'elle nous les fait adorer.

Si l'on me demandoit donc à-présent ce que c'est que la beauté, je dirois que de même que chaque peuple s'est fait des moeurs, des usages & des goûts différens ; & que de même que chaque particulier y tient plus ou moins au caractere général, de même aussi ils se sont fait des idées différentes de beauté ; & que celles-là peuvent être appellées belles, qui réunissent dans leurs personnes les qualités que leur nation exige : mais que d'ailleurs cette regle, toute restreinte qu'elle est, est encore sujette à des exceptions sans nombre. Combien d'amans qui soupirent pour des appas aussi imaginaires que les sujets de la jalousie qu'ils leur causent ? combien d'inconstances ridicules & dépravées ? En un mot, du moment qu'il sera prouvé que l'imagination préside à notre choix, ne nous étonnons plus de rien : qui pourroit rendre raison de ses fantaisies ?

Mais quoi ! après avoir établi qu'il y a un beau réel dans toutes choses, faudra-t-il conclure qu'il est chez l'homme seulement, idéal & arbitraire ? Non. L'homme est le chef-d'oeuvre de la création, & rien ne peut entrer avec lui en comparaison de beauté. Mais parmi celles qui sont si libéralement répandues sur les races des hommes, quelle est celle qui doit avoir la préférence ? J'avouerai de grand coeur que ces têtes applaties, ces nez écrasés, ces joues & ces levres percées, ces piés si petits avec lesquels on ne peut plus marcher, doivent être mis hors des rangs, parce que la nature y paroît évidemment forcée. J'entendrai dire avec plaisir qu'un oeil noir & vif, bien ouvert & placé à fleur de tête, paroissant plus propre à remplir sa destination, doit être par conséquent plus beau que celui d'Asiatique, qui, tout petit qu'il est, est encore couvert d'une ample paupiere : mais je m'appercevrai avec douleur que la question est jugée par une des parties ; & que si la grandeur de l'organe décide en sa faveur, les Grecs qui, pour célebrer la beauté de Junon, chantoient ses yeux de boeuf, doivent l'emporter sur nous. Que celui qui se croira assez habile pour démontrer la juste proportion de l'oeil, s'apprête à nous donner l'inverse de la bouche, que nous voulons petite ; & quand enfin de démonstration en démonstration il parviendroit à donner la regle pour trouver ce beau suprème qui devroit faire regle pour tous, qui s'y soûmettra ? Voyons-nous qu'une belle enleve les adorateurs d'une moins belle, avec cette rapidité que le beau l'emporte sur le moins beau ? Quelques hommes & quelques femmes se partageroient entre eux l'empire des coeurs ; le reste languiroit dans le mépris & l'abandon. Mais il est une autre source d'erreur ou d'équité dans nos jugemens. C'est notre ressemblance que nous ne pouvons nous empêcher d'approuver dans les autres ; sans compter une infinité de conjectures relatives au plaisir & au but des passions, qui nous déterminent quelquefois, même à notre insû. Un homme droit seroit bien laid, si tous les autres étoient bossus. Il n'y a pas jusqu'à l'imbécillité qui n'ait un préjugé en sa faveur : on a dit, vive les sots pour donner de l'esprit.

Ainsi donc l'empire prétendu de la beauté, dont on vante tant la puissance & l'étendue, bien apprécié, n'est autre chose que celui de notre propre imagination sur notre coeur, & qu'une passion déguisée sous ce nom pompeux ; mais je conviendrai qu'elle est la plus noble & la plus naturelle de toutes ; la plus noble, par rapport à son objet ; la plus naturelle, parce qu'elle prend sa source dans un penchant que Dieu a mis en nous, & duquel nous ne faisons qu'abuser. J'ajoûterai même qu'elle sera une vertu politique, toutes les fois que dégagée de toute idée grossiere, elle excitera en nous d'heureux efforts pour nous rendre plus aimables, plus doux, plus lians, plus complaisans, plus généreux, plus attentifs, & par conséquent plus dignes & plus utiles membres de la société. Cet art. est de M. D'ABBES DE CABROLES, Correcteur à la chambre des comptes du Languedoc.

FIGURE, terme de Peinture. Peindre la figure, ou faire l'image de l'homme, c'est premierement imiter toutes les formes possibles de son corps.

C'est secondement le rendre avec toutes les nuances dont il est susceptible, & dans toutes les combinaisons que l'effet de la lumiere peut opérer sur ces nuances.

C'est enfin faire naître, à l'occasion de cette représentation corporelle, l'idée des mouvemens de l'ame.

Cette derniere partie a été ébauchée dans l'article EXPRESSION. Elle sera développée avec plus de détail au mot PASSION, & n'a pas le droit d'occuper ici une place.

Celle qui tient le second rang dans cette énumération, sera exposée au mot HARMONIE DU COLORIS & du CLAIR OBSCUR. La premiere seule assez abondante, fera la matiere de cet article.

Il s'agit donc ici des choses principales, qui sont nécessaires pour bien imiter toutes les formes possibles du corps de l'homme, c'est-à-dire ses formes extérieurement apparentes dans les attitudes qui lui sont propres.

Les apparences du corps de l'homme sont les effets que produisent à nos yeux ses parties extérieures : mais ces parties soûmises à l'action des ressorts qu'elles renferment, reçoivent d'eux leurs formes & leurs mouvemens ; ce qui nous fait naturellement remonter aux lumieres anatomiques, qui doivent éclairer les artistes.

C'est sans-doute ici la place d'insister sur la nécessité dont l'Anatomie est à la Peinture. Comment imiter avec précision, dans tous ses mouvemens combinés, une figure mobile, sans avoir une idée juste des ressorts qui la font agir ? est-ce par l'inspection réitérée de ses parties extérieures ? Il faut donc supposer la possibilité d'avoir continuellement sous les yeux cette figure, dans quelque attitude qu'on la dessine. Cette supposition n'est-elle pas absurde ? Mais je suppose qu'elle ne le soit pas. Ne sera-ce pas encore en tatonnant & par hasard, qu'on imitera cette correspondance précise des mouvemens de tous les membres & de toutes les parties de ces membres, qui varie au moindre changement des attitudes de l'homme ? Quel aveuglement de préférer cette route incertaine à la connoissance aisée des parties de l'anatomie, qui ont rapport aux objets d'imitation dans lesquelles se renferme la Peinture ! Que ceux à qui la paresse, le manque de courage, ou le peu de connoissance de l'étendue de leur art, font regarder l'Anatomie comme peu nécessaire, restent donc dans l'aveuglement dont les frappe leur ignorance ; & que ceux qui ambitionnent le succès, aspirent non-seulement à réussir, mais à savoir pourquoi & comment ils ont réussi.

Non-seulement il est inutile, mais il seroit même ridicule à l'artiste qui veut posséder son art, de chercher par l'étude de l'Anatomie à découvrir ces premiers agens imperceptibles, qui forment la correspondance des parties matérielles avec les spirituelles. Ce n'est pas non plus à acquérir l'adresse & l'habitude de démêler, le scalpel à la main, toutes les différentes substances dont nous sommes composés, qu'il doit employer un tems précieux. Une connoissance abregée de la structure du squelete de l'homme ; une étude un peu plus approfondie sûr les muscles qui couvrent les os, & qui obligent la peau qu'ils soûtiennent à fléchir, à se gonfler, ou à s'étendre : voilà ce que l'Anatomie offre de nécessaire aux artistes pour guider leurs travaux. Est-ce dequoi les rebuter ? & quelques semaines d'étude, quelques instans de réflexion, feront-elles acheter trop cher des connoissances nécessaires ?

Nous allons rassembler ici la plus grande partie de ce que le peintre doit connoître de l'Ostéologie & de la Myologie ; & nous joindrons à cette énumération le secours des Planches, auxquelles se rapporteront les signes que nous serons obligés d'employer.

Ensuite nous donnerons au mot PROPORTION, les différentes mesures sur lesquelles on a établi, par une convention à-peu-près générale, la beauté des figures.

Le squelete de l'homme est l'assemblage des parties solides du corps, que l'on nomme les os.

Cet assemblage est la charpente de la figure, & l'on peut en diviser les parties principales en trois, qui sont la tête, le tronc, & les extrémités.

La tête qui a à-peu-près la figure d'un oval applati des deux côtés, est composée d'os, qui presque tous font appercevoir leurs formes au-travers de la peau & des parties charnues qui les couvrent. Je fais cette remarque & j'y insiste, parce que rien ne donne un air de vérité aux têtes que l'on peint, comme la juste indication des os qui forment des plans différens, qui indiquent le trait des parties, & qui déterminent les effets des ombres & des jours.

Voyez, pour l'explication suivante, les figures prem. & sec. de Peinture, qui représentent une tête vûe de face, & la même vûe de profil.

Parmi les os qui se font appercevoir extérieurement dans la tête, il faut remarquer l'os du front A appellé l'os coronal. Sa surface lisse & polie, qui n'est presque couverte que par la peau, rend cette partie plus propre à refléchir sa lumiere : ainsi dans les figures éclairées d'en-haut, elle est toûjours la plus lumineuse. Cet os qui fait une partie de l'enchâssement des yeux, trace encore le contour de la partie du sourcil ; & cet enchâssement grand & ouvert, donne un caractere très-majestueux & très-noble aux figures.

a est la suture du coronal ; je n'insiste pas sur ces jointures des os du crane que l'on nomme sutures, parce qu'elles sont inutiles aux Peintres. Je me contenterai de les indiquer.

b la suture sagittale.

B indique la cavité des yeux qu'on nomme orbite. Cette cavité destinée à contenir le globe de l'oeil, est formée en partie par le coronal, & en partie par le zigoma ; elle influe, comme je l'ai dit, sur la beauté de l'ensemble. La noblesse de la tête dépend beaucoup de cette partie ; elle est extérieurement couronnée par le sourcil, & renferme les six muscles de l'oeil, la membrane conjonctive qui forme le blanc de l'oeil, l'iris ou l'arc-en-ciel, au milieu duquel est la pupille ou prunelle.

C marque les os du nez. Ces os peu éminens forment en se joignant une voûte, & finissent par deux cartilages adhérens aux extrémités inférieures des os du nez ; ils se joignent aussi dans leur côté supérieur comme les os du nez ; ils sont assez larges, mais ils s'étrécissent & s'amollissent à mesure qu'ils approchent du bout du nez. Deux autres cartilages, attachés aux extrémités inférieures de ceux-ci, forment les aîles du nez.

Les formes du nez pourroient trouver ici leur place ; mais pour ne point interrompre la description des os, nous renvoyons au mot PROPORTION, ainsi que pour toutes les regles ou les observations qui peuvent avoir rapport aux formes accidentelles des parties.

D les os des joues.

E la mâchoire supérieure.

F la mâchoire inférieure. Celle-ci fait le trait du menton & de tout le bas de la tête : elle a un mouvement qui lui est particulier, car la mâchoire supérieure est immobile.

G les dents : elles varient dans leur nombre, & même dans leur forme ; mais il est peu d'usage dans la Peinture de les faire paroître, à moins que ce ne soit dans la représentation de quelques passions, dans les mouvemens desquelles elles sont quelquefois apparentes, comme dans la joie, le rire, la douleur, la colere, le desespoir, ainsi que nous le dirons au mot PASSION.

Figure 2. A os du sinciput, nommé le pariétal : il y en a deux ; ils sont minces, presque quarrés, & tant-soit-peu longs ; ils se joignent à l'os du front, par le moyen de la suture coronale.

B l'os temporal : cet os est double, ainsi que le pariétal ; il est situé dans la partie inférieure des côtés du crane.

C le zigoma, sous lequel passe le muscle temporal ; cet os est triangulaire, sa partie supérieure contribue à former la circonférence de l'orbite, comme je l'ai déjà dit. Il se joint à l'os du front par le petit angle de l'oeil : il s'avance un peu en-dehors, pour former la partie la plus élevée de la joue.

a suture coronale.

b suture sagittale.

c suture qui joint l'os des temples avec l'os coronal & le sinciput.

d dents de devant, appellées incisives.

e dents latérales, appellées canines.

f dents postérieures, appellées molaires.

Je n'ai point parlé de l'os occipital qui forme le derriere de la tête ; parce qu'excepté dans l'enfance & dans la vieillesse, il est ordinairement orné & couvert par la chevelure, qui commence au haut du front & qui s'étend le long des oreilles, jusqu'à la premiere vertebre du cou.

La seconde partie du squelete de l'homme est le tronc ; il est composé de l'épine du dos, des côtes, des clavicules, du sternum, de l'omoplate, & du bassin ou des os innominés.

Deux figures de squelete, l'une vûe de face, & l'autre par derriere, sont suffisantes pour donner une idée de la forme & de la place de ces os. Les lettres sont communes aux deux figures.

Fig. 1 & 2 du squelete. A est ce qu'on appelle l'épine du dos ; c'est une colonne d'os différens qui sont articulés les uns avec les autres, & attachés mutuellement par des cartilages, dont les uns sont flexibles, les autres immobiles ; cette chaîne ou colonne d'os s'étend depuis la premiere vertebre du cou jusqu'au coccyx, & les charnieres de chaque vertebre procurent le mouvement du dos en différens sens. Il y a 24 vertebres, dont les noms seroient hors d'oeuvre ici. Pour la forme de l'épine du dos, comme elle intéresse le peintre, puisqu'elle forme les pieces principales de la charpente du corps, je remarquerai que la partie des vertebres du cou avance en-dedans, c'est-à-dire vers le devant de la tête ; celle du dos au contraire se courbe en-dehors pour élargir la cavité de la poitrine ; celle des lombes rentre, & la derniere qui est celle de l'os sacrum, se rejette encore en-dehors. Deux parties de ces os sont sur-tout apparentes au-travers de la peau, celle du dos & celle des lombes. Ce qui oblige, en dessinant le nud, d'en faire sentir la forme, sur-tout dans les attitudes où l'homme se courbe en avant, comme on le voit dans la figure 2 du squelete.

B, les deux clavicules, sont deux os qui se découvrent sensiblement dans les hommes, sur-tout dans certains mouvemens, comme d'étendre les bras, de se courber en arriere, &c. Ils ont à-peu-près la forme de la lettre S ; ils sont placés du côté de la face à la base du cou. Chacune des clavicules s'articule avec le sternum par devant, & du côté des bras avec l'omoplate.

C, le sternum, est situé au milieu de la poitrine : cet os est toûjours immédiatement vers la peau ; il n'est point couvert de chair, de-là vient que l'on y voit le bout des côtes qui y sont appuyées, à moins que la graisse n'en empêche, comme il arrive aux femmes, & quelquefois aux jeunes hommes.

D, l'épaule ou l'omoplate, est d'une configuration assez compliquée, dont il faut bien connoître les parties, si l'on veut comprendre le jeu des muscles qui ont rapport au mouvement des bras, parce que la plûpart de ces muscles y prenent leur origine : cet os d'ailleurs est apparent dans un grand nombre de mouvemens ; sa forme irréguliere est assez semblable à celle d'un triangle scalene ; sa surface externe est tant soit peu convexe. Voici les principales parties :

a la base qui regarde l'épine du dos.

b la côte inférieure.

c la côte supérieure.

d l'angle supérieur.

e l'angle inférieur.

f la partie cave ou intérieure, inutile au peintre.

g la partie extérieure.

h l'épine.

i l'extrémité de l'épine, appellée acromion.

Il y a douze côtes de chaque côté ; elles sont marquées dans la figure premiere, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12 : elles sont courbes & à-peu-près semblables à des segmens de cercle ; elles tiennent aux vertebres par une de leurs extrémités : les unes au nombre de sept, s'appellent vraies, & s'articulent avec le sternum ; les cinq autres qui suivent ces premieres, & qui ont le nom de fausses côtes, ne touchent point au sternum, mais à un cartilage mobile qui prête dans plusieurs mouvemens du corps ; ce qui doit faire paroître extérieurement cet endroit moins soûtenu & moins saillant.

La base du tronc est composée de deux grands os qui se réunissent dans les adultes, & n'en font qu'un : ils se nomment les os innominés. On y distingue trois parties.

E la partie supérieure des os innominés, formée par l'os des isles.

F la partie inférieure & antérieure, composée des os pubis.

G la troisieme qui est inférieure aussi, mais postérieure, se nomme ischium : cet os a une grande cavité qui reçoit la tête du fémur.

La base du tronc, dont les os sont plus remarquables dans les hommes, dessine la forme des hanches ; & sa structure plus évasée dans les femmes, occasionne des apparences qu'il faut étudier avec soin, parce qu'elles contribuent principalement à distinguer le caractere différent de la figure dans l'un & l'autre sexe.

Voilà les deux premieres divisions du squelete : la derniere comprend les extrémités supérieures & les extrémités inférieures ; dans les supérieures, H, l'os du bras, s'appelle humerus : il porte à sa plus haute extrémité une tête ronde, qui est reçûe dans la cavité plate du cou de l'omoplate ; l'extrémité inférieure a deux apophyses ou protubérances.

I, l'os du coude, est accompagné d'un autre K appellé radius ou rayon, qui est plus gros par en bas que l'os du coude, tandis que celui-ci le surpasse en grosseur dans la partie supérieure : l'os du coude sert à fléchir & étendre le bras ; le rayon sert à tourner la main, & ces deux os ensemble s'appellent l'avant-bras.

A leur extrémité inférieure se trouvent huit osselets de différente figure & grosseur, situés en deux rangs de quatre chacun ; le premier rang s'articule avec le radius & forme le carpe L ; le 2d rang s'articule avec le premier, & forme le métacarpe M : celui-ci est comme le carpe, il est composé de quatre os qui répondent aux quatre doigts N ; les doigts avec le pouce sont formés de quinze os, dans chaque main, trois à chaque doigt nommés phalanges ; ils sont un peu convexes & ronds vers le dos de la main, mais ils sont creux & unis en-dedans.

Les extrémités inférieures offrent premierement l'os fémur O ou l'os de la cuisse ; il est le plus long de tous les os de notre corps ; sa partie antérieure est convexe & ronde, & sa partie postérieure un peu creuse.

L'extrémité supérieure de cet os a trois apophyses.

La premiere qui forme son extrémité, est une grosse tête ronde couverte d'un cartilage, qui est reçûe dans la cavité de l'ischium, où elle est attachée.

La seconde se nomme le grand trochanter ; c'est une éminence assez grosse, située à la surface externe du fémur, précisément à l'extrémité du cou : elle est inégale, parce qu'elle sert d'insertion à quelques muscles.

La troisieme s'appelle le petit trochanter ; il est situé dans la partie postérieure du fémur ; il est un peu plus bas & plus petit que l'autre.

L'extrémité inférieure du fémur se divise par le milieu en deux éminences, l'une est externe & l'autre interne ; elles sont reçûes dans les cavités superficielles du tibia ; & l'espace qui sépare les parties postérieures, donne passage aux nerfs de la jambe. Le genou porte un os rond appellé rotule ; il est large environ de deux pouces, assez épais, un peu convexe, couvert dans sa partie antérieure d'un cartilage poli, & dont l'apparence extérieure est plus marquée dans les hommes que dans les femmes, & dans les vieillards que dans les enfans ; dans l'enfance il est mou, & il acquiert une dureté d'autant plus grande qu'on avance plus en âge.

La jambe est composée de deux os, ainsi que l'avant-bras ; l'interne qui est le plus gros se nomme le tibia P ; il est presque triangulaire, & son angle antérieur & un peu aigu, se nomme la crête du tibia. Cette partie est très-apparente, & c'est elle qui forme le trait de la jambe, vûe de profil : son extrémité inférieure, qui est beaucoup plus petite que la supérieure, a une apophyse remarquable qui forme la cheville interne du pié.

Le second os plus petit se nomme le peroné Q ; il est situé dans le côté extérieur de la jambe, & son extrémité supérieure, qui n'est pas si élevée que le genou, reçoit l'éminence latérale de l'extrémité supérieure du tibia, dans une petite cavité qu'il a dans le côté interne : son extrémité inférieure est reçûe dans la petite cavité du tibia ; où il a une grande apophyse qui forme la cheville externe. Le tibia & le peroné ne se touchent qu'à leurs extrémités.

Le pié ainsi que la main, est composé de trois parties qu'on nomme le tarse R, S le métatarse, & T les doigts. Le tarse est composé de sept os ; le premier est 1 l'astragale ou le talon ; le second os du tarse est 2 le calcaneum, dont l'apophyse forme ce que nous appellons le talon, auquel s'insere le tendon d'Achille ; les cinq autres os du tarse sont le scaphoïde, les trois cunéiformes, & le cuboïde : tous ces os, plus ou moins intéressans pour le peintre, suivant la part qu'ils ont aux mouvemens & aux apparences extérieures, se joignent au métatarse qui est composé de cinq os ; celui qui soûtient le gros doigt est le plus gros ; celui qui soûtient le doigt suivant est le plus long ; les autres sont tous plus petits l'un que l'autre. Ils sont plus longs que les os du métacarpe : quant au reste, ils ressemblent à ceux du métacarpe, & ils sont articulés de la même maniere.

Enfin les doigts du pié sont composés de quatorze os dans chaque pié : le gros doigt en a deux, & les autres trois ; ils sont la même chose que les doigts de la main, & sont seulement plus courts.

Voilà une idée succincte des os du squelete, dont la conformation doit être connue du peintre. Je vais en faire une récapitulation en forme de liste avec les lettres qui ont rapport aux figures.

Premiere figure de la tête.

A l'os du front.

a la suture du coronal.

b la suture sagittale.

B orbite ou cavité des yeux.

C les os du nez.

D les os des joues.

E la mâchoire supérieure.

F la mâchoire inférieure.

G les dents.

Seconde figure de la tête.

A os du sinciput.

B l'os temporal.

C le zigoma.

a suture coronale.

b suture sagittale

c suture qui joint l'os des temples avec le coronal & le sinciput.

d les dents de devant, nommées incisives.

e les dents latérales, appellées canines.

f les dents postérieures, appellées molaires.

Premiere & seconde figure du squelete.

A l'épine du dos.

B les clavicules.

C le sternum.

D l'omoplate.

a la base de l'omoplate.

b la côte inférieure.

c la côte supérieure.

d l'angle supérieur.

e l'angle inférieur.

f la partie cave,

g la partie extérieure.

h l'épine.

i l'acromion.

E l'os des isles.

F l'os pubis.

G l'os ischium.

H l'humérus.

I l'os du coude.

K le radius.

L le carpe.

M le métacarpe.

N les doigts.

O le fémur.

P le tibia.

Q le peroné.

R le tarse.

S le métatarse.

T les doigts.

1 l'astragale.

2 le calcaneum.

Les côtes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12.

C'est moins, comme je l'ai déjà dit, la structure intérieure de tous ces os, ou même leur nom, qu'il est essentiel au peintre de connoître. Les formes extérieures, celles de leurs extrémités sur-tout, qui composent les jointures, doivent être l'objet essentiel de leurs recherches. Ils ne doivent point ignorer les différens moyens par lesquels la nature prévoyante a préparé les articulations des membres, pour leur procurer précisément les mouvemens qui conviennent à leur destination. Ces mouvemens, en se développant, laissent souvent entrevoir la figure de l'extrémité des os, parce que les jointures sont toûjours moins chargées des parties charnues qui embarrasseroient le jeu qu'elles doivent avoir, & que la peau plus tendue reçoit l'impression des charnieres qui se meuvent sous cette enveloppe. Si l'étude des os est nécessaire par les raisons que je viens d'exposer, & si elle doit passer la premiere, on sentira aisément que la connoissance des muscles, par ces mêmes raisons, doit la suivre immédiatement, & qu'il est absurde de la négliger.

Mais pour rendre plus facile l'explication que je vais donner, & la tourner totalement à l'utilité des Artistes, j'ai employé un nombre de figures, dont je vais expliquer l'usage. Les trois premieres représentent ce qu'on appelle en terme de Peinture l'écorché, c'est-à-dire la figure humaine dépouillée de sa peau, & offrant aux yeux les différens muscles plus distincts & plus apparens que lorsqu'ils sont voilés, pour ainsi dire, par les parties qui les couvrent dans le modele vivant : cet écorché est supposé vû sous trois aspects différens ; de face par-devant, figure premiere ; par-derriere, figure seconde ; & de profil, figure troisieme. Les explications des muscles & les lettres qui les accompagnent, ont rapport premierement à ces trois figures ; mais ensuite ces mêmes lettres se peuvent rapporter aux figures antiques dessinées anatomiquement, qui suivent, comme je vais le dire.

On a représenté la figure de l'Hercule, qu'on nomme Hercule Farnese, dépouillée de sa peau, & vûe sous trois aspects semblables à ceux sous lesquels est gravé l'écorché, c'est-à-dire par-devant, par-derriere, & de profil, fig. 4. 5. & 6. Le gladiateur, statue connue & célebre de même fig. 7. 8. & 9. Enfin le Laocoon pareillement, fig. 10. 11. & 12.

Les applications des muscles de l'écorché se feront facilement des unes aux autres, & donneront une idée des changemens d'apparence que les attitudes ou les passions occasionnent. Cette idée approfondie par les Artistes sur les statues originales, ou sur les copies en plâtre qu'on en a faites en les moulant, & qu'on a multipliées à leur gré, leur feront trouver les principes qu'ils doivent se former, pour se conduire plus sûrement dans l'exercice de leur art. S'ils joignent l'application de ces observations & de ces principes aux modeles vivans dont ils se servent, ou aux mouvemens qu'ils peuvent remarquer dans les hommes, il est évident qu'ils auront pris les meilleurs moyens pour assûrer leurs connoissances & faciliter leur succès.

Avant d'entrer dans le détail des muscles dont les différentes apparences doivent former aux yeux du peintre le caractere juste des actions de la figure, il est nécessaire de dire ce qu'il doit entendre par le mot muscle.

Les muscles sont des masses charnues composées de fibres ; ils sont les instrumens principaux des mouvemens du corps. Voyez MUSCLE.

Il faut savoir encore que l'extrémité du muscle qui s'attache à un point fixe se nomme la tête, le milieu s'appelle le ventre, & son tendon, ou son autre extrémité, se nomme la queue du muscle. Les fibres charnues composent le corps, ou le ventre du muscle, & les fibres tendineuses forment ses extrémités.

L'action du muscle consiste dans la contraction de son ventre qui rapproche les extrémités l'une de l'autre, & qui en faisant ainsi mouvoir la partie ou le muscle à son insertion, doit par une élévation plus marquée dans son milieu, donner extérieurement aux membres qu'ils couvrent des apparences différentes. Ainsi ces apparences sont décidées dans chaque action, dans chaque attitude ; & par conséquent rien n'est arbitraire dans les formes qu'on doit leur donner.

L'artiste doit donc principalement prendre garde au ventre, ou milieu du muscle, & se souvenir que le mouvement du muscle suit toûjours l'ordre des fibres qui vont de l'origine à l'insertion, & qui sont comme autant de filets.

La face, par laquelle il seroit nécessaire de commencer, a une infinité de muscles dont les effets, plus sensibles que leurs formes ne sont apparentes, demanderoient une trop longue discussion. La plûpart de ces effets trouveront leur place au mot PASSION.

Premiere figure de l'écorché. La tête fait ses mouvemens par le moyen de dix paires de muscles.

Il est inutile de les nommer tous, mais il faut connoître ceux qui sont remarquables dans les mouvemens du col, & l'on doit y distinguer le sternoïde A ; il est ainsi nommé, à cause de son origine & de son insertion : il vient du sternum, & va s'insérer à l'os hyoïde, qui est cet os de la gorge, dont l'apparence est fort marquée lorsqu'on étend le cou.

Le mastoïde B vient du sternum & d'une partie de la clavicule : il va s'insérer à une partie de l'os de la temple.

Ces deux muscles n'étant pas bien gros, leur mouvement est peu sensible : le premier sert au mouvement de l'os hyoïde, & le tire en bas ; l'autre tire la tête & la baisse en avant. On peut remarquer l'apparence de ces muscles qui font leurs fonctions dans l'attitude de la tête du gladiateur.

Le trapese C, dont on ne voit qu'une partie, prend son origine de l'occiput ou du derriere de la tête, comme on le verra dans la figure deuxieme, où sa forme, dont il tire son nom, est remarquable.

Ces muscles dans plusieurs de leurs mouvemens étant poussés par d'autres, sur lesquels ils sont placés ; il ne seroit pas hors de propos de pénetrer jusqu'à ces causes internes, & l'on découvriroit alors le splenius qui tire la tête en arriere, avec un autre qui est dessus, & qui se nomme complexus. Ces muscles cachés contribuent à faire des masses ; & c'est celui qu'on nomme le releveur propre, qui en partie forme cette pente qui est du cou à l'épaule.

Je ne fais qu'indiquer ici leur nom, pour ne pas multiplier les figures, & j'en userai de même dans la suite pour ceux dont l'apparence ne peut avoir lieu dans les trois figures, qui n'offrent que les muscles qui se découvrent sous la peau.

Pour les mouvemens des bras, il faut remarquer, 1°. que le bras est propre à cinq mouvemens ; nous l'avançons, nous le retirons, nous l'abaissons, nous l'élevons, & nous le faisons tourner en rond : nous avançons le bras en dedans par le moyen du pectoral deltoïde joint à quelques autres, savoir le susépineux & le coracobrachial : le deltoïde D éleve le bras : le pectoral E amene le bras vers les côtes ; il prend son origine de presque tout le sternum, & de la sixieme & septieme, & quelquefois de la huitieme côte : il va finir à l'os du bras, entre le deltoïde & le biceps.

(a) Le biceps F fléchit l'avant-bras avec le brachial ; il vient de l'emboîture de l'omoplate de part & d'autre ; & va s'insérer au commencement du radius.

(b) Le brachial G fléchit l'avant-bras avec le biceps ; il prend son origine à-peu-près au commencement de l'os du bras ; il y est fortement attaché, & va s'insérer par-dessus le biceps à la partie supérieure de l'os du coude.

(c) L'extenseur du coude H désigne assez par son nom à quel usage il est employé.

(d) Le pronateur du radius I sert à tourner le bras du côté de la terre ; il vient de la tête interne de l'os du bras, & va s'insérer à la partie interne du radius.

(e) Le supinateur du radius K sert à tourner le bras vers le ciel ; il vient de la partie inférieure du bras & va dans la partie inférieure du radius.

Le fléchisseur supérieur du carpe L vient de la tête interne de l'os du bras, & montant par-dessus l'os du radius, il finit au premier os du métacarpe.

Le fléchisseur inférieur du carpe M vient de la tête interne de l'os du bras, & va en descendant le long de l'os du coude, finir au quatrieme os du métacarpe.

Le palmaire N vient de la tête interne de l'os du bras, & va dans la paume de la main se distribuer aux quatre doigts.

L'extenseur supérieur du carpe O vient du dessous de la tête externe de l'os du bras, & se rend à quelques os du métacarpe.

L'extenseur du pouce P est un muscle double, qui vient à-peu-près du milieu de l'avant-bras, & qui va s'insérer obliquement aux jointures du pouce ; il n'est propre qu'à cette partie.

Venons aux cuisses, aux jambes & aux piés.

Le membraneux Q ou fascialata, vient de l'os des îles ; il est charnu dans son principe, & finit par une membrane qui enveloppe tous les muscles qui couvrent la cuisse, & va finir sur ceux de la jambe ; ce muscle sert à tourner la jambe en dehors.

Le vaste externe R vient du grand trochanter, son tendon embrasse le genou ; il sert à étendre la jambe avec un autre muscle, appellé crural, le vaste externe est fort charnu auprès du genou.

Le droit S a la même fonction que le précédent ; il vient de l'os des îles ; & couvrant le crural, il s'étend le long de la cuisse entre les deux vastes, avec lesquels il finit en enveloppant la rotule d'un fort tendon.

Le couturier T fait tourner la jambe en dedans, & l'amene sur l'autre en croisant, comme les tailleurs ont coutume de faire en travaillant ; c'est de cet usage qu'il a pris son nom : il vient de l'épine de l'os des îles, & va s'insérer obliquement à la partie intérieure de l'os de la jambe.

Le triceps V vient de l'os pubis & de l'os ischium ; il va s'insérer au-dedans de l'os de la cuisse, & sert à tourner la cuisse en dedans.

Le gresle X sert à fléchir la jambe, & ne fait presque qu'une masse avec le biceps ; & quelques autres qui seront marqués dans les figures suivantes.

Le vaste interne Y vient du grand trochanter, & embrasse le genou, avec son tendon : il est fort charnu auprès du genou, & sa fonction, ainsi que celle du droit & du vaste externe, est d'étendre la jambe.

Le biceps de la jambe Z vient de l'os ischium ; & va s'insérer à la partie externe de la jambe ; il est charnu, & a deux têtes comme celui du bras.

Le jambier intérieur A 2.

Le gemeau externe B 2 se verra mieux dans la figure de l'écorché, vûe par-derriere ; & nous les désignerons dans les explications qui auront rapport à cette figure, ainsi que le gemeau interne.

Le peronier C 2 vient du haut & du milieu de l'os appellé péroné ; il va sous le pié qu'il sert à étendre conjointement avec les gemeaux.

L'extenseur des orteils D 2 apprend par son nom l'usage auquel il est destiné.

Le gemeau interne E 2 ; ainsi que le solaire F 2, se

(a) Voyez un des bras du Laocoon.

(b) Voyez l'autre bras du même Laocoon, & celui du gladiateur, qui est étendu.

(c) Voyez le bras du Laocoon, qui est baissé vers la terre, & celui du gladiateur, qui est panché.

(d) Voyez l'autre bras du même élevé vers le ciel, & celui du gladiateur, qui est étendu.

(e) NOTA. Le lecteur pourra faire de lui-même l'application nécessaire des fonctions des muscles aux mouvemens des figures antiques représentées, puisque les lettres le guideront : ainsi nous n'insisterons plus sur cette opération, qui exigeroit plus de détails que les bornes que l'on doit se prescrire dans un dictionnaire ne le comportent.

verront plus distinctement dans la figure deuxieme : ce dernier, ainsi nommé par opposition aux gemeaux, sert à étendre le pié conjointement avec ces derniers & le plantaire, auxquels il s'unit pour ne faire qu'un seul tendon ; il vient d'entre les deux têtes de l'os de la cuisse G 2.

Il reste encore à examiner dans la figure premiere le muscle droit H 2, qui prend son origine à l'os pubis, & va s'insérer à côté du cartilage xiphoïde : il s'étend le long du ventre ; il est divisé en quatre & souvent en cinq parties, par de fortes intersections nerveuses, qui sont autant de bandes : ces intersections ne sont pas tout-à-fait également distantes : mais il y en a toûjours trois au-dessus du nombril ; & des trois parties qu'elles y font, celle du milieu est la plus grande : pour l'intersection qui est près du nombril, la nature ne la présente pas toûjours de même ; quelquefois elle se fait voir au milieu du nombril, quelquefois un peu au-dessus, ou même encore plus élevée ; & les deux premieres situations que je viens de lui assigner, se remarquent plus ordinairement dans les antiques.

Le grand dentelé I 2 naît de toute la partie intérieure de la base de l'omoplate, & va transversalement s'insérer aux huit côtes supérieures ; il va quelquefois jusqu'à la neuvieme. Ce muscle finit par une dentelure qui lui a fait prendre son nom : ces dents sont au nombre de huit, dont quatre sont cachées sous le pectoral ; ce muscle se joint avec le muscle oblique externe K 2 par digitation ; il sert à la respiration (voyez la figure de Laocoon) & se fait voir d'autant plus distinctement, que le corps agit avec violence, & se porte davantage du côté opposé. Dans les vieillards, dont la peau est moins adhérente au muscle, les dentelures sont moins marquées.

Voilà les muscles les plus intéressans de la figure vûe de face. Nous allons passer à la figure vûe par derriere.

Figure deuxieme de l'écorché. Dans cette deuxieme position de la figure, qu'en terme de Peinture on nomme écorché, on distingue premierement.

Le trapese dont on ne pouvoit appercevoir qu'une très-petite partie à la lettre C de la figure premiere. Il prend son origine de la base du crane, de toutes les vertebres du col, des neuf épines supérieures des vertebres du dos ; il va s'insérer le long de l'épine de l'omoplate jusqu'un peu au-dessous de la clavicule. Ce muscle sert à fortifier l'action de quelques autres qu'il couvre ; il releve l'omoplate avec celui qu'on nomme le releveur propre : il la tire en-arriere avec la rhomboïde & la baisse tout seul : il contribue principalement en passant par-dessus la base de l'omoplate à lui donner une certaine rondeur, qui dans l'Antinoüs antique forme les graces de cette partie de la figure.

Le deltoïde b dont j'ai déjà parlé dans l'explication de l'autre figure, se voit encore ici. Il est triangulaire ; il prend son origine de toute l'épine de l'omoplate, de l'acromion, & de la moitié de la partie extérieure de la clavicule : il pousse le bras un peu en avant & en arriere, selon la direction de ses fibres.

Le sus-épineux c tire le bras en haut avec le deltoïde, & remplissant la cavité supérieure de l'omoplate, entre l'épine & la côte supérieure, ne fait souvent qu'une masse avec l'épine & une partie du trapeze ; il naît de la partie externe de la base de l'omoplate, depuis l'angle supérieur jusqu'à l'épine ; & passant par-dessous l'acromion, il va s'insérer à la partie supérieure & antérieure de l'os du bras pour l'élever en-haut.

Le sous-épineux d fait mouvoir l'os du bras en bas, avec l'abaisseur propre & le très-large ; il prend son origine de la partie externe de la base de l'omoplate, qui se remarque depuis l'épine jusqu'à l'angle inférieur, & va s'insérer à la partie supérieure & extérieure de l'os du bras.

L'abaisseur propre e prend son origine de la côte inférieure de l'omoplate, & va s'insérer à l'os du bras avec le très-large, avec lequel il ne fait qu'un même tendon ; son nom indique son usage, qui est d'abaisser le bras.

Au reste, ces 4 derniers muscles, le deltoïde, le sus-épineux, le sous-épineux, & l'abaisseur propre, sont d'autant plus à remarquer pour les artistes, que cet endroit du corps est un des plus difficiles à imiter avec justesse. On peut, pour rapporter le jeu de ces muscles aux effets extérieurs, le remarquer sur la nature même, dans les attitudes dans lesquelles ils agissent ; ou, si l'on veut consulter l'antique, le gladiateur offrira la juste image de leurs mouvemens ; mais ce qui seroit infiniment utile aux jeunes éleves, ce seroit de leur démontrer cette partie du bras sur l'écorché ; ensuite de faire agir le modele vivant, en le faisant passer successivement par tous les mouvemens qui se rencontrent, depuis l'abaissement du bras jusqu'à l'action d'élevation où le gladiateur a été composé : c'est ainsi qu'une instruction graduée, & une application des principes aux effets, suivie des preuves tirées des antiques, qui ont la réputation d'être les plus parfaits, donneroit infailliblement une connoissance approfondie & raisonnée.

Le très-large f vient de l'os sacrum, de la tête supérieure de l'os des îles, de toutes les vertebres des lombes, & 6 ou 7 vertebres inférieures du dos ; il passe d'un côté, par dessus l'angle inférieur de l'omoplate, où il s'attache en passant, & va retrouver l'os du bras, en se joignant avec l'abaisseur propre. Il tire le bras en arriere, & en-bas obliquement du côté de son principe inférieur.

Une portion de l'oblique externe g, dont il a été question dans l'explication précédente à la lettre K 2.

Le brachial h que nous avons expliqué à la lettre G de la fig. précédente.

Une portion & l'origine du long supinateur du radius i. Voyez la lettre k de l'explication précédente.

L'extenseur supérieur du carpe k. Voyez la lettre o de l'explication précédente.

l l'extenseur des doigts.

m l'extenseur du pouce.

n l'extenseur inférieur du carpe.

Tous ces muscles portent dans leur nom l'explication de leurs usages.

o Le fléchisseur inférieur du carpe, voyez la lettre M de la premiere explication des muscles.

q portion d'un fléchisseur des doigts.

q & r les extenseurs du coude. Voyez la lettre H de l'explication premiere.

s l'os du coude appellé olecrane.

t le grand fessier. Il vient de l'os sacrum & de la partie latérale & postérieure de l'os des îles. Il va s'insérer par ses filets obliques, quatre doigts au-dessous du grand trochanter : il couvre le petit fessier & une partie du moyen. Sur quoi il faut remarquer qu'il y a trois fessiers, qui tous servent à étendre la cuisse. Le premier s'appelle le grand fessier, à cause de son étendue désignée par les chiffres 1, 2, 3, 4, 5.

La différence des actions de ce muscle se peuvent remarquer sur le gladiateur & l'Hercule ; on pourra les voir aussi sur l'Antinoüs & le Méléagre antique.

u portion du second fessier ; ce second est en partie caché sous le premier.

x portion du membraneux. Voyez la lettre Q de la premiere explication.

y le vaste externe : voyez pareillement la lettre R de la premiere explication.

z le biceps : voyez la lettre Z de la premiere explication.

& le demi-nerveux. Ce muscle vient du même lieu que le biceps, il est long & rond ; son corps charnu va s'insérer au-dedans de la jambe, trois doigts au-dessous de l'articulation.

a 2 le demi-membraneux accompagne le précédent à son origine & à son insertion.

b 2 le gresle vient de la partie inférieure de l'os pubis. Il est large & délié à son origine ; il va s'insérer avec les deux précédens.

Ces quatre muscles supérieurs de la cuisse, savoir, le biceps z, le demi-nerveux &, le demi-membraneux a 2, le gresle b 2, fléchissent la jambe, & tous quatre ne sont presque qu'une masse.

c 2 portion du triceps : voyez la lettre V, explication premiere.

d 2 portion du muscle droit : voyez aussi la lettre S de la premiere explication.

e 2 portion du couturier : voyez la lettre T de la premiere explication.

f 2 portion du crural.

g 2 lieu par où passe le plus gros nerf de tout le corps, & la veine poplitique.

h 2 & i 2 les gémeaux ; l'un interne, marqué h 2, l'autre externe, marqué i 2 ; ils viennent des deux têtes inférieures de l'os de la cuisse, & vont avec le plantaire & le solaire composer un même tendon appellé le tendon d'Achille. Leur nom vient de leur forme semblable ; cependant celui qui est interne descend un peu plus bas que l'autre. Leur office est d'étendre le pié.

k 2 le peronier vient du haut & du milieu de l'os appellé peroné ; car il est double d'origine & d'insertion ; il s'en va sous le pié qu'il sert à étendre avec les gémeaux.

Figure 3 de l'écorché. Je ne mettrai ici que les renvois des chiffres de cette figure aux deux précédentes, à côté des noms & des chiffres qui servoient à la figure de l'écorché vûe de profil, parce qu'il est aisé de sentir que les muscles qui se voyent sous cet aspect, ont déjà paru en grande partie sous les deux autres.

Fin de l'explication de la troisieme figure de l'écorché.

La figure, après avoir dévoilé au peintre les principes de sa conformation intérieure par la démonstration des os, après lui avoir découvert les ressorts qui operent ses mouvemens, a le droit d'exiger de l'artiste qu'il dérobe aux yeux des spectateurs dans les ouvrages qu'il compose, une partie des secrets qui viennent de lui être révélés. Une membrane souple & sensible qui voile & défend nos ressorts, est l'enveloppe, tout à la fois nécessaire & agréable, qui adoucit l'effet des muscles, & d'où naissent les graces des mouvemens. Plus le sculpteur & le peintre auront profondement étudié l'intérieur de la figure, plus ils doivent d'attention à ne pas se parer indiscrettement de leurs connoissances ; plus ils doivent de soin à imiter l'adresse que la nature employe à cacher son méchanisme. L'extérieur de la figure est un objet d'étude d'autant plus essentiel à l'artiste, que c'est par cette voie principalement qu'il prétend aux succès ; contours nobles & mâles, sans être grossiers ou exagérés, que notre imagination exige dans l'image des héros ; ensemble doux, flexible & plein de graces, qui nous plaît & nous touche dans les femmes ; incertitude de formes dont l'imperfection fait les agrémens de l'enfance ; caractere délicat & svelte, qui, dans la jeunesse de l'un & de l'autre sexe, rend les articulations à-peu-près semblables. Voilà les apparences charmantes sous lesquelles la nature aussi agréable qu'elle est savante, cache ces os dont l'idée nous rappelle l'image de notre destruction, & ces muscles dont les développemens & la complication viennent peut-être d'effrayer le lecteur.

Les attitudes que font prendre à la figure humaine ses besoins, ses sensations, ses passions & les mouvemens involontaires qui l'agitent, diminuent ou augmentent les graces dont sa construction la rend susceptible. J'aurois pû ajoûter la mode, car elle établit des conventions d'attitudes, de parures & de formes, qui contredisent souvent la nature, & qui en la déguisant, égarent les artistes, dont le but est de l'imiter : mais ces reflexions que j'indique me conduiroient trop loin ; je me borne à exposer seulement les liaisons de cet article avec ceux qui en font la suite. Quelques remarques sur les attitudes trouveront leur place au mot GRACE. Les caracteres des figures suivant leur sexe, leur âge, leur condition, &c. entreront dans les divisions du mot PROPORTION DES FIGURES. On doit sentir que toutes ces choses y ont un rapport plus immédiat qu'au mot FIGURE. Enfin les expressions, les mouvemens extérieurs, ou du moins ce qui jusqu'à présent est connu sur cette matiere, qui tient à tant de connoissances, seront la matiere du mot PASSION, regardée comme terme de Peinture. Cet article est de M. WATELET.

FIGURE, chez les Rubaniers, s'entend des soies de chaîne qui servent par leurs différentes levées, toûjours suivant le passage du patron, à l'exécution de la figure qui doit se former sur l'ouvrage. Ces soies de figure se mettent par branches séparées sur les roquetins dont on a parlé à l'article ALLONGES DES POTENCEAUX ; il y a infiniment de changemens dans la disposition de ces soies de figure, suivant la variété infinie des ouvrages.

FIGURE, en Blason, c'est une piece d'un écusson qui représente une face d'homme, un soleil, un vent, un ange, &c.


FIGURÉadj. (Arithmétique & Algebre) On appelle nombres figurés des suites de nombres formés suivant la loi qu'on va dire. Supposons qu'on ait la suite des nombres naturels 1, 2, 3, 4, 5, &c. & qu'on prenne successivement la somme des nombres de cette suite, depuis le premier jusqu'à chacun des autres, on formera la nouvelle suite 1, 3, 6, 10, 15, &c. qu'on appelle la suite des nombres triangulaires. Si on prend de même la somme des nombres triangulaires, on formera la suite 1, 4, 10, 20, &c. qui est celle des nombres pyramidaux. La suite des nombres pyramidaux formera de même une nouvelle suite de nombres. Ces différentes suites forment les nombres qu'on appelle figurés ; les nombres naturels sont ou peuvent être regardés comme les nombres figurés du premier ordre, les triangulaires comme les nombres figurés du second, les pyramidaux comme du troisieme ; & les suivans sont appellés du quatrieme, du cinquieme, du sixieme ordre, &c. & ainsi de suite. Voici pourquoi on a donné à ces nombres le nom de figurés.

Imaginons un triangle que nous supposerons équilatéral pour plus de commodité, & divisons-le par des ordonnées paralleles & équidistantes. Mettons un point au sommet, deux points aux deux extrémités de la premiere ordonnée, c'est-à-dire de la plus proche du sommet ; la seconde ordonnée étant double de la premiere, contiendra trois points aussi distans l'un de l'autre que les deux précédens ; la troisieme en contiendra quatre ; & ainsi 1, 2, 3, 4, &c. seront la somme des points que contient chaque ordonnée : maintenant il est visible que le premier triangle qui a pour base la premiere ordonnée ; contient 1 + 2 ou 3 de ces points ; que le second triangle, quadruple du premier, en contient 1 + 2 + 3 ou 6 ; que le troisieme noncuple du premier en contient 1 + 2 + 3 + 4 ou 10, &c. & ainsi de suite. Voilà les nombres triangulaires. Prenons à présent une pyramide équilatérale & triangulaire, & divisons-la de même par des plans paralleles & équidistans qui forment des triangles paralleles à sa base, lesquels triangles formeront entr'eux la même progression 1, 4, 9, &c. que les triangles dont on vient de parler ; il est visible que le premier de ces triangles contenant 3 points, le second en contiendra 6, le troisieme 10, &c. comme on vient de le dire, c'est-à-dire que le nombre des points de chacun de ces triangles sera un nombre triangulaire. Donc la premiere pyramide, celle qui a le premier triangle pour base, contiendra 1 + 3 ou 4 point, la seconde 1 + 3 + 6 ou 10, la troisieme 1 + 3 + 6 + 10 ou 20. Voilà les nombres pyramidaux. Il n'y a proprement que les nombres triangulaires & les pyramidaux qui soient de vrais nombres figurés, parce qu'ils représentent en effet le nombre des points que contient une figure triangulaire ou pyramidale : passé les nombres pyramidaux il n'y a plus de vrais nombres figurés, parce qu'il n'y a point de figure en Géométrie au-delà des solides, ni de dimension au-delà de trois dans l'étendue. Ainsi c'est par pure analogie & pour simplifier, que l'on a appellé figurés les nombres qui suivent les pyramidaux.

Ces nombres figurés ont cette propriété. Si on éleve a + b successivement à toutes les puissances en cette sorte.

a + b

a a + 2 a b + b b

a3 + 3 a2 b + 3 a b2 + b3

a4 + 4 a3 b + 6 a2 b2 + 4 a b3 + b4

a5, &c.

les coefficiens 1, 2, 3, &c. de la seconde colonne verticale seront les nombres naturels ; les coefficiens 1, 3, 6, de la troisieme seront les nombres triangulaires ; ceux de la quatrieme, 1, 4, &c. seront les pyramidaux, & ainsi de suite.

M. Pascal dans son ouvrage qui a pour titre triangle arithmétique, M. de l'Hopital dans le liv. X. de ses sections coniques, & plusieurs autres, ont traité avec beaucoup de détail des propriétés de ces nombres. Voici la maniere de trouver un nombre figuré d'une suite quelconque.

1°. 1 étant le premier terme de la suite des nombres naturels, on aura n pour le ne terme de cette suite. Voyez PROGRESSION ARITHMETIQUE. Donc n est le ne nombre figuré du premier ordre.

2°. La somme d'une progression arithmétique est égale à la moitié de la somme des deux extrêmes, multipliée par le nombre des termes. Or le ne nombre triangulaire est la somme d'une progression arithmétique, dont 1 est le premier terme, n le dernier, & n le nombre des termes. Donc le ne nombre triangulaire est (1 + n)/2 x n = (n n + n) /2.

3°. Pour trouver le ne nombre pyramidal, voici comment il faut s'y prendre. Je vois que le ne nombre du premier ordre est de la forme A n, A étant un coefficient constant égal à l'unité ; que le ne nombre du second ordre est de la forme A n + B n n, A & B étant égaux chacun à 1/2 : j'en conclus que le ne nombre pyramidal sera de la forme n + n n + c n3, , , c, étant des coefficiens inconnus que je détermine de la maniere suivante, en raisonnant ainsi : Si n + n n + c n3 est le ne nombre pyramidal, le e doit être (n + 1) + (n + 1)2 + c (n + 1)3. Or la différence du e nombre pyramidal & du ne doit être égal au e nombre triangulaire, puisque par la génération des nombres figurés le e nombre pyramidal n'est autre chose que le e nombre triangulaire ajoûté au ne nombre pyramidal ; de plus le e nombre triangulaire est (2 + n +1)/2 : de-là on tirera une équation qui servira à déterminer , & c, & on trouvera après tous les calculs que n + n n + c n3 = n/2 . 3 X = ( . )/2. 3. Il est à remarquer que pour avoir , & c, il faut comparer séparément dans chaque membre de l'équation les termes où n se trouve élevée au même degré ; car la valeur de , de , & de c, étant toûjours la même, doit être indépendante de celle de n, qui est variable.

4°. Le nombre triangulaire de l'ordre n étant ( . n)/2, & le pyramidal correspondant étant ( . . n)/2 . 3, la simple analogie fait voir que le ne nombre figuré du quatrieme ordre sera ( . . . n)/2 . 3 . 4, & en général il est évident que si (n + m.... n) /(2... m + 1) est le ne nombre figuré d'un ordre quelconque, le ne nombre figuré du suivant sera (n + m + 1.... n) /(2.... m + 2). En effet, suivant cette expression, le e nombre figuré de ce dernier ordre seroit (n + m + 2... n + m + 1... n + 1)/(2.... m + 2), dont la différence avec le ne est évidemment (n + m + 1 ..... n + 1)/(2 .... m + 1 . m + 2) X = (n + m + 1 ..... n + 1)/(2 ..... m + 1) X (m + 2)/(m + 2) = (n + m + 1 ....... n + 1)/(2 ....... m + 1), qui est le e nombre figuré de l'ordre précédent, comme cela doit être.

En général si (A + B n) (n + q) (n + q - 1) (n + q - 2).... n, est le ne terme d'une suite quelconque, & qu'on prenne successivement la somme des termes de cette suite, le ne terme de la nouvelle suite ainsi formée sera ( + n) (n + q + 1) (n + q) (n + q - 1).... n ; & étant deux indéterminées qu'on déterminera par cette condition, que le e terme de la nouvelle suite moins le ne de cette même suite soit égal au e terme de la suite donnée. D'où l'on tire, en supprimant de part & d'autre les facteurs communs (n + q + 1).... (n + 1) ( + n + ) x (n + q + 2) - ( + n) x n = A + B n + B, & par conséquent = B/(q + 3) & = (q A + 3 A + B) /((q + 2). (q + 3)).

Cette formule est beaucoup plus générale que celle qui fait trouver les nombres figurés ; car si au lieu de supposer que la premiere suite soit formée des nombres naturels, on suppose qu'elle forme une progression arithmétique quelconque, on peut par le moyen de la formule qu'on vient de voir, trouver la somme de toutes les autres suites qui en seront dérivées à l'infini, & chaque terme de ces suites. En effet le ne terme de la premiere suite étant A + B n, le ne terme de la seconde suite sera ( + n) n ; le terme de la troisieme suite sera ( + n) (n + 1) n, & ainsi de suite, & se déterminant par & , comme & par A & B, &c. A l'égard de la somme des termes d'une suite quelconque, il est visible qu'elle est égale au ne terme de la suivante.

M. Jacques Bernoulli dans son traité de seriebus insinitis earumque summâ infinitâ, a donné une méthode très-ingénieuse de trouver la somme d'une suite, dont les termes ont 1 pour numérateur, & pour dénominateurs des nombres figurés d'un ordre quelconque, à commencer aux triangulaires. Voici en deux mots l'esprit de cette méthode : Si de la fraction a/(n. n + 1.... n + m), on retranche a/(n + 1. n + 2.... n + m + 1), on aura (a n + a m + a - a n)/(n. n + 1... n + m + 1) = (a (m + 1))/(n. n + 1.... n + m + 1). D'où il est aisé de conclure que la somme d'une suite, dont les dénominateurs sont, par exemple, les nombres triangulaires, se trouvera aisément en retranchant de la suite 1, 1/2, 1/3, 1/4, &c. cette même suite diminuée de son premier terme, & multipliant ensuite par 2, ce qui donnera 2. Voyez dans l'ouvrage cité le détail de cette méthode. Voyez aussi l'art. SUITE ou SERIE.

On peut regarder comme les nombres figurés les nombres polygones, quoiqu'on ne leur donne pas ordinairement ce nom. Ces nombres ne sont autre chose que la somme des termes d'une progression arithmétique ; si la progression est des nombres naturels, ce sont les nombres triangulaires ; si la progression est 1, 3, 5, 7, &c. ce sont les nombres quarrés ; si elle est 1, 4, 7, 10, &c. ce sont les nombres pentagones. Voici la raison de cette dénomination : Construisez un polygone quelconque, & mettez un point à chaque angle ; ensuite d'un de ces angles tirez des lignes à l'extrémité de chaque côté, ces lignes seront en nombre égal au nombre des côtés du polygone moins deux, ou plûtôt au nombre des côtés, en comptant deux des côtés pour deux de ces lignes ; prolongez ces lignes du double, & joignez les extrémités par des lignes droites, vous formerez un nouveau polygone, dont chaque côté étant double de son correspondant parallele, contiendra un point de plus. Donc si m est le nombre des côtés de ce polygone, la circonférence de ce polygone aura m points de plus que la circonférence du précédent ; & le polygone entier, c'est-à-dire l'aire de ce polygone contiendra m - 2 points de plus que le précédent. Voyez POLYGONE.

Une simple figure fera voir aisément tout cela, & montrera que pour les nombres pentagones où m = 5, on a m - 2 = 3, & qu'ainsi ces nombres sont la somme de la progression 1, 4, 7, &c. dont la différence est trois.

On pourroit former des sommes, des nombres polygones, qu'on appelleroit nombres polygones pyramidaux ; ces nombres exprimeroient le nombre des points d'une pyramide pentagone quelconque. On trouveroit ces nombres par les méthodes données dans cet article. Voyez POLYGONE, PYRAMIDAL, SUITE ou SERIE. &c. (O)


FIGURÉES(PIERRES) Hist. nat. Minéralogie, on donne ce nom dans l'Histoire naturelle aux pierres dans lesquelles on remarque une conformation singuliere, inusitée & tout-à-fait étrangere au regne minéral, quoiqu'on les trouve répandues dans le sein de la terre & à sa surface, & quoique la substance dont elles sont composées soit de la même nature que celle des autres pierres.

On peut distinguer deux especes de pierres figurées, 1°. il y en a qui ne doivent leur figure qu'à de purs effets du hasard, c'est ce qu'on appelle communément des jeux de la nature. Des circonstances toutes naturelles, & qui ont pû varier à l'infini, paroissent avoir concouru pour faire prendre à la matiere lapidifique molle dans son origine, des figures singulieres parfaitement étrangeres au regne minéral, que cette matiere a conservées après avoir acquis un plus grand degré de dureté. Ces pierres figurées sont en très-grand nombre ; la nature en les formant a agi sans conséquence, & sans suivre de regles constantes ; elles ne sont donc redevables qu'à de purs accidens de la figure qu'on y remarque, ou pour mieux dire, que croit souvent y remarquer l'oeil préoccupé d'un curieux qui forme un cabinet, ou d'un naturaliste enthousiaste, qui souvent apperçoit dans des pierres des choses qu'on n'y trouveroit pas en les examinant de sang-froid. On peut regarder comme des pierres figurées de cette premiere espece, les marbres de Florence sur lesquels on voit ou l'on croit voir des ruines de villes & de châteaux ; les cailloux d'Egypte, qui nous présentent comme des paysages, des grottes, &c. un grand nombre d'agates, les dendrites, les pierres herborisées, quelques pierres qui ressemblent à des fruits, à des os, ou à quelques autres substances végétales ou animales.

2°. Il y a des pierres figurées qui sont réellement redevables de leurs figures à des corps étrangers au regne minéral, qui ont servi comme de moules, dans lesquels la matiere lapidifique encore molle, ayant été reçûe peu-à-peu, s'est durcie après avoir pris la figure du corps dans lequel elle a été moulée, tandis que le moule a été souvent entierement détruit ; cependant on en trouve quelquefois encore une partie qui est restée attachée à la pierre à qui il a fait prendre sa figure. Ces pierres sont de différentes natures, suivant la matiere lapidifique qui est venue remplir les moules qui lui étoient présentés. Dans ce cas il ne reste souvent du corps qui a servi de moule, que la figure. On doit regarder comme des pierres figurées de cette seconde espece, un grand nombre de pierres qui ressemblent à des coquilles, des madrépores, du bois, des poissons, des animaux, &c. ou qui portent des empreintes de ces substances. Voyez l'article PETRIFICATION.

Il paroît que les deux especes de pierres dont nous venons de parler, méritent seules d'être appellées pierres figurées. Cependant quelques naturalistes n'ont point fait difficulté de donner ce nom à un grand nombre de substances qui n'ont rien de commun avec les pierres, que de se rencontrer dans le sein de la terre ; c'est ainsi qu'ils confondent mal-à-propos quelquefois avec les pierres figurées, des coquilles, des madrépores, des ossemens de poissons & de quadrupedes, &c. qui n'ont souffert aucune altération dans l'intérieur de la terre. On sent aisément que ces corps n'appartiennent point au regne minéral, & qu'ils ne s'y trouvent qu'accidentellement. Voy. l'article FOSSILES.

C'est avec aussi peu de raison que l'on a placé parmi les pierres figurées des pierres qui ne sont redevables qu'à l'art des hommes de la figure qu'on y remarque : telles sont les prétendues pierres de foudre, qui ont ordinairement la forme d'un dard, celles qui sont taillées en coins ou en haches, celles qui sont trouées, &c. Il paroît que ces pierres sont des armes & ustensiles dont anciennement les hommes, & surtout les sauvages, se servoient, soit à la guerre, soit pour d'autres usages, avant que de savoir traiter le fer.

On pourroit peut-être encore avec plus de raison, donner le nom de pierres figurées à celles qui affectent constamment une forme réguliere & déterminée, telles que les différentes crystallisations, mais comme leur figure est de leur essence, & appartient au regne minéral, il paroît qu'on ne doit point les placer ici, où il n'est question que des pierres qui se font remarquer par une figure extraordinaire & étrangere au regne minéral. Voyez CRYSTALLISATIONS. (-)

FIGURE, (sens) Théolog. se dit en parlant de l'Ecriture sainte. Le sens figuré est celui qui est caché sous l'écorce du sens littéral. Un passage a un sens figuré, quand son sens littéral cache une peinture mystérieuse & quelqu'évenement futur, ou ce qui revient au même, quand son sens littéral présente à l'esprit quelqu'autre chose que ce qu'il offre d'abord de lui-même. Ainsi le serpent d'airain, élevé dans le desert par Moyse pour guérir les Israëlites de la morsure des serpens, étoit une figure de Jesus-Christ, élevé en croix pour sauver les hommes de l'esclavage du péché & de la tyrannie du démon. Jesus-Christ étoit donc figuré par le serpent d'airain. V. FIGURE (G)

FIGURE, adj. (Littér.) exprimé en figure. On dit un ballet figuré, qui représente ou qu'on croit représenter une action, une passion, une saison, ou qui simplement forme des figures par l'arrangement des danseurs deux à deux, quatre à quatre : copie figurée, parce qu'elle exprime précisément l'ordre & la disposition de l'original : vérité figurée par une fable, par une parabole : l'Eglise figurée par la jeune épouse du cantique des cantiques : l'ancienne Rome figurée par Babylone : style figuré par les expressions métaphoriques qui figurent les choses dont on parle, & qui les défigurent quand les métaphores ne sont pas justes.

L'imagination ardente, la passion, le desir souvent trompé de plaire par des images surprenantes, produisent le style figuré. Nous ne l'admettons point dans l'histoire, car trop de métaphores nuisent à la clarté ; elles nuisent même à la vérité, en disant plus ou moins que la chose même. Les ouvrages didactiques reprouvent ce style. Il est bien moins à sa place dans un sermon, que dans une oraison funebre ; parce que le sermon est une instruction dans laquelle on annonce la vérité, l'oraison funebre une déclamation dans laquelle on exagere. La Poésie d'enthousiasme, comme l'épopée, l'ode, est le genre qui reçoit le plus ce style. On le prodigue moins dans la tragédie, où le dialogue doit être aussi naturel qu'élevé ; encore moins dans la comédie, dont le style doit être plus simple.

C'est le goût qui fixe les bornes qu'on doit donner au style figuré dans chaque genre. Balthasar Gratian dit, que les pensées partent des vastes côtes de la mémoire, s'embarquent sur la mer de l'imagination, arrivent au port de l'esprit pour être enregistrées à la doüanne de l'entendement.

Un autre défaut du style figuré est l'entassement des figures incohérentes : un poëte, en parlant de quelques philosophes, les a appellés d'ambitieux pigmées, qui sur leurs piés vainement redressés, & sur des monts d'argumens entassés, &c. Quand on écrit contre les Philosophes, il faudroit mieux écrire. Les Orientaux employent presque toûjours le style figuré, même dans l'histoire : ces peuples connoissant peu la société, ont rarement eu le bon goût que la société donne, & que la critique éclairée épure.

L'allégorie dont ils ont été les inventeurs, n'est pas le style figuré. On peut dans une allégorie ne point employer les figures, les métaphores, & dire avec simplicité ce qu'on a inventé avec imagination. Platon a plus d'allégorie encore que de figures ; il les exprime élégamment, mais sans faste.

Presque toutes les maximes des anciens Orientaux & des Grecs, sont dans un style figuré. Toutes ces sentences sont des métaphores, de courtes allégories ; & c'est-là que le style figuré fait un très-grand effet en ébranlant l'imagination, & en se gravant dans la mémoire. Pythagore dit, dans la tempête adorez l'écho, pour signifier, dans les troubles civils retirez-vous à la campagne. N'attisez pas le feu avec l'épée, pour dire, n'irritez pas les esprits échauffés. Il y a dans toutes les langues beaucoup de proverbes communs qui sont dans le style figuré. Article de M. DE VOLTAIRE.

FIGURE, (Jurispr.) se dit de ce qui représente la figure de quelque chose. On dit un plan figuré ou figuratif, voyez FIGURATIF & PLAN : une copie figurée. Voyez COPIE. (A)

FIGURE, se dit en Musique ou des notes, ou de l'harmonie : des notes, comme dans ce mot basse figurée, pour exprimer une basse dont les notes sont subdivisées en plusieurs autres de moindre valeur, pour animer le mouvement ou diversifier le chant ; voyez BASSE FIGUREE : de l'harmonie, quand on employe par supposition & dans une marche diatonique, d'autres notes que celles qui forment l'accord. Voyez HARMONIE FIGUREE & SUPPOSITION. (S)

FIGURE, terme de Blason, se dit non-seulement du soleil sur lequel on exprime l'image du visage humain, mais encore des tourteaux, besans, & autres choses, sur lesquelles paroît la même figure.

Gaucin, de gueules à trois besans d'or, figurés d'un visage humain d'or.


FIGURERen Musique, c'est passer plusieurs notes pour une : c'est faire des doubles, des variations ; c'est ajoûter des notes au chant de quelque maniere que ce soit. Voyez DOUBLES, FIGURE, FLEURTIS, HARMONIE FIGUREE, VARIATIONS. (S)

FIGURER, v. act. terme de Danse : il y a des danseurs qui figurent à l'opéra. Les danseuses du corps d'entrée ne dansent point seules, elles ne font que figurer : on appelle les uns figurans, & les autres figurantes.

La plûpart des danseurs qui figurent à l'opéra, sont de très-bons maîtres à danser, qui savent fort bien la danse. Qu'on conçoive par-là ce qu'on pourroit leur faire faire, si on s'appliquoit à ne donner que des ballets en action. Voyez BALLET, DANSE, FIGURANT, PANTOMIME. (B)


FIGURINES. f. (Peint.) on a quelquefois donné ce nom à des figures remarquables par leur extrème finesse & par leur legereté ; telles qu'on en voit dans certains tableaux, sur-tout des peintres flamands. Dict. des beaux Arts.


FIGURIS(IN ) Jur. Voyez AMENDE HONORABLE.


FIGURISMES. m. (Théol.) On a donné ce nom à l'opinion de ceux qui pensent que tous les évenemens de l'ancien Testament sont autant de figures des évenemens du nouveau. En ce sens les figures de l'ancien Testament seroient autant de prophéties. Voyez PROPHETIES ; voyez aussi FIGURES, (Théol.)


FILS. m. (Econ. rustiq.) on prépare avec l'écorce du chanvre, sechée, peignée, divisée, une matiere qu'on appelle filasse (voyez l'article FILASSE), qui tordue au fuseau ou au roüet sur elle-même, forme un petit corps rond, continu, flexible, & resistant, qu'on appelle fil. On fait aussi du fil avec le coton, la soie, la laine, le crin, &c.

Si le fil est trop gros, il prend le nom de ficelle, de corde. Voyez l'article CORDERIE.

On file la filasse, la seule matiere dont nous allons parler ici ; parce qu'on n'entend communément par le mot fil, que celui qui est fait avec la filasse ou l'écorce de chanvre.

On file la filasse au roüet ou au fuseau ; mais on dispose la filasse sur la quenouille, pour filer au roüet comme pour filer au fuseau. Voici d'abord la maniere dont on file au fuseau.

Le fuseau est un morceau de bois leger, rond sur toute sa longueur, terminé en pointe par les deux extrémités, renflé dans le milieu, & long d'environ cinq à six pouces ; il y a un peu au-dessus de la pointe inférieure, une petite éminence qui retient le fil & qui l'empêche de tomber.

La quenouille est un roseau ou bâton leger, rond, long de trois à quatre piés, percé par un bout, & garni à ce bout d'un ruban large & fort.

On prend la soie, la filasse, la laine, &c. en un mot la matiere qu'on veut filer ; on l'étend sur une table par lits minces, cependant d'une épaisseur inégale : la partie inférieure de chaque lit doit être un peu plus fournie que la partie supérieure, afin que quand tous ces lits seront roulés sur la quenouille, ils forment une espece de cone, dont la pointe soit tournée vers le bout de la quenouille ; si la filasse est courte, les brins de chaque lit ne sont pas roulés, mais seulement appliqués sur la quenouille, & attachés selon leur longueur ; si elle est longue, alors les brins sont roulés un peu de biais sur la quenouille. On roule ces lits de filasse sur l'extrémité de la quenouille ; on les y fixe en faisant sur eux plusieurs tours avec le ruban, & la quenouille est prête à être filée.

Pour cet effet on fixe la quenouille à son côté gauche, on tient la filasse embrassée de la même main ; & de la main droite, on tire avec le pouce & l'index de la partie inférieure de la quenouille, une petite quantité de filasse. On la tourne entre ses doigts, après l'avoir mouillée ; on lui donne ainsi un commencement de consistance : après quoi on lui fait faire sur l'extrémité du fuseau un tour ou deux, & on l'y arrête par un noeud ou une boucle, formée comme on voit ; a est le bout du fil qui tient à la filasse, & b c d est sa partie attachée sur le fuseau. La partie a c b passant dessous la partie b c d, il se forme une boucle c b c, qui est serrée sur le fuseau par l'action de la fileuse & par le poids du fuseau.

Le fil ainsi attaché au fuseau, la fileuse prend entre son pouce & le doigt du milieu, le fuseau par son extrémité e, & le fait tourner sur lui-même. A mesure que le fuseau tourne, on tire de la filasse de la quenouille, avec le pouce & l'index de la main droite ; la filasse se tord, & le fil se forme ; & afin que ce tors tienne, la fileuse avoit eu l'attention de mouiller les doigts dont elle tire la filasse de la quenouille, soit avec sa salive, soit à une éponge humectée d'eau, qu'on appelle mouillette, & qu'elle tenoit à sa portée dans un petit vase de fayance ou de fer-blanc.

Quand il y a une aulne ou une aulne & demi de fil fait comme nous venons de le décrire ; du pouce de la main gauche on pousse la boucle c faite sur le bout du fuseau ; on la fait tomber ; l'on transporte le fil d sur le milieu du fuseau g, & on lui fait faire plusieurs tours ; ensuite on l'arrête à l'extrémité du fuseau par une boucle c, qu'on reforme toute semblable à la premiere. A l'aide de cette boucle c, le fil roulé sur le milieu du fuseau ne se devide point, lorsque le fuseau mis en mouvement est abandonné à son poids, & l'ouvrage peut se continuer.

Cela fait, la fileuse avec le pouce & l'index de sa main droite qu'elle a mouillés, tire de la filasse de sa quenouille, & remet son fuseau en mouvement avec l'index & le doigt du milieu de sa main gauche ; le fuseau tourne, la filasse tirée se tord ; le pouce & l'index de la droite, tandis que le fuseau tourne, tirent de nouvelle filasse, fournissent & aident même au fuseau à tordre, & il se forme de nouveau fil, qu'on envide sur le milieu du fuseau en faisant tomber la boucle c, qu'on reforme ensuite pour arrêter le fil & continuer de filer.

La fileuse file de cette maniere jusqu'à ce que son fuseau soit chargé de fil sur toute sa longueur, & que sa quenouille soit épuisée de filasse.

Elle doit observer 1°. de mouiller suffisamment sa filasse tandis qu'elle travaille, sans quoi son fil sera sec & cassant.

2°. De ne tordre ni trop ni trop peu, & de filer égal & rond.

3°. De tirer de la filasse la quantité qui convient à la grosseur du fil, à la qualité de la filasse, & à l'usage qu'on veut faire du fil.

4°. D'en tirer toûjours la même quantité, afin que son fil soit égal.

5°. De faire glisser tout son fil entre ses doigts, à mesure qu'il se forme & avant que de l'envider sur le fuseau, afin de le rendre lisse & uni.

6°. De séparer de sa filasse tout ce qui s'y rencontrera de parties grossieres, mal peignées, de saletés, &c.

7°. De faire le moins de noeuds qu'il sera possible, &c.

Passons maintenant à la maniere de filer au roüet. Le roüet est une machine qui nous paroît simple & qui, exposée par-tout à nos yeux, n'arrête pas un instant notre attention, mais qui n'en est pas moins ingénieuse. Elle est composée d'un chassis, dont la partie inférieure 1, 2, 3, 4, consiste en quatre traverses minces de bois, qui forment par leur assemblage un quarré oblong ; c'est sur ce quarré oblong que sont fixées & entretenues les quatre jambes 5, 6 ; 7, 8 ; 9, 10 ; 11, 12 : ces quatre jambes se rendent à la partie supérieure du chassis, formée aussi de quatre traverses minces de bois, & la soûtiennent en s'assemblant avec elle aux points 6, 8, 10, 12 ; cette partie supérieure du chassis forme aussi un quarté oblong a, b, c, d, parallele à l'inférieur, de même largeur, mais d'une longueur beaucoup plus grande. Sur le milieu de l'intervalle 6, 8, & 10, 12, des traverses supérieures, sont placés & fixés deux especes de petits piliers, e, f ; g, h, qu'on appelle les montans. Ils sont de même grosseur, de même hauteur ; l'antérieur e, f, est percé d'un trou ; le postérieur g, h, est fendu d'une ouverture qui traverse son sommet, & qui descend à une profondeur telle, que le bout de l'axe de la roue i étant placé dans le trou du montant e, f, & son autre bout placé dans la fente de l'autre montant g, h, la roue soit bien verticale & se meuve bien perpendiculairement. On a fendu le montant g, h, à son sommet, afin que la roue puisse s'ôter & se mettre à discrétion entre ces montans. Ces montans e f, g h, sont fixés à écrous sur les traverses. L'extrémité de l'axe de la roue i, qui entre dans la fente du montant g h, est recourbée en manivelle k ; la queue l de cette manivelle passe dans une baguette percée d'un trou ; cette baguette l m n se rend à la planchette o, à l'extrémité de laquelle elle est attachée avec un cordon qui passe dans un trou fait au bout o de la planchette, qu'elle tient élevée au-dessus de la traverse inférieure 3, 4, d'une quantité un peu plus grande que celle à laquelle cette planchette pourroit descendre, lorsque le coude k de la manivelle, au lieu d'être élevé comme on le voit en k, est le plus abaissé qu'il est possible. La planche o p qu'on appelle la marche du roüet, est assemblée en p à tourillons avec la traverse 1, 2, & peut se mouvoir sur elle-même.

La piece q r composée d'un tasseau de bois, percé de deux trous quarrés, à l'aide desquels il peut glisser sur la longueur des traverses 9, 10 ; 11, 12 ; de deux montans s, t, & d'une vis en bois x y, qui passe à-travers le montant u t & le tasseau q r qui est taraudé, cette piece, dis-je, s'appelle la coulisse. La vis s'appelle la poignée ; les deux montans s, t, s'appellent les marionnettes.

Les marionnettes dont on voit une séparément fig. s, t, portent à leur partie supérieure un morceau de cuir a, qui est percé d'un trou dans le milieu, & qui tient à la marionnette par deux petits tenons.

Il s'agit maintenant de passer dans les deux trous des deux cuirs des deux marionnettes, l'assemblage des pieces qu'on voit sur le roüet entier, & qu'on a représenté séparément en C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O, P, Q, R. C N est une broche de fer ; elle est percée en C d'un trou extérieur qui va jusqu'en E, où il y en a un autre E qui rencontre l'intérieur, ensorte qu'un fil qu'on passeroit en C, sortiroit par E. Sur cette broche de fer est fixée au point F, une piece de bois F G G, figurée comme on la voit, & armée sur ses bords de petits bouts de fils-de-fer recourbés en crochets : on appelle cette piece l'épinglier. H I K est une bobine enfilée sur la broche. Cette bobine a en H une bosse arrondie, & en K une gouttiere. La piece L M qui contient & serre la bobine sur la broche s'appelle la noix ; elle est à gouttiere en L, & en bosse en M. On ne peut enlever de dessus la broche C N l'épinglier F G G, mais on en peut ôter & la bobine H I K, & la noix L M.

On a pratiqué à la broche C N une petite éminence D, pour contenir tout cet assemblage fixement entre les cuirs des marionnettes, & l'on a fait la partie M en bosse, afin que le frottement contre un des cuirs en fût moindre.

Ainsi on place tout cet assemblage C D E F G I K L M entre les marionnettes, l'extrémité C passée dans un des trous des cuirs, & l'autre extrémité M passée dans le trou de l'autre cuir. On a auparavant fait passer une corde à boyau dans les deux gouttieres K, L, & dans la gouttiere de la grande roue I.

On bande suffisamment cette corde à boyau, par le moyen de la vis ou poignée x y ; on fait approcher à discrétion le tasseau mobile q r de la traverse immobile a t ; & avec ce tasseau tout l'assemblage suspendu entre les cuirs des marionnettes st, fixées sur ce tasseau.

Il faut que la corde soit bandée de maniere qu'en faisant tourner la grande roue i, tout l'assemblage C D E F G H I K L M N tourne ensemble.

D'où l'on voit qu'il faut que la bobine H I K & la noix L M, entrent avec un peu d'effort sur la broche, sans quoi ils tourneroient seuls, & ne feroient pas tourner la broche avec eux : or il faut que tout tourne ensemble.

Cette machine entiere qu'on appelle roüet étant décrite, il s'agit maintenant d'en expliquer l'usage.

On a fixé sur le milieu de la bobine en i, un bout de fil tout filé : on fait passer ce bout de fil sur la premiere dent O de l'épinglier ; on le conduit de-là au trou E de la broche, & on le fait sortir par le trou C, comme on le voit en Q. On le conduit de Q à la quenouille, en le tenant entre l'index & le doigt du milieu de la main droite. La fileuse est assise devant son roüet, vis-à-vis la marche p o ; elle fait tourner la roue i à la main, jusqu'à ce que la manivelle k soit élevée comme on la voit : alors elle met le pié droit sur la marche p o ; elle presse le bout o de la marche avec le bout de ce pié : par cette action, le bâton m n est tiré, il entraîne la manivelle k, la manivelle fait tourner la roue i, la roue fait tourner la broche C N avec tout ce qu'elle porte ; le fil fixé d'un bout sur le milieu de la bobine, engagé sur une des dents de l'épinglier & sortant par le trou C de la broche, tourne aussi sur lui-même. La fileuse entretient toûjours la roue i en mouvement dans le sens de i en 13. Quand ce fil a pris une certaine quantité de tors, la fileuse approche du bas de la filasse de sa quenouille, le fil grippe de cette filasse, cette partie de filasse se tord ; à mesure qu'elle se tord & que le fil se fait, il glisse par le trou C sur l'épingle O, & s'entortille sur la bobine.

La fileuse a devant elle sa mouillette ; elle humecte sa filasse & son fil, quand il en est besoin. Elle fait passer le fil d'une épingle O à la suivante P, & ainsi de suite, afin de répandre également son fil sur toute la cavité de la bobine ; quand elle est parvenue à la derniere a, elle retrograde & revient à la premiere O, en passant successivement par chacune des intermédiaires.

Au demeurant on doit observer pour bien filer au roüet, les mêmes regles que nous avons prescrites pour bien filer au fuseau.

Si on établit entre la vîtesse de la grande roue i, 13, & celle de la bobine F I K, & du fil Q, & la vîtesse avec laquelle on tire la filasse & on la fournit au mouvement, le rapport convenable, le fil ne sera ni trop ni pas assez tors.

On va vîte quand on file au roüet ; mais on prétend communément que le fil qu'on fait n'est jamais ni aussi parfait, ni aussi bon que celui qu'on file au fuseau. Si vous desirez sur l'usage du roüet quelque chose de plus, voyez l'article COTON.

Lorsqu'on a une assez grande quantité de fil, on le met en écheveau par le moyen d'un devidoir. Le devidoir est une roue à plusieurs aîles, soûtenue sur un axe entre deux piliers, & armé d'une manivelle, à l'aide de laquelle on la fait tourner. A mesure qu'elle tourne, elle tire le fil de dessus le fuseau, & s'en charge.

On envoye les écheveaux à la lessive ; d'où ils passent entre les mains du tisserand, quand on veut mettre le fil en toile, voyez l'article TOILE ; ou au moulin à tordre, quand on le destine à la couture & à d'autres ouvrages. L'art de tordre le fil a fait de grands progrès. Nous allons suivre ces progrès, & donner l'explication des machines dont on s'est servi successivement.

Le premier fil qu'on ait tordu, l'a été au fuseau ou à la quenouille. Retordre le fil, est en faire un espece de petite corde de plusieurs brins : pour cet effet on le met en autant de pelotes qu'on veut qu'il y ait de brins au fil retors. On attache une clé à l'extrémité de la quenouille ; on fait passer les brins par l'anneau de la clé qui déborde le bout de la quenouille ; on les conduit tous ensemble sur l'extrémité du fuseau ; on les y fixe par le moyen d'une boucle, comme s'il étoit question de filer ; on prend ensuite le bout du fuseau entre les deux paumes de la main, & on le fait tourner sur lui-même de gauche à droite, c'est-à-dire dans un sens contraire à celui dont le fil a été tors, quand on l'a filé : or il est évident qu'il a été tors alors de droite à gauche.

Pour faire sentir la raison de cette manoeuvre, il faut considérer, 1°. qu'en quelque sens qu'on tourne le fuseau, les brins se plieront les uns sur les autres, feront des spires, & formeront une petite corde.

2°. Qu'en faisant tourner le fuseau en sens contraire de celui où il tournoit quand on a mis la filasse en fil, tous ces brins de fil faisant effort pour reprendre leur premier tors, auquel ce second mouvement est contraire, chercheront à tourner sur eux-mêmes, se serreront fortement les uns contre les autres, & donneront un tissu d'autant plus ferme à la petite corde qu'ils composeront.

3°. Que ce serrement n'auroit point eu lieu, si on eût fait tourner le fuseau & les brins dans le sens dont ils avoient été filés, & que la petite corde eut été lâche, sans consistance, & ses brins toûjours prêts à se séparer. En effet, dans ce cas les brins portés au-delà de leur premier tors par un retors fait dans le même sens, auroient cherché à revenir à ce premier tors, & par conséquent à tourner sur eux-mêmes dans le sens contraire à ce retors, à se séparer & à ouvrir la corde.

J'ai vû beaucoup de personnes qui ne pouvoient se faire des idées nettes de la raison de cette manoeuvre, & qui s'opiniâtroient à prétendre qu'il falloit retordre les brins dans le sens où le fil avoit été tordu.

Quand on retord les brins en sens contraire à celui selon lequel ils ont été filés, l'effort qu'ils font pour se restituer à leur premier tors, pour tourner sur eux-mêmes, & pour serrer la petite corde, est si considérable, que le fil retors se tortilleroit, & formeroit des boucles & des noeuds, si le fuseau n'étoit chargé à son extrémité d'un anneau de plomb, & si la fileuse ne le tenoit tendu à chaque fois qu'elle veut envider sur son fuseau la portion de fil qu'elle a retorse.

Mais on ne tarda pas à s'appercevoir que cette maniere de retordre étoit trop longue, & l'on imagina la machine dont nous allons parler.

Les différentes figures qui sont contenues dans cette Planche, ne sont que des détails de cette machine vûe par partie & sous différens points de vûe : on a donné à leur ensemble le nom de roüet. Ce roüet qui est très-simple en comparaison de ceux qui servent à filer l'or & l'argent, a été le premier instrument dont on s'est servi pour retordre les laines & fils servant à coudre, à faire la dentelle, & à faire des toiles brochées de laine ou de soie, telles qu'on les fabrique depuis quelques années à Roüen, & depuis une année à Pont-de-Vele en Bresse ; il est indiqué par la figure 1. de la vignette. La figure 2. de la vignette représente une fille qui fait une bobine composée de deux fils qu'elle joint ensemble ; ces deux fils sont tirés de deux échevaux séparés, & posés sur deux tournettes ou guindres indiqués par les lettres b, b. Ce sont ces mêmes bobines qui chargées de ce fil double, sont posées comme il est démontré dans la fig. 5. Elles sont traversées d'un petit arbre ou d'une branche de fer très-polie qui les soûtient ; & au moyen d'une poulie qui adhere à chaque bobine ou fusée, & sur laquelle passe une corde qui le fait tourner très-vîte, les deux brins de fil se tordent par le mouvement que reçoit la bobine, n'en composent plus qu'un, & forment un parfait fil retors, soit fil, soit laine ou soie.

Il est d'une conséquence infinie de faire attention de quelle façon le fil doit être retordu, parce que si on vouloit retordre à droite un fil qui aura été filé de même, il ne seroit pas possible d'en faire usage, attendu que ce second tors forçant le premier, sans néanmoins qu'il fût bien tordu, le fil s'ouvriroit de façon qu'il seroit impossible de l'employer, attendu qu'il ne pourroit absolument se tenir retordu. Il faut donc avoir la précaution d'observer que lorsqu'un brin de fil ou laine est filé ou tordu à droite, il doit être retordu à gauche : il en est de même pour la soie.

Le fil préparé de cette façon recevant plus de tors, ne s'ouvre point pour cela, & ne se raccourcit pas ; au contraire il acquiert plus de consistance par cette seconde opération, qui le met en état d'être employé à tous les usages, tels que la couture, fabrique, &c.

La figure 3. n'est qu'une représentation en grand de la figure 1. de la vignette, où l'on peut distinguer toutes les parties du roüet avec plus de facilité.

A, figure 3. est la manette ou manivelle ajustée à l'arbre de fer B qui traverse la grande roue C qui donne le mouvement à toute la machine. Cette grande roue est cavée sur sa circonférence, & dans sa cavité il entre une corde un peu grosse, laquelle enveloppant la petite roue D placée sur l'arbre qui supporte la roue de piece E, cavée aussi très-legerement, & recevant la corde fine F qui passe sur les poulies G & N adhérantes aux bobines ou fusées, elle leur donne le mouvement pour retordre le fil double qu'elles soûtiennent.

H, même figure, est une entaille faite dans une piece de bois K L, nommée le sommier. Dans cette entaille entre une piece mobile de bois ou de fer M, à laquelle est attachée une petite poulie I sous laquelle passe la corde fine F qui donne le mouvement aux bobines. Cette piece M, & les deux autres qui ne sont pas marquées, s'élevent & se baissent selon le besoin, & servent à donner l'extension ou le relâchement nécessaire à la corde passée sous la poulie I, & conduisent cette corde comme on la voit ; c'est-à-dire des deux premieres bobines en-dessus, sous la premiere poulie ; de la premiere poulie en-dessous, dessus les deux secondes bobines ; des deux secondes bobines en-dessus, sous la seconde poulie ; de la seconde poulie en-dessous, dessus les deux troisiemes bobines, & ainsi de suite : d'où il arrive que toutes les bobines tournent dans le même sens.

O, même figure, est une fusée cavée, adhérante à la grande roue C, à laquelle elle est attachée ; elle sert à placer dans ses cavités la corde nommée d'attirage, qui passée en recoude sur deux poulies longues P & Q, & croisée à une poulie semblable R, fig. 4. enveloppe la roue marquée S, qui fait partie de l'aspe X, dont l'arbre passé dans les deux piliers T qui le soûtiennent, & lui donnent la liberté de tourner & recevoir la soie des huit bobines qui composent huit écheveaux. On a pratiqué au montant où sont attachées les poulies P R, des trous, afin de déplacer à discrétion les poulies, & rendre la corde qui passe sur elles plus ou moins tendue. Cette fusée composée de huit cavités dont les diametres sont différens, sert encore à donner à l'aspe un mouvement plus lent ou plus promt, selon qu'on veut un tors plus ou moins grand au fil travaillé ; ce qui est opéré en plaçant la corde d'attirage dans les cavités plus ou moins grandes, & selon que le besoin l'exige. Y est une des grosses pieces du bâtiment du roüet.

Z, même figure, est une verge de bois bien polie, sous laquelle passent les huit fils tordus, & qui se tordent encore jusqu'à ce qu'ils soient sur l'aspe ou dévidoir.

La fig. 4. montre une partie de roüet vûe de côté, la fusée O, la roue de piece E ; & la petite roue D, sur laquelle est passée la corde de la grande roue qui donne le mouvement aux huit bobines ou fusées : elle indique encore de quelle façon est passée la corde qui donne le mouvement à l'aspe ou devidoir X.

La figure 5. représente le sommier marqué K & L, & la figure 6. la forme de l'aspe ou devidoir.

Les autres figures sont des détails qu'il est facile de comprendre ; ainsi on voit au-dessus de la figure 5. une poulie séparée avec son soûtien ; & dans la fig. 5. l'entaille qui la reçoit.

A côté de cette figure 5. on voit les parties d'assemblage de la verge de bois ; au-dessous de la figure 6. le canon b c de la bobine e ; & en d, une des poulies vuides qui servent à conduire la corde de bobines en bobines. Voici donc le mouvement de cette machine. La manivelle A fait tourner la grande roue C C, les roues D & E, & la fusée O ; la fusée O, les poulies P Q ; les poulies P Q, la poulie R ; la poulie R, l'aspe S T, qui tire les fils de dessus les bobines. Quant à la roue E, elle fait mouvoir toutes les bobines. Quant aux directions de ces mouvemens, elles sont données par les cordes ouvertes ou croisées. Quand les cordes sont ouvertes, les mouvemens sont dans le même sens ; & en sens contraire, quand les cordes sont croisées.

Après l'invention du roüet représenté dans la Planche précédente, succéda celle des moulins, qu'on voit dans celle-ci. Ce n'est pas que les roüets ne perfectionnassent les matieres qui étoient préparées par leur secours, mais ils n'en fournissoient pas encore assez : il fallut donc trouver le moyen de faire plus d'ouvrage. Pour y parvenir on employa la seconde machine sous le nom de moulin ; & au lieu de huit bobines ou fusées que le roüet faisoit tourner, le nouveau moulin en fit mouvoir 48, ce qui expédioit 5/6 d'ouvrage plus que le roüet. Cette machine est plus simple que le roüet. Nous allons donner la description de toutes les parties qui la composent, en observant néanmoins qu'il arrive très-souvent que le fil n'étant pas aussi tordu qu'il devroit l'être dans son premier filage, ou suivant l'ouvrage dans lequel il doit entrer, on le remet sans le doubler sur les moulins à retordre, afin de lui donner la préparation qui lui est nécessaire, observant toûjours de le faire tourner dans la seconde préparation & quand il est doublé, d'une façon différente de la premiere.

La fig. 1. de la vignette est composée d'une grande roue A, garnie en-dedans d'une croisée B, B, C, C, au-travers de laquelle passe un arbre D. Cette croisée est soûtenue par quatre pieces E. Dans le bas de l'arbre est un tourillon F, qui entre dans une grenouille G. Le haut de l'arbre H entre dans un trou rond I, pour qu'il soit arrêté droit.

La grande roue A engrene dans une lanterne K, appuyée par son arbre sur une piece de bois L, & passée dans une piece de bois M, au-dessus de laquelle, & au même arbre, est une seconde lanterne N qui engrene avec une roue O faite comme une roue de champ, laquelle a son arbre. De l'autre côté du pilier 15, qui en est traversé, est un pignon S qui donne le mouvement à la roue Y, attachée à l'aspe ou devidoir V, qui devide & ramasse le fil à mesure qu'il se tord.

Au pignon S est attachée une piece de bois P appuyée sur la partie Q, au bout de laquelle est un second pignon T, soûtenu par une seconde piece de bois R, appuyé sur une piece de bois 15. Ce second pignon donne le mouvement à une seconde roue Y, attachée à un second aspe ou devidoir X, qui devide & ramasse le fil dont les écheveaux sont composés.

Les lettres a a, figure 2. sont des fuseaux de fer qui entrent quarrément dans les bobines sur lesquelles le fil est devidé ; & ce fil passe par des trous très-polis marqués d & e, afin de se trouver juste & en droite ligne sur l'aspe ou devidoir. Tous les fuseaux sont pointus, & entrent dans des especes de grenouilles de verre enchâssées dans des pieces marquées i, fig. 4. qui sont entaillées dans la piece longue marquée f, figure 3. Chaque fuseau est garni d'une plaque de plomb qui est placée au-dessous de la bobine dans la partie quarrée de ce même fuseau, pour lui donner plus de poids & de facilité à tourner sur lui-même.

Le haut de chaque fuseau est rond & poli ; il est garni d'une petite piece de bois mobile appellée couronne, marquée u, fig. 4. autour de laquelle est un fil-de-fer, dont une extrémité qui est relevée étant courbée, forme une petite boucle marquée y, dans laquelle est passé le fil qui a déjà passé dans une autre boucle marquée x, qui se trouve à l'autre extrémité du fil -de fer qui vient répondre au milieu de la bobine, comme il est représenté dans la figure 4.

La lisiere 2, 2, même figure, est une courroie sans fin, laquelle passant d'un côté sur le tambour 3, figure 2. & venant sur un autre tambour tournant 4, même figure, attaché à une piece 8 & 9, au moyen d'un pilier solide 10, au haut duquel est un trou où passe une vis avec son écrou 11 : en tournant la piece écroüée, on fait lâcher ou tirer la courroie 2 autant que le besoin l'exige ; & au moyen du mouvement que la grande roue A donne à la lanterne K, le tambour qui lui est adhérant tournant de même, le mouvement qu'il donne à la courroie qui frotte sur chaque fuseau, & qui fait le tour du moulin, fait qu'ils tournent tous ensemble avec une si grande célérité, que le fil se trouve retordu lorsqu'il arrive sur l'aspe ou devidoir, quoiqu'il ne tourne pas doucement.

La courroie est soûtenue par des bobines tournantes 5, 5, fig. 4. Les bobines sont placées entre les fuseaux de deux en deux, & servent à deux fins : la premiere est que les bobines étant cavées quarrément, & placées de façon qu'elles pressent la courroie, leur cavité soûtient cette même courroie, laquelle, sans cette précaution, tomberoit insensiblement au bas des fuseaux. La seconde est que les bobines placées avec une justesse convenable, tiennent la courroie appuyée legerement contre le bas des fuseaux, sans quoi elle ne pourroit pas les faire tourner avec cette régularité qu'exige la préparation de cette matiere.

La figure 3. est le moulin vû de face, le bâtiment du moulin qui est un quarré long de 16 piés sur 4 de large, ajusté & mortoisé comme la figure le démontre ; arrêté par le haut avec deux pieces cintrées, 16. Les moulins de cette espece n'ont pas eu autant de succès qu'on s'en promettoit, parce que la courroie qui donne le mouvement aux fuseaux qui portent les bobines remplies de fil, tirant sur une même ligne, il falloit une extrème justesse pour qu'elle appuyât également sur chacun de ces mêmes fuseaux, auxquels elle ne donne le mouvement que par le frottement qu'elle fait sur la partie élevée qui se trouve dans le bas de ces pieces, qui toutes doivent être passées au tour, pour être de la justesse requise.

La figure 2. est le moulin vû de côté. La fig. 3. est celle du mouvement, composé des roüages dont il a été fait mention dans la figure 1. La figure 4. indique la façon dont les fuseaux sont placés : les autres pieces séparées démontrent la façon dont elles doivent être composées en grand.

Les moulins quarrés n'ayant pas paru propres à donner toute la perfection dont les fils & les laines étoient susceptibles, attendu l'irrégularité qui se trouvoit dans la courroie, qui, comme on l'a démontré, tournant sur une ligne droite, causoit des mouvemens irréguliers & indispensables dans quelques fuseaux, il fut question de remédier à ce défaut ; & pour y parvenir on inventa des moulins ronds, tels qu'ils sont représentés Planche III. Ce moulin, dont le mouvement est à-peu-près égal à celui de ceux qui sont quarrés, a cette propriété différente de ces derniers, que la courroie suivant les fuseaux sur la circonférence d'un cercle, & se resserrant sur le tambour, il n'est pas possible qu'elle ne porte juste par-tout ; & au moyen de cette justesse, les fuseaux tournant avec une parfaite égalité, la matiere se trouvoit mieux préparée : le mouvement étant d'ailleurs plus simple, il falloit moins de peine ou de force pour le faire agir. Voyons la description.

Dans la figure 1. de la vignette, les pieces A sont quatre piliers qui soutiennent toute la machine ; la manivelle attachée à un arbre qui soûtient la roue à cheville marquée a, figures 3. & 4. & la roue à lanterne b donnent le mouvement à toute la piece. La roue à lanterne b donne le mouvement à la grande roue c adhérante, & garnie de l'aspe ou du devidoir d, pour recevoir le fil retordu qui est sur les fusées G, fig. 6. La roue à chevilles donne le mouvement au tambour S, sur lequel la courroie sans fin M faisant un tour & enveloppant les fuseaux, elle produit le retors par le mouvement qu'elle leur donne. Il est nécessaire que la courroie fasse un tour sur le tambour, afin qu'elle ne glisse pas dessus.

Vis-à-vis le tambour est une espece de bobine tournante marquée V, dont l'objet est d'avancer ou de reculer, au moyen d'une vis qui donne l'extension nécessaire à la courroie, autant que le besoin du moulin l'exige.

Les bobines cavées marquées N, qui soûtiennent la courroie, tournent sur le pivot qui les soûtient, & sont placées en distance de trois fuseaux, au lieu que dans le moulin quarré la distance n'est que de deux, attendu la ligne droite que décrit la courroie, qui a besoin d'être plus serrée. Les fuseaux sont semblables à ceux du moulin quarré ; mais les bobines qui en sont supportées, sont différentes & plus simples : elles sont réprésentées par les figures séparées D, E, F. Celles-ci n'ont ni couronnes ni fil-de-fer pour recevoir le brin de fil ou de lame qui doit être retordu ; un simple trou à l'extrémité de la bobine sur laquelle le fil est devidé en pyramide, suffit pour préparer la matiere, dont la consistance n'exige ni couronne ni fil-de-fer, ces dernieres pieces n'étant en usage aujourd'hui que pour le moulinage des soies, dont la délicatesse exige plus de précaution qu'une matiere plus ferme, excepté néanmoins les fils destinés pour les dentelles de haut prix, dont la délicatesse ne differe pas de celle des plus belles soies. Ces fils, avant que d'arriver sur l'aspe, passent aussi à-travers des trous qui les y dirigent.

La figure 2. de la vignette est une repétition de la premiere, tournée différemment. La fig. 3. montre la forme du moulin représentée dans toute sa circonférence ; elle est ouverte d'un côté, pour y placer le roüage représenté dans la figure 4. La figure 5. est le côté opposé de la 4e ; la figure 6. la forme des deux parties qui forment la circonférence du moulin. On ne pense pas devoir donner une description de toutes ces parties, qui sont suffisamment représentées dans celle de la figure 1.

Quoique le nombre des moulins ronds soit considérable, les artistes qui se piquent de délicatesse dans leurs opérations, y ont trouvé des défauts, en ce que l'aspe ou devidoir qui ramasse le fil préparé pour en former des écheveaux, est trop éloigné des fuseaux qui se trouvent dans le milieu de la circonférence de ces mêmes moulins, qui lui sont diamétralement opposés, & trop près de ceux qui le joignent. Ils ont donc imaginé un moyen de les rapprocher tous de même, sans tomber dans les défauts, soit du moulin quarré, soit du moulin rond ; l'un péchant par la difficulté d'entretenir le mouvement juste, au moyen de la courroie ; & l'autre par l'éloignement d'une partie des fils, dont la trop grande distance de l'aspe à la fusée causoit un ébranlement dans le fil, qui l'empêchoit d'être aussi parfait que celui qui étoit plus près.

Or, comme il étoit nécessaire que cette nouvelle machine ne fût ni quarrée ni ronde, on se proposa de la faire ovale, nom qui est demeuré à tous les moulins qui se font aujourd'hui dans ce genre ; il y a des ovales simples & des ovales doubles, les ovales simples sont faites uniquement pour préparer la soie employée aux ouvrages de bonnetterie : on va expliquer les mouvemens d'une ovale double.

Le mouvement de cette ovale qui est double, ne differe en aucune façon de celui du moulin rond ; la différence qui s'y trouve, est qu'au lieu d'une rangée de bobines il y en a deux, conséquemment au lieu d'une courroie, deux, & au lieu d'un aspe ou devidoir, deux ; il faut en expliquer les parties.

On voit figure 2. toute la méchanique & le roüage du moulin, qui ne peut pas être vû dans la figure 1. B & D est le bas de l'ovale qui porte toute la machine ; on l'appelle communément la table. C est le pilier du milieu opposé à l'ouvrier qui tourne la machine.

E, figure 1. est la table ou soufflet qui porte le premier rang des bobines & fuseaux ; F est celle qui porte le second rang. G représente la premiere courroie ; H la seconde courroie ; I une poulie longue qui resserre la premiere courroie. K, une poulie semblable, qui resserre la seconde courroie. M, un des montans ou piliers de l'ovale. N le tambour sur lequel sont passées les deux courroies. O la roue à cheville traversée par la manivelle, qui donne le mouvement au tambour. P, l'arbre du tambour, au bout duquel est la lanterne Q qui donne le mouvement à la roue R, figure 2. traversée par un arbre, aux extrémités duquel sont deux lanternes S qui donnent le mouvement aux deux roues T adhérantes & attachées aux deux aspes ou devidoirs, qui ramassent le fil préparé, & sur lesquels il se forme en écheveaux. V, figure 1. la partie de l'aspe opposée à celle de la roue. X, une figure ovale & fixe, percée en autant de parties qu'il y a de fuseaux, dans les trous de laquelle passent tous les fils qui vont sur le devidoir. C'est au moyen de ces trous, dont l'arrangement est juste, que les écheveaux se forment, parfaitement séparés. Y, figure 2. où les dents de la figure Z indiquent le passage du fil des deux rangées de bobines.

Les figures 2. 3. 4. & 5. sont différentes de la fig. 1. vûe, soit de profil, de face, ou du plan ; l'explication qui vient d'être faite de la figure 1. est plus que suffisante pour donner à connoître quelle est la construction de cette machine.

Voilà où l'on en étoit lorsque M. de Vaucanson, en examinant ce méchanisme avec les yeux d'un méchanicien délicat : vit que le retors ne pouvoit jamais être égal, tant qu'il dépendroit du frottement d'une courroie ; il perfectionna donc encore le moulin : nous parlerons de cette découverte à l'occasion du moulin à soie, à l'article SOIE ; voyez cet article.

L'usage de ces moulins ovales ayant été destiné pour retordre les fils, les laines & les soies, on observera que la quantité de fils qu'on est obligé de retordre est considérable, si on fait attention que celui dont on se sert pour faire la dentelle doit être retors, sans quoi elle seroit de peu de durée, & ne supporteroit pas trois ou quatre blanchissages ; tous les fils à coudre, cordonnets de poil de chevre, doivent aussi être retordus ; on ne se sert pas d'autres machines pour leur donner cette préparation ; tous les fils qui servent à faire des lisses, soit à deux bouts, soit à trois, doivent être préparés sur ces moulins, en observant néanmoins, que pour retordre un fil ou le monter à trois bouts, il faut joindre trois bouts ensemble.

La quantité de fils à trois bouts que les manufactures d'étoffes d'or, d'argent & soie du royaume employent pour faire leurs lisses, ne laisse aucun doute sur la quantité de moulins de cette espece qui doivent se trouver dans le royaume, sur-tout en Flandre, d'où est tirée la principale partie de cette marchandise.

Si la quantité de fils préparés de cette façon, exige qu'il y ait un grand nombre de moulins de cette espece dans le royaume, celle de la laine pure, celle de la soie mêlée avec de la laine, celle du poil de chevre, & celle de la soie, en doivent augmenter considérablement le nombre.

La longueur du fil & son poids étant donnés, il est clair que sa finesse est d'autant plus grande qu'il y a plus de longueur & moins de poids, ou que sa finesse est, comme disent les Géometres, en raison composée de la directe de sa longueur & de l'inverse de son poids. On exprime ce rapport par des numeros qui vont depuis 3 jusqu'à 400.

Les fils les plus connus sont ceux d'Epinay en Flandres, de Flandres ; le fil à gant ; le fil à marquer ; les fils de Malines, d'Anvers & de Hollande ; celui de Malines est si fin qu'on l'apperçoit à peine, & qu'il faut le garantir de l'impression de l'air ; il s'employe sur-tout en dentelles ; on parle encore du fil de Rennes, de celui de Cologne, qui se file à Morlaix, & des fils de Normandie.

FIL DE LA VIERGE, (Phys.) Le peuple appelle ainsi certains filamens blancs, & quelquefois assez épais, qu'on voit voltiger en l'air dans les jours d'été pendant les grandes chaleurs. On a crû autrefois que c'étoit une espece de rosée d'une nature terrestre & visqueuse, que la chaleur du soleil condensoit pendant le jour. On croit aujourd'hui assez communément que ce sont des toiles d'araignées, emportées & dispersées par le vent : nous ne sommes ici qu'historiens, & nous ne prétendons garantir ni l'une ni l'autre de ces explications. Je croirois volontiers que les petits filamens très-fins, dont on voit les plantes couvertes en certains jours d'été, peuvent être en partie produits par les araignées des champs, appellées faucheux ; mais je ne voudrois pas assûrer que tous ces filamens, dont le nombre est si considérable, fussent leur ouvrage ; encore moins, que tous les filamens épais que l'on voit voltiger dans l'air un beau jour d'été, ne soient produits que par ces insectes : quelle en est donc la cause ? je crois qu'on l'ignore, ou du moins qu'on n'en est pas bien assûré. (O)

FIL DE PIEUX, (Hydr.) C'est un rang de pieux équarris & couronnés d'un chapeau arrêté à tenons & mortoises, ou attaché avec des chevilles de fer, pour retenir les berges d'une riviere, d'un étang, ou pour conserver les turetes & chaussées des grands chemins. (K)

FIL-DE-FER, (Chimie métallurg.) instrument, au moyen duquel on résume les matieres contenues dans les tarts, coupelles, creusets : on en a de différentes grosseurs ; celui, par exemple, qui sert à faire descendre les charbons par l'oeil du fourneau d'essai, peut avoir trois ou quatre lignes de diametre, & est garni d'un manche : la longueur & l'usage des autres détermine leur grosseur : il est cependant bon d'observer qu'il vaut mieux les prendre trop gros que trop petits ; parce que pour lors ils font ressort & font sauter les matieres des essais, qui deviennent faux par-là. Il y en a de droits, de courbés & de crochus.

Quand il s'agit d'une grande exactitude ou d'une grande propreté dans les opérations, on a autant de fil-de-fer que de vaisseaux exposés au feu. On leur donne ce même ordre, & l'on évite par cette précaution de rendre un essai faux ou de changer la couleur d'une vitrification, en transportant & mêlant les matieres d'un vaisseau avec celles d'un autre. Voyez CROCHET-DE-FER, ESSAI, & nos Planches de Chimie. Article de M. DE VILLIERS.

FIL, terme de bâtiment ; c'est dans la pierre & le marbre une veine qui les coupe, voyez l'article PIERRE. (P)

FIL, terme de Cordier, est l'assemblage d'un grand nombre de filamens de chanvre tortillés ensemble par l'action de la roue.

Pour que le fil soit bien conditionné, il faut 1°. qu'il soit uni, bien serré & bien égal : 2°. qu'il n'ait point de meche, & que le chanvre soit roulé en ligne spirale.

A l'égard de la grosseur du fil, elle dépend de la qualité du chanvre : le chanvre bien affiné doit être filé plus fin que celui qui l'est moins : en général le fil le plus fin porte trois lignes & demi de tour, & le plus gros ne doit pas passer six lignes.

Pour ce qui regarde la maniere de fabriquer le fil, voyez l'article CORDERIE.

FIL : ce mot dans la Marine est appliqué à différens usages ; par exemple,

Fil à gargousses, c'est du fil de chanvre à l'ordinaire, avec lequel on coud les gargousses.

Fil de voile, de frée, du treusier ; on lui donne ce nom, parce qu'il sert à coudre les voiles ; c'est un fil gros comme le ligneul des Cordonniers.

Fil blanc ; c'est celui qui n'est pas passé dans le gaudron.

Fil gaudronné ; c'est celui qui a passé dans le gaudron chaud.

Fil de caret ; on donne ce nom à de gros fil qui sert à faire les cordages. Dans les corderies du roi on n'est pas encore bien d'accord sur la grosseur que les fileurs doivent donner à ce fil, pour le rendre meilleur & plus propre à faire de bons cordages : il en est de même du degré de tortillement ; mais en général on prétend que lorsqu'il est filé fin & moins tors, les cordages en ont plus de force & sont meilleurs : mais communément les fileurs donnent au fil les uns trois lignes ou trois lignes & demie de circonférence ; d'autres 4 à 5 lignes, & quelques-uns mêmes vont jusqu'à six & sept lignes, & chacun prétend avoir attrapé le point de perfection. Mais si l'on veut approfondir cette partie, il faut voir ce qu'en écrit M. Duhamel dans son excellent Traité de la fabrique des manoeuvres pour les vaisseaux, &c. à Paris de l'Imprimerie royale, 1747.

Le fil de caret est aussi le fil qu'on tire d'un des cordons de quelque vieux cable coupé par piece ; ce fil est d'un grand usage sur la mer pour raccommoder des manoeuvres rompues : dans un vaisseau de guerre il faut avoir au moins 300 livres de ce fil. (Z)

FIL CIRE, chez les Bourreliers, est du fil de Cologne plié en plusieurs doubles retordus à la main : & frottés de cire blanche : ces artisans s'en servent principalement pour exécuter sur différentes pieces d'harnois des compartimens, des desseins ou broderies, qu'on y pratique par maniere d'ornemens ; on se sert aussi de ce fil pour oüaler, & même pour coudre les ouvrages les moins grossiers de la profession.

FIL DE COLOGNE, est un fil blanc qui sert aux Cordonniers, pour coudre aussi les souliers, lorsque l'on veut que les points paroissent blancs.

FIL GROS, est du fil de chanvre que les Cordonniers mettent en plusieurs brins qu'ils frottent avec de la poix, & qui leur sert à coudre les souliers : chaque extrémité du fil est armée d'une soie de sanglier qui lui sert d'aiguille, pour le pouvoir passer dans les trous que l'alêne a faits.

FIL DE PIGNON, nom que les Horlogers donnent à du fil d'acier, cannelé en forme de pignon. Voyez dans les Planches de l'Horlogerie ; on y a représenté un bout de fil de pignon de sept. Avant que l'on eût trouvé le moyen de faire ce fil, ils étoient obligés de fendre eux-mêmes leurs pignons. Cette opération, quoique simple en elle-même, est fort difficile par la précision que l'on doit apporter à rendre toutes les aîles parfaitement égales, de même que les fentes qui les séparent. Aussi leur prenoit-elle beaucoup de tems, & souvent même n'y réussissoient-ils pas avec toute l'exactitude requise. Au moyen de ce fil, lorsqu'il est bien fait, ils sont délivrés de tout cet embarras ; & pour faire un pignon, l'ouvrage se réduit à passer une lime entre ses aîles, pour leur donner une figure & une épaisseur convenable.

L'invention du fil de pignon & celle de la machine à fendre, ont rendu deux grands services à l'Horlogerie pratique, en abregeant & perfectionnant beaucoup l'exécution des deux parties essentielles d'une montre, les roues & les pignons.

Les Anglois sont les premiers qui ont fait de ce fil ; les Genevois ont tenté de les imiter, mais avec peu de succès, leur fil étant encore fort imparfait : aussi les Horlogers le tirent-ils presque tout d'Angleterre. Plusieurs personnes avoient tenté à diverses reprises d'en faire dans ce pays-ci, mais infructueusement. M. Fournier, faiseur de ressorts, l'entreprit aussi, & n'y réussit pas mieux. Enfin M. Blackey, habile faiseur de ressorts, a réussi à en faire d'aussi parfaits que les Anglois ; on peut dire même qu'il les a surpassés, en ce qu'il en fait de très-gros pour les pignons des pendules, ce qu'ils ne font pas. L'Académie royale des Sciences ayant donné en 1744 un certificat fort avantageux de sa machine, il a obtenu en conséquence un privilége exclusif de 15 ans, pour faire de ce fil. (T)

* FIL A LISSE, (Manuf. en soie) les lisses sont fort sujettes à se casser : le fil dont elles sont faites se coupe à l'endroit de la jonction des deux parties qui les composent, par le passage continuel des soies de chaîne, voy. LISSES ; lorsqu'on s'apperçoit de cet accident, il faut y remedier ; on prend les deux bouts de la partie cassée, que l'on noue ensemble près du lisseron, le superflu est coupé près de ce noeud, puis on passe un brin de fil dans la partie restée entiere pour former la bouclette détruite ; les bouts de ce brin vont s'attacher au noeud fait auprès du lisseron, & le mal est réparé : l'ouvrier a toûjours à son métier une lisse de ces brins de fil coupés de longueur convenable, pour subvenir au besoin.

FIL DE METAL ; (Tireur d'or) est un morceau de metal qu'on a réduit à un très-petit diametre, en le faisant passer par un petit trou rond fait dans de l'acier.

Les fils de metal sont communément si fins, qu'on peut les travailler avec des fils de soie, de laine & de chanvre. Ils font un article considérable des manufactures.

Les metaux qu'on tire le plus communément, sont l'or, l'argent, le cuivre, le fer.

FIL D'OR : ce qu'on appelle fil d'or est un lingot cylindrique d'argent recouvert d'or, lequel on a fait passer successivement par un grand nombre de trous de plus petits en plus petits, jusqu'à ce qu'il soit arrivé à être plus fin que les cheveux. Cette prodigieuse ductilité est un des caracteres distinctifs de l'or ; elle est portée à un point qu'on auroit de la peine à imaginer. M. Halley a fait voir qu'un cylindre d'argent du poids de 48 onces, & recouvert d'une once d'or, donnoit un fil dont deux aulnes ne pesoient qu'un grain, ensorte que 98 aulnes de ce fil ne pesoient que 49 grains, c'est-à-dire qu'un seul grain d'or couvroit 98 aulnes. Par ce moyen la dixmillieme partie d'un grain couvre plus d'un demi-pouce.

Le même auteur en calculant l'épaisseur que doit avoir l'or qui entoure ce fil, trouve qu'elle ne peut être que la 2/134500 partie d'un pouce. Cependant elle couvre si parfaitement l'argent, qu'on ne voit point même avec le microscope aucun endroit où l'argent paroisse.

M. Rohaut a remarqué qu'un semblable cylindre d'argent couvert d'or, de deux piés 8 pouces de long & de 2 pouces 9 lignes de tour, donnoit après avoir été tiré, un fil de 307200 piés de long, c'est-à-dire qu'il parvenoit à avoir 115200 fois sa premiere longueur.

M. Boyle rapporte que 8 grains d'or employés à couvrir un lingot d'argent, fournissent communément jusqu'à la longueur de treize mille piés. Voyez OR, & la méthode de le tirer, & l'article DUCTILITE. Chambers.

FIL D'ARGENT : ce fil se fait de la même maniere que le fil d'or ; on prend simplement un lingot d'argent qui ne soit point doré. Voyez OR.

Il y a aussi des fils qui imitent l'or & l'argent : le premier est fait d'un cylindre de cuivre argenté d'abord, & ensuite doré ; le second est simplement fait de cuivre argenté. On les tire de la même maniere que les fils d'or & d'argent.

Le fil de cuivre se tire encore de la même maniere que les précédens ; on en a de toutes les grosseurs, suivant les différens emplois qu'on en veut faire. Le plus fin est employé pour les instrumens de musique, comme clavecins, harpe, psalterion, &c. Voyez CORDE. Les Epingliers font aussi une grande consommation de fil de cuivre de différentes grosseurs. Voyez EPINGLE.

Le fil de fer est nommé communément fil d'archal : la raison de cette dénomination est peu connue. M. Menage, célebre étymologiste, tire ce nom de filum & aurichalcum ; mais d'autres plus versés dans les matieres de commerce, prétendent que Richard Archal fut le premier inventeur de la maniere de tirer le fil de fer, & qu'il lui donna son nom.

Il y a aussi du fil d'archal depuis 1/2 pouce jusqu'à 1/10 de pouce de diametre. Les plus petits sont employés dans les instrumens de Musique, principalement pour les clavecins.

La Suede fournit beaucoup de fil d'archal aux autres nations.

Le premier fer qui coule de la mine lorsqu'on la fond, étant le plus doux & le plus fort, est conservé pour en faire du fil d'archal. Chambers.

* FIL DE LACS, (Manuf. en soie) fil à trois bouts & fort, servant à arrêter par un entrelacement successif & déterminé, toutes les cordes que la liseuse a retenues avec l'embarbe, en lisant ou projettant le dessein sur le semple. Je dis en projettant ; car tout l'art des étoffes figurées n'est qu'une projection de dessus le papier reglé, où le dessein a été tracé sur le semple, & de dessus le semple sur la chaîne dont la trame ou l'ourdissage arrête différens points diversement colorés & diversement distribués, qui exécutent le dessein ; artifice qui, s'il avoit été imaginé par un seul homme, montreroit autant de sagacité & d'étendue qu'il étoit possible d'en avoir ; mais c'est l'invention de plusieurs hommes qui l'ont perfectionné successivement.

FIL DE REMISSE, (Manuf. en soie) fil très-fin à trois bouts, qui sert à faire les mailles des lisses dans lesquelles sont passés les fils de la chaîne.

FIL DE CHAINETTE, terme de Tisserand. C'est du gros fil ou de la petite ficelle dont les Tisserands forment la partie de leur métier, qu'ils nomment des chaînettes, parce qu'elles servent à lever ou baisser les fils de la chaîne, à-travers desquels ils lancent la navette. Voyez CHAINETTE.

FIL DE LISSE, c'est une espece de fil ou ficelle médiocrement grosse, dont les ouvriers qui travaillent avec la navette, se servent pour monter leurs métiers & en faire ce qu'ils appellent des lisses. Voyez LISSES.

FIL D'OUVREAU, (Verrerie) Voyez OUVREAU & l'article VERRERIE.

FIL ou LAMBEL, en Blason, c'est une piece d'armoirie qui a quelquefois plus & quelquefois moins de points, & qui fait la différence ou distinction du second fil.

On porte quelquefois cette piece, comme une distinction défavorable dans un écusson ; Guillim en rapporte plusieurs exemples : mais c'est le plus souvent la différence ou marque de distinction que le frere aîné porte dans ses armes pendant la vie de son pere.

Quelques-uns font cette distinction entre fil & lambel : ils appellent fil, la ligne supérieure & horisontale ; & lambel, les points qui en sortent. V. LAMBEL.

Fil de trois lambels ou plus, V. LAMBEL. Chambers.


FILADIERES. f. (Marine & Pêche) c'est un petit bateau à-fond-plat, dont on se sert sur quelques rivieres, & particulierement sur la Garonne. Voyez l'article HARENEAU, Pêche. (Z)


FILAGORES. f. les Artificiers appellent ainsi la ficelle avec laquelle ils étranglent les cartouches. Voyez l'article FUSEE.


FILAGRAMES. f. ou OUVRAGE DE FILAGRAME, se dit de tout morceau d'orfévrerie, fait avec des fils ronds extrèmement délicats, entrelacés les uns dans les autres, représentant divers ornemens, & quelquefois revêtus de petits grains ronds ou applatis ; ce mot est composé de fil, filum, & de granum, grain. Les Latins l'appellent filatim elaboratum opus, aurum, argentum. Tel cabinet est rempli de plusieurs beaux morceaux d'ouvrages en filagrame. Nous avons des vases, des flambeaux, &c. travaillés en filagrame.

Il y a des ouvrages qui ne sont que revêtus de filagrame en forme d'ornemens ; & il y en a d'autres qui en sont tout entiers ; les Maltois, les Turcs, les Arméniens & d'autres ouvriers orientaux montrent beaucoup d'habileté dans ces sortes d'ouvrages qui demandent de l'adresse ; le cas que l'on fait de cette sorte de travail dans ces pays-là, entretient leur industrie, comme le goût que l'on en a perdu ici est cause qu'il s'y trouve peu d'ouvriers en état de les bien faire.


FILAMENTS. m. dans le corps animal, sont les parties simples & originaires qui existoient d'abord dans l'embryon ou même dans la semence, & qui par leur distinction, leur augmentation & l'accroissement, les sucs qui s'y joignent, donnent lieu, forment le corps humain & le conduisent à sa plus grande étendue. Voyez EMBRYON, CORPS, &c.

Il n'y a d'essentiel à l'animal, que les filamens qui existent dans l'oeuf ; le reste est étranger, & même accidentel.

Les filamens semblent répondre aux solides, qui sont en très-petite quantité. V. SOLIDE. Chamb. (L)


FILANDRES. f. (Manége, Maréchall.) terme qui dans l'art vétérinaire, a la même signification que celui de bourbillon dans la Chirurgie. C'est ainsi que l'on nomme par conséquent la matiere purulente, blanche & filamenteuse qui résulte communement de certains abcès. La membrane adipeuse, ce tissu de plusieurs feuillets extrèmement déliés, dont les entrelacemens variés & sans ordre composent des especes de cellules irrégulieres, forme, par exemple, des brides dans les javarts abcédés. Ces cellules ne se vuident pas d'abord, les feuillets ayant subi quelque tems l'impression des matieres purulentes, se pourrissent & tombent en forme de filamens, de-là le terme de filandre que les Maréchaux employent encore, lorsque dans les plaies des tendons une douce suppuration en a fait exfolier la membrane. Voyez PLAIES, JAVARTS, &c. (e)

FILANDRES, en Fauconnerie, maladie des faucons, qui consiste en des filamens ou cordons de sang coagulé & séché ; occasionnés par une violente rupture de quelque veine, par laquelle le sang venant à s'extravaser, s'épaissit sous la figure de ces filamens, & cause à l'oiseau de grandes douleurs de reins & de hanches. Ce mot est dérivé du mot fil.

Filandres sont aussi une sorte de vers petits & déliés, qui incommodent fort les faucons, soit à la gorge, autour du coeur, au foie ou aux poumons, & qui quelquefois leur font du bien en ce qu'ils se nourrissent de ce qu'il y a de superflu dans ces parties.

Il y a quatre sortes de ces filandres ou vermicules. La premiere, dans la gorge ou le gosier, la seconde, dans le ventre ; la troisieme, dans les reins, & la quatrieme sorte qu'on appelle aiguilles, à cause de leur extrème petitesse. Cette maladie se découvre par différens symptomes : comme quand l'oiseau bâille souvent, quand il serre le poing ou la perche avec ses ongles, quand il crie pendant la nuit, quand il gratte sa queue, quand il frotte ses yeux, ses aîles, ses narines, &c.

Comme ces vers sont fort remuans, l'oiseau fait des efforts fréquens pour s'en débarrasser ; & on peut les appercevoir bien facilement en lui ouvrant le bec : du gosier, &c. ils montent au larynx, au cerveau, &c. & se repandent par tout le corps.

C'est la mauvaise nourriture qui est la cause ordinaire de cette maladie ; on prétend que la façon de la guérir n'est pas de faire mourir ces vers, crainte des abcès que leur corruption pourroit former ; mais qu'il faut principalement les endormir, afin qu'ils n'offensent & ne se fassent sentir que rarement.

C'est ce dont on vient à-bout en faisant avaler à l'oiseau une gousse d'ail ; ce remede empêche les filandres de se faire sentir pendant quarante jours, d'autres employent la rue, la poudre-à-ver, l'aloës, la verveine, le safran, &c. Voyez l'article FAUCONNERIE, où l'on trouvera ce qu'il faut penser des filandres & de leur traitement. Chambers.

FILANDRES, terme de Boyaudier, ce sont des especes de lanieres qui se détachent des boyaux dans le tems qu'on les dégraisse, & qu'on jette dans des tonneaux ou tinettes pour les nettoyer, d'où des femmes les tirent & s'en servent comme de fil pour coudre les boyaux les uns au bout des autres, afin de leur donner la juste longueur que doit avoir la corde de boyau.


FILARDEUXadj. terme de bâtiment, ce mot se dit du marbre & de la pierre qui ont des fils qui les font déliter. Ainsi le Languedoc, la sainte Baume, &c. sont des marbres filardeux, ainsi que la Lambourde, le Souchet sont des pierres filardeuses, parce qu'elles ont des fils qui les traversent. (P)


FILARETS(Marine) ce sont de longues pieces de bois qui, étant soûtenues de distance en distance par des montans de bois ou de fer qu'on nomme batayoles, forment tout-autour du vaisseau une espece de garde-fou, qui supporte le bassingage. (Z)


FILARIAphillyrea, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur monopétale, faite en forme de cloche découpée en quatre parties. Il sort du calice un pistil qui entre comme un clou dans la partie inférieure de la fleur, & qui devient dans la suite un fruit presque rond qui renferme une semence de la même forme. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


FILASSES. f. (Oeconomie rustique) c'est l'écorce du chanvre, lorsqu'elle a reçû toutes les préparations nécessaires pour être filée. Voyez les articles CHANVRE, CORDERIE, & FIL.

Un des plus grands avantages qu'on pût procurer à la plûpart de nos provinces, est la culture des chanvres, & la fabrication des toiles : il ne faut pour cela que des soins ordinaires, & qui sont à la portée de tout le monde. Les femmes & les filles peuvent s'occuper des apprêts du chanvre, suivant la méthode que nous allons expliquer, & filer dans tous les tems qu'elles ne donnent pas à d'autres occupations ; & les hommes peuvent s'occuper de la culture du chanvre : pourquoi les laboureurs, journaliers, & autres habitans de la campagne n'auroient-ils pas un métier de tisserand, & n'y travailleroient-ils pas aux jours & aux heures qu'ils ne peuvent employer à leurs travaux accoûtumés ?

Quoique l'usage du chanvre soit depuis long-tems aussi familier qu'il est nécessaire, il paroît cependant que jusqu'à-présent la nature & les propriétés de cette plante n'ont point encore été tout-à-fait bien connues.

M. Marcandier a observé que le roüissage ordinaire du chanvre n'étoit autre chose que la dissolution d'une gomme ténace & naturelle à la plante, dont elle fait l'unique lien, & qu'on ne doit laisser le chanvre roüir qu'à proportion de l'abondance de cette gomme & de son adhérence. Si on laisse le chanvre trop long-tems dans l'eau, les fibres de l'écorce se trouvant alors trop séparées entr'elles par la dissolution de presque toute la gomme, on ne peut plus les enlever dans toute leur longueur, & la plus grande partie reste mêlée dans la paille, avec laquelle souvent on la brise. Il est donc dangereux par cette raison de laisser le chanvre trop long-tems roüir, & l'on ne doit avoir d'autre terme que celui qui suffit pour séparer exactement & sans perte l'écorce d'avec la chenevotte ; peut-être ne faut-il pas plus de cinq à six jours pour cet essai.

Comme après avoir laissé le chanvre suffisamment dans l'eau pour le mettre en état seulement d'être tillé ou broyé, l'écorce en paroît dure, élastique, & peu propre à l'affinage, suivant l'ancienne méthode ; M. Marcandier, par les réflexions & les différens essais qu'il a faits sous les yeux & par les avis de M. Dodart, Intendant de Bourges, a trouvé le moyen de lui rendre aisément & sans frais toutes les qualités qui lui manquent. L'eau qui a déjà eu la propriété de séparer l'écorce de la paille dans le premier roüissage, divisera bien mieux & sans risque les fibres les unes des autres, par la dissolution totale de ce qui pouvoit lui rester de gomme. Pour cet effet, il suffit, après que le chanvre a été tillé, de le mettre dans l'eau par petites poignées d'un quarteron ou environ, on les lie très-lâches dans le milieu par une ficelle un peu forte, pour les pouvoir manier & remuer dans l'eau sans les mêler. Après avoir imbibé d'eau toutes les poignées, il faut les mettre dans un vaisseau de bois ou de pierre, de la même façon qu'on met tremper du fil dans un cuvier. On remplit ensuite le vaisseau d'eau où on laisse le chanvre pendant plusieurs jours s'humecter & se pénétrer autant qu'il faut pour en dissoudre la gomme. Trois ou quatre jours suffisent pour cette opération ; après quoi il faut tirer toutes les poignées par leurs ficelles, les tordre & les laver à la riviere pour les purifier autant qu'il est possible de l'eau bourbeuse & gommée dont elles sortent : quand elles sont ainsi dégorgées on les rapporte chez soi, & on peut alors les battre sur une planche pour achever de diviser toutes les parties qui seroient encore restées trop entieres. Pour cet effet, on étend sur un banc de bois fort & solide chaque poignée de ce chanvre, après en avoir fait couler la ficelle, on la frappe dans toute sa longueur avec la tranche d'un battoir ordinaire de blanchisseuse, jusqu'à ce que les parties & têtes les plus épaisses soient suffisamment divisées. Il ne faudroit pourtant pas battre avec excès chaque poignée : les fibres qui se trouveroient trop divisées ne conserveroient point assez de force pour résister au peigne ; & c'est une de ces attentions que la seule expérience peut faire connoître. Il y a même tout lieu de croire qu'en laissant le chanvre assez long-tems dans l'eau pour obtenir la division des fibres par la seule dissolution, on pourroit absolument se dispenser de le battre.

Après ce leger travail qui est cependant le plus long, il faut relaver à l'eau courante chaque poignée en la prenant bout pour bout, & l'on voit alors le succès de tout cet appareil. Toutes les fibres du chanvre ainsi battu se divisent dans l'eau, se lavent, se dégagent les unes des autres, & paroissent aussi parfaitement dressées que si elles avoient déjà passé dans le peigne ; plus l'eau est rapide, vive & belle, plus les fibres se blanchissent & se purifient. Lorsque le chanvre paroît assez clair & entierement purgé de sa crasse, on le tire de l'eau le plus en largeur qu'il est possible ; puis on le met sur une perche au soleil égoutter & sécher.

Si cette méthode ne paroît pas assez promte à ceux qui ne s'embarrasseroient pas de la dépense, ou qui trouveroient ces opérations trop pénibles dans les lieux où il n'y a pas d'eau courante, ils pourront employer les lessives ordinaires de cendres, soit qu'on les fasse exprès, ou qu'on veuille profiter de celles que l'on fait assez souvent pour le linge. M. Marcandier qui a fait diverses expériences sur cet objet, & qui a reçû les observations de quelques particuliers également zélés pour le bien public, a reconnu que la gomme du chanvre, qu'on auroit bien fait dégorger auparavant, n'est point contraire au linge avec lequel il se trouveroit mêlé, qu'il suffiroit seulement de mettre une couche de belle paille d'environ deux pouces d'épaisseur au fond du cuvier, pour filtrer & purifier l'eau dont cette paille retiendroit & la bourbe & la gomme. Par cette legere précaution, les sels de la lessive ainsi dégagés exercent toute leur activité sur le chanvre ou sur le linge que l'eau pénetre ; & l'on ne s'est point apperçû qu'il s'y soit trouvé aucune tache. On sent aisément que la chaleur de l'eau & l'alkali des cendres doivent opérer une dissolution bien plus promte que celle qui ne se feroit qu'à l'eau froide ; mais il ne sera pas moins nécessaire de battre le chanvre qui resteroit encore trop entier, & de le laver au moins pour la derniere fois dans une eau courante & belle, pour le purger totalement de l'eau de lessive & de sa gomme.

De cette maniere, les fibres du chanvre, comme autant de brins de soie, se dégagent, se divisent, se purifient, s'affinent, & se blanchissent, parce que la gomme qui étoit le seul principe de leur union, étoit aussi celui de leur crasse, & des différentes couleurs qu'on voit au chanvre. Il a même paru dans les expériences qu'on a faites, que le chanvre le plus noir & le plus rebuté, étoit celui qui acquéroit la plus grande perfection dans les opérations de la nouvelle méthode.

Quand le chanvre est une fois bien sec, on le plie avec précaution, en le tordant un peu, pour que les fils ne puissent pas se méler davantage : on le peut alors donner au chanvreur, pour en tirer le plin ou filasse. Il ne sera plus nécessaire de le piler si longtems qu'auparavant : cet ouvrage autrefois si dur par les forces qu'il exigeoit, & si dangereux par la poussiere mortelle que l'ouvrier respiroit, ne sera plus qu'un métier médiocrement pénible.

Il ne faudra plus chercher de machines pour sauver aux hommes les fatigues & les dangers du travail ; l'opération du chanvreur sera bornée desormais à un pilage facile, & aux seules façons ordinaires du peigne. Elle devient d'autant plus aisée que la matiere est plus douce au travail, & n'exhale plus aucune poussiere incommode ; aussi n'y a-t-il presque plus de déchet dans cette opération. Si l'on veut se servir de peignes fins, le chanvre ainsi lavé donnera de la filasse susceptible du plus beau filage, & comparable au plus beau lin, & ne fournira guere plus d'un tiers de fort bonnes étoupes.

Or cette étoupe qui étoit auparavant un objet de rebut, & qu'on vendoit ordinairement à quelques cordiers deux sous six deniers la livre, devient par une nouvelle opération un objet de la plus grande utilité. En la cardant comme de la laine, il en résulte une nouvelle matiere fine, moëlleuse, & blanche, & dont jusqu'à présent on ne connoissoit pas l'usage. On peut l'employer seule en cet état, pour en faire des oüates, qui, à beaucoup d'égards, l'emporteront sur les oüates ordinaires ; mais de plus on la peut filer & en tirer un très-beau fil. On peut aussi la mêler avec du coton, de la soie, de la laine même, & du poil ; & le fil qui résulte de ces mélanges fournit, par ses variétés infinies, matiere à de nouveaux essais très-intéressans pour les arts, & très-utiles à plusieurs manufactures.

On n'a pas encore, à beaucoup près, épuisé toutes les combinaisons qui peuvent multiplier les avantages du chanvre sous ses différentes formes. Les toiles qui seront fabriquées de chanvre ainsi préparé ne seront pas si long-tems au blanchissage, & le fil même n'aura plus besoin des lessives par lesquelles on étoit obligé de le faire passer.

Ces premieres découvertes ont conduit à penser que les déchets même du chanvre les plus grossiers, & les balayures des atteliers où on le travaille, renfermoient encore une matiere précieuse qu'on jettoit ordinairement au feu ou sur le fumier, parce qu'on n'en connoissoit pas l'usage. Elle n'a cependant besoin que d'être broyée, nettoyée, & purifiée dans l'eau, pour être d'un excellent emploi dans les papeteries : l'épreuve qui en a été faite ne laisse aucun doute sur cet objet ; & l'on sent aisément qu'il est d'une véritable importance.

Une pratique aveugle & les préjugés qu'elle a produits, ont fait méconnoître jusqu'à-présent les excellentes propriétés & la perfection naturelle du chanvre : on ne s'étoit pas encore apperçû que le fil existoit dans la plante, indépendamment des opérations de l'art, qui ne peut ni le former ni le perfectionner ; que le travail se borne uniquement à le nettoyer & le diviser, en séparant les soies dont le ruban ou l'écorce est composée ; que ce ruban est une espece d'écheveau naturel dont les fils sont assemblés dans leur longueur par une humeur sale & glutineuse qu'il faut absolument dissoudre & chasser, comme également contraire à l'ouvrier & à l'ouvrage.

La nature du chanvre & ses propriétés nous étant à-présent mieux connues, on ne doute pas que les gens de campagne ne mettent à profit tous les avantages qu'ils peuvent se procurer par la pratique de ces nouvelles méthodes. S'ils s'appliquent à la culture des chanvres de Berri, où ils sont les plus estimés ; & s'ils en perfectionnent les apprêts, ils s'assûreront le débit de tous leurs ouvrages, soit qu'ils se bornent simplement au filage, ou qu'ils veuillent en faire de belles toiles.

M. Dodart, Intendant de Bourges, n'a rien négligé pour encourager cette nouvelle culture du chanvre, & l'établissement successif d'une multitude de petites manufactures dispersées dans sa province, pour laquelle il a bien vû qu'elles seroient une source considérable d'opulence.

Il ne s'est pas contenté de promettre sa faveur & sa protection à ceux qui aimoient assez le bien public pour le seconder, & d'inviter les gentils-hommes qui demeurent dans leurs terres, les curés & les bourgeois, d'entrer dans ses vûes. Il a de plus proposé un prix de trente liv. qui sera distribué dans chacune des villes d'Issoudun, Châteauroux, la Châtre, S. Amand, & Bourges, à la femme qui apportera six livres de fil le plus parfait, pourvû qu'il ait été filé de filasse préparée selon la nouvelle méthode, & deux prix de dix liv. aux deux femmes qui auront le mieux travaillé après la premiere fileuse.

On offre de prendre le fil non-seulement de celles qui auront remporté le prix, mais encore celui des bonnes fileuses qui auront concouru, & de le leur payer, si elles le veulent.

Ceux qui connoissent les vrais moyens d'étendre le Commerce, de favoriser la population, & de rendre les peuples heureux, ne trouveront pas les prix proposés par M. l'Intendant de Bourges, fort inférieurs à ceux qu'on a fondés dans les académies. Son goût pour les choses utiles s'est étendu jusqu'à la perfection de notre ouvrage ; & c'est du mémoire qu'il a fait répandre dans sa province, & qu'il a bien voulu nous communiquer, que nous avons tiré ce qui précede sur la culture du chanvre & sur la meilleure préparation de la filasse.


FILASSIERS. m. ouvrier & marchand tout ensemble qui donne les dernieres façons à la filasse, après que la chenevotte a été grossierement concassée & brisée par un instrument qu'on nomme brie en Normandie, & brayoire en d'autres endroits.

Il y a à Paris une communauté ou corps de métier composé de femmes qui prennent la qualité de linieres, chanvrieres, & filassieres ; cette communauté est fort ancienne ; ses statuts de 1485 ne sont qu'une addition à ceux qu'elle avoit déjà depuis long-tems. Dans ces statuts qui sont les premiers de ceux qui lui restent, cette communauté étoit composée de maîtres & de maîtresses également admis à la jurande, deux de chaque sexe.

Ce fut encore au nom des maîtres & maîtresses, jurés & jurées, que furent demandées & accordées les lettres-patentes d'Henri II. en 1549, aussi-bien que celles de 1578 ; mais en 1666, la communauté ayant obtenu de nouveaux statuts & reglemens, & une nouvelle forme de gouvernement, il n'y est plus fait mention de maîtres, de jurés, ni d'apprentis : depuis ce tems-là, c'est une communauté de maîtresses, qui ne partagent la jurande avec personne.

Ces derniers statuts & les lettres-patentes furent non-seulement enregistrés au parlement & au châtelet à l'ordinaire, mais ils furent encore lûs & publiés à son de trompe, le 2 Janvier 1667, sur la permission du lieutenant civil du 30 Décembre 1666.

Les jurées de cette communauté sont au nombre de quatre, qui sont élûes deux chaque année.

Les maîtresses ne peuvent avoir d'apprentisses qu'elles ne tiennent boutique ouverte, magasin, ou étalage pour leur propre compte.

Elles ne peuvent avoir qu'une apprentisse à la fois, & doivent l'obliger pour six ans.

L'apprentisse aspirante à la maîtrise doit faire chef-d'oeuvre, dont néanmoins la fille de maîtresse est exempte.

Aucune apprentisse ou fille de boutique de ces sortes de marchandes ne peut entrer au service d'une nouvelle maîtresse, à moins qu'il n'y ait douze ou treize boutiques entre celle où elle entre & celle d'où elle sort ; & cela parce que presque toutes les boutiques de ces sortes de marchandes étant dans une des halles de Paris, & toutes attenantes les unes des autres, il seroit difficile d'entretenir la paix entre la nouvelle & l'ancienne maîtresse de ces filles.

Enfin les chanvres, lins, & filasses qu'apportent les forains sont sujets à visite ; & les marchands sont tenus de les faire descendre & mettre en la halle pour y être visités.

C'est dans un canton de la halle au blé de Paris, que de toute ancienneté les marchandes chanvrieres sont établies. Aussi il est fait mention de cette place dans leurs plus anciens statuts, & toûjours depuis elles y ont été conservées & maintenues par leurs lettres-patentes jusqu'à-présent.

C'est-là aussi qu'il est ordonné par les statuts que les marchands doivent transporter leurs marchandises.

Il y a pourtant une exception à cet article, en faveur de la foire S. Germain ; les marchands forains ayant droit d'y décharger leurs marchandises, que les jurées chanvrieres peuvent bien & doivent, mais qu'elles, non plus que les autres maîtresses, ne peuvent acheter qu'après que les bourgeois s'en sont fournis pendant les deux jours qui leur sont accordés par préférence. Voyez les réglemens du Commerce.


FILATERIUS LAPISHist. nat.) pierre qui a la couleur de la chrysolite, & qui, suivant Ludovico Dolce, a la propriété de débarrasser ceux qui la portent, de la crainte & de la mélancolie. Voyez Boetius de Boot.


FILATRICESS. f. (Soirie) femmes occupées dans les manufactures en soie, à la tirer de dessus les cocons. Voyez l'article SOIE.

* FILATRICES, (Commerce de soie) c'est une étoffe tramée de fil en fond satin.


FILATURES. f. (Manufact. de soie) c'est ainsi qu'on appelle les lieux où le tirage du cocon est suivi du moulinage de la soie, tant en premier qu'en second apprêt ; de sorte qu'au sortir de la filature, la soie soit préparée en organsin parfaite, & prête à être mise en teinture.


FILES. f. (Gramm. & Arts méchan.) il se dit de plusieurs objets séparés les uns des autres, mais voisins & placés dans une même direction.

FILE, en terme de Guerre, est un nombre d'hommes placés les uns derriere les autres sur une même ligne droite, & faisant face du même côté. Le premier soldat de la file est appellé chef-de-file, & le dernier serre-file. File se dit également dans la cavalerie & dans l'infanterie.

On dit serrer les files, c'est-à-dire serrer les soldats les uns contre les autres. Lorsqu'il s'agit de combattre, l'épaisseur de chaque file est de deux piés. Voyez BATAILLON. Doubler les files, c'est doubler l'épaisseur du bataillon, & diminuer sa largeur ou son front. Le nombre d'hommes de chaque file dans le bataillon, en détermine la hauteur ; ainsi on dit qu'il est à quatre de hauteur, lorsque la file est de quatre hommes, &c. Voyez ÉVOLUTIONS. (Q)


FILÉadj. pris subst. (Ruban) c'est du fil d'or ou d'argent filé sur soie, lorsqu'il est fin ; & sur fil, lorsqu'il est faux. Le filé ne sert qu'à tramer, & ne s'employe que rarement dans la chaîne. Il y en a de différentes grosseurs, distribuées sous différens numeros, depuis le 2 S jusqu'au 7 S. Voyez à l'article OR, la maniere de filer l'or.


FILERv. act. voyez l'article FIL.

FILER LES MANOEUVRES, ou LARGUER LES MANOEUVRES, (Marine) c'est les lâcher.

Filer du cable, c'est lâcher le cable, & en donner autant qu'il est besoin pour mouiller l'ancre comme il faut, & mettre le vaisseau à l'aise, ou le soulager quand il est tourmenté par le gros tems.

Filer le cable bout pour bout, c'est lâcher tout le cable, & l'abandonner entierement avec l'ancre qu'on n'a pas le tems de lever, ce qui n'arrive que dans un cas où l'on soit très-pressé d'appareiller, soit pour poursuivre l'ennemi ou l'éviter.

Filer sur ses ancres : quelques-uns se servent de cette expression pour dire chasser sur ses ancres, mais improprement ; car filer sur ses ancres ne signifie rien autre chose que filer du cable pour soulager l'ancre, quand la mer est grosse. (Z)

FILER, en terme de Cardeur, c'est mettre la laine en petits cordons, en la roulant sur elle-même par le mouvement du roüet. Voyez l'article LAINE.

* FILER, en terme de Cirier, c'est faire la petite bougie, & la devider sur un tour. Voyez TOUR. La meche est à gauche, roulée sur un tour ; elle passe dans la bassine fort près du fond, dans un anneau qui y est soudé : elle en sort à droite, en traversant une filiere qui la réduit à la grosseur qu'on veut lui donner, & se tourne ensuite sur un autre tour placé de l'autre côté. Voyez la Planche du Cirier, & l'article BOUGIE.

FILER, terme de Corderie, c'est fournir, toûjours en s'éloignant du roüet & en reculant, une quantité égale du chanvre qu'on porte à sa ceinture ou à sa quenouille, afin que l'impression qu'il recevra de la roue du roüet, le torde & en forme un fil.

* FILER LA TETE, en terme d'Epinglier, c'est former par le moyen d'un roüet qui devide le laiton sur une branche exprès, des sortes de petits anneaux doubles dont on fait la tête de l'épingle. Voyez TETE & ROUET & GAUDRONNER, & les Planches & figures de l'Epinglier. a est le fil sur lequel on devide l'autre fil qui doit servir à faire les têtes. Ce fil sort de dessus un tourniquet b. Voyez l'article EPINGLE.

FILER, (Tireur d'or) c'est ou couvrir le fil de soie ou autre, le fil d'or faux ou fin ; ou tirer à la filiere le fil d'or faux ou fin. Voyez à l'article OR, la maniere de le filer.


FILERIEterme de Corderie, endroit où l'on file le chanvre pour en faire des cordes.

Il y a des fileries qui sont découvertes, & d'autres qui sont couvertes.

Le long des murailles des villes, à l'abri des vents ; dans les fossés ou sous les arbres des remparts, à couvert du soleil, on voit souvent des fileurs-marchands qui travaillent. Ce sont ces endroits qu'on appelle des fileries découvertes ; ainsi ces fileries ne sont autre chose qu'une allée longue, unie, & qui est un peu à couvert du soleil ou du vent. Les marchands n'en ont pas d'autres ; & il y en a de pareilles dans les ports du Roi, où l'on ne travaille que quand les ouvrages pressent beaucoup.

On conçoit aisément que les ouvriers ne peuvent pas travailler dans les grandes chaleurs, à cause de l'ardeur du soleil ; ni dans les grands froids, ni même dans aucune saison, quand il pleut : c'est pourquoi dans les ports du Roi, où il est important que les ouvrages ne soient pas interrompus, il y a des fileries couvertes.

Les fileries couvertes sont de grandes galeries longues depuis 600 jusqu'à 1000 piés, larges de 20, 25 ou 28 piés, & hautes sous les tirans de la charpente de 8 à 9 piés. Il y a de côté & d'autres des fenêtres garnies de bons contre-vents, que l'on ouvre ou que l'on ferme suivant que l'exige la température de l'air.

Dans une filerie de 20, 25 ou 28 piés de largeur, il y a ordinairement trois ou quatre roüets à chaque bout, autant de tourets, & des rateliers de distance en distance pour soûtenir le fil. Voyez CORDERIE, & les fig. Voyez l'art. de la Corderie de M. Duhamel.


FILET de la Langue, s. m. (Anat.) Le frein qu’on nomme vulgairement le filet de la langue, est ce ligament élastique & même musculeux qui paroît d’abord sous la langue, pour peu qu’on en leve la pointe en ouvrant la bouche.FILET

Le point fixe du filet de la langue est aux petites éminences osseuses qui sont au milieu de la partie interne de ce qu'on appelle symphise du menton ; delà il s'attache au-dessous & dans le milieu de la partie saillante & isolée de la langue jusqu'à son extrémité, de maniere que la volubilité des mouvemens de la langue est modérée par ce lien.

Aux deux côtés du frein ou filet se trouvent les veines & les arteres que l'on appelle ranules, avec des nerfs & autres vaisseaux pour les fonctions de cette partie : le tout est couvert de la membrane qui tapisse l'intérieur de la bouche. Cette membrane qui est fort adhérente au palais, aux joues & aux parties supérieures & latérales de la langue, est mobile dans tout le dessous de la langue : le tissu cellulaire qui la lie en cet endroit est si extensible, qu'il obéit & se prête à tous les mouvemens que fait la langue ; cette membrane est cependant un peu adhérante dans l'endroit où elle fait le pli qui enveloppe le filet. Ce pli couvre la courbure antérieure des muscles génio-glosses, depuis la pointe de la langue jusqu'au dessous de l'intervalle mitoyen des dents incisives inférieures ; ainsi le repli de la membrane dont la cavité inférieure de la bouche est recouverte, n'est pas le filet même, comme on se le persuade, il n'en est que l'enveloppe.

Le principal usage du frein de la langue, est de modérer les mouvemens trop vifs de cette partie ; de la conduire & de la retenir lorsqu'on la pousse enavant pour la tirer hors de la bouche, ou qu'on la retire en-arriere & au fond du gosier pour faire la déglutition. Il sert en même tems à la parole, en donnant à la langue la liberté de se promener dans toute la bouche, & d'exécuter tous les mouvemens nécessaires à la prononciation.

Ce ligament de la langue est sujet à plusieurs vices de conformation, & entr'autres à être trop court à différens degrés ; accident que l'usage abusif a nommé le filet, & dont il faut chercher la connoissance & le remede dans l'art chirurgical. Voyez FILET, (Chirurg.) Article de M(D.J.)

FILET, (Opération du) Chirurg. Cette partie est quelquefois si longue aux enfans nouveau-nés, qu'elle empêche de remuer la langue avec liberté, & de teter facilement. Pour y remédier il faut couper le filet avec la pointe des ciseaux. La bouche de l'enfant étant ouverte, le chirurgien tient de sa main gauche une sonde cannelée, dont le manche fendu forme une fourchette avec laquelle il bande le filet & soûtient la langue. Voyez Pl. II. de Chirurgie, fig. 5. La figure 6. représente un instrument particulier pour cette opération. On coupe ensuite le frein avec des ciseaux droits qui doivent être très-mousses, pour ne pas risquer d'ouvrir les veines ranules. On a vû des enfans qui sont morts de l'hémorrhagie de ces veines, sans qu'on s'en soit apperçû, parce qu'ils avaloient leur sang à mesure qu'il sortoit des vaisseaux. Ces malheurs prescrivent l'attention qu'on doit avoir en pareil cas, afin de remédier à l'accident de l'hémorrhagie par différens moyens connus, parmi lesquels l'eau très-froide, ou même un morceau de glace, sont très-efficaces.

Feu M. Petit le chirurgien a donné à l'académie royale des Sciences un mémoire inséré dans le recueil de l'année 1742, dans lequel il fait voir que l'opération du filet, qui paroît une des moins importantes de la Chirurgie, mérite toute l'attention possible. Il a observé que cette opération faite sans nécessité au-delà de ses justes bornes, laisse à la langue la dangereuse liberté de se recourber en arriere. En facilitant ainsi à l'enfant un mouvement de déglutition auquel il tend sans-cesse, & qu'excite encore le sang épanché dans sa bouche, il va enfin jusqu'à avaler sa langue, c'est-à-dire à l'engager si avant dans le gosier, qu'il en est bientôt étouffé. Il ne faut donc pas quitter les enfans un seul moment de vûe pendant vingt-quatre heures, après qu'on leur a coupé le filet. Instruit par l'expérience de pareils malheurs, M. Petit a sauvé la vie à plusieurs enfans par cette précaution, ayant dégagé promtement la langue qui bouchoit la respiration. C'est par la considération de cet accident, qu'il donne pour précepte qu'il ne faut jamais couper le filet quand l'enfant peut teter, & il faut toûjours avoir une nourrice pour lui donner la mammelle après que l'opération est faite.

M. Petit a imaginé un instrument particulier pour couper le filet : ce sont des ciseaux dont les pointes sont armées d'une plaque repliée & fendue pour recevoir le filet. Voyez Pl. XIX. de Chirurgie, fig. 4. n°. 1. Une des branches de ces ciseaux est dormante ; elle est fixée par une vis à la plaque, sur un des bords de la fente qui reçoit le filet, n°. 2. L'autre branche est mobile, & elle est éloignée de la premiere par un ressort qui en écarte le manche, n°. 3. Le n°. 4. montre la vis qui forme l'union des deux branches, & qui fixe la plaque repliée, n°. 5. Cet instrument met les vaisseaux à couvert, & évite sûrement le danger d'une hémorrhagie, à moins que par quelques variations assez communes dans la distribution des vaisseaux en général, & néanmoins fort rares dans le cas dont il s'agit, il n'entre dans la structure du filet une branche d'artere assez considérable. Dans ce cas il faudroit avoir recours, suivant la pratique ordinaire, à l'application du cautere actuel. Voyez FEU. On peut réussir en contenant un morceau d'amadou ou d'agaric de chêne assez long-tems sur l'endroit d'où le sang sort. M. Faure, maître en Chirurgie à Lyon, & qui est fort distingué dans notre art par ses connoissances & son habileté, vient de se servir avec succès de ce moyen dans plusieurs opérations qui ont du rapport à l'opération du filet. Il a remarqué que plusieurs enfans apportoient en naissant une conformation vicieuse sur la langue, qui consiste en un bourrelet charnu qui est quelquefois si gros & si étendu, qu'il paroît former une double langue. Ce bourrelet empêche l'action de la langue de l'enfant sur le mamelon de sa nourrice ; ce qui l'expose à une mort certaine, si l'on ne connoit pas la cause qui empêche la succion, & qu'on n'y remédie point.

Ce bourrelet qui enveloppe le filet, & qui s'étend plus ou moins des deux côtés, a été observé plusieurs fois par M. Faure, qui en a donné des relations détaillées à l'académie royale de Chirurgie. Il a été obligé quelquefois d'emporter avec des ciseaux cette excroissance charnue, pour donner à l'enfant la facilité de teter. Dans d'autres cas il s'est contenté de faire dégorger cette excroissance au moyen de quelques scarifications, & le succès de ce secours l'a dispensé de faire l'extirpation. Le mémoire de M. Faure donne une méthode de contenir la langue, qui paroît préférable à la fourchette ou au manche fendu de la sonde dont nous venons de parler pour l'opération du filet. Il n'y a aucun enfant dont il ait manqué d'assujettir la langue & le filet avec le pouce & l'indicateur de la main gauche introduits dans la bouche, observant de tourner la paume de la main du côté du nez de l'enfant. Ces deux doigts conduisent & gouvernent les branches des ciseaux, & reglent l'opération.

Il y a une autre disposition dans la langue de quelques enfans nouveau-nés, qui les empêche de teter, & que l'on sait avoir été funeste à plusieurs. On leur trouve la langue appliquée contre le palais, ensorte qu'on leur présente le téton sans qu'ils le saisissent. Le secours qu'il faut donner dans ce cas, est bien simple ; il suffit de passer le doigt entre le palais & la langue. Cette observation est très-importante, elle n'est écrite dans aucun auteur ; & depuis qu'elle a été communiquée à l'académie royale de Chirurgie par un chirurgien de province qui a sauvé la vie à son fils, après avoir été plusieurs jours dans la plus grande perplexité, parce que cet enfant ne pouvoit pas teter, plusieurs membres de l'académie ont dit qu'ils avoient connoissance que quelques enfans avoient été la victime de cette mauvaise situation de la langue, à laquelle il est si aisé de remédier. (Y)

FILET DE MERLIN ; (Marine) est un petit cordage qui sert à ferler les voiles dans les marticles. (Z)

FILET, (Manége, Maréchall.) Nous appellons de ce nom une sorte d'embouchure destinée à être placée dans la bouche du cheval lorsqu'on le panse, qu'on le conduit à l'abreuvoir, & lorsqu'on le sort de l'écurie pour le soûmettre à l'examen de ceux qui veulent l'apprécier, & en considérer les beautés & les défauts. Voyez MORS. (e)

FILET, (Chasse, Pêche, &c.) ce sont des tissus à mailles plus ou moins larges, faites avec du fil ou de la ficelle, ou de la soie, pour prendre ou les poissons ou les oiseaux, &c.

Ces filets se font de la même maniere que ceux des jeux de paume, & autres.

Nous donnerons la maniere de les travailler à l'article RETS.

FILET se dit proprement, parmi les Blondiers, du brin doublé de plusieurs autres, dont on fait le toilé. Voyez DOUBLER & TOILE.

* FILET, (Armurier, Coutelier, Serrurier, & autres ouvriers tant en fer qu'en autres métaux) c'est ainsi qu'on appelle une petite éminence longitudinale & linéaire exécutée sur certains endroits d'une piece, pour y servir d'ornement. Ces filets sont de grosseurs & formes différentes : il y en a qui sont contournés & circulaires, ils se font à la lime ; d'autres sont droits, & se peuvent faire avec un instrument fort simple. Imaginez un morceau d'acier très-fin, & trempé fort dur, au milieu duquel on ait pratiqué une fente du diametre ou de l'épaisseur qu'on veut donner au filet. Les côtés de cette fente sont très-vifs & fort tranchans. En appuyant cet instrument sur un ouvrage où l'on veut tirer un filet droit, tel, par exemple, que le dos de la lame d'un couteau, & en observant de l'appliquer le long du dos de la lame du couteau, de maniere que dans le mouvement de cette espece de filiere, la fente corresponde toûjours au milieu de l'épaisseur du dos de la lame ; il est évident que la partie du dos correspondante à la fente de la filiere, entrera dans la fente à mesure que ses parties latérales seront coupées & enlevées par les côtés vifs & tranchans de la fente même ; & qu'il se formera ainsi une petite élevation qui regnera également tout le long & sur le milieu du dos de la lame du couteau. On appelle cette élevation un filet. On repare ensuite ce filet à la lime, c. à d. qu'on l'arrondit. Cette manoeuvre est très-ingénieuse, & épargne beaucoup de tems & d'adresse que demanderoit, sans cette filiere, un ouvrage de cette nature. Au reste, autant j'admire les filets sur un certain genre d'ouvrage, autant je desapprouve cette espece de petite moulure sur tous ceux qui servent aux tables à manger, & dans d'autres occasions semblables ; la crasse s'y loge, & il faut un soin extrème pour y entretenir une propreté dont les formes simples & unies sont beaucoup plus susceptibles. Lorsque la partie d'une piece sur laquelle on se propose de former un filet a une certaine épaisseur, on pratique au milieu de la filiere une échancrure où cette épaisseur puisse entrer, & s'avancer, à mesure que le filet se forme par la fente pratiquée au milieu même de l'échancrure. On peut varier à l'infini la figure de ce petit instrument, selon les ouvrages & les endroits des ouvrages qu'on veut orner d'un filet ; mais la partie essentielle de cet instrument, celle qui l'exécutera toûjours & qui ne variera pas, c'est la fente & ses côtés tranchans. On pourroit rapporter cette filiere au genre des rabots.

FILET, (Couvreur) est le plâtre qui se met au haut du comble qui porte contre un mur, comme les appentis.

FILET, (Horlog.) nom que les Horlogers donnent à une petite partie saillante qui regne ordinairement tout-autour d'un corps. Le nom de filet vient vraisemblablement de ce qu'il fait un effet pareil à celui que feroit un fil qu'on auroit roulé autour d'un corps. Voyez l'article FILET, (Coutell.) comme il s'exécute quand il est droit. (T)

FILET, en terme d'Orfévre en grosserie ; c'est un trait qu'on exécute le long des cuilleres & des fourchettes, & qui regne ordinairement le long de la spatule des cuilleres & fourchettes, jusqu'au cuilleron, & quelquefois même borde aussi le cuilleron.

FILET se dit aussi généralement, en terme d'Orfévre, d'un trait formé à l'onglette, & qui regne au bas des moulures. On borde presque tous les creux dans les ornemens de gravûres.

FILETS, terme de Paumiers ; c'est ainsi qu'on nomme de grands réseaux faits de ficelle, qu'on place sous la corde, dans le dedans, aux galeries, & autour des jours qui sont au haut des jeux de paume : pour arrêter les balles qu'on y jette. Voyez JEU DE PAUME. Voyez aussi FILET (Pêche & Chasse) ; ils se font de même.

FILET, (Relieur) voyez PALETTE & ROULETTE.

FILET, (Serrurerie) est un ornement qui s'exécute au bout d'un bouton, & qui est la même chose que ce qu'on appelle en Architecture, congé.

Il se dit aussi du pas de la vis qui est cavé ou tranchant ; c'est ce qui fait qu'on dit, une vis à double, triple filet ou pas.

FILET. Les Tireurs d'or appellent filet, un trait d'or ou d'argent battu & devidé sur de la soie.

FILET, en Blason, signifie une espece de bord ou bordure qui comprend le tiers ou le quart de la largeur d'une bordure ordinaire. Voyez BORDURE.

On suppose que le filet est tiré du haut en-bas, qu'il est d'une autre couleur que l'écusson, & qu'il tourne tout-autour proche du bord, comme un galon sur un manteau.

Filet est un terme dont on se sert aussi pour signifier une des pieces de l'écusson qui est tirée, comme la barre, du point gauche du chef à-travers l'écusson, en maniere d'écharpe ; cependant on la voit aussi quelquefois dans la position d'une bande, d'une fasce, d'une croix, &c. Voyez le P. Ménétrier.

Suivant Guillim, le filet est la quatrieme partie du chef, & il est placé dans le chef-point de l'écusson. Voyez CHEF.


FILEURS. m. terme de Corderie, est un artisan qui, en fournissant une quantité toûjours égale de chanvre, s'éloigne du roüet en reculant, & donne lieu à l'action de la roue qui tortille le chanvre & en forme des fils.

On distingue deux sortes de fileurs, savoir les fileurs à la ceinture, & les fileurs à la quenouille.

Les fileurs à la ceinture sont ceux qui en travaillant portent le chanvre attaché autour d'eux, comme une ceinture. Voyez les Planches de Corderie.

Les fileurs à la quenouille sont ceux qui attachent les peignons à une perche de sept à huit piés qu'ils portent à leur côté.

L'une & l'autre de ces deux méthodes a ses inconvéniens. Il semble que le fil qu'on a filé à la quenouille doit être plus fort, par la raison que le chanvre s'y trouve dans toute sa longueur ; mais aussi cela occasionne un déchet considérable, en ce que les brins courts tombent par terre. Cet inconvenient ne se rencontre pas quand on file à la ceinture.

Soit que le fileur travaille à la ceinture ou bien à la quenouille, voici comment il s'y prend. Tandis qu'un homme se met à la manivelle du roüet pour tourner la roue, le fileur prend un peignon qu'il ajuste à sa ceinture ou à sa quenouille ; & ayant fait une petite boucle de chanvre, il l'engage dans le crochet d'une molette. Comme la molette tourne, le chanvre qu'il y a attaché se tortille ; & le fileur fournissant du chanvre à mesure qu'il recule, commence à former un bout de fil : pour lors il prend dans sa main droite un bout de lisiere (V. CORDERIE), qu'on nomme une paumelle ; & en ayant enveloppé le fil qui est déjà fait, il serre fortement la main & tire à lui : en tirant ainsi, il empêche le fil de se tortiller sur lui-même & de se gripper ; & en serrant la main il retient le tortillement qu'imprime la roue, jusqu'à ce qu'il ait bien disposé avec la main gauche le chanvre, qui étant tortillé, doit augmenter la longueur du fil : alors il desserre un peu la main droite, & le tortillement se communique au chanvre qui avoit été disposé par la main gauche ; & en reculant un petit pas, il fait glisser la lisiere sur le fil qui se tortille actuellement. En repétant cette même manoeuvre, le fil prend de la longueur ; & quand il en a assez, le fileur l'accroche dans les dents d'un ratelier ; ce qu'il repete dans la longueur de la filerie toutes les fois qu'il le juge à propos, car il y a de ces rateliers de distance en distance.

Quand le fileur est arrivé au bout de la filerie, il en avertit par un cri : alors on détache le fil de la molette, & on se dispose à le devider sur les tourets. Voyez l'article CORDERIE, & les Planches.

FILEUR, (Drap.) ouvrier employé dans le travail des étoffes en laine. Voyez l'article MANUFACTURE EN LAINE, au mot LAINE.


FILEUSES. f. (Manufacture en soie) ouvriere employée au travail & à la préparation de la soie. Voyez l'article SOIE.


FILEUou TAQUETS, s. m. (Marine) ce sont des crochets de bois à deux branches courbées en façon de croissant, que l'on attache ordinairement au vibord pour amarrer les manoeuvres. (Z)


FILIALadj. (Théol.) signifie ce qui appartient à la relation de fils ; voyez FILS.

Les théologiens distinguent la crainte servile & la crainte filiale : la crainte qu'ils appellent simplement servile, simpliciter servilis, est bonne & loüable : celle qu'ils nomment servilement servile, serviliter servilis, est mauvaise ; elle se trouve même dans le coeur des plus grands scélérats : mais la crainte timor filialis, qui resulte de l'amour & du respect filial, est la plus parfaite, & se rencontre dans les ames les plus justes ; voyez CRAINTE. (G)


FILIATIONS. f. (Jurisprud.) c'est la descendance de pere en fils.

La maxime de droit en matiere de filiation, est que pater est quem nuptiae demonstrant ; mais cela ne s'entend que de la filiation légitime qui procede du mariage, & il peut aussi y avoir une filiation naturelle qui est celle des enfans procréés hors le mariage.

L'ordonnance de 1667, tit. xx. art. 7, veut que les preuves de l'âge & du mariage soient reçûes par des registres en bonne forme, qui font preuve en justice.

L'art. 9. ordonne que dans l'article des baptêmes, il sera fait mention du jour de la naissance, qu'on y nomme l'enfant, le pere, la mere, le parrain & la marraine.

Il est ordonné par l'article suivant, que les baptêmes seront écrits aussi-tôt qu'ils auront été faits, & signés par le pere, s'il est présent, & par les parrains & marraines, & que si aucuns ne savent signer, ils le déclareront, étant de ce interpellés par le curé ou vicaire, dont il sera fait mention.

Si les registres des baptêmes sont perdus, ou qu'il n'y en ait jamais eu, l'art. 14. porte que la preuve en sera reçûe, tant par titre que par témoins, & qu'en l'un & l'autre cas, les baptêmes & mariages pourront être justifiés, tant par les registres ou papiers domestiques des pere & mere décédés, que par témoins, sauf à la partie de vérifier le contraire.

Il y a encore des cas où l'on est obligé d'avoir recours à d'autres preuves qu'aux registres de baptêmes, & où la preuve, même testimoniale, est admise : c'est lorsque l'enfant n'a pas été baptisé ni ondoyé, ou que l'acte n'a pas été porté sur les registres, ou que l'enfant y a été déclaré sous des noms supposés.

L'éducation donnée à un enfant n'est pas seule une preuve de filiation ; mais la possession d'être traité comme enfant, est une preuve assez forte, & suffit pour faire adjuger à l'enfant une provision alimentaire, jusqu'à ce que le contraire soit prouvé.

Voy. la loi 1. §. 12. ff. de agnosc. liberis, & la loi 14. au cod. de probat. Franc-Marc, t. II. quest. 457. Soesve, tom. I. cent. 1. ch. xxxjv. & tom. II. cent. 1. ch. c. Boniface, tom. IV. liv. IX. tit. IV. ch. ij. Basset, tom. II. liv. IV. tit. XII. ch. j. Voyez aussi ENFANT, ÉTAT : & ci-après, FILS LEGITIME, MARIAGE ; PART, SUPPOSITION DE PART. (A)


FILIERESS. f. terme d'ouvrier de bâtiment, veines à plomb, qui interrompent les bancs dans les carrieres, & par où l'eau distille de la terre. (P)

FILIERES, terme d'usage dans les ardoiseries, voyez l'article ARDOISE.

FILIERE, termes d'Aiguilliers, est un morceau de fer plat, percé d'une grande quantité de trous, tous plus petits les uns que les autres, par lesquels les aiguilliers font passer successivement un cylindre d'acier, jusqu'à ce qu'il soit parvenu à former un fil de la grosseur qu'ils veulent donner à leurs aiguilles.

FILIERE, outil d'Arquebusier : cette filiere ressemble à celle des horlogers, serruriers, &c. & sert aux arquebusiers pour former des vis sur des morceaux de fer rond ; ils en ont de plusieurs grandeurs, & percés de trous plus grands & plus petits.

FILIERE DOUBLE, outil d'Arquebusier, c'est une espece de compas plat & large d'environ trois pouces, dont chaque branche est coupée par en-bas, & se termine par deux petits manches ronds ; un peu au-dessus de ces petits manches en-dedans, est un tenon qui est retenu à demeure dans la branche droite, & qui entre dans un trou vis-à-vis le tenon & pratiqué dans la branche gauche ; le milieu de ce compas est percé de plusieurs trous vissés comme les trous de filiere, & plus larges d'un côté que de l'autre ; les arquebusiers s'en servent pour former des vis pointues.

FILIERE, terme & outil de Chaînetier ; c'est un morceau d'acier de la longueur de sept ou huit pouces, qui est percé de plusieurs trous de différens calibres, & qui sert aux Chaînetiers à diminuer la grosseur du fil-de-fer, du cuivre & du laiton qu'ils veulent employer ; cela se fait en faisant passer leurs fils par les trous de cette filiere d'un plus petit calibre que n'est le fil ; pour y parvenir, ils commencent par limer environ un pouce de leur fil de la grosseur à-peu-près du trou de la filiere par où ils le veulent faire passer ; ils assujettissent leur filiere devant les coins du banc à tirer ; ils font sortir le petit bout limé & qui excede le trou de la filiere, par la pince qui est au bout de sa sangle, qui se roule sur le noyau du banc à tirer ; après quoi l'ouvrier fait tourner le moulinet dudit banc à tirer, ce qui force le reste du fil à passer par le trou de la filiere, & à diminuer de grosseur. Voyez BANC A TIRER.

FILIERE, outil de Charron ; cette filiere est un morceau d'acier plat, percé de plusieurs trous en vis de différente grosseur ; les Charrons s'en servent pour former des pas de vis sur un morceau de fer rond.

FILIERE, en terme de Cirier, c'est une plaque de cuivre ronde ou quarrée, percée de plusieurs trous dont la grandeur va toûjours en augmentant de l'un à l'autre d'un degré seulement : ces trous sont plus larges d'un côté que de l'autre, afin de vuider la matiere superflue du cirier.

FILIERE, en terme d'épinglier, c'est une plaque de fer plus ou moins longue & large, percée de plusieurs trous, diminuant toûjours proportionnellement de grosseur. C'est dans la filiere qu'on réduit le fil à telle grosseur qu'on veut, en le faisant passer à force par chacun de ces trous successivement.

FILIERE, outil de Luthier, représentée dans nos Planch. & fig. de Lutherie, est une machine qui sert à mettre d'épaisseur les petites planches de hêtre ou tilleul ou d'ivoire, avec lesquelles on fait les filets qui entourent & bordent les tables des instrumens, comme violons, basses, violes, &c. auxquels ces filets servent d'ornemens.

Pour former les filets, on prend de petites planches d'un pouce environ de large, & d'une longueur à discrétion, que l'on refend comme du bois de placage, & dont on égalise l'épaisseur en les passant plusieurs fois dans la filiere.

La filiere est composée de deux parties : l'inférieure, que l'on appelle base, & que l'on assujettit dans un étau par la partie A, lorsque l'on veut s'en servir, à une mortoise qui reçoit un fer de guillaume de la forme de la lettre T, que l'on serre dans la mortoise par le moyen d'un coin de bois, ensorte que le tranchant du fer n'excede que très-peu la surface supérieure de la base, dans laquelle est encore pratiquée une ouverture latérale, qui est la lumiere de cet outil, & par laquelle s'échappent les copeaux ou raclures que le fer emporte, en agissant sur les petites planches. Les extrémités C D de la base sont, l'une fendue pour recevoir l'oeil d'une vis C X, qui traverse la piece supérieure F G, que l'on appelle la tête de la filiere : l'autre extrémité de la base est traversée par une vis à laquelle cette partie sert d'écrou, & dans laquelle cette vis peut être fixée par la contre-vis, & qui traverse une des faces latérales.

La tête de la filiere G F est traversée en F par la vis C X sur laquelle passe un écrou à oreille ; cette vis & la vis H K, terminée en K par un rivet à tête ronde, servent à approcher ou à éloigner les deux parties de la filiere l'une de l'autre ; toutes ces pieces sont de cuivre.

La partie K N de la filiere, & qui fait face au fer de guillaume, est doublée inférieurement d'une plaque d'acier, sur & entre laquelle & le fer, passent les lames de bois que l'on veut égaliser, & que l'on égalise en effet avec cette machine, en les y passant plusieurs fois successivement ; & en resserrant la filiere, on les réduit au degré d'épaisseur convenable, qui est d'environ une demi-ligne ; réduction à laquelle on ne sauroit parvenir en se servant seulement d'une varlope, vû que des planches aussi minces plieroient sur l'établi ; & d'ailleurs la patte de l'établi n'auroit pas de prise sur leur petite épaisseur : c'est sans-doute ce qui a rendu cette machine nécessaire ; on pourroit en faire une beaucoup plus simple, mais moins commode, & qui suffiroit cependant pour plusieurs usages ; telle est celle représentée dans nos Planches, qui ne consiste qu'en une simple fourchette de bois, dans un des fourchons de laquelle on adapte un fer de varlope que l'on assujettit avec un coin : l'autre fourchon est revétu intérieurement d'une plaque de fer, qui oppose plus de résistance que ne feroit le bois aux planchettes que l'on veut égaliser, & que l'on passe à différentes reprises entre le fer de varlope & la plaque, comme dans la filiere précédente.

Après que les petites planches de bois sont égalisées, on les refend à deux ou trois lignes de largeur, avec un trusquin, & on s'en sert pour former les filets, ainsi que nous allons l'expliquer.

L'instrument auquel on veut adapter cet ornement étant presque entierement achevé, on prend le trace-filet, fig. 43 ou 48. n°. 1. (Voyez TRACE-FILET ou TIRE-FILET, qui n'est autre chose qu'un petit trusquin, dont on applique la joue b ou G fig. 48. contre la circonférence de la table de l'instrument : on conduit ce trusquin, ensorte que le fer fourchu a ou E D trace sur la table deux lignes paralleles entr'elles & au pour-tour de la table : cela fait, on évuide l'intervalle compris entre les deux traits paralleles, avec de petits becs-d'âne & autres outils semblables aux pointes à graver des graveurs en bois : cette opération achevée, on reprend les petites regles de bois ou d'ivoire que l'on a passées à la filiere, on les colle sur le champ dans la rainure que l'on a pratiquée, en leur faisant suivre le contour de la table, à la forme de laquelle leur flexibilité fait qu'elles se prêtent aisément. On affleure ensuite ces reglettes à la table de l'instrument, & les filets sont achevés. (D)

FILIERE, en termes d'Orfévrerie, est un morceau de fer d'un pié de long, de deux pouces de large, & de six à sept lignes d'épaisseur. Ce morceau est moitié fer & moitié acier, c'est-à-dire qu'il est composé de deux bandes de même longueur, largeur & épaisseur, que l'on soude ensemble l'une sur l'autre ; l'on y met du fer pour qu'elle soit moins sujette à se casser, parce qu'il faut que l'acier soit trempé dans toute sa force.

Les filieres sont de toutes les grandeurs que l'on a besoin ; elles sont percées de plusieurs rangs de trous plus larges d'un côté que de l'autre, pour donner une entrée plus libre. Le côté le plus large est dans le fer ; & le plus étroit, qui est celui qui travaille, est dans l'acier.

Les trous se suivent en diminuant graduellement, & sont numérotés sur la filiere en commençant par le plus grand, & finissant par le plus petit.

Lorsqu'il y a plusieurs rangs de trous dans une filiere, on observe de ne mettre point les grands audessous des grands, ce qui diminueroit trop la force de la filiere ; mais on les perce de maniere que les plus petits sont toûjours au-dessous ou au-dessus des plus grands.

Il y a des filieres rondes, demi-rondes, quarrées, plates-quarrées, étoilées, &c. selon la forme qu'on veut donner au fil en le tirant. Voyez les Planches.

On pourroit rendre la filiere beaucoup plus solide encore, en l'enfermant entre deux plaques de fer très-épaisses, auxquelles on pratiqueroit des ouvertures coniques, pour que le fil sortît sans résistance.

FILIERE A VIS, en terme d'Orfevre, est un morceau de fer revêtu d'acier, même quelquefois d'acier pur trempé, dans lequel sont pratiqués des trous ronds de diverses grandeurs, comme à une filiere ordinaire : ces trous sont dentelés en-dedans. Chacun de ces trous est garni d'un autre morceau d'acier rond aussi trempé, au bout duquel on a formé une vis en la faisant entrer un peu à force dans le trou qu'il garnit : ce morceau d'acier se nomme tarau. L'usage de cette filiere est de servir à faire les vis d'or ou d'argent dont on a besoin. Quand on a choisi la grosseur de la vis que l'on veut faire, on ôte du trou adopté le tarau ; on prépare la matiere, & on forme la vis dans le trou de la filiere ; ensuite on perce sur sa plaque d'or ou d'argent, un trou moins grand que le tarau d'acier qui étoit dans le trou où on a formé sa vis ; on élargit ensuite ce trou avec la pointe de ce tarau ; & par un mouvement orbiculaire on forme son écrou dans sa plaque : au moyen de cette opération, l'écrou & la vis se trouvent conformes l'un à l'autre. Voyez les figures.

FILIERE, (Taillanderie) est un outil qui sert aux Serruriers, Taillandiers, Horlogers, Orfevres, & à toutes sortes d'ouvriers qui sont obligés de faire des vis pour monter leurs ouvrages. Il y a des filieres de différentes façons, de doubles, de simples.

La filiere double est celle qui est composée des pieces suivantes, qu'on voit dans nos Planches de Taillanderie.

1°. 5. 6. 7. 8 & 9, est une filiere à charniere composée entre deux jumelles 6 & 7 ; la charniere 8, la bride 5, la vis qui fait fermer à mesure qu'on a besoin 9 ; 10 montre la bride séparée de la filiere ; 11 la vis qui est à filets ou par quarrés.

12, 13, 14, est une autre espece de filiere double qui a deux vis, qui sont aux extrémités des jumelles en 13 & 14, les jumelles 12 ; 15, 15, est la même filiere : on voit une des jumelles séparée de sa vis, comme la jumelle 16.

Autre filiere double 17, 18, 19 ; bras de la filiere 17, corps de la filiere 19, vis à filets quarrés & servant à serrer les jumelles lorsqu'on veut faire une vis 18 ; 20 entaille faite dans le côté du corps de la filiere, dans laquelle coulent les jumelles. 21, 21, jumelles ; les jumelles sont les pieces qui forment les filets de la vis. 22, 23, jumelles de la même filiere. 24 un des côtés de la même filiere, dont la cannelure est faite avant de la couder. 25 la même filiere, dont les cannelures & tenons sont prêts à être montés sur la piece 26. 27 mandrin qui sert à pratiquer l'espace qui est entre les deux côtés de la filiere. 28 la même filiere dont un des côtés est tourné, & l'autre droit. 29 tête de la filiere, dans laquelle les bras ou côtés de la filiere s'assemblent à tenons & mortoises.

Autre espece de filiere double dite à l'angloise. 31 & 32 les jumelles, semblables à celles de l'espece précédente ; à cette différence près, que les côtés de la filiere précédente sont creusés en dos d'âne : au lieu que ceux de la filiere dont il s'agit, entrent dans les rainures ou cannelures qui sont dans les côtés. 33 vis qui serre les jumelles. 34, 35, bras de la filiere.

Filiere simple ; c'est une piece de fer plat, acerée dans le milieu, où sont plusieurs trous taraudés pour faire les vis. Cette sorte de filiere fait les vis du premier coup ; au lieu que les doubles ne les font qu'à plusieurs reprises. x, x, y, filiere simple ; x, x, trous filetés.

FILIERE A VIS, outil de Serrurerie, de Fabricateurs d'instrumens de Mathématiques, de Tourneurs, Doreurs, Horlogers, &c. & généralement de toutes les professions qui ont besoin de vis dans leurs ouvrages. Il y en a de plusieurs sortes.

L'espece la plus simple (telle est celle qu'on voit représentée Pl. du Doreur) & qui sert également aux Horlogers, & que l'on nomme filiere simple, consiste en une plaque d'acier percée de différens trous gradués, taraudés intérieurement, c'est-à-dire formés en écrous par des taraux convenables, & trempée ensuite au plus dur. Il y en a qui ont deux poignées ; d'autres n'en ont qu'une ; d'autres enfin n'en ont pas du tout, & ne sont que des plaques d'acier taraudées, ainsi qu'il a été dit. Ces sortes de filieres ne servent ordinairement que pour faire de très-petites vis, soit en fer, acier, ou cuivre.

L'autre espece de filiere, représentée dans nos Pl. de Taillanderie, consiste en un chassis ou parallélogramme de fer B C E D, d'une grandeur & d'une épaisseur convenables. La largeur B C doit égaler au moins trois fois le diametre des plus grosses vis que l'on puisse fabriquer avec cet outil. A l'extrémité D E du chassis est un bossage K, percé d'un trou nommé oeil, dans le même plan que le chassis : ce trou est taraudé pour recevoir la vis H F du manche HG. L'autre extrémité du chassis est terminée par le manche X A, de la même piece de fer que le chassis, ou rapporte dans un oeil semblable à celui qui reçoit la vis F G, si on ne veut pas l'enlever de la même piece.

Chacun des longs côtés du chassis de la filiere est gravé d'une rainure d'un calibre convenable, & à-peu-près large du tiers de l'épaisseur du chassis : cette rainure reçoit les languettes e d, f g pratiquées aux coussinets, fig. 2. Ces coussinets sont des morceaux d'acier, aussi longs, sans y comprendre les languettes, que l'ouverture du chassis est large, & dans laquelle ils peuvent entrer au moyen des entailles a, o, pratiquées au chassis de la filiere. Ces coussinets sont entaillés à-peu-près semi-circulairement en ef, taraudés & trempés dur.

Pour faire une vis avec cet outil ; après avoir tourné le cylindre sur lequel on veut tracer ou former un filet, on le met verticalement entre les mâchoires d'un étau ; & après avoir choisi la paire de coussinets convenable (car une filiere doit être assortie d'un grand nombre de coussinets, pour pouvoir faire des vis de différentes sortes de pas, & sur différentes sortes de grosseurs de corps), on la place dans le chassis & par-dessus une piece plate de fer, pour recevoir la pression de la vis F H : en cet état on présente la filiere au cylindre qui est dans l'étau, ensorte que le cylindre passe entre les coussinets, que l'on serre contre ce cylindre en faisant tourner la vis F H par le moyen d'un levier placé dans le trou F, que l'on fait tourner jusqu'à ce que la pression soit suffisante : en cet état & après avoir arrosé d'huile le cylindre, on fait tourner le chassis de la filiere, en tirant & poussant alternativement les manches, jusqu'à ce qu'elle soit descendue jusqu'en-bas de la partie que l'on veut tarauder. Par cette premiere opération, la vis n'est guere que tracée sur le cylindre. On acheve de l'imprimer profondément, en réitérant cette opération autant de fois qu'il est nécessaire ; observant de mettre de l'huile à chaque fois, tant pour faciliter le mouvement, que pour faire sortir les copeaux que les angles saillans internes des coussinets enlevent, en formant les vuides ou intervalles qui séparent les filets de la vis. Il faut observer qu'au lieu d'huile on se sert de cire, lorsque l'on veut tarauder des pieces de cuivre. Un tarau, fig. 3. n'est autre chose qu'une vis d'acier trempé, un peu conique, dont les filets sont coupés, suivant la longueur, par trois ou quatre gravures. Ils servent à former les écrous & les coussinets qui sont un écrou brisé, & à leur tour les coussinets peuvent servir à former d'autres taraux. Le tourne-à-gauche, fig. 4 percé de divers trous quarrés, sert à tourner les taraux dans les trous que l'on veut former en écrous, en adaptant la tête du tarau dans un des trous du tourne à-gauche, que l'on fait tourner, comme il a été dit des manches de la filiere.

Filiere à bois, ou pour faire des vis de bois, comme celles des presses de Relieurs, & autres. Cette sorte de filiere représentée dans les mêmes Planches, consiste en un morceau de bois C D E F, auquel on a reservé les deux manches ou poignées A C, B D. Le milieu est percé d'un trou taraudé avec un tarau semblable à ceux que l'on a décrits ci-dessus. On applique au corps de la filiere une planche de même grandeur, fig. 8. percée d'un trou qui sert de calibre au cylindre de bois que l'on veut façonner en vis. Cette planche est fixée, non à demeure, au corps de la filiere, par trois chevilles r, s, t, qui entrent dans les trous marqués des mêmes lettres sur la figure 7. On adapte au corps de la filiere la piece d'acier, fig. 9 & 10, que l'on appelle l'V, à cause de sa ressemblance avec ce caractere V, & on l'y assujettit par le moyen de la bride, fig. 11. & de l'écrou, fig. 12. comme on voit en a m, fig. 7. & en q, fig. 6. ensorte que la pointe e des deux tranchans f e, g e, fig. 9 & 10. réponde exactement à l'arête saillante de l'hélice de la vis interne, ou de l'écrou de la filiere : en cet état elle est prête à servir.

Pour en faire usage ; après avoir arrondi la piece de bois dont la vis doit être faite, & l'avoir mise de calibre & placée verticalement dans un étau ou autre chose équivalente, on présente la filiere le plan en embas ; on la fait tourner en appuyant pour l'amorcer : aussi-tôt l'V coupe le bois, & forme par celui qu'il épargne le filet de la vis, qui s'engage dans le filet creux de la filiere, & sert par ce moyen de guide pour la continuation de la vis, sans qu'il soit besoin d'appuyer davantage. Les copeaux que l'V coupe, sortent par une ouverture latérale X, fig. 6. pratiquée au corps de la filiere vis-à-vis de la gorge de l'V ; comme on le voit en pm, fig. 7. En une seule opération la vis est achevée. Pour faire les écrous, on se sert de taraux d'acier, semblables à ceux dont on se sert pour le fer & le cuivre décrits ci-dessus, lorsque les écrous sont petits ou médiocres : mais lorsqu'ils excedent deux, trois ou quatre pouces en diametre, comme ceux des presses & pressoirs, dont quelques-uns ont jusqu'à dix-huit ou vingt pouces de diametre ; l'usage des taraux de fer est impossible, tant à cause du grand poids dont ils seroient, que de la longueur excessive des tourne-à-gauche, dont il faudroit alors se servir ; & aussi du danger qu'il y auroit d'éclater & faire fendre les pieces de bois les plus massives, en forçant les taraux dans les trous destinés à devenir des écrous. C'est un exemple entre mille autres, qui peut faire connoître combien on s'écarteroit de la vérité, en concluant qu'une opération qui réussit très-bien dans le petit & le médiocre, devroit avoir le même succès en grand.

Pour réussir à faire les grands écrous, & parer les inconvéniens dont il est fait mention, on a inventé une sorte de taraux fort ingénieux, représentés dans la même Planche, qui consistent en un cylindre de bois, fig. 13. de même grosseur que le corps de la vis, non compris le filet, & dont la partie supérieure est gravée d'un hélice concave, formée par un trait de scie, & dont on trouve l'épure en divisant la circonférence du cylindre, en un grand nombre de parties égales, par des signes paralleles à l'axe, & la longueur, par des cercles paralleles aux bases, que l'on trace sur le tour à des distances égales entr'eux, & égales à la distance des filets de la vis. On divise ensuite l'intervalle compris entre deux cercles paralleles, en autant de parties égales que l'on a tracé de lignes verticales ; & portant successivement, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, &c. parties sur les verticales, à compter toûjours d'un même cercle, on a les abscisses de l'hélice, auxquelles les portions de circonférence comprises entre les lignes verticales paralleles à l'axe, servent d'ordonnées : par ce moyen, on a un très-grand nombre de points de la courbe, que l'on grave ensuite par un trait de scie. On peut aussi tracer cette courbe par le moyen exposé à l'art. ETAU.

On perce dans la partie inférieure une mortoise perpendiculaire à l'axe, dans laquelle on place un fer de grain d'orge, fig. 14. que l'on y assujettit avec un coin, comme les fers des outils des Menuisiers : ce fer doit être d'une telle longueur, qu'il n'y ait que sa pointe qui excede un peu la surface du cylindre ; & le tarau est achevé.

La figure 14. représente le guide qui n'est autre chose qu'une planche quarrée, percée dans le milieu d'un trou de calibre au cylindre, sur le bord duquel on a adapté un plan incliné de biais r s t u, dont la hauteur, v u est égale à la hauteur ou distance des filets de la vis. Ce plan incliné est recouvert d'une plaque de forte tole r s t, assûrée avec des vis à bois, & dont l'arête interne saille en-dedans du trou. Pour former cette plaque, on décrit deux cercles concentriques ; le diametre de l'extérieur est égal au diametre extérieur du plan incliné, & l'intérieur égal au diametre du tarau, figure 13. moins deux fois la profondeur du trait de scie qui forme l'hélice du tarau ; on perce ensuite cette plaque de tole, ne reservant que la couronne comprise entre les deux cercles concentriques, que l'on coupe suivant un rayon, afin de pouvoir élever une partie en v, & abaisser l'autre en t sur le plan incliné du guide où on la fixe, comme on a dit, par des vis. La planche A B C D est encore percée dans les quatre coins, pour laisser passer des clous qui servent à fixer le guide sur la piece de bois que l'on veut tarauder.

Pour se servir de ces taraux ; après avoir percé le trou qui doit devenir écrou, on fixe la piece de bois sur un établi de menuisier, par le moyen d'un valet, comme on peut voir fig. 16. & après avoir passé le tarau dans son guide, on attache ce dernier sur la piece de bois, au moyen de trois ou quatre clous ; & ayant adapté ensuite une manivelle ou un tourne-à-gauche, on fait tourner le tarau, dont le grain d'orge, ou fer, gratte ou coupe le bois de la surface interne du trou, & commence à y former une hélice concave ; puisqu'à mesure que le tarau tourne, la plaque de fer du guide qui est engagée dans le trait de scie du tarau, le contraint de descendre. Par cette premiere opération, l'écrou n'est que tracé. Pour achever de le former entierement, on releve le tarau, auquel on donne plus de fer, c'est-à-dire que l'on fait sortir davantage le grain d'orge, qui en tournant le tarau, élargit & approfondit le filet concave de l'écrou, que l'on acheve par ce moyen, en réitérant cette opération autant de fois qu'il est nécessaire.

On peut, comme nous avons dit, avec cette machine faire de très-gros écrous sans y employer une force considérable, puisque l'on est maître de prendre plus ou moins de bois, en donnant plus ou moins de fer : d'ailleurs on ne court jamais de risque de fendre la piece de bois que l'on taraude ; & dont on doit observer d'évaser un peu l'entrée avant d'y appliquer le guide. (D)

FILIERE, terme de Tireur d'Or, morceau de fer ou d'acier, percé de plusieurs trous inégaux, par où l'on tire & fait passer l'or, l'argent, le fer, & le cuivre, pour le réduire en fils aussi déliés que l'on veut. Ces trous, qui vont toûjours en diminuant, se nomment pertuis ; leur entrée est appellée embouchure, & la sortie oeil ; & selon leurs différens usages on nomme ces morceaux ou plaques de fer, calibre, ou filiere, ou ras, ou prégaton, ou fer-à-tirer. On fait passer le lingot par environ quarante pertuis de la filiere, jusqu'à ce qu'on l'ait réduit à la grosseur d'une plume à écrire ; après quoi on le rapporte chez le tireur-d'or pour le dégrossir, par le moyen d'un banc scellé en plâtre qui est en maniere d'orgue, que deux hommes font tourner : là on le réduit à la grosseur d'un ferret de lacet, en le faisant passer par vingt pertuis, ou environ, de la filiere, qu'on appelle ras. Cela fait, & le fil d'or ayant été tiré sur un banc, appellé banc à tirer, on le fait passer par environ vingt pertuis de la filiere appellée prégaton, jusqu'à ce qu'il soit en état d'être passé avec la petite filiere appellée fer à tirer. On ouvre alors un pertuis appellé neuf ou fer à tirer, & on y passe le fil d'or ; puis on retrécit ce même pertuis avec un petit marteau, sur un ras d'acier ; & ensuite non-seulement on le polit avec de petits poinçons d'acier fort fins, mais on le rabat & repolit de la même sorte, jusqu'à ce que le fil d'or ne soit pas plus gros qu'un cheveu, ensorte qu'on puisse le filer sur de la soie. Lorsqu'il est en cet état, on l'écache entre deux rouleaux d'un petit moulin. Ils sont d'acier fort polis, & fort serrés sur leur épaisseur qui est d'un bon pouce, & ils en ont trois de diametre. On met le fil d'or entre deux, & l'on en tourne un avec la manivelle. Ce rouleau fait tourner l'autre ; & c'est ainsi que le fil s'écache : après quoi il est en état d'être filé sur la soie, pour les différens ouvrages où l'on a dessein de l'employer. Voyez DUCTILITE. Chambers.

FILIERE, terme de Fauconnerie ; c'est une ficelle d'environ dix toises, qu'on tient attachée au pié de l'oiseau pendant qu'on le reclame, jusqu'à ce qu'il soit assûré.

FILIERE, terme de Blason, qui se dit quelquefois du diminutif de la bordure, lorsqu'elle ne contient que la troisieme partie de la longueur de la bordure ordinaire. Dict. de Trévoux.


FILIGULEfilicula (Hist. nat. bot.) genre de plante, dont les feuilles ressemblent en quelque façon à celles de la fougere. Tournefort inst. roi herb. voyez PLANTE. (I)


FILIPENDULEfilipendula, s. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleurs en rose composées de plusieurs petales disposées en rond. Le pistil sort d'un calice qui est d'une seule piece terminée par plusieurs pointes. Ce pistil devient dans la suite un fruit presque rond, dont les semences sont rassemblées & rangées comme les douves d'un petit muid. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

FILIPENDULE, (Mad. med.) Boerhaave en compte deux especes, & Miller trois ; mais nous ne parlerons que de celle qui est d'usage en Medecine, & que les Botanistes nomment filipendula. Off. J. B. 3. P. 2. 189. Ger. 900. Emac. 1058. Raii Hist. 1. 623. Synops. 3. 259. Merc. Pin. 38. Doc. Pempt. 56.

Sa racine est charnue, noirâtre : il en sort des fibres menues, qui ont à leur extrémité des tubercules de la figure d'une olive, ou plus longues & moins grosses, comme dans l'asphodele, noirâtres en-dehors, blanchâtres en-dedans, ayant de l'acrimonie mêlée d'astriction & de douceur avec un peu d'amertume. Ses feuilles sont en grand nombre près de la racine, semblables à celles du boucage, plus étroites, découpées plus profondément, d'un verd foncé.

Sa tige est ordinairement unique, droite, longue de neuf pouces, ou même d'un pié & plus, cannelée, branchue, garnie d'un petit nombre de feuilles ; elle porte à son sommet des fleurs disposées comme en parasol, en rose, composées de six pétales blancs, rougeâtres en-dehors, placées en rond, legerement odorans ; ces fleurs sont chargées d'étamines surmontées de sommets jaunâtres & d'un calice d'une seule piece à plusieurs pointes, duquel sort un pistil qui s'éleve en un fruit presque sphérique, composé de 11, 12, ou d'un plus grand nombre de graines rudes, applaties, de figures rhomboïdales, irrégulieres, ramassées en maniere de tête, & rangées comme les douves d'un petit tonneau.

La filipendule vulgaire vient communément dans les bois, dans les terres crétacées, & fleurit en Juin & en Juillet dans nos climats. On la cultive aussi dans quelques jardins de Medecine, parce qu'elle est d'usage.

Les feuilles & surtout les racines de cette plante, sont d'usage en Medecine. Les feuilles ont une saveur astringente, un peu salée ; elles sont odorantes, gluantes, & elles rougissent le papier bleu ; mais la racine le rougit très-fort ; elle est stiptique, un peu amere, & paroît contenir un sel essentiel neutre, tartareux-alumineux qui ne s'alkalise point, & qui est mêlé avec beaucoup de soufre ; car par l'analyse chimique on tire de la racine de la filipendule beaucoup d'acide, de terre & d'huile.

Cette plante ouvre, incise, atténue les humeurs épaisses, & les chasse par les urines. Aussi tous les auteurs lui donnent place parmi les plantes diurétiques & apéritives. Sa racine mérite surtout cet éloge, & elle convient dans tous les cas où il s'agit d'inciser les humeurs & les faire couler, en resserrant ensuite les orifices des vaisseaux ; c'est par cette raison qu'on la donne souvent avec succès dans les fleurs blanches, les vuidanges trop abondantes, la diarrhée, la dyssenterie & la dysurie. La dose de la racine pulvérisée est d'une dragme ou deux dans une liqueur appropriée. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FILLES. f. voyez FILS.

Les fils & filles du Roi de France sont appellés fils & filles de France, parce que tous les sujets du royaume ont un intérêt particulier à leur conservation. V. PRINCES DU SANG.

FILLES de la Reine, (Hist. de France) titre d'office à la cour. C'est par ce titre que sous le regne de Charles VIII. en 1493, on appelloit les filles de condition qu'Anne de Bretagne commença la premiere à prendre auprès d'elle à son service. On les nommoit aussi filles d'honneur de la reine. Anne de Boulen, long-tems avant que le malheur de son étoile l'eût appellée en Angleterre pour y périr sur un échafaud, avoit vécu plusieurs années en France en qualité d'une des filles de la reine Claude, & puis en la même qualité auprès de la duchesse d'Alençon, devenue reine de Navarre. Enfin en 1673 Louis XIV, par des raisons que j'ai dites ailleurs, réforma la chambre des filles d'honneur de la reine, qui n'eut plus dans la suite que des dames du palais, dont l'établissement subsiste toûjours. Voyez DAME du PALAIS. Article de M(D.J.)

FILLES D'ARTICHAUX, (Jardinage) ce sont les oeilletons qu'on prend aux piés des artichaux.


FILLETTESS. f. (coûtume des fillettes) Jurisp. Voyez au mot COUTUMES l'article Coûtume des fillettes.

FILLETTE, (Commerce) vaisseau que l'on nomme plus ordinairement feuillette ou feillette, espece de futaille propre à mettre des liqueurs. On le dit aussi d'une petite mesure d'étain, qui en quelque province de France, sert à les mesurer pour les vendre en détail. Voyez FEUILLETTE. Dictionn. de Commerce & de Trévoux. (G)


FILONSVEINES METALLIQUES, (Hist. nat. Minéralogie) venae metallicae. On nomme ainsi dans les mines, les cavités ou canaux soûterreins dans lesquels on trouve des metaux, minéraux & autres substances fossiles qui se distinguent d'une façon sensible de la roche ou pierre dans laquelle ces substances sont renfermées. Ce n'est communément que dans les montagnes qu'on doit chercher des filons ; cependant il y en a qui, après être descendus des montagnes, ne laissent pas que de continuer leur cours dans les vallées. Les Naturalistes comparent ordinairement les filons aux veines ou arteres qui se répandent dans le corps des animaux ; ou bien ils nous les représentent comme les branches & rameaux d'un grand arbre, qui partent d'un tronc qui est profondement enfoüi dans les entrailles de la terre. On peut encore avec assez de justesse, les comparer aux rivieres que nous voyons à la surface de la terre, qui sont continuellement grossies dans leur cours par les ruisseaux qui vont s'y joindre. En effet les grands filons sont presque toûjours accompagnés d'autres plus petits, que l'on nomme fibres ou vénules, en allemand klufte, qui venant à s'y joindre, contribuent à les enrichir, & leur portent, pour ainsi dire, de la nourriture ; c'est pour cela que les Anglois les nomment feeders, nourriciers. Ces fibres ou vénules sont des fentes ou crevasses qui se rencontrent dans les roches & bancs de pierre dont est composée la montagne qui est traversée par un filon. Ces fibres ou fentes sont remplies ou de substances métalliques & minérales, ou de terres de différentes especes, ou de crystallisations : quelquefois elles sont entierement vuides, & ne servent qu'à donner passage aux eaux qui de la surface de la terre descendent dans ses entrailles ; il y en a qui vont aboutir jusqu'à la premiere couche de la terre en partant du filon, d'autres ne vont pas si loin. Cependant il arrive quelquefois que ces fibres ou vénules sont remplies de substances, qui venant à se joindre à celles du filon, en diminuent la qualité, ou bien en donnant passage aux eaux, elles sont cause de la destruction du filon ; ou donnant passage à l'air, la matiere contenue dans le filon, mise en action par la chaleur & la fermentation soûterreine, se dissipe & s'échappe. Voyez l'article EXHALAISONS MINERALES.

Les Minéralogistes considerent quatre choses dans les filons ; 1°. leur direction, 2°. leur chûte ou inclinaison, 3°. leur force, c'est-à-dire leurs dimensions en longueur, largeur & profondeur ; 4°. la substance qui les accompagne ou leur sert d'enveloppe.

La direction d'un filon n'est autre chose que sa situation relativement aux quatre points cardinaux du monde ; cette direction est tantôt du septentrion au midi, tantôt du midi au septentrion, tantôt de l'orient à l'occident, ou de l'occident à l'orient, ou à-peu-près. C'est par la direction des différentes couches de roche ou de pierre, dont une montagne est composée, qu'on voit quelle peut être celle des filons qui s'y rencontrent ; cependant comme cette regle n'est point invariable, le moyen le plus sûr pour déterminer la direction d'un filon, c'est d'avoir recours à une boussole des mines, que les Allemands nomment berg-compass, garnie d'une aiguille aimantée, & sur laquelle est un cercle partagé en 24 parties égales, qu'on nomme heures. Voyez l'art. GEOMETRIE SOUTERRAINE. On observera cependant que les Minéralogistes regardent comme les plus avantageux, les filons qui ont la même direction que les bancs de pierre qui les environnent. Il ne faut pas s'imaginer qu'un filon dans sa direction, décrive exactement une ligne droite qui réponde précisément à tels ou tels points de l'univers ; mais de même que les rivieres, ils font plusieurs détours, & sont remplis de sinuosités, & quelquefois de coudes occasionnés par les fentes des montagnes, par les roches sauvages & autres obstacles qu'ils ont rencontrés dans leur chemin.

La seconde chose qu'on considére dans les filons, c'est leur chûte ou leur situation relative à l'horison. En effet ils sont diversement inclinés, & selon que leur inclinaison est plus ou moins sensible, les Mineurs allemands leur donnent différens noms ; on la détermine au moyen du quart de cercle. L'inclinaison d'un filon n'est pas toûjours la même dans tout son cours ; on en voit quelquefois qui tomboient presque perpendiculairement, prendre tout-d'un-coup une inclinaison plus horisontale ; alors on dit que le filon remonte ; ou bien un filon qui marchoit presque suivant une ligne horisontale, descend tout-d'un-coup plus perpendiculairement, & pour lors on dit que le filon s'enfonce. La partie du filon qui approche le plus près de la surface de la terre, se nomme la tête du filon, & la partie qui s'enfonce dans le sein de la terre, s'appelle la queue. C'est un principe qu'on regarde comme très-constant dans la Minéralogie, que plus les filons sont perpendiculaires à l'horison & s'enfoncent en terre, plus ils sont riches & abondans, sur-tout quand ils sont parvenus à une profondeur assez grande pour être toûjours environnés d'eau qui défend le minéral qui y est contenu, du contact de l'air & de ses vicissitudes. Cependant il en résulte de très-grands inconvéniens ; en effet lorsqu'un filon est parvenu à une grande profondeur & qu'il est noyé dans l'eau, il est très-difficile & quelquefois même impossible de le suivre, & souvent l'on est forcé d'abandonner le travail d'une mine au moment où le filon devient le plus abondant. A l'égard des filons qui marchent horisontalement & qui sont proches de la surface de la terre, ils sont ordinairement pauvres, & les minéraux qui y sont contenus sont plus exposés à se détruire, s'évaporer, & se décomposer.

Quant à la force d'un filon, c'est sa longueur, largeur & profondeur qui la constituent ; elle varie infiniment, non-seulement dans les différens filons qui se trouvent dans les entrailles de la terre, mais elle n'est pas même constante dans un seul & même filon. Il y a des filons qui sont d'une longueur très-considérable, & qui après avoir été interrompus dans leur cours par une vallée, une riviere ou un ravin, se retrouvent quelquefois plus riches qu'auparavant, à une lieue ou même à deux lieues de-là. D'autres filons au contraire ne s'étendent pas fort loin, & se perdent très-promtement. Pour ce qui est de la largeur du filon, elle n'est pas la même par-tout ; en certains endroits elle n'aura, par exemple, qu'un pouce, tandis que dans d'autres elle aura plusieurs piés, & même plusieurs toises. Quand un filon se renfle dans quelques-unes de ses parties, les Mineurs disent qu'il prend du ventre.

Il arrive quelquefois que les filons, au lieu de suivre un cours déterminé comme celui des rivieres ou des ruisseaux, semblables à des étangs ou lacs, s'étendent considérablement à droite & à gauche, & forment des especes de bancs ou de lits dans le sein des montagnes, qui varient pour la profondeur & l'inclinaison ; les filons de cette espece se nomment filons dilatés : d'autres fois ces filons formeront comme un abysme ou masse énorme de substance metallique & minérale, d'une largeur & profondeur considérable ; pour lors on les appelle venae cumulatae, filons en masses. Voyez Agricola, de re metallicâ, lib. III.

Ces deux especes de filons en reçoivent d'autres, ou qui les traversent, ou qui viennent y porter leur richesse & se confondre avec eux, de même que les petits ruisseaux qui se déchargent dans des lacs ou des étangs. On sent aisement combien il est avantageux que les mines se trouvent ainsi disposées.

Les filons ne sont point de la même richesse dans toutes leurs parties : il y en a qui dans certains endroits seront solides, compacts, & parfaitement remplis de minéral, tandis que dans d'autres on trouvera le minéral répandu dans la terre par morceaux détachés de différentes grandeurs ; c'est ce que quelques naturalistes appellent minera nidulans ; les Allemands les nomment nieren, rognons : ou bien les filons seront remplis de pierres stériles, poreuses & spongieuses ; c'est ce que les mineurs d'Allemagne appellent donner dans des drusen. Voyez l'article DRUSEN. Quelquefois dans quelques endroits du filon, on ne rencontrera au lieu de minéral, que des fluors ou crystallisations de différentes couleurs, ou même des terres blanches, jaunes, bleues, rouges, &c. qui sont les débris du minéral qui a été détruit & décomposé, par les exhalaisons minérales, par les eaux & les autres causes qui agissent dans le sein de la terre : quand ces cas arrivent, les Mineurs disent qu'ils sont venus trop tard.

Pour ce qui est du minéral contenu dans un filon, il n'est pas par-tout de la même espece, & ne donne pas les mêmes produits dans les travaux de la Docimasie & de la Metallurgie. Souvent un filon dont le minéral est pauvre, s'enrichit tout-d'un-coup, parce que les fibres ou vénules viennent lui apporter ce qui lui manquoit, ou bien parce qu'un autre filon viendra se joindre à lui ; mais d'un autre côté, souvent ces venules ou filons qui viennent s'y joindre, loin d'enrichir le filon auquel ils s'unissent, contribuent à sa destruction par les eaux auxquelles ils donnent passage ; & par les substances arsénicales, sulphureuses & nuisibles qu'ils lui viennent apporter, diminuent la qualité du minéral qu'il contenoit auparavant, en le rendant plus difficile à traiter, plus aisé à se dissiper dans le feu, plus réfractaire, &c.

On voit encore des filons qui fournissoient beaucoup, aller en diminuant se partager en un grand nombre de fibres ou vénules, & enfin se perdre & se réduire à rien.

Il arrive quelquefois à un filon de manquer tout-d'un-coup, pour lors il semble tranché par une roche dure & sauvage qui en interrompt entierement le cours ; il paroît que ce phénomene doit être attribué à l'affaissement qui a pû arriver à une portion de la roche dont est composée la montagne où se trouve le filon ; révolution qui a dû déranger le cours du filon, & empêcher sa continuité ; dans ce cas les Mineurs sont obligés de percer cette roche dure, pour retrouver leur filon qui est de l'autre côté ; ou bien si ce travail est trop pénible & trop coûteux, on tâche d'aller rechercher de l'autre côté, sans percer la roche, l'autre portion du filon ; mais pour la retrouver sans donner à faux, il faut beaucoup d'usage & d'expérience, & faire attention aux différentes couches de la montagne & aux changemens qui ont dû y arriver pour causer la perte d'une portion du filon.

La rencontre d'une roche dure ne coupe pas toûjours un filon ; quelquefois elle se contente de lui faire former des coudes, ou bien elle le partage en deux ou plusieurs branches, qui dans de certains cas se réunissent de nouveau, & pour lors la roche forme comme une île environnée par les deux bras du filon.

Il n'est pas rare de trouver dans une même montagne plusieurs filons contenant quelquefois des minéraux de différentes especes ; ordinairement ils ne sont pas tous de la même force, & communément il y en a un qui est plus considérable, que l'on nomme filon principal, les autres s'appellent filons concomitans ou accompagnans. Les filons principaux ont plusieurs avantages sur les moindres ; en effet ils ne sont pas si facilement interrompus dans leurs cours par les roches dures ou autres obstacles qui se rencontrent, leurs dimensions sont plus considérables, leur direction n'est pas si sujette à varier, & la matiere qu'ils contiennent est plus constante. Lorsqu'il se trouve plusieurs filons dans une même montagne, ils sont quelquefois paralleles les uns aux autres, & ils suivent chacun leurs directions sans se troubler dans leurs cours. Mais il arrive aussi fréquemment qu'ils se croisent & se coupent les uns les autres à différens angles. Plusieurs viennent quelquefois se réunir dans un même point, se séparent ensuite de nouveau, & chacun continue à suivre sa premiere direction. Dans de certains cas on voit deux ou plusieurs filons se joindre pour n'en former qu'un seul, & les substances que contiennent ces différens filons, se mêlent & se confondent : dans d'autres cas, les filons ne font que se joindre sans que leurs substances se confondent ; par exemple, un filon qui contient de la mine de plomb, s'associera avec un filon qui contient de la mine de cuivre, & tous les deux courront à côté l'un de l'autre pendant un espace assez considérable.

Enfin les Mineurs font attention à la substance qui sert immédiatement d'enveloppe aux filons ; les minéralogistes allemands la nomment salband ; cette écorce ou enveloppe sert à contenir le minéral, & le sépare de la roche stérile & non-métallique, dont la montagne est composée. Quelquefois cette enveloppe est une substance pierreuse, d'autres fois c'est un limon ou gris, ou bleuâtre, ou jaunâtre, qu'on nomme besteck en allemand ; les Mineurs regardent ce limon comme un bon signe, qui leur annonce un filon riche & abondant. La partie de la roche qui couvre le filon, se nomme le toît, tectum. Celle sur laquelle le filon est soûtenu, se nomme le sol, fundamentum. Quand à l'origine & à la formation des filons metalliques, voyez les articles EXHALAISONS MINERALES, MINERALISATION, MINES, METAL, &c. (-)


FILOSELLES. f. (manufacture en soie,) espece de grosse soie très-commune, qui se fabrique avec la bourre de la bonne soie, & celle qui se tort des cocons de rebut. Voyez l'article SOIE.


FILOUSou QUENOUILLE, terme de Corderie. Voyez les articles, CORDERIE & QUENOUILLE.


FILSS. m. (Grammaire) qui exprime la relation qu'un enfant mâle a avec son pere & sa mere, voyez PERE.

Les enfans du roi d'Angleterre sont appellés fils & filles d'Angleterre, voyez ROI.

Le fils aîné est en naissant duc de Cornoüaille, & créé prince de Galle, voyez PRINCE.

Les puînés sont appellés cadets.

Les enfans des rois de France étoient anciennement appellés fils & filles de France, & les petits-enfans, petits-fils & petites-filles de France ; mais à présent, les filles sont appellées, Mesdames ; la fille défunte de M. le Dauphin s'appelloit aussi Madame.

FILS ADOPTIF. Voyez les articles ADOPTIF & ADOPTION.

FILS DE FAMILLE, en pays de droit écrit, est un enfant ou petit-enfant, qui est en la puissance de son pere, ou ayeul paternel.

Les filles qui sont soûmises à cette même puissance, sont aussi appellées filles de famille, & comprises sous le terme général d'enfans de famille.

Les fils & filles de famille ne peuvent point s'obliger pour cause de prêt, quoiqu'ils soient majeurs ; leurs obligations ne sont pas valables, même après leur mort, suivant le Senatus-consulte macédonien.

Ils ne peuvent tester, même avec la permission de leur pere, si ce n'est de leur pécule castrense ou quasi castrense.

Le pere joüit des fruits des biens du fils de famille, excepté de ceux de son pécule, & dans quelques autres cas que l'on expliquera au mot PUISSANCE PATERNELLE.

Tout ce que le fils de famille acquiert appartient au pere, tant en usufruit qu'en propriété.

Le pere ne peut faire aucune donation entre-vifs & irrévocable au fils de famille, si ce n'est par contrat de mariage.

Lorsque le pere marie son fils étant en sa puissance, il est responsable de la dot de sa belle fille.

L'émancipation fait sortir le fils de famille de la puissance paternelle ; le pere qui émancipe son fils, avoit autrefois pour prix de son émancipation, le tiers des biens en propriété ; mais au lieu de cela, Justinien lui a donné la moitié en usufruit ; il a aussi l'usufruit d'une portion virile des biens maternels qui échéent au fils de famille depuis son émancipation voyez ÉMANCIPATION.

En pays coûtumier, où la puissance paternelle n'a pas lieu, on entend par fils de famille les enfans mineurs qui ne sont point mariés, & qui vivent sous la dépendance de leurs pere & mere.

Les fils de famille mineurs de 25 ans ne peuvent, soit en pays de droit écrit, soit en pays coûtumier, contracter mariage sans le consentement de leurs pere & mere, tuteurs & curateurs.

Les majeurs de 25 ans peuvent se marier ; mais pour se mettre à couvert de l'exhérédation, il faut qu'ils fassent préalablement à leurs pere & mere trois sommations respectueuses, & les garçons ne peuvent faire ces sommations avant l'âge de 30 ans. Voyez MARIAGE.

Voyez au Digeste & aux Instituts le titre de his qui sui vel alieni juris sunt : le titre du digeste, de senatus-consult. macedoniano ; & aux instit. le titre de patria potestate, & de filio familias minore ; la novelle 117, ch. j. la novelle 118, ch. ij. (A)

FILS (Morale) La relation du fils au pere, entraine des devoirs qu'il doit nécessairement remplir, & dont le tableau laconique tracé d'un style oriental, par l'auteur du Bramine-inspiré (The inspir'd Bramin. London. 1755 in-8°. 6. édit.) vaudra mieux que tout ce que je pourrois dire d'une maniere didactique.

" Mon fils (dit ce bramine) apprens à obéir, l'obéissance est un bonheur ; sois modeste, on craindra de te faire rougir.

Reconnoissant ; la reconnoissance attire le bienfait ; humain, tu recueilleras l'amour des hommes.

Juste, on t'estimera ; sincere, tu seras crû ; sobre, la sobriété écarte la maladie ; prudent, la fortune te suivra.

Cours au desert, mon fils, observe la cigogne ; qu'elle parle à ton coeur : elle porte sur ses aîles son pere âgé, elle lui cherche un asyle, elle fournit à ses besoins.

La piété d'un enfant pour son pere, est plus douce que l'encens de Perse offert au soleil, plus délicieuse que les odeurs qu'un vent chaud fait exhaler des plaines aromatiques de l'Arabie.

Ton pere t'a donné la vie, écoute ce qu'il dit, car il le dit pour ton bien ; prête l'oreille à ses instructions, car c'est l'amour qui les dicte.

Tu fus l'unique objet de ses soins & de sa tendresse, il ne s'est courbé sous le travail que pour t'applanir le chemin de la vie ; honore donc son âge, & fais respecter ses cheveux blancs.

Songe de combien de secours ton enfance a eu besoin, dans combien d'écarts t'a précipité le feu de ta jeunesse, tu compatiras à ses infirmités, tu lui tendras la main dans le déclin de ses jours.

Ainsi sa tête chauve entrera en paix dans le tombeau ; ainsi tes enfans à leur tour marcheront sur les mêmes pas à ton égard ".

Voyez aussi l'article ENFANT, (Morale) où l'on entre dans de plus grands détails. Article de M(D.J.)

FILS (beau) Jurisp. & Belles-Lettres, terme d'affinité. Le beau-fils est le fils du mari ou de la femme sorti du premier mariage de l'un ou de l'autre : nous disions autrefois fillâtres, & nous avons eu tort d'appauvrir notre langue de ce terme expressif.

Il me rappelle que des interpretes d'Horace supposant que l'on ne dit en latin privignus, ou privigna, que d'un enfant du premier lit, fils ou fille dont le pere ou la mere sont décédés après avoir passé à de secondes nôces, accusent le poëte latin d'un pléonasme ridicule dans ses deux vers de l'Ode XXIV. liv. III. où est l'éloge des anciens Scythes.

Illîc matre carentibus

Privignis mulier temperat innocens.

Mais les critiques dont je veux parler, n'ont pas pris garde que suivant les lois romaines, il pouvoit y avoir des privigni dont le pere ou la mere étoient encore en vie : ce qui arrivoit dans le cas du divorce ; cas où le mari s'étant séparé de sa femme, comme la loi le lui permettoit, & ayant épousé une seconde femme, les enfans du premier mariage étoient privigni à l'égard de la seconde femme, quoique leur mere fût vivante. Ainsi Tibere Néron ayant cédé Livie à Auguste, Drusus fut privignus à Auguste.

Cette remarque est de M. Aubert dans Richelet, & elle leve une difficulté que la seule science de la langue latine ne peut résoudre sans la connoissance des lois romaines. M. Dacier, admirateur d'Horace, soûtient à la vérité, que privignis & matre carentibus, sont deux expressions différentes qui ne disent point la même chose, mais il n'explique pas en quoi & comment ces deux expressions different, & c'est précisément ce qu'il falloit prouver aux censeurs pour leur fermer la bouche. Article de M(D.J.)

FILS des dieux (Mythol.) La dénomination de fils des dieux ou enfans des dieux, est aussi confuse qu'étendue dans l'histoire fabuleuse. C'est nettoyer les étables du roi Augias, que de travailler à débroüiller ce cahos. Je me bornerai donc aux principales applications de ce terme, rassemblées d'après l'abbé Banier dans le Dictionnaire mythologique.

1°. Tous les enfans du concubinage des princes mis ensuite au rang des dieux, comme de Jupiter & de quelques autres qui eurent plusieurs femmes pendant leur vie, étoient tout autant d'enfans ou de fils des dieux.

2°. On a donné souvent le nom de fils des dieux à plusieurs personnages poétiques ; comme quand on dit que l'Acheron étoit fils de Cérès, l'Amour fils de la Pauvreté, l'Echo fille de l'Air, les Nymphes filles d'Acheloüs, & une infinité d'autres.

3°. Ceux qui furent les imitateurs des belles actions des dieux, & qui excellerent dans les mêmes arts, passerent pour leurs fils, comme Esculape, Orphée, Linus, &c.

4°. Ceux qui se rendoient fameux sur la mer, étoient regardés comme les enfans de Neptune ; ceux qui se distinguoient dans la guerre, étoient des fils de Mars, comme Thésée, Oenomaüs, &c.

5°. Ceux dont le caractere ressembloit à celui de quelque dieu, passoient aussi pour leurs fils. étoit-on éloquent ? on avoit Apollon pour pere ; fin & rusé ? on étoit fils de Mercure.

6°. Ceux dont l'origine étoit obscure, étoient réputés enfans de la terre, comme les géans qui firent la guerre aux dieux, Tagès inventeur de la divination étrusque.

7°. La plupart des princes & des héros, qui ont été déïfiés, avoient des dieux pour ancêtres, & passoient toûjours pour en être les fils.

8°. Ceux qu'on trouvoit exposés dans les temples ou dans les bois sacrés, étoient fils des dieux, à qui ces bois étoient consacrés ; ainsi Erictonius passa pour fils de Minerve & de Vulcain.

9°. Quand quelque prince avoit intérêt de cacher un commerce scandaleux, on ne manquoit pas de donner un dieu pour pere à l'enfant qui en naissoit ; ainsi Persée passa pour fils de Jupiter & de Danaé ; Romulus pour fils de Mars & de Rhéa ; Hercule pour fils de Jupiter & d'Alcmène.

10°. Ceux qui étoient nés du commerce des prêtres avec les femmes qu'ils subornoient dans les temples, étoient sur le compte des dieux dont ces prêtres étoient ministres. La Mythologie a tout divinisé. Article de M(D.J.)

FILS DE DIEU, (Théol.) Cette expression est employée fréquemment dans les écritures ; on dispute fortement sur le sens qu'elle y reçoit, les Catholiques y attachant des significations que les Ariens, les Nestoriens, les Sociniens & plusieurs autres hérétiques contestent.

Nous allons recueillir les divers sens dont cette expression est susceptible, ou que lui ont donné les Théologiens des diverses sectes & des diverses communions.

1°. On trouve appellés du nom de fils de Dieu, d'enfans de Dieu dans les Ecritures, ceux qui font la volonté de Dieu, qui le craignent & l'aiment comme leur pere, & qu'il aime comme ses enfans, qu'il adopte par sa grace, &c. C'est en ce sens que les anges, les saints, les justes & les chrétiens sont appellés fils de Dieu, enfans de Dieu.

2°. Quelques théologiens hétérodoxes prétendent que Jesus-Christ est appellé Fils de Dieu, parce qu'il étoit envoyé de Dieu, parce qu'il étoit le Messie. Ils prétendent que dans la langue des écrivains sacrés, & dans la croyance générale du peuple juif sur la venue du Messie, Fils de Dieu étoit synonyme de Messie. On conçoit bien qu'en donnant ce sens à l'expression Fils de Dieu, par exclusion aux significations plus amples que les Théologiens catholiques y attachent, on s'écarte de la doctrine catholique ; mais si on ne prétendoit pas exclure ces significations, & si on y met quelques restrictions, la proposition pourroit souffrir un sens favorable. En effet, il n'y a nul inconvénient à dire que les Juifs, avant la prédication des apôtres ; que les malades qui s'approchoient pour la premiere fois de Jesus-Christ pour obtenir leur guérison ; que le centurion romain qui vit mourir Jesus-Christ, en lui donnant le nom de Fils de Dieu, n'avoient pas toutes les idées que nous avons de cette qualité, & qui lui appartiennent.

3°. On pourroit appeller fils de Dieu, un pur homme qui auroit reçû immédiatement son existence hors des voies ordinaires de la génération, parce qu'en ce cas Dieu lui-même suppléeroit par sa puissance à l'union des deux sexes : c'est en ce sens qu'Adam est appellé fils de Dieu, qui fuit Dei.

Il y a eu des hérétiques qui niant la divinité de Jesus-Christ, & ne refusant pas de croire qu'il étoit né d'une Vierge, le regardoient comme Fils de Dieu dans ce même sens-là. Telle étoit l'opinion d'un certain Théodotus dont parle Tertullien, de praescript. versus finem : Doctrinam introduxit, dit ce pere, quâ Christum hominem tantùm diceret, Deum autem illum negaret, ex Spiritu quidem sancto natum ex Virgine, sed hominem solitarium atque nudum nulle alio prae caeteris nisi solâ justitiae autoritate.

Dans la doctrine de cet hérétique, & dans ce troisieme sens, Adam & Jesus-Christ sont fils de Dieu d'une maniere bien plus parfaite que dans les deux premieres acceptions : on pourroit même dire qu'ils sont fils de Dieu naturels, par opposition à l'adoption des saints ; mais cette acception du mot fils de Dieu entendue par exclusion des autres sens que nous allons rapporter ; est tout-à-fait opposée à la doctrine catholique.

4°. Dans la doctrine catholique, le Verbe ou la seconde Personne de la Trinité, est Fils de Dieu, fils de la premiere Personne, par la voie d'une génération éternelle.

5°. Dans la doctrine catholique, J. C. homme-Dieu est Fils de Dieu, par l'union faite en lui de la nature humaine à la nature divine dans la seconde Personne de la Trinité, qui est elle-même Fils de Dieu, & Verbe engendré de toute éternité.

Nous verrons plus bas une sixieme signification de l'expression fils de Dieu : mais nous allons faire encore quelques observations sur celles-ci, après que nous aurons remarqué deux autres sens plus généraux qu'elle peut recevoir.

Le nom de fils peut être pris dans le sens propre & naturel, ou dans un sens impropre & métaphorique : un enfant adopté n'est pas fils de celui qui l'adopte, dans le sens propre & naturel.

De-là naissent les contestations entre les hérétiques qui nient la divinité de Jesus-Christ, & les Catholiques : ceux-là prétendant que l'expression Fils de Dieu appliquée à Jesus-Christ, ou même appliquée au Verbe, ne sauroit être entendue que dans un sens impropre & métaphorique ; & ceux-ci soûtenant au contraire qu'elle doit être prise dans le sens propre & naturel.

Dans le dogme catholique, Jesus-Christ est Fils de Dieu au sens propre & naturel. Cette filiation naturelle ne peut pas être entendue de celle que nous avons remarquée à la troisieme signification. En effet, cette troisieme signification peut fonder une filiation naturelle, par opposition à la premiere & à la seconde, comme nous l'avons dit ; mais par comparaison à la quatrieme & à la cinquieme, elle ne sauroit être appellée propre & naturelle.

Ces deux dernieres significations de l'expression de Fils de Dieu appliquée à J. C. dans les Ecritures, ne peuvent être niées que par les hérétiques qui refuseroient de reconnoître la divinité du Verbe, comme les Ariens, les Sociniens ; ou par ceux qui nieroient l'union hypostatique de la nature humaine dans J. C. avec la personne du Verbe, comme les Nestoriens : voyez ces trois articles.

De-là il suit que les Théologiens catholiques, pour établir la légitimité de ces deux explications qu'ils donnent à l'expression Fils de Dieu appliquée à J. C. sont obligés d'établir la divinité du Verbe & l'union hypostatique, &c. Voyez sur le premier de ces objets l'article TRINITE, & sur le dernier, INCARNATION.

Ces deux renvois que nous sommes obligés de faire pour traiter ces matieres en leur lieu, & pour éviter les redites, nous dispensent d'exposer ici & les raisons sur lesquelles se fondent les Théologiens catholiques dans leurs assertions, & les difficultés qu'y opposent les hétérodoxes.

J'ai parlé plus haut d'un sixieme sens que pouvoit recevoir l'expression de Fils de Dieu ; nous allons nous occuper de cet objet.

Dans ces derniers tems, le P. Berruyer, jésuite, dans des dissertations latines qu'il a placées à la fin de son histoire du peuple de Dieu, depuis la naissance du Messie, a soûtenu que l'expression fils de Dieu en beaucoup d'endroits du nouveau Testament, devoit être entendue dans un sixieme sens distingué de ceux dont nous avons fait mention. Comme son opinion a fait du bruit, & qu'elle tient bien directement à l'objet de cet article, nous croyons devoir nous y arrêter un peu. Nous allons donc faire un petit exposé du système de ce pere, que nous accompagnerons de quelques remarques.

Cet auteur commence par établir avec les Théologiens catholiques, que le Verbe est Fils de Dieu par la voie d'une génération éternelle, & que J. C. est Fils de Dieu en vertu de son union hypostatique avec le Verbe, c'est-à-dire qu'il reconnoît hautement la légitimité de ces deux sens que les Théologiens catholiques donnent à l'expression fils de Dieu, en combattant les Ariens, les Sociniens, les Nestoriens, &c. C'est la quatrieme & la cinquieme signification parmi celles que nous avons remarquées.

Mais il croit que dans les Ecritures la dénomination de Fils de Dieu appliquée à J. C. ne reçoit pas toûjours l'un ou l'autre de ces deux sens, & qu'elle signifie quelquefois l'union de la nature humaine à la nature divine faite dans la personne de J. C. par Dieu, considéré non plus comme pere, comme engendrant le Verbe de toute éternité, mais comme subsistant en trois personnes, agissant au dehors, ad extrà, & unissant l'humanité de J. C. avec une personne divine.

Ceci a besoin d'être éclairci ; & pour le faire, nous allons tâcher d'écarter autant que nous pourrons les termes de l'école que le P. Berruyer a prodigués, & qui ne présenteroient pas des idées assez nettes au commun de nos lecteurs. Mais il faudra qu'on nous permette de les employer quelquefois ; & nous nous excuserons avec Melchior Canus, sur ce que ipsae scholasticae res formas dicendi scholasticas trahunt, & quae vocabula scholarum consuetudo diuturna trivit, ea latini nobis condonare debent.

Pour bien entendre le P. Berruyer, il suffira de saisir les différences de la signification qu'il donne à l'expression Fils de Dieu, d'avec la quatrieme & la cinquieme de celles que nous avons expliquées.

Dans le quatrieme sens, le Verbe est Fils de Dieu par sa génération éternelle ; dans le cinquieme, Jesus-Christ est Fils de Dieu par l'union faite en lui de la nature humaine avec la seconde Personne de la Trinité, avec le Fils de Dieu éternel ; dans le sixieme sens, Jesus-Christ est Fils de Dieu par l'union de la nature humaine avec une personne divine, considérée simplement comme divine, & non point précisément comme la seconde.

Dans le quatrieme sens, la génération est éternelle ; dans le cinquieme & dans le sixieme, elle s'opere dans le tems.

Dans le quatrieme & dans le cinquieme sens, en appellant le Verbe Fils de Dieu, & Jesus-Christ Fils de Dieu, on porte son idée sur la premiere Personne de la Trinité, sur Dieu le Pere. Dans le sixieme, on applique l'idée de Pere à Dieu, à la nature divine agissant au dehors & subsistant en trois Personnes.

Dans le cinquieme sens, Jesus-Christ ne seroit pas Fils de Dieu, si la personne divine à laquelle son humanité se trouve unie, n'étoit pas la seconde Personne de la Trinité, n'étoit pas Fils de Dieu. Dans le sixieme, en supposant que cette personne fût le Pere ou le saint-Esprit (les Théologiens conviennent qu'on peut faire cette supposition, & qu'il ne répugnoit pas à la nature divine que le Pere ou le St. Esprit s'incarnassent), Jesus-Christ seroit encore Fils de Dieu ; parce que dans cette hypothèse Dieu, un, subsistant en trois personnes, auroit uni dans le tems l'humanité de Jesus-Christ à la nature divine.

Au quatrieme & au cinquieme sens, l'intelligence de cette proposition Jesus-Christ est Fils de Dieu, suppose la connoissance de la génération éternelle du Verbe, de l'union hypostatique de ce Verbe avec la nature humaine en la personne de Jesus-Christ, en un mot du mystere de la Trinité. Dans le sixieme elle ne suppose rien autre chose que la connoissance d'un seul Dieu, unissant dans le tems la nature humaine à la nature divine dans la personne de J. C.

Voilà les différences respectives qu'établit le pere Berruyer entre ces trois significations ; elles peuvent servir à faire entendre sa pensée : au reste il faut avoüer que la difficulté de la matiere jette sur tout ceci un peu d'obscurité.

Je passe aux preuves sur lesquelles cet auteur s'appuie. Voici les principales.

1°. On doit donner, dit-il, à l'expression Fils de Dieu, le sens que je propose (sans exclure les autres) ; si l'action de Dieu unissant l'humanité de Jesus-Christ à une Personne de la Trinité, est une véritable génération, abstraction faite de ce que cette Personne seroit le Verbe engendré de toute éternité, la seconde Personne : or, même en faisant cette abstraction, l'action de Dieu unissant la nature humaine à la nature divine, est une véritable génération, puisque par cette action est engendré, formé, &c. l'Homme-Dieu.

En effet si la nature humaine étoit unie à une autre Personne que la seconde, le résultat de cette union, l'Homme-Dieu, seroit vraiment Fils de Dieu ; en ce cas l'action de Dieu unissant la nature humaine à cette Personne divine, seroit donc une véritable génération : donc l'action de Dieu unissant la nature humaine à la Personne du Verbe, est une vraie génération, même alors qu'on fait abstraction de la génération éternelle du Verbe : donc en faisant cette abstraction, il reste encore un sens vrai à la dénomination de Fils de Dieu, & c'est ce sens que je propose.

2°. On trouve très-nettement distinguées dans les Ecritures deux générations du Fils de Dieu, l'une éternelle, & l'autre temporelle. In principio.... Verbum erat apud Deum.... Et Verbum caro factum est.... Dominus possedit me initio viarum suarum.... Ego hodie genui te.... Figura substantiae ejus portans omnia Verbo virtutis suae.... De Filio suo qui factus est ei secundum carnem. Or la différence de ces deux générations ne peut bien s'entendre qu'au moyen de cette explication, puisqu'à moins qu'on ne l'admette, Jesus-Christ n'est Fils de Dieu que par la génération éternelle du Verbe.

3°. Avant la résurrection de Jesus-Christ, avant les instructions qu'il donna à ses disciples, avant de monter au ciel, avant la descente de l'Esprit-saint, ses apôtres & ses disciples ignoroient le mystere de la Trinité. Cela est clair par les endroits où leur ignorance est remarquée : Adhuc sine intellectu erant, Matth. xv. & xvj. Adhuc multa habeo vobis dicere ; sed non potestis portare modo, Joan. xvj. 12. Ipsi nihil horum intellexerunt, Luc. xviij. 34. Dicit eis Jesus, tanto tempore vobiscum sum & non cognovistis me, Joan. xjv. 9. Nondùm erat spiritus datus, quia Jesus nondùm erat glorificatus, Joan. xvij. 29. Aussi bien que par ceux où Jesus-Christ promet de les instruire :

Haec in proverbiis locutus sum vobis ; venit hora ut jam non in proverbiis loquar vobis, sed palam de patre annuntiabo vobis, Joan. xvj. 25. Et après la résurrection : Loquebatur apostolis suis de regno Dei, per dies quadraginta apparens eis.

A plus forte raison les Juifs n'avoient-ils aucune idée de ce mystere ; & c'est la doctrine commune des Théologiens : bien plus les Juifs & les apôtres étoient bien fortement persuadés du dogme de l'unité de Dieu ; dogme qui aux yeux de la raison privée des lumieres de la foi, devoit former dans leur esprit une terrible opposition à la doctrine d'un Dieu en trois personnes.

Cela posé, que prêchoit Jesus-Christ aux Juifs & à ses apôtres avant sa résurrection, dit le P. Berruyer ? Ce n'étoit pas le dogme de l'union hypostatique de son humanité avec la seconde personne de la Trinité, avec le Verbe éternel Fils du Pere, & engendré par lui de toute éternité ; il n'auroit été entendu de personne, puisque toutes les notions préliminaires à la connoissance de ces mysteres manquoient à la nation juive, & qu'elle en avoit même de très-opposées à cette doctrine : c'étoit donc l'union faite dans le tems en sa personne de la nature humaine avec la nature divine ; union par laquelle il étoit vraiment Fils de Dieu, & connu pour tel ; mystere bien sublime à la vérité, mais dont on peut avoir quelque idée sans connoître la Trinité des personnes & la génération du Verbe, & sans heurter aussi fortement aux yeux de la foible raison, le dogme de l'unité de Dieu.

Je placerai ici une remarque du P. Berruyer : c'est que l'empressement loüable des Théologiens à voir par-tout dans les Ecritures les dogmes de la foi catholique clairement développés, les écarte souvent de l'intelligence du texte. Ils devroient cependant considérer qu'il n'est pas nécessaire que les dogmes se trouvent expressément contenus dans tous les endroits de l'Ecriture qui peuvent y avoir quelques rapports ; il suffit pour donner un exemple tiré de la matiere même que nous traitons, que la génération éternelle du Verbe & son union substantielle avec la nature humaine dans la personne de J. C. soit développée dans quelques endroits ; il n'est pas nécessaire que l'expression Fils de Dieu signifie par-tout cette génération ; & on voit même, suivant ce qu'on vient de dire, qu'elle n'a point ce sens relevé & sublime, lorsqu'elle est dans la bouche des Juifs & des apôtres, avant les dernieres instructions qu'ils reçûrent de Jesus-Christ.

4°. Le P. Berruyer trouve cet avantage dans son explication, qu'il résout avec facilité quelques objections des Sociniens, qui ont toûjours embarrassé les Théologiens catholiques.

Jesus-Christ, disent les Sociniens, est appellé Fils de Dieu par les évangélistes, parce qu'il est né d'une vierge : Concipies in utero & paries filium.... Spiritus sanctus superveniet in te.... Ideoque quod nascetur ex te sanctum vocabitur Filius Dei, Luc. I.

Jesus-Christ, ajoûtent-ils, est dit dans S. Paul, I. 3. & 4. Filius factus Deo ex semine David secundùm carnem. Et aux Galat. IV. 4. Misit Deus Filium suum factum ex muliere factum sub lege. D'où les Sociniens argumentent ainsi :

J. C. est appellé dans les Ecritures, Fils de Dieu, né dans le tems, sous la loi, fait d'une femme, & selon la chair : or s'il étoit Fils de Dieu par la génération éternelle du Verbe, toutes ces expressions seroient faussement appliquées à J. C. car il faut bien considérer qu'elles lui sont appliquées entant qu'il est Fils de Dieu ; donc elles caractérisent sa filiation : or ce n'est pas une filiation fondée sur la génération éternelle du Verbe ; donc c'est une filiation d'adoption pure & nullement naturelle, à moins qu'on ne veuille regarder comme fils naturel un pur homme qui recevroit de Dieu l'existence hors des voies ordinaires de la génération ; donc J. C. n'est pas Fils de Dieu au sens propre & naturel, comme l'entendent les Catholiques.

Le P. Berruyer remarque d'abord que quelques Théologiens ont traduit factus, , dans les passages que nous avons cités, par natus, né, par la raison que factus est plus embarrassant.

Il prétend qu'on peut entendre à la lettre ces expressions que font tant valoir les Sociniens, & résoudre la difficulté proposée, en adoptant son explication ; parce que, selon lui, il est vrai à la lettre que J. C. homme-Dieu a été fait dans le tems Fils de Dieu, par l'union que Dieu a mise dans le tems en sa personne entre la nature humaine & la nature divine.

Cette génération est vraiment naturelle, dans un sens tout-à-fait différent de celle que les Sociniens nous proposent d'admettre : elle n'est pourtant pas la génération éternelle du Verbe, quoiqu'elle la suppose ; & par conséquent en accordant, ce qu'on ne peut pas contester, que les passages allégués ne peuvent pas s'appliquer à la génération éternelle du Verbe, on est encore en droit de nier qu'ils doivent s'entendre d'une filiation non-naturelle & de pure adoption.

5°. Enfin le P. Berruyer prétend que cette explication est nécessaire pour l'intelligence de beaucoup d'endroits du nouveau Testament : nous renvoyons le lecteur à son ouvrage, pour ne pas augmenter trop considérablement cet article.

Le P. Berruyer prévient quelques objections que pourroient lui faire les Scholastiques, par ex. que dans son hypothèse J. C. seroit fils de la Trinité, fils des trois Personnes, fils de lui-même, fils du S. Esprit ; en recourant à un principe reçû dans les écoles, les actions de la Divinité au-dehors, ad extrà, ne sont point attribuées aux trois Personnes ni à aucune d'elles en particulier, mais à Dieu, comme un en nature.

Autre objection contre le P. Berruyer, qu'il y auroit deux fils dans son hypothèse : il nie cette conséquence, appuyé sur cette raison, qu'il ne peut y avoir deux fils qu'au cas qu'il y auroit deux Personnes, selon l'hérésie de Nestorius ; & que comme son opinion laisse subsister & suppose même l'unité de Personne en J. C. on ne peut pas lui faire le reproche d'admettre deux fils, quoiqu'il admette en J. C. deux filiations.

Au reste, ce sixieme sens de l'expression Fils de Dieu, suppose essentiellement les deux dogmes importans de la divinité du Verbe, & de l'union hypostatique & substantielle de la nature humaine en J. C. avec la nature divine ; & toute l'explication du P. Berruyer est d'après cette supposition.

Sur l'opinion qu'on vient d'exposer, on a accusé le P. Berruyer de favoriser d'un côté le Nestorianisme, & de l'autre le Socinianisme. Ils ajoûtent que l'explication donnée par le P. Berruyer est nouvelle. On ne la trouve employée, disent-ils, par aucun pere & par aucun théologien dans les disputes avec les hérétiques ; on ne voit pas qu'aucun concile s'en soit servi pour développer les dogmes fondamentaux du Christianisme ; les interpretes & les commentateurs ne donnent pas aux passages allégués par le P. Berruyer les sens qu'il y adapte, &c. & ce caractere de nouveauté est un terrible argument contre une opinion dans l'esprit d'un catholique : néanmoins ce pere a trouvé des défenseurs. Nous n'entrerons pas dans les raisons qui ont été apportées de part & d'autre. Ces détails nous meneroient trop loin : d'ailleurs nous ne pourrions pas traiter cette matiere, sans donner en quelque sorte une décision qu'il ne nous appartient pas de prononcer ; c'est à l'Eglise seule & aux premiers pasteurs à nous éclairer sur des matieres aussi délicates, & qui touchent de si près à la Foi.

Relativement à l'article Fils de Dieu, il faut voir les art. TRINITE, INCARNATION, ARIENS, NESTORIENS, SOCINIENS. (h)

FILS DE L'HOMME (Théol.) terme usité dans les Ecritures pour signifier homme, & propre à exprimer tantôt la nature humaine, & tantôt sa fragilité.

Quand ce mot est appliqué à Jesus-Christ, il signifie en lui la nature humaine, mais exempte des imperfections qui sont ou la cause ou la suite du péché.

Cette expression étoit commune chez les Juifs & les Chaldéens. Les prophetes Daniel & Ezéchiel sont quelquefois désignés par cette appellation dans les livres qui portent leur nom.

Quelquefois aussi fils de l'homme, ou fils des hommes, désignent la corruption & la malignité de la nature humaine, & sont appliqués aux méchans & aux réprouvés, par opposition aux justes & aux élûs qui sont appellés fils de Dieu ; comme dans ce passage du Pseaume 4 filii hominum usquequo gravi corde ? ut quid diligitis vanitatem & quaeritis mendacium ? (G)

FILS DE LA TERRE (Hist. mod.) Dans l'université d'Oxford, c'est un écolier, qui aux actes publics a la commission de railler & satyriser les membres de cette université, de leur imputer quelque abus, ou corruption naissante : c'est à-peu-près la même chose que ce qu'on nommoit paranymphe dans la faculté de Théologie de Paris, voyez l'article PARANYMPHE. (G)

FILS (le) AVANT LE PERE, filius ante patrem, expression dont les Botanistes & les Fleuristes se servent verbalement & par écrit, pour marquer qu'une plante porte sa fleur avant ses feuilles. Telles sont diverses especes de colchique, le pas-d'âne, le pétasite, &c. Article M(D.J.)


FILTRATIONS. f. (Phys.) On appelle ainsi le plus communément le passage de l'eau-à-travers un corps destiné à la purifier des immondices qu'elle renferme ; l'eau qui passe, par exemple, à-travers le sable, y devient pure & lympide de sale qu'elle étoit auparavant. On se sert aujourd'hui beaucoup pour cet effet de certaines pierres poreuses, voyez l'article FONTAINE. Selon Lister, on peut dessaler l'eau de la mer, en y mettant de l'algue (sorte de plante marine) voyez ALGUE ; & en la distillant ensuite à l'alembic. Selon M. des Landes, si on forme avec de la cire-vierge des vases qu'on remplisse d'eau de mer, cette eau filtrée à-travers la cire est dessalée par ce moyen. Enfin, selon M. Leutmann, si on filtre de l'eau de puits au-travers d'un papier gris, qu'on laisse ensuite fermenter ou pourrir cette eau, & qu'on la filtre de nouveau, elle sera plus pure que si on la distilloit.

L'effet de la filtration se comprend assez : il n'est pas difficile de concevoir que l'eau en traversant un corps solide d'un tissu assez serré, y dépose les parties les plus grossieres qu'elle renferme : on a étendu le mot de filtration à tout passage d'un fluide à-travers un solide dans lequel il dépose quelques-unes de ses parties ; par exemple, à la séparation des différentes parties du sang dans les glandes du corps humain.

Si on mêle ensemble deux liqueurs dans un vase, & qu'on trempe dans ce vase un linge ou un morceau de drap imbibé d'une seule de ces deux liqueurs, il ne filtrera que cette liqueur, & ne donnera point passage à l'autre. Quelques physiologistes ont voulu expliquer par ce moyen la filtration ou séparation qui se fait des liqueurs animales dans les glandes. Selon eux, les reins, par exemple, sont imbibés dès le commencement de leur existence d'une liqueur semblable à l'urine, & par cette raison ne laissent passer que les parties du sang propres à former l'urine : nous ne donnons cette explication que pour ce qu'elle est, pour une conjecture ingénieuse & peu fondée (O)

FILTRATION (Med. physiol.) On se sert de ce terme pour exprimer l'action par laquelle les humeurs qui se séparent du sang, sont comme filtrées à-travers les orifices des vaisseaux secrétoires, voyez SECRETION.

On employe aussi le mot de filtration, dans le même sens, à l'égard du chyle : en tant qu'il est séparé de la masse alimentaire dans les intestins, en pénétrant dans les veines lactées, comme à-travers un filtre, voyez DIGESTION, CHYLIFICATION. (d)

FILTRATION & FILTRE, terme de Chimie & de Pharmacie. La filtration est une opération fort usitée en Pharmacie & en Chimie, qui consiste à faire passer un liquide quelconque, qui contient des matieres non dissoutes, à-travers un corps assez dense pour les retenir. L'instrument qui sert à faire la filtration, & qu'on appelle filtre, varie beaucoup : tantôt c'est un morceau de toile, de drap plus ou moins serré, qu'on appelle étamine ou blanchet ; tantôt c'est un papier ; quelquefois on se sert de sable, & c'est ce dernier que nous employons pour clarifier l'eau de la riviere, par le moyen de nos fontaines sablées ; il y a même une espece de pierre qui est fort bonne pour cela ; elle est connue sous le nom de pierre d'éponge. On s'en sert quelquefois en place de fontaine sablée. La maniere de se servir de l'étamine & du blanchet, qui ne different l'un de l'autre que parce que ce dernier est beaucoup plus serré que l'étamine, voyez ETAMINE & BLANCHET ; la maniere de s'en servir, dis-je, est de les étendre lâchement sur un carrelet (voyez CARRELET), & de les y assujettir au moyen des quatre petites pointes qui se trouvent aux quatre angles de cet instrument, après quoi on pose ce carrelet sur une terrine ou autre vase de terre, de fayence ou d'étain, & on verse la liqueur que l'on veut filtrer sur l'étamine ou le blanchet. Les infusions, les décoctions, les potions purgatives ou medecines, les émulsions qui ne sont troublées que par des parties fort grossieres, se filtrent à-travers l'étamine : les sirops au contraire, troublés par des parties très-fines, sur-tout si on n'a pas employé de beau sucre, ont besoin non-seulement d'être clarifiés avec le blanc-d'oeuf, mais encore d'être filtrés à-travers le blanchet ; l'étamine n'étant pas assez serrée, laisseroit passer quelque peu d'écume qui gâteroit le sirop.

Il y a une autre sorte de filtre fait de drap serré, auquel on donne la figure d'un capuchon un peu long ; on l'appelle chausse d'Hippocrate ou à Hippocras. Ce filtre est aujourd'hui peu usité chez les Apothicaires, qui aiment mieux se servir du blanchet, qui est beaucoup plus commode & qui se lave plus facilement que la chausse. Voyez CHAUSSE.

La filtration par le papier se fait de deux façons ; la premiere, qui est celle qu'on employe communément lorsqu'on a une grande quantité de liqueur à filtrer, est d'ajuster sur un carrelet, comme il a été dit ci-dessus pour le blanchet, un morceau de toile forte & peu serrée, de mettre sur la toile une feuille de papier non collé, que l'on appelle chez les Papetiers papier joseph ou papier gris ; le carrelet étant ainsi disposé, on le place sur une terrine ou tel autre vase convenable, & l'on verse dessus la liqueur que l'on veut filtrer, commençant à n'en mettre que fort peu pour faire prendre pli tout doucement au papier & au linge ; car si on en versoit trop à la fois & trop vîte, le papier pourroit se crever : quand on s'apperçoit que le linge & le papier se sont suffisamment étendus, on acheve de charger le filtre que l'on continue de remplir à mesure que la liqueur s'écoule ; c'est ainsi que dans les travaux en petit, les Chimistes filtrent les lexives, les dissolutions de sels, la liqueur qui contient le kermès minéral, &c. Nous dirons plus bas comment se fait la filtration en grand dans les travaux de la Halothecnie.

La seconde façon de se servir du papier pour filtrer, est de prendre un entonnoir de verre plus ou moins grand, de le poser sur un bocal de verre, connu sous le nom de poudrier, ou tel autre vase convenable, de l'y assujettir par le moyen d'un valet (voyez ENTONNOIR & VALET), de ranger tout-autour de la partie intérieure de l'entonnoir des pailles de grandeur proportionnée, & enfin de mettre sur ces pailles un morceau de papier gris ou joseph, qu'on plie sous la forme d'un sac conique, répondant à la capacité de l'entonnoir ; c'est dans ce papier que l'on verse la liqueur à filtrer. On employe cette seconde façon toutes les fois que l'on veut filtrer des petites quantités de lexives, de dissolutions de sels, les teintures, les liqueurs, les ratafiats, &c. Ces derniers se filtrent aussi par le moyen d'un entonnoir, que l'on a garni à sa partie inférieure de coton, ou d'une éponge fine.

Nous ne parlerons point ici de la filtration à-travers le sable, à-travers la pierre d'éponge, ou à-travers l'éponge ordinaire, selon la méthode du sieur Ami, auteur des nouvelles fontaines, parce que ce moyen est plus économique que chimique. Voyez FONTAINE DOMESTIQUE. Nous indiquerons cependant ici, que si on vouloit par hasard en Chimie, filtrer quelques liqueurs assez acides pour ronger le papier, on pourroit utilement employer un sable fin, que l'on sauroit par expérience ne contenir aucune matiere soluble, on en mettroit au fond d'un entonnoir de verre, & on feroit passer à-travers ce sable la liqueur en question. Quelques auteurs recommandent en ce cas du verre pilé, ce qui seroit encore plus exact que le sable, pourvû qu'en le pilant, il ne s'y soit rien mêlé de soluble ; mais il est très-rare qu'on soit obligé d'avoir recours à ce filtre.

Outre les différentes manieres de filtrer que nous avons décrites, & qui sont les plus usitées, il y en a encore une dont on se sert quelquefois, & qu'on appelle filtration à la languette : elle se fait de la maniere suivante. On coupe des morceaux de drap pareil à celui dont on fait les blanchets, de la longueur d'un pié, plus ou moins, & de la largeur de deux ou trois travers de doigts : on les trempe dans de l'eau pour les bien imbiber, & on les exprime fortement, après quoi on en fait tremper un bout dans la liqueur que l'on veut clarifier, & on laisse pendre l'autre bout hors du vase jusqu'à deux ou trois pouces au-dessous de la surface de la liqueur ; si ce vaisseau est fort large, on met plusieurs de ces languettes, & on a soin qu'il y ait sous chaque bout un petit vase pour recevoir ce qui en dégouttera : la liqueur qui étoit dans le grand vaisseau montera le long des morceaux de drap comme dans un syphon, & tombera claire goutte-à-goutte dans les récipiens. Cette façon de filtrer est peu usitée, les morceaux de drap retiennent beaucoup de la liqueur, & par conséquent occasionnent de la perte ; ajoutez à cela que les feces ne se dessechent pas si bien que par les autres voies ci-dessus indiquées. Nous ne nous en servons donc plus, si ce n'est pour séparer les huiles qui nagent sur l'eau, auquel cas on substitue à la languette de drap une meche de coton trempée dans une huile analogue à celle qu'on veut séparer.

Ce que nous avons dit jusqu'ici des différens filtres, & de la maniere de s'en servir, n'a eu pour objet que la clarification des liqueurs, & la séparation des feces inutiles qui troublent, & qu'il faut rejetter : mais ces filtres ont encore un autre avantage ; ils sont des instrumens propres à séparer des matieres non dissoutes, d'avec un liquide qui les délayoit & les tenoit suspendues, & dont on n'a pas besoin : lorsqu'on veut par exemple dessécher un précipité quelconque, qui a été exactement lavé & édulcoré, on le verse sur un filtre de papier, soûtenu d'un carrelet ou d'un entonnoir ; l'eau s'écoule, & la matiere précipitée reste sur le papier, s'y égoutte parfaitement, & s'y rassemble en une masse que l'on peut facilement diviser par petits morceaux, & faire sécher selon l'art. Voyez DESSICATION. Cette espece de filtration est presque toûjours préliminaire à la dessication des précipités vrais ou faux (voyez PRECIPITE), des chaux métalliques, des terres, &c. qui ont eu besoin d'être lavées.

Quelques auteurs ont voulu mettre la filtration au nombre des distillations : Geber étoit de ce sentiment, mais qui est-ce qui n'en sent pas la différence ? Voyez DISTILLATION.

Filtration en grand. Dans les travaux de la Halothecnie (on appelle ainsi la partie de la Chimie qui traite les sels), où on a des quantités immenses de liqueurs à filtrer, on ne s'amuse pas à le faire avec les filtres, dont nous avons parlé ci-dessus, & qui ne conviennent que dans nos laboratoires, où nous n'avons jamais que des quantités médiocres de sels à clarifier : on a donc recours à une autre espece de filtre beaucoup plus commode, beaucoup plus solide, & qu'on peut charger tout-à-la-fois d'une grande quantité de matiere.

Tous ceux qui ont vû faire la lessive, ont vû cette filtration : en effet celle que font les Salpêtriers pour clarifier leur lessive, les gens qui s'occupent à faire la potasse pour clarifier la dissolution du sel alkali fixe qu'ils tirent des cendres, ne differe point de la lexive ordinaire, qui est en usage pour le blanchissage du linge. Voyez SALPETRE & POTASSE. Si l'on avoit, par exemple, une très-grande quantité de cendres à lexiver, c'est-à-dire dont on voulut tirer le sel alkali fixe, il faudroit, d'une seule & même opération, faire la dissolution & la filtration de ce sel, & c'est ce que font les ouvriers dont nous parlions tout-à-l'heure. On prendra un tonneau plus ou moins grand, selon la quantité de cendre que l'on veut lexiver ; on fera à la partie inférieure de ce tonneau, un trou d'un pouce environ de diametre ; on remplira ce trou avec de la paille, que l'on assujettira avec une petite cheville de bois ; on placera ce tonneau sur un trépié ou autre machine, pour l'élever au point d'avoir l'aisance de mettre dessous un vase propre à recevoir la liqueur qui passera ; on emplira ce tonneau de cendres, ne laissant de vuide que ce qu'il en faut pour tenir une petite quantité d'eau ; parce qu'on en remet de nouvelle à mesure qu'elle s'écoule : cette eau se charge du sel contenu dans les cendres, & vient couler claire le long de la paille qui est au bas du tonneau, dans le récipient ; on continue de remettre de nouvelle eau, si on s'apperçoit que celle qui est passée est saoulée de sel ; si non on la reverse elle-même sur les cendres, continuant cette manoeuvre jusqu'à ce que les cendres soient épuisées de sel. Voyez SEL LIXIVIEL. (b)


FILTRES. m. (Med. physiol.) c'est un terme employé quelquefois par rapport au méchanisme des secrétions animales, à l'égard desquelles on se représente les humeurs séparées de la masse du sang, comme filtrées à-travers les orifices des vaisseaux secrétoires. Voyez SECRETOIRE. (d)

FILTRE, (Chimie & Pharmacie) filtrum, appareil pour filtrer une liqueur qu'on veut clarifier. Voyez FILTRATION.


FILTRER(Chimie & Pharm.) passer à-travers le filtre. Voyez FILTRATION.

FILTRER, (pierre à) Hist. nat. Econom. Ce sont des pierres dont le tissu est assez spongieux pour que l'eau puisse passer au-travers : les plus vantées sont celles qui viennent des îles Canaries ; on dit aussi qu'on en tire du fond de la mer dans le golfe de Mexique, & quelques auteurs les ont regardées comme des concrétions tophacées ou des especes de champignons de mer, qui s'attachent à des roches : on dit que les pierres de cette derniere espece sont tendres & molles au sortir de l'eau, mais qu'elles se durcissent après qu'elles ont été quelque tems exposées à l'air. Quoi qu'il en soit, on en compte de deux especes ; l'une est bleuâtre & comme de l'ardoise, l'autre est grise & ressemble à du grès grossier. Au reste il paroît que plusieurs pierres de differente nature, & sur-tout les grès, dont on fait les meules à repasser les couteaux, ont la propriété de donner passage à l'eau au-travers de leurs pores, & peuvent par ce moyen la dégager des saletés & ordures qu'elle peut avoir contractées. Quand on destine les pierres à filtrer à cet usage, on les taille pour leur donner la forme d'un mortier ou d'un vase proportionné à la quantité d'eau qui doit y être reçue ; à l'extérieur on leur donne la figure d'un oeuf par son côté le plus pointu ; on laisse en haut des rebords, par lesquels le mortier peut être soûtenu au moyen d'une bâtisse de bois quarrée, sur laquelle on le place pour qu'il soit suspendu en l'air ; on met au-dessous un vaisseau de terre ; on verse l'eau de riviere ou de pluie qu'on veut filtrer dans le mortier ; elle passe au-travers de la pierre, & les gouttes d'eau qui se sont filtrées viennent se réunir à la pointe de l'oeuf, & tombent dans le vaisseau qu'on a placé au-dessous pour les recevoir. De cette maniere l'eau se trouve pure & dégagée des saletés dont elle étoit chargée avant que d'avoir été filtrée.

Les Japonois font, dit-on, un très-grand cas de ces sortes de pierres à filtrer, aussi s'en servent ils très-fréquemment : ils croyent que c'est l'usage qu'ils en font, qui rend les incommodités de la pierre & de la gravelle si rares parmi eux. Quoi qu'il en soit, quelques personnes s'en servent aussi parmi nous, comme on fait des fontaines filtrantes ; mais il y a du choix dans les pierres que l'on achete pour cet effet, & si l'on n'en a pas fait l'essai, on court risque d'y être trompé ; d'ailleurs la filtration ne se fait que très-lentement. Il faut aussi avoir l'attention de faire nettoyer très-souvent ces pierres après qu'elles ont filtré, parce que sans cela il s'amasseroit des ordures & du limon dans leurs pores, qui empêcheroient à la fin l'eau de passer : on se sert pour cela d'une brosse, dont on frotte fortement l'intérieur du vase ou mortier. Malgré ces précautions, il est rare qu'au bout d'un certain tems, les pores de ces pierres ne se bouchent, & pour lors elles prennent une odeur très-desagréable, qu'on ne peut guere leur ôter, & qu'elles communiquent à l'eau que l'on y laisse séjourner. (-)


FINS. f. (Grammaire) terme relatif à commencement ; le commencement est des parties d'une chose celle qui est ou qu'on regarde comme la premiere ; & la fin, celle qui est ou qu'on regarde comme la derniere. Ainsi on dit la fin d'un voyage, la fin d'un ouvrage, la fin de la vie, la fin d'une passion : cette passion tire à sa fin, cet ouvrage tire à sa fin. Une ouvriere diroit en devidant un peloton de fil, ou en travaillant, je touche à la fin de mon fil ; si elle en séparoit une petite portion, voilà un bout de fil ; si elle considéroit ce fil comme un continu, je le tiens par le bout ; si elle n'avoit égard qu'au bout qu'elle tient, & qu'il fût sur le point de lui échapper des doigts, tant la partie qu'elle en tiendroit encore seroit petite, je n'en tiens plus que l'extrémité.

* FIN, (Morale) c'est la derniere des raisons que nous avons d'agir, ou celle que nous regardons comme telle ; ainsi l'on demande à un homme, à quelle fin avez vous fait cette démarche ? quelle fin vous proposiez-vous dans cette occasion ? Pressez un homme de motifs en motifs, & vous trouverez que son bonheur particulier est toûjours la fin derniere de toutes ses actions refléchies.

FIN, (Jurispr.) dans le style judiciaire, signifie en genéral but & objet.

FIN CIVILE, est lorsque la procédure est dirigée au civil ; on se sert de ce terme lorsque dans un procès criminel on demande que les parties soient reçûes en procès ordinaire : on dit communément que les parties seront renvoyées à fins civiles.

FINS ET CONCLUSIONS, sont termes synonymes qui signifient l'objet d'une demande.

FIN DE NULLITE, c'est la demande tendante à faire déclarer nulle quelque procédure ou autre acte.

FINS DE NON PAYER ; on se sert au palais de cette expression pour signifier des moyens par lesquels un debiteur cherche à éluder le payement de ce qu'il doit.

FINS DE NON PROCEDER, sont des moyens de forme à la faveur desquels on soûtient que l'on doit être dispensé d'aller en avant sur une demande, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur ces fins ou conclusions ; telles sont les exceptions dilatoires, les exceptions déclinatoires, les moyens de nullité, & autres exceptions péremptoires qui se tirent de la forme & non du fond de la contestation. Les fins de non procéder doivent être proposées avant d'avoir contesté au fond, autrement on n'y est plus recevable, excepté lorsqu'il s'agit d'un déclinatoire fondé sur l'incompétence du juge, ratione materiae : comme quand une matiere temporelle est portée devant un juge d'église ; car une incompétence de cette espece, qui est une fin de non procéder, peut être proposée en tout état de cause. L'ordonnance de 1667, tit. vj. des fins de non procéder, art. 3. veut que ces sortes de causes soient jugées sommairement à l'audience, sans pouvoir les appointer : il y a néanmoins quelquefois des cas où les juges sont obligés de le faire, comme lorsque la décision d'un déclinatoire dépend de faits, & qu'il y a des enquêtes & des titres à examiner. Voyez Bornier, sur l'article 3 que l'on a cité.

FINS DE NON-RECEVOIR, est toute exception péremptoire au moyen de laquelle on est dispensé d'entrer dans la discussion du fond.

Les fins de non-recevoir se tirent 1°. de la forme ; par exemple, lorsqu'une femme forme une demande sans être autorisée de son mari, ou un mineur sans être assisté de son tuteur ou curateur.

2°. Il y en a qui se tirent du défaut de qualité, comme quand on oppose au demandeur qu'il n'est point héritier de celui dont il reclame les droits.

3°. Du laps de tems, savoir quand il y a quelque prescription acquise.

Aux termes de l'article 5 du tit. v. de l'ordonnance de 1667, les fins de non-recevoir doivent être employées dans les défenses, pour y être préalablement fait droit. (A)

FIN DE VOILES, (Marine) Un vaisseau est fin de voiles, lorsqu'il est leger, qu'il porte bien la voile, & qu'il marche très-bien. (Z)

FIN, (Chimie, Métallurgie) se dit substantivement de l'or & de l'argent, qui sont des métaux parfaits, par opposition au cuivre, à l'étain, au plomb, & au fer, qui sont des métaux imparfaits. On essaie le cuivre pour savoir si le fin (c'est-à-dire l'or & l'argent) qu'il contient peut dédommager des frais du rafraîchissement, de la liquation, du ressuage, & de l'affinage, voyez ces articles, & donner encore quelque bénéfice. Un bon essayeur doit retirer tout le fin qui peut être contenu dans un alliage, sans y laisser la moindre matiere hétérogene. On fait des essais des scories, pour savoir si elles ne contiennent point encore quelque peu de fin. Le mélange d'argent & de plomb qu'on laisse refroidir sans le remuer, ne contient pas une égale quantité de fin dans toutes les différentes parties de sa masse. Voyez LOTISSAGE. Ainsi on leve les essais du plomb encore en bain, pour savoir s'il peut être affiné avec bénéfice, ou si le fin qu'il contient payera les frais de l'affinage : mais il ne faut pas confondre le fin qu'on retire ainsi, d'un plomb sortant du catin de réception dans les travaux en grand, pour savoir s'il peut être affiné avec bénéfice, avec le grain de fin qu'on retire d'un plomb granulé en masse, affiné ou non, pour le défalquer ensuite de l'essai auquel on l'employe. Voyez GRAIN DE FIN. Fin se dit aussi adjectivement d'un métal imparfait, mais pur, par opposition à son état d'impureté. Un quintal de cuivre maté peut donner vingt livres de cuivre fin : l'étain d'Angleterre passe pour le plus fin que l'on connoisse : le fer de Berry est plus fin que celui de Champagne, ou il a le grain plus fin ; mais cette épithete ne s'est pas encore donnée, que je sache, au plomb, sans-doute parce que quand il est dépouillé de toute matiere étrangere, il est par-tout le même dans la nature : on dit aussi dans le même sens ; cet or & cet argent sont plus fins que tel autre, soit qu'il y ait vraiment de l'or & de l'argent d'un meilleur aloi que les autres, ou, ce qui est plus vraisemblable, parce qu'ils sont mieux dégagés de toute matiere étrangere ; conditions qui exigent des travaux pénibles, & un grand exercice de la part de l'essayeur ou de l'affineur. Voyez DENIER, KARAT, AFFINAGE, RAFFINAGE, DEPART, INQUART, SAISSAI. V. Cramer, & le Schlutter de M. Hellot. Art. de M. DE VILLIERS.

FIN, (Manége, Maréchall.) Le cheval fin est proprement un cheval de legere taille, tel qu'il doit être choisi dans le nombre des différens chevaux résultans du produit du mélange des diverses races, lorsqu'on le destine au manége, ou à servir en qualité de cheval de maître, en voyage, à la guerre, à la chasse, &c.

Nous demandons que le cheval de manége ait de la beauté, qu'il soit nerveux, leger, vif, & brillant ; que les mouvemens en soient lians & trides ; que la bouche en soit belle ; & principalement que les reins & les jarrets en soient bons, &c.

Dans le cheval de voyage, nous exigeons une taille raisonnable, un âge fait, tel que celui de six à sept années, des jambes sûres, des piés parfaitement conformés, une ongle solide, une grande legereté de bouche, beaucoup d'allure, une action souple & douce, de la tranquillité, de la franchise, & nous rejettons avec soin celui qui seroit ardent, paresseux, & délicat en ce qui concerne la nourriture.

Le cheval de guerre doit avoir une belle bouche, la tête assûrée, une force liante & souple ; de la sensibilité, de l'adresse, du courage, de la legereté ; il ne doit craindre aucun des objets qui peuvent frapper ses sens : il importe encore extrèmement qu'il ne soit point vicieux envers les autres chevaux ; qu'il n'ait point d'ardeur, & qu'il soit d'un bon & facile entretien.

A l'égard du cheval de chasse, nous desirons qu'il soit doüé de legereté, de vîtesse, qu'il ait du fond & de l'haleine, que les épaules en soient plates & très-libres ; qu'il ne soit point trop raccourci de corps ; que la bouche en soit bonne, qu'elle ne soit point trop sensible, & qu'il soit plûtôt froid qu'ardent à s'animer.

La tranquillité, la docilité, l'exacte obéissance, la bonté de la bouche, des allures sûres & douces, une taille médiocre, une franchise à l'épreuve de tous les objets capables d'effrayer & d'émouvoir, sont les qualités que l'on doit rechercher dans les chevaux d'arquebuse, dans les chevaux de promenade, & dans les chevaux de femme.

Le cheval de domestique ou de suite, le cheval de cavalier & de dragon, le cheval de piqueur, sont dans le genre des chevaux de selle que nous envisageons comme des chevaux communs & qui peuvent être mis en opposition avec ceux dans lesquels nous trouvons de la finesse.

Le premier doit être bien traversé, bien membré, bien gigoté : la bouche en doit être bonne, sans être absolument belle ; & l'on ne doit pas s'attacher à l'examen de la douceur ou de la dureté de ses allures.

Il en est de même du second, c'est-à-dire du cheval de troupe, dans lequel il seroit essentiel d'exiger plus d'obéissance, plus de souplesse, plus de legereté, & qui, relativement aux manoeuvres qu'il doit exécuter, auroit besoin des secours de l'art, ainsi que le cavalier & le dragon, dont l'ignorance n'est pas moins préjudiciable au bien du service, que la sienne.

Enfin le cheval de piqueur doit être vigoureux, étoffé, doué d'une grande haleine, & propre à résister au travail pénible auquel il est assujetti.

Quant aux bidets de poste, on doit plûtôt considérer la bonté de leurs jambes & de leurs piés que leur figure & que les qualités de leur bouche. Il faut nécessairement qu'ils galopent avec aisance, & de maniere que la force de leurs reins n'incommode point le cavalier. Trop de sensibilité seroit en eux un défaut d'autant plus considérable que l'inquiétude qui résulteroit des mouvemens desordonnés des jambes de différens couriers qui les montent, & de l'approche indiscrette & continuelle des éperons, les rendroient inévitablement rétifs ou ramingues.

Il est encore dans le genre des chevaux qui tirent & qui portent, des chevaux plus ou moins fins, plus ou moins communs, & plus ou moins grossiers.

Des chevaux bien tournés & bien proportionnés, d'une taille de onze pouces ; jusqu'à cinq piés trois ou quatre, qui seront parfaitement relevés du devant, exactement traversés & pleins ; dont les épaules ne seront point trop chargées ; dont le poitrail ne pêchera point par un excès de largeur ; dont les jambes belles, plates, & larges, ne seront point garnies d'une quantité infinie de poils ; dont les jarrets seront nets, bien évuidés, & bien conformés ; dont les piés seront excellens ; qui auront dans leurs mouvemens beaucoup de grace & de liberté, & qui seront justement appareillés de poil, de taille, de marque, & de figure, d'inclination, d'allure, & de vigueur, formeront des chevaux de carosse qui auront de la finesse, & qui seront préférables à tous ceux sur lesquels on pourroit jetter les yeux, lorsqu'on souhaitera des chevaux beaux, brillans, & néanmoins d'un très-bon service.

Certains chevaux de chaise comparés aux chevaux peu déliés que l'on employe communément à tirer cette sorte de voiture, seront dans leur espece envisagés comme des chevaux fins. Le cheval de brancard sera bien étoffé, d'une taille raisonnable, & non trop élevé ; il trotera librement & diligemment, tandis que le bricolier qui sera bien traversé, mais qui aura moins de dessous que lui, & qui sera plus voisin du genre des chevaux de selle, sera tenu à un galop raccourci auquel il fournira avec facilité.

Les autres chevaux de tirage seront plus communs ou moins grossiers selon leur structure, leur épaisseur, la largeur de leur poitrail, la grosseur de leurs épaules plus ou moins charnues, leur pesanteur, l'abondance & la longueur des poils de leurs jambes, &c.

Il en sera ainsi des différens chevaux de bât & de somme qui doivent avoir de la force & beaucoup de reins, &c. (e)

FIN, en musique, est un mot qui se place quelquefois sur la finale de la premiere reprise d'un rondeau, pour marquer que c'est sur cette finale qu'il faut terminer tout l'air. Voyez RONDEAU. (S)


FINAGE(Jurisprud.) ainsi appellé de fines agrorum, vel territorii, se prend non-seulement pour les limites d'un territoire, mais pour tout le ban & territoire même, d'une justice & seigneurie ou d'une paroisse.

Voyez les coûtumes de Melun, art. 302. Sens, 145. Troyes, 169. Chaumont, 103. Vitry, 5 & 122. Châlons, 266 & 267. Bar, article 49 & 209. l'ancienne coûtume d'Auxerre, art. 203. l'ordonnance du duc de Bouillon, articles 100 & 579. (A)


FINALadj. (Gram. & Théol.) se dit de ce qui termine une action, une opération, une dispute, &c. & en général de ce qui met fin à une chose ; comme un jugement final, sentence, &c.

Les Théologiens appellent l'impénitence des réprouvés, impénitence finale, parce qu'ils supposent qu'elle continue jusqu'à la fin de leur vie, & qu'ils meurent dans ce funeste état.

On dit aussi en Théologie, persévérance finale ; c'est l'état de justice & de grace dans lequel un homme se trouve à la mort, & qui le rend digne des récompenses éternelles. Voyez PERSEVERANCE. (G)

FINAL, (Géogr.) ville d'Italie, capitale d'un marquisat auquel elle donne son nom, & qui est enclavé dans l'état de Gènes. Final est sur la Méditerranée, à 12 lieues S. E. de Coni, 13 S. O. de Gènes, 22 S. E. de Turin, 24 S. O. de Casal. Long. 25d 52' latit. 44d 18'. (C. D. J.)


FINALEest, en Musique, la principale corde du mode qu'on appelle aussi tonique, & sur laquelle l'air ou la piece doit finir. Voyez MODE, TONIQUE.

Quand on compose à plusieurs parties, & sur-tout des choeurs, il faut toûjours que la basse tombe en finissant sur la note même de la finale ; mais les autres parties peuvent s'arrêter sur sa tierce & sur sa quinte. Autrefois c'étoit une regle de faire toûjours à la fin d'une piece la tierce majeure sur la finale, même en mode mineur ; mais cet usage a été trouvé de mauvais goût & presque abandonné. Les Musiciens appellent aujourd'hui cela par dérision, faire la tierce de Picardie. (S)

FINALE ou FINALE DE MODENE, (Géogr.) petite ville du Modénois en Italie ; elle est sur la riviere du Panaro, à 5 lieues N. E. de Modene, 49 S. E. de la Mirandole. Long. 28d 50'. latit. 44d 36'. (C. D. J.)


FINANCESS. f. (Econom. polit.) on comprend sous ce mot les deniers publics du roi & de l'état. Qui ne juge des finances que par l'argent, n'en voit que le résultat, n'en apperçoit pas le principe ; il faut, pour en avoir une idée juste, se la former plus noble & plus étendue. On trouvera dans les finances mieux connues, mieux développées, plus approfondies, le principe, l'objet & le moyen des opérations les plus intéressantes du gouvernement ; le principe qui les occasionne, l'objet qui les fait entreprendre, le moyen qui les assûre.

Pour se prescrire à soi-même dans une matiere aussi vaste, des points d'appui invariables & sûrs, ne pourroit-on pas envisager les finances dans le principe qui les produit, dans les richesses qu'elles renferment, dans les ressources qu'elles procurent, dans l'administration qu'elles exigent ?

Point de richesses sans principe, point de ressources sans richesses, point d'administration si l'on n'a rien à gouverner ; tout se lie, tout se touche, tout se tient : les hommes & les choses se représentent circulairement dans toutes les parties ; & rien n'est indifférent dans aucune, puisque dans les finances, comme dans l'électricité, le moindre mouvement se communique avec rapidité depuis celui dont la main approche le plus du globe, jusqu'à celui qui en est le plus éloigné.

Les finances considérées dans leur principe, sont produites par les hommes ; mot cher & respectable à tous ceux qui sentent & qui pensent ; mot qui fait profiter de leurs talens & ménager leurs travaux ; mot précieux, qui rappelle ou qui devroit rappeller sans-cesse à l'esprit ainsi qu'au sentiment, cette belle maxime de Terence, que l'on ne sauroit trop profondément graver dans sa mémoire & dans son coeur : homo sum, nihil humani à me alienum puto : " je suis homme, rien de ce qui touche l'humanité ne sauroit m'être étranger ". Voilà le code du genre humain : voilà le plus doux lien de la société : voilà le germe des vûes les plus grandes, & des meilleures vûes ; idées que le vrai sage n'a jamais séparées.

Les hommes ne doivent, ne peuvent donc jamais être oubliés ; on ne fait rien que pour eux, & c'est par eux que tout se fait. Le premier de ces deux points mérite toute l'attention du gouvernement, le second toute sa reconnoissance & toute son affection. A chaque instant, dans chaque opération, les hommes se représentent sous différentes formes ou sous diverses dénominations ; mais le principe n'échappe point au philosophe qui gouverne, il le saisit au milieu de toutes les modifications qui le déguisent aux yeux du vulgaire. Que l'homme soit possesseur ou cultivateur, fabriquant ou commerçant ; qu'il soit consommateur oisif, ou que son activité fournisse à la consommation ; qu'il gouverne ou qu'il soit gouverné, c'est un homme : ce mot seul donne l'idée de tous les besoins, & de tous les moyens d'y satisfaire.

Les finances sont donc originairement produites par les hommes, que l'on suppose en nombre suffisant pour l'état qui les renferme, & suffisamment bien employés, relativement aux différens talens qu'ils possedent ; double avantage que tous les écrits modernes faits sur cette matiere, nous rappellent & nous recommandent : avantages que l'on ne sauroit trop soigneusement conserver quand on les possede, ni trop-tôt se procurer quand ils manquent.

Nécessité d'encourager la population pour avoir un grand nombre d'hommes ; nécessité pour les employer utilement, de favoriser les différentes professions proportionnément à leurs différens degrés de nécessité, d'utilité, de commodité.

L'agriculture se place d'elle-même au premier rang, puisqu'en nourrissant les hommes, elle peut seule les mettre en état d'avoir tout le reste. Sans l'agriculture, point de matieres premieres pour les autres professions.

C'est par elle que l'on fait valoir, 1°. les terres de toute espece, quels qu'en soient l'usage & les productions ; 2°. les fruits, les bois, les plantes, & tous les autres végétaux qui couvrent la surface de la terre ; 3°. les animaux de tout genre & de toute espece qui rampent sur la terre & qui volent dans les airs, qui servent à la fertiliser, & qu'elle nourrit à son tour ; 4°. les métaux, les sels, les pierres, & les autres minéraux que la terre cache dans son sein, & dont nous la forçons à nous faire part ; 5°. les poissons, & généralement tout ce que renferment les eaux dont la terre est coupée ou environnée.

Voilà l'origine de ces matieres premieres si variées, si multipliées, que l'agriculture fournit à l'industrie qui les employe ; il n'en est aucune que l'on ne trouve dans les airs, sur la terre ou dans les eaux. Voilà le fondement du commerce, dans lequel on ne peut jamais faire entrer que les productions de l'agriculture & de l'industrie, considérées ensemble ou séparément ; & le commerce ne peut que les faire circuler au-dedans, ou les porter à l'étranger.

Le commerce intérieur n'en est point un proprement dit, du moins pour le corps de la nation, c'est une simple circulation. L'état & le gouvernement ne connoissent de commerce véritable que celui par lequel on se procure le nécessaire & on se débarrasse du superflu, relativement à l'universalité des citoyens.

Mais cette exportation, mais cette importation ont des lois différentes, suivant leurs différens objets. Le commerce qui se fait au-dehors n'est pas toûjours le même ; s'il intéresse les colonies, les réglemens ont pour objet la dépendance raisonnable où l'on doit retenir cette portion de la nation ; s'il regarde l'étranger, on ne s'occupe plus que des intérêts du royaume & de ceux des colonies, qui forment une espece de corps intermédiaire entre le royaume & l'étranger. C'est ainsi que le commerce bien administré vivifie tout, soûtient tout : s'il est extérieur, & que la balance soit favorable ; s'il est intérieur, & que la circulation n'ait point d'entrave, il doit nécessairement procurer l'abondance universelle & durable de la nation.

Considérées comme richesses, les finances peuvent consister en richesses naturelles ou acquises, en richesses réelles ou d'opinion.

Parmi les richesses naturelles on doit compter le génie des habitans, développé par la nécessité, augmenté par l'émulation, porté plus loin encore par le luxe & par l'ostentation.

Les propriétés, l'excellence & la fécondité du sol, qui bien connu, bien cultivé, procure d'abondantes récoltes de toutes les choses qui peuvent être nécessaires, utiles, agréables à la vie.

L'heureuse température du climat, qui attire, qui multiplie, qui conserve, qui fortifie ceux qui l'habitent.

Les avantages de la situation, par les remparts que la nature a fournis contre les ennemis, & par la facilité de la communication avec les autres nations.

Jusque-là nous devons tout à la nature & rien à l'art ; mais lui seul peut ajoûter aux richesses naturelles un nouveau degré d'agrément & d'utilité.

Les richesses acquises, que l'on doit à l'industrie corporelle ou intellectuelle, consistent.

Dans les Métiers, les Fabriques, les Manufactures, les Sciences & les Arts perfectionnés par des inventions nouvelles, telles que celles du célebre Vaucanson, & raisonnablement multipliés par les encouragemens. On dit raisonnablement, parce que les graces & les faveurs que l'on accorde, doivent être proportionnées au degré d'utilité de ce qui en est l'objet.

Dans les lumieres acquises sur ce qui concerne l'agriculture en général, & chacune de ses branches en particulier ; les engrais, les haras, la conservation des grains, la plantation des bois, leur conservation, leur amélioration, leur administration, leur exploitation ; la pêche des étangs, des rivieres & des mers ; & généralement dans tout ce qui nous donne le talent de mettre à profit les dons de la nature, de les recueillir & de les multiplier. Un gouvernement aussi sage que le nôtre, envisagera donc toûjours comme de vraies richesses & comme des acquisitions d'un grand prix, les excellens ouvrages que nous ont donnés sur ces différentes matieres MM. de Buffon & Daubenton, M. Duhamel du Monceau, l'auteur de la police des grains, & les autres écrivains estimables dont la plume s'est exercée sur des sujets si intéressans pour la nation & pour le monde entier.

On accordera la même estime aux connoissances, aux vûes, aux opérations rassemblées dans le royaume pour la population des citoyens, pour leur conservation, pour l'amélioration possible & relative de toutes les conditions.

On doit encore envisager comme richesses acquises, les progrès de la navigation intérieure, par l'établissement des canaux ; de l'extérieure, par l'augmentation du commerce maritime ; celui de terre accrû, facilité, rendu plus sûr par la construction, le rétablissement, l'entretien & la perfection des ponts, chaussées & grands chemins.

La matiere est par elle-même d'une si grande étendue, qu'il faut malgré soi passer rapidement sur les objets, & résister au desir que l'on auroit de s'arrêter sur les plus intéressans : contentons-nous de les présenter au lecteur intelligent, & laissons-lui le soin de les approfondir,

Les richesses de l'état, que l'on a d'abord envisagées comme naturelles, ensuite comme acquises, peuvent l'être aussi comme richesses réelles ou d'opinion.

Les réelles ne sont autre chose que les fonds ou biens immeubles, les revenus & les effets mobiliers.

Les immeubles (on ne parle ici que des réels, & non de ceux qui le sont par fiction de droit) ; les immeubles sont les terres labourables, les prés, les vignes, les maisons & autres édifices, les bois & les eaux, & généralement tous les autres fonds, de quelque nature qu'ils soient, qui composent le domaine foncier du souverain & celui des particuliers.

Du souverain, comme seigneur & propriétaire particulier de certains fonds qui n'ont point encore été incorporés au domaine du roi.

Comme roi, & possédant à ce titre seulement les héritages & les biens qui forment le domaine foncier de la couronne.

Des particuliers, comme citoyens, dont les domaines sont la base des richesses réelles de l'état de deux manieres ; par les productions de toute espece qu'ils font entrer dans le commerce & dans la circulation ; par les impositions, auxquelles ces mêmes productions mettent les particuliers en état de satisfaire.

Considérées comme revenus, les richesses réelles sont fixes ou casuelles ; & dans l'un & l'autre cas, elles appartiennent, comme les fonds, au souverain ou aux particuliers.

Appartiennent-elles aux particuliers ? ce sont les fruits, les produits, les revenus des fonds qu'ils possedent ; ce sont aussi les droits seigneuriaux utiles ou honorifiques qui y sont attachés.

Si ces revenus appartiennent au souverain, ils sont à lui à titre de seigneur particulier, ou bien à cause de la couronne ; distinction essentielle, & qu'il ne faut pas perdre de vûe, si l'on veut avoir la solution de bien des difficultés. Le roi possede les uns par lui-même, abstraction faite de la souveraineté : à titre de souverain, il compte parmi ses revenus, 1°. le produit du domaine foncier & des droits domaniaux : 2°. les impositions qu'il met, comme roi, sur ce que les autres possedent ; revenu toûjours à charge à la bonté du monarque, qu'il n'augmente jamais qu'à regret, & toûjours en observant que l'établissement des impositions se fasse relativement aux facultés de la nation, mesurées sur ce dont elle est déjà chargée, & sur ce qu'elle peut supporter encore ; la répartition avec une proportion qui détruise les taxes arbitraires, & qui ne charge le citoyen que de ce qu'il peut naturellement & doit équitablement supporter ; le recouvrement & la perception avec autant d'exactitude que de modération & d'humanité.

Passons de suite & sans rien détailler, aux richesses réelles considérées dans les effets mobiliers, tels que l'or & l'argent, les pierreries, les marchandises de toute espece, & les meubles meublans, quels qu'ils soient.

Observons seulement, comme autant de circonstances qui n'échappent point à ceux qui sont chargés de cette grande partie de l'administration.

Que l'or & l'argent, qui sont tour-à-tour marchandises & signes représentatifs de tout ce qui peut être échangé, ne peuvent provenir que des mines, pour ceux qui en ont ; que du commerce, pour ceux qui n'ont point de mines.

Que l'or & l'argent, ainsi que les pierreries, peuvent être considérés comme matieres premieres ou comme ouvrages fabriqués : comme matieres, lorsque, par rapport aux pierreries, elles sont encore brutes ; & qu'à l'égard des métaux, ils sont encore en lingots, en barres, &c. comme ouvrages, lorsque les pierres précieuses sont mises en oeuvre, & qu'à l'égard des métaux, ils sont employés en monnoie, en vaisselle, en bijoux, en étoffes, &c.

Que les marchandises & les meubles peuvent être l'objet d'une circulation intérieure ; ou d'un commerce avec l'étranger ; & qu'à cet égard, & surtout dans le dernier cas, il est important d'examiner si la matiere premiere & la main-d'oeuvre à-la-fois, ou l'une des deux seulement, proviennent de la nation.

Les finances considérées, comme on vient de le voir, dans les richesses & les possessions réelles & sensibles, frappent tout le monde, & par cette raison obtiennent sans peine le degré d'attention qu'elles méritent. En voici d'une espece si métaphysique, que plusieurs seroient tentés de ne point les regarder comme richesses, si des titres palpables ne les rendoient réelles pour ceux qui conçoivent le moins les effets que ces titres produisent dans le commerce & dans la circulation.

Les richesses d'opinion, qui multiplient si prodigieusement les réelles, sont fondées sur le crédit, c'est-à-dire sur l'idée que l'on s'est formée de l'exactitude & de la solvabilité.

Mais ce crédit peut être celui de la nation, qui se manifeste dans les banques & dans la circulation des effets publics accrédités par une bonne administration ; ou celui des particuliers considérés séparément ou comme réunis.

Séparément, ils peuvent devenir par leur bonne conduite & leurs grandes vûes, les banquiers de l'état & du monde entier. On fera sans peine à Paris l'application de cet article.

Considérés ensemble, ils peuvent être réunis en corps, comme le clergé, les pays d'états, &c. en compagnie de commerce, comme la compagnie des Indes, les chambres d'assûrances, &c. d'affaires, telles que les fermes générales, les recettes générales, les munitionnaires généraux, &c. dont le crédit personnel augmente le crédit général de la nation.

Mais les avantages des richesses naturelles ou acquises, réelles ou d'opinion, ne se bornent pas au moment présent ; ils s'étendent jusque dans l'avenir, en préparant les ressources qui forment le troisieme aspect sous lequel les finances doivent être envisagées.

Trois sortes de ressources se présentent naturellement pour satisfaire aux besoins que les revenus ordinaires ne remplissent pas ; l'aliénation, l'emprunt, l'imposition. Les deux premieres sont en la disposition des sujets comme du souverain. Tout le monde peut aliéner ce qu'il a, emprunter ce qui lui manque ; le souverain seul peut imposer sur ce que les autres ont. Parcourons ces trois sortes de ressources avec la même rapidité que les autres objets.

Les aliénations se font à perpétuité, de ce qui peut être aliéné sans retour ; à tems, de ce qui est inaliénable de sa nature.

On aliene les fonds ou les revenus ; les fonds de deux manieres à l'égard du souverain, en engageant ceux qui ne sont point encore sortis de ses mains, en mettant en revente ceux qui n'avoient été vendus qu'à faculté de rachat ; les revenus provenant de l'établissement de nouveaux droits, ou de la perception des droits anciennement établis.

Quant aux emprunts, qui supposent toujours la certitude, ou tout au moins le desir d'une prochaine libération, ils peuvent se faire directement ou indirectement.

Directs, ils consistent dans les créations de rentes, qui peuvent être perpétuelles ou viageres, qui sont à leur tour viageres proprement dites, ou tontines, assignées les unes & les autres sur les fonds ou sur les revenus.

Indirects, ils sont déguisés sous diverses formes, sous différentes dénominations ; & tels sont l'usage du crédit public ou particulier, les loteries plus ou moins compliquées, les créations d'offices avec attribution de gages, ou les nouvelles finances que l'on exige des offices déjà créés, avec augmentation de gages proportionnée.

Mais des trois objets de ressources qui sont entre les mains du gouvernement, l'imposition est sans contredit celle que l'on employe toûjours le plus à regret. Les impositions peuvent être, comme les emprunts, directes ou indirectes : on peut établir de nouveaux impôts, on peut augmenter les impositions anciennement établies ? mais dans tous les cas, dans tous les tems, chez toutes les nations, les impositions ne pourront jamais porter que sur les choses, sur les hommes & sur leurs actions, qui comprendront toutes les conventions, toutes les especes de mutations, & toutes les sortes d'actes émanés d'une jurisdiction libre ou forcée. Voyez pour le détail le mot IMPOSITION, dont vous prendrez par avance l'idée générale la plus sûre, si vous la concevez d'après la division du droit, de rebus, de personis, & de actionibus.

Il en est au surplus des ressources comme du crédit ; un usage raisonnable les multiplie, mais l'abus que l'on en fait les détruit : il ne faut ni les méconnoître ni s'en prévaloir ; il faut les rechercher comme si l'on ne pouvoit s'en passer, & les économiser avec le même soin que s'il étoit desormais impossible de se les procurer ; & c'est à cette sage économie que conduisent les vrais principes de l'administration, quatrieme maniere d'envisager les finances, & que l'on a placée la derniere, parce qu'elle embrasse toutes les autres parties, & qu'elle les suppose & les gouverne toutes.

L'administration peut être publique & générale, ou personnelle & particuliere.

L'administration générale se subdivise en politique & économique. La politique embrasse l'universalité des hommes & des choses.

Des hommes, pour les apprécier ce qu'ils valent relativement à leur mérite personnel, à leur condition, à leur profession ; & pour tirer parti pour le bien commun, de leurs talens, de leurs vertus, de leurs défauts même.

Des choses, afin de les bien connoître chacune en particulier & toutes ensemble ; pour juger des rapports qui se trouvent entr'elles, & les rendre toutes utiles à l'universalité.

L'administration générale économique a pour objet,

Par rapport aux principes des finances, d'en conserver les sources ; de les rendre, s'il se peut, plus abondantes, & d'y puiser sans les tarir ni les dessécher.

Par rapport aux richesses, de conserver & d'améliorer les fonds, de maintenir les droits, de percevoir les revenus ; de faire ensorte que dans la recette rien ne se perde de ce qui doit entrer dans le thrésor du souverain ; que dans la dépense chaque chose suive la destination qui lui est affectée ; que le tout, s'il est possible, n'excede pas le revenu, & que la comptabilité soit en regle & bien constatée.

Cette même administration politique & générale a pour objet, par rapport aux ressources, de bien connoître celles dont on peut faire usage relativement aux facultés de l'état, au caractere de la nation, à la nature du gouvernement ; de savoir jusqu'à quel point l'on peut compter sur chacune en particulier, sur toutes ensemble, & sur-tout de les appliquer aux objets les plus intéressans.

Considérée comme personnelle & particuliere, l'administration est peut-être d'autant plus importante, qu'il arrive souvent que plus on se trouve par sa place éloigné des grands objets, plus on s'écarte des grandes vûes, & plus aussi les fautes sont dangereuses relativement au gouvernement. Mais il seroit plus qu'inutile de prévenir ici sur cette sorte d'administration, ce que l'on en dira ci-après à l'occasion du mot FINANCIER, qui rentre nécessairement dans celui-ci.

On voit par tout ce que l'on vient de lire sur les finances, que la distribution la plus simple & la plus naturelle, que la progression des idées les plus communes & les plus générales, conduisent à la véritable définition d'un mot si intéressant pour la société ; que dans cet article toutes les parties rentrent respectivement les unes dans les autres ; qu'il n'en est point d'indépendantes ; que leur réunion seule peut opérer, consolider & perpétuer la sûreté de l'état, le bonheur des peuples & la gloire du souverain : & c'est à quoi l'on doit arriver en partant du mot finances, comme on doit, en retrogradant, remonter à ce mot, sans que ni dans l'une ni dans l'autre de ces opérations, rien puisse interrompre la chaine des idées & l'ordre du raisonnement. Cet article est de M. PESSELIER.

FINANCE, (Caractere de) à l'usage de l'Imprimerie ; ce caractere est de M. Fournier le jeune, graveur & fondeur de caracteres à Paris, pour imiter l'écriture ordinaire, & imprimer certains ouvrages particuliers, comme lettres circulaires, épitres dédicatoires, placets, lettres-de-change, &c.

Ce caractere est fait sur deux corps différens, dont l'un peut servir sans l'autre, mais gravés & fondus de façon, qu'ils se trouvent en ligne ensemble, & ne forment qu'un seul caractere en deux parties. La premiere qui a l'oeil plus fort, & qui est destinée aux premieres lignes, est appellée bâtarde-trismegiste ; parce qu'elle imite l'écriture que les écrivains appellent bâtarde, & qu'elle est fondue sur le corps appellé trismégiste. La seconde qui a l'oeil plus petit, est appellée bâtarde-coulée-parangon ; parce qu'elle imite l'écriture libre & coulée, & qu'elle est sur le corps de parangon. Voyez, pour la figure, à la table des caracteres ; & pour les corps, la table des proportions.


FINANCIERS. m. (Politiq.) homme qui manie les finances, c'est-à-dire les deniers du roi ; qui est dans les fermes, dans les affaires de sa majesté, quaestorius aerarii, collector.

C'est à ce peu de mots que les meilleurs dictionnaires se bornent sur cet article. Le peuple (on doit entendre par ce mot le vulgaire de toute condition) ajoûte à cette définition l'idée d'un homme enrichi, & n'y voit guere autre chose. Le philosophe, c'est-à-dire l'homme sans prévention, peut y voir nonseulement la possibilité, mais encore la réalité d'un citoyen utile à la patrie, quand il joint à l'intelligence, aux ressources, à la capacité qu'exigent les travaux d'un financier (considéré dans le grand), la probité indispensable dans toutes les professions, & le desintéressement plus particulierement nécessaire à celles qui sont lucratives par elles-mêmes.

Voici, par rapport à la définition de financier, les différens aspects sous lesquels peut être envisagée cette profession, que les chevaliers romains ne dédaignoient pas d'exercer.

Un financier peut être considéré,

1°. Comme participant à l'administration des finances, d'une maniere plus ou moins directe, plus ou moins prochaine, plus ou moins décisive.

2°. Comme faisant pour son compte en qualité de fermier ou d'aliénataire, ou pour le compte du roi en qualité de régisseur, le recouvrement des impositions.

3°. Comme chargé d'entreprises de guerre ou de paix.

4°. Comme dépositaire des fonds qui forment le thrésor du souverain, ou la caisse des particuliers qui sont comptables envers l'état.

Si l'on examine philosophiquement ces différentes subdivisions d'une profession devenue fort importante & très-considérable dans l'état, on demeurera convaincu qu'il n'en est aucune qui n'exige, pour être dignement remplie, le concours des plus grandes qualités de l'esprit & du coeur ; les lumieres de l'homme d'état, les intentions du bon citoyen, & la plus scrupuleuse exactitude de l'honnête homme vraiment tel, car ce titre respectable est quelquefois legerement prodigué.

On verra qu'il est indispensable,

1°. Que le régisseur régisse, perçoive, administre comme pour lui-même.

2°. Que le fermier ou l'aliénataire évite également la négligence qui compromet le droit, & la rigueur qui le rend odieux.

3°. Que l'entrepreneur exécute ses traités avec une exactitude qui mérite celle des payemens.

4°. Que les thrésoriers, & les autres charges ou emplois à maniement, donnent sans-cesse des preuves d'une probité qui réponde de tout, & d'une intelligence qui ne prive de rien.

5°. Que tous enfin étant par leur place garans & responsables envers l'état de tout ce qui se fait en leur nom, ou pour le gouvernement, ne doivent employer (en sous-ordre) dans le recouvrement & dans les autres opérations dont il sont chargés, que des gens humains, solvables, intelligens, & d'une probité bien constatée.

C'est ainsi que tous les financiers, chacun dans leur genre, & dans l'ordre des proportions de lumieres, de fonctions, de facultés, qui leur est propre & particulier, peuvent être estimés, considérés, chéris de la nation, écoutés, consultés, suivis par le gouvernement.

Ce portrait du financier blessera peut-être une partie des idées reçues : mais l'ont-elles été en connoissance de cause ? & quand elles seroient justifiées par quelques exemples, doivent-ils tirer à conséquence pour l'universalité ?

On répondra vraisemblablement qu'il seroit injuste & déraisonnable de les appliquer indistinctement à tous les financiers. Que penser de cette application indistincte & générale, dans un auteur accrédité par son mérite & par sa réputation ?

J'ouvre l'esprit des lois, ce livre qui fait tant d'honneur aux lettres, à la raison, à l'humanité ; & je trouve dans cet ouvrage célebre, cette espece d'anathème lancé contre les financiers que l'on affecte de confondre tous dans les injurieuses dénominations de traitans & de publicains.

" Il y a un lot pour chaque profession ; le lot de ceux qui levent les tributs, est les richesses, & les récompenses de ces richesses sont les richesses mêmes. La gloire & l'honneur sont pour cette noblesse, qui ne connoit, qui ne voit, qui ne sent de vrai bien que l'honneur & la gloire ; le respect & la considération sont pour ces ministres & ces magistrats, qui ne trouvant que le travail après le travail, veillent nuit & jour pour le bonheur de l'empire ".

Mais comment un philosophe, un législateur, un sage, a-t-il pû supposer dans le royaume une profession qui ne gagnât, qui ne méritât que de l'argent, & qui fût exclue par état de toute autre sorte de récompense ?

On sait tout ce que mérite de la patrie, la noblesse qui donne son sang pour la défendre ; le ministere qui la gouverne, la magistrature qui la juge : mais ne connoît-on enfin qu'une espece de gloire & d'honneur, qu'une sorte de respect & de considération ? & n'en est-il point que la finance puisse aspirer à mériter ?

Les récompenses doivent être proportionnées aux services, la gloire aux sacrifices, le respect aux vertus.

Un financier ne sera sans-doute ni récompensé, ni respecté, ni considéré comme un Turenne, un Colbert, un Seguier.... Les services qu'il rend, les sacrifices qu'il fait, les vertus qu'il montre, ne sont ni de la même nature, ni du même prix. Mais peut-on, mais doit-on décemment, équitablement, raisonnablement en conclure qu'ils n'ont aucune sorte de valeur & de réalité ? Et lorsqu'un homme de finance, tel qu'on vient de le peindre, & que l'on conçoit qu'il doit être, vient justifier l'idée que l'on en donne, sa capacité ne rend-elle pas à l'état des services essentiels ? son desintéressement ne fait-il pas des sacrifices ? & sa vertu ne donne-t-elle pas des exemples à suivre, à ceux mêmes qui veulent le dégrader ?

Il est certain, & l'on doit en convenir (en ami de la vérité) ; il est certain que l'on a vû dans cette profession des gens dont l'esprit, dont les moeurs, dont la conduite, ont mérité qu'on répandit sur eux à pleines mains le sel du sarcasme & de la plaisanterie, & (ce qui devoit les toucher encore plus) l'amertume des reproches les mieux fondés.

Mais ce corps est-il le seul qui présente des membres à retrancher ? & refusera-t-on à la noblesse, au ministere, à la magistrature, les éloges, les récompenses, & les distinctions qu'ils méritent, parce que l'on a vû quelquefois en défaut dans le militaire le courage, dans le ministere les grandes vûes, dans la magistrature le savoir & l'intégrité ?

On reclameroit avec raison contre cette injustice. La finance n'a-t-elle pas autant à se plaindre de l'Esprit des lois ? & ne doit-elle pas le faire avec d'autant plus de force, que l'auteur ayant plus de mérite & de célébrité, est aussi plus dangereux pour les opinions qu'il veut accréditer ? Le moindre reproche que l'on puisse faire en cette occasion à cet écrivain, dont la mémoire sera toûjours chere à la nation, c'est d'avoir donné pour assertion générale une observation personnelle & particuliere à quelques financiers, & qui n'empêche pas que le plus grand nombre ne desire, ne recherche, ne mérite, & n'obtienne la sorte de récompense & de gloire, de respect & de considération qui lui est propre. Cet article est de M. PESSELIER.

Nous donnons cet article par les raisons déjà dites au mot FERMIER (Finance). Bien éloignés de vouloir faire aucun reproche odieux & injuste à ceux de nos financiers qui font un usage respectable de leur opulence, & de les priver du tribut d'estime personnelle qui leur est dû, nous desirons seulement présenter aux personnes intelligentes en ces matieres, l'occasion de discuter l'importante question de l'utilité de la finance considérée en elle-même : l'illustre auteur de l'Esprit des lois étoit incapable de penser là-dessus autrement ; en écrivant contre la finance en général (article sur lequel nous ne prétendons point décider), il savoit rendre justice aux particuliers éclairés & vertueux qui se trouvent dans ce corps.


FINESSES. f. (Gramm.) ne signifie ni au propre ni au figuré mince, leger, délié, d'une contexture rare, foible, ténue ; elle exprime quelque chose de délicat & de fini. Un drap leger, une toile lâche, une dentelle foible, un galon mince, ne sont pas toûjours fins. Ce mot a du rapport avec finir : de-là viennent les finesses de l'art ? ainsi l'on dit la finesse du pinceau de Vanderwerf, de Mieris ; on dit un cheval fin, de l'or fin, un diamant fin. Le cheval fin est opposé au cheval grossier ; le diamant fin au faux ; l'or fin ou affiné, à l'or mêlé d'alliage. La finesse se dit communément des choses déliées, & de la legereté de la main-d'oeuvre. Quoiqu'on dise un cheval fin, on ne dit guere la finesse d'un cheval. On dit la finesse des cheveux, d'une dentelle, d'une étoffe. Quand on veut par ce mot exprimer le défaut ou le mauvais emploi de quelque chose, on ajoûte l'adverbe trop. Ce fil s'est cassé, il étoit trop fin ; cette étoffe est trop fine pour la saison.

La finesse, dans le sens figuré, s'applique à la conduite, aux discours, aux ouvrages d'esprit. Dans la conduite, finesse exprime toûjours, comme dans les Arts, quelque chose de délié ; elle peut quelquefois subsister sans l'habileté : il est rare qu'elle ne soit pas mêlée d'un peu de fourberie ; la politique l'admet, & la société la réprouve. Le proverbe des finesses cousues de fil blanc, prouve que ce mot au sens figuré, vient du sens propre de couture fine, d'étoffe fine.

La finesse n'est pas tout-à-fait la subtilité. On tend un piége avec finesse, on en échappe avec subtilité ; on a une conduite fine, on joue un tour subtil ; on inspire la défiance, en employant toûjours la finesse. On se trompe presque toûjours en entendant finesse à tout. La finesse dans les ouvrages d'esprit, comme dans la conversation, consiste dans l'art de ne pas exprimer directement sa pensée, mais de la laisser aisément appercevoir : c'est une énigme dont les gens d'esprit devinent tout d'un coup le mot. Un chancelier offrant un jour sa protection au parlement, le premier président se tournant vers sa compagnie : Messieurs, dit-il, remercions M. le chancelier, il nous donne plus que nous ne lui demandons ; c'est-là une répartie très-fine. La finesse dans la conversation, dans les écrits, differe de la délicatesse ; la premiere s'étend également aux choses piquantes & agréables, au blâme & à la loüange même, aux choses même indécentes, couvertes d'un voile à travers lequel on les voit sans rougir. On dit des choses hardies avec finesse. La délicatesse exprime des sentimens doux & agréables, des loüanges fines ; ainsi la finesse convient plus à l'épigramme, la délicatesse au madrigal. Il entre de la délicatesse dans les jalousies des amans ; il n'y entre point de finesse. Les loüanges que donnoit Despréaux à Louis XIV. ne sont pas toûjours également délicates ; ses satyres ne sont pas toûjours assez fines. Quand Iphigénie dans Racine a reçu l'ordre de son pere de ne plus revoir Achille, elle s'écrie : dieux plus doux vous n'aviez demandé que ma vie. Le véritable caractere de ce vers est plûtôt la délicatesse que la finesse. Article de M. DE VOLTAIRE.

FINESSE, (Philosophie-Morale) c'est la faculté d'appercevoir dans les rapports superficiels des circonstances & des choses, les facettes presque insensibles qui se répondent, les points indivisibles qui se touchent, les fils déliés qui s'entrelacent & s'unissent.

La finesse differe de la pénétration, en ce que la pénétration fait voir en grand, & la finesse en petit détail. L'homme pénétrant voit loin ; l'homme fin voit clair, mais de près : ces deux facultés peuvent se comparer au télescope & au microscope. Un homme pénétrant voyant Brutus immobile & pensif devant la statue de Caton, & combinant le caractere de Caton, celui de Brutus, l'état de Rome, le rang usurpé par César, le mécontentement des citoyens, &c. auroit pû dire : Brutus médite quelque chose d'extraordinaire. Un homme fin auroit dit : Voilà Brutus qui s'admire dans l'un de ces caracteres, & auroit fait une épigramme sur la vanité de Brutus. Un fin courtisan voyant le desavantage du camp de M. de Turenne, auroit fait semblant de ne pas s'en appercevoir ; un grenadier pénétrant néglige de travailler aux retranchemens, & répond au général : je vous connois, nous ne coucherons pas ici.

La finesse ne peut suivre la pénétration, mais quelquefois aussi elle lui échappe. Un homme profond est impénétrable à un homme qui n'est que fin ; car celui-ci ne combine que les superficies : mais l'homme profond est quelquefois surpris par l'homme fin ; sa vûe hardie, vaste & rapide, dédaigne ou néglige d'appercevoir les petits moyens : c'est Hercule qui court, & qu'un insecte pique au talon.

La délicatesse est la finesse du sentiment qui ne refléchit point ; c'est une perception vive & rapide du résultat des combinaisons.

Malo me Galataea petit, lasciva puella,

Et fugit ad salices, & se cupit ante videri.

Si la délicatesse est jointe à beaucoup de sensibilité, elle ressemble encore plus à la sagacité qu'à la finesse.

La sagacité differe de la finesse, 1°. en ce qu'elle est dans le tact de l'esprit, comme la délicatesse est dans le tact de l'ame ; 2°. en ce que la finesse est superficielle, & la sagacité pénétrante : ce n'est point une pénétration progressive, mais soudaine, qui franchit le milieu des idées, & touche au but dès le premier pas. C'est le coup-d'oeil du grand Condé. Bossuet l'appelle illumination ; elle ressemble en effet à l'illumination dans les grandes choses.

La ruse se distingue de la finesse, en ce qu'elle employe la fausseté. La ruse exige la finesse, pour s'envelopper plus adroitement, & pour rendre plus subtils les piéges de l'artifice & du mensonge. La finesse ne sert quelquefois qu'à découvrir & à rompre ces piéges ; car la ruse est toûjours offensive, & la finesse peut ne pas l'être. Un honnête homme peut être fin, mais il ne peut être rusé. Du reste, il est si facile & si dangereux de passer de l'un à l'autre, que peu d'honnêtes gens se piquent d'être fins. Le bon homme & le grand homme ont cela de commun, qu'ils ne peuvent se resoudre à l'être.

L'astuce est une finesse pratique dans le mal, mais en petit : c'est la finesse qui nuit ou qui veut nuire. Dans l'astuce la finesse est jointe à la méchanceté, comme à la fausseté dans la ruse. Ce mot qui n'est plus d'usage, a pourtant sa nuance ; il mériteroit d'être conservé.

La perfidie suppose plus que de la finesse ; c'est une fausseté noire & profonde qui employe des moyens plus puissans, qui meut des ressorts plus cachés que l'astuce & la ruse. Celles-ci pour être dirigées n'ont besoin que de la finesse, & la finesse suffit pour leur échapper ; mais pour observer & démasquer la perfidie, il faut la pénétration même. La perfidie est un abus de la confiance, fondée sur des garans inévitables, tels que l'humanité, la bonne-foi, l'autorité des lois, la reconnoissance, l'amitié, les droits du sang, &c. plus ces droits sont sacrés, plus la confiance est tranquille, & plus par conséquent la perfidie est à couvert. On se défie moins d'un concitoyen que d'un étranger, d'un ami que d'un concitoyen, &c. ainsi par degrés la perfidie est plus atroce, à mesure que la confiance violée étoit mieux établie.

Nous observons ces synonymes moins pour prévenir l'abus des termes dans la langue, que pour faire sentir l'abus des idées dans les moeurs : car il n'est pas sans exemple qu'un perfide qui a surpris ou arraché un secret pour le trahir, s'applaudisse d'avoir été fin. Cet article est de M. MARMONTEL.

FINESSE, (Manege) terme qui le plus souvent est employé relativement au cheval, dans le même sens que celui de sensibilité. Ce cheval a beaucoup de finesse, il est extrèmement sensible ; il est averti, & promtement déterminé par les aides les plus legeres & les plus douces.

Ce mot est encore usité quand il s'agit de désigner la legereté de la taille d'un animal. Ce n'est point disons-nous, un cheval épais, lourd, pesant ; c'est un cheval qui a de la finesse.

Relativement au cavalier, le terme de finesse renferme tout ce qu'expriment les mots délicatesse, précision, subtilité, &c. (e)


FINIFINIE, ce mot est participe & adjectif ; comme participe, il a toutes les significations de son verbe : ainsi on dit qu'un ouvrage est fini, c'est-à-dire achevé, terminé, mis à fin. Telle est la premiere signification de ce mot, & en ce sens fini est opposé à commencé.

Fini se dit aussi par extension dans le sens de perfectionné, bien travaillé : c'est ainsi qu'on dit d'un tableau, que c'est un ouvrage fini ; que le peintre y a mis la derniere main ; on le dit aussi d'une gravûre, d'une statue, des ouvrages à polir : lorsqu'il s'agit de ces sortes d'ouvrages, bien fini signifie bien poli ; on le dit aussi par figure des ouvrages d'esprit.

Fini, en Grammaire est un adjectif qui signifie déterminé, appliqué. On divise les modes des verbes en deux especes, en mode infinitif & en modes finis. L'infinitif énonce la signification du verbe dans un sens abstrait, sans en faire une application individuelle, comme aimer, lire, écouter, ensorte que l'infinitif par lui-même ne dit point qu'aucun individu fasse l'action qu'il signifie. Au contraire, les modes finis appliquent l'action par rapport à la personne, au nombre & au tems. Pierre lit, a lû, lira, &c.

On dit aussi sens fini, c'est-à-dire déterminé ; on oppose alors sens fini à sens vague ou indéterminé.

Sens fini signifie aussi sens achevé, sens complet ; ce qui arrive quand l'esprit n'attend plus d'autre mot pour comprendre le sens de la phrase. On met un point à la fin de la période, quand le sens est fini ou complet : alors l'esprit n'attend plus d'autre mot par rapport à la construction de la phrase particuliere.

Fini, e, adjectif qui signifie déterminé, borné, limité, & qui se dit sur-tout des êtres physiques. Les partisans des idées innées se sont si fort écartés de la voie simple de la nature & de la droite raison, qu'ils soûtiennent que nous ne connoissons le fini que par l'idée innée que nous avons, disent-ils, de l'infini ; le fini, selon eux, suppose l'infini, & n'est qu'une limitation de l'idée que nous avons de l'infini. Ils prétendent que nous ne connoissons les êtres particuliers, que parce que nous avons l'idée de l'être en général.

Perceptio rei singularis nihil aliud esse videtur quam limitatio quaedam luminis naturalis, quo ens ipsum universè, seu Deum novimus. Inst. Phil. Edmundi Purchotii Metap. sect. iij. c. v. p. 585.

Prius cognoscimus quid sit ens seu esse generatim quam sensibus nostris utamur. Id. ib. p. 567.

Prius est cognoscere ens simpliciter quam ens tale aut entis differentias. Id. ib. p. 568.

Plus on refléchit sur cette étrange hypothèse, plus on la trouve contraire à l'expérience & aux lumieres du bon sens. Quand nous venons au monde, & que nos sens ont acquis une certaine consistance, nous sommes affectés par les objets particuliers ; & ce sont ces différentes affections qui nous donnent les idées des êtres particuliers. Nous voyons ces êtres bornés par leurs propres limites & par l'étendue ultérieure qui les environne. A la vérité, je ne puis bien entendre qu'un objet est fini, que je n'en connoisse les bornes, & que je n'aye acquis par l'usage de la vie, l'idée d'une étendue ultérieure ; mais ces deux points me suffisent pour savoir qu'un tel corps est fini, sans que l'idée de l'infini me soit nécessaire, puisque ce corps singulier n'est point une partie intégrante de l'infini, & que je puis entendre qu'on me parle de l'un, sans être obligé de penser à l'autre. Si j'observe une île dans la mer, je vois qu'elle a une étendue circonscrite par les eaux. Aussi S. Paul, au lieu de nous dire que l'idée innée de l'infini nous fait connoître les créatures, nous enseigne au contraire que " les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle & sa divinité, sont devenues visibles depuis la création du monde, par la connoissance que ses créatures nous en donnent ". Ad rom. c. j. v. 20.

Ainsi on est beaucoup plus conforme à la pensée de S. Paul & au langage du S. Esprit, en soûtenant que les idées particulieres des êtres finis dont nous pouvons toûjours écarter les limites, nous menent enfin à l'idée de l'infini, qu'en voulant que l'idée de l'infini soit nécessaire pour connoître un être fini : c'est comme si l'on disoit qu'il faut avoir vû la mer pour connoître une riviere que l'on voit couler dans son lit, & qu'il faut avoir idée d'un royaume, pour voir une ville renfermée dans ses remparts.

En un mot, c'est par les idées singulieres que nous nous élevons aux idées générales ; ce sont les divers objets blancs dont j'ai été affecté, qui m'ont donné l'idée de la blancheur ; ce sont les différens animaux particuliers que j'ai vûs dès mon enfance, qui m'ont donné l'idée générale d'animal, &c. Ce n'est que de ce principe bien developpé & bien entendu, que peut naître un jour une bonne logique. Voyez ABSTRACTION, ADJECTIF. (F)

FINI, (Philos. & Géom.) on appelle grandeur finie, celle qui a des bornes ; nombre fini, tout nombre dont on peut assigner & exprimer la valeur ; progression finie, celle qui n'a qu'un certain nombre de tems, par opposition à la progression infinie, dont le nombre de termes peut être si grand que l'on voudra.

Nous n'avons d'idées distinctes & directes, que des grandeurs finies ; nous ne connoissons l'infini que par une abstraction négative & par une opération pour ainsi dire négative de notre esprit, qui ne fait point attention aux bornes de la chose que nous considérons comme infinie. Il est si vrai que l'idée que nous avons de l'infini, n'est point directe & qu'elle est purement négative, que la dénomination même d'infini le prouve. Cette dénomination qui signifie négation de fini, fait voir que nous concevons d'abord le fini, & que nous concevons l'infini en niant les bornes du fini. Cependant il y a eu des philosophes qui ont prétendu que nous avions une idée directe & primitive de l'infini, & que nous ne concevions le fini que par l'infini ; mais cette idée si extraordinaire, pour ne pas dire si extravagante, n'a plus guere aujourd'hui de partisans ; encore sont-ce des partisans honteux, si on peut parler ainsi, qui ne soûtiennent cette opinion que relativement à leur système des idées innées, parce que ce système les conduit à une si étrange conséquence. En effet, si nous avons une idée innée de Dieu, comme le veulent ces philosophes, nous avons donc une idée innée primitive & directe de l'infini ; nous connoissons Dieu avant les créatures, & nous ne connoissons les créatures que par l'idée que nous avons de Dieu, en passant de l'infini au fini. Cette conséquence si absurde suffiroit, ce me semble, pour renverser le système des idées innées, si ce système n'étoit pas aujourd'hui presqu'entierement proscrit. Voy. IDEE. Voyez aussi INFINI, & l'article précédent.

M. Musschenbroeck dans le second chapitre de ses essais de Physique, dit & entreprend de prouver que le fini peut être égal à l'infini ; c'est tout au moins une mauvaise maniere de s'énoncer ; il falloit dire seulement, qu'un espace fini en tout sens, peut être égal à un espace infini en un sens. C'est une vérité que les Géometres prouvent dans une infinité de cas ; témoin la logarithmique & une infinité d'autres courbes. Voyez LOGARITHMIQUE. M. Musschenbroeck, parmi les preuves de son assertion, apporte l'hyperbole : en quoi il se trompe, du moins s'il veut parler de l'hyperbole ordinaire ; car on prouve que l'espace renfermé entre l'hyperbole ordinaire & ses asymptotes, est non-seulement de longueur infinie, mais aussi infini en surface. Voyez ASYMPTOTE. (O)


FINIRv. act. désigne en Peinture un tableau où il n'y a rien d'indécis, & dont toutes les parties sont bien arrêtées. Il se dit aussi quelquefois d'une façon de peindre, où l'on n'apperçoit pas les coups du pinceau ou touches qui forment les objets. Un tableau peut être extrèmement fini, & néanmoins fort mauvais. On dit, ce peintre seroit excellent s'il finissoit davantage ses tableaux : c'est un grand génie, mais il ne finit rien. (R)

FINIR, (Batt. d'or) voyez l'article BATTEUR D'OR.

FINIR, chez les Ouvriers en fer & autres, c'est donner à l'ouvrage sa derniere perfection, y mettre la derniere main.

FINIR, en terme d'Eventailliste, c'est mettre la derniere couleur, & achever parfaitement les peintures d'un éventail.

FINIR, en terme d'Orfévre en grosserie, c'est adoucir les pieces à la lime, & les mettre en état de passer au poli, de sorte qu'elles ne retournent plus à l'orfévre.

En terme d'Orfévre-Bijoutier, c'est monter les charnieres des tabatieres, & les mettre en fermeture, reparer les charnieres, les polir, terminer les coins & les fermetures ; c'est dans cette opération que brille particulierement l'attention d'un artiste scrupuleux, la rondeur d'une charniere, la jonction exacte de ses coulisses, & de l'assemblage de ses charnons : son roulement ne doit être ni trop dur ni trop lâche : la douceur d'une fermeture & sa belle jonction, sont les caracteres les plus essentiels du beau fini des tabatieres ; il est encore d'autres choses qui décelent son bon goût & son attention ; comme l'égalité & le bel uni des biseaux & carrés, ainsi que d'avoir soin que quelque vif qu'il donne à ses contours ou à ses angles, rien n'en soit cependant coupant, & ne puisse incommoder les mains les plus délicates.

On employe encore ce terme communément pour exprimer le beau poli & le dernier vif que l'on donne aux ouvrages d'orfévrerie.

FINIR, terme de Planeur, signifie l'action de teindre les coups visibles du marteau, & de polir au cuir, c'est-à-dire sur le tas couvert d'un cuir en plusieurs doubles.


FINISSEURS. m. (Horlogerie) nom que les Horlogers donnent à l'ouvrier qui finit les mouvemens des montres ou des pendules.

On trouvera à l'article MOUVEMENT ce que c'est qu'un mouvement en blanc ; que c'est une montre ou une pendule faite, mais dont certaines parties, comme les dentures, les engrenages, les pivots, &c. n'ont point encore reçû leur perfection, & que de plus dans ces mouvemens l'échappement n'est pas encore fait en ressort, &c. la fusée n'est point égalée ; c'est toute cette partie de l'ouvrage dont le finisseur est chargé ; enfin toutes les parties d'une machine pouvant être bien faites, sans que leurs relations soient telles qu'elles devroient être pour produire l'effet requis, c'est au finisseur à disposer toutes ces choses, & à faire que la montre sortant de ses mains, soit en état d'aller, & de mesurer le tems le mieux qu'il est possible. Par cette division de l'ouvrage, chaque ouvrier n'en étant chargé que d'une partie, y devient plus habile, ce qui concourt à la perfection du tout. Cette partie de l'exécution des montres & des pendules, est celle qui demande le plus d'adresse & d'intelligence, aussi sont-ce ordinairement les plus habiles d'entre les ouvriers qu'on y employe. (T)

FINITEUR, adj. (cercle finiteur) en Astronomie, est le nom qu'on donne à l'horison. On l'appelle ainsi, parce qu'il finit & borne la vûe ou l'aspect. Cependant cette dénomination ne convient proprement ni à l'horison sensible, ni à l'horison rationnel. Car le premier est un plan qui touche la terre à l'endroit où nous sommes : & le second est un plan qui passe par le centre de la terre ; or il est évident que la partie de la terre & du ciel que nous voyons, n'est pas terminée par le premier plan, & qu'elle se termine audessus du second. Pour déterminer le véritable cercle finiteur, il faut supposer la terre parfaitement ronde, & imaginer de l'oeil du spectateur, un cone de rayons qui touchent la terre ; la base de ce cone formera sur la surface courbe de la terre, un cercle qui sera le vrai cercle finiteur. Voyez ABAISSEMENT. Au reste le mot de cercle finiteur n'est plus extrèmement en usage ; on se sert assez souvent d'une expression équivalente, cercle terminateur de l'horison. Voyez HORISON. (O)


FINITO(Jurisprud.) terme latin usité dans la pratique du palais & des Notaires, pour exprimer l'arrêté ou état final d'un compte. (A)


FINLANDE(Géog.) Finnonia, province de Suede, bornée E. par la Russie, O. par le golfe de Bothnie, S. par le golfe de Finlande, N. par la Laponie Suédoise ; elle passe en général pour un pays fertile en pâturages, en bestiaux & en poisson. Elle a titre de grand-duché, & se divise en sept provinces. Abo en est la capitale. Le golfe de Finlande qui fait la partie la plus orientale de la mer Baltique, & qui s'étend de l'oüest à l'est, a environ 90 lieues de long ; il communique au lac de Ladoga par la riviere de Nieve, sur laquelle est la ville de S. Petersbourg. Les côtes de ce golfe sont pleines de roches & de petites iles. (D.J.)


FINMARCHIE(Géog.) Chadenia, province de la Laponie danoise ou Norwégienne. Elle fait partie du golfe de Wardhus, dont M. de Lisle ne la distingue nullement. C'est un desert affreux, habité par des idolatres, sans villes & sans bourgs. Voyez WARDHUS. (D.J.)


FINNES. f. (Ardoisier) mauvaise qualité de l'ardoise. Voyez l'article ARDOISE.


FIOLES(Hydr.) ce sont en général de petites bouteilles d'un verre très-mince. C'est ainsi qu'on nomme encore les trois tuyaux de verre que l'on met dans les tuyaux d'un niveau, & que l'on ajuste avec de la cire & du mastic, afin que l'eau colorée renfermée dans le gros tuyau horisontal, puisse monter dans les fioles, & découvrir la ligne de mire. (K)


FIORENZO(SAN) Géog. petite ville de Corse, près du golfe de même nom, avec un port. Long. 27d. 5'. Lat. 42d 35'. (D.J.)


FIRANDO(Géog.) petit royaume du Japon, dans une île adjacente à celle de Ximo. Il y a un port sur la mer de Corée, dont le moüillage est bon, vers le 33d. 30-40'. de lat. nord. (D.J.)


FIRENZUOLA(Géog.) petite ville de Lombardie au duché de Parme, dans une belle plaine, à 8 lieues N. O. de Parme. Long. 27d. 25'. Lat. 44d. 56'. (D.J.)


FIRKINS. m. (Commerce) est une mesure angloise qui sert à mesurer les choses liquides, & qui contient la quatrieme partie d'un tonneau ou barril. Voyez BARRIL & MESURE.

Le firkin d'aile contient 8 gallons : celui de biere en contient 9 : deux firkins de biere font un kilderkin : deux kilderkins font un tonneau, & deux tonneaux un muid. Voyez KILDERKIN, GALLON, BARRIL & MUID.

Le firkin de savon & de beurre est comme celui d'aîle, c'est-à-dire un gallon moins fort que celui de biere. Dictionn. de Commerce.


FIRMAMENTS. m. (Astronomie) en termes d'astronomie ancienne, est le huitieme ciel, la huitieme sphere où les étoiles fixes sont attachées. V. SPHERE.

On l'appelle le huitieme ciel, par rapport au sept cieux des planetes qu'il environne.

Dans plusieurs endroits de l'Ecriture, le mot firmament signifie la moyenne région de l'air. Plusieurs anciens ont crû aussi-bien que les modernes, que le firmament est d'une matiere fluide ; mais il paroît que ceux qui lui ont donné le nom de firmament, le croyoient d'une matiere solide. Harris & Chambers.

En effet c'étoit un des axiomes de la philosophie ancienne, que les cieux devoient être solides ; Aristote prétendoit que la solidité étoit une chose attachée à la noblesse de leur nature, & nécessaire pour leur conserver l'incorruptibilité, qu'on regardoit comme une de leurs propriétés essentielles. D'un autre côté cependant, comme il falloit que la lumiere passât au-travers, cela obligeoit à faire les cieux de crystal. Et voilà l'origine de tous les cieux de crystal de l'astronomie ancienne. Voyez CIEL & CRYSTAL. Toutes ces chimeres sont aujourd'hui entierement proscrites, & bien dignes de l'être ; on ne donne plus le nom de firmament qu'à cette voûte céleste, & de couleur bleue, où les étoiles nous paroissent comme attachées. Dans la vérité les étoiles ne sont attachées à aucune surface sphérique. C'est notre imagination & nos sens qui nous trompent là-dessus. V. ÉTOILE, VISION, &c. Toutes les étoiles étant à une prodigieuse distance de nous, nous les jugeons à la même distance, quoiqu'elles ne le soient pas. Voyez APPARENT ; ainsi nous les jugeons rangées sur une surface sphérique, abstraction faite de quelques causes particulieres qui nous font juger cette surface applatie. A l'égard de la couleur bleue du firmament, cette couleur n'est autre chose que celle de l'atmosphere vûe à une très-grande profondeur. Elle est la même que celle de l'eau de la mer. Apparemment l'air & l'eau ont la propriété de laisser passer à une grande profondeur les rayons bleus, en plus grande quantité que les autres. Voyez BLEU & COULEUR. Pour déterminer la vraie figure apparente de la voûte azurée du firmament, il faudroit avoir résolu ces deux problèmes, dont on n'a jusqu'ici que des solutions très-bornées & très-incomplete s, pour ne pas dire très-peu exactes & très-fautives. 1°. Un objet étant placé au-delà de l'atmosphere, & envoyant à nos yeux des rayons qui se brisent à-travers de l'atmosphere, trouver le lieu où l'on verra cet objet. 2°. Déterminer suivant quelle loi un objet placé à la même distance, nous paroît plus ou moins éloigné, à proportion qu'il est plus loin ou plus près de notre zénith. Voilà pour les Géometres Physiciens une ample & belle matiere à s'exercer. On peut voir les tentatives & les conjectures que nous ont données sur la solution de ce grand & beau problème, M. Smith, dans son optique, & après lui M. de Mairan, dans les Mém. de l'Acad. de 1740.

Quelques théologiens appellent firmament, le ciel étoilé, pour le distinguer du ciel empyrée, qu'ils imaginent être au-dessus, & dont ils font la demeure des bienheureux. Voyez EMPYREE. (O)


FIRMANS. m. (Commerce) on appelle ainsi dans les Indes orientales, particulierement dans les états du grand Mogol, les passeports ou permissions de trafiquer, que les princes accordent aux marchands étrangers. Dictionnaire de Commerce, de Chambers & de Trévoux. (G)


FISCTHRÉSOR PUBLIC, (Synon.) en latin fiscus, aerarium. Le premier mot se dit proprement du thrésor du prince, parce qu'on le mettoit autrefois dans des paniers d'osier ou de jonc, & le second du thrésor de l'état.

A Rome, sous les premiers empereurs, on appelloit aerarium, les revenus publics, ceux de l'épargne, destinés aux besoins & aux charges de l'état ; & on nommoit fiscus, ceux qui ne regardoient que l'entretien du prince en particulier ; mais bien-tôt après, ces deux mots furent confondus chez les Romains, & nous avons suivi leur exemple. Aussi le dictionnaire de Trévoux définit le fisc par thrésor du roi, ou du royaume indifféremment : car, ajoûte ce dictionnaire, la différence de ces deux choses que l'on remarquoit dans le commencement de l'empire romain, ne se trouve point en France. Il n'y a que trop d'autres pays où le thrésor du prince & le thrésor public sont des termes synonymes : voyez cependant THRESOR PUBLIC. Du mot fisc, on a fait confisquer, confiscare, bona fisco addicere, par la raison que tous les biens que les empereurs confisquoient, appartenoient à leur fisc, & non point au public. Les biens de Séjan, dit Tacite (annal. liv. V.), furent transportés du thrésor public dans le fisc de l'empereur. L'usage des confiscations devint si fréquent, qu'on est fatigué de lire dans l'histoire de ce tems-là, la liste du nombre infini de gens dont les successeurs de Tibere confisquerent les biens. Nous ne voyons rien de semblable dans nos histoires modernes ; on n'a point à dépouiller des familles de sénateurs qui ayent ravagé le monde. Nous tirons du moins cet avantage, dit M. de Montesquieu, de la médiocrité de nos fortunes, qu'elles sont plus sûres ; nous ne valons pas la peine qu'on confisque nos biens : & le prince qui les raviroit seroit un mauvais politique.

Le fisc des pontifes s'appelloit arca ; & celui qui en avoit la garde, étoit honoré du titre d'arcarius, comme il paroît par plusieurs inscriptions recueillies de Gruter, qu'il ne s'agit pas de transcrire ici. Art. de M(D.J.)

FISC, (Jurisp.) en latin fiscus, se prend en général pour le domaine du prince, ou pour celui de quelque seigneur particulier.

Il a été ainsi appellé du latin fiscus, qui dans l'origine signifie un panier d'osier, parce que du tems des Romains on se servoit de semblables paniers pour mettre de l'argent.

Du tems de la république il n'y avoit qu'un seul fisc, qui étoit le thrésor public ; mais du tems des empereurs, le prince avoit son thrésor & domaine particulier, distinct de celui de l'état ; & l'on donna le nom de fisc au thrésor des empereurs, pour le distinguer du thrésor public, qu'on appelloit aerarium, & qui étoit destiné pour l'entretien de l'état ; au lieu que le fisc du prince étoit destiné pour son entretien particulier, & celui de sa maison.

Confisquer une chose, signifie l'attribuer au fisc ; ce qui est une peine qui a lieu en certains cas.

Cicéron, dans son oraison pro domo sua, observe que dans l'âge d'or de la république, le fisc ou thrésor public n'étoit point augmenté par la confiscation ; cette peine étoit alors inconnue.

Ce ne fut que dans le tems de la tyrannie de Sylla que fut faite la loi Cornelia, de proscript. qui déclara les biens des proscrits acquis au profit du fisc.

La confiscation avoit lieu du tems des empereurs, mais ils ne faisoient guere usage de ce droit ; c'est pourquoi Pline, dans le panégyrique qu'il a fait de Trajan, le loue principalement de ce que sous son regne la cause du fisc ne prévaloit point ordinairement : quae praecipua tua gloria est, dit-il, saepius vincitur fiscus, cujus mala causa nunquam est nisi sub bono principe.

L'empereur Constantin, par une loi du mois de Février 320, défendit de faire souffrir à ceux qui seroient redevables au fisc, ni les prisons ordinaires, qui ne sont, dit-il, que pour les criminels ; ni les foüets & autres supplices, inventés, dit-il, par l'insolence des juges, & qui étoient néanmoins ordinaires en ce tems-là pour la simple question : il voulut qu'on les tînt seulement arrêtés en des lieux où on eût la liberté de les voir. Cette loi est bien opposée à ce que prétend Zozime, que quand il falloit payer les impôts à Constantin, on ne voyoit par-tout que foüets & que tortures ; à moins que l'on ne dise que cela se pratiquoit ainsi de son regne avant cette loi.

Par une autre loi de la même année, concernant les femmes qui se remarient dans l'année du deuil, il ordonna que les choses dont il les privoit iroient à leurs héritiers naturels, & non au fisc, à moins qu'elles ne manquassent d'héritiers jusqu'au dixieme degré ; " ce que nous ordonnons, dit-il, afin que l'on ne puisse pas nous accuser de faire pour nous enrichir, ce que nous ne faisons que pour l'intérêt public, & pour corriger les desordres ".

Il ne voulut pas non plus profiter des choses naufragiées, quod enim jus habet fiscus in aliena calamitate, ut de re tam luctuosa compendium sectetur. L. 1. cod. de naufragiis.

Les empereurs Antonin le Pieux, Marc-Antonin, Adrien, Valentin & Théodose le Grand, se relâcherent aussi beaucoup des droits du fisc par rapport aux confiscations ; & Justinien abolit entierement ce droit. Voyez ce qui a été dit à ce sujet au mot CONFISCATION.

Le fisc joüissoit chez les Romains de plusieurs droits & privileges. Il pouvoit revendiquer la succession qui étoit déniée à celui qui avoit argué mal-à-propos le testament de faux. Il étoit aussi préféré au fidéicommissaire, lorsque le testateur avoit subi quelque condamnation capitale. Il avoit la faculté de poursuivre les débiteurs des débiteurs, lorsque le principal débiteur avoit manqué. On lui accordoit la préférence sur les villes, dans la discussion des biens de leur débiteur commun, à moins que le prince n'en eût ordonné autrement.

Il avoit pareillement la préférence sur tous les créanciers chirographaires, & même sur un créancier hypothécaire du débiteur commun, dans les biens que le débiteur avoit acquis depuis l'obligation par lui contractée au profit de ce particulier, encore que celui-ci eût l'hypotheque générale : le fisc étoit même en droit de répeter ce qui avoit été payé par son débiteur à un créancier particulier.

Il étoit aussi préféré aux donataires, & à la dot même qui étoit constituée depuis l'obligation contractée avec lui.

S'il avoit été mal jugé contre le fisc, la restitution en entier lui étoit accordée contre le jugement.

Lorsque quelque chose avoit été aliénée en fraude & à son préjudice, il pouvoit faire révoquer l'aliénation.

Outre les cas dont on a déjà parlé, un testament demeuroit sans effet.

Il y avoit encore diverses causes pour lesquelles il pouvoit revendiquer les biens des particuliers ; savoir ceux qui avoient été acquis par quelque voie criminelle, après la mort du coupable ; les fideicommis tacites, qui étoient prohibés ; l'hérédité qui étoit refusée à l'héritier, pour cause d'indignité ; les biens de ceux qui s'étoient procuré la mort, pourvû que le crime fût constant ; les biens des ôtages & prisonniers décédés ; ceux du débiteur qui étoit mort insolvable ; ce qui restoit après que les créanciers étoient payés ; les biens vacans, pourvû qu'il les réclamât dans les quatre années ; la dot de la femme qui avoit été tuée, & dont le mari n'avoit pas vengé la mort ; les fruits perçûs pendant l'accusation de faux, lorsque le demandeur succomboit ; les libertés qui avoient été accordées en fraude du fisc.

Lorsqu'on trouvoit un thrésor dans quelque fonds du fisc, ou public, ou religieux, il en appartenoit la moitié au fisc ; & si l'inventeur tenoit le fait caché, & que cela vint ensuite à être connu, il étoit obligé de rendre au fisc tout le thrésor, & encore autant du sien.

Le fisc succédoit aux hérétiques, lorsqu'il n'y avoit point de parens orthodoxes ; à ceux qui étoient reconnus pour ennemis publics ; à ceux qui contractoient des mariages prohibés, lorsqu'il ne se trouvoit ni pere & mere ou autres ascendans, ni enfans ou petits-enfans, ni freres & soeurs, oncles ou tantes. Il succédoit pareillement à celui qui étoit relégué, même dans les biens acquis depuis l'exil. La succession ab intestat de celui qui avoit été condamné pour délit militaire, lui appartenoit aussi, de même que celle du furieux, à laquelle les proches avoient renoncé. Enfin il succédoit au défaut du mari, & généralement de tous les autres héritiers généraux ou particuliers.

Mais il y avoit cela de remarquable par rapport aux successions qu'il recueilloit en certains cas, à l'exclusion des héritiers, qu'il étoit obligé de doter les filles de celui auquel il succédoit.

Il y avoit encore bien d'autres choses à remarquer sur ce qui s'observoit chez les Romains à l'égard du fisc ; mais le détail en seroit trop long en cet endroit.

En France il n'y a qu'un seul fisc public, qui est celui du prince ; tout ce qui est acquis au fisc lui appartient, ou à ceux qui sont à ses droits, tels que les fermiers, qui dans certains cas profitent des confiscations.

Les seigneurs féodaux & justiciers ont aussi droit de fisc, nonobstant que quelques auteurs ayent avancé que le roi a seul droit de fisc ; ce qui ne doit s'entendre que des lieux dont il a la seigneurie immédiate.

En effet, un fief est confisqué par droit de commise au profit d'un seigneur féodal, quoiqu'il ne soit pas seigneur justicier.

Le seigneur qui a droit de justice, a non-seulement les confiscations par droit de commise, mais ses juges peuvent prononcer d'autres confiscations, & des amendes applicables à son fisc particulier.

L'église n'a point de fisc, comme les seigneurs ; c'est pourquoi le juge d'église ne peut condamner en l'amende, si ce n'est pour employer en oeuvres pieuses.

Les principes que nous suivons par rapport au fisc, sont la plûpart tirés du droit romain : on tient pour maxime que ses droits sont inaliénables & imprescriptibles. Le fisc est toûjours réputé solvable, exempt de toutes contributions ; il est préféré pour l'achat des métaux, il a une hypotheque tacite. La péremption n'a point lieu contre lui, ses causes sont revûes sur pieces nouvelles. On reçoit des sur-encheres aux adjudications des biens du fisc ; il n'est point garant des défauts des choses qu'il vend ; il est déchargé des dettes des biens qu'il met hors de sa possession, & les créanciers ne peuvent s'adresser qu'à l'acquéreur : on ne doit pas néanmoins le favoriser dans les choses douteuses. En fait de succession, il ne vient qu'au défaut de tous ceux qui peuvent avoir quelque droit aux biens, conformément à la maxime, fiscus post omnes.

Sur les droits de fisc, voyez au digeste le titre de jure fisci ; & au code de privilegio fisci ; les lois civiles, tom. IV. liv. I. tit. vj. sect. 7. Bouchel, biblioth. du dr. fr. au mot fisc.

Voyez aussi les traités de privilegiis fisci, par Martinus Garratus Landens ; Fr. Lucanus, de Parmâ, Matth. de afflictis ; Peregrinus ; Chopin, de dom. lib. III. tit. xxjx. Andr. Gaill. lib. I. observ. xx. Joann. Galli, quest. ccclx. Dumolin, tom. II. p. 626. Stockmans, decis. xcvj. (A)

FISC, dans les anciens auteurs, signifie souvent fief ou bénéfice, parce que dans la premiere institution des fiefs les princes donnoient à leurs fideles ou sujets, de leurs terres fiscales ou patrimoniales à titre de bénéfice, pour en joüir seulement leur vie durant ; & comme ces terres n'étoient point entierement aliénées, elles étoient toûjours regardées comme étant du domaine du seigneur, c'est pourquoi elles retenoient le nom de fisc. Voyez le gloss. de Ducange, au mot fiscus. (A)


FISCALadj. m. (Jurisp.) se dit de ce qui appartient au fisc, soit du prince ou de quelque seigneur particulier.

On dit d'un juge qu'il est fiscal, lorsqu'il est trop porté pour l'intérêt du fisc.

On appelle avocat & procureur fiscal, l'avocat & le procureur d'office d'un seigneur justicier, parce qu'ils sont préposés pour soûtenir les droits de son fisc.

Les terres fiscales sont celles qui dépendent du fisc ou domaine du prince. Voyez ci-devant FISC, AVOCAT FISCAL & PROCUREUR FISCAL. (A)


FISCALINadj. m. (Jurisp.) fiscalinus seu fiscalis, se dit de ce qui appartient au fisc : on dit néanmoins plus communément fiscal.

Le terme de fiscalins étoit principalement employé pour exprimer ceux qui étoient chargés de l'exploitation du domaine du prince, & qui y étoient comme attachés. Ce terme étoit souvent synonyme de fermier ou receveur du fisc.

On appelloit aussi fiscalins les fiefs qui étoient du fisc du roi, ou de quelqu'autre seigneur.

On donnoit aussi anciennement le nom de fiscalins, seu tenentes, à ceux que l'on a depuis appellés vassaux. Voyez le gloss. saxon, qui est à la tête des lois d'Henri I. la loi salique, & celle des Lombards ; les capitulaires, Aymoin, & le gloss. de Ducange. (A)


FISMESad fines, (Géogr.) ancienne petite ville de France en Champagne, remarquable par deux conciles qui s'y sont tenus ; l'un en 881, & l'autre en 935. C'est la patrie de mademoiselle Adrienne le Couvreur, la Melpomene de nos jours, enterrée sur les bords de la Seine ; mais, dit M. de Voltaire dans sa piece sur la mort de cette célebre actrice,

.... Ce triste tombeau

Honoré par nos chants, consacré par ses manes ;

Est pour nous un temple nouveau.

Fismes est sur la Vesle, à 6 lieues de Rheims, 28 N. E. de Paris. Long. 21. 25. lat. 49. 18. (D.J.)


FISOLERESS. f. (Marine) ce sont des bateaux dont on se sert à Venise, qui sont si legers qu'un homme les pourroit porter sur ses épaules. (Z)


FISSIMou FUSSINA, FUSSIMI & FUSSIGNI, (Géog.) ville du Japon, à 3 lieues de Méaco. Long. 152. 5. lat. 35. 45.


FISSURES. f. fissura (Anat.) est dans son sens le plus usité, la division des visceres en lobes. (g)

FISSURE, s. f. terme de Chirurgie, qui signifie la fracture longitudinale d'un os, ou la solution de continuité d'un os qui est seulement félé ou fendu.

M. Petit, dans son traité des maladies des os, prouve par la raison & l'expérience, que les os des extrémités ne peuvent être fracturés en long, comme l'ont dit les anciens ; il n'admet cette espece de fracture que dans les plaies d'armes à feu, où l'on voit souvent qu'un os fracassé dans sa partie moyenne, est fendu jusque dans les articulations.

Les fractures en long des grands os des extrémités sont très-difficiles à connoître, parce qu'elles ne causent aucune difformité à la partie ; elles peuvent néanmoins produire des accidens, tels que la fievre, l'inflammation du périoste, des abcès qui peuvent être suivis de carie, &c. Les saignées, le régime, les cataplasmes émolliens-résolutifs, secondés de la bonne situation de la partie, sont les moyens qu'on peut mettre en usage pour prévenir ces accidens, ou les combattre dans les commencemens. L'inutilité de ces secours doit faire recourir à l'amputation du membre : c'est un parti qu'il ne faut pas prendre legerement ; mais le malade peut aussi-bien être la victime du délai que de la précipitation. Voyez AMPUTATION.

Les os du crane sont sujets à être fendus ou félés. Les fissures du crane sont de deux sortes ; celles qui sont apparentes, sont nommées par les Grecs , & par les Latins scissura. La fissure, qui est si petite qu'elle échappe à la vûe, les Grecs l'ont appellée , & les Latins rima capillaris, fente capillaire, comme qui diroit de la grosseur d'un cheveu.

Les fissures se font ordinairement à l'endroit où le coup a été donné, ou sur la partie opposée : celles-ci s'appellent contre-fissures ou contre-coup. Voy. CONTRE-COUP & CONTRE-FISSURE.

Les personnes âgées, à raison de la sécheresse de leurs os, sont plus sujettes aux fissures que les jeunes gens.

Les fissures sont très-difficiles à appercevoir. Pour ne pas se tromper en prenant pour fissure une petite gouttiere creusée naturellement sur la surface de l'os, pour le passage de quelque vaisseau, on met de l'encre sur l'endroit qu'on pense fracturé : on le ratisse ensuite avec un instrument nommé rugine ; & si la marque noire subsiste après qu'on a raclé l'os, on est sur que c'est une félure. On peut par le même procédé connoître si elle se borne à la table externe ; & de-là on tire des indications pour trépaner, ou pour s'abstenir de l'opération du trépan. Voyez TREPANER.

Les fissures du crane sont dangereuses, comme toutes les fractures du crane ; on pourroit même dire que, toutes choses égales d'ailleurs, une fissure est plus fâcheuse qu'une fracture ; 1°. parce qu'elle est plus difficile à connoître ; 2°. parce que la commotion est communément d'autant plus violente, que les os ont moins souffert de l'action percussive ; 3°. enfin parce que les matieres qui peuvent se former entre le crane & la dure-mere, ne peuvent pas se faire jour au-travers d'une fissure, pour indiquer, comme cela arrive dans les fractures apparentes, la nécessité de procurer par l'application du trépan, une issue plus libre aux matieres épanchées. Plusieurs malades ont été trépanés utilement, parce que ce suintement a précédé la manifestation des accidens consécutifs, qui arrivent quelquefois trop tard pour que le malade puisse être secouru efficacement. En général, on devroit regarder toutes les fractures du crane, non-seulement comme une cause qui peut donner lieu à l'opération du trépan, mais comme un signe qui indique actuellement cette opération, indépendamment de tout accident. Voyez un précis d'observations sur le trépan dans les cas douteux, par M. Quesnay, premier volume des mém. de l'acad. royale de Chirurg. (Y)


FISTELLEou plûtôt TEFZA, (Géog.) ville d'Afrique au royaume de Maroc, sur la riviere de Darna : elle est à 27 lieues N. E. de Maroc, 50 S. O. de Fez. Long. 12. 40. lat. 32.


FISTULES. f. terme de Chirurgie, ulcere dont l'entrée est étroite & le fond ordinairement large, accompagné le plus souvent de duretés & de callosités.

Son nom vient de ce qu'il a une cavité longue & étroite comme une flûte, appellée en latin fistula.

Presque tous les auteurs admettent la callosité pour le caractere spécifique de l'ulcere fistuleux ; mais l'expérience montre qu'il y a des fistules sans callosité, & qu'il y en a beaucoup dont la callosité n'est qu'un accident consécutif, auquel on ne doit avoir aucun égard dans le traitement. Il y a en effet des fistules qu'on guérit parfaitement par la destruction des causes particulieres qui leur avoient donné naissance, & dont la callosité subsiste après la consolidation parfaite.

Les fistules attaquent toutes les parties du corps ; elles viennent en général de trois causes qu'il est important de bien discerner, si l'on veut réussir facilement à les guérir : ce sont, 1°. la transudation d'un fluide quelconque par la perforation d'un conduit excréteur, ou d'un reservoir destiné à contenir quelque liqueur : 2°. la présence d'un corps étranger : 3°. les chairs dures & calleuses d'une plaie ou d'un ulcere.

Les signes de l'écoulement d'un fluide à-travers les parties dont la continuité divisée le laisse échapper, sont sensibles par la seule inspection, à celui qui a des connoissances anatomiques. L'indication curative de ces sortes de fistules, consiste à déterminer le cours du fluide par les voies naturelles & ordinaires, en levant les obstacles qui s'y opposent ; ou à former par l'art une route nouvelle à ce fluide. On remplit ces indications générales par des procédés différens, & relatifs à la structure différente des organes affectés, & aux diverses complications qui peuvent avoir lieu. C'est ce que je vais exposer dans la description du traitement qui convient à plusieurs especes de fistules comprises sous ce premier genre.

La fistule lacrymale est un ulcere situé au grand angle de l'oeil, qui attaque le syphon lacrymal ; & qui l'ayant percé, permet aux larmes de se répandre sur les joues. Voyez Pl. XXIV. de Chirurgie, fig 1.

La cause de cette maladie vient de l'obstruction du canal nasal ; les larmes qui ne peuvent plus se dégorger dans le nez, séjournent dans le sac lacrymal, & s'y amassent en trop grande quantité. Si elles sont douces, & qu'elles conservent leur limpidité, elles crevent le sac par la seule force que leur quantité leur donne ; si elles sont viciées, elles rongent le sac, ou plûtôt il s'enflamme & s'ulcere par l'impression du fluide, sans qu'il soit nécessaire qu'il y en ait un grand amas.

Pour prévenir la fistule lorsqu'il n'y a encore qu'une simple dilatation du lacrymal par la retention des larmes (voyez Pl. XXIV. fig. 2.), il faut tâcher de déboucher le conduit nasal. Les malades font disparoître cette tumeur pour quelques jours en la comprimant avec le bout du doigt, & cette compression fait sortir par les points lacrymaux, & pousse souvent aussi dans le nez, les larmes purulentes qui étoient retenues dans le sac dilaté. Cette derniere circonstance mérite une attention particuliere ; elle montre que l'obstruction du conduit nasal n'est point permanente, & qu'elle ne vient que de l'épaisseur des matieres qui embarrassent le canal : ainsi cette obstruction, loin d'être la maladie principale, ne seroit que l'accident de l'ulcération du sac lacrymal. Cet état n'exige que la détersion de la partie ulcérée : M. Anel, chirurgien françois, mérite des louanges pour avoir saisi le premier cette indication ; il débouchoit les conduits, qui des points lacrymaux vont se terminer au sac lacrymal, avec une petite sonde d'or ou d'argent très-déliée, & boutonnée par son extrémité antérieure (voyez Pl. XXIII. fig. 11.). Une seringue, dont les syphons étoient assez déliés pour être introduits dans les points lacrymaux, servoit ensuite à faire dans le sac les injections appropriées (voyez ibid. Pl. XXIII. fig. 10.) Lorsque M. Anel croyoit devoir déboucher le grand conduit des larmes, il faisoit passer ses stilets jusque dans la fosse nasale. Après avoir bien détergé les voies lacrymales, on fait porter avec succès un bandage qui comprime le sac. Voyez Pl. XXIV. fig. 3.

La grande délicatesse & la flexibilité des filets dont nous venons de parler, ne permettent pas qu'on débouche par leur moyen le canal nasal obstrué ou fermé par des tubercules calleux, ou par des cicatrices, comme cela arrive fréquemment à la suite de la petite vérole. On ne voit alors d'autres ressources que dans l'ouverture de la tumeur du grand angle, pour passer dans le conduit une sonde assez solide, capable de détruire tous les obstacles. C'est la méthode de M. Petit ; elle est fondée sur la structure des parties, & sur le méchanisme de la nature, qu'elle tend à rétablir dans ses fonctions. Les chirurgiens avant M. Petit, n'avoient point pensé à rétablir le cours naturel des larmes ; ils pratiquoient une nouvelle voûte en brisant l'os unguis, presque toûjours sans nécessité & sans raison, sur la fausse idée que la maladie avoit pour cause, ou au moins qu'elle étoit toûjours accompagnée de la carie de l'os unguis ; ce qui n'est presque jamais. Antoine Maître-Jan, ce chirurgien célébre, dont nous avons un si bon traité sur les maladies des yeux, rapporte deux cas de fistules, accompagnées de carie à l'os unguis. Les malades ne se soûmirent point aux opérations qu'on leur avoit proposées ; la nature rejetta par la voie de l'exfoliation les portions d'os cariées, & ils obtinrent une parfaite guérison sans la moindre incommodité. On a remarqué au contraire, que ceux à qui l'on avoit percé l'os unguis, étoient obligés de porter des tentes & des cannules assez long-tems dans ce trou, pour en rendre la circonférence calleuse. Ces corps étrangers entretiennent quelquefois, sur-tout dans les sujets mal constitués, des fluxions & des inflammations dangereuses : & malgré toutes ces précautions, pour conserver un passage libre aux larmes dans le nez, on voit que presque toutes les personnes qui ont été guéries de la fistule lacrymale par cette méthode, restent avec un écoulement involontaire des larmes sur les joues ; à moins que le conduit nasal ne se soit débouché naturellement. Il ne sera donc plus question dans la pratique chirurgicale, de cet entonnoir (Pl. XXV. fig. 2.) ni du cautere (ibidem fig. 3.) que les anciens employoient pour percer l'os unguis. Les modernes qui suivent encore la pratique de la perforation par routine, ne se servent point d'un fer rougi : ils lui ont substitué le poinçon d'un trocar, ou un instrument particulier (Pl. XXV. fig. 4.) ; mais tous ces moyens ne vont point au but, puisqu'ils ne tendent pas à rétablir l'usage du conduit nasal obstrué.

Pour déboucher ce canal, il faut faire une incision demi-circulaire à la peau & au sac lacrymal : il faut prendre garde de couper la jonction des deux paupieres, ce qui occasionneroit un éraillement. Pour faire cette incision, le malade assis sur une chaise, aura la tête appuyée sur la poitrine d'un aide, dont les doigts seront entrelacés sur le front, afin de la contenir avec fermeté ; un autre aide tend les deux paupieres en les tirant du coté du petit angle ; on apperçoit par-là le tendon du muscle orbiculaire ; c'est au-dessous de ce tendon qu'on commence l'incision (Pl. XXV. fig. 6.) ; elle doit avoir six à huit lignes de longueur, & suivre la direction du bord de l'orbite : cette ouverture pénetre dans le sac. Le bistouri, dont M. Petit se servoit, avoit une legere cannelure sur le plat de la lame près du dos ; & comme le dos doit toûjours être tourné du côté du nez, il avoit deux bistouris cannelés, un pour chaque côté. La pointe du bistouri étant portée dans la partie supérieure du canal nasal, la sonde cannelée, taillée en pointe comme le bout aigu d'un curedent de plume, étoit poussée sur la cannelure du bistouri dans le canal nasal jusque sur la voûte du palais. En faisant faire quelques mouvemens à la sonde, on détruit tous les obstacles, & sa cannelure favorise l'introduction d'une bougie proportionnée. On change tous les jours cette bougie, qu'on charge du médicament qu'on juge convenable. Il y a des praticiens qui employent un stilet de plomb pour cicatriser la surface interne du canal ; enfin lorsqu'il n'en sort plus de matieres purulentes, on cesse l'usage des bougies ou du stilet de plomb : les larmes reprennent leur cours naturel de l'oeil dans le nez, & la plaie extérieure se réunit en peu de jours. Quelques chirurgiens mettent une cannule d'or fort déliée dans le canal, ce qui n'empêche point la cicatrice de la plaie extérieure. La précaution recommandée par quelques auteurs, de faire journellement des injections par les points lacrymaux pendant l'usage de la bougie, est tout-à-fait inutile. On les a proposées dans la crainte que les conduits, dont les points lacrymaux sont les orifices, ne viennent à s'oblitérer ; ce qui occasionneroit, dit-on, un larmoiement malgré la liberté du conduit nasal. Cette crainte est détruite par l'observation de ces maladies. L'obstruction simple du conduit n'empêche jamais les larmes de pénétrer dans le sac lacrymal, puisqu'après l'avoir vuidé par la compression du doigt, il se remplit de nouveau. Les larmes ne coulent jamais involontairement sur les joues que par regorgement, lorsque la plénitude du sac ne lui permet pas de recevoir le fluide : les larmes passent naturellement dans le sac pendant la cure, & les injections recommandées, sont souvent fatiguantes pour le malade sans aucune utilité. La recherche de M. Petit est décrite dans les mémoires de l'académie royale des Sciences, année 1734. L'appareil de cette opération consiste dans l'application de deux compresses soûtenues par le bandage dit monocule, voyez ce mot.

On a mis en usage depuis quelques années une méthode de traiter les maladies des voies lacrymales, en sondant le conduit des larmes par le nez, & en y plaçant à demeure un syphon, par lequel on fait les injections convenables. M. de la Forest, maître en Chirurgie à Paris, a donné sur cette opération, qu'il pratique avec succès, un mémoire inséré dans le second volume de l'académie royale de Chirurgie. M. Bianchi avoit sondé le conduit nasal dès l'année 1716. Il a donné à ce sujet une lettre qu'on lit dans le théatre anatomique de Manget. M. Bianchi a de plus reconnu la possibilité de faire des injections par le nez dans ce conduit ; & M. Morgagni, qui reprend cet auteur de l'opinion qu'il avoit sur la structure & sur les maladies des voies lacrymales, traite cette question dans la soixante-sixieme remarque de sa sixieme critique, & qu'il intitule ainsi... De injectionibus per finem ductûs lacrymalis.

M. Bianchi soûtient qu'on sonde très-facilement le conduit nasal, parce que l'orifice inférieur de ce conduit a la forme d'un entonnoir. M. Morgagni prétend au contraire, que l'orifice du conduit nasal n'a pas plus de diametre que les points lacrymaux ; de là il conclut, que loin qu'on puisse rencontrer aisément l'orifice du conduit nasal avec une sonde introduite dans la narine, on le trouve avec assez de peine dans une administration anatomique, lorsqu'après les coupes nécessaires, le lieu de son insertion est à découvert. J'ai trouvé le plus souvent les choses comme M. Morgagni assûre les avoir vûes ; & j'ai observé quelquefois l'orifice inférieur du conduit nasal évasé en forme d'entonnoir, comme M. Bianchi dit l'avoir trouvé. J'ai expérimenté sur un grand nombre de cadavres l'usage de la sonde : il y en a sur lesquels je la portois avec la plus grande facilité dans le conduit nasal, & d'autres fois je n'y pouvois réussir. Or, comme rien n'indique les variations, qui font qu'on peut ou qu'on ne peut pas réussir à l'introduction de cette sonde, il s'ensuit que les tentatives sur le vivant peuvent être inutiles, qu'elles exposent les malades à des tatonnemens incommodes & douloureux ; & faute de précautions & de ménagemens, on pourroit fracturer les lames spongieuses inférieures, ce qui seroit suivi d'accidens. La méthode de M. Petit me paroît plus simple & moins douloureuse dans les fistules ; mais dans la simple obstruction du canal nasal, si l'on peut introduire la sonde dans ce conduit sans faire de violence, la méthode de M. la Forest guérit sans incision, & c'est un avantage ; voyez les différens mémoires sur la fistule lacrymale dans le second volume de l'académie royale de Chirurgie.

La fistule salivaire est un écoulement de salive à l'occasion d'une plaie ou d'un ulcere aux glandes qui servent à la secrétion de cette humeur, ou aux canaux excréteurs par lesquels elle passe. On lit dans les Mémoires de l'académie royale des Sciences, année 1719, qu'un soldat à qui un coup de sabre sur la joue avoit divisé le conduit salivaire de Stenon, resta avec une petite fistule, par laquelle chaque fois qu'il mangeoit, il sortoit une abondance prodigieuse de salive, jusqu'à moüiller plusieurs serviettes pendant les repas, qui n'étoient pas fort longs. On observe le même symptome dans la fistule de la glande parotide. Cette remarque est de grande conséquence dans la pratique ; car les moyens qui suffisent pour guérir cette seconde espece de fistule salivaire, seroient absolument sans effet pour la guérison de celle qui attaque le canal de Stenon. Ambroise Paré, célebre chirurgien, rapporte l'histoire d'un soldat blesse d'un coup d'épée au-travers de la mâchoire supérieure, ce sont les termes de l'auteur. Quelques précautions qu'on eût prises pour la réunion de cette plaie, il resta un petit trou dans lequel on auroit à peine pû mettre la tête d'une épingle, & dont il sortoit une grande quantité d'eau fort claire, lorsque le malade parloit ou mangeoit : Paré est parvenu à guérir radicalement cette fistule, après l'avoir cautérisée jusque dans son fond avec de l'eau forte, & y avoir appliqué quelquefois de la poudre de vitriol brûlé. La situation de la fistule, & le succès de ce traitement, qui auroit été insuffisant, & même préjudiciable dans la perforation du canal salivaire, montre que l'écoulement de la salive venoit dans ce cas de la glande parotide. Fabrice d'Aquapendente fait mention de l'écoulement de la salive à la suite des plaies des joues. Je ne sai, dit-il, d'où ni comment sort cette humeur ; mais pour tarir cette humidité si copieuse, il a appliqué des compresses trempées dans les eaux thermales d'Appone, & des cérats puissamment dessicatifs. Ces moyens n'auroient été d'aucune utilité pour l'ulcere fistuleux du canal de Stenon. L'expérience & la raison nous permettent de croire que Munniches n'a jugé que par les apparences trompeuses de l'écoulement de la salive sur la joue, lorsqu'il assûre avoir guéri radicalement & en peu de jours, la fistule de ce conduit, après en avoir détruit la callosité avec un caustique. Comment en effet l'application d'un tel remede, qui aggrandissoit l'ulcere du canal excréteur, pourroit-elle empêcher le passage de l'humeur, dont l'écoulement continuel est une cause permanente & nécessaire de fistule ? Il est certain que dans les cas dont je viens de donner le précis ; c'étoit la glande parotide qui fournissoit la matiere séreuse qui entretenoit la fistule. M. Ledran ayant ouvert un abcès dans le corps de la glande parotide, ne put parvenir à terminer la cure ; il restoit un petit trou qui laissoit sortir une grande quantité de salive, sur-tout lorsque le malade mangeoit. M. Ledran appliqua sur l'orifice de cette fistule un petit tampon de charpie trempé dans de l'eau-de-vie ; il le soutint par quatre compresses graduées, voyez COMPRESSES, & les maintint par un bandage assez ferme. En levant cet appareil au bout de cinq jours, pendant lesquels le malade ne vécut que de bouillon, le trou fistuleux se trouva cicatrisé. La compression exacte avoit effacé le point glanduleux dont l'ulcération fournissoit cette grande quantité de salive. Il suit de ces faits, que l'écoulement de la salive n'est point un symptome particulierement propre à la perforation du canal salivaire ; & que pour tarir cet écoulement lorsqu'il vient de la glande parotide, l'application des remedes dessicatifs ou des cathérétiques, & même la simple compression, sont les moyens capables de conduire à la consolidation parfaite de l'ulcere.

La guérison du canal salivaire ne s'obtient pas si facilement ; il faut avoir recours à des moyens plus efficaces. Dans une plaie qui avoit ouvert le canal salivaire supérieur, & qui étoit restée fistuleuse, M. le Roy, chirurgien de Paris, jugeant qu'il employeroit inutilement les dessicatifs les plus puissans & les consomptifs les plus efficaces, imagina qu'il falloit ouvrir une nouvelle route, par laquelle la salive seroit portée dans la bouche comme dans l'état naturel. Il se servit d'un cautere actuel pour percer la joue du fond de l'ulcere dans la bouche, dans le dessein de causer une déperdition de substance, afin que la salive pût passer librement, sans qu'on eût à craindre l'obstruction de ce conduit artificiel avant la consolidation parfaite de l'ulcere extérieur. Et en effet, l'ouverture fistuleuse externe fut guérie en fort peu de tems & sans la moindre difficulté. Dans cette cure, la premiere que nous connoissions en ce genre, la Chirurgie a, pour ainsi dire, créé un nouveau conduit, & l'on a changé la fistule externe en une interne au grand soulagement du malade.

C'est en suivant les mêmes principes, quoique par un procédé un peu différent, que M. Monro, professeur de Chirurgie à Edimbourg, a guéri un ulcere de même nature. Le malade à chaque repas mouilloit entierement une serviette en huit doubles par la salive qui sortoit d'un petit trou qu'il avoit au milieu de la joue, à la suite de l'application d'un caustique. A l'inspection de cette maladie, M. Monro jugea qu'il falloit faire couler la salive dans la bouche par une ouverture artificielle : il pratiqua cette opération en dirigeant la pointe d'une grosse alêne de cordonnier dans l'ouverture du conduit, obliquement vers le dedans de la bouche & en-devant. Il passa un cordon de soie dans cette ouverture, & en lia les deux bouts vers l'angle de la bouche, sans serrer cette anse. Le passage dans lequel le cordon étoit engagé devint calleux ; ce qu'on reconnut, dit M. Monro, par la liberté qu'on avoit de mouvoir le seton dans cette ouverture, sans causer de la douleur au malade. Au bout de trois semaines on retira le cordon, & l'ulcere extérieur guérit en très-peu de tems. Voilà quelles ont été jusqu'à présent les ressources connues de la chirurgie moderne contre la fistule du canal excréteur de Stenon. L'obligation où j'ai été de répondre à des consultations sur cette maladie, m'a fait faire des réflexions qui m'ont ramené à une méthode plus simple, plus douce, & beaucoup plus naturelle. L'opération proposée, malgré les succès qu'elle a eu, me paroît fort éloignée de la perfection qu'on doit chercher. L'orifice supérieur de l'ouverture artificielle qu'on pratique, se trouve plus éloignée de la source de la salive, que la fistule qu'on se propose de guérir ; l'humeur doit donc avoir plus de facilité à sortir par le trou fistuleux extérieur que par l'ouverture intérieure ; & il n'y auroit rien de surprenant, si après cette opération le malade restoit avec un trou fistuleux à la joue, qui permettroit à la salive de se partager également, & de couler en partie sur la joue & en partie dans la bouche. M. Coutavoz, membre de l'académie royale de Chirurgie, m'a communiqué un fait qui prouve la vérité de cette réflexion, & dont j'ai fait usage dans une dissertation sur cette matiere dans le III. vol. des mémoires de l'académie. J'ai traité en l'année 1753, un bourgeois de Paris, qui avoit un ulcere fistuleux au canal de Stenon : il en sortoit une quantité considérable de salive, sur-tout lorsqu'il parloit ou qu'il prenoit ses repas : son tempérament s'altéroit par la perte excessive de cette humeur. Je sondai le canal depuis la fistule jusqu'à la bouche, & je le trouvai parfaitement libre. La salive étoit portée dans ce conduit jusqu'auprès de son orifice dans sa bouche, où elle étoit arrêtée par le coude que le conduit salivaire fait à son extrémité ; car en pressant legerement la joue depuis la commissure des levres vers la fistule, j'en faisois sortir une certaine quantité de salive. La résistance de l'embouchure du canal dans la bouche, déterminoit la sortie constante de la salive par l'ouverture de la fistule, qui ne présentoit aucun obstacle. Je me déterminai à rétablir l'usage naturel du conduit en le dilatant avec une meche composée de six brins de soie. Un fil en anse passé, au moyen d'une aiguille d'argent flexible, de l'orifice de la fistule dans la bouche, me servit à tirer cette meche. Cette opération ne causa pas la moindre douleur. Dès le jour même que le seton fut placé, il servit de filtre à la salive, il n'en coula plus sur la joue que quelques gouttes pendant que le malade mangeoit. Les jours suivans je passai legerement la pierre infernale sur les chairs de l'ulcere, parce qu'elles étoient fort molles. Cessant d'être abreuvées, elles devinrent bien-tôt fermes & vermeilles. Le dixieme je supprimai deux brins de la meche à l'occasion d'un peu de tension le long du canal. Le lendemain j'ôtai les autres. La salive continua de passer par la route naturelle, & la consolidation fut parfaite au bout de quelques jours. Le seton avoit augmenté le diametre du canal & redressé son extrémité, & l'on sait que la seule dilatation des orifices des conduits excréteurs, suffit pour procurer un écoulement abondant de l'humeur au passage de laquelle ils servent. La lecture de cette observation à l'académie royale de Chirurgie, a rappellé à M. Morand, qu'il avoit traité il y a quinze ans, un homme, lequel à la suite d'un abcès à la joue, portoit depuis un an une fistule au canal salivaire. M. Morand essaya de sonder le canal depuis la fistule jusque dans la bouche, & l'ayant trouvé libre, il y passa quelques brins de fil déroulés en forme de seton : cette pratique a eu le plus parfait succès. Ce fait confirme la doctrine que j'avois établie.

Les fistules urinaires viennent de l'écoulement de l'urine.

La perforation contre nature des parties qui servent à son séjour ou à son passage ; les pierres retenues dans les reins, occasionnent quelquefois des abcès à la région lombaire, dont l'ouverture laisse passer l'urine. L'extraction de la pierre est absolument nécessaire pour pouvoir guérir ces conduits fistuleux. Voyez NEPHROTOMIE. M. Verdier ancien professeur & démonstrateur royal d'Anatomie aux écoles de Chirurgie, rapporte dans un mémoire sur les hernies de la vessie, qu'un chirurgien de campagne avoit ouvert la vessie dans l'aine, croyant ouvrir un abcès. La sortie continuelle de l'urine par la plaie, ne laissa aucun doute sur le vrai caractere de la maladie primitive. Pour guérir une fistule de cette nature, il suffit de déterminer le cours des urines par la voie naturelle, au moyen d'une algalie. L'expérience a montré qu'il étoit utile dans ce cas, de faire coucher le malade du côté opposé à la plaie de l'aine. Voyez le mémoire de M. Verdier, dans le second volume de l'académie royale de Chirurgie. L'usage de la sonde est absolument nécessaire dans les plaies du corps de la vessie, pour empêcher l'épanchement de l'urine dans la capacité du bas-ventre ; ce qui seroit une cause de mort. Barthelemi Cabrol, chirurgien de Montpellier & anatomiste royal de la faculté de Medecine, a vû en 1550 à Beaucaire, une fille de dix-huit à vingt ans, qui rendoit ses urines par l'ombilic allongé de quatre travers de doigt, & semblable à la crête d'un coq-d'inde. L'examen des parties inférieures fit reconnoître que cette maladie avoit été occasionnée dès la premiere conformation, par l'imperforation du méat urinaire. L'orifice de l'urethre étoit bouchée par une membrane fort mince : Cabrol l'ayant ouverte, l'urine sortoit par la voie naturelle ; il fit la ligature de l'excroissance du nombril, & en douze jours la malade fut parfaitement guérie. Nous avons rapporté à la fin de l'article BOUTONNIERE, la cure d'une fistule urinaire, commune à la vessie & à l'urethre.

La fistule au périnée est un ulcere au canal de l'urethre & à la peau qui le recouvre, qui donne issue à l'urine.

Les plaies faites pour l'extraction de la pierre, restent quelquefois fistuleuses par la mauvaise disposition du malade, qui tombe dans une maigreur extrème : l'embonpoint renaissant, ces fistules se consolident facilement ; quelquefois elles viennent de la mauvaise méthode de panser, lorsqu'on se sert indiscrettement des bourdonnets, tentes, cannules, & d'autres dilatans. Voyez BOURDONNET. Si la fistule vient de cette cause, elle n'est entretenue que par des chairs calleuses : on la guérira en consommant ces duretés contre nature, par l'usage des trochisques de minium ou de quelque autre escarotique.

La cause la plus fréquente des fistules au périnée, sont les dépôts gangreneux produits par la rétention des urines, à l'occasion des carnosités de l'urethre. Voyez CARNOSITE & RETENTION D'URINE.

Les fistules urinaires ne se font pas seulement au perinée, par la cause que nous venons de citer : la crevasse qui se fait à l'urethre entre l'obstacle & la vessie, laisse passer l'urine qui inonde le tissu cellulaire ; elle produit des abcès gangréneux en différens endroits, au perinée, au scrotum, dans les aines, vers les cuisses, & quelquefois vers le haut jusqu'audessus de l'ombilic. On est obligé de faire l'ouverture de toutes ces tumeurs qui restent fistuleuses. On voit beaucoup de malades qui ont échappé au danger d'un pareil accident, & dont l'urine bouillonne par toutes ces issues toutes les fois qu'ils pissent. Le point essentiel pour la guérison de toutes ces fistules, est de procurer un cours libre à l'urine par une seule issue soit en rétablissant le conduit naturel dans ses fonctions, ce qu'on peut obtenir de l'usage méthodique des bougies appropriées au cas, voyez BOUGIE & CARNOSITE ; soit en faisant une incision au périnée, pour porter une cannule dans la vessie, afin que l'urine sorte directement, & cesse de passer par tous les sinus fistuleux. Voyez BOUTONNIERE.

Le premier parti est le plus doux ; il est par conséquent préférable, si la disposition des fistules permet qu'on réussisse par cette voie : au moins ne prendra-t-on pas pour modele de la conduite qu'on doit tenir en pareil cas, ces observations qui représentent un chirurgien occupé de l'ouverture de chaque sinus, qui exposent comme une belle opération, d'avoir disséqué beaucoup de parties, & d'avoir sacrifié le ligament suspenseur à la recherche de l'ouverture du canal de l'urethre, par laquelle l'urine s'étoit fait jour. Dès que, suivant le principe général qui doit servir de guide dans le traitement de toute fistule formée par la perforation d'un conduit excréteur, on aura procuré dans ce cas-ci une voie unique pour la sortie de l'urine, toutes les fistules qui n'étoient entretenues que par le passage contre nature de cette liqueur, se guériront presque d'elles-mêmes. Les callosités, s'il y en a, ne sont qu'accidentelles & n'empêchent pas la consolidation des sinus. On a même des exemples, que des malades déterminés à porter toute leur vie une cannule au périnée, l'ayant ôtée parce qu'elle les incommodoit en s'asseyant, ont éprouvé que l'urine qui coula d'abord en partie par la fistule, & en partie par la verge, n'a plus passé enfin que par la voie naturelle ; parce que la fistule s'est resserrée peu-à-peu d'elle-même, & que le conduit artificiel s'est enfin oblitéré sans aucun secours.

On a des exemples de fistules de l'abdomen à la région du foie, par l'ouverture de la vésicule du fiel adhérente au péritoine. Ces fistules ne sont curables que par le rétablissement du cours de la bile, par le canal qui la dépose dans l'intestin duodenum. Si les pierres formées dans la vésicule du fiel empêchent la bile de couler, on peut en faire l'extraction. Voy. sur cette opération, le mémoire de M. Petit, sur les tumeurs de la vésicule du fiel, dans le premier volume de l'académie royale de Chirurgie.

Le second genre de fistules que j'ai établi par rapport à leurs causes, comprend celles qui sont formées ou entretenues par la présence d'un corps étranger : telles sont les balles de mousquet & les morceaux d'habits qu'elles poussent devant elles ; enfin tous les corps venus de dehors, ou bien une esquille, une portion d'os carié, de membrane, ou d'aponévrose, qui doivent se détacher. V. CORPS ETRANGER, CARIE, EXFOLIATION. Toutes ces choses en séjournant contre l'ordre naturel dans le fond d'une plaie ou d'un ulcere, entretiennent des chairs molles & fongueuses ; elles fournissent une humidité sanieuse qui empêche la consolidation extérieure & qui forme la fistule. Si l'ulcere fistuleux vient à se cicatriser extérieurement, ce n'est que pour un tems, la matiere forme des dépôts par son accumulation, & l'ouverture de ces sortes d'abcès conduit souvent le chirurgien au foyer de la tumeur, où il découvre la cause de la durée de la maladie. On ne guérira jamais les fistules produites par la présence d'un corps étranger quelconque, qu'en faisant l'extraction de ce corps ; il ne peut pas y avoir d'autre indication. Pour la remplir il faut faire les incisions convenables, ou des contre-ouvertures, dont on ne peut déterminer généralement la direction & l'étendue par aucun précepte. On sent que ces incisions sont soûmises à autant de différences, qu'il y a d'especes de fistules sous ce genre, & qu'elles exigent beaucoup d'habileté de la part du chirurgien ; un jugement sain qui lui fasse discerner la voie la plus convenable, & une grande présence des connoissances anatomiques, pour pénétrer dans le fond de ces fistules à-travers des parties délicates qu'il faut ménager. C'est dans ces cas que l'habitude ne peut conduire la main ; les hommes qui n'ont pour tout mérite que de savoir marcher dans les routes qui leur ont été frayées, sont ici d'une foible ressource ; la routine qu'ils honorent du nom d'expérience, ne peut que les rendre hardis, & conséquemment fort dangereux dans les conjonctures délicates, où le jugement & le savoir doivent guider la main.

Sous le troisieme genre de fistules, sont comprises celles qui sont produites par des chairs fongueuses, dures, & calleuses, que le séjour du pus a rendu telles, comme dans les fistules à l'anus ; ou que la négligence, le mauvais traitement, l'usage des bourdonnets entassés les uns sur les autres, ont fait naître dans l'ulcere : en général ces sortes de fistules se guérissent par l'extirpation des callosités, ou avec l'instrument tranchant, ou par l'application des remedes caustiques.

La fistule à l'anus est un ulcere dont l'entrée est étroite, situé près de la marge du fondement, avec issue d'un pus fétide, & presque toûjours accompagné de callosités. Cette fistule est toûjours la suite d'un abcès plus ou moins considérable dans le tissu graisseux qui avoisine l'intestin rectum.

Les causes de l'abcès qui produit la fistule, sont internes ou externes. L'inflammation qu'occasionne l'obstruction des hémorrhoïdes, est la cause interne la plus ordinaire ; ainsi tout ce qui peut produire des hémorrhoïdes, doit être mis au nombre des causes éloignées de la fistule à l'anus. Voyez HEMORRHOÏDES. Les causes externes sont les coups, les chûtes, les contusions de cette partie. Les personnes qui montent souvent à cheval y sont fort sujettes. L'excès des plaisirs vénériens, & enfin tout ce qui peut retarder & gêner le cours de la circulation du sang dans cette partie, y occasionne des inflammations, lesquelles se terminent facilement par suppuration, parce qu'il n'y a pas dans le tissu cellulaire de cette partie assez de ressorts pour resister à l'engorgement des humeurs : au contraire, les mouvemens du diaphragme & des muscles du bas-ventre, si nécessaires pour les principales fonctions naturelles, sont opposés au retour des fluides ; & c'est la cause principale de la dilatation si fréquente des veines hémorrhoïdales. Les fistules à l'anus viennent quelquefois des os ou corps étrangers qu'on a avalés, & qui se sont arrêtés au fondement.

La différence des fistules à l'anus se tire de leur ancienneté, de leur étendue, de leur complication, & de leurs issues : de leur ancienneté, en ce que les unes sont vieilles, & les autres récentes : de leur étendue, en ce que leur trajet est plus ou moins profond : de leur complication, en ce qu'elles peuvent ne former qu'un seul sinus, ou bien qu'elles sont accompagnées de clapiers, de plusieurs sinus, de beaucoup de callosités, d'abcès, & même de carie des os, de pourriture de l'intestin, &c. Les fistules different par leurs issues ; & à raison de cette différence, elles sont complete s ou incomplete s. La fistule complete a une ouverture dans l'intestin, & une autre extérieurement. Les fistules incomplete s ou borgnes, sont internes ou externes : celles-ci n'ont qu'une issue à la marge de l'anus, & ne pénetrent point dans l'intestin rectum : celles-là n'ont point d'ouverture extérieure, & la matiere purulente coule par l'orifice fistuleux, ouvert dans l'extrémité du rectum.

Les signes diagnostiques de ces fistules sont faciles à appercevoir. A l'examen de la partie, on connoît par où le pus s'écoule, & l'on voit s'il y a un orifice extérieur. On ne peut juger de la profondeur des fistules qu'en les sondant, si elles sont externes ; encore le contour des sinus fistuleux peut-il empêcher le stilet de pénétrer dans toute la longueur du trajet. La hauteur des fistules internes dans le rectum, se connoît en introduisant dans l'anus une tente de charpie couverte de quelque onguent, & assez longue : on verra dans quelle étendue elle sera tachée de la matiere qui découle du trou fistuleux.

Le prognostic se tire de la cause de la maladie, de ses différences, & de la bonne ou mauvaise disposition du sujet.

La cure exige d'abord un traitement préparatoire, relatif à cette disposition. La maladie locale présente des indications différentes, suivant les diverses circonstances. Un simple sinus qui n'est pas fort ancien, qui n'attaque pas le rectum, n'a besoin que d'être ouvert. Dès qu'on aura changé la disposition de l'ulcere, que son entrée aura été rendue large, & qu'on aura détergé le fond par les remedes convenables, il se fera une cicatrice solide. Si la fistule est complete , il faudra fendre tout ce qui est compris entre les deux orifices, & faire une scarification dans le fond, pour faire une plaie récente d'un sinus ancien : mais s'il y a des duretés & des clapiers, la cure ne peut être radicale qu'en emportant tout ce qu'il y a de calleux, soit par l'instrument tranchant, soit par les caustiques. On réussit par l'une & l'autre méthode. On donne en général la préférence à l'instrument tranchant, parce qu'on fait en une ou deux minutes ce qu'on n'obtiendroit que par l'application réitérée des caustiques, qui tourmentent cruellement le malade pendant plusieurs heures à chaque fois. Un praticien éclairé peut trouver des raisons de préférence pour le choix de l'une ou de l'autre méthode.

Après que le malade aura été préparé par les remedes généraux, & par des remedes particuliers si son état en exige, il faut avoir la précaution de le purger la veille de l'opération, de lui ôter tout aliment solide, & de lui faire prendre un lavement deux heures avant l'opération, afin de nettoyer l'intestin des matieres fécales que le malade pourroit lâcher au nez du chirurgien dans le tems de l'opération, ce qui seroit capable de l'empêcher de la finir avec la tranquillité nécessaire : ou bien ces matieres pourroient donner au malade des envies d'aller à la selle quelque tems après l'opération, ce qui obligeroit de lever l'appareil, & de laver ensuite la plaie ; inconvénient qu'il est bon de prévenir.

Pour faire l'opération, on fait mettre le malade sur le bord de son lit, qu'on a eu le soin de faire garnir d'un drap plié en plusieurs doubles, dans la situation où l'on le mettroit pour recevoir un lavement, de façon que la fesse du côté malade soit appuyée sur le lit. Un aide chirurgien à genoux sur le lit, pose un genou contre le malade dans l'angle que celui-ci forme par son corps & ses cuisses, pour qu'il ne puisse s'éloigner de l'opérateur : cet aide soûleve la fesse saine. On doit avoir d'autres aides pour contenir les jambes & les épaules du malade. Tout étant ainsi disposé, & l'appareil convenable pour le pansement préalablement préparé, le chirurgien met un genou à terre, & procede à l'opération.

Si la fistule est complete , il introduit dans le fondement le doigt index gauche, graissé d'huile ou de beurre ; il tient avec la main droite un stilet d'argent flexible, ou l'aiguille ou sonde plate destinée à cet usage, voyez AIGUILLE ; il pousse doucement cet instrument, jusqu'à ce que sa pointe rencontre le doigt qui est dans l'intestin, ou qu'on y met seulement après avoir introduit le stilet dans le trajet de la fistule ; l'extrémité de ce doigt replie le stilet, & sert à l'amener au-dehors : on forme ainsi une anse qui embrasse la fistule, & la portion du boyau qui lui répond. Voyez Planche XXVII. fig. 1.

Dans la fistule incomplete externe, on recommande de porter l'extrémité du stilet au-dessus des callosités, & en forçant un peu de percer l'intestin pour former l'anse : c'est dans cette occasion qu'il faut se servir par préférence de l'aiguille pointue, le stilet boutonné seroit moins convenable.

Si la fistule est borgne & interne, il faut faire avec la lancette une ouverture extérieure sur un petit point mollet, qui montre le sac du sinus : quand cet endroit n'est pas sensible, on met dans l'anus, pendant douze ou quinze heures, ou plus long-tems, si cela étoit nécessaire, une tente, laquelle en bouchant l'ouverture de la fistule, empêche le pus de s'écouler ; il s'en amasse assez pour former à l'extérieur une tumeur qui indique le lieu où il faut faire l'incision.

Lorsque l'anse est passée dans la fistule, on prend avec les doigts de la main gauche les deux extrémités du stilet ; en les tirant à soi on tend les parties, & avec un bistouri droit qu'on tient de l'autre main, on emporte les parties que le stilet a pénétrées ; ensorte qu'après l'extirpation les callosités se trouvent embrochées. Trois ou quatre coups de bistouri donnés à-propos, suffisent ordinairement pour cette opération. Si l'orifice extérieur de la fistule étoit si éloigné du fondement, qu'en faisant l'opération comme on vient de le décrire, il fallût faire une trop grande déperdition de substance, on pourroit passer une sonde cannelée dans le conduit fistuleux ; on l'ouvriroit ensuite avec un bistouri. C'est la méthode que nous avons dit convenir pour les cas les plus simples, & dans lesquels on s'est servi avec succès du syringotome. Voyez SYRINGOTOME. Mais dans les fistules fort étendues & compliquées, il ne suffiroit pas d'avoir fendu le sinus antérieurement, c'est-à-dire du côté extérieur, il faudroit inciser la partie postérieure dans toute l'étendue, ayant le soin de tâter avec l'extrémité du doigt index de la main gauche, les parties avant de les scarifier, pour ne pas couper des vaisseaux ou autres parties qu'il seroit à-propos de ménager. Les callosités qu'on n'a fait que fendre par cette incision, doivent être emportées des deux côtés avec le bistouri ou les ciseaux ? on scarifie celles que la prudence ne permet pas d'extirper, ou on les attaque dans le cours du traitement, avec des remedes caustiques.

Le pansement de la plaie consiste à mettre de la charpie brute & mollette dans toute l'étendue de la plaie : on introduit ensuite une tente grosse & longue comme le petit doigt, dans le rectum : le tout sera recouvert de trois ou quatre compresses longuettes, étroites, & graduées, soûtenues de bandages en T, dont la branche transversale large de quatre travers de doigt, fait un circulaire autour du corps au-dessus des hanches, & sert de ceinture ; & la branche perpendiculaire est fendue depuis son extrémité jusqu'à huit travers de doigt de la ceinture. Le plein porte sur les compresses, & les deux chefs passent un de chaque côté des parties naturelles, pour n'en pas gêner l'action, & vont s'attacher antérieurement à la ceinture.

Si dans l'opération on avoit ouvert un vaisseau qui fournit assez de sang pour donner quelque crainte sur la quantité que le malade pourroit en perdre, il faudroit prendre des précautions dans l'application de l'appareil ; car on a vû le sang se porter dans l'intestin, pendant qu'on ne soupçonnoit point l'hémorrhagie, parce que l'appareil n'en étoit point pénétré. On peut se mettre en garde contre cet accident, par l'application de l'agaric, & par une compression faite avec méthode. Il faut d'abord reconnoître la situation précise du vaisseau qui fournit le sang, en appuyant le doigt alternativement dans différens points de l'incision, jusqu'à ce qu'on ait comprimé la source de l'hémorrhagie. Il est prudent de tenir le doigt assez long-tems sur l'orifice du vaisseau, pour donner le tems au caillot de se former : au lieu d'agaric on peut mettre avec succès sur cet endroit une petite compresse, trempée dans l'essence de Rabel ; on la soûtient pendant quelques minutes ; on la couvre ensuite de charpie brute, & l'on applique le reste de l'appareil comme je viens de le dire.

On ne leve l'appareil qu'au bout de quarante-huit heures, si rien n'oblige à le lever plûtôt ; encore ne doit-on pas détacher la charpie du fond, sur-tout s'il y a eu hémorrhagie : c'est à la suppuration à décoller cette charpie. Dans la suite, les pansemens doivent être fort simples : on se sert d'abord des remedes digestifs ; puis des détersifs, & on termine la cure avec des dessicatifs, suivant les regles générales de l'art pour la cure des ulceres. Voyez ULCERES. On diminue la tente de jour en jour, selon le progrès de la plaie vers la consolidation ; & sur les derniers tems, on panse avec une meche de charpie ou un plumaceau, qu'on introduit à plat dans le rectum. Une attention qui est essentielle lorsqu'on porte la tente dans l'intestin, est de l'introduire le long de la partie saine du fondement, du côté opposé à l'incision : par ce moyen on ne fatigue pas l'angle de l'incision du boyau, on évite de la douleur qu'on feroit souffrir inutilement au malade ; & sans cette précaution il y auroit du risque de faire, en poussant la tente, une fausse route dans les graisses à côté de l'intestin. Quelques personnes ont proposé de rejetter l'usage de la tente dans le rectum ; mais l'expérience a montré qu'il s'en étoit suivi un retrécissement de l'anus, fort incommode aux malades qui sont obligés de faire ensuite beaucoup d'efforts pour rendre les matieres par une ouverture trop étroite.

Je placerai ici quelques réflexions sur le traitement des abcès considérables qui se forment à la marge de l'anus, soit que la fistule les ait produits, ou qu'ils la précedent. On doit les ouvrir comme de simples abcès. Quelques praticiens sont dans l'usage d'emporter une portion du rectum, après avoir évacué le pus ; à quoi l'on n'est autorisé que dans le cas de pourriture à l'intestin. D'autres qui pensent plus sensément sur les avantages de la conservation des parties, se contentent de fendre l'intestin, & ils croyent que cela est nécessaire pour procurer sa réunion avec les parties voisines. Cependant l'expérience montre qu'on pourroit guérir radicalement quelques malades par la seule ouverture de l'abcès, quoiqu'il y eût fistule à l'intestin. Que risque-t-on à chercher la guérison par cette voie ? C'est une tentative dont les malades doivent nous savoir gré, puisqu'elle a pour objet de leur épargner de la douleur, & d'abréger considérablement la cure. Mais si à la suite de ce traitement il restoit un sinus fistuleux, ce qui arrive dans le plus grand nombre de cas, il faudroit en faire l'ouverture : & ce seroit une seconde opération ; mais on ne risque pas alors de faire une plus grande déperdition de substance qu'il n'est nécessaire : ce qu'il n'est pas possible d'éviter lorsqu'on incise l'intestin immédiatement après l'ouverture de l'abcès. En effet l'intestin étant plus ou moins à découvert selon l'étendue & la profondeur du foyer de l'abcès ; étendue qui est relative à la quantité de la matiere contenue dans la tumeur, l'orifice de la fistule peut être fort près de la marge de l'anus, quoique la dénudation de l'intestin s'étende fort haut. Dans ce cas en fendant l'intestin depuis le fond de l'abcès, on y fait utilement une grande incision ; & une grande incision faite sans utilité, peut être regardée comme nuisible. De plus on pourroit dans les grandes dilacérations, emporter une assez grande portion de l'intestin, & laisser précisément celle où seroit le point fistuleux ; ce qui par la suite donneroit lieu à ce qu'on appelle mal-à-propos la réproduction de la maladie, puisqu'elle n'auroit pas été détruite. Combien n'y a-t-il pas de personnes qui disent qu'elles ont été manquées de l'opération de la fistule ? L'expression est bonne, puisqu'elles ont souffert une opération douloureuse sans aucun fruit. Si au contraire on se contentoit de faire simplement l'ouverture de l'abcès, l'incision de la fistule deviendroit, après le récolement des dilacérations faites par la formation du pus, une opération de petite conséquence en elle-même, & en la comparant à la grandeur de celle dans laquelle l'intestin seroit incisé dans toute l'étendue du foyer de l'abcès. Il y a encore quelques autres raisons de préférence pour cette méthode, telles que d'éviter des hémorrhagies qui ont souvent lieu dans les incisions profondes ; & dans ce cas ; la nécessité d'un tamponnement retient des matieres purulentes dans quelques vuides ou clapiers qui peuvent échapper à la diligence de l'opérateur ; la résorption s'en fait ; de-là des fievres colliquatives, des cours de ventre, & autres accidens qui mettent la vie du malade en danger. M. Foubert se propose d'exposer cette doctrine dans le troisieme volume des mémoires de l'académie royale de Chirurgie. J'en ai donné le précis, parce que je suis persuadé par ma propre expérience, de l'utilité des préceptes dont je viens de faire mention. (Y)

FISTULE. (Manége, Maréchall.) En adoptant la définition que les auteurs qui ont écrit sur la medecine du corps humain, nous donnent du terme de fistule, nous la regarderons ici nous-mêmes comme un ulcere profond dont les bords sont durs & calleux, & dont l'entrée est étroite, tandis que le fond en est évasé.

Souvent une seule ouverture extérieure conduit à plusieurs cavités intérieures, que l'on nomme sinus ou clapiers ; quelquefois il n'est qu'une seule cavité ; il arrive encore que la carie ou quelqu'autre maladie s'unissent à celle-ci ; dans le premier cas la fistule est composée, & dans le second elle est simple : dans le troisieme elle est compliquée. La vûe nous en fait discerner l'orifice ; le tact nous assûre de sa dureté, la sonde nous en indique la direction, la profondeur & la complication ; enfin le pus dont la compression sur les parties voisines occasionne la sortie, nous en découvre l'étendue.

De quelqu'espece que soient les fistules, elles procedent en général d'un dépôt qu'un maréchal inattentif ou ignorant n'aura pas ouvert assez promtement. La matiere purulente inclinant toûjours du côté où elle rencontre le moins de résistance, se creuse des routes intérieurement, pénetre dans l'interstice des muscles, & détruit une partie de la graisse avant de vaincre l'obstacle que lui présente la peau, & de se frayer une issue au-dehors ; aussi ces accidens qui peuvent avoir lieu dans toute la sphere du corps de l'animal, se manifestent-ils plus fréquemment dans les parties membraneuses, glanduleuses, abreuvées de lymphe, dans celles où la graisse abonde, comme dans les environs de l'anus, & dans les abcès dont le siége est sur la portion supérieure de l'encolure, sur le garrot, sur les reins, parce qu'alors le pus tendant naturellement vers les parties déclives, & ne pouvant remonter contre sa propre pente, forme nécessairement des sinuosités.

Les suites des fistules sont plus ou moins funestes, selon les lieux qu'elles parcourent ; leur profondeur, la multiplicité des clapiers, leur direction, leur complication de carie, d'hypersarcose, d'inflammation, & selon leur ancienneté.

L'objet principal que l'on doit se proposer dans leur traitement, est de procurer la régénération des chairs louables & bonnes dans toutes leurs cavités ; il s'agit à cet effet de faciliter la sortie de la matiere suppurée, d'emporter & de détruire toutes les callosités, & même la carie, si la fistule est compliquée.

Les fistules simples & récentes dont les bords sont legerement endurcis, & dont le sinus est peu profond, demandent simplement une contre-ouverture pratiquée dans leur fond, pour exciter une suppuration dans toute leur étendue ; on y passe une meche garnie de médicamens foiblement consomptifs ; ce moyen suffit ordinairement pour fournir au pus une issue libre & convenable, pour dissiper les callosités, pour donner lieu à la régénération desirée, & pour conduire enfin la plaie à une heureuse cicatrice. Mais si ces mêmes callosités sont considérables, la contre-ouverture ne produira point ces salutaires effets ; on sera nécessairement contraint d'ouvrir en entier la fistule, de couper même une grande partie des chairs dures qui en couvre les bords & les parois, & d'entretenir toûjours la suppuration jusqu'au moment où le tout sera en état d'être cicatrisé.

Cette dilatation importe encore davantage dans le cas où les fistules sont compliquées de carie ; soit que la carie occasionnée par le séjour & la corrosion des matieres purulentes, puisse être envisagée comme une suite de la fistule, soit que son opposition à la réproduction des chairs louables dans le fond de l'ulcere, nous détermine à l'en regarder comme une des principales causes, on ne pourra se dispenser de recourir au cautere actuel, à l'effet de provoquer une exfoliation, & de la détruire ; tous les autres secours, tels que ceux que promettent la rugine & les médicamens desquamatoires n'étant en aucune maniere comparables à celui que nous retirons dans la pratique de l'application du feu. Voyez FEU.

Quant aux fistules composées dont la dureté & les sinuosités ne représentent rien d'extraordinaire, on pourra tenter d'en procurer la réunion, en obviant à ce que la matiere n'y séjourne, & en rapprochant les parois, si cependant une compression méthodique sur le fond est praticable. Lorsque les sinus sont vastes & les bords extrèmement calleux, il ne reste au maréchal d'autres voies, que celle de la dilatation qu'il doit faire avec l'instrument tranchant.

Il est des cas où il n'est pas possible, & où il seroit très-dangereux d'ouvrir & de dilater les fistules dans toute leur étendue ; tels sont ceux où elles sont extrèmement profondes, & où il est à craindre d'offenser avec le bistouri, des nerfs & des vaisseaux sanguins d'un certain ordre. Il faut se contenter alors d'en dilater l'entrée ou avec l'instrument, ou avec de l'éponge préparée. On injectera dans le fond des liqueurs détersives, on y portera même, si on le peut sans péril, des médicamens consomptifs, toûjours dans l'intention de remplir les vûes générales que l'on doit avoir, & l'on sera sur-tout exactement & scrupuleusement attentif à ne jamais tamponner l'ouverture des fistules dont on entreprendra la cure par des tentes ou des bourdonnets trop durs, d'autant plus que de tels pansemens n'ont que trop souvent rendu calleux & fistuleux des ulceres profonds.

Ces divers traitemens extérieurs ne doivent point au surplus dispenser le maréchal de tenir l'animal à un régime humectant & modéré, de l'évacuer prudemment, afin de diminuer la quantité des humeurs qui affluent sur la partie malade, de s'attacher à réparer les vices & les desordres intérieurs, &c. (e)

FISTULE A L'ANUS. (Manége, Maréchall.) La fistule lachrymale échappée aux yeux de tous nos observateurs, ne pourroit être dans l'animal qu'une maladie funeste, puisque d'un côté on ne se livroit à aucune recherche relativement aux moyens d'y remédier, & que de l'autre tous les efforts de la nature seule en étoient incapables.

La fistule à l'anus, avouée & connue par plusieurs auteurs, ne me paroît pas avoir été moins négligée. Effrayés en apparence par la difficulté d'opérer le cheval, & retenus véritablement par les obstacles qui naissent d'une ignorance non assez profonde pour se déguiser entierement la nécessité du savoir, les uns ne nous indiquent que des médicamens absolument impuissans ; & les autres, en bannissant toute méthode curative, telle que celle qui dans l'homme est suivie des plus grands succès, ne nous proposent que la voie cruelle, & souvent pernicieuse des ligatures & des cauteres. Si cependant la maladie & la structure des parties qu'elle attaque ne different point essentiellement dans le cheval, il est certain qu'on peut se flater de le rétablir, lorsqu'aidé d'ailleurs des connoissances sur lesquelles la science d'opérer doit être étayée, on se conformera à la pratique chirurgicale ; il faut donc convenir que tous les inconvéniens qu'on pourroit entrevoir, eu égard au régime & aux pansemens, ne seront que des prétextes frivoles, & non des motifs suffisans de ne pas tenter : & c'est dans cette idée que je me crois obligé de tracer quelques préceptes relativement au manuel de l'opération à laquelle le maréchal doit avoir recours.

L'ulcere sinueux & calleux dont il s'agit ici, est toûjours la suite d'un dépôt que la trop grande quantité de sang, son acrimonie, son épaississement, des coups ou des irritations quelconques, peuvent occasionner. Selon les progrès de la matiere qui se creuse des routes dans le tissu graisseux, aux environs de l'extrémité de l'intestin rectum, la fistule reçoit des dénominations diverses. Une cavité percée d'une seule ouverture, forme une fistule simple & incomplete ; si cette ouverture est en-dehors, la fistule est dite borgne & externe, & borgne & interne lorsqu'elle est dans l'intérieur. Deux issues, l'une en-dehors & l'autre en-dedans de l'intestin, la rendent complete ; & plusieurs clapiers engagent à la déclarer composée.

Quelles que soient ces différences, l'opérateur les saisit aisément par les moyens que j'ai indiqués en traitant de la fistule en général. Une ouverture avec dureté dans le voisinage du fondement, & qui fournit de la matiere purulente, manifeste en effet une fistule externe dont la sonde découvre la direction, la profondeur & les sinuosités ; & comme l'introduction du stilet dans l'ouverture doit être suivie & accompagnée de l'introduction des doigts du maréchal dans le large orifice de l'anus du cheval, il lui est facile de juger si, ce même stilet pénétrant dans l'intestin, la fistule est complete . Celles qui sont borgnes & internes ne s'annoncent point aussi clairement, sur-tout dès que l'on n'a aucune connoissance du dépôt qui peut y avoir donné lieu. L'écoulement du pus avant ou après les déjections, en est l'unique symptome, soit qu'il arrive conséquemment à la compression du foyer de l'humeur causée par la présence des excrémens, soit que cette compression soit produite par la contraction des parties qui reviennent sur elles-mêmes & se resserrent lorsque l'animal a fienté ; il est question dans une occurrence semblable, de passer les doigts dans le rectum, à l'effet de reconnoître le lieu de l'ouverture de la fistule, lieu que désignent sûrement une dureté & une élévation senties & apperçues. On doit ensuite glisser adroitement un stilet recourbé dans l'issue découverte, pour s'assûrer de l'état du mal ; toutes ces recherches qui seront précédées de la précaution d'assujettir tellement l'animal dans le travail, qu'il ne puisse s'y refuser, ne conduisent à rien d'avantageux, si la fistule est si profonde qu'il ne soit pas possible d'y porter l'instrument, sans craindre d'intéresser des parties, telles que la vessie, qui dans l'animal avoisine étroitement le rectum, ou d'ouvrir des vaisseaux considérables, tels que les arteres hémorrhoïdales ; alors elle doit être regardée comme incurable ; mais dans tous les autres cas on ne doit point abandonner le cheval à son sort. Il s'agit de le préparer d'abord à l'opération que l'on médite, par la saignée, un breuvage purgatif, quelques lavemens émolliens, un régime humectant, & une diete assez sévere.

Ces médicamens généraux administrés, & le corps de l'animal étant suffisamment disposé, on le vuidera exactement une heure ou deux avant d'opérer, & on lui donnera un lavement. On le placera ensuite dans le travail, avec le même soin que l'on a eu lorsqu'il n'a été question que de le sonder. Sa queue sera fermement relevée & attachée à une des traverses de la charpente dans laquelle il sera renfermé.

L'objet que doit se proposer le maréchal, est d'ouvrir la fistule & d'emporter toutes les callosités.

Il est nécessairement astraint de rendre complete s celles qui ne le sont pas. Ainsi l'ouverture est-elle externe, il y introduira un stilet d'une grosseur proportionnée, & dont l'extrémité pénétrante ne sera point aiguë. Il le glissera aussi près qu'il pourra de l'intestin, dans lequel ses doigts seront introduits, & lorsqu'il en sentira la pointe, il le poussera avec assez de force pour percer cet intestin, ce qui se pratique facilement. Il l'obligera ensuite d'entrer plus avant, & il le pliera pour ramener & pour faire sortir par l'anus celui des bouts qui se sera fait jour dans le rectum, de façon que la fistule se trouvera comme embrochée par cet instrument, & contenue entre ses deux extrémités. Si l'ouverture est interne, il examinera s'il n'est point extérieurement aucun endroit où la matiere purulente s'annonce par une legere fluctuation, mais il aura attention dans le même instant de boucher l'orifice situé dans l'intestin, de maniere que la compression faite au-dehors ne puisse déterminer cette matiere à fluer par cet orifice intérieur ; dès que l'ondulation se sera fait sentir, il pratiquera une ouverture à la peau, par le moyen de laquelle il communiquera du-dehors en-dedans de la fistule, sinon & à défaut d'une fluctuation reconnue, il portera son stilet recourbé, à l'effet de l'insinuer dans l'ouverture interne, & de faire une incision à l'endroit du tégument, sous lequel l'extrémité recourbée rampante lui désignera le trajet du sinus. Cette incision faite, il maintiendra le stilet, ainsi que dans le premier cas prévû. Quant à la fistule complete , l'introduction de cet instrument n'est point aussi pénible, & le procédé est plus simple, mais l'opération est la même, de quelqu'espece qu'elle puisse être.

Le maréchal saisi des deux extrémités du stilet qu'il tiendra jointes & unies, emportera avec le bistouri toute la portion contenue dans l'anse ; il coupera même au-delà, afin de comprendre dans la partie enlevée, toutes les callosités du canal fistuleux. Il considérera ensuite, en portant le doigt dans la plaie, s'il en est quelques-unes encore, il les détruira ; il observera de plus, si quelques sinus suintant de la matiere ne lui ont point échappé ; il les ouvrira avec les ciseaux ou le bistouri, s'ils ne sont pas profonds : & dans le cas où ils approcheroient de l'intestin, il coupera l'intestin même ; en un mot, il s'attachera à former une plaie exactement sanglante dans toute son étendue, & entierement dénuée de clapiers & de duretés. Il ne doit pas oublier aussi de visiter soigneusement le rectum. Souvent la matiere en rongeant les graisses circonvoisines, en opere la dénudation. Alors on l'incisera, & les levres dans le lieu incisé se consolideront avec les parties prochaines, sans quoi le vuide qui subsisteroit dans le fond, seroit un obstacle à la réunion.

Cette opération faite, on remplira la plaie de charpie, & on conduira le cheval à l'écurie. Là, on l'entravera du derriere, & on le captivera de telle sorte dans la place qui lui est destinée, que le maréchal puisse faire son pansement tranquillement & sans danger. Il consiste à garnir cette même plaie très-exactement, pour que les matieres n'y fassent aucun amas. Une quantité proportionnée de charpie brute qu'il substituera à celle qu'il a placée, l'animal étant dans le travail, suffira à cet effet, mais il évitera de tamponner, c'est-à-dire de comprimer trop fortement. Le dehors de la plaie sera couvert d'un plumaceau, & le tout sera maintenu par un emplâtre agglutinatif, sur lequel on mettra quelques compresses ou de la filasse. Tout cet appareil sera maintenu par un cuir coupé en quarré, aux quatre pointes duquel seront bredies de solides attaches. Deux d'entr'elles aboutiront supérieurement en passant sur la croupe à un surfaix où elles seront fixées & arrêtées : les deux autres qui passeront entre les cuisses, & qui dans leur trajet ne gêneront ni les testicules ni le fourreau, répondront inférieurement à ce même surfaix dans lequel elles seront engagées. On pourra encore y fixer le bas de la queue de l'animal, qui, tirée en dessous, servira d'un second appui & d'un second soûtien. Un des plus considérables inconvéniens qu'entraîne cette opération, est l'obligation de panser l'animal chaque fois qu'il a fienté, mais cette obligation n'est point d'une nature à préférer la perte du cheval à la satisfaction de se refuser aux peines qu'elle peut causer. D'ailleurs le régime auquel sa situation le condamne, doit être assez sévere pour que les excrémens ne soient pas abondans ; car dès les premiers jours, le son, l'eau blanche, la farine de froment dans son seau, doivent être ses seuls alimens. Quant aux autres pansemens, l'état de la plaie guidera le maréchal. Il employera les médicamens digestifs, qu'il mêlera sur la fin de la cure, avec de legers consomptifs, à l'effet de réprimer des chairs fongueuses, toûjours embarrassantes dans le traitement du cheval, & plus promtes à se produire dans des parties où la graisse domine ; il s'efforcera enfin & dans le tems, de procurer par cette voie la cicatrice. (e)

FISTULE LACRYMALE, (Manége, Maréchall.) La fistule lacrymale est proprement un ulcere calleux & sinueux, dont le siége est à l'angle interne de l'oeil.

Si l'on consulte d'une part la disposition des parties sur lesquelles cette maladie s'exerce, & de l'autre les causes qui y donnent communément lieu ; malgré la déférence dûe aux auteurs qui ont travaillé à l'histoire des maux auxquels le cheval est sujet, on se persuadera difficilement que cet animal en a toûjours été exempt, & qu'il ne sauroit en être atteint. Ruini qui a consacré quinze chapitres de son ouvrage à l'exposition des infirmités de l'organe dont il s'agit, & qui parmi celles qu'il décrit compte, outre la fluxion lunatique, l'épiphora, c'est-à-dire un écoulement continuel de larmes, accompagné d'inflammation, de rougeur & de picotement, n'en fait mention que très-imparfaitement : tous les écrivains connus, qui l'ont précédé & qui l'ont suivi, se taisent entierement sur ce point ; leur silence naîtroit-il donc de l'impossibilité réelle de l'existence de cet ulcere dans le cheval, ou la difficulté de le reconnoître à des signes certains & très-sensibles, leur en a-t-elle dérobé la présence ? C'est ce qu'il est important d'approfondir.

Cette eau limpide, filtrée par la glande lacrymale, & à qui la cornée doit sa transparence, ainsi qu'à l'humeur aqueuse, n'étoit pas moins nécessaire à l'entretien de la netteté, de la flexibilité, de la mollesse, & de la mobilité des yeux du cheval que de l'homme. Ceux de l'un & de l'autre en sont également pourvûs ; elle est versée lentement & sans-cesse entre le globe & la surface interne de la paupiere supérieure. Le superflu de cette lymphe lacrymale, qui n'est pas toûjours dans une juste proportion, poussé dans un espece de canal, qui résulte de la forme & du concours des bords des paupieres, est déterminé vers le grand angle. Là elle frappe contre la caroncule lacrymale, & ne pouvant surmonter l'obstacle que lui oppose cette digue, elle est renvoyée à quelques lignes du même angle, vers les orifices des points lacrymaux qu'elle enfile, & qui sont chargés de la reprendre : un canal répond à chacun de ces points ; & ces canaux, dénommés ainsi que ces mêmes points qui en sont les ouvertures, se rendent dans un réservoir appellé le sac lacrymal ; ce sac ou cette poche membraneuse m'a constamment paru plus petite que celle de l'homme. A peine a-t-elle reçu la sérosité qui lui est envoyée, qu'elle la verse & s'en décharge dans le canal nasal qui, percé dans l'os angulaire & pénétrant dans les fosses nasales, y vuide la liqueur inutile & surabondante dont il est question.

Supposons ensuite de ce détail anatomique, la grande acreté de cette liqueur, conséquemment à l'acrimonie de la masse du sang en général, ou conséquemment à quelqu'autre cause, il n'est pas douteux que la membrane qui forme le sac sera irritée ; elle se resserrera ; elle comprimera les vaisseaux répandus dans son tissu, & sera considérablement enflammée. Les larmes obligées dès-lors d'y séjourner, & se pervertissant toûjours davantage, l'inflammation accroîtra au point que les vaisseaux sanguins, & même les vaisseaux lymphatiques, souffriront une rupture, & le mélange disproportionné des liqueurs hors de leurs canaux, donnera incontestablement lieu à l'anchilops, c'est-à-dire à un abcès. La compression sur le canal nasal, causée par le poids de la matiere purulente qui remplit le sac, la corrosion que cette matiere y suscite, & les chairs baveuses qui en sont une suite inévitable, tout concourra à l'obstruction entiere de ce canal. Il ne restera donc d'autre issue aux larmes & au pus, que celle que leur offriront les points lacrymaux, sur-tout lorsqu'une legere pression sur le grand angle les déterminera vers ces orifices. Ces points, ainsi que la caroncule, seront bientôt enflammés & ulcérés eux-mêmes. A ces exulcérations succéderont aussi des chairs fongueuses qui, bouchant les ouvertures par lesquelles on pouvoit encore exprimer les liqueurs purulentes & les conduire au-dehors, les condamneront à être renfermées dans le sac, tandis que les larmes, nouvellement filtrées par la glande, se répandront à l'extérieur, de-là le larmoyement. Dans cet état, la matiere close de toutes parts s'imprimera d'une maniere funeste sur ce même sac, qu'elle rongera insensiblement ; mais le tissu de la peau qui le couvre étant pour elle un obstacle plus facile à vaincre, elle le détruira peu-à-peu, & se fera jour près de la commissure des paupieres à l'endroit du grand angle, où l'on appercevra un égylops, ou un petit ulcere très-commun dans les chevres, par lequel le sac se dégorgera en partie. Enfin ses progrès continuant, & ce sac ayant entierement cédé à ses atteintes, l'os angulaire, qui remplace ici l'os unguis, très-mince en ce lieu, & dénué de périoste comme dans l'homme, se cariera infailliblement, ainsi que les os voisins qui pourront s'en ressentir dans la suite, & alors le pus coulant avec les larmes dans les fosses nasales, l'épiphora cessera.

Telle est en peu de mots la marche de cette maladie, & telle est aussi son dernier degré. J'ose dire qu'il suffit d'appercevoir dans l'animal un assemblage de parties destinées à l'absorption de la lymphe lacrymale, qui ne different point de celles qui, dans le corps humain, sont préposées aux mêmes fonctions, pour les croire susceptibles des mêmes dérangemens ; & si l'on ajoûtoit à cet argument, tiré de l'uniformité du méchanisme qui nous a frappé, ceux que suggere la source la plus ordinaire des altérations fréquentes de cet organe dans le cheval, tous les doutes s'évanoüiroient. J'avoue que tous les signes de cette fistule ne se montrent point avec autant d'évidence au maréchal qu'au chirurgien ; l'inflammation de la peau se dérobe à sa vûe ; la tumeur, pour être apperçue, veut être considérée de près ; le larmoyement, d'abord peu considérable, ou ne fixe point son attention, ou il en accuse une infinité d'autres causes ; il ne peut s'assûrer par aucun moyen de la sécheresse d'une des cavités des nasaux, &c. mais la rougeur de la conjonctive, l'écoulement abondant des larmes, l'espece de chassie qui agglutine les paupieres en ce même lieu, l'ulcération des points lacrymaux & de la caroncule, le reflux de la liqueur purulente par ces points, l'égylops, & tous les autres symptomes que j'ai décrits, sont d'une nature à ne devoir pas lui échapper ; ainsi il est très-difficile de ne pas attribuer le silence, dont je me suis proposé d'abord de rechercher la raison, ou à une profonde ignorance, ou à un oubli toûjours condamnable.

Quoiqu'il en soit, certain & assûré de la possibilité de cet accident, que j'ai observé moi-même dans un cheval, accident qui peut non-seulement être occasionné, ainsi que je l'ai dit, par le vice de la masse, mais encore par des coups, par l'inflammation, & l'épaississement de la membrane muqueuse, si souvent attaquée dans l'animal par un polype situé très-avant dans une des fosses nasales, par les retours réitérés des fluxions, & principalement de celle que nous distinguons des autres par le terme de fluxion lunatique ; je me crois obligé d'indiquer les moyens d'y remédier.

Ils varient selon les degrés de la fistule & ses complications, & c'est aussi sur ces différens degrés que le maréchal doit asseoir son prognostique.

Il s'agit d'abord de fixer le cheval dans le travail, de maniere qu'il ne puisse mouvoir sa tête en aucune maniere. Voyez TRAVAIL. Lorsqu'il sera parfaitement assujetti, on comprimera avec le doigt l'endroit de l'angle interne, qui répond au sac lacrymal, pour reconnoître la qualité de la matiere qui remplit ce sac. Si celle qui sortira par les points lacrymaux, est épaisse & d'une couleur verdâtre, la carie est certaine ; si elle est très-abondante & loüable, on peut croire que les os sont sains, & n'ont point encore été affectés ; mais on doit se hâter de prévenir un semblable progrès. Le stilet a l'effet de désobstruer le canal nasal, & les injections d'eau d'orge & de miel rosat, sont dans l'animal les seules ressources que nous devons employer dans le dernier des cas dont je viens de parler. Elles m'ont réussi relativement au cheval que j'ai traité d'une pareille fistule. Je sondai le point lacrymal supérieur après avoir renversé la paupiere supérieure pour le découvrir, dans l'intention de débarrasser le canal nasal des obstacles qui pouvoient s'opposer au cours de la matiere & des larmes ; j'introduisis ma sonde le plus profondément qu'il me fut possible, après quoi j'injectai par le point lacrymal inférieur, la liqueur dont j'ai prescrit la composition, & à laquelle le stilet venoit de frayer une route, observant de faire une legere compression sur la tumeur, afin que cette liqueur poussée dans ce sac ne donnât point lieu à une plus grande dilatation. Je m'apperçus dès le quatrieme jour, qu'elle s'étoit fait un passage dans les nasaux ; je réitérai cinq ou six fois mes injections, & les chemins naturels furent ouverts de maniere que tous les accidens cesserent.

Si ce procédé n'avoit point été suivi d'un succès aussi heureux, je me serois déterminé à faire l'opération que demande & qu'exige la fistule compliquée ; car l'impuissance où nous sommes de tenter la voie de la compression, ainsi qu'on le pratique dans l'homme, & l'avantage d'accélérer sûrement la guérison d'un animal que nous pouvons traiter avec moins de ménagement, sont des motifs qui doivent nous empêcher de balancer dans des conjonctures semblables.

Pour cet effet, j'aurois mis le cheval dans la même position ; j'aurois fait mon incision avec un bistouri courbe, un aide me secondant, & s'occupant du soin d'affermir la peau de l'angle interne, & de contenir les paupieres. Cette incision auroit pénétré jusqu'aux os, & j'aurois eu l'attention de diriger mon instrument de façon à ne point intéresser la commissure de ces mêmes paupieres, & à ne point offenser des vaisseaux. J'aurois ensuite dilaté la plaie, dans laquelle j'aurois glissé quelques bourdonnets, afin de la rendre plus vaste, & je les aurois assujettis par le moyen d'un des côtés des lunettes. Voyez LUNETTES. Le lendemain, les os étant à découvert, j'aurois porté la pointe d'un stilet sur l'os angulaire. Le maréchal n'oubliera pas qu'il est au grand angle une legere éminence osseuse & pointue, dont on peut s'assurer avec le doigt : cette éminence peut lui servir de guide. L'introduction de son stilet doit se faire directement au-dessous, & il lui fera décrire une ligne un peu plus oblique, de haut en bas, que celle que le chirurgien suit à l'égard de l'homme, la partie inférieure de l'orbite ayant une assiette plus large dans le cheval ; à la faveur du stilet fixé où je l'ai dit, il glissera une sorte d'entonnoir emmanché, dont l'extrémité taillée en biseau, appuyera fermement sur l'os ; il retirera son stilet, & son entonnoir lui facilitera le moyen de cautériser & de percer ce même os avec un bouton de feu, sans donner atteinte aux parties voisines. L'ouverture étant faite, il ôtera & le cautere & l'entonnoir. On doit être certain que le bouton de feu a produit son effet, lorsque l'air sort par la plaie, les nasaux étant serrés & comprimés. S'il y a carie, on remettra l'entonnoir que l'on aura fait refroidir dans l'eau, & on glissera de nouveau un autre bouton de feu plus large, car il faut la détruire & la consumer entierement.

Mais quel est le pansement méthodique qui doit suivre cette opération ? L'objet qu'on doit se proposer se réduit à procurer l'exfoliation de l'os brûlé, & à maintenir le canal artificiel qui doit desormais fournir un passage aux larmes. Le maréchal introduira donc d'abord une sorte de bougie de plomb dans le trou pratiqué à l'os, & il l'y fixera ; il garnira ensuite la plaie de bourdonnets enduits de baume d'Arceus ou de quelqu'autre digestif, auxquels il substituera dans la suite des bourdonnets trempés dans l'huile de gayac, s'il y a eu une carie. Il appliquera enfin un collyre rafraîchissant, & maintiendra tout son appareil avec l'une des especes de chapeaux qui constituent les lunettes : il saignera l'animal trois heures après l'avoir opéré ; il le tiendra à une diete sévere, à un régime exact, au son, à l'eau blanche ; il attaquera le mal jusque dans sa source, par des remedes intérieurs administrés ; & sur la fin de sa cure, lorsqu'il s'appercevra que l'exfoliation est faite, qu'il n'y a plus de larmoyement, & que les chairs qu'il aura toûjours eu soin de reprimer sont loüables, il hâtera la cicatrice au moyen des remedes balsamiques & dessicatifs. C'est ainsi que, guidé par l'analogie & par la connoissance de l'économie animale, il trouvera dans les lumieres qui éclairent la Chirurgie, une grande partie de celles qui peuvent contribuer aux progrès de son art. (e)

FISTULES ou CANAUX, (Jardinage) se rassemblent en forme de reseaux, & forment des faisceaux perpendiculaires, tant pour porter le suc nourricier dans les parties les plus élevées des arbres, que pour respirer par les plus gros d'entr'eux. Ce sont les trachées des plantes, ainsi que les poumons dans les insectes. (K)

* FISTULE ou PETITE FLUTE, (Luth.) c'étoit dans la musique ancienne un instrument à vent, semblable à la flûte ou au flageolet. Voyez FLUTE.

Les principaux instrumens à vent des anciens, étoient la tibia & la fistule. A l'égard de la maniere dont ces instrumens étoient faits, ou en quoi ils différoient l'un de l'autre, ou comment on en joüoit, cela nous est absolument inconnu. Nous savons seulement que la fistule étoit faite de roseau, & que par la suite on employa d'autres matieres pour la fabriquer. Quelquefois la fistule avoit des trous, quelquefois elle n'en avoit pas ; souvent elle n'étoit composée que d'un seul tuyau, & quelquefois elle en avoit plusieurs, comme la flûte de Pan. Voyez FLUTE.


FITZvieux mot françois qui à la lettre signifie fils. On ajoûte ordinairement ce terme au nom des fils naturels des rois d'Angleterre, comme James fitz-roi, duc de Grafton ; Jacques fitz-James, duc de Berwik, &c.

En Irlande, plusieurs familles portent ce titre de fitz devant le nom de leur famille, comme les fitz-Morits, les fitz-Gerald, & d'autres.

Les Moscovites ont employé dans le même sens le mot witz qui répond à fils, mis après le nom de leur pere ; ainsi le czar Pierre I. est appellé Pierre Alexiowitz, c'est-à-dire Pierre fils d'Alexis ; & son fils étoit nommé Alexis Petrowitz, c'est-à-dire Alexis fils de Pierre. On le nommoit encore le Czarwitz, ou fils du czar. Chambers. (G)


FIUM(Géog.) grande ville d'Afrique, capitale de la province de même nom, dans la moyenne Egypte. Cette province est coupée par un grand nombre de canaux artificiels, & de ponts pour la communication. C'est la seule où il y ait des raisins. Si la ville de Fium est l'ancienne Abydos, elle a été fameuse dans l'antiquité. Là étoit le palais de Memnon ; le sépulcre d'Osiris, qui avoit aussi un temple célebre ; & les tombeaux des grands, qui aimoient à s'y faire inhumer, pour avoir leur sépulture près de celle d'Osiris, comme Plutarque nous l'apprend. Fium est située sur un canal qui communique au Nil, à 12 lieues S. O. du Caire. Longit. 49. 4. latit. 29. (D.J.)


FIVELINGOFivelingia, (Géogr.) contrée des Ommelandes, dans la province de Groningue. Une inondation arrivée en Novembre 1686, y fit périr 416 personnes ; & une autre pendant la nuit de Noël 1717, y fit aussi de grands ravages. Voyez OMMELANDES. (D.J.)


FIXATION & FIXÉ(Chimie) La fixation est une opération chimique, par laquelle un corps auparavant volatil est rendu fixe (voyez VOLATIL & FIXE) ; & le corps qui a subi ce changement, s'appelle fixé.

La fixation s'opere par composition ou par décomposition. Certaines substances, volatiles par leur nature, sont fixées par composition, c'est-à-dire par leur union chimique, à d'autres substances, soit fixes, soit volatiles. C'est ainsi que l'acide nitreux est fixé par l'argent, qui est fixe, & par le mercure, qui est volatil ; que le mercure est réciproquement fixé par l'acide nitreux ; que cette même substance métallique l'est par l'acide vitriolique, &c. voyez MERCURE. D'autres substances sont fixées par dépouillement ou décomposition, c'est-à-dire par la séparation chimique de certains principes à l'union desquels elles devoient leur volatilité. C'est ainsi que les substances métalliques, combinées sous la forme du composé chimique, connu sous le nom de beurre & de métal corné, perdent leur volatilité, sont fixées ou réduites par la séparation de l'acide du sel marin ; que les métaux combinés avec des matieres connues dans la Métallurgie sous le nom de voleuses, rapaces, sont rendues fixes par la soustraction de ces matieres, qui s'opere principalement par le grillage. Voyez ACIDE DU SEL MARIN, à l'art. SEL MARIN. Voyez GRILLAGE.

La prétendue fixation du nitre par le charbon, par le soufre, &c. ne ressemble en rien à la fixation que nous venons de définir ; premierement, parce que le nitre n'est pas naturellement volatil, & qu'ainsi on ne sait ce que c'est que fixer le nitre ; secondement, parce que le prétendu nitre fixé n'est pas du nitre, mais seulement un de ses principes, sa base, soit simplement dégagée & laissée nue, soit combinée avec un nouvel acide. Voyez NITRE.

Le mercure appellé fixé ou précipité per se, n'a pas acquis une fixité absolue à beaucoup près ; il n'a que quelques degrés de volatilité de moins que dans son état ordinaire de mercure coulant. On ignore absolument quelle espece d'altération éprouve le mercure fixé per se.

La théorie de la fixation manque absolument à l'art, aussi-bien que celle de la fixité & de la volatilité. Les explications méchaniques sont ici éminemment en défaut ; voyez ce que nous avons dit de celle de Boyle, article CHIMIE, ch. j. p. 416. (b).


FIXEadj. (Astronom.) On se sert de ce mot en Astronomie, pour distinguer les étoiles qui n'ont aucun mouvement propre, d'avec les étoiles errantes ; on nomme celles-ci planetes, & les autres, étoiles fixes, ou simplement fixes, en prenant alors le mot fixe substantivement. Voyez ETOILE, PLANETE, &c. (O)


FIXERv. act. (Gramm.) C'est un terme relatif au mouvement ; il se prend au simple & au figuré : on fixe un corps dans un endroit, quand on l'y rend immobile : on fixe une coquette, quand on rassemble sur soi tout ce qu'elle partageoit entre plusieurs personnes.


FIXITÉS. f. (Astronom.) Quelques auteurs ont employé ce mot, qui est commode, pour désigner la propriété qu'ont des étoiles fixes, de n'avoir aucun mouvement propre. Il est à souhaiter que ce mot fasse fortune. Celui d'immobilité rend bien à-peu-près la même idée, mais moins exactement & moins rigoureusement.


FLABELLATIONS. f. terme de Chirurgie, dont Ambroise Paré s'est servi pour exprimer le renouvellement de l'air sous un membre fracturé, ou son rafraîchissement, que l'on procure en changeant la partie de place, ou en la soûlevant quelquefois, dans la crainte qu'elle ne s'échauffe & qu'il ne survienne inflammation. Ce mot vient de flabellum, qui signifie éventail, ou souffle & agitation de l'air.

La cure universelle des fractures comprend trois intentions principales ; la premiere, de réduire les pieces d'os dans leur état naturel ; la seconde, de les maintenir dans cet état (voyez FRACTURE) ; & la troisieme consiste à prévenir les accidens, & à y remédier, s'ils surviennent.

Le plus commun de ces accidens, même dans les fractures les plus simples, est le prurit ou demangeaison ; il est quelquefois insupportable par la douleur qu'il cause, laquelle est bientôt suivie d'inflammation & d'ulcération, si l'on n'y remédie. On préviendroit cet accident, si l'on avoit pris le soin de bien laver la partie avec de l'eau ou du vin tiede, avant l'application du premier appareil. J'ai remarqué que le prurit, & les accidens qui en résultent, étoient plus fréquens dans les hôpitaux qu'ailleurs, & qu'il étoit presque toûjours causé par la malpropreté précédente. La compression des membres, les matieres transpirables retenues & échauffées, forment avec la crasse une acrimonie qui enflamme & ulcere la partie ; c'est pourquoi Paré dit qu'il faut, dans ce cas, lever l'appareil de trois en trois jours, pour donner de l'air à la partie, & faciliter la transpiration. Il prescrit la fomentation faite avec une décoction de sauge, de camomille, de mélilot, de roses, & semblables, bouillis dans de l'eau & dans du vin. S'il s'étoit formé des vésicules ou phlictaines, il faudroit les couper, & appliquer dessus quelqu'onguent rafraîchissant & dessicatif, comme l'onguent blanc de rhasis camphré. " Le chirurgien doit pareillement prendre garde, dit Ambroise Paré, que la partie blessée ait souvent une flabellation, afin qu'elle n'acquiere inflammation. La flabellation se fera en la changeant de place, & la soûlevant par fois. Tel précepte n'est seulement à noter pour les fractures, mais aussi pour toutes parties blessées & ulcerées ". (Y)


FLACCIDITÉS. f. se dit, en Medecine, de l'état des fibres relâchées qui ont perdu leur ressort. Ce terme peut être regardé comme synonyme de laxité, & peut même être employé pour signifier ce dernier vice porté à son plus grand excès. Voyez FIBRE (Pathol.), DEBILITE. (d)

FLACCIDITE se dit aussi de l'état du membre viril qui n'est pas en érection. Lorsque cet état est habituel, qu'il n'est pas susceptible de changer, que la nature ni l'art ne peuvent pas exciter la disposition opposée à la flaccidité, celle-ci est regardée comme le signe pathognomonique de l'espece d'impuissance qu'on appelle frigidité. C'est en parlant de cette indisposition que Juvenal, sat. x. dit :

... Jacet exiguus cum ramice nervus,

Et quamvis totâ palpetur nocte, jacebit.

Voyez IMPUISSANCE. (d)


FLAGELLANSS. m. pl. (Hist. mod.) nom qui fut donné dans le treizieme siecle à certains pénitens qui faisoient profession de se discipliner en public aux yeux de tout le monde.

Les auteurs s'accordent assez à mettre le commencement de la secte des Flagellans vers l'an 1260, & la premiere scene à Pérouse. Un certain Rainier, dominicain, touché des maux de l'Italie déchirée par les factions des Guelphes & des Gibelins, imagina cette sorte de pénitence pour desarmer la colere de Dieu. Les sectateurs de ce dominicain alloient en procession de ville en ville & de village en village, le corps nud depuis la ceinture jusqu'à la tête, qui étoit couverte d'une espece de capuchon. Ils portoient une croix d'une main, & de l'autre un foüet composé de cordes noüeuses & semées de pointes, dont ils se foüettoient avec tant de rigueur, que le sang découloit sur leurs épaules. Cette troupe de gens étoit précédée de plusieurs prêtres, montrant tous l'exemple d'une flagellation qui n'étoit que trop bien imitée.

Cependant la fougue de ce zele insensé commençoit à tomber entierement, quand la peste qui parut en 1348, & qui emporta une prodigieuse quantité de personnes, réveilla la piété, & fit renaître avec violence le fanatisme des Flagellans, qui pour lors passa de la folie jusqu'au brigandage, & se répandit dans presque toute l'Europe. Ceux-ci faisoient profession de se foüetter deux fois le jour & une fois chaque nuit ; après quoi ils se prosternoient en terre en forme de croix, & crioient miséricorde. Ils prétendoient que leurs flagellations unissoient si bien leur sang à celui de Jesus-Christ, qu'au bout de 34 jours ils gagnoient le pardon de tous leurs péchés, sans qu'ils eussent besoin de bonnes oeuvres, ni de s'approcher des sacremens. Ils se porterent enfin à exciter des séditions, des meurtres & des pillages.

Le roi Philippe de Valois empêcha cette secte de s'établir en France ; Gerson écrivit contre, & Clément VI. défendit expressément toutes flagellations publiques : en un mot, les princes par leurs édits, & les prélats par leurs censures, tâcherent de réprimer cette dangereuse & criminelle manie. Voyez Sigonius, liv. XIX. de regno ital. Sponde, annal. ecclés. A. C. 1260, 1349 ; le continuateur de Guillaume de Nangis, &c.

Tout le monde connoît aussi l'histoire latine des Flagellans, historia Flagellantium, imprimée à Paris en 1700, & composée par Jacques Boileau, chanoine de la Sainte-chapelle, mort en 1716. Si ce docteur de Sorbonne ne s'étoit attaché qu'à condamner la secte des Flagellans, & même à justifier que l'usage de la discipline particuliere s'est établi dans le xj. siecle, ou du moins qu'elle n'étoit pas connue dans les siecles antérieurs, excepté pour punir les moines qui avoient péché, on pourroit embrasser ou défendre son opinion ; mais on doit justement blâmer les descriptions trop libres semées dans son ouvrage, qui ne convenoient point à son caractere, & qui ne peuvent produire aucun bon effet.

Au reste on voit encore en Italie, à Avignon, & dans plusieurs lieux de la Provence, des ordres de pénitens qui sont obligés par leurs instituts de se foüetter en public ou en particulier, & qui croyent honorer la divinité en exerçant sur eux-mêmes une sorte de barbarie ; fanatisme pareil à celui de quelques prêtres parmi les Gentils, qui se déchiroient le corps pour se rendre les dieux favorables. Il faut espérer que l'esprit de philosophie & de raison qui regne dans ce siecle, pourra contribuer à détruire les restes d'une triste manie, qui loin d'être agréable à Dieu, fait injure à sa bonté, à sa sagesse, à toutes ses perfections, & deshonore l'humanité. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FLAGELLATIONS. f. (Hist. anc.) punition par le foüet. Elle fut en usage chez les Juifs. On l'encouroit facilement, elle ne deshonoroit pas. On la subissoit dans la synagogue. Le pénitent étoit attaché à un pilier, les épaules nues. La loi ordonnoit quarante coups, que l'on réduisoit à treize coups d'un foüet à trois courroies. Le pénitent étoit censé recevoir trois coups à-la-fois, & on lui faisoit grace du quarantieme coup, ou du quatorzieme. On aimoit mieux qu'il eût un coup de moins que deux coups de trop. Il falloit à cette espece de discipline la présence de trois juges : l'un lisoit les paroles de la loi ; le second comptoit les coups ; le troisieme encourageoit l'exécuteur, qui étoit communément le prêtre de la semaine.

La flagellation fut aussi commune chez les Grecs & les Romains. C'étoit un supplice plus cruel que la fustigation. On flagelloit d'abord ceux qui devoient être crucifiés ; mais on ne crucifioit pas tous ceux qui étoient flagellés. On attachoit à une colonne dans les palais de la justice, ou l'on promenoit dans les cirques, les patiens qui étoient condamnés à la flagellation. Il étoit plus honteux d'être flagellé que battu de verges. Les foüets étoient quelquefois armés d'os de piés de mouton ; alors le patient expiroit communément sous les coups. On appelloit ces foüets, flagella talaria.

FLAGELLATION, (Hist. ecclés. & Philos.) peine du foüet ou de la discipline que se donnent ou que se donnoient autrefois des pénitens. Voyez DISCIPLINE & FLAGELLANS.

On trouve dès l'an 508 la flagellation établie comme peine contre les religieuses indociles, dans une regle donnée par S. Césaire d'Arles. Depuis ce tems elle a été établie comme peine dans plusieurs autres regles monastiques ; mais on ne voit pas d'exemples de la flagellation volontaire avant le xj. siecle : les premiers sont de S. Gui, abbé de Pomposie, mort en 1040 ; & de S. Poppon, abbé de Stavelles, mort en 1048. Les moines du Mont-Cassin avoient embrassé cette pratique avec le jeûne du vendredi, à l'exemple de Pierre Damien. A leur exemple cette dévotion s'étendit beaucoup ; mais comme elle trouva quelques opposans (ce qui n'est pas difficile à croire), Pierre Damien écrivit en sa faveur. M. Fleury, dans son histoire de l'Eglise, nous a donné l'extrait de l'écrit de ce pieux auteur ; écrit dans lequel, selon la remarque de M. Fleury lui-même, il ne faut pas chercher la justesse du raisonnement.

Celui qui s'est le plus distingué dans la flagellation volontaire, a été S. Dominique l'Encuirassé, ainsi nommé d'une chemise de mailles qu'il portoit toûjours, & qu'il n'ôtoit que pour se flageller à toute outrance. On ne sera pas étonné de ce qu'ajoute M. Fleury, que sa peau étoit devenue noire comme celle d'un negre. Ce bienheureux se foüettoit non-seulement pour lui, mais pour les autres. On croyoit alors que vingt pseautiers récités en se donnant la discipline, acquittoient cent ans de pénitence ; car trois mille coups valoient un an, & on comptoit mille coups pour dix pseaumes. S. Dominique acquitoit facilement cette dette en six jours ; ainsi en un an il pouvoit, selon son calcul, sauver soixante ames de l'enfer. Mais M. Fleury ne dissimule pas combien on étoit alors dans l'erreur sur ce sujet, & combien toute cette flagellation a contribué au relâchement des moeurs. (O)

Flagellation se dit plus particulierement de la souffrance de J. C. lorsqu'il fut foüetté & flagellé par les Juifs.

Un tableau de la flagellation, ou simplement une flagellation, signifie un tableau ou une estampe qui représente ce tourment du Sauveur du monde. On dit dans ce sens, la flagellation d'un tel peintre.


FLAGEOLETS. m. (Lutherie) Il y a deux sortes de flageolets ; l'un qu'on appelle le flageolet d'oiseau, & l'autre, le flageolet gros : le flageolet d'oiseau est le plus petit ; il est composé de deux parties qui se séparent ; l'une qui est proprement le flageolet, composée de la lumiere & du canal percé de trous, l'autre qui est un porte-vent, formée d'un petit tuyau & d'une cavité assez considérable où l'on enferme une petite éponge qui laisse passer l'air & qui retient l'humidité de l'haleine. Voyez dans nos Planches de Lutherie ce flageolet assemblé, & ses parties séparées. Le gros flageolet ne differe du précédent qu'en ce qu'il n'a point de porte-vent ; qu'il est à bec & tout d'une piece. Voyez aussi nos Planches. Ces flageolets ont l'un & l'autre la même tablature ; & tout ce que nous allons dire leur est commun, excepté que les sons du flageolet d'oiseau sont plus legers, plus délicats, ont moins de corps, & s'écoutent avec plus de plaisir : il est appellé flageolet d'oiseau, parce qu'on s'en servoit pour siffler les serins, les linotes, & autres oiseaux, avant qu'on eût la serinette, qui est moins parfaite, mais qui épargne beaucoup de peine.

Le flageolet a six trous : le second, le troisieme, & le quatrieme & le sixieme sont dessus, du même côté que la lumiere ; le premier & le cinquieme sont dessous, ou du côté opposé à la lumiere : le premier trou & le dernier ont deux caracteres ; le premier peut être considéré comme le dernier, en passant de l'aigu au grave ; & le dernier peut être considéré comme le premier en passant du grave à l'aigu.

Quand les six trous sont bouchés, la main gauche bouche le premier, le second, & le troisieme ; & la main droite le quatrieme, le cinquieme, & le sixieme.

Le pouce de la main gauche bouche le premier, l'index le second, & le doigt du milieu le troisieme ; le pouce de la main gauche bouche le cinquieme, l'index le quatrieme, & le doigt du milieu le sixieme.

Il y en a d'autres qui y font servir les quatre premiers doigts de la main gauche, le pouce, & les trois suivans, & les trois premiers de la main droite dont ils employent celui du milieu à boucher la patte, quand il en est besoin.

Cet instrument se fait avec l'yvoire, le buis, le prunier, l'ébène, & autres bois durs. Son diapason ne suit ni celui des cordes, ni celui des tuyaux de l'orgue. Voici sa tablature & son étendue communes.


FLAGEOLLERv. n. (Manége, Maréchall.) L'action de flageoller est une sorte de tremblement que l'on apperçoit dans les jambes de l'animal aussi-tôt qu'il s'arrête, & que l'on remarque principalement dans l'avant-bras & dans le genou. Ce tremblement est une preuve de la foiblesse des fibres musculaires & des membres. (e)


FLAGRANT DÉLIT(Jurisprud.) Voyez l'article DELIT.


FLAMBANT(Hist. nat.) Voyez FLAMMANT.

FLAMBANT, adj. en termes de Blason, se dit des paux ondés & aiguisés en forme de flamme.

Bataille en Bourgogne, d'argent à trois pals flambans, ou trois flammes tortillantes de gueules, mouvantes du bas de l'écu vers le chef.

FLAMBART, s. m. terme de Pêche, usité dans le ressort de l'amirauté du Havre ; c'est une sorte de petits bateaux à l'usage des Pêcheurs.


FLAMBEiris, s. f. (Hist. nat. Botan.) genres de plantes dont la fleur est d'une seule piece : cette fleur commence par une espece d'entonnoir qui en s'évasant se divise en six parties, dont trois sont relevées & trois sont rabattues. Le pistil sort du fond de cette fleur surmonté d'un bouquet à trois feuilles ; ces feuilles portent chacune sur une des parties de la fleur qui sont rabattues & forment une espece de gueule. Lorsque cette fleur est passée, le calice devient un fruit oblong qui s'ouvre par la pointe en trois parties ; il est divisé en trois loges qui renferment des semences presque rondes en certaines especes, & plates en quelqu'autres. Ajoûtez aux caracteres de ce genre, que la racine est charnue, oblongue, rampante, & sans aucune enveloppe. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTES. (I)

FLAMBE, GLAYEUL, ou IRIS, (Mat. med.) Voyez IRIS.

FLAMBE, (Hist. nat. Icthiologie) poisson de mer qui a été appellé en grec toenia, & en latin vitta, parce qu'il est long & étroit comme une bande ou un ruban : on lui a donné en Languedoc le nom d'espaze, c'est-à-dire épée, à cause de sa figure, & celui de flambo, parce qu'il est de couleur de feu.

Le toenia d'Aristote est long, mince, & flexible ; sa chair a une couleur blanche, & le même goût que celle de la sole ; la tête est applatie ; les yeux sont grands, & les prunelles petites ; ce poisson a deux nageoires près des oüies, & une troisieme qui s'étend sur le dos depuis la tête jusqu'à la queue ; il y a des poils sur cette nageoire.

Rondelet donne aussi le nom de toenia à un autre poisson de mer qui est fort mince, & long quelquefois de deux ou trois coudées ; il differe du précédent en ce qu'il a deux nageoires rouges au-dessous de la mâchoire inférieure ; les poils de la nageoire du dos, & ceux de la queue, sont de la même couleur rouge ; il a sur le corps cinq taches rouges ; il est blanc, sans écailles ni aiguillons. Hist. des poissons, lib. XI. chap. xvij. & xviij. Voyez POISSON. (I)


FLAMBEAUS. m. sorte de luminaire que l'on fait avec des meches un peu épaisses que l'on couvre de cire, & qui sert à éclairer la nuit dans les rues aux enterremens & aux illuminations, &c.

Les flambeaux sont différens des torches & des cierges. Voyez CIERGE, TORCHE.

Ils ont une figure quarrée ; ils sont quelquefois de cire blanche, plus souvent de cire jaune ; ils sont ordinairement composés de quatre meches d'un pouce d'épais & environ trois piés de long, d'une sorte de chanvre filé & à moitié tors.

Pour les former, on se sert d'une cueillere comme pour les torches & les cierges ; on verse premierement la cire fondue sur le haut des différens bâtons qui sont suspendus, & on laisse couler cette cire jusqu'en bas : cela se répete par deux fois : ensuite on laisse sécher ces bâtons à qui on a donné plusieurs couches de cire ; après on les roule sur une table, & on les joint au nombre de quatre ensemble, en les soudant avec un fer tout rouge. Quand ils sont joints on coule dessus de la cire, jusqu'à ce qu'ils ayent le poids convenable ; c'est ordinairement d'une livre & demie ou deux livres : pour les finir, on se sert d'une sorte de polissoire ou repassoire de bois qu'on promene le long des angles faits par l'union des branches. Voyez BOUGIE.

Les flambeaux des anciens étoient différens des nôtres ; ils étoient de bois, sechés au feu ou autrement : ils y en employoient de différentes sortes ; celui dont on se servoit le plus ordinairement étoit le pin. Pline rapporte que de son tems on employoit aussi à cet usage le chêne, l'orme, & le coudrier. Dans le septieme livre de l'énéide, il est parlé d'un flambeau de pin ; & Servius remarque sur ce passage, que l'on en faisoit aussi de cornouiller. Chambers. Voyez l'article suivant.

FLAMBEAU ; on appelle ainsi, en terme d'Artificier, une espece de brandon de feu fait de pin ou de sapin, ou de quelqu'autre bois semblable, dont les anciens se servoient non-seulement dans leurs maisons, pour leurs propres usages, mais aussi à la guerre, pour mettre le feu aux machines des ennemis, quand ils en étoient assez proches pour pouvoir les lancer avec le bras.

Quoique ces flambeaux ne soient plus d'usage, je ne laisserai pas d'en donner ici la construction.

Faites fondre sur des charbons ardens dans un pot de cuivre, comme seroit un chauderon, ou bien dans un pot de terre vernissé, huit onces de salpetre, avec seize onces ou une livre de soufre, quatre onces de colophone, deux onces de poix noire, une once de cire, & deux onces de térébenthine. Mettez dans cette composition ainsi fondue, du linge bien sec & bien net, ou à son défaut de l'étoupe aussi bien seche & bien nette : tournez ce linge jusqu'à ce qu'il soit bien imbibé de cette liqueur chaude : vous en envelopperez un bâton assez long, avant qu'elle soit refroidie, & vous le lierez fortement avez du fil d'archal, pour que la composition s'y attache mieux. Vous aurez un flambeau, qui étant allumé ne pourra être éteint ni par le vent, ni par la pluie ; il pourra même brûler dans l'eau ; & on ne le peut éteindre qu'en l'étouffant dans du sable ou de la cendre. Chambers.

FLAMBEAU, (Orfévrerie, Chauderonnerie) Nous donnons encore ce nom à de grands chandeliers de table : il y en a d'or, d'argent, de vermeil, de cuivre, &c.


FLAMBERv. n. (Gramm.) c'est donner de la flamme. Voyez l'article FLAMME.

FLAMBER, v. act. & neut. (Art militaire) ce terme s'employe dans l'Artillerie pour exprimer l'action de nettoyer une piece avant de la charger, en faisant brûler de la poudre dedans. (Q)

FLAMBER LE CUIR, terme de Corroyeur, qui signifie le faire passer par-dessus la flamme d'un feu clair, pour lui donner quelque façon. Les Corroyeurs flambent deux fois leurs cuirs sur un feu de paille ; la premiere, afin de les disposer à recevoir le suif ; la seconde, après qu'ils ont reçû le suif, afin de le faire pénétrer davantage. Voyez CORROYER.

FLAMBER UN CHAPEAU, terme de Chapelier, est la même chose que tondre le chapeau. Voyez TONDRE.


FLAMBOYANTEadj. pris subst. en terme d'Artificiers ; c'est une espece de fusée, dont le cartouche est couvert de matiere enflammée, & contigu au feu de la queue, ce qui le fait ressembler à une comete. Voyez l'article FUSEE.


FLAMBURESS. f. (Teinture) taches ou inégalités qui se voyent dans une étoffe, quand elle n'est pas teinte également, ou qu'elle n'a pas été éventée.


FLAMINES. m. (Littérature) en latin flamen, prêtre, sacrificateur chez les Romains, chargé du culte de quelque divinité particuliere.

Les flamines n'étoient que trois au commencement de la fondation de Rome ; celui de Jupiter, flamen dialis ; celui de Mars, flamen martialis ; & celui de Quirinus, flamen quirinalis. Plutarque & Denis d'Halycarnasse prétendent que Numa Pompilius créa seulement le troisieme flamine en faveur de Romulus ; mais Tite-Live assûre que Romulus n'avoit institué que le flamen dialis, & que Numa y ajoûta le martial & le quirinal : Varron parle aussi en nombre pluriel des flamines établis par Numa.

Quoi qu'il en soit, les flamines furent dans la suite multipliés jusqu'à quinze. Comme les trois premiers étoient tirés du sénat, ils avoient un rang & une considération supérieure à celle des autres ; c'est pour cela qu'on les appelloit flamines majeurs. Les douze autres nommés flamines mineurs, étoient ordinairement plébéiens.

Le flamine de Jupiter étoit le plus considérable & le plus respectable de tous les flamines, tant à cause du dieu qu'il servoit, que parce qu'il avoit été institué le premier. Nous en ferons un article à part, ainsi voyez FLAMINE DIALE. On le distinguoit par son bonnet, qui étoit fait de la peau d'une victime blanche immolée à Jupiter.

Le bonnet des autres flamines, qui n'étoit fait que de la peau de brebis ordinaires, se nommoit galerus, & s'attachoit sous le menton avec des cordons, pour l'empêcher de tomber.

Les flamines avoient tous la dénomination du dieu qu'ils servoient. J'ai déjà parlé des trois flamines majeurs : les douze mineurs étoient le flamen carmentalis, ou le prêtre de la déesse Carmenta, dont Cicéron fait mention dans son Brutus ; le flamen falacer, dont Varron dit que son origine est inconnue ; le flamen floralis étoit le prêtre de la déesse Flore. On ignore l'origine du flamen furinalis, du flamen levinalis, du flamen lucinalis, & du flamen palatualis ; cependant on trouve leurs noms dans quelques inscriptions rapportées par Onuphrius. Le flamen pomonalis étoit le prêtre de Pomone ; le flamen virbialis, celui de Virbius, qu'on prétend être le même qu'Hippolite ; le flamen vulcanalis, celui de Vulcain ; le flamen volturnalis, celui du dieu Vulturne.

Quelques auteurs parlent encore du flamen hadrianalis, c'est-à-dire du prêtre d'Hadrien ; du flamen Julii Caesaris, du prêtre de Jules-César ; & du flamen augustalis : on trouve dans les marbres ce dernier flamine en l'honneur d'Auguste, & il lui fut donné de son vivant même, lorsque la flaterie lui éleva des temples & des autels. L'empereur Commode n'eut point de honte de créer pour lui un flamine sous le titre de flamen Herculaneus Commodianus ; mais un tel sacerdoce ne subsista point après la mort d'un prince si justement détesté.

Malgré le même nom que portoient les flamines, ils ne faisoient pas corps ensemble ; chaque flamine n'étoit que pour un dieu ; il ne leur étoit pas permis ; comme à d'autres prêtres, de tenir plusieurs sacerdoces à la fois. L'élection des uns & des autres se faisoit par le peuple dans les comices des curies, au rapport d'Aulu-Gelle ; mais la consécration ou l'inauguration appartenoit au souverain pontife, auquel ils étoient tous subordonnés. L'inauguration veut dire la cérémonie de certains augures qu'on prenoit, lorsqu'on les mettoit en possession de cette dignité. Leurs filles étoient exemptes d'être prises pour vestales, & leurs femmes portoient le nom de leurs maris.

Leur sacerdoce appellé flaminatus, étoit perpétuel ; ils pouvoient cependant être déposés pour certains sujets, dont nous ne sommes pas bien instruits, & cela s'appelloit flaminio abire, être dégradé du ministere de flamine.

Leurs bonnets pointus, surmontés d'une grosse houppe de fil ou de laine, les firent nommer flamines, à filamine, dit Festus, & la même étymologie se trouve dans Varron. Suivant Denis d'Halycarnasse, ces prêtres furent appellés flamines, du nom de leur chapeau, lequel avec les filets, bandes & rubans, s'appelloit proprement flammeum, parce que le tout étoit couleur de feu. Ce chapeau ressembloit à un capuchon, pointu par le haut, ayant deux côtés qui s'attachoient sous le menton par des agraffes, dites offendices ; mais pendant les grandes chaleurs les flamines se couvroient la tête d'un simple filet de laine, parce qu'il ne leur étoit pas permis de paroître en public la tête nue. Voyez sur les flamines, Rosinus, Pitiscus, Struvius, & autres. Article de M(D.J.)

FLAMINE DIALE, flamen dialis. (Hist. rom.) Ce prêtre de Jupiter, le premier, le plus considéré, & le plus respecté de tous les flamines, étoit encore soûmis à certaines lois, qui le distinguoient extrèmement des autres prêtres. Aulu-Gelle (liv. X. ch. xv.) a pris soin de nous conserver ces lois, & elles méritent que nous les rapportions ici à cause de leur singularité.

1°. Il étoit défendu au flamine diale d'aller à cheval : 2°. de voir une armée hors de la ville, ou une armée rangée en bataille ; c'est pour cette raison qu'il n'étoit jamais élû consul dans les tems où les consuls commandoient les armées : 3°. il ne lui étoit jamais permis de jurer : 4°. il ne pouvoit se servir que d'une sorte d'anneau, percé d'une certaine maniere : 5°. il n'étoit permis à personne d'emprunter du feu de la maison de ce flamine, hors le feu sacré : 6°. si quelque homme lié ou garroté entroit chez lui, il falloit d'abord lui ôter les liens, le faire monter par la cour intérieure de la maison, jusque sur les tuiles, & le jetter du toît dans la rue : 7°. il ne pouvoit avoir aucun noeud ni à son bonnet sacerdotal, ni à sa ceinture, ni autre part : 8°. si quelqu'un qu'on menoit foüetter, se jettoit à ses piés pour lui demander grace, c'eût été un crime de le foüetter ce jour-là : 9°. il n'y avoit qu'un homme libre qui pût couper les cheveux à ce flamine : 10°. il ne lui étoit pas permis de toucher ni chevre, ni chair crue, ni lierre, ni feve, ni même de proférer le nom d'aucune de ces choses : 11°. il lui étoit défendu de tailler les branches de vigne qui s'élevoient trop haut : 12°. il ne pouvoit coucher trois nuits de suite dans un autre lit que le sien, & pour lors il n'étoit permis à aucun autre de coucher dans ce lit, au pié duquel il ne falloit mettre ni coffre, ni fer, ni aucunes hardes : 13°. ce qu'on coupoit de ses ongles ou de ses cheveux, devoit être enterré sous un chêne verd : 14°. tout jour étoit jour de fête pour le flamine diale : 15°. il lui étoit défendu de sortir à l'air sans son bonnet sacerdotal, il pouvoit cependant le quitter dans sa maison pour sa commodité ; mais cette grace lui a été accordée depuis peu, dit Sabinus, par les pontifes qui l'ont encore dispensé de quelqu'autres cérémonies : 16°. il ne lui étoit pas permis de toucher de la farine levée : 17°. il ne pouvoit ôter sa tunique intérieure qu'en un lieu couvert, de peur qu'il ne parût nud sous le ciel, & comme sous les yeux de Jupiter : 18°. dans les festins, personne n'avoit séance au-dessus du flamine diale, hormis le roi sacrificateur : 19°. si sa femme venoit à mourir, il perdoit sa dignité de flamine : 20°. il ne pouvoit faire divorce avec sa femme ; il n'y avoit que la mort qui les séparât : 21°. il lui étoit défendu d'entrer dans un lieu où il y avoit un bucher destiné à brûler les morts : 22°. il lui étoit pareillement défendu de toucher aux morts ; il pouvoit pourtant assister à un convoi....

Voici les paroles du préteur, qui contiennent un édit perpétuel. " Je n'obligerai jamais le flamine diale à jurer dans ma jurisdiction ". Enfin le flamine diale avoit seul droit de porter l'albogalérus ou le bonnet blanc, terminé en pointe, soit parce que ce bonnet est le plus grand de tous, soit parce qu'il n'appartient qu'à ce prêtre d'immoler à Jupiter une victime blanche, dit Varron, liv. II. des choses divines. Dictionn. de Mythol. Article de M(D.J.)

FLAMINE, (LA) s. f. (Littérat.) Les flamines ou flaminiques, en latin flaminae, flaminicae, étoient des prêtresses particulieres de quelque divinité, ou simplement les femmes des flamines ; car ce mot se trouve pris dans ces deux sens différens, sur d'anciens marbres cités par Gruter, pag. 303. n°. 3. & pag. 459. n°. 9.

Les flaminiques qui n'étoient pas prêtresses particulieres, avoient l'ornement de tête & le surnom de leur maris ; cependant la femme du flamine diale, ou du prêtre de Jupiter, étoit la flamine par excellence : elle s'habilloit de couleur de flamme, & portoit sur ses habits l'image de la foudre de même couleur, & dans sa coëffure un rameau de chêne verd ; mais lorsqu'elle alloit aux orgies, elle ne devoit point orner sa tête ni peigner ses cheveux. Il lui étoit défendu d'avoir des souliers de bête morte, qui n'eût pas été tuée : il ne lui étoit pas permis de monter des échelles plus hautes que de trois échelons. Le divorce lui étoit interdit, & son sacerdoce cessoit par la mort de son époux ; enfin elle étoit astreinte, dit Aulu-Gelle, aux mêmes observances que son mari. Voyez donc FLAMINE DIALE. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FLAMMANTS. m. phaenicopterus, (Hist. nat. Ornitholog.) Pl. X. fig. 1. Oiseau très-remarquable par la hauteur des jambes & la petitesse des piés & de la queue, & par la forme du bec qui est recourbé à-peu-près comme le manche d'une charrue, c'est pourquoi on l'a appellé becharu. Il a aux aîles des plumes rouges, dont la couleur est éclatante lorsqu'elles sont étendues au soleil, & que les rayons passent au-travers de la partie membraneuse & transparente, qui est au haut de l'oeil où sont les plumes rouges ; c'est à cause de ce rouge couleur de feu, que l'on a donné à cet oiseau le nom de phaenicoptere, flambant, flammant & flaman. Celui dont la description a été rapportée par M. Perrault, dans les mémoires de l'académie royale des Sciences, avoit cinq piés & demi de long, depuis le bout du bec jusqu'à l'extrémité des piés ; la longueur du cou étoit d'un pié neuf pouces, & celle du bec de quatre pouces, sur un pouce & demi de largeur dans le milieu : cet oiseau avoit des plumes de trois couleurs ; celles de la tête, du cou, du ventre, des cuisses, & de la queue, étoient blanches ; il en avoit de noires à l'extrémité des aîles ; celles du haut étoient mêlées de blanc & de rouge clair, tirant sur la couleur de rose. Il avoit sur la tête & sur le cou des plumes courtes ; celles du ventre & des côtés étoient larges, dures, & longues de trois ou quatre pouces : il avoit la queue si courte, que les plumes des côtés du ventre étoient plus longues que celles de la queue. Le haut de la jambe étoit charnu, & garni de plumes seulement sur près du quart de la longueur de la jambe proprement dite ; tout le reste des jambes & des piés avoit une couleur rougeâtre, & étoit recouvert d'écailles en lames ; il y avoit des membranes entre les doigts qui étoient fort courts, & sur-tout celui de derriere, en comparaison de la hauteur de l'oiseau, le plus long des trois doigts de devant n'avoit pas cinq pouces ; les ongles étoient larges. Ce flammant avoit le bec gros, & d'une figure fort extraordinaire ; car les deux pieces étoient crochues, plus grosses dans le milieu que vers la base & l'extrémité, & courbée en dessous, de façon que cette courbure formoit un angle au lieu d'être arrondie ; le bec avoit une couleur rouge pâle, excepté à l'extrémité qui étoit noire ; il y avoit sur les bords de la piece du dessus, de petits crochets longs, menus & mobiles, & sur la piece de dessous, de petites hachures en-travers ; cette piece étoit aussi grosse que l'autre, fort épaisse, & creusée en gouttiere ; il y avoit une grosse langue dans cette gouttiere, qui n'étoit ouverte par-dessus que de trois lignes ; mais les rebords qui entouroient la langue, avoient chacun plus de six lignes de largeur ; les yeux étoient très-petits & très-rouges. Mémoires de l'académie royale des Sciences, tome III. part. III. Le flammant est un oiseau aquatique, qui vit de poisson : il en vient en hyver sur les côtes de Provence & de Languedoc : il y en a aussi en Amérique. Voy. OISEAU. (I)


FLAMMES. f. (Physiq. & Chim.) on appelle ainsi ce corps subtil, leger, lumineux, & ardent, qu'on voit s'élever au-dessus de la surface des corps qui brûlent.

La flamme est la partie du feu la plus brillante & la plus subtile ; elle paroît n'être autre chose que les vapeurs ou les parties volatiles des matieres combustibles extrèmement raréfiées, & ensuite enflammées ou échauffées jusqu'à être ardentes : la matiere devient si legere par cette raréfaction, qu'elle s'éleve dans l'air avec beaucoup de vîtesse ; elle est rassemblée, pendant quelque tems, par la pression de l'atmosphere environnante ; l'air formant autour de la flamme une espece de voûte ou de calotte sphérique, médiocrement résistante, empêche qu'elle ne s'étende & qu'elle ne se dissipe, sans s'opposer néanmoins à cette espece de raréfaction oscillante, qui est essentielle à la flamme. Cette propriété de l'air de l'atmosphere est unique à cet égard ; la flamme ne sauroit subsister dans un milieu plus dense, tout autre corps qui l'entoure la suffoque ; tous les corps pulvérulens, mous & liquides, & même les plus combustibles jettés en masse sur un corps enflammé, éteignent la flamme de la même maniere qu'un corps solide qui supprime l'abord libre de l'air. La flamme ne subsiste pas non plus dans un air rare, encore moins dans le vuide parfait.

Les mouffetes & toutes les vapeurs qui détruisent l'élasticité de l'air, éteignent aussi la flamme. Voyez EXHALAISON.

Quant aux parties aqueuses & terreuses qui sont incombustibles de leur nature, elles se raréfient seulement & s'élevent dans l'air sans s'enflammer. Voyez FUMEE & SUIE.

La flamme est donc formée par les parties volatiles du corps brûlant, lorsqu'elles sont pénétrées d'une quantité de feu considérable ; elle ne differe de la fumée que par cette quantité de feu qu'elle contient : aussi quand un feu fume beaucoup, on lui fait prendre flamme en un instant, en ajoûtant un petit corps enflammé.

Le feu follet est une vapeur qui brille sans chaleur ; il semble qu'il y a la même différence entre cette vapeur & la flamme, qu'entre du bois pourri qui luit sans chaleur, & des charbons ardens. Lorsqu'on distille des esprits ardens, si l'on ôte le chapiteau de l'alembic, la vapeur qui s'éleve prendra feu à l'approche d'une chandelle allumée, & se changera en flamme. Il y a des corps qui sont échauffés par le mouvement, ou par la fermentation : si la chaleur parvient à un degré considérable, ces corps exhalent quantité de fumée ; & si la chaleur est assez violente, cette fumée se changera en flamme. Les substances métalliques embrasées ou rougies au feu, soit par la fusion, soit sans être fondues, ne jettent point de flamme faute de fumée ; le zinc est excepté à cet égard, ce demi-métal donne de la flamme combustible.

Stahl a observé & bien prouvé que l'eau contribuoit essentiellement à la production de la flamme, & que les corps qui ne renfermoient point d'eau, étoient incapables de donner de la flamme à quelque feu qu'on les exposât, à moins qu'ils ne fussent propres à attirer de l'eau de l'atmosphere, & qu'on ne portât sur ces corps embrasés une certaine quantité d'eau convenablement divisée. Deux substances seulement, savoir le charbon & le zinc, donnent de la flamme en tirant de l'eau du dehors. Voyez CHARBON, ZINC, CALCINATION ; voyez les trecenta de Stahl, §. 81. & seq. M. Pott a établi la même vérité par de nouvelles expériences, & de nouvelles considérations, dans son excellente dissertation sur le feu & sur la lumiere, qui a été traduite en françois & imprimée avec la Lithogéognosie du même auteur.

Chaque flamme a son atmosphere, dont les parties sont surtout aqueuses, & repoussées du milieu de la flamme en-haut par l'action du feu : aussi cette atmosphere s'étend d'autant plus autour de la flamme, que la nourriture du feu est plus aqueuse ; & la flamme même en ce cas a plus de diametre. Cette atmosphere se remarque sur-tout lorsqu'on fait ensorte qu'on puisse appercevoir l'image de la flamme sur une muraille blanche. La flamme, quand elle est libre, prend la forme d'un cone ; mais si on l'enferme dans un anneau ou corps cylindrique, elle prend alors une figure plus oblongue.

La raison pour laquelle la flamme paroît bleue & ronde vers la base, selon M. Musschenbroeck, que nous abrégeons dans cet article, c'est que les parties huileuses inférieures étant moins chaudes que les autres, se raréfient moins & sont chassées plus foiblement, & que la grandeur du volume des parties du suif est cause qu'il ne passe à-travers ces parties non encore rarefiées, que des rayons bleus. La plus grande chaleur de la flamme est à son milieu, parce que c'est l'endroit où les parties ignées ont le plus d'action ; plus bas les parties ne sont pas assez raréfiées ; plus haut elles le sont trop, & elles le sont enfin tant que le feu cesse d'agir à nos yeux sur elles. La flamme échauffe d'autant plus les corps qu'elle est plus pure, & contient moins de matieres visqueuses & hétérogenes, qui peuvent se placer entr'elles & les corps, & faire obstacle à son action ; c'est pour cela que la flamme de l'esprit-de-vin échauffe plus qu'aucune autre. Si une flamme se trouve entourée d'une autre flamme, comme celle de l'esprit-de-vin de celle de l'huile, l'intérieure prend la figure sphérique. La flamme a besoin d'air libre pour sa nourriture, mais il ne faut pas que l'air comprime trop le corps brûlant ; car le feu s'éteint plus vîte sous un verre dont on a pompé l'air, ou sous un verre dans lequel on fait entrer de l'air en trop grande quantité. Cette regle n'est cependant pas générale. Il y a des corps qui paroissent n'avoir pas besoin d'air pour brûler, comme le phosphore d'urine mis dans le vuide, ainsi que l'huile de carvi, mêlée dans le vuide à l'esprit de tartre, le minium brûle dans le vuide avec un verre ardent. Mussch. ess. de physiq. §. 986. & suiv. A la suite de ces faits, M. Musschenbroeck tente d'expliquer certains phénomenes communs ; par exemple, pourquoi la flamme s'éteint à un vent violent, & s'augmente à un souffle leger ; pourquoi l'eau dispersée en petites gouttes l'éteint assez promtement, &c. Nous renvoyons à ces explications, qui sont purement conjecturales, & qui à dire vrai ne nous paroissent pas extrèmement satisfaisantes. Nous croyons qu'il seroit plus court & plus vrai de dire, qu'on ignore la cause de ces phénomenes si ordinaires, ainsi que celle de beaucoup d'autres. Voyez FEU, FUMEE, CHALEUR, &c.

Il y a sous la terre des matieres combustibles, qui venant à s'en détacher & à s'élever dans l'air, prennent flamme. Tacite raconte qu'une ville fut brûlée par des flammes de cette espece, sorties du sein de la terre, sans aucun autre accident, comme tremblement, &c. A côté d'une des montagnes de l'Apennin, entre Bologne & Florence, on trouve un terrein assez étendu d'où il sort une haute flamme sans bruit & sans odeur, mais fort chaude ; la pluie la fait disparoître, mais elle renaît ensuite avec plus de force. On connoît aussi les fontaines dont l'eau s'enflamme lorsqu'on en approche un flambeau allumé. Ibid. §. 1490. Voyez FONTAINE, &c.

Tous les corps qui s'enflamment, comme l'huile, le suif, la cire, le bois, le charbon de terre, la poix, le soufre, &c. sont consumés par leur flamme, & se dissipent en une fumée qui d'abord est brillante ; à quelque distance du corps elle cesse de l'être, & continue seulement à être chaude : dès que la flamme est éteinte, la fumée devient fort épaisse, & répand ordinairement une odeur très-forte ; mais dans la flamme elle perd son odeur en brûlant.

Selon la nature de la matiere qu'on brûle, la flamme est de différentes couleurs ; ainsi la flamme du soufre est bleue ; celle du cuivre uni à l'acide du sel marin, est verte ; celle du suif, jaune ; & celle du camfre, blanche. Lorsque la poudre à canon prend feu, elle se dissipe en fumée enflammée. Voyez NITRE.

Il y a un phénomene assez digne de remarque sur la flamme d'une chandelle, d'un flambeau, ou de quelqu'autre chose semblable ; c'est que dans l'obscurité la flamme semble plus grande, lorsqu'on en est à une certaine distance, que quand on en est tout proche : voici la raison que quelques philosophes en apportent. A une distance de six piés, par exemple, l'oeil peut aisément distinguer la flamme d'avec l'air contigu qui en est éclairé, & appercevoir précisément où la flamme est terminée ; mais à un plus grand éloignement, comme à celui de trente piés, quoique l'angle que soûtient la flamme dans ce dernier cas, soit beaucoup plus petit que dans le premier ; cependant comme on ne peut plus distinguer précisément où se termine la flamme, on confond avec elle une partie de l'air environnant qui est éclairé, & on le prend pour la flamme même. Voyez VISION.

Au reste quelle que soit la cause de ce phénomene, il est bon de remarquer qu'il est renfermé entre des limites : car la flamme d'une chandelle ou d'un flambeau ne paroît que comme un point à une très-grande distance, & elle ne semble s'aggrandir que lorsqu'elle est assez près de nous ; après quoi cette même flamme diminue de grandeur à mesure qu'elle s'approche. Il y a donc un point ou un terme où la lumiere paroît occuper le plus grand espace possible ; il ne seroit peut-être pas inutile de fixer ce terme par des expériences, & peut-être cette observation fourniroit-elle des vûes pour en découvrir la véritable cause.

C'est un phénomene fort singulier & fort intéressant, que celui de la production d'une véritable flamme par le mélange de deux liqueurs froides. L'une de ces liqueurs est toûjours l'acide nitreux, soit pur, soit mêlé avec de l'acide vitriolique ; & l'autre une huile, un baume, ou un bitume. La théorie de cette inflammation qui est de notre célebre M. Roüelle, appartient à l'article ACIDE NITREUX. V. NITRE.

Les Chimistes employent la flamme appliquée immédiatement à certains sujets, dans l'opération appellée reverbération. Voyez REVERBERATION.

La flamme déterminée avec art dans des fourneaux convenables, fournit un feu très-violent : c'est par la flamme que s'échauffent le grand reverbere, & le fourneau à raffiner l'argent, ou la coupelle en grand, le fourneau à cuire la porcelaine, la brique, &c. (O) (b)

FLAMME ou FEU VITAL, (Physiol.) c'est une substance ignée très-subtile, que plusieurs anciens & quelques modernes placent dans le coeur des animaux ; ils la regardent comme quelque chose de nécessaire à la vie, ou, pour mieux dire, comme ce qui constitue la vie même. Voyez LIE.

Ils soûtiennent que cette flamme a autant besoin de l'air pour subsister, que notre flamme commune ; d'où ils concluent que la respiration est absolument nécessaire pour conserver la vie des animaux. Voyez AIR, RESPIRATION, ALEUR ANIMALEMALE.

FLAMMES, FLAMMETTES, noms qui ont été donnés à des coquilles du genre des cames. Voyez l'article COQUILLE, tome IV. de cet ouvrage, pag. 189. (I)

FLAMME, (Hist. anc.) dans la milice greque du bas empire, c'étoit un ornement & une marque qui servoit à distinguer les compagnies, les régimens, les bataillons. Voyez PAVILLON, ETENDARD, &c.

Les Grecs l'appelloient phlamoulon ; on la mettoit quelquefois sur le casque, quelquefois sur la cuirasse, & quelquefois au bout d'une pique.

L'empereur Maurice ordonna que les flammes de chaque division fussent d'une couleur particuliere qui les distinguât des autres bataillons, ou des autres brigades.

Quand la flamme n'étoit qu'un ornement, les soldats la quittoient avant le combat, de peur qu'elle ne les embarrassât. Les cavaliers mettoient aussi des flammes sur leurs chevaux, qui servoient à distinguer de quel corps de troupes ils étoient. Chambers.

FLAMME, en Architecture, ornement de sculpture de pierre ou de fer, qui termine les vases & candelabres, & dont on décore quelquefois les colonnes funéraires où il sert d'attribut. (P)

FLAMME, (Marine) c'est une longue banderolle d'étoffe, & ordinairement d'étamine, qu'on arbore aux vergues & aux hunes, soit pour servir d'ornement, soit pour donner un signal.

La flamme est une marque que les officiers qui commandent plusieurs vaisseaux, arborent au grand mât de celui qu'ils montent ; & par l'ordonnance de la Marine de 1689, ils ne doivent la porter que blanche. Le titre ij. du liv. III. de cette ordonnance, dit " que les vice-amiraux, lieutenans-généraux, & chefs d'escadres, qui commanderont moins de 12 vaisseaux, porteront une simple flamme, à moins qu'ils n'ayent permission par écrit de sa majesté, de porter un pavillon ou une cornette.

Lorsque plusieurs chefs d'escadres se trouveront joints ensemble dans une même division ou escadre particuliere, il n'y aura que le plus ancien qui puisse arborer la cornette ; les autres porteront une simple flamme.

Les capitaines commandant plus d'un vaisseau, porteront une flamme blanche au grand mât, qui aura de guindant la moitié de la cornette, & ne pourra être moindre que de dix aunes de battant ".

Dans une flotte de bâtimens marchands, celui qui commande peut porter une flamme blanche au grand mât pendant la route ; mais il est obligé de l'ôter à la vûe d'un vaisseau du roi.

Dans les fêtes & les réjoüissances, tous vaisseaux peuvent se parer de flammes de diverses couleurs, excepté le blanc. (Z)

FLAMME D'ORDRE, (Marine) c'est la flamme que le commandant d'une armée ou d'une escadre fait arborer au haut de la vergue d'artimon : c'est le signal pour avertir les officiers de chaque vaisseau d'aller à l'ordre. (Z)

FLAMME, (Manége & Maréchall.) instrument de maréchallerie, qui n'est proprement qu'une lancette d'acier, courte & large ; elle sort, comme le paleton d'une clé à quelque distance de l'une des deux extrémités d'une tige de même métal, & ne fait avec elle qu'un seul & même tout.

Cette définition suffit pour en indiquer les usages, qui se bornent à l'ouverture des vaisseaux du cheval dans la pratique de la saignée.

Je décrirai quatre especes de flammes. On se sert communément en France de la premiere ; les maréchaux allemands préferent ordinairement la seconde ; & la troisieme & la quatrieme m'a paru la plus commode & la plus convenable à l'opération, à laquelle cette sorte d'instrument est destiné.

Flamme françoise. Elle a pour tige une lame équarrie & bien dressée, dont la longueur est de cinq pouces, la largeur de trois lignes, l'épaisseur de trois quarts de lignes à l'extrémité la plus éloignée de la lancette, & de demi-ligne seulement à celle qui lui est opposée.

L'axe de la lancette s'éleve perpendiculairement sur une des longues faces d'épaisseur de la tige, à neuf ou dix lignes du bout le plus mince. Sa base, qui par les quatre biseaux qui forment les deux tranchans, revient à un losange très-allongé, n'a pour petite diagonale que l'épaisseur de cette tige, & pour grande diagonale environ six ou sept lignes. Cette grande diagonale fait partie de la ligne de foi de la face, sur laquelle s'éleve cette lancette.

Les deux arêtes qui partent des deux bouts de la petite diagonale, sont droites & se réunissent à l'extrémité supérieure de l'axe, pour former une pointe très-aiguë. Les deux tranchans qui partent des deux bouts de la grande diagonale, se réunissent aussi à la même pointe ; mais en suivant l'un & l'autre non une ligne droite, mais une courbe égale & renfermée dans le plan commun de l'axe & de la ligne de foi. Le centre de chacune de ces courbes, qu'on peut rapporter à des arcs de cercles d'un pouce de rayon, se trouve au-delà du tranchant opposé, & à une ligne ou une ligne & demie de distance de la face qui porte la lancette.

On assemble ordinairement trois ou quatre de ces flammes, accordées sur le plat de position, de longueur & de largeur, à cela près que les lancettes sont de diverses grandeurs. On les monte dans une châsse, au moyen d'un seul clou rond qui traverse les tiges près de leur bout le plus éloigné des lancettes, ainsi que les deux feuilles de la châsse sur lesquelles il est rivé. Ces feuilles de cuivre, de fer ou d'autre métal recouvert d'écaille, ou autrement orné, sont profilées sur le profil des tiges, mais elles débordent de quelques lignes le contour des lancettes. Une cloison aussi de métal, regne entre les rives intérieures de ces parties saillantes des feuilles de la châsse ; & par son union avec elle par soûdure ou par rivet, elle forme des deux feuilles un seul tout qui tient lieu de manche à ces flammes, & d'étui à leurs tranchans. Les deux extrémités de cette petite cloison servent de terme aux tiges quand on les pousse dans la châsse, & s'opposent à ce que les pointes ne s'émoussent contre le fond de l'étui. Les bouts des tiges opposés à ceux que le clou traverse, surpassent de trois lignes environ la longueur de la châsse, pour faciliter la prise lorsqu'on veut ouvrir l'une des flammes, c'est-à-dire la tirer de la châsse à l'effet de la mettre en oeuvre ; elles ont même chacune, pour plus de commodité, une encoche en-dessous, que l'ongle peut saisir. Le jeu de chacune d'elles sur le clou commun, est assez indépendant de celui des autres, pourvû que la largeur de la cloison tienne les feuilles de la châsse paralleles entr'elles, & que les tiges qui, comme je l'ai déjà observé, diminuent d'épaisseur à mesure qu'elles approchent de leur bout, soient applanies parallelement autour de l'oeil par lequel le clou les assemble.

Flamme allemande, seconde espece. La lancette proprement dite est moins large par sa base d'une ligne & demie, & plus longue d'environ autant que la lancette de la flamme françoise. Elle est plate d'un côté, elle a deux biseaux de l'autre. Son tranchant antérieur est presque droit à son départ de la tige, mais bien-tôt après il se courbe, & précipite de plus en plus sa courbure, à mesure qu'il approche de la pointe. Le tranchant postérieur est droit, & l'arête qui tient un milieu entre la courbe de l'un & la ligne droite de l'autre, part du milieu de la base & suit à-peu-près un arc de cercle qui auroit pour centre le clou sur lequel se meut la tige. Cette tige a depuis le même clou jusqu'à la lancette, deux pouces & demi, & jusqu'à son extrémité antérieure, trois pouces & demi. Elle est prolongée postérieurement d'un pouce huit ou dix lignes. Son épaisseur d'une ligne & demie subsiste la même dans toute sa longueur ; il en est ainsi de sa largeur, excepté à l'endroit du clou où elle est de quatre lignes ; on y observe un arrondissement formé pour que le trou n'affame pas cette partie. Elle est de plus montée sur une platine quarré-long de cuivre ou d'acier, longue de trois pouces, large de quinze lignes, encloisonnée sur ces deux grands côtés seulement. Elle y est attachée par un clou rond & à tête fendue, entrant à vis dans l'épaisseur de la platine, à deux lignes près de son extrémité postérieure, & dans le milieu de sa largeur, ensorte que le tranchant postérieur de la flamme n'est éloigné que de deux lignes à-peu-près du bord antérieur de cette platine ou de sa cloison. Cette tige se meut librement sur ce clou dans le plan de sa flamme parallele à celui de la platine ; & pour qu'elle ne s'en écarte pas, un guide de fer traverse les deux cloisons à leurs extrémités du côté antérieur, & la renferme entre lui & la platine, sans néanmoins la gêner. Un ressort à coude, attaché par vis à la cloison supérieure, & appuyé contre elle dans toute la longueur d'une de ses branches, porte par le bout de l'autre sur la tige, à huit ou neuf lignes du centre de mouvement, & la chasse avec force contre la cloison inférieure. Sur l'extérieur de la platine, à un pouce près de son extrémité antérieure, & un peu plus près de la rive supérieure que de l'inférieure, s'éleve, de deux ou trois lignes, une chape fixe qui reçoit un levier de la premiere espece, lequel se meut, dans un plan perpendiculaire à la platine & parallele à ses grands côtés, sur une goupille qui le traverse ainsi que les joues de la chape. Le grand bras de ce levier qui atteint presque jusqu'au bord postérieur de la platine, est sans-cesse repoussé loin d'elle par un ressort qui s'étend au-dessous de lui, depuis son extrémité où il est attaché par rivet, jusqu'auprès du pié de la chape où il repose sur la platine. L'autre bras porte près de son extrémité une tige de fer d'une ligne de grosseur, qui traverse la platine par un trou aisé, & qui en outre passe assez l'épaisseur, pour servir d'arrêt à la tige armée, lorsque le levier est dans son repos ; mais dès qu'on presse avec le doigt le grand bras, & qu'on le pousse contre la platine, cette tige d'arrêt se retire & ouvre le passage qu'elle interrompt ; la détente du ressort s'effectue, & la flamme est chassée avec la plus grande impétuosité jusqu'au point où sa tige rencontre la cloison inférieure qui lui sert de terme. Cette méchanique est recouverte par une platine dont les bords taillés en biseaux se glissent dans des rainures entaillées dans les cloisons au long de leurs rives. La boîte en cet état, a environ quatre lignes d'épaisseur. Cet instrument exige absolument un étui que l'on construit ordinairement, de maniere qu'il puisse contenir outre la tige montée, une ou deux autres flammes, pour les substituer au besoin à celle qui est en place.

Flamme allemande, troisieme espece. Cette flamme differe de celle que je viens de décrire ; 1°. en ce que sa tige n'est pas prolongée au-delà du clou, & que ce clou n'est posé qu'à seize lignes de l'extrémité postérieure de la boîte, & à trois lignes de la cloison inférieure. 2°. Le ressort à coude y est posé, de façon que sa branche mobile s'étend tout le long de la tige, depuis le clou jusqu'au-dehors de la boîte, où elle se releve & s'élargit pour favoriser le moyen de la saisir quand on veut l'armer. 3°. Cette flamme a un ressort de plus, nécessaire pour en relever la tige, au moment où l'on arme le grand ressort, & pour l'obliger de le suivre, lorsqu'il cesse de la presser : ce second ressort ne doit avoir de force que ce qu'il en faut pour vaincre le poids & le frottement de la tige. 4°. Enfin la boîte est encloisonnée de trois côtés.

Flamme nouvelle, quatrieme espece. Sur l'intérieur H H H d'un palâtre encloisonné (voyez la figure dans nos Planches de Maréchallerie), glisse en-avant & en-arriere, comme le pêne d'une serrure, le porte-flamme B B dont la ligne de foi répond à celle qui diviseroit le palâtre en deux parties égales suivant sa longueur. Ce porte-flamme est une lame d'acier de quatre pouces de longueur, dressée & équarrie sur six lignes de largeur dans toute son étendue, & sur trois quarts de ligne d'épaisseur en général. Diverses parties tirées de la même piece se montrent sur la face opposée à celle qui glisse contre le palâtre. Tel est un petit quarré G de trois lignes, saillant d'une ligne, dont le centre est sur la ligne de foi à cinq ou six lignes de son extrémité antérieure, & dont les côtés opposés sont paralleles aux rives de la lame dont il fait partie : tel est encore le crochet I, qui s'éleve de trois lignes sur le milieu de cette lame, à un pouce trois quarts de la même extrémité ; tel est enfin le renfort L L, long d'un pouce, qui double l'épaisseur de cette même lame, à commencer à sept lignes au-dessous du crochet. Le quarré C entre juste dans le quarré D, percé au bas de la tige de la flamme, & reçoit en son centre ouvert en écrou, la vis E à tête refendue, large & applanie en-dessous. Cette tête débordant autour du quarré, assujettit la flamme dont l'épaisseur surpasse legerement la saillie du quarré & la fixe inébranlablement au porte-flamme.

La flamme est semblable à celle que j'ai décrite en parlant de la premiere espece, à cela près que l'axe de sa tige ne fait qu'une seule & même ligne droite avec l'axe de la lancette. Cette tige est exactement équarrie sur la même largeur que le porte-flamme, à la ligne de foi duquel son axe doit s'aligner.

Depuis le talon de cette flamme mise en place jusqu'au crochet I, le porte-flamme est divisé en deux jumelles égales, par une ouverture F F de deux lignes & demie de largeur, & de quatorze ou quinze lignes de longueur, dont la ligne de foi est la même que celle du porte-flamme, qu'elle perce de part en part. Ces jumelles sont exactement dressées & paralleles. Un petit quarré, saillant sur le palâtre dont il est partie fixe, remplit juste la largeur de cette ouverture, & sert au porte-flamme dans son chemin, qui peut être de huit lignes en-avant ou en-arriere, de guide, de terme, & en même tems de cramponet, au moyen de la vis K, qui entre dans le centre du quarré fixe G, & dont la tête large, fendue & applanie en-dessous, s'étend sur le plat des deux jumelles. Ce quarré doit être placé sur le palâtre, de telle sorte que le porte-flamme étant à son dernier point d'avancement, les taillans de la flamme se dégagent du palâtre jusqu'à leur naissance. Un autre méchanisme à-peu-près semblable, mais en sens opposé, équivaut à un second cramponet, & en fait l'office. Le palâtre porte lui-même une ouverture q. Cette ouverture est égale & semblable à celle du porte flamme, & sur la même ligne de foi. Elle commence à environ un pouce au-dessous du premier guide G. Un bouton à coulisse ou languette M, ajusté à l'appui du doigt dont l'embase est capable par sa longueur & par sa largeur de recouvrir en tout état l'ouverture du palâtre, s'éleve en quarré sur sa superficie inférieure & plane. Ce quarré a la longueur nécessaire pour traverser d'une part l'épaisseur du palâtre, au moyen de l'ouverture qui lui livre passage, & à la largeur de laquelle il est ajusté, & de l'autre le porte-flamme dont l'épaisseur est doublée en cette partie. Le trou du porte-flamme qui le reçoit, lui est pareillement proportionné. Une vis à tête plate, fendue & noyée, qui entre dans ce quarré, assemble avec le porte-flamme le bouton. Ce bouton par ce même quarré, par la face lisse de son embase, par la face lisse du porte-flamme, & par le parallelisme des joues de l'ouverture, tant par rapport à leur distance que par rapport à leur épaisseur, devient un second guide & un second terme, accordés l'un & l'autre aux premiers, & tient en même tems lieu du second cramponet sans lequel la flamme eût pû se devoyer dans son trajet.

C'est ainsi que le porte-flamme peut se mouvoir, il nous reste à en examiner le moteur.

Deux ressorts à boudin 4. 4. l'un à droite, l'autre à gauche, dont les lames égales entr'elles ont trois lignes de largeur, jusqu'à un pouce & demi près de leur petit bout, cinq pouces de longueur totale, & trois quarts de ligne dans leur plus grande épaisseur, sont fixés au palâtre par vis qui traversent l'empatement duquel chacun d'eux prend naissance, & sont contre-butés près de cette même origine, par des termes inhérens au palâtre. Ils viennent après deux évolutions, croiser & appuyer leur pointe allongée en jonc ou en foüet, sous le crochet I du porte-flamme. Leur effort chasse perpétuellement la flamme enavant. On les arme en retirant en-arriere le bouton M. Ils restent armés au moyen du cliquet S attaché par vis à tige ronde au palâtre, à côté du porte-flamme. Ce cliquet sans-cesse chassé contre le côté de cette piece, par un ressort aussi attaché au palâtre, rencontre dans ce côté un cran T, dans lequel il engage son bec qui ne peut en sortir, & par conséquent abandonner la flamme au jeu des ressorts, si l'on ne presse la détente. Cette détente consiste en une petite tige de fer terminée par un bouton V, laquelle traverse la cloison à angle droit sur la ligne de foi du porte-flamme, & va au-delà de cette même piece s'assembler mobilement, & à-peu-près à angle droit, au bout d'un bras prolongé du cliquet. L'assemblage en est effectué par un clou rond, porté latéralement par ce bras, & reçû dans un oeil qui termine la tige V. Un petit écrou dans lequel s'engage l'extrémité de ce clou contient ensemble ces pieces. Le ressort du cliquet est opposé à la puissance qui sollicite la tige V d'entrer dans la cloison, mais dès que cette puissance peut vaincre le ressort, c'est-à-dire dès qu'on appuye sensiblement le doigt sur le bouton V, le cliquet sort de son cran, & livre la flamme à la détente impétueuse des ressorts.

Le contour du palâtre H H est aussi resserré que le permettent la liberté nécessaire au jeu de ces mêmes ressorts, & la grace de tout ensemble. Une platine assemblée par charniere 5. 5. à la cloison, & fermée par un mentonnet qu'elle porte, & qui s'engage sur un petit ressort à pouce 2, lequel est fixé sur la partie de la cloison opposée à celle qui soûtient la charniere, met ce méchanisme à l'abri de toute insulte dans l'espece de boîte qui résulte du tout. La longueur totale de cette boîte dont la forme a quelque rapport à celle d'une croix plate, est de cinq pouces sur une largeur de trois pouces environ ; son épaisseur est à-peu-près de quatre lignes & demie. La cloison n'est interrompue que pour livrer passage à la flamme. Ce passage est un canal de quelques lignes de longueur, ajusté au corps de cette même flamme, & formé par l'inclinaison en-dedans & en amortissement des quatre parois. Cette inclinaison, quant à la cloison, commence dès l'extrémité des bras de cette espece de croix ; & quant au couvercle ainsi qu'au palâtre, elle ne commence qu'à sept ou huit lignes de l'extrémité qui livre un passage à la flamme ; le porte-flamme s'arrêtant à ce point dans la détente des ressorts, ainsi que la tête de la vis qui lui assujettit la flamme.

Personne n'ignore la maniere dont on se sert de la flamme françoise. Lorsque la pointe en est présentée sur la veine que l'on se propose d'ouvrir, un coup sec du manche du brochoir donné sur la tige à l'endroit où la flamme sort en forme de peloton, la détermine & la chasse dans le vaisseau. Mais l'incertitude fréquente de ce coup, la frayeur qu'excite dans l'animal l'action du bras qui doit frapper, le mouvement auquel il se livre dès qu'il l'apperçoit, mouvement qui s'oppose à l'assujettissement exact de la veine, l'embarras enfin de l'opérateur qui tente de la comprimer avec les doigts de la même main qui se trouve saisie de l'instrument, tout m'engageroit à donner la préférence aux flammes à ressort.

Celles dont on fait communément usage en Allemagne, ont néanmoins leurs inconvéniens. Premierement, outre qu'elles sont pour l'ordinaire construites sans soin, sans proportion & avec la derniere inexactitude, il est difficile de juger exactement du point précis, où la pointe de la flamme s'imprimera. En second lieu, l'appui inévitable de la cloison ou de l'extrémité de la boîte tenue dans un sens vertical par le maréchal contre les parties saillantes du vaisseau qu'on veut percer, l'empêche souvent d'arriver à ceux qui sont profonds. Ajoûtons que sa réaction n'étant contrebalancée que par le poids très-médiocre du total de cet instrument, auquel la main ne peut rien ajoûter de quelque façon qu'elle le saisisse, il peut arriver qu'un cuir d'une dureté même non considérable, lui resiste & s'oppose à son effet, en renvoyant en-arriere la boîte. La flamme nouvelle dont j'ai developpé la construction, n'a été imaginée que pour parer à tous ces défauts. L'opérateur la tient perpendiculairement à la surface du vaisseau ; ainsi quelque caché qu'il soit, la lancette l'atteint toûjours : d'ailleurs le poids plus considérable de cette flamme, sa position dans la ligne de direction, la main & le bras du maréchal qui se trouvent sur cette même ligne, rendent le point d'appui très-sûr, & le recul très-peu sensible, ce qui donne à cet instrument un avantage réel sur tous les autres.

Du reste, je ne sais si celui dont Albucasis fait mention, & que les anciens nommoient fossorium, n'étoit point une petite flamme semblable à la flamme françoise ; on s'en servoit dans la phlébotomie des hommes. Albucasis l'a prescrit pour ouvrir la veine frontale ; elle pénétroit dans le vaisseau au moyen d'un coup leger que le chirurgien donnoit sur l'instrument. On peut même croire qu'on la préféroit au phlebotomus dans l'ouverture des vaisseaux du bras. Le terme de percussion que Rhases & Haly-Abbas, ainsi que l'auteur dont il s'agit, ont employé constamment en parlant de la saignée, peut étayer cette conjecture. Constantin l'Africain s'exprime encore plus clairement à cet égard : ferire, venis feriendis, ne nervus percutiatur, ne os percutias ; & Juvenal lui-même semble faire allusion à cette maniere de saigner : mediam pertundite venam. Voyez l'histoire de la Medecine par Freind.

En Allemagne une flammette à ressort, dont la construction ne differe en aucune maniere de celle des flammes qui sont entre les mains des maréchaux, est préférée aux lancettes dont nos Chirurgiens se servent. (e)

FLAMME, chez les Metteurs en oeuvre, est un morceau d'or formé en flamme & émaillé en rouge, qui entre dans la composition de quelques ordres, ou que l'on met en tête des bagues d'alliance, ou autres de fantaisie.


FLAMMEUM(Histoire anc.) espece de voile dont on couvroit la tête des jeunes filles le jour de leur nôce, pour dérober aux yeux du spectateur les mouvemens de joie qu'un prochain changement d'état pouvoit occasionner dans leurs yeux & sur leur visage. Ce voile, suggéré par la modestie, étoit purpurin. Il étoit à l'usage journalier de la femme des Flamines. Les marchands & teinturiers du flammeum s'appellerent flammearii.


FLANCS. m. (Gramm.) il se dit proprement des parties latérales du ventre d'un animal : on l'a étendu à beaucoup d'autres acceptions. Voyez les articles suivans.

FLANC, en terme de Guerre, se dit par analogie du côté d'un bataillon, d'un escadron ou d'une armée. Voyez AILE.

Attaquer l'ennemi en flanc, c'est le découvrir par le côté, & faire feu dessus. Les ennemis nous prirent en flanc. Il faut couvrir les flancs de l'infanterie par des aîles de cavalerie, ou par quelque ouvrage qui empêche l'ennemi de tomber dessus.

En général, les flancs d'une troupe ou d'une armée en bataille, doivent toûjours être à l'abri des attaques de l'ennemi. Lorsque la situation des lieux les expose à ce danger, il faut y remédier par des corps de troupes capables de les en garantir. M. de Folard veut qu'on employe ses colonnes dans cette circonstance. Voyez ORDRE DE BATAILLE. (Q)

FLANC, en terme de Fortification, est une ligne tirée de l'extrémité de la face d'un ouvrage, vers l'intérieur ou la gorge de cet ouvrage : telle est la ligne FG, Pl. I. de la Fortification, fig. 1.

Le flanc du bastion est la partie qui joint la face à la courtine. Voyez BASTION. Il doit avoir au moins vingt toises, & au plus trente ; mais sa grandeur en général doit se regler par l'étendue des parties qu'il doit défendre, & où l'ennemi peut s'établir pour le battre. Voyez FORTIFICATION. (Q)

FLANC BAS ou PLACE BASSE ; c'est ainsi qu'on appelle dans la Fortification, des especes de flancs que les anciens ingénieurs construisoient parallelement au flanc couvert de leurs places, & au pié de son revêtement. Voyez CAZEMATE. Voyez aussi à la suite du mot FORTIFICATION, la construction du chevalier de Ville, du comte de Pagan, &c.

Les flancs bas servent à augmenter la défense du flanc ; & comme ils sont peu élevés, l'ennemi a peu de prise sur eux, & leur feu rasant lui cause beaucoup d'obstacles dans le passage du fossé. Les tenailles de M. de Vauban peuvent tenir lieu de cette sorte de flanc. Voyez TENAILLE. (Q)

FLANC CONCAVE, (Fortific.) est un flanc couvert qui forme une ligne courbe, dont la convexité est tournée vers le dedans du bastion. Voyez la construction du flanc concave dans le système de M. de Vauban, à la suite du mot Fortification. Quelques auteurs donnent au flanc concave le nom de tour creuse, parce qu'il a la même figure en-dedans le bastion, qu'une partie des tours dont on se servoit anciennement dans la fortification. (Q)

FLANC COUVERT, (Fortific.) est celui dont une partie rentre en-dedans le bastion, laquelle est couverte par l'autre partie vers l'épaule, qui est arrondie ou en épaulement. Voyez ORILLON & EPAULEMENT.

Le flanc est aussi couvert, dans plusieurs constructions, par le prolongement de la face du bastion, arrondie ou en épaulement.

L'avantage du flanc couvert est d'être moins exposé à l'ennemi, & de conserver quelques canons vers l'épaule du bastion, qui servent beaucoup à la défense du fossé & du pié des breches. (Q)

FLANC OBLIQUE ou SECOND FLANC, (Fortific.) c'est, lorsque la ligne de défense est fichante, la partie G E (Pl. I. de Fortific. fig. 4.) de la courtine E F, comprise entre le prolongement D G de la face C D du bastion, & l'angle F du bastion opposé. On appelle cette partie second flanc, parce que les soldats qui y sont placés, découvrent la face C D & le fossé du bastion opposé, comme le flanc, mais cependant d'une maniere beaucoup plus oblique. Voyez FEU DE COURTINE & LIGNE DE DEFENSE.

La plûpart des anciens ingénieurs étoient fort partisans du second flanc ; mais l'expérience a fait remarquer qu'il n'opéroit presque rien d'avantageux dans la défense ; parce que le soldat étant obligé de se placer de côté pour découvrir la face du bastion opposé, n'est pas dans cette situation en état de nuire beaucoup à l'ennemi : aussi M. le comte de Pagan l'a-t-il supprimé dans ses constructions, en quoi il a été imité par M. le maréchal de Vauban.

Ceux qui voudront voir tout ce qu'on peut dire en faveur & contre le second flanc, n'auront qu'à consulter le livre intitulé, nouvelle maniere de fortifier les places, tirée des méthodes du chevalier de Ville, du comte de Pagan, & de M. de Vauban.

L'auteur de cet excellent ouvrage prétend répondre à toutes les objections qu'on a faites contre le second flanc ; qu'on doit l'employer lorsque l'angle flanqué du bastion se trouve fort obtus, & qu'il ne cause aucune diminution sensible au flanc. On peut encore voir dans la troisieme édition de nos élémens de Fortification, les raisons qui peuvent déterminer à s'en procurer ou à les éviter. (Q)

FLANC SIMPLE ou PLAT, (Fortific.) c'est le flanc ordinaire du bastion en ligne droite. Voyez BASTION. (Q)

FLANC DE VAISSEAU, (Marine) c'est la partie qui se présente à la vûe de l'avant à l'arriere, ou de la poupe à la proue.

Etre flanc à flanc, voyez PROLONGER.

FLANCS, (Manége, Marechall.) parties latérales du ventre ou de l'abdomen.

Les flancs comprennent l'espace qui est au-dessous des reins, entre les fausses côtes & les hanches ; ils doivent être pleins, & au niveau des côtes & du ventre. Il est des chevaux dont les flancs sont creux par vice de conformation : alors on observe communément que la derniere des fausses côtes est en eux à une distance considérable des hanches. Souvent aussi ces sortes de chevaux sont plats ; leurs côtes, bien loin de tracer un demi-cercle, sont serrées, elles ont une forme avalée & applatie. Des flancs ainsi retroussés ou coupés, annoncent toûjours que l'animal n'est pas propre à une longue fatigue & à de grands travaux. Les flancs du cheval qui a de l'ardeur, ont ordinairement cette imperfection, parce qu'il mange peu & dissipe beaucoup. Des maladies de longue durée qui jettent l'animal dans une forte de marasme, dont les impressions sont douloureuses, & qui affectent des parties sensibles, le rendent accidentellement très-étroit de boyau : s'il manque entierement de corps, si ses flancs offrent aux yeux une cavité profonde, nous disons que le cheval est cousu. Lorsque d'ailleurs ses côtes sont bien tournées, ses flancs se rétablissent aisément.

On doit attentivement examiner les flancs de tous les chevaux que l'on achete, & principalement ceux des chevaux qui sont vieux, non-seulement en ce qui concerne la conformation de cette partie, mais sur-tout par rapport aux mouvemens des muscles qui concourent à la respiration ; mouvemens qui sont plus vifs, plus précipités & plus altérés, selon les diverses maladies dont l'animal peut être attaqué. Le flanc est altéré, lorsque la dilatation ou la contraction, ou, pour m'expliquer plus clairement, lorsque le soûlevement ou le resserrement de ces mêmes muscles sont plus promts que dans l'état naturel. Si l'animal est âgé, cette altération est à craindre ; s'il est jeune, elle exige de grands ménagemens & un régime particulier : car elle ne peut avoir été occasionnée que par la mauvaise nourriture ou par un grand feu, & un travail excessif & outré. En retranchant l'avoine à l'animal dans ces derniers cas, en le mettant à une diete humectante & rafraîchissante, en lui administrant quelques lavemens émolliens, en lui faisant une legere saignée ; en prescrivant ensuite l'usage du lierre terrestre en poudre, donné chaque matin dans du son à la dose de demi-once, pendant un mois, & même pendant un espace plus considérable de tems, s'il en est besoin, on sera assûré de calmer l'agitation de son flanc.

Le battement en sera beaucoup plus vif, s'il est causé par la fievre. Voyez FIEVRE. L'expiration entrecoupée par une nouvelle inspiration, qui fait appercevoir conséquemment un mouvement redoublé lors de la dilatation des faces latérales de l'abdomen, caractérise la pousse. Voyez POUSSE, &c. (e)

FLANC. Les écrivains donnent aussi ce nom aux deux lignes droites qui se trouvent au milieu des deux côtés de la lettre O, qui sont en effet comme ses deux flancs.

FLANC, (à la Monnoie) Le métal ayant été fondu en lames, & passé par les laminoirs avec un instrument appellé coupoir ou emporte-piece (voyez l'article COUPOIR), on coupe de la lame un morceau rond comme une piece unie au palet, d'une grandeur & d'une épaisseur conséquente à l'empreinte que doit recevoir cette espece de palet, qu'on appelle flanc, pour devenir une monnoie. Ce flanc ou piece unie, avant de passer au balancier, est donnée aux ajusteurs, pour la rendre du poids qu'elle doit avoir ; ensuite on la recuit, on la fait bouillir dans un fluide préparé, &c. enfin elle continue d'être appellée flanc jusqu'à ce qu'on y ait empreint l'effigie, les armes, légendes de tranches ou cordonnet. Voyez COUPER, BLANCHIR.


FLANCONADou FLACONADE, (ESTOCADE DE) Escrime ; c'est une botte de quarte forcée qu'on porte dans le flanc de l'ennemi.

Voici la façon de l'exécuter : 1°. du talon du tranchant pressez le foible de l'épée ennemie : 2°. entrelacez votre lame de façon avec la sienne, que le talon de votre tranchant soit de quarte sur le foible de sa lame, & l'autre partie de votre lame sous son bras ; 3°. de cette position allongez l'estocade, comme il est enseigné pour l'estocade de quarte.

FLANCONADE ou FLACONADE, (Parade de) pour parer la flaconade, il faut faire tout ce qui sera enseigné pour parer en tierce (voyez PARADE EN TIERCE) ; mais remarquez que la position de cette parade est bien différente : car l'épée de l'ennemi, au lieu de se trouver du côté du vrai tranchant, se trouve du côté du faux & au-dedans du bras. Cette parade est appellée dans les salles d'armes, parade de quinte.


FLANCONSancien terme de Monnoyage, étoit ce que l'on appelle aujourd'hui flanc. Voyez FLANC.


FLANDRE(Géog.) grande province des Pays-Bas, trop connue pour nous arrêter à la décrire ; on peut la diviser en Flandre autrichienne & en hollandoise. Elle est entre la mer d'Allemagne, l'Artois, le Hainaut, le Brabant, la Gueldre, la province d'Utrecht, & le comté de Zélande. On entend quelquefois improprement par la Flandre, tous les Pays-Bas catholiques. Voyez sur-tout ce magnifique pays, Buzelin, ann. Gallo-Flandriae ; Guichardin, descript. de Flandre ; Meyer, hist. de Flandre ; Grammaye, antiq. Flandriae ; Longuerue, descript. de la France ; Aubert le Mire, ann. de Flandre, & autres. (D.J.)


FLANELLES. f. (Draper. & Comm.) c'est une espece d'étoffe de laine, claire, peu serrée, qui n'est point piquée ou matelassée, mais qui est fort chaude, composée d'une trame & d'une chaîne, & faite avec un métier de Tisserand à deux pédales, de la même maniere que l'on fabrique la revêche. Voyez REVECHE.

FLANELLES, terme de manufacture de glaces. On appelle flanelles parmi les ouvriers qui mettent les glaces au teint, les pieces d'étoffe de laine, mollettes & peu serrées, à-travers desquelles se filtre le vif-argent qui coule de dessous une glace étamée. Elles servent à purifier ce minéral des ordures qu'il a contractées pendant le peu de tems qu'il a resté sur la feuille d'étain. On les appelle flanelles, parce qu'elles sont assez souvent de cette espece d'étoffe ; ainsi elles portent toûjours ce nom, de quelqu'étoffe qu'on se serve.

On nomme aussi flanelle, l'étoffe qu'on met sur la glace avant de la charger de plomb ou de boulets de canon, quoiqu'on y employe aussi d'autres étoffes, comme du moleton, de la revêche & de la serge. Voyez l'article VERRERIE. Dictionn. de Trév. & de Commerce.


FLANQUES. f. (Blason) se dit d'une piece de blason formée par une ligne en voûte qui part des angles du chef, & se termine à la base de l'écusson. Il porte d'hermine aux deux flanques vertes. Voyez les Planches de Blason.

Les flanques se portent toûjours par paires ou par couples.

Leigh fait deux différentes pieces de la flanque & de la flasque, la premiere est plus courbée que la seconde ; mais Gibbon n'en fait qu'une, qu'il appelle flanque. Chambers.


FLANQUÉterme de Blason, qui se dit des paux, arbres & autres figures qui en ont d'autres à leurs côtés. Aux armoiries de Sicile, les paux d'Aragon sont flanqués de deux aigles.

Pingon en Savoie, d'azur à une fasce d'or, flanquée de deux pointes d'argent appointées vers la fasce.


FLANQUERou l'action de flanquer, v. act. (Fortific.) en général, c'est découvrir, défendre ou battre le côté d'une place, d'un corps, d'un bataillon, &c.

Flanquer une place, c'est disposer un bastion ou un autre ouvrage, de maniere qu'il n'ait aucune partie qui ne puisse être défendue, ou sur laquelle on ne puisse tirer de front ou de côté.

On dit, flanquer une muraille avec des tours. On dit aussi, ce bastion est flanqué par le flanc opposé & par une demi-lune. Cet ouvrage à corne est flanqué par la courtine.

Toute fortification qui n'a qu'une défense de front, est défectueuse : pour la rendre complete , il est nécessaire qu'une partie flanque l'autre ; c'est pourquoi la courtine est toûjours la partie la plus forte d'une place, à cause qu'elle est flanquée par les flancs qui sont à ses extrémités. Voyez DEFENSE. Chambers.

La défense directe est défectueuse, parce que l'épaisseur du parapet ne permet pas au soldat de découvrir le pié du mur qu'il défend, c'est-à-dire le côté extérieur du rempart ; ainsi il arriveroit, si une place n'avoit d'autre défense que la directe, que l'ennemi ayant gagné le pié du revêtement, ne seroit vû d'aucune partie de la fortification, & qu'il pourroit alors travailler tranquillement à la ruiner, soit par les mines ou autrement. Tous les obstacles qu'on pourroit faire, se réduiroient à faire tomber sur l'ennemi des bombes, des grenades, &c. mais il lui seroit aisé d'en éviter l'effet, en appuyant obliquement de longs & forts madriers sur le mur du revêtement, lesquels écarteroient les bombes & les grenades ; ils donneroient une espece de couvert dessous, où l'ennemi seroit en sûreté : d'où l'on voit qu'une place de guerre doit avoir nécessairement son enceinte disposée de maniere qu'il y ait des parties plus avancées les unes que les autres, pour qu'elles puissent se flanquer mutuellement. Ces parties sont les bastions. Voyez BASTION. (Q)


FLASQUESS. f. pl. en termes d'Artillerie, sont deux grosses pieces de bois assemblées par des entretoises qui composent l'affût d'une piece de canon ou d'un mortier, & entre lesquelles la piece ou le mortier sont placés, quand on veut s'en servir en campagne ou dans une place. Voyez AFFUT. (Q)

FLASQUE, branche flasque, (Manége) nous nommons ainsi celles dont le touret se trouve à plus ou moins de distance en-arriere de la ligne droite, qui descendroit de l'oeil du banquet par lequel le mors est suspendu, & toucheroit à la partie du canon qui appuye sur les barres. Voyez MORS. (e)

FLASQUE, (Blason) c'est une piece de Blason, que l'on appelle plus proprement flanque. Voy. FLANQUE.


FLATERvoyez les articles FLATERIE & FLATEUR.

FLATER, v. act. On dit en Peinture qu'un portrait est flaté, lorsque le peintre l'a rendu plus beau que la personne d'après laquelle il est fait. Cette façon d'embellir est toûjours aux dépens de la ressemblance. Il est cependant des peintres qui savent choisir les côtés avantageux d'une tête, c'est-à-dire la tourner & l'éclairer de telle façon, que les défauts se trouvant dans les endroits les moins apparens, deviennent plus supportables. Portrait flaté. Ce peintre flate ses portraits. (R)


FLATERIES. f. (Morale) c'est une profusion de loüanges, fausses ou exagérées, qu'inspire à celui qui les donne, son intérêt personnel. Elle est plus ou moins coupable, basse, puérile, selon ses motifs, son objet, & les circonstances. Elle a pris naissance parmi des hommes, dont les uns avoient besoin de tromper, & les autres d'être trompés. C'est à la cour que l'intérêt prodigue les loüanges les plus outrées aux dispensateurs sans mérite des emplois & des graces : on cherche à leur plaire, en les rassûrant sur des foiblesses dont on seroit desolé de les guérir ; plus ils en ont, plus on les loue, parce qu'on les respecte moins, & qu'on leur connoît plus le besoin d'être loüés. On renonce pour eux à ses propres sentimens, aux priviléges de son rang, à sa volonté, à ses moeurs.

Cette complaisance sans bornes est une flaterie d'action, plus séduisante que les éloges les mieux apprêtés. Il y a une autre flaterie plus fine encore, & souvent employée par des hommes sans force de caractere, qui ont des ames viles & des vûes ambitieuses.

C'est la flaterie d'imitation, qui répand dans une cour les vices & les travers de deux ou trois personnes, & les vices & les travers d'une cour sur toute une nation. Les succès de ces différens genres de flaterie en ont fait un art qu'on cultive sous le nom d'art de plaire : il a ses difficultés, tout le monde n'est pas propre à les vaincre ; & on n'y réussit guere, quand on est né pour servir son prince & sa patrie.

Il s'en faut beaucoup que la flaterie ait toûjours des motifs de fortune, les hommes en place pour objet, & la cour pour asyle. Dans les pays où l'amour des distinctions, sous le nom d'honneur, remue du plus au moins tous les hommes (voy. HONNEUR), les loüanges sont l'aliment de l'amour-propre dans tous les ordres & dans tous les états : on y vit de l'opinion des autres ; tout le monde y est inquiet de sa place dans l'estime des hommes, & cette inquiétude augmente en proportion du peu de mérite & de l'excès de la vanité. On y poursuit la loüange avec fureur, on l'y sollicite avec bassesse ; elle y est donnée sans ménagement, & reçûe sans pudeur. Il y auroit quelquefois de la barbarie à la refuser à des hommes si remplis de leurs prétentions, & si tourmentés de la crainte d'être ridicules, ou de celle d'être ignorés.

Ils veulent paroître, c'est le desir de tous ; ils veulent couvrir d'un voile brillant leurs défauts ou leur nullité : les loüanges leur donnent une apparence passagere dont ils se contentent ; & la constance dans le travail, l'étude de leurs devoirs, l'humanité, ne leur donneroient que du mérite & de la vertu.

La galanterie, ce reste des moeurs de l'ancienne chevalerie, que maintiennent le goût du plaisir & la forme du gouvernement, rend la flaterie indispensable vis-à-vis les femmes ; une adulation continuelle & de feintes soûmissions, leur font oublier leur foiblesse, leur dépendance & leurs devoirs : elles leur deviennent nécessaire ; ce n'est que par la flaterie que nous les rendons contentes de nous & d'elles-mêmes, & que nous obtenons leur appui & leurs suffrages. Voyez GALANTERIE.

De cette multitude de besoins de vanité dans une nation legere ; de la nécessité de plaire par les loüanges, par la complaisance, par l'imitation ; de la petitesse des uns, de la lâcheté des autres, de la fausseté de tous, résulte une flaterie générale, insupportable au bon sens. Elle apprend à mettre une foule de différences dangereuses entre l'exercice des vertus & le savoir-vivre ; elle est un commerce puéril, dans lequel on rend fidelement mauvaise foi pour mauvaise foi, & où tout est bon, hors la vérité. Elle a sa langue, ses usages, ses devoirs même, dont on ne peut s'écarter sans danger, & auxquels on ne peut se soûmettre sans foiblesse.

Des philosophes qui par leur mérite étoient faits pour corriger, ou du moins pour modérer les travers de leurs concitoyens, ont trop souvent encouragé la flaterie par leur exemple ; & ce n'est que dans ce siecle que les premiers des hommes par leurs lumieres ne s'avilissent plus par l'adulation.


FLATEURS. m. (Morale) Le flateur est un homme qui tient, selon Platon, un commerce de plaisir sans honneur ; & selon Théophraste, un commerce honteux qui n'est utile qu'à lui : j'ajoûte qu'il fait un outrage à la vérité ; & pour dire encore plus, qu'il se rend coupable d'une lâche & basse trahison.

L'homme vrai qui tient le milieu entre l'adulateur & le misantrope, est l'ami qui n'écoute avec nous que les principes de la droiture, la liberté du sentiment & du langage. Je sai trop que le flateur, pour mieux séduire, emprunte le nom d'ami, en imite la voix, en usurpe les fonctions, & le contrefait avec tant d'art, que vous le prendriez pour tel : mais ôtez le masque dont il couvre son visage, vous verrez que ce n'est qu'un courtisan fardé, sans pudeur, sans attachement, & qui ne cherche en vous que son propre intérêt.

Le flateur peut employer la séduction des paroles, des actions, des écrits, des gestes, & quelquefois tous ces moyens réunis : aussi Platon distingue-t-il ces quatre especes de flateurs. Cependant Plutarque prétend que Cléopatre trouva le secret de flater Marc-Antoine de plusieurs autres manieres, inconnues aux philosophes de la Grece : mais si l'on y prend garde, toutes les diverses manieres de flater Antoine dont usoit cette reine d'Egypte, & qui sont exposées par l'auteur des vies des hommes illustres, tombent dans quelqu'une des quatre especes établies par Platon.

Le flateur qui use de la séduction n'est pas rare, & elle porte l'homme à loüer les autres, & sur-tout les ministres & les princes qui gouvernent, du bien qu'ils ne font pas. Celui qui flate par des actions, va jusqu'à imiter le mal qu'ils font ; tandis que l'écrivain prostitue sa plume à altérer les faits, & à les présenter sous de fausses couleurs. L'éloquence fertile en traits de ce genre, semble consacrée à flater les passions de ceux qui commandent, à pallier leurs fautes, leurs vices, & leurs crimes mêmes. Enfin les orateurs chrétiens sont entrés quelquefois en société avec les panégyristes profanes, & ont porté la fausseté de l'éloge jusque dans le sanctuaire de vérité.

Après cela il n'est pas étonnant que la flaterie conjointement avec la satyre, ait empoisonné les fastes de l'histoire. Il est vrai que la satyre impose plus que la flaterie aux siecles suivans ; mais les historiens flateurs en tirent parti pour relever le mérite de leurs héros ; & pour déguiser avec plus d'adresse leurs honteuses adulations, ils répandent gratuitement sur la mémoire des morts, tout le venin d'une lâche médisance, parce qu'ils n'ont rien à craindre ni à espérer de ceux qui sont dans le tombeau.

Si les hommes refléchissoient sur l'indignité du principe qui produit la flaterie, & sur la bassesse du flateur, celui-ci deviendroit aussi méprisable qu'il le mérite. Son caractere est de renoncer à la vérité sans scrupule, de ne loüer que les personnes dont il attend quelque bienfait, de leur vendre ses loüanges & de ne songer qu'à ses avantages. Tout flateur vit aux dépens de celui qui l'écoute ; il n'a point de caractere particulier ; il se métamorphose en tout ce que son intérêt demande qu'il soit ; sérieux avec ceux qui le sont, gai avec les personnes enjoüées, mais jamais malheureux avec ceux qui le deviennent ; il ne s'arrête pas à un vain titre ; il adore plus dévotement celui qui a le pouvoir sans le titre, que celui qui a le titre sans le pouvoir ; également bas & lâche, il suit toûjours la fortune, & change toûjours avec elle ; il n'a point de honte de donner à Vatinius les mêmes éloges qu'il accordoit précédemment à Caton ; peu embarrassé de garder aucune regle de justice dans ses jugemens, il loue ou il blâme, suivant que les hommes sont élevés ou abaissés, dans la faveur ou dans la disgrace.

Cependant le monde n'est rempli que de gens qu'il séduit ; parce qu'il n'y a point de maladie de l'esprit plus agréable & plus étendue que l'amour de la flaterie. La vapeur du sommeil ne coule pas plus doucement dans les yeux appesantis & dans les membres fatigués des corps abattus, que les paroles flateuses s'insinuent pour enchanter nos ames. Quand les humeurs du corps sont disposées à recevoir une influence maligne, le mal qui en résulte y cause de grands ravages : ainsi quand l'esprit a quelque penchant à sucer le subtil poison du flateur, toute l'économie raisonnable en est boulversée. Nous commençons les premiers à nous flater ; & alors la flaterie des autres ne sauroit manquer de succès, nous sommes toûjours prêts à l'adopter : de-là vient que les graces que nous répandons sur le flateur, nous sont représentées par le faux miroir de notre amour-propre, comme dûes à cet homme qui sait nous réconcilier agréablement avec nous-mêmes. Vaincus par des insinuations si douces, nous prétons volontiers l'oreille aux artifices qu'on met en usage pour aveugler notre raison, & qui triomphent de nos foiblesses. L'envie de posséder certaines qualités que nous n'avons pas, ou de paroître plus que nous ne sommes, augmente notre affection pour celui qui nous revêt des caracteres qui nous sont étrangers, qui appartiennent à d'autres, & qui nous conviennent peut-être aussi mal que feroient leurs habits.

Lorsque notre vanité n'est pas assez vive pour nous perdre, le flateur ne manque pas de la réveiller, & de nous attribuer adroitement des vertus dont nous avons besoin, & si souvent, que nous croyons enfin les posséder. En un mot le flateur corrompt sans peine notre jugement, empoisonne nos coeurs, enchante notre esprit, & le rend inhabile à découvrir la vérité.

Il y a plus, les hommes viennent promtement vis-à-vis les uns des autres à la même bassesse, où une longue domination conduit insensiblement les peuples asservis ; c'est pour cela que dans les grands états policés, la société civile n'offre guere qu'un commerce de fausseté, où l'on se prodigue mutuellement des loüanges sans sentiment, & même contre sa propre conscience : savoir vivre dans de tels pays, c'est savoir flater, c'est savoir feindre, c'est savoir déguiser ses affections.

Mais le flateur triomphe sur-tout dans les coeurs des monarques. J'ai entendu quelquefois comparer les flateurs aux voleurs de nuit, dont le premier soin est d'éteindre les lumieres, & la comparaison m'a paru juste ; car les flateurs des rois ne manquent jamais d'éloigner de leurs personnes tous les moyens qui pourroient les éclairer : d'ailleurs puisqu'il y a un si petit nombre de gens qui osent représenter la vérité à leurs supérieurs, comment celui-là la connoîtra-t-il, qui n'a point de supérieur au monde ? Pour peu qu'on s'apperçoive qu'il ait un goût dominant, celui de la guerre par exemple, il n'y a personne autour de lui qui ne travaille à fortifier cette rage funeste, & qui n'aime mieux trahir le bien public, que de risquer de déplaire au monarque ambitieux. Carnéades disoit que les enfans des princes n'apprennent de droit fil (c'est une expression de Montagne) qu'à manier des chevaux ; parce qu'en tout autre exercice chacun fléchit sous eux, & leur donne gain de cause : mais un cheval qui n'est ni courtisan ni flateur, jette le fils du roi par terre, comme il feroit le fils d'un palfrenier. Voyez COURTISAN.

Antiochus, au rapport de Tite-Live (liv. XLIX. ch. lxjv. & lxv.), s'étant égaré dans les bois, passa la nuit chez un paysan ; & lui ayant demandé ce qu'on disoit du roi, le paysan lui répondit " que c'étoit un bon prince, mais qu'il se fioit trop à ses favoris, & que la passion de la chasse lui faisoit souvent négliger des choses très-essentielles ". Le lendemain toutes les personnes de la suite d'Antiochus le retrouverent, & l'aborderent avec les témoignages du zele le plus vif, & du respect le plus empressé. Alors reprenant sa pourpre & son diadème : " depuis la premiere fois, leur dit-il, que je vous ai quittés, on ne m'a parlé qu'hier sincerement sur moi-même ". On croira bien qu'il le sentoit ; & peut-être n'y a-t-il eu qu'un Sully dans le monde qui ait osé dire à son maître la vérité, lorsqu'il importoit à Henri IV. de la connoître.

La flaterie se trouvera toûjours venir des inférieurs aux supérieurs : ce n'est qu'avec l'égalité, & avec la liberté source de l'égalité, qu'elle ne peut subsister. La dépendance la fait naître : les captifs l'employent pour leurs geoliers, comme les sujets pour leurs souverains, dit une femme d'esprit dans les mémoires de sa vie si bien écrits par elle-même, & tout récemment mis au jour. Mémoires de madame de Staal, Paris, 1755, 3 vol. in -8°.

Les esclaves, dit Démosthene, les lâches flateurs voilà ceux qui ont vendu à Philippe notre liberté & qui la vendent encore maintenant à Alexandre ; ce sont eux qui ont détruit parmi nous cette regle, où les anciens Grecs faisoient consister toute leur félicité, de ne point connoître de supérieur, de ne souffrir point de maître. Orat. de coronâ. Aussi l'adulation prend-elle son accroissement & ses forces, à proportion de la dépendance & de la servitude : adulationi foedum crimen servitutis inest. Les Samiens ordonnerent par un decret public, que les fêtes qu'ils célébroient en l'honneur de Junon, & qui portoient le nom de cette déesse, seroient appellées les fêtes de Lysandre. Adrien ayant perdu son mignon Antinoüs, desira qu'on lui bâtît des temples & des autels ; ce qui fut exécuté avec tout le dévouement qu'on pouvoit attendre d'une nation accoûtumée depuis long-tems aux plus honteuses bassesses.

Enfin la flaterie monte à son dernier période sous les tyrans, quand la liberté est perdue ; & avec la perte de la liberté, celle de la honte & de l'honneur. Tacite peint énergiquement les malheurs de sa patrie, lorsque parlant de Séjan, qui dans son administration avoit été la principale idole des Romains, il met ces paroles dans la bouche de Térentius : " Nous avons adoré les esclaves qu'il avoit affranchis ; nous avons vendu nos éloges à ses valets, & nous avons regardé comme un honneur de parler à ses concierges ".

On sait le trait de flaterie impudente, & si l'on veut ingénieuse, de Vitellius à Caligula. Ce Vitellius étoit un de ses courtisans, quibus principum honesta atque inhonesta laudare mos est, qui louent également toutes les actions de leurs princes, bonnes ou mauvaises. Caligula ayant mis dans sa tête d'être adoré comme un dieu, quoiqu'il ne fût qu'un monstre, pensa qu'il lui étoit permis de débaucher les femmes du premier rang, comme il avoit fait ses propres soeurs. " Parlez Vitellius, lui dit-il un jour, ne m'avez-vous pas vû embrasser Diane ? C'est un mystere, répondit le gouverneur de Syrie ; il n'y a qu'un Dieu tel que votre majesté qui puisse le revéler ".

Les flateurs infames allerent encore plus loin sous le regne de Néron, que les Vitellius sous celui de Caligula : ils devinrent alors des calomniateurs assidus, cruels, & sanguinaires. Les crimes dont ils chargerent le vertueux Thraséa Pétus, étoit de n'avoir point applaudi Néron, ni encouragé les autres à lui applaudir ; de n'avoir pas reconnu Poppée pour une déesse ; de n'avoir jamais voulu condamner à mort les auteurs de quelques vers satyriques contre l'empereur, non qu'il approuvât de tels gens & leurs libelles, ajoûterent ses délateurs, mais parce qu'il appuyoit son avis de ce qu'il lui sembloit qu'on ne pouvoit pas sans une espece de cruauté, punir capitalement une faute contre laquelle les lois avoient prononcé des châtimens plus modérés. Si Néron eût regné dans le goût de Trajan, il auroit méprisé les libelles ; comme les bons princes ne soupçonnent point de fausseté les justes éloges qu'ils méritent, ils n'appréhendent pas la satyre & la calomnie. " Quand je parle de votre humanité, de votre générosité, de votre clémence, & de votre vigilance, disoit Pline à Trajan, je ne crains point que votre majesté s'imagine que je la taxe de nourrir des vices opposés à ces sortes de vertus ".

Il me semble néanmoins, malgré tant de flateurs qui s'étudient à corrompre les rois en tout tems & en tous lieux, que ceux que la providence a élevés au faîte du gouvernement, pourroient se garantir du poison d'une adulation basse & intéressée, en faisant quelques-unes des réflexions que je vais prendre la liberté de leur proposer.

1°. Qu'ils daignent considérer sérieusement qu'il n'y a jamais eu un seul prince dans le monde qui n'ait été flaté, jamais peut-être un seul qui n'ait été gâté par la flaterie. " L'honneur que nous recevons de ceux qui nous craignent (peut se dire un monarque à lui-même) ce n'est pas honneur ; ces respects se donnent à la royauté, non à moi : quel état puis-je faire de l'humble parler & courtoise révérence de celui qui me les doit, vû qu'il n'a pas en son pouvoir de me les refuser ?... Nul me cherche presque pour la seule amitié qui soit entre lui & moi ; car il ne sauroit guere coudre d'amitié où il y a si peu de correspondance. Ma hauteur m'a mis hors de proportion ; ils me suivent par contenance, ou plûtôt que moi, ma fortune, pour en accroître la leur : tout ce qu'ils me disent & font, ce n'est que fard, leur liberté étant bridée par la grande puissance que j'ai sur eux. Je ne vois donc rien autour de moi que couvert & masqué.... Le bon roi, le méchant, celui qu'on hait, celui qu'on aime, autant en a l'un que l'autre. De mêmes apparences, de mêmes cérémonies, étoit servi mon prédécesseur, & le sera mon successeur. Montagne. "

2°. Seconde considération contre la flaterie, que je tirerai de l'auteur immortel de Télémaque, l. XIV. C'est aux précepteurs des rois qu'il appartient de leur parler dignement & éloquemment. Ne voyez-vous pas, dit le sage Mentor à Idomenée, que les princes gâtés par l'adulation, trouvent sec & austere tout ce qui est libre & ingénu ? Ils vont même jusqu'à s'imaginer qu'on manque de zele, & qu'on n'aime pas leur autorité, dès qu'on n'a point l'ame servile, & qu'on ne les flate pas dans l'usage le plus injuste de leur puissance : toute parole libre leur paroît hautaine ; ils deviennent si délicats, que tout ce qui n'est point bassesse les blesse & les irrite. Cependant l'austérité de Philoclès ne vaut-elle pas mieux que la flaterie pernicieuse des autres ministres ? Où trouverez-vous un homme sans défaut ? & ce défaut de vous représenter trop hardiment la vérité, n'est-il pas celui que vous devez le moins craindre ? que dis-je ? n'est-ce pas un défaut nécessaire pour corriger les vôtres, & pour vaincre le dégoût de la vérité où la flaterie fait toûjours tomber ? Il vous faut quelqu'un qui vous aime mieux que vous ne savez vous aimer vous-même, qui vous parle vrai, & qui force tous vos retranchemens. Souvenez-vous qu'un prince est trop heureux, quand il naît un seul homme sous son regne avec cette générosité qui est le plus précieux trésor de l'empire, & que la plus grande punition qu'il doit craindre des dieux, est de perdre un tel ami....

Isocrate donnoit de pareils conseils à Nicoclès. Ne prenez pas pour vos favoris des flateurs, & choisissez pour vos ministres ceux qui sont les plus capables de vous aider à bien conduire l'état : comptez sur la fidélité, non de ceux qui louent tout ce que vous dites ou ce que vous faites, mais de ceux qui vous reprennent lorsque vous commettez quelque faute : permettez aux personnes sages & prudentes de vous parler avec hardiesse, afin que quand vous serez dans quelque embarras, vous trouviez des gens qui travaillent à vous en tirer ; ainsi vous saurez bien-tôt discerner les flateurs artificieux, d'avec ceux qui vous servent avec affection.

3°. Pline remarque judicieusement, que les empereurs les plus haïs ont toûjours été les plus flatés ; parce que, dit-il, la dissimulation est plus ingénieuse & plus artificieuse que la sincérité. C'est une troisieme considération que les princes ne sauroient trop faire.

4°. Ils se préserveront encore infiniment des mauvais effets de l'adulation, en ne se livrant jamais au plaisir de se voir loüer, qu'après s'être assûrés que leurs actions sont dignes d'éloges, & s'être convaincus qu'ils possedent les vertus qu'on leur accorde. L'empereur Julien disoit que pour compter sur les loüanges qu'on donne aux rois, il faudroit que ceux qui les donnent fussent en état de pouvoir blâmer impunément.

5°. Enfin les princes seront fort au-dessus du poison de la flaterie, lorsque contens de reconnoître par des bienfaits les loüanges sensées dont ils tâchent de se rendre dignes, ils auront encore un plus grand empressement, pour profiter des avis qu'on leur donnera, autoriser la liberté qu'on prendra de leur en donner, en mesurer le prix & la récompense par l'équité de ce à quoi on les engagera, & par l'utilité que leurs sujets en retireront. Le prince qui agira de cette maniere, est sans-doute véritablement grand, très-grand, admirable, ou pour me servir de l'expression de Montagne, " il est cinq cent brasses au-dessus des royaumes ; il est lui-même à soi, son empire ".

Si le hasard fait jamais tomber ce Dictionnaire entre les mains de quelque roi, fils de roi, issu de roi, & que leur patience s'étende jusqu'à lire cet article, je les prie d'agréer le zele avec lequel j'ose chercher à les préserver du poison de la flaterie, & prendre en même tems leurs intérêts contre des monstres qui les trahissent, qui les perdent, qui les empêchent de faire le bonheur de leurs peuples, & d'être ici-bas les images de Dieu en lumieres & en droiture ; & pour ce qui regarde les auteurs de tant de maux,

Puisse le juste ciel dignement les payer,

Et puisse leur exemple à jamais effrayer

Ceux qui les imitant par de lâches adresses,

Des princes malheureux nourrissent les foiblesses,

Les poussent au penchant où leur coeur est enclin,

Et leur osent du crime applanir le chemin !

Détestables flateurs, présent le plus funeste

Que puisse faire aux rois la colere céleste.

Racine, dans Phedre.

Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FLATIRv. act. terme d'ancien monnoyage, c'étoit battre un quarreau sur l'enclume ou tas, avec le flatoir ou gros marteau, pour lui donner l'épaisseur que l'on vouloit.

Dans la fabrication des especes au marteau, c'étoit ce que l'on appelloit la cinquieme façon. Le quarreau ayant été flati, se nommoit flanc.


FLATOIRS. m. (à la Monnoie) marteau pesant sept à huit livres, en forme de corne de boeuf, servant pour broyer ou briser par la face circulaire & plane, & par l'autre extrémité pointu & fin pour percer.

Comme le flatoir est un marteau qui prend différentes figures selon les différens usages, ce seroit faire un article de tous les différens marteaux, que de le suivre dans tous ses usages.


FLATRERv. act. (Econ. rustiq.) c'est faire rougir un fer en forme de clé plate, & l'appliquer au milieu du front d'un chien qui est mordu d'un chien enragé, pour empêcher qu'il ne le devienne.

FLATRER : on dit, en termes de Chasse, le lievre se flâtre quelquefois lorsqu'il est poursuivi.


FLATRURES. f. (Venerie) c'est le lieu où le lievre & le loup s'arrêtent & se mettent sur le ventre, lorsqu'ils sont chassés des chiens courans.


FLATUOSITÉS. f. (Medec.) terme générique employé par les Medecins, pour désigner l'état maladif dans lequel il se fait une génération contre nature, de vents qu'on rend par haut, par bas, ou qui restent soit dans l'estomac, soit dans les intestins, & y causent des borborygmes, des tensions, des anxiétés, & autres symptomes douloureux. Voyez BORBORYGMES, ROT, VENTS, &c.

La matiere propre des flatuosités, est un air élastique qui se trouve fréquemment dans le ventricule ou les intestins, & quelquefois dans d'autres visceres ; mais alors ce sont des cas très-rares. La cause materielle des flatuosités est une matiere élastique que la chaleur, l'effervescence ou la fermentation dilate, & qui est retenue ou poussée hors du corps avec quelque bruit, lorsque les obstacles qui s'opposoient à sa sortie, viennent à cesser.

L'air, les sels de différente nature, les fruits, les humeurs putrescentes, les végétaux fermentans, fournissent aux flatuosités une matiere dont l'impétuosité & l'odeur varient suivant sa qualité ; cependant toutes ces choses sortent sans aucun effort, quand elles trouvent les passages ouverts ; d'où l'on comprend sans peine que le sphincter de l'ésophage, l'ésophage, les deux orifices de l'estomac & les intestins, concourent ensemble en ce qu'ils se contractent spasmodiquement, & se relâchent ensuite : mais si la contraction spasmodique est forte & dure longtems, alors la matiere élastique qui se raréfie par la chaleur, par le mouvement & par sa propre vertu ; venant à être resserrée dans une cavité que la convulsion de ses fibres retrécit, elle distend les membranes qui la gênent, & comprime les lieux voisins ; de-là naissent des anxiétés & des douleurs très-vives, qui cessent à la sortie des vents.

Doctrine des flatuosités. Mais pour se former une idée plus exacte des flatuosités, nous commencerons par établir quelques principes qui peuvent nous y conduire.

1°. Les hommes bien portans consument une grande quantité d'air élastique, ou l'unissent à leurs humeurs ; or l'air qu'on avale avec les alimens, & qui n'est pas consumé faute d'action, engendre un nouvel amas d'air.

2°. Les alimens qu'on prend, & qui fermentent aisément, fournissent en fermentant une grande quantité d'air dans les premieres voies, s'ils ne sont pas bien broyés par l'action du ventricule & des intestins.

3°. La même chose arrive des alimens putrescens, indépendamment qu'ils produisent cet effet en circulant avec nos humeurs.

4°. Le mouvement vital, qui dans l'état de santé consume beaucoup d'air, étant une fois dérangé, sépare l'air de nos humeurs, & produit dans le corps un nouvel air élastique, comme il paroît par quelques poisons.

5°. Le phénomene principal de l'air caché est le son, le bruit, les grouillemens qu'on entend rarement dans le bas-ventre, quand le mouvement péristaltique des intestins est uniforme, & que les passages sont bien libres.

6°. L'air retenu dans un endroit fermé, mais agité fortement par la partie qui l'environne, cause en tiraillant les fibres, une douleur considérable de tension. Si pour lors il se présente quelque part une ouverture, l'air ainsi comprimé sort d'ordinaire avec bruit, & le malade est soulagé. Si la cause qui produit l'air cesse, le malade est guéri ; mais si cette cause persiste, il est tourmenté de flatuosités sans soulagement.

7°. Quand l'air comprimé sort chargé d'odeurs acides, nidoreuses, putrides, fétides, il indique le caractere des vapeurs atténuées d'alimens ou d'humeurs qui se sont mêlées à cet air dans le corps humain. L'air qui sort modérément, prouve que l'action est encore bonne & entiere dans les parties qui le contenoient. Celui qui sort avec beaucoup de violence après de grandes douleurs, désigne quelqu'espece de convulsion dans la partie qui le renfermoit. Celui qui sort sans bruit, mais avec une grande fétidité, indique la foiblesse de la partie, ou la pourriture prédominante des humeurs qui s'y sont mêlées.

8°. L'air disparoît sans être rendu, lorsque le mouvement vital fort & reglé, unit cet air à nos humeurs ; ce qui marque un meilleur état de santé, que s'il avoit été poussé au-dehors par les passages qui lui sont ouverts. Passons présentement aux signes des flatuosités.

Signes des flatuosités. Leurs signes les plus ordinaires sont les grouillemens des intestins avec bruit, & à la place de ces grouillemens, des distensions avec constriction du bas-ventre. De la continuation de ce symptome, naissent des douleurs, qui sont ou fixes dans le même lieu, ou qui changent de place, & qui cessent ensuite par l'éruption des flatuosités. Quand une constipation rebelle accompagne ce mal, il le rend beaucoup plus violent, & pour lors l'oppression de l'estomac avec la difficulté de respirer, s'y joignent d'ordinaire.

Personnes sujettes à ce mal. Les flatuosités attaquent principalement les gens phlegmatiques, dont les visceres sont affoiblis, & susceptibles d'expansibilité. Les gens sanguins, cholériques & mélancholiques y sont aussi sujets, ou les éprouvent souvent après des maladies chroniques. En général les personnes délicates y sont plus exposées que les gens robustes, & par conséquent les femmes plus que les hommes, sur-tout dans le tems de leurs regles.

Causes. Les flatuosités sont quelquefois occasionnées par une simple langueur ou affoiblissement du ton de l'estomac, des intestins, auquel cas elles se terminent par haut ou par bas sans accident. D'autres fois elles tirent leur origine d'une matiere visqueuse & tenace, ou d'une matiere acide piquante, qui jette le trouble dans les boyaux, & alors le patient souffre des constrictions spasmodiques d'entrailles, succédées par des relâchemens inquiétans. Ce mal procede quelquefois de l'engorgement de la veine-porte, & des rameaux de cette veine, qui communiquent à l'estomac, à la rate, au pancréas, aux intestins, &c. Les alimens putrescens, ceux qui sont d'un suc épais & glutineux, le poisson de mer séché, les graisses animales, toutes les boissons nouvelles qui sont susceptibles de fermentation dans l'estomac, le miel pris en quantité, &c. sont une source féconde de flatuosités. En outre le tempérament du patient y contribue beaucoup, sur-tout dans la suppression de la transpiration insensible. Enfin les flatuosités procedent aussi de la sympathie d'autres parties.

Prognostics. Les flatuosités qui ont dégénéré en habitude, sont souvent accompagnées de coliques, de cardialgies, d'anxiétés. La suppression forcée de ces mêmes flatulences, excite dans les personnes pléthoriques des spasmes, des tumeurs, des duretés du bas-ventre, la tympanite. Leur décharge libre dégénere naturellement en habitude. Les flatuosités lentes causent peu de mal au malade. Les flatuosités impétueuses produiront des desordres cruels, s'il s'y joint d'autres causes accidentelles qui les irritent.

Cure. La méthode curative générale veut 1°. qu'on dissipe la matiere des flatuosités, par des boissons chaudes un peu aromatiques, propres à appaiser la fermentation, l'acrimonie ou la putréfaction : 2°. par des antispasmodiques qui adoucissent l'acreté, & moderent le cours tumultueux des esprits : 3°. par des clysteres, des fomentations, des épithemes chauds, anodyns, & un peu aromatiques ; comme aussi par des ventouses appliquées au bas-ventre sans scarification.

Mais pour entrer dans quelques détails plus particuliers, nous dirons que dans les flatuosités simples & directes, on doit tenir le ventre doucement ouvert, afin d'éviter la constipation. Pour cet effet, on usera de legers eccoprotiques qui ne seront pas flatueux ; & dans les jours intermédiaires, on employera les sels digestifs propres à atténuer la matiere visqueuse adhérente aux entrailles. On y joindra du nitre & un peu de cinnabre, remedes qui valent beaucoup mieux que les carminatifs chauds qu'on donne d'ordinaire.

Ensuite on renforcera le ton des parties par des extraits amers & aromatiques, l'esprit-de-nitre dulcifié, & les sels volatils urineux aromatisés. Enfin on appliquera à l'extérieur des emplâtres & baumes stomachiques. On resserrera insensiblement le ventre par un bandage, & on renforcera le corps par l'exercice modéré & continué.

Les flatuosités qui proviennent du mouvement desordonné des esprits dans les personnes mobiles, attaqués d'hystérisme, d'hypochondrie, & autres maladies nerveuses, ne demandent point d'évacuans, parce qu'elles n'ont point de matiere à évacuer. Ainsi le mal doit être attaqué dans son principe, & ne peut cesser que par des anodyns antispasmodiques, & par la guérison de la cause premiere.

Tous les alimens qui par leur abondance surpassent les forces de la digestion, ou qui par leur ténacité ne peuvent être triturés, subissent une dégénération spontanée qui produit des flatuosités infectées d'odeurs & de saveurs différentes. De telles crudités veulent être chassées par de legers purgatifs aromatisés. Il faut ensuite en prévenir la source par des stomachiques corroborans ou résolutifs. Les flatuosités qui naissent de la pourriture, demandent absolument l'évacuation de l'humeur corrompue, sa correction, la dépuration de la partie, & les antiseptiques pour en empêcher les progrès.

Les flatuosités provenantes de la sympathie d'une autre partie attaquée qui excite ce trouble, comme par exemple, de la douleur des lombes, de la néphrétique, de la suppression des regles, de la fievre, de la goutte, des passions de l'ame, &c. requierent pour remedes les seuls anodyns, tandis qu'on tâchera de guérir les maladies qui en sont la cause.

La méthode générale de traiter les flatuosités par les seuls aromatiques chauds, est communément plus propre à faire du mal que du bien. La méthode des vomitifs tend plus à augmenter la cause des flatuosités qu'à les guérir ; parce qu'ils renversent le mouvement péristaltique des intestins, & produisent souvent l'oppression, le vertige, & autres fâcheux symptomes.

Quoique les expériences démontrent qu'il se forme beaucoup d'air dans l'effervescence, ce cas est néanmoins assez rare parmi les hommes, parce qu'ils manquent communément des humeurs qui par leur mêlange viennent à exciter une effervescence considérable ; & si ce cas arrive lorsque, par exemple, les acides sont suivis d'alkalis, alors les flatuosités cessent assez promtement.

Comme les vents se portent promtement d'un lieu à l'autre, & qu'ils produisent des douleurs vagues qui courent en différentes parties du corps, on a crû que toute douleur changeante dans le corps humain naissoit de flatulences, & on les a nommées par cette raison douleurs flatulentes. Mais puisqu'on ne découvre aucun air élastique dans les parties charnues, nerveuses & membraneuses ; que ces parties ne fournissent aucun passage à l'air, & que les douleurs dont il s'agit ne sont point appaisées par la sortie des vents, il paroît que l'air n'en est point la cause. Il faut donc pour guérir ce mal, corriger les vices du suc nerveux, tandis qu'en même tems on rétablira la transpiration qui se trouve souvent arrêtée.

Auteurs. Les Praticiens feront bien d'étudier sur les flatuosités, les commentateurs qui ont illustré le livre que nous avons d'Hippocrate, en ce genre, & particulierement Fienus de flatibus, morbisque flatulentis, Antverp. 1582, in-8°. prima edit. Amsterdam 1643, in-12°. Voyez aussi, parmi les modernes, M. Combalusier, Pneumato-Pathologia, sea tractatus de flatulentis humani corporis affectibus. Paris 1747, in-8°. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FLAVIGNY(Géog.) petite ville de France en Bourgogne dans l'Auxois, avec une abbaye de Bénédictins fondée par Widrard, du tems de Charles Martel. Elle est sur un monticule, à 5 lieues S. de Sémur, 12 N. O. de Dijon. Long. 22d. 12'. 5". Lat. 47d. 30'. 47". (D.J.)


FLÉAUS. m. (Gramm. & Econ. rustiq.) ce terme pris au simple, est un instrument dont on se sert pour battre le blé ; ce sont deux bâtons d'un bois dur, dont l'un qui est le plus long, se tient à la main, & l'autre qui est le plus court, est porté sur l'extrémité de la gerbe qui en est frappée avec violence. Ces deux bâtons sont assemblés, lâchement, bout-à-bout, par une ou deux fortes corroies ; & le plus court est mobile autour du plus long.

Ce terme pris au figuré, se dit de toutes les grandes calamités dont il plaît à la providence d'affliger le genre humain. Ainsi la peste, la guerre, la famine, les inondations, les mauvais princes, &c. sont des fléaux de Dieu.

Fléau au simple, n'est jamais que d'une syllabe ; au figuré il est toûjours de deux.

FLEAU, dans une balance, (Méch.) est la partie à laquelle on suspend les poids, & qui est composée de deux bras. Voyez BALANCE.

FLEAU, façon angloise, est composé des pieces suivantes.

1°. Le corps du fléau, une piece de fer d'une forme ovale, à chaque bout de laquelle il y a un crochet & un oeil, & un trou dans le milieu, où passe le pivot, avec un bossage sur le milieu.

2°. Le crochet où s'accroche les plateaux ou bassins.

3°. La chasse, espece d'étrier de fer, dont les deux branches sont quarrées, menues & longues, pour laisser la liberté à l'aiguille, & les deux extrémités plates & de forme ronde & ovale, avec deux trous où sont deux billes ou pattes d'acier, sur lesquelles pose le pivot ; à la tête de la chasse est un trou par où passe le touret. Voyez la Planche du Balancier.

4°. Le touret, crochet qui a une tête ronde & plate dessous, qui passe dans le trou du haut de la chasse, & sert à suspendre le fléau en l'air.

5°. Le chef du touret, c'est une S qui s'accroche dans le piton auquel on suspend les balances.

6°. Le pivot, arbre ou axe qui passe à-travers le corps du fléau, & porte sur les deux coussinets de la chasse ; il est situé dans la partie du corps du fléau & les yeux de la chasse, & fait en couteau par-dessous.

7°. Le brayé, ou ce qui empêche les deux branches de la chasse de s'éloigner.

8°. L'aiguille qui sert à mettre le fléau de niveau, & qui est posée au milieu au centre du pivot.

FLEAU A DOUBLE CROCHET, façon d'Allemagne. Voyez la Planche du Balancier.

1°. Corps du fléau, est une barre de fer à huit pans, avec bossage dessus & dessous au milieu, où est percé le trou du pivot, & qui a un trou à chaque bout pour recevoir les axes sur lesquels portent les coussinets des jumelles.

3°. & 4°. Les deux jumelles B C qui tiennent lieu des crochets du fléau à l'angloise, sont composées chacune de deux pieces de fer plat, longs à proportion, de la force du fléau : deux entre-toises, celle du haut portant bouton au milieu ; son nom, suivant l'art, est dessus de jumelle : celle de dessous qui porte le double crochet tournant, nommé suivant l'art dessous de jumelle, à tenons & clavette par les bouts.

5°. Le pivot des jumelles est un arbre ou axe, comme il a été dit, quarré au milieu, où il est arrêté dans les extrémités du corps du fléau, & en couteau en-dessus, où il reçoit les coussinets qui sont enclavés dans le milieu des jumelles.

6°. Le grand pivot est l'arbre ou axe qui passe au milieu du fléau ; il est quarré dans la partie qui passe par le milieu du fléau. Les deux extrémités de cet arbre sont en couteau par la partie inférieure dont le tranchant porte sur les coussinets de la chasse A.

7°. Le brayé est au même usage que celui du fléau à l'angloise.

8°. L'aiguille est la même que celle du fléau à l'angloise.

9°. La chasse est composée de deux branches dont les deux extrémités du bas sont plates, de figure ronde ou ovale, dans lesquelles sont enclavées les deux billes ou coussinets d'acier sur quoi porte le pivot du corps du fléau ; par le haut est une entre-toise, nommée suivant l'art, chef de chasse, assemblée dans les deux branches à tenon & clavette ; au milieu de ce chef-de-chasse est un trou pour passer le touret.

10°. Le touret soudé & arrêté au chef-de-chasse, avec une forte contre-rivûre.

Cette sorte de fléau est pour les grands poids.

FLEAU façon d'Allemagne, à deux boîtes, est semblable en toutes ses pieces à celui de la premiere figure, à l'exception qu'aux bouts des fléaux, qui sont en crochet, sont des boîtes, comme des chapes de poulies, & qu'il y a deux pivots pour tenir les crochets dans les boîtes, au lieu des deux yeux dans lesquels sont les crochets du fléau de la premiere figure. Voyez la figure 2.

FLEAU A BROCHE, est composé des mêmes pieces que le fléau de la premiere figure, à l'exception du corps du fléau.

* FLEAU, (Serrurerie) est la fermeture ordinaire d'une grande porte cochere. Il est composé de plusieurs pieces ; savoir une barre de fer quarrée, longue environ de cinq piés, en pince par les extrémités ; avec un oeil percé au milieu, pour passer le boulon qui le tient sur un des battans de la porte. A six pouces des bouts sont deux mains poussées sur les venteaux de la porte, dans lesquelles il se ferme : celle qui est posée au venteau du guichet, fait venir en-dedans le bout du fléau ; & celle qui est à l'autre bout, est placée par-dessus, de sorte que le bout de la main regarde le pavé, dans laquelle l'autre bout du fléau va se fermer. A l'extrémité du fléau on a ouvert un trou, dans lequel est un lasseret tournant où est la tige de l'aubronnier, qui s'arrête dans la serrure qui sert à fermer le fléau, comme il se voit Planches de la Serrurerie. M M, mains du fléau ; N, boulon du fléau ; O, contre-piece qui s'entaille de son épaisseur dans le bois du côté du fléau, & à-travers de laquelle passe le boulon ; P, rondelle du boulon ; R, tige de l'aubronnier ; T, serrure à bosse du fléau.

FLEAUX. Les Vitriers appellent ainsi certains crochets sur lesquels ils portent les panneaux de verre lorsqu'ils vont en ville.


FLECHES. f. sagitta, (Géomét.) C'est ainsi que quelques auteurs appellent ce que l'on nomme autrement sinus verse d'un arc. Ce nom lui est venu de ce qu'elle ressemble à une fléche qui s'appuie sur la corde d'un arc.

x étant le sinus d'un arc ; son cosin. sera , en prenant 1 pour le sinus total ; & la fleche ou sinus verse sera 1 - . Voyez SINUS.

La fleche d'un arc infiniment petit, est à l'arc comme l'arc est au diametre. Voyez COURBURE.

Quelquefois on appelle fleche, en Géométrie, ce que l'on entend communément par abscisse (voyez ABSCISSE) ; mais cette dénomination est peu en usage. (O)

FLECHE, dans l'Astronomie, est une constellation voisine de l'aigle dans l'hémisphere du Nord. Voyez CONSTELLATION.

Les étoiles de cette constellation sont, dans le catalogue de Tycho, ainsi que dans celui de Ptolomée, au nombre de cinq.

Dans celui de Flamstéed, elles sont au nombre de vingt-trois.

FLECHE, (Phys.) est un des noms qu'on a donnés à certaines aurores boréales. Voyez AURORE BOREALE.

FLECHE, (Art milit.) c'est une arme composée d'une verge & d'un fer pointu, qui se jette avec l'arc ou avec l'arbalete.

Il y en avoit de diverses sortes parmi les François, comme chez les Romains & chez les autres nations. On n'en fera remarquer ici que deux especes, qui ont un nom particulier dans nos histoires. La premiere est celle qu'on y appelle quarreau ou garro, en latin quadrellus, quarellus, quadrilus, quadrum. Ces fleches s'appelloient quarreaux, parce que le fer en étoit quarré :

.... Quadratae cuspidis una

Fendet arundo.

dit Guillaume le Breton en parlant du quarreau qui blessa à mort Richard roi d'Angleterre, du tems de Philippe-Auguste.

Les quarreaux étoient empennés, & quelquefois empennés d'airain ; c'est-à-dire que les plumes qui étoient à la partie opposée au fer, étoient quelquefois de cuivre.

L'autre espece de fleches s'appelloit vireton. Il en est souvent fait mention ; entr'autres l'auteur de l'histoire de Charles VI. sous l'an 1420, en parle au sujet d'un assaut donné à Melun par les allemands de l'armée d'Angleterre, où ils furent repoussés : " mais en remontant (les fossés), dit-il, les arbalêtriers de la ville les servoient de viretons par le dos, qui entroient jusqu'aux pennons, c'est-à-dire jusqu'à l'endroit où ils étoient empennés ". On les appelloit viretons, parce qu'ils viroient, c'est-à-dire qu'ils tournoient en l'air par le moyen des ailerons, ou pennes, ou pennons, ainsi que l'auteur les appelle ici, & qui devoient être bien ajustés pour l'équilibre, comme dans un volant. Le nom de vireton, par son étymologie, pouvoit convenir à toutes sortes de fleches empennées, parce qu'elles viroient ou tournoient toutes en l'air ; mais on l'avoit spécialement attaché aux plus grandes. Hist. de la milice françoise, par le P. Daniel. (Q)

FLECHE D'éPERON, (Marine) c'est une partie de l'éperon comprise entre la frise & les herpes, au-dessus de la gorgere. Voyez Mar. Pl. IV. fig. 1. n°. 183. Voyez AIGUILLES DE L'éPERON. (Z)

FLECHE, est, dans la Fortification, un petit ouvrage composé de deux faces ou de deux côtés, qu'on éleve dans un tems de siége à l'extrémité des angles saillans & rentrans du glacis. Cet ouvrage est très-peu élevé, & il sert à défendre l'approche du glacis. Voyez Pl. IV. de la Fortification, fig. 3. une fleche à l'extrémité du glacis, dont les deux côtés ou les deux faces sont marquées K, K.

FLECHE DE CLOCHER, en Architecture ; c'est le chapiteau de la tour ou de la cage d'un clocher, qui a peu de plan & beaucoup de hauteur, & qui se termine en pointe. (P)

FLECHE ARDENTE, terme d'Artificier. Les fleches ardentes, qu'on appelloit autrefois malléoles, sont de certains droudons artificiels qu'on jette de loin ou de près dans les ouvrages des ennemis, pour y mettre le feu promtement. Les anciens s'en servoient pour brûler les barricades & les clôtures des ennemis, qui n'étoient que de bois ; mais on en fait très-peu d'usage aujourd'hui.

Préparez un petit sac de grosse toile, de la grandeur d'un oeuf d'oie ou de cygne, qui ait la figure d'un sphéroïde ou d'une sphere : remplissez-le d'une composition de quatre livres de poudre battue, quatre livres de salpetre clarifié, de deux livres de soufre, & d'une livre de colophone ; ou bien d'une composition faite de deux livres de poudre battue, de huit livres de salpetre clarifié, de deux livres de soufre, d'une livre de camphre, & d'une livre de colophone : ou bien encore de celle-ci, qui est plus simple, & qui est aussi bonne que les deux précédentes ; savoir de trois livres de poudre, de quatre livres de salpetre, & de deux livres de soufre.

Après avoir rempli ce sac de l'une de ces trois compositions bien pressée, percez-le par le milieu, selon sa longueur, & passez-y une fleche semblable à celle des arcs ou arbaletes ordinaires, ensorte que tout le fer sorte dehors : arrêtez cette fleche au-dessous du fond du sac avec deux ou trois clous, pour empêcher qu'il ne glisse vers les panaceaux quand il sera dans l'air, ou lorsqu'il sera attaché à quelque chose de ferme.

Liez & serrez ensuite le même sac avec de la ficelle entre-tissue & forte, qui l'enveloppe par autant de révolutions qu'il sera possible depuis un bout jusqu'à l'autre : enduisez toute la superficie du sac ainsi lié & garroté, de poix fondue, & mêlée avec de la poudre battue : enfin ayant mis le feu par deux petites ouvertures faites auprès du fer, vous jetterez cette lance avec un arc ou une arbalete. Frezier.

FLECHE, (Charron). Les Charrons appellent ainsi une grosse piece de bois de charronage, ordinairement d'orme, dont on se sert pour les trains des carrosses & des chariots. La fleche est de dix à douze piés de long pour les carrosses à arc, & de douze à quinze pour les autres. Elle doit être courbée, sans noeuds, & d'un beau braquement. Les berlines n'ont point de fleche, mais deux brancards. Les Charrons achetent en grume le bois d'orme dont ils font les fleches, & les débitent & façonnent ensuite suivant leurs différentes longueurs.

FLECHES, terme d'Eventailliste : c'est ainsi qu'on appelle les petits brins ou morceaux de bois, d'écaille, d'ivoire, &c. qui se placent par un bout, à distances égales, entre chaque pli du papier qui fait le fond d'un éventail, & qui sont joints par l'autre bout par un clou rivé. Voyez EVENTAIL.

Ces brins ont deux parties ; la premiere, qui occupe la gorge de l'éventail, est de bois ou d'ivoire, ou autre matiere ; la seconde, qui entre dans le papier, est toûjours de bois flexible. Voyez les figures de l'Eventailliste.

FLECHES, terme de Fabrique de tapisserie de haute-lisse : c'est une simple ficelle que l'ouvrier entrelace dans les fils de la chaîne, au-dessus des bâtons de croisure, afin que ces fils se maintiennent toûjours dans une égale distance. Voyez TAPISSERIE.

FLECHE, terme de Trictrac, voyez LAME.

FLECHE, (La) Géogr. en latin Fisca, Fissa, Fixa Andegavorum, petite ville de France à l'extrémité de l'Anjou vers le Maine, sur le Loir. Les Jésuites y ont un magnifique college, fondé par Henri IV. en 1603, avec 7000 liv. de rentes annuelles sur le papegai de Bretagne. Ce college pourroit se glorifier d'avoir été l'école de Descartes, si ce grand homme ne nous avertissoit lui-même qu'il commença par oublier ce qu'il avoit appris. Longit. suivant Cassini, 17. 23. 30. lat. 47. 42.


FLECHIadject. dans l'écriture, se dit des doigts pliés à quelqu'une de leurs jointures. Il y a trois sortes de tems flechis ; le premier est lorsque le pouce est plié à sa premiere jointure ; le second, lorsqu'il l'est à la seconde ; le troisieme, lorsqu'il l'est à la troisieme.


FLECHIRv. neut. (Gramm.) il se dit dans les Arts, de tout corps, qui trop foible pour l'effort qu'il a à soûtenir, cede en quelque point à cet effort ; ainsi on dit, cette barre de fer a flechi, cette poutre a flechi. On a transporté cette acception du physique au moral. On a supposé que le ressentiment d'une injure donnoit à l'ame de l'inflexibilité ; & on a dit qu'on avoit fléchi un homme offensé, quand on lui avoit fait oublier son ressentiment, ou renoncer à la vengeance. Fléchir étoit neutre au physique, il est devenu actif au moral.


FLECHISSEURadj. pris subst. (Anatom.) est le nom d'un muscle qui produit la flexion des os. Je ne ferai ici la description que des muscles auxquels M. Albinus n'a pas donné d'autres noms que ceux de fléchisseurs.

Le court fléchisseur du pouce de la main vient par plusieurs portions tendineuses de divers os du poignet, du tégument interne du carpe, des têtes voisines des os du métacarpe. Son principe large se porte transversalement dans le creux de la main ; il en part des queues, qui s'attachent aux os sésamoïdes qu'on trouve à l'articulation du pouce avec le métacarpe, & à la tête supérieure de la premiere phalange. On peut très-bien distinguer dans ce muscle, le thénar, l'hypothénar ou mesothénar, ou l'antithénar. Il fléchit le premier os du pouce ; il fléchit aussi postérieurement l'os du métacarpe qui répond au pouce, & en même tems il l'approche, l'éloigne ou le meut parallelement à la paume de la main. Il étend le dernier os du pouce, lorsqu'on le retire vers son principe.

Le long fléchisseur du pouce de la main vient du ligament interjetté entre le rayon & le coude, & de la partie interne du rayon qui s'étend depuis l'insertion du biceps jusqu'au pronateur quarré. Il produit vers son milieu un tendon qui, à mesure qu'il grossit, se détourne de la partie inférieure vers le côté postérieur du muscle, qui passe sous le ligament interne du carpe & dans le sinus intérieur du carpe, conjointement avec les tendons du profond, à l'exemple desquels il se divise comme en deux. Il passe ensuite entre les os sésamoïdes qui sont à l'articulation du pouce avec le métacarpe ; il adhere à la capsule de cette articulation, & s'attache enfin à la partie postérieure & presque moyenne de la derniere phalange. Le long fléchisseur fléchit les deux phalanges du pouce vers la paume de la main.

Le fléchisseur du doigt auriculaire prend son origine de la partie moyenne de l'extrémité du processus recourbé de l'os cunéïforme du carpe, & de la partie externe du ligament du carpe. Il se confond dans son extrémité avec l'abducteur du doigt auriculaire, & a la même insertion à la tête supérieure de la premiere phalange de ce doigt. Je l'ai vû pourtant bien séparé de cet abducteur. Ce muscle manque souvent. Il fléchit la premiere phalange, & par conséquent tout le doigt, en le tournant un peu vers le pouce.

Le long fléchisseur des doigts du pié vient de la partie postérieure du tibia, & de la partie voisine du ligament qui est entre le tibia & le péroné. Son tendon commence intérieurement presqu'au haut du muscle. Il se porte obliquement vers le bord interne de l'extrémité du tibia, & le long de la malléole interne, ensuite sous cette éminence du calcanéum qui soûtient l'astragale. Il est retenu dans ces endroits par un ligament ; il se fléchit vers la plante du pié, & parvient au milieu de sa longueur. Là il s'élargit un peu, & se divise en quatre tendons qui aboutissent aux quatre petits orteils, étant assujettis par des ligamens orbiculaires à leurs trois phalanges, après avoir passé par les fissures des tendons du court fléchisseur. Ce muscle a une autre tête, qui fait sa différence la plus marquée du profond de la main, auquel il se rapporte. Cette tête (qui est l'accessoire du long fléchisseur de M. Winslow) vient du calcanéum ; elle se porte en-avant dans la moyenne largeur de la plante du pié, jusqu'à ce qu'elle rencontre le tendon précédent, auquel elle s'unit dans sa division. Quelquefois, après cette union, elle se divise en quatre portions tendineuses qui s'inserent diversement dans différens sujets.

Le court fléchisseur des doigts du pié vient d'auprès de la racine de la grosse tubérosité du calcanéum. Il a des adhérences avec les abducteurs du pouce & du plus petit des orteils, & avec l'aponévrose plantaire. Il se divise vers le milieu de la plante du pié en quatre portions charnues, dont les tendons s'attachent aux quatre orteils après le pouce, conservant une grosseur qui est dans la même proportion que celle de ces doigts. Ces tendons ont une parfaite ressemblance avec ceux du sublime de la main. Ce muscle fléchit en-bas les premieres & les secondes phalanges : il paroît aussi pouvoir courber un peu la plante du pié vers la terre : il contribue un peu avec le long fléchisseur, en arcboutant les orteils contre le sol, à affermir un homme qui se tient debout.

Le long fléchisseur du pouce du pié vient de la surface plane & postérieure du péroné. Il occupe les deux tiers de la longueur de cet os, & atteint presque la malléole. Son tendon descend obliquement vers l'extrémité du tibia ; il passe par un sinus qui est dans la partie postérieure de l'astragale, & par une autre qui est au côté interne du calcanéum, un peu au-dessous de la rainure qui reçoit le tendon du long fléchisseur des orteils. Ce tendon s'insere à la partie inférieure de la premiere tête du second os du pouce, après s'être enveloppé d'une graine tendineuse, sous le premier os. Quand ce tendon est parvenu à la plante du pié, il laisse échapper une portion grêle, qui s'unit diversement avec les tendons du long fléchisseur des orteils, ou de son accessoire, ou même avec le premier des lombricaux. J'ai vû ce tendon grêle avoir à-la-fois toutes ces adhérences. On observe ici beaucoup de variétés. Le long fléchisseur du pouce plie vers la terre les articulations de la premiere phalange avec la seconde, & avec la métatarse.

Le court fléchisseur du pouce du pié vient du troisieme os cunéïforme, auprès de l'os naviculaire, & des ligamens qui vont de l'os cuboïde au calcanéum, & au troisieme cunéïforme : il s'insere aux os sésamoïdes qui sont à l'articulation du pouce avec le métatarse, par ses extrémités tendineuses, qui sont fortement liées à la capsule de cette articulation, & qui adherent à l'adducteur & à l'abducteur du pouce. Ce muscle, en tirant les os sésamoïdes, entraîne & fléchit le pouce auquel ils sont attachés : ils semble pouvoir aussi un peu écarter les articulations qui sont entre son principe & sa fin.

Le fléchisseur du plus petit des orteils vient de la partie inférieure du cinquieme os du métatarse & du calcanéum, quelquefois de l'aponévrose qui enveloppe l'abducteur du même doigt. On peut le diviser souvent en deux parties, dont l'une adhérente à la capsule de l'articulation de ce doigt avec le métatarse, s'attache à la premiere phalange ; l'autre ayant la largeur d'un travers de doigt, s'insere tout auprès, au bord extérieur inférieur du cinquieme os du métatarse.

Borelli, de motu animalium, part. I. prop. cxxjx. a très-bien remarqué que la situation naturelle des articulations est d'être un peu fléchies ; Boerhaave & plusieurs autres ont fait la même remarque après lui. Borelli ajoûte, prop. cxxx. contre l'opinion de ceux qui l'avoient précédé, que les fléchisseurs, dans chaque articulation, sont plus courts que les extenseurs, mais qu'ils se contractent au même degré.

Il paroît certain que la force tonique des extenseurs est beaucoup plus grande que celle des fléchisseurs, puisqu'on observe que la flexion naturelle des articulations est beaucoup plus voisine de la parfaite extension, que de la plus grande flexion.

On n'a pas encore des expériences qui donnent la comparaison des forces musculaires des extenseurs & fléchisseurs en général. Il résulte seulement des calculs de Borelli, lib. cit. cap. x & xj. & des observations de Desaguliers, annotations sur la quatrieme lecture de son cours de philosophie expérimentale, que les fléchisseurs des jambes sont plus foibles que les extenseurs, n'étant pas obligés de transporter le corps dans ses mouvemens ordinaires. (g)


FLEGARou FLEGART, s. m. (Jurisp.) terme usité dans les coûtumes d'Artois, Boulenois, Amiens & quelques autres, pour signifier tous les lieux destinés à l'usage commun & public, qui n'ont pas besoin de haies ni de fossés pour être conservés, tels que les chemins, sentiers, places publiques, communes, &c. à cause que l'usage & la joüissance en sont continuellement ouverts à tout le monde. Voyez Artois, art. 5. Saint-Omer, 13. Téroüane, 6. Saint Pol, 31. Montreuil, 41. Sens, 2. Amiens, 74. & 104. Boulenois, 29. 43. 132. 168. (A)


FLENSBOURG(Géogr.) petite ville de Danemarck dans le duché de Sleswick, partie du Jutland, avec une bonne citadelle, & sur le golfe de même nom, Flensburgenwich. Elle est située à six lieues N. de Sleswick, à quatre lieues O. de l'île d'Alsen, & à neuf de l'Odensée, S. Long. 27. 12. lat. 54. 50. (D.J.)


FLERTOIRterme de Ciseleur ; c'est un petit marteau dont on se sert pour travailler aux quarrés d'acier qu'on fait pour les monnoies. Il est rond, & a une boîte quarrée qui reçoit le manche ; au moyen duquel l'ouvrier qui s'en sert, le tient dans sa main. Voyez nos Planches de Gravûre.


FLESSINGUE(Géogr.) nommée par ceux du pays, Vlissinghen ; belle, forte & considérable ville des Provinces-Unies, dans la Zélande & dans l'île de Walcheren, avec un très-bon port qui la rend fort commerçante. Elle est à l'embouchure de l'Escaut, appellé Hondt ; trois lieues N. E. de l'Ecluse, dix N. O. de Gand. Long. 21. 7. lat. 51. 26.

Flessingue a la gloire d'être la patrie de l'amiral Ruyter, le plus grand homme de mer qu'il y ait peut-être jamais eu, & le seul dont je me permettrai de parler. Il avoit commencé par être mousse ; il n'en fut que plus respectable : le nom des princes de Nassau n'est pas au-dessus du sien, dit avec raison M. de Voltaire. Le conseil d'Espagne lui donna le titre de duc, dignité frivole pour un républicain ; & ses enfans même refuserent ce titre, si brigué dans nos monarchies, mais qui n'est pas préférable au nom de bon citoyen. Ruyter naquit en 1607, & fut blessé mortellement en 1676 d'un coup de canon, dont il mourut quelques jours après.

Flessingue est aussi la patrie d'illustres gens de Lettres, comme de Pierre Cuneus, connu par un excellent livre sur la république des Hébreux ; & de Louis de Dieu, savant théologien, dont les ouvrages ont paru à Amsterdam en 1693, in fol. (D.J.)


FLEou FLETTE, terme de Riviere ; bateau dont on se sert à passer une riviere, ou à faire des voitures de marchandises ; elles ont 72 piés de long ou environ.


FLÉTRISSURES. f. (Jurispr.) est l'impression d'une marque qui se fait, en conséquence d'un jugement, par l'exécuteur de la haute-justice, sur la peau d'un criminel convaincu d'un crime qui mérite peine afflictive, mais qui ne mérite pas absolument la mort.

Anciennement chez les Romains on marquoit au front, afin que la marque fût plus apparente & l'ignominie plus grande ; mais Constantin ordonna que les lettres dont on marquoit les criminels, ne seroient plus imprimées que sur la main ou sur la jambe.

En France on marque sur l'épaule : autrefois on se servoit pour cela d'une fleur-de-lis. Présentement les voleurs sont marqués d'un V ; & ceux qui sont condamnés aux galeres, sont marqués des trois lettres G. A. L. Voyez la loi vij. cod. de poenis ; la coûtume de Nivernois, tit. j. art. 15. Melun, art. 1. Auxerre, article 1. le glossaire de Lauriere, au mot flastrer. (A)

FLETRISSURE se prend aussi quelquefois pour toute condamnation qui emporte infamie de fait ou de droit, comme le blâme, ou une simple admonition ou injonction d'être plus exact à quelque devoir, &c. (A)


FLETTANS. m. (Hist. nat. Icthiolog.) hippoglossus, Rond. Gesn. Ald. poisson de mer plat, plus grand que le turbot, & plus allongé. La partie supérieure du corps est d'un vert foncé ou noirâtre ; les écailles sont très-petites, & les yeux se trouvent placés sur le côté droit. Rondelet a vû un flettan long de quatre coudées. La chair de ce poisson est ferme, & ne differe pas beaucoup de celle du turbot. On trouve des flettans dans la Manche. Hist. des poissons, liv. XI. ch. xv. Raii, synop. meth. pisc. Voyez POISSON. (I)


FLETTE(Marine). On donne ce nom à un petit bateau dont on se sert soit pour passer une riviere, soit pour transporter quelques marchandises, mais en petite quantité. Voyez FLET.


FLEURS. f. (Bot. histor. anc.) Les anciens n'ont point déterminé fixement ce qu'ils entendoient par le mot de fleur, flos : quelquefois ils ont caractérisé de ce nom les étamines ou filets qui sont au centre de la fleur ; & c'est ce qu'il faut savoir pour entendre plusieurs passages de leurs écrits. Par exemple, quand Aurélianus nomme la rose une fleur d'un beau jaune, soûtenue par un calice pourpre, il est clair qu'il entend par le mot de fleur, les étamines qui sont au milieu de la rose, lesquelles sont en effet d'un beau jaune & en grand nombre ; & qu'il appelle le calice de la fleur, les feuilles ou pétales pourpres que nous nommons communément la rose même. C'est en suivant la même explication qu'il semble que Virgile peint notre baume sous le nom d'amello ; il dit qu'il a une fleur jaune, & des feuilles pourpres pour disque. Or on voit qu'il désigne par le nom de fleur, les étamines ou filets qui sont jaunes dans le baume ; & par les feuilles qui l'entourent, il entend le calice de la fleur qui est pourpre ou violet : mais que de graces ne sait-il point mettre dans la peinture de son amello !

Est etiam flos in pratis, cui nomen amello

Fecêre agricolae, facilis quaerentibus herba.

Namque uno ingentem tollit de cespite sylvam

Aureus ipse : sed in foliis quae plurima circum

Funduntur, violae sublucet purpura nigrae.

Saepe deûm nexis ornatae torquibus arae.

Asper in ore sapor : tonsis in vallibus illum

Pastores, & curva legunt prope flumina mellae.

Hujus odorato radices incoque Baccho,

Pabulaque in foribus plenis appone canistris.

Georg. liv. IV.

Pline en décrivant le narcisse, appelle le calice cette partie jaune qui occupe le centre, & il nomme fleurs les feuilles ou pétales qui l'environnent. On a critiqué Pline d'avoir appellé cette partie de la fleur le calice ; mais son dessein n'étoit dans cette occasion, que de comparer la fleur tubuleuse du narcisse pour la ressemblance, avec celle des calices ou ciboires dont les Grecs & les Romains se servoient dans les festins.

FLEUR, (Botan. histor. mod.) production naturelle qui précede le fruit, & produit la graine ; ou bien, si on l'aime mieux, c'est la partie de la plante qui renferme les parties propres pour la multiplication de l'espece.

Suivant Rai, la fleur est la partie la plus tendre de la plante ; partie remarquable par sa couleur, sa forme, ou par l'une & l'autre, & qui adhere communément aux rudimens du fruit. M. de Jussieu dit, qu'on doit nommer proprement fleur, cette partie de la plante qui est composée de filets & d'un pistil, & qui est d'usage dans la génération : mais plusieurs fleurs n'ont point de pistil, & plusieurs autres n'ont point de filets. M. de Tournefort définit la fleur, cette partie de la plante qui se distingue ordinairement des autres parties par des couleurs particulieres, qui est le plus souvent attachée aux embryons des fruits, & qui dans la plûpart des plantes semble être faite pour préparer les sucs qui doivent servir de premiere nourriture à ces embryons, & commencer le développement de leurs parties.

Enfin M. Vaillant regarde les fleurs comme les organes qui constituent les différens sexes dans les plantes ; il prétend que les feuilles des fleurs ne sont que des enveloppes qui servent à couvrir les organes de la génération, & à les défendre ; il appelle ces enveloppes ou tuniques du nom de fleurs, quelque structure & quelque couleur qu'elles ayent, soit qu'elles entourent les organes des deux sexes réunis, soit qu'elles ne contiennent que ceux de l'un ou de l'autre, ou seulement quelques parties dépendantes de l'un des deux, pourvû toutefois que la figure de ces tuniques ne soit pas la même que celles des feuilles de la plante, supposé qu'elle en ait. Sur ce principe il nomme fausses fleurs ou fleurs nues, les organes de la génération qui sont dénués de tuniques ; & de vraies fleurs, ceux qui en sont revêtus : ainsi il exclut du nombre des vraies fleurs, les fleurs à étamines.

On distingue dans les fleurs, les feuilles ou pétales, les filets, les sommets, le pistil, & le calice : sur quoi voyez l'article FLEURS DES PLANTES. J'ajoûte que les fleurs, conformément au nombre de leurs pétales, sont nommées monopétales, dipétales, tripétales, terapétales, c'est-à-dire à une, à deux, à trois, à quatre feuilles, &c.

Rai prétend que toute fleur parfaite a des pétales, des étamines, des sommets, & un pistil, qui est lui-même ou le plein fruit, ou l'extrémité du fruit ; & il regarde comme fleurs imparfaites, toutes celles qui manquent de quelqu'une de ces parties.

Les fleurs sont distinguées en mâles, femelles, & hermaphrodites. Les fleurs mâles sont celles dans lesquelles il y a des étamines, mais qui ne portent point de fruit. Les fleurs femelles sont celles qui contiennent un pistil, auquel le fruit succede. Les fleurs hermaphrodites sont celles dans lesquelles se trouvent les deux sexes, & c'est ce qui est le plus ordinaire ; tels sont le narcisse, le lis, la tulipe, le géranium, la sauge, le thym, le romarin, &c.

La structure des parties est la même dans les fleurs où les sexes sont partagés ; la seule différence consiste en ce que les étamines & les sommets, c'est-à-dire les parties mâles sont séparées dans celles-ci des pistils, & se trouvent quelquefois sur la même plante & quelquefois sur des plantes différentes ; entre les plantes qui ont les parties mâles & femelles, mais à quelque distance les unes des autres, l'on compte le concombre, le melon, la courge, le blé de Turquie, le tournesol, le noyer, le chêne, le hêtre, &c. Article de M(D.J.)

FLEURS DES PLANTES, (Bot. syst.) M. de Tournefort a préféré, dans sa distribution méthodique des plantes, les caracteres tirés des fleurs, pour établir les classes de sa méthode, qui est celle que nous suivons dans cet ouvrage pour la dénomination & la définition des différens genres de plantes. Cet auteur distingue cinq parties dans les fleurs ; savoir les feuilles, les filets, les sommets, le pistil, & le calice ; mais toutes ces parties ne se trouvent pas dans toutes les fleurs.

Les feuilles de la fleur sont aussi appellées pétales, pour les distinguer des feuilles de la plante. Les pétales sont ordinairement les parties les plus apparentes & les plus belles de la fleur, mais toutes les fleurs n'en ont pas, & il est souvent très-difficile de déterminer les parties auxquelles on doit donner le nom de pétales, ou celui de calice.

Les filets sont placés pour l'ordinaire dans le milieu de la fleur ; ceux qui soûtiennent des sommets sont appellés étamines. Il y a des filets simples, il y en a de fourchus.

Les sommets sont les parties qui terminent les étamines, quelquefois l'extrémité de l'étamine forme le filet en s'élargissant ; mais dans le plus grand nombre des plantes, les sommets sont attachés à l'extrémité des étamines. La plûpart des sommets sont partagés en deux bourses qui renferment de petits grains de poussier, & qui s'ouvrent de différentes manieres.

Le pistil est pour l'ordinaire au centre de la fleur ; il y a beaucoup de variété dans la figure de cette partie ; elle est pointue dans un très-grand nombre de plantes, & renflée à la base. Il y a aussi des pistils qui sont arrondis, quarrés, triangulaires, ovales, semblables à un fuseau, à un chapiteau, &c. L'embryon du fruit se trouve le plus souvent dans le pistil ; il est aussi quelquefois au-dessous ou au-dessus. Dans presque toutes les plantes, l'extrémité du pistil est couverte de poils fistuleux, parsemée de petites veines, & ouverte par plusieurs fentes.

Le calice est la partie extérieure de la fleur, qui enveloppe les autres parties, ou les soûtient, ou qui les enveloppe & les soûtient. On doit donner aussi le nom de calice à la partie extérieure & postérieure qui se trouve dans quelques fleurs, & qui est différente des feuilles, des fleurs, & de leur pédicule. Il y a des fleurs qui ont des feuilles qui paroissent être un calice ; elles sont de vraies feuilles, lorsqu'elles ne servent ni d'enveloppe ni de capsule aux semences qui viennent après la fleur ; mais si ces prétendues feuilles restent & servent d'enveloppe ou de capsule aux semences, on doit leur donner le nom de calice.

M. de Tournefort ne considere pour distribution méthodique des plantes, que la structure des fleurs ; il les divise d'abord en fleurs à feuilles, & en fleurs à étamines. Les premieres sont celles qui ont non-seulement des filets chargés de sommets, c'est-à-dire des étamines, mais encore des feuilles que l'on appelle pétales, flores petalodes ; les autres au contraire n'ont que des étamines sans pétales, flores staminei, seu capillacei & apetali : telles sont les fleurs de l'avoine, de l'arroche, de la bistorte, &c. Les chatons, nucamenta seu juli, sont des fleurs à étamines.

Les fleurs à feuilles sont simples ou composées. Les fleurs simples se trouvent chacune dans un calice : il y en a de plusieurs sortes ; les unes n'ont qu'une seule feuille coupée régulierement ou irrégulierement, telles sont les fleurs en cloche, flores campaniformes, c'est-à-dire les fleurs qui ont la figure d'une cloche, d'une campane, ou d'un grelot ; les autres ressemblent à un entonnoir, flores infundibuliformes, par exemple la fleur de l'oreille d'ours. Les fleurs en soûcoupe different des précédentes, en ce que leur partie supérieure a la forme d'un bassin plat, dont les bords sont relevés. Les fleurs des primeveres sont de cette espece. Les fleurs en rosette, flores rosati, ont la figure d'une mollette d'éperon ou d'une roue. Les fleurs en muffle, flores labiati, sont formées en-devant par une sorte de masque. Les fleurs en gueule, flores personati, sont terminées en-avant par deux levres, qui leur donnent l'apparence d'une gueule. Enfin les fleurs irrégulieres d'une seule feuille ressemblent à différentes choses, & peuvent être désignées par ces ressemblances.

Parmi les fleurs simples, il s'en trouve qui ont quatre feuilles qui forment une croix, flores cruciformes. Il y en a d'autres qui ont plusieurs feuilles disposées, comme celles de la rose, flores rosalli ; ou de l'oeillet, flores cariophillei ; ou du lis, flores liliacei ; ou qui sont placées irrégulierement, flores polypetali anomali. Les fleurs papilionacées, flores papilionacei, sont ainsi appellées, parce qu'elles ressemblent en quelque sorte à un papillon qui a les ailes étendues ; ce sont les fleurs des plantes légumineuses, comme les pois, les feves, &c. flores leguminosi ; elles ont quatre ou cinq feuilles : il y en a une au-dessus de la fleur qui est appellée l'étendard, vexillum, & une autre au-dessous qui est le plus souvent double, & que l'on nomme carina, parce qu'elle ressemble au fond d'un bateau ; les deux autres sont sur les côtés de la fleur comme des ailes.

Les fleurs composées sont celles dont le calice renferme plusieurs fleurs que l'on appelle fleurons, flosculi, ou demi-fleurons, semiflosculi. Parmi les fleurs composées on distingue les fleurs à fleurons, flores flosculosi ; les fleurs à demi-fleurons, flores semiflosculosi, & les fleurs radiées, flores radiati. Les fleurs à fleurons sont composées de plusieurs tuyaux que l'on appelle fleurons ; ils sont ordinairement fermés par le bas, ouverts par le haut, évasés, découpés le plus souvent en laniere ou en étoile à plusieurs pointes, rassemblés en un seul bouquet, & renfermés dans un calice dont le fond est appellé la couche, thalamus, parce qu'il porte les embryons des semences qui ont chacun un fleuron. Les fleurs de l'absynthe, des chardons, de la jacée, sont des fleurs à fleurons. Les fleurs à demi-fleurons sont composées de plusieurs parties fistuleuses par le bas, & applaties en feuilles dans le reste de leur longueur ; ce sont les demi-fleurons qui ne forment qu'un seul bouquet renfermé dans un calice, qui sert de couche aux embryons des semences. La dent de lion, la laitue, le laitron, &c. ont des fleurs à demi-fleurons. Les fleurs radiées ont des fleurons & des demi-fleurons ; les fleurons sont rassemblés dans le milieu de la fleur, & forment le disque ou le bassin ; les demi-fleurons sont rangés autour du disque en forme de couronne. Ces fleurons & ces demi-fleurons sont enveloppés d'un calice commun, qui est la couche des embryons des semences ; ils portent chacun pour l'ordinaire un fleuron, ou un demi-fleuron : telles sont les fleurs de l'aster, de la jacobée, de la camomille, &c.

Fleurs fleurdelisées. Les fleurs de cette espece se trouvent sur plusieurs plantes ombelliferes ; elles sont composées de cinq feuilles inégales, disposées en forme de fleur-de-lis de France : telles sont les fleurs du cerfeuil & de la carotte.

Fleurs noüées : c'est ainsi que M. de Tournefort appelle les fleurs qui sont jointes aux embryons des fruits, comme celles des melons & des concombres qui portent sur les jeunes fruits, pour les distinguer des fleurs qui se trouvent sur ces plantes séparément des embryons, & que l'on nomme fausses fleurs. Il y a des plantes, par exemple le buis, dont les fleurs sont séparées des fruits sur le même pié. Il y en a aussi qui ne portent que des fleurs sur certains piés, & seulement des fruits sur d'autres piés de la même espece de plante, comme l'ortie, le chanvre, le saule, &c.

Fleurs en umbelle ou en parasol. On a donné ce nom aux fleurs soûtenues par des filets qui partent d'un même centre, à-peu-près comme les bâtons d'un parasol ; elles forment un bouquet dont la surface est convexée. Les fleurs de fenouil, de l'angélique, du persil, &c. sont en umbelle ou en parasol. Elémens de Botanique, & inst. rei herb. par M. de Tournefort.

M. de Tournefort distingue encore les fleurs en régulieres & irrégulieres. Les fleurs régulieres sont celles dont le tour paroît à-peu-près également éloigné de cette partie, que l'on peut regarder comme le centre de la fleur : telles sont les fleurs de l'oeillet, les roses, &c. Les fleurs irrégulieres sont celles où cette proportion ne se trouve pas, comme sont les fleurs de la digitale, de l'aristoloche, de l'aconit, du lathyrus, &c.

Les fleurs labiées sont irrégulieres, monopétales, & divisées en deux levres ; la levre supérieure s'appelle crête, & l'inférieure barbe. Quelquefois la crête manque ; alors le pistil & les étamines tiennent sa place, comme dans la pomme de terre, le scordium, la bugle, & d'autres : mais la plus grande partie ont deux levres. Il y en a en qui la levre supérieure est tournée à l'envers, comme dans le lierre terrestre ; mais plus communément la levre supérieure est convexe en-dessus, & tourne sa partie concave en-bas vers la levre inférieure, ce qui lui donne la figure d'une espece de bouclier ou de capuchon, d'où l'on a fait les épithetes galeati, cucullati, & galericulati, qui conviennent presque toûjours aux fleurs verticillées, qu'il s'agit enfin de faire connoître.

Les fleurs verticillées sont donc celles qui sont rangées par étages, & comme disposées par anneaux ou rayons le long des tiges : telles sont les fleurs du marrube, de l'ormin, de la sidéritis, &c.

Toutes les fleurs naissent sur des pédicules, où elles sont attachées immédiatement par elles-mêmes. Elles sont ou dispersées le long des tiges & des branches, ou ramassées à la cime de ces mêmes parties. Celles qui sont dispersées le long des tiges & des branches, sortent presque toûjours des aisselles des feuilles, & sont attachées par elles-mêmes, ou soûtenues par des pédicules.

Ces sortes de fleurs sont ou clair semées & rangées sans ordre dans les aisselles des feuilles, comme celles de la germandrée ; ou elles naissent par bouquets dans les aisselles des feuilles, comme celles de l'amandier ; ou bien elles sont disposées en rayons & comme par anneaux & par étages dans les aisselles des feuilles, comme on le voit dans la sidéritis, dans le faux dictamne, &c. Il y en a quelques-unes dont les anneaux sont si près les uns des autres, qu'ils forment un épi au bout de la tige : telles sont les fleurs de la bétoine, de la lavande ordinaire, &c.

Les fleurs qui naissent au bout des tiges & des branches sont ou seules, comme on le voit souvent en la rose ; ou ramassées en bouquet, en parasol, en épi.

Les bouquets sont ronds dans la rose de gueldre, oblongs dans le stoechas, en grappe dans la vigne, en girandoles dans la valériane, en couronnes dans la couronne impériale, en parasols dans le fenouil. Le froment, le seigle, l'orge, &c. ont les fleurs en épis, ramassées par paquets rangés en écailles. On voit des épis formés par plusieurs verticilles de fleurs, comme sont ceux de la lavande commune, de la bétoine, de la galeopsis, &c. On trouve des épis courbés en volute, comme ceux de l'herbe aux verrues ; il y en a quelques-uns où l'on ne remarque aucun ordre, comme ceux de la verveine commune. Tournefort.

Selon M. Linnaeus, les fleurs sont composées de quatre parties différentes, qui sont le calice, la corolle, l'étamine & le pistil.

Il y a sept sortes de calice : 1°. le périanthe, perianthium ; ce calice est le plus commun, il est composé de plusieurs pieces, ou s'il n'en a qu'une, elle est découpée. 2°. L'enveloppe, involucrum ; cette partie de la fleur est composée de plusieurs pieces disposées en rayons ; elle embrasse plusieurs fleurs qui ont chacune un périanthe. 3°. Le spathe, spatha ; c'est une membrane attachée à la tige de la plante, elle embrasse une ou plusieurs fleurs qui pour l'ordinaire n'ont point de périanthe propre ; sa figure & sa consistance varient ; il y a des spathes qui sont de deux pieces. 4°. La bale, gluma ; cette sorte de calice se trouve dans les plantes graminées ; elle est composée de deux ou trois valvules, dont les bords sont le plus souvent transparens. 5°. Le chaton, amentum, julus ; il est composé de fleurs mâles, ou de fleurs femelles, attachées à un axe ou poinçon ; lorsqu'il y a des écailles, elles servent de calice aux fleurs. 6°. La coëffe, calypthra ; c'est une enveloppe mince, membraneuse, & de figure conique pour l'ordinaire ; elle couvre les parties de la fructification : on la trouve aux sommités des fleurs de plusieurs mousses. 7°. La bourse, volva ; ce calice est une enveloppe de quelques champignons ; elle les renferme d'abord, & ensuite il se fait dans le haut une ouverture, par laquelle ils sortent au-dehors.

La corolle, corolla ; il y en a de deux especes, le pétale, & le nectarium. Le pétale est monopétale ou polypétale, c'est-à-dire d'une seule piece ou de plusieurs pieces, qui sont les feuilles de la fleur ; lorsqu'il n'y a qu'une seule piece, on y distingue le tuyau & le lymbe ; lorsqu'il s'y trouve plusieurs pieces, chacune a un onglet & une lame. Le nectarium contient le miel ; c'est une fossette, une écaille, un petit tuyau, ou un tubercule. Le fleuron & le demi-fleuron dont il a déjà été fait mention, sont aussi des especes de corolles.

L'étamine, stamen, est la partie mâle de la génération des plantes ; elle est composée du filet & du sommet anthera, qui renferme les poussieres fécondantes.

Le pistil est la partie femelle de la génération ; il est composé du germe, du stile, & du stigmate ; le germe renferme les embryons des semences ; le stile est entre le germe & le stigmate, mais il ne se trouve pas dans toutes les plantes ; le stigmate est l'ouverture qui donne entrée aux poussieres fécondantes étamines, pour arriver aux embryons des semences à-travers le stile. Florae parisiensis prodrom. par M. Dalibard, Paris, 1749. Voyez PLANTE. (I)

FLEURS, (Physique) Des couleurs des fleurs. Après l'exposition des deux principaux systèmes de Botanique sur cette matiere, il reste à parler des couleurs des sleurs, & de l'art de les conserver.

L'on convient assez généralement parmi les Chimistes, que les couleurs dépendent du phlogistique, que c'est de sa combinaison avec d'autres principes, que résulte leur différence.

L'analyse nous a appris que les fleurs abondent en une huile essentielle, à laquelle, conformément à cette idée, leurs couleurs & la variété qui y regne peuvent être attribuées ; parce qu'une seule & même huile, l'huile essentielle de thym, par exemple, produit toutes les couleurs que nous trouvons dans les différentes fleurs des plantes, depuis le blanc jusqu'au noir parfait, avec toutes les ombres de rouge, de jaune, de pourpre, de bleu, & de verd, en mélant cette huile avec différentes substances. Ainsi, selon M. Geoffroy, les huiles essentielles des plantes, pendant qu'elles sont renfermées dans les fleurs, peuvent leur procurer différens mélanges, par cette aimable variété de couleurs qu'elles possedent.

Les infusions des fleurs, ou de quelques parties des plantes, rougissent par des acides, verdissent par des alkalis ; & l'on ne doute point que ce ne soit le phlogistique dont les teintures ou les infusions sont chargées, qui, par son union avec les sels, produit ces différentes couleurs. M. Geoffroy rapporte quelques expériences dans les Mémoires de l'académie des Sciences, année 1707. qui lui font conjecturer que ces combinaisons peuvent être les mêmes dans les plantes où l'on remarque les mêmes couleurs.

Les principales couleurs qui s'observent dans les fleurs sont le verd, le jaune citron, le jaune orangé, le rouge, le pourpre, le violet, le bleu, le noir, & le transparent, ou le blanc : de ces couleurs diversement combinées, sont composées toutes les autres.

Le verd seroit, suivant ce système, l'effet d'une huile raréfiée dans la fleur, & mêlée avec les sels volatils & fixes de la seve, lesquels restent engagés dans les parties terreuses, pendant que la plus grande partie de la portion aqueuse se dissipe. Du moins si l'on couvre des feuilles, ensorte que la partie aqueuse de la seve ne puisse se dissiper, & qu'elle reste au contraire avec les autres principes dans les canaux des feuilles, l'huile se trouve si fort étendue dans cette grande quantité de phlegme, qu'elle paroît transparente & sans couleur ; & c'est ce qui produit apparemment la blancheur de la chicorée, du celeri, &c. car cette blancheur paroît n'être dans ces plantes, & dans la plûpart des fleurs blanches, que l'effet d'un amas de plusieurs petites parties transparentes, & sans couleur chacune en particulier, dont les surfaces inégales refléchissent en une infinité de points, une fort grande quantité de rayons de lumiere.

Quand les acides rendent aux infusions de fleurs & aux solutions de tournesol la couleur rouge, c'est peut-être en détruisant l'alkali fixe, qui donnoit au phlogistique dans ces teintures la couleur bleue ou brune. Dans les fleurs, toutes les nuances jaunes, depuis le citron jusqu'à l'orangé, ou rouge de safran, pourroient venir d'un mélange d'acide avec l'huile, comme on voit que l'huile de thym digérée avec le vinaigre distillé, produit le jaune orangé ou le rouge de safran.

Toutes les nuances de rouge, depuis la couleur de chair jusqu'au pourpre & au violet foncé, seroient les produits d'un sel volatil urineux avec l'huile ; puisque le mélange de l'huile de thym avec l'esprit volatil de sel ammoniac, passe par toutes les nuances, depuis la couleur de chair jusqu'au pourpre & au violet foncé.

Le noir, qui dans les fleurs peut être regardé comme un violet très-foncé, paroît être l'effet d'un mélange d'acide par-dessus le violet pourpre du sel volatil urineux.

Les nuances du bleu proviendroient du mélange des sels alkalis fixes avec les sels volatils urineux & les huiles concentrées ; puisque l'huile de thym devenue de couleur pourpre par l'esprit volatil du sel ammoniac, digérée avec l'huile de tartre, prend une belle couleur bleue.

Le verd seroit produit par les mêmes sels, & par des huiles beaucoup plus raréfiées ; du moins l'huile de thym, couleur de violet pourpre, étendue dans l'esprit-de-vin rectifié & uni à l'huile de tartre, donne une couleur verte.

Tel est le système de M. Geoffroy, par lequel il suppose que les combinaisons qui produisent les différentes couleurs dans les expériences chimiques, se trouvent les mêmes dans les fleurs des plantes, & produisent pareillement leurs différentes couleurs naturelles ; mais un tel système n'est qu'une pure dépense d'esprit : car outre que les expériences faites en ce genre sont fort bornées, ce seroit une témérité de conclure du particulier au général, & plus encore des produits de la Chimie à ceux de la nature. En un mot, l'art qu'employe cette nature pour former dans les fleurs l'admirable variété de leurs couleurs, surpasse toutes nos connoissances théoriques.

De la conservation des fleurs. Notre pratique n'est guere plus heureuse dans les moyens imaginés jusqu'à ce jour pour conserver aux fleurs une partie de leur beauté. Elles se gâtent tellement par la maniere ordinaire de les sécher, qu'elles quittent non-seulement leurs premieres couleurs, mais les changent même, & se flétrissent au point de perdre leur forme & leur état naturel : la prime-rose & la primevere ne quittent pas seulement leur jaune, mais acquierent un verd foncé. Toutes les violettes perdent leur beau bleu, & deviennent d'un blanc pâle ; de sorte que dans les herbiers secs, il n'y a point de différence entre les violettes à fleurs bleues & les violettes à fleurs blanches.

Le chevalier Robert Southwell a bien voulu communiquer au public la meilleure méthode que je connoisse pour conserver les fleurs dans leur état naturel & dans leurs propres couleurs : voici cette méthode. On préparera deux plaques de fer longues de huit à dix pouces, ou davantage, larges à proportion, & d'une épaisseur suffisante pour n'être pas pliées : on percera ces plaques de fer à chaque coin, pour y mettre des écrous ou vis qui puissent les tenir serrées l'une contre l'autre à volonté. L'on cueillera sur le midi d'un jour bien sec la fleur qu'on voudra conserver ; l'on couchera cette fleur sur une feuille de papier pliée par la moitié, en étendant délicatement toutes les feuilles & les pétales : si la queue de la fleur est trop épaisse, on l'amincira, afin qu'elle puisse être applatie ; ensuite on posera quelques feuilles de papier dessus & dessous la fleur. On mettra par-dessus le tout l'une des deux plaques de fer, sans rien déranger ; on en serrera les écrous ; l'on portera les plaques ainsi serrées dans un four qui ne soit pas trop chaud, & on les y laissera pendant deux heures. Quand les fleurs sont grosses & épaisses, il faut couper adroitement les derrieres inutiles, & disposer les pétales dans leur ordre naturel.

Après avoir retiré vos plaques du four, faites un mélange de parties égales d'eau-forte & d'eau-de-vie ; ôtez vos fleurs de la presse des plaques, & frottez-les legerement avec un pinceau de poil de chameau trempé dans la liqueur dont on vient de parler : ensuite pressez délicatement vos fleurs avec un linge, pour en boire toute l'humidité : après cela, ayez en main une eau gommeuse composée d'un gros de sang-de-dragon dissous dans une pinte d'eau ; trempez un pinceau fin dans cette eau gommeuse ; frottez-en toute votre fleur, & couvrez-la de papier : enfin mettez-la de nouveau sous presse entre vos deux plaques, pour fixer votre eau gommeuse. Au bout de quelque tems, tirez votre fleur de la presse, & toute l'opération est finie.

Auteurs. On peut consulter sur la structure des fleurs, le Discours de Vaillant, imprimé à Leyden en 1718 in -4°.

Morlandi observationes de usu partibusque florum, dont j'ai lû l'extrait dans le Journal de Leipsic, année 1705. Janv. pag. 275. Voyez aussi Grew, Malpighi, & Ray. Mais ceux qui par curiosité & par amour pour la Botanique, les Arts, & le Dessein, veulent se former une belle bibliotheque en ce genre, doivent connoître ou se procurer les livres suivans, que je vais ranger par ordre alphabétique.

Boym (Michaël), jésuite, Flora sinensis ; Viennae-Austriae, 1656, in-fol.

Bry (Joh. Théod. de), Florilegium renovatum, pars I. Francof. anno 1612. II. anno 1614. III. anno 1518, fol. avec figures. Le même ouvrage a paru sous le nom de Anthologia magna ; Francof. 1626 & 1641, quatre tom. ordinairement reliés en un vol.

Besleri (Basilii) Hortus Eystettensis ; Norimbergae, 1613, deux vol. in-fol. charta imp. fig.

Dillenii (Joh. Jac.) Hortus Elthamensis ; Long. 1732. fol. mag. tab. aeneae 324.

Ferrari (Gio. Batt.) Flora overo cultura di fiori ; Romae, 1633 in -4°. & 1638. C'est le même ouvrage intitulé, Ferrarius, de florum culturâ, imprimé à Amst. en 1646 & 1664. in -4°. avec fig.

Hortus Malabaricus ; Amstelod. ab anno 1678 ad annum 1693, douze tomes in-fol. avec fig.

Laurembergius (Petrus) de plantis bulbosis & tuberosis ; Francof. 1654. in-4°. avec figures.

Linnaei (Caroli) Hortus Cliffortianus ; Amstelodami, 1737, in-fol. fig.

Munting (Abraham) Phytographia curiosa ; Amst. 1711, in-fol. avec fig.

Passaeus (Crispian), Hortus floridus ; Arnhemii, 1614, in-4°. oblong ; & à Utrecht, sous le titre de Jardin de fleurs, par Crispian de la Passe.

Parkinson (John.), A choice garden of all sorts of rarest flowers, &c. Lond. 1656. in-fol. avec fig.

Pontederae (Julii) Anthologia ; Patavii, 1720, in-4°. cum fig.

Recueil de plantes orientales, occidentales, & autres, au nombre de 250 planches gravées par Robert, Châtillon, & Bosse ; ce recueil de fleurs est très-rare & d'un très-grand prix.

Rossi (Giovanus Domenicus), Nuova ricolta di fiori cavati di naturale ; in Roma, 1645, fol.

Sloane (Hans). Voyez son Voyage à la Jamaïque, en anglois ; London, 1707 & 1725, fig.

Swertius (Emmanuel), Florilegium ; Francof. 1612. Amstelod. 1647. in-fol. imp. Antuerp. 1651 & 1657, fol. avec figures qui sont d'une grande beauté.

Theatrum Florae, in quo ex toto orbe venustiores flores aeri incisi proferuntur ; Paris 1622, chez de Mathonniere, in-fol. On attribue ce recueil à Robert.

Toulouse (Guillaume), maître brodeur de Montpellier, Livre de fleurs, feuilles, & oiseaux, inventé & dessiné d'après le naturel ; à Montpellier, 1656, fol. fig.

Anonymes. Flower-garden display'd in above 400 curious representations of the most beautiful flowers, colour'd to the life ; London, 1735, fol.

J. H. Recueil de diverses fleurs mises au jour ; Paris, 1653, in-fol. Art. de M(D.J.)

FLEUR, (Agricult.) Les Jardiniers-Fleuristes restraignent le mot de fleur à quelques plantes qu'ils cultivent à cause de la beauté de leurs fleurs, & qui servent d'ornement & de décoration aux jardins, tels sont les oeillets, les tulipes, les renoncules, les anémones, les tubéreuses, &c. ce qu'il y a de singulier, c'est que nous n'avons point de belles fleurs, excepté les oeillets, qui originairement ne viennent du Levant. Les renoncules, les anémones, les tubéreuses, plusieurs especes d'hyacinthes, de narcisses, de lys, en sont aussi venues ; mais on les a rectifiées en Europe par le secours d'un art éclairé. Il ne faut plus aller à Constantinople pour admirer ces fleurs ; c'est dans les jardins de nos curieux qu'il faut voir leur étalage successif, & en apprendre la culture.

Les fleurs ont des graines qui produisent des tiges ; & ces tiges sortent ou de racine ou d'oignons : ainsi on peut distinguer de deux sortes de fleurs ; celles qui viennent de racines, & celles qui viennent d'oignons : mais toutes ces fleurs peuvent se multiplier par des cayeux, par des boutures, par des tailles, & par des marcottes. Il seroit trop long de faire venir de toutes les fleurs par le moyen de leurs graines ; il est d'autres moyens dont nous parlerons : cependant comme il y a quelques fleurs qu'il faut élever de graines, nous commencerons par en indiquer la maniere.

De toutes les graines qui passent l'hyver, il y en a qu'on peut semer sur des couches, pour être replantées en d'autres lieux, & les autres ne se replantent que difficilement, ou point-du-tout. Les Jardiniers ordinaires sement toutes les graines des fleurs en quatre tems ; savoir, en Février, en Mars, en Avril, & en Mai ; mais on en peut semer pendant toute l'année.

On fait une couche de bon fumier ; on met dessus un demi-pié de vieux terreau bien pourri : au bout de huit ou dix jours que la couche sera faite, lorsque la plus grande chaleur en sera passée, on semera toutes les graines, chaque sorte dans son rayon ; on les couvrira de terreau, de l'épaisseur de deux travers de doigt ; on les arrosera avec un petit arrosoir, & une fois tous les jours, s'il fait sec. Quand elles seront grandes, on peut prendre un grand arrosoir ; & si elles se découvrent, on doit les recouvrir avec un peu de terreau. Il ne faut pas manquer de les couvrir tous les soirs, de crainte de la gelée blanche. Les couvertures ne doivent pas poser sur la couche ; on les élevera, ou on les mettra en dos d'âne sur des cerceaux ; & tout le tour de la couche sera bien bouché, pour que la gelée n'y entre point. On découvre ces fleurs semées de graines, quand le soleil est sur la couche, & on les recouvre le soir, quand le soleil est retiré. S'il ne geloit point, on pourroit les laisser à l'air ; mais on y doit prendre garde, parce que deux heures de gelée peuvent tout perdre.

Quand ces fleurs sont de la hauteur nécessaire pour les replanter, on les replante dans les parterres, partout où on le juge à propos, pourvû que la terre soit bonne & bien labourée. On leur redonnera de l'eau sitôt qu'elles seront replantées, & on continuera toûjours, si la terre est seche, & qu'il ne pleuve point ; mais il ne faut rien arracher dans les rayons des couches, que les plantes ne soient grandes, de peur de les arracher pour de l'herbe ; car elles viennent de même.

On plante les oignons des fleurs depuis le commencement de Septembre jusqu'à la fin d'Avril, c'est-à-dire deux fois l'année, en automne & au printems : soit qu'on plante en pots ou en planche, il faut la même terre & la même façon à l'un qu'à l'autre. On prend un quart de bonne terre neuve, un quart de vieux terreau, & un quart de bonne terre de jardin ; on passe le tout à la claie : on fait ensorte qu'il y ait un pié de cette terre sur la planche ; on y plante les oignons, ou on en remplit les pots. Les oignons se plantent à la profondeur d'un demi-pié en terre. Les pots, qui doivent être creux & grands, sont mis en pleine terre jusqu'aux bords ; & on ne les en retire que quand ils sont prêts à fleurir. S'il ne gele point, & que la terre soit seche, on leur donne un peu d'eau : s'il geloit bien fort, on mettroit quatre doigts d'épaisseur de bon terreau sur les planches, & on les couvriroit ; on mettroit des cerceaux dessus pour soûtenir les paillassons, qu'on ôteroit quand le soleil seroit sur les planches, & qu'on remettroit quand il n'y seroit plus. S'il fait sec au printems, il faut arroser les oignons de fleurs.

Pour faire croître extrèmement une fleur, on l'arrose quelquefois de lexive faite avec des cendres de plantes semblables, que l'on a brûlées : les sels qui se trouvent dans cette lexive, contribuent merveilleusement à donner abondamment ce qui est nécessaire à la végétation des plantes, sur-tout à celles avec lesquelles ces sels ont de l'analogie.

Les fleurs qui ne viennent qu'au printems & dans l'été paroîtront dès l'hyver, dans les serres, ou en les excitant doucement par des alimens gras, chauds, & subtils, tels que sont le marc de raisins, dont on aura retranché toutes les petites peaux, le marc d'olives, & le fumier de cheval. Les eaux de basse-cour contribuent aussi beaucoup à hâter la floraison : mais nous en dirons davantage au mot OIGNON DE FLEURS ou PLANTE BULBEUSE.

L'intérêt & la curiosité ont fait trouver les moyens de panacher & de chamarrer de diverses couleurs les fleurs des jardins, comme de faire des roses vertes, jaunes, bleues, & de donner en très-peu de tems deux ou trois coloris à un oeillet, outre son teint naturel. On pulvérise, par exemple, pour cela de la terre grasse cuite au soleil ; on arrose ensuite l'espace de vingt jours d'une eau rouge, jaune ou d'une autre teinture, après qu'on a semé dans cette terre grasse la graine de la fleur, d'une couleur contraire à cet arrosement artificiel.

Il y en a qui ont semé & greffé des oeillets dans le coeur d'une ancienne racine de chicorée sauvage, qui l'ont relié étroitement, & qui l'ont environné d'un fumier bien pourri ; & par les grands soins du fleuriste, on a vû sortir un oeillet bleu, aussi beau qu'il étoit rare. D'autres ont enfermé dans une petite canne, bien déliée & frêle, trois ou quatre graines d'une autre fleur, & l'ont recouverte de terre & de bon fumier. Ces semences de diverses tiges ne faisant qu'une seule racine, ont ensuite produit des branches admirables pour la diversité & la variété des fleurs. Enfin quelques fleuristes ont appliqué sur une tige divers écussons d'oeillets différens, qui ont poussé des fleurs de leur couleur naturelle, & qui ont charmé par la diversité de leurs couleurs.

Il y a beaucoup d'autres secrets pour donner de nouvelles couleurs aux fleurs, que les Fleuristes gardent pour eux.

Ce sont les plantes des fleurs les plus vigoureuses, que l'on réserve pour la graine, & l'on coupe les autres. Quand cette graine qu'on conserve est mûre, on la recueille soigneusement, & on la garde pour la planter en automne : on excepte de cette regle les graines de giroflées & d'anémones, qu'il faut semer presque aussi-tôt qu'on les a cueillies. Pour connoître les graines, on les met dans l'eau ; celles qui vont au fond sont les meilleures ; & pour les empêcher d'être mangées par les animaux qui vivent en terre, on les trempe dans une infusion de joubarbe ; & après cette infusion, ou les seme dans de bonne terre, comme on l'a dit ci-dessus.

Pour les oignons qui viennent de graines, ils ne se transplantent qu'après deux années, au bout desquelles on les met dans une terre neuve & legere, pour leur faire avoir des fleurs à la troisieme année. Il nous reste à dire que pour garantir les fleurs du froid pendant l'hyver, il faut les mettre à couvert, mais dans un endroit aéré ; & dans l'été, il faut les défendre de la chaleur, en les retirant dans un endroit où le soleil ne soit pas ardent.

Pendant l'hyver, les fleurs ne demandent pas d'être humectées d'une grande quantité d'eau ; il les faut arroser médiocrement, 2 ou 3 heures après le lever du soleil, & jamais le soir, parce que la fraîcheur de la terre & la gelée les feroient infailliblement mourir ; & quand on les arrose dans cette saison, on doit prendre garde de ne les pas mouiller ; il faut seulement mettre de l'eau tout-à-l'entour. Au contraire dans l'été, il les faut arroser le soir, après le soleil couché, & jamais le matin, parce que la chaleur du jour échaufferoit l'eau ; & cette eau échauffée brûleroit tellement la terre, que les fleurs tomberoient dans une langueur qui les feroit flétrir & sécher.

Les fleurs qui viennent au printems, & qui ornent les jardins dans le mois de Mars, d'Avril, & Mai, sont les tulipes hâtives de toute sorte, les anémones simples & doubles à peluches, les renoncules de Tripoli, les jonquilles simples & doubles, les jacinthes de toutes sortes, les bassinets ou boutons d'or, l'iris, les narcisses, la couronne impériale, l'oreille d'ours, les giroflées, les violettes de Mars, le muguet, les marguerites ou paquettes, les primeveres ou paralyses, les pensées, &c.

Celles qui viennent en été, c'est-à-dire en Juin, Juillet, & Août, sont les tulipes tardives, les lis blancs, lis orangés ou lis-flammes, les tubereuses, les hémérocales ou fleurs d'un jour, les pivoines, les martagons, les clochettes ou campanules, les croix de Jérusalem ou de Malte, les oeillets de diverses especes, la giroflée jaune, la julienne simple, la julienne double ou giroflée d'Angleterre, le pié d'aloüette, le pavot double, le coquelicot double, l'immortelle ou elychrisum, les basilics simples ou panachés, &c.

Les fleurs qui viennent en automne, c'est-à-dire dans les mois de Septembre, d'Octobre, & de Novembre, sont le crocus ou safran automnal, la tubéreuse, le cyclamen automnal, le souci double, les amaranthes de toutes sortes ; le passe-velours ou queue de renard, le tricolor blanc & noir, les oeillets d'Inde, la bellesamine panachée, les roses d'Inde, le stramonium ou la pomme épineuse, le geranium couronné, la valérienne, le talaspic vivace, le muffle de lion, l'ambrette ou chardon benit, &c.

Les fleurs d'hyver, qui viennent en Décembre, Janvier, & Février, sont le cyclamen hyvernal, la jacinthe d'hyver, les anémones simples, les perce-neige ou leucoyon, les narcisses simples, les crocus printaniers, les prime-veres, les hépatiques, &c.

Entre plusieurs ouvrages sur cette matiere, on peut lire Ferrarius, de florum culturâ ; Amstel. 1648, in-4°. Morin, Traité de la culture des fleurs ; Paris, 1658, in-12, premiere édit. qui a été souvent renouvellée : Liger, le Jardinier-fleuriste ; Paris, 1705 : le Jardin de la Hollande ; Leyde, 1724, in-12 : Chomel ; & sur-tout Miller, dans son Dictionnaire du jardinage. Indépendamment de quantité de traités généraux, on ne manque pas de livres sur la culture de quelques fleurs particulieres, comme des oeillets, des tulipes, des oreilles d'ours, des roses, des tubéreuses, &c. Enfin personne n'ignore que la passion des fleurs, & leur culture, a été poussée si loin en Hollande dans le dernier siecle, qu'il a fallu des lois de l'état pour borner le prix des tulipes. Article de M(D.J.)

FLEUR DE LA PASSION ou GRENADILLE, granadilla ; genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Le pistil est entouré d'une frange à sa base, & sort d'un calice découpé. Il porte à son extrémité un embryon surmonté de trois corps ressemblans en quelque façon à trois clous. Les étamines sont placées au-dessous du pistil. L'embryon devient dans la suite un fruit ovoïde, presque rond & charnu. Ce fruit n'a qu'une seule capsule, & renferme des semences enveloppées d'une coëffe, & attachées aux côtés du placenta. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

FLEUR AU SOLEIL, corona solis. Cette plante est différente de l'héliotrope ou tournesol. Voyez HELIOTROPE. Elle se divise en deux especes : la premiere s'éleve environ de cinq à six piés, & forme une tige droite, avec des feuilles très-larges, dentelées en leurs bords ; il naît à sa sommité une grande fleur radiée, dont le disque est composé de plusieurs fleurons jaunes, arrangés en forme de couronne, au milieu de laquelle sont des demi-fleurons séparés par des feuilles pliées en gouttiere, & comprises dans un calice où sont des loges à semences, plus grosses que celles du melon. Cette plante se tourne toûjours vers le soleil d'où elle a pris son nom. Elle vient de graine fleurie en été, demande un grand air, une terre grasse, & beaucoup de soleil. La seconde espece qui est plus basse, se divise en plusieurs rameaux, formant une touffe, & portant chacun une fleur plus petite que l'autre.

Ces soleils sont vivaces, & se multiplient par les racines. Ils se plaisent dans toutes sortes de terres, & la seule nature en prend soin. Ils ne conviennent que dans les potagers, & entre les arbres isolés d'une grande allée d'un parc ; rarement s'en sert-on dans les beaux jardins, à moins que ce ne soit à l'écart. On les peut tondre en buissons, en retranchant aux ciseaux les branches qui s'élevent trop. (K)

FLEUR DE CARDINAL, Voyez CONSOUDE ROYALE.

FLEURS DE MUSCADE, (Pharmacie & Matiere médicale.) Voyez MACIS.

FLEURS, (Pharmac.) Les Apothicaires conservent dans leurs boutiques un nombre assez considérable de fleurs. Voyez leurs usages tant officinaux que magistraux aux articles particuliers.

Pour que ces fleurs soient de garde, elles doivent être desséchées très-rapidement, parce que le mouvement de fermentation qui s'excite pendant une dessication lente, détruiroit leur tissu délicat, & altéreroit par-là leur vertu & leur couleur. Qu'il faille conserver la vertu des fleurs qu'on desseche on en conviendra aisément ; qu'il soit très-utile de conserver leur couleur autant qu'il est possible, on se le persuadera aussi lorsqu'on saura que non-seulement l'élégance de la drogue en dépend, mais même que la conservation de la couleur est un très-bon signe pour reconnoître la perfection du médicament.

Les fleurs qui ont une couleur délicate, telles que celles de mauve, de roses pâles, de petite centaurée, la violette, la perdent presqu'entierement si on les expose immédiatement au soleil ; mais elles ne souffrent pas la moindre altération dans leur couleur, si on interpose le papier le plus mince entre la fleur à sécher & les rayons du soleil. Les fleurs de violette ont cependant besoin pour conserver leur couleur, d'être desséchées par une manoeuvre particuliere. Voy. VIOLETTE.

Le phénomene de la destruction de ces couleurs par l'action immédiate ou nue des rayons du soleil, est bien remarquable, en ce qu'elle ne dépend pas ici du soleil comme chaud ; car la chaleur que la fleur éprouve encore à l'ombre de ce papier, supposé qu'elle soit diminuée bien considérablement, peut être supérieure à celle qu'elle éprouveroit aux rayons immédiats d'un soleil moins ardent ; & cependant l'ombre plus chaude conservera la couleur, & le soleil nud plus foible la mangera. Au reste peut-être faudroit-il commencer par constater le fait par de nouvelles expériences ; l'établissement du fait & des recherches sur la cause fourniroient les deux parties d'un mémoire fort curieux, dont la premiere seroit physique & très-aisée, & la derniere chimique & très-difficile. (b)

FLEURS D'ARGENT, (Hist. nat. Minéralog.) nom donné par quelques auteurs à la substance que l'on nomme plus communément lac lunae. Voy. cet article.

FLEURS DE FER, (Hist. nat. Minéralogie) Flos martis, flos ferri, &c. nom que l'on donne improprement à une espece de stalactite ou de concrétion pierreuse, spathique ou calcaire, qui est souvent d'un blanc aussi ébloüissant que la neige, qui se trouve attachée aux voûtes des soûterreins de quelques mines ; ces stalactites ou concrétions sont de différentes formes & grandeurs, & la couleur en varie suivant que la matiere en est plus ou moins pure. Le nom qu'on leur donne sembleroit indiquer qu'elles sont martiales ou contiennent du fer ; mais lorsqu'il s'y trouve une portion de ce métal, ce n'est qu'accidentellement, & elles ne different en rien des autres stalactites. On dit que le nom de flos martis a été donné à cette espece de concrétion dans les mines de fer de Stirie, où elle se trouve très-fréquemment. (-)

FLEURS D'ASIE, (Hist. nat. Minéralogie) nom que quelques voyageurs ont donné à un sel qui se trouve à la surface de la terre dans plusieurs endroits de l'Asie ; on l'appelle aussi terre savonneuse de Smyrne. C'est la même chose que le natron ou nitrum des anciens, d'où l'on voit que c'est un sel alkali fixe, semblable à la potasse ; il fait effervescence avec les acides, forme du savon avec les huiles, & est d'un goût caustique. Voyez NATRON & le supplément du Dictionnaire de Chambers. (-)

FLEURS, (CHIMIE) c'est un produit de la sublimation, qui se ramasse dans la partie supérieure des vaisseaux sublimatoires, sous la forme d'un corps rare & peu lié. Voyez SUBLIMATION.

FLEUR-DE-LIS, (Jurispr. Franç.) fer marqué de plusieurs petites fleurs-de-lis par ordre de la justice, que le bourreau applique chaud pendant un instant sur l'épaule d'un coupable qui mérite peine afflictive, mais qui ne mérite pas la mort. Coquille observe que la flétrissure de la fleur-de-lis n'a pas seulement été introduite parmi nous comme une peine afflictive, mais de plus comme un moyen de justifier si l'accusé a déjà été puni par la justice de quelque crime, dont la récidive le rend encore plus criminel.

Cette idée de flétrissure est fort ancienne ; les Romains l'appelloient inscriptio. Les Samiens, au rapport de Plutarque, imprimerent une choüette sur les Athéniens qu'ils avoient faits prisonniers de guerre.

Platon ordonna que ceux qui auroient commis quelque sacrilége, seroient marqués au visage & à la main, & ensuite foüettés & bannis. Eumolpe dans Pétrone, couvre le visage de son esclave fugitif, de plusieurs caracteres qui faisoient connoître ses diverses fautes. Cette pratique eut lieu chez les Romains, jusqu'au tems de l'empereur Constantin, qui défendit aux juges de faire imprimer sur le visage aucune lettre qui marquât le crime commis par un coupable, permettant néanmoins d'imprimer cette lettre sur la main ou sur la jambe, afin, dit-il, que la face de l'homme qui est l'image de la beauté céleste, ne soit pas deshonorée. Leg. 17. cod. de poenis. Sans examiner la solidité de la raison qui a engagé Constantin à abolir la flétrissure sur le visage, nous dirons seulement que cette rigueur a paru trop grande par plusieurs autres motifs aux législateurs modernes, de sorte qu'en France & ailleurs on ne flétrit aujourd'hui que sur l'épaule. Voyez FLETRISSURE. Article de M(D.J.)

FLEURS D'UN VAISSEAU, (Marine) c'est la rondeur qui se trouve dans les côtés du vaisseau, ou bien toutes les planches qui forment cette rondeur dans le bordage extérieur, dont la plus basse est posée auprès de la derniere planche du bordage de fond, & la plus haute joint le franc bordage. Voyez BORDAGE DES FLEURS.

Pour la beauté du gabarit d'un vaisseau, il faut que les fleurs montent & s'élevent avec une rondeur agréable à la vûe, & bien proportionnée. Selon quelques charpentiers, le rétrecissement que fait la rondeur des fleurs de-haut en-bas, depuis le gros jusqu'au plat-fond, doit être du tiers du creux du vaisseau pris sous l'embelle ; par exemple, dix piés de creux doivent donner trois piés un tiers de retrécissement. (Z)

FLEURS, (Marine) donner les fleurs à un vaisseau. Voyez FLORER.

FLEUR, à fleur d'eau, (Marine) c'est-à-dire au niveau de la surface de l'eau. Tirer à fleur d'eau, c'est tirer au niveau, & le plus près qu'il est possible de la surface de l'eau. (Z)

FLEURS, dans l'art de Peinture. Peindre les fleurs, c'est entreprendre d'imiter un des plus agréables ouvrages de la nature. Elle semble y prodiguer tous les charmes du coloris. Dans les autres objets qu'elle offre à nos regards, les teintes sont rompues, les nuances confondues, les dégradations insensibles ; l'effet particulier de chaque couleur se dérobe pour ainsi dire aux yeux ; dans les fleurs, les couleurs les plus franches semblent concourir & disputer entr'elles. Un parterre peut être regardé comme la palette de la nature. Elle y présente un assortissement complet de couleurs séparées les unes des autres ; & pour montrer sans-doute combien les principes auxquels nous prétendons qu'elle s'est soûmise, sont audessous d'elle, elle permet qu'en assemblant un grouppe de fleurs, on joigne ensemble les teintes que la plûpart des artistes ont regardées comme les plus antipathiques, sans craindre qu'elles blessent les lois de l'harmonie. Est-il donc en effet des couleurs antipathiques ? non sans-doute. Mais la peinture & généralement tous les arts ne se voyent-ils pas trop souvent resserrés par des chaînes que leur ont forgées les préjugés ? Qui les brisera ? le génie.

Les artistes enrichis de ce don céleste, ont le privilége de secoüer le joug de certaines regles qui ne sont faites que pour les talens médiocres. Ces artistes découvriront en examinant un bouquet, des beautés hardies de coloris qu'ils oseront imiter. Pausias les surprit dans les guirlandes de Glycere, & en profita.

Je crois donc qu'une des meilleures études de coloris qu'un jeune artiste puisse faire, est d'assembler au hasard des grouppes de fleurs, & de les peindre ; qu'il joigne à cette étude celle de l'effet qu'elles produisent sur différens fonds, il verra s'évanoüir cette habitude servile d'apposer toûjours des fonds obscurs aux couleurs brillantes qu'on veut faire éclater. Des fleurs différentes, mais toutes blanches, étalées sur du linge ; un cygne qui vient leur comparer la couleur de ses plumes ; un vase de cette porcelaine ancienne si estimée par la blancheur de sa pâte, & qui renferme un lait pur, formeront un assemblage dans lequel la nature ne sera jamais embarrassée de distinguer des objets, qu'elle semble avoir trop uniformement colorés. Pourquoi donc, lorsqu'il s'agit d'imiter l'éclat du teint d'une jeune beauté, recourir à des oppositions forcées & peu vraisemblables ? Pourquoi, si l'on veut éclairer une partie d'un tableau, répandre sur le reste de l'ouvrage une obscurité rebutante, une nuit impénétrable ? pourquoi donner ainsi du dégoût pour un art dont les moyens trop apperçûs blessent autant que ses effets plaisent ? Ce que je viens de dire a, comme on le voit, rapport à l'art de la Peinture en général. Cependant comme le talent de peindre les fleurs est un genre particulier qui remplit souvent tous les soins d'un artiste, il est bon de faire quelques observations particulieres. Une extrème patience, un goût de propreté dans le travail, un génie un peu lent, des passions douces, un caractere tranquille, semblent devoir entraîner un artiste à choisir des fleurs pour l'objet de ses imitations. Cependant pour les peindre parfaitement, toutes ces qualités ne suffisent pas. Les fleurs, objets qui semblent inanimés, par conséquent froids, demandent pour intéresser dans la représentation qu'on en fait, une idée de mouvement, une chaleur dans le coloris, une legereté dans la touche, un art & un choix dans les accidens, qui les mettent pour ainsi dire au-dessus de ce qu'elles sont Ces êtres qui vivent ont toutes ces qualités aux yeux de ceux qui les savent appercevoir ; & l'on a vû Baptiste & Desportes avec une façon de peindre fiere, large, & souvent promte, imiter le velouté des roses, & rendre intéressante la symmétrie de l'anémone. Une fleur prête d'éclorre, une autre dans le moment où elle est parfaite, une troisieme dont les beautés commencent à se flétrir, ont des mouvemens différens dans les parties qui les composent. Celui des tiges & des feuilles n'est point arbitraire, c'est l'effet de la combinaison des organes des plantes. La lumiere du soleil qui leur convient le mieux, offre par sa variété des accidens de clair-obscur sans nombre. Les insectes, les oiseaux qui joüissent plus immédiatement que nous de ces objets, ont droit d'en animer les représentations. Les vases où on les conserve, les rubans avec lesquels on les assemble, doivent orner la composition du peintre : enfin il faut qu'il s'efforce de faire naître par la vûe de son ouvrage, cette sensation douce, cette admiration tranquille, cette volupté délicate qui satisfait nos regards lorsqu'ils se fixent sur la nature.

Mais insensiblement je paroîtrois peut-être pousser trop loin ce que peut exiger un genre qui n'est pas un des principaux de l'art dont je parle. Je finis donc en recommandant aux Peintres de fleurs un choix dans la nature des couleurs, & un soin dans leur apprêt, qui semble leur devoir être plus essentiel qu'aux autres artistes ; mais qui n'est en général que trop souvent négligé dans les atteliers. Les fleurs sont un genre de peinture, comme l'histoire, le portrait, &c. On dit, ce peintre fait les fleurs, c'est un peintre-fleuriste. Article de M. WATELET.

FLEUR DE PECHER, (Manége, Maréchall.) auber, mille-fleurs, expressions synonymes. L'immense variété des couleurs & des nuances de la robe ou du poil des chevaux, a fait imaginer une multitude de noms, à l'effet d'en spécifier les différences ; un mêlange assez confus de blanc, de bay & d'alzan a parû sans-doute un composé approchant de la couleur des fleurs de pêche ; de-là la dénomination dont il s'agit. (e)

FLEUR DE FARINE, en terme de Boulanger, c'est la plus pure, la plus fine farine que les Boulangers mettent en usage.

FLEUR, terme de Fabrique de cuirs. Les Tanneurs, Corroyeurs, Chamoiseurs, Mégissiers, Peaussiers, & autres ouvriers qui préparent les peaux, appellent fleur la superficie ou le côté de la peau d'où l'on a enlevé le poil ou la laine : l'autre côté se nomme chair, parce qu'il y étoit attaché.

Les principaux apprêts qu'on donne aux cuirs pour les disposer à être employés aux différens usages qu'on en fait, se donnent du côté de la fleur.

Les Corroyeurs appliquent toûjours les couleurs sur le côté de fleur ; il n'y a que les veaux passés en noir, auxquels ils appliquent une couleur orangée du côté de chair, par le moyen du sumac.

Les Peaussiers-Teinturiers en cuir, & les Chamoiseurs, appliquent les couleurs des deux côtés. Quand on donne aux peaux le suif des deux côtés, cette opération s'appellent donner le suif de chair & de fleur.

On appelle peaux effleurées, celles dont on a enlevé cette pellicule nommée épiderme ; mais on donne le nom de peaux à fleur à celles auxquelles on a conservé cette pellicule. Voyez TANNER, CORROYER, CHAMOIS, MEGIE.

FLEURS, terme de Marchand de modes ; ce sont de petites fleurs d'Italie de toute sorte de couleurs, que les marchands de modes achetent des marchands de fausses-fleurs, & les revendent aux femmes, qui les placent dans leurs cheveux & sur leur coëffure.

FLEURS, (Rubaniers) est une imitation de toutes les différentes fleurs imaginables, exécutées soit en soie, en vélin, ou en coques de vers à soie dépouillées de leur soie. A l'égard de celles qui sont de vélin ou de coques, la fabrique n'en appartient pas à ce métier, mais seulement l'emploi ; elles servent à orner les habillemens des dames, à faire des coëffures, aigrettes, palatines, & quantité d'autres ouvrages à leur usage. Il est surprenant de voir la beauté & la variété de ces ouvrages exécutés en fleurs, qui, quoiqu'artificielles, représentent le naturel jusqu'à tromper les yeux des plus habiles connoisseurs. Effectivement les fleurs que ce métier fait éclorre, imitent si parfaitement le nuancé & le fondu des couleurs, que le pinceau peut à peine faire mieux. Les fleurs de vélin, coques de vers, ou autres, que j'ai dit ne pas appartenir à ce métier, se font par différens artistes ; mais les plus belles & les plus parfaites nous viennent d'Italie.

FLEURS se dit encore de tout ce qui compose les différentes parties des desseins à l'usage de ce métier, quoique ce soient le plus souvent des parties qui regardent plûtôt l'ornement que les fleurs.

FLEURS-DE-LIS, (Rubanier) c'est un ornement qui garnit les lisieres de différens ouvrages ; ce sont des fers, ainsi que pour la dent de rat (voyez DENT DE RAT), qui servent à les former, à l'exception qu'ici il y a deux fers de chaque côté. Les fers servant à former les deux côtés de la fleurs-de-lis, levent seuls ; mais lorsqu'il s'agit de la pointe du milieu, les deux levent ensemble, & servent ainsi à former l'éminence nécessaire à cette figure. On sent parfaitement que lorsque la trame environne les deux fers à-la-fois, leur épaisseur double donne occasion à cette trame d'excéder plus considérablement que lorsqu'il n'en leve qu'un. Ainsi se termine la fleur-de-lis, pour être recommencée à une certaine distance égale.

FLEURS BLANCHES, (Medecine) par abréviation pour flueurs blanches, , fluor muliebris, fluor albus. On donne vulgairement ce nom à tout écoulement, à tout flux, qui se font par la voie des menstrues, de matiere différente du sang & du pus.

C'est le rapport qui se trouve entre l'origine, l'issuë du fluide morbifique & celles des regles, dont le mot fleurs est un des synonymes, qui a donné lieu à l'application de ce nom-ci à cette maladie. C'est de ce rapport, joint à la couleur qui distingue le plus souvent les humeurs de cet écoulement vicieux, qu'a été formée, pour la désigner, la dénomination de fleurs blanches. On lui donne aussi le nom de perte blanche, pour exprimer que l'évacuation qui se fait dans ce cas, est absolument une lésion de fonction, par laquelle il se répand hors du corps des humeurs qui doivent y être retenues ; qu'elle est une vraie lésion à l'égard des vaisseaux d'où se fait cette effusion, qui ne doivent, hors le tems de la menstruation, laisser échapper rien de ce qu'ils contiennent.

On peut par conséquent regarder les fleurs blanches comme une espece de diarrhée de la matrice, & du vagin ; d'autant plus que la matiere de cet écoulement a cela de commun avec celle de la diarrhée proprement dite, qu'elle est d'aussi différentes qualités dans celui-là, que la matiere de celle-ci, quant aux humeurs animales rendues dans le flux de ventre. En effet, l'humeur qui se répand dans les fleurs blanches, est tantôt séreuse ou lymphatique simplement ; tantôt elle est pituiteuse, ou muqueuse & glaireuse, tantôt elle est bilieuse, avec plus ou mois d'intensité, & même quelquefois sanieuse : d'où il s'ensuit que cette humeur peut se présenter sous différentes couleurs. Lorsque les premieres qualités y dominent, elle est limpide & plus ou moins claire, sans couleur, avec les secondes qualités elle est plus ou moins blanchâtre, ressemblant à du lait ou à de la creme d'orge ; elle a plus ou moins de consistance. Avec la derniere des qualités mentionnées, elle paroît jaunâtre, ou d'un verd plus ou moins foncé : dans les premiers de ces différens cas, elle n'a point ou très-peu d'acrimonie & de mauvaise odeur ; dans les derniers, elle est presque toûjours acre, irritante, excoriante même, & plus ou moins fétide.

Les fleurs blanches forment quelquefois un écoulement continuel, rarement bien abondant ; quelquefois il cesse par intervalles irréguliers ou périodiques : il précede souvent chaque évacuation ordinaire des menstrues, & il subsiste quelque tems après qu'elle est finie.

La connoissance des causes du flux menstruel est absolument nécessaire pour juger de celles des fleurs blanches (voyez MENSTRUES) : il suffira d'en donner ici un précis, pour l'intelligence des différens symptomes, des différentes circonstances de cette maladie.

Le sang qui s'écoule périodiquement des parties de la génération, dans les personnes du sexe, est un effet de la pléthore générale & particuliere, de la surabondance d'humeurs qui se forme dans leur corps, lorsqu'elles ont atteint l'âge où il ne prend presque plus d'accroissement : les sucs nourriciers qui étoient employés à cet usage, restent dans la masse du sang, en augmentent le volume, & font, par les lois de l'équilibre dans les solides du corps humain, que cet excès, qui est d'abord distribué dans tous les vaisseaux, est porté, par la résistance générale qu'ils opposent à être dilatés ultérieurement, dans ceux où cette résistance est moindre. Voyez ÉQUILIBRE (Economie anim.). Tels sont les vaisseaux utérins, par la disposition qui leur est propre dans l'état naturel. Voyez MATRICE. Ils sont donc dans le cas de céder de plus en plus, à proportion que la plethore augmente ; mais ils ne cedent que jusqu'au point où le tiraillement de leurs parois devient une cause de réaction nécessaire pour le faire cesser, sans quoi ils perdroient absolument leur ressort : alors le surcroît de sang continuant à y être porté, force les orifices des vaisseaux lymphatiques, pénetre & se loge dans ceux-ci : les remplit à leur tour outre mesure ; aussi-bien que les sinus qui en dépendent ; ensorte que tous ces derniers vaisseaux ayant cédé au point où ils ne pourroient pas le faire davantage sans se rompre, sont aussi excités à réagir, pour se vuider de l'excès des fluides qu'ils contiennent. Les divisions ultérieures de ces vaisseaux sont forcées à recevoir cet excès, & se dilatent à ce point, que les collatéraux qui s'abouchent dans la cavité de la matrice & du vagin, qui n'y laissent, hors le tems des regles, suinter qu'une petite quantité d'humeur lymphatique, comme salivaire, pour humecter & lubrifier ces cavités, & qui servent dans le tems de la grossesse à établir la communication entre la substance de la matrice & le placenta (voyez GENERATION), sont dilatés de maniere à laisser passer d'abord une plus grande quantité de cette humeur, & ensuite la colonne de sang qui s'y fait une issue : ainsi ce dernier fluide s'écoule jusqu'à ce que l'excédent qui avoit causé la surabondance d'humeur dans tout le corps, & dans la matrice en particulier, soit évacué, & permette à tous les vaisseaux de jouir de leur force systaltique ordinaire ; de maniere que cet écoulement diminue & finit comme il a commencé. Les vaisseaux lymphatiques se resserrent peu-à-peu, au point de ne plus recevoir de globules rouges, & même de ne laisser échapper de la lymphe que de moins en moins, jusqu'à ce que les choses reviennent dans l'état où elles étoient, lorsque les vaisseaux utérins, tant sanguins que lymphatiques, ont commencé à être forcés à recevoir plus de fluides qu'à l'ordinaire.

Cela posé en général concernant la maniere dont se fait l'écoulement du sang menstruel, il se présente naturellement à observer qu'il est donc précédé & suivi d'un flux de matiere lymphatique que l'on peut regarder comme des fleurs blanches, qui paroissent naturellement avant & après les fleurs rouges ; mais comme celles-là subsistent très-peu dans l'état de santé, on ne les distingue pas des regles mêmes, tant que l'écoulement de l'humeur blanche est peu considérable par sa quantité & par sa durée, après celui de l'humeur rouge : ainsi dans le cas contraire, où la pléthore est non-seulement assez considérable, assez subsistante pour donner lieu aux menstrues, mais encore pour empêcher qu'après qu'elles sont finies, les vaisseaux lymphatiques se resserrent tout de suite assez pour ne plus laisser échapper rien de ce qu'elles contiennent ; le flux d'humeurs blanches, qui se fait après celui du sang, n'étant pas d'aussi peu de durée qu'à l'ordinaire, & subsistant au-delà, à proportion de la quantité de fluide surabondant qui donne lieu à l'effort, à la contre-nitence de tous les autres vaisseaux du corps pour ne pas s'en charger, & pour la forcer à se jetter sur la partie qui résiste le moins, & à se vuider par les conduits qui en favorisent la vuidange.

Mais cet écoulement étant de trop, respectivement à ce qui se passe en santé, doit donc à cet égard être mis au nombre des lésions de fonctions : c'est la maladie des fleurs blanches. Si la cause qui la produit, c'est-à-dire la surabondance d'humeurs, se renouvelle continuellement au degré suffisant pour retenir les vaisseaux lymphatiques utérins toûjours trop dilatés, les fleurs blanches seront continuelles : si celle-là n'est qu'accidentelle, son effet cessera bientôt avec elle : si elle a lieu souvent par intervalles, les fleurs blanches reviendront aussi de tems en tems ; & elles disposeront la partie, dont les vaisseaux souvent forcés perdront peu-à-peu leur ressort, à rendre l'écoulement plus fréquent & ensuite continuel, par l'habitude que contracteront les humeurs à s'y porter, comme dans la partie du corps la plus foible.

Par conséquent cet écoulement devra être attribué au seul vice des solides, au relâchement excessif des vaisseaux utérins, puisqu'on peut concevoir dans ce cas que les fleurs blanches peuvent avoir lieu sans qu'il précede aucune pléthore ; & que la portion ordinaire des fluides distribuée à ces vaisseaux suffit pour en fournir la matiere, attendu que la force retentrice leur manque : d'où il s'ensuit souvent que la diminution de la masse des humeurs, qui se fait par cette voie, est suffisante pour en emporter le surabondant à mesure qu'il se forme ; ce qui fait qu'il ne se ramasse point de sang dans la substance de la matrice ; & que la matiere des menstrues manquant, elles n'ont pas lieu, & sont suppléées par les fleurs blanches, quant à la diminution du volume des humeurs.

Mais si au vice des solides de cette partie, se joint une dissolution des fluides en général, les fleurs blanches seront bien plus abondantes, attendu que dans ce cas le défaut de consistance des humeurs rendra l'évacuation encore plus facile ; elle deviendra véritablement colliquative, & sera suivie de tous les mauvais effets que l'on peut aisément se réprésenter. C'est par cette raison que, selon l'observation d'Eugalinus, les regles manquent aux femmes scorbutiques, & sont suppléées par des fleurs blanches ordinairement fort abondantes.

Les différentes qualités dominantes de la matiere de ce flux contre nature, doivent être imputées d'abord à la masse des humeurs qui la fournit ; mais elle en contracte aussi de particulieres, par le plus ou moins de séjour qu'elle fait dans les cavités des parties où s'en fait l'épanchement : ainsi la chaleur de ces cavités dispose cette matiere retenue à se corrompre, par une sorte de putrefaction qui la rend d'autant plus acre, plus jaune, plus fétide, qu'elle étoit plus bilieuse en sortant des vaisseaux utérins. De cette acrimonie s'ensuit la disposition à procurer des érosions, des exulcérations aux parois de ces cavités. Plus la matiere des fleurs blanches est abondante & continuelle, moins elles séjournent dans ces cavités ; moins elle contracte de nouvelles qualités, moins elle est disposée à devenir de mauvaise odeur, & à procurer les symptomes qui viennent d'être mentionnés.

Ces qualités vicieuses de la matiere des fleurs blanches, ne sont donc qu'accidentelles ; elles ne doivent pas la faire regarder comme excrémentitielle, selon l'idée qu'en avoient les anciens. Cette matiere n'appartient pas plus au genre d'humeurs de cette derniere qualité, que le sang menstruel lui-même. Voyez MENSTRUES. Il y a cependant une exception à faire concernant une autre sorte d'écoulement contre nature, sans être virulent, dont la différence & même l'existence n'ont guere été remarquées, que l'on pourroit regarder comme des fausses fleurs blanches, entant qu'il leur ressemble, sans avoir la même source, ou comme une gonorrhée bénigne, puisqu'il n'est autre chose qu'une excrétion trop abondante de l'humeur prostatique de la mucosité des lacunes du vagin, une sorte de catarrhe des organes qui servent à séparer l'humeur excrémentitielle destinée à lubrifier ce canal.

Tout ce qui peut augmenter la pléthore générale dans les femmes, & sur-tout celle de la matrice en particulier, en y attirant, en y déterminant un plus grand abord d'humeurs : tout ce qui peut affoiblir le ressort des vaisseaux de cette partie, doit être mis au nombre des causes procatartiques des fleurs blanches ; comme la vie sédentaire, d'où suit trop peu de dissipation, l'excès d'alimens, la bonne chere, d'où suit une confection trop abondante de bon sang ; la transpiration, ou toute autre évacuation ordinaire, supprimée, d'où résulte la surabondance des fluides ; le tempérament luxurieux ; les fortes passions, effets de l'amour ; le coït trop fréquent, ou toute autre irritation des parties génitales, qui, par les tensions spasmodiques qu'ils y causent, gênent le retour du sang, le retiennent dans les vaisseaux utérins, causent la dilatation forcée trop fréquente de ceux-ci, d'où la perte de leur ressort, & les autres effets mentionnés en parlant des causes immédiates de la maladie dont il s'agit ; les grossesses multipliées, les fausses-couches répetées, qui contribuent aussi beaucoup, sur-tout dans les personnes cachectiques, à déterminer vers la matrice une trop grande quantité d'humeurs, à affoiblir le ton de ses vaisseaux, par consequent à établir la disposition aux fleurs blanches, &c.

Il suit de tout ce qui vient d'être dit des différentes causes de cette maladie, que toutes les personnes du sexe, dans quelqu'état qu'elles vivent, mariées ou non-mariées, jeunes ou vieilles, sont susceptibles de contracter les différens vices qui établissent la cause des fleurs blanches. Fernel dit qu'il a vû des filles de sept à huit ans affectées de cette maladie : l'observation commune apprend aussi que des femmes y sont sujettes pendant la grossesse, & d'autres dans l'âge le plus avancé ; ainsi elle peut arriver avant le tems des regles, elle en est quelquefois l'annonce : mais elle n'a lieu le plus souvent qu'après que la disposition au flux menstruel est bien établie, & elle succede assez communément à la suppression de ce flux, soit que celle-ci ait lieu par maladie, ou qu'elle soit naturelle par l'effet de l'âge. Les fleurs blanches sont souvent un supplément aux menstrues, nécessaire & même salutaire ; mais dans l'un & dans l'autre cas, l'exercice, la vie laborieuse, comme on le voit à l'égard des femmes de campagne, dispense la plûpart de celles qui s'y adonnent encore plus utilement, de ces incommodités dans tout le tems de leur vie.

L'écoulement d'une humeur quelconque qui n'est pas du pus, sur-tout lorsqu'elle est blanchâtre, suffit pour caractériser la maladie des fleurs blanches, dans les personnes à l'égard desquelles il n'y a lieu de soupçonner aucune maladie vénérienne. Il n'y a donc que la gonorrhée, c'est-à-dire la chaudepisse proprement dite, de cause virulente, ou le flux prostatique, avec lequel on puisse les confondre ; mais outre que cette sorte de flux vérolique est ordinairement beaucoup moins abondant encore que l'écoulement le moins considérable des fleurs blanches, il y a un moyen de les distinguer sûrement, proposé par Baglivi, prax. medic. lib. II. cap. viij. sect. 3. qui n'étoit pas inconnu à Ambroise Paré, quoique les auteurs intermédiaires n'en fassent pas mention. Voyez les oeuvres d'Amb. Paré, liv. XXIV. chap. lxiij. Il consiste, ce moyen, à observer si l'écoulement équivoque paroît continuer dans le tems des regles, ou non ; la cessation est une preuve qu'il n'est autre chose que les fleurs blanches, & sa continuation assûre que c'est une gonorrhée. La raison en est évidente : celle-ci dépend d'une source (c. à d. les glandes prostates, ou les lacunes muqueuses du vagin, ou les ulceres formés dans le canal de l'urethre, les glandes & les parties voisines) indépendante du flux menstruel, au lieu que la matiere des fleurs blanches est fournie par les mêmes vaisseaux que celle des menstrues.

Mais il n'est pas aussi aisé de distinguer le flux catarrheux du vagin, dont il a été question ci-devant sous le nom de fausses-fleurs blanches, c'est-à-dire la gonorrhée simple, qui n'a aussi rien de commun avec les menstrues, de celui qui est produit par une cause virulente : on ne peut guere s'assûrer de n'être pas trompé à cet égard, quand on a affaire avec des personnes d'une vertu équivoque, dont on peut presque toûjours suspecter la confession ; cependant si on peut observer la matiere de l'écoulement dans sa source ou sur le linge, on peut aussi y appliquer la maniere de faire la différence entre une gonorrhée virulente, à l'égard des hommes, & ce qui n'est qu'un flux de l'humeur prostatique. Voyez GONORRHEE.

On peut juger de l'intensité des causes qui ont donné lieu aux fleurs blanches, par celle des symptomes qui accompagnent ou qui sont les suites de cette affection : ainsi dans celle qui n'est qu'une extension du flux lymphatique, ordinairement, & après les regles ; extension qui consiste en ce qu'il dure assez pour être rendu bien sensible pendant un jour ou deux, il ne s'ensuit le plus souvent aucune lésion de fonctions marquée : elle est souvent dans ce cas, comme il a été dit, un supplément avantageux au défaut de l'évacuation naturelle du sang surabondant ; ou au moins elle peut durer long-tems, toute la vie, sans qu'on en soit, pour ainsi dire, incommodé, lorsque le sujet est d'ailleurs d'un bon tempérament.

Dans les sujets cachétiques, les fleurs blanches ainsi périodiques & faisant comme partie du flux menstruel, annoncent le peu de consistance de la masse des humeurs, la sérosité surabondante, le sang mal travaillé ; ce qui est le plus souvent un effet des vices contractés dans les premieres voies par le défaut de sucs digestifs de bonne qualité, par une suite des obstructions du foie, de la rate, &c. en un mot, par de mauvaises digestions.

Lorsque les fleurs blanches sont continuelles, ou qu'elles reviennent souvent irrégulierement, elles sont accompagnées des symptomes de la cachexie, de la pâleur du visage, quelquefois de la bouffissure de cette partie, sur-tout aux paupieres, du dégout, de l'abatement des forces ; parce que cette maladie est un symptome elle-même du vice dominant dans les solides & dans les fluides, c'est-à-dire du relâchement de l'atonie dans ceux-là, & de la cacochymie dans ceux-ci. Voyez DEBILITE, ÉQUILIBRE, FIBRE, CACHEXIE, CACOCHYMIE, CHLOROSE.

Lorsque la matiere des fleurs blanches est fort séreuse, & qu'elle détrempe continuellement la matrice & le vagin, elles rendent ordinairement les femmes stériles, parce qu'elles éteignent & noyent, pour ainsi dire, la liqueur séminale, selon que le dit le judicieux Hippocrate, Aphor. xlij. sect. 5. Il s'ensuit aussi très-souvent un relâchement si considérable des parois de ce canal, que le poids de la matrice qui tend à la faire tomber vers l'orifice extérieur des parties génitales, fait replier ce canal sur lui-même, & établit la maladie qu'on appelle chûte de matrice, prolapsus uteri. Voyez MATRICE.

Si la matiere des fleurs blanches coule moins abondamment, est d'une qualité bilieuse, séjourne dans la cavité de la matrice, elle devient acre, rongeante ; elle cause des ulcérations dans les voies par où elle passe : d'où s'ensuivent souvent de vrais ulceres de mauvaise qualité, susceptibles de devenir chancreux, & de détruire toute la substance de la matrice, après avoir causé des hémorrhagies des vaisseaux utérins, aussi abondantes que difficiles à arrêter, &c.

Cependant les fleurs blanches sont rarement dangereuses par elles-mêmes, si elles ne dépendent de quelque grande cause morbifique commune à tout le corps : celles qui sont récentes, produites par un vice topique & dans de jeunes sujets bien constitués, cedent aisément aux secours de l'art, placés convenablement aux vraies indications. Dans toutes les personnes d'une mauvaise complexion, sur-tout si elles sont d'un âge avancé, elles sont le plus souvent incurables ; mais on peut empêcher qu'elles ne procurent la mort en peu de tems, pourvû qu'on en suspende les progrès ; qu'on s'oppose à la corruption des humeurs fluentes, & à l'impression qu'elles portent sur les solides qu'elles abreuvent, pour empêcher qu'il ne se fasse des hémorrhagies, des ulceres, qu'il n'en résulte des chancres, suites funestes auxquelles la matrice a beaucoup de disposition.

Le traitement des fleurs blanches exige, pour être tenté & conduit à-propos, que la cause en soit bien connue ; que le vice dominant soit bien caractérisé : la moindre erreur à cet égard peut être de la plus grande conséquence. Ainsi, lorsque la pléthore seule procure cette maladie, la saignée peut être utile, même sans autre secours, pour faire cesser l'une & l'autre.

Mais ce remede seroit très-contraire dans toute disposition ou affection cachectique, qui donneroit lieu aux fleurs blanches ; ce qui est le cas le plus ordinaire : les purgatifs hydragogues, les eaux minérales ferrugineuses, les diurétiques, les sudorifiques, associés selon l'art avec l'usage des médicamens toniques, corroboratifs, & sur-tout des martiaux ; aussi-bien que les amers, tels que la rhubarbe, le quina, le simarouba, peuvent être tous employés avec succès dans cette derniere circonstance, & selon l'observation de Boerhaave, Element. chimic. proc. lvij. usus. Les teintures de lacque, de mirrhe, y produisent aussi de très-grands effets.

Ces différens remedes placés & administrés avec méthode, sont suffisans pour satisfaire aux principales indications qui se présentent à remplir, entant qu'ils sont propres à évacuer les mauvais levains des premieres voies, qui, en passant dans les secondes, contribueroient à fournir la matiere de l'écoulement contre nature ; entant qu'ils sont en même tems très-efficaces pour remettre les digestions en regle, en rendant le ressort aux organes qui concourent à opérer cette importante fonction, pour rétablir celles de la sanguification, de la circulation, & des secrétions, en ranimant aussi & en fortifiant l'action des solides, qui sont les principaux instrumens de ces principales opérations de l'économie animale.

Cependant si le mal ne cede pas à ces différens moyens, la teinture de mouches cantharides, donnée dans une forte décoction de gayac, peut suppléer à leur insuffisance, sur-tout si les fleurs blanches ne sont pas invétérées : dans le cas où elles dureroient depuis long-tems, & où elles auroient éludé l'effet de tous les remedes proposés jusqu'ici, il ne resteroit plus à tenter que les mercuriels, dont on a eu quelquefois de grands succès. Ces deux derniers conseils sont donnés d'après le docteur Morgan, pratique medicinale, cité à ce sujet dans le IV. vol. des observations d'Edimbourg, 1742.

Mais l'usage de ces différens médicamens, pour opérer avantageusement, demande à être secondé par le régime, par la dissipation de l'esprit, & sur-tout par l'exercice du corps proportionné aux forces, & augmenté peu-à-peu : au surplus, pour un plus grand détail des secours propres à corriger les vices dominans dans cette maladie, considérée comme un symptome de cachexie, voyez DEBILITE, FIBRE.

Mais dans les cas où il n'y a pas lieu de penser que les fleurs blanches dépendent d'aucun vice qui ait rapport à l'espece de celui dont il vient d'être fait mention ; qu'au contraire le sujet qui en est affecté paroît être d'un tempérament robuste, bilieux, avec un genre nerveux fort sensible, fort irritable, & que la maladie utérine est seulement causée par une foiblesse non pas absolue, mais respective, des vaisseaux de la matrice, qui sont forcés de céder à la contre-nitence excessive de tous les autres solides ; il faut prendre une route bien différente de celle qui vient d'être tracée : les adoucissans, les humectans, les antispasmodiques, remplissent, après les remedes généraux, les principales indications qui se présentent alors. On peut donc faire tirer du sang, pour diminuer le volume des humeurs, la tension des vaisseaux ; employer les vomitifs, les purgatifs, pour nettoyer les premieres voies, empêcher qu'elles ne fournissent au sang une trop grande quantité du recrément alkalescent ; faire diversion aux humeurs qui se portent à la matrice : le petit lait, le lait coupé, peuvent être employés pour corriger l'acrimonie dominante ; les bains domestiques, pour relâcher l'habitude du corps, sans opérer cet effet sur les parties génitales, que l'on en garantit, en les couvrant de fomentations aromatiques, fortifiantes. pour favoriser la transpiration, jetter de la détrempe dans le sang par ce moyen, & par un grand usage de tisanes émulsionnées : il convient aussi d'employer dans ce cas, selon la regle, les différentes préparations de pavot, d'opium, le castoréum, la poudre de gutete, &c. pour diminuer l'érétisme, l'irritabilité des nerfs qui pressent les humeurs de la circonférence au centre, & les déterminent vers la partie foible, vers la matrice : mais il faut sur-tout bien recommander principalement l'abstinence d'alimens crus, acres, de tout ce qui peut échauffer le corps & l'imagination dans différentes circonstances ; sur-tout lorsque le mal est dans son commencement.

Il n'est pas besoin, dans les fleurs blanches, de beaucoup de remedes extérieurs : il est seulement important de tenir propres les parties par où se fait l'écoulement ; d'empêcher que les humeurs épanchées n'y séjournent, n'y croupissent. Lorsqu'on n'a pas prévenu cet effet, & l'acrimonie des humeurs & ce qui s'ensuit, on peut corriger ce vice par des lotions adoucissantes, faites avec le lait tiede, l'eau d'orge, le miel, &c.

Lorsque ces humeurs sortent d'organes fort relâchés, sans irritation, on peut employer pour les lotions, de l'eau tiede aiguisée d'esprit-de-vin, d'eaux spiritueuses parfumées d'eaux thermales comme dessicatives. On peut aussi user de vin blanc avec du miel, comme détersif & tonique, & de tous ces différens médicamens en injection, en fomentation : le vin rouge resserreroit trop ; il ne pourroit convenir que dans le cas d'une chûte de matrice, où il seroit même nécessaire de le rendre astringent.

Mais il ne faut jamais employer de remede qui ait cette derniere propriété, dans la vûe d'arrêter l'écoulement des fleurs blanches ; à moins qu'on ne soit assûré que le vice qui l'entretient n'est que topique, n'est que la débilité des vaisseaux de la partie, & qu'il n'en reste aucun dans les humeurs ; sans quoi on s'expose, en empêchant l'excrétion de celles qui sont corrompues, dont la matrice est abreuvée, à enfermer, comme on dit vulgairement, le loup dans la bergerie : d'où s'ensuivent des dépôts funestes dans la substance de cet organe, des engorgemens inflammatoires, qui ont beaucoup de penchant à se terminer par la gangrene ; ou ils tournent en skirrhe, qui devient aisément carcinomateux ; ou ils forment des abcès, des ulceres, des chancres, qui sont une source de maux, de douleurs violentes & durables, que la mort seule peut tarir ; ou il se fait des métastases sur des parties éloignées, sur les poumons, par exemple, d'où peut suivre la phthisie ; sur le foie, d'où peuvent succéder des suppurations sourdes de ce viscere ; sur les reins, d'où peut s'ensuivre, selon l'observation de Baillon (Ballonii opera, lib. I. consil. 59.) un diabete des plus funestes.

Ainsi il ne faut user d'astringens qu'avec beaucoup de prudence ; & en général, cette condition est très-nécessaire dans l'administration des remedes, pour la cure des fleurs blanches : de quelque qualité que soit le vice qui les cause, il est toûjours très-difficile à détruire ; à cause de la structure, de la situation particuliere de l'organe qui est affecté, de la nature des humeurs qui y sont distribuées, & de la lenteur respective du cours de ces humeurs ; il faut donc, pour l'honneur de l'art & de celui qui l'exerce, & pour préparer à tout évenement les personnes affectées de cette maladie, se bien garder de faire espérer une sûre, & encore moins une promte guérison. Voyez MATRICE, (maladies de la) (d)

FLEURS-DE-LIS, s. m. pl. (Blason) armes des rois de France : personne n'ignore qu'ils portent d'azur à trois fleurs-de-lis d'or.

Les fleurs-de-lis étoient déjà employées pour ornement à la couronne des rois de France, du tems de la seconde race, & même de la premiere : on en voit la preuve dans l'abbaye de S. Germain des Prés, au tombeau de la reine Frédegonde, dont la couronne est terminée par de véritables fleurs-de-lis, & le sceptre par un lys champêtre. Ce tombeau, qui est de marqueterie, parsemé de filigrame de laiton, paroît original : outre qu'il n'y a point d'apparence qu'on eût pensé à orner de la sorte le tombeau de cette reine long-tems après sa mort, puisqu'elle a si peu mérité cet honneur pendant sa vie.

Pour ce qui est de la seconde race, on trouve plusieurs portraits de Charles-le-Chauve dans les livres écrits de son vivant, avec de vraies fleurs-de-lis à sa couronne ; quelques-uns de ces manuscrits se gardent dans la bibliotheque du Roi, comme aussi dans celle de M. Colbert qui y est jointe ; & l'on en peut voir les figures dans le second tome des capitulaires de M. Baluze.

Mais comme les rois de France n'ont point eu d'armes avant le douzieme siecle, les fleurs-de-lis n'ont pû y être employées qu'après ce tems-là. Philippe-Auguste est le premier qui s'est servi d'une fleur-de-lis seule au contre-scel de ses chartes ; ensuite Louis VIII. & S. Louis imiterent son exemple : après eux, on mit dans l'écu des armes des rois de France, des fleurs-de-lis sans nombre ; & enfin elles ont été réduites à trois, sous le regne de Charles VII.

Voilà le sentiment le plus vraisemblable sur l'époque à laquelle nos rois prirent les fleurs-de-lis dans leurs armes ; & c'est l'opinion du P. Mabillon. M. de Ste. Marthe, fils & neveu des freres de Ste. Marthe, qui ont travaillé avec beaucoup de soin à recueillir nos historiens, & à éclaircir plusieurs points obscurs de notre histoire, pense que la fleurs-de-lis a commencé d'être l'unique symbole de nos rois sous Louis VII. surnommé le Jeune. L'on voit que son époque n'est pas bien éloignée de celle du P. Mabillon. Quant à l'opinion de ceux qui veulent que nos lis ayent été dans leur origine le bout d'une espece de hache d'armes appellée francisque, à cause de quelque rapport qui se trouve entre ces deux choses ; cette opinion n'est étayée d'aucune preuve solide. Nous pourrions citer plusieurs autres conjectures qui ne sont pas mieux établies ; mais nous nous arrêterons seulement à celle de Jacques Chifflet, à cause des partisans qu'elle s'est acquise.

Dans la découverte faite à Tournay en 1653, du tombeau de Childeric I. on y trouva l'anneau de ce prince, environ cent médailles d'or des premiers empereurs romains, 200 autres médailles d'argent toutes rouillées, un javelot, un graphium avec son stilet, & des tablettes ; le tout garni d'or : une figure en or d'une tête de boeuf avec un globe de cristal, & des abeilles aussi toutes d'or au nombre de trois cent & plus. Cette riche dépouille fut donnée à l'archiduc Léopold, qui étoit pour lors gouverneur des Pays-Bas ; & après sa mort, Jean-Philippe de Schonborn, électeur de Cologne, fit présent à Louis XIV. en 1665, de ces précieux restes du tombeau d'un de ses prédécesseurs : on les garde à la bibliotheque du Roi.

M. Chifflet prétend donc prouver par ce monument, que les premieres armes de nos rois étoient des abeilles, & que des peintres & des sculpteurs mal habiles ayant voulu les représenter, y avoient si mal réussi, qu'elles devinrent nos fleurs-de-lis, lorsque dans le douzieme siecle la France & les autres états de la chrétienté prirent des armes blasonnées : mais cette conjecture nous paroît plus imaginaire que fondée ; parce que, suivant toute apparence, les abeilles de grandeur naturelle & d'or massif, trouvées dans le tombeau de Childeric I. n'étoient qu'un symbole de ce prince, & non pas ses armes. Ainsi dans la découverte qu'on a faite en 1646 du tombeau de Childéric II. en travaillant à l'église de S. Germain des Prés, on trouva quantité de figures du serpent à deux têtes, appellé par les Grecs amphisbène, lesquelles figures étoient sans-doute également le symbole de Childeric II. comme les abeilles l'étoient de Childeric I.

Au surplus, Chifflet, dans son ouvrage à ce sujet intitulé lilium francicum, a eu raison de se mocquer des contes ridicules qu'il avoit lûs dans quelques-uns de nos historiens, sur les fleurs-de-lis. En effet, les trois couronnes, les trois crapauds changés en trois fleurs-de-lis par l'ange qui vint apporter à Clovis l'écusson chargé de ces trois fleurs ; ce qui a engagé les uns à imaginer que les rois de France portoient au commencement de sable à trois crapauds d'or ; les autres, d'or à trois crapauds de sable ; & d'autres enfin, comme Trithème, d'azur à trois grenouilles de sinople ; tout cela, dis-je, ne peut passer que pour des fables puériles qui ne méritent pas d'être réfutées sérieusement. Article de M(D.J.)

FLEUR-DE-LISE, FLEURI, FLORETTE, &c. adj. sont des termes de blason, dont on se sert quant les lignes qui terminent les Pieces des armoiries, sont contournées en fleurs, en lis, en fleurs-de-lis, &c. ainsi l'on dit : il porte une croix fleur-de-lisée, &c. Voyez les Planches du Blason.

FLEUR, (Orig. Géog.) terminaison de plusieurs lieux maritimes de Normandie, Barfleur, Harfleur, Honfleur, &c. noms qui dans les anciens titres sont terminés en flot : en ce cas, cette terminaison vient de fluctus, qui a passé par le saxon ; car fléoten, en cette langue, signifie couler. Flot s'est changé en fleut ; & de fleut est venu fleur, comme du latin flos. Les noms des lieux de Hollande terminés en uliet, ont la même situation & la même origine. Le flévus des anciens est encore de ce genre, & vient de la même souche. Nous ne devons pas oublier d'observer que dans le bas-breton, les lieux dont les noms commencent par les syllabes de pleu & de plou, sont battus des flots de la mer ; & que l'origine de ces syllabes & celle de fleut ou de flou, qui signifie la même chose, peut avoir été commune à la langue celtique & à la langue germanique. Cette remarque est de M. Huet. origin. de Caen, pag. 448. (D.J.)


FLEURAISONS. m. (Jardinage) est le tems où les fleurs sont fleuries ; ce terme quoique peu usité, est très-expressif. (K)


FLEURÉadj. en termes de Blason, se dit de bandes, bordures, orles, trécheurs, & autres pieces dont les bords sont en forme de fleurs ou de treffles. On dit aussi fleuri ; mais c'est seulement des rosiers & autres plantes chargées de fleurs. On dit encore fleureté, fleuronné, & fleur-de-lisé ; ce qui veut dire, bordé ou terminé en fleur, comme une croix, un bâton.

Des Cornais en Picardie, d'or au chevron de gueules, au double trécheur fleuré, contre-fleuré de sinople, à l'écusson en coeur d'azur, à la bande d'or.


FLEURÉES. f. (Teinture) écume legere qui se forme ordinairement à la surface de la cuve du bleu, lorsqu'elle est tranquille.


FLEURETS. m. en terme de Danse, est un pas qui est presque semblable à celui de bourrée, parce qu'il n'a qu'un mouvement. Il est de facile exécution, & est composé d'un demi-coupé & de deux pas marchés sur la pointe des piés. On le fait étant posé à la quatrieme position (si c'est le pié gauche que vous avez en-devant) ; on pose le corps entierement sur ce pié, en approchant le droit à la premiere position sans qu'il touche à terre : alors on plie les deux genoux également, & cela s'appelle plier sous soi. Mais il ne faut pas passer le pié droit en-devant à la quatrieme position, que lorsque l'on a plié ; & du même tems qu'il est passé, on s'éleve sur la pointe : alors on marche deux autres pas tout de suite sur la pointe ; savoir l'un du gauche, & l'autre du droit ; & à ce dernier on pose le talon en le finissant, afin que le corps soit plus ferme, soit pour en reprendre une autre, ou tel autre pas que la danse que l'on exécute demande.

Le fleuret se fait encore en-arriere & de tous côtés ; ce n'est que les positions qui sont différentes : on les observe, soit en tournant, soit en allant de côté.

FLEURET, (Escrime) est une épée à laquelle au lieu de pointe, on met un bouton : c'est avec ces fleurets que les escrimeurs font assaut. Les meilleures lames de fleurets se font en Allemagne à Sollingen en Westphalie au duché de Berg. Ces lames sont plates, équarries par les côtés, & garnies d'un bouton par le bout, sur lequel on met de la peau en plusieurs doubles, afin de ne point blesser son adversaire quand on se sert du fleuret, pour s'exercer dans l'art de l'Escrime.

* FLEURET, (Manuf. en soie) espece de fil qui se fait avec la bourre des cocons, & le reste des cocons après qu'on a ôté toute la bonne soie ; ou la soie des cocons de rebut. On donne le même nom aux étoffes faites de cette soie, & à la sorte de toile de Bretagne qu'on appelle plancard, & dont on fait un commerce aux Indes.


FLEURETTES. f. (Galanterie) La fleurette est un jeu de l'esprit ; c'est un sujet galant ; c'est une jolie chose que dit à une femme aimable l'homme qui veut lui plaire. La fleurette n'a pas un grand éclat : c'est une simple fleur ; mais elle est toûjours agréable lorsqu'elle réunit une expression ingénieuse à une idée riante.

Les fleurettes sont une petite branche de la galanterie ; peut-être même pourroit-on dire que la fleurette donne une image, foible à la vérité, mais pourtant assez fidele de ce que l'amour fait sentir, comme de ce que la galanterie fait dire.

Les fleurettes n'ont pas l'air bien redoutable, & peut-être par-là sont-elles un peu dangereuses : ce ne sont, il est vrai, que les armes les plus legeres de l'amour ; mais enfin ce sont ses armes ; & l'on sait bien que ce dieu n'en a point qui ne puisse blesser. Article de M. DE MARGENCY.


FLEURIadj. (Litter.) qui est en fleur, arbre fleuri, rosier fleuri ; on ne dit point des fleurs qu'elles fleurissent, on le dit des plantes & des arbres. Teint fleuri, dont la carnation semble un mélange de blanc & de couleur de rose. On a dit quelquefois, c'est un esprit fleuri, pour signifier un homme qui possede une littérature legere, & dont l'imagination est riante.

Un discours fleuri est rempli de pensées plus agréables que fortes, d'images plus brillantes que sublimes, de termes plus recherchés qu'énergiques : cette métaphore si ordinaire est justement prise des fleurs qui ont de l'éclat sans solidité. Le style fleuri ne messied pas dans ces harangues publiques, qui ne sont que des complimens. Les beautés legeres sont à leur place, quand on n'a rien de solide à dire : mais le style fleuri doit être banni d'un plaidoyer, d'un sermon, de tout livre instructif. En bannissant le style fleuri, on ne doit pas rejetter les images douces & riantes, qui entreroient naturellement dans le sujet. Quelques fleurs ne sont pas condamnables ; mais le style fleuri doit être proscrit dans un sujet solide. Ce style convient aux pieces de pur agrément, aux idylles ; aux églogues, aux descriptions des saisons, des jardins ; il remplit avec grace une stance de l'ode la plus sublime, pourvû qu'il soit relevé par des stances d'une beauté plus mâle. Il convient peu à la comédie qui étant l'image de la vie commune ; doit être généralement dans le style de la conversation ordinaire. Il est encore moins admis dans la tragédie, qui est l'empire des grandes passions & des grands intérêts ; & si quelquefois il est reçu dans le genre tragique & dans le comique, ce n'est que dans quelques descriptions où le coeur n'a point de part, & qui amusent l'imagination avant que l'ame soit touchée ou occupée. Le style fleuri nuiroit à l'intérêt dans la tragédie, & affoibliroit le ridicule dans la comédie. Il est très à sa place dans un opéra françois, où d'ordinaire on effleure plus les passions qu'on ne les traite.

Le style fleuri ne doit pas être confondu avec le style doux.

Ce fut dans ces jardins, où par mille détours

Inachus prend plaisir à prolonger son cours ;

Ce fut sur ce charmant rivage

Que sa fille volage

Me promit de m'aimer toûjours.

Le Zéphyr fut témoin, l'onde fut attentive,

Quand la nymphe jura de ne changer jamais :

Mais le Zéphyr leger, & l'Onde fugitive,

Ont bien-tôt emporté les sermens qu'elle a faits.

C'est-là le modele du style fleuri. On pourroit donner pour exemple du style doux, qui n'est pas le doucereux, & qui est moins agréable que le style fleuri, ces vers d'un autre opéra :

Plus j'observe ces lieux, & plus je les admire ;

Ce fleuve coule lentement,

Et s'éloigne à regret d'un séjour si charmant.

Le premier morceau est fleuri, presque toutes les paroles sont des images riantes. Le second est plus dénué de ces fleurs ; il n'est que doux. Article de M. DE VOLTAIRE.

FLEURI, terme de Blason. Voyez FLEURE.

Guillem Montjustin, au comtat d'Avignon, d'argent au rosier de sinople, fleuri & boutonné de gueules à la bordure d'azur, chargée de huit étoiles d'or.


FLEURIR(Jardinage) Voyez FLEURS.


FLEURISTES. m. (Agric.) personne qui cultive les fleurs par délassement, par goût, ou par intérêt.

Cette culture demande un terrein convenable, une parfaite connoissance des terres bonnes à planter & semer toutes sortes de fleurs ; des lumieres sur leur nature & leurs caracteres ; des outils, de l'invention, un travail assidu, des expériences répétées, & pour tout dire un certain génie propre à ce soin, à cette attache. Aussi voit-on le fleuriste se donner tout entier à cette sorte de plaisir ; le soin qu'il prenoit d'abord de ses fleurs par amusement, devient chez lui une passion, & souvent si violente, qu'elle ne le cede à l'amour & à l'ambition que par la petitesse de son objet : enfin son gout dominant ne le porte plus aux fleurs en général, il n'en fait aucun cas, il en voit par-tout, mais il est fou uniquement des fleurs rares, uniques, & qu'il possede.

La Bruyere a si bien peint cette espece de curieux en général, qu'on y reconnoît tous ses confreres en particulier. " Le fleuriste de tout pays, dit-il, a un jardin de fleurs pour lui seul ; il y court au lever du soleil, & il en revient à son coucher : vous le voyez planté, & qui a pris racine au milieu de ses tulipes & devant la solitaire. Il ouvre de grands yeux, il frotte ses mains, il se baisse, il la voit de plus près, il ne l'a jamais vûe si belle, il a le coeur épanoui de joie. Il la quitte pour l'orientale ; de-là il va à la veuve, il passe au drap-d'or, de celle-ci à l'agate, d'où il revient enfin à la solitaire, où il se fixe, où il se lasse, où il s'assied, où il oublie de dîner ; aussi est-elle nuancée, bordée, huilée, à pieces emportées : elle a un beau vase, ou un beau calice ; il la contemple, il l'admire. Dieu & la Nature sont en tout cela ce qu'il n'admire point. Il ne va pas plus loin que l'oignon de sa tulipe, qu'il ne livreroit pas pour mille écus, & qu'il donnera pour rien quand les tulipes seront négligées, & que les oeillets auront prévalu. Cet homme raisonnable, qui a une ame, qui a un culte, & une religion, revient chez lui fatigué, affamé, mais fort content de sa journée : il a vû des tulipes ". Article de M(D.J.)

FLEURISTE ARTIFICIEL, est celui qui sait représenter par des fleurs, des feuilles, des plantes artificielles, &c. la nature dans toutes ses productions. On voit assez par-là l'étendue de cet art, & les agrémens qui en résultent pour la société. C'est lui qui perpétue, pour ainsi dire, ce que les belles saisons de l'année produisent de plus agréable. Il peut rendre les fleurs les plus fragiles de tous les tems & de tous les pays. Les femmes ne font point de difficulté de se parer de fleurs artificielles. Les grands les employent à décorer leurs palais, leurs tables & leurs cabinets : nos temples même empruntent du fleuriste artificiel des ornemens, qui ne contribuent pas peu à leur décoration & à leur embellissement. Mais l'art des fleurs artificielles brille sur-tout dans les desserts. Une table couverte avec intelligence de ces fleurs, paroît plûtôt un parterre entier, qu'une table ; les fruits réels y sont si bien accompagnés des feuilles & des fleurs qui leur conviennent, qu'on n'y distingue presque pas l'ouvrage de l'art, de celui de la nature, dont l'art approche si difficilement.

Cet art est nouveau en France ; il n'y est pas même connu pour être aussi étendu que nous venons de le dire, puisqu'on entend communément par fleuriste artificiel, un petit nombre de gens qui font de ces bouquets grossiers, qui ne ressemblent à rien moins qu'à des bouquets de fleurs, & qui ne sont qu'un assemblage bizarre de plumes mal teintes & mal tournées, de feuilles mal assorties, en un mot qui n'ont de fleurs que le nom : ces sortes de fleurs sont particulierement l'occupation des religieuses qui y amusent leurs loisirs.

Les fleurs artificielles sont plus anciennes à la Chine, où l'on en fait de très-parfaites, mais d'une matiere fort fragile quand elle est seche. On ne sait pas bien d'où les habitans de ce pays la tirent : les uns croyent que c'est la moëlle d'un arbre qui y croît ; mais la fermeté qu'acquiert cette matiere lorsqu'on la mouille, laisse soupçonner que c'est plûtôt une composition que les Chinois seuls savent faire. A cela près, cette composition est parfaitement ressemblante à de la moëlle fine & legere ; ce qui imite de fort près cette feuille transparente, & couverte d'une poussiere délicate, dont les fleurs sont composées. Ces fleurs ne servent guere que pour orner la toilette des femmes ; les précautions souvent même inutiles qu'elles demandent, diminuent de beaucoup l'usage qu'on en pourroit faire.

Cet art n'est pas moins ancien en Italie, où la plus grande partie de la noblesse l'exerce avec honneur. Les fleurs que nous tirons de ce pays se soûtiennent mieux, & sont d'un usage plus fréquent & plus général que celles de la Chine. Ces fleurs sont fabriquées de coques de vers à soie, de plumes, & de toiles ; la verdure qui les accompagne est d'une toile teinte, gommée, & très-forte. Elles sont supérieures à celles qu'on fait ailleurs, en ce qu'elles sont plus solides, & représentent mieux les naturelles par la tournure & la couleur qu'on sait leur donner. Les fleuristes de Paris, même ceux qui pourroient en faire d'aussi belles, aiment mieux les faire venir de ce pays, parce qu'ils les ont à meilleur compte. Les Italiens se servent de ciseaux pour découper les fleurs, & rarement de fers à découper ; ce qui demande beaucoup plus de tems pour leurs ouvrages, & les rend par conséquent plus chers. On ne s'est servi de ces fers qu'au commencement de ce siecle : c'est à un Suisse qu'on en doit l'invention. Ces fers sont fort utiles, & abregent beaucoup les opérations de l'artiste ; puisqu'on peut par leur moyen tailler d'un seul coup, & en un instant, plusieurs feuilles qui tiendroient plus d'un jour à découper aux ciseaux. Ces fers sont des emporte-pieces, ou des moules creux & modelés en-dedans sur la feuille naturelle de la fleur qu'ils doivent emporter.

Nous avons dit plus haut que les fleurs qu'on fait ailleurs qu'à la Chine ou en Italie étoient peu estimées : mais il ne faut penser ainsi que de celles qui sont chargées d'ornemens contre nature, & qui sont néanmoins en plus grand nombre que les autres : il ne faut donc pas mépriser celles qui sortent des mains de quelques personnes ingénieuses & adroites qui suivent la nature pas-à-pas, & ne négligent rien pour l'imiter & la représenter dans leurs ouvrages comme dans elle-même.

En 1738, M. Seguin, natif de Mende en Gevaudan, & faisant à Paris une étude exacte & refléchie de Chimie & de Botanique, commença à faire des fleurs artificielles, qui ne le cédoient point en beauté & en perfection à celles d'Italie. Plusieurs autres personnes à son exemple & par émulation, s'y sont appliquées avec une nouvelle attention, mais ne l'ont cependant suivi que de fort loin. Il invente tous ses outils, les forges, les cisele, ou les grave lui-même ; ce qui lui a attiré plusieurs procès, & nouvellement encore de la part des Peintres, qui prétendoient qu'il empiétoit sur leur art, en donnant à ses fleurs la couleur des naturelles : mais comme il n'y employe point absolument de pinceau, qu'il peut indifféremment se servir de la premiere chose qu'il rencontre sous sa main, & qu'il peut même les teindre en les plongeant simplement dans la couleur, les Peintres ont été déboutés de leurs demandes, & contraints de le laisser tranquille dans le libre exercice de sa profession.

Il en a été de même de quelques autres contestations qu'il a eu avec diverses communautés qui vouloient le contraindre à prendre leurs lettres de maîtrise, ou de former un corps de jurande particulier avec les autres fleuristes. Sa maniere de travailler différente à l'infini selon les différens ouvrages qu'il fait, & inconnue à tous les ouvriers qui prétendent que telle ou telle machine est de leur compétence & du ressort de leur art ; l'ignorance de chacun de ces ouvriers qui conviennent pour la plûpart de ne pouvoir pas exécuter ce qu'il fait : tout cela, dis-je, a mis M. Seguin à l'abri de leurs poursuites. D'ailleurs tous ses ouvrages étant purement de génie & d'invention, il n'a pû encore apprendre à personne son art dans ce qu'il contient de plus singulier & de plus curieux : ce n'est pas qu'il ne s'y soit prêté de bonne grace à l'égard de plusieurs éleves qui ont travaillé sous ses yeux, mais qui n'ayant qu'une pratique méchanique & d'habitude, sans connoissance des productions de la nature dans leurs différens états, n'ont pû le suivre dans ses découvertes.

Il ne se borne pas à faire des fleurs ; il exécute dans une parfaite imitation tout ce qui entre dans la structure d'un parterre & d'un jardin. Il a exécuté d'assez gros troncs d'arbres avec leur écorce, leurs noeuds, & les autres inégalités que la nature peut y produire ; des arbres entiers chargés de leurs fruits : d'autres dont les feuilles pâles & mortes semblent toutes prêtes à tomber ; des fleurs sur leurs tiges, leurs branches, & leurs feuilles, dont les couleurs & les grandeurs variées par proportion, sont en tout ressemblantes aux naturelles. Il a fait différens morceaux d'architecture en treillage de carton, recouvert d'une verdure découpée très-fine, imitant assez les feuilles minces & étroites du pin, & ornée de fleurs qui en forment le coup-d'oeil. Ces morceaux d'architecture sont destinés à couvrir les tables, où ils représentent ces beaux grillages qu'on voit dans quelques-uns de nos jardins.

Quant aux matériaux qu'il employe, c'est du parchemin dont il fait plus d'usage ; il le teint lui-même, n'en trouvant point à Paris de toutes les nuances dont il a besoin pour copier chaque plante dans ses différens verds. Il se sert aussi de toile, de coques de vers à soie, de fil-de-fer pour les queues de ses fleurs, & d'une petite graine pour imiter celles qu'on voit dans le coeur des fleurs naturelles. Cette graine se colle sur de la soie non-filée, qui tient à la queue de la fleur.

Il a imité les fleurs de la Chine avec de la moëlle de sureau, & a donné la premiere idée d'une sorte de fleurs en feuilles d'argent colorées, dont on fait des bouquets pour les femmes, dont on garnit leurs coëffures, & quelquefois les habits de masque.

Il est aisé de s'apperçevoir que l'art de faire des fleurs artificielles ainsi exercé, demande quelque talent & une grande exactitude à considérer la nature ; car ce n'est pas assez de connoître la grandeur, la couleur, & la découpure d'une fleur, il faut encore faire attention aux divers états par où elle passe, puisque si l'on ne connoît les changemens qui lui arrivent à son commencement, dans le tems de son épanoüissement, lorsqu'elle est épanoüie & brillante, enfin depuis l'instant où elle a commencé de poindre jusqu'à ce qu'elle soit entierement flétrie, il est impossible de la copier au naturel. Il faut étudier jusqu'aux différentes verdures qui se trouvent dans les branches d'une fleur ; d'une plante, ou d'un arbre, & les diverses sinuosités que ces branches font ensemble ; d'où l'on peut conclure que l'art de bouquetier artificiel demande plus de soin & de talent qu'on ne pense.

Pour ce qui regarde les outils de cet art, il n'y en a point de déterminés, chaque fleuriste en ayant qui lui sont particuliers, & que les autres ne connoissent point. Les plus communs sont les ciseaux, les pinces, les poinçons ; dont nous ne donnerons point de figure, le lecteur pouvant les trouver à l'article des arts où ces instrumens sont absolument nécessaires.

Il n'y a point non plus de terme dans cet art qui ait besoin d'une explication particuliere.


FLEURON(Hist. nat.) Voyez FLEUR.

FLEURON, s. m. en Architecture, feuille ou fleur imaginaire, qui n'est point imitée des naturelles, & qui sert dans les ornemens de sculpture & bois, bronze, pierres, plâtre, & dans la Serrurerie. (P)

FLEURON, (Gravure & Imprimerie) c'est un ornement de fleur, ou un sujet historique, ordinairement gravé en bois ou en cuivre, que l'on met à la fin des articles ou des chapitres où il se trouve du blanc à remplir. Le fleuron est pour ainsi dire la même chose que le cul-de-lampe. Il faut autant que l'on peut, éviter de donner aux fleurons une forme quarrée ; pour qu'ils ayent de la grace, il faut qu'ils se terminent un peu en pointe au milieu par le bas, & qu'ils soient comme arrondis aux angles par le haut : cependant il y a des places qui ne peuvent être remplies que par des fleurons plus longs que hauts ; c'est au graveur de pallier ce défaut par la gravure de son dessein. En général, il faut que les fleurons gravés en bois, sous lesquels on comprend aussi les placards & culs-de-lampes, soient un peu plus bas d'épaisseur que la lettre d'Imprimerie, pour que les bords des ornemens ne se trouvant point soûtenus de filets, ils ne pochent point à l'impression, & ne soient pas si-tôt écrasés par l'effort de la presse. Il est aisé de les faire venir bien, en mettant des hausses sous le fleuron. Voyez CUL-DE-LAMPE & PLACARDS. Article de M. PAPILLON.

FLEURON, terme de Relieurs-Doreurs, par lequel ils expriment un outil de cuivre fondu figuré en fleur, qui est monté sur un manche, & qu'ils font chauffer pour l'appliquer chaud sur l'or qu'ils mettent sur le dos d'un livre. Voyez DORURE.

FLEURON, (Jard.) est une feuille imaginaire qui sort ordinairement d'un rinceau ou grand ramage de la broderie d'un parterre, & est composé de plusieurs palmettes, becs de corbin, nilles, &c. (K)

FLEURON, (Serrurerie) est une piece d'ornement qui se met dans les ouvrages de Serrurerie, aux gril les, balcons, & autres ouvrages semblables. Voyez les Planches de Serrurerie ; K est un fleuron, MM. fleuron, & K revers d'un fleuron.


FLEURTISS. m. pl. ornemens du chant. Voyez BRODERIE.


FLEUVERIVIERE, synon. Voilà deux synonymes sur la différence desquels on n'est pas encore convenu, si jamais on en peut convenir ; car si on prétendoit tirer cette différence de la quantité d'eaux qui coulent dans un même lit, on pourroit répondre qu'il y a d'assez petites rivieres auxquelles on a conservé dans les ouvrages en prose, le nom de fleuve que les poëtes leur ont donné. Si l'on dit que le mot fleuve appartient seulement aux rivieres qui coulent depuis leur source jusqu'à la mer sans changer de nom, le titre de fleuve ne conviendra pas au Rhin, qui n'arrive pas avec son nom jusqu'à l'Océan. Si l'on veut que le mot fleuve soit propre aux rivieres qui se mêlent sans perdre leur nom, au lieu que les autres perdent le leur, on repliquera que dans l'usage ordinaire personne ne s'avise de dire le fleuve de la Seine, le fleuve de la Loire, le fleuve de la Meuse, quoiqu'elles ayent cette condition.

M. Sanson va plus loin : il accorde le nom de fleuve aux rivieres qui portent de grands bateaux, & que leurs cours rendent considérables, quoiqu'elles ne portent pas leurs eaux immédiatement à la mer, comme la Save & la Drave, qui se perdent dans le Danube ; le Mein & la Moselle, dans le Rhin, &c. Enfin M. Corneille veut que l'on donne seulement le nom de fleuve aux anciennes rivieres, telles que l'Araxe, l'Ister, &c. Mais y a-t-il de nouvelles rivieres, & ne sont-elles pas toutes également anciennes ? Il n'est donc pas possible de fixer la distinction de ces deux mots, fleuve & riviere. Tout ce qu'on peut dire d'après l'usage, c'est, 1°. que fleuve ne s'employe que pour les grandes rivieres ; 2°. que le mot riviere n'est pas noble en poésie ; 3°. que quand on parle d'une riviere de l'antiquité, on se sert du mot fleuve, de sorte qu'on dit le fleuve Araxe, le fleuve Indus, le fleuve du Gange ; 4°. que le nom de riviere se donne tant aux grandes qu'aux petites, puisqu'on dit également la riviere de Loire, & la riviere des Gobelins qui n'est qu'un ruisseau. Article de M(D.J.)

FLEUVE, s. m. (Phys. & Geogr.) flumen, se dit d'un amas considérable d'eau qui partant de quelque source, coule dans un lit vaste & profond, pour aller ordinairement se jetter dans la mer.

Si une eau courante n'est pas assez forte pour porter de petits bateaux, on l'appelle en latin rivus, en françois ordinairement ruisseau ; si elle est assez forte pour porter bateau, on l'appelle riviere, en latin amnis ; enfin si elle peut porter de grands bateaux, on l'appelle en latin flumen, en françois fleuve. La différence de ces dénominations n'est, comme l'on voit, que du plus au moins. Quelques auteurs prétendent que l'on ne doit donner le nom de fleuves qu'aux rivieres qui se déchargent immédiatement dans la mer ; & en effet l'usage semble avoir assez généralement établi cette dénomination. D'autres, mais en plus petit nombre, prétendent qu'il n'y a de vrais fleuves que ceux qui ont le même nom depuis leur source jusqu'à leur embouchure. Voy. l'article précéd.

Nous traiterons dans cet article, de l'origine des fleuves, de leur direction, de leurs variations, de leur débordement, de leur cours, &c.

Origine des fleuves. Les ruisseaux ou petites rivieres viennent quelquefois d'une grande quantité de pluies ou de neiges fondues, principalement dans les lieux remplis de montagnes, comme on en voit dans l'Afrique, les Indes, l'île de Sumatra, &c. mais en général les fleuves & les rivieres viennent de sources. Voyez SOURCE. L'origine des sources elles-mêmes vient aussi, soit des vapeurs qui retombent sur le sommet des montagnes, soit des eaux de la pluie ou de neige fondue, qui se filtrent à-travers les entrailles de la terre, jusqu'à ce qu'elles trouvent une espece de bassin où elles s'amassent.

M. Halley a fait voir, n. 192. des Transact. philosophiq. que les vapeurs élevées de la surface de la mer, & transportées par le vent sur la terre, sont plus que suffisantes pour former toutes les rivieres, & entretenir les eaux qui sont à la surface de la terre. On sait en effet par différentes expériences (voyez Musschenbr. ess. de Phys. §. 1495.) qu'il s'évapore par an environ 29 pouces d'eau ; or cette évaporation est plus que suffisante pour produire la quantité d'eau que les fleuves portent à la mer. M. de Buffon, dans le premier volume de son histoire naturelle, p. 356. trouve par un calcul assez plausible, d'après Jean Keill, que dans l'espace de 812 ans toutes les rivieres ensemble rempliroient l'Océan : d'où il conclut que la quantité d'eau qui s'évapore de la mer, & que les vents transportent sur la terre pour produire les ruisseaux & les fleuves, est d'environ les deux tiers d'une ligne par jour, ou 21 pouces par an ; ce qui est encore au dessous des 29 pouces dont on vient de parler, & confirme ce que nous avançons ici, que les vapeurs de la mer sont plus que suffisantes pour produire les fleuves. Voyez aux art. PLUIE & FONTAINE, un plus grand détail sur ce sujet.

Les fleuves sont formés par la réunion de plusieurs rivieres, ou viennent de lacs. Parmi tous les grands fleuves connus, comme le Rhin, l'Elbe, &c. il n'y en a pas un qui vienne d'une seule & unique source. Le Volga, par exemple, est formé de 200 rivieres, dont 32 à 33 considérables, qui s'y jettent avant qu'il aille se jetter lui-même dans la mer Caspienne : le Danube en reçoit à-peu-près aussi 200, dont 30 considérables, en ne comptant que ces dernieres. Le Don en reçoit cinq ou six, le Nieper 19 ou 20, la Duine 11 ou 12 : & de même en Asie, le Hoanho reçoit 34 ou 35 rivieres ; le Jenisca en reçoit plus de 60, l'Oby autant ; le fleuve Amour environ 40 ; le Kian, ou le fleuve de Nanquin, en reçoit environ 30, le Gange plus de 20, l'Euphrate 10 ou 11, &c. En Afrique, le Sénégal reçoit plus de 20 rivieres. Le Nil ne reçoit aucune riviere qu'à plus de 500 lieues de son embouchure ; la derniere qui y tombe est le Moraba, & de cet endroit jusqu'à sa source il reçoit environ 12 ou 13 rivieres. En Amérique, le fleuve des Amazones en reçoit plus de 60, & toutes fort considérables ; le fleuve S. Laurent environ 40, en comptant celles qui tombent dans les lacs ; le fleuve Mississipi plus de 40, le fleuve de la Plata plus de 50, &c.

Il y a sur la surface de la terre des contrées élevées, qui paroissent être des points de partages marqués par la nature pour la distribution des eaux. Les environs du mont Saint-Gothard sont un de ces points en Europe. Un autre point est le pays entre les provinces de Belozera & de Vologda en Moscovie, d'où descendent des fleuves dont les uns vont à la mer Blanche, d'autres à la mer Noire, & d'autres à la mer Caspienne ; en Asie, le pays des Tartares-Mogols, d'où il coule des fleuves dont les uns vont se rendre dans la mer Tranquille, ou mer de la nouvelle Zemble : d'autres au golfe Linchidolin, d'autres à la mer de Corée, d'autres à celle de la Chine ; & de même le petit Thibet, dont les eaux coulent vers la mer de la Chine, vers le golfe de Bengale, vers le golfe de Cambaye, & vers le lac Aral ; en Amérique, la province de Quito, qui fournit des eaux à la mer du Sud, à la mer du Nord ; & au golfe du Mexique. Hist. nat. de M. de Buffon, tom. I. & Varen. Géogr.

Direction des fleuves. On a remarqué que généralement parlant, les plus grandes montagnes occupent le milieu des continens ; & que dans l'ancien continent, les plus grandes chaînes de montagnes sont dirigées d'occident en orient. On verra de même que les plus grands fleuves sont dirigés comme les plus grandes montagnes. On trouvera qu'à commencer par l'Espagne, le Vigo, le Douro, le Tage & la Guadiana, vont d'orient en occident, & l'Ebre d'occident en orient ; & qu'il n'y a pas une riviere remarquable qui aille du sud au nord, ou du nord au sud.

On verra aussi, en jettant les yeux sur la carte de la France, qu'il n'y a que le Rhône qui soit dirigé du nord au midi ; & encore dans près de la moitié de son cours, depuis les montagnes jusqu'à Lyon, est-il dirigé de l'orient vers l'occident : mais qu'au contraire tous les autres grands fleuves, comme la Loire, la Charente, la Garonne, & même la Seine, ont leur direction d'orient en occident.

On verra de même qu'en Allemagne il n'y a que le Rhin qui, comme le Rhône, a la plus grande partie de son cours du midi au nord ; mais que les autres grands fleuves, comme le Danube, la Drave, & toutes les grandes rivieres qui tombent dans ces fleuves, vont d'occident en orient se rendre dans la mer Noire.

On trouvera aussi que l'Euphrate est dirigé d'occident en orient, & que presque tous les fleuves de la Chine vont de même d'occident en orient. Il en est ainsi de tous les fleuves de l'intérieur de l'Afrique au-delà de la Barbarie ; ils coulent tous d'orient en occident ou d'occident en orient : il n'y a que les rivieres de Barbarie & le Nil qui coulent du midi au nord. A la vérité il y a de grands fleuves en Asie qui coulent en parties du nord au midi, comme le Don, le Volga, &c. mais en prenant la longueur entiere de leur cours, on verra qu'ils ne se tournent du côté du midi, que pour se rendre dans la mer Noire & dans la mer Caspienne, qui sont des lacs dans l'intérieur des terres.

Dans l'Amérique, les principaux fleuves coulent de même d'orient en occident, ou d'occident en orient : les montagnes sont au contraire dirigées nord & sud dans ce continent long & étroit ; mais, selon M. de Buffon, c'est proprement une suite de montagnes paralleles, disposées d'orient en occident. Hist. nat. génér. & partic. t. I. p. 334. & suiv.

Phénomenes & variations des fleuves. Les fleuves sont sujets à de grands changemens dans une même année, suivant les différentes saisons, & quelquefois dans un même jour. Ces changemens sont occasionnés pour l'ordinaire par les pluies & les neiges fondues. Par exemple, dans le Pérou & le Chili il y a des fleuves qui ne sont presque rien pendant la nuit, & qui ne coulent que de jour, parce qu'ils sont alors augmentés par la fonte des neiges qui couvrent les montagnes. De même le Volga grossit considérablement pendant les mois de Mai & de Juin, de sorte qu'il couvre alors entierement des sables qui sont à sec tout le reste de l'année. Le Nil, le Gange, l'Inde, &c. grossissent souvent jusqu'à déborder ; & cela arrive tantôt dans l'hyver, à cause des pluies ; tantôt en été, par la fonte des neiges.

Il y a des fleuves qui s'enfoncent brusquement sous terre au milieu de leur cours, & qui reparoissent ensuite dans d'autres lieux, comme si c'étoit de nouveaux fleuves : ainsi quelques auteurs prétendent que le Niger vient du Nil par-dessous terre, parce que ce fleuve grossit en même tems que le Nil, sans qu'on puisse trouver d'autre raison que la communication mutuelle de ces fleuves, pour expliquer pourquoi ils grossissent en même tems. On remarque encore que le Niger, quand il vient au pié des montagnes de Nubie, s'enfonce & se cache sous ces montagnes, pour reparoître de l'autre côté vers l'occident. Le Tigre se perd de même sous le mont Taurus.

Aristote & les Poëtes anciens font mention de différens fleuves, à qui la même chose arrive. Parmi ces fleuves, le fleuve Alphée est principalement célebre. Les auteurs grecs prétendent que ce fleuve, après s'être enfoncé en terre & avoir disparu, continuoit à couler sous la terre & la mer, pour aller jusqu'en Sicile ; que là il reparoissoit auprès de Syracuse, pour former la fontaine d'Aréthuse. La raison de cette opinion des anciens étoit que tous les cinq ans pendant l'été la fontaine d'Aréthuse étoit couverte de fumier, dans le tems même qu'on célébroit en Grece les jeux olympiques, & qu'on jettoit dans l'Alphée le fumier des victimes.

Le Guadalquivir en Espagne, la riviere de Gottemburg en Suede, & le Rhin même, se perdent dans la terre. On assûre que dans la partie occidentale de l'île de Saint-Domingue il y a une montagne d'une hauteur considérable, au pié de laquelle sont plusieurs cavernes où les rivieres & les ruisseaux se précipitent avec tant de bruit, qu'on les entend de sept ou huit lieues. Voyez Varenii geograph. gener. pag. 43.

Au reste, le nombre de ces fleuves qui se perdent dans le sein de la terre est fort petit, & il n'y a pas d'apparence que ces eaux descendent bien bas dans l'intérieur du globe ; il est plus vraisemblable qu'elles se perdent, comme celles du Rhin, en se divisant dans les sables, ce qui est fort ordinaire aux petites rivieres qui arrosent les terreins secs & sablonneux : on en a plusieurs exemples en Afrique, en Perse, en Arabie, &c. Hist. nat. ibid.

Quelques fleuves se déchargent dans la mer par une seule embouchure, quelques autres par plusieurs à-la-fois. Le Danube se jette dans la mer Noire par sept embouchures ; le Nil s'y jettoit autrefois par sept, dont il n'y en a plus aujourd'hui que deux qui soient navigables ; & le Volga par 70 au moins. La cause de cette quantité d'embouchures vient, selon Varenius, des bancs de sable qui sont en ces endroits ; & qui s'augmentant peu-à-peu, forment des îles qui divisent le fleuve en différens bras. Les anciens nous assûrent que le Nil n'avoit d'abord qu'une seule embouchure naturelle par laquelle il se déchargeoit dans la mer, & que ses six autres embouchures étoient artificielles.

Il y a dans l'ancien continent environ 430 fleuves qui tombent immédiatement dans l'Océan, ou dans la Méditerranée & la mer Noire ; & dans le nouveau continent on ne connoît guere que 180 fleuves qui tombent immédiatement dans la mer. Au reste on n'a compris dans ce nombre que des rivieres grandes au moins comme l'est la Somme en Picardie.

Les fleuves sont plus larges à leur embouchure, comme tout le monde sait ; mais ce qui est singulier, c'est que les sinuosités de leurs cours augmentent à mesure qu'ils s'approchent de la mer. On prétend qu'en Amérique les Sauvages jugent par ce moyen à quelle distance ils sont de la mer.

Sur le remous des fleuves, voyez REMOUS : sur leurs cataractes, voyez CATARACTE.

Varénius prétend & tâche de prouver que tous les lits des fleuves, si on en excepte ceux qui ont existé dès la création, sont artificiels, & creusés par les hommes. La raison qu'il en donne, est que quand une nouvelle source sort de terre, l'eau qui en coule ne se fait point un lit, mais inonde les terres adjacentes ; de sorte que les hommes, pour conserver leurs terres, ont vraisemblablement été obligés de creuser un lit aux fleuves. Cet auteur ajoûte qu'il y a d'ailleurs un grand nombre de fleuves dont les lits ont été certainement creusés par les hommes, comme l'histoire ne permet pas d'en douter. A l'égard de la question, si les rivieres qui se jettent dans d'autres y ont été portées par leur cours & leur mouvement naturel, ou ont été forcées de s'y jetter étant détournées dans des canaux creusés pour cela, Varénius croit ce dernier sentiment plus probable ; il pense aussi la même chose des différens bras des fleuves & des contours par lesquels le Tanaïs, le Volga, &c. forment des iles.

Il examine ensuite pourquoi il n'y a point de fleuves dont l'eau soit salée, tandis qu'il y a tant de sources qui le sont. Cela vient, selon lui, de ce que les hommes n'ont point creusé de lit pour les eaux des sources salées, pouvant se procurer le sel à moins de frais & avec moins de peine. Voyez SEL.

Plusieurs fleuves ont leurs eaux impregnées de particules métalliques, minérales, de corps gras & huileux, &c. Il y en a qui roulent du sable mêlé avec des grains d'or : de ce nombre sont 1°. un fleuve du Japon : 2°. un autre fleuve dans l'ile Lequeo, proche le Japon : 3°. une riviere d'Afrique appellée Arroe, qui sort du pié des montagnes de la Lune où il y a des mines d'or : 4°. un fleuve de Guinée, dont les Negres séparent le sable d'avec l'or qu'il renferme, & le vendent ensuite aux Européens qui vont en Guinée pour faire ce trafic : 5°. quelques rivieres proche la ville de Mexique, dans lesquelles on trouve des grains d'or, principalement après la pluie ; ce qui est général pour tous les autres fleuves qui roulent de l'or, car on n'y en trouve une quantité un peu considérable que dans les saisons pluvieuses : 6°. plusieurs rivieres du Pérou, de Sumatra, de Cuba, de la Nouvelle-Espagne, & de Guiana. Enfin dans les pays voisins des Alpes, principalement dans le Tirol, il y a quelques rivieres, des eaux desquelles on tire de l'or, quoique les grains d'or qu'elles roulent ne paroissent point aux yeux. Le Rhin, dans quelques endroits, porte, dit-on, un limon chargé d'or. Voy. OR. En France nous avons quelques rivieres, comme l'Ariege, qui roulent des paillettes d'or. M. de Reaumur a donné à l'académie des Sciences un mémoire sur ce sujet en 1721.

A l'égard des fleuves qui roulent des grains d'argent, de fer, de cuivre, de plomb, il y en a sans-doute aussi un grand nombre de cette espece, & les vertus medicinales des eaux minérales viennent pour la plûpart des parties métalliques que ces eaux renferment. Nous ne devons pas oublier de parler d'un fleuve d'Allemagne qu'on prétend avoir la propriété de changer le fer en cuivre. La vérité est pourtant que le fer n'est point réellement converti en un autre métal par les eaux de ce fleuve, mais que les particules de cuivre & de vitriol qu'elles contiennent, rongent le fer, en désunissent les parties au moyen du mouvement des eaux, & reparoissent à la place des parties du fer qu'elles ont divisées.

Le mélange des différentes matieres que contiennent les eaux des fleuves, est ce qui constitue leurs différentes qualités, leurs différentes pesanteurs spécifiques, leurs différentes couleurs. Voyez EAU.

Débordement périodique de certains fleuves. Il y a des fleuves qui grossissent tellement dans certaines saisons de l'année, qu'ils débordent & inondent les terres adjacentes. Parmi tous ces fleuves, le plus célebre est le Nil, qui s'enfle si considérablement qu'il inonde toute l'Egypte, excepté les montagnes. L'inondation commence vers le 17 Juin, & augmente pendant environ 40 jours, puis diminue pendant 40 autres ; durant ce tems les villes d'Egypte qui sont bâties sur des montagnes, paroissent comme autant d'îles.

C'est à ces inondations que l'Egypte doit sa fertilité ; car il ne pleut point dans ce pays, ou au moins il n'y pleut que fort peu. Ainsi chaque année est fertile ou stérile en Egypte, selon que l'inondation est plus grande ou moindre. La cause du débordement du Nil vient des pluies qui tombent en Ethiopie ; elles commencent au mois d'Avril, & ne finissent qu'en Septembre ; durant les trois premiers mois le ciel est serein pendant le jour mais il pleut toute la nuit. Les pluies de l'Abyssinie contribuent aussi à ce débordement ; mais le vent du nord en est la cause principale : 1°. parce qu'il chasse les nuages qui portent cette pluie du côté de l'Abyssinie : 2°. parce qu'il fait refouler les eaux du Nil à leur embouchure. Aussi dès que ce vent tourne au sud, le Nil perd en un jour ce qu'il avoit acquis dans quatre.

Les autres fleuves qui ont des débordemens considérables dans certains tems marqués sont, 1°. le Niger qui déborde dans le même tems que le Nil. Léon l'afriquain dit que ce débordement commence vers le 15 Juin, qu'il augmente durant 40 jours, & qu'il diminue ensuite pendant 40 autres. 2°. Le Zaire, fleuve du royaume de Congo, qui vient du même lac que le Nil, & qui par conséquent doit être sujet aux mêmes inondations. 3°. Le Rio de la Plata dans le Bresil, qui, selon la remarque de Maffée, déborde dans le même tems que le Nil. 4°. Le Gange, l'Indus ; le dernier de ces fleuves déborde en Juin, Juillet, Août ; & les habitans du pays recueillent alors une grande quantité de ses eaux dans des étangs, pour s'en servir le reste de l'année. 5°. Différens fleuves qui sortent du lac de Chiamay dans la baie de Bengale, & qui débordent en Septembre, Octobre, & Novembre. Les inondations de tous ces fleuves fertilisent les terres qui en sont voisines. 6°. Le fleuve Macoa en Camboya, le fleuve Parana ou Paranaguasa, que quelques-uns prétendent être le même que le fleuve d'Argent : différens fleuves sur la côte de Coromandel dans l'Inde, qui débordent dans les mois pluvieux de l'année, parce qu'ils sont alors grossis par les eaux qui coulent du mont Gatis : l'Euphrate qui inonde la Mésopotamie certains jours de l'année : enfin le fleuve de Sus en Numidie.

" Les plus grands fleuves de l'Europe sont le Volga, qui a environ 650 lieues de cours depuis Reschow jusqu'à Astracan sur la mer Caspienne ; le Danube dont le cours est d'environ 450 lieues depuis les montagnes de Suisse jusqu'à la mer Noire ; le Don, qui a 400 lieues de cours depuis la source du Sosna qu'il reçoit jusqu'à son embouchure dans la mer Noire ; le Nieper, dont le cours est d'environ 350 lieues, qui se jette aussi dans la mer Noire, la Duine, qui a environ 300 lieues de cours, & qui va se jetter dans la mer Blanche, &c.

Les plus grands fleuves de l'Asie sont le Hoanho de la Chine, qui a 850 lieues de cours en prenant sa source à Raja-Ribron, & qui tombe dans la mer de la Chine au midi du golfe de Changi ; le Jenisca de la Tartarie, qui a 800 lieues environ d'étendue depuis le lac Selinga jusqu'à la mer septentrionale de la Tartarie ; le fleuve Oby, qui a environ 600 lieues depuis le lac Kila jusque dans la mer du nord, au-delà du détroit de Waigats ; le fleuve Amour de la Tartarie orientale, qui a environ 575 lieues de cours, en comptant depuis la source du fleuve Kerlon qui s'y jette, jusqu'à la mer de Kamtschatka où il a son embouchure ; le fleuve Menamcon, qui a son embouchure à Poulo-Condor, & qu'on peut mesurer depuis la source du Longmu qui s'y jette ; le fleuve Kian, dont le cours est environ de 550 lieues en le mesurant depuis la source de la riviere Kinxa qui le reçoit, jusqu'à son embouchure dans la mer de la Chine ; le Gange, qui a aussi environ 550 lieues de cours ; l'Euphrate qui en a 500 en le prenant depuis la source de la riviere Irma qu'il reçoit ; l'Indus, qui a environ 400 lieues de cours, & qui tombe dans la mer d'Arabie à la partie occidentale de Guzarat ; le fleuve Sirderoias, qui a une étendue de 400 lieues environ, & qui se jette dans le lac Aral.

Les plus grands fleuves de l'Afrique sont le Sénégal, qui a 1125 lieues environ de cours en y comprenant le Niger, qui n'en est en effet qu'une continuation, & en remontant le Niger jusqu'à la source du Gombarou qui se jette dans le Niger ; le Nil, dont la longueur est de 970 lieues, & qui prend sa source dans la haute Ethiopie, où il fait plusieurs contours : il y a aussi le Zaire & le Coanza, desquels on connoit environ 400 lieues, mais qui s'étendent bien plus loin dans les terres du Monoemugi ; le Couama, dont on ne connoît aussi qu'environ 400 lieues, & qui vient de plus loin, des terres de la Cafrerie : le Quilmanci, dont le cours entier est de 400 lieues, & qui prend sa source dans le royaume de Gingiro.

Enfin les plus grands fleuves de l'Amérique, qui sont aussi les plus larges fleuves du monde, sont la riviere des Amazones, dont le cours est de plus de 1200 lieues si l'on remonte jusqu'au lac qui est près de Guanuco, à 30 lieues de Lima ; où le Maragnon prend sa source ; & si l'on remonte jusqu'à la source de la riviere Napo, à quelque distance de Quito, le cours de la riviere des Amazones est de plus de mille lieues. Voyez le voyage de M. de la Condamine, pag. 15. & 16.

On pourroit dire que le cours du fleuve S. Laurent en Canada est de plus de 900 lieues depuis son embouchure en remontant le lac Ontario & le lac Erié, de-là au lac Huron, ensuite au lac Supérieur, de-là au lac Alemipigo, au lac Cristinaux, & enfin au lac des Assiniboils : les eaux de tous ces lacs tombent les unes dans les autres, & enfin dans le fleuve S. Laurent.

Le fleuve Mississipi a plus de 700 lieues d'étendue depuis son embouchure jusqu'à quelques-unes de ses sources, qui ne sont pas éloignées du lac des Assiniboils, dont nous venons de parler.

Le fleuve de la Plata a plus de 800 lieues depuis son embouchure jusqu'à la source de la riviere Parna qu'il reçoit.

Le fleuve Oronoque a plus de 575 lieues de cours, en comptant depuis la source de la riviere Caketa près de Pasto, qui se jette en partie dans l'Oronoque, & coule aussi en partie vers la riviere des Amazones. Voyez la carte de M. de la Condamine.

La riviere Madera qui se jette dans celle des Amazones, a plus de 660 ou 670 lieues. Hist. natur. tome I. page 352. & suiv. "

Les fleuves les plus rapides de tous, sont le Tigre, l'Indus, le Danube, l'Yrtis en Sibérie, le Malmistra en Cilicie, &c. Voyez Varenii géograph. page 178. Mais, comme nous le dirons plus bas, la mesure de la vîtesse des eaux d'un fleuve dépend de deux causes ; la premiere est la pente, & la seconde le poids & la quantité d'eau : en examinant sur le globe quels sont les fleuves qui ont le plus de pente, on trouvera que le Danube en a beaucoup moins que le Pô, le Rhin & le Rhône, puisque tirant quelques-unes de ses sources des mêmes montagnes, le Danube a un cours beaucoup plus long qu'aucun de ces trois autres fleuves, & qu'il tombe dans la mer Noire, qui est plus élevée que la Méditerranée, & peut-être plus que l'Océan. Ibid.

Lois du mouvement des fleuves & rivieres en général. Les philosophes modernes ont tâché de déterminer par des lois précises le mouvement & le cours des fleuves ; pour cela ils ont appliqué la Géométrie & la méchanique à cette recherche ; de sorte que la théorie du mouvement des fleuves est une des branches de la physique moderne.

Les auteurs italiens se sont distingués dans cette partie, & c'est principalement à eux qu'on doit les progrès qu'on y a faits ; entr'autres à Guglielmini, qui dans son traité della natura de' fiumi, a donné sur cette matiere un grand nombre de recherches & d'observations.

Les eaux des fleuves, selon la remarque de cet auteur, ont ordinairement leurs sources dans des montagnes ou endroits élevés ; en descendant de-là elles acquierent une vîtesse ou accélération qui sert à entretenir leur courant : à mesure qu'elles font plus de chemin, leur vîtesse diminue, tant à cause du frottement continuel de l'eau contre le fond & les côtés du lit où elles coulent, que par rapport aux autres obstacles qu'elles rencontrent, & enfin parce qu'elles arrivent après un certain tems dans les plaines, où elles coulent avec moins de pente, & presque horisontalement. Ainsi le Reno, fleuve d'Italie, qui a été un de ceux que Guglielmini a le plus observé, n'a vers son embouchure qu'une pente très-petite.

Si la vîtesse que l'eau a acquise est entierement détruite par les différens obstacles, ensorte que son cours devienne horisontal, il n'y aura plus rien qui puisse produire la continuation de son mouvement, que la hauteur de l'eau ou la pression perpendiculaire qui lui est toûjours proportionnelle. Heureusement cette derniere cause devient plus forte à mesure que la vîtesse se ralentit par les obstacles ; car plus l'eau perd de la vîtesse qu'elle a acquise, plus elle s'éleve & se hausse à-proportion.

L'eau qui est à la surface d'une riviere, & qui est éloignée des bords, peut toûjours couler par la seule & unique cause de sa déclivité, quelque petite qu'elle soit : car n'étant arrêtée par aucun obstacle, la plus petite différence dans le niveau suffit pour la faire mouvoir. Mais l'eau du fond qui rencontre des obstacles continuels, ne doit recevoir presque aucun mouvement d'une pente insensible, & ne pourra être mûe qu'en vertu de la pression de l'eau qui est au-dessus.

La viscosité & la cohésion naturelle des parties de l'eau, & l'union qu'elles ont les unes avec les autres, fait que les parties inférieures, mûes par la pression des supérieures, entraînent à leur tour celles-ci, qui autrement dans un lit horisontal n'auroient aucun mouvement, ou n'auroient qu'un mouvement presque nul, si le canal n'avoit que très-peu de pente. Ainsi les parties inférieures, en ce cas, rendent aux supérieures une partie du mouvement qu'elles en reçoivent par la pression : de-là il arrive souvent que la plus grande vîtesse des eaux d'une riviere est au milieu de la profondeur de son lit, parce que les parties qui y sont, ont l'avantage d'être accélérées par la pression de la moitié de la hauteur, sans être retardées par le fond.

Pour savoir si l'eau d'une riviere qui n'a presque point de pente, coule par le moyen de la vîtesse qu'elle a acquise dans sa descente ou par la pression perpendiculaire de ses parties, il faut opposer au courant un obstacle qui lui soit perpendiculaire : si l'eau s'éleve & s'enfle au-dessus de l'obstacle, sa vîtesse vient de sa chûte ; si elle ne fait que s'arrêter, sa vîtesse vient de la pression de ses parties.

Les fleuves, selon Guglielmini, se creusent presque tous seuls leur lit. Si le fond a originairement beaucoup de pente, l'eau acquiert en conséquence une grande vitesse ; elle doit par conséquent détruire les parties du fond les plus élevées, & les porter dans les endroits plus bas, & applanir ainsi peu-à-peu le fond en le rendant plus horisontal. Plus l'eau aura de vîtesse, plus elle creusera son fond, & plus elle se fera par conséquent un lit profond.

Quand l'eau du fleuve a rendu son lit plus horisontal, elle commence alors à couler elle-même horisontalement, & par conséquent agit sur le fond de son lit avec moins de force, jusqu'à-ce qu'à la fin sa force devienne égale à la résistance du fond. Alors le fond demeure dans un état permanent, au moins pendant un tems considérable, & ce tems est plus ou moins long selon la qualité du sol ; car l'argile & la craie, par exemple, résistent plus long-tems que le sable & le limon.

D'un autre côté, l'eau ronge continuellement les bords de son lit, & cela avec plus ou moins de force selon qu'elle les frappe plus perpendiculairement. Par cet effort continuel, elle tend à rendre les bords de son lit paralleles au courant ; & quand elle a produit cet effet autant qu'il est possible, elle cesse alors de changer la figure de ses bords. En même tems que son courant devient moins tortueux, son lit s'élargit, c'est-à-dire que le fleuve perd de sa profondeur, & par conséquent de la force de sa pression : ce qui continue jusqu'à-ce qu'il y ait équilibre entre la force de l'eau & la résistance des bords ; pour lors le fleuve ni les bords ne changent plus. Il est évident par l'expérience, qu'il y a réellement un tel équilibre, puisque l'on trouve que la profondeur & la largeur des rivieres ne passe point certaines bornes.

Le contraire de tout ce qu'on vient de dire peut aussi quelquefois arriver. Les fleuves dont les eaux sont épaisses & limoneuses, doivent déposer au fond de leur lit une partie des matieres hétérogenes que ces eaux contiennent, & rendre par-là leur lit moins profond. Leurs bords peuvent aussi se rapprocher par la déposition continuelle de ces mêmes matieres. Il peut même arriver que ces matieres étant jettées loin du fil de l'eau, entre les bords & le courant, & n'ayant presque point de mouvement, forment peu-à-peu un nouveau rivage.

Or, ces effets contraires & opposés semblent presque toûjours concourir, & se combiner différemment ensemble, selon les circonstances ; aussi est-il fort difficile de juger de ce qui en doit résulter. Il est cependant nécessaire de connoître fort exactement de quelle maniere ces effets se combinent, avant de faire aucun travail qui tende à produire quelque changement dans une riviere, sur-tout lorsqu'il s'agit d'en détourner le cours. Le Lamone qui se jette dans le Pô, ayant été détourné de son cours pour le faire décharger dans la mer Adriatique, a été si fort dérangé par ce changement, & sa force si diminuée, que ses eaux abandonnées à elles-mêmes, ont prodigieusement élevé leur lit par la déposition continuelle de leur limon ; de maniere que cette riviere est devenue beaucoup plus haute que n'est le Pô dans le tems de sa plus grande hauteur, & qu'il a fallu opposer au Lamone, des levées & des digues très-hautes pour en empêcher le débordement. Voyez DIGUE, LEVEE.

Un petit fleuve peut entrer dans un grand, sans en augmenter la largeur ni la profondeur. La raison de ce paradoxe est, que l'addition des eaux du petit fleuve peut ne produire d'autre effet, que de mettre en mouvement les parties qui étoient auparavant en repos proche des bords du grand, & rendre ainsi la vîtesse du courant plus grande, en même proportion que la quantité d'eau qui y passe. Ainsi le bras du Pô qui passe à Venise, quoiqu'augmenté du bras de Ferrare & de celui du Panaro, ne reçoit point d'accroissement sensible dans aucune de ses dimensions. La même chose peut se conclure, proportion gardée, de toutes les augmentations que l'eau d'un fleuve peut recevoir, soit par l'eau d'une riviere qui s'y jette, soit de quelqu'autre maniere.

Un fleuve qui se présente pour entrer dans un autre, soit perpendiculairement, soit même dans une direction opposée au courant de celui où il entre, est détourné peu-à-peu & par degrés de cette direction, & forcé de couler dans un lit nouveau & plus favorable pour l'union des deux rivieres.

L'union de deux rivieres en une doit les faire couler plus vîte, par la raison, qu'au lieu du frottement de quatre rivages, il n'y a plus que le frottement de deux à surmonter, & que le courant étant plus éloigné des bords coule avec plus de facilité ; outre que la quantité d'eau étant plus grande & coulant avec plus de vîtesse, doit creuser davantage le lit, & même le rendre si profond que les bords se rapprochent. De-là il arrive souvent que deux rivieres étant unies, occupent moins d'espace sur la surface de la terre, & produisent par-là un avantage dans les terreins bas, par la déposition continuelle que ces terreins y font des parties bourbeuses & superflues qu'ils renferment ; ils forment par ce moyen une espece de digue à ces rivieres, qui empêche les inondations. Sur quoi voyez l'article CONFLUENT, où l'on fait voir que le physique dérange ici beaucoup le géométrique.

Ces avantages sont si considérables, que Guglielmini croît que la nature les a eus en vûe, en rendant la jonction & l'union des rivieres si fréquente.

Tel est l'abregé de la doctrine de Guglielmini, sur le mouvement des fleuves, dont M. de Fontenelle a fait l'extrait dans les mém. de l'acad. 1710.

Pour déterminer d'une maniere plus précise les lois générales du mouvement des fleuves, nous observerons d'abord qu'un fleuve est dit demeurer dans le même état, ou dans un état permanent, quand il coule uniformément, de maniere qu'il est toûjours à la même hauteur dans le même endroit. Imaginons ensuite un plan qui coupe le fleuve perpendiculairement à son fond, & que nous appellerons section du fleuve. Voyez Planche hydrostatiq. fig. 34.

Cela posé, quand un fleuve est terminé par des bords unis, paralleles l'un à l'autre & perpendiculaires à l'horison, & que le fond est aussi une surface plane, horisontale ou inclinée, la section fera des angles droits avec ces trois plans, & sera un parallelograme.

Or, lorsqu'un fleuve est dans un état permanent, la même quantité d'eau coule en même tems dans chaque section. Car l'état du courant ne seroit pas permanent, s'il ne repassoit pas toûjours à chaque endroit autant d'eau qu'il vient de s'en écouler. Ce qui doit avoir lieu, quelle que soit l'irrégularité du lit, qui peut produire dans le mouvement du fleuve différens changemens à d'autres égards, par exemple, un plus grand frottement, à proportion de l'inégalité du lit.

Les irrégularités qui se rencontrent dans le mouvement d'une riviere, peuvent varier à l'infini ; & il n'est pas possible de donner là-dessus des regles. Pour pouvoir déterminer la vitesse générale d'un fleuve, il faut mettre à part toutes les irrégularités, & n'avoir égard qu'au mouvement général du courant.

Supposons donc que l'eau coule dans un lit régulier, sans aucun frottement sensible, & que le lit soit terminé par des côtés plans, paralleles l'un à l'autre, & verticaux ; enfin que le fond soit aussi une surface plane & inclinée à l'horison. Soit A E le lit, dans lequel l'eau coule, venant d'un réservoir plus grand, & supposons que l'eau du réservoir soir toûjours à la même hauteur, ensorte que le courant de la riviere soit dans un état permanent ; l'eau descend de son lit comme sur un plan incliné, & s'y accélere continuellement ; & comme la quantité d'eau qui passe par chaque section dans le même tems, doit être la même par-tout, il s'ensuit que la hauteur de l'eau doit diminuer à mesure qu'elle s'éloigne du reservoir, & que sa surface doit prendre la figure i q s, terminée par une ligne courbe i q s, qui s'approche toujours de plus en plus de C E.

Pour déterminer la vîtesse de l'eau dans les différens endroits de son lit, supposons que l'origine du lit A B C D soit fermée par un plan : si on fait un trou dans ce plan, l'eau jaillira plus ou moins loin du trou, selon que le trou sera plus ou moins distant de la surface de l'eau du réservoir h i ; & la vîtesse avec laquelle l'eau jaillira, sera égale à celle qu'acquerroit un corps pesant en tombant de la surface de l'eau jusqu'au trou ; ce qui vient de la pression de l'eau qui est au-dessus du trou : la même pression, & par conséquent la même force motrice subsiste quand l'obstacle A C est ôté, & chaque particule de l'eau coule dans le lit, avec une vîtesse égale à celle qu'elle auroit acquise en tombant de la surface de l'eau jusqu'à la profondeur où est cette particule. Chaque particule se meut donc comme sur un plan incliné, avec un mouvement accéleré, & de la même maniere que si, tombant verticalement, elle avoit continué son mouvement à la même profondeur au-dessous de la surface de l'eau, à compter du réservoir de la riviere.

Donc si on tire la ligne horisontale i t, les particules de l'eau auront en r la même vîtesse qu'acquerroit un corps, qui tombant de la hauteur I C, parcouroit la ligne C r ; vîtesse qui est égale à celle qu'acquerroit un corps en tombant le long de t r. Par conséquent on peut déterminer en quelqu'endroit que ce soit la vitesse du courant, en tirant de cet endroit une perpendiculaire au plan horisontal, que l'on conçoit passer par la surface de l'eau du réservoir de la riviere ; la vîtesse qu'un corps acquerroit en tombant de la longueur de cette perpendiculaire, est égale à la vitesse de l'eau qu'on cherche, & cette vitesse est par conséquent d'autant plus grande, que la perpendiculaire est plus grande. D'un point quelconque, comme r, tirez r s perpendiculaire au fond du lit, cette ligne mesurera la hauteur ou la profondeur de la riviere. Puisque r s est inclinée à l'horison, si des différens points de cette ligne on tire des perpendiculaires à i t, elles seront d'autant plus courtes qu'elles seront plus distantes de r, & la plus courte de toutes sera s u ; par conséquent les vîtesses des parties de l'eau dans la ligne r s, sont d'autant moindres qu'elles sont plus proches de la surface de la riviere, & d'autant plus grandes qu'elles en sont plus éloignées.

Cependant la vîtesse de ces parties approche de plus en plus de l'égalité, à mesure que la riviere fait plus de chemin : car les quarrés de ces vîtesses sont comme r t à s u ; or la différence de ces lignes diminue continuellement, à mesure que la riviere s'éloigne de son origine, parce que la profondeur r s diminue aussi continuellement à mesure que ces lignes augmentent. Donc puisque la différence des quarrés des vîtesses diminue continuellement, à plus forte raison la différence des vîtesses doit diminuer aussi, puisqu'un quarré est toûjours en plus grand rapport avec un quarré plus petit que les racines de ces quarrés ne le sont entr'elles.

Si l'inclinaison du fond est changée à l'origine de la riviere, que le fond, par exemple, devienne y z, & qu'une plus grande quantité d'eau coule dans le lit, le lit deviendra plus profond dans toute la longueur de la riviere, mais la vîtesse de l'eau ne changera point. Car cette vîtesse ne dépend point de la profondeur de l'eau dans la riviere, mais de la distance qu'il y a de la particule mûe, au plan horisontal, qui passant par l'origine, est continué au-dessus de cette particule ; & cette distance est mesurée par la perpendiculaire r t ou s u : or ces lignes ne sont point changées par la quantité d'eau plus ou moins grande qui coule dans le lit, pourvû que l'eau demeure à la même hauteur dans le reservoir.

Supposons que la partie supérieure du lit soit fermée par quelqu'obstacle comme X, qui descende un peu au-dessous de la surface de l'eau : comme l'eau n'a pas en cet endroit la liberté de couler à sa partie supérieure, elle doit s'y élever ; mais la vîtesse de l'eau au-dessous de la cataracte n'augmentera point ; & l'eau qui vient continuellement, doit s'élever toûjours de plus en plus, de maniere qu'à la fin elle déborde, ou au-dessus de l'obstacle, ou au-dessus de ses bords. Si on élevoit les bords aussi-bien que l'obstacle, l'eau s'éleveroit à une hauteur au-dessus de i t ; jusqu'à ce que cela arrive, la vîtesse de l'eau ne peut augmenter : mais quand une fois l'eau se sera élevée au-dessus de i t, la hauteur de l'eau dans le réservoir sera augmentée. Car comme on suppose que la riviere est dans un état permanent, il faut nécessairement qu'il entre continuellement autant de nouvelle eau dans le réservoir, qu'il s'en échappe pour couler dans le lit : si donc il coule moins d'eau dans le lit, la hauteur de l'eau doit augmenter dans le réservoir, jusqu'à ce que la vîtesse de l'eau qui coule au-dessous de l'obstacle soit tellement augmentée, qu'il coule par-dessous l'obstacle autant d'eau qu'il en couloit auparavant dans le lit, lorsqu'il étoit libre. Voyez ONDE.

Voilà la théorie de Guglielmini, sur la vîtesse des rivieres, théorie purement mathématique, & que les circonstances physiques doivent altérer beaucoup. Avant que d'entrer là-dessus dans quelque détail, je remarquerai 1°. que dans mes réflexions sur la cause générale des vents, Paris 1747, j'ai démontré p. 179, qu'un fluide qui par une cause quelconque se mouvroit horisontalement & uniformément entre deux bords verticaux, ne devroit pas toûjours s'accélérer dans les endroits où son lit viendroit à se retrécir, mais que suivant le rapport de sa profondeur avec l'espace qu'il parcouroit dans une seconde, il devoit tantôt s'abaisser dans ces endroits, tantôt s'y élever ; que dans ce dernier cas, il augmenteroit plus en hauteur en s'élevant, qu'il ne perdroit en largeur, & que par conséquent au lieu d'accélerer sa vîtesse, il devroit au contraire la ralentir, puisque l'espace par lequel il devroit passer, seroit augmenté réellement au lieu d'être diminué.

Je remarquerai 2°. que dans mon essai de la résistance des fluides, Paris 1752, j'ai donné le premier une méthode générale pour déterminer mathématiquement la vîtesse d'un fleuve en un endroit quelconque ; méthode qui demande une analyse très-compliquée, quand on veut faire entrer dans le problème toutes ses circonstances, quoiqu'on fasse même abstraction du physique. Voyez l'ouvrage cité art. 156. & suiv.

Le mouvement des eaux dans le cours des fleuves, s'écarte considérablement de la théorie géométrique. 1°. Non-seulement la surface d'un fleuve n'est pas de niveau d'un bord à l'autre, mais même le milieu est souvent plus élevé que les deux bords ; ce qui vient de la différence de vîtesse entre l'eau du milieu du fleuve, & les bords. 2°. Lorsque les fleuves approchent de leur embouchure, l'eau du milieu est au contraire souvent plus basse que celle des bords, parce que l'eau des bords ayant moins de vîtesse, est plus refoulée par la marée. Voyez FLUX. 3°. La vîtesse des eaux ne suit pas à-beaucoup-près la proportion de la pente ; un fleuve qui a plus de pente qu'un autre, coule plus vîte dans une plus grande raison que celle de la pente : cela vient de ce que la vîtesse d'un fleuve dépend encore plus de la quantité de l'eau & du poids des eaux supérieures, que de la pente. M. Kuhn, dans sa dissertation sur l'origine des fontaines, s'est donc trompé en jugeant de la pente des fleuves par leur vîtesse, & en croyant, par exemple sur ce principe, que la source du Danube est de deux milles d'Allemagne plus élevée que son embouchure, &c. 4°. Les ponts, les levées & les autres obstacles qu'on établit sur les rivieres, ne diminuent pas considérablement la vîtesse totale du cours de l'eau, parce que l'eau s'éleve à la rencontre de l'avant-bec d'un pont, ce qui fait qu'elle agit davantage par son poids pour augmenter la vîtesse du courant entre les piles. 5°. Le moyen le plus sûr de contenir un fleuve, est en général de retrécir son canal, parce que sa vîtesse par ce moyen est augmentée, & qu'il se creuse un lit plus profond ; par la même raison on peut diminuer ou arrêter quelquefois les inondations d'une riviere, non en y faisant des saignées, mais en y faisant entrer une autre riviere, parce que l'union des deux rivieres les fait couler l'une & l'autre plus vîte, comme on l'a dit ci-dessus. 6°. Lorsqu'une riviere grossit, la vîtesse augmente jusqu'à ce que la riviere déborde : alors la vîtesse diminue, sans-doute parce que le lit est augmenté en plus grande proportion que la quantité d'eau. C'est par cette raison que l'inondation diminue proche l'embouchure, parce que c'est l'endroit où les eaux ont le plus de vîtesse.

De la mesure de la vîtesse des fleuves. Les Physiciens & les Géometres ont imaginé pour cela différens moyens. Guglielmini en propose un dans ses ouvrages, qui nous paroît trop composé & trop peu certain. Voyez son traité della natura de' fiumi, & son aquarum fluentium mensura. Parmi les autres moyens, un des plus simples est celui du pendule. On plonge un pendule dans l'eau courante, & on juge de la vîtesse de l'eau par la quantité à laquelle le poids s'éleve, c'est-à-dire par l'angle que le fil fait avec la verticale. Mais cette méthode paroît meilleure pour comparer ensemble les vîtesses de deux fleuves, que pour avoir la vîtesse absolue de chacun. Les tangentes des angles sont à la vérité entr'elles, comme les quarrés des vîtesses, & cette regle est assez sûre : mais il n'est pas aussi facile de déterminer directement la vîtesse du fleuve par l'angle du fil. Voyez RESISTANCE DES FLUIDES & FLUIDE.

Un autre moyen est celui que M. Pitot a proposé dans les mémoires de l'académie de 1732. Il prend un tuyau recourbé, dont la partie supérieure est verticale, & l'inférieure horisontale. Il plonge cette derniere dans l'eau, ensorte que l'eau entre par la branche horisontale. Selon les lois de l'Hydraulique, l'eau doit s'élever dans le tuyau vertical, à une hauteur égale à celle dont un corps pesant devroit tomber, pour acquérir une vitesse égale à celle de l'eau. Mais on sent encore que ce moyen est assez fautif : 1°. l'eau sera retardée par l'angle qui forme la partie horisontale avec la verticale : 2°. elle le sera encore le long du tuyau par le frottement, ainsi elle s'élevera moins qu'elle ne devroit suivant la théorie ; & il est très-difficile de fixer le rapport entre la hauteur à laquelle elle s'éleve, & celle à laquelle elle doit s'élever, parce que la théorie des frottemens est très-peu connue. Voyez FROTTEMENT.

Le moyen le plus simple & le plus sûr pour connoitre la vitesse de l'eau, est de prendre un corps à-peu-près aussi pesant que l'eau, comme une boule de cire, de le jetter dans l'eau, & de juger de la vitesse de l'eau par celle de cette boule ; car la boule acquiert très-promtement & presqu'en un instant, une vitesse à-peu-près égale à celle de l'eau. C'est ainsi qu'après s'être épuisé en inventions sur des choses de pratique, on est forcé d'en revenir souvent à ce qui s'étoit présenté d'abord. Voyez les ouvrages de Guglielmini, celui de Varenius, & l'histoire naturelle de M. de Buffon, d'où cet article est tiré. (O)

FLEUVE ou RIVIERE D'ORION, (Astronomie) est le nom qu'on donne quelquefois dans l'Astronomie à une constellation, qui s'appelle aussi éridan. Voyez ERIDAN. (O)

FLEUVE, (Myt. Icon. Litt.) Il y avoit peu de fleuves, surtout dans la Grece & dans l'Italie, auxquels on ne trouvât des statues & des autels consacrés au dieu du fleuve, où on alloit faire des libations, & quelquefois même des sacrifices. " Les Egyptiens, dit Maxime de Tyr, " honorent le Nil à cause de son utilité ; les Thessaliens, le Pénée (aujourd'hui Selembria), à cause de sa beauté ; les Scythes le Danube, pour la vaste étendue de ses eaux ; les Etoliens l'Achéloüs, à cause de son combat avec Hercule ; les Lacédémoniens l'Eurotas (aujourd'hui Vasilipotamo), par une loi expresse qui le leur ordonnoit ; les Athéniens l'Ilissus, par un statut de religion ".

A ce détail, nous pouvons ajoûter le Rhin, qu'on trouve représenté dans les médailles avec ces mots, deus Rhenus ; le Tibre, qui étoit pour ainsi dire une des divinités protectrices de Rome ; le Pamise, fleuve du Péloponnèse, à qui les Messéniens offroient tous les ans des sacrifices ; & enfin le Clitomne (aujourd'hui Clitonne), petite riviere d'Italie dans l'état de l'Eglise & en Ombrie, qui non-seulement passoit pour dieu, mais même rendoit des oracles. Il est vrai que c'est le seul des fleuves qui eût ce privilége ; car la Mythologie ni l'Histoire ancienne ne font mention d'aucun autre oracle de fleuve ou de riviere.

Voici comme Pline le jeune, liv. VIII. parle de ce dieu Clitomne, & c'est un trait d'histoire qui mérite d'être cité. " A la source du fleuve Clitomne est un temple ancien & fort respecté ; Clitomne est là habillé à la romaine : les sorts marquent la présence & le pouvoir de la divinité : il y a à-l'entour plusieurs petites chapelles, dont quelques-unes ont des fontaines & des sources ; car Clitomne est comme le pere de plusieurs autres petits fleuves qui viennent se joindre à lui. Il y a un pont qui fait la séparation de la partie sacrée de ses eaux avec la profane : au-dessus de ce pont, on ne peut qu'aller en bateau ; au-dessous il est permis de se baigner ".

Hésiode dit que les fleuves sont enfans de l'Océan & de Thétis, pour nous marquer qu'ils viennent de la mer comme ils y rentrent. Ils sont décrits sous la figure de vénérables vieillards, pour marquer qu'ils sont aussi anciens que le monde ; c'est pour cela que les poëtes latins les appellent du nom de peres : da nunc Tybri pater, dit Virgile. Ils ont la barbe & la chevelure longues & traînantes, parce qu'on les suppose mouillées. Ils sont couronnés de jonc, couchés à terre, appuyés sur une urne d'où sort l'eau qui forme la riviere. C'est encore de cette maniere qu'on les représente dans nos ballets où il y a des entrées de fleuves.

Les anciens ont aussi donné des cornes aux fleuves, soit parce qu'ils sont appellés les cornes de l'Océan, ou plûtôt parce que la plûpart se partagent ordinairement en plusieurs canaux avant que d'entrer dans la mer : c'est pourquoi Virgile a dit, Rhenus bicornis, parce que le Rhin n'avoit de son tems que les deux canaux qui formoient l'île des Bataves, avant que Drusus Germanicus en eût ouvert un troisieme pour joindre ses eaux avec celles de l'Issel. Mais aujourd'hui que nous ne peignons plus les fleuves avec des cornes, je ne crois pas qu'il fût permis aux poëtes modernes de parler dans leurs vers des cornes des fleuves ; parce que la Poésie ne doit étaler que des images nobles & connues : il est au contraire très-permis aux Peintres & aux Graveurs, de représenter les fleuves par des figures humaines debout, ou couchées sur le gason, &c. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FLEXIBILITÉS. f. (Physiol.) Un corps flexible est un corps dont les parties élémentaires sont tellement co-hérentes, qu'elles peuvent prendre toutes sortes de figures sans se rompre : or les parties du corps humain ont dû nécessairement avoir cette propriété. Dans l'homme, la flexibilité dépend de deux choses : 1°. du peu de contacts réciproques des élémens, car les cohésions sont en raison des surfaces ; ainsi la cornée est une lame flexible, mais les fragmens d'os sont fragiles : 2°. de la glu qui joint les élémens solides ; lorsqu'elle abonde, comme dans le jeune âge, les os mêmes se plient sans se rompre : mais quand la glu s'est identifiée avec les élémens mêmes, & qu'elle s'est ossifiée comme eux, il en résulte une si grande fragilité, dans l'âge avancé principalement, que les os peuvent se rompre par le milieu à la moindre chûte.

Il est d'autres corps flexibles dont la flexibilité dépend d'une structure diverse, qu'on ne peut rapporter à aucune figure méchanique commune ; ce qui détruit la conjecture de quelques modernes, qui font toûjours dépendre la flexibilité d'une telle disposition des particules dans le corps flexible qu'elles forment des rangs d'élémens, qui portent alternativement les uns sur les autres.

Pour que les fonctions que nous voyons s'opérer tous les jours par le mouvement des humeurs, des vaisseaux, & des muscles s'exécutassent, il a fallu que les élémens des parties solides changeassent en partie leur point de contact, & demeurassent en partie dans le même point, & par conséquent pussent être fléchis & allongés : par exemple, pour que tous les articles soient fléchis, il faut que les ligamens qui les tiennent soient susceptibles d'extension : quand ils n'en sont pas susceptibles, c'est l'effet de la vieillesse dont la mort inévitable est la suite. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FLEXIBLEadj. en Physique, se dit proprement des corps qui peuvent se plier. Il y a des corps flexibles sans effort, comme les fils, les cordes non-étendues ; & des corps flexibles avec plus ou moins d'effort, comme les côtes de baleine, les ressorts, &c. Ces derniers reprennent leur figure dès qu'on les abandonne à eux-mêmes. Voyez ELASTICITE & RESSORT.

Un corps de cette derniere espece qui est plié, forme deux leviers ; & le point où il plie, peut être regardé comme le point fixe commun aux deux leviers. Il suit de là que plus la puissance motrice est éloignée de ce point, plus elle a de force : ainsi plus un corps flexible est long, plus il cede aisément à la force qui le fléchit. C'est pour cette raison qu'un grand bâton que l'on tient horisontalement par un bout, se fléchit souvent par son propre poids. Voyez ELASTIQUE, RESSORT, SISTANCE DES SOLIDESIDES.

On peut aussi donner le nom de flexible aux corps ductiles, & en général, avec M. Musschenbroeck, à tout corps dont la figure peut être changée, allongée, ou raccourcie, sans qu'il s'y fasse aucune séparation de parties. Voyez DUCTILITE. (O)


FLEXIONS. f. (Med. Physiol.) ce terme s'applique en général à l'action, par laquelle deux os mis en mouvement l'un sur l'autre, sont susceptibles de rapprocher leurs extrémités éloignées en formant un angle entr'eux ; par opposition à l'extension, dans laquelle les mêmes extrémités s'éloignent le plus qu'il est possible, en formant une ligne droite : ainsi la flexion a lieu principalement, c'est-à-dire de la maniere la plus marquée & la plus simple, dans les parties où les os sont articulés par ginglyme. Les parties n'ont que deux sortes de mouvemens ; celui de flexion, & celui d'extension, qui sont opérés par des muscles fléchisseurs & extenseurs.

Mais dans les parties où il faut une combinaison de mouvemens plus multipliés en tous sens, il se fait différentes flexions composées ; elles sont opérées par l'action d'un plus grand appareil de muscles, qui ont différens noms, selon les différens sens, dans lesquels ils fléchissent la partie ; & les différentes flexions qui en résultent, sont aussi distinguées par une différente dénomination.

Ainsi les flexions qui rapprochent différentes parties entr'elles, sont appellées adduction ; celles qui les écartent sont nommées abductions, & les muscles qui agissent pour ces effets sont désignés par les noms d'adducteurs & d'abducteurs. On trouve des exemples de la flexion simple dans la jonction du bras avec l'avant-bras, & de la flexion composée dans l'articulation de l'os de la cuisse, avec les os innominés ; du doigt index, avec le carpe, &c. Comment. institut. Boerhaave, Haller. Voyez ARTICULATION, OS, MUSCLE. (d)


FLEZS. m. (Hist. nat. Icthiolog.) passer fluviatilis, vulgo flesus, Bell. Will. Raii, passeris tertia species, Rond. Gesn. poisson de mer plat, & couvert de petites écailles ; il a quelques taches jaunes sur le corps & sur les nageoires qui sont autour du corps. Ce poisson ressemble à la plie pour la figure ; mais il est plus long, & il devient même plus épais lorsqu'il est parvenu à un certain âge ; il a une couleur d'olive plus foncée & quelquefois brune, avec des taches noirâtres ; les yeux sont placés du côté droit. Le flez entre dans les rivieres, & il reste dans les endroits les plus profonds & les plus tranquilles, sur des fonds sablonneux : on en trouve fort loin de la mer. On donne le nom de flettelet à des flez qui sont plus grands que les autres. Rond. hist. des poissons, liv. XI. ch. jx. Raii, synop. meth. piscium. Voyez POISSON. (I)


FLIBOT(Marine) c'est une petite flûte qui ne passe pas cent tonneaux, & qui a pour l'ordinaire le derriere rond. Ce bâtiment est creux & large de ventre ; il n'a point de mât d'artimon, ni de perroquet. (Z)


FLIBUSTIERSS. m. pl. (Hist. marine) on donne ce nom aux corsaires ou avanturiers des iles de l'Amérique, qui s'associerent pour courir les mers & les côtes de l'Amérique, & faire la guerre aux Espagnols. (Z)


FLINS. m. (Fourbisseur) espece de pierre dont les Armuriers & les Fourbisseurs se servent pour fourbir les lames d'épées : on la nomme ordinairement pierre de foudre.


FLINQUERv. act. (Metteur-en-oeuvre) c'est sur le champ d'une piece d'orfévrerie, disposée à recevoir des émaux clairs, donner des coups d'onglette vifs, serrés, & bien égaux. Cette opération forme un papillottement qui joue très-bien dessous l'émail, & lui donne de l'éclat, outre qu'elle sert à gripper l'émail, & à le faire tenir plus solidement.


FLINT(Géog.) petite ville du pays de Galles, & capitale du Flintshire. Elle envoye un député au parlement, & est à 45 lieues N. O. de Londres. Long. 40d. 20'. lat. 53d. 15'.

Le Flintshire a 80 milles de tour, 28 paroisses, environ 160 mille arpens, 3150 maisons, & 3 villes, savoir Flint, Saint-Asaph, & Caërwisk. (D.J.)


FLIONcoquille du genre des tellines. Voy. COQUILLE. (I)


FLOGEURSS. m. pl. terme de Pêche usité dans le ressort de l'amirauté de Morlaix, sorte de petites chaloupes, pour la pêche du poisson frais qu'on appelle flogere.


FLORAUX(JEUX) Littér. en latin ludi florales ; ces jeux furent institués en l'honneur de Flora, c'est-à-dire de la déesse des Fleurs, dont le culte fut établi dans Rome par Tatius roi des Sabins, & collegue de Romulus. Elle avoit déjà du tems de Numa ses prêtres & ses sacrifices ; mais on ne commença à célébrer ses jeux que l'an de Rome 513, sous deux édiles de la famille des Publiciens. C'est Ovide qui nous l'apprend, ce sont les médailles qui le confirment, & Tacite n'y donne pas peu de poids, lorsqu'il dit que Lucius & Marcus Publicius firent rebâtir le temple de Flore dans le cours de leur édilité. Cependant on ne renouvelloit ces jeux que lorsque l'intempérie de l'air annonçoit ou faisoit craindre la stérilité, ou lorsque les livres des sibylles l'ordonnoient, selon la remarque de Pline.

Ce ne fut que l'an de Rome 580, que les jeux floraux devinrent annuels à l'occasion d'une stérilité qui dura plusieurs années, & qui avoit été annoncée par des printems froids & pluvieux. Le sénat pour fléchir Flore & obtenir de meilleures récoltes à l'avenir, ordonna que les jeux de cette divinité fussent célébrés tous les ans régulierement le 28 d'Avril, ce qui eut lieu jusqu'au tems qu'ils furent entierement proscrits. Le decret du sénat commença d'être exécuté sous le consulat de Postumius & de Laenas. Le fonds consacré aux frais des jeux floraux, fut tiré des amendes de ceux qui s'étoient appropriés les terres de la république.

On les célébroit la nuit aux flambeaux dans la rue Patricienne ; & quelques-uns prétendent que le cirque de la colline hortulorum, y étoit uniquement destiné. On y donna au peuple la comédie entre plusieurs autres plaisirs de ce genre. Si l'on en croit Suétone dans la vie de Galba, & Vopiscus dans celle de Carin, ces princes y firent paroître des éléphans qui dansoient sur la corde. Mais le déréglement dans les moeurs, caractérisoit proprement les jeux floraux. C'est assez pour s'en convaincre, que de se rappeller qu'on y rassembloit les courtisannes toutes nues au son de la trompette ; & quoique S. Augustin ait foudroyé avec raison un spectacle si honteux, Juvénal en dit autant que lui dans ces quatre mots : Dignissima prorsùs florali matrona tubâ.

Ovide se contente de peindre les jeux floraux sous les couleurs de cette galanterie, dont il donne dans ses écrits de si dangereuses leçons. La déesse Flore, dit-il, vouloit que les courtisannes célébrassent sa fête, parce qu'il est juste d'avertir les femmes qu'elles doivent profiter de leur beauté, pendant qu'elle est dans sa fleur ; & que si elles laissent passer le bel âge, elles seront méprisées comme une rose qui n'a plus que ses épines : morale toute semblable à celle de nos opéra

Où sont les noms honteux d'erreur & de foiblesse ;

Notre devoir est combattu,

Et l'exemple des dieux y fait à la jeunesse

Un scrupule de la vertu.

Valere Maxime rapporte que Caton s'étant un jour trouvé à la célébration des jeux floraux, le peuple plein de considération pour un homme si respectable, eut honte de demander en sa présence le spectacle des infames nudités de ce jour-là : Favonius lui ayant représenté les égards extraordinaires qu'on avoit pour lui, il prit le parti de se retirer pour ne point troubler la fête, & en même tems ne point voir les desordres qui s'y commettoient ; alors le peuple s'étant apperçû de la complaisance de Caton, le combla d'éloges après son départ, & ne changea rien à ses plaisirs. Voyez l'article précédent.

Au reste, je ne crois pas devoir rappeller ici les fautes dans lesquelles Lactance est tombé sur l'institution des jeux floraux ; je remarquerai seulement que comme la vérité de la religion chrétienne n'a jamais besoin d'un faux appui, il ne faut pas adopter tout ce qui a été écrit par un zele erroné pour combattre le paganisme. Il ne faut pas que nos raisonnemens ressemblent à ces rivieres qui charrient dans leur lit du sable d'or & de la boue mêlés ensemble : enfin il ne faut pas croire que tous moyens soient indifférens, & même loüables, pourvû qu'ils puissent servir à endommager l'erreur, comme s'exprime Montagne.

Il est tems d'indiquer les sources où l'on peut s'instruire à fond sur les jeux floraux. Voy. Ovide qui les décrit dans ses Fastes, l. V. v. 326. & seq. Valere Maxime, liv. II. c. v. Juvénal, sat. vj. Pline, liv. XVIII. chap. xxjx. Velleius Paterculus, liv. I. c. xvj. Suétone dans Galba, chap. vj. Séneque, epist. 47. Tacite, annal. liv. II. chap. xljx. Perse, sat. v. S. Augustin, epist. 202. Arnob. liv. III. pag. 115. & liv. VII. pag. 238. Parmi les modernes, Hospinien, de origine festor. Thomas Codwin, antholog. rom. liv. II. c. iij. sect. 3. Vossius, de origine idolol. liv. I. c. xij. Juste Lipse, Elect. liv. I. Struvius, Synt. antiq. rom. chap. jx. p. 436. Rosinus, antiq. rom. lib. II. c. xx. lib. IV. c. viij. lib. XV. c. xv. &c. Article de M(D.J.)

FLORAUX (JEUX), Hist. mod. nous avons aussi en France des jeux floraux, qui furent institués en 1324.

On en doit le projet & l'établissement à sept hommes de condition, amateurs des Belles-Lettres, qui vers la Toussaint de l'an 1323, résolurent d'inviter, par une lettre circulaire, tous les troubadours, ou poëtes de Provence, à se trouver à Toulouse le premier de Mai de l'année suivante, pour y réciter les pieces de vers qu'ils auroient faites, promettant une violette d'or à celui dont la piece seroit jugée la plus belle.

Les capitouls trouverent ce dessein si utile & si beau, qu'ils firent résoudre au conseil de ville, qu'on le continueroit aux dépens de la ville ; ce qui se pratique encore.

En 1325, on créa un chancelier & un secrétaire de cette nouvelle académie. Les sept instituteurs prirent le nom de mainteneurs, pour marquer qu'ils se chargeoient du soin de maintenir l'académie naissante. Dans la suite, on ajoûta deux autres prix à la violette, une églantine pour second prix, & une fleur de souci pour troisieme : il fut aussi reglé que celui qui remporteroit le premier prix, pourroit demander à être bachelier ; & que quiconque les remporteroit tous trois, seroit créé docteur en gaie science, s'il le vouloit, c'est-à-dire en poésie. Les lettres de ces degrés étoient conçûes en vers ; l'aspirant les demandoit en rime, & le chancelier lui répondoit de même. Dictionn. de Trévoux & Chambers.

Il y a un registre de ces jeux à Toulouse, qui rapporte ainsi leur établissement : d'autres disent au contraire que c'étoit une ancienne coûtume, que les poëtes de Provence s'assemblassent à Toulouse pour lire leurs vers, & en recevoir le prix, qui se donnoit au jugement des anciens ; que ce ne fut que vers 1540 qu'une dame de condition nommée Clémence Isaure, légua la meilleure partie de son bien à la ville de Toulouse, pour éterniser cet usage, & faire les frais des prix, qui seroient des fleurs d'or ou d'argent de différentes especes.

La cérémonie des jeux floraux commence le premier de Mai par une messe solemnelle en musique ; le corps de ville y assiste. Le 3 du mois, on donne un dîné magnifique aux personnes les plus considérables de la ville : ce jour-là on juge les prix, qui sont au nombre de cinq ; un prix de discours en prose, un prix de poëme, un prix d'ode, un prix d'églogue, & un prix de sonnet. Arnaud Vidal de Castelnaudari remporta le premier en 1324 la violette d'or.

Les jeux floraux ont été érigés en académie par lettres patentes en 1694 ; le nombre des académiciens est de quarante, comme à l'académie françoise.


FLORE(Myth.) une des nymphes des îles fortunées, que les Grecs appelloient Chloris. Le Zéphire l'aima, la ravit, & en fit son épouse. Elle étoit alors dans sa premiere jeunesse ; Zéphire l'y fixa, empêcha le tems de couler pour elle, & la fit joüir d'un printems éternel. Les Sabins l'adorerent. Le collégue de Romulus lui éleva des autels au milieu de Rome naissante. Les Phocéens lui consacrerent un temple à Marseille. Praxitele avoit fait sa statue, cet homme qui reçut l'immortalité de son art, & qui la donna à tant de divinités payennes. Une courtisanne appellée Larentia, d'autres disent Flore, mérita sous ce dernier nom des autels & des fêtes chez le peuple romain, qu'elle avoit institué l'héritier des richesses immenses qu'elle avoit amassées du commerce de sa beauté. Les jeux de l'ancienne Flore étoient innocens : ceux de la Flore nouvelle tinrent du caractere de la personne en l'honneur de laquelle on les célébroit, & furent pleins de dissolution. Caton qui y assista une fois, ne crut pas qu'il convint à la dignité de son caractere, & à la sévérité de ses moeurs, d'en soûtenir le spectacle jusqu'à la fin ; ce qui donna lieu à cette épigramme :

Nosses jocosae dulce cum sacrum Florae

Festosque lusus & licentiam vulgi,

Cur in theatrum, Cato severe, venisti ?

An ideò tantùm veneras ut exires ?

On prit la dépense des jeux floraux d'abord sur les biens de la courtisanne, ensuite sur les amendes & confiscations dont on punissoit le péculat. Le temple de l'ancienne Flore étoit situé en face du capitole : elle étoit couronnée de fleurs, & tenoit dans sa main gauche une corne qui en versoit en abondance. Cicéron la met au nombre des meres déesses. Voyez l'article suivant.


FLORENCE(Géog.) ancienne & célébre ville, déjà considérable du tems de Sylla, aujourd'hui capitale de la Toscane, avec un archevêché érigé par Martin V. une université, une académie, &c.

Cette ville où la langue italienne est très-cultivée pour l'élégance, est encore une des plus agréables d'Italie, par la douceur de son climat, & la beauté de son exposition. L'Arno la partage en deux dans une plaine délicieuse, dont la largeur est de 500 brasses ; la brasse de Florence est de deux piés romains.

C'est dans les montagnes de son voisinage que se trouvent ce marbre, ou ces pierres aussi curieuses, mais non pas uniques, qui étant sciées, polies, & artistement disposées, représentent des especes de buissons, des arbres, des ruines, des paysages, &c. Voyez MARBRE ou PIERRE DE FLORENCE.

On compte à Florence plusieurs palais, parmi lesquels le palais ducal vivra toûjours dans la mémoire des hommes, avec le nom des Médicis : on sait quelles étoient sous leur empire les décorations de ce palais. La place par laquelle on y arrivoit, étoit ornée de statues de la main des plus grands-maîtres, de Michel-Ange, de Donatelli, de Cellini, de Jean de Bologne, &c. En se promenant dans la grande galerie, on y admiroit le Scipion de bronze, la Léda, la Julie, la Pomone, Vénus, Diane, Apollon, le Bacchus grec, & la copie de Michel-Ange, qui ne le cédoit point à l'original. Sous le regne des Médicis, cette galerie conduisoit à plusieurs sallons décorés de statues, de bustes, de bas-reliefs, de tableaux inestimables, d'un nombre incroyable de médailles, d'idoles, de lampes sépulchrales, de pierres, de minéraux, de vases antiques, & d'autres curiosités de la nature & de l'art, dont les gravûres & les descriptions abrégées forment plusieurs magnifiques volumes in-folio.

C'étoit en particulier dans le sallon octogone de cette superbe galerie, qu'on voyoit un diamant qui tenoit à juste titre le premier rang entre les joyaux de ce cabinet ; il pesoit cent trente neuf karats & demi : on y trouvoit une tête antique de Jules-César, d'une seule turquoise ; des armoires pleines de vases d'agate, de lapis, de crystal de roche, de cornalines garnies d'or & de pierres fines ; une table, & un cabinet d'ouvrages de rapport de diaspre oriental, de chalcédoine, de rubis, de topaze, & d'autres pierreries ; une immense quantité de tableaux, tous chefs-d'oeuvre des meilleurs peintres, & une infinité de pierres gravées : enfin parmi des statues inestimables, il y avoit six figures antiques dont on ne se lasse point de parler ; le rotateur, le lutteur, le faune, le Cupidon endormi, les deux Vénus, l'une de six piés l'autre de cinq, & cette derniere étoit la fameuse Vénus de Médicis. Voyez ROTATEUR, NUS DE MEDICISICIS, &c.

Aussi, comme le dit M. de Voltaire, Florence n'oubliera jamais les Médicis, ni Cosme, né en 1389, mort regretté de ses ennemis même, & dont le tombeau fut orné du nom de pere de la patrie, ni son petit-fils Laurent de Médicis, surnommé le pere des Muses ; titre qui ne vaut pas celui de pere de la patrie mais qui annonce qu'il l'étoit en effet. Sa dépense vraiement royale lui fit donner le titre de magnifique ; & la plus grande partie de ses profusions étoit des libéralités qu'il distribuoit avec discernement à toutes sortes de vertus, pour parler comme l'abbé du Bos.

Entre les hommes célebres que Florence a produits, je ne dis pas dans les Arts, dont la liste me meneroit trop loin, (Voyez cependant pour les peintres ECOLE FLORENTINE) mais je dis dans les Lettres seulement, on ne doit pas taire :

Le Dante (Alligeri), pere de la poésie italienne, né l'an 1265, & mort à Ravenne l'an 1320, après avoir été un des gouverneurs les plus distingués de Florence, pendant les factions des Guelphes & des Gibelins.

Machiavel (Nicolas), assez connu par son Histoire de Florence, & plus encore par ses livres de politique, où il a établi des maximes odieuses, trop souvent suivies dans la pratique par ceux qui les blâment dans la spéculation ; d'ailleurs écrivain du premier ordre. Voyez PRINCE. Il mourut en 1529.

Guicciardini (Francisco), contemporain de Machiavel, né l'an 1482, mort l'an 1540, fameux par ses négociations, ses ambassades, ses talens militaires, sa passion pour l'étude, & son Histoire d'Italie, dont la meilleure édition françoise est celle de 1593, à cause des observations de M. de la Nouë.

Galiléo (Galiléi), immortel par ses découvertes astronomiques, & que l'inquisition persécuta. Voyez l'article COPERNIC. Il mourut l'an 1642, après avoir perdu, pour me servir de sa propre expression, ses yeux qui avoient découvert un nouveau ciel.

Viviani (Vicenzio) né en 1621, mort en 1703, éleve de Galilée, & de plus grand géometre pour son tems.

J'ajoûte ici Lulli (Jean-Baptiste), né en 1633, mort à Paris en 1687 ; parce que Lulli fit en France pour la Musique, ce que Galilée avoit fait dans les Sciences pour l'Astronomie : ses innovations lui ont également réussi ; il a trouvé des mouvemens nouveaux, & jusqu'alors inconnus à tous nos maîtres ; il a fait entrer dans nos concerts jusqu'aux tambours & aux tymbales ; il nous a fait connoître les basses, les milieux, & les fugues ; en un mot, il a étendu dans ce royaume l'empire de l'harmonie ; & depuis Lulli, l'art s'est perfectionné dans cette progression.

Florence est située à 19 lieues S. de Bologne, 24 S. E. de Modene, 46 S. O. de Venise, 50 N. O. de Rome. Long. 28d. 51'. 0". latit. 43d. 46'. 30". suivant Cassini. (D.J.)

FLORENCE, (état de) Hist. cet état étoit au commencement une république, dont la constitution mal-entendue ne manqua pas de l'exposer à des troubles, à des partis, & à des factions fréquentes : cependant par la force de la liberté, non-seulement le peuple y étoit nombreux, mais le commerce & les Arts y fleurirent jusqu'au tems qu'elle perdit avec sa liberté, sa vigueur & son opulence. Il est vrai qu'elle a été guérie de ces émeutes, mais par un remede pire que le mal, par la servitude, la misere qui en est le fruit, & la dépopulation qui l'accompagne d'ordinaire : instrumenta servitutis & reges habuit. Voyez l'histoire de Florence depuis le commencement de cet état jusqu'à nos jours, & vous serez convaincu de cette vérité. (D.J.)


FLORENCÉadj. (terme de Blason) il se dit de la croix dont les quatre extrémités se terminent en fleurs-de-lis.

S. Denis, à la croix florencée de gueules.


FLORENTI(SAINT-), Géog. petite ville de Champagne dans le Sénonois sur l'Armençon, entre Joigny & Flogny, en latin, sancti Florentini fanum : dès le tems de S. Bernard elle portoit ce nom. Voyez dom Mabillon & M. le Boeuf. Elle est à 6 lieues N. E. d'Auxerre, 10 S. E. de Sens. Longit. 21d. 20'. latit. 47d. 56'. (D.J.)


FLORENTINES. f. (Manufact. en soie) étoffe de soie fabriquée d'abord à Florence ; c'est une espece de satin façonné, blanc ou de couleur.


FLORERFLORER un vaisseau, ou lui donner les fleurs, (Marine.) c’est lui donner le suif : ce mot n’est guere d’usage. (Z)


FLORES(Géog.) île d'Asie dans la grande mer des Indes ; on l'appelle d'ordinaire eude. Elle est par le 9d. de latitude australe ; & sa pointe la plus orientale est par les 140d. de longitude, selon M. de l'Isle.

On donne aussi le nom de flores à une île de l'Océan atlantique, & l'une des Açores. Les Portugais l'appellent Ilha de flores ; & quelques François qui brouillent tout, & veulent donner la loi à tout, la nomment ridiculement l'île des Fleurs. Long. 327d. lat. 39d. 25'. (D.J.)


FLORIDE(Géog.) grand pays de l'Amérique septentrionale, renfermée entre le 25 & le 40d de latit. Nord, & entre le 270 & le 297 de longitude. Elle comprend la Louisiane, la Floride espagnole, la nouvelle Géorgie, & une partie de la Caroline. Elle est bornée au couchant & au nord par une grande chaîne de montagnes qui la séparent du nouveau Mexique au couchant, & de la Nouvelle-France au nord : le golfe du Mexique la baigne au midi, & la mer du Mexique au levant. Le cap de la Floride est la pointe méridionale de la presqu'île de Tigeste, vis-à-vis de l'île Cuba, dont il est éloigné d'environ 30 lieues, & avec laquelle il forme l'entrée du golfe du Mexique, ou le canal de Bahama, fameux par tant de naufrages.

Jean Ponce de Léon découvrit la Floride la premiere fois l'an 1512 ; d'autres disent qu'elle fut premierement découverte en 1497 par Sébastien Cabot portugais, qu'Henri VII. roi d'Angleterre avoit envoyé chercher passage du côté de l'Oüest, pour naviger dans l'Orient ; mais Cabot se contenta d'avoir vû la terre, sans avoir été plus loin. Jean Ribaut est le premier françois qui se soit établi dans la Floride ; il y bâtit un petit fort en 1562. Les Espagnols ne s'y sont établis qu'après avoir eu bien du monde de tué par les sauvages ; mais aujourd'hui même les François, & sur-tout les Anglois, y ont beaucoup plus de pays que les Espagnols ; les premiers y possedent la Loüisiane, & les seconds la Nouvelle-Géorgie, avec la partie méridionale de la Caroline.

La Floride comprend une si grande étendue de pays & de peuples sans nombre, qu'il n'est pas possible de rien dire de sa nature, de ses productions, de son climat, du caractere de ses habitans, qui conviennent à tout ce qui porte ce nom. En général, les Floridiens ont la couleur olivâtre tirant sur le rouge, à cause d'une huile dont ils se frottent. Ils vont presque nuds, sont braves & assez bien faits : ils immolent au Soleil, leur grande divinité, les hommes qu'ils prennent en guerre, & les mangent ensuite. Leurs chefs nommés paraoustis, & leurs prêtres ou medecins, nommés jonas, semblables aux jongleurs du Canada, ont un grand pouvoir sur le peuple. Il y a dans ce pays-là toutes sortes d'animaux, d'oiseaux, & de simples, entr'autres quantité de sassafras & de phatziranda. Nous avons déjà une description des oiseaux & des principales plantes de la Caroline, avec leurs couleurs naturelles, donnée par M. Catesby. Mais quand aurons-nous une description fidele de la Floride ? c'est ce qu'il est difficile d'espérer ; & en attendant, nous ne pouvons nous confier à celles de Laët, de Corréal, de de Bry, de Calvet, de Lescarbot, ni même à celle du P. Charlevoix. (D.J.)


FLORIENou FLORINIENS, s. m. plur. (Hist. ecclés.) nom d'une secte d'hérétiques qui parurent dans le second siecle, & tirerent leur nom d'un prêtre de l'église romaine appellé Florien ou Florin, qui avoit été déposé avec Blastus, autre prêtre, à cause des erreurs qu'ils avoient tous deux enseignées : ce Florin avoit été disciple de S. Polycarpe ; mais s'étant écarté de la doctrine de son maître ; il soûtenoit que Dieu étoit l'auteur du mal, ou plûtôt que les choses interdites par Dieu n'étoient point mauvaises en elles-mêmes, mais seulement à cause de sa défense. Il embrassa aussi quelques autres opinions erronées de Valentin & des Carpocratiens. Voyez CARPOCRATIENS. Chambers. (G)


FLORILEGES. m. (Théolog.) est une espece de breviaire qu'Arcudius a composé & compilé pour la commodité des prêtres & des moines grecs, qui ne peuvent porter en voyage tous les volumes où les offices de leur église se trouvent dispersés.

Le florilege comprend les rubriques générales, le pseautier, & les cantiques de la version des Septante, l'horloge, l'office des féries, &c.

FLORILEGE, (Littérat.) est le nom que les Latins ont donné à ce que les grecs appellent anthologie, c'est-à-dire un recueil de pieces choisies, contenant ce qu'il y a de plus beau & de plus fleuri dans chaque genre. Voyez ANTHOLOGIE. Chambers.


FLORIPONDIO(Botan. exot.) arbre commun dans le Chili. Le P. Feuillée, à qui seul nous en devons l'exacte description, le nomme en botaniste, stramonioides arboreum, oblongo & integro folio, fructu laevi : il en a donné la figure dans son hist. des plantes de l'Amérique méridion. Pl. XLVI.

C'est un arbre à plein vent, qui s'éleve à la hauteur de deux toises : la grosseur de son tronc est à-peu-près de six pouces ; il est droit, composé d'un corps blanchâtre, ayant à son centre une assez grosse moëlle. Ce tronc est terminé par plusieurs branches, qui forment toutes ensemble une belle tête sphérique ; elles sont chargées de feuilles qui naissent comme par bouquets ; les moyennes ont environ sept à huit pouces de longueur, sur trois à quatre pouces de largeur, portées à l'extrémité d'une queue qui est épaisse de deux lignes, & longue de deux pouces & demi. Ces feuilles sont traversées d'un bout à l'autre par une côte arrondie des deux côtés, laquelle donne plusieurs nervures qui s'étendent vers leur contour, se divisent, se subdivisent, & forment sur le plan des feuilles un agréable réseau : le dessus de leur plan est d'un verd foncé, parsemé d'un petit duvet blanchâtre ; & le dessous est d'un verd clair, parsemé d'un duvet semblable.

Des bases de la queue des feuilles sort un pédicule long d'environ deux pouces, gros d'une ligne & demi, rond, d'un beau verd, & chargé d'un duvet blanc ; ce pédicule porte à son extrémité un calice en gaine, ouvert dans le haut à un pouce & demi de sa longueur, par un angle fort aigu, & découpé à sa pointe en deux parties.

Du fond de cette gaine sort une fleur en tuyau, lequel est long de six pouces, & dont la partie extérieure s'évase & se découpe en cinq lobes blancs terminés en une pointe un peu recourbée en-dessous : de l'intérieur du tuyau partent cinq étamines blanches chargées de sommets de la même couleur, longs d'un demi-pouce, & épais d'une ligne.

Lorsque la fleur est passée, le pistil qui s'emboîte dans le trou qui est au bas de la fleur, devient un fruit rond, long de deux pouces & demi, & gros de plus de deux pouces, couvert d'une écorce d'un verd grisâtre qui couvre un corps composé de plusieurs gaines renfermant une amande blanche. Ce fruit partagé dans le milieu, est divisé intérieurement en deux parties, dont chacune est subdivisée en six loges, par des cloisons qui donnent autant de placenta : ces placenta sont chargés de petites graines de figure irréguliere.

Nous n'avons en Europe aucun arbre supérieur en beauté au floripondio : lorsque ses fleurs sont épanouies, leur odeur admirable embaume de toutes parts.

Les Chiliens se servent des fleurs de floripondio, pour avancer la suppuration des tumeurs ; elles sont en effet adoucissantes, émollientes, & résolutives. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FLORITONNES. f. (Comm.) espece de laine d'Espagne. Les floritonnes de Ségovie sont les plus estimées ; celles d'Aragon & de Navarre passent pour plus communes.


FLOS MARTISvoyez FLEUR DE FER.


FLOSSADES. f. (Hist. nat.) voyez RAIE.


FLOTS. m. les FLOTS, (Mar.) se dit des eaux de la mer, lorsqu'elles sont agitées ou poussées par le vent.

Etre à flot, c'est avoir de l'eau suffisamment sous le navire, pour qu'il se soûtienne sans toucher.

N'être pas à flot, c'est toucher sur le fond.

Mettre à flot, c'est relever un bâtiment lorsqu'il a touché ; ce qui arrive lorsqu'il est échoüé à mer basse, qu'elle vient à monter, & que l'eau augmente assez pour le faire flotter. (Z)

FLOT, s. m. (Hydrogr. & Marine) c'est ainsi que les Marins appellent le flux dans les marées, c'est-à-dire l'élevation des eaux de la mer ; & ils appellent jusant, l'abaissement ou reflux de ces eaux. Voyez FLUX & REFLUX, MAREE.

FLOT, terme de Riviere, se dit en matiere de bois flotté.

Il y a 2000 cordes de bois à flot.

Le flot commencera le mois prochain, pour dire que l'on jettera le bois à flot.

Le flot est fini il y a huit jours.

FLOT, (Sellier) houpes ou flocons de laine dont on orne la têtiere des mulets.


FLOTTAISON(Marine) s. f. c'est la partie du vaisseau qui est à fleur d'eau.


FLOTTANTadj. terme de Blason, qui se dit des vaisseaux & des poissons sur les eaux.

La ville de Paris, de gueules au navire équipé d'argent, flottant & voguant sur des ondes de même, au chef de France.


FLOTTES. f. (Marine) c'est un corps de plusieurs vaisseaux qui naviguent ensemble.

Les Espagnols donnent le nom de flotte, flotta ou flottilla, aux vaisseaux qui vont tous les ans à la Vera-Crux, qui est un port au fond du golfe du Mexique ; & ils appellent galions, la flotte des vaisseaux, grands ou petits, qui vont à Carthagene & à Porto-belo. (Q)

FLOTTES DE LA CHINE, (Marine) On donne ce nom à un assemblage de plusieurs bâtimens chinois qui s'assemblent & naviguent ensemble, & forment comme des villages sur les lacs & les rivieres : ils traversent le pays de cette façon, & font un grand commerce.

Le fond de la liaison de tous ces vaisseaux est de jonc ou de bambouc, entrelacés de liens de bois qui sont entretenus par de grosses poutres sur lesquelles porte tout l'ouvrage.

Pour faire avancer ces villages, on les pousse à l'avant & à l'arriere avec de grandes perches ; & il y a une grosse piece de bois debout à l'arriere, pour servir à amarrer la flotte à gué avec un cordage, lorsqu'il en est besoin.

Outre ces grandes flottes, qui sont comme des villages, & où les maîtres & propriétaires des bâtimens passent leur vie avec toute leur famille, il y a encore à la Chine de simples bateaux ou petits vaisseaux qui servent de demeure à une famille. Ils n'ont ni rames ni voiles, & on ne les fait avancer qu'avec le croc. Les marques des marchandises qui sont à vendre dans ces bateaux, sont suspendues à une perche qu'on tient élevée, afin qu'on les puisse voir aisément. (Z)

FLOTTE INVINCIBLE, (Hist. mod.) C'est le nom que Philippe II. donna à la flotte qu'il avoit préparée pendant trois ans en Portugal, à Naples & en Sicile, pour déthroner la reine Elisabeth.

Les Espagnols en publierent une relation emphatique, non-seulement dans leur langue, mais en latin, en françois, & en hollandois. M. de Thou, qui avoit été bien informé de l'équipement de cette flotte par l'ambassadeur de S. M. C. à la cour de France, rapporte qu'elle contenoit huit mille hommes d'équipage, vingt mille hommes de débarquement, sans compter la noblesse & les volontaires ; & qu'en fait de munitions de guerre, il y avoit sur cette flotte 12 mille boulets, 5 mille 600 quintaux de poudre, 10 mille quintaux de balles, 7 mille arquebuses, 10 mille haches, un nombre immense d'instrumens propres à remuer ou à transporter la terre, des chevaux & des mulets en quantité, enfin des vivres & des provisions en abondance pour plus de six mois.

Tout cela s'accorde assez bien avec la relation abregée de l'équipement de cette flotte, que Strype a tirée des notes du grand thrésorier d'Angleterre, mylord Burleigh, & qu'il a insérée dans l'appendice des mémoires originaux, n°. 51.

L'extrait de Strype se réduit à ceci, que la flotte invincible composoit 130 vaisseaux de 57868 tonneaux, 19295 soldats, 8450 matelots, 2088 esclaves, & 2630 grandes pieces d'artillerie de bronze de toute espece, sans compter 20 caravelles pour le service de l'armée navale, & 10 vaisseaux d'avis à 6 rames. Cette flotte, avant que de sortir du port de Lisbonne, coûtoit déjà au roi d'Espagne plus de 36 millions de France, évaluation de ce tems-là ; je ne dis pas évaluation de nos jours.

Le duc de Médina-Celi fit voile de l'embouchure du Tage avec cette belle flotte en 1588, & prit sa route vers le Nord. Elle essuya une premiere tempête qui écarta les vaisseaux les uns des autres, ensorte qu'ils ne purent se rejoindre ensemble qu'à la Corogne. Elle en partit le 12 Juillet, & entra dans le canal à la vûe des Anglois, qui la laisserent passer.

On sait assez quel en fut le succès, sans le détailler de nouveau. Les Espagnols perdirent dans le combat naval, outre six à sept mille hommes, quinze de leurs plus gros vaisseaux ; & ils en eurent un si grand nombre qui se briserent le long des côtes d'Ecosse & d'Irlande, qu'en 1728 le capitaine Row en découvrit un du premier rang sur la côte occidentale d'Ecosse ; & qu'en 1740 on en apperçut deux autres de cet ordre dans le fond de la mer près d'Edimbourg, dont on retira quelques canons de bronze, sur la culasse desquels étoit une rose entre une F & une R.

Les Provinces-Unies frapperent au sujet de cet évenement une médaille admirable, avec cette exergue, la gloire n'appartient qu'à Dieu ; & au revers étoit représentée la flotte d'Espagne, avec ces mots : elle est venue, elle n'est plus.

Soit que Philippe II. reçût la nouvelle de la destruction de la flotte avec une fermeté héroïque, comme le dit Cambden ; soit au contraire qu'il en ait été furieux, comme Strype le prétend sur des mémoires de ce tems-là qui sont tombés entre ses mains, il est au moins sûr que le roi d'Espagne ne s'est jamais trouvé depuis en état de faire un nouvel effort contre la Grande-Bretagne : au contraire, l'année suivante Elisabeth elle-même envoya une flotte contre les Espagnols, & remporta des avantages considérables.

On a sagement remarqué que ces prodigieuses armées navales n'ont presque jamais réussi dans leurs expéditions : l'histoire en fournit plusieurs exemples. L'empereur Léon I. dit le-Grand par ses flateurs, qui avoit envoyé contre les Vandales une flotte composée de tous les vaisseaux d'Orient, sur laquelle il avoit embarqué 100 mille hommes, ne conquit pas l'Afrique, & fut sur le point de perdre l'Empire.

Les grandes flottes & les grandes armées de terre épuisent un état ; si l'expédition est longue, & si quelque malheur leur arrive, elles ne peuvent être secourues ni réparées : quand une partie se perd, le reste n'est rien, parce que les vaisseaux de guerre, ceux de transport, la cavalerie, l'infanterie, les munitions, les vivres, en un mot chaque partie dépend du tout ensemble. La lenteur des entreprises fait qu'on trouve toûjours des ennemis préparés ; outre qu'il est rare que l'expédition ait lieu dans une saison commode, qu'elle ne tombe dans le tems des tempêtes, qu'elle n'en essuie d'imprévûes, qu'elle ne manque des provisions nécessaires ; & qu'enfin les maladies se mettant dans l'équipage, ne fassent échoüer tous les projets. Article de M(D.J.)

FLOTTE D'UNE LIGNE A PECHER, c'est un morceau de liége ou de plume qui flotte sur l'eau, pour marquer l'endroit où est l'hameçon, & découvrir si quelque poisson y mord.

FLOTTE, dans les Manufactures de soie, est synonyme à écheveau.


FLOTTEMENTS. m. dans l'Art militaire, est un mouvement irrégulier ou d'ondulation, que font assez souvent les différentes parties du front d'une troupe en marchant, qui les dérange de la ligne droite qu'elles doivent former pour arriver ensemble & dans le même tems à l'ennemi.

Il est très-important de rectifier ce défaut dans la marche des troupes, parce que plus elles se prêtent à ce mouvement irrégulier, & plus il est aisé de les défaire ; car alors toutes leurs parties ne se soûtiennent pas également, & d'ailleurs elles peuvent se rompre elles-mêmes en marchant.

Pour y remédier, il faut accoûtumer dans les exercices, les troupes à marcher ensemble & d'un pas égal, de la même maniere que si tous les soldats qui composent le bataillon, faisoient un corps solide, sans desunion de parties.

Plus le front d'une troupe est grand, & plus elle est exposée au flottement ; c'est ce qui a fait dire à plusieurs habiles militaires, & entr'autres à M. le chevalier de Folard, qu'il faudroit diminuer le front de nos bataillons & augmenter leur épaisseur, c'est-à-dire les mettre à six ou huit de hauteur, comme ils l'étoient du tems du prince de Condé & de M. de Turenne. Voyez EVOLUTION.

L'auteur auquel on attribue le mémoire concernant l'essai sur la légion (M. de Rostaing), prétend que cinquante files de front sont la plus grande étendue qu'on puisse donner aux divisions des troupes, pour les faire marcher régulierement.

Si le flottement dans une troupe qui marche enavant pour en combattre une autre, est très-préjudiciable à sa force & à sa solidité, il n'est pas moins dangereux à l'égard des différens corps d'une armée qui marche pour en combattre une autre : car si les corps n'arrivent pas également & dans le même tems sur l'ennemi, les plus avancés perdront la protection de ceux qui couvroient leurs flancs, & par-là ils s'exposeront à être aisément battus & mis en desordre ; ce qui ne peut produire qu'un très-mauvais effet sur ceux qui les suivent, & sur le reste de l'armée. Aussi M. le maréchal du Puysegur dit-il que, lorsque deux armées s'approchent pour combattre, il est aisé de juger, suivant l'ordre & l'exactitude avec laquelle l'une ou l'autre marche, quelle est celle qui battra l'autre ; ce sera celle dont le mouvement sera le plus régulier, & dont toutes les parties regleront le mieux leur marche les unes sur les autres pour arriver ensemble sur l'ennemi. (Q)


FLOTTERv. n. (Hydrodyn.) se dit d'un corps qui placé sur un fluide dans lequel il n'enfonce qu'en partie, fait des oscillations sur ce fluide. Voyez OSCILLATION.

Pour qu'un corps soit en repos sur la surface d'un fluide, il faut, 1°. que la force avec laquelle le fluide tend à le pousser en en-haut, soit égale à l'effort avec lequel la pesanteur du corps tend à le pousser en em-bas. 2°. Il faut de plus que ces deux forces soient dirigées en sens contraire & dans une même ligne droite, autrement le corps ne seroit pas en repos, & il lui arriveroit la même chose qu'à un bâton dont les deux extrémités sont poussées en sens contraire avec des forces égales ; car ce bâton tourne autour de son centre, comme tout le monde sait. Si donc une de ces deux conditions n'est point observée, le corps ne sera pas en repos. Or pour déterminer son mouvement, il faut considérer, 1°. que l'action que le fluide exerce sur lui, est égale à la pesanteur d'un volume de fluide égal à la partie plongée ; 2°. que cette force a pour direction une ligne verticale qui passe par le centre de gravité de la partie plongée. Or, suivant les principes donnés au mot CENTRE SPONTANE DE ROTATION, & démontrés dans mes recherches sur la précession des équinoxes (art. 90.) cette force doit tendre, 1°. à faire mouvoir le centre de gravité du corps verticalement de bas en-haut, de la même maniere que si cette force passoit par le centre de gravité du corps : ainsi le centre de gravité sera poussé en en-haut verticalement par cette force, & en em-bas par la pesanteur du corps ; d'où l'on tirera une premiere équation. 2°. La force du fluide tend outre cela à faire tourner le corps autour de son centre de gravité, de la même maniere que si ce centre de gravité étoit fixement attaché ; ce qui produira une seconde équation. Nous ne pouvons dans un ouvrage tel que celui-ci, entrer dans un plus grand détail ; mais nous renvoyons à notre essai d'une nouvelle théorie de la résistance des fluides, Paris, 1752, chap. vj. où nous avons traité cette matiere, que nous nous proposons de discuter encore plus à fond dans les mémoires de l'académie des Sciences de Paris, quoique l'ouvrage qu'on vient de citer contienne absolument tous les principes nécessaires pour résoudre la question dans tous les cas possibles. Dans les mémoires de Petersbourg de 1747, imprimés en 1750, & qui ne sont parvenus entre mes mains que long-tems après l'impression de mon ouvrage, M. Daniel Bernoulli a traité aussi des oscillations d'un corps qui flotte sur un fluide : mais il n'a égard qu'au cas où les deux oscillations sont isochrones, c'est-à-dire où l'oscillation verticale se fait dans le même tems que l'oscillation autour du centre de gravité ; & il paroît regarder comme très-difficile la solution du problème général, que je crois avoir donnée. (O)

FLOTTER, terme de Riviere, se dit des bois que l'on jette sur une riviere à bois perdu, ou de ceux dont on fait un train. Voyez l'article BOIS.


FLOTTILLES. f. (Commerce) c'est-à-dire petite flotte, nom que les Espagnols donnent à quelques vaisseaux qui devancent leur flotte de la Vera-Crux au retour, & qui viennent donner avis en Espagne de son départ & de son chargement. Voyez FLOTTE. Dictionn. de Comm. de Trév. & de Chamb. (G)


FLOTTISTESS. m. pl. (Commerce) On nomme ainsi en Espagne ceux qui font le commerce de l'Amérique par les vaisseaux de la flotte, pour les distinguer de ceux qui y commercent par les galions, & qu'on appelle galionistes. Voyez FLOTTE & GALIONS. Dictionnaire du Commerce, de Trévoux, & de Chambers. (G)


FLOU(Peinture) vieux mot qui peut venir du terme latin fluidus, & par lequel on entend la douceur, le goût moëlleux, tendre & suave qu'un peintre habile met dans son ouvrage. On trouve floup dans Villon, & Borel croit qu'il signifie floüet, c'est-à-dire mollet, délicat. Quoi qu'il en soit, peindre flou (car ce terme est une espece d'adverbe), c'est noyer les teintes avec legereté, avec suavité & avec amour ; ainsi c'est le contraire de peindre durement & séchement. Pour peindre flou, ou, si on aime mieux que je me serve de la périphrase, pour noyer les teintes moëlleusement, on repasse soigneusement & délicatement sur les traits exécutés par le pinceau, avec une petite brosse de poils plus legers & plus unis que ceux du pinceau ordinaire ; mais le succès de l'exécution demande le goût secondé des talens. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


FLOUETTES. f. (Marine) voyez GIROUETTE.


FLOUR(SAINT-) Géog. petite ville de France en Auvergne, au pié du mont Cental. Elle n'est point l'Indiciacus des anciens, ni le Russium de Ptolomée ; c'est une ville toute nouvelle, créée ville & évêché par Jean XXII. second évêché d'Auvergne, suffragant de Bourges. Voy. Adrien de Valois, notit. Gall. pag. 578. Catel, mém. de l'hist. de Languedoc, liv. II. chap. xij. &c. le P. Odo, jésuite, dans ses antiq. de Notre-Dame du Puis. Saint-Flour est à 18 lieues S. O. de Clermont, 12 N. O. d'Aurillac. Long. 20. 45. 32. lat. 45. 1. 55. (D.J.)


FLUCTUATIONS. f. terme de Chirurgie, mouvement qu'on imprime au fluide épanché dans une tumeur, en appliquant dessus un ou deux doigts de chaque main à quelque distance les uns des autres, & les appuyant alternativement ; de maniere que les uns pressant un peu, tandis que les autres font posés legerement, cette pression oblige la colonne de matiere sur laquelle elle se fait, de frapper les doigts qui sont posés legerement ; & la sensation qui en résulte, annonce la présence d'un fluide épanché.

Lorsque le foyer d'un abcès est fort profond, la fluctuation ne se fait souvent point sentir. Les signes rationnels qui annoncent la formation du pus, & ceux qui indiquent qu'il est formé, peuvent déterminer dans ce cas. Voyez SUPPURATION & ABCES.

Il survient assez communément un oedeme aux parties extérieures qui recouvrent une suppuration profonde. Lorsque la matiere est sous quelque aponévrose, on sent difficilement la fluctuation, & la douleur continue toûjours, par la tension de cette partie : mais elle change de caractere, elle n'est plus pulsative ; ce sont alors les signes rationnels qui doivent indiquer à un habile chirurgien le parti qu'il doit prendre : l'expérience est d'un grand secours dans cette circonstance. (Y)


FLUENTES. m. (Géom. transc.) M. Newton & les Anglois appellent ainsi ce que M. Leibnitz appelle intégrale. Voyez INTEGRAL & FLUXION.


FLUESBRETTELLIERES, CANIERES, ANSIERES, CIBAUDIERES, termes de Pêche ; ce sont des especes de demi-folles. Voyez FOLLE.

Ce filet est un de ceux qui sont sédentaires, & qu'on retire au bout d'un certain tems par le moyen des cablots frappés contre les extrémités du filet, & soûtenus par des boüées.

* FLUE A MACREUSE ou COURTINE, termes de Pêche, sorte de filet qui sert à prendre des oiseaux aquatiques qui viennent manger, de plaine mer, des coquillages sur les fonds. Ce filet est tendu sur des piquets, & soûtenu entre deux eaux par la marée. Les macreuses venant pour prendre des moules, des flions, &c. remontant ensuite, elles se trouvent prises par les mailles du filet : la même chose arrive encore quand elles descendent pour se saisir de leur proie. Les mailles de ce filet ont 2 pouces 9 lignes en quarré. Voyez nos Planches de Pêche.

Les Pêcheurs ont pour cette pêche en mer, deux flûtes du port d'environ deux tonneaux, montées de six hommes. Les tissures de leurs filets ne sont composées que de 30 pieces qui ont chacune 50 brasses de longueur, ce qui ne donne à leur tissure entiere que 1500 brasses d'étendue. Ils pêchent depuis le mois de Septembre jusqu'en Avril. Leurs filets sont flottés, pierrés, comme les folles : ils ont ordinairement deux brasses de chûte ou de hauteur, la maille de trois pouces & demi à quatre pouces en quarré. Chaque bateau a 80 pieces.


FLUIDEadj. pris subst. (Phys. & Hydrodyn.) est un corps dont les parties cedent à la moindre force, & en lui cédant sont aisément mûes entr'elles.

Il faut donc pour constituer la fluidité, que les parties se séparent les unes des autres, & cedent à une impression si petite, qu'elle soit insensible à nos sens ; c'est ce que font l'eau, l'huile, le vin, l'air, le mercure. La résistance des parties des fluides dépend de nos sens ; c'est pourquoi si nous avions le tact un million de fois plus fin qu'il n'est, pour découvrir cette résistance, il n'y a pas de doute que nous ne dûssions la sentir dans plusieurs cas, où nous ne pouvons à présent la remarquer, & par conséquent nous ne pourrions plus prendre pour fluide un assez grand nombre de corps que nous regardons aujourd'hui comme tels. De plus, pour qu'un corps soit fluide, il faut que chaque parcelle soit si petite, qu'elle échappe à nos sens ; car tant qu'on peut toucher, sentir ou voir les parties d'un corps séparément, on ne doit pas regarder le corps comme fluide. La farine, par exemple, est composée de petites parties déliées, qui peuvent aisément être séparées les unes des autres par une impression qui n'est nullement sensible : cependant tout homme qui aura une boîte remplie de farine, ne dira jamais qu'il a une boîte pleine de fluide, parce qu'aussi-tôt qu'il y enfonce le doigt, & qu'il commence à frotter la farine entre deux doigts, il sent à l'instant les parties dont elle est composée ; mais dès que cette farine devient infiniment plus fine, comme cela arrive à l'égard du chyle dans nos intestins, elle se change alors en fluide.

La cause de la fluidité paroît consister en ce que les parties des fluides ont bien moins d'adhérence entr'elles, que n'en ont celles des corps durs ou solides, & que leur mouvement n'est point empêché par l'inégalité de la surface des parties, comme dans un tas de poussiere, de sable, &c. car les particules dont les fluides sont composés, sont d'ailleurs de la même nature, & ont les mêmes propriétés que les particules des solides : cela s'apperçoit évidemment, quand on convertit les solides en fluides & les fluides en solides ; par exemple, lorsqu'on change de l'eau en glace, & qu'on met des métaux en fusion, &c. En effet on ne peut raisonnablement révoquer en doute que les parties élémentaires de tous les corps ne soient de la même nature ; savoir, des corpuscules durs, solides, impénétrables, mobiles. Voyez CORPS, MATIERE & PARTICULE.

Si les parties d'un corps peuvent glisser aisément les unes sur les autres, ou être facilement agitées par la chaleur, ces parties, quoiqu'elles ne soient pas dans un mouvement actuel, pourront cependant constituer un corps fluide. Au reste les particules d'un pareil corps ont quelque adhérence entr'elles, comme il paroît évident par le mercure bien purgé d'air qui se soûtient dans le barometre à la hauteur de 60 ou 70 pouces ; par l'eau qui s'éleve dans les tuyaux capillaires, quoiqu'ils soient dans le vuide ; & par les gouttes des liqueurs, qui prennent dans le vuide une figure sphérique, comme s'il y avoit entre leurs parties quelque cohésion réciproque, semblable à celle de deux marbres plans & polis. Voyez BAROMETRE & CAPILLAIRE. De plus, si les fluides sont composés de parties qui puissent facilement s'embarrasser les unes dans les autres, comme l'huile, ou qu'elles soient susceptibles de s'unir ensemble par le froid, comme l'eau & d'autres fluides, ils se changent aisément en des corps solides ; mais si leurs particules sont telles qu'elles ne puissent jamais s'embarrasser les unes dans les autres, comme sont celles de l'air, ni s'unir par le froid, comme celles du mercure, alors elles ne se fixeront jamais en un corps solide. Voyez GLACE, &c.

Les fluides sont ou naturels comme l'eau & le mercure, ou animaux comme le sang, le lait, la lymphe, l'urine, &c. ou artificiels comme les vins, les esprits, les huiles, &c. Voyez chacun à son article, EAU, MERCURE, SANG, LAIT, BILE, VIN, HUILE, &c.

On peut considerer dans les fluides quatre choses ; 1°. leur nature ou ce qui constitue la fluidité, c'est l'objet de l'article FLUIDITE ; 2°. les lois de leur équilibre ; 3°. celles de leur mouvement ; 4°. celles de leur résistance. Nous allons entrer dans le détail de ces trois derniers objets. Nous donnerons d'abord les principes généraux, tels à-peu-près qu'on les trouve dans les auteurs de Physique, & nous ferons ensuite quelques réflexions sur ces principes.

La théorie de l'équilibre & du mouvement des fluides est une grande partie de la Physique ; la pression & la pesanteur des corps plongés dans les fluides, & l'action des fluides sur les corps qui y sont plongés, sont le sujet de l'Hydrostatique. Voyez HYDROSTATIQUE.

Les lois hydrostatiques des fluides sont, I. que les parties supérieures de tous les fluides, comme l'eau, &c. pesent sur les inférieures, ou comme parlent quelques philosophes, que les fluides pesent en eux-mêmes ou sur eux-mêmes.

On a soûtenu dans les écoles un principe tout-à-fait contraire à celui-ci ; mais la vérité de cette pression est à-présent démontrée par mille expériences. Il suffira d'en rapporter une bien simple. Une bouteille vuide, bien bouchée, étant plongée dans l'eau, & suspendue au bas d'une balance, qu'on mette des poids dans l'autre plat de la balance, jusqu'à ce qu'elle soit en équilibre ; qu'on débouche ensuite la bouteille, & qu'on la remplisse d'eau, elle l'emportera, & fera baisser l'extrémité de la balance où elle est attachée.

Il suit de cette pesanteur que les surfaces des fluides qui sont en repos, sont planes & paralleles à l'horison, ou plûtôt que ce sont des segmens de sphere qui ont le même centre que la terre. Car comme on suppose que les parties des fluides cedent à la moindre force, elles seront mûes par leur pesanteur, jusqu'à ce qu'aucune d'elles ne puisse plus descendre, & quand elles seront parvenues à cet état, le fluide demeurera en repos, à moins qu'il ne soit mis en mouvement par quelque cause extérieure : or il faut pour établir ce repos, que la surface du fluide se dispose comme nous venons de le dire. En effet lorsqu'un corps fluide est disposé de maniere que tous les points de sa surface forment un segment de sphere concentrique à la terre, chaque particule est pressée perpendiculairement à la surface, & n'ayant pas plus de tendance à couler vers un côté que vers un autre, elle doit rester en repos.

II. Si un corps est plongé dans un fluide en tout ou en partie, sa surface intérieure sera pressée de bas en haut par l'eau qui sera au-dessous.

On se convaincra de cette pression des fluides sur la surface inférieure des corps qui y sont plongés, en examinant pourquoi les corps spécifiquement plus legers que les fluides, s'élevent à leur surface : cela vient évidemment de ce qu'il y a une plus forte pression sur la surface inférieure du corps que sur sa surface supérieure, c'est-à-dire de ce que le corps est poussé en en-haut avec plus de force qu'il ne l'est en em-bas par sa pesanteur : en effet le corps qui tend à s'élever à la surface, est continuellement pressé par deux colonnes de fluide ; savoir, par une qui agit sur sa partie supérieure, & par une seconde qui agit sur sa partie inférieure. La longueur de ces deux colonnes devant être prise depuis la surface supérieure du fluide, celle qui presse la surface inférieure du corps sera plus longue de toute l'épaisseur du corps, & par conséquent le corps sera poussé en en-haut par le fluide avec une force égale au poids de la quantité de fluide qui seroit contenue dans l'espace que le corps occupe. Donc, si le fluide est plus pesant que le corps, cette derniere force qui tend à pousser le corps en en-haut, l'emportera sur la force de la pesanteur du corps qui tend à le faire descendre, & le corps montera. Voyez PESANTEUR SPECIFIQUE.

Par-là on rend raison pourquoi de très-petits corpuscules, soit qu'ils soient plus pesans ou plus legers que le fluide dans lequel ils sont mêlés, s'y soûtiendront pendant fort long-tems sans qu'ils s'élevent à la surface du fluide, ni sans qu'ils se précipitent au fond. C'est que la différence qui se trouve entre ces deux colonnes est insensible, & que la force qui tend à faire monter le corpuscule, n'est pas assez grande pour surmonter la résistance que font les parties du fluide à leur division.

III. La pression des parties supérieures qui se fait sur celles qui sont au-dessous, s'exerce également de tous côtés, & suivant toutes les directions imaginables, latéralement, horisontalement, obliquement, & perpendiculairement. C'est une vérité d'expérience bien établie par M. Pascal dans son traité de l'équilibre des liqueurs. Voyez la suite de cet article, où cette loi sera développée : nous ne pouvons la prouver qu'après en avoit déduit les conséquences ; car ce sont ces conséquences qu'on démontre par l'expérience, & qui assûrent de la vérité du principe.

Toutes les parties des fluides étant ainsi également pressées de tous côtés, il s'ensuit, 1°. qu'elles doivent être en repos, & non pas dans un mouvement continuel, comme quelques philosophes l'ont supposé : 2°. qu'un corps étant plongé dans un fluide en est pressé latéralement, & que cette pression est en raison de la distance de la surface du fluide au corps plongé : cette pression latérale s'exerce toûjours suivant une ligne perpendiculaire à la surface du fluide ; ainsi elle est toûjours la même à même hauteur du fluide, soit que la colonne de fluide soit oblique ou non à la surface du corps.

IV. Dans les tubes qui communiquent ensemble, quelle que soit leur grandeur, soit qu'elle soit égale ou inégale, & quelle que soit leur forme, soit qu'elle soit droite, angulaire ou recourbée, un même fluide s'y élevera à la même hauteur, & réciproquement.

V. Si un fluide s'éleve à la même hauteur dans deux tuyaux qui communiquent ensemble, le fluide qui est dans un des tuyaux, est en équilibre avec le fluide qui est dans l'autre.

Car, 1°. si les tuyaux sont de même diametre, & que les colonnes des fluides ayent la même base & la même hauteur, elles seront égales ; conséquemment leurs pesanteurs seront aussi égales, & aussi elles agiront l'une sur l'autre avec des forces égales : 2°. si les tuyaux sont inégaux en base & en diametre, supposons que la base de G I (Pl. d'Hydrodyn. fig. 6.) soit quadruple de la base de H K, & que le fluide descende dans le plus large tuyau de la hauteur d'un pouce, comme de L en O, il s'élevera donc de quatre pouces dans l'autre tuyau, comme de M en N. Donc la vîtesse du fluide qui se meut dans le tuyau H K, est à celle du fluide qui se meut dans le tuyau G I, comme la base du tuyau G I est à la base du tuyau H K. Mais puisqu'on suppose que la hauteur des fluides est la même dans les deux tuyaux, la quantité de fluide qui est dans le tuyau G I, sera à celle qui est dans le tuyau H K, comme la base du tuyau G I est à la base du tuyau H K : conséquemment les quantités de mouvement de part & d'autre sont égales, puisque les vitesses sont en raison inverse des masses. Donc il y aura équilibre. Cette démonstration est assez semblable à celle que plusieurs auteurs ont donnée de l'équilibre dans le levier. Sur quoi voyez LEVIER, & la suite de cet article.

On démontre aisément la même vérité sur deux tubes, dont l'un est incliné, l'autre perpendiculaire. Il suit encore de-là que si des tubes se communiquent, le fluide pesera davantage dans celui où il sera plus élevé.

VI. Dans les tubes qui communiquent, des fluides de différentes pesanteurs spécifiques seront en équilibre si leurs hauteurs sont en raison inverse de leurs pesanteurs spécifiques.

Nous tirons de-là un moyen de déterminer la gravité spécifique des fluides ; savoir, en mettant un fluide dans un des tuyaux qui se communiquent comme (A B, fig. 7.) & un autre fluide dans l'autre tuyau C D, & en mesurant les hauteurs B G, H D, auxquelles les fluides s'arrêteront quand ils seront mis en équilibre ; car la pesanteur spécifique du fluide contenu dans le tuyau A B, est à la pesanteur spécifique du fluide du tuyau D C, comme D H est à B G. (Si on craint que les fluides ne se mêlent, on peut remplir la partie horisontale du tuyau B D avec du mercure, pour empêcher le mélange des liqueurs).

Puisque les densités des fluides sont comme leurs pesanteurs spécifiques, leurs densités seront aussi comme les hauteurs des fluides D H & B G. Ainsi nous pouvons encore tirer de-là une méthode pour déterminer les densités des fluides. Voyez DENSITE.

VII. Les fonds & les côtés des vaisseaux sont pressés de la même maniere, & par la même loi que les fluides qu'ils contiennent. C'est une suite de la premiere & de la seconde loi ci-dessus.

VIII. Dans les vaisseaux cylindriques, situés perpendiculairement, & qui ont des bases égales, la pression des fluides sur les fonds est en raison de leurs hauteurs ; car puisque les vaisseaux sont perpendiculaires, il est évident que l'action ou la tendance des fluides, en vertu de leur pesanteur, se fera dans les lignes perpendiculaires aux fonds : les fonds seront donc pressés en raison des pesanteurs des fluides ; mais les pesanteurs sont comme les volumes, & les volumes sont ici comme les hauteurs. Donc les pressions sur les fonds seront en raison des hauteurs. Remarquez qu'il est ici question d'un même fluide, ou de deux fluides semblables & de même nature.

IX. Dans des vaisseaux cylindriques, situés perpendiculairement, qui ont des bases inégales, la pression sur les fonds est en raison composée des bases & des hauteurs ; car il paroît par la démonstration précédente, que les fonds sont pressés dans cette hypothèse en raison des pesanteurs ; or les pesanteurs des fluides sont comme leurs masses, & leurs masses sont ici en raison composée des bases & des hauteurs : par conséquent, &c.

X. Si un vaisseau incliné A B C D, (figure 8.) a même base & même hauteur qu'un vase perpendiculaire B E F G, les fonds de ces deux vases seront également pressés.

Car dans le vaisseau incliné A B C D, chaque partie du fond C D est pressée perpendiculairement, par la seconde loi ci-dessus, avec une force égale à celle d'une colonne verticale de fluide, dont la hauteur seroit égale à la distance qui est entre le fond C D, & la surface A B du fluide : or la pression du fond E F est évidemment la même.

XI. Les fluides pressent selon leur hauteur perpendiculaire, & non pas selon leur volume. Par exemple, si un vase a une figure conique, ou va en diminuant vers le haut, c'est-à-dire s'il n'est pas large en haut comme en bas, cela n'empêche pas que le fond ne soit pressé de la même maniere que si le vase étoit parfaitement cylindrique, en conservant la même base inférieure : c'est une suite de tout ce qui a été dit ci-dessus.

En général, la pression qu'éprouve le fond d'un vaisseau, quelle que soit sa figure, est toûjours égale au poids d'une colonne du fluide, dont la base est le fond du vaisseau, & dont la hauteur est la distance verticale de la surface supérieure de l'eau au fond de ce même vase.

Donc si l'on a deux tubes ou deux vases de même base & de même hauteur, tous deux remplis d'eau, mais dont l'un aille tellement en diminuant vers le haut, qu'il ne contienne que vingt onces d'eau, au lieu que l'autre s'élargissant vers le haut contienne deux cent onces ; les fonds de ces deux vases seront également pressés par l'eau, c'est-à-dire que chacun d'eux éprouvera une pression égale au poids de l'eau renfermée dans un cylindre de même base que ces deux bases, & de même hauteur.

M. Pascal est le premier qui a découvert ce paradoxe hydrostatique ; il mérite bien que nous nous arrêtions à l'éclaircir : une multitude d'expériences le mettent hors de toute contestation. On peut même, jusqu'à un certain point, en rendre raison dans quelques cas, par les principes de méchanique.

Supposons, par exemple, que le fond d'un vase C D, (fig. 9.) soit plus petit que son extrémité supérieure A B ; comme le fluide presse le fond C D, que nous supposons horisontal, dans une direction perpendiculaire E C, il n'y a que la partie cylindrique intérieure E C D F, qui puisse presser sur le fond, les côtés de ce vase soûtenans la pression de tout le reste.

Mais cette proposition devient bien plus difficile à démontrer, lorsque le vase va en se rétrécissant de bas en haut : on peut même dire qu'elle est alors un paradoxe que l'expérience seule peut prouver, & dont jusqu'ici on a cherché vainement la raison.

Pour prouver ce paradoxe par l'expérience, préparez un vase de métal A C D B (fig. 10.), fait de maniere que le fond C D puisse être mobile, & que pour cette raison il soit retenu dans la cavité du vaisseau, moyennant une bordure de cuir humide, afin de pouvoir glisser, sans laisser passer une seule goutte d'eau. Par un trou fait au haut du vase A B appliquez successivement différens tubes d'égales hauteurs, mais de différens diametres. Enfin, attachant une corde au bras d'une balance ; & fixant l'autre extrémité de la corde au fond mobile, par un petit anneau K, mettez des poids dans l'autre bassin, jusqu'à ce qu'il y en ait assez pour élever le fond C D : vous trouverez alors non-seulement qu'il faut toûjours le même poids, de quelque grandeur ou diametre que soit le tube, mais encore que le poids qui élevera le fond, lorsque ce fond est pressé par un fluide contenu dans un très-petit tube, l'élevera aussi quand il sera pressé par le fluide qui seroit contenu dans tout le cylindre H C D I. Par la même raison, si un vase A B C D (fig. 11.), de figure quelconque, est plein de liqueur jusqu'en G H, par exemple, le fond C D sera pressé par la liqueur, comme si le vase étoit cylindrique : mais ce qui est bien à remarquer, il ne faudra pour soûtenir le vase, qu'une force égale au poids de la liqueur ; car la partie F f est pressée perpendiculairement à H D suivant F O, avec une force proportionnelle à la distance de G H à E F ; & cet effort tend à pousser le point F suivant F V, avec une force représentée par F I x M P. Or le point K est pressé en em-bas avec une force = F I x M N : donc le fond C D n'est poussé au point K que par une force = F I x M N - F I x M P = F I x P N. Donc lorsque le fond C D tient au vase, il n'est poussé en em-bas que par une force = au poids du fluide : mais lorsque ce fond est mobile, il est poussé en em-bas par une force proportionnelle à C D x M N, parce que la résistance ou réaction du point F suivant F V, n'a plus lieu.

XII. Un corps fluide pesant, lequel placé vers la surface de l'eau, se précipiteroit en em-bas avec une grande vîtesse, étant placé néanmoins à une profondeur considérable, ne tombera point au fond.

Ainsi plongez l'extrémité inférieure d'un tube de verre dans un vase de mercure, à la profondeur d'un demi-pouce ; & bouchant alors l'extrémité inférieure avec votre doigt, vous conserverez par ce moyen environ un demi-pouce de mercure suspendu dans le tube : enfin tenant toûjours le doigt dans cette même disposition, plongez le tube dans un long vase de verre plein d'eau, jusqu'à ce que la petite colonne de mercure soit enfoncée dans l'eau à une profondeur, treize ou quatorze fois plus grande que la longueur de cette même colonne : en ce cas, si vous ôtez le doigt, vous verrez que le mercure se tiendra suspendu dans le tube, par l'action de l'eau qui presse en en-haut ; mais si vous élevez le tube, le mercure s'écoulera. Au reste cette expérience est délicate, & demande de la dextérité pour être bien faite.

La pression des fluides, selon plusieurs physiciens, nous donne la solution du phénomene de deux marbres polis, qui s'attachent fortement ensemble lorsqu'on les applique l'un à l'autre. L'atmosphere, selon ces physiciens, presse ou gravite avec tout son poids sur la surface inférieure & sur les côtés du marbre inférieur : mais elle ne sauroit exercer aucune pression sur la surface supérieure de ce même marbre, qui est très-intimement contigue au marbre supérieur, auquel elle est suspendue : sur quoi voyez l'article COHESION, &c.

Sur l'ascension des fluides dans les vaisseaux capillaires, &c. voyez TUYAUX CAPILLAIRES. Voyez aussi au mot HYDROSTATIQUE, d'autres observations sur l'équilibre des fluides.

Passons aux lois du mouvement des fluides : après quoi nous considérerons sous un même point de vûe ces lois & celles de leur équilibre. Nous donnerons d'abord les lois du mouvement des fluides, sans en apporter presque aucune raison, & telles que l'expérience les a fait découvrir.

Le mouvement des fluides, & particulierement de l'eau, fait la matiere de l'Hydraulique. Voyez HYDRAULIQUE.

Lois hydrauliques des fluides. 1°. La vîtesse d'un fluide, tel que l'eau, mis en mouvement par l'action d'un fluide qui pese dessus, est égale à des profondeurs égales, & inégale à des profondeurs inégales.

2°. La vîtesse d'un fluide qui vient de l'action d'un autre fluide qui pese dessus, est la même à une certaine profondeur, que celle qui seroit acquise par un corps, en tombant d'une hauteur égale à cette profondeur, ainsi que les expériences le démontrent.

3°. Si deux tubes de diametres égaux sont placés de quelque maniere que ce soit, droits ou inclinés, pourvû qu'ils soient de même hauteur, ils jetteront en tems égaux des quantités égales de fluide.

Il est évident que des tubes égaux en tout, se vuideroient également, placés dans les mêmes circonstances ; & il a été déjà démontré que le fond d'un tube perpendiculaire est pressé avec la même force que celui d'un tube incliné, quand les hauteurs de ces tubes sont égales : d'où il est aisé de conclure qu'ils doivent fournir des quantités d'eau égales.

4°. Si deux tubes de hauteurs égales, mais d'ouvertures inégales, sont constamment entretenus pleins d'eau, les quantités d'eau qu'ils fourniront dans le même tems, seront comme les diametres de ces tubes : il n'importe que les tubes soient droits ou inclinés.

Par conséquent, si les ouvertures sont circulaires, les quantités d'eau vuidées en même tems sont en raison doublée des diametres.

Mariotte observe que cette loi n'est pas parfaitement conforme à l'expérience. On peut attribuer cette irrégularité au frottement que l'eau éprouve contre la surface intérieure des tubes ; frottement qui doit nécessairement altérer l'effet naturel de la pesanteur. Voyez aussi HYDRODYNAMIQUE.

5°. Si les ouvertures E, F de deux tubes, AD, CB, (fig. 12 & 13.) sont égales, les quantités d'eau, qui s'écouleront dans le même tems, seront comme les vîtesses de l'eau.

6°. Si deux tubes ont des ouvertures égales E, F, & des hauteurs inégales Ab, Cd, la quantité d'eau qui s'écoulera du plus grand AB, sera à celle qui sortira de CD dans le même tems, en raison sous-doublée des hauteurs Ab, Cd.

De-là il s'ensuit 1°. que les hauteurs des eaux Ab, Cd, écoulées par les ouvertures égales E, F, seront en raison doublée de l'eau qui s'écoule dans le même tems : & puisque les quantités d'eau sont en ce cas comme les vîtesses, les vîtesses sont aussi en raison sous-doublée de leurs hauteurs.

2°. Que le rapport des eaux qui s'écoulent par les deux tubes AD, CB, étant donné, de même que la hauteur de l'eau dans l'un des deux, on pourra aisément trouver la hauteur de l'eau dans l'autre, en cherchant une quatrieme proportionnelle aux trois quantités données ; & en multipliant par elle-même cette quatrieme proportionnelle, l'on a la hauteur cherchée.

3°. Que le rapport des hauteurs de deux tubes d'ouvertures égales, étant donné, de même que la quantité d'eau écoulée de l'un d'eux, on peut aisément déterminer la quantité d'eau qui s'écoulera de l'autre dans le même tems : car cherchant une quatrieme proportionnelle aux hauteurs données & au quarré de la quantité d'eau écoulée par une des ouvertures, la racine quarrée de cette quatrieme proportionnelle sera la quantité d'eau que l'on demande.

Supposons, par exemple, que les hauteurs des tubes soient entr'elles comme 9 est à 25, & que la quantité d'eau écoulée de l'un d'eux soit de trois pouces, celle qui s'écoulera par l'autre sera = (9. 25 : 9) = 25 = 5 pouces.

7°. Si les hauteurs de deux tubes A D, C B, sont inégales ; & les ouvertures E, F, aussi inégales, les quantités d'eau écoulées dans le même tems seront en raison composée du rapport des ouvertures, & du rapport sous-double des hauteurs.

8°. Il suit de-là que s'il y a égalité entre les quantités d'eau écoulées dans le même tems par deux tubes, les ouvertures seront réciproquement comme les racines des hauteurs, & par conséquent les hauteurs en raison réciproque des quarrés des ouvertures.

9°. Si les hauteurs de deux tubes, de même que leurs ouvertures, sont inégales, les vîtesses des eaux écoulées sont en raison sous-doublée de leurs hauteurs : d'où il s'ensuit que les vîtesses des eaux qui sortent par des ouvertures égales, quand les hauteurs sont inégales, sont aussi en raison sous-doublée des hauteurs ; & comme ce rapport est égal, si les hauteurs sont égales, il s'ensuit en général que les vîtesses des eaux qui sortent des tubes, sont en raison sous-doublée des hauteurs.

10°. Les hauteurs & les ouvertures de deux cylindres remplis d'eau étant les mêmes, il s'écoulera dans le même tems une fois plus d'eau par l'un que par l'autre, si l'on entretient le premier toujours plein d'eau, tandis que l'autre se vuide.

Car la vîtesse de l'eau dans le vase toûjours plein sera uniforme, & celle de l'autre sera continuellement retardée : on peut voir n°. 2. ci-dessus, qu'elle sera la loi de la vîtesse de chacun. La vîtesse uniforme de l'eau dans le premier vase sera égale à celle qu'un corps pesant auroit acquise en tombant d'une hauteur égale à celle du fluide, & la vîtesse variable de l'autre suivra une loi analogue. Les deux fluides sont donc dans le cas de deux corps, dont l'un se meut uniformément avec une certaine vîtesse ; & l'autre se meut de bas en haut, en commençant par cette même vîtesse. Voyez ACCELERATION. Or il est démontré, voyez le même article & l'article DESCENTE, que le premier de ces deux corps parcourt un espace double de l'autre, dans le même tems : donc, &c.

11°. Si deux tubes ont des hauteurs & des ouvertures égales, les tems qu'ils employeront à se vuider seront dans le rapport de leurs bases.

12°. Des vases cylindriques & prismatiques, comme, A B, C D. (fig. 14.) se vuident en suivant cette loi, que les quantités d'eau écoulées en tems égaux, décroissent selon les nombres impairs 1, 3, 5, 7, 9, &c. dans un ordre renversé.

Car la vîtesse de la surface F G, qui descend, décroît continuellement en raison sous-doublée des hauteurs décroissantes : mais la vîtesse d'un corps pesant qui tombe, croît en raison sous-doublée des hauteurs croissantes : ainsi le mouvement de la surface F G, lorsqu'elle descend de G en D avec un mouvement retardé, est la même que si elle étoit venue de B en D, avec un mouvement accéléré en sens contraire : or dans ce dernier cas, les espaces parcourus en tems égaux croîtront selon la progression des nombres impairs. Voyez ACCELERATION. Par conséquent, les hauteurs de la surface F G, en tems égaux, décroissent selon la même progression, prise dans un ordre renversé.

On peut démontrer par ce principe, beaucoup d'autres lois particulieres du mouvement des fluides, que nous omettons ici, pour n'être pas trop longs.

Pour diviser un vase cylindrique en portions qui seront vuidées dans l'espace de certaines divisions de tems, voyez CLEPSYDRE.

13°. Si l'eau qui tombe par un tube H E, (fig. 15.) rejaillit à l'ouverture G, dont la direction est verticale, elle s'élevera à la même hauteur G I, à laquelle se tient le niveau de l'eau dans le vaisseau A B C D.

Car l'eau est chassée de bas en haut par l'ouverture, avec une vîtesse égale à celle d'un corps qui tomberoit d'une hauteur égale à celle du fluide : or ce corps s'éleveroit à la même hauteur en remontant (Voyez ACCELERATION) : donc, &c.

A la vérité on pourroit objecter qu'il paroît, par les expériences, que l'eau ne s'éleve pas tout-à-fait aussi haut que le point I ; mais cette objection n'empêche point que le théoreme ne soit vrai : elle fait voir seulement qu'il y a certains obstacles extérieurs qui diminuent l'élévation ; tels sont la résistance de l'air, & le frottement de l'eau au-dedans du tube.

14°. L'eau qui descend par un tube incliné ou par un tube courbé, d'une maniere quelconque, jaillira par une ouverture quelconque à la hauteur où se tient le niveau d'eau dans le vase : c'est une suite de la loi précédente, & de celle des corps pesans mûs sur des plans inclinés. Voyez PLAN INCLINE.

15°. Les longueurs ou les distances D E & D F, I H & I G, (fig. 16.) à laquelle l'eau jaillira par une ouverture, soit inclinée soit horisontale, sont en raison sous-doublée des hauteurs prises dans le vase ou dans la tube A B, A C.

Car puisque l'eau qui a jailli par l'ouverture D, tend à se mouvoir dans la ligne horisontale D F, & que dans le même tems, en vertu de la pesanteur, elle tend em-bas par une ligne perpendiculaire à l'horison (une de ces puissances ne pouvant pas détruire l'autre, d'autant que leurs directions ne sont pas contraires), il s'ensuit que l'eau en tombant arrivera à la ligne I G, dans le même tems qu'elle y seroit arrivée, quand il n'y auroit eu aucune impulsion horisontale : maintenant les lignes droites I H & I G sont les espaces que la même eau auroit parcourus dans le même tems par l'impulsion horisontale, mais les espaces I H, I G, sont comme les vîtesses, puisque le mouvement horisontal est uniforme ; & les vîtesses sont en raison sous-doublée des hauteurs A B, A C : c'est pourquoi les longueurs ou les distances auxquelles l'eau jaillira par des ouvertures horisontales ou inclinées, sont en raison sous-doublée des hauteurs A B, A C.

Puisque tout corps jetté horisontalement ou obliquement dans un milieu qui ne résiste point, décrit une parabole, il est clair que l'eau qui sort par un jet vertical & incliné, décrira une parabole. Voyez PROJECTILE. Voyez aussi, sur le mouvement des fluides, les articles HYDRODYNAMIQUE, HYDRAULIQUE, ÉLASTIQUE, &c.

L'on construit différentes machines hydrauliques, pour l'élévation des fluides, comme les pompes, les syphons, les fontaines, les jets, &c. on peut en voir la description aux articles POMPE, SYPHON, FONTAINE, VIS D'ARCHIMEDE.

Quant aux lois du mouvement des fluides par leur propre pesanteur le long des canaux ouverts, &c. voyez FLEUVE, &c. Pour les lois de la pression ou du mouvement de l'air considéré comme un fluide, voyez AIR & VENT.

Reflexions sur l'équilibre & le mouvement des fluides. Si on connoissoit parfaitement la figure & la disposition mutuelle des particules qui composent les fluides, il ne faudroit point d'autres principes que ceux de la méchanique ordinaire, pour déterminer les lois de leur équilibre & de leur mouvement ; car c'est toûjours un problème déterminé, que de trouver l'action mutuelle de plusieurs corps qui sont unis entre eux, & dont on connoît la figure & l'arrangement respectif. Mais comme nous ignorons la forme & la disposition des particules fluides, la détermination des lois de leur équilibre & de leur mouvement est un problème, qui envisagé comme purement géométrique, ne contient pas assez de données, & pour la solution duquel on est obligé d'avoir recours à de nouveaux principes.

Nous jugerons aisément du plan que nous devons suivre dans cette recherche, si nous nous appliquons à connoître d'abord quelle différence il doit y avoir entre les principes généraux du mouvement des fluides, & les principes dont dépendent les lois de la méchanique des corps ordinaires. Ces derniers principes, comme on peut le démontrer (V. MECHANIQUE & DYNAMIQUE), doivent se réduire à trois ; savoir, la force d'inertie, le mouvement composé, & l'équilibre de deux masses égales animées en sens contraire de deux vîtesses virtuelles égales. Nous avons donc ici deux choses à examiner : en premier lieu, si ces trois principes sont les mêmes pour les fluides que pour les solides ; en second lieu, s'ils suffisent à la théorie que nous entreprenons de donner.

Les particules des fluides étant des corps, il n'est pas douteux que le principe de la force d'inertie, & celui du mouvement composé, ne conviennent à chacune de ces parties : il en seroit de même du principe de l'équilibre, si on pouvoit comparer séparément les particules fluides entr'elles : mais nous ne pouvons comparer ensemble que des masses, dont l'action mutuelle dépend de l'action combinée de différentes parties qui nous sont inconnues ; l'expérience seule peut donc nous instruire sur les lois fondamentales de l'Hydrostatique.

L'équilibre des fluides animés par une force de direction & de quantité constante ; comme la pesanteur, est celui qui se présente d'abord, & qui est en effet le plus facile à examiner. Si on verse une liqueur homogene dans un tuyau composé de deux branches cylindriques égales & verticales, unies ensemble par une branche cylindrique horisontale, la premiere chose qu'on observe, c'est que la liqueur ne sauroit y être en équilibre, sans être à la même hauteur dans les deux branches. Il est facile de conclure de-là, que le fluide contenu dans la branche horisontale est pressé en sens contraire par l'action des colonnes verticales. L'expérience apprend de plus, que si une des branches verticales, & même, si l'on veut, une partie de la branche horisontale est anéantie, il faut, pour retenir le fluide, la même force qui seroit nécessaire pour soûtenir un tuyau cylindrique égal à l'une des branches verticales, & rempli de fluide à la même hauteur ; & qu'en général, quelle que soit l'inclinaison de la branche qui joint les deux branches verticales, le fluide est également pressé dans le sens de cette branche & dans le sens vertical. Il n'en faut pas davantage pour nous convaincre que les parties des fluides pesans sont pressées & pressent également en tout sens. Cette propriété étant une fois découverte, on peut aisément reconnoître qu'elle n'est pas bornée aux fluides dont les parties sont animées par une force constante & de direction donnée, mais qu'elle appartient toûjours aux fluides, quelles que soient les forces qui agissent sur leurs différentes parties ; il suffit, pour s'en assûrer, d'enfermer une liqueur dans un vase de figure quelconque, & de la presser avec un piston : car si l'on fait une ouverture en quelque point que ce soit de ce vase, il faudra appliquer en cet endroit une pression égale à celle du piston, pour retenir la liqueur, observation qui prouve incontestablement que la pression des particules se répand également en tout sens, quelle que soit la puissance qui tend à les mouvoir.

Cette propriété générale, constatée par une expérience aussi simple, est le fondement de tout ce qu'on peut démontrer sur l'équilibre des fluides. Néanmoins quoiqu'elle soit connue & mise en usage depuis fort longtems, il est assez surprenant que les lois principales de l'Hydrostatique en ayant été si obscurément déduites.

Parmi une foule d'auteurs dont la plûpart n'ont fait que copier ceux qui les avoient précédés, à peine en trouve-t-on qui expliquent avec quelque clarté, pourquoi deux liqueurs sont en équilibre dans un syphon ; pourquoi l'eau contenue dans un vase qui va en s'élargissant de haut en-bas, presse le fond de ce vase avec autant de force que si elle étoit contenue dans un vase cylindrique de même base & de même hauteur, quoiqu'en soûtenant un tel vase, on ne porte que le poids du liquide qui y est contenu ; pourquoi un corps d'une pesanteur égale à celle d'un pareil volume de fluide, s'y soûtient en quelqu'endroit qu'on le place, &c. On ne viendra jamais à-bout de démontrer exactement ces propositions, que par un calcul net & précis de toutes les forces qui concourent à la production de l'effet qu'on veut examiner, & par la détermination exacte de la force qui en résulte. C'est ce que j'ai tâché de faire dans mon traité de l'équilibre & du mouvement des fluides, Paris 1744, d'une maniere qui ne laissât dans l'esprit aucune obscurité, en employant pour unique principe la pression égale en tous sens.

J'en ai déduit jusqu'à la propriété si connue des fluides, de se disposer de maniere que leur surface soit de niveau, propriété qui jusqu'alors n'avoit peut-être pas été rigoureusement prouvée.

Un auteur moderne a prétendu prouver l'égalité de pression des fluides en tous sens, par la figure sphérique & la disposition qu'il leur suppose. Il prend trois boules dont les centres soient disposés en un triangle équilatéral de base horisontale, il fait voir aisément que la boule supérieure presse avec la même force en em-bas qu'elle presse latéralement sur les deux boules voisines. On sent combien cette démonstration est insuffisante. 1°. Elle suppose que les particules du fluide sont sphériques ; ce qui peut être probable, mais n'est pas démontré. 2°. Elle suppose que les deux boules d'en-bas soient disposées de maniere que leurs centres soient dans une ligne horisontale. 3°. Elle ne démontre l'égalité de pression avec la pression verticale que pour les deux directions qui font un angle de 60 degrés avec la verticale ; & nullement pour les autres.

Les principes généraux de l'équilibre des fluides étant connus, il s'agit à présent d'examiner l'usage que nous en devons faire, pour trouver les lois de leur mouvement dans les vases qui les contiennent.

La méthode générale dont il est parlé, art. DYNAMIQUE, pour déterminer le mouvement d'un système de corps qui agissent les uns sur les autres, est de regarder la vîtesse avec laquelle chaque corps tend à se mouvoir, comme composée de deux autres vîtesses, dont l'une est détruite, & l'autre ne nuit point au mouvement des corps adjacens. Pour appliquer cette méthode à la question dont il s'agit ici, nous devons examiner d'abord quels doivent être les mouvemens des particules du fluide, pour que ces particules ne se nuisent point les unes aux autres. Or l'experience de concert avec la théorie, nous fait connoître que quand un fluide s'écoule d'un vase, sa surface supérieure demeure toûjours sensiblement horisontale : d'où l'on peut conclure que la vîtesse de tous les points d'une même tranche horisontale, estimée suivant le sens vertical, est la même dans tous ces points, & que cette vîtesse, qui est à proprement parler la vîtesse de tranche doit être en raison inverse de la largeur de cette même tranche, pour qu'elle ne nuise point aux mouvemens des autres. Par ce principe combiné avec le principe général, on reduit fort aisément aux lois de l'Hydrostatique ordinaire les problèmes qui ont pour objet le mouvement des fluides, comme on réduit les questions de Dynamique aux lois de l'équilibre des corps solides.

Il paroît inutile de démontrer ici fort au long le peu de solidité d'un principe employé autrefois par presque tous les auteurs d'Hydraulique, & dont plusieurs se servent encore aujourd'hui pour déterminer le mouvement d'un fluide qui sort d'un vase. Selon ces auteurs, le fluide qui s'échappe à chaque instant, est pressé par le poids de toute la colonne de fluide dont il est la base. Cette proposition est évidemment fausse, lorsque le fluide coule dans un tuyau cylindrique entierement ouvert, & sans aucun fond. Car la liqueur y descend alors comme feroit une masse solide & pesante, sans que les parties qui se meuvent toutes avec une égale vîtesse, exercent les unes sur les autres aucune action. Si le fluide sort du tuyau par une ouverture faite au fond, alors la partie qui s'échappe à chaque instant, peut à la vérité souffrir quelque pression par l'action oblique & latérale de la colonne qui appuie sur le fond ; mais comment prouvera-t-on que cette pression est égale précisément au poids de la colonne de fluide qui auroit l'ouverture du fond pour base ?

Nous ne nous arrêterons point à faire voir ici dans un grand détail, avec quelle facilité on déduit de nos principes la solution de plusieurs problèmes fort difficiles, qui ont rapport à la matiere dont il s'agit, comme la pression des fluides contre les vaisseaux dans lesquels ils coulent, le mouvement d'un fluide qui s'échappe d'un vase mobile & entraîné par un poids, &c. Ces différens problèmes qui n'avoient été résolus jusqu'à nous que d'une maniere indirecte, ou pour quelques cas particuliers seulement, sont des corollaires fort simples de la méthode dont nous venons de parler. En effet, pour déterminer la pression mutuelle des particules du fluide, il suffit d'observer que si les tranches se pressent les unes les autres, c'est parce que la figure & la forme du vase les empêche de conserver le mouvement qu'elles auroient, si chacune d'elles étoit isolée. Il faut donc par notre principe, regarder ce mouvement comme composé de celui qu'elles ont réellement, & d'un autre qui est détruit. Or c'est en vertu de ce dernier mouvement détruit, qu'elles se pressent mutuellement avec une force qui réagit contre les parois du vase. La quantité de cette force est donc facile à déterminer par les lois de l'Hydrostatique, & ne peut manquer d'être connue dès qu'on a trouvé la vîtesse du fluide à chaque instant. Il n'y a pas plus de difficulté à déterminer le mouvement des fluides dans des vases mobiles.

Mais un des plus grands avantages qu'on tire de cette théorie, c'est de pouvoir démontrer que la fameuse loi de Méchanique, appellée la conservation des forces vives, a lieu dans le mouvement des fluides, comme dans celui des corps solides.

Ce principe reconnu aujourd'hui pour vrai par tous les Méchaniciens, & que j'expliquerai ailleurs au long (Voyez FORCES VIVES), est celui dont M. Daniel Bernoulli a déduit les lois du mouvement des fluides dans son hydrodynamique. Dès l'année 1727, le même auteur avoit donné un essai de sa nouvelle théorie ; c'est le sujet d'un très-beau mémoire imprimé dans le tom. II. de l'académie de Petersbourg. M. Daniel Bernoulli n'apporte dans ce mémoire d'autre preuve de la conservation des forces vives dans les fluides, sinon qu'on doit regarder un fluide comme un amas de petits corpuscules élastiques qui se pressent les uns les autres, & que la conservation des forces vives a lieu, de l'aveu de tout le monde, dans le choc d'un système de corps de cette espece. Il me semble qu'une pareille preuve ne doit pas être regardée comme d'une grande force : aussi l'auteur paroît-il ne l'avoir donnée que comme une induction, & ne l'a même rappellée en aucune maniere dans son grand ouvrage sur les fluides, qui n'a vû le jour que plusieurs années après. Il paroît donc qu'il étoit nécessaire de prouver d'une maniere plus claire & plus exacte le principe dont il s'agit, appliqué aux fluides. Mais c'est ce qu'on ne peut faire sans calcul ; & sur quoi nous renvoyons à notre ouvrage ; qui a pour titre, traité de l'équilibre & du mouvement des fluides.

Les principes dont je me suis servi pour déterminer le mouvement des fluides non élastiques, s'appliquent avec une extrème facilité aux lois du mouvement des fluides élastiques.

Le mouvement d'un fluide élastique differe de celui d'un fluide ordinaire, principalement par la loi des vîtesses de ses différentes couches. Ainsi, par exemple, lorsqu'un fluide non élastique coule dans un tuyau cylindrique, comme il ne change point de volume, ses différentes tranches ont toutes la même vîtesse. Il n'en est pas de même d'un fluide élastique ; car s'il ne se dilate que d'un côté, les tranches inférieures se meuvent plus vîte que les supérieures, à-peu-près comme il arrive à un ressort attaché à un point fixe, & dont les parties parcourent en se dilatant moins d'espace qu'elles sont plus proches de ce point. Telle est la différence principale qu'il doit y avoir dans la théorie du mouvement des fluides élastiques & de ceux qui ne le sont pas. La méthode pour trouver les lois de leur mouvement, & les principes qu'on employe pour cela, sont d'ailleurs entierement semblables.

C'est aussi en suivant cette même méthode, que l'on peut examiner le mouvement des fluides dans des tuyaux flexibles.

Je suis au reste bien éloigné de penser que la théorie que l'on peut établir sur le mouvement des fluides dans ces sortes de tuyaux, puisse nous conduire à la connoissance de la méchanique du corps humain, de la vîtesse du sang, de son action sur les vaisseaux dans lesquels il circule, &c. Il faudroit pour réussir dans une telle recherche, savoir exactement jusqu'à quel point les vaisseaux peuvent se dilater, connoître parfaitement leur figure, leur élasticité plus ou moins grande, leurs différentes anastomoses, le nombre, la force & la disposition de leurs valvules, le degré de chaleur & de tenacité du sang, les forces motrices qui le poussent, &c. Encore quand chacune de ces choses seroit parfaitement connue, la grande multitude d'élémens qui entreroient dans une pareille théorie, nous conduiroit vraisemblablement à des calculs impraticables. C'est en effet ici un des cas les plus composés d'un problème dont le cas le plus simple est fort difficile à résoudre. Lorsque les effets de la nature sont trop compliqués & trop peu connus pour pouvoir être soûmis à nos calculs, l'expérience, comme nous l'avons déjà dit, est le seul guide qui nous reste : nous ne pouvons nous appuyer que sur des inductions déduites d'un grand nombre de faits. Voilà le plan que nous devons suivre dans l'examen d'une machine aussi composée que le corps humain. Il n'appartient qu'à des physiciens oisifs de s'imaginer qu'à force d'algebre & d'hypothèses, ils viendront à-bout d'en dévoiler les ressorts, & de réduire en calcul l'art de guérir les hommes.

Ces réflexions sont tirées de la préface de l'ouvrage déjà cité, sur l'équilibre & le mouvement des fluides ; afin de ne point rendre cet article trop long, nous renvoyons pour les réflexions que cette matiere peut fournir encore, aux mots HYDROSTATIQUE, HYDRAULIQUE, HYDRODYNAMIQUE, à l'article FIGURE DE LA TERRE, à l'ouvrage de M. Clairaut, sur ce même objet, & à l'ouvrage que nous avons donné en 1752, qui a pour titre, essai d'une nouvelle théorie de la résistance des fluides. On trouvera dans le chap. ij. de cet ouvrage, & sur-tout dans l'appendice à la fin du livre, des réflexions que je crois neuves & importantes sur les lois de l'équilibre des fluides, considéré sur-tout par rapport à la figure de la Terre ; on trouvera aussi dans les chap. jx. & x. de ce même ouvrage, des recherches sur le mouvement des fluides dans des vases, & sur celui des fleuves.

Après avoir donné une idée de la méthode pour trouver les lois du mouvement des fluides, il ne nous reste plus qu'à examiner leur action sur les corps solides qui sont plongés, & qui s'y meuvent.

Quoique la physique des anciens ne fût, ni aussi déraisonnable, ni aussi bornée que le pensent ou que le disent quelques philosophes modernes, il paroît cependant qu'ils n'étoient pas fort versés dans les Sciences, qu'on appelle Physico-Mathématiques, & qui consistent dans l'application du calcul aux phénomenes de la nature. La question de la résistance des fluides est une de celles qu'ils paroissent avoir le moins étudiées sous ce point de vûe. Je dis sous ce point de vûe ; car la connoissance de la résistance des fluides étant d'une nécessité absolue pour la construction des navires qu'ils avoient peut-être poussée plus loin que nous, il est difficile de croire que cette connoissance leur ait manqué jusqu'à un certain point : l'expérience leur avoit sans-doute fourni des regles pour déterminer le choc & la pression des eaux ; mais ces regles, d'usage seulement & de pratique, & pour ainsi dire de pure tradition, ne sont point parvenues jusqu'à nous.

A l'égard de la théorie de cette résistance, il n'est pas surprenant qu'ils l'ayent ignorée. On doit même, s'il est permis de parler ainsi, leur tenir compte de leur ignorance, de n'avoir point voulu atteindre à ce qu'il leur étoit impossible de savoir, & de n'avoir point cherché à faire croire qu'ils y étoient parvenus. C'est à la plus subtile Géométrie, qu'il est permis de tenter cette théorie ; & la géométrie des anciens, d'ailleurs très-profonde & très-savante, ne pouvoit aller jusque-là. Il est vraisemblable qu'ils l'avoient senti ; car leur méthode de philosopher étoit plus sage que nous ne l'imaginons communément. Les géometres modernes ont sû se procurer à cet égard plus de secours, non parce qu'ils ont été supérieurs aux anciens, mais parce qu'ils sont venus depuis. L'invention des calculs différentiel & intégral nous a mis en état de suivre en quelque maniere le mouvement des corps jusque dans leurs élémens ou dernieres particules. C'est avec le secours seul de ces calculs, qu'il est permis de pénétrer dans les fluides, & de découvrir le jeu de leurs parties, l'action qu'exercent les uns sur les autres ces atomes innombrables dont un fluide est composé, & qui paroissent tout à la fois unis & divisés, dépendans & indépendans les uns des autres. Aussi le méchanisme intérieur des fluides, si peu analogue à celui des corps solides que nous touchons, & sujet à des lois toutes différentes, devroit être pour les Philosophes un objet particulier d'admiration, si l'étude de la nature, des phénomenes les plus simples, des élémens même de la matiere, ne les avoit accoûtumés à ne s'étonner de rien, ou plûtôt à s'étonner également de tout. Aussi peu éclairés que le peuple sur la nature des objets qu'ils considerent, ils n'ont & ne peuvent avoir d'avantage que dans la combinaison qu'ils font du peu de principes qui leur sont connus, & les conséquences qu'ils en tirent ; & c'est dans cette espece d'analyse que les Mathématiques leur sont utiles. Cependant avec ce secours même, la recherche de la résistance des fluides est encore si difficile, que les efforts des plus grands hommes se sont terminés jusqu'ici à nous en donner une legere ébauche.

Après avoir refléchi long-tems sur une matiere si importante, avec toute l'attention dont je suis capable, il m'a paru que le peu de progrès qu'on a faits jusqu'à présent dans cette question, vient de ce qu'on n'a pas encore saisi les vrais principes d'après lesquels il faut la résoudre : j'ai crû devoir m'appliquer à chercher ces principes, & la maniere d'y appliquer le calcul, s'il est possible ; car il ne faut point confondre ces deux objets, & les géometres modernes semblent n'avoir pas été assez attentifs sur ce point. C'est souvent le desir de pouvoir faire usage du calcul qui les détermine dans le choix des principes ; au lieu qu'ils devroient examiner d'abord les principes en eux-mêmes, sans penser d'avance à les plier de force au calcul. La Géométrie, qui ne doit qu'obéir à la Physique quand elle se réunit avec elle, lui commande quelquefois : s'il arrive que la question qu'on veut examiner soit trop compliquée pour que tous les élémens puissent entrer dans la comparaison analytique qu'on veut en faire, on sépare les plus incommodes, on leur en substitue d'autres moins gênans, mais aussi moins réels ; & on est étonné d'arriver, après un travail pénible, à un résultat contredit par la nature ; comme si après l'avoir déguisée, tronquée ou altérée, une combinaison purement méchanique pouvoit nous la rendre.

Je me suis proposé d'éviter cet inconvénient dans l'ouvrage que j'ai publié en 1752 sur la résistance des fluides. J'ai cherché les principes de cette résistance, comme si l'analyse ne devoit y entrer pour rien ; & ces principes une fois trouvés, j'ai essayé d'y appliquer l'analyse. Mais avant que de rendre compte de mon travail & du degré auquel je l'ai poussé, il ne sera pas inutile d'exposer en peu de mots ce qui a été fait jusqu'à présent sur cette matiere.

Newton, à qui la Physique & la Géométrie sont si redevables, est le premier que je sache, qui ait entrepris de déterminer par les principes de la Méchanique, la résistance qu'éprouve un corps mû dans un fluide, & de confirmer sa théorie par des expériences. Ce grand philosophe, pour arriver plus facilement à la solution d'une question si épineuse, & peut-être pour la présenter d'une maniere plus générale, envisage un fluide sous deux points de vûe différens. Il le regarde d'abord comme un amas de corpuscules élastiques, qui tendent à s'écarter les uns des autres par une force répulsive, & qui sont disposés librement à des distances égales. Il suppose outre cela que cet amas de corpuscules, qui compose le milieu résistant, ait fort peu de densité par rapport à celle du corps, ensorte que les parties du fluide poussées par le corps, puissent se mouvoir librement, sans communiquer aux parties voisines le mouvement qu'elles ont reçû ; d'après cette hypothèse, M. Newton trouve & démontre les lois de la résistance d'un tel fluide ; lois assez connues pour que nous nous dispensions de les rapporter ici.

Le célebre Jean Bernoulli, dans son ouvrage qui a pour titre, discours sur les lois de la communication du mouvement, a déterminé dans la même supposition la résistance des fluides ; il représente cette résistance par une formule assez simple, qui a été démontrée & généralisée depuis, mais il faut avouer que cette formule est insuffisante. Dans tous les fluides que nous connoissons, les particules sont immédiatement contiguës par quelques-uns de leurs points, ou du moins agissent les unes sur les autres à-peu-près comme si elles l'étoient ; ainsi tout corps mû dans un fluide, pousse nécessairement à-la-fois & au même instant un grand nombre de particules situées dans la même ligne, & dont chacune reçoit une vîtesse & une direction différente, eu égard à sa situation : il est donc extrèmement difficile de déterminer le mouvement communiqué à toutes ces particules, & par conséquent le mouvement que le corps perd à chaque instant.

Ces réflexions n'avoient pas échappé à M. Newton ; il reconnoît que sa théorie de la résistance d'un fluide composé de globules élastiques clair-semés, s'il est permis de s'exprimer de la sorte, ne peut s'appliquer ni aux fluides denses & continus dont les particules se touchent immédiatement, tels que l'eau, l'huile, & le mercure ; ni aux fluides dont l'élasticité vient d'une autre cause que de la force répulsive de leurs parties, par exemple de la compression & de l'expansion de ces parties, tel que paroît être l'air que nous respirons. Une considération si nécessaire, à laquelle M. Newton en ajoûte d'autres non moins importantes, doit nous faire conclure que cette premiere partie de sa théorie, & celle de M. Jean Bernoulli qui n'en est proprement que le commentaire, sont plûtôt une recherche de pure curiosité, qu'elles ne sont applicables à la nature.

Aussi l'illustre philosophe anglois n'a pas crû devoir s'en tenir-là. Il considere les fluides dans l'état de continuité & de compression où ils sont réellement, composés de particules contiguës les unes aux autres ; & c'est le second point de vûe sous lequel il les envisage. La méthode qu'il employe dans cette nouvelle hypothèse, pour résoudre le problème proposé est une espece d'approximation & de tâtonnement dont il seroit difficile de donner ici l'idée. Nous en dirons autant de la maniere ingénieuse & fine dont M. Newton déduit de sa théorie la résistance d'un cylindre & d'un globe, ou en général d'un sphéroïde dans un fluide indéfini ; & nous nous bornerons à dire, qu'après assez de combinaisons & de calculs, il parvient à cette conclusion, que dans un fluide dense & continu, la valeur absolue de la résistance & le rapport de la résistance de deux corps, sont tout autres que dans le fluide à globules élastiques de la premiere hypothèse.

Mais cette seconde théorie de M. Newton, quoique plus conforme à la nature des fluides, est sujette encore à beaucoup de difficultés. Nous ne les exposerons point ici en détail, elles supposeroient pour être entendues, qu'on eût une idée fort présente de cette théorie, idée que nous n'avons pû donner ici ; mais l'on trouvera assez au long dans notre ouvrage & l'exposition de la théorie newtonienne, & les objections qu'on y peut opposer : c'est l'objet particulier d'une introduction qui doit se trouver à la tête, & dont ces réflexions ne sont qu'un extrait. Il nous suffira d'observer ici que la théorie dont nous parlons, manque sans-doute de l'évidence & de la précision nécessaires pour convaincre l'esprit, puisqu'elle a été attaquée plusieurs fois & avec succès par les plus habiles géometres. Il n'en faut pas moins admirer les efforts & la sagacité de ce grand philosophe, qui après avoir trouvé si heureusement la vérité dans un grand nombre d'autres questions, a osé entreprendre le premier la solution d'un problème, que personne avant lui n'avoit tenté. Aussi cette solution, quoique peu exacte, brille par-tout de ce génie inventeur, de cet esprit fécond en ressources que personne n'a possédé dans un plus haut degré que lui.

Aidés par les secours que la Géométrie & la Méchanique nous fournissent aujourdhui en plus grande abondance, est-il surprenant que nous fassions quelques pas de plus dans une carriere vaste & difficile qu'il nous a ouverte ? Les erreurs même des grands hommes sont instructives, non-seulement par les vûes qu'elles fournissent pour l'ordinaire, mais par les pas inutiles qu'elles nous épargnent. Les méthodes qui les ont égarés, assez séduisantes pour les éblouir, nous auroient trompés comme eux. Il étoit nécessaire qu'ils les tentassent, pour que nous en connussions les écueils. La difficulté est d'imaginer une autre méthode ; mais souvent cette difficulté consiste plus à bien choisir celle qu'on suivra, qu'à la suivre quand elle est bien choisie. Entre les différentes routes qui menent à une vérité, les unes présentent une entrée facile, ce sont celles où l'on se jette d'abord ; & si on ne rencontre des obstacles qu'après avoir parcouru un certain chemin, alors comme on ne consent qu'avec peine à avoir fait un travail inutile, on veut du moins paroître avoir surmonté ces obstacles, & on ne fait quelquefois que les éluder. D'autres routes au contraire ne présentent d'obstacles qu'à leur entrée, l'abord en peut être pénible ; mais ces obstacles une fois franchis, le reste du chemin est facile à parcourir.

Il faut convenir au reste que les géometres qui ont attaqué M. Newton sur la résistance des fluides, n'ont guere été plus heureux que lui. Les uns après avoir fondé sur le calcul une théorie assez vague, & avoir même crû que l'expérience leur étoit favorable, semblent ensuite avoir reconnu & l'insuffisance de leurs expériences mêmes, & le peu de solidité de leur théorie, pour lui en substituer une nouvelle aussi peu satisfaisante. Les autres reconnoissant de bonne-foi que leur théorie manquoit par les fondemens, nous ont donné, au lieu de vrais principes, beaucoup de calculs.

Ces considérations m'ont engagé à traiter cette matiere par une méthode entierement nouvelle, & sans rien emprunter de ceux qui m'ont précédé dans le même travail.

La théorie que j'expose dans mon ouvrage, ou plûtôt dont je donne l'essai, a ce me semble l'avantage de n'être appuyée sur aucune supposition arbitraire. Je suppose seulement, ce que personne ne peut me contester, qu'un fluide est un corps composé de particules très-petites, détachées, & capables de se mouvoir librement.

La résistance qu'un corps éprouve lorsqu'il en choque un autre, n'est à proprement parler que la quantité de mouvement qu'il perd. Lorsque le mouvement d'un corps est altéré, on peut regarder ce mouvement comme composé de celui que le corps aura dans l'instant suivant, & d'un autre qui est détruit. Il n'est pas difficile de conclure de-là, que toutes les lois de la communication du mouvement entre les corps, se réduisent aux lois de l'équilibre. C'est aussi à ce principe que j'ai réduit la solution de tous les problèmes de Dynamique dans le premier ouvrage que j'ai publié en 1743. J'ai eu fréquemment l'occasion d'en montrer la fécondité & la simplicité dans les différens traités que j'ai mis au jour depuis ; peut-être même ne seroit-il pas inutile pour nous éclairer jusqu'à un certain point sur la métaphysique de la percussion des corps, & sur les lois auxquelles elle est assujettie. Voy. EQUILIBRE. Quoi qu'il en soit, ce principe s'applique naturellement à la résistance d'un corps dans un fluide ; c'est aussi aux lois de l'équilibre entre le fluide & le corps, que je réduis la recherche de cette résistance. Mais il ne faut pas s'imaginer que cette recherche, quoique très-facilitée par ce moyen, soit aussi simple que celle de la communication du mouvement entre deux corps solides. Supposons en effet que nous eussions l'avantage dont nous sommes privés, de connoître la figure & la disposition mutuelle des particules qui composent les fluides ; les lois de leur résistance & de leur action se réduiroient sans-doute aux lois connues du mouvement : car la recherche du mouvement communiqué par un corps à un nombre quelconque de corpuscules qui l'environnent, n'est qu'un problème de Dynamique, pour la résolution duquel on a tous les principes nécessaires. Cependant plus le nombre de corpuscules seroit grand, plus le problème deviendroit compliqué ; & cette méthode par conséquent ne seroit guere praticable dans la recherche de la résistance des fluides. Mais nous sommes même bien éloignés d'avoir toutes les données nécessaires, pour être à portée de faire usage d'une pareille méthode, comme il a déjà été dit. Non-seulement nous ignorons la figure & l'arrangement des parties des fluides, nous ignorons encore comment ces parties sont pressées par le corps, & comment elles se meuvent entr'elles. Il y a d'ailleurs une si grande différence entre le fluide & un amas de corpuscules solides, que les lois de la pression & de l'équilibre des solides sont très-différentes des lois de la pression & de l'équilibre des fluides ; l'expérience seule a pû nous instruire de ces dernieres lois, que la théorie la plus subtile n'eût jamais pû nous faire soupçonner : & aujourd'hui même que l'observation nous les a fait connoître, on n'a pû trouver encore d'hypothèse satisfaisante pour les expliquer, & pour les réduire aux principes connus de la statique des solides.

Cette ignorance n'a cependant pas empêché que l'on n'ait fait de grands progrès dans l'Hydrostatique ; car les Philosophes ne pouvant déduire immédiatement & directement de la nature des fluides les lois de leur équilibre, ils les ont au moins réduites à un seul principe d'expérience, l'égalité de pression en tous sens ; principe qu'ils ont regardé (faute de mieux) comme la propriété fondamentale des fluides, & celle dont il falloit déduire toutes les autres. En effet condamnés comme nous le sommes, à ignorer les premieres propriétés & la contexture intérieure des corps, la seule ressource qui reste à notre sagacité, c'est de tâcher au moins de saisir dans chaque matiere l'analogie des phénomenes, & de les rappeller tous à un petit nombre de faits primitifs & fondamentaux. La nature est une machine immense, dont les ressorts principaux nous sont cachés : nous ne voyons même cette machine qu'à-travers un voile qui nous dérobe le jeu des parties les plus délicates. Entre les parties les plus frappantes que ce voile nous laisse appercevoir, il en est quelques-unes qu'un même ressort met en mouvement, & ce méchanisme est ce que nous devons principalement chercher à démêler.

Ne pouvant donc nous flater de déduire de la nature même des fluides, la théorie de leur résistance & de leur action, bornons-nous à la tirer, s'il est possible, des lois hydrostatiques, qui sont depuis long-tems bien constatées. La découverte purement expérimentale de ces lois, supplée en quelque sorte à celle de la figure & de la disposition des parties des fluides, & peut-être rend le problème plus simple, que si pour le resoudre nous étions bornés à cette derniere connoissance ; il ne s'agit plus que de développer par quel moyen les lois de la résistance des fluides, peuvent se déduire des lois de l'Hydrostatique. Mais ce détail demande une assez longue suite de propositions, dont je ne pourrois présenter ici qu'une esquisse fort imparfaite. Voyez RESISTANCE. Je me contenterai de dire, que voulant démontrer tout en rigueur, j'ai trouvé dans les propositions même les plus simples, plus de difficultés qu'on n'auroit du en soupçonner, & que ce n'a pas été sans peine que je suis parvenu à démontrer sur cette matiere les vérités les plus généralement connues, & les moins rigoureusement prouvées jusqu'ici. Mais après avoir pour ainsi dire sacrifié à la sûreté des principes la facilité du calcul, je devois naturellement m'attendre que l'application du calcul à ces mêmes principes seroit fort pénible ; & c'est aussi ce qui m'est arrivé : je ne voudrois pas même assûrer que du moins en certains cas la solution du problème dont il est question, ne se refusât entierement à l'analyse. C'est aux Savans à prononcer sur ce point ; je croirois avoir travaillé fort utilement, si j'étois parvenu dans une matiere si difficile, soit à fixer moi-même, soit à faire trouver à d'autres jusqu'où peut aller la théorie, & les limites où elle est forcée de s'arrêter.

Quand je parle ici des bornes que la théorie doit se prescrire, je ne l'envisage qu'avec les secours actuels qu'elle peut se procurer, non avec ceux dont elle pourra s'aider dans la suite, & qui sont encore à trouver : car en quelque matiere que ce soit, on ne doit pas trop se hâter d'élever entre la nature & l'esprit humain un mur de séparation. Pour avoir appris à nous méfier de notre industrie, il ne faut pas nous en méfier avec excès. Dans l'impuissance fréquente que nous éprouvons de surmonter tant d'obstacles qui se présentent à nous, nous serions sans-doute trop heureux, si nous pouvions au moins juger du premier coup-d'oeil jusqu'où nos efforts peuvent atteindre. Mais telle est tout-à-la-fois la force & la foiblesse de notre esprit, qu'il est souvent aussi dangereux de prononcer sur ce qu'il ne peut pas que sur ce qu'il peut. Combien de découvertes modernes dont les anciens n'avoient pas même l'idée ? Combien de découvertes perdues, que nous contesterions peut-être trop legerement ? & combien d'autres que nous jugerions impossibles, sont reservées pour notre postérité ?

Voilà les vûes qui m'ont guidé, & l'objet que je me suis proposé dans mon ouvrage qui a pour titre : Essai d'une nouvelle théorie de la résistance des fluides. Pour rendre mes principes encore plus dignes de l'attention des Physiciens & des Géometres, j'ai crû devoir indiquer en peu de mots, comment ils peuvent s'appliquer à différentes questions, qui ont un rapport plus ou moins immédiat à la matiere que je traite ; telles que le mouvement d'un fluide qui coule soit dans un vase, soit dans un canal quelconque ; les oscillations d'un corps qui flotte sur un fluide, & d'autres problèmes de cette espece.

J'aurois desiré pouvoir comparer ma théorie de la résistance des fluides, aux expériences que plusieurs physiciens célebres ont faites pour la déterminer : mais après avoir examiné ces expériences, je les ai trouvées si peu d'accord entr'elles, qu'il n'y a ce me semble encore aucun fait suffisamment constaté sur ce point. Il n'en faut pas davantage pour montrer combien ces expériences sont délicates ; aussi quelques personnes très-versées dans cet art, ayant entrepris depuis peu de les recommencer, ont presque abandonné ce projet par les difficultés de l'exécution. La multitude des forces, soit actives, soit passives, est ici compliquée à un tel degré, qu'il paroît presque impossible de déterminer séparément l'effet de chacune ; de distinguer, par exemple, celui qui vient de la force d'inertie d'avec celui qui résulte de la tenacité, & ceux-ci d'avec l'effet que peut produire la pesanteur & le frottement des particules : d'ailleurs quand on auroit démêlé dans un seul cas les effets de chacune de ces forces, & la loi qu'elles suivent, seroit-on bien fondé à conclure, que dans un cas où les particules agiroient tout autrement, tant par leur nombre que par leur direction, leur disposition & leur vîtesse, la loi des effets ne seroit pas toute différente ? Cette matiere pourroit bien être du nombre de celles où les expériences faites en petit n'ont presque aucune analogie avec les expériences faites en grand, & les contredisent même quelquefois, où chaque cas particulier demande presqu'une expérience isolée, & où par conséquent les résultats généraux sont toûjours très-fautifs & très-imparfaits.

Enfin la difficulté fréquente d'appliquer le calcul à la théorie, pourra rendre souvent presque impraticable la comparaison de la théorie & de l'expérience : je me suis donc borné à faire voir l'accord de mes principes avec les faits les plus connus, & les plus généralement avoués. Sur tout le reste, je laisse encore beaucoup à faire à ceux qui pourront travailler d'après mes vûes & mes calculs. On trouvera peut être ma sincérité fort éloignée de cet appareil, auquel on ne renonce pas toûjours en rendant compte de ses travaux ; mais c'est à mon ouvrage seul à se donner la place qu'il peut avoir. Je ne me flate pas d'avoir poussé à sa perfection une théorie que tant de grands hommes ont à peine commencée. Le titre d'essai que je donne à cet ouvrage, répond exactement à l'idée que j'en ai : je crois être au moins dans la véritable route ; & sans oser apprécier le chemin que je puis y avoir fait, j'applaudirai volontiers aux efforts de ceux qui pourront aller plus loin que moi ; parce que dans la recherche de la vérité, le premier devoir est d'être juste. Je crois encore pouvoir donner aux Géometres, qui dans la suite s'appliqueront à cette matiere, un avis que je prendrai le premier pour moi-même ; c'est de ne pas ériger trop legerement des formules d'algebre en vérités ou propositions physiques. L'esprit du calcul qui a chassé l'esprit de système, regne peut-être un peu trop à son tour : car il y a dans chaque siecle un goût de philosophie dominant ; ce goût entraîne presque toûjours quelques préjugés, & la meilleure philosophie est celle qui en a le moins à sa suite. Il seroit mieux sans-doute qu'elle ne fût jamais assujettie à aucun ton particulier ; les différentes connoissances acquises par les Savans en auroient plus de facilité pour se rejoindre & former un tout. Mais c'est un avantage que l'on ne peut guere espérer. La Philosophie prend, pour ainsi dire, la teinture des esprits où elle se trouve. Chez un métaphysicien, elle est ordinairement toute systématique ; chez un géometre, elle est souvent toute de calcul. La méthode du dernier, à parler en général, est sans-doute la plus sûre ; mais il ne faut pas en abuser, & croire que tout s'y réduise : autrement nous ne ferions de progrès dans la Géométrie transcendante que pour être à proportion plus bornés sur les vérités de la Physique. Plus on peut tirer d'utilité de l'application de celle-là à celle-ci, plus on doit être circonspect dans cette application. Voyez APPLICATION. Voyez aussi l'article RESISTANCE, & la préface de mon Essai d'une nouvelle théorie de la résistance des fluides, d'où ces réflexions sont tirées. On y trouvera un plus grand détail sur cet objet ; car il est tems de mettre fin à cet article. (O)


FLUIDITÉS. f. en Physique, est cette propriété, cette affection des corps, qui les fait appeller ou qui les rend fluides. Voyez FLUIDE.

Fluidité est directement opposée à solidité. Voyez SOLIDITE.

Fluidité est distinguée d'humidité, en ce que l'idée de la premiere proprieté est absolue, au lieu que l'idée de la derniere est relative, & renferme l'idée d'adhérence à notre corps, c'est-à-dire de quelque chose qui excite ou peut exciter en nous la sensation de moiteur, qui n'existe que dans nos sens. Ainsi les métaux fondus, l'air, la matiere éthérée, sont des corps fluides, mais non humides ; car leurs parties sont seches, & n'impriment aucun sentiment de moiteur. Il est bon de remarquer que liquide & humide ne sont pas absolument la même chose ; le mercure, par exemple, est liquide sans être humide. Voyez LIQUIDE & HUMIDE.

Enfin liquide & fluide ne sont pas non plus absolument synonymes ; l'air est un fluide sans être un liquide, &c. Voyez la fin de cet article.

Les Gassendistes & les anciens philosophes corpusculaires ne supposent que trois conditions essentielles à la fluidité ; savoir la ténuité, & le poli des particules qui composent les corps ; des espaces vuides entre ces particules, & la rondeur de leur figure. Ainsi parle Lucrece, philosophe épicurien :

Illa autem debent ex laevibus atque rotundis

Esse magis fluido quae corpore liquida constant.

" Tous les liquides formés d'un corps fluide, ne peuvent être composés que de parties lisses & sphériques ".

Les Cartésiens, & après eux le docteur Hook, Boyle, &c. supposent, outre les conditions dont nous avons parlé, le mouvement intestin, irrégulier & continuel des particules, comme étant ce qui constitue principalement la fluidité.

La fluidité donc, selon ces philosophes, consiste en ce que les parties qui composent les corps fluides étant très-déliées & très-petites, elles sont tellement disposées au mouvement par leur ténuité & par leur figure, qu'elles peuvent glisser aisément les unes sur les autres dans toutes sortes de directions ; qu'elles sont dans une continuelle & irréguliere agitation, & qu'elles ne se touchent qu'en quelques points de leurs surfaces.

Boyle, dans son traité de la fluidité, fait aussi mention de trois conditions principalement requises pour la fluidité, savoir,

1°. La ténuité des parties : nous trouvons en effet que le feu rend les métaux fluides, en les divisant en parties très-ténues ; que les menstrues acides les rendent fluides en les dissolvant, &c. Peut-être même que la figure des particules a aussi beaucoup de part à la fluidité.

2°. Quantité d'espaces vuides entre les corpuscules, pour laisser aux différentes particules la liberté de se mouvoir entr'elles.

3°. Le mouvement ou l'agitation des corpuscules, qui vient, soit d'un principe de mouvement inhérent à chaque particule, soit de quelque agent extérieur qui pénetre & s'insinue dans les pores, & qui venant à s'y mouvoir de différentes manieres, communique une partie de son mouvement aux particules de cette matiere. Il prétend prouver par plusieurs observations & par différentes expériences, que cette derniere condition est la plus essentielle à la fluidité. Si on met sur le feu, dit-il, dans un vaisseau convenable, un peu de poudre d'albâtre très-seche, ou de plâtre bien tamisé, bientôt après ils paroissent aux yeux produire les mêmes mouvemens & les mêmes phénomenes qu'une liqueur bouillante. Il ne faut pourtant pas tout-à-fait conclure de-là qu'un monceau de sable soit entierement analogue à un corps fluide ; sur quoi voyez l'article FLUIDE.

Les Cartésiens apportent différentes raisons pour prouver que les parties des fluides sont dans un mouvement continuel, comme, 1°. la transmutation des corps solides en corps fluides ; de la glace en eau, par exemple, & au contraire. La principale différence qui se trouve entre ces deux états du fluide, consiste principalement, selon eux, en ce que dans l'un les parties étant fixées & en repos, ne forment plus qu'un corps qui résiste au toucher ; au lieu que les parties de l'autre etant dans un mouvement actuel, elles cedent à la moindre force.

2°. Les effets des fluides qui proviennent du mouvement : telles sont l'introduction des parties des fluides entre les pores des corps, l'amollissement & la dissolution des corps durs, l'action des menstrues corrosifs, &c. Ajoûtons à cela qu'aucun corps solide ne peut être mis dans un état de fluidité, sans l'intervention de quelque corps en mouvement, ou disposé à se mouvoir, comme le feu, l'air ou l'eau. Les Cartésiens soûtiennent de plus que la matiere subtile ou l'éther est cause de la fluidité. Voyez ETHER & MATIERE SUBTILE.

M. Boerhaave prétend que le feu est la source du premier mouvement, & la cause de la fluidité des autres corps, de l'air, de l'eau, par exemple, &c. Il prétend que toute l'atmosphere seroit réduite en un corps solide par la privation du feu. Voyez FEU.

M. Musschenbroeck oppose au mouvement intestin des fluides le raisonnement suivant. Que l'on considere, dit-il, les parties d'un fluide bien pur, rassemblé dans un endroit où tout soit en repos. Exposez au microscope pendant la nuit, lorsque tout est en repos & dans un endroit fort tranquille, une petite goutte de lait ou de sang passé, qui est un liquide ; examinez si ses parties sont en mouvement ou repos, faisant ensorte de ne rien remuer avec la main ou avec le corps : on voit alors les parties grossieres en repos. Comment donc, demande M. Musschenbroeck, comment peut-on établir que la nature des liquides demande qu'ils soient nécessairement en repos ? Mais quoique l'opinion de M. Musschenbroeck soit vraisemblable, voyez l'article FLUIDE, lois de l'équilibre, n°. III. cette preuve ne paroît pas fort concluante, puisque le mouvement interne des corpuscules, s'il est réel, est d'une nature à ne pouvoir être saisi par aucune observation. Une preuve plus convaincante est celle des petits corpuscules suspendus dans l'eau, qui y restent à la place où ils sont, lorsqu'aucune cause n'agite le vase. Ces petits corpuscules ne seroient-ils pas en mouvement, si les particules du fluide y étoient ? Le même auteur oppose au mouvement intestin des fluides, l'attraction de leurs parties, qui se faisant en sens contraire, doit tenir les particules en repos ; sur quoi voyez COHESION & DURETE.

Newton rejette la théorie cartésienne de la cause de la fluidité ; il lui en substitue une autre : c'est le fameux principe de l'attraction & de la répulsion. Voyez au mot ATTRACTION, ce qu'on doit penser de ce système. Il en résulte que la cause de la fluidité est encore inconnue, & que jusqu'ici les Philosophes n'ont donné sur cela que des conjectures assez foibles.

La composition de l'eau est surprenante, car ce corps fluide, si rare, si poreux, ou qui a beaucoup plus d'espaces vuides intermédiaires qu'il n'a de solidité, n'est nullement compressible par la plus grande force ; & il se change cependant aisément en un corps solide, transparent & friable, que nous appellons glace ; il ne faut que l'exposer à un degré de froid déterminé. Voyez FROID & GLACE.

On remarque dans tous les fluides, que la pression qu'ils exercent contre les parois des vaisseaux, se fait toûjours dans la direction des perpendiculaires aux côtés de ces vaisseaux. Quelques auteurs ont crû, sans trop d'examen, que cette propriété résulte nécessairement de la figure sphérique des particules qui composent le fluide ; sur quoi voy. l'art. FLUIDE.

Il est vraisemblable que les parties des fluides ont la figure sphérique ; on l'infere, 1°. de ce que les corps qui ont une semblable figure, roulent & glissent les uns sur les autres avec une grande facilité, comme nous le remarquons dans les parties des liquides : 2°. de ce que toutes les parties des fluides grossiers, que l'on peut voir à l'aide du microscope, ont une figure sphérique, comme on peut le remarquer dans le lait, dans le sang, dans la sérosité, dans les huiles & le mercure.

M. Derham ayant examiné dans une chambre obscure sous quelle forme paroissent les vapeurs, trouva, à l'aide du microscope, que ce n'étoit autre chose que de petits globules sphériques qui auroient pû former de petites gouttes. Si donc on trouve que tous les liquides grossiers sont formés de globules, ne peut-on pas conclure par analogie, que la même figure doit avoir lieu dans les parties des liquides les plus subtils ? Musschenb. ess. de Physiq. §. 687. & suiv.

L'expérience fait voir que les fluides grossiers se resolvent en fluides fort subtils ; on en peut voir la preuve & le détail dans l'essai de Phys. de M. Mussch. §. 693. M. Homberg assûre que les métaux broyés pendant long-tems avec l'eau, se dissolvent en ce liquide. Les fluides se changent aussi en solides. Indépendamment de l'exemple de la glace, l'auteur déjà cité en rapporte plusieurs autres. Enfin les fluides, par la petitesse de leurs parties, pénetrent dans les corps les plus durs, l'huile dans certaines pierres, le mercure dans les métaux, &c. Les fluides ont aussi différens degrés de viscosité & d'adhérence ; sur quoi voyez COHESION, & les mém. de l'acad. des Sciences, 1731 & 1741.

On donne le nom de liquide à ce qui est effectivement fluide, mais qui prend une surface de niveau ; au lieu que les fluides ne prennent pas toûjours cette surface, comme cela se remarque à l'égard de la flamme & de la fumée. En ce sens on peut dire que la flamme est fluide sans être liquide ; & quand nous avons dit au mot FEU, qu'elle pouvoit ne pas être regardée comme fluide, nous prenions alors le mot fluide dans son acception vulgaire, c'est-à-dire dans un sens moins étendu que nous ne le prenons ici, & nous lui attachions la même idée que nous attachons ici au mot liquide.

On peut dire de même que l'air n'est pas liquide ; car la propriété naturelle & distinctive de l'air n'est pas de chercher à se mettre de niveau, mais de chercher à se dilater. Si les parties de l'air tendent à se mettre de niveau, c'est tout au plus à la surface supérieure de l'atmosphere, où elles sont dans le plus grand degré possible de dilatation ; mais dans cet état l'air est si raréfié, & ses parties si éloignées les unes des autres, qu'à peine a-t-il quelque existence.

Au reste, les seuls corps fluides qui ne soient pas liquides, sont le feu & l'air ; & comme nous en avons traité assez au long dans leurs articles, nous ne parlons ici que des fluides ordinaires, qui sont en même tems liquides. (O)

FLUIDITE, (Economie anim.) c'est la qualité par laquelle les globules, les particules qui entrent dans la composition des humeurs animales, ont si peu de force de cohésion entr'elles, qu'elles sont susceptibles d'être séparées les unes des autres sans aucune résistance sensible, & de céder à la force impulsive & systaltique qui les fait couler dans les différens vaisseaux ou conduits, & les distribue dans toutes les parties du corps vivant dans l'état de santé. Voyez dans l'article FIBRE une digression sur les solides & les fluides, considérés en genéral & relativement au corps humain. Voy. aussi HUMEUR, SANG, &c. (d)


FLUKEN(Hist. nat.) nom que les mineurs du pays de Cornoüailles donnent à une espece de terre grisâtre, dans laquelle se trouvent des petits cailloux ou pierres blanches : elle est dans le voisinage des filons ; & les petites pierres qu'on y rencontre paroissent avoir été détachées du filon, & roulées par le mouvement des eaux, attendu qu'elles sont arrondies. Il y a lieu de croire que ce sont des fragmens de quartz. Voyez le suppl. du dictionn. de Chambers.


FLUONIE(Mytholog.) déesse qui présidoit à l'écoulement des regles, & aux évacuations qui suivent l'accouchement. Il y en a qui la confondent avec Junon, & qui prétendent que c'est la même déesse sous deux noms différens.


FLUORS(Hist. nat. Minéral.) en latin fluores, pseudo-gemmae, &c. Plusieurs naturalistes se servent de ce nom pour désigner des crystallisations ou pierres colorées ou transparentes, qui sont ou prismatiques, ou cubiques, ou pyramidales, &c. qui par-là ressemblent parfaitement à de vraies pierres précieuses, dont elles ne different réellement que parce qu'elles n'ont point la même dureté. Il y a des fluors de différentes couleurs : en effet on en trouve de rouges, que l'on nomme faux-rubis, pseudo-rubinus ; de violets, qu'on nomme fausses-améthystes, pseudo-amethystus ; de jaunes, pseudo-topasius ; de verds, pseudo-smaragdus ; de bleus, pseudo-saphirus, &c. Wallerius, dans sa minéralogie, regarde les fluors comme des variétés du crystal de roche ; cependant il paroît que d'autres naturalistes ont étendu la même dénomination à des crystaux ou à des pierres colorées qui sont ou calcaires ou gypseuses, & qui par conséquent ne sont pas de la même nature que le crystal de roche. Il y a lieu de croire que c'est aux métaux mis en dissolution, & atténués par les exhalaisons minerales qui regnent dans le sein de la terre, que les fluors sont redevables de leurs couleurs. Ce qui confirme ce sentiment, c'est que c'est ordinairement dans le voisinage des filons métalliques qu'on les rencontre en plus grande quantité.

Il y a lieu de conjecturer que le nom de fluors que l'on donne à ces pierres, & celui de flusse par lequel on les désigne en allemand, leur vient de la propriété qu'elles ont souvent, de servir de fondans ou de flux aux mines que l'on exploite dans leur voisinage : alors on les regarde comme étant d'une grande utilité, en ce qu'elles contribuent à faciliter la fusion du minéral. Voyez FLUX, FONDANS, SIONSION. (-)


FLÛTES. f. (Littér.) L'invention de la flûte, que les Poëtes attribuent à Apollon, à Pallas, à Mercure, à Pan, fait assez voir que son usage est de la plus ancienne antiquité. Alexandre Polihystor assûre que Hyagnis fut le plus ancien joüeur de flûte, & qu'il fut succédé par Marsyas, & par Olympe premier du nom, lequel apprit aux Grecs l'art de toucher les instrumens à cordes. Selon Athénée, un certain Seiritès, Numide, inventa la flûte à une seule tige, Silene celle qui en a plusieurs, & Marsyas la flûte de roseau, qui s'unit avec la lyre.

Quoi qu'il en soit, la passion de la musique répandue par-tout, fut non-seulement cause qu'on goûta beaucoup le jeu de la flûte, mais de plus qu'on en multiplia singulierement la forme. Il y en avoit de courbes, de longues, de petites, de moyennes, de simples, de doubles, de gauches, de droites, d'égales, d'inégales, &c. On fit de ces instrumens de tout bois & de toute matiere. Enfin les mêmes flûtes avoient différens noms chez divers peuples. Par exemple, la flûte courbe de Phrygie étoit la même que le tityrion des Grecs d'Italie, ou que le pheution des Egyptiens, qu'on appelloit aussi monaule.

Les flûtes courbes sont au rang des plus anciennes ; telles sont celles de la table d'Isis : la gyngrine lugubre ou la phénicienne, longue d'une palme mesurée dans toute son étendue, étoit encore de ce genre. Parmi les flûtes moyennes, Aristide le musicien met la pythique & les flûtes de choeur. Pausanias parle des flûtes argiennes & béotiennes. Il est encore fait mention dans quelques auteurs de la flûte hermiope, qu'Anacréon appelle tendre ; de la lysiade, de la cytharistrie ; des flûtes précentoriennes, corynthiennes, égyptiennes, virginales, milvines, & de tant d'autres dont nous ne pouvons nous former d'idée juste, & qu'il faudroit avoir vûes pour en parler pertinemment. On sait que M. le Fevre desespérant d'y rien débrouiller, couronna ses veilles pénibles sur cette matiere, par faire des vers latins pour loüer Minerve de ce qu'elle avoit jetté la flûte dans l'eau, & pour maudire ceux qui l'en avoient retirée.

Mais loin d'imiter M. le Fevre, je crois qu'on doit au moins tâcher d'expliquer ce que les anciens entendoient par les flûtes égales & inégales, les flûtes droites & gauches, les flûtes sarranes, phrygiennes, lydiennes, tibiae pares & impares, tibiae dextrae & sinistrae, tibiae sarranae, phrygiae, lydicae, &c. dont il est souvent fait mention dans les comiques, parce que la connoissance de ce point de Littérature est nécessaire pour entendre les titres des pieces dramatiques qui se joüoient à Rome. Voici donc ce qu'on a dit peut-être de plus vraisemblable & de plus ingénieux pour éclaircir ce point d'antiquité.

Dans les comédies romaines qu'on représentoit sur le théatre public, les joüeurs de flûte joüoient toûjours de deux flûtes à-la-fois. Celle qu'ils touchoient de la main droite, étoit appellée droite par cette raison ; & celle qu'ils touchoient de la gauche, étoit appellée gauche par conséquent. La premiere n'avoit que peu de trous, & rendoit un son grave ; la gauche en avoit plusieurs, & rendoit un son plus clair & plus aigu. Quand les musiciens joüoient de ces deux flûtes de différent son, on disoit que la piece avoit été joüée tibiis imparibus, avec les flûtes inégales : ou tibiis dextris & sinistris, avec les flûtes droites & gauches : & quand ils joüoient de deux flûtes de même son, de deux droites ou de deux gauches, comme cela arrivoit souvent, on disoit que la piece avoit été joüée tibiis paribus dextris, avec des flûtes égales droites, si c'étoit avec celles du son grave ; ou tibiis paribus sinistris, avec des flûtes égales gauches, si c'étoit avec des flûtes de son aigu.

Une même piece n'étoit pas toûjours joüée avec les mêmes flûtes, ni avec les mêmes modes ; cela changeoit fort souvent. Il arrivoit peut-être aussi que ce changement se faisoit quelquefois dans la même représentation, & qu'à chaque intermede on changeoit de flûte ; qu'à l'un on prenoit les flûtes droites, & à l'autre les gauches successivement. Donat prétend que quand le sujet de la piece étoit grave & sérieux, on ne se servoit que des flûtes égales droites, que l'on appelloit aussi lydiennes, & qui avoient le son grave ; que quand le sujet étoit fort enjoüé, on ne se servoit que des flûtes égales gauches, qui étoient appellées tyriennes ou sarranes, qui avoient le son aigu, & par conséquent plus propre à la joie ; enfin que quand le sujet étoit mêlé de l'enjoüé & du sérieux, on prenoit les flûtes inégales, c'est-à-dire la droite & la gauche, qu'on nommoit phrygiennes.

Madame Dacier est au contraire persuadée que ce n'étoit point du tout le sujet des pieces qui regloit la musique, mais l'occasion où elles étoient représentées. En effet, il auroit été impertinent qu'une piece faite pour honorer des funérailles, eût eu une musique enjoüée ; c'est pourquoi quand les Adelphes de Térence furent joüés la premiere fois, ils le furent tibiis lydiis, avec les flûtes lydiennes, c'est-à-dire avec deux flûtes droites ; & quand ils furent joüés pour des occasions de joie & de divertissement, ce fut tibiis sarranis, avec les deux flûtes gauches. Ainsi quand une piece étoit joüée pendant les grandes fêtes, comme la joie & la religion s'y trouvoient mêlées, c'étoit ordinairement avec les flûtes inégales ; ou une fois avec deux droites, & ensuite avec deux gauches, ou bien en les prenant alternativement à chaque intermede.

Au reste, ceux qui joüoient de la flûte pour le théatre, se mettoient autour de la bouche une espece de ligature ou bandage composé de plusieurs courroies qu'ils lioient derriere la tête, afin que leurs joues ne parussent pas enflées, & qu'ils pûssent mieux gouverner leur haleine & la rendre plus douce. C'est cette ligature que les Grecs appelloient ; Sophocle en parle, quand il dit :


FLUX ET REFLUXS. m. (Physiq. & Hydrogr.) mouvement journalier, régulier, & périodique, qu'on observe dans les eaux de la mer, & dont le détail & les causes vont faire l'objet de cet article.

Dans les mers vastes & profondes, on remarque que l'Océan monte & descend alternativement deux fois par jour. Les eaux, pendant environ six heures, s'élévent & s'étendent sur les rivages ; c'est ce qu'on appelle le flux : elles restent un très-petit espace de tems, c'est-à-dire quelques minutes, dans cet état de repos ; après quoi elles redescendent durant six autres heures, ce qui forme le reflux : au bout de ces six heures & d'un très-petit tems de repos, elles remontent de nouveau ; & ainsi de suite.

Pendant le flux, les eaux des fleuves s'enflent & remontent près de leur embouchure ; ce qui vient évidemment de ce qu'elles sont refoulées par les eaux de la mer. Voyez EMBOUCHURE & FLEUVE Pendant le reflux, les eaux de ces mêmes fleuves recommencent à couler.

On a désigné le flux & reflux par le seul mot de marée, dont nous nous servirons souvent dans cet article. Voyez MAREE. Le moment où finit le flux, lorsque les eaux sont stationnaires, s'appelle la haute mer ; la fin du reflux s'appelle la basse mer.

Dans tous les endroits où le mouvement des eaux n'est pas retardé par des îles, des caps, des détroits, ou par d'autres semblables obstacles, on observe trois périodes à la marée ; la période journaliere, la période menstruelle, la période annuelle.

La période journaliere est de 24 heures 49 minutes, pendant lesquelles le flux arrive deux fois, & le reflux deux fois ; & cet espace de 24 heures 49 minutes, est le tems que la lune met à faire sa révolution journaliere autour de la terre, ou, pour parler plus exactement, le tems qui s'écoule entre son passage par le méridien, & son retour au même méridien.

La période menstruelle consiste en ce que les marées sont plus grandes dans les nouvelles & pleines lunes, que quand la lune est en quartier ; ou, pour parler plus exactement, les marées sont les plus grandes dans chaque lunaison, quand la lune est environ, 18 degrés au-delà des pleines & nouvelles lunes, & les plus petites, quand elle est environ à 18 degrés au-delà du premier & du dernier quartier. Les nouvelles ou pleines lunes s'appellent syzygies, les quartiers, quadratures : ces expressions nous seront quelquefois commodes, & nous en userons. Voyez SYZYGIES, QUADRATURES, &c.

La période annuelle consiste en ce qu'aux équinoxes les marées sont les plus grandes vers les nouvelles & pleines lunes, & celles des quartiers sont plus grandes qu'aux autres lunaisons ; au contraire dans les solstices, les marées des nouvelles & pleines lunes ne sont pas si grandes qu'aux autres lunaisons ; au lieu que les marées des quartiers sont plus grandes qu'aux autres lunaisons.

On voit déjà par ce premier détail, que le flux & reflux a une connexion marquée & principale avec les mouvemens de la lune, & qu'il en a même, jusqu'à un certain point, avec le mouvement du soleil, ou plûtôt avec celui de la terre autour du soleil. Voyez COPERNIC. D'où l'on peut déjà conclure en général, que la lune & le soleil, & sur-tout le premier de ces deux astres, sont la cause du flux & reflux, quoiqu'on ne sache pas encore comment cette cause opere. Il ne restera plus sur cela rien à desirer, quand nous entrerons dans le détail de la maniere dont ces deux astres agissent sur les eaux : mais suivons les phénomenes du flux & reflux.

Dans la période journaliere on observe encore : 1°. que la haute mer arrive aux rades orientales plûtôt qu'aux rades occidentales : 2°. qu'entre les deux tropiques la mer paroît aller de l'est à l'oüest : 3°. que dans la zone torride, à moins de quelque obstacle particulier, la haute mer arrive en même tems aux endroits qui sont sous le même méridien ; au lieu que dans les zones tempérées, elle arrive plûtôt à une moindre latitude qu'à une plus grande ; & au-delà du soixante-cinquieme degré de latitude, le flux n'est pas sensible.

Dans la période menstruelle on observé 1°. que les marées vont en croissant des quadratures aux syzygies, & en décroissant, des syzygies aux quadratures : 2°. quand la lune est aux syzygies ou aux quadratures, la haute mer arrive trois heures après le passage de la lune au méridien : si la lune va des syzygies aux quadratures, le tems de la haute mer arrive plûtôt que ces trois heures : c'est le contraire si la lune va des quadratures aux syzygies, 3°. soit que la lune se trouve dans l'hémisphere austral ou dans le boréal, le tems de la haute mer n'arrive pas plus tard aux plages septentrionales.

Enfin dans la période annuelle on observe 1°. que les marées du solstice d'hyver sont plus grandes que celles du solstice d'été : 2°. les marées sont d'autant plus grandes que la lune est plus près de la terre ; & elles sont les plus grandes, toutes choses d'ailleurs égales, quand la lune est périgée, c'est-à-dire à sa plus petite distance de la terre : elles sont aussi d'autant plus grandes, que la lune est plus près de l'équateur ; & en général les plus grandes de toutes les marées arrivent quand la lune est à la fois dans l'équateur, périgée, & dans les syzygies : 3°. enfin dans les contrées septentrionales, les marées des nouvelles & pleines lunes sont en été plus grandes le soir que le matin, & en hyver plus grandes le matin que le soir.

Tels sont les phénomenes principaux ; entrons à-présent dans leur explication.

Les anciens avoient déjà conclu des phénomenes du flux & reflux, que le soleil & la lune en étoient la cause : causa, dit Pline, in sole lunâque, liv. II. c. 97. Galilée jugea de plus, que le flux & reflux étoit une preuve du double mouvement de la terre par rapport au soleil : mais la maniere dont ce grand homme fut traité par l'odieux tribunal de l'inquisition, à l'occasion de son opinion sur le mouvement de la terre, Voyez COPERNIC, ne l'encouragea pas à approfondir, d'après ce principe, les causes du flux & reflux : ainsi on peut dire que jusqu'à Descartes, personne n'avoit entrepris de donner une explication détaillée de ce phénomene. Ce grand homme étoit parti pour cela de son ingénieuse théorie des tourbillons. Voyez CARTESIANISME & TOURBILLON. Selon Descartes, lorsque la lune passe au méridien, le fluide qui est entre la terre & la lune, ou plûtôt entre la terre & le tourbillon particulier de la lune, fluide qui se meut aussi en tourbillon autour de la terre, se trouve dans un espace plus resserré : il doit donc y couler plus vîte ; il doit de plus y causer une pression sur les eaux de la mer ; & de-là vient le flux & le reflux. Cette explication, dont nous supprimons le détail & les conséquences, a deux grands défauts ; le premier, d'être appuyé sur l'hypothèse des tourbillons, aujourd'hui reconnue insoûtenable, voyez TOURBILLONS ; le second est d'être directement contraire aux phénomenes ; car, selon Descartes, le fluide qui passe entre la terre & la lune, doit exercer une pression sur les eaux de la mer ; cette pression doit donc refouler les eaux de la mer sous la lune : ainsi ces eaux devroient s'abaisser sous la lune, lorsqu'elle passe au méridien : or il arrive précisément le contraire. On peut voir dans les ouvrages de plusieurs physiciens modernes, d'autres difficultés contre cette explication : celles que nous venons de proposer sont les plus frappantes, & nous paroissent suffire.

Quelques cartésiens mitigés attachés aux tourbillons, sans l'être aux conséquences que Descartes en a tirées, ont cherché à raccommoder de leur mieux ce qu'ils trouvoient de défectueux dans l'explication que leur maître avoit donnée du flux & du reflux : mais indépendamment des objections particulieres qu'on pourroit faire contre chacune de ces explications, elles ont toutes un défaut général, c'est de supposer l'existence chimérique des tourbillons : ainsi nous ne nous y arrêterons pas davantage. Les principes que nous espérons donner aux mots HYDRODYNAMIQUE, HYDROSTATIQUE, & RESISTANCE, sur la pression des fluides en mouvement, serviront à apprécier avec exactitude toutes les explications qu'on donne ou qu'on prétend donner du flux & reflux, par les lois du mouvement des fluides & de leur pression. Passons donc à une maniere plus satisfaisante de rendre raison de ce phénomene.

La meilleure méthode de philosopher en Physique, c'est d'expliquer les faits les uns par les autres, & de réduire les observations & les expériences à certains phénomenes généraux dont elles soient la conséquence. Il ne nous est guere permis d'aller plus loin, les causes des premiers faits nous étant inconnues : or c'est le cas où nous nous trouvons par rapport au flux & reflux de la mer. Il est certain par toutes les observations astronomiques, voyez LOI DE KEPLER, qu'il y a une tendance mutuelle des corps célestes les uns vers les autres : cette force dont la cause est inconnue, a été nommée par M. Newton, gravitation universelle, ou attraction, voyez ces deux mots ; voyez aussi NEWTONIANISME : il est certain de plus, par les observations, que les planetes se meuvent ou dans le vuide, ou au-moins dans un milieu qui ne leur résiste pas. V. PLANETE, TOURBILLON, RESISTANCE, &c. Il est donc d'un physicien sage de faire abstraction de tout fluide dans l'explication du flux & reflux de la mer, & de chercher uniquement à expliquer ce phénomene par le principe de la gravitation universelle, que personne ne peut refuser d'admettre, quelque explication bonne ou mauvaise qu'il entreprenne d'ailleurs d'en donner.

Mettant donc à part toute hypothèse, nous poserons pour principe, que comme la lune pese vers la terre, voyez LUNE, de même aussi la terre & toutes ses parties pesent vers la lune, ou, ce qui revient au même, en sont attirées ; que de même la terre & toutes ses parties pesent ou sont attirées vers le soleil, ne donnant point ici d'autre sens au mot attraction, que celui d'une tendance des parties de la terre vers la lune & vers le soleil, quelle qu'en soit la cause : c'est de ce principe que nous allons déduire les phénomenes des marées.

Kepler avoit conjecturé il y a long-tems, que la gravitation des parties de la terre vers la lune & vers le soleil, étoit la cause du flux & reflux.

" Si la terre cessoit, dit-il, d'attirer ses eaux vers elle-même, toutes celles de l'Océan s'éleveroient vers la lune ; car la sphere de l'attraction de la lune s'étend vers notre terre, & en attire les eaux ".

C'est ainsi que pensoit ce grand astronome, dans son introd. ad theor. marit. & ce soupçon, car ce n'étoit alors rien de plus, se trouve aujourd'hui vérifié & démontré par la théorie suivante, déduite des principes de Newton.

Théorie des marées. La surface de la terre & de la mer est sphérique, ou du moins étant à-peu-près sphérique, peut être ici regardée comme telle. Cela posé, si l'on imagine que la lune A (Planche géographique, fig. 6.) est au-dessus de quelque partie de la surface de la mer, comme E, il est évident que l'eau E étant le plus près de la Lune, pesera vers elle plus que ne fait aucune autre partie de la terre & de la mer, dans tout l'hémisphere F E H.

Par conséquent l'eau en E doit s'élever vers la lune, & la mer doit s'enfler en E.

Par la même raison, l'eau en G étant la plus éloignée de la lune, doit peser moins vers cette planete que ne fait aucune autre partie de la terre ou de la mer, dans l'hémisphere F G H.

Par conséquent l'eau de cet endroit doit moins s'approcher de la lune, que toute autre partie du globe terrestre ; c'est-à-dire qu'elle doit s'élever du côté opposé comme étant plus legere, & par conséquent elle doit s'enfler en G.

Par ces moyens, la surface de l'Océan doit prendre nécessairement une figure ovale, dont le plus long diametre est E G, & le plus court F H ; de sorte que la lune venant à changer sa position dans son mouvement diurne autour de la terre, cette figure ovale de l'eau doit changer avec elle : & c'est-là ce qui produit ces deux flux & reflux que l'on remarque toutes les vingt-cinq heures.

Telle est d'abord en général, & pour ainsi dire en gros, l'explication du flux & reflux. Mais pour faire entendre sans figure, par le seul raisonnement, & d'une maniere encore plus précise, la cause de l'élévation des eaux en G & en E, imaginons que la lune soit en repos, & que la terre soit un globe solide en repos, couvert jusqu'à telle hauteur qu'on voudra d'un fluide homogene, rare & sans ressort, dont la surface soit sphérique ; supposons de plus que les parties de ce fluide pesent (comme elles font en effet) vers le centre du globe, tandis qu'elles sont attirées par le soleil & par la lune ; il est certain que si toutes les parties du fluide & du globe qu'il couvre, étoient attirées avec une force égale & suivant des directions paralleles, l'action des deux astres n'auroit d'autre effet, que de mouvoir ou de déplacer toute la masse du globe & du fluide, sans causer d'ailleurs aucun dérangement dans la situation respective de leurs parties. Mais suivant les lois de l'attraction, les parties de l'hémisphere supérieur, c'est-à-dire de celui qui est le plus près de l'astre, sont attirées avec plus de force que le centre du globe ; & au contraire les parties de l'hémisphere inférieur sont attirées avec moins de force : d'où il s'ensuit que le centre du globe étant mû par l'action du soleil ou de la lune, le fluide qui couvre l'hémisphere supérieur, & qui est attiré plus fortement, doit tendre à se mouvoir plus vîte que le centre ; & par conséquent s'élever avec une force égale à l'excès de la force qui l'attire sur celle qui attire le centre ; au contraire le fluide de l'hémisphere inférieur étant moins attiré que le centre du globe, doit se mouvoir moins vîte : il doit donc fuir le centre pour ainsi dire, & s'en éloigner avec une force à-peu-près égale à celle de l'hémisphere supérieur. Ainsi le fluide s'élevera aux deux points opposés qui sont dans la ligne par où passe le soleil ou la lune : toutes ses parties accourront, si on peut s'exprimer ainsi, pour s'approcher de ces points, avec d'autant plus de vîtesse, qu'elles en seront plus proches.

On explique par-là avec la derniere évidence, comment l'élévation & l'abaissement des eaux de la mer se fait aux mêmes instans dans les points opposés d'un même méridien. Quoique ce phénomene soit une conséquence nécessaire du système de M. Newton, & que ce grand géometre l'ait même expressément remarqué, cependant les Cartésiens soûtiennent depuis un demi-siecle, que si l'attraction produisoit le flux & reflux, les eaux de l'Océan, lorsqu'elles s'élevent dans notre hémisphere, devroient s'abaisser dans l'hémisphere opposé. La preuve simple & facile que nous venons de donner du contraire sans figure & sans calcul, anéantira peut-être enfin pour toûjours une objection aussi frivole, qui est pourtant une des principales de cette secte contre la théorie de la gravitation universelle.

Le mouvement des eaux de la mer, au moins celui qui nous est sensible & qui ne lui est point commun avec toute la masse du globe terrestre, ne provient donc point de l'action totale du soleil & de la lune, mais de la différence qu'il y a entre l'action de ces astres sur le centre de la terre, & leur action sur le fluide tant supérieur qu'inférieur : c'est cette différence que nous appellerons dans toute la suite de cet article, action, force, ou attraction solaire ou lunaire. M. Newton nous a appris à calculer chacune de ces deux forces, & à les comparer avec la pesanteur. Il a démontré par la théorie des forces centrifuges, & par la comparaison entre le mouvement annuel de la terre & son mouvement diurne (Voyez FORCE CENTRIFUGE & PESANTEUR), que l'action solaire étoit à la pesanteur environ comme un à 128682000 : à l'égard de l'action lunaire, il ne l'a pas aussi exactement déterminée, parce qu'elle dépend de la masse de la lune, qui n'est pas encore suffisamment connue ; cependant, fondé sur quelques observations des marées, il suppose l'action lunaire environ quadruple de celle du soleil. Sur quoi voyez la suite de cet article.

Il est au moins certain, tant par les phénomenes des marées que par d'autres observations (Voyez EQUINOXE, NUTATION, ECESSION)ION), que l'action lunaire pour soûlever les eaux de l'Océan, est beaucoup plus grande que celle du soleil ; & cela nous suffit quant à présent. Voyons maintenant comment on peut déduire de ce que nous avons avancé l'explication des principaux phénomenes du flux & reflux. Dans cette explication nous tâcherons d'abord de nous mettre à la portée du plus grand nombre de lecteurs qu'il nous sera possible, & par cette raison nous nous contenterons d'abord de rendre raison des phénomenes en gros ; mais nous donnerons ensuite les calculs & les principes, par le moyen desquels on pourra donner rigoureusement les explications que nous n'aurons fait qu'indiquer.

Nous avons vû que les eaux doivent s'élever en même tems au-dessous de l'endroit où est la lune, & au point de la terre diamétralement opposé à celui-là ; par conséquent à 90 degrés de ces deux points, ces eaux doivent s'abaisser : de même l'action solaire doit faire élever les eaux à l'endroit au-dessus duquel est le soleil, & au point de la terre diamétralement opposé ; & par conséquent les eaux doivent s'abaisser à 90 degrés de ces points. Combinant ensemble ces deux actions, on verra que l'élévation des eaux en un même endroit doit être sujette à de grandes variétés, soit pour la quantité, soit pour l'heure à laquelle elle arrive, selon que l'action solaire & l'action lunaire se combineront entr'elles, c'est-à-dire selon que la lune & le soleil seront différemment placés par rapport à cet endroit.

En général dans les conjonctions & oppositions du soleil & de la lune, la force qui fait tendre l'eau vers le soleil, concourt avec la pesanteur qui la fait tendre vers la lune. Car dans les conjonctions du soleil & de la lune, ces deux astres passant en même tems au-dessus du méridien ; & dans les oppositions, l'un passe au-dessus du méridien, dans le tems que l'autre passe au-dessous ; & par conséquent ils tendent dans ces deux cas à élever en même tems les eaux de la mer. Dans les quadratures au contraire, l'eau élevée par le soleil se trouve abaissée par la lune ; car dans les quadratures, la lune est à 90 degrés du soleil ; donc les eaux qui se trouvent sous la lune sont à 90 degrés de celles au-dessus desquelles se trouve le soleil ; donc la lune tend à élever les eaux que le soleil tend à abaisser, & réciproquement ; donc dans les syzygies l'action solaire conspire avec l'action lunaire à produire le même effet, & au contraire elle tend à produire un effet opposé dans les quadratures : il faut par conséquent en général, & toutes choses d'ailleurs égales, que les plus grandes marées arrivent dans les syzygies, & les plus basses dans les quadratures.

Dans le cours de chaque jour naturel, il y a deux flux & reflux qui dépendent de l'action du soleil, comme dans chaque jour lunaire il y en a deux qui dépendent de l'action de la lune, & toutes ces marées sont produites suivant les mêmes lois ; mais celles que cause le soleil sont beaucoup moins grandes que celles que cause la lune : la raison en est, que quoique le soleil soit beaucoup plus gros que la terre & la lune ensemble, l'immensité de sa distance fait que l'action solaire est beaucoup plus petite que l'action lunaire.

En général, plus la lune est près de la terre, plus son action pour élever les eaux doit être grande ; & il en est de même du soleil. C'est une suite des lois de l'attraction, qui est plus forte à une moindre distance.

Faisant abstraction pour un moment de l'action du soleil, la haute marée devroit se faire au moment du passage de la lune par le méridien, si les eaux n'avoient pas (ainsi que tous les corps en mouvement) une force d'inertie (Voyez FORCE D'INERTIE), par laquelle elles conservent l'impression qu'elles ont reçûe : mais cette force doit avoir deux effets ; elle doit retarder l'heure de la haute marée, & diminuer aussi en général l'élévation des eaux. Pour le prouver, supposons un moment la terre en repos & la lune au-dessus d'un endroit quelconque de la terre ; en faisant abstraction du soleil, dont la force pour élever les eaux est beaucoup moindre que celle de la lune, l'eau s'élevera certainement au-dessus de l'endroit où est la lune. Supposons maintenant que la terre vienne à tourner ; d'un côté elle tourne fort vîte par rapport au mouvement de la lune ; & d'un autre côté l'eau qui a été élevée par la lune, & qui tourne avec la terre, tend à conserver autant qu'il se peut, par sa force d'inertie, l'élévation qu'elle a acquise, quoiqu'en s'éloignant de la lune, elle tende en même tems à perdre une partie de cette élévation : ainsi ces deux effets contraires se combattant, l'eau transportée par le mouvement de la terre, se trouvera plus élevée à l'orient de la lune qu'elle ne devroit être sans ce mouvement ; mais cependant moins élevée qu'elle ne l'auroit été sous la lune, si la terre étoit immobile. Donc le mouvement de la terre doit en général retarder les marées & en diminuer l'élévation.

Après le flux & le reflux, la mer est un peu de tems sans descendre ni monter, parce que les eaux tendent à conserver l'état de repos & d'équilibre où elles sont dans le moment de la haute marée, & dans celui de la marée basse ; & qu'en même tems le mouvement de la terre déplaçant ces eaux par rapport à la lune, change l'action de cet astre sur ces eaux, & tend à leur faire perdre l'équilibre : ces deux efforts se contrebalancent mutuellement pendant quelques momens. Il faut y joindre la tenacité des eaux, & les obstacles de différentes especes qui doivent en général retarder leur mouvement, & empêcher qu'elles ne le prennent tout-d'un-coup, & par conséquent qu'elles ne passent brusquement de l'état d'élévation à celui d'abaissement.

La lune passe au-dessus des rades orientales, avant que de passer au-dessus des rades occidentales : le flux doit donc arriver plûtôt aux premieres.

Le mouvement général de la mer entre les tropiques de l'est à l'oüest, est plus difficile à expliquer ; ce mouvement se prouve par la direction constante des corps qui nagent à la merci des flots. On observe de plus que, toutes choses d'ailleurs égales, la navigation vers l'occident est fort promte, & le retour difficile. J'ai démontré dans mes recherches sur la cause des vents, qu'en effet cela doit être ainsi ; que l'action du soleil & celui de la lune doit mouvoir les eaux de l'Océan sous l'équateur d'orient en occident. Cette même action doit produire dans l'air un effet semblable ; & c'est-là, selon moi, une des principales causes des vents alisés. Voyez ALISE. Mais c'est-là un de ces phénomenes dont on ne peut rendre la raison sans avoir recours au calcul. Voyez donc l'ouvrage cité ; voyez aussi les articles VENT & COURANT.

Si la lune restoit toûjours dans l'équateur, il est évident qu'elle seroit toûjours à 90 degrés du pole, & que par conséquent il n'y auroit au pole ni flux ni reflux : donc dans les endroits voisins des poles, le flux & le reflux seroit fort petit, & même tout-à-fait insensible, sur-tout si on considere que ces endroits opposent beaucoup d'obstacle au mouvement des eaux, tant par les glaces énormes qui y nagent, que par la disposition des terres. Or quoique la lune ne soit pas toûjours dans l'équateur, elle ne s'en éloigne que de 28 degrés : il ne faut donc point s'étonner que près des poles & à la latitude de 65 degrés, le flux & reflux ne soit pas sensible.

Supposons maintenant que la lune décrive pendant un jour un parallele à l'équateur, on voit 1°. que l'eau sera en repos au pole pendant ce jour, puisque la lune demeurera toûjours à la même distance du pole ; 2°. que si le lendemain la lune décrit un autre parallele, l'eau sera encore en repos au pole pendant ce jour-là, mais plus ou moins abaissée que le jour précédent, selon que la lune sera plus près ou plus loin du zénith ou du nadir des habitans du pole ; 3°. que si on prend un endroit quelconque entre la lune & le pole, la distance de la lune à cet endroit sera plus différente de 90 degrés en défaut, lorsque la lune passera au méridien au-dessus de cet endroit, que la distance de la lune à ce même endroit ne différera de 90 degrés en excès, lorsque la lune passera un méridien audessous de ce même endroit. Voilà pourquoi en général, en allant vers le pole boréal, les marées de dessus sont plus grandes quand la lune est dans l'hémisphere boréal, & celles de dessous plus petites ; & en s'avançant même plus loin vers le pole, il ne doit plus y avoir qu'un flux & qu'un reflux dans l'espace de 24 heures ; parce que quand la lune est au-dessous du méridien, elle n'est pas à beaucoup près à 180 degrés de l'endroit dont il s'agit, & qu'elle se trouve au contraire à une distance assez peu différente de 90 degrés, pour que les eaux doivent s'abaisser alors au lieu de s'élever. Le calcul démontre évidemment toutes ces vérités, que nous ne pouvons ici qu'énoncer en général.

Comme il n'arrive que deux fois par mois que le soleil & la lune répondent au même point du ciel, ou à des points opposés, l'élévation des eaux (telle qu'on la trouve même en négligeant l'inertie) ne doit se faire pour l'ordinaire ni immédiatement sous la lune, ni immédiatement sous le soleil, mais dans un point milieu entre ces points ; ainsi quand la lune va des syzygies aux quadratures, c'est-à-dire lorsqu'elle n'est pas encore à 90 degrés du soleil, l'élévation la plus grande des eaux doit se faire plus au couchant de la lune ; c'est le contraire quand la lune va des quadratures aux syzygies. Donc dans le premier cas, le tems de la haute mer doit précéder les trois heures lunaires ; car d'un côté l'inertie des eaux donne l'élévation trois heures après le passage de la lune au méridien ; & d'un autre côté la position respective du soleil & de la lune donne cette élévation avant le passage de la lune au méridien. Au contraire, & par la même raison, dans le second cas, le tems de la haute marée doit arriver plûtard que les trois heures.

Les différentes marées qui dépendent des actions particulieres du soleil & de la lune, ne peuvent être distinguées les unes des autres, mais elles se confondent ensemble. La marée lunaire est changée tant soit peu par l'action du soleil, & ce changement varie chaque jour, à cause de l'inégalité qu'il y a entre le jour naturel & le jour lunaire. Voyez JOUR.

Comme il arrive quelque retard aux marées par l'inertie & le balancement des eaux, qui conservent quelque tems l'impression qu'elles ont reçûe ; par la même raison les plus hautes marées n'arrivent pas précisément dans la conjonction & dans l'opposition de la lune, mais deux ou trois marées après : de même les plus petites marées ne doivent arriver qu'un peu après les quadratures.

Comme dans l'hyver le soleil est un peu plus près de la terre que dans l'été, on observe en général que les marées du solstice d'hyver sont plus grandes, toutes choses d'ailleurs égales, que celles du solstice d'été.

Voilà l'explication des principaux phénomenes du flux & du reflux ; les autres ont besoin du calcul, ou demandent quelques restrictions. C'est par le calcul qu'on peut prouver, 1°. que l'intervalle d'une marée à l'autre est le plus petit dans les syzygies, & le plus grand dans les quadratures : 2°. que dans les syzygies l'intervalle des marées est de 24 h. 35 min. & qu'ainsi les marées priment de 15 m. sur le mouvement de la lune : 3°. qu'au contraire dans les quadratures les marées retardent de 35 min. sur le mouvement de la lune ; voyez l'excellente piece de M. Daniel Bernoulli, sur le flux & reflux de la mer : 4°. que l'intervalle moyen entre deux marées consécutives, lequel intervalle est de 24 h. 50 min. arrive beaucoup plus près des quadratures que des syzygies ; ces différentes lois souffrent quelque altération, selon que la lune est apogée ou périgée. Ibid. ch. vj. & vij. 5°. Que les changemens dans la hauteur des marées sont fort petits, tant aux syzygies qu'aux quadratures ; cela doit être en effet, car les marées sont les plus grandes aux syzygies, & les plus petites aux quadratures : or quand des quantités passent par le maximum ou par le minimum, elles croissent ou décroissent pour l'ordinaire insensiblement avant & après l'instant où elles passent par cet état. Voyez MAXIMUM & MINIMUM. 6°. Que les plus grands changemens dans la hauteur des marées se feront plus près des quadratures que des syzygies.

A l'égard des regles qu'on a établies sur les grandes marées des équinoxes, M. Euler dans ses savantes recherches sur le flux & reflux de la mer, observe avec raison que quand la lune est dans l'équateur, ces regles n'ont lieu que pour les eaux situées sous l'équateur même. C'est ce que la théorie & les observations confirment, comme on le peut voir dans l'ouvrage cité.

Telles seroient régulierement toutes les marées, si les mers étoient par-tout également profondes ; mais les bas-fonds qui se trouvent en certains endroits, & le peu de largeur de certains détroits où doivent passer les eaux, sont cause de la grande variété que l'on remarque dans les hauteurs des marées : & l'on ne sauroit rendre compte de ces effets, sans avoir une connoissance exacte de toutes les particularités & inégalités des côtes, c'est-à-dire de la position des terres, de la largeur & de la profondeur des canaux, &c.

Ces effets sont visibles dans les détroits entre Portland & le cap de la Hogue en Normandie, où la marée ressemble à ces eaux qui sortent d'une écluse qu'on vient de lever ; & elle seroit encore plus rapide entre Douvres & Calais, si elle n'y étoit contrebalancée par celle qui fait le tour de l'île de la Grande-Bretagne.

L'eau de la mer, après avoir reçû l'impression de la force lunaire, la conserve long-tems, & continue de s'élever fort au-dessus du niveau de la hauteur ordinaire qu'elle a dans l'Océan, sur-tout dans les endroits où elle trouve un obstacle direct, & dans ceux où elle trouve un canal qui s'étend fort avant dans les terres, & qui s'étrécit vers son extrémité, comme elle fait dans la mer de Severn, près de Chepstow & de Bristol.

Les bas-fonds de la mer, & les continens qui l'entre-coupent, sont aussi cause en partie que la haute marée n'arrive point en plein Océan dans le tems que la lune s'approche du méridien, mais toûjours quelques heures après, comme on le remarque sur toutes les côtes occidentales de l'Europe & de l'Afrique, depuis l'Irlande jusqu'au cap de Bonne-Espérance, où la lune placée entre le midi & le couchant, cause les hautes marées. On assûre que la même chose a lieu sur les côtes occidentales de l'Amérique.

Les vents & les courans irréguliers contribuent aussi beaucoup à altérer les phénomenes du flux & du reflux. Voyez VENT & COURANT.

On ne finiroit point, si on vouloit entrer dans le détail de toutes les solutions ou explications particulieres de ces effets, qui ne sont que des corollaires aisés à déduire des mêmes principes ; ainsi lorsqu'on demande, par exemple, pourquoi les mers Caspienne, Méditerranée, Blanche & Baltique n'ont point de marées sensibles, la réponse est que ces mers sont des especes de lacs qui n'ont point de communication réelle ou considérable avec l'Océan : or le calcul montre que l'élévation des eaux doit être d'autant moindre, que la mer a moins d'étendue. Voyez les pieces de MM. Daniel Bernoulli & Euler. Ainsi les marées doivent être presqu'insensibles dans la mer Noire, dans la mer Caspienne, & très-petites dans la Méditerranée. Elles doivent être encore moindres dans les mers Blanche & Baltique, à cause de leur éloignement de l'équateur, par les raisons exposées ci-dessus. Dans le golfe de Venise la marée est plus sensible que dans le reste de la Méditerranée ; mais cela doit être attribué à la figure de ce golfe, qui le rend propre à élever davantage les eaux en les resserrant.

Nous dirons ici un mot des marées qui arrivent dans le port de Tunking à la Chine ; elles sont différentes de toutes les autres, & les plus extraordinaires dont on ait jamais entendu parler. Dans ce port on ne s'apperçoit que d'un flux & d'un reflux qui se fait en 24 heures de tems. Quand la lune s'approche de la ligne équinoctiale, il n'y a point de marée du tout & l'eau y est immobile : mais quand la lune commence à avoir une déclinaison, on commence à s'appercevoir d'une marée, qui arrive à son plus haut point lorsque la lune approche des tropiques ; avec cette différence, que la lune étant au nord de la ligne équinoctiale, la marée monte pendant que la lune est au-dessus de l'horison, & qu'elle descend pendant que la lune est au-dessous de l'horison ; de sorte que la haute marée y arrive au coucher de la lune, & la basse marée au lever de la lune : au contraire quand la lune est au midi de la ligne équinoctiale, la haute marée arrive au lever de la lune, & la basse à son coucher ; de sorte que les eaux se retirent pendant tout le tems que la lune est au-dessus de l'horison.

On a donné différentes explications plausibles de ce phénomene ; M. Euler a prouvé par le calcul que cela devoit être ainsi. Voyez la fin de son excellente piece sur le flux & reflux. Newton a insinué que la cause de ce fait singulier résulte du concours de deux marées, dont l'une vient de la grande mer du Sud, le long des côtes de la Chine ; & l'autre de la mer des Indes.

La premiere de ces marées venant des lieux dont la latitude est septentrionale, est plus grande quand la lune se trouve au nord de l'équateur au-dessus de l'horison, que quand la lune est au-dessous.

La seconde de ces deux marées venant de la mer des Indes & des pays dont la latitude est méridionale, est plus grande quand la lune décline vers le midi, & ne se trouve au-dessus de l'horison, que quand la lune est au-dessous ; de sorte que de ces marées alternativement plus grandes & plus petites, il y en a toûjours successivement deux des plus grandes & deux des plus petites qui viennent tous les jours ensemble.

La lune s'approchant de la ligne équinoctiale, & les flux alternatifs devenant égaux, la marée cesse, & l'eau reste sans mouvement ; mais la lune ayant passé de l'autre côté de l'équateur, & les flux, qui étoient auparavant les moindres, étant devenus les plus considérables, le tems qui étoit auparavant celui des hautes eaux, devient le tems des eaux basses, & le tems des eaux basses devient celui des hautes eaux ; de sorte que tout le phénomene de cette marée singuliere du port de Tunking s'explique naturellement & sans forcer la moindre circonstance, par les principes ci-dessus, & sert infiniment à confirmer la certitude de toute la théorie des marées.

Ceux de nos lecteurs qui seront assez avancés dans la Géométrie, pourront consulter sur la cause des marées les excellentes dissertations de MM. Maclaurin, Daniel Bernoulli & Euler, couronnées par l'académie royale des Sciences de Paris en 1740. Dans mes réflexions sur la cause générale des vents, imprimées à Paris en 1746, j'ai donné aussi quelques remarques sur les marées, cette matiere ayant beaucoup de rapport à celle des vents réglés, entant qu'ils sont causés par l'action du soleil & de la lune.

Après avoir expliqué en gros les phénomenes du flux & reflux pour le commun des lecteurs, il nous paroît juste de mettre ceux qui sont plus versés dans les Sciences, à portée de se rendre raison à eux-mêmes de ces phénomenes d'une maniere plus précise. Pour cela, nous allons donner la formule algébrique de l'élévation des eaux pour une position quelconque donnée du soleil & de la lune.

Si on nomme S la masse du soleil, L celle de la lune, D la distance du soleil à la terre, d celle de la lune, r le rayon de la terre, les forces du soleil & de la lune, pour mouvoir les eaux de la mer, sont entr'elles, toutes choses d'ailleurs égales, comme (S r)/D3 à (L r) /d3, ou plus simplement comme S/D3 à L /d3.

Pour nous expliquer plus exactement, soit z la distance de la lune au zénith d'un lieu quelconque, on aura à très-peu-près d - r cosin. z pour la distance de la lune à ce lieu ; & L/(d - r cosin. z)2 pour la force avec laquelle la lune tend à attirer l'eau de la mer en cet endroit-là ; cette force se décompose en deux autres : l'une tend vers le centre de la terre ; & par le principe de la décomposition des forces (voyez DECOMPOSITION & COMPOSITION), elle est L r/(d - r cos. z)3 ; l'autre est parallele à la ligne qui joint les centres de la terre & de la lune ; & elle est par les mêmes principes égale à d L/(d - r cosin. z)3 = à très-peu-près L/d2 + 3 L r cosin. z/d3. Voyez SUITE, APPROXIMATION, NOMENOME, & sur-tout l'article NEGLIGER, en Algebre. Il faut retrancher de cette force, suivant ce qui a été dit plus haut, la force L /d2 qui agit également sur toutes les parties du globe terrestre, & qui tend à transporter toute cette masse par un mouvement commun à toutes les parties ; ainsi (le centre de la terre étant par ce moyen regardé comme en repos par rapport aux eaux de la mer) on aura (3 L r cos. z)/d3 pour la force avec laquelle ces eaux tendent à s'élever vers la lune suivant une ligne parallele à celle qui joint les centres du soleil & de la lune : cette force se décompose en deux autres : l'une dans la direction du rayon de la terre ; elle est par le principe de la décomposition des forces, (3 L r cos. z2)/d3, & tend à éloigner les eaux du centre de la terre. L'autre est dirigée suivant une perpendiculaire au rayon, ou tangente à la terre ; & elle est (3 L r cos. z x sin. z)/d3. Ainsi comme nous avons déjà trouvé qu'il y a une force (L r) /d3 qui tend à pousser les eaux vers le centre de la terre, il s'ensuit que les eaux tendront à s'éloigner de ce centre avec une force égale à 3 L r (cos. z)2 - L r/d3, & à se mouvoir parallelement à la surface de la terre avec une force = 3 L r sin. z cos. z /d3. Il en est de même de l'action du soleil ; il n'y aura qu'à mettre dans l'expression précédente S au lieu de L, & D au lieu de d.

De ces deux forces on peut même négliger entierement la premiere, comme je l'ai démontré dans mes Réflexions sur la cause des vents, & comme plusieurs géometres l'avoient démontré avant moi ; car l'action de la pesanteur, pour pousser les particules de l'eau au centre de la terre, est comme infiniment plus grande que l'action qui tend à les en écarter ; nous l'avons déjà observé ci-dessus, & nous le prouverons ainsi en peu de mots. La force de la pesanteur est T/r2, en appellant T la masse de la terre ; car chaque particule de la surface de la terre est attirée vers son centre avec une force égale à la masse de la terre divisée par le quarré du rayon. Voy. ATTRACTION & GRAVITATION. Or T/r2 est à (L r) /d3 comme T d3 à L r3, c'est-à-dire incomparablement plus grande, puisque T est plus grand que L, & que d est égale à environ 60 fois r. Voyez LUNE, TERRE, &c. Ainsi l'action de la gravité sur les eaux de la mer, est incomparablement plus forte que l'action de la lune : or on trouve par le calcul, que l'action du soleil (S r)/D3 est beaucoup plus petite que l'action de la lune (L r) /d3. Donc l'action de la gravité est beaucoup plus grande que les actions du soleil & de la lune, pour élever les eaux de la mer dans une direction perpendiculaire à la terre. Donc, &c.

La force (3 L r cos. z sin. z)/d3 est aussi beaucoup plus petite que la gravité, & par les mêmes raisons ; mais l'effort de cette force n'étant point contraire à celui de la pesanteur, elle doit avoir tout son effet : or quel est son effet ? de mouvoir les eaux de la mer horisontalement & avec des vîtesses différentes, selon la différence de la distance z de la lune au zénith : & ce mouvement doit évidemment faire élever les eaux de la mer au-dessous de la lune.

Pour le démontrer d'une maniere plus immédiate & plus directe, supposons une sphere fluide, dont les parties pesent vers le centre avec une force égale à-peu-près à T/r2, & soient outre cela poussées perpendiculairement au rayon par une force égale à (3 L r cos. z sin. z)/d3 ; on démontre aisément par les principes de l'Hydrostatique (voyez FIGURE DE LA TERRE, mes réflexions sur la cause des vents, & plusieurs autres ouvrages), que cette sphere, pour conserver l'équilibre de ses parties, doit se changer en un sphéroïde, dont la différence des axes seroit (3 L r)/(2 d) x r2/ T = (3 L r3)/(2 T d3) ; & que la différence d'un rayon quelconque au petit axe de ce sphéroïde seroit (3 L r4)/(2 T d3) x cos. z2.

Ce nouveau sphéroïde devant être égal en masse à la sphere primitive, il est facile, par les principes de Géométrie, de déterminer la différence des rayons de ce sphéroïde aux rayons correspondans de la sphere, de trouver par conséquent de combien le fluide sera élevé ou abaissé en chaque endroit, audessus du lieu qu'il occuperoit dans la sphere, si la lune n'avoit point d'action. Par-là on trouvera d'abord aisément l'élevation & l'abaissement des eaux en chaque endroit, en supposant la lune en repos, & la terre sphérique & aussi en repos. Car quoique ces hypothèses soient bien éloignées de la vérité, cependant il faut commencer par-là, pour aller ensuite du simple au composé.

Quand la terre ne seroit pas supposée primitivement sphérique, mais sphéroïde, pourvû qu'on la regardât comme en repos, ainsi que la lune, l'élévation des eaux, en vertu de l'action de la lune, seroit sensiblement la même que sur une sphere parfaite. J'ai démontré cette proposition dans mes réflexions sur la cause des vents, art. 50-62.

On trouveroit de même, & par les mêmes principes, l'élévation des eaux sur la sphere ou sur le sphéroïde, en vertu de l'action seule du soleil, & on peut démontrer (comme je l'ai fait dans l'endroit même que je viens de citer) que l'élévation des eaux, en vertu de l'action conjointe des deux astres, est sensiblement égale à la somme des élevations qu'elles auroient en vertu des deux actions séparées.

Mettons en calcul les idées que nous venons d'exposer. Soit r le rayon de la sphere, r' le demi petit axe du sphéroïde dans l'hypothèse que la lune seule agisse ; on aura pour la différence des rayons de la sphere & du sphéroïde r' + (3 L r' 4)/(2 T d3) x cosin. z2 - r = (voy. les articles SINUS & NEGLIGER) r' + 3 L r4/4 D 3 + 3 L r4 cos. 2 z/4 d3 - r : ainsi la différence de la sphere & du sphéroïde, aura pour élément (r' - r + 3 L r4/4 d3 + 3 L r4 cos. 2 z/4 d3) x rdz x r sin. z x 2 , 2 étant le rapport de la circonférence au rayon. L'intégrale de cette quantité qui doit être = 0, lorsque z = 0, est 2 r2 (r' - r + 3 L r4/4 d3) x (1 - cosin. z) + 2 r2 x 3 L r4/4 d3 x ((1/3 . 2) - (cos. 3 z/3 . 2) - 1/2 + cos. z/2) ; lorsque z = 90 degrés, & que par conséquent cosin. z = 0, & cos. 3 z = 0, cette quantité devient 2 r2 (r' - r + 3 L r4/4 d3 + 3 L r4/ 4 d3 x -1/3) ; or la différence de la sphere & du sphéroïde, qui est le double de cette derniere quantité, doit être égale à zero : dont cette quantité elle-même doit être égale à zero ; on aura donc r' - r = 3 L r/4 d3 x -2/3, ou r' = r - L r4/2 d3. Donc la différence des rayons du sphéroïde & des rayons correspondans de la sphere pour chaque angle z, sera - L r4/2 d3 + 3 L r4/4 d3 + 3 L r4 cos. 2 z/4 d3 = L r4/4 d3 + 3 L r4 cos. 2 z/4 d3 .

Donc si on nomme Z la distance du soleil au zénith, l'élévation des eaux, en vertu des actions réunies du soleil & de la lune, sera L r4/4 d3 + S r4/4D3 + 3 L r4 cos. 2 z/4 d3 + 3 S r4 cos. 2 z/4 D3 . C'est la formule de l'élévation des eaux de la mer, en faisant abstraction du mouvement de la terr & de celui des deux astres ; & cette formule a lieu généralement, de quelque maniere qu'on suppose le soleil & la lune placés par rapport à un point quelconque de la terre, sans qu'il soit nécessaire que ces astres soient, ni dans l'équateur, ni dans un même parallele à l'équateur.

En faisant la quantité précédente = 0, on trouvera l'endroit où les eaux ne sont ni élevées, ni abaissées ; en la faisant égale à un plus grand ou à un moindre (voyez MAXIMUM & MINIMUM ), on trouvera l'endroit où les marées sont les plus hautes & les plus basses ; on trouvera de plus l'heure des hautes & basses marées par la même formule, en supposant, ce qui n'est pas exactement vrai, que le point des plus hautes & des plus basses marées soit le même que si on considéroit le soleil & la lune comme en repos ; mais quoique cette supposition ne soit pas parfaitement exacte, cependant elle répond en général assez bien aux phénomenes, comme on le peut voir dans les excellentes pieces de M M. Euler & Daniel Bernoulli sur le flux & reflux de la mer. Voyez aussi l'article MAREE. Au reste ces deux grands géometres, ainsi que M. Maclaurin, ont donné des méthodes d'approximation particulieres pour déterminer le moment précis de l'élevation des eaux, en ayant égard au mouvement de la terre & à celui de la lune.

La formule qu'on a donnée ci-dessus pour les hauteurs des marées, donne les plus petites & les plus hautes, les premieres dans les quadratures, les secondes dans les syzygies ; & c'est par le rapport de ces marées que M. Newton a déterminé celui des quantités L /d3 & S/D3. Mais M. Daniel Bernoulli croit qu'il vaut mieux le déterminer par les intervalles entre les marées consécutives aux syzygies & aux quadratures. Le premier de ces deux grands géometres trouve ce rapport égal à environ 4, & M. Daniel Bernoulli à 5/2 ; ce qui, comme l'on voit, est fort différent. Mais il faut avoüer aussi qu'eu égard aux circonstances physiques, qui troublent & dérangent ici beaucoup le géométrique, la méthode d'employer les marées pour découvrir un tel rapport, est fort incertaine. Les phénomenes de la nutation & de la précession sont bien préférables, voyez NUTATION & PRECESSION, & ces phenomenes donnent un rapport assez approchant de celui de M. Daniel Bernoulli. Voyez mes Recherches sur la précession des équinoxes. Paris, 1749.

Les trois pieces de MM. Bernoulli, Euler & Maclaurin sur le flux & reflux de la mer, dont nous avons parlé plusieurs fois dans le courant de cet article, ont chacune un mérite particulier, & ont paru avec raison aux commissaires de l'académie, dignes de partager leurs suffrages : ils y ont joint (apparemment pour ne pas paroître adopter aucun systeme) une piece du P. Cavalleri jésuite, qui est toute cartésienne, ou du moins toute fondée sur la théorie de) tourbillons, & dont nous n'avons tiré rien autre chose que le détail des principaux phénomenes. C'est dans les trois autres pieces qu'il faut chercher les explications, sur-tout dans celles de MM. Euler & Bernoulli, car la piece de M. Maclaurin entre dans un moindre détail ; mais elle est remarquable par un très-beau théoreme sur la figure que doit prendre la terre en vertu de l'action du soleil & de la lune, combinée avec la pesanteur & la force centrifuge de ses parties. Voyez FIGURE DE LA TERRE.

Dans la piece de M. Euler on trouve un calcul ingénieux du mouvement des eaux, en ayant égard à leur inertie ; mais ce calcul est peut-être un peu trop hypothétique. Dans le premier chapitre de cette même piéce, l'auteur paroît adopter les tourbillons ; mais il est aisé de voir que ce n'est pas sérieusement, & qu'il se montre d'abord Cartésien en apparence, pour être ensuite Newtonien plus à son aise. M. Daniel Bernoulli est plus franc, & sa piece n'en est par-là que plus estimable : elle joint d'ailleurs à ce mérite, celui d'être faite avec beaucoup d'intelligence & de clarté. Plus on relit ces trois excellens ouvrages, plus on est embarrassé auquel on doit donner la préférence, & plus on applaudit au jugement que l'académie en a porté en les couronnant tous trois.

Je crois qu'on me permettra de donner aussi dans cet article une idée de la maniere dont j'ai traité la question dont il s'agit dans mes réflexions sur la cause des vents, que l'académie royale des Sciences de Prusse a honorées de son suffrage en 1746. Comme je ne considere guere dans cette piece que l'attraction de la lune & du soleil sur la masse de l'air, il est évident que les mêmes principes peuvent s'appliquer au flux & reflux. Je commence donc, ce que personne n'avoit fait avant moi, par déterminer les oscillations d'un fluide qui couvriroit la terre à une petite profondeur, & qui seroit attiré par le soleil ou par la lune. On peut par cette théorie comparer ces oscillations à celle d'un pendule, dont il est aisé de déterminer la longueur. Je fais voir ensuite que le célebre M. Daniel Bernoulli s'est trompé dans l'équation qu'il a donnée pour l'élévation des eaux, en supposant la terre composée de couches différemment denses ; & je démontre qu'il n'est point nécessaire pour expliquer l'élévation des eaux, d'avoir recours à ces différentes couches ; qu'il suffit seulement de supposer que la partie fluide de la terre n'ait pas la même densité que la partie solide : enfin je donne le moyen de déterminer la vîtesse & l'élévation des particules du fluide, en ayant égard à l'inertie, & d'une maniere, ce semble, beaucoup moins hypothétique que M. Euler. C'est par ce moyen que je trouve qu'un fluide qui couvriroit la terre, doit avoir de l'est à l'oüest un mouvement continuel. L'article VENT présentera un plus grand détail sur l'ouvrage dont il s'agit.

Ce mouvement de la mer d'orient en occident est très-sensible dans tous les endroits : par exemple, au détroit de Magellan le flux éleve les eaux à plus de 20 piés de hauteur, & cette intumescence dure six heures ; au lieu que le reflux ne dure que deux heures, & l'eau coule vers l'occident : ce qui prouve que le reflux n'est pas égal au flux, & que de tous deux il résulte un mouvement vers l'occident, mais beaucoup plus fort dans le tems du flux que dans celui du reflux : c'est par cette raison que dans les hautes mers éloignées de toute terre, les marées ne sont guere sensibles que par le mouvement général qui en résulte, c'est-à-dire par ce mouvement d'orient en occident. Ce mouvement est sur-tout remarquable dans certains détroits & certains golfes ; dans le détroit des Manilles, dans le golfe du Mexique, dans celui de Paria, &c. Voyez Varenii geographia, & l'hist. nat. de M. de Buffon, tome I. p. 439.

Les marées sont plus fortes dans la Zone Torride, entre les Tropiques, que dans le reste de l'Océan, sans-doute parce que la mer sous la Zone Torride est plus libre & moins gênée par les terres. Elles sont aussi plus sensibles dans les lieux qui s'étendent d'orient en occident, dans les golfes qui sont longs & étroits, & sur les côtes où il y a des îles & des promontoires. Le plus grand flux qu'on connoisse pour ces sortes de détroits, est à l'une des embouchures du fleuve Indus, où l'eau s'éleve de 30 piés. Il est aussi fort remarquable auprès de Malaga, dans le détroit de la Sonde, dans la mer Rouge ; dans la baie de Hudson, à 55 degrés de latitude septentrionale, où il s'éleve à 15 piés ; à l'embouchure du fleuve Saint-Laurent, sur les côtes de la Chine & du Japon, &c. Ibid.

Il y a des endroits où la mer a un mouvement contraire, savoir d'occident en orient, comme dans le détroit de Gibraltar, & sur les côtes de Guinée. Ce mouvement peut être occasionné par des causes particulieres ; mais il est bon de remarquer en général, comme je l'ai prouvé dans mes réflexions sur la cause des vents, qu'à une certaine distance de l'équateur le mouvement de l'est à l'oüest doit se changer en un mouvement de l'oüest à l'est, ou du moins en un mouvement qui participe de l'oüest, avec quelques modifications que l'on peut avoir dans la piece citée art. lxx. n°. 5. mais comme le mouvement de la mer vers l'occident est le plus constant & le plus général, il s'ensuit que la mer doit avec le tems gagner du terrein vers l'occident. Voyez MER.

Nous réservons pour le mot MAREE d'autres détails sur ce phénomene, si on les juge nécessaires : nous croyons devoir renvoyer pour le présent nos lecteurs aux ouvrages cités, ainsi qu'aux autres remarques que M. de Buffon a faites sur les effets du flux & reflux, dans le premier volume de son histoire naturelle ; remarques qui pourront aussi trouver leur place ailleurs. Mais pour rendre cet article le plus utile qu'il nous est possible, nous allons joindre ici, d'après l'état du ciel de M. Pingré, les tables suivantes, avec l'explication que lui-même y a jointe. (O)

Nous donnons, dit-il, une liste des principaux ports & des côtes de l'Europe sur l'Océan, avec l'établissement de ces endroits, tel qu'on a pu le connoître par les expériences réitérées. (On appelle établissement ou heure d'un port, l'heure à laquelle la mer est la plus haute au tems des nouvelles & pleines lunes). Nous y ajoûtons une note de la hauteur à laquelle la mer monte communément aux nouvelles & pleines lunes des équinoxes. Cette table est presque entierement tirée du quatrieme volume de l'Architecture hydraulique de M. Bélidor.

PROBLEME XX.

Trouver l'heure de la pleine mer dans un port dont l'établissement est connu.

Premiere méthode. Ajoûtez autant de fois 48' qu'il se sera écoulé de jours depuis la nouvelle ou pleine lune précédente ; & ajoûtez la somme à l'établissement ou à l'heure du port. Si on est trop éloigné de la nouvelle ou pleine lune précédente, on peut prendre autant de fois 48' qu'il y a de jours jusqu'à la nouvelle ou pleine lune suivante, & retrancher la somme de l'heure du port à laquelle on ajoûtera 12 heures, s'il est nécessaire.

Seconde méthode. Cherchez dans l'état du ciel l'heure du passage de la lune au méridien, soit sur l'horison, soit sous l'horison ; & ajoûtez-y l'heure du port.

Troisieme méthode plus exacte. Cherchez dans l'état du ciel la distance de la lune au soleil. Cette distance vous donnera, avec le secours de la table, page 133. le nombre d'heures qu'il faut ajoûter à l'heure du port, si vous vous servez de la colonne qui a pour titre retardement des marées ; ou qu'il en faut retrancher, si vous employez celle qui est intitulée anticipation. Il faut préférer celle-ci, lorsque l'on approche de la nouvelle ou pleine Lune suivante.

EXEMPLE.

On demande l'heure de la pleine mer au Havre-de-Grace le 18 Mai 1755. L'heure du port est 9 heures.

1°. Le 18 Mai à 9 heures du matin, il se sera écoulé environ 7 jours depuis la nouvelle Lune. 7 fois 48' donnent 5h 26' qu'il faut ajoûter à 9h. La haute mer sera à 2h 36' du soir.

2°. La lune passe au méridien sous l'horison le 18 Mai matin à 5h 32'. Ajoûtez-y l'heure du port 9h, & vous trouverez la pleine mer à 2h 32' du soir.

3°. Le 18 Mai à 9h du matin la distance de la lune au soleil est d'environ deux signes 21d. A cette distance le retardement de la marée doit être, selon la table de la page 133. de 4h 16'. Ajoûtez donc 4h 16' à 9h ; & l'heure de la pleine mer se trouvera réduite à 1h 16' du soir, plus de 5 quarts-d'heure plûtôt que par les deux autres méthodes.

Heures de la pleine mer, ou établissement des côtes & des principaux ports de l'Europe.

ITALIE.

Le mouvement des eaux est insensible dans presque toute l'étendue de la mer Méditerranée. Il y a divers courans, il est vrai, mais sans flux & reflux, La mer ne monte sensiblement que dans le fond du golfe de Venise, dans l'Archipel, & au fond de la mer Noire. A Venise, elle monte de trois piés : elle monte d'autant moins qu'on s'éloigne plus du fond du golfe.

AMERIQUE.

J'ai peu de connoissance de ce qui regarde le flux & le reflux des mers d'Amérique. Voici le peu que j'en ai rassemblé dans les meilleurs livres que j'aye pu consulter.

Dans la Zone Torride, la mer ne monte que de 3 ou 4 piés.

Cependant à Panama, le flux monte à plus de 16 piés.

Dans la baie d'Hudson, la mer monte jusqu'à 16 piés.

Au port de Saint-Julien, vers l'extrémité de la terre Magellanique, l'élévation des eaux est de 20 à 25 piés.

Dans le port de Chéquetan, distant de 30 lieues à l'oüest d'Acapulco en Mexique, la mer monte de 5 piés.

A l'embouchure de la riviere des Emeraudes, 16 piés.

A Guayaquil en Pérou, 16 piés : établissement, 10 heures.

A l'île Gorgone sur la même côte, 14 piés.

Aux îles de Lobos sur la même côte, 3 piés.

A l'île de Jean Fernandez, 7 piés.

A l'entrée orientale du détroit de Magellan, 21 piés : établissement, 11 heures.

A l'embouchure de la riviere des Amazones, selon Orellane, l'eau monte près de 30 piés.

Aux Antilles, l'eau ne monte que de 3 piés.

A Louisbourg, la mer monte de 5 piés 8 pouces : l'établissement est 7h 15'.

Entre l'île Royale & l'Acadie, au détroit de Fronsac, 5 piés 4 pouces : heure 8h 30'.

Au passage de Bacareau sur la côte de l'Acadie, la mer aux solstices monte à près de 9 piés : heure 8h 15'. Au fond de la même baie, l'eau monte, à ce qu'on assûre, de 60 à 70 piés.

AFRIQUE.

Aux Canaries, la mer monte de 7 à 8 piés.

A l'île de Gorée, 6 à 7 piés.

Le long des côtes de Guinée, elle monte assez généralement de 3 piés, & de 5 ou 6 aux embouchures des rivieres & entre les îles.

A l'embouchure de la riviere de S. Vincent, sur la côte de Grain en Guinée elle monte de 8 ou 9 piés au moins ; & de 6 ou 7 au cap Corse sur la côte d'Or.

A Bandi, sur la même côte de Guinée dans le golfe, l'établissement est de 4 heures.

Entre l'île de Loanda & la terre ferme d'Angola, la plus grande hauteur des eaux est de 4 à 5 piés : mais elle est de 8 piés à l'embouchure de la riviere de Quanza.

Au cap de Bonne-Espérance, établissement 2h 3'. hauteur des eaux, 3 piés.

A l'île de Socotora, vis-à-vis le cap Guardafuy, établissement 6 heures.

Au-dessous de Suaquem dans la mer Rouge, la mer monte de 10 piés, de 4 seulement dans la baie de Suaquem, & de 6 sur les côtes : mais à 7 lieues au nord de Suaquem, on nous dit que la mer monte jusqu'à 22 coudées, & bien plus haut encore vers Suez.

ASIE.

A Aden en Arabie, la hauteur des eaux est de 6 à 7 piés.

A Tamarin aux Indes orientales, établissement 9 heures : la mer monte jusqu'à 12 piés.

Aux Moluques, & sur la côte occidentale de l'île Formose, elle ne monte que de 3 ou 4 piés.

FLUX, s. m. (Medec.) ce terme a plusieurs significations, mais qui concourent toutes à exprimer un transport d'humeurs d'une partie dans une autre, soit pour y être déposées, soit pour y être évacuées ; ainsi dans le premier cas, le mot flux est synonyme à celui de fluxion. Voyez FLUXION. Dans le second cas, il est employé pour désigner tout écoulement contre nature, de quelque humeur que ce soit, par quelque partie qu'il se fasse. On ne distingue ordinairement les différentes especes de flux, que par des épithetes relatives à la source immédiate de la matiere de l'écoulement, c'est-à-dire à la partie qui la fournit, ou à cette matiere même, ou aux circonstances de l'écoulement.

De la premiere espece, sont le flux hépatique, les différens flux utérins, &c. dont la matiere coule du foie, de la matrice, & c. Voyez HEPATIQUE (FLUX), UTERIN (FLUX), &c.

De la seconde espece sont les différens flux hématiques, le flux céliaque, le flux salivaire, &c. dans lesquels la matiere de l'écoulement est du sang, du chyle, de la salive, &c. Voyez HEMORRHAGIE, HEMORRHOÏDE, CELIAQUE (PASSION), SALIVATION, &c.

De la troisieme espece, sont le flux menstruel, le flux lochial, dans lesquels l'écoulement doit naturellement se faire dans des tems reglés ou dans des cas particuliers ; le premier chaque mois, le second après chaque accouchement. Voyez MENSTRUES, LOCHIES.

Le mot flux n'est employé que rarement dans les écrits des Medecins, parce qu'on s'y sert le plus souvent de termes tirés du grec, propres à chaque sorte de flux ; ainsi on appelle diarrhée, le flux, le cours de ventre ; diabetes le flux d'urine ; gonorrhée le flux de semence, &c. Voyez DIARRHEE, DIABETES, GONORRHEE, &c.

La dyssenterie avec déjections sanglantes, est appellée vulgairement flux de sang, quoique cette derniere dénomination convienne à toute hémorrhagie, dans quelque partie qu'elle se fasse. Voyez DYSSENTERIE, HEMORRHAGIE. (d)

FLUX DYSSENTERIQUE, (Manége, Maréchall.) quelques medecins l'ont nommé diarrhée sanglante.

Cette maladie s'annonce par des excrémens glaireux, bilieux, sanieux, sanglans, féculens, mêlés à des matieres filamenteuses, &c.

Elle est le plus souvent une suite du flux de ventre dans lequel il y a douleur, inflammation, irritation, voyez FLUX DE VENTRE, & elle reconnoît les mêmes causes. Ici la bile est beaucoup plus acre & infiniment plus stimulante ; aussi les douleurs intestinales sont-elles extrèmement violentes & les spasmes très-cruels. L'animal est extrèmement fatigué, surtout lorsque les intestins grêles sont attaqués, ce dont on ne peut douter, quand on s'apperçoit d'un grand dégoût & d'un grand abattement dès les premiers jours de la maladie. Si les matieres chargées d'une grande quantité de mucosité sont legerement teintes de sang, ainsi que dans la dyssenterie blanche, l'érosion, les exulcérations des intestins ne sont point encore bien considérables : mais si le sang est abondant, comme dans la dyssenterie rouge, & que les déjections soient purulentes, on doit craindre la putréfaction sphacéleuse qui peut conduire incessamment le cheval à la mort.

La premiere intention & le premier soin du maréchal doit être d'appaiser les accidens. La saignée est un remede indispensable. Il la multipliera selon le besoin. L'animal sera mis au son, à l'eau blanche, à la décoction faite avec la rapure de corne de cerf, & dans laquelle on aura fait bouillir des têtes de pavot blanc ; son régime sera le même, en un mot, que celui qu'il doit observer dans le flux de ventre qui peut dégénérer en dyssenterie. On prescrira en même tems des lavemens anodyns, faits avec le bouillon de tripe ou le lait de vache, trois ou quatre jaunes d'oeufs, & trois onces de sirop de pavot blanc. Dans le cas de la purulence de matieres, on feroit succéder à ceux-ci des lavemens de bouillon de tripes dans lesquels on délayeroit des jaunes d'oeufs & deux ou trois onces de térebenthine en résine. Le cérat de Galien ajoûté à ces lavemens, n'est pas moins efficace que la térebenthine.

En supposant que les douleurs soient diminuées ou calmées, & que les symptomes les plus effrayans commencent à disparoître, on pourra donner à l'animal pendant quelques jours avec la corne, une décoction legere d'hypecacuana, cette racine ayant été mise en infusion sur de la cendre chaude l'espace de douze heures dans une pinte d'eau commune, à la dose d'une once. Insensiblement on substituera à l'eau commune une tisane astringente, composée de racines de grande consoude & de tormentille : mais le maréchal ne doit point oublier que les stiptiques & les astringens ne doivent être administrés qu'avec la plus grande circonspection, ainsi que les purgatifs, lors même que l'animal paroît sur le point de son rétablissement. (e)

FLUX DE VENTRE, (Manége, Maréchall.) diarrhée, dévoiement, termes synonymes par lesquels nous désignons en général une évacuation fréquente de matieres différentes, plus ou moins ténues, plus ou moins copieuses & plus ou moins acres, selon les causes qui y donnent lieu. Cette évacuation se fait par la route ordinaire des déjections ; les matieres se montrent quelquefois seules, & le plus souvent elles accompagnent la sortie des excrémens, qui sont dès lors plus liquides.

Tout ce qui peut déterminer abondamment le cours des humeurs sur les intestins, en occasionner le séjour & l'amas ; former obstacle à la résorption des sucs digestifs ; obstruer les orifices des vaisseaux lactés ; affoiblir, augmenter le mouvement péristaltique ou l'action des fibres intestinales, & troubler les puissances digestives, doit nécessairement susciter un flux de ventre. La transpiration insensible interceptée d'une maniere quelconque, un exercice trop violent, un repos trop constant, la protrusion difficile & douloureuse des crochets, l'inflammation des intestins, leur irritation conséquemment à une bile acre & mordicante, des alimens pris en trop grande quantité, des fourrages corrompus, l'herbe gelée, l'avoine germée, la paille de seigle, des eaux trop crues, trop froides, des eaux de neige, une boisson qui succede immédiatement à une portion considérable d'avoine, des purgatifs trop forts, &c. sont donc autant de causes que l'on peut justement accuser dans cette circonstance.

Le traitement de cette maladie demande de la part du maréchal une attention exacte, eu égard à leurs différences.

Dans le cas où il est question de l'abondance des humeurs & de leur séjour, ainsi que de leur amas, ce dont il sera assûré par les borborygmes qui se feront entendre, & par la liquidité & la blancheur des excrémens, il purgera l'animal ; il s'attachera ensuite à fortifier les fibres de l'estomac & des intestins, dont la foiblesse & le relâchement favorisent l'abord & l'accumulation dont il s'agit. Pour cet effet il aura recours aux remedes corroborans, tels que la thériaque, le diascordium, la cannelle enfermée dans un noüet suspendu au mastigadour, &c. La rhubarbe seroit très-salutaire, mais elle jetteroit dans une trop grande dépense.

Lorsqu'il y aura inflammation, irritation, douleur, chaleur, tension des muscles du bas-ventre, & que les déjections seront jaunâtres, verdâtres & écumeuses, il employera les médicamens dont l'effet est de délayer, de détendre, de calmer & d'adoucir ; & quelque tems après que les symptomes seront dissipés, il terminera la cure par des purgatifs legers.

Les lavemens émolliens multipliés, les décoctions des plantes émollientes données en boisson, les têtes de pavot blanc dans les lavemens & dans ces mêmes décoctions, supposé que les douleurs soient vives, la saignée même, si l'on craint les progrès de l'inflammation, la décoction blanche de Sydenham, c'est-à-dire la corne de cerf rapée à la dose de quatre onces, que l'on fera bouillir dans environ trois pintes d'eau commune, pour jetter cette même eau dans les décoctions émollientes dont j'ai parlé, produiront de grands changemens. Les purgatifs convenables après l'administration de ces remedes, & ensuite de leur efficacité, pour évacuer entierement les humeurs vitiées qui entretiennent la cause du mal, seront une décoction de sené à la dose d'une once & demie, dans laquelle on délayera trois onces de casse ou trois onces d'électuaire de psillio, &c.

Il importe au surplus que le maréchal soit très-circonspect & ne se hâte point d'arrêter trop tôt le flux de ventre, qui souvent n'est qu'une suite des efforts de la nature, qui se décharge elle-même des matieres qui lui sont nuisibles, & qui dès lors est très-salutaire à l'animal. (e)

FLUX D'URINE, (Manége, Maréchall.) évacuation excessive & fréquente de cette sérosité saline, qui séparée de la masse du sang dans les reins, & conduite à la vessie par la voie des ureteres, s'échappe au-dehors par celle du canal de l'urethre. Cette évacuation n'a lieu que conséquemment à la volonté de l'animal, & le flux n'est en aucune façon involontaire, comme dans l'incontinence d'urine.

Dans le nombre infini de chevaux que j'ai traités, je n'en ai vû qu'un seul attaqué de cette maladie. Elle me paroît d'autant plus rare dans l'animal qui fait mon objet, que très-peu de nos écrivains en font mention. Je ne m'arrêterai point à ce qu'ils nous en ont dit ; car je ne m'occupe que du soin de me préserver des erreurs répandues dans leurs ouvrages, & je me contenterai d'insérer simplement ici l'observation que le cas dont j'ai été témoin, m'a suggérée.

Un cheval ayant été tourmenté par des tranchées violentes, accompagnées de rétention d'urine, fut mis à un très-long usage de diurétiques les plus puissans. Les remedes les plus salutaires & les plus efficaces ne sont dans les mains ignorantes qui ont la témérité & l'audace de les administrer, que des sources de nouveaux desordres & de nouveaux maux. L'animal fut atteint d'un flux tel que celui qui, relativement au corps humain, constitue la seconde espece de diabetes. Ses urines auparavant troubles, épaisses & semblables à celles que rendent les chevaux sains, étoient crues, limpides, aqueuses, & si abondantes qu'elles surpassoient en quantité l'eau dont on l'abreuvoit ; & il ne se saisissoit du fourrage que dans le moment où il avoit bû. Cette derniere circonstance fut la seule qui étonna le maréchal auquel il étoit confié ; il se félicitoit d'ailleurs d'avoir sollicité la forte évacuation dont il ne prévoyoit pas le danger, & vantoit ingénument ses succès. Le propriétaire du cheval, allarmé de l'éloignement que le cheval témoignoit pour tous les alimens qui lui étoient offerts, eut recours à moi. Après quelques questions faites de ma part au maréchal, je crus pouvoir décider que le défaut apparent d'appétit n'avoit pour cause qu'une grande soif, & que l'écoulement excessif de l'urine n'étoit occasionné que par la dilatation & le relâchement des canaux secrétoires des reins, ensuite de la force impulsive qui avoit déterminé les humeurs en abondance dans ces conduits. La maladie étoit récente, je ne la jugeai point invincible. Je prescrivis d'abord un régime rafraîchissant, car j'imaginai qu'il étoit important de calmer l'agitation que des diurétiques chauds, & du genre des lithontriptiques, devoient avoir suscitée. J'ordonnai qu'on tînt l'animal au son, & qu'on lui en donnât quatre fois par jour, arrosé d'une décoction forte de racines de nenuphar, de guimauve & de grande consoude. Je prohibai une boisson copieuse, & je fis bouillir dans l'eau dont on l'abreuvoit, une suffisante quantité d'orge. Ces remedes incrassans opérerent les effets que je m'en étois promis ; l'animal fut moins altéré, il ne dédaignoit plus le fourrage, & ses urines commençoient à diminuer & à se charger. Alors je le mis à l'usage des astringens. J'humectai le son avec une décoction de racines de bistorte, de tormentille & de quinte-feuille ; enfin les accidens s'évanoüissant toûjours, & le cheval reprenant sans-cesse ses forces, on exigea de lui un exercice, qui excitant de legeres sueurs, le rappella entierement à son état naturel. (e)

FLUX, (Chimie, Métallurg.) se dit en général de toute matiere destinée à accélérer la fusion des substances qui n'y entrent que difficilement, ou à la procurer à celles qui sont absolument infusibles par elles-mêmes. Dans ce rang on a abusivement placé les corps réductifs qui ne font que donner du principe inflammable sans fondre par eux-mêmes ; les fondans qui procurent la fusion sans réduire, avec ceux qui, étant composés des deux premiers & opérant leur double action, méritent seuls de porter le nom de flux simplement, ou de flux réductifs. Nous allons entrer dans le détail de ces différentes especes, & assigner leurs emplois particuliers.

Flux blanc. On prend une certaine quantité du flux crud, à parties égales de nitre & de tartre, que nous décrirons ci-après. On le met dans une poesle de fer ou dans un creuset, dont les deux tiers restent vuides. On place ce vaisseau sur un feu médiocre : ou la matiere s'embrase toute seule, ou bien on l'allume avec un charbon ardent, sans la mettre sur le feu. Elle détonne & s'enflamme rapidement. Le bruit cessé, on trouve au fond du vaisseau une masse saline rouge, qu'on pile & enferme toute chaude dans une bouteille de grès pour le besoin. Cette préparation s'appelle aussi alkali extemporané. On la bouche bien, parce qu'elle attire l'humidité de l'air presqu'aussi rapidement que l'alkali fixe, dont elle ne differe qu'en ce qu'elle contient un peu de phlogistique. Elle est d'un blanc grisâtre.

Flux crud. On met en poudre fine, séparément du nitre & du tartre. On prend parties égales pour faire le flux blanc décrit ci-dessus. Si l'on veut faire du flux noir, on met deux ou trois parties de tartre sur une de nitre ; on mêle bien le tout par la trituration, & on le garde dans des vaisseaux bien bouchés, quoiqu'il ne souffre pas beaucoup d'altération quand il est exposé à l'air libre.

Flux noir. Nous avons dit qu'il contenoit plus de tartre que le blanc. La préparation en est la même : mais il ne détonne pas avec autant de rapidité. La raison en est sensible ; ce phénomene est dû au nitre qui est ici empâté d'une plus grande quantité de tartre. Voici l'explication que donne M. Roüelle de cette inflammation. Le nitre ne s'enflamme point par lui-même dans un creuset rouge où il est en fonte. Il lui faut le contact d'un charbon ardent. Ce charbon met donc le feu au nitre, & le fait détonner ; celui-ci brûle le tartre à son tour & le réduit en charbon ; & ce charbon du tartre sert de porte-feu aux molécules nitreuses qui se trouvent auprès de lui, & ainsi successivement, jusqu'à ce que toute la masse ait subi la détonation. Ce raisonnement est fondé sur l'expérience qui apprend que souvent le feu s'éteint dans la préparation du flux noir, parce qu'on n'a pas bien mêlé les ingrédiens, ou qu'il arrive, malgré cela, que deux molécules de tartre se trouvant près l'une de l'autre, la premiere enflammée n'a pas assez de force pour réduire sa voisine en charbon, & qu'ainsi la détonation cesse. Quand ce petit accident arrive, on présente de nouveau le charbon ardent à la composition, ou même on l'y laisse tout-à-fait. L'alkali fixe qu'il y introduit y est en si petite quantité, qu'il ne mérite aucune considération. Plusieurs artistes préferent à ce sujet un vaisseau élevé à une poesle, parce que cet inconvénient n'y arrive pas aussi fréquemment, la composition y étant plus entassée. Ils le choisissent d'étroite embouchure, & le ferment d'un couvercle. Mais cette précaution est au-moins inutile dans la préparation du flux blanc, & sur-tout dans celle du flux noir, pour ne pas dire qu'elle y est même nuisible. La vapeur qui s'éleve pendant ce tems, est un clyssus (voyez cet article) qui contient de l'eau, un peu d'acide nitreux, & d'alkali volatil du tartre. Ainsi on court risque de ne retenir que des substances nuisibles aux desseins qu'on se propose, qui sont d'avoir un alkali bien sec, & sans le concours d'aucun sel neutre.

Si l'on n'a point recours au charbon ardent, & qu'on fasse détonner ce mélange par lui-même sur le feu, l'explication du phénomene reste toujours la même. C'est toûjours le tartre mis en charbon par le contact du nitre ou du creuset rougis au feu. Voy. la théorie de l'inflammation des huiles & du nitre alkalisé par le charbon.

Cette opération se termine dans un instant, & celle du flux blanc plus rapidement que celle du flux noir. Celle-ci donne un sel alkali noirci par la grande quantité du charbon du tartre, qui prend aussi le nom d'alkali extemporané. Il faut le conserver ainsi que le flux blanc, dans une bouteille de grès ou de verre bien bouchée, & tenue dans un lieu sec & chaud. Si, faute de ce soin, ils prenoient l'humidité de l'air, il les faudroit rejetter, comme incapables de remplir les vûes qu'on se propose. La raison en est sensible : l'alkali fixe retient l'humidité de l'air, avec autant de force qu'il l'attire avec rapidité. Ainsi on ne peut l'enlever au flux, qui ne differe de l'alkali que par le concours du phlogistique, qu'en le calcinant à un feu vif qui dissipe en même tems ce phlogistique, dont la perte réduit le flux à un simple alkali. Voyez ci-après l'alkali fixe en qualité de fondant. Pour prévenir cet inconvénient, quelques chimistes ne font leur flux noir qu'à mesure qu'ils en ont besoin. Ils mettent avant l'opération dans le creuset qui doit y servir, la quantité de flux crud qui leur est nécessaire. La détonation est l'affaire d'un instant, & l'on sait qu'il faut mettre environ le double de la quantité qu'on veut avoir, parce que la perte va à-peu-près à moitié. Les artistes qui sont dans l'usage de mettre le flux crud avec leurs ingrédiens, doivent souvent manquer leurs opérations. Et en effet, la détonation ne peut s'en faire dans un creuset dont le couvercle est lutté, condition requise pour la réduction ; sans compter que le clyssus peut enlever par trusion quelques molécules de la matiere d'un essai, & le rendre faux.

La distillation du tartre donne un résidu qui est un flux noir tout fait. Voyez TARTRE. On peut l'employer aux mêmes usages. Il n'en est pas de même de celui de la distillation de la lie ; il contient outre cela un tartre vitriolé qui nuiroit à l'opération par le foie de soufre qui résulteroit de sa présence. Voyez FOIE DE SOUFRE.

Quand nous avons dit que ces flux vouloient être conservés dans des bouteilles de grès ou de verre, nous avons voulu exclure en même tems les bouteilles de terres vernissées. Cette attention ne seroit pas nécessaire pour la conservation d'un flux qu'on n'employe qu'à des réductions ordinaires ; mais dans les essais où tout doit être de la derniere exactitude, il seroit à craindre que les petites écailles détachées de la bouteille, ne portassent du plomb, & même de l'argent dans l'opération ; car ce vernis n'est que du plomb ou de la litharge vitrifiés avec le sable qui se trouve à la surface du vase ; & l'on sait que le verre de plomb est réductible, au moins en partie.

Nous allons passer aux corps simplement réductifs, ensuite à ceux qui ne sont que fondans ; & nous parlerons en dernier lieu de ceux qui sont réductifs & fondans.

On réduit des chaux métalliques avec la graisse ou le suif.

Le noir de fumée sert à la réduction de quelques corps. C'est le charbon de la résine.

Les Potiers-d'étain ont toûjours soin de tenir sur leur étain des charbons allumés, ou du suif ou de la graisse, ou de l'huile, ou même ils fondent leur étain sous les charbons.

La même méthode se trouve aussi pratiquée par quelques plombiers & les Fondeurs en cuivre.

Les ouvriers qui font le fer-blanc, ont grand soin de tenir une couche de suif ou de graisse de quelques doigts sur l'étain fondu, dans lequel ils plongent leur feuille de fer préparée, pour empêcher que la chaux qui ne manqueroit pas de se former à la surface de leur métal en bain, ne vienne à adhérer à la surface de la feuille de fer, & ne s'oppose par-là à l'adhérence de l'étain. Voyez FER-BLANC, CHAUX & SOUFRE.

Les Chauderonniers jettent de tems en tems de la résine blanche ou du suif sur l'étamage en bain, pour la même raison que ceux qui travaillent au fer-blanc. La résine se convertit en charbon ou noir de fumée.

Les Ferblantiers passent de tems en tems de la résine ou de la colophone sur leur soudure, ou l'y jettent en poudre pour empêcher aussi la calcination.

Les Chauderonniers fondent leur soudure, qui est composée de zinc & de cuivre, dans une poesle de fer à-travers les charbons embrasés, pour empêcher la calcination, ou réduire les molécules métalliques que le feu auroit pû mettre en cet état.

On ajoûte après la fonte de l'alliage qui doit faire le tombac, le similor, &c. un morceau de suif, &c. pour préparer la perte du phlogistique.

La mine de plomb ordinaire se fond à-travers les charbons ardens, pour reprendre le phlogistique qu'elle a pû perdre par la calcination, & avoir un réductif continuel qui l'empêche d'en perdre davantage, ou qui lui restitue celui qu'elle peut perdre même dans la fonte. Si on y ajoûte de l'écaille de fer, c'est pour absorber le soufre qu'elle a pû retenir. Voy. FONTE EN GRAND.

On empâte avec de la poix la mine d'étain, qu'on réduit entre deux charbons joints par des surfaces plates & bien polies, dans l'inférieur desquels il y a deux fossettes communiquant par une petite rigole, dont la premiere sert de creuset, & la seconde de cone de fer.

On la stratifie encore avec les charbons, comme nous l'avons dit de la mine de plomb, mais sans addition.

La mine d'antimoine se calcine peu, si on a soin de lui ajoûter de la poudre de charbon, & n'a guere de chaux que l'apparence.

Dans la cémentation du zinc avec le cuivre pour en faire du laiton, on employe le poussier de charbon. Voyez plus bas le zinc comme fondant du cuivre.

Le fourneau allemand fournit, par le contact immédiat des charbons ardens, aux metaux qu'on y fond, un phlogistique continuel qui pénetre les pores ouverts des molécules metalliques, & les réduit. Voyez FONTE EN GRAND.

On convertit le fer en acier, en lui donnant un phlogistique surabondant par la cémentation avec la poudre de charbon, les ongles, les cornes, les poils, la graisse des animaux, & avec de l'huile. Les autres ingrédiens qu'on y ajoûte, ne servent que pour donner du corps au cément. Voyez ACIER. Ce n'est pas qu'il en devienne plus fusible, mais il fait exception parmi les autres metaux & demi-metaux, excepté l'arsenic dont la chaux est fusible, &c. On fait encore de l'acier en plongeant l'extrémité d'une barre de fer dans la fonte en bain. La barre enleve le phlogistique à la fonte.

La trempe en paquet, cette opération qui consiste à réduire en acier les épées, les pieces des platines des fusils, & autres petits ustensiles d'acier, se fait avec un cément où les Ouvriers font entrer la boue des rues, l'ail, les oignons, l'urine, les excrémens, le suif, la graisse, l'huile, la farine, les oeufs, le lait, le beurre, &c. Voyez TREMPE EN PAQUET.

On fait aussi de l'acier en mettant une barre de fer dans un creuset sans addition, fermant le creuset & l'exposant pendant un certain tems au feu.

Ce qui précede prouve donc que tout corps inflammable, de quel regne & de quel individu des trois regnes qu'il soit tiré, produit toûjours les phénomenes de la réduction. Voyez CALCINATION, CHAUX, PHLOGISTIQUE & REDUCTION. Venons-en actuellement aux fondans ou menstrues secs.

Le seu mérite la premiere place, comme étant le fondant de tous les corps & l'instrument sans lequel ils seroient dans une inaction parfaite, à l'exception peut-être de l'air & du mercure.

Si l'on met du cuivre sur du plomb bouillant, celui-là disparoît bien-tôt, pour ne plus former avec le plomb qu'une seule & même masse homogène en apparence.

Le plomb produit encore le même phénomene avec l'or & l'argent, & les fond à un moindre degré de feu que s'ils eussent été seuls. Voyez ESSAI, AFFINAGE & RAFFINAGE de l'argent.

Ce métal dissout encore le cuivre, l'or, & l'argent alliés ensemble. Voyez OEUVRE & LIQUATION.

L'étain est aussi dissous par le plomb, au degré de feu nécessaire à tous les deux, & forme avec lui une masse homogène en apparence, plus fusible que l'un & l'autre ne l'étoient avant. Voyez SOUDURE des Chauderonniers & des Ferblantiers. Mais pour que la combinaison persiste, il ne faut pas leur donner un plus grand degré de feu. Voyez calcination de l'étain par le plomb. Potée.

Le plomb & le fer réduits en scories, se dissolvent aisément, ce qu'ils ne pouvoient faire avec leur metallicité, & forment un verre d'un roux opaque.

Les demi-métaux fondent aisément avec le plomb, mais ils lui enlevent sa malléabilité, & lui donnent une couleur noire, d'obscure qu'elle étoit avant. Il est bon d'avertir ici qu'en nous servant de l'expression générale de demi-métaux, nous ferons toûjours exception du mercure & du cobolt. Ainsi nous les spécifierons quand il sera nécessaire.

La litharge, ou le verre de plomb par lui-même, étant mêlé par la trituration à des pierres vitrescibles, les réduisent en verre à un feu beaucoup moins violent qu'il n'eût été nécessaire à tous les deux pour subir cet état. Ce verre devient si pénétrant par une quantité considérable de litharge, qu'il perce les creusets, à moins qu'ils ne soient d'une composition particuliere. Voyez LITHARGE, VERRE DE SATURNE & CREUSET.

Elle produit le même effet avec toutes les pierres calcaires ; avec cette différence, qu'elles en demandent une plus grande quantité pour devenir aussi fluides.

Elle dissout les apyres même les plus réfractaires, pourvu toutefois qu'on ait la précaution de bien mêler par la trituration, & de donner un leger degré de feu long-tems continué.

Le cuivre entre aisément en fonte à l'aide de la litharge ; mais elle en consume une très-grande partie, & le change avec elle en un verre très-pénétrant.

Elle réduit l'étain & sa chaux en un verre blanc de lait brillant & opaque, avec une legere teinte de jaune. Voyez ÉMAIL.

L'or & l'argent en sont aussi dissous, mais sans perte, parce qu'elle n'a pas les propriétés d'enlever leur phlogistique. Voyez ESSAI, AFFINAGE & RAFFINAGE de l'argent.

L'étain dissout aisément l'or, l'argent & le cuivre ; mais il les rend très-fragiles, s'ils n'en contiennent qu'une petite quantité. Voyez BRONZE. Il dissout aussi le fer, & il sert même à le souder.

Les demi-metaux se fondent aisément avec ce metal ; mais ils leur donnent de la fragilité, s'il est en petite quantité avec eux.

Le cuivre dissout l'or & l'argent. Voyez MONNOIE.

L'or & l'argent se dissolvent l'un l'autre. Voyez INQUART, DEPART, MONNOIE, &c.

Ils se mêlent intimement aussi avec le fer ; & même l'or sert à souder le fer & l'acier, pourvu toutefois qu'il soit bien pur.

L'arsenic mêlé par une trituration exacte aux différentes terres & pierres vitrescibles, calcaires & apyres, les dispose ordinairement à une promte fusion.

Fondu avec le cuivre, il lui donne une fusion aisée & assez promte ; & il le réduit en un metal d'autant plus aigre, qu'il est en plus grande quantité.

Avec l'étain, il en fait une masse blanche, claire, par écailles, & qui imite presque le zinc à l'inspection : mais il se forme une grande quantité de chaux d'étain, mêlée d'arsenic, qui lui adhere.

Le plomb mêlé à l'arsenic & exposé à un feu doux auquel il ne bout ni ne fume tout seul, éprouve ces deux états, & est volatilisé, s'élevant sous la forme d'une fumée très-épaisse, & laissant après lui un verre jaune très-fusible. Il reste aussi du plomb qui est fragile & obscur.

L'arsenic pénetre aussi l'argent, & en fait un composé d'un beau rouge vif, si on y ajoûte une petite quantité de soufre.

Il pénetre l'or aussi, & le rend terne & fragile : & si l'on expose alors ce mélange subitement à un grand feu, l'or s'y dissipe en partie.

Mêlé au verre de plomb, il lui donne plus de pénétration & d'activité. Il fond aussi le spath.

Il fait un verre avec l'alkali fixe & les cailloux.

Ce demi-metal est enfin résous à son tour par différens metaux ; sur lesquels il produit mutuellement la même action.

Le régule d'antimoine donne un verre qui agit beaucoup plus puissamment sur les corps que la litharge ; car il a la propriété d'atténuer les pierres de toutes les especes, de les dissoudre, & de les changer même en scories.

L'antimoine & son régule causent la même altération à tous les metaux, les réduit même en scories, & les volatilise.

Ce que nous avons dit de l'arsenic au sujet de l'union qu'il fait avec les différens metaux, est également vrai du régule d'antimoine. Car le metal qu'il fond le plus rapidement, est le fer, & après lui le cuivre, &c. Voyez CARACTERES d'IMPRIMERIE.

Le bismuth a la propriété de fondre à un degré de feu bien moins considérable que le régule d'antimoine, les métaux de difficile fusion. Il s'unit facilement avec eux. Voyez ce qu'on en dira dans la partie des flux.

Le zinc se mêle aisément avec le plomb & l'étain, qu'il aigrit en raison de sa quantité.

Si on le fond avec quatre ou même six parties de cuivre, celui-ci est plus fusible. C'est le laiton. Il prend une belle couleur d'or, si on lui mêle de l'étain d'Angleterre.

L'alkali fixe dissout au grand feu toutes sortes de pierres & de terres, & principalement les vitrescibles ; d'où il résulte différens verres. Voyez la lithogéognosie de Pott ; la verrerie de Kunckel, & les articles VERRERIE, EMAIL & PORCELAINE.

Il fond aisément l'or & l'argent.

Il facilite aussi beaucoup la fusion du fer & du cuivre, qu'il consume ensuite.

L'alkali fixe est sur-tout employé à la réduction des précipités métalliques, c'est-à-dire des chaux des métaux faites par les acides ; mais on ne l'employe guere seul que pour l'or, l'argent ou le mercure. Voyez NITRE ALKALISE par les métaux.

Le borax fond & vitrifie toutes les terres, & les terres qu'on mêle avec lui.

Il facilite extrèmement la fusion de l'or, de l'argent & du cuivre. Voyez SOUDURE.

Le nitre facilite beaucoup la fusion des métaux ; mais on ne l'employe seul que pour l'or & l'argent. Voyez NITRE ALKALISE par les métaux.

Le sel marin ne s'employe pas seul non plus que le nitre, & est plûtôt regardé comme un défensif du contact de l'air que comme un fondant. Voyez ESSAI, FUSION, & plus bas ce qui regarde les flux réductifs.

Le fiel de verre est d'un usage fréquent dans la partie de la chimie qui traite des métaux ; mais mal-à-propos, selon M. Roüelle. Cet illustre chimiste ayant remarqué que ce corps est un mélange de verre, d'alkali, de la soude, de tartre vitriolé, & de sel de Glauber, a conclu justement que par ces deux derniers sels il faisoit un foie de soufre, qui, dissolvant les métaux au lieu de les réduire, rendoit un essai faux. Voyez FOIE DE SOUFRE & SOUFRE ARTIFICIEL. Il est étonnant qu'un chimiste aussi éclairé que M. Cramer, n'ait pas assez observé ce corps, & qu'il ne fasse presque pas un essai sans y faire entrer cet absurde ingrédient. Voyez plus bas l'article des FLUX COMPOSES, qui sont de lui.

Le sel ammoniac n'est employé comme fondant qu'au défaut du nitre & du sel marin.

Le soufre fond aisément l'argent, & lui donne assez l'apparence du plomb.

Il pénetre le cuivre & le réduit en une masse friable & spongieuse. Voyez CEMENTATION du cuivre avec le soufre ou cuivre brûlé.

Il fond promtement le fer, & le réduit en une scorie spongieuse : il suffit pour cela de rougir une barre de fer, & de la frotter avec un bâton de soufre.

Il facilite extrèmement la fonte du régule d'antimoine, auquel il rend son premier état de mine d'antimoine.

Il fond aussi le bismuth, mais moins aisément que le régule d'antimoine.

Il rend l'arsenic d'autant plus fusible, qu'il lui est uni en plus grande quantité. Voyez ARSENIC JAUNE, ROUGE, RUBIS. D'ARSENIC, ORPIMENT, REALGAR.

Fondu avec deux parties d'alkali fixe, il fait le foie de soufre. Voyez FOIE DE SOUFRE.

Ce foie a la propriété, par rapport au sel alkali qu'il contient, de faciliter & d'accélerer la fusion de toutes les pierres & les terres, ainsi que tous les métaux, même les réfractaires & les demi-métaux, excepté le mercure. Voyez sa révivification. Cramer.

Le sel fusible de l'urine, mêlé à parties égales avec l'argille, entre en fonte ; mais le mélange devient compacte & tout noir, semblable à une agate de cette couleur. Si on met deux parties de ce sel contre une d'argille, le mélange se fond très-bien ; mais il en résulte une masse compacte & grisâtre, dont la cassure ressemble presque à une agate ou à un caillou grisâtre. Quant au sel dont il est ici question, voyez PHOSPHORE.

Six parties de craie, qui est un corps infusible par lui-même, & quatre parties d'argille, aussi infusible par elle-même, donnent un corps dur & bien lié, mais sans transparence.

Quatre parties d'argille avec une partie de spath alkalin, donne une masse très liée, & qui reste opaque : mais si l'on mêle ces deux substances en une certaine proportion, & qu'on expose ce mélange à un feu suffisant & long-tems continué, il se changera enfin en un corps tirant sur le jaune, & pour l'ordinaire verdâtre, transparent & parfaitement dur, qui peut être compté parmi les chefs-d'oeuvres de l'art, Pott. Nous allons passer aux flux réductifs simples & composés.

Le tartre crud, le résidu de sa distillation, le savon, le flux blanc & le flux noir, sont des flux réductifs simples. Voyez ce que nous avons dit des deux derniers, au commencement de cet article, & les exemples que nous en allons donner de chacun en particulier.

De la limaille ou des lamines de fer fondues rapidement avec leur double d'étain, du tartre, du verre, & des cendres gravelées, donnent un régule blanc, fragile, & attirable par l'aimant.

Le cuivre facilite la fusion du fer ; mais on ne réussit bien dans cette opération, qu'en couvrant la surface de la matiere avec un mélange de tartre & de verre.

L'arsenic & l'alkali fixe, mêlés avec un corps contenant beaucoup de phlogistique comme le savon, la poudre de charbon & de tartre, fondus dans un bon creuset avec de la limaille & des lamines de fer donnent un régule de fer blanchâtre & fragile. Si on veut unir au fer une grande quantité d'arsenic par cette méthode, il faudra mêler ensemble égales portions de limaille de fer & de tartre, y ajoûter le double d'arsenic, & jetter le tout dans un creuset rouge, afin de le fondre le plus rapidement qu'il sera possible. On versera cet alliage dans un cône ou une lingotiere, si-tôt qu'on s'appercevra que la fusion est achevée.

Si l'on traite le cuivre avec l'arsenic par la même méthode, il en résulte un composé qui est blanc, & qui conserve encore assez de malléabilité, principalement si on le fait fondre une fois ou deux avec le borax, afin de dissiper l'arsenic superflu. Si cependant on mêle une grande quantité d'arsenic avec le cuivre, il en devient cassant & obscur, & sa surface est sujette à se noircir dans l'espace de peu de jours, par le seul contact de l'air.

Si on allie le bismuth avec des métaux qui se fondent difficilement, il faut faire cette opération dans les vaisseaux fermés, parce qu'il se détruit aisément ; outre cela il faut augmenter le feu très rapidement, & y faire les additions que nous avons prescrites en parlant de la limaille de fer, jointe avec son double d'étain.

Les mêmes additions doivent encore être faites à l'alliage du nitre avec les métaux de difficile fusion.

Pour réduire une mine fusible de plomb, on employe deux parties de flux noir, un quart de limaille de fer, & autant de fil de verre, sur une partie de la mine calcinée, mais pesée avant la calcination. Voy. ESSAI.

Si la mine est rendue réfractaire par la présence des pyrites, sur deux parties de mine calcinée, pesée avant la calcination, on met six parties de flux noir & deux de fiel de verre.

Quand elle est réfractaire en conséquence des terres & des pierres, & incapable d'être traitée par le lavage ; sur deux parties de mine, pesée avant la calcination, puis calcinée, on met deux parties de fiel de verre, un peu de limaille de fer, & huit parties de flux noir.

La mine de cuivre fusible, & exempte d'arsenic & de soufre, demande trois parties de flux noir sur une de mine torréfiée, pesée avant la torréfaction. Nous avertissons ici, pour éviter les repétitions, que toutes les mines dont nous indiquons les quantités, sont toûjours roties & pesées avant leur grillage. Voyez ESSAI.

Si l'on a à réduire la mine de cuivre de l'article précédent, mêlées de terres & de pierres, inséparables par l'élutriation, qui la rendent réfractaire, à une partie de cette mine, on ajoûte quatre parties de flux noir, & une de fiel de verre.

On traite par la même méthode & avec les mêmes proportions de flux réductifs, la mine de cuivre martiale.

Quand elle est jointe à des matieres sulphureuses, arsenicales & demi-métalliques, les proportions des fondans & des réductifs sont encore les mêmes, & pour lors elle donne deux régules, l'un grossier, & l'autre moins impur.

Une mine de cuivre pyriteuse & crue peut être traitée par la stratification avec les charbons, avec une addition de scorie pour fondant. Voyez FONTE EN GRAND. Il en résulte un régule grossier.

La même mine se peut encore traiter dans les vaisseaux fermés, & pour lors on ajoûte deux ou trois parties de verre commun ou de scories fusibles, un tiers ou un quart de borax à une de la mine ; on a un régule grossier.

Les régules grossiers des deux derniers articles, sont convertis en cuivre noir, si on les grille à différentes reprises, & qu'on leur ajoûte du flux noir : on peut encore faire cette réduction à-travers les charbons. Voyez FONTE EN GRAND.

On examine la quantité de cuivre que peuvent contenir les scories de tous les articles précédens sur le cuivre, en leur ajoûtant du verre commun très-fusible, ou le flux noir, si elles ne sont que peu ou point sulphureuses, pour les traiter dans les vaisseaux fermés : l'on peut encore suivre la méthode qui concerne la mine pyriteuse & crue, si on en a une grande quantité.

La mine d'étain se traite comme la mine fusible de plomb, excepté qu'on y ajoûte encore autant de poix que de limaille de fer. Voyez ESSAI.

La mine de fer se réduit, ainsi que nous l'avons dit à la fin de l'article ESSAI.

Mais si le régule en est fragile, & ne peut supporter un bon coup de marteau, soit quand il est froid ou quand il est chaud, s'il n'a point l'éclat métallique ; aux trois parties de flux blanc, & à une partie de verre pilé & de poudre de charbon, on ajoûte une moitié de chaux du poids total de ces ingrédiens. Voyez FER.

La même mine accompagnée de pierres réfractaires, demande égales parties de borax, outre le flux de l'avant dernier article.

Le fer crud ou cassant devient ductile, si étant mis sur un catin de brasque pesante, on le couvre le scorie fusible ou de sable, & qu'après l'y avoir fondu sous les charbons, on le pétrisse & l'étire sous le marteau. Voyez FER & ACIER.

On réduit ce métal en acier par la cémentation avec les corps inflammables : on se sert à ce sujet de différentes compositions qui reviennent toutes au même, quand elles fournissent un phlogistique exempt d'acide sulphureux. Sur une partie de poussier on met une demi-partie de cendres de bois ; ou à deux parties de poudre de charbon, & une demi-partie de cendres de bois, on ajoûte une partie d'os, de cornes, de cuir, de poils brûlés à noirceur dans un vaisseau fermé, placé sur un feu modéré. Voy. ACIER, EMPE EN PAQUETQUET.

On convertit encore en acier le fer aigre ou sa mine, en les fondant couvert de scories ou de sable sous les charbons dans un catin de brasque, & les martelant ensuite. Voyez ACIER & MINE D'ACIER.

La mine d'antimoine calcinée seule ou avec le nitre, ou bien détonnée avec ce sel, se réduit en régule avec un quart de flux noir : dans la calcination avec le nitre, on a soin de jetter du suif de tems en tems. Voyez REGULE D'ANTIMOINE.

Les fleurs de zinc blanches, ou bleues, & grises calcinées à blancheur à un feu ouvert médiocre, sont irréductibles par les flux réductifs ordinaires ou les fondans salins ; mais elles se vitrifient avec eux. Voyez les articles NIHIL ALBUM, POMPHOLIX, LAINE PHILOSOPHIQUE, VITRIOL DE ZINC, &c....

Mais les fleurs bleues & grises, fondues même avec des sels privés de phlogistique, donnent quelques grains de zinc, comme avec le fiel de verre, la pierre à cautere. Voyez l'article suivant ; & dans le corps de cet Ouvrage, les articles qui y sont indiqués.

Le zinc & la plûpart des corps qui en tirent leur origine, sont les fondans du cuivre ; on cémente avec la poudre de charbon, la calamine, le zinc, la cadmie des fourneaux où l'on a traité le zinc, & la tuthie pour en faire du cuivre jaune. Voyez LAITON, CEMENTATION.

On réduit en régule deux parties de chaux d'arsenic avec une partie de flux noir, une demi-partie de fiel de verre, & autant de limaille de fer non rouillé ; ou bien seulement en l'empâtant d'une partie de savon, & y ajoûtant une demi-partie d'alkali fixe : le régule se sublime au couvercle du creuset, sous la forme de pointes prismatiques qui ressemblent à la feve du hêtre.

On réduit le cobolt aves le flux noir. Voyez le mémoire de M. Brandt.

On n'entendra bien tout ce qui précede & ce que nous allons dire, qu'en joignant à cet article la connoissance de la calcination, du phlogistique, & de la réduction. Voyez ces articles.

Il résulte de ce que nous avons dit sur les corps réductifs, qu'un métal qui a perdu par la calcination son phlogistique, le retrouve dans tout corps inflammable qui ne contiendra point d'acide vitriolique, & où la matiere du feu sera si étroitement unie à un corps fixe, qu'il n'y aura qu'un feu ouvert capable de la dégager, à moins que ce corps ne se trouve joint à un autre avec qui ce phlogistique a rapport. Le charbon, traité avec la violence du feu dans les vaisseaux fermés, ne donne point son phlogistique ; le tartre, la corne de cerf, &c. traités par la même méthode, conservent aussi le leur. Il n'y a donc que la présence d'un autre corps, avec qui cette matiere de feu a analogie, qui puisse la leur enlever. Voyez CALCINATION.

Quand nous avons dit que la réduction se faisoit par l'intermede de tout corps inflammable qui ne contient point d'acide vitriolique, il faut entendre par ce corps inflammable le phlogistique pur, uni à l'acide vitriolique, tel qu'il se trouve dans le soufre (voyez plus bas le soufre comme fondant) : car il y a des résines formées par l'union de l'acide vitriolique, comme il y en a de formées par celle de l'acide nitreux. Voyez RESINE ARTIFICIELLE. Et l'expérience des Chauderonniers & Ferblantiers, &c. prouve que les résines servent à la réduction. Il faut donc convenir qu'une huile essentielle, jointe à l'acide vitriolique, lui est tellement combinée, & l'empâte de façon qu'il ne nuit point à la réduction, & qu'elle ne fait plus d'union avec lui, si-tôt qu'elle est réduite en charbon ; qualité absolument nécessaire en pareille circonstance, & dont on peut déduire la preuve du charbon qui se sépare de la résine artificielle : ainsi cet acide vitriolique se dissipe dans le moment que le charbon se fait ; ce que l'on conclura naturellement des circonstances qui accompagnent la réduction. On sait qu'elle se fait à l'air libre ; & la résine n'a point été encore employée, que je sache, en qualité de réductif dans les vaisseaux fermés, où son acide pourroit aigrir le métal réduit, en formant du soufre.

Mais l'on ne doit point croire que les corps gras & huileux, avec lesquels on réduit une chaux métallique, restent dans leur état naturel, & la rétablissent en son premier état par leur nature grasse & huileuse : ce n'est qu'après que la combustion les a réduits en charbon, que ce phénomene arrive. Nous ne nous arrêterons point à prouver que la nature charbonneuse ne se produit que dans les vaisseaux fermés. Ce que nous avons dit sur le tartre crud, le tartre distillé, la corne de cerf, &c. le prouve assez, sans compter qu'on trouvera ce phénomene éclairci aux articles CHARBON & PHLOGISTIQUE.

La portion inflammable d'un réductif qui, en pénétrant une chaux métallique & s'y unissant, la rétablit dans son état de métal, est très-peu de chose eu égard à sa masse ; mais considérée du côté de ses effets, on sentira que sa quantité numérique & la ténuité de ses molécules simples sont presqu'infinies. L'illustre Stahl s'est convaincu par ses expériences, que le phlogistique ne constituoit qu'une trentieme partie du soufre, conjointement avec l'acide vitriolique ; mais après plusieurs expériences, il la trouva à peine un soixantieme. Qui sait d'ailleurs s'il n'enleve pas avec lui un peu de l'acide vitriolique auquel il est uni ? L'imagination se perd dans les ténebres profondes qui enveloppent ce mystere ; & l'on n'évaluera vraisemblablement jamais au juste la quantité de ce corps, que nous ne connoissons que par les phénomenes qu'il produit avec les autres ; car jusqu'ici on ne l'a jamais eu pur & dépouillé de toute matiere étrangere, & peut-être est-il incapable d'être mis en masse tout seul, & de se trouver pur ailleurs que dans l'atmosphere où il est divisé en ses élémens. Au reste il n'est pas le seul être dans la nature qui ne puisse être soûmis à cette épreuve. L'air ne se corporifie non plus qu'avec les autres corps. Voyez le traité allemand du soufre de Stahl, & les art. SOUFRE, PHLOGISTIQUE, & PRINCIPE.

Le but de ceux qui travaillent au fer-blanc, & de ceux qui soudent & qui étament, n'est pas plus de réduire que d'empêcher la calcination. Tant qu'un métal fondu n'est point exposé à l'air (on en excepte l'or & l'argent, dont la calcination exige des manipulations singulieres), il demeure dans son état ordinaire ; mais si-tôt qu'il a communication avec lui, la matiere ignée qui joue à-travers, emporte avec elle celle qui constitue sa nature métallique, & ne peut être réparée que par celle qui lui fournira un corps qui en sera impregné. Ainsi le corps réductif empêchera la calcination de la partie du bain qu'il couvrira, & réduira la chaux de celle qu'il n'aura pas défendue du contact de l'air.

Les métaux à souder veulent être bien avivés, avant que la soudure y soit appliquée. S'il y avoit quelques saletés, elles empêcheroient le contact du métal & de la soudure ; on les lime donc pour obtenir cet avantage : le fer-blanc n'a pas besoin de ce préliminaire ; seulement dans le cas où il est gras, on le saupoudre de borax. Voyez les FONDANS. L'étamage qui n'est que l'application d'une plus grande surface de soudure, exige les mêmes précautions. Les ouvriers commencent par racler le vaisseau qui a été étamé une premiere fois ; mais quand il est neuf ils se contentent d'y jetter quelques pincées de sel ammoniac ou de sel marin, qui l'écurent, & le rendent par-là propre à s'allier avec l'étamage. Voyez les FONDANS. Par l'usage où ils sont de se servir en pareil cas d'un petit bâton dont l'extrémité est coëffée d'étoupes, ils ont pour but non-seulement d'appliquer leur soudure, mais encore de dépouiller les parois du vaisseau du charbon de la résine qui y adhere quelquefois, & le défend du contact de la soudure, ainsi que de la chaux de la soudure que cette résine n'a pas réduite, parce qu'elle ne couvre pas tout.

Quand une chaux est une fois réduite, on a beau fournir de nouveau phlogistique au métal, il n'en prend pas davantage ; il n'en peut plus admettre que dans le cas où il auroit perdu par le contact de l'air celui qu'on lui a fourni. C'est ainsi que le même métal peut devenir chaux, & se réduire un grand nombre de fois, sans qu'on en connoisse les bornes, que dans l'étain, qui se détériore réellement par toutes ces tortures : le fer aussi fait exception, mais dans un autre genre ; il est susceptible de prendre une surabondance de phlogistique : c'est cet excès qui le fait acier, & qui, bien loin de le rendre plus lié & plus fusible, comme les autres métaux, ne fait que le rendre plus cassant & plus réfractaire : il étoit assez fusible en scories, il se réduit sans se fondre, devient moins fusible étant fer, & n'est jamais plus rebelle à la fonte que quand il est acier. La raison en est encore inconnue.

Il est donc évident que les métaux & demi-métaux qui sont destructibles à feu nud, supporteront plus long-tems la fonte sans s'altérer, si on a soin de couvrir leur surface de poudre de charbon ou de tout autre corps inflammable, que s'ils y étoient exposés avec le contact de l'air environnant : mais par cette précaution, l'on n'empêche pas seulement que ces métaux se calcinent, c'est-à-dire qu'ils perdent leur phlogistique, mais encore que ce même phlogistique ne volatilise avec lui une partie du métal non calciné. Voyez VOLATILISATION.

Nous avons dit que les métaux imparfaits & les demi-métaux ne se calcinoient guere que par le contact de l'air : cela est vrai de tous, excepté du zinc. Ce demi-métal se calcine même dans les vaisseaux fermés, au degré de feu qui le met en fonte : on est donc obligé, quand on l'allie avec les autres, de lui fournir un réductif continuel. C'est par cette raison que les Chauderonniers font leur soudure forte sous les charbons embrasés ; qu'on fait le cuivre jaune, le tombac, le potin, &c. avec une addition de charbon ou de tout autre corps inflammable ; que dans le fourneau de Goslar on attrape le zinc au milieu des charbons ardens, & qu'on le consume à-travers la poudre de charbon.

Jusqu'ici nous avons examiné le feu comme entrant dans la composition des corps : nous avons cité l'exemple du fer converti en acier sans addition, dans un creuset où le feu fait la double fonction d'instrument & de principe. Deux illustres chimistes, MM. Stahl & Cramer, ont été embarrassés d'expliquer pourquoi une mine de fer étoit attirable par l'aimant après la calcination : ce phénomene cependant s'explique par celui qui précede ; mais le feu instrument & le feu principe sont-ils le même ? Le fer qui fait exception dans ce cas avec tous les corps connus, semble l'insinuer : sont-ils différens ? c'est ce qui paroît par la réduction des autres chaux métalliques. On a beau les tenir dans un creuset fermé toutes seules, elles ne prennent pas, comme le fer, la matiere du feu qui passe à-travers le creuset : il leur faut le contact d'un corps charbonneux ; & elles veulent être tenues dans les vaisseaux fermés. La considération de ces phénomenes porteroit à croire que le fer ne s'accommode que d'un phlogistique pur, tandis que les autres corps métalliques semblent demander un phlogistique uni à un autre corps, dont la présence ne peut être que soupçonnée. Mais si l'on admettoit cette conjecture, comment la concilier avec ce qui se passe dans la calcination du plomb ? La chaux de plomb pese plus qu'il ne pesoit auparavant ; & il n'y a pas d'apparence que le phlogistique qu'on soupçonne uni à un autre corps, pese moins que le phlogistique pur qui paroît chasser le premier, pour s'introduire à sa place sous une différente combinaison, & peut-être selon celle qui se fait dans le fer : car le fer converti en acier par lui-même augmente de poids ; il est vrai qu'il n'a pas été préalablement calciné. Parlons du feu comme instrument.

Nous avons placé le feu à la tête des fondans ; c'est en effet l'instrument qui divise les corps, les résout, & les rend par-là miscibles avec les autres. Tous les fondans sont des menstrues secs, c'est-à-dire des corps durs composés de parties liées entre elles, & formant un tout qui résiste à la séparation : ils ne peuvent agir sur les autres, tant qu'ils resteront sous cette forme ; il leur faut donc un agent qui change cet état, & leur donne une division & une atténuation capables de leur faire pénétrer les pores de ceux qu'ils peuvent dissoudre ; cet agent c'est le feu : appliqué aux sels & aux métaux avec la force requise pour chacun d'eux en particulier, & selon l'art que nous détaillerons aux articles FOURNEAU & VAISSEAU ; il s'insinue à-travers leurs pores, les dilate, désunit leurs molécules intégrantes, & souvent les principes constituans ces molécules, & les fait rouler les unes sur les autres, comme celles d'un fluide auquel ils ressemblent pour lors. En pareille circonstance, il faut le regarder comme un fluide actif qui se mêle intimément & uniformément avec les corps qu'il pénetre, & qui en est divisé mutuellement : on ne peut mieux comparer sa présence dans un corps qu'il rend fluide, qu'à celle d'un grain d'or qu'on a fondu avec cent mille grains d'argent pur. La Docimastique nous démontre que chaque grain de cet argent contient une quantité d'or proportionnelle, c'est-à-dire un cent-millieme de grain d'or : la division de cet or sera encore plus grande, si on le mêle avec une plus grande quantité d'argent ; & l'on n'en connoît point les bornes : il faut que le feu réduise cet or à ses molécules intégrantes ; ces molécules doivent être d'une finesse extraordinaire, pour qu'elles puissent se distribuer uniformément dans toute la masse de l'argent. Quelle doit donc être la finesse du corps qui a eu la faculté de les desunir, & de les porter par toute la masse qu'il a parcourue, ébranlée & bouleversée ? Mais il n'est pas nécessaire, pour que cette distribution uniforme du feu dans le corps le plus dur, ait lieu, que ce corps en soit dissous, c'est-à-dire que ses élémens soient séparés les uns des autres, pour lui laisser le passage libre : il est aussi uniformément distribué dans celui qu'il ne commence qu'à échauffer au-dessus du degré de la glace. Quelle prodigieuse finesse ne suppose pas, à plus forte raison, cette liberté du passage qu'il se fraye dans les pores resserrés de ces corps ? Cette derniere considération porte à croire que rien n'échappe à son action.

Il est vrai que les molécules des métaux les plus durs résistent à leur desunion ; & la preuve en est tirée de la figure globuleuse qu'ils s'efforcent de garder, comme le mercure, dans le tems même que le feu produit l'action contraire : mais l'exercice de cette force est au moins diminué, pour ne pas dire absolument interrompu, tant que dure la même violence du feu. Il n'est pas possible de méler intimement deux ou plusieurs masses quelconques, qu'elles ne soient dissoutes en leurs molécules intégrantes. Que devient donc cette prétendue cohérence qu'on avoit soupçonnée résister à la séparation des élémens, quand un corps divisé & poussé par l'activité du feu, se glisse avec un autre entre des parties dans lesquelles on avoit soupçonné une résistance à leur séparation ?

C'est donc au feu, comme seul instrument de la division des corps, qu'on doit attribuer l'exercice de cette disposition qu'ils ont à se dissoudre les uns les autres : c'est à lui qu'on doit la production de ces phénomenes merveilleux qui naissent de la combinaison de plusieurs substances. Qui pourroit refuser le titre d'agent universel de la nature, à cet être qui en est le principe vivifiant ?

L'expérience a appris que tous ou presque tous les sels étoient des fondans : ainsi le borax, le nitre, le sel ammoniac, le sel gemme, ou le sel marin, les vitriols, le mercure sublimé corrosif, les deux alkalis fixes, le soufre & son foie, le sel de Glauber, le tartre vitriolé, le sel fusible de l'urine, & enfin la plûpart des sels composés d'acides devenus concrets par une base quelconque, sont des fondans. Voyez SEL. Les uns ne mettent en fonte que quelques substances connues jusqu'ici ; les autres y en mettent plusieurs : ceux-ci agissent par un de leurs principes seulement, ceux-là par tous les deux. Ils exercent leurs actions sur les terres, les pierres, les verres, les demi-métaux, les métaux, leurs chaux, leurs précipités, leurs verres, & toutes ces matieres sur elles-mêmes. De ce nombre prodigieux de substances il naît une foule de combinaisons dont on peut s'assûrer qu'on ne connoît encore que le plus petit nombre, quelque grand que soit celui qui a été tenté jusqu'ici. Mais si l'on ne connoît que la moindre partie des combinaisons qui peuvent être faites sur les substances connues, quelle espérance de parvenir à la connoissance de celles qui existent peut-être inconnues dans le sein de la nature, & de celles que l'art peut produire ? On trouve un grand nombre de ces combinaisons dans différens ouvrages, & particulierement dans la Lithogéognosie, si on les considere en elles-mêmes, & par le travail qu'elles ont dû coûter. Mais si on vient à les comparer avec ce qui reste à faire, la carriere est immense ; & ces ouvrages, & principalement celui de M. Pott, semblent n'exister que pour accuser la briéveté de la vie. Quelle foule de réflexions accablantes ne doit pas offrir l'exercice de plusieurs genres, si un seul suffit pour cela ?

Il y a des corps qui se fondent par eux-mêmes, & dont l'addition d'un autre corps ne fait qu'accélérer & faciliter la fusion : tels sont tous les métaux & demi-métaux, les métaux parfaits dont l'aggrégation seroit rompue en molécules, à-travers lesquelles il n'y auroit aucune impureté, la plûpart des sels, toutes les terres & les pierres vitrescibles ; bien entendu que cette addition change leur nature, si elle s'unit avec eux : on peut conséquemment s'en passer.

D'autres n'entrent en fonte que par un intermede absolument nécessaire : dans ce rang on place les métaux parfaits, dont l'aggrégation est rompue, & dont les molécules ne peuvent avoir de contact mutuel, en conséquence de ce que leur surface est couverte de quelques ordures, comme de poussiere, de cendres, ou de ce qu'elles sont unies aux acides. Dans le premier cas, on employe le borax, le nitre, le sel ammoniac, & le sel marin : le flux blanc & l'alkali fixe servent dans le second. Il est à remarquer que comme le borax donne à l'or une pâleur qu'on ne lui enleve que par le nitre ou le sel ammoniac, on mêle ordinairement le borax & le nitre, pour lui servir de fondant, ou le borax & le sel ammoniac, mais jamais le nitre & le sel ammoniac, parce qu'ils détonnent ensemble. On employe aussi quelquefois ces sels avec les métaux imparfaits & leurs chaux : mais ils en calcinent une partie, & même la vitrifient, comme il arrive de la part du borax, bien loin de réduire la chaux qui peut s'y trouver. Voyez les FLUX. Ainsi donc on n'en peut faire aucun usage dans les essais, sans tomber dans l'erreur. Ces sels, le borax, le nitre, le sel ammoniac, le sel marin, l'alkali fixe, & le flux blanc, nettoyent la surface des molécules des impuretés qui s'y trouvent, & favorisent ainsi la réunion en un régule, de celles qui sont en fonte. L'alkali fixe & le flux blanc, que nous regardons presque comme les mêmes, outre ces propriétés, ayant presque plus de rapport que ces métaux avec les acides qui leur restent unis après la précipitation ou concentration, les leur enlevent, & favorisent par la même raison la réunion de leurs molécules : ainsi en pareil cas, ils ont un autre effet que celui de fondant ; c'est celui d'absorbant. Ce premier effet, qui n'est que de surérogation dans la conjoncture présente, n'empêche pourtant pas qu'ils n'ayent aussi celui qui y est propre. L'expérience a appris que le feu ne se communique ni avec la même rapidité, ni avec le même degré d'intensité, aux corps divisés qu'aux corps continus. Les sels, par l'interposition de leurs molécules fondues, remplissent les vuides, & communiquent le feu de proche en proche aux molécules métalliques, qu'ils aident à la fusion. Mais il faut encore leur reconnoître une qualité particuliere par laquelle ils agissent sur certaines substances ; d'où il suit qu'ils ont une triple action : c'est par les deux dernieres que le borax est en usage pour souder l'or, l'argent, & le cuivre. Les artistes qui sont occupés du travail de ces métaux, appliquent le plus exactement qu'ils peuvent, les plans de contact avivés des pieces qu'ils veulent unir. Ils mettent tout-autour des paillons de soudure pour l'or & pour l'argent, & de la soudure en grenaille pour le cuivre ; ils saupoudrent cette soudure de borax, & portent leurs pieces au feu, ou se servent de la lampe de l'émailleur. Les métaux qu'ils veulent souder étant de plus difficile fusion que la soudure, celle-ci entre en fonte la premiere à la faveur du borax, & fond la partie du métal à laquelle elle est appliquée. C'est-là le point que les bons artistes savent bien saisir pour retirer leurs pieces du feu : car sans cette attention, la partie soudée ne tarde pas à tomber dans le feu en gouttes métalliques, & l'on a perdu son tems & ses peines. On connoît que la fusion en est à son point, quand on voit que la surface de l'endroit soudé a l'éclat du miroir, & réfléchit de même les objets. Les scories legeres qui se forment en même tems à la surface du métal, & qui s'opposent à l'action de la soudure & du fondant, sont fondues & vitrifiées par le borax : il s'ensuit que dans les circonstances où on a à essayer un ustensile d'or ou d'argent, on ne doit jamais en couper un essai dans les endroits soudés ; parce que la soudure pour l'or étant un alliage d'or, d'argent, & quelquefois de cuivre, celle de l'argent, un alliage de ce métal avec le cuivre, l'ustensile essayé se trouvera toûjours fort au-dessous de son titre réel.

On employe aussi quelquefois les sels avec les métaux imparfaits & leurs chaux ; mais ils en calcinent une partie, & même la vitrifient ; sans compter que leurs particules divisées se calcinent bien toutes seules, & résistent par-là à leur réunion : ainsi ils ne doivent jamais être traités par ces fondans, sur-tout dans ces essais, où ils causeroient des erreurs considérables. Voyez les FLUX. Le borax ne fait pas même exception à cette regle, quoique ce soit le corps qui de tous accélere le plus la fusion, & que par-là il ait été regardé comme un flux réductif. Si l'on veut dépouiller, par exemple, un alliage d'or & d'argent du cuivre qu'ils contiennent, on y ajoûte du borax : ce sel met la masse en fonte non-seulement, mais attaque encore les molécules des scories cuivreuses qui surnagent, où l'or est niché comme dans les pores d'une éponge ; il a la propriété de les résoudre, de s'unir avec elles, & de les convertir en un verre qui surnage le régule composé du culot principal & de l'accessoire des molécules qui étoient éparses dans les scories.

Mais il y a une troisieme espece de corps qui étant absolument réfractaires par eux-mêmes, se fondent avec d'autres de même nature : tels sont le spath alkalin avec l'argille, la craie avec la même argille.

C'est sur la propriété qu'a la litharge, & conséquemment le plomb, de fondre les terres & les pierres, & tous les métaux & demi-métaux, qu'est fondé le travail des mines dont on retire l'or, l'argent, & le cuivre par son moyen : quand elle est mélée bien intimement par la vitrification avec la masse de ces corps composés, une addition de phlogistique la réduit en un régule qui se précipite au fond par son plus grand poids spécifique, emportant avec lui les métaux précieux dont elle a dépouillé la masse de scories qui la surnagent : il y en reste un peu à la vérité, mais on peut le retrouver en partie. Voyez les FLUX, & les articles OEUVRE, LIQUATION, & ESSAI.

On n'a soin de bien fermer les vaisseaux où l'on fond les verres tirés des métaux, que pour empêcher la chûte des charbons : on conçoit à-présent qu'ils y porteroient un principe inflammable qui ne manqueroit pas de réduire en régule une portion du métal qu'on a eu en vûe de vitrifier : cet inconvénient n'est guere à craindre, quand la surface de la matiere vitrifiable est couverte de nitre. Ce sel, qu'on employe ordinairement comme fondant, détonne avec le charbon qu'il détruit en s'alkalisant. Voyez NITRE fixé par les charbons. Les pailles, les cheveux, les menus brins de bois, & enfin tous les corps réductifs ou qui peuvent le devenir, dont nous avons parlé, produisent le même phénomene.

Parmi les fondans, on en trouve qui se séparent des corps après qu'ils ont exercé leur action sur eux. On conçoit aisément encore que tel fondant qui reste uni à un corps après la fusion, se séparera d'un autre après cette opération, ou sous quelqu'autre condition. Les corps qui ne restent point unis ensemble, quand l'un a servi de fondant à l'autre, sont le plomb uni à l'or & à l'argent, quand le grand feu a vitrifié le premier, ou scorifié sa litharge sur une coupelle qui la boit avec les autres métaux imparfaits, s'il s'en trouve dans l'alliage (Voyez ESSAI & AFFINAGE) ; parce que pour lors ils ne peuvent plus faire d'union avec des métaux qui n'ont pû subir le même état. L'étain est obligé d'abandonner le plomb, quand on donne à leur alliage un feu assez fort pour calciner le premier qui surnage. Le régule d'antimoine & sa mine se séparent de l'or & de l'argent, quand on les calcine & qu'on les fait fumer. Voyez faire fumer l'antimoine. Le zinc ne s'unit jamais au bismuth. L'alkali fixe, le sel marin, le nitre, le sel ammoniac, & le borax, se séparent de l'or & de l'argent dont ils ont accéléré la fusion. Le borax & ces sels se séparent aussi du cuivre. L'alkali fixe se sépare des précipités des métaux parfaits, & du mercure, dont il a favorisé la réunion en les dégageant des acides qui étoient interposés entre leurs molécules, & empêchoient leur réunion. Le fiel de verre ne s'unit avec aucun des métaux. L'alkali fixe & le soufre ne s'unissent point à l'or séparément.

D'autres fondans restent unis aux corps qu'ils ont dissous. On a vû que le plomb s'unissoit au cuivre, à l'or, à l'argent, à l'étain, & aux demi-métaux ; que son verre ou la litharge dissolvoit le fer scorifié, le cuivre, la chaux d'étain, l'or, l'argent, & les pierres calcaires, vitrescibles, & apyres. L'étain s'allie avec l'or, l'argent, le cuivre, le fer, & les demi-métaux. Le cuivre, l'or, & l'argent, se dissolvent mutuellement. L'or & l'argent s'unissent au fer. L'arsenic s'unit à toutes les terres & pierres, avec le cuivre, l'étain, le plomb & son verre, l'or & l'argent. Le verre d'antimoine s'unit aux pierres & terres de toute espece ; son régule & sa mine s'allient avec tous les métaux. Le bismuth se fond avec tous les métaux. Le zinc se mêle avec l'étain & le plomb, le cuivre seul & allié d'étain. L'alkali fixe dissout toutes les terres & les pierres. Le soufre s'unit avec le fer, le cuivre, le plomb, l'argent, le régule d'antimoine, l'étain, le mercure (Voyez CINNABRE & ETHIOPS MINERAL), l'arsenic & le bismuth. Voyez les rapports. L'alkali fixe & le soufre ne s'unissent à l'or, que quand ils sont préalablement unis ensemble par la voie seche ou la voie humide. Le foie de soufre a encore la propriété de faciliter & d'accélérer la fusion de tous les métaux & de toutes les terres & les pierres ; il reste uni aux métaux & demi-métaux, & à quelques matieres terreuses & pierreuses ; il ne se combine avec d'autres que par son alkali. Le sel fusible de l'urine se change avec l'argille en une masse à demi-vitrifiée. Certaines portions de spath alkalin & d'argille donnent une masse liée ou un verre.

La masse qui résulte de ces différentes combinaisons est uniforme, simple, & naturelle en apparence. On n'y peut découvrir aucun point différent des acides, même à l'aide du microscope. La fragilité, qui est pour l'ordinaire la suite de ces sortes d'alliages, existe dans les moindres molécules. Il en résulte un composé qui n'a plus les propriétés qu'avoient ceux qui les ont formés, & qui conséquemment en a acquis de particulieres. L'on conçoit aisément que les particules du fondant ne se touchent plus les unes les autres, & sont séparées par celles du corps fondu, qui sont conséquemment dans le même cas que celles du fondant.

Il suit que les parties du fondant s'appliquent à celles du corps fondu, & que cette union se fait dans le tems de la fusion. Mais l'on demande pourquoi des molécules similaires se desunissent pour former une nouvelle union avec un corps, avec lequel il semble qu'elles doivent avoir moins d'analogie ? La même question est également fondée sur la cause, qui continue de tenir liées entr'elles les particules & du fondant & du fondu, & les empêchent de se réunir de nouveau avec leurs semblables : quelle qu'elle soit, elle existe mutuellement dans tous les deux. Il y a cependant des obstacles à surmonter ; ils sont plus ou moins considérables, suivant la différence des corps. Nous avons fait sentir que l'analogie devoit être plus grande entre les parties d'un même corps, qu'entre celles de deux corps différens : mais la différence du poids mérite aussi d'être considérée. Et en effet il faut que l'union soit bien forte entre l'or & l'étain, dont le premier le plus pesant des métaux, est au second le plus leger de tous en raison directe, comme 19636 sont à 7321, pour que les parties de l'or ne retombent pas au fond, & ne fassent pas surnager l'étain à leur surface. Il est vrai que si on n'a soin d'agiter le lingot jusqu'à ce qu'il soit froid, la partie inférieure est plus riche que la supérieure : mais la différence n'est pas excessive, & il n'en est pas moins constant que l'or est répandu dans toute la masse, sinon bien uniformément, du moins par une union réelle.

Il paroît donc que cette opération se fait spécialement par l'attraction réciproque des particules qui dissolvent & sont dissoutes. Si l'on presse un noüet de chamois plein de mercure, qui est un menstrue fluide, mais sec, dans un vaisseau tenant du soufre fondu, & qu'on remue quelque tems ; alors les parties du soufre s'unissent si fortement à celles du mercure, qu'elles séparent les molécules intégrantes de ce demi-métal, & les enveloppent pour ne plus former qu'une masse uniforme. Cependant quelle différence dans le poids ? Elle est encore plus considérable qu'entre l'or & l'étain. Les causes de cette union sont le feu, qui a divisé le soufre en ses élémens ; la division donnée au mercure par le filtre de chamois ; l'agitation, & sur-tout cette faculté qu'ont le mercure & le soufre de s'attirer mutuellement par leurs surfaces multipliées, & d'adhérer fortement l'un à l'autre, pour ne plus être séparés que par un corps, dont l'attraction avec le soufre sera plus forte que celle du mercure. Ce corps est ou la limaille de fer, ou l'alkali fixe, ou la chaux, qui étant mêlés par la trituration avec l'éthiops, ou le cinnabre qui est l'éthiops sublimé, attirent le soufre, & laissent le mercure coulant comme il étoit d'abord : mais ces corps prennent la place du mercure, par rapport au soufre qui s'unit avec eux. La même action se fait également par la trituration, qui équivaut en ce cas à l'action du feu. Voyez ETHIOPS MINERAL.

Cette action est conséquemment méchanique, en même tems qu'elle tient de la nature de l'attraction. On a vû qu'une trituration méchanique divise les corps comme le feu. Si elle n'en tient pas lieu dans tous les cas, au moins approche-t-elle d'autant plus de ses effets, qu'elle est plus long-tems continuée : ainsi le feu ne fait qu'enchérir sur elle, bien-loin d'en différer ; en même tems il augmente la vertu attractive, qui ne se fait qu'en conséquence de la petitesse & de la multiplicité des surfaces. Cette atténuation est occasionnée par les coups répétés des élémens d'un feu continu. Les sels & les autres corps qui se séparent du corps dissous après la fonte, paroissent devoir être référés à plus juste titre parmi des fondans méchaniques.

Mais quand nous distinguons la division physique d'avec la méchanique, il ne faut pas croire que nous excluions strictement celle-ci. Une division physique est certainement méchanique ; mais nous n'avons pas assez de lumieres sur sa nature, pour en pouvoir donner une explication relative aux actions connues jusqu'ici sous le nom de méchaniques. Nous ne pouvons la référer, par exemple, à l'action du coin, du levier, du couteau, de la scie, & de la poulie. On ne peut nier cependant que chaque molécule intégrante d'un menstrue ne puisse, à certains égards, avoir quelque rapport avec quelques-uns des instrumens mentionnés ; car la molécule en question a un poids, une figure, une grandeur, & une dureté particulieres, qui lui donnent ces qualités méchaniques, voyez PRINCIPE ; quoiqu'on ne puisse s'empêcher d'y reconnoître une action & une nature propres, comme l'attraction, qui constituent peut-être plus que toute autre qualité, celle qu'elle a de faire subir tel ou tel changement à un corps. Mais pourquoi n'admettroit-on pas le feu instrument comme fondant, puisque les corps de la nature de celui-ci n'agissent presque que méchaniquement ?

Il y a cette différence entre le réductif & le fondant, que celui-là donne toûjours un principe qui s'unit au corps ; au lieu que celui-ci leur enleve souvent ce qui nuisoit à leur fusion, sans compter que tantôt il se sépare du corps fondu, comme quand il le dépouille de ses impuretés, & que d'autres fois il lui reste uni.

Le fondant n'est qu'un menstrue sec, dont il differe en ce que celui-ci reste toûjours uni au corps qu'il a dissous ; au lieu que le premier s'en sépare quelquefois après son action.

Après tout ce que nous avons mentionné sur les réductifs & sur les fondans, il ne nous reste plus que quelques particularités sur les flux réductifs. Le tartre crud n'est point un flux réductif par sa nature ; c'est un acide concret qui contient beaucoup d'huile & de terre, & qui est uni à la partie extractive du vin. Il faut donc pour devenir tel, qu'il se change dans les vaisseaux fermés en un alkali charbonneux. C'est aussi ce qui arrive. V. TARTRE. Ce corps est le seul dans la nature qui donne un alkali fixe tout fait dans ses vaisseaux fermés. Le savon change aussi de nature quant à la partie huileuse, qui se convertit en charbon. La limaille de fer n'est un fondant que par accident ; elle n'entre dans les essais que pour se saisir du soufre qui peut rester encore dans les mines après la calcination. Le sel marin n'y est pas tant employé comme un fondant, que comme un défensif du contact de l'air. Voyez ESSAI. Il en est de la poix comme de la résine, & elle n'est autre chose quant au fond. Ce qui la rend noire & empyreumatique, c'est une partie charbonneuse qui vient de la combustion qui a fourni la poix. Les cendres de bois dans la cémentation pour réduire le fer en acier, ne servent que comme une terre pure, & qui ne produit aucun autre effet dans l'opération que celui de séparer les autres ingrédiens, & les faire foisonner. La chaux ne sert que comme la limaille de fer, à absorber & donner des entraves au soufre ; elle fait aussi un fondant mêlée avec les verres & les fondans salins.

Le flux blanc n'est guere employé que comme fondant ; il contient trop peu de phlogistique pour servir à la réduction. On lui ajoûte, ou de la poudre de charbon, ou tout autre corps gras, quand on veut le rendre réductif : mais il ne faut pas croire que cette combinaison revienne précisément au même quant à la nature de l'alkali & aux phénomenes de la réduction. Le phlogistique est si intimement uni dans le résidu du tartre & le flux noir, que ces deux substances crystallisent comme l'alkali préparé selon la méthode de Tachenius. Voyez cet article. Il doit donc y avoir plus d'efficacité dans un corps dont chaque molécule intégrante porte à la fois & le réductif & le fondant, que dans le mélange du charbon, & du flux blanc, ou de l'alkali fixe, qui ne donnent pas le même composé. Ce mélange peut cependant être placé.

Il n'y a point de différence réelle, quant au fond, entre les diverses especes de flux réductifs ; c'est toûjours le principe inflammable, uni à un fondant ; soit dans le même corps comme dans le flux noir, le résidu de la distillation du tartre, le tartre crud qui lui devient semblable dans l'opération, & le savon ; soit dans deux corps différens, comme dans le mélange de la poudre de charbon, avec l'alkali fixe, ou le flux blanc. Voyez PHLOGISTIQUE. Mais il y a des corps qui en contiennent plus, d'autres moins. Ceux-ci le lâchent plus difficilement que ceux-là, &c. & c'est-là ce qui décide du choix qu'on en doit faire. On sent aisément qu'il en faut mêler à un métal qui est difficile à fondre, & dont la chaux ou le verre le sont encore plus, qu'un flux réductif qui lâche difficilement son phlogistique ; parce que si le principe inflammable n'y tenoit que peu, il pourroit se faire qu'il se dissiperoit avant que le tems de le donner fût venu. Il fau convenir cependant que cet inconvénient n'a pas lieu dans les vaisseaux fermés, dans lesquels l'instant où un corps métallique doit attirer son phlogistique, est celui qui le détermine à se dégager de sa base.

Quelques artistes font des flux ou des réductifs, composés de plusieurs especes de corps qui fournissent la matiere du feu ; mais il est aisé de sentir la futilité de ces sortes de fatras. Voyez TREMPE EN PAQUET.

Dans les circonstances où un flux est accompagné d'autres corps, comme dans les réductions que nous avons données pour les essais des mines, c'est pour des raisons particulieres qui ont été détaillées. Voyez ce que nous avons dit sur la limaille de fer & la chaux. Le verre simple, le verre de Saturne, & celui d'antimoine, sont des fondans particulierement destinés à atténuer les pierres & terres vitrifiées par l'alkali. Le fiel de verre a été employé aussi pour remplir ces vûes ; mais nous avons fait observer que ce corps devoit entraîner des inconvéniens à sa suite.

Le flux donc, comme composé d'un réductif & d'un fondant, differe de l'un & de l'autre de ces corps, parce qu'il est tous les deux ensemble. Il ne donne jamais aux corps avec lesquels on l'employe, que le principe inflammable, & il leur enleve les saletés qui nuisoient à la réunion du tout ; avantage que ne produit pas le réductif. Le fondant opere cet effet à la vérité, mais il reste souvent uni aux corps qu'il a dissous.

Nous finirons par cette conclusion générale, que tout flux est un corps qui a la propriété de réduire par le principe inflammable, & de fondre par le principe fondant qu'il contient, & conséquemment d'accélérer & de procurer la fusion des corps avec lesquels on le mêle : d'où est venue notre division, 1°. en réductifs, 2°. en fondans, 3°. en réductifs & fondans, ou flux. Voyez Stahl, Cramer, Boerhaave, & la Lithogéognosie de Pott.


FLUXIO-DIFFÉRENTIELadj. (Géométr. transcend.) M. Fontaine appelle ainsi dans les mémoires de l'acad. de 1734, une méthode par laquelle on considere dans certains cas, sous deux aspects très-distingués, la différentielle d'une quantité variable. Imaginons, par exemple, un corps qui descend le long d'un arc de courbe ; on peut considérer à l'ordinaire la différentielle de cet art comme représentée par une des parties infiniment petites dont il est composé, ou dont on l'imagine composé ; ensorte que l'arc total sera l'intégrale de cette différentielle : mais on peut considérer de plus la différence d'un arc total descendu à un arc total descendu qui differe infiniment peu de celui-là ; & c'est une autre maniere d'envisager la différence : dans le premier cas, l'arc total est regardé comme une quantité constante dont les parties seulement sont considérées comme variables & comme croissant ou décroissant d'une quantité différentielle : dans le second cas, l'arc total est lui-même regardé comme variable par rapport à un arc total qui en differe infiniment peu. On peut, pour distinguer, appeller fluxion la différence dans le second cas, & retenir le nom de différence dans le premier : ou bien ou peut se servir dans le premier cas du mot fluxion, & de différence dans le second. Voyez l'article TAUTOCHRONE, & les mémoires de l'académie de 1734, où M. Fontaine a donné un savant essai de cette méthode, qu'il nomme fluxio-différentielle, par les raisons qu'on vient d'exposer. (O)


FLUXIONS. f. (Géométrie transcend.) M. Newton appelle ainsi dans la Géométrie de l'infini, ce que M. Léibnitz appelle différence. Voyez DIFFERENCE & DIFFERENTIEL.

M. Newton s'est servi de ce mot de fluxion, parce qu'il considere les quantités mathématiques comme engendrées par le mouvement ; il cherche le rapport des vîtesses variables avec lesquelles ces quantités sont décrites ; & ce sont ces vîtesses qu'il appelle fluxions des quantités : par exemple, on peut supposer une parabole engendrée par le mouvement d'une ligne qui se meut uniformément, parallelement à elle-même, le long de l'abscisse, tandis qu'un point parcourt cette ligne avec une vîtesse variable, telle que la partie parcourue est toûjours une moyenne proportionnelle entre une ligne donnée quelconque & la partie correspondante de l'abscisse, voyez ABSCISSE. Le rapport qu'il y a entre la vîtesse de ce point à chaque instant, & la vîtesse uniforme de la ligne entiere, est celui de la fluxion de l'ordonnée à la fluxion de l'abscisse ; c'est-à-dire de y à x : car M. Newton désigne la fluxion d'une quantité par un point mis au-dessus.

Les géometres anglois, du moins pour la plûpart, ont adopté cette idée de M. Newton, & sa caractéristique : cependant la caractéristique de M. Leibnitz qui consiste à mettre un d au devant, paroît plus commode, & moins sujette à erreur. Un d se voit mieux, & s'oublie moins dans l'impression qu'un simple point. A l'égard de la méthode de considérer comme des fluxions ce que M. Leibnitz appelle différences, il est certain qu'elle est plus juste & plus rigoureuse. Mais il est, ce me semble, encore plus simple & plus exact de considérer les différences, ou plûtôt le rapport des différences, comme la limite du rapport des différences finies, ainsi qu'il a été expliqué au mot DIFFERENTIEL. Introduire ici le mouvement, c'est y introduire une idée étrangere, & qui n'est point nécessaire à la démonstration : d'ailleurs on n'a pas d'idée bien nette de ce que c'est que la vîtesse d'un corps à chaque instant, lorsque cette vîtesse est variable. La vîtesse n'est rien de réel, voyez VITESSE ; c'est le rapport de l'espace au tems, lorsque la vîtesse est uniforme : sur quoi voyez l'article ÉQUATION, à la fin. Mais lorsque le mouvement est variable, ce n'est plus le rapport de l'espace au tems, c'est le rapport de la différentielle de l'espace à celle du tems ; rapport dont on ne peut donner d'idée nette, que par celle des limites. Ainsi il faut nécessairement en revenir à cette derniere idée, pour donner une idée nette des fluxions. Au reste, le calcul des fluxions est absolument le même que le calcul différentiel ; voyez donc le mot DIFFERENTIEL, où les opérations & la métaphysique de ce calcul sont expliquées de la maniere la plus simple & la plus claire. (O)

FLUXION, (Medecine) ce terme est employé le plus communément dans les écrits des anciens, pour exprimer la même chose que celui de catarrhe ; par conséquent on y trouve la signification de l'un & de l'autre également vague.

En effet, Hippocrate regardoit la tête comme la source d'une infinité de maladies ; parce que, selon lui, c'est dans sa cavité que se forment les matieres des catarrhes, qui peuvent se jetter de-là sur différens organes, tant éloignés que voisins : il n'en est presque aucun qui soit exempt de leurs influences. Ce vénérable auteur entendoit donc par catarrhe ou fluxion, une chûte d'humeurs excrémentitielles, mais principalement pituiteuses, de la partie supérieure du corps vers les inférieures : aussi, selon lui (lib. de princip.), la tête est-elle le principal réservoir de la pituite, pituitae metropolis : il employoit donc dans ce sens le mot fluxion, comme un mot générique.

Galien ne l'adopta pas sous une acception aussi étendue : on trouve dans la définition qu'il en a donnée, que cette lésion de fonction n'est autre chose qu'un écoulement de différentes sortes d'humeurs qui tombent du cerveau par les narines & par les ouvertures du palais, & font un certain bruit en se mélant avec l'air qui sort des poumons ; il attribuoit cette sorte de catarrhe à l'intempérie froide & humide du cerveau, & à toutes les humeurs qui remplissent la tête.

Selon Sennert, il y a deux termes principaux pour désigner les mouvemens extraordinaires les plus sensibles de nos humeurs : lorsque ces mouvemens consistent dans un passage, un flux d'humeur, de quelque nature qu'elle soit, d'une partie telle qu'elle puisse être aussi, dans une autre indifféremment ; il dit que ce transport est appellé ; que cette sorte de mouvement est la plus générale : & il attribue la signification reçûe de son tems, du mot , aux seules fluxions d'humeurs portées du cerveau vers un autre organe quelconque de la tête ou de toute autre partie voisine, seulement vers le gosier, par exemple, ou vers les mâchoires ou les poumons : encore distingue-t-il le catarrhe ainsi conçû, en trois différentes especes, sous différens noms.

Ainsi il dit, que le catarrhe qui a son siége dans la partie antérieure de la tête, vers la racine du nez, avec un sentiment de pesanteur sur les yeux, est appellé gravedo ; c'est ce qu'on nomme vulgairement rhûme de cerveau : c'est une fluxion qui a son siége dans la membrane pituitaire, dont un des principaux symptomes est l'enchifrenement, voyez ENCHIFRENEMENT. Si l'humeur se jette sur la gorge, il forme, selon cet auteur, l'espece de catarrhe nommé , rancedo ; c'est la maladie qu'on nomme enroüement, voyez ENROUEMENT. Si l'humeur engorge les poumons, la fluxion retient le nom de catarrhe proprement dit, voyez CATARRHE. Ces trois distinctions sont très-bien exprimées dans un dystique fort connu, qui trouve tout naturellement sa place ici :

Si fluit ad pectus, dicatur rheuma catarrhus ;

Ad fauces branchus, ad nares esto coryza.

Mais il paroît par ce dystique même, que le nom commun à toutes les fluxions catarrheuses, est celui de rhûme, ou affection rhûmatismale. Ainsi il suit de ce qui a été dit ci-devant sur la signification du mot , qu'il est le mot générique employé pour exprimer toutes sortes de fluxions, tant catarrheuses qu'autres, sur quelque partie du corps que ce soit.

Cependant il faut observer que le mot latin fluxio rendu en françois par celui de fluxion, n'est presque pas un terme d'art : il ne sert aux Medecins, que pour s'exprimer avec le vulgaire sur le genre de maladie qui consiste dans un engorgement de vaisseaux formé comme subitement, c'est-à-dire en très-peu de tems, ordinairement ensuite d'une suppression de l'insensible transpiration, qui augmente le volume des humeurs ; ensorte que l'excédent, qui tend d'abord à se répandre dans toute la masse, est jetté par un effort de la nature, forme comme un flux sur quelque partie moins résistante, plus foible à proportion que toutes les autres ; idée qui répond parfaitement à celle des anciens, qui attribuoient toutes sortes de fluxions, soit catarrheuses, soit rhûmatismales, à l'excès de force de la puissance expultrice des parties mandantes en général sur la puissance retentrice de la partie recevante : d'où il suit que le ressort de cette partie étant moindre qu'il ne doit être par rapport à la force d'équilibre dans tous les solides, n'oppose pas une résistance suffisante pour empêcher qu'il ne soit porté dans cette partie une plus grande quantité d'humeurs qu'elle n'en reçoit ordinairement, lorsque la distribution s'en fait d'une maniere proportionnée, ensorte que les fluxions peuvent être produites, ou par la foiblesse absolue, ou par la foiblesse respective des parties qui en sont le siége, entant qu'il y a aussi excès de force, absolu ou respectif, dans l'action systaltique de toutes les autres parties. C'est d'après cette considération que les anciens disoient que les fluxions se font par attraction ou par impulsion, (per , vel per ), c'est-à-dire parce que les parties engorgées panchent par défaut de ressort, tandis que toutes les autres conservent celui qui leur est naturel ; ou que celles-ci augmentent d'action par l'effet du spasme, de l'érétisme, par exemple, tandis que celles-là n'ont que leur force ordinaire.

Ainsi dans toute fluxion, il se porte trop d'humeurs ; il en est trop arrêté dans la partie qui en est le siége ; ce qui suppose toûjours que la congestion suit la fluxion, voyez CONGESTION. Cependant il est des hémorrhagies, des écoulemens de différentes humeurs, qui doivent être attribués à la même cause que celle des fluxions, quoiqu'il n'y ait pas congestion : on devroit donc les regarder comme appartenans à ce même genre de maladie : cela est vrai ; mais c'est une chose de convention purement arbitraire, que l'on ait attaché l'idée de fluxion aux seuls engorgemens catarrheux, avec augmentation sensible ou présumée du volume de la partie affectée.

D'après ce qui vient d'être dit de la cause prochaine des fluxions, il paroît que la théorie qui les concerne doit être tirée absolument de celle de l'équilibre dans l'économie animale, c'est-à-dire des lésions de cet équilibre : voyez donc ÉQUILIBRE, (Medecine) pour suppléer à ce qui ne se trouve pas ici à ce sujet, parce qu'il en a été traité dans l'article auquel il vient d'être renvoyé, afin d'éviter les répétitions : on peut voir dans cet article la raison de tous les symptomes qui se présentent dans les fluxions, & des indications à remplir, pour y apporter remede.

On peut inférer des principes qui y sont établis, que s'il est quelques fluxions qui se font sans fievre, d'autres avec fievre, c'est que l'humeur surabondante qui en est la matiere, peut être déposée avec plus ou moins de difficulté dans la partie qui doit la recevoir. Si cette partie ne pêche que très-peu, par le défaut de ressort, respectivement à celui du reste du corps, il faut de plus grands efforts de la puissance expultrice générale, qui tend à se décharger : ces efforts sont une plus grande action dans tous les solides, qui constitue de véritables mouvemens fébriles. Voyez EFFORT, (Econom. anim.) FIEVRE. Les fluxions chaudes, inflammatoires, sanguines, bilieuses, telles que les phlegmoneuses, les érésypélateuses, &c. se forment de cette maniere.

Si la partie où doit se faire le dépôt cede sans résister au concours de résistance formée par la force de ressort, par l'action & la réaction actuelles des autres parties, d'où résulte une véritable impulsion, une impulsion suffisante pour déterminer le cours des fluides vers celles en qui cette force, cette action, & cette réaction sont diminuées : ce dépôt se fait sans fievre, sans aucun autre dérangement apparent dans l'ordre des fonctions ; telles sont les fluxions froides, pituiteuses, ou oedémateuses, &c.

Ainsi comme l'exposition des causes de toutes les différentes sortes de fluxions appartient à chacune d'entr'elles spécialement, de même les différentes indications à remplir & les différens traitemens doivent être exposés dans les articles particuliers à chaque espece de ce genre de maladies : par conséquent voyez INFLAMMATION, PHLEGMON, ERESYPELE, OEDEME.

Il suffit de dire ici en général, qu'on doit apporter une grande attention dans le traitement de toutes sortes de fluxions ; à observer si elles sont critiques ou symptomatiques ; si elles proviennent d'un vice des humeurs, ou d'un vice borné au relâchement absolu ou respectif, par cause de spasme des solides de la partie dans laquelle est formé le dépôt ; s'il convient de l'y laisser subsister, ou de le détourner ailleurs, où il ne produise pas des liaisons aussi considérables, &c.

Il faut bien se garder d'employer des répercussifs, lorsque les humeurs déposées sont d'une nature corrompue, & qu'elles ne peuvent pas être reprises dans la masse sans y produire de plus mauvais effets qu'elles ne produisent dans la partie où elles sont jettées : les résolutifs même ne doivent être mis en usage dans ce cas, qu'avec beaucoup de prudence : les suppuratifs, ou tous autres moyens propres à en procurer l'évacuation selon le caractere de la fluxion, chaud ou froid, sont les remedes préférables. On ne doit point faire usage de remedes toniques, astringens, contre les fluxions, que dans les cas où sans aucun vice des humeurs, elles se jettent sur une partie seulement, à cause de sa foiblesse absolue ou respective ; ou lorsque, sans causer de pléthore, la matiere du dépôt peut être ajoûtée à la masse ; & dans le cas où il n'y auroit à craindre, en employant ces secours, que l'augmentation de son volume, la saignée ou la purgation placées auparavant d'une maniere convenable, peuvent suffire pour prévenir & éviter ce mauvais effet.

Il est des circonstances dans bien des maladies, où il faut procurer des fluxions artificielles, comme dans les fievres malignes ; par des applications relâchantes qui rompent l'équilibre, pour déterminer la nature à opérer un métastase salutaire ; par exemple, dans les parotides par des épispastiques, pour détourner vers la surface du corps une humeur morbifique qui s'est fixée, ou qui menace de se fixer dans quelque partie importante : ce qui a lieu, par exemple, dans la goutte qu'on appelle remontée (Voyez FIEVRE MALIGNE, GOUTTE) ; par des cauteres, lorsqu'il s'agit de faire diversion d'un organe utile à une partie qui l'est peu, comme pour les ophthalmies, à l'égard desquelles on applique ce remede à la nuque ou derriere les oreilles, ou aux bras, &c. Voyez OPHTHALMIE, CAUTERE. (d)

FLUXION, (Manége, Maréchall.) fluxion qui affecte les yeux de certains chevaux, & dont les retours & les périodes sont reglés, de maniere qu'elle cesse pendant un certain intervalle, & qu'elle se montre ensuite de nouveau dans un tems fixe & déterminé. L'intervalle est le plus souvent d'environ trois semaines ; son tems est d'environ quatre ou cinq jours, plus ou moins, ensorte que son retour ou son période est toûjours d'un mois à l'autre.

Considérons les signes de cette maladie, eu égard à l'intervalle après lequel elle se montre régulierement, & eu égard au tems même de sa durée & de sa présence.

Ceux qui décelent le cheval lunatique, c'est-à-dire le cheval atteint de cette fluxion, quand on l'envisage dans l'intervalle, sont communément l'inégalité des yeux, l'un étant ordinairement alors plus petit que l'autre, leur défaut de diaphanéïté, l'enflure de la paupiere inférieure du côté du grand angle, son déchirement à l'endroit du point lachrymal, & l'espece d'inquiétude qui apparoît par les mouvemens que fait l'animal duquel on examine cet organe. Les autres qui sont très-sensibles dans le tems même de la fluxion, sont l'enflure des deux paupieres, principalement de celle que nous nommons l'inférieure, l'inflammation de la conjonctive, un continuel écoulement de larmes, la couleur rougeâtre & obscure de l'oeil, enfin la fougue de l'animal qui se livre alors à une multitude de défenses considérables ; car il semble que cette fluxion étant dans le tems, influe sur son caractere, & en change l'habitude.

Tous ces symptomes ne se manifestent pas néanmoins toûjours dans tous les chevaux lunatiques, parce qu'une même cause n'est pas constamment suivie du même effet, mais l'existence de quelques-uns d'entr'eux suffit pour annoncer celle de la maladie dont il s'agit. D'ailleurs elle peut attaquer les deux yeux en même tems, & dans un semblable cas, il n'est pas question de rechercher s'il est entr'eux quelque disproportion.

L'expression de cheval lunatique par laquelle on désigne tout cheval atteint de cette fluxion, démontre assez évidemment que nous avons été persuadés que les mouvemens & les phases de la lune dominoient l'animal dans cette occasion. Si ceux qui cultivent la science dont il est l'objet, avoient mérité de participer aux lumieres qui éclairent ce siecle, sans-doute que la plûpart d'entr'eux ne persévereroient pas dans cette erreur qui leur est encore chere ; ils ne seroient pas même forcés de parvenir à des connoissances profondes, pour être détrompés. Une simple observation les convaincroit qu'ils ne peuvent avec fondement accuser ici cet astre ; car dès que les impressions de cette fluxion ne frappent pas dans le même tems tous les chevaux qui y sont sujets, & se font sentir tantôt aux uns dans le premier quartier, & aux autres tantôt dans le second, & tantôt dans le décours, il s'ensuit que les influences & les différens aspects de la lune n'y contribuent en aucune maniere. Je n'ignore pas ce qu'Aristote & presque tous les anciens ont pensé des effets des astres sur les corps sublunaires, & ce que Craanen & l'illustre Sthal parmi les modernes, ont dit & supposé : mais leurs écarts ne justifient point les nôtres, & ne nous autorisent point à chercher dans des causes étrangeres les raisons de certaines révolutions uniquement produites par des causes purement méchaniques.

Deux sortes de parties composent le corps de l'animal : des parties solides & des parties fluides. Les solides sont des tissus de vaisseaux composés eux-mêmes de vaisseaux. Les fluides ne sont autre chose que les liqueurs qui circulent continuellement dans les solides qui les contiennent. L'équilibre exact qui résulte de l'action & de la réaction des solides sur les fluides, & des fluides sur les solides, est absolument indispensable pour rendre l'animal capable d'exercer les fonctions propres & conformes à sa nature ; car cet équilibre perdu, la machine éprouvera des dérangemens plus ou moins considérables, &c. Or si par une cause quelconque, si par exemple, conséquemment à la suppression de quelques excrétions, ou par quelques obstacles qui peuvent se rencontrer dans les vaisseaux, soit des parties internes, soit des parties externes de la tête, il y a engorgement dans ces vaisseaux, il y aura nécessairement inflammation, & de-là tous les accidens dont j'ai parlé ; cet engorgement parvenu à un certain point qui est positivement celui où tous ces accidens se montrent, la nature fait un effort ; les vaisseaux trop gonflés se dégorgent, soit par l'évacuation très-abondante des larmes, soit encore par quelqu'autre des voies servant aux excrétions naturelles, & les parties rentrent ensuite dans leur état jusqu'à ce que la même cause subsistant, un nouvel engorgement produise au bout du même tems les symptomes fâcheux qui caractérisent la fluxion périodique, dont la pléthore doit être par conséquent envisagée comme la véritable cause.

Le retour arrive dans un tems juste, fixe & déterminé, parce que les causes sont les mêmes, que les parties sont aussi les mêmes, & que s'il a fallu un mois pour former l'engorgement, il faut un même espace de tems pour sa réproduction. La plénitude se forme insensiblement & par degrés : les tuyaux qui se trouvoient engorgés dans le tems, & qui sont libres dans l'intervalle, n'ont qu'un certain diametre au-delà duquel ils ne peuvent s'étendre ; or la surabondance d'humeurs ne peut être telle qu'elle force, qu'elle surcharge les tuyaux, qu'autant que ces humeurs seront en telle & telle quantité ; & pour que ces humeurs soient en telle & telle quantité, il faut un intervalle égal ; cet intervalle expiré, le tems marqué arrive, pendant lequel, au moyen de l'évacuation, la plénitude cesse ; & le tems expiré, arrive de nouveau l'intervalle pendant lequel survient la plénitude, & ainsi successivement, le période dépendant entierement de la proportion des forces expansives aux forces résistantes. S'il n'est pas absolument exact dans tous les chevaux attaqués, & que l'on y observe des variétés, ces divers changemens doivent être attribués à l'exercice, aux alimens, aux saisons ; & si ces causes ne produisent pas dans quelques-uns les mêmes impressions, & que la quantité d'humeurs soit assez grande dans un tems toûjours certain & limité, on peut dire qu'elles sont compensées par d'autres choses. Du reste, pourquoi la nature employe-t-elle plûtôt ici vingt-sept ou vingt-huit jours que quarante ? La question est ridicule & la solution impossible ; les nombres seuls de proportions s'annoncent par les effets, mais la raison en est cachée dans toute la structure de la machine.

N'aspirons donc qu'à ce qu'il nous est permis & qu'à ce qu'il nous importe essentiellement de connoître. Si la pléthore est la source réelle de la fluxion périodique dont nous parlons, tous les signes indicatifs de cette maladie ne pourront s'appliquer que par le même principe. Or l'oeil est attaqué, ou les deux yeux ensemble paroissent plus petits, attendu que les paupieres sont enflées ; cette enflure ne provient que de l'engorgement ou de la replétion des vaisseaux sanguins & lymphatiques, & ces parties étant d'ailleurs d'un tissu lâche par elles-mêmes, il n'est pas étonnant qu'il y ait un gonflement emphisémateux. L'oeil est larmoyant, parce que l'inflammation causant un gonflement à l'orifice des points lachrymaux, les larmes d'ailleurs beaucoup plus abondantes ne peuvent point être absorbées ; elles restent à la circonférence du globe, principalement à la partie inférieure qui en paroît plus abreuvée qu'à l'ordinaire, & elles franchissent dès lors l'obstacle que leur présente la caroncule lachrymale. L'oeil est trouble & la cornée lucide moins transparente, parce que les vaisseaux lymphatiques étant pleins de l'humeur qui y circule, la diaphanéité ne peut être telle que dans l'état naturel. L'oeil est rougeâtre, parce que dès que la plénitude est considérable, les vaisseaux qui ne doivent admettre que la lymphe, admettent des globules sanguins ; enfin la fougue de l'animal ne naît que de l'engorgement des vaisseaux du cerveau, qui comprimant le genre nerveux, changent en lui le cours des esprits animaux, & par conséquent son habitude.

Quant au prognostic que l'on doit porter, nous ne l'asseoirons point sur les idées que l'on s'est formé jusqu'à présent de cette maladie, ni sur l'inutilité des efforts que l'on a faits pour la vaincre. Il n'est point étonnant qu'elle ait resisté à des topiques plus capables d'augmenter l'inflammation que de l'appaiser ; à des barremens d'arteres & de veines dont les distributions n'ont lieu que dans les parties qui entourent le globe, & non dans celles qui le composent ; à l'opération d'énerver ; à des amuletes placées sur le front ; enfin aux tentatives de M. de Soleysel, que la célébrité de son nom ne justifiera jamais d'avoir expressément prohibé la saignée, & d'avoir ordonné d'exposer le cheval malade au serein & à l'humidité de la nuit. Nous avouerons néanmoins que les suites peuvent en être fâcheuses. En effet, il est bien difficile que les évacuations qui donnent lieu à la cessation du paroxysme, soient toûjours assez complete s pour que l'organe recouvre toute son intégrité, surtout si les dilatations que les vaisseaux ont souffert ont été réitérées ; car dès lors ils perdent leur ton, & le moindre épaississement, la pléthore & l'acrimonie la plus legere les rendront susceptibles d'un engorgement habituel, d'où naîtra infailliblement la cécité qui ne succede que trop souvent à la fréquence des retours. L'oeil s'atrophie par le défaut du suc nourricier, l'orbite est dénuée de graisses, & j'ai même apperçu dans le cadavre une diminution notable du volume des muscles de cet organe, qui étoit sans-doute occasionnée par le desséchement. Il est aisé de comprendre que la maladie parvenue à son dernier degré, tous les remedes sont d'une inefficacité absolue : mais je peux certifier d'après plusieurs expériences, que si l'on en prévient les progrès & que l'on n'attende pas la multiplicité des rechutes, on cessera d'imaginer qu'elle est incurable.

Huit jours avant le paroxysme, l'engorgement commence à être considérable. Faites une saignée plus ou moins copieuse à l'animal, & dès ce moment retranchez-lui l'avoine : mettez-le au son & à l'eau blanche : le même soir administrez-lui un lavement émollient, pour le disposer au breuvage purgatif que vous lui donnerez le lendemain : réitérez ce breuvage trois jours après l'effet du premier ; il est certain que les symptomes ne se montreront point les mêmes, & que le période qui auroit dû suivre celui-ci, sera extrèmement retardé : observez avec précision le tems où il arrivera, à l'effet de devancer encore de huit jours celui du troisieme mois, & pratiquez les mêmes remedes : cherchez de plus à rendre la circulation plus unie & plus facile : divisez les humeurs, au moyen des médicamens incisifs & atténuans : recourez à l'aethiops minéral, à la dose de 40 grains jusqu'à 60, mêlé avec le crocus metallorum. Vous pouvez y ajoûter la poudre de cloportes, à la dose de 50 grains. Il est encore quelquefois à-propos d'employer la tisane des bois. J'ai vû aussi de très-bons effets de l'usage des fleurs de genêt données en nature, & d'une boisson préparée que j'avois fait bouillir, & dans laquelle j'avois mis cinq onces ou environ de cendres de genêt renfermées dans un noüet. A l'égard du séton, que quelques auteurs recommandent, & qui, selon eux, a procuré de très-grands changemens, je ne saurois penser qu'il ne puisse être salutaire, puisqu'il répond à l'indication ; mais je crois que ce secours seul est insuffisant, & ils l'ont éprouvé eux-mêmes. (e)

FLUXION, (Manége, Maréch.) Nous nommons ainsi la promte accumulation des humeurs dans une partie quelconque où les liquides ne peuvent librement se frayer une route. Lorsque l'accumulation se fait avec lenteur, & que cette collection n'a lieu qu'insensiblement, nous l'appellons congestion. Dans le premier cas, les tumeurs sont formées conséquemment à la vélocité du fluide qui aborde, & à la foiblesse de la partie qui le reçoit ; dans le second, cette seule foiblesse les occasionne. Voyez TUMEUR. (e)


FLYNS(Hist. superst.) idole des anciens Vandales-Obolistes qui habitoient la Lusace. Elle représentoit la mort en long manteau, avec un bâton & une vessie de cochon à la main, & un lion sur l'épaule gauche : elle étoit posée sur un caillou (flintz en saxon). On prétend que c'étoit l'image de Visalem ou Vitzlaw, ancien roi des Lombards.


FNÉS. m. (Marine.) c'est une sorte de bâtiment qui n'est en usage qu'au Japon. Il sert à transporter les marchandises par tout l'empire, tant sur les rivieres que le long des côtes ; mais ne peut pas s'exposer en plaine mer, & faire de grands voyages, qui sont défendus aux Japonois.

Les fnés ont l'avant & le dessous fort aigus ; ils coupent bien l'eau, & prennent facilement le vent : ils n'ont qu'un mât placé vers l'avant, & quarré jusqu'au bas où il est rond ; on peut le mettre bas en le couchant vers l'arriere : ce qu'ils font quand le vent est contraire, alors on prend les rames pour nager, & le mât sert de banc pour s'asseoir : c'est par cette raison qu'on le fait quarré. Il y a une ouverture pour mettre le pié du mât quand on l'arbore, & pour le soûtenir il y a des étais à l'avant & à l'arriere, qui sont amarrés à des traversins qui sont vers ces deux bouts ; on se sert de racages pour hisser la vergue & la voile.

Les voiles sont presque toutes de toiles de lin tissues, & rarement de paille ou de roseaux entrelacés.

Comme chaque bâtiment n'a qu'un mât, il n'a aussi qu'une voile.

Les ancres sont de bois, de la figure de deux courbes, auxquelles est bien amarrée une pierre très-pesante ; chaque bâtiment en porte cinq ou six, surtout lorsqu'ils doivent ranger la côte de bien près, & passer entre des rochers.

Ils ont aussi quelquefois des grapins de fer comme les nôtres, mais cela est rare ; la plûpart des cables sont de paille broyée, qu'on entrelace avec un artifice admirable ; ils ont vingt à trente brasses de long : il y en a aussi de brou, qui sont legers & qui nagent sur l'eau ; mais on en voit rarement de chanvre, & leur longueur n'est que de 50 brasses.

Le bois dont les fnés sont faits est fort blanc, & s'appelle fenux, excepté que la salle est de bois de camfre, dont on se sert en cette occasion, parce qu'il n'est pas sujet à être criblé des vers, n'y ayant pas d'insecte qui puisse subsister avec l'ardeur de ce camfre. Jamais on ne les braie, mais une fois le mois on les tire à terre, où on les racle ; on leur donne le feu, & on les suifve un peu par-dessous : ils ne sont que du port de cent vingt ou cent trente tonneaux.

Le mât du fné n'a pas beaucoup de hauteur : le gouvernail passe par une ouverture qui est à l'arriere ; il ne descend pas perpendiculairement, mais tout-à-fait en biais ; il est fort large & plus épais que la quille ; on le fait joüer avec des cordes ou avec la main : l'étrave est ronde. Il y a beaucoup de ces bâtimens qui sont tout ouverts ; d'autres ont un pont volant qui est plat & sans tonture, & qui s'ôte & se remet.

Il y a une petite chambre à l'arriere, dont la cloison est en coulisse ; elle est pour le maître & pour le pilote qui, par le moyen de ces coulisses, peuvent voir tout ce qui se passe dans le vaisseau.

Les fnés ont de largeur dans leur milieu le tiers de leur longueur ; ils sont un peu plus étroits par le haut que par le bas : ils ont de creux environ quatre piés dans l'oeuvre morte & au-dessus de l'eau, outre quelque planche ouvragée qui est sur la lisse de vibord, & qui fait une petite saillie à côté.

La cuisine qui n'est qu'un foyer tout ouvert, se place sous le pont au milieu du bâtiment.

La fosse aux cables est sous l'éperon, qui s'élance en-dehors sur l'eau.

Le vaisseau est souvent enjolivé en-dedans de papier qui y est collé. Il a des côtes & un serrage, comme ceux d'Europe, & les coutures sont calfatées de brou. (Z)


FOANGS. m. (Comm.) petite monnoie d'argent qui a cours à Siam, & qui y vaut quatre sous & la moitié d'un denier de la nôtre, à 3 liv. 10 s. l'once d'argent. Le foang est la moitié du mayon. Voyez le journal de Siam de l'abbé de Choisi.


FOCAFOCAS, s. m. (Hist. nat. bot.) fruit qui croît dans l'île de Formose, & qui a, dit-on, la forme & la grandeur d'une poire de bon chrétien. Il vient sur la terre comme les melons, est d'un beau rouge pourpre & d'un goût exquis. Hubner, dict. univers.


FOCALES. m. (Hist. anc.) espece de mouchoir de cou à l'usage des anciens, qui s'en servoient pour se garantir la gorge des injures de l'air. Les Allemands ont encore le focale. Dictionn. de Medecine.


FOEHR(Géogr.) petite île de la mer d'Allemagne sur la côte occidentale de Sleswick ; ses habitans conservent le langage, les moeurs, & l'habillement des anciens Frisons. Voyez Hermanides, Daniae desc. Long. 26d 18'. lat. 54d 46'. (D.J.)


FOENERATEURSS. m. pl. (Hist. anc.) c'étoient à Rome des especes d'usuriers ; ils prêtoient sur gages, & à un gros intérêt. Ils s'assembloient autour de la statue de Janus, aux environs de l'arc Fabien & du putéal de Libon. Ce commerce odieux fut défendu ; mais on ne tarda pas à sentir la nécessité des emprunts, & l'impossibilité de trouver des gens qui prêtassent sans avoir des sûretés. On réduisit donc l'intérêt de l'argent à une somme modique, & on en permit le trafic sous la forme ordinaire. Voyez INTERET & USURE.


FOESNou FOUANE, sub. f. (Marine & Pêche) c'est un instrument de fer propre à la Pêche, dont on se sert dans les vaisseaux pour harponner la dorade & la bonite à l'avant du navire. La foesne est faite en maniere de trident, & a une corde attachée à son manche pour la retirer, après qu'on l'a lancée sur le poisson. (Z)


FOETUSS. m. (Physiologie) Foetus dans l'économie de la nature se dit de chaque individu formé dans sa matrice, voyez MATRICE ; dans l'économie animale, de l'animal formé dans le ventre de sa mere, & par conséquent de l'enfant formé dans le sein de la femme : c'est de ce dernier que nous nous proposons de parler ici.

Quels sont les premiers principes de ce corps ? comment commence-t-il ? Est-il d'abord tout formé ? & ne fait-il que se développer ? C'est un point que toutes les recherches & les observations faites sur la génération tendent à éclaircir. Voyez GENERATION. Ainsi, sans nous arrêter aux différentes hypothèses que les dissertateurs plus ou moins appuyés de faits, ont imaginées pour expliquer les principes du développement des corps animés, remontons à la forme du corps humain la plus petite que les yeux les mieux habitués à observer ayent pû appercevoir. Voici ce que nous apprendront leurs observations.

Les Chirurgiens, les Accoucheurs, les Anatomistes, ont observé que trois ou quatre jours après la conception, il y a dans la matrice une bulle ovale, & que sept jours après la conception on peut distinguer à l'oeil simple les premiers linéamens du foetus. Ces linéamens néanmoins ne paroissent être qu'une masse d'une gelée presque transparente, qui a déjà quelque solidité, & dans laquelle on reconnoît la tête & le tronc. Quinze jours après on commence à bien distinguer la tête, & à reconnoître les traits les plus apparens du visage ; le nez n'est encore qu'un petit filet prééminent & perpendiculaire à une ligne qui indique la séparation des levres ; on voit deux points noirs à la place des yeux, deux petits trous à celle des oreilles ; aux deux côtés de la partie supérieure du tronc, de petites protubérances qui sont les premieres ébauches des bras & des jambes. Au bout de trois semaines, le corps du foetus s'est un peu augmenté ; les bras & les jambes, les mains & les piés s'apperçoivent. L'accroissement des bras est plus promt que celui des jambes, & les doigts des mains se séparent plutôt que ceux des piés.

A un mois le foetus a plus de longueur, la figure humaine est décidée, toutes les parties de la face sont déjà reconnoissables, le corps est dessiné, les hanches & le ventre sont élevés, les membres sont formés, les doigts des piés & des mains sont séparés les uns des autres, les visceres sont déjà marqués par des fibres pelotonnées. A six semaines le foetus est plus long, la figure humaine commence à se perfectionner ; la tête est seulement, proportion gardée, plus grosse que les autres parties du corps. A deux mois il est plus long, & encore plus à trois, & il pese davantage. Quatre mois & demi après la conception, toutes les parties de son corps sont si fort augmentées, qu'on les distingue parfaitement les unes des autres ; les ongles même paroissent aux doigts des piés & des mains. Il va toûjours en augmentant de plus en plus jusqu'à neuf mois, sans qu'il soit possible de déterminer les dimensions de ses parties. Tout ce qu'il y a de certain, c'est que le foetus croît de plus en plus en longueur, tant qu'il est dans le sein de sa mere, & qu'après la naissance il croît beaucoup plus dans les premieres années que dans les suivantes, jusqu'à l'âge de puberté.

Nous prenons le terme de neuf mois pour le terme ordinaire que l'enfant reste dans le sein de sa mere ; car différentes observations nous ont appris que des enfans nés à 6, 7, 8, 10, 11 & 13, ont vécu ; que d'autres ont resté 4 & 6 mois, y étant morts, sans s'y gâter, & même 23 mois, deux ans, trois ans, quatre ans, seize ans, vingt-six & quarante-six ans, après avoir à la vérité souffert quelques altérations, mais sans que la santé de la mere ait paru dérangée. Voyez Schenckius, Bartholin, & les autres observateurs ; & même si nous en voulions croire Krantzius, Aventin, Wolf, il en est sorti un au bout de deux ans du ventre de la mere, tout parlant & en état de marcher. Quelle philosophie !

Nous regardons aussi la matrice comme le lieu dans lequel le foetus se trouve plus ordinairement renfermé, dans quelqu'endroit de cette partie que puisse s'attacher son placenta, qu'on a en effet vû attaché dans différens endroits des parois intérieures de la matrice (voyez ACCOUCHEMENT) ; cependant quelques observateurs, & même des observateurs dignes de foi & capables d'observer, nous disent en avoir trouvé de développés dans les ovaires, dans le pavillon, dans les trompes, dans le bas-ventre, &c. Voyez les mémoires de l'académie royale des Sciences ; les oeuvres anatomiques de feu M. Duverney medecin ; les miscell. natur. curios. &c.

Il est plus ordinaire de voir des femmes n'avoir qu'un enfant à la fois, qu'un plus grand nombre, & lorsqu'elles en portent deux, trois, quatre & cinq, on les trouve très-rarement sous la même enveloppe, & leurs placentas, quoiqu'adhérans, sont presque toûjours distincts. Les observations sur le plus grand nombre d'enfans que les femmes ayent eu à la fois, méritent d'être discutées ; c'est ce qu'on verra à l'artic. OECONOMIE DE LA NATURE, où on entrera dans quelque détail sur la fécondité des différens individus ; du reste est-il bien constant qu'une fois qu'un foetus est développé dans la matrice, il puisse encore s'y en développer un autre par le même moyen ? c'est ce qui paroît confirmé par des observations qui seront examinées à l'article SUPERFETATION. Mais quoiqu'on ait des exemples de fruit renfermé dans un autre fruit, d'oeuf contenu dans un autre oeuf ; que Bartholin nous apprenne que des rats ayent fait des petits qui en portoient d'autres, & qu'on ait vû en Espagne une jument faire une mule qui étoit grosse d'une autre mule : il paroîtra toûjours surprenant que des foetus humains se soient trouvés fécondés dès le sein de leur mere, & qu'ils soient accouchés d'enfans vivans peu de jours après leur naissance ; c'est cependant ce que paroissent confirmer Bartholin, Clauder, les miscell. natur. curios. le journal des savans, &c. Quoique ce cas soit des plus rares, pensera-t-on avec Bartholin, que la nature qui avoit en vûe de produire deux jumeaux, en a par certaines circonstances enfermé un dans l'autre, & qu'elle s'est conduite en ce cas comme quelques-uns la font agir dans la production d'enfans à deux têtes, à deux corps, à quatre bras, &c ? Voyez MONSTRE.

Pourquoi les enfans ressemblent-ils tantôt à leur pere, tantôt à leur mere ? Toutes les observations qu'on a eu occasion de faire dans l'économie de la nature, tant dans le regne végétal que dans le regne animal, font bien voir que cela a lieu, sans trop nous instruire du comment ni du pourquoi. C'est à-peu-près la même difficulté pour les différentes marques de naissance. Voyez IMAGINATION & GENERATION.

Le foetus situé dans la matrice y est donc comme le poisson au milieu des eaux, c'est-à-dire qu'on peut considérer tout son ensemble comme une espece d'oeuf, rempli d'une liqueur dans laquelle le foetus nage, & aux parois intérieures duquel il est arrêté d'un côté par une espece de cordon qui sort de son nombril, & qui est composé de vaisseaux qui se divisent & se subdivisent en un grand nombre de ramifications pour pénétrer ce côté des parois de l'oeuf, passer à-travers, & s'aller implanter dans la matrice, de laquelle il tire par ce moyen sa nourriture.

Sept ou huit jours après la conception, si ce n'est plutôt, le foetus commence donc à être arrêté de cette façon à son cordon, s'augmente peu-à-peu, ne donne des signes de vie que plus d'un mois après la conception, plus ordinairement même à quatre mois ou quatre mois & demi, rarement plutôt ni plus tard ; il s'accroît, placé qu'il est pour l'ordinaire (lorsqu'il est seul, que le placenta est attaché au fond de la matrice, & que d'autres causes d'équilibre ne changent pas cette situation), les piés en-bas, le derriere appuyé sur les talons, la tête inclinée sur les genoux, les mains sur la bouche, & il nage comme une espece de vaisseau dans l'eau contenue par les membranes qui l'environnent, sans que la mere en ressente d'incommodité ; mais une fois que la tête vient à grossir assez pour rompre cet équilibre, elle tombe en-bas, la face tournée vers l'os sacrum & le sommet vers l'orifice de la matrice, six, sept ou huit semaines, plus ou moins, avant l'accouchement. Voyez ACCOUCHEMENT.

La premiere des membranes qui paroît à l'extérieur de l'oeuf, se nomme chorion ; & l'endroit de cette membrane qui soûtient le nombre presqu'infini des vaisseaux, dont les extrémités s'implantent dans la matrice, s'appelle placenta. Voyez CHORION & PLACENTA. En séparant le chorion, on découvre une autre membrane qu'on appelle amnios, qui, par conséquent, tapisse le chorion & le placenta, revêt le cordon ombilical, s'étend sur le corps du foetus, ou au-moins se trouve continue à la membrane extérieure qui le couvre, & renferme immédiatement les eaux dans lesquelles le foetus nage. Voyez AMNIOS.

Le cordon est composé de deux arteres & d'une veine qu'on nomme ombilicales, & d'un troisieme canal qu'on appelle ouraque, & qui, sans être creux dans l'homme, vient du fond de la vessie pour s'avancer jusqu'au nombril, où il semble se terminer ; tandis que creux dans les vaches, les brebis, les chevres, &c. il s'engage dans le cordon, coule entre les deux arteres en conservant encore la forme du canal, quitte le cordon pour s'étendre à droite & à gauche, & former de chaque côté un grand sac qui occupe toute une corne de la matrice à laquelle il est attaché par une petite appendice, & qui a la figure d'un gros boudin ; ainsi on ne peut pas douter qu'il ne soit le réservoir de l'urine du foetus, & on le nomme en conséquence membrane allantoïde. Voyez CORDON, OURAQUE & ALLANTOIDE.

Quant à l'eau que renferme l'amnios, & dans laquelle le foetus nage, quelle en est la source ? s'y renouvelle-t-elle ? y a-t-il dans les membranes qui la contiennent des organes propres à la séparer ? distille-t-elle des vaisseaux exhalans, & est-elle reprise par des vaisseaux absorbans de toute la surface qu'elle touche ? sert-elle de nourriture au foetus ? Ce sont de ces questions, qui, après bien des discussions, n'ont pas encore acquis toute la clarté nécessaire pour n'y plus laisser aucun doute. Nous nous contenterons donc de dire que le foetus se meut facilement de côté & d'autre, & que ce bain naturel le met à couvert des injures extérieures, en éludant la violence des coups que la femme grosse peut recevoir sur le ventre ; & il défend aussi, par la même raison, la matrice des secousses & des frottemens causés par les mouvemens du foetus ; enfin ces eaux servent à faciliter la sortie de l'enfant dans le tems de l'accouchement, en rendant les passages plus souples.

Ainsi le foetus croît dans sa prison jusqu'au tems où, semblable à une espece de fruit parvenu à sa maturité, les membranes qui l'environnent se rompent, les eaux coulent, & il enfile la route qui le conduit à la lumiere ; & s'il sortoit de la matrice sans que ces membranes se rompissent, il ne laisseroit pas de vivre en le plongeant dans l'eau, ou au-moins en faisant ensorte qu'il pût se conserver comme il étoit dans la matrice ; si bien que s'il étoit placé dans un milieu d'où les racines du placenta pussent tirer un suc propre à les nourrir, il vivroit dans cet état hors de la matrice, comme il vivoit renfermé, sans respirer : mais il n'en est pas de même une fois qu'il a respiré ; car je ne crois pas que malgré la disposition de ses organes intérieurs, il pût s'y soûtenir long-tems. Voyez RESPIRATION.

Il y a donc dans le foetus quelque construction particuliere convenable à la vie qu'il mene dans le sein de sa mere. Il a un canal qui communique de la veine-porte à la veine-cave inférieure : on y trouve un trou de communication de l'oreillette droite du coeur à l'oreillette gauche, garni d'une soupape qui permet bien au sang de cette oreillette de passer dans la gauche, mais qui empêche, ou au-moins ne permet pas avec autant d'aisance, au sang de l'oreillette gauche de passer dans la droite ; ce trou est nommé trou ovale. On voit encore un canal qui communique de l'artere du poumon à l'aorte descendante, sous le nom de conduit artériel. Voyez AORTE, COEUR, &c.

Pour bien entendre les usages de ces parties, il faut remarquer, dit M. Duverney, que le sang de la veine-porte du foetus coule fort lentement : premierement, parce qu'il n'est point battu ni comprimé par les mouvemens de la respiration ; deuxiemement, parce qu'il va d'un petit canal dans un grand ; troisiemement, parce qu'à chaque respiration de la mere, le placenta est comprimé de maniere que le mouvement des liqueurs qu'il contient en est augmenté, & par conséquent celui du sang de la veine ombilicale ; quatriemement, parce que ce sang est très-vif & très-fluide, tant parce qu'il se mêle immédiatement avec celui des arteres ombilicales qu'avec celui de la mere, qui doit être en quelque sorte comparé au sang de la veine du poumon des adultes, c'est-à-dire qu'il est impregné de toutes les particules d'air destinés pour vivifier le sang du foetus, & chargé de tous les sucs qui peuvent être employés pour sa nourriture & pour son accroissement.

Cela posé, il est aisé de concevoir que le sang de la veine ombilicale étant plus vif, plus fluide, & poussé avec plus de force que celui qui coule dans celui de la veine-porte, il en doit passer une portion considérable au-travers de ce sinus, dans l'embouchure du conduit veineux qui est fort court, sans aucun rameau, & qui se présente presque directement pour le recevoir. Il y a lieu de croire que le sang de la veine-porte ne peut pas beaucoup se détourner de sa route, parce que deux liqueurs, qui sont poussées par un canal commun avec des vîtesses inégales & des directions différentes, ne se mêlent pas parfaitement, & celle qui va plus vîte s'éloigne moins de sa premiere direction.

Il y a lieu de croire que la portion de ce sang qui se mêle avec celui de la veine-porte, sert à la rendre plus propre à la filtration de la bile.

Voilà par quelle adresse la nature fait passer les sucs nourriciers de la mere dans la veine-cave inférieure du foetus, & de-là dans le coeur, qui est tout proche de l'insertion de ce conduit ; ce qui nous donne lieu de remarquer que comme tout ce qu'il y a de plus nécessaire à la vie & à la nourriture du foetus, est renfermé dans le sang de la veine ombilicale, ainsi qu'il a été dit, la nature lui a frayé un chemin le plus court & le plus facile qui lui étoit possible pour le faire entrer dans le coeur, qui distribue ensuite cette liqueur si importante à toutes les parties du foetus : car en faisant passer ce sang par ce conduit veineux qui, quoique très-court, prolonge, pour ainsi dire, la veine ombilicale jusqu'à l'entrée du coeur ; elle évite l'embarras d'une très-longue & très-pénible circulation, qui se feroit au-travers de la substance du foie. Examinons à-présent quel est l'usage du trou ovale.

On vient de faire voir qu'une portion considérable du sang de la veine ombilicale se jette dans la veine-cave inférieure, où il se mêle encore avec celui qui revient par cette veine-cave. Ce sang s'avance vers le coeur, & là, rencontrant le trou ovale dont on vient de parler, il oblige sa soupape par son poids & son impulsion à se tenir ouverte, & à le laisser passer pour la plus grande partie dans le tronc de la veine du poumon, de-là dans le ventricule gauche ; ce qui fait qu'il y passe avec facilité & autant que l'ouverture du trou peut le permettre, c'est que dans le foetus humain, il y a un rebord membraneux, qui regnant transversalement le long de la partie supérieure du trou ovale, détermine une partie du sang de la veine-cave inférieure à passer par ce trou. Dans les animaux à quatre piés, la digue qui est entre les deux veines caves, fait un rebord précisément au-dessus du même trou ; ce qui fait que le sang qui monte par la veine-cave inférieure, & qui va heurter contre cette digue, trouve une très-grande résistance qui le détermine à passer facilement par le trou ovale : car par ce choc, le sang venant à rencontrer celui qui remonte, pose plus long-tems sur la soupape qu'il fait baisser, non-seulement par son poids, mais encore en revenant de la digue sur lui-même. Ce qui facilite encore le passage du sang de la veine-cave inférieure par le trou ovale, c'est que la soupape a une entiere liberté de se baisser, ne trouvant que peu de résistance de la part du sang qui revient dans le tronc de la veine du poumon ; tant à raison de la situation & de la direction de cette même soupape, qui est placée à la partie supérieure de ce tronc, c'est-à-dire dans l'endroit où le sang qui y coule fait le moins d'effort ; que parce qu'il en passe moins dans la veine du poumon, qu'il est moins élastique, & qu'il se meut avec moins de vîtesse.

En parlant de la structure de cette soupape, on a expliqué dans quel tems du mouvement du coeur elle s'éleve & s'abaisse pour former ou laisser ouvert le trou ovale.

Il est aisé de juger que ce trou sert aussi-bien que le conduit veineux à abreger le chemin de la veine ombilicale, car le conduit veineux exempte ce sang de l'embarras d'une circulation très-longue & très-pénible qu'il se feroit au-travers du foie, ainsi qu'il a été dit ; & par le trou ovale ce même sang évite pareillement l'embarras d'une circulation au-travers du poumon, non-seulement inutile, mais aussi très-difficile, & qui paroît même causer la mort du foetus. En un mot, le conduit veineux fait passer ce sang jusqu'à l'entrée du coeur sans traverser le foie, & le trou ovale le fait passer dans le ventricule droit, & par le poumon. Il ne seroit rentré dans l'aorte qu'après avoir traversé ce viscere, où il se seroit dépouillé de ses parties les plus vives & les plus nourricieres. Examinons maintenant quel est l'usage du conduit artériel.

La veine-cave supérieure se décharge entierement dans le ventricule droit qui reçoit aussi une portion du sang qui coule par la veine-cave inférieure, savoir celle qui n'a pû passer par le trou ovale ; mais afin que ce sang évite le chemin inutile & difficile des poumons, il arrive que quand il est poussé par la contraction du ventricule droit du coeur dans le tronc de l'artere du poumon, tout ce sang ne peut pas passer dans ce viscere par la résistance que lui font l'affaissement des cellules, & tous les plis & les replis de leurs vaisseaux contre lesquels ce sang va heurter ; c'est donc ce qui le détermine à passer par le canal de communication pour se rendre dans l'aorte descendante : & si l'on fait attention à la grande résistance que le sang trouve à passer par le poumon, & que le canal de communication a plus de diametre qu'une des branches qui vont au poumon ; il sera aisé de prouver que la portion la plus considérable qui sort du ventricule droit, est forcée d'entrer dans le conduit artériel, & d'y passer avec le degré de vîtesse convenable à sa quantité.

On va expliquer pourquoi cette circulation est différente dans l'homme avant & après la naissance.

Le foetus ne pouvant respirer tant qu'il est renfermé dans le ventre de sa mere, ses poumons sont affaissés, leurs vaisseaux sont repliés les uns sur les autres ; de sorte que si l'artere du poumon y portoit une aussi grande quantité de sang qu'après la naissance, le sang s'y amasseroit & gonfleroit tellement les vaisseaux, qu'il ne manqueroit pas d'interrompre la circulation du ventricule droit au gauche, d'y causer quelque inflammation, & d'y former des abcès qui causeroient bien-tôt la mort du foetus ; ce qui ne peut plus arriver après la naissance, parce que l'air que l'enfant respire gonflant toute la substance celluleuse des poumons, leurs vaisseaux sont redressés : ainsi non-seulement cet air prépare au sang une voie très-libre pour passer du ventricule droit au gauche, mais il le force même par son ressort de couler incessamment dans le ventricule gauche.

On voit à-présent, tant par le moyen du trou ovale que par celui du conduit artériel, que le poumon n'est pas chargé d'une si grande quantité de sang, puisqu'une portion de la veine-cave inférieure, passe par le trou ovale dans le tronc de la veine du poumon, qui se décharge dans le ventricule gauche, & de-là dans l'aorte, & qu'ainsi ce sang n'est pas obligé de circuler par le ventricule droit & par les poumons ; & quant au sang qui est entré dans le ventricule droit, & qui a passé dans l'artere du poumon, la plus grande partie est forcée par le refoulement que souffre le sang dans la substance du poumon, de couler par le conduit artériel dans l'aorte descendante, sans passer par les poumons & le ventricule gauche du coeur : par ce moyen le trou ovale ne décharge pas seulement le ventricule droit du coeur, mais encore le poumon ; de même le conduit artériel ne décharge pas seulement le ventricule gauche, mais encore le poumon.

En un mot le poumon est par ce moyen déchargé, comme on dit, d'une circulation inutile & dangereuse ; inutile, puisque ce sang n'y peut recevoir aucune préparation propre à maintenir la vie du foetus ; dangereuse, puisqu'on vient de prouver qu'il seroit par-là en danger de perdre la vie : il ne laisse pas néanmoins d'y passer du sang considérablement pour tenir ses vaisseaux dilatés, afin qu'ils soient en état d'en recevoir une plus grande quantité, immédiatement après la naissance de l'enfant.

On peut dire que la nature observe ici la même chose qu'elle fait à l'égard des tortues, des grenouilles, des poissons, & des insectes ; car dans les tortues, dans des animaux du même genre, & dans les poissons, tout le sang qui est destitué de sa partie spiritueuse, ne repasse dans l'aorte qu'après s'être mêlé avec celui qui revient des poumons, qui l'anime & qui le vivifie.

Dans les insectes qui ont plusieurs coeurs, chaque coeur qui a son aorte a aussi ses trachées particulieres qui lui servent de poumon ; & le sang n'entre point dans cette aorte qu'il n'ait été auparavant préparé dans les vaisseaux du coeur, par l'air que lui fournissent les trachées.

De même dans le foetus, le sang qui n'est pas assez spiritueux n'entre point dans l'aorte qu'il n'ait été mêlé avec celui qui vient de la mere, lequel a la même qualité que celui qui revient des poumons.

Cela étant ainsi, il est aisé de juger que dans le foetus ce mélange du sang se doit faire dans le ventricule d'où naît l'aorte, c'est-à-dire dans le gauche ; c'est à quoi sert le trou ovale, & le conduit artériel qui y fait passer une portion considérable du sang de la mere.

On voit que dans les adultes tout le sang veineux passe dans les poumons, où il est impregné de particules aériennes qui le rendent propre à toutes ses fonctions avant que d'entrer dans le ventricule gauche, & de-là dans l'aorte : il faut observer que dans le foetus le sang de la veine-cave supérieure, qui est dépouillé de ses particules spiritueuses aériennes & nourricieres, se décharge tout entier dans le ventricule droit, & qu'il n'y en entre qu'une petite portion de la veine-cave inférieure ; ce même sang est poussé dans le tronc de l'artere du poumon, où il est divisé en trois parties.

La premiere, qui est la plus considérable, passe par le conduit artériel dans l'aorte descendante, pour être rapportée promtement par les arteres ombilicales dans le placenta, & s'y préparer de nouveau.

Les deux autres parties qui sont obligées de circuler par le poumon, où elles ne reçoivent aucune préparation, puisqu'il est sans action, se rendent dans le tronc de la veine du poumon pour se remêler avec le sang qui vient de la mere, lequel a passé par le trou ovale, & c'est par ce mélange qu'il se ranime & se vivifie.

A l'égard du sang contenu dans le ventricule gauche, on voit que c'est le plus spiritueux & le plus chargé de parties nourricieres, parce qu'il vient presque tout de la mere par le trou ovale : or ce même sang sortant du ventricule gauche, entre dans l'aorte qui le distribue aux parties supérieures & inférieures ; avec cette différence, que celui qui passe par l'aorte descendante se mêle avec celui du canal de Botal, qui est moins vif & moins spiritueux ; au lieu que celui qui monte au cerveau conserve toute la bonne qualité qu'il a reçue par son mélange avec le sang de la mere, ce qui le rend d'autant plus propre à la filtration des esprits, dont l'influence est si nécessaire pour l'entretien de la vie du foetus.

Comme dans la tortue & dans plusieurs autres animaux il n'y a à chaque circulation qu'environ un tiers du sang qui passe par le poumon pour s'y vivifier, & que cette portion suffit pour animer autant qu'il en est besoin toute la masse du sang, parce que ces animaux ne sont point destinés à des actions où il se fasse une grande dissipation d'esprits ou de la substance des parties ; de même dans le foetus, qui dans le ventre de la mere est presque sans action & dans une espece de sommeil continuel, une petite portion du sang de la mere suffit pour animer toute la masse autant qu'il est nécessaire.

Examinons à-présent de quelle maniere se forment les vaisseaux de communication dans le foetus.

Un canal membraneux & mou, par où il ne passe plus de sang, s'affaisse peu-à-peu & s'étrecit, jusqu'à-ce qu'enfin ses parois venant à se toucher & à se coller l'une contre l'autre, de canal qu'il étoit, il ne devient plus qu'un ligament ; or après la naissance de l'enfant il ne passe plus de sang par le conduit veineux, parce que le cours de celui de la veine ombilicale qui se jettoit dedans avec facilité, est arrêté ; il n'y a plus que le sang qui coule par le sinus de la veine-porte, qui puisse en fournir quelque portion à ce conduit : mais il faut remarquer que ce sang coule plus aisément par les vaisseaux du foie de l'enfant après la naissance par deux raisons ; premierement parce que la substance de ce viscere étant battue sans-cesse par les mouvemens de la respiration, elle se dégage & se débarrasse de quantité d'humeurs dont elle étoit remplie pendant le séjour du foetus dans le ventre de la mere, & par conséquent laisse au sang un passage plus libre ; deuxiemement, parce que les branches que la veine-porte jette dans le foie, ont leurs canaux ouverts directement du côté que ces vaisseaux entrent dans le sinus ; au lieu que le conduit de communication n'a son ouverture dans le sinus de la veine-porte qu'en biaisant, & de maniere que le sang qui coule dans le sinus venant à frapper contre, ne tend qu'à presser & à retenir l'embouchure même du conduit veineux.

Voilà de quelle maniere il se forme.

Examinons à présent comment se ferme le trou ovale après la naissance de l'enfant.

Pour le bien entendre, il faut se souvenir que dans le foetus, tout le sang qui revient des parties inférieures, de même que celui qui vient du placenta, se ramasse dans la veine-cave inférieure, & qu'au contraire il en passe peu dans le tronc de la veine du poumon, ainsi qu'il est prouvé ; ensorte qu'il est aisé de juger que l'impulsion de tout ce sang qui passe par la veine-cave inférieure, peut facilement ouvrir la soupape du trou ovale, sans rencontrer beaucoup de résistance de la part du sang qui vient dans le tronc de la veine du poumon, lequel est en petite quantité ; mais après la naissance de l'enfant, tout le sang qui sort du ventricule droit, est obligé de circuler par le poumon, comme il sera prouvé ; & il y reçoit une forte impulsion : premierement parce que le coeur bat plus fort & pousse avec plus de violence le sang dans l'artere du poumon, qui à son tour repousse plus fortement celui de la veine du poumon ; secondement parce que les petits canaux du poumon devenant dans l'inspiration moins courbés, l'impétuosité du sang de l'artere se communique davantage au sang de la veine ; troisiemement parce que le sang coulant avec plus de vîtesse par le poumon, il en passe moins par le canal de communication, & par conséquent il en passe davantage par le poumon ; quatriemement parce que ce sang est fort élastique, à cause des qualités que l'air lui a communiquées.

On voit par-là que le sang qui circule par le tronc de la veine du poumon, coule avec plus de vîtesse, qu'il est en plus grande quantité, & plus élastique qu'il n'étoit auparavant, & qu'il gonfle davantage ce vaisseau ; par conséquent il doit l'emporter de beaucoup sur l'effort du sang de la veine-cave inférieure, ce qui le met en état de soûlever la soupape & de la tenir fortement attachée à la partie du trou qu'elle laissoit ouvert, & de donner à cette soupape le tems de se coller peu-à-peu aux parois de la veine du poumon.

Le sang qui produit cet effet est principalement celui qui revient du poumon droit, car c'est le seul qui venant à frapper contre la soupape, & la prenant par-dessous & par l'endroit où elle est attachée, la soûleve & la déploie, & fait qu'elle s'applique au trou ; de cette sorte que s'il étoit possible que celui qui revient du poumon gauche abandonnât le chemin de l'oreillette pour venir frapper contre cette soupape déjà soûlevée, il ne serviroit qu'à la maintenir encore davantage dans cet état.

En parlant de la structure de cette soupape, on a expliqué plus au long comment elle se releve & se ferme.

Suivant tout ce que nous venons de dire, il ne sera pas difficile de faire voir comment se ferme aussi le canal de Botal après la naissance.

L'on a déjà fait remarquer que tant que le foetus est renfermé dans le sein de la mere, les poumons sont sans action ; que tout leur tissu cellulaire est affaissé, leurs vaisseaux pliés & repliés en quantité d'endroits ; que le peu de sang qui y a passé a même de la peine à circuler, & que par le séjour qu'il y fait, il leur donne une teinture rouge & une consistance dure & ferme comme de la chair : mais aussitôt après la naissance, l'air extérieur se trouvant forcé d'entrer dans les poumons, les dilate, les gonfle, &c. & d'un autre côté si on considere l'insertion de ce canal dans l'aorte, on trouvera que quand l'aorte descendante se dilate, elle en comprime l'extrémité, parce que ce canal s'y insere de biais, & selon le cours du sang. Or il est certain que depuis la respiration, l'aorte reçoit beaucoup plus de sang qu'auparavant, & par conséquent qu'elle est plus dilatée ; ajoûtez à cela que le canal de communication se trouvant entre le tronc de l'aorte du poumon & l'aorte descendante, il est comprimé par le gonflement & la dilatation de tous les deux.

Le sang passe-t-il directement de la mere à l'enfant par les racines du placenta ? en quel organe particulier lui fait-il prendre un caractere laiteux dans ce passage ? c'est ce que différentes observations opposées les unes aux autres laissent encore indécis. Tout ce qu'il y a de constant, c'est qu'il se nourrit, que toutes ses parties y sont disposées à exercer les fonctions auxquelles elles sont destinées lorsqu'il arrive au monde, que les veines lactées y sont remplies d'un suc, les reins garnis à leur partie supérieure, où le sang l'emporte en attendant que le rein séparant une plus grande quantité d'urine qu'il ne faisoit dans le sein de la mere, il fasse sécher de disette cette capsule ; qu'à la partie supérieure & antérieure de la poitrine il y a une espece de corps glanduleux qu'on appelle thymus, lequel remplit la poitrine avec les poumons, &c. & qui une fois que les poumons viennent à être dilatés par l'action de la respiration, se desseche peu-à-peu au point qu'il disparoît presqu'entierement, &c. Voyez VEINES LACTEES, REINS SUCCENTURIAUX, YMUSYMUS.

Comment le foetus pourroit-il se nourrir par la bouche, si on ne peut avaler sans respirer ? Voyez DEGLUTITION.

Quelque bien disposées que soient d'ailleurs les parties du foetus, & quoique quelques-unes paroissent déjà sur la voie des fonctions qu'elles doivent exercer, quelque petit que soit l'exercice qu'elles en font ; il en est d'autres qui sont simplement préposées à ces fonctions sans les avoir en aucune façon exercées ; c'est ainsi que l'enfant ne lâche point les eaux ni les excrémens qu'il n'ait respiré ; mais une fois qu'il est exposé à l'air, dont le poids est sans comparaison plus grand que celui de la liqueur dans laquelle il nage, tout son corps se dilate, sa poitrine s'éleve, l'air enfile la route des poumons, l'irritation qu'il cause & la vîtesse avec laquelle il entre & ressort, font crier & éternuer l'enfant ; les secousses du diaphragme pressent pendant ce tems les visceres du bas-ventre, les excrémens sont par ce moyen chassés des intestins, & l'urine de la vessie. La nature même a pris tant de précaution pour certains organes délicats & sensibles, qu'elle les a garnis d'une espece de membrane particuliere, comme l'oeil & l'oreille, qui non-seulement peut être de quelqu'usage au foetus dans le sein de la mere, mais encore sert à préserver ces parties des trop vives impressions de l'air lorsque le foetus vient à y paroître. Voyez OEIL & OREILLE.

Dans quel détail ne nous entraîneroient pas les remarques que nous aurions à faire sur l'état dans lequel se trouvent les différentes parties de l'enfant à la sortie du sein de sa mere, sur la souplesse & les différentes portions de ses os, qui sont celles qui deviendroient plus intéressantes par rapport à la maniere dont on embéguine & on emmaillote les enfans ; sur la disposition des autres parties qui exigeroient des soins particuliers pour veiller à ce que le développement en fût le plus parfait qu'il est possible, ou au moins qu'on ne s'opposât point à celui que la nature leur prépare, si on ne cherche à l'aider dans ses vûes ; tous détails qui deviendroient assez intéressans pour être la matiere d'un traité particulier.

Quelles autres discussions ne demanderoient pas l'examen des signes qui font connoître si le foetus n'est point mort dans le sein de sa mere ? s'il y a respiré ? s'il est possible qu'il y vive après la mort de sa mere, & comment cela peut arriver ? & une infinité d'autres questions aussi utiles que curieuses, & que nous ne pouvons ni ne devons même approfondir ici, faute de pouvoir les résoudre. (L)

On pourroit résoudre plusieurs autres questions qu'on fait sur le foetus, lorsqu'il est dans le sein de sa mere, si les sens nous accordoient leur secours, pour suivre son développement depuis son origine jusqu'à son terme ; mais la vûe de tels mysteres nous est interdite : bornés aux connoissances grossieres qui sautent aux yeux, nous savons seulement que le foetus dans ses commencemens, & même dans les derniers tems, differe à plusieurs égards du nouveau-né & de l'adulte. Indiquons donc ici les principales différences qui s'y rencontrent, avant ou peu après l'accouchement.

D'abord par rapport aux parties molles, on observe que les arteres & les veines ombilicales du foetus, de même que le canal veineux du foie, sont des canaux creux qui deviennent solides dans les adultes. De plus il y a pour l'ordinaire dans l'estomac du foetus, une humeur glaireuse, de couleur blanchâtre, de même que dans les intestins grêles ; tandis que les gros intestins sont presque toûjours remplis d'une humeur noire & visqueuse, appellée meconium, qui est plus épaisse que la liqueur de l'estomac & des intestins grêles. Le foie du foetus est plus gros à proportion que dans l'adulte, de même que l'appendice du coecum. On comprend aisément que cette grosseur du foie dans le foetus, provient de ce que le diaphragme étant immobile, il ne peut comprimer le foie ; au lieu que quand l'air a fait entrer cette cloison musculeuse en jeu, le foie se trouve comprimé, & pour lors le sang ne peut plus gonfler ce viscere comme il faisoit auparavant. Les capsules atrabilaires y sont d'un volume presqu'égal à celui des reins, dont la surface est semblable à celle des reins du veau. Enfin la vessie semble un peu plus allongée, en se portant vers le nombril.

A l'égard de la poitrine, on y remarque que la glande thymus est fort grosse, par la raison que le poumon affaissé laisse un plus grand espace pour cette partie. On remarque encore que le canal artériel conserve sa cavité ; que le trou ovale est ouvert ; que les poumons, examinés avant que le foetus ait respiré, sont d'une couleur noirâtre ; & que leur substance, au lieu d'être spongieuse comme elle l'est dans l'adulte, se trouve très-compacte ; de sorte qu'un morceau jetté dans l'eau, ne manque point d'aller au fond. Un peu de teinture de Physiologie explique tous ces faits.

Pour ce qui concerne les parties dures, le volume de la tête en géneral paroît ordinairement plus considérable à proportion dans le foetus, que dans le nouveau-né & dans l'adulte ; les os du crâne sont éloignés, sur-tout dans l'endroit qu'on nomme la fontanelle, & ceux qui n'ont pas encore de suture. Les dents sont imparfaites, & cachées sous les gencives. Le conduit auditif n'est point encore parfait, & est fermé par une membrane continue à l'épiderme ; membrane qui disparoît ensuite après l'accouchement. Les os de tout le corps sont fort mous ; plusieurs sont cartilagineux, & les articulations sont aussi très-imparfaites.

Quoique l'anatomie du foetus nous manque encore dans tous ses degrés d'accroissement, il y a néanmoins deux remarques importantes qu'il ne faut pas négliger de faire sur son squelete, en attendant qu'on donne quelqu'ouvrage complet sur cette matiere. La premiere remarque, c'est que les os qui ont part à la composition des organes des sens, ou qui sont destinés à leur conservation, sont les premiers perfectionnés dans le foetus ; tels sont ceux qui forment les orbites, les lames osseuses & spongieuses de l'os ethmoïde, & les osselets des oreilles. La seconde remarque utile, c'est que presque tous les os du foetus se trouvent composés de plusieurs pieces, ce qui contribue beaucoup à faciliter sa sortie de l'utérus au tems de l'accouchement.

Quelque différente, & peut-être quelqu'incertaine que soit la situation du foetus dans la matrice, cependant plusieurs auteurs croient que dans les premiers tems, cette situation est telle, que toutes les parties de son corps sont pliées, & que toutes ensemble elles forment une figure ronde, à-peu-près comme une boule, pour s'accommoder à la cavité de la matrice, de même que tous les membres d'un poulet se trouvent pliés pour répondre à la cavité de l'oeuf qui le renferme ; que dans cette situation, dis-je, la tête est panchée en-devant, l'épine du dos courbée en-dedans, les cuisses & les jambes pliées, ensorte que ses talons s'approchent des fesses, & les bouts de ses piés sont tournés en-dedans, ses bras fléchis, & ses mains près des genoux. Il a pour lors l'épine du dos tournée vers celle de la mere, la tête en-haut, la face en-devant, & les piés en-bas ; & à mesure qu'il vient à croître & à grandir, il étend peu-à-peu ses membres.

Il prend ensuite des situations différentes de celles-ci ; lorsqu'il est prêt à sortir de la matrice, & même long-tems auparavant, il a ordinairement la tête en-bas & la face tournée en-arriere, & il est naturel d'imaginer qu'il peut changer de situation à chaque instant. Des personnes expérimentées dans l'art des accouchemens, ont prétendu s'être assûrés qu'il en change en effet beaucoup plus souvent qu'on ne le croit d'ordinaire ; & c'est ce qu'on tâche de prouver par les observations suivantes. 1°. On trouve souvent le cordon ombilical tortillé & passé autour du corps & des membres de l'enfant, d'une maniere qui suppose que le foetus a fait des mouvemens dans tous les sens, & qu'il a pris des positions successives très-différentes entr'elles. 2° Les meres sentent les mouvemens du foetus tantôt d'un côté du ventre, & tantôt d'un autre côté ; il frappe également en plusieurs endroits différens, ce qui suppose qu'il prend des situations différentes. 3°. Comme il nage dans un liquide qui l'environne de toutes parts, il peut très-aisément se tourner, s'étendre, se plier par ses propres forces ; & il doit aussi prendre des situations différentes, suivant les différentes attitudes du corps de la mere : par exemple, lorsqu'elle est couchée, le foetus doit être dans une autre situation que quand elle est debout.

Enfin vers le dernier mois, c'est-à-dire sur la fin du huitieme, il fait la culbute ; & pour lors sa tête se porte vers l'orifice interne de l'utérus, & sa face est tournée vers le coccyx de la mere. Dans cet état, qui est le dernier période de la grossesse, il agit sur l'orifice de l'utérus, tant par son poids que par ses mouvemens, & donne lieu à la matrice de se mettre en contraction. Cette contraction de la matrice étant jointe à celle des muscles du bas-ventre, à l'action accélérée du diaphragme, & à d'autres causes qui ne sont pas encore bien connues, occasionne la sortie de l'enfant hors de sa prison ; ou pour parler plus simplement, occasionne sa venue au monde. Il y voit à peine le jour, que l'orgueil ne cesse de lui crier qu'il est le roi de l'univers ; & ce prétendu roi de l'univers qui pese à-présent vingt à vingt-quatre livres, tiroit son origine neuf mois auparavant d'une bulle de volupté. (D.J.)


FOIS. f. (Théol.) Pour déterminer avec quelque succès le sens de ce terme en Théologie, je ne m'arrêterai pas aux diverses acceptions qu'il reçoit dans notre langue ; je me défendrai même de puiser sa signification dans les écrits de nos théologiens. Pour remonter aux sources de la doctrine chrétienne, il faut recourir aux langues dans lesquelles les Ecritures nous ont été transmises, & qu'ont parlé les apôtres & les PP. des premiers siecles de l'Eglise. Par la même raison, il nous seroit peu utile de recueillir dans les auteurs latins les différentes significations du mot fides, d'où nous avons fait foi. L'étymologie de credere qui vient probablement de cremento dare, & celle de fides qui dans son origine a été synonyme de fidelitas, ne peuvent pas nous éclairer sur le sens du mot foi ; parce que fides & credere, considérés comme termes théologiques, n'ont pas emprunté leur sens du latin ; ils l'ont pris immédiatement des mots grecs , employés dans les Ecritures, & auxquels ils ont été substitués par la vulgate & par les écrivains ecclésiastiques : de sorte que quoique ne soit peut-être pas la racine syllabique (qu'on me permette cette expression) de credere & de fides, il est pourtant la vraie source dans laquelle ces mots ont puisé leur signification.

& , dont fides & credere sont la traduction, viennent, selon les lexicographes, de , persuadeo. D'après cette étymologie, , fides, foi, dans le sens le plus général, sont synonymes de persuasion ; en effet, les dispositions de l'esprit que ces mots expriment dans les usages différens qu'on en fait dans ces trois langues, renferment toûjours une persuasion.

Or cette persuasion peut avoir différens objets : de-là des significations différentes de ces mêmes mots.

1°. Je trouve dans les écritures les mots & exprimant une disposition d'esprit qui a particulierement Dieu pour objet, c'est-à-dire une persuasion de son pouvoir, de sa bonté & de sa véracité dans ses promesses : credidit Abraham Deo & reputatum est ei ad justitiam. Gen. xv. 6. Qui credit in Domino misericordiam diligit. Prov. xjv.

Dans ces exemples on voit bien que foi est synonyme de confiance.

On verra par la suite de cet article, les rapports que cet emploi des mots foi & croire peuvent avoir avec les sens qu'on leur donne en Théologie : mais on peut concevoir dès-à-présent que ces mots, pour y prendre l'énergie qu'on leur donne, se sont un peu écartés de cette signification ; & c'est l'idée de persuasion commune aux différens emplois qu'on en fait, qui a facilité le passage de cette acception à plusieurs autres.

2°. Ces mêmes mots sont employés dans le nouveau Testament, relativement à Jesus-Christ : creditis in Deum, dit Jesus-Christ à ses disciples, & in me credite. Joan. xjv. 1. His qui credunt in nomine ejus. Ibid. j. 12. Dicebat ergo ad eos, qui crediderunt ei, Judaeos. viij. 31. Mais dans cet usage leur signification varie en plusieurs manieres. Suivons ces gradations, ces altérations successives.

Je trouve que ces mots foi & croire sont employés relativement à la personne de Jesus-Christ, pour signifier 1°. la disposition d'esprit des malades qui s'approchoient de lui pour obtenir leur guérison, & celle des apôtres & des disciples dans les premiers momens qu'ils s'attachoient à lui ; celle des Gentils ou des Juifs qui se convertissoient après une simple prédication fort courte & fort sommaire, &c. 2°. Celle des apôtres & des disciples de J. C. après qu'ils avoient entendu pendant quelque tems ses instructions ; & celle des premiers chrétiens, déjà instruits en partie des mysteres du royaume de Dieu. 3°. La foi des mêmes apôtres vers les derniers tems des prédications de Jesus-Christ, lorsqu'il leur disoit, jam non dicam vos servos, sed amicos, quia quaecumque audivi à patre meo nota feci vobis, après la résurrection, & après qu'ils eurent été éclairés de l'esprit de Dieu, le jour de la Pentecôte ; & celle des chrétiens instruits à fond par les apôtres, & dont il est dit qu'ils étoient perseverantes in doctrinâ apostolorum.

On se convaincra de la nécessité de distinguer ces différentes époques dans la signification du mot foi, par les réflexions suivantes.

Quand il est dit des apôtres instruits depuis quelque tems à l'école de Jesus-Christ, & des malades qui s'approchoient de lui pour la premiere fois, que les uns & les autres croyoient en lui, assûrément cette expression a un sens plus étendu dans le premier cas que dans le second. La foi en général doit être proportionnée au degré d'instructions reçûes. Les apôtres sont ici supposés instruits déjà par Jesus-Christ, & ces malades dont nous parlons ne le connoissent encore que sur le bruit de sa réputation ; ils ne connoissent pas sa doctrine ; ils ne peuvent donc pas avoir la même foi que les apôtres instruits déjà par Jesus-Christ. Ceux-ci avoient sans-doute la foi de la doctrine & de la morale que Jesus-Christ leur enseignoit, & les autres n'en avoient pas même d'idée.

On peut dire la même chose de ces hommes que les apôtres convertissoient, dans les premiers momens de leur conversion. Ces trois mille hommes (au ij. chap. des actes) & ces cinq mille (au jv.), que les discours de S. Pierre engagerent à se faire baptiser, regardoient bien Jesus-Christ comme le Messie, & croyoient en lui comme la Cananée, ou comme le lépreux, ou comme le centenier ; mais ils n'avoient aucune idée de sa doctrine & de sa morale, que les apôtres leur enseignerent dans la suite.

Les apôtres eux-mêmes, avant les dernieres instructions que leur donna Jesus-Christ, n'avoient point la même foi, quant à l'étendue de son objet, qu'ils eurent depuis. C'est ce que prouvent les paroles de J. C. que nous avons citées plus haut, jam non dicam vos servos, &c. car elles font clairement entendre que J. C. leur avoit enseigné beaucoup d'autres choses que cette simple proposition, je suis le Messie, & même beaucoup de choses que ses disciples moins familiers & moins assidus ignoroient encore : puisque sans ces connoissances plus détaillées, ses apôtres n'auroient pas été distingués à cet égard des malades qui l'approchoient, & de beaucoup de gens dans la Judée qui le regardoient comme le Messie, du peuple qui le suivoit, & du commun de ses auditeurs qui avoient entendu & qui connoissoient une partie de sa doctrine.

D'où nous concluons que dans le nouveau Testament ces expressions croire en Jesus-Christ, avoir la foi en Jesus-Christ, reçoivent différentes significations, qu'on peut réduire aux trois principales dont nous avons fait mention.

Nous ferons à ce sujet une remarque importante : c'est faute d'avoir distingué les trois sens différens de l'expression croire en Jesus-Christ, que M. Locke dans l'ouvrage qui a pour titre, le Christianisme raisonnable, a prétendu réduire la foi chrétienne, quant à ses articles fondamentaux & nécessaires au salut, à cette seule proposition, Jesus-Christ est le Messie ; car il appuie principalement cette opinion sur plusieurs passages du nouveau Testament, où on appelle foi en Jesus-Christ cette seule persuasion de sa mission, où les prosélytes sont dits croire en Jesus-Christ, quoiqu'ils ne soient instruits encore que de ce seul point, & où les apôtres en annonçant l'Evangile, ne prêchent autre chose que ce même article.

Il me semble qu'un théologien catholique, en distinguant ces trois époques différentes de la signification des mots foi & croire, attaquera avec avantage l'opinion de cet homme célebre.

Des trois significations des mots foi & croire, employés relativement à Jesus-Christ, la derniere est celle sur laquelle nous devons nous arrêter davantage.

Le mot foi signifie assez souvent la doctrine même de Jesus-Christ, le corps des principes de la religion chrétienne. Le voisinage de ces deux notions a autorisé les écrivains ecclésiastiques à se servir de la même expression pour l'une & pour l'autre ; mais ce n'est pas ici le lieu de traiter de la foi dans cette signification. Voyez REVELATION, RELIGION, CHRISTIANISME.

Nous prendrons donc généralement le mot de foi dans tout cet article, pour la disposition d'esprit de ceux qui reconnoissent la divinité de la mission de Jesus-Christ & la vérité de toute sa doctrine. Je ne donne pas ceci pour une définition exacte de la foi ; parce que nous n'en avons pas encore la notion complete qui doit être le résultat de tout cet article : mais cette idée générale va nous guider dans la suite de cette question.

On voit dans les Ecritures, & cela se conçoit clairement, que cette disposition d'esprit que nous présente le mot foi, renferme une persuasion. D'un autre côté c'est un dogme catholique que cette disposition est une grace & une vertu. Ces trois caracteres me fourniront une division très-naturelle. Je considérerai la foi comme une persuasion, comme une grace, & comme une vertu.

De la foi considérée comme persuasion, ou plutôt de la persuasion que renferme la foi ; de ses motifs, de l'analyse de la foi, de son objet, de son obscurité, de sa comparaison avec la persuasion des vérités naturelles, de sa nécessité, & en même tems de son insuffisance sans les oeuvres, &c.

La foi considérée comme persuasion a pour objet certaines vérités qui appartiennent à la religion chrétienne. Différentes sortes de vérités appartiennent à la religion chrétienne ; celles qui servent de fondement à tout le Christianisme, & en général à toute religion ; celles qui constatent l'authenticité de la révélation apportée par Jesus-Christ ; celles enfin que cette révélation reconnue pour authentique, consacre & enseigne aux hommes.

A quoi il faut ajoûter une vérité capitale, l'autorité infaillible de l'Eglise établie par Jesus-Christ, qui est assûrément une vérité chrétienne selon tous les théologiens catholiques, puisqu'elle entre pour beaucoup dans toute l'économie de la religion.

Les Théologiens n'ont pas distingué avec assez de soin ces différens objets de la croyance chrétienne. Ils ont défini la foi chrétienne (considérée comme persuasion), l'adhésion de l'esprit aux vérités révélées & proposées par l'Eglise comme telles.

Cette définition entendue à la lettre, tend à exclure des objets de la foi chrétienne les principes de la religion naturelle, ceux qui servent de fondement à la révélation, & même le dogme capital de l'infaillibilité de l'Eglise, pour ne laisser cette dénomination qu'aux dogmes proprement révélés & proposés par l'Eglise, exerçant l'autorité qu'elle a reçûe de Jesus-Christ.

Au fond, il est peu important qu'on accorde ou qu'on refuse le nom de foi à une croyance qui a pour objet quelqu'un de ces principes, pourvû qu'on convienne qu'ils font tous partie de la doctrine chrétienne ; mais il est essentiel de connoître les motifs de la persuasion d'un chrétien, par rapport à ces différens ordres de vérités. Cette connoissance servira à nous éclairer sur la nature de la foi chrétienne considérée comme persuasion.

Des motifs de la persuasion que renferme la foi. Il faut remarquer d'abord que nous ne regardons ici la foi qu'entant qu'elle est une persuasion raisonnée, & que nous mettons à part tout ce que l'Esprit-saint opere dans les ames ; que si on dit que cette persuasion même est produite par l'esprit saint, nous remarquerons encore que dans la doctrine catholique le saint Esprit est le principe, & non pas le motif de croire, & que nous parlons ici des motifs proprement dits de la foi chrétienne.

Le chrétien reçoit plusieurs sortes de vérités.

1°. Tous les principes de la religion naturelle, comme l'existence de Dieu, ses attributs moraux, l'immortalité de l'ame, la différence du bien & du mal, &c.

2°. Tous les principes que l'autorité de la révélation suppose d'une maniere encore plus prochaine, comme les miracles qui ont servi à constater la mission de Jesus-Christ, les récits de sa vie, de sa mort, de sa résurrection, &c. la vérité & l'inspiration des Ecritures, où tous ces faits sont en dépôt ; en un mot tout ce qui est préalable ou parallele dans l'ordre des connoissances, à cette vérité générale, la religion chrétienne est émanée de Dieu.

3°. Le dogme de l'autorité infaillible de l'Eglise que la révélation exprime si clairement, & qui devient pour lui une regle de croyance par rapport à tous les dogmes controversés.

4°. Toutes les vérités que l'Eglise lui propose à croire. Voyons quels sont dans l'esprit d'un chrétien les motifs de la persuasion de toutes ces vérités.

Les Théologiens ont dit généralement que les vérités qui appartiennent à la foi, sont crûes par le motif de la révélation, & encore que ces vérités doivent être proposées aux fideles par l'autorité de l'Eglise. Sous le nom de vérités qui appartiennent à la foi ; quelques-uns ont compris même les vérités du premier ordre, & le plus grand nombre au moins celles de la seconde & de la troisieme espece. Mais je crois qu'il faut restreindre & expliquer leur assertion pour la rendre exacte.

Quoique toutes les vérités de ces différens ordres appartiennent à la foi, puisqu'on ne peut donner atteinte à une seule qu'on ne renverse la religion apportée aux hommes par Jesus-Christ, cependant on les croit par différens motifs qu'il ne faut pas confondre.

La persuasion des vérités de la premiere & de la seconde classe, a pour fondement les preuves, les raisonnemens, &c. les motifs de crédibilité que la raison seule nous présente. Ces principes sont antérieurs à toute révélation, & par conséquent ils ne peuvent être crûs par le motif de la révélation. Entrons dans quelque détail.

Comment croire raisonnablement l'existence de Dieu par le motif de la véracité de Dieu ? On supposeroit ce qu'on cherche à se prouver à soi-même. Il faut que celui qui s'approche de Dieu, croye d'abord qu'il est, & qu'il récompense ceux qui le cherchent. Accedentem ad Deum oportet credere quia est, & quod inquirentibus se remunerator sit. Heb. xj. 6.

L'ensemble des miracles par lesquels Jesus-Christ a constaté sa mission, celui de sa résurrection en particulier, qui a servi de sceau à tous les autres, ne sont pas crus non plus par le motif de la révélation (je ne dis pas qu'ils ne soient pas crus de foi divine) & cela par la raison qu'en donne l'apôtre : Si Christus non resurrexit, vana est fides nostra ; si Jesus-Christ n'est pas ressuscité, notre foi est vaine, c'est-à-dire que la vérité de la révélation apportée aux hommes par Jesus-Christ, suppose la résurrection & les autres miracles de l'instituteur du Christianisme ; d'où il suit que dans l'ordre du raisonnement & des connoissances, on reconnoît la divinité de cette révélation parce qu'elle est appuyée sur les miracles & sur la résurrection de Jesus-Christ ; & on ne croit pas les miracles & la résurrection de Jesus-Christ par l'autorité de cette même révélation.

Nous plaçons au rang des vérités qui ne peuvent être crûes par le motif de la révélation dans l'ordre du raisonnement, l'existence de la révélation même, c'est-à-dire la vérité & la divinité des livres dans lesquels la révélation est en dépôt, parce qu'on ne peut pas croire cet ensemble de la révélation par le motif de la révélation & de la véracité de Dieu, sans tomber dans un cercle vicieux. (Je dis l'ensemble de la révélation, car l'authenticité d'une partie de la révélation d'un livre en particulier, par exemple, pourroit être prouvée par l'autorité d'un autre livre dont on auroit déjà établi la vérité & la divinité) ; je ne vois pas comment on peut révoquer cela en doute. Il est bien clair qu'on supposera l'état de la question, si on entreprend d'établir, ou ce qui est la même chose, si on croit que l'Ecriture est la parole de Dieu sur l'autorité de l'Ecriture considérée comme la parole de Dieu. De bons théologiens demeurent d'accord de ce principe.

Selon Holden, Analys. divinae fidei lib. I. c. jv. les récits de l'Ecriture & cette vérité universellement reconnue que l'Ecriture est la parole de Dieu, ne sont point à proprement parler révélées, & ne sont point des articles ou des dogmes de la foi divine & catholique.

On peut rapprocher de ceci ce que nous citerons plus bas du P. Juenin, & l'analyse de la foi que nous proposerons.

D'habiles gens parmi les théologiens protestans ont soûtenu la même chose. La divinité de l'Ecriture, selon la Placette, traité de la foi divine, liv. I. ch. v. n'est point un article de foi ; c'est un principe & un fondement de la foi qu'il faut prouver non par l'Ecriture, mais par d'autres raisons... Bien loin que la foi nous en persuade, nous ne croyons que parce que nous en sommes persuadés.

Les vérités de cette premiere & de cette seconde classe n'étant point à proprement parler révélées, & n'étant point crues par le motif de la révélation dans la foi raisonnée, ne sont point non plus l'objet des décisions de l'Eglise ; & ceci forme une autre exception à la proposition générale, que les dogmes de foi sont proposés aux fideles par l'autorité infaillible de l'Eglise ; car l'Eglise n'use vis-à-vis des fideles de son infaillible autorité, qu'en leur proposant les dogmes proprement révélés dont elle est juge, que son autorité même ne suppose point. Or ces vérités de la premiere classe ne peuvent être proposées comme révélées, mais seulement comme démontrées vraies par les lumieres de la raison, indépendamment de toute espece d'autorité. Et d'ailleurs, quand elles seroient à proprement parler révélées comme l'autorité de l'Eglise les suppose, elles ne pourroient être crues sur l'autorité de l'Eglise, mais seulement par le motif de la révélation. Voyez ce que nous dirons plus bas de l'analyse de la foi.

Voilà ce que j'avois à dire des motifs de la foi de ces vérités de la premiere & de la seconde espece. La persuasion du dogme capital de l'infaillibilité de l'Eglise que j'ai placé au troisieme rang, a pour motif la révélation même, puisque cette autorité infaillible de l'Eglise est établie sur des passages très-clairs des livres proto-canoniques qui sont le fond même du Christianisme, & dont aucun chrétien ne conteste la vérité & la divinité.

Mais j'ajoûte que cette même doctrine n'est point proposée aux fideles par l'autorité infaillible de l'Eglise, puisque dans la foi raisonnée, qui est la seule dont nous parlons ici, le fidele qui la croiroit révélée sur ce motif, tomberoit dans un cercle vicieux bien manifeste.

Je sais que quelques théologiens prétendent qu'il n'y a point de sophisme dans cette maniere de raisonner, parce qu'en ce cas, disent-ils, on croit l'infaillibilité de l'Eglise par le motif de l'infaillibilité de l'Eglise ; ut in se virtualiter reflexam, comme virtuellement réfléchie en elle-même. Mais je sais aussi que cette explication est inintelligible.

Il nous reste à parler des vérités du quatrieme ordre & des motifs de la persuasion qu'on en a. Celles-ci n'étant point les fondemens de la révélation, & n'étant pas non plus antérieures dans l'ordre des connoissances & du raisonnement à la croyance de l'autorité infaillible de l'Eglise, deviennent l'objet principal sur lequel s'exerce cette autorité. C'est de l'Eglise même que nous les recevons comme révélés. Il y a plus ; nous ne pouvons nous assûrer qu'elles sont vraiment contenues dans la révélation, qu'en recevant de l'Eglise le sens des endroits de l'Ecriture qui les contiennent. C'est ce que nos controversistes ont établi contre les protestans, & en général contre tous les Hérétiques. Voyez ECRITURE, EGLISE, INFAILLIBILITE.

Concluons que si on entend par le mot foi, ce qui est bien plus naturel, la persuasion de toutes les vérités qui font le corps de la doctrine chrétienne, il ne faut pas dire généralement que cette persuasion a pour motif la révélation divine, puisqu'il y a des vérités qui sont partie essentielle de la doctrine chrétienne, & dont la persuasion raisonnée a pour seuls motifs, ou des preuves que la raison fournit antérieurement à la révélation, tels que les principes de la premiere & de la seconde espece, ou le témoignage même de la révélation indépendamment de l'autorité de l'Eglise ; tel est le dogme de l'infaillibilité de l'Eglise. Cependant cela n'empêche pas que le fidele ne puisse faire des actes de foi, même à l'égard de cette vérité, puisqu'elle est contenue dans la révélation.

De l'analyse de la foi. Après avoir ainsi distingué les motifs de la persuasion que renferme la foi des vérités chrétiennes, nous entrerons tout naturellement dans la question que les Théologiens appellent l'analyse de la foi. En effet l'analyse ou résolution de la foi n'est autre chose que l'exposition des motifs raisonnés de la persuasion de toutes les vérités que renferme la foi chrétienne, & de l'ordre selon lequel ils doivent être rangés pour la produire dans l'esprit du fidele.

Or comme celui qui reçoit les vérités que nous avons placées au quatrieme ordre, c'est-à-dire les dogmes proposés par l'Eglise, est aussi convaincu de toutes les autres, par exemple, de celles qui sont communes au Christianisme & à la religion naturelle, nous aurons fait l'analyse ou la résolution de la foi de toutes les vérités chrétiennes, si nous assignons les motifs raisonnés qui produisent dans l'esprit du chrétien la persuasion d'un dogme appartenant à ce quatrieme ordre de vérités, d'un mystere par exemple.

Cette analyse doit renfermer la derniere raison qu'un chrétien interrogé puisse rendre de la foi d'un dogme révélé ; & les motifs de la foi de ce dogme doivent y être placés de telle maniere qu'ils puissent amener un hérétique & un incrédule à la foi de ce dogme ou de tout autre, & par conséquent à la foi de tous les dogmes ensemble. La raison de cela est que le chrétien le plus soûmis qui fait l'analyse de sa foi, se met pour un moment dans la même situation que celui qui examine s'il doit croire tel ou tel dogme en particulier, ou que celui qui cherche en général quelle doctrine religieuse il doit embrasser.

On peut concevoir par ces deux remarques, que la foi dont nous allons faire l'analyse, n'est ni celle des enfans qui croient au moyen de ce que les Théologiens appellent une foi infuse, ni celle des adultes simples & grossiers qui n'ont point de motifs raisonnés de leur croyance (je dis raisonnés, & non pas raisonnables,) comme il y en a sans-doute un grand nombre dans le sein même de l'Eglise catholique. Ces deux especes de foi sont l'ouvrage immédiat de l'esprit de Dieu qui souffle où il veut, & dont notre foible raison ne peut pas sonder les voies.

Et comme selon la doctrine des théologiens catholiques, la foi du chrétien le mieux instruit est aussi produite dans l'ame par le S. Esprit agissant comme cause efficiente, qu'elle est une habitude, une vertu infuse, &c. & que sous ces rapports elle est encore un très-grand mystere, nous ne nous proposons pas de la regarder sous ce point de vûe : & nous déclarons que dans la question de l'analyse de la foi, nous ne prétendons traiter que de la persuasion raisonnée qu'elle renferme.

La difficulté, en ceci, vient de l'embarras qu'on éprouve à placer dans un ordre naturel & raisonnable deux motifs qui, dans la doctrine catholique, doivent entrer tous deux dans l'analyse de la foi. Ces deux motifs sont l'autorité de l'Ecriture & celle de l'Eglise ; (la tradition peut être ici confondue avec l'autorité de l'Eglise, qui seule en est dépositaire, & qui parle pour elle).

Le fidele croit à l'un & à l'autre. Il y en a un qui précede l'autre dans l'ordre du raisonnement. Si c'est l'autorité de l'Eglise qui le fait croire à la divinité & à l'inspiration de l'Ecriture, il ne peut croire l'autorité infaillible de l'Eglise par le motif de la révélation, puisqu'il supposeroit dès lors cette même révélation dont il cherche à se prouver l'existence. D'un autre côté, si on croit l'autorité infaillible de l'Eglise parce qu'elle est révélée dans les Ecritures, on croira donc le dogme de la vérité & de la divinité des Ecritures, & on recevra l'explication des passages où cette infaillibilité est contenue, sans l'intervention de l'autorité de l'Eglise contre ce qu'enseignent encore plusieurs théologiens.

On a suivi l'une & l'autre de ces deux routes ; delà plusieurs méthodes différentes d'analyser la foi.

Voici celle que nous adoptons.

Je crois tel dogme, parce qu'il est révélé. Je crois qu'il est révélé, parce que la société religieuse dans laquelle je vis, m'enseigne qu'il est révélé. Je crois à son enseignement, parce qu'elle est infaillible. Je crois qu'elle est infaillible, parce qu'elle est l'Eglise de Jesus-Christ, & que l'Eglise de Jesus-Christ est infaillible. Je crois qu'elle est l'Eglise de Jesus-Christ, parce que les chefs, les pasteurs de cette Eglise ont succédé à ceux que Jesus-Christ même avoit établis ; & je crois que l'Eglise de Jesus-Christ est infaillible, parce que cette infaillibilité lui est promise & clairement contenue dans les Ecritures proto-canoniques que tous les Chrétiens reçoivent, & qui sont la parole de Dieu, soit dans une infinité d'endroits particuliers, soit dans toute l'histoire de l'établissement de la religion que racontent ces mêmes livres divins & inspirés. Je crois que les Ecritures sont la parole de Dieu, sont divines & inspirées, parce que cette vérité est essentiellement liée avec cette autre, la religion chrétienne est émanée de Dieu. Je crois enfin que la religion chrétienne est émanée de Dieu, par tous les motifs de crédibilité qui me le persuadent.

Cette méthode paroît si simple & si naturelle, qu'on pourra s'étonner de voir qu'elle n'est pas embrassée par tous les Théologiens. Cependant un grand nombre d'entr'eux dans leurs disputes avec les Protestans, ont été jettés dans une route différente par le desir d'élever à un plus haut degré, s'il étoit possible, l'autorité de l'Eglise. Ils ont prétendu que le fidele ne croyoit la vérité & l'inspiration du corps même des Ecritures des livres proto-canoniques, que par le motif de l'autorité infaillible de l'Eglise qui les adopte : d'où ils ont été obligés dans l'ordre du raisonnement & dans l'analyse de la foi, tantôt à prouver l'autorité de l'Eglise par la révélation, en même tems qu'ils établissoient l'autorité de la révélation sur celle de l'Eglise, en quoi ils faisoient un cercle vicieux bien sensible, & que les Protestans n'ont pas manqué de leur reprocher : tantôt à n'établir le dogme capital de l'infaillible autorité de l'Eglise, que sur des motifs de crédibilité indépendans de la révélation, dans la crainte de tomber dans le sophisme qu'on leur reprochoit ; & tantôt enfin à prouver l'autorité de l'Eglise par l'autorité même de l'Eglise, ce qui est absolument insoûtenable.

Je ne m'arrêterai pas à rapporter ici les différentes méthodes d'analyser la foi que ces principes doivent fournir. On les devinera aisément. Mais voici celle qui est plus familiere à nos théologiens.

Je crois tel dogme, parce qu'il est révélé ; je crois qu'il est révélé, parce que l'Eglise m'en assûre. Je crois à la décision de l'Eglise, parce qu'elle est infaillible ; je crois que l'Eglise est infaillible, parce que son infaillibilité est contenue dans les Ecritures qui sont la parole de Dieu. Je crois que cette infaillibilité est contenue dans les Ecritures, parce que l'Eglise m'en assûre ; & je crois que les Ecritures & même les passages où est contenue l'infaillibilité de l'Eglise, sont la parole de Dieu, sur l'autorité de l'Eglise de qui je les reçois avant de les avoir ouvertes, & même avant d'avoir entendu parler de ce qu'elles contiennent.

On verra clairement que cette méthode & les autres qui s'écartent de la nôtre, sont défectueuses par les preuves mêmes sur lesquelles nous allons établir celles que nous suivons.

1°. Notre méthode est adoptée par de très-habiles théologiens qui ont traité de dessein formé la question de l'analyse de la foi : au lieu que ceux qui ont suivi des principes opposés, y ont été jettés en traitant séparément la question de l'autorité de l'Eglise. Nous nous contenterons d'en citer deux ou trois, parce que cette matiere est plûtôt du ressort du raisonnement que de celui de l'autorité.

Rien n'est plus clair & plus précis que ce que dit là-dessus le P. Juenin, instit. theolog. part. VII. diss. jv. c. 4.

Ce savant homme avance que sans les motifs de crédibilité, on ne peut pas avoir une certitude prudente de l'existence de la révélation divine ; parce que, dit-il, sans ces motifs, nous ne pouvons pas recevoir raisonnablement l'autorité divine des Ecritures, dans lesquelles l'infaillibilité de l'Eglise est révélée. D'où il forme cette analyse de la foi entierement semblable à la nôtre : ex iis quae dicta sunt sequitur credentem sic procedere ; ideò mens adhaeret alicui veritati quod sit à Deo revelata ; ideò scit esse revelatam, quod eam tanquam à Deo revelatam Ecclesia proponat ; ideò verò adhaeret Ecclesiae definitioni, quod illius infallibilitas in scripturis contineatur ; ideò adhaeret scripturis, quod sint verbum Dei ; ideò tandem certus est scripturas esse Dei verbum, quod ad id adducatur evidentibus motivis credibilitatis.

Voilà bien l'infaillibilité de l'Eglise crûe, parce qu'elle est contenue clairement dans l'Ecriture ; & la divinité des Ecritures crûe du fidele, par les motifs de crédibilité : tout cela indépendamment de l'autorité de l'Eglise.

On a vû plus haut qu'Holden, dans son traité de l'analyse de la foi, établit pour principe, que cette vérité générale, l'Ecriture est la parole de Dieu, n'est point, à proprement parler, révélée, & qu'elle est crûe par les motifs de crédibilité ; ce qui est tout-à-fait conforme à la méthode que nous embrassons.

Avant ces auteurs, Grégoire de Valence avoit posé pour fondement de l'analyse de la foi cette proposition : si la religion chrétienne est émanée de Dieu, l'Ecriture sainte est la parole de Dieu ; proposition que cet auteur trouve si évidente, qu'il ne juge pas qu'elle ait besoin de preuves : ce qui fait voir qu'il est bien éloigné d'établir la divinité du corps des Ecritures sur l'autorité de l'Eglise, & qu'il fonde, comme nous, la croyance du fidele à cet article, sur les motifs de crédibilité qui établissent que la religion chrétienne est émanée de Dieu.

2°. Notre analyse demeure solidement établie, si nous prouvons bien que la persuasion raisonnée de la vérité & de la divinité des Ecritures, n'a point pour fondement l'autorité de l'Eglise ; & qu'au contraire, l'autorité infaillible de l'Eglise est établie sur l'autorité de la révélation, & cela indépendamment de l'autorité de l'Eglise. Or nous avons déjà prouvé ces deux principes, en traitant des motifs de la persuasion raisonnée que renferme la foi ; & en voici une nouvelle preuve quant à l'autorité de l'Eglise.

C'est la doctrine de presque tous les théologiens catholiques, qu'elle est un objet de foi divine, en ce sens que nous la croyons par le motif de la révélation. Or à-moins qu'on n'embrasse notre méthode d'analyser la foi, on ne peut pas dire que cette vérité soit crûe par le motif de la révélation ; parce que lorsqu'on a une fois établi l'authenticité de la révélation sur l'autorité de l'Eglise, on ne peut plus recourir à la révélation pour établir l'autorité de l'Eglise, sans tomber dans un cercle vicieux : on est donc obligé de se retrancher à prouver l'infaillibilité de l'Eglise, par des motifs de crédibilité distingués de la révélation : mais ces motifs de crédibilité sont bien foibles, pour ne rien dire de plus : ils ne peuvent être aussi clairs que ces paroles, je suis avec vous jusqu'à la consommation des siecles ; qui vous écoute m'écoute, &c. textes qui fournissent les seules preuves démonstratives de l'infaillibilité de l'Eglise.

Je ne m'arrête pas à réfuter ceux qui voudroient établir l'autorité de l'Eglise immédiatement sur l'autorité de l'Eglise : le sophisme est manifeste dans cette maniere de raisonner.

Nous allons à-présent résoudre quelques difficultés qu'on peut proposer contre la méthode d'analyser la foi que nous adoptons : les voici.

1°. Notre principe, que ce n'est pas par l'autorité de l'Eglise que nous sommes sûrs de cette proposition, les Ecritures sont vraies & sont la parole de Dieu, semble donner quelque atteinte à ce que les théologiens catholiques ont demontré contre les protestans, que l'Eglise est juge des Ecritures ; à l'usage qu'ils ont fait du mot de S. Augustin : evangelio non crederem, nisi me ecclesiae catholicae commoveret autoritas ; & particulierement aux principes que suit M. Bossuet dans sa conférence avec le ministre Claude. Ce prélat soûtient expressément que le fidele baptisé & adulte ne reçoit l'Ecriture que des mains de l'Eglise ; qu'avant de l'avoir ouverte, il est en état de faire un acte de foi de la divinité des Ecritures, conçû en ces termes : je crois que cette Ecriture est la parole de Dieu, comme je crois que Dieu est. D'où il paroît que selon la doctrine de ce prélat dans l'analyse de la foi, la croyance de l'infaillibilité de l'Eglise doit précéder celle de la divinité des Ecritures ; sauf à croire l'infaillibilité de l'Eglise par les motifs de crédibilité.

Je réponds, 1°. Cette question, l'Eglise juge-t-elle des Ecritures ? peut avoir trois sens. 1°. L'Eglise est-elle juge du texte & du sens des Ecritures, dans les dogmes particuliers qui sont ou qui peuvent être controversés ? 2°. L'Eglise est-elle juge du texte des Ecritures, c'est-à-dire de sa vérité & de sa divinité, dans les différentes parties du corps des Ecritures, comme dans les deutéro-canoniques, ou même dans certaines parties des proto-canoniques ? 3°. L'Eglise est-elle juge du corps entier des Ecritures, & de la question générale, les Ecritures canoniques que tous les Chrétiens reçoivent, qui renferment les fondemens même de la religion, l'histoire, la vie, les miracles de J. C. &c. sont-elles vraies, & sont-elles la parole de Dieu ?

Le catholique doit répondre à la premiere question, que l'Eglise est juge du sens des Ecritures dans tous les dogmes controversés, en en exceptant ceux que l'autorité même de l'Eglise suppose vrais & inspirés, comme sa propre infaillibilité, qu'on doit établir sur l'Ecriture, indépendamment de l'autorité de l'Eglise, mais qui une fois crûe par le motif de la révélation, devient pour le Chrétien une regle de foi.

A la seconde, on répondra que l'autorité de l'Eglise évidemment prouvée par des textes fort clairs des livres proto-canoniques que tous les chrétiens admettent, doit être notre regle de foi, pour le discernement des diverses parties de l'Ecriture dont l'authenticité & la divinité peuvent être mises en doute.

A la troisieme question, il faudra dire que la décision n'en doit point être portée au tribunal de l'Eglise, que ce n'est point d'elle que nous recevons cette vérité générale : il y a des Ecritures qui sont la parole de Dieu, & celles que reçoivent tous les Chrétiens ont ce caractere. Un concile ne peut pas s'assembler pour décider que la religion chrétienne est véritable, que l'évangile n'est pas une fable, & que les Ecritures sont divines, comme la religion dont elles sont le fondement.

Que si le concile de Trente, & auparavant le quatrieme concile de Carthage, ont donné le canon des Ecritures, leur décision n'avoit pour objet que les livres deutéro-canoniques ; & leur autorité dans cette même décision étoit fondée sur les Ecritures proto-canoniques, dont l'authenticité & la divinité étoient établies d'ailleurs, & n'étoient pas mises en question : & quoique le canon renferme les uns & les autres, c'est d'une maniere différente. L'Eglise fixe la croyance des fideles par rapport aux premiers, & elle la suppose par rapport aux seconds ; tout comme elle suppose en s'assemblant, que la religion chrétienne est émanée de Dieu, & que son infaillibilité est déjà crûe des fideles à qui elle propose ses décisions.

Quant au passage de S. Augustin : 1°. entendu à la lettre, il prouveroit beaucoup trop, puisqu'il s'ensuivroit qu'on ne pourroit point amener un incrédule à la croyance de la vérité & de la divinité des Ecritures, sans employer l'autorité divine de l'Eglise.

Je dis, sans employer l'autorité divine ; car il faut distinguer l'autorité naturelle dont joüit toute société dans les choses qui la regardent, & qu'on ne peut refuser à l'Eglise considérée comme une société purement humaine, de l'autorité divine qu'elle a reçûe de J. C. & de l'Esprit-saint qui dicte ses décisions. C'est de cette derniere espece d'autorité que les Théologiens parlent, lorsqu'ils disent que l'Eglise est juge du corps même des Ecritures. En effet, l'autorité de l'Eglise considérée sous l'autre point de vûe, entre parmi les motifs de crédibilité qui établissent en même tems la divinité de la religion chrétienne : cette remarque est importante, & j'aurois dû la faire plûtôt ; mais elle me fournit ici une explication toute naturelle du passage dont il s'agit ici. Je dis donc :

2°. Que le texte de S. Augustin doit être traduit ainsi : " Je ne crois à l'évangile, que parce que je m'assûre que l'Eglise universelle considérée comme une société purement humaine, a conservé & nous a transmis sans corruption & sans altération les véritables écrits des premiers disciples de J. C. Que si cette société, qui ne peut pas se tromper dans des choses qui la touchent de si près, regardoit les évangiles comme des livres supposés & contraires à sa doctrine, je ne croirois point aux évangiles ". Enfin si l'on veut absolument que S. Augustin parle là de l'autorité divine de l'Eglise, on pourra croire qu'il ne parle que d'une partie des évangiles, en supposant l'infaillibilité de l'Eglise établie sur les autres.

Je passe à ce qu'on nous oppose de M. Bossuet ; & je trouve que ce prélat ne nous est pas contraire : il dit bien que les fideles simples & grossiers reçoivent l'Ecriture des mains de l'Eglise, avant de s'être convaincus par les Ecritures même que cette Eglise est infaillible ; & c'est-là un fait qu'on ne sauroit nier : mais il ne dit pas qu'en la recevant ainsi ils suivent l'ordre du raisonnement ; ce n'est point l'analyse de la foi qu'il se propose de faire dans l'endroit qu'on a cité. En effet, pressé par le ministre Claude d'expliquer par quel motif le fidele croit à l'infaillibilité de l'Eglise, au moment qu'il reçoit d'elle les Ecritures, il dit, qu'il ne s'agit pas d'assigner ce motif ; qu'il y en a sans-doute que le S. Esprit met dans le coeur du fidele baptisé ; qu'il n'est question entre lui & M. Claude que du moyen extérieur, dont Dieu se sert pour lui faire croire l'Ecriture. Or nous ne parlons ici que du motif raisonné qui fait naître cette persuasion, & point du tout de ce moyen extérieur que je conviens bien être pour les fideles simples & grossiers l'autorité de l'Eglise : & M. Bossuet prétend si peu faire l'analyse de la foi, & assigner les motifs raisonnés qui font croire le fidele à l'Ecriture, qu'il rappelle par-tout le ministre Claude à la foi infuse, que le fidele a reçûe dans le baptême, de l'infaillibilité de l'Eglise & de la divinité de l'Ecriture ; foi, dit-il, que le S. Esprit lui a mise dans le coeur, en même tems que la foi en Dieu & en Jesus-Christ. Or nous ne parlons pas ici de la foi infuse, mais seulement de la persuasion raisonnée que renferme la foi d'un adulte qui s'approche de Dieu par la voie du raisonnement.

Encore une réflexion. M. Bossuet place ensemble & en même tems dans l'esprit de cet adulte, & la foi de la divinité des Ecritures, & la foi de l'existence de Dieu & de l'infaillibilité de l'Eglise : cependant il est impossible de soûtenir que la persuasion de ces deux dernieres vérités ait pour motifs raisonnés l'autorité même de l'Eglise. Il faut donc convenir que M. Bossuet ne parle pas des motifs raisonnés, & qu'il ne prétend pas plus assigner ces motifs, lorsqu'il parle de la foi de la divinité du corps des Ecritures, que lorsqu'il parle de ces deux autres principes. On peut donc dire que le fidele dont parle M. Bossuet croit la divinité des Ecritures, sans l'intervention de l'Eglise, précisément comme il croit l'autorité de l'Eglise, par les motifs de crédibilité que le S. Esprit met dans son coeur, pour employer les termes mêmes de M. Bossuet. Or comme la foi à l'Eglise universelle, quoiqu'appuyée sur ces motifs de crédibilité indépendans de l'autorité de l'Eglise, n'en est pas moins mise dans le coeur du fidele baptisé, en même tems que la foi en Dieu & en Jesus-Christ, selon M. Bossuet lui-même, la foi de ce fidele à la divinité des Ecritures pourra être aussi mise dans son coeur par l'Esprit-saint, sans l'intervention de l'autorité de l'Eglise. Je ne vois pas ce qu'on peut répondre à cela.

Je pourrois ajoûter une remarque, en la soumettant cependant au jugement des lecteurs instruits. En supposant même que M. Bossuet parle de la foi raisonnée de la divinité des Ecritures ; s'il soûtient que cette foi ne peut être fondée que sur l'autorité même de l'Eglise, ce n'est-là qu'un argument qu'il employe dans la chaleur de la dispute, pour presser plus fortement la nécessité d'une autorité infaillible. Son argument peut bien n'être pas solide, sans que sa cause en souffre : un tribunal suprème pour décider les points obscurs, difficiles, & controversés, n'en est pas moins nécessaire, quoique la question générale, claire, & facile à décider, de la divinité des Ecritures, que tous les Chrétiens reçoivent, & celle de l'infaillibilité de l'Eglise, ne puissent pas être portées à ce même tribunal. Aussi voyons-nous que c'est en attaquant M. Bossuet sur ce principe qui semble opposé à notre analyse, que le ministre Claude le presse avec le plus de force & de vivacité.

2°. Mais, dira-t-on, il est toûjours vrai que selon votre analyse un adulte ne peut pas croire la divinité & l'inspiration des Ecritures sans les avoir lûes. Or cela est contraire aux principes de nos théologiens contre les Protestans, & très-favorable à ce que ceux-ci soûtiennent de la suffisance de l'Ecriture pour régler la croyance des Chrétiens.

De même, dans votre sentiment il sera nécessaire pour croire à l'infaillibilité de l'Eglise, d'avoir lû les passages sur lesquels son autorité est établie, & d'en avoir pénétré le sens.

Et comme le plus grand nombre des Chrétiens ne lisent point l'Ecriture ; faute de remplir cette condition ils ne croiront ni à la divinité des livres saints, ni à l'infaillibilité de l'Eglise.

Je répons 1°. tout ce qu'on pourroit conclure de nos principes, c'est qu'on ne croit point d'une foi raisonnée les deux dogmes de la divinité des Ecritures & de l'infaillibilité de l'Eglise sans avoir lû les Ecritures ; & que ceux qui n'auront pas rempli cette condition, n'auront point de motifs raisonnés de leur croyance : mais cela n'entraîne aucun inconvénient qui nous soit particulier ; il restera toûjours aux simples cette autre foi dont nous ne parlons point dans notre analyse, & que les Théologiens appellent infuse. Pour cette foi, il n'est pas besoin d'avoir lû l'Ecriture, ni refléchi sur les principes de la croyance chrétienne.

Ceux qui nous font cette difficulté, pourroient-ils assûrer que les simples ont une persuasion raisonnée de beaucoup d'autres principes non moins essentiels à croire ; l'infaillibilité même de l'Eglise, la croyent-ils d'une foi raisonnée ? Si cette vérité n'est point fondée sur la révélation, mais sur des motifs de crédibilité, il faudra que ces hommes grossiers y fassent réflexion pour que leur foi soit raisonnée ; & ces réflexions quelles qu'elles soient, valables ou peu solides, peut-on assûrer qu'ils les ont faites ?

2°. Pour que le chrétien se convainque de la divinité & de l'inspiration de l'Ecriture, il n'est pas nécessaire qu'il la lise. Nous avons représenté dans notre analyse cette proposition, l'Ecriture est la parole de Dieu, comme étroitement & évidemment liée avec celle-ci, la religion chrétienne est émanée de Dieu ; cette liaison est évidente, & les plus simples la peuvent saisir. Il n'y a point de dogme plus essentiel à la religion chrétienne, qu'elle enseigne plus expressément & qu'elle suppose plus nécessairement ; de sorte que le fidele s'élevera par la voie du raisonnement à la persuasion de cette vérité ; l'Ecriture-sainte est la parole de Dieu, en même tems qu'il parviendra à se convaincre de celle-ci, la religion chrétienne est émanée de Dieu. Or pour acquérir une persuasion raisonnée de cette derniere proposition, le simple fidele n'a pas besoin de lire l'Ecriture ; il suffit qu'il sache en gros l'histoire de la religion, de la vie & de la mort de Jesus-Christ, des miracles qui ont servi à son établissement, &c. ces choses sont connues dans la société dans laquelle il vit ; on les raconte sans que personne reclame ; on cite les endroits de l'Ecriture qui les contiennent ; le sens qu'on leur donne est simple & naturel. Voilà une certitude dans le genre moral, d'après laquelle l'homme grossier regle prudemment sa croyance.

En effet, entendre citer l'Ecriture par tant de gens qui la lisent & qui l'ont lûe, c'est exactement comme si on la lisoit soi-même. Remarque importante, à laquelle je prie qu'on fasse attention. Je dis à-peu-près la même chose de la croyance de l'infaillibilité de l'Eglise.

Si je ne m'étois pas déjà beaucoup étendu sur cette matiere, je ferois remarquer les avantages que peut donner la méthode que je propose dans nos controverses avec les Protestans. Si on veut faire sur cela quelques réflexions, on se convaincra facilement que cette maniere d'analyser la foi ne laisse plus aucun lieu aux difficultés qu'ils ont opposées aux théologiens catholiques ; difficultés tirées de l'embarras, qu'on éprouve à faire concourir ensemble, comme motifs de la foi, l'autorité de l'Eglise & celle de l'Ecriture, de la dignité & de la suffisance de l'Ecriture, &c.

Nous terminerons cette question en rapportant les analyses de la foi que proposent les Protestans, & en les comparant à la nôtre.

On conçoit d'abord que l'autorité de l'Eglise n'entre pour rien dans leurs méthodes ; & c'est ce qui les distingue de celles que les Catholiques adoptent. Nous avons vû que dans l'analyse de la foi il faut expliquer comment le fidele est certain de ces deux vérités, l'Ecriture est la parole de Dieu, & ce que je crois est contenu dans l'Ecriture ; en excluant l'autorité infaillible de l'Eglise, ils ont été embarrassés sur l'un & sur l'autre point.

Pour le premier article, le plus grand nombre des docteurs protestans ont dit, que l'Ecriture avoit des caracteres qui prouvent sa divinité à celui qui la lit, par la voie du jugement particulier.

Ce jugement particulier, selon eux, suffit au fidele pour lui faire distinguer sûrement les livres canoniques de ceux qui ne le sont pas, même alors que tous les Chrétiens ne les reçoivent pas, & pour juger aussi de l'authenticité des textes courts : d'où l'on voit qu'il ne faut pas confondre ce jugement particulier, avec le jugement général qu'on porte de la divinité du corps des Ecritures, & qu'on fonde sur les motifs de crédibilité qui appuient la divinité de la religion chrétienne.

Il faut distinguer encore ce jugement particulier de l'enthousiasme & de l'inspiration immédiate qu'ont admis quelques fanatiques, comme Robert Barclay, & ne pas reprocher aux docteurs protestans une opinion qu'ils rejettent expressément.

Ce jugement particulier n'est pas même admis uniquement par tous les théologiens protestans pour juger de la divinité des Ecritures. La Placette ministre très-estimé, mort à Utrecht en 1718, s'est rapproché en ce point des théologiens catholiques, dans un traité de la foi divine. Il soûtient d'après Grégoire de Valence & d'autres théologiens catholiques, que la divinité des Ecritures peut être appuyée dans l'esprit du fidele & dans l'analyse de la foi, immédiatement sur la divinité de la religion chrétienne : c'est ce que nous avons dit, mais avec des restrictions que ce ministre ne peut pas apporter, & au défaut desquelles son analyse est défectueuse. En effet dans nos principes, la divinité des deutérocanoniques des textes courts, &c. n'étant pas liée intimement & évidemment avec cette vérité, la religion chrétienne est émanée de Dieu, il est nécessaire de recourir à l'autorité suprème de l'Eglise, pour recevoir d'elle ces livres & ces textes comme divins & inspirés ; d'où il suit que le protestant qui a secoüé le joug de l'Eglise, ne peut plus appuyer solidement le jugement qu'il porte de leur authenticité.

Quant au sens des Ecritures, tous les Protestans ont dit que l'esprit privé, ou le jugement particulier, en étoit juge ; & ils ont fondé cette assertion sur ce que l'Ecriture est claire, & qu'une médiocre attention suffit pour en découvrir le sens naturel. Ils ont ajoûté qu'en supposant même qu'elle eût quelque obscurité pour les fideles simples & grossiers, ce qui manqueroit, non pas à l'évidence de l'objet, mais à la disposition du sujet, pouvoit être suppléé par Dieu au moyen d'un secours qui ouvre l'esprit des simples, & qui les rend capables de saisir & de comprendre les vérités nécessaires à croire pour le salut.

La Placette manie cette idée avec beaucoup d'adresse ; il s'appuie de l'autorité de nos controversistes qui ont reconnu un semblable secours ; & il forme cette analyse de la foi, que je rapporterai en entier, parce qu'on peut dire que c'est ce qu'il y a de mieux sur cet article dans la théologie protestante.

1°. La religion chrétienne est émanée de Dieu ; 2°. si elle est véritable & émanée de Dieu, l'Ecriture-sainte est la parole de Dieu ; 3°. si l'Ecriture est la parole de Dieu, on peut & on doit croire de foi divine tout ce qu'elle contient ; 4°. on ne manque pas de moyens pour s'assûrer que certaines choses sont dans l'Ecriture ; 5°. il y a diverses choses dans l'Ecriture qu'on peut s'assûrer qui y sont contenues, en se servant de ces moyens.

Nous avons déjà remarqué le défaut de cette analyse, quant à la deuxieme proposition ; elle est encore défectueuse dans la troisieme & dans la quatrieme. Il y a beaucoup de choses qu'on ne peut pas s'assûrer être contenues dans l'Ecriture, sans le secours d'une autorité dépositaire & interprete du sens des passages qui les renferment. L'Ecriture en beaucoup d'endroits est obscure & difficile, même pour les personnes un peu instruites. On avance gratuitement que Dieu donne ce secours extraordinaire que supposent les Protestans ; & il est bien plus simple qu'il ait donné aux apôtres & à leurs successeurs, le droit suprème d'expliquer l'Ecriture dans les endroits difficiles, & de décider en dernier ressort les contestations qui pourroient naître, &c. Nos théologiens ont établi tous ces principes. Voy. ECRITURE, EGLISE, INFAILLIBILITE. Au reste on ne doit regarder ce que j'ai dit sur l'analyse de la foi, que comme une méthode que je propose, & non comme une assertion.

De l'objet de la foi. Nous avons parlé plus haut de l'objet de la foi d'une maniere assez générale en prenant la foi pour la persuasion de toutes les vérités qui appartiennent à la religion chrétienne. Nous en avons distingué de quatre especes. Mais c'est particulierement à la persuasion des vérités du quatrieme ordre que les Théologiens donnent le nom de foi, ou pour mieux dire, c'est à cette persuasion que convient ce qu'ils disent de l'objet de la foi, de sa certitude, de son obscurité, &c. c'est pourquoi dans la suite de cet article nous prendrons ordinairement le mot foi pour la persuasion des vérités de ce quatrieme ordre.

Ces vérités ont deux qualités ; elles sont contenues dans la révélation, & l'Eglise les propose aux fideles comme contenues dans la révélation & comme l'objet d'une persuasion que Dieu exige : de-là deux questions dont la solution renfermera à-peu-près tout ce que les Théologiens disent d'important sur l'objet de la foi.

Premiere question. De quelle maniere un dogme doit-il être contenu dans la révélation pour être actuellement l'objet de notre foi, & pour être au nombre des vérités du quatrieme ordre, car nous ne parlons plus des autres ?

Seconde question. De quelle maniere un dogme doit-il être contenu dans la révélation pour devenir l'objet d'une persuasion que Dieu exige de nous par une nouvelle définition de l'Eglise ?

Pour répondre à la premiere question, je remarque d'abord qu'un dogme quelconque pour être l'objet de la foi, doit être contenu dans la révélation certainement, & que cette certitude doit exclure toute espece de doute, la raison en est sensible ; c'est que la foi qu'on en auroit ne pourroit pas exclure tout doute si la certitude qu'on doit avoir qu'il est révélé n'étoit pas elle-même absolue & parfaite en son genre. Le défaut de ce haut degré de certitude qui constate la réalité de la révélation, exclut du nombre des objets de la foi un grand nombre de conséquences théologiques qui ne sont pas évidemment liées avec les propositions révélées dont on s'efforce de les déduire. Car suivant la remarque du judicieux Holden de resolutione fidei, lib. II. cap. ij. " Plusieurs théologiens en combattant les hérétiques avec plus de zele que de discernement, soûtiennent des conséquences incertaines & même des opinions agitées dans les écoles de Philosophie comme nécessairement liées avec la foi & la religion chrétienne ".

Il faut encore distinguer plusieurs sortes de propositions contenues dans les sources de la révélation ; les premieres y sont contenues expressément, c'est-à-dire ou en autant de termes ou en termes équivalens ; les secondes comme la conséquence de deux propositions révélées & disposées dans la forme du syllogisme ; les troisiemes comme déduites de deux propositions, dont l'une est révélée & l'autre connue par la lumiere naturelle ; mais parfaitement évidente. Les dernieres enfin comme déduites de deux propositions, dont l'une est révélée & l'autre connue par la lumiere de la raison, mais de telle maniere que cette derniere prémisse ne soit pas au-dessus de toute espece de doute.

Un dogme contenu dans la révélation en autant de termes ou en termes équivalens, ou comme une proposition particuliere dans une proposition universelle, est un objet de foi indépendamment d'une nouvelle définition. Sur un dogme de cette nature, il existe toûjours une décision de l'Eglise qui lui assûre la qualité de révélé. Tous les Théologiens conviennent de ce principe.

Cela est vrai aussi des dogmes contenus dans la révélation comme conséquence de deux propositions révélées ; quelques auteurs prétendent cependant que ces dogmes ne peuvent être regardés comme de foi, qu'en vertu d'une nouvelle définition ; parce que, disent-ils, sans cette définition la liaison de la conséquence avec les prémisses n'étant que l'objet de la raison, objet sur lequel cette faculté peut se tromper, la conséquence qui suppose cette liaison ne sauroit appartenir à la foi : mais cette opinion est insoûtenable ; une conséquence de cette nature est très-certainement contenue dans la révélation par l'hypothèse, puisqu'elle suit évidemment de deux prémisses révélées ; la définition de l'Eglise qui assûre aux prémisses la qualité de révélées, de contenues dans la révélation, s'étend nécessairement à la conséquence elle-même. Le motif de l'assentiment qu'on y donne est la révélation ; cette conséquence a donc indépendamment d'une nouvelle définition de l'Eglise toutes les qualités essentielles à un dogme de foi appartenant à la quatrieme classe des vérités que nous avons distinguées. Il faut donc convenir qu'elle est de foi.

Je vais plus avant, & je dis que les propositions de la troisieme espece sont encore de foi indépendamment d'une nouvelle définition de l'Eglise, & précisément en vertu de l'ancienne. Je m'écarte en ceci de l'opinion commune ; mais voici mes raisons.

La premiere est que les conséquences de deux propositions, dont l'une est révélée, & l'autre absolument certaine & évidente, sont tout comme les propositions de la seconde espece très-certainement contenues dans la révélation, connues comme telles par l'ancienne définition de l'Eglise, qui en déclarant le principe révélé, a déclaré en même tems révélée la conséquence évidemment contenue dans ce principe, & enfin crues par le motif de la révélation.

En second lieu, lorsqu'une des prémisses est évidente, l'identité de la conséquence avec le principe révélé est évidente aussi ; & cela posé, on ne peut pas plus douter de la conséquence que du principe. Une conséquence de cette nature n'ajoûte rien à la révélation ; on ne peut donc pas se dispenser de la regarder comme révélée.

Ce n'est que lorsque la prémisse de raison est susceptible de quelque incertitude, qu'on peut douter si la conséquence est identique avec la proposition révélée ; aussi n'est-ce qu'alors que la conséquence n'est pas de foi, & il n'y a point d'inconvénient à ce que l'assentiment qu'exige la foi dépende ainsi de la vérité de cette prémisse de raison, comme on pourroit se l'imaginer faussement. Il n'y a point de proposition de foi dont la vérité ne dépende d'un grand nombre de vérités naturelles aussi essentiellement que la vérité de la conséquence dont nous parlons peut dépendre de la prémisse de raison. Mais malgré cette dépendance, l'assentiment qu'on donne à la conclusion a toûjours pour motif unique la révélation, & la prémisse naturelle n'est jamais que le moyen par lequel on connoît que la consequence est liée avec la prémisse révélée, & non pas le motif de croire cette même conséquence. C'est ce que les Théologiens savent bien dire en d'autres occasions.

Au reste, je ne regarde ici le raisonnement comme formé de trois propositions, que pour me conformer au langage de l'école ; car si je voulois le rappeller à sa forme naturelle qui est l'entymême, je pourrois tirer beaucoup d'avantage de cette maniere de l'envisager.

Une troisieme raison, est qu'une conséquence de cette espece participe de l'obscurité qui caractérise la foi ; elle tient du principe d'où elle émane, de la proposition révélée, toute l'obscurité qui enveloppe celle-ci. La liaison du sujet & de l'attribut y est inévidente, & pourroit être niée si la proposition révélée, de laquelle on la conclut, ne l'empêchoit ; & comme, bien qu'obscure & inévidente, elle est très-certaine, il faut de nécessité qu'elle soit de foi.

Enfin j'ajoûte qu'il est impossible de citer une seule conséquence de cette espece, qui ne soit vraiment de foi, & qu'on ne regarde dans l'Eglise comme telle. Par exemple, dans ce raisonnement : il y a en Jesus-Christ deux natures raisonnables parfaites, toute nature raisonnable & parfaite a une volonté, donc il y a en Jesus-Christ deux volontés. Cette conséquence étoit crue de tous les Chrétiens, & étoit de foi, même avant la définition du sixieme concile contre les Monothélites, & précisément en vertu de la doctrine reçûe de toute l'Eglise ; c'est pourquoi je crois qu'on doit distinguer deux sortes de définitions de l'Eglise, celles qui ne font que constater une ancienne croyance, connue de tous les fideles, généralement reçûe & enseignée expressément dans toute l'Eglise, & celles qui fixent la foi des fideles sur des objets moins familiers & moins bien connus. Il faut bien dire que la définition de la consubstantialité du Verbe au concile de Nicée, étoit une décision de la premiere sorte, autrement il faudroit convenir que le point de doctrine qu'on y décida avant ce tems-là, n'étoit pas un dogme de foi expresse & explicite, aveu qu'aucun théologien catholique ne peut faire.

Il nous reste à parler des propositions contenues dans la révélation, comme conséquences des deux prémisses, dont l'une est révélée, & l'autre connue par la raison, mais dépourvûe d'évidence & susceptible de quelque espece de doute & d'incertitude : celles-là ne sont point de foi, indépendamment d'une nouvelle décision de l'Eglise, & elles le deviennent aussi-tôt que cette décision a lieu. Voilà la réponse à la seconde question.

La premiere partie de cette assertion n'a pas besoin de preuves. Par l'hypothese on peut douter raisonnablement si ces propositions sont contenues dans la révélation, à consulter la lumiere naturelle ; donc jusqu'à ce que la décision de l'Eglise ait levé ce doute, elles ne sauroient être de foi.

Mais la définition de l'Eglise peut présenter aux fideles cette même conséquence comme contenue dans la révélation, ce qu'elle peut faire en plusieurs manieres, ou en décidant (absolument & sans rapport à la prémisse révélée dont elle peut être tirée) que cette proposition est contenue dans certains passages de l'Ecriture, dont le sens n'avoit pas encore été éclairci, quoique les premiers pasteurs en fussent instruits ; ou en recueillant la tradition éparse dans les églises particulieres, & la présentant aux fideles ; ou en puisant cette même tradition dans les écrits des peres & des écrivains ecclésiastiques, ou même en décidant que cette conséquence est vraiment liée avec la prémisse révélée, & en dissipant par-là l'incertitude que les lumieres de la raison laissoient encore sur cette même liaison.

Je regarde aussi les propositions de cette derniere classe comme l'objet propre & particulier de la Théologie, toutes les autres appartenant véritablement à la foi. Et je définis une conclusion théologique la conséquence de deux prémisses, dont l'une est révélée, & l'autre connue par les lumieres de la raison, mais susceptible encore de quelque espece d'incertitude. Ceci est une question de bien petite importance, & à laquelle je ne veux pas m'arrêter. Mais il me semble clair qu'une conclusion vraiment théologique n'est jamais évidemment contenue dans la prémisse révélée. Citons pour exemple une conclusion théologique des plus certaines, la volonté de Dieu de sauver tous les hommes sans exception ; & considérons-la dans ce raisonnement : selon S. Paul, Deus vult omnes homines salvos fieri ; or tous, dans le passage de S. Paul, signifie tous les hommes sans exception ; donc Dieu veut sauver tous les hommes sans exception. Ne voit-on pas que si cette derniere conséquence n'est pas de foi, selon le plus grand nombre des théologiens, ce n'est que parce qu'on suppose que la seconde proposition de cet argument n'est pas au-dessus de toute espece de doute & d'incertitude. Mais cette question pourra être traitée à l'article THEOLOGIE.

Je remarquerai seulement que dans le système le plus communément reçu, que les conséquences d'une prémisse révélée & d'une prémisse de raison absolument évidente, appartiennent à la Théologie, on ne s'est pas apperçû que toutes les fois que la prémisse de raison est évidente, la conséquence est toûjours identique avec la proposition révélée, & on a imaginé qu'il pouvoit y avoir de ces conséquences-là qui ajoûtassent quelque chose à la révélation ; ce qui est absolument faux.

Les trois premieres especes de propositions sont donc de foi, en vertu des anciennes définitions, ou plûtôt en vertu de l'ancienne croyance de l'Eglise qui exerce toûjours son autorité sur celles-là ; puisque nous ne les pouvons regarder comme révélées pour en faire les objets de notre foi, que parce que l'Eglise nous les présente comme telles. Quant aux dernieres, elles sont à proprement parler l'objet des nouvelles décisions de l'Eglise. En décidant sur celles-là, l'Eglise constate qu'elles sont déjà de foi ; & en décidant sur celles-ci, elle les présente aux fideles comme devant être desormais l'objet de la croyance de tous ceux à qui sa définition & la proposition en question seront connues.

D'après ces principes, on résout sans embarras une autre question que S. Thomas exprime ainsi : Utrum articuli fidei per successionem temporum creverint ; le nombre des articles de foi s'est-il augmenté par la succession des tems ? Selon ce pere, crevit numerus articulorum, secundâ secundae, quaest. 1. art. vij. mais le plus grand nombre des théologiens semble s'écarter en cela de son sentiment. Selon Juenin, articuli fidei iidem semper numero fuerunt in ecclesiâ christianâ. inst. theol. part. VII. dissert. jv.

Mais ce n'est là qu'une dispute de mots. Il ne faut qu'expliquer ce que l'on peut entendre par de nouveaux articles de foi ; il ne se fait point de nouveaux articles de foi, de ces articles qu'on regarde comme le fond de la foi chrétienne, & dont la croyance explicite (nous expliquerons ce mot un peu plus bas) est nécessaire au salut ; mais l'Eglise peut proposer aux fideles comme l'objet d'une persuasion que Dieu exige d'eux, des vérités particulieres que les fideles pouvoient auparavant ou ignorer ou rejetter formellement sans errer dans la foi.

Une question se présente ici que je ne trouve pas traitée de dessein formé dans nos théologiens. Quand une proposition est-elle déclarée suffisamment par l'Eglise contenue dans la révélation, de sorte que par cette déclaration elle devienne l'objet de la foi ? Tout le monde convient qu'une proposition contenue dans la révélation, & connue comme telle, doit être crûe ; on convient encore que l'Eglise seule a le droit de nous faire connoître sûrement les dogmes contenus dans la révélation ; mais on semble supposer qu'il est facile de déterminer quand une doctrine est suffisamment déclarée par l'Eglise contenue dans la révélation pour devenir l'objet de la foi.

Si un dogme n'est déclaré contenu dans la révélation, que par une définition expresse de l'Eglise qui le propose aux fideles en autant de termes, la question ne souffrira aucune difficulté. Mais il n'en est pas ainsi. Il y a beaucoup de dogmes dont l'Eglise n'a point fait de définition expresse, qu'elle déclare cependant être contenus dans la révélation ; qu'elle déclare, dis-je, d'une maniere suffisante, pour que ces dogmes soient vraiment de foi ; c'est ce qu'il est facile de prouver.

1°. Il y a beaucoup de vérités dans l'Ecriture, qui sont postérieures dans l'ordre des connoissances à l'autorité infaillible de l'Eglise, que nous ne connoissons comme très-certainement contenues dans les Ecritures que par le moyen de l'Eglise, dont elle n'a jamais fait de définition expresse, & qui sont cependant des dogmes de foi. Comme aussi il y a des choses définies expressément qui étoient l'objet de la foi, & que l'Eglise déclaroit contenues dans la révélation avant la définition expresse.

Prenons pour exemple la présence réelle avant Berenger. L'Eglise n'avoit pas fait de définition expresse de ce dogme ; cependant il étoit de foi. L'Eglise le déclaroit donc contenu dans la révélation, & elle le déclaroit d'une maniere suffisante, pour lui donner le caractere d'un dogme de foi. Donc l'Eglise peut déclarer qu'un dogme est contenu dans la révélation d'une autre maniere que par une définition expresse de ce même dogme.

2°. Je dis la même chose des vérités de foi que renferme la tradition : comme que le baptême des enfans est bon & valable ; que la communion sous les deux especes n'est pas nécessaire au salut, &c. Ces dogmes sont déclarés par l'Eglise contenus dans la tradition, sans qu'elle en forme aucune définition expresse.

Or comment se fait donc cette déclaration ? Je répons que l'explication constante & unanime que le plus grand nombre des Peres & des écrivains ecclésiastiques, & en général les pasteurs de l'Eglise, donnent à un passage contenu quant aux paroles dans les livres canoniques, est une déclaration que ce dogme est contenu dans l'Ecriture quant au sens ; déclaration suffisante pour que le dogme soit ipso facto l'objet de la foi pour ceux à qui cette explication est connue.

Et de même la pratique constante & universelle de l'Eglise lorsqu'elle suppose un dogme contenu dans la tradition, suffit pour déclarer que ce dogme est contenu dans la tradition, & doit être l'objet de la foi.

Je pourrois faire voir dans un plus grand détail la nécessité & l'utilité de ce principe, mais je suis obligé de me resserrer pour passer à d'autres objets.

De l'obscurité de la foi. La foi est obscure, mais en quel sens ? Toutes les vérités de foi sont-elles obscures, & quelles sont celles qu'affecte cette obscurité ?

L'obscurité de la foi ne peut affecter que les objets mêmes, & non pas les motifs de la persuasion. Par ces motifs, je n'entends pas ici le motif immédiat qui nous fait donner notre assentiment aux vérités de foi, c'est-à-dire l'autorité de la révélation, mais les preuves par lesquelles on constate la réalité de la révélation. Or la liaison des vérités de la foi avec ces preuves, doit être dans son genre évidente & nécessaire ; & c'est alors seulement qu'on observera le précepte de l'apôtre, qui veut que l'obéissance à la foi soit raisonnable.

C'est pourquoi je ne saurois approuver la pensée de M. Pascal, qui prétend que Dieu a laissé à dessein de l'obscurité dans l'économie générale, dans les preuves de la religion : qu'on se lasse de chercher Dieu par le raisonnement ; qu'on voit trop pour nier & trop peu pour assûrer ; que ce Dieu dont tout le monde parle, a laissé des marques après lui ; que la nature ne le marque pas sans équivoque ; c. viij. que les foiblesses les plus apparentes sont des forces à ceux qui prennent bien les choses ; qu'il faut connoître la vérité de la religion dans son obscurité ; que Dieu seroit trop manifeste s'il n'y avoit de martyrs qu'en notre religion, c. xviij. &c.

Car il me semble au contraire que pour repousser les traits des incrédules, il est nécessaire d'établir que la religion chrétienne n'a d'autre obscurité que celle qui affecte ses mysteres, & que les preuves, les motifs de crédibilité qui l'établissent, ont une évidence suprème dans le genre moral, & qui ne peut laisser aucune espece de doute dans l'esprit. Qu'on lise tous les auteurs qui ont travaillé à la défense de la religion, on verra qu'aucun ne s'est écarté de ce principe dont ils ont senti la nécessité.

Il suit de-là que dans les quatre ordres de vérités que nous avons distingués en traitant de l'analyse de la foi, il n'y a que celles qui appartiennent au quatrieme ordre, & qu'on peut croire par le motif de la révélation proposée par l'Eglise, sur lesquelles puisse tomber quelqu'obscurité. Ainsi, c'est sur les mysteres que tombe l'obscurité de la foi. Voyez ce mot.

C'est l'obscurité des mysteres qui les fait paroître contraires à la raison, & c'est pourquoi nous renvoyons aussi à l'article MYSTERES la question importante, si la raison est contraire à la foi.

De la certitude de la foi. Nous ne pouvons traiter ici de la certitude de la foi, que par la comparaison avec la certitude des vérités que la raison fait connoître ; car la question de la certitude absolue des vérités de la foi, appartient aux articles RELIGION, REVELATION, &c.

On demande si la foi est autant, ou plus, ou moins certaine que la raison ; & cette question conçue en ces termes généraux, est presque inintelligible : foi, raison, certitude, tous ces termes ont besoin d'être définis.

On voit d'abord qu'il s'agit encore ici de la foi comme persuasion, & même de la persuasion que renferme la foi proprement dite, fondée sur l'autorité de la parole de Dieu, & non pas de la croyance des autres vérités qui appartiennent à la religion chrétienne, & qui ne seroient pas crûes par le motif de la révélation.

Cette persuasion peut être considérée, ou dans le sujet, dans l'esprit qui la reçoit, ou relativement à l'objet sur lequel elle tombe, ou par rapport au motif sur lequel elle est fondée.

On considere aussi la certitude en général sous ces trois rapports différens : de-là les Théologiens ont distingué la certitude de sujet, la certitude objective, & la certitude de motif.

La certitude de sujet est la fermeté de l'assentiment qu'on donne à une vérité quelconque.

Cette certitude pour être raisonnable, doit toûjours être proportionnée à la force des motifs qui la font naître : autrement elle ne seroit pas distinguée de l'entêtement qu'on a quelquefois pour les erreurs les plus extravagantes. Il suit de-là que la comparaison que nous nous proposons de faire entre la certitude de la foi & celle de la raison, ne peut pas s'entendre de la certitude du sujet, sans y faire entrer en même tems la certitude de motif, sans supposer que de part & d'autre les motifs de persuasion sont solides & au-dessus de toute espece de doute. Mais cette supposition étant une fois faite, on peut demander si l'adhésion aux vérités de la foi est plus forte que l'adhésion de l'esprit aux vérités que la raison démontre.

Il semble d'abord que cette adhésion est plus forte du côté de la foi, que de celui de la raison. Personne n'est mort pour des vérités mathématiques, & les martyrs ont scellé de leur sang la foi qu'ils professoient.

Il y a bien de l'équivoque dans tout cela. L'adhésion aux vérités de foi dont nous parlons ici, est une conviction intime, intérieure & tout-à-fait distinguée de la profession qu'on peut faire de bouche & de tout acte extérieur. Cette conviction n'atteint les vérités de la foi que comme vraies, & non pas comme utiles, comme nécessaires à soûtenir hautement & à professer extérieurement. Le chrétien doit sans-doute regarder les vérités de la foi de cette derniere façon ; mais c'est abuser des termes que d'appeller la disposition de son esprit une certitude, c'est plûtôt un amour de ces mêmes vérités. Il a la vertu & la grace de la foi s'il meurt, plûtôt que de démentir par ses actions ou par ses paroles, la persuasion dont il est plein ; mais il n'est pas pour cela plus fortement persuadé de ces mêmes vérités que le géometre de ses théorèmes, pour lesquels il ne voudroit pas mourir ; parce que le chrétien & notre géometre regardent tous deux comme vraies les propositions qui sont l'objet de leur persuasion. Or comme la vérité n'est pas susceptible de plus & de moins de deux propositions bien constantes & bien prouvées, on ne peut pas raisonnablement regarder l'une comme plus vraie que l'autre.

Ce principe me conduit à dire aussi, que la foi précisément comme persuasion n'étoit pas plus grande dans les Chrétiens, qui la confessoient à la vûe des supplices dans les martyres, que dans ceux que la crainte faisoit apostasier. En effet les tyrans ne se proposoient pas d'arracher de l'esprit des premiers chrétiens la persuasion intime des dogmes de la religion, & d'y faire succéder la croyance des divinités du Paganisme ; on vouloit qu'un chrétien benît Jupiter & sacrifiât aux dieux de l'empire ; ou bien on le punissoit, parce qu'il ne professoit pas la religion de l'empereur, mais sans se proposer de la lui faire croire. Et en effet pense-t-on que les apostats, après avoir succombé à la rigueur des supplices, honorassent du fond du coeur Jupiter auquel ils venoient d'offrir de l'encens, & cessassent de croire à J. C. aussitôt qu'ils l'avoient blasphemé : ils n'avoient plus la vertu de la foi, la grace de la foi ; mais ils ne pouvoient ôter de leur esprit la persuasion de la mission de Jesus-Christ, qu'ils avoient souvent vû confirmée par des miracles ; les motifs puissans qui les avoient amenés à la foi chrétienne, ne pouvoient pas leur paroître moins forts, parce qu'ils étoient eux-mêmes plus foibles, & leur persuasion devoit rester absolument la même, au moins dans les premiers momens, & jusqu'à ce que le desir de justifier leur apostasie leur fît fermer les yeux à la vérité.

La certitude qu'on a des vérités de la foi n'est donc pas plus grande lorsqu'on meurt pour les soûtenir, que lorsqu'on les croit sans en vouloir être le martyr ; parce que dans l'un & dans l'autre cas, on ne peut que les regarder comme également vraies. Et par la même raison, la certitude de sujet des vérités de la foi, n'est pas plus grande que celle qu'on a des vérités évidentes, ou même que celle des vérités du genre moral, lorsque celle-ci a atteint le degré de certitude qui exclut tout doute.

Passons maintenant à la certitude objective.

Il n'y a nulle difficulté entre les Théologiens sur cette espece de certitude, & on demeure communément d'accord qu'elle appartient aux objets de la foi, comme à ceux que la raison nous fait connoître, & même qu'elle appartient aux uns & aux autres dans le même degré. Il est vrai que quelques théologiens ont avancé que l'impossibilité que ce que Dieu atteste ne soit véritable, est la plus grande qu'on puisse imaginer ; & qu'eu égard à cette impossibilité, les objets de la foi sont plus certains que ceux des Sciences : mais cette prétention est rejettée par le plus grand nombre, & avec raison ; car les vérités naturelles sont les objets de la connoissance de Dieu, comme les vérités révélées de son témoignage. Or il est aussi impossible que Dieu se trompe dans ce qu'il sait, que dans ce qu'il dit ; je ne m'arrête pas sur une chose si claire.

Quant à ceux qui prétendroient que les objets de la foi ne sont pas aussi certains que ceux de la raison, nous leur ferons remarquer que dans la question dont il s'agit, on suppose la vérité, l'existence des uns & des autres ; & que cette vérité, cette existence étant une fois supposées, ne sont pas susceptibles de plus & de moins. C'est ainsi que quoique j'aye beaucoup plus de preuves de l'existence de Rome, que d'un fait rapporté par un ou deux témoins ; quoique la certitude de motif de mon adhésion à cette proposition Rome existe, soit plus grande que celle de mon adhésion à cet autre fait ; s'il est question de la certitude objective, & si nous supposons véritable le fait attesté par deux témoins, on doit regarder & l'existence de Rome & ce fait comme deux choses également certaines. Et qu'on ne dise pas que les vérités de la foi étant dans le genre moral, ne peuvent pas s'élever au degré de certitude objective qu'atteignent les vérités géométriques & métaphysiques : car je ne crains pas d'avancer que de deux propositions vraies, toutes les deux l'une dans l'ordre de la certitude morale & l'autre en Mathématique, s'il est question de la certitude objective, celle-ci n'est pas plus certaine que l'autre ; que si cette proposition est un paradoxe, c'est la faute des Philosophes, qui n'ayant pas conçu que cette certitude objective est la vérité même, ont fait deux expressions pour une même chose ; & d'après cela se sont jettés dans une question trop claire pour être examinée, quand on la conçoit dans les termes naturels. En effet, c'est comme si on demandoit s'il est aussi vrai que César a existé, qu'il est vrai que deux & deux font quatre : or personne ne peut hésiter à répondre que l'un est aussi vrai que l'autre, quoiqu'il y ait ici deux genres de certitude différens. La certitude objective des vérités de foi est donc encore égale à celle des vérités dont la raison nous persuade.

Il nous reste à parler de la certitude de motif : c'est la seule qu'on puisse appeller proprement certitude ; c'est la liaison du motif sur lequel est fondée votre persuasion, avec la vérité de la proposition que vous croyez ; de sorte que plus cette liaison est forte, plus il est difficile que le motif de votre assentiment étant posé, la proposition que vous croyez soit fausse, & plus la certitude de motif est grande.

Or le motif de l'assentiment qu'on donne aux vérités naturelles, est tantôt la nature même des choses évidemment connue, & alors la certitude est métaphysique ; & tantôt la constance & la régularité des actions morales ou des actions physiques, & alors la certitude est morale. Nous comparerons successivement la certitude de la foi à la certitude métaphysique, & à la certitude morale.

Lorsqu'on demande si la foi est autant, ou plus, ou moins certaine que les vérités évidentes, cette question revient à celle-ci : un dogme quelconque est-il aussi certain qu'une vérité que la raison démontre ? Or la certitude de motif d'un dogme quelconque dépend nécessairement de la certitude qu'on a que Dieu ne peut ni tromper ni se tromper dans ce qu'il révele, & 2° que Dieu a vraiment révélé le dogme en question : cela posé, ce que je ne crois que parce que Dieu le révele, ne peut pas être plus certain qu'il n'est certain que Dieu le révele ; & par conséquent quoique le motif immédiat de la foi, la véracité de Dieu, quoique cette proposition, Dieu ne peut ni nous tromper ni se tromper, soit parfaitement évidente & dans le genre métaphysique ; comme ce motif ne peut agir sur mon esprit pour y produire la persuasion d'un dogme, qu'autant que je constate la réalité & l'existence de la révélation de ce dogme, pour comparer la certitude de la foi à celle de la raison, il faut nécessairement comparer la certitude des propositions que la raison nous découvre, à la certitude que nous avons que les objets de notre foi sont révélés. Mais la question étant ainsi établie, il n'y reste plus de difficulté ; & voici des principes qui la décident.

1°. La certitude que nous avons que les dogmes que nous croyons sont révélés, est dans le genre moral. Les élémens de cette certitude sont des faits, des motifs de crédibilité, &c. Or ces faits, ces motifs, &c. l'existence de Jesus-Christ qui a apporté aux hommes la révélation, sa vie, ses miracles, toutes les preuves de la vérité & des livres saints, & de la divinité de la religion chrétienne ; tout cela est dans le genre moral.

2°. Cette même certitude est extrême, & telle qu'on ne peut pas s'y refuser sans abuser de sa raison. Tous les auteurs qui ont écrit en faveur de la religion, établissent ce principe.

3°. Cette certitude n'est pas supérieure à celle que nous avons des vérités mathématiques, ou simplement évidentes dans le genre métaphysique. Cela est clair.

4°. Il y a un sens dans lequel on peut dire que cette certitude est inférieure à celle que nous avons des vérités évidentes, & un sens dans lequel on doit dire qu'elle l'égale.

L'impossibilité qu'une proposition évidente soit fausse, est la plus grande qu'on puisse imaginer ; & eu égard à cette impossibilité sous ce rapport purement métaphysique, la certitude que nous avons qu'un tel dogme est révélé, & en général toute espece de certitude dans le genre moral, est inférieure à la certitude des vérités évidentes.

Mais comme on ne peut pas refuser son assentiment aux preuves qui établissent que Dieu a révélé ce que nous croyons, non plus qu'aux vérités évidentes ; comme celui qui se refuse à ces preuves abuse de sa raison, autant que celui qui nie une vérité mathématique ; comme la certitude morale a dans son genre autant d'action & de force sur l'esprit pour en tirer le consentement, que la démonstration la plus complete ; comme cette certitude est très-analogue à la maniere dont les hommes jugent ordinairement des objets, qu'elle nous est familiere, que c'est celle que nous suivons le plus communément, &c. je crois qu'en tous ces sens on peut dire que la certitude morale, lorsqu'elle est arrivée à un certain degré, & par conséquent la certitude que nous avons de la réalité & de l'existence de la révélation, que nous supposons élevée à ce même degré, que cette certitude, dis-je, est égale à celle que nous avons des vérités évidentes & mathématiques.

Quant à la certitude que nous avons des vérités du genre moral, on peut voir par ce que nous venons de dire, que la certitude des dogmes de foi ne lui est pas inférieure, mais égale & du même genre.

Il suffit d'exposer ces principes, & ils n'ont pas besoin de preuves. J'avoue que je ne conçois pas comment on a pû soutenir sérieusement que la foi est plus certaine que la raison. Les partisans de cette opinion n'ont pas pris garde qu'ils détruisoient d'une main ce qu'ils élevoient de l'autre. La foi suppose la raison, & la raison conduit à la foi. Avant de croire par le motif de la révélation, il faut en constater l'existence par le secours de la raison même.

Or comme la raison n'est pas pour nous un guide plus sûr, lorsque nous constatons l'existence de la révélation, que lorsque nous nous en servons pour reconnoître la vérité d'un théorème ou l'existence de César, les vérités que nous croyons d'après la révélation constatée, ne peuvent être plus certaines que le théorème & l'existence de César. Dans les deux cas, c'est toûjours la même raison & les mêmes lumieres. J'ajoûterai à ceci quelques réflexions.

Dans l'examen de cette question, les Théologiens ont fait ce me semble deux fautes. D'abord ils n'ont comparé que le motif immédiat qui nous fait croire à la proposition révélée, c'est-à-dire la véracité de Dieu, au motif de l'évidence qui nous fait accorder notre assentiment à une vérité métaphysique ou mathématique : au lieu que pour estimer la certitude de la foi, il falloit nécessairement avoir égard aux autres motifs subordonnés, par lesquels on constate l'existence de la révélation ; & demander si l'ensemble des motifs qui assûrent la vérité d'un dogme de foi, doit produire une certitude plus grande que celle qu'engendre l'évidence.

La raison de cela est que le motif de la véracité de Dieu ne peut agir sur l'esprit, & y faire naître la foi (entant que persuasion), qu'autant qu'on se convainc que Dieu a vraiment révélé le dogme en question ; que si on n'a pour se convaincre sur ce dernier point que des preuves doüées d'un certain degré de force, ou dans le genre moral, la certitude de motif de la foi de ce dogme sera aussi dans le genre moral, & n'aura que le même degré de force ; & quand même on supposeroit le motif de la véracité divine s'élever en particulier à un degré de certitude plus grand, je ne vois pas que la certitude d'un dogme & de la foi en général dût en être plus grande. Qu'on me permette une comparaison. Ce motif de la véracité divine est lié avec plusieurs autres, en suppose plusieurs autres, que la raison seule fournit. Je me représente ces motifs comme une chaîne formée de plusieurs chaînons, parmi lesquels il y en a un ou deux plus forts que les autres ; & d'un autre côté je regarde les motifs qui appuient une vérité évidente, comme une chaîne composée de plusieurs chaînons égaux, & semblables aux petits chaînons de la premiere. Cette premiere chaîne ne sera pas plus forte que la seconde, & ne soûtiendra pas un plus grand poids. Vous aurez beau me faire remarquer la force & la grosseur de quelques-uns des chaînons de celle-là. Ce n'est pas par-là, vous dirai-je, qu'elle rompra ; & comme dans ses endroits foibles elle peut se rompre aussi facilement que l'autre, il faut convenir que l'une n'est pas plus forte que l'autre. C'est ainsi que dans l'assemblage des motifs qui produisent la persuasion d'un dogme de foi, la certitude supérieure qu'on prêteroit au motif de la véracité de Dieu ne pourroit pas rendre le dogme de foi plus certain.

Je dis la certitude supérieure qu'on prêteroit au motif de la véracité de Dieu, parce que cette supériorité n'est rien moins que prouvée. L'impossibilité que Dieu nous trompe étant fondée sur l'évidence même, n'est pas plus grande que l'impossibilité qu'il y a que l'évidence nous trompe.

L'autre faute qu'on a commise en traitant cette question, est de l'avoir conçûe dans les termes les plus généraux, au lieu de la particulariser. Il ne falloit pas demander, la foi est-elle aussi certaine que la raison, mais un dogme de foi en particulier ? Cette proposition, par exemple, il y a trois Personnes en Dieu, est-elle aussi certaine de la certitude de motif (en prenant tout l'ensemble des motifs qui la font croire) que celles-ci, un & deux font trois ? César a conquis les Gaules. Je crois que si on eût conçû la question en ces termes, on se seroit contenté de dire que la foi est aussi certaine que la raison ; en effet on auroit vû clairement que la certitude de ce dogme dépend de la véracité de Dieu & des preuves qui constatent que ce dogme est révélé, & que parmi ces preuves il en entre plusieurs dont la certitude ne s'éleve pas au-dessus de la certitude métaphysique, pour ne pas dire qu'elle demeure au-dessous.

J'épargne aux lecteurs les discussions étendues que les scholastiques ont fait sur cette matiere. Pour décider une semblable question, il suffit d'un principe clair ; & celui que nous avons donné nous paroît avoir cette qualité. C'est le cas où l'on peut dire, qu'il ne faut pas écouter des objections contre une these démontrée.

Jusqu'à-présent nous avons considéré la foi comme persuasion ; nous avons remarqué que dans la doctrine catholique elle est aussi une vertu & une grace : nous allons la regarder par ces deux différens côtés.

La foi est une vertu. C'est le sentiment unanime de tous les PP. & de tous les Théologiens, qu'elle est méritoire ; ce qui ne peut convenir qu'à une vertu ; ce qu'il nous seroit facile de prouver, si nous ne craignions pas d'être trop longs.

Une difficulté se présente, qu'il est nécessaire de résoudre. La foi est une persuasion de certaines vérités ; la persuasion est le résultat des preuves, sur lesquelles ces vérités peuvent être appuyées. De quelque espece que soient ces vérités, les preuves qui nous y conduisent sont purement spéculatives, & il n'appartient qu'à l'esprit d'en juger. Quelle que soit la force de ces preuves en elles-mêmes, la persuasion ne peut qu'être conséquente à l'effet qu'elles produisent sur l'esprit qui les examine. Or cela posé, quel mérite peut-il y avoir à trouver ces preuves bonnes, & quel démérite à y refuser son assentiment ? Il n'y a ni crime ni vertu à ne pas croire vrai ce qu'on ne juge pas assez bien prouvé, & à croire ce qu'on trouve démontré. Et il ne faut pas penser que parce qu'il est question de religion dans cet examen, l'incrédulité y soit plus criminelle ; parce que comme les preuves sont du genre moral, on a droit d'en juger comme on juge dans toute autre question. Un homme n'est pas coupable devant Dieu de ne point croire une nouvelle de guerre, sur la déposition d'un grand nombre de témoins même oculaires ; on n'a point encore fait un péché en morale de cette espece d'incrédulité ; l'inconvaincu, en matiere de religion, refuse son assentiment à des preuves de même espece ; puisque celles qui appuient la religion sont aussi du genre moral ; il le refuse par la même raison, c'est-à-dire parce qu'il ne les croit pas suffisantes : son inconviction n'est donc pas un crime, & sa foi ne seroit point une vertu.

On peut confirmer cela par l'autorité des plus habiles Philosophes : Il n'y a autre chose, dit S'gravesande (Introd. ad Philosoph.), dans un jugement, qu'une perception ; & ceux qui croyent que la détermination de la volonté y est aussi requise, ne font attention ni à la nature des perceptions, ni à celle des jugemens.... Dès que les idées sont présentes, le jugement suit.... Celui qui voudroit séparer le jugement de la perception de deux idées, se trouveroit obligé de soûtenir que l'ame n'a pas la perception des idées qu'elle apperçoit.

S. Thomas se propose cette même question (sec. secundae quaest. sec. art. 9.) en ces termes : celui qui croit a un motif suffisant pour croire, ou il manque d'un semblable motif. Dans le premier cas, il ne lui est pas libre de croire ou de ne pas croire, & sa foi ne sauroit lui être méritoire ; & dans le second il croit legerement & sans raison, & par conséquent aussi sans mérite.

Mais sa réponse n'est pas recevable. La voici mot pour mot : Celui qui croit a un motif suffisant pour croire ; l'autorité divine d'une doctrine confirmée par des miracles, & ce qui est plus encore, l'instinct intérieur par lequel Dieu l'invite.... ainsi il ne croit pas legerement, cependant il n'a pas de motif suffisant pour croire ; d'où il suit que sa foi est toûjours méritoire.

Je remarque, 1°. que l'instinct auquel S. Thomas a recours, ne fait rien ici, parce que ce n'est pas un motif.

2°. Il y a ici une contradiction : cet homme a un motif suffisant pour croire, & il n'a pas de motif suffisant : habet sufficiens inductivum ad credendum.... tamen non habet sufficiens inductivum ad credendum : cela est inintelligible.

Essayons de résoudre cette difficulté, qu'on ne nous accusera pas d'avoir affoiblie.

1°. Nous y parviendrons, si nous faisons comprendre que la volonté, ou pour parler plus exactement, la liberté influe sur la persuasion ; car cela posé, cette même persuasion pourra être méritoire, & le refus pourra en être criminel. Or voici ce qu'on peut dire sur cela.

Quoique les idées qui sont jettées dans notre ame d'après l'impression des objets extérieurs, ne soient point sous l'empire de la liberté au premier moment où elles y entrent à mesure qu'elles nous deviennent plus familieres, nous acquérons sur elles le pouvoir de les appeller ou de les éloigner, & de les comparer à notre gré, au moins hors des cas des grandes passions ; & tout cela tient sans-doute en grande partie au méchanisme de nos organes. Or du pouvoir que nous avons d'appeller, d'écarter & de comparer à notre gré les idées, suit manifestement l'empire que nous avons sur notre persuasion : car toute persuasion résulte de la comparaison de deux idées ; & si nous écartons les idées dont la comparaison nous conduiroit à la persuasion de certaines vérités, nous fermerons par-là l'entrée de notre esprit à la persuasion de ces mêmes vérités.

Mais, pourra-t-on dire, lorsque nous écartons ces idées, la persuasion est déjà entrée dans notre ame ; car nous ne les écartons que pour ne pas faire la comparaison qui nous y conduiroit. Nous savons donc que cette comparaison nous conduiroit à la persuasion ; mais cela posé, nous sommes déjà persuadés, & nous ne faisons que nous dispenser de réfléchir sur notre persuasion.

Je répons qu'en faisant cette instance, on conviendroit que la persuasion réfléchie est libre. Or un théologien peut soûtenir avec beaucoup de vraisemblance que la foi est une persuasion réfléchie ; & on voit que dans ce sentiment il est facile de concevoir comment elle est méritoire, & comment elle est une vertu.

Mais sans considérer ici la foi en particulier, on peut dire que toute persuasion en général est libre, entant que réfléchie, quoiqu'elle ne le soit pas entant que directe. Il y a une premiere vûe de l'esprit jettée rapidement sur les idées & sur les motifs de la persuasion, qui suffit pour soupçonner la liaison des idées & la solidité des motifs, & qui ne suffit pas pour en convaincre. Ce soupçon n'est rien autre chose qu'un sentiment confus ; c'est la vûe mal terminée d'un objet qui nous épouvante dans l'éloignement, que nous reconnoissons, & que nous craignons de fixer. Dans cet état on n'a pas sur la liaison des idées, le degré d'attention nécessaire pour former un jugement décidé, & pour avoir une persuasion réfléchie. Or je croirois volontiers que l'exercice de la liberté n'a pas lieu dans ce premier moment : aussi n'est-ce pas alors que la persuasion des vérités de la foi est méritoire. L'incrédule le plus obstiné peut sentir confusément la vérité des motifs de crédibilité qui conduisent à la religion, & ne pas en être persuadé ; & les remords & les inquiétudes dont on dit que ces gens-là sont tourmentés, prennent leur source dans ce sentiment confus.

2°. Voici encore une autre maniere d'expliquer comment la persuasion est libre. Les vérités de la religion sont établies par des preuves, & combattues par des objections. La persuasion résulte de la conviction intime, de la force de celles-là, & de la foiblesse de celles-ci. Il est certain que celui qui détournera son esprit de la considération des preuves pour l'attacher aux difficultés qui les combattent, quoique les difficultés soient foibles & les preuves fortes, opposera très-librement des obstacles à la persuasion ; & c'est ce que nous voyons arriver tous les jours.

La volonté, dit Pascal, est un des principaux organes de la créance, non qu'elle forme la créance, mais parce que les choses paroissent vraies ou fausses, selon la face par laquelle on les regarde. La volonté qui se plaît à l'une plus qu'à l'autre, détourne l'esprit de considérer les qualités de celle qu'elle n'aime pas : & ainsi l'esprit marchant d'une piece avec la volonté, s'arrête à considérer la face qu'elle aime ; & en jugeant par ce qu'elle y voit, il regle insensiblement sa créance suivant l'inclination de la volonté.

3°. Toute cette difficulté suppose que l'évidence des preuves de la religion est telle, qu'on ne peut pas ne pas s'y rendre aussi-tôt qu'on les comprend : or c'est ce qui n'est point. Ecoutons encore Pascal sur ce sujet : Il y a, dit-il dans l'économie générale de la religion, assez de lumiere pour ceux qui ne desirent que de voir, & assez d'obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire.... assez d'obscurité pour aveugler les reprouvés, & assez de clarté pour les condamner & les rendre inexcusables.

En général quoique les preuves du genre moral, lorsqu'elles sont portées à un certain degré d'évidence, entraînent le consentement avec beaucoup de force, il est cependant vrai qu'elles n'exercent pas sur l'esprit un empire aussi puissant que celles qui sont de l'ordre métaphysique. La possibilité absolue du contraire, que les preuves morales laissent toûjours subsister, suffit pour donner lieu à l'incrédulité. C'est ainsi qu'on a vû au commencement de ce siecle un savant, appuyé de conjectures legeres, révoquer en doute des faits établis sur les preuves morales les plus complete s.

Voilà ce que nous avions à dire de la foi considérée comme vertu.

La foi est encore une grace. Ceci a besoin d'explication ; car on ne voit pas d'abord ce que peut avoir de commun avec la grace, une persuasion qu'un certain concours de preuves produit dans l'esprit. Voici donc comment cela peut s'entendre.

1°. La foi est une grace extérieure, c'est-à-dire que Dieu fait une grande grace, une extrème faveur à ceux qu'il place dans des circonstances, où les vérités chrétiennes entrent plus facilement dans leur ame, & où les préjugés n'opposent point à la foi des obstacles trop grands.

2°. La foi est une grace intérieure. Si l'homme a besoin du concours de Dieu pour la moindre action, ce concours lui est nécessaire pour arriver à la persuasion des vérités de la foi. Or ce concours est surnaturel.

On n'a pas encore expliqué bien nettement ce qu'on doit entendre par ce mot. Holden dit que les actes de foi sont divins & surnaturels, tant à cause qu'ils sont appuyés sur la révélation divine, que parce qu'ils ont pour objet des mysteres & des choses divines fort au-dessus de l'ordre de la nature. L iv. I. chap. ij. Cela s'entend assez bien. Mais les Théologiens regardent cette explication comme insuffisante, & ils exigent qu'on dise encore que l'acte de foi est surnaturel entitativement. Voyez GRACE & SURNATUREL.

La foi n'est pas la premiere grace ; car Dieu donne des graces aux infideles pour arriver à la foi : c'est la doctrine catholique.

Dans les définitions & les divisions qu'on a données de la foi, on a assez ordinairement confondu la foi comme persuasion, comme grace & comme vertu : c'est pourquoi nous allons faire quelques remarques sur ces définitions & ces divisions.

On définit la foi, une vertu divinement infuse, une lumiere surnaturelle, un secours, un don de Dieu qui nous fait acquiescer fermement aux vérités révélées par le motif même de l'autorité de Dieu.

Je crois qu'il faudroit dire que c'est une persuasion ferme des vérités révélées par Dieu, fondée sur l'autorité de Dieu même, sauf à faire entendre ensuite que cette persuasion est méritoire, & qu'elle est une vertu ; que nous avons besoin d'un secours surnaturel pour nous y élever, & qu'elle est une grace en ce sens. On voit au contraire dans la définition communément reçûe, la vertu de la foi, la grace de la foi & la persuasion que renferme la foi, entierement confondues.

Quelques théologiens ajoûtent dans cette définition, après ces mots révélées par Dieu, ceux-ci, & proposées par l'Eglise.

Mais Juenin remarque que cette addition n'est pas essentielle à la définition de la foi ; & que quoique l'Eglise propose communément les choses révélées comme telles, on peut cependant croire un dogme sans que l'Eglise le propose. Cette question dépend de l'examen de celle-ci, quand & comment l'Eglise propose-t-elle aux fideles un dogme comme révélé ? On doit en trouver la solution aux articles EGLISE & REVELATION.

On divise la foi 1°. en habituelle & actuelle, & cette division peut s'entendre de la foi considérée sous les trois rapports, de persuasion, de grace & de vertu. Mais qu'est-ce que la foi habituelle ? Est-ce une qualité habituelle dans le sens de la philosophie d'Aristote ? C'est sur quoi l'Eglise n'a point prononcé définitivement. Cependant depuis la fin du douzieme siecle les Théologiens se sont servi du terme d'habitude pour expliquer ce que l'Eglise enseigne sur la nature de la grace sanctifiante qui est répandue en l'ame par les sacremens, à savoir que c'est quelque chose d'interne ou d'inhérent & distingué des actes.

La foi est aussi acquise ou infuse. On appelle foi acquise, celle qui naît en nous par une multitude d'actes répétés ; & infuse, celle que Dieu fait naître sans aucun acte préalable : telle est la foi des enfans ou même des adultes, que Dieu justifie dans la réception des sacremens. C'est la doctrine du concile de Trente, sess. 6. Il n'est pas aisé d'expliquer la nature de cette foi infuse, & les principes de la philosophie moderne peuvent difficilement se concilier avec ce qu'en disent les Théologiens. Voyez HABITUDES. Mais encore une fois ce qu'ils disent à ce sujet, n'appartient pas à la foi.

On a donné le nom de foi informe à celle qui se trouve dans un sujet destitué de la grace sanctifiante ; & on appelle foi formée, celle qui se trouve réunie avec la grace sanctifiante. Les scholastiques du xij. & du xiij. siecle ont imaginé cette division.

L'apôtre S. Paul appelle foi vive, celle qui opere par la charité qui est jointe à l'observation de la loi de Dieu ; & S. Jacques appelle foi morte, celle qui se trouve sans les oeuvres. La doctrine catholique est que la foi sans les oeuvres ne suffit pas pour la justification. Voyez le concile de Trente, sess. vj. de just. Mais comme S. Paul releve l'efficace de la foi pour la justification, & semble rabaisser celui des oeuvres, & que S. Jacques au contraire releve le mérite des oeuvres : de-là est née une grande dispute entre les Calvinistes & les Catholiques, sur la part qu'il faut donner aux oeuvres & à la foi dans la justification. Nos théologiens ont accusé les Calvinistes d'en exclure absolument les oeuvres. Il est vrai que Calvin s'est exprimé sur cette matiere avec beaucoup de dureté : qu'on lise le chapitre xj. xij. xiij. & suiv. du liv. III. de l'institution. Cependant les Arminiens dans le sein même du Protestantisme, se sont efforcés de rapprocher son opinion de celle des Catholiques. C'est un des points de doctrine qui les divise des Gomaristes ; peut-être pourroit-on expliquer favorablement ce que Calvin a dit là-dessus. Je ne citerai que ce qu'on lit au chapitre xvj. de l'instit. liv. III. Ita liquet quam verum sit nos non sine operibus, neque tamen per opera justificari. Voy. JUSTIFICATION.

Enfin on divise la foi en implicite & explicite. On peut croire implicitement une vérité, ou parce qu'on croit une autre vérité qui la renferme, ou parce qu'on est soûmis à l'autorité qui l'enseigne, & disposé à recevoir d'elle cette vérité dès qu'on saura qu'elle l'enseigne. La plus grande partie des simples dans toutes les communions, croyent les dogmes de leurs églises d'une foi implicite en ces deux sens-là.

Dans l'église catholique il y a des dogmes qu'il suffit de croire d'une foi implicite, & d'autres qu'il est nécessaire pour le salut de croire explicitement. Ceci nous donne lieu d'entrer dans la question de la nécessité de la foi pour le salut. On voit bien que quoique la division de la foi implicite & explicite ne regarde la foi qu'entant qu'elle est une persuasion, la nécessité de la foi regarde aussi la grace & la vertu de la foi. Voilà pourquoi nous avons renvoyé ici cette importante question, dont l'examen terminera cet article.

Je ne me propose pas cependant de la traiter méthodiquement ; cet article est déjà trop long : je me contenterai de faire ici quelques réflexions générales sur cette matiere, & c'est peut-être ainsi que la Théologie devroit être traitée dans l'Encyclopédie, je veux dire qu'il faudroit se contenter des réflexions philosophiques qu'on peut faire sur ces objets importans, & renvoyer pour le fond aux ouvrages théologiques.

On distingue en Théologie la nécessité de précepte & la nécessité de moyen. Les différences qu'on assigne entre l'une & l'autre sont bien legeres & de peu d'utilité dans les grandes questions de la nécessité de la foi, de la grace, du baptême, &c. en effet ces deux nécessités sont également fortes, puisqu'on est également puni pour ne pas accomplir le précepte, & pour ne pas se servir du moyen.

Une des différences qu'on allegue entre l'une & l'autre, & qui mérite d'être remarquée, est que l'ignorance invincible excuse de péché dans les choses qui sont de nécessité de précepte ; au lieu qu'elle n'excuse point dans les choses qui sont de nécessité de moyen : Necessitas medii, dit Suarès de necessitate fidei, non excusatur per ignorantiam invincibilem.

Les Théologiens ne décident pas expressément que cette ignorance invincible ait lieu quelquefois, & ils n'expliquent pas bien nettement si elle est absolument & métaphysiquement invincible : mais si l'on entendoit par l'ignorance invincible de la foi, du baptême, &c. l'état d'un homme qui est dans une impossibilité absolue, qui n'a aucun moyen ni prochain ni éloigné d'arriver à la foi, d'avoir le baptême, en soûtenant que la foi, le baptême, &c. sont nécessaires pour un tel homme, on diroit une grande absurdité ; car on diroit que Dieu ordonne comme absolument nécessaires, des choses absolument impossibles.

La nécessité de la foi pour le salut, est un dogme capital dans la doctrine chrétienne : les Théologiens qui ont voulu y mettre quelques adoucissemens, & user de quelques explications, se sont toûjours écartés des principes reçûs, & sont en fort petit nombre : ainsi la foi est nécessaire d'une nécessité de moyen : de sorte que sans la foi, on n'arrive jamais au salut.

Cette proposition, la foi est nécessaire au salut, est synonyme de celle-ci, hors l'Eglise point de salut, parce qu'on n'est dans l'Eglise que par la foi ; & si-tôt qu'on a la foi, on est dans l'Eglise.

Le sens de cette proposition, la foi est nécessaire au salut, est qu'il y a des vérités particulieres dont la foi explicite est nécessaire pour être sauvé : autrement cette proposition seroit vague & ne signifieroit rien.

Un dogme quelconque est crû d'une foi explicite, lorsqu'il est directement l'objet de la persuasion que renferme la foi, lorsque la proposition qui l'exprime est présente à l'esprit de celui qui croit ; & ce même dogme sera crû d'une foi implicite, si on croit généralement ou à l'autorité de Dieu qui le révele, ou à celle de l'Eglise qui le professe, sans avoir d'idée distincte de ce que Dieu révele. Les simples qui croyent tout ce que l'Eglise croit, ont une foi implicite de beaucoup de dogmes que les personnes plus instruites croyent explicitement.

Tous les dogmes que l'Eglise présente aux fideles comme révélés, sont l'objet d'une persuasion que Dieu exige d'eux lorsqu'ils connoissent & le dogme & la définition de l'Eglise : & en ce sens, la foi de tous les dogmes, même de ceux qui paroissent moins essentiels, est nécessaire au salut : mais comme on peut sans danger ignorer en beaucoup de points & ces dogmes & la définition, & qu'il suffit de croire en général ce que l'Eglise enseigne, on peut dire qu'il n'y a qu'un certain nombre de vérités, dont la foi est nécessaire au salut.

On demande quels sont les dogmes dont la foi explicite est nécessaire au salut. Les Théologiens demeurent communément d'accord qu'outre l'existence & les attributs de Dieu, il est nécessaire de croire en Dieu comme l'auteur de la grace ; en J. C. comme médiateur entre Dieu & les hommes, & Dieu lui-même ; au mystere de l'Incarnation & à celui de la Trinité des Personnes.

Cependant leur doctrine n'est pas sur cela absolument constante & uniforme ; l'Eglise même n'a pas décidé cette grande question. Cela est clair par la liberté qu'on s'est donné d'augmenter ou de restraindre le nombre des articles qu'il faut croire de foi explicite, sous peine de damnation. Suarès, Soto, Vega, Maldonat, Hugues de Saint-Victor, Alexandre de Halès, Albert-le-Grand, Scot, Gabriel Biel, &c. ont regardé la foi implicite en Jesus-Christ comme suffisante pour le salut.

C'est sur le même principe que Payva d'Andrada, quest. orthodox. Robert Holcots ; Erasme, praefat. in tuscul. Collius, de animabus Paganorum, ont érigé en foi suffisante pour le salut la bonne foi & les vertus des Payens.

Juenin remarque que l'opinion de Suarès n'a pas été condamnée expressément, mais qu'il ne faut pas la suivre dans la pratique : je ne sai pas ce qu'il entend par la pratique de cette opinion ; mais il est clair que Suarès est en opposition avec la plûpart des peres, avec la doctrine la plus reçûe dans l'Eglise.

Quant à l'opinion des autres théologiens que nous avons cités, on sent bien que c'est abuser des termes, que de dire que ces honnêtes payens avoient une foi implicite, puisque leurs opinions, quoique conformes à la doctrine chrétienne sur l'unité de Dieu, lui étoient opposées dans plusieurs autres non moins nécessaires à croire.

Il y a beaucoup de choses nécessaires au salut d'une nécessité de moyen : le baptême ; la foi infuse ; la foi explicite en Dieu, comme l'auteur de la nature ; la foi explicite en Dieu, comme auteur de la grace ; la foi explicite des mysteres de la trinité & de l'incarnation ; & par conséquent la foi explicite en J. C. la justification ; la grace en général, &c.

De toutes ces choses, celle qui est de premiere nécessité, est la grace de la justification, à laquelle toutes les autres sont subordonnées. Le baptême est le seul moyen que Dieu ait établi pour acquérir la justification, & pour effacer la tache originelle : c'est par-là que le baptême est nécessaire d'une nécessité de moyen ; on doit dire la même chose de la foi. Ce n'est que parce que sans la persuasion explicite de certains dogmes Dieu n'accorde point la justification aux adultes, que cette foi est nécessaire. La foi infuse, selon les Théologiens, accompagne toûjours la justification ; & réciproquement.

Pour déterminer avec précision comment la foi est nécessaire au salut, faisons une hypothèse. Supposons qu'un enfant baptisé, & par conséquent justifié, est élevé parmi des payens ou des sauvages ; & que cet enfant parvenu à l'âge de raison & adulte, vît quelques jours en observant fidelement la loi naturelle, & meurt sans s'être rendu coupable d'aucun péché mortel : il n'y a aucun théologien qui osât dire que cet enfant justifié en J. C. dans lequel il n'y a plus de damnation selon la parole de l'apôtre, nihil damnationis est in iis qui sunt in Christo Jesu, & qui n'a point perdu la grace de la justification, n'obtient pas le salut éternel : cependant il est adulte ; il n'a pas la foi explicite : la foi explicite n'est donc nécessaire qu'à cause de la justification avec laquelle elle est toûjours liée. En effet, si l'adulte étoit encore coupable du péché originel, il n'obtiendroit pas le salut éternel : mais ce ne seroit pas précisément & uniquement à cause du défaut de foi explicite, mais parce qu'il ne seroit pas justifié. On ne s'explique donc pas avec assez de netteté, lorsqu'on dit que la foi explicite est nécessaire aux adultes d'une necessité de moyen. Voici comment cela doit s'entendre. L'enfant baptisé & manquant de la foi explicite, parvenant à l'usage de raison, & péchant mortellement, perd la justice habituelle. Or, pour être justifié de nouveau, la foi explicite lui est nécessaire ; parce que la foi explicite est nécessaire & préalable à la réception de la grace de la justification dans les adultes.

On doit dire la même chose, à plus forte raison, de l'enfant coupable du péché originel, parvenant à l'usage de raison, & mourant après avoir péché mortellement.

Quant à celui qui meurt adulte & encore coupable du péché originel, même sans avoir péché mortellement : comme selon la doctrine chrétienne, la justification qui renferme la foi infuse ne peut lui être accordée, qu'au préalable il n'ait la foi explicite ; cette foi est aussi pour lui nécessaire d'une nécessité de moyen, mais toûjours à raison de la justification.

Quelques dogmes dans la doctrine chrétienne semblent augmenter la dureté apparente de celui-là ; & d'autres la temperent : voici les premiers. La foi est une grace que Dieu ne doit à personne, même à celui qui fait tout ce qui est en lui pour l'obtenir. Hors de l'Eglise point de salut. Les seconds sont que Dieu ne peut pas commander l'impossible ; que la foi n'est pas la premiere grace ; que Dieu donne à tous les hommes des moyens suffisans pour le salut.

On peut remarquer qu'on regarde comme de foi en Théologie les dogmes rigoureux de la nécessité absolue de la foi ; au lieu qu'on traite de sentimens pieux les principes qui peuvent lui servir de correctif. C'est ainsi qu'on dit modestement que la volonté de Dieu de sauver tous les hommes, & la concession des moyens suffisans pour le salut, sont des sentimens pieux & qui approchent de la foi. J'avoue que cette différence m'a toûjours fait quelque peine. Il est au moins aussi certain que Dieu donne à tous les hommes des moyens suffisans pour arriver à la foi, qu'il est certain qu'il exige qu'ils ayent la foi. L'un & l'autre dogme me semblent entrer essentiellement dans l'économie de la religion.

Encore quelques réflexions. J'ai déjà averti que je ne m'asservissois à aucun ordre.

Celui qui en supposant la nécessité de la foi en J. C. pour le salut, diroit que des payens & des sauvages, sont élevés à cette connoissance par un secours extraordinaire de Dieu, & par la grace, & qu'ils ont reçû le don de la foi, diroit une chose peu vraisemblable, mais n'avanceroit rien de contraire à la doctrine chrétienne ; car la doctrine chrétienne n'est pas que hors ceux qui sont visiblement de l'Eglise, & qui ont entendu & reçû la parole de l'Evangile, tous les autres périssent éternellement ; c'est seulement que celui qui ne croit point sera condamné ; que celui qui ne sera point de l'Eglise par la foi n'entrera point dans le royaume des Cieux : mais elle ne décide pas que hors ceux qui sont visiblement de l'Eglise, & qui ont reçû par les moyens ordinaires la prédication de l'Evangile, aucun n'ait la foi : en un mot cette proposition, hors de l'Eglise & sans la foi point de salut, n'est pas la même que celle-ci, hors de l'Eglise visible point de foi. Le dogme de la nécessité de la foi ne reçoit donc aucune atteinte de l'opinion de ceux qui disent que des payens & des sauvages se sont sauvés par la foi.

Mais, dit-on, ces gens-là ne peuvent pas croire, selon ce passage de S. Paul : quomodo credent, si non audierunt ; quomodo audient, sine predicante ? ils sont donc sauvés sans la foi ?

Ces théologiens répondent, que les payens & les sauvages en question ne peuvent pas croire par les voies ordinaires ; mais que rien n'empêche que Dieu n'éclaire leur esprit extraordinairement ; que personne ne peut borner la puissance & la bonté de Dieu, jusqu'à décider qu'il n'accorde jamais ces secours extraordinaires, & qu'il est bien plus raisonnable de le penser, que de s'obstiner à croire que tous ceux à qui l'Evangile n'a pas été préché, & qui font la plus grande partie du genre humain, périssent éternellement, sans qu'un seul arrive au salut que Dieu veut pourtant accorder à tous.

Cependant on voit que l'hypothese de ce secours extraordinaire est absolument gratuite.

On éprouve quelque difficulté à concilier ensemble la nécessité & la gratuité de la foi.

Si la foi est nécessaire ; & si tous les hommes ont des moyens suffisans pour arriver au salut, il est clair que Dieu donne à tous les hommes des moyens suffisans pour arriver à la foi.

Des moyens suffisans pour arriver à la foi, sont ceux dont le bon usage amene certainement & infailliblement le don de la foi, autrement ces moyens ne seroient pas suffisans ; de sorte que celui qui use de ces moyens, autant qu'il est en lui, reçoit toûjours la grace de la foi, selon cet axiome : facienti quod in se est cum ipso gratiae auxilio, Deus non denegat gratiam. Les infideles ont donc des moyens dont le bon usage les conduiroit infailliblement à la grace de la foi. Qu'on prenne garde que je ne dis pas que ces moyens soient purement naturels.

Mais, dira-t-on, s'il y a des moyens dont le bon usage conduiroit infailliblement à la foi, il peut y avoir des circonstances dans lesquelles Dieu ne peut pas se dispenser, à raison même de sa justice ou au moins à raison de sa bonté, d'accorder le don de la foi ; & cela posé, comment est-il vrai que la foi est une grace, qu'elle est purement gratuite, & que Dieu ne la doit à personne ?

Je réponds, 1°. si par impossible les deux dogmes de la gratuité de la grace & de la suffisance des moyens que Dieu donne aux hommes pour le salut, étoient incompatibles, il faudroit conserver ce dernier, & abandonner l'autre.

2°. Notre doctrine est une suite manifeste du principe que nous avons cité, & qui paroît bien raisonnable, facienti omne quod in se est ; &c. car il suit delà que l'infidele qui use, autant qu'il est en lui, des graces qui précedent la foi, obtient toûjours la grace de la foi.

3°. Dans l'hypothese que nous faisons, c'est la grace, à laquelle notre infidele répond, qui amene la grace de la foi. Or le dogme de la gratuité de la foi, s'oppose bien à ce que les seules forces de la nature l'appellent, mais non pas à ce que la fidélité aux premieres graces amene celle de la foi.

Quoique la foi soit nécessaire au salut, l'infidélité négative, c'est-à-dire le défaut de foi, lorsqu'on n'a pas résisté positivement aux lumieres de la foi qui se présentoient, n'est pas un péché. C'est le sentiment le plus communément reçû (voyez Suar. disp. xvij.) ; & en effet, il seroit ridicule de prétendre qu'on peut pécher sans aucune espece d'action délibérée : or l'infidele, négatif par l'hypothese, n'exerce aucune sorte d'action délibérée relativement à la foi. C'est la principale raison qu'apporte Suarès dans l'endroit cité ; ce qu'il appuye encore de ce passage qui semble décisif : si non venissem & loquutus eis fuissem, peccatum non haberent, Joan. 15.

D'après ce principe, ces hommes ne périssent pas pour n'avoir pas eu la foi, mais pour les contraventions à la loi qu'ils connoissent, & qui est écrite au fond de leur coeur : c'est la doctrine de S. Paul aux Romains : quicumque sine lege peccaverunt, sine lege peribunt, &c.

Cependant on fait sur cela une difficulté : si ces hommes observoient la loi naturelle, leur infidélité négative ne leur étant pas imputée à péché, ils pourroient éviter la damnation, & par conséquent arriver au salut sans la foi ; & cette nécessité absolue de la foi souffrira quelque atteinte.

On répond, 1°. que cet argument est d'après une hypothese qui n'a jamais de lieu, parce que jamais un infidele n'a observé la loi naturelle dans tous ses points. Cette réponse ne me semble pas solide, parce que si cet infidele a des moyens suffisans pour observer la loi naturelle, s'il a même le secours de la grace pour cela, il peut fort bien arriver qu'effectivement il l'observe : c'est ce que prouve clairement l'hypothese que fait Collius, de animab. Pag. lib. I. cap. xiij. d'un petit payen qui, commençant à user de sa raison, observeroit la loi naturelle, & passeroit un jour sans se rendre coupable d'aucun péché mortel. Hypothese assûrément très-possible, & qu'on ne peut contester.

2°. S. Thomas répond que si ces hommes observoient la loi naturelle, Dieu leur enverroit plûtôt un ange du ciel pour leur annoncer les vérités qu'il est nécessaire qu'ils croyent pour arriver au salut, ou qu'il useroit de quelque moyen extraordinaire pour les conduire à la foi, & qu'ainsi ils ne se sauveroient pas sans la foi ; ou s'ils fermoient les yeux à la vérité après l'avoir entrevûe, leur infidélité cesseroit d'être purement négative.

Mais cette réponse n'est pas encore satisfaisante ; car on peut toûjours demander si Dieu est obligé, par sa justice & sa bonté, d'envoyer cet ange & d'accorder ce secours ; s'il y est obligé, la gratuité de la grace de la foi est en grand danger ; s'il n'y est pas obligé, on peut supposer qu'il n'employera pas ces moyens extraordinaires ; & dans ce cas, il reste encore à demander si cet observateur fidele de la loi naturelle se sauvera sans la foi, auquel cas la foi n'est pas nécessaire ; ou sera damné, ce qui est bien dur.

3°. Pour sauver en même tems & la nécessité & la gratuité de la foi, S. Thomas en un autre endroit soûtient nettement que ces honnêtes payens sont privés de ce secours absolument nécessaire pour croire, & sont damnés en punition du péché originel, in poenam originalis peccati.

On trouve cette réponse, secunda secundae, quaest. secunda, art. 5. Ce pere demande si la foi explicite est nécessaire au salut : il se fait l'objection que souvent il n'est pas au pouvoir de l'homme d'avoir la foi explicite, selon ce que dit S. Paul aux Romains, ch. x. Quomodò credent in illum quem non audierunt ? quomodò audient sine praedicante ? quomodò autem praedicabunt nisi mittantur ? L'homme en question, dit-il, l'infidele dont nous parlons, & à qui l'évangile n'a pas été annoncé, ne peut pas croire sans le secours de la grace, mais il le peut avec ce secours. Or ce secours est accordé par la pure miséricorde de Dieu, à ceux à qui il est accordé ; & quant à celui auquel il est refusé, ce refus est toûjours dans Dieu un acte de justice, & pour l'homme la peine de ce péché précedent, ou au-moins, dit-il, du péché originel, selon S. Aug. lib. de corr. & gratiâ : Ad multa tenetur homo quae non potest sine gratiâ reparante... & similiter ad credendum articulos fidei... quod quidem auxilium (gratiae), quibuscumque divinitus datur misericorditer ; quibus autem non datur ex justitiâ, non datur in poenam praecedentis peccati, & saltem originalis peccati, ut Aug. dicit in lib. de corr. & gratiâ, cap. v. & vj.

Or ces hommes à qui, selon S. Thomas, Dieu refuse le secours absolument nécessaire pour croire, in poenam saltem originalis peccati, sont des adultes, ne sont coupables que du péché originel, & sont par conséquent observateurs de la loi naturelle, qu'ils n'auroient pas pû violer sans pécher mortellement : leur infidélité n'est que négative, puisque l'infidélité positive est aussi un péché, & que ce pere ne dit pas qu'ils résistent au secours de la grace qui leur est donnée pour croire, mais qu'ils ne le reçoivent point. Selon S. Thomas, ce secours absolument nécessaire peut donc manquer quelquefois, & alors cet homme n'est pas sauvé. Voilà le dogme de la nécessité de la foi dans toute sa rigueur.

Au fond je ne vois pas pourquoi les Théologiens ne font pas cet aveu tout d'un coup, & sans se faire presser. En admettant une fois la doctrine du péché originel, & de la nécessité du baptême, & en regardant, comme on le fait, les enfans morts sans le baptême, comme déchûs du salut éternel : on ne doit pas avoir tant de scrupule pour porter le même jugement des adultes qui auroient observé la loi naturelle : car ces adultes ont toûjours cette tache ; ils sont enfans de colere ; ils sont dans la masse de perdition ; ainsi la difficulté n'est pas pour eux plus grande que pour les enfans. Il est vrai que comme elle n'est pas petite pour les enfans, il seroit à souhaiter qu'on n'eût pas encore à la résoudre pour les adultes. Voyez PECHE ORIGINEL.

Nous devons faire aux lecteurs des excuses de la longueur énorme de cet article ; cette matiere est métaphysique, & tient à toute la Théologie ; de sorte qu'il ne nous eût pas été possible d'abréger, sans tomber dans l'obscurité & sans omettre plusieurs questions importantes. Nous ne nous flatons pas même d'avoir traité toutes celles qui y sont relatives, mais nous en avons au-moins indiqué une grande partie. Il y a plusieurs articles qu'on peut consulter relativement à celui-ci, comme CHRISTIANISME, RELIGION, & REVELATION. (h)

FOI, (Iconol.) la foi comme vertu morale est représentée sous la figure d'une femme vêtue de blanc, ou sous la figure de deux jeunes filles se donnant la main. Comme vertu chrétienne, elle est représentée par les Catholiques tenant un livre ouvert d'une main, & de l'autre une croix ou un calice d'où il sort une hostie rayonnante.

FOI, (Jurisprud.) signifie quelquefois fidélité, comme quand on joint ces termes foi & hommage ; il signifie aussi croyance, par exemple, quand on dit ajoûter foi à un acte ; ou bien il signifie attestation & preuve, comme lorsqu'on dit qu'un acte fait foi de telle chose. Avoir foi en Justice, c'est avoir la confiance de la Justice. (A).

FOI (BONNE-) est une conviction intérieure que l'on a de la justice de son droit ou de sa possession. On distinguoit chez les Romains deux sortes de contrats ; les uns que l'on appelloit de bonne-foi, les autres de droit étroit ; les premiers recevoient une interprétation plus favorable. Parmi nous tous les contrats sont de bonne-foi, or la bonne-foi exige que les conventions soient remplies ; elle ne permet pas qu'après la perfection du contrat l'un des contractans puisse se dégager malgré l'autre ; mais elle ne souffre pas non plus que l'on puisse demander deux fois la même chose : elle est aussi requise dans l'administration des affaires d'autrui & dans la vente d'un gage. Chez les Romains elle ne suffisoit pas seule pour l'usucapion ; & dans la prescription de trente ans, il suffisoit d'avoir été de bonne-foi au commencement de la possession, la mauvaise foi survenue depuis n'interrompoit point la prescription. Voyez ci-après MAUVAISE FOI, au digeste liv. L. tit. xvij. l. 57. 123. 136. & au code liv. IV. tit. xxxxjv. l. 3. 4. 5. 8. (A)

FOI DU CONTRAT, c'est l'obligation résultante d'icelui ; suivre la foi du contrat, c'est se fier pour l'exécution d'icelui à la promesse des contractans, sans prendre d'autres sûretés, comme des gages ou des cautions. (A)

FOI ET HOMMAGE, qu'on appelle aussi foi ou hommage simplement, est une soûmission que le vassal fait au seigneur du fief dominant pour lui marquer qu'il est son homme, & lui jurer une entiere fidélité.

C'est un devoir personnel qui est dû par le vassal à chaque mutation de vassal & de seigneur ; ensorte que chaque vassal la doit au-moins une fois en sa vie, quand il n'y auroit point de mutation de seigneur, & le même vassal est obligé de la réiterer à chaque mutation de seigneur.

Anciennement on distinguoit la foi de l'hommage.

La foi étoit dûe par le roturier pour ce qu'il tenoit du seigneur, & l'hommage étoit dû par le gentilhomme, comme il paroît par un arrêt du parlement de Paris rendu aux Enquêtes, du 10 Décembre 1238. Présentement on confond la foi avec l'hommage, & l'un & l'autre ne sont dûs que pour les fiefs.

Il n'y a proprement que la foi & hommage qui soit de l'essence du fief ; c'est ce qui le distingue des autres biens.

Elle est tellement attachée au fief, qu'elle ne peut être transférée sans l'aliénation du fief pour lequel elle est dûe.

Quand il y a mutation de seigneur, le vassal n'est pas obligé d'aller faire la foi au nouveau seigneur, à-moins qu'il n'en soit par lui requis ; mais si c'est une mutation de vassal, le nouveau vassal doit aller faire la foi dès que le fief est ouvert soit par succession, donation, vente, échange, ou autrement, sans qu'il soit besoin de requisition.

La foi doit être faite par le propriétaire du fief servant, soit laïc ou ecclésiastique, noble ou roturier, mâle ou femelle ; les Religieux doivent aussi la foi pour les fiefs dépendans de leurs bénéfices ou de leurs monasteres.

Personne ne peut s'exempter de faire la foi, à-moins d'abandonner le fief ; le Roi seul en est exempt, attendu qu'il ne doit point de soûmission à ses sujets.

Lorsque le vassal possede plusieurs fiefs relevans d'un même seigneur, il peut ne faire qu'un seul acte de foi & hommage pour tous ses fiefs.

Si le propriétaire du fief servant négligeoit de faire la foi & hommage & payer les droits, & que le fief fût saisi féodalement par le seigneur, l'usufruitier pourroit faire la foi & hommage, & payer les droits pour avoir main-levée de la saisie, & empêcher la perte des fruits : sauf son recours contre le propriétaire pour ses dommages & intérêts ; & comme ce n'est pas pour lui-même que l'usufruitier fait la foi, il seroit tenu de la réitérer à chaque mutation de propriétaire qui se trouveroit dans le même cas.

Quand le fief appartient à plusieurs co-propriétaires, tous doivent porter la foi, mais chacun peut le faire pour sa part, ce qui ne fait pas néanmoins que la foi soit divisée.

La propriété du fief étant contestée entre plusieurs contendans, chacun peut aller faire la foi & payer les droits. Le seigneur doit les recevoir tous, & celui qu'il refuseroit pourroit se faire recevoir par main souveraine.

Il suffit qu'un d'entr'eux ait fait la foi & payé les droits, pour que le fief soit couvert pendant la contestation : mais après le jugement, celui auquel le fief est adjugé doit aller faire la foi, supposé qu'il ne l'ait pas déjà faite, quand même il y en auroit eu une rendue par un autre contendant ; autrement il y auroit perte de fruits pour le propriétaire.

Si des mineurs propriétaires d'un fief n'ont pas l'âge requis pour faire la foi, le tuteur ne peut pas la faire pour eux, il doit seulement payer les droits, & pour la foi demander souffrance jusqu'à ce qu'ils soient en âge.

Le mari, comme administrateur des biens de sa femme, doit la foi pour le fief qui lui est échû pendant le mariage, & payer les droits s'il en est dû ; en cas d'absence du mari, la femme peut demander souffrance. Elle peut aussi dans le même cas, ou au refus de son mari, se faire autoriser par justice à faire la foi, & payer les droits.

Quand la femme est séparée de biens d'avec son mari, elle doit faire elle-même la foi & hommage.

Elle ne doit point de nouveaux droits après le décès du mari, mais seulement la foi, au cas qu'elle ne l'eût pas déjà faite.

Pour ce qui est du fief acquis pendant la communauté, la femme ne doit point de foi pour sa part après le décès de son mari, pourvû que celui-ci eût porté la foi ; la raison est que la femme étant conquéreur, il n'y a point de mutation en sa personne.

Il n'est pas dû non plus de foi & hommage par la douairiere pour les fiefs sujets au douaire, la veuve n'étant qu'usufruitiere de ces biens ; c'est aux héritiers du mari à faire la foi : s'ils ne le faisoient pas, ou s'ils ne payoient pas les droits, la veuve pourroit en user comme il a été dit ci-devant par rapport à l'usufruitier.

Lorsqu'un fief advient au Roi par droit d'aubaine, deshérence, batardise, confiscation, il n'en doit point la foi au seigneur dominant par la raison qui a déjà été dite ; mais il doit vuider ses mains dans l'an de son acquisition, ou payer une indemnité au seigneur, lequel néanmoins ne peut pas saisir pour ce droit, mais seulement s'opposer.

Le donataire entre-vifs d'un fief ou le légataire qui en a obtenu délivrance, sont tenus de faire la foi comme propriétaires du fief.

Les corps & communautés, soit laïcs ou ecclésiastiques, qui possedent des fiefs, sont obligés de donner un homme vivant, mourant & confisquant, pour faire la foi & hommage pour eux ; ils peuvent choisir pour cet effet une personne du corps, pourvû qu'elle soit en âge de porter la foi.

Les bénéficiers sont tenus de faire eux-mêmes la foi pour les fiefs dépendans de leur bénéfice, parce qu'en cette partie ils représentent leur église qui est propriétaire du fief.

Quand un fief est saisi réellement, & qu'il y a ouverture survenue, soit avant la saisie réelle ou depuis, pour laquelle le seigneur dominant a saisi féodalement, le commissaire aux saisies réelles ou autre établi à la saisie, doit aller faire la foi, & payer les droits au nom du vassal partie saisie, après l'avoir sommé de le faire lui-même.

Le seigneur dominant doit recevoir le commissaire à faire la foi, ou lui donner souffrance ; s'il n'accordoit l'un ou l'autre, le commissaire peut se faire recevoir par main souveraine, afin d'éviter la perte des fruits.

Le vassal étant absent depuis long-tems, & son fief ouvert avant ou depuis l'absence, le curateur créé à ses biens peut faire la foi ; le vassal absent peut aussi demander souffrance s'il a quelque empêchement légitime. Voyez SOUFFRANCE.

Le délaissement par hypotheque d'un fief ne faisant point ouverture jusqu'à la vente, n'occasionne point de nouvelle foi & hommage ; mais si le fief est ouvert d'ailleurs, le curateur créé au déguerpissement doit faire la foi & payer les droits pour avoir main-levée de la saisie féodale, & empêcher la perte des fruits.

Si c'étoit un déguerpissement proprement dit du fief, le bailleur qui y rentre de droit, doit une nouvelle foi & hommage, quoiqu'il l'eût faite pour son acquisition. Loyseau, du déguerp. liv. VI. chap. v. n. 12.

Dans une succession vacante où il se trouve un fief, on donne ordinairement le curateur pour homme vivant & mourant, lequel doit la foi & les droits au seigneur.

En succession directe, le fils aîné est tenu de faire la foi tant pour lui que pour ses freres & soeurs, soit mineurs ou majeurs avec lesquels il possede par indivis, pourvû qu'il soit joint avec eux au-moins du côté du pere ou de la mere dont vient le fief.

S'il n'y a que filles, l'aînée acquite de même ses soeurs de la foi.

Après le partage, chacun doit la foi pour sa part, quoique l'aîné eût fait la foi pour tous.

Si l'aîné étoit décédé sans enfans & avant d'avoir porté la foi, ce seroit le premier des puînés qui le représenteroit ; s'il y a des enfans, le fils de l'aîné représente son pere ; s'il n'avoit laissé que des filles, entre roturiers l'aînée feroit la foi pour toutes ; mais entre nobles, ce seroit le premier des puînés mâles.

Il y a plusieurs cas où l'aîné n'est pas obligé de relever le fief pour ses puinés, c'est-à-dire de faire la foi pour eux, savoir :

1°. Lorsqu'il a renoncé à la succession des pere & mere, & dans ce cas, le puîné ne le représente point.

2°. Quand il a été deshérité.

3°. Lorsqu'il n'est pas joint aux puînés du côté d'où leur vient le fief ; car en ce cas, il leur est à cet égard comme étranger.

4°. Lorsqu'il est mort civilement.

Quand l'aîné renonce à la succession, le puîné ne peut pas porter la foi pour son aîné ni pour ses autres freres & soeurs, parce qu'il ne joüit pas du droit d'aînesse ; mais l'aîné même peut relever le fief, parce que ce n'est pas la qualité d'héritier, mais celle d'aîné qui autorise à porter la foi pour les puînés.

Si l'aîné a cédé son droit d'aînesse, le cessionnaire, même étranger, doit relever pour les autres, & les acquiter.

L'aîné pour faire la foi, tant pour lui que pour les autres, doit avoir l'âge requis par la coûtume, sinon son tuteur doit demander souffrance pour tous.

En faisant la foi, il doit déclarer les noms & âges des puînés.

La foi n'est point censée faite pour les puinés, à-moins que l'aîné ne le déclare ; il peut aussi ne relever le fief que pour quelques-uns d'entr'eux, & non pour tous.

Lorsqu'il fait la foi, tant pour lui que pour eux, il est obligé de les acquiter du relief, s'il en est dû par la coûtume, ou en vertu de quelque titre particulier.

L'aîné n'acquite ses freres & soeurs que pour les fiefs échûs en directe, & non pour les successions collatérales, où le droit d'aînesse n'a pas lieu.

La foi & hommage doit être faite au propriétaire du fief dominant, & non à l'usufruitier, lequel a seulement les droits utiles.

Lorsque le seigneur est absent, le vassal doit s'informer s'il y a quelqu'un qui ait charge de recevoir la foi pour lui.

Le seigneur peut charger de cette commission quelque officier de sa justice, son receveur ou son fermier, ou autre, pourvû que ce ne soit pas une personne vile & abjecte, comme un valet ou domestique.

S'il n'y a personne ayant charge du seigneur pour recevoir la foi, quelques coûtumes veulent que le vassal se retire pardevers les officiers du seigneur, étant en leur siége, pour y faire la foi & les offres ; ou s'il n'a point d'officier, que le vassal aille au chef-lieu du fief dominant avec un notaire ou sergent, pour y faire la foi & les offres. Celles de Paris, article 63. & plusieurs autres semblables, portent simplement que s'il n'y a personne ayant charge du seigneur pour recevoir la foi, elle doit être offerte au chef-lieu du fief dominant, comme il vient d'être dit.

Lorsqu'il y a plusieurs propriétaires du fief dominant, le vassal n'est pas obligé de faire la foi à chacun d'eux en particulier ; il suffit de la faire à l'un d'eux au nom de tous, comme à l'aîné ou à celui qui a la plus grande part ; mais l'acte doit faire mention que cette foi & hommage est pour tous.

Au cas qu'ils se trouvassent tous au chef-lieu, le vassal leur feroit la foi à tous en même tems ; & s'il n'y en a qu'un, il doit recevoir la foi pour tous.

Les propriétaires du fief dominant n'ayant pas encore l'âge auquel on peut porter la foi, ne peuvent pas non plus la recevoir ; leur tuteur doit la recevoir pour eux en leur nom.

Les chapitres, corps, & communautés qui ont un fief dominant, reçoivent en corps & dans leur assemblée la foi de leurs vassaux ; il ne suffiroit pas de la faire au chef-chapitre ou autre corps.

Le mari peut seul, & sans le consentement de sa femme, recevoir la foi dûe au fief dominant, dont elle est propriétaire ; néanmoins s'il n'y avoit pas communauté entr'eux, la femme recevroit elle-même la foi.

La foi dûe au Roi pour les fiefs mouvans de sa couronne, tels que sont les fiefs de dignité, doit être faite entre les mains du Roi, ou entre celles de M. le chancelier, ou à la chambre des comptes du ressort.

A l'égard des fiefs relevans du Roi à cause de quelque duché ou comté réuni à la couronne, la foi se fait devant les thrésoriers de France du lieu en leur bureau, à-moins qu'il n'y ait une chambre des comptes dans la même ville, auquel cas on y feroit la foi.

Les apanagistes reçoivent la foi des fiefs mouvans de leur apanage ; mais les engagistes n'ont pas ce droit, étant considérés plûtôt comme usufruitiers que comme propriétaires.

Quand il y a combat de fief entre deux seigneurs, le vassal doit se faire recevoir en foi par main souveraine ; & quarante jours après la signification de la sentence, s'il n'y a point d'appel, ou après l'arrêt, il doit faire la foi à celui qui a gagné la mouvance, à-moins qu'il ne lui eût déjà fait la foi.

Le seigneur ayant saisi le fief du vassal, s'il y a des arriere-fiefs ouverts, & que le seigneur suzerain les ait aussi saisis, la foi doit lui en être faite.

C'est au château ou principal manoir, ou s'il n'y en a point, au chef-lieu du fief dominant, que la foi doit être faite.

Si le seigneur a fait bâtir un nouveau château dans un autre lieu que l'ancien, le vassal est tenu d'y aller, pourvû que ce soit dans l'étendue du fief dominant.

S'il n'y a point de chef-lieu, le vassal doit aller faire la foi devant les officiers du seigneur, ou s'il n'y en a point, au domicile du seigneur, ou en quelqu'autre lieu où il se trouvera, ou dans une maison ou terre dépendante du fief dominant.

Le seigneur n'est pas obligé de recevoir la foi, ni le vassal de la faire ailleurs qu'au chef-lieu ; mais elle peut être faite ailleurs, du consentement du seigneur & du vassal.

S'il n'y a personne au chef-lieu pour recevoir la foi, le vassal doit la faire devant la porte, au lieu principal du fief, assisté de deux notaires, ou d'un notaire ou sergent, & de deux témoins.

Le délai que la plûpart des coûtumes donnent pour faire la foi & hommage, est de quarante jours francs, à compter de l'ouverture du fief, c'est-à-dire du jour du décès du vassal, si la mutation est par mort ; ou si c'est par donation, vente, échange, à compter du jour du contrat ; si c'est par un legs, à compter du jour du décès du testateur ; si c'est par décret, à compter du jour de l'adjudication ; si c'est par résignation d'un bénéfice, à compter de la prise de possession du résignataire.

Si la foi est dûe à cause de la mutation du seigneur dominant, le délai ne court que du jour des proclamations & significations que le nouveau seigneur a fait faire à ce que ses vassaux ayent à lui venir faire la foi.

La minorité ni l'absence du vassal n'empêchent point le délai de courir.

La forme de la foi & hommage est différente, selon les coûtumes : on suit à cet égard celle du fief dominant. A Paris & dans plusieurs autres coûtumes, le vassal doit être nue tête, sans épée ni éperons.

Quelques coûtumes veulent aussi que le vassal mette un genou en terre ; mais il faut que cela soit porté par la coûtume ou par les titres.

Chorier, sur Guy-Pape, dit que c'est un privilége de la noblesse d'être debout en faisant la foi, à-moins que le contraire ne soit porté par le titre du fief, suivant l'exemple qu'il donne de la terre de la Beaume, pour laquelle Charles de la Beaume de Suze, nonobstant sa naissance illustre, fut condamné par arrêt du parlement de Grenoble de le rendre à genoux.

La foi & hommage lige dûe au Roi, se fait toûjours à genoux ; il y en a plusieurs exemples remarquables dans Pasquier & autres auteurs.

Tel est celui de Philippe, archiduc d'Autriche, lorsqu'il fit la foi à Louis XII. entre les mains du chancelier Guy de Rochefort, pour les comtés de Flandre, Artois, & Charolois : le chancelier assis, prit les mains de l'archiduc ; & celui-ci voulant se mettre à genoux, le chancelier l'en dispensa, & en le relevant, lui dit, il suffit de votre bon vouloir ; l'archiduc tendit la joue, que le chancelier baisa.

Le comte de Flandre fit de même la foi à genoux, tant à l'empereur qu'au roi de France, pour ce qu'il tenoit de chacun d'eux.

La même chose a été observée dans la foi & hommage faite pour le duché de Bar par le duc de Lorraine à Louis XIV. & au Roi regnant.

Anciennement le vassal, en faisant la foi, tenoit ses mains jointes entre celles de son seigneur, lequel le baisoit en la bouche ; c'est pourquoi quelques coûtumes se servent de ces termes la bouche & les mains, pour exprimer la foi & hommage ; mais ces formalités des mains jointes & du baiser ne s'observent plus que dans les fois & hommages qui se font entre les mains de M. le chancelier ou à la chambre des comptes.

On qualifioit aussi autrefois la foi de serment de fidélité ; mais ce serment ne se prête plus qu'au Roi pour les fiefs qui relevent de lui.

La foi & hommage doit être pure & simple, & non pas conditionnelle.

L'âge requis pour faire la foi est différent, selon les coûtumes : à Paris, & dans la plûpart des autres coûtumes, l'âge est de vingt ans accomplis pour les mâles, & quinze ans pour les filles ; coûtume de Paris, art. 32.

En cas de minorité féodale du vassal, son tuteur doit demander souffrance pour lui au seigneur, laquelle souffrance vaut foi, tant qu'elle dure. Voyez SOUFFRANCE.

La plûpart des coûtumes veulent que le vassal fasse la foi en personne & non par procureur, à-moins qu'il n'ait quelque empêchement légitime ; auquel cas le seigneur est obligé de le recevoir en foi par procureur, à-moins qu'il n'aime mieux lui accorder souffrance.

Les ecclésiastiques, même les abbés & religieux, sont capables de porter la foi pour leurs fiefs ; une abbesse ou prieure peut sortir de son monastere pour aller faire la foi dûe pour un fief dépendant de son monastere.

Quand la foi a été faite par procureur, le seigneur peut obliger le vassal de la réitérer en personne, lorsqu'il a atteint la majorité féodale, ou qu'il n'y a plus d'autre empêchement.

La réception en foi & hommage, qu'on appelle aussi investiture, est un acte fait par le seigneur dominant, ou par ses officiers ou autre personne par lui préposée, qui met le vassal en possession de son fief.

Il y a encore deux autres principaux effets de la réception en foi ; l'un est que le tems du retrait lignager ne court que du jour de cette réception en foi ; l'autre est que le seigneur qui a reçû la foi, ne peut plus user du retrait féodal.

Le seigneur dominant n'est pas obligé de recevoir la foi, à-moins que le vassal ne lui paye en même tems les droits, s'il en est dû.

Quoiqu'il y ait combat de fief, un des seigneurs auquel le vassal se présente, peut recevoir la foi, sauf le droit d'autrui auquel cet acte ne peut préjudicier.

Lorsque le vassal se présente pour faire la foi, il est au choix du seigneur de recevoir la foi & les droits, ou de retirer féodalement.

Si le seigneur refusoit, sans cause raisonnable, de recevoir la foi, le vassal doit faire la foi, comme il a été dit, pour le cas d'absence du seigneur, & lui notifier cet acte.

L'obligation de faire la foi & hommage au légitime seigneur, est de sa nature imprescriptible ; mais s'il y a desaveu bien fondé, le vassal peut être déchargé de la foi que le seigneur lui demande. Voyez DESAVEU. Voyez aussi les traités des fiefs & commentateurs des coût. sur le titre des fiefs ; la biblioth. de Bouchet, au mot bouches & mains ; celle de Jovet, au mot foi. (A)

FOI-LIGE, est la foi & hommage qui est dûe avec l'obligation de servir le seigneur dominant envers & contre tous : cette sorte de foi ne peut plus être dûe qu'au Roi. Voyez FIEF-LIGE, HOMME-LIGE, MMAGE-LIGELIGE. (A)

FOI MAUVAISE, est opposé à bonne-foi ; c'est lorsqu'on fait quelque chose malgré la connoissance que l'on a que le fait n'est pas légitime. Voyez BONNE-FOI & PRESCRIPTION. (A)

FOI MENTIE ; quelques anciens auteurs se servent de ce terme pour signifier la félonie que commet le vassal envers son seigneur, parce que le vassal qui tombe dans ce cas, contrevient à la foi qu'il a jurée à son seigneur en lui faisant hommage. (A)

FOI PLEINE ET ENTIERE, c'est la preuve complete que fait un acte authentique de ce qui y est contenu. Voyez AUTHENTICITE & PREUVE. (A)

FOI PROVISOIRE, c'est la créance que l'on donne par provision à un acte authentique qui est argué de faux ; il fait foi jusqu'à ce qu'il soit détruit. Voyez FAUX, INSCRIPTION DE FAUX. (A)

FOI PUBLIQUE, est la créance que la loi accorde à certaines personnes pour ce qui est de leur ministere : tels sont les juges, greffiers, notaires, huissiers, & sergens ; ces officiers ont chacun la foi publique en ce qui les concerne, c'est-à-dire que l'on ajoûte foi, tant en jugement que hors, aux actes qui sont émanés d'eux en leur qualité, & à tout ce qui y est rapporté comme étant de leur fait ou s'étant passé sous leurs yeux. (A)

FOI, taille générale ou spéciale, est une espece particuliere de tenure, usitée en Angleterre, lorsqu'un héritage est donné à quelqu'un, & à ses héritiers à toûjours. Ragueau, en son indice, parle de cette espece de foi ou tenure ; mais M. de Lauriere, dans la note qu'il a mise sur cet article, dit dans le livre des tenures, d'où cela a été tiré, réimprimé en Angleterre en 1584, qu'il y a faute, & qu'au lieu de foi il faut lire féo, c'est-à-dire fief. (A)

FOI ; on appelle ainsi, en terme de Blason, deux mains jointes ensemble pour marque d'alliance, d'amitié & de fidélité : de gueules à la foi d'argent.


FOI(Théolog.) Qu'on me permette de joindre ici quelques réflexions philosophiques, au détail qu'on a fait sur les articles de foi dans le Dictionnaire.

S'il y a quantité de gens qui se forment une si haute idée de la morale, qu'ils ne rendent pas à la foi les hommages qu'elle mérite, il est encore un plus grand nombre de théologiens qui élevent tellement la nécessité de la foi, qu'on se persuaderoit après les avoir lus, qu'elle constitue seule toute la religion ; erreur d'autant plus dangereuse, qu'il est plus aisé de croire que de pratiquer ; car quoique la morale & la foi ayent chacune des prérogatives particulieres, je pense néanmoins que la premiere l'emporte sur l'autre à divers égards.

1°. Parce que presque toute la morale, suivant l'idée que je m'en forme, est d'une nature immuable, & qu'elle durera dans toute l'éternité, lorsque la foi ne subsistera plus, & qu'elle sera changée en conviction ; 2°. parce qu'on peut être en état de faire plus de bien, & de se rendre plus utile au monde par la morale sans la foi, que par la foi sans la morale ; 3°. parce que la morale donne une plus grande perfection à la nature humaine que la foi, en ce qu'elle tranquillise l'esprit, & qu'elle avance le bonheur de chacun en particulier ; 4°. parce que les préceptes de la morale sont réellement plus certains que divers articles de foi, puisque toutes les nations civilisées s'accordent sur tous les points essentiels de la morale, autant qu'elles different sur ceux de la foi ; 5°. parce que l'incrédulité n'est pas d'une nature si maligne que le vice, ou pour envisager la même idée sous un autre vue, parce qu'on convient en général qu'un incrédule vertueux peut-être sauvé, surtout dans le cas d'une ignorance invincible, & qu'il n'y a point de salut pour un croyant vicieux.

De ces vérités incontestables, on peut tirer plusieurs conséquences très-importantes. Il en résulte par exemple, 1°. qu'on ne devroit établir pour article de foi, rien de tout ce qui peut affoiblir ou renverser les devoirs de la morale ; 2°. que dans tous les articles de foi douteux, & sur lesquels disputent les sectes du christianisme, il faudroit examiner avant que de les admettre, les suites fâcheuses qui peuvent naître de leur croyance ; 3°. que dans tous les articles de foi au sujet desquels les hommes ne s'accordent point, la raison les engage à se tolérer les uns les autres, dès que ces articles litigieux ne servent pas directement à la confirmation ou aux progrès de la morale ; 4°. que toute chose contraire ou incompatible avec les décisions de la raison claires & évidentes par elles-mêmes, n'a pas droit d'être reçue comme un article de foi, auquel la raison n'ait rien à voir.

Je sai que la révélation divine doit prévaloir sur nos préjugés, & exiger de l'esprit un parfait assentiment ; mais une telle soumission de la raison à la foi, loin d'ébranler les fondemens de la raison, nous laisse la liberté d'employer nos facultés à l'usage pour lequel elles nous ont été données. Si la droite raison n'a rien à faire en matiere de religion, tout est perdu ; car c'est pour ne l'avoir point consultée cette droite raison, qu'il regne tant d'opinions étranges, superstitieuses & extravagantes dans la plûpart des religions qui divisent le genre humain. (D.J.)


FOIBLAGES. m. (Monnoyage) est la permission que le Roi accorde au directeur de ses monnoies, de pouvoir tenir le marc des especes d'une certaine quantité de grains plus foible que le poids. Le foiblage de poids est de quinze grains par marc d'or, dont un quart est trois grains trois quarts, que le directeur a pour le retourner ou pour le joüer : l'argent trente-six grains, dont le quart est neuf grains ; & pour le billon, quatre pieces.


FOIBLEsubst. m. (Grammaire) qu'on prononce faible, & que plusieurs écrivent ainsi, est le contraire de fort, & non de dur & de solide. Il peut se dire de presque tous les êtres. Il reçoit souvent l'article de : le fort & le foible d'une épée ; foible de reins ; armée foible de cavalerie ; ouvrage philosophique foible de raisonnement, &c.

Le foible du coeur n'est point le foible de l'esprit ; le foible de l'ame n'est point celui du coeur. Une ame foible est sans ressort & sans action ; elle se laisse aller à ceux qui la gouvernent. Un coeur foible s'amollit aisément, change facilement d'inclinations, ne résiste point à la séduction, à l'ascendant qu'on veut prendre sur lui, & peut subsister avec un esprit fort ; car on peut penser fortement, & agir foiblement. L'esprit foible reçoit les impressions sans les combattre, embrasse les opinions sans examen, s'effraye sans cause, tombe naturellement dans la superstition. Voyez FOIBLE (Morale).

Un ouvrage peut être foible par les pensées ou par le style ; par les pensées, quand elles sont trop communes, ou lorsqu'étant justes, elles ne sont pas assez approfondies ; par le style, quand il est dépourvû d'images, de tours, de figures qui réveillent l'attention. Les oraisons funebres de Mascaron sont foibles, & son style n'a point de vie en comparaison de Bossuet. Toute harangue est foible, quand elle n'est pas relevée par des tours ingénieux & par des expressions énergiques ; mais un plaidoyer est foible, quand, avec tout le secours de l'éloquence & toute la véhémence de l'action, il manque de raisons. Nul ouvrage philosophique n'est foible, malgré la foiblesse d'un style lâche, quand le raisonnement est juste & profond. Une tragédie est foible, quoique le style en soit fort, quand l'intérêt n'est pas soutenu. La comédie la mieux écrite est foible, si elle manque de ce que les Latins appelloient vis comica, la force comique : c'est ce que César reproche à Térence : lenibus atque utinam scriptis adjuncta foret vis. C'est sur-tout en quoi a péché souvent la comédie nommée larmoyante. Les vers foibles ne sont pas ceux qui péchent contre les regles, mais contre le génie ; qui dans leur mécanique sont sans variété, sans choix de termes, sans heureuses inversions, & qui dans leur poésie conservent trop la simplicité de la prose. On ne peut mieux sentir cette différence, qu'en comparant les endroits que Racine, & Campistron son imitateur, ont traités. Article de M. DE VOLTAIRE.

FOIBLE, s. m. (Morale) il y a la même différence entre les foibles & les foiblesses qu'entre la cause & l'effet ; les foibles sont la cause, les foiblesses sont l'effet. On entend par foible un penchant quelconque : le goût du plaisir est le foible des jeunes gens, le desir de plaire celui des femmes, l'intérêt celui des vieillards, l'amour de la louange celui de tout le genre humain. Il est des foibles qui viennent de l'esprit, il en est qui viennent du coeur. Moins un peuple est éclairé, plus il est susceptible des foibles qui viennent de l'esprit. Dans les tems de barbarie l'amour du merveilleux, la crainte des sorciers, la foi aux présages, aux diseurs de bonne aventure, &c. étoient des foibles fort communs. Plus une nation est polie, plus elle est susceptible des foibles qui viennent du coeur, 1°. parce que faire des fautes sans le savoir, ce n'est pas être foible, c'est être ignorant ; 2°. parce que, à mesure que l'esprit acquiert plus de lumieres, le coeur acquiert plus de sensibilité. Les femmes sont plus susceptibles des foibles de l'esprit, parce que leur éducation est plus négligée, & qu'on leur laisse plus de préjugés ; elles sont aussi plus susceptibles des foibles du coeur, parce que leur ame est plus sensible. La dureté & l'insensibilité sont les excès contraires aux foibles du coeur, comme l'esprit fort est l'excès opposé aux foibles de l'esprit. Il y a encore cette différence entre les foibles & la foiblesse, qu'un foible est un penchant qui peut être indifférent, au lieu que la foiblesse est toûjours repréhensible. Voyez FOIBLESSE.

FOIBLE, dans le Commerce, se prend en différens sens, qui tous font entendre qu'une marchandise, une denrée, ou toute autre chose qui entre dans le négoce, a quelque défaut ou n'a pas la qualité requise.

Ainsi l'on dit du vin foible, un cheval foible, de la monnoie foible, un drap foible.

Dans la balance romaine on nomme le foible le côté le plus éloigné du centre de la balance qui sert à peser les marchandises les moins pesantes ; il y a un des membres de cette balance que l'on appelle garde-foible. Voyez BALANCE. On dit qu'un poids est trop foible, lorsqu'il n'est pas juste & qu'il pese moins qu'il ne doit.

Lorsqu'on dit qu'une marchandise a été vendue le fort portant le foible, cela signifie qu'elle a été vendue toute sur un même pié, sans que l'on ait fait distinction de celle qui est superieure d'avec celle qui est inférieure en bonté ou en qualité. Dictionn. de Commerce, de Trévoux, & Chambers. (G)

FOIBLE, (Ecriture) se dit d'un tuyau de plume qui plie sous les doigts ; ces sortes de tuyaux ne sont pas bons pour écrire, si ce n'est sur du papier verni, encore faut-il qu'ils soient maniés par une main extrêmement legere.

FOIBLE, (Jardinage) se dit d'un arbre trop foible pour être replanté ou greffé, & qui ne donne pendant une année que des jets très-foibles. (K)


FOIBLESSES. f. (Morale) disposition habituelle ou passagere de notre ame, qui nous fait manquer malgré nous soit aux lumieres de la raison, soit aux principes de la vertu. On appelle aussi foiblesses les effets de cette disposition.

La foiblesse que j'appelle habituelle est à-la-fois dans le coeur & dans l'esprit ; la foiblesse que j'appelle passagere, vient plus ordinairement du coeur. La premiere constitue le caractere de l'homme foible, la seconde est une exception dans le caractere de l'homme qui a des foiblesses. Quand je parle ici de l'homme, on entend bien que je veux parler des deux sexes, puisqu'il est question de foiblesses. Personne n'est exempt de foiblesses, mais tout le monde n'est pas homme foible. On est homme foible, sans savoir pourquoi, & parce qu'il n'est pas en soi d'être autrement ; on est homme foible, ou parce que l'esprit n'a point assez de lumieres pour se décider, ou parce qu'il n'est pas assez sûr des principes qui le déterminent pour s'y tenir fortement attaché ; on est homme foible par timidité, par paresse, par la mollesse & la langueur d'une ame qui craint d'agir, & pour qui le moindre effort est un tourment. Au contraire on a des foiblesses ou parce qu'on est séduit par un sentiment louable, mais trop écouté, ou parce qu'on est entraîné par une passion. L'homme foible dépourvû d'imagination, n'a pas même la force qu'il faut pour avoir des passions ; l'autre n'auroit point de foiblesses si son ame n'étoit sensible, ou son coeur passionné. Les habitudes ont sur l'un tout le pouvoir que les passions ont sur l'autre. On abuse de la facilité du premier, sans lui savoir gré de ce qu'on lui fait faire, parce qu'on voit bien qu'il le fait par foiblesse ; on sait gré à l'autre des foiblesses qu'il a pour nous, parce qu'elles sont des sacrifices. Tous deux ont cela de commun, qu'ils sentent leur état, & qu'ils se le reprochent ; car s'ils ne le sentoient pas, il y auroit d'un côté imbécillité, & de l'autre folie ; mais par ce sentiment l'homme foible devient une créature malheureuse, au lieu que l'état de l'autre a ses plaisirs comme ses peines. L'homme foible le sera toute sa vie ; toutes les tentatives qu'il fera pour sortir de sa foiblesse ne feront que l'y plonger plus avant. L'homme qui a des foiblesses sortira d'un état qui lui est étranger ; il peut même s'en relever avec éclat. Turenne n'étant plus jeune eut la foiblesse d'aimer madame de C ** ; il eut la foiblesse plus grande de lui révéler le secret de l'Etat ; il répara la premiere en cessant d'en voir l'objet ; il répara la seconde en l'avouant, ce qu'un homme foible n'eût jamais fait.

Ajoûtons quelques traits à la peinture de l'homme foible. Livré à lui-même il seroit capable des vertus qui n'exigent de l'ame aucun effort ; il seroit doux, équitable, bienfaisant : mais par malheur il n'agit presque jamais d'après ses propres impressions. Comme il aime à être conduit, il l'est toûjours ; pour le dominer il ne faut que l'obséder. On lui fait faire le mal qu'il déteste, on l'empêche de faire le bien qu'il chérit. Il craint d'être éclairé sur son état, parce qu'il le sent ; il repousse la vérité quand on la lui présente, & devient opiniâtre par foiblesse. Quelquefois aussi, quand il est blessé, il fait le mal de son propre mouvement, parce qu'alors l'émotion qu'il éprouve le met hors de lui-même, & qu'il ne distingue plus ni le bien ni le mal. On aime quelquefois les gens foibles, rarement on les estime.

Il y a d'autres personnes qu'on appelle foibles, quoique leur caractere soit totalement opposé au précédent. Toute leur ame est active, leur imagination s'allume aisément ; elles sont toûjours agitées par une ou par plusieurs passions qui se combattent & qui les déchirent ; elles n'ont jamais rien vû de sens froid ; elles sont bonnes ou méchantes, suivant le sentiment qui les affecte : personnes dangereuses dans la société, & plûtôt folles que foibles.

FOIBLESSE, se dit, en Medecine, de la diminution des forces, si considérable, qu'elle cause la lésion de toutes les fonctions, sur-tout celle du mouvement musculaire. Voyez DEBILITE, (Medec.) & FORCES.

On appelle aussi foiblesse dans les fibres, leur défaut de force d'action ; conséquemment au relâchement qu'elles ont contracté, au défaut de ressort dans les solides en général. Voyez DEBILITE, (Pathol.) & FIBRE, (Pathol.) (d)

FOIBLESSE de la vûe, voyez les articles VUE & AMBLYOPIE.


FOIES. m. (Anat.) viscere du corps ample, multiforme, destiné à la secrétion de la bile, dont il est le principal organe, & qu'il opere par un méchanisme très-difficile à développer. Entrons dans les détails de la structure de ce viscere, autant que cette structure nous est connue.

Structure du foie détaillée. Le foie paroît être une glande conglomérée, d'un volume fort considérable, d'une couleur rouge-brune, & d'une consistance assez ferme. Il occupe non-seulement la plus grande partie de l'hypochondre droit, mais encore la portion antérieure de la région épigastrique moyenne ; il s'avance même jusque dans l'hypochondre gauche ; ce qui arrive le plus souvent dans le foetus, où le volume de ce viscere est plus considérable à-proportion que dans les adultes.

Le foie déborde pour l'ordinaire la partie antérieure des fausses côtes, environ de deux travers de doigt, plus ou moins cependant, suivant que le diaphragme auquel il est attaché, & dont il suit les mouvemens, se trouve plus abaissé du côté du ventre, ou plus élevé du côté de la poitrine, & que l'estomac & les intestins sont plus ou moins pleins.

On le divise ordinairement en deux parties latérales, que l'on appelle lobes, dont l'un est à droite, & l'autre est à gauche ; cette division est marquée sur sa surface supérieure ou convexe par un ligament membraneux, & sur sa surface concave ou inférieure, par une ligne enfoncée ou scissure, communément nommée la scissure du foie ; elle traverse la partie inférieure de ce viscere, & son commencement répond à l'extrémité antérieure de la portion cartilagineuse de la premiere fausse-côte ; cette scissure est changée quelquefois en un canal.

Le lobe qui est à droite, est le plus grand ; & celui qui est à gauche, est le plus petit ; aussi a-t-on nommé celui qui est à droite, le grand lobe du foie, & celui qui est à gauche, le petit lobe. La situation particuliere de ces lobes est telle, que le grand paroît situé perpendiculairement, & le petit transversalement, celui-ci couvrant une bonne partie de l'estomac.

La figure du foie n'est point réguliere ; elle s'accommode à la conformation des parties qui lui sont voisines ; c'est pourquoi il est convexe & uni dans sa surface supérieure, pour s'accommoder à la concavité unie du diaphragme, dont il suit tous les mouvemens. Sa surface inférieure est concave & inégale, ayant des éminences & des cavités, tant pour s'accommoder à la convexité des organes qui lui sont voisins, que pour répondre aux cavités ou intervalles que ces organes laissent entr'eux. C'est ici qu'est logé la vésicule du fiel. Voyez FIEL (vésicule du).

Les éminences appartiennent au grand lobe du foie : la principale de ses éminences est triangulaire ; Spigelius en a fait mention sous le nom de petit lobe ; & ceux qui la regardent comme un lobe particulier, la nomment le petit lobule de Spigelius. On remarque sur le devant une autre éminence moins saillante, mais plus legere. Les anciens ont donné le nom de portes à ces éminences.

Il y a plusieurs enfoncemens de la partie concave ; la premiere s'appelle, comme nous l'avons dit, la scissure du foie, & fait la réparation des deux lobes, en traversant la concavité du foie : le second enfoncement est sur le devant dans le grand lobe ; il loge la vésicule du fiel ; il se trouve sur la partie postérieure un leger enfoncement, qui répond à une portion du rein droit. On voit aussi sur le petit lobe un autre enfoncement qui répond à l'estomac, sur lequel ce lobe s'avance. De plus, il se trouve au bord postérieur du foie, une grande échancrure, laquelle est commune aux deux lobes, & fait place à l'épine du dos & à l'extrémité de l'oesophage : elle est attenant le passage de la veine-cave, qui rencontre dans la partie postérieure du foie, un petit enfoncement pour le faciliter. Enfin on observe que le foie se termine postérieurement dans la plus grande partie de son étendue, par un bord qui est arrondi, à la différence de celui de sa partie antérieure, qui est mince & aiguë. Après tout, il n'y a que l'inspection qui puisse donner une véritable idée des lobes, des échancrures, des scissures, des éminences, & des enfoncemens du foie.

On dit communément que ce viscere est assujetti aux parties voisines par le moyen de quatre ligamens, nommés tels, mal-à-propos ; savoir le suspensoir, le coronaire, & les deux latéraux. Voyez SUSPENSOIR, CORONAIRE, GAMENS LATERAUXRAUX.

Cependant, à parler proprement, le foie est seulement attaché par tout son bord postérieur aux portions du diaphragme qui lui répondent ; sur quoi nous observons que l'attache de la portion moyenne de ce bord postérieur est immédiate, & que l'autre attache du reste de son étendue, est médiate. Quelques-uns ajoûtent à ces ligamens l'attache immédiate du foie au tronc de la veine-cave inférieure, qui va au coeur en traversant le diaphragme, auquel elle est aussi très-étroitement unie. Quoi qu'il en soit, aucun de ces prétendus ligamens ne sert à suspendre le foie, mais seulement à le maintenir dans sa situation, & à l'empêcher, pour ainsi dire, de balotter. Ce viscere est principalement soûtenu par la plénitude de l'estomac & des intestins, qui le sont eux-mêmes par les muscles de l'abdomen.

Le foie se trouve recouvert d'une membrane assez mince, qui est néanmoins composée de deux lames ; & c'est entre ces deux lames que rampent un très-grand nombre de vaisseaux lymphatiques, tant sur la surface convexe que sur la surface concave de ce viscere. La lame interne de cette membrane semble pénétrer la substance du foie, pour le partager en un grand nombre de petits lobes, qui ne se distinguent pas à beaucoup près si aisément dans l'homme que dans le porc.

La substance du foie est faite de l'assemblage d'une multiplicité de vaisseaux de tout genre, qui paroissent tous se distribuer à une infinité de petits corps assez semblables à de petits grains ou vésicules, dont l'intérieur semble être garni d'une espece de velouté ; M. Winslow les nomme grains pulpeux.

Les vaisseaux qui se distribuent à ces grains pulpeux, peuvent être distingués en ceux qui y portent quelque liqueur & en ceux qui en rapportent ; les premiers sont les ramifications de l'artere hépatique, celle de la veine-porte, & celles des nerfs hépatiques. Voyez ARTERE HEPATIQUE, VEINE-PORTE, RFS HEPATIQUESQUES.

Parmi les vaisseaux qui rapportent de ces vésicules, on doit premierement compter les rameaux des veines qui reçoivent le résidu du sang, que la veine-porte avoit déchargé dans le foie. Ces rameaux vont former par leur union trois branches considérables, appellées veines hépatiques, lesquelles vont se terminer dans le tronc de la veine-cave inférieure, immédiatement au-dessous du diaphragme, par trois ouvertures différentes ; la plus considérable répond au grand lobe, la moyenne au petit lobe, & la plus petite au lobule de Spigelius. Il y a lieu de croire que ces mêmes veines rapportent aussi le résidu du sang qui avoit été fourni par l'artere hépatique, puisqu'on n'en découvre aucune qui réponde immédiatement à cette artere.

Les veines lymphatiques du foie se decouvrent sur sa surface concave & sur sa surface convexe, où elles forment un réseau merveilleux, & se rendent pour la plûpart dans le réservoir du chyle.

Les grains pulpeux qui composent la substance du foie, fournissent chacun en particulier un vaisseau, qui est proprement le conduit excrétoire de ces vésicules.

Ces conduits qui sont en très-grand nombre, communiquent les uns aux autres dans la substance du foie. On les nomme pores biliaires ; & l'union de ces conduits forme celui que l'on appelle pore hépatique, dont la longueur est d'environ deux travers de doigt ; il vient s'unir à celui de la vésicule du fiel, pour n'en former ensemble qu'un seul, qui va se décharger dans le duodenum.

Il faut remarquer ici que toutes les branches & rameaux, tant de l'artere hépatique & de la veine-porte, que des nerfs & des pores biliaires, sont renfermés dans une membrane qui leur est commune, nommée la capsule de Glisson, du nom de celui qui l'a découverte : cet auteur l'a crûe charnue ; mais quand on l'examine avec soin, on découvre que ce n'est qu'une continuation de la membrane qui a recouvert le foie. Les ramifications des veines lymphatiques & celles des veines sanguines nommées hépatiques, ne sont point renfermées dans cette capsule.

Comme les anciens prenoient le foie pour la source de toutes les veines, & pour la partie du corps humain dans laquelle se fait la sanguification, ils y placerent unanimement le siége de l'amour : & tous les Poëtes suivirent cette idée. L'amour tendit son arc, dit Anacréon, & porta sa fleche au milieu du foie ; mais les modernes plus éclairés sur le méchanisme de l'économie animale, ont démontré que ce viscere étoit l'organe de la secrétion de la bile. Quant à la maniere dont cette humeur est séparée, l'on imagine que les grains glanduleux découverts par Malpighi, & répandus dans toute la substance du foie, en sont les véritables filtres ; surtout lorsqu'on considere 1°. que tous ces grains glanduleux sont autant de vésicules garnies en-dedans, suivant l'observation de M. Winslow, d'un velouté pareil à celui qu'il dit se trouver dans tous les conduits secrétoires : 2°. que tous les différens vaisseaux qui se distribuent dans le foie, vont se rendre comme à leur terme à toutes ces vésicules.

On peut donc concevoir que de ces vaisseaux, les uns apportent à ces vésicules les liqueurs qu'ils contiennent : & que les autres en reçoivent celles dont ils sont chargés, pour les transmettre ailleurs ; les premiers sont les nerfs, les ramifications de la veine-porte, & celles de l'artere hépatique ; les seconds sont les veines hépatiques, les veines lymphatiques, & les pores biliaires ou conduits excrétoires de ces vésicules.

En comparant la grande quantité de bile séparée dans le foie au volume des vaisseaux qui s'y rendent, il y a lieu de présumer que la veine-porte fournit à ce viscere la bile qui s'y filtre, & l'artere hépatique le sang dont il a besoin pour sa nourriture ; on se le persuade lorsqu'on fait réflexion sur la nature de la bile & sur celle des organes, où la veine-porte a puisé le sang qu'elle contient. La bile est une liqueur jaune, amere, d'une consistance assez fluide, composée non-seulement de sérosités & de sels, mais encore de parties huileuses ; le tout ensemble forme une liqueur dont la nature approche beaucoup de celle du savon : car elle en a à-peu-près le goût, & elle enleve de même les taches des habits. Quant aux organes, d'où les rameaux de la veine-porte reviennent, & où ils ont puisé pour ainsi dire la bile qu'elle contient, ce sont les intestins, le pancréas, le mésentere, l'épiploon, & la rate.

La bile qui a été séparée dans le foie, est reprise par les pores biliaires, qui vont s'en décharger en partie dans le conduit hépatique, & en partie dans la vésicule du fiel, par les pores biliaires qui y répondent, & que l'on a nommés conduits hépati-cystiques.

L'examen de la fabrique de la veine-porte, de la veine-cave, & du pore hépatique ; la considération du mouvement des humeurs dans la veine-porte ; la nature de l'humeur contenue dans le pore biliaire ; les expériences anatomiques faites en liant, en coupant, en ramassant la bile, tout cela nous apprend que du sang apporté par la veine-porte, il se sépare une humeur qui coule d'abord par les petits rameaux du pore hépatique hors du foie, pendant que le sang qui reste après cette séparation, est poussé dans les rameaux de la veine-cave hors du foie, & de cette veine au coeur. Ce qui en donne encore une idée plus claire, c'est la distribution des nerfs hépatiques, qui est toûjours par-tout la même que celle de la veine-porte.

Enfin, on sait par expérience qu'il y a un chemin ouvert & facile de la cavité de la vésicule du fiel au foie, au pore biliaire, aux intestins, ainsi que du pore hépatique dans le canal cystique, & réciproquement de celui-ci dans celui-là.

Conséquences qui résultent de cet exposé. De tout ce détail résultent les vérités suivantes : 1°. que l'artere hépatique & celles qui l'accompagnent, servent à la vie, à la nutrition, à la chaleur, à la propulsion, secrétion, expulsion des humeurs hépatiques. C'est pour cela que cette artere est répandue avec un art merveilleux par tout le foie, & par la membrane externe de ce viscere, comme Ruisch l'a démontré, thes. jx. tab. 3. fig. 5.

2°. Qu'il part des extrémités de cette membrane une grande quantité de vaisseaux lymphatiques, invisibles, qui appartiennent au foie, & desquels il en part d'autres visibles, lesquels ne se rendent point dans la veine-porte, mais dans le réservoir des lombes.

3°. Qu'il y a des veines qui reçoivent le sang porté par l'artere hépatique sur la surface du foie, & qui vont le porter dans une portion de la veine azygos, qui est située sous le diaphragme.

4°. Que la veine-porte prend non-seulement la forme d'artere par ses ramifications qui deviennent plus petites, mais qu'elle en exerce encore les fonctions ; car elle fait des secrétions, ce qui ne convient qu'à des arteres dans tout le reste du corps. De-là il s'ensuit que le sang qui, en sortant du coeur & en entrant dans les veines méseraïques, a été artériel & veineux, devient encore 1°. artériel dans la veine-porte, c'est-à-dire qu'il entre dans des vaisseaux qui ont la forme d'artere ; 2°. veineux en rentrant dans la veine-cave.

5°. Que tous les visceres abdominaux chylopoiétiques, la rate, l'épiploon, le ventricule, le pancréas, le mésentere, les intestins, travaillent uniquement pour le foie, en ce qu'ils y portent le sang veineux après l'avoir bien préparé ; de-là vient que les maladies du foie ont tant de liaison avec celles de tous ces visceres, & qu'il est si difficile d'y remédier ; en effet qu'on imagine seulement qu'il se trouve une obstruction dans les ramifications de la veine-porte, que d'accidens n'éprouveront pas les autres visceres qui lui envoyent leur sang ?

6°. Que comme le mouvement des humeurs ne peut être que très-lent dans la veine-porte, il falloit que le foie fût placé sous le diaphragme, & exposé à l'action des muscles de l'abdomen : plus ces muscles agissent, mieux la bile doit se vuider ; de-là vient que si l'on demeure dans l'inaction, il se forme dans le foie & dans la vésicule du fiel, des matieres glutineuses & des concrétions pierreuses.

7°. Que les maladies du foie sont très-communes & très-difficiles à guérir, tant à cause de la dépendance qu'a ce viscere avec les autres, que parce qu'il y a peu de médicamens qui y parviennent, en conservant leurs vertus. Dans les affections hépatiques, il faut quelquefois exciter une fievre legere, employer des gommeux & des remedes fluides, qui puissent être repompés par les vaisseaux mésentériques, & opérer la cure à la faveur de l'exercice ou des frictions réitérées.

8°. Qu'on ne voit nulle part tant de vaisseaux, de visceres, d'humeurs, de causes, concourir à former quelque liqueur du corps, qu'il s'en trouve pour la production de la bile ; & conséquemment qu'elle n'est point un excrément, mais au contraire qu'elle est dans le corps une humeur d'une grande importance & d'un grand usage. Elle entretient la fluidité & le mouvement du sang, prépare le chyle dans les premieres voies, le rend propre à suivre la circulation & à porter la nourriture nécessaire à toute l'économie animale. Voyez BILE.

9°. Que cette liqueur est préparée avec plus d'artifice que celles qui se filtrent dans le reste du corps ; car la nature a formé pour la séparer des couloirs très-particuliers : & le sang n'a nulle part les mêmes mouvemens, puisqu'il repasse, pour ainsi dire par un second coeur, qui est le sinus ; en effet le sang revenu des visceres s'y rassemble, & il en sort par quatre ou cinq ramifications.

10°. Qu'enfin le foie étoit necessaire ; 1°. pour empêcher que l'huile devenue acre dans le mésentere par la chaleur & la privation de la lymphe, ne rentrât dans le sang ; 2°. pour fournir une liqueur propre à dissoudre les alimens gras, à exciter l'appétit, & à nettoyer les intestins. Voyez FOIE (Physiolog).

Observations anatomiques. I. La connoissance de la situation du foie en entier dans sa position naturelle, est importante aux Medecins. Sans cette connoissance, il arrive facilement, & même aux plus exercés qui examinent un foie détaché & tiré hors du corps, de se tromper par rapport à la situation des diverses parties de cet organe, sur-tout de celles de sa surface concave. Or le manque de lumieres ou d'attention en ce genre, a été la cause d'un grand nombre de fausses observations.

Seconde observation. Julius Jassolinus est un des anciens anatomistes qui, quoi qu'en dise Riolan, a le mieux exposé la génération de la bile. Il donna même une figure nouvelle de la vésicule du fiel & de ses vaisseaux ; voyez son livre de poris choledochis & vesicula fellea, qui parut à Naples en 1577 in-8°. Il est extrêmement rare.

Troisieme observation. Jacobus Berengarius a le premier décrit l'anastomose de la veine-porte & de la veine-cave dans le foie ; & Archangelus Piccolomini en a publié la figure.

Quatrieme observation. Jean Riolan a imposé les noms reçus aujourd'hui de canaux hépatiques & cystiques.

Cinquieme observation. La partie convexe & concave du foie est arrosée, comme on l'a dit ci-dessus, de quantité de vaisseaux lymphatiques. Les premiers qui ayent été apperçûs, le furent d'abord de Falloppe, ensuite plus clairement d'Asellius, de Rudbeck, de Bartholin, de Pecquet, &c.

Sixieme observation. La structure charnue de la capsule de Glisson & sa force musculeuse, ont été démontrées fausses par Cowper, Fanton, Winslow, Walther, & Morgagni.

Septieme observation. Le lobule du foie postérieurement terminé à l'orifice de la veine-cave, est mal-à-propos nommé lobule de Spigel ; car Eustachi, Jacobus Sylvius, & Vidus-Vidius en ont fait mention avant Spigel.

Huitieme observation. Ruysch a prouvé que la substance du foie est plus composée de la veine-porte que de la veine-cave. Cette idée a paru d'abord singuliere, parce que la veine-cave, excepté un peu de bile, reporte tout le sang de la veine-porte, outre celui de l'artere hépatique, dont la quantité n'est pas médiocre ; mais cette raison démontre seulement la lenteur de la circulation du sang par les rameaux de la veine-porte.

Neuvieme observation. C'est Malpighi qui a le plus embelli l'hypothèse glanduleuse de la structure du foie. L'analogie tirée de l'examen des poissons, des quadrupedes, des oiseaux, la vûe, les injections & les maladies de ce viscere ont fait conclure à ce beau génie que le foie étoit une glande conglomérée, & que les grains qu'on y voyoit, présentoient des glandes simples, dont le canal secréteur étoit un pore biliaire. Winslow décrit les mêmes grains comme pulpeux, polygones au-dedans du foie, convexes à sa circonférence, & entourés d'un tissu celluleux. Ruysch a prétendu que les derniers rameaux des veines & du pore biliaire, s'unissoient à leurs extrémités en petits faisceaux indissolubles, semblables à des brins de vergette, sans aucune membrane propre ; & que ces petits paquets en avoient imposé à Malpighi, qui les avoit pris pour des glandes ; mais presque tous les modernes ont préféré l'opinion de Malpighi à celle de Ruysch.

Jeux de la nature. Il est certain que le foie varie naturellement dans plusieurs hommes, par rapport à sa position, sa conformation, sa figure, sa grosseur, sa petitesse, &c. Mais il n'est pas moins certain qu'on nous a donné sur cette matiere plusieurs observations, qui sont très-suspectes ou très-fausses. Telle est celle de Gemma, qui parle d'un foie qui pesoit, dit-il, 40 livres. Plusieurs autres observations méritent d'être confirmées ou expliquées ; telle est celle de M. Méry (mém. de Trévoux, Février 1716, pag. 316.), qui raconte avoir vû le foie situé au côté gauche, & la rate au côté droit. Mais quand Riolan rapporte avoir trouvé à l'ouverture d'un cadavre un foie qui égaloit à peine la grosseur d'un rein ; on conçoit aisément que des abcès ou d'autres maladies longues peuvent produire cet effet.

Les ligamens du foie multipliés par quelques habiles anatomistes, doivent vraisemblablement leur origine à ces jeux de la nature de ce viscere.

M. Littre a fait voir sur un foie humain, qui d'ailleurs étoit dans l'état naturel, & très-bien conditionné, que les glandes qui ne sont presque jamais sensibles, avoient près d'une ligne de diametre, & que les extrémités des arteres, de même que les racines de la veine-porte, de la veine-cave, & les conduits biliaires, qui se terminoient à ces glandes, étoient visibles sans microscope. Toutes les autres parties de cet homme qui venoit d'être tué, se trouverent très-saines ; d'où il semble qu'on pourroit dans ce cas attribuer à la premiere conformation cette grosseur plus qu'ordinaire des glandes du foie. Hist. de l'Acad. 1701. pag. 51.

M. Lemery a connu quelqu'un, dont le cadavre offrit en l'ouvrant une conformation de foie fort extraordinaire ; le viscere étoit rond, au lieu qu'il est communement convexe d'un côté, & concave de l'autre, & ses deux lobes n'étoient pas séparés. L'extrémité du pylore perçoit la propre substance du foie, & s'y unissoit intimement. Il n'y avoit point de vésicule du fiel, mais divers réservoirs qui paroissoient être formés par la réunion des canaux biliaires, lesquels servoient de vésicule, en communiquant la bile au duodenum par plusieurs petits conduits ; le canal pancréatique se réunissoit aussi au duodenum en cet endroit. Hist. de l'Acad. 1701. page 54.

Remarques sur quelques cas rares de maladies du foie. On a vû arriver à la partie supérieure & convexe du foie, à l'endroit où il est attaché au diaphragme, une inflammation phlegmoneuse qui se termine en suppuration ; alors l'abcès s'ouvre, & l'épanchement du pus cause un empyeme entre la deuxieme & troisieme côte. Mais comment cet empyeme peut-il se former, vû l'interposition du diaphragme & de la pleure qui couvre ce muscle du côté de la poitrine ? En voici peut-être l'explication. Le pus formé entre le foie & le diaphragme perce ce muscle & la pleure par son érosion ; ensuite agissant sur les muscles intercostaux, il les perce entre les deux côtes, & produit une tumeur externe dans ce lieu, comme à l'occasion d'une pleurésie ou péripneumonie, lorsque l'abcès s'ouvre, & que le pus s'épanche sur le diaphragme. Il arrive aussi quelquefois, que la partie intérieure du poumon se trouvant adhérente au diaphragme, le pus, après avoir rongé ces parties, est rejetté par les crachats.

Riolan parle d'un abcès au foie, dont le pus se vuida par l'estomac qu'il avoit percé à l'endroit où la suppuration se faisoit, c'est-à-dire joignant la partie cave du foie, qui est collée à l'estomac. Le même auteur assûre, qu'on a vû des tumeurs dans la partie convexe du foie, qui se sont heureusement déchargées par l'application du cautere ; ce cas peut se rencontrer, lorsque le foie se dilate à cause du pus dont il est plein, & qu'il s'attache au péritoine vis-à-vis les muscles obliques.

Les grandes blessures de tête produisent quelquefois des abcès au foie qui deviennent mortels. Bohn prétend avoir observé qu'une partie du foie formoit une hernie ombilicale. Enfin Hildanus rapporte qu'un blessé guérit, quoiqu'on lui eût tiré une portion du foie ; ce dernier fait est bien surprenant s'il est vrai.

Auteurs. On doit consulter, outre Ruysch & Malpighi, Glissonius, dont la premiere édition parut à Londres en 1654 avec figures. Rudbec (Olaus) exercit. anatom. exhibens ductus hepaticos aquosos, & vasa glandularum serosa, Lugd. Bat. 1654. in 12. Rolfincius (Guern.) Dissert. de hepate, Jenae, 1653. in-4°. Bianchi, hist. hepatica, Turin, 1710. in-4°. Mais il faut lire ce dernier auteur avec précaution, car il n'est pas exempt de fautes, & c'est assez son usage de renouveller des erreurs surannées. On trouvera dans les oeuvres posthumes de Duverney qui sont sous presse, de très-belles choses sur cet organe, & dans les mém. de l'acad. des Scienc. ann. 1733. des recherches curieuses de M. Ferrein sur la structure & les vaisseaux du foie. A l'égard de la structure de ce viscere, il prétend que chacun de ses lobules est composé de deux substances différentes ; l'une qu'il appelle corticale, extérieure, friable, & d'un rouge tirant sur le jaune ; l'autre médullaire ou intérieure, rouge, pulpeuse, placée au centre de chaque grain, apparente dans plusieurs animaux, & souvent dans l'homme. Par rapport aux vaisseaux du foie, il a découvert diverses particularités dans les vaisseaux sanguins, les vaisseaux lymphatiques, & les conduits biliaires ; mais nous n'entrerons point dans ce détail, il nous conduiroit trop loin, & nous appréhendons même que cet article ne soit déjà trop étendu. (D.J.)

FOIE, (Physiologie) Les anciens n'ayant pas connoissance des vaisseaux qui servent à porter le chyle des premieres voies dans les secondes, & ayant trouvé tout près des principaux organes de la digestion, un gros viscere d'une couleur qui a beaucoup de rapport avec celle du sang, dont il paroît aussi plus rempli qu'aucun autre viscere, eu égard au grand nombre de veines qui y sont attachées, avoient imaginé que c'est dans cette partie à laquelle on a donné le nom de foie, que le suc des alimens est porté pour y être converti en sang, & que la bile n'est autre chose que la partie excrémentitielle, qui est séparée tout-de-suite du nouveau sang, pour sa dépuration, pour sa plus grande perfection.

Le rapport bien aisé à observer entre le foie & les boyaux, par le moyen des veines mésentériques, leur fit penser que ces veines servent à attirer le chyle, comme les racines des plantes attirent le suc de la terre. Ils avoient recours à cette sorte de suction, parce qu'ils n'appercevoient dans les intestins aucune force impulsive, qui pût faire entrer & porter en avant le chyle dans ces veines. Ils étoient confirmés dans l'idée d'attribuer au foie l'ouvrage de la sanguification, , parce qu'ils ne trouvoient point de chyle dans les racines de la veine-cave qui portent le sang du foie au coeur, & que le sang de ces veines leur paroissoit d'autant plus parfait, qu'il étoit d'un rouge plus foncé ; ils le croyoient dès-lors doüé de toutes les qualités requises pour le bien de l'économie animale ; puisque selon leur sentiment, il est de-là distribué dans toutes les parties du corps pour leur fournir la nourriture. Ils regardoient conséquemment le foie comme le principe de toutes les veines, (Hipp. de alimento) c'est-à-dire de tous les vaisseaux que l'on trouve pleins de sang après la mort : ils appelloient sa substance parenchyme, de , fundere, répandre ; parce qu'ils le regardoient comme une masse composée de cellules appliquées à l'orifice des veines, dans lesquelles cellules le sang épanché auquel se mêle le chyle, convertit celui-ci en sa propre nature. Voyez SANG, SANGUIFICATION, PARENCHYME.

Telles sont les premieres idées que l'on avoit prises du principal usage du foie dans l'économie animale ; c'est ce qui est établi à ce sujet dans les oeuvres d'Hippocrate, mais d'une maniere plus détaillée dans celles de Galien, de Hipp. & plat. decr. lib. VI. cap. jv. Ces deux auteurs attribuoient aussi, avec Aristote, à ce viscere la fonction secondaire de contribuer par son voisinage de l'estomac & par sa position sur ce principal organe de la digestion, à y entretenir la chaleur nécessaire pour la coction des alimens. Démocrite dans une lettre au pere de la Medecine, établissoit encore dans le foie le siége de la concupiscence. Voyez cette lettre dans le recueil des oeuvres d'Hippocrate.

Le sentiment sur la sanguification opérée dans le foie a été constamment adopté par tous les Medecins, jusqu'à la découverte des veines lactées, par laquelle il a été démontré que le chyle n'est pas porté dans ce viscere, & que c'est ailleurs par conséquent qu'il est changé en sang : Glisson fut le premier qui entreprit de le prouver & de réfuter l'ancienne opinion : ensuite Bartholin la détruisit entierement ; ce qui donna lieu dans ce tems-là à plusieurs écrits qui parurent sous des titres relatifs à cet évenement, tels que hepatis causa desperata (à l'égard de la sanguification attribuée à ce viscere), hepatis exequiae, epitaphium, &c.

Bilsius dans ces circonstances voulut soûtenir encore pendant quelque tems le système des anciens, qui eut aussi pour défenseur Swammerdam ; mais ils ne retarderent pas sa chûte. Il fut bien-tôt abandonné presque dans toute l'Europe, dès qu'on se fut convaincu de la véritable route que prend le chyle au sortir des intestins.

D'ailleurs on comprit que l'organisation du foie n'étoit point propre à produire le changement qui lui étoit attribué, par la considération du peu d'action dont sont capables les parties solides, eu égard sur-tout à une opération qui semble devoir être presque totalement l'effet de puissances méchaniques (voyez SANGUIFICATION) ; par les conséquences qui se présentent à tirer de la lenteur du cours du sang dans les vaisseaux de ce viscere ; par l'attention à ce que la plus grande partie du sang qui y est apportée est un sang veineux qui n'a pas besoin d'éprouver de nouveaux effets tendans à changer en sang les humeurs mêlées qui en sont susceptibles ; parce qu'enfin l'observation a prouvé souvent que la sanguification continue à s'opérer également pendant assez long-tems, quoique le foie soit presque détruit par la suppuration ou toute autre cause, quoiqu'il soit tout rempli d'obstructions, ainsi qu'il arrive dans bien des maladies chroniques.

Il reste donc que le foie n'est regardé à-présent que comme n'étant principalement destiné qu'à séparer du sang l'humeur qu'on appelle bile, & cette fonction paroît si importante pour l'économie animale, que ce n'est pas la rendre trop bornée, nonobstant le grand volume de ce viscere ; si on a égard à ce que la secrétion qui s'y fait est d'une abondance excessive selon le calcul de Borelli, mais proportionnée selon les expériences de Muckius, de Berenhorst, (qui portent que par comparaison de ce qu'il coule de bile dans les boyaux d'un chien avec ce qu'il doit couler, tout étant égal, dans l'homme, la quantité de ce récrément doit aller dans l'espace de vingt-quatre heures, à une livre environ) ; que l'humeur qui en résulte n'est pas seulement destinée à servir à la digestion, à la préparation du chyle, qu'elle est d'un usage aussi continuel que son flux, au-moins par rapport à sa plus grande partie, c'est-à-dire celle qui est versée sans interruption dans les intestins, ensuite repompée par les mêmes vaisseaux qui reçoivent & portent le chyle, & qu'elle est ainsi reprise & mêlée dans la masse des humeurs, sans-doute pour y agir par sa propriété dissolvante contre la tendance qu'elles ont à prendre trop de consistance à s'épaissir, à perdre la fluidité qu'elles n'ont pour la plûpart que par accident.

Cette idée générale qui vient d'être donnée de l'office du foie, de sa production, & des effets de celle-ci, est le résultat de l'exposition des causes méchaniques & physiques dans les solides & dans les fluides qui concourent à la secrétion qui se fait dans ce viscere de la nature de l'humeur séparée, & de ce qu'elle devient après son écoulement dans les intestins. Cette exposition a été faite dans l'article BILE ; il en sera encore fait mention dans celui de SECRETION en général : ainsi voyez BILE, SECRETION. On ne peut placer ici que ce qu'il y a d'essentiel à observer concernant le foie, ce qui est propre à ce viscere dont il n'a pas été traité dans le premier de ces articles, & qui n'est pas du ressort de l'autre.

1°. Pour bien juger de l'importance des fonctions du foie, il est à-propos de remarquer qu'il n'est aucune secrétion qui soit préparée avec autant d'appareil que celle qui se fait dans ce viscere ; que le sang qui y est porté pour en fournir la matiere, se rend de presque tous les visceres du bas-ventre dans la veine-porte, & qu'ainsi ces visceres dans lesquels le sang a éprouvé différentes altérations, concourent tous, chacun à sa maniere, à établir la disposition avec laquelle le sang entre dans la substance du foie ; qu'il est par conséquent nécessaire que les différentes especes de sang fournies par les veines de la rate, de l'épiploon, de l'estomac, du pancréas, des boyaux, & du mésentere, soient réunis dans un seul vaisseau, tel que le sinus de la veine-porte, pour que la distribution qui se fait ensuite de ce mélange puisse fournir à chaque partie du foie un fluide composé de la combinaison des mêmes principes, d'où résultent les mêmes matériaux pour la formation de la bile ; autrement chaque veine d'un différent viscere du bas-ventre implantée dans une partie du foie qui lui fût propre, n'auroit fourni à cette partie qu'un sang par exemple huileux, comme celui de l'épiploon, ou aqueux comme celui de la rate. Il n'auroit pas pû de cette différence s'ensuivre la secrétion d'un fluide de même nature dans toutes les parties du viscere, parce que ce fluide qui est la bile, doit les qualités qui la caracterisent à la réunion des qualités de tous les differens sangs dans les ramifications de la veine-porte, d'où passe la matiere de la bile dans ses vaisseaux secrétoires.

2°. Quoiqu'il ait été suffisamment établi dans l'art. BILE, que c'est du sang de la veine-porte qu'est séparé ce fluide crémentitiel, & non pas du sang de l'artere hépatique ; il reste à ajoûter ici quelques réflexions à ce sujet. Il n'y a point de vraisemblance qu'un vaisseau aussi peu considérable que cette artere, porte au foie une quantité de sang suffisante pour une secrétion opérée dans toute l'étendue d'un viscere d'un aussi grand volume que l'est le foie. En effet, il est aisé de démontrer que sa proportion avec cette artere, la seule qu'il reçoive dans sa substance, est plus grande que celle d'aucun autre viscere comparé avec les arteres qui lui sont propres ; excepté les seuls testicules. Ainsi l'artere hépatique paroît avoir été donnée au foie, seulement pour l'usage auquel est destinée l'artere bronchique à l'égard des poumons, c'est-à-dire pour servir à distribuer le suc nourricier dans la substance du foie ; ce que ne peut pas faire la veine-porte ; parce que le sang veineux ne contient que le résidu de ce suc, qui n'est plus propre à la nutrition. Voyez NUTRITION. C'est pourquoi tous les visceres, comme le coeur, le poumon, & le foie, dont le sang qu'ils reçoivent & qu'ils travaillent dans leur sein, pour une utilité commune à toutes les parties de l'économie animale, est principalement un sang de la qualité de celui des troncs veineux, ont tous des arteres particulieres pour leur nutrition. Ces arteres ont aussi des veines qui leur sont propres : ensorte que le sang de l'artere hépatique, après avoir rempli sa destination, est porté, quant à son résidu, non dans la veine-cave, mais dans la veine azygos, ainsi que l'a démontré Ruysch : d'où on peut conclure, qu'il se fait deux circulations différentes dans le foie, comme dans ces autres visceres ; ce qui est prouvé par l'expérience : puisque l'injection faite dans l'artere hépatique ne rend sensible aucune communication avec la veine-porte, avec les pores biliaires non plus qu'avec la veine-cave ; tandis qu'il arrive constamment que la matiere de l'injection poussée dans la veine-porte, passe très-aisément dans la veine-cave & les pores biliaires.

3°. Outre l'usage qui vient d'être assigné à l'artere hépatique, il en est un autre qui n'est pas moins certain ; savoir, de communiquer par sa position, de la chaleur & du mouvement au sang de la veine-porte. Comme celui-ci est fort éloigné, eu égard à son cours, de la principale force impulsive de tous les fluides, qui est le coeur, il est aussi porté avec beaucoup de lenteur à son entrée dans le foie, par cette cause ; & de plus, parce qu'en passant dans les ramifications de la veine-porte, il passe respectivement à chacune d'elles, d'un lieu plus large dans un lieu plus étroit ; attendu qu'elles sont divisées & distribuées sous forme d'artere, sans en avoir le ressort ; attendu que la capsule de Glisson qui enveloppe celles-là, ne supplée que très-peu à ce défaut, selon Cowper, Stahl, Fanton, Morgagni ; qu'elle n'a point d'action musculaire ; & qu'elle ne fait tout au-plus que résister à une trop grande dilatation, à un trop grand engorgement des veines artérielles du foie : ainsi le sang pour y circuler, pour ne pas y perdre toute sa chaleur, n'étant d'ailleurs foüetté par le voisinage d'aucun muscle, a besoin qu'elles soient contiguës à l'artere hépatique, qui étant renfermée dans la gaîne Glissonnienne, accompagne toutes les divisions de ces veines, en se divisant avec elles (ainsi que l'a prouvé Ruysch, en confirmation des conjectures de Glisson & des planches d'Eustache), procure à leur fluide, par ses pulsations, une sorte de mouvement progressif, qui favorise leur cours, & leur communique de la chaleur dont abonde son sang, qui vient de sortir du coeur, où il a participé à celle de toute la masse dont il a été séparé.

4°. Il y a une remarque à faire par rapport au sang artériel de la coeliaque & de la mésentérique : il éprouve dans son cours des variétés, qui lui sont absolument particulieres : il est porté, ainsi que celui de toutes les autres arteres, dans les veines correspondantes ; celles-ci forment les racines de la veine-porte : mais il ne revient pas pour cela tout de suite au coeur par cette voie ; ce qui est un effet de la structure propre du foie. Ce sang étant porté dans le sinus de la veine-porte, reprend un cours, pour ainsi dire, artériel ; entant qu'après s'être réuni dans ce sinus comme dans un coeur, il se divise de nouveau, & il s'en fait une distribution dans toutes les ramifications de la veine-porte, comme dans un second système artériel, pour être de nouveau reçû dans des veines qui sont les racines de la veine-cave ; & de celle-ci arriver enfin au coeur. Ainsi il ne faut pas prendre à la lettre la proposition d'Harvée, qui porte que " le cours du sang se fait en circulant du coeur dans les arteres ; de celles-ci dans les veines, pour retourner immédiatement au coeur, & répéter toûjours le même chemin ". Cette proposition, comme on vient de voir, doit souffrir une exception par rapport au sang des visceres qui concourent à la formation de la bile.

5°. Il suit de ce qui vient d'être dit (4), concernant la singularité du cours du sang de la veine-porte, que l'on peut regarder le sinus de cette veine comme un centre de réunion & de division pour ce fluide, ensorte que, selon l'idée de Boerhaave, on peut comparer à cet égard ce sinus au coeur : cet auteur pousse même cette comparaison plus loin, en tant qu'il fait observer que la rate est à ce coeur abdominal ce que sont les poumons au coeur thorachique : en effet, la rate fournit au foie un sang très-fluide, très-délayé, qui, en se mêlant au sang veineux, grossi du sinus, lui sert, pour ainsi dire, de véhicule, & le dispose à pénétrer sans embarras dans les ramifications de la veine-porte, à surmonter les résistances causées par leur forme artérielle ; ce à quoi il ne suffiroit même pas, s'il ne s'y joignoit des puissances impulsives auxiliaires, telles que les pulsations de l'artere hépatique, qui portent sur ces ramifications les pressions continuelles procurées par la contraction alternative du diaphragme & des muscles abdominaux, qui en portant leur action sur tous les visceres du bas-ventre & sur le foie particulierement, attendu qu'il y est le plus exposé, favorise le cours des humeurs de ce viscere, soit à l'égard de celles qui s'y portent, soit à l'égard de celles qui sont dans sa substance.

6°. Mais de toutes ces dispositions nécessaires, pour rendre le foie propre à la fonction à laquelle il est destiné, c'est-à-dire, à la secrétion de la bile, il n'en est point de plus importantes que le rapport qui existe entre l'épiploon & ce viscere. La bile que fournit celui-ci étant principalement huileuse de sa nature, il falloit qu'il reçût une matiere susceptible de procurer cette qualité à la bile. C'est à cette fin que le sang veineux de l'omentum se rend dans la veine-porte. L'omentum, qui est le principal organe du corps dans lequel se forme la graisse, & dans lequel il s'en forme le plus, tout étant égal, ne paroît pas avoir d'autre usage essentiel que celui de travailler pour le foie. En effet, toute la graisse qui s'y sépare n'y reste pas : il faut bien qu'elle soit portée en quelque endroit, après qu'il s'en est fait un certain amas dans ce viscere : les arteres ne cessent d'y en fournir la matiere. Il faut donc, puisqu'il n'y a point de vaisseau déférent pour la porter ailleurs, qu'elle soit reprise par les veines, à proportion de ce qui en est porté par les arteres. Ces veines tendent toutes au foie ; elles concourent à former la veine-porte : ainsi le suc huileux qu'elles y charrient continuellement (après avoir éprouvé une élaboration considérable dans l'épiploon, par l'effet de la chaleur abdominale, par la pression, & pour ainsi dire le broyement qu'operent continuellement le diaphragme, les muscles du bas-ventre, le mouvement péristaltique des boyaux ; élaboration par laquelle se fait une atténuation des globules de ce suc), a contracté une grande disposition à rancir, à devenir amer, & en même tems à devenir miscible avec la sérosité du sang liénaire : ensorte qu'il ne lui manque rien des qualités nécessaires pour fournir la principale matiere de la bile ; ce qu'aucune autre des différentes sortes de sang versé dans la veine-porte, ne peut faire (excepté ceux du mésentere & du mésocolon, mais en petite quantité), la rate, le ventricule, le pancréas n'ayant point de graisse, ne pouvant par conséquent fournir aucun suc huileux : les changemens dont est susceptible celui qui est mêlé au sang de la veine-porte, sont aisément prouvés par les opérations de la Chimie sur de semblables substances. Voyez HUILE. (Chimie) On sait combien l'huile d'olives, d'amandes la plus douce, dont le contact ne blesseroit pas l'organe le plus délicat, peut cependant contracter d'acrimonie rancide, par le seul effet de la chaleur. Les personnes qui ont l'estomac foible éprouvent souvent qu'après avoir pris des alimens gras en trop grande quantité, il en survient des retours acres, rances, & amers, qui les fatiguent beaucoup par l'irritation qu'ils causent dans toutes les voies par où ils se font, c'est-à-dire dans l'oesophage, la gorge, la bouche. Ainsi qu'on n'objecte pas qu'il paroît plus vraisemblable qu'une huile douce, telle que celle de l'épiploon, puisse être convertie en bile, qui est susceptible de devenir si acre & si amere.

7°. Il faut cependant observer que la bile n'a pas essentiellement ces qualités ; elle ne les contracte que par accident ; & même ce n'est qu'une petite partie de cette humeur, en qui elles sont éminemment sensibles. La bile qui coule continuellement par le conduit hépatique, est totalement différente de celle qui vient de la vésicule du fiel. Il est aisé de s'en convaincre, sur-tout par l'expérience faite dans le cochon, dont le foie & les trois conduits biliaires ont beaucoup de conformité avec ces mêmes organes dans l'homme. On peut s'assûrer combien la bile est éloignée d'être amere, tant qu'elle est dans les vaisseaux secrétoires, par le goût du foie qui est très-agréable à manger dans les poissons, dans la plûpart des oiseaux, des quadrupedes ; pourvû qu'on en sépare soigneusement la bile de la vésicule, dans ceux qui en ont une : car la plus petite quantité de cette derniere bile suffit pour infecter de son amertume tout ce à quoi elle se mêle. Six gouttes dans une once d'eau, la rendent fort amere. Lorsque la vésicule manque, dans l'homme même, ce qui a souvent été observé, la bile qui coule alors par le seul conduit hépatique, a été trouvée très-peu jaune, presque point amere, au contraire d'un goût assez agréable, selon Hartman. Il est un grand nombre d'animaux qui n'ont point de fiel, parce qu'ils n'ont point de follicule pour le contenir, dont le foie ne fournit pas de la bile d'une autre nature que celle qui se trouve dans le canal hépatique ; tels sont le cheval, l'âne, le cerf, l'éléphant, le dromadaire, l'élan, &c. parmi les quadrupedes ; parmi les volatiles, la colombe, la grue, la geline de montagnes, le paon, l'autruche, &c. entre les poissons qui sont en petit nombre en comparaison des autres animaux, le marsouin, &c. d'où on doit conclure, qu'il n'est pas essentiel à la bile d'être amere, & qu'elle peut être séparée avec toutes les qualités qui lui sont nécessaires pour l'usage auquel elle est destinée, sans le concours de celles qu'elle acquiert par le moyen de la vésicule ; ce qui est vrai, même par rapport à l'homme, qui ne laisse pas d'avoir de la bile dans les cas où il est privé de ce dernier organe. hist. de l'acad. des Sciences. 1701, 1705. Il existe aussi des animaux dans lesquels la bile de la vésicule est absolument distincte & séparée de celle que le foie fournit continuellement au conduit hépatique ; parce que la vésicule n'a aucune communication avec ce canal : ensorte qu'il ne peut passer rien de l'un dans l'autre ; cela est très-ordinaire dans la plûpart des poissons, tels que l'anguille, l'alose, la perche, le loup, &c. On en trouve aussi des exemples parmi les oiseaux, dans la cicogne, &c. Il suit donc de tout ce qui vient d'être dit sur ces variétés, que le foie sépare constamment de la bile, indépendamment de la vésicule du fiel ; que celle-ci existe ou n'existe pas dans l'individu : ainsi, il y a lieu de croire que la bile hépatique est d'une nécessité plus générale que la cystique dans toute l'oeconomie animale.

8°. Mais ces deux biles ont-elles une origine différente ? Il y a eu différens sentimens à cet égard, voy. BILE. Cependant que la bile de la vésicule lui soit portée par les conduits hépato-cystiques, ou qu'elle lui soit fournie par le reflux du conduit hépatique, il paroît tout simple de regarder avec Ruysch, (observ. anat. 31.) cette bile cystique, lorsqu'elle entre dans la vésicule, comme étant de la même nature que l'hépatique : mais elle change de qualité, & contracte une véritable altération par son séjour dans ce réservoir ; elle y devient jaune, acre, rancide, amere ; & elle acquiert plus de consistance, de ténacité, par la dissipation de ses parties séreuses, & la réunion de ses parties huileuses ; effets qui doivent être attribués à la chaleur du lieu & à la disposition qu'ont toutes les humeurs animales à se trier, pour ainsi dire, par la tendance à l'adhésion des parties homogenes entr'elles ; à perdre leur fluidité qu'elles ne doivent qu'au mouvement, à l'agitation ; effets qui ont également lieu par rapport à la bile hépatique, si elle est empêchée de couler : si elle est retenue dans ses conduits excrétoires par quelque cause que ce soit, selon que Ruysch dit l'avoir observé, loco citato. Ainsi il n'y a pas d'autres raisons que celles qui viennent d'être rapportées, de la différence dans l'état naturel entre la bile cystique & la bile hépatique : ce qui arrive à celle-là lui est commun avec ce que l'on observe relativement à l'humeur cérumineuse des oreilles, qui a beaucoup d'analogie avec la bile, voyez CERUMINEUSE (matiere), & CIRE DES OREILLES. Il n'y a qu'une sorte de bile, dans tous les vaisseaux secrétoires du foie ; elle est telle dans toutes les parties de ce viscere, qu'elle arrive dans le conduit hépatique : celle-ci qui forme la plus grande partie de l'humeur séparée, coule dans ce conduit sans avoir presque changé de qualité, respectivement à ce qu'elle étoit dans les pores biliaires, Malpighi, in posth. p. 47. Elle se rend ainsi du conduit commun aux deux biles, qui est le canal cholidoque, & se répand dans le duodenum. Ceux qui ont attribué à cette bile hépatique les qualités de la bile cystique, n'ont examiné celle-là qu'après son mélange avec celle-ci dans le canal cholidoque : telle a été la cause de l'erreur, à cet égard, de Bohnius & de plusieurs autres : on pourroit donc, pour éviter l'équivoque, appeller bile simplement celle que nous avons appellée hépatique, & laisser à la bile cystique le nom de fiel, que le vulgaire lui donne.

9°. Cette derniere distinction des deux biles étant posée, on doit remarquer que presque tous les auteurs, faute de l'avoir faite, ont confondu les qualités de ces deux humeurs, & n'ont parlé de leurs effets & de leur usage, que d'après l'idée qu'elles peuvent donner, lorsqu'elles ont été mêlées dans le canal cholidoque, & qu'elles sont ainsi versées dans les intestins. Mais puisqu'ils conviennent qu'elles n'y coulent pas toutes les deux continuellement ; que la seule hépatique a un cours réglé, sans interruption ; que la cystique n'y est portée que lorsque le follicule est exprimé, peu avant & pendant le travail de la digestion : ce qui est en effet prouvé par de nombreuses observations, desquelles il résulte que dans les cadavres d'hommes & d'animaux ouverts peu de tems après qu'ils avoient mangé, la vésicule n'a jamais été trouvée pleine ; qu'il s'en falloit le plus souvent d'un tiers de sa capacité ; qu'au contraire elle a toûjours été trouvée très-remplie & distendue, presque au point de crever, dans les animaux qui avoient été privés de manger long-tems avant la mort : c'est ce que rapportent entr'autres Riolan, Borelli, Lister, & Boerhaave ; pourquoi n'a-t-on pas insisté sur la différence des qualités & des effets de la bile qui coule toûjours, & du fiel dont l'écoulement n'a qu'un tems ? Il semble cependant que la considération de cette différence doit être importante pour l'intelligence de l'usage de ces deux biles, qui doit être différent par rapport à chacune d'elles.

10°. Riviere, dans ses institutes, semble avoir entrevû la distinction qu'il convient d'en faire, lorsqu'il établit qu'il y a deux sortes de biles, dont l'une est alibile, c'est-à-dire recrémentitielle, & l'autre excrémentitielle : la premiere, selon cet auteur, est celle qui est la plus fluide, qui a très-peu d'amertume, & qui passe dans la masse des humeurs ; ce qui convient à l'hépatique ; & l'autre est moins fluide, plus amere, doüée de beaucoup d'acrimonie, qui sert à exciter le mouvement des boyaux à l'expulsion des matieres fécales avec lesquelles elle se mêle, pour être portée hors du corps ; effets qui désignent bien la bile cystique : aussi ne dit il point de la premiere qu'elle vienne de la vésicule ; il ne le dit que de la seconde. Ne seroit-on pas fondé à adopter la maniere dont cet auteur distingue les deux biles, c'est-à-dire en recrémentitielle & en excrémentitielle, si l'on fait attention à ce qu'enseigne l'expérience à l'égard du chyle, savoir qu'il n'est point amer dans les veines lactées, selon la remarque d'Hoffman ? La bile cystique ne passe donc point avec lui dans ces veines, après avoir été mêlée avec la matiere du chyle, dans le canal intestinal. Il se fait donc une sorte de secrétion qui ne permet point aux parties ameres de la bile, de passer avec le suc des alimens : ces parties restent donc avec le marc, & se sont évacuées avec lui, comme excrémentitielles. Il ne paroît rien qui empêche de répondre affirmativement à toutes ces questions. Ainsi on peut regarder, avec Riviere, le fiel comme un excrément, mais qui est destiné à produire de bons effets dans les premieres voies, avant d'être porté hors du corps, tels que de diviser par sa qualité pénétrante les matieres muqueuses qui tapissent la surface intérieure des intestins ; d'empêcher qu'elles ne s'y ramassent en trop grande abondance ; de les détacher des parois du canal, & de découvrir ainsi les orifices des veines lactées : tout cela se fait pendant que la digestion s'opere dans l'estomac. Tous les organes qui doivent servir à cette fonction, se mettant en jeu en même tems, la vésicule du fiel entre aussi en contraction, exprime ce qu'elle contient ; & la bile qui y étoit déposée coule dans les intestins, pour y préparer les voies à la continuation de la préparation du chyle, qui doit s'y perfectionner & s'y achever. L'écoulement de la bile cystique continue encore à se faire pendant cette derniere digestion, pour exciter de plus en plus l'action des boyaux, pour dissoudre par sa qualité savonneuse, plus éminente que dans la bile hépatique, les matieres grasses qui pourroient éluder l'action de celle-ci. Le fiel se mêle ainsi à la pâte alimentaire, & reste ensuite mêlé avec sa partie la plus grossiere, qui forme les excrémens ; à laquelle il donne la couleur jaune plus ou moins foncée, qu'on y observe dans l'état naturel, les dispose à se corrompre plus promtement par la disposition qu'il y a lui-même, irrite ensuite les gros boyaux, jusqu'à ce que parvenus à l'extrémité du canal, ils soient poussés hors du corps. Voyez DEJECTION.

11°. Enfin il est important de remarquer encore dans un examen physiologique du foie, qu'il n'est aucun animal connu qui ne soit pourvû de ce viscere. Plus les autres visceres sont petits à proportion du sujet, plus le volume du foie est grand : c'est ce qui est démontré dans les poissons & dans les insectes. Les premiers n'ont point de poitrine ; la capacité de l'abdomen en est d'autant plus étendue, & ce sont le foie & les pancréas qui la remplissent presqu'en entier, les boyaux en étant très-peu considérables. Boerhaave a fait cette observation, particulierement dans le poisson appellé lamie. Mais il en est de même à l'égard de tous les autres poissons ; on y trouve le foie intimement uni aux boyaux & lié à leur texture, de maniere qu'il en accompagne presque toutes les circonvolutions. Les quadrupedes, les oiseaux ont tous un foie, qui est dans tous d'un volume assez considérable, respectivement à chacun de ces animaux. Il s'y sépare dans tous de la bile, c'est-à-dire une humeur savonneuse, qui sans être amere dans tous, attendu qu'il en est plusieurs qui n'ont point de vésicule du fiel, ainsi qu'il a été dit ci-devant, a cependant les autres qualités de la bile, & un flux continuel.

12°. Il paroît surprenant que l'existence de cette humeur dans tout ce qui a vie, n'ait pas fait juger déterminément que le viscere qui la fournit doit être d'un usage plus étendu dans l'économie animale, que celui de servir seulement à la chylification. En effet ne peut-il pas être comparé avec fondement aux organes dont les fonctions influent sur toutes les parties du corps, tels que le cerveau & le poumon : ces deux organes-ci sont sans contredit chacun le viscere principal de la cavité où il est renfermé, l'un du ventre supérieur, l'autre du ventre moyen ; ainsi l'on peut dire que le foie est le viscere principal du ventre inférieur. Le premier étend son action sur tous les solides qui sont susceptibles de sentiment & de mouvement ; le second filtre toute la masse des humeurs, & leur fait éprouver la plus grande élaboration qu'elles puissent recevoir en commun ; le troisieme fournit à cette masse un fluide reconnu pour avoir la propriété d'opérer de grands effets dans les premieres voies, par sa qualité dissolvante de séparer les parties homogenes des sucs alimentaires, d'en briser la viscosité, la tenacité, de les rendre miscibles avec des parties respectivement hétérogenes : pourquoi ne pourroit-on pas étendre ces effets jusque dans les secondes voies, & dans toute la distribution des fluides du corps animal, de maniere à regarder la bile comme étant la liqueur balsamique, le menstrue sulphureux, qui conserve ces fluides dans l'état de dissolution convenable, qui les rend propres à couler dans tous les vaisseaux, & à être distribué dans toutes les parties du corps ; ensorte que le récrément que fournit le foie à la masse des humeurs seroit à cette masse, par ses effets physiques, ce que lui sont les poumons par leur action méchanique ? Ainsi on pourroit dire que l'analogie semble concourir avec l'observation fournie par l'histoire naturelle des animaux, à établir l'influence générale du foie sur toute l'économie animale. En effet l'existence de ce viscere, commune à tous les êtres qui ont vie, dont on a pû étudier la structure (quelque différence qu'il y ait d'ailleurs dans leur organisation), n'annonce-t-elle pas cette universalité d'usages, cette nécessité qui s'étend à tout le corps animé ? & la propriété dissolvante qui vient d'être attribuée à la production du foie, portée dans toute la masse des humeurs, ne paroît-elle pas prouvée par la considération que ce viscere est d'un volume d'autant plus grand dans les animaux, qu'ils ont leurs humeurs plus disposées à perdre leur fluidité, ainsi qu'on l'observe, sur-tout dans les poissons, où elles sont extrêmement visqueuses, glutineuses ; que cette humeur manque dans quelques animaux, quant à la partie qui ne coule que dans le tems de la digestion, dans ceux qui ont une vésicule du fiel, mais qu'elle se trouve dans tous, quant à la partie dont le flux est continuel & qui ne cesse d'être portée dans la masse des humeurs ? On ne peut donc pas se refuser raisonnablement à ces conséquences. Le foie doit donc être rangé parmi les visceres principaux, parmi ceux dont les usages sont généraux. Le cerveau, les poumons & le foie, sont les seuls qui reglent toute l'économie animale ; les autres visceres ont des usages bornés, particuliers : ce seroit ranger le foie parmi ceux-ci, & n'admettre dans le bas-ventre aucun organe principal, de n'attribuer à ce viscere que des fonctions limitées, relatives à la seule digestion, & de ne pas porter plus loin ses vûes à l'égard d'une partie aussi importante. La considération de la maniere dont influent sur toutes les humeurs les vices qui peuvent affecter cette partie, doit achever de convaincre que le récrément qu'elle fournit est d'une utilité & d'une nécessité générale : effectivement la secrétion de la bile vient-elle à être diminuée, ou sa qualité dissolvante vient-elle à être altérée, affoiblie ; il s'ensuit des obstructions, des engorgemens dans les autres organes secrétoires, des embarras dans toute la circulation dans le cours des humeurs ; & si au contraire la bile vient à être séparée, à être portée dans la masse des humeurs, à y refluer en trop grande quantité, il en résulte trop de fluidité, de division dans tous les fluides qui causent la décomposition des globules du sang, leur dissolution en globules séreux, jaunes ; d'où s'ensuivent les hémorrhagies, la jaunisse ; d'où se forment les hydropisies ; d'où tirent leur cause les sueurs hectiques, les diarrhées colliquatives, les diabetes, ou toutes autres évacuations excessives qui ont rapport à celles-là, c'est-à-dire qui proviennent du défaut de consistance des fluides, à raison de laquelle ils ne peuvent pas être retenus dans les vaisseaux qui leur sont propres ; ils s'échappent par erreur de lieu, par anastomose, &c. & sont versés dans quelques cavités sans issue, ou portés tout-de-suite hors du corps. Voyez FOIE (maladies du), JAUNISSE, OBSTRUCTION, HEMORRHAGIE, HYDROPISIE, &c.

13°. Il suit de tout ce qui vient d'être dit pour établir que les effets de la bile portent sur toute la masse des humeurs, & que c'est-là son usage principal, & non pas de servir seulement dans les premieres voies en qualité de suc digestif, que ce dernier usage n'est que comme accessoire à celui pour lequel elle est essentiellement destinée : que dans le tems de la digestion, en tant qu'elle se mêle avec les sucs alimentaires, cet usage secondaire n'est que le commencement de son exercice, & concourt à leur élaboration ; exercice qui hors le tems de la digestion ne commence que par son mélange avec la lymphe des veines lactées, dont la bile tient les orifices toûjours ouverts en y pénétrant continuellement. Or puisqu'il est convenu que la bile a un flux continuel dans les intestins, qu'elle est continuellement portée dans la masse des humeurs par les voies du chyle ; pourquoi les Physiologistes insistent-ils à ne regarder ce récrément que comme un suc digestif, principalement destiné à la chylification ? N'est-il donc, selon eux, d'aucun usage, quand il n'est pas employé pour celui-là, c'est-à-dire quand il n'y a pas des alimens dans les intestins ? Concluons qu'ils ont été tout-au-moins inconséquens à cet égard, s'ils ont entrevû un usage plus général de la bile, sans le désigner expressément ; ce qui a pû être une cause de bien des erreurs dans la théorie & la pratique médicinale, dans lesquelles les vraies connoissances des qualités de la bile & de ses effets doivent joüer un si grand rôle.

14°. Le cours de la bile, en tant qu'elle passe du foie par les premieres voies dans les secondes, & se mêle à toute la masse des humeurs, n'est pas la seule route qu'elle tienne. Il est très-vraisemblable que comme une portion du chyle pénetre dans les veines mesaraïques, pour se mêler avec le sang de la veine-porte (ce qui n'est guere contesté), sans-doute pour en corriger la rancescence dominante ; de même il passe avec le chyle une portion de bile, qui retourne ainsi dans le foie avec les qualités qu'elle y a acquises, & qu'elle n'a eu complete ment qu'à la sortie de ce viscere, c'est-à-dire lors de son excrétion : ensorte que cette portion du récrément hépatique va opérer immédiatement sur le sang veineux & concrescible de la veine-porte, ses effets dissolvans qui paroissent y être plus nécessaires que dans aucune autre partie du corps. Cette assertion semble pouvoir être mise hors de doute par l'observation de Vanhelmont (Sextu. digest.), & de plusieurs autres, qui ont trouvé que le sang des veines mésentériques est d'une qualité différente de celui des autres veines, qu'il n'est pas aussi susceptible de se coaguler, & qu'il est d'un rouge moins foncé ; ce qu'il faut moins attribuer au mélange du chyle, qu'à celui de la bile, qui par sa qualité pénétrante est plus propre à produire cet effet que le suc des alimens, qui par lui-même seroit au contraire disposé à diminuer la fluidité des humeurs auxquelles il se mêle. Il suit donc de cette seconde destination de la bile, que l'on peut concevoir une espece de circulation d'une partie de ce récrément, qui étant sortie du foie pour être versée dans le canal intestinal, retourne au foie, étant absorbée, reprise par les veines du mesentere, & renouvelle continuellement ce cours pour l'usage qui vient d'être assigné ; usage d'une aussi grande conséquence pour conserver la fluidité des humeurs dans les ramifications de la veine-porte, que le mélange de la même bile à la masse des humeurs en général, est nécessaire pour les disposer à couler librement dans tous les vaisseaux du corps. Voyez sur cette propriété absorbante des veines mésentériques, les articles VEINE & MESENTERIQUE.

15°. Il reste encore à observer sur l'usage du récrément fourni par le foie, que son efficacité ne se borne pas à entretenir les quantités nécessaires dans les fluides animaux ; qu'elle opere aussi sur les solides, non-seulement dans les premieres voies, en excitant, ainsi qu'il a été dit ci-devant, le mouvement, l'action du canal intestinal, mais encore dans tout le système des vaisseaux sanguins & autres. Les humeurs, imprégnées de leur bile, portée dans les secondes voies avec le chyle qui en renouvelle la masse, sont pour ainsi dire armées d'une qualité stimulante, dont l'effet, par leur seule application aux parois des vaisseaux, est d'en exciter l'irritabilité ; d'en ranimer continuellement l'action systaltique ; ce qui concourt à entretenir l'agitation, & conséquemment la fluidité des humeurs, ensorte que la bile sert de deux manieres à cette fin, en tant que mêlée avec elles, sa qualité physique dissolvante opere immédiatement, & que par le moyen de la propriété stimulante, elle fait agir les puissances méchaniques qui sont les principaux instrumens que la nature employe pour conserver cette fluidité. Le plus ou le moins d'activité dans la bile, considérée sous ce dernier rapport, doit donc influer plus ou moins sur le jeu des solides en général, sur l'exercice de toutes les fonctions, & particulierement de celles qui dépendent davantage de la disposition qu'ont les organes à l'irritabilité : cette activité doit donc décider beaucoup dans tous les animaux, pour former leur caractere, leur penchant dominant ; mais dans l'homme sur-tout, quant au physique des inclinations, des passions, puisqu'elle le rend susceptible d'impressions plus ou moins vives par tout ce qui l'affecte, soit au-dehors, soit au-dedans de la machine, & par tout ce qui lui procure des perceptions, soit par la voie des sens, soit par celle de l'imagination. La bile contribue donc essentiellement à établir la différence des tempéramens ; ce qui est conforme à l'idée qu'en avoient les anciens. Voyez TEMPERAMENT, PASSION. Ensorte que la bile doit être regardée comme une cause universelle, c'est-à-dire qui s'étend à tout dans toute l'économie animale. C'est donc avec bien de la raison, que les Medecins la regardent aussi comme une des causes générales de lésions dans cette même économie, par les vices que peut contracter cette production du foie, soit par ceux du sang qui fournit la matiere de la secrétion de ce viscere, soit par ceux des organes qui préparent & qui operent cette secrétion. Voyez ci-après FOIE (Maladies du). (d)

FOIE (Maladies du). La connoissance de la structure de ce viscere, des différens vaisseaux qui sont distribués dans sa substance, de la singularité du cours du sang qu'il reçoit, des différens visceres qui préparent, fournissent ce sang ; de ses differentes qualités ; de la fonction principale à laquelle il est destiné, par conséquent de la secrétion qui s'y fait, & de la nature de l'humeur qui résulte de cette secrétion ; cette connoissance, dis-je, bien établie, doit suffire pour inférer que le foie est non-seulement susceptible de toutes les lésions dont peuvent être affectés tous les autres organes du corps, mais qu'il est plus disposé qu'aucun autre à contracter les différens vices qui constituent ces lésions.

En effet comme il n'est aucune maladie qui ne doive sa cause à l'action trop forte ou trop foible des solides, à l'excès ou au défaut de mouvement des humeurs, à leur fluidité trop augmentée ou trop diminuée, il est aisé de conclure de tout ce qui a été exposé ci-devant concernant le foie, que tous ces différens vices peuvent avoir lieu plus facilement dans ce viscere, que dans tout autre ; ce qu'il seroit d'ailleurs trop long de prouver en détail : ainsi il suffira de le faire ici par des généralités qui donneront occasion d'indiquer les articles, dans lesquels il est suppléé à la briéveté de celui-ci.

1°. Les vaisseaux qui entrent dans la composition du foie étant la plûpart veineux, destinés cependant à faire les fonctions d'artere, sans avoir des tuniques d'une force proportionnée, doivent, tout étant égal, avoir plus de disposition à pécher par le défaut de force élastique & systaltique ; & à plus forte raison, si l'on a égard à ce que les fluides contenus dans ces vaisseaux sont plus éloignés que dans aucune autre partie du corps, de la puissance impulsive, conservent très-peu du mouvement qu'ils en ont reçu, & le perdent de plus en plus par l'effet des résistances qu'ils éprouvent à être portés une seconde fois dans des vaisseaux de forme artérielle, sans être aidés par l'action immédiate d'aucun muscle, action qui est d'un si grand secours ailleurs pour entretenir la fluidité & le cours du sang dans les veines : de ce défaut peuvent suivre des engorgemens, des dilatations forcées, des ruptures de vaisseaux ; d'où peuvent résulter des effusions de sang dans les pores biliaires, & de-là dans les intestins, d'où se forme ce qu'on appelle flux hépatique.

2°. Les vaisseaux artériels qui sont distribués en petit nombre dans la substance du foie, participent à proportion aux mêmes vices que les vaisseaux veineux, à cause de la mollesse de ce viscere qui ne leur fournit pas de point d'appui propre à s'opposer à leur engorgement, qui peut être suivi des mêmes effets que dans tous autres vaisseaux de ce genre.

3°. L'on peut néanmoins concevoir qu'une partie des vaisseaux du foie est susceptible de pécher par trop d'action, & sont les vaisseaux colatoires de la bile, qui étant très-irritables, peuvent recevoir aisément de fortes impressions de la moindre acrimonie contractée par ce récrément ; ou de la trop grande irritation des parties voisines du foie, telles que l'estomac, les boyaux, causée par l'action trop violente de quelque médicament vomitif, purgatif : ou de l'éréthisme général, effet de la colere ou de toute autre passion violente, qui ébranle fortement le genre nerveux, &c. ce qui donne souvent lieu à des constrictions spasmodiques, convulsives, qui expriment trop fortement, trop promtement ce fluide, lequel étant versé dans le canal intestinal, continue à porter des impressions irritantes qui causent des douleurs d'entrailles, des diarrhées, des tenesmes, des dyssenteries ; & ensuite étant porté dans le sang, augmente son alkalescence naturelle, stimule tous les vaisseaux, les fait agir avec plus de force ; d'où suit une augmentation de mouvement & de chaleur qui constitue le genre de fievre qu'on appelle ardente, bilieuse (Voyez les articles de ces différentes maladies) ; ces irritations donnent lieu à des étranglemens qui arrêtent le cours de la bile, la détournent de la voie qui la porte dans les intestins, la font refluer dans les racines de la veine-cave, &c. d'où suivent les mêmes effets qui seront attribués aux vices de la bile, considérée comme péchant par trop de consistance.

4°. Ces différens vices dans les solides doivent contribuer d'autant plus facilement à en procurer aux fluides, que ceux-ci sont plus disposés à en contracter ; en effet la quantité du sang de la plûpart des vaisseaux du foie (c'est-à-dire de toute la distribution de la veine-porte) lui étant commune avec celle du sang de toutes les veines du corps moins fluides, moins propre à couler dans les vaisseaux capillaires que le sang des arteres, destiné cependant à être porté dans les divisions d'un vrai système artériel ; ce sang doit avoir bien plus de difficulté à pénétrer dans ses vaisseaux : plus de tendance à s'y arrêter, à y former des embarras, des engorgemens, à s'y corrompre, qu'il n'y a lieu à de pareils effets dans les autres parties du corps.

5°. Le vrai sang artériel du foie doit aussi avoir plus de disposition (tout étant égal) à s'épaissir, à être filtré difficilement dans les passages étroits des arteres, dans les veines correspondantes, qu'il n'arrive dans les autres extrémités artérielles, à cause de la molesse du viscere : d'où peuvent s'établir de vraies causes d'inflammation & de ses suites. Voyez HEPATIQUE.

6°. La bile elle-même, à cause de la lenteur de son cours dans l'état naturel où elle n'a point d'acrimonie qui excite l'action des vaisseaux qui lui sont propres, doit être susceptible de perdre aisément sa fluidité nécessaire, par la disposition qu'ont ses parties intégrantes homogenes à se réunir entr'elles, à se séparer par conséquent des hétérogenes ; à former des concrétions de différentes natures, huileuses, salines, terreuses, conformément à ses différens principes & à celui d'entr'eux qui est dominant (voyez BILE) : d'où naissent des obstructions, des matieres gypseuses, graveleuses, qui étant fixées dans les vaisseaux secrétoires, forment des tubercules ; ou qui étant portées dans les vaisseaux excrétoires, dans la vésicule, grossissent & forment de vrais calculs, voyez PIERRE (Medec.) : d'où selon leur nombre, leur différent siége & leur différente figure, plus ou moins propre à irriter les parties contenantes, à comprimer les parties ambiantes, suivent les arrêts des humeurs de toute espece dans différens points, différente étendue de ce viscere ; l'empêchement de la secrétion de la bile dans les parties obstruées ; le reflux de ce récrément dans la masse des humeurs ; la couleur plus ou moins jaune, communiquée à toute la sérosité de cette masse ; si ce reflux est fait de la bile cystique, qui, eu égard à ce qu'elle ne peut être fournie qu'en petite quantité, agit plûtôt comme colorante que comme dissolvante ; ou la décomposition du sang en globules jaunes, si c'est de la bile hépatique, qui peut refluer assez abondamment, pour agir comme fondante avec plus d'activité, que lorsqu'en passant par les premieres voies, elle perd de son énergie en se mêlant avec le chyle ou la lymphe ; ensorte qu'il s'ensuit de-là des icteres de différente espece, des dissolutions générales d'humeurs, des hydropisies universelles ou particulieres, selon que les lésions de l'équilibre dans les solides, sont plus ou moins étendues ; V. JAUNISSE, HYDROPISIE, LEUCOPHLEGMATIE, ANASARQUE, OEDEME, ÉQUILIBRE.

7°. Ces différens vices du foie dans ses solides & dans ses fluides peuvent être non-seulement idiopatiques, mais encore sympatiques ; c'est-à-dire qu'ils peuvent être produits immédiatement dans ce viscere même, ou dépendre de ceux des autres visceres qui contribuent aux fonctions du foie ; ainsi la rate ne peut pas être lésée dans les siennes, sans que le foie s'en ressente : parce que si le sang qu'elle fournit à celui-ci, n'est pas préparé convenablement, le sang de la veine-porte manque des dispositions nécessaires, pour qu'il puisse pénétrer dans la substance du foie, & fournir la matiere de la bile. Il en est de même de l'omentum ; si les sucs huileux qu'il envoye au foie sont trop ou trop peu abondans, sont trop exaltés ou trop concrescibles, la secrétion de la bile se fait imparfaitement, péche par la qualité ou par la quantité : ainsi des autres visceres dont le sang est porté dans le foie ; ils influent sur celui-ci à proportion de l'importance du rapport qu'ils ont avec lui.

8°. Les différens vices du poumon même, quoiqu'il n'ait aucune communication immédiate avec le foie, peuvent aussi contribuer aux lesions des fonctions de ce dernier ; si le viscere de la poitrine est affoibli, travaille mal le chyle pour le convertir en sang, la portion de celui-ci, qui doit être distribuée au foie, manque des parties intégrantes nécessaires pour la formation d'une bile de bonne qualité ; le récrément qui en résulte n'a point d'activité, relâche ses conduits au lieu d'en exciter la réaction, les engorge, & ne coule point dans les boyaux ; ou s'il y appartient, il n'y peut servir à la préparation du chyle : il ne peut agir comme dissolvant, n'ayant point d'énergie pour cet effet ; il n'en a pas plus étant porté dans la masse du sang, où il ne remplit pas mieux sa destination, manquant également quant à sa faculté dissolvante & quant à sa qualité stimulante : la partie cystique étant à proportion aussi peu active, n'opere pas davantage ; elle laisse les premieres voies se décharger de mucosités, de glaires ; elle n'excite point le canal intestinal à se décharger, à se vuider des excrémens, &c. tels sont les vices de la bile dans la chlorose & dans toutes les maladies où la sanguification ne se fait pas bien par le défaut d'action dans les solides du poumon, & de leur débilité générale. Voyez PALES COULEURS, DEBILITE, FIBRE.

De cette exposition sommaire des principaux vices que le foie est susceptible de contracter & des effets qui s'ensuivent, on peut tirer cette conséquence, que ce viscere peut être le siége d'un très-grand nombre de maladies tant aiguës que chroniques, ou de leurs causes disponentes : c'est cette considération qui a fait dire à Stahl que la veine-porte est la source d'une infinité de maux, vena porta porta malorum ; que le foie est moins sujet aux maladies inflammatoires que les autres visceres, attendu qu'il reçoit peu d'arteres dans sa substance, & que le mouvement du sang dans les ramifications de la veine-porte est trop lent pour produire des engorgemens inflammatoires, excepté lorsqu'il est assez échauffé, assez acrimonieux pour exciter un mouvement extraordinaire dans ses vaisseaux ; que sa disposition la plus dominante est, à raison de cette même lenteur dans le cours de ses humeurs, d'être le foyer de la plûpart des maladies chroniques, qui peuvent avoir des paroxismes très-aigus, accompagnés de violentes douleurs, qui peuvent causer de proche en proche un desordre général dans toutes les fonctions, en tant qu'elles occasionnent des vices dans les premieres voies, qui ne sont pas réparables dans les secondes ; qu'elles privent celles-ci du correctif nécessaire pour l'entretien de la fluidité naturelle des humeurs, ou qu'elles ne le fournissent qu'avec des imperfections qui le rendent plus nuisible qu'utile.

Enfin de cent maladies chroniques, comme dit Boerhaave (instit. comment. § 350.), à peine en trouve-t-on une dont la cause n'ait pas son siége principal dans le foie, c'est-à-dire dans la distribution de la veine-porte ou dans les colatoires de la bile (car les maladies qui ont leur siége dans l'artere hépatique, n'ont presque rien de particulier qui soit applicable ici) ; & ce qui est bien mortifiant pour ceux qui exercent l'art de guérir, c'est que selon le même auteur (ibid), on peut compter mille cures de maladies aiguës, tandis qu'on a peine à en observer une parfaite des différentes maladies du foie, ou qui dépendent des vices de ce viscere : telles que la jaunisse, les obstructions de la rate, l'hydropisie, &c. La raison qu'il donne de la difficulté qu'il y a à guérir ces dernieres, c'est que les médicamens qui doivent être portés dans le foie pour y opérer les changemens salutaires, pour y corriger les vices dominans, pour y resoudre les obstructions, p. e. ont une si longue route à faire, en suivant le cours ordinaire des humeurs, des vaisseaux lactés au coeur, du coeur au poumon, de celui-ci de nouveau au coeur, dans l'aorte, dans les arteres coeliaques mésentériques, dans toute leur distribution, pour passer dans les veines, se rendre dans le sinus de la veine-porte, pour en suivre les ramifications jusqu'aux différens points où est formé l'embarras ; quelquefois jusque dans les conduits biliaires, s'il y a son siége : il n'est donc pas étonnant qu'il se trouve peu de remedes qui puissent parcourir une si longue suite de vaisseaux à-travers tant de détours, se mêler avec tant d'humeurs différentes, & arriver après tant de circuits, au lieu de leur destination, sans rien perdre de leur propriété. On peut ajoûter que les forces de la nature qui operent le plus souvent sans secours, les crises dans les autres parties du corps, manquent dans le foie, & ce défaut suffit pour rendre peu efficaces les secours les mieux appliqués. Les impulsions du coeur ne peuvent pas étendre leur effet à une si grande distance ; la force systaltique des arteres n'a pas lieu non plus dans la plus grande partie de ce viscere, qui est occupée par les divisions de la veine-porte ; c'est cependant cette force systaltique qui est le grand instrument que la nature employe pour opérer la resolution, les changemens les plus salutaires, dans les engorgemens inflammatoires, pour forcer les vaisseaux engorgés à se dilater outre mesure, & à se rompre pour donner issue à la matiere obstruante, lorsqu'elle ne peut pas être atténuée, reprendre sa fluidité & son cours, & qu'elle ne peut être tirée autrement des vaisseaux où elle est retenue, ainsi qu'il arrive dans la péripneumonie, où les crachats sanglans dégagent par cette évacuation forcée la partie enflammée. Il ne peut arriver rien de semblable dans le foie, à l'égard de la plûpart des humeurs qui sont portées dans sa substance, à cause de la lenteur avec laquelle elles coulent, & du peu de mouvement excédent qui peut leur être communiqué ; en un mot à cause de la disposition dominante qui se trouve dans les solides & dans les fluides à favoriser la formation des obstructions, à les laisser subsister, & à les augmenter par tout ce qui est le plus propre à cet effet. Voyez OBSTRUCTION.

Il n'y a donc d'autre moyen à tenter, pour parvenir à détruire ces causes morbifiques, que celui de faire naître un petit mouvement de fievre dans toute la machine, qui puisse atténuer les humeurs portées au foie, & les disposer pour ainsi dire à détremper, à pénétrer les humeurs stagnantes, à les ébranler, & à les emporter dans ce torrent de la circulation : c'est donc une méthode bien pernicieuse & bien contraire, que de traiter ce genre de maladie avec le quinquina, puisqu'il tend à supprimer la fievre, qui est le principal agent que la nature & l'art puissent employer pour dissiper les obstructions du foie ; mais les effets de la fievre peuvent être considérablement aidés par l'usage du petit-lait & de tous autres médicamens liquides atténuans, qui soient susceptibles d'être poussés du canal intestinal dans les veines mésentériques, & portés de-là au foie, ce qui est la voie la plus courte, sans passer le grand chemin du cours des humeurs ; afin qu'ils parviennent à leur destination avant d'avoir perdu leurs propriétés, leurs forces. C'est par ces raisons qu'on peut utilement employer dans ces cas la décoction de chiendent, des bois legerement sudorifiques ou incisifs, sur-tout les eaux minérales dites acidules, tous ces médicamens en grande quantité : ce sont presque les seuls qui conviennent aux embarras du foie, & qui ne nuisent pas, s'ils ne peuvent pas être utiles ; mais il faut en accompagner l'usage d'un exercice modéré, de l'équitation, des promenades, des voyages en voiture.

Voilà sommairement tout ce qu'on peut dire de la cure des principales maladies propres au foie, qui ont presque toutes cela de commun, d'être causées par des obstructions de ce viscere ; il n'y a que le différent siége de ces obstructions dans ses différentes parties, qui fait varier les symptomes & la dénomination de ces maladies, dont la nature de cet ouvrage ne permettroit pas de donner ici une histoire théorique & pratique plus étendue, sans s'exposer à des répétitions dans les articles particuliers où il en est traité, auxquels il a été renvoyé. Voyez aussi MELANCOLIE, HYPOCHONDRIAQUE. (Passion)

Quant aux auteurs qui ont traité de la physiologie & de la pathologie du foie, de ses maladies & de leur cure, d'une maniere qui ne laisse rien à désirer, voyez entr'autres les oeuvres de Bohn, celles d'Hoffman, passim, & sur-tout sa dissertation de bile medicinâ & veneno corporis : les oeuvres de Boerhaave, instit. comment. Haller, de actione hepatis, de actione bilis utriusque, & aphor. de cognoscendis & curandis morbis : Comment. Vanswieten, t. III. de hepatitide & ictero multiplici. Voyez encore les essais de Physique sur l'anatomie d'Heister, au chap. de l'action du foie. (d)

FOIE DES ANIMAUX, (Diete & Mat. méd.) est un aliment généralement reconnu pour mal sain & difficile à digérer : ce reproche tombe principalement sur le foie des gros animaux, boeuf, veau, mouton, cochon ; ceux des canards, oies, poulardes, pigeons, & autres volailles engraissées, appellés dans nos cuisines foies gras, sont un aliment de moins difficile digestion, dont il faut cependant interdire l'usage aux convalescens & à ceux qui ont l'estomac mauvais. Les gens qui se portent bien se priveroient sur une crainte frivole d'un aliment très-agréable au goût, en renonçant aux foies, & sur-tout aux foies gras. Les séveres lois de la diete sur le choix des alimens, ne sont pas faites pour eux ; ils se conduiront assez médicinalement, s'ils obéissent à un seul de ses préceptes, au précepte majeur, premier, universel, à celui de la sobriété. Voyez REGIME. (b)

FOIE DE SOUFRE, (Chimie) Voyez SOUFRE.

FOIE D'ANTIMOINE, (Chimie) Voyez ANTIMOINE.

FOIE D'ARSENIC, (Chimie) Voyez ORPIMENT.


FOIERvoyez FOYER.


FOINS. m. (Jardinage) ce terme exprime toute l'herbe qui couvre une prairie. On dit, une piece de foin, un arpent de foin : mais à proprement parler, on entend par le mot de foin, l'herbe seche qui sert de nourriture aux bestiaux. (K)

FOIN, (Manége, Maréchall.) aliment ordinaire du cheval : la quantité en est nuisible à l'animal, principalement aux vieux chevaux, qu'elle conduit à la pousse. On doit faire une attention exacte à la qualité du foin ; elle varie selon la situation & la nature du terrein & des prés où on l'a cueilli. Le foin vasé, le foin nouveau, le foin trop gros, le foin pourri, &c. ne peut être que pernicieux au cheval. Voyez NOURRITURE. (e)

FOINS, (Chasse) La conservation d'une certaine espece de gibier, a occasionné sur la fenaison un réglement qui n'a rien d'injuste, si l'on dédommage les particuliers toutes les fois qu'il leur est nuisible. Il est défendu à toutes personnes ayant îles, près, & bourgognes sans clôture dans l'étendue des capitaineries de Saint-Germain-en-Laye, Fontainebleau, Vincennes, Livry, Compiegne, Chambort, & Varenne du Louvre, de les faire faucher avant le jour de Saint-Jean-Baptiste, à peine de confiscation & d'amende arbitraire.


FOIRES. f. (Comm. & Politiq.) ce mot qui vient de forum, place publique, a été dans son origine synonyme de celui de marché, & l'est encore à certains égards : l'un & l'autre signifient un concours de marchands & d'acheteurs, dans des lieux & des tems marqués ; mais le mot de foire paroît présenter l'idée d'un concours plus nombreux, plus solemnel, & par conséquent plus rare. Cette différence qui frappe au premier coup-d'oeil, paroît être celle qui détermine ordinairement dans l'usage l'application de ces deux mots ; mais elle provient elle-même d'une autre différence plus cachée, & pour ainsi dire plus radicale entre ces deux choses. Nous allons la développer.

Il est évident que les marchands & les acheteurs ne peuvent se rassembler dans certains tems & dans certains lieux, sans un attrait, un intérêt, qui compense ou même qui surpasse les frais du voyage & du transport des denrées ; sans cet attrait, chacun resteroit chez soi : plus il sera considérable, plus les denrées supporteront de longs transports, plus le concours des marchands & des acheteurs sera nombreux & solemnel, plus le district dont ce concours est le centre, pourra être étendu. Le cours naturel du commerce suffit pour former ce concours, & pour l'augmenter jusqu'à un certain point. La concurrence des vendeurs limite le prix des denrées, & le prix des denrées limite à son tour le nombre des vendeurs : en effet, tout commerce devant nourrir celui qui l'entreprend, il faut bien que le nombre des ventes dédommage le marchand de la modicité des profits qu'il fait sur chacune, & que par conséquent le nombre des marchands se proportionne au nombre actuel des consommateurs, ensorte que chaque marchand corresponde à un certain nombre de ceux-ci. Cela posé, je suppose que le prix d'une denrée soit tel que pour en soûtenir le commerce, il soit nécessaire d'en vendre pour la consommation de trois cent familles, il est évident que trois villages dans chacun desquels il n'y aura que cent familles, ne pourront soûtenir qu'un seul marchand de cette denrée ; ce marchand se trouvera probablement dans celui des trois villages, où le plus grand nombre des acheteurs pourra se rassembler plus commodément, ou à moins de frais ; parce que cette diminution de frais fera préférer le marchand établi dans ce village, à ceux qui seroient tentés de s'établir dans l'un des deux autres : mais plusieurs especes de denrées seront vraisemblablement dans le même cas, & les marchands de chacune de ces denrées se réuniront dans le même lieu, par la même raison de la diminution des frais, & parce qu'un homme qui a besoin de deux especes de denrées, aime mieux ne faire qu'un voyage pour se les procurer, que d'en faire deux ; c'est réellement comme s'il payoit chaque marchandise moins cher. Le lieu devenu plus considérable par cette réunion même des différens commerces, le devient de plus en plus ; parce que tous les artisans que le genre de leur travail ne retient pas à la campagne, tous les hommes à qui leur richesse permet d'être oisifs, s'y rassemblent pour y chercher les commodités de la vie. La concurrence des acheteurs attire les marchands par l'espérance de vendre ; il s'en établit plusieurs pour la même denrée. La concurrence des marchands attire les acheteurs par l'espérance du bon marché ; & toutes deux continuent à s'augmenter mutuellement, jusqu'à ce que le desavantage de la distance compense pour les acheteurs éloignés le bon marché de la denrée produit par la concurrence, & même ce que l'usage & la force de l'habitude ajoûtent à l'attrait du bon marché. Ainsi se forment naturellement les différens centres de commerce ou marchés, auxquels répondent autant de cantons ou d'arrondissemens plus ou moins étendus, suivant la nature des denrées, la facilité plus ou moins grande des communications, & l'état de la population plus ou moins nombreuse. Et telle est, pour le dire en passant, la premiere & la plus commune origine des bourgades & des villes.

La même raison de commodité qui détermine le concours des marchands & des acheteurs à certains lieux, le détermine aussi à certains jours, lorsque les denrées sont trop viles pour soûtenir de longs transports, & que le canton n'est pas assez peuplé pour fournir à un concours suffisant & journalier. Ces jours se fixent par une espece de convention tacite, & la moindre circonstance suffit pour cela. Le nombre des journées de chemin entre les lieux les plus considérables des environs, combinés avec certaines époques qui déterminent le départ des voyageurs, telles que le voisinage de certaines fêtes, certaines échéances d'usages dans les payemens, toutes sortes de solennités périodiques, enfin tout ce qui rassemble à certains jours un certain nombre d'hommes, devient le principe de l'établissement d'un marché à ces mêmes jours ; parce que les marchands ont toûjours intérêt de chercher les acheteurs, & réciproquement.

Mais il ne faut qu'une distance assez médiocre pour que cet intérêt & le bon marché produit par la concurrence, soient contrebalancés par les frais de voyage & de transport des denrées. Ce n'est donc point au cours naturel d'un commerce animé par la liberté, qu'il faut attribuer ces grandes foires, où les productions d'une partie de l'Europe se rassemblent à grands frais, & qui semblent être le rendez-vous des nations. L'intérêt qui doit compenser ces frais exorbitans ne vient point de la nature des choses ; mais il résulte des priviléges & des franchises accordées au commerce en certains lieux & en certains tems, tandis qu'il est accablé par-tout ailleurs de taxes & de droits. Il n'est pas étonnant que l'état de gêne & de vexation habituelle dans lequel le commerce s'est trouvé long-tems dans toute l'Europe, en ait déterminé le cours avec violence dans les lieux où on lui offroit un peu plus de liberté. C'est ainsi que les princes en accordant des exemptions de droits, ont établi tant de foires dans les différentes parties de l'Europe ; & il est évident que ces foires doivent être d'autant plus considérables, que le commerce dans les tems ordinaires est plus surchargé de droits.

Une foire & un marché sont l'un & l'autre un concours de marchands & d'acheteurs, dans des lieux & des tems marqués ; mais dans les marchés, c'est l'intérêt réciproque que les vendeurs & les acheteurs ont de se chercher ; dans les foires, c'est le desir de joüir de certains priviléges qui forme ce concours : d'où il suit qu'il doit être bien plus nombreux & bien plus solemnel dans les foires. Quoique le cours naturel du commerce suffise pour établir des marchés, il est arrivé, par une suite de ce malheureux principe, qui dans presque tous les gouvernemens a si long-tems infecté l'administration du Commerce, je veux dire la manie de tout conduire, de tout regler, & de ne jamais s'en rapporter aux hommes sur leur propre intérêt ; il est arrivé, dis-je, que pour établir des marchés, on a fait intervenir la police ; qu'on en a borné le nombre, sous prétexte d'empêcher qu'ils ne se nuisent les uns aux autres ; qu'on a défendu de vendre certaines marchandises ailleurs que dans certains lieux désignés, soit pour la commodité des commis chargés de recevoir les droits dont elles sont chargées, soit parce qu'on a voulu les assujettir à des formalités de visite & de marque, & qu'on ne peut pas mettre par-tout des bureaux. On ne peut trop saisir toutes les occasions de combattre ce système fatal à l'industrie, il s'en trouvera plus d'une dans l'Encyclopédie.

Les foires les plus célebres sont en France celles de Lyon, de Bordeaux, de Guibray, de Beaucaire, &c. En Allemagne, celles de Leipsic, de Francfort, &c. Mon objet n'est point ici d'en faire l'énumération, ni d'exposer en détail les priviléges accordés par différens souverains, soit aux foires en général, soit à quelques foires en particulier ; je me borne à quelques réflexions contre l'illusion assez commune, qui fait citer à quelques personnes la grandeur & l'étendue du commerce de certaines foires, comme une preuve de la grandeur du commerce d'un état.

Sans-doute une foire doit enrichir le lieu où elle se tient, & faire la grandeur d'une ville particuliere : & lorsque toute l'Europe gémissoit dans les entraves multipliées du gouvernement féodal ; lorsque chaque village, pour ainsi dire, formoit une souveraineté indépendante ; lorsque les seigneurs renfermés dans leur château, ne voyoient dans le Commerce qu'une occasion d'augmenter leurs revenus, en soûmettant à des contributions & à des péages exorbitans, tous ceux que la nécessité forçoit de passer sur leurs terres ; il n'est pas douteux que ceux qui les premiers furent assez éclairés pour sentir qu'en se relâchant un peu de la rigueur de leurs droits, ils seroient plus que dédommagés par l'augmentation du commerce & des consommations, virent bientôt les lieux de leur résidence enrichis, aggrandis, embellis. Il n'est pas douteux que lorsque les rois & les empereurs eurent assez augmenté leur autorité pour soustraire aux taxes levées par leurs vassaux les marchandises destinées pour les foires de certaines villes qu'ils vouloient favoriser, ces villes devinrent nécessairement le centre d'un très-grand commerce, & virent accroître leur puissance avec leurs richesses : mais depuis que toutes ces petites souverainetés se sont réunies pour ne former qu'un grand état sous un seul prince, si la négligence, la force de l'habitude, la difficulté de réformer les abus lors même qu'on le veut, & la difficulté de le vouloir, ont engagé à laisser subsister & les mêmes gênes & les mêmes droits locaux, & les mêmes priviléges qui avoient été établis lorsque chaque province & chaque ville obéissoient à différens souverains, n'est-il pas singulier que cet effet du hasard ait été non-seulement loué, mais imité comme l'ouvrage d'une sage politique ? n'est-il pas singulier qu'avec de très-bonnes intentions & dans la vûe de rendre le Commerce florissant, on ait encore établi de nouvelles foires, qu'on ait augmenté encore les priviléges & les exemptions de certaines villes, qu'on ait même empêché certaines branches de Commerce de s'établir dans des provinces pauvres, dans la crainte de nuire à quelques autres villes, enrichies depuis long-tems par ces mêmes branches de Commerce ? Eh qu'importe que ce soit Pierre ou Jacques, le Maine ou la Bretagne, qui fabriquent telle ou telle marchandise, pourvû que l'état s'enrichisse, & que des François vivent ? qu'importe qu'une étoffe soit vendue à Beaucaire ou dans le lieu de sa fabrication, pourvû que l'ouvrier reçoive le prix de son travail ? Une masse énorme de commerce rassemblée dans un lieu & amoncelée sous un seul coup-d'oeil, frappera d'une maniere plus sensible les yeux des politiques superficiels. Les eaux rassemblées artificiellement dans des bassins & des canaux, amusent les voyageurs par l'étalage d'un luxe frivole : mais les eaux que les pluies répandent uniformément sur la surface des campagnes, que la seule pente des terreins dirige, & distribue dans tous les vallons pour y former des fontaines, portent par-tout la richesse & la fécondité. Qu'importe qu'il se fasse un grand commerce dans une certaine ville & dans un certain moment, si ce commerce momentané n'est grand que par les causes mêmes qui gênent le Commerce, & qui tendent à le diminuer dans tout autre tems & dans toute l'étendue de l'état ? Faut-il, dit le magistrat citoyen auquel nous devons la traduction de Child, & auquel la France devra peut-être un jour la destruction des obstacles que l'on a mis aux progrès du Commerce en voulant le favoriser ; faut-il jeûner toute l'année pour faire bonne chere à certains jours ? En Hollande il n'y a point de foire ; mais toute l'étendue de l'état & toute l'année ne forment, pour ainsi dire, qu'une foire continuelle, parce que le commerce y est toûjours & par-tout également florissant.

On dit : " L'état ne peut se passer de revenus ; il est indispensable, pour subvenir à ses besoins, de charger les marchandises de différentes taxes : cependant il n'est pas moins nécessaire de faciliter le débit de nos productions, sur-tout chez l'étranger ; ce qui ne peut se faire sans en baisser le prix autant qu'il est possible. Or on concilie ces deux objets en indiquant des lieux & des tems de franchise, où le bas prix des marchandises invite l'étranger, & produit une consommation extraordinaire, tandis que la consommation habituelle & nécessaire fournit suffisamment aux revenus publics. L'envie même de profiter de ces momens de grace, donne aux vendeurs & aux acheteurs un empressement que la solennité de ces grandes foires augmente encore par une espece de séduction, d'où résulte une augmentation dans la masse totale du Commerce ". Tels sont les prétextes qu'on allegue pour soûtenir l'utilité des grandes foires. Mais il n'est pas difficile de se convaincre qu'on peut par des arrangemens généraux, & en favorisant également tous les membres de l'état, concilier avec bien plus d'avantage les deux objets que le gouvernement peut se proposer. En effet, puisque le prince consent à perdre une partie de ses droits, & à les sacrifier aux intérêts du Commerce, rien n'empêche qu'en rendant tous les droits uniformes, il ne diminue sur la totalité la même somme qu'il consent à perdre ; l'objet de décharger des droits la vente à l'étranger, en les laissant subsister sur les consommations intérieures, sera même bien plus aisé à remplir en exemptant de droits toutes les marchandises qui sortent : car enfin on ne peut nier que nos foires ne fournissent à une grande partie de notre consommation intérieure. Dans cet arrangement, la consommation extraordinaire qui se fait dans le tems des foires, diminueroit beaucoup ; mais il est évident que la modération des droits dans les tems ordinaires, rendroit la consommation générale bien plus abondante ; avec cette différence que dans le cas du droit uniforme, mais modéré, le Commerce gagne tout ce que le prince veut lui sacrifier : au lieu que dans le cas du droit général plus fort avec des exemptions locales & momentanées, le roi peut sacrifier beaucoup, & le Commerce ne gagner presque rien, ou, ce qui est la même chose, les denrées baisser de prix beaucoup moins que les droits ne diminuent ; & cela parce qu'il faut soustraire de l'avantage que donne cette diminution, les frais du transport des denrées nécessaire pour en profiter, le changement de séjour, les loyers des places de foire enchéris encore par le monopole des propriétaires, enfin le risque de ne pas vendre dans un espace de tems assez court, & d'avoir fait un long voyage en pure perte : or il faut toûjours que la marchandise paye tous ses frais & ses risques. Il s'en faut donc beaucoup que le sacrifice des droits du prince soit aussi utile au Commerce par les exemptions momentanées & locales, qu'il le seroit par une modération legere sur la totalité des droits ; il s'en faut beaucoup que la consommation extraordinaire augmente autant par l'exemption particuliere, que la consommation journaliere diminue par la surcharge habituelle. Ajoûtons, qu'il n'y a point d'exemption particuliere qui ne donne lieu à des fraudes pour en profiter, à des gênes nouvelles, à des multiplications de commis & d'inspecteurs pour empêcher ces fraudes, à des peines pour les punir ; nouvelle perte d'argent & d'hommes pour l'état. Concluons que les grandes foires ne sont jamais aussi utiles, que la gêne qu'elles supposent est nuisible ; & que bien loin d'être la preuve de l'état florissant du Commerce, elles ne peuvent exister au contraire que dans des états où le Commerce est gêné, surchargé de droits, & par conséquent médiocre.

FOIRE DE RESPECT, (Comm.) c'est un tems (ordinairement de trois mois) qu'un commettant accorde à son commissionnaire pour lui payer le prix des marchandises que ce dernier a vendues à crédit, & dont il s'est rendu garant. (G)


FOIRIAou FOQUEUX, (Hist. mod.) nom d'une secte de la religion des Japonois, ainsi appellée d'un livre de leur doctrine qui porte ce nom. L'auteur de la secte fut un homme saint appellé Xaca, qui persuada à ces peuples que les cinq mots inintelligibles, nama, mio, foren, qui, quio, contenoient un mystere profond, avoient des vertus singulieres, & qu'il suffisoit de les prononcer & d'y croire, pour être sauvé. C'est en vain que nos missionnaires leur prêcherent que ce dogme renversoit toute la Morale, encourageoit les hommes au crime, & qu'il n'y avoit rien qu'on ne fût tenté de faire, quand on croyoit pouvoir tout expier à si peu de frais ; d'ailleurs, que ces mots étoient vuides de sens ; que ne rappellant aucune idée, ou ne rappellant que des idées qu'il leur étoit défendu d'avoir sous peine d'hérésie, on faisoit dépendre leur salut éternel du caprice des dieux ; & qu'il vaudroit autant qu'ils eussent attaché leur sort à venir à la croyance d'une proposition conçûe dans une langue tout-à-fait étrangere. Ils répondirent qu'ils n'avoient garde de s'ériger en scrutateurs de la volonté des dieux ; que Xaca étoit un homme saint ; & que leur ayant promis un bonheur infiniment au-dessus de ce que l'homme pouvoit jamais mériter par lui-même, il étoit juste qu'il en exigeât toutes les sortes de sacrifices dont il étoit capable : qu'après avoir immolé les passions de leur coeur, il ne leur restoit plus que de faire un holocauste des lumieres de leur esprit ; que Xaca en avoit donné l'exemple au monde ; qu'ils avoient embrassé sa loi, avec une pleine confiance dans la vérité de ses promesses ; & qu'ils mourroient mille fois plûtôt que de renoncer au nama, mio, foren, qui, quio. Xaca est représenté avec trois têtes : il s'appelle aussi fotage ou le seigneur. Voy. les cérémonies superstitieuses & le dictionnaire de Moréry.


FOISILou FAZIN, voyez FAZIN.


FOIX(Géog.) en latin Fuxum ; petite ville de France, capitale du comté de même nom, qui fait un gouvernement particulier dans le haut Languedoc. Elle est sur l'Auziege, au pié des Pyrénées, entre Pamiers & Tarascon ; à trois lieues S. O. de Pamiers ; 12 S. E. de Toulouse. Long. 18. 55. latitude 43. 4.

Le comté de Foix a le Toulousain au levant, le Conserans au couchant, le comté de Comminges au nord, les Pyrénées & le Roussillon au midi. Voyez sur ce comté l'abbé de Longuerue, descript. de la France, part. I. De Marca, hist. de Béarn, liv. VIII. & Catel, mém. de l'hist. de Languedoc, liv. II.

Ce comté peut se glorifier d'avoir donné le jour à Bayle. Il naquit à Carlat le 8 Novembre 1647, & mourut à Roterdam la plume à la main le 28 Décembre 1706 : son dictionn. histor. est le premier ouvrage de raisonnement en ce genre, où l'on puisse apprendre à penser : mais il faut abandonner, comme dit M. de Voltaire, les articles de ce vaste recueil, qui ne contiennent que de petits faits, indignes à la fois du génie de Bayle, d'un lecteur grave, & de la postérité. (D.J.)


FOKIEN(Géog.) province maritime de la Chine, & la onzieme de cet empire. Elle a l'océan des Indes à l'est & au sud-est ; la province de Quanton, au sud-ouest ; celle du Kiansi à l'ouest, & celle de Tchekian, au nord, selon M. de Lisle. V. le P. Martini dans son Atlas de la Chine. Long. 134. 139. lat. 23. 30. 28. (D.J.)


FOLou FOU, s. m. voyez FOLIE.

FOL, & depuis FOU, (Littérat. mod.) bouffon de cour entretenu aux dépens du prince.

L'usage des rois d'avoir des fous ou des bouffons à leur cour, pour les divertir par leurs bons mots, leurs gestes, leurs plaisanteries, ou leurs impertinences : cet usage, dis-je, tout ridicule qu'il est, remonte assez haut dans l'histoire moderne.

Au commencement du neuvieme siecle, l'empereur Théophile avoit pour fou un nommé Daudery, qui par son indiscrétion pensa causer les plus cuisans chagrins à l'impératrice Théodora. Il s'avisa d'entrer un jour brusquement dans le cabinet de cette princesse, lorsqu'elle faisoit ses prieres devant un oratoire orné de très-belles images qu'elle gardoit en grand secret, pour éviter que l'empereur qui étoit Iconoclaste, en eût connoissance. Daudery, qui n'avoit jamais vû d'images, lui demanda vivement ce que c'étoit : à quoi Théodora répondit que c'étoit des poupées qu'elle préparoit pour donner à ses filles : sur cela Daudery vint dire au dîner de l'empereur, qu'il avoit trouvé l'impératrice occupée à baiser les plus jolies poupées du monde. Théodora eut bien de la peine à se tirer de ce mauvais pas : mais elle fit si bien châtier le fou de l'empereur, qu'elle le corrigea pour jamais de parler de tout ce qui pourroit la regarder.

Après l'expédition des croisades, on vit la mode d'avoir des fous s'établir dans toutes les cours de l'Europe, dans celles d'Italie, d'Allemagne, d'Angleterre, & de France. Ici les princes du bon air voulurent avoir des fous à leur suite, qui leur servissent de joüet & d'amusement. Là les grandes maisons se procuroient un fol qu'on habilloit ridiculement, afin que l'héritier présomptif eût occasion de se divertir de ses discours ou de ses bévûes. En Italie, Nicolas III. marquis d'Est & de Ferrare, avoit à sa cour un fou ou bouffon nommé Gonelle, qui devint célebre par ses reparties.

En France, on poussa la chose plus loin que partout ailleurs : car l'emploi de fou à la cour y fut érigé en titre d'office particulier. On conserve dans les archives de Troies en Champagne une lettre de Charles V. qui écrivit au maire & aux échevins, que son fou étant mort, ils eussent à lui envoyer un autre fou, suivant la coûtume. A S. Maurice de Senlis, on lit cette épitaphe : " Cy gist Thévenin de Saint-Légier, fou du roi notre sire, qui trépassa le premier Juillet 1374 : priez Dieu pour l'ame de ly ".

Le fou de François I. nommé Triboulet, disoit que Charles-Quint étoit plus fou que lui de passer par la France pour aller aux Pays-bas ; mais, lui dit François I. Si je le laisse passer ! En ce cas, dit Triboulet, j'effacerai son nom de mes tablettes, & j'y mettrai le vôtre. Cependant Charles-Quint avoit raison de ne pas hésiter, en se rendant dans les Pays-Bas, de passer en France sur l'invitation d'un monarque, qui après la bataille de Pavie, mandoit à la duchesse d'Angouleme : tout est perdu, hormis l'honneur.

Le dernier fou de cour dont il soit parlé dans notre histoire, est le fameux l'Angely, que M. le Prince amena des Pays-Bas, & qu'il se fit un plaisir de donner à Louis XIV. Mais l'Angely étoit un fou plein d'esprit, qui trouva le secret de plaire aux uns, de se faire craindre des autres, & d'amasser par cette adresse une somme de vingt-cinq mille écus de ce tems-là. On sait à ce sujet les deux vers de Despréaux, & le bon mot de Marigny, qui étant un jour au dîner du roi, dit à quelqu'un, en voyant l'Angely qui amusoit Louis XIV. par ses bons mots : " De tous nous autres fous qui avons suivi M. le Prince, il n'y a que l'Angely qui ait fait fortune ". Cependant les railleries piquantes de l'Angely le firent à la fin chasser de la cour ; & depuis, cette espece de fous n'y a plus paru. L'Angely disoit qu'il n'alloit pas au sermon, parce qu'il n'aimoit pas le brailler, & qu'il n'entendoit pas le raisonner. (D.J.)

FOL APPEL, (Jurisprud.) est celui qui est interjetté témérairement & sans cause, ni moyens valables. L'amende du fol appel, proprement dit, est la grosse amende à laquelle on condamne celui que l'on déclare non recevable dans son appel. Voyez l'ordonnance de 1539. art. 96. & le praticien de Ferriere, tit. des appellat. Cependant quelques-uns entendent par fol appel tout appel dans lequel l'appellant succombe ; & par amende du fol appel ils entendent aussi l'amende ordinaire à laquelle en ce cas on condamne l'appellant. (A)


FOLIATIONS. f. (Bot.) c'est proprement l'assemblage des feuilles ou pétales colorés qui composent la fleur même.


FOLIES. f. (Morale) S'écarter de la raison, sans le savoir, parce qu'on est privé d'idées, c'est être imbécille ; s'écarter de la raison le sachant, mais à regret, parce qu'on est esclave d'une passion violente, c'est être foible : mais s'en écarter avec confiance, & dans la ferme persuasion qu'on la suit, voilà, ce me semble, ce qu'on appelle être fou. Tels sont du moins ces malheureux qu'on enferme, & qui peut-être ne different du reste des hommes, que parce que leurs folies sont d'une espece moins commune, & qu'elles n'entrent pas dans l'ordre de la société.

Mais puisque la folie n'est qu'une privation, pour en acquérir des idées plus distinctes, tâchons de connoître son contraire. Qu'est-ce que la raison ? Ce qu'on appelle ainsi, au-moins dans un sens contraire à la folie, n'est autre chose en général que la connoissance du vrai ; non de ce vrai que l'auteur de la nature a réservé pour lui seul, qu'il a mis loin de la portée de notre esprit, ou dont la connoissance exige des combinaisons multipliées ; mais de ce vrai sensible, de ce vrai qui est à la portée de tous les hommes, & qu'ils ont la faculté de connoître, parce qu'il leur est nécessaire, soit pour la conservation de leur être, soit pour leur bonheur particulier, soit pour le bien général de la société.

Le vrai est physique ou moral : le vrai physique consiste dans le juste rapport de nos sensations avec les objets physiques, ce qui arrive quand ces objets nous affectent de la même maniere que le reste des hommes : par exemple, c'est une folie que d'entendre les concerts des anges comme certains enthousiastes, ou de voir, comme dom Quichotte, des géans au lieu de moulins à vent, & l'armée d'Alifanfaron, au lieu d'un troupeau de moutons.

Le vrai moral consiste dans la justesse des rapports que nous voyons, soit entre les objets moraux, soit entre ces objets & nous. Il résulte de-là que toute erreur qui nous entraîne est folie. Ce sont donc de véritables folies que tous les travers de notre esprit, toutes les illusions de l'amour propre, & toutes nos passions, quand elles sont portées jusqu'à l'aveuglement ; car l'aveuglement est le caractere distinctif de la folie. Qu'un homme commette une action criminelle, avec connoissance de cause, c'est un scélérat ; qu'il la commette, persuadé qu'elle est juste, c'est un fou. Ce qu'on appelle dans la société dire ou faire des folies, ce n'est pas être fou, car on les donne pour ce qu'elles sont. C'est peut-être sagesse, si l'on veut faire attention à la foiblesse de notre nature. Quelque haut que nous fassions sonner les avantages de notre raison, il est aisé de voir qu'elle est pour nous un fardeau pénible, & que, pour en soulager notre ame, nous avons besoin de tems-en-tems au moins de l'apparence de la folie.

La folie paroît venir quelquefois de l'altération de l'ame qui se communique aux organes du corps, quelquefois du dérangement des organes du corps qui influe sur les opérations de l'ame ; c'est ce qu'il est fort difficile de démêler. Quelle qu'en soit la cause, les effets sont les mêmes.

Suivant la définition que j'ai donnée de la folie physique & morale, il y a mille gens dans le monde, dont les folies sont vraiment physiques, & beaucoup dans les maisons de force qui n'ont que des folies morales. N'est-ce pas, par exemple, une folie physique que celle du malade imaginaire ?

Tout excès est folie, même dans les choses loüables. L'amitié, le desintéressement, l'amour de la gloire, sont des sentimens loüables, mais la raison doit y mettre des bornes ; c'est une folie que d'y sacrifier sans nécessité sa réputation, sa fortune, & son bonheur.

Quelquefois néanmoins cet excès est vertu, quand il part d'un principe de devoir généralement reconnu. C'est qu'alors l'excès n'est pas réel ; car si le principe est tel qu'il ne soit pas permis de s'en écarter, il ne peut plus y avoir d'excès. En retournant à Carthage, Régulus fut un homme vertueux, il ne fut pas un fou.

Quelquefois aussi on regarde comme vertu un excès réel, quand il tient à un motif louable : c'est qu'alors on ne fait attention qu'au motif, & au petit nombre de gens capables de si beaux excès.

Souvent l'excès est relatif soit à l'âge, soit à l'état, soit à la fortune. Ce qui est folie dans un vieillard ne l'est pas dans un jeune homme ; ce qui est folie dans un état médiocre & avec une fortune bornée, ne l'est pas dans un rang élevé ou avec une grande fortune.

Il y a des choses où la raison ne se trouve que dans un juste milieu, les deux extrèmes sont également folie ; il y a de la folie à tout condamner comme à tout approuver ; c'est un fou que le dissipateur qui donne tout à ses fantaisies, comme l'avare qui refuse tout à ses besoins, & le sybarite plongé dans les voluptés n'est pas plus sensé que l'hypocondriaque, dont l'ame est fermée à tout sentiment de plaisir ; il n'y a de vrais biens sur la terre que la santé, la liberté, la modération des desirs, la bonne conscience. C'est donc une folie du premier ordre que de sacrifier volontairement de si grands biens.

Parmi nos folies il y en a de tristes, comme la mélancolie ; d'impétueuses, comme la colere & l'humeur ; de douloureuses, comme la vengeance qui a toûjours devant les yeux un outrage imaginaire ou réel, & l'envie, pour qui tous les succès d'autrui sont un tourment.

Il y a des fous gais ; tels sont en général les jeunes gens : tout les intéresse, parce que tout leur est inconnu ; tous leurs sentimens sont excessifs, parce que leur ame est toute neuve ; un rien les met au desespoir, mais un rien les transporte de joie ; ils manquent souvent de l'aisance & de la liberté, mais ils possedent un bien préférable à ceux-là : ils sont gais. Folie aimable, & qu'on peut appeller heureuse, puisque les plaisirs l'emportent sur les peines ; folie qui passe trop vîte, qu'on regrette dans un âge plus avancé, & dont rien ne dédommage.

Il est des folies satisfaisantes, sans être gaies ; telle est celle de beaucoup de gens à talens, sur-tout à petits talens. Ils attachent d'autant plus d'importance à leur art, que dans la réalité il en a moins. Mais cette folie flate leur amour-propre ; elle a encore pour eux un autre avantage ; ils auroient peut-être été médiocres dans leur état, elle les y rend supérieurs, elle a même quelquefois reculé les limites de l'art.

Il est enfin des folies auxquelles on seroit tenté de porter envie. De cette espece est celle d'un petit bourgeois, qui, par son travail & par son économie, s'étant acquis une aisance au-dessus de son état, en a conçu pour lui-même la plus sincere vénération. Ce sentiment éclate en lui dans son air, dans ses manieres, dans ses discours. Au milieu de ses amis il aime à faire le dénombrement de ce qu'il possede. Il leur raconte cent fois, mais avec une satisfaction toûjours nouvelle, les détails les moins intéressans de sa vie & de sa fortune. Dans l'intérieur de sa maison il ne parle que par sentences ; il se regarde comme un oracle, & est regardé comme tel par sa femme, par ses enfans, & par les gens qui le servent. Cet homme-là assûrément est fou, car ni sa petite fortune, ni le petit mérite qui la lui a procurée, ne sont dignes de l'admiration & du respect qu'ils lui inspirent ; mais cette folie ne fait tort à personne, elle amuse le philosophe qui en est spectateur ; & pour celui qui la possede, elle est un vrai thrésor, puisqu'elle fait son bonheur.

Que si quelques-uns de ces fous paroissoient pour la premiere fois chez une nation qui n'eût jamais connu que la raison, il est vraisemblable qu'on les feroit enfermer. Mais parmi nous l'habitude de les voir les fait supporter ; quelques-unes de leurs folies nous sont nécessaires, d'autres nous sont utiles, presque toutes entrent dans l'ordre de la société, puisque cet ordre n'est autre chose que la combinaison des folies humaines. Que s'il en est quelques-unes qui y paroissent inutiles ou même contraires, elles sont le partage d'un si grand nombre d'individus, qu'il n'est pas possible de les en exclure. Mais elles ne changent pas de nature pour cela : chacun reconnoît pour folie celle qui n'est pas la sienne, & souvent la sienne propre, quand il la voit dans un autre.

FOLIE, (Medecine) est une espece de lésion dans les fonctions animales ; cette maladie de l'esprit est si connue de tout le monde, qu'il n'est aucun des plus fameux nosographes qui ait cru devoir en donner une idée précise, une définition bien distincte ; il n'en est traité expressément nulle part. Voyez les oeuvres de Sennert, de Riviere, d'Etmuller, d'Hoffman, de Boerhaave, &c.

Comme la folie consiste dans une sorte d'égarement de la raison, dans une dépravation de la faculté pensante (dont l'abolition est ce qu'on appelle démence, voyez DEMENCE) ; dépravation qui a lieu avec différentes modifications dans le délire, dans la mélancolie, dans la manie : on a confondu la folie avec l'une ou l'autre de ces maladies ; mais plus communément avec la derniere de ces trois, parce que la folie est comme le prélude de la manie, & a essentiellement plus de rapport avec elle, qu'avec aucune autre : de maniere cependant que la folie peut avoir lieu & subsister pendant long-tems ; pendant toute la vie même, sans être jamais suivie de la manie proprement dite.

L'erreur de l'entendement qui juge mal durant la veille de choses sur lesquelles tout le monde pense de la même maniere, est le genre de ces trois maladies. On donne ordinairement à ce genre le nom de délire ; quoiqu'on appelle aussi de ce nom une de ses especes, dans laquelle l'erreur dont il vient d'être fait mention, est de peu de durée, & forme un symptome de fievre, de maladie aiguë, qui, lorsqu'il porte à la fureur, est appellé phrénésie. Voyez DELIRE, FIEVRE, PHRENESIE.

La folie est aussi distinguée de la mélancolie, en ce que le délire dans celle-ci rend les malades inquiets, ne roule que sur un seul objet, ou sur un petit nombre d'objets le plus souvent tristes, & n'est pas universel ; au lieu qu'il a cette derniere qualité, & qu'il est sans inquiétude & sans tristesse dans la folie & dans la manie ; que dans celle-là par conséquent le malade est tranquille & s'occupe de toute sorte d'objets indifféremment avec la même extravagance, & que dans la manie le délire est accompagné d'audace, de fureur, toûjours sans fievre essentielle, ce qui distingue la manie de la phrénésie : & si la fureur dans celle-là est portée à l'extrème, on lui donne le nom de rage.

Ainsi la folie est à la manie par la modération de ses effets, ce que la rage est à la manie par l'intensité de la violence des symptomes qui la caractérisent. On est donc fondé à renvoyer à l'article MANIE, tout ce qu'il y a à dire de ces trois sortes de délire sans fievre, entre lesquels on ne doit distinguer la folie, que parce qu'elle est sans violence, sans fureur, qui se trouvent toûjours plus ou moins dans les deux autres especes ; on peut voir aussi-bien des choses qui ont rapport à toutes les trois dans l'article MELANCOLIE. (d)


FOLIGNY(Géog.) ou comme écrivent les Italiens Fulginium, ancienne petite ville de l'état de l'Eglise dans le duché de Spolete, entre Spolete & Assise, avec un évêché suffragant du saint-siége. Caton, Cicéron, César, & autres auteurs, font mention de Foligny. C'étoit une ville libre sous la protection des Romains. Elle est remarquable par les savans hommes qu'elle a produits. Sa situation est dans une plaine fertile au bord du Topino, à cinq lieues N. E. de Spolete, 27 N. E. de Rome. Long. 30. 18. lat. 42. 55. (D.J.)


FOLILETSS. m. (Venerie) c'est ce qu'on leve le long du défaut des épaules du cerf, après qu'il est dépouillé.


FOLIou encore mieux FEUILLET, en terme de Teneur de livres, &c. signifie la page. Voyez IMPRESSION.

Ainsi folio 7, & par abréviation f°. 7. signifie la septieme page, &c.

Folio recto, ou f°. r°. signifie la premiere page d'un feuillet.

Folio verso, ou f°. v°. le revers ou la seconde page du feuillet.

Ce mot est italien, & signifie littéralement feuillet.

FOLIO, terme de Librairie, un volume in-folio, ou simplement un in-folio, est un livre de l'étendue de la feuille seulement pliée en deux, ou dont chaque feuillet est la moitié de la feuille.

Les volumes au-dessous des in-folio sont les in-4°. in-8°. in-12. in-16. in-24. &c. Voyez LIVRE.

FOLIO, dans l'usage de l'Imprimerie, s'entend du chiffre numéral que l'on met au-haut de chaque page d'un ouvrage. Le folio recto désigne la premiere page d'un feuillet, & est toûjours impair. Le folio verso s'entend du revers ou de la deuxieme page du même feuillet, & est toûjours pair.


FOLIOLES. f. (Bot.) on nomme foliole en Botanique les feuillets dont les feuilles composées sont formées, qui ont chacune un court pédicule, lequel s'implante dans le pédicule commun. L'arrangement, le nombre, la force, & la proportion des folioles, offrent bien des variétés & des bisarreries, non-seulement dans le même individu, mais encore dans la même feuille.

Ces variétés sont beaucoup plus fréquentes & plus nombreuses dans les especes herbacées, qu'elles ne le sont dans les especes ligneuses. Ces variétés s'étendent à leur figure, leur nombre, leur union, leur attache, leur forme, leur jeu, & leur grandeur relative. Par exemple, ordinairement les folioles augmentent de grandeur, à mesure qu'elles sont plus éloignées de l'origine du pédicule commun ; mais les folioles des extrémités sont quelquefois plus petites que les intermédiaires ; les irrégularités qui se rencontrent en ce genre sont inépuisables.

Les folioles ou différens feuillets d'une feuille composée, quoique très-distinctes les unes des autres, ne constituant néanmoins, à proprement parler, qu'une seule feuille, on conjecture que les sucs que reçoit un de ces feuillets passe bientôt aux autres, les entretient & les nourrit. Les folioles des feuilles composées se greffent assez souvent les unes aux autres, ensorte que deux ou trois folioles n'en composent plus qu'une seule sur un pédicule commun. Voyez là-dessus le bel ouvrage de M. Bonnet. Voyez ci-devant le mot FEUILLE, où il est parlé de cet ouvrage de M. Bonnet. (D.J.)


FOLIOTS. m. (Horlogerie) nom que l'on donnoit autrefois au balancier d'une horloge. Voyez ECHAPPEMENT, BALANCIER, &c. & la fig. xxvij. Pl. V. de l'Horlogerie. (T)

* FOLIOT, (Serrurerie) c'est la partie du ressort qui pousse le demi-tour dans les serrures à tour & demi ou autres, comme il se voit dans nos Planches de Serrurerie, ce foliot monté sur une broche quarrée qui passe à-travers le palâtre, & la couverture de la serrure, & aux extrémités duquel sont des boutons pour ouvrir dehors & dedans. Aux serrures où il n'y a point de double bouton, le bouton à coulisse qui est sur le palâtre de la serrure sert pour ouvrir en-dedans, & on ouvre par-dehors avec la clé comme on voit dans les serrures ordinaires. Vous trouverez dans nos Planches une serrure benarde, vûe du côté du palastre ; D est le bouton à coulisse monté sur le pêle, & faisant ouvrir le demi tour, au lieu de la broche dont nous avons parlé. On voit la même forme du côté de la couverture qu'on a supprimée, afin de découvrir toutes les pieces qui la composent ; k est foliot ; l la tête du foliot ; & dans le reste des figures, l, m, n, représentent les différentes parties d'un foliot ; l le canon, m l'épaulement, n le talon, s le foliot enlevé.


FOLIUMFOLIUM de Descartes, ou simplement FOLIUM, s. m. (Géométrie.) nom latin, & qui signifie feuille. On appelle ainsi une courbe du second genre ou ligne du troisieme ordre KAODR, représentée fig. 45. Analys. & dont la partie AOD ressemble à-peu-près à une feuille, ce qui lui a fait donner le nom de folium.

Soient les coordonnées AB, x, BC ou BD, y, l’équation de cette courbe sera x3 + y3 = a x y ; les axes AB, AF, touchant la courbe en A. Pour donner à cette équation une forme plus commode, qui fasse découvrir aisément la figure de la courbe, je divise en deux également l'angle FAB par la ligne AO, & j'imagine les nouvelles coordonnées rectangles A P, z & P C, u, j'aurai, comme il est très-aisé de le prouver, x = , & y = (voyez TRANSFORMATION DES AXES ;) & faisant la substitution, il vient u2 = (a z z - ) : (a + ) pour l'équation de la courbe rapportée aux axes A O, G A M perpendiculaires l'un à l'autre. D'où l'on voit, 1°. que si z est infiniment petite, on a u = ± z, & qu'ainsi la courbe coupe de part & d'autre l'axe A O sous un angle de 45d. 2°. que u a toûjours deux valeurs égales, & qu'ainsi les deux parties de la courbe sont égales, & semblables des deux côtés de l'axe A O : 3°. que si a = , on a u = o ; & que si a < , on a u imaginaire ; qu'ainsi faisant 2 A O = a , la courbe ne va pas au-delà du point O, du côté des z positives : 4°. que si z = - , u est infinie ; & que si z est < - , u est imaginaire. Donc prenant A N = = , & menant K N R perpendiculaire à A N, cette ligne K N R sera asymptote de la courbe. Voyez ASYMPTOTE.

Cette courbe est aussi quarrable. Pour le prouver de la maniere la plus simple, je reprends l'équation x3 + y3 = a x y, & je fais y = x z, j'aurai y d x élément de l'aire de la courbe = x z d x, dont l'intégrale est - . Or y = x z donne x = & x x d z = , dont l'intégrale est aisée à trouver. Car soit 1 + z3 = u3, on aura z z d z = u u d u ; & = , dont l'intégrale est fort simple. Voy. INTEGRAL & TRANSFORMATION. Donc, &c.

M. de l'Hopital, analyse des infiniment petits, sect. 2. donne une méthode de trouver les asymptotes de cette courbe par les tangentes. Voyez TANGENTE, &c. (O)


FOLKSTON(Géog.) petite ville d'Angleterre, dans le comté de Kent. Elle paroît être ancienne, si du moins les médailles romaines qu'on y a déterrées sont une bonne preuve de son antiquité. Mais ancienne ou moderne, elle a la gloire d'avoir donné naissance à Guillaume Harvé, immortel par sa découverte de la circulation du sang. Longit. 18. 58. lat. 51. 7. (D.J.)


FOLLE ENCHERE(Jurisp.) voyez à ENCHERE l'article Folle enchere.


FOLLE INTIMATION(Jurisp.) voyez INTIMATION.


FOLLESS. f. terme de Pêche, c'est un filet avec lequel on prend des rayes, anges, turbots & autres gros poissons. Il y en a de deux especes, de flottées & de non flottées. Les folles flottées ont le haut du filet garni de flottes de liége ; elles se tendent sur les sables au pié des bancs, ou à la chûte des écores, des basses, & dans les lieux où il ne reste que quelques piés d'eau. Le filet est arrêté par le pié d'espace en espace, par les deux bouts. Au moyen des flottes dont il est garni, il joue & reste libre ; ainsi il arrête de bord & d'autre les poissons qui s'avancent pendant la marée vers la côte, d'autant plus facilement qu'ayant environ deux brasses de haut, il forme un ventre, une bourse ou follée, qui reçoit & retient tout ce qui se présente.

Pour pêcher à la folle avec succès, il faut se placer sur les pointes des bancs qui découvrent de haute marée, & dont l'eau se retire avec rapidité, afin que le poisson en sorte entraîné dans le filet ; d'où l'on conçoit qu'il doit croiser le mouvement des eaux.

La seconde espece de folles que les Pêcheurs nomment folles simples & non flottées, se tendent différemment, quoique sur les mêmes fonds. On les dispose en ligne droite, un bout à terre & l'autre à la mer, pour que les rayes qui vont ordinairement par troupes, puissent se prendre au passage & de flot. Un pêcheur peut tendre seul les folles flottées ; mais il faut être deux pour les non flottées ; dans ce dernier cas on plante des perches de quatre à cinq piés de haut, à la distance l'une de l'autre d'environ deux à trois brasses ; on amarre sur ces perches la folle par le haut & par le bas, au moyen d'un tour-mort, qui n'est qu'un simple tour croisé sans noeud. Comme ce filet a deux brasses ou environ de haut, & qu'il n'est élevé du terrein que de deux piés & demi au plus, il forme une grande bourse ou follée qui arrête le poisson. On tend ce filet le plus roide que l'on peut, parce qu'il mollit assez à l'eau.

Les mailles des folles ont six pouces en quarré. Les folles se tendent aussi quelquefois, ensorte que le bout vers la mer est recourbé comme une crosse d'évêque ; c'est de cette maniere que sont construits les parcs des Anglois.

Cette disposition ne convient évidemment qu'aux folles non flottées que des piquets ou pieux assujettissent, dont elles prennent la disposition, & qui la leur conservent sous les eaux.

Il y a une autre espece de folles que l'on appelle folles à la mer ; les mailles de ce filet sont déterminées par l'ordonnance à 5 pouces en quarré ; la piece de folles a 12 brasses de long & 6 piés de haut ; chaque matelot en fournit 18 à 20 pieces, & le maître pêcheur le double ; ainsi la tissure ou la longueur du filet peut avoir 300 ou 400 brasses. On tend ces folles, ensorte qu'elles puissent croiser la marée, afin que le poisson s'y prenne en passant ; le bateau ne se démare pas pour jetter ses filets à la mer. S'il fait calme, les pieces de folles étant toutes jointes ensemble, on jette à la mer le premier bout sur lequel est frappé un orrin ou moyen cordage d'environ 40 à 50 brasses, au bout duquel est une boüée soit d'un barril debout ou de liége. A une petite brasse du bout on frappe une grosse cabliere ou pierre, pesant plusieurs quintaux, pour faire couler bas le filet & le retenir sur le fond ; au bas de chaque piece de folles, il y a sept cailloux. Le haut ou la tête de la folle est élevée & soûtenue par les flottes de liége dont elle est garnie. On met au milieu de la tissure une moyenne cabliere de 80 à 100 brasses de long, suivant les lieux où l'on jette le filet. Au dernier bout, on met encore une semblable cabliere qui est soûtenue par une boüée. Mais si les Pêcheurs ne quittent point leur tissure, le bout de cette cabliere est amarré sur la corde de l'ancre ; & pour lors ils ne laissent leurs folles à la mer que 30 à 36 heures au plus. Il provient de cette pêche des poissons très-grands, de l'espece des plats. Les courans & les grandes marées sont nuisibles, parce qu'abaissant les folles sur les fonds, elles ne peuvent rien pêcher ; le poisson passe pardessus. Cette pêche qui est de l'espece de celles où le filet reste sédentaire sur le fond de la mer, ne sauroit jamais nuire au bien général de la pêche. D'ailleurs elle ne se fait qu'en pleine mer, & jamais à la côte, comme la premiere dont nous avons parlé. Elle ne se peut faire que tous les 15 jours dans le tems de la morte eau ; car le poisson ne se prend dans les mailles qu'autant que la tranquillité des eaux permet au filet de se soûtenir droit sur les fonds où il est jetté.

La maille des folles à la mer a 6 pouces en quarré.

La premiere espece de folles est représentée dans nos Planches de Pêche. Voyez ces Planches & leur explication. La seconde a dans le fond de la mer la même position que les tramaux sédentaires par fond. Voyez TRAMAUX.

Outre les folles flottées & non flottées, il y a encore les demi- folles & les folles montées en ravoirs.

Les folles flottées & non flottées sont une sorte de filet que les Pêcheurs de l'île de Ré dans le ressort de l'amirauté de Poitou, ou des Sables d'Olone, vont tendre sur les rochers pour faire la pêche des chiens de mer ; ils se mettent à l'eau jusqu'au cou, & fichent entre les roches deux perches ou paulets, qui soûtiennent le filet qui est flotté & pierré, qui tient de l'espece de celui que les pêcheurs picards nomment rieux flottés & non flottés ; ils s'en servent pour faire la pêche depuis la mi-Avril jusqu'après la S. Jean, pour des touils & des bourgeois ; cette saison passée, les mêmes rets servent montés en courtines sur des piquets élevés au plus d'un pié & demi, au-dessus du terrein, pour la pêche à la mer des macreuses & des autres oiseaux marins, depuis la S. Michel jusqu'à Pâques. On nomme aussi ces filets des alourats ou alourets.

Les touillaux & alourets de la tranche ont les mailles de 2 pouces 10 lignes en quarré. Quand on s'en sert pour faire la pêche des macreuses, ils ne sont ni garnis de flotte de liége, ni de plomb ou de pierre par le pié, mais tendus de plat, & seulement arrêtés sur des piquets, de la même maniere que les courtines des Pêcheurs de basse-Normandie.

Les folles montées en ravoirs dont les pêcheurs du ressort de l'amirauté de Saint-Valeri font usage, sont montées sur piquets, & ont environ deux brasses de hauteur, & depuis 15 jusqu'à 18 brasses de longueur ; les piquets ne sont élevés au-dessus des sables où ils sont plantés, que d'environ 3 piés. Les Pêcheurs les mettent bout à terre, bout à la mer, amarrés d'un tour-mort au haut des pieux, par la ligne de la tête du filet ; & le bas arrêté à environ un demi pié au-dessus du sable ; de cette maniere la folle par sa hauteur forme une espece de sac exposé contre le reflux ou le jusan, où les rayes entrent sans en pouvoir sortir.

Le printems & l'automne sont les tems les plus favorables pour cette pêche. Alors les rayes bordent la côte en troupe ; elle seroit infructueuse durant les chaleurs, à cause de la quantité des bourbes, d'orties de mer, de crabes & d'araignées qui rangent la côte pendant l'été.

Les mailles des folles des pêcheurs de Cayeux ont 5 pouces 4 lignes, 5 pouces 8 lignes, & 6 pouces en quarré.

Cette sorte de pêche est représentée dans nos Planches de Pêche.

Les folles des hameaux d'Audinghem, dans le ressort de l'amirauté de Boulogne, se tendent de même sur piquets ou pieuchons plantés dans le sable, bout à terre & l'autre bout à la mer, où ils forment une espece de retour ou crochet, dans lequel s'arrête le poisson. Les pieces de leurs folles ont environ 10 à 12 brasses de longueur sur une de hauteur ; le tems de la vive-eau, où pour lors la marée se retire davantage, est le plus convenable pour les tendre ; les Pêcheurs y prennent alors, à ce qu'ils assûrent, des rayes, des turbots, des flayes ; quant au petit poisson rond, il ne peut s'y arrêter, à cause de la grandeur des mailles.


FOLLETTES. f. (terme de Modes) sorte de fichu qui étoit à la mode en 1722. Ces sortes de fichus étoient faits de bandes de toile blanche filée, ou de taffetas effrangé & tortillé. On en voyoit de gaze, brodée en or, en argent, & en soie ; on en faisoit aussi avec des franges de toutes couleurs. Voyez FICHU.


FOLLICULES. m. (Botan.) c'est cette enveloppe membraneuse plus ou moins forte, dans laquelle sont contenues les graines des plantes ; de-là vient que les gousses qui renferment les pepins du séné se nomment follicules de séné. Voyez SENE. (D.J.)

FOLLICULE, (Anatomie) membrane qui renferme une cavité d'où part un conduit excrétoire.

Plusieurs anatomistes appellent & définissent ainsi la glande la plus simple de toutes.

Boerhaave assûre que Malpighi a observé des glandes simples dans toutes les parties du corps. Ruysch soûtient le contraire ; & il nie, par exemple, & Heister après lui, qu'il y en ait jamais dans le plexus choroïde. Cependant j'y en ai observé d'aussi grosses qu'un grain de millet, qui présentoient au tact & à l'oeil cette forme que les anciens regardoient comme glanduleuse, & dans laquelle Heister établit l'essence de la glande. J'ai vû un autre sujet dans lequel les glandes du plexus choroïde étoient parsemées d'hydatides qu'on en distinguoit très-facilement.

Tout le monde connoît les systèmes opposés de Malpighi & de Ruysch sur la structure des glandes. Boerhaave, défenseur de Malpighi, & Ruysch, semblent avoir épuisé tout ce qu'on peut dire sur cette fameuse question. Je me bornerai à donner un extrait des lettres que ces deux savans hommes s'écrivirent sur cette matiere, après être convenus d'y ramasser toutes leurs forces pour défendre leurs opinions : ces lettres ont été publiées sous le titre d'opusculum anatomicum de fabricâ glandularum in corpore humano. Lugd. Batav. 1722.

Boerhaave rapporte d'abord que Malpighi pressant le corps des glandes simples, en vit sortir des humeurs dont l'abondance & la densité supposoient des réservoirs ; & il fait à ce sujet une longue digression sur la diverse consistance des humeurs qui lubréfient différentes parties du corps, en remarquant qu'elles sont toûjours plus épaisses que la matiere de la transpiration insensible. Ruysch répond qu'il a montré que la secrétion de cette humeur onctueuse qui adoucit le frottement des paupieres contre le globe de l'oeil, se fait par les vaisseaux hygrophthalmiques de Meibomius, sans l'intervention d'aucune glande, dans le sens de Malpighi. M. Winslow a pourtant observé que les glandes ciliaires examinées au microscope paroissent comme de petites grappes de plusieurs grains qui communiquent ensemble. Voyez son traité de la tête, n. 279. Ruysch ajoûte que les humeurs sont toûjours liquides avant leur excrétion pendant la vie ; mais que la pression dans le cadavre entraîne & mêle avec ces humeurs les extrémités pulpeuses des vaisseaux qui les contiennent. Ruysch admet des follicules ; mais il ne veut pas qu'on leur donne le nom de glandes, non plus qu'aux cavités de la membrane celluleuse.

Boerhaave rassemble plusieurs observations de tumeurs enkistées formées dans la partie chevelue de la tête, aux bords des paupieres, &c. il cite des exemples d'athéromes, qu'une pression forte vuidoit par une ouverture qu'on n'avoit pas apperçûe avant cette pression. Il regarde ces tumeurs, aussi-bien que les hydatides, comme des dégénérations de glandes simples. Ruysch pense que l'état contre-nature des tumeurs renfermées dans un sac, ne prouve point l'existence antérieure des follicules. D'ailleurs il n'admet point de glandes cutanées ; il veut que les tubercules qu'on trouve dans les tégumens ne soient que des houpes nerveuses. Les stéatomes ne prouvent rien, dit-il, à moins que l'on ne confonde les cellules adipeuses avec les glandes simples ; ce qui lui paroît absurde.

Boerhaave croit que les injections de Ruysch effacent les follicules des glandes sébacées, & leur donnent la forme d'un peloton de vaisseaux entortillés, ou d'un corpuscule sphérique & dur. Il fait dire à Malpighi que les extrémités des vaisseaux artériels s'émincissent & se réduisent comme en filets poreux, d'où transudent dans les cavités des glandes simples, des humeurs extrèmement fines. Il développe cette explication par les belles découvertes de Ruysch sur les dispositions extrèmement variées des arteres qui se portent à ces organes ; découvertes qui aident à concevoir la diversité des secrétions.

Boerhaave renvoye sur la structure des glandes conglobées, à la lettre de Malpighi à la Société royale de Londres. Ruysch a trouvé que les glandes du mésentere n'offrent que des pelotons de vaisseaux dont les replis sont admirables, auxquels adherent de petits corps pulpeux. Il donne à la fin de sa lettre une planche gravée par Wandelaar, aidé du docteur Arent Cant, qui représente une portion du mésentere préparée par Ruysch. Boerhaave qui avoit vû cette préparation, a avoüé que l'entrelacement des vaisseaux sanguins ne permettoit pas de croire qu'ils fussent placés sur la même membrane.

Boerhaave passe ensuite au point principal du système de Malpighi : il prétend avec ce célebre anatomiste, que des vaisseaux capillaires artériels de chaque viscere, dans leur anastomose avec les veines, partent des tuyaux aussi artériels, mais plus déliés, qui pompent une humeur plus subtile que le sang qu'ils versent dans des follicules dont les conduits excrétoires aboutissent à d'autres vaisseaux plus considérables, & ainsi de suite, jusqu'à ce qu'ils se réunissent en un seul. Malpighi place par-tout des follicules entre les extrémités des vaisseaux artériels & les vaisseaux excrétoires. Ruysch n'admet que quelques-uns de ces follicules ; mais il déclare qu'il ne connoît point leur tissu intime.

Boerhaave, pour avoir un point fixe, s'attache à considérer les recherches de Malpighi sur le foie en particulier. Malpighi eut recours à l'Anatomie comparée des animaux, en commençant par les plus petits qu'il croyoit être plus imparfaits, & qu'il regardoit comme les ébauches de la nature ; il trouva dans les limaçons & dans les lésards le foie d'un volume très-considérable par rapport à la grandeur de leurs corps, composé de plusieurs lobes coniques distincts, & qui communiquoient ensemble. Chaque lobe étoit un amas de petits grains, ayant chacun leur membrane propre, & réunis en forme de grappe. Dans les chenilles & les vers à soie, le foie est composé d'un grand nombre de petits sacs membraneux dans lesquels se sépare la bile, & qui aboutissent à un seul organe. On observe la distinction du foie en lobes, & celle des lobes en follicules dans plusieurs autres animaux, & même dans l'homme, à l'oeil nud, ou avec le secours du microscope. Ruysch avoue qu'il avoit démontré lui-même autrefois ces petits grains qu'on voit dans le foie humain pour des glandes hépatiques : mais il dit avoir reconnu depuis que cette apparence naissoit des extrémités des vaisseaux sanguins, rapprochées sous une forme globuleuse sans aucune membrane particuliere qui les enveloppe : la preuve qu'il en donne, c'est que ces petits grains prétendus glanduleux n'arrêtent point ses injections. Il insere ici l'aveu que lui avoit fait Boerhaave de vive voix & par écrit ; aveu dont il lui avoit permis de faire usage dans sa réponse : qu'ayant examiné ces grains dans un foie préparé par Ruysch, il n'avoit pû y rien découvrir, même aidé d'excellens microscopes, qu'un nombre prodigieux de petits canaux distincts & arrangés très-régulierement, qui paroissoient former le tissu des grains. Boerhaave ne croit pas cette observation décisive, parce que l'injection comprime les cavités qu'elle ne pénetre point ; & lorsqu'elle ne peut passer par les orifices des arteres capillaires, elle force les vaisseaux séreux, & même les émissaires. D'où il résulte que la replétion des artérioles répandues sur la surface du follicule, n'en laisse point de vestige. Mais si l'injection se fait jour à-travers les orifices des arteres capillaires, on ne reconnoît la place du follicule que par une extravasation qui rend tout confus, comme il arrive dans la replétion du pannicule graisseux, des corps spongieux de la verge, &c. Ruysch soûtient qu'il rétablit les vaisseaux dans leur état naturel, en ménageant l'injection, quoiqu'il soit toûjours le maître en la forçant, de produire une inflammation artificielle.

Ruysch avoit éprouvé qu'en faisant macérer dans l'eau pendant long-tems un foie injecté, on n'en conservoit que les extrémités des arteres capillaires, qui formoient des pinceaux : mais on voit aisément que la membrane propre des follicules n'étant point garantie par la cire, avoit pû être corrompue & entraînée par cette macération. Ruysch objecte encore, que la matiere injectée dans la veine-porte pénetre sans obstacles jusqu'aux conduits biliaires, tandis qu'elle devroit être arrêtée par les follicules qu'on y suppose. Boerhaave n'élude cette difficulté, qu'en doutant du fait dont Ruysch offre de le convaincre. Ruysch a vû néanmoins dans plusieurs visceres des corpuscules ronds : mais il les regardoit comme les extrémités pulpeuses des vaisseaux capillaires, & non comme des follicules glanduleux accompagnés de leurs émissaires. Il ne reconnoissoit point ces follicules dans les vessies pleines de lymphe, ou d'une matiere épaisse, qui occupent la place du foie dans certaines maladies ; il faisoit naître ces vessies des vaisseaux obstrués auxquels un fluide condensé & retenu donne une figure sphérique ou polyèdre. Boerhaave oppose que les vésicules devroient prendre dans ce cas une forme allongée & non sphérique : il le prouve par ce qui arrive dans les embarras des canaux considérables du corps humain. Ruysch imaginoit encore que la toile celluleuse enflée par un amas de sérosités, détruisoit les cavités des petits vaisseaux, & produisoit ces hydatides qui paroissoient suspendues à des fibrilles. Boerhaave n'accorde pas que l'hydropisie ait jamais produit ces bulles sphériques dans la toile celluleuse ; puisqu'on n'en trouve point dans l'hydropisie du scrotum, mais seulement dans les ovaires & dans les autres visceres où Malpighi a vû des follicules.

Enfin Malpighi, & Harvey avant lui, ont remarqué dans la formation du poulet une parfaite ressemblance du foie avec une grappe de raisin attachée à son péduncule ; conformation semblable à celle des foies dégénérés dont nous avons parlé plus haut.

Les deux systèmes qu'on vient d'exposer partageront toûjours les savans. Ceux qui aiment une précision scrupuleuse dans les faits, adopteront l'opinion de Ruysch. Celle de Malpighi entraînera ceux qui cherchent dans un système ce haut degré de vraisemblance qui différe si peu de la vérité, & qui flate plus une imagination vive. (g)

FOLLICULE, (Chirurg.) sac ou kyste, semblable à une membrane qui renferme la matiere des arbres irréguliers ou enkystés, tels que le stéatome, l'athérome, & le mélicéris. V. ces mots & KYSTE. (D.J.)


FOLLIS(Hist. anc.) petite monnoie de cuivre d'abord, ensuite d'argent, dont on ignore la valeur précise : on l'égale à celle du ceration & du quadrans. Les habitans de Constantinople en payoient deux tous les ans pour la réparation des murailles. On donne aussi le nom de follis à un impôt créé par Constantin le grand.


FOMAHAUou FOMALHAUT, s. m. (terme d'Astronomie) c'est le nom d'une étoile de la premiere grandeur, qui est dans l'eau de la constellation du Verseau. Voyez aux mots ASCENSION & DECLINAISON la position de cette étoile. D'autres écrivent phomalhaut, & d'autres fomahan & phomahan. (O)


FOMENTATIONS. f. (Pharmacie & Thérapeut.) la fomentation est une espece d'épitheme caractérisée par la circonstance d'être appliquée à chaud. Voyez éPITHEME.

La fomentation est ou liquide ou seche. La premiere se compose des décoctions ou des infusions de diverses parties des végétaux ; on en fait aussi quelquefois avec le vin, l'oxicrat, le lait tiede, les huiles par expression, l'eau-de-vie, l'urine, &c.

La plûpart des remedes externes peuvent s'appliquer sous forme de fomentation : ainsi on peut faire des fomentations émollientes, discussives, répercussives, résolutives, fortifiantes, stupéfiantes, &c. Voy. ces articles.

Les fomentations sont assez communément employées dans le traitement des affections extérieures ; il y a apparence qu'on néglige trop ce secours dans la curation des maladies internes ; on ne les met plus en usage que dans l'inflammation des visceres du bas-ventre & la retention d'urine. Voyez INFLAMMATION, RETENTION D'URINE. Les fomentations appliquées sur le bas-ventre dans les plaies pénétrantes de cette partie, ou après les opérations de Chirurgie faites sur les visceres qu'il renferme, comme la taille, la réduction des hernies, &c. sont destinées à prévenir des affections intérieures. La fomentation la plus usitée dans ce cas, est composée d'huile rosat & de vin.

La maniere d'appliquer les fomentations liquides, c'est d'en imbiber des linges ou des flanelles, & de les étendre mollement sur la partie.

Les fomentations seches qui sont fort peu usitées, sont plus connues sous le nom d'épitheme sec, & plus encore sous ceux que portent les especes particulieres d'épitheme. Voyez EPITHEME. (b)


FONCEAU(Manége) petite platine étampée en petite portion circulaire, armée de quatre queues d'aronde, ayant un biseau dans les parties qui les séparent, pour être rivées aux extrémités du canon du mors dont elles bouchent exactement l'orifice. Voyez MORS. (e)

* FONCEAU, s. m. (Verrerie) c'est une espece de table sur laquelle on fait le pot ; il en faut cinquante ou soixante, chacune de trente-un ou deux pouces en quarré, de plusieurs planches jointes & cloüées sur deux morceaux de chevron. Les coins de ces tables sont arrondis ; sur les soixante, il doit y en avoir deux de 33 pouces en quarré. C'est sur celles-ci qu'on fait le fond du pot ; il faut qu'il y en ait une des trois qui soit couverte d'une toile grossiere. Voyez l'article VERRERIE.


FONCÉES. f. (Ardoiserie) terme usité dans le percement & l'exploitation des mines d'ardoises. Voyez l'article ARDOISE.


FONCEMENT DE PIÉFONCER DU PIÉ, (Bas au mét.) c’est une des manœuvres du travail du bas au métier. Voyez cet article.


FONCERen terme de Boissellier, c'est donner à une planche la figure de la piece qu'on veut à son extrémité inférieure, pour retenir ce que cette piece doit contenir.

* FONCER LA SOIE, terme de Gazier ; c'est baisser la soie après qu'elle a été levée pour y lancer la navette ; on se sert pour cela d'un instrument appellé le pas dur, & du bâton rond. Voyez GAZE.

FONCER, parmi les Pâtissiers, c'est préparer un morceau de pâte pour faire le fond d'un pâté, d'une tourte, ou toute autre piece de pâtisserie.

* FONCER, en terme de Raffinerie, c'est applanir la pâte du pain, & la rendre le plus unie qu'il est possible. On coupe pour cela le sucre dans les endroits trop élevés avec le couteau croche ; on l'amene dans les creux, & on les tape avec la truelle. Voyez COUTEAU, CROCHE & TRUELLE.


FONCETS. m. terme de riviere, sorte de bateau qui est des plus grands dont on se serve sur les rivieres. Il y en a qui ont 28 toises entre chef & quille, sans le gouvernail.

Le grand-maître a 37 toises de long, y compris le gouvernail.

Description de la construction d'un foncet & des pieces qui le composent. Pour la construction d'un bateau de 170 piés de longueur, à compter du pié du chef jusqu'au pié de la quille.

Le chef commence de dessus la planche du fond en-avant, & contient en montant jusqu'au nez 22 piés de longueur.

Du pié de la quille qui est sur le derriere en montant jusqu'au haut, il y a environ deux piés & demi de pente.

L'on donne à un pareil bateau, 22 piés de largeur dans son milieu.

Pour le construire, l'on commence par poser à plat des planches des deux côtés qui ont trois pouces d'épaisseur, que l'on nomme semelles.

Au bout de ces semelles en-avant, l'on y pose deux planches de la même épaisseur, que l'on nomme des ailes, qui arrondissent le fond de devant du bateau.

Et en-arriere l'on met aussi deux ailes de même épaisseur que les semelles, qui vont en arrondissant joindre la quille.

En-dedans de ces semelles & de ces ailes, l'on met à plat des contre-semelles ; ce sont des planches sciées en chanlatte, qui ont 3 pouces d'épaisseur du côté qui joint les semelles & les ailes, & du côté du fond seulement deux pouces & demi.

Les autres planches qui sont en-dedans de ces contre-semelles qui garnissent le fond (raison pour laquelle on les nomme planches de fond) ont 2 pouces & demi d'épaisseur, & doivent être toutes de hêtre.

Ces planches de fond sont jointes & retenues ensemble avec des bouts de merrain de 6 pouces que l'on nomme tasseaux, & que l'on pose à trois piés & demi de distance les uns des autres sur la jointure de deux planches, & l'on remplit les jointures entre les tasseaux avec des pieces de merrain de trois piés & demi de longueur, que l'on cloue, ainsi que les tasseaux, avec du clou à tête de diamant pour une plus longue durée.

La quille est une piece de bois que l'on met debout à l'extrémité de derriere ; elle a 14 piés de hauteur sur 12 à 14 pouces d'épaisseur ; elle est sciée en chanlatte, & le côté du gouvernail n'a que 6 à 7 pouces d'épaisseur.

Par-dessus les aîles de devant, l'on place de chaque côté quatre petites lambourdes ; ce sont des planches qui ont comme celles du fond, deux pouces & demi d'épaisseur ; elles sont plus longues les unes que les autres, & ont 15 à 16 pouces de largeur & même plus par le bout qui prend dessus le chef, & elles viennent en diminuant se fermer sur le fond, où elles se trouvent réduites à 7 ou 8 pouces de largeur, & on les cloue sur les aîles avec de gros clous aigus.

L'on met aussi de chaque côté par-dessus ces quatre petites lambourdes, trois grandes lambourdes ; ce sont des planches aussi de deux pouces & demi d'épaisseur, & plus longues les unes que les autres : la premiere doit avoir, quand cela se peut trouver, 30 à 35 piés de longueur ; la seconde 40 à 45 piés ; & la troisieme 50 à 55 piés : elles ont de même 15 à 16 pouces de hauteur, & même plus du côté du pié du chef, & vont en diminuant se fermer sur le fond, où elles se trouvent réduites à 7 à 8 pouces de hauteur.

Il ne se met que trois lambourdes derriere de chaque côté, de deux pouces & demi d'épaisseur, sur 18 à 20 pouces de hauteur en montant à la quille, & elles vont en diminuant aussi de moitié se fermer sur le fond.

Entre les lambourdes de devant & celles de derriere, pour clorre la bordaille on met de chaque côté deux planches que l'on nomme rebords, qui ont 3 pouces d'épaisseur sur 18 à 20 pouces de largeur, & 40 à 45 piés de longueur, dont on encloue sur le fond, c'est-à-dire contre les semelles, environ 30 à 32 piés, & le surplus qui est le même bout, monte sur les côtés des lambourdes de devant & de derriere.

Par-dessus les rebords & les lambourdes, on met un tour de planches qui ont deux pouces & demi d'épaisseur, & de 16 à 17 pouces de hauteur, qui prennent des deux côtés du bateau depuis le chef jusqu'à la quille ; ce qui forme avec les rebords le second bord, dont on donne 2 pouces à chaque bord.

Par-dessus ce tour de planches on en met un pareil qui prend aussi du chef à la quille, de la même épaisseur & pareille hauteur ; ce qui fait le troisieme bord.

Et par-dessus ce troisieme bord on met la sous-barque ; c'est un quatrieme tour de planches qui prend de même du chef à la quille, à la réserve qu'elles ont 3 pouces d'épaisseur sur 20 à 22 pouces de hauteur.

Toutes ces planches de tour sont encouturées avec des clous aigus & des clous à clan, & l'on met des agnans en-dedans pour retenir les pointes desdits clous à clan.

L'on met sur les planches du fond du bateau 60 & tant de rables, qui ont 9 pouces de hauteur & 9 pouces de marche, & 55 à 60 pieces de lieure de même hauteur en largeur ; ces rables & ces lieures sont posés en-travers dudit bateau, & le bras de lieure monte contre la bordaille pour la retenir ; on les place tant vuide que plein.

A la levée de devant au lieu de rables, on y met sept crochuaux ; ce sont des pieces de bois ceintrées qui s'entaillent dans le chef, & qui montent des deux côtés de la levée, où ils sont retenus avec de bons boulons de fer & des chevilles.

Les rables & les lieures sont seulement retenus avec de bonnes chevilles, dont la tête est par-dessous le fond du bateau.

Sur chaque bout des rables, il se place un clan à bosse de huit pouces en quarré, plus fort en haut contre la sous-barque, qu'en-bas pour soûtenir le porte-l'eau.

Et sur le bout des pieces de lieure, l'on met aussi contre la bordaille un clan simple, moins gros que le clan à bosse.

Tous les bras du lieure & tous les clans sont retenus avec de bonnes chevilles en bordaille ; & pour plus de sûreté on met un boulon de fer dans chaque bras des pieces de lieure.

Il y a des liernes en-dedans du bateau, de bout en bout le long de la bordaille : ce sont des planches de deux pouces & demi d'épaisseur, sur 5 à six pouces de hauteur, qui sont entaillées dans les clans & dans les bras des lieures, ces liernes servent à mettre des jambes de filleu, & d'autres jambes pour retenir les rubans du mât.

Par-dessus la hauteur des clans & des bras de lieure, on met des portelots ; ce sont des pieces de bois de 10 pouces d'épaisseur & 10 pouces de marche, sciées en chanlatte, que l'on pose en-dedans & le long du bateau, sur lesdits clans & bras de lieure, à la hauteur de la sous-barque.

Et devant & derriere du bateau pour fermer au chef & à la quille, on met des allonges de portelots ; ce sont des pieces de bois ceintrées & de pareille grosseur que les portelots, qui vont en tournant des deux côtés, tant du chef que de la quille, qui sont aussi posés sur partie de clans & des bras de lieure, & sur les crochuaux, à la hauteur de la sous-barque.

Les portelots & allonges de portelots sont retenus ensemble avec une bande de fer dessus, entaillée dans lesdits portelots & allonges, & une autre bande de fer au côté en-dedans, avec de gros clous aigus, & en outre deux boulons que l'on met en-dehors qui traversent la sous-barque, & l'un le portelot, & l'autre l'allonge, puis les deux bouts de la bande de fer en-dedans du bateau, auxquels boulons l'on met en-dedans des écriteaux pour les retenir.

Les arcillieres sont des pieces de bois de 30 à 35 piés de longueur, d'un pié de hauteur & de 17 à 15 pouces de marche, ceintrées & tournantes, que l'on pose sur les allonges de portelots en-devant du bateau des deux côtés, & dont l'épaisseur diminue en montant au chef.

Les arcillieres de derriere sont aussi ceintrées & tournantes, ont 25 à 26 piés de longueur, un pié d'épaisseur, & 14 à 15 pouces de marche ; elles se posent pareillement sur les clans à bosse & bras de lieure des deux côtés de derriere en-dedans du bateau, & viennent se fermer à la quille en diminuant aussi de leur épaisseur.

Entre les arcillieres de devant & celles de derriere, il se met de chaque côté du bateau trois platbords ; ce sont des pieces de bois d'un pié de hauteur & de 15 pouces de largeur ou de marche ; elles se posent sur les portelots, & s'étendent aussi sous la sous-barque.

Ces plat-bords sont retenus aux écarts, c'est-à-dire à leur jonction, avec les arcillieres de trois bandes de fer entaillées dans le bois, savoir une bande dessus, une en-dehors, & l'autre en-dedans, avec de bonnes fiches de fer & de bons boulons, garnis d'écriteaux, comme il est dit ci-dessus.

A 7 à 8 piés du bout du chef, l'on place un seuil ; c'est une piece de bois de 7 à 8 pouces de hauteur, sur 18 pouces de marche, que l'on pose en-travers sur les arcillieres des deux côtés, & qui est retenue avec deux boulons & des fichenards dont les boulons percent au-travers des sous-barques. C'est au milieu de ce seuil que l'on place la bitte.

A 15 ou 16 piés du bout du chef, on place deux courbes, une de chaque côté ; elles sont chacune retenues d'un bon boulon qui perce la sous-barque, l'allonge du portelot, & qui traverse encore la courbe ; & d'un autre boulon au pié de la courbe, qui porte dessus le rable.

La levée dudit bateau se place entre lesdites courbes & le seuil.

En-deçà desdites courbes on met un chantier ; c'est une piece de bois de 7 pouces de hauteur, sur 8 pouces de marche, qui se pose en-travers sur les arcillieres de chaque côté, ainsi que le seuil.

A deux piés & demi ou trois piés de la quille, on met un seuil ; c'est une piece de bois de 6 pouces de hauteur sur 15 à 16 pouces de marche, que l'on pose aussi en-travers sur les arcillieres des deux côtés de derriere ; & c'est au milieu de ce seuil que l'on pose le bitton.

A 22 à 24 piés en-avant de la quille, on place deux courbes, une de chaque côté ; & elles sont retenues de la même maniere que les deux courbes de devant.

La bitte, le bitton & les quatre courbes sont des morceaux de bois arrondis de 14 à 15 pouces de diamêtre, sur un pié & demi ou environ d'élévation par-dessus les seuils & les arcillieres, & ils servent à fermer les cordes.

Entre la quille & les deux courbes de derriere, il se construit une travûre & un emprunt ; l'emprunt est sous le bitton.

La galerie est faite en-avant de la travûre ; elle contient trois piés de largeur, & elle se trouve placée entre & vis-à-vis les deux courbes de derriere.

Attenant cette galerie se trouve le chantier de derriere, il s'y place à une certaine distance six matieres, pour composer dans ledit bateau sept greniers, outre le dessus de la levée, de la travûre, & de l'emprunt. Les six matieres sont six pieces de bois de 7 pouces d'épaisseur, sur 16 à 17 pouces de marche ; elles sont mises en-travers, & sont portées & entaillées sur & dans les plats-bords de chaque côté ; elles y sont chacune retenues avec deux petites bandes de fer de chaque côté, entaillées & cloüées avec des clous aigus, & en outre un bon boulon qui prend dans la sous-barque, traverse le portelot, & dont le même bout qui sort au-dessus de la matiere, y est retenu avec un écriteau & une ruelle.

Sous chaque matiere il se met un potelet de 6 pouces en quarré, dont un bout est entaillé dans le rable, & l'autre entaillé sous le milieu de la matiere pour la soûtenir, & en même tems pour empêcher le fond du bateau de s'élever.

Il se perce dans la quille quatre trous à distance égale, pour y mettre quatre verrelles ; ce sont des especes de gonds, auxquels le gouvernail est accroché.

Le gouvernail est composé de plusieurs planches, qui toutes ensemble ont par en-bas 25 piés de largeur, & par le haut environ 14 ou 15 piés ; elles sont retenues par sept barres de bois de chaque côté, posées à distance à-peu-près égale en-travers desdites planches, & cloüées avec de bons clous.

La crosse a environ 60 piés de longueur dont le gros bout est quarré, avec une entaille d'environ un demi-pié de profondeur, dans laquelle entrent les planches du gouvernail, sur lesquelles la crosse est posée ; l'autre bout est arrondi & vient jusqu'au grenier, qui est en avant de la travûre.

Pour pousser cette crosse & dresser le bateau, il se pratique en-avant & attenant la galerie une élévation, au moyen de trois bouts de planches qui sont debout sur les plat-bords de chaque côté, sur lesquelles il s'en place trois autres en-travers, garnies de tasseaux que l'on nomme planches de harnois, sur lesquelles monte le pilote ; & au bout de la crosse l'on ferme une enfouaille ; c'est une petite corde qui sert à retenir le bout de la crosse lorsqu'il s'écarte du bateau.

L'on met quatre crampons, savoir deux de chaque côté de la levée du dedans du bateau, qui prennent dans les allonges dix portelots, comme dans les arcillieres, pour fermer les cordes d'un vindas pour barrer le bateau quand il est demeuré.

L'on met aussi en tête du chef, c'est-à-dire sur le nez du bateau, un anneau pour y fermer une bitte, qui est un bout de corde, servant à retenir la flette devant le bateau, pour le dresser quand il va en avalant.

On ne donne point l'explication du mât.

Le filleu est une piece de bois ronde, plus grosse que le mât, laquelle se place en-travers du bateau, quelques greniers en-arriere de celui où est planté le mât ; elle est retenue par de grosses cordes passées dans les liernes de chaque côté, que l'on nomme des jambes, ainsi qu'il a été dit ci-devant, sur lequel filleu l'on ferme le bout des cordes de traits & autres qui sont passées par le mât, pour servir au montant du bateau.

* FONCET, (Serrurerie) est dans une serrure une piece qui se substitue à la couverture, & sur laquelle se monte le canon de la serrure, quand il y en a un. On y pratique l'entrée de la clé. Voyez, dans nos Planches en A, un foncet ; en B, un foncet un pas dedans ; & en C, le pié du foncet.


FONCIERS. m. (Jurisp.) se dit de tout ce qui est inhérent au fond de terre & à la directe ou propriété ; comme une charge ou rente fonciere. Le cens & la dixme sont des charges foncieres. Le seigneur foncier est celui auquel les cens, saisines & desaisines ou la rente fonciere sont dûs. En Artois, c'est celui qui n'a pour mouvances que des biens en roture. Justice fonciere, c'est la basse justice qui, dans quelques coûtumes, appartient au seigneur foncier. Voyez CHARGE FONCIERE, JUSTICE FONCIERE, RENTE FONCIERE, SEIGNEUR FONCIER. (A)


FONCTIONS. f. (Algebre) les anciens géometres, ou plûtôt les anciens analystes ont appellé fonctions d'une quantité quelconque x les différentes puissances de cette quantité (voyez PUISSANCE) ; mais aujourd'hui on appelle fonction de x, ou en général d'une quantité quelconque, une quantité algébrique composée de tant de termes qu'on voudra & dans laquelle x se trouve d'une maniere quelconque, mêlée, ou non, avec des constantes ; ainsi x2 + x3, , , dx , &c. sont des fonctions de x.

De même x2 y + a y3, &c. est une fonction de x & de y, & ainsi des autres.

Tous les termes d'une fonction de x sont censés avoir la même dimension ; quand ils ne l'ont pas, c'est qu'il y a une constante sousentendue qu'on prend pour l'unité, ainsi dans x2 + x3, on doit regarder x2 comme égale à a x2, a étant l'unité.

Quand la fonction n'est ni fraction ni radical, sa dimension est égale à celle d'un de ses termes. Ainsi la fonction x2 + x3 est de trois dimensions.

Quand la fonction est une fraction, la dimension est égale à celle du numérateur moins celle du dénominateur. Ainsi est de dimension 1, est de dimension - 1, & est de dimension nulle. Voyez TAUTOCHRONE & INTEGRAL.

Quand la fonction est radicale, sa dimension est égale à celle de la quantité qui est sous le signe, divisée par l'exposant du radical ; ainsi est de 1/2 = 1 dimensions, x & d x sont de 1 + 2/3 = 5/3 dimensions, &c. & ainsi des autres.

Fonction homogene est une fonction de deux ou plusieurs variables x, y, &c. dans laquelle la somme des dimensions de x, y, &c. est la même.

Ainsi x2 y + a x3 + b y3 est une fonction homogene ; il en est de même de , &c. Voyez HOMOGENE & INTEGRAL.

Fonctions semblables sont celles dans lesquelles les variables & les constantes entrent de la même maniere ; ainsi a a + x x & A A + X X sont des fonctions semblables des constantes A, a, & des variables X, x. (O)

FONCTION, (Economie animale) est une action correspondante à la destination de l'organe qui l'exécute. Ainsi la fonction de la poitrine est la respiration ; celle de la langue est l'articulation des sons, le goût, &c. cependant les Medecins n'entendent guere, par ce terme, que les actions qui, outre qu'elles sont relatives à la destination des organes, sont en même tems sensibles : ainsi ils n'ont pas mis la circulation, mais le pouls au rang des fonctions, parce que la circulation ne tombe pas sous les sens : ils ne mettent pas non plus la chaleur en ce rang, parce qu'on ne la conçoit pas comme une action, mais comme une qualité ou une disposition du corps, qu'on peut considérer indépendamment du mouvement sensible des parties.

Comme on a reconnu de tout tems, qu'un être infiniment sage est l'auteur de notre corps & de ses divers organes ; on a aussi senti qu'il avoit arrangé & disposé toutes les pieces de cette admirable machine, selon des vûes ou des destinations : & c'est pour remplir ces vûes qu'elles agissent ; en conséquence de quoi, on appelle fonctions ces actions, comme étant faites pour s'acquiter d'un devoir auquel leur structure & leur position les engagent. Tout mouvement sensible d'un organe n'est donc pas une fonction ; un membre qui tombe par sa gravité ou par une impulsion extérieure, ne fait pas en cela sa fonction.

On divise les fonctions comme les qualités qui en sont les principes : il y en a qui sont communes aux végétaux, telles que la nutrition, digestion, génération, secrétion ; les autres sont propres aux animaux, telles que la sensation, l'imagination, les passions, la volition, les mouvemens du coeur, de la poitrine, des membres, &c. On les soûdivise en saines & en lésées.

Les Medecins sont partagés au sujet du principe de certaines fonctions, comme des mouvemens naturels, tels que celui du coeur, de la poitrine ; les uns & les autres croyent que l'ame en est la puissance mouvante : quoique ces mouvemens ne soient pas libres, ils prétendent qu'il ne faut pas multiplier les êtres sans nécessité, & que la force mouvante de l'ame n'est pas toûjours déterminée à agir par la volonté ni par la notion distincte du bien & du mal ; & ils alleguent en preuve les passions & les actions que nous faisons, en dormant ou par coûtume : les autres prétendent qu'on ne doit rapporter à l'ame, comme principe, que les actions dont elle a pleine connoissance, & que sa volonté détermine ; encore même ne veulent-ils reconnoître pour volontaires que celles que nous faisons volontiers, & non celles que nous faisons par force & malgré nous : ils attribuent celle-ci au pouvoir des machines ; ils prétendent que les machines ont un pouvoir d'agir, d'augmenter le mouvement, indépendamment d'aucun moteur, ou ne reçoivent pour moteur que la matiere subtile, le ressort de l'air, des fibres ; ils prétendent même que le mouvement, une fois imprimé à nos organes, ne se perd jamais, & qu'on n'a que faire de chercher ailleurs le principe de nos actions naturelles : telle est la controverse qui regne parmi les Medecins & les Chimistes ou prétendus Méchaniciens. V. OECONOMIE ANIMALE, NATURE, MOUVEMENT, (Med.) PUISSANCE MOTRICE, (Econ. anim.) &c. (d)

FONCTIONS, dans l'imprimerie, sont de certaines dispositions & préparations que chaque ouvrier est obligé de faire, suivant le genre de travail auquel il est destiné. Les fonctions du compositeur sont de distribuer de la lettre, mettre en page, d'imposer, de corriger ses fautes sur la premiere & sur la seconde épreuve, & d'avoir soin de ses formes jusqu'à ce que la derniere épreuve étant corrigée, elles soient en état d'être mises sous presse. Les fonctions des ouvriers de la presse, sont de tremper le papier & de le remanier, carder la laine & préparer les cuirs pour les balles, les monter, & démonter, broyer l'encre tous les matins, faire les épreuves, laver les formes, & les mettre en train : comme il y a le plus ordinairement deux ouvriers à une presse, les fonctions se partagent entre les deux compagnons.


FONDS. m. & au pluriel fonds. Ce mot à plusieurs acceptions analogues entr'elles, tant au propre qu'au figuré.

Fond signifie premierement la partie la plus basse d'un tout. Le fond d'un puits, le fond d'une riviere, le fond de la mer, de fond en comble, c'est-à-dire de bas en-haut ; (on prononce de font-en-comble, ce qui fait voir qu'il faut écrire fond au singulier sans s) le fond du panier. Bâtir dans un fond, c'est bâtir dans un lieu bas : il faut mettre un fond à ce tonneau, c'est-à-dire qu'il y faut ajoûter des douves qui serviront de fond.

Le fond des forêts, le fond d'une allée ; il s'est retiré dans le fond d'une solitude, dans le fond d'un cloître.

2°. Fond signifie aussi profondeur ; ce haut-de-chausse n'a pas assez de fond, c'est-à-dire de profondeur. La digestion se fait dans le fond de l'estomac ; un fossé à fond de cuve est un fossé sec & escarpé des deux côtés, à l'imitation d'un vase : on dit familierement déjeuner à fond de cuve, c'est-à-dire amplement. En terme de jeu on dit aller à fond, pour dire écarter autant de cartes qu'on peut en prendre dans le talon. En terme de Marine, le fond de cale est la partie la plus basse du vaisseau ; c'est celle où l'on met les provisions & les marchandises.

Prendre fond, c'est jetter l'ancre : couler à fond se dit dans le sens propre d'un vaisseau qui se remplit d'eau & s'enfonce. On dit par figure d'un homme, dont la fortune est renversée, qu'il est coulé à fond.

On dit encore, en terme de Marine, donner fond, c'est-à-dire jetter l'ancre. On sonde quelquefois sans trouver fond. Un bon fond dans le sens propre, en terme de Marine, veut dire un bon ancrage, c'est-à-dire que le fond de la mer se trouve propre à retenir l'ancre : bas-fond est un endroit de la mer où il y a peu d'eau, où l'eau est basse.

Il y a des carrosses à deux fonds. On dit par métaphore le fond de l'ame, le fond d'une affaire ; ce qu'il y a de plus caché, ce qui fait le noeud de la difficulté : on dit aussi en ce sens le fond du sac.

On dit qu'il ne faut point qu'on sache le fond de notre bourse, pour dire ce que nous avons de biens ou d'argent.

A fond, c'est-à-dire pleinement ; il a parlé à fond de, &c. Connoître à fond, c'est connoître l'origine, la vie, l'esprit, la conduite, & les moeurs de quelqu'un.

Au fond, sorte d'adverbe de raisonnement, pour dire au reste, si l'on veut bien y faire attention.

3°. Fond se prend aussi dans le sens propre pour le terrein, pour ce qui sert de base. On a planté ces arbres dans un bon fond ; un bon fond de terre. On ne doit pas bâtir sur le fond d'autrui. On dit d'un seigneur qu'il est riche en fonds de terre, in fundis terrae ; en sorte que, selon M. Ménage, fonds est alors au pluriel.

Le fond d'un tableau, c'est ce qui sert comme de base & de champ aux figures ; c'est ainsi que l'on dit que le fond du damas est de taffetas, & que les fleurs sont de satin.

4°. Fond se dit par extension pour propriété, & alors il est opposé à usufruit : la veuve n'a que l'usufruit de son doüaire ; les enfans en ont le fond ou la propriété.

5°. Fond se dit par imitation d'une somme d'argent qu'on amasse & qu'on destine à certains usages. Faire un fond pour bâtir, pour joüer, &c. On dit d'un joüeur qu'il est en fond ou en fonds au pluriel, pour dire qu'il a de l'argent comptant.

Fond, dans le même sens, se dit pour le capital d'une somme d'argent : aliéner son fond à la charge d'une rente qui tient lieu de fruits. Quand on donne de l'argent à rente viagere, pour en retirer un denier plus fort, on dit qu'on l'a placé à fond perdu.

6°. Fond se dit aussi par figure des choses spirituelles, comme on le dit d'étendue. Un fond d'esprit, de bon sens, de vertu, de probité, &c.

On dit faire fond sur quelqu'un ou sur quelque chose, y compter, s'en croire assuré. L'abbé de Bellegarde dit qu'il ne faut pas toûjours faire fond sur les personnes qui se répandent en témoignages extérieurs de politesse.

M. de Vaugelas, remarques, tom. II. pag. 314. dit que fond & fonds sont deux choses différentes ; car fond sans s, dit-il se dit en latin hoc fundum, c'est la partie la plus basse de ce qui contient, comme le fond du tonneau, le fond du verre : mais fonds avec un s se dit en latin hic fundus ; & c'est proprement la terre qui produit des fruits, & par figure tout ce qui rapporte du profit. Mais le docte Ménage desapprouve ce sentiment de Vaugelas ; il ne connoît en latin que fundus, & ajoûte que si l'on dit, il n'y a point de fonds, c'est qu'alors fonds est au pluriel, nulli sunt fundi.

Il est vrai que quelques-uns de nos dictionnaires ont adopté fundum, i, mais c'est sans autorité ; fundum n'est que l'accusatif de fundus. Danet & le pere Joubert ne reconnoissent que fundus.

Quoique le thrésor d'Etienne mette fundum, i, après Laurent Valle, dit l'auteur du Novitius, cependant ni l'un ni l'autre n'en apportent aucune autorité.

Martinius dit qu'on trouve fundum & fundus dans Calepin & dans quelques autres dictionnaires : sed de primo nullum exemplum, nec hoc fundum apud idoneos autores reperias.

Faber, dans son thrésor, ne met que fundus, & ajoûte, comme s'il vouloit répondre à Vaugelas : non audiendi sunt grammatici & lexicographi recentiores, qui inter fundus & fundum distinguunt, ut fundus de agro, fundum de imo cujusque rei dicatur ; neque verò id exemplis probari potest.

Je me suis peut-être trop étendu sur un article aussi peu important ; je finis par ces paroles de Thomas Corneille, dans sa note sur la remarque de Vaugelas, tom. II. pag. 316. " Je suis ici du sentiment de M. Ménage, & cela me fait écrire fond sans s, & jamais fonds, à-moins que ce mot ne soit au pluriel ". (F)

FOND, (Jurispr.) s'entend de plusieurs choses différentes.

Fond, en tant qu'il est opposé à la forme, signifie ce qui est de la substance d'un acte, ou ce qui fait le vrai sujet d'une contestation : on dit communément que la forme emporte le fond, c'est à-dire que les exemptions péremptoires, tirées de la procédure, font déchoir le demandeur de sa demande, quelque bien fondée qu'elle pût être par elle-même, abstraction faite de la procédure : on dit conclure au fond, pour distinguer les conclusions qui tendent à faire décider définitivement la contestation de celles qui tendent seulement à faire ordonner quelque préparatoire. (A)

Biens - FONDS, sont les terres, maisons, & autres héritages ; ils sont ainsi appellés, pour les distinguer des immeubles fictifs, tels que les rentes foncieres & constituées, les offices, &c. (A)

FONDS, est pris souvent pour l'héritage tout nud, c'est-à-dire abstraction faite des bâtimens qui peuvent être construits dessus ; les bois de haute-futaie & les fruits pendans par les racines font partie du fonds. On distingue quelquefois le fonds de la superficie de l'héritage ; mais la superficie suit le fonds, suivant la maxime superficies solo cedit. Quand on veut exprimer que l'on cede non-seulement la superficie d'une terre, mais aussi tout le fonds, sans aucune réserve, on cede le fonds & très-fonds de l'héritage, c'est-à-dire jusqu'au plus profond de la terre, de maniere que le propriétaire y peut fouiller comme bon lui semble, en tirer de la pierre, du sable, &c. (A)

FONDS DE TERRE, signifie ordinairement la propriété d'une portion de terre, soit qu'il y ait un édifice construit dessus ou non. On entend aussi quelquefois par fond de terre, la redevance qui le représente, telle que le cens ou la rente fonciere ; c'est en ce sens que l'on joint souvent ces mots cens & fonds de terre, comme synonymes. L'auteur du grand coûtumier, & autres anciens auteurs, ont pris ces termes fonds de terre pour le premier cens, appellé dans les anciennes chartres fundum terrae. Voyez la Thaumassiere sur le chap. xxjv. de Beaumanoir ; Brodeau sur l'art. 74. de la coûtume de Paris, verbo cens ou fonds de terre. Voyez aussi CENS. (A)

FOND DOTAL, est un immeuble réel que la femme s'est constitué en dot. La loi julia de fundo dotali défend au mari d'aliéner le fonds dotal de sa femme ; mais quand le fonds dotal est estimé par le contrat de mariage, cette estimation équivaut à une vente, & dans ce cas le mari est seulement débiteur envers sa femme du montant de l'estimation, & peut aliéner le fonds dotal. Voyez DOT. (A)

FONDS PERDU, est un principal qui ne doit point revenir au créancier qui a prêté son argent à rente viagere.

Donner un héritage à fonds perdu, c'est le donner à rente viagere.

L'édit du mois d'Août 1661, fait défenses de donner aucuns héritages ni deniers comptans à fonds perdu à des gens de main-morte, si ce n'est à l'Hôpital général, l'Hôtel Dieu ou aux Incurables. (A)

FOND, en terme de Marine ; c'est la terre ou sable qu'on trouve sous les eaux : on lui donne différens noms, suivant la nature du terrein ou du sable ; par exemple, on dit fond de sable, fond de vase, fond de coquillages pourris, fond d'équilles, &c. ce sont de petits coquillages de la grosseur d'un ferret d'éguillette, & qui se terminent en pointe. Lorsque le fond est uni, ni trop dur ni trop mou, & que l'ancre y entre aisément & y tient bien, on dit bon fond ; lorsqu'il y a des roches aiguës, qui gâtent ou peuvent couper les cables, on l'appelle mauvais fond. (Z)

FOND DE CALE, (Marine) c'est la partie la plus basse du vaisseau, comprise entre le premier pont & le fond du vaisseau. On partage cette étendue en plusieurs parties destinées à différens usages. Voy. Planche IV. de Marine, fig. 1. n. 31. Le fond de cale avec ses différentes divisions ; savoir, n°. 40. fosse aux lions, 42. fosse aux cables, 44. chambre aux voiles, 46. soute du chirurgien, 47. parquet des boulets, 55. soutes aux poudres pour y mettre les barrils à poudre, 56. caissons à poudre pour les gargousses, 61. soutes au pain, 62. couroir des soutes, 65. soute du capitaine, 66. soute du canonnier. (Z)

FOND DE VOILE ; c'est le milieu d'une voile par le bas, & ce qui retient le vent par le milieu. (Z)

FOND DE LA HUNE, ce sont les planches qu'on pose sur les barres de la hune, & sur lesquelles on marche. (Z)

FOND, dans le Commerce, signifie le capital ou le fonds que possede un commerçant, compagnie ou corps ; ou bien c'est la somme d'argent qu'il met dans le commerce. Voyez CAPITAL, &c.

Dans ce sens, nous disons en général fond, pour signifier les fonds publics, c'est-à-dire ce qui appartient aux compagnies ou corps célebres du royaume, comme la compagnie de la banque, de la mer du Sud, des Indes orientales. Voyez BANQUE, COMPAGNIE, &c.

Fonds signifie encore toutes les marchandises d'un marchand. Ce négociant s'est retiré : il a vendu son fonds. Il se dit pareillement des machines, métiers, instrumens servans à une manufacture, &c. (G)

FOND, en Peinture, signifie ou les derniers plans d'une composition, ou le champ qui entoure un objet peint.

Ce dernier sens comprend les préparations sur lesquelles on ébauche un tableau, c'est-à-dire l'apprêt ou les premieres couches de couleurs dont on couvre la toile, le bois, le cuivre, ou la muraille sur laquelle on veut peindre.

Il me semble que les Artistes laissent souvent à l'habitude, à l'exemple, ou au hasard, à décider de la couleur sur laquelle ils commencent à ébaucher leurs ouvrages ; je crois cependant que cette partie de leur art, ainsi que plusieurs autres qui paroissent de médiocre conséquence, devroient être quelquefois l'objet de leurs recherches, de leurs épreuves, & de leurs reflexions.

Il est vrai qu'il est des peintres difficiles, qui dans l'indécision de leur composition, qu'ils n'ont point assez réfléchie, couvrent plusieurs fois leurs ébauches, & substituent des masses claires à des masses sombres, en cherchant leur effet. Pour ces peintres, le premier apprêt ne peut devenir l'objet de leur combinaison ; mais un peintre facile ou prudent, qui se feroit une loi de ne commencer un tableau qu'après avoir fait une esquisse arrêtée, pourroit se décider sur le premier apprêt, pour rendre par son moyen ses masses claires plus brillantes, & pourroit, en ménageant sa couleur, leur donner un transparent, qui serviroit à mieux imiter l'éclat de la lumiere.

Rubens, cet artiste à la fois facile & profond, cet homme de génie, qui a vû la Peinture en grand, a sû tirer parti du fond de ses tableaux & des glacis, & c'est aux artistes de cette classe que les pratiques même les plus dangereuses fournissent des ressources & des beautés ; il peignoit souvent sur des fonds blancs ; mais pour éviter l'inconvenient que peuvent avoir les fonds de cette couleur dans les grandes masses d'ombres, ne pourroit-on pas, d'après une esquisse bien arrêtée, faire préparer son fond par grandes masses blanches & brunes, & cette pratique ne vaudroit-elle pas mieux que celle de peindre sur des fonds gris, bruns, ou rouges, qu'on regarde comme des fonds indifférens, & qui en effet ne sont favorables ni aux masses claires, ni aux masses d'ombres ? mais en voilà assez pour les artistes intelligens, & trop pour ceux qui, esclaves de l'habitude, croyent que ce qu'ils n'ont pas vû faire à leurs maîtres ne peut être bon.

Après avoir parlé de l'apprêt qui fait le principal fond général du tableau, je vais dire quelque chose du champ particulier sur lequel se trouvent les objets que renferme un tableau.

Ce qui distingue les objets les uns des autres, c'est l'opposition des nuances claires & obscures. Dans tous les objets qu'offre la nature, la nuance que présente le côté éclairé d'un corps, fait paroître celui qui est à côté plus teinté. La partie ombrée produit l'effet contraire ; sans cette loi de la nature, les objets confondus ensemble ne nous offriroient point ce que nous nommons le trait, qui est la ligne claire ou obscure, qui nous donne l'idée de leur forme.

Un flocon de neige, lorsque nous le distinguons dans les airs, se détache en brun sur la teinte que la lumiere répand dans le ciel ; si ce même flocon passe devant un nuage obscur, il reparoît blanc, en raison de l'opposition du fond sur lequel il se trouve ; s'il se montre enfin vis-à-vis d'un mur noirci par le tems, il prend cet éclat dont nous ne devons l'idée générale qu'à la plus grande habitude que nous avons de voir la neige en opposition avec des objets qui relevent son éclat ; une branche d'arbre, examinée avec soin, donnera une idée juste de cet effet. Quelquefois dans l'espace de quelques piés, elle se détachera plusieurs fois, alternativement en clair & en brun ; ce sont ces variétés fondées sur la nature, qui prêtent leur secours au peintre, lorsqu'il veut chercher dans les oppositions des ressources pour l'harmonie ; il reconnoîtra, en examinant ce jeu, des couleurs causées par les fonds, qu'il peut à son gré distinguer plus ou moins les objets par des combinaisons d'oppositions qui sont absolument à sa disposition. Il trouvera aussi, pour rendre son coloris plus brillant, que certaines couleurs se détruisent, tandis que d'autres se font valoir ; l'incarnat devient pâle sur un fond rouge, le rouge pâle paroît vif & ardent sur un fond jaune ; la décoration des fonds étant au choix de l'artiste, il est autorisé à donner aux objets de ses premiers plans & aux draperies de ses figures principales, les fonds qui doivent leur être les plus favorables. Cette réflexion conduit naturellement à parler de ce qu'on appelle fonds, lorsqu'on entend par-là les derniers plans d'une composition.

Les différentes modifications qu'on ajoûte ordinairement à ce terme, lorsque l'on s'en sert dans ce sens, indiquent ce que l'artiste doit observer.

On dit d'un tableau de paysage, qui représente un site très-étendu dans lequel une dégradation de plans insensible & multipliée se fait appercevoir, que le fond de ce tableau est un fond vague.

L'artiste qui peint l'étendue des mers, doit par un fond aérien faire sentir cette immensité de lieu dont la distance n'est pas désignée par des objets successifs qui la font concevoir dans la représentation des objets terrestres. Un fond agréable est celui qui nous offre l'image d'un lieu où nous souhaiterions nous trouver.

Un fond devient picquant par le choix de la couleur du ciel & de l'instant du jour.

Il est frais, s'il représente le ton de l'air au matin ; il est chaud, si le coucher du Soleil lui donne une couleur ardente.

Le fond pittoresque est celui dans lequel un choix ingénieux rassemble des objets favorables au peintre, & agréables au spectateur.

Il faut dans certains sujets d'histoire des fonds riches : telle est une partie des actions tirées de la Fable ; tels sont les traits que fournissent les histoires asiatiques, les triomphes, les fêtes, &c.

La simplicité, l'austérité même, conviennent aux fonds des tableaux qui représentent les objets de notre culte ; ils sont favorables aussi à la plûpart des objets pathétiques : rien ne doit détourner de l'intérêt qu'ils font naître ; c'est à l'ame qu'il faut parler principalement.

Cependant toutes ces qualités différentes, que la raison & le goût distinguent, sont renfermées dans celle-ci. Les fonds doivent être toûjours convenables au sujet qu'on traite.

Voyez le mot FABRIQUE, dans l'explication duquel il y a plusieurs choses qui ont rapport au mot FOND. Article de M. WATELET.

FOND, en Architecture, se dit du terrein qui est estimé bon pour fonder. Le bon & vif fond est celui dont la terre n'a point été éventée, & qui est de bonne consistance : on appelle aussi fond une place destinée pour bâtir.

FOND d'ornemens, se dit du champ sur lequel on taille ou on peint des ornemens, comme armes, chiffres, bas-reliefs, trophées, &c. (P)

* FOND, en terme de Batteur d'or ; c'est une liqueur composée de vin blanc & d'eau-de-vie en quantité proportionnée ; un demi-septier d'eau-de-vie, par exemple, sur trois pintes de vin ; de deux onces de poivre ; de deux gros de muscade, autant de gérofle & de cannelle ; enfin de la meilleure colle de poisson. Quand tout cela s'est réduit en bouillant à une certaine quantité dépendante de celle de tous ces ingrédiens, on en enduit les feuilles des outils avec une éponge sur une planche de bois, & on les fait sécher sur des toiles neuves ; les vieilles étant remplies d'un duvet avec lequel le fond s'incorporeroit.

FOND, en terme de Bijoutier, c'est proprement la partie plate inférieure d'une boîte, qui jointe à la bate, forme la cuvette.

* FOND, en terme de Blondier, c'est proprement le réseau, ou ce qui sert d'assiette aux grillages & aux toiles. Nous avons dit que ces fonds étoient composés de points plus ou moins fins selon la qualité des blondes, tantôt de point d'Angleterre, tantôt de celui de Malines, &c. Voyez GRILLAGES & TOILES.

FOND, (Cizelure) On dit mettre une médaille en fond. Voyez GRAVURE SUR L'ACIER.

FOND, (Jardin) se peut dire d'une terre : il se prend aussi pour la partie la plus basse d'une tulipe. (K)

FOND, en termes de Marchand de modes : est une piece de gaze, de mousseline, de dentelle, &c. dont deux angles sont arrondis, qui sert à couvrir le reste du bonnet piqué, sur lequel le bavolet & la piece de dessous n'étoient pas parvenues. Voyez BAVOLET. On attache les fonds avec des épingles.

FOND, en terme de Planeur ; c'est cette partie plate qui fait le centre d'une assiette ou autre piece de vaisselle. Il se trace au compas, & se termine où le bouge commence.

* FOND D'OR ou FOND D'ARGENT : étoffe de soie en or ou argent. Cette étoffe est un drap dont le fond est toûjours tout or ou tout argent : on en fait aussi à ramages en argent sur l'or, & à ramages en or sur les fonds d'argent avec des nuances mêlées : il s'en fabrique aussi dont les desseins sont destinés à être tout or ou tout argent sans mélange d'or avec l'argent.

Cette étoffe se fait avec deux chaînes ; l'une pour le corps de l'étoffe qui se travaille en gros-de-Tours : l'autre, qu'on appelle poil, & qui sert à passer une soie avec laquelle on accompagne les dorures : ensuite, en faisant valoir ce même poil, on broche les dorures & les nuances, au moyen de l'armure qu'on a disposé selon qu'il convient pour le dessein. Cette étoffe à Lyon est toûjours de onze vingt-quatriemes d'aune. Voyez ETOFFE DE SOIE.

Nous avons dit que les fonds d'or se travailloient communément en gros-de-Tours ; mais il s'en fait plus souvent en fond de satin. Cet ouvrage demande un grand détail tant pour l'armure que pour le reste. Voyez ce détail à l'article BROCARD.

* FOND, (Rubann.) se dit des chaînes de la livrée qui forment le corps de cette sorte d'ouvrage. Il y a de deux sortes de fonds, l'un appellé gros fond, & l'autre fin fond : le gros fond & la figure levent ensemble sur le pié gauche, & le fin fond sur le pié droit alternativement : le gros fond étant trop épais, ne peut approcher par le coup de battant ; & le coup de fin fond venant après, qui étant bien plus propre par la finesse des soies qui le composent, à recevoir l'impulsion du battant, rend la liaison plus facile que si les pas étoient de gros fonds.

* FOND, (FAUX-) Serrurerie, c'est dans une serrure la piece où le canon est renfermé, comme on voit en RR, Planche de Serrurerie.


FONDALITÉ(Jurisp.) est le droit de directe qui appartient au seigneur foncier & direct sur un héritage mouvant de lui. La coûtume de la Marche, art. 137. 411. & 415. appelle ainsi le droit de directe. (A)


FONDAMENTALadj. terme fort usité dans la Musique moderne : on dit son fondamental, accord fondamental, basse fondamentale ; ce qu'il est nécessaire d'expliquer plus en détail, afin d'en donner une idée précise.

SON FONDAMENTAL. C'est une vérité d'expérience reconnue depuis long-tems, qu'un son rendu par un corps n'est pas unique de sa nature, & qu'il est accompagné d'autres sons, qui sont, 1°. l'octave au-dessus du son principal ; 2°. la douzieme & la dix-septieme majeure au-dessus de ce même son, c'est-à-dire l'octave au-dessus de la quinte du son principal, & la double octave au-dessus de la tierce majeure de ce même son. Cette expérience est principalement sensible sur les grosses cordes d'un violoncelle, dont le son étant fort grave, laisse distinguer assez facilement à une oreille tant-soit-peu exercée, la douzieme & la dix-septieme dont il s'agit. Elles s'entendent même beaucoup plus aisément que l'octave du son principal, qu'il est quelquefois difficile de distinguer, à cause de l'identité d'un son & de son octave, qui les rend faciles à confondre. Voyez OCTAVE. Voyez aussi le premier chapitre de la génération harmonique de M. Rameau, & d'autres ouvrages du même auteur, où l'expérience dont nous parlons est détaillée. On peut la faire aisément sur une des basses cordes d'un clavecin, en frappant fortement la touche, & en retirant brusquement le doigt. Car le son principal s'amortit presque tout d'un coup, & laisse entendre après lui, même à des oreilles peu musicales, deux sons aigus qu'il est facile de reconnoître pour la douzieme & la dix-septieme du son principal.

Ce son principal, le seul qu'on entende quand on ne fait pas attention aux autres, mais qui fait entendre en même tems à une oreille un peu attentive son octave, sa douzieme & sa dix-septieme majeure, est proprement ce qu'on appelle son fondamental, parce qu'il est, pour ainsi dire, la base & le fondement des autres, qui n'existeroient pas sans lui.

Voilà tout ce que la nature nous donne immédiatement & par elle-même dans la résonnance du corps sonore ; mais l'art y a beaucoup ajoûté ; & en conséquence, on a étendu la dénomination de son fondamental à différens autres sons. C'est ce qu'il faut développer.

Si on accorde avec le corps sonore deux autres corps, dont l'un soit à la douzieme au-dessous du corps sonore, & l'autre à la dix-septieme majeure au-dessous ; ces deux derniers corps frémiront sans résonner, dès qu'on fera résonner le premier : de plus, ces deux derniers corps en frémissant, se diviseront par une espece d'ondulation, l'un en trois, l'autre en cinq parties égales : & ces parties dans lesquelles ils se divisent, rendroient l'octave du son principal, si en frémissant elles résonnoient.

Ainsi supposons qu'une corde pincée ou frappée rende un son que j'appellerai ut, les cordes à la douzieme & à la dix-septieme majeure au-dessous frémiront. Or ces cordes sont un fa & un la bémol : de sorte que si ces cordes résonnoient dans leur totalité, on entendroit ce chant, ou plûtôt cet accord, la bémol, fa, ut, dont le plus haut ton ut est à la dix-septieme majeure au-dessus de la bémol, & à la douzieme au-dessus de fa.

Ainsi il résulte des deux expériences que nous venons de rapporter ; 1°. qu'en frappant un seul son quelconque, ut, par exemple, on entendra en même tems sa douzieme au-dessus sol, & sa dix-septieme majeure au-dessus, mi ; 2°. que les cordes la bémol & fa, qui seront à la dix-septieme majeure au-dessous d'ut, & à la douzieme au-dessous, frémiront sans résonner.

Or la douzieme est l'octave de la quinte, & la dix-septieme majeure l'est de la tierce majeure ; & comme nous avons une facilité naturelle à confondre les sons avec leurs octaves (voyez OCTAVE), il s'ensuit 1°. qu'au lieu des trois sons ut fondamental, sol douzieme, & mi dix-septieme majeure, qu'on entend en même tems, on peut substituer ceux-ci, qui ne différeront presque pas quant à l'effet, ut, mi tierce majeure, sol quinte : ces trois sons forment l'accord qu'on nomme accord parfait majeur, & dans lequel le son ut est encore regardé comme fondamental, quoiqu'il ne le soit pas immédiatement, & qu'il ne le devienne que par une espece d'extension, en substituant à la douzieme & à la dix-septieme les octaves de ces deux sons ; 2°. de même ; au lieu des trois sons, ut son principal, la bémol dix-septieme majeure au-dessous d'ut, & fa douzieme au-dessous, qu'on entendroit si les cordes fa & la bémol résonnoient en totalité, on peut imaginer ceux-ci (en mettant la quinte & la tierce majeure, au lieu de la douzieme & de la dix-septieme) fa quinte au-dessous d'ut, la bémol, tierce majeure au-dessous, ut fondamental. Or la bémol faisant une tierce majeure avec ut, fait une tierce mineure avec fa ; ce qui produit un autre accord appellé accord parfait mineur ; voyez ACCORD & MINEUR. Dans cet accord, il n'y a proprement aucun son fondamental : car fa ne fait point entendre la bémol, comme ut fait entendre mi. De plus, si on regardoit ici quelque son comme fondamental, quoiqu'improprement, ce devroit être le son le plus haut ut : car c'est ce son qui fait frémir fa & la bémol ; & c'est du frémissement de fa & de la bémol, occasionnés par la résonnance d'ut, qu'on a tiré l'accord mineur fa, la bémol, ut. Cependant comme la corde fa en résonnant fait entendre ut, quoiqu'elle ne fasse ni entendre ni frémir la bémol, on regarde le son le plus bas fa, comme fondamental dans l'accord mineur fa, la bémol, ut, comme le son le plus bas ut est fondamental dans l'accord majeur ut, mi, sol.

Telle est l'origine que M. Rameau donne à l'accord & au mode mineur ; origine que nous pourrons discuter à MODE MINEUR, en examinant les objections qu'on lui a faites ou qu'on peut lui faire sur ce sujet, & en appréciant ces objections. Quoi qu'il en soit, il est au moins certain que dans tout accord parfait, soit majeur soit mineur, formé d'un son principal, de sa tierce majeure ou mineure, & de sa quinte, on appelle fondamental le son principal, qui est le plus grave ou le plus bas de l'accord.

Quelques physiciens ont entrepris d'expliquer ce singulier phénomene de la résonnance de la douzieme & la dix-septieme majeure conjointement avec l'octave : mais de toutes les explications qu'on en a données, il n'y en a que deux qui nous paroissent mériter qu'on en fasse mention.

La premiere est de M. Daniel Bernoulli. Ce grand géometre prétend dans les mém. de l'acad. des Sciences de Prusse, pour l'année 1753, que la vibration d'une corde est un mélange de plusieurs vibrations partielles ; qu'il faut distinguer dans une corde en vibration différens points, qui sont comme des especes de noeuds ou points fixes, autour desquels oscille la partie de la corde comprise entre deux de ces points voisins l'un de l'autre : je dis comme des especes de noeuds ou points fixes ; car ces points ne sont pas véritablement immobiles ; ils ne le sont, ou plutôt ils ne sont considérés comme tels, que par rapport à la partie de la corde qui oscille entre deux ; & d'ailleurs ils font eux-mêmes des vibrations par rapport aux deux extrémités véritablement fixes de la corde. Or dans cette supposition, M. Daniel Bernoulli prouve que tous les points de la corde ne font pas leurs vibrations en même tems ; mais que les uns font deux vibrations, les autres trois, &c. pendant que d'autres n'en font qu'une ; & c'est par-là qu'il explique la multiplicité de sons qu'on entend dans le frémissement d'une même corde : car on sait que la différence des sons vient de celle des vibrations.

Comme M. Daniel Bernoulli attaque dans ce mémoire la théorie que j'ai donnée le premier de la vibration des corps sonores, voyez l'article CORDE, j'ai cru devoir répondre à ses objections par un écrit particulier, que j'espere publier dans une autre occasion : mais cette discussion n'étant point ici de mon sujet, je me borne à la question présente. J'accorde d'abord à M. Bernoulli ce que je ne crois pas, & ce que M. Euler me paroît avoir très-bien réfuté dans les mémoires de l'acad. de Berlin 1753 ; savoir, qu'une corde en vibration décrit toûjours ou une trochoïde simple, ou une courbe, qui n'est autre chose que le mélange de plusieurs trochoïdes. En admettant cette proposition, j'observe d'abord que dans les cas où la courbe décrite sera une trochoïde simple (ce qui peut & doit arriver souvent, & ce que M. Bernoulli semble supposer lui-même), tous les points feront leurs vibrations en même tems, & que par conséquent il n'y aura point de son multiple : or cela est contraire à l'expérience ; puisque toute corde mise en vibration fait entendre plusieurs sons à-la-fois.

Je demande de plus, 1°. ce que M. Daniel Bernoulli n'a point expliqué, quelle sera la cause qui déterminera la corde vibrante à être un mélange de plusieurs trochoïdes, 2°. ce qu'il a expliqué encore moins, quelle sera la cause qui déterminera constamment ces trochoïdes à être telles qu'on entende l'octave, la douzieme, & la dix-septieme, plutôt que tout autre son. On concevroit aisément comment la corde feroit entendre, outre le son principal, l'octave, la douzieme, & la dix-septieme, si les points de la corde qui forment les extrémités des trochoïdes partielles, étoient de véritables noeuds ou points fixes, tels que les parties de la corde comprises entre ces noeuds, fissent dans le même tems, la premiere une vibration ; la seconde, deux ; la troisieme, trois ; la quatrieme, quatre ; la cinquieme, cinq, &c. En ce cas, on pourroit regarder la corde comme composée de cinq parties différentes placées en ligne droite, immobiles chacune à leurs deux extrémités, & formant par leurs différentes longueurs cette suite ou progression, 1 1/2, 1/3, 1/4, 1/5, &c. Mais l'expérience démontre que cela n'est pas ainsi. Dans une corde qui fait librement ses vibrations, on ne remarque point d'autres noeuds ou points absolument fixes, que les extrémités ; & M. Bernoulli paroît admettre cette vérité.

Il est vrai qu'en regardant les noeuds comme mobiles, & en supposant d'ailleurs que la corde vibrante soit un mélange de plusieurs trochoïdes, les différens points de cette corde font leurs vibrations en différens tems. Mais il est aisé de voir que cette différence de vibrations ne peut servir à expliquer la multiplicité des sons. En effet, supposons pour plus de simplicité, & pour nous faire plus facilement entendre, que la corde vibrante forme uniquement deux trochoïdes égales, ensorte que le point de milieu de la corde soit l'extrémité commune des deux trochoïdes ; nous convenons que tandis que ce point de milieu de la corde fera une vibration, le point de milieu de chaque trochoïde en fera deux : mais il est aisé de faire voir, & je l'ai démontré dans l'écrit dont j'ai fait mention plus haut, que ces deux vibrations ne se feront pas chacune dans un tems égal, & qu'ainsi la réunion de ces deux vibrations ne doit point produire l'octave du son principal, donné par le point du milieu de la corde, car pour qu'on entende cette octave, il faut non-seulement que l'oreille soit frappée par deux vibrations dans le même tems, il faut de plus que ces deux vibrations soient chacune d'égale durée. C'est pour cela qu'une corde qui est la moitié d'une autre, tout le reste d'ailleurs égal, fait entendre l'octave du son que cette autre produit ; parce que non-seulement la petite corde fait deux vibrations pendant que la grande en fait une, mais qu'elle fait une vibration pendant que la grande en fait la moitié d'une : autrement, si les vibrations de la petite corde ne se faisoient pas dans le même tems, elle feroit entendre successivement plusieurs sons dont le mélange ne formeroit qu'un bruit confus. Concluons donc de ces réflexions, que les vibrations différentes des différens points de la corde, ne suffisent pas pour expliquer la multiplicité de sons qu'elle produit. Ce n'est pas tout : si le point de milieu de la corde fait une vibration, tandis que le point de milieu de chaque trochoïde en fait deux, il est aisé de voir que les autres points participeront plus ou moins de la loi du mouvement de ces deux-là, selon qu'ils en seront plus ou moins proches. Ainsi à proprement parler, la loi des vibrations de chaque point sera différente, & chacun devroit produire un son particulier, qui, par son mélange avec les autres, ne devroit former qu'une harmonie confuse & une espece de cacophonie. Pourquoi cela n'arrive-t-il pas ? & pourquoi l'oreille ne distingue-t-elle dans le son de la corde, que ceux qui forment l'accord parfait ? Il me semble donc que la théorie de M. Bernoulli que je viens d'exposer, ne suffit pas pour expliquer le phénomene dont il est question ; quoique cette théorie ingénieuse ait obtenu le suffrage de M. Euler lui-même, peu d'accord d'ailleurs, ainsi que moi, avec M. Daniel Bernoulli sur la nature des courbes que forme une corde vibrante.

D'autres auteurs expliquent ainsi la multiplicité des sons rendus par une même corde. Il y a, disent-ils, dans l'air, des parties de différent ressort, différemment tendues, & qui par conséquent doivent faire leurs vibrations les unes plus lentement, les autres plus vîte. Quand on met une corde en vibration, cette corde communique principalement son mouvement aux parties de l'air qui sont tendues au même degré qu'elle, & qui par conséquent doivent faire leurs vibrations en même tems ; de maniere que ces vibrations commencent & s'achevent avec celles de la corde, & par conséquent les favorisent entierement & constamment, & en sont favorisées de même. Après ces parties de l'air, celles dont les vibrations peuvent le moins troubler celles de la corde, & en être les moins troublées, sont celles qui font le double des vibrations dans le même tems, parce que ces vibrations recommencent de deux en deux avec celles de la corde. Le mouvement que ces parties de l'air reçoivent par le mouvement de la corde doit donc y persévérer aussi quelque tems, quoique moins fortement que dans les premieres. Par la même raison, les parties de l'air qui feroient trois, quatre, cinq, &c. vibrations dans le même tems, doivent aussi participer un peu au mouvement de la corde : mais ce mouvement doit toûjours aller en diminuant de force, jusqu'à ce qu'enfin il soit insensible. Cette hypothèse est ingénieuse : mais je demande 1°. pourquoi on n'entend que des sons plus aigus que le son principal ? pourquoi on n'entend point l'octave au-dessous, la douzieme au-dessous, la dix-septieme majeure au-dessous ? Il semble qu'on devroit dans cette hypothèse les entendre du moins aussi distinctement que les sons au-dessus. Car les parties d'air qui font, par exemple, une vibration pendant trois vibrations de la corde principale, sont dans le même cas par rapport à la concurrence de leurs mouvemens, que celles qui font trois vibrations tan dis que la corde en fait une. D'ailleurs l'expérience prouve que si on fait résonner une corde, & qu'on ait en même tems près d'elle quatre autres cordes tendues, dont la premiere soit le tiers, la seconde le cinquieme de la grande, la troisieme triple, la quatrieme quintuple ; les deux premieres de ces cordes résonneront au bruit de la principale ; les deux autres ne feront que frémir sans résonner, & se diviseront seulement en frémissant l'une en trois, l'autre en cinq parties égales à la premiere. Or dans l'hypothèse présente, il semble que ces deux dernieres cordes devroient résonner bien plutôt que les deux autres. En effet, celles-ci sont principalement ébranlées & forcées à résonner par des parties d'air dont les vibrations se font en trois fois, en cinq fois moins de tems que celles de la corde principale ; les deux autres qui se divisent en parties égales à la corde principale, sont évidemment ébranlées (je parle dans l'hypothèse dont il s'agit) par les parties d'air dont la vibration est la plus forte, par celles qui sont à l'unisson de la corde principale. Pourquoi donc ne font-elles que frémir, tandis que les autres résonnent ? Enfin, il me semble que la concurrence plus ou moins grande des vibrations est ici un principe absolument illusoire. Pour le montrer, supposons d'abord qu'une corde fasse deux vibrations pendant qu'une corde double en fait une. Je remarque, ce qu'il est très-aisé de voir, que les vibrations ne seront réellement concourantes, c'est-à-dire commençantes en même tems, & se faisant dans le même sens, qu'après deux vibrations de la grande corde & quatre de la petite : ainsi dans le tems que la grande corde fait deux vibrations, les vibrations de cette grande corde seront moitié troublées par des vibrations contraires, moitié favorisées par des vibrations dans le même sens. Prenons maintenant une corde qui fasse cinq vibrations pendant que la grande en fait une : il est encore aisé de voir que les vibrations seront vraiment concourantes à la fin d'une vibration de la grande corde ; & que pendant cette vibration, elle aura été troublée par deux vibrations contraires de la petite corde, & favorisée par trois vibrations dans le même sens, & en général troublée pendant la plus petite moitié des vibrations, & favorisée durant la plus grande moitié. Donc une corde qui fait une vibration pendant le tems qu'une autre en fait un nombre complet quelconque, est (exactement ou à très-peu près) également troublée & également favorisée par celle-ci, quel que soit ce nombre. Il n'y a donc pas de raison, ce me semble, pour que certaines parties d'air soient plus ébranlées que d'autres par le mouvement de la corde, à l'exception de celles qui seroient à l'unisson. Ainsi, ou les autres ne seront point ébranlées, ou elles le seront toutes à-peu-près de même ; & il n'en résultera qu'un son simple ou une cacophonie. Enfin, quand il y a plusieurs cordes tendues, & qu'on en fait résonner une, il semble que suivant cette hypothèse, celles qui sont à l'octave devroient moins frémir & moins résonner que celles qui sont, par exemple, à la douzieme ou à la dix-septieme au-dessus ; puisque les vibrations de celles-ci sont plus souvent concourantes avec les vibrations de la corde principale, qu'elles ne lui sont contraires ; au lieu que les vibrations des cordes à l'octave sont aussi souvent contraires que concourantes avec les vibrations de la corde principale. Cependant l'expérience prouve que l'octave résonne davantage : donc tout ce système porte à faux.

J'ai supposé jusqu'ici, avec les physiciens dont je parle, qu'en effet les parties de l'air étoient différemment tendues. Il ne s'agit pas ici d'examiner si cette hypothèse est fondée ; sur quoi voyez l'article SON : il suffit d'avoir montré qu'elle ne peut servir à expliquer d'une maniere satisfaisante le phénomene de la multiplicité des sons rendus par une même corde.

Quoi qu'il en soit, outre l'accord de la douzieme & de la 17e majeure donné par la nature, on a formé d'autres accords principaux qui entrent aussi dans la Musique, & qui y produisent même beaucoup d'effet & de variété. On a donné en général à tous ces accords le nom de fondamentaux, parce que tous les autres accords en dérivent, & n'en sont que des renversemens. Voyez ACCORD, BASSE CONTINUE, NVERSEMENT :NT : & dans chacun de ces accords fondamentaux, on a appellé son fondamental le son le plus grave de l'accord.

ACCORDS FONDAMENTAUX. M. Rousseau en a donné la liste au mot ACCORD, sur lequel il ne faut pas manquer de consulter l'errata du premier vol. imprimé à la tête du second. Sans rien répéter de ce qu'il a dit à cet article, nous y ajoûterons qu'il n'y a proprement que trois sortes d'accords fondamentaux ; accord parfait, accord de sixte, accord de septieme.

Accord parfait. Il est de deux sortes, majeur ou mineur, selon que la tierce est majeure ou mineure. L'accord majeur est donné immédiatement ou presque immédiatement par la nature ; immédiatement, quand il renferme la douzieme & la dix-septieme ; presque immédiatement, quand il ne renferme que la tierce & la quinte, qui en sont les octaves ou repliques. Voyez OCTAVE & REPLIQUE. Quand cet accord est exactement conforme à celui que la nature donne, c'est-à-dire quand il renferme le son principal, la douzieme & la dix-septieme majeure, alors il produit l'effet le plus frappant dont il soit susceptible ; comme dans le choeur l'amour triomphe de Pigmalion. L'accord mineur, quoiqu'il ne soit pas donné immédiatement par la nature, & qu'il paroisse plûtôt l'ouvrage de l'art, est cependant fort agréable, & souvent même plus propre que le majeur à certaines expressions, comme celle de la tendresse, de la tristesse, &c.

Accords de sixte. Il y en a de trois sortes. Les deux premiers s'appellent accords de sixte ajoûtée ; ils se pratiquent sur la sous-dominante du ton. Voy. SOUS-DOMINANTE. La sixte y est toûjours majeure ; & la tierce majeure ou mineure, selon que le mode est majeur ou mineur. Ces deux accords ne different donc que par leur tierce. Ainsi dans le ton majeur d'ut, on pratique sur la sous-dominante fa l'accord fa la ut ré, dont la tierce est majeure & la sixte majeure ; & dans le ton mineur de la, on pratique sur la sous-dominante ré l'accord ré fa la si, dont la tierce est mineure, la sixte étant toûjours majeure.

Outre ces deux accords, il y en a un autre qui produit en plusieurs occasions un très-bon effet, & qui est pratiqué sur-tout par les Italiens. On l'appelle accord de sixte superflue, ou de sixte italienne. Il est composé d'une tierce majeure, d'une quarte superflue ou triton, & d'une tierce majeure, en cette sorte fa la si ré #. Ce n'est pas proprement un accord de sixte ; car du fa au ré dièse, il y a une vraie septieme ; mais l'usage l'a ainsi nommé, en désignant seulement la sixte par l'épithete de superflue. Voyez SUPERFLU & INTERVALLE. Il paroît très-difficile de déterminer d'une façon bien nette & bien convaincante l'origine de cet accord : en effet comment assigner d'une maniere satisfaisante l'origine d'un accord fondamental qui renferme tant de dissonances, fa si, fa ré #, la si, la ré #, & qui pourtant n'en est pas moins employé avec succès, comme l'oreille peut en juger ? Ce qu'on peut imaginer de plus plausible là-dessus ne l'est guere. Voyez SIXTE SUPERFLUE. On peut regarder cet accord comme renversé de si ré # fa la, qui n'est autre chose que l'accord si ré fa la, usité dans la basse fondamentale, en conséquence du double emploi (Voyez DOUBLE EMPLOI), & dont on a rendu la tierce majeure pour produire l'impression du mode de mi par sa note sensible ré # ; ensorte que l'on a pour ainsi dire à-la-fois l'impression imparfaite de deux modes, de celui de la par le double emploi, & de celui de mi par la note ré # substitué au ré ? Mais pourquoi se permet-on de rendre majeure la tierce de si à ré ? Sur quelles raisons cette transformation est-elle appuyée, sur-tout lorsqu'elle produit deux dissonances de plus ? D'ailleurs, si on en croit M. Rousseau au mot accord, l'accord fondamental fa la si ré # ne se renverse point : peut-on donc le regarder comme renversé de si ré # fa la ? Je m'en rapporte sur cette question à des lumieres supérieures aux miennes. On pourroit peut-être dire aussi que l'accord si ré # fa la n'est autre chose que l'accord de dominante tonique si ré # fa # la, dans le mode de mi, accord dont on a rendu le fa naturel. Cette origine me paroît encore plus forcée que la précédente.

Mais soit qu'on assigne à cet accord une origine, soit qu'on ne lui en assigne point, il est certain qu'on doit le regarder comme un accord fondamental, puisqu'il n'a point de basse fondamentale : ainsi M. Rousseau, au mot ACCORD, a eu très-grande raison de placer parmi les accords fondamentaux, cet accord de sixte superflue, dont les autres auteurs françois n'avoient point fait mention, au moins que je sache, & dont j'avoue que j'ignorois l'existence, quand je composai mes élémens de Musique, quoique M. Rousseau en eût déjà parlé. M. de Bethizy, dans un ouvrage sur la théorie & la pratique de la Musique, publié en 1754, dit qu'il ne se souvient point que M. Rameau ait parlé de cet accord dans ses ouvrages, quoiqu'il l'ait employé quelquefois, par exemple dans un choeur du premier acte de Castor & Pollux. M. de Bethizy donne des exemples de l'emploi de cet accord dans la basse continue ; mais il laisse en blanc l'accord qui lui répond dans la basse fondamentale.

Accords de septieme. Il y a plusieurs sortes d'accords de septieme fondamentaux. Le premier est formé d'une tierce majeure & de deux tierces mineures, comme sol si ré fa ; il se pratique sur la dominante des tons majeurs & mineurs. Voyez DOMINANTE, MODE, HARMONIE, &c. Le second est formé d'une tierce mineure, d'une tierce majeure & d'une tierce mineure, comme ré fa la ut ; il se pratique sur la seconde note des tons majeurs : sur quoi voyez l'article DOUBLE EMPLOI. Le troisieme est formé de deux tierces mineures & d'une tierce majeure, comme si ré fa la ; il se pratique sur la seconde note des tons mineurs : sur quoi voyez aussi DOUBLE EMPLOI. Le quatrieme est formé d'une tierce majeure, d'une tierce mineure & d'une tierce majeure, comme ut mi sol si ; il se pratique sur une tonique ou autre note, rendue par-là dominante imparfaite. Le cinquieme est appellé accord de septieme diminuée ; il est formé de trois tierces mineures, sol # si ré fa ; il se pratique sur la note sensible des tons mineurs. Cet accord n'est qu'improprement accord de septieme ; car du sol # au si il n'y a qu'une sixte. Cependant l'usage lui a donné le nom de septieme, en y ajoûtant l'épithete de diminuée. Voyez DIMINUE & INTERVALLE. On peut, avec M. Rameau, regarder cet accord comme dérivé de l'accord de la dominante du mode mineur, réuni à celui de la sous-dominante. Voyez mes Elémens de Musique, & la suite de cet article. Mais qu'il soit dérivé ou non de ces deux accords, il est certain qu'il a lieu dans la basse fondamentale, suivant M. Rameau lui-même ; ainsi M. Rousseau a eu raison de dire au mot ACCOMPAGNEMENT, que l'accord parfait peut être précédé non-seulement de l'accord de la dominante & de celui de la sous-dominante, mais encore de l'accord de septieme diminuée, & même de celui de sixte superflue. Soit qu'on regarde ces accords comme dérivés de quelqu'autre ou non, il est certain qu'ils entrent dans la basse fondamentale, & que par conséquent l'observation de M. Rousseau est très-exacte.

Nous avons expliqué au mot DISSONANCE, l'origine la plus naturelle des accords fondamentaux de la dominante & de la sous-dominante, sol si ré fa, fa la ut ré ; & si en cet endroit nous n'avons point cité le chapitre jx. de la Génération harmonique de M. Rameau, comme on nous l'a reproché, c'est qu'il nous a paru que dans ce chapitre l'auteur insistoit préférablement sur une autre origine de la dissonance ; origine fondée sur des proportions & progressions, dont la considération nous semble entierement inutile dans cette matiere. Les remarques que fait M. Rousseau, au mot DISSONANCE, sur cet usage des proportions, nous ont paru assez justes pour chercher dans les principes même de M. Rameau une autre origine de la dissonance ; origine dont il ne paroît pas avoir senti tout le prix, puisqu'il ne l'a tout-au-plus que legerement indiquée. Ce que nous disons ici n'a point pour objet de rien ôter à M. Rameau ; mais de faire voir que dans l'article DISSONANCE, nous nous sommes très-exactement exprimés sur la matiere dont il étoit question.

Il est essentiel à l'accord de septieme qui se pratique sur la dominante tonique, de porter toûjours la tierce majeure. Cette tierce majeure est la note sensible du ton. (Voyez NOTE SENSIBLE) ; elle monte naturellement à la tonique, comme la dominante y descend : ainsi elle annonce le plus parfait de tous les repos appellé cadence parfaite. Voyez CADENCE. Telles sont en substance les raisons qui font porter la tierce majeure à l'accord dont il s'agit, soit que le ton soit d'ailleurs majeur ou mineur. Voyez mes Elémens de Musique, art. 77. & 109.

Il n'en est pas de même de l'accord de sixte, pratiqué sur la sous-dominante ; la tierce est majeure ou mineure, selon que le mode est majeur ou mineur : mais sa sixte est toûjours majeure, parce qu'elle est la quinte de la dominante qu'elle représente dans cet accord, comme on l'a expliqué au mot DISSONANCE, à la fin.

Les accords de septieme, tels que ut mi sol si, ne sont autre chose que l'accord de dominante tonique, ut mi sol si b du mode de fa, dans lequel on a changé le si b en si naturel, pour conserver l'impression du mode d'ut. Sur quoi voyez mes Elémens de Musique, art. 115. & l'article DOMINANTE.

A l'égard de l'accord de septieme diminuée, tel que sol # si ré fa. (Voyez SEPTIEME DIMINUEE), nous en avons indiqué l'origine ci-dessus. On peut le regarder comme formé des deux accords mi sol # si ré & ré fa la si, de la dominante tonique & de la sous-dominante dans le mode de la, qu'on a réunis ensemble en retranchant d'un côté la dominante mi, dont la note sensible sol # est censée tenir la place ; & de l'autre la note la, qui est sousentendue dans la quinte ré. On peut voir au mot ENHARMONIQUE, l'usage de cet accord pour passer d'un ton dans un autre qui ne lui est point relatif.

Il nous reste encore un mot à dire sur l'origine que nous avons donnée à la dissonance de la sous-dominante, au mot DISSONANCE. Nous avons dit que dans l'accord fa la ut on ne pouvoit faire entrer la dissonance sol, parce qu'elle dissoneroit doublement avec sol & avec la. M. Rousseau, un peu plus haut & dans le même article, se sert d'une raison semblable pour rejetter le la ajoûté à l'accord sol si ré. En vain objecteroit-on qu'on trouve au mot ACCORD cette double dissonance dans certains accords, pag. 78. Nous répondrions que ces accords, quelqu'origine qu'on leur donne, n'appartiennent point à la basse fondamentale, que ce ne sont point des accords primitifs, qu'ils sont pour la plûpart si durs, qu'on est obligé d'en retrancher différens sons pour en adoucir la dureté. Ainsi les dissonances tolérées dans ces accords, ne doivent point être permises dans des accords primitifs & fondamentaux, dans lesquels si on altere par des dissonances l'accord parfait, afin de faire sentir le mode, on ne doit au moins altérer l'harmonie de cet accord que le plus foiblement qu'il est possible.

BASSE FONDAMENTALE. On a déja vû au mot BASSE sa définition ; elle ne renferme que les accords fondamentaux dont nous venons de parler, & qui sont au nombre de dix ; savoir les cinq accords de septieme, l'accord de sixte superflue, les deux accords parfaits, & les deux accords de sous-dominante. On a vû dans le même article qui vient d'être cité, les principales regles sur lesquelles on doit former la basse fondamentale, & on peut les voir expliquées plus en détail, d'après M. Rameau, dans mes Elémens de Musique. On trouvera au mot SEPTIEME DIMINUEE les regles particulieres de cet accord.

Mais on nous permettra de faire ici aux Musiciens une question : pourquoi n'a-t-on employé jusqu'ici dans la basse fondamentale que les dix sortes d'accords dont nous venons de parler ? Nous avons vû avec quel succès les Italiens font usage de l'accord de sixte superflue, que la basse fondamentale ne paroît pas donner ; nous avons vû comment on a introduit dans cette même basse les différens accords de septieme : est-il bien certain qu'on ne puisse employer dans la basse fondamentale que ces accords, & dans la basse continue que leurs dérivés ? L'oreille est ici le vrai juge, ou plûtôt le seul ; tout ce qu'elle nous présentera comme bon, devra sans-doute ou pourra du moins être employé quelquefois avec succès : ce sera ensuite à la théorie à chercher l'origine des nouveaux accords, ou si elle n'y réussit pas, à ne point lui en donner d'autres qu'eux-mêmes. Je crains que la plûpart des Musiciens, les uns aveuglés par la routine, les autres prévenus par des systèmes, n'ayent pas tiré de l'harmonie tout le parti qu'ils auroient pû, & qu'ils n'ayent exclu une infinité d'accords qui pourroient en bien des occasions produire de bons effets. Pour ne parler ici que d'un petit nombre de ces accords ; par quelle raison n'employe-t-on jamais dans l'harmonie les accords ut mi sol # ut, ut mi sol # si, dont le premier n'a proprement aucune dissonance, le second n'en contient qu'une, comme l'accord usité ut mi sol si ? N'y a-t-il point d'occasions où de pareils accords ne puissent être employés, ne fût-ce que par licence, car on sait combien les licences sont fréquentes en Musique ? Et pour n'en donner ici qu'un seul exemple analogue à l'objet dont il s'agit, M. Rameau n'a-t-il pas fait chanter dans un air de trompette des Fêtes de l'hymen, pag. 133. les deux parties supérieures à la tierce majeure l'une de l'autre, quoique deux tierces majeures de suite, & à plus forte raison une suite de tierces majeures, soient interdites par lui-même ? Pourquoi donc ne pourroit-on pas quelquefois faire entendre dans un même accord deux tierces majeures ensemble ? & cela ne se pratique-t-il pas en effet dans l'accord ut mi sol #si ré, nommé de quinte superflue, & qui étant pratiqué dans l'harmonie, semble autoriser à plus forte raison les deux dont nous venons de parler ? Si ces accords ne peuvent entrer dans la basse fondamentale, ne pourroient-ils pas au moins entrer dans la basse continue ? Si l'oreille les jugeoit trop durs en les rendant complets, ne pourroit-on pas les adoucir par le retranchement de quelques sons, pourvû qu'on laissât toûjours subsister le sol #, qui constitue la différence essentielle entre ces accords, & les mêmes accords tels qu'on les employe d'ordinaire en y mettant le sol au lieu de sol # ? Ce n'est pas tout. Imaginons cette liste d'accords, terminés tous ou par l'octave ou la septieme majeure, & dont les trois premiers sons forment des tierces.

ut mi sol # ut.

ut mi sol # si.

ut mi sol si.

ut mi sol ut.

ut mi sol si.

Pourquoi ces accords, dont aucun, excepté le dernier, ne renferme pas plus d'une ou de deux dissonances, sont-ils proscrits de l'harmonie ? Est-il bien certain par l'expérience (car encore une fois l'expérience est ici le grand juge) qu'aucun d'eux ne puisse être employé en aucune occasion, en les considérant soit en eux-mêmes, soit par rapport à ceux qui peuvent les précéder ou les suivre ? Je ne parle point d'une infinité d'autres accords, sur lesquels je pourrois faire une question semblable ; accords qu'il est aisé de former par des combinaisons qu'on peut varier en un grand nombre de manieres, qui ne doivent être ni admis, ni aussi rejettés sans épreuve, & sur lesquels on n'en a peut-être jamais fait aucune : tels que ceux-ci.

ut mi sol # si .

ut mi sol # ut.

ut mi sol # si.

ut mi # si .

ut mi sol la .

ut mi sol # la.

ut mi sol # la.

ut mi sol si.

ut mi sol la . &c. &c.

Il est aisé de voir qu'on peut rendre cette liste beaucoup plus longue.

Je sens toute mon insuffisance pour décider de pareilles questions : mais je desirerois que quelque musicien consommé (& sur-tout, je le répete, non-prévenu d'aucun système) voulût bien s'appliquer à l'examen que je propose. Dira-t-on que ces accords n'ont point d'origine dans la basse fondamentale ? C'est ce qu'il faudroit examiner. Si l'accord de sixte superflue n'en a point, pourquoi ceux-ci en auroient-ils ? & si cet accord en a, pourquoi ceux-ci ne pourroient-ils pas en avoir ? Ne pourroit-on pas par exemple trouver une origine à l'accord ut mi sol # ut, fondée sur ce que la corde mi doit faire résonner sa dix-septieme majeure double octave de sol #, & faire frémir sa dix-septme majeure en descendant, double octave d'ut ? & ainsi du reste ? Quoi qu'il en soit, & pour le dire en passant, il se présente ici une question bien digne d'être proposée à ceux qui prétendent expliquer la raison physique du sentiment de l'harmonie : pourquoi l'accord ut mi sol, # ut, quoiqu'il soit proprement sans dissonances, est-il dur à l'oreille, comme il est aisé de s'en assurer ? Par quelle fatalité arrive-t-il que des accords, qui nous flateroient étant séparés, nous paroissent peu agréables étant réunis ? Je l'ignore, & je crois que c'est la meilleure réponse. Passons maintenant à quelques autres remarques, relatives à la basse fondamentale.

La basse continue, qui forme ce qu'on appelle accompagnement, n'est proprement que le renversement de la basse fondamentale, & contient beaucoup d'autres accords, tous dérivés des fondamentaux : ainsi l'accompagnement représente vraiment la basse fondamentale, puisqu'il n'en est qu'un renversement & pour ainsi dire une espece de modification. Mais est-il vrai, comme le prétendent quelques musiciens, que l'accompagnement représente le corps sonore ? La question se réduit à savoir si la basse fondamentale représente le corps sonore. Or de tous les accords employés dans la basse fondamentale, il n'y en a qu'un seul qui représente vraiment le corps sonore ; savoir l'accord parfait majeur ; encore ne représente-t-il véritablement & exactement le corps sonore, que quand cet accord contient la douzieme & la dix-septieme majeure ; parce que le corps sonore ne fait entendre que ces deux sons, sans y comprendre son octave. Tous les autres accords, soit consonnans, soit dissonnans, sont absolument l'ouvrage de l'art, & d'autant plus l'ouvrage de l'art, qu'ils renferment plus de dissonances. On doit donc, ce me semble, rejetter ce principe, que l'accompagnement représente le corps sonore, & regarder au moins comme douteuses des regles qu'on appuieroit sur ce seul fondement : par exemple, que dans l'accompagnement on doit complete r tous les accords, même ceux qui renfermant le plus de dissonances, comme les accords par supposition, seroient les plus durs à l'oreille. M. Rameau a déduit sans-doute avec vraisemblance de la résonnance du corps sonore, les principales regles de l'harmonie ; mais la plûpart de ces regles sont uniquement l'ouvrage de la réflexion qui a tiré de cette résonnance des conclusions plus ou moins directes, plus ou moins détournées, plus ou moins rigoureuses (V. GAMME), & nullement l'ouvrage de la nature : ainsi ce seroit parler très-incorrectement, pour ne rien dire de plus, que de prétendre que l'accompagnement représente le corps sonore, sur-tout quand l'accord est chargé de dissonances. Dira-t-on qu'il y a des corps qui en résonnant, produisent des sons dissonans avec le principal, comme l'avance M. Daniel Bernoulli, dans les mémoires de l'acad. de Berlin 1753. pag. 153 ? En supposant même la vérité de cette expérience que nous n'avons point faite, nos adversaires n'en pourroient tirer aucune conclusion, puisque cette expérience iroit à infirmer toute la théorie sur laquelle la basse fondamentale est appuyée. Aussi M. Daniel Bernoulli prétend-il dans le même endroit déjà cité qu'on ne peut tirer de la résonnance du corps sonore aucune théorie musicale. Je crois cependant cette conclusion trop précipitée : car en général les corps sonores rendent très-sensiblement la douzieme & la dix-septieme, comme M. Daniel Bernoulli en convient lui-même au même endroit. S'il y a des exceptions à cette regle (ce que nous n'avons pas vérifié), elles sont apparemment fort rares, & viennent sans-doute de quelque structure particuliere des corps, qui les empêche de pouvoir être véritablement regardés comme des corps sonores. Le son d'une pincette, par exemple, peut renfermer beaucoup de sons discordans : mais aussi le son d'une pincette n'est guere un son harmonique & musical ; c'est plûtôt un bruit sourd qu'un son. D'ailleurs M. Rameau, à l'oreille duquel on peut bien s'en rapporter sur ce sujet, nous dit dans la génération harmonique, p. 17. que si on frappe une pincette, on n'y apperçoit d'abord qu'une confusion de sons qui empêche d'en distinguer aucun ; mais que les plus aigus venant à s'éteindre insensiblement à mesure que la résonnance diminue, alors le son le plus pur, celui du corps total, commence à s'emparer de l'oreille, qui distingue encore avec lui sa douzieme & sa dix-septieme.

La question si l'accompagnement représente le corps sonore, produit naturellement celle-ci, si la mélodie est suggérée par l'harmonie. Voici quelques réflexions sur ce sujet.

1°. Quel parti qu'on prenne sur la question proposée, nous croyons (& sans-doute il n'y aura pas là-dessus deux avis) que l'expression de la mélodie dépend en grande partie de l'harmonie qui y est jointe, & qu'un même chant nous affectera différemment, suivant la différence des basses qu'on y adaptera : sur quoi voyez la suite de cet article. M. Rameau a prouvé que ce chant sol ut peut avoir vingt basses fondamentales différentes, & par conséquent un nombre beaucoup plus grand de basses continues.

2°. Il paroît que le chant diatonique de la gamme ut ré mi fa sol la si ut, nous est suggéré par la basse fondamentale, ainsi que je l'ai expliqué, d'après M. Rameau, dans mes Elémens de Musique. En effet c'est une vérité d'expérience, que quand nous voulons monter ou descendre en partant de ut par les moindres degrés naturels à la voix, nous entonnons naturellement & sans maître cette gamme, soit en montant, soit en descendant : or pourquoi la voix se porte-t-elle naturellement & d'elle-même à l'intonation de ces intervalles ? Il me semble que l'on ne sauroit en donner une raison plausible, qu'en regardant ce chant de la gamme comme suggéré par la basse fondamentale. Cela paroît encore plus sensible dans la gamme des Grecs, si ut ré mi fa sol la. Cette gamme a une basse fondamentale encore plus simple que la nôtre ; & il paroît que les Grecs en disposant ainsi leur gamme, en avoient senti la basse fondamentale sans l'avoir peut-être suffisamment développée : du moins il ne nous en reste rien dans leurs écrits. Voyez sur tout cela mes Elémens de Musique, art. 45. & 47. & l'article GAMME. Les consonances altérées qui se trouvent dans ces deux gammes, & dont l'oreille n'est point choquée, parce que les consonances avec la basse fondamentale sont parfaitement justes, semblent prouver que la basse fondamentale est en effet le vrai guide secret de l'oreille dans l'intonation de ces gammes. Il est vrai qu'on pourroit nous faire ici une difficulté. La gamme des Grecs, nous dira-t-on, a une basse fondamentale plus simple que la nôtre : pourquoi la nôtre nous paroît-elle plus facile à entonner que celle des Grecs ? Celle-ci commence par un semi-ton ; au lieu que l'intonation naturelle semble nous porter à monter d'abord d'un ton, comme nous le faisons dans notre gamme. Je répons que la gamme des Grecs est à la vérité mieux disposée que la nôtre pour la simplicité de la basse ; mais que la nôtre est disposée plus naturellement par la facilité de l'intonation. Notre gamme commence par le son fondamental ut, & c'est en effet par ce son qu'il faut commencer ; c'est celui d'où dépendent tous les autres, & pour ainsi dire, qui les renferme : au contraire la gamme des Grecs, ni la basse fondamentale de cette gamme, ne commencent point par ut ; mais c'est de cet ut qu'il faut partir pour diriger l'intonation, soit en montant, soit en descendant. Or en montant depuis ut, l'intonation dans la gamme même des Grecs donne ut ré mi fa sol la ; & il est si vrai que le son fondamental ut est ici le vrai guide secret de l'oreille, que si, avant d'entonner ut, on veut y monter en passant par le ton de la gamme le plus immédiatement voisin de cet ut, on ne peut y parvenir que par le son si & par le semi-ton si ut. Or pour passer du si à l'ut par ce demi-ton, il faut nécessairement que l'oreille soit déja préoccupée du mode d'ut, sans quoi on entonneroit si ut #, & on seroit dans un autre mode. Ce n'est pas tout ; en montant diatoniquement depuis ut, on entonne naturellement & facilement les six notes, ut, ré, mi, fa, sol, la ; c'étoient même ces six notes seules qui composoient la gamme de Gui d'Arezzo. Si on veut aller plus loin, on commence à rencontrer un peu de difficulté dans l'intonation du si qui doit suivre le la : cette difficulté, comme l'a remarqué M. Rameau, vient des trois tons de suite, fa, sol, la, si ; & si on veut l'éviter, on ne le peut qu'en faisant ou en supposant une espece de repos entre le son fa & le son sol, & en partant du sol pour recommencer une autre demi-gamme sol la si ut, toute semblable à ut ré mi fa, & qui est réellement dans un autre mode. Voyez MODE & GAMME. Or cette difficulté d'entonner trois tons de suite sans un repos exprimé ou sousentendu du fa au sol, s'explique naturellement, comme nous le ferons voir au mot GAMME, en ayant recours à la basse fondamentale naturelle de notre échelle diatonique. Tout semble donc concourir à prouver que cette basse est la vraie boussole de l'oreille dans le chant de notre gamme, & le guide secret qui nous suggere ce chant.

3°. Dans tout autre chant que celui de la gamme, comme ce chant sera absolument arbitraire, puisque les intervalles, soit en montant, soit en descendant, y sont au gré de celui qui chante, on pourroit être moins porté à croire que ce chant soit suggéré par la basse fondamentale, que les Musiciens même ont quelquefois peine à trouver. Cependant on doit faire ici trois observations. La premiere, c'est que dans la mélodie on ne peut pas aller indifféremment, & par toutes sortes d'intervalles, d'un son à un autre quelconque ; il y a des intervalles qui rendroient le chant dur, escarpé & peu naturel : or ces intervalles sont précisément ceux qu'une bonne basse fondamentale proscrit. Tout chant paroît donc avoir un guide secret dans la basse fondamentale. La seconde observation, c'est qu'il n'est pas rare de voir des personnes qui n'ont aucune connoissance en musique, mais qui ont naturellement de l'oreille, trouver d'elles-mêmes la basse d'un chant qu'elles entendent, & accompagner ce chant sans préparation : n'est-ce pas une preuve que le fondement de ce chant est dans la basse, & qu'une oreille sensible l'y démêle ? La troisieme observation consistera à demander aux Musiciens si un chant est susceptible de plusieurs basses également bonnes. S'il y en a plusieurs, il est difficile de soûtenir que la mélodie est toûjours suggérée par l'harmonie, du-moins dans les cas où la basse ne sera pas unique. Mais s'il n'y a qu'une seule de toutes le basses possibles qui convienne parfaitement au chant, comme on peut avoir d'assez bonnes raisons de le croire, ne peut-on pas penser que cette basse est la basse fondamentale qui a suggéré le chant ? Il me semble que cette question sur laquelle je n'ose prononcer absolument, mais que tout musicien habile & impartial doit être en état de décider, peut conduire à la solution exacte de la question proposée.

Peut-être quelques musiciens prétendront-ils que ces deux questions sont fort différentes, & qu'il pourroit n'y avoir qu'une bonne basse possible à un chant, sans que le chant fût suggéré par cette basse ; mais pour leur répondre, je les prierai d'écouter avec attention un chant agréable dont la basse est bien faite, tel que celui d'un grand nombre de beaux airs italiens ; de remarquer en l'écoutant, combien la basse paroît favorable à ce chant pour en faire sortir toute la beauté, & d'observer qu'elle ne paroît faire avec le chant qu'un même corps ; ensorte que l'oreille qui écoute le chant est forcée d'écouter aussi la basse, même sans aucune connoissance en Musique, ni aucune habitude d'en entendre : je les prierois enfin de faire attention que cette basse paroît contenir tout le fond &, pour ainsi dire, tout le vrai dessein du chant, que le dessus ne fait que développer ; & je crois qu'ils conviendront en conséquence, qu'on peut regarder un chant qui n'a qu'une basse, comme étant suggéré par cette basse. Je dirai plus : si, comme je le crois, il y a un grand nombre de chants qui n'ont qu'une seule bonne basse fondamentale possible, & si, comme je le crois encore, ce sont les plus agréables, peut-être en devra-t-on conclure que tout chant qui paroîtra également susceptible de plusieurs basses, est un chant de pure fantaisie, un chant métif, si on peut parler ainsi.

Mais dans la crainte d'avancer sur cette matiere des opinions qui pourroient paroître hasardées, je m'en tiens à la simple question que j'ai faite, & j'invite nos célébres artistes à nous apprendre si un même chant peut avoir plusieurs basses également bonnes. S'ils s'accordent sur la négative, il restera encore à expliquer pourquoi cette basse fondamentale (la seule vraiment convenable au chant, & qu'on peut regarder comme l'ayant suggéré), pourquoi, dis-je, cette basse échappe souvent à tant de musiciens qui lui en substituent une mauvaise ? On pourra répondre que c'est faute d'attention à ce guide secret, qui les a conduits, sans qu'ils s'en apperçussent, dans la composition de la mélodie. Si cette réponse ne satisfait pas entiérement, la difficulté sera à-peu-près la même pour ceux qui nieroient que l'harmonie suggere la mélodie. En effet dans la supposition présente qu'un chant donné n'admet qu'une seule bonne basse, il faut nécessairement de deux choses l'une, ou que le chant suggere la basse, ou que la basse suggere le chant ; & dans les deux cas il sera également embarrassant d'expliquer pourquoi un musicien ne rencontre pas toûjours la véritable basse.

La question que nous venons de proposer sur la multiplicité des basses, n'est pas décidée par ce que nous avons dit plus haut d'après M. Rameau, que le chant sol ut peut avoir vingt basses fondamentales différentes : car ceux qui croiroient qu'un chant ne peut avoir qu'une seule basse fondamentale qui soit bonne, pourroient dire que de ces vingt basses fondamentales il n'y en a qu'une qui convienne au chant sol ut, relativement à ce qui précede & à ce qui suit. Mais, pourroit-on ajoûter, si l'on n'avoit que ce seul chant sol ut, quelle seroit la vraie basse fondamentale parmi ces vingt ? C'est encore un problème que je laisse à décider aux Musiciens, & dont la solution ne me paroît pas aisée. La vraie basse fondamentale est-elle toûjours la plus simple de toutes les basses possibles, & quelle est cette basse la plus simple ? quelles sont les régles par lesquelles on peut la déterminer (car ce mot simple est bien vague) ? En conséquence n'est-ce pas s'écarter de la nature, que de joindre à un chant une basse différente de celle qu'il présente naturellement, pour donner à ce chant par le moyen de la nouvelle basse, une expression singuliere & détournée ? Voilà des questions dignes d'exercer les habiles artistes. Nous nous contentons encore de les proposer, sans entreprendre de les résoudre.

Au reste, soit que l'harmonie suggere ou non la mélodie, il est certain au moins qu'elle est le fondement de l'harmonie dans ce sens qu'il n'y a point de bonne mélodie, lorsqu'elle n'est pas susceptible d'une harmonie réguliere. Voy. HARMONIE, LIAISON, &c. M. Serre, dans son essai sur les principes de l'harmonie, Paris 1753, nous assûre tenir du célebre Geminiani le fait suivant : que lorsque ce grand musicien a quelque adagio touchant à composer, il ne touche jamais son violon ni aucun autre instrument ; mais qu'il conçoit & écrit d'abord une suite d'accords ; qu'il ne commence jamais par une simple succession de sons, par une simple mélodie ; & que s'il y a une partie qui dans l'ordre de ses conceptions ait le pas sur les autres, c'est bien plûtôt celle de la basse que toute autre ; & M. Rameau remarque que l'on a dit fort à-propos, qu'une basse bien chantante nous annonce une belle musique. On peut remarquer en passant par ce que nous venons de rapporter de M. Geminiani, que non-seulement il regarde la mélodie comme ayant son principe dans une bonne harmonie, mais qu'il paroît même la regarder comme suggérée par cette harmonie. Une pareille autorité donneroit beaucoup de poids à cette opinion, si en matiere de science l'autorité étoit un moyen de décider. D'un autre côté il me paroît difficile, je l'avoue, de produire une musique de génie & d'enthousiasme, en commençant ainsi par la basse.

Mais parce que la mélodie a son fondement dans l'harmonie, faut-il avec certains auteurs modernes donner tout à l'harmonie, & préférer son effet à celui de la mélodie ? Il s'en faut bien que je le pense : pour une oreille que l'harmonie affecte, il y en a cent que la mélodie touche préférablement ; c'est une vérité d'expérience incontestable. Ceux qui soûtiendroient le contraire, s'exposeroient à tomber dans le défaut qui n'est que trop ordinaire à nos musiciens françois, de tout sacrifier à l'harmonie, de croire relever un chant trivial par une basse fort travaillée & fort peu naturelle, & de s'imaginer, en entassant parties sur parties, avoir fait de l'harmonie, lorsqu'ils n'ont fait que du bruit. Sans-doute une basse bien faite soûtient & nourrit agréablement un chant ; alors, comme nous l'avons déjà dit, l'oreille la moins exercée qui les entend en même tems, est forcée de faire une égale attention à l'un & à l'autre, & son plaisir continue d'être un, parce que son attention, quoique portée sur différens objets, est toûjours une : c'est ce qui fait surtout le charme de la bonne musique italienne ; & c'est-là cette unité de mélodie dont M. Rousseau a si bien établi la nécessité dans la lettre sur la Musique françoise. C'est avec la même raison qu'il a dit au mot ACCOMPAGNEMENT : Les Italiens ne veulent pas qu'on entende rien dans l'accompagnement, dans la basse, qui puisse distraire l'oreille de l'objet principal, & ils sont dans l'opinion que l'attention s'évanoüit en se partageant. Il en conclut très-bien, qu'il y a beaucoup de choix à faire dans les sons qui forment l'accompagnement, précisément par cette raison, que l'attention ne doit pas s'y porter : en effet parmi les différens sons que l'accompagnement doit fournir en supposant la basse bien faite, il faut du choix pour déterminer ceux qui s'incorporent tellement avec le chant, que l'oreille en sente l'effet sans être pour cela distraite du chant, & qu'au contraire l'agrément du chant en augmente. L'harmonie sert donc à nourrir un beau chant ; mais il ne s'ensuit pas que tout l'agrément de ce chant soit dans l'harmonie. Pour se convaincre bien évidemment du contraire, il n'y a qu'à joüer sur un clavecin la basse du chant bien chiffrée, mais dénuée de son dessus ; on verra combien le plaisir sera diminué, quoique le dessus soit réellement contenu dans cette basse. Concluons donc contre l'opinion que nous combattons, que l'expérience lui est absolument contraire ; & en convenant d'ailleurs des grands effets de l'harmonie dans certains cas, reconnoissons la mélodie dans la plûpart comme l'objet principal qui flate l'oreille. Préférer les effets de l'harmonie à ceux de la mélodie, sous ce prétexte que l'une est le fondement de l'autre, c'est à-peu-près comme si on vouloit soûtenir que les fondemens d'une maison sont l'endroit le plus agréable à habiter, parce que tout l'édifice porte dessus.

Nous prions le lecteur de regarder ce que nous venons de dire sur l'harmonie & sur la mélodie, comme un supplément au dernier chapitre du premier livre de nos Elémens de Musique ; supplément qui nous a paru nécessaire pour démêler ce qu'il peut y avoir de problématique dans la question, si la mélodie est suggérée par l'harmonie ?

Que dirons-nous de ce qu'on a avancé dans ces derniers tems, que la Géométrie est fondée sur la résonnance du corps sonore ; parce que la Géométrie est, dit-on, fondée sur les proportions, & que le corps sonore les engendre toutes ? Les Géometres nous sauroient mauvais gré de refuter sérieusement de pareilles assertions : nous nous permettrons seulement de dire ici, que la considération des proportions & des progressions est entiérement inutile à la théorie de l'art musical : je pense l'avoir suffisamment prouvé par mes élémens même de Musique, où j'ai donné, ce me semble, une théorie de l'harmonie assez bien déduite, suivant les principes de M. Rameau, sans y avoir fait aucun usage des proportions ni des progressions. En effet, quand les rapports de l'octave, de la quinte, de la tierce, &c. seroient tout autres qu'ils ne sont ; quand ces rapports ne formeroient aucune progression ; quand on n'y remarqueroit aucune loi ; quand ils seroient incommensurables, soit en eux-mêmes, soit entr'eux, la résonnance du corps sonore, qui produit la douzieme & la dix-septieme majeures, & qui fait frémir la douzieme & la dix-septieme majeures au-dessous de lui, suffiroit pour fonder tout le système de l'harmonie. M. Rousseau a très-bien prouvé, au mot CONSONNANCE, que la considération des rapports est tout-à-fait illusoire pour rendre raison du plaisir que nous font les accords consonnans ; la considération des proportions n'est pas moins inutile dans la théorie de la Musique. Les géometres qui ont voulu introduire le calcul dans cette derniere science, ont eu grand tort de chercher dans une source tout-à-fait étrangere, la cause du plaisir que la Musique nous procure ; le calcul peut à la vérité faciliter l'intelligence de certains points de la théorie, comme des rapports entre les tons de la gamme, & du tempérament ; mais ce qu'il faut de calcul pour traiter ces deux points est si simple, &, pour tout dire, si peu de chose, que rien ne mérite moins d'étalage. Combien donc doit-on desapprouver quelques musiciens qui entassent dans leurs écrits chiffres sur chiffres, & croyent tout cet appareil nécessaire à l'art ? La fureur de donner à leurs productions un faux air scientifique, qui n'en impose qu'aux ignorans, les a fait tomber dans ce défaut, qui ne sert qu'à rendre leurs traités beaucoup moins bons & beaucoup plus obscurs. Je crois qu'en qualité de géometre, on me pardonnera de protester ici (si je puis m'exprimer de la sorte) contre cet abus ridicule de la Géométrie dans la Musique, comme j'ai déja reclamé ailleurs contre l'abus de la même science dans la Physique, dans la Métaphysique, &c. Voyez APPLICATION, &c.

Qu'il me soit encore permis d'ajoûter (car une vérité qu'on a dite, conduit bien-tôt & comme nécessairement à une autre) que les explications & les raisonnemens physiques ne sont pas plus utiles à la théorie de l'art musical, ou plûtôt le sont encore moins que les calculs géométriques. Nous savons, par exemple, & nous le disons ici par l'intérêt que nous prenons aux ouvrages de M. Rameau, que cet artiste célebre se reproche avec raison d'avoir mêlé dans le premier chapitre de sa Génération harmonique, aux expériences lumineuses qui font la base de son système, l'hypothèse physique dont nous avons parlé sur la différente élasticité des parties de l'air, par le moyen de laquelle il prétend expliquer ces expériences ; hypothèse purement conjecturale, & d'ailleurs insuffisante pour rendre raison des phénomenes. Ceux qui ont les premiers proposé cette hypothèse (car M. Rameau convient qu'il n'en est pas l'auteur), ont pû la donner comme une opinion ; mais jamais on n'a dû en faire la base d'un traité de l'harmonie. Des faits, & point de verbiage ; voilà la grande régle en Physique comme en Histoire.

Tenons-nous-en donc aux faits ; & pour finir ce long article par quelque chose qui intéresse véritablement les artistes & les amateurs, entretenons ici nos lecteurs d'une belle expérience du célebre M. Tartini, qui a rapport à la basse fondamentale.

Voici cette expérience telle qu'elle est rapportée par l'auteur même, dans son ouvrage qui a pour titre, Trattato di Musica, secundo la vera scienza dell'armonia, imprimé à Padoue 1754 ; ouvrage qui n'est pas également lumineux par-tout, mais qui contient d'excellentes choses, & dont nous pourrons faire usage dans la suite pour enrichir plusieurs articles de l'Encyclopédie.

Etant donnés à-la-fois (c'est M. Tartini qui parle) deux sons produits par un même instrument capable de tenue, c'est-à-dire qui puisse faire durer & soûtenir le son, comme trompette, hautbois, violon, cor-de-chasse, &c. ces deux sons en produiront un troisieme très-sensible. Ainsi, qu'on tire en même tems d'un violon deux sons forts & soûtenus en tel rapport l'un à l'autre qu'on voudra, ces deux sons en produiront un troisieme, que nous assignerons tout-à-l'heure. La même chose aura lieu, si au lieu de tirer les deux sons à-la-fois d'un même violon, on les tire séparément de deux violons éloignés l'un de l'autre de cinq ou six pas ; placé dans l'intervalle des deux violons, on entendra le troisieme son, & on l'entendra d'autant mieux, qu'on sera plus près du milieu de cet intervalle, & d'autant moins, qu'on se rapprochera davantage d'un des deux violons. La même expérience aura lieu, & même plus sensiblement encore, si on se sert de hautbois au lieu de violons. Voici maintenant quel est ce troisieme son dans tous les cas.

Deux sons à l'unisson ou à l'octave, ne donnent point de troisieme son.

Deux sons à la quinte, comme ut, sol, donnent pour troisieme son l'unisson ut du son le plus grave. Cet unisson se distingue difficilement, mais il se distingue.

Deux sons à la quarte, comme ut, fa, donnent la quinte fa au-dessous du son le plus grave ut.

Deux sons à la tierce majeure, comme ut, mi, donnent l'octave ut au-dessous du son le plus grave ut.

Deux sons à la tierce mineure, comme ut #, mi, donnent la dixieme majeure la, au-dessous du son le plus grave ut #.

Deux sons à l'intervalle d'un ton majeur, ut ré, donnent la double octave au-dessous du son le plus grave ut.

Deux sons à l'intervalle d'un ton mineur, ré, mi, donnent l'ut qui est à la seizieme au-dessous du son le plus grave ré.

Deux sons à l'intervalle d'un semi-ton majeur, si, ut, donnent l'ut à la triple octave au-dessous du son le plus aigu ut.

Deux sons à l'intervalle d'un demi-ton mineur, sol, sol, #, donnent l'ut qui est à la vingt-sixieme au-dessous du son le plus grave sol.

La tierce majeure renversée en sixte mineure, donne le même troisieme son qu'auparavant. Ainsi on a vu ci-dessus que la tierce majeure ut mi donnoit l'octave au-dessous d'ut. La sixte mineure mi ut, dans laquelle ut est monté à l'octave, mi restant sur le même degré, donnera donc la double octave au-dessous de ce dernier ut.

La tierce mineure renversée en sixte majeure, donne le même son qu'auparavant, mais une octave plus haut : la tierce mineure ut # mi donne, comme on l'a vû, le la qui est à la douzieme au-dessous de mi, laissez mi sur le même degré, & substituez à l'ut # son octave à l'aigu pour avoir la sixte majeure mi ut # ; le troisieme son sera la, quinte au-dessous de mi, c'est-à-dire une octave plus haut que le la du premier cas.

M. Tartini ajoûte que le troisieme son résultant de la quarte, des deux tierces, des deux sixtes, soit majeures, soit mineures, est le plus facile à distinguer ; parce que ce son est toûjours plus grave qu'aucun des deux qui le produisent : que le troisieme son produit par la quinte se distingue plus difficilement, parce qu'il est à l'unisson du son le plus grave ; qu'il se distingue plus difficilement dans les tons majeurs & mineurs, parce que ces tons différant peu l'un de l'autre, l'intonation les confond aisément, & très-difficilement dans les demi-tons majeurs & mineurs, à cause de la grande difficulté de les distinguer dans l'intonation. Cependant la petite différence de 80 à 81 qui est entre le ton majeur & le ton mineur (Voyez COMMA), & celle de 125 à 128 qui est entre le demi-ton majeur & le mineur (Voyez APOTOME & ENHARMONIQUE), produisent, comme on l'a vû, un troisieme son fort différent dans les deux cas.

M. Tartini ne nous apprend point quel son résulte du triton & de la fausse quinte. Nous invitons les Musiciens à le chercher. Mais l'auteur observe qu'à l'exception de l'unisson & de l'octave, il n'est point d'intervalle commensurable ou non, appréciable ou non, réductible ou non aux intervalles connus, qui ne produise un troisieme son, lequel sera aussi commensurable ou non, appréciable ou non, réductible ou non aux intervalles connus, mais qui sera toûjours très-aisé à distinguer des deux autres.

Il faut de plus que les intervalles dont on a parlé ci-dessus, soient parfaitement justes pour produire le troisieme son qui leur a été assigné ; car pour peu qu'on altere l'intervalle, le troisieme son change : par exemple, l'intervalle de sol à si b n'étant point une tierce mineure juste, ne produira point pour troisieme son la douzieme mi b, au-dessous de si b, mais la quatorzieme ut au-dessous ; & ainsi des autres.

M. Tartini, après avoir rapporté ces différentes expériences, suppose un chant composé de deux parties ; il trouve par le moyen des deux sons qui se répondent en même tems, le troisieme son qui en résulte : ce troisieme son, dit-il, est la vraie basse du chant, & toute autre basse sera un parallogisme ; expression énergique & remarquable.

Il remarque aussi une conséquence assez singuliere qui suit de ses expériences : soient les sons ut, sol, ut, mi, sol, en cette progression, 1/2, 1/3, 1/4, 1/5, 1/6, le son troisieme résultant de deux sons consécutifs quelconques de cette progression, sera toûjours le son le plus bas, ut ou 1/2 : c'est une suite des expériences qu'on vient de rapporter. Si on continue la progression 1/6, 1/7, 1/8, 1/9, 1/10, on verra par ces mêmes expériences que 1/8, 1/9 qui forment le ton majeur, & 1/9, 1/10 qui forment le ton mineur (Voyez TON & mes Elémens de Musique), donnent aussi le même ut ou 1/2 que les sons précédens ont donné. Par les mêmes expériences, 1/15, 1/16 qui forment le demi-ton majeur, donnent 1/2 ou le son ut ; & enfin 1/24, 1/25 qui forment le demi-ton mineur, donnent encore 1/2 ou le son ut. En général soit imaginée cette suite de sons en montant, & soit mise au-dessous de chaque son sa valeur par rapport au premier que je nommerai 1/2,

Deux sons voisins quelconques de cette suite, dont le dénominateur ne différera que de l'unité, rendront toûjours pour troisieme son le son grave 1/2, suivant les experiences de M. Tartini.

Or de là ce grand musicien conclut, soit par pure analogie, soit qu'en effet (ce qu'il ne nous dit pas) il ait poussé sur ce sujet l'expérience plus loin ; il conclut, dis-je, que si on complete cette suite & qu'on l'étende à l'infini en cette sorte.

1/2, 1/3, 1/4, 1/5, 1/6, 1/7, 1/8, 1/9, 1/10, 1/11, 1/12, 1/13, &c. 1/100 &c.

deux sons voisins quelconques de cette suite rendront toûjours le son ut ; ce qui paroît en effet assez probable.

Nous avons crû devoir nous presser de faire part à nos lecteurs d'une si belle expérience, qui jusqu'à présent est à-peu-près tout ce que nous connoissons de l'ouvrage de M. Tartini. Nous tâcherons d'extraire du reste de son livre pour les mots HARMONIE, MELODIE, MODE, &c. & autres semblables, ce que nous y trouverons de plus remarquable & de plus utile. Nous nous bornerons ici à une observation.

L'expérience qu'on vient de voir, donne la basse qui doit résulter de deux dessus quelconques ; mais elle ne donne pas, du-moins directement, celle qu'il faut joindre à un dessus seul : cependant ne pourroit-on pas en tirer quelque parti pour la solution de ce dernier problème ? Il s'ensuit d'abord, ce me semble, de l'expérience qu'on vient de rapporter, que si on a fait un second dessus à un chant quelconque, & que la basse jointe à ces deux dessus, suivant les regles de M. Tartini, produise un tout desagréable à l'oreille, c'est une marque évidente que le second dessus a été mal fait. Cela posé, quand on aura fait un premier dessus quelconque, & qu'on lui aura donné une basse, cette basse doit nécessairement par les regles de M. Tartini, donner le second dessus, qu'il faut joindre au premier. Or ce second dessus étant ainsi fait, si les trois parties forment un ensemble desagréable, c'est une marque que la basse étoit mal faite.

Au reste nous devons avertir ici que dans l'ouvrage de M. Serre, intitulé Essai sur les principes de l'harmonie, Paris 1753, il est fait mention de cette expérience de M. Tartini, comme d'une chose dont plusieurs musiciens reconnoissent la vérité : l'auteur ajoûte même qu'on peut faire avec deux belles voix de femme, cette expérience que M. Tartini dit n'avoir faite que sur des instrumens ; mais M. Serre ne parle que du troisieme son produit par la tierce majeure, & de celui que produit la tierce mineure. Il y a même cette différence entre M. Tartini & M. Serre, que selon le premier les deux sons d'une tierce majeure, comme ut mi, produisent l'octave ut au-dessous de ut, & selon le second, c'est la double octave : de même selon le premier, les deux sons d'une tierce mineure la ut, produisent la dixieme majeure fa au-dessous de la ; & selon le second, c'est la dix-septieme majeure au-dessous de la, ou l'octave au-dessous de la dixieme fa. M. Serre ne parle point du troisieme son produit par deux autres sons quelconques, & paroît d'ailleurs n'avoir fait aucun usage de cette expérience.

Je finirai ici cet article, que je prie les artistes de lire & de juger dans le même esprit dans lequel je l'ai composé. Je serois très-flaté qu'ils y trouvassent des vûes utiles pour le progrès de la théorie & de la pratique de l'art. (O)


FONDAMENTAUX(ARTICLES) Théolog. ce mot reçoit dans la Théologie catholique, un sens différent de celui qu'on lui donne parmi les Hétérodoxes. Les théologiens catholiques ont entendu sous le nom d'articles fondamentaux, ceux dont la foi explicite est nécessaire au salut ; ensorte qu'on ne peut pas même les ignorer sans être hors de l'Eglise & de la voie du salut : & par opposition ils reconnoissent aussi des articles non-fondamentaux qu'on peut ignorer, ou, ce qui est la même chose, croire de foi implicite sans être en danger de salut.

Les Protestans ont appellé articles fondamentaux, généralement ceux dont la foi, soit explicite, soit implicite, est nécessaire au salut ; & non-fondamentaux, ceux qu'on peut, disent-ils, se dispenser de croire, ou même nier expressément, malgré l'autorité des différentes sociétés chrétiennes qui voudroient en prescrire la croyance.

On pourroit encore appeller articles fondamentaux, les dogmes principaux de la doctrine chrétienne, ceux qui tiennent plus fortement à tout l'édifice de la religion ; & quelques-uns ont ces qualités-là, sans être de foi explicite. Mais la distinction des articles fondamentaux & non-fondamentaux expliquée ainsi, ne souffre aucune difficulté en Théologie.

Ces définitions une fois établies, je dis 1°. il y a dans la doctrine catholique des dogmes fondamentaux en ce sens, qu'on est obligé de les croire de foi explicite ; & d'autres qu'on peut ignorer sans danger pour le salut. Toutes les sociétés chrétiennes conviennent de ce principe. Cependant l'Eglise catholique n'a pas déterminé bien précisément quels sont les dogmes fondamentaux en ce sens-là. On ne peut pas regarder les symboles comme ne contenant que des dogmes de cette nature. Voyez dans l'article FOI, foi explicite & foi implicite, & l'article SYMBOLE.

2°. La distinction des articles fondamentaux & non-fondamentaux dans le deuxieme sens, n'est pas recevable ; parce que tous les dogmes définis par l'Eglise catholique sont fondamentaux ; au moins est-ce en ce sens, qu'on ne peut en nier aucun, lorsqu'on conçoit la définition sur laquelle il est appuyé, sans être hors de la voie du salut. Cela suit des principes de l'autorité & de l'unité de l'Eglise. Voyez EGLISE.

C'est dans ce dernier sens que les théologiens conciliateurs, Erasme, Cassander, Locke, dans l'ouvrage qui a pour titre, le Christianisme raisonnable, ont employé la distinction des articles fondamentaux & non-fondamentaux.

Le ministre Jurieu s'en est aussi servi dans son système de l'Eglise, pour prouver que les églises protestantes d'Angleterre, d'Allemagne, de France, de Danemark, &c. ne sont qu'une même Eglise universelle. Il se fonde sur ce que ces églises conviennent dans la même profession de foi générale sur les articles fondamentaux, quoique divisées entr'elles sur quelques points qui ne ruinent pas le fondement : à quoi il ajoûte quelques regles, pour discerner ce qui est fondamental de ce qui ne l'est pas.

En combattant les théologiens conciliateurs qui ont voulu rapprocher les sociétés séparées entr'elles & même avec la catholique, on n'a pas, ce me semble, distingué avec assez de soins les sens différens du mot fondamental. Par exemple, M. Nicole dans son livre de l'unité de l'Eglise, en attaquant Jurieu, s'arrête seulement à lui prouver que les églises réformées ne peuvent regarder ce qui les unit comme fondamental, & ce qui les divise comme non-fondamental, qu'elles n'ayent une idée distincte de ce qu'on appelle un article fondamental, & que cela est impossible. Il semble, dit-il, que ce soit la chose du monde la plus claire & la plus commune, la plus uniformément entendue ; cependant la vérité est qu'on ne sait ce qu'on dit, qu'on n'a aucune notion distincte de ce qu'on appelle article fondamental, & que ce qu'on se hasarde quelquefois d'en dire, est étrangement confus & rempli d'équivoque, &c. Il prouve ensuite que les regles que donne Jurieu pour le discernement des vérités fondamentales, sont absolument insuffisantes.

Cette méthode d'argumenter de l'auteur de l'unité de l'Eglise, fournissoit au ministre une réponse assez plausible. Il auroit pû dire que les articles fondamentaux étoient ceux que les théologiens catholiques regardent comme de foi explicite ; qu'il distingueroit ceux-là par les mêmes caracteres que les Catholiques employeroient pour ceux-ci ; que l'autorité de l'Eglise ne donnoit aucun moyen de plus pour faire ce discernement, puisqu'elle ne décide pas quels sont précisément & uniquement les dogmes qu'il faut croire explicitement, & quels sont ceux pour lesquels la foi implicite suffit.

A quoi il auroit ajoûté, que ces dogmes de foi implicite pouvoient être niés sans danger pour le salut, quoique définis par quelques sociétés chrétiennes.

Pour enlever absolument aux Réformés cette ressource, & rappeller la question à son véritable état, il falloit tout de suite les obliger de prouver qu'ils ont pû nier sans danger pour le salut un dogme reçû dans l'Eglise universelle, dans l'Eglise qu'ils ont quitté par un schisme ; prétention absolument insoûtenable, & que nos théologiens ont suffisamment combattue. Voyez EGLISE.

FONDANT DE ROTROU, (Chimie) chaux absolue d'antimoine faite avec son régule & le nitre, non lavée, & édulcorée avec l'eau de canelle spiritueuse qu'on brûle dessus. Cette préparation est une des cinq qui composent le remede de Rotrou.

La description s'en trouve particulierement dans deux auteurs célébres. Le premier est M. Astruc, qui l'a donnée à la fin de son traité des maladies vénériennes, imprimé pour la premiere fois en 1736 : le second est M. Col de Villars, dans le tome II. de sa chirurgie, qui parut en 1738. Nous allons transcrire celle de M. Astruc, & indiquer les différences qui se trouvent dans celle de M. Col de Villars : nous décrirons ensuite les différens procédés par lesquels on fait en Chimie de l'antimoine diaphorétique ; afin d'indiquer les sources dans lesquelles Rotrou a puisé ; de faire voir que ce fondant ne mérite de porter son nom, que parce qu'il a conservé ou ajoûté des points dont il n'a certainement pas entendu la raison ; & de suppléer aux défauts d'un manuel dont il n'a donné qu'une description très-imparfaite.

Fondant de Rotrou, empyrique de ce nom. Prenez de régule d'antimoine bien préparé & réduit en poudre ; de nitre purifié & pulvérisé séparément, de chaque une livre & demie : mêlez ces deux poudres bien intimement ; projettez-les, selon l'art, par cuillerées dans un creuset rougi au feu. Les projections étant achevées, vous calcinerez la matiere pendant six heures.

Retirez votre matiere du creuset, & la réduisez en poudre avant qu'elle soit refroidie ; passez-la par un tamis de crin, & la mettez sur le champ dans un vaisseau de verre, que vous boucherez exactement, pour empêcher qu'elle ne s'imbibe de l'humidité de l'air.

Faites chauffer legerement cette poudre ; versez dessus peu-à-peu six onces d'eau de canelle spiritueuse, par livre de matiere ; remuez-la continuellement, jusqu'à-ce que l'eau de canelle soit entierement dissipée.

Cette préparation differe très-peu de l'antimoine diaphorétique non lavé. Astruc, édit. de 1736. & de 1740.

Dans la recette de M. Col de Villars, on met une livre & demie de nitre contre une demi-livre de régule. On couvre le creuset après la détonation ; on calcine la matiere au grand feu ; on la laisse refroidir ; on passe cette matiere qui est blanche, à-travers un tamis fin. On observe d'ailleurs que cette préparation y est intitulée, grand fondant de Paracelse ; ce qui indique, à la vérité, que Rotrou n'a pas prétendu donner ce remede comme de lui, mais a voulu néanmoins s'autoriser du nom d'un grand homme, dont les écrits n'étoient pas assez à sa portée pour qu'il pût le deviner parmi ses énigmes, p. 284. on y ajoûte aussi, p. 281. que le remede du sieur Rotrou, chirurgien de Saint-Cyr, dont on fait beaucoup de cas pour la guérison des écroüelles, consiste dans sa teinture aurifique de Basile Valentin, autre nom supposé, l'élixir aurifique, le grand fondant de Paracelse, l'alkali de Rotrou, & sa pâte en pilules purgatives, & qu'on en donne la description telle qu'elle a été communiquée, pour ne rien omettre de ce qui peut contribuer à la guérison d'une maladie aussi rébelle. M. Astruc les a décrits aussi. Voyez REMEDE DE ROTROU, ROUELLESLLES.

L'antimoine diaphorétique se fait ou avec l'antimoine crud, ou avec le régule d'antimoine ; ou à sa place, avec quelques autres préparations du même demi-métal. Le premier porte particulierement le nom d'antimoine diaphorétique ; & le second, celui de céruse d'antimoine, chez les chimistes modernes.

Antimoine diaphorétique. Prenez une partie d'antimoine, & trois parties de nitre bien seché. Reduisez-les séparément en poudre bien fine, & les mêlez bien intimement. Ayez un creuset de sept ou huit pouces de diametre, sur environ autant de hauteur, dont le fond soit hémisphérique : placez ce creuset sur une tourte de deux doigts d'épaisseur, dans un fourneau à capsule (Voyez nos Planches de Chimie, leur explication ; & l'article FOURNEAU) : ajustez-lui un couvercle ; entourez-le de charbons ardens jusqu'au haut, ou du moins à fort peu près ; découvrez-le de tems en tems, pour savoir s'il est rouge ; quand il le sera, projettez-y une cuillerée de votre mélange : il s'en fait sur le champ une détonation assez vive, pendant laquelle il s'éleve une fumée noirâtre & épaisse mêlée de quelques étincelles : la détonation cessée, projettez-y en une autre cuillerée, puis une troisieme, & ainsi de suite, jusqu'à ce que vous en ayez employé cinq ou six ; observant toûjours de laisser finir la détonation, avant que de jetter une nouvelle cuillerée de matiere : au bout de ces cinq ou six cuillerées, que vous aurez dans votre creuset un volume de matiere égal à celui d'un oeuf à-peu-près, remuez-la avec une large spatule de fer. Ce résultat sera un peu pâteux, ressemblant en quelque sorte à du plâtre frais gâché ; retirez-le incontinent du creuset : vous le donnerez à un aide, qui le recevra sur un couvercle renversé : la main qui doit tenir le couvercle sera garantie de la chaleur par une poignée épaisse ; & l'autre sera occupée à racler avec une spatule de fer la spatule chargée de la matiere : au sortir du creuset, elle est rouge, & garde quelque tems cet état sur le couvercle : peu-à-peu elle paroît sous sa couleur naturelle, qui est un blanc sale ou jaunâtre : quand elle a perdu sa rougeur, on la jette dans une grande terrine de grais remplie d'eau chaude, par parties & au bord de la terrine.

Pendant que l'aide est occupé à jetter ainsi la matiere dans l'eau, on ne cesse de projetter le mélange avec les précautions que nous avons mentionnées : on racle bien le creuset chaque fois qu'on en retire une mise, afin de n'y en rien laisser, si cela se peut. On continue de la sorte, jusqu'à ce que tout le mélange soit employé, détonné, & jetté dans l'eau.

Après l'y avoir laissé un certain tems, décantez cette premiere eau ; édulcorez encore votre chaux 7 ou 8 fois avec de l'eau bouillante ; laissez-l'y quelques heures chaque fois : quand vous aurez décanté l'eau du dernier lavage, mettez votre chaux sur un filtre, ou tout simplement sur un papier gris, pour en essuyer la plus grande humidité. Achevez de la sécher à une chaleur douce, ou à un air chaud.

Il y a des substances métalliques qui ne perdent les dernieres portions de leur phlogistique, que bien difficilement, & qui demandent des calcinations longues, quand elles sont seules : pour vaincre la difficulté & abréger les peines, on a recours à des moyens étrangers : tel est le nitre, dans l'opération dont il s'agit ; par son intermede, on vient à bout de réduire l'antimoine crud en une chaux absolue, en suivant le manuel que nous venons de détailler.

Si on prend l'eau du premier lavage, & qu'on la fasse évaporer & crystalliser, on a 1°. du tartre vitriolé : 2°. du nitre non décomposé, en poussant l'évaporation un peu plus loin ; c'est la quantité surabondante à ce qu'il en faut pour enlever le phlogistique à l'antimoine employé : 3°. enfin un alkali fixe en desséchant la matiere. On a donné le nom de nitre antimonié à tous ces sels confondus ensemble. Mais il est aisé de voir que cette dénomination est absolument fausse, & ne convient à aucun de ces trois sels : tous contiennent une portion de la chaux la plus subtile de l'antimoine : l'alkali fixe qui en tient le plus, en devient plus caustique voyez PIERRE A CAUTERE, & NITRE : on ne l'en sépare que par un acide, voyez MATIERE PERLEE. Voici donc comment la chose s'est passée.

Une portion de nitre détonne avec le soufre, dont le phlogistique embrasé enflamme & décompose l'acide nitreux qu'il dégage de sa base : cette base constitue une partie de l'alkali fixe qu'on trouve dans le lavage. Mais le phlogistique du soufre n'est pas plutôt séparé de l'acide vitriolique, que cet acide devenu libre trouvant du nitre près de lui, chasse son acide, & s'introduit à sa place. L'acide nitreux s'enflamme encore ou se dissipe ; & la nouvelle combinaison forme du tartre vitriolé. Le soufre en se dégageant du régule d'antimoine (voyez la calcination de l'antimoine crud), emporte aussi avec lui une partie de son phlogistique, tant par son phlogistique que par son acide. Mais le nitre détonne encore en même tems avec le régule d'antimoine, dont le phlogistique agité par le feu produit sur ce sel le même effet que celui du soufre : d'où résulte une nouvelle portion d'alkali fixe, qui agit encore sur le régule, s'il en reste de non décomposé, voyez plus bas céruse d'antimoine ; en sorte que ce régule est réduit par cette action à l'état d'une pure terre ou chaux absolue. Voyez NITRE, NITRE ALKALISE PAR LE CHARBON, & SEL POLYCHRESTE DE GLASER.

Telle est la méthode que donne M. Roüelle ; cette correction se publie aussi en Allemagne. En suivant celles qui se trouvent décrites dans les auteurs, on avoit beaucoup de peine à faire l'antimoine diaphorétique bien blanc : il étoit presque toûjours jaune ; & il étoit impossible de lui faire perdre ce défaut. Cet inconvénient venoit de ce qu'on le laissoit trop longtems dans le creuset après la détonation : on avoit beau le laver, jamais on ne réparoit ce défaut qu'il avoit contracté par une trop longue calcination : c'est en partie pour ce motif, qu'il faut retirer la matiere du creuset à différentes reprises.

Si l'antimoine diaphorétique se trouvoit brun, alors ce défaut ne viendroit plus de la longueur de la calcination, mais de l'antimoine qui se trouve quelquefois mêlé de fer & d'autres métaux, sur-tout à la base du cône. Voyez SAFRAN DE MARS ANTIMONIE.

Ce premier inconvénient en entraînoit un second. La matiere calcinée pendant deux, quatre, & même six heures, comme quelques chimistes l'ont demandé, devenoit dure comme une pierre : elle adhéroit si fortement au creuset, qu'il falloit souvent le casser pour l'en tirer : en sorte qu'elle étoit mêlée de quelques morceaux du creuset, ou qu'il en falloit perdre beaucoup pour l'en séparer : & avec quelques soins qu'on la pulvérisât, ce qui exigeoit beaucoup de tems & de peines, elle n'étoit jamais si bien divisée qu'elle le devient par le lavage qui succede à une calcination presque momentanée. En effet, il est aisé de concevoir qu'il se faisoit pendant ce tems une espece de demi-vitrification, par laquelle l'alkali fixe s'unissoit assez intimement avec la chaux de l'antimoine, pour lui rester combiné en grande partie malgré le lavage. C'est de cette union que naissoit l'accrétion considérable de poids que l'antimoine diaphorétique avoit acquise. On suppose ici que le lavage ne fût point employé, comme il paroît par quelques descriptions.

On craindra peut-être qu'une calcination si legere en apparence ne remplisse pas les vûes de cette opération, dans laquelle on a pour but de réduire l'antimoine en une chaux pure & dégagée de tout phlogistique. Mais on sera convaincu qu'une pareille crainte ne porte que sur un fondement illusoire, quand on aura fait attention qu'il reste dans l'eau du lavage du nitre non décomposé ; parce qu'il ne s'est point trouvé de phlogistique qui ait pû le faire détonner ; & que dans la circonstance présente, au lieu de deux parties de ce sel, on en employe jusqu'à trois, pour n'avoir aucun soupçon qu'il puisse rester dans l'antimoine diaphorétique la moindre molécule de régule ou de chaux non absolue qui ait échappé à son action. On ne nie pourtant pas qu'il se trouve dans l'antimoine diaphorétique des parties régulines en nature, & sous leur forme métallique, en même tems qu'il s'y trouve du nitre non décomposé : mais ce défaut provient souvent de l'inexactitude du mélange, dans lequel plusieurs molécules régulines ne sont pas assez enveloppées de nitre pour en être totalement décomposées ; pendant que d'un autre côté, ce sel en masse ne trouve point de phlogistique embrasé qui puisse lui procurer la détonation. Dans cette circonstance, l'alkali formé par la détonation imparfaite de l'antimoine, met une barriere entre le nitre & ce demi-métal : mais cet inconvénient sera moins considérable avec trois parties de nitre qu'avec deux, en supposant la même inexactitude dans le mélange, que l'on conseille cependant d'éviter. C'est encore pour la même raison que nous avons prescrit de remuer sans-cesse la matiere dans le creuset : ce seroit peut-être assez de deux parties de nitre ; mais celui qui est en excès n'est pas perdu ; il se retrouve dans l'eau du lavage, dont on le sépare en évaporant & crystallisant.

Il résulte que la méthode des chimistes qui projettent l'antimoine crud en poudre sur le nitre, doit être proscrite.

Dans cette opération on employe un creuset large & à fond même presque plat, afin que la petite quantité de mélange qu'on y a mise, détonne à-la-fois, ou le plus promtement qu'il est possible, & surtout pour avoir la commodité de l'en retirer. On attend qu'il soit rouge, pour que la détonation se fasse sur le champ ; il seroit inutile d'y rien mettre avant ce tems. Le couvercle sert à le garantir de la chûte des charbons. On sait que ces sortes de corps portent avec eux un principe inflammable, qui ne manqueroit pas de réduire en régule une partie de chaux proportionnelle ; inconvénient diamétralement opposé aux fins qu'on se propose : il s'y trouve, à la vérité, du nitre qui pourroit le consumer ; mais il peut se faire aussi qu'il ne s'y en trouve point dans l'endroit où tombera la molécule de charbon : c'est pour la même raison qu'on ne garnit pas le creuset de charbons ardens au-dessus de ses bords.

La précaution de projetter par cuillerées, & d'attendre que la premiere soit détonnée avant que d'en projetter une seconde, a pour but de rendre la calcination plus lente & plus complete , & d'éviter la perte de matiere que l'adhésion des vapeurs poussées par le feu ne manqueroit pas d'occasionner dans la méthode contraire. Cette perte d'ailleurs n'est pas le seul inconvenient qui soit la suite du choc des vapeurs ; il arrive encore qu'une molécule réguline poussée hors du creuset vers la fin de la détonation n'y retombe que quand elle est tout-à-fait cessée, & ne se calcine point-du-tout.

Si l'on ne suit pas les mêmes voies pour le foie de Rulandus (Voy. ANTIMOINE), c'est qu'il n'y importe pas comme ici, que la chaux antimoniale soit absolue.

Un autre inconvenient qui résulte de la détonation d'une grande quantité de matiere à-la-fois, c'est que le feu y est si vif qu'il la vitrifie ; & ainsi au lieu d'une chaux d'antimoine bien divisée, qui est ce qu'on se propose, on auroit cette même chaux vitrifiée avec l'alkali fixe du nitre.

On attend que la matiere du creuset ait perdu à-peu-près son ignition, pour la jetter dans l'eau : sans cela elle éclabousseroit & feroit explosion ; parce que l'eau déjà chaude étant tout-à-coup frappée & mise en expansion par un corps embrasé, ne manqueroit pas de le faire sauter de toutes parts, au danger de l'artiste : c'est pour la même raison qu'on n'en jette dans l'eau que peu-à-peu & aux bords de la terrine. Une petite quantité présente plus de surface à l'eau, à proportion de son volume ; & s'il arrive qu'elle soûleve l'eau qui la couvre, elle en fait moins jaillir aux bords de la terrine, où elle est moins profondément plongée.

La chaux de l'antimoine sortant du creuset est, abstraction faite de la grande quantité du tartre vitriolé & de la petite portion du nitre, un alkali fixe rendu caustique par la chaux demi-métallique de l'antimoine. Voyez ci-dessous céruse d'antimoine. C'est à-dessein de lui enlever ces différens sels qu'on répete les lavages, & de favoriser par-là la division des molécules d'antimoine diaphorétique, que ces sels interposés tenoient unis par leur intermede. C'est encore pour la même raison qu'on fait ces sortes de lavages en grande eau ; car plus il y en a, plus les molécules ont dequoi s'étendre, & plus elles sont divisées ; sans compter que les sels en sont mieux dissous.

De huit onces d'antimoine & de vingt-quatre de nitre, Lemery a eu onze onces un gros d'antimoine diaphorétique : les calculs de Mender se trouvent à-peu-près les mêmes. Comme cette accrétion de poids vient, selon toute apparence, des débris des sels, au-moins pour la plus grande partie, il n'est pas étonnant qu'on n'en retire pas autant de régule à proportion, si on réduit l'antimoine diaphorétique. Voyez REDUCTION.

Selon la doctrine commune des chimistes, si au lieu d'employer un creuset, on projette la matiere en de très-petites quantités dans une cornue de terre tubulée & rougie au feu, à laquelle on adapte plusieurs ballons enfilés dont le dernier est ouvert, les vapeurs noirâtres & épaisses dont nous avons parlé, passent dans les récipiens, & s'y condensent. On y trouve un antimoine diaphorétique très-divisé, & un phlegme legerement acide & alkali volatil, ainsi qu'on peut s'en convaincre par l'expérience : c'est la petite portion de l'acide nitreux, qui ayant été dégagée par l'acide vitriolique du soufre, est échappée à l'embrasement. Le phlegme est de l'acide vitriolique & de l'acide nitreux décomposés : ces vapeurs ainsi retenues reçoivent le nom de clyssus simple d'antimoine. Quelques auteurs prétendent aussi qu'il y a de l'acide vitriolique ; & en ce cas elles doivent prendre celui de clyssus composé, selon Mender.

On fait encore, selon Lemery, l'antimoine diaphorétique dans les vaisseaux fermés, en se servant d'un pot ou d'une cucurbite de terre, surmontée de trois aludels aussi de terre, & d'un chapiteau de verre, auquel on adapte un récipient. Voyez ALUDEL, FLEURS DE SOUFRE, FLEURS D'ANTIMOINE. La cucurbite est fenêtrée, pour qu'on y puisse projetter le mélange, dont les doses sont toûjours les mêmes. On trouve dans la cucurbite une masse semblable à celle que l'on a retirée du creuset : mais les parois des aludels sont tapissées de fleurs blanches d'autant plus émétiques qu'elles sont plus élevées : en sorte qu'il n'y a guere que les plus basses, ou celles que la trusion a élevées, qui soient assez dépouillées de leur phlogistique, pour n'être que diaphorétiques.

L'adepte Geber n'a parlé de l'antimoine qu'en passant. Le moine anonyme qui vivoit au douzieme siecle, & qui est connu sous le nom emblématique de Basile Valentin (voyez CHIMIE), est le premier qui ait traité des préparations de l'antimoine. On y trouvera le diaphorétique minéral, sous le nom de poudre blanche d'antimoine, dans le petit nombre d'opérations positives qu'il a données parmi les secrets d'Alchimie, sous le nom de ce demi-métal : en voici la traduction. Prenez de bon antimoine de Hongrie, ou de tout autre pays, pourvû qu'il soit bien pur : réduisez-le en poudre fine ; mêlez-le avec parties égales de nitre purifié de la troisieme cuite. Projettez & faites détonner ce mélange peu-à-peu dans un creuset neuf vernissé, entouré de charbons ardens.... mettez en poudre fine la masse dure qui est restée dans le creuset ; mettez cette poudre dans un vase vernissé ; versez dessus de l'eau commune tiede ; décantez cette eau après l'avoir laissée rasseoir. Répétez ce lavage jusqu'à ce que vous ayez emporté tout le nitre : séchez votre matiere ; faites-la détonner de nouveau avec son poids égal de nitre : lavez & détonnez une troisieme fois : enfin réduisez en poudre subtile la masse résultant de cette troisieme opération : mettez-la dans une cucurbite ; versez dessus de bon esprit de vin : bouchez-bien exactement votre vaisseau : pendant l'espace d'un mois que vous le tiendrez en digestion, vous y mettrez de nouvel esprit-de-vin neuf ou dix fois, & ferez brûler celui qui aura digéré dessus : séchez lentement votre préparation ; calcinez-la ensuite pendant un jour entier dans un creuset rouge : portez cette poudre dans un lieu humide, où vous la laisserez tomber en défaillance sur une table de pierre ou de verre, ou dans des blancs d'oeufs durcis : il s'en fait une liqueur qu'on seche & convertit de nouveau en poudre.

Voilà certainement une préparation qui coûte bien du tems, des peines, & de l'esprit-de-vin : mais que résulte-t-il de tout ce merveilleux appareil ? On entrevoit à-travers l'obscurité de cette description, que la premiere détonation donne un foie (faux) de Rulandus, que les lavages dépouillent du tartre vitriolé, & de son foie d'antimoine : ensorte que le soufre grossier reste avec une matiere vitreuse que Kerkringius appelle la poudre de Rulandus. Voyez son foie à l'art. ANTIMOINE. La seconde fournit après le lavage une céruse d'antimoine, selon les modernes, ou antimoine diaphorétique, qui ne sont autre chose qu'une chaux absolue d'antimoine ; & la troisieme, qu'on ne lave point cette même chaux d'antimoine privée des dernieres parties régulines qui pouvoient n'être pas encore décomposées, quoiqu'on la regarde communément comme chaux absolue, après la seconde détonation, & de l'alkali fixe, ou nitre alkalisé, & peut-être du nitre ; à moins que la calcination n'ait été très-long-tems soûtenue. L'esprit-de-vin digéré dessus ne peut donner qu'une teinture de tartre qu'on décompose en le brûlant (voyez TEINTURE DE TARTRE), & en calcinant la matiere. Cette poudre mise dans un lieu frais, n'est susceptible de défaillance que par son alkali fixe, qui doit être en petite quantité : c'est cette liqueur seule qu'on prend pour évaporer. Il reste donc après tant de travaux un peu d'alkali fixe mêlé d'une petite quantité de terre provenant de ses débris, & d'une moindre quantité encore de la chaux la plus subtile de l'antimoine, qu'il a pû tenir suspendue & entraîner avec lui, quoique l'acide de l'esprit-de-vin ait pû en précipiter une partie. Voyez MATIERE PERLEE. Aussi ne faut-il pas s'étonner que Basile Valentin ait attribué des vertus miraculeuses à sa poudre blanche : nous en ferons grace au lecteur. Il est bon de remarquer que c'est la préparation que les anciens chimistes appelloient céruse d'antimoine.

Le compilateur Libavius n'entend pas mieux la préparation d'antimoine diaphorétique, qu'il décrit aussi mal. Calcinez, dit-il, de l'antimoine crud & du nitre, jusqu'à ce qu'ils ne donnent plus de vapeurs : faites bouillir cette chaux dans plusieurs eaux ferrées ; macérez-la pendant un mois dans de l'esprit-de-vitriol, que vous changerez toutes les semaines : faites-la rougir plusieurs fois dans un creuset, & l'éteignez dans du vinaigre à chaque fois : enfin mettez-la digérer dans de l'esprit-de-vin ou de l'eau de chardon-bénit. Il faut avouer cependant qu'il en résulte vraiment de l'antimoine diaphorétique, où il y aura peut-être un atome de fer qu'y aura porté l'eau ferrée, qui a dû emporter l'alkali fixe, ce nitre, & le tartre vitriolé. L'esprit-de-vitriol digéré sur la matiere ; le vinaigre, en supposant qu'on ait employé assez de nitre pour la réduire en une chaux absolue ; l'esprit-de-vin, & l'eau de chardon-bénit, n'y font ni bien ni mal : & si la préparation lui coûte plus de tems & autant de peines à-peu-près que celle de Basile Valentin, au moins n'en perd-il pas les fruits, comme ce moine qui réduit tout à rien. Libavius, lib. II. alchem. tract. ij. de extract. pp. 188. 1606.

Lemery, Boerhaave, Mender, & Geoffroy, employent également trois parties de nitre. Le premier laisse calciner la matiere pendant deux heures ; le second, pendant un quart-d'heure, & reproche à Basile Valentin qu'il se donne bien des peines pour dépouiller son antimoine diaphorétique du nitre fixant, pendant qu'il ne lui reste presque autre chose que du nitre fixé. Il croit que le nitre fixe la chaux d'antimoine, comme Lemery s'est imaginé que le soufre de ce demi-métal en étoit fixé ; erreur que son savant critique a relevée d'une façon qui ne laisse rien à desirer ; ainsi que les reproches que Mender fait mal-à-propos à Boerhaave, sur ce que cet auteur regarde l'antimoine diaphorétique comme insipide & sans vertu. On observe encore que Mender fait fondre la matiere détonnée, & renchérit conséquemment sur la mauvaise méthode des deux premiers. Enfin Geoffroy veut aussi que le soufre de l'antimoine soit fixé par l'acide du nitre, & confond les noms de céruse d'antimoine, & d'antimoine diaphorétique.

On fait encore de l'antimoine diaphorétique avec l'antimoine crud, toutes les fois qu'on traite ce demi-métal de maniere qu'il soit converti en une chaux absolue blanche & divisée ; soit que l'action du feu aidée de celle de l'air, dissipe par tout son phlogistique sans intermede ; soit qu'elle se trouve mêlée de matieres hétérogenes : car il peut se trouver encore quelques molécules d'antimoine diaphorétique parmi la chaux qui reste sur le filtre à-travers lequel on passe la dissolution du régule d'antimoine par les sels, si-tôt après la détonation de ses scories, & du faux foie de Rulandus.

Enfin par la propriété qu'a l'acide nitreux d'enlever le phlogistique à la plûpart des substances métalliques, il réduit l'antimoine en chaux absolue, si on y fait dissoudre ce demi-métal. Dépouillé de son principe inflammable, il tombe au fond du vase où se fait l'expérience ; il n'est qu'une terre insipide, pourvû toutefois qu'on l'ait préalablement lavé avec exactitude. Une petite portion d'antimoine reste dissoute dans la liqueur, & forme les deux sels de M. Roüelle, l'une en plus & l'autre en moins d'acide qu'il soit possible. Le soufre surnage sous la forme d'une matiere jaunâtre pultacée. Bafile Valentin fait aussi une poudre fixe d'antimoine avec l'eau forte : mais il ne faut pas regarder son procédé comme positif. Voyez NITRE.

L'eau régale produit le même phénomene en conséquence de ce que l'acide nitreux y domine. Voyez NITRE. L'acide nitreux & l'eau régale attaquent l'antimoine crud avec rapidité : l'effervescence est vive & produit de la chaleur. Ces deux procédés donnent de l'antimoine diaphorétique par la voie humide, & fournissent les moyens de connoître au juste la quantité de soufre que contient l'antimoine crud.

Céruse d'antimoine. Réduisez en poudre fine séparément une partie de régule d'antimoine & trois parties de nitre ; mêlez-les intimement : faites-les détonner dans un creuset : jettez la matiere dans l'eau bouillante : décantez ; lessivez sept ou huit fois, & faites sécher votre résultat. Ce procédé exige les mêmes précautions que celui de l'antimoine diaphorétique.

Cette chaux d'antimoine n'est ni plus blanche ni plus divisée que celle que nous avons faite par la précédente méthode : ce procédé n'est donc pas préférable au premier, sans compter qu'il est dispendieux & exige plus de tems. On retire aussi la masse du creuset, si-tôt que la détonation est achevée : sans quoi elle ne manqueroit pas de jaunir, de même que dans la précédente préparation.

Si l'on fait évaporer & crystalliser l'eau du premier lavage, on a 1°. du nitre qui est la quantité excédante celle qu'il a fallu pour décomposer le régule employé : 2°. en poussant l'évaporation jusqu'à siccité, de l'alkali fixe rendu caustique par une petite portion de chaux antimoniale, avec laquelle il fait union, qu'il tenoit suspendue dans la liqueur : c'est encore de la matiere perlée. S'il ne s'y trouve point de sel polychreste, c'est que le régule d'antimoine ne contenoit pas la substance nécessaire à sa formation ; savoir l'acide vitriolique du soufre, qui dans l'antimoine diaphorétique, s'est uni à l'alkali fixe du nitre décomposé. Ainsi dans cette opération, le phlogistique du régule produit le même, ou à-peu-près le même phénomene que celui du charbon. Voyez NITRE ALKALISE PAR LE CHARBON. Si-tôt que ce principe inflammable est mis en agitation, & dégagé par l'action du feu, il dégage l'acide nitreux de sa base, lequel se consume & dissipe en partie. Il suit que le régule doit rester dans le creuset avec l'alkali, sous la forme d'une chaux blanche dépouillée de son phlogistique en entier.

Mais il ne faut pas croire que le nitre alkalise le régule par son acide seul : son alkali produit le même phénomene, indépendamment du concours de son acide. La calcination n'en va donc que plus vîte, quand on employe le nitre ; & cela par deux raisons : la premiere, c'est que l'acide nitreux dégagé de sa base, rencontrant quelques portions régulines, doit certainement leur enlever une partie de leur phlogistique, avant que de se consumer ou de se dissiper ; & la preuve que la chose se passe de la sorte, c'est qu'il y a une legere détonation qui est certainement dûe à l'acide nitreux, & non à sa base alkaline : la seconde, c'est qu'avec l'alkali fixe seul, il faut aller assez lentement, pour que ce sel ne se fonde point avec le régule. Si l'on donnoit le feu trop fort, surtout au commencement de l'opération, il en résulteroit d'abord une matiere vitreuse très-foncée, qu'il faudroit réduire en poudre, pour lui enlever plus promtement les dernieres portions du principe du feu ; & sur la fin, un verre peu coloré, dont le lavage ne pourroit séparer les substances qui entrent dans sa composition. Voyez REDUCTION. Si l'on a entretenu le feu par degrés, on a un alkali fixe rendu caustique par la chaux d'antimoine avec laquelle il est combiné.

C'est une des raisons pour lesquelles on employe le lavage : mais il est d'autant plus necessaire en pareil cas, qu'il sert encore à séparer de la chaux les dernieres portions de régule qui ont pû échapper à la détonation ; comme plus pesantes & moins divisées, elles gagnent le fond, sur-tout quand on a la précaution d'agiter la lessive. Cette considération porte également sur la préparation de l'antimoine diaphorétique.

Si au lieu de trois parties de nitre, c'en seroit assez de deux pour la préparation de l'antimoine diaphorétique ; à plus forte raison suffiroient-elles pour la céruse. Mais on agit encore de la sorte pour n'avoir aucun soupçon qu'il puisse rester la moindre molécule de régule sans être décomposée ; le nitre excédent se retrouve par la crystallisation. Il s'en trouve une beaucoup plus grande quantité en nature dans la préparation de la céruse d'antimoine, que dans celle de l'antimoine diaphorétique, proportion gardée ; parce qu'il n'en a pas fallu pour détonner avec le soufre, & que l'acide vitriolique de ce minéral n'en a point converti en tartre vitriolé. Mais il faut observer que la longueur de la calcination de la céruse doit changer ces phénomenes : outre cela, la présence du soufre peut non-seulement accélérer la calcination, mais encore la rendre plus complete avec la même quantité de nitre.

On peut encore, si l'on veut, faire la céruse d'antimoine avec les chaux non-absolues & les verres d'antimoine, en les faisant également détonner avec le nitre ; on pourroit pour lors se dispenser d'employer une aussi grande quantité de ce sel : parties égales suffiroient pour avoir une belle céruse d'antimoine. Mender. C'est la méthode des anciens à-peu-près.

Nous avons dit que l'alkali se combinoit avec le régule pendant la calcination ; mais il ne faut pas s'imaginer, comme Hoffman, que c'est cette union qui empêche que le régule ne se dissipe presque tout en fleurs par le feu, comme il arrive quand il est seul : cette fixité vient de la perte du phlogistique, qui le volatilisoit auparavant.

Dans ce procédé, la détonation est moins vive que dans le précédent, & il y a même telles proportions de nitre qui n'en donnent point-du-tout, soit parce qu'il n'y a point de soufre, soit parce que les molécules de l'antimoine étant par-là moins divisées, il se dégage une moindre quantité de phlogistique dans un seul & même instant, sans compter que le soufre peut favoriser ce dégagement ; ce qui est confirmé par la lenteur de cette calcination. Il y a d'autant moins d'alkali fixe, & il est d'autant moins caustique, qu'on y employe davantage de nitre, & qu'on calcine moins long-tems. Ainsi donc il faut bien peser toutes ces circonstances avant que d'avancer s'il se fait plus de nitre fixe dans cette préparation, que dans celle de l'antimoine diaphorétique. Lémery ayant fait détonner seize onces de régule avec quarante-huit de nitre, on a retiré vingt-quatre onces & demie de céruse bien lavée & bien séchée, & il lui est resté vingt-cinq onces de sel.

Libavius donne la préparation suivante de la céruse d'antimoine. Calcinez le régule avec le nitre dans un vaisseau de verre, que vous échaufferez par degré ; lavez-en le sel, & répétez cette opération encore deux fois, pour fixer & blanchir l'antimoine. Exposez-le ensuite à un feu de reverbere pendant trois jours. Si les anciens qui la pratiquoient prenoient beaucoup de peine, au moins étoient-ils très-assûrés d'avoir réduit le régule en une terre insipide & inerte.

Le même Libavius donne le nom de turbith à la chaux d'antimoine faite avec le régule, dissous par l'acide nitreux, qu'on faisoit bouillir après cela dans du vinaigre, & ensuite dans de l'eau de roses : mais il est évident que ces deux décoctions deviennent inutiles. Page 188.

Si l'on fait digérer de l'esprit-de-vin sur la céruse d'antimoine non-lavée, il se fait une teinture rouge. Voyez TEINTURE DE TARTRE. Si on allume cet esprit-de-vin dessus, & qu'on l'y fasse brûler tout entier, il reste une liqueur lixivielle très-âcre. Cette liqueur étant évaporée sur un feu leger, donne un alkali d'un rouge jaunâtre, caustique & tout soluble dans l'eau. La lessive qui en résulte est rougeâtre & fort âcre. La poudre réguline qu'on sépare de cette teinture est absolument dépouillée de causticité ; elle ne purge ni par le haut ni par le bas, & n'est que diaphorétique. Fred. Hoffman, observat. physico-chim. select. p. 254. 4°.

Quand on verse le verre d'antimoine sur une plaque métallique, il s'éleve des fleurs blanches qu'il ne faut pas prendre pour de la céruse d'antimoine, c'est un verre très-divisé. Il faut en dire autant dans la préparation de la neige d'antimoine, des fleurs qui se trouvent entre les deux couvercles du pot. Le régule d'antimoine donne à-peu-près le même produit, toutes les fois qu'on le fond à l'air libre. Les fleurs qui s'élevent dans la préparation du foie de Rulandus, sont encore de même nature, quoique quelques auteurs ayent regardé tous ces produits comme une chaux absolue d'antimoine.

On fait encore une céruse d'antimoine, en dissolvant son régule dans l'eau-forte & l'eau régale, & en versant de l'acide nitreux sur le beurre d'antimoine. Voyez BEZOARD MINERAL. Dans ces trois mélanges, il s'excite une forte effervescence ; il n'est pas plus étonnant que l'eau régale agisse sur le régule, que sur l'antimoine crud : l'acide nitreux en constitue environ les trois quarts. C'est cet acide qui produit tous ces phénomenes ; du moins l'acide marin ne paroît-il y avoir aucune part ; & quand bien même il dissolveroit une partie de régule, il seroit toûjours chassé par l'acide nitreux, comme il arrive dans le bézoard minéral. Par ces trois procédés, on fait une chaux d'antimoine insipide ; mais il n'en est pas de même du beurre d'antimoine, ou de la poudre d'Algaroth, ni de la dissolution du régule d'antimoine par l'acide vitriolique : ces deux sels sont âcres & caustiques. Voyez tous ces articles, & NITRE. Le bézoard minéral en particulier, est une céruse très-divisée ; & comme ce n'est qu'en conséquence de sa grande division que la chaux absolue d'antimoine peut produire quelque effet, le bézoard comme plus atténué que les autres chaux absolues, en produit par-là de beaucoup plus considérables, étant donné même en moindre quantité.

Il est évident par tout ce qui précede, que la chaux absolue d'antimoine, par quelle des méthodes décrites qu'elle soit faite, est toûjours la même quant au fond. Quand elle est bien faite, c'est une pure terre insipide, insoluble dans quelque liqueur que ce soit, non-absorbante, & absolument dépouillée de toute éméticité & de toute autre action. Ainsi l'on peut reconnoître celle qui a été falsifiée avec de la craie, ou toute autre terre absorbante, par l'effervescence qu'elle fait pour lors avec les acides.

Il suit donc que l'esprit-de-vin ou toute autre liqueur, soit acide, soit spiritueuse ou huileuse, n'occasionneront aucun changement dans les parties de la chaux antimoniale ; puisque les acides minéraux les plus corrosifs ne peuvent l'altérer en aucune façon, ou bien ont déjà exercé toute leur action sur elle. Ainsi c'est se repaître de chimeres, que de croire augmenter ou changer sa vertu par les édulcorations & digestions merveilleuses, que les différens auteurs ont prescrites. Les changemens de couleurs qui arrivent pour lors, sont dûs à l'alkali fixe ou nitre décomposé (Voyez TEINTURE DE TARTRE) ; & la preuve, c'est que ces phénomenes cessent dès qu'on a dépouillé la chaux antimoniale de ce sel. En brûlant l'esprit-de-vin, &c. desséchant, calcinant & filtrant, on détruit tout ce que l'alkali en a pû retenir.

Si, à ce que nous avons détaillé jusqu'ici sur les propriétés de l'antimoine diaphorétique & de la céruse d'antimoine, on joint la connoissance des phénomenes de la teinture du tartre, de la déflagration de l'esprit-de-vin & des huiles essentielles, on aura une critique raisonnée du fondant de Rotrou.

On fait un antimoine diaphorétique martial, connu sous le nom de safran de Mars, antimoine de Stahl. Voyez cet article.

Nous avons dit que la terre de l'antimoine par sa simple qualité de substance métallique, absolument privée de son principe inflammable, n'étoit point émétique. Cette opinion est assez généralement reçûe, & même il y a des auteurs qui soûtiennent qu'elle n'a aucune vertu. Boerhaave est de ce nombre : mais il se combat lui-même en la regardant comme nuisible, & en avançant dans un autre endroit qu'elle aiguise la vertu des purgatifs. Il cite pour exemple la poudre cornachine, dans laquelle elle entre pour un tiers. On conçoit à la vérité qu'une matiere qui n'est ni émétique ni diaphorétique, parce qu'elle est une terre inerte, peut être inutile, mais non nuisible, ni capable d'augmenter la vertu des médicamens. Cependant Boerhaave s'explique là-dessus bien clairement : après avoir dit que l'antimoine diaphorétique non-lavé est un leger irritant, il ajoûte que la chaux pure produit plus de mal ; qu'en la lavant, on lui enleve tout ce qu'elle avoit de bon, & qu'il n'en conseille l'usage qu'en la laissant avec ses sels, ou bien en l'employant dans la poudre cornachine, que l'expérience confirme avoir plus d'activité en conséquence de l'antimoine diaphorétique, qui n'agit sensiblement que dans ce cas. Ainsi donc Boerhaave doit reconnoître forcément que l'antimoine diaphorétique n'a d'inertie que pour le bien, & point du tout pour le mal. Nous n'entreprenons cependant pas de soûtenir son sentiment ; il avoit l'observation pour lui à la vérité, mais elle ne peut avoir été faite qu'en conséquence d'une préparation susceptible de quelques changemens.

Mender, qui est du sentiment contraire, a bien senti la contradiction évidente qui étoit échappée à Boerhaave ; mais il le combat avec des raisonnemens si peu concluans, qu'on seroit tenté de croire qu'il a tort, pendant que l'expérience a décidé en sa faveur. Avec un pareil garant, nous ne citerons aucune autorité, quoiqu'il y en ait pour lui de très-respectables & en fort grand nombre, comme Frédéric Hoffman, &c. mais il y en a aussi contre lui. Il avance donc 1°. qu'il ne faut pas croire qu'une terre insipide n'ait plus de vertu ; puisqu'on voit le contraire de la part du verre d'antimoine & du mercure de vie. 2°. Que d'ailleurs il y a dans l'antimoine diaphorétique, la partie principale du régule : mais on peut répondre à cela que Boerhaave n'attribue aucune vertu à l'antimoine diaphorétique, non-seulement parce qu'il n'a aucune saveur, mais encore parce qu'il est dépouillé de tout principe actif ; ce qui n'est pas également vrai du verre d'antimoine & du mercure de vie, quoique insipides. En second lieu, l'antimoine diaphorétique n'est pas plus actif pour contenir la partie principale du régule, puisque cette même partie est absolument dépouillée du principe du feu qui lui donnoit toute son activité. Voyez à ce sujet les excellentes notes de M. Baron sur Lémery, où les raisons de Mender sont exposées avec netteté, & combattues avec force. Mais si Boerhaave s'est contredit en soûtenant qu'une terre inactive étoit nuisible, & avoit la faculté d'aiguiser la vertu des purgatifs, on peut le concilier avec lui-même, quand il dit que cette terre qui est nuisible, aiguise ; parce qu'il la considere d'abord seule, & ensuite mêlée avec d'autres substances. Ce point a échappé à Mender.

Nous n'irons pas plus loin sans prévenir les objections qu'on pourroit nous faire contre notre opinion, afin d'empêcher qu'on ne tourne contre nous les armes que nous venons de manier contre les autres. On pourroit s'autoriser de l'aveu que nous avons fait, que l'expérience parle pour Mender, pendant que nous convenons que l'antimoine diaphorétique est une terre inerte ; mais on conclura facilement que ces deux propositions n'ont rien qui répugne, si l'on se rappelle que nous avons particulierement insisté sur le lavage à grande eau, comme favorisant la division, & que nous avons avancé que c'étoit cette division qui faisoit tout le mérite de la chaux de l'antimoine. En effet il est aisé de sentir que cette chaux flottera par ce moyen dans les humeurs de nos premieres voies, enfilera l'orifice des veines lactées à la faveur de ce véhicule, & passera dans le sang, où elle produira tous les effets d'un corps dur & inaltérable : ceux de rompre, diviser & atténuer les molécules sanguines & lymphatiques qui pourront s'être réunies pour quelle cause que ce soit, & de procurer aux molécules morbifiques qu'elles en auront détachées, la facilité de parcourir les couloirs qui ne pouvoient les admettre avant ce tems ; ensorte qu'elles pourront être évacuées par les voies ouvertes, comme les vaisseaux perspiratoires, &c.

Mais il n'y a peut-être point de question qui ait été plus agitée, & sur laquelle les sentimens soient plus partagés, que sur l'éméticité du régule d'antimoine, combiné avec les acides végétaux & minéraux. Tout le monde convient que l'antimoine privé de soufre, n'est émétique qu'à proportion de ce que sa partie réguline contient de phlogistique ; puisque l'antimoine diaphorétique qui l'a tout perdu quand il est bien fait, n'est plus émétique. Nous croyons qu'on ne nous taxera pas de supposer ce qui est en question, au sujet de l'antimoine diaphorétique : mais il y a des auteurs qui veulent que l'éméticité de la partie réguline, ou de la chaux non-absolue de l'antimoine, soit augmentée par les acides végétaux, & diminuée ou détruite par les acides minéraux. D'autres prétendent le contraire exactement. Les premiers avancent pour soûtenir leur sentiment, que la poudre cornachine vieille est émétique ; parce que la creme de tartre a eu le tems de se combiner avec l'antimoine diaphorétique, qui n'étoit pas émétique avant ; que le sirop de limon, mêlé avec le même antimoine diaphorétique, lui donne de l'éméticité. Ils disent, au contraire, qu'on arrête les effets violens de l'émétique par les acides minéraux. Leurs antagonistes disent pour raison, que les acides végétaux donnés intérieurement, arrêtent tout aussi bien que les minéraux, les effets de l'émétique ; & que ces mêmes acides minéraux produisent un émétique beaucoup plus violent que l'ordinaire, qui est fait avec la creme de tartre, comme cela est évident par le mercure de vie. Je crois qu'on peut concilier l'un & l'autre parti sans coup férir. Il est d'expérience que le régule & le verre d'antimoine donnés en substance, à plus grande dose que le tartre stibié, sont moins émétiques que lui, quoiqu'il n'ait peut-être pas la moitié de son poids de parties régulines : mais celui-ci n'est plus émétique que parce qu'il est dissous, selon l'union. Il faut donc que le régule & le verre pris intérieurement, subissent une dissolution préalablement à toute action, comme il paroît par les pilules perpétuelles. Peu importe par quel acide que ce soit, minéral, animal ou végétal ; mais il ne faut pas que l'acide végétal soit sur-abondant, car il émane pour lors la vertu émétique. On entend ici par sur-abondant, non-seulement une plus grande quantité d'acide combinée avec la partie réguline, mais encore la présence de cet acide à nud dans l'estomac, qui calme vraisemblablement les convulsions de ce viscere. Il ne faut pas non plus que l'acide minéral enleve tout le phlogistique du régule ; il en fait une terre diaphorétique, comme l'acide nitreux : mais on ne peut pas prendre intérieurement l'acide nitreux, assez concentré pour réduire le régule d'antimoine en chaux. Ce n'est donc pas par cette qualité qu'il agit, non plus que les deux autres, mais en fournissant un acide sur-abondant à l'émétique déjà dissous par un acide, de même que cela se passe de la part des acides végétaux, qu'on donne pour le même sujet. Ainsi donc les acides, quels qu'ils soient, développeront l'éméticité de la partie réguline, en la dissolvant & s'y combinant à un juste point de saturation : plus loin, ils l'affoibliront, & calmeront le spasme de l'estomac ; & l'acide nitreux ne fait pas même d'exception ici, parce qu'il faut qu'il soit assez affoibli pour tenir en dissolution cette partie réguline, & être donné intérieurement. Voyez aux articles FER & NITRE, la dissolution de ce métal par l'acide de ce sel. Quant à l'antimoine diaphorétique, qui devient émétique parce qu'il se trouve uni à la creme de tartre, ou au sirop de limon, c'est qu'il est mal fait, & contient encore quelques parties régulines, qui ont été dissoutes par ces acides ; s'il n'étoit pas émétique avant, c'est parce que les parties régulines n'étoient pas dissoutes, & qu'elles ne pouvoient agir sans cela. Or que l'antimoine diaphorétique, même le mieux fait, recele encore quelques particules régulines, qui auront échappé à l'embrasement ; c'est ce qui paroîtra prouvé par la considération suivante. Il reste ordinairement parmi la chaux de l'antimoine diaphorétique, des grains de régule, qui ne sont nullement calcinés, & qui ressemblent à du plomb granulé ; il peut donc bien y avoir, à plus forte raison, des particules de régule qui se trouvent dans le cas de toutes les nuances de calcination, qui s'étendent depuis le régule jusqu'à la chaux absolue d'antimoine inclusivement. S'il ne se trouvoit point de régule d'antimoine en nature, après la calcination de l'antimoine diaphorétique, notre opinion porteroit à faux, ou du moins ne pourroit pas se prouver, mais elle est pleinement confirmée par son existence ; car si l'opération est insuffisante pour commencer à calciner une portion de régule entier, il suit qu'elle le sera encore plus pour achever de calciner celles auxquelles elle a déjà fait perdre une portion de phlogistique, puisqu'il est plus difficile de détruire ces dernieres portions qui sont les plus tenaces & les plus profondément cachées, que de dissiper les premieres qui sont plus superficielles. Cette derniere considération sert de complément à la preuve de la nécessité du lavage en grande eau, & avertit qu'il ne faut prendre qu'environ la moitié de l'antimoine diaphorétique qu'on a fait ; c'est celle-là seule qui flotte par le lavage, comme la litharge broyée à l'eau. Quant au reste qui est composé de parties régulines & de chaux dans différens degrés de calcination, il les faut soûmettre de nouveau à la détonation. Il résulte donc de tout ce que nous avons dit, que pour avoir l'antimoine diaphorétique bien blanc, bien divisé, & dans l'état d'une pure terre, il faut ne lui faire subir qu'une calcination instantanée, mais le laver en grande eau, pour séparer ce qui est diaphorétique d'avec les parties régulines que cette legere calcination n'a pû détruire.

Antimoine diaphorétique, (Pharmacie) Comme la distinction entre céruse d'antimoine & antimoine diaphorétique, ne consiste guere qu'en une différence de noms, & que les artistes habiles font indifféremment l'un ou l'autre, on les confond & on ne les connoît que sous celui d'antimoine diaphorétique. On a coûtume de garder cette préparation dans les boutiques sous la forme de trochisques. Cette chimérique élégance coûte deux peines, celles de les faire & de les réduire en poudre au besoin ; elle doit être proscrite pour les raisons alléguées. L'antimoine diaphorétique entre dans la poudre cornachine & la poudre absorbante. L'antimoine diaphorétique ne devient point émétique en vieillissant, comme quelques auteurs l'ont avancé. Article de M. DE VILLIERS.


FONDANTen Métallurgie, on donne en général le nom de fondans dans les travaux de la Docimasie & de la Métallurgie, à des substances que l'on joint à d'autres corps pour les faire entrer en fusion, afin que par ce moyen la partie métallique puisse s'en dégager. Tous les sels alkalis, les sels neutres, tels que le nitre, le tartre, le borax, le sel ammoniac, le flux blanc & le flux noir, doivent être regardés comme de très-bons fondans, voyez FLUX ; mais on ne peut en faire usage que dans les essais ou dans les opérations de la Docimasie, qui se font en petit, & dans lesquelles on opere sur une matiere d'un petit volume ; il seroit trop coûteux de se servir de ces sels lorsqu'il s'agit des travaux en grand de la Métallurgie, dans lesquels on veut traiter de grandes masses de substances minérales, pour en dégager la partie métallique qui est quelquefois très-petite, eu égard aux substances terreuses, pierreuses, &c. qui l'accompagnent. Il faut donc pour lors avoir recours à d'autres substances que l'on puisse se procurer à peu de frais, & qui soient propres à produire les effets que l'on se propose. On prend pour cela tantôt des pyrites, tantôt des cailloux ; du quartz, du spath, ce qu'on appelle fluors, des terres argilleuses, tantôt des pierres ou terres calcaires, &c. & sur-tout des scories qu'on a obtenu par les opérations précédentes ; & l'on joint suivant l'exigence des cas une ou plusieurs de ces matieres avec la mine que l'on veut traiter dans le fourneau de fusion, & elles facilitent la séparation du métal.

La castine employée dans la fonte du fer ou sans fourneau de grosses forges, est un vrai fondant. Voyez CASTINE, FORGE, FER. Le plomb employé dans l'opération de la coupelle, hâte la fusion des substances métalliques auxquelles il est appliqué à la façon des fondans. Voyez ESSAI. Les Chimistes employent des sels, & sur-tout l'alkali fixe ordinaire, pour procurer de la fusibilité à des corps rebelles ; au tartre vitriolé, par exemple, dans la préparation du soufre, à divers résidus terreux dans lesquels on veut rechercher l'acide vitriolique par l'épreuve de la production du soufre, voyez SOUFRE. Les sels fusibles, tels que l'alkali fixe, le borax, & même le sel marin, favorisent bien la fusion des substances pierreuses & terreuses, avec lesquelles on les traite & les dispose à la vitrification, voyez VITRIFICATION. Il y a cependant à cet égard des raretés dont l'observation est dûe à M. Pott. Voyez TERRE, PIERRE, LITHOGEOGNOSIE, &c.

Mais quant aux substances métalliques, rien n'est plus heureux que quand une mine porte son fondant avec elle, c'est-à-dire quand elle se trouve jointe dans le filon avec des substances propres à faciliter sa fusion.

Il est impossible de donner des regles générales sur les fondans qu'il faut employer dans les travaux de la Métallurgie ; on sent aisément que cela doit nécessairement varier en raison de la nature des substances qui servent de miniere, d'enveloppe, ou de matrice à la partie métallique ; & l'on voit clairement qu'une substance qui sera un très-bon fondant pour le traitement d'une mine, deviendra nuisible pour le traitement d'une autre. Il est donc très-important de connoître d'abord la nature de ces substances, en suite de quoi il faut que l'expérience ait appris les effets que produisent dans le feu avec ces mêmes substances, d'autres matieres que l'on peut y joindre. En effet les fondans n'agissent point de la même maniere, & il est très-essentiel de ne point prendre le change sur la façon dont ils operent.

Il y a des corps qui facilitent la fusion, soit parce que par eux-mêmes ils sont propres à y entrer par l'action du feu, soit parce qu'étant unis avec d'autres corps infusibles, ils les rendent fusibles ; cela se fait ou parce que ces corps absorbent les acides & les soufres qui s'opposent à la fusibilité ; ou ils agissent comme phlogistique, en fournissant, lorsqu'il en est besoin, le principe inflammable au métal qui l'avoit perdu, & qui étoit dans un état de chaux ; ou ils se combinent avec les substances nuisibles dont il faut dégager le métal, qui par-là est mis en liberté. Il y a des substances qui prises séparément, ne peuvent point entrer en fusion : mais qui mêlées avec d'autres substances aussi peu propres qu'elles à se fondre, deviennent par ce mélange propres à devenir des fondans. C'est ainsi que la craie seule ne se fond point : mais si l'on y joint de l'argille, le mélange se fond & fait du verre. En général la même chose arrive par le mélange des terres argilleuses & gypseuses, argilleuses & calcaires, de l'argille & des cailloux, du gypse & des cailloux, &c.

Un phénomene non moins digne de remarque, c'est qu'il y a des substances qui n'ayant point la propriété d'être fusibles, ni par elles-mêmes ni mêlées avec d'autres substances, deviennent cependant fusibles par l'addition d'une troisieme substance aussi peu fusible qu'elles, qu'on leur ajoûtera. C'est ainsi que les pierres calcaires & les pierres gypseuses mêlées ensemble sont infusibles ; mais elles entreront en fusion si on leur joint de l'argille, qui cependant par elle-même n'est pas plus propre qu'elles à entrer en fusion.

On voit par-là que la connoissance des fondans est une des choses les plus importantes dans les travaux de la Métallurgie, & qui demande le plus de soin & d'attention ; d'ailleurs elle suppose une connoissance étendue de la Chimie, attendu que pour opérer avec succès, il faut savoir les différens effets qui résultent de la combinaison des corps quand on les expose à l'action du feu. C'est à l'étude & à l'expérience à instruire sur ces choses. On pourra sur-tout tirer beaucoup de lumiere de l'ouvrage de Mr. Pott, de l'académie de Berlin, qui a pour titre litogeognosie ou examen chimique des terres & des pierres ; de la Métallurgie de Stahl, & de l'introduction à la Minéralogie de M. Henkel. Voyez FUSION, METALLURGIE & FLUX. (-)

FONDANT, (Métall.) c'est la partie d'un fourneau à manche où le feu est le plus violent. On conçoit que ce doit être celle où le vent des soufflets agit avec le plus d'impétuosité ; mais elle ne se trouve pas immédiatement dans l'endroit du fourneau le plus voisin de la tuyere. Ce n'est qu'un peu plus avant & dans une certaine étendue de la masse du charbon & de la mine : car le souffle refroidit la matiere qu'il frappe la premiere ; ce qui oblige de faire le nez. Voyez ce mot. Schlutter.

FONDANT, adj. (Thérapeutique) terme fort usité dans le langage de la théorie moderne, pour exprimer une propriété de certains remedes assez mal determinée, comme toutes les vertus altérantes. Celle-ci ressemble assez à la qualité atténuante, incisive, apéritive. Voyez INCISIF, APERITIF, ATTENUANT.

Les remedes désignés spécialement par le nom de fondant, sont tous des présens de la Chimie ; ce sont 1°. l'un & l'autre alkali fixe ; 2°. plusieurs sels neutres, tels que le sel végetal ; le sel de Seignette, le sel fixe ammoniac, les sels d'Epsom & de Seidlitz, le sel de Glauber, mais principalement le tartre vitriolé & ses diverses especes : savoir le sel polichreste de Glaser, le sel de duobus, & le nitre antimonié. 3°. Les teintures antimoniales tirées avec les esprits ardens ou avec les acides végétaux. Voyez ANTIMOINE. Le fameux fondant de Rotrou est de l'antimoine diaphorétique non lavé, & qui a été préparé avec l'antimoine crud ou entier. 4°. Plusieurs préparations mercurielles : savoir le mercure sublimé doux, la panacée, le précipité blanc, le précipité jaune, l'aethiops minéral, & même le mercure coulant. 5°. Enfin le savon ordinaire.

On peut grossir cette liste de fondans en ajoûtant aux remedes chimiques que nous venons de nommer, l'aloës & les gommes résines qui sont des produits naturels.

Tous ces remedes donnés en dose convenable, sont des purgatifs ; mais quand les Medecins les employent à titre de fondans, c'est toûjours en une dose trop foible pour qu'ils puissent produire une purgation pleine & entiere. Cependant on estime leur action, même dans ce cas, par des legeres évacuations qu'ils ne manquent pas de procurer ordinairement. Un gros de sel de Glauber ou un demi-gros de tartre vitriolé pris le matin dans un bouillon, procure communément une ou deux selles dans la matinée. La dose moyenne de mercure doux ou de panacée, une pilule aloétique fondante, vingt gouttes de teinture des scories succinées de Stahl, &c. produisent le même effet dans le plus grand nombre de sujets.

On pourroit peut-être déduire de ces évacuations l'action médicinale des fondans ; cette théorie paroîtroit très-raisonnable à ceux qui pensent que toute action médicamenteuse véritablement curative, se borne à exciter des évacuations, & qui ne croyent point à la plûpart des altérations prétendues procurées au corps même des humeurs par des remedes. Mais ce sentiment, tout plausible qu'il pourra paroître à quelques medecins, n'est pas celui du grand nombre.

Selon la théorie régnante, les fondans agissent sur la substance même des humeurs, les divisent, les brisent, les mettent dans une fonte réelle.

On ordonne les fondans contre le prétendu épaississement des humeurs, leur disposition aux concrétions, aux hérences ; que cette disposition se trouve ou non dans les sujets attaqués des maladies suivantes, les fondans sont toûjours leur véritable remede. Leur bon effet est constaté par l'observation toûjours supérieure aux lumieres théoriques, & peut-être suffisante sans elles.

Les maladies dont nous voulons parler, sont les obstructions proprement dites des glandes & des visceres, les tumeurs écroüelleuses & vénériennes, les concrétions & les dépôts laiteux ; certaines hydropisies & bouffissures des parties extérieures ; certaines suppressions de regles, &c. Voyez les articles particuliers de ces maladies.

Les fondans sont contre indiqués dans tous les cas où les humeurs sont censées en dissolution ou en fonte ; tous ces cas sont compris dans l'extension qu'on donne aujourd'hui à la classe des affections scorbutiques. Voyez SCORBUT. (b)

FONDANT, (Peinture en émail) matiere servant pour les émaux. Voyez PEINTURE en EMAIL ; voyez les articles PORCELAINE & FAYENCE.


FONDATEURS. m. (Jurispr.) est celui qui fait construire ou qui a doté quelque église, collége, hôpital, ou fait quelqu'autre établissement ; comme des prieres & services qui doivent s'acquiter dans une église. Voyez ci-après FONDATION. (A)


FONDATIONS. f. (Arch.) ce mot dans son sens primitif, s'applique à la construction de cette partie des édifices qui leur sert de base ou de fondement, & qui est plus ou moins enfoncée au-dessous du sol, suivant la hauteur de l'édifice, ou la solidité du terrein. Quoique le mot de fondation, suivant l'analogie grammaticale, ne doive signifier que l'action de poser les fondemens d'un édifice, il a cependant passé en usage parmi les Architectes & les Maçons, de donner le nom de fondations aux fondemens eux-mêmes : ainsi l'on dit, ce bâtiment a douze piés de fondation. Malgré cet usage, je crois qu'on doit préférer en écrivant le mot de fondement, plus conforme à l'analogie. Voyez FONDEMENT. (Architect.)

FONDATION, (Politique & Droit naturel) Les mots fonder, fondement, fondation, s'appliquent à tout établissement durable & permanent, par une métaphore bien naturelle, puisque le nom même d'établissement est appuyé précisément sur la même métaphore. Dans ce sens on dit, la fondation d'un empire, d'une république. Mais nous ne parlerons point dans cet article de ces grands objets : ce que nous pourrions en dire, tient aux principes primitifs du Droit politique, à la premiere institution des gouvernemens parmi les hommes. Voyez GOUVERNEMENT, CONQUETE, GISLATIONTION. On dit aussi fonder une secte. Voyez SECTE. Enfin on dit fonder une académie, un collége, un hôpital, un couvent, des messes, des prix à distribuer, des jeux publics, &c. Fonder dans ce sens, c'est assigner un fond ou une somme d'argent, pour être employée à perpétuité à remplir l'objet que le fondateur s'est proposé, soit que cet objet regarde le culte divin ou l'utilité publique, soit qu'il se borne à satisfaire la vanité du fondateur, motif souvent l'unique véritable, lors même que les deux autres lui servent de voile.

Les formalités nécessaires pour transporter à des personnes chargées de remplir les intentions du fondateur la propriété ou l'usage des fonds que celui-ci y a destinés ; les précautions à prendre pour assûrer l'exécution perpétuelle de l'engagement contracté par ces personnes ; les dédommagemens dûs à ceux que ce transport de propriété peut intéresser, comme, par exemple, au suzerain privé pour jamais des droits qu'il percevoit sur le fond donné à chaque mutation de propriétaire ; les bornes que la politique a sagement voulu mettre à l'excessive multiplication de ces libéralités indiscrettes ; enfin différentes circonstances essentielles ou accessoires aux fondations, ont donné lieu à différentes lois, dont le détail n'appartient point à cet article, & sur lesquelles nous renvoyons aux articles FONDATION, (Jurispr.) MAIN-MORTE, AMORTISSEMENT, &c. Notre but n'est dans celui-ci que d'examiner l'utilité des fondations en général par rapport au bien public, ou plûtôt d'en montrer les inconvéniens : puissent les considérations suivantes concourir avec l'esprit philosophique du siecle, à dégoûter des fondations nouvelles, & à détruire un reste de respect superstitieux pour les anciennes !

1°. Un fondateur est un homme qui veut éterniser l'effet de ses volontés : or quand on lui supposeroit toûjours les intentions les plus pures, combien n'a-t-on pas de raisons de se défier de ses lumieres ? combien n'est-il pas aisé de faire le mal en voulant faire le bien ? Prévoir avec certitude si un établissement produira l'effet qu'on s'en est promis, & n'en aura pas un tout contraire ; démêler à-travers l'illusion d'un bien prochain & apparent, les maux réels qu'un long enchaînement de causes ignorées amenera à sa suite ; connoître les véritables plaies de la société, remonter à leurs causes ; distinguer les remedes des palliatifs ; se défendre enfin des prestiges de la séduction ; porter un regard sévere & tranquille sur un projet au milieu de cet atmosphere de gloire, dont les éloges d'un public aveugle & notre propre enthousiasme nous le montrent environné : ce seroit l'effort du plus profond génie, & peut-être la politique n'est-elle pas encore assez avancée de nos jours pour y réussir. Souvent on présentera à quelques particuliers des secours contre un mal dont la cause est générale ; & quelquefois le remede même qu'on voudra opposer à l'effet, augmentera l'influence de la cause. Nous avons un exemple frappant de cette espece de mal-adresse, dans quelques maisons destinées à servir d'asyle aux femmes repenties. Il faut faire preuve de débauche pour y entrer. Je sais bien que cette précaution a dû être imaginée pour empêcher que la fondation ne soit détournée à d'autres objets : mais cela seul ne prouve-t-il pas que ce n'étoit pas par de pareils établissemens étrangers aux véritables causes du libertinage, qu'il falloit le combattre ? Ce que je dis du libertinage, est vrai de la pauvreté. Le pauvre a des droits incontestables sur l'abondance du riche ; l'humanité, la religion nous font également un devoir de soulager nos semblables dans le malheur : c'est pour accomplir ces devoirs indispensables, que tant d'établissemens de charité ont été élevés dans le monde chrétien pour soulager des besoins de toute espece ; que des pauvres sans nombre sont rassemblés dans des hôpitaux, nourris à la porte des couvens par des distributions journalieres. Qu'est-il arrivé ? c'est que précisément dans les pays où ces ressources gratuites sont les plus abondantes, comme en Espagne & dans quelques parties de l'Italie, la misere est plus commune & plus générale qu'ailleurs. La raison en est bien simple, & mille voyageurs l'ont remarquée. Faire vivre gratuitement un grand nombre d'hommes, c'est soudoyer l'oisiveté & tous les desordres qui en sont la suite ; c'est rendre la condition du fainéant préférable à celle de l'homme qui travaille ; c'est par conséquent diminuer pour l'état la somme du travail & des productions de la terre, dont une partie devient nécessairement inculte : de-là les disettes fréquentes, l'augmentation de la misere, & la dépopulation qui en est la suite ; la race des citoyens industrieux est remplacée par une populace vile, composée de mendians vagabonds & livrés à toutes sortes de crimes. Pour sentir l'abus de ces aumônes mal dirigées, qu'on suppose un état si bien administré, qu'il ne s'y trouve aucun pauvre (chose possible sans-doute, pour tout état qui a des colonies à peupler, voy. MENDICITE) ; l'établissement d'un secours gratuit pour un certain nombre d'hommes y créeroit tout-aussi-tôt des pauvres, c'est-à-dire donneroit à autant d'hommes un intérêt de le devenir, en abandonnant leurs occupations : d'où résulteroient un vuide dans le travail & la richesse de l'état, une augmentation du poids des charges publiques sur la tête de l'homme industrieux, & tous les desordres que nous remarquons dans la constitution présente des sociétés. C'est ainsi que les vertus les plus pures peuvent tromper ceux qui se livrent sans précaution à tout ce qu'elles leur inspirent : mais si des desseins pieux & respectables démentent toutes les espérances qu'on en avoit conçûes, que faudra-t-il penser de toutes ces fondations qui n'ont eu de motif & d'objet véritable que la satisfaction d'une vanité frivole, & qui sont sans-doute les plus nombreux ? Je ne craindrai point de dire que si on comparoit les avantages & les inconvéniens de toutes les fondations qui existent aujourd'hui en Europe, il n'y en auroit peut-être pas une qui soûtint l'examen d'une politique éclairée.

2°. Mais de quelque utilité que puisse être une fondation, elle porte dans elle-même un vice irremédiable, & qu'elle tient de sa nature, l'impossibilité d'en maintenir l'exécution. Les fondateurs s'abusent bien grossierement, s'ils imaginent que leur zele se communiquera de siecle en siecle aux personnes chargées d'en perpétuer les effets. Quand elles en auroient été animées quelque tems, il n'est point de corps qui n'ait à la longue perdu l'esprit de sa premiere origine. Il n'est point de sentiment qui ne s'amortisse par l'habitude même & la familiarité avec les objets qui l'excitent. Quels mouvemens confus d'horreur, de tristesse, d'attendrissement sur l'humanité, de pitié pour les malheureux qui souffrent, n'éprouve pas tout homme qui entre pour la premiere fois dans une salle d'hôpital ! Eh bien qu'il ouvre les yeux & qu'il voye : dans ce lieu même, au milieu de toutes les miseres humaines rassemblées, les ministres destinés à les secourir se promenent d'un air inattentif & distrait ; ils vont machinalement & sans intérêt distribuer de malade en malade des alimens & des remedes prescrits quelquefois avec une négligence meurtriere ; leur ame se prête à des conversations indifférentes, & peut-être aux idées les plus gaies & les plus folles ; la vanité, l'envie, la haine, toutes les passions, regnent-là comme ailleurs, s'occupent de leur objet, le poursuivent ; & les gémissemens, les cris aigus de la douleur ne les détournent pas davantage, que le murmure d'un ruisseau n'interromproit une conversation animée. On a peine à le concevoir ; mais on a vû le même lit être à-la-fois le lit de la mort & le lit de la débauche. Voyez HOPITAL. Tels sont les effets de l'habitude par rapport aux objets les plus capables d'émouvoir le coeur humain. Voilà pourquoi aucun enthousiasme ne se soûtient ; & comment sans enthousiasme, les ministres de la fondation la rempliront-ils toûjours avec la même exactitude ? Quel intérêt balancera en eux la paresse, ce poids attaché à la nature humaine, qui tend sans-cesse à nous retenir dans l'inaction ! Les précautions même que le fondateur a prises pour leur assûrer un revenu constant, les dispensent de le mériter. Fondera-t-il des surveillans, des inspecteurs, pour faire exécuter les conditions de la fondation ? Il en sera de ces inspecteurs comme de tous ceux qu'on établit pour maintenir quelque regle que ce soit. Si l'obstacle qui s'oppose à l'exécution de la regle vient de la paresse, la même paresse les empêchera d'y veiller ; si c'est un intérêt pécuniaire, ils pourront aisément en partager le profit. Voyez INSPECTEURS. Les surveillans eux-mêmes auroient donc besoin d'être surveillés, & où s'arrêteroit cette progression ridicule ? il est vrai qu'on a obligé les chanoines à être assidus aux offices, en réduisant presque tout leur revenu à des distributions manuelles ; mais ce moyen ne peut obliger qu'à une assistance purement corporelle : & de quelle utilité peut-il être pour tous les autres objets bien plus importans des fondations ? Aussi presque toutes les fondations anciennes ont-elles dégénéré de leur institution primitive : alors le même esprit qui avoit fait naître les premieres, en a fait établir de nouvelles sur le même plan, ou sur un plan différent ; lesquelles, après avoir dégénéré à leur tour, sont aussi remplacées de la même maniere. Les mesures sont ordinairement si bien prises par les fondateurs, pour mettre leurs établissemens à l'abri des innovations extérieures, qu'on trouve ordinairement plus aisé, & sans-doute aussi plus honorable, de fonder de nouveaux établissemens, que de réformer les anciens ; mais par ces doubles & triples emplois, le nombre des bouches inutiles dans la société, & la somme des fonds tirés de la circulation générale, s'augmentent continuellement.

Certaines fondations cessent encore d'être exécutées par une raison différente, & par le seul laps du tems : ce sont les fondations faites en argent & en rentes. On sait que toute espece de rente a perdu à la longue presque toute sa valeur, par deux principes. Le premier est l'augmentation graduelle & successive de la valeur numéraire du marc d'argent, qui fait que celui qui recevoit dans l'origine une livre valant douze onces d'argent, ne reçoit plus aujourd'hui, en vertu du même titre, qu'une de nos livres, qui ne vaut pas la soixante-treizieme partie de ces douze onces. Le second principe est l'accroissement de la masse d'argent, qui fait qu'on ne peut aujourd'hui se procurer qu'avec trois onces d'argent, ce qu'on avoit pour une once seule avant que l'Amérique fût découverte. Il n'y auroit pas grand inconvénient à cela, si ces fondations étoient entierement anéanties ; mais le corps de la fondation n'en subsiste pas moins, seulement les conditions n'en sont plus remplies : par exemple, si les revenus d'un hôpital souffrent cette diminution, on supprimera les lits des malades, & l'on se contentera de pourvoir à l'entretien des chapelains.

3°. Je veux supposer qu'une fondation ait eu dans son origine une utilité incontestable ; qu'on ait pris des précautions suffisantes pour empêcher que la paresse & la négligence ne la fassent dégénérer ; que la nature des fonds les mette à l'abri des révolutions du tems sur les richesses publiques ; l'immutabilité que les fondateurs ont cherché à lui donner est encore un inconvénient considérable, parce que le tems amene de nouvelles révolutions, qui font disparoître l'utilité dont elle pouvoit être dans son origine, & qui peuvent même la rendre nuisible. La société n'a pas toûjours les mêmes besoins ; la nature & la distribution des propriétés, la division entre les différens ordres du peuple, les opinions, les moeurs, les occupations générales de la nation ou de ses différentes portions, le climat même, les maladies, & les autres accidens de la vie humaine, éprouvent une variation continuelle : de nouveaux besoins naissent ; d'autres cessent de se faire sentir ; la proportion de ceux qui demeurent change de jour en jour dans la société, & avec eux disparoît ou diminue l'utilité des fondations destinées à y subvenir. Les guerres de Palestine ont donné lieu à des fondations sans nombre, dont l'utilité a cessé avec ces guerres. Sans parler des ordres de religieux militaires, l'Europe est encore couverte de maladreries, quoique depuis long-tems l'on n'y connoisse plus la lepre. La plûpart de ces établissemens survivent long-tems à leur utilité : premierement, parce qu'il y a toûjours des hommes qui en profitent, & qui sont intéressés à les maintenir : secondement, parce que lors même qu'on est bien convaincu de leur inutilité, on est très-longtems à prendre le parti de les détruire, à se décider soit sur les mesures & les formalités nécessaires pour abattre ces grands édifices affermis depuis tant de siecles, & qui souvent tiennent à d'autres bâtimens qu'on craint d'ébranler, soit sur l'usage ou sur le partage qu'on fera de leurs débris : troisiemement parce qu'on est très-long-tems à se convaincre de leur inutilité, ensorte qu'ils ont quelquefois le tems de devenir nuisibles avant qu'on ait soupçonné qu'ils sont inutiles.

Il y a tout à présumer qu'une fondation, quelque utile qu'elle paroisse, deviendra un jour au-moins inutile, peut-être nuisible, & le sera long-tems : n'en est-ce pas assez pour arrêter tout fondateur qui se propose un autre but que celui de satisfaire sa vanité ?

4°. Je n'ai rien dit encore du luxe, des édifices, & du faste qui environne les grandes fondations : ce seroit quelquefois évaluer bien favorablement leur utilité, que de l'estimer la centieme partie de la dépense.

5°. Malheur à moi, si mon objet pouvoit être, en présentant ces considérations, de concentrer l'homme dans son seul intérêt, de le rendre insensible au malheur & au bien-être de ses semblables ; d'éteindre en lui l'esprit de citoyen ; & de substituer une prudence oisive & basse à la noble passion d'être utile aux hommes ! Je veux que l'humanité, que la passion du bien public, procurent aux hommes les mêmes biens que la vanité des fondateurs, mais plus sûrement, plus complete ment, à moins de frais, & sans le mélange des inconvéniens dont je me suis plaint. Parmi les différens besoins de la société qu'on voudroit remplir par la voie des établissemens durables ou des fondations, distinguons-en deux sortes ; les uns appartiennent à la société entiere, & ne seront que le résultat des intérêts de chacune de ses parties en particulier : tels sont les besoins généraux de l'humanité, la nourriture pour tous les hommes ; les bonnes moeurs & l'éducation des enfans, pour toutes les familles ; & cet intérêt est plus ou moins pressant pour les différens besoins : car un homme sent plus vivement le besoin de nourriture, que l'intérêt qu'il a de donner à ses enfans une bonne éducation. Il ne faut pas beaucoup de réflexion pour se convaincre que cette premiere espece de besoins de la société n'est point de nature à être remplie par des fondations, ni par aucun autre moyen gratuit ; & qu'à cet égard, le bien général doit être le résultat des efforts de chaque particulier pour son propre intérêt. Tout homme sain doit se procurer sa subsistance par son travail ; parce que s'il étoit nourri sans travailler, il le seroit aux dépens de ceux qui travaillent. Ce que l'état doit à chacun de ses membres, c'est la destruction des obstacles qui les gêneroient dans leur industrie, ou qui les troubleroient dans la joüissance des produits qui en sont la récompense. Si ces obstacles subsistent, les bienfaits particuliers ne diminueront point la pauvreté générale, parce que la cause restera toute entiere. De même, toutes les familles doivent l'éducation aux enfans qui y naissent : elles y sont toutes intéressées immédiatement ; & ce n'est que des efforts de chacune en particulier que peut naître la perfection générale de l'éducation. Si vous vous amusez à fonder des maîtres & des bourses dans des colléges, l'utilité ne s'en fera sentir qu'à un petit nombre d'hommes favorisés au hasard, & qui peut-être n'auront point les talens nécessaires pour en profiter : ce ne sera pour toute la nation qu'une goutte d'eau répandue sur une vaste mer ; & vous aurez fait à très-grands frais de très-petites choses. Et puis faut-il accoûtumer les hommes à tout demander, à tout recevoir, à ne rien devoir à eux-mêmes ? Cette espece de mendicité qui s'étend dans toutes les conditions, dégrade un peuple, & substitue à toutes les passions hautes un caractere de bassesse & d'intrigue. Les hommes sont-ils puissamment intéressés au bien que vous voulez leur procurer ? laissez-les faire : voilà le grand, l'unique principe. Vous paroissent-ils s'y porter avec moins d'ardeur que vous ne le desireriez ? augmentez leur intérêt. Vous voulez perfectionner l'éducation ; proposez des prix à l'émulation des peres & des enfans : mais que ces prix soient offerts à quiconque peut les mériter, du-moins dans chaque ordre de citoyens : que les emplois & les places en tout genre deviennent la récompense du mérite, & la perspective assûrée du travail ; & vous verrez l'émulation s'allumer à-la-fois dans le sein de toutes les familles : bien-tôt votre nation s'élevera au-dessus d'elle-même, vous aurez éclairé son esprit ; vous lui aurez donné des moeurs ; vous aurez fait de grandes choses ; & il ne vous en aura pas tant coûté que pour fonder un collége.

L'autre classe de besoins publics auxquels on a voulu subvenir par des fondations, comprend ceux qu'on peut regarder comme accidentels ; qui bornés à certains lieux & à certains tems, entrent moins immédiatement dans le système de l'administration générale, & peuvent demander des secours particuliers. Il s'agira de remédier aux maux d'une disette, d'une épidémie ; de pourvoir à l'entretien de quelques vieillards, de quelques orphelins, à la conservation des enfans exposés ; de faire ou d'entretenir des travaux utiles à la commodité ou à la salubrité d'une ville ; de perfectionner l'agriculture ou quelques arts languissans dans un canton ; de récompenser des services rendus par un citoyen à la ville dont il est membre ; d'y attirer des hommes célebres par leurs talens, &c. Or il s'en faut beaucoup que la voie des établissemens publics & des fondations soit la meilleure pour procurer aux hommes tous ces biens dans la plus grande étendue possible. L'emploi libre des revenus d'une communauté, ou la contribution de tous ses membres dans les cas où le besoin seroit pressant & général ; une association libre & des souscriptions volontaires de quelques citoyens généreux, dans les cas où l'intérêt sera moins prochain & moins universellement senti ; voilà dequoi remplir parfaitement toute sorte de vûes vraiment utiles ; & cette méthode aura sur celle des fondations cet avantage inestimable, qu'elle n'est sujette à aucun abus important. Comme la contribution de chacun est entierement volontaire, il est impossible que les fonds soient détournés de leur destination : s'ils l'étoient, la source en tariroit aussi-tôt : il n'y a point d'argent perdu en frais inutiles, en luxe, & en bâtimens. C'est une société du même genre que celles qui se font dans le commerce, avec cette différence qu'elle n'a pour objet que le bien public ; & comme les fonds ne sont employés que sous les yeux des actionnaires, ils sont à portée de veiller à ce qu'ils soient employés de la maniere la plus avantageuse. Les ressources ne sont point éternelles pour des besoins passagers : le secours n'est jamais appliqué qu'à la partie de la société qui souffre, à la branche du Commerce qui languit. Le besoin cesse-t-il ? la libéralité cesse ; & son cours se tourne vers d'autres besoins. Il n'y a jamais de doubles ni de triples emplois ; parce que l'utilité actuelle reconnue est toûjours ce qui détermine la générosité des bienfaiteurs publics : enfin cette méthode ne retire aucun fond de la circulation générale ; les terres ne sont point irrévocablement possédées par des mains paresseuses ; & leurs productions, sous la main d'un propriétaire actif, n'ont de bornes que celles de leur propre fécondité. Qu'on ne dise point que ce sont-là des idées chimériques : l'Angleterre, l'Ecosse, & l'Irlande sont remplies de pareilles sociétés, & en ressentent depuis plusieurs années les heureux effets. Ce qui a lieu en Angleterre peut avoir lieu en France : & quoi qu'on en dise, les Anglois n'ont pas le droit exclusif d'être citoyens. Nous avons même déjà dans quelques provinces des exemples de ces associations qui en prouvent la possibilité. Je citerai en particulier la ville de Bayeux, dont les habitans se sont cottisés librement, pour bannir entierement de leur ville la mendicité ; & y ont réussi, en fournissant du travail à tous les mendians valides, & des aumônes à ceux qui ne le sont pas. Ce bel exemple mérite d'être proposé à l'émulation de toutes nos villes : rien ne sera si aisé, quand on le voudra bien, que de tourner vers des objets d'une utilité générale & certaine, l'émulation & le goût d'une nation aussi sensible à l'honneur que la nôtre, & aussi facile à se plier à toutes les impressions que le gouvernement voudra & saura lui donner.

6°. Ces réflexions doivent faire applaudir aux sages restrictions que le Roi a mises par son édit de 1749 à la liberté de faire des fondations nouvelles. Ajoûtons qu'elles ne doivent laisser aucun doute sur le droit incontestable qu'ont le gouvernement dans l'ordre civil ; le gouvernement & l'Eglise dans l'ordre de la religion, de disposer des fondations anciennes, d'en diriger les fonds à de nouveaux objets, ou mieux encore de les supprimer tout-à-fait. L'utilité publique est la loi suprème, & ne doit être balancée ni par un respect superstitieux pour ce qu'on appelle l'intention des fondateurs, comme si des particuliers ignorans & bornés avoient eu le droit d'enchaîner à leurs volontés capricieuses les générations qui n'étoient point encore ; ni par la crainte de blesser les droits prétendus de certains corps, comme si les corps particuliers avoient quelques droits vis-à-vis l'état. Les citoyens ont des droits, & des droits sacrés pour le corps même de la société ; ils existent indépendamment d'elle ; ils en sont les élémens nécessaires, & ils n'y entrent que pour se mettre, avec tous leurs droits, sous la protection de ces mêmes lois auxquelles ils sacrifient leur liberté. Mais les corps particuliers n'existent point par eux-mêmes, ni pour eux ; ils ont été formés pour la société ; & ils doivent cesser d'être au moment qu'ils cessent d'être utiles. Concluons qu'aucun ouvrage des hommes n'est fait pour l'immortalité ; puisque les fondations toûjours multipliées par la vanité, absorberoient à la longue tous les fonds & toutes les propriétés particulieres, il faut bien qu'on puisse à la fin les détruire. Si tous les hommes qui ont vécu avoient eu un tombeau, il auroit bien fallu pour trouver des terres à cultiver, renverser ces monumens stériles, & remuer les cendres des morts pour nourrir les vivans.

FONDATION, (Jurisprud.) les nouveaux établissemens que l'on considere dans cette matiere, sont ceux des évêchés, abbayes, & autres monasteres, églises, chapelles, hôpitaux, colléges ; les fondations des messes, obits, services, & autres prieres.

Aucune fondation ecclésiastique, telle que celle d'un évêché, monastere, paroisse, chapelle, &c. ne peut être faite sans l'autorité du supérieur ecclésiastique ; il faut aussi des lettres patentes du roi, dûement enregistrées au parlement, ce qui est toûjours précédé d'une information de commodo & incommodo.

Il faut aussi des lettres patentes pour autoriser les fondations séculieres, telles que sont les hôpitaux, colléges, & autres communautés séculieres.

On appelle fondateur celui qui a fait la fondation, soit qu'il ait donné le fond ou terrein pour y construire une église ou autre édifice, soit qu'il y ait fait construire l'édifice de l'église, monastere, hôpital ou collége, ou que l'édifice ayant déja été construit, & depuis tombé en ruine, il l'ait fait relever ; ou bien qu'il ait doté l'église ou maison de deniers & revenus destinés à l'entretenement d'icelle : chacune de ces différentes manieres de fonder une église acquiert au fondateur le droit de patronage.

Il faut néanmoins l'avoir réservé spécialement par la fondation ; autrement le fondateur n'a simplement que la préséance, l'encens, la recommandation aux prieres nominales, & autres droits honorifiques ; mais non pas la collation, présentation ou nomination des bénéfices : pour ce qui est des droits honorifiques, le fondateur en joüit dans les églises conventuelles comme dans les paroissiales.

Un fondateur peut être contraint de redoter l'église par lui fondée, lorsqu'elle devient pauvre, à moins qu'il ne renonce à son droit de patronage.

S'il étoit prouvé par le titre de la fondation que le fondateur eût renoncé au droit de patronage, la possession même immémoriale de présenter aux bénéfices, ne lui acquerroit pas ce droit.

Les héritiers ou successeurs des fondateurs étant tombés dans l'indigence, sans que ce soit par leur mauvaise conduite, doivent être nourris aux dépens de la fondation.

L'évêque ne peut pas autoriser une fondation ecclésiastique, à moins que l'église ne soit dotée suffisamment par le fondateur, tant pour l'entretien des bâtimens, que pour la subsistance des clercs qui doivent desservir cette église ; c'est ce qu'enseignent plusieurs conciles & autres réglemens rapportés par Ducange, en son glossaire, au mot dot.

La surintendance des fondations ecclésiastiques appartient à l'évêque diocésain, ensorte qu'il a droit d'examiner si elles sont exécutées suivant l'intention des fondateurs ; il peut aussi en changer l'usage, les unir & transférer lorsqu'il y a utilité ou nécessité.

Le concile de Trente ne permet à l'évêque de réduire les fondations que dans les synodes de son diocèse, mais il y a des arrêts qui ont autorisé ces réductions, quoique faites par l'évêque seul ; quand il n'y a point d'opposition, c'est un acte qui dépend de la jurisdiction volontaire ; s'il y a des opposans, on fait juger leurs moyens à l'officialité avant que l'évêque fasse son decret.

Mais ils ne peuvent changer les fondations séculieres faites pour l'instruction de la jeunesse, & les rendre ecclésiastiques.

On ne peut pas non plus appliquer une fondation faite pour une ville à une autre ville.

Le grand vicaire de l'évêque ne peut pas homologuer une fondation sans un pouvoir spécial.

Philon, juif, enseignoit que le gain fait par une courtisanne ne pouvoit être reçû pour la fondation d'un lieu saint ; on n'a cependant pas toûjours eu la même délicatesse ; & M. de Salve, part. II. tract. quaest. 5. n. soûtient au contraire que la fondation d'une église est valable, quoiqu'elle ait été faite par une femme publique, des deniers provenans de sa débauche.

Une église ne peut prétendre avoir acquis une possession contraire à sa fondation.

Elle n'est point non plus présumée avoir les biens qu'elle possede, sans qu'il y ait eu quelque charge portée par la fondation ; c'est pourquoi Henri II. en 1556, voulant amplifier le service divin & procurer l'accomplissement des fondations, c'est-à-dire des messes ; services, & prieres fondées dans les églises, ordonna que tous héritages & biens, immeubles tenus sans charge de service divin ou d'office égal, ou revenu d'iceux, par les églises, prélats, & bénéficiers, à quelque titre que ce fût, seroient censés vacans & réunis à son domaine.

Les biens d'église ne peuvent être aliénés même par decret, si ce n'est à la charge de la fondation, quand même on ne se seroit pas opposé au decret.

Pour accepter une fondation faite dans une église paroissiale, il faut le concours du curé & des marguilliers.

Dans les fondations faites par testament ou codicille, c'est aux héritiers à payer les droits d'amortissement & d'indemnité, parce que l'on présume que l'intention du défunt a été de faire joüir l'église pleinement de l'effet de ses libéralités, au lieu que dans les fondations faites par actes entre-vifs, les héritiers ne sont pas obligés de payer ces droits, parce que ces sortes de donations ne reçoivent point d'extension ; & l'on présume que si le fondateur avoit voulu payer les droits d'amortissement & d'indemnité, il l'auroit fait lui-même, ou l'auroit dit dans l'acte.

Le docteur Rochus dit que les fondations doivent être accomplies au moins dans l'année du décès du fondateur ; que si ce qu'il a donné n'est pas suffisant pour accomplir les charges de la fondation, les héritiers ne sont pas tenus de fournir le surplus, mais la fondation est convertie en quelqu'autre oeuvre pie, du consentement de l'évêque.

Lorsque les fondations sont exorbitantes, & qu'il y a contestation sur l'exécution du testament où elles sont portées, le juge peut les réduire ad legitimum modum, eu égard aux biens du défunt, à la qualité & à la fortune du défunt, & autres circonstances.

Les arrérages des fondations pour obits, services, & prieres, se peuvent demander depuis 29 années, en affirmant par les ecclésiastiques qu'ils ont acquité les charges, & qu'ils n'ont pas été payés.

Pour ce qui est du fond, si c'est une somme à une fois payer, qui est donnée à l'église, elle est sujette à prescription ; mais les fondations qui consistent en prestations annuelles, sont imprescriptibles quant au fond ; la prescription ne peut avoir lieu que pour les arrérages antérieurs aux 29 dernieres années. (A)

FONDATION ECCLESIASTIQUE, est celle qui a pour objet l'utilité de quelque ecclésiastique : comme la fondation d'un canonicat, ou autre bénéfice. (A)

FONDATION LAÏCALE, est celle qui est en faveur de personnes laïques, comme des bourses dans un collége, lorsqu'elles sont affectées à des écoliers laïques. (A)

FONDATION OBITUAIRE, est celle qui est faite pour un obit, c'est-à-dire qui a pour objet des messes, services, & prieres, qui doivent être dites pour le repos de l'ame de quelqu'un qui est décédé. (A)

FONDATION PIE ou PIEUSE, est celle qui s'applique à quelques oeuvres de piété, comme de faire dire des messes, services, & prieres ; de faire des aumônes, de soulager les malades, &c. (A)

FONDATION ROYALE, est celle qui provient de la libéralité de nos rois. Les évêchés & la plûpart des abbayes sont de fondation royale ; dans le doute à l'égard des abbayes, on présume en faveur du Roi. Il y a aussi des collégiales & autres églises de fondation royale ; pour la fondation des chapelles & autres bénéfices simples, le Roi n'a pas besoin de recourir à la jurisdiction ecclésiastique pour les autoriser ; il en seroit autrement s'il s'agissoit d'établir des bénéfices ayant charge d'ame ou jurisdiction spirituelle : il faudroit en ce cas l'autorité de l'église & l'institution de l'évêque. Bibliot. can. tom. I. p. 280.

Il y a aussi des colléges & autres établissemens séculiers qui sont de fondation royale. (A)

FONDATION SACERDOTALE, se dit en matiere bénéficiale, de celle qui est affectée à des ecclésiastiques ayant l'ordre de prêtrise. Un bénéfice peut être sacerdotal à lege, comme un curé, ou sacerdotal à fundatione, lorsque le fondateur a voulu que le bénéfice ne pût être possédé que par des prêtres, quoique la nature du bénéfice ne le demandât pas. (A)

FONDATION SECULIERE, est celle qui est affectée à des séculiers. On entend aussi quelquefois par-là une fondation qui n'est point applicable à aucune église ni au service divin, quoique des ecclésiastiques puissent être l'objet de la fondation, aussi-bien que des laïcs ; par exemple, les bourses des colléges ne sont point des bénéfices, & sont considérées comme des fondations séculieres, lors même qu'elles sont affectées à des ecclésiastiques.

Les fondations séculieres sont opposées aux fondations ecclésiastiques.

Les colléges, les académies, les hôpitaux, sont des fondations séculieres. (A)

FONDATION, se dit aussi figurément du commencement d'une ville, d'un empire, &c.

Les Romains comptoient leurs années depuis la fondation de Rome, ab urbe conditâ, que les écrivains expriment quelquefois par ab u. c. Les Chronologues comptent 779 ans depuis la sortie de l'Egypte jusqu'à la fondation de Rome. Voy. EPOQUE. Chambers.


FONDEMENTS. m. (Architect.) c'est la maçonnerie enfermée dans la terre jusqu'au rez-de-chaussée, qui doit être proportionnée à la charge du bâtiment qu'elle doit porter. Fonder, c'est construire de maçonnerie les fondations dans les ouvertures & les tranchées des terres. Voyez FONDATION. (P)

FONDEMENT, (le) Anatom. & Chirurg. c'est l'orifice de l'intestin rectum, par lequel se déchargent les excrémens hors du corps. On l'appelle en termes d'art anus, mot préférable dans une Encyclopédie à celui du discours ordinaire, quoiqu'on ait fait le renvoi de ce terme au mot fondement.

Le fondement donc, c'est-à-dire l'extrémité inférieure du rectum, est principalement formé par trois muscles considérables, qui sont le sphincter & les releveurs. Le sphincter est un anneau irrégulier de fibres charnues, qui embrasse l'extrémité du boyau. Voyez SPHINCTER de l'anus.

Les releveurs, un de chaque côté, naissent des os du bassin, pour se terminer en partie au sphincter & en partie à une ligne tendineuse, qui s'étend depuis la pointe du coccyx jusqu'à la partie postérieure & inférieure du rectum. Voyez RECTUM & RELEVEURS de l'anus.

On voit des enfans qui viennent au monde sans ouverture au fondement, & sans aucun vestige de cette ouverture. Il y en a auxquels on reconnoît seulement l'endroit précis de l'anus qui se trouve clos. Il y en a d'autres dans lesquels on peut introduire un stilet plus ou moins avant, comme à deux, trois & quatre lignes, & même davantage ; & dans ceux-là, quoique leur anus paroisse très-bien formé, le vice de conformation se trouve plus ou moins avant dans l'intérieur.

Ces sortes de jeux de la nature sont si fréquens, qu'on en lit des exemples dans plusieurs livres de chirurgie & d'observations chirurgicales ; dans Hildan, par exemple, Roonhuysen, Saviard, Scultet, &c. & sur-tout dans les traités d'accouchemens, comme dans Mauriceau, Deventer, la Motte, &c.

On s'apperçoit aisément de ce défaut, lorsque les enfans ne rendent point leurs excrémens le lendemain du jour qu'ils sont nés. On peut encore s'en appercevoir plutôt, lorsque les sages-femmes visitent cette partie, comme elles le devroient toûjours faire, après avoir nettoyé chaque enfant nouveau-né, pour voir si sa conformation est telle qu'elle doit être. La nature indique souvent par quelqu'éminence ou par quelque creux le lieu où doit être l'ouverture du fondement. Quelquefois néanmoins on n'apperçoit aucune marque semblable. Quelquefois la partie est couverte par une chair solide dont l'épaisseur varie, & d'autres fois par une membrane déliée.

Quelle que puisse être la cause de ce mal, si l'on n'a soin d'ouvrir promtement l'anus, il arrive que le trop long séjour du méconium cause à l'enfant des tranchées violentes, la jaunisse, des convulsions, l'épilepsie, un vomissement d'excrémens, & pareils accidens qui se terminent par la mort.

Lorsque le vestige du fondement est bien marqué, & qu'il n'est bouché que par une membrane mince, on découvre l'endroit où doit être l'ouverture par une espece de cicatrice, ou par la saillie que les excrémens font faire à cette membrane. Dans ce cas la guérison n'est pas difficile ; elle étoit connue d'Aeginete aussi-bien que des modernes : il ne s'agit que d'inciser la membrane avec un bistouri, & de consolider la plaie.

On connoîtra que l'opération est bien faite à la sortie du méconium. Si la premiere ouverture n'est pas assez grande, on l'augmentera par une nouvelle incision en longueur, en haut, en bas ou en-travers. On introduira dans la plaie une tente trempée dans quelqu'onguent vulnéraire, pour empêcher que l'anus ne se ferme de nouveau, en observant d'attacher cette tente avec un gros fil, afin que si elle venoit à glisser dans le rectum on puisse la retirer.

Quand le passage des excrémens est fermé par un morceau de chair ou par une membrane épaisse, on tâchera de découvrir le rectum, en le pressant avec le doigt ; & lorsqu'on l'aura trouvé, on percera l'anus en dirigeant la pointe de l'instrument du côté de l'os sacrum, pour ne pas courir le risque de blesser la vessie dans les garçons, ou le vagin dans les filles. Après avoir percé l'anus, on se conduira comme dans le cas précédent.

Dans la plûpart des autres cas, & même dans ce dernier, l'opération est très-difficile, & souvent malheureuse : elle requiert non-seulement de la sagacité jointe à la main d'un artiste qui ait fréquemment disséqué ces parties affligées de mauvaises conformations, parce que la pratique les lui montre toutes différentes que dans un sujet bien conformé : mais de plus elle exige, suivant l'occasion, de la variété dans la maniere d'opérer, & dans les instrumens à imaginer ou à perfectionner pour cette besogne.

Roonhuysen rapporte qu'une fille de quatre mois avoit l'orifice du fondement si étroit, que sa mere étoit obligée de lui tirer les excrémens de ses propres mains avec beaucoup de peine : l'anus étant enfin venu à s'enfler, à cause de la fréquente compression, le passage des excrémens se ferma tout-à-fait, ce qui obligea le chirurgien de percer l'anus avec une lancette, d'aggrandir l'incision de tous côtés avec des ciseaux, & finalement de guérir la plaie suivant la méthode prescrite. Scultet rapporte un exemple semblable.

On voit d'autres jeux de la nature encore plus rares sur cette partie, que ne sont ceux dont nous venons de parler. Il y a des enfans à qui le rectum se termine dans la vessie. Roonhuysen en cite un exemple. M. Petit assûre avoir vû ce jeu de conformation plus d'une fois.

A d'autres enfans l'anus s'ouvre dans la vulve. M. de Jussieu raconte dans le recueil de l'acad. des Scienc. ann. 1719. l'histoire d'une fille de sept ans dont le fondement étoit fermé de naissance, & qui rendoit ses excrémens par le vagin.

A d'autres enfans l'anus sans être ouvert forme une tumeur en maniere d'hernie, & quelquefois un noeud semblable à celui de l'ombilic d'un adulte. M. Engerrand, chirurgien de S. Côme, a eu occasion de voir ces deux derniers cas.

Enfin quelquefois l'intestin rectum est fermé jusqu'au colon, ou jusqu'à la partie supérieure de l'os sacrum. Quelquefois même il manque tout-à-fait, en sorte que les intestins finissent avec la partie inférieure des lombes ou du sommet de l'os sacrum. Il faut renoncer alors à tout espoir de guérison. M. Jamisson, chirurgien écossois, appellé dans son pays pour secourir un enfant nouveau-né qui n'avoit aucun vestige d'anus, chercha sans succès l'intestin après son incision, & employa le trois-quarts inutilement : il ne sortit de la plaie que quelques gouttes de sang. A l'ouverture du cadavre M. Jamisson découvrit que le gros boyau manquoit totalement, & que le colon rempli de méconium étoit un vrai coecum flottant dans la cavité du bas-ventre. Essais d'Edimbourg, tome IV. p. 557. M. Heister a vû le cas mentionné par Jamisson, & M. Petit a vû presque tous ceux dont nous avons parlé, comme il paroît par son mémoire sur cette matiere inséré dans le recueil de l'academie de Chirurgie de Paris. J'y renvoye le lecteur.

Le fondement est non-seulement sujet à des jeux de la nature dans les nouveaux-nés, mais il est exposé dans l'homme à plusieurs maladies, comme à des tubercules & excroissances charnues, à des hémorrhoïdes, des fistules, des abcès, & des corps étrangers qui s'y arrêtent.

Les tubercules qui se forment au fondement sont internes ou externes. Quoique l'on divise ces tubercules en différentes especes, eu égard à leur grandeur & à leur figure, & qu'on leur donne le nom de condylomes, de crêtes, de fics & de fungus ; ils ont cependant cela de commun, qu'ils doivent d'ordinaire leur origine à la surabondance & à la stagnation du sang dans ces parties, & surtout dans les petites glandes, dont la grosseur augmente peu-à-peu, ainsi qu'il arrive aux tubercules du vagin. Ils surviennent encore fréquemment à ceux qui sont sujets aux hémorrhoïdes. Pour les guérir, il faut les extirper au moyen d'une ligature, ou les couper avec un bistouri ou des ciseaux ; ensuite on continuera le traitement avec des baumes vulnéraires, des onguens dessicatifs, & finalement avec de la charpie seche, pour hâter la consolidation de la plaie.

L'intestin rectum sort quelquefois hors du fondement de quelques personnes, enfans ou adultes, de la longueur de deux à six pouces, & même davantage. Saviard rapporte l'exemple d'un enfant à qui cette partie sortoit de la longueur d'un pié : la cause de cet accident est sans-doute la trop grande foiblesse de l'intestin rectum, que plusieurs autres causes contribuent à augmenter : tels sont les cris violens, le tenesme, les douleurs des hémorrhoïdes, la constipation, la dyssenterie, la pierre, les accouchemens laborieux, &c. La méthode curative demande, après avoir fomenté l'intestin avec une liqueur convenable, de le remettre dans sa place ordinaire & de l'y maintenir. Si la partie de l'intestin sortie est extrêmement enflée, on doit employer préalablement la saignée, & ensuite des fomentations digestives, jusqu'à ce que la tumeur soit dissipée, & que la partie soit en état d'être replacée.

Il y a des personnes qui éprouvent souvent cet accident lorsqu'elles vont à la selle : le remede est de commencer par remettre elles-mêmes l'intestin avec leurs doigts, & puis de recourir au chirurgien pour qu'il l'empêche par les secours de l'art de tomber de nouveau. Quelques auteurs assûrent que le malade peut prévenir une nouvelle chûte de cet intestin, pourvû qu'il ait soin toutes les fois qu'il va à la garderobe, de s'asseoir sur un siége qui ait une ouverture d'environ deux travers de doigt : mais si la maladie est invétérée, il faut des compresses & des bandages pour retenir l'intestin dans sa place naturelle.

Une maniere bien simple de préserver les enfans des chûtes de fondement auxquelles ils sont sujets, est de les asseoir dans des fauteuils de paille ou de jonc, dont le milieu soit relevé & ne puisse s'enfoncer. Pour cet effet on met sous le milieu du siége une vis de bois qui monte & descende, sur laquelle soit posée une petite planche, ensorte qu'en tournant la vis selon un certain sens elle pousse la planche, & fasse monter en-haut la paille qui est sous la chaise. Comme cette vis doit porter sur quelque chose qui lui serve d'appui, on la pose sur une petite traverse de bois dont on cloue en-bas les deux bouts aux bâtons de la chaise : il n'y a jamais de creux aux siéges faits de cette maniere, & la vis qui empêche le creux ne paroît point, à moins qu'on ne renverse la chaise. Les siéges dont je par le ont un second avantage, c'est d'empêcher les enfans de se gâter la taille ; parce qu'étant assis dans ces sortes de chaises, ils sont obligés de tenir leur corps droit, au lieu qu'ils les voûtent toûjours dans les fauteuils de paille ou de jonc, qui font un enfoncement au milieu.

L'anus est sujet aux hémorrhoïdes (voyez HEMORRHOÏDES), à des fistules (voyez FISTULE), & par conséquent à divers abcès dont on a dû parler au mot FISTULE DE L'ANUS, puisque la fistule à l'anus ne semble devoir pour l'ordinaire son origine qu'à un abcès qui se forme auprès de cette partie. Il y a un cas bien singulier en ce genre, que M. Destendau, chirurgien de la Haye, a eu occasion de voir en faisant l'opération d'un abcès au fondement dont il ignoroit la cause. Il trouva sous la lancette un corps étranger fort dur, qui ne plioit ni ne cédoit. Il prit le parti de dilater le fond de la plaie, pour connoître ce corps & le tirer dehors. C'étoit un éclat d'os de la longueur de deux travers de doigt, un peu plus large & plus épais que la lame d'un canif, & pointu à chaque bout. Voici comment la chose peut arriver. Les personnes qui mangent avidement, avalent quelquefois sans s'en appercevoir de petits os couverts de viande ; alors quand la viande est digérée dans l'estomac, si ces petits os s'arrêtent au fondement sans en pouvoir sortir, ils causeront quelque tems après en piquant l'intestin, l'irritation de cette partie, l'inflammation, & des abcès qui dégénerent en fistule. On verra la conduite qu'un chirurgien doit tenir en pareil cas, dans les observations chirurgicales de Saviard. Lisez l'observation lxvj. page 293.

Il est encore bon que l'on sache ici que le fondement donne souvent passage à des concrétions calculeuses, & même à des pierres considérables. Les Transactions philosophiques citent l'exemple d'une pierre pesant plus de deux onces, qui sortit par le fondement après des douleurs excessives. Enfin pour comble de singularités, le lecteur trouvera dans le même ouvrage ou dans l'abregé, tome VIII. le fait détaillé de la sortie d'un foetus par cet orifice ; & c'est un fait qui a été communiqué à la société royale par M. Giffard, célebre accoucheur anglois. (D.J.)

FONDEMENT, (Manége & Maréchal.) On appelle de ce nom, dans le cheval ainsi que dans l'homme, l'extrémité du canal intestinal, ou l'orifice qui permet les déjections, c'est-à-dire la sortie des excrémens.

Des tenesmes, une toux longue & violente, la foiblesse des muscles qui dans le corps de l'animal répondent aux releveurs de l'anus du corps humain, l'abondance des humeurs qui abreuvent ces parties, peuvent en occasionner la chûte. Cet évenement, qui est néanmoins assez rare, arrive encore ensuite de la trop fréquente introduction de la main & du bras du maréchal, qui n'agit point avec toute la précaution qu'exige l'action de vuider le cheval pour le disposer à recevoir un lavement.

La cure de cette maladie consiste non-seulement à remettre l'intestin, mais à le maintenir dans sa place. La réduction en doit être tentée sur le champ. Bassinez-le d'abord avec du vin chaud, faites ensuite avec un linge trempé dans ce même vin des compressions legeres sur les côtés de la portion qui se trouve près de l'anus, & soutenez-le toûjours avec attention en le repoussant doucement, pour le rétablir peu-à-peu dans sa situation naturelle. Cette opération ne présente pas beaucoup de difficulté, lorsque l'enflure & l'inflammation ne sont pas considérables : mais dans le cas où elles s'opposeroient au replacement, saignez l'animal, & employez des fomentations digestives jusqu'à ce que l'intestin soit disposé à la réduction. Aussi-tôt qu'elle sera faite, appliquez des compresses trempées dans du vin astringent composé avec les racines de bistorte, de tormentille, l'écorce de grenade, de chêne, les noix de galle, l'alun, les balaustes, &c. Si l'intestin retomboit conséquemment aux efforts auxquels l'animal qui se décharge de ses excrémens est obligé, bassinez-le avec ce vin composé ; saupoudrez-le même avec parties égales de bitume & de noix de galle pulvérisées : réduisez-le de nouveau ; appliquez encore des compresses trempées dans le même vin, & soûtenues par un bandage en T double, non moins praticable relativement au cheval que relativement à l'homme. (e)


FONDERIES. f. (Métallurgie & Minéralogie. On nomme fonderie dans les travaux des mines, le bâtiment dans lequel se font toutes les opérations pour fondre, purifier, & raffiner les métaux. La fonderie est ordinairement un grand hangard ou bâtiment de bois ou de maçonnerie, couverte de tuile, sous lequel sont placés les différens fourneaux, & les autres choses nécessaires pour l'exploitation des mines. La grandeur du bâtiment doit être proportionnée à la quantité de mine qui doit y être exploitée, & à celle de bois & de charbons qui est nécessaire pour cette exploitation, qu'il convient de mettre à couvert dans la fonderie même. Cet avis, quelque peu important qu'il paroisse, est bon à suivre, sur-tout en France, où l'on n'est que trop disposé à faire dans les commencemens d'un établissement, de grandes dépenses, sans être assûré si le succès répondra aux espérances qu'on a formées.

Pour que la situation d'une fonderie soit avantageuse, il faut, autant que cela est possible, qu'elle soit proche de la mine, afin d'éviter aux cessionnaires les frais du transport. Il faut pour la même raison qu'elle soit à portée d'une forêt, afin d'avoir commodément du bois & du charbon. Il est à-propos de placer, autant qu'on peut, la fonderie de façon que le vent emporte facilement la fumée qui s'en éleve, & qui, si elle étoit rabattue, pourroit nuire à la santé des ouvriers, & même quelquefois les faire périr, attendu que souvent elle est dangereuse par les parties arsénicales dont elle est remplie. C'est à quoi il faut sur-tout avoir égard, lorsqu'il s'agira d'exploiter des mines de plomb, d'étain, de cobalt, &c. Ainsi avant que de construire une fonderie, il convient d'observer les vents qui regnent dans l'endroit où l'on veut la placer. Il est encore très-important que la fonderie soit à portée d'une riviere, d'un ruisseau, ou d'un étang, parce que l'eau est absolument nécessaire pour faire aller les soufflets. Il seroit à souhaiter même que cette eau ne gelât point en hyver ; parce qu'alors on est obligé de cesser le travail : rien ne seroit plus avantageux pour cela que le voisinage d'une source d'eau chaude.

Il faut avoir soin de construire la fonderie dans un endroit sec, parce que l'humidité est très-nuisible aux travaux qui se font dans les fourneaux, qui peuvent en être endommagés malgré les évents & soupiraux qu'on pourroit faire. Pour remédier à ces inconvéniens, on aura soin que les fourneaux dans lesquels on grillera la mine, si elle a besoin d'être grillée, soient très-proches de la fonderie, afin de ne pas multiplier les voyages & transports inutiles. Il en doit être de même du bocard, c'est-à-dire de l'endroit où sont les pilons qui servent à écraser la mine, & des lavoirs où on la sépare des parties terreuses & pierreuses qui peuvent y être attachées. Ceux qui voudront un plus grand détail sur les fonderies, pourront consulter le second volume du traité de la fonte des mines de Schlutter, publié par M. Hellot de l'academie royale des Sciences de Paris. Voyez les articles GRILLAGE, LAVOIR, BOCARD, MINE, METALLURGIE, &c. (-)

* FONDERIE. On trouvera à l'art. BRONZE, la fonderie des statues équestres ; à l'article CARACTERE, la fonderie des caracteres ; la fonderie des canons, à l'article CANON ; la fonderie des cloches, à l'article CLOCHE ; à l'article DRAGEE, la fonderie des balles de plomb & du petit plomb ; à l'article FORGES, la fonderie des différens ouvrages que l'on fait avec le fer fondu, à l'article MONNOIE, la fonderie du monnoyage ; la fonderie en sable, à l'article SABLE ; & ainsi de la plûpart des autres fonderies, aux articles des substances qu'on fond.

* FONDERIE, en terme de Blanchisserie, est le lieu où l'on fond la cire. La fonderie d'Antoni est au bout à gauche d'une grande piece à-peu-près quarrée. On monte aux chaudieres au nombre de trois, par un escalier de dix piés ou environ. Elles sont placées sur la même ligne, au-dessus chacune de son fourneau, & derriere une cheminée qui regne sur toute leur longueur, n'ayant qu'un foyer un peu enfoncé dans le mur au milieu de la cheminée. Ces chaudieres qui tiennent un millier, sont séparées les unes des autres par trois especes de portes ceintrées, par lesquelles les ouvriers vont & viennent pour veiller au feu, ou pour échauffer le robinet des chaudieres, qui, quoique la matiere soit fort chaude, ne laisse pas de se refroidir à la longue ; ensorte qu'elle s'y fige quelquefois. Au-dessous des chaudieres sont les cuves : au-dessous de celles-ci, sont les baignoires. Voyez CUVES & BAIGNOIRES. Aux parties latérales de la fonderie se trouvent des chassis en charpente, sur lesquels on dresse des tables pour y appuyer des planches à points. Voyez PLANCHES A POINTS.

L'eau qui tombe des baignoires se perd dans un puisard couvert d'une grille de fer, & pratiqué au milieu de la fonderie. Voyez la vignette de la Planche de la blanchisserie des cires, & l'article BLANCHIR.


FONDEURS. m. (Arts méch.) c'est un artiste qui fond ou qui jette les métaux, en leur donnant différentes formes, suivant les différens usages que l'on en veut faire : tels que des canons, des cloches, des statues, des bombes, des caracteres d'imprimerie ; & d'autres petits ouvrages, comme chandeliers, boucles, &c.

Ce mot vient du mot fondre : dans la loi romaine, les Fondeurs sont appellés statuarii.

Les Fondeurs ont différens noms, suivant leurs différentes productions ou leurs différens ouvrages ; comme Fondeurs de petits ouvrages, Fondeurs de cloches, Fondeurs de canons, Fondeurs de caracteres d'Imprimerie, Fondeurs de figure, &c. Voyez ce qui regarde chaque espece de Fondeurs, à l'article FONDERIE.

Fourneau de Fondeur. Voyez FOURNEAU.

Moules de Fondeur. Voyez MOULES.

Presse de Fondeur. Voyez PRESSE.

* FONDEUR DE PETIT PLOMB, est un ouvrier qui fait le plomb à tirer de toutes les especes, les balles de toutes les grosseurs, les plombs des manches des dames, &c. Ils ne peuvent vendre leurs plombs eux-mêmes, à moins qu'ils n'en ayent acheté le privilége, en se faisant passer marchands. Ils sont du corps des Miroitiers, & suivent les statuts & les réglemens de cette communauté, comme ces derniers. Voyez l'article DRAGEE.

* FONDEUR, (Grosses Forges) ouvrier important dans les grosses forges ; c'est celui qui conduit la fonte de la mine au fourneau. Voyez ci-après GROSSES FORGES.


FONDI(Géog.) en latin Fundi ; petite ville de la terre de Labour dans le royaume de Naples en Italie, avec un évêché suffragant de Capoue. Elle est dans une plaine fertile, mais en mauvais air, auprès du petit lac de même nom, à 5 lieues de Terracine ; 15 lieues N. O. de Capoue ; 18 N. O. de Naples ; 20 S. E. de Rome. Longit. 31. 3. latit. 41. 25.

Fundi étoit une ancienne ville municipale du Latium dans le canton des Ausones, dont Strabon, liv. III. Silius Italicus, liv. VIII. v. 530. Martial, liv. XIII. épigramm. 114. & Horace, serm. l. III. sat. V. v. 34. ont parlé. Vitruve, suivant quelques-uns, naquit dans cette ville. (D.J.)


FONDIQUES. f. (Commerce) maison commune où les Marchands s'assemblent pour leur commerce, & où ils déposent l'argent & les marchandises de leur compagnie.

Les auteurs du Dictionnaire de Trévoux disent que ce mot vient de fundus, qui signifioit autrefois une bourse, & que c'est de-là qu'on dit encore à-présent la bourse d'Anvers, la bourse d'Amsterdam.

Mais quelque vraisemblable que soit cette étymologie, il est certain que dans l'usage présent, fondique n'a plus précisément la même signification, & qu'il signifie simplement un magasin ou dépôt pour les marchandises étrangeres, encore ne se dit-il guere que des dépôts des douannes d'Espagne & de Portugal, ou de celles que les Espagnols ont dans l'Amérique, & les Portugais dans l'Orient. Dictionn. de Commer. Trev. & Chambers. (G)


FONDISS. m. espece d'abysme causé par la consistance peu solide du terrein, ou par quelque source d'eau au-dessous des fondemens d'un bâtiment. On appelle aussi fondis ou fontes un éboulement de terre causé dans une carriere, pour n'y avoir pas laissé suffisamment des piliers, & fondis à jour, celui qui a fait un trou, par où l'on peut voir le fond de la carriere. (P)

FONDIS, (Jardinage) terme de Terrassier, pour exprimer une gorge, une vallée, ou quelqu'endroit de terre un peu bas qu'on a dessein de remplir. (K)


FONDREv. act. (Gram.) c'est l'action de mettre en fusion ou sous une forme fluide, par l'action du feu, un minéral, du verre, une pierre, ou un autre corps solide. Ce mot se prend au simple & au figuré.

FONDRE DES ACTIONS, DES BILLETS, (Commerce) expression assez récente parmi nous, introduite dans le commerce du papier presqu'en même tems que la compagnie des Indes & la banque royale ont été établies en France. Elle signifie se défaire de ses billets, vendre ses actions pour de l'argent comptant ; & comme pour l'ordinaire cette vente ne se fait qu'avec perte de la part du vendeur, cette expression se prend plutôt en mauvaise qu'en bonne part. Dictionn. de Commerce, Trév. Chamb. (G.)

FONDRE, c'est l'action de liquéfier la cire par le moyen du feu. Le point essentiel de cette opération est de donner le dégré de chaleur convenable, de connoître & de saisir l'instant où la fonte est parfaite. Cet instant n'est pas d'une minute, & d'une minute dépend la perte de plusieurs milliers de cire : de la chaudiere où elle a été fondue, elle tombe par un robinet dans une cuve, où elle refroidit pendant trois heures, après lesquelles on la met en rubans. Voyez RUBANS & l'article BLANCHIR, où toutes ces opérations sont détaillées.

FONDRE, en Fauconnerie, se dit du faucon, lorsque soûtenu sur ses aîles à une grande élévation, il vole en descendant avec impétuosité pour se saisir d'un oiseau.

FONDRE, (Jardinage) se dit d'une plante qui périt, ou qui pourrit en pié ; ce qui arrive souvent quand on lui donne trop d'eau ou trop de soleil ; si étant enfermée dans la serre, elle n'a pas eu assez d'air, ou qu'elle n'ait pas joüi d'un air nouveau, il n'en faut pas davantage pour la suffoquer. On peut s'il y a une autre chambre à la serre, l'ouvrir de tems en tems : ce lieu se remplit d'air extérieur, & refermant ensuite la porte, & ouvrant celle qui se communique avec la serre, l'air extérieur y entrera sans risquer que les arbres en souffrent.

En fait de légumes, fondre, & périr faute d'eau ; pour les melons, c'est devenir à rien. (K)

* FONDRE, (à la Monnoie) c'est jetter le métal en fusion dans les moules formés par les planches gravées. Voy. les Planches gravées de Monnoyage. Comme la maniere de fondre à la monnoie ne differe en rien de celle que l'on suit dans les atteliers des Fondeurs ; on renvoye à l'article MONNOIE.

FONDRE, en Peinture, c'est bien mêler les couleurs. Des couleurs bien fondues ; fondre les bruns avec les clairs, de façon que le passage des uns aux autres soit insensible.

On dit : il y a une belle fonte de couleur dans ce tableau : il faut fondre ses couleurs avant de donner les dernieres touches. (R)

FONDRE, en terme de Fondeur de petit plomb, c'est liquéfier le plomb par le moyen du feu sur lequel on l'expose dans un vase pour le couler, & lui faire prendre la forme qu'on veut dans le moule.

* FONDRE L'ÉTAIN ET LE JETTER EN MOULE. Lorsqu'un potier d'étain veut mettre l'étain en oeuvre, il le fait d'abord fondre ; il faut avoir une chaudiere de fer qui tienne à proportion de ce qu'on a à fondre. Ceux qui fondent des saumons ont des fosses ; c'est une sorte de trou plus long que large, bâti en brique sous une cheminée ; on met le feu dedans la fosse & les lingots sur la flamme du bois qu'on y allume, & à l'aide d'un soufflet à main, pareil à celui dont se servent les Orfévres, ils fondent plus aisément & plus promtement. A mesure que l'étain fond, la braise & la cendre nagent sur l'étain, & on les dérange avec la cuilliere de fer avec laquelle on jette en moule, pour prendre l'étain net.

De tems en tems, on retire les cendres qui s'amassent sur l'étain, c'est ce qu'on appelle déchet : on les réserve à part ; & quand on en a une quantité, on les lave d'une maniere qui sépare la cendre & le charbon qui se trouvent mêlés d'étain, & cet étain se fond dans une chaudiere le feu dessous ; & par le moyen de la graisse & du suif qu'on y met de dans, on réduit l'étain.

Il y en a qui pour fondre, ont une chaudiere qui est massonnée tout-autour, & le feu est sur l'étain comme dans la fosse. Enfin d'autres (& c'est assez l'usage en province, où on ne fond pas souvent des saumons) mettent la chaudiere sur un trépié le feu dessous.

Il faut préparer ses moules avant de jetter dedans ; on sait que les moules sont ordinairement de cuivre ou potin ; les moules de vaisselles sont de deux pieces, la chape qui forme le dessous de la piece, soit plat, assiette, écuelle ou bassin, & le noyau qui forme le dedans. (Voyez la description aux figures) Cette préparation est de les écurer, puis d'y répandre dans tous les endroits où l'étain doit couler, avec un pinceau de crin, de la ponce en poudre délayée dans du blanc d'oeuf, ce qui s'appelle poteyer les moules : après quoi on met chauffer le moule en-dehors sur le feu, afin qu'il soit assez chaud pour recevoir l'étain ; on met quelques morceaux de fer en-travers la fosse pour supporter les moules.

Il faut observer que la science pour bien jetter, consiste à conserver le degré de chaleur tant de l'étain fondu que du moule ; si l'étain chauffe trop, il s'aigrit, il faut y mettre quelque piece qu'on réserve pour le rafraîchir ou diminuer le feu. Si le moule s'échauffe trop, ce qui arrive ordinairement aux endroits où l'étain tombe en jettant, & où il revient ; on le rafraîchit avec de l'eau qu'on y applique par-dehors avec un bâton entortillé de linge mouillé par un bout qu'on nomme patroüille. On connoît que le moule ou l'étain sont trop chauds quand les pieces viennent grumeleuses. Les grumelures sont des petits trous sans nombre, qui ne percent pas la piece, mais la gâtent fort, parce qu'ils paroissent après le tour & la forge ; ainsi on aime mieux jetter un peu plus froid que trop chaud ; car s'il vient quelques trous aux pieces on les reverche. Voyez REVERCHER. Il est vrai que la vaisselle d'étain fin doit être jettée plus chaude que le commun, parce qu'on la paillonne pour remplir les grumeaux, & qu'elle en sonne mieux. Voyez PAILLONNER.

Voici la façon de jetter la vaisselle. Quand le moule est chaud comme il faut, on le prend avec des morceaux de chapeau, qu'on appelle des feutres ; on porte le noyau sur la selle à jetter, & on le pose sur la tenaille (selle & tenaille à jetter, voyez aux figures). Ensuite on le ferme avec la chape ; & posant un morceau de bois de travers sous la tenaille, on la serre avec un anneau de fer qui presse les dents de la queue de la tenaille. On dresse le moule le jet en-haut ; & puisant de l'étain d'une main dans la fosse ou chaudiere, on jette sa piece tout d'un jet, & dès qu'elle est prise, on abaisse le moule, on frappe sur le côté de la chape avec un maillet de bois de la main droite en enlevant la chape par la poignée de la gauche, le moule s'ouvre, & on dépouille la piece avec un couteau de dessus le noyau où elle tient ordinairement ; & de la sorte on jette successivement autant de pieces qu'on a besoin.

Les moules de poterie sont de quatre pieces pour un bas & autant pour un haut, savoir deux chapes qui forment le dehors de la piece, & deux noyaux pour le dedans ; ces noyaux ont un cran qu'on nomme portée, qui tiennent les chapes en place, & le jet tient aux chapes. On les prépare comme ceux de vaisselle ; il y en a qui les protegent d'ocre ou de suye, chacun à sa maniere ; mais on jette entre ses genoux, sur lesquels on a la précaution de mettre de vieux chapeaux forts ; les noyaux ont des queues où on met des manches de bois qui servent à les manier, & pour les chapes on les met & on les ôte avec des feutres ; quand on a emboîté ses quatre pieces, on couche le moule de côté le jet en-haut entre ses genoux, & on dépouille en frappant avec un maillet de bois sur la portée des noyaux chaque piece de moule l'une après l'autre, les noyaux les premiers, & ensuite les chapes.

Quand la chaudiere ou fosse ne peut tenir tout l'étain qu'on a à fondre & jetter en un jour, il y en a qui interrompent de jetter lorsqu'un moule est fini pour fondre d'autre étain, & d'autres qui fondent & jettent en même tems, parce qu'ils y proportionnent leur feu.


FONDRIERS. m. (Fontaines salantes) c'est ainsi qu'on appelle le mur qui termine le foyer du fourneau de ces usines. Voyez à SEL.

FONDRIER, s. m. terme de Riviere, se dit d'un train qui a flotté trop long-tems, & qui ayant amassé de la mousse & de la terre, devient si lourd qu'il ne peut plus flotter.


FONDRIERES. f. (Physiq.) on donne ce nom en général à toutes les profondeurs répandues sur la surface de la terre qui se sont faites par des affaissemens ou éboulemens de terreins que le feu, l'eau, ou d'autres causes naturelles ont minés.


FONDUadj. pris subst. en terme de Raffineur de sucre, & dans d'autres atteliers de la même espece. C'est ainsi qu'on appelle le sucre provenant des vergeoises que l'on fond jusqu'à un certain degré de chaleur avec de l'eau de chaux dans une quantité que la bonté ou la foiblesse des fondus exige ; quand ils sont ainsi fondus, on les traite comme les batardes, & on les raffine avec les sucres fins.


FONGIBLE(Jurisprud.) se dit d'une chose qui ne forme pas un corps certain, mais qui peut être suppléé par une autre de même nature & de même qualité, qui consiste en quantité, & se regle par poids & mesure, comme du blé, du vin, de l'huile, & autres choses semblables. Voyez au mot CHOSE. (A)


FONGUEUXadj. terme de Chirurgie. On appelle chairs fongueuses, des chairs mollasses, baveuses, superflues, qui s'élevent en maniere de champignons dans les parties ulcérées. Voyez HYPERSARCOSE. (Y)


FONGUSou FUNGUS, s. m. terme de Chirurgie, excroissance en forme de champignon qui vient dans toutes les parties du corps, mais plus particulierement au fondement. On donne aussi le nom de fic à cette maladie. Voyez FIC. Le fongus devient souvent skirrheux, & quelquefois carcinomateux. Voyez SKIRRHE & CARCINOME.

La cure des fongus consiste à en faire l'extirpation avec l'instrument tranchant, les caustiques, ou par la ligature. Voyez EXCROISSANCE, LOUPE, CONDYLOME, SARCOME, FIC.

Dionis dit qu'on entretient à Rome un hopital pour traiter ceux qui sont attaqués d'un fongus malin au fondement. " J'ai vû, dit-il, panser ces malheureux à qui on n'épargne ni le fer ni le feu ; & les cris qu'ils font quand on les panse, ne touchent point de pitié ni les chirurgiens ni les assistans, parce que ce mal est une suite du commerce infâme qu'ils ont eu avec des hommes, de même que les maux vénériens en sont une des caresses qu'on a faites à des femmes débauchées ; & que ces tumeurs rébelles sont regardées comme un effet de la justice divine qui punit ceux qui commettent de tels péchés. Mais comme heureusement ces sortes de maux ne sont point connus en France, je n'en parlerai pas davantage ". (Y)


FONING(Géog.) cité de la Chine dans la province de Fokien. Long. 4. 0. latit. 26. 33. suivant le P. Martini qui place le premier méridien au palais de Peking. (D.J.)


FONTAINES. f. (Géog. phys.) est une quantité d'eau, qui en sortant de certaines couches de la terre entr'ouvertes, se trouve recueillie dans un bassin plus ou moins considérable, dont l'écoulement perpétuel ou interrompu fournit à une partie de la dépense des différens canaux distribués sur la surface des continens & des îles.

Je crois qu'il est à-propos de fixer ici les acceptions précises suivant lesquelles il paroît que sont employés les termes de fontaine & de source. Source semble être en usage dans toutes les occasions où l'on se borne à considérer ces canaux naturels qui servent de conduits soûterreins aux eaux, à quelque profondeur qu'ils soient placés, ou bien le produit de ces especes d'aqueducs. Fontaine indique un bassin à la surface de la terre, & versant au-dehors ce qu'il reçoit par des sources ou intérieures ou voisines. Exemples. Les sources du Rhône, du Tessin, du Rhin, sont dans le mont S. Gothard ; la fontaine d'Arcueil est à mi-côte ; la source de Rungis fournit environ 50 pouces d'eau : les sources des mines sont très-difficiles à épuiser ; les sources des puits de Modene sont à 63 piés de profondeur. La plûpart des lacs qui versent leurs eaux dans les fleuves sont entretenus par des sources intérieures. Dans le bassin de cette fontaine on apperçoit l'eau des sources qui en jaillissant écarte les sables d'où elle sort. Après les pluies, & à l'entrée de l'hyver, les sources qui inondent les terres donnent beaucoup.

La premiere question qui se présente à ceux qui ont considéré avec attention ces sources perpétuelles & abondantes, est de demander quelle peut être la cause du cours perpétuel de ces fontaines, qui par la réunion de leurs eaux servent à entretenir le Rhône, le Rhin, le Danube, le Volga, les fleuves S. Laurent, de la Plata, des Amazones ; quels sont les réservoirs invisibles qui remplissent les canaux multipliés des rivieres & les vastes lits des fleuves ; par quel méchanisme enfin ces réservoirs réparent abondamment leurs pertes journalieres.

Ensuite à mesure qu'on étudie plus en détail les fontaines, on y observe plusieurs singularités très-frappantes, tant dans leur écoulement que dans leurs eaux ; & ces discussions sont par leurs objets aussi agréables qu'utiles. D'après ces considérations, nous croyons devoir nous attacher dans cet article à deux points de vûe intéressans sur les fontaines : leur origine & leurs singularités.

ORIGINE DES FONTAINES. L'origine des fontaines a de tout tems piqué la curiosité des Philosophes. Les anciens ont leurs hypothèses sur ce méchanisme, ainsi que les modernes. Mais ce sont pour la plûpart des plans informes, qui sur-tout dans les premiers, & même dans certains écrivains de nos jours, ont le défaut général que Séneque reprochoit avec tant de fondement aux physiciens de son tems, dont il connoissoit si bien les ressources philosophiques. Illud ante omnia mihi dicendum est, opiniones veterum parùm exactas esse & rudes : circa verum adhuc errabatur : nova omnia erant primò tentantibus. Quaest. nat. lib. VI. c. jv.

Les anciens, en parlant de l'origine des fontaines, ne nous présentent rien de précis & de fondé ; outre qu'ils n'ont traité cette question qu'en passant, & sans insister sur ses détails, ils ne paroissent s'être attachés ni aux faits particuliers ni à leur concert ; ces raisons sont plus que suffisantes pour nous déterminer à passer legerement sur leurs hypothèses. Quel fruit peut-on retirer pour l'éclaircissement de la question présente, en voyant Platon ou d'autres anciens philosophes au nom desquels il parle, indiquer pour le reservoir commun des fontaines & des sources, les gouffres du Tartare, & faire remonter l'eau par cascades de ce gouffre à la surface de la terre ? Peut-être que des érudits trouveront dans ces réveries populaires l'abysme que Woodward prétend faire servir à la circulation des eaux soûterreines. Nous ne croirons pas au reste devoir revendiquer pour notre siecle cette derniere hypothése comme plus appuyée que l'ancienne. Quelles lumieres & quelles ressources trouve-t-on dans le système embrassé par Aristote & par Séneque le naturaliste ? Ces philosophes ont imaginé que l'air se condensoit & se changeoit en eau par la stagnation & l'humidité qu'il éprouvoit dans les soûterrains. Ils se fondoient sur ce principe, que tout se fait de tout ; ainsi, selon eux l'air se change en eau & l'eau en air par des transmutations, au milieu desquelles la nature sait garder une juste compensation qui entretient toûjours l'équilibre entre les élémens. Ces transmutations livreroient toute l'économie admirable de la nature à une confusion & à une anarchie affreuse. L'eau considérée sans mélange sera toûjours eau & inaltérable dans ses élémens. Voyez EAU, ELEMENT. Il est vrai qu'on a observé de nos jours un fait qui sembleroit autoriser ces prétentions. L'eau la plus pure laisse après plusieurs distillations réitérées quelques principes terreux au fond de la cucurbite. Ce fait remarqué par Boyle & par Hook avoit donné lieu à Newton de conclure que l'eau se changeoit en terre. Mais Boerhaave qui a vérifié effectivement ce résultat, prétend avec beaucoup plus de raison que les molécules de l'eau sont inaltérables, & que le résidu terreux est le produit des corps legers qui flottent dans l'air, ou la suite d'une inexactitude indispensable dans la manipulation. Ainsi les anciens n'étoient autorisés à supposer ces transmutations que par le besoin qu'ils en avoient. Si après cela nous voyons Aristote avoir recours aux montagnes qui boivent les eaux soûterreines comme des éponges ou d'autres agens, ces secours subsidiaires ne nous offrent aucune unité dans ses idées. Pline nous rapporte quelques faits, mais donne peu de vûes. Vitruve a entrevû le vrai en s'attachant au produit des pluies.

Saint Thomas & les Scholastiques de Coimbre tranchent plûtôt la question qu'ils ne la résolvent, en admettant ou l'ascendant des astres, ou la faculté attractive de la terre qui rassemble les eaux dans son sein par une force que la Providence lui a départie suivant ses vûes & ses desseins. Van-Helmont prétend que l'eau renfermée dans les entrailles de la terre n'est point assujettie aux regles de l'hydrostatique, mais qu'elle dépend alors uniquement de l'impression que lui communique cet esprit qui anime le monde soûterrain, & qui la met en mouvement dans les abysmes profonds qu'elle remplit. En conséquence de ces idées il met en jeu ce qu'il appelle la propriété vivifiante du sable pur, & la circulation animée qui en résulte des eaux de la mer visible dans une mer invisible, qu'il s'efforce de prouver par l'Ecriture. Cet abus n'est pas particulier à ce fameux medecin : plusieurs autres écrivains ont cru décider la question par des passages des livres sacrés qu'ils interprétoient selon leurs caprices, ou se sont servi de cette autorité respectable comme de preuve subsidiaire. On ne peut trop s'élever contre ce procédé religieux en apparence, mais qui aux yeux d'un physicien éclairé & chrétien, n'est que l'emploi indécent d'un langage sacré fait pour diriger notre croyance & notre conduite, & non pour appuyer des préjugés, des préventions, & des inductions imaginaires, en un mot des systèmes. Ces especes de théologies physiques dérogeant à la majesté de l'Ecriture & aux droits de la raison, ne laissent appercevoir qu'un mélange toûjours ridicule de faits divins & d'idées humaines.

L'érudition de Scaliger ne nous présente que des discussions vagues sur ce que les autres ont pensé & sur ce qu'il se croit en droit d'y ajoûter, mais ne nous offre d'ailleurs aucun fait décisif. Cardan après avoir examiné d'une vûe assez générale les deux principales hypothèses qui étoient en honneur de son tems, & avoir grossi les difficultés de chacune, finit par les embrasser toutes les deux en assignant à l'une & à l'autre ses opérations particulieres. Dans l'une on attribuoit l'origine des fontaines uniquement aux pluies ; dans l'autre on prétendoit qu'elles n'empruntoient leurs eaux que de la mer. Ces deux opinions sont presque les seules qui ayent partagé les Physiciens dans tous les tems. Plusieurs écrivains depuis Cardan ont adopté l'une des deux ; mais la plûpart se sont bornés à des moyens très-imparfaits. Tels sont Lydiat, Davity, Gassendi, Duhamel, Schottus, & le pere François. On peut consulter sur ces détails le traité de Perrault de l'origine des fontaines ; on y trouvera vingt-deux hypothèses, qui toutes se rapportent aux deux principales dont nous venons de parler. On ajoûtera aux auteurs qui y figurent, Plot, dont l'ouvrage est une espece de déclamation où l'on trouve beaucoup de crédulité, peu de raisons, & encore moins de choix & de certitude dans les faits. Cet anglois adopte les canaux soûterreins. Bernard Palissy qui avoit plus vû & mieux vû que tous ces savans, étoit si persuadé que les pluies formoient les fontaines, & que l'organisation des premieres couches de la terre étoit très-favorable à l'amas des eaux, à leur circulation, & à leur émanation, qu'il publioit hautement être en état de les imiter. Il auroit organisé un petit monticule suivant la distribution des couches qu'il avoit remarquées à la surface de la terre dans les lieux qui lui avoient offert des sources. On verra par la suite que cette promesse n'étoit point l'effet de ces charlatanismes dont les Savans ne sont pas exempts, & que les ignorans qui s'en plaignent & qui en sont les dupes, rendent souvent nécessaires.

La premiere chose qui se présente dans cette question, est que les fleuves & les rivieres vont se rendre dans des golphes ou dans de grands lacs où ils portent continuellement leurs eaux. Or depuis tant de siecles que ces eaux se rassemblent dans ces grands réservoirs, l'océan & les autres mers auroient débordé de toutes parts & inondé la terre, si les vastes canaux qui s'y déchargent y portoient des eaux étrangeres qui ajoûtassent à leur immense volume. Il faut donc que ce soit la mer qui fournisse aux fontaines cette quantité d'eau qui lui rentre ; & qu'en conséquence de cette circulation les fleuves puissent couler perpétuellement, & transporter une masse d'eau considérable, sans trop remplir le vaste bassin qui la reçoit.

Ce raisonnement est un point fixe auquel doivent se réunir toutes les opinions qu'il est possible d'imaginer sur cette matiere, & qui se présente d'abord dès qu'on se propose de discuter celles qui le sont déjà. Mais comment l'eau va-t-elle de la mer aux fontaines ? Nous savons bien la route qu'elle tient pour retourner des fontaines à la mer, parce que les canaux de conduite sont pour la plûpart exposés à la vûe du peuple comme des Physiciens : mais ces derniers ne sont pas d'accord sur le méchanisme qui reporte l'immense quantité d'eau que les fleuves charrient, dans les réservoirs de leurs sources.

Je considere en second lieu que l'eau de la mer est salée, & que celle des fontaines est douce, ou que si elle est chargée de matieres étrangeres, on peut se convaincre aisément qu'elle ne les tire pas de la mer. Il faut donc que le méchanisme du transport, ou que nos tuyaux de conduite soient organisés de façon à faire perdre à l'eau de la mer, dans le trajet, sa salure, sa viscosité, & son amertume.

En combinant les moyens que les auteurs qui ont écrit avec le plus de lumieres & de sagesse sur l'origine des fontaines, ont essayé d'établir pour se procurer ce double avantage, on peut les rappeller à deux classes générales. Dans la premiere sont ceux qui prétendent que les vapeurs qui s'élevent par évaporation de dessus la surface de la mer, emportées & dissoutes dans l'atmosphere, voiturées ensuite par les vents sous la forme de nuages épais & de brouillards, arrêtées par les sommets élevés des montagnes, condensées en rosée, en neige, en pluie, saisissant les diverses ouvertures que les plans inclinés des collines leur offrent pour s'insinuer dans les corps des montagnes ou dans les couches propres à contenir l'eau, s'arrêtent & s'assemblent sur des lits de tuf & de glaise, & forment en s'échappant par la pente de ces lits & par leur propre poids, une fontaine passagere ou perpétuelle, suivant l'étendue du bassin qui les rassemble, ou plûtôt suivant celle des couches qui fournissent au bassin.

Dans la seconde classe sont ceux qui imaginent dans la masse du globe des canaux soûterreins, par lesquels les eaux de la mer s'insinuent, se filtrent, se distillent, & vont en s'élevant insensiblement remplir les cavernes qui fournissent à la dépense des fontaines. Ceux qui soûtiennent cette derniere opinion, l'exposent ainsi. La terre est remplie de grandes cavités & de canaux soûterreins, qui sont comme autant d'aqueducs naturels, par lesquels les eaux de la mer parviennent dans des cavernes creusées sous les bases des montagnes. Le feu soûterrein fait éprouver aux eaux rassemblées dans ces especes de cucurbites, un degré de chaleur capable de la faire monter en vapeurs dans le corps même de la montagne, comme dans le chapiteau d'un alembic. Par cette distillation, l'eau salée dépose ses sels au fond de ces grandes chaudieres ; mais le haut des cavernes est assez froid pour condenser & fixer les vapeurs qui se rassemblent & s'accrochent aux inégalités des rochers, se filtrent à-travers les couches de terres entr'ouvertes, coulent sur les premiers lits qu'elles rencontrent, jusqu'à ce qu'elles puissent se montrer en-dehors par des ouvertures favorables à un écoulement, ou qu'après avoir formé un amas, elles se creusent un passage & produisent une fontaine.

Cette distillation, cette espece de laboratoire soûterrein, est de l'invention de Descartes (Princip. IV. part. §. 64.), qui dans les matieres de Physique imagina trop, calcula peu, & s'attacha encore moins à renfermer les faits dans de certaines limites, & à s'aider pour parvenir à la solution des questions obscures de ce qui étoit exposé à ses yeux. Avant Descartes, ceux qui avoient admis ces routes soûterreines, n'avoient pas distillé pour dégager les sels de l'eau de la mer ; & il faut avoüer que cette ressource auroit simplifié leur échafaudage, sans le rendre néanmoins plus solide.

Dans la suite, M. de la Hire (Mém. de l'acad. an. 1703.) crut devoir abandonner les alembics comme inutiles, & comme un travail imité de l'art toûjours suspect de supposition dans la nature. Il se restreignit à dire, qu'il suffisoit que l'eau de la mer parvînt par des conduits soûterreins, dans de grands réservoirs placés sous les continens au niveau de la mer, d'où la chaleur du sein de la terre, ou même le feu central, pût l'élever dans de petits canaux multipliés qui vont se terminer aux couches de la surface de la terre, où les vapeurs se condensent en partie par le froid & en partie par des sels qui les fixent. C'est pour le dire en passant, une méprise assez singuliere de prétendre que les sels qui se dissolvent dans les vapeurs, puissent les fixer. Selon d'autres physiciens, cette même force qui soûtient les liqueurs au-dessus de leur niveau dans les tubes capillaires, ou entre des plans contigus, peut faciliter considérablement l'élévation de l'eau marine adoucie. Voyez CAPILLAIRE, TUBE, ATTRACTION. On a fait joüer aussi par supplément, l'action du flux & reflux ; on a cru en tirer avantage, en supposant que son impulsion étoit capable de faire monter à une très-grande hauteur, malgré les lois de l'équilibre, les eaux qui circulent dans les canaux soûterreins ; ils ont cru aussi que le ressort de l'air dilaté par la chaleur soûterreine, & qui soûleve les molécules du fluide parmi lesquelles il est dispersé, y entroit aussi pour beaucoup.

La distillation imaginée par Descartes, avoit pour but de dessaler l'eau de la mer, & de l'élever au-dessus de son niveau : mais ceux qui se sont contentés de la faire filtrer au-travers des lits étroits & des couches de la terre, comme M. de la Hire, ont cru avec l'aide de la chaleur, obtenir le même avantage, & ils se sont fait illusion. 1°. L'eau de la mer que l'on veut faire monter par l'action des canaux capillaires formés entre les interstices des sables ou autres terres, ne produit jamais aucun écoulement ; parce que les sables & les terres n'attirent point les eaux douces ou salées en assez grande quantité pour produire cet effet. M. Perrault (orig. des font. pag. 154.) prit un tuyau de plomb d'un pouce huit lignes de diamêtre, & de deux piés de long ; il attacha un reticule de toile par le bas, & l'emplit de sable de riviere sec & passé au gros sas. Ce tuyau ayant été placé perpendiculairement dans un vase d'eau, à la profondeur de quatre lignes, le liquide monta à 18 pouces dans le sable. Boyle, Hauksbée & de la Hire, ont fait de semblables expériences, & l'eau s'est élevée de même à une hauteur considérable : mais M. Perrault alla plus loin. Il fit à son tuyau de plomb une ouverture latérale de sept à huit lignes de diamêtre ; & à deux pouces au-dessus de la surface de l'eau du vase à cette ouverture, il adapta dans une situation inclinée un tuyau aussi plein de sable, & y plaça un morceau de papier gris qui débordoit vers l'orifice inférieur. L'eau pénétra dans cette espece de gouttiere & dans le papier gris ; mais il n'en tomba aucune goutte par ce canal ; on n'en put même exprimer en pressant avec les doigts, le papier gris mouillé. Tout cet équipage tiré hors du vase, ne produisit aucun écoulement ; il n'avoit lieu que lorsqu'on versoit de l'eau par le haut du tuyau ; & le tuyau ayant été rempli de terre au lieu de sable, on n'apperçut aucun écoulement, & la terre absorboit plus d'eau que le sable, quand on en versoit par le haut ; ce qui a été observé depuis par M. de Reaumur. Il paroît qu'il faut pour pénétrer la terre, une quantité d'eau égale au tiers de sa masse.

M. Perrault soûmit à la même expérience de l'eau salée ; les sables contractoient d'abord un certain degré de salure, & l'eau diminuoit un peu son amertume : mais lorsque les couloirs s'étoient une fois chargés de sels, l'eau qui s'y filtroit n'en déposoit plus. Et d'ailleurs des percolations réitérées au-travers de cent différentes matieres sabloneuses, n'ont point entierement dessalé l'eau de la mer. Voilà des faits très-destructifs des suppositions précédentes. On peut ajoûter à ces expériences d'autres faits aussi décisifs. Si l'eau se dessaloit par filtration, moins elle auroit fait de trajet dans les couches terrestres, & moins elle seroit dessalée : or on trouve des fontaines & même des puits d'eau douce, sur les bords de la mer, & des sources même dans le fond de la mer, comme nous le verrons par la suite. Il est vrai que quand les eaux de la mer pénetrent dans les sables en se réunissant aux pluies, elles produisent un mélange saumache & salin ; mais il suffit qu'on trouve des eaux douces dans des fontaines abondantes & dans des puits voisins de la mer, pour que l'on puisse soûtenir que les eaux de la mer ne peuvent se dessaler par une filtration soûterreine. On n'alléguera pas sans-doute les eaux salées, puisqu'il s'en trouve au milieu des terres, comme en Alsace, en Franche-Comté, à Salins ; & d'ailleurs il est certain que cette eau n'est salée, que parce qu'elle dissout des mines de sel.

En général, on peut opposer à l'hypothèse que nous venons de décrire, plusieurs difficultés très-fortes.

1°. On suppose fort gratuitement des passages libres & ouverts, depuis le lit de la mer jusqu'au pié des montagnes. On n'a pû prouver par aucun fait l'existence de ces canaux soûterreins ; on a plûtôt prouvé le besoin que l'on en a, que leur réalité ou leur usage. Comment concevoir que le lit de la mer soit criblé d'ouvertures, & la masse du globe toute percée de canaux soûterreins ? voyons-nous que la plûpart des lacs & des étangs perdent leurs eaux autrement que par des couches de glaise ? Le fond de la mer est tapissé & recouvert d'une matiere visqueuse, qui ne lui permet pas de s'extravaser aussi facilement & aussi abondamment qu'il est nécessaire de le supposer, pour disperser avec autant de profusion les fontaines sur la surface des îles & des continens. Quand même la terre pénétreroit certaines couches de son fond à une profondeur assez considérable, on ne peut en conclure la filtration de ses eaux dans la masse du globe. Prétendre outre cela, que les gouffres qui paroissent absorber l'eau de la mer, soient les bouches de ces canaux soûterreins, c'est s'attacher à des apparences pour le moins incertaines, comme nous le verrons par la suite.

On n'a pas plus de lumieres sur ces grands réservoirs ou ces immenses dépôts, qui, selon quelques auteurs, fournissent l'eau à une certaine portion de la surface du globe ; sur ces lacs soûterreins décrits dans Kircher (mund. subterr.) sous le nom d'Hydrophilacia, & dont il a cru devoir donner des plans pour rassûrer la crédulité de ceux qui seroient portés à ne les pas adopter sur sa parole.

2°. Quand leur existence seroit aussi certaine qu'elle est douteuse à ceux qui n'imaginent pas gratuitement, il ne s'ensuivroit pas que ces lacs eussent une communication avec la mer. Les lacs soûterreins que l'on a découverts, sont d'eau douce : au sur plus ils tirent visiblement leurs eaux des couches supérieures de la terre. On observe constamment toutes les fois qu'on visite des soûterreins, que les eaux se filtrent au-travers de l'épaisseur de la croûte de terre qui leur sert de voûte. Lorsqu'on fait un étalage de ces cavernes fameuses, par lesquelles on voudroit nous persuader l'existence & l'emploi de ces réservoirs soûterreins, on nous donne lieu de recueillir des faits très-décisifs contre ces suppositions : car la caverne de Baumannia située dans les montagnes de la forêt d'Hircinie, celle de Podpetschio dans la Carniole, celles de la Kiovie, de la Podolie, toutes celles que Scheuchzer a eu lieu d'examiner dans les Alpes, celles qu'on trouve en Angleterre, sont la plûpart à sec, & l'on y remarque tout-au-plus quelques filets d'eau qui viennent des voûtes & des congélations, formées par les dépôts successifs des eaux qui se filtrent au-travers des couches supérieures. La forme des fluors, la configuration des stalactites en cul-de-lampe, annonce la direction des eaux gouttieres. Les filets d'eau & ces especes de courans, tarissent par la sécheresse, comme on l'a remarqué dans les caves de l'observatoire & dans la grotte d'Arcy en Bourgogne, dans laquelle il passe en certain tems une espece de torrent qui traverse une de ses cavités. Si l'on examine l'eau des puits & des sources, on trouvera qu'elle a des propriétés dépendantes de la nature des couches de terre supérieures au bassin qui contient les eaux. Dans la ville de Modene & à quatre mille aux environs, en quelqu'endroit que l'on fouille, lorsqu'on est parvenu à la profondeur de 63 piés, & qu'on a percé la terre, l'eau jaillit avec une si grande force, qu'elle remplit les puits en peu de tems, & qu'elle coule même continuellement par-dessus ses bords. Or cet effet indique un réservoir supérieur au sol de Modene, qui éleve l'eau de ses puits au niveau de son terrein, & qui par conséquent doit être placé dans les montagnes voisines. Et n'est-il pas plus naturel qu'il soit le produit des pluies qui tombent sur les collines & les montagnes de Saint-Pélerin, que de supposer un effort de filtration ou de distillation des eaux de la mer qui ait guindé ces eaux à cette hauteur, pour les faire remonter au niveau du sol de Modene ? Ainsi on n'a aucun fait qui établisse des évaporations, des distillations, ou des percolations du centre du globe à la circonférence ; mais au contraire, toutes les observations nous font remarquer des filtrations dans les premieres couches du globe.

3°. Les merveilleux alembics, la chaleur qui entretient leur travail, le froid qui condense leurs vapeurs, la direction du cou du chapiteau ou des aludels d'ascension, qui doit être telle qu'elle empêche les vapeurs de retomber dans le fond de la cucurbite, & de produire par-là une circulation infructueuse ; combien de suppositions pour réunir tous ces avantages ; comment le feu seroit-il assez violent pour changer en vapeurs cette eau salée & pesante qu'on tire de la mer, & la faire monter jusqu'aux premieres couches de la terre ? Le degré de chaleur qu'on a eu lieu d'observer dans les soûterreins, n'est pas capable de produire ces effets. Quelle accélération dans le travail, & quelle capacité dans l'alembic n'exigeroit pas la distillation d'une source aussi abondante que celles qu'on rencontre assez ordinairement ! L'eau réduite en vapeur à la chaleur de l'eau bouillante, occupant un espace 14000 fois plus grand, les eaux réduites en vapeurs & comprimées dans les cavernes, sont plus capables de produire des agitations violentes, que des distillations. D'ailleurs si le feu est trop violent dans les soûterreins, l'eau sortira salée de la cucurbite, &c.

4°. Après une certaine interruption de pluies, la plûpart des fontaines ou tarissent ou diminuent considérablement ; & l'abondance réparoît dans leur bassin, après des pluies abondantes, ou la fonte des neiges. Or si un travail soûterrein fournit d'eau les réservoirs des sources, que peut opérer la température extérieure pour en ralentir ou en accélérer les opérations ? Il est vrai que certains physiciens ne disconviennent pas que les eaux pluviales ne puissent, en se joignant au produit des canaux soûterreins, former après leur réunion une plus grande abondance d'eau dans les réservoirs, & y faire sentir un déchet considérable par leur soustraction : mais après cet aveu, ils ne peuvent se dissimuler que les eaux de pluies n'influent très-visiblement dans les écoulemens des fontaines, & que cet effet ne soit une présomption très-forte pour s'y borner, si le produit des pluies suffit à l'entretien des sources, comme nous le ferons voir par la suite. Voodward prétend qu'il y a, lors des pluies, moins de dissipation dans les couches du globe, où se rassemblent les eaux évaporées de l'abysme par leur feu central, & que la sécheresse fournit une transpiration abondante de ces vapeurs. Ceci seroit recevable, si la circulation des eaux dans les couches qui peuvent ressentir les différens effets de l'humidité & de la sécheresse, ne se faisoit pas de la circonférence au centre, ou dans la direction des couches qui contiennent les eaux.

5°. Pourquoi l'eau de la mer iroit-elle chercher le centre, ou du moins les endroits les plus élevés des continens, pour y entretenir les fontaines ? Descartes nous répondra qu'il y a sous ces montagnes & sous ces endroits élevés, des alembics : mais de la mer à ces prétendus alembics, quelle correspondance a-t-il établi ? Ne seroit-il pas plus naturel que les sources fussent plus abondantes sur les bords de la mer, que dans le centre des terres ; & dans les plaines, que dans les pays montueux ? Outre qu'on ne remarque pas cette disposition dans les sources, la grande quantité de pluie qui tombe sur les bords de la mer, seroit la cause naturelle de cet effet, si le terrein étoit favorable aux sources.

6°. Il reste enfin une derniere difficulté. 1°. Le résidu des sels dont l'eau se dépouille, ou par distillation, ou par filtration, ne doit-il pas avoir formé des obstructions dans les canaux soûterreins, & avoir enfin comblé depuis long-tems tous les alembics ? 2°. La mer par ces dépôts n'a-t-elle pas dû perdre une quantité prodigieuse de ses sels ? Pour donner une idée de ces deux effets, il faut apprécier la quantité de sel que l'eau de la mer auroit déposée dans les cavités, & dont elle se seroit réellement appauvrie. Il paroît par les expériences de M. le comte de Marsigly, de Halley & de Halles, qu'une livre d'eau de la mer tient en dissolution quatre gros de sel, c'est-à-dire un trente-deuxieme de son poids : ainsi trente-deux livres d'eau produisent une livre de sel, & soixante-quatre en donneront deux. Le pié-cube d'eau pesant 70 livres, on peut pour une plus grande exactitude compter deux livres de sel dans ces 70. Nous partirons donc de ce principe, qu'un pié-cube d'eau douce doit avoir déposé deux livres de sel avant que de parvenir à la source d'une riviere. Or s'il passe sous le pont-royal, suivant la détermination de M. Mariotte, 288, 000, 000 de piés-cubes d'eau en 24 heures, cette quantité d'eau aura déposé sous terre 576, 000, 000 de livres de sel.

Cependant comme ceux qui admettent la circulation intérieure de l'eau de la mer conviennent que les pluies grossissent les rivieres, nous réduisons ce produit à la moitié : ainsi l'eau de la Seine laisse chaque jour dans les entrailles de la terre 288 millions de livres de sel, & nous aurons plus de cent milliards de livres pour l'année : mais qu'est-ce que la Seine comparée avec toutes les rivieres de l'Europe, & enfin du monde entier ? quel amas prodigieux de sel aura donc formé dans des canaux soûterreins, la masse immense d'eau que les fleuves & les rivieres déchargent dans la mer depuis tant de siecles ! Voyez SALURE & MER.

On peut réduire à trois classes les physiciens qui ont essayé de répondre à ces difficultés.

I. M. Gualtieri (Journ. des Sçav. an. 1725. Juin) dans des réflexions adressées à M. Valisnieri, exige seulement qu'on lui accorde deux propositions. La premiere, qu'il se trouve au fond de la mer une terre particuliere ou un couloir, au-travers duquel l'eau de la mer ne peut passer sans se dépouiller de son sel. La seconde, que l'eau de la mer fait équilibre à une colonne d'eau douce, qui s'insinue dans l'intérieur du globe à une hauteur qui est en raison inverse de sa pesanteur spécifique, c'est-à-dire dans le rapport de 103 à 100. Pour établir sa premiere proposition, il allegue l'analogie des filtrations des sucs dans les animaux & dans les végétaux, & enfin l'adoucissement de l'eau de la mer par évaporation. Ce qui embarrasse d'abord, c'est de savoir où les sels se déposeront dans le filtre particulier qui aura la vertu d'adoucir l'eau de la mer. Dans les animaux, les sucs qui n'entrent point dans certains couloirs, sont absorbés par d'autres ; sans cela il se formeroit des obstructions, comme il doit s'en former au fond de la mer.

En second lieu, si la colonne d'eau soûterreine est en équilibre avec celle de l'eau marine, par quelle force l'eau pénétrera-t-elle les couloirs ? D'ailleurs si l'on suppose que la mer est aussi profonde que les montagnes sont élevées, le rapport de pesanteur spécifique de 100 à 103, qui se trouve entre l'eau douce & l'eau salée, ne peut élever l'eau douce qu'au 3/100 de la hauteur des montagnes ; ainsi elle ne parviendra jamais au sommet même des collines de moyenne grandeur.

II. D'autres physiciens n'ont pas été allarmés des blocs de sels aussi énormes que la mer doit déposer dans les entrailles de la terre ; leur imagination a été aussi féconde pour creuser des alembics & des canaux soûterreins, que l'eau salée peut être active pour combler les uns & boucher les autres ; elle a formé un échafaudage de nouvelles pieces, qui jouent selon ses voeux & selon les besoins du système. Voyez Méditations sur les fontaines, de Kuhn.

On a rencontré dans l'Océan & dans certains détroits ou mers particulieres, des especes de gouffres où les eaux sont violemment agitées, & paroissent s'engloutir dans des cavités soûterreines qui les rejettent avec la même violence. Le plus fameux de ces gouffres est près des côtes de la Laponie, dans la mer du Nord ; il engloutit les baleines, les vaisseaux, &c. & rejette ensuite les débris de tout ce qu'il paroît avoir absorbé. On en place un auprès de l'île d'Eubée, qui absorbe & rend les eaux sept fois en vingt-quatre heures : celui de Charibde près des côtes de la Calabre absorbe & vomit trois fois le jour ; ceux de Sylla dans le détroit de la Sicile, du détroit de Babelmandel, du golfe Persique, du détroit de Magellan, ne sont qu'absorbans. On soupçonne outre cela que sous les bancs de sable, sous les roches à fleur d'eau, & dans la mer Caspienne en particulier, il y a beaucoup de ces gouffres tant absorbans que vomissans.

Comme ils sont près des îles & des continens, on en conclut que les eaux absorbées sont englouties dans les soûterreins de la terre-ferme ; & que réciproquement, les eaux rejettées sortent de dessous les continens. Ces gouffres ne sont que les larges orifices des canaux soûterreins : l'eau de la mer engloutie d'abord dans ces grandes bouches, se distribue ensuite par les branches principales des conduits soûterreins, & se porte jusqu'au-dessous des continens. Elle parvient ensuite par des ramifications qu'on multiplie à l'infini, sous les montagnes, les cavernes, & les autres cavités de la terre : en vertu de la grande division qu'elle éprouve pour lors, elle se trouve plus exposée à l'action de la chaleur soûterreine : elle est réduite en vapeurs, & s'éleve dans les premieres couches de la terre, où elle forme des réservoirs qui fournissent à l'écoulement des sources & des fontaines.

Mais ce qu'il faut bien remarquer, l'eau, à l'extrémité des branches principales, perd par évaporation à chaque instant une si grande quantité d'eau douce, qu'elle acquiert une salure & une gravité spécifique plus considérable que celle qui remplit les gouffres : en conséquence, cette eau plus salée est déterminée par son poids à refluer par les ramifications qui aboutissent aux branches principales, parce que le sel ne se dépose que dans les ramifications où l'évaporation commence ; & ces ramifications par lesquelles l'eau salée coule, s'abouchent ordinairement aux branches principales d'un autre gouffre vomissant. L'eau se décharge par ce moyen dans la mer, en y reportant à chaque instant le résidu salin des eaux évaporées & dulcifiées. Ainsi les conduits soûterreins se débarrassent du sel qui pourroit s'y accumuler par l'évaporation de l'eau douce ; & la mer répare la salure qu'elle perdroit insensiblement. A mesure que l'évaporation s'opere à l'extrémité des branches principales des gouffres absorbans, le produit de cette distillation trouve des conduits prêts à le recevoir pour le décharger dans un gouffre vomissant. Quelquefois les résidus salins prendront la route des branches principales du gouffre absorbant ; & alors ce gouffre sera absorbant & vomissant en même tems. Mais le plus souvent, le gouffre vomissant sera distingué de l'absorbant. Ainsi les fontaines de la Sicile & du royaume de Naples sont entretenues par le gouffre absorbant de Sylla, qui porte ses eaux dans les soûterreins de l'île & de la pointe de l'Italie ; le résidu salin de l'évaporation est reporté à la mer par Charibde, gouffre vomissant, & par quelque autre ouverture. Les courans que l'on observe assez ordinairement dans les détroits, sont produits par la décharge des eaux salées qui refluent des soûterreins : tels sont les courans du Bosphore de Thrace, produits par les eaux qui se déchargent des soûterreins de l'Asie mineure, & qui se jettent dans le Pont-Euxin, pour réparer la quantité de salure qu'il perd en coulant dans la Méditerranée par l'Hellespont, & ne réparant cette eau salée que par l'eau douce des fleuves qu'il reçoit. De même la mer Caspienne ayant de ces gouffres absorbans qui lui enlevent de l'eau salée, répare cette perte par des gouffres vomissans qui lui viennent des soûterreins de la Russie & de la Tartarie. Les gouffres absorbans de l'Océan septentrional forment les fleuves de la Russie, de la Tartarie ; & d'autres gouffres vomissans déchargent une partie de leurs sels dans la mer Caspienne.

Il est aisé de faire voir que cette complication de nouveaux agens introduits par M. Kuhn dans l'hypothèse cartésienne, les rend suspects d'avoir été enfantés par le besoin. Car ces gouffres absorbans & vomissans, dont on croit reconnoître & indiquer les bouches dans le Maelstroom de Norwege, dans Sylla, dans Charibde, &c. ne sont rien moins que des ouvertures de canaux soûterreins, dont les conduits se continuent dans la solidité du globe, & sous la masse des continens. La tourmente qu'y éprouve l'eau de la mer est dépendante des marées ; & ces mouvemens réguliers qui balancent les eaux de l'Océan, n'ont aucune correspondance avec les besoins des cucurbites soûterreines. D'ailleurs après le calme on voit voltiger sur la surface de l'eau les débris de ce qu'il a absorbé. Il en est de même de tous les autres, qui ne sont pas placés au hasard dans les détroits, ou pour répandre les eaux de la mer sous les continens voisins : mais parce que dans ces parages le fond de la mer étant parsemé de rochers & creusé inégalement, présente à la masse des eaux resserrées dans un canal étroit, des obstacles qui les agitent & les bouleversent ; Struys & le P. Avril avoient prétendu avoir découvert des gouffres dans la mer Caspienne, où les eaux de ce grand lac s'engloutissoient pour se rendre ou dans le Pont-Euxin, ou dans le golfe Persique : mais les savans envoyés par le Czar, qui nous ont procuré la véritable figure de cette mer, n'en ont pas même trouvé les apparences. On a trouvé des eaux chaudes & douces dans le gouffre de Charibde. Enfin tous les courans d'eau qu'on a découverts dans des canaux soûterreins, sont dirigés vers la mer, & ne voiturent absolument que des eaux douces. Les eaux qui sortent du fond de la mer dans les golfes Arabique & Persique, sont douces. Ainsi tous les faits semblent détruire les suppositions des gouffres absorbans & vomissans.

J'observe d'ailleurs qu'en supposant la réalité de ces gouffres, leur travail soûterrein est contraire aux principes de l'Hydrostatique. Ces gouffres ont été formés avec le globe : car il ne faudroit rien redouter dans le genre des suppositions, si l'on chargeoit les eaux de produire de telles excavations. Je dis donc que les extrémités intérieures de ces canaux absorbans & vomissans sont inférieures au niveau du fond de la mer ; puisque le vomissant prend l'eau où l'absorbant la quitte, c'est-à-dire dans le lieu où la distillation s'opere. Or ces deux canaux ont dû d'abord être absorbans, puisque l'eau de la mer a dû s'engloutir également dans leur capacité, en vertu de la même pente.

De ce que les deux gouffres s'abouchent l'un à l'autre, leurs branches principales peuvent être considérées comme des tuyaux communiquans qui sont adaptés à un bassin commun, & remplis d'une liqueur homogene. Il est donc constant que les liquides ont dû y rester en équilibre, jusqu'à ce qu'une nouvelle cause vînt le troubler ; & cette cause est l'évaporation de l'eau douce destinée à former les fontaines. Mais l'on suppose bien gratuitement que l'évaporation ne s'opere qu'à l'extrémité du gouffre absorbant. Pourquoi la chaleur soûterreine qui en est la cause, n'agira-t-elle pas également à l'extrémité des branches principales de ces deux gouffres, puisqu'elles sont également exposées à son action ; car elles se réunissent l'une à l'autre, l'une reportant à la mer le résidu salin des eaux que l'autre absorbe ? S'il n'y a plus d'inégalité dans la pression, le jeu alternatif des gouffres absorbans & vomissans est entierement déconcerté & réduit à la seule action d'absorber.

Malgré ces difficultés, nous supposerons que tout le méchanisme que nous avons décrit ait pû recevoir de l'activité par des ressources que nous ignorons dans la nature, mais qu'on imaginera ; le travail de la distillation étant une fois commencé, les canaux absorbans seront toûjours pleins : à mesure que l'eau douce s'évaporera, une égale quantité d'eau salée succédera sans violence ; & de même, le gouffre vomissant rejettera insensiblement ses eaux salées. On ne doit donc pas remarquer des agitations aussi terribles à l'embouchure des conduits soûterreins ; & les agitations des gouffres de la mer prouveroient trop.

A-t-on au surplus pensé à nous rassûrer sur des obstacles qu'on doit craindre à chaque instant pour la circulation libre des eaux ? L'eau évaporée doit être dégagée de toute sa salure avant que de s'insinuer dans les ramifications étroites : car si elle en conserve, & qu'elle la perde en route, voilà un principe d'obstruction pour ces petits tuyaux capillaires. Comment le résidu salin est-il déterminé à se porter dans les ramifications des gouffres vomissans ? Comment l'eau devenue plus salée conserve-t-elle une fluidité assez grande pour refluer avec une célérité & une facilité qui n'interrompra pas le travail de cette circulation continuelle ? Comment l'eau divisée dans ces cavités très-étroites n'y dépose-t-elle pas des couches de sel qui les bouchent ; ou ne s'évapore-t-elle pas entierement, de telle sorte que le sel se durcisse en masse solide : car elle est exposée à un feu capable d'agir sur des volumes d'eau plus considérables ? Pourquoi enfin toute l'eau ne se sépare-t-elle pas des sels lors de la premiere distillation ; de sorte que le résidu salin soit une masse solide & incapable d'être entraînée par des canaux étroits ? Combien d'inconvéniens & d'embarras n'éprouvent pas ceux qui veulent compliquer leurs ressources à mesure que de nouveaux faits font naître de nouvelles difficultés ? Ces supplémens, ces secours étrangers, bien loin de soulager la foiblesse d'une hypothèse, la montrent dans un plus grand jour, & la surchargent de nouvelles suppositions, qui entraînent la ruine d'un tout mal concerté.

III. Ceux que je place dans cette troisieme classe ont tellement réduit leurs prétentions d'après les faits, qu'elles paroissent être les seules de toutes celles que j'ai exposées, qui puissent trouver des partisans parmi les personnes raisonnables & instruites. Pour jetter du jour sur cette matiere, ils distinguent exactement ce qui concerne l'origine des fontaines d'avec l'origine des rivieres. Les fontaines proprement dites sont en très-petit nombre, & versent une quantité d'eau peu considérable dans les canaux des rivieres : le sur plus vient 1°. des pluies qui coulent sur la terre sans avoir pénétré dans les premieres couches ; 2°. des sources que les eaux pluviales font naître, & dont l'écoulement est visiblement assujetti aux saisons humides ; 3°. enfin des sources insensibles qui doivent être distribuées le long du lit des rivieres & des ruisseaux. Perrault, quoiqu'opposé aux physiciens de cette classe, a remarqué que quand les rivieres sont grosses, elles poussent dans les terres, bien loin au-delà de leurs rivages, des eaux qui redescendent ensuite quand les rivieres sont plus basses ; & ce dernier observateur, qui a beaucoup travaillé à détruire les canaux soûterreins, & à établir l'hypothèse des pluies, va même jusqu'à prétendre que les eaux des rivieres extravasées remontent jusqu'au sommet des collines & des montagnes, entre les couches de terre qui aboutissent au canal des rivieres, & vont former par cette ascension soûterreine les réservoirs des fontaines proprement dites : c'est ce qui fait le fond de tout son système ; qu'il suffira d'avoir exposé ici.

Guglielmini, dans son traité des rivieres, a distingué toutes les choses que nous venons de détailler. Il a de plus observé plus précisément que Perrault ces petites sources qui se trouvent le long des rivieres, il a remarqué que si l'on creusoit dans le lit des ruisseaux qui sont à sec, plusieurs trous, on y trouvoit de l'eau à une petite profondeur, & que la surface de l'eau de ces trous suivoit la pente des ruisseaux ; ensorte que les especes de fontaines artificielles sont des vestiges encore subsistans des sources qui donnoient dans le tems que les ruisseaux couloient à plein canal. On conclut de tous ces faits, que la plûpart des eaux qui remplissent les canaux des rivieres, proviennent des pluies ; & que les sources insensibles & passageres prises dans la totalité, ont pour principe de leur entretien les eaux pluviales, comme les observations constantes le prouvent à ceux qui examinent sans préjugés.

Mais on se retranche à dire qu'une partie de l'eau des fontaines, ou de quelques-unes des fontaines proprement dites, est élevée de la mer par des conduits soûterreins. On insinue que la mer peut bien ne transmettre dans leurs réservoirs que le tiers ou le quart des eaux qu'elles versent dans les rivieres. Ces physiciens se sont déterminés à un parti aussi modéré, par l'évidence des faits, & pour éviter les inconvéniens que nous avons exposés ci-dessus : nous adoptons les faits qu'ils nous offrent ; mais certains inconvéniens restent dans toute leur étendue : car 1°. l'obstruction des conduits soûterreins par le sel est toûjours à craindre, si leur capacité est proportionnée à la quantité d'eau qu'ils tirent de la mer ; un petit conduit doit être aussi-tôt bouché par une petite quantité d'eau salée qui y circule, qu'un grand canal par une grande masse : 2°. la difficulté du dessalement par les filtrations, &c. subsiste toûjours. On ne peut être autorisé à recourir à ce supplément, qu'autant qu'on seroit assûré, 1°. que les pluies qui produisent si manifestement de si grands effets, ne seroient pas assez abondantes pour suffire à tout : 2°. que certaines sources ne pourroient recevoir de la pluie en vertu de leur situation, une provision suffisante pour leur entretien : c'est ce que nous examinerons par la suite. Pourquoi percer à grands frais la masse du globe entier, pour conduire une aussi foible provision ? Seroit-ce parce qu'on tient encore à de vieilles prétentions adoptées sans examen ?

Après l'exposition de tout ce qui concerne cette hypothèse, il se présente une réflexion à laquelle nous ne pouvons nous refuser. En faisant circuler, à force de suppositions gratuites, les eaux salées dans la masse du globe, & en tirant ces eaux d'un réservoir aussi immense que la mer, on a été séduit sans-doute par l'abondance & la continuité de la provision : mais on a perdu de vûe un principe bien important : la probabilité d'une circulation libre & infaillible, telle qu'on a dû la supposer d'après l'expérience, décroît comme le nombre des pieces qui jouent pour concourir à cet effet, & comme le nombre des obstacles qui s'opposent à leur jeu. Il n'y a d'avantageux que le réservoir : mais combien peu de sûretés pour la conduite de l'eau ? Cette défectuosité paroîtra encore plus sensiblement, lorsque nous aurons exposé les moyens simples & faciles de l'hypothèse des pluies. Dans le choix des plans physiques, on doit s'attacher à ceux où l'on employe des agens sensibles & apparens dont on peut évaluer les effets & apprécier les limites, en se fondant sur des observations susceptibles de précision. N'est-on pas dans la regle, lorsqu'on part de faits, qu'on combine des faits pour en expliquer d'autres, sur-tout après s'être assûrés que les premiers faits sont les élémens des derniers ? D'ailleurs, c'est de l'ensemble de tous les phénomenes du globe, c'est de l'appréciation de tout ce qui se rencontre en grand dans les effets surprenans qui piquent notre curiosité, qu'on doit partir pour découvrir les opérations compliquées, où la nature étale sa magnificence en cachant ses ressources ; où elle présente, il est vrai, assez d'ouvertures pour la sagacité & l'attention d'un observateur qui a l'esprit de recherche, mais assez peu de prise pour l'imagination & la legereté d'un homme à systèmes.

Il y a certaines expériences fondamentales sur lesquelles toute une question est appuyée ; il faut les faire, si l'on veut raisonner juste sur cet objet : autrement tous les raisonnemens sont des spéculations en l'air. Du nombre de ces expériences principales est l'observation de la quantité de pluie qui tombe sur la terre ; & celle de la quantité d'évaporation. Delà dépend la théorie des fontaines, celle des rivieres, des vapeurs, & de plusieurs autres sujets aussi curieux qu'intéressans, dont il est impossible de rien dire de positif, sans les précisions que les seuls faits peuvent donner : la plûpart de ceux qui ont travaillé sur cette partie de la Physique, se sont attachés à ces déterminations fondamentales. Le P. Labbé, jésuite, tourna ses vûes de ce côté-là. Wren, au commencement de l'établissement de la Société royale, pour faire ces expériences imagina une machine qui se vuidoit d'elle-même lorsqu'elle étoit pleine d'eau, & qui marquoit, par le moyen d'une aiguille, combien de fois elle se vuidoit. MM. Mariotte, Perrault, de la Hire, & enfin toutes les académies & les divers physiciens, ont continué à s'assûrer, suivant la diversité des climats & la différente constitution de chaque année, de la quantité d'eau pluviale. Il ne paroît pas qu'on se soit attaché à mesurer avec autant d'attention celle de l'eau évaporée, ou celle de la dépense des rivieres en différens endroits. Au défaut de ces déterminations locales, nous pouvons nous borner à des estimes générales, avec les restrictions qu'elles exigent.

Ces réflexions nous conduisent naturellement à l'hypothèse qui rapporte l'entretien des fontaines aux pluies. Pour établir cette opinion, & prouver que les pluies, les neiges, les brouillards, les rosées, & généralement toutes les vapeurs qui s'élevent tant de la mer que des continens, sont les seules causes qui entretiennent les fontaines, les puits, les rivieres, & toutes les eaux qui circulent dans l'atmosphere, à la surface, & dans les premieres couches du globe ; toute la question se réduit à constater 1°. si les vapeurs qui s'élevent de la mer & qui se résolvent en pluies, sont suffisantes pour fournir d'eau la superficie des continens & le lit des fleuves. 2°. si l'eau pluviale peut pénétrer les premieres couches de la terre, s'y rassembler, & former des réservoirs assez abondans pour entretenir les fontaines. Toutes les circonstances qui accompagnent ce grand phénomene du commerce perpétuel de l'eau douce avec l'eau de la mer, s'expliqueront naturellement après l'établissement de ces deux points importans.

§. I. Pour mettre la premiere proposition dans tout son jour, il ne faut que déterminer par le calcul la quantité d'eau qui peut s'élever de la mer par évaporation, celle qui tombe en pluie, en neige, &c. & enfin celle que les rivieres déchargent dans la mer : & au cas que les deux premieres quantités surpassent la derniere, la question est décidée.

La quantité de vapeurs qui s'élevent de la mer a été appréciée par M. Halley, transact. philosophiq. n°. 189. Il a trouvé par des observations assez précises, que l'eau salée au même degré que l'est ordinairement l'eau de la mer, c'est-à-dire celle qui a dissous une quantité de sel égale à la trente-deuxieme partie de son poids, & exposée à un degré de chaleur égal à celle qui regne dans nos étés les plus chauds, perd par évaporation la soixantieme partie d'un pouce d'eau en deux heures. Ainsi la mer perd une superficie d'un dixieme de pouce en douze heures.

Nous devons observer ici que plus l'eau est profonde, plus est grande la quantité de vapeurs qui s'en éléve, toutes les autres circonstances restant les mêmes. Ce résultat établi par des expériences d'Halley, de MM. Krafft & Richmann (Mém. de Petersbourg 1749.), détruit absolument une prétention de M. Kuhn, qui soûtient sans preuve que le produit de l'évaporation diminue comme la profondeur de l'eau augmente.

En nous attachant aux résultats de M. Halley, & après avoir déterminé la surface de l'Océan ou de quelques-uns de ses golfes, ou d'un grand lac comme la mer Caspienne & la mer Morte, on peut connoître combien il s'en éleve de vapeurs.

Car une surface de dix pouces quarrés perd tous les jours un pouce cubique d'eau, un degré quarré trente-trois millions de tonnes. En faisant toutes les réductions des irrégularités du bassin de la mer Méditerranée, ce golfe a environ quarante degrés de longueur sur quatre de largeur, & son étendue superficielle est de cent soixante degrés quarrés ; par conséquent toute la Méditerranée, suivant la proportion ci-devant établie, doit perdre en vapeurs pour le moins 5, 280, 000, 000 tonnes d'eau en douze heures dans un beau jour d'été.

A l'égard de l'évaporation des vents qui peut entrer pour beaucoup dans l'élévation des vapeurs & leur transport, il n'y a rien de fixe ; & nous pécherons plûtôt par défaut que par excès, en ne comprenant point ces produits dans notre évaluation.

En donnant à la mer Caspienne trois cent lieues de longueur & cinquante lieues de largeur, toute sa superficie sera de quinze mille lieues quarrées à vingt-cinq au degré, & par conséquent de vingt-quatre degrés quarrés. On aura sept cent quatre-vingt-douze millions de tonnes d'eau qui s'évaporent par jour de toute la surface de la mer Caspienne. Le lac Aral qui a cent lieues de longueur sur cinquante de largeur, ou huit degrés quarrés, perd deux cent soixante-quatre millions de tonnes d'eau. La mer Morte en Judée qui a 72 milles de long sur 18 milles de large, doit perdre tous les jours près de neuf millions de tonnes d'eau.

La plûpart des lacs n'ont presque d'autres voies que l'évaporation pour rendre l'eau que des rivieres très-considérables y versent : tels sont le lac de Morago en Perse, celui de Titicaca en Amérique, tous ceux de l'Afrique qui reçoivent les rivieres de la Barbarie qui se dirigent au sud. Voyez LAC.

Pour avoir une idée de la masse immense du produit de l'évaporation qui s'opere sur toute la mer, nous supposerons la moitié du globe couverte par la mer, & l'autre partie occupée par les continents & les îles ; la surface de la terre étant de 171, 981, 012 milles quarrés d'Italie, à 60 au degré, la surface de la mer sera de 85990506 milles quarrés, ce qui donnera 47, 019, 786, 000, 000 de tonnes d'eau par jour.

En comparant maintenant cette quantité d'eau avec celle que les fleuves y portent chaque jour, on pourra voir quelle proportion il y a entre le produit de l'évaporation & la quantité d'eau qui rentre dans le bassin de la mer par les fleuves. Pour y parvenir nous nous attacherons au Pô, dont nous avons des détails assûrés. Ce fleuve arrose un pays de 380 milles de longueur ; sa largeur est de cent perches de Boulogne ou de mille piés, & sa profondeur de 10 piés. (Ricciol. Géog. réformat. page...) Il parcourt quatre milles en une heure, & il fournit à la mer vingt mille perches cubiques d'eau en une heure, ou 4800000 en un jour. Mais un mille cubique contient 125000, 000 perches cubiques ; ainsi le Pô décharge en vingt-six jours un mille cubique d'eau dans la mer.

Resteroit à déterminer quelle proportion il y a entre le Pô & toutes les rivieres du globe, ce qui est impossible : mais pour le savoir à-peu-près, supposons que la quantité d'eau portée à la mer par les grandes rivieres de tous les pays, soit proportionnelle à l'étendue & à la surface de ces pays ; ce qui est très-vraisemblable, puisque les plus grands fleuves sont ceux qui parcourent une plus grande étendue de terrein : ainsi le pays arrosé par le Pô & par les rivieres qui y tombent de chaque côté, viennent des sources ou des torrens qui se ramifient à 60 milles de distance du canal principal. Ainsi ce fleuve & les rivieres qu'il reçoit arrosent ou plûtôt épuisent l'eau d'une surface de 380 milles de long sur 120 milles de large ; ce qui forme en tout 45, 600 milles quarrés. Mais la surface de toute la partie seche du globe est, suivant que nous l'avons supposé, de 85990506 milles quarrés ; par conséquent la quantité d'eau que toutes les rivieres portent à la mer sera 1874 fois plus considérable que la quantité d'eau fournie par le Pô. Or ce fleuve porte à la mer 4800, 000 perches cubiques d'eau ; la mer recevra donc de tous les fleuves de la terre 89, 952, 00000 perches cubiques dans le même tems : ce qui est bien moins considérable que l'évaporation que nous avons déduite de l'expérience. Car il résulte de ce calcul que la quantité d'eau enlevée par évaporation de dessus la surface de la mer, & transportée par les vents sur la terre, est d'environ 245 lignes ou de vingt pouces cinq lignes par an, & des deux tiers d'une ligne par jour ; ce qui est un très-petit produit en comparaison d'un dixieme de pouce que l'expérience nous donne. On voit bien qu'on peut la doubler pour tenir compte de l'eau qui retombe sur la mer, & qui n'est pas transportée sur les continents, ou bien de celle qui s'éleve en vapeurs de dessus la surface des continents, pour retomber en pluie dans la mer. Toutes ces raisons de compensation mettront entre la quantité d'eau que la mer perd par évaporation, & celle qui lui rentre par les fleuves, une juste proportion. Hist. nat. tome I.

Si nous faisons l'application de ces calculs à quelques golfes particuliers, on peut approcher encore plus de cette égalité de pertes & de retours : la Méditerranée, par exemple, reçoit neuf rivieres considérables, l'Ebre, le Rhône, le Tibre, le Pô, le Danube, le Niester, le Boristhène, le Don, & le Nil. Nous supposerons, après M. Halley, chacune de ces rivieres dix fois plus forte que la Tamise, afin de compenser tous les petits canaux qui se rendent dans le bassin de ce golfe : or la Tamise au pont de Kingston, où la marée monte rarement, a cent aulnes de large & trois aulnes de profondeur ; ses eaux parcourent deux milles par heure : si donc on multiplie cent aulnes par trois, & le produit trois cent aulnes quarrées par quarante-huit milles, ou 84480 aulnes quarrées que la Tamise parcourt en un jour, le produit sera de 25344000 aulnes cubiques d'eau, ou 203 00000 tonnes que la Tamise verse dans la mer. Mais si chacune des neuf rivieres fournit dix fois autant d'eau que la Tamise, chacune d'elles portera donc tous les jours dans la Méditerranée deux cent trois millions de tonnes par jour. Or cette quantité ne fait guere plus que le tiers de ce qu'elle en perd par l'évaporation. Bien loin de déborder par l'eau des rivieres qui s'y déchargent, ou d'avoir besoin de canaux soûterreins qui en absorbent les eaux, cette mer seroit bientôt à sec, si les vapeurs qui s'en exhalent n'y retomboient en grande partie par le moyen des pluies & des rosées.

Comme la mer Noire reçoit elle seule presqu'autant d'eau que la Méditerranée, elle ne peut contenir toute la quantité d'eau que les fleuves y versent ; elle en décharge le surplus dans la mer de Grece, par les détroits de Constantinople & des Dardanelles. Il y a aussi un semblable courant dans le détroit de Gibraltar ; ce qui compense aussi en bonne partie ce que l'évaporation enleve de plus que le produit des fleuves. Comme la mer Noire perd insensiblement plus d'eau salée qu'elle n'en reçoit, en supposant que les fleuves y en portent une certaine masse, cette déperdition successive doit diminuer la salure de la mer Noire, à moins qu'elle ne répare cette perte en dissolvant quelques mines de sel.

Il est aisé de faire voir que les grands lacs, comme la mer Caspienne & le lac Aral, ne reçoivent pas plus d'eau qu'il ne s'en évapore de dessus leur surface. Nulle nécessité d'ouvrir des canaux soûterreins de communication avec le golfe Persique. Le Jourdain fournit à la mer Morte environ six millions de tonnes d'eau par jour ; elle en perd neuf par évaporation ; les trois millions de surplus peuvent lui être aisément restitués par les torrens qui s'y précipitent des montagnes de Moab & autres qui environnent son bassin, & par les vapeurs & les pluies qui y retombent.

Il est donc prouvé par tous ces détails, que l'Océan & ses différens golfes, ainsi que les grands lacs, perdent par évaporation une plus grande quantité d'eau que les fleuves & les rivieres n'en déchargent dans ces grands bassins ; maintenant il ne nous reste qu'à fortifier cette preuve, en comparant ce qui tombe de pluie sur la terre avec les produits de l'évaporation & avec la dépense des fleuves.

Il résulte des observations faites par l'académie des Sciences pendant une suite d'années considérable, que la quantité moyenne de la pluie qui tombe à Paris est de dix-huit à dix-neuf pouces de hauteur chaque année. La quantité est plus considérable en Hollande & le long des bords de la mer ; & en Italie elle peut aller à quarante-cinq pouces. Nous réduisons la totalité à trente pouces, ce qui se trouve excéder la détermination de la dépense des fleuves, que nous avons déduite ci-devant d'une évaluation assez grossiere. Mais nous remarquerons qu'il tombe beaucoup plus de pluie qu'il n'en entre dans les canaux des rivieres & des fleuves, & qu'il ne s'en rassemble dans le réservoir des sources, parce que l'évaporation agit sur la surface des terres, & enleve une quantité d'eau assez considérable qui retombe le plus souvent en rosées, ou qui entre dans la dépense des végétaux.

Pour grossir cette dépense des végétaux, on allegue une expérience de M. de la Hire (Mém. de l'Académ. ann. 1703. page 69.) par laquelle il paroît constant que deux feuilles de figuier de moyenne grandeur absorberent deux gros d'eau depuis cinq heures & demie du matin jusqu'à onze heures du matin ; on objecte de même les expériences de Halles, qui présentent des résultats capables d'appuyer les mêmes inductions.

Mais j'observe d'abord que l'imbibition de ces expériences est forcée, & ne se trouve pas à ce degré dans le cours ordinaire de la végétation. D'ailleurs, s'il paroît par des expériences de M. Guettard, ann. 1752. que les feuilles des végétaux ne tirent pas pendant la chaleur les vapeurs de l'atmosphere, ou que les végétaux peuvent subsister sans ce secours ; tout se réduira donc à considérer la dépense que les végétaux font de la pluie, comme une espece d'évaporation, puisque tout ce qui entre dans la circulation est fourni par les racines. Ainsi l'on doit entendre que les végétaux tirent de la terre plus ou moins humide par leurs racines, de l'eau qui s'évapore pendant le jour par les pores des feuilles.

Cette dépense est considérable, mais il ne faut pas en abuser pour en conclure l'insuffisance des pluies ; car quand un terrein est couvert de plantes, il ne s'évapore que très-peu d'eau immédiatement du fond de la terre ; tout s'opere par les végétaux : d'ailleurs cette évaporation ne dure qu'une petite partie de l'année, & dans un tems où les pluies sont plus abondantes. Au surplus, il pleut davantage sur les endroits couverts de végétaux, comme de forêts ; ainsi ce que les végétaux évaporeroient de plus que ce qui s'éleve de la terre immédiatement, peut leur être fourni par les pluies plus abondantes : le surplus sera donc employé à l'entretien des sources, à-peu près comme dans les autres cantons nuds.

Tous les observateurs ont remarqué que l'eau évaporée dans un vase étoit plus considérable que l'eau pluviale, & cela dans le rapport de 5 à 3. Si la surface de la terre étoit par-tout unie, sans montagne & sans vallons, & que la pluie demeurât au même endroit où elle tombe, la surface de la terre seroit seche une grande partie de l'année, au moins à Paris : mais parce que cette surface est inégale, une partie de l'eau s'imbibe dans les terres, comme nous le verrons par la suite, & s'y conserve sans s'évaporer ; l'autre partie se rassemble dans les lieux bas, où étant fort haute, & n'ayant que peu de surface par rapport à son volume, elle n'éprouve qu'une évaporation peu sensible. Cette distribution des eaux fait que la somme de la pluie, quoiqu'inférieure à l'évaporation possible, fournit aisément au cours perpétuel des fontaines. D'un autre côté, les lieux élevés moins imbibés d'eau, ramassent les rosées, les brouillards, &c.

En second lieu, si nous comparons la quantité de l'eau pluviale avec celle qui est nécessaire pour fournir le lit des rivieres, nous trouverons que l'eau pluviale est plus que suffisante pour perpétuer le cours des fontaines & des eaux qui circulent sur la surface des continens. M. Perrault (voyez p. 198. de l'origine des fontaines) est le premier qui ait pensé à recourir à cette preuve de fait capable d'imposer silence à ceux qui ne veulent qu'imaginer pour se dispenser d'ouvrir les yeux sur les détails qu'offre la nature. Il établit pour principe, qu'un pouce d'eau douce donne en vingt-quatre heures 83 muids d'eau à 240 pintes par muid ; ou ce qui est la même chose, huit piés cubes d'eau ; il se restreint à dix-neuf pouces un tiers pour la quantité moyenne de pluie qui tombe aux environs de Paris. D'après ces principes, il a évalué la quantité d'eau que la Seine charrie depuis sa source jusqu'à Arnay-le-Duc ; & il donne trois lieues de long sur deux lieues de large, à la surface du terrein qui peut décharger dans le canal de la Seine les eaux que la pluie peut verser. Si sur cette étendue de six lieues quarrées, qui font un million 245144 toises quarrées, il est tombé dix-neuf pouces un tiers de pluie, ce sera une lame d'eau de dix-neuf pouces un tiers qui recouvrira tout le terrein ; en supposant que toute cette eau y soit retenue, sans pouvoir s'écouler. Si on en calcule le total, on trouvera que cette grande quantité d'eau monte à deux cent vingt-quatre millions 899942 muids, qui peuvent se jetter dans le canal de la Seine, au-dessus d'Arnay-le-Duc, pendant l'année, en retranchant ce qui est enlevé par évaporation. M. Perrault s'est assûré ensuite que le canal de la Seine ne contenoit que douze cent pouces d'eau courante, qui produisent, suivant ses principes, 36 millions 453600 muids d'eau pendant un an ; laquelle somme étant soustraite de 224 millions 899942 muids, produit total de la pluie, donne pour reste 188 millions 446342 muids : ensorte que la Seine ne dépense pas la sixieme partie de l'eau qui arrose le terrein qu'elle parcourt.

A ce calcul Plot oppose le produit des sources de Willow-Bridge, qui est de 33 millions 901848 muids ; pendant que le terrein qui pourroit rassembler les eaux de pluie dans les réservoirs de ces sources, ne donne sur le pié de 19 pouces un tiers, que 29 millions 89994 muids, ce qui fait 4 millions 811854 muids de moins que la quantité produite par les sources ; sans y comprendre ce que l'évaporation, les torrens, & les plantes peuvent soustraire aux réservoirs des sources. Nous répondrons que dans certains endroits de l'Angleterre, suivant des observations faites avec précision, il tombe jusqu'à quarante pouces d'eau. Suivant Derham, il tombe 42 piés de pluie dans la province de Lancastre. Halles a trouvé 3 pouces de rosée & 22 pouces de pluie ; ce qui fait 25 pouces. Statiq. des vég. exp. 19.

Il ne paroît pas que Plot, qui a disserté si longuement sur les fontaines, ait fait aucune observation sur le produit des pluies à Willow-Bridge ; ni qu'il se soit assûré de la plus grande étendue des couches qui pouvoient verser de l'eau dans leur réservoir.

M. Mariotte, en suivant le plan de M. Perrault, a embrassé par ses calculs une plus grande étendue de terrein ; il a trouvé, en estimant le produit de la pluie à 15 pouces, qu'il formoit en un an sur toute la superficie que traversent l'Armanson, l'Yonne, le Loin, l'Aube, la Marne, & les autres rivieres qui grossissent la Seine, une masse de 714 milliards 150 millions de piés cubes. Le total eût été d'un quart plus fort, s'il eût fait l'évaluation sur le pié de vingt pouces. Ensuite M. Mariotte ayant mesuré la quantité de l'eau de la Seine qui passe sous le pont-royal, il la trouva seulement de douze millions de piés cubes par heure, c'est-à-dire, de 5 milliards 120 millions de piés cubes par an. L'eau pluviale se trouve être sextuple de la dépense de la Seine ; proportion déjà trouvée à-peu-près par Perrault, au-dessus d'Arnay-le-Duc.

Je ne dois pas dissimuler ici que M. Gualtieri a trouvé des rapports bien différens, en comparant l'eau de pluie qu'il suppose tomber en Italie, avec la quantité que les fleuves & tous les canaux portent à la mer. Il réduit toute la surface de l'Italie en un parallélogramme rectangle, dont la longueur est de 600 milles & la largeur de 120 : ensuite il trouve deux trillions sept cent billions de piés cubes d'eau pour le produit de la pluie évaluée sur le pié de 18 à 19 pouces ; évaluation trop peu considérable pour l'Italie : car, suivant des observations faites avec soin pendant dix ans par M. Poleni, à Padoue, il paroît que la quantité moyenne de la pluie dans cette partie de l'Italie, est de 45 pouces, & 43 pouces un quart à Pise ; il est vrai qu'il n'en tombe que dix-sept à Rome : mais en se restraignant à 40 pouces, on trouve un résultat fort approchant de la quantité d'eau que portent dans la mer toutes les rivieres de l'Italie pendant un an, suivant des déterminations trop vagues ou trop visiblement forcées pour être opposées à celles de Mariotte : car M. Gualtieri, pour déterminer la quantité d'eau que toutes les rivieres de l'Italie portent à la mer pendant un an, la suppose, sans aucun fondement, égale à celle que verseroit un canal de 1250 piés de largeur, & de 15 piés de profondeur, qu'il trouve de 5522 391 000 000 000 piés cubes ; ce qui fait 2 trillions 822 billions 391 millions de plus que n'en peut fournir la pluie.

Il en est de même du calcul de M. Gualtieri sur la comparaison de la quantité d'eau évaporée de dessus la surface de la Méditerranée, avec celle que les fleuves y portent : nous croyons qu'il n'ébranle point celui que nous avons donné plus haut, ses appréciations étant dirigées sur les prétentions d'un système pour la défense duquel nous l'avons vû figurer assez foiblement.

Après la discussion dans laquelle nous venons d'entrer, on peut puiser de nouveaux motifs qui en appuyent les résultats, dans la considération générale de la distribution des sources & de la circulation des vapeurs sur le globe. Voyez SOURCE, VAPEURS, PLUIE, ROSEE, FLEUVE. On trouve que ces deux objets sont liés comme les causes le sont aux effets.

Nous observerons ici qu'il y a une très-grande différence entre les estimes de Riccioli sur la quantité d'eau que le Pô décharge dans la mer ; & celles de MM. Perrault & Mariotte par rapport à la Seine. Le terrein qui verse ses eaux dans le Pô doit lui en fournir à raison de 20 pouces & demi de hauteur ; & suivant les déterminations de Perrault, le terrein qui environne le canal de la Seine au-dessus d'Arnay-le-Duc, lui en fournit seulement trois pouces trois quarts ce qui est la sixieme partie de dix-neuf pouces quelques lignes à quoi on évalue le produit moyen de la pluie aux environs de Paris ; & le terrein qui décharge ses eaux dans la Seine au-dessus de Paris, n'en fournit, suivant Mariotte, qu'à raison de deux pouces & demi de hauteur. En prenant un milieu entre les deux estimes de Perrault & de Mariotte, la quantité d'eau que la Seine recevroit de tous les pays qui épanchent leurs eaux dans son canal, se réduiroit à une couche de trois pouces d'épaisseur. Or cette quantité n'est que la septieme partie ou environ, de celle que reçoit le Pô au terrein qu'il parcourt. Le Piémont paroît, il est vrai, plus abondant en eau que la Bourgogne & la Champagne ; & d'ailleurs étant couvert de neiges pendant plusieurs mois de l'année, il y a moins d'évaporation : cependant il semble que l'estime de Riccioli est trop forte ; & Guglielmini l'insinue assez clairement.

Cette discussion nous donne lieu de remarquer que quelque probabilité que les résultats locaux puissent avoir, on ne doit pas s'en appuyer pour en tirer des conséquences générales. On ne peut être autorisé par les déterminations de MM. Mariotte & Perrault à conclure, par exemple, qu'il n'entre dans le canal des rivieres que la sixieme partie de l'eau des pluies : car, suivant celles de Riccioli sur le Pô, on trouveroit que les rivieres entraîneroient tout le produit des eaux pluviales, en l'estimant à vingt pouces : plusieurs raisons peuvent contribuer à ces variations. Il tombe une plus grande quantité d'eau dans un pays que dans un autre : les canaux qui rassemblent les eaux peuvent les réunir plus favorablement. Une surface, quoique peu étendue, se trouve coupée par des ruisseaux fort multipliés ; dans d'autres, les canaux sont plus au large ; & suivant qu'on opérera sur un terrein, ou sur un autre, on en tirera des conclusions plus ou moins défavorables au système des pluies.

On pourra conclure quelque chose de plus certain & de plus décisif pour les inductions générales, si au lieu d'un terrein arbitraire que l'on suppose fournir de l'eau à une riviere, on s'attachoit à un pays pris en totalité, comme à l'Angleterre, à l'Italie. Mais alors si la variété des terreins se fait moins sentir, il y a plus de difficulté d'apprécier d'une vûe générale & vague, comme M. Gualtieri, la masse totale que les rivieres charrient dans la mer. On ne peut tirer parti de ces généralisations, qu'autant qu'on a multiplié les observations dans un très-grand nombre d'endroits particuliers, sur le produit de la pluie & la quantité d'eau que les rivieres charrient : ensorte que ces observations scrupuleuses sont les élémens naturels d'un calcul général, qui se trouve assujetti à des limites précises.

Si l'on prouve constamment que ce que chaque pays verse dans une riviere peut lui être fourni par la pluie, outre ce qui circule dans l'atmosphere en vapeurs, on sera en état de tirer des conclusions générales. Ainsi MM. Perrault & Mariotte ont travaillé sur un bon plan ; & il doit être suivi, quoi qu'en dise M. Sedileau, t. X. mém. de l'acad. ann. 1699.

Au reste, les calculs généraux que nous avons donnés, d'après M. Halley, tout incertains qu'ils sont, portent sur des observations fondamentales, & doivent satisfaire davantage que la simple négative de ceux qui décident généralement que les pluies sont insuffisantes pour l'entretien des fontaines & des rivieres. J'avoue cependant que ceux qui réduiroient le produit des canaux soûterreins à un vingtieme ou à un dixieme du produit des rivieres, ne pourroient être convaincus par les déterminations que nous avons données, puisqu'elles ne vont pas à ce degré de précision. Mais il est d'autres preuves qui doivent les faire renoncer à un moyen aussi caché que la distillation soûterreine, dont le produit est si incertain, pour s'attacher à des opérations aussi évidentes que celles des pluies, & dont les effets sont si étendus & peuvent se déterminer de plus en plus avec précision.

Nous avons vû plus haut que ceux qui se restraignoient à dire que les canaux soûterreins fournissoient seulement à une petite partie des sources, alléguoient quelques observations pour se maintenir dans leurs retranchemens. Ainsi M. de la Hire prétend, (mém. de l'acad. ann. 1703.) que la source de Rungis près Paris, ne peut venir des pluies : cette source fournit 50 pouces d'eau ou environ, qui coule toujours, & qui souffre peu de changemens : or selon cet académicien, tout l'espace de terre dont elle peut tirer ses eaux, n'est pas assez grand pour fournir à ces écoulemens. M. Gualtieri objecte de même que les sources du Modenois ne peuvent tirer assez d'eau des montagnes de S. Pélerin. Guglielmini assûre qu'il y a plusieurs sources dans la Valteline, &c. qui ne peuvent provenir des eaux pluviales. Mais comme tous ces physiciens n'alleguent aucun fait précis, & ne donnent que des assertions très-vagues, nous croyons devoir nous en tenir à des déterminations plus précises. Qu'on compare exactement l'eau de pluie, le produit d'une fontaine, & l'espace de terrein qui y peut verser ses eaux ; & alors on pourra compter sur ces résultats.

Voilà les seules objections qu'on puisse adopter. Par ce qu'on a déjà fait dans ce genre, on peut présumer que l'eau de pluie ne se trouvera jamais au-dessous du produit d'une fontaine quelconque.

§. II. Il nous reste à établir la pénétration de l'eau pluviale dans les premieres couches de la terre. Je conviens d'abord qu'en général les terres cultivées ou incultes, les terreins plats & montueux, ne s'imbibent d'eau ordinairement qu'à la profondeur de deux piés. On observe aussi la même impénétrabilité sous les lacs ou sous les étangs dont l'eau ne diminue guere que par évaporation.

Mais cependant quelque parti que l'on prenne sur cette matiere, on est forcé par des faits incontestables d'admettre cette pénétration. Car les pluies augmentent assez rapidement le produit des sources, leurs eaux grossissent & se troublent ; & leur cours se soûtient dans une certaine abondance après les pluies. Ainsi il faut avoüer que l'eau trouve des issûes assez favorables pour qu'elle parvienne à une profondeur égale à celle des réservoirs de ces sources : ce qui établit incontestablement une pénétration de l'eau de pluie capable d'entretenir le cours-perpétuel ou passager de toutes les fontaines, si la quantité d'eau pluviale est suffisante, comme nous l'avons prouvé d'après les observations. Combien de fontaines qui coulent en Mai & tarissent en Septembre au pié de ces montagnes couvertes de neiges ? Certains amas de neiges se fondent en été, quand le Soleil darde dessus ses rayons ; & on remarque alors sur les croupes des écoulemens abondans dans certaines sources pendant quelques heures du jour ; & même à plusieurs reprises, si le Soleil ne donne sur ces neiges qu'à quelques heures différentes de la journée. Le reste du tems, ces neiges étant à l'ombre des pointes de rochers qui interceptent la chaleur du Soleil, elles ne fondent point : ces alternatives prouvent une pénétration promte & facile. Combien de puits très-profonds tarissent ou diminuent par la sécheresse ? Les eaux de pluies pénétrent donc les terres assez profondément pour les abreuver ; & il ne paroît pas que les fontaines qui tarissent, ou qui soient sensibles à la sécheresse & aux pluies, ayent un réservoir moins profond, ou un cours moins abondant que celles qui coulent perpétuellement sans altération.

J'ai été long-tems à portée d'observer ces effets d'une maniere sensible dans une fontaine très-abondante située à Soulaines, au nord de Bar-sur-Aube, & à trois lieues de cette ville. Suivant des déterminations qui sont susceptibles d'une très-grande justesse, cette source jette par minute, dans les basses eaux, 1550 piés cubes, & dans les grandes eaux, ou ses accès d'augmentation, 5814. Cette fontaine sort d'une roche entr'ouverte, & dont l'ouverture est dans une situation horisontale. Le fond où elle est placée est l'extrémité d'une gorge formée par deux revers de collines, qui à deux lieues au-dessus vers le midi, vont se réunir à quelques montagnes d'une moyenne grandeur. Cette disposition forme un cul de sac, & leur aspect présente une espece d'amphithéatre dont la pente est favorable à l'écoulement des eaux, & les dirige toutes vers le bourg au milieu duquel la source est placée. C'est une observation constante, que s'il pleut dans l'étendue de cet amphithéatre, à la distance d'une ou de deux lieues & demie, la source augmente, & acquiert une impétuosité qui lui fait franchir les bords d'un bassin en maçonnerie qui a 82 piés de longueur 63 de largeur, sur 10 d'élévation au-dessus du sol de la place où cette cage de pierre est construite. L'eau devient trouble, & prend une teinture d'une terre jaune, que les torrens entraînent dans son réservoir ; & cette couleur se soûtient pendant plusieurs jours, suivant l'abondance ou la continuité de la pluie : ces effets sont des signes certains pour les habitans du bourg, qu'il y a eu quelques orages entre Bar-sur-Aube & le bourg, supposé qu'ils n'en ayent pas eu connoissance autrement. La teinture jaune s'annonce dans la source trois ou quatre heures après la chûte de la pluie. Nous observerons que cette source, malgré cette dépendance si marquée qu'elle a avec les pluies, n'a jamais éprouvé d'interruption dans les plus grandes sécheresses ; & les autres sources voisines présentent le même changement de couleur après les pluies, & sur-tout après les pluies d'orages.

Les observations de M. de la Hire faites pendant 17 ans, prouvent que l'eau de pluie ne peut pas pénétrer à 16 pouces en assez grande quantité pour former le plus petit amas d'eau sur un fond solide. (ann. 1703. mém. de l'acad.) Mais ces expériences ne sont pas contraires à la pénétration de la pluie ; puisqu'au même endroit où cet académicien les a faites, (à l'Observatoire), il y a dans les caves, à une profondeur considérable, un petit filet d'eau qui tarit pendant la grande sécheresse, & qui tire par conséquent ses eaux des pluies qui doivent pénétrer au-travers de l'épaisseur de la masse de terre & de pierres qui est au-dessus des caves. On peut voir le détail des observations de M. Pluche, sur la maniere dont l'eau pluviale pénetre dans les premieres couches de la montagne de Laon, & fournit à l'entretien des puits & des fontaines ; tome III. du spectacle de la nature.

De tous ces détails nous concluons, qu'on doit partir de la pénétration de l'eau pluviale, comme d'un fait avéré, quand même on ne pourroit en trouver le dénouement : mais il s'en faut bien que nous en soyons réduits à cette impossibilité. La surface du globe me paroît être organisée d'une maniere très-favorable à cette pénétration. Dans le corps de la terre nous trouvons des couches de terre glaise, des fonds de tuf, & des lits de roches d'une étendue de plusieurs lieues : ces couches sont sur-tout paralleles entr'elles, malgré leurs différentes sinuosités ; ces lits recouvrent les collines, s'abaissent sous les vallons, & se portent sur le sommet des montagnes ; & leur continuité se propage au loin par la multiplicité de plusieurs lits qui se succedent dans les différentes parties des continens. Tout le globe en général est recouvert à sa surface de plusieurs lits de terre ou de pierre, qui en vertu de leur parallélisme exact, font l'office de siphons propres à rassembler l'eau, à la transmettre aux réservoirs des fontaines, & à la laisser échapper au-dehors.

Il faut sur-tout observer que ces couches éprouvent plusieurs interruptions, plusieurs crevasses dans leurs sinuosités ; & que ces prétendues défectuosités sont des ouvertures favorables que les eaux pluviales saisissent pour s'insinuer entre ces couches : on remarque ordinairement ces especes d'éboulemens sur les penchans des vallons ou sur la croupe des montagnes. Ensorte que les différens plans inclinés des masses montueuses ne sont que des déversoirs qui déterminent l'eau à se précipiter dans les ouvertures sans lesquelles la pénétration ne pourroit avoir lieu : car j'avoue que l'eau de la pluie ne peut traverser les couches de la terre suivant leur épaisseur ; mais elle s'insinue entr'elles suivant leur longueur, comme dans la capacité cylindrique d'un aqueduc naturel. Parmi les interruptions favorables & très-fréquentes, on peut compter les fentes perpendiculaires que l'on remarque non-seulement dans les rochers, mais encore dans les argilles ; V. FENTES PERPENDICULAIRES. Ces couches étant fendues de distance en distance, les pluies peuvent s'y insinuer, augmenter la capacité des fentes, & s'ouvrir vers les côtés des passages qui procurent leur écoulement : elles pénetrent même le tissu serré de la pierre, criblent les lits, imbibent, dissolvent les matieres poreuses, & forment différens dépôts, & des crystallisations singulieres dans le sein des rochers ou aux voûtes des cavernes.

Ainsi la pluie qui tombe sur le rocher de la Sainte-Baulme en Provence, pénetre en très-peu d'heures à 67 toises au-dessous de la superficie du rocher par les fentes, & y forme une très-belle citerne, qui fourniroit à un écoulement, si la citerne pouvoit couler par-dessus ses bords. Mém. de l'académie, année 1703.

Les sommets élevés des montagnes principales, les croupes de celles qui sont adossées à la masse des premieres, présentent plus que tout le reste du globe, des surfaces favorables à la pénétration des eaux. Les Alpes, les Pyrénées offrent à chaque pas des couches interrompues, des débris de roches entr'ouvertes, des lits de terre coupés à-plomb ; ensorte que les eaux des pluies, les brouillards, les rosées, se filtrent aisément par toutes ces issues, & forment des bassins, ou se portent dans toute l'étendue des couches ; jusqu'à-ce qu'une ouverture favorable verse cette eau. Ainsi les sources ne seront proprement que les extrémités d'un aqueduc naturel formé par les faces de deux couches ou lits de terre. Si ces couches sont plus intérieures, & qu'elles aillent aboutir au-dessous du niveau des plaines, en suivant les montagnes adossées aux principales, comme dans la plaine de Modene, elles forment des nappes d'eau qui entretiennent les puits, ou des sources qui s'échappent au milieu des pays plats. Comme ces couches s'étendent quelquefois jusques sous les eaux de la mer, en s'abaissant insensiblement pour former son bassin ; elles y voiturent des eaux douces qui entretiennent des puits sur ses bords, ou des sources qui jaillissent sous l'eau salée, comme dans la mer Rouge, dans le golfe Persique, & ailleurs.

Linschot rapporte que dans la mer Rouge, près de l'île de Bareyn, des plongeurs puisent de l'eau douce à la profondeur de 4 à 5 brasses ; de même aux environs de l'île de Baharan dans le golfe Persique, on prend de l'eau douce au fond. Les hommes se plongent avec des vases bouchés, & les débouchent au fond ; & lorsqu'ils sont remontés, ils ont de l'eau douce, (Gemelli Carreri, tome II. p. 473.) Le fond de la mer laissé à sec près de Naples, lors des éruptions du Vésuve, a laissé voir une infinité de petites sources jaillissantes ; & le plongeur qui alla dans le gouffre de Charibde, a prétendu avoir trouvé de l'eau douce. De même, en creusant les puits sur le rivage de la mer, les sources y apportent l'eau, non du côté de la mer, mais du côté de la terre ; ce qui se voit aux Bermudes.

César, dans le siége d'Alexandrie, ayant fait creuser des puits sur le bord de la mer, ils se remplirent d'eau douce. Hist. Pans. comment. cap. jx.

Cette correspondance des couches s'est fait sentir à une très-grande distance. M. Perrault rapporte (traité de l'origine des fontaines, p. 271.) un fait très-propre à en convaincre. Il y avoit deux sources dans un pré, éloignées l'une de l'autre d'environ cent toises. Comme on vouloit conduire leurs eaux dans un canal au bas d'un pré, on fit une tranchée pour recevoir l'eau d'une des deux sources, & la contenir : mais à peine l'eau de cette source fut arrêtée, qu'on vint avertir que l'autre source inférieure à la premiere étoit à sec : on rétablit les choses dans le premier état, & l'eau reparut à cette source. Enfin on remarqua ces effets plusieurs fois ; & l'eau de la source inférieure étoit aussi régulierement assujettie à l'état de la source supérieure, que si elle s'y fût rendue par un tuyau de conduit fait exprès : de même, il y a des communications aussi sensibles des montagnes entr'elles.

Les eaux des vallons ou des plaines s'élevent ordinairement par un canal naturel, & franchissent des collines & des montagnes assez élevées, si une des jambes du siphon renversé, dont la courbure est dans les vallons qui séparent les montagnes, se trouve adossée le long d'une croupe plus élevée que les autres, & qui fournisse des eaux en assez grande abondance pour donner une impulsion successive aux eaux qui remplissent les couches courbées en siphon. La fontaine entretenue par ce méchanisme, paroîtra sur les revers de quelques collines où les couches souffriront interruption.

On conçoit ainsi que les réservoirs des fontaines ne sont pas toûjours des amas d'eaux rassemblées dans une caverne dont la capacité seroit immense, vû la grande dépense de certaines sources. Il seroit à craindre que ces eaux forçant leurs cloisons, ne s'échappassent au-dehors par des inondations subites, comme cela est arrivé dans les Pyrénées en 1678. Voyez INONDATION. L'eau d'ailleurs se trouvant distribuée le long de certaines couches propres à la contenir, coulant en conséquence d'une impulsion douce qui en ménage la sortie, & en vertu de l'étendue des branches de ces aqueducs qui recueillent les eaux, il n'est pas difficile de concevoir comment certaines sources peuvent en verser une si grande quantité ; & cette distribution qui demande quelque tems pour s'exécuter, contribue à la continuité de l'écoulement des rivieres.

Ces canaux soûterreins sont d'une certaine résistance, & des eaux peuvent se faire sentir contre leurs parois avec une force capable d'y produire des crevasses. On doit sur-tout ménager leur effort ; car souvent par des imprudences on force les canaux dans des endroits foibles, en retenant les eaux des fontaines ; & ces interruptions en ouvrant un passage à l'eau, diminuent d'autant la principale fontaine vers laquelle ce petit canal entr'ouvert portoit ses eaux, ou souvent font disparoître une source entiere. Ces effets doivent rendre circonspects ceux qui sont chargés de la conduite des eaux. On en a vû des exemples en plusieurs endroits. Je puis en citer un fort remarquable. La fontaine de Soulaines dont j'ai parlé ci-devant, dépose dans son bassin des terres fort compactes qui la teignent d'une couleur jaunes, après les pluies abondantes. Lorsque la masse des dépôts est considérable, on vuide le bassin. Pour expédier cette besogne, les ouvriers imaginerent de jetter ces terres grasses dans l'ouverture de la source, au lieu de les jetter au-dehors ; il s'y fit une obstruction si complete , que l'eau refoulée dans son aqueduc naturel soûleva à cent pas au-dessus une roche fort épaisse, & s'extravasa par cette ouverture en laissant le bassin de la fontaine à sec. On n'a pû l'y faire rentrer qu'en couvrant d'une masse de maçonnerie cette large ouverture, & laissant un puits d'environ 15 piés de diametre, dont on a élevé les bords au-dessus des murs de la fontaine. Malgré cette précaution, l'eau sort par ce puits, & entre-ouvre la maçonnerie qui menace ruine dans les grandes eaux. Ces effets sont une suite du parti que l'on a pris d'élever l'eau dans le bassin de la fontaine, pour le service des moulins qui sont construits sur un côté de son bassin ; ce qui tient la source dans un état forcé.

De toute cette doctrine, nous tirerons quelques conséquences que l'expérience confirme.

1°. Ce n'est point en traversant l'épaisseur des couches de la terre & en les imbibant totalement, que l'eau pluviale pénetre dans les conduits & les réservoirs qui la contiennent, pour fournir aux écoulemens successifs : ainsi les faits qu'on allegue contre la pénétration, ne détruisent que la premiere maniere, & ne donnent aucune atteinte à la seconde.

2°. C'est dans les montagnes ou dans les gorges formées par les vallons, que se trouvent le plus ordinairement les sources ; parce que les conduits & les couches qui contiennent les eaux, s'épanoüissent sur les croupes des montagnes pour les recueillir, & se réunissent dans les culs-de-sac pour les verser.

3°. Les fontaines nous paroissent en conséquence de cette observation, occuper une position intermédiaire entre les montagnes ou collines qui reçoivent & versent les eaux dans les couches organisées, & entre les plaines qui présentent aux eaux un lit & une pente facile pour leur distribution réguliere. Quinte-Curce remarque (lib. VII. cap. iij.) que tous les sommets des montagnes se contiennent dans toute l'Asie par des chaînes allongées, d'où tous les fleuves se précipitent ou dans la mer Caspienne, &c. ou dans l'Océan indien. On ne peut objecter les sources du Don ou Tanais & du Danube près d'Eschinging, qui sont dans des plaines : car qu'est-ce que cette derniere source en comparaison de toutes celles qui se jettent dans le Danube, tant des montagnes de la Hongrie, que du prolongement des Alpes vers le Tirol ? & de même les Cordelieres donnent naissance à plusieurs sources qui se jettent dans la riviere des Amazones, en suivant la pente du terrein : les autres qui sont sur les croupes occidentales, se jettent dans la mer du Sud. Il y a sur le globe des points de distribution ; en Europe au mont Saint-Gothar ; vers Langres en Champagne, &c. Voyez SOURCE.

4°. Si l'on voit quelquefois des sources dans des lieux élevés, & même au haut des montagnes, elles doivent venir de lieux encore plus élevés, & avoir été conduites par des lits de glaise ou de terre argilleuse, comme par des canaux naturels. Il faut faire attention à ce méchanisme, lorsqu'on veut évaluer la surface d'un terrein qui peut fournir de l'eau à une source ; on est quelquefois trompé par les apparences. M. Mariotte observe que dans un certain point de vûe une montagne près de Dijon sembloit commander aux environs ; mais dans un autre aspect il découvrit une grande étendue de terrein qui pouvoit y verser ses eaux. Voilà la seule réponse que nous ferons à ceux qui alleguent des observations faites par des voyageurs sur des montagnes élevées. Il n'est pas étonnant que les voyageurs ayent pû découvrir, en passant leur chemin, d'où des sources abondantes tiroient leurs eaux. Si entre une montagne du haut de laquelle il part une source, & une autre montagne plus élevée qui doit fournir de l'eau, il y a un vallon, il faut imaginer la source comme produite par une eau qui, d'un réservoir d'une certaine hauteur, a été conduite dans un canal soûterrein & est remontée à une hauteur presque égale à son réservoir. Souvent l'eau des sources qui paroissent sur des croupes ou dans des plaines, peut remonter au-dessus des couches entr'ouvertes qui la produisent. A Modene certains puits coulent par-dessus leurs bords, quoique leurs sources soient à 63 piés de profondeur ; on peut même élever l'eau à 6 piés au-dessus du terrein, par le moyen d'un tuyau. Près de Saint-Omer on perce ainsi des puits, dont l'eau remonte au-dessus du niveau des terres. Tous ces effets supposent des siphons, dont une partie est un conduit naturel depuis les réservoirs jusqu'aux sources : l'autre partie est la capacité cylindrique des puits. En même tems que ces faits rétablissent l'usage des siphons renversés qui communiquent dans une certaine étendue de terrein, l'inspection des premieres couches rend sensible leur existence. On nous objecte que cette communication ne peut s'étendre aux îles de l'Océan, & sur-tout à celles où il ne pleut pas & où l'on trouve des fontaines perpétuelles. Je ne vois pas d'impossibilité que l'eau soit conduite dans quelques-unes de la terre-ferme, par des canaux qui franchissent l'intervalle par-dessous les eaux. Pietro della Valle rapporte que dans les îles Strophades, selon le récit que lui en firent les religieux qui les habitent, il y a une fontaine qui doit tirer ses eaux de la Morée, parce qu'il sort souvent avec l'eau de la source des choses qui ne peuvent venir que de-là : ces îles sont cependant éloignées considérablement de la terre-ferme, & toutes imbibées d'eau. Par rapport aux autres îles, les rosées y sont abondantes, & les pluies dans certains tems de l'année ; ce qui suffit pour fournir à l'entretien des fontaines. Halley remarque qu'à l'île de Sainte-Hélene, le verre de sa lunette se chargeoit d'une lame de rosée très-épaisse, dans un très-petit intervalle ; ce qui interrompoit ses observations.

5°. Lorsque les premieres couches de la terre n'admettent point l'eau pluviale, il n'y a point de fontaines à espérer, ou bien l'eau des pluies s'évapore & forme des torrens, ou bien il n'y pleut plus, comme en certains cantons de l'Amérique. Il y a de grands pays où l'eau manque par cette raison, comme dans l'Arabie pétrée, qui est un desert, & dans tous ceux de l'Asie ou de l'Amérique ; les puits sont si rares dans l'Arabie, que l'on n'en compte que cinq depuis le Caire jusqu'au mont Sinaï, & encore l'eau en est-elle amere.

6°. Lorsque les premieres couches admettent les eaux, & qu'il ne se trouve pas des lits d'argille ou de roche propres à les contenir, elles pénetrent fort avant & vont former des nappes d'eau, ou des courans soûterreins. Ceux qui travaillent aux carrieres des pierres blanches près de la ville d'Aire en Artois, trouvent quelquefois des ruisseaux soûterreins qui les obligent d'abandonner leur travail. Il y a des puits dans plusieurs villages des environs d'Aire, au fond & au-travers desquels passent des courans qui coulent avec plus de rapidité que ceux qui sont à la surface de la terre ; on a remarqué qu'ils couloient de l'orient d'été au couchant d'hyver, c'est-à-dire qu'ils se dirigent du continent vers la mer ; ils sont à 100 & 110 piés de profondeur. Journ. de Trév. an. 1703, Mars.

7°. Les secousses violentes des tremblemens de terre sont très-propres à déranger la circulation intérieure des eaux soûterreines. Comme les canaux ne sont capables que d'une certaine résistance, les agitations violentes produisent, ou des inondations particulieres, en comprimant par des soûlevemens rapides les parois des conduits naturels qui voiturent secrettement les eaux, & en les exprimant pour ainsi dire par le jeu alternatif des commotions ; ou bien un abaissement & une diminution dans le produit des sources. Après un tremblement de terre, une fontaine ne recevra plus ses eaux à l'ordinaire, parce que ces canaux sont obstrués par des éboulemens intérieurs ; mais l'eau refoulée se porte vers les parties des couches entr'ouvertes, & y forme une nouvelle fontaine. Ainsi nous voyons (Hist. de l'ac. ann. 1704.) qu'une eau soufrée qui étoit sur le chemin de Rome à Tivoli, baissa de deux piés & demi en conséquence d'un tremblement de terre. En plusieurs endroits de la plaine appellée la Testine, il y avoit des sources d'eau qui formoient des marais impraticables : tout fut séché, & à la place des anciennes sources, il en sortit de nouvelles à environ une lieue des premieres ; & dans le dernier tremblement de terre de 1755 & 1756, nous avons été témoins de ces effets en plusieurs endroits. Voyez TREMBLEMENT DE TERRE. Si les eaux se trouvent entre des couches de sable rouge, ou bien entre des marnes ou d'autres matieres colorées, les eaux des sources salies & imprégnées de ces corps étrangers qu'elles entraînent, changent de couleur très-naturellement : mais le peuple effrayé voit couler du sang ou du lait ; parce que dans cet état de commotion qui se communique de la terre aux esprits, rien ne doit paroître que sous les idées accessoires les plus terribles, & un rien aide l'imagination à réaliser les chimeres les plus extravagantes.

SINGULARITES DES FONTAINES. On peut considérer les singularités des fontaines sous deux points de vûe généraux ; par rapport à leur écoulement, & par rapport aux propriétés & aux qualités particulieres du fluide qu'elles produisent.

Quant à ce qui concerne ce dernier objet, voyez HYDROLOGIE, où cette matiere sera discutée. Nous allons traiter ici de ce qui regarde les variations régulieres ou irrégulieres de l'écoulement des fontaines. En les considérant ainsi, les fontaines peuvent être divisées en trois classes : les uniformes, les intermittentes, & les intercalaires.

Les uniformes ont un cours soûtenu, égal & continuel, & produisent du-moins dans certaines saisons la même quantité d'eau.

Les intermittentes sont celles dont l'écoulement cesse, & reparoît à différentes reprises en un certain tems. Les anciens les ont connues. Voyez Pline, lib. II. cap. 103.

Les intercalaires sont celles dont l'écoulement sans cesser entierement, éprouve des retours d'augmentation & de diminution qui se succedent après un tems plus ou moins considérable.

Les fontaines des deux dernieres classes se nomment en général périodiques. Dans les intermittentes la période se compte du commencement d'un écoulement ou d'un flux, à celui qui lui succede ; de sorte qu'elle comprend le tems du flux & celui de l'intermission. La période des intercalaires est renfermée dans l'intervalle qu'il y a entre chaque retour d'augmentation, que l'on nomme accès : ensorte qu'elle comprend la durée de l'accès & le repos ou l'intercalaison dans laquelle l'écoulement parvient quelquefois à une uniformité passagere. Quelquefois aussi on n'y remarque aucun repos ou intercalaison, mais leur cours n'est proprement qu'une augmentation & une diminution successive d'eau.

Si l'interruption dure trois, six ou neuf mois de l'année, les fontaines qui l'éprouvent se nomment temporaires (temporales ou temporariae) & en particulier maïales (majales), lorsque leur écoulement commence aux premieres chaleurs, vers le mois de Mai, à la fonte des neiges, & qu'il finit en automne.

Les fontaines véritablement intermittentes qui ont attiré l'attention du peuple & des Philosophes, sont celles dont l'intermission ne dure que quelques heures ou quelques jours.

Je crois qu'on peut rapporter à la classe des intercalaires les fontaines uniformes qui éprouvent des accroissemens assez subits & passagers après de grandes pluies, ou par la fonte des neiges.

Enfin plusieurs fontaines présentent dans leurs cours des modifications qui les font passer successivement de l'uniformité à l'intermittence, & de l'intermittence à l'intercalaison, & revenir ensuite à l'uniformité par des nuances aussi marquées. Nous expliquerons tous ces différens phénomenes : & nous tâcherons de donner les dénoüemens de ces bisarreries apparentes. Nous ne parlons pas ici des fontaines à flux & reflux, qui avoient été imaginées avoir quelque rapport dans leur écoulement & leur intermission avec les marées. Après des examens refléchis, on a vû disparoître la prétendue analogie qu'on avoit cru trouver entre leurs accès & l'intumescence de la mer, & tomber totalement la correspondance imaginaire de leur réservoir avec le bassin de l'Océan. Nous ne croyons donc pas devoir nous astreindre à l'ancienne distribution des Géographes sur cet article. C'est une supposition révoltante que d'attribuer aux mouvemens des marées les accès des fontaines que l'on trouve au milieu des continens. Cependant il est très-possible que certaines sources situées à une très-petite distance des bords de la mer, ayent avec ses eaux une communication soûterreine ; & pour lors je conçois que l'intumescence produira un refoulement jusque dans le bassin de ces sources, assez semblable à celui que les fleuves éprouvent à leur embouchure lors du flux. Mais cette cause n'agit point sur le méchanisme intérieur de l'écoulement des fontaines.

On doit expliquer ainsi ce que Pline rapporte (hist. nat. lib. II. cap. ciij. & lib. III. cap. xxvj.) que dans une petite île de la mer Adriatique, près de l'embouchure de la riviere du Timavo, on trouve des fontaines d'eau chaude qui croissent & décroissent avec le flux & le reflux qui est sensible au fond du golfe. On les nomme bagni di monte falcone. Cluvier en a fait une description exacte, & observe qu'ils ne sont qu'à deux traits d'arbalête de la mer. Il assûre qu'ils sont assujettis à des retours d'intumescence & de détumescence dépendans de ceux de la mer. Les sources mêmes du Timavo plus éloignées dans les terres, éprouvent, suivant le même historien, de semblables variations. Cluvier, Italia antiqua, lib. I. cap. xx. Kircher, mund. subt. lib. V. cap. vj. & Fallope, de aquis Therm. cap. iij. nous assûrent que ces mouvemens ont lieu, parce qu'un gouffre soûterrein dans lequel il s'engloutit une grande quantité d'eau, communique avec la mer qui reflue jusque-là, ou du moins soûtient les eaux de ce gouffre, & enfle par-là celles du bassin des sources du Timavo, avec lequel le gouffre s'abouche.

Pour expliquer le méchanisme des fontaines périodiques, soit intermittentes, soit intercalaires, on a supposé des réservoirs & des siphons dans les entrailles de la terre. Et ces suppositions sont fondées sur l'inspection attentive de l'organisation que le globe présente en plusieurs endroits à sa surface. On rencontre dans les provinces de Derby & de Galles, en Angleterre, dans le Languedoc, dans la Suisse, des cavernes dont les unes donnent passage aux eaux qui y abordent de toutes parts, & d'autres les rassemblent & ne les versent qu'après avoir été remplies. Les coupes de ces cavernes qui s'offrent à découvert aux yeux des observateurs dans les pays montueux, nous autorisent à en placer au sein des collines, où se trouvent les fontaines périodiques.

Quant aux siphons dont le jeu n'est pas moins nécessaire, nous les admettons avec autant de fondement. Dans les premieres couches de la terre, on observe, comme nous l'avons remarqué ci-devant, des courbures très-propres à donner aux couches qui contiennent les eaux pluviales, la forme d'un siphon ; & d'ailleurs certaines lames de terres étant facilement emportées par des filtrations réitérées, les parois des couches supérieures & inférieures formeront une cavité ou un tuyau de conduite qui voiturera l'eau comme les branches d'un siphon cylindrique. De cette sorte le siphon sera un assemblage de petits conduits recourbés, pratiqués entre les couches de glaises, ou bien entre des rochers fendus & entre-ouverts, suivant une infinité de dispositions.

Je conçois même que les siphons doivent se rencontrer précisément dans un endroit rempli de cavernes propres à faire l'office de réservoir. Supposons que les couches inclinées A B, (Pl. Phys. fig. 78.) n'étant point soûtenues depuis C jusqu'en D, parce qu'il y a au-dessous une caverne C E D, se soient affaissées insensiblement, & qu'elles ayent quitté leur premiere direction & pris la situation C F ; alors les couches inférieures A C avec C F forment un siphon dont les parties C F n'atteignent pas le fond de la caverne ; & les autres vers A descendent plus bas que ce fond. Mais les portions supérieures des couches vers B conservant leur situation inclinée, & leur ouverture en D, formée par l'interruption des couches C F affaissées, pourront verser de l'eau dans la caverne. On voit par-là que la courbure du siphon en C, est moins élevée que l'ouverture des couches qui fournissent l'eau, ce qui est essentiel pour le jeu du siphon.

Maintenant donc la cavité C E D recevant l'eau qui coule entre les couches entr'ouvertes en D, & qui s'y décharge avec plus ou moins d'abondance, se remplira jusqu'à-ce qu'elle soit parvenue à la courbure du siphon en C. Alors le siphon joüant commence à épuiser l'eau de la caverne, & il cesse lorsque l'eau est descendue au-dessous de l'orifice de la plus courte jambe en F. Le jeu du siphon recommencera dès que l'eau fournie par les couches D, aura rempli la cavité au niveau de la courbure C. Cet écoulement sera suivi d'une intermission, & l'intermission d'un nouvel écoulement qui se succederont toûjours dans le même ordre périodique, tant que le canal d'entretien D fournira la même quantité d'eau. Ensorte que si le siphon décharge son eau dans des couches qui soient interrompues en A, ou dans un réservoir à cet endroit de la surface de la terre, il se formera une fontaine périodique. Voyez SIPHON.

On conçoit aisément que de la combinaison des siphons, des réservoirs, & des canaux d'entretien, il doit résulter des variations infinies dans l'écoulement des fontaines périodiques dont il suffit d'indiquer ici les plus singulieres ; en un mot, celles que la nature nous offre en plusieurs endroits.

Fontaines intermittentes. Pour qu'une fontaine soit intermittente, il est nécessaire que le siphon A C F entraîne plus d'eau que n'en fournit le canal d'entretien D. Car si ce dernier canal en décharge dans le réservoir autant que le siphon en peut vuider, l'écoulement du siphon sera continuel, parce que l'eau se soûtiendra dans la caverne toûjours à la même hauteur ; & la fontaine formée par le produit du siphon en A, aura un cours uniforme.

De ce principe & de la supposition du méchanisme précédent, nous tirons plusieurs conséquences capables de nous guider dans l'appréciation des différentes variétés des fontaines intermittentes.

1°. Le tems de l'intermission ou de l'intervalle de deux écoulemens est toûjours égal à celui qu'employe le canal d'entretien à remplir le bassin de la caverne depuis l'orifice de la petite jambe du siphon F, jusqu'à sa courbure C.

2°. L'écoulement est composé de la quantité d'eau contenue dans le réservoir, laquelle s'y étoit amassée pendant l'intermission, & de celle que produit le courant d'entretien D pendant tout le tems que le siphon joüe.

3°. Ainsi connoissant le tems précis de l'écoulement & de l'intermission, on en tirera le rapport du produit du canal intérieur à la dépense du siphon. On voit effectivement que l'eau étant supposée couler avec une égale vîtesse par le canal d'entretien & par le siphon, le calibre du siphon est à celui du canal d'entretien, comme le tems de la période entiere est à celui de l'écoulement ; car (n°. 2.) le siphon vuide pendant le seul tems de l'écoulement, l'eau que le canal d'entretien fournit pendant l'intermission & l'écoulement. Or il est évident que les calibres de deux canaux par lesquels l'eau coule avec la même vîtesse, & qui versent la même quantité d'eau en tems inégaux, sont entr'eux dans le rapport renversé des tems.

4°. Le tems de l'écoulement & celui de l'intermission formant la période, la connoissance de la période & de l'écoulement donnera l'intermission ; & de même la détermination de la période & de l'intermission décide la durée de l'écoulement.

5°. Si le canal d'entretien augmente son produit après des pluies abondantes ou pendant la fonte des neiges, il est clair que l'intermission sera plus courte & l'écoulement plus long que pendant la sécheresse où les couches de terre en D fournissent moins d'eau. Car le siphon employera plus de tems pour vuider la quantité d'eau qui coule en plus grande abondance dans le réservoir pendant le tems qu'il l'épuiseroit, si aucun canal ne s'y déchargeoit.

A mesure que l'abondance de l'eau croîtra dans le canal d'entretien, l'intermission diminuera toûjours, & l'écoulement augmentera jusqu'à-ce que le produit du canal étant précisément égal à la dépense du siphon, l'intermission disparoîtra, & la fontaine sera uniforme.

Mais si la sécheresse vient à diminuer la quantité d'eau fournie par le canal d'entretien, la fontaine éprouvera des intermittences très-courtes & des écoulemens fort longs d'abord ; & à mesure que l'eau diminuera dans le canal intérieur, l'intermission croîtra, & l'écoulement décroîtra proportionnellement.

On voit par-là que lorsqu'une fontaine commence à être intermittente par la sécheresse, ou qu'elle cesse de l'être par le retour des pluies, elle doit éprouver des intermissions très-courtes & des écoulemens fort longs.

6°. Le rapport de l'intermission à l'écoulement est difficile à fixer, & il est visible qu'il ne peut être constant, & qu'il n'est pas aisé de limiter la période d'une fontaine, puisqu'elle peut éprouver des variations par la sécheresse ou par les pluies. C'est à ces variations que l'on doit principalement attribuer les différences qui se trouvent dans les descriptions que différens auteurs nous ont donnés de la même fontaine. Car alors ils peuvent l'avoir observée dans des circonstances capables de faire varier sensiblement les résultats dont ils ont déterminé l'étendue.

Fontaines intermittentes composées. Les fontaines intermittentes éprouvent quelquefois une suite de petites intermittences & d'écoulemens, interrompue par une intermission considérable ; & il est aisé d'en rendre raison. Soit (Pl. Phys. fig. 79.) le réservoir A B C qui se décharge dans la cavité F K I d'une moindre capacité par le siphon D C E d'un calibre plus petit que le siphon G F H, qui épuise l'eau de la cavité F K I. Je dis que la fontaine formée en H par le siphon G F H, éprouvera des intermittences & des écoulemens successifs qui dépendront en grande partie du rapport qu'il y aura entre le produit du siphon G F H & celui de D C E. Enfin tout le jeu de repos & d'accès se terminera par une interruption égale au tems employé par le canal A d'entretien, à remplir le réservoir A B C. Si le canal A devient assez abondant pour fournir à la dépense continuelle du siphon D C I, la grande interruption n'aura point lieu ; les intermittences & les écoulemens se succéderont assez régulierement.

Ces accès de repos & de flux peuvent être considérés comme l'écoulement d'une fontaine à simple réservoir, & la longue interruption comme son repos.

Et comme dans les fontaines à simple réservoir (n°. 5.) l'écoulement est tantôt plus long, tantôt plus court, de même aussi la suite des intermittences & des flux, qui tient lieu d'écoulement dans les fontaines composées, doit varier par les mêmes causes. Si le petit réservoir I K F se vuidoit neuf fois pendant que le grand ne se vuide qu'une seule, & qu'il restât encore outre cela à moitié plein, la fontaine en H auroit alternativement neuf intermittences & dix intermittences par accès, entre chaque interruption considérable, supposé que le produit de la source A fût toûjours le même.

En général le dernier réservoir étant dans un certain rapport de capacité avec le plus intérieur, le nombre des intermittences & des écoulemens successifs sera égal à celui qui exprime combien de fois le plus petit est contenu dans le plus grand ; & s'il y avoit une fraction, les retours auroient une intermittence & un écoulement de plus, après un nombre d'accès égal au numérateur de la fraction.

7°. Ces especes de fontaines ont encore cela de particulier, qu'à chaque accès d'écoulement & d'intermittence, le premier flux est plus long que le second, & le second plus long que le troisieme. On voit que c'est tout le contraire par rapport aux intermittences. Car le siphon D C E coulant plus vîte dans le commencement de son accès que vers la fin, le réservoir I K F doit être par conséquent moins de tems à se remplir, & plus de tems à se vuider (n°. 1.) la premiere fois que la seconde.

8°. Fontaines intercalaires. Les fontaines intercalaires sont le produit d'un courant d'eau continuel & uniforme, combiné avec celui d'un siphon qui joue à plusieurs reprises. Soit la caverne D E C (fig. 78.) qui a une ou plusieurs ouvertures par le bas en E, il est visible que l'eau coulera par ces ouvertures tant que le courant d'entretien D en déchargera dans le réservoir. Si le canal d'entretien est assez abondant pour le remplir jusqu'à la courbure du siphon malgré l'écoulement continuel du canal E, la source en A aura un cours uniforme en vertu de cet écoulement, & éprouvera de tems en tems des accès d'intumescence lorsque le siphon coulera, & des repos lorsqu'il cessera de joüer. Les deux canaux venant à se rencontrer à la surface de la terre vers A, la fontaine qui sera formée par leur concours sera intercalaire.

Il est aisé de se convaincre que l'intercalaison ou l'intervalle qu'il y a entre les accès, dépend du tems qu'employe le courant d'entretien à remplir la caverne jusqu'à la courbure du siphon, en fournissant outre cela à la dépense du canal en E. C'est donc l'excès du produit du courant d'entretien D sur la décharge continuelle du canal E, qui fournit au jeu du siphon & à l'accès des intercalaires. Les retours de l'accès dépendent donc de l'abondance de l'eau dans le courant d'entretien, de la hauteur de la courbure du siphon F C, & de la capacité de la caverne D E C. Ainsi la période des intercalaires ne doit pas être plus constante que celle des intermittentes, parce que la sécheresse ou les pluies peuvent y causer plusieurs variations considérables : l'intercalaison sera fort longue & l'accès fort court, si l'eau produite par le canal d'entretien est peu abondante, que le réservoir ait peu de capacité, & que le calibre du siphon soit considérable. A mesure que l'eau augmentera dans la source intérieure, toutes choses restant d'ailleurs les mêmes, l'intercalaison sera plus courte & l'accès plus long ; ensorte que le cours de la fontaine sera précisément une augmentation & une diminution successive d'eau sans aucune uniformité interposée. Si l'eau augmente de telle sorte dans le courant d'entretien, qu'il puisse fournir en même tems à la dépense continuelle du canal E, & à l'écoulement soûtenu du siphon F C A, la fontaine sera uniforme.

En supprimant l'ouverture E (fig. 78.) & supposant qu'il y en eût une autre G dans la cavité D G E C plus élevée que F, orifice de la courte jambe du siphon, & au-dessous de sa courbure en C, il résultera différens effets.

Si le courant d'entretien peut seulement fournir à ce canal en G, sa décharge produira une source continuelle & uniforme ; si le courant d'entretien augmente, la cavité se remplira jusqu'à la courbure du siphon en C, qui coulera pour lors ; & son produit se combinant avec celui du canal G, la fontaine qui en résultera, & qui aura d'abord été uniforme, éprouvera dans la suite des accès d'écoulement. Mais lorsque le siphon aura épuisé l'eau du réservoir jusqu'au niveau de l'orifice G, la fontaine perdra le produit de ce canal. Elle sera intercalaire, & lorsque le siphon aura cessé de couler, il y aura une intermittence jusqu'à ce que le courant d'entretien ait rempli le réservoir au niveau de l'ouverture G, & pour lors l'eau commencera à paroître dans le bassin de la fontaine. Après que le siphon & la décharge de l'ouverture G auront fait baisser l'eau au-dessous de G, si le siphon F G A entraîne autant d'eau que la source intérieure D en peut fournir, la fontaine entretenue par G, en supposant qu'elle ait un bassin éloigné de la source que le siphon fournit, sera à sec, & l'eau n'y reparoîtra que lorsque le courant d'entretien D produira moins que la dépense du siphon. C'est par ce méchanisme que l'on peut expliquer pourquoi certaines fontaines, telles qu'il y en a plusieurs en Angleterre & ailleurs, coulent tout l'été ou dans la sécheresse, & sont à sec en hyver ou depuis les pluies. On voit que ces fontaines augmentent précisément lorsqu'elles sont sur le point de tarir, c'est-à-dire lorsque l'eau dans la caverne approche plus de la courbure C du siphon ; elles seront plûtôt à sec si l'été est humide, & elles couleront plus tard après un hyver pluvieux. Toutes circonstances avérées par les observations. La marche contraire des autres sources vient aussi de la même cause différemment combinée. Tous ces effets dépendent, comme nous l'avons vû, des pluies : on ne peut donc en tirer aucune conséquence défavorable au système que nous avons embrassé sur la cause de l'entretien des sources, comme l'ont prétendu Plot & quelques autres Physiciens, aussi peu capables d'apprécier les faits que de les combiner.

9°. Lorsque les fontaines intermittentes cessent de l'être ; elles éprouvent un peu après l'instant où l'intermittence devroit avoir lieu, une espece d'intercalaison, & leur cours ne consiste, comme nous l'avons vû, que dans un accroissement & une diminution successive d'eau, ce qui forme un accès sensible.

Fontaines intercalaires composées. Ces sortes de fontaines ne sont précisément que les intermittentes composées, dont le jeu (fig. 79.) se trouve combiné avec le produit d'un courant en L continuel & soûtenu, qui se réunit en H ; leur explication dépendra donc des principes que nous avons établis ci-devant (n°. 7.)

Quoique nous ayons déjà vû comment les différens produits du courant d'entretien peuvent modifier les phénomenes des fontaines, il est aisé de faire voir comment un même méchanisme peut offrir successivement les différens caracteres que nous y avons distingués, c'est-à-dire l'intercalaison, l'intermittence, & l'uniformité. Soient les deux réservoirs A B C, & I K F (fig. 79.) qui communiquent par un siphon D C E. Le second réservoir a une ouverture par le bas en K. Si le canal d'entretien A fournit plus d'eau qu'il n'en faut pour faire couler continuellement le siphon D C E, le canal K versera continuellement de l'eau, & le surplus se déchargera par le siphon G F H, ensorte que la fontaine qui recevra le produit de ces deux courans, sera intercalaire. Mais si le courant A est assez abondant pour fournir à la dépense du canal K & du siphon G F H, ou même à la seule dépense de K, la source aura pour lors un cours uniforme ; & si l'eau diminue de telle sorte qu'elle ne puisse fournir à l'entretien du siphon G F H, la fontaine en H sera intermittente.

D'après le méchanisme que nous venons de développer, on a réalisé aisément le cours de ces sources, & rendu sensibles leurs effets par des fontaines artificielles, dont on peut voir les modeles dans un mémoire du pere Planque, & dans ceux que le savant M. Astruc a publiés sur l'histoire naturelle de Languedoc, page 283. dans les Transactions philosophiques, n°. 423, dans la Physique de Desaguliers, & dans nos figures qui en présentent les coupes.

Nous observerons ici que ces machines présentent un moyen très-naturel de varier les effets des eaux jaillissantes ou courantes de nos jardins. L'art n'est jamais sans agrémens lorsqu'il imite la nature.

En conséquence de ces inventions par lesquelles on est parvenu à rendre trait pour trait les opérations de la nature, on peut assûrer que la structure intérieure des fontaines est telle qu'on l'avoit supposée d'abord. Car en remontant des effets à la cause avec tant de succès, on est tenté d'admettre pour vrai, après une discussion & une explication exacte des phénomenes, ces agens & cet échafaudage qui n'avoient été d'abord admis que comme possibles, & d'une maniere purement précaire.

Quoi qu'il en soit, cette explication se trouve dans les pneumatiques de Heron d'Alexandrie, qui vivoit 120 ans avant l'ere chrétienne, sur-tout dans les premieres propositions de cet ouvrage. Pline le jeune, epistolar. lib. IV. epistol. xxx. après avoir parcouru plusieurs moyens assez peu raisonnables, tels que les vents soûterreins, le balancement des réservoirs, des mouvemens analogues aux marées pour expliquer les écoulemens singuliers de la fontaine de Côme, située près du lac de ce nom dans le duché de Milan, ajoûte : " N'y auroit-il pas plutôt, dit-il, une certaine capacité dans les veines qui fournissent cette eau, de telle sorte, que lorsqu'elles sont épuisées, & qu'elles en rassemblent de nouvelles, le courant est moindre & plus lent, & devient plus considérable & plus rapide lorsque ces veines peuvent verser l'eau qu'elles ont recueillies ". An latentibus venis certa mensura, quae dum colligit quod exhauserit, minor rivus & pigrior ; cum collegit, agilior majorque profertur ?

On voit que Pline a senti ce que les Physiciens modernes ont développé avec plus de précision. On peut consulter Kircher, mund. subterran. lib. V. sect. 5. cap. jv. le cursus mathematicus de Dechales, le voyage des Alpes de Scheuchzer, en 1723. tome II. page 404. les Trans. philos. n°. 204. & 423. enfin les mémoires sur l'histoire du Languedoc.

Opinions populaires sur les fontaines périodiques. Quoiqu'il se trouve parmi les auteurs une certaine tradition assez suivie, qui a transmis ces explications de phénomenes singuliers, le peuple pour qui les Philosophes n'écrivent guere, a toûjours été livré à la vûe de ces vicissitudes dont il ignoroit la cause, à des croyances superstitieuses, qui dans les matieres physiques, sont toûjours son partage. Quand même il pourroit saisir la simplicité du méchanisme caché qui produit à ses yeux ces effets, il ne s'y attachera jamais, parce que ce méchanisme ne peut pas tenir lieu dans son imagination de ces idées merveilleuses dont il aime à se repaître.

Pline, lib. XXXI. cap. ij. observe que les Cantabres tiroient des augures de l'état où ils trouvoient les sources du Tamaricus, (aujourd'hui la Tamara dans la Galice). Dirum est non profluere, eos aspicere volentibus. Il appuie même ces prétentions sur un fait : Sicut proximè Lartio Licinio legato post praeturam, post septem enim dies occidit. Le propre de l'esprit de superstition est de réunir en preuves de ses prétentions des circonstances qui n'ont aucune liaison. Combien de gens n'avoient pas vû couler les sources de Tamaricus, sans éprouver le sort du préteur romain ? Mais un seul fait éclatant tient lieu de toutes les petites circonstances où la vertu de la fontaine auroit paru se démentir : & d'ailleurs les impressions funestes sont pour les grands. Les prêtres des dieux qui tenoient registre des tems où ces sources couloient, pouvoient moyennant des salaires honnêtes procurer la satisfaction & l'assûrance de voir couler les sources ; & cette cause a de tout tems contribué à entretenir des dupes. Voyez AUGURE, ARUSPICES, MIRACLE, ORACLE, &c.

Dans des tems moins reculés, nous retrouvons ces préventions répandues parmi les habitans des cantons qui avoisinent certaines sources singulieres. Le pere Dechales rapporte qu'on croit en Savoie que la fontaine de Haute-combe ne coule point en présence de certaines personnes ; & M. Atwell a trouvé les mêmes idées dans les habitans de Brixam au sujet de la source périodique de Lawyell, dont nous parlerons dans la suite. Scheuchzer assûre de même que les habitans du mont Eng-Shen tiennent pour certain que la fontaine périodique qui y prend sa source, cesse de couler lorsqu'on y lave quelque chose de sale, &c. Scheuchzer lui-même qui s'étoit élevé dans son second voyage contre cette crédulité, y revient dans son cinquieme, & paroît ébranlé par le témoignage constant des habitans du voisinage qu'il a pu consulter.

Une autre espece de propriété qu'on a plus constamment attribuée aux fontaines, est celle de prédire l'abondance ou la stérilité. Pierre Jean Fabre, medecin de Castelnaudari, prétend que les habitans de Bellestat en Languedoc pouvoient juger des années par le cours de Fontestorbe ; il ajoûte même que le cours continuel & uniforme de cette fontaine en 1624 & 1625 annonçoit la conversion des Prétendus-Réformés. C'est ainsi que Séneque nous assûre que deux années de basses eaux du Nil avoient présagé la défection d'Antoine & les malheurs de Cléopatre, lib. III. quaest. natur. Plot, dans son discours sur l'origine des fontaines, fait mention à chaque page de ces prédictions d'années stériles ou abondantes : ces présages, au reste, peuvent avoir une cause physique aisée à saisir. On sçait que certaines années pluvieuses ou seches, sont stériles ou abondantes. Une fontaine qui éprouvera dans son cours des variations qui seront dépendantes de la sécheresse ou des pluies, sera une espece de météorometre qui la plûpart du tems rendra des réponses assez justes.

Application de nos principes à un exemple. Il ne nous reste maintenant qu'à faire l'application des principes que nous venons de développer, aux résultats des observations exactes & précises que l'on a faites sur une de ces fontaines singulieres : nous nous attacherons à celle de Fontestorbe, sur laquelle nous avons des détails assez circonstanciés pour y essayer une méthode de calculs, & en tracer le modele aux observateurs qui auront quelques-unes de ces fontaines à examiner.

Fontestorbe, c'est-à-dire, suivant la langue du pays, fontaine interrompue ou intermittente, est près de Bellestat dans le diocèse de Mirepoix : à ce village une chaîne de montagnes assez élevées qui occupe l'espace d'une lieue, vient se terminer par des rochers escarpés qui forment un antre spacieux & profond de quatre à cinq toises, & dont l'ouverture est de quarante piés de large sur trente de haut : c'est de cet antre que sort Fontestorbe. Cette fontaine est intermittente pendant la sécheresse en Juin, Juillet, Août & Septembre, tantôt plûtôt, tantôt plûtard, suivant que ces mois sont plus ou moins pluvieux. Si le printems ou le commencement de l'été ont donné beaucoup de pluies, l'écoulement de Fontestorbe est plus long qu'à l'ordinaire, & son intermission plus courte. On observe même que dans le tems que cette fontaine a repris son intermittence en été, son cours devient soûtenu & uniforme après deux ou trois jours de pluies abondantes ; & l'intermittence ne reparoît que dix ou douze jours après.

Si l'automne est seche, l'intermittence se prolonge au-delà de Septembre ; & même paroît encore en Novembre, Décembre, & Janvier, si les neiges qui tombent sur les montagnes ne se fondent pas : mais lorsque cette fonte a lieu, ou que ces mois sont pluvieux, Fontestorbe coule uniformément & plus abondamment que dans le plus fort de ses écoulemens périodiques. Elle suffit malgré cela dans ses accès, après avoir mêlé ses eaux à celles de la petite riviere de Lers, à la dépense d'un moulin à soie & d'un autre à forge qui se trouvent à quelque distance au-dessous.

Le tems de son intermittence est ordinairement en été, suivant M. Astruc, de 32'. 30". l'écoulement dure 36'. 35". & par conséquent sa période est de 69'. 5". Selon les observations du P. Planque de l'Oratoire, qui considere cette fontaine comme intercalaire, l'accès est de 44'. l'intercalaison ou diminution de 17'. ce qui donne 61'. pour sa période : mais ce pere l'a observée en Octobre, où la source est plus abondante ; car les pluies & la sécheresse dérangent considérablement les proportions de ses intermittences & de ses écoulemens.

Ainsi lorsque la fontaine commence à devenir intermittente, ou qu'elle cesse de l'être (n°. 5.), le tems de l'intermission est beaucoup plus court, & celui de l'écoulement beaucoup plus long que nous ne l'avons indiqué ci-devant. Ce qui fait considérer cette fontaine comme intercalaire par le P. Planque, c'est qu'il coule continuellement au-dessous de son bassin des filets d'eau.

Avant que l'eau commence à couler dans le bassin extérieur de la fontaine, on entend un bruit sourd ; & ce bruit précede l'écoulement d'environ douze minutes.

Tels sont les principaux faits auxquels nous allons appliquer notre théorie. Si l'on suppose maintenant dans l'intérieur de la montagne deux réservoirs à différente hauteur qui communiquent par le moyen d'un siphon, dont la plus courte jambe réponde vers le fond du réservoir supérieur ; on a toutes les pieces nécessaires pour la solution des phénomènes dont nous venons de voir le détail. Cet antre, ces rochers escarpés, le bruit sourd de l'eau qui tombe dans des cavités, autorisent la supposition des réservoirs & des siphons.

Je considere d'abord que l'écoulement du siphon commence environ douze minutes avant que l'eau parvienne à la fontaine ; & de même, le siphon a cessé de joüer avant que l'eau cesse de couler dans le bassin extérieur : j'évalue ce tems à huit minutes, parce que l'eau coule plus lentement sur la fin qu'au commencement de l'accès. Par conséquent, pour avoir le tems de l'écoulement vrai, il faut ajoûter 12'. moins 8'. à 36'. 35". ce qui produit 40'. 35". De même l'intermission vraie ne sera plus de 32'. 30". mais de 28'. 30". & la période entiere de 69'. 5". ainsi le siphon verse en 40'. 35". l'eau fournie par le canal intérieur pendant le même tems, & pendant l'intermission de 28'. 30". (n°. 2°.) Son calibre est à celui du courant d'entretien environ comme 829 à 486. (n°. 3.) mais s'il arrive que l'eau abondante se décharge par d'autres canaux dans le réservoir, l'intermission vraie durera moins que 28'. 30". & l'écoulement vrai plus que 40'. 35". L'écoulement augmentera jusqu'à ce qu'il devienne continuel (n°. 5.), c'est-à-dire lorsque l'eau fournie au réservoir supérieur égalera la dépense du siphon : & alors le cours de Fontestorbe est uniforme, comme les observations nous l'indiquent en hyver, ou dans des circonstances qui nous font envisager une augmentation d'eau.

Mais si la sécheresse se fait sentir dans les couches qui fournissent au bassin, l'intermission commencera à paroître, ira toûjours en croissant, & l'écoulement en décroissant.

Quand Fontestorbe commence ou qu'elle cesse d'être intermittente, ses intermissions (n°. 4.), sont si peu considérables que les eaux du bassin inférieur où se décharge le siphon, ne sont pas encore écoulées & parvenues au bassin de la fontaine, avant que le siphon recommence à en verser de nouveau, surtout si l'interruption est moindre que huit minutes. Ainsi l'eau diminuera un peu dans la fontaine, & éprouvera incontinent une certaine augmentation ; ce qui fera paroître Fontestorbe intercalaire (n°. 10.).

Détail des principales fontaines périodiques. Nous allons maintenant parler plus succinctement des autres fontaines périodiques dont les détails nous semblent les plus assurés, sans donner pour certains les faits qui n'ont pas pour garans des observateurs exacts.

Pline, lib. II. cap. ciij. parle d'une fontaine qui étoit à Dodone, dont l'écoulement cessoit tous les jours à midi, & reparoissoit avec abondance à minuit ; ce qui lui faisoit donner le nom de fontaine intermittente, telle qu'elle étoit en effet.

Le même historien rapporte que dans l'île de Ténédos une fontaine débordoit tous les jours après le solstice d'été, depuis neuf heures du soir jusqu'à minuit ; elle étoit temporaire & intercalaire.

Trois des sources du Tamaricus, riviere de la Cantabrie, aujourd'hui la Tamara en Galice, sont à sec, suivant Pline, lib. XXXI. cap. ij. pendant douze ou même vingt jours ; tandis qu'une autre source près de-là coule avec abondance & sans interruption. Nous avons parlé ci-devant du mauvais présage qu'on tiroit de leur intermittence.

Josephe, lib. VII. c. xxjv. de la guerre des Juifs, rapporte qu'en Syrie entre les villes d'Arce & de Raphanées, une riviere appellée Sabbatique étoit à sec pendant six jours, & couloit le septieme. Pline, lib. XXXI. cap. ij. dit au contraire qu'elle couloit pendant six jours, & qu'elle étoit à sec le septieme. Dominique Magrius, suivant Kircher, mundi subterran. lib. V. sect. 4. cap. jv. a été témoin de ce phénomene.

Brynolphe Suénon dit avoir vû en Islande, à deux milles & demi de Skalholt, capitale de l'île, une fontaine périodique d'eau chaude. Elle annonce son accès par des bouillons qui s'élevent du fond de son bassin, le remplissent, & s'élancent enfin par-dessus les bords. La fontaine se soûtient une heure dans cet état ; après quoi elle baisse & laisse à sec le bassin : son intermission est de 23 heures. Voyez ce détail dans les ouvrages de Saxon.

Childrey fait mention de plusieurs sources intermittentes dans son traité des curiosités d'Angleterre ; il en place une près de Buxton dans la province de Derby, qui coule chaque quart-d'heure, page 190. Le même auteur parle aussi, page 160. d'une autre qui présente à-peu-près les mêmes variations. Elle est située à Giggleswich, à un mille de Settle dans la province d'Yorck ; & page 296. d'une troisieme située dans la province de Westmorland, près du fleuve de Loder, laquelle coule plusieurs fois par jour.

Mais la plus singuliere de toutes celles de l'Angleterre, est la source de Lawyell près de Brixam, dans la province de Devonshire, à un mille de la mer. Elle est adossée au revers d'une chaîne de montagnes assez considérable, & sort du pié d'une colline ; elle est proprement intercalaire composée (n°. 11). Il y a un courant d'eau qui se décharge continuellement dans le bassin principal : lorsque l'accès s'y fait sentir, de petites sources voisines éprouvent un écoulement qui dure autant que l'accès. On remarque dans ces instans, à différentes reprises, une augmentation d'eau considérable dans le bassin, suivie alternativement d'une diminution aussi sensible. Ces flux & ces repos intercalaires se répetent, & même seize fois pendant une demie-heure ; c'est-à-dire que chaque flux & chaque repos dure environ deux minutes. Cependant sur la fin de l'accès, le flux produit moins d'eau, & il dure moins qu'au commencement (n°. 8). Il y a même beaucoup de variations dans le nombre de ces révolutions périodiques & dans leur durée ; variations toûjours dépendantes de la pluie ou de la sécheresse.

Ces phénomenes s'expliquent, comme nous avons vû aux fontaines intercalaires composées (n°. 9.), par deux courans, dont l'un traverse deux siphons & deux réservoirs, & l'autre coule immédiatement & continuellement dans le bassin de la fontaine ; c'est le courant qui enfile les deux réservoirs, qui produit cette suite de flux & du repos ; & l'autre le cours uniforme. Voyez Transact. philosophiq. n°. 423.

Près de Paderborn en Westphalie, une fontaine intermittente appellée Bolderborn, c'est-à-dire bruyante, coule & est à sec deux fois le jour : ses accès s'annoncent par un grand bruit. Transact. philos. 1665. n°. 7. & Varen. Géog. gen. cap. xvij. propos. 18.

Dans le palatinat de Cracovie, on trouve sur le sommet élevé d'une montagne adossée à celles de Hongrie une fontaine qui sort de son bassin avec impétuosité par des secousses continuelles qui la font monter en certains tems & baisser en d'autres. On avoit crû remarquer que ces accroissemens & décroissemens étoient dépendans des phases de la Lune, mais sans un examen assez approfondi. Voyez la relation qu'en a publiée le P. Denis ; & le P. Rzeczinski, hist. natur. Polon.

Dans le royaume de Cachemire, on voit une fontaine qui au mois de Mai, tems où les neiges fondent, coule & s'arrête régulierement trois fois en 24 heures, au commencement du jour, sur le midi, & à l'entrée de la nuit : son écoulement est pour l'ordinaire de trois quarts d'heure, & son produit assez abondant pour remplir un réservoir en quarré de 10 à 12 piés de large, & d'autant de profondeur : après les quinze premiers jours, son cours n'est plus si régulier ni si abondant. Elle tarit enfin, & reste à sec le reste de l'année. Cependant après de longues pluies elle coule sans intermittence & sans ordre, comme les autres fontaines : ainsi elle est maïale, intermittente, & uniforme. Bernier, voyage de Cachemire, p. 160. Varenius place au Japon une fontaine thermale & périodique. Ses écoulemens se répetent deux fois par jour, & durent une heure : l'eau en sort avec impétuosité, & forme près de-là un lac brûlant. Son eau est, dit-il, plus chaude que l'eau bouillante. Varenius, cap. xvij. prop. 18. rapporte ces détails sur la foi d'un certain Caron, qui a été à la tête de la compagnie des Indes d'Hollande.

Près du lac de Côme dans le duché de Milan, à sept milles de la ville de Côme, est une fontaine que Pline le jeune a décrite au long, lib. IV. epistol. 30. elle hausse & baisse trois fois le jour par des retours périodiques. Deux historiens de la ville de Côme, Thomas Porcacchi & Benoît Jove, confirment ce qu'en dit Pline. Ils ajoûtent que près de celle-ci que l'on nomme fontaine de Pline, est une autre source sujette aux mêmes variations ; elle est intermittente & uniforme, suivant les tems de sécheresse ou de pluie.

La fontaine des merveilles près de Haute-Combe en Savoie, presque sur les bords du lac Bourget, coule & cesse de couler deux fois par heure. Ses écoulemens sont précédés d'un grand bruit ; l'eau en est si considérable, qu'elle fait tourner un moulin. Le P. Dechales qui l'a vûe, assûre qu'elle tarit entierement par la sécheresse ; que pendant les pluies elle coule douze fois par heure. Ce même pere parle aussi d'une autre, située au village de Puis-Gros, à deux milles de Chamberi, qui est quelquefois entierement à sec. Après les pluies, elle coule par intervalles quelquefois dix & vingt fois de suite, de sorte qu'à peine le tems d'un écoulement à l'autre suffit pour laisser vuider son bassin. Elle éprouve beaucoup de variations dans ses intermittences.

Scheuchzer, dans ses itinera alpina, fait mention de trois fontaines périodiques. La premiere (tome II. pag. 401.) nommée andem Burgenberg, coule du pié d'une montagne dans le canton d'Underwald ; elle est non-seulement maïale, mais encore périodique intermittente. Ses écoulemens paroissent huit ou dix fois par jour. La seconde (tom. I. pag. 27.) est la fontaine d'Hen Shen dans le canton de Berne, au bailliage de Thun ; elle est maïale & intermittente comme la premiere. Il n'y a rien de constaté sur ses périodes, ainsi que sur celles de la troisieme nommée Lugibacq, c'est-à-dire menteuse, qui est située près d'une glaciere dans le canton d'Underwald ; elle est temporaire & intermittente, tom. II. pag. 485. Nous ferons observer ici que ces fontaines prennent leur source dans les croupes de montagnes, aux sommets desquelles les neiges forment des réservoirs & des lacs, dont les eaux se filtrent dans les cavernes intérieures des collines, qui présentent partout au-dehors des antres, des ruptures, des rochers entr'ouverts, & tout ce qui annonce la grande possibilité des réservoirs & des siphons que nous avons supposés d'abord.

Piganiol de la Force (Descrip. de la France, tome VIII. pag. 480.) parle d'une fontaine périodique, située sur le chemin de Touillon à Pontarlier, en Franche-Comté. Quand le flux va commencer, on entend un bouillonnement, & l'eau sort aussitôt de trois côtés en formant plusieurs petits jets arrondis, qui s'élevent peu-à-peu jusqu'à la hauteur d'un pié. Ensuite ces jets diminuent en aussi peu de tems qu'ils ont mis à s'élever, & tout ce jeu dure environ un demi-quart d'heure. Le repos de l'intermission est de deux minutes. Au reste rien de fixe dans ses variations. Il est parlé fort succinctement dans l'ancienne histoire de l'académie des Sciences, lib. III. cap. iij. de deux sources périodiques situées en Franche-Comté, dont l'une est salée & l'autre douce, & dont les écoulemens n'étoient assujettis à aucune regle. Celle que nous venons de déduire, sera probablement une des deux.

On trouve près de Colmar, dans le diocèse de Senès en Provence, une fontaine qui coule huit fois dans une heure, & qui s'arrête autant de fois. Un leger murmure annonce ses accès. Gassendi assûre que sa période est assez constante dans tout le cours de l'année. La seule inégalité qu'on y ait observée, est que l'intermission dure huit, sept ou six minutes ; variations qui ont pour principe les pluies. Gassendi, physic. sect. 3. lib. I. cap. vij.

Fonsanche dans le diocèse de Nîmes, entre Sauve & Quissac, sort de terre à l'extrémité d'une pente assez roide, adossée à une longue chaîne de montagnes nommée Coutach ; elle coule assez régulierement deux fois dans vingt-quatre heures, & éprouve deux intermissions dans le même tems. Chaque écoulement est de sept heures vingt-cinq minutes, & chaque intermission de cinq heures. Les écoulemens & les intermissions retardent environ cinquante minutes chaque jour, par rapport aux mêmes effets du jour précédent. Ce qui est très-évident, puisque le tems des deux écoulemens & des deux intermissions surpasse vingt-quatre heures de cinquante minutes. Ces deux écoulemens en vingt-quatre heures & le retard de cinquante minutes, si conformes aux variations des marées, ont fait illusion, & on a regardé long-tems Fonsanche comme une fontaine à flux & reflux : mais comment aller chercher la mer de Gascogne à 130 lieues, la mer Méditerranée ne produisant point sensiblement ces effets sur les côtes de Languedoc ? D'ailleurs ceux qui cherchent des analogies entre des effets qui n'en ont point, doivent être déconcertés par une observation constante : c'est que Fonsanche, après de grandes pluies, a un cours uniforme, & qu'elle ne reprend son intermittence qu'après que les pluies ont eu leur écoulement. M. Astruc, (mém. pour servir à l'hist. de Languedoc) a vû & observé cette fontaine.

Catel, dans ses mémoires sur l'histoire du Languedoc, pag. 171. parle d'une espece de fontaine périodique appellée Vieissan, dans le diocèse de Beziers, laquelle sort d'une montagne du même nom, à une demi-lieue de Rochebrune, & se rend dans la riviere d'Orb. Cette fontaine est intermittente, & dans ses flux jette de l'eau comme la jambe d'un homme suivant Catel. On en place une aussi en Poitou près du village de la Godiniere ; une autre au village de Dorgues, à deux lieues & demie de Castres en Languedoc ; une à Marsac près de Bordeaux, & une quatrieme à Varins près de Saumur. Nous ne les rappellons ici, ainsi que quelques autres qui précedent, que pour engager des observateurs exacts de constater leur état qui paroît incertain, lorsqu'ils se trouveront à portée de le faire.

J'ajoûterai ici comme un phénomene analogue, celui que la source de la Reinette à Forges offre vers les six à sept heures du soir & du matin. L'eau de cette source se trouble, devient rougeâtre, & se charge de flocons roux, sans être plus abondante dans ces changemens. Je serois porté à croire que cette eau se charge des sédimens qui se sont amassés au fond d'un réservoir, qu'un siphon a puisé deux fois en vingt-quatre heures ; & comme l'ouverture de la source n'est pas assez considérable pour épuiser l'eau du siphon à mesure qu'elle coule, elle n'éprouve ni intermittence ni accès. Il suffit de supposer pour cela, que l'intermittence & l'écoulement du siphon soient de douze heures, & que le réservoir immédiat de la source vuide le produit du siphon pendant le tems de son intermittence & de son écoulement.

On peut rapporter au même méchanisme les singularités de quelques étangs ; les uns situés au milieu des continens, sont pleins pendant la sécheresse, & presqu'à sec pendant les pluies ; d'autres assez près de la mer ou des rivieres qui ont flux & reflux, baissent quand la marée est haute, & montent quand la marée est basse. Pour le premier cas, il suffit de supposer que pendant la sécheresse l'eau ne s'éleve pas assez dans ces étangs pour parvenir jusqu'au coude d'un siphon, par lequel ils communiquent à quelque caverne inférieure, où le siphon décharge leurs eaux, lorsque par l'abondance qui est la suite des pluies, elle s'éleve jusqu'au coude du siphon : en conséquence de cette évacuation, l'étang est moins plein que pendant la sécheresse. Tel est l'étang de Lamsbourne dans le Berskshire en Angleterre. Transact. philosoph. 1724, n°. 384 ; & Desagul. phys. expérim. pag. 180. II. vol.

Pour le second cas, il est aisé de supposer que quand la mer est haute, elle se décharge dans quelque réservoir qui communique par des canaux ou siphons soûterreins à ces étangs singuliers ; & comme l'eau ne commence à couler dans le siphon que dans le tems de la haute mer, elle ne produit d'effet sensible dans l'étang que lorsque la mer s'est retirée ; ensuite quand la mer monte, le siphon est arrêté ; & l'étang ayant répandu ses eaux dans des soûterreins, il est presqu'à sec quand la marée est arrivée à son plus grand degré de hauteur. Tel est l'étang de Greenhive, entre Londres & Gravesand ; tel est probablement le puits singulier de Landerneau. Hist. de l'académie, 1717, pag. 9.

Nous ne parlerons pas ici des fontaines simplement temporaires & maïales ; on en trouve par-tout, surtout dans des endroits où les glaises & les roches recueillent les eaux de l'hyver, ou bien dans les montagnes couvertes de neiges : leur écoulement au reste n'a d'autre principe que l'eau des pluies, qui s'insinue entre les premieres couches de la terre, & dont l'écoulement n'est pas assujetti au jeu d'un siphon, ni à celui des autres pieces compliquées, dont nous avons donné le détail & l'application. On peut expliquer par le méchanisme des fontaines périodiques, un phénomene singulier que présentent certaines cavernes. Près de Salfedan dans les montagnes des environs de Turin, on trouve un rocher entr'ouvert par une fente, perpendiculairement à l'horison ; pendant un certain tems il en sort un courant d'air assez rapide pour repousser au-dehors les corps legers qu'on expose à son action ; ensuite l'air y est attiré, & il absorbe les pailles & ce qu'il peut entraîner. Un semblable rocher dans la Thuringe aspire l'air & l'expire aussi sensiblement : je dis donc que cette espece de respiration a pour principe le mouvement d'un siphon. Tandis que l'eau soûterraine qui se décharge dans la caverne, n'est pas parvenue au niveau de l'orifice inférieur du siphon, l'air s'échappe de la caverne par le siphon, à mesure que la caverne se remplit ; mais il sort ensuite par la fente du rocher, lorsqu'il n'a plus l'issûe du siphon, & que l'eau d'ailleurs versée par le canal d'entretien, le comprime. Il y rentre lorsque l'eau coule abondamment par le siphon, & que la cavité se vuide. Cet article est de M. DESMAREST.

FONTAINE ARTIFICIELLE, (Hydr.) on appelle ainsi une machine, par le moyen de laquelle l'eau est versée ou lancée. De ces machines, les unes agissent par la pesanteur de l'eau, les autres par le ressort de l'air. Du nombre des premiers sont les jets d'eau, qui tirant l'eau d'un réservoir plus élevé, & la recevant par le moyen des tuyaux pratiqués sous terre, élevent cette eau à une hauteur à-peu-près égale à celle du réservoir. Voyez JET-D'EAU & AJUTAGE. En disposant les ajutages selon différentes directions, on aura une fontaine ou jet-d'eau, qui lancera l'eau suivant des directions différentes. Voyez fig. 18. Hydrodyn. On peut même, au lieu de différens ajutages, se contenter de pratiquer des ouvertures différentes à un même tuyau, comme on le voit fig. 19. Ouvrant le robinet qui est en C, l'eau s'échappera par ces ouvertures & couvrira les spectateurs qui ne s'y attendent pas. Si on place sur l'orifice de l'ajutage une petite boule A (fig. 21.), elle sera élevée par l'eau qui monte, & se soutiendra toûjours en l'air pourvû qu'on soit dans un lieu où il ne fasse point de vent. Si à l'orifice de l'ajutage on ajuste une espece de couvercle lenticulaire A B (fig. 22.) percé d'un grand nombre de petits trous, l'eau jaillira en forme de petits filets, & s'éparpillera en gouttes très-fines. Enfin si on soude au tube A B (fig. 23.) deux segmens de sphere séparés, mais assez proches l'un de l'autre, & qu'on puisse éloigner ou rapprocher par le moyen d'une vis, l'eau sortira en forme de nappe.

Construction d'une fontaine qui joue par le ressort de l'air. D D B B (fig. 17. Hydrauliq.) est un vaisseau cylindrique, percé en-bas dans le fond B B, d'un petit trou, par lequel on verse l'eau dans la fontaine, & que l'on peut fermer à l'aide d'une vis. Il y a en-haut sur le couvercle D D un robinet E, par le moyen duquel on peut ouvrir ou fermer ce vase. A ce robinet tient un tuyau K C, qui pénetre le milieu du vase & va se rendre jusqu'au fond où il s'ouvre en C. On enchâsse au-haut du robinet un petit tuyau M, qui a une petite ouverture par laquelle l'eau jaillit. On met de l'eau dans ce vase, sans l'emplir entierement, mais seulement jusqu'à la hauteur A A ; on presse ensuite l'air par le tuyau K C dans le vase, par le moyen d'une pompe foulante, attachée proche du robinet en M ; l'air qui est beaucoup plus leger que l'eau, passe à-travers en montant en-haut, & remplit l'espace A D D A. Lorsqu'on a ainsi pressé une grande quantité d'air dans ce vase, on le ferme avec le robinet E ; & après en avoir retiré la pompe foulante, on y met le petit tuyau. L'air enfermé dans l'espace D A, D A, comprimant l'eau proche de A A, il la pousse en-bas, & la fait entrer & monter ensuite dans le tuyau C K ; lors donc qu'on tourne le robinet E, l'eau sort par la petite ouverture, & forme un jet qui s'éleve avec beaucoup de rapidité, mais qui va toûjours en diminuant de hauteur & de force, à mesure que l'eau du vase baisse & que l'air en se dilatant la comprime moins. Quand toute l'eau est sortie, l'air s'élance lui-même avec bruit & sifflement par le tuyau. Mussch. Essai de Phys. §. 1386.

La figure 20. représente une machine à-peu-près semblable, mais en petit. Cette boule se remplit d'eau jusqu'à la moitié, & fait entrer dans la partie vuide de la boule de l'air comprimé, qui oblige l'eau à monter par le tuyau D A C, & à jaillir par l'extrémité C.

Fontaine qui commence à joüer dès que l'on allume des bougies, & qui cesse quand on les éteint. Prenez un vase cylindrique C D (fig. 25.) ; appliquez-y des tubes A C, B F, &c. ouverts par en-bas dans le cylindre, de maniere que l'air puisse y descendre. Soudez à ces tubes les chandeliers H, &c. & ajustez au couvercle creux du vase inférieur C F un petit tube ou ajutage F E, avec un robinet G, qui aille presque jusqu'au fond des vases. Il y a en G une ouverture, garnie d'une vis, afin que par cet orifice l'on puisse verser l'eau en C D.

Dans cet état, si l'on allume les bougies H, &c. leur chaleur raréfiant l'air contenu dans les tubes contigus, l'eau renfermée dans le vase commencera à jaillir par E F. Wolf & Chambers.

Fontaine de Heron, ainsi nommée de son inventeur Heron d'Alexandrie, & qui a été perfectionnée ensuite par Nieuwentit.

A B (fig. 24.) est un tuyau par lequel on verse de l'eau dans le bassin inférieur C, lequel étant plein de même que le tuyau A B, l'air est poussé du bassin C par le tuyau D E dans le bassin F ; cet air est par conséquent comprimé par le poids de l'eau A B, de sorte que sa force élastique pousse en-bas par le tuyau G L l'eau, qui se trouve dans le bassin F. L'eau coulant alors par le tuyau G L dans le second bassin inférieur M (qui est séparé du bassin C par une cloison O Q, placée entre les deux tuyaux), pousse en-haut l'air qu'il contient par le tuyau N P ; cet air passe dans le second bassin supérieur, & étant alors comprimé par l'eau, qui est dans le tuyau G L, il pousse l'eau par sa force élastique dans le tuyau R S, en forme de jet. Mussch. §. 1387.

Fontaine ou vase dont on tire autant de vin que l'on y verse d'eau, de sorte que l'eau paroît changée en vin. Le petit vase B M (fig. 25. n°. 2.) a une cloison C D. On emplit d'abord la cavité inférieure avec du vin par un petit trou qui est dans le fond, & que l'on ferme à l'aide d'une vis N. Le tuyau supérieur A B P, s'étend jusqu'à la cloison C D ; on y verse de l'eau, qui comprime par son poids l'air renfermé dans cette cavité supérieure, & le force de passer par l'autre petit tuyau S R, qui pénetre à-travers la cloison jusqu'à la cavité inférieure ; cet air comprime par conséquent le vin de la cavité inférieure, lequel il fait monter dans le petit tuyau G C, & couler ensuite par le petit robinet O. Mussch. §. 1388.

Fontaine de Sturmius, laquelle joue ou s'arrête à la volonté de celui qui la fait aller. A B B (fig. 25. n° 3.) est un vase exagone, haut & creux, fermé en-haut & en-bas : il y a au milieu un tuyau D C, ouvert de chaque côté, & qui monte presque jusqu'en-haut dans le vase proche de C : on voit au-bas sur les côtés six petits tuyaux fort menus K K, qui sortent hors du vase, & par lesquels l'eau s'écoule. Le bout inférieur du tuyau proche de D, s'ajuste exactement en E dans un autre tuyau E F, fermement attaché au bassin M ; ce tuyau E F est percé en-bas & de côté proche de F : il se trouve encore dans le bassin, directement au-dessous du tuyau E F, une autre ouverture comme G, par laquelle l'eau qui est tombée dans le bassin, après s'être écoulée par le trou F, commence à se dégorger dans un autre vaisseau N : on peut fermer exactement cette ouverture G à l'aide d'une longue coulisse G L. Lorsqu'on veut emplir d'eau cette fontaine, on la tire du tuyau E F, en ôtant le tuyau E C de l'ouverture E, &, après l'avoir renversée, on y verse de l'eau par le tuyau D C jusqu'à-ce qu'elle soit pleine : on la retourne ensuite, & on la remet dans le tuyau E F ; le poids de l'eau la fait alors couler par les petits tuyaux K K. Lorsqu'on tire la coulisse G L dehors, de sorte que le trou de la coulisse & le trou G s'ajustent l'un sur l'autre, alors l'eau qui vient des tuyaux K K peut passer librement par ces trous & tomber dans le bassin N, & la fontaine continuera de couler aussi longtems que le bassin A B B peut fournir de l'eau. Mais quand on bouche un peu le trou G par la coulisse L, ensorte que l'eau qui tombe par K K ne puisse passer en même quantité par G, le trou F se trouve enfin bouché par l'eau, ce qui empêche en même tems que l'air ne puisse pénétrer dans le tuyau D C, ni dans le vase A B B ; l'eau cependant ne cesse de s'écouler par les tuyaux K K, jusqu'à ce que l'eau du vase A B B, avec l'élasticité de l'air raréfié dans ce vase, se trouve en équilibre avec la pression de l'atmosphere, qui agit contre les ouvertures des tuyaux K K, & empêche alors l'eau de s'en écouler : durant ce tems, l'eau continue de s'écouler par les ouvertures F, G, dans le tuyau N ; aussi-tôt que l'eau du bassin M M commence à devenir si basse, qu'il peut s'introduire de nouvel air par l'ouverture F dans le tuyau D C & dans le vase A B B, il agit de nouveau sur l'eau qui s'écoule par les petits tuyaux K K, comme auparavant, en plus grande quantité que les ouvertures G & F n'en peuvent absorber, ce qui est cause qu'elles se bouchent une seconde fois, & ainsi de suite, de sorte que le tarissement & l'écoulement de l'eau se font ainsi alternativement. Mussc. §. 1390.

La description de la plûpart de ces fontaines, est tirée soit en entier, soit par extrait, de l'Essai de physique de M. Musschenbroeck. Nous ne parlons point des fontaines intermittentes artificielles ; on a suffisamment vû à l'article SINGULARITES DES FONTAINES, comment l'art peut les imiter à l'exemple de la nature.

Les propriétés des siphons fournissent aussi des fontaines curieuses.

Soit par exemple un vase A G B F (fig. 25. n°. 5. Hydraul.), dans lequel on ait ajusté un siphon ou tuyau recourbé à branches inégales, dont la plus longue branche D E sorte du vase, & dont l'autre soit ouverte en C près du fond du vase sans toucher à ce fond ; qu'on verse de l'eau dans ce vase, elle montera en même tems dans le siphon C D par l'ouverture C ; & dès que l'eau en s'élevant sera arrivée dans le syphon & dans le vase au niveau du point D, alors par la propriété du syphon toute l'eau du vase s'écoulera par la jambe la plus longue D E. Si donc on place sur le haut du vase une figure dont les levres soient au niveau du coude D, il est évident que l'eau s'écoulera dès qu'elle sera arrivée à la hauteur des levres de cette figure : ainsi la figure pourra représenter une espece de Tantale. Voilà le principe général, dont on peut varier l'application en autant de manieres qu'on voudra, entr'autres par celle qui est expliquée dans l'Essai de physique de M. Musschenbroeck, §. 1376. Il est facile par la construction de la fontaine, de dérober le jeu du siphon aux spectateurs.

On peut voir dans les livres de Physique, différentes autres especes de fontaines artificielles ; mais voilà les principales. (O)

FONTAINES ARTIFICIELLES, (Jard.) sont aussi nécessaires à l'entretien des jardins qu'à leur embellissement. Elles forment des jets, des gerbes, des pyramides, des nappes, des cascades, des buffets ; & les morceaux de sculpture qui les accompagnent ordinairement, en font à nos yeux des objets enchanteurs.

On les distribue en fontaines jaillissantes, en eaux plates, en fontaines rocaillées en bassins, à l'italienne, à l'égyptienne, & autres. Voyez l'article suiv. (K)

FONTAINES, (Architect.) sous ce nom on entend aussi-bien la source qui produit l'eau que le monument qui la reçoit ; mais par rapport à l'art de bâtir, & aux diverses formes & situations de ces monumens, on les appelle fontaines couvertes, découvertes, jaillissantes, pyramidales, rustiques, en grottes, en buffets, isolées, adossées, engagées, flanquées, angulaires, &c.

Communément le sculpteur a autant de part que l'architecte à la composition de ces sortes d'édifices, principalement lorsqu'il s'agit d'un ordonnance allégorique ou symbolique, à l'usage de la décoration des jardins de propreté, comme il s'en voit à Versailles, ou à celle des fontaines jaillissantes destinées à l'embellissement des places publiques ; telles qu'il s'en voit dans presque toutes les villes d'Italie, & dont l'énumération, le goût du dessein, & la perfection de l'exécution sont connus de tous.

En France, il semble que nous ayons pris soin d'ignorer ces derniers genres de monumens ; car, à l'exception des fontaines qui parent nos maisons royales, & dont les desseins sont de la composition de le Brun, & de plusieurs sculpteurs habiles du dernier siecle, toutes celles qui décorent cette capitale, prouvent notre insuffisance à cet égard. Il semble même que nos architectes ayent négligé cette partie de leur art, au point d'avoir abandonné aux entrepreneurs le dessein de ces sortes d'édifices, le plus grand nombres des fontaines qui se voyent à Paris dans ce dernier genre, étant d'une composition triviale, d'une construction très-négligée, & d'une ordonnance au-dessous du médiocre.

Ce qui est certain, c'est que les deux seuls monumens de cette espece, qui soient dignes de quelque considération, sont la fontaine des saints Innocens rue S. Denis, & celle de la rue de Grenelle fauxbourg S. Germain ; encore faut-il convenir que la premiere a été exécutée par Jean Goujon, & la seconde par Edme Bouchardon, dont les noms seuls font l'éloge. Nous observerons néanmoins que le mérite essentiel de ces deux ouvrages, consiste dans la perfection de la Sculpture, & non dans l'ordonnance de l'Architecture ; en effet, que signifient l'application de l'ordre corinthien dans la décoration de celle des saints Innocens, & l'ordre ionique employé dans la fontaine de Grenelle ? Jusqu'à quand se croira-t-on permis de négliger l'esprit de convenance, dans l'ordonnance de nos édifices ? Pourquoi des ouvrages qui intéressent la gloire de la nation, le progrès des Arts, & la splendeur des regnes de nos rois, ne sont-ils pas jugés, avant leur exécution, par les académies rassemblées ? Quel bien ne résulteroit-il pas, pour la perfection des monumens qui ornent la capitale, si nos architectes, nos sculpteurs, nos peintres, les amateurs, les hommes à talens dans chaque genre, se communiquoient leurs productions, certains jours de l'année, pour y délibérer sur les avantages, le choix, la forme, & la composition de nos bâtimens ? En un mot tous les hommes habiles ne devroient former qu'un corps. Cette réunion d'avis, de sentimens importe plus qu'on ne s'imagine. Tout ouvrage public intéresse les Artistes. C'est par ce moyen seul que la France peut se signaler, & que les soins, la vigilance de notre directeur général peuvent être secondés utilement, & tourner au profit de la société. (P)

* FONTAINE DOMESTIQUE ; il y en a de plusieurs especes : nous allons décrire les principales. Toutes se peuvent définir, un vaisseau qui contient l'eau destinée à la boisson & aux autres usages d'une maison.

Il y a d'abord les fontaines simples : ce sont des vases de cuivre rosette, étamés en-dedans. On y distingue trois parties ; celle d'en-bas, ou le pié ; celle qui s'éleve au-dessus, ou la cuve de fond ; & celle qui est au-dessus de la cuve de fond, à laquelle on adapte le couvercle, & qu'on appelle gorge. Elles sont chacune d'une seule piece, sans soudure sur la hauteur ; le chauderonnier qui les travaille les a embouties ou retreintes selon la forme qu'elles exigent. Le pié est bordé à la partie inférieure d'un ourlet qui couvre une baguette de cuivre, & non de plomb ou de fer : c'est un réglement général pour toutes les parties couvertes d'un ouvrage de chauderonnerie : le bord supérieur du pié formé en drageoir, reçoit la cuve de fond.

La cuve de fond entre dans le drageoir du pié ; elle est d'une seule piece, fond & parois : elle a donc été prise dans une plaque, emboutie, retreinte, & réduite par ce travail à la forme d'un cylindre, qui a un peu plus de hauteur que de base. A un pouce & demi, plus ou moins du fond, on pratique une ouverture ; on y releve un ornement extérieur quelconque : cet ornement s'appelle la bosse ; & c'est à l'ouverture que cet ornement entoure, qu'on adapte le robinet. On conçoit que la partie supérieure de la cuve de fond est en drageoir, afin de recevoir la gorge.

La gorge peut être regardée comme prise dans une cuve de fond dont on auroit percé le fond. Sa partie inférieure doit entrer juste dans le drageoir de la piece précédente : cette partie est emboutie, retreinte, & bordée d'un ourlet semblable à celui du pié ; cet ourlet est reçû dans le couvercle.

Le couvercle est un dôme dont la forme varie selon le goût de l'ouvrier : il est bordé par en-bas d'un ourlet, & il porte à sa partie supérieure une poignée qu'on appelle pommelle. La pommelle est au centre du dôme, à l'extérieur, & sert à prendre & à placer le couvercle.

Aux côtés de la fontaine, vers sa partie supérieure, proche la gorge, à droite & à gauche, sont rivées à clous deux plaques de cuivre qu'on appelle porte-mains ; ces plaques retiennent deux anneaux qu'on appelle mains, & qui servent à porter la fontaine.

Voilà la fontaine simple. Elle est placée sur un pié de bois. La cuve de fond est soudée au pié, & la gorge à la cuve de fond. La soudure est d'étain : on se sert de la même soudure pour fixer à demeure le robinet dans le trou de la bosse.

On voit par-là que l'intérieur d'une fontaine pareille ne peut être étamé avec trop de soin : mais jamais l'étamage ne préviendra tout le danger ; parce que, quelque parfait qu'il soit, c'est toûjours un crible, dans les petits trous duquel le verd-de-gris se forme imperceptiblement : & que l'étain lui-même n'est pas un métal tout-à-fait innocent. Voyez les articles ETAMER, CUIVRE, & ÉTAIN : & d'ailleurs, si vous mettez de l'eau bourbeuse dans ces fontaines simples, elle n'en sortira jamais bien claire.

La salubrité a fait d'abord imaginer des fontaines de cuivre sablées, qui clarifiassent l'eau ; & ensuite des fontaines de plomb, à sable & à éponge, qui eussent l'avantage de donner des eaux limpides, & d'obvier au danger du cuivre & de l'étain.

Pour se faire une idée juste de la fontaine de cuivre sablée, il faut imaginer une fontaine simple, telle que nous venons de la décrire, dont l'intérieur soit partagé en trois espaces différens par deux diaphragmes ; ces diaphragmes que le chauderonnier appelle panaches, sont des limbes du diamétre de la fontaine, à l'endroit où ils doivent être fixés : ils sont percés au centre d'un trou circulaire ; & les bords de ce trou sont relevés, & peuvent recevoir un couvercle. Le premier diaphragme est soudé un peu au-dessous de la jonction de la gorge & de la cuve de fond ; il est traversé d'un tuyau placé à son bord ; ce tuyau est d'un pouce de diametre, ou environ ; il est soudé au diaphragme ; il se rend au second diaphragme ; il le traverse pareillement, & lui est soudé comme au premier : ce tuyau se nomme ventouse ; il s'éleve jusqu'à l'ourlet de la gorge, où il est arrêté par une soudure. Son usage est de donner sortie à l'air contenu dans la partie inférieure de la fontaine, à mesure que cette cavité se remplit d'eau filtrée.

Le diaphragme supérieur doit avoir son ouverture plus grande que l'inférieur, afin que le couvercle de celui-ci puisse passer par l'ouverture de celui-là.

Le diaphragme ou panache inférieur est soudé à la cuve de fond, comme le supérieur ; sa distance au premier est d'environ cinq à six pouces : il a aussi son couvercle.

Il faut que toutes ces pieces, tuyau, panache, couvercle, soient bien étamées.

On remplit de sable l'intervalle compris entre les deux diaphragmes ; l'inférieur est fermé de son couvercle. Le sable placé, on ferme le supérieur du sien ; on met encore une certaine hauteur de sable sur celui-ci, & l'eau réside sur le sable.

L'eau se filtre à-travers le premier sable, s'insinue entre le joint du couvercle du diaphragme supérieur & le rebord de ce diaphragme ; descend dans la cavité comprise entre les deux diaphragmes ; se filtre une seconde fois en passant à-travers le sable qui la remplit ; s'insinue pareillement entre le couvercle du diaphragme inférieur & son rebord ; tombe dans la partie inférieure de la fontaine, la remplit, & en chasse l'air par le canal appellé ventouse : l'eau clarifiée sort de cette partie par le robinet, & sert aux usages de la maison.

On voit que le sable se chargeant de toutes les impuretés de l'eau, il vient un tems où il est tellement envasé, que la filtration se fait lentement & mal : alors il faut laver le sable en plusieurs eaux, & le replacer dans la fontaine. Voyez cette fontaine dans nos Planches de Chauderonnerie.

Voici maintenant la description des fontaines de plomb, sablées & à éponge.

Imaginez une caisse de bois de chêne plus ou moins grande, selon la quantité d'eau qu'on veut avoir en réserve. Que cette caisse soit quarrée, mais un peu plus longue que haute ; & que toute la capacité en soit doublée de plomb, & divisée en quatre parties par des séparations aussi de plomb.

C'est dans la partie ou division A B C D, la plus grande de toutes, qu'on met l'eau comme elle vient de la riviere. Cette division communique avec la division A C F E par des trous t, t, t, t, pratiqués à la partie supérieure de la cloison A C, & par d'autres petits trous u, u, u, u, pratiqués dans une petite gouttiere fort étroite & assez élevée. On voit en I K, à la partie inférieure de la même cloison, A C, une division qui ne s'éleve pas à la hauteur du côté B D, ni de la cloison E F ; elle ne forme, avec la partie inférieure du diaphragme E F, qu'un coffre a c I K, qui a à-peu-près la moitié de la hauteur de la cloison E F, & qui est beaucoup plus étroit que la division A B C D. Ce coffret est rempli de sable bien fin, & couvert de deux couvercles percés de quelques grands trous. Le premier couvercle pose & pese sur le sable ; le second ferme le coffre : on en a mis deux, parce que la partie de la vase & des ordures de l'eau qui se déposent sur ces couvercles, n'étant pas retenue dans le sable, le sable en demeure plus long-tems pur & moins sujet à être lavé.

Ce coffret communique avec la division F H N O, par des trous coniques x, x, x, x. Ces trous coniques sont remplis d'éponges très-fines & pressées fortement dans ces trous : ces trous sont pratiqués à sa partie supérieure, comme on voit.

La division F H N O communique avec la division G N O E par d'autres trous coniques y, y, y, y, pareillement remplis d'éponges fines & forcées. Ainsi l'eau en passant de la division A B C D dans le coffret a c I K, se filtre dans le sable qui remplit le coffret ; en passant du coffret a c I K dans la division F H N O, se filtre à-travers les éponges x, x, x, &c. & en passant de la division F H N O dans la division G N O E, se clarifie encore à-travers les éponges y, y, y, y. Il y a trois robinets ; le robinet L qui donne l'eau la plus claire, de la division G N O E ; le robinet M, qui donne une eau moins claire, de la division F H N O ; & un robinet Q, qui donne l'eau de la division A B C D, comme elle vient de la riviere.

Les trous coniques sont formés dans des bossages de plomb, tels qu'on les voit dans la figure ; & la petite gouttiere avec ses trous u, u, u, u, sert à soûtenir le sable & à le soulever un peu contre l'effort de l'eau supérieure au coffret. On a pratiqué aux bords supérieurs de la caisse des trous par où l'air peut entrer dans la fontaine, & éventer l'eau.

Ces fontaines sont excellentes ; nous ne pouvons trop en recommander l'usage ; & M. Ami qui les a inventées, a rendu un service important à la société, qui ne peut trop lui en marquer sa reconnoissance. Il a varié son invention en plusieurs manieres différentes & toutes ingénieuses. Voyez les ouvrages qu'il a publiés.

Il faut avoir deux soins assez legers ; l'un de nettoyer le sable & les éponges de tems en tems, de mois en mois ; & l'autre, de ne point laisser tarir sa fontaine : sans quoi les premieres eaux qui viendront après la dessication, tiendront des éponges un petit goût d'amertume & de marécage, mais ne seront jamais mal saines.

FONTAINE DE LA TETE, (Anat.) Voyez FONTANELLE.

FONTAINES DE VIN, (Hist. mod.) L'usage de distribuer du vin au peuple, dans les occasions de réjouissances, est fort ancien. Alain Chartier raconte dans son histoire de Charles VII. que parmi les joies du peuple de Paris, lorsque ce roi y entra, " devant les Filles-Dieu étoit une fontaine, dont l'un des tuyaux jettoit lait, l'autre vin vermeil, l'autre vin blanc, & l'autre eau ".

Monstrelet, en parlant de l'entrée que Charles V. fit aussi dans Paris, remarque " qu'il y avoit dessous l'échafaud une fontaine jettant hypocras, & trois sirenes dedans, & étoit ledit hypocras abandonné à chacun ".

Lorsque le roi Charles VI. la reine Isabelle de Baviere, & le roi Henri d'Angleterre avec sa femme madame Catherine de France, vinrent à Paris, " tout le jour, dit encore Monstrelet, & toute la nuit, découloit vin en aucuns carrefours abondamment par robinets d'airain, & autres conduits ingénieusement faits, afin que chacun en prit à sa volonté ". Enfin le même historien rapporte que lors de l'entrée du roi Louis XI. dans la rue S. Denis, étoit une fontaine qui donnoit vin & hypocras à ceux qui boire en vouloient ". Voyez le détail des autres réjouissances à l'article ENTREE. (D.J.)

FONTAINE DE FEU, (Artificier) Si l'on varie un peu la couleur du feu de l'artifice appellé pot à aigrette, & sa figure extérieure, par différens arrangemens, on en forme des apparences de fontaines de feu. Pour changer sa couleur, il n'y a qu'à substituer de la limaille de cuivre ou de la poudre qu'on trouve chez les Epingliers : elle donne à ce feu une couleur verdâtre différente de celle de la limaille de fer, qu'on met dans les aigrettes.

A l'égard du changement de la figure extérieure, & de l'arrangement des cartouches pour représenter des jets, des gerbes, ou des cascades, il n'y a qu'à imiter l'arrangement des tuyaux de plomb qui produisent toutes les différences des fontaines, par une semblable position des cartouches remplis de ces compositions, qui ne produisent que des étincelles sans flamme, comme sont celles où dominent les charbons de bois dur un peu grossierement pilés, la limaille de fer ou de cuivre, sans matieres onctueuses ou huileuses. En effet, il n'y a point tant d'opposition entre l'apparence du feu & de l'eau, qu'on se l'imagine du premier : car les gouttes d'eau des jets saillans éclairés par le Soleil ou quelque lumiere qui s'y réfléchit, ne ressemblent pas mal à des étincelles. Il ne s'agit donc pour représenter une gerbe d'eau, que de rassembler plusieurs cartouches pleins de matieres combustibles de cette matiere, & de les allumer en même tems.

Si l'on range ces tuyaux en deux lignes paralleles, posés en situation un peu inclinée entr'eux, ils produiront, lorsqu'ils seront allumés, l'effet d'un berceau d'eau tel qu'on en voit à Versailles, sous lequel on pourra passer sans se brûler, pour peu qu'ils soient éloignés.

Si on les range comme les raies d'une roue, du centre à la circonférence sur le même plan, ils produiront une apparence de Soleil.

Si partant du même centre ils sont également inclinés à l'horison de bas en haut, ils formeront un cone droit semblable à une cloche de fer.

Si on les range sur des formes pyramidales, ils formeront une pyramide de feu.

Si on les couche horisontalement par lits d'inégale hauteur inégalement avancés, & que la matiere dont ils sont pleins soit lente, ensorte que les étincelles retombent sans être poussées loin, leur feu représentera une cascade.

Si les dégorgemens sont des ouvertures larges & plates, & que les tuyaux se touchent, leur feu représentera une nappe d'eau dont le bassin pourra être figuré comme l'on voudra, pour faire retomber les étincelles en rond ou de toute autre figure ; auquel cas les charbons qui les produisent doivent être grossierement pilés pour retomber avant que d'être consumés. Tous les tuyaux de ces artifices peuvent être faits de poterie de terre ordinaire, plutôt que de toute autre matiere ; parce qu'ils peuvent être consumés par le feu, s'ils sont de bois ; ils se fondroient, s'ils étoient de plomb ou de fer, par l'action du soufre & du salpetre, qui sont des fondans ; & ils coûteroient beaucoup, s'ils étoient de cuivre.

Au reste, on ne peut les faire bien longs ; 1°. parce que le feu les feroit crever, ou s'étoufferoit s'il étoit trop éloigné de l'embouchure de leur dégorgement ; 2°. il resteroit en partie caché dans la longueur de son étendue ; 3°. enfin, on ne pourroit aisément comprimer les matieres, lorsqu'elles doivent être foulées.

* FONTAINE, (Raffinerie en sucre) c'est une cavité qui se forme le plus souvent dans la pâte du pain : quelquefois elle est pleine de sirop ; d'autres fois, on est obligé de l'ouvrir pour la remplir. On se sert pour l'ouvrir de la pointe de la truelle ; & l'on y porte de la matiere, comme dans l'opération que l'on appelle foncer. Voyez l'article FONCER.


FONTAINE-BLEAU(Géog.) Fons Bleaudi, bourg de l'Isle de France dans le Gâtinois, remarquable par le palais des rois de France, dont Louis le Jeune peut passer pour le premier fondateur, & François I. pour le second. Henri III. y naquit. Il est à quatorze lieues de Paris ; la forêt qui l'environne s'appelloit anciennement la forêt de Bievre. Long. suivant Cassini, 20. 12. 30. latit. 48. 24. 35. (D.J.)


FONTAINIERS. m. (Hydraul.) est celui qui par des principes certains & des expériences réitérées, fait la recherche des eaux ; les jauge pour en connoître la quantité ; les amasse dans des pierrées pour les conduire dans un regard de prise ou dans un réservoir ; sait relever leur pente ; les conduit au lieu destiné ; connoît la force & la vîtesse des eaux jaillissantes ; les calcule, pour en savoir la dépense ; sait donner une juste proportion aux tuyaux, pour former de beaux jets bien nourris, & qui s'élevent à la hauteur requise ; & par une sage oeconomie, les distribue dans un jardin, de maniere qu'ils jouent tous ensemble sans s'altérer l'un l'autre. Voyez ci-devant DEPENSE, &c. & les autres articles relatifs à l'Hydraulique.

OUTILS DE FONTAINIER. 1°. Une poesle de fonte qui sert à faire fondre la soudure.

2°. Un porte-soudure est un morceau quarré de coutil cousu en double ou triple, que l'on graisse de suif pour porter la soudure.

3°. Un compas, instrument de fer à deux branches qui se joignent en haut par un charnon, s'ouvrent par en-bas, & sont terminées en pointe, pour prendre telle mesure que l'on veut.

4°. Un marteau un peu long, dont une des branches est coupante ; il sert à forger le plomb ; le bas du manche est rayé, pour être plus ferme dans la main.

5°. Un maillet plat par le côté pour battre le plomb.

6°. Un boursault est une batte toute ronde, qui est plus à la main pour les petits ouvrages de plomb.

7°. Une serpette, outil de fer acéré & tranchant d'un côté, qui a une poignée de bois, pour couper quelque chose, il y en a de courbées par le bout, & d'autres qui se ferment.

8°. Une gratoire sert à nettoyer les soudures & à les raviver : elle se releve en pointe, & coupe des deux côtés.

9°. Une gouge, outil de fer fait en demi-canal, lequel est taillant de tous côtés, pour travailler les petites pieces, & y former des cavités.

10°. Un couteau, il est en tout semblable à l'outil des Maréchaux, ne coupant que d'un côté avec un dos de l'autre : on le mouille pour couper le plomb, en frappant dessus avec le marteau.

11°. Un niveau est le même instrument dont se servent les Maçons pour tracer une ligne parallele à l'horison, ou pour poser de niveau quelque ouvrage de plomberie. Voyez NIVEAU.

12°. Des fers ronds à souder ; ce sont des morceaux de fer formant une poire arrondie ; d'autres triangulaires, que l'on fait chauffer pour manier la soudure chaude, la faire fondre ensemble, & la coller aux tables de plomb par des noeuds & des traînées, où le fer chaud passe en y faisant des arêtes.

13°. Des atelles ; ce sont deux petits morceaux de bois creusés, qui étant mis l'un contre l'autre, ferment une poignée pour prendre le manche chaud des fers à souder.

14°. Une rape, sorte de lime, pour user les parties trop grasses du plomb.

15°. Une cueillere servant à puiser la soudure dans la poesle, & à la porter jusques sur la partie que l'on soude.

Les figures du niveau, de la jauge, & de la quille, dont les Fontainiers se servent journellement, sont dans les Planches de l'Hydraulique.

Nota, qu'on ne comprend point dans les outils du Fontainier ceux du Plombier, qui se trouveront dans les Arts & Métiers. (K)


FONTANELL(LA), s. f. (Anatomie) dans nos auteurs, fontanella, fons pulsatilis. La grande ouverture en forme de lozange située entre le coronal & les pariétaux, au centre de la croix qui est formée par l'engrenure sagittale, la ligne de division de l'os frontal, & l'engrenure coronale, est ce qu'on nomme fontanelle dans le foetus. Comme cette place n'est presque pas membraneuse dans les enfans nouveaux-nés, l'on y sent alors avec la main le battement des arteres de la dure-mere & du cerveau. Cet endroit reste aussi durant quelque tems cartilagineux après la naissance : quelquefois même les enfans attaqués du rachitis, ont cette partie très-tendre dans un âge assez avancé, parce que leurs os conservent longtems leur mollesse. Enfin, par un évenement fort rare, on a vû des sujets en qui cette partie n'a pas été ossifiée pendant toute leur vie. Cependant d'ordinaire les os du crane deviennent si compactes avec l'âge, qu'ils sont même quelquefois plus épais à la fontanelle que par-tout ailleurs. (D.J.)

FONTANELLE, s. f. (Chirurg.) ulcere artificiel ; voyez FONTICULE.


FONTANGES. f. (Modes) Ce fut dans le dix-septieme siecle, je ne dirai pas une parure, mais un édifice de dentelles, de cheveux, & de rubans à plusieurs étages, que les femmes portoient sur leurs têtes. On voyoit sur une base de fil-de-fer s'élever la duchesse, le solitaire, le chou, le mousquetaire, le croissant, le firmament, le dixieme ciel, & la souris. Aujourd'hui c'est un simple noeud de rubans qui sert d'ornement à leur coëffure : il porte le nom de celle qui a imaginé la fontange ancienne ; comme palatine, parure de cou, celui de la princesse qui en a introduit l'usage en France.


FONTARABIE(Géog.) Fons rapidus ; les Espagnols disent Fuenterabia ; petite, mais forte ville d'Espagne dans la province de Guipuscoa en Biscaye, avec un bon château. Elle est regardée comme la clé d'Espagne de ce côté-ci, & est proche de la mer, à l'embouchure du Bidassoa ou Vidouze, à 9 lieues S. O. de Bayonne, 25 E. de Bilbao, 175 S. O. de Paris. Long. 15. 51. 53. latit. 43. 23. 20. (D.J.)


FONTES. f. (Arts méchaniq.) il se dit des métaux, des pierres, en un mot de tous les corps dans lesquels on parvient à rompre par le moyen du feu, la cohésion des petites masses aggrégatives qui les composent, & de les réduire ainsi sous une forme liquide. Voilà l'acception générale : il en est une particuliere. Fonte se dit chez chaque artiste, de l'emploi actuel d'une certaine quantité plus ou moins grande d'une substance fusible exposée sur le feu pour être employée. Si l'on dit, il a écrit un ouvrage sur la fonte des métaux, fonte sera pris généralement : si l'on dit, il a fait une belle fonte aujourd'hui, il sera pris particulierement. On dit métaphoriquement, une fonte d'humeurs, dans l'hypothèse peut-être vraie, peut-être fausse, qu'une masse d'humeurs qu'on imaginoit auparavant sous une forme épaisse, visqueuse, naturelle ou non, ait acquis subitement un certain degré de fluidité, en conséquence duquel il s'en fait une évacuation abondante. Voyez à l'art. FONDRE, & ci-après, les autres significations du mot fonte.

FONTE, (Fonderie en caracteres) On entend par ce mot, un assortiment complet de toutes les lettres majuscules, minuscules, accentuées, points, chiffres, &c. nécessaires à imprimer un discours, & fondues sur un seul corps. Voyez CORPS.

On dit, une fonte de cicéro, de petit-romain, lorsque ces fontes sont fondues sur le corps de cicéro ou petit-romain ; & ainsi des autres corps de l'Imprimerie.

Les fontes sont plus ou moins grandes suivant le besoin ou le moyen de l'imprimeur, qui demande par cent pesant ou par feuilles ; ce qui revient au même. On dit une fonte de cinq cent, de six cent plus ou moins ; c'est-à-dire qu'on veut que cette fonte bien assortie de toutes ses lettres, pese cinq cent ou six cent livres : &c.

On dit aussi, une fonte de tant de feuilles, ou de tant de formes, pour faire entendre que l'on veut qu'avec cette fonte on puisse composer de suite tant de feuilles ou tant de formes, sans être obligé de distribuer. En conséquence, le fondeur prend ses mesures, & compte pour la feuille cent vingt livres pesant de caracteres, y compris les cadrats & espaces ; & soixante livres pour la forme, qui n'est que la moitié de la feuille. Ce n'est pas que la feuille pese toujours cent vingt livres, ni la forme soixante, étant plus grandes ou plus petites : mais comme il n'entre pas dans toutes les feuilles le même nombre ni les mêmes sortes de lettres, il faut qu'il en reste toûjours dans la casse pour suppléer au besoin. Voyez CASSE.

FONTE, (à la Monnoie) est la conversion des monnoies de cours en d'autres nouvelles, que le prince ordonne être fabriquées. Les dernieres sont, après le délai porté par les édits & ordonnances, seules reçues dans le Commerce, les premieres devenant alors vieilles especes.

FONTE, ou FONDRE, en terme d'Orfevre, se dit de l'action de liquéfier le métal en poudre, en piece, ou autrement, en l'exposant dans un creuset à différens feux : car la fonte demande divers degrés de feu. On doit le modérer d'abord, pour ne pas exposer les creusets qui sont de terre, à être cassés par la violence du premier feu : il faut le pousser avec vigueur sur la fin de l'opération, selon les différentes matieres du mélange. Lorsque la matiere est en poudre, il faut un feu violent pour l'assembler ; & de même, lorsqu'elle a besoin d'être affinée, en y ajoûtant les intermedes nécessaires, comme le salpetre & le borax.

FONTE, s. f. terme de Sellier. Des fontes au nombre de deux, sont des faux-fourreaux de cuir fort, fixément attachés à l'arçon de la selle, pour y mettre les pistolets dans l'occasion. Il ne faut pas confondre, comme font quelques personnes, les fontes avec les faux fourreaux. Ces derniers sont faits ou d'étoffe, ou de cuir pliant & maniable, pour y tenir chez soi les pistolets dans un lieu sec & fermé, afin de les préserver des ordures & de la rouille. C'est dans les faux-fourreaux & avec eux, qu'on met les pistolets dans les fontes. (D.J.)


FONTENAY-LE-COMTE(Géog.) petite ville de France, capitale du bas Poitou, située sur la Verdée, à environ six lieues de la mer, à 14 lieues N. E. de la Rochelle, à 5 N. de Marans. Long. 15. 42. latit. 46. 30. (D.J.)


FONTENOY(Géog.) village des Pays-Bas près de Tournay, célebre par la victoire que l'armée de France y remporta le 11 Mai 1745, sur l'armée combinée des Autrichiens, des Anglois, & des Hollandois.


FONTEVRAUD(Géog. & hist. monast.) Font-Evraud, & suivant Ménage, Fontévaux, Font-Ebraldi, est un bourg en Anjou à trois lieues de Saumur. Long. 17. 41. 54. lat. 47. 10. 47.

Ce bourg n'est cependant connu que par une célebre abbaye de filles, chef d'ordre érigée par le bienheureux Robert d'Arbrissel, né en 1047, & mort en 1117, personnage trop singulier, pour ne pas rappeller dans cette occasion un petit mot de sa mémoire & de l'ordre qu'il fonda.

Après avoir fixé ses tabernacles à la forêt de Fontevraud, il prit l'emploi de prédicateur ambulant, & parcourut nuds-piés les provinces du royaume, afin d'exhorter principalement à la pénitence les femmes débauchées, & les attirer dans son cloître de Marie-Magdeleine. Il y réussit merveilleusement, fit en ce genre de grandes conversions, & entr'autres celle de toutes les filles de joie qu'il trouva dans un lieu de débauche à Rouen, où il étoit entré pour y annoncer la parole de vie. On sait encore qu'il persuada à la reine Bertrade, si connue dans l'histoire, de prendre l'habit de Fontevraud, & qu'il eût le bonheur d'établir son ordre par toute la France.

Le pape Paschal II. le mit sous la protection du saint siége en 1106, le confirma par une bulle en 1113, & ses successeurs lui ont accordé de magnifiques priviléges. Robert d'Arbrissel en conféra quelques tems avant sa mort le généralat à une dame nommée Pétronille de Chemillé ; mais il ne se contenta pas seulement de vouloir que son ordre pût tomber en quenouille, il voulut de plus qu'il y tombât toûjours, & que toûjours une femme succédât à une autre femme dans la dignité de chef de l'ordre, commandant également aux religieux comme aux religieuses.

Il n'y a rien sans-doute de plus singulier dans le monde monastique, que de voir tout un grand ordre composé des deux sexes, reconnoître une femme pour son général, c'est néanmoins ce que font les moines & les nones de Fontevraud, en vertu de l'institut du fondateur. Ses volontés ont été exécutées, & même avec un éclat surprenant ; car parmi les trente-quatre ou trente-cinq abbesses qui ont succédé jusqu'à ce jour (1756) à l'heureuse Pétronille de Chemillé, on compte quatorze princesses, & dans ce nombre, cinq de la maison de Bourbon.

L'ordre de Fontevraud est divisé en quatre provinces, qui sont celles de France, d'Aquitaine, d'Auvergne, & de Bretagne. Il y a quinze prieurés dans la premiere, quatorze dans la seconde, quinze dans la troisieme, & treize dans la quatrieme. C'est sur cet ordre, si l'on veut satisfaire pleinement sa curiosité, qu'il faut lire Sainte-Marthe dans le IV. vol. du Gallia christiana, & sur-tout l'ouvrage du P. de la Mainferme, religieux de Fontevraud, intitulé Clypeus ordinis Fontebraldensis. Le premier volume fut imprimé en 1684, le second en 1688, le troisieme en 1692 ; & il faut joindre à cette lecture, celle de l'article de Fontevraud dans la derniere édition du Dictionnaire de Bayle. (D.J.)


FONTICULES. m. (Chirurgie) petit ulcere artificiel pratiqué par le Chirurgien en différens endroits du corps, soit pour prévenir une maladie qu'on prévoit avec certitude, soit pour rétablir la santé. Le mot de cautere dont on se sert communément dans le même sens, est bien moins propre que celui de fonticule, parce qu'il est équivoque, & qu'il signifie généralement ou un fer rouge, ou un remede corrodant & caustique.

Les Chirurgiens en pratiquant un fonticule, se proposent d'imiter la nature qui produit quelquefois d'elle-même des ulceres de cette espece, par lesquels elle chasse comme par des égouts les matieres surabondantes ou viciées, qui ne manqueroient pas sans ce secours de causer des maladies fâcheuses.

Les parties du corps où l'on ouvre le plus communément & le plus commodément ces ulceres artificiels, sont 1°. la partie supérieure de la tête ; 2°. le cou ; 3°. les bras sur lesquels on choisit la partie la plus basse, ou l'extrémité du muscle deltoïde & du biceps, 4°. les parties inférieures du corps, particulierement le genou, le côté intérieur de la cuisse, à l'endroit où il y a une cavité qu'on apperçoit au doigt ; 5°. enfin le dessous du genou, c'est-à-dire le côté intérieur de la jambe où l'on remarque une espece de cavité.

La plus courte méthode de former un fonticule, un ulcere artificiel, est celle où, après avoir marqué l'endroit qu'on veut cautériser, on tient la peau élevée avec les doigts, & on fait avec le bistouri une incision dans laquelle on puisse aisément introduire un pois. Lorsque le pois est placé, on le couvre d'un emplâtre ; ensuite on leve cet appareil soir & matin ; on nettoye l'ulcere, on introduit un nouveau pois, & l'on applique derechef l'emplâtre & le bandage. En peu de jours le petit ulcere se trouve formé, & jette une humeur purulente.

Une autre maniere de former un fonticule, est d'ouvrir la peau avec un fer rouge : cette seconde méthode est effrayante, mais elle produit surement quand elle est nécessaire, une révulsion considérable. Une troisieme maniere de cautériser, c'est de se servir d'une substance rongeante & caustique. Voyez CAUTERE & CAUSTIQUE.

De quelque maniere que le petit ulcere ait été pratiqué, il en faut faire le pansement tous les jours, & quelquefois deux fois par jour. En même tems à chaque pansement on nettoyera toûjours soigneusement la plaie avec un linge propre. On substituera un nouveau pois à celui qu'on aura ôté ; on appliquera un emplâtre à peu près de la largeur de la paume de la main, ou au lieu d'emplâtre un morceau d'étoffe de soie couvert de cire, ou même une feuille de lierre qu'on fixera par un bandage. M. Heister trouve que les bandages de linge sont moins commodes que ceux de cuir, ou qu'une plaque de cuivre, à laquelle sont ajustés des cordons ou des agraffes ; de maniere qu'un malade peut se les appliquer sans aucune incommodité. Voyez-en la machine dans cet auteur.

On tiendra le fonticule ouvert, jusqu'à ce que la maladie pour laquelle on l'avoit pratiqué soit radicalement guérie. Les adultes attaqués de maux invétérés, feront sagement de garder ces petits ulceres jusqu'à la mort, s'ils veulent éviter de s'exposer aux accidens qu'ils avoient éloignés par ce moyen.

Les avantages principaux que l'on attend des fonticules, c'est la guérison ou l'affoiblissement de plusieurs maladies de la tête, des yeux, des oreilles, des mammelles, & d'autres parties, comme aussi des douleurs de la sciatique. Comme dans tous ces cas, on a quelquefois inutilement recours à ce remede, alors il faut promtement refermer l'ulcere ; & pour cet effet il ne s'agit que d'ôter le pois.

S'il se forme à la partie qui a été ulcérée des excroissances fongueuses, on les emportera avec un peu de poudre d'alun brûlé. Si les fonticules cessent de suppurer dans les vieillards, & que les bords de l'ulcere deviennent secs, livides, ou noirs ; cet état est très-dangereux ; il menace d'une maladie violente, & même d'une mort prochaine. Il est donc à-propos de recourir promtement aux remedes capables de prévenir l'un ou l'autre de ces accidens.

Comme cette matiere est d'une grande importance, différens auteurs en ont traité expressément. Voyez entr'autres.

Galvani (Dominici) trattato delle fontanelle. In Padova, 1620. 4°. c. f. aeneis.

Wolter (Gualther Ambros.) Pyrotechnicum opusculum de cauteriorum, seu fonticulorum usu. Vratislaviae, 1672. in-8°.

Glandorpius (Matth. Lud.) Gazophylacium fonticulorum & setonum reseratum. Bremae, 1632. 4°. editio prima.

Hoffmanni (Frederici) de vesicantium & fonticulorum circonspecto in medicina usu. vol. VI. de l'édit. de Geneve, 1740.

Pour ce qui regarde en particulier la maniere de pratiquer un cautere ou un ulcere artificiel à la suture coronale, voyez la dissert. d'Hoffman que nous venons de citer ; & sur les avantages de cette opération, consultez Marc Donatus, liv. II. hist. estiral. cap. jv. M. A. Severinus, Pyroth. Chirurg. liv. II. part. I. cap. vj. Riviere, cent. ij. obs. 93. Aquapendente, operationes chirurgicae, cap. j. Claudinus, respons. de cauterio in sutura coronali. Heister, Chirurgie, &c. (D.J.)


FONTINALESS. f. plur. (Mythol. & antiquit. rom.) Fontinalia, fête que les Romains célebroient à l'honneur des nymphes qui présidoient aux fontaines & aux sources.

Les payens accoûtumés à se faire des dieux de toutes choses, ne manquerent pas d'en imaginer, auxquels ils attribuerent un pouvoir sur les fleuves & sur les fontaines. Ils appellerent ces dieux, les dieux des eaux, dii aquatiles, comme on le voit par une inscription rapportée par Reinésius ; mais ils mirent ces divinités dans le rang des demi-dieux qu'ils distinguerent par des noms differens. Les nymphes marines furent nommées néréïdes, parce qu'elles étoient filles de Nérée. On donna le nom de nayades à celles qui présidoient aux fontaines. On appella potamides, les nymphes des fleuves & des rivieres, & limmades, les nymphes des lacs & des étangs : enfin le mot de nymphes, nymphae, signifioit souvent les seules divinités des fontaines. Voyez NEREIDES, NYMPHES, &c.

On étoit si fort persuadé de l'existance de ces nymphes, que l'on faisoit des fêtes tous les ans à leur honneur ; le jour en étoit fixé au 13 Octobre, qui étoit le troisieme jour devant les ides ; pour lors on jettoit des fleurs dans les fontaines, & l'on en couronnoit les puits. Festus nous apprend que ces fêtes étoient célebrées à une des portes de Rome que l'on nommoit fontinalis porta. Voyez Festus, Varron, Struvius, & autres auteurs de ce genre. (D.J.)


FONTSFONTS Baptismaux, ou simplement FONTS, s. m. pl. (Théolog. & Hist. Eccl.) c’est un vaisseau de pierre ou de marbre, qui est à l’entrée intérieure des églises paroissiales, où l’on conserve l’eau dont on se sert pour baptiser. Voyez BAPTÊME.

Les fonts baptismaux étoient autrefois la marque d'une église paroissiale. Voyez les articles PAROISSE & EGLISE.

Les fonts baptismaux sont aujourd'hui auprès de la porte en-dedans de l'église, ou dans une chapelle de l'église. Mais autrefois ils étoient dans un bâtiment séparé, différent de la basilique, mais voisin, & qu'on nommoit baptistere. Voyez BAPTISTERE.

Si l'on en croit certains historiens, il étoit assez ordinaire dans les premiers siecles de l'église, que les fonts baptismaux se remplissent miraculeusement à Pâques, qui étoit le tems où l'on baptisoit le plus. Baronius rapporte divers exemples de ces fonts miraculeux aux années 417. 554. & 555.

Possevin, évêque de Lilybée, qui écrivoit en 443. observe qu'en 417, sous le pontificat de Zozime, il y eut erreur par rapport au tems de la célébration de la fête de Pâques ; qu'on la célébra le 22 de Mars, au lieu qu'elle devoit l'être le 22 d'Avril, qu'on la fit à Constantinople. Il ajoûte que Dieu fit voir cette erreur en un village, où les fonts qui avoient accoûtumé de se remplir miraculeusement à Pâques, ne se trouverent pleins que la nuit du 22 d'Avril ; mais cette histoire n'est pas de foi. Voyez Tillemont, Hist. ecclés. tome X. pag. 678. & 679. Grégoire de Tours, pag. 320. 516. 746. 950. 1063. & le Diction. de Trévoux. Chambers.

Dans l'Eglise romaine on fait solemnellement deux fois l'année la bénédiction des fonts baptismaux ; savoir la veille de Pâques, & la veille de la Pentecôte. On bénit ces jours-là l'eau destinée pour le baptême. Les cérémonies & les oraisons qu'on y employe, sont toutes relatives à l'ancien usage de baptiser en ces jours-là les Catéchumenes. (G)


FOORAHA(Hist. nat. bot.) arbre de l'île de Madagascar, qui fournit un baume ou une résine de couleur verte très-aromatique, qui passe pour un grand remede dans les plaies & contusions. Les femmes du pays en mêlent avec l'huile dont elles frottent leurs cheveux. Cet arbre porte outre cela un fruit assez gros. Hubner, diction. univers.


FOQUES* FOQUES DE BEAUPRÉ & DE MISENE, s. f. (Marine.) voiles à trois points qu’on met enavant, avec une espece de boute-hors. On s’en sert sur de petits bâtimens, quand le vent est foible. Celles de misene servent séparément, selon le vent. Elles sont soûtenues par le mât où est la grande voile, pardevant, vis-à-vis la foque de beaupré.


FORS. m. (Jurisp.) du latin forum, qui signifie marché, place publique, barreau, se dit en notre langue pour jurisdiction. (A)

FOR-L'EVEQUE, étoit anciennement le lieu où se tenoit la jurisdiction temporelle de l'évêque de Paris, dont le siége a depuis été transféré dans la premiere cour de l'archevêché ; ce lieu sert présentement de prison, & a toûjours conservé le même nom de l'évêque. (A)

FOR EXTERIEUR, signifie en général l'autorité de la justice humaine, qui s'exerce sur les personnes & sur les biens avec plus ou moins d'étendue, selon la qualité de ceux qui exercent cette justice. Car la justice séculiere a un pouvoir plus étendu que la justice ecclésiastique.

Le for extérieur est opposé au for intérieur ; on entend par celui-ci dans la morale, la voix de la conscience, qui ne fait qu'indiquer ce que la vertu prescrit ou défend. Quelquefois aussi par for intérieur ; on entend le for pénitenciel, ou le tribunal de la pénitence.

L'Eglise a deux sortes de for ; l'un extérieur, l'autre intérieur.

Le for extérieur de l'Eglise est la jurisdiction qui a été accordée par nos rois aux évêques & à certains abbés & chapitres, pour l'exercer sur les ecclésiastiques qui leur sont soûmis ; & pour connoître de certaines matieres ecclésiastiques.

Le for intérieur de l'Eglise est la puissance spirituelle que l'Eglise tient de Dieu, & qu'elle exerce sur les ames & sur les choses purement spirituelles. C'est improprement que l'on qualifie quelquefois cette puissance de jurisdiction ; car l'Eglise n'a par elle-même aucune jurisdiction proprement dite, ni aucun pouvoir coercitif sur les personnes ni sur les biens. Son pouvoir ne s'étend que sur les ames, & se borne à imposer aux fideles des pénitences salutaires, & à les ramener à leur devoir par des censures ecclésiastiques. (A)

FOR INTERIEUR, est opposé à for extérieur. Voyez ci-devant FOR EXTERIEUR.

FOR PENITENCIEL, qu'on appelle aussi improprement tribunal de la pénitence, est la puissance que l'Eglise a d'imposer aux Fideles des pénitences salutaires pour les ramener à leur devoir. (A)

FOR signifie aussi quelquefois coûtume, ou privilége accordé à quelque ville ou communauté ; ce qui vient soit du mot forum, en tant qu'il signifie place publique ; soit du mot foras, qui signifie dehors ; parce que ces fors & coûtumes sont des lois qui se publient ordinairement dans la place publique. Voyez M. de Marca dans son hist. liv. V. ch. ij. (A)

FOR DE BEARN, ou FORS, ce sont les coûtumes de ce pays. Le for général de Bearn fut confirmé en 1088 par Gaston IV. en la même année où il succéda à Centule son pere. Ainsi c'est par erreur que la confirmation de ce for est communément attribuée à Gaston VII. troisieme seigneur de la maison de Moncade. C'est ce que remarque M. de Marca.

Il y avoit aussi en Béarn des fors particuliers, tel que celui de Morlas, capitale de Béarn, celui d'Oleron, & le for des deux vallées d'Ossan & d'Aspe. Les sujets des différentes parties du Béarn étoient distingués par ces fors ; les uns étoient appellés Béarnois, les autres Morlanois, les autres Ossalois & Aspois.

Marguerite de Béarn ordonna en 1306 que le for général de Béarn, & les autres fors particuliers seroient rédigés en un corps ; que les établissemens & réglemens faits par les seigneurs & leur cour majeure avec les arrêts de cette cour, ceux de la cour souveraine de Morlas, & les usages observés dans tout le pays, seroient compris dans ce volume. Il fut ensuite augmenté des réglemens faits par les comtes Matthieu, Archambaud, Jean & Gaston ; & les praticiens ayant distribué ce livre en titres, & ayant fait une mauvaise conférence d'articles tirés tant du for général que de celui de Morlas, des jugemens & usages, ils le rendirent si obscur qu'Henri d'Albret, II. du nom, roi de Navarre, & seigneur de Béarn, ordonna en 1551 que ces lois ou fors seroient corrigés & rédigés en meilleur ordre, du consentement des états du pays. Voyez M. de Marca, hist. de Béarn. liv. V. ch. j. (A)


FOR-MARIAGou FEUR-MARIAGE, (Jurisp.) est le mariage qu'un homme ou femme de condition servile, contracte sans la permission de son seigneur, ou même avec sa permission, lorsque le mariage est contracté avec une personne franche, ou d'une autre seigneurie & justice que celle de son seigneur, ou hors la terre sujette à son droit de main-morte.

Ce mariage est ainsi appellé en françois & dans la basse latinité, foris maritagium, eo quod fit foras vel foris.

Quelquefois par le terme de for-mariage on entend l'amende pécuniaire que le serf ou main-mortable doit à son seigneur pour s'être ainsi marié. Voyez Ducange, au mot Foris-maritagium.

En certains lieux le seigneur a droit de prendre pour for-mariage, la moitié, le tiers, ou autre portion des biens de celui qui s'est marié à une personne d'une autre condition, ou d'une autre seigneurie & justice. Ce droit est dû au seigneur, quoique son serf ou main-mortable lui ait demandé congé & permission pour se marier ; il évite seulement par ce moyen l'amende de soixante sous ou autre somme, suivant l'usage, qu'il auroit été obligé de payer pour la peine du for-mariage contracté sans le congé du seigneur.

Ce droit seigneurial paroît tirer son origine des Romains, chez lesquels ceux qu'on appelloit gentiles, c'est-à-dire regnicoles, défendoient à leurs esclaves de se marier avec des étrangers, dans la crainte qu'ils n'abandonnassent leurs offices, ou qu'ils ne détournassent les effets de leur maître pour les donner à des étrangers : ceux qui persistoient à demeurer en la compagnie d'un esclave, malgré l'avertissement que leur avoient donné leurs maîtres, devenoient aussi ses esclaves. Les filles regnicoles (gentiles) qui se marioient à des étrangers, perdoient pareillement leur liberté. Voyez Tertul. lib. II. ad uxorem ; l'auteur du grand coûtum. lib. II. c. xvj. à la fin.

Bacquet, en son traité du droit d'aubaine, ch. iij. rapporte un ancien mémoire tiré des registres de la chambre des comptes, concernant les droits & seigneuries appartenans au roi, à cause du gouvernement & administration générale du royaume, & par souveraineté & ancien domaine, à cause des morte-mains & for-mariage par tout le royaume de France, & spécialement au bailliage de Vermandois ; lesquels droits devoient être cueillis par le collecteur d'iceux & par ses lieutenans & sergens, que pour ce faire il devoit commettre & ordonner.

L'article 2 de ce mémoire porte, que le roi, en érigeant les duchés & comtés pairies qui sont au bailliage de Vermandois, retint les morte-mains & formariages des bâtards, espaves, aubains & manumis, & qu'il en a joüi paisiblement jusqu'à ce que les guerres & divisions sont venues en ce royaume.

L'article 7 porte que nuls bâtards, espaves, aubains, ni manumis, ne se peuvent marier à personne autre que de leur condition, sans le congé du roi ou de ses officiers, qu'ils ne soient tenus payer soixante sous parisis d'amende, lesquelles amendes ont été souvent supportées pour la pauvreté du peuple, vû les guerres & stérilités du pays ; que quand ils demandent congé, ils se montrent obéissans au roi comme ses personnes liges, & que nul n'en doit être éconduit ; qu'en ce faisant ils échevent l'amende ; mais que nonobstant ce ils doivent formariage, pour avoir pris parti qui n'est de condition pareille à eux ; que ce for-mariage s'estime à la moitié des biens en la prevôté de Ribemont & en celle de Saint-Quentin ; à Péronne & à Soissons, au tiers ; & aux autres lieux dudit bailliage, selon l'usage de chaque lieu.

Suivant l'article 8, ceux qui se marioient à leurs semblables & de condition pareille à eux, ne devoient amende ni for-mariage, parce qu'ils ne forlignoient point.

Enfin l'article 11 porte que si des hommes de condition servile, sous quelque seigneurie, se sont affranchis de servitude, quand ils sont for-mariés ils doivent for-mariage au roi, comme il a été dit ; mais que les femmes n'en doivent point, parce que si elles ont lignée en mariage d'homme franc, la lignée sera de condition servile à cause du ventre.

Dans le chapitre suivant, Bacquet remarque que ces droits de for-mariage étoient anciennement recueillis au profit du roi par un collecteur, qui étoit comptable en la chambre des comptes, que depuis, ces droits comme domaniaux ont été reçus par les receveurs ordinaires des lieux.

On tient présentement pour maxime, qu'en formariage le pire emporte le bon, c'est-à-dire que la personne franche, soit la femme ou le mari, qui épouse une personne serve, devient de même condition. Loysel, liv. I. tit. j. régl. 25. & Lauriere, ibid.

Dans les lieux où l'on a coûtume de prendre formariage, le seigneur de la main-morte prend pour le for-mariage de la femme main-mortable, les héritages qu'elle a sous lui, & dans le lieu de sa mainmorte, ou la valeur de ce qu'elle emporte en mariage ; qui est au choix de ladite femme.

Le for-mariage n'a pas lieu en main-morte, quand la femme n'a point d'héritage ; comme il fut jugé au parlement de Dijon, le 7 Décembre 1606. Taisand sur la coûtume de Bourgogne, tit. jx. artic. 21. note 3. observe que cet arrêt jugea tacitement, que quand une fille est mariée par mariage divis, & qu'on ne lui a point constitué d'héritage en dot, le seigneur ne peut prétendre le droit de for-mariage, parce qu'il est au choix de la femme d'abandonner au seigneur les héritages qu'elle a dans le lieu de la main-morte, ou autant qu'elle a eu en mariage.

Le for-mariage a encore lieu dans quelques coûtumes de main-morte. Voyez l'article 144. de celle de Vitri ; Meaux, art. 5. & 78 ; Troyes, art. 3 ; Chaumont, art. 3 ; & le chap. viij. de la coûtume de Nivernois, art. 22. & 23 ; & Auzanet, pag. 8. de ses mémoires.

Ce droit avoit autrefois lieu dans la coûtume de Reims ; mais il a été aboli. Voyez Pithou sur la coûtume de Troyes, art. 4 ; Taisand sur la coûtume de Bourges, tit. jx. art. 21. (A)


FORAGES. m. (Jurispr.) appellé dans la basse latinité foragium, seu foraticum, est un droit qui se paye au seigneur pour le vin ou autres liqueurs que l'on met en perce, & que l'on vend en détail.

Quelques-uns veulent que ce terme vient de forare, qui signifie percer ; & que le forage soit dû au seigneur pour la permission de percer le vin ; d'autres avec plus de raison soûtiennent que ce n'est pas seulement pour cette permission, mais aussi pour avoir la liberté de vendre publiquement du vin en broche & en détail.

Ce droit est quelquefois appellé afforage. L'édition de la coûtume de Béthune faite en 1589, nomme afforage ce que l'édition de 1553 appelloit forage. Quelquefois afforage a une signification un peu différente. Voyez AFFORAGE.

En certains pays ce droit s'appelle allage, comme en Berry.

La coûtume d'Amiens, art. 183. & celle de Beauquesne, art. 2. attribue ce droit au seigneur haut, moyen ou bas justicier. Celle de Ponthieu l'attribue au seigneur féodal qui n'a que justice fonciere. La coûtume d'Artois le donne aussi au seigneur foncier.

Dans quelques coûtumes il se prend en nature ; en d'autres il se perçoit en argent. Dans la coûtume d'Amiens, il est pour chaque piece de vin de deux lots ; ailleurs il est plus ou moins considérable, ce qui dépend de la coûtume, des titres, & de la possession.

Quelques coûtumes attribuent au seigneur le droit de forage pour le vin & autres liqueurs vendus en piece. Par l'art. 7. de la coûtume de Téroanne, le droit de forage de vins, cervoise, & autres breuvages qui se vendent en la ville à bloc & en grosse, appartient à l'évêque du lieu. L'évêque & comte de Beauvais a aussi droit de forage, & prétend que les chevaux, chariots & vin lui sont acquis à faute de payement ; & par arrêt du Parlement de Paris du 9 Mars 1533, ce droit leur fut adjugé à raison de 16 deniers pour le vin vendu en détail en la ville, & de 29 deniers pour celui vendu en gros. Voyez le gloss. de Ducange, au mot foragium ; celui de Lauriere, au mot forage. (A)


FORAIN(Jurisprud.) se dit d'une personne ou d'une chose qui vient de dehors.

On comprend quelquefois sous le terme de forains, les aubains. Voyez AUBAIN.

Mais on entend plus communément par forains, ceux qui ne sont pas du lieu dont il s'agit ; comme les débiteurs forains que le créancier peut faire arrêter dans les villes d'arrêt. Voyez ARRET, DEBITEUR, VILLE D'ARRET.

Les marchands forains sont ceux qui fréquentent les foires. Traites foraines sont les droits qui se payent sur les marchandises qui entrent dans le royaume ou qui en sortent.

Prevôt forain, est un juge dont la jurisdiction ne s'étend que sur les personnes qui sont hors de la ville, où est son siége. Voyez PREVOT & PREVOTE.

Official forain, est celui qui est délégué par l'évêque hors du lieu où est le siége de son évêché. Voyez OFFICIAL. (A)

FORAIN, adj. pris subst. (Commerce) on appelle marchand forain un marchand étranger qui n'est pas du lieu où il vient faire son négoce. Marchand forain signifie aussi un marchand qui ne fréquente que les foires ; qui va revendre dans l'une les marchandises qu'il a achetées dans l'autre. Voyez FOIRE.

On appelle marchandises foraines, celles qui sont fabriquées hors des lieux où l'on vient en faire la vente. Elles sont sujettes à confiscation, & les marchands forains à une amende fixée par les statuts des corps ou communautés, ou par les officiers de police, lorsqu'elles n'ont pas les qualités requises par les ordonnances. Dict. de Comm. de Trév. & Chamb. (G)


FORAINEadj. pris subst. (Commerce) droit qu'on paye à Bordeaux sur les marchandises qui viennent de la province de Languedoc, du Roüergue, Querci, Armagnac, Comminge, & Riviere de Verdun. On le nomme autrement patente de Languedoc. Dictionn. de Comm. de Chamb. (G)


FORBANS. m. (Jurisprud.) se dit en quelques coûtumes pour bannissement. L'ancienne coûtume du Perche ch. jv. appelle droit de forbans, ce que la nouvelle coûtume appelle bannir. La coûtume de Bretagne art. xj. appelle sentence de forban celle qui prononce un bannissement. V. BANNISSEMENT. (A)

FORBANS, pl. (Marine) on donne ce nom à ceux qui courent les mers sans commission, & qui attaquent & pillent indistinctement tous ceux qu'ils rencontrent, amis ou ennemis. Les forbans n'ont point de pavillon particulier, mais arborent indifféremment ceux de toutes les nations, pour se mieux déguiser, suivant les circonstances ; aussi lorsqu'on les prend, ils sont traités comme des voleurs publics, & pendus tout de suite. (Z)

* FORBAN, (terme de Pêche) petit bateau pêcheur du Marbian, ou baie de Vannes.


FORBANNIadj. (Jurisprud.) forbannitus quasi foras bannitus, c'est celui qui a été banni d'un certain lieu. Les bannis sont ainsi appellés en la coûtume de Normandie, chap. xxiij. lxxvj. lxxx. c. cxxj. au style du pays de Normandie ; en la coûtume de Béarn, tit. xvj. art. 1. & au livre de l'établissement du roi pour les plaids des prevôts de Paris & d'Orléans. La coûtume d'Anjou, art. xlviij. & celle de Normandie, ch. xxjv. se sert du terme de forbannir, pour bannir ; & celle de Normandie, ibid. dit forbannissement pour bannissement.

Voyez les constit. de Sicile, lib. I. tit. l. lxxij. & lib. II. tit. x. xx. Leg. ripuar. tit. lxxxjx. & lib. III. Leg. francicae, cap. xljx. l. lib. IV. cap. lxxj. & ci-devant FORBAN. (A)


FORBANNISSEMENT(Jurisp.) bannissement, voyez ci-devant FORBAN & FORBANNI. (A)


FORBISHER(DETROIT DE) Géog. en anglois Forbisher's streight, détroit de l'Océan septentrional, entre la côte maritime de Groënlande, & une île à laquelle on ne donne point de nom sur les cartes.

Martin Forbisher, natif de la Province d'Yorck, fameux par ses courses & par ses exploits sur mer, fit trois différens voyages en 1576, 1577, & 1578, pour découvrir une route au N. O. afin de passer s'il étoit possible, par le Nord de l'Amérique dans les mers des Indes. Il ne trouva point ce qu'il cherchoit ; mais il découvrit en échange plusieurs grands bras de mer, des baies, des îles, des caps, & des terres qui formoient un grand détroit auquel il a donné son nom.

Notre anglois trouva le détroit dont il s'agit ici, dans le 69d de latitude. Les habitans du lieu sont basanés, ont des cheveux noirs, le nez écrasé, & s'habillent de peaux de veaux marins ; la plûpart des femmes se font des découpures au visage, & y appliquent pour fard, une couleur bleue & ineffaçable. Les montagnes de glace & de neige empêcherent le chevalier Forbisher de pénétrer dans le pays, & de pouvoir le décrire. Personne depuis ce tems-là n'a été plus heureux. Voyez sur la vie de ce grand navigateur Heroologia anglica. (D.J.)


FORÇAGES. m. (à la Monnoie) c'est l'excédent que peut avoir une piece au-dessus du poids prescrit par les ordonnances. Lorsque cela arrive par la faute sans-doute des ajusteurs ou tailleresse, c'est toûjours au détriment ou perte du directeur. Le forçage est appellé, par l'ordonnance de 1554, largesse : ce mot est assez bien placé, car c'est un don que le directeur fait au public ; il est rare.


FORCALQUIERForum calcorium, (Géog.) petite ville de Provence, capitale du comté de même nom. Elle est sur une hauteur, à six lieues de Manosque, 8 S. O. de Sisteron, 12 N. E. d'Aix. Long. 23 d. 32'. latit. 43 d. 58'.

Le comté de Forcalquier avoit autrefois ses comtes particuliers, qui dans les anciens titres sont aussi appellés comtes d'Arles, comites Arelatensium ; parce qu'Arles étoit la capitale de leurs états. Le roi prend le titre de comte de Provence, de Forcalquier. &c. dans les actes qui concernent la province. (D.J.)


FORÇATS. m. (Jurisprud. & Marine) homme qu'on a condamné aux galeres pour quelque crime. Voyez GALERIEN.


FORCES. f. (Gramm. & Littér.) ce mot a été transporté du simple au figuré.

Force se dit de toutes les parties du corps qui sont en mouvement, en action ; la force du coeur, que quelques-uns ont fait de quatre cent livres, & d'autres de trois onces ; la force des visceres, des poumons ; de la voix ; à force de bras.

On dit par analogie, faire force de voiles, de rames ; rassembler ses forces ; connoître, mesurer ses forces ; aller, entreprendre au-delà de ses forces ; le travail de l'Encyclopédie est au-dessus des forces de ceux qui se sont déchaînés contre ce livre. On a long-tems appellé forces de grands ciseaux (Voyez FORCES, Arts méch.) ; & c'est pourquoi dans les états de la ligue on fit une estampe de l'ambassadeur d'Espagne, cherchant avec ses lunettes ses ciseaux qui étoient à terre, avec ce jeu de mots pour inscription, j'ai perdu mes forces.

Le style très-familier admet encore, force gens, force gibier, force fripons, force mauvais critiques. On dit, à force de travailler il s'est épuisé ; le fer s'affoiblit à force de le polir.

La métaphore qui a transporté ce mot dans la Morale, en a fait une vertu cardinale. La force en ce sens est le courage de soûtenir l'adversité, & d'entreprendre des choses vertueuses & difficiles, animi fortitudo.

La force de l'esprit est la pénétration, & la profondeur, ingenii vis. La nature la donne comme celle du corps, le travail modéré les augmente, & le travail outré les diminue.

La force d'un raisonnement consiste dans une exposition claire, des preuves exposées dans leur jour, & une conclusion juste ; elle n'a point lieu dans les théorèmes mathématiques, parce qu'une démonstration ne peut recevoir plus ou moins d'évidence, plus ou moins de force ; elle peut seulement procéder par un chemin plus long ou plus court, plus simple ou plus compliqué. La force du raisonnement a sur-tout lieu dans les questions problématiques. La force de l'éloquence n'est pas seulement une suite de raisonnemens justes & vigoureux, qui subsisteroient avec la sécheresse ; cette force demande de l'embonpoint, des images frappantes, des termes énergiques. Ainsi on a dit que les sermons de Bourdaloue avoient plus de force, ceux de Massillon plus de graces. Des vers peuvent avoir de la force, & manquer de toutes les autres beautés. La force d'un vers dans notre langue vient principalement de l'art de dire quelque chose dans chaque hémistiche :

Et monté sur le faite, il aspire à descendre.

L'éternel est son nom, le monde est son ouvrage.

Ces deux vers pleins de force & d'élégance, sont le meilleur modele de la Poésie.

La force dans la Peinture est l'expression des muscles, que des touches ressenties font paroître en action sous la chair qui les couvre. Il y a trop de force quand ces muscles sont trop prononcés. Les attitudes des combattans ont beaucoup de force dans les batailles de Constantin, dessinées par Raphael & par Jules romain, & dans celles d'Alexandre peintes par le Brun. La force outrée est dure dans la Peinture, empoulée dans la Poésie.

Des philosophes ont prétendu que la force est une qualité inhérente à la matiere : que chaque particule invisible, ou plutôt monade, est doüée d'une force active : mais il est aussi difficile de démontrer cette assertion, qu'il le seroit de prouver que la blancheur est une qualité inhérente à la matiere, comme le dit le dictionnaire de Trévoux à l'article Inhérent.

La force de tout animal a reçu son plus haut degré, quand l'animal a pris toute sa croissance ; elle décroît, quand les muscles ne reçoivent plus une nourriture égale, & cette nourriture cesse d'être égale quand les esprits animaux n'impriment plus à ces muscles le mouvement accoutumé. Il est si probable que ces esprits animaux sont du feu, que les vieillards manquent de mouvement, de force, à mesure qu'ils manquent de chaleur. Voyez les articles suivans. Article de M. DE VOLTAIRE.

FORCE, (Iconolog.) On représente la force sous la figure d'une femme vêtue d'une peau de lion, appuyée d'une main sur un bout de colonne, & tenant de l'autre main un rameau de chêne. Elle est quelquefois accompagnée d'un lion.

FORCE, terme fort usité en Méchanique, & auquel les Méchaniciens attachent différens sens, dont nous allons détailler les principaux.

FORCE D'INERTIE, est la propriété qui est commune à tous les corps de rester dans leur état, soit de repos ou de mouvement, à-moins que quelque cause étrangere ne les en fasse changer.

Les corps ne manifestent cette force, que lorsqu'on veut changer leur état ; & on lui donne alors le nom de résistance ou d'action, suivant l'aspect sous lequel on la considere. On l'appelle résistance, lorsqu'on veut parler de l'effort qu'un corps fait contre ce qui tend à changer son état ; & on la nomme action, lorsqu'on veut exprimer l'effort que le même corps fait pour changer l'état de l'obstacle qui lui résiste. Voyez ACTION, COSMOLOGIE, & la suite de cet article.

Dans la définition de la force d'inertie, je me suis servi du mot de propriété, plutôt que de celui de puissance ; parce que le second de ces mots semble désigner un être métaphysique & vague, qui réside dans le corps, & dont on n'a point d'idée nette ; au lieu que le premier ne désigne qu'un effet constamment observé dans les corps.

Preuves de la force d'inertie. On voit d'abord fort clairement qu'un corps ne peut se donner le mouvement à lui-même : il ne peut donc être tiré du repos que par l'action de quelque cause étrangere. De-là il s'ensuit que si un corps reçoit du mouvement par quelque cause que ce puisse être, il ne pourra de lui-même accélérer ni retarder ce mouvement. On appelle en général puissance ou cause motrice, tout ce qui oblige un corps à se mouvoir. Voyez PUISSANCE, &c.

Un corps mis une fois en mouvement par une cause quelconque, doit y persister toûjours uniformément & en ligne droite, tant qu'une nouvelle cause différente de celle qui l'a mis en mouvement, n'agira pas sur lui, c'est-à-dire qu'à moins qu'une cause étrangere & différente de la cause motrice n'agisse sur ce corps, il se mouvra perpétuellement en ligne droite, & parcourra en tems égaux des espaces égaux.

Car, ou l'action indivisible & instantanée de la cause motrice au commencement du mouvement, suffit pour faire parcourir au corps un certain espace, ou le corps a besoin pour se mouvoir de l'action continuée de la cause motrice.

Dans le premier cas, il est visible que l'espace parcouru ne peut être qu'une ligne droite décrite uniformément par le corps mû : car (hyp.) passé le premier instant, l'action de la cause motrice n'existe plus, & le mouvement néanmoins subsiste encore : il sera donc nécessairement uniforme, puisqu'un corps ne peut accélérer ni retarder son mouvement de lui-même. De plus, il n'y a pas de raison pour que le corps s'écarte à droite plutôt qu'à gauche ; donc dans ce premier cas, où l'on suppose qu'il soit capable de se mouvoir de lui-même pendant un certain tems, indépendamment de la cause motrice, il se mouvra de lui-même pendant ce tems uniformément & en ligne droite.

Or un corps qui peut se mouvoir de lui-même uniformément & en ligne droite pendant un certain tems, doit continuer perpétuellement à se mouvoir de la même maniere, si rien ne l'en empêche : car supposons le corps partant de A, (fig. 32. Méchan.) & capable de parcourir de lui-même uniformément la ligne A B ; soient pris sur la ligne A B deux points quelconques C, D, entre A & B ; le corps étant en D est précisément dans le même état que lorsqu'il est en C, si ce n'est qu'il se trouve dans un autre lieu. Donc il doit arriver à ce corps la même chose que quand il est en C. Or etant en C, il peut (hyp.) se mouvoir de lui-même uniformément jusqu'en B. Donc étant en D, il pourra se mouvoir de lui-même uniformément jusqu'au point G, tel que D G = C B, & ainsi de suite.

Donc si l'action premiere & instantanée de la cause motrice est capable de mouvoir le corps, il sera mû uniformément & en ligne droite, tant qu'une nouvelle cause ne l'en empêchera pas.

Dans le second cas, puisqu'on suppose qu'aucune cause étrangere & différente de la cause motrice n'agit sur le corps, rien ne détermine donc la cause motrice à augmenter ni à diminuer ; d'où il s'ensuit que son action continuée sera uniforme & constante, & qu'ainsi pendant le tems qu'elle agira, le corps se mouvra en ligne droite & uniformément. Or la même raison qui a fait agir la cause motrice constamment & uniformément pendant un certain tems, subsistant toûjours tant que rien ne s'oppose à son action, il est clair que cette action doit demeurer continuellement la même, & produire constamment le même effet. Donc, &c.

Donc en général un corps mis en mouvement par quelque cause que ce soit, y persistera toûjours uniformément & en ligne droite, tant qu'aucune cause nouvelle n'agira pas sur lui.

La ligne droite qu'un corps décrit ou tend à décrire, est nommée sa direction. Voyez DIRECTION.

Nous nous sommes un peu étendus sur la preuve de cette seconde loi, parce qu'il y a eu & qu'il y a peut-être encore quelques philosophes qui prétendent que le mouvement d'un corps doit de lui-même se ralentir peu-à-peu, comme il semble que l'expérience le prouve. Il faut convenir au reste, que les preuves qu'on donne ordinairement de la force d'inertie, en tant qu'elle est le principe de la conservation du mouvement, n'ont point le degré d'évidence nécessaire pour convaincre l'esprit ; elles sont presque toutes fondées, ou sur une force qu'on imagine dans la matiere, par laquelle elle résiste à tout changement d'état, ou sur l'indifférence de la matiere au mouvement comme au repos. Le premier de ces deux principes, outre qu'il suppose dans la matiere un être dont on n'a point d'idée nette, ne peut suffire pour prouver la loi dont il est question : car lorsqu'un corps se meut, même uniformément, le mouvement qu'il a dans un instant quelconque, est distingué & comme isolé du mouvement qu'il a eu ou qu'il aura dans les instans précédens ou suivans. Le corps est donc en quelque maniere à chaque instant dans un nouvel état ; il ne fait, pour ainsi dire, continuellement que commencer à se mouvoir, & on pourroit croire qu'il tendroit sans-cesse à retomber dans le repos, si la même cause qui l'en a tiré d'abord, ne continuoit en quelque sorte à l'en tirer toûjours.

A l'égard de l'indifférence de la matiere au mouvement ou au repos, tout ce que ce principe présente, ce me semble, de bien distinct à l'esprit, c'est qu'il n'est pas essentiel à la matiere de se mouvoir toûjours, ni d'être toûjours en repos, mais il ne s'ensuit pas de cette loi, qu'un corps en mouvement ne puisse tendre continuellement au repos, non que le repos lui soit plus essentiel que le mouvement, mais parce qu'il pourroit sembler qu'il ne faudroit autre chose à un corps pour être en repos, que d'être un corps, & que pour le mouvement il auroit besoin de quelque chose de plus, & qui devroit être pour ainsi dire continuellement reproduit en lui.

La démonstration que j'ai donnée de la conservation du mouvement, a cela de particulier, qu'elle a lieu également, soit que la cause motrice doive toûjours être appliquée au corps, ou non. Ce n'est pas que je croye l'action continuée de cette cause, nécessaire pour mouvoir le corps ; car si l'action instantanée ne suffisoit pas, quel seroit alors l'effet de cette action ? & si l'action instantanée n'avoit point d'effet, comment l'action continuée en auroit-elle ? Mais comme on doit employer à la solution d'une question le moins de principes qu'il est possible, j'ai cru devoir me borner à démontrer que la continuation du mouvement a lieu également dans les deux hypothèses : il est vrai que notre démonstration suppose l'existance du mouvement, & à plus forte raison sa possibilité ; mais nier que le mouvement existe, c'est se refuser à un fait que personne ne révoque en doute. Voyez MOUVEMENT.

Voilà, si je ne me trompe, comment on peut prouver la loi de la continuation du mouvement, d'une maniere qui soit à l'abri de toute chicane. Dans le mouvement il semble, comme nous l'avons déja observé, qu'il y ait en quelque sorte un changement d'état continuel ; & cela est vrai dans ce seul sens, que le mouvement du corps, dans un instant quelconque, n'a rien de commun avec son mouvement dans l'instant précédent ou suivant. Mais on auroit tort d'entendre par changement d'état, le changement de place ou de lieu que le mouvement produit : car quand on examine ce prétendu changement d'état avec des yeux philosophiques, on n'y voit autre chose qu'un changement de relation, c'est-à-dire un changement de distance du corps mû aux corps environnans.

Nous sommes fort enclins à croire qu'il y a dans un corps en mouvement un effort ou énergie, qui n'est point dans un corps en repos. La raison pour laquelle nous avons tant de peine à nous détacher de cette idée, c'est que nous sommes toûjours portés à transférer aux corps inanimés les choses que nous observons dans notre propre corps. Ainsi nous voyons que quand notre corps se meut, ou frappe quelque obstacle, le choc ou le mouvement est accompagné en nous d'une sensation qui nous donne l'idée d'une force plus ou moins grande ; or en transportant aux autres corps ce même mot force, nous appercevrons avec une legere attention, que nous ne pouvons y attacher que trois différens sens : 1°. celui de la sensation que nous éprouvons, & que nous ne pouvons pas supposer dans une matiere inanimée : 2°. celui d'un être métaphysique, différent de la sensation, mais qu'il nous est impossible de concevoir, & par conséquent de définir : 3°. enfin (& c'est le seul sens raisonnable) celui de l'effet même, ou de la propriété qui se manifeste par cet effet, sans examiner ni rechercher la cause. Or en attachant au mot force ce dernier sens, nous ne voyons rien de plus dans le mouvement, que dans le repos, & nous pouvons regarder la continuation du mouvement, comme une loi aussi essentielle que celle de la continuation du repos. Mais, dira-t-on, un corps en repos ne mettra jamais un corps en mouvement ; au lieu qu'un corps en mouvement meut un corps en repos. Je réponds que si un corps en mouvement meut un corps en repos, c'est en perdant lui-même une partie de son mouvement ; & cette perte vient de la résistance que fait le corps en repos au changement d'état. Un corps en repos n'a donc pas moins une force réelle pour conserver son état, qu'un corps en mouvement, quelque idée qu'on attache au mot force. Voyez COMMUNICATION de mouvement, &c.

Le principe de la force d'inertie peut se prouver aussi par l'expérience. Nous voyons 1°. que les corps en repos y demeurent tant que rien ne les en tire ; & si quelquefois il arrive qu'un corps soit mû sans que nous connoissions la cause qui le meut, nous sommes en droit de juger, & par l'analogie, & par l'uniformité des lois de la nature, & par l'incapacité de la matiere à se mouvoir d'elle-même, que cette cause, quoique non apparente, n'en est pas moins réelle. 2°. Quoiqu'il n'y ait point de corps qui conserve éternellement son mouvement, parce qu'il y a toûjours des causes qui le ralentissent peu-à-peu, comme le frottement & la résistance de l'air ; cependant nous voyons qu'un corps en mouvement y persiste d'autant plus long-tems, que les causes qui retardent ce mouvement sont moindres : d'où nous pouvons conclure que le mouvement ne finiroit point, si les forces retardatrices étoient nulles.

L'expérience journaliere de la pesanteur semble démentir le premier de ces deux principes. La multitude a peine à s'imaginer qu'il soit nécessaire qu'un corps soit poussé vers la terre pour s'en approcher ; accoûtumée à voir tomber un corps dès qu'il n'est pas soûtenu, elle croit que cette seule raison suffit pour obliger le corps à se mouvoir. Mais une réflexion bien simple peut desabuser de cette opinion. Qu'on place un corps sur une table horisontale ; pourquoi ce corps ne se meut-il pas horisontalement le long de la table, puisque rien ne l'en empêche ? pourquoi ce corps ne se meut-il pas de bas en-haut, puisque rien n'arrête son mouvement en ce sens ? Donc, puisque le corps se meut de haut en-bas, & que par lui-même il est évidemment indifférent à se mouvoir dans un sens plutôt que dans un autre, il y a quelque cause qui le détermine à se mouvoir en ce sens. Ce n'est donc pas sans raison que les Philosophes s'étonnent de voir tomber une pierre ; & le peuple qui rit de leur étonnement, le partage bien-tôt lui-même pour peu qu'il refléchisse.

Il y a plus : la plûpart des corps que nous voyons se mouvoir, ne sont tirés du repos que par l'impulsion visible de quelque autre corps. Nous devons donc être naturellement portés à juger que le mouvement est toûjours l'effet de l'impulsion : ainsi la premiere idée d'un philosophe qui voit tomber un corps, doit être que ce corps est poussé par quelque fluide invisible. S'il arrive cependant qu'après avoir approfondi davantage cette matiere, on trouve que la pesanteur ne puisse s'expliquer par l'impulsion d'un fluide, & que les phénomenes se refusent à cette hypothèse ; alors le philosophe doit suspendre son jugement, & peut-être même doit-il commencer à croire qu'il peut y avoir quelque autre cause du mouvement des corps que l'impulsion ; ou du moins (ce qui est aussi contraire aux principes communément reçûs) que l'impulsion des corps, & sur-tout de certains fluides inconnus, peut avoir des lois toutes différentes de celles que l'expérience nous a fait découvrir jusqu'ici. Voyez ATTRACTION.

Un savant géometre de nos jours (Voyez Euleri opuscula, Berlin, 1746.) prétend que l'attraction, quand on la regarde comme un principe différent de l'impulsion, est contraire au principe de la force d'inertie, & par conséquent ne peut appartenir aux corps ; car, dit ce géometre, un corps ne peut se donner le mouvement à lui-même, & par conséquent ne peut tendre de lui-même vers un autre corps, sans y être déterminé par quelque cause. Il suffit de répondre à ce raisonnement, 1°. que la tendance des corps les uns vers les autres, quelle qu'en soit la cause, est une loi de la nature constatée par les phénomenes. Voyez GRAVITATION. 2°. Que si cette tendance n'est point produite par l'impulsion, ce que nous ne décidons pas, en ce cas la présence d'un autre corps suffit pour altérer le mouvement de celui qui se meut ; & que comme l'action de l'ame sur le corps n'empêche pas le principe de la force d'inertie d'être vrai, de même l'action d'un corps sur un autre, exercée à distance, ne nuit point à la vérité de ce principe, parce que dans l'énoncé de ce principe, on fait abstraction de toutes les causes (quelles qu'elles puissent être) qui peuvent altérer le mouvement du corps, soit que nous puissions comprendre ou non la maniere d'agir de ces forces.

Le même géometre va plus loin ; il entreprend de prouver que la force d'inertie est incompatible avec la faculté de penser, parce que cette derniere faculté entraîne la propriété de changer de soi-même son état : d'où il conclut que la force d'inertie étant une propriété reconnue de la matiere, la faculté de penser n'en sauroit être une. Nous applaudissons au zèle de cet auteur pour chercher une nouvelle preuve d'une vérité que nous ne prétendons pas combattre : cependant à considérer la chose uniquement en philosophes, nous ne voyons pas que par cette nouvelle preuve il ait fait un grand pas en Métaphysique. La force d'inertie n'a lieu, comme l'expérience le prouve, que dans la matiere brute, c'est-à-dire dans la matiere qui n'est point unie à un principe intelligent dont la volonté la meut : ainsi soit que la matiere reçoive par elle-même la faculté de penser (ce que nous sommes bien éloignés de croire), soit qu'un principe intelligent & d'une nature différente lui soit uni, dès-lors elle perdra la force d'inertie, ou, pour parler plus exactement, elle ne paroîtra plus obéir à cette force. Sans-doute il n'est pas plus aisé de concevoir comment ce principe intelligent, uni à la matiere & différent d'elle, peut agir sur elle pour la mouvoir, que de comprendre comment la force d'inertie peut se concilier avec la faculté de penser, que les Matérialistes attribuent faussement aux corps : mais nous sommes certains par la religion, que la matiere ne peut penser ; & nous sommes certains par l'expérience, que l'ame agit sur le corps. Tenons-nous-en donc à ces deux vérités incontestables, sans entreprendre de les concilier.

FORCE VIVE, ou FORCE DES CORPS EN MOUVEMENT ; c'est un terme qui a été imaginé par M. Leibnitz, pour distinguer la force d'un corps actuellement en mouvement, d'avec la force d'un corps qui n'a que la tendance au mouvement, sans se mouvoir en effet : ce qui a besoin d'être expliqué plus au long.

Supposons, dit M. Leibnitz, un corps pesant appuyé sur un plan horisontal. Ce corps fait un effort pour descendre ; & cet effort est continuellement arrêté par la résistance du plan ; de sorte qu'il se réduit à une simple tendance au mouvement. M. Leibnitz appelle cette force & les autres de la même nature, forces mortes.

Imaginons au contraire, ajoûte le même philosophe, un corps pesant qui est jetté de bas en haut, & qui en montant ralentit toûjours son mouvement à cause de l'action de la pesanteur, jusqu'à ce qu'enfin sa force soit totalement perdue, ce qui arrive lorsqu'il est parvenu à la plus grande hauteur à laquelle il peut monter ; il est visible que la force de ce corps se détruit par degrés & se consume en s'exerçant. M. Leibnitz appelle force vive cette derniere force, pour la distinguer de la premiere, qui naît & meurt au même instant ; & en général, il appelle force vive la force d'un corps qui se meut d'un mouvement continuellement retardé & ralenti par des obstacles, jusqu'à ce qu'enfin ce mouvement soit anéanti, après avoir été successivement diminué par des degrés insensibles. M. Leibnitz convient que la force morte est comme le produit de la masse par la vîtesse virtuelle, c'est-à-dire avec laquelle le corps tend à se mouvoir, suivant l'opinion commune. Ainsi pour que deux corps qui se choquent ou qui se tirent directement, se fassent équilibre, il faut que le produit de la masse par la vîtesse virtuelle soit le même de part & d'autre. Or en ce cas, la force de chacun de ces deux corps est une force morte, puisqu'elle est arrêtée tout-à-la-fois & comme en son entier par une force contraire. Donc dans ce cas, le produit de la masse par la vîtesse doit représenter la force. Mais M. Leibnitz soûtient que la force vive doit se mesurer autrement, & qu'elle est comme le produit de la masse par le quarré de la vîtesse ; c'est-à-dire qu'un corps qui a une certaine force lorsqu'il se meut avec une vîtesse donnée, aura une force quadruple, s'il se meut avec une vîtesse double ; une force neuf fois aussi grande, s'il se meut avec une vîtesse triple, &c. & qu'en général, si la vîtesse est successivement 1, 2, 3, 4, &c. la force sera comme 1, 4, 9, 16, &c. c'est-à-dire comme les quarrés des nombres 1, 2, 3, 4 : au lieu que si ce corps n'étoit pas réellement en mouvement, mais tendoit à se mouvoir avec les vîtesses 1, 2, 3, 4, &c. sa force n'étant alors qu'une force morte, seroit comme 1, 2, 3, 4, &c.

Dans le système des adversaires des forces vives, la force des corps en mouvement est toûjours proportionnelle à ce qu'on appelle autrement quantité de mouvement, c'est-à-dire au produit de la masse des corps par la vîtesse ; au lieu que dans le système opposé, elle est le produit de la quantité de mouvement par la vîtesse.

Pour réduire cette question à son énoncé le plus simple, il s'agit de savoir si la force d'un corps qui a une certaine vîtesse, devient double ou quadruple quand sa vîtesse devient double. Tous les Méchaniciens avoient crû jusqu'à M. Leibnitz qu'elle étoit simplement double : ce grand philosophe soûtint le premier qu'elle étoit quadruple ; & il le prouvoit par le raisonnement suivant. La force d'un corps ne se peut mesurer que par ses effets & par les obstacles qu'elle lui fait vaincre. Or si un corps pesant étant jetté de bas en haut avec une certaine vîtesse monte à la hauteur de quinze piés, il doit, de l'aveu de tout le monde, monter à la hauteur de 60 piés, étant jetté de bas en haut avec une vîtesse double, voyez ACCELERATION. Il fait donc dans ce dernier cas quatre fois plus d'effet, & surmonte quatre fois plus d'obstacles : sa force est donc quadruple de la premiere. M. Jean Bernoulli, dans son discours sur les lois de la communication du mouvement, imprimé en 1726, & joint au recueil général de ses oeuvres, a ajoûté à cette preuve de M. Leibnitz une grande quantité d'autres preuves. Il a démontré qu'un corps qui ferme ou bande un ressort avec une certaine vîtesse, peut avec une vîtesse double, fermer quatre ressorts semblables au premier ; neuf avec une vîtesse triple, &c. M. Bernoulli fortifie ce nouvel argument en faveur des forces vives, par d'autres observations très-curieuses & très-importantes, dont nous aurons lieu de parler plus bas, à l'article CONSERVATION DES FORCES VIVES. Cet ouvrage a été l'époque d'une espece de schisme entre les savans sur la mesure des forces.

La principale réponse qu'on a faite aux objections des partisans des forces vives, voyez les mém. de l'académie de 1728, consiste à réduire le mouvement retardé en uniforme, & à soûtenir qu'en ce cas la force n'est que comme la vîtesse : on avoue qu'un corps qui parcourt quinze piés de bas en haut, parcoura soixante piés avec une vîtesse double : mais on dit qu'il parcoura ces soixante piés dans un tems double du premier. Si son mouvement étoit uniforme, il parcouroit dans ce même tems double cent vingt piés, voyez ACCELERATION. Or dans le cas où il parcouroit quinze piés d'un mouvement retardé, il parcouroit trente piés dans le même tems, & soixante piés dans un tems double avec un mouvement uniforme : les effets sont donc ici comme 120 & 60, c'est-à-dire comme 2 & 1 ; & par conséquent la force dans le premier cas n'est que double de l'autre, & non pas quadruple. Ainsi, conclut-on, un corps pesant parcourt quatre fois autant d'espace avec une vîtesse double, mais il le parcourt en un tems double ; & cela équivaut à un effet double & non pas quadruple. Il faut donc, dit-on, diviser l'espace par le tems pour avoir l'effet auquel la force est proportionnelle, & non pas faire la force proportionnelle à l'espace. Les défenseurs des forces vives répondent à cela, que la nature d'une force plus grande est de durer plus longtems ; & qu'ainsi il n'est pas surprenant qu'un corps pesant qui parcourt quatre fois autant d'espace, le parcoure en un tems double : que l'effet réel de la force est de faire parcourir quatre fois autant d'espace : que le plus ou moins de tems n'y fait rien ; parce que ce plus ou moins de tems vient du plus ou moins de grandeur de la force ; & qu'il n'est point vrai de dire, comme il paroît résulter de la réponse de leurs adversaires, que la force soit d'autant plus petite, toutes choses d'ailleurs égales, que le tems est plus grand ; puisqu'au contraire il est infiniment plus naturel de croire qu'elle doit être d'autant plus grande qu'elle est plus long-tems à se consumer.

Au reste, il est bon de remarquer que pour supposer la force proportionnelle au quarré de la vîtesse, il n'est pas nécessaire, selon les partisans des forces vives, que cette force se consume réellement & actuellement en s'exerçant ; il suffit d'imaginer qu'elle puisse être consumée & anéantie peu-à-peu par degrés infiniment petits. Dans un corps mû uniformément, la force n'en est pas moins proportionnelle au quarré de la vîtesse, selon ces Philosophes, quoique cette force demeure toûjours la même ; parce que si cette force s'exerçoit contre des obstacles qui la consumassent par degrés, son effet seroit alors comme le quarré de la vîtesse.

Nous renvoyons nos lecteurs à ce qu'on a écrit pour & contre les forces vives dans les mémoires de l'acad. 1728, dans ceux de Petersbourg, tome I. & dans d'autres ouvrages. Mais au lieu de rappeller ici tout ce qui a été dit sur cette question, il ne sera peut-être pas inutile d'exposer succinctement les principes qui peuvent servir à la résoudre.

Quand on parle de la force des corps en mouvement, ou l'on n'attache point d'idée nette au mot que l'on prononce, ou l'on ne peut entendre par-là en général que la propriété qu'ont les corps qui se meuvent, de vaincre les obstacles qu'ils rencontrent, ou de leur résister. Ce n'est donc ni par l'espace qu'un corps parcourt uniformément, ni par le tems qu'il employe à le parcourir, ni enfin par la considération simple, unique, & abstraite de sa masse & de sa vîtesse, qu'on doit estimer immédiatement la force ; c'est uniquement par les obstacles qu'un corps rencontre, & par la résistance que lui font ces obstacles. Plus l'obstacle qu'un corps peut vaincre, ou auquel il peut résister, est considérable, plus on peut dire que sa force est grande ; pourvû que sans vouloir représenter par ce mot un prétendu être qui réside dans le corps, on ne s'en serve que comme d'une maniere abrégée d'exprimer un fait ; à-peu-près comme on dit, qu'un corps à deux fois autant de vîtesse qu'un autre, au lieu de dire qu'il parcourt en tems égal deux fois autant d'espace, sans prétendre pour cela que ce mot de vîtesse représente un être inhérent au corps.

Ceci bien entendu, il est clair qu'on peut opposer au mouvement d'un corps trois sortes d'obstacles ; ou des obstacles invincibles qui anéantissent tout-à-fait son mouvement, quel qu'il puisse être ; ou des obstacles qui n'ayent précisément que la résistance nécessaire pour anéantir le mouvement du corps, & qui l'anéantissent dans un instant, c'est le cas de l'équilibre ; ou enfin des obstacles qui anéantissent le mouvement peu-à-peu ; c'est le cas du mouvement retardé. Comme les obstacles insurmontables anéantissent également toutes sortes de mouvemens, ils ne peuvent servir à faire connoître la force : ce n'est donc que dans l'équilibre, ou dans le mouvement retardé, qu'on doit en chercher la mesure. Or tout le monde convient qu'il y a équilibre entre deux corps quand les produits de leurs masses par leurs vîtesses virtuelles, c'est-à-dire par les vîtesses avec lesquelles ils tendent à se mouvoir, sont égaux de part & d'autre. Donc dans l'équilibre, le produit de la masse par la vîtesse, ou, ce qui est la même chose, la quantité de mouvement peut représenter la force. Tout le monde convient aussi que dans le mouvement retardé, le nombre des obstacles vaincus est comme le quarré de la vîtesse : en sorte qu'un corps qui a fermé un ressort, par exemple, avec une certaine vîtesse, pourra avec une vîtesse double fermer, ou tout-à-la-fois ou successivement, non pas deux, mais quatre ressorts semblables au premier, neuf avec une vîtesse triple, & ainsi du reste. D'où les partisans des forces vives concluent que la force des corps qui se meuvent actuellement, est en général comme le produit de la masse par le quarré de la vîtesse. Au fond, quel inconvénient pourroit-il y avoir à ce que la mesure des forces fût différente dans l'équilibre & dans le mouvement retardé, puisque si on veut ne raisonner que d'après des idées claires, on doit n'entendre par le mot de force, que l'effet produit en surmontant l'obstacle, ou en lui résistant ? Il faut avoüer cependant, que l'opinion de ceux qui regardent la force comme le produit de la masse par la vîtesse, peut avoir lieu non-seulement dans le cas de l'équilibre, mais aussi dans celui du mouvement retardé, si dans ce dernier cas on mesure la force, non par la quantité absolue des obstacles, mais par la somme des résistances de ces mêmes obstacles. Car cette somme de résistances est proportionnelle à la quantité de mouvement, puisque, de l'aveu général, la quantité de mouvement que le corps perd à chaque instant, est proportionnelle au produit de la résistance par la durée infiniment petite de l'instant ; & que la somme de ces produits est évidemment la résistance totale. Toute la difficulté se réduit donc à savoir si on doit mesurer la force par la quantité absolue des obstacles, ou par la somme de leurs résistances. Il me paroîtroit plus naturel de mesurer la force de cette derniere maniere : car un obstacle n'est tel qu'en tant qu'il résiste ; & c'est, à proprement parler, la somme des résistances qui est l'obstacle vaincu. D'ailleurs en estimant ainsi la force, on a l'avantage d'avoir pour l'équilibre & pour le mouvement retardé une mesure commune : néanmoins, comme nous n'avons d'idée précise & distincte du mot de force, qu'en restraignant ce terme à exprimer un effet, je crois qu'on doit laisser chacun le maître de se décider comme il voudra là-dessus ; & toute la question ne peut plus consister que dans une discussion métaphysique très-futile, ou dans une dispute de mots plus indigne encore d'occuper des Philosophes.

Ce que nous venons de dire sur la fameuse question des forces vives, est tiré de la préface de notre traité de Dynamique, imprimé en 1743, dans le tems que cette question étoit encore fort agitée parmi les Savans. Il semble que les Géometres conviennent aujourd'hui assez unanimement de ce que nous soûtenions alors, que c'est une dispute de mots : & comment n'en seroit-ce pas une, puisque les deux partis sont d'ailleurs entierement d'accord sur les principes fondamentaux de l'équilibre & du mouvement ? En effet, qu'on propose un problème de Dynamique à résoudre à deux géometres habiles, dont l'un soit adversaire & l'autre partisan des forces vives, leurs solutions, si elles sont bonnes, s'accorderont parfaitement entr'elles : la mesure des forces est donc une question aussi inutile à la Méchanique, que les questions sur la nature de l'étendue & du mouvement : sur quoi on peut voir ce que nous avons dit au mot ELEMENS DES SCIENCES, tome V. pag. 493. col. 1. & 2. Dans le mouvement d'un corps nous ne voyons clairement que deux choses ; l'espace parcouru, & le tems qu'il employe à le parcourir. C'est de cette seule idée qu'il faut déduire tous les principes de la Méchanique, & qu'on peut en effet les déduire. Voyez DYNAMIQUE.

Une considération qu'il ne faut pas négliger, & qui prouve bien qu'il ne s'agit ici que d'une question de nom toute pure ; c'est que soit qu'un corps ait une simple tendance au mouvement arrêtée par quelque obstacle, soit qu'il se meuve d'un mouvement uniforme avec la vîtesse que cette tendance suppose, soit enfin que commençant à se mouvoir avec cette vîtesse, son mouvement soit anéanti peu-à-peu par quelque obstacle ; dans tous ces cas, l'effet produit par le corps est différent : mais le corps en lui même ne reçoit rien de nouveau ; seulement son action est différemment appliquée. Ainsi quand on dit que la force d'un corps est dans certains cas comme la vîtesse, dans d'autres comme le quarré de la vîtesse ; on veut dire seulement que l'effet dans certains cas est comme la vîtesse, dans d'autres comme le quarré de cette vîtesse : encore doit-on remarquer que le mot effet est ici lui-même un terme assez vague, & qui a besoin d'être défini avec d'autant plus d'exactitude, qu'il a des sens différens dans chacun des trois cas dont nous venons de parler. Dans le premier, il signifie l'effort que le corps fait contre l'obstacle ; dans le second, l'espace parcouru dans un tems donné & constant ; dans le troisieme, l'espace parcouru jusqu'à l'extinction totale du mouvement, sans avoir d'ailleurs aucun égard au tems que la force a mis à se consumer.

On peut remarquer par tout ce que nous venons de dire, qu'un même corps, selon que sa tendance au mouvement est différemment appliquée, produit différens effets ; les uns proportionnels à sa vîtesse, les autres au quarré de sa vîtesse. Ainsi ce prétendu axiome, que les effets sont proportionnels à leurs causes, est au moins très-mal énoncé, puisque voilà une même cause qui produit différens effets. Il faudroit mettre cette restriction à la proposition dont il s'agit, que les effets sont proportionnels à leurs causes, agissantes de la même maniere. Mais nous avons déjà fait voir aux mots ACCELERATRICE & CAUSE, que ce prétendu axiome est un principe très-vague, très-mal exprimé, absolument inutile à la Méchanique, & capable de conduire à bien des parallogismes, quand on n'en fait pas usage avec précaution.

CONSERVATION DES FORCES VIVES. C'est un principe de Méchanique que M. Huyghens semble avoir apperçû le premier, & dont M. Bernoulli, & plusieurs autres géometres après lui, ont fait voir depuis, l'étendue & l'usage dans la solution des problèmes de Dynamique. Voici quel est ce principe ; il consiste dans les deux lois suivantes.

1°. Si des corps agissent les uns sur les autres, soit en se tirant par des fils ou des verges inflexibles, soit en se poussant, soit en se choquant, pourvû que dans ce dernier cas, ils soient à ressort parfait, la somme des produits des masses par les quarrés des vîtesses fait toûjours une quantité constante. 2°. Si les corps sont animés par des puissances quelconques, la somme des produits des masses par les quarrés des vîtesses à chaque instant, est égale à la somme des produits des masses par les quarrés des vîtesses initiales, plus les quarrés des vîtesses que les corps auroient acquises, si étant animés par les mêmes puissances, ils s'étoient mûs librement chacun sur la ligne qu'il a décrite.

Nous avons dit soit en se poussant, soit en se choquant, & nous distinguons la pulsion d'avec le choc, parce que la conservation des forces vives a lieu dans les mouvemens des corps qui se poussent, pourvû que ces mouvemens ne changent que par degrés insensibles, ou plutôt infiniment petits ; au lieu qu'elle a lieu dans les corps élastiques qui se choquent, dans le cas même où le ressort agiroit en un instant indivisible, & les feroit passer sans gradation d'un mouvement à un autre.

M. Huyghens paroît être le premier qui ait apperçu cette loi de la conservation des forces vives dans le choc des corps élastiques. Il paroît aussi avoir connu la loi de la conservation des forces vives dans le mouvement des corps qui sont animés par des puissances. Car le principe dont il se sert pour résoudre le problême des centres d'oscillation, n'est autre chose que la seconde loi exprimée autrement. M. Jean Bernoulli dans son discours sur les lois de la communication du mouvement dont nous avons parlé, a développé & étendu cette découverte de M. Huyghens, & il n'a pas oublié de s'en servir pour prouver son opinion sur la mesure des forces, à laquelle il croit ce principe très-favorable, puisque dans l'action mutuelle de deux corps, ce n'est presque jamais la somme des produits des masses par les vîtesses qui fait une somme constante, mais la somme des produits des masses par les quarrés des vîtesses. Descartes croyoit que la même quantité de force devoit toûjours subsister dans l'univers, & en conséquence il prétendoit faussement que le mouvement ne pouvoit pas se perdre, parce qu'il supposoit la force proportionnelle à la quantité de mouvement. Ce philosophe n'auroit peut-être pas été éloigné d'admettre la mesure des forces vives par les quarrés des vîtesses, si cette idée lui fût venue dans l'esprit. Cependant si on fait attention à ce que nous avons dit ci-dessus sur la notion qu'on doit attacher au mot de force, il semble que cette nouvelle preuve en faveur des forces vives, ou ne présente rien de net à l'esprit, ou ne lui présente qu'un fait & une vérité avoués de tout le monde.

Dans mon traité de Dynamique imprimé en 1743, j'ai démontré le principe de la conservation des forces vives dans tous les cas possibles ; & j'ai fait voir qu'il dépend de cet autre principe, que quand des puissances se font équilibre, les vîtesses virtuelles des points où elles sont appliquées, estimées suivant la direction de ces puissances, sont en raison inverse de ces mêmes puissances. Ce dernier principe est reconnu depuis long-tems par les Géometres pour le principe fondamental de l'équilibre, ou du moins pour une conséquence nécessaire de l'équilibre.

M. Daniel Bernoulli dans son excellent ouvrage intitulé Hydrodynamica, a appliqué le premier au mouvement des fluides le principe de la conservation des forces vives, mais sans le démontrer. J'ai publié à Paris en 1744, un traité de l'équilibre & du mouvement des fluides, où je crois avoir démontré le premier la conservation des forces vives dans le mouvement des fluides. C'est aux savans à juger si j'y ai réussi. Je crois aussi avoir prouvé que M. Daniel Bernoulli s'est servi quelquefois du principe de la conservation des forces vives dans certains cas où il n'auroit pas dû en faire usage. Ce sont ceux où la vîtesse du fluide ou d'une partie du fluide change brusquement & sans gradation, c'est-à-dire sans diminuer par des degrés insensibles. Car le principe de la conservation des forces vives n'a jamais lieu lorsque les corps qui agissent les uns sur les autres passent subitement d'un mouvement à un mouvement différent, sans passer par les degrés de mouvement intermédiaires, à-moins que les corps ne soient supposés à ressort parfait. Encore dans ce cas le changement ne s'opere-t-il que par des degrés infiniment petits ; ce qui le fait rentrer dans la regle générale. Voyez HYDRODINAMIQUE & FLUIDE.

Dans les mém. de l'académie des Sciences de 1742, M. Clairaut a démontré aussi d'une maniere particuliere le principe de la conservation des forces vives ; & je dois remarquer à ce sujet, que quoique le mémoire de M. Clairaut soit imprimé dans le vol. de 1742, & que mon traité de Dynamique n'ait paru qu'en 1743, cependant ce mémoire & ce traité ont été présentés tous deux le même jour à l'académie.

On peut voir par différens mémoires répandus dans les volumes des académies des Sciences de Paris, de Berlin, de Petersbourg, combien le principe de la conservation des forces vives facilite la solution d'un grand nombre de problêmes de Dynamique ; nous croyons même qu'il a été un tems où on auroit été fort embarrassé de résoudre plusieurs de ces problêmes sans employer ce principe ; & il me semble, si une prévention trop favorable pour mon propre travail ne m'en impose point, que j'ai donné le premier dans mon traité de Dynamique une méthode générale & directe pour résoudre toutes les questions imaginables de ce genre, sans y employer le principe de la conservation des forces vives, ni aucun autre principe indirect & secondaire. Cela n'empêche pas que je ne convienne de l'utilité de ces derniers principes pour faciliter, ou plutôt pour abréger en certains cas les solutions, sur-tout lorsqu'on aura eu soin de démontrer auparavant ces mêmes principes.

Du rapport de la force vive avec l'action. Nous avons vû au mot COSMOLOGIE, que les partisans modernes des forces vives avoient imaginé l'action comme le produit de la masse par l'espace & par la vîtesse, ou ce qui revient au même, comme le produit de la masse par le quarré de la vîtesse & par le tems ; car dans le mouvement uniforme tel qu'on le suppose ici, l'espace est le produit de la vîtesse par le tems. Voyez VITESSE.

Nous avons dit aussi aux mots ACTION & COSMOLOGIE, que cette définition de l'action prise en elle-même, est absolument arbitraire ; cependant nous craignons que les partisans modernes des forces vives n'ayent prétendu attacher par cette définition quelque réalité à ce qu'ils appellent action. Car selon eux la force instantanée d'un corps en mouvement, est le produit de la masse par le quarré de la vîtesse ; & ils paroissent avoir regardé l'action comme la somme des forces instantanées, puisqu'ils font l'action égale au produit de la force vive par le tems. On peut voir sur cela un mémoire, d'ailleurs assez médiocre, du feu professeur Wolf, inséré dans le I. volume de Petersbourg ; & l'on se convaincra que ce professeur croyoit en effet avoir fixé dans ce mémoire la véritable notion de l'action ; mais il est aisé de voir que cette notion, quand on voudra la regarder autrement que comme une définition de nom, est tout-à-fait chimérique & en elle-même & dans les principes des partisans des forces vives ; 1°. en elle-même, parce que dans le mouvement uniforme d'un corps, il n'y a point de résistance à vaincre, ni par conséquent d'action à proprement parler ; 2°. dans les principes des partisans des forces vives, parce que selon eux, la force vive est celle qui se consume, ou qu'on suppose pouvoir se consumer en s'exerçant. Il n'y a donc proprement d'action que lorsque cette force se consume réellement en agissant contre des obstacles. Or dans ce cas, selon les défenseurs même des forces vives, le tems doit être compté pour rien, parce qu'il est de la nature d'une force plus grande d'être plus long-tems à s'anéantir. Pourquoi donc veulent-ils faire entrer le tems dans la considération de l'action ? L'action ne devroit être dans leurs principes que la force vive même en tant qu'elle agit contre des obstacles ; & cette maniere de la considérer ne doit rien changer à sa mesure, puisque selon eux cette force n'est regardée comme proportionnelle au quarré de la vîtesse, qu'autant qu'on suppose cette force anéantie insensiblement par des obstacles contre lesquels elle agit.

Reconnoissons donc que cette définition de l'action donnée par les partisans des forces vives est purement arbitraire, & même peu conforme à leurs principes. A l'égard de ceux qui comme M. de Maupertuis, n'ont point pris de parti dans la dispute des forces vives, on ne peut leur contester la définition de l'action, sur-tout lorsqu'ils paroissent la donner comme une définition de nom ; M. de Maupertuis dit lui-même à la page 26 du premier volume de ses nouvelles oeuvres imprimées à Lyon ; Ce que j'ai appellé action, il auroit peut-être mieux valu l'appeller force ; mais ayant trouvé ce mot tout établi par Leibnitz & par Wolf, pour exprimer la même idée, & trouvant qu'il y répond bien, je n'ai pas voulu changer les termes. Ces paroles semblent faire connoître que M. de Maupertuis, quoiqu'il croye que l'action peut être représentée par le produit du quarré de la vîtesse & du tems, croit en même tems qu'on pourroit attacher à ce mot une autre notion ; à quoi nous ajoûterons relativement aux articles ACTION & COSMOLOGIE, que quand il regarde l'action envisagée sous ce point de vûe, comme la dépense de la nature, ce mot de dépense ne doit point sans-doute être pris dans un sens métaphysique & rigoureux, mais dans un sens purement mathématique, c'est-à-dire pour une quantité mathématique, qui dans plusieurs cas est égale à un minimum.

Par les mêmes raisons, je crois qu'on peut adopter également toute autre définition de l'action, par exemple celle que M. d'Arcy en a donnée dans les Mém. de l'acad. des Sciences de 1747 & 1752, pourvû (ce qui ne contredit en rien les principes de M. d'Arcy) qu'on regarde aussi cette définition comme une simple définition de nom. On peut dire dans un sens avec M. d'Arcy, que l'action d'un système de deux corps égaux qui se meuvent en sens contraire avec des vîtesses égales, est nulle, parce que l'action qui feroit équilibre à la somme de ces actions seroit nulle ; mais on peut aussi dans un autre sens regarder l'action de ce système comme la somme des actions séparées, & par conséquent comme réelle. Ainsi on peut regarder comme très-réelle l'action de deux boulets de canon qui vont en sens contraires. Au reste M. d'Arcy remarque avec raison que la conservation de l'action, prise dans le sens qu'il lui donne, a lieu en général dans le mouvement des corps qui agissent les uns sur les autres, & il s'est servi avantageusement de ce principe pour faciliter la solution de plusieurs problèmes de Dynamique *.

Comme l'idée qu'on attache ordinairement au mot action suppose de la résistance à vaincre, & que nous ne pouvons avoir d'idée de l'action que par son effet, j'ai cru pouvoir définir l'action dans l'Encyclopédie, en disant qu'elle est le mouvement qu'un corps produit, ou qu'il tend à produire dans un autre corps. Un auteur qui m'est inconnu prétend dans les mém. de l'acad. de Berlin de 1753, que cette définition est vague. Je ne sai s'il a prétendu m'en faire un reproche ; en tout cas, je l'invite à nous donner une définition mathématique de l'action qui représente d'une maniere plus exacte & plus précise, non la notion métaphysique du mot action, qui est une chimere, mais l'idée qu'on attache vulgairement à ce mot.

Tout ce que nous venons de dire sur l'action avoit un rapport nécessaire au mot force, & peut être regardé comme un supplément aux mots ACTION & COSMOLOGIE, auxquels nous renvoyons.

Réflexions sur la nature des forces mortes, & sur leurs différentes especes. En adoptant comme une simple définition de nom l'idée que les défenseurs des forces vives nous donnent de la force morte, on peut distinguer deux sortes de forces mortes ; les unes cessent d'exister dès que leur effet est arrêté, comme il arrive dans le cas de deux corps durs égaux qui se choquent directement en sens contraires avec des vîtesses égales. La seconde espece de forces mortes renferme celles qui périssent & renaissent à chaque instant, ensorte que si on supprimoit l'obstacle, elles auroient leur plein & entier effet ; telle est celle de deux ressorts bandés, tandis qu'ils agissent l'un contre l'autre ; telle est encore celle de la pesanteur. Voyez la fin de l'article EQUILIBRE, (Méchan.) où nous avons remarqué que le mot équilibre ne convient proprement qu'à l'action mutuelle de cette derniere sorte de forces mortes.

Cette distinction entre les forces mortes nous donnera lieu d'en faire encore une autre : ou la force morte est telle qu'elle produiroit une vîtesse finie, s'il n'y avoit point d'obstacle ; ou elle est telle que l'obstacle ôté, il n'en résulteroit d'abord qu'une vîtesse infiniment petite, ou pour parler plus exactement, que le corps commenceroit son mouvement par zéro de vîtesse, & augmenteroit ensuite cette vîtesse par degrés. Le premier cas est celui de deux corps égaux qui se choquent, ou qui se poussent, ou qui se tirent en sens contraire avec des vîtesses égales & finies ; le second est celui d'un corps pesant qui est appuyé sur un plan horisontal. Ce plan ôté, le corps descendra ; mais il commencera à descendre avec une vîtesse nulle, & l'action de la pesanteur fera croître ensuite à chaque instant cette vîtesse ; c'est du moins ainsi qu'on le suppose. Voyez ACCELERATION & DESCENTE. De-là les Méchaniciens ont conclu que la force de la percussion étoit infiniment plus grande que celle de la pesanteur, puisque la premiere est à la seconde comme une vîtesse finie est à une vîtesse infiniment petite, ou plutôt à zéro ; & par-là ils ont expliqué pourquoi un poids énorme qui charge un clou à moitié enfoncé dans une table ne fait pas avancer ce clou, tandis que souvent une percussion assez legere produit cet effet. Sur quoi voyez l'article PERCUSSION.

FORCES ACCELERATRICES. Les forces mortes prises dans le dernier sens, deviennent des forces accélératrices ou retardatrices, lorsqu'elles sont en pleine liberté de s'exercer ; car alors leur action continuée, ou accélere le mouvement, ou le retarde, si elle agit en sens contraire. Voyez ACCELERATRICE. Mais cette maniere de considérer les forces accélératrices paroît sujette à de grandes difficultés. En effet, pourra-t-on dire, si le mouvement produit par une force accélératrice quelconque, comme la pesanteur, commence par zéro de vîtesse, pourquoi un corps pesant soûtenu par un fil fait-il éprouver quelque résistance à celui qui le soûtient ? Il devroit être absolument dans le même cas qu'un corps placé sur un plan horisontal, & attaché à un fil aussi horisontal à l'extrémité duquel on placeroit une puissance. Cette puissance n'auroit aucun effort à faire pour retenir le corps, parce que ce corps est en repos, ou ce qui revient

* Je crois m'être expliqué avec beaucoup d'exactitude sur la question de la moindre action à l'article COSMOLOGIE. L'espece de reproche qu'on semble m'avoir fait du contraire dans les mém. de l'Académie de 1752, disparoîtra entierement si on veut bien lire avec attention cet article & le mot CAUSES FINALES. Par exemple, en parlant du levier dans cet article COSMOLOGIE, je me suis exprimé ainsi, l'application & l'usage du principe ne comportent pas une généralité plus grande ; & au mot CAUSES FINALES, j'ai remarqué que le chemin de la réflexion est souvent (& non pas toûjours) un maximum dans les miroirs concaves.

au même, parce que la vîtesse avec laquelle il tend à se mouvoir est zéro. Or si la premiere vîtesse avec laquelle un corps pesant tend à se mouvoir est aussi égale à zéro comme on le suppose, pourquoi l'effort qu'il faut faire pour le retenir n'est-il pas absolument nul ? Ce corps en descendant prendra sans-doute une vîtesse finie au bout d'un tems quelconque, mais l'effort qu'on fait pour le soûtenir n'agit pas contre la vîtesse qu'il prendra, il agit contre celle avec laquelle il tend actuellement à se mouvoir, c'est-à-dire contre une vîtesse nulle. En un mot, un corps pesant soûtenu par un fil tend à se mouvoir horisontalement & verticalement avec zéro de vîtesse ; d'où vient donc faut-il un effort pour l'empêcher de se mouvoir verticalement, & n'en faut-il point pour l'empêcher de se mouvoir horisontalement ? On ne peut répondre à cette objection que de deux manieres, dont ni l'une ni l'autre n'est capable de satisfaire pleinement.

On peut dire en premier lieu que l'on a tort de supposer que la vîtesse initiale d'un corps qui descend soit zéro absolu ; que cette vîtesse est finie quoique très-petite, & aussi petite qu'on voudra le supposer ; qu'il paroît difficile de concevoir comment une vîtesse qui a commencé par zéro absolu deviendroit ensuite réelle ; comment une puissance dont le premier effet est zéro de mouvement, pourroit produire un mouvement réel par la succession du tems ; que la pesanteur est une force du même genre que la force centrifuge, ainsi qu'on le verra dans la suite de cet article ; & que cette derniere force telle qu'elle a lieu dans la nature, n'est point une force infiniment petite, mais une force finie très-petite, les corps qui se meuvent suivant une courbe, ne décrivant point réellement des courbes rigoureuses, mais des courbes polygones, composées d'une quantité finie, mais très-grande, de petites lignes droites contigues entr'elles à angles très-obtus. Voilà la premiere réponse.

Sur quoi je remarque, 1°. que s'il est difficile & peut-être impossible de comprendre comment une force qui a commencé par produire dans un corps zéro de vîtesse, peut par des coups successifs & réitérés à l'infini, produire dans ce corps une vîtesse finie, on ne comprend pas mieux comment un solide est formé par le mouvement d'une surface sans profondeur, comment une suite de points indivisibles peut former l'étendue, comment une succession d'instans indivisibles forme le tems, comment même des points & des instans indivisibles se succedent, comment un atome en repos dans un point quelconque de l'espace peut être transporté dans un point différent ; comment enfin l'ordonnée d'une courbe qui est zéro au sommet, devient réelle par le seul transport de cette ordonnée le long de l'abscisse : toutes ces difficultés & d'autres semblables, tiennent à l'essence toûjours inconnue & toûjours incompréhensible du mouvement, de l'étendue & du tems. Ainsi, comme elles ne nous empêchent point de reconnoître la réalité de l'étendue, du tems & du mouvement, la difficulté proposée contre le passage de la vîtesse nulle à la vîtesse finie, ne doit pas non plus être regardée comme décisive. 2°. Sans-doute la force centrifuge, soit dans les courbes rigoureuses, soit dans les courbes considérées comme des polygones infinis, est comparable, quant à ses effets, à la pesanteur : mais pourquoi veut-on qu'aucune portion de courbe décrite par un corps dans la nature, ne soit rigoureuse, & que toutes soient des polygones d'un nombre de côtés fini, mais très-grand ? Ces côtés en nombre fini, & très-petits, seroient des lignes droites parfaites. Or pourquoi trouve-t-on moins de difficulté à supposer dans la nature des lignes droites parfaites très-petites, que des lignes courbes parfaites aussi très-petites ? Je ne vois point la raison de cette préférence, la rectitude absolue étant aussi difficile à concevoir dans une portion d'étendue si petite qu'on voudra, que la courbure absolue. 3°. Et c'est ici la difficulté principale à la 1re réponse, si la nature de la force accélératrice est de produire au 1er instant une vîtesse très-petite, cette force agissant à chaque instant pendant un tems fini, produiroit donc au bout de ce tems une vîtesse infinie ; ce qui est contre l'expérience. On dira peut-être que la nature de la pesanteur n'est point d'agir à chaque instant, mais de donner de petits coups finis qui se succedent comme par secousses dans des intervalles de tems finis, quoique très-petits : mais on sent bien que cette supposition est purement arbitraire ; & pourquoi la pesanteur agiroit-elle ainsi par secousses & non pas par un effort continu & non-interrompu ? On ne pourroit tout-au-plus admettre cette hypothése que dans le cas où l'on regarderoit la pesanteur comme l'effet de l'impulsion d'un fluide ; & l'on sait combien il est douteux que la pesanteur vienne d'une pareille impulsion, puisque jusqu'ici les phénomenes de la pesanteur n'ont pû s'en déduire, ou même y paroissent contraires. Voyez PESANTEUR, GRAVITE & GRAVITATION. On voit par toutes ces réflexions, que la premiere réponse à la difficulté que nous avons proposée sur la nature des forces accélératrices, est elle-même sujette à des difficultés considérables.

On pourroit dire en second lieu pour répondre à cette difficulté, qu'à la vérité un corps pesant, ou tout autre corps mû par une force accélératrice quelconque, doit commencer son mouvement par zéro de vîtesse ; mais que ce corps n'en est pas moins en disposition de se mouvoir verticalement si rien ne l'en empêche ; au lieu qu'il n'a aucune disposition à se mouvoir horisontalement ; qu'il y a par conséquent dans ce corps un nisus, une tendance au mouvement vertical, qu'il n'a point pour le mouvement horisontal ; que c'est ce nisus, cette tendance qu'on a à soûtenir dans le premier cas, & qu'on n'a point à soûtenir dans le second ; qu'elle ne peut être contre-balancée que par un nisus, une tendance pareille ; que l'effort que l'on fait pour soûtenir un poids, est de même nature que la pesanteur ; que cet effort produiroit, à la vérité, au premier instant une vîtesse infiniment petite, mais qu'il est très-différent d'un effort nul, parce qu'un effort nul ne produiroit aucun mouvement, & que l'effort dont il s'agit en produiroit un fini, au bout d'un tems fini. Cette seconde réponse n'est guere plus satisfaisante que l'autre ; car qu'est-ce qu'un nisus au mouvement, qui ne produit pas une vîtesse finie dans le premier instant ? Quelle idée se former d'un pareil effort ? D'ailleurs pourquoi l'effort qu'il faut faire pour soûtenir un grand poids, est-il beaucoup plus considérable que celui qu'il faut faire pour arrêter une boule de billard qui se meut avec une vîtesse finie ? Il semble au contraire que ce dernier devroit être beaucoup plus grand, si en effet la force de la pesanteur étoit nulle par rapport à celle de la percussion.

Il résulte de tout ce que nous venons de dire, que la difficulté proposée mérite l'attention des Physiciens & des Géometres. Nous les invitons à chercher des moyens de la résoudre plus heureusement que nous ne venons de faire, supposé qu'il soit possible d'en trouver.

Lois des forces accélératrices, & maniere de les comparer. Quoiqu'il en soit de ces réflexions sur la nature des forces accélératrices, il est au-moins certain dans le sens qu'on l'a expliqué au mot ACCELERATRICE, que si on appelle la force accélératrice d'un corps, d t l'élément du tems, d u celui de la vîtesse, on aura d t = d u ; & si la force est retardatrice, au lieu d'être accélératrice, on aura d t = - d u, parce qu'alors t croissant, u diminue ; sur quoi voyez mon traité de Dynamique, articles 19 & 20. Or nommant e l'espace parcouru, on a u = (voyez VITESSE) ; donc l'équation d t ± d u, donne aussi celle-ci d t2 = ± d d e ; c'est-a-dire que les petits espaces que fait parcourir à chaque instant une force accélératrice ou retardatrice, sont entr'eux comme les quarrés des tems.

Cette équation d t2 = ± d d e, ou, ce qui revient au même, l'équation d t = ± d u n'est point un principe de méchanique, comme bien des auteurs le croyent, mais une simple définition ; la force accélératrice ne se fait connoître à nous que par son effet : cet effet n'est autre chose que la vîtesse qu'elle produit dans un certain tems ; & quand on dit, par exemple, que la force accélératrice d'un corps est réciproquement proportionnelle au quarré de la distance, on veut dire seulement que est réciproquement proportionnel à ce quarré ; ainsi n'est que l'expression abregée de , & le second membre de l'équation qui exprime la valeur de . Voyez l'article ACCELERATRICE & mon traité de Dynamique déjà cités.

L'équation = fait voir que pendant un instant l'effet de toute force accéleratrice quelconque est comme le quarré du tems ; car la quantité variable pouvant être censée constante pendant un instant, est donc constant pendant cet instant, & par conséquent d d e est comme d t2. Ainsi pendant un instant quelconque les petits espaces qu'une force accélératrice quelconque fait parcourir, sont entr'eux comme les quarrés des tems ou plutôt des instans correspondans ; toute cause accélératrice agit donc dans un instant de la même maniere & suivant les mêmes lois que la pesanteur agit dans un tems fini ; car les espaces que la pesanteur fait parcourir sont comme les quarrés des tems. Voyez ACCELERATION & DESCENTE. Donc si on nomme a l'espace que la pesanteur p feroit parcourir pendant un tems quelconque

, on aura p : : : : , & par conséquent = ; formule générale pour comparer avec la pesanteur p une force accélératrice quelconque .

Mais il y a sur cette formule une remarque importante à faire ; elle ne doit avoir lieu que quand on regarde comme courbe rigoureuse la courbe qui auroit les tems t pour abscisses & les espaces e pour ordonnées ; ou, ce qui revient au même, qui représenteroit par l'équation entre ses coordonnées l'équation entre e & t. Voyez EQUATION. Car si on regarde cette courbe comme polygone, alors d d e prise à la maniere ordinaire du calcul différentiel aura une valeur double de celle qu'elle a dans la courbe rigoureuse, & par conséquent il faudra supposer = , afin de conserver à la même valeur. Voyez sur cela les mots COURBE POLYGONE & DIFFERENTIEL, page 988. col. 1. C'étoit faute d'avoir fait cette attention, que le célebre M. Newton s'étoit trompé sur la mesure des forces centrales dans la premiere édition de ses Principes ; M. Bernoulli l'a prouvé dans les mémoires de l'académie des Sciences de 1711 ; on faisoit alors en Angleterre une nouvelle édition des principes de M. Newton ; & ce grand homme se corrigea sans répondre. Pour mieux faire sentir par un exemple simple combien cette distinction entre les deux équations est nécessaire, je suppose constante & égale à p ; on aura donc d d t = par la premiere équation ; & en intégrant e = . Donc si t est =

, on auroit e = a /2 ; ce qui est contre l'hypothèse, puisqu'on a supposé que a est l'espace décrit dans le tems

, & que par conséquent si t =

, on aura e = a ; au contraire en faisant d d e = , on trouvera, comme on le doit, e = a. Cette remarque est très-essentielle pour éviter bien des parallogismes.

L'équation d t = d u, donne d e = u d u, à cause de d t = ; donc u u = 2 d e ; autre équation entre les vîtesses & les espaces pour les forces accélératrices. Donc si, par exemple, est constant, on aura u u = 2 e ; c'est l'équation entre les espaces & les vîtesses, dans le mouvement des corps que la pesanteur anime.

FORCES CENTRALES & CENTRIFUGES. Nous avons donné la définition des forces centrales au mot CENTRAL *, & nous y renvoyons, ainsi qu'à la division des forces centrales en centripetes & centrifuges, selon qu'elles tendent à approcher ou à éloigner le corps du point fixe ou mobile auquel on rapporte l'action de la force centrale. Ce même mot de force centrifuge signifie encore plus ordinairement cette force par laquelle un corps mû circulairement tend continuellement à s'éloigner du centre du cercle qu'il décrit. Cette force se manifeste aisément à nos sens dans le mouvement d'une fronde ; car nous sentons que la fronde est d'autant plus tendue par la pierre, que cette pierre est tournée avec plus de vîtesse ; & cette tension suppose dans la pierre un effort pour s'éloigner de la main, qui est le centre du cercle que la pierre décrit. En effet la pierre mue circulairement tend continuellement à s'échapper par la tangente, en vertu de la force d'inertie, comme on l'a prouvé au mot CENTRIFUGE. Or l'effort pour s'échapper par la tangente, tend à éloigner le corps du centre, comme cela est évident, puisque si le corps s'échappoit par la tangente, il s'éloigneroit toûjours de plus en plus de ce même centre. Donc l'effort de la pierre, pour s'échapper par la tangente, doit tendre la fronde. Veut-on le voir d'une maniere encore plus distincte ? Le corps arrivé au point A (fig. 24. Méchaniq.) tend à se mouvoir par la tangente ou portion de tangente infiniment petite A D. Or par le principe de la décomposition des forces (voyez DECOMPOSITION & COMPOSITION), on peut regarder ce mouvement suivant A D comme composé de deux mouvemens, l'un suivant l'arc A E du cercle, l'autre suivant la ligne E D, qu'on peut supposer dirigée au centre. De ces deux mouvemens, le corps ne conserve que le mouvement suivant A E ; donc le mouvement suivant E D est détruit ; & comme ce mouvement est dirigé du centre à la circonférence, c'est en vertu de la tendance à ce mouvement que la fronde est bandée.

Un corps qui se meut sur toute autre courbe que sur un cercle, fait effort de même à chaque instant pour s'échapper par la tangente ; ainsi on a nommé en général cet effort force centrifuge, quelle que soit la courbe que le corps décrit.

Pour calculer la force centrifuge d'un corps sur une courbe quelconque, il suffit de la savoir calculer dans un cercle ; car une courbe quelconque peut être regardée comme composée d'une infinité d'arcs de cercle, dont les centres sont dans la développée. Voyez DEVELOPPEE & OSCULATEUR. Ainsi connoissant la loi des forces centrifuges dans le cercle, on connoîtra celle des forces centrifuges dans une courbe quelconque. Or il est facile de calculer la force centrifuge dans un cercle ; car suivant ce que nous avons

* N. B. Dans cet article, N°. 12. au lieu de raison inverse de la triplée, il faut lire raison sous-doublée de la triplée ; & N°. 13. à la fin, il faut lire sinus pour cosinus.

dit ci-dessus, si on nomme la force centrifuge, & d t le tems employé à parcourir A E ou D E (fig. 24. Méchaniq.), on aura : p : : , en regardant le cercle comme rigoureux. Or dans cette hypothése on a D E = par la propriété du cercle ; donc = .

Dans le cercle polygone on a D E = ; parce que regardant A D comme le prolongement d'un petit côté du cercle, on a D E : A E : : A E est au rayon ; & dans cette même hypothése on a : p : : : ; donc on aura = = ; équation qui est la même que la précédente. On voit donc qu'en s'y prenant bien, la valeur de la force centrifuge se trouve la même dans les deux cas.

Si on appelle u la vîtesse du corps, & si on suppose u égale à la vîtesse que le corps auroit acquise en tombant de la hauteur h, en vertu de la pesanteur p, on aura u u = 2 p h. Voyez ACCELERATION, PESANTEUR, & ce que nous avons dit ci-dessus à l'occasion de l'équation d e = u d u. De plus on aura par la même raison pour la vîtesse que le corps acquerroit en tombant de la hauteur a pendant le tems

; & comme cette vîtesse feroit parcourir uniformément l'espace 2 a pendant le même tems

(voyez ACCELERATION & DESCENTE), on aura A E : 2 a : : u d t :

: : d t :

; donc = = ; donc = ; donc = x = ; & voilà la démonstration du théorème que nous avons donné d'après M. Huyghens au mot CENTRAL ; car on aura : p : : 2 h : . On peut voir les conséquences de ce théorème au même mot CENTRAL.

On lit dans certains ouvrages que la force centrifuge est égale au quarré de la vîtesse divisé par le rayon, & dans d'autres qu'elle est égale au quarré de la vîtesse divisé par le diametre : cette différence d'expressions ne doit point surprendre ; car le mot égale ne signifie ici que proportionnelle, comme on l'a expliqué dans l'article EQUATION ; cela signifie donc seulement que les forces centrifuges dans deux cercles différens sont comme les quarrés des vîtesses divisés par les rayons, ou ce qui est la même chose, par les diametres. Voyez le mot EQUATION à la fin.

Au reste la raison de cette différence apparente de valeur que les auteurs de Méchanique ont donnée à la force centrifuge, vient de ce qu'ayant pris la ligne D E pour représenter la force centrifuge, le tems d t étant constant, les uns ont considéré D E dans la courbe polygone, les autres dans la courbe rigoureuse. Dans le premier cas D E = A E2 divisé par le rayon ; & dans le second D E = A E2 divisé par le diametre. Or A E est ici comme la vîtesse, puisqu'on suppose d t constant ; donc au lieu de A E2, on peut mettre le quarré de la vîtesse. Donc, &c. Ces différentes observations contribueront beaucoup à éclaircir ce que les différens auteurs ont écrit sur les forces centrales & centrifuges.

Puisque 2 p h = u u, & que (A B) /2 est le rayon du cercle, il s'ensuit que si on fait ce rayon = r, on aura = , soit que u & r soient constans, ou non ; c'est-à-dire que l'équation = , ou = , aura lieu dans toutes les courbes, u étant la vîtesse en un point quelconque, & r le rayon de la développée. Remarquez que la force centrifuge est ici supposée dirigée par rapport au centre du cercle osculateur, qui est le point où le rayon osculateur touche la développée. Si on veut que la force, centrifuge ou centrale, soit dirigée vers un autre point quelconque, soit F cette nouvelle force, soit k le cosinus de l'angle que le rayon mené à ce point fait avec le rayon osculateur ; alors regardant la force comme composée de la force F, & d'une autre force dirigée suivant la courbe, on trouvera facilement par le principe de la décomposition des forces, F : : : 1 : k, en prenant 1 pour le sinus total ; donc F = ; donc F = : c'est la formule générale des forces centrales & centrifuges dans une courbe quelconque.

Qu'on nous permette à ce sujet une réflexion philosophique sur les progrès de l'esprit humain. Huyghens a découvert la loi des forces centrales dans le cercle ; le même géometre a découvert la théorie des développées. L'on vient de voir qu'en réunissant ces deux théories, on en tiroit par un corollaire très-facile la loi des forces centrales dans une courbe quelconque : cependant Huyghens n'a pas fait ce dernier pas qui paroît aujourd'hui si simple ; & cela est d'autant plus étonnant, que les deux pas qu'il avoit faits étoient beaucoup plus difficiles. Newton, en généralisant la théorie de Huyghens, a trouvé le théorème général des forces centrales qui l'a conduit au vrai système du monde ; comme il a trouvé le calcul différentiel, en ne faisant que généraliser la méthode de Barrow pour les tangentes ; méthode qui étoit, pour ainsi dire, infiniment proche du calcul différentiel. C'est ainsi que les corollaires les plus simples des vérités connues, qui ne consistent qu'à rapprocher ces vérités, échappent souvent à ceux qui sembleroient avoir le plus de facilité & de droit de les déduire ; & rien n'est plus propre que l'exemple dont on vient de faire mention, pour confirmer les réflexions que nous avons faites sur ce point au mot DECOUVERTE.

Dans la formule que nous avons donnée ci-dessus pour les forces centrales, nous faisons abstraction de la masse du corps ; & si on veut faire attention à cette masse, il est évident qu'il faudra multiplier l'expression de la force centrale par la masse du corps ; ou ce qui peut-être est encore plus simple, au lieu de regarder p comme la pesanteur, on regardera cette quantité comme le poids du corps, qui n'est autre chose que le produit de la pesanteur ou gravité par la masse. Nous faisons cette remarque, afin qu'on ne soit point embarrassé à la lecture de l'article CENTRAL, par la considération de la masse que nous avons fait entrer dans le calcul des forces dont il s'agit.

Ajoûtons que si on veut une autre expression de la force centrifuge , que celle que nous avons donnée, on peut se servir de celles-ci qui seront commodes en plusieurs cas.

On a trouvé = ; or comme le cercle est supposé décrit uniformément, on peut, au lieu de , mettre un arc quelconque fini A divisé par le tems t employé à le parcourir ; donc on aura = .

Si on fait t = , ce qui est permis, on aura = . De plus, si on nomme l la longueur d'un pendule qui fait une vibration dans le tems

, & 2 le rapport de la circonference au rayon, on aura 2 l = 2 a. Voyez PENDULE & VIBRATION. Donc = , ce qui est permis, on auroit = .

C'est par ces formules qu'on trouve le rapport de la force centrifuge à la pesanteur sous l'équateur. Voyez PESANTEUR & GRAVITE.

FORCE MOTRICE, est la cause qui meut un corps. Après tout ce que nous avons dit dans cet article sur la notion du mot force, il est évident que la force motrice ne peut se définir que par son effet, c'est-à-dire par le mouvement qu'elle produit.

FORCE MOUVANTE, est proprement la même chose que force motrice ; cependant on ne se sert guere de ce mot que pour désigner des forces qui agissent avec avantage par le moyen de quelque machine. Ainsi on appelle parmi nous forces mouvantes, ce que d'autres appellent puissances méchaniques. Ce sont les machines simples dont on fait mention dans les élémens de Statique, & de la combinaison desquelles on compose toutes les autres machines ; savoir le levier, le plan incliné, la vis, le coin, la poulie. On peut même les réduire à deux, le levier & le plan incliné ; car la vis se réduit au plan incliné & au levier, la poulie & le coin au levier. Voyez VIS, COIN, POULIE, &c.

Ces différentes machines facilitent l'action des puissances pour mouvoir des poids, soit parce qu'elles diminuent en effet l'action que la puissance seroit obligée d'exercer pour mouvoir le poids immédiatement, soit parce que la maniere dont la puissance est appliquée favorise son action. Ainsi dans la poulie, par exemple, la puissance doit être égale au poids ; cependant la poulie aide la puissance, parce que la maniere dont la puissance y est appliquée facilite son action, & la met en état d'agir commodément & sans gêne. Voyez POULIE, &c. A ces cinq forces mouvantes ou machines simples, M. Varignon dans son projet de Méchanique, en ajoûte une sixieme qu'il appelle la machine funiculaire, & qui n'est qu'un assemblage de cordes par le moyen desquelles différentes puissances tirent un poids. Voyez FUNICULAIRE. Pour connoître l'effet de ces différentes machines, il faut le calculer dans le cas de l'équilibre ; car dès qu'on a la puissance capable de soûtenir un poids, alors en augmentant tant-soit-peu cette puissance, on fera mouvoir le poids. Or pour calculer le cas de l'équilibre, il suffit d'employer le principe de la composition & de la décomposition des forces. Il faut pour cela prolonger d'abord, s'il est nécessaire, les directions de deux forces quelconques, & chercher celle qui en résulte ; ensuite chercher la résultante de cette derniere & d'une troisieme force, & ainsi de suite, jusqu'à ce qu'on soit arrivé à une derniere force, qui doit ou être = 0, ou au-moins passer par un point fixe, pour qu'il y ait équilibre. En effet, si cette derniere force qui résulte de la réunion de toutes les autres, n'étoit pas égale à zero, ou ne passoit pas par un point fixe dont la résistance anéantît son action, il n'y auroit pas d'équilibre, comme on le suppose, puisque cette force produiroit alors quelque mouvement. Ce principe de la réduction de toutes les forces à une seule, renferme toute la Statique, & on peut en voir l'application aux articles des différentes machines.

FORCE RESULTANTE. C'est ainsi que quelques auteurs ont nommé la force unique qui résulte de l'action de plusieurs autres. Cette force résultante se trouve par le principe de la diagonale du parallélogramme. Voyez COMPOSITION. Quand deux ou plusieurs forces sont paralleles, on suppose que leurs directions concourent à l'infini, & par ce moyen on trouve toûjours la résultante ; car deux paralleles peuvent être censées concourir à l'infini. Voyez PARALLELE. (O)

FORCES DES EAUX, (Hydraul.) Sans entrer ici dans le détail des forces mouvantes, que l'on renvoye à la Méchanique ou à la Géométrie, nous ne parlerons que de la force des eaux.

La force, la dépense & la vîtesse des eaux sont souvent confondues chez les auteurs ; c'est l'effort que fait l'eau pour sortir & s'élancer contre la colonne d'air qui résiste & pese dessus ; elle dépend donc de deux choses, de la colonne d'eau, & de la colonne d'air. Voyez COLONNE.

Les vîtesses sont entr'elles comme les racines quarrées des hauteurs, ou en raison soudoublée des hauteurs. Soit la hauteur d'un réservoir supposée de 16 piés, & une autre de 25, les vîtesses de ces deux réservoirs sont entr'elles comme 4 est à 5, parce que 4 est racine de 16, & 5 est racine de 25.

On évalue la force d'un homme qui sert de moteur à une pompe à bras, environ à 25 liv. quand il fait marcher cette pompe sans effort ; celle d'un cheval qui fait tourner la manivelle, suivant l'expérience qu'on en a faite, est estimée valoir la force de sept hommes : ainsi elle vaut sept fois 25 livres, qui font 175 livres. Voyez l'article suivant.

On sait de plus que 10 livres de force soûtiennent en équilibre 10 livres d'eau, & qu'il faut un degré de force de plus pour l'entraîner & la faire monter. Sur ce principe, un homme qui est la force motrice d'une pompe à bras, & qui en fait aller la manivelle ; s'il employe 11 livres de force, enlevera 10 liv. d'eau en l'air, en supposant qu'il n'y a point de frottemens, pour lesquels on ajoûte toûjours un tiers en sus dans le calcul.

Si, par exemple, la pesanteur du corps que l'on veut élever pese 90 livres, il faut ajoûter à cette somme son tiers, qui est 30, pour l'élever & surmonter la résistance des frottemens ; ce qui fait en tout 120 livres de force, pour faire monter une colonne d'eau de 90 livres pesant.

On évalue la force ou la vîtesse d'un courant, d'une riviere, d'un ruisseau, d'un aqueduc, en déterminant sur son bord une base à discrétion, & par le moyen d'une boule de cire mise sur l'eau, & d'une pendule à secondes, on sait combien de tems la boule entraînée par le courant, a été à parcourir l'espace de la base supposée de 20 toises. Si la boule a été 30 secondes, moitié d'une minute, dans sa course, ce seroit 20 toises ou 120 piés en 30 secondes, & 4 piés par seconde ; vous multiplierez cette vîtesse de 4 piés par la largeur du ruisseau, qu'on suppose ici de 12 piés, ce qui donnera 48 piés quarrés par seconde pour la superficie du canal. Prenez la profondeur de ce canal ou ruisseau, par exemple de 2 piés, qui en multipliant les 48 piés de la superficie, vous donneront 96 piés pour la solidité de l'eau qui s'écoulera dans l'espace d'une seconde : ces 96 piés cubes multipliés par 35 pintes valeur du pié cube, font 3360 pintes, qui s'écouleront par seconde. Il y a une autre méthode que la boule de cire, pour connoître la vîtesse d'une riviere ; on la trouvera dans les mémoires de l'académie des Sciences, année 1733, page 363. Voyez aussi le mot FLEUVE. (K)

FORCE DES ANIMAUX. Le premier auteur qui ait examiné la force de l'homme avec quelque précision, & qui l'ait comparée avec celle des autres animaux, c'est sans-doute M. de la Hire, dont l'écrit sur ce sujet est imprimé parmi les mémoires de l'académie des Sciences, année 1699. M. Desaguliers a traduit & critiqué plusieurs endroits de ce mémoire, dans les notes sur la quatrieme leçon de la physique expérimentale, pag. 246 & suiv. de l'original anglois. Je vais donner un résultat des observations de ces deux célebres méchaniciens.

M. de la Hire suppose qu'un homme ordinaire, mais fort, pese 140 livres. Cet homme ayant les jarrets un peu pliés, peut se redresser, quoique chargé d'un poids de 152 livres. Les muscles des jambes & des cuisses élevent donc un poids de 290 liv. mais seulement de deux ou trois pouces. M. Desaguliers trouve cette estimation fautive & trop médiocre, puisqu'il est ordinaire de voir des portefaix monter un escalier, ayant un fardeau de 250 livres. Ils ne peuvent le descendre à la vérité étant chargés d'un aussi grand poids. La livre averdupois des Anglois est entre un onzieme & un douzieme moindre que la nôtre. Dans un homme chargé qui marche, le centre de gravité de son corps & du fardeau réunis, décrit un arc de cercle, qui a pour centre le pié immobile ; & la jambe mobile qui pousse en avant ce centre de gravité, décrit aussi um arc de cercle de même étendue. M. de Fontenelle (Hist. de la même année, pag. 97.) a très-bien remarqué, que plus cet arc est grand par rapport au sinus verse de sa moitié, plus la force mouvante a d'avantage à cause de sa vîtesse & du peu d'élévation du poids. C'est ce qui a fait penser à M. de la Hire, qu'un homme chargé de 150 liv. ne pourroit monter un escalier dont les marches seroient de cinq pouces, comme elles sont ordinairement ; ce qu'on a déjà vû être contraire à l'observation de M. Desaguliers.

Si un homme qui pese 140 livres saisit un point fixe placé sur sa tête, il peut par l'effort des muscles des bras & des épaules, élever tout son corps, & même un poids de 20 livres, dont il seroit chargé. Suspendu alors à une corde, qui passant sur une poulie soûtient par son autre extrémité un poids de 160 livres, il fait équilibre avec ce poids, & le surmonte, si l'on augmente un peu son fardeau de 20 livres.

Ce même homme prenant avec les mains un poids de 100 livres, placé entre les jambes, l'éleve en se redressant. Comme les muscles des lombes soûtiennent la moitié supérieure de son corps, on peut évaluer leur effort à 170 liv. Mais M. Desaguliers assûre que les travailleurs en général élevent avec leurs mains un poids de 150, & quelquefois de 200. liv.

Un homme, le corps panché & les genoux pliés, ne pourra lever de terre un poids de 160 liv. que ses bras soûtiennent d'ailleurs ; les muscles des jambes & des cuisses devroient alors soûtenir le poids de 160 liv. & celui de tout le corps. Or ils ne le peuvent pas suivant M. de la Hire, parce que dans cette disposition de tout le corps, la force se distribue par la distribution des esprits dans toutes les parties. Cette raison n'éclaire pas l'esprit ; il semble que pour se former une idée plus nette des résistances immenses que la nature auroit à surmonter dans cette situation, il faut rappeller les propositions de Borelli sur une suite d'articulations fléchies. Je me contenterai de citer la proposition 54, I. part. du traité de motu animal. où Borelli prouve que dans un portefaix panché en-avant, qui auroit les jarrets pliés & qui s'appuyeroit sur la pointe d'un pié (ce qui est leur attitude ordinaire en marchant) ; l'effort combiné de tous les muscles qui concourent à soûtenir son fardeau, seroit cinquante fois plus grand que ce fardeau. Voyez l'article MOUVEMENT DES ANIMAUX.

M. de la Hire avoit vû à Venise un homme jeune & foible, qui soûtenoit un âne en l'air par un moyen singulier. Ses cheveux étoient liés de côté & d'autre par des cordelettes, auxquelles on attachoit par des crochets les deux extrémités d'une sangle large qui passoit par-dessous le ventre de cet âne. Monté sur une petite table, il se baissoit pendant qu'on attachoit les crochets à la sangle ; il se redressoit ensuite & élevoit l'âne en appuyant ses mains sur ses genoux. Il élevoit de même des fardeaux qui paroissoient plus pesans, & il disoit qu'il y trouvoit moins de peine, à cause que l'âne se débattoit en perdant terre.

M. de la Hire a considéré dans ce jeune homme la grande force des muscles des épaules & des lombes. M. Desaguliers prétend, avec beaucoup de vraisemblance, que les muscles des lombes sont incapables d'un pareil effort ; il aime mieux avoir recours à la force des extenseurs des jambes, qu'il dit être six fois plus considérable. Il assûre que ce jeune homme avoit le corps droit & les genoux pliés ; de sorte qu'il mettoit les tresses de ses cheveux dans le même plan que les tresses des os des cuisses, & les chevilles. La ligne de direction du corps & de tout le poids passoit ainsi entre les plus fortes parties des piés, qui supportoient la machine ; alors il se relevoit sans changer la ligne de direction. La raison pour laquelle l'âne en se débattant, rendoit le fardeau plus incommode, c'est qu'il faisoit vaciller la ligne de direction. Quand elle étoit portée en-avant ou en-arriere, les muscles des lombes se mettoient en jeu pour la rétablir dans sa premiere situation.

M. Desaguliers raconte des tours d'adresse, qu'un allemand montroit à Londres pour des tours de force, & dont il fut spectateur avec MM. Stuart, Pringle & milord Tullibardin. Cet homme assis sur une planche horisontale (inclinée en-arriere elle l'auroit situé plus avantageusement), & appuyant ses piés contre un ais vertical immobile, avoit un peu au dessous des hanches une forte ceinture, terminée par des anneaux de fer ; à ces anneaux étoit attachée par un crochet une corde, qui passant entre ses jambes, sortoit par une ouverture pratiquée dans l'appui vertical. Plusieurs hommes, ou deux chevaux même, en tirant cette corde, ne pouvoient l'ébranler. Il se plaçoit encore dans une espece de chassis de bois, préparé pour cet effet, & prétendoit élever, quoiqu'il ne fît réellement que soûtenir, un canon de deux ou trois mille liv. pesant, porté sur le plat d'une balance, dont les cordes étoient attachées à la chaîne qui pendoit de sa ceinture. Les cordes étant bien tendues & ses jambes bien affermies, on poussoit les rouleaux qui supportoient le plat de balance, & le canon restoit suspendu. M. Desaguliers fit une semblable expérience devant le roi Georges I. & plusieurs la répéterent après lui.

Tout cela s'explique aisément par la résistance des os du bassin, qui sont arcboutés contre un appui vertical ou horisontal ; par la pression de la ceinture qui affermit les grands trochanters dans leurs articulations ; par la force des jambes & des cuisses, qui, lorsqu'elles sont parfaitement droites, présentent deux fortes colonnes capables de soûtenir au-moins quatre ou cinq mille livres. On sait qu'une puissance est inefficace, quand son action se dirige par le centre du mouvement ; & M. Desaguliers fait une application ingénieuse de la ceinture dont nous avons parlé plus haut, dont un ou plusieurs hommes pourroient se servir pour hausser ou abaisser le grand perroquet d'un navire, en s'appuyant contre les échelons d'une forte échelle couchée sur le tillac.

Les autres détails du docteur Desaguliers sur les tours d'adresse, qui passent pour des tours de force extraordinaires, sont assez curieux ; mais je les supprime de crainte d'être trop long.

Pour donner une idée de la force des extenseurs des jambes, M. Desaguliers dit qu'on voit à Londres les fiacres s'élancer hors de leurs siéges dans un embarras, & soûlever leur voiture avec leur dos sans le secours de qui que ce soit, quoiqu'ils ayent quatre personnes dans leur carrosse, & le train chargé de trois ou quatre coffres. Nos fiacres font de même à Paris, & appellent cela porter leur derriere. Les porte-faix en Turquie portent sept, huit, & jusqu'à neuf cent livres pesant. Ils s'appuient sur un bâton quand on les charge : on prend soin aussi de les décharger. M. Desaguliers croit que c'est à une situation semblable qu'étoit dûe la résistance étonnante de cette fameuse tortue, que formoient les soldats romains avec leurs boucliers. V. FORTICE.

Il doit paroître surprenant que des charges de 8 ou 9 quintaux n'écrasent pas le dos des porte-faix de Constantinople ; sans-doute les vertebres se soûtiennent mutuellement, & leurs muscles se roidissent chez eux, pour assujettir l'épine à une courbure constante : mais cette force paroît bien médiocre, & il faut avoir recours à une troisieme espece de résistance qu'on n'a pas encore appliquée ici, je veux dire à la résistance des cartilages intermédiaires des vertebres. Je crois que tous ceux qui ont lû Borelli & Parent sur la force de ces cartilages, seront de mon avis ; & je remarquerai seulement que les auteurs n'ont pas fait assez d'attention aux poids immenses que peut soûtenir la résistance des ligamens & des cartilages. En calculant d'après la proposition 61 de Borelli, l'imagination seroit effrayée de la force prodigieuse que la nature employe pour la résistance de ces cartilages dans les porte-faix de Constantinople.

Tout le monde connoît la résistance des os du crane aux fardeaux qu'on lui fait supporter. M. Hunauld a expliqué cette résistance très-méchaniquement, dans les Mém. de l'ac. 1730 ; mais il ne savoit peut-être pas qu'un poids de 9 quintaux ne suffit point pour la vaincre : or c'est ce qu'on observe tous les jours à Marseille.

Les porte-faix y soûtiennent à quatre un poids de 36 quintaux ; ils ont la tête enveloppée d'une espece de sac qui leur ceint les tempes, & qui se termine en un bourrelet qui tombe sur les épaules ; sur ce bourrelet portent de longues perches, où sont suspendues les cordes qui élevent le plan sur lequel est le fardeau. Ainsi non-seulement la résistance de la voûte du crane, mais même celle de l'atlas & des autres cartilages du cou, est supérieure à l'effort d'un poids de 900 liv. agissant par un levier assez long.

Desaguliers, qui ne considere que le travail des muscles dans un homme qui supporte un poids sur ses épaules, remarque que les porte-faix de Londres qui travaillent sur les quais, & qui chargent ou déchargent des navires, portent quelquefois des fardeaux qui tueroient un cheval. Il n'en donne point la raison ; elle suit de ce que nous venons de dire, & il ne faut considérer que la situation perpendiculaire, ou du-moins peu inclinée à l'horison dans les vertebres de l'homme, & la situation horisontale des vertebres du cheval, qui rend leur luxation beaucoup plus facile.

Desaguliers raconte des tours de force prodigieux que faisoit un nommé Topham, sans employer aucun art pour les rendre étonnans. Je l'ai vû, dit-il, lever un rouleau du poids de 800 livres, étant debout dans un chassis au-dessus, saisissant avec ses mains une chaîne qui y étoit attachée. Comme il se courboit un peu en-avant pour cette opération, il faut ajoûter le poids du corps au poids élevé, & considérer ici principalement les muscles des lombes : d'où il suit que ce Topham étoit presque une fois aussi fort, à cet égard, que les hommes qui le sont le plus, ceux-ci n'élevant guere plus de 400 liv. de cette maniere. Je dis à cet égard, car les différentes parties du corps peuvent avoir des proportions de force très-peu semblables, suivant le genre de travail & d'exercice auquel chaque homme est habitué.

M. George Graham a eu la premiere idée d'une machine, que Desaguliers a perfectionnée, & qui sert à mesurer dans chaque homme la force des bras, du cou, des jambes, des doigts & des autres parties du corps.

Un cheval est égal en force, pour tirer, à cinq travailleurs anglois, suivant les observations de Jonas Moore ; à six ou sept françois, suivant nos auteurs ; ou à 7 hollandois, selon Desaguliers : mais pour porter une charge sur le dos, deux hommes sont aussi forts, & quelquefois plus qu'un cheval. Un portefaix de Londres transportera 200 liv. allant assez vîte pour faire trois milles par heure : les porteurs de chaise, en portant 150 livres chacun, marchent fort vîte, & sur le pié de quatre milles par heure ; tandis qu'un cheval de messager, qui fait environ deux milles par heure, porte seulement 224 liv. ou 270 liv. quand il est vigoureux, & que les chemins sont bons.

Le cheval est plus propre pour pousser en avant ; l'homme, pour monter. Un homme chargé de 100 livres montera plus vîte & plus facilement une montagne un peu roide, qu'un cheval chargé de 300 livres ne les tire. Les parties du corps de l'homme sont mieux situées pour grimper, que celles du cheval. On voit à Londres des chevaux de haute taille, lorsqu'ils sont attachés à des charrettes portées sur des roues fort hautes, traîner jusqu'à deux milles en montant la rue de S. Dunstan's Hill ; mais le charretier épaule la voiture dans les pas difficiles.

L'application aux différentes machines fait extrêmement varier la comparaison de la force des hommes & des chevaux. M. de la Hire détermine d'une maniere très-juste & très-ingénieuse, l'effort de l'homme pour tirer ou pousser horisontalement : il considere la force comme appliquée à la manivelle d'un rouleau dont l'axe est horisontal, & sur lequel s'entortille une corde qui soûtient un poids : il fait abstraction de l'avantage méchanique qu'on peut donner à ce cabestan, des frottemens, & de la difficulté qu'a la corde à se ployer.

Si le coude de la manivelle est placé verticalement à la hauteur des épaules ; si la direction des bras est horisontale, & fait un angle droit avec la position du corps, il est clair qu'on ne peut faire tourner la manivelle : mais si la manivelle est au-dessus ou au-dessous des épaules, la direction du bras & celle du tronc feront ensemble un angle obtus ou aigu ; & l'homme aura pour tirer ou pour pousser la manivelle, cette force qui dépend de la seule pesanteur du corps. On doit considérer cette pesanteur comme réunie dans le centre de gravité, qui est à-peu-près à la hauteur du nombril au-dedans du corps. Si le coude de la manivelle est placé horisontalement à la hauteur des genoux, l'homme qui la releve en tirant, peut élever le poids de 150 livres, qui sera attaché à l'extrémité de la corde, en prenant tous les avantages possibles, puisque son effort est le même que pour élever ce poids (voyez ci-dessus) : mais pour abaisser la manivelle, il ne peut y appliquer qu'un effort de 140 livres, qui est le poids de tout son corps, à moins qu'il ne soit chargé.

Si le corps étant fort incliné vers la manivelle, elle est à la hauteur des épaules, il faudra considérer 1°. le bout des piés comme le point d'appui d'un levier, qui passant par le centre de gravité de tout le corps, se termine à la ligne des bras, prolongée s'il est nécessaire : 2°. que le centre de gravité étant chargé du poids de tout le corps, de 140 livres, avec sa direction naturelle, l'extrémité du levier supposé est soûtenue dans la ligne horisontale des bras. Cela posé :

Soit ce levier de 140 parties, & la distance du point d'appui au centre de gravité, de 80 ; l'effort de tout le corps à l'extrémité du levier, sera le même que si un poids de 80 livres y étoit suspendu avec sa direction naturelle & perpendiculaire à la ligne des bras : donc si l'on mene du point d'appui une perpendiculaire sur la ligne des bras, cette perpendiculaire sera à la coupée depuis l'extrémité du levier, comme le poids de 80 livres avec sa direction naturelle, est à son effort sur la manivelle, suivant la direction horisontale, donc si le levier fait un angle de 70 degrés avec la ligne des bras, la position du corps sera inclinée à l'horison d'un angle de plus de 60 degrés, qui est tout au plus l'inclination où un homme peut marcher : le sinus de 70 degrés sera au sinus de son complément comme 3 à 1, à très-peu-près ; & par conséquent, l'effort du poids de 80 livres, selon la direction horisontale, sera un peu moins de 27 liv. L'effort ne sera pas plus grand dans la même inclinaison, soit que la corde soit attachée vers les épaules ou au milieu du corps, le rapport des sinus demeurant le même. Si le levier supposé faisoit avec la ligne des bras un angle de 45 degrés, on voit que le poids du corps soûtiendroit 80 livres : mais la ligne du corps étant alors beaucoup plus inclinée à l'horison, que de 45 degrés, un homme pourroit à peine se soûtenir.

Un homme panché en arriere tire avec bien plus de force que lorsqu'il est courbé en avant : le levier supposé dans le cas précédent est au contraire dans celui-ci plus incliné à l'horison que la ligne du corps : c'est pour cette raison que les rameurs tirent les rames de devant en-arriere. M. de la Hire n'a pas remarqué qu'ils ne se renversent qu'après s'être panchés en avant : le poids de leur corps acquiert plus de force par cette espece de chûte. D'ailleurs l'homme en voguant agit avec plus de muscles à-la-fois pour surmonter la résistance, que dans aucune autre position.

Après avoir égalé l'effort continuel d'un homme qui pousse, à 27 livres, M. de la Hire remarque qu'un cheval tire horisontalement autant que sept hommes ; & en conséquence il estime la force d'un cheval à 189 livres, ou un peu moins de 200 livres : les chevaux chargés peuvent tirer un peu plus, cet effet dépendant en partie de leur pesanteur. Cependant il faut prendre garde dans les machines, que si on combine l'effet de la pesanteur du cheval avec l'effet de son impulsion, on ralentira sa vîtesse, puisqu'à chaque pas il est obligé de monter effectivement.

Desaguliers divise le cercle que décrit la manivelle d'un vindas en quatre parties principales ; il donne 160 livres de force à un homme qui la fait tourner lorsqu'elle est à la hauteur de ses genoux ; 27 livres lorsqu'elle est plus élevée ; 130 livres lorsqu'il l'oblige à descendre, en y appuyant le poids de son corps ; & 30 livres, lorsqu'elle est au point le plus bas. Ces forces font 347 liv. qui divisées par 4, donnent 86 3/4 ; c'est le poids qu'un homme pourroit élever continuellement, s'il n'étoit obligé de s'arrêter pour prendre haleine : ce qui fait que le poids l'emporte au premier point foible, sur-tout quand la manivelle se meut lentement, comme cela doit être si l'homme veut employer toute sa force dans toute la circonférence du cercle qu'il décrit. Il faudroit encore qu'il agît toûjours par la tangente de ce cercle ; ce qui n'arrive point. Il faut de plus que la vîtesse soit assez grande pour que la force appliquée aux points avantageux ne soit pas éteinte avant que d'arriver aux points foibles ; ce qui rendroit ce mouvement irrégulier & difficile à continuer. De-là Desaguliers conclut qu'un homme appliqué à la manivelle d'un vindas, ne peut surmonter plus de 30 livres, travaillant dix heures par jour, & élevant le poids de trois piés & demi par seconde ; ce qui est la vîtesse ordinaire des chevaux. Il veut qu'on augmente cette vîtesse d'un sixieme, & même d'un tiers, si l'on se sert du volant, & qu'on diminue le poids à proportion. On suppose toûjours que le coude de la manivelle ne décrive pas un cercle plus grand que la circonférence du rouleau ; ce qui donneroit à l'homme un avantage méchanique. Dans cette supposition, si deux hommes travaillent aux extrémités d'un treuil horisontal, ils soûtiendront plus aisément 70 livres, qu'ils n'en auroient porté 30 chacun séparément, pourvû que le coude de l'une des manivelles soit à angles droits avec l'autre. On se contente de placer les manivelles dans une direction opposée : mais on sent que la compensation qui résulte de cette coûtume est bien moins avantageuse que l'arrangement proposé par Desaguliers : ce physicien célebre corrige les inégalités de la révolution du treuil, quand le mouvement est rapide, comme de 4 ou 5 piés par seconde, par l'application d'un volant, ou plutôt d'une roue pesante qui fasse des angles droits avec l'essieu du vindas. Par-là un homme pourra quelque tems surmonter une résistance de 80 livres, & travailler un jour entier, quand la résistance est seulement de 40 livres.

La plus grande force des chevaux & la moindre force des hommes, est lorsqu'ils tirent horisontalement en ligne droite. M. de la Hire nous apprend, mém. de l'acad. des Sciences, ann. 1702. p. 261. que les chevaux attachés aux bateaux qui remontent la Seine, lorsqu'ils ne sont point retardés par plusieurs empêchemens qui surviennent dans la navigation, soûtiennent chacun 158 livres, en faisant un pié & demi par seconde, & travaillant dix heures par jour.

M. Amontons rapporte des observations curieuses dans son mémoire sur son moulin à feu, parmi ceux de l'académie des Sciences, ann. 1699, p. 120-21. expérience sixieme. Les ouvriers qui polissent les glaces se servent pour presser leurs polissoirs, d'une fleche ou arc de bois dont un bout arrondi pose sur le milieu du polissoir ; l'autre qui est une pointe de fer, presse contre une planche de chêne arrêtée au-dessus de leur travail. Par des expériences faites avec des polissoirs de différentes grandeurs pressés par des fleches de différentes forces, il a trouvé que la force moyenne nécessaire pour les tirer, est de 25 liv. que par conséquent la volée de leur fleche étant d'un pié & demi, & le tems qu'ils employent à pousser & à retirer leur polissoir étant d'une seconde, leur travail équivaut à l'élévation continuelle d'un fardeau de 25 liv. à 3 piés par seconde ; il ne faut guere compter que sur dix heures de leur travail.

On lit dans les réflexions de M. Couplet sur le tirage des charretes & des traineaux, mém. acad. p. 63-4. que les charretes ordinaires attelées de trois chevaux, menent habituellement sur le pavé une charge de pierres de taille d'environ 50 piés cubiques, & par conséquent de près de 7 milliers. Il remarque aussi que nos haquets de brasseur à Paris, attelés d'un seul cheval grand & fort, & à Rome, les charretes montées sur leurs roues de six piés de diametre, attelées d'un seul cheval, portent des charges qu'un effort moyen de 2001. ne pourroit pas surmonter. M. Couplet entend ici l'effort moyen des chevaux, qu'il a supposé plus haut, d'après la détermination de M. de la Hire : mais il est étonnant qu'il n'ait pas pris garde que M. de la Hire ne parle point des charrois, où l'on n'a que les frottemens à surmonter : ensorte qu'un cheval de taille médiocre tirera souvent plus de mille livres, s'il est attaché sans desavantage à une charrete. M. de la Hire, & Desaguliers après lui, considerent l'action des chevaux qui élevent un fardeau hors d'un puits, par exemple, par le moyen d'une poulie ou d'un cylindre qui a le moindre frottement possible. C'est dans ce cas que les chevaux tireront environ 200 livres l'un dans l'autre, en travaillant huit heures par jour, & faisant à-peu-près deux milles & demi par heure, c'est-à-dire environ trois piés & demi par seconde. Le même cheval, s'il tire 240 livres, ne peut travailler que six heures par jour, & ne va pas tout-à-fait aussi vîte dans les deux cas : s'il porte quelque poids, il tirera mieux que s'il n'en porte point.

On doit estimer de même le travail des chevaux dans les moulins & les machines hydrauliques. Il faut donner au trotoir des chevaux qui font mouvoir les cabestans de ces machines, un assez grand diametre, parce que dans des cercles trop petits, la tangente suivant laquelle le cheval devroit tirer, fait un trop grand angle avec ces cercles ; & le cheval pousse le rayon suivant la corde du cercle : il fait avec le rayon des angles si aigus par derriere, que dans un trotoir de 19 piés de diametre. Desaguliers a éprouvé qu'un cheval perd les deux cinquiemes de la force qu'il auroit eue dans un trotoir de 40 piés de diametre ; ce qui le détermine à lui donner au moins cette étendue.

Les Meûniers s'imaginent qu'il suffit de conserver la proportion des vîtesses de la puissance & du poids qui a lieu dans les plus grands trotoirs ; ou que diminuant le diametre de la roue en couteau, de même qu'on diminue la distance du cheval au centre, la difficulté du tirage sera la même, n'ayant point égard à l'entortillement du cheval : mais ces ouvriers ne prennent pas garde à l'effort qu'ils font faire au cheval par cette disposition.

Desaguliers croit que la maniere la plus efficace d'employer les hommes à des machines qui produisent leur effet par le jeu des pompes qu'elles renferment, est de faire agir ces hommes en marchant, tout le poids du corps étant successivement appliqué aux pistons des pompes, &c.

M. Daniel Bernoulli, p. 181-2. de son hydrodynamique, regarde comme le plus avantageux de tout l'effet que produit dans les machines la pression d'un homme qui marche, vû que c'est le genre de travail auquel nous sommes le plus accoûtumés. Il croit, ibid. p. 198. que cet avantage peut augmenter l'effet du double.

Desaguliers, à la fin du II. tome, détermine ainsi le maximum de la perfection des machines hydrauliques. Un homme, dit-il, avec la meilleure machine hydraulique, ne peut pas élever plus d'un muid d'eau par minute à dix piés de hauteur, en travaillant tout le jour ; mais il peut en élever presque le double en ne travaillant qu'une ou deux minutes. M. Dan. Bernoulli établit qu'un homme, avec la machine la plus parfaite, pourra élever à chaque seconde un pié cubique d'eau à la hauteur d'un pié.

Il n'en est pas des forces des animaux comme des forces des corps inanimés. Une force animale donnée ne peut produire tous les mouvemens où le poids & la vîtesse sont en raison réciproque. Un homme ne peut parcourir qu'un certain espace dans un certain tems, quand même il ne tireroit aucun poids. Celui qui éleve 100 livres à dix piés de hauteur, ne pourroit élever dans le même tems une livre à 1000 piés de hauteur.

Si deux hommes également robustes font d'abord le même effort avec la même vîtesse ; que l'un des deux ensuite double son effort, & l'autre sa vîtesse ; l'effet produit sera toûjours le même : mais la difficulté qu'éprouvera le second pourra être beaucoup plus considérable. Cette remarque de M. Dan. Bernoulli éclaircit ce que nous venons de dire touchant la différence des forces animées & inanimées.

S'Gravesande a très-bien vû, physices elementa mathematica, tom. I. n°. 1856. que si on cherche le maximum de l'effet qu'un animal peut produire, il faut d'abord déterminer un degré de vîtesse avec laquelle il puisse agir commodément : il faut ensuite chercher le maximum d'intensité d'une action qui puisse être continuée un tems assez long.

M. Bouguer dit fort bien, dans son traité du navire, p. 109. qu'il seroit de la derniere importance dans plusieurs rencontres, de connoître combien la force des hommes diminue, lorsqu'ils sont obligés d'agir avec plus de promtitude : c'est ce que l'Anatomie, quoiqu'extrêmement aidée de la Géométrie dans ces derniers tems, ne nous a point encore appris. On peut exprimer, poursuit-il, cette relation par les coordonnées d'une ligne courbe, dont quelques-uns des symptomes se présentent : mais cela n'empêche pas qu'elle ne soit également inconnue. Voyez MOUVEMENT DES ANIMAUX.

M. Martine, prop. 24 & 25 de son livre de similibus animalibus, assûre que les forces contractives des muscles, & les forces absolues des membres mis en mouvement dans des animaux semblables, sont comme les racines cubes des quatriemes puissances de leurs masses. Il me paroît que l'auteur fonde ses preuves sur un grand nombre d'hypothèses douteuses, ou qui n'ont point d'application dans la nature (voyez APPLICATION de la Géométrie à la Physique) : mais je crois qu'il réussit très-bien à détruire la prétendue démonstration de Cheyne, dont l'opinion adoptée par Freind & par Wainewright, est que les forces des animaux de la même espece, ou du même animal, en différens tems, sont en raison triplée des quantités de la masse du sang. (g)

FORCES VITALES, (Thérapeut. Médicinale) ce sont dans les malades quelques actions qui accompagnoient auparavant la santé, & qu'on peut pour cette raison regarder comme des restes de l'état sain qui précédoit & des effets de la vie présente : c'est pourquoi on leur donne le nom de forces : elles dépendent du mouvement qui reste aux humeurs dans la circulation par les vaisseaux.

Or ce mouvement, si petit qu'il puisse être, suppose du-moins encore une circulation par le coeur, les poumons, & le cervelet, dans laquelle conséquemment consiste la moindre force de la vie, qui est susceptible d'acquérir divers degrés d'augmentation.

L'état de la vie se connoît donc par ces forces : celles-ci se manifestent par les effets qu'elles produisent dans le malade ; ces effets sont l'exercice qui se fait des fonctions encore permanentes. Ces fonctions consistent en ce que les humeurs sont poussées par les vaisseaux & les visceres. Pour que cela se fasse, il faut une certaine quantité d'humeurs bien conditionnées, & une continuité de mouvement de ces humeurs par les vaisseaux mêmes.

L'action des vaisseaux dépend uniquement de la contraction des fibres, au moyen de laquelle contraction, les fibres tiraillées & distendues en are par la liqueur qui circule, se racourcissent, se disposent en ligne droite, s'approchent vers l'axe de leur cavité, & poussent les humeurs qu'elles contiennent : telles sont par conséquent, à proprement parler, les forces des vaisseaux. Voyez FIBRE.

Mais il est évident que ces forces viennent d'une vertu de ressort & de contraction, par laquelle la fibre résiste à sa distraction : elles requierent en même tems dans les membranes vasculeuses des grands vaisseaux, deux sortes d'humeurs alternativement poussées ; l'une très-tenue, dans les plus petits vaisseaux nerveux ; l'autre plus épaisse, dans les grands vaisseaux.

L'art de prédire l'évenement d'une maladie, est principalement fondé sur la connoissance de la comparaison des causes dont dépend ce qui reste encore de forces vitales au malade, avec les causes qui ont produit sa maladie actuelle.

On connoît l'efficacité de la cause qui entretient encore la vie, par les fonctions qui restent principalement vitales, ensuite animales & naturelles : ce qui s'énonce ordinairement par deux axiomes. 1°. Plus il y a de fonctions semblables aux mêmes fonctions qui ont coûtume de se faire dans la santé, & plus elles leur sont semblables, plus les forces de la nature sont grandes & efficaces, & plus il y a d'apparence de recouvrer une santé parfaite. 2°. Plus est saine dans le malade cette fonction dont plusieurs autres dépendent comme de leur cause, plus les affaires du malade sont en bon train ; & l'on tire des conséquences opposées des propositions contraires. (D.J.)

FORCE, grande force, petite-force, (Jurisprud.) La coûtume de Bar commence ainsi : " Premierement, la coûtume est telle, que tous fiefs tenus du duc de Bar, en son bailliage dudit Bar, sont fiefs de danger, rendables à lui, à grande & petite-force "...

M. le Paige, commentateur de cette coûtume, dit sur grande & petite-force : " La coûtume de S. Mihiel, tit. ij. art. 5. nous découvre le sens de ces mots, lorsqu'elle dit que tous châteaux, maisons, forteresses, & autres fiefs, sont rendables au seigneur, à grande & petite-force, pour la sûreté de sa personne, défense de ses pays, & pour la manutention, exécution, & main-forte de sa justice ; en telle sorte que le vassal commettroit son fief, s'il étoit refusant ou dilayant de ce faire. La grande force, continue M. le Paige, se fait avec artillerie & canon, même avec gens de guerre : & la petite-force, par les voies ordinaires de la justice, par saisie & commise ".

* FORCES, (Arts méchan.) ciseaux qui n'ont point de clous au milieu, mais qui sont joints par un demi-cercle d'acier qui fait ressort, & qui en approche ou éloigne les branches.

* FORCES, (Gantier) ce sont des especes de ciseaux à ressort d'un pié de long, qui servent pour tailler la peau propre à faire des gants. Voyez GANTIER.

* FORCES, (Gazier) ce sont de petits ciseaux à ressort d'environ un demi-pié de longueur : on s'en sert pour découvrir le brocher des gazes à fleur. Voyez GAZE.

Celles des manufactures en soie sont de la même espece.

* FORCES, (Chandelier) espece de ciseaux dont se servent les Chandeliers pour couper le bout des meches, & pour les égaliser. Voyez CHANDELIER. C'est le taillandier qui fait toutes ces sortes de grands ciseaux.

* FORCES, ou JAMBES DE FORCE, (Charpent.) sont des pieces de bois qui servent à soûtenir l'entrait dans lequel elles sont à tenons & mortaises, avec goussets. Voyez nos Planches de Charpenterie.

FORCES, (FAIRE LES-) Manége. L'action de faire les forces consiste de la part du cheval dans celle de mouvoir sans-cesse de côté & d'autre la mâchoire postérieure. Par ce mouvement continuel & desagréable, le point d'appui varie toûjours ; & les effets de main ne peuvent jamais être justes & certains. Puisque ce n'est que dans les instans où cette même main veut agir, que l'animal se livre à cette action, il me paroît que l'on doit conclure qu'il cherche alors à dérober les barres, ou les autres parties de sa bouche qui se trouvent exposées à l'impression du mors, sans-doute à raison de la douleur que lui suscite cette impression, ou d'une incommodité quelconque qu'elle lui porte. Or cette douleur ou cette incommodité me met en droit de supposer trop de sensibilité dans ces mêmes parties, de l'irrésolution, de la lenteur, de la dureté, & de l'ignorance des mains auxquelles il a d'abord été soûmis. On peut encore chercher l'origine de ce défaut dans la mauvaise ordonnance des premieres embouchures, dans le peu de soin que l'on a eu d'en faire polir & d'en faire joindre exactement les pieces, & plus souvent encore dans le peu d'attention de l'éperonnier à fixer le canon avec une telle précision dans son juste lieu, qu'il ne repose point immédiatement sur la portion tranchante de la barre, & qu'il ne trébuche pas sur la gencive. Des mors trop étroits qui serreront les levres ; des gourmettes trop courtes qui comprimeront la barbe, occasionneront aussi ce vice, auquel on ne peut espérer de remédier qu'autant que l'on substituera, dans de semblables circonstances, des embouchures appropriées à la conformation de la bouche du cheval ; & qu'autant que dans les autres cas, une main habile en ménagera la délicatesse, & entreprendra de corriger l'animal d'une mauvaise habitude qu'il ne perd que difficilement. Du reste, si quelques parties telles que les levres, les barres, la langue, le palais, ou la barbe, sont blessées ou entamées, il n'est pas douteux que le moindre contact qu'elles souffriront sera toûjours suivi & accompagné d'une douleur plus ou moins vive : on aura recours aux médicamens par le moyen desquels ces parties peuvent être rappellées à leur état naturel. (e)


FORCÉvoyez FORCER.

FORCE, se dit, en Peinture, d'une figure dont l'attitude & l'expression sont contraintes : ce peintre ne donne que des tours, des expressions forcées à ses figures. (R)


FORCEAUS. m. terme de Chasse ; c'est un piquet sur lequel un filet est entierement appuyé, & qui le retient de force.


FORCENÉadj. (Gramm.) qui a l'esprit troublé par quelque passion violente ; il ne se doit dire que de l'homme : cependant le blason l'a transporté aux animaux ; & l'on dit, un cheval forcené, pour un cheval qui paroît emporté & furieux.


FORCEPSen Chirurgie, mot latin qui signifie littéralement une paire de tenailles : il convient génériquement à toutes les especes de pincettes, ciseaux, cisoires, tenettes, & autres instrumens avec lesquels on saisit & l'on tire les corps étrangers. Voyez CORPS ETRANGER, EXERESE.

On a conservé particulierement le nom de forceps à une espece de tenette destinée à faire l'extraction d'un enfant dont la tête est enclavée au passage. Cet instrument a été appellé long-tems le tire-tête de Palfin, du nom de cet auteur, chirurgien & lecteur d'anatomie à Gand. Nous avons peu d'instrumens qui ayent souffert plus de changemens dans leur construction. On peut lire avec fruit l'histoire très-détaillée des différens forceps, dans un traité de M. Levret, de l'academie royale de Chirurgie, intitulé observations sur les causes & les accidens de plusieurs accouchemens laborieux, Paris 1747, & dans la suite de ces observations données au public en 1751.

Cet instrument est composé de deux branches, auxquelles on considere un corps & deux extrémités ; l'une antérieure, pour saisir la tête de l'enfant ; & l'autre postérieure, qu'on peut appeller le manche. La jonction des deux branches à l'endroit du corps se fait par entablement. A l'une des branches, il y a un bouton conique qui entre dans une ouverture pratiquée dans le corps de l'autre branche, & on les assujettit par le moyen d'une coulisse à mortaise, laquelle engage le collet qui est à l'extrémité du bouton. M. Smellié, célebre praticien de Londres, se sert d'un forceps dont les deux pieces se joignent par encochure ; on les fixe par un lac ou lien qu'on noue sur les manches. M. Levret avoue que cette jonction par deux coches profondes qui se reçoivent mutuellement, est plus commode dans l'usage que la jonction par l'entablement à mi-fer : mais il ne la croit pas si stable, non-seulement par le défaut d'opposition exacte des parties supérieures de l'instrument, mais encore par le vacillement des branches, que le lien ne peut empêcher.

L'extrémité anterieure de chaque branche est une cuillere fenêtrée ; la tête s'engage naturellement dans ces vuides, & donne par-là une bonne prise à l'instrument. Dans les forceps anglois le plein de la partie intérieure étoit demi-rond sur sa largeur. M. Levret y a fait pratiquer une petite cannelure bordée d'une petite levre le long du bord interne le plus éloigné du vuide des branches, afin que l'instrument pût s'appliquer encore plus intimement sur les parties latérales de la tête de l'enfant, & que la prise fût plus solide.

Les manches ou parties postérieures de l'instrument n'ont pas besoin de description : la figure 1. Planche XV. de Chirurgie, représente cet instrument à la moitié du volume naturel.

Le forceps est un instrument indispensable dans la pratique des accouchemens. Il est fort avantageux pour tirer un enfant dont la tête est enclavée au passage, ou lorsque l'accouchement traîne en longueur, & qu'il devient impossible par l'épuisement des forces de la mere. Son usage n'est point dangereux ; on tire par son moyen des enfans vivans sans aucune impression funeste.

On ne doit pas toûjours se proposer d'amener la tête en-dehors par l'usage du forceps : il peut servir avec succès à la repousser en-dedans lorsqu'elle n'est pas trop avancée ; ce qui se fait en donnant à l'instrument qui embrasse la tête des petits mouvemens en-haut, en-bas, & latéralement ; & lorsqu'on est parvenu à faire rentrer la tête, on peut porter la main dans la matrice pour aller saisir les pieds de l'enfant, & terminer l'accouchement suivant la méthode ordinaire en pareil cas.

Les anciens accoucheurs, faute de cet instrument, attendoient tout des forces de la nature dans les accouchemens, jusqu'à ce que le foetus étant mort ils se servoient du crochet. Voyez CROCHET. Souvent même à raison du péril où la mere se trouvoit, ils étoient forcés d'avoir recours à ce dernier instrument, & de sacrifier l'enfant vivant ; procédé généralement condamné par les modernes, qui préviennent tous les desordres qui peuvent suivre de l'enclavement de la tête de l'enfant, en se servant du forceps. Le signe le plus positif qui doit déterminer l'accoucheur à employer promtement le forceps, c'est la formation d'une tumeur sur la tête enclavée de l'enfant, qui n'avance plus quoique le travail ne soit point interrompu, mais seulement ralenti. La circonstance la plus ordinaire, & dans laquelle on se sert le plus utilement du forceps sur une femme bien conformée, c'est lorsque la base du crane est encore placée au-dessus du détroit supérieur des os du bassin, pendant que le casque osseux est dans le vagin, & que l'orifice de la matrice est presqu'entierement effacé par sa grande dilatation : il est bon d'observer qu'à quelque degré que la tête soit enclavée, elle permet toûjours l'introduction des branches du forceps, parce qu'elle se prête suffisamment à leur passage, sans qu'il soit besoin d'user d'aucune violence capable de nuire à la mere ni à l'enfant. Aussi se sert-on fort utilement de cet instrument dans les cas où la difficulté de l'accouchement vient du volume trop considérable de la tête de l'enfant sans hydrocéphale ; car au moyen du forceps on facilite peu-à-peu son allongement, & l'on procure enfin sa sortie.

Pour faire usage du forceps, il faut d'abord placer convenablement le malade sur le bord de son lit, les cuisses élevées & écartées, les piés rapprochés des fesses, & maintenus en cette situation par des aides. On tâche ensuite de reconnoître dans l'intervalle de deux douleurs, s'il y en a encore, avec l'extrémité des doigts, dans quel point de sa circonférence la tête de l'enfant paroît le moins serrée ; c'est ordinairement la partie latérale du bassin ; & par ce même endroit on introduit la branche du forceps qui porte l'axe, si c'est du coté gauche, en l'appuyant plus sur la tête de l'enfant que contre le bassin de la mere, afin de conduire cette branche entre ces parties sans les blesser. Il faut pour cet effet tenir obliquement la branche qu'on veut introduire, & la diriger de bas en haut jusqu'à ce que son extrémité supérieure se trouve placée dans l'échancrure de l'os des îles de côté : alors il faut faire décrire à cette branche un demi-cercle, en la faisant passer en côté opposé par le dessus ou par le dessous, suivant qu'il y aura moins de résistance. Un aide doit soûtenir cette branche. L'opérateur introduit la seconde par le même endroit que la premiere ; & lorsqu'elle est à une égale profondeur, on les croise pour les joindre solidement par le moyen de l'axe & de la piece à coulisse destinés à cet usage.

Lorsque la tête est bien saisie, il faut en faire l'extraction : premierement il faut tirer vers le bas pour faire descendre la tête dans le vagin ; & lorsqu'elle y est descendue presqu'entierement, on doit tirer horisontalement ; & sur la fin il faut relever les mains. Ces trois mouvemens sont indiqués par la direction du chemin que la tête doit parcourir depuis le détroit du bassin jusqu'au dehors de la vulve. Mais outre ces mouvemens principaux il faut encore, pour faciliter l'opération, en faire de petits en tous sens pendant tout le tems de l'extraction.

Mais lorsque la face de l'enfant est tournée en-dessus, il est rare, pour ne pas dire impossible, suivant M. Levret, que le forceps droit puisse saisir la tête, parce que les branches sont dirigées vers la saillie de l'os sacrum ; ensorte que lorsqu'on croit tenir avec cet instrument la tête dans l'un de ses diametres, on ne tient qu'une portion de sa circonférence près du cou ; de maniere qu'il est alors absolument impossible d'en faire l'extraction, parce que l'instrument, faute d'une prise convenable, s'échappe entre la tête de l'enfant & le rectum de la mere. Ce defaut de succès a suggéré à M. Levret une correction du forceps : il a donné à ses branches une courbure, au moyen de laquelle on peut saisir la tête de l'enfant au-dessus des os pubis. Voyez Plan. XV. fig. 2. Et comme ce nouveau forceps peut servir dans tous les cas, M. Levret a proscrit le droit de sa pratique. Un homme intelligent sentira assez la précaution que la courbure exige pour l'introduction de l'instrument, & dans les mouvemens pour l'extraction de la tête. Le forceps courbe peut aussi être d'un grand secours pour extraire la tête d'un enfant restée dans la matrice & séparée du corps.

En général on ne doit se servir du forceps que dans le cas où il est impossible que la tête sorte du couronnement sans son secours : ainsi il ne doit avoir lieu que quand la tête y est si serrée qu'elle peut être dite enclavée. On pourroit quelquefois prévenir ces enclavemens par des manoeuvres particulieres dirigées avec intelligence, différemment suivant les cas : par exemple, quand le visage de l'enfant se présente avec le menton ou le front contre l'os pubis, on essaye de faire remonter l'enfant assez haut pour que la tête se présente directement au passage. Si l'on ne peut y réussir, il semble d'abord qu'il n'y auroit point d'autre moyen que de recourir au forceps ; cependant on parvient à faire descendre aisément le front dans le vagin, en faisant mettre la femme sur les genoux & les coudes, & en appliquant dans cette posture une main sur le pubis.

Il y a des cas où il suffiroit pour déclaver la tête d'un enfant, d'introduire entr'elle & les parties de la mere qui s'opposent à la sortie de l'enfant, un instrument fait en levier. Tel est le fameux instrument de Roonhuisen, qui a été si long-tems un secret en Hollande, où l'on assûre que ce célebre praticien terminoit presque tous les accouchemens laborieux par ce moyen si simple. Voyez Pl. XV. fig. 3. Il paroît qu'on peut dégager avantageusement par ce levier la tête retenue par l'os pubis, ou la tête qui, dans une disposition oblique de la matrice, arc-bouteroit contre une des tubérosités de l'os ischion. Voyez sur l'usage des forceps, les ouvrages de M. Levret & ceux de M. Smellié, accoucheurs à Paris & à Londres ; la matiere y est traitée d'une maniere très-instructive, toutes les difficultés y sont éclaircies ; l'expérience & la théorie s'y prêtent un appui mutuel. (Y)


FORCERv. act. (Gramm.) ce mot pris au simple a un grand nombre d'acceptions différentes. C'est surmonter une résistance par un emploi violent des forces du corps : c'est ainsi qu'on force une porte, un retranchement, &c. Forcer un cerf, c'est l'épuiser par une longue poursuite, afin de le prendre vif. On force une clé ou une serrure, quand on en dérange par effort le méchanisme. On force de voiles, de rames, en les multipliant autant qu'il est possible pour augmenter la vîtesse d'un bâtiment. On force à la paume, au billard, à beaucoup de jeux de cette nature, en déployant à un coup toute sa force. On force à un jeu de cartes, en obligeant certaines cartes à paroître, ou un joüeur à joüer en certaines circonstances déterminées. Forcer se dit au figuré d'une détermination de la volonté par des motifs qui donnent quelque chagrin, & sans lesquels elle se seroit autrement déterminée. Il me forcera quelques jours, par le trouble qu'il me cause, à lui parler durement. Forcer son esprit, son génie, son talent, c'est s'appliquer à des choses pour lesquelles on n'étoit point né. Un style est forcé par une singularité de constructions ou d'expressions qui a peiné l'auteur, & qui peine le lecteur. Forcer la recette, c'est passer en recette plus qu'on n'a reçû. Voyez dans les articles suivans d'autres acceptions du même mot.

FORCER UN CHEVAL, (Manége) c'est en outrer l'exercice ; c'est le surmener ; c'est l'estrapasser ; c'est exiger de lui des actions au-dessus de sa capacité & de ses forces ; c'est le solliciter encore durement & rigoureusement à des mouvemens dont l'exécution ne lui coûte ou ne lui est impossible, que parce que le moment où on l'y invite, est précisément l'instant où ses membres ne sont en aucune maniere disposés à l'action à laquelle on voudroit le conduire. Voyez TEMS. (e)

FORCER LA MAIN, (Manége) c'est de la part de l'animal en fuir non-seulement l'obéissance, mais chercher à se soustraire entierement à ses effets, & en vaincre réellement la puissance.

Cette action peut être placée au rang des plus dangereuses défenses, sur-tout lorsque le cheval en a contracté l'habitude.

La trop grande sensibilité d'une bouche importunée & même offensée, une sujétion ou excessive ou trop constante, des entreprises peu réfléchies & au-dessus des forces & de la capacité de l'animal, un caractere & une nature rébelle, des sentimens rigoureux, mérités en apparence, mais plus propres à irriter & à révolter qu'à produire un changement qu'on ne devoit attendre que de la patience & de la douceur ; telles sont les causes ordinaires du vice dont il s'agit.

Tout cheval qui force la main, tire communément ou en s'encapuchonnant, ou en roidissant le cou & en portant au vent.

Celui qui s'arme peche le plus souvent par le défaut de legereté, par le défaut de bouche, par la mauvaise conformation de son devant presque toûjours foible, bas & chargé ; & celui qui porte au vent, par la trop grande délicatesse des parties exposées à l'impression du mors.

Ce n'est pas dans une allure extrêmement promte & pressée que l'un & l'autre forceront la main : il est même assez rare que dans l'action du pas ils tâchent de se rédimer ainsi de toute contrainte ; mais le trot & le galop semblent leur en faciliter plus particulierement les moyens.

Toutes les leçons que j'ai prescrites en parlant du cheval qui fuit avec fougue & avec impétuosité, malgré les efforts que l'on fait pour le retenir, voyez EMPORTER (s') tous les principes que j'ai établis relativement à celui qui s'arme, voyez ENCAPUCHONNER (s') & relativement à des bouches égarées (voyez EGAREE) doivent être ici mis en usage pour corriger l'animal de cette défense.

Je ne conseillerai point de recourir, à l'exemple de quelques écuyers, à toutes les voies de rigueur, de solliciter des chevaux vifs & vigoureux à des courses longues & furieuses, de les pousser jusqu'à perte d'haleine, de les estrapasser entre des piliers ou vis-à-vis d'un mur quelconque, de leur lier les testicules avec un ruban de laine ou de soie auquel on a pratiqué un noeud coulant, & de tirer ce même ruban avec force au moindre mouvement qui annonce leur desobéissance, &c. de pareils préceptes, dont l'exécution est infiniment périlleuse, sont écrits, il est vrai, dans des ouvrages qui ont joüi de la plus grande réputation, mais ils ne sauroient en imposer qu'à des hommes dépourvûs de toute lumiere, & ils confirment ceux qui sont éclairés dans la persuasion où ils sont, que le plus beau nom n'est souvent dû qu'à la fortune de celui qui l'acquiert, & qu'à l'aveuglement d'une multitude d'ignorans qui décident.

Les seules ressources que se permet un véritable maître, sont celles qui émanent du fond de l'art, que le raisonnement suggere, & dont l'expérience garantit toûjours le succès.

Nul cheval ne peut forcer la main, si elle n'est dans une certaine opposition avec sa bouche : ainsi une main extrêmement legere, & qui à peine imprimera sur cette partie une sorte d'appui, ne fournira certainement à l'animal aucun prétexte à la résistance. Je conviendrai néanmoins que le vice dont il est question peut être tellement enraciné, que le cheval qui ne se sentira, pour ainsi dire, ni captivé ni retenu, profitera peut-être de l'espece de liberté qu'on lui laisse pour se déplacer de l'une ou de l'autre maniere, & pour se dérober ou pour fuir ; mais si le cavalier d'ailleurs instruit de la justesse des proportions qui constituent la science & l'habileté de la main, est attentif à prévenir cette action, ou plutôt s'il en saisit subtilement le moment précis, en élevant & en éloignant sa main de son corps dans le cas où le cheval voudra s'armer, ou en la mettant près de soi & en la baissant dans celui où il entreprendra de sortir de la ligne perpendiculaire en-avant, il rendra incontestablement la tentative de l'animal inutile.

Nous devons encore supposer que ce tems si nécessaire à rencontrer lui a échappé : le cheval s'encapuchonne, il fuit : alors on ne doit pas le renfermer sur le champ ; il importe au contraire de diminuer promtement le point d'appui leger que l'on tenoit, pour en revenir ensuite au mouvement de la main que je viens de prescrire, & pour rendre & reprendre de nouveau : car le passage subit de ce même point d'appui à un autre qui contraindroit davantage l'animal, lui présenteroit une occasion de faire effort contre la main, de la forcer, & d'en détruire les effets.

Il en est de même du cheval qui s'emporte en tendant le nez ; si le cavalier ne rend dans le moment, l'animal fuira toûjours, il résistera sans-cesse & de plus en plus ; tandis que s'il n'est d'abord en aucune façon captivé, il se replacera de lui-même ; & si dans cet instant le cavalier renferme le cheval, cette action seule faite à propos suffira pour l'arrêter. Tout dépend donc ici du tems où l'on doit agir, & non d'une force d'autant plus mal-à-propos employée, qu'elle ne peut jamais être supérieure, & qu'elle ne sert qu'à accroître la défense, bien loin de la réprimer ; & c'est ainsi que l'homme de cheval en triomphe, sauf à châtier d'ailleurs l'animal colere qui s'élance avant de s'abandonner, & à se conformer encore aux maximes déduites dans les articles auxquels j'ai renvoyé. (e)

* FORCER LA TERRE, (Agriculture) c'est pousser le labour trop profondément & amener en-dessus une mauvaise terre qui se trouve en quelques cantons sous la bonne terre.


FORCHEIMB(Géog.) en latin Vorchemium, ville d'Allemagne fortifiée, en Franconie, dans l'évêché de Bamberg, sur la riviere de Rednitz, à six lieues S. E. de Bamberg, huit de Nuremberg. Voyez Zeyler, Francon. topograp. Long. 28 d. 48. lat. 49 d. 44. (D.J.)


FORCIERESS. f. (Pêche) on appelle ainsi les petits étangs où on met du poisson, principalement des carpes mâles & femelles pour peupler.


FORCLOSadj. (Jurispr.) signifie exclus ou déchû. Il se dit de ceux qui ont laissé passer le tems de produire ou de contredire ; ils en demeurent forclos, c'est-à-dire déchûs. Voyez FORCLUSION. (A)


FORCLUSIONS. f. (Jurisp.) quasi à foro exclusio, est une déchéance ou exclusion de la faculté que l'on avoit de produire ou contredire, faute de l'avoir fait dans le tems prescrit par l'ordonnance, ou par le juge.

Juger un procès par forclusion, c'est le juger sur les pieces d'une partie, sans que l'autre ait écrit ni produit, quoique les délais donnés à cet effet soient expirés.

La forclusion n'a pas lieu en matiere criminelle. Voyez l'ordonnance de 1670, tit. xxiij. (A)

FORCLUSION, en matiere de succession, signifie, dans quelques coûtumes, exclusion d'une personne par une autre qui est appellée par préférence ; comme cela a lieu dans la coûtume de Nivernois pour les successions collatérales immobiliaires, dont les soeurs sont forcloses par les freres. (A)


FORCOMMANDS. m. (Jurisprud.) terme usité dans certains pays en matiere réelle & de révendication, pour exprimer une ordonnance ou mandement de justice, qui dépouille un possesseur de son indûe détention. On appelle héritages ou biens forcommandés, ceux qui sont ainsi revendiqués. Voyez au style du pays de Liége, chap. jv. art. 20. 21. 22. 24. chap. xxv. art. 5 & 6. & ch. xxvj. (A)


FORCULES. m. (Mythol.) Les divinités s'étoient multipliées chez les Romains au point, que la garde d'une porte en occupoit trois ; l'une présidoit aux battans, c'étoit Forcule ; une autre aux gonds, c'étoit Cardea ; & la troisieme au seuil de la porte. Voilà trois dieux, où il falloit à peine un homme.


FORDICIDESS. f. (Myth.) fêtes que les Romains célébroient le cinquieme d'Avril, & dans lesquelles ils immoloient à la terre des vaches pleines. Fordicide vient de forda, vache pleine, & de caedo, je tue ; & forda de . Chaque curie immoloit sa vache. Ce qui n'est pas inutile à remarquer, c'est que ces sacrifices furent institués par Numa, dans un tems de stérilité commune aux campagnes & aux bestiaux. Il y a de l'apparence que le législateur songea à affoiblir une de ces calamités par l'autre, & qu'il fit tuer les vaches pleines, parce que la terre n'avoit pas fourni dequoi les nourrir & leurs veaux : mais la calamité passa, & le sacrifice des vaches pleines se perpétua. Voilà l'inconvénient des cérémonies superstitieuses, toûjours dictées par quelque utilité générale, & respectables sous ce point de vûe ; elles deviennent onéreuses pendant une longue suite de siecles à des peuples qu'elles n'ont soulagés qu'un moment. Si l'intervention de la divinité est un moyen presque sûr de plier l'homme grossier à quelque usage favorable ou contraire à ses intérêts actuels, à sa passion présente, en revanche c'est un pli dont il ne revient plus quand il l'a pris ; il en a ressenti une utilité passagere, & il y persiste moitié par crainte, moitié par reconnoissance : plus alors le législateur a montré de sagesse dans le moment, plus le mal qu'il a fait pour la suite est grand. D'où je conclus qu'on ne peut être trop circonspect, quand on ordonne aux hommes quelque chose de la part des dieux.


FORERv. act. (Arts méchan. en fer, en bois, en cuivre & en métaux) c'est percer un trou dans une piece. Pour forer, l'ouvrier prend un foret (Voyez l'article FORET) ; il le choisit selon le trou & la matiere qu'il doit percer. Il prend la palette (Voyez l'article PALETTE) ; il monte le foret sur l'arson (Voy. l'article ARSON) ; il place le bout arrondi du foret dans une des petites cavités pratiquées au morceau de fer qui occupe le milieu de la palette. Il appuie la pointe du foret contre la piece à percer, qui doit être arrêtée dans un étau. Il fait mouvoir ou tourner sur lui-même le foret, dont il a soin de tremper de tems en tems la pointe dans l'huile, pour empêcher qu'elle ne se détrempe, & le trou se fait. Lorsqu'il est sur le point d'être achevé, ce qui se reconnoît à une petite bosse ou lentille qui se forme au côté de la piece opposé à celui que l'on perce, l'ouvrier tourne le foret moins vîte, & le presse moins fort contre la piece : sans cette précaution, la pointe du foret venant à traverser la piece subitement & avec violence, le foret pourroit être cassé.

On appelle cette maniere de forer, forer à la palette ; mais on fore à la machine. Substituez à la palette un morceau de fer coudé des bouts en équerre ; imaginez sur ces deux bouts coudés perpendiculairement, un foret arrêté & mobile, précisément de la même maniere que l'arbre d'un tour ordinaire l'est sur le tour ; faites passer la corde de l'arson sur la boîte du foret ; faites tourner le foret, & appliquez fortement la piece à percer contre la pointe du foret.

Ainsi en forant à la palette, on presse le foret contre la piece ; au contraire en forant à la machine, on presse la piece contre le foret. Voyez, dans nos Planches de Serrurerie, une machine à forer.


FORESTAGE(Jurisprud.) étoit un droit que le forestier d'un seigneur étoit obligé de lui payer à titre de redevance. En Bretagne, ce droit consistoit en tasses ou écuelles, que les officiers des forêts du seigneur lui présentoient lorsqu'il tenoit sa cour pleniere. Voyez ci-après FORESTIER. (A)


FORESTIER(Jurispr.) forestarius, officier des forêts, dont il est fait mention dans une ordonnance de Philippe-le-Bel au parlement de la Toussaint 1291.

Dans plusieurs coûtumes, comme Meaux, Sens, Langres, Vitri, les deux Bourgognes, Nivernois, Mons, Bretagne, les forestiers sont les sergens ou gardiens des forêts. L'ordonnance de 1669 les appelle sergens à garde.

Les gouverneurs de Flandres ont été appellés forestiers, à cause que ce pays étoit alors appellé la forêt Chambroniere. Ces forestiers avoient le commandement sur mer comme sur terre : ils furent ainsi nommés jusqu'à Charlemagne, ou, selon d'autres, jusqu'à Charles-le-Chauve, tems auquel la Flandre ayant été érigée en comté, le titre de forestier de Flandres fut changé en celui de comte de Flandres. Voyez du Tillet ; liv. I. de ses mém. de la seconde branche de Bourg & Pasquier, en ses recherches, liv. II. chap. xjv.

Les Italiens appellent les étrangers forestiers, quasi qui sunt extra fores : (A)


FORETS. f. (Botan. & Econom.) On entend en général par ce mot, un bois qui embrasse une fort grande étendue de terrein : cependant cette dénomination n'est pas toûjours déterminée par la plus grande étendue. On appelle forêt dans un lieu, un bois moins considérable que celui qui ne porteroit ailleurs que le nom de buisson. Voyez BOIS.

Une grande forêt est presque toûjours composée de bois de toute espece & de tout âge.

On les nomme taillis depuis la premiere pousse jusqu'à vingt-cinq ans ; & gaulis, depuis vingt-cinq jusqu'à cinquante ou soixante : alors ils prennent le nom de jeune-futaye ou de demi-futaye, & vers quatre-vingt-dix-ans celui de haute-futaye. Ce dernier terme est celui par lequel on désigne tous les vieux bois.

Il paroît que de tous tems on a senti l'importance de la conservation des forêts ; elles ont toûjours été regardées comme le bien propre de l'état, & administrées en son nom : la religion même avoit consacré les bois, sans-doute pour défendre, par la vénération, ce qui devoit être conservé pour l'utilité publique. Nos chênes ne rendent plus d'oracles, & nous ne leur demandons plus le gui sacré ; il faut remplacer ce culte par l'attention ; & quelque avantage qu'on ait autrefois trouvé dans le respect qu'on avoit pour les forêts, on doit attendre encore plus de succés de la vigilance & de l'économie.

L'importance de cet objet a été sentie de tout tems ; cela est prouvé par le grand nombre de lois forestieres que nous avons : mais leur nombre prouve aussi leur insuffisance ; & tel sera le sort de tous les réglemens économiques. Les lois sont fixes de leur nature, & l'économie doit continuellement se prêter à des circonstances qui changent. Une ordonnance ne peut que prévenir les délits, les abus, les déprédations ; elle établira des peines contre la mauvaise foi, mais elle ne portera point d'instructions pour l'ignorance.

Ce n'est donc pas sans raison que, malgré nos lois, on se plaint que nos forêts sont généralement dégradées ; le bois à brûler est très-cher ; le bois de charpente & celui de construction deviennent rares à l'excès. M. de Reaumur en 1721, & M. de Buffon en 1739, ont consigné, dans les mémoires de l'académie, des réclamations contre ce dépérissement qui étoit déjà marqué. En fait de bois, & sur-tout de grands bois, lorsqu'on s'apperçoit de la disette, elle est bien-tôt extrème. Les réparations sont très-longues ; il faut cent cinquante ans pour former une poutre : d'ailleurs celui qui porte les charges de ces réparations n'étant pas destiné à en joüir, elles se font toûjours avec langueur. Cette partie de l'économie rustique est aussi la moins connue ; les bois s'appauvrissent & se réparent par degrés presque insensibles. On n'y voit point de ces promts changemens de scene, qui excitent la curiosité & animent l'intérêt. On ne pourroit être instruit que par des expériences traditionnelles bien suivies, & on n'en a point, ou par des observations faites dans beaucoup de bois & de terreins différens ; & le tems, le courage ou les moyens manquent au plus grand nombre.

Si les bois doivent être regardés comme le bien de l'état, à cause de leur utilité générale, une forêt n'est souvent aussi qu'un assemblage de bois dont plusieurs particuliers sont propriétaires. De ces deux points de vûe naissent des intérêts différens, qu'une bonne administration doit concilier. L'état a besoin de bois de toute espece, & dans tous les tems ; il doit sur-tout se ménager de grands bois. Si l'on en use pour les besoins présens, il faut en conserver & en préparer de loin pour les générations suivantes. D'un autre côté, les propriétaires sont pressés de joüir, & quelquefois leur empressement est raisonnable. Des motifs tirés de la nature de leurs bois & de celle du terrein, peuvent les exclure du cercle d'une loi générale ; il faut donc que ceux qui sont chargés de veiller pour l'état à la manutention des forêts, ayent beaucoup vû & beaucoup observé ; qu'ils en sachent assez pour ne pas outrer les principes, & qu'ils connoissent la marche de la nature, afin de faire exécuter l'esprit plus que la lettre de l'ordonnance.

Cela est d'autant plus essentiel, que la conservation proprement dite tient précisément à cette partie de l'administration publique, qui prescrit le tems de la coupe des bois. On sait que la coupe est un moyen de les rajeunir ; mais pour recueillir de ce rajeunissement tout le fruit qu'on en peut attendre, il faut faire plusieurs observations.

Les bois nouvellement coupés croissent de plus en plus chaque année jusqu'à un certain point : ainsi à ne considérer que le revenu, on doit les laisser sur pié tant que dure cette progression.

Mais l'avantage devient plus considérable, si l'on regarde la conservation du fonds même. Le rajeunissement trop souvent répété altere la souche, épuise la terre, & abrege la durée du bois. M. de Buffon a observé en faisant receper de jeunes plants, que la seve se trouvant arrêtée par la suppression de la tige dans laquelle elle devoit monter, agit fortement sur les racines, & les enfonce dans la terre, où elles trouvent une nourriture nouvelle qui fait pousser des rejettons plus vigoureux. La même chose arrive toutes les fois qu'on coupe un bois qui n'est pas trop vieux : mais cette ressource de la nature est nécessairement bornée. Chaque terrein n'a qu'une certaine profondeur, au-delà de laquelle les racines ne pénétreront point : ainsi couper trop souvent un taillis, c'est hâter le moment auquel il doit commencer à dépérir ; c'est consumer en efforts toutes les forces de la nature. La vigilance publique est donc obligée de s'opposer à l'avidité mal-entendue des particuliers qui voudroient sacrifier la durée de leurs bois à la joüissance du moment ; elle est dépositaire des droits de la postérité ; elle doit s'occuper de ses besoins & ménager de loin ses intérêts : mais il seroit dangereux d'outrer ce principe, & il faut bien distinguer ici entre l'usage des taillis & la réserve des futaies. Les taillis étant un objet actuel de revenu, on ne doit en prolonger la coupe qu'autant que dure, d'une maniere bien marquée, la progression annuelle dont nous avons parlé : par-là on rend également ce qui est dû à la génération présente & à celle qui doit suivre. Le propriétaire est dédommagé de l'attente qu'on a exigée de lui, & le fonds des bois est conservé autant qu'il peut l'être.

On a déjà fait sentir dans ce Dictionnaire combien il seroit important de fixer le point auquel on n'a plus rien à gagner en reculant la coupe des bois. Voyez BOIS.

On pourroit appliquer aux taillis la méthode qu'a suivie M. de Buffon en examinant les futaies, & déterminer par la profondeur du terrein le dernier degré du plus grand accroissement, comme il a fixé celui où le dépérissement pourroit être à craindre. En conséquence de ces regles, nous pourrions n'avoir de taillis que dans les terreins pierreux, secs, & peu profonds ; nous aurions des gaulis vigoureux dans les terres moyennes, & de belles futaies dans celles qui sont bonnes. Mais le chêne n'est pas le seul bois dont nos forêts soient composées. Pour complete r cette théorie de la coupe des bois, il y auroit encore bien des expériences à faire & des problèmes à resoudre ; il faudroit déterminer la progression de chaque espece de bois utile à chaque degré de profondeur. Il y en a pour qui la profondeur n'est presque rien ; parce que leurs racines s'étendent, au lieu de s'enfoncer : tel est l'orme, & tels sont en général tous les bois blancs. Il y en a qui n'étant encore qu'à la moitié de leur accroissement, ne sont point rajeunis par la coupe : tel est le hêtre, & souvent le charme ; leur souche ne repousse point, ou ne peut repousser que foiblement. Quelque bien faites que fussent ces observations, il y auroit encore beaucoup d'exceptions aux regles, & il sera toûjours difficile de se dispenser de la connoissance de coup-d'oeil qui trompe rarement les gens exercés.

Au reste ce terme qu'il est important de saisir pour la coupe des bois, n'est pas le point mathématique entre le dernier degré du plus grand accroissement, & le premier de l'inaction ; il y a toûjours plusieurs années. Cet intervalle, qu'on peut regarder comme presque indifférent, est plus ou moins long pour chaque espece de bois, en proportion de sa durée naturelle : mais il vaut mieux prendre un peu sur ce qu'on pourroit encore espérer, que de trop attendre. C'est ainsi que doivent être conduits les taillis, & en général tous les bois qu'on regarde comme en coupe ordinaire. A l'égard de ceux qui sont en réserve, l'économie publique peut se régler sur d'autres principes, parce qu'elle a d'autres intérêts ; quoique passé un certain point le bois n'augmente plus chaque année que de moins en moins, cependant il augmente, & l'état a besoin de tout l'accroissement qu'il peut prendre. Il faut des bois de charpente & de construction ; & c'est en conséquence de ces besoins que la coupe des reserves doit être prolongée : il faut seulement une égale attention à laisser le bois sur pié tant qu'il peut croître, & à le couper avant que le dépérissement commence ; si l'on attendoit plûtard, le bois seroit moins bon pour l'usage, sa souche ne repousseroit plus, & le propriétaire seroit contraint à la dépense rebutante d'une plantation nouvelle.

On a voulu sans-doute concilier l'intérêt de l'état avec celui des particuliers, lorsqu'on a imaginé la réserve des baliveaux ; l'avarice des propriétaires a dû en être moins effrayée qu'elle n'auroit été de la réserve entiere d'une partie de leurs bois.

Malheureusement il est prouvé que ce ménagement ne produit aucun des effets qu'on a pû s'en promettre. M. de Reaumur & M. de Buffon ont montré que le bois des baliveaux est moins bon qu'aucun autre ; que leurs graines ne resement point les bois d'une maniere utile ; que les taillis qui en sont couverts sont plus sensibles à la gelée (V. BALIVEAU & BOIS) : à cela on peut ajoûter que le fonds même de nos forêts est étrangement altéré par cette réserve, contre laquelle on ne sauroit trop reclamer. Lorsqu'on coupe un taillis, les baliveaux qui restent à découvert poussent des branches qui emportent la seve destinée à faire croître & grossir la tige. Ces branches étouffent le taillis renaissant, ou lorsqu'il est vigoureux, elles sont étouffées par lui. La même chose se répete à chaque coupe, jusqu'à-ce que les baliveaux épuisés par cette production latérale meurent en cime sans avoir pû s'accroître : alors on les coupe inutilement ; leur souche altérée ne pousse que de foibles rejettons ; les places qu'ils occupoient restent vuides ; le jeune bois des environs languit ; en un mot on ne peut se promettre de la réserve des baliveaux, que des taillis dépérissant par la gelée, l'ombre, ou le défaut d'air, & de petits chênes contrefaits, mourant d'une vieillesse prématurée.

Ce qui n'arrive que par succession & à différentes reprises dans les bois qu'on coupe jeunes, on en est frappé tout-d'un-coup dans ceux de moyen âge. M. de Reaumur a pensé le contraire, & son opinion est vraisemblable ; mais elle est desavoüée par l'expérience. J'ai vû couper des bois de soixante & dix ans, dont l'essence étoit de charmes mêlés d'un assez grand nombre de chênes très-vivaces. On réserva les plus beaux de ces chênes qui, vû le terrein, devoient profiter encore pendant cinquante ans : mais leur tige exposée à l'air s'étant couverte de branches dès la premiere année, ils étoient morts en cime à la quatrieme, & presqu'aucun n'a pû résister à cette sorte d'épuisement. La réserve des baliveaux est donc un très-grand obstacle à la conservation des forêts : mais cette réserve prescrite par les lois, ne peut être abrogée que par elles. On aura, comme l'a remarqué M. de Reaumur, du bois de service de toute espece, en obligeant les particuliers à laisser croître en futaie une partie de leurs taillis, & en augmentant les réserves des gens de main-morte. On ne croit plus que les futaies doivent être composées d'arbres de brins ; l'expérience nous a même appris que les bois ne s'élevent d'une maniere bien décidée, qu'après avoir été recépés ou coupés en taillis deux ou trois fois : au lieu de baliveaux laissés pour la plûpart dans des terreins dont l'ingratitude ne permet aucune espérance, nous aurions des réserves pleines, choisies dans les meilleurs terreins, & par-là bien plus propres à fournir à tous nos besoins.

On pourroit accélérer l'accroissement des brins les plus vigoureux, des maîtres-brins, en coupant de dix ans en dix ans ceux qui plus foibles sont destinés à mourir. Leur suppression, en éclaircissant un peu les futaies, mettroit les principaux arbres dans le cas de devenir plus gros, plus hauts, & plus utiles.

Les fonds qui ne sont point humides, sont à préférer à tous les autres lieux pour les réserves. Où la nature n'offre que des terreins médiocres, on ne peut que choisir les moins mauvais, & regler en conséquence le tems de la coupe.

Cette attention est, comme nous l'avons dit, de la plus grande importance. Ici le bois ne repoussera plus, si vous ne le coupez pas à cinquante ans : là si vous le coupez à cent, vous perdez ce qu'il auroit acquis encore pendant cinquante. C'est en ce point seul que réside toute la partie de l'économie forestiere qui concerne la conservation. Nous disons la conservation prise dans le sens le plus étroit, car il est certain que les bois vieillissent, quelle que soit leur durée. Un chêne en bon fonds subsiste environ trois cent ans : une souche de chêne, rajeunie de tems en tems par la coupe, va plus loin ; mais enfin elle s'épuise & meurt. Si l'on veut donc avoir toûjours des taillis pleins & garnis, il faut réparer par dégrés ces pertes successives, & remédier aux ravages du tems par une attention continuelle.

Pour y parvenir facilement & sûrement, observons la maniere dont la nature agit, & suivons la route qu'elle même nous aura tracée. Si l'on regarde bien les bois très-anciens, on verra qu'à mesure que la premiere essence dépérit, de nouvelles especes s'emparent peu-à-peu du terrein, & qu'après un certain nombre de coupes elles deviennent les especes dominantes, souvent le progrès en est très-rapide, & c'est lorsque l'espece subjuguée est très-vieille. Cette tendance au changement qui paroît être une disposition assez générale dans la nature, est moins remarquée dans les bois qu'ailleurs, parce qu'il faut toûjours un grand nombre d'années pour qu'il y ait une altération sensible : mais on supplée à cette lente expérience en voyant beaucoup de bois différens, & en comparant les degrés de facilité qu'ont les especes nouvelles à s'y introduire. Dans les anciens bois de chêne on verra des bouleaux, des coudres & d'autres bois blancs remplir peu-à-peu les vuides, & même étouffer les rejettons de chêne qui y languissent encore. Dans un terrein long-tems occupé par des bois blancs, de jeunes chênes vaincront l'ascendant ordinaire que donne à ceux-ci la promtitude avec laquelle ils croissent ; loin d'en être étouffés, on les verra s'élever à leur ombre & s'emparer enfin de la place. Il est visible que l'ancienne production manque de nourriture, où la nouvelle en trouve une abondante.

Je connois des coudraies assez étendues, dans lesquelles on trouve quelques chênes anciens & des cepées de châtaigners, dont la souche décele la vieillesse, & qui sont-là comme témoins de l'ancienne essence.

On ne peut pas soupçonner nos peres d'avoir planté des coudres : vraisemblablement ce bois méprisable par son peu d'utilité & sa lenteur à croître, s'est introduit à mesure que les chênes & les châtaigners ont dépéri, parce qu'on a négligé d'introduire une espece plus utile. Ces observations sont confirmées par l'expérience. Tous les gens qui ont beaucoup planté, savent combien il est difficile d'élever quelque sorte de bois que ce soit, dans un terrein qui en a été long-tems fatigué ; la résistance qu'on y trouve est marquée & rebutante.

Il faut donc, lorsqu'un taillis commence à dépérir, y favoriser quelque espece nouvelle, & l'on peut dire qu'ordinairement la nature en offre un moyen facile. Il est rare que l'essence des bois soit entierement pure : ici c'est un frêne dont la tige s'éleve au milieu d'une foule de chênes qu'il surmonte ; là c'est un hêtre, un orme, &c. ils y prennent un accroissement d'autant plus promt, qu'ils ne sont point incommodés par des voisins de leur espece. Il faut choisir quelques-uns de ces arbres, & les laisser sur pié lorsqu'on coupe le taillis dépérissant. Leurs fruits portés çà & là par les oiseaux, ou leurs graines dispersées par les vents germeront bien-tôt, & l'on verra une espece nouvelle & vigoureuse succéder à celle qui languissoit : ainsi la terre réparera ses forces sans l'inconvénient d'une inaction totale ; & dans la suite cette essence subrogée venant à dépérir, elle sera peu-à-peu remplacée par des chênes.

Il est aisé de sentir que le choix de l'espece qu'on favorise n'est pas indifférent ; ordinairement on doit préférer celle qui sera d'une utilité plus grande, eu égard aux besoins du pays : mais si on veut que l'essence dépérissante renaisse plûtôt, il faut lui substituer celle qui par sa nature doit occuper le terrein moins long-tems qu'aucun autre.

Un taillis subsiste plus long-tems, à proportion que le bois dont il est composé enfonce plus avant ses racines : par cette raison, le bouleau, le tremble, &c. ne devant pas occuper long-tems le même terrein, sont propres à devenir especes intermédiaires.

Au moyen de cette succession de bois différens, on n'appercevra jamais dans les taillis un dépérissement marqué par des vuides ; les pertes qui n'arrivent que par degrés, se répareront de même : mais si le terrein n'offroit point d'arbres propres à resemer, il faudroit avoir recours à la plantation ; il faudroit aller chercher dans les bois voisins quelque espece propre à remplir cet objet, & en regarnir les places vuides. Cette maniere de réparer demande plus de soins que de dépense.

Dans les futaies qu'on aura abattues, il faudra se régler par les mêmes principes ; replanter, s'il n'y a pas assez d'arbres d'une autre espece pour attendre de la nature toute seule un promt rétablissement. Il faut cependant distinguer ici entre les vieilles futaies celles qui le sont à l'excès, & qui depuis long-tems ne font que dépérir : dans celles-là le changement d'espece devient beaucoup moins nécessaire, & cette remarque de fait est une nouvelle conséquence de notre principe. Dans une futaie qui dépérit, les arbres sont dans le cas d'une végétation si languissante, qu'ils n'ont presque rien à demander à la terre ; ce qu'elle leur fournit tous les ans pour entretenir leur foible existence, ils le lui rendent par la chûte de leurs feuilles ; ce tems est pour elle un véritable repos qui rétablit ses forces. Lors donc qu'on abat une telle futaie, on doit trouver & on trouve en effet moins de résistance à y réhabiliter la même espece de bois. Voilà pourquoi on ne remarque point de changement dans les grandes forêts éloignées des lieux où le bois se consomme ; les bois y vieillissent jusqu'au dernier degré, la terre se répare pendant leur long dépérissement, & devient à la fin en état de reproduire la même espece.

Quelque simple que soit le moyen que nous avons proposé pour rétablir continuellement les bois, il réussira sûrement lorsque la nature sera laissée à elle-même, ou du-moins lorsque ses dispositions seront secondées. Il n'en sera pas ainsi lorsqu'on voudra multiplier à un certain point le gibier, bêtes fauves, lapins, &c. Ces ennemis des bois qu'ils habitent, dévorent les germes tendres destinés au rétablissement des forêts. Chaque fois qu'on coupe un taillis, il est dans un danger évident, si on ne le préserve pas pendant deux ans de la dent des lapins, & pendant quatre de celle du fauve. Quelques especes même, comme sont le charme, le frêne, le hêtre, sont en danger du côté des lapins pendant six ou sept ans. Si l'on veut donc avoir en même tems & des bois & du gibier, il faut une attention plus grande, & plus que de l'attention, des précautions & des dépenses. Il faut enfermer les taillis jusqu'à-ce qu'ils soient hors d'insulte ; il faut arracher les futaies pour les replanter, & préserver le plant de la même maniere pendant un tems beaucoup plus long. On ne peut plus s'en fier à la nature, lorsqu'on a une fois rompu l'ordre de proportion qu'elle a établi entre ses différentes productions. En extirpant les belettes, on croit ne détruire qu'un animal malfaisant : mais outre que les belettes empêchent la trop grande multiplication des lapins, elles sont ennemies des mulots ; & les mulots multipliés dévorent le gland, la châtaigne, la faine, qui repeupleroient nos forêts. Au reste si les dépenses & les soins sont nécessaires, il est sûr aussi qu'en n'épargnant ni les uns ni les autres, on peut conserver en même tems & des bois & du gibier : mais il faut sur-tout les redoubler, pour faire réussir les plantations nouvelles.

Par-tout où la quantité de gibier ne sera pas trop grande, les plantations, que les écrivains économiques rendent si effrayantes, deviennent très-faciles, & se font à peu de frais. La méthode conforme à la nature qu'a suivie M. de Buffon, & dont il a rendu compte dans un mémoire à l'académie, réussira presque toûjours ; elle se borne à enterrer legerement le gland après un assez profond labour, & à ne donner de soin au plant que celui de le récéper lorsqu'il languit. Voyez BOIS. Cette méthode est par sa simplicité préférable à toute autre, par-tout où le bois ne sera pas fort cher, & où la terre un peu legere ne poussera pas une grande quantité d'herbe. Dans une terre où l'herbe croîtra avec abondance, il sera difficile de se passer de quelque leger binage au pié des jeunes plants. Il leur est aussi desavantageux d'être pressés par l'herbe, qu'utile d'en être protégés contre la trop grande ardeur du soleil. Il arrivera peut-être aussi que dans un terrein très-ferme, le gland étant semé, comme le dit M. de Buffon, les jeunes chênes ne croîtront que lentement, malgré les effets du recépage. C'est ce qu'il faut éviter dans les lieux où le bois est cher. Une joüissance beaucoup plus promte y dédommage d'une dépense un peu plus grande : je conseillerois alors de se servir de plant élevé en pépiniere ; mais le défoncement entier du terrein dont parlent les écrivains, n'est qu'une inutilité dispendieuse.

Faites des trous de quinze pouces en quarré & de la même profondeur ; mettez le gason au fond, & la terre meuble par-dessus ; plantez quand la terre est saine ; mettez deux brins de plant dans chaque trou, pour être moins dans le cas de regarnir ; binez legerement une fois chaque année pendant deux ans, ou deux fois si l'herbe croît avec trop d'abondance ; choisissez pour biner un tems sec, après une petite pluie ; recépez vôtre plant au bout de quatre ans : vous aurez alors un bois vigoureux & déjà en valeur.

A l'égard de la distance qu'il faut mettre entre les trous, elle doit être décidée par l'objet qu'on se propose en plantant. Si on veut un taillis à couper tous les quinze ans, il faut planter à quatre piés : on mettra cinq piés de distance, si l'on se propose de couper les bois à trente ou quarante ans, & plus encore si on le destine à devenir une futaie. Nous traiterons ailleurs cette matiere avec plus d'étendue. Voy. PEPINIERE & PLANTATION.

Quant au choix de l'espece de bois, on peut être déterminé raisonnablement par différens motifs. Le chêne méritera toûjours une sorte de préférence par sa durée & la diversité des usages importans auxquels il est propre : cependant plusieurs autres especes, quoique inférieures en elles-mêmes, peuvent être à préférer au chêne, en raison de la consommation & des besoins du pays. Depuis que les vignes se sont multipliées, & que le luxe a introduit dans nos jardins une immense quantité de treillages, le châtaigner est devenu celui de tous les bois dont le taillis produit le revenu le plus considérable. Nous voyons par d'anciennes charpentes, qu'on en pourroit tirer beaucoup d'utilité en le laissant croître en futaie ; mais l'hyver de 1709 ayant gelé une partie des vieux châtaigners, a dû ralentir les propriétaires sur le dessein d'en faire cet usage. En général, le bois qui croît le plus vîte est celui qui produit le plus, par-tout où la consommation est considérable. Les blancs-bois les plus décriés n'y sont pas à négliger : le bouleau, par exemple, devient précieux par cette raison, & parce qu'il croît dans les plus mauvaises terres, dans celles qui se refusent à toutes les autres especes.

Le hêtre, le frêne, l'orme, ont des avantages qui leur sont propres, & qui dans bien des cas peuvent les faire préférer au chêne. Voyez tous ces différens arbres, chacun à son article : vous y trouverez en détail leurs usages, leur culture, le terrein où ils se plaisent particulierement. Les terres moyennes conviennent au plus grand nombre ; on y voit souvent plusieurs especes mêlées, & ce mélange est favorable à l'accroissement du bois & à sa vente.

Finissons par quelques observations particulieres.

Les terres crétacées sont de toutes les moins favorables au bois : les terres glaiseuses ensuite ; & par degré, les composées de celles-là.

Il est beaucoup plus difficile de faire venir du bois dans les terres en train de labour, que dans celles qui sont en friche. La difficulté double encore, si ces terres ont été marnées, même anciennement.

Si un taillis est mangé par les lapins à la premiere pousse, il ne faut point le recéper. Les rejettons dépouillés meurent ; mais il en revient un petit nombre d'autres qui sont plus vigoureux que ceux qui repousseroient sur les jeunes tiges. Si le taillis a deux ans lorsqu'il est mangé, & qu'il soit entierement dépouillé, il faut le recéper. Article de M. LE ROY, Lieutenant des Chasses du parc de Versailles.

FORET, (Jurisprud.) ce terme pris dans sa signification propre ne s'entend que des bois d'une vaste étendue : mais en matiere de Jurisprudence, quand on parle de forêts, on entend tous les bois grands & petits.

Anciennement, le terme de forêt comprenoit les eaux aussi-bien que les bois. On voit en effet dans de vieux titres, forêt d'eau pour vivier où l'on garde du poisson, & singulierement parmi ceux de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, on trouve une donation faite à ce monastere de la forêt d'eau, depuis le pont de Paris jusqu'au rû de Sevre, & de la forêt des poissons de la riviere : ainsi la concession de forêt étoit également la permission de pêcher, & d'abattre du bois. C'est sans-doute de-là qu'on n'a établi qu'une même jurisdiction pour les eaux & forêts.

On appelloit aussi droit de forêt le droit qu'avoit le seigneur d'empêcher qu'on ne coupât du bois dans sa futaie, & qu'on ne pêchât dans sa riviere.

Les coûtumes d'Anjou, Maine, & Poitou, mettent la forêt au nombre des marques de droite baronie : ces coûtumes entendent par forêt un grand bois où le seigneur a le droit de chasse défensable aux grosses bêtes. Selon ces coûtumes, il faut être au moins châtelain pour avoir droit de forêt, ou en avoir joüi par une longue possession.

Les forêts, aussi-bien que les eaux, ont mérité l'attention des lois & des ordonnances ; & nos rois ont établi différens tribunaux pour la conservation tant de leurs forêts que de celles des particuliers ; tels que des tables de marbre des maîtrises particulieres, des gruries. Il y a aussi des officiers particuliers pour les eaux & forêts ; savoir les grands-maîtres, qui ont succédé au grand forestier, les maîtres particuliers, des gruyers, verdiers, des forestiers, & autres.

Les ordonnances anciennes & nouvelles, & singulierement celle de 1669, contiennent plusieurs réglemens pour la police des forêts du roi par rapport à la compétence des juges en matiere d'eaux & forêts, pour l'assiette, balivage, martelage, & vente des bois, les recollemens, vente des chablis & menus marchés ; les ventes & adjudications des panages, glandées, & paissons ; les droits de pâturage & panage ; les chauffages, & autres usages du bois, tant à bâtir qu'à réparer ; pour les bois à bâtir pour les maisons royales & bâtimens de mer ; pour les forêts, bois & garennes tenus à titre de doüaire, concession, engagement & usufruit ; les bois en grurie, grairie, tiers, & danger ; ceux appartenans aux ecclésiastiques & gens de main-morte, communautés d'habitans, & aux particuliers ; pour les routes & chemins royaux ès forêts ; la chasse dans les bois & forêts ; enfin pour les peines, amendes, restitutions, dommages, intérêts, & confiscations. Voyez EAUX ET FORETS, BOIS, CHASSE, &c.

En Angleterre, lorsque le roi établit quelque nouvelle forêt, on ordonne que quelques terres seront comprises dans une forêt déjà subsistante : on appelle cela enforester ces terres. Voyez DESENFORESTER & ENFORESTER. (A)

FORET-HERCYNIE, (Géog.) en latin hercinia sylva, vaste forêt de la Germanie, dont les anciens parlent beaucoup, & qu'ils imaginoient traverser toute la Celtique. Plusieurs auteurs frappés de ce préjugé, prétendent que les forêts nombreuses que l'on voit aujourd'hui en Allemagne, sont des restes dispersés de la vaste forêt Hercynienne : mais il faut remarquer ici que les anciens se sont trompés, quand ils ont crû que le mot hartz étoit le nom particulier d'une forêt ; au lieu que ce terme ne désignoit que ce que désigne celui de forêt en général. Le mot arden, d'où s'est formé celui d'Ardennes, & qui n'est qu'une corruption de hartz, est pareillement un terme générique qui signifie toute forêt sans distinction. Aussi Pomponius Mela, Pline, & César se sont abusés dans leurs descriptions de la forêt Hercynienne. Elle a, dit César, 12. journées de largeur ; & personne, ajoûte-t-il, n'en a trouvé le bout, quoiqu'il ait marché 60 jours. A l'égard des montagnes d'Hercynie, répandues dans toute la Germanie, c'est pareillement une chimere des anciens, qui a la même erreur pour fondement. Diodore de Sicile, par exemple, liv. V. ch. xxj regarde les montagnes d'Hercynie comme les plus hautes de toute l'Europe ; les avance jusqu'à l'Océan ; & les borne de plusieurs îles, dont la plus considérable est, selon lui, la Bretagne. (D.J.)

FORET NOIRE, (Géog.) grande forêt ou grand pays d'Allemagne, appellé par les Romains sylva Martiana. Elle est dans le cercle de Soüabe, entre le comté de Furstemberg & le duché de Wirtemberg ; elle a vers l'orient, le Brisgaw ; & l'Ortnaw, vers le couchant : on lui a donné en allemand le nom de Schwartz-Wald, c'est-à-dire forêt noire, à cause de l'épaisseur de ses bois. Elle s'etendoit autrefois jusqu'au Rhin ; & les villes de Rinfeld, de Seckingen, de Lauffembourg, & de Valdshut, ne se nomment les quatre villes forestieres, que parce qu'elles étoient renfermées dans la forêt-noire. Cette forêt faisoit anciennement portion de la forêt Hercynie, comme on le juge par le nom du village de Hercingen, proche du bourg de Waldsée. Peucer & autres croyent que c'est le pays que Ptolomée appelle le desert des Helvétiens. Quoi qu'il en soit, ce pays est plein de montagnes, qui s'avancent jusqu'au Brisgaw. Ces montagnes sont couvertes de grands arbres, sur-tout de pins ; & les vallées sont seulement fertiles en pâturages. On prétend que le terroir gâte les semences ; à-moins qu'on n'ait soin de le brûler auparavant. Voyez le liv. III. de Rhénanus, rer. germ. nov. antiq. (E. J.)

* FORET, s. m. (Arts méchaniq.) Les ouvriers en fer font eux-mêmes leurs forets. S'il arrive au foret d'un horloger de se casser, il en refait la pointe ; il la fait rougir à la chandelle, & il la trempe dans le suif : quand elle est trempée, il la recuit à la flamme de la chandelle.

C'est en général un outil d'acier dont on se sert pour percer des trous dans des substances dures : d'où l'on voit que sa grosseur & la forme de sa pointe varient selon le corps à percer & la grandeur du trou.

Il faut y distinguer trois parties ; une des extrémités ordinairement aiguë, & toûjours tranchante, qu'on appelle la pointe ; le milieu, qui est renflé & plat ; & la queue, qui est arrondie.

Les Serruriers en ont de 9 à 10 pouces de long ; ils s'en servent pour percer à froid toutes les pieces qui n'ont pû l'être à chaud : ils ont la pointe aiguë & à deux biseaux tranchans.

La trempe du foret varie selon la matiere à percer : on en fait la pointe droite pour le fer ; en langue de serpent, pour le cuivre.

On ajuste au milieu du foret, sur sa partie renflée & plate, une espece de poulie à gouttiere, qu'on appelle une boîte : c'est dans la gouttiere de cette poulie qu'est reçûe la corde de l'arc qui fait tourner le foret, soit avec la palette ou le plastron, soit avec la machine à forer. Voyez l'article FORER ; & dans les articles suivans, des exemples & des usages des forets.

* FORET, outil d'Arquebusier. Les forets des Arquebusiers sont de petits morceaux d'acier trempés, de la longueur de deux ou trois pouces, assez menus, dont un des bouts est fort aigu & tranchant : ces ouvriers en ont de plats, de ronds, & à grains d'orge ; ils s'en servent pour former des trous dans des pieces de fer, en cette sorte : ils passent le foret au milieu de la boîte, & l'assujettissent dedans ; ensuite ils mettent le bout qui n'est point aigu dans un trou du plastron, présentent la pointe sur le fer qu'ils veulent percer ; & puis avec l'archet dont la corde entoure la boîte, ils font tourner le foret, qui perce la piece de fer en fort peu de tems.

* FORET EN BOIS, outil d'Arquebusier, c'est une espece de poinçon, long de 6 à 8 pouces, fort menu, & un peu plat, emmanché comme une lime, aigu par la pointe, avec lequel les Arquebusiers percent des petits trous dans le bois des fusils, pour y poser les goupilles qui passent dans les tenons du canal, & qui l'attache sur le bois.

FORET, (Bijoutier) est un instrument de fer long & aigu par un bout, qui a quelquefois plusieurs carnes tranchantes, ayant à l'autre extrémité un cuivrot. Voyez CUIVROT.

Les forets ont différentes formes, selon les usages auxquels ils sont destinés ; leur tranchant fait quelquefois le demi-cercle, ou bien il est exactement plat, & continue d'un angle à l'autre : on se sert de ceux de cette forme pour forer les goupilles dans les charnieres de tabatieres, ou bien encore il forme le chevron. L'ouvrier intelligent leur donne la forme la plus convenable au besoin qu'il en a : mais la condition essentielle de tout bon foret, est d'être bien évuidé, & d'une trempe ni trop seche ni trop molle.

FORET, outil dont la plûpart des artistes qui travaillent les métaux, se servent pour percer des trous ; c'est une longue branche d'acier, A B, (voyez nos Planches d'Horlogerie) dont une des extrémités, B, qu'on nomme la meche, est trempée & un peu revenue. Cette meche est applatie & tranchante par les deux côtés qui forment l'angle B ; l'autre extrémité du foret est pointue en P, & porte un cuivrot A, sur lequel passe la corde de l'archet.

Pour s'en servir, on met un archet sur le cuivrot A ; on place la pointe P dans une cavité qui, pour l'ordinaire, est au côté de la mâchoire de l'étau : on appuye la piece à percer contre la meche B ; & on tourne le foret au moyen de l'archet, après avoir mis de l'huile en B & en P. L'huile que l'on met à la meche B n'est souvent pas tant pour percer plus vîte, que pour l'empêcher de s'engager dans les parties du métal ; ce que l'on appelle en terme de l'art, gripper. Quand cela arrive, cela fait souvent casser le foret, pour peu qu'il soit menu ou délié. On a des forets assortis comme des cuivrots, de toutes sortes de grosseurs.

Quelquefois on a une espece de manche rond K X Y (voyez les mêmes Planches), dans lequel on peut ajuster & faire tenir différens forets K : par ce moyen, un seul cuivrot Y & un manche x, servent pour un grand nombre de forets.

Foret à noyon, est un foret R S (figure de la même Planche), dont les Horlogers se servent pour faire des noyures circulaires & plates dans le fond, & percées à leur centre. Les forets sont percés pour recevoir le petit pivot S, qui se met dans le trou autour duquel on fait la creusure : du reste, on s'en sert de la même maniere que des précédens.

On fait souvent la tige de ce foret d'égale grosseur & bien ronde, depuis I jusqu'en sa partie R. On y ajuste alors un canon, au bout duquel est réservée une assiette ; & l'on met une vis dans le milieu de ce canon ; de telle sorte qu'après l'avoir vissée à un certain degré, elle puisse presser la tige du foret. Cette vis sert à arrêter l'assiette dont nous venons de parler, à différentes distances de la meche ou du tranchant, selon que les cas l'exigent. Au moyen de la piece précédente, qu'on appelle support, on est sûr de faire le fond des noyures beaucoup plus paralleles au plan de la platine ou de la piece dans laquelle on la fait ; & l'on est en même tems plus certain de la hauteur qu'on leur donne. (T).

FORET ; on nomme ainsi, dans l'Imprimerie, une tablette divisée en différentes cellules, dans lesquelles on serre les bois qui servent à garnir les formes pour l'imposition ; tels que les biseaux, les têtieres, bois de fond, & autres.

FORET, est un outil dont les Tonneliers se servent pour percer une piece de vin : c'est une espece de vrille ou instrument de fer pointu qui se termine en meche par un bout ; & de l'autre est emmanché par le travers d'un morceau de bois qui tient lieu de marteau pour frapper le fausset dans le trou qu'on a fait avec le foret.

* FORET, est parmi les Tondeurs de drap, un instrument grand & en forme de ciseaux, dont ils se servent pour couper le superflu du poil qui se trouve sur une étoffe. Cet instrument est composé de deux branches tranchantes ; celle qui est tournée vers le tondeur s'appelle femelle, l'autre mâle. A l'endroit où commence le tranchant de la femelle, il y a un poids qui la charge, & qui aide à tondre le drap de plus près ; & un tasseau ou morceau de bois qui s'arrête dessous la femelle par une petite verge de fer, & qu'on relâche ou serre à discrétion par le moyen d'une petite vis. Au haut de ce tasseau est attachée une croix ou bande de cuir croisée qui répond à la mailloche, qui appuyée sur le mâle, tire la femelle à soi, & fait ainsi courir le foret sur toute la piece d'étoffe. Voyez l'article MANUFACTURE EN LAINE, à l'article LAINE.


FORE(LE-), Géog. province de France qui a titre de comté, & qui est l'ancien pays des Ségusiens, plaga Segusianorum. On borne le Forez au midi par le Vélay & le Vivarez ; au nord, par le duché de Bourgogne & le Bourbonnois ; au couchant, par l'Auvergne ; & au levant par le Lyonnois propre, & le Beaujolois. Le Forez est baigné d'un assez grand nombre de rivieres, qui font de cette province un pays fertile. Il y a des mines de fer, d'acier, de charbon & de pierre ; ce qui fait que l'on y travaille beaucoup en arquebuserie. François I. a réuni par succession ce comté à la couronne. On divise le Forez en haut, qui est au midi ; & en bas, qui est au nord. Le haut Forez a pour villes Feurs, Saint-Etienne, & Saint-Chaumont : le bas Forez a Roüanne & Montbrison. Voyez l'histoire univers. civile & eccles. du pays de Forez, par Jean Marie de la Mure, Lyon, 1674, in-4°. Ce pays a produit des gens de lettres de mérite, comme Jean Papon, Papyre Masson, Antoine du Verdier, Jaques-Joseph Duguet, &c. (D.J.)


FORFAIREv. n. (Jurisprud.) foris facere, signifie délinquer, faire quelque chose hors de la regle & contre la loi.

Forfaire son fief, sa seigneurie, ou justice, dans les coûtumes de Vitry, Sens, Haynault, & Cambray, signifie le commettre ; c'est-à-dire que le vassal encourt la commise de son fief.

Forfaire signifie aussi quelquefois confisquer, comme forfaire le doüaire, dans les coûtumes de Clermont, Mons, &c.

Forfaire l'amende, dans les coûtumes de Béthune, de Lille, & de Namur ; c'est encourir l'amende.

Se forfaire, signifie délinquer ; coût. de Bretagne, art. 450. (A)


FORFAITS. m. (Gramm. & synon.) On distingue les mauvaises actions des hommes relativement au degré de leur méchanceté. Ainsi faute, crime, forfait, désignent tous une mauvaise action : mais la faute est moins grave que le crime ; le crime, moins grave que le forfait. Le crime est la plus grande des fautes ; le forfait, le plus grand des crimes. La faute est de l'homme ; le crime, du méchant ; le forfait, du scélérat. Les lois n'ont presque point décerné de peines contre les fautes ; elles en ont attaché à chaque crime : elles sont quelquefois dans le cas d'en inventer, pour punir le forfait. La faute, le crime, le forfait, sont des péchés plus ou moins atroces. Dans une mauvaise action, il y a l'offense faite à l'homme, & l'offense commise en vers Dieu : la premiere se désigne par les mots de faute, crime, & forfait ; la seconde, en général par le mot de péché. Le prêtre donne l'absolution au pécheur ; & le juge fait pendre le coupable. La médisance est une faute ; le vol & la calomnie sont des crimes ; le meurtre est un forfait. Il y a des fautes plus ou moins graves ; des crimes plus ou moins grands ; des forfaits plus ou moins atroces. Si le méchant qui attenteroit à la vie de son pere commettroit un horrible forfait, quel nom donnerons-nous à celui qui assassineroit le pere du peuple ? Voyez CRIME.

FORFAIT, (Commerce) vente en gros de plusieurs marchandises pour un prix convenu, sans entrer dans le détail de la valeur de chacune en particulier.

Forfait se dit aussi des entreprises ou fournitures que des ouvriers & artisans s'engagent de faire pour une certaine somme, sans mettre prix sur les pieces en particulier. On dit en ce sens : j'ai fait un forfait avec mon menuisier & mon serrurier pour les ouvrages de ma maison. Dictionn. du Comm. (G)


FORFAITURES. f. (Jurispr.) forisfactum ou forisfactura, est la transgression de quelque loi pénale.

La félonie du vassal envers son seigneur, est quelquefois qualifiée de forfaiture.

Mais on entend plus communément par forfaiture, une prévarication commise par un officier public dans l'exercice de sa charge, & pour laquelle il mérite d'être destitué : on ne peut cependant obtenir aucun brevet ou provisions sur la forfaiture de l'officier, qu'elle n'ait été jugée.

Forfaiture, en matiere d'eaux & forêts, est un délit commis dans les bois, comme larcin ou dégât, &c. ces sortes de forfaitures sont punies de peines plus ou moins graves, suivant la nature du délit & les circonstances. Voyez le titre dernier de l'ordonnance de 1669. (A)


FORFEXS. m. terme de Chirurgie, qui signifie une paire de ciseaux dont on se sert pour couper quelque chose. Voyez CISEAUX.

On se sert aussi quelquefois de ce mot pour signifier pince ou pincette : il est souvent confondu avec forceps. Blancard, & après lui Quincy, donnent ce nom à un instrument propre à arracher les dents. Voy. FORCEPS. (G)


FORGAGEFORGAGEMENT, ou FORGAS, s. m. (Jurisprud.) est le droit que le débiteur a, dans la province de Normandie, de retirer son gage qui a été vendu par autorité de justice, en rendant le prix à l'acquéreur dans la huitaine à compter du jour qu'il a été vendu. Forgager est la même chose que retirer son gage. Terrier fait mention de ce droit au chap. x. du liv. VII. & au chap. vij. du liv. X. ce qui est conforme à l'usage de plusieurs autres provinces de ce royaume, où le débiteur discuté peut, dans un certain tems, retirer son gage, en payant ou rendant le prix qu'il a été vendu par le sergent, ainsi que l'observe Ragueau, sur l'art. 3. du tit. jx. de la coûtume de Berry. Le droit de forgage peut être cédé par le débiteur à qui bon lui semble. Voyez les commentateurs de la coûtume de Normandie. (A)


FORGAGNERv. n. (Jurisprud.) c'est lorsque le bailleur rentre dans son héritage, faute de payement de la rente à la charge de laquelle il l'avoit cédé. Voyez la coûtume de Namur, art. 16. & la coûtume des fiefs de ce comté. Celle de Tournay, tit. viij. art. 17. appelle forgagnement l'éviction ou espece de retrait dont use le bailleur. (A)


FORGES. m. (Arts méchaniq.) Il y a un grand nombre de forges différentes : on en trouvera les descriptions aux différens articles des arts & métiers qui s'en servent ; mais en général, c'est un fourneau où l'on fait chauffer les métaux, pour les travailler ensuite. Il faut distinguer dans une forge le massif de la forge, sur lequel l'âtre est placé, la cheminée, la tuyere, l'auge, &c. Voyez ci-après l'article GROSSES FORGES.

FORGES, (GROSSES-) c'est ainsi qu'on appelle les usines où l'on travaille la mine du fer.

La manufacture du fer, le plus nécessaire de tous les métaux, a été jusqu'ici négligée. On n'a point encore cherché à connoître & suivre une veine de mine ; à lui donner ou ôter les adjoints nécessaires ou contraires à la fusion ; & la façon de la convertir en fers utiles au public. Les fourneaux & les forges sont pour la plûpart à la disposition d'ouvriers ignorans. Le point utile seroit donc d'apprendre à chercher la mine, la fondre, la conduire au point de solidité & de dimension qui constituent les différentes especes de fer ; à le travailler en grand au sortir des forges, dans les fonderies, batteries, & fileries ; d'où il se distribueroit aux différens besoins de la société. Le fer remue la terre ; il ferme nos habitations ; il nous défend ; il nous orne : il est cependant assez commun de trouver des gens qui regardent d'un air dédaigneux le fer & le manufacturier. La distinction que méritent des manufactures de cette espece, devroit être particuliere : elles mettent dans la société des matieres nouvelles & nécessaires ; il en revient au roi un produit considérable, & à la nation un accroissement de richesses égal à ce qui excede la consommation du royaume, & passe chez l'étranger.

Pour mettre cette partie sous les yeux, en attendant de plus amples connoissances, on a suivi l'ordre du travail & des opérations.

La premiere regarde les qualités du maître, commis, & principaux ouvriers.

La seconde, la recherche des minieres, & disposition des mines.

La troisieme, la maniere de tirer les mines.

La quatrieme, les réglemens à ce sujet.

La cinquieme, la façon d'en séparer les corps étrangers.

La sixieme, les réservoirs & dépense de l'eau.

La septieme, l'achat, l'exploitation, l'emploi des bois.

La huitieme, le service qu'on tire de l'air.

La neuvieme, le fourneau pour gueuses & pour marchandises.

La dixieme, la forge.

La onzieme, la fenderie.

La douzieme, la batterie.

La treizieme, la filerie.

On n'entreprend pas de détailler chaque forge en particulier ; il n'est question que d'une description générale d'un travail susceptible de modifications, suivant les circonstances particulieres.

ARTICLE I. Du maître. La probité & l'honneur sont les premieres choses que tout homme, dans toutes sortes d'états, ne doit jamais perdre de vûe. Dans les forges, le danger est prochain. Communément au milieu des campagnes, souvent au milieu des bois, nécessairement environné d'un grand nombre d'ouvriers & domestiques ; il faut veiller pour se garantir des vices qu'engendrent la solitude, la grossiereté des ouvriers, le maniement de l'argent.

Soyez bon voisin, confrere sans jalousie, ami avec discernement ; faites vos achats & vos ventes sans mensonge ; vendez vos denrées en bon citoyen ; distribuez votre argent en bon économe ; veillez au travail ; faites vos fournitures de bonne heure ; ne laissez pas manquer votre caisse.

Il faut à un maître de forges la connoissance de son état, de la santé, de l'ordre, & de l'argent. Comme le gouvernement d'une forge s'étend à beaucoup d'objets différens, un petit détail fera voir les soins & les démarches qu'il demande.

Vous proposez-vous de bâtir, acheter, ou prendre à bail une forge ? Combinez votre santé, votre argent, avec la connoissance du terrein, des héritages voisins, du cours d'eau, des bois, des mines, de la qualité du fer, du débit : voilà le premier pas.

Je dis votre santé, par le travail attaché à cet état : votre argent, pour ne pas trop entreprendre : la connoissance du terrein & des héritages voisins, tant pour la dépense & la solidité de la construction, que pour le danger de se jetter dans des dédommagemens ; du cours d'eau, pour lui opposer une force capable de la retenir, ménager des sorties pour l'excédent, & des réservoirs pour le nécessaire : des bois, tant d'affoüages qu'en traite, pour savoir sur quoi vous pouvez compter : la connoissance des mines, leur traite, leur produit, la qualité du fer, le débit.

Déterminé sur cette premiere combinaison, ne perdez point de tems à faire les apprêts nécessaires. Les bois veulent être coupés dans un certain tems, d'une certaine mesure, séchés, dressés, cuits, hébergés dans certaines saisons. Le travail des mines doit être suivi avec la même exactitude : l'intelligence doit sur-tout s'exercer au fourneau & à la forge, qu'il faut pour cela bien connoître. La vente des fers, ainsi que des autres parties, consiste en trois choses ; à qui, combien, & comment. Je veux dire, connoître les marchands, pour ne point exposer sa fortune ; la valeur des choses & des tems, pour ne point être la dupe ; & prendre garde à ses engagemens, qu'on doit remplir en quantité, qualité, tems, & lieu, & aux payemens qui doivent être combinés avec le courant des affaires, afin que la caisse ne manque pas.

Une bonne réputation, ce qu'en terme d'art on appelle bon crédit, est bien nécessaire : elle vous donne le choix dans les ouvriers, la préférence dans les bois des seigneurs, souvent dans les usines qui leur appartiennent. Vous aurez ce crédit parmi les ouvriers, par l'égalité entre ceux de la même valeur, le retranchement sans retour & avec éclat des vicieux, la fidélité dans les comptes & payemens ; vous l'acquerrez des marchands, par le soin de remplir vos traités : vos voisins de quelque état qu'ils soient, ne pourront vous le refuser, par l'habitude où vous les aurez mis de vous voir remplir votre travail sans ostentation & sans détour.

Il y a entr'autres trois ouvriers auxquels il ne faut donner sa confiance qu'après les avoir bien connus ; le charbonnier, le fondeur, & le marteleur. Comment juger de leurs talens, si on ignore le travail du charbon, de la fonte, & du fer ? Voyez les articles FER & CHARBON.

Quelquefois une affaire est trop considérable par les fonds qu'elle demande ; c'est le cas de choisir un ou plusieurs associés. Les sociétés bien composées sont le nerf, le soûtien, l'agrément du commerce : mais nous voyons mille exemples funestes des sociétés où plusieurs gouvernent les mêmes parties, pour une qui finit en paix. Comment trouver dans plusieurs personnes la même exactitude, pour ne pas dire fidélité ? Dans le cas de société, partagez l'affaire ; & que chacun régisse une partie pour son compte.

Il y a des forges auxquelles sont joints des domaines qui fournissent beaucoup de denrées : nous voyons aussi des maîtres qui en achetent pour remettre à leurs ouvriers ; ceux qui le font dans l'idée d'entretenir l'abondance & le bon marché, font bien ; mais le droit de garde & de déchet décele un peu l'envie de gagner. Il est commun que ceux qui fournissent des denrées perdent par la mort ou la fuite des ouvriers : ne pourroit-on pas en soupçonner la raison & la punition ?

Je ne puis finir les qualités d'un maître de forges, sans faire remarquer que celles de sa femme sont essentielles à cet état, & en font souvent le bien ou le mal. Si la paix & l'ordre ne régnent pas dans l'intérieur de la maison, il est impossible de réussir. La paix demande de bonnes moeurs, de la douceur, de la simplicité, de l'ordre, de l'intelligence, du travail, du bon exemple.

Des commis. Avoir une fidélité à toute épreuve ; se connoître bien en bois, en mines ; mieux aux exploitations, au travail des forges & fourneaux ; visiter souvent les denrées, les domestiques, les écuries, les chevaux, les harnois ; savoir tenir les livres, & rendre compte de son travail. Pour tout dire, il faut qu'un commis soit en état de remplacer un maître. Comment espérer de trouver un pareil homme ?

Vous aurez plus aisément pour le fait des mines un principal ouvrier, qui content d'une moyenne rétribution, vous rendra compte du travail ; il faut qu'il soit homme connu, auquel vous donniez l'autorité nécessaire ; & vous veillerez qu'il n'en prenne au-delà.

Pour les bois, élevez vous-même un domestique en qui vous découvrirez quelques dispositions. Une condition avantageuse entretient les gens dans le bien. Si le maître fait ses payemens, & qu'il ait des yeux un peu clair-voyans, il est difficile qu'il soit trompé long-tems, & dans des choses essentielles. Un homme aux mines, un dans les bois, ne vous coûteront pas moitié d'un commis. Tenez vos livres, & faites les payemens vous-même : si vous ne pouvez, ayez un troisieme éleve qui remplisse cette partie sous vos yeux.

Des charbonniers. Le devoir particulier d'un charbonnier est de veiller au dressage, tant pour le nettoyement des places à fourneaux, que pour l'arrangement du bois ; faire fouiller & couvrir ses fourneaux dans les tems convenables à la quantité qu'il doit fournir ; ne point manquer à cette fourniture, sans presser aucune piece ; faire la provision de clayes dans la saison, & relativement à son travail ; savoir gouverner le feu ; le conduire également partout ; se souvenir que jour & nuit, & à proportion des mauvais tems & changemens de vent, le travail augmente : point de retard à s'y transporter ; & pour cet effet, tenir le soir ses lanternes prêtes, ses outils toûjours en bon état ; avoir de bons compagnons, de bons valets. Un charbonnier chasseur, ou, pour mieux dire, braconnier, est un ouvrier dont il faut se défaire.

Des fondeurs. Les fondeurs sont ordinairement fort mystérieux sur leurs ouvrages ; par-là ils obvient aux questions qu'ils ne peuvent résoudre : ils ne savent que méchaniquement telle ou telle dimension ; ils craignent de multiplier les gens de leur espece. Il est rare de voir le fondeur d'une province qui employe certaines especes de mines réussir dans une autre province avec des mines différentes : il faudroit donc qu'un fondeur connût parfaitement les dispositions de chaque mine, le nettoyement, le mélange, l'arbuë, la castine, & les opérations intérieures des fourneaux. Les mines, au sortir des lavoirs, doivent spécialement regarder le fondeur ; elles devroient être préparées d'avance pour qu'il pût régler son ouvrage en conséquence : c'est à lui à présider au bâtiment des parois & de l'ouvrage ; examiner les matériaux qu'on y employe ; connoître ceux qui résistent au feu ; dresser les soufflets ; être instruit de la quantité des charbons ; bien diriger & entretenir sa thuyere ; distinguer aux crasses & au feu les altérations ou indigestions de l'intérieur ; & savoir les remédes convenables. Ils ont ordinairement sous eux des garde-fourneaux, dont le métier est de conduire le fondage, & qui, à l'ouvrage près, qu'ils ne sont pas censés savoir, doivent avoir toutes les connoissances d'un fondeur, & y joindre beaucoup de soin & d'activité. Il est étonnant qu'on ne se soit pas encore avisé d'établir une école de fondeurs : d'habiles maîtres, avec la dépense des expériences, rendroient un service essentiel, en diminuant la consommation des bois ; & on joüiroit de fondeurs qui sauroient les raisons de leur travail.

Des marteleurs. Les marteleurs sont une classe d'ouvriers qui devroient être instruits, laborieux, fideles & doux. L'ouvrage particulier d'un marteleur regarde les foyers ; ce qui suppose la connoissance de la fonte qu'il a à employer : il doit aussi bien connoître l'équipage du marteau, parce que cette partie le regarde seul, & que les autres ne sont que comme des bras qu'il fait mouvoir. Dans les forges où l'on se sert de marteaux & hurasses de fer, il doit en savoir la fabrication, en préparer ou réparer dans les eaux basses, pour ne pas retarder le travail. Chargé de tous les outils, il doit les entretenir, les renouveller & n'en jamais manquer. Sa fidélité doit être grande, par le maniement des matieres fabriquées ; qu'il réponde à sa supériorité sur les autres, à l'exemple qu'il leur doit, à la confiance que le maître a nécessairement en lui ; il doit sur-tout entretenir le bon ordre & une sévere discipline dans son attelier. Il lui faut beaucoup de douceur & de fermeté dans le besoin.

ARTICLE II. De la recherche des mines & de leur disposition. Rien de si commun que les mines de fer, & de si varié : figure, couleur, mélange, profondeur, inégalité presque par-tout différentes ; elles feront toûjours un sujet nouveau de recherches. Rien n'est d'un usage si nécessaire que le fer : tout le monde s'en sert : tout le monde croit le connoître, nous le voyons journellement naître & périr ; & quand il est question d'approfondir ce que c'est que mines, ce que nous faisons constamment avec certaines méthodes, devient par sa constitution élémentaire, impénétrable.

Quand nous comparons quelques livres de mine brute avec un ressort de montre ; que nous considérons toutes les opérations que ce ressort a dû essuyer, la combinaison & l'industrie dont ces opérations ont été accompagnées, qui ne croiroit que l'homme connoit l'essence de la mine ? Cependant il n'en est rien ; c'est un des effets ordinaires de la Providence, qui laisse à notre portée ce qui est nécessaire à nos besoins, & qui dérobe à nos recherches le principe des choses. Le philosophe & l'artiste en sont réduits à quelques raisonnemens & expériences, desquelles ils déduisent la maniere la plus utile d'employer les choses.

Voyez à l'article FER, ce que c'est que la mine de fer. Nous ne connoissions pas la façon de convertir tous les fers en acier du dernier degré. Les fers differens entr'eux ; ce seroit un grand malheur qu'ils fussent tous égaux ; nos besoins ne le sont pas.

Bien des gens étonnés de la prodigieuse quantité de fer qui se fabrique annuellement dans les mêmes endroits, demandent si les mines se reproduisent. Cela arrive dans le sens que des particules de mines en poussiere, rassemblées par toutes les causes qui mettent le corps en mouvement, les dirigent en un même lieu, les appliquent les unes aux autres, en forment de petites masses, peuvent être rassemblées, & avec le tems donner des morceaux ou grains assez pesans pour être employés. Il est encore commun, proche & dans les minieres, de trouver des pierres remplies de parties de mines qu'on abandonne à cause de sa solidité & de la quantité de corps étrangers. La gelée dans les corps solides comprime si fort les ressorts de l'air qui cherchent à se détendre, que des matieres très-compactes ne peuvent y résister. La chaleur dilatant les mêmes ressorts, occasionne le même effet : d'où il s'ensuit que ces pierres qui ne sont qu'un mélange de mines & castine, jointes par une partie d'argile, sont aisément mises en poussiere par la compression ou dilatation de l'air. Les parties de mines qui ont résisté à cette dissolution appellée macération, sont d'un bon service. Par-tout où il y a des mines en poussiere, ou des pierres exposées à l'air, remplies de parties de mines, le tems peut renouveller une miniere utile.

On trouve des parties de mine répandues partout, même jusqu'au sommet des plus hautes montagnes, toûjours du côté du midi, aux environs des minieres & des fourneaux, quoique la fouille dans l'intérieur n'en donne point. C'est un phénomene qui demande des éclaircissemens, & qui a souvent occasionné bien de la dépense & du travail, à des gens qui n'ont jamais voulu comprendre que l'air seul peut en porter beaucoup en petites parties, & que ces petites parties peuvent être rassemblées par des agens naturels en une ou plusieurs fort grosses.

Ces parties de mine que j'appelle accidentelles peuvent se connoître de plusieurs façons. La premiere, c'est de se rencontrer dans des lieux élevés & disposés à ne pouvoir être regardés comme l'écoulement d'une miniere. La seconde, c'est que les morceaux en paroissent purs ou mélangés : purs, la couleur en est d'un rouge foncé ou noirâtre ; la figure extrèmement rameuse, plate ou anguleuse, ce qui fait voir qu'ils n'ont pas fait beaucoup de chemin ; la masse très-souvent creuse, ou avec quelques marques d'ébullition, parce que n'ayant pû se rassembler que par le mouvement & dépôt de l'air, & la jonction de l'eau, il y a dilatation, boursoufflement, quand la contexture est solide ; ou crevasse, quand la liaison n'est pas assez nerveuse : mélangés, les corps qui feront l'alliage seront semblables à ceux du terrein où on les trouvera.

Ces parties de mine accidentelles peuvent encore venir des orages qui laissent le terrein à découvert, & de la sublimation que la chaleur peut faire ; ce qui fortifie cette conjecture, c'est que nous voyons des sommets de montagnes sur lesquels on ne trouve des parties de mine rassemblées, que du côté le plus exposé au soleil, & des campagnes entieres qui en sont couvertes.

La connoissance des mines de fer qui sont à la surface de la terre, ou qui en sont proches, est chose aisée à des yeux exercés & clairvoyans. Quant à celles qui s'éloignent de la surface de la terre, il faut user de grandes précautions pour ne pas courir les risques d'une infructueuse dépense. Mais on sera éclairé par la force de l'eau qui entraîne, un tremblement de terre qui détache, un feu soûterrein qui se fait jour, l'examen des autres matieres concomitantes, & la ressemblance des terreins qui fournissent des minieres connues. L'eau, l'air & le feu sont les agens qui donneront des idées sur l'intérieur de la terre. L'eau entre autre peut nous découvrir des mines de plusieurs façons ; par une éruption violente qui entraîne des parties de montagnes, des rochers ; qui creuse des profondeurs, des abysmes ; qui dans la force de son courant, mêle & confond tout ce qu'elle charrie ; qui en se ralentissant dépose suivant certaines lois ; qui coulant sous la terre, quoique quelquefois assez tranquillement, mais pendant des siecles, ronge & entraîne des parties de mine qu'elle met à découvert ; ou qui après s'être excavé un bassin plus grand, fait perdre l'équilibre à la voûte, & occasionne un effondrement. L'air extérieur en déposant, le feu en soûlevant, donnent aussi lieu à la découverte de matieres nouvelles.

Si l'on rencontre quelques parties de mine, la premiere attention est de bien examiner si ce ne sont point des mines accidentelles ; ensuite voir si par la forme du terrein elles peuvent être venues de loin ; leur figure, la matiere qui les accompagne, doivent vous décider. Si vous prévoyez qu'elles ne soient pas venues de loin, faites une ouverture proche le premier enfoncement, & du côté du nord ; pour en regler la profondeur, voyez si la couche des pierres & des autres matieres indique quelque dérangement ; poussez tant que vous aurez lieu d'en soupçonner un, puisque nous disons que ces parties de mine doivent venir d'une éruption ou d'une excavation, quoique tout paroisse presque rempli : mais quand vous trouverez les choses gissantes dans un état naturel, sans rencontrer ni l'espece de glaise qui accompagne ordinairement la mine, ni aucunes parties de mine mêlées avec les pierres ou autres matieres, abandonnez le travail, du moins dans nos contrées.

Pour trouver la miniere dont l'eau aura entraîné des parties, représentez-vous par l'inspection du terrein, le cours que l'eau a dû faire naturellement : dans un coude vous en trouverez de l'entassée, mais selon la position conforme à l'angle qu'a décrit l'eau ; concluez des couches de différentes matieres, que ce n'est qu'une alluvion ; suivez, & de tems en tems vous rencontrerez de petits puits remplis de mines mêlées avec d'autre matiere ; plus loin des amas plus gros ; & à la fin, & sur-tout par l'inspection des lieux, vous déterminerez de quel côté vient l'écoulement, ou lequel a essuyé l'écoulement. Arrivé à ce point, ne vous flatez encore de rien : l'eau a peut-être entraîné toute la veine de mine, ou la partie qui reste se trouvera défendue par des rochers, ou engloutie dans les eaux. Ces observations au moins vous mettront à l'abri d'un travail inutile ou mal entendu.

Dans le cas où vous aurez lieu d'espérer que vous êtes arrivé à la miniere, & qu'elle peut être ouverte sans trop grands frais, employez d'abord la sonde ; si elle ne suffit ou ne convient pas, il ne faut pas hésiter de travailler plus haut, en tirant au nord, que le dérangement que vous entrevoyez : ne faites d'abord qu'un trou cylindrique ; un tour enleve les déblais : examinez si vous êtes bien au-dessus des eaux ; avec deux bons ouvriers, en peu de tems & sans grande dépense, vous devez trouver la mine. Enlevez le matin les eaux que la suinte de la terre aura rassemblées pendant la nuit. Si l'excavation vous occasionne une plus grande abondance d'eaux, vous trouverez à la traite des mines, la façon de vous en débarrasser.

La recherche que nos besoins nous font faire de toutes especes de matieres, a quelquefois fait découvrir des mines de fer ; mais on en a plus communément l'obligation à la ressemblance d'un terrein qu'on voit, qu'à celui où il y a déjà des minieres ouvertes : mais pour cela il faut des yeux accoûtumés & intelligens.

De-là on peut conclure que l'incertitude & la dépense de pareilles recherches, doivent engager un maître qui veut prendre une forge, à bien savoir où il trouvera des mines. Je conseillerai toûjours les tentatives faites avec réflexion ; mais elles ne doivent aller qu'au mieux de la chose. Réussissez-vous, vous êtes récompensé ; ne réussissez-vous pas, vous avez recours aux minieres, sur lesquelles vous deviez compter.

Comme il seroit avantageux pour la société, que les traces de mines fussent suivies quand on les découvre, & que l'on prît des précautions pour qu'on pût toûjours les retrouver, le plus expédient seroit que les maîtres de forges fissent toutes les tentatives convenables selon une grande probabilité, & que sur leurs mémoires les seigneurs fissent les tentatives coûteuses : mais où trouver un maître de forge qui pense au bien public, & un seigneur qui tente un bien à venir ?

Nous devons toûjours être étonnés de voir en combien de façons la nature s'est diversifiée dans la partie des mines de fer. Sans entrer dans le détail des variétés infinies qui naissent des différens alliages, nous chercherons à nous en faire une distinction par les combinaisons des choses que nous y connoissons, & qui peuvent nous diriger dans leur travail. Il y a des pierres, des terres & du fer pur, avec son phlogistique. Les pierres & les terres sont ou apyres, ou calcaires, ou vitrescibles. Combinez toutes ces substances de toutes les manieres possibles avec le fer pur, & vous aurez autant de mines à traiter diversement.

Ces corps joints à la mine sont ou terre seule, ou terre & pierre également ; ou beaucoup de terre & peu de pierres accrochées foiblement ; moins de terre & plus de pierres liées très-étroitement ; ou pierre très-solide, jointe très-fortement à la mine. La distance de chaque degré est remplie d'une infinité de modifications, par les différentes especes de terre, de pierre, leur mélange, leur adhésion, leur figure : de-là les différentes couleurs, formes, difficulté à la fusion.

La terre qui fait ordinairement corps avec une mine propre à la fusion, est communément remplie de parties calcaires ou argilleuses ; la pierre, de parties vitrescibles & apyres : les unes & les autres combinées sont fusibles.

Nous appellons arbue & castine, les deux substances ou fondans que nous employons spécialement à la fusion des mines.

Vous discernerez l'arbue du meilleur usage, lorsque l'espece d'argile, connue dans les forges sous ce nom, n'est point mélangée d'autres corps ; qu'au toucher elle est douce ; que la couleur n'en est point d'un rouge trop foncé ; que pétrie avec peu d'eau elle devient bien compacte, seche à l'ombre sans crevasse, & résiste long-tems au feu. L'arbue que la charrue a travaillée est la plus nerveuse, la plus douce & huileuse, soit parce que les plantes ont pompé une partie des sels, soit que le soleil & la végétation ne laissent que les parties les plus nerveuses des engrais, comme moins propres à la sublimation. L'attraction des parties de certains fumiers la rendent plus grasse, plus compacte, plus tenue, & par conséquent plus en état de résister au feu.

La bonne castine se connoît aisément au microscope, par toutes les parties qui en sont transparentes & propres à la calcination. Ne vous y trompez pas, & ne prenez pas pour de la castine des pierres qui portent des grains brillans, & réfléchissant la lumiere comme le grès. L'arbue qui, mêlée à la mine, résiste le plus long-tems au feu, & la castine qui cause le plus aisément la fusion, sont de la meilleure espece ; l'arbue se connoit à sa vitrescibilité ; la castine, à sa nature calcaire.

Il est innombrable de voir combien il y a de diversité dans l'arbue & dans la castine ; elle est aussi grande, que la possibilité d'être mélangée avec différentes matieres. Dans un siecle où tous les Arts sont honorés, enrichis des lumieres des savans, ne s'en trouvera-t-il point un qui daigne tourner son travail sur les manufactures des fers, où il y a tant à rectifier ? C'est une vieille matiere toute neuve à traiter ; ce qui seroit peut-être déjà arrivé, si le fer ne naissoit que dans le Pérou. Que d'obligations n'auroit-on pas à une analyse des différentes mines, arbue & castine, qui déterminât exactement les degrés de chaleur & de mélange ? Nous sommes réduits à aller en tâtonnant ; si chaque pays produisoit également & séparément la mine, l'arbue & la castine, on pourroit établir par les faits connus, des regles fondées sur des mélanges uniformes ou gradués.

Mais une observation importante, soit pour l'éclaircissement de cet article, soit pour l'intelligence des maîtres de forge, qu'on sera dans le cas de consulter ; c'est que la nature des matieres, telles que la castine & l'arbue qu'on mêle aux mines, soit pour les rendre fusibles, soit pour donner de la qualité aux fers, peut varier à l'infini ; & que par conséquent le seul moyen d'avoir des idées réelles, c'est de prendre ces substances, & d'en faire l'analyse chimique : c'est ainsi que nous nous sommes assûrés que la castine dont on parle dans cet article est une pierre calcaire ; & l'arbue un mélange vitrescible d'argille, de glaise, de terre calcaire, & d'un peu de fer.

ART. III. Maniere de tirer les mines. Nous avons dit que les corps joints à la mine étoient terre seule, premiere espece ; terre & pierre en petits volumes également, deuxieme ; beaucoup de terre & peu de pierre accrochées foiblement, troisieme ; moins de terre & plus de pierre liées plus étroitement, quatrieme ; pierre très-solide jointe très-fortement à la mine, cinquieme : ces différentes especes sont ou sur la surface, ou dans certaine profondeur de la terre, ou exposées à beaucoup d'eau.

Si elles sont proches la surface de la terre, la traite en est aisée ; & pour les trois premieres especes, il n'y a autre chose qu'à les séparer en les tirant des terres qu'on voit n'en être point imprégnées, & à les voiturer sur les atteliers destinés à les nettoyer.

La quatrieme espece demande plus de précaution, soit en laissant sur l'attelier les plus grosses pierres, détachant les parties de mine mêlées de terre, ou laissant le tout ensemble. Si les pierres sont fort chargées de mine, ou que ces pierres soient en grande quantité, sans être en trop gros volume, elles seront portées à l'attelier convenable.

La cinquieme espece sera tranchée dans les bancs comme la pierre dans les carrieres, cassée à bras d'homme & coups de masse en morceaux de trois ou quatre livres, & de-là voiturées à l'attelier destiné à faire le reste de la division. Il y en a d'assez riches dont il ne faut que réduire les morceaux en d'autres morceaux plus petits, & qu'on porte ainsi au fourneau. Quand les bancs sont extrèmement solides, ainsi que nous le supposons ; comme il n'est pas essentiel d'avoir des morceaux tranchés nettement, & d'une telle dimension, vous avancerez l'ouvrage en vous servant, lorsque le banc sera découvert au-delà d'un déjoint, s'il y en a, d'un morceau de fer rond d'environ un pouce de diamêtre, finissant en langue de serpent, bien acéré, aiguisé, & trempé, de la longueur d'un pié. Il faut être muni d'un compagnon, d'un maillet de bois, de sable en poudre & d'eau ; l'un tient le foret, verse un peu d'eau & de sable ; & l'autre touche à petits coups, ayant soin de changer la position du tranchant, en se relayant l'un l'autre : en très-peu de tems vous aurez un trou cylindrique de la profondeur que vous souhaitez. Ce trou ou plusieurs, pour un plus grand effet, s'emplissent de poudre à canon au tiers, l'ouverture se ferme avec une cheville de bois chassée fortement, dans laquelle on perce un petit trou pour loger une meche lente à brûler, ou de la poudre humectée, pour avoir le tems de se retirer : bien-tôt vous aurez une grande quantité de quartiers détachés, & deux hommes en fourniront ainsi plus que dix à trancher.

Si les mines sont à plusieurs degrés de profondeur, pour tirer celles des trois premieres especes, pratiquez des trous cylindriques de quatre piés de diamêtre ; ayez un tour, un cable, des paniers, & deux hommes à chaque ouverture, ils viendront aisément à-bout de ce travail ; ils changeront d'occupation une ou deux fois le jour, & en peu de tems ils arriveront à la mine. Si le banc est assez épais, pour y entrer, ils feront plusieurs galeries, laissant de bons & forts piliers ; iront au loin chercher la mine avec des brouettes, & la conduiront au milieu du puits pour la tirer avec le tour, jettant dans les galeries vuides les pierres & autres corps étrangers.

Il y a des minieres où au bout de quelques années, toutes les galeries vuides s'effondrent, ce qui est aisé à connoître ; alors il n'y a aucun danger de tirer les piliers qui deviendront alors galeries.

Quand les mines ne sont pas bien à fond, on se contente de faire une ouverture quarrée fort large ; descendu de quelques piés, on ménage un repos ; arrivé à la mine, l'ouvrier du bas jette la mine sur le repos, & son compagnon du repos la jette sur le sol.

Les minieres en roches solides demandent une ouverture beaucoup plus grande pour la commodité du travail ; il faut armer le cylindre du tour d'une roue très-élevée, afin de se procurer de plus longs leviers, & enlever les plus gros quartiers, qu'on travaille plus aisément dehors. On conçoit que dans les mines en roche, l'effondrement est moins à craindre que dans les autres, & que la solidité doit regler la largeur des galeries & l'épaisseur des piliers.

Il est difficile dans les mines à fond de n'avoir pas à vuider au moins les eaux de la suinte de la terre ; mais il peut arriver qu'en n'y travaillant que dans les saisons les plus seches, le tour & les seaux suffisent pour en débarrasser : sinon il n'y a pas à hésiter, il faut établir une ou plusieurs pompes. Voyez POMPE. Pour cet effet vous ferez un puits assez large pour la placer, & pour travailler sans être gêné : si le bassin de la pompe est beaucoup plus profond que la miniere, les eaux s'y rendront de toutes les galeries. Quand on en est réduit-là, il ne faut pas espérer de travailler, ni pendant les pluies & les fontes de neiges, ni pendant les fortes gelées : choisissez le tems le plus sec, moitié de l'été & moitié de l'automne, & assûrez-vous d'un assez grand nombre d'ouvriers pendant ce tems, pour faire vos provisions pour l'année. N'oublions pas de dire qu'il y a des minieres, au fond desquelles il se trouve un banc de marne, sous lequel passe l'eau, que la marne tient si fort comprimée ; que si vous avez l'imprudence de le percer, vous vous jetterez dans un épuisement dont vous ne pourrez venir à-bout qu'à grands frais, ou qui vous forcera à abandonner le travail : il faut alors examiner si on ne pourroit pas ouvrir une galerie de côté, qui par sa pente débarrassât de toutes les eaux.

ART. IV. Droits sur la mine & réglemens. On distingue le droit sur les mines & celui sur la traite, parce que le premier appartient au domaine de la couronne, & le second aux propriétaires des héritages où se trouvent les minieres. La confusion que mettent ceux-ci dans leurs prétentions à ce sujet, donne lieu journellement à des contestations, & occasionne des décisions de cours souveraines opposées entr'elles : quelques-unes même paroissent s'éloigner des intérêts du roi & du bien public. Pour jetter quelque lumiere sur cette partie, il faut jetter l'oeil sur les ordonnances qui distinguent clairement le droit du roi, celui du public, & celui du propriétaire.

Le réglement au sujet des mines, de Charles VI. du 30 Mai 1413, rappellant ceux des rois prédécesseurs, confirmé par Louis XII. le 20. Novemb. 1498, & par François premier en Décembre 1515, est conçû en ces termes : " Avons, par maniere d'édit, statut, loi ou ordonnance royale, irrévocable, dit, décerné & déclaré.... que nul seigneur spirituel ou temporel, de quelque état, dignité ou prééminence, condition ou autorité, quel qu'il soit, en notredit royaume, n'en aura ne doit avoir, à quelque titre, cause, occasion quelle qu'elle soit, pouvoir ne autorité de prendre, reclamer ne demander esdites mines, ni en autres quelconques, assises en notredit royaume, la dixieme partie, ni autre droit de mines, mais en seront par notredite ordonnance & droit, forclos ; car à nous seuls, & par le tout à cause de nos droits & majesté royaux, appartient la dixieme & non à autres.... Voulons.... que les hauts-justiciers, moyens & bas, sous quelque jurisdiction & seigneurie que lesdites mines soient situées & assises, baillent & délivrent auxdits ouvriers, marchands & maitres desd. mines, moyennant & par payant juste & raisonnable prix, chemins & voies, entrées, issues, par leurs terres & pays, bois, rivieres, & autres choses nécessaires auxdits faisants l'oeuvre & ouvriers, lieux plus profitables pour l'ouvrage faire, & le moins dommageable pour lesdites seigneuries.... Voulons.... que tous mineurs & autres, puissent querir, ouvrer & chercher mines par tous les lieux où ils penseront en trouver, & icelles traire & faire ouvrer, payant à nous notre dixieme franchement, & en faisant certification ou contenter à celui ou à ceux que lesdites choses seront ou appartiendront au dire de deux prudhommes.... Que dorénavant les marchands, maîtres faisant l'oeuvre, & lesdits ouvriers qui esdites mines ouvrent & s'occupent, & font résidence sur le lieu du martinet, ou mines, ou leurs députés pour eux, auroient.... un juge, bon & convenable commissaire, & tel comme nous leur ordonnerons, lequel connoîtra & déterminera de tout cas mû & à mouvoir, qui esdits marchands, maîtres & ouvriers pourra toucher, & auxquels seront baillé nos ordonnances ".... S'ensuit la franchise des tailles & autres subsides, avec défenses de molester les mineurs du royaume ".... " Considérez qu'ils vaquent continuellement au bien de nous & de la chose publique "....

Ordonnance d'Henri II. du 30 Septembre 1548... " Avons aussi permis & permettons, qu'il puisse prendre aux lieux plus prochains qui lui sembleront être propres à ce, tant terres, héritages, ruisseaux, en les payant raisonnablement aux propriétaires, ou le dommage & intérêt qui leur seroit fait pour le regard de la valeur desdites terres seulement, & non des mines y étant "....

Dans celle donnée à Reims le 10 Octob. 1552.... " N'entendons ni ne voulons, les ouvrages desdites mines ou minieres, être retardés, ains continués, & notre droit de dixieme être mis à part.... de la recette duquel ils seront crûs sur leur livre ordinaire, & serment sur ce fait ".... Ces ordonnances regardent entr'autres le fer, puisque plus bas il est dit :... " Quant aux autres métaux, comme cuivre, étain, plomb, potin & fer en fontes communes, duquel fer ne prendront qu'un dixieme de celui qui sera tiré sur nos terres & seigneuries.... sans que lesdits propriétaires puissent prétendre aucun droit esdites mines, & demander autres intérêts que la récompense des terres, superficie ou incommodité d'icelles ; encore qu'en icelles lesdites mines soient tirées.... quoique soit après que pardevant notaire ou justice, il aura actuellement & à deniers découverts, fait offre aux propriétaires de leur récompense, telle qui sera arbitrée par gens à ce connoissans, à faute d'accorder par eux & icelle consignée "....

Extrait de l'ordonnance de François II. du 29 Juillet 1560.... " En s'accommodant avec ceux à qui appartiendront lesdits héritages, & les satisfaisant de gré à gré suivant l'avis & estimation de gens experts & arbitres de juges, sans toutefois que ledit prix s'en puisse aucunement augmenter pour raison de l'utilité qui se pourra tirer à cause desdites mines "....

Autres ordonnances de Charles IX. du 6 Juillet 1561, 26 Mai & 25 Septembre 1563, de Henri III. du 20 Octobre 1574, confirmative des précédentes,

Edit d'Henri IV. du mois de Juin 1601.

Article I. " Nous avons confirmé & approuvé, & par ces présentes confirmons & approuvons lesdits édits & déclarations de point en point, selon leur forme & teneur, pour, suivant iceux, notredit droit être payé franc & quitte, pur & affiné en toutes lesdites mines ".

Article II. " Sans toutefois comprendre en icelles les mines de soufre, salpetre, de fer, lesquelles, pour certaines bonnes & grandes considérations, nous en avons excepté, & par grace spéciale exceptons en faveur de notre noblesse, & pour gratifier nos bons & fideles sujets, propriétaires desdits lieux "....

Ordonnance de Louis XIV. du mois de Juin 1680, qui évalue les droits du roi à 3 sols 6 d. par quintal de mine de fer, 8 s. 9 d. par quintal de fonte en gueuse, & à raison de 13 s. 6 d. par quintal de fer.

L'article 9. dit " que ceux qui ont des mines de fer dans leurs fonds, seront tenus à la premiere sommation qui leur sera faite par les propriétaires des fourneaux voisins, d'y établir des fourneaux pour convertir la matiere en fer ; sinon permettons au propriétaire du plus prochain fourneau, & à son refus aux autres propriétaires des fourneaux de proche en proche, & à ceux qui les font valoir, de faire ouvrir la terre & d'en tirer la mine de fer, en payant aux propriétaires des fonds, pour tout dédommagement, un sou par chaque tonneau de mine de cinq cent pesant "....

De cette succession d'édits, réglemens, ordonnances, il est aisé de conclure,

1°. Que le premier mobile du coeur des rois est le bien de leurs sujets. Charles VI. VII. VIII. Louis XII. François I. Henri II. François II. n'ont fait qu'augmenter les priviléges, quitter une partie des droits de leur domaine, établir des jurisdictions particulieres, des exemptions, immunités, pour la fouille des mines : considéré que les entrepreneurs & ouvriers vaquent continuellement au bien de nous & de la chose publique. Le public est préféré à leur intérêt particulier, puisqu'ils quittent partie de leurs droits.

Henri IV. confirme & approuve les déclarations de ses prédécesseurs ; l'exception qu'il fait des mines de fer & quelques autres, est fondée sur de bonnes & grandes considérations, c'est une grace spéciale reservée pour sa noblesse & ses bons sujets, propriétaires des lieux. Le manufacturier & ses ouvriers sont toûjours dans les mêmes priviléges ; il n'y a que l'emploi des revenus du roi de changé.

Louis XV. n'a-t-il pas de nos jours gratifié des revenus de cette partie de son domaine, par ses lettres patentes du 6 Août 1719, le sieur Marcin de Saint-Germain, par un privilége de vingt années d'exploitation de mines de fer, dans une certaine étendue ? avec quelle confiance les manufacturiers, qui cherchent le bien public dans leur travail, ne peuvent-t-ils pas après cela espérer le renouvellement des priviléges, & une disposition favorable aux plaintes qu'ils sont en droit de faire, tant contre certains propriétaires qui amplifient leurs droits, qu'à l'occasion de certains arrêts de cours souveraines, qui n'ont pû être uniformes, l'art. 9 de l'ordonnance de 1680 n'ayant point prévû les abus survenus depuis ?

2°. Les déclarations & édits prouvent que les minieres de fer appartiennent au domaine du roi ; que le droit est d'un dixieme, qui se perçoit actuellement sur les fontes en gueuse ou travaillées, suivant l'évaluation qui en a été faite au conseil. Il ne convient pas à un bon citoyen de raisonner sur un tarif que le roi a lui-même rédigé ; & si je fais la réflexion que le droit du domaine étant du dixieme, la marque des fontes valant aujourd'hui cinq livres cinq sous par mille, il s'ensuivroit que les fontes devroient valoir 52 livres 10 sous le mille ; c'est pour blâmer hautement ceux qui ne regardent que leur intérêt particulier, sans entrer dans ceux de l'état. N'est-on pas en droit de leur répéter les raisons d'Henri IV ?

3°. Toutes les anciennes ordonnances disent que les propriétaires des fonds doivent être dédommagés. Charles VI. VII. VIII. Louis XII. François I. " faisant certification ou contenter à celui ou à ceux à qui les choses seront & appartiendront, au dire de deux prudhommes ". Henri II. " sans que les propriétaires puissent prétendre aucun droit esdites mines, & demander autre intérêt que la récompense des terres, superficie, ou incommodité d'icelles, lesdites mines soient tirées.... François II. " en satisfaisant les propriétaires de gré à gré, suivant l'avis & estimation de gens experts & arbitres de juges, sans toutefois que le prix s'en puisse aucunement augmenter pour raison de l'utilité qui se pourra tirer à cause desdites mines ". Confirmation pareille d'Henri II. & d'Henri III. celle d'Henri IV. ne regarde que son droit personnel, que sa conduite ordinaire lui fait réserver pour faire le bien, confirmant les autres dispositions.

L'ordonnance de 1680 parle bien aussi de la traite des mines & du dédommagement des propriétaires, mais en fixe le prix d'une maniere si concise, qu'elle ne tire pas les propriétaires & les manufacturiers de bien des inconvéniens ; je pourrois même dire les juges. La preuve en est acquise par les arrêts souvent opposés entr'eux & à l'ordonnance.

Si l'article neuvieme n'est pas rédigé suivant l'intention du roi ; ou bien, & c'est la même chose, s'il nous jette dans des embarras dont les juges mêmes ont peine à nous tirer d'une façon uniforme, ne pouvons-nous pas dire que cet article a besoin d'interprétation, explication, ou réformation ?

Ne perdons pas de vûe que le bien public & l'intention du roi sont la même chose, sauf son droit & celui d'autrui.

Le droit du roi ne fait aucune équivoque ; celui d'autrui n'est pas de même. L'article neuvieme dit que ceux qui auront des mines de fer dans leurs fonds seront tenus, à la premiere sommation qui leur sera faite par les propriétaires des fourneaux voisins, d'y établir des fourneaux pour convertir la matiere en fer. Ne croiroit-on pas de-là pouvoir conclure que dans le cas où le propriétaire bâtiroit un fourneau en vertu de sommation, il faudroit qu'il le bâtît sur son propre fonds, même sur la miniere, & que cet article seul lui donneroit le droit de bâtir, pendant que le roi s'est réservé de donner des lettres-patentes à ce sujet ? Ne croiroit-on pas encore que plusieurs fourneaux voisins seroient en droit, en vertu de sommation, de tirer concurremment ? mais la suite de l'article donne le privilége au plus prochain fourneau : comme si la bonté du roi & le bien public pouvoient être mesurés par l'éloignement d'un terrein. Voilà la source d'une infinité de procès, au moyen desquels les fourneaux les mieux approvisionnés de bois ont manqué de mines.

Cette clause fait encore dépendre deux ou trois bons fourneaux d'un seul médiocre & chétif, qui ouvrira plusieurs minieres pour faire valoir son droit, n'en tirera que la partie la moins coûteuse, & privera le public de l'abondance.

En payant, dit la fin de l'article, aux propriétaires des fonds, pour tout dédommagement, un sou par chaque tonneau de mine de cinq cent pesant. Ces derniers mots sont totalement contraires aux droits du roi, & font la seconde source des contestations.

Ne sommes-nous pas convaincus que les minieres appartiennent au roi, & que le droit sur les mines est un droit de son domaine ? N'avons-nous pas prouvé que les rois ne l'ont jamais abandonné que pour un tems, & comme une récompense aux entrepreneurs, ou reservé pour la noblesse, ou leurs bons & fideles sujets ? De faire payer la traite de mines au poids, n'est-ce pas faire payer conséquemment à l'épaisseur de la miniere ? c'est donc aller contre le droit domanial, qui d'ailleurs est payé sur les fontes.

La mine n'appartenant point à un particulier, qu'il n'apparoisse une concession faite par le roi, son héritage ne peut donc être mesuré que par la superficie & non la profondeur de la mine, sans que le prix, dit François II. s'en puisse aucunement augmenter pour raison de l'utilité qui se pourra tirer à cause desdites mines. Henri II. " sans que les propriétaires puissent prétendre & demander autre intérêt que la récompense des terres, superficie ou incommodité d'icelles ". Le payement au tonneau tombe précisément sur la miniere, & en cela est contraire aux droits du roi ; & le payement relatif à la superficie est vraiment le droit du propriétaire.

Avec une preuve si décisive, examinons les abus dans lesquels précipite cette façon de payer.

Comment s'arranger pour le poids ? Sont-ce les mines qu'on doit peser ? Sont-ce les terres à mines, sur lesquelles il y a un déchet de plus de deux tiers ? Le propriétaire se fait payer sur les terres à mines, malgré un arrêt du conseil du 6 Septembre 1727, qui ordonne que le droit de 3 s. 4. den. par quintal de mine, ne sera levé à la sortie du royaume que sur les mines lavées & préparées ; & au cas de sortie de mines brutes & terres, que le droit en sera payé sur le pié de l'estimation qui en sera faite de gré à gré, ou par experts ou gens à ce connoissans, dont les parties conviendront, ou qui seront nommés d'office par le juge de la marque des fers, auquel la connoissance en appartient.

Qui fournira les poids, mesures, & gens nécessaires pour un travail inutile ?

Perdra-t-on un beau tems précieux pour l'approvisionnement d'un fourneau, en s'amusant à remuer & peser un monceau de mines ?

En payant relativement à la mine, les maîtres des forges les tirent très-superficiellement ; au lieu qu'ils feroient la dépense d'excavation & d'épuisement, s'ils ne payoient que relativement à la superficie du terrein. Cette façon de travailler leur fait boucher des trésors, qu'il faut des siecles & des dépenses extrèmes pour retrouver.

Il seroit aisé de prouver que tel journal a produit au propriétaire vingt fois la valeur du fonds, dont il a toûjours la possession... Qui osera dire que ce soit-là l'intention du roi ?

Le parlement de Bourgogne, pays où il y a beaucoup de forges, a bien senti l'embarras du payement au poids, & a pris sur lui de rendre un arrêt contradictoire qui détermine une façon encore plus préjudiciable aux maîtres des forges, contre la disposition de l'ordonnance. Le voici :.... " maintient le sieur Boyer, & quelques-autres maîtres de forges, qui étoient parties intervenantes, dans le droit & la possession de tirer des mines de fer dans les fonds & héritages où il s'en trouvera, en payant pour tout dédommagement un sol par tonneau de mines brutes & non lavées, pour le payement desquelles les propriétaires des fonds à mines & les maîtres des forges se régleront de gré à gré entr'eux ; sinon qu'à l'avenir les parties conviendront d'experts, pour reconnoître au pié cube la quantité de mines brutes & non lavées qui aura été tirée dans lesdits creux ; pourquoi lesdits maîtres des forges ne pourront faire aucun changement dans lesdits creux, jusqu'à ce que ladite reconnoissance ait été faite ; après laquelle ils seront tenus de rejetter dans lesdits creux les terres qui en auront été tirées, après que toute la mine en aura été enlevée ; sauf auxdits propriétaires des fonds d'achever de remplir lesdits creux, & de remettre leurs héritages en culture, sans que les maîtres des forges puissent être tenus à aucun dédommagement, soit de rétablissement en état de culture, ou par non-joüissance des fonds, que le sol par tonneau de mines brutes & non lavées ; sans cependant qu'il leur soit permis de préjudicier à la culture des terres ".

Dans cet arrêt on a perdu de vûe 1°. que les minieres appartiennent au roi.

2° Que l'arrêt du conseil du 6 Septembre 1727 décide que les droits du roi ne seront payés que sur les mines censées lavées : peut-on espérer que des particuliers puissent être dans un cas plus privilégié ?

3°. A ne supposer des bancs de mines que de trois piés d'épaisseur en mines brutes, un journal de terre, au desir de l'arrêt, seroit payé 16 fois sa valeur, & appartiendroit toûjours au propriétaire.

4°. Cet arrêt laisse la traite des mines libre, sans avoir la liberté de jetter derriere soi les matieres étrangeres qui embarrassent : c'est occasionner une double dépense.

5°. A ajoûté à la déclaration les mots de brutes & non lavées.

6°. Dit que les maîtres des forges donneront un sou pour tout dédommagement, conséquemment à l'ordonnance, & les oblige néanmoins, au-delà des termes mêmes de l'ordonnance, de rejetter dans les creux les terres qu'il oblige à laisser sur les bords par une disposition particuliere.

7°. Dit que les maîtres des forges ne seront point tenus de mettre les héritages en culture ; ce qui suppose que la traite des mines y préjudicie : leur défendant néanmoins d'y préjudicier.

Cet arrêt, comme plusieurs de la cour des aides, montre évidemment que l'article neuvieme de l'ordonnance de 1680, a besoin d'être réformé & rédigé différemment.

Comme nous vivons sous un regne où les gens attachés aux intérêts du Roi & du bien public, peuvent mettre leurs idées au jour, de ce que nous avons dit on pourroit conclure :

1°. Que sans faire sommation de bâtir fourneau à un particulier qui ne possédant ni eaux ni bois, ne peut obtenir des lettres-patentes, les fourneaux voisins seroient les maîtres de tirer des mines, chacun à leur proximité, ou concurremment ou séparément, & ce à proportion de leur travail ; sauf aux propriétaires qui obtiendroient des lettres-patentes à les faire signifier ; l'exclusion n'étant que pour la propriété.

2°. Que les maîtres des forges seroient les maîtres de prendre l'eau nécessaire pour laver lesdites mines, en dédommageant les propriétaires à dire d'experts nommés par le juge de la marque des fers, sans néanmoins pouvoir préjudicier aux usines nécessaires & établies.

3°. Que les propriétaires des champs où il y a des minieres seroient dédommagés au prorata de la superficie, qui est leur bien, en payant la portion d'héritage, suivant l'arpentage qui en seroit fait aux frais du manufacturier, conformément au tarif du pays ; sauf après la traite, à remettre au propriétaire gratuitement son héritage dans l'état qu'il se trouvera : c'est rendre au Roi, au public, aux manufacturiers, aux propriétaires ce qui leur appartient.

ART. V. De la maniere de nettoyer les mines. Ayons devant les yeux les différens genres de mines ; celles jointes à de la terre seule, premier genre ; terre & pierre en petits volumes, second genre ; beaucoup de terre, & peu de pierres accrochées foiblement, troisieme genre ; moins de terre & plus de pierres liées plus étroitement, quatrieme genre ; pierre très-solide jointe très-fortement, cinquieme genre.

L'attelier propre à nettoyer celles du premier genre, s'appelle patouillet. Voyez les Pl. de grosses forges, parmi celles de métallurgie. Le patouillet est composé de deux chassis en bois FF, éloignés de six, sept, ou huit piés, sur trois ou quatre piés de hauteur, arrêtés par le bas par de fortes traverses G, & terminés aussi par le bas en plein ceintre H. On ménage une feuillure profonde au-dedans des chevalets, pour y attacher ou des membrures bien jointes H, ou des plaques de fonte coulées dans les fourneaux : on garnit de même les côtés L L ; ce qui forme la huche. Au-dessus de la huche, du côté de la riviere, vous ajustez un canal A, tout près le côté opposé à la roue : ce canal formé de bois ou pierres, quarré ou rond, de quatre pouces de largeur, sur autant de hauteur, fournit l'eau du réservoir. Au milieu du bas de la huche, du côté opposé à ce canal, vous ménagez une ouverture C de six pouces en quarré, ferme en-dehors par sa pelle de bois C à longue queue, & appuyé par un morceau de bois traversant le dessus d'un petit canal M, qui sert de déchargeoir. Du côté du coursier, tout au-dessus de la huche, vous ménagez une ouverture E deux fois plus large & moins haute que l'entrée de l'eau, afin qu'il puisse en sortir autant qu'il en entre, sur moins de profondeur.

La huche est traversée par un cylindre de bois N, qu'on appelle l'arbre, garni aux deux bouts de tourillons O de fer ou fonte, portant sur des empoises P, traversé des bras d'une roue qui tombe exactement dans un coursier, & garni dans l'intérieur de l'étendue de la huche, de trois barreaux R coudés à deux branches, enclavés les uns dans les autres à tiers points, de la profondeur de la huche ; de façon que quand un barreau finit de travailler, le voisin commence, & de même le troisieme ; ils entretiennent alternativement le mouvement dans la mine, au fond & sur les côtés de la huche.

L'ouverture du bas de la huche servant de déchargeoir, est garnie en-dehors d'un canal en bois Q, de la même dimension que l'ouverture, sur la longueur de quatre piés, garni des deux côtés d'un hérisson en pierre, ou affermi par du bois : il faut que ce canal aille un peu en pente, & aboutisse à un lavoir S de dix piés en quarré, au-dessus duquel, du côté opposé au canal, il y a une ouverture très-large sans être profonde, suffisante pour passer l'eau de la huche, quand il est nécessaire. Au bas de ce lavoir, & du même côté dans un coin, vous ménagez une ouverture fermée par une pelle T qui coule entre deux rainures. Il est avantageux ensuite de ce lavoir, d'en avoir un second V, qui recueille la mine que la force de l'eau pourroit faire échapper du premier.

Le jeu de cette machine consiste à laisser entrer l'eau par le canal A ; l'ouverture B étant fermée de la pelle C, la huche s'emplit d'eau jusqu'à la hauteur D ; la huche s'emplit de terre aux deux tiers ; la roue mise en mouvement par l'eau du coursier, le premier barreau souleve la terre proportionnément à son étendue, puis le deux & troisieme. L'eau bourbeuse s'échappe par l'ouverture E, pendant qu'elle se renouvelle par l'ouverture A ; & en très-peu de tems, on est débarrassé de la terre qui se mêle perpétuellement à l'eau, pendant que la mine plus lourde gagne toûjours le fond.

Vous connoissez avec un peu d'habitude quand la terre est lavée ; mais elle l'est certainement, quand vous voyez que le mouvement de la roue est retardé au point qu'elle s'arrêteroit ; parce que quand la mine est bien nettoyée, elle s'entasse si fort, que les barreaux ont grande peine à y entrer : d'où il est avantageux pour les soulager, ainsi que la roue, de les tailler en prisme, présentant un angle au travail. Alors vous tirez la pelle C, ayant soin que les pelles des lavoirs de dessous soient baissées : l'eau & la mine de la huche aidées par l'eau nouvelle & par le mouvement des barreaux, descendent dans le premier lavoir, & l'eau s'échappe par l'ouverture du dessus, faisant la même manoeuvre dans le second. Quand la mine de la huche est coulée, vous fermez la pelle C ; & pendant qu'un ouvrier va remplir la huche, l'autre nettoye avec un riaule le devant des pelles des lavoirs, & les leve. Comme elles tirent l'eau du fond, la mine reste seule & à sec ; de-là il va vuider à emplir la huche, afin que le lavage s'opere pendant qu'ils viendront achever l'opération : pour cet effet, à quatre ou cinq piés de distance du premier lavoir, il faut en avoir un qui tire l'eau directement du réservoir. Les ouvriers tirent la mine patouillée, & la posent sur le bord de ce dernier lavoir, dans lequel un ouvrier plonge le panier X, & le second jette la mine dedans : en remuant continuellement le papier, la mine passe au fond du lavoir, & les morceaux mal nettoyés se mettent à côté de la huche ; ils ramassent la mine criblée, la tirent d'un côté du lavoir, pour la mettre en tas à côté : quand elle est égouttée, elle est prête à être mise au fourneau ; pendant cette opération, celle de l'intérieur de la huche est faite.

On place le canal A tout contre le côté opposé à l'ouverture D, afin que l'eau soit obligée de faire tout le tour de l'intérieur de la huche, avant de sortir ; ce qui donne le tems à la mine de gagner le fond ; on place l'ouverture D du côté de la roue, tout contre le dessus ; & on la fait plus large & moins profonde, pour la même raison. D'ailleurs les barreaux poussant toûjours la mine du côté du devant, il n'est pas possible qu'il s'en échappe, à moins que ce ne soient des mines legeres, qu'on appelle folles, qu'il est plus avantageux de perdre à l'eau que de brûler. L'arbre d'un patouillet peut être garni de six barreaux au lieu de trois, ou de cuillieres qui se succedent. Plus vous opposerez de résistance, plus il faut de force, conséquemment plus d'eau : faites établissement après calcul.

Les patouillets supposent de la mine qui ne se mette pas en poussiere, & qui soit plus chargée de terre que de pierre ; sans quoi le frottement useroit la mine, sans diminuer la pierre : c'est une faute dans laquelle bien des gens sont tombés, & ont en conséquence décrié la machine.

Il faut avoir soin de beaucoup éloigner la huche du réservoir, afin que cette étendue donne lieu à une ample provision.

Il faut, pour servir un patouillet, deux ouvriers exacts, parce que s'ils retardent quand la mine est nettoyée, elle s'use par le frottement : il faut que ces ouvriers soient munis de pelles A, de pics B, de riaules, de bons paniers. Nous avons dit que les morceaux de terre qui avoient résisté à l'opération, se jettoient à côté du panier, au sortir de la huche : quand les ouvriers quittent le soir l'ouvrage, & même pendant leurs repas, ils jettent ces morceaux dans la huche. La nuit, ou plus de tems, leur fait prendre l'eau ; & frottés les uns contre les autres, la mine reste au fond de la huche.

Le patouillet est excellent pour les mines du premier & du troisieme genre ; & des paniers bien serrés d'osier ou d'autre bois, suffisent, & ne sont pas d'une grande dépense.

Les mines du second genre veulent des lavoirs & égrapoirs : les lavoirs ne sont autre chose qu'un trou quarré A, dont le fond B est garni de planches enterrées d'un pié de profondeur, sur six à sept piés d'étendue, garni de quatre costieres C de bois de trois à quatre pouces d'épaisseur, sur un pié d'élévation ; elles se joignent par des encoches D, & sont serrées en-dehors par des pierres. On échancre les costieres du dessus & dessous E E de la largeur de six pouces, sur la profondeur de trois ou quatre, & vous tirerez un petit courant F d'eau, qui entre dans le lavoir, le remplit, & sort par l'échancrure du bas. Vous emplissez un des côtés de terre à mine ; & un ou deux ouvriers sont munis de riaules. Un riaule G est un morceau de fer battu, de la largeur de six à huit pouces, recourbé H de cinq à six, pour prendre aisément le fond du lavoir sans gêner l'ouvrier, finissant dans la partie supérieure par un tuyau en écrou K, propre à recevoir un long manche de bois L.

Les ouvriers se campent du côté que vient l'eau ; & ayant tiré au courant la terre la plus proche de la sortie, achevent de la faire passer de l'autre côté, en changeant de position, de-là, la reconduisent d'où elle est venue : chaque changement s'appelle un demi-tour. Suivant la connoissance que l'on acquiert aisément à l'inspection, on décide qu'une telle mine est à deux, trois, quatre, &c. demi-tours : quand elle est nettoyée suffisamment, ils la tirent avec leurs pelles, & la mettent en monceaux à côté d'eux, avec les pierres ou sable que l'eau n'a pû enlever, jusqu'à ce qu'il y en ait en assez grande quantité pour être porté à l'égrappoir ; nom qui vient de ce que l'on appelle grappes les petites pierres ou sables mêlés avec la mine ; ce qui est une espece de castine : autrement ce seroient des mines qu'il faudroit abandonner. Les lavoirs peuvent encore se faire en quarrés longs O O, ce qui donne de la force au courant ; c'est l'affaire des yeux intelligens à voir & disposer suivant le besoin.

Plusieurs pour égrapper les mines, se servent de paniers M de taule ou de cuivre percés de l'échantillon de la mine, attachés par l'anse N à une corde attachée à une perche flexible O. Ce travail est gênant & long.

L'égrappoir A (v. les Pl.) du meilleur service est composé de deux membrures B B de six piés de longueur sur six pouces de hauteur : ces membrures sont tenues par deux traverses C C, d'un pié de longueur dans l'intérieur, passant par des mortaises D D, emmortaisées elles-mêmes E en-dehors, pour êtres serrées par des clefs F : dans les membrures, à un pouce de hauteur, on pratique une rainure G G ; vous arrangez dans ces rainures des baguettes de fer fondu H, d'un pié de longueur, dressées à la lime, & écrasées par-dessous. Vous arrêtez & séparez les baguettes par de petits morceaux de bois qui laissent des intervalles propres à laisser passer les grains de mine. Le total A A fait un grillage dont les côtés depuis les baguettes, ont quatre pouces & demi de hauteur : vous posez ce grillage sur le côté d'un lavoir I, de façon que le bas soit au-delà de la costiere L ; & vous élevez le dessus M où aboutit le courant d'eau, de façon que cela fasse un plan incliné de 18 ou 20 degrés. L'eau du réservoir arrive au-dessus du grillage par un canal N, auquel vous ajustez une trémie O, dans laquelle vous jettez la mine, afin qu'elle ne tombe que successivement. La mine entraînée par l'eau passe à-travers les baguettes, tombe dans le lavoir ; & les sables plus gros que le grain de mines, sont chassés au-delà : il faut pour cette opération deux ouvriers, dont l'un jette la mine dans la trémie, & l'autre la tire de l'autre côté du lavoir : quand ce côté est plein, les ouvriers se joignent pour la tirer & la mettre en tas ; par cette manoeuvre, qui va très-vîte, vous êtes au-moins assûrés que les sables qui restent dans la mine, ne sont que du même échantillon.

Les pierres qui sont dans les mines du quatrieme genre, ou sont par bancs dans les minieres, un de pierre, un de mines ; ou sont pêle-mêle en gros volumes, dont on peut avec pics & marteaux séparer la mine ; cette séparation faite, vous les passez au lavoir, de-là à l'égrappoir, abandonnant les pierres, si la miniere peut fournir d'ailleurs ; sinon mettez-les à part, pour les travailler comme celles qui suivent.

Les mines en roches, ou sont assez riches pour être brûlées sans séparation de la pierre, ou demandent à en être séparées.

Dans le premier cas, il ne s'agit que de les mettre en plus petits volumes ; ce que feront bien des bocards. Voyez BOCARD. J'ajoûterai seulement que les pilons doivent être coulés en plusieurs pointes, pour diviser au lieu de mettre en poussiere ; que les pilons frappent sur une taque de fonte ; & que le derriere soit garni de barreaux de fer qui ne laissent passer que ce qui est assez divisé.

Dans le second cas, les lavoirs simples ne feront rien ; le patouillet usera sans séparer ; le bocard écrasera la mine comme la pierre ; & ce qui restera sera toûjours dans la même proportion de mine & de pierre.

Pour ces mines, il faut recourir à la macération ; il y a la naturelle & l'artificielle : la naturelle s'opere en exposant en peu d'épaisseur les pierres à mines ou mines en roche déjà brisées au marteau, aux grandes chaleurs & aux gelées : cela demande bien du tems & de l'espace.

L'artificielle va plus vîte, & ne consiste que dans un certain degré de chaleur : pour cet effet, ayez proche vos minieres ou vos bois des trous préparés, comme pour la calcination des pierres ; ayez-en plusieurs, & conséquemment à votre travail. Vos fours dressés avec les pierres à mines, comme les fours à chaux, faites mettre en fagots les restes des exploitations, & chauffez. Comme il y a des pierres à mines qui se fendent avec éclat au premier degré de chaleur, il faut les faire porter sur des grillages de fer, ou voûte faite de pierres calcaires : la cuisson faite, ainsi que l'expérience l'aura bien-tôt appris, vous transporterez sur les lavoirs ; à la premiere eau, tout sera dessoudé. La chaux coulera avec l'eau ; le grain ou les lames tomberont au fond du lavoir ; s'il reste beaucoup de pierres, l'égrappoir vous en débarrassera ; s'il y en a qui ne soient pas assez calcinées, laissez-les à la macération naturelle, qui en peu de tems achevera la séparation.

Comme l'eau qui sort de ces mines est dangereuse pour les ruisseaux ou rivieres où elle se décharge, vous ferez faire au bas des lavoirs plusieurs grands & spacieux trous, qui s'empliront les uns après les autres de votre eau de mine ; ce qui donnera le tems à la transpiration, l'évaporation, & au dépôt. Quand vous reprendrez le travail le matin, vous acheverez de vuider ces réceptacles avec une pelle & par un petit déchargeoir qui tire l'eau. Quand ils seront remplis, vous les ferez vuider à la pelle, & conserverez cette espece de marne pour engraisser les terres ; ce qui vous dédommagera d'une partie de la dépense, moins effrayante au fond que par la nouveauté. Le reste sera amplement payé par le produit du fourneau, avec moins de charbon.

Un point essentiel pour un manufacturier, est de connoître ses mines, de les mélanger conséquemment à leur qualité, dans la proportion convenable.

On a l'expérience, que les mines venues dans l'arbue portent avec elles un degré, soit de réfraction, soit de facilité à la fusion, proportionné à l'arbue dont elles restent pénétrées ou imprégnées ; & celles nées dans la castine ont les mêmes qualités dans un degré proportionné aux parties de castine que vous n'aurez pû leur ôter.

Nous avons encore observé que l'emploi de l'arbue répondoit assez à celui du soufre dans la poudre-à-canon, quatre parties sur une livre ; & la castine à celui du salpêtre, dix parties sur une livre.

Pour connoître ce que les mines portent d'arbue & de castine dans nos cantons, on peut se servir de la méthode suivante.

Ayez une mesure d'un pié cube A : il faut, autant qu'on peut, faire les épreuves sur le plus grand volume : vous emplirez cette mesure de mine, en la coulant par un entonnoir B, pour l'entasser également. Supposons mine du second genre, telle que vous l'avez préparée pour la mettre au fourneau, vous raclerez la mesure, & peserez ; vous prendrez assez de tems pour mettre à part les grains de mine & les pierres que vous mesurerez & peserez séparément ; vous ferez griller la mine, pour aider la séparation de l'arbuë ; laverez, laisserez sécher, mesurerez, & peserez : donc il y avoit tant d'arbuë. Vous calcinerez les pierres, laverez, mesurerez, & peserez : donc il y avoit tant de castine. Vous ferez de même l'épreuve des différentes mines, pour les mélanger ou y joindre arbuë ou castine ; posant pour regle, qu'il faut un dixieme d'arbuë & un vingt-cinquieme de castine : ainsi, si dans cent livres de mines il y a vingt livre d'arbue, ajoûtez cent livres de mines qui portent huit livres de castine ; cet exemple doit suffire pour faire entendre le mélange de toutes les especes de mines.

Ne regardez néanmoins ceci que comme une approximation ; joignez l'expérience ; ajoûtez ou retranchez ; & au lieu de faire le mélange au fourneau, faites-le dans les apprêts. On est sûr de l'uniformité, & d'avoir obvié à la négligence & l'oubli des ouvriers, quand les mines sont séparées : le mélange, pour certaines mines, ne peut être fait avec plus d'exactitude que par le patouillet. Quant à celles, par exemple, que l'éloignement ou autres raisons vous auront fait passer au lavoir, & qui auront besoin d'être passées une seconde fois au panier ; ayez au-dessus du patouillet un plancher en pente, garni de costieres, où passera l'eau qui arrive à la huche, & dans laquelle vous criblerez la mine, qui, à l'aide de l'eau, descend naturellement dans la huche.

Il est assez inutile de parler de la façon de voiturer & mesurer les mines ; chaque pays ayant sa méthode & sa mesure pour les recevoir des ouvriers. On dit ordinairement une queue de mines, ce qui devroit naturellement être de la même dimension qu'une queue de vin, divisée en muids & feuillettes. La feuillette à mine A, est de bois de fente, reliée en cercles de fer B, avec des poignées extérieures C C, attachées au cercle du milieu, sans fond, pour que les ouvriers, quand elle est pleine, puissent aisément l'enlever.

ART. VI. Des réservoirs & de la dépense de l'eau. L'eau est pour les forges une puissance nécessaire, dont on ne tire pas tout l'avantage possible sans beaucoup d'intelligence, de travail, & de dépense. La premiere attention, quand vous voulez bâtir une forge, est de bien connoître si vous en pouvez rassembler assez, à quelle hauteur ; & vous débarrasser de l'excédent.

Chacun sait que pour donner de la force aux liqueurs, il faut les ramasser en grands volumes ; & que pour fournir à une grande dépense, il faut des réservoirs spacieux. Pour joindre la hauteur & l'espace, on cherche l'endroit le plus favorable pour établir une chaussée ; & cette chaussée est percée de deux ouvertures : la premiere est distribuée en plusieurs cases, fermées de pelles ou pales, qu'on leve ou qu'on baisse pour donner une quantité déterminée d'eau ; cela s'appelle l'empalement du travail : la seconde est distribuée également, pour servir de décharge à l'excédent de l'eau, & s'appelle l'empalement de décharge.

Il n'est pas nécessaire de dire qu'il ne faut pas entreprendre la construction d'une forge, si par le calcul fait d'avance, il est clair qu'on ne puisse pas ramasser assez d'eau, & à une telle hauteur ; la hauteur de la chaussée décide de la hauteur de l'eau : quant à l'espace, il faut être bien assûré que cette élévation ne pourra préjudicier aux héritages voisins.

Une chose essentielle à savoir, c'est que les eaux retenues contre un empalement de travail, en plus grande abondance qu'il n'en laisse échapper, obligées par conséquent de retourner à l'empalement de décharge, pour trouver une sortie proportionnée à leur quantité, s'élevent en reculant, d'environ un pouce pour dix toises. Tirons de cette expérience, que le plus avantageux pour augmenter la force de l'eau, est d'avoir un empalement de décharge très-éloigné de celui du travail ; puisque l'eau sera pressée de l'élévation d'environ un pouce par dix toises. Pour cet effet, quand vous voudrez ramasser toutes les eaux des petits ruisseaux, fontaines, étangs, riviere peu considérable, pour la dépense de votre travail ; au point de la jonction de plusieurs eaux, établissez l'empalement de décharge ; & de ce même point, faites creuser un canal le plus long que vous pourrez, au bout duquel vous établirez l'empalement de travail : vous gagnerez de la hauteur d'eau relativement à la pente du terrein & à son éloignement de l'empalement de décharge.

Comme l'empalement de décharge tire l'eau du fond, il y a lieu de penser qu'il pourroit faire perdre une partie du fruit qu'on attend de son éloignement de celui du travail, quand une petite crue d'eau le fait lever : pour prévenir cet inconvénient, on laisse l'empalement pour les grandes crues d'eau, & à côté on bâtit un roulis qui débarrasse du superflu de l'ordinaire.

Quand vous voulez bâtir une forge sur une riviere abondante, & que vous n'avez besoin que d'une partie de l'eau, il faut, le plus loin que vous pourrez de l'empalement de travail, faire un arrêt qui traverse la riviere, & qui tourne l'eau dans un canal creusé & allongé ; le reste doit passer sur l'arrêt. On peut ménager des portes pour le passage des grandes eaux & usages de la riviere.

Si l'empalement de travail donne assez de hauteur à l'eau pour faire travailler les roues par-dessus, vous ferez une huche qui la distribuera sur des roues à seaux : si vous n'avez pas assez de hauteur, vous prendrez l'eau du fond, qui, distribuée dans des coursiers, fera mouvoir des roues à aubes.

Quoique ces parties soient détaillées chacunes à leurs articles ; pour mettre le tout sous les yeux, nous allons les parcourir, sans entrer dans de trop grands détails.

Il ne faut rien ménager ni oublier, quand il est question de faire des fondations d'empalemens, de roulis, d'arrêts, &c. détournez les eaux autant qu'il est possible ; excavez ; cherchez le terrein ferme ; ou servez-vous de pilots ou de grillages, & employez de bons matériaux. Nous donnerons un exemple de fondation à l'article des FOURNEAUX.

Pour un empalement de décharge, quand vous serez élevé à un pié près du fond de l'eau, établissez un bon grillage qui avance de dix à douze piés dans l'eau, & soit assez grand pour garnir tout l'intérieur des bajoyers, & entrer sous la mâçonnerie qui s'éleve à chaque bout du seuil.

Le seuil ou sous-gravier sera encoché dans le grillage, & arrêté à ses extrémités sous la mâçonnerie : dans le dessus, vous emmortaiserez des bois de séparation, dans lesquels vous ménagerez des feuillures du côté de l'eau, pour y couler les pelles : ces bois de séparation s'appellent potilles : les potilles sont emmortaisées par en-haut dans une forte piece de bois, qu'on appelle chapeau. Les potilles seront soûtenues dehors par des bras arrêtés dans les traversines du chassis : ces bois posés & arrêtés, vous élevez une mâçonnerie assez forte pour résister à la poussée de l'eau ; laquelle embrasse aux deux-tiers le potille des bouts : cette mâçonnerie s'élargit du côté du bas, pour diminuer la force de l'eau, en lui donnant plus d'espace ; on remplit les vuides du grillage avec pierre, chaux, & sable, ou de glaise bien corroyée ; & on clouë dessus des planches bien dressées & épaisses ; pour plus grande sûreté, on garnit le devant & le derriere du grillage de pieux très-proches, bien enracinés, & sciés à fleur.

Les pelles sont des planches cloüées ou chevillées sur deux traverses, & une piece de bois de trois à quatre pouces d'équarrissage, qui lui sert de queue. On coule les pelles dans les rainures de deux potilles ; & la queue est arrêtée dans une encoche, ou une mortaise pratiquée dans le chapeau.

Quand l'empalement n'est pas assez large pour demander plusieurs pelles, & qu'une seule seroit trop difficile à lever, vous y mettez une queue à chaque côté, passant par le chapeau, finissant en vis : les écrous commençant à travailler contre le dessus du chapeau, font lever la pelle sans grand effort.

L'empalement de travail se fabrique comme celui de décharge ; il faut seulement observer que les potilles sont divisées, pour que leurs ouvertures ne donnent que l'eau dont on a besoin : le dehors de chaque potille sera garni de madriers d'épaisseur, entassés & brochés les uns sur les autres, portant sur de bons chassis, & faisant les coursiers proportionnés aux roues qu'ils reçoivent pour leur communiquer l'eau : le fond des coursiers est garni de planches épaisses cloüées sur les chassis. On a soin dans les coursiers, de ménager une pente qu'on appelle saut, dans l'endroit où l'eau commence à travailler sur les aubes des roues : au milieu de la roue, le coursier sera élargi de moitié, afin que l'eau qui a passé le travail, trouvant un plus large espace, s'échappe plus vîte, & ne retarde point le mouvement de la roue, en touchant le derriere des aubes. Quand on pose le seuil d'un empalement de travail, il faut savoir ce qu'il restera de pente pour le coursier, le saut, & la fuite de l'eau dans le sousbisf.

Le sousbisf est un canal qui va rejoindre celui de décharge, dans le point qu'on aura mesuré n'être plus par sa pente exposé au regonflement de l'eau : comme l'eau perd de sa force par ces frottemens, au prorata de la longueur des coursiers, vous les disposerez proche de l'empalement, suivant le plus ou moins de travail : par exemple, celui du marteau sera le plus proche ; ensuite ceux des fonderies, des chaufferies, &c. il faut encore prendre garde que ces coursiers passant les uns à côté des autres, on est nécessité d'avoir des arbres plus longs les uns que les autres ; par conséquent les plus courts doivent être ceux du plus grand travail.

Puisqu'il est avantageux de prendre l'eau près des empalemens, il le seroit donc, dans une grande usine, de multiplier les empalemens : pour cet effet, on en pourroit ménager un de chaque côté du corps de la forge, & un de l'autre côté du corps de la fonderie. Par le moyen de ces trois empalemens, on pourroit, dans l'intérieur de la forge, avoir deux marteaux, & le nombre de feux nécessaires pour les assortir, des autres côtés des deux empalemens ; d'une part le fourneau, d'autre une roue de fonderie ; & de l'autre côté de la fonderie, la deuxieme roue sur le troisieme empalement.

Quand on a assez d'hauteur d'eau pour la faire tomber sur les roues, alors au lieu de l'empalement à potilles & pelles, on pratique une huche qui vient aboutir sur la roue du plus grand travail, & distribue l'eau à celles du moindre, par des coursiers soûtenus sur des chevalets.

Une huche est un coffre de bois servant d'allongement au réservoir d'eau, du côté duquel elle est ouverte : ce coffre est soûtenu sur des chevalets, sous lesquels sont les roues, auxquelles on donne de l'eau par le fond de la huche, au moyen de pelles qu'on baisse ou qu'on leve suivant le besoin. Il me paroît qu'en raisonnant bien, on trouveroit que la dépense d'une huche est inutile, en tirant directement l'eau du réservoir conduite sur les roues par un coursier.

La structure des roues vient des deux manieres de prendre l'eau, ou par-dessus ou par-dessous : il semble que dans les forges on affecte de ne point la prendre de côté dans des roues à seaux ; il ne seroit peut-être pas impossible de prouver que ce seroit la maniere la plus avantageuse : celles qui reçoivent l'eau pardessus, s'appellent des roues à seaux ; elles marchent suivant la poussée & la pesanteur de l'eau dans les seaux. Les roues à aubes prennent l'eau par-dessous ; recevant leur mouvement de l'impulsion de l'eau, elles ne peuvent l'avoir que conséquemment à la force de l'eau, laquelle force dépend du poids & de la chûte.

Les roues à aubes sont composées d'une grande quantité de séparations beaucoup plus larges que les aubes, faisant un total fort pesant : il n'est pas si clair que bien des gens se l'imaginent, que les roues à seaux, pour les forges, soient d'un meilleur service que celles à aubes ; il y en a qui demandent de la force & de la vîtesse : je n'entends parler que relativement à des chûtes de huit à neuf piés & au-dessous. Si sous huit piés j'établis une roue à seaux de cinq piés de diametre, il est clair que j'ai des leviers très-courts ; que je perds la hauteur & l'étendue d'eau de cinq piés ; que la force de l'eau diminue à proportion : d'ailleurs ces roues demandent beaucoup d'entretien ; ainsi je crois que la perte de la hauteur de l'eau & l'entretien préjudicient & retardent le travail autant qu'une plus grande dépense d'eau dans les roues à aubes, dont je puis dans le besoin allonger les leviers, dont l'entretien est facile, & qui tirent l'eau du fond. Delà je concluerois volontiers, que quand on n'est pas dans le cas de manquer d'eau relativement à un travail bien entendu, ou que les chûtes ne sont pas au-delà de neuf piés, le meilleur est de s'en tenir aux roues à aubes.

ART. VII. Des bois. Les bois faisant la plus grande dépense des forges, font un objet très-intéressant ; cette partie consiste dans l'achat, l'exploitation & l'emploi.

L'achat doit être reglé par la qualité du terrein, l'espece de bois, l'âge, l'épaisseur, la hauteur, & la traite.

Ne peut-on pas assûrer que le bois est rempli de parties sulphureuses ou nitreuses, en plus ou moins grande quantité, selon la nature du sol ; que ces parties y sont serrées à proportion du nombre des couches que chaque année accumule, & de la solidité de la partie nerveuse ? Un bois venu dans l'arbue, suivant ce que nous avons dit, ne doit-il pas être regardé comme un bois nerveux ; celui venu dans la pierre, la castine, comme un bois aisé à séparer ? notre proportion ne pourroit-elle pas être ici appliquée comme dans la mine ? Un bois venu dans l'arbue ne pourroit-il pas être deux fois & demi plus difficile à réduire en cendres, que celui venu dans la castine, à pareil degré de siccité ? Un pié cube de bois nourri dans l'arbue, pese au moins moitié plus qu'un nourri dans la castine : donc la contexture en est plus ferme ; donc le remplissage est de parties plus tenues & plus serrées. La chaleur du charbon venu dans l'arbue est fort concentrée ; il veut être bien soufflé : celui venu dans la castine fuse, s'évapore aisément. Le coeur & le pié du bois sont plus durs que l'extérieur & le dessus : le coeur est serré par les couches qui l'environnent ; les tuyaux de l'extérieur sont remplis de beaucoup d'eau, qui sert de véhicule aux parties plus lourdes, mais divisées pour être transportées. N'est-il pas naturel que les parties plus lourdes & plus embarrassées restent au bas de l'arbre, tandis que les plus legeres & les plus aiguës montent ? le dessus de l'arbre n'est-il pas aussi abreuvé & entretenu par les parties que l'air dépose ? Ces parties sublimées sont censées legeres : de-là nous voyons que le coeur du bois & le pié tiennent le feu beaucoup plus long-tems que l'extérieur & le dessus. On pourroit donc par le poids seul, faire la différence du bois qui résiste le plus long-tems au feu.

Ne pouvant douter que les bois ne soient en relation exacte avec le terrein, la premiere regle pour l'achat doit donc être la connoissance du terrein, d'autant que c'est ce qui regle l'espece : les unes par leur constitution veulent des nourritures solides, d'autres plus legeres ; quelques-unes ont de larges tuyaux, &c. Il seroit à souhaiter d'avoir l'analyse de tous les différens bois : mais en général au poids on ne sera point trompé.

La seconde regle est l'âge du bois ; on le connoît aux cercles que vous voyez quand le bois est coupé. On compte dans un arbre un peu âgé le coeur pour trois ans ; chaque cercle pour une sève, & l'écorce pour trois ans. Si le coeur & le pié ont des parties plus solides, comme on n'en peut douter, quand le bois a atteint un certain âge ; cet âge est donc d'une extrême conséquence. Il faut mettre en compte la hauteur & l'épaisseur du bois : c'est ce qui donne la quantité. Par la traite, j'entends l'éloignement & la qualité du trajet.

Un manufacturier qui a mis en compte l'entretien, le cours d'eau, la mine, la main d'oeuvre, l'exploitation, la traite, voit d'un coup-d'oeil ce qu'il peut donner de la superficie d'un bois, & sait qu'un autre en pareille traite & du même âge, par le terrein seul, peut valoir le double & jusqu'à trois cinquiemes, le bénéfice restant plus grand : la preuve en résulte de ce qu'ayant sous un même volume de bois dequoi faire un plus grand travail, l'exploitation & transport sont moins coûteux. Il seroit à souhaiter que les propriétaires & manufacturiers voulussent se rendre à ces vérités ; on n'entendroit pas les uns se plaindre de l'inégalité du prix de bois qui leur semblent de la même valeur, & les autres exposer leur fortune par des achats mal combinés.

De ce que nous avons dit il ne faut pas inférer que plus un bois seroit vieux, meilleur il seroit ; soit taillis, soit futaye, attendez tant qu'ils profitent beaucoup ; quand vous entrevoyez de la langueur, coupez.

Pour l'exploitation des bois en général, voyez BOIS & FORET. Pour l'usage particulier des forges, il convient qu'elle soit faite pendant que le bois est défeuillé : il faut se pourvoir d'un nombre d'ouvriers suffisant ; la méthode la plus ordinaire est de couper le bois de deux piés & demi ; le fendre en morceaux de trois à quatre pouces de diametre ; & le mettre en cordes entre deux piquets, suivant les étendues & conventions arbitraires. Veillez aux coupeurs, qu'ils ne touchent point à ce qui est réservé ; laissant le nombre & la qualité des baliveaux ; coupant proche de terre ; brûlant, si on n'a pas lieu d'en faire autre usage, les petites branches inutiles ; empilant leurs bois sans fraude : il faut se conformer aux clauses des marchés, sans jamais anticiper ni retarder les coupes ; se servir des anciennes places à charbon, des anciens chemins ; & ne jamais traiter avec les propriétaires qu'on sait être trop scrupuleux & intéressés : les recollemens alors, avec toute la bonne foi & le soin qu'on a pû apporter, deviennent des sources de procès & de ruine. L'accident le plus à craindre pour les exploitations, est le feu.

Si à l'exploitation des taillis on a joint la coupe de quelque futaie, il sera avantageux de faire travailler le tout ensemble. Il est bien entendu que les corps d'arbres seront débités suivant leurs qualités, fente, sciage, charpente, charronnage ; le reste, qui est de notre objet présent, sera scié de deux piés quatre pouces de longueur, fendu en morceaux de trois à quatre pouces, & dressé en cordes, comme les branches & taillis : ces gros bois, que nous supposons n'être point viciés, doivent naturellement résister au feu, mieux que les taillis : au mois de Mars, il faut avoir soin de faire ramasser de la feuille pour faire couvrir les fourneaux dans le tems. Quand tous les bois seront en cordes, ce qui doit être fini pour le mois d'Avril, on les laisse sécher jusqu'en Septembre : alors il ne faut point perdre de tems à les faire dresser, voyez CHARBON. Ce n'est que dans le dernier besoin, qu'il faut faire de nouvelles places à charbon. Cette partie demande toute l'attention possible. Où le fond est arbue & plein, alors les nettoyer & battre suffit ; où le fond est en côteau, le mieux est de prendre des pionniers pour les unir, & de bons bras pour les battre ; où le fond est pierraille ou sable, quelquefois avec des crevasses, le mieux est d'y faire conduire de l'arbue, & de la faire battre. Les aires préparées, les dresseurs auront soin de mettre une partie de petits bois pour commencer, c'est ce qu'on appelle l'alume ; ensuite les plus gros dans le foyer, & les plus petits à mesure qu'on s'éloigne du centre : par ce moyen, tout se trouve dans la place qui lui convient. Le grand point est que le bois ne soit point trop couché en-dedans ni sur les côtés ; sans quoi au moindre affaissement, tout se dérange & cause un desordre préjudiciable. Le dressage doit laisser une égale liberté au feu de circuler de tout côté : si une partie est trop garnie, le feu pénetre avec peine : ne l'étant pas assez, il se jette tout-d'un-coup où il trouve moins de résistance : si le gros bois tient une place séparée du petit, l'un brûle, l'autre ne cuit pas ; si la place n'est pas ferme, tout le bois qui entre en terre ne deviendra jamais charbon ; s'il s'y trouve des fentes ; si elles communiquent à l'air extérieur, elles soufflent ; si elles ne communiquent pas, & qu'il y ait beaucoup d'humidité, la raréfaction peut faire culebuter une piece entiere ; si le bois est mal arrangé & garni, il s'y forme des entonnoirs, qu'on ne bouche & remplit jamais sans perte.

Quand les fourneaux sont dressés, on les couvre de feuilles, d'un peu de terre & fasins, pour concentrer la chaleur : si on a affaire à un terrein pierre, je le répete encore, voiturez de la terre & des fasins, vous serez dédommagé de cette dépense. La regle pour l'épaisseur de la terre qui couvre les fourneaux, n'est point arbitraire ; il faut que la fumée & la flamme ne puissent passer que dans les endroits qu'on le souhaite. Trop de terre empêchera la cuisson de la partie qui lui est contiguë : il y a des sels qui s'évaporent avec les fumées ; ne seroit-ce point ces sels qui les rendent si dangereuses ? Quand le feu est dans un fourneau, il faut veiller s'il marche également ; s'il se jette d'un côté, couvrez-le de fasins, & donnez jour dans le voisinage. Quand le milieu commence à s'affaisser, couvrez-le bien, & piquez dans des environs & au bas ; si une partie paroît résister au feu, tandis que le reste passe, ouvrez, & laissez-la s'enflammer à l'air libre ; quand le feu y aura bien mordu, couvrez. Ne pressez jamais un fourneau. Comme il ne peut aller vîte qu'en prenant beaucoup d'air : outre une grande diminution, le charbon qui reste a beaucoup perdu de ses parties inflammables, comme on le voit à sa grande division & legereté.

Le charbon doit naturellement rester pénétré des qualités du bois. Aussi voyons nous que celui venu & cuit dans l'arbue résiste long-tems au feu ; & celui venu dans la castine s'évapore aisément : la pesanteur est une regle aussi assûrée pour le charbon que pour le bois. Il est aisé de se convaincre que deux morceaux de bois sec de même dimension, l'un venu dans l'arbue, l'autre dans la castine, pesent, après leur réduction bien faite en charbon, dans la même proportion qu'ils étoient avant : le charbon le plus lourd tient le feu le plus long-tems. On sent bien que le bois de pié & du dessus étant dans les fourneaux, c'est avoir mélangé le fort & le foible : il est rare, avec cela, de n'avoir pas, dans de grosses exploitations, quelques especes de bois leger ; en tout cas, quand vous aurez des bois différens par la nature du fond, le plus expédient est de mélanger les charbons dans la proportion du mélange des mines ; dix parties du charbon venu dans l'arbue, quatre de celui venu dans la castine, cela réussit bien à l'expérience & au travail. Le charbon vigoureux convient bien aux fourneaux dans lesquels on cherche à concentrer la chaleur, & où on employe la force de l'air ; il convient encore à la macération des fontes, &c.

Pour les fours des fonderies qui se chauffent avec du bois, je n'ai pas besoin de dire que ceux venus dans la pierraille donnent une flamme plus passagere, mais plus vive & plus promte, & conséquemment conviennent mieux.

Il est aisé de conclure qu'ayant besoin pour cuire le charbon, d'une certaine épaisseur de terre & de fasins, soûtenue par la feuille sur les fourneaux ; les grandes pluies, qui entassent, battent, & entraînent ; les gelées, qui soûlevent ; les grandes chaleurs, qui raréfient ; les vents qui dérangent, y sont très-préjudiciables : le plus expédient est de choisir le tems qui paroît le moins sujet à ces inconvéniens ; Mars, Avril, Septembre, & Octobre, paroissent les plus propres ; il faut en profiter, pour faire la provision nécessaire : pour cet effet, il faut des voituriers, des releveurs de charbon.

En général, les halles doivent être au vent du nord des usines ; cette exposition est moins dangereuse pour le feu ; les uns les font bâtir solidement & à demeure ; les autres ont une carcasse en bois, dont les côtés ont des coulisses qu'on garnit de planches, ainsi que le dessus, à mesure que le charbon arrive : par ce moyen, on les allonge tant qu'on juge à-propos. Le charbon craint sur toutes choses l'humidité : ainsi il ne faut point tarder, quand il est cuit, à le voiturer & le mettre à l'abri ; plus il est brisé, plus à l'air seul il perd de ses parties inflammables. Le charbon récent donne de la chaleur ; mais il est bien-tôt consumé : la raison est qu'ayant tous les pores ouverts, il est plus disposé à une promte dissolution par une inflammation totale. Il est utile que le refroidissement ait fermé ses pores, pour ne se prêter qu'à une inflammation successive : sur toutes choses, garantissez-le de l'humidité.

La façon de voiturer les charbons n'est pas égale par-tout : les uns se servent de voitures à quatre roues, qu'on renverse ; mauvaise méthode, qui en écrase une grande quantité : d'autres se servent de bennes sur deux roues, avec des claies par-dessous, qu'on ouvre pour le laisser couler : d'autres se servent de sacs qu'ils chargent sur des bêtes de somme ; la meilleure maniere est celle qui brise moins ; la façon de mesurer le charbon est aussi différente ; on parle de muid, de van, de basche, &c. Quand nous aurons besoin d'une dimension, nous la déterminerons par piés ; par ex. un van de Bourgogne équivaut à 5 piés cubes.

La regle pour la mesure des bois, est, par l'ordonnance, fixée à cent perches de vingt-deux piés de roi pour un arpent. Les arpenteurs sont joints aux corps des maîtrises, pour travailler dans l'étendue de leurs ressorts. Je ne puis passer sous silence un abus prodigieux : les bois sont communément dans de grandes inégalités, hauteurs, & profondeurs : on traîne la chaîne en montant, on la traîne en descendant dans une surface convexe ; c'est la demi-circonférence, ou autre courbe qui est mesurée, pendant que ce devroit être la base.

ART. VIII. De l'air. L'air absolument nécessaire pour la fusion des mines dans les fourneaux, l'est de même pour les forges, fonderies, &c. il est simplement question d'en proportionner la force & la direction suivant le genre de travail.

On communique l'air à des foyers par le moyen de l'eau, ou de soufflets, ou d'ouvertures exposées à l'air libre.

Le premier moyen veut une chûte considérable, quoique d'une petite quantité d'eau. Supposons deux ou trois pouces tombans de douze ou quinze piés ; vous aurez sur le sol du fourneau ou de la forge, du côté & au bas de la thuyere, un bassin percé par le fond d'une ouverture proportionnée à l'eau qui doit tomber : le dessus de ce bassin sera encore percé vis-à-vis le trou de la thuyere ; à cette ouverture il faut adapter un robinet qui étant ouvert laisse entrer l'air par la thuyere, & ferme le jet de côté. Au-dessus de ce bassin sera adapté & scellé un tuyau perpendiculaire de la hauteur de la chûte, au-dessus duquel il y a un entonnoir qui reçoit l'eau à l'air libre ; cette eau est amenée par une conduite, qui ne laisse passer qu'une quantité déterminée & exacte. L'eau entrant dans le tuyau avec beaucoup d'air, & tombant perpendiculairement, est déterminée par son poids à s'échapper par l'ouverture d'en-bas ; l'air moins pesant trouvant une issue ouverte du côté de la thuyere, s'échappe avec une force proportionnée à la hauteur & largeur du tuyau. La difficulté d'avoir de pareilles chûtes & une quantité réguliere d'eau, les gelées, & autres inconvéniens, n'ont pas donné à une machine si simple tout le crédit qu'elle devroit avoir ; l'habitude ne laissant pas même entrevoir les ressources des différentes positions.

Le second moyen a été d'employer des soufflets : d'abord on les a fait de cuir, plus grands, mais de la même forme que ceux des petites boutiques, ils étoient mûs par l'eau & rabaissés par des contrepoids. Depuis peu on a trouvé une maniere plus ingénieuse & sujette à moins d'entretien, en les faisant de bois ; en voici la construction, tant pour les fourneaux que pour les forges ; ils ne different que par la grandeur : ceux des fourneaux ont depuis quinze jusqu'à vingt piés de longueur ; & ceux des forges, depuis sept jusqu'à neuf piés, sur la largeur proportionnée. M. de Réaumur a calculé qu'un soufflet de forge de sept piés & demi de longueur jusqu'à la tête, de quarante-deux pouces de largeur, finissant à quatorze sur l'élévation de la caisse, de quatorze pouces à sa plus grande portion de cercle, donne 20151 pouces & un tiers en bas, pour le volume d'air poussé par chaque coup de soufflet ; qu'un soufflet de fourneau de 14 piés de longueur donne 98280 pouces en bas.

Les soufflets sont composés du fond & de la caisse ; (Voy. les Pl.) le fond d'un soufflet de fourneau est une table de bois M, de quinze piés de longueur jusqu'à la tête R, sur cinq piés de largeur dans le dessus, finissant à 18 pouces vers la tête ; prolongée de 18 pouc. finissant à 1 pié de largeur, pour faire le fond de la tête S. Sur cette table seront fermement attachés tout-autour, jusqu'à la tête, des rebords de six pouces de hauteur sur trois à quatre pouces d'épaisseur, bien dressés : sur ces rebords vous appareillerez des tringles de bois h, aussi bien dressées, enclavées par leurs extrémités les unes dans les autres, par une encoche & un tenon mobile 9, 10, 11, 12, 13 ; & dans les coins, par des encoches sur le plat à mi-bois. C C, trois ou quatre liteaux de chaque côté, deux au-dessus, 3, 4, 5, 6, deux vers la tête 9, 10, 12, 13 : ces tringles C C s'appellent liteaux : ces liteaux seront affermis par des mentonnets Z : le mentonnet est composé de la racine 1, qui se cloue en-dedans des rebords Y S, formant un angle droit avec le menton 2, & tenus ensemble par un tenon & une mortoise : on arrache & place les mentonnets suivant le besoin ; il faut que le menton serre les liteaux de façon qu'ils puissent se mouvoir sans se déranger. Entre le mentonnet & les liteaux, on passe dans un trait de scie pratiqué dans la racine du mentonnet u, des ressorts xx, qui poussent les liteaux en-dehors d'environ un pouce. On engraisse de bonne huile d'olive le dessus des rebords, liteaux, & mentons ; & on serre les liteaux contre les ressorts avec des tourniquets de bois attachés en-dehors des rebords. On décloue ces tourniquets à mesure que la caisse emboîte les liteaux.

Dans le fond, à un pié du dessus, on fait un trou quarré m, de quinze pouces de diametre, pour qu'un ouvrier puisse y passer dans le besoin : on couvre cette ouverture d'un morceau de bois à charnieres, d'un côté garni en-dessous de peau de mouton en poil, & retenu en-dessus par une courroie lâche de cuir, de façon qu'il puisse lever & baisser & fermer exactement ; cela fait l'office d'une soupape, & s'appelle le venteau.

Le fond du soufflet, depuis le rebord r, du côté de la tête, est allongé, comme nous l'avons dit, de dix-huit pouces, finissant à douze : cet excédent, dans sa longueur, sert à loger l'épaisseur d'un tuyau de fer couché dessus ; ce tuyau a quatre pouces de diametre, finissant à deux ; & deux piés & demi de longueur au-delà de l'allongement : ce tuyau s'appelle bure ou beuse, F. La tête S est un morceau de bois excavé pour emboîter la beuse, bien attaché à l'allongement qui fait le fond, finissant de même à un pié d'épaisseur ; le tout bien lié en fer.

Dans le dessus de la tête, à sept ou huit pouces des liteaux, on fait une encoche terminée en demi-cercle de deux pouces de profondeur sur un pouce de diametre, propre à recevoir une cheville de fer P P : vers les liteaux de la tête, vous ôtez assez de bois pour placer librement le bout de la caisse, contre lequel ces liteaux doivent frotter.

La caisse est un coffre de bois O O P P, de trois ou quatre pouces d'épaisseur, de la même figure que le fond : les côtés qu'on appelle panne, servent à emboîter le fond, sur le jeu de deux ou trois lignes. Les bouts des deux côtés de la panne P P sont prolongés d'un pié, & à quatre pouces de l'extrémité, traversés d'une cheville de fer qui se place naturellement dans l'encoche qui lui est préparée ; en dehors de chaque côté de cette cheville, entre la tête & la panne, il y a des clés de fer qui la reçoivent pour être arrêtée en-dessous ; ce qui rend cette cheville assez ferme pour n'avoir de mouvement que sur elle-même.

Cette cheville doit être regardée comme le centre du mouvement de la caisse, dont le bout d'en-haut doit être taillé en portion de cercle B D partant du centre : voilà le grand mystère des Souffletiers. Quand la caisse monte & baisse, elle décrit plus d'espace à-mesure qu'elle s'éloigne du centre du mouvement ; c'est ce qui doit faire la regle pour la hauteur des côtés, qui, dans le soufflet que nous décrivons, pourroient avoir trois piés & demi dans le bout d'en-haut, finissant à huit ou dix pouces.

Pour loger la caisse, vous la placez sur un levier qui traverse le milieu du fond, portant sur les liteaux ; vous placez la cheville ouvriere, & l'arrêtez : la caisse commençant à emboîter partie des liteaux, vous éloignez le levier du centre ; & à-mesure que la caisse se loge, vous arrachez les tourniquets qui tenoient les liteaux.

Il est inutile de dire avec quelle exactitude les côtés de la caisse doivent être joints, polis, & graissés, puisque tout l'effet de la machine dépend de la précision, qui doit être assez grande pour ne laisser d'autre sortie à l'air que l'ouverture de la bure.

Les caisses des soufflets, ainsi que les fonds, se font avec du bois leger & sec, de trois ou quatre pouces d'épaisseur. Quand les soufflets ne font plus le travail nécessaire, par la perte du vent, on les releve en desserrant la cheville, ôtant la caisse, nettoyant & visitant tous les joints & les liteaux, & collant sur les endroits qu'on entrevoit donner passage à l'air, des bandes de basanne. C'est une fort bonne méthode que de garnir le fond du soufflet proche la tête avec des lames de fer blanc ou fer battu. Le devant de la tête exposé à gerser, se remplit avec colle & coins de bois, & s'enduit de bourre détrempée dans de la colle de farine de seigle.

Le fond des soufflets vers le venteau est soûtenu sur des chevalets I G, qui y sont attachés ; & la tête porte sur un banc de pierre L, qui est placé devant & sous la thuyere. On a encore soin de les appuyer dans le milieu sur des blocs de bois K, qu'on place où on juge à-propos : les soufflets sont bandés contre les marastres par des morceaux de bois qui appuyent sur la tête E, afin de rendre le fond immobile.

La caisse des soufflets est armée par-dessus de deux anneaux de fer, dans lesquels on passe un double crochet de fer plié par le dessus, répondant à un autre crochet mobile enclavé dans le fond des bascules.

La bascule est un levier dont le point d'appui est environ aux deux cinquiemes de sa longueur ; un bout répondant aux crochets du soufflet, & l'autre chargé de pierre, pour faire le contre-poids. Le dessus de la caisse est aussi garni de deux boîtes de fer N N, dans lesquelles passe & est arrêtée une lame épaisse de fer M X, débordant le dessus de la caisse de quatre ou cinq pouces, finissant en portion de cercle M ; cela s'appelle baliscorne ou basseconde.

Pour donner le mouvement aux soufflets, soit de fourneaux, soit de forges, vous avez un coursier (V. les Pl. & leur explic.) qui communique à l'empalement du travail ou une huche avec roüet & lanterne M N K C G : dans l'un & l'autre cas, l'eau fait mouvoir une roue qui donne le mouvement à un gros cylindre de bois, passant & tournant devant les bassecondes ; cet arbre est armé de six cames à tiers-point, trois pour chaque soufflet. Une came est un morceau de bois debout, enclavé & serré dans des mortoises pratiquées à cet effet : les cames doivent être bien évuidées du talon, & arrondies comme les bassecondes, afin que quand elles travaillent, elles tendent à abaisser la caisse, & non à la pousser. Quand une came a fait baisser un soufflet, elle échappe ; & le contre-poids le fait relever pendant que l'autre soufflet baisse : moyennant quoi, pour avoir le vent sans relâche, il faut deux soufflets ; le soufflet leve, le venteau s'ouvre & laisse entrer l'air : quand la came le presse, le venteau se ferme par son propre poids, & l'air est obligé de sortir par la bure.

Comme les soufflets de forge demandent par leur étendue moins de force ; au lieu de contrepoids, leurs crochets ou chaînes répondent aux extrémités d'un balancier en bois D, ou de fer, appellé courbotte : ce balancier est attaché par le milieu à une perche flexible F ; l'un par conséquent ne peut baisser que l'autre ne leve ; & la perche, par son élasticité, se prête aux différens mouvemens.

En général soit fourneau ou forge, le fond des soufflets doit être mis en ligne parallele à celle du fond de l'ouvrage ; & la véritable direction est celle selon laquelle le souffle des deux soufflets se rencontre au milieu de l'ouvrage.

A l'article FONDERIE, on trouvera la façon d'y communiquer l'air ; les autres atteliers se servent de soufflets, & il y en a en bois à double vent pour les martinets.

ART. IX. Des fourneaux. Pour se former une idée utile d'un fourneau à fondre la mine de fer, il faut voir les différentes parties qui le composent, & ne pas oublier qu'il doit résister à trois agens, l'eau, l'air & le feu, dont le dernier degré de force n'est peut-être pas bien connu.

Un fourneau doit être composé d'une fondation solide (Suivez les Pl.) B B C C, de conduits voûtés Q sous le massif & sous l'ouvrage, d'un massif P S P S, de fausses parois I G, de parois & de l'ouvrage I K ; le tout sur le bord d'un courant d'eau, ou sous la chûte d'un petit courant.

Nous trouverons l'épaisseur du total en donnant au massif 8 piés, un pié aux fausses parois, laissant dans l'intérieur un vuide de six à sept piés pour construire les parois & l'ouvrage ; ce qui fera en tout vingt-quatre à vingt-cinq piés.

Il faut commencer par excaver cette partie, connoissant le terrein, les déblais serviront à renforcer une chaussée, &c. Si vous pouvez trouver aisément un fonds solide, bâtissez en gros matériaux, avec chaux & sable, autant que vous le pourrez ; pratiquez des conduits dans l'épaisseur du massif, dont le dessus excede les plus grandes eaux. Faites de même une croisée voûtée dans le milieu, qui se trouvera sous l'ouvrage, sans néanmoins monter les voûtes trop haut ; cela influeroit sur la hauteur des roues & autres équipages, parce que sur la voûte il faut l'épaisseur d'un pié pour placer le fond.

Si après une excavation de six piés plus bas que le commencement des voûtes, & après avoir sondé le terrein, vous ne pouvez trouver le solide sans aller plus bas, élargissez l'excavation de deux piés tout-autour, prenez des bois de huit jusqu'à douze pouces d'équarrissage (supposons-les de douze) & sur la totalité du vuide vous établirez des longrines à douze pouces de distance, dans les encoches desquelles vous établirez des traversines de pareil échantillon, ce qui produira une grille moitié bois & moitié vuide ; vous remplirez les vuides de bons matériaux. Sur ce premier grillage vous en établirez un second avec une recoupe autour d'un pié ; & plaçant en longrines ce qui tenoit lieu de traversines avec pareil remplissage, il résultera que sur les six piés d'excavation, il y a deux piés d'élévation ; que ces deux piés peuvent être regardés comme un total de charpente, que le plus fort poids ne peut qu'affermir ; & que recoupant encore un pié tout-autour pour commencer un massif total en maçonnerie, l'excédent peut être regardé comme autant de points d'appui. Vous ferez de même pour les chaufferies, fonderies, &c.

Quand sur ces grillages le total de maçonnerie sera élevé de quatre piés, il faut distribuer l'ouvrage pour ménager les conduits dont nous avons parlé. Les conduits voûtés à un demi-pié au-dessus des plus grandes eaux, & de l'épaisseur d'un pié de voûte, vous éleverez tout-autour le massif seul, de 9 piés d'épaisseur sur 4 piés d'hauteur. Comme sur le devant & le côté de la thuyere, la maçonnerie est diminuée d'épaisseur du haut en-bas, & que le travail y est grand, il faut que la maçonnerie des angles qu'on appelle piliers G G, soit des plus solidement bâties, & ces parties garnies de plaques de fonte B B B, fortes & épaisses, tenant tout l'espace entre les piliers, dans lesquels il faut ménager à cinq piés d'hauteur, une naissance de ceintre pour renforcer & fermer le dessus du devant & de la thuyere, ayant soin de ménager en-devant une ouverture pour les fumées. Le mieux seroit encore, que de ces mêmes piliers sortissent deux autres ceintres, pour voûter tant sur le moulage que les soufflets. Ces voûtes bandées contre de bons murs d'appui, affermissent toute la maçonnerie.

Sur le massif élevé de quatre piés, ce qui ne doit être regardé que comme trois, en en supposant un pour l'épaisseur du fond, vous ferez une recoupe intérieure d'un pié, ce qui réduira le massif à huit piés d'épaisseur, que vous éleverez de douze piés ; ce qui joint aux trois ci-dessus & trois piés de banc, fera une élévation de 18 piés : elle peut être poussée à vingt & vingt-quatre. Sur cette recoupe, vous éleverez en bonne maçonnerie, pierre ou brique, un mur d'un pié d'épaisseur, qu'on nomme fausses parois. Il faut remarquer que ces fausses parois du côté du devant, ne sont quelquefois pas disjointes, mais font un total avec le massif, que la nécessité du travail fait beaucoup diminuer par le bas dans cette partie. Ces fausses parois seront élevées à la hauteur du massif. Il ne faut pas négliger de pratiquer des ventouses provenant du fond, sans quoi la maçonnerie se fendra en plusieurs endroits. Ces ventouses sont de petits soupiraux ménagés, & circulant dans la maçonnerie. Comme les fumées qui en sortiront seront dangereuses, il faut en placer l'ouverture dans les endroits que les ouvriers ne fréquentent pas. Ces soupiraux font un effet plus assûré que les liens de fer ou grosses pieces de bois D D, que plusieurs employent pour tenir la maçonnerie en respect, & qui ne résistent jamais à la raréfaction. Donnez jour à l'évaporation, & l'ouvrage est sauvé.

On ne pratique des fausses parois, que parce qu'il arrive communément que le feu ne se contentant pas de détruire les parois, il perce souvent & ronge une partie des fausses parois, quelquefois même du massif. Le cas arrivant, il est aisé de les réparer, ou en partie, ou même de les refaire en entier sans toucher au massif.

Dans les six à sept piés de vuide qui restent dans l'intérieur des fausses parois, on établit les parois. C'est ici que commence la science du fondeur.

Nous supposons les soufflets N N, posés ou imaginés dans une ligne parallele au fond de l'ouvrage R, & dont le vent doit se croiser dans le milieu R ; nous supposerons encore les parois à monter pour des mines mêlées, ni trop chaudes ni trop froides, en termes d'art ; la construction que nous allons décrire étant donnée, il sera aisé de diminuer, augmenter, varier les dimensions, suivant la qualité des mines, quand on en saura bien les raisons.

Du milieu de l'entre-deux des soufflets posés ou imaginés, vous tirez avec un cordeau une ligne droite, qui traverse le vuide que les fausses parois ont laissé. Du milieu de chaque soufflet, vous tirez deux autres lignes. Le point où elles se croisent sur la premiere, doit faire le milieu R. Du fourneau, du point de chaque côté de la premiere ligne, vous tirerez deux perpendiculaires, ou une prolongée qui traverse le point milieu ; ce qui formera une croix à angles droits. Vous terminerez les extrémités des lignes du côté de la thuyere & du contrevent, à compter du point milieu, à deux piés trois pouces, & celles du côté du devant & de la rustine, à deux piés & demi. Au bout de chacune de ces lignes, vous ferez avec une équerre des retours, & vous aurez formé un quarré de cinq piés sur quatre & demi. Les fondeurs se servent ordinairement de baguettes, dont l'une a cinq piés, & l'autre quatre piés & demi dans notre hypothese ; & en les couchant l'une sur l'autre, ils les allongent pour avoir la diagonale, qui est d'environ six piés neuf pouces ; ce qu'ils font méchaniquement, se réglant seulement à vûe d'oeil sur l'ouverture destinée à placer la thuyere : de-là les abus immenses dont on rejette l'évenement sur des choses qui n'y ont aucune part.

De dessus la voûte du côté du contrevent & de la rustine, vous réglant sur les marastres du devant & du dessus de la thuyere, vous éleverez dans les dimensions ci-dessus perpendiculairement les parois M I, dont vous prendrez la naissance pour le devant, & la thuyere sur les marastres, & les pousserez tout-autour à environ deux piés plus haut que la véritable position de la thuyere.

Il faut au-dessus du massif deux chevalets, ou autres points d'appui mobiles, à la hauteur de six piés, avec une traverse qui porte un plomb tombant sur le point du milieu, afin qu'avec cette ligne vous soyez assûré de faire un quarré au-dessus E, répondant à celui du bas. Dans les dimensions dont nous allons parler, & qui seront désignées par les cordeaux, qui partiront des angles de la maçonnerie du bas du côté de la thuyere, & passeront sur les points d'appui ; & de même des angles du côté du contrevent, vous arrêterez ces cordeaux aux points d'appui par des clous plantés de chaque côté ; de façon néanmoins qu'ils puissent se mouvoir aisément de haut en-bas, & seront arrêtés aux angles du bas par des coins percés & fourrés entre les pierres, dans le trou desquels vos cordeaux passés, ils seront tendus par des pierres attachées à leurs extrémités, de façon que l'ouvrier puisse les remuer de tems-en-tems, pour les faire suivre exactement à sa maçonnerie. Vous terminerez le dessus G G à trois piés plus haut que le massif P, & les fausses parois (cet excédent s'appelle la bune), dont la hauteur est marquée à un des cordeaux par une épingle qui le traverse.

Dans notre hypothèse, l'ouverture du dessus répondant à celle d'en-bas, formera un quarré, dont les côtés de la thuyere & du contrevent auront vingt-six pouces, & la rustine vingt-deux.

Nous aurons donc un vuide pyramidal de quinze piés d'élévation, sans compter les trois du bas montés perpendiculairement, dont la base a de deux côtés soixante pouces terminés à vingt-six, & des deux autres cinquante quatre terminés à vingt-deux. Suivant cette proportion, les parois auront la pente rentrante d'un peu plus de treize lignes par pié de deux côtés, & d'un peu moins de treize lignes des deux autres.

Les fourneaux se chargent par l'ouverture de dessus E, du côté de la rustine ; & c'est la raison pour laquelle en élevant ces parois, on tient ce côté droit & uni, pendant qu'on ceintre les autres de deux à trois pouces de profondeur, à commencer au-dessus des échelages, & finissant insensiblement au-dessous de la charge. La charge est l'espace supérieur d'environ trois piés & demi de profondeur, qu'on remplit de nouveaux alimens, quand les précédens sont descendus à cette diminution.

Les parois élevées jusqu'à la hauteur prescrite, on fait l'ouvrage.

Le fond E est la premiere pierre qui se pose bien de niveau, & capable seule de remplir l'étendue de l'ouvrage & du devant. Nous avons dit que le fond seroit à un pié au-dessus de la voûte de la croisée ; mais négligeant le plus ou le moins en cette partie, le fond doit être posé treize pouces sous la véritable position de la thuyere.

Le fond posé, du milieu des dessus vous laissez tomber un plomb, & vous tracez un point sur le fond. Du milieu du dessus du côté de la rustine, vous laissez encore tomber le plomb, & du point qu'il donnera avec celui que vous avez, vous ferez une ligne droite qui fait l'angle du reste.

A six pouces & demi de cette ligne, du côté de la thuyere & du contrevent, vous en tracez deux autres paralleles C C.

Vous avez deux blocs de pierre préparés, de la longueur de trois piés & demi ou quatre piés, sur douze à treize pouces de hauteur appellés costieres, que vous placez de chaque côté à fleur de ces deux dernieres lignes qui laissent entr'elles un espace E de treize pouces ; à six pouces & demi du milieu vous placez une autre pierre D ou plusieurs, bien maçonnées faisant une pareille épaisseur, terminant le quarré du côté opposé au-devant, & qui s'appelle la rustine. Sur les costieres qui doivent affleurer le devant du fourneau, à treize pouces du point du milieu, vous tracez une ligne pour placer une pierre taillée qu'on appelle tympe. Avant de la poser, vous placez à l'extrémité des costieres, sur le devant, un morceau de fer D de quatre pouces en quarré, qu'on nomme aussi tympe ; & sur ce morceau de fer, une plaque de fonte qu'on appelle taqueret, qui termine le dessus de l'ouvrage en-dehors ; ce qui doit aller jusqu'à la premiere marastre B, contre laquelle il appuie : vous posez ensuite la tympe en pierre qui doit exactement remplir l'espace depuis les treize pouces jusqu'à la tympe en fer. Vous renforcez extérieurement le bout des costieres de deux petits murs C C, de façon que vous avez à découvert le devant de l'ouvrage.

La thuyere M se pose sur la costiere répondant précisément au point du milieu, & sur une plaque de fer battu mise bien de niveau ; c'est à cette partie qu'il faut employer les meilleurs matériaux, & faire une maçonnerie qui indépendamment de la thuyere se trouve à treize pouces du fond.

Depuis la thuyere on éleve la maçonnerie M K tout-autour également d'environ deux piés de hauteur ; puis on travaille en retraite K P en plan incliné, pour joindre les parois à la hauteur de six piés P, à compter du fond L ; à cette hauteur on a soin de tracer une ligne pour servir de regle. Cette maçonnerie se nomme étalage ou échelage.

Toute la partie dont nous venons de parler L M K P se nomme l'ouvrage, terminé en-devant de la largeur de sept pouces, par de l'arbue pétrie qu'on appelle bouchage C ; & le reste est fermé d'une grosse pierre F, ou ancienne enclume de forge qu'on nomme la dame. La position de la dame est bonne quand entre elle & les tympes C D, on peut commodément travailler avec des ringards dans toutes les parties inférieures de l'ouvrage & supérieures, jusqu'au-devant de la thuyere. On éleve ou baisse la dame suivant le besoin.

La thuyere est un morceau de fer battu comme de la tole, recourbé en demi-cercle concentrique, dont celui de dehors donne quinze à vingt pouces d'ouverture, & celui contre l'ouvrage deux pouces : cela est assez ressemblant à une hure de sanglier. Cette partie pose sur une plaque de fer battu, le tout scellé dans la maçonnerie, de façon néanmoins que dans un besoin extrême, on peut le réparer sans endommager la maçonnerie, que pour cet effet nous avons dit devoir se soûtenir par elle-même.

Au-dessus & sur le bord extérieur des trois côtés du massif, on bâtit de la hauteur de sept à huit piés, un mur de dix-huit ou vingt-quatre pouces d'épaisseur, qui s'appelle bataille A A A : le quatrieme côté P est pour le passage des ouvriers. Les batailles servent à rompre l'effort des vents, & à en mettre à l'abri la bune & les ouvriers. Quelques-uns profitent de ces murs pour élever une espece de lanterne de pierre choisie ou de brique en façon de dôme : la méthode en est très-bonne. Il faut que les chargeurs puissent passer commodément dessous ; & que le milieu répondant à la bune, laisse libre sortie à la flamme & aux vapeurs. A ce défaut on éleve sur la moitié de la bune un mur de garantie pour les ouvriers.

Les outils pour le travail sont de gros & petits ringards, des crochets T pour le devant, un plus petit & une spatule V de fer à longue queue pour la thuyere ; des paniers pour porter le charbon & la mine ; des pelles de fer ; un bout de planche triangulaire S, avec un manche dans le milieu appellé charrue, pour tracer le moule de la gueuse ; une plaque de fer & un marteau pour sonner les charges, afin d'avertir le maître ou commis ; une romaine X, avec ses crochets Z, & un pié de chevre r ; des roulets pour transporter les gueuses.

Avant de mettre le fourneau en feu, il faut veiller à ce que tout soit en bon état ; que le charbon, la mine, l'arbue, la castine, le sable pour le moulage, ne puissent manquer.

Dans les pays de marque on est obligé d'avertir le directeur du département du jour qu'on met en feu, & de celui qu'on tire la palle, en cette forme : " Je soussigné.... propriétaire, régisseur, ou maître du fourneau de.... sis à.... demeurant à.... déclare à M..... directeur de la marque des fers au département de.... que le.... mois.... année.... je ferai mettre le feu audit fourneau pour y tirer la palle, le.... afin qu'il ait à y faire trouver les commis qu'il jugera à-propos ; déclarant que ledit jour je ferai procéder à la coulée des gueuses ou marchandises, tant en absence que présence, à ce que ledit sieur.... n'en ignore, dont acte. A... le.. & signer ". Ces actes se font sur papier simple.

Les droits de marque pour fontes ou gueuses sont de cinq livres cinq sous par mille, payables tous les trois mois au domicile du receveur. L'ordonnance de 1680 vous dira l'obligation de numéroter les gueuses. 1. 5. 10. 20. 100. &c.

Il faut être muni pour le service d'un fourneau, au-moins de trois ouvriers, un fondeur ou garde-fourneau, & deux chargeurs.

Les fourneaux se bâtissent de pierre ou de brique. Quand vous faites le corps de la maçonnerie & les fausses parois en brique, il faut qu'elle soit cuite. Pour les parois, vous vous servez de terre à brique, moulée, séchée & liée ; en bâtissant avec de la même terre pétrie, la chaleur du fourneau les aura bientôt cuit. Les briques sont les meilleurs matériaux pour les fourneaux ; des parois peuvent durer plusieurs fondages, au-lieu qu'avec de la pierre à chaque feu il faut les rebâtir : on les trouve calcinées, & souvent même une partie des fausses parois.

L'ouvrage se fait avec des pierres qui n'éclatent point au feu & qui se calcinent le moins ; mais cela dépend de ce que fournit le pays. Il est commun pour les usines d'un grand travail, d'avoir deux fourneaux accolés ; ils travaillent alternativement ou tous deux ensemble, quand on a besoin de beaucoup de matiere : quand il n'est question que de fonte en gueuses, il suffit d'avoir depuis le bouchage I, un assez grand espace pour faire le moule long de 18 à 20 piés. Le moule I L consiste en du sable humecté à un certain degré, dans lequel on passe la charrue, pour former un vuide triangulaire ; on bat les côtés avec une pelle de fer ; on y imprime le n°. M. on perce le bas du bouchage, & la fonte en fusion y coule. Les marchandises sont à la fin de cet article.

Quand il est question de mettre en travail un fourneau bâti & muni de charbon, & mines mêlées ou disposées naturellement, on commence par bien nettoyer l'intérieur, & les chargeurs avec leurs paniers l'emplissent de charbon. On met le feu par le bas ; on le laisse de lui-même gagner le dessus : quand le charbon est baissé de trois piés & demi, ce qu'on appelle une charge, ou un vuide équivalent environ à vingt piés, ce qu'on connoît avec la mesure X X, on le remplit de charbon, & sur ce charbon on met un panier de mines. Un panier à mines n'a point de dimension fixe, les unes étant plus lourdes que les autres ; c'est ce qu'un chargeur peut commodément porter & lever sur la bune. Le fourneau encore baissé d'une charge, on le remplit de charbon. On met du côté de la thuyere un peu d'arbue seche & en poussiere, & deux paniers de mines ; puis on commence à faire des grilles par le bas.

Les grilles consistent à garnir l'intérieur de l'ouvrage, par le dessus de la dame, de ringards, à assez peu de distance les uns des autres, pour empêcher les charbons de tomber ; on tire par la coulée ceux qui sont dans l'ouvrage, & on laisse reverbérer la chaleur pour échauffer le fond. On fait & recommence des grilles, jusqu'à-ce qu'on voye que le fond est assez enflammé, pour paroître tout en feu & jetter des étincelles. Ce tems se trouve ordinairement proportionné à celui qu'il faut à la premiere mine, pour venir à la thuyere : alors avant que d'ôter la derniere grille, vous garnissez le fond, le devant & les coins de fasins, pour empêcher que la premiere fonte ou fusion ne s'attache aux parois ou au fond, qui n'ont pas encore un assez grand degré de chaleur ; vous pétrissez de l'arbue, & vous l'employez à fermer l'ouverture de la coulée jusqu'à la hauteur de la dame ; vous faites marcher les soufflets, pour donner à l'intérieur le degré de chaleur propre à la fusion. Avec la spatule on garnit le bout de la thuyere d'arbue, & à chaque charge on augmente le degré de la mine, jusqu'à-ce qu'on voye que les charges n'en peuvent porter davantage. Il faut beaucoup d'attention sur cette partie. Vous connoissez que le fourneau n'a pas assez de mine, à la grande facilité qu'a la flamme de s'échapper par le dessus, la couleur extrêmement blanche, les charges qui descendent très-vîte, la fonte qui noircit en refroidissant. Vous pourrez augmenter la mine jusqu'à-ce que les fontes commencent à blanchir & soient très-coulantes ; ce que l'on appelle vives. Le trop de mine rend les fontes bourbeuses, peu coulantes, cassant aisément, chargées de crevasses, aisées d'ailleurs à travailler à la forge, mais avec grand déchet. Le manque de mine ou le trop de chaleur, les rend très-grises, même noires, dures, difficiles à travailler, mais avec peu de déchet. La qualité de la fonte dépend beaucoup de la façon de la travailler au fourneau. Quand un fourneau est trop chargé de mines, avec bon vent & charbon, il est tout simple que la dépuration du métal n'ait pas eu le tems de se faire, sur-tout si le travail y a manqué, ou n'a pû y suffire, comme il arrive dans les barbouillages. Les corps étrangers, l'abondance des corps étrangers se trouvant mêlés avec le métal, il est clair qu'il ne coule point avec facilité ; & qu'obligés d'en faire la séparation à la forge, le déchet doit être très-grand & le travail aisé, puisque ces adjoints se dissolvent aisément. Quand un fourneau manque de mines, & que par la qualité des charbons, ou autres raisons, elles sont très-longues à descendre, il faut beaucoup de tems pour en ramasser une quantité. L'ouvrier cherche naturellement à avancer la fusion des charges supérieures, par le travail du ringard & l'augmentation du vent. La chaleur & le travail donnent le tems & l'aide à un plus grand dépouillement ; ce qui approche le métal de la qualité de fer, puisqu'il est constant que le changement de la fonte en fer se fait par le dépouillement jusqu'à un certain degré, & le travail bien entendu aux foyers des forges : delà il est clair que ces fontes doivent changer de couleur ; qu'elles doivent être d'autant plus dures & moins coulantes, qu'elles approchent plus de la nature du fer, conséquemment sujettes à moins de déchet, & plus difficiles à travailler. Cette difficulté oblige quelquefois à jetter dans le foyer des crasses de forges pilées, qui servent de fondant.

Il est aisé de sentir pourquoi les fontes bourbeuses sont fort cassantes : les corps dont elles sont mêlées en trop grande abondance gonflent les nerfs, les éloignent, les séparent ; de-là le fer qui par la qualité de la mine seroit doux & nerveux, s'il ne tombe pas entre les mains d'un ouvrier intelligent qui sache lui ôter ce qu'il a de trop, se ressent de la mauvaise constitution de la fonte.

Les fontes bien grises se mettent en grains, qui résistent au ciseau, mais qui se détachent les uns des autres. L'aire d'une enclume de forge, par exemple, au travail seul s'égrenera ; ne pourroit-on pas en trouver la raison dans le degré de chaleur qu'elle a essuyé au fourneau ?

La plûpart des fondeurs font diminuer la quantité de mines, quand ils veulent couler des enclumes ou autres agrès de forge : les charges alors produisent moins de fonte. Dans la nécessité d'en amasser assez pour couler une masse de 2 à 3000, il faut beaucoup de tems ; la chaleur augmente par ce tems, & par la quantité de métal en bain.

Pour mettre au jour cette partie essentielle, distinguons cinq degrés de chaleur, abstraction faite pour un moment du plus ou moins de mines, ce qui y contribue beaucoup ; & disons que les nerfs des mines en fusion au premier degré, seront gonflés, éloignés les uns des autres, par le remplissage, fontes bourbeuses, cassantes & blanches.

Au deuxieme, le dépouillement sera fait de façon qu'il reste assez de matiere pour remplir les vuides des nerfs sans les gonfler ni séparer ; fontes solides, d'un blanc un peu mêlé, & coulantes ; ce sont celles qu'on appelle vives.

Au troisieme, les nerfs restent joints les uns aux autres ; mais le remplissage nécessaire est beaucoup détruit. Fontes grises, cette couleur venant des vuides qui paroissent noirs, & de la cassure des parties nerveuses qui paroît blanche.

Au quatrieme, les nerfs recourbés par la violence du feu, feront des grains très-durs, mais aisés à séparer les uns des autres ; le remplissage brûlé, couleur noire & fontes point coulantes.

Plus de chaleur acheve de détruire le grain, rend la matiere spongieuse, aisée à casser, les débris friables, comme on le voit au fer brûlé : de-là on peut conclure que les fontes vives sont de la meilleure qualité.

Nous sommes entrés dans ce détail pour faire entendre que la qualité du fer vient de l'espece de mine ; que quand un fer est doux de sa nature, il peut néanmoins être cassant, ou par le trop de remplissage qui gonfle & éloigne les nerfs, ou par la forme circulaire qu'un trop grand degré de chaleur ou la trempe lui aura fait prendre. Otez au premier ce qui l'embarrasse ; au second rendez l'extension & la souplesse par le mélange de nouveaux fondans ; & à la trempe, par un refroidissement naturel, vous aurez du fer doux relativement à la qualité de la mine. Employez tout ce que vous voudrez ; d'un fer cassant par la nature de la mine, vous n'en ferez jamais un fer doux.

L'exactitude du produit d'un fourneau dépend de l'égalité du vent, de la régularité des charges, de l'uniformité des mines & des charbons, & de l'intelligence du fondeur dans son travail.

Le travail consiste à garantir du feu toutes les parties du bas, mais principalement la thuyere. Pour cet effet il faut y veiller, en ôter ce qui s'y attache ou l'embarrasse, & ne pas la laisser échauffer faute d'arbue.

Avec les matériaux que nous avons supposé, un fourneau échauffé peut, à vingt charges, produire cinq milliers de fonte en vingt-quatre heures, & soûtenir un an & plus de travail. On dit qu'il y a des especes de mines qui produisent, à travail égal, jusqu'à six & sept milliers : en tout cas la qualité des mines, des charbons, le manque de soin ou d'intelligence, en réduisent souvent le produit à moins quelquefois de trois milliers. Quand les charges rendent moins, sans qu'il y ait de dérangement dans un fourneau, il est bien clair que cela vient de la qualité de la mine.

Il y a plusieurs choses essentielles ; les dimensions qu'on donne à un fourneau, l'inclinaison des parois, le foyer qui est le plus grand espace au-dessus des échalages, la position de la thuyere, l'ouverture du dessus.

L'inclinaison des parois facilite la descente de la mine ; donc si vous en avez qui descendent plus difficilement, qui se mettent en masses, vous pourrez augmenter l'inclinaison ; si elle s'attache aux angles, vous pouvez les arrondir ; si le degré de chaleur n'est pas assez grand au foyer, outre qu'une plus grande inclinaison des parois donnera un plus grand espace, vous l'aggrandirez encore en le ceintrant ou en élevant la tour & la bune. La thuyere doit être posée de façon qu'elle distribue le vent également : c'est à son passage que les mines en dissolution sont forcées de se séparer des corps étrangers, par la violence & le rafraîchissement subit du vent. En l'examinant un peu de tems, on voit cette séparation par le produit des étincelles, qu'une seule ou plusieurs parties de mines accrochées jettent en forme d'étoiles. Cette séparation est aussi sensible & brillante à la coulée des gueuses, la fraîcheur de l'air ou du moule comprimant les ressorts des parties extérieures, les fait éclater, & ce à proportion du degré de froid. Bien plus sensible encore, si vous jettez en l'air de la fonte liquide : mieux enfin à la compression du gros marteau sur les loupes ou renards, dont on rapproche les parties étendues par la chaleur, quand il se trouve des parties de fontes mal travaillées dans les foyers de la forge.

Nous n'avons cessé de répéter le mélange de l'arbue & de la castine avec la mine. La raison est que la castine fondant la premiere, chaque partie se grossit de sa voisine, & en tombant laisse des vuides qui donnent entrée à la chaleur. L'arbue résiste plus long-tems, & tient toute cette matiere liée & criblée dans le foyer, jusqu'à-ce que la mine en fondant l'entraîne elle-même, à quoi contribue beaucoup la pesanteur des charges qui se renouvellent par le dessus. Si vous mettez séparément la castine, la mine, l'arbue ; l'une fond d'abord, la mine tombe toute crue, & l'arbue reste : au lieu que dans le mélange tout descend uniformément.

Comme la matiere de fer en fusion pese davantage, elle se précipite dans le creux & sous le vent, où elle en trouve déjà en bain, & où les scories en fusion plus legeres surnagent : quand elles ont le degré de liquidité convenable, aidées du vent, elles sortent par le dessus de la dame, & ce à mesure que le creuset se remplit. Quand les crasses commencent à vouloir sortir, l'ouvrage du fondeur ou de celui qui le remplace, est de remuer avec un ringard la fonte en fusion dans le creuset, ce qui aide la dépuration du métal ; cela desserre le devant du fourneau & donne liberté aux crasses de sortir. Il verra aussi si la thuyere n'est point embarrassée ; & dans le cas où les matieres qui viennent du dessus l'échaufferoient ou en boucheroient l'ouverture, d'un coup de ringard par le dessus de la dame il la débarrassera & la rafraîchira de pâte d'arbue. Les crasses trop liquides annoncent une trop grande quantité de castine ; les tenaces & gluantes trop d'arbue. L'ouverture du dessus trop étroite, défaut où tombent les fondeurs qui cherchent à augmenter le degré de chaleur, fait brûler l'ouvrage : la raison en est sensible ; il faut une ouverture proportionnée à une circulation d'air convenable, & on a vû combien il entre d'air dans un fourneau.

Les fourneaux sont sujets à beaucoup d'accidens. Les plus communs sont la déflagration de la thuyere, de la tympe, de toute une partie de l'ouvrage, les barbouillages, les éruptions. La déflagration peut venir 1°. d'une mauvaise construction, ou fausse direction du total ; 2°. d'une partie de l'ouvrage mal jointe ; 3°. d'une fausse position des soufflets ; 4°. de mines attachées au-dessus du foyer ; 5°. de la qualité de la mine.

Dans le premier cas il n'y a point de remede, il faut mettre hors ; c'est arrêter le fourneau : dans le second, à force de rafraîchir d'arbue les parties attaquées du feu, on parvient à y faire fondre des parties qui remplissent les vuides ; c'est ce qu'on appelle plombage : dans le troisieme il n'y a pas à hésiter à rectifier la position des soufflets : dans le quatrieme il faut, avec de longs ringards du dessus de la bune, détacher les parties accrochées aux angles, & pendant quelques charges augmenter la castine & le vent. Ces morceaux seront aisément criblés par la fusion de la castine, & fondus par une augmentation de chaleur, sinon ils occasionneront un barbouillage, comme nous le dirons dans le cinquieme cas. Ou mêlez différentes mines, ou si vous ne pouvez, ajoûtez-y les parties d'arbue convenables. Ces accidens n'arrivent jamais sans faute. Dans le cas où la thuyere seroit bien endommagée du feu, il faut arrêter les soufflets, défaire le moins de maçonnerie qu'on pourra, y en substituer une nouvelle, & la réparer avec pierre & arbue le mieux que vous pourrez ; & du dessus mettant de l'arbue de ce côté-là, vous pouvez parvenir à la plomber & à continuer utilement votre ouvrage. Si c'est la tympe qui est brûlée, il faut arrêter les soufflets, boucher le feu avec de la terre, ouvrir le mur aux deux bouts, & y en mettre une autre, que vous maçonnerez avec pierre & arbue.

Comme avec l'allongement qu'on fait à la thuyere avec de l'arbue, on peut tourner le vent plus d'un côté que d'un autre, c'est à un fondeur à se servir de ce remede quand il voit quelques parties attaquées, jusqu'à ce qu'il soit parvenu à les plomber.

Les barbouillages viennent des mines mal nettoyées, mal mélangées, & en conséquence mal dirigées, tombant dans l'ouvrage quelquefois en gros volumes, provenans ou des morceaux détachés, comme nous l'avons dit, ou des mines gelées, ou trop humides, ou trop chargées d'arbue, ou des mines trop seches qui coulent à-travers les charbons, ou de la qualité des charbons, ou de l'inégalité des charges ou de trop de mines.

Dans tous ces cas, le remede est d'augmenter le vent, de soigner que les morceaux ne bouchent la thuyere, en les divisant à coups de ringard sans relâche : faites aider les ouvriers, multipliez-les ; le moindre retard est capable d'arrêter le vent : rectifiez vos charbons & les mines dans les charges qui suivent. Il est avantageux d'avoir des halles qui garantissent vos matériaux des gelées & de la pluie. Dans les grandes sécheresses on humecte les mines, pour les empêcher de couler trop vîte. Quand malgré le travail des ringards, qui doit principalement avoir la thuyere pour but, vous avez lieu de craindre que la quantité ou la qualité des matieres qui tombent dessus, n'infirment l'ouverture ; insinuez-y des charbons forts, qui entretiendront un degré de chaleur dans cette partie.

En général quand un dérangement viendra de manque de chaleur, gardez-vous bien de faire comme la plûpart des fondeurs qui diminuent la quantité de mines ; au contraire entretenez le même degré tout-au-moins, mais choisissez celles qui fondent le mieux, ou joignez-y de la castine.

Ces accidens sont toûjours très-mauvais ; le moins est la perte de bien des matériaux, souvent d'une tympe, d'une thuyere, & la fin est quelquefois la mise-hors.

Un fourneau est vraiment un estomac qui veut être rempli avec égalité, uniformité & sans relâche ; sujet à des altérations par le défaut de nourriture, à des indigestions & crudités par la qualité ou l'excès, & veut des remedes promts. Vous connoissez le mal aux scories. Les mines chargées d'arbue les rendent si tenaces, qu'il faut les tirer avec les crochets, les vuider à la pele ; de sorte qu'il en reste beaucoup qui n'ont pû se séparer de la fonte : le trop de castine les rend trop fluides, & dégraisse, pour ainsi parler, le métal. Les crasses des premieres sont boursoufflées, rapeuses, couleur de peau de crapaud ; les crasses des secondes sont blanchâtres & legeres. Les digestions loüables sont d'un beau noir poli, mêlé de verdâtre.

Il arrive encore qu'il s'attache dans l'ouvrage & le creuset même, des morceaux qu'il est difficile de détacher ; quand c'est du côté de la rustine, il n'y a rien à craindre : le travail du ringard, quand il y aura beaucoup de matiere en bain, en viendra à-bout : si c'est devant la coulée, & que les ringards n'ayent pû les détacher, le plus expédient est de lever la pierre qui est sous le bouchage, qu'on nomme aussi coulée, & d'y en substituer une beaucoup plus élevée. Cette opération laissant au fond du creuset toûjours de la fonte en bain, ce qui est attaché se dissoudra, aidé de la pointe du ringard, surtout si, après avoir coulé, vous y jettez des crasses de forges pulvérisées, & y tournez le vent de la thuyere.

On entend que quand le fourneau est en feu, il faut qu'il soit servi nuit & jour & sans relâche, puisque le moindre refroidissement coagule les matieres en fusion : quand néanmoins il arrive quelque réparation à faire, comme aux soufflets, on prend le parti de le boucher. Quand les parois sont de brique, & l'ouvrage de grès, & qu'il n'y a rien d'endommagé, vous pouvez le vuider entierement, boucher le dessus avec une plaque de fonte garnie d'arbue, pour ôter la communication à l'air ; fermer la thuyere & le devant avec de l'arbue, achevant de couvrir le devant par une grande quantité de fasins secs. Quand les parois & l'ouvrage sont de pierre calcaire, que la moindre fraîcheur mettroit en dissolution, vous laissez fondre toute la mine qui est dans le fourneau, ne faisant les charges que de charbon, & vous bouchez exactement ; s'il ne prend point d'air, vous trouverez au bout de plusieurs jours le charbon à la même hauteur. En recommençant le travail, vous ne lui donnerez de la mine que par gradation. Un fourneau bien fermé peut attendre dix ou douze jours, quelquefois vingt à vingt-cinq : quand vous ne l'arrêtez que pour un jour ou deux, vous ne faites que trois charges sans mine ; & quand elles arriveront à l'ouvrage, vous coulez : nettoyez bien sur-tout le devant, & bouchez.

Quand l'ouvrage est bien dérangé par le feu, vous pouvez dans les mêmes parois de pierre calcaire en faire un autre : pour cela vous tiendrez tous vos matériaux prêts, nettoyerez bien le dedans, ferez souffler pour rafraîchir ; pendant que vous ouvrirez le devant & débarrasserez, garantissez les parois de l'humidité ; en deux ou trois jours un ouvrage peut & doit être en état de travailler. Comme l'humidité n'attaque pas la brique, il est avantageux sur-tout dans ces occasions, que les parois en soient construits.

Les éruptions sont pour les ouvriers & bâtimens voisins l'accident le plus terrible ; elles portent la mort au proche, & le feu au loin. C'est une explosion subite qui jette hors & très-loin toutes les matieres, fondues ou non, qui sont dans un fourneau ; c'est un volcan qui lance par toutes les ouvertures, & de toutes sortes de volumes, des morceaux enflammés : on a vû des charbons voler jusqu'à cinquante toises.

L'éruption, ou n'a lieu que dans le bas d'un fourneau, ou dans le dessus, ou elle est totale. Des morceaux attachés tombant tout-à-coup en gros volumes dans l'ouvrage où il y a déjà des matieres en fusion, font sortir ces matieres par le devant de la thuyere : c'est ce qu'on appelle cracher. Des mines liées d'arbue, attachées au-dessous de la charge, ayant laissé un vuide entr'elles, & les matieres qui descendent venant à tomber sur les matieres inférieures, la rapidité de l'air qui s'échappe & la prodigieuse & subite expansibilité de l'humidité, jettent hors la derniere charge. On connoît la proximité de ces accidens, par la flamme qui concentrée se jettoit fort en-devant, & y manque tout-à-coup quand il se trouve un passage libre pour la chûte des matieres. Quand les ouvriers s'en apperçoivent, la fuite est le plus expédient.

L'éruption générale ne peut venir que de la raréfaction de l'eau, quand les conduits se trouvent bouchés. La preuve négative est que dans les fourneaux bien voûtés dont on a soin de nettoyer les conduits & dont le fond est bien au-dessus des eaux, jamais cet accident n'est arrivé.

Parvenu à acquérir quelques connoissances sur le mélange le plus avantageux pour la fusion des mines, je suis obligé d'avouer qu'on n'est point parvenu à savoir ce qui, à travail égal, distingue les fers entr'eux. On se contente de dire en général que les mines sont de différentes especes, & que conséquemment leur produit doit être différent.

Je ne croirois rien hasarder de dire que les mines ont entr'elles une qualité de configuration distinctive, qu'elles ne perdent pas même dans le raffinement du fer. Un ouvrier, dit-on, fait du fer cassant ; un autre le fait doux : disons de bonne-foi, qu'un ouvrier ne change point la qualité du fer ; mais qu'avec un tel degré de chaleur ou de travail, le fer peut s'épurer ou s'altérer. Travaillez également les différentes especes de mines ; réduites en fontes, elles produiront toûjours suivant leur nature, les unes des grains, les autres des prismes, des lames plus ou moins fines & longues, &c. En fer les mêmes qualités se trouvent. Le travail peut affermir ou appauvrir le nerf, la liaison, y laisser trop ou pas assez de remplissage, comme nous l'avons détaillé ; poussez le feu & le travail trop loin, vous détruisez. On diroit que ce ne sont pas les particules de mines qui ont été en fusion, mais les corps qui les rassemblent, ou qui y sont mêlés ; & que purifier ce métal, n'est proprement, comme nous le verrons au travail de la forge, que lui laisser les parties convenables de nerf & de remplissage, & cela suivant la qualité de chaque espece de mines.

Planches. Des fourneaux, figure 1. ouvrier qui travaille à son fourneau : 2. 3. & 4. ouvriers qui mettent hors une gueuse, à l'aide de roulets : 5e. fondeur qui pese une gueuse : I pié de chevre : X romaine : la gueuse : 6e, chargeur qui avec une broüette voiture les scories sur le crassier u u : o est le pont pour arriver à la halle : q bêtes chargées de sacs de charbon : p halle.

Fig. 2. ouvrier qui casse la mine riche en roche : 2e, ouvrier passant avec un panier de mine ou charbon sur le pont K K, pour arriver à la bune G G, & charger le fourneau par l'ouverture E : A A A sont les batailles : H S S la couverture sur les soufflets : P la roue qui fait mouvoir les soufflets R R : T massif en maçonnerie, sous lequel passe l'eau de la roue, & s'échappe par l'ouverture C : Q chevalet du tourillon de l'arbre des soufflets : D D liens de fer ou bois qui embrassent le dessus du massif M : L halle à charbon.

Planches suivantes. Total d'un devant de fourneau, avec ses murs extérieurs. Fig. 1. le fondeur après avoir coulé une gueuse : 2e, un chargeur qui a apporté l'arbue pour le bouchage : 3e, autre chargeur qui apporte un panier de menus charbons pour garnir le devant, & sous la tympe.

Fig. 2. A A les piliers : B B B les marastres : D le taqueret : C C la tympe en fer : G le bouchage F la dame : H la gueuse : I K un tuyau d'évaporation.

Fig. 3. représente la position des soufflets : 99 les piliers : 6 le pont pour aller à la bune.

Des fontes marchandes. On appelle fontes marchandes, toutes celles qu'on dispose à rendre d'autres services, que celui d'être converties en fer : pour cet effet au lieu de les forger on se sert de leur état de liquidité, dans la fusion, pour les jetter en moule. Les services que les fontes nous rendent dans cette partie, sont d'autant plus précieux qu'ils sont en grand nombre, d'un usage ordinaire, & d'un prix médiocre.

La premiere maniere de couler les fontes a été de faire les moules de terre, la plus industrieuse de les faire en sable. Sans entrer dans l'énumération de tous les ouvrages qu'on peut faire en fonte, nous nous contenterons d'en décrire quelques-uns, qui mettront à portée d'imaginer ce qu'on peut faire de mieux & de nouveau.

Les canons principalement pour la marine, de petites cloches, des bombes, se coulent en terre dans des moules préparés, & amplement détaillés aux articles CANON, CLOCHE, BOMBE. Nous observerons qu'on ne fait point de cloches de fonte au-dessus de deux cent livres. On s'est imaginé qu'elle ne vaudroit rien que pour les grosses pieces, comme les canons. On a deux fourneaux accolés & en travail, pour ne pas manquer de métal. Les bombes qui peuvent se couler en sable, valent beaucoup mieux en terre.

C'est encore en terre que se coulent les gros mortiers, & de gros tuyaux pour la conduite des eaux.

Pour faire le moule en terre d'un tuyau, ce qui servira à faire entendre ceux des autres pieces, il faut une table de bois solide, du dessus de laquelle partent deux barres de fer entaillées de distance en distance, pour recevoir une broche de fer débordant la table : cette broche équarrie dans un des bouts pour recevoir une manivelle, au moyen de laquelle, de la corde, & du marche-pié, l'ouvrier peut faire tourner la broche. Pour de grosses pieces il faut un compagnon. On corroie fortement de l'arbue, mêlée avec de la fiente de cheval, & on en environne la broche. Cette premiere couche séchée, on y en met une seconde, & ainsi jusqu'à la grosseur nécessaire. Cette partie s'appelle le noyau, qui doit être de la dimension du vuide intérieur du tuyau. Pour lui donner cette exactitude & la forme nécessaire, l'ouvrier a son échantillon, qui n'est autre chose qu'un morceau de planche entaillé, qu'il laisse frotter contre le noyau. Ce noyau fait & séché, on le saupoudre par-tout de cendres, & on le couvre de terre préparée de l'épaisseur que doit être le métal : cette partie dressée à l'échantillon, séchée & saupoudrée de cendres, est couverte d'une couche de terre préparée, épaisse, relativement à la grosseur du tuyau. Cette partie s'appelle la chape. La chape pour être enlevée, se coupe longitudinalement en deux avec le couteau ; on casse & détache la partie que le métal doit occuper, & ayant resserré & affermi la chape autour du noyau, on ensable un ou plusieurs moules à portée de la coulée du fourneau. Dans les grosses pieces on ménage un évent, dont on casse la bavure au sortir du moule.

Pour un moule de marmite à piés & oreilles, le noyau se bâtit sur une planche, tant pour le corps du pot que les oreilles ; s'enduit de la partie que le métal doit occuper, & de la chape. Au dessus du cul du pot dans la chape, on ménage l'ouverture de la coulée, & dequoi loger les moules des piés qui sont à part ; on coupe en deux la chape, &c. si ce sont des pieces auxquelles on veuille joindre quelque ornement. Voyez CANON, CLOCHE. Ces exemples doivent suffire pour faire entendre la fabrique des fontes moulées en terre : nous ajoûterons seulement que pour les grosses pieces, on tire la fonte directement du fourneau, & pour les autres on les coule à la poche, comme celles en sable.

Les moules en terre demandent beaucoup de tems & de travail ; on a imaginé d'y substituer le sable, qui dans peu de tems est rassemblé & desuni. Les grosses pieces auxquelles il ne faut qu'une ouverture, comme les marteaux pour les forges ; les pieces solides, comme les enclumes, les contre-coeurs de cheminées, & toutes autres plaques qui ne demandent des ornemens que d'un côté, se moulent à découvert. Pour une enclume, &c. proche la coulée du fourneau, vous faites une excavation convenable pour enterrer le moule de la piece : ce moule est de bois ; vous battez en fond du sable ; posez le moule sur ce sable, qui reçoit & conserve l'empreinte, & battez du sable tout-autour. Le moule ou modele enlevé, vous débouchez la coulée du fourneau, & laissez emplir de fonte le moule : quand il est plein, vous arrêtez la fonte avec un morceau de pâte d'arbue, & la tournez dans un ou plusieurs moules autant que le fourneau en peut fournir. Pour faire l'oeil des marteaux ; quand le modele de bois est enlevé, vous avez un chassis monté à crochets, que vous placez où l'oeil doit être ; vous emplissez l'intérieur du chassis de sable bien battu ; vous décrochez, & retirez les pieces ; le sable reste ; & la fonte tournant autour, laisse le vuide de l'oeil.

Pour les pieces autres que les plates ou solides, il faut qu'un attelier soit fourni de modeles de toutes façons, 2, 3, de sable extrèmement fin & gras ; de tamis 21, pour le passer ; de pelles & de rabots 17, 18, 19, 20, pour le remuer ; de battes 14, 19, 16 ; de maillet 7, pour le battre ; de rapes 8, 9, pour le détacher des pieces ; d'un ecouvillon 12, 13, pour l'humecter ; d'un sac de toile 10, rempli de poussiere ; de charbon tendre pour saupoudrer les chapes & noyaux, pour que la fonte ne s'attache point au sable ; de plusieurs chassis, suivant les différens ouvrages ; de la poche 4, pour couler ; de la manche 5, pour garnir le bras gauche, pour le garantir du feu.

Un sableur qui veut faire le moule d'une marmite (V. la Pl.), ayant sur son banc pour travailler à son aise, son sable humecté & tamisé, y pose la planche A A, & sur cette planche le chassis G ; ce chassis doit être précisément de la hauteur du corps de la marmite, garni des piés dont les empreintes se font séparément, comme nous le dirons ; il renverse dans le chassis le corps de marmite H, met du sable autour, & le consolide avec ses battes ; place la monture des piés, les patins, & la partie de la coulée qui est de la hauteur du chassis ; emplit le tout de sable bien battu : le total doit se trouver au niveau du chassis. L'ouvrier prend & renverse la partie du chassis m m, mettant les crochets en en-haut ; emplit toute l'épaisseur du quadre de sable bien battu au-tour d'un morceau de bois figuré, pour faire le reste de la coulée, comme on le voit en X ; cette partie posée sur une planche A A, on la saupoudre de blanc ; le blanc est le sable sans être humecté, que les rapes ont détaché des pieces moulées : on renverse dessus la partie G H, aussi saupoudrée de blanc ; en la renversant, la partie de la coulée & les patins tombent. On poudre les empreintes de poussiere de charbon ; cette partie se rapatronne exactement par les guides m m, qui traversent les ouvertures pratiquées dans le corps du chassis, pour les loger ; & on arrête ces deux pieces par des crochets. T V X Y représentent cette partie moulée.

La monture des pieces & le corps de la marmite restant dans le chassis, la marmite se trouve alors les piés en-bas ; elle doit bien affleurer le chassis, comme en a b. On emplit l'intérieur de sable bien battu ; on le rase avec le reglet au niveau du chassis ; & on renverse le tout sur la troisieme partie du chassis, dont le quadre est exactement rempli de sable battu, comme en Z : en soûlevant les deux premieres parties accrochées ensemble, on laisse à découvert le noyau Y ; on frappe sur le modele avec une batte pour le desserrer, & on le retire ; le modele des piés tombe ensuite. La place des anses se fait en perçant le sable dans l'endroit qui leur est destiné, y insinuant deux morceaux de bois recourbés qui se rencontrent dans le milieu ; le sable affermi autour de ces morceaux de bois, on les retire, & le vuide reste. On saupoudre tant le noyau que la chape de poussiere de charbon, dont on les enduit exactement avec les cuillieres, qui sont des morceaux de fer plat & courbé, pour passer sur toutes les parties plates & cintrées, & y comprimer la poussiere du charbon : ensuite on renverse la chape sur la partie du chassis qui soûtient le noyau : on accroche les pieces ensemble ; elles se trouvent nécessairement dans la précision convenable, au moyen de la justesse du chassis & des guides : on porte le moule en cet état proche la gueule du fourneau pour les emplir de fonte, quand il y a le nombre de moules suffisans.

Toute cette manoeuvre demande de l'adresse & de l'habitude : il y a, comme vous le voyez aux différens chassis, des poignées pour que l'ouvrier puisse les tourner commodément. Quand les pieces sont considérables, ils se mettent plusieurs : si la marmite avoit un gros ventre, comme il s'en fait quelques-unes, & comme il pourroit arriver pour d'autres pieces, il ne s'agit que d'avoir un corps de chassis de deux pieces, qui se joindront à la plus grande circonférence ; le modele sera de deux pieces coupées de même ; chaque piece ensablée séparément & rejointe quand les modeles seront retirés. Les couvercles se moulent dans deux pieces de chassis rapprochées ; une porte la coulée, elle se fait dans l'intérieur du couvercle ; & l'autre, l'anneau qui se moule avec deux morceaux de bois courbés qui se joignent au milieu, pour qu'on puisse les retirer aisément.

Quatre sableurs peuvent desservir un fourneau qui produiroit deux milliers en vingt-quatre heures. Quand les sableurs ont la quantité de moules relative à la fonte qui est en fusion, ils enduisent leurs proches d'arbue pétrie avec fiente de cheval, pour que la fonte ne s'y attache pas, & les font chauffer. La poche est composée d'une queue de fer que le sableur embrasse de deux morceaux de bois excavés & arrêtés par un anneau de fer, met la manche à son bras gauche, & va puiser de la fonte dans l'ouvrage. La poche est appuyée sur le bras gauche, tenue & tournée par la main droite pour verser dans les moules, par la coulée. Comme il faut que les pieces soient faites d'un seul jet, quand elles sont considérables, pendant qu'un sableur coule, les autres entretiennent le métal dans sa poche, en y versant les leurs : toutes les pieces en sable se moulent de même. Quand ce sont des pieces solides, comme une hurasse, vous faites l'empreinte moitié sur une partie de chassis, moitié sur l'autre ; en les fermant, vous avez une hurasse entiere : le sable se soûtient dans tout ce travail, quand il est fin, gras, humecté à-propos, & bien battu. Il faut que le fondeur entretienne la fonte toûjours vive ; une fonte bourbeuse ou approchante du fer feroit manquer toutes les pieces, ou les rendroit d'une mauvaise qualité : il faut pour cela des mines convenables. La tympe, dans ces fourneaux, doit être un peu plus éloignée de la dame, que dans ceux à gueuse, afin que les poches puissent y entrer : une poche peut porter quarante à cinquante livres de métal. Le bouchage ne se perce que les fêtes & dimanches, jours de repos pour les sableurs : on coule alors des gueuses qui se portent à la forge avec les coulées, les bavûres, les pieces manquées.

On fait des marmites de toute sorte d'échantillon, de deux livres communément jusqu'à trente, des chaudieres jusqu'à cinquante : on fait même, dans le besoin, de plus grosses pieces. Le poids est ordinairement marqué sur la piece, & leur nom vient de-là ; on dit, des marmites de quatre, de dix, &c. Les modeles se font d'étain, pour être coulés en cuivre ou fonte : l'étain, à cause de son peu de fermeté, ne convient que pour tirer d'autres modeles.

Les tuyaux ordinaires pour les eaux, se moulent en deux parties de chassis rapprochées, dans lesquelles on a renfermé le noyau de terre monté sur la broche.

Les boulets se moulent dans deux coquilles ; les coquilles se font de fonte : chaque coquille est creuse de l'étendue de la moitié du boulet ; en les rapprochant, elles forment le boulet entier. On place les coquilles entre deux madriers : on les serre à force de coins, la coulée en en-haut, & on en coule tant qu'il y a de la fonte dans l'ouvrage.

Au sortir du chassis, on casse la coulée & les bavures des pieces montées ; on en ôte le sable, en passant dessus les nappes 8, 9, qui sont des morceaux de fonte coulés avec des entailles pour enlever le sable, qu'on appelle le blanc, servant à saupoudrer : on acheve de les perfectionner avec des marteaux à chapeler, des rapes plus fines, du grais, &c. La grande attention pour les pieces considérables, est de ménager des soupiraux, pour que l'air puisse s'échapper quand on les coule ; les ouvriers sont payés à la piece, tant par douzaine de chaque échantillon, quelquefois au poids.

Les droits du roi se payent comme par fonte en gueuse dans les pays de marque, ou à la sortie de la province.

On a vû en France une manufacture qui avoit poussé la solidité, la précision, & l'ornement jusqu'à couler des balcons, des rampes d'escalier, des lustres, des bras, des feux, &c. & au moyen du recuit, à mettre ces ouvrages en état d'être recherchés avec netteté, & polis au dernier brillant. Cette manufacture n'a pas eu toute la satisfaction qu'elle méritoit, parce qu'elle ôtoit tout-d'un-coup le crédit aux ouvrages de fer, de cuivre, de bronze, extrèmement coûteux : c'est ce qui m'a été raconté par un des intéressés à cette manufacture, actuellement vivant, & qui m'a ajoûté que le prétexte qui en a imposé au public, a été le manque de solidité ; pendant qu'à l'épreuve, deux balcons ont soûtenu la pesanteur de deux milliers à laquelle ils servoient de point d'appui, à douze piés l'un de l'autre ; & pendant que nous voyons une enclume de forge essuyer pendant dix ans les coups d'un marteau de onze à douze cent pesant, au milieu de l'eau & du feu. Je conviens qu'il faut des fontes nerveuses : mais puisqu'il y en a des minieres dans le royaume, le public n'a-t-il pas perdu au discrédit d'une manufacture peu coûteuse ? c'est ce qu'a bien senti M. de Réaumur, qui, dans son art d'adoucir le fer fondu, dit, parlant de cet établissement, qu'un particulier a eu en France quelque chose de fort approchant du véritable secret d'adoucir du fer fondu qui a été jetté en moule ; qu'il entreprit d'en faire des établissemens à Cosne & au fauxbourg S. Marceau à Paris ; qu'il rassembla une compagnie qui fit des avances considérables ; qu'il fit exécuter quelques beaux modeles, qui furent ensuite jettés en fer ; qu'il y eut divers ouvrages de fer fondu adouci ; que cependant l'entreprise échoüa ; & que l'entrepreneur disparut sans avoir laissé son secret.

M. de Réaumur ajoûte qu'il a trouvé ce secret, & en fait part au public. Mouler le fer avec précision & ornement, étoit une partie connue ; l'adoucir pour le rechercher & polir, est un bien recouvré par son travail.

Sans nous jetter dans tout le détail des fontes convenables à ces ouvrages, nous nous en tiendrons aux fontes vives & provenant d'une mine qui donne du nerf. Pour la fusion, si on n'a pas recours aux fourneaux ordinaires, on peut la faire, ainsi que le détaille M. de Réaumur, dans de plus petits fourneaux, même dans des poches, comme quelques coureurs en usent pour empoisonner certaines provinces de fontes à giboyer. Le grand secret est de faire recuire les pieces sans évaporation dans des creusets bien clos, avec une partie de poussiere, de charbon, & deux parties d'os calcinés.

Une pareille manufacture peut remplacer toutes les pieces qui demandent des sommes immenses pour être coulées en cuivre ou en bronze ; des grilles, des balcons, des rampes ornées de fleurons & feuillages, des garnitures de portes cocheres, des feux pour les cheminées, des palastres de serrure avec ornemens, platines, targettes, verroux, fiches, gardes d'épées, boucles de souliers, de ceintures, des étuis, des clés de montre, des crochets : l'Eperonnerie, l'Arquebuserie trouveront aussi dans cette manufacture des avantages considérables ; elle sera même utile au roi pour les canons. Ces avantages infinis sont tirés de l'art d'adoucir le fer, de M. de Réaumur, où on peut les voir exposés d'une maniere plus brillante.

ART. X. Des forges. L'attelier pour convertir les fontes en gueuse, en fer, se nomme forge, dont les parties sont les cheminées & équipage du marteau ; le tout renfermé dans un bâtiment spacieux, proche la halle à charbon, le logement des ouvriers, l'empalement du travail, & sur le bord des coursiers.

Les cheminées sont appellées chaufferies, affineries, ou renardieres, suivant l'espece de travail, construites de différentes formes, quarrées, rondes ; plus ou moins spacieuses & hautes, sans que dans ces différentes dimensions on ait consulté que la fantaisie.

Les cheminées en général doivent être solidement fondées sur le bord d'un coursier qui donnera le mouvement à la roue qui fera marcher les soufflets ; elles seront toûjours bien quand elles auront six piés quarrés dans oeuvre sur le sol, finissant en pyramide, dont le dans-oeuvre de l'ouverture de dessus, aura vingt pouces en quarré ; la mâçonnerie de vingt pouces d'épaisseur, si c'est en pierre ; & de quinze, si c'est en brique, à compter du dessus des piliers ; ces piliers s'établissent sur le sol, pour laisser un espace vuide convenable au travail : l'espace du devant sera de toute la longueur du dans-oeuvre, du côté des soufflets ; deux piés & demi en quarré, pour loger commodément la thuyere, à compter depuis la maçonnerie qui doit porter les beuses ou bures des soufflets, sous laquelle on a logé un tuyau de fer pour rafraîchir le dessous du fond de l'ouvrage : du côté du courant l'ouverture sera de quinze ou dix-huit pouces en quarré, pour que les gueuses puissent entrer & être mûes librement, & du côté opposé à la thuyere, d'une hauteur & largeur convenable pour entrer aisément dans la cheminée. Cette partie, ainsi que celle sur l'eau, seront terminées par des ceintres en pierre ou brique, ou des marastres, que nous avons dit être des plaques de fonte. Le devant & le côté de la thuyere seront nécessairement renforcés chacun de deux marastres, à deux piés environ de distance l'une de l'autre : le devant sera encore garni d'une troisieme marastre, qui sera à quinze ou dix huit pouces d'élévation du côté du pilier de la thuyere, & trois piés à l'autre bout. La raison de cette position est de retenir la flamme & d'en garantir les ouvriers, en laissant à l'autre bout vers le basche, un vuide nécessaire pour le service du feu.

Les piliers du devant doivent être d'un bon quartier de tailles, mieux encore de plaques de fonte coulées d'échantillon, maçonnées les unes sur les autres jusque sous les premieres marastres. La hauteur du comble du toît doit régler celle des cheminées, qui doivent être de cinq ou six piés plus élevées, à cause des étincelles qu'elles jettent perpétuellement : cette construction convient à tout travail.

L'intérieur des cheminées sur le sol doit contenir l'ouvrage & le basche. Le basche est un auge de bois d'un pié de vuide, sur six piés de longueur, garni en-dedans & sur les côtés de fer, à cause du frottement des outils, placé à rez-de-chaussée en-dedans de la cheminée, du côté opposé à la thuyere, abreuvé d'un petit courant d'eau venant du réservoir, ou jettée par des sabots attachés à la roue, sur une chanlatte qui y aboutit. Le basche est nécessaire pour le raffraîchissement des outils, & pour arroser le feu.

L'ouvrage est un creuset auquel la thuyere communique, construit de plaques de fonte dans lesquelles se fait le travail du fer.

Il y a quatre plaques pour faire les côtés du creuset ; la varme sous la thuyere ; du côté opposé le contre-vent ; l'aire au dessus ; le chio sur le devant, percé d'une ouverture à la hauteur de la thuyere, pour servir d'issue aux scories, & d'une à-fleur du fond, dont on se sert dans la macération des fontes : le bas de ce quarré est garni d'une plaque qu'on appelle fond, parce qu'il en fait l'office. Depuis le chio, le devant est couvert d'une grande plaque de fonte portée sur deux autres, afin de laisser vuide l'espace du chio, pour recevoir les crasses qui en découlent. La grande plaque est percée du côté du basche pour recevoir la racine d'un morceau de fer fendu par le dessus en forme d'Y, pour ôter des ringards & fourgons le fer qui s'y attache dans le travail. Dans les chaufferies & renardieres, on met encore une plaque sur le contrevent pour retenir les charbons ; on la nomme contrevent du dessus. Toutes ces plaques, à la varme près, ont pris leur nom de leur service ; le contre-vent, le fond, l'aire, à cause qu'elle sert d'appui à la gueuse dans le foyer ; le chio, à cause de l'ouverture excrétoire, &c.

Faire un ouvrage n'est autre chose que donner un certain arrangement à ces taques, relativement à la thuyere & à l'espece de fonte & de travail ; d'où affineries de deux especes, chaufferie, renardiere.

L'affinerie est un creuset qui ne sert qu'à dissoudre une portion de la gueuse, la travailler pour la porter au gros marteau : au sortir de l'affinerie, c'est une loupe ; du gros marteau, c'est une piece.

La chaufferie est un creuset destiné à recevoir les pieces, pour les chauffer à-mesure qu'on acheve de les battre.

La renardiere fait l'office des deux, fond la gueuse, & pousse les pieces à leur perfection. Le creuset d'une affinerie de la premiere espece, est moins large, n'a point de contre-vent du dessus, & est moitié plus profond, à compter depuis la thuyere, que celui des chaufferies & renardieres : dans ces dernieres, le travail de la fonte, comme dans les affineries de la seconde espece, se fait sur le fond ; dans les affineries de la premiere espece, sur la sorne. Quand on aura vû ces deux manieres détaillées, on laissera à décider à ceux que les préjugés n'empêchent pas de voir le vrai, lequel est le plus avantageux.

En général, pour une renardiere & une affinerie de la seconde espece, il faut un creuset de quinze pouces de largeur, trente de longueur, cinq sous la thuyere pour l'affinerie, cinq, six, & six & demi pour la renardiere, suivant la qualité des fontes ; le fond baissant un peu du côté du contre-vent ; le trou du chio à la hauteur de la thuyere ; la thuyere bien au milieu sur la varme ; son museau avançant dans le creuset de trois pouces ; l'aire, le contre-vent, & le chio élevés de onze pouces sur le fond pour les renardieres, & de sept pouces pour les affineries de la seconde espece ; les soufflets se croisant bien dans le milieu, distribuant le vent également : voilà ce qui peut convenir à la plus grande partie des fontes ; sauf à un maître & ouvrier intelligent à augmenter ou diminuer, suivant que certaines fontes peuvent le demander ; ayant pour principe que la gueuse est au-dessus du vent, & le travail au-dessous.

Pour donner certainement à un ouvrage les dimensions & relations ci-dessus ; du milieu de l'intervalle des soufflets tirez un cordeau passant par l'ouverture supposée de la thuyere, qui fasse une ligne parallele avec le milieu du fond : du milieu des caisses des soufflets posés à égale distance de cette ligne, tirez-en deux secondes : le point où elles se couperont à angles égaux sera le milieu de l'ouvrage ; l'égalité des angles certifie celle des soufflets. Le total ayant quinze pouces de largeur, à sept pouces & demi du point du milieu du côté de la thuyere, posez la varme perpendiculairement, quarrément, & précisément sous la premiere ligne : vous continuerez à poser l'aire & le contre-vent qui excederont la hauteur de la varme de six pouces & demi ; vous poserez deux morceaux de fontes, pour servir de chantier au fond, qui sera placé à quatre pouces & demi plus bas que le dessus de la varme. Le vuide de dessous le fond répond au tuyau qui doit le rafraîchir : vous tiendrez le fond un peu en penchant sur le devant & le contre-vent, pour attirer les laictiers dans cette partie ; puis vous placerez le chio & la grande taque : posez ensuite la thuyere, dont vous réglerez la direction sur la position de la varme dont elle doit occuper le milieu, & entrer de trois pouces dans l'ouvrage. Rangez les barres des soufflets selon les lignes répondantes au milieu ; affermissez-les, & faites mâçonner les côtés & le dessus de la thuyere jusqu'aux marastres ; c'est l'ouvrage des goujats ; de la pierre & de l'arbue détrempées, font la solidité & la liaison : cela s'appelle faire le mureau, qui se renouvelle toutes les fois qu'il est nécessaire de toucher à la thuyere.

Si c'est une chaufferie destinée à chauffer sans fondre la gueuse, la quantité de fers qu'on y met à-la-fois demandant plus d'espace, il faut tenir le creuset plus large & les barres des soufflets plus éloignées l'une de l'autre, pour éloigner le centre.

Si c'est une affinerie, le foyer doit être plus proche ; le fond conséquemment moins large, & à neuf pouces sous la thuyere, quelquefois à dix & onze, suivant l'idée de certains ouvriers, qui n'ont d'autres raisons pour se faire valoir, que la singularité.

Les thuyeres sont de cuivre battu tout d'une piece ; le museau bien épais, pour résister au feu ; poli, pour que rien ne s'y accroche : quinze lignes d'ouverture sur douze, pour la partie qui communique le vent ; s'élargissant sur la longueur de quinze à dix-huit pouces en une ouverture de vingt pouces sur dix à douze ; cet évasement est nécessaire pour placer commodément les barres des soufflets, qui doivent être de façon que le vent se croise au milieu de l'ouvrage ; ce qui le distribue également par-tout. Le vent doit passer sous la gueuse & sur le travail qui se fait dans le creuset.

Il faut que les cheminées soient fournies d'ouvriers & d'outils : pour une renardiere ou autre qui va sans relâche, il faut six ouvriers, le marteleur, trois chauffeurs, deux goujats ; à l'affinerie, le maître affineur & trois valets ; le marteleur est chargé de l'équipage de sa renardiere ou chaufferie, de l'entretien des outils, & doit travailler à son tour avec un chauffeur ; deux ouvriers font ordinairement six, quelquefois huit renards par tournées ; la tournée finie, ils sont relevés par deux autres chauffeurs & un goujat, & ainsi de suite. L'affinerie va de même par tournée ; & le maître affineur est spécialement chargé de l'entretien de son ouvrage & des outils de son affinerie.

Ces outils consistent en un gros ringard, deux moyens, deux fourgons, une pelle de fer, une écuelle à mouiller, des tenailles à cingler, à chauffer avec leurs clés ou clames, à forger avec leur anneau, un crochet, & plusieurs masses.

Un ringard est un barreau de fer dont les angles sont abattus ; le bout destiné au travail finissant en coin.

Le grand ringard se passe sous la gueuse qui est au feu, & sert au goujat de levier, pour l'avancer ou le reculer suivant le besoin. Les ringards ordinaires servent à détacher des côtés & du fond de l'ouvrage la fonte en fusion, & la ramasser en un volume. Les fourgons moins gros que les ringards, sont arrondis, & servent à être passés à-travers la fonte en fusion dans l'ouvrage ; tant pour joindre un morceau à l'autre, que pour faire jour à la chaleur & aux scories en fusion.

Dans les tenailles, on distingue les branches & le mord. Le mord est la partie depuis le clou qui sert à serrer : dans les tenailles à cingler, les branches sont arrondies & les mords unis, rentrant seulement un peu en-dedans à l'extrémité ; dans celles à chauffer, les branches sont plus fortes & mi-plates, les angles abattus, les mords très-gros, longs, & forts pour embrasser les pieces. Les branches se serrent avec des clés ou clames : une clame est un morceau de fer plat & étroit, courbé aux deux extrémités, faisant précisément une S, qu'on tire en en-haut des branches pour serrer, & que le chauffeur desserre d'un coup de pié, quand la piece est hors du feu sur la grande taque, pour être reprise par une tenaille à forger ; la tenaille à forger est la même que la tenaille à cingler, à cela près qu'un des mords est large & arrondi pour embrasser plus fortement la piece ; d'où on les appelle tenailles à coquille. Les branches se serrent par un anneau de fer mobile, que l'ouvrier pousse tant qu'il est nécessaire, en serrant de la main le bout des branches. La pelle de fer avec un manche de bois pour être plus legere, sert à ramasser les charbons autour du feu, les morceaux de fer autour de l'enclume ; enlever les crasses du chio, &c. L'écuelle à mouiller est une calotte de fer battu, d'un pié de diametre, avec une douille de fer qui lui sert de manche ; sa place est proche le basche ; elle sert à arroser le feu, rafraîchir la partie forgée des maquettes, jetter de l'eau sous le marteau quand on pare le feu, &c. Le crochet sert à tirer les loupes ou renards du feu, les masses ; à les battre & y pratiquer une place pour la tenaille : elles servent aussi à l'entretien des équipages, où il y a souvent à serrer & desserrer, &c. il y a encore le hacheret qui est un double ciseau avec un manche de bois ; il sert à couper les pailles qui se levent sur le fer en le forgeant ; des ciseaux de toute espece, à chaud, à froid, pour tailler les enclumes & marteaux de fonte, &c. des marteaux à chapeler, qui sont des doubles ciseaux à froid, dont l'usage est de dresser les aires des enclumes & marteaux, en frappant de tous sens ; ils servent à enlever une bosse : le trait du ciseau & autres traces s'effacent par le frottement d'un morceau de pierre de meule & du grais.

Il faut encore qu'une forge soit munie ou d'une pompe qui puisse jetter l'eau par-tout, ou au-moins d'une seringue de cuivre tenant beaucoup d'eau.

L'équipage du marteau consiste en pieces cachées & en pieces vûes. Les pieces cachées sont les grillages servant de fondation ; les longrines, qui emboîtent le bas des attaches, la croisée, le pié d'écrevisse, le stoc : les pieces vûes sont l'arbre, le court-carreau, les attaches, les bras-boutans, le drosme, les jambes, le ressort, l'enclume, le marteau.

Comme il est question d'une grande solidité, il faut que toutes ces pieces se soûtiennent mutuellement avec une fondation ferme : le tout sur le bord de l'eau qui doit mettre la roue en mouvement.

Pour cet effet, excavez l'espace nécessaire pour loger toutes les pieces : il faut vingt piés sur quinze pour donner dix-huit pouces d'épaisseur à la grande attache, deux piés & demi d'intervalle de la grande attache au court-carreau ; deux piés d'épaisseur au court-carreau ; du court-carreau au stoc, sept piés ; trois piés d'épaisseur au stoc, & quatre piés devant le stoc, pour placer & affermir les chassis qui doivent l'embrasser : pour la largeur, le court-carreau devant être au milieu, on aura pour un côté un pié de court-carreau ; du court-carreau à l'arbre, pour placer la jambe, dix-huit pouces ; l'épaisseur de l'arbre, de deux piés & demi ; le petit bras-boutant de l'attache à un pié au-delà de l'arbre ; & un pié & demi de vuide pour le passage.

L'excavation faite, si le terrein n'est pas solide, bâtissez en grillages, comme à la fondation des fourneaux ; & quand vous aurez trois grillages d'établis & garnis, placez le stoc, & le faites embrasser par le bas d'un chassis en bois à encoches, dont les longrines & traversines doivent tenir un grand espace, & être enfermées dans la maçonnerie.

Le stoc est communément un bloc de fort bois de chêne, de 7, 8, ou 9 piés de longueur sur au-moins trois piés de diamétre, posé debout pour recevoir l'enclume. Quand vous serez au milieu du stoc, vous l'affermirez encore d'un pareil chassis enfermé dans le massif avec un troisieme chassis au-dessus, dont les côtés passeront sous la croisée & les traversines de la grande attache : le dessus du stoc se garnit de trois ou quatre forts cercles de fer ; & on pratique dans le milieu une ouverture quarrée propre à recevoir l'enclume & l'y affermir : cette ouverture s'appelle la chambre de l'enclume.

Comme un morceau de bois de cette grosseur est rare & coûteux dans certaines provinces, quelques-uns se servent de quatre morceaux bien joints & liés en fer ; cela ne dure guere : le plus expédient est, depuis la fondation, d'élever chassis sur croix alternativement jusqu'au dernier, que vous ferez le plus épais, & qui formera la chambre de l'enclume : il doit être cramponé & broché en fer dans celui de dessous, qui est arrêté dans la mâçonnerie, & dont les côtés passent sous la croisée : des bois de 7 à 8 pouces pour le fond, & de 12 pour le dernier, font un excellent ouvrage. Le dessus, en cas de vétusté, est aisé à renouveller ; au lieu que c'est un ouvrage pénible & coûteux, quand il faut déraciner un stoc : dans le cas qu'un stoc debout périt par la chambre, comme cela arrive toûjours, on peut achever de raser les bords, & établir des chassis pour remplacer le dessus.

Quand la totalité du massif sera près du sol, vous établirez quatre longrines depuis le bord sur le coursier qui remplissent la longueur du total, posées un peu en pente pour ne pas gêner les bouts de la roue ; une à chaque bout, une de chaque côté, & à deux piés du stoc, arrêtées par trois traversines à encoches & broches, une devant & à deux piés du stoc ; une devant & derriere le court-carreau. L'encoche de la tête des longrines sur l'eau est en-dessous, & porte sur deux fortes traversines, dans le milieu desquelles traversines on a ménagé une ouverture pour recevoir la grande attache & lui servir de collier.

La grande attache est une piece de bois de dix-huit pouces d'équarrissage, sur douze ou quinze piés de hauteur, mortaisée par le devant d'une ouverture qui la traverse, de six pouces de largeur sur trois piés de longueur, pour recevoir le tenon du drosme & le monter & descendre suivant le besoin : derriere & sur les côtés de l'attache, il y a des mortaises plus hautes que celle ci-dessus, lesquelles sont destinées à recevoir les tenons des bras-boutans : ceux des côtés portent sur les traversines, & celui de derriere sur un chassis, placé en terre, d'où il a pris le nom de taupe : au devant de la grande attache & vis-à-vis l'ouverture du court-carreau qui reçoit le ressort, on fait encore une ouverture à mi-bois pour en recevoir la queue : au bas de cette ouverture est une petite recoupe avec une mortaise pour recevoir & porter le culard, porté de l'autre bout par le court-carreau : le bas de la grande attache est entaillé devant & derriere, laissant une grosse tête d'un pié d'épaisseur sous l'entaille, & se place dans l'ouverture des deux traversines qui lui servent de collier : ces traversines sont affermies par de fortes broches de fer qui percent dans les longrines ; elles le sont encore par le pié d'écrevisse.

La petite attache porte l'autre extrémité du drosme ; est taillée de même que la grande, & ne se pose & enclave dans ses chassis & colliers, que quand le drosme est posé. Il est essentiel d'affermir le bas des attaches, parce que tout l'effort se fait en en-haut : elles sont soûtenues & affermies par le bras-boutant : celui de dehors de la grande attache doit être long & fort.

A quatre piés & demi de la grande attache élevée & affermie, on pose la croisée.

La croisée est une piece de bois de dix-huit pouces d'équarrissage sur sept piés de longueur, entaillée par-dessous aux extrémités, pour entrer & être serrée dans les encoches ménagées dans les longrines du milieu. Le dessus & le milieu de la croisée sont encochés d'un pié de largeur sur huit pouces de profondeur ; & à dix-huit pouces du point du milieu, on pratique des mortaises qu'on appelle mortiers, de dix pouces de profondeur, dix pouces de largeur & douze de longueur, du côté de l'arbre, & dix-huit de l'autre côté : ces mortiers servent à recevoir le pié des jambes. Chaque extrémité des mortiers doit être liée d'un bon cercle de fer ; les côtés de l'intérieur, garnis de plaques aussi de fer, passant sous les cercles & le fond de fer battu. Cette partie fatigue beaucoup.

Le pié d'écrevisse est une forte piece de bois, fourchu, dont le pié aussi encoché entre dans l'encoche du milieu de la croisée avec un fort menton en-dehors ; cette piece appuye sur les traversines de la grande attache dont elle embrasse le pié exactement avec ses fourches bien brochées en fer. A fleur de la croisée, le pié d'écrevisse doit être assez large pour l'étendue du court-carreau qu'il porte, & doit avoir une mortaise pour recevoir le tenon du bas.

Le court-carreau ou poupée est un bloc de bois de deux piés d'équarrissage sur sept piés de longueur, réduits à six par les tenons de chaque bout, qui s'emboîtent dans les mortaises du pié d'écrevisse & du drosme : le milieu est traversé d'une ouverture d'un pié en quarré, baissant du côté de la grande attache, pour recevoir le ressort & en élever la tête : les côtés sont aussi traversés d'une mortaise de six pouces de largeur sur huit ou neuf de hauteur, empiétant un peu sur l'ouverture du ressort qu'elle traverse par le bas : elle sert à passer sous le ressort une clé de bois qu'on serre contre le dessus par des coins qu'on chasse sous cette clé.

Derriere le court-carreau on ménage une petite recoupe & mortaise au bas du passage du ressort, pour placer & recevoir un bout du culart. Le culart est un morceau de bois de sept à huit pouces d'équarrissage, portant la queue du ressort. L'intervalle se garnit de coins pour serrer le ressort contre le dessus de la chambre de la grande attache qui en reçoit l'extrémité.

Le drosme est un morceau de bois d'une piece, de deux ou de quatre ; de deux piés d'équarrissage sur au moins 30 piés de longueur : il a à chaque bout un tenon qui entre dans les mortaises des attaches, dessous une mortaise qui reçoit le tenon du court-carreau, sur lequel il porte. L'excédent des mortaises des attaches sous les tenons du drosme se remplit de clés & de coins de bois, qui chassés avec force serrent le drosme contre le court-carreau : cette opération fatiguant beaucoup les tenons du drosme, qui est une piece à ménager, il est utile d'en garnir le dessus d'un faux tenon de bois ; quand il est usé, on desserre les broches qui le tiennent, & on en substitue un autre. Il est encore prudent de garnir le dehors des tenons, ainsi que le dessus de la grande attache, de taule ou fer blanc, pour les garantir de l'humidité de l'air.

Il faut au drosme de la force & de la pesanteur, pour tenir tout l'équipage ferme & de longueur, pour que les ouvriers puissent se tourner avec les bandes de fer, pour les parer sans toucher à la petite attache.

On ménage deux encoches dans les côtés du drosme, de quinze pouces de largeur sur six pouces de profondeur, répondantes aux mortiers, pour recevoir la tête des jambes, qu'on avance ou recule suivant le besoin dans ces encoches, & qu'on arrête par des coins chassés de chaque côté à coups de masses. Quand le travail a fort endommagé les côtés des encoches, au lieu de mettre un drosme au rebut, on enleve ce qui est endommagé ; & dans le vif on fait une entaille finissant en pointe, pour que la piece qu'on y appareille ne puisse se déranger. Cette piece doit être bien brochée, & se renouvelle dans le besoin.

Les jambes sont deux morceaux de bois de dix pouces d'équarrissage vers les boîtes, finissant à six ou sept au pié & à la tête ; un bout porte dans le mortier, l'autre dans l'encoche du drosme : celle qui est proche de l'arbre s'appelle la jambe sur l'arbre, l'autre, la jambe sur la main. Sous le drosme, chaque jambe est percée d'une ouverture quarrée de trois pouces sur huit, lesquelles se répondent, pour passer un morceau de bois qu'on nomme la clé tirante, de l'échantillon de la mortaise sur six pouces de hauteur, laissant une tête à un bout. On passe la clé par la mortaise de la jambe sur l'arbre, à laquelle elle est arrêtée par la tête, traversant celle sur la main : dans ce qui déborde, on fait de côté une mortaise, dans laquelle chassant des clés & des coins, elle rapproche les jambes l'une contre l'autre, les serrant contre le drosme.

Pour empêcher la clé de vaciller, entr'elle & le drosme on pose un morceau de bois qui embrasse la clé par une encoche ; & en chassant des coins sous la clé par les mortaises des jambes, ce morceau de bois appellé tabarin, se serre contre le drosme, & tient la clé ferme.

Les jambes en-dedans & vis-à-vis l'une de l'autre, à huit pouces de hauteur depuis le dessus des mortiers, sont emmortaisées d'une ouverture de cinq pouces de largeur, quinze de hauteur, & quatre de profondeur pour recevoir les boîtes. Les jambes sont bien serrées dessus & dessous les boîtes, & les côtés de la mortaise garnis de lames de fer.

Une boîte est un morceau de fonte ou de fer, long de neuf à dix pouces, large & épais de quatre, qui se place dans les mortaises, & y est arrêté par des coins dans le point convenable : on en change la position de haut & bas, devant & arriere, suivant la portée de la mortaise.

Dans les boîtes de fer, on fait plusieurs excavations rondes d'un pouce de diamétre, sous six ou sept lignes de profondeur, pour recevoir les bouts de la hurasse. Un morceau d'acier trempé & froid sur lequel on frappe quand la boîte est rouge, fait promtement ces excavations ; dans les boîtes de fonte, on les ménage en les moulant. Les jambes sont affermies à la tête dans les encoches du drosme ; sous le drosme, par la clé tirante ; au pié, par les mortiers.

Le ressort est une piece de bois de hêtre, ou autre souple & ferme, d'environ neuf pouces d'équarrissage, de la longueur convenable, pour du fond de la mortaise qui lui est destinée dans la grande attache, en passant par le court-carreau, aboutir proche le marteau. On distingue dans le ressort la tête & la queue : la tête est le bout proche le marteau, plus gros que le reste, évuidé à la distance d'un pié jusqu'à son entrée au court-carreau : la queue est la partie qui porte sur le culart, & s'insinue dans la mortaise de la grande attache où elle est serrée : le ressort est encore serré dans le court-carreau par la clé qui est dessous. Il faut, pour qu'un ressort joue bien, qu'il ne soit ni trop rude ni trop foible, suivant la force de l'attelier ; que depuis le court-carreau, il soit choisi & taillé de façon à tourner la tête du côté de l'arbre sans toucher la jambe : la position de l'enclume le veut ainsi, pour que les bandes de fer ne donnent pas dans les bras de l'arbre.

L'enclume est un bloc de fonte quarré par le bas, de seize à dix sept pouces de diamétre, sur la hauteur d'environ vingt-quatre ; & depuis ces vingt-quatre pouces venant insensiblement de deux côtés en diminuant se terminer à quatre pouces d'épaisseur sur la hauteur de seize ; ce qui fait une hauteur totale de trois piés quatre pouces, & peut peser environ deux mille cinq cent : le bas de l'enclume s'appelle le bloc ; & le dessus où on bat le fer s'appelle l'aire : l'aire d'une enclume se taille au ciseau, au marteau à chapeler, & se polit avec la pierre de meule & le grais. Il y a des fontes qui souffrent la lime. Il faut que l'aire de l'enclume soit bien dressée, inclinée du côté du court-carreau : il faut aussi que le dessus de l'enclume soit plus tourné vers l'arbre que la partie qui regarde les jambes ; de façon qu'une bande de fer, en suivant l'aire de l'enclume, puisse passer entre le court-carreau & la jambe sur la main : cette direction empêche que les barres de fer qu'on pare ne donnent dans les bras de l'arbre. L'enclume ainsi disposée dans la chambre du stoc, de la profondeur d'un pié, se serre avec des morceaux de bois de chêne posés debout, & farcis de coins chassés à force. On ménage dans un coin la place d'un morceau de bois qu'on place du sens contraire, qui s'appelle la clé ; c'est ce qui s'enleve d'abord, quand il faut débloquer une enclume.

Le marteau doit se poser bien à-plomb sur l'enclume, & son aire doit avoir les mêmes dimensions ; cette partie comprend le manche, la hurasse, la brée, & le marteau.

Le manche est une piece de bois de hêtre ou charme, de neuf jusqu'à douze pouces d'équarrissage ; les arêtes abattues tenant depuis le derriere des boîtes jusqu'au-devant de l'enclume. La partie qui répond à l'aire de l'enclume est taillée à entrer dans l'oeil du marteau, & s'appelle l'emmanchure ; la queue est la partie qui répond aux boîtes, & qui est garnie de la hurasse.

La hurasse est un anneau d'un pouce & demi d'épaisseur sur cinq à six pouces de largeur, de fer ou de fonte, propre à recevoir la queue du manche. La hurasse est terminée du côté de la jambe sur l'arbre, par un bouton de trois pouces de longueur, qu'on place dans l'excavation de la boîte, & qui s'appelle le court-bouton : l'autre côté est allongé d'environ vingt pouces, & aboutit à l'excavation de la jambe sur la main ; cette partie s'appelle la grande branche. La queue du manche est bien serrée dans la hurasse par des coins de fer chassés dans le bois pour le renfler.

La brée est un morceau de fer battu, embrassant le manche du marteau vis-à-vis les bouts de l'arbre, s'élargissant à la partie exposée au frottement des sabots qui levent le manche. C'est pour le garantir de ce frottement qu'on se sert de brée. Des bouts de la brée, l'un finit en anneau, & l'autre en pointe ; elle se pose à chaud : quand la pointe est entrée dans la boucle, on la courbe pour l'arrêter, & on refroidit.

Le marteau est de fer ou de fonte, de deux piés & demi de hauteur, sur un pié de largeur jusqu'au-dessous de l'oeil, & plus ou moins d'épaisseur, suivant le poids qu'on veut lui donner, & la longueur de l'aire de l'enclume. Depuis l'oeil le bloc s'épaissit, ensuite diminue, pour être réduit aux mêmes dimensions que l'aire de l'enclume. Un marteau pese depuis six cent jusqu'à un millier. L'oeil a cinq ou six pouces de largeur, sur quinze à dix-huit de hauteur. La tête doit avoir une épaisseur proportionnée, environ deux pouces. L'oeil est pour recevoir l'emmanchure du manche, garni de sa hurasse, placée dans les boîtes. Le manche est arrêté au marteau par une clé & coins de bois, chassés à force sous l'emmanchure. Par la disposition des pieces, il est aisé de mettre le marteau bien sur l'enclume. La jambe sur l'arbre ne se remue du pié que le moins qu'il est possible ; le bout du court-bouton est comme le centre des mouvemens. La jambe sur la main avance, recule aisément dans le mortier, & l'encoche ; & conséquemment avance ou recule la grande branche & le marteau. La boîte se leve ou baisse suivant le besoin. Quand on est parvenu à bien placer le marteau, on serre toutes les pieces. Le ressort ne s'arrête que quand le marteau est fixé. Le manche doit le frapper entre le marteau & la brée ; la distance du manche au ressort est environ de seize à dix-huit pouces.

L'on donne le mouvement au marteau par le moyen d'une roue placée dans un coursier, proche l'empalement du travail, si c'est une roue à aubes, ou sous la huche, si c'est une roue à seaux. Les bouts de la roue traversent, & font mouvoir un cylindre de bois, qu'on appelle l'arbre du marteau.

L'arbre du marteau doit être de la longueur convenable à l'espace, qui est depuis l'enclume jusqu'au delà du coursier ; il s'arrondit pour être plus propre au mouvement circulaire, & doit porter trente pouces au-moins de diamétre au gros bout vers l'enclume, finissant à vingt-quatre. A chaque bout on ménage une ouverture pour placer les tourillons.

Un tourillon est une piece de fonte, dans laquelle on distingue la meche & les ailes. La meche est la partie arrondie qui tourne sur l'empoise ; & les ailes la partie large & applatie, qui entre & est serrée dans les bouts de l'arbre. La meche doit être précisément au milieu ; plus son diamétre est petit, plus l'arbre tourne aisément. La meche peut être solide, étant de trois pouces de diamétre, sans la faire de sept ou huit. Les ailes doivent être larges pour être mieux serrées, sans être trop profondes, parce que cela éloigneroit les bras du bout de l'arbre ; dix pouces suffisent.

L'empoise est un morceau de fonte plat, creusé par le dessus pour recevoir la meche. L'empoise du tourillon de la roue peut avoir six pouces de hauteur, douze de longueur, trois d'épaisseur. Pour la reculer ou avancer, suivant le besoin, on la pose dans une entaille d'un chevalet de bois, beaucoup plus longue que l'empoise ; on l'arrête avec clé & coins par les bouts. Celle du tourillon des bras est beaucoup plus haute, & a son pié de la largeur du diametre de l'arbre. En coulant, on a ménagé deux trous dont on se sert pour le mouvoir, à l'aide de deux ringards ; elle porte sur une enclume qui sert de chevalet. Le chevalet doit être plus bas que l'aire de l'enclume au stoc, pour ne pas gêner le forgeage du fer.

L'arbre vis-à-vis le coursier ou sous la huche, est percé pour recevoir les bras de la roue ; il est aussi percé à dix pouces de bord de l'autre extrémité pour recevoir les bras.

Les bras sont deux morceaux de bois de hêtre ou chêne, encochés en croix par le milieu & à mi-bois, de neuf pouces d'équarrissage, traversant l'arbre dans lequel ils sont serrés avec clé & coins. Chaque extrémité des bras déborde l'arbre de douze pouces, réduits par-derriere à six pour l'échappement du manche. L'arbre étant proche le manche & les bras sous la brée, il ne peut tourner que les bras ne fassent lever le manche : quand le bras est passé, le manche tombe par le poids du marteau ; le second bras le releve, & ainsi de suite : la violence du mouvement s'exerce aux boutons de la hurasse contre les jambes. Le marteau leve & baisse quatre fois à chaque tour d'arbre ; & sur un bon courant, l'arbre peut faire vingt-cinq tours par minute. Cette vîtesse jetteroit le marteau bien haut, s'il n'étoit arrêté & renvoyé par le ressort, ce qui augmente la force des coups de marteau, & les distribue également. On donne par le moyen de la palle, l'eau qu'on juge à-propos ; pour la lever ou baisser on a un levier qui lui est attaché, un point d'appui, & une petite perche pendante à l'autre extrémité du levier proche le marteau.

Comme on ne peut renouveller les bras que le frottement use sans y employer bien du tems & fatiguer l'arbre, on les garnit par-dessus d'un morceau de bois de hêtre de la même forme que le bras, bien taillé pour poser sur l'arbre auquel on laisse des bosses pour cette raison. Ce morceau de bois s'appelle sabot ; il est arrêté intérieurement contre le bras par des boulons de fer, & serré par le bas d'un fort lien de fer qui enveloppe le sabot & les bras : quand les sabots sont usés, on leve les liens & on y en substitue d'autres ; c'est l'affaire de deux ou trois heures.

L'arbre est relié en fer depuis le tourillon des bras jusqu'aux sabots, huit ou dix liens derriere les sabots, autant derriere les bras de la roue, sur le tourillon en plein. L'arbre doit aller en diminuant, afin qu'en enfilant les liens par le plus petit diametre on puisse les serrer en le chassant à force.

Il n'est pas toûjours possible de trouver des pieces pour faire un arbre d'une seule ; alors on peut en employer quatre ou neuf. L'attention qu'il faut avoir en pareil cas, est d'employer du bois sec, bien dressé & venu dans le même terrein, pour qu'un côté ne soit pas sensiblement plus lourd qu'un autre.

Un arbre plus pesant d'un côté, soit par la qualité du bois, soit par la fausse position des tourillons, ou faute d'être bien dressé, est un arbre qui périt nécessairement en peu de tems par l'inégalité du travail. Quand un arbre est de plusieurs pieces, il faut multiplier les liens de fer.

Plusieurs choses diminuent l'effort des bras pour lever le marteau ; la petitesse des tourillons, la moindre longueur des bras & du manche, la proximité des bras de la tête du marteau, le moindre diametre des boutons de la hurasse, un peu d'inclinaison de l'arbre du côté de la roue ; il vaut mieux que ce tourillon soit plus chargé que l'autre : le frottement échauffant prodigieusement les tourillons, les boîtes, la hurasse, on a soin de ramasser dans de petites chanlattes l'eau que la roue jette très-haut, pour en conduire partout. Les bras sont rafraîchis & alaisés par l'eau qu'ils rencontrent en-dessous.

Pour ne point retarder le travail, il faut qu'une forge soit munie de clés, de coins, de sabots, de bras, de manches, de plusieurs boîtes, hurasses, marteaux, enclumes, &c.

Les hurasses se font de fonte ou de fer : de fonte, elles se moulent en sable : de fer, elles se fabriquent dans les forges, ajoûtant, ainsi que pour la fabrication des marteaux, plusieurs mises de fer sur un bloc préparé sous le gros marteau. Pour fabriquer les marteaux, il faut deux foyers, un pour chauffer le bloc, l'autre pour chauffer les mises ; il faut être muni d'un nombre de bons bras armés de masses pesantes, pour souder à grands coups & promtement les mises au bloc. Tout dépend d'un degré de chaleur convenable. On en fait de même quand il y a une réparation à faire. La soudure n'est autre chose que la compression vive & promte d'un morceau de fer bien chaud, sur un autre morceau de fer bien chaud. L'ouvrage se polit par le ciseau, dont les traces s'effacent par des coups de marteau polis, ou par la lime.

On n'a qu'à consulter nos Planches & leur explication, pour prendre des notions justes de toutes les pieces qu'on vient de détailler, de leur position, de leur figure, de leur usage, &c.

Dans les renardieres, le travail du fer se fait en avançant la gueuse dans l'ouvrage contre le contrevent, la couvrant de charbons & faisant marcher les soufflets ; bien-tôt cette partie de la gueuse qui est au-dessus du vent, se met en dissolution & tombe par morceaux, quelquefois assez gros, dans l'ouvrage. L'office du goujat est d'entretenir le charbon, de le bien retrousser sur le foyer, & de l'arroser souvent d'eau pour concentrer la chaleur. Celui du chauffeur est, à mesure que la gueuse se dissout, d'éloigner les parties de fontes du contrevent & de la thuyere, avec la pointe du ringard : quand il sent qu'il a assez de fontes, il pique avec le ringard sur le fond & les côtés, pour détacher & ramasser sa matiere en un volume ; il acheve d'épurer le métal, & de joindre une partie à l'autre en y insinuant de toutes parts le fourgon. Le vuide du fourgon fait entrée à la chaleur, & sortie aux corps étrangers en fusion. Toute cette opération se fait sous le vent. Par les parties que rapportent les ringards & fourgons, l'ouvrier connoît l'abondance, ou la rareté, ou la qualité des scories dites laictiers ; il n'en faut qu'une certaine quantité, le chio débarrasse l'excédent, un coup de ringard en débouche l'ouverture. La tenacité des scories se corrige en jettant dans le foyer des scories, & la trop grande fluidité en y jettant de l'arbue : cette pâte, ainsi travaillée dans le creuset, s'appelle renard. Il faut qu'un renard soit bien ramassé & pétri. De-là il est clair que c'est l'application du phlogistique, & le travail des ringards & des fourgons, qui changent la fonte en fer. Ce travail ne consistant qu'à donner lieu à la sortie des scories, & à joindre & broyer les parties : le changement ne s'opere donc que par une espece de trituration & séparation faite sous le vent. S'il étoit possible de joindre à une espece de fer des corps qui en changeassent la qualité, ce seroit-là sûrement le tems. Quand le renard est travaillé, le goujat jette dessus une pelletée de battitures de fer mouillées, qui se ramassent autour de l'enclume. Ce rafraîchissement durcit le dessus du renard, & concentre la chaleur. Pour le tirer du foyer, un chauffeur le soûleve avec un ringard, du côté de la thuyere, & l'autre du côté du contrevent. Quand il a fait un demi-tour, on le tire avec le crochet, & le roule sur un paquet de fonte mise à fleur de terre, qu'on appelle refouloir. Quand le renard tombe de la grande taque, il est à craindre qu'il n'y ait de l'eau. L'eau comprimée par la chûte & raréfiée par la chaleur, jette le renard en éclats au risque des ouvriers. On obvie à cet inconvénient, en le laissant couler doucement à l'aide d'un ringard. Le renard sur le refouloir est battu à coup de masse pour l'affermir, & faire la place de la tenaille à cingler.

Cingler est porter le renard sous le gros marteau : cette opération demande de l'adresse & de la promtitude, & le réduit en un quarré long d'environ quatre pouces d'épaisseur, ayant soin de faire battre les angles. Le renard change de nom, & s'appelle alors la piece. Pendant qu'un chauffeur cingle son renard, l'autre a fait avancer la gueuse pour en obtenir un autre. La piece se porte sur la grande taque ; le second chauffeur la serre dans les tenailles à chauffer, & la fourre dans le foyer. Quand elle est chaude au fondant, elle est reprise par des tenailles à coquille, portée au marteau, auquel on fait battre le milieu pour la réduire dans les dimensions qu'on donnera au reste ; c'est alors une encrenée. Chauffée du bout opposé à la tenaille, & battue comme l'encrenée, elle devient maquette, qu'on refroidit dans le basche pour faire chauffer la tête, qui acheve de se forger à une, deux, trois chaudes, pour enfin prendre le nom de bande ou barreau. Dans un feu bien servi, quatre ouvriers peuvent faire douze à quinze cent de fer en vingt-quatre heures. Un seul marteau peut desservir deux renardieres.

Le fond, dans les affineries, de la premiere espece est éloigné de la thuyere de neuf à dix pouces. On ne se sert point de contrevent de dessus : quand il est question d'y faire du feu, on avance la gueuse, on garnit le fond de fasins ; & quand la gueuse est en dissolution, on ramasse & presse la matiere, en tirant le ringard appuyé aux angles de l'aire. Le travail se fait à plus de quatre pouces de hauteur du fond. Les scories coulent sur le fond ; & à mesure que les fasins se consomment, elles en occupent la place ; ce qui en refroidissant s'appelle sorne, sur laquelle le travail se fait. Quand il y a trop de laictiers on leve des morceaux de la sorne dans les coins pour leur faire place. Dans les renardieres il y a aussi des scories en fusion qui forment une sorne quand on arrête le vent & qu'on met hors, quand on recommence le travail. La matiere pétrie & ramassée sur la sorne, s'appelle loupe, qu'on tire, refoule, cingle comme les renards, & porte à la chaufferie pour être chauffée & battue.

Les affineurs n'ont d'autre occupation que de faire des loupes & les cingler. Pour servir une chaufferie, il faut au moins deux affineries : quand on n'en a qu'une, on fait aller la chaufferie en affinerie, & on amasse un nombre suffisant de pieces pour monter une chaufferie. Pour voir l'avantage des renardieres ou affineries, il n'y a qu'à en considérer les opérations ; l'une & l'autre en travail dépense autant de charbon. Dans la renardiere, tout l'ouvrage se fait dans un même foyer ; dans une affinerie, on ne fait que des pieces ; il faut un second foyer pour les achever, d'autant dispendieux, qu'il faut réchauffer tout ce qui ne vient pas de dessous le marteau. Il est vrai que les pieces sont plutôt faites aux affineries qu'aux renardieres, parce que le foyer & l'ouvrier n'ont qu'une occupation : mais dans une manufacture y a-t-il à balancer entre l'abondance & l'épargne ? Vous aurez un quart d'ouvrage de plus (c'est porter la chose trop loin), & sur le total vous dépenserez un quart de charbon de plus. Entrant dans l'intérieur des deux foyers, la sorne ne fait-elle pas vraiment l'office du fond ? A l'élévation de la sorne, pourquoi ne pas substituer un fond ? la sorne n'absorbe-t-elle pas elle-même beaucoup de parties de fer ? Passez au bocard les scories des renardieres & les sornes des affineries, pour en être convaincu. Le fer, dit-on, s'engraisse, s'adoucit dans les laictiers : cela est vrai quand le fer en a manqué ; mais dans tous les cas y en ayant toûjours en fusion sur le fond des renardieres, le fer est plus à portée de s'en abreuver que sur la sorne des affineries : l'expérience ne nous dit-elle pas que le fer des renardieres, à fontes égales, est le meilleur ?

Les affineries ont été en vigueur tant que dans certains cantons on n'a point connu les renardieres, dans des tems où les bois étoient en abondance, & conséquemment de peu de valeur. Qu'importoit la dépense d'un quart de plus de charbon, pour avoir plus d'ouvrage ? La coûtume pour des gens qui en respectent jusqu'aux abus, la prévention, le manque de fermeté, sont aujourd'hui le soûtien des affineries. D'honnêtes manufacturiers de dessus la Marne m'ont dit qu'ils n'avoient pû déterminer les ouvriers à les quitter, qu'il y auroit même du danger à les vouloir forcer.

Le travail, dans les affineries de la seconde espece, se fait comme dans les renardieres, sur le fond à cinq pouces, sous la thuyere. La multiplicité des pieces ou la qualité des fontes oblige dans les renardieres à mettre le fond à six & quelquefois à sept sous la thuyere, ayant chio pour vuider les laictiers, contre-vent pour conserver les charbons, &c. le bien qui résulte de cette façon de travailler, c'est de faire plus d'ouvrage ; & que le fer porté à la chaufferie soit moins exposé à brûler que dans les renardieres, le forgeage étant la seule occupation des chauffeurs. On peut donc travailler utilement dans les renardieres & affineries de la seconde espece, avec chaufferie. Pour les affineries de la premiere espece, il faut les abandonner.

Bien des gens voudroient trouver ici le moyen de faire des fers doux ou cassans avec les mêmes fontes, par le seul moyen des foyers. Je le répete encore, les qualités essentielles du fer viennent de l'espece de la mine ; les qualités relatives viennent du travail, qui peut purifier, rectifier, diminuer, ajoûter, altérer, mais ne peuvent jamais changer la nature. Ne pouvant parler qu'en général d'une matiere si diversifiée, possédant la position des soufflets, de la thuyere, la distribution du vent entre la gueuse & le travail, son égalité dans tout l'ouvrage, est-il si difficile de faire, suivant le besoin, des mutations dans le foyer ? Eloigner, rapprocher, aggrandir, retrécir, &c. sont des choses auxquelles un maître devroit présider, & avec lesquelles il trouveroit aisément le degré convenable à ses matériaux. Un maître devroit dire aux ouvriers les raisons de leur travail ; par exemple que les coups de ringard des côtés sont pour ramasser la fonte en dissolution sur le fond, pour la soûlever à un certain degré, pour la serrer & pétrir ; que trop soûlevée, elle se remet en dissolution comme la fonte ; que le charbon bien ramassé & arrosé, concentre la chaleur ; que le plus grand degré de chaleur est au milieu de l'ouvrage sur le vent, &c.

Il y a des fontes cuivreuses dont le fer, à cause de ce mauvais alliage, est d'un très-mauvais usage. On le corrige par la macération.

La macération est la dissolution & fusion de la fonte dans un foyer, qu'on lâche sans travail par le trou du chio qui est contre le fond ; de-là elle est portée dans un second foyer pour y être travaillée en fer. Cette opération brûle les parties cuivreuses qui résistent moins à un grand degré de chaleur, sur-tout quand il est multiplié.

On se sert encore de la macération pour les gros blocs de fontes, comme les enclumes, quand on veut les réduire en fer. Les parties fondues se mettent dans les renardieres, à côté de la gueuse, proche le contrevent, & se mêlent & travaillent avec les parties de la gueuse en dissolution.

On employe de même les vieilles ferrailles, abandonnant celles où on a employé du cuivre ; les morceaux de fontes ou fers tirés des scories par les bocards ; la vieille poterie, &c.

Forger le fer est quand il est chaud le porter entre l'enclume & le marteau dans leur sens étroit ; le remuer & tourner à-propos pour le souder ; ramasser, allonger & le mettre à-peu-près de l'échantillon qu'on veut donner à la barre. Le parer est placer ce même fer ainsi battu, sur la longueur des aires de l'enclume & du marteau, en commençant par l'extrémité ; ce qui abat les inégalités & les empreintes du marteau. En retour on acheve de le polir, en y jettant de l'eau.

Les fers doivent être bien travaillés, également battus, sans pailles ; ce qui dépend du degré de chaleur, de la justesse du marteau & de l'enclume, & de l'adresse des ouvriers. Quand il reste quelques pailles, le goujat les coupe avec l'acherot, & le marteau en efface les marques. Le fer en forgeant se couvre d'une espece de peau, provenant des matieres que le coup du marteau en fait sortir. L'eau jettée sur le fer quand on le pare, fait sauter avec éclat cette sueur & les petites pailles.

Quand dans une piece il se trouve quelque corps étranger d'enfermé, le fer se crevasse & ne soudra jamais : alors si vous prévoyez qu'une chaude donnée à cet endroit ne puisse fondre ce corps ; quand la barre d'ailleurs sera finie, vous la coupez à cet endroit & chauffez les deux bouts, les rengraissant d'un peu de fer dans le foyer, les appliquant l'un sur l'autre sous le marteau ; la soudure est faite au premier coup ; vous achevez de battre & parer. Il ne faut faire cette opération que quand le fer du foyer est travaillé. On en fait de même pour ajoûter du fer nouveau à un ringard, &c.

Les fers se distinguent en fers fins, channins, & cassans. Les especes intermédiaires sont appellées fers bâtards. Les fers se fabriquent en marchands, de fenderie, de batterie ; les marchands sont en lames, en barreaux. Les lames sont depuis 14 à 15 lignes de largeur, jusqu'à 40 & 45 ; de 15 à 20 lignes s'appellent petits fers ; de 20 à 30, fers larges ; de 30 & au-delà, petits & grands larges. Les barreaux ordinaires sont depuis 9 lignes jusqu'à 12. On en peut faire jusqu'à 4 pouces d'épaisseur ; mais passé deux pouces, c'est un prix différent du courant. On fait aussi des demi-barreaux, qu'on appelle mi-plats. Les barreaux au-dessous de neuf lignes, & les barres au-dessous de 15, se battent au martinet, dont on donnera un petit détail à la fin de cet article.

Les fers de fenderie se fabriquent de 25 à 30 lignes de largeur, sur 6 à 9 lignes d'épaisseur, & se transportent aussi dans les fenderies.

Ceux des batteries se divisent en barres & souchons ; les barres sont d'un pouce sur un & demi ; les souchons d'un pouce & demi sur quatre.

Le déchet ordinaire de la fonte réduite en fer, est au moins d'un tiers, quinze cent de fonte pour un mille de fer. Le poids diminuant au prorata du nombre des chaudes & des coups de marteau, il n'est pas étonnant que la diminution soit plus grande dans les fers marchands, que dans les autres. Une piece pour être mise en barre de fer marchand, se bat à quatre ou cinq chaudes, en fenderie & batterie à trois chaudes, en souchons à deux ; ainsi quelquefois il faudra plus de 1500 de fonte au fer marchand, & moins aux autres especes. Le poids de forge est de quarante livres par mille.

Les fers fins que fournissent plus abondamment le Berri & la Comté, sont spécialement destinés pour la marine & les armes ; les fers approchant du fin, se fondent pour les clous des chevaux ; les cassans, pour les clous à ardoise.

Les fers fins composés de beaucoup de nerfs longs, forts & déliés, se battent & polissent bien ; ceux qui s'en éloignent, ayant les nerfs plus gros & moins longs, sont sujets à être pailleux ; les cassans ne sont point sujets aux pailles, étant composés de molécules qui se prêtent & s'arrangent suivant les coups de marteau.

Le grand débit des fers se fait à Paris & à Lyon, d'où ils se distribuent aux autres provinces. Lyon fournit les manufactures de Saint-Etienne & la foire de Beaucaire.

La France étant fournie de manufactures de fer bien au-delà de sa consommation, & comme il est vrai d'ailleurs que la multiplicité des forges est une des causes de la diminution des bois de chauffage & d'autres services ; cette diminution étant la cause de leur cherté, & relativement de celle du fer, ne seroit-ce pas rendre service au public de faire détruire les usines qui n'ont point d'affoüages par elles-mêmes, puisque c'est un moyen d'épargner les bois, de les vendre à un moindre prix, & conséquemment le fer ? Quelques propriétaires de forges pourroient perdre à cet arrangement. Ceux qui pensent bien, sacrifieroient volontiers une petite partie de leur revenu en faveur du public : il ne faut guere s'inquiéter de ceux qui pensent mal.

Des martinets. Les martinets sont composés d'un foyer & d'un ou plusieurs marteaux mis en mouvement par l'eau.

Le foyer d'un martinet est élevé pour l'aisance de l'ouvrier ; l'aire est de terre battue comme un foyer d'une forge de maréchal ; le devant garni d'une grande taque, sous laquelle on place en pente un chio, dont le trou est à fleur du foyer ; la thuyere est aussi à fleur du foyer. Il n'y a qu'un soufflet double de cuir ou de bois, pour communiquer le vent ; le soufflet est mis en mouvement par ses cammes ou une manivelle, répondant de l'arbre au soufflet par des leviers multipliés, ce qui fait lever le soufflet ; il est rabaissé par un contre-poids. Devant le foyer il y a un chevalet de bois pour soûtenir le bout des bandes.

Le marteau pese depuis 50 jusqu'à 150 livres. La hurasse est au tiers du manche. Les branches de la hurasse sont d'égale longueur. Les boîtes sont dans de fortes jumelles de bois, arrêtées en-dessous dans un fort chassis, & au-dessus par une traverse. L'ouverture pour placer les boîtes est à jour, & elles se montent, baissent, reculent, ou avancent par des coins qu'on chasse en-dehors. L'arbre du martinet doit être le plus gros qu'il est possible, pour y loger beaucoup de cammes, qui doivent répondre à la queue du manche. Quand une camme vient à appuyer sur sa queue, le marteau leve ; pour qu'il soit levé & rabaissé également, sous la queue on place une taque de fonte à assez de distance pour laisser échapper la camme. Cette taque renvoye le manche ; il est rabaissé par une autre camme, &c. L'arbre peut porter de douze jusqu'à vingt cammes, & conséquemment dans un tour, le marteau frappera de douze jusqu'à vingt coups. Un même arbre peut faire marcher plusieurs martinets. Le marteau est de fer ; l'enclume est aussi un morceau de fer enchâssé dans un bloc de fonte servant de stoc, dans lequel elle est serrée par des coins. L'enclume & le marteau se dressent à la lime. L'objet du martinet est d'étirer le fer de forges, & de le réduire en plus petits volumes, bien dressé & poli pour différens ouvrages de serrurerie. Pour servir un martinet, il faut deux ou quatre ouvriers ; ordinairement ils ne sont que deux, le martineur & le chauffeur. On coupe le fer de forge de deux à trois piés de longueur ; on en met dix, douze morceaux à-la-fois au fer : on commence par faire chauffer le milieu. Le martineur est assis proche le marteau sur un banc, tenant d'un bout dans un crochet de fer où il est mobile, & suspendu de l'autre par une chaîne, afin de pouvoir avancer & reculer sans se déplacer. Le chauffeur porte une piece quand elle est chaude ; le martineur la fait battre sur le travers de l'enclume & du marteau, pour l'étirer. Il ne se leve que pour parer, & arrose lui-même le fer en tournant un petit robinet répondant au-dessus du marteau. Quand la premiere est battue d'une étendue convenable à la chaude, le chauffeur en apporte une seconde, & successivement, jusqu'à ce qu'ils en ayent ce qu'ils peuvent forger en un jour ; puis on recommence à chauffer une autre partie de la barre, & ainsi jusqu'à ce qu'elles soient finies. Le marteau n'arrête que pour les repas & le soir, qu'on employe à botteler la journée. Les bottes sont de cinquante livres poids de marc. Les fers se battent en barreaux de cinq, six, à sept lignes ; en mi-plats, en ronds, en bandes de deux à trois lignes d'épaisseur, pour cercles de foudre, &c. On y bat & arrondit du fer pour les fileries ; dans ce cas le martineur ne le pare jamais, mais se contente de l'étirer sur le travers, crainte de déranger le fil des nerfs. Deux ouvriers peuvent forger cinq cent de fer par jour.

On voit dans nos Planches un martinet : m n le soufflet : k un morceau de fer tenant au soufflet, & répondant au levier g h, qui répond par les leviers n c aux cammes de l'arbre, pour donner le mouvement au soufflet : S est un ouvrier qui a débouché le chio. Figure 3. autre ouvrier qui acheve de nettoyer son foyer : I le bout de la thuyere. La figure 1. est le martineur, avec sa bande sous le marteau : a l'enclume : n le marteau, &c. La vûe seule indique toutes les autres pieces.

ART. XI. Les fenderies. Le but des fenderies est de diviser une lame en plusieurs baguettes, suivant l'échantillon qu'on juge à-propos. Pour faire cette division avec exactitude, il faut que les barres de fer soient de la même épaisseur ; ce qui se fait dans des cylindres. Voyez nos Planches. A B est une barre de fer qu'on applatit dans les cylindres, espatards ou applatissoirs C D, qu'on passe ensuite dans les taillans ou ciseaux, représentés ailleurs de différens échantillons. Il ne seroit pas possible d'applatir & fendre une barre de fer, si elle n'étoit adoucie au feu ; ce qui donne lieu à une espece de construction de fours, pour les chauffer en grand nombre & à peu de frais. Pour profiter de la chaleur donnée au fer, qui, quoique adouci, occasionne un violent travail aux applatissoires & aux taillans, on employe la puissance de l'eau d'une chûte, ou de roüets, ou lanternes, pour avoir un grand mouvement. Un coup-d'oeil fait voir que tout dépend de la solidité & de l'exactitude des pieces d'une fenderie.

On les fait simples ou doubles ; les simples sont celles dans lesquelles, comme on voit, d'abord on ne monte que les espatards pour applatir une quantité de fer, ensuite on démonte les espatards, & on substitue les taillans : cette espece a le desavantage qu'il faut chauffer deux fois le fer ; mais il faut moins d'eau, & on peut en espérer plus d'exactitude.

Pour faire les deux ouvrages à-la-fois, on établit l'équipage des applatissoirs, & dans la meche M O du cylindre du dessus, à la partie O, & en continuant la meche du cylindre du bas, on ajuste l'équipage des taillans de façon que le travail se fait sur la même ligne & par le même mouvement. La barre au sortir du four est présentée aux applatissoirs C D, reçûe en B par un ouvrier qui la tire avec des tenailles pour l'entretenir, & la passe par-dessus l'équipage à un ouvrier qui la présente aux taillans : toute cette opération va assez vîte pour n'être point obligé de chauffer le fer deux fois : mais l'inconvénient de ces fenderies est, qu'étant obligé de serrer & desserrer souvent les tourillons des cylindres, il n'est pas possible que cela n'influe sur les taillans, puisque le mouvement est commun : cette espece de fenderie est très-commune.

La troisieme espece est celle que vous voyez, où les espatards sont devant & les taillans derriere ; le tout dans un mouvement uniforme, par la distribution des roüets & lanternes : figure 1. un ouvrier qui tire le fer du four ; 2 & 3. ouvriers qui le présentent aux espatards, & le présentent aux taillans 5. & 6. qui reçoivent la verge au sortir des taillans.

Pour donner une idée claire des fenderies, nous dirons qu'il faut une assez grande quantité d'eau, pour donner le mouvement aux applatissoirs & taillans de dessus, & à ceux de dessous en sens contraire, afin qu'ils mordent & attirent ce qu'on leur présente, & assez de vîtesse pour qu'une barre soit tirée du four, passe sous les espatards, & soit fendue dans les taillans en une minute. Il faut que l'intérieur des bâtimens soit spacieux pour loger les deux équipages l'un derriere l'autre & sur la même ligne ; le four à la tête, avec un espace au moins de quinze piés pour manier les bandes de fer ; derriere l'équipage, dequoi les tirer, placer la verge ; les bancs pour l'embottelage, les romaines ; la petite boutique pour la construction des outils, & le magasin.

Comme il faut que les deux roues de chaque côté qui reçoivent l'eau du même réservoir, tournent en sens contraire, s'il y a assez de hauteur, l'eau prendra l'une par-dessus & l'autre par-dessous ; sinon, à un côté on ajoûtera un roüet & une lanterne.

Les roues traverseront un cylindre de bois, qu'on appelle arbre de fenderie, avec tourillons ordinaires de fonte ou de fer, du côté du coursier ; & dans l'intérieur, au lieu de tourillon, un morceau de fer quarré F, de trois pouces & demi de diametre, faisant crosse dans l'intérieur du bout de l'arbre E où il est serré, arrondi contre l'arbre pour porter sur une empoise, & du reste équarri pour recevoir une boîte : ce morceau de fer s'appelle la meche F.

Une boîte G ou N, est un morceau de fer ou de fonte d'environ neuf pouces de longueur sur sept pouces de diametre ou équarrissage, dans le milieu duquel il y a une ouverture quarrée propre à recevoir le bout de la meche F, d'environ quatre pouces de longueur : le reste de l'intérieur de la boîte est pour recevoir le bout quarré de l'espatard H, ou le bout quarré de la meche qui a traversé les taillans.

L'espatard R Q S T est simple ; le double consiste en ce que contre la partie R il faut ajoûter encore une partie quarrée comme T, pour recevoir une boîte à chaque extrémité. Un espatard est un morceau de fonte moulé composé de cinq parties ; la bosse Q de sept pouces de diametre ; les deux parties arrondies R S, servant de tourillon, de cinq à six pouces de diametre ; & la partie quarrée T avec sa correspondante supposée pour le tourillon double.

L'arbre & l'espatard du bas portent, sur une empoise mise sous la meche vers l'arbre, & sur les empoises retenues dans les côtés des chassis A A, B B ; & l'arbre & l'espatard du dessus portent sur une empoise posée sur un chevalet supposé sous le tourillon O, & sont retenus par les empoises renversées & serrées dans les chassis A B. Quand c'est une fenderie double, il en est de même pour les taillans, dont la meche excedant le chassis, est cousue avec le quarré débordant de l'espatard, par une boîte. Supposons, pour ne pas multiplier les figures, que le bout de l'arbre T fût une trousse de taillans.

Dans une fenderie double, sur la même ligne, l'équipage des espatards & celui des taillans sont environ à six piés de distance l'un de l'autre pour l'aisance du travail. Leur solidité dépend de la plate-forme & des montans.

La plate-forme est un morceau de bois de douze piés de longueur sur deux piés d'équarrissage, enclavé dans les encoches d'un fort chassis sur lequel il porte, de façon à pouvoir être reculé ou avancé par des coins qu'on chasse contre les parois des encoches.

A trois piés du milieu de la plate-forme, partent quatre montans E E pour les espatards ; autant de l'autre côté, pour les taillans. Tout ceci sera bien aisé à appliquer aux autres especes de fenderies.

Ces montans sont des pieces de fer de trois pouces d'épaisseur réduites en-dedans sur un pouce en un demi-cercle de dix-huit lignes de diametre, pour recevoir les extrémités des empoises, qui excavées dans la même dimension, sont rendues inébranlables. Les montans traversent la plate-forme, & sont arrêtés en-dessous par des clés de fer. Le devant & derriere sont arrêtés en-dessus par les traverses aussi de fer GG. Les empoises sont des morceaux de fonte moulés en terre comme les espatards, ayant le milieu excavé en ceintre pour recevoir les tourillons VXY : les bouts des empoises XY sont aussi excavés pour entrer & être affermis dans le demi-cercle des montans.

Quand on veut monter un espatard ou trousse de taillans, on commence par poser l'empoise d'en-bas sous les tourillons de l'espatard D, ensuite le second espatard C, & l'empoise renversée dessus ; tout son effort se faisant en en-haut. Le dessus des côtés des montans est arrêté par de fortes traverses HH, au milieu desquelles il y a un écrou traversé d'une vis H K, portant sur le milieu de l'empoise I, pour la serrer ou la desserrer d'un coup de main, en maniant la partie coudée K ; par ce moyen, on approche les espatards l'un de l'autre, tant qu'on juge à-propos pour l'espece de fer qu'on applatit : il en est de même pour les taillans, comme il est facile de voir par les figures ; d'autres au lieu de vis pratiquent des mortaises dans les montans (voyez les fig.) ; & au moyen des clés A A, serrent & desserrent les espatards ou taillans.

Les taillans sont composés de rondelles O de fer battu, bien aciérées & trempées, de même dimension & diametre, percées dans le milieu d'une ouverture quarrée & exacte, pour recevoir la meche que nous avons dit être de trois pouces & demi d'épaisseur : il y a les grandes rondelles O, & les petites N ; les grandes peuvent avoir dix à onze pouces de diametre, & les petites, deux pouces & demi de moins : les unes & les autres sont également percées de quatre trous de huit lignes de diametre, à un pouce des bords de l'ouverture quarrée. Quand on veut monter une trousse, ce qui est une quantité de taillans, on pose pour la trousse du bas une grande rondelle, puis une petite, autant que l'espace du travail le demande, en mettant toûjours une de plus dessous que dessus : on fait de même pour celle de dessus ; on fait traverser les trousses par quatre broches de fer qu'on insinue par les trous que vous voyez en O & N, & on les enfile dans les meches. Les taillans du dessus & du dessous doivent s'insinuer réciproquement & exactement, de la profondeur d'environ six lignes dans les vuides que laissent le moindre diametre des petites rondelles ; ainsi qu'on le voit à toutes les figures de nos Planches de Fenderies. Quand les taillans sont ainsi bien dirigés, on les serre & tient en respect par des morceaux de fer qu'on place entre eux & les côtés des montans. On met un taillant de plus dessous que dessus, parce que ceux des côtés du dessous entretiennent le reste : c'est de-là qu'on les fait plus forts & qu'ils ont pris le nom de guides ou faux-taillans.

Pour obvier à ce que le fer fendu ne suive le tour des taillans, dans chaque montant de derriere on pratique des mortaises, dans lesquelles mortaises sont arrêtées, à la distance de trois pouces l'une de l'autre, deux lames de fer qui affleurent le derriere des taillans. Sur ces lames, à chaque séparation de taillans, on pose un morceau de fer d'échantillon dont le bout qui est poussé contre la lame de fer, est taillé en Y, pour ne pouvoir reculer : l'autre bout déborde, en rasant, l'autre côté des taillans, pour laisser libre entrée au fer, qui est contraint de suivre la direction de ces dents, & de venir passer entre les lames : toute cette partie s'appelle le peigne.

Le devant des taillans est garni d'un morceau de fer arrêté dans les montans, dans lequel on pratique une ouverture pour passer le bout de la barre, qu'on présente aux taillans pour l'empêcher de se dévoyer ; ce qui s'appelle le guide.

Il y a aussi un guide pour les espatards. On trouvera dans nos Planches les différentes trousses de taillans réprésentées. Les baguettes de fer fendu s'appellent verge : la verge a différens noms, & se fend en plus ou moins de taillans.

La cloutiere, sans compter les gardes, se fend à onze taillans de quatre lignes d'épaisseur ; la soliere, à neuf taillans de cinq à six lignes ; la moyenne, à sept taillans de six à sept lignes ; le fanton, à cinq taillans de neuf à dix lignes ; le petit feuillard, pour le fer applati, à trois taillans douze lignes ; la vitriere, pour le fil-de-fer, à onze taillans trois lignes.

On tient la grosse verge moins épaisse que large, pour faciliter la fente : on se sert aussi des espatards pour passer l'embattage des roues, qui se fait d'une seule piece.

Le four doit avoir la gueule vis-à-vis & à la distance d'environ quinze piés des équipages : pour être chauffé en bois, il sera bâti sur un massif de trois piés de hauteur, de huit piés de longueur dans oeuvre, deux piés de largeur, & dix-huit pouces de hauteur, sous voûte ; en-devant & au milieu, on laisse une ouverture qu'on appelle la gueule, de huit pouces de largeur, sur quinze à seize pouces de hauteur : la gueule se fait d'une seule piece de fonte, à cause du frottement du fer. A un des côtés du four on fait une maçonnerie quarrée de six piés de hauteur, dont quatre piés sous l'aire du four, & deux piés au-dessus ; le tout de deux piés dans oeuvre, à l'exception du dernier pié du dessus qui se termine en une ouverture quarrée d'un pié. Dans l'intérieur, à deux piés au-dessous de l'aire du four, on fait un grillage en fer pour soûtenir le bois qu'on jette par le dessus ; le dessous du grillage s'appelle le cendrier, & est ouvert par-devant. L'ouverture supérieure est garnie d'une plaque de fonte, pour en préserver les bords ; elle se bouche d'un morceau de fer battu, pour ne pas laisser évaporer la flamme : cette partie, jusqu'au grillage, s'appelle la toquerie ; c'est où on jette le bois. La flamme communique au four par une ouverture, à compter de l'aire du four, de dix pouces de hauteur sur sept à huit de largeur. Il faut toûjours entretenir dans la toquerie un feu vif & clair ; c'est l'ouvrage d'un ouvrier, qui n'a pour se reposer que le tems qu'on met à passer chaque fournée, une heure environ dans trois. Le fer se fourre par la gueule, & se range dans le four en croix de saint André ou en grillage, afin que la chaleur le pénetre par-tout. On trouvera dans nos Planches deux parties de four. P est l'ouverture qui communique au four ; R est le grillage : dans l'autre, F est la toquerie ; E est le cendrier ; B B C D, deux barres de fer en croix de saint André ; A la voûte du four.

Nous avons dit qu'ordinairement le four avoit huit piés de profondeur : quand c'est pour passer des bandages qui demandent une grande longueur, on peut lui donner jusqu'à quatorze ou quinze piés. Pour l'ordinaire, on casse le fer de six à sept piés de longueur pour l'enfourner ; on en met jusqu'à un millier, quand le fer est chauffé : il faut environ deux heures pour chauffer une fournée à blanc ; c'est le degré qu'il faut. Une corde de bois de saison de quatre piés de hauteur sur huit piés de couche, & le bois de trois piés & demi de longueur, peut faire quatre fournées à bon vent. Le vent influe prodigieusement sur cette partie ; le bon est celui qui passant par l'ouverture du devant du cendrier, pousse la flamme dans le four ; le mauvais est celui qui passant par la gueule, la repousse dans la toquerie : le seul remede employé jusqu'ici, mais insuffisant, a été de boucher la gueule d'une plaque de fer. Ne pourroit-on pas en employer deux ? le premier en faisant une toquerie à chaque côté, bouchant l'ouverture de communication de celle en mauvais vent, suivant le besoin. L'ouverture étant de dix pouces sur sept, dans un mur de séparation, ne pourroit-on pas monter les côtés de ce mur en briques, & y ménager des coulisses, pour laisser descendre & élever, suivant le besoin, un morceau de terre à brique d'échantillon ; le second en opposant le vent au vent, avec des tuyaux répondans au grillage, & à une large ouverture extérieure & mobile, qu'on pourroit tourner au vent.

Le fer, dans les fenderies où on se sert de charbon de terre, comme celles qui sont dans le Forez sur la riviere de Gier & sur quelques ruisseaux, & qui refendent six à sept millions de fer, se chauffe dans des cheminées bâties comme une chaufferie avec soufflets ; le fer s'y place par barres de deux piés & demi, à trois piés de longueur, dans la quantité de trois à quatre cent pesant à-la fois, qu'il faut environ une heure pour chauffer. Il y a un ouvrier chauffeur qui doit veiller à l'arrangement du fer, qui le place par trois barres l'un dessus l'autre, & travaille à ce que ce qui est exposé au vent ne fonde pas, pendant que les bouts n'ont pas le degré de chaleur convenable. Il faut environ pour six francs de charbon pour fendre un mille de fer, &c.

Pour desservir une fenderie, il faut cinq ouvriers ; le maître fendeur, qui doit entretenir le bon ordre, tous les outils, dresser les équipages, regler le tems de tirer le fer, &c. le second, pour tirer le fer du four & le présenter aux espatards ; un pour le recevoir, & le remettre au maître, qui le présente aux taillans, desquels le quatrieme le reçoit pour porter la verge à la pile de son échantillon ; le cinquieme est celui qui met le bois dans la toquerie. Une fournée d'un mille peut être fendue en une heure. Celui qui défourne a soin de la toquerie pendant la fente ; la fente faite, on enfourne de nouveau ; c'est alors l'affaire du maître fendeur, de visiter & rétablir ce qui pourroit être dérangé. Il ne faut pas laisser manquer les espatards & les taillans de rafraîchissement & de graisse. Le rafraîchissement se donne perpétuellement par de l'eau conduite par des chanlattes : les taillans s'engraissent de suif fondu à toutes bandes, & les espatards cinq ou six fois à chaque fournée.

La verge se met en bottes de cinquante livres, poids de marc : pour cet effet, les embotteleurs ont un établi C D (voyez les Pl.), garni de demi-ronds de fer e d, pour placer la verge après l'avoir redressée, & la lier en trois endroits, après qu'elle aura été pesée, en la serrant avec la chaîne & l'étrier 9. a est la tenaille pour serrer la verge de la main droite, & b le crochet, pour en supporter l'extrémité de la main gauche. l est une cisaille ; h i, les demi-ronds, pour recevoir la verge ; K K, des bottes de verges.

Le moulin établi à Essonne pour profiler le fer, appartient de droit aux fenderies, dont il n'est qu'une espece particuliere ; c'est, suivant le rapport de MM. les commissaires de l'académie des Sciences, du 23 Décembre 1752, un laminoir (voyez nos Pl.) composé de deux cylindres de fer C D, dont l'un, que nous supposerons C, est profilé sur sa circonférence, pour imprimer sur les plates-bandes A B les moulures qu'on veut leur donner. Les deux cylindres de ce laminoir, sont menés par deux roues à l'eau ; le cylindre inférieur D est mené immédiatement par le tourillon E, dont le bout qui se termine par un quarré F se joint au quarré H du cylindre, par le moyen d'une boîte de fer ; l'autre roue est menée au moyen de renvois de roues dentées & lanternes, qui font tourner le cylindre de dessus G en sens contraire.

Ces deux cylindres étant en mouvement, on présente la bande de fer rouge au profil qu'on veut y imprimer ; saisie entre les deux cylindres, & entraînée par leur mouvement, elle s'allonge & se profile d'une seule opération sur toute sa longueur, en très-peu de tems.

Pour empêcher que la bande de fer qu'on profile ne s'enveloppe autour du cylindre profilé, un ouvrier la saisit avec la pince aussi-tôt qu'elle commence à passer de l'autre côté du cylindre, jusqu'à ce qu'elle soit entierement sortie.

Pour connoître, disent les commissaires, si le laminage ne change point la qualité du fer, nous avons fait rompre une barre de fer avant & après l'expérience faite à Essonne le 28 Janvier 1751 ; avant l'expérience, le fer étoit aigre ; les deux bouts rompus sembloient se toucher par des facettes, dans toute l'épaisseur de la bande ; on n'y voyoit point de parties saillantes dans les bouts rompus. Après l'expérience, on voyoit de part & d'autre, dans toute l'épaisseur des filamens, des parties saillantes en forme de lames plates & allongées ; c'est ce que les ouvriers appellent le nerf, dans les fers doux ; & c'est à cette marque qu'on le reconnoît pour être de bonne qualité. Il paroît donc que le fer acquiert de la qualité par le laminage : ce qu'on savoit d'ailleurs par les expériences faites dans les fabriques de fil-d'archal.

Malgré un témoignage aussi respectable, la vérité m'oblige de dire que le laminage ne peut changer la qualité du fer ; du fer cassant de sa nature en faire du fer doux. Convenons qu'un fer dont le nerf est gonflé de trop de remplissage, peut casser comme celui de l'épreuve, sans laisser beaucoup de parties saillantes, ou que trempé il peut faire le même effet ; ayant lieu de croire que le grand & subit degré de fraîcheur fait retirer & courber les nerfs ; puisque le même fer étant chauffé à blanc & refroidi naturellement, les nerfs reprennent leur souplesse : mais ce phénomene aura lieu sur-tout, en conséquence de la compression des cylindres qui leur fait dégorger une partie de ce qui les gonfloit. Cette espece de croûte qui tombe devant les cylindres en est une preuve ; c'est ce qui occasionne la différence du poids du fer en barres au fer laminé : de-là on peut conclure que le fer cassant par accident a été rendu à sa nature par une opération ; mais non pas que le laminage d'un fer aigre de sa nature en puisse faire un fer doux. Ne pourroit-on pas encore soupçonner que les entrepreneurs du moulin d'Essonne ne se contentant pas de l'avantage réel de la machine, ayent cherché à y joindre du merveilleux, & à surprendre l'attention de MM. les commissaires, par le changement impossible du fer cassant en fer doux ? Nous avons l'expérience constante de la diversité de fers entr'eux. Ces fers, après le travail des applatissoires, restent chacun dans leur nature, mais seulement plus épurés.

On a tenté plusieurs fois de filer le fer dans les cylindres : on doit être convaincu que sur-tout pour dégrossir, il n'a manqué que l'exactitude & la précision.

ART. XII. Batterie. L'équipage d'une forge & d'une batterie est le même ; une cheminée, deux soufflets mûs par l'eau, un attelier de marteau : la différence est qu'au foyer d'une batterie, il n'y a point de contre-vent du dessus, ni d'aire ; que le fond est à environ sept pouces de la thuyere, le trou du chio à la hauteur de la thuyere ; le basche dans l'intérieur de la cheminée couvert : c'est par son côté que se met le charbon. Les marteaux sont de la même forme que ceux de forge ; ils ne pesent que quatre à cinq cent.

L'objet des batteries est de rendre le fer de forge propre à différens usages, par son étendue, son peu d'épaisseur, sa souplesse ; il prend alors le nom général de taule, & les surnoms particuliers de rangette, à étrille, à serrure, à cric, palastre, ronde, couvercle de four, enseignes, fers de charrue. La différence de ces especes consiste dans l'étendue & l'épaisseur ; ce qui les fait chauffer & battre différemment.

Pour faire la rangette, on coupe le fer, qui au sortir des forges est d'environ trente lignes de largeur sur douze d'épaisseur, en morceaux pesans environ huit livres : chaque morceau se chauffe à blanc, & se bat en deux chaudes, puis on le plie en deux, & s'appelle doublon : & en deux autres chaudes, on lui donne la largeur d'environ quatre pouces, sur douze à treize de longueur ; ce qu'on appelle arbelage. De-là, on prend quatre doublons ensemble, trempés en eau d'arbue, pour empêcher les feuilles de se souder les unes aux autres : on les chauffe couleur de cerise, & bat à quatre chaudes ; ce qui leur donne environ dix pouces de largeur, & dix-neuf à vingt de longueur. On y joint quatre autres doublons en pareil état, & on bat les huit doublons en deux chaudes couleur de cerise qui les réduisent à leur derniere perfection. La rangette porte quatorze à quinze pouces de largeur sur vingt-un à vingt-deux de longueur : il entre ordinairement huit doublons dans un paquet pesant cinquante livres, poids de marc ; les paquets se lient en deux endroits avec des bandes de taule coupées à la cisaille. Quand les feuilles sont plus larges ou plus longues les unes que les autres, on les égalise avec les cisailles ; quand il y en a de percées, crevassées, ou mal fabriquées, on les coupe pour faire les liens ; ces liens servent à la ferrure des seaux & autres ; on en fait même quelques paquets.

La taule à étrille de dix à onze pouces sur trente à trente-deux, se bat en six doubles, avec autant de chaudes que la rangette : huit à neuf doublons au paquet de cinquante livres.

La taule à serrure de différens échantillons, se bat en un doublon à différentes chaudes, suivant la largeur & épaisseur.

Le palastre se bat en feuilles de neuf à quatorze pouces de largeur sur quatre à dix piés de longueur & de différentes épaisseurs : c'est avec le palastre qu'on garnit le bas des portes cocheres, les bornes, &c.

La taule à réchaud, de six à sept pouces sur vingt-un à vingt-deux, se bat à huit doublons : 20 à 21 au paquet de cinquante livres.

La taule à cric pour les équipages, de six à sept pouces de largeur, sur quatre à cinq lignes d'épaisseur, & quatre piés environ de longueur, se bat en feuilles.

La taule à enseigne se bat en feuille à quatre ensemble, portant treize à quatorze pouces de largeur sur dix-huit de hauteur, une ligne d'épaisseur ; on peut en battre de plus grandes.

Les taules rondes pour poesles & poeslons, se battent en deux feuilles, ménageant un endroit plus étroit au milieu de la feuille ; c'est où on les plie : cet excédent est pour souder la queue ; elles se finissent en les élargissant à deux doublons.

Les couvercles de four se battent en feuilles à demi rond en quatre chaudes ; & on acheve de les battre quatre ensemble.

Dans toutes les taules, les feuilles du milieu s'élargissent toûjours plus que les autres ; c'est pour cela qu'aux deux dernieres chaudes on les change.

C'est aussi dans les batteries qu'on prépare les taules pour le fer-blanc ; elles se battent à plusieurs doublons, entre un marteau & une enclume bien dressés. Les feuilles se coupent d'échantillon à la cisaille, & se vendent au cent pour être blanchies & étamées.

Les fers de charrue se battent seuls à différentes chaudes, suivant leur force & étendue ; on en fabrique de huit jusqu'à quinze livres.

Pour fabriquer un millier de taule assorti de plusieurs échantillons, on passe au maître batteur 1060 jusqu'à 1100 de fer, & 30 ou 35 vans de charbon ; le van équivalant à cinq piés.

Le maître batteur doit avoir soin du foyer, de l'équipage du marteau, qu'il doit bien dresser, & de tous les outils. Dans les batteries où l'eau & les matériaux ne manquent pas, les ouvriers se relayent, comme dans les forges : quatre ouvriers peuvent faire cinq à sept cent de taules en vingt-quatre heures ; cela dépend beaucoup du fer, du charbon, de l'espece de marchandise, & de l'adresse des ouvriers. On fait aller une batterie en grosses-forges, quand on le juge à-propos ; il n'y a que le foyer à changer.

ART. XIII. La filerie. L'objet de la filerie est de donner au fer, par la figure ronde, la surface polie & égale ; la diversité, la flexibilité, un degré d'utilité qui s'étend depuis les baguettes de dix lignes de diametre, en nuances infiniment multipliées, jusqu'à nous procurer les plus fines cordes des tympanons, même de remplacer la finesse des cheveux ; nous n'entendons ici que donner l'explication de la manufacture, sans indiquer tous les ouvrages auxquels le fer filé s'employe.

Filer le fer, est l'obliger de passer par des ouvertures dont il prend le diametre : comme ce travail demande beaucoup de force, on a eu recours à l'eau pour faire mouvoir une roue. A, Pl. XII. est un cylindre de bois tournant sur ses empoises ; ce cylindre est armé de cammes B C, qui appuyant sur la queue Z, la fait baisser ; elle est relevée après le passage de la camme, par la perche élastique X, tenant à la queue par la chaîne Y. La queue Z ne peut baisser que le montant F, auquel elle est attachée, ne soit tiré en-arriere ; & ce à proportion de la longueur de la camme : ce montant a un mouvement libre de devant en arriere, par une cheville de fer qui le traverse dans la piece de bois K.

Au-devant du montant F il y a un anneau de fer dont la racine est arrêtée de l'autre côté par une clé ; cet anneau s'appelle davier ; il reçoit le crochet C de l'anneau de la grosse tenaille ; cet anneau, avec son prolongement & son crochet, s'appelle chaînon. L'anneau du chaînon enferme les bouts ceintrés de la tenaille A ; le montant F ne peut être tiré, que le chaînon ne le soit, ainsi que la tenaille, dont les mâchoires serrent à proportion que les branches sont serrées, & décrivent en reculant autant d'espace que le montant F ; la perche élastique faisant remonter la queue Z. Le montant & le chaînon sont également renvoyés : le chaînon ne peut être repoussé qu'il ne desserre les branches, & conséquemment les mords de la tenaille. Si nous imaginons que la tenaille tienne un morceau de fer, elle le serrera & tirera en reculant. Quand elle sera desserrée, elle reprendra sa place par son propre poids, qui la fait couler le long d'un plan incliné ; étant retirée, elle mordra & tirera, & ainsi de suite. Voilà ce que c'est qu'une filerie. Il y a des montans auxquels le mouvement est donné de côté. Imaginons, pour ne pas multiplier les figures, que le montant F est prolongé en en-bas ; & que la camme, au lieu d'en abaisser, en pousse la queue, pour que l'ouvrier soit le maître d'arrêter le mouvement de la tenaille : la partie qui est exposée au frottement de la camme, est garnie d'une fausse queue bien coulante entre deux anneaux de fer ; à la tête de la fausse queue, prend une corde qui passant sur une poulie attachée au-dessus de l'attelier, vient se rendre à un morceau de bois flexible attaché par une de ses extrémités au plancher, vers le pié de l'ouvrier, élevé de l'autre de la hauteur de la camme ; l'ouvrier mettant le pié sur ce morceau de bois, le fait baisser, & conséquemment fait lever la fausse queue ; moyennant quoi, les cammes passent sans rien rencontrer.

La tenaille est de fer, & pour dégrossir peut peser jusqu'à deux cent livres ; le chaînon de cinquante à soixante ; il y en a de différentes grosseurs. La tenaille peut avoir deux piés de longueur : la force doit être aux branches depuis le clou aux mords. Cette partie porte quatre à cinq pouces de largeur, sur trois à quatre pouces d'épaisseur : le derriere des mords est évuidé pour le passage du fer, qui doit se tirer à côté. L'intérieur des mords est entaillé, pour que le fer ne puisse s'échapper quand il est serré.

L'équipage est monté sur un chassis élevé, pour que l'auge logé en-dessus puisse être dirigé & réparé commodément ; sur ce chassis est fortement attachée en plan incliné une piece de bois de 18 à 20 pouces d'équarrissage, nommé attelier ; le reste du chassis est garni de planches. Le montant F est rendu mobile par une mortaise pratiquée dans l'attelier, & ne peut se dévoyer, au moyen d'une broche de fer qui traverse la partie enfermée dans l'attelier. Quand la queue est en retour, comme en Z, l'extrémité de l'attelier est encochée. Quand la queue n'est qu'un prolongement du montant, l'attelier est percé à jour : pour que la tenaille descende aisément par son propre poids, on en éleve les branches, comme vous voyez en I & G ; & le dessous est garni d'une plaque de fer.

Contre les mords de la tenaille de l'attelier, portent quatre montans de fer de deux pouces d'équarrissage sur six pouces d'hauteur, bien claveté en-dessous, mortaisés en-dessus : ces montans N N se répondent deux à deux à la distance de quinze à vingt lignes ; une paire éloignée de l'autre d'environ un pié : c'est dans ces montans que se placent les filieres.

Une filiere est un morceau d'acier de trois pouces de largeur sur un pouce d'épaisseur, & deux à trois piés de longueur. Le morceau d'acier se perce en échiquier de deux rangs de trous de différens diametres, moitié plus large en-devant que contre la tenaille, pour l'entrée du fer, pour que le frottement se fasse sur une moindre étendue. Pour faire un trou, il faut trois poinçons. Quand le morceau d'acier est chauffé on frappe sur le plus gros poinçon pour l'enfoncer jusqu'au tiers, ensuite un de moindre diametre, & finalement le plus petit. On n'attend point que le troisieme poinçon perce à jour : quand on voit l'empreinte de l'ouverture, on laisse refroidir l'acier, pour l'achever à froid. Les trous se placent à un pouce de bord & à un pouce de distance les uns des autres : quand ils sont tous recherchés, on trempe la filiere, & on la place dans les montans de fer N N, où elle est arrêtée en-dessus par les clés O, en-dessous & des côtés par des coins. Il faut que le milieu de la tenaille soit vis-à-vis les trous du bas. Quand on veut faire travailler ceux du dessus, on ne fait que mettre sous la tenaille une lame de fer d'un pouce d'épaisseur.

Le fer le plus doux est le meilleur pour la filiere ; on se sert de celui qui a passé à la fenderie, ou qu'on a battu sous le martinet, choisissant celui-ci qui par sa grosseur approche le plus de l'épaisseur qu'on veut donner au fil. L'ouvrier fait chauffer le bout des baguettes, afin de les arrondir & diminuer sur la longueur d'environ six pouces ; ce qui s'appelle amorcer. Il présente à la plus grosse filiere la partie amorcée, & dirige la tenaille, dans les mords de laquelle il en fait recevoir l'extrémité, & donne l'eau à la roue : l'ouvrier est assis à côté, tenant d'une main un linge trempé dans l'huile autour du fer Q, & de l'autre main reçoit le fil au sortir des mords I. Pour dégrossir du gros fil, il n'y a que deux ou trois cammes à la roue ; pour du fil plus petit, il peut y en avoir davantage, sur-tout si l'arbre est gros. Un même arbre peut faire marcher plusieurs atteliers, comme vous le voyez à la Pl. XII. quand le fer est ébarbé à la premiere filiere, l'ouvrier le présente à un de moindre diametre, & ainsi de suite. Pour le plus gros fer, il faut dix à quinze filieres ; pour le moyen, vingt à trente ; le plus petit, trente à quarante : cette opération va très-vîte ; chaque coup de tenaille pouvant tirer 2 pouces. L'arbre monté à deux cammes peut faire 10 tours par minute ; conséquemment tirer quarante pouces ; plus le fer est fin, plus l'arbre peut aller vîte, & être chargé de cammes : deux ouvriers en gros fil peuvent fabriquer cent cinquante pesant par jour ; en moyen, quatre-vingt ou cent au dessous : le plus ou le moins dépend de la finesse. Quand on veut filer extrêmement fin, comme le frottement n'est pas violent, on peut le tirer à bras d'hommes, comme vous le voyez à la Pl. XI. Pour un mille de fer filé gros & moyen, il faut environ trois pintes d'huile & quatre vans de charbon. Il y a un déchet d'environ cinquante liv. par mille. Les fils-de-fers gros & moyens se mettent dans les manufactures en bottes de vingt-cinq livres, liées en quatre endroits : pour le fil fin les bottes sont depuis cinq à quinze. Voyez à l'article TRIFILERIE, toutes les especes différentes de fil & leur emploi. Cet article est de M. BOUCHU, maître des forges à Veuxsaules, proche Château-vilain.


FORGERv. act. c'est battre sur l'enclume un métal avec un marteau. On forge à froid & à chaud, mais plus souvent à chaud. Ce mot varie d'acception. Voici, par exemple, un cas où il est presque synonime à planer ; c'est chez les Potiers-d'étain. Forger, c'est, après que la vaisselle est tournée, la battre, avec différens marteaux, sur le tas. Pour cet effet on a des morceaux de cuivre jaune en plaques de largeur, longueur & épaisseur convenables, bien écroüies ou serrées & polies au marteau ; on les nomme platines. Les platines sont planes pour les fonds des vaisselles, contournées pour les côtés. On commence par frotter legerement sa piece de vaisselle, avec un linge enduit de suif en-dedans & en-dehors : cela s'appelle ensuifer. On pose ensuite une platine sur l'enclume, qui est couverte d'une peau de castor gras. On fait tenir la platine sur la peau, avec une colle faite de poix résine grasse & de suif ; on frappe là-dessus sa piece à coup de marteau, & on lui fait prendre une forme plus réguliere que celle qu'elle a reçue des moules ; on atteint les inégalités du tour ; on rend l'ouvrage compact, uni, brillant, & d'un meilleur service ; on le dégraisse & on le polit avec un linge & du blanc d'Espagne en poudre. Mais ce travail n'a lieu que sur l'étain fin. L'étain commun se forge autrement. On ensuife sa piece ; on la monte, c'est-à-dire qu'on la bat sur l'enclume nue. Les coups de marteau paroissent en-dedans & en-dehors ; ils s'étendent du milieu en ligne spirale, mais empiétant toûjours les uns sur les autres, jusqu'à la circonférence de l'ouvrage : c'est pourquoi à chaque coup de marteau que donne l'ouvrier d'une main, de l'autre il fait un peu tourner sa piece sur elle-même. Cette opération s'appelle monter. Après avoir monté une piece, on la renfonce ; la renfoncer, c'est avec le marteau frapper le fond à faux sur les genoux, afin de rendre à l'ouvrage sa concavité. On finit en couvrant l'enclume de peaux de castor gras, & en repassant le marteau sur tous les coups qui paroissent au-dedans & au-dehors de la piece. Cette opération les efface en-dedans, mais non en-dehors. C'est sur la différence du forger & du planer. On dégraisse de même : dans ce travail, l'ouvrier est assis devant son enclume, le billot de l'enclume est entre ses jambes, l'enclume n'est guere qu'à la hauteur de ses genoux ; il tient son marteau de la main droite, sa piece de la main gauche : cette main fait tourner la piece à mesure qu'elle est frappée ; elle est aidée dans cette action par le genou qui soûtient la piece toutes les fois que la main est obligée de la quitter pour la reprendre.

FORGER UN FER, (Manége & Maréch.) action du maréchal qui donne à du fer quelconque la forme qu'il doit avoir, pour être placé sous le pié du cheval.

Le fer que les Maréchaux doivent employer, doit être doux & liant ; un fer aigre soûtiendroit avec peine les épreuves qu'ils lui font subir à la forge, & ne resisteroit point à celles auxquelles le met le travail de l'animal.

Ces ouvriers nomment loppin, un bout coupé d'une bande de fer, ou un paquet formé de morceaux de vieux fers de cheval. Celui qu'ils coupent à la bande en est séparé au moyen de la tranche.

Un compagnon prend un loppin de l'une ou de l'autre espece ; proportionné aux dimensions qu'il prétend donner à son fer, & le chauffe jusqu'à blanc tout-au-plus, à moins que la qualité du fer dont il se sert lorsqu'il est question d'en souder les parties, n'exige qu'il pousse la chaude au-delà. Le fer ainsi chauffé, il le prend avec les tenailles les plus appropriées à la forme actuelle du loppin ; les tenailles dont sa forge doit être abondamment pourvûe, devant être de différentes grandeurs & de différentes figures. Il le présente à plat sur la table de l'enclume. Un apprenti ou un autre compagnon armé du marteau à frapper devant, frappe toûjours de maniere à allonger & à élargir le loppin, & chacun de ces coups est suivi de celui du premier forgeur, dont la main droite saisie du ferretier ne frappe que sur l'épaisseur du fer. Pour cet effet, comme leurs coups se succedent sans interruption, celui-ci après avoir posé le loppin à plat pour l'exposer au marteau de l'apprenti, le retourne promtement de champ pour l'exposer à son ferretier ; & ainsi de suite, jusqu'à ce qu'une des branches soit suffisamment ébauchée : du reste les coups du ferretier tendent comme ceux du marteau au prolongement du loppin, mais ils le retrécissent en même tems, & lui donnent la courbure qui caractérise le fer du cheval ; c'est ce que les Maréchaux appellent dégorger. Pour la lui procurer plus promtement, le forgeur adresse quelques-uns de ses coups sur la pointe non-chauffée du loppin, tandis que l'autre porte sur l'enclume ; car il doit avoir eu l'attention de ne faire chauffer de ce même loppin qu'environ les deux tiers, afin que la partie saisie par la tenaille ait assez de solidité pour rejetter sur la partie chauffée tout l'effet des coups de ferretier qui sont dirigés sur elle. Cette branche dans cet état, le forgeur quitte son ferretier & prend le refouloir, avec lequel il la refoule à son extrémité, pour commencer à en façonner l'éponge.

Il remet au feu ; & par une seconde chaude conduite comme la premiere, il ébauche au même point la seconde branche & la courbure, ou la tournure, pour me servir de l'expression du Maréchal ; après quoi lui seul façonne le dessus, le dessous, les côtés extérieurs & intérieurs des branches, en se servant au besoin de l'un & de l'autre bras de la bigorne, pour soûtenir le fer lors des coups de ferretier qu'il adresse sur l'extérieur, ce fer étant tenu de champ sur le bras rond, quand il s'agit de former l'arrondissement de sa partie antérieure, & sur le bras quarré, quand il est question d'en contourner les branches. Il employe de même que ci-devant le refouloir.

Il seroit à souhaiter que tous les Maréchaux s'en tinssent à ces opérations, jusqu'à ce que l'inspection du pié auquel le fer sera destiné, les eût déterminés sur le juste lieu des étampures. Ce n'est qu'alors qu'ils devroient passer à la troisieme chaude, & profiter des indications qu'ils auroient tirées. Cette chaude donnée, le forgeur, à l'effet d'étamper, pose le fer à plat sur l'enclume, ce fer étant retourné de maniere que sa face inférieure est en-dessus ; il tient l'étampe de la main gauche ; il en place successivement la pointe sur tous les endroits où il veut percer, sans oublier que l'une de ses faces doit être toûjours parallele au bord du fer ; & le compagnon ou l'apprenti frappe sur la tête de cet outil, jusqu'à ce qu'il ait pénétré proportionnément à l'épaisseur de ce même fer. L'étampure faite, le forgeur le rapproche avec son ferretier de la forme que ce dernier travail a altéré ; & après l'avoir retourné, il applique la pointe du poinçon sur les petites élévations apparentes à la face supérieure ; & frappant du ferretier sur la tête de ce poinçon, il chasse en-dedans & détache par les bords la feuille à laquelle le quarré de l'étampe a réduit l'épaisseur totale du fer. Cette action avec le poinçon se nomme contre-percer. Enfin il refoule & il rétablit dans ce premier contour, avec ce même ferretier, les bords que l'étampure a forcés, & il porte l'ajusture du fer à sa perfection.

Ces trois seules chaudes seroient insuffisantes dans le cas où il s'agiroit de forger un fer à crampons, & à plus forte raison dans celui où le fer seroit plus composé. Lorsque l'ouvrier se propose de former des crampons quarrés, il a soin de refouler plus fortement les éponges, & de tenir les branches plus longues de tout ce qui doit composer le crampon. La propreté de l'ouvrage exige encore deux chaudes, une pour chaque branche. Le forgeur doit commencer à couder celle qui est chauffée avec le ferretier sur la table de l'enclume, ou sur le bras rond de la bigorne ; sur la table de l'enclume, en portant un coup de son outil sur le dessous de l'éponge à quelques lignes de distance de sa pointe, qui seule repose sur la table, tandis que le reste de la branche est soûtenu par la tenaille dans une situation oblique, ou inclinée ; sur le bras rond, en posant cette même face inférieure de façon que le bout de l'éponge déborde la largeur de ce bras, & en adressant son coup sur l'extrémité saillante. Il s'aide ensuite du bras quarré de la bigorne pour façonner les côtés du crampon.

C'est par la différente maniere dont l'ouvrier présente son fer sur les différentes parties de la bigorne, & dont il dirige ses coups, qu'il parvient à former exactement un crampon quarré, ou un crampon à oreille de lievre ou de chat : celui-ci ne differe du premier, que parce qu'il diminue à mesure qu'il approche de son extrémité, & qu'il est tellement tordu dans sa longueur & dès sa naissance, qu'il présente un de ses angles dans la direction de la longueur de la branche dont il émane. Il est encore des crampons postiches, terminés supérieurement en une vis, dont la longueur n'excede pas l'épaisseur de l'éponge. Cette partie de fer est percée d'un trou taraudé, qui comme écrou reçoit cette vis. Par ce moyen le crampon est assez fermement assemblé avec le fer, & facilement mis en place quand il est utile. On l'en sépare aussi sans peine en le dévissant : mais comme l'écrou qui resteroit vuide lorsqu'on jugeroit à-propos de supprimer le crampon, ne pourroit que se remplir de terre ou de gravier qui s'opposeroient à une nouvelle introduction de la vis du crampon, on substitue toûjours à cette vis une autre vis semblable ; à cela près qu'elle ne déborde aucunement l'épaisseur du fer dans laquelle elle est noyée, & qu'elle est refendue pour recevoir le tourne-vis, au moyen duquel on la met en place ou on l'ôte avec aisance.

Quant aux pinçons, on les tire de la pince sur la pointe de la bigorne, au moyen de quelques coups de ferretier.

S'il est question d'appliquer aux fers quelques pieces par soudure, il faut de nouvelles chaudes. Les encoches se travaillent à la lime, &c.

Un ouvrier seul pourroit forger un fer ; mais ce travail coûteroit plus de peine, & demanderoit plus de tems.

Il est nombre de boutiques ou de forges où l'on en employe deux, & même quelquefois trois, à frapper devant, sur-tout quand les loppins sont d'un volume énorme. (e)

FORGER, (Manége & Maréch.) Cheval qui forge, cheval qui dans l'action du pas, & le plus souvent dans celle du trot, atteint ou frappe avec la pince des piés de derriere les éponges, le milieu, ou la voûte de ses fers de devant. Ce défaut que l'on distingue aisément à l'oüie d'une infinité de heurts répétés, est d'autant plus considérable, que communément il annonce la foiblesse de l'animal : aussi ne doit-on pas être étonné de rencontrer des poulains qui forgent. Il provient aussi de la ferrure, quelquefois de l'ignorance du cavalier, qui, bien loin de soûtenir son cheval, le précipite indiscrettement en-avant & sur les épaules, & le met par conséquent dans l'impossibilité de lever les piés de devant assez tôt, pour qu'ils puissent faire place à ceux de derriere qui les suivent. La premiere de ces causes ne nous laisse l'espoir d'aucune ressource : l'art en effet ne nous en offre point, quand il s'agit d'un vice qui procede de la débilité naturelle de la machine. A l'égard de ceux que notre impéritie occasionne, il est aisé d'y remédier. Voyez SOUTENIR & FERRURE. (e)


FORGERONS. m. on ne donne guere ce nom qu'aux Serruriers, Taillandiers, Couteliers, & quelques autres ouvriers qui travaillent le fer à la forge & au marteau.


FORGES(Géog.) bourg de France dans la haute Normandie, uniquement connu par ses eaux minérales. Voyez la descrip. géog. & histor. de la haute Norm. Piganiol de la Force, descript. de la France, tom. V. Hist. de l'acad. des Sc. 1708. Forges est dans le petit pays de Bray, à neuf lieues N. O. de Roüen, quatre de Gournai, trois de Neufchâtel, vingt-cinq N. O. de Paris. Long. 19 d. 15'. lat. 49 d. 38'.


FORGETTER(SE) en Architecture ; on dit qu'un mur se forgette, lorsqu'il se jette en-dehors. (P)


FORGEURS. m. c'est ainsi qu'on appelle dans plusieurs atteliers, l'ouvrier qui préside à la forge & qui conduit l'ouvrage, pendant qu'il chauffe & quand il est sous le marteau. Voyez GROSSES-FORGES.


FORHUIRv. n. (Vénerie) c'est sonner la trompe de fort loin.


FORHUSS. m. (Vén.) ce sont les petits boyaux du cerf que l'on donne aux chiens au bout d'une fourche émoussée, durant le printems & l'été, après qu'ils ont mangé la moüée & le coffre du cerf. Il se dit aussi de la carcasse dont on fait de la curée.


FORJUGERv. n. (Jurispr.) signifie quelquefois déguerpir un héritage, quelquefois adjuger. Dans les preuves de l'histoire de Guines, pag. 191. des terres forjugées sont des terres confisquées. Une ancienne chronique dit, que fut forjugée au roi d'Angleterre toute la Gascogne, & toute la terre qu'il avoit au royaume de France. Dans le ch. clxxxxv. des assises de Jérusalem, les forjugés sont des condamnés.

Forjuger l'absent, dans le style du pays de Normandie, est quand le juge forclôt le défendeur défaillant & contumax, & le condamne en l'amende : & dans l'ancienne coûtume de Boulenois, art. 120. & 121. forjuger, c'est lorsque le seigneur féodal retire l'héritage mouvant de lui, faute par son vassal d'acquiter les droits & devoirs. Cette même coûtume & le style de Normandie que l'on vient de citer, usent aussi indifféremment du terme forjurer. Voyez l'auteur de la vieille chronique de Flandres, ch. xxxviij. & lxviij. les constitutions de Sicile, vulgo Neapolitanae, lib. I. tit. liij. & lib. II. tit. iij. & seq. (A)


FORJUou FORJUREMENT, s. m. (Jurisprud.) c'est en Normandie une espece d'abdication & de délaissement que l'on fait de quelque chose. Forjurer le pays, c'est abandonner le pays & se retirer ailleurs, comme font les forbannis & forjugés. Dans les anciens arrêts du parlement, il est souvent fait mention de forjurer, lorsqu'il est traité des assûremens. Forjurer les facteurs en Hainaut, signifie renier les criminels, & abjurer tellement leur parenté qu'on ne prenne plus de part à leurs différends. Cet usage avoit pris son origine des guerres privées, dans lesquelles les parens entroient de part & d'autre en faveur de leur parent ; & quand une fois on avoit forjuré un parent, on ne lui succédoit plus, comme il se voit dans le ch. lxxxviij. des lois d'Henri I. roi d'Angleterre, publiées par Lambard : Si quis propter foridiam vel causam aliquam de parentelâ, se velit tollere & eam fori juraverit, & de societate & hereditate & totâ illius ratione se separet. Il étoit autrefois d'usage en Hainaut, que quand un meurtre avoit été commis, ou qu'il y avoit eu quelqu'un blessé griévement jusqu'à perdre quelque membre, si les auteurs du délit ou leurs assistans s'absentoient ou se tenoient dans des lieux francs, les parens du côté du pere comme de la mere, étoient tenus de forjurer les accusés : mais la coûtume de Hainaut, ch. xlv. abolit ce forjur, & défend aux sujets de ce pays d'user dorénavant de cette coûtume.

Forjurer son héritage, dans l'ancienne coûtume de Normandie, ch. x. c'est le vendre & l'aliéner. (A)


FORJUREMENT(Jurisprud.) est la même chose que forjur. Voyez ci-devant FORJUR. (A)


FORLACHURES. f. (Art d'ourdissage) défaut qu'on remarque dans les ouvrages de haute-lisse, qui provient ou d'une corde mal tirée, ou d'un lac mal pris.


FORLANÇURES. f. (Art d'ourdissage) c'est un défaut qu'on remarque dans toute étoffe, & qui y provient de la mal-adresse de l'ouvrier à faire courir sa navette, ou aller ses marches.


FORLANES. f. sorte de danse commune à Venise, sur-tout parmi les gondoliers. Sa mesure est à 6/8 ; elle se bat gaiement, & la danse est aussi fort gaie. On l'appelle Forlane, parce qu'elle a pris naissance dans le Frioul, dont les habitans s'appellent Forlans. (S)


FORLI(Géog.) Forum Livii, sur la route que les Romains nommoient voie flaminienne ; ancienne petite ville d'Italie dans la Romagne, avec un évêché suffragant de Ravenne. Cette ville fut appellée Forum Livii, parce qu'elle fut fondée 208 ans avant J. C. par Marcus Livius Salinator, après avoir vaincu Asdrubal sur le Metauro. Elle fut aggrandie par Livie femme d'Auguste ; d'où vient qu'elle est souvent nommée Livia dans les auteurs. Après la chûte de l'empire romain, elle se gouverna en république, & a eu ensuite divers maîtres, selon les révolutions de l'Italie. Enfin cette ville est revenue au saint-siége sous le pontificat de Jules II. On y comptoit en 1579 plus de vingt-mille habitans ; à-présent elle n'en a pas dix mille. Elle est située dans un terrein sain & fertile, à quatre lieues S. E. de Faenza, huit N. de Ravenne, dix-huit N. E. de Florence. Longit. 35 d. 10'. lat. 44 d. 17'. suivant le P. Riccioli. (D.J.)


FORLONGERv. n. (Vénerie) prendre un grand pays & sortir du canton : on dit le cerf forlonge, quand il a bien de l'avance sur les chiens.


FORMALISTESS. m. pl. (Gram.) on donne ce nom à des hommes minutieux dans leurs procédés, qui connoissent toutes les petites lois de la bien séance de la société, qui y sont séverement assujettis, & qui ne permettent jamais aux autres de s'en écarter. Le formaliste sait exactement le tems que vous pouvez laisser entre la visite qu'il vous a faite, & celle que vous avez à lui rendre ; il vous attend tel jour, à telle heure : si vous y manquez, il se croit négligé & il s'offense. Il ne faut qu'un homme comme celui-là pour embarrasser, contraindre & refroidir toute une compagnie. Il est toûjours sur le qui-vive, & il y tient les autres ; il a tant de petits jougs qu'il porte avec une espece de soûmission religieuse, que j'ai de la peine à comprendre qu'il ait la moindre notion des grandes qualités sociales. Il n'y a rien qui répugne tant aux ames simples & droites, que les formalités ; comme elles se rendent à elles-mêmes un témoignage de la bienveillance qu'elles portent à tous les hommes, elles ne se tourmentent guere à montrer ce sentiment qui leur est habituel, ni à le démêler dans les autres. Les formalités en quelque genre que ce soit, donnent, ce me semble, un air de méfiance, & à celui qui les observe, & à celui qui les exige.


FORMALITÉ(Logique) Voyez MODE & MODIFICATION.


FORMALITÉsubst. f. (Morale) Voyez ci-dessus FORMALISTES.

FORMALITES, s. f. pl. (Jurispr.) sont de certaines clauses ou certaines conditions, dont les actes doivent être revêtus pour être valables.

Les actes sous seing privé ou devant notaires, entre vifs ou à cause de mort, les procédures & jugemens, sont chacun sujets à de certaines formalités.

On en distingue de quatre sortes ; savoir celles qui habilitent la personne, comme l'autorisation de la femme par son mari, & le consentement du pere de famille dans l'obligation que contracte le fils de famille ; celles qui servent à rendre l'acte parfait, probant & authentique, qu'on appelle formalités extérieures, comme la signature des parties, des témoins & du notaire ; d'autres aussi extérieures qui servent à assûrer l'exécution d'un acte, lequel quoique parfait d'ailleurs, ne seroit pas exécuté sans ces formalités, comme sont l'insinuation & le contrôle : enfin il y en a d'autres qui sont intérieures, ou de la substance de l'acte, & sans lesquelles on ne peut disposer des biens, comme l'institution d'un héritier dans un testament en pays de droit écrit, l'obligation où sont les peres dans ces mêmes pays, de laisser la légitime à leurs enfans à titre exprès d'institution.

Les formalités qui touchent la personne se reglent par la loi ou coûtume du domicile : celles qui touchent l'acte se reglent par la loi du lieu où il est passé, suivant la maxime locus regit actum : celles qui touchent les biens se reglent par la loi du lieu où ils sont situés ; on peut mettre l'insinuation dans cette derniere classe.

Il y a des formalités essentielles & de rigueur, dont l'observation est prescrite par la loi à peine de nullité de l'acte, comme la signature des parties, des témoins & du notaire.

Mais il y a aussi d'autres formalités ou formes qui, quoique suivies ordinairement, ne sont pas absolument nécessaires, à peine de nullité ; telles que sont la plûpart des clauses de style des greffiers, notaires, huissiers, qui peuvent être suppléées par d'autres termes équipolens, & même quelques-unes être entierement omises sans que l'acte en soit moins valable. Voyez ci-après FORME.


FORMATS. m. terme de Librairie ; c'est la forme du livre. La feuille de papier pliée seulement en deux feuillets pour être ajustée avec d'autres, est le format in-folio ; la feuille pliée en quatre feuillets, fait le format in-4° ; & la feuille in-4°. étant pliée en deux, fait le format in-8°. Il y a aussi une maniere de plier la feuille de papier en douze feuillets ; ce qui fait l'in-12. Il y a encore l'in-16, l'in-18, l'in-24, &c.

Observez que dans les formats dont nous venons de parler, il y a grand & petit format ; ensorte qu'on dit grand in-folio, petit in-folio ; grand in quarto, petit in-quarto ; grand in-octavo, petit in-octavo ; & de même grand in-douze, petit in-douze. La grandeur ou la petitesse de ces formats dépend de la grandeur ou de la petitesse du papier que l'on a choisi pour l'impression du livre ; car il y a du papier de bien des sortes.


FORMATIONS. f. terme de Grammaire, c'est la maniere de faire prendre à un mot toutes les formes dont il est susceptible, pour lui faire exprimer toutes les idées accessoires que l'on peut joindre à l'idée fondamentale qu'il renferme dans sa signification.

Cette définition n'a pas dans l'usage ordinaire des Grammairiens, toute l'étendue qui lui convient effectivement. Par formation, ils n'entendent ordinairement que la maniere de faire prendre à un mot les différentes terminaisons ou inflexions que l'usage a établies pour exprimer les différens rapports du mot à l'ordre de l'énonciation. Ce n'est donc que ce que nous désignons aujourd'hui par les noms de déclinaison & de conjugaison (Voyez ces deux mots), & que les anciens comprenoient sous le nom général & unique de déclinaison.

Mais il est encore deux autres especes de formation, qui méritent singulierement l'attention du grammairien philosophe ; parce qu'on peut les regarder comme les principales clés des langues : ce sont la dérivation & la composition. Elles ne sont pas inconnues aux Grammairiens qui dans l'énumération de ce qu'ils appellent les accidens des mots, comptent l'espece & la figure : ainsi, disent-ils, les mots sont de l'espece primitive ou dérivée, & ils sont de la figure simple ou composée. Voyez ACCIDENT.

Peut-être se sont-ils crus fondés à ne pas réunir la dérivation & la composition avec la déclinaison & la conjugaison, sous le point de vûe général de formations ; car c'est à la Grammaire, peut-on dire, d'apprendre les inflexions, destinées par l'usage à marquer les diverses relations des mots à l'ordre de l'énonciation, afin qu'on ne tombe pas dans le défaut d'employer l'une pour l'autre : au lieu que la dérivation & la composition ayant pour objet la génération même des mots, plutôt que leurs formes grammaticales, il semble que la Grammaire ait droit de supposer les mots tout faits, & de n'en montrer que l'emploi dans un discours.

Ce raisonnement qui peut avoir quelque chose de spécieux, n'est au fond qu'un pur sophisme. La Grammaire n'est, pour ainsi dire, que le code des décisions de l'usage sur tout ce qui appartient à l'art de la parole : par-tout où l'on trouve une certaine uniformité usuelle dans les procédés d'une langue, la Grammaire doit la faire remarquer, & en faire un principe, une loi. Or on verra bien-tôt que la dérivation & la composition sont assujetties à cette uniformité de procédés, que l'usage seul peut introduire & autoriser. La Grammaire doit donc en traiter, comme de la déclinaison & de la conjugaison ; & nous ajoûtons qu'elle doit en traiter sous le même titre, parce que les unes comme les autres envisagent les diverses formes qu'un même mot peut prendre pour exprimer, comme on l'a déjà dit, les idées accessoires, ajoûtées & subordonnées à l'idée fondamentale, renfermée essentiellement dans la signification de ce mot.

Pour bien entendre la doctrine des formations, il faut remarquer que les mots sont essentiellement les signes des idées & qu'ils prennent différentes dénominations, selon la différence des points de vûe sous lesquels on envisage leur génération & les idées qu'ils expriment. C'est de-là que les mots sont primitifs ou dérivés, simples ou composés.

Un mot est primitif relativement aux autres mots qui en sont formés, pour exprimer avec la même idée originelle quelque idée accessoire qui la modifie ; & ceux-ci sont les dérivés, dont le primitif est en quelque sorte le germe.

Un mot est simple relativement aux autres mots qui en sont formés, pour exprimer avec la même idée quelqu'autre idée particuliere qu'on lui associe ; & ceux-ci sont les composés, dont le simple est en quelque sorte l'élément.

On donne en général le nom de racine, ou de mot radical à tout mot dont un autre est formé, soit par dérivation, soit par composition ; avec cette différence néanmoins, qu'on peut appeller racines génératrices les mots primitifs à l'égard de leurs dérivés, & racines élémentaires, les mots simples à l'égard de leurs composés.

Eclaircissons ces définitions par des exemples tirés de notre langue. Voici deux ordres différens de mots dérivés d'une même racine génératrice, d'un même mot primitif destiné en général à exprimer ce sentiment de l'ame qui lie les hommes par la bienveillance. Les dérivés du premier ordre sont amant, amour, amoureux, amoureusement, qui ajoûtent à l'idée primitive du sentiment de bienveillance, l'idée accessoire de l'inclination d'un sexe pour l'autre : & cette inclination étant purement animale, rend ce sentiment aveugle, impétueux, immodéré, &c. Les dérivés du second ordre sont ami, amitié, amical, amicalement, qui ajoûtent à l'idée primitive du sentiment de bienveillance, l'idée accessoire d'un juste fondement, sans distinction de sexe ; & ce fondement étant raisonnable, rend ce sentiment éclairé, sage, modéré, &c. Ainsi ce sont deux passions toutes différentes qui sont l'objet fondamental de la signification commune des mots de chacun de ces deux ordres : mais ces deux passions portent l'une & l'autre sur un sentiment de bienveillance, comme sur une tige commune. Si nous les mettons maintenant en parallele, nous verrons de nouvelles idées accessoires & analogues modifier l'une ou l'autre de ces deux idées fondamentales : les mots amant & ami expriment les sujets en qui se trouve l'une ou l'autre de ces deux passions. Amour & amitié expriment ces passions mêmes d'une maniere abstraite, & comme des êtres réels ; les mots amoureux & amical servent à qualifier le sujet qui est affecté par l'une ou par l'autre de ces passions : les mots amoureusement, amicalement, servent à modifier la signification d'un autre mot, par l'idée de cette qualification. Amant & ami sont des noms concrets ; amour & amitié des noms abstraits ; amoureux & amical sont des adjectifs ; amoureusement & amicalement sont des adverbes.

La syllabe génératrice commune à tous ces mots est la syllabe am, qui se retrouve la même dans les mots latins amator, amor, amatorius, amatoriè, &c... amicus, amicè, amicitia, &c. & qui vient probablement du mot grec , una, simul ; racine qui exprime assez bien l'affinité de deux coeurs réunis par une bienveillance mutuelle.

Les mots ennemi, inimitié, sont des mots composés, qui ont pour racines élémentaires les mots ami & amitié, assez peu altérés pour y être reconnoissables, & le petit mot in ou en, qui dans la composition marque souvent opposition, voyez PREPOSITION. Ainsi ennemi signifie l'opposé d'ami ; inimitié exprime le sentiment opposé à l'amitié.

Il en est de même & dans toute autre langue, de tout mot radical, qui par ses diverses inflexions, ou par son union à d'autres radicaux, sert à exprimer les diverses combinaisons de l'idée fondamentale dont il est le signe, avec les différentes idées accessoires qui peuvent la modifier ou lui être associées. Il y a dans ce procédé commun à toutes les langues un art singulier, qui est peut-être la preuve la plus complete qu'elles descendent toutes d'une même langue, qui est la souche originelle : cette souche a produit des premieres branches, d'où d'autres sont sorties & se sont étendues ensuite par de nombreuses ramifications. Ce qu'il y a de différent d'une langue à l'autre, vient de leur division même, de leur distinction, de leur diversité : mais ce qu'on trouve de commun dans leurs procédés généraux, prouve l'unité de leur premiere origine. J'en dis autant des racines, soit génératrices soit élémentaires, que l'on retrouve les mêmes dans quantité de langues, qui semblent d'ailleurs avoir entr'elles peu d'analogie. Tout le monde sait à cet égard ce que les langues greque, latine, teutone, & celtique, ont fourni aux langues modernes de l'Europe, & ce que celles-ci ont mutuellement emprunté les unes des autres ; & il est constant que l'on trouve dans la langue des Tartares, dans celle des Perses & des Turcs, & dans l'allemand moderne, plusieurs radicaux communs.

Quoi qu'il en soit, il résulte de ce qui vient d'être dit, qu'il y a deux especes générales de formations qui embrassent tout le système de la génération des mots ; ce sont la composition & la dérivation.

La composition est la maniere de faire prendre à un mot, au moyen de son union avec quelqu'autre, les formes établies par l'usage pour exprimer les idées particulieres qui peuvent s'associer à celle dont il est le type.

La dérivation est la maniere de faire prendre à un mot, au moyen de ses diverses inflexions, les formes établies par l'usage pour exprimer les idées accessoires qui peuvent modifier celle dont il est le type.

Or deux sortes d'idées accessoires peuvent modifier une idée primitive : les unes, prises dans la chose même, influent tellement sur celle qui leur sert en quelque sorte de base, qu'elles en font une toute autre idée ; & c'est à l'égard de cette nouvelle espece d'idées, que la premiere prend le nom de primitive ; telle est l'idée exprimée par canere, à l'égard de celles exprimées par cantare, cantitare, canturire : canere présente l'action de chanter, dépouillée de toute autre idée accessoire ; cantare l'offre avec une idée d'augmentation ; cantitare, avec une idée de répétition ; & canturire présente cette action comme l'objet d'un desir vif.

Les autres idées accessoires qui peuvent modifier l'idée primitive, viennent non de la chose même, mais des différens points de vûe qu'envisage l'ordre de l'énonciation ; ensorte que la premiere idée demeure au fond toûjours la même : elle prend alors à l'égard de ces idées accessoires, le nom d'idée principale : telle est l'idée exprimée par canere, qui demeure la même dans la signification des mots cano, canis, canit, canimus, canitis, canunt : tous ces mots ne different entr'eux que par les idées accessoires des personnes & des nombres ; voyez PERSONNE & NOMBRE. Dans tous, l'idée principale est celle de l'action de chanter présentement : telle est encore l'idée de l'action de chanter attribuée à la premiere personne, à la personne qui parle ; laquelle idée est toûjours la même dans la signification des mots cano, canam, canebam, canerem, cecini, cecineram, cecinero, cecinissem ; tous ces mots ne different entr'eux que par les idées accessoires des tems. Voyez TEMS.

Telle est enfin l'idée de chanteur de profession, qui se retrouve la même dans les mots cantator, cantatoris, cantatori, cantatorem, cantatore, cantatores, cantatorum, cantatoribus ; lesquels ne different entr'eux que par les idées accessoires des cas & des nombres. Voyez CAS & NOMBRE.

De cette différence d'idées accessoires naissent deux sortes de dérivation ; l'une que l'on peut appeller philosophique, parce qu'elle sert à l'expression des idées accessoires propres à la nature de l'idée primitive, & que la nature des idées est du ressort de la Philosophie ; l'autre, que l'on peut nommer grammaticale, parce qu'elle sert à l'expression des points de vûe exigés par l'ordre de l'énonciation, & que ces points de vûe sont du ressort de la Grammaire.

La dérivation philosophique est donc la maniere de faire prendre à un mot, au moyen de ses diverses inflexions, les formes établies par l'usage pour exprimer les idées accessoires qui peuvent modifier en elle-même l'idée primitive, sans rapport à l'ordre de l'énonciation : ainsi cantare, cantitare, canturire, sont dérivés philosophiquement de canere ; parce que l'idée primitive exprimée par canere y est modifiée en elle-même, & sans aucun rapport à l'ordre de l'énonciation. Felicior & felicissimus sont aussi dérivés philosophiquement de felix, pour les mêmes raisons.

La dérivation grammaticale est la maniere de faire prendre à un mot, au moyen de ses diverses inflexions, les formes établies par l'usage pour exprimer les idées accessoires qui peuvent présenter l'idée principale, sous différens points de vûe relatifs à l'ordre de l'énonciation : ainsi canis, canit, canimus, canitis, canunt, canebam, canebas, &c. sont dérivés grammaticalement de cano ; parce que l'idée principale exprimée par cano y est modifiée par différens rapports à l'ordre de l'énonciation, rapports de nombres, rapports de tems, rapports de personnes : cantatoris, cantatori, cantatorem, cantatores, cantatorum, &c. sont aussi dérivés grammaticalement de cantator, pour des raisons toutes pareilles.

Pour la facilité du commerce des idées, & des services mutuels entre les hommes, il seroit à desirer qu'ils parlassent tous une même langue, & que dans cette langue, la composition & la dérivation, soit philosophique soit grammaticale, fussent assujetties à des regles invariables & universelles : l'étude de cette langue se réduiroit alors à celle d'un petit nombre de radicaux, des lois de la formation, & des regles de la syntaxe. Mais les diverses langues des habitans de la terre sont bien éloignées de cette utile régularité : il y en a cependant qui en approchent plus que les autres.

Les langues greque & latine, par exemple, ont un système de formation plus méthodique & plus fécond que la langue françoise, qui forme les dérivés d'une maniere plus coupée, plus embarrassée, plus irréguliere, & qui tire de son propre fonds moins de mots composés, que de celui des langues greque & latine. Quoi qu'il en soit, ceux qui desirent faire quelque progrès dans l'étude des langues, doivent donner une attention singuliere aux formations des mots ; c'est le seul moyen d'en connoître la juste valeur, de découvrir l'analogie philosophique des termes, de pénétrer jusqu'à la métaphysique des langues, & d'en démêler le caractere & le génie ; connoissances bien plus solides & bien plus précieuses que le stérile avantage d'en posséder le pur matériel, même d'une maniere imperturbable. Pour faire sentir la vérité de ce qu'on avance ici, nous nous contenterons de jetter un simple coup-d'oeil sur l'analogie des formations latines ; & nous sommes sûrs que c'est plus qu'il n'en faut, non-seulement pour convaincre les bons esprits de l'utilité de ce genre d'étude, mais encore pour leur en indiquer en quelque sorte le plan, les parties, les sources même, les moyens, & la fin.

Il faut donc observer, 1°. que la composition & la dérivation ont également pour but d'exprimer des idées accessoires ; mais que ces deux especes de formations employent des moyens différens & en un sens opposé.

Dans la composition, les idées accessoires s'expriment, pour la plûpart, par des noms ou des prépositions qui se placent à la tête du mot primitif ; au lieu que dans la dérivation elles s'expriment par des inflexions qui terminent le mot primitif : fidi-cen, tibi-cinium, vati-cinari, vati-cinatio, ju-dex, ju-dicium, ju-dicare, ju-dicatio ; par-ticeps, parti-cipium, parti-cipare, parti-cipatio ; ac-cinere, con-cinere ; in-cinere, inter-cinere ; ad-dicere, con-dicere, in-dicere, inter-dicere ; ac-cipere, con-cipere, in-cipere, inter-cipere : voilà autant de mots qui appartiennent à la composition. Canere, canax, cantio, cantus, cantor, cantrix, cantare, cantatio, cantator, cantatrix, cantitare, canturire, cantillare ; dicere, dicax, dicacitas, dictio, dictum, dictor, dictare, dictatio, dictator, dictatrix, dictatura, dictitare, dicturire ; capere, capax, capacitas, capessere, captio, captus, captura, captare, captatio, captator, captatrix, &c. ce sont des mots qui sont du ressort de la dérivation.

Il faut observer, 2°. qu'il y a deux sortes de racines élémentaires qui entrent dans la formation des composés ; les unes sont des mots qui peuvent également paroître dans le discours sous la figure simple & sous la figure composée ; c'est-à-dire seuls ou joints à un autre mot : telles sont les racines élémentaires des mots magnanimus, respublica, senatusconsultum, qui sont magnus & animus, res & publica, senatus & consultum : les autres sont absolument inusitées hors de la composition, quoiqu'anciennement elles ayent pû être employées comme mots simples : telles sont jux & jugium, ses & sidium, ex & igium, plex & plicium, spex & spicium, stes & stitium, que l'on trouve dans les mots conjux, conjugium ; praeses, praesidium ; remex, remigium ; supplex, supplicium ; extispex, frontispicium ; antistes, solstitium.

Il faut observer, 3°. qu'il y a quantité de mots réellement composés, qui au premier aspect peuvent paroître simples, à cause de ces racines élémentaires inusitées hors de la composition ; quelque sagacité & un peu d'attention suffisent pour en faire démêler l'origine : tels sont les mots judex, justus, justitia, juvenis, trinitas, aeternitas ; & une infinité d'autres. Judex renferme dans sa composition les deux racines jus & dex : cette derniere se trouve employée hors de la composition dans Cicéron ; dicis gratiâ, par maniere de dire : judex signifie donc jus dicens, ou qui jus dicit ; & c'est effectivement l'idée que nous avons de celui qui rend la justice : ce qui prouve, pour le dire en passant, que la définition de nom, comme parlent les Logiciens, differe assez peu, quand elle est exacte, de la définition de chose. Il en est de même de la définition étymologique de justus & de justitia : le premier signifie in jure stans, & le second, in jure constantia ; expressions conformes à l'idée que nous avons de l'homme juste & de la justice.

Quand à juvenis, il paroît signifier juvando ennis ; & cet ennis est un adjectif employé dans bi-ennis, triennis, &c. pour signifier qui a des années : perennis paroît n'en être que le superlatif, tant par sa forme que par sa signification, ainsi juvenis veut dire juvando ennis, qui a assez d'années pour aider ; cela est d'autant plus probable, que juvenis est effectivement relatif au nombre des années ; & que tout homme parvenu à cet âge, est dans l'obligation réelle de mériter par ses propres services les secours qu'il tire de la société. Au reste la suppression d'une n dans juvenis ne le tire pas plus de l'analogie, que le changement de cette lettre en m n'en tire le mot de solemnis, qui semble être formé de solitò ennis, & signifie solitus quot annis, qui fieri solet quot annis ; & de fait, dans plusieurs bréviaires on trouve le mot d'annuel pour celui de solemnel, dans la qualification des fêtes.

Les mots trinitas & aeternitas sont également composés : trinitas n'est autre chose que trium unitas ; expression fidele de la foi de l'Eglise catholique sur la nature de Dieu ; trinus & unus ; trinus in personis, unus in substantiâ. Pour ce qui est du mot aeternitas, il signifie aevi-trinitas, ou aevi triplicis unitas, la trinité du tems qui réunit & embrasse tout à la fois le présent, le passé, & le futur.

Il faut observer, 4°. que la composition & la dérivation concourent souvent à la formation d'un même mot ; ensorte que l'on trouve des primitifs simples & des primitifs composés, comme des dérivés simples & des dérivés composés. Capio est un primitif simple ; particeps est un primitif composé ; capax est un dérivé simple ; participare est un dérivé composé. Les uns & les autres sont également susceptibles des formes de la dérivation philosophique & de la dérivation grammaticale : capio, capis, capit ; particeps, participis, participi ; capax, capacis, capaci ; participo, participas, participat.

Il faut observer, 5°. que les primitifs n'ont pas tous le même nombre de dérivés, parce que toutes les idées primitives ne sont pas également susceptibles du même nombre d'idées modificatives ; ou que l'usage n'a pas établi le même nombre d'inflexions pour les exprimer. D'ailleurs un même mot peut être primitif sous un point de vûe, & dérivé sous un autre : ainsi amabo est primitif relativement à amabilis, amabilitas, & il est dérivé d'amo : de même affectare est primitif relativement à affectatio, affectator, & il est dérivé du supin, qui en est le générateur immédiat. Ainsi un même primitif peut avoir sous lui différens ordres de dérivés, tirés immédiatement d'autant de primitifs subalternes & dérivés eux-mêmes de ce premier.

Il faut observer, 6°. que comme les terminaisons introduites par la dérivation grammaticale forment ce qu'on appelle déclinaison & conjugaison, on peut regarder aussi les terminaisons de la dérivation philosophique comme la matiere d'une sorte de déclinaison ou conjugaison philosophique. Ceci est d'autant mieux fondé, que la plûpart des terminaisons de cette seconde espece sont soûmises à des lois générales, & ont d'ailleurs, dans la même langue ou dans d'autres, des racines qui expriment fondamentalement les mêmes idées qu'elles désignent comme accessoires dans la dérivation.

Nous disons en premier lieu, que ces terminaisons sont soûmises à des lois générales, parce que telle terminaison indique invariablement une même idée accessoire, telle autre terminaison une autre idée ; de maniere que si on connoît bien la destination usuelle de toutes ces terminaisons, la connoissance d'une seule racine donne sur le champ celles d'un grand nombre de mots. Posons d'abord quelques principes usuels sur les terminaisons ; & nous en ferons ensuite l'application à quelques racines.

1°. Les verbes en are, dérivés du supin d'un autre verbe, marquent augmentation ou répétition ; ceux en essere, ardeur & célérité ; ceux en urire, desir vif ; ceux en illare, diminution.

2°. Dans les noms ou dans les adjectifs dérivés des verbes, la terminaison tio indique l'action d'une maniere abstraite ; celle en tus ou en tum en exprime le produit ; celle en tor pour le masculin, & en trix pour le féminin, désigne une personne qui fait profession ou qui a un état relatif à cette action ; celle en ax, une personne qui a un penchant naturel ; celle en acitas marque ce penchant même.

On pourroit ajoûter un grand nombre d'autres principes semblables ; mais ceux-ci sont suffisans pour ce que l'on doit se proposer ici : un plus grand détail appartient plutôt à un ouvrage sur les analogies de la langue latine, qu'à l'Encyclopédie ; & il est vraisemblable que c'étoit la matiere des livres de César sur cet objet.

Eprouvons maintenant la fecondité de ces principes. Dès que l'on sait, par exemple, que canere signifie chanter, on en conclut avec certitude la signification des mots cantare, chanter à pleine voix ; cantitare, chanter souvent ; canturire, avoir grande envie de chanter ; cantillare, chanter bas & à différentes reprises ; cantio, l'action de chanter ; cantus, le chant, l'effet de cette action ; cantor & cantrix, un homme ou une femme qui fait profession de chanter, un chanteur, une chanteuse ; canax, qui aime à chanter.

Pareillement, de capere, prendre, on a tiré par analogie captare, capessere, saisir ardemment, se hâter de prendre ; captio, captus, captatio, captator, captatrix, capax, capacitas.

De la différente destination des terminaisons d'une même racine, naissent les différentes dénominations des mots qu'elles constituent : de-là les diminutifs, les augmentatifs, les inceptifs, les inchoatifs, les fréquentatifs, les desidératifs, &c. selon que l'idée primitive est modifiée par quelqu'une des idées accessoires que ces dénominations indiquent.

Nous disons en second lieu, que ces terminaisons ont dans la même langue, ou dans quelqu'autre, des racines qui expriment fondamentalement les mêmes idées, qu'elles désignent comme accessoires dans la dérivation ; nous allons en faire l'essai sur quelques-unes, où la chose sera assez claire pour faire présumer qu'il peut en être ainsi des autres dont on ne connoîtroit plus l'origine.

1°. Dans les noms, les terminaisons men & mentum signifient chose, signe sensible par lui-même ou par ses effets : l'une & l'autre paroissent venir du verbe minere dont Lucrece s'est servi, & qu'on retrouve dans la composition des verbes e-minere, im-minere, pro-minere, & qui tous renferment la signification que nous prêtons ici à men & à mentum ; la voici justifiée par l'explication étymologique de quelques noms :

Flumen, (men ou res quae fluit.)

Fulmen, (men quod fulget.)

Lumen, (men quod lucet.)

Semen, (men quod seritur.)

Vimen, (men vinciens, quod vincit.)

Carmen, peigne à carder, (men quod carpit.)

Il est vraisemblable que les Romains donnerent le même nom à leurs poëmes ; parce que les premiers qu'ils connurent étoient satyriques & picquans comme les dents du peigne à carder, & avoient une destination analogue, celle de corriger.

Armentum, (mentum quod arat, ou arare potest.)

Jumentum, (mentum quod juvat, ou mentum jugatorium.)

Monumentum, (mentum quod monet.)

Alimentum, (mentum quod alit.)

Testamentum, (mentum quod testatur.)

Tormentum, (mentum quod torquet.)

La terminaison culum semble venir de colo, j'habite, & signifie effectivement une habitation, ou du moins un lieu habitable.

Cubiculum, (cubandi locus.)

Coenaculum, (coenandi locus.)

Habitaculum, (habitandi locus.)

Propugnaculum, (pro-pugnandi locus.)

Il faut cependant observer, pour la vérité de ce principe, que cette terminaison n'a le sens & l'origine que nous lui donnons ici, que quand elle est adaptée à une racine tirée d'un verbe : car si on l'appliquoit à un nom, elle en feroit un simple diminutif ; tels sont les mots corculum, opusculum, corpusculum, &c.

2°. Dans les adjectifs, la terminaison undus désigne abondance & plénitude, & vient d'unda, onde, symbole d'agitation ; ou du mot undare, d'où abundare, exundare. Ordinairement cette terminaison est jointe à une autre racine par l'une des deux lettres euphoniques b ou c.

Cogita-b-undus, (cogitationibus undans.)

Furi-b-undus, (furore ou furiis undans.)

Foe-c-undus, (foetu abundans.)

Fa-c-undus, (fundi copiâ abundans.)

La terminaison stus venue de sto, marque stabilité habituelle.

Justus, (in jure constans.)

Modestus, (in modo constans.)

Molestus, (pro mole stans.)

Moestus, (in moerore constans.)

Honestus, (in honore constans.)

Scelestus, (in scelere constans.)

3°. Dans les verbes, la terminaison scere ajoûtée à quelque radical significatif par lui-même, donne les verbes inchoatifs, c'est-à-dire ceux qui marquent le commencement de l'acquisition d'une qualité ou d'un état ; cette terminaison paroît avoir été prise du vieux verbe escere, esco, dont on trouve des traces dans le II. livre des lois de Cicéron, dans Lucrece, & ailleurs. Ce verbe, dans son tems, signifioit ce qu'a signifié depuis esse, sum, & a été consacré dans la composition à exprimer le commencement d'être. Selon ce principe,

Calesco, je commence à avoir chaud, je m'échauffe, équivaut à calidus esco.

Frigesco, je commence à avoir froid, (frigidus esco.)

Albesco, (albus esco.)

Senesco, (senex esco.)

Duresco, (durus esco.)

Dormisco, (dormiens esco.)

Obsolesco, (obsoletus esco.)

Une observation qui confirme que le vieux mot escere est la racine de la terminaison de cette espece de verbes, c'est que comme ce verbe n'avoit ni prétérit ni supin (voyez l'article PRETERIT, où nous en ferons voir la cause), les verbes inchoatifs n'en ont pas d'eux-mêmes : ou ils les empruntent du primitif d'où ils dérivent, comme ingemisco, qui prend ingemui de ingemo ; ou ils les forment par analogie avec ceux qui sont empruntés, comme senesco qui fait senui ; ou enfin ils s'en passent absolument, comme dormisco.

Cette petite excursion sur le système des formations latines, suffit pour faire entrevoir l'utilité & l'agrément de ce genre d'étude : nous osons avancer que rien n'est plus propre à déployer les facultés de l'esprit ; à rendre les idées claires & distinctes ; & à étendre les vûes de ceux qui voudroient, si on peut le dire, étudier l'anatomie comparée des langues, & porter leurs regards jusques sur les langues possibles. (E. R. M.)

FORMATION, en terme de Philosophie ; c'est l'action par laquelle une chose est produite : ainsi on dit, la formation du foetus, (voyez FOETUS) ; la formation des pierres, des métaux dans le centre de la terre. Voyez PIERRE, METAL, &c.

Formation s'employe aussi, en Géométrie, dans le même sens que le mot génération, pour désigner la maniere dont une courbe, une surface, un corps est engendré. Voyez ENGENDRER. Ainsi on dit, la formation des sections coniques dans le cone se fait par un plan qui coupe le cone de différentes manieres, &c.

Enfin formation se dit aussi en Algebre ; on dit la formation d'une équation, pour désigner la suite des opérations qui conduisent à cette équation : on dit dans le même sens, la formation des puissances de tel ou tel nombre, telle ou telle quantité, &c. voyez PUISSANCE. On dit aussi, former une table de nombres, de quantités qui ont rapport à quelque objet, pour dire, calculer & construire cette table. (O)


FORMES. f. (Métaphysique) on définit ordinairement la forme, ce qui est de moins commun & de plus particulier ou de plus distingué dans un être. Quoique par cette définition, la forme semble pouvoir convenir aux esprits aussi-bien qu'aux corps, néanmoins, dans l'usage ordinaire, la forme, aussi-bien que la matiere, s'attribue aux seuls corps. Je définirois volontiers la forme des corps (laquelle est à la portée de notre esprit, & dont nous pouvons juger), la mesure ou portion de mouvement & d'arrangement, qui nous détermine à donner à certaine partie de la matiere une dénomination particuliere, plutôt que toute autre dénomination.

Je ne parle pas ici de cette forme qu'on supposeroit consister dans un germe ou un atome particulier ; elle surpasseroit la sagacité de nos sens, puisque nous n'avons rien à dire de ce que nous ne pouvons connoître, & que nous ne connoissons rien dont l'idée primitive ne nous soit venue par la voie de l'expérience & des sensations.

Au reste, ce que nous avons dit de la forme ordinaire des corps, suffit pour nous donner distinctement à entendre tout ce que nous comprenons sous le nom de forme purement corporelle. Il ne faut pourtant pas croire que par-là nous puissions discerner toûjours en quoi consiste précisément la forme de chaque corps, c'est-à-dire en quel degré de mouvement, d'arrangement, de situation, & de configuration de ses parties les plus petites, consiste la forme de chaque corps ; c'est de quoi s'occupe la Physique, & souvent avec assez peu de succès. Cependant l'analogie d'une forme à l'autre, & celle des corps que nous connoissons à ceux que nous ne connoissons pas, nous donne en général quelque idée de la forme des corps. Ainsi il arriveroit à tout homme sensé, qui n'auroit jamais vû de la farine & du pain, d'y trouver d'abord à-peu-près la même différence de forme & même de substance, qu'entre du cuivre & de l'or : mais quand nous lui aurons fait connoître que la substance du pain n'est autre chose que de la farine dont les parties se sont rapprochées par la conglutination de l'eau, qui l'a rendue pâte, & ont encore été serrées par la cuisson qui l'a fait devenir pain, il jugera bientôt que l'eau & le feu n'y ont apporté d'autre changement, sinon celui qui s'est fait par les qualités que nous nommons couleur & dureté.

Nous jugerons de même qu'avec un changement pareil, dans un degré plus ou moins considérable, & avec plus ou moins de tems, ce qui est aujourd'hui de plomb ou de cuivre pourroit bien devenir tout autre métal, & peut-être de l'or. Article tiré des papiers de M. FORMEY.

Les philosophes scholastiques distinguent la figure de la forme, en ce que la premiere est la disposition des parties extérieures du corps ; & la seconde, celle des parties intérieures : c'est ce qui donne lieu à cette scène si plaisante du mariage forcé, où Pancrace, docteur péripatéticien, soûtient qu'on doit dire la figure d'un chapeau, & non la forme, & croit que l'état est renversé par l'usage contraire.

FORME SUBSTANTIELLE, (Métaphysique) terme barbare de l'ancienne philosophie scholastique, dont on s'est principalement servi pour désigner de prétendus êtres matériels qui n'étoient pourtant pas matiere. Nous ne nous chargeons pas d'expliquer ce que cela signifie : nous dirons seulement, que la question si épineuse de l'ame des bêtes a donné occasion à cette opinion absurde. Voici, selon toutes les apparences, par quels degrés les Scholastiques y ont été conduits, c'est-à-dire par quelle suite de raisonnemens ils sont parvenus à déraisonner.

Si les bêtes sentent, pensent, & même raisonnent, comme l'expérience paroît le prouver, elles ont donc en elles un principe distingué de la matiere : car ce seroit renverser les preuves de la spiritualité de l'ame, que de croire que Dieu puisse accorder à une substance étendue le sentiment & la pensée. Or si l'ame des bêtes n'est point matiere, pourquoi s'éteint-elle à la destruction de leur corps ? Pourquoi l'Etre suprême ayant mis dans les animaux un principe de sentiment semblable à celui qu'il a mis dans l'homme, n'a-t-il pas accordé à ce principe l'immortalité qu'il a donnée à notre ame ? La philosophie de l'école n'a pû trouver à cette difficulté d'autre réponse, sinon que l'ame des bêtes étoit matérielle sans être matiere ; au lieu que l'ame de l'homme étoit spirituelle : comme si une absurdité pouvoit servir à résoudre une objection ; & comme si nous pouvions concevoir un être spirituel sous une autre idée que sous l'idée négative d'un être qui n'est point matiere.

Les philosophes modernes, plus raisonnables, conviennent de la spiritualité de l'ame des bêtes, & se bornent à dire qu'elle n'est pas immortelle, parce que Dieu l'a voulu ainsi.

Mais l'expérience nous prouve que les bêtes souffrent ; que leur condition sur ce point est à-peu-près pareille à la nôtre, & souvent pire. Or pourquoi Dieu, cet être si bon & si juste, a-t-il condamné à tant de peines des êtres qui ne l'ont point offensé, & qu'il ne peut même dédommager de ces peines dans une vie future ? Croire que les bêtes sentent, & par conséquent qu'elles souffrent, n'est-ce pas enlever à la religion le grand argument que saint Augustin tire des souffrances de l'homme pour prouver le péché originel ? Sous un Dieu juste, dit ce pere, toute créature qui souffre doit avoir péché.

Descartes, le plus hardi, mais le plus conséquent des Philosophes, n'a trouvé qu'une réponse à cette objection terrible : ç'a été de refuser absolument tout sentiment aux animaux ; de soûtenir qu'ils ne souffrent point ; & que destinés par le créateur aux besoins & au service de l'homme, ils agissent en apparence comme des êtres sentans, quoiqu'ils ne soient réellement que des automates. Toute autre réponse, de quelques subtilités qu'on l'enveloppe, ne peut, selon lui, mettre à couvert la justice divine. Cette métaphysique est spécieuse sans-doute. Mais le parti de regarder les bêtes comme de pures machines, est si révoltant pour la raison, qu'on l'a abandonné, nonobstant les conséquences apparentes du système contraire. En effet comment peut-on espérer de persuader à des hommes raisonnables, que les animaux dont ils sont environnés, & qui, à quelques legeres différences près, leur paroissent des êtres semblables à eux, ne sont que des machines organisées ? Ce seroit s'exposer à nier les vérités les plus claires. L'instinct qui nous assûre de l'existence des corps, n'est pas plus fort que celui qui nous porte à attribuer le sentiment aux animaux.

Quel parti faut-il donc prendre sur la question de l'ame des bêtes ? Croire, d'après le sens commun, que les bêtes souffrent ; croire en même tems, d'après la religion, que notre ame est spirituelle & immortelle, que Dieu est toûjours sage & toûjours juste ; & savoir ignorer le reste.

C'est par une suite de cette même ignorance, que nous n'expliquerons jamais comment les animaux, avec des organes pareils aux nôtres, avec des sensations semblables, & souvent plus vives, restent bornés à ces mêmes sensations, sans en tirer, comme nous, une foule d'idées abstraites & réfléchies, les notions métaphysiques, les langues, les lois, les Sciences, & les Arts. Nous ignorerons du-moins jusqu'où la réflexion peut porter les animaux, & pourquoi elle ne peut les porter au-delà. Nous ignorerons aussi toûjours, & par les mêmes raisons, en quoi consiste l'inégalité des esprits ; si cette inégalité est dans les ames, ou dépend uniquement de la disposition du corps, de l'éducation, des circonstances, de la société ; comment ces différentes causes peuvent influer si différemment sur des ames qui seroient toutes égales d'ailleurs ; ou comment des substances simples peuvent être inégales par leur nature. Nous ignorerons si l'ame pense ou sent toûjours ; si la pensée est la substance de l'ame, ou non ; si elle peut subsister sans penser ou sentir ; en quel tems l'ame commence à être unie au corps, & mille autres choses semblables. Les idées innées sont une chimere que l'expérience réprouve : mais la maniere dont nous acquérons des sensations & des idées réfléchies, quoique prouvée par la même expérience, n'est pas moins incompréhensible. Toute la Philosophie, sur une infinité de matieres, se borne à la devise de Montagne. L'intelligence suprème a mis au-devant de notre vûe un voile que nous voudrions arracher en vain : c'est un triste sort pour notre curiosité & notre amour-propre ; mais c'est le sort de l'humanité.

Au reste, la définition que nous avons donnée du mot forme substantielle, ne doit pas s'appliquer à l'usage qui est fait de ce même mot dans le premier canon du concile général de Vienne, qui décide contre le cordelier Pierre Jean d'Olive, que quiconque osera soûtenir que l'ame raisonnable n'est pas essentiellement la forme substantielle du corps humain, doit être tenu pour hérétique. Ce decret, qu'on auroit peut-être dû énoncer plus clairement, ne prouve pas, comme quelques incrédules l'ont prétendu, que du tems du concile de Vienne, on admettoit la matérialité de l'ame, ou du-moins qu'on n'avoit pas d'idée distincte de sa spiritualité : car l'Eglise ne peut ni se tromper, ni par conséquent varier sur cette matiere importante. Voyez AME. Voyez aussi l'abregé de l'Histoire ecclésiastique, Paris 1751, sous l'année 1312. (O)

FORME, en Théologie, est une partie essentielle des sacremens.

La forme, selon les Théologiens, est tout ce qui signifie plus clairement ou plus distinctement la grace, ou ce qui détermine la matiere à l'être sacramentel, suivant cette parole de S. Augustin (tract. 80. in Joan. n°. 3.) : accedit verbum ad elementum, & fit sacramentum.

En général la forme est une parole ou une priere qui exprime la grace & l'effet du sacrement ; & on l'appelle ainsi, parce qu'elle détermine la signification plus obscure de ce qui sert de matiere.

Ce mot de forme aussi-bien que celui de matiere, étoit inconnu aux peres & aux anciens théologiens, qui disoient que les sacremens consistoient en choses ou en élémens, & en paroles : rebus seu elementis, & verbis. Vers le milieu du treizieme siecle, Guillaume d'Auxerre, théologien scholastique, imagina les mots de matiere & de forme, suivant le goût de la philosophie péripatéticienne, fort à la mode en ces tems-là, & suivant laquelle on disoit que la forme déterminoit la matiere à constituer tel ou tel être, plutôt que tel ou tel autre être. Les modernes adopterent ces expressions, & l'Eglise elle-même s'en est servi. Le pape Eugene IV. dans son decret donné à Florence après le départ des Grecs, réunit l'ancienne & la nouvelle maniere de s'exprimer sur ce point : Omnia sacramenta, dit-il, tribus perficiuntur ; videlicet rebus tanquam materiâ, verbis tanquam formâ, & personâ ministri conferentis sacramentum.

L'essence & la validité de tout sacrement demande donc qu'il y ait une forme particuliere & propre, relative à sa nature & à la grace qu'il signifie & qu'il confere.

Les Théologiens sont partagés pour savoir si Jesus-Christ a déterminé seulement en général ou en particulier les formes des sacremens. Chacun de ces sentimens a ses défenseurs ; mais le premier paroît d'autant plus probable, qu'il suppose que J. C. a laissé à son Eglise la liberté & le pouvoir de déterminer les formes des sacremens ; & qu'à l'exception de la forme du baptême & de celle de l'eucharistie, on ne trouve point exprimées dans l'Ecriture les formes des autres sacremens, telles qu'elles sont usitées dans l'église greque & latine.

La maniere dont la forme est conçûe, se réduit en général à deux especes : elle peut être conçûe, ou en termes indicatifs, ou en maniere de priere ; d'où l'on distingue forme absolue & forme indicative. Ainsi la forme du sacrement de pénitence est absolue chez les Latins, qui l'expriment ainsi, ego te absolvo ; & elle est déprécative chez les Grecs, qui la commencent par cette priere : Domine J. C. condona, dimitte, relaxa peccata, &c.

On distingue encore la forme en absolue & conditionnelle : elle est absolue, quand le ministre du sacrement n'y joint aucune condition, comme dans ces paroles, ego te baptiso ; & conditionnelle, lorsqu'il y appose une condition qui emporte avec elle un doute, comme dans celle-ci, si non es baptisatus, ego te baptiso. On ne trouve point d'exemple de la forme conditionnelle avant le huitieme siecle.

La forme des sacremens peut être altérée principalement de six manieres ; 1°. par simple changement, soit d'idiome, soit de termes synonymes, soit de mode ; 2°. par simple corruption ; 3°. par addition ; 4°. par détraction ou retranchement ; 5°. par transposition ou par inversion ; 6°. par interruption. Le principe général à cet égard est, que quand quelqu'une de ces différentes altérations est notable, ensorte qu'il en résulte une erreur ou un changement substantiel qui détruise le sens de la forme, alors le sacrement est nul ; mais une mutation accidentelle dans la forme n'ôte rien au sacrement de sa validité.

Quelle que soit la créance ou la foi du ministre, pourvû qu'il prononce la forme prescrite par l'Eglise & dans les circonstances convenables, le sacrement est valide : aussi l'Eglise n'a-t-elle jamais rejetté le baptême conféré par les hérétiques, excepté par ceux qui en altéroient la forme. Voyez INTENTION & SACREMENT. (G)

FORME, (Jurispr.) est la disposition que doivent avoir les actes ; c'est un certain arrangement de clauses, de termes, de conditions & de formalités.

La forme des actes se rapporte, ou à leur rédaction simplement, & à ce qui peut les rendre probans & authentiques ; ou à ce qui habilite les personnes qui disposent, comme l'autorisation ; ou à la disposition des biens, comme l'institution d'héritier qui est nécessaire en pays de droit écrit pour la validité du testament.

Ce qui concerne la forme extérieure des actes se regle par la loi du lieu où ils sont passés ; c'est ce que signifie la maxime locus regit actum.

La forme qui tend à habiliter les personnes, dépend de la loi de leur domicile.

Enfin celle qui concerne la disposition des biens, dépend de la loi du lieu où ils sont situés.

On confond souvent la forme d'un acte avec les formalités ; cependant le terme de forme est plus général, car il embrasse tout ce qui sert à constituer l'acte ; au lieu que les formalités proprement dites ne s'entendent que de certaines conditions que l'on doit remplir pour la validité de l'acte, comme l'insinuation, le contrôle. On distingue cependant aussi plusieurs sortes de formalités. Voyez ci-devant FORMALITES. (A)

FORME est quelquefois opposée au fond ; la forme alors se prend pour la procédure, & le fond est ce qui en fait l'objet.

Il y a des moyens de forme, & des moyens du fond. Les moyens de forme sont ceux qui se tirent de la procédure, comme les nullités, les fins de non-recevoir ; au lieu que les moyens du fond se tirent du fait & du droit.

On dit communément que la forme emporte le fond, c'est-à-dire que les moyens de forme prévalent sur ceux du fond ; comme il arrive, par exemple, lorsque l'on a laissé passer le tems de se pourvoir contre un arrêt ; la fin de non recevoir prévaut sur les moyens de requête civile ou de cassation que l'on auroit pû avoir. (A)

FORME AUTHENTIQUE, est celle qui fait pleine foi tant en jugement que dehors. Les actes sont revêtus de cette forme, lorsqu'ils sont expédiés & signés par une personne publique ; comme les jugemens qui sont signés du greffier, les expéditions des contrats signés de deux notaires, ou d'un notaire, & de deux témoins. (A)

FORME EXECUTOIRE, est celle qui donne aux actes l'exécution parée, paratam executionem, c'est-à-dire le droit de les mettre directement à exécution par voie de contrainte, sans être obligé d'obtenir pour cet effet aucun jugement ni commission.

Les jugemens & les contrats sont les seuls actes que l'on mette en forme exécutoire.

Cette forme consiste à être expédiés en parchemin, & intitulés du nom du juge ; & si c'est un arrêt, du nom du roi. Cette expédition est ce que l'on appelle la grosse d'un acte.

L'usage n'est pourtant pas par-tout uniforme à ce sujet ; & il y a des pays où la forme exécutoire est différente : par exemple, dans quelques endroits on ne met point les sentences en grosse ni en parchemin, c'est la premiere expédition en papier qui est exécutoire. Dans d'autres les grosses des contrats sont intitulées du nom du roi, comme les arrêts.

Mettre un acte en forme, c'est le mettre en forme exécutoire.

Quand les actes sont revêtus de cette forme, on peut directement en vertu de ces actes faire un commandement, & ensuite saisir & exécuter, saisir réellement, même procéder par emprisonnement, si c'est un cas où la contrainte par corps ait lieu. Voyez EXECUTION PAREE, EXECUTOIRE, OSSEOSSE. (A)

FORME JUDICIAIRE, c'est l'ordre & le style que l'on observe dans la procédure ou instruction, & dans les jugemens. Voyez INSTRUCTION & PROCEDURE. (A)

FORME PROBANTE, est celle qui procure à l'acte une foi pleine & entiere, & qui le rend authentique. Un jugement & un contrat devant notaire sont des actes authentiques de leur nature ; mais l'expédition que l'on en rapporte pour être en forme probante, doit être sur papier ou parchemin timbré, & signé du greffier, si c'est un jugement ; ou des parties & des notaires & témoins, si c'est un contrat, testament, ou autre acte public.

La forme probante rend l'acte authentique ; c'est pourquoi l'on joint ordinairement ces termes, forme probante & authentique. Voyez ci-devant FORME AUTHENTIQUE. (A)

FORME, en matiere bénéficiale, est la maniere dont les provisions de cour de Rome sont conçûes.

Le pape a coûtume de pourvoir en deux manieres ; en forme commissoire, & en forme gracieuse. La forme gracieuse, in formâ gratiosâ, est lorsqu'il pourvoit lui-même sur l'attestation de l'ordinaire, sans lui donner aucune commission pour procéder à l'examen de l'impétrant, lequel peut se faire mettre en possession, autoritate propriâ.

La forme commissoire, qu'on appelle aussi le committatur du pape, est lorsqu'il mande à l'ordinaire de pourvoir ; ce committatur se met en trois formes différentes, savoir in formâ dignum antiquâ, in formâ dignum novissimâ, & in formâ juris.

La forme dignum antiquâ n'est autre chose que la maniere, en laquelle le pape ordonne que les bulles soient expédiées tant par rapport à l'examen des capacités de l'impétrant, que pour la conservation des droits de ceux qui pourroient avoir quelque intérêt à l'établissement & à la possession du bénéfice dont il s'agit. Cette clause a été appellée in formâ dignum, parce que la bulle commence par ces mots : Dignum arbitramur, ut illis se reddat sedes apostolica gratiosam, quibus ad id propria virtutum merita laudabiliter suffragantur, &c. Mandamus quatenus, si post diligentem examinationem dictum N.... repereris.... eidem.... conferas, &c.

Elle est surnommée l'ancienne antiquâ, parce que c'étoit autrefois la seule forme usitée avant les reservations qui ont donné lieu à la forme appellée novissimâ : c'est pourquoi à Rome on met souvent in formâ dignum simplement, sans ajoûter antiquâ ; ce qui est la même chose.

Les provisions expédiées in formâ dignum novissimâ, sont pour les bénéfices dont la collation est reservée au saint-siége. Cette forme n'accorde aux commissaires que trente jours pour l'exécution des provisions ; passé lequel tems, on peut recourir à l'ordinaire le plus voisin. Cette forme a été surnommée novissimâ, pour la distinguer de l'ancienne.

La clause in formâ juris se met dans les dévolus & les vacances, qui emportent privation du bénéfice. La forme de cette commission est la clause d'un rescrit de justice ; mais cette forme est abusive, & n'est point reçûe dans le royaume.

Pour connoître plus à fond les effets de ces différentes formes, il faut voir le traité de l'usage & pratique de cour de Rome de Castel, avec les notes de Noyer, tom. I. pag. 395. & suiv. (A)

FORME DE PAUVRETE, in formâ pauperum, c'est la maniere dont on expédie en cour de Rome les dispenses de mariage entre personnes qui sont parentes en degré prohibé, lorsque ces personnes ne sont pas en état de payer les droits que l'on a coûtume de payer aux officiers de cour de Rome pour ces sortes de dispenses. Pour en obtenir une en la forme de pauvreté, il faut avoir une attestation de l'ordinaire, de son grand-vicaire ou official, portant que les parties sont si misérables, qu'elles ne peuvent vivre & subsister que de leur industrie & du travail de leurs bras seulement, quod labore & industriâ tantum vivunt. Voyez Castel, loc. cit. tom. II. pag. 228. (A)

FORME, en Architecture, espece de libage dur, qui provient des ciels de carriere.

Forme de pavé, c'est l'étendue de sable de certaine épaisseur, sur laquelle on assied le pavé des cours, des ponts, chaussées, grands chemins, &c. en latin statumen.

Forme d'église : on appelle ainsi les chaises du choeur d'une église. Il y a les hautes & les basses. Les hautes sont adossées ordinairement contre un riche lambris, couronné d'un petit dôme ou dais continu, comme celles des grands Augustins, qui ont été faites pour les cérémonies de l'ordre du Saint-Esprit. Les hautes & basses formes qui portent sur des marche-piés, sont séparées par des museaux ou accoudoirs assemblés avec les dossiers ; ainsi chaque place avec sa sellette, soûtenue d'un cul-de-lampe, est renfermée de son enceinte appellée parclose. Il s'en voit qui n'ont d'autre dossier que celui de leur parclose, comme celles de Saint Eustache & de quelques paroisses de Paris, où la clôture du choeur est à jour. Les basses formes ne devroient pas être vis-à-vis les hautes, comme on le pratique ; mais au contraire le dossier d'une basse devroit répondre au museau de la perclose d'une haute, afin que le vuide fût vis-à-vis de ceux à qui on annonce quelque antienne, ou qu'on encense, ainsi qu'elles sont en partie à Notre-Dame de Paris. Les formes de l'abbaye de Pontigny près d'Auxerre, sont des plus belles ; celles des PP. Chartreux de Paris, des plus propres & des mieux travaillées. (P)

FORME, (Marine) c'est un petit bassin revêtu de maçonnerie, ayant en-dedans des degrés pour descendre sur des banquettes de pierre, disposées en amphithéatre, pour faciliter aux ouvriers le moyen de manoeuvrer autour du navire qu'on y a introduit à marée haute, & qu'on y maintient ensuite à sec quand la mer s'est retirée, en fermant l'écluse qui est à son entrée ; ce qui se pratique avec assez d'aisance dans les ports où le flux & le reflux ont lieu : ou bien si ces formes sont sur la Méditerranée, l'on en puise l'eau avec des machines. Architecture hydraulique, tome II. liv. III. chap. xij.

Mais pour prendre une idée juste de ce qu'on appelle forme, il faut avant d'entrer dans un plus grand détail, jetter les yeux sur la Planche I X. figure 1. & suiv. qui représente le plan & les profils de la forme construite à Rochefort, pour la bâtisse & le radoub des vaisseaux du roi, dont le dessein est ici d'un plus grand détail & d'une plus grande précision que celui qu'on a inséré dans l'Architecture hydraulique ; excellent ouvrage dont on ne peut assez faire l'éloge, & dont j'extrairai ce dont j'aurai besoin pour celui-ci.

On place les formes dans l'arsenal, ou le plus près qu'il est possible ; mais dans quelqu'endroit qu'on les place, il faut qu'elles ayent beaucoup d'espace tout-autour pour la facilité du travail. Voyez la Pl. VII. dans le plan d'un arsenal de Marine, la situation des formes.

Lorsque le terrein ne permet pas de placer plusieurs formes de front, l'on en bâtit deux au bout l'une de l'autre qui ont une entrée commune ; telle est la double forme de Rochefort, qui passe pour la plus belle qu'il y ait en Europe.

La premiere de ces formes, qui est la plus profonde & la plus grande, sert pour les vaisseaux du premier rang : aussi a-t-elle un plus grand nombre de rampes & de banquettes que la seconde, destinée pour ceux du second & du troisieme rang. Il faut avoir la Planche IX. sous les yeux. La premiere est appellée forme inférieure, & l'autre forme supérieure. La différence de l'élévation de leur plate-forme est de sept piés ; ce qu'on a fait dans la vûe qu'on seroit moins incommodé des eaux de fond. L'on voit qu'ayant fait entrer à marée haute un vaisseau dans chacune de ces formes & fermé les portes de l'écluse, aussi-tôt que la mer en se retirant les a laissés à sec, on peut les radouber tous deux en même tems. On les fait sortir lorsqu'ils sont réparés, en profitant d'une marée favorable.

Il faut renfermer la capacité des formes dans de justes bornes. La longueur la plus raisonnable qu'on puisse donner à celles destinées pour les vaisseaux du premier rang, est de cent quatre-vingt-dix piés depuis le bord supérieur du fond jusqu'à l'angle du busc de l'écluse. A l'égard de la largeur des mêmes formes, comprise entre le bord des aîles, il faut la régler sur celle qu'il conviendra de donner à l'écluse, parce qu'elle est la même qu'aura la plate-forme ; à quoi il faut ajoûter l'espace qu'occuperont les banquettes : par exemple, si l'on donne quarante-huit piés à l'écluse, & que l'on fasse trois banquettes, chacune de cinq piés, elles en occuperont ensemble trente, qui étant ajoûtés à la largeur de l'écluse, donnent soixante-dix-huit piés pour toute la largeur de la forme.

Le fond d'une forme doit être plancheyé avec autant de soin que le radier d'une écluse. Il faut apporter beaucoup d'attention pour établir solidement le massif de maçonnerie qui doit régner sur toute l'étendue de la plate-forme, & se régler sur la nature du terrein que l'on rencontrera après avoir fouillé jusqu'à la profondeur convenable. Le plancher du fond doit former un plan incliné de six pouces, depuis le fond de la forme jusqu'aux bords des heurtois de l'écluse, afin de faciliter l'écoulement des eaux.

Comme le principal mérite de ces sortes de bassins est de pouvoir y travailler à sec dans quelque tems que ce soit, que cependant il est bien difficile que l'eau ne s'y introduise tant de la part des portes de l'écluse, que des sources qui transpirent dans le fond, malgré les précautions que l'on prend pour s'en garantir ; il est d'une extrême conséquence de faire ensorte que les eaux qui s'y amasseront s'écoulent d'elles-mêmes au tems des basses-marées ordinaires, sans être obligé d'employer continuellement des machines pour les puiser ; ce qui coûte beaucoup. Pour éviter cet inconvénient, il faut établir la surface du fond environ à un pié au-dessus du niveau des basses eaux dans le port ; au cas que cela se puisse sans anticiper trop sur le tirant d'eau des plus grands vaisseaux qu'on pourra y faire entrer non-lestés : autrement il faudroit faire de son mieux pour concilier ces deux objets. Il est bon d'observer que les vaisseaux du premier rang qui tirent avec leur charge ordinaire 25 à 26 piés d'eau, n'en exigent que 16 à 17 quand ils ne sont pas lestés, après qu'on a un peu chargé l'avant, ou soulagé l'arriere avec des coffres pour diminuer la différence du tirant-d'eau : ainsi voilà un point fixe, d'où l'on pourra partir pour se régler en conséquence ; & comme le tirant-d'eau des navires que l'on fait passer dans une forme, doit se mesurer au-dessus du chantier qui a environ 3 piés de relief, il suffit, quand on y est contraint par le défaut de profondeur d'eau, de ne lui en donner que deux seulement, pour pouvoir encore travailler commodément aux parties du vaisseau qui répondent à la quille.

Lorsqu'on ne peut empêcher que la plate-forme ne soit inondée, soit de la part des sources du fond, soit des pluies, ou de l'eau de la mer qui filtre par les portes de l'écluse, on y remédie par des machines pour épuiser ces eaux, dont on peut voir la conduite & le dessein rendu dans toutes ses parties, tant en plan qu'en profil, dans la Planche IX. à laquelle nous renvoyons pour éviter un plus long détail. (Z)

FORME, dans l'art de Peinture, est un terme dont le sens ne paroît être autre chose que l'apparence des objets : en conséquence prescrire aux artistes de regarder comme l'objet principal de leur étude de bien imiter les formes, ne seroit que leur recommander de dessiner exactement la nature ; cependant comme dans l'explication que je cherche à donner des termes qu'on employe dans l'art dont il s'agit, j'embrasse ordinairement & les significations simples & celles qui sont plus recherchées, je crois devoir joindre ici à l'occasion de ce mot, quelques idées intéressantes.

Je suppose à plusieurs artistes le projet de représenter un objet qui s'offriroit à leur vûe ; il arriveroit qu'ils pourroient le représenter d'une façon différente les uns des autres, & que cependant tout le monde reconnoîtroit dans chacune des copies l'objet qu'ils auroient imité : ainsi s'ils avoient eu le but, par exemple, de dessiner un homme qu'ils auroient tous regardé du même point de vûe, le dessein de chacun de ces artistes donneroit à ceux qui le verroient l'idée générale d'un homme, quoique les formes des parties qui composent cet homme pussent être différentes, à plusieurs égards, dans chaque dessein. Mais si l'on donnoit à ces mêmes artistes deux hommes à-peu-près semblables à représenter, chacun d'eux seroit excité à les comparer & à démêler dans des parties, qui à la premiere vûe leur auroient paru semblables, les différences de formes qui pourroient les distinguer ; la représentation de plusieurs hommes de même âge & de même taille, les conduiroit enfin à un examen plus détaillé, plus réfléchi ; & pour lors ceux qui auroient un discernement plus délicat & un sentiment plus fin, parviendroient plus aisément à discerner & à saisir ce qui fait le caractere distinctif des formes.

Il résulte de ce développement, que les objets ont des formes générales & des formes caractéristiques ; & que la finesse & la sensibilité avec lesquelles l'artiste découvre & exprime ces différences particulieres & caractéristiques, sont une source de supériorité dans son talent : peut-être ce talent est-il un don de la nature ; mais il a besoin d'être développé & cultivé ; les connoissances de toute espece l'augmentent. Je vais faire encore une supposition pour le prouver. Un artiste à qui l'on donneroit à imiter un objet qui lui seroit totalement inconnu, & dont il n'auroit jamais approché qu'à la distance nécessaire pour le voir distinctement, l'imiteroit sans-doute avec une exactitude apparente, qui paroîtroit devoir suffire à la représentation : cependant il est certain que cette représentation ne rendra l'objet parfaitement, que pour ceux qui n'en auront pas approché de plus près que l'artiste dont il s'agit. Ceux qui l'auront touché exigeront davantage dans l'imitation ; & l'artiste, après avoir connu en partie sa nature, par exemple sa dureté ou sa mollesse, sa legereté même ou sa pesanteur, rendra le portrait de cet objet plus relatif aux desirs de ces spectateurs plus instruits ; il opérera encore différemment, s'il a plus de connoissance de la contexture & de l'usage de l'objet supposé, & satisfera alors pleinement ceux à qui il est intimement connu.

Un peintre qui voudra représenter des arbres ou des plantes, ne laissera donc pas échapper, s'il est instruit, certaines formes caractéristiques, qui indiqueront aux Botanistes mêmes les différences apparentes qui leur sont connues. Qu'on s'éleve de cette imitation de plantes à celle des hommes, & qu'on ait pour objet de les représenter aux yeux d'un peuple instruit, agités des mouvemens que les passions occasionnent, avec les nuances d'expressions que répandent sur eux les âges, les états, les tempéramens ; quel discernement naturel ne faudroit-il pas ? par combien de connoissances ne sera-t-il pas nécessaire d'éclairer le talent, & que de réflexions profondes & justes devront être employées à le guider ? Article de M. WATELET.

* FORME, (Cartonnier) espece de chassis de bois fait d'un quadre & de traverses, & couvert de fils de laiton. Il n'est pas fort différent de la forme des Papetiers ; le laiton en est seulement plus fort, & la forme du Papetier a un rebord. La forme du Cartonnier sert à lever les feuilles de carton. Voyez les Pl. du Cartonnier, & les articles CARTON & PAPETERIE.

* FORME, terme de Chapelier, gros cylindre de bois, arrondi par le haut & tout-à-fait applati par le bas, dont on se sert pour dresser & enformer les chapeaux, après qu'ils ont été foulés & feutrés. C'est dans ce sens qu'on dit mettre un chapeau en forme, ou l'enformer. Voyez les Planches du Chapelier.

Les Chapeliers appellent aussi forme, la tête du chapeau, ou plutôt la cavité du chapeau, destinée à recevoir la tête de celui qui s'en sert. C'est dans ce sens qu'on dit communément : ce chapeau est trop haut, trop bas, trop large, trop étroit de forme.

* FORME, (Cordonnerie) c'est le morceau de bois qui a à-peu-près la figure d'un pié, sur lequel on monte le soulier pour le faire. Voyez la Planche du Cordonnier. Il y a la forme simple, & la forme brisée : celle-ci est composée de deux demi-formes ; à chacune est une coulisse, entre laquelle on fait entrer à force une clé ou espece de coin de bois, qui écarte les deux demi-formes. Voyez la Planche du Cordonnier-Bottier. L'usage de cette forme est d'élargir les souliers quand ils sont trop étroits.

On appelle Formiers, ceux qui font les formes pour les Cordonniers & Bottiers.

FORME, dans l'usage de l'Imprimerie, désigne une quantité de composition mise dans le format décidé, & enfermée dans un chassis de fer, où elle est maintenue par le secours des bois de garniture, de biseaux & des coins. Voyez les Planches d'Imprimerie.

FORME, (Manége & Maréchall.) tumeur calleuse, indolente, de la nature de celle qui dans l'homme est connue sous le nom de ganglion. Son siége est fixé dans les ligamens même de l'articulation du pié ou de la couronne, avec le pâturon ; aussi se montre-t-elle toûjours sur un des côtés, ou sur les deux côtés de cette derniere partie, soit qu'elle attaque le devant, soit qu'elle attaque le derriere de l'animal.

Les causes en sont ordinairement externes ; elle peut être l'effet d'une constitution, d'une piquûre : elle est le plus souvent la suite des efforts, auxquels le cheval a été contraint dans des courses violentes, ou en maniant à des airs qui exigent beaucoup de force. Tout ce qui peut insulter les fibres ligamenteuses en les tirant, en les allongeant, en les meurtrissant, en les dilacérant, doit nécessairement produire ou une dilatation, ou une obstruction des vaisseaux qui charrient la lymphe dans ces ligamens, ou une extravasion de cette humeur : de-là une tumeur legere & molle dans son origine, mais qui augmente insensiblement en volume & en consistance au point d'offenser d'une part les ligamens en les gênant, & de rendre de l'autre la circulation difficile dans les vaisseaux qui l'avoisinent : c'est ainsi que le desséchement de l'ongle & la claudication, deviennent des accidens inséparables de cette maladie.

On la reconnoît à la présence de la tumeur, & le signe univoque est l'indépendance totale de cette même tumeur qui ne tient en aucune façon au tégument, sous lequel elle est située.

Je ne proposerai pour la détruire ni l'opération de dessoler, ni l'application inutile d'un cautere actuel, dont l'effet ne s'étend pas au-delà de la peau ; j'indiquerai des topiques capables de la résoudre, tels que la pommade mercurielle, que l'on doit faire succéder à des frictions seches. On peut encore, après avoir froissé la tumeur & l'avoir fortement comprimée sous le doigt, dans l'intention de briser l'humeur qui la forme, y placer un emplâtre d'onguent de vigo au triple de mercure, ou du diabotanum mercurisé, & recouvrir le tout d'une plaque de plomb, que l'on assujettira sur la partie par le moyen d'un bandage. Il est même à-propos, lorsque la tumeur est très-considérable, de la battre avec une petite palette de bois avant de tenter de la dissiper par ces résolutifs, que l'on employera toûjours avec succès, sur-tout s'ils sont accompagnés des médicamens internes, qui peuvent atténuer & liquéfier la lymphe. Ces médicamens sont le crocus metallorum, donné à la dose d'une once chaque jour ; l'aquila alba, à la dose d'une dragme & plus ; la poudre de vipere, &c. Si les frictions, les frottemens, les compressions occasionnent une inflammation, on ne continuera pas les applications des emplâtres prescrits ; on recourra à des topiques émolliens, qui seront suivis de l'usage de ces mêmes emplâtres, lorsque la partie cessera d'être emflammée. (e)

* FORME, (Papeterie) chassis sur lequel la feuille de papier prend sa forme ; il est composé d'un quadre de bois A A, B B (voyez les Planc. de Papeterie) de figure quadrilatere, mais plus long que large : le vuide de ce quadre est de la grandeur dont on veut la feuille ; il est traversé par de petits barreaux de bois, ou des fils de laiton, qu'on appelle verjures. Les verjures ont une arrête assez tranchante (voyez les figures K & I) : la premiere représente la partie inférieure d'une verjure qui est arrondie ; & l'autre, la partie supérieure. Sur les arêtes des verjures D D, qui sont assemblées dans les longs côtés du chassis, & qui viennent presque à son affleurement, on étend des fils de laiton B B B, que l'on fixe les uns auprès des autres par d'autres fils encore plus fins qui font le tour des verjures, comme le filet d'une vis sur son noyau ; de maniere que le vuide du chassis soit entierement rempli. Ces lignes droites que l'on remarque au papier en le regardant au jour, sont les impressions des verjures : quant aux écritures & marques du manufacturier, elles se font par l'impression d'un fil de crin cousu sur la forme, suivant le dessein qu'on veut avoir. En général, la feuille prend la trace de toutes les parties éminentes de l'intérieur du quadre de la forme.

On voit, fig. 1. la forme par-dessus ; fig. 2. la forme par-dessous ; & fig. 3. le cadret que l'on tient sur la forme, pour lui servir de rebord. On conçoit qu'en plongeant la forme dans une chaudiere pleine d'eau & de pâte à faire du papier ; la faisant entrer de champ ; la tenant horisontalement sous l'eau, ensorte qu'il y ait, par exemple, six pouces depuis la surface de la forme jusqu'à la surface de l'eau ; la levant ensuite parallelement à la surface de l'eau, on emportera sur la forme toutes les parties de pâte qui se trouveront au-dessus ; que l'eau s'échappera à-travers le réseau de la forme ; & que les parties de pâte retenues s'affaissant les unes sur les autres, formeront une feuille. Voyez l'article PAPETERIE.

* FORMES, en terme de Raffineur de sucre ; ce sont des moules de terre cuite, de figure conique, dans lesquels on coule & on fait le sucre : la figure leur est nécessaire, pour que les sirops ne trouvent point de retraite où séjourner. Avant de se servir des formes neuves, on les met en trempe pendant vingt-quatre heures, pour les dégraisser : mais quand elles ont déjà servi, elles n'y restent que douze heures, après lesquelles on les lave & on les prépare pour l'empli, voyez EMPLI. Il y en a d'autant de sortes qu'il y a de différens poids dans les pains de sucre, ou plutôt de degrés de finesse, voyez SUCRE. Il faut encore que toutes les formes soient humides avant de les employer, excepté celles que l'on prépare pour les vergeoises & les verpuintes. Voyez VERGEOISES & VERPUINTES.

FORME, (Vénerie) s'entend d'un espace de terre sur lequel un filet est étendu, en la couvrant lorsqu'on le fait agir.

Formes se dit des femelles des oiseaux de proie, qui donnent le nom à l'espece ; au lieu que les mâles s'appellent tiercelets ; parce qu'en général, la femelle de l'oiseau de proie est plus grande, plus hardie, & plus forte que son mâle. Les formes ne sont point propres à la volerie.


FORMÉen terme de Blason. Une croix formée est une croix étroite au centre & large aux extrémités ; c'est ainsi que l'appellent Leigh & Morgan, quoique la plûpart des auteurs la nomment patée. Voyez PATEE.


FORMÉEadj. f. pris substantivement, (Jurispr.) ce terme s'applique à plusieurs objets différens.

Dans l'ancienne coûtume de Chauny, art. 17. les formées sont les services que l'on fait pour un défunt ; ce qui vient sans-doute de ce qu'il n'y a que la forme ou représentation d'un défunt.

Partie formée, dans quelques coûtumes, signifie partie civile en matiere criminelle. Voyez Haynaut, ch. xxj. Larue d'Indre, art. 35. Bourdelois, art. 79.

Office formé, c'est-à-dire qui est créé pour subsister à perpétuité, avec tous les caracteres d'un véritable office. Voyez OFFICE. (A)

FORMES, (LETTRES) litterae formatae ; on appelloit ainsi des lettres dont l'usage a été commun parmi les Chrétiens dans les premiers siecles de l'Eglise, parce qu'on y mettoit, au commencement ou à la fin, certains caracteres particuliers & convenus entre les églises particulieres, pour donner confiance à ce qu'elles contenoient & à ceux qui en étoient porteurs.

Les évêques donnoient de ces lettres formées aux voyageurs, afin qu'ils fussent reconnus pour Chrétiens, & reçûs dans les autres églises : on les appelloit aussi lettres canoniques de paix, de recommandation, de communion : il en est souvent parlé dans les anciens conciles, où il est défendu de recevoir un clerc dans une église, s'il n'est muni d'une lettre de son évêque ; & c'est l'origine des dimissoires encore en usage aujourd'hui. Voyez DIMISSOIRE.

Le concile d'Elvire, tenu vers l'an 305, en parle ainsi, canon 25 : " On donnera seulement des lettres de communion à ceux qui apporteront des lettres de confession, de peur qu'ils n'abusent du nom glorieux de confesseurs, pour exercer des concussions sur les simples ". Sur quoi M. Fleury remarque que les Chrétiens en voyage prenoient ces lettres de leurs évêques, pour témoigner qu'ils étoient dans la communion de l'Eglise. S'ils avoient confessé la foi devant les persécuteurs, on le marquoit ; & quelques-uns en abusoient. Par ces mêmes lettres les Eglises pouvoient être informées de l'état les unes des autres. Il étoit défendu aux femmes de donner de ces lettres en leur nom, ni d'en recevoir adressées à elles seules. Hist. eccles. tom. II. liv. IX. n°. xv. pag. 553.

Le pere Thomassin, discipl. ecclésiastiq. part. I. liv. I. ch. xl. remarque que dans les premiers tems les évêques des Gaules eux-mêmes ne pouvoient voyager sans avoir de ces lettres formées, qui leur étoient données par les métropolitains ; mais on supprima cet usage au concile de Vannes, tenu en 442, parce qu'alors les évêques étoient censés se connoître suffisamment. Le P. Sirmond nous a conservé des formules de ces lettres formées.

On appelloit aussi une loi formée, celle qui étoit scellée du sceau de l'empereur. Et enfin les Grecs modernes ont donné à l'eucharistie le nom de formée, parce que les hosties portoient empreinte la forme d'une croix. Ducange, glossar. latinit. (G)


FORMELadj. (Gram.) qui est revêtu de toutes les formes nécessaires ; c'est en ce sens qu'on dit un démenti formel : qui ordonne ou qui défend une action de la maniere la plus exacte & la plus précise ; c'est en ce sens qu'on dit la loi est formelle : qui n'a de rapport qu'à la forme ou à la qualité ; c'est en ce sens qu'on dit que l'objet formel de la Logique, c'est la conduite de l'esprit dans la recherche de la vérité, &c. Voyez l'article suivant. Les Théologiens distinguent encore le formel & le matériel des actions ; ainsi ils assûrent qu'on n'est point auteur d'un péché où l'on n'a mis que le matériel, mais non le formel ; d'où l'on voit que le formel d'une action en est la malice. De formel, on a fait l'adverbe formellement, qui a toutes les acceptions de l'adjectif.

FORMEL, (Philosophie scholast.) on appelle dans l'école distinction formelle, celle qui est entre des choses réellement différentes, par opposition à la distinction virtuelle qui se fait par une simple opération de l'esprit. On demande, par exemple, si les degrés qu'on appelle dans l'école métaphysiques, sont distingués formellement ou virtuellement. Nous avons apprécié au mot DEGRE cette frivole & ridicule question. Les Scholastiques font encore d'autre usage du mot formel ; ainsi ils distinguent l'objet matériel de l'objet formel. Voyez OBJET. Ils font aussi grand usage dans leur argumentation des termes matériellement & formellement ; c'est-à-dire qu'ils embrouillent par des mots barbares des choses déjà inintelligibles par elles-mêmes, & qui ne méritent pas que nous nous y arrêtions. (O)

FORMEL, (Jurisprud.) ce terme a dans cette matiere plusieurs significations différentes.

Ajournement formel dans quelques coûtumes, est différent de l'ajournement simple, comme dans celle de la Marche, art. 16. Il est aussi parlé d'ajournement formel dans la coûtume de Poitou, art. 327. & 366. & Angoumois 56. & 77.

On appelle contradiction formelle, celle qui est expresse sur le cas ou fait dont il s'agit ; coût. de Berry, tit. xj. art. 2.

Garant formel, est celui qui est tenu de prendre le fait & cause du garanti. Voyez GARANT.

Partage formel, se dit dans la coûtume d'Auvergne pour exprimer un partage réel & effectif. Chap. xxvij. art. 7. & 8.

Partie formelle, est la même chose que partie formée ou partie civile ; Nivernois, tit. j. art. 20. & suiv. Solle, tit. xxxv. art. 1. Ordonnance du duc de Bouillon, art. 276. (A)


FORMERvoyez ci-devant FORMATION.

FORMER, DRESSER, (Art milit.) v. act. on dit former des soldats, dresser des troupes. Le premier de ces deux mots exprime les soins que l'on prend pour accoûtumer le soldat à la discipline, le plier à l'obéissance, & lui inspirer l'esprit de son état. L'autre indique aussi l'éducation militaire qu'on donne à une troupe, mais ne tombe que sur la partie qui a rapport au maniment des armes, aux manoeuvres, aux évolutions, & autres détails du service. Enfin le terme former est restreint à un certain nombre d'hommes, qui ne composent pas encore un tout, & désigne un acte purement moral. Dresser s'étend à une troupe complete , telle qu'une compagnie, un bataillon, un régiment, & porte uniquement sur le physique des instructions qu'on leur donne.

Former, en Tactique, se prend dans une acception différente, qui le rapproche des mots ordonner, disposer. Former dans ce cas signifie l'action de ranger des soldats dans un certain ordre, & annonce que cet ordre est leur état habituel, c'est-à-dire celui dans lequel il est convenu qu'on mettra toûjours une troupe, à moins que des circonstances particulieres n'obligent ceux qui la commandent, à l'ordonner suivant une autre méthode.

Ce mot ordonner, bien plus générique que le premier, tient à tous les ordres de bataille possibles, & peut également s'entendre du bataillon quarré, de la colonne, du coin, &c. Voyez ORDRE DE BATAILLE.

Disposer exprime l'opération générale par laquelle on distribue les différens corps d'une armée dans les postes qu'ils doivent occuper, suivant un plan de bataille qui aura été déterminé ; ou celle par laquelle on leur fait prendre le rang qu'ils doivent tenir dans une marche ou dans un campement.

Exemple. Les troupes prendront les armes à quatre heures. Tous les régimens se formeront à la tête de leur camp. Ils se porteront en ordre de bataille (c'est aujourd'hui en France être formés sur trois de hauteur, & cette ordonnance doit être appellée l'état habituel) ; ils se porteront, dis-je, six cent pas en-avant des faisceaux, où chaque bataillon sera ordonné en colonne. Les lieutenans-généraux & maréchaux-de-camp disposeront alors leurs divisions, suivant l'ordre de marche ou de bataille, dont la veille on leur aura remis une copie. Article de M. LIEBAUT, chargé du dépôt de la guerre.


FORMERETS. m. en Architecture gothique, ce sont les arcs ou nervures des voûtes gothiques, qui forment les arcades ou lunettes par deux portions de cercle, qui se coupent à un point. (P)


FORMIS. m. (Fauconnerie) espece de maladie qui survient au bec de l'oiseau de proie.


FORMIERS. m. ouvrier qui fait & vend des formes de bois, sur lesquelles on bâtit des souliers.

Il y a peu de ces sortes d'artisans à Paris. Ils ne font point un corps de jurande, & n'ont ni statuts ni jurés ; mais ils travaillent librement sans qualité & sans maîtrise.


FORMORTFORMORTURE, FORMOTURE, FORMOUTURE, ou FREMETURE, (Jurisprud.) terme usité dans quelques coûtumes pour exprimer l'échoite ou droit de succession, qui appartient à quelqu'un par le décès d'un autre.

Dans la coûtume de Hainaut, ch. x. art. 5. c'est la moitié des meubles que le survivant de deux conjoints entre roturiers doit donner en nature ou équivalant aux enfans issus d'un premier lit, lorsqu'il passe à des secondes nôces. Voyez la jurisprudence de Hainaut, pag. 29.

En la coûtume de Cambrai, tit. vij. art. 11. de Lalleue sous Arras, de Namur, art. 86. c'est l'échoite ou droit successif qui appartient à quelqu'un, ou bien qui est dû au seigneur quand quelqu'un non marié, ni bourgeois, est décédé en sa seigneurie & justice, soit à l'égard des meubles ou autres biens.

La coûtume de Mons, ch. xxxvj. se sert du terme fremeture.

Pinault des Jaunaux sur Cambrai, loc. cit. prétend que le mot formouture tire son étymologie de formé le moitié ; mais cette idée est refutée avec raison par le commentateur d'Artois sur l'art. 153. où il observe que la préposition for est fréquente & ajoûtée à plusieurs dictions pour exprimer davantage, comme formariage, forban. Il semble néanmoins que toutes ces dictions soient d'abord dérivées de foras ou foris, qui signifie dehors, & que formoture soit une abréviation de foris-motura, c'est-à-dire les choses que l'on emporte hors la maison mortuaire.

Tout ce qui est acquis à quelqu'un par mort, soit à titre de communauté, de succession ou de legs, peut être nommé formoture.

Les immeubles & les meubles échus par mort à ces différens titres, sont également compris sous le nom de formoture.

Il y a cependant des coûtumes où le terme de formoture est restreint à la portion mobiliaire prise à titre de communauté, de succession, ou de legs.

L'usage certain du pays d'Artois, est que le mot pur & simple de formoture ou formouture ne comprend que la portion, l'échoite, ou l'échéance mobiliaire, & non l'immobiliaire.

Ainsi une veuve qui renonce à la formouture de son mari, un enfant qui renonce à la formouture de son pere ou de sa mere, ne sont pas exclus pour cela de la faculté de demander leurs parts & portions des immeubles de la communauté ou de la succession.

Voyez la somme rurale, liv. I. tit. lxxvj. art. 2. & 4. Charondas eodem, & Ducange en son gloss. latin, aux mots mortalagium, mortalitas, mortuarium. (A)


FORMOSE(Géog.) selon le P. Duhalde, grande île de la mer de la Chine, à l'orient de la province de Fokien, & qui s'étend du nord au sud 22d. 8'. de lat. septentrionale jusqu'au 25d. 20'. Une chaîne de montagnes la sépare dans cette longueur, en orientale & occidentale. La partie orientale n'est habitée que par les naturels du pays. La partie occidentale est sous la domination des Chinois, qui la cultivent avec soin ; ils en ont chassé les Hollandois en 1661, & y ont nommé un viceroi en 1682. Voyez le P. Duhalde, descript. de la Chine, & le P. Charlevoix, hist. du Japon. Le Tai-Ouang-Fou est la capitale de cette île. Long. 139. 10-141. 28. lat. 22. 8-25. 20. (D.J.)


FORMULAIRES. m. (Théol. & Hist. ecclés.) on appelle ainsi en général toute formule de foi qu'on propose pour être reçûe ou signée ; mais on donne aujourd'hui ce nom (comme par excellence) au fameux formulaire dont le clergé de France a ordonné la signature en 1662, & par lequel l'on condamne les cinq propositions dites de Jansénius.

Ce formulaire, auquel un petit nombre d'ecclésiastiques refuse encore d'adhérer, est une des principales causes des troubles dont l'église de France est affligée depuis cent ans. La postérité aura-t-elle pour les auteurs de ces troubles de la pitié ou de l'indignation, quand elle saura qu'une dissension si acharnée se réduit à savoir, si les cinq propositions expriment ou non la doctrine de l'évêque d'Ypres ? car tous s'accordent à condamner ces propositions en elles-mêmes. On appelle (très-improprement) Jansénistes, ceux qui refusent de signer que Jansénius ait enseigné ces propositions. Ceux-ci de leur côté qualifient (non moins ridiculement) leurs adversaires de Molinistes, quoique le Molinisme n'ait rien de commun avec le formulaire ; & ils appellent athées les hommes sages qui rient de ces vaines contestations. Que les opinions de Luther & de Calvin ayent agité & divisé l'Europe, cela est triste sans-doute ; mais du-moins ces opinions erronées rouloient sur des objets réels & importans à la religion. Mais que l'Eglise & l'Etat ayent été bouleversés pour savoir si cinq propositions inintelligibles sont dans un livre que personne ne lit ; que des hommes, tels qu'Arnauld, qui auroient pu éclairer le genre humain par leurs écrits, ayent consacré leur vie & sacrifié leur repos à ces querelles frivoles ; que l'on ait porté la démence jusqu'à s'imaginer que l'être suprème ait décidé par des miracles une controverse si digne des tems barbares : c'est, il faut l'avoüer, le comble de l'humiliation pour notre siecle. Le seul bien que ces disputes ayent produit, c'est d'avoir été l'occasion des Provinciales ; modele de bonne plaisanterie dans une matiere qui en paroissoit bien peu susceptible. Il ne manqueroit rien à cet immortel ouvrage, si les fanatiques * des deux partis y étoient également tournés en ridicule : mais Pascal n'a lancé ses traits que sur l'un des deux, sur celui qui avoit le plus de pouvoir, & qu'il croyoit mériter seul d'être immolé à la risée publique. M. de Voltaire dans son chapitre du Jansénisme, qui fait partie du siecle de Louis XIV. a sû faire de la plaisanterie un usage plus impartial & plus utile ; elle est distribuée à droite & à gauche, avec une finesse & une legereté qui doit couvrir tous ces hommes de parti d'un mépris ineffaçable. Peut-être aucun ouvrage n'est-il plus propre à faire sentir combien le gouvernement a montré de lumieres & de sagesse en ordonnant enfin le silence sur ces matieres, & combien il eût été à desirer qu'une guerre aussi insensée eût été étouffée dès sa naissance. Mais le cardinal Mazarin qui gouvernoit alors, pouvoit-il prévoir que des hommes raisonnables s'acharneroient pendant plus de cent ans les uns contre les autres pour un pareil objet ? La faute que ce grand ministre fit en cette occasion, apprend à ceux qui ont l'autorité en main, que les querelles de religion, même les plus futiles, ne sont jamais à mépriser ; qu'il faut bien se garder de les aigrir par la persécution ; que le ridicule dont on peut les couvrir dès leur origine, est le moyen le plus sûr de les anéantir de bonne-heure ; qu'on ne sauroit surtout trop favoriser les progrès de l'esprit philosophique, qui en inspirant aux hommes l'indifférence pour ces frivoles disputes, est le plus ferme appui de la paix dans la religion & dans l'état, & le fondement le plus sûr du bonheur des hommes. (O)


FORMULES. f. (Algebre) est un résultat général tiré d'un calcul algébrique, & renfermant une infinité de cas ; ensorte qu'on n'a plus à substituer que

* Nous disons les fanatiques ; car en tout genre le fanatisme seul est condamnable.

des nombres particuliers aux lettres, pour trouver le résultat particulier dans quelque cas proposé que ce soit. Une formule est donc une méthode facile pour opérer ; & si l'on peut la rendre absolument générale, c'est le plus grand avantage qu'on puisse lui procurer ; c'est souvent réduire à une seule ligne toute une science. Mais pour qu'une formule générale soit vraiment utile, & qu'il y ait du mérite à l'avoir trouvée, il faut que la formule générale soit plus difficile à trouver que la formule particuliere, c'est-à-dire que le problème énoncé généralement renferme des difficultés plus grandes que le problème particulier qui a donné occasion de chercher la méthode générale. Feu M. Varignon, géometre de l'académie des Sciences, aimoit à généraliser ainsi des formules ; mais malheureusement ses formules générales étoient presque toûjours privées de l'avantage dont nous parlons : & dans ce cas une formule générale n'est qu'une puérilité ou une charlatanerie. M. Bernoulli, ou un autre géometre, résolvoit-il un problème difficile ? M. Varignon aussi-tôt le généralisoit, de maniere que l'énoncé plus général renfermoit en apparence plus de difficultés, mais en effet n'en avoit aucune de plus, & n'exigeoit pas qu'on ajoûtât la moindre chose à la méthode particuliere : aussi M. Bernoulli disoit-il quelquefois après avoir résolu un problème, qu'il le laissoit à généraliser à M. Varignon. (O)

FORMULE, (Hist. rom.) regle prescrite par les lois de Rome, dans des affaires publiques & particulieres.

La république romaine avoit établi pour l'administration des affaires, certaines formules dont il n'étoit pas permis de s'écarter. Les stipulations, les contrats, les testamens, les divorces, se faisoient par des formules prescrites, & toûjours en certains termes dictés par la loi, dont la moindre omission ou addition étoit capable d'annuller les actes les plus importans. La même chose avoit lieu pour les affaires publiques religieuses & civiles ; les expiations, les déclarations de guerre, les dévoüemens, &c. avoient leurs formules particulieres, que l'histoire nous a conservées. Enfin il y avoit dans quelques conjonctures éclatantes, certaines formules auxquelles on attachoit des idées beaucoup plus vastes, que les termes de ces formules ne sembloient désigner. Ainsi quand le sénat ordonnoit par un decret que les consuls eussent à pourvoir qu'il n'arrivât point de dommage à la république, ne quid respublica detrimenti caperet, c'étoit une formule des plus graves, par laquelle les magistrats de Rome recevoient le pouvoir le plus étendu, & qu'on ne leur confioit que dans les plus grands périls de l'état. (D.J.)

FORMULES DES ACTIONS ou FORMULES ROMAINES (Jurisp.), legis actiones ; c'étoit la maniere d'agir en conséquence de la loi, & pour profiter du bénéfice de la loi ; c'étoit un style dont les termes devoient être suivis scrupuleusement & à la rigueur. C'étoit proprement la même chose que les formalités établies parmi nous par les ordonnances & l'usage, pour le style des actes & la procédure.

Ce qui donna lieu à introduire ces formules, fut que les lois romaines faites jusqu'au tems des premiers consuls, ayant seulement fait des réglemens sans rien prescrire pour la maniere de les mettre en pratique, il parut nécessaire d'établir des formules fixes pour les actes & les actions, afin que la maniere de procéder ne fût pas arbitraire & incertaine. Il paroît que ce fut Appius-Claudius Caecus, de l'ordre des patriciens, & qui fut consul l'an de Rome 446, qui fut choisi par les patriciens & par les pontifes, pour rédiger les formules & en composer un corps de pratique. Ces formules furent appellées legis actiones, comme qui diroit la maniere d'agir suivant la loi ; elles servoient principalement pour les contrats, affranchissemens, émancipations, cessions, adoptions, & dans presque tous les cas où il s'agissoit de faire quelque stipulation, ou d'intenter une action.

L'effet de ces formules étoit 1°. comme on l'a dit, de fixer le style & la maniere de procéder ; 2°. que par ce moyen tout se faisoit juridiquement & avec solennité, tellement que le défaut d'observation de ces formules emportoit la nullité des actes ; & l'omission de quelques-uns des termes essentiels de ces formules, faisoit perdre irrévocablement la cause à celui qui les omettoit ; au lieu que parmi nous on peut en certain cas revenir par nouvelle action. 3°. Elles ne dépendoient d'aucun jour ni d'aucune condition, c'est-à-dire qu'elles avoient lieu indistinctement tous les jours, même dans ceux que l'on appelloit dies festos, & elles ne changeoient point suivant les conventions des parties. 4°. Chacune de ces formules ne pouvoit s'employer qu'une fois dans chaque acte ou contestation. Enfin il falloit les employer ou prononcer soi-même, & non par procureur.

Les patriciens & les pontifes qui étoient dépositaires de ces formules, de même que des fastes, en faisoient un mystere pour le peuple ; mais Cnaeus-Flavius secrétaire d'Appius, les rendit publiques ; ce qui fut si agréable au peuple, que le livre des formules fut appellé droit flavien, du nom de celui qui l'avoit publié ; & Flavius fut fait tribun du peuple. Les fastes & les formules furent proposés au peuple sur des tables de pierre blanche ; ce qu'on appelloit in albo.

Autant le peuple fut satisfait d'être instruit des formules, autant les patriciens en furent jaloux ; & pour se conserver le droit d'être toûjours les dépositaires des formules, ils en composerent de nouvelles qu'ils cacherent encore avec plus de soin que les premieres, afin qu'elles ne devinssent pas publiques ; mais Sextus-Aelius-Poetus-Catus étant édile-curule, l'an de Rome 553, les divulga encore, & celles-ci furent nommées droit aelien. Ces nouvelles formules furent comprises dans un livre d'Aelius, intitulé tripertita.

Les jurisconsultes ajoûterent dans la suite quelques formules aux anciennes ; mais tout cela n'est point parvenu jusqu'à nous. Les formules commencerent à être moins observées sous les empereurs. Les fils de Constantin rejetterent celles qui avoient rapport aux testamens ; Théodose le jeune les abrogea toutes, & depuis elles ne furent plus en vigueur, ni même usitées : cependant l'habitude où l'on étoit de s'en servir, fit qu'il en demeura quelques restes dans la plûpart des actes.

Plusieurs savans ont travaillé à rassembler les fragmens de ces formules, dispersés dans les lois & dans les auteurs. L'ouvrage le plus complet en ce genre est celui du président Brisson, de formulis & solemnibus populi romani verbis. Il est divisé en huit livres, qui contiennent les formules des actes & de la procédure, & même celles touchant la religion & l'art militaire.

Le célebre Jerôme Bignon, qui publia en 1613 les formules de Marculfe, avec des notes, y a joint quarante-six anciennes formules selon les lois romaines.

M. Terrasson a aussi très bien expliqué l'objet de ces formules, dans son histoire de la jurisprudence romaine, part. II. §. 16. pag. 207. & à la fin de l'ouvrage parmi les anciens monumens qu'il nous a donnés de la jurisprudence romaine, il a aussi rapporté plusieurs formules des contrats & actions. (A)

FORMULES DE MARCULFE, sont des modeles d'actes & de procédures, recueillis par le moine Marculfe qui vivoit vers l'an 660. On présume qu'il avoit été chapelain de nos rois avant de se retirer dans une solitude. Son recueil de formules est divisé en deux livres. Le premier contient des formules des lettres qui s'expédioient aux palais des rois, chartae regales. L'autre livre contient celles qui étoient données devant le comte ou les juges des lieux, appellées chartae pagenses. Cet ouvrage est nécessaire pour bien entendre l'histoire de nos rois de la premiere race, & la jurisprudence qui avoit lieu alors. Jerôme Bignon dont on a parlé ci-dessus, publia cet ouvrage en un volume in-8°. qu'il enrichit de savantes remarques. Il y a joint des formules romaines, & d'autres anciennes formules françoises dont l'auteur est incertain. (A)

FORMULES DES ACTES, qu'on appelle aussi formules simplement, se prennent en plusieurs sens différens. On entend quelquefois par-là le style uniforme que l'on avoit projetté d'établir pour les actes & procédures ; quelquefois la marque & inscription qui est au-haut du papier & du parchemin timbrés : quelquefois par formule on entend le papier même ou parchemin qui est timbré.

L'origine des formules en France vient des ordonnances que Louis XIV. fit faire pour la réformation de la justice, & notamment celles des mois d'Avril 1667, Août 1669 & 1670. Aussi-tôt que la premiere de ces ordonnances parut, le roi crut que pour rendre à ses sujets l'exécution des ordonnances plus facile, & afin qu'il y eût à l'avenir un style uniforme dans toutes les cours, il devoit faire dresser des formules tant des exploits que des autres procédures, actes & formalités nécessaires dans la poursuite des procès. On commença donc par dresser des formules pour l'exécution de l'ordonnance de 1667, lesquelles furent vûes & examinées dans le conseil de réformation, & arrêtées pour servir de regle & de modele à tous les praticiens & autres sujets du roi. Le recueil de ces formules fut imprimé en un volume in-4°. en 1668. Il ne paroît pas que l'on ait fait le même travail sur les autres ordonnances.

Cependant par un édit du mois de Mars 1673, le roi annonça encore qu'il avoit estimé nécessaire de faire dresser en formules les actes & procédures les plus ordinaires, en conformité des nouvelles ordonnances, pour être lesdites formules portées dans chaque siége, & y être observées sans aucun changement ; & pour faciliter l'observation de ces formules & ôter tout prétexte de s'en écarter, il ordonna que ces formules seroient imprimées, & que les officiers publics se serviroient de ces imprimés, tant pour les originaux que pour les copies de leurs actes, dans lesquelles formules ils rempliroient à la main les blancs de ce qui seroit propre à chaque acte. Les motifs allégués dans cet édit, étoient de rendre le style uniforme dans tous les tribunaux ; de prévenir les fautes où tombent souvent des copistes peu intelligens ; de rendre l'instruction des procès plus promte & plus facile, & de diminuer les frais. Ces formules imprimées avoient paru si commodes, que l'on s'en servoit déjà dans l'instruction de différentes affaires & procès, & que néanmoins les parties n'en tiroient point d'avantage, vû qu'on leur faisoit toûjours payer les mêmes droits, que si les actes étoient entiérement écrits à la main.

L'édit ordonna en conséquence que les huissiers, sergens, procureurs, greffiers & autres officiers ministres de justice des conseils de S. M. parlemens, grand-conseil & autres cours, siéges & justices royales, & ceux des justices des seigneurs, mêmes des officialités & autres jurisdictions tant ordinaires qu'extraordinaires, seroient tenus, chacun à leur égard, de se servir, tant pour originaux que pour copies, des formules d'exploits, procédures & autres actes judiciaires, pour être les blancs des imprimés remplis, & par eux employés à leurs usages ; qu'à cet effet il seroit dressé un recueil de ces formules, qui seroit arrêté par S. M. & envoyé dans toutes les cours premieres & principales, pour y avoir recours & servir de modele aux imprimés des formules.

Qu'il seroit fait un autre recueil des formules des contrats, obligations & autres actes les plus communs & usités, & qui sont journellement passés par les notaires & tabellions, soit royaux, apostoliques ou des seigneurs ; comme aussi des lettres de mer, connoissemens, chartes parties, & autres actes & contrats maritimes, pour servir aux écrivains de vaisseau.

Qu'il seroit pareillement fait un recueil des lettres les plus ordinaires de justice, finance & de grace, tant de la grande chancellerie, que de celles qui servent près les cours & présidiaux, & des provisions des bénéfices & offices, des lettres des Arts & Métiers, & autres de toute nature.

Que l'on feroit pareillement un recueil des formules des lettres de provisions, présentations & nominations de bénéfices des archevêques, & évêques, chapitres, abbés, & autres collateurs & patrons ecclesiastiques, & généralement de toutes les lettres qui sont données par les archevêques & évêques ; comme aussi des lettres de maître-ès-arts, de bachelier, de licentié & de docteur en toutes les facultés des universités, & de toutes les autres lettres qui s'expédient dans les secrétariats des universités, & de celles qui sont données par toutes autres communautés ecclésiastiques & séculieres.

Enfin qu'il seroit aussi fait un recueil des formules des quittances, qui s'expédient annuellement pour les revenus casuels de S. M. marc-d'or, recette générale des finances & particulieres des tailles, payeurs des rentes sur la ville de Paris, & généralement par tous les officiers comptables ; ensemble par les rentiers & autres parties prenantes ; comme aussi des acquits, certificats, passeports, passavants & autres actes qui servent à la régie de nos fermes & perception de nos droits, même des commissions des tailles des paroisses.

Que sur les modeles de ces formules seroient imprimés les exemplaires, qui seroient employés par ceux qui s'en devoient servir, soit en parchemin ou en papier, suivant l'usage ; & que toutes ces formules imprimées seroient marquées en tête d'une fleur-de-lis, & timbrées de la qualité & substance des actes.

On devoit, sous peine de nullité des actes, se servir des exemplaires imprimés, trois mois après que les recueils de formules auroient été mis au greffe des cours.

Cet édit fut registré au parlement, le roi y séant en son lit de justice, le 23 Mars 1673. Il fut registré le même jour en la chambre des comptes, de l'ordre de S. M. porté par Monsieur, son frere unique, assisté du maréchal du Plessis-Praslin & des conseillers d'état.

Par une déclaration du 30 Juin suivant, le roi ordonna que les recueils de formules & le tarif arrêté en son conseil le 22 Avril précédent, seroient enregistrés dans toutes ses cours.

Cette déclaration fut portée au parlement de Paris, avec les recueils de formules & le tarif des droits ; mais elle n'y fut point enregistrée, à cause de l'inconvénient que l'on trouva dans les formules, qui ne pouvoient servir à tous les divers actes dont la disposition est différente, selon les personnes, les lieux & les choses.

Le roi voulant accélérer la perception des droits portés par le tarif des formules, pour fournir aux dépenses de la guerre qu'il faisoit en personne, donna une autre déclaration le 2 Juillet 1673, par laquelle il ordonna que le travail commencé pour dresser les formules seroit continué & achevé, pour être ensuite procédé à l'enregistrement de tous les recueils ; & cependant que les commis préposés pour la distribution desdites formules, pourroient vendre & distribuer à tous officiers ministres de justice & autres qu'il appartiendroit, le papier & parchemin qu'il conviendroit, marqué en tête d'une fleur-de-lis, & timbré de la qualité & substance des actes, avec mention du droit porté par le tarif ; le corps de l'acte entierement en blanc, pour être écrit à la main, &c. le tout seulement jusqu'à-ce que les recueils de formules fussent achevés ; après quoi les officiers publics seroient tenus de se servir des formules en la maniere portée par les recueils.

C'est de-là que le papier & le parchemin timbrés tirent leur origine ; on a cependant conservé le nom de formule au timbre, & quelquefois on donne aussi ce nom au papier même ou au parchemin timbrés, à cause que dans les commencemens ils étoient destinés à contenir les formules des actes, au lieu desquelles on s'est contenté de mettre en tête un timbre ou marque, avec le nom des actes ; le projet des formules imprimées ayant été totalement abandonné, à cause des difficultés que l'on a trouvé dans l'exécution.

La formule ou timbre que la ferme générale fait apposer au papier & parchemin destinés aux actes publics, change ordinairement à chaque bail. Il y a une formule particuliere pour chaque généralité.

Outre la formule commune qui est apposée sur tous les papiers & parchemins de chaque généralité, il y en a encore de particulieres pour les actes reçûs par certains officiers, comme pour les expéditions des greffiers, pour les actes des notaires, pour les lettres de chancellerie, les quittances de finance, les quittances de ville, &c.

Le bail des formules fait partie de la ferme des aides. Aussi ce qui concerne la perception des droits du Roi pour les formules, est-il traité dans l'ordonnance des aides de 1680, sous le titre dernier, des droits sur le papier & le parchemin timbré.

Il y a un recueil des réglemens faits pour l'usage du papier & parchemin timbrés, que l'on appelle communément le recueil des formules, par le sieur Deniset, où l'on trouve tout ce qui concerne cette matiere.

Il y a aussi un mémoire instructif sur les droits de la formule, qui est à la fin du dictionnaire des aides, par le sieur Brunet de Grand-maison. Voyez PAPIER TIMBRE & PARCHEMIN.

FORMULE, (Pharm.) prescription, ordonnance, recette, & quelquefois même recipe, est une exposition par écrit de la matiere & de la forme d'un médicament quelconque, de la maniere de le préparer, de la quantité ou dose à laquelle on doit le faire prendre au malade, & de toutes les différentes circonstances qui peuvent varier son administration.

L'art de dresser des formules ou de formuler, est plus essentiel au medecin qu'on ne le pense communément, & il suppose plusieurs connoissances très-utiles, ou dont il est au-moins honteux de manquer : rien n'est si ordinaire cependant que de voir des medecins de la plus haute réputation, commettre les fautes les plus grossieres en ce genre ; fautes qui à la vérité sont ignorées du public, mais qui exposent l'art à la dérision des garçons apothicaires, & très-souvent les malades à ne point éprouver le bien que le medecin avoit en vûe, & même à essuyer de nouveaux maux.

Pour l'honneur de l'art donc, & même pour le salut des malades, le medecin praticien doit être en état de formuler selon toutes les regles, auxquelles il n'est dispensé de se conformer scrupuleusement, que quand il est en état de bien discerner ce qui est d'appareil & d'élégance, d'avec ce qui est de nécessité absolue.

M. Jerôme David Gaubius professeur de Leyde, a donné sur l'art de dresser des formules, un ouvrage qui peut être regardé comme achevé. Les gens de l'art doivent l'étudier tout entier. Le lecteur non-medecin sera très-suffisamment instruit sur cette matiere, par la connoissance abregée que nous allons lui en donner ici.

On doit avoir deux vûes générales dans la prescription des remedes ; de soulager le malade, & de lui épargner le desagrément du remede autant qu'il est possible. Le premier objet est en partie entre les mains de la nature ; le second est entierement en nos mains.

On doit pour remplir la premiere vûe, pourvoir à la guérison du malade par le remede le plus simple qu'il est possible. Les formules très-chargées de divers matériaux, sont le plus souvent des productions de la charlatanerie ou de la routine : le dessein d'ajoûter à la drogue qui fait la base du remede, un adjuvant & un dirigent, selon l'idée des anciens, ce dessein, dis-je, est absolument chimérique. Nous avons dit ailleurs ce qu'il falloit penser de l'emploi des correctifs, qui étoit encore un des ingrédiens essentiels des compositions pharmaceutiques anciennes. Celui des matériaux que Gaubius appelle constituans, est le même que nôtre excipient. Voyez EXCIPIENT. Mais si par les considérations que nous avons exposées au mot COMPOSITION, on se détermine à prescrire des remedes magistraux composés, il faut que les divers ingrédiens de ces remedes n'agissent pas les uns sur les autres, qu'ils ne se décomposent pas, ou qu'ils ne se combinent pas diversement contre l'intention du medecin, & même qu'ils ne se déparent point réciproquement, ou n'acquierent point un goût désagréable par leur mélange. C'est ainsi qu'il ne faut point mêler les sels ammoniacaux avec les alkalis fixes, ou les terres absorbantes ; les acides avec les alkalis, en comptant sur la vertu médicinale de chacune de ces substances : car ces corps sont absolument dénaturés par la combinaison, ou par la précipitation. Voyez MENSTRUE & PRECIPITATION. Les altérations de ce genre produisent aussi des changemens considérables dans les odeurs & dans les saveurs. Le vinaigre mêlé au foie de soufre, produit un odeur détestable, dont chacun des réactifs étoit exempt ; les huiles par expression, mêlées ou plûtôt confondues avec des corps doux, comme le miel ou la manne, ont une saveur très-désagréable, &c.

Une attention moins essentielle, mais qu'il ne faut pas négliger dans les formules composées, c'est de prescrire ensemble les drogues de la même espece, les racines avec les racines, les feuilles avec les feuilles, &c. & de les arranger dans le même ordre que l'apothicaire doit les employer.

Il faut connoître nécessairement les rapports des différentes substances qu'on veut employer, entre elles & avec l'excipient qu'on veut leur donner, aussi-bien que la consistance de chacun de ces ingrédiens, afin qu'on ne s'avise pas de vouloir dissoudre un sel avec de l'huile, ou un baume avec de l'eau, & de vouloir faire une poudre avec six grains d'un sel lixiviel & huit gouttes d'une huile essentielle, comme je me souviens de l'avoir vû ordonner une fois.

Il faut encore savoir les différens noms que porte quelquefois dans les boutiques une même drogue simple, ou une même préparation, afin de ne pas risquer d'ordonner plusieurs fois dans la même formule, la même drogue sous des noms différens ; ne pas prescrire, par exemple, dans un julep syruporum de diacodio, de meconio & de papavere albo ana dragmam unam, &c. On commettroit une faute du même genre, si l'on ordonnoit en même tems diverses préparations parfaitement semblables en vertu, de la même substance ; par exemple la décoction, l'extrait ou le sirop simple de chicorée, &c. Ou si ayant prescrit une composition officinale, on demande d'ailleurs la plûpart des ingrédiens de cette composition.

Il faut être instruit encore des tems de l'année où l'on peut avoir commodément certaines substances, comme les plantes fraîches, les fruits récens, &c.

Les différens ingrédiens des formules se déterminent par poids & par mesure. Voyez POIDS & MESURE.

Le modus pharmaceutique, ou la maniere de préparer la formule ou de la réduire sous la forme prescrite, termine ordinairement la formule & en constitue proprement la souscription, qui comprend aussi le tems & la maniere de faire prendre le remede au malade.

Cette derniere partie de la souscription qui est appellée signature, doit dans la grande exactitude être séparée du corps de la formule, & être écrite en langue vulgaire (le corps de la formule s'écrit ordinairement en latin), avec ordre de l'appliquer ou de la transcrire sur le vaisseau, la boîte, ou le paquet, dans lequel l'apothicaire livrera le médicament. Il n'est personne qui n'apperçoive l'utilité de cette pratique, qui peut seule empêcher les gardes malades, les domestiques, & en général les assistans de confondre les différens remedes qu'on fait prendre quelquefois aux malades dans le même jour, ou de les donner hors de propos.

Les regles que nous venons d'exposer sont absolument générales, & conviennent aux médicamens préparés sous les diverses formes qui sont en usage. Voyez l'article MEDICAMENT.

On use dans les formules ordinaires de divers caracteres & de diverses abréviations, pour désigner les poids, les mesures, certains ingrédiens très-ordinaires, les noms génériques des drogues, & certains mots d'usage & de style qui reviennent dans presque toutes les formules. On trouvera les caracteres des poids & mesures, aux articles généraux POIDS & MESURE, & aux articles particuliers ONCE, GRAIN, FAISCEAU, GOUTTE, &c. Voici la liste des abréviations les plus usitées.

Aq. C. aqua communis. Q. S. quantum sufficit. S. A. secundum artem. ã ã. ana, de chacun. M. misce. F. fiat M. F. pulvis. Misce fiat pulvis. S. signatur. D. detur. Rad. radices. Fol. folia. Fl. flores. &c. Les abréviations du genre de ces trois dernieres s'entendent assez sans explication.

Au reste on trouvera des exemples de formules régulieres, & revêtues de tout leur appareil, l'inscription, le commencement, l'ordre, la souscription, la signature, aux articles OPIATE, POTION, POUDRE, TISANE, &c. (b)

On ne peut s'empêcher d'ajoûter ici d'autres considérations importantes sur les qualités qui résultent du mélange des drogues dans les formules composées, soit magistrales, soit officinales, & l'on empruntera ces considérations du même ouvrage de M. Gaubius.

Les qualités qui résultent du mélange des drogues, & qui sont souvent très-différentes de celles de chacune prise séparément, méritent une attention particuliere ; parce que le changement qui arrive après le mélange est si notable, qu'il attaque même la vertu médicinale des remedes & leur nature : ce qui prouve assez combien on a tort de préférer les composés aux simples, quand il n'y a pas de nécessité absolue qui l'exige.

Les qualités auxquelles on doit avoir égard dans les formules composées, sont sur-tout la consistance, la couleur, l'odeur, la saveur, & la vertu médicinale.

Les vices de la consistance sont l'inégalité du mélange, quand elle est trop seche ou trop épaisse, trop fluide ou trop molle. Pour éviter cet inconvénient, il faut connoître la consistance propre à chaque formule, & la consistance de chaque ingrédient prise séparément.

Rien n'est si changeant que la couleur, sur-tout si on mêle des matieres différentes. On voit bien des gens sur qui cet objet fait grande impression, & qui aiment mieux les compositions d'une couleur diaphane, blanche, dorée, rouge, bleue, que celles qui en ont une jaune, verte, noire, opaque. On ne peut pas néanmoins déterminer physiquement en général, quelle sera la couleur résultante des différentes couleurs mélangées. La Chimie par le mélange des matieres sans couleur, en produit une blanche, jaune, rouge, bleue, brune, noire, &c. elle tire même toutes sortes de couleurs de toutes sortes de matieres ; elle est presque ici la seule science qui donne les exemples & les regles dont le medecin a un besoin essentiel.

Les odeurs ne changent pas moins que les couleurs dans le mélange des remedes différens ; mais leur efficacité est bien plus grande & plus réelle. Ainsi remarquez 1°. qu'il y a peu de regles pour rendre les odeurs agréables ; que ces regles sont très-bornées & très-incertaines ; que les odeurs qui plaisent à quelques personnes, déplaisent à beaucoup d'autres. 2°. Que l'agréable & l'utile ne vont point ici de pair ; les hypocondriaques & hystériques se trouvent quelquefois ne pouvoir pas supporter ce qui sent très-bon ; souvent les odeurs fortes, fétides ou suaves, font de grandes impressions en bien & en mal. 3°. Qu'en général on aime davantage ce qui n'a point d'odeur, ou ce qui ne sent ni bon ni mauvais. 4°. Que souvent toute la vertu des remedes dépend de leurs odeurs, ou du principe qui les produit.

De plus, on ne peut pas prévoir toûjours l'odeur du mixte par celle des ingrédiens. Voici cependant ce que nous apprend la Chimie, & qui prouve combien il est utile de la savoir quand on commencera à formuler.

1°. Il y a des matieres sans odeur, que le mélange rend très-odoriférantes. Quand on mêle, par exemple, le sel alkali fixe ou la chaux vive qui sont l'un & l'autre sans odeur, avec le sel ammoniac ; quelle odeur forte ne sent-on pas tout-à-coup ? La même chose arrivera, si on verse l'acide vitriolique sur le nitre, le sel marin, le sel ammoniac, le tartre régénéré, & autres semblables. 2°. Il y a des ingrédiens très-odoriférans, qui après le mélange n'ont plus d'odeur : l'esprit de sel ammoniac, joint à l'acide du nitre ou du sel marin, en est un exemple. 3°. Il résulte quelquefois une odeur extrèmement fétide, du mélange d'odeurs, ou suaves, ou médiocrement fétides : pareillement des matieres très-fétides mêlées ensemble, donnent des odeurs très-agréables. Quand on verse du vinaigre sur une dissolution de soufre par les alkalis fixes, on sent l'odeur d'oeuf pourri. Des sucs très-puans que M. Lemery avoit mis dans un petit sac, rendirent une odeur de musc. Hist. de l'acad. roy. ann. 1706. pag. 7.

Les saveurs demandent les mêmes précautions & les mêmes connoissances chimiques, que les odeurs. Les saveurs naturelles, douces, acides, ameres, un peu salées, &c. sont les meilleures. Les plus désagréables sont celles qui sont putrides, rances, urineuses. La Chimie apprend qu'il y en a d'autres bien différentes, & souvent très-extraordinaires, qui naissent du mélange de différentes matieres. Les acides & les alkalis mêlés ensemble, se détruisent. Rien n'est plus desagréable que le goût salé que contractent les acides par le mélange des yeux d'écrevisses qui sont naturellement fades, & de tous les autres absorbans marins. Les terres grasses, insipides, jointes à un acide, deviennent alumineuses ; le plomb uni aux acides, acquiert une douceur de sucre ; le fer de doux devient stiptique. On sait quel goût affreux ce même mélange donne aux autres métaux.

Quelquefois même il arrive des choses qu'on n'attendoit pas naturellement dans le mélange. En voici quelques exemples. Les acides & les alkalis mêlés ensemble, perdent leurs forces particulieres, & deviennent un sel neutre. Les terres bolaires, médicinales, jointes aux acides, acquierent une force astringente plus considérable, & même alumineuse. Un acide joint à la scammonée, la rend aussi peu active que le sable ; au lieu qu'un alkali fixe en aide l'action. Le sel de tartre adoucit la force du jalap & de la coloquinte. Le sucre affoiblit les mucilagineux & les astringens.

Le mercure mêlé au soufre & changé en aethiops ou en cinnabre, cesse d'être salivant. Si vous le broyez bien exactement avec le double de sucre ou d'yeux d'écrevisse, vous produirez un aethiops blanc qui n'aura que peu d'action. Remarquez néanmoins que le turbith minéral, mêlé avec les pilules de duobus & le camphre, d'évacuant qu'il étoit devient altérant. Le mercure doux joint au soufre d'antimoine, a de la peine à exciter le ptyalisme, le vomissement, à pousser par les selles & les urines. Le sublimé corrosif devient doux, quand on y mêle une quantité de mercure crud. Plusieurs chaux de mercure où l'acide se fait sentir par son âcreté, s'adoucissent en les broyant avec des alkalis ou des absorbans terreux. L'aethiops ou le cinnabre mêlé avec les alkalis fixes, ne se change-t-il pas ?

Les alkalis dissous par les acides, & les acides par les alkalis, font ordinairement une effervescence & perdent beaucoup de leurs forces. Le vitriol de Mars mêlé avec les alkalis, se change en une espece de tartre vitriolé & d'ochre. Il en est de même dans les autres métaux & demi-métaux, excepté le cuivre. Les alkalis précipitent l'alun en une chaux morte ; ce qui fait connoître la nature des magisteres alumineux. Le soufre dissous par un sel alkali, est chassé de cet alkali par un acide, &c.

Si donc dans une formule l'on joint sans précaution les acides, sur tous les fossiles, aux métaux ou aux minéraux de quelque espece qu'ils soient, il en peut résulter des changemens étonnans, souvent même de violens poisons. Le mercure sublimé, le précipité rouge, la pierre infernale, le beurre d'antimoine & plusieurs autres, en sont des preuves.

Enfin les vertus médicinales d'un corps dissous ou extrait par tel & tel menstrue, sont fort différentes. La plûpart des purgatifs végétaux extraits par un menstrue aqueux, réussissent fort bien. Ceux qui l'ont été par un menstrue spiritueux, donnent des tranchées, & purgent moins. Le verre d'antimoine, ou le safran des métaux, communique au vin une vertu émétique ; ce qu'il ne fait point à l'eau, au vinaigre distillé, à l'esprit-de-vin, ou à son alcohol. Le cuivre dissous par un acide est très-émétique ; par un alkali volatil, il pousse efficacement par les urines ; par le sel ammoniac, il devient cathartique, &c. Boerhaave, elem. chim. vol. II. pag. 475. & seq.

Il seroit aisé de citer beaucoup d'autres exemples, & je voudrois pouvoir les rapporter tous : mais comme il n'y a point de bornes dans les compositions & les mélanges, il s'en faut de beaucoup que nous connoissions au juste les altérations qui en résultent ; on n'y parviendra que quand on aura découvert les principes naturels des simples, les rapports réciproques qu'ils ont chacun entr'eux, & la véritable maniere dont ils agissent.

Cependant un homme instruit de la Chimie, s'il veut mêler plusieurs drogues dans ses formules, sera toûjours sur ses gardes ; parce qu'il sait mieux que personne que de certains mélanges il résulte des changemens prodigieux, & qu'il y en a sans-doute une infinité qu'on ne connoît pas : car on n'a point encore ni fait les mélanges possibles de tous les corps, ni bien examiné les produits de ceux qui ont été mêlés. (D.J.)


FORMULÉadj. (Jurisprud.) Papier formulé. On appelle quelquefois ainsi le papier timbré, à cause que dans l'origine il étoit destiné à contenir des formules imprimées de toutes sortes d'actes ; & comme on a confondu les termes de timbre & de formule, on dit aussi indifféremment papier timbré ou formulé. (A)


FORNACALEou FORNICALES, (Mytholog.) nom propre d'une fête que les Romains célébroient en l'honneur de la déesse Fournaise. Voyez FETE.

On y faisoit des sacrifices devant une fournaise ou devant le four, où l'on avoit coûtume de brûler le blé ou de cuire le pain, &c.

C'étoit une fête mobile que le grand Curion indiquoit tous les ans le 12 des calendes de Mars.

Elles furent instituées par Numa. Les Quirinales étoient pour ceux qui n'avoient pas célébré les fornacales. Voyez QUIRINALES. Trév. & Chambers. (G)


FORNICATIONS. f. (Morale) Le dictionnaire de Trévoux dit que c'est un terme de Théologie. Il vient du mot latin fornix, petites chambres voûtées dans lesquelles se tenoient les femmes publiques à Rome. On a employé ce terme pour signifier le commerce des personnes libres. Il n'est point d'usage dans la conversation, & n'est guere reçu aujourd'hui que dans le style marotique. La décence l'a banni de la chaire. Les Casuistes en faisoient un grand usage, & le distinguoient en plusieurs especes. On a traduit par le mot de fornication les infidélités du peuple juif pour des dieux étrangers, parce que chez les prophetes ces infidélités sont appellées impuretés, souillures. C'est par la même extension qu'on a dit que les Juifs avoient rendu aux faux dieux un hommage adultere. Article de M. DE VOLTAIRE.

La fornication, en tant qu'union illégitime de deux personnes libres, & non parentes, est proprement un commerce charnel dont le prêtre n'a point donné la permission. L'ancienne loi condamne celui qui a commis la fornication avec une vierge, à l'épouser, ou à lui donner de l'argent, si son pere la refuse en mariage. Exode 22. Elle ne paroît pas avoir imposé de peine pour la fornication avec une fille publique, ou même avec une veuve. Ce n'est pas que cette fornication fût permise ; nous voyons par un passage des actes des apôtres, xv. 20. 29. qu'on prescrivoit aux Juifs nouvellement convertis, de conserver, entr'autres observations légales, l'abstinence de la fornication & des chairs étouffées. Cette attention à faire marcher de pair deux abstinences si différentes, paroît prouver, ou que la manducation des chairs étouffées (indifférente en elle-même) étoit traitée par la loi des Juifs comme un grand mal, ou que la fornication étoit regardée comme une simple faute contre la loi, plûtôt que comme un crime. La loi nouvelle a été plus sévere & plus juste. Un chrétien regarde comme un plus grand mal de joüir d'un commerce charnel, qui n'est pas revêtu de la dignité de sacrement, que de manger de la chair de cochon ou de la chair étouffée. Mais la simple fornication, quoique péché en matiere grave, est de toutes les unions illégitimes celle que le Christianisme condamne le moins ; l'adultere est traité avec raison par l'Evangile comme un crime beaucoup plus grand. Voyez ADULTERE. En effet, au péché de la fornication il en joint deux autres, le larcin, parce que l'on dérobe le bien d'autrui ; la fraude, par lequel on donne à un citoyen des héritiers qui ne doivent pas l'être. Cependant, abstraction faite de la religion, de la probité même, & considérant uniquement l'économie de la société, il n'est pas difficile de sentir que la fornication lui est en un sens plus nuisible que l'adultere ; car elle tend, ou à multiplier dans la société la misere & le trouble, en y introduisant des citoyens sans état & sans ressource ; ou ce qui est peut-être encore plus funeste, à faciliter la dépopulation par la ruine de la fécondité. Cette observation n'a point pour objet de diminuer la juste horreur qu'on doit avoir de l'adultere, mais seulement de faire sentir les différens aspects sous lesquels on peut envisager la Morale, soit par rapport à la religion, soit par rapport à l'état. Les législateurs ont principalement décerné des peines contre les forfaits qui portent le trouble parmi les hommes ; il est d'autres crimes que la religion ne condamne pas moins, mais dont l'être suprème se réserve la punition. L'incrédulité, par exemple, est pour un chrétien un aussi grand crime, & peut-être un plus grand crime que le vol ; cependant il y a des lois contre le vol, & il n'y en a pas contre les incrédules qui n'attaquent point ouvertement la religion dominante ; c'est que des opinions (même absurdes) qu'on ne cherche point à répandre, n'apportent aux citoyens aucun dommage : aussi y a-t-il plus d'incrédules que de voleurs. En général on peut observer, à la honte & au malheur du genre humain, que la religion n'est pas toûjours un frein assez puissant contre les crimes que les lois ne punissent pas, ou même dont le gouvernement ne fait pas une recherche sévere, & qu'il aime mieux ignorer que punir. C'est donc avoir du Christianisme une très-fausse idée, & même lui faire injure, que de le regarder, par une politique toute humaine, comme uniquement destiné à être une digue aux forfaits. La nature des préceptes de la religion, les peines dont elle menace, à la vérité aussi certaines que redoutables, mais dont l'effet n'est jamais présent, enfin le juste pardon qu'elle accorde toûjours à un repentir sincere, la rendent encore plus propre à procurer le bien de la société, qu'à y empêcher le mal. C'est à la morale douce & bienfaisante de l'Evangile qu'on doit le premier de ces effets ; des lois rigoureuses & bien exécutées produiront le second.

On a remarqué avec raison ci-dessus, que la fornication se prend dans l'Ecriture non-seulement pour une union illégitime, mais encore pour signifier l'idolâtrie & l'hérésie, qui sont regardées comme des fornications spirituelles, comme une espece de copulation, s'il est permis de parler de la sorte, avec l'esprit de ténébres. Cette distinction peut servir à expliquer certains passages de l'Ecriture contre la fornication, & à les concilier avec d'autres. (O)


FORTadj. voyez les articles FORCE.


FORTAGES. m. (Commerce) on appelle en France droit de fortage, ce qu'on paye aux seigneurs des rochers ou pierres de grès qui servent à faire des pavés. Ce droit va environ à cent sous pour 100 de pavé. Voyez PAVE. Dict. de Comm. (G)


FORTE CLAMEUR(Jurisprud.) voyez au mot CLAMEUR. (A)


FORTERESSES. f. (Fortificat.) c'est un nom général dont on appelle toutes les places fortifiées, soit par la nature, soit par l'art.

Ainsi les villes fortifiées, les châteaux, les citadelles, &c. sont des forteresses. M. Maigret a donné un traité de la sûreté & conservation des écrits par le moyen des forteresses, dans lequel il explique leur utilité, leur nombre, & leur situation, pour assûrer les frontieres & l'intérieur d'un état. " Si l'on ne connoît pas bien, dit cet auteur, l'utilité, ou pour mieux dire tous les différens usages des forteresses, on peut négliger d'en faire dans des endroits où on en pourroit tirer de grands avantages. Si on ignore la quantité précisément nécessaire, on se jettera dans des dépenses inutiles, & quelquefois préjudiciables ; ou pour épargner on laissera un passage ouvert à l'ennemi : si on ne sait pas bien distinguer la force que la nature a donnée à de certains lieux, on en méprisera où, avec peu de dépense, on feroit une place plus forte que ne pourroient faire tous les ouvrages inventés par les plus habiles ingénieurs ; ou bien on entreprendra d'en fortifier que l'art ne peut jamais mettre en état de faire une bonne défense. Si on peche dans la grandeur d'une forteresse, dans la figure, dans la solidité & dans la construction de ses ouvrages, elle ne produira jamais tout l'effet qu'on auroit pû s'en être promis ". Préface du livre de M. Maigret.

On peut appliquer à la situation & au nombre des forteresses nécessaires pour la défense des états, la premiere maxime de la Fortification, c'est-à-dire qu'elles doivent être disposées de maniere qu'elles ferment tous les passages par où l'ennemi pourroit faire entrer ses armées dans le pays.

Il faut beaucoup de connoissances du pays, pour juger de la situation la plus avantageuse des forteresses ; & des différens intérêts des princes, pour n'en point construire dans des lieux où il est à présumer qu'on ne les laissera point subsister, & où elles donneroient trop de jalousie aux puissances voisines. A peine la forteresse de Montroyal étoit-elle construite, qu'il fallut la raser, en conformité du traité de Riswick en 1697. (Q)


FORTEVENTURA(Géog.) île d'Afrique dans l'Océan Atlantique, l'une des Canaries, découverte en 1417. Elle appartient aux Espagnols, & est à 36. lieues de Ténériffe. Long. 4. lat. 28. 30-29. 15. (D.J.)


FORTFUYANCES. f. (Jurisp.) ou plûtôt FORFUYANCE, quasi foris-fuga, est une espece de droit d'aubaine dont le Duc de Lorraine joüit dans ses duchés. Il en est fait mention en un vidimus de l'an 1577, dans lequel on voit que le duc Charles accorde à un particulier d'acquérir dans ses états, jusqu'à huit cent livres de rente, nonobstant qu'il eût son domicile à Verdun ; & que ses héritiers ou ayans cause puissent lui succéder & joüir paisiblement de ces rentes, nonobstant le droit de fort-fuyance, qui appartient au duc, &c. (A)


FORT(LE) Géog. grande riviere de l'Ecosse méridionale, qui a sa source près du lac de Tay, baigne la ville de Sterling, & se décharge au fond du golfe d'Edimbourg, auquel il donne aussi le nom de golfe de Forth. La riviere de Forth a environ 30 lieues de longueur. Voyez sa description dans Salmonet, hist. des troubles de la G. B. (D.J.)


FORTIFICATION(LA) s. f. ou l'ART DE FORTIFIER (Ordre encycl. Entend. Raison. Philosoph. ou Science. Géomét. Arch. milit. Fortification), consiste à mettre une place ou tout autre lieu qu'on veut défendre, en état de résister avec peu de monde aux efforts d'un ennemi supérieur en troupes, qui vent s'en emparer.

Les ouvrages qu'on construit pour cet effet sont appellés fortifications ; tels sont nos bastions, demi-lunes, ouvrages-à-corne, &c.

Les fortifications sont de différentes especes, c'est-à-dire qu'elles sont relatives à l'objet auquel on les destine, & aux machines avec lesquelles on peut les attaquer.

Ainsi si l'on n'attaquoit les places qu'avec le fusil, de simples murailles seroient une fortification suffisante pour y résister. Si l'ennemi n'avoit aucun expédient pour parvenir au haut de ces murailles, il seroit inutile de leur donner d'autre élévation que celle qui seroit nécessaire pour n'être pas franchie aisément.

On voit par-là qu'un lieu n'est fortifié que par rapport aux différentes attaques qu'il peut avoir à soûtenir. Un château, par exemple, est fortifié lorsqu'il est entouré de fossés & de murailles qui le mettent en état de résister à un parti qui n'a point de canon ; mais ce même château devient sans défense contre une armée qui a un équipage d'artillerie, parce qu'elle peut le détruire sans que ceux qui sont dedans puissent en empêcher.

Les premieres fortifications furent d'abord très-simples ; elles ne consistoient que dans une enceinte de pieux ou de palissades. On les forma ensuite de murs, avec un fossé devant, qui empêchoit d'en approcher. On ajoûta depuis à ces murs des tours rondes & quarrées, placées à une distance convenable les unes des autres, pour défendre toutes les parties de l'enceinte des places. Car comme le dit Vegece, " les anciens trouverent que l'enceinte d'une place ne devoit point être sur une même ligne continue, à cause des béliers qui battroient trop aisément en breche ; mais par le moyen des tours placées dans le rempart assez près les unes des autres, leurs murailles présentoient des parties saillantes & rentrantes. Si les ennemis veulent appliquer des échelles, ou approcher des machines contre une muraille de cette construction, on les voit de front, de revers, & presque par-derriere ; ils sont comme enfermés au milieu des batteries de la place qui les foudroyent ". Nouv. trad. de Vegece.

Pour défendre encore plus sûrement le pié du mur de l'enceinte & celui des tours, les anciens faisoient le haut de la muraille en massocoulie ou machicoulis. Voyez BASTION. Ils se servoient des intervalles des machicoulis pour jetter des pierres, du plomb fondu, de l'huile bouillante, & différentes sortes de matieres propres à éloigner l'ennemi du pié des murailles. On y faisoit aussi couler des masses fort pesantes, qui par leur chûte & rechûte retardoient beaucoup le progrès de ses travaux.

Les anciens ne terrassoient pas toûjours leurs murailles ; & M. de Folard prétend qu'ils en usoient ainsi pour se mettre à l'abri de l'escalade. Car l'ennemi étant parvenu au haut de la muraille, n'étoit pas pour cela dans la place ; il lui falloit des échelles pour y descendre, & pendant cette longue opération, ceux qui étoient dans la ville pouvoient s'assembler pour les repousser. Cependant Vitruve remarque qu'il n'y a rien qui rende les remparts plus fermes, que quand les murs sont soutenus par de la terre ; & du tems de Vegece on les terrassoit. On pratiquoit vers le haut une espece de petit terre-plein de 3 ou 4 piés de largeur, duquel on tiroit sur l'ennemi par les crenaux du parapet. Les tours dominoient sur ce terre-plein, & par-là elles avoient l'avantage de découvrir une plus grande étendue de la campagne, & de pouvoir défendre les courtines ou les parties de l'enceinte qui étoient entr'elle.

Pour défendre encore plus facilement ces parties, on observoit en bâtissant les places, de couper le terre-plein en-dedans vis-à-vis les tours. On substituoit à cette coupure une espece de petit pont de bois qu'on pouvoit ôter très-facilement dans le besoin.

Telle étoit la fortification ordinaire de l'enceinte des places chez les anciens. Cette enceinte étoit environnée du côté de la campagne, d'un fossé large & profond, qui retardoit l'approche des machines dont on se servoit alors pour battre les places, & qui rendoit l'accès du rempart plus difficile & moins propre à l'escalade. Voyez ESCALADE.

Cette fortification a subsisté sans changement considérable, jusqu'à l'usage du canon dans les siéges. Il fallut abandonner alors les machicoulis, qui en étoient d'abord ruinés, & augmenter l'épaisseur du parapet. Comme on diminuoit par-là la capacité des tours, on songea à les aggrandir ; mais leur partie extérieure n'étant plus défendue des machicoulis, donnoit au pié un lieu sûr à l'ennemi, pour travailler à ruiner la tour, & à la faire sauter par la mine. Voyez MINE. En effet l'épaisseur du parapet de cette partie extérieure empêchoit que les soldats qui y étoient placés, ne pussent en découvrir le pié ; & à l'égard des flancs des tours voisines, ils ne pouvoient voir que les extrémités de ce même côté extérieur des tours quarrées, devant lequel il restoit un espace triangulaire qui n'étoit point vû de la place. Cet espace étoit plus petit dans les tours rondes que dans les tours quarrées, mais il étoit toûjours plus que suffisant pour y attacher un mineur qui pouvoit y travailler tranquillement. Cet inconvénient fit penser à renfermer dans les tours l'espace qu'elles laissoient sans défense. On les termina pour cela par deux lignes droites, formant ensemble un angle saillant vers la campagne. Par cette correction les tours furent composées de quatre lignes, savoir de deux faces, & de deux flancs. Voyez FACE & FLANC ; & elles prirent alors le nom de bastions triangulaires, ou simplement de bastions. Voyez BASTION.

Il n'est pas aisé de fixer l'époque précise de l'invention des bastions, mais l'usage paroît s'en être établi à-peu-près vers l'an 1500. Quelques auteurs en attribuent l'honneur à Zisca, chef des Hussites en Bohème, & ils prétendent qu'il s'en servit à la fortification de Tabor. M. le chevalier de Folard croit que le premier qui s'en servit, fut Achmet Bassa, qui ayant pris Otrante en 1480, fit fortifier cette ville avec les bastions qu'on y voit encore aujourd'hui. Mais M. le marquis Maffei, dans sa Verona illustrata, en donne la gloire à un ingénieur de Vérone, nommé San-Micheli, qui fortifia cette ville avec des bastions triangulaires, à la place des tours rondes & quarrées qui étoient alors en usage. Comme cet ingénieur n'est connu par aucun ouvrage de sa façon, M. Maffei allegue deux raisons qui le portent à lui attribuer l'invention de nos bastions. La premiere, c'est l'autorité de George Vasari, qui dans ses vitae excellentium architectorum, imprimées en italien à Florence en 1597, dit en termes formels qu'avant San-Micheli, on faisoit les bastions ronds, & que ce fut lui qui les construisit triangulaires. L'autre raison est tirée des bastions qu'on voit à Vérone, & qu'on croit les plus anciens. On voit sur ces bastions des inscriptions qui portent 1523, 1529, & les années suivantes. Les murs en sont très-solidement bâtis. Ils ont 24 piés d'épaisseur, & ils sont encore en bon état, quoiqu'ils ayent plus de 200 ans de construction. M. le Marquis Maffei prétend que les premiers livres qui ont parlé des bastions, n'ont paru que depuis l'an 1500 en Italie, & depuis 1600 dans les autres pays de l'Europe, ce qui n'est pas entiérement exact ; car Daniel Specle, ingénieur de la ville de Strasbourg, qui mourut en 1589, publia avant sa mort un livre de fortification qu'on estime encore aujourd'hui, dans lequel il se regarde comme le premier allemand qui ait écrit des bastions triangulaires. Le premier qui ait écrit en France sur cette fortification, est Errard de Bar-le-Duc, ingénieur du roi Henri IV. Son ouvrage est postérieur à ceux de plusieurs italiens, & à celui de Specle. On trouvera sa méthode de fortifier à la suite de cet article, avec celle des principaux auteurs qui ont écrit sur la fortification moderne, ou avec des bastions.

Cette fortification est toûjours composée d'un rempart avec son parapet, d'un fossé, & d'un chemin-couvert. Voyez ces mots aux articles qui leur conviennent.

Les maximes ou préceptes qui servent de base à la fortification, peuvent se réduire aux quatre suivans.

1°. Qu'il n'y ait aucune partie de l'enceinte d'une place, qui ne soit vûe & défendue de quelqu'autre partie.

2°. Que les parties de l'enceinte qui sont défendues par d'autres parties de la même enceinte, n'en soient éloignées que de la portée du fusil, c'est-à-dire d'environ 120 toises. Voyez LIGNE DE DEFENSE.

3°. Que les parapets soient à l'épreuve du canon. Voyez PARAPET.

4°. Que le rempart commande dans la campagne tout-autour de la place, à la portée du canon. Voyez COMMANDEMENT.

Outre ces quatre principes généraux, il y en a d'autres qui en sont comme les accessoires, & auxquels on doit avoir égard autant qu'il est possible. Tels sont ceux-ci.

1. Que la défense soit la plus directe qu'il est possible ; c'est-à-dire que les flancs soient disposés de maniere que les soldats placés dessus puissent défendre les faces des bastions sans se mettre obliquement ; parce que l'expérience a fait remarquer que dans l'attaque, le soldat tire vis-à-vis de lui, sans prendre la peine de chercher à découvrir l'ennemi. Suivant cette maxime, l'angle du flanc doit être un peu obtus. On peut le regler à 98 ou 100 degrés.

2. Que les parties qui défendent les centres, comme par exemple les flancs, ne soient pas trop exposées aux coups de l'ennemi.

3. Que la place soit également forte par-tout ; car il est évident que si elle a un endroit foible, ce sera celui que l'ennemi attaquera ; & qu'ainsi les autres parties plus exactement fortifiées, ne procureront aucun avantage pour la défense de la ville.

4. Que les bastions soient grands & capables de contenir un nombre suffisant de soldats, pour soûtenir long-tems les efforts de l'ennemi.

Errard prétendoit qu'un bastion étoit assez grand lorsqu'il pouvoit contenir deux cent hommes : mais ce nombre se trouveroit trop foible aujourd'hui pour soûtenir un assaut ; il faut au moins cinq ou six cent hommes. Au reste la fixation exacte de la grandeur de toutes les parties du bastion, n'est ni fort aisée ni fort importante ; parce que quelques toises de plus ou de moins ne peuvent produire aucun effet sensible sur la force ou la bonté du bastion. Voyez BASTION.

La fortification se divise ordinairement en réguliere & irréguliere ; & en fortification durable & passagere.

La fortification réguliere est celle dans laquelle tous les bastions sont égaux, & qui appartient à une figure ou un polygone régulier. Voyez POLYGONE. Elle a toutes ses parties semblables, égales entr'elles, & qui forment les mêmes angles ; c'est-à-dire par exemple, que dans la fortification réguliere les faces des bastions sont égales entr'elles, les flancs aussi égaux entr'eux, les angles du flanc de même nombre de degrés, &c.

La fortification irréguliere est celle dans laquelle les parties semblables de chaque coté de l'enceinte ne sont pas toutes égales entr'elles : ainsi dans cette fortification les flancs des bastions ne sont pas tous égaux, non plus que les faces, les courtines, les différens angles des bastions, &c. Cette fortification est presque la seule d'usage ; parce qu'il est rare de trouver des places dans un terrein uni, & dont l'enceinte forme un polygone régulier qui ait ses côtés de la grandeur nécessaire pour être fortifiée.

Comme dans la fortification réguliere on n'est gêné par aucune circonstance ni du terrein ni de l'enceinte, on dispose l'arrangement de toutes les parties de la fortification de la maniere la plus avantageuse pour la défense : c'est pourquoi les regles qu'on suit alors, servent de principes pour la fortification irréguliere qui se trouve d'autant plus parfaite, que ces regles y sont plus exactement observées.

La fortification réguliere est préférable à l'irréguliere ; parce que tous ses côtés opposent la même résistance, & qu'elle n'a point de parties foibles dont l'ennemi puisse profiter. La fortification irréguliere n'a pas le même avantage ; la nature du terrein de la place, la bisarrerie de son enceinte jointe à l'inégalité de ses côtés & de ses angles, rendent souvent cette fortification très-difficile. On fait ensorte de rendre tous les côtés ou les fronts également forts ; mais malgré l'habileté des Ingénieurs, on ne peut presque jamais y parvenir. Les places les mieux fortifiées en Europe en fournissent plusieurs exemples.

La fortification durable est celle qu'on employe aux villes & aux lieux qu'on veut mettre en état de résister en tout tems aux entreprises de l'ennemi ; c'est celle de nos places de guerre, & de tous les autres lieux qu'on dit être fortifiés.

La fortification passagere, qu'on appelle aussi fortification de campagne, est celle qu'on employe dans les camps & les armées, & dont les travaux se font & ne subsistent que pendant la guerre : telle est celle qu'on fait pour assûrer la tête des ponts à la guerre, pour couvrir des quartiers, retrancher & fortifier un camp, assûrer des communications, &c.

Dans cette fortification l'on n'a nul égard à la solidité & à la durée. " Il faut se déterminer sur le champ, dit M. de Clairac dans son livre de l'ingénieur de campagne, & tracer de même ; il faut régler l'ouvrage sur le tems & sur le nombre de travailleurs ; ne compter que sur les matériaux que l'on a sous la main, & n'employer que la pelle, la pioche & la hache. C'est plus particulierement en campagne que par-tout ailleurs, qu'un ingénieur doit avoir le coup-d'oeil juste, savoir prendre un parti & saisir ses avantages, être fertile en expédiens, inépuisable en ressources, & faire paroître une activité infatigable ".

On divise encore la Fortification en naturelle, artificielle, ancienne, moderne, offensive, & défensive.

La fortification naturelle est celle dans laquelle la situation propre du lieu en empêche l'accès à l'ennemi : telle seroit une place sur le sommet d'une montagne, dont les avenues ou les chemins pourroient être fermés facilement : telle seroit encore une place entourée de marais inaccessibles, &c. Ces obstacles & ceux de pareille espece que le terrein fournit, sont des fortifications naturelles.

La fortification artificielle est celle dans laquelle on employe le secours de l'art pour mettre les places & les autres lieux qu'on veut conserver à l'abri des surprises de l'ennemi. C'est proprement notre fortification ordinaire, dans laquelle on tâche par différens travaux d'opposer à l'ennemi les mêmes obstacles & les mêmes difficultés qu'on éprouve dans la fortification naturelle.

La fortification ancienne est celle des premiers tems, laquelle s'est conservée jusqu'à l'invention de la poudre à canon ; elle consistoit en une simple enceinte de muraille flanquée de distance en distance par des tours rondes ou quarrées. Voyez le commencement de cet article.

La fortification moderne est celle qui s'est établie depuis la suppression de l'ancienne, & dans laquelle on employe les bastions au lieu de tours.

Lorsqu'un château, une ville, ou quelque autre lieu est fortifié avec des tours, on dit qu'il est fortifié à l'antique ; & lorsqu'il l'est avec des bastions, on dit qu'il est fortifié à la moderne.

La fortification offensive a pour objet toutes les précautions nécessaires pour attaquer l'ennemi avec avantage ; elle consiste principalement dans les différens travaux de la guerre des siéges.

La fortification défensive est celle qu'on employe pour résister plus avantageusement aux attaques & aux entreprises de l'ennemi. On peut dire qu'en général toutes les fortifications sont défensives, car leur objet est toûjours de mettre un petit nombre en état de résister & de se défendre contre un plus grand.

Un général qui a en tête une armée ennemie beaucoup plus nombreuse que la sienne, cherche à suppléer au nombre qui lui manque par la bonté des postes qu'il lui fait occuper, ou par les différens retranchemens dont il sait se couvrir. On ne fortifie les places, qu'afin qu'une garnison de cinq, six, huit ou dix mille hommes, puisse résister pendant quelque tems à une armée, quelque nombreuse qu'elle puisse être. S'il falloit pour défendre les places des garnisons beaucoup plus fortes, capables de se soûtenir en campagne devant l'ennemi, la fortification deviendroit non-seulement inutile, mais onéreuse à l'état par les grands frais qu'exigent sa construction & son entretien.

Il est dangereux par ces deux considérations, de multiplier le nombre des places fortes sans grande nécessité, & sur-tout, dit un auteur célebre, " de n'entreprendre pas aisément d'en fortifier de nouvelles ; parce qu'elles excitent souvent la jalousie des états voisins, & qu'elles deviennent la source d'une longue guerre, qui finit quelquefois par un traité, dont le principal article est leur démolition ".

Depuis l'établissement de la fortification moderne, les Ingénieurs ont proposé différentes manieres de fortifier, ou, ce qui est la même chose, différens systèmes de fortification. Bien des gens en imaginent encore tous les jours de nouveaux ; mais comme il est fort difficile d'en proposer de plus avantageux & moins dispendieux que ceux qui sont en usage, la plûpart de ces idées nouvelles restent dans les livres, & personne ne se met en devoir de les faire exécuter.

Ce qu'on peut desirer dans un nouveau système de fortification, peut se réduire à quatre points principaux.

1°. A donner à l'enceinte des places une disposition plus favorable, pour que toutes les parties en soient moins exposées au feu de l'ennemi, & particulierement au ricochet.

2°. Que le nouveau système puisse s'appliquer également aux places régulieres & irrégulieres, & se tracer aisément sur le papier & sur le terrein.

3°. Qu'il n'exige point de dépense trop considérable pour la construction & l'entretien de la fortification.

Et 4°. que cette fortification n'ait pas besoin d'une garnison trop nombreuse pour être défendue. V. GARNISON. Ce point est un des plus importans ; car outre l'inconvénient de renfermer dans des places des corps de troupes, qui serviroient souvent plus utilement à grossir les armées, il faut des magasins considérables de guerre & de bouche, pour l'approvisionnement de ces places. Or si une longue guerre vous en ôte le pouvoir, les villes ne peuvent plus faire qu'une médiocre résistance, quelle que soit l'excellence de leur fortification. " Les remparts sont admirables ; mais le soldat est mal payé ; l'artillerie est inutile faute de poudre ; les armes sont mauvaises, & l'on en manque ; les magasins sont épuisés ; & de braves gens rendent une place qu'on estimoit imprenable, parce qu'ils sont hors d'état de la défendre : au lieu que des places sans nom sont capables d'arrêter une armée, quand elles sont bien munies ".

Il est sans-doute très-difficile de changer la forme de notre fortification actuelle en une autre plus avantageuse ; mais l'impétuosité & la violence de nos siéges, demandent que l'on fasse les plus grands efforts pour mettre un peu plus d'équilibre entre l'attaque & la défense des places. Voyez DEFENSE.

Les principales méthodes de l'art de fortifier dont on fait le plus de cas en Europe, sont celles du comte de Pagan, du baron de Coehorn, de Scheiter, & sur-tout du maréchal de Vauban. C'est de ces différentes méthodes qu'il importe d'être instruit, parce qu'elles ont été exécutées dans plusieurs places, particulierement celle de M. de Vauban, qui a fait travailler à 300 places anciennes, & qui en a fait 33 neuves.

Les autres systèmes ne peuvent guere servir qu'à l'histoire du progrès de la fortification. On donnera néanmoins ceux des ingénieurs les plus célebres dans cet article, afin de mettre sous les yeux ce qu'il y a de plus intéressant sur ce sujet, dans les meilleurs auteurs qui ont écrit sur la Fortification.

On commencera par le système d'Errard de Bar-le-duc, ingénieur du roi Henri IV. dont nous avons déjà parlé. On prétend que la citadelle d'Amiens est fortifiée à sa maniere, & qu'il a construit aussi plusieurs ouvrages au château de Sedan.

Système d'Errard. Cet auteur ayant remarqué quelle étoit l'importance du flanc des bastions dans les siéges, pour défendre le pié des breches & le passage du fossé, s'appliqua à chercher une construction qui le cachât à l'ennemi ; il la trouva, en imaginant de faire le flanc perpendiculaire à la face du bastion : de cette maniere il rentre en-dedans le bastion, & il se dérobe à l'ennemi. Mais il a aussi l'inconvénient de ne pouvoir rien découvrir, & par conséquent de ne contribuer, pour ainsi dire, en rien à la défense de la place. Ce défaut, qui a été remarqué de tous les ingénieurs qui sont venus ensuite, a fait abandonner la construction d'Errard. Cette construction n'est pas fort utile à connoître aujourd'hui : cependant on la joint ici en faveur de ceux qui sont bien-aises de voir d'une maniere sensible les différens degrés par lesquels la fortification est parvenue dans l'état où elle est actuellement.

Construction d'Errard de Bar-le-duc. Soit A B le côté d'un exagone (Planc. II. de la Fortific. fig. 1.), dont le centre est O : tirez les rayons obliques O A, O B, & les lignes A C, B D, qui fassent avec ces rayons les angles O A C, O B D, chacun de 45 degrés : divisez l'un de ses angles, comme O A C, en deux parties égales, par la ligne droite A D, qui terminera la ligne de défense A D, au point D : prenez la grandeur de cette ligne B D, & portez-la sur A C : par les points C & D, tirez la courtine D C ; & enfin des points D & C, tirez les perpendiculaires D E, C F, sur les lignes de défense A C, B D, elles seront les flancs des demi-bastions du front A B. Faisant les mêmes opérations sur les autres côtés de l'exagone, il sera fortifié à la maniere d'Errard.

Comme il n'y a aucune ligne dont la quantité soit déterminée par cette construction, on peut supposer la ligne de défense B D de 120 toises : ainsi faisant une échelle de cette quantité de toises avec cette ligne, on connoîtra par son moyen la valeur de toutes les autres lignes de cette fortification.

Errard ne prend point la ligne de défense pour l'échelle de sa construction, mais le flanc de chacun de ses polygones. Dans l'exagone il suppose son flanc de 16 toises, de 19 dans l'eptagone, & de 21 dans l'octogone. Il est plus commode de supposer tout-d'un-coup la ligne de défense de 120 toises, pour éviter ces différentes suppositions.

Pour décrire le fossé dans ce système, on prend la grandeur du flanc C F ; puis du point B & de l'intervalle C F, on menera également une parallele à la face du bastion B F ; on menera également une parallele à la face A E, & l'on aura le fossé tracé ; après lequel on construira le chemin-couvert & le glacis. Voyez CHEMIN-COUVERT.

Errard enseigne aussi à construire des orillons sur les flancs ; il leur en faisoit occuper les deux tiers, ce qui achevoit d'anéantir, pour ainsi dire, tout son flanc déjà trop petit & trop rentrant dans le bastion, pour s'opposer efficacement au passage du fossé.

Système de Marolois, appellé communément le système des Hollandois. Marolois a été fort célebre chez les Hollandois. Sa méthode a été regardée comme celle qu'ils avoient adoptée particulierement. On trouve dans cette méthode les flancs d'Errard corrigés. L'auteur, pour leur faire découvrir plus facilement le fossé, les fait perpendiculaires à la courtine. Il a pour principe de conserver du feu de courtine, c'est-à-dire de faire ses lignes de défense fichantes, & de former autour du rempart de la place & sur le bord intérieur du fossé, une basse enceinte appellée fausse braie. Voyez FAUSSE BRAIE.

Pour fortifier un exagone à sa maniere, on commencera par tirer une ligne indéfinie A B (Plan. II. de la Fortification, fig. 2.) ; on fera au point A l'angle B A O égale à la moitié de l'angle de la circonférence de l'exagone, c'est-à-dire de 60 degrés ; & comme, suivant Marolois, l'angle flanqué de l'exagone doit avoir 80 degrés, le demi-angle flanqué en aura 40 : on fera donc l'angle diminué B A D de 20 degrés. On prendra sur A D, A E, de 48 toises ou de 24 verges, la verge valant 12 piés ou deux toises. Du point E, on menera sur A B la perpendiculaire E N ; on portera, si l'on veut avoir une fausse braie à la place, 64 toises de N en I, & 72, si l'on ne veut point de cette basse-enceinte, pour la longueur de la courtine. On prendra après cela I B égale à A N ; on élevera au point I la perpendiculaire I L, égale à N E ; & menant la ligne L B, elle sera la face du demi-bastion opposé à A E. On tirera ensuite O B, qui fasse avec A B l'angle A B O de 60 degrés. Au point E & sur N E prolongée, on fera l'angle B E F de 55 degrés ; le côté E F de cet angle coupera O A dans un point F, duquel on menera F M parallele à A B. On prolongera les perpendiculaires N E, I L, jusqu'à la ligne F M, & l'on aura E G & L H pour les flancs des demi-bastions construits sur le côté extérieur A B : G H, en sera la courtine. On achevera ensuite le principal trait de la fortification proposée, en décrivant un cercle du centre O & du rayon O A ou A B, dans lequel on inscrira l'exagone ; on en fortifiera chaque côté de la même maniere que le côté A B ; ou si l'on veut plus facilement, en se servant de toutes les mesures déterminées sur le front A B.

La ligne magistrale de cet auteur étant ainsi tracée, on lui menera en-dedans & à la distance de 20 piés, une parallele pour terminer la largeur du parapet. On menera aussi une parallele à la même distance, mais en-dehors du polygone ; elle donnera la largeur du terre-plein de la fausse braie. Et enfin une autre parallele à cette ligne & en-dehors à la même distance de 20 piés, elle terminera le parapet de la fausse braie. Le fossé se mene parallelement aux faces des bastions, & à la distance de 25 toises.

Cette maniere de fortifier de Marolois donne un moyen facile de travailler sur le terrein, où l'on ne peut guere décrire exactement un polygone régulier par le moyen d'un cercle. On trace le polygone, le premier trait des courtines & des bastions, en faisant premierement sur terre l'angle du polygone égal à celui qui est décrit sur le papier, & achevant le reste comme il vient d'être enseigné.

Il faut observer que Marolois donne 60 degrés à l'angle flanqué de son quarré, 72 au pentagone, 80 à l'exagone, 85 à l'eptagone, & 90 à l'octogone & aux autres polygones.

Il y a d'autres manieres de fortifier à la hollandoise, comme celle d'Adam Fritach polonois, qui a donné un traité sur la Fortification, traduit en françois en 1640 ; de Dogen, &c. mais comme les principes de ces auteurs ne different pas beaucoup de ceux de Marolois ; qu'ils font comme lui le flanc perpendiculaire à la courtine ; qu'ils construisent des fausses braies à leurs places, & que leurs lignes de défense sont fichantes, il paroît assez inutile de s'arrêter à donner leurs constructions, qui sont absolument hors d'usage : car, comme le dit Ozannam dans son traité de Fortification, elles n'en valent pas la peine. " En effet, bien que plusieurs ayent cru, dit cet auteur, que la fortification des Hollandois étoit la meilleure, à cause de la longue durée des guerres de ce pays-là qui devoit les avoir rendus savans dans cet art par une longue expérience, & que pour résister à un grand prince ils ayent tâché d'y renchérir par-dessus les autres nations ; néanmoins la même expérience a fait voir dans les guerres de 1672, 1673, &c. que la plûpart de leurs meilleures places ont été emportées en trois semaines de tems, & qu'elles l'auroient été plûtôt sans le nombre de leurs dehors ; ce qui depuis ce tems-là a diminué beaucoup la réputation où elles étoient, & que nous méprisons entierement les manieres dont elles ont été fortifiées. Comme dans toutes ces manieres de fortifier on a affecté d'avoir un second flanc sur la courtine, & qu'on y a fait la contrescarpe parallele aux faces des bastions, il arrive ce défaut considérable, savoir que le flanc qui est la principale partie de la défense, ne découvre point tout le fossé, à cause que la contrescarpe étant parallele à la face du bastion, lorsqu'il y a un second flanc, le prolongement du bord extérieur du fossé va bien souvent rencontrer la courtine, au lieu qu'il devroit aboutir à l'angle de l'épaule ; ce qui fait que les ennemis peuvent être logés dans le fossé sans craindre les coups du flanc, parce que la contrescarpe les couvre contre ce flanc, & qu'ils sont seulement vûs du second flanc, qui étant bientôt ruiné, l'entrée du fossé est rendue facile aux assiégeans ". Ozannam, traité de Fortification.

Du système de Stevin de Bruges. On pourroit encore dans la classe des ingénieurs hollandois, mettre le savant Stevin, dont on a un système qui n'est pas plus d'usage aujourd'hui que les précédens. Cet auteur étoit fort estimé de Maurice prince d'Orange. Les états de Hollande lui avoient donné la charge de castramétateur, ou la fonction de marquer & distribuer leurs camps. Il a donné aussi à cette occasion un traité de la Castramétation.

Il commence sa fortification par l'exagone, lui donnant 1000 piés de Delft pour côté (qui est sensiblement égal au pié françois). Il donne à la demi-gorge 180 piés, grandeur plus petite que la 5e partie du côté, au flanc 140, qui differe de peu de la 7e partie du même côté. Il fait ce flanc perpendiculaire à la courtine ; puis de son extrémité & de l'angle du flanc opposé, il tire la ligne de défense, qui se termine par la rencontre du rayon oblique du polygone prolongé. De cette maniere les faces sont extrèmement longues ; son angle flanqué est obtus, & il augmente selon le nombre des côtés du polygone.

Cet auteur fait aussi des places basses & des places hautes à tous les flancs. Il employe les fausses braies à-peu-près comme Marolois & Fritach, & il éleve de plus un cavalier dans le centre de chacun de ses bastions. Ses lignes de défense sont rasantes.

Son flanc est couvert par un orillon, ou plûtôt un épaulement formé par le prolongement de la face du bastion ; mais si cet épaulement couvre son flanc, il le rend aussi si petit, qu'il n'a presque plus aucune défense.

Ceux qui voudront connoître le détail de cette construction, pourront consulter le livre de l'auteur, ou le second volume des travaux de Mars, par Alain Manesson Mallet, où elle est rapportée dans les propres termes de Stevin.

Système ou construction du chevalier Antoine de Ville. Cet auteur étoit ingénieur en France sous le roi Louis XIII. On a de lui un excellent traité de Fortification, dans lequel il fait voir beaucoup de savoir & beaucoup d'intelligence dans cet art. Cet auteur a eu l'avantage de joindre la théorie à la pratique, & il dit lui-même qu'il n'a rien écrit que lui ou son frere n'ait vû ou pratiqué. Sa méthode est appellée dans la plûpart des auteurs, la méthode françoise, comme celle de Marolois est appellée la hollandoise. Il a pour maximes particulieres de faire toûjours l'angle flanqué droit, & le flanc égal à la demi-gorge.

Il fortifie extérieurement, c'est-à-dire en-dehors du polygone. Son flanc est perpendiculaire sur la courtine, & ses lignes de défense sont fichantes. Sa méthode ne peut commencer à se pratiquer qu'à l'exagone ; parce que les autres polygones de moins de côtés ont leurs angles trop petits pour qu'elle puisse y convenir.

Pour donner le détail de la construction de cet auteur, soit A B (Plan. II. de la Fortification, fig. 3.) le côté d'un exagone.

On divisera ce côté en six parties égales. On prendra A C & B D pour les demi-gorges des bastions du front A B, de la sixieme partie de ce côté. Des points C & D, on élevera sur A B les perpendiculaires C L & D H, égales chacune à A C ou B D ; elles seront les flancs des demi-bastions du front A B. On tirera ensuite les rayons obliques O A, O B, prolongés indéfiniment au-delà de A & de B. On abaissera du point L sur le prolongement de O A, la perpendiculaire L Q. On fera Q M égale à L Q, & l'on tirera la ligne M L, qui sera la face du demi-bastion M L C. On déterminera de même la face H N de l'autre demi-bastion. Si l'on répete ensuite les mêmes opérations sur tous les côtés du polygone, on aura le principal trait, ou la ligne magistrale de la construction du chevalier de Ville.

Il est évident par la construction de cet auteur, que les angles flanqués sont droits, de même que ceux du flanc.

Le chevalier de Ville prend le côté intérieur A B pour l'échelle de son plan ; il lui donne cent vingt toises : ainsi les demi-gorges & les flancs qui sont la sixieme partie de ce côté, sont chacun de 20 toises. Le fossé de la place doit être mené parallelement aux faces des bastions, & à la distance de 20 toises.

Si l'on veut couvrir le flanc H D par un orillon, on le divisera en trois parties égales. On prendra G D d'une de ces parties, par le point G & le point M, angle flanqué du bastion opposé ; on tirera la ligne G M, sur laquelle on prendra G K égale à G D. On prolongera la face N H, jusqu'à ce qu'elle rencontre la ligne M G dans un point R. De ce point pris pour centre & de l'intervalle R K, on décrira un arc qui coupera en I le prolongement de la face N H. On tirera après cela la ligne K I, & sur I K on construira l'orillon de cette maniere.

On élevera au point I sur I N & en-dedans le bastion, une perpendiculaire indéfinie ; puis sur le milieu de I K, & toûjours vers le bastion, une seconde perpendiculaire, qui rencontrera la premiere dans un point qui sera le centre de l'orillon, c'est-à-dire que de ce point pris pour centre, on ouvrira le compas jusqu'en I ou en K, & qu'on décrira l'arc de l'orillon.

Si, au lieu d'arrondir l'orillon, on se contente de le laisser terminé par la droite I K, il sera nommé épaulement. Voyez EPAULEMENT.

Outre l'orillon, le chevalier de Ville faisoit une place haute à son flanc, c'est-à-dire qu'il n'élevoit guere la partie G D qu'au niveau de la campagne, & que derriere cette partie il pratiquoit un second flanc E F, beaucoup plus élevé que le premier.

Pour avoir ce second flanc ou cette place haute, il faut prolonger K G de sept toises en-dedans le bastion, c'est-à-dire de G en F ; du point F mener F E parallele à G D, F E sera la place haute & G D la basse, qu'on appelle aussi casemate. Voyez CASEMATE.

Ce que l'on trouve à reprendre dans ce système, c'est principalement la défense oblique des flancs, comme dans celui de Marolois, lesquels étant perpendiculaires à la courtine, ne peuvent défendre directement les faces des bastions opposés. D'ailleurs les demi-gorges & les flancs sont trop petits. C'est ce que le comte de Pagan, qui est venu après le chevalier de Ville, a corrigé dans ses constructions.

Il n'est pas inutile d'observer que cet auteur n'est pas favorable à ceux qui veulent se donner pour inventeurs de plusieurs systèmes ; & en effet cette invention est fort facile, lorsqu'on la fait consister à changer quelque chose dans la mesure ou la disposition des parties de la fortification des autres auteurs. Un homme qui n'a point vû la guerre doit être extrèmement circonspect sur les corrections qu'il propose. Il est fort aisé de trouver à redire à ce que les autres ont fait, mais il ne l'est pas également de faire mieux. " J'avois imaginé, dit le chevalier de Ville, dans son traité de la charge d'un gouverneur, " de mettre quelque douzaine de constructions de fortifications dans mon livre ; mais j'ai après considéré que c'étoit une moquerie qui ne servoit à rien, & qu'il valoit bien mieux n'en mettre qu'une seule, celle qui me sembleroit la plus raisonnable, & montrer par les raisons & expériences en quoi consiste la perfection de la forme de la fortification, rapportant tout aux maximes générales dont tout le monde est d'accord, & par ce moyen desabuser plusieurs, qui s'imaginent que cette science consiste à savoir précisément le nombre des degrés & des minutes des angles ; & les mesures des parties, jusqu'aux piés & aux pouces. J'avertis ceux qui ne le savent pas, dit toûjours le même auteur, que tout cela n'est que pédanterie, qui ne sert qu'à faire perdre du tems, & qu'il n'est point nécessaire à un commandant de savoir ces petites ergoteries de calcul, non plus que des choses qui ne se mettent jamais en pratique ". Les gouverneurs des places peuvent tirer beaucoup de choses utiles du livre qu'on vient de citer. Il y a peu d'ouvrages où leurs devoirs soient traités avec autant de savoir & d'étendue. Ceux qui voudront s'en convaincre par eux-mêmes, seront fort aises qu'on leur ait donné occasion de l'étudier.

Fortification à l'italienne ou de Sardi. Les Italiens ont un grand nombre d'auteurs qui ont très-bien écrit sur la fortification depuis l'invention des bastions. Il seroit assez inutile de parcourir toutes leurs différentes idées à ce sujet, & il seroit d'ailleurs trop long de le faire ; car un seul de ces auteurs nommé le capitaine François de Marchi, bolonois & gentilhomme romain, donne dans un gros in-folio italien imprimé à Bresse en 1599, & intitulé della architettura militare, 161 planches conçues sur des desseins différens, c'est-à-dire autant de systèmes qu'il proteste avoir tous inventés ; encore se plaint-il, malgré cette abondance, qu'on lui a volé plusieurs autres desseins de même espece. Il est aisé de juger par la fécondité de cet auteur de l'immense détail dans lequel il faudroit entrer, si l'on vouloit examiner toutes ces différentes constructions ; il y en a cependant un assez bon nombre de fort ingénieuses, & dans Marchi, & dans les autres italiens ; mais on se bornera ici à dire un mot de la méthode de Sardi, laquelle paroît être une des plus simples & des meilleures.

Cet auteur commence la description de ses figures par l'exagone. Il donne 800 piés géométriques du Rhin à son côté ; & comme ce pié a onze pouces sept lignes & demie, suivant plusieurs auteurs, ce côté a environ 136 toises. Il le divise en 16 parties égales ; il prend trois de ces parties pour la demi-gorge, qui a ainsi 25 toises trois piés. Il éleve son flanc perpendiculaire à la courtine, & il le fait égal à la demi-gorge. Il divise sa courtine en huit parties égales, il en laisse une pour le feu de courtine ou le second flanc ; ensuite par l'extrémité de cette partie & celle du flanc, il tire la face de son bastion indéfiniment. En faisant la même opération sur tous les côtés du polygone, la rencontre des faces donne l'angle flanqué du bastion de cet auteur, & l'on a ainsi la ligne magistrale ou le principal trait de sa fortification.

Sardi couvre aussi son flanc par un orillon ou un épaulement, c'est-à-dire qu'il arrondit la partie du flanc proche l'épaule, ou qu'il la laisse en ligne droite. Il construit une place basse à son flanc, mais elle n'a de longueur que le tiers du flanc, les deux autres tiers sont pour l'orillon. Il fait des cavaliers à ses places, au milieu des courtines. Il leur donne la figure quarrée ; les faces en sont paralleles au parapet du rempart, éloignées du même parapet à-peu-près de quatre toises trois piés. Il place sur ses cavaliers sept pieces d'artillerie, dont trois sont destinées à battre la campagne, & les quatre autres à tirer sur les bastions voisins pour en défendre les breches & détruire les logemens de l'ennemi. Il est évident par la construction qu'on vient d'expliquer, que Sardi fortifie à lignes de défense fichantes ; que les flancs & les demi-gorges sont d'une grandeur raisonnable, & que sa fortification est plus parfaite que celles de tous les auteurs, dont on a donné ci-devant les constructions.

On remarquera à l'occasion du système de Sardi, qu'Ozannam dans sa fortification donne 800 pas géométriques, au lieu de 800 piés, au côté de cet auteur, ce qui est évidemment une faute d'impression ; car autrement, comme le pas géométrique vaut cinq piés communs, le côté du polygone de Sardi seroit de 4000 piés, c'est-à-dire de 666 toises : ce qui est une longueur exorbitante, & qui ne peut être admise. D'ailleurs Sardi dans sa construction, fixe lui-même 800 piés géométriques pour son côté, & non 800 pas. Cependant M. l'abbé Deidier, dans son parfait ingénieur françois, où il rapporte le système de Sardi d'après Ozannam, bien loin de croire qu'il y a une faute dans cet auteur, cherche à rectifier Sardi, & il pense qu'il faut donner 160 toises à son côté intérieur : mais rectifier ainsi les auteurs, n'est pas donner leurs systèmes. Si M. l'abbé Deidier avoit consulté Sardi ou les travaux de Mars de Mallet, il auroit vû que sa correction étoit inutile, & que l'erreur venoit d'une méprise ou d'une faute d'impression du livre d'Ozannam.

Fortification à l'espagnole. On donne ici cette méthode à l'espagnole, telle que la rapporte Ozannam dans son traité de fortification.

Les Espagnols qui estiment que les angles flanqués obtus sont bons, négligent un second flanc sur la courtine, faisant leurs fortifications toûjours à défense rasante ; c'est-à-dire n'ayant jamais aucune ligne de défense fichante, sans se mettre en peine si l'angle du bastion est aigu, droit, ou obtus. Leur maniere de fortifier, à l'exception de l'angle flanqué droit & du second flanc, est la même que celle du chevalier de Ville ; laquelle, à cause de cela a été appellée trait composé, parce qu'elle est composée de l'italienne & de l'espagnole. Il s'agit donc, pour fortifier un polygone régulier selon cette méthode, de diviser le côté en six parties égales ; de faire les demi-gorges d'une de ces parties ; d'élever les flancs perpendiculairement sur les courtines, & de les faire égaux aux demi-gorges ; enfin de l'angle du flanc & de l'extrémité des flancs, tirer les faces, qui en se rencontrant donneront l'angle flanqué des bastions.

Après avoir exposé jusqu'ici les principales constructions des anciens ingénieurs les plus célebres, il faut avant de passer aux modernes, dire un mot de l'ordre renforcé, d'autant plus que plusieurs personnes s'imaginent que M. le maréchal de Vauban a suivi cette construction au neuf Brisack ; il est important de la leur faire connoître, pour qu'ils puissent la comparer avec celle de ce célebre ingénieur, laquelle on donnera à la suite de cet article du mot fortification.

Fortification selon l'ordre renforcé. Cette méthode de l'ordre renforcé est attribuée à différens auteurs italiens, & particulierement au capitaine de Marchi, dont on a déjà parlé ; mais on la trouve particulierement expliquée dans le livre de fortification du pere Bourdin jésuite, ouvrage imprimé en 1655. Ce pere donne cette méthode pour corriger l'irrégularité des polygones qui ont leurs côtés trop longs pour être fortifiés selon la construction ordinaire ; & c'est d'après lui que Mallet, Ozannam, &c. donnent l'ordre renforcé.

Soit (Planche II. de Fortification, figure 4.) un polygone régulier quelconque inscrit dans un cercle, par exemple un exagone. On supposera chacun de ses côtés A B, A C, de 160 toises ; on divisera le côté A B en huit parties égales ; on donnera une de ces parties aux demi-gorges des bastions construits en A & en B ; on élevera aux points D & E, qui terminent ces demi-gorges, les perpendiculaires indéfinies D K, E L pour les flancs des demi-bastions en A & en B. On prendra après cela D F & G E, chacune du quart de A B & des points F & G ; on élevera en-dedans le polygone les perpendiculaires F H ; G I, égales à la huitieme partie de A B ; on tirera la courtine rentrante H I ; ensuite par le point I & le point F, on menera la ligne I M terminée en M, par le prolongement du rayon oblique du polygone : cette ligne coupera la perpendiculaire D K en K, & l'on aura D K le flanc du demi-bastion A, K M la face, & H F le flanc rentrant ou le double flanc du front A B. On opérera de même pour avoir l'autre demi-bastion en B ; & faisant après les mêmes opérations sur tous les côtés du polygone, on aura le principal trait de l'ordre renforcé. Il est aisé d'observer qu'on lui a donné ce nom, à cause des flancs saillans & rentrans dont chaque front est accompagné. Ce système peut servir, comme le pere Bourdin l'employe, aux côtés qui ont plus de 120 ou 140 toises. On peut le pratiquer jusqu'à un front de 200 toises.

Comme le capitaine de Marchi, dont on a déjà parlé plusieurs fois, a donné différens desseins qui approchent de l'ordre renforcé, Manesson Mallet croit que les auteurs de cet ordre en ont pris les premieres pensées dans le livre de ce capitaine ; & il représente à cet effet un plan de cet italien qui approche beaucoup de l'ordre renforcé. Voyez la seconde édition des travaux de Mars, par Alain Manesson Mallet, page 230 du II. Volume.

Fortification suivant la méthode ou le système du comte de Pagan. Le comte de Pagan est un auteur également respectable par sa science, son expérience, & par la noblesse de sa maison. Le grand nombre de siéges où il avoit assisté du tems du roi Louis XIII. lui avoit donné lieu de remarquer la foiblesse des fortifications des anciens ingénieurs, & le peu de défense dont elles étoient susceptibles. Il s'appliqua à trouver le moyen de remédier à ce défaut, & surtout à la défense oblique des flancs perpendiculaires sur la courtine. C'est de tous les auteurs qui l'ont précédé, dit M. Hebert dans une espece de commentaire qu'il a donné de la fortification du comte de Pagan, celui qui a su le mieux réserver dans ses flancs du canon à couvert des batteries de l'ennemi, pour servir utilement à battre de revers dans la breche du bastion opposé. Enfin il est le premier qui ait su loger assez de canon pour faire une résistance considérable & pour défendre long-tems le passage du fossé. On peut dire, sans rien diminuer de l'estime qu'on a pour les illustres ingénieurs qui l'ont suivi, qu'ils n'ont presque fait que perfectionner sa construction, & corriger ce qu'il pouvoit y avoir de défectueux dans une premiere pensée, qu'il n'eut jamais le tems ni l'occasion de rectifier.

Le comte de Pagan divise sa fortification en grande, moyenne, & petite.

Pour construire la moyenne, soit (Planche II. de Fortification, fig. 5.) A B le côté d'un polygone régulier quelconque, par exemple celui d'un exagone, on le supposera de 180 toises.

Il faudra le diviser en deux également en D ; on élevera de ce point, en-dedans le polygone, la perpendiculaire D C, à laquelle on donnera 30 toises. Des points A & B, on tirera par C les lignes de défense indéfinies A N & B M. On prendra les faces A E, B F de 55 toises, puis C M & C N chacune de 32. On tirera les lignes E M & F N, qui seront les flancs du front A B ; M N en sera la courtine.

On peut déterminer les flancs F N & E M, en faisant tomber des points F & E, des perpendiculaires sur les lignes de défense A N & B M.

Pour construire la grande fortification du même auteur, on supposera le côté A B de 200 toises ; on donnera de même 30 toises à la perpendiculaire D C, & 60 toises aux faces des bastions. Les flancs sont toûjours dans les différentes constructions de cet auteur les perpendiculaires abaissées des points E & F sur les lignes de défense B M & A N.

Le côté extérieur de la petite fortification n'a que 160 toises, la perpendiculaire D C toûjours 30. A l'égard des faces, elles n'ont que 50 toises.

Le comte de Pagan pour augmenter le feu de son flanc, fait trois flancs élevés les uns sur les autres en amphithéâtre, & il construit un second bastion dans le premier.

Pour construire ces places, ou comme on les appelle communément, ces casemates, on divisera le flanc F N en deux également en G ; par le point A & le point G, on tirera la ligne A G, qu'on prolongera indéfiniment dans le bastion. On prolongera de même la ligne de défense A N. On prendra ensuite G H de cinq toises, & l'on menera par H, la ligne H I parallele à F N ou G N. On menera après cela L K parallele à H I, & à la distance de sept toises de cette ligne. On donnera 14 toises à L K, qui seront prises de K en L. Enfin à la distance de sept toises de K L, on lui menera la parallele O P, à laquelle on donnera de O en P 14 toises 3 piés. On menera par le point P, la ligne P K, parallele à F B. Cette ligne sera la face du bastion intérieur dont O P sera le flanc. On donnera au parapet de trois toises d'épaisseur ou de largeur, aux trois flancs H I, L K, & O P, c'est-à-dire de la même épaisseur qu'à toute l'enceinte du polygone.

Le fossé de la place est de 16 toises vis-à-vis les angles flanqués des bastions. On le construit en l'alignant de l'arrondissement de la contrescarpe aux angles de l'épaule des bastions opposés. Voy. FOSSE.

Les remparts du comte de Pagan n'ont que quatre toises de largeur ou de terre-plein, non compris l'épaisseur du parapet, qui est, comme on vient de le dire, de trois toises.

Cet auteur a des dehors qui lui sont particuliers, & qu'on peut voir dans son traité de fortification. Le premier qu'il appelle petit dehors, consiste en une demi-lune avec un réduit. Mais les bastions sont couverts par des especes de contre-gardes à flancs, lesquels flancs sont pris sur la contrescarpe de la demi-lune.

Le second qu'il nomme grand dehors, consiste dans des especes de contre-gardes ou bastions détachés, dont il couvre les bastions de la place. Ces contregardes ont aussi trois flancs l'un sur l'autre comme ses bastions, & elles sont jointes ensemble par une espece de courtine qui forme un angle saillant vis-à-vis l'angle rentrant de la contrescarpe. Ces dehors ont un fossé comme celui de la place, avec une demi-lune vis-à-vis la courtine.

La construction du comte de Pagan a beaucoup d'avantage sur celles des autres auteurs dont on a parlé. Les flancs de ses bastions sont plus grands ; & comme ils sont perpendiculaires sur les lignes de défense ; ils défendent directement le fossé des bastions opposés. Mais ils ont aussi cet inconvénient de se trouver trop exposés à l'ennemi. A l'égard de ses trois flancs placés les uns sur les autres, il est aisé de les rendre inutiles par le canon & par les bombes dont on fait bien plus d'usage aujourd'hui que du tems du comte de Pagan, où l'on ne faisoit que de commencer à s'en servir en France. Le système de ce comte a été rectifié dans la suite par M. le Maréchal de Vauban. Alain Manesson Mallet, auteur des travaux de Mars, a corrigé aussi la grandeur des angles du flanc du comte de Pagan. On va donner un précis de sa construction, avant de passer à celle de Mr. de Vauban.

Fortification de Manesson Mallet. Soit un polygone régulier quelconque X, (Pl. II. de Fortification, fig. 6.) inscrit dans un cercle, par exemple, un exagone dont A B soit un des côtés, on tirera d'abord tous les rayons obliques de ce polygone, & on les prolongera indéfiniment au-delà des angles de la circonférence. On divisera ensuite le côté A B en trois parties égales. On portera une de ses parties de A en E, & de B en F, &c. sur le prolongement des rayons obliques. On prendra après cela les demi-gorges A G & B H, chacune de la cinquieme partie de A B. Aux points G & H, on fera avec le côté A B les angles du flanc B G I, G H M de 98 degrés ; ensuite on tirera par H & par E la ligne de défense E H, qui coupera G I dans un point L, qui déterminera la longueur du flanc G L. On déterminera de même le flanc H M, & l'on aura le front A B fortifié, selon la méthode de l'auteur des travaux de Mars.

On prendra pour l'échelle le côté A B, qu'on supposera de 100 toises. La méthode de cet auteur est la même pour le pentagone & les autres polygones d'un plus grand nombre de côtés. Il est évident par sa construction, que ses lignes de défense sont rasantes. Le même auteur enseigne aussi dans son livre la construction de casemates qui lui sont particulieres. Mais dans ce cas il donne 120 toises au côté de son polygone. Ces casemates sont composées de trois places, qui occupent ensemble la moitié du flanc vers la courtine. De ces places, la plus haute & la plus rentrante dans le bastion, est au niveau du terre-plein du même bastion. La seconde est plus enfoncée, & elle a les deux tiers de son étendue cachée à l'ennemi ; la derniere ou la plus basse a de longueur environ la moitié de celle du flanc. Elle est couverte par un orillon en ligne droite, qu'on a appellé épaulement. Il construit encore un cavalier rond ou en forme de tour, au centre de son bastion. La construction de Manesson Mallet est une des plus parfaites qu'on ait encore aujourd'hui, & elle differe peu du premier système de M. le Maréchal de Vauban. Les angles du flanc de ce fameux ingénieur sont d'environ 100 degrés, & ceux de Mallet sont de 98. Il croit être le premier qui les ait fixés à ce nombre, & qui ait ainsi corrigé la trop grande ouverture de ceux du comte de Pagan. Au reste Mallet joignoit comme ce comte la théorie à la pratique. Il avoit servi en qualité d'ingénieur en Portugal ; il y avoit fait différens siéges, & travaillé à plusieurs places : comme Aronche, le château de Ferreira, Extremos, &c. dans lesquelles places les angles du flanc sont de 98 degrés.

Fortification selon le système de M. le maréchal de Vauban. Soit décrit un cercle d'un rayon quelconque A B (Pl. II. de Fortification, fig. 7.), dans lequel on inscrira tel polygone que l'on voudra, par exemple un exagone.

Sur le milieu du côté B C on élevera une perpendiculaire I D, vers le centre du polygone à laquelle on donnera la huitieme partie du côté B C si le polygone est un quarré ; la septieme si c'est un pentagone ; & la sixieme si c'est un exagone ou un autre polygone d'un plus grand nombre de côtés. Par les extrémités B & C du côté B C & par le point D, on tirera les lignes de défense B D, C D prolongées indéfiniment vers F & vers E. On prendra deux septiemes du côté B C, & on les portera de B en H & de C en G sur les lignes de défense ; B H & C G seront les faces des demi-bastions du front B C.

Pour avoir les flancs, on posera une pointe du compas au point G ; on ouvrira le compas jusqu'à ce que l'autre pointe tombe sur le point H ; puis du point G comme centre & de l'intervalle G H, on décrira un arc H E, qui coupera la ligne de défense C E en E : le compas gardant la même ouverture, on prendra le point H pour centre, & l'on décrira l'arc G F qui coupera la ligne de défense B F en F. Les lignes de défense étant ainsi terminées en E & en F, & les faces en H & en G, il ne reste plus pour avoir la ligne magistrale, qu'à joindre ces quatre points par trois lignes droites ; savoir les extrémités des lignes de défense par F F, qui sera la courtine, & les extrémités des faces & de la courtine par H E & G F, qui seront les flancs des demi-bastions B H E, C G F.

Si l'on fait les mêmes opérations sur tous les autres côtés du polygone, le principal trait de ce système sera tracé.

M. de Vauban prend pour l'échelle de son plan le côté B C du polygone, qu'il suppose toûjours de 180 toises. Ainsi la perpendiculaire I D qui dans le quarré est de la huitieme partie de B C, est de 22 toises dans ce polygone ; elle est de 25 toises dans le pentagone, & de 30 dans l'exagone & les autres polygones d'un plus grand nombre de côtés. A l'égard des faces qui sont toûjours les deux septiemes de B C ou de 180 toises, elles ont 50 toises. Telle est la premiere & la plus simple construction de M. de Vauban.

Second système du même. Le second système de M. le maréchal de Vauban se nomme ordinairement le système de Landau, parce qu'il l'a employé à la fortification de cette ville. Soit A B le côté d'un exagone régulier (Pl. II. de Fortification, fig. 8.), on le supposera de 120 toises. On prendra A M & B K chacune de quatre toises ; des points M & K on élevera les perpendiculaires M N, K F de six toises. Du point N on abaissera sur le prolongement du rayon oblique, au-delà de A la perpendiculaire N T. On fera T G égale à T N, & on tirera N G. On tirera de même F L, & l'on aura les petits demi-bastions G N M, K F L, dont A M & K B sont les demi-gorges, M N & F K les flancs, & N G & F L les faces. Ces petits bastions sont nommés tours bastionnées.

Pour décrire les bastions détachés vis-à-vis les tours bastionnées, on menera par l'angle de l'épaule N & par l'angle flanqué L de la tour opposée, la ligne N L. On menera de même F G. On prendra ensuite sur A B, A C & B D du quart de ce côté, c'est-à-dire de 30 toises ; & des points C & D on élevera sur A B & en-dehors du polygone les perpendiculaires indéfinies C Q & D P. On prolongera la capitale B L en-dehors de la tour, ensorte que L R soit de 39 toises. On prendra aussi G I de la même quantité. Cela fait par le point M & le point R, on tirera M R, & par K & I, la ligne K I. Ces lignes couperont les perpendiculaires D P, C Q, dans les points P & Q. On prendra D V & C S chacune d'une toise, & l'on tirera les lignes P V & Q S, que l'on terminera en Z & en H où elles rencontrent les lignes N L & F G. On aura alors les demi-bastions détachés I Q H, R P Z dont I Q & P R seront les faces, & Q H & P Z les flancs. Ces bastions détachés sont appellés contre-gardes, à cause de leur position vis-à-vis les tours bastionnées.

Pour faire le fossé des tours bastionnées, on prendra du point H sur la ligne H G, H O de 10 toises ; de l'angle flanqué G & de l'intervalle de sept toises, on décrira un arc vis-à-vis l'angle flanqué de la tour, & du point O on menera une tangente à cet arc, laquelle déterminera le fossé de la tour A ; on décrira de même celui de la tour B.

Le fossé des contregardes se construit comme celui des places ordinaires. On observera seulement de lui donner 15 toises de largeur vis-à-vis les angles flanqués des contregardes.

On construit dans ce système des tenailles devant les courtines. Leur côté intérieur est pris sur la ligne H Z.

Pour la demi-lune qui couvre la tenaille, on la construit en donnant 45 ou 50 toises à sa capitale, & alignant ses faces sur celles des contre-gardes à 10 toises des angles de l'épaule. On construit encore un réduit dans la demi-lune ; sa capitale est de 15 ou 20 toises, & ses faces sont menées parallelement à celles de la demi-lune. Le rempart du corps de la place & celui des contre-gardes est de six toises de terre-plein ; celui de la demi-lune de quatre, & celui du réduit de trois, non compris l'épaisseur du parapet. Le parapet des tours bastionnées est de pure maçonnerie. Il a neuf piés d'épaisseur. Celui des autres ouvrages est à l'ordinaire, de trois toises.

L'angle flanqué des tours bastionnées est droit dans tous les polygones, excepté dans le quarré. On le détermine dans ce polygone par l'intersection de deux arcs décrits des angles de l'épaule pris pour centres, & d'un intervalle ou rayon de 12 toises.

La ligne F G fait voir que le soldat qui est en F, peut défendre l'angle flanqué G de la tour G N M, & par conséquent que tout le flanc F K peut défendre la face de cette tour.

On pratique dans l'intérieur des tours bastionnées un soûterrein voûté, à l'épreuve de la bombe. On perce aux flancs des tours, & dans le soûterrein deux embrasures, qui ne sont guere plus élevées que le niveau de l'eau du fossé. Le canon placé dans cette partie, ne peut être ni vû ni démonté par l'ennemi. Les soûterreins des tours bastionnées servent dans un tems de siége à mettre à couvert des bombes, les troupes & les munitions de guerre, & de bouche, & de la place. Le terre-plein ou la partie supérieure des tours, est élevé de 18 piés au-dessus du niveau de la campagne. Le rempart des contregardes est de 4 piés plus bas.

Troisieme système de M. le maréchal de Vauban, ou de la fortification du Neuf-Brisach. Le troisieme système de M. de Vauban n'est autre chose que le second qu'il a perfectionné dans la fortification du Neuf-Brisach.

Soit pour le construire, A B (Pl. II. de la Fortification, fig. 9.) le côté d'un polygone, par exemple, d'un octogone. Ce côté est toûjours de 380 toises dans tous les polygones.

Sur le milieu de A B, on élevera en-dedans ce polygone une perpendiculaire C D, à laquelle on donnera 30 toises, ou la sixieme partie de A B. Par les points A & B & par le point D, on tirera les lignes de défense indéfinies A D M, B D L. On portera sur ces lignes, savoir de A en E, & de B en F, 60 toises pour les faces des contre-gardes. On posera ensuite une pointe du compas au point E, & on l'ouvrira jusqu'à ce que l'autre pointe tombe sur le point F ; puis du point F pris pour centre, & de l'intervalle F E, on décrira un arc qui coupera la ligne de défense B L dans un point quelconque ; on prendra sur cet arc E G de 22 toises, & du point G on tirera en E la ligne E G qui sera le flanc de la contre-garde. On déterminera de même le flanc F H, puis l'on menera ensuite la ligne G H qu'on prolongera de part & d'autre jusqu'à la rencontre des rayons obliques du polygone en S & en T. On menera R Q parallele à S T, & à la distance de neuf toises, terminée aussi de part & d'autre par les rayons obliques du polygone. Cette ligne sera le côté intérieur sur lequel les tours bastionnées seront construites.

Pour construire ces tours, on prendra les demi-gorges Q L & M R de sept toises ; aux points M & L on élevera perpendiculairement les flancs des tours auxquels on donnera cinq toises. De l'extrémité de ces flancs on menera des lignes droites aux points T & S ; ces lignes seront les faces des tours bastionnées. On prolongera les flancs des tours de quatre toises 3 piés dans la place, & on joindra le prolongement des deux flancs de chaque tour par une ligne droite, dans le milieu de laquelle on laissera un passage de 9 piés pour entrer dans la tour. Cela fait, on prolongera la perpendiculaire C D vers la place, & du point K où elle rencontre le côté intérieur Q R ; on prendra K N de cinq toises. Par les points L & M & par le point N, on tirera des lignes indéfinies M 1, L 2. On prolongera ensuite les flancs des contregardes vers l'intérieur de la place, jusqu'à ce qu'elles coupent les lignes M 1, L 2 aux points 1 & 2. On tirera la ligne 2, 1 qui sera la partie rentrante de la courtine. M P & L Z seront le reste de la courtine, ou ses parties avancées ; Z 1, P 2 les flancs de cette courtine. C'est dans ces flancs que ce système differe principalement du précédent. Ils servent à augmenter la défense des faces & du fossé des tours bastionnées.

Le fossé des tours se décrit dans le système, de la même maniere que dans le précédent. Il en est de même de la tenaille qui est vis-à-vis la courtine, & du fossé des contre-gardes.

M. le maréchal de Vauban donne 55 toises à la capitale de la demi-lune de cette troisieme construction, & les faces en sont alignées à 15 toises des angles de l'épaule. Chaque demi-lune a un réduit dont la capitale a 23 toises, & dont les faces sont paralleles à celles de la demi-lune. Les demi-lunes de cette fortification sont à flancs. On construit ces flancs en portant 10 toises sur les faces des demi-lunes, du point où elles rencontrent la contrescarpe de la place, & sept toises de ce même point sur la contrescarpe ou la demi-gorge de la demi-lune ; la ligne qui joint le point extrème des 10 toises, & celui des sept, est le flanc de la demi-lune. On donne de même des flancs aux réduits, en portant de la même maniere quatre toises sur leurs faces, & trois toises sur la contrescarpe.

Le terre-plein du rempart de la place & celui des contregardes, est de six toises, en y comprenant la largeur de la banquette. Celui des demi-lunes de quatre, & celui des réduits de trois. Pour le parapet il est de trois toises, à l'exception de celui des tours, qui est de maçonnerie, & qui a 8 piés d'épaisseur & 6 de hauteur.

Le terre-plein des tours bastionnées est élevé de 16 piés au-dessus du niveau de la campagne ; celui des contregardes de 12, de même que celui des courtines de la place. Le terre-plein de la tenaille est au niveau de la campagne. Celui du réduit est élevé de 9 piés, & celui de la demi-lune de 6 piés.

Les contregardes, les tenailles & les demi-lunes sont à demi-revêtement. Dans la partie où se termine le revêtement, on laisse une berme de 10 piés de large ; le rempart est revêtu de gason depuis le côté intérieur de la berme, jusqu'à la partie supérieure du parapet. Sur le bord extérieur de la berme on plante une haie vive, & derriere cette haie un rang de palissade, afin qu'on ne puisse pas aisément de la partie supérieure du revêtement, s'insinuer dans le fossé : & que du fossé on ne puisse pas sans obstacle aller du bord extérieur de la berme au haut du parapet.

On pratique des soûterreins dans les tours de ce système, comme dans celles du précédent ; & comme elles ont plus d'espace, ces soûterreins sont aussi plus grands. Au centre des tours & un peu au-dessus du niveau du fossé, on pratique un magasin à poudre voûté, à l'épreuve de la bombe. On construit à côté d'autres soûterreins le long des faces & des flancs de la tour ; ceux des flancs sont percés de deux embrasures. A côté de l'angle du flanc, il y a des poternes, pour communiquer avec les contregardes. Le passage pour entrer dans les soûterreins des tours, est au pié du rempart vis-à-vis le centre des tours. Il est voûté, & il a 12 piés de large.

Dans le milieu des courtines où il n'y a point de portes, on fait une poterne pour communiquer aux tenailles. On y descend par un soûterrein voûté. On fait aussi des soûterreins dans les flancs de la courtine, percés chacun d'une embrasure ; ce qui donne dans cette partie de l'enceinte un flanc supérieur & un inférieur. On construit aussi dans les flancs des contregardes des communications soûterreines avec la tenaille. Le front A B (Pl. III. de la Fortification, fig. 4.) représente le plan des différens soûterreins dont on vient de parler : de même que celui de la maçonnerie des revêtemens & des contrescarpes. Ceux qui voudront une description plus détaillée de ce système, pourront consulter le VI. livre de la science des Ingénieurs.

Ce troisieme système de M. le maréchal de Vauban, de même que le précédent, donne une fortification susceptible d'une plus grande défense que les précédens. Ses contregardes, qui sont plus grandes que les bastions ordinaires, étant détachées de la place, peuvent être soûtenues jusqu'à la derniere extrémité, sans qu'il en puisse résulter d'inconvénient pour la place. Mais elles ont comme presque tous les dehors de la fortification, assez de difficultés pour les communications. Il y a des ponts à-fleur-d'eau le long de chacun des flancs des tours qui communiquent avec les contregardes. Ces ponts qui sont sans garde-fou, sont fort faciles à manquer dans la nuit, lorsqu'on est pressé par l'ennemi de se retirer. D'ailleurs on ne peut faire cette retraite qu'en défilant, c'est-à-dire lentement ; ce qui expose ceux qui défendent les contregardes ou à se noyer en se retirant, ou à se faire prendre prisonniers. Cependant malgré ce défaut qui est assez général dans la fortification moderne, on ne peut s'empêcher de convenir que la fortification de Landau & celle du Neuf-Brisach ne soient infiniment plus parfaites que les autres fortifications. Mais elles sont aussi d'une bien plus grande dépense, principalement celle du Neuf-Brisach. Cet objet qui mérite beaucoup d'attention ne permettra vraisemblablement pas de fortifier d'autres places de la même maniere. Au reste cette fortification avec des tours bastionnées, paroît convenir aux villes qui sont commandées ; parce que ces tours peuvent servir à parer des commandemens. C'est aussi la situation de Befort, commandée de toute part, qui a donné lieu à M. de Vauban de les imaginer ; & elles le sont plus heureusement que les seconds bastions du comte de Pagan, qui ont peut-être donné à M. de Vauban la premiere idée des tours bastionnées.

Observons à ce sujet que M. le maréchal de Vauban, dont on vient de donner les constructions, n'a rien écrit sur la fortification ; qu'ainsi ces constructions ont été prises dans les ouvrages de ce grand homme, qui a toûjours dit & fait voir par sa pratique, dit M. de Fontenelle dans son éloge, qu'il n'avoit point de maniere particuliere. " Chaque place différente lui en fournissoit une nouvelle, selon les différentes circonstances de sa grandeur, de sa situation, de son terrein. Les plus difficiles de tous les arts, ajoûte très-sensément à cette occasion le célebre historien de l'académie, sont ceux dont les objets sont changeans ; qui ne permettent point aux esprits bornés l'application commode de certaines regles fixes, qui demandent à chaque moment les ressources naturelles & imprévûes d'un génie heureux ".

Ce sont ces ressources qui caractérisent particulierement le mérite d'un bon ingénieur. Il doit posséder parfaitement toutes les regles générales & particulieres de la fortification, & savoir les appliquer avec intelligence, pour corriger les défectuosités des lieux qu'il doit fortifier, & les rendre également susceptibles d'une bonne défense.

Fortification du baron de Coehorn. Le baron de Coehorn, général d'artillerie, lieutenant-général d'infanterie, & directeur-général des fortifications des Provinces-unies, s'est rendu si recommandable par ses grandes connoissances dans l'art de fortifier, qu'on croit ne devoir pas se dispenser de donner quelques idées de ses constructions à la suite de celles de M. le maréchal de Vauban, dont il étoit contemporain.

Il propose trois différentes méthodes, mais toutes pour des terreins peu élevés au-dessus du niveau de l'eau. La premiere, pour un terrein élevé de 4 piés au-dessus de l'eau. La seconde, pour un terrein de 3 ; & la troisieme pour un terrein élevé en été de 5 piés au-dessus de la hauteur de l'eau. Ce qui fait voir que cet auteur a eu égard à la nature du terrein des Provinces-unies, qui n'a guere que ces élévations au-dessus de l'eau, & qu'ainsi elles peuvent être particulierement convenables aux endroits bas & aquatiques.

Construction de la premiere méthode de cet auteur. 1°. Il faut décrire un cercle, & y inscrire un exagone ; ensuite tirer les rayons droits & obliques de ce polygone, prolongés indéfiniment.

2°. Faire une échelle avec le côté A B [ Pl. III. de Fortification, fig. 1.) du polygone, qu'on suppose de 150 toises.

3°. Prendre sur les rayons obliques prolongés les capitales A C & B D de 75 toises, ou de la moitié du côté du polygone.

4°. Faire les demi-gorges A G, B H de la quatrieme partie de A B, c'est-à-dire de 37 toises 3 piés, & tirer après cela les lignes de défense rasantes C H & D G.

5°. De l'angle flanqué C & de l'intervalle de la ligne de défense C H, décrivez l'arc H F, qui sera le flanc du demi bastion D F H. On aura de même l'autre flanc G E du même front.

Pour la tenaille ou courtine basse. Des points C & D pris pour centre, & de l'intervalle de 140 toises, décrivez les arcs M K & L I, qui coupent les lignes de défense ; tirant après cela les lignes L N & N M, on aura la tenaille, dont les faces seront déterminées après la construction de l'orillon.

Pour l'orillon & bastion intérieur. Menez M N parallele à la face D F du bastion, & à la distance de 20 toises quatre piés de cette ligne ; puis de l'angle flanqué C du bastion opposé, décrivez l'arc N S, éloigné de 15 toises du flanc H F : ensuite du point N où N M & S T se rencontrent, élevez sur N M la perpendiculaire N O de cinq toises. Menez O P parallele à M N, & longue de huit toises ; divisez O P en deux également en Q, & élevez Q T perpendiculaire à P O, prolongée jusqu'à ce qu'elle rencontre en T la face D F prolongée. Par P & par C angle flanqué du bastion opposé, tirez P C, sur laquelle prenez P Y de 12 toises. Portez huit toises de T en G, & tirez G Y. Divisez cette ligne en deux également en L ; élevez L I perpendiculaire à G Y, & G I perpendiculaire à G T. Du point I où ces deux lignes se coupent, & de l'intervalle I G ou I Y, décrivez l'arc GLY, qui sera l'arrondissement de l'orillon TGYPQ.

Pour la demi-lune. Tracez du bord du fossé de la place parallelement aux faces des bastions, & à la distance de 24 toises. Prenez de part & d'autre de l'angle rentrant P de la contrescarpe, les demi-gorges P O & P Q de 55 toises. Tirez O Q, & faites sur cette ligne un angle O Q R de 55 degrés. Prolongez le côté Q R de cet angle, jusqu'à ce qu'il rencontre en R le rayon droit, prolongé du polygone. Tirez R O, & vous aurez la demi-lune P Q R O P.

L'auteur construit une autre demi-lune dans cette premiere. Elle se fait en menant à la distance de 20 toises trois piés des faces de sa demi-lune, & en-dedans, les paralleles T S & T V. Le fossé de la demi-lune a 18 toises de largeur.

Pour la contre-garde ou couvre-face. Tirez une ligne X Y parallele à la contrescarpe de la face du bastion, & qui en soit éloignée de 27 piés. Le fossé de cet ouvrage est parallele à ses faces, & il a 14 toises de largeur.

Pour les chemins-couverts & places-d'armes. Menez le chemin-couvert parallelement aux fossés des demi-lunes & contre-gardes, & à la distance de 13 toises un pié, en y comprenant deux banquettes de trois piés chacune, & le talud intérieur du parapet du chemin-couvert qui est d'un pié.

Pour les places-d'armes il faut prendre 25 toises de part & d'autre des angles rentrans du chemin-couvert, par exemple A D & A B de cette quantité, élever aux points D & B les perpendiculaires D C, B C, de 30 toises, elles seront les faces des places-d'armes. Au centre de ces places il y a un réduit qui se construira de cette maniere.

On prendra A E & A F de la même largeur que le chemin-couvert, c'est-à-dire de 13 toises un pié. Des points E & F, on menera les lignes E G, F G, paralleles à D C & C B, & l'on aura le réduit A F, G E A, dont les faces sont G F & G E.

Les gorges des réduits des places-d'armes sont couvertes par deux traverses. Pour les construire, il faut diviser l'espace ou la partie du chemin-couvert qui est entre l'extrémité de la demi-gorge du réduit, celle de la place-d'armes en trois parties égales ; & des deux points qui terminent la partie du milieu, faire tomber deux perpendiculaires sur la contrescarpe opposée à la gorge du réduit. L'espace compris entre ces deux perpendiculaires, donnera la traverse.

Telle est la construction générale de la premiere méthode de M. de Coëhorn. Il faut voir dans son livre le détail des différens ouvrages qu'il construit dans le massif de pieces de sa fortification, c'est-à-dire ses différens soûterreins, &c. On a fait trois éditions de cet ouvrage ; il renferme d'excellentes observations sur la fortification.

Fortification selon la méthode de Scheiter ou Scheiteer. Cet auteur établit trois sortes de fortifications, la grande, la moyenne, & la petite. Le côté extérieur de la grande est de 200 toises ; celui de la moyenne de 180, & celui de la petite de 160. La ligne de défense dans la grande a 140 toises ; 130 dans la moyenne, & 120 dans la petite : elle est toûjours rasante. Toutes les autres lignes de la construction de cet auteur, sont fixées à une même grandeur dans tous les polygones. Pour faire cette construction, il suffit de connoître le côté extérieur, la capitale, & l'angle flanqué ; on acheve ensuite facilement tout le reste. On joint ici une table qui donnera ces connoissances.

TABLE des Capitales & des Angles flanqués de Scheiteer.

Cet auteur détache les bastions de la courtine, derriere laquelle il forme une espece de retranchement intérieur.

Pour donner une idée plus particuliere de sa construction, soit supposé un octogone à fortifier selon sa grande fortification, c'est-à-dire dont le côté extérieur A B (Pl. III. de la Fortificat. fig. 2.) est de 200 toises.

On prendra sur les rayons les capitales A C, B D, de 46 toises ; on tirera ensuite le côté intérieur C D. On prendra avec le compas 140 toises pour la grandeur de la ligne de défense ; & mettant une pointe du compas sur l'angle flanqué A, on décrira avec l'autre pointe un arc qui coupera le côté intérieur en E ; on prendra ensuite C F égale à E D, & l'on tirera par F & par B la seconde ligne de défense F B. On élevera des points E & F sur les lignes de défense A E & F B, les perpendiculaires E L, F I, qui rencontrant les lignes de défense opposées, détermineront les faces des contre-gardes ou bastions détachés de Scheiter.

Prolongez après cela les lignes de défense vers les capitales, & prenez les parties E H, F P, de 16 toises ; & ayant divisé ces lignes en deux également, tirez les flancs hauts paralleles aux flancs bas. Faites la même chose sur les autres côtés. Prenez après cela la distance P Q ; & mettant une pointe du compas ainsi ouvert au point P, décrivez un arc avec l'autre pointe qui coupe la capitale au point N ; tirez ensuite N Q & N P, & la contre-garde sera achevée.

Décrivez autour de la contre-garde du côté de la place, un fossé large de 18 toises, qui donnera le redan R S T ; & comme l'escarpe de ce fossé feroit un angle saillant vers le milieu de la courtine, Scheiter, pour corriger cet inconvénient, y construit un petit bastion de cette maniere.

Du point 3 où les lignes de défense se rencontrent, il abaisse la perpendiculaire 3, 4 sur le côté intérieur ; il porte de part & d'autre du point 4, les distances 4, 5 & 4, 6 égales chacune à 4, 3 : après quoi il tire les faces 5, 3 & 3, 6 de ce bastion. Les flancs se menent parallelement à la perpendiculaire 4, 3, jusqu'à ce qu'ils rencontrent la parallele à P F & E H. Lors qu'ils sont ainsi, tirez la ligne magistrale d'un front de cet auteur.

Le fossé des contre-gardes se trace en prolongeant les faces de 20 toises, comme Z A en X, & tirant une ligne de X à l'angle de l'épaule L, &c.

Sur l'angle rentrant du fossé, il décrit une espece de redoute K, dont la capitale est de 16 toises ; il entoure ses contre-gardes de fausses braies, & tout l'intérieur de son enceinte, à l'exception des faces du petit bastion du milieu des courtines. Il ajoûte au chemin-couvert de la place un avant-chemin-couvert, construit au pié du glacis du premier.

Quoique ce système differe essentiellement de celui que M. le maréchal de Vauban a exécuté au Neuf-Brisack, il s'est cependant trouvé un auteur qui a prétendu que cet illustre ingénieur n'étoit que le copiste de Scheiter, dans la fortification de cette ville : mais M. l'abbé Deidier a démontré l'injustice de cette prétention dans le livre intitulé le parfait ingénieur françois.

On finira cet article par un précis de la fortification de M. Blondel. Le nom & la grande réputation de l'auteur est uniquement ce qui nous y engage ; car la grande dépense qu'elle exige ne permet guere de penser qu'elle soit jamais exécutée. Cette considération nous dispensera d'entrer dans le détail de tous ses défauts ; on se contentera d'observer les principaux. " Fortification de M. Blondel. M. Blondel fortifie en-dedans comme le comte de Pagan ; mais il commence par l'angle diminué, qu'il trouve en ôtant un angle droit, ou 90 degrés de l'angle du polygone, & en ajoûtant toûjours 15 degrés au tiers du reste. Mais cet angle, selon ce principe, se peut trouver plus facilement, sans qu'il soit besoin de savoir l'angle du polygone, savoir en divisant 120 degrés par le nombre des côtés du polygone, & en ôtant le quotient toûjours de 45 degrés ; ou bien encore plus facilement, en ôtant de 45 degrés le tiers de l'angle du centre. Ainsi cet angle diminué se trouvera de 15 degrés dans le quarré, de 21 dans le pentagone, de 25 à l'exagone, & il s'augmentera petit-à-petit dans les autres polygones jusqu'à la ligne droite, où il se trouvera de 45 degrés.

Par le moyen de cet angle ainsi trouvé, on connoîtra que l'angle du bastion est au quarré de 60 degrés, au pentagone de 66, à l'exagone de 70, & qu'il s'augmente peu-à-peu dans tous les autres polygones jusqu'à la ligne droite, où il est de 90 degrés.

L'angle flanquant est au quarré de 150 degrés, de 138 au pentagone, de 130 à l'exagone ; & il diminue petit-à-petit dans tous les autres polygones jusqu'à la ligne droite, où il n'est que de 90 degrés.

Comme l'auteur se persuade que la ligne de défense ne doit jamais être plus grande que de 140 toises, ni plus petite que de 120 aux places qu'on appelle royales, il a pour cette cause deux suppositions, qu'il appelle deux manieres, dont la premiere qui est la grande, fait son côté extérieur de 200 toises dans tous les polygones ; ce qui donne par-tout 140 toises pour la ligne de défense, selon sa maniere générale de fortifier, qui est de donner sept dixiemes parties du côté extérieur à la ligne de la défense, & la moitié de la tenaille à la face. La seconde ou la petite fait par-tout le même côté extérieur de 170 toises ; ce qui donne un peu moins de 120 toises pour la ligne de défense : dans lesquels termes il enferme tout ce qui se peut fortifier, parce qu'une plus grande étendue du côté extérieur rend la défense inutile par le trop grand éloignement des flancs, & qu'une plus petite diminue la longueur des flancs, augmente inutilement le nombre des bastions & la dépense.

Soit (Pl. III. de Fortificat. fig. 3.) A B le côté extérieur d'un exagone ; faites à ces deux extrémités A, B, les deux angles diminués A B C, B A C, chacun de 25 degrés, tels qu'ils doivent être dans l'exagone, par les deux lignes de défense A G, B F, qui se termineront aux points F, G, en les faisant chacune de sept dixiemes parties du coté extérieur A B ; divisez les tenailles A C, B C, chacune en deux également aux points D, E, pour avoir les faces A D, B E, & tirez les flancs D F, E G, avec la courtine F G. Il est aisé de comprendre par cette figure, ce que l'auteur ajoûte à sa fortification pour la rendre dans une très-bonne défense. Il prend en premier lieu sur les flancs D F, E G, les lignes D H, E H, de chacune 10 toises, pour la grandeur de chaque orillon quarré, & il employe le reste au flanc couvert, qu'il retire en-dedans de cinq ou six toises, & cette retraite lui sert pour allonger les courtines aux bastions des polygones de plusieurs côtés, & pour en donner à ceux qui sont sur la ligne droite, parce qu'ils n'en ont point ou fort peu, & dans ce cas il retire ses flancs en-dedans jusqu'à 20 toises de chaque coté, afin d'avoir une courtine un peu plus longue que de 20 toises. La retirade du flanc se mesure sur une ligne droite, tirée par le point H à l'angle du bastion opposé.

Il fait, comme le comte de Pagan, trois batteries au-dedans de la casemate, donnant trois toises de largeur à chaque parapet, & cinq à chaque plate-forme. Le plan de la batterie basse est au-dessus du fond du fossé de neuf à 12 piés ; celui de la moyenne de 18 à 24, & celui de la plus haute, qui est le même que le haut du rempart, de 27 à 36.

Ces trois batteries sont terminées vers la demi-gorge, sur la ligne de défense prolongée, & vers l'orillon, sur la ligne tirée de l'angle du bastion opposé par l'extrémité du même orillon. Le parapet de la batterie basse est haut de neuf à 10 piés, de six à sept dans la moyenne, & de trois & demi à la plus haute des embrasures.

Comme il reste beaucoup de vuide entre les deux places hautes de chaque côté d'un bastion, l'auteur ajoûte dans cet espace des cavaliers, dont la figure est telle que vous la voyez ici, & dont chacun sera capable de chaque côté au-moins de 12 pieces de canon. Ces cavaliers & les batteries se construiront de la terre qui se tire du fossé général, dont la largeur est égale à la longueur du flanc D F ou E G ; de sorte que l'angle de la contrescarpe se fait environ au milieu du côté extérieur A B.

L'auteur fait une demi-lune ou contre-garde à la pointe de chaque bastion, qui est parallele à ses faces, de maçonnerie solide sans terrein, & contre-minée par-tout. Sa largeur est de trois ou quatre toises en tout, c'est-à-dire en y comprenant le parapet, qu'on ne fera large que de huit à 10 piés. On la fait dans le grand fossé, à la distance de 10 à 12 toises de la contrescarpe, & cette distance lui sert de fossé. Cette contre-garde sert principalement à ôter à la contrescarpe la vûe des batteries basses du flanc opposé, & son peu d'épaisseur doit encore empêcher les ennemis d'y mettre leur canon après l'avoir forcée.

En ligne droite de cet ouvrage, l'auteur ajoûte vis-à-vis l'angle de la contrescarpe, un ravelin, dont la pointe K se trouve par l'intersection de deux arcs de cercle, décrits des angles de l'épaule D E, à l'ouverture de la distance D E, & dont les faces tendent aux deux points I, éloignés des épaules D, E de six toises, & s'arrêtent sur la ligne de la contre-garde continuée.

Le fossé de ce ravelin sera large de 10 toises ; & afin qu'il soit bien défendu, l'auteur prend dans la face du bastion au-delà du point I, l'espace qui le peut voir, lequel par conséquent sera aussi de 10 toises, où il fait une batterie basse de quatre à cinq piés, & une autre en-dedans de la hauteur d'un parapet de la place. Le plan de la batterie basse sera au niveau de celui de la moyenne du flanc, c'est-à-dire de 18 à 24 piés de hauteur au-dessus du fond du fossé.

Ce ravelin sert non-seulement à couvrir les épaules & les orillons de chaque bastion, mais encore à défendre le fossé de la contre-garde ; parce que l'auteur prend dans sa face tout ce qui peut découvrir ce fossé, où il pratique deux batteries, l'une haute, & l'autre basse, de la même maniere qu'en celle des faces des bastions. Il ne donne de terre-plein à ce ravelin, qu'autant qu'il lui en faut pour le recul des pieces de batteries, & il laisse le reste du dedans tout vuide, pour faire plus aisément des contre-mines dans le rempart, & pour ôter aux ennemis le moyen de s'y loger après l'avoir forcée.

Outre cela l'auteur ajoûte dans son grand fossé une cunette, qu'il fait régner tout-à-l'entour, de la largeur de sept ou huit toises, pour se garantir de l'insulte qu'on peut craindre du côté des flancs bas, qui paroissent d'un accès facile. On pourroit encore faire une cunette plus étroite dans les fossés des dehors, s'ils ont huit ou 10 toises de largeur, & principalement aux endroits où l'on a pratiqué des batteries basses dans les faces de demi-lunes ou ravelins.

Pour faire que les batteries de chaque bastion, qui défendent le fossé du ravelin, soient mieux couvertes, l'auteur ajoûte dans l'angle de la contrescarpe du ravelin une lunette L M N O, dont la figure est en losange, donnant environ 20 toises à chacun de ses côtés, &c.

Quoique cette maniere de fortifier soit extrèmement bien inventée, néanmoins elle oblige à une trop grande dépense, tant pour la construction du fossé, que l'auteur est contraint de faire prodigieusement large & très-profond pour pouvoir fournir de la terre pour le rempart, & pour toutes les batteries des flancs & des faces des bastions, que pour la quantité des munitions & des canonniers & officiers d'Artillerie, dont une place fortifiée de la sorte doit être pourvûe, & des dehors qui doivent y être pour couvrir les flancs qui sont trop exposés.

Outre cela, les quatre batteries du flanc sont si longues & si serrées, que l'ennemi les peut combler de bombes en peu de tems ; & les ayant une fois rompues avec son canon, elles lui peuvent servir comme de marches pour monter plus facilement à l'assaut. De plus les cavaliers qui sont entre les deux places hautes du bastion, remplissent tellement ce bastion, qu'il est difficile de s'y pouvoir retrancher en cas de besoin ". Fortifications d'Ozannam.

On pourroit faire plusieurs autres observations sur les défauts de cette fortification : mais on se contentera de remarquer " que s'il ne s'agissoit que d'aggrandir & de multiplier les lieux d'où les bastions peuvent tirer leur défense, il seroit impossible de mieux réussir que M. Blondel : rien n'est plus capable d'ébloüir ceux qui recherchent l'augmentation du feu, que de voir des flancs longs de 50 ou même de 70 toises, quatre batteries de cette longueur exposées à une même face de bastion, & les deux premieres à la portée du mousquet. Mais si outre cet aggrandissement des flancs, on demande encore qu'ils soient à couvert des batteries éloignées, on n'en est pas quitte à bon marché en se servant des moyens que fournit M. Blondel ". Nouvelle maniere de fortifier les places, &c. (Q)

FORTIFICATION DURABLE, voyez l'article FORTIFICATION. (Q)


FORTIFIERFORTIFIER EN-DEDANS, (Fortific.) c’est prendre le côté du polygone pour le côté extérieur. Voy. CÔTÉ EXTÉRIEUR & FORTIFIER EN-DEHORS. (Q)

FORTIFIER EN-DEHORS, (Fortificat.) c'est dans la Fortification faire servir le côté du polygone qu'on se propose de fortifier, de côté intérieur : on dit alors qu'on fortifie en-dehors, parce que les bastions sont véritablement hors du polygone ; on dit au contraire qu'on fortifie en-dedans, lorsque le côté du polygone sert de côté extérieur, les bastions étant alors en-dedans le polygone.

On peut également fortifier les places en-dehors & en-dedans. Cette derniere méthode paroît mériter quelque préférence sur la premiere, parce qu'en la suivant on fixe les pointes des bastions où l'on veut, & qu'elle est plus propre à proportionner toutes les parties de la fortification aux côtés & aux angles des polygones qu'on fortifie.

Lorsqu'on fortifie en-dehors, on a l'avantage de fixer les lieux où doivent être les courtines ; ce qui peut servir lorsque la place a une vieille enceinte déterminée par un rempart, ou par des maisons qu'on veut conserver. Mais on peut indifféremment dans la fortification réguliere, se servir de l'une ou de l'autre de ces méthodes, suivant que le terrein & la situation de la place peuvent le demander. Car lorsque tous les côtés intérieurs se trouveront déterminés sur un plan bien exact, on peut en leur menant des paralleles, à la distance qui doit être entre le côté extérieur & l'intérieur, construire la fortification en-dedans sur ces paralleles ; & après avoir calculé & trouvé la grandeur de toutes ses parties & de ses angles, il est aisé ensuite de construire la fortification sur le côté intérieur. Voyez chacune de ces constructions à la suite du mot FORTIFICATION, dans les systèmes du chevalier de Ville, de Pagan, de Vauban, de Mallet, &c.

Si la place qu'on veut fortifier est irréguliere, & que les côtés intérieurs soient donnés de grandeur & de position, ou si elle a une vieille enceinte sur laquelle on doit prendre les courtines, il est fort difficile alors de parvenir par la fortification du polygone extérieur, à avoir pour côtés intérieurs les côtés de l'enceinte : car dans les polygones irréguliers, la distance du côté intérieur à l'extérieur n'est pas la même pour tous les côtés, comme dans les réguliers ; l'inégalité des angles du polygone rend cette distance plus ou moins grande, suivant les variations de ces angles : c'est pourquoi si l'on mene des paralleles aux côtés intérieurs & à la distance qui leur convient à chacun, la grandeur de ces paralleles ne répondra point à celle des côtés intérieurs correspondans ; ses paralleles qui seront les moins éloignés des côtés intérieurs, s'étendront sur celles qui le seront davantage, & elles en diminueront la grandeur. Mais comme les plus proches des côtés intérieurs se trouveront opposés aux plus petits de ces côtés, les côtés extérieurs qu'elles produiront se proportionneront en quelque maniere les uns & les autres, parce que les plus grands seront diminués par la rencontre des petits. C'est par cette espece de compensation de côtés, que quelques auteurs croyent qu'il est plus avantageux de fortifier par le polygone extérieur, que par l'intérieur. Mais ces auteurs n'ont pas fait attention que par cette méthode les courtines du polygone extérieur ne tombent pas toûjours sur les côtés de l'intérieur ; ce qui est un grand inconvénient, lorsque la ville a une enceinte sur laquelle on veut prendre les courtines.

Dans la pratique des fortifications, on peut lorsque les places n'ont point d'enceinte déterminée, se servir du polygone extérieur pour la trace de la ligne magistrale ; mais on doit préférer la méthode de tracer cette ligne par le polygone intérieur, s'il faut prendre nécessairement les courtines sur les côtés de l'enceinte. Voyez, dans la troisieme édition des élémens de fortification, l'examen du traité de la fortification par le polygone extérieur & par l'intérieur. (Q)


FORTINS. m. diminutif du mot fort. Un fortin est un petit fort fait à la hâte, pour défendre un passage ou un poste. On s'en servoit beaucoup autrefois dans les lignes de circonvallation ; mais on leur a substitué les redoutes, qui sont plus faciles à garder, quoique leur feu soit moins avantageux que celui des forts. Voyez FORT DE CAMPAGNE & FORT A ETOILE. (Q)

* FORTIN, (Commerce) mesure de continence pour mesurer les grains, dont on se sert dans plusieurs échelles du levant. Quatre quillots font le fortin, & il faut quatre quillots & demi pour faire la charge de Marseille. Voyez CHARGE & QUILLOT Dict. de Comm. (G)


FORTRAITadj. (Manége, Maréchall.) cheval fortrait, cheval extrèmement harassé, fatigué, efflanqué. Voyez ci-après FORTRAITURE. (e)


FORTRAITURES. m. (Manége, Maréch.) fatigue outrée & excessive, accompagnée d'un grand échauffement. Cette maladie est très-fréquente dans les chevaux de riviere, sujets à des travaux violens, & communément réduits à l'avoine pour toute nourriture.

Elle s'annonce par la contraction spasmodique des muscles de l'abdomen, & principalement du muscle grand oblique, dans le point où ses fibres charnues deviennent aponévrotiques. Le flanc de l'animal r'entre, pour ainsi dire, dans lui-même ; il est creux ; il est tendu ; son poil est hérissé & lavé ; & sa fiente est dure, seche, noire, & en quelque façon brûlée.

La cure en est opérée par des lavemens émolliens & par un régime doux & modéré. Le son humecté, l'eau blanche dans laquelle on mêle une décoction de guimauve, de mauve, de pariétaire & de mercuriale, sont d'une efficacité singuliere. Il est quelquefois très-bon de pratiquer une legere saignée après avoir accordé quelques jours de repos à l'animal ; & lorsque l'on s'apperçoit qu'il acquiert des forces, on doit encore continuer l'administration des lavemens, & l'on pourroit même oindre ses flancs avec parties égales de miel rosat & d'althaea, pour diminuer l'éréthisme, si les remedes prescrits ne suffisoient pas à cet effet, ce qui est infiniment rare. (e)


FORTUITadj. (Gramm.) terme assez commun dans la langue, & tout-à-fait vuide de sens dans la nature. Voyez l'article suivant. Nous disons d'un évenement qu'il est fortuit, lorsque la cause nous en est inconnue ; que sa liaison avec ceux qui le précedent, l'accompagnent ou le suivent, nous échappe, en un mot lorsqu'il est au-dessus de nos connoissances & indépendant de notre volonté. L'homme peut être heureux ou malheureux par des cas fortuits ; mais ils ne le rendent point digne d'éloge ou de blâme, de châtiment ou de récompense. Celui qui refléchira profondement à l'enchaînement des évenemens, verra avec une sorte d'effroi combien la vie est fortuite, & il se familiarisera avec l'idée de la mort, le seul évenement qui puisse nous soustraire à la servitude générale des êtres.

FORTUIT, (Métaphys.) Tout étant lié dans la nature, les évenemens dépendent les uns des autres ; la chaîne qui les unit est souvent imperceptible, mais n'en est pas moins réelle. Voyez FATALITE.

Supposez un évenement de plus ou de moins dans le monde, ou même un seul changement dans les circonstances d'un évenement, tous les autres se ressentiront de cette altération legere, comme une montre toute entiere se ressent de la plus petite altération essuyée par une des roues. Mais, dit-on, il y a des événemens qui ont des effets, & d'autres qui n'en ont point ; & ces derniers au-moins n'influent pas dans le système général du monde. Je répons 1°. qu'on peut douter s'il y a aucun évenement sans effet. 2°. Que quand même il y auroit des évenemens sans effet, si ces évenemens n'eussent pas existé, ce qui leur a donné naissance n'eût pas existé non plus ; la cause qui les a produits n'eût donc pas été exactement telle qu'elle est, ni par conséquent la cause de cette cause, & ainsi en remontant. Il y a dans un arbre des branches extrèmes qui n'en produisent point d'autres ; mais supposez une feuille de moins à l'une des branches, vous ôtez à la branche ce qu'elle avoit pour produire cette feuille ; vous changez donc à certains égards cette branche, & par conséquent celle qui l'a produite, & ainsi de suite jusqu'au tronc & aux racines. Cet arbre est l'image du monde.

On demande si la chaîne des évenemens est contraire à la liberté. Voici quelques réflexions sur cet important sujet.

Soit que les lois du mouvement instituées par le Créateur, ayent leur source dans la nature même de la matiere, soit que l'être suprême les ait librement établies (voyez EQUILIBRE), il est constant que notre corps est assujetti à ces lois, qu'il en résulte dans notre machine depuis le premier instant de son existence une suite de mouvemens dépendans les uns des autres, dont nous ne sommes nullement les maîtres, & auxquels notre ame obéit par les lois de son union avec le corps. D'un autre côté, chaque évenement étant prévû par l'intelligence divine, & existant de toute éternité dans ses decrets, tout ce qui arrive doit infailliblement arriver ; la liberté de l'homme paroît inconciliable avec ces vérités. Nous sentons néanmoins que nous sommes libres ; l'expérience & une opération facile de notre esprit suffisent pour nous en convaincre. Accoûtumés à faire à plusieurs reprises, souvent même dans des occasions semblables en apparence, des actions directement opposées, nous séparons par abstraction le pouvoir d'agir d'avec l'action même ; nous regardons ce pouvoir comme subsistant, même après que l'action est faite, ou pendant que nous faisons l'action contraire ; & ce pouvoir oisif, quoique réel, est ce que nous appellons liberté. En vain la toute-puissance du Créateur, en vain la sagesse de ses vûes éternelles, qui assujettit & qui regle tout, nous paroissent incompatibles avec cette liberté de l'homme ; le sentiment intérieur, &, si on peut parler ainsi, l'instinct contraire doit l'emporter. Il en est ici comme de l'existence des corps, à laquelle nous sommes forcés de revenir, par quelque sophisme qu'on l'attaque. Nous sommes libres, parce que dans la supposition que nous le fussions réellement, nous ne pourrions pas en avoir une conscience plus vive que celle que nous en avons. D'ailleurs cette conscience est la seule preuve que nous puissions avoir de notre liberté ; car la liberté n'est autre chose qu'un pouvoir qui ne s'exerce pas actuellement, & ce pouvoir ne peut être connu que par conscience, & non par l'exercice actuel, puisqu'il est impossible d'exécuter en même tems deux actions opposées.

Supposons mille mondes existans à-la-fois, tous semblables à celui-ci, & gouvernés par conséquent par les mêmes lois ; tout s'y passeroit absolument de même. Les hommes en vertu de ces lois feroient aux mêmes instans les mêmes actions dans chacun de ces mondes ; & une intelligence différente du Créateur qui verroit à-la-fois tous ces mondes si semblables, en prendroit les habitans pour des automates, quoiqu'ils n'en fussent pas, & que chacun d'eux au-dedans de lui-même fût assûré du contraire. Le sentiment intérieur est donc la seule preuve que nous ayons & que nous puissions avoir d'être libres.

Cette preuve nous suffit, & paroît bien supérieure à toute autre ; car de dire avec quelques philosophes que les lois sont fondées sur la liberté, qu'il seroit injuste de punir les crimes s'ils étoient nécessaires, c'est établir une vérité bien claire par une preuve bien foible. Les hommes fussent-ils de pures machines, il suffiroit que la crainte fût un des mobiles principaux de ces machines, pour que cette crainte fût un moyen efficace d'empêcher un grand nombre de crimes. Il ne seroit alors ni juste ni injuste de les punir, parce que sans liberté il n'y a ni justice ni injustice ; mais il seroit toûjours nécessaire d'arrêter la méchanceté des hommes par des châtimens, comme on oppose à un torrent funeste des digues puissantes qui le forcent à changer son cours. L'effet nécessaire de la crainte est d'arrêter la main de l'automate réel ou supposé ; supprimer ou arrêter ce ressort, ce seroit en empêcher l'effet ; les supplices seroient donc dans une société même d'automates (qui n'existe pas) une roue nécessaire pour regler la machine.

La notion du bien & du mal est donc une suite de la notion de la liberté, & non pas la notion de la liberté une suite de la notion du bien & du mal moral.

A l'égard de la maniere dont notre liberté subsiste avec la providence éternelle, avec la justice par laquelle Dieu punit le crime, avec les lois immuables auxquelles tous les êtres sont soûmis, c'est un secret incompréhensible pour nous, dont il n'a pas plû au Créateur de nous révéler la connoissance ; mais ce qui n'est peut-être pas moins incompréhensible, c'est la témérité avec laquelle certains hommes qui se croyent ou qui se disent sages, ont entrepris d'expliquer & de concilier de tels mysteres. En vain la révélation nous assûre que cet abysme est impénétrable * ; la philosophie orgueilleuse a entrepris de le sonder, & n'a fait que s'y perdre. Les uns croyent avoir reussi par une distinction entre l'infaillible & le nécessaire ; distinction qui pour être réelle, ne nous laissera pas des idées plus nettes, dès que nous voudrons l'approfondir de bonne foi : les autres, pour expliquer comment Dieu est l'auteur de tout sans l'être du péché, disent que Dieu en produit tout le physique sans en produire le moral, qui est une privation ; comme si en leur accordant même cette distinction futile & chimérique, il ne restoit pas toûjours à expliquer comment la sagesse de Dieu peut concourir à un physique auquel le moral est nécessairement attaché, & comment sa justice punit ensuite ce même moral, suite nécessaire du physique qu'il a produit ; ceux-ci, en faisant agir l'homme d'une maniere très-subordonnée à Dieu, & dépendante de decrets prédéterminans, sauvent réellement la puissance de Dieu aux dépens de notre liberté ; ceux-là au contraire plus amis de l'homme en apparence, croyent sauver la perfection & l'intelligence divine, en admettant en Dieu une science indépendante de ses decrets, & antérieure à nos actions. Ils ne s'apperçoivent pas non-seulement qu'ils détruisent par ce système la providence & la toute-puissance de Dieu, en faisant la volonté de l'homme indépendante, mais qu'ils retombent sans y penser, ou dans le système de la fatalité, ou dans l'athéisme ; car la science de Dieu ne peut être fondée que sur la connoissance qu'il a des lois immuables par lesquelles l'univers est gouverné, & de l'effet infaillible de ces lois, & Dieu ne peut devoir cette connoissance qu'à la dépendance où ces lois & leurs effets sont de lui. C'est ainsi qu'en voulant concilier (malgré l'oracle de Dieu même) les deux vérités dont il s'agit, on ne fait qu'anéantir l'une des deux, ou peut-être affoiblir l'une & l'autre : aussi n'y a-t-il aucune secte de scholastiques, qui après s'être épuisée en raisonnemens, en distinctions, en subtilités, & en systèmes sur cet important article, ne revienne enfin, pressée par les objections, à la profondeur des decrets éternels. Tous ces sophistes en avoüant leur ignorance un peu plûtôt, n'auroient pas eu la peine de faire tant de détours pour revenir au point d'où ils étoient partis. Le vrai philosophe n'est ni thomiste, ni moliniste, ni congruiste ; il reconnoît & voit partout la puissance souveraine de Dieu ; il avoue que l'homme est libre, & se taît sur ce qu'il ne peut comprendre. (O)


FORTUNES. m. (Morale) ce mot a différentes acceptions en notre langue : il signifie ou la suite des évenemens qui rendent les hommes heureux ou malheureux, & c'est l'acception la plus générale ; ou un état d'opulence, & c'est en ce sens qu'on dit faire fortune, avoir de la fortune. Enfin lorsque ce mot est joint au mot bon, il désigne les faveurs du sexe ; aller en bonne fortune, avoir des bonnes fortunes (& non pas, pour le dire en passant, de bonnes fortunes, parce que bonne fortune est traité ici comme un seul mot). L'objet de cette derniere acception est trop peu sérieux pour obtenir place dans un ouvrage tel que le nôtre ; ce qui regarde le mot fortune pris dans le premier sens, a été suffisamment approfondi au

* O altitudo ! &c. Quam incomprehensibilia sunt judicia ejus, & quam inenarrabiles viae ejus ! Ces paroles prouvent assez que, suivant l'Ecriture même, l'accord de la liberté avec la science & la puissance de Dieu, est un mystere.

mot FATALITE ; nous nous bornerons donc à dire ici quelque chose sur le mot fortune, pris dans la seconde acception.

Il y a des moyens vils de faire fortune, c'est-à-dire d'acquérir des richesses ; il y en a de criminels, il y en a d'honnêtes.

Les moyens vils consistent en général dans le talent méprisable de faire bassement sa cour ; ce talent se réduit, comme le disoit autrefois un prince de beaucoup d'esprit, à savoir être auprès des grands sans humeur & sans honneur. Il faut cependant observer que les moyens vils de parvenir à l'opulence, cessent en quelque maniere de l'être lorsqu'on ne les employe qu'à se procurer l'étroit nécessaire. Tout est permis, excepté le crime, pour sortir d'un état de misere profonde ; de-là vient qu'il est souvent plus facile de s'enrichir, en partant de l'indigence absolue, qu'en partant d'une fortune étroite & bornée. La nécessité de se délivrer de l'indigence, rendant presque tous les moyens excusables, familiarise insensiblement avec ces moyens ; il en coûte moins ensuite pour les faire servir à l'augmentation de sa fortune.

Les moyens de s'enrichir peuvent être criminels en morale, quoique permis par les lois ; il est contre le droit naturel & contre l'humanité que des millions d'hommes soient privés du nécessaire comme ils le sont dans certains pays, pour nourrir le luxe scandaleux d'un petit nombre de citoyens oisifs. Une injustice si criante & si cruelle ne peut être autorisée par le motif de fournir des ressources à l'état dans des tems difficiles. Multiplier les malheureux pour augmenter les ressources, c'est se couper un bras pour donner plus de nourriture à l'autre. Cette inégalité monstrueuse entre la fortune des hommes, qui fait que les uns périssent d'indigence, tandis que les autres regorgent de superflu, étoit un des principaux argumens des Epicuriens contre la providence, & devoit paroître sans réplique à des philosophes privés des lumieres de l'évangile. Les hommes engraissés de la substance publique, n'ont qu'un moyen de réconcilier leur opulence avec la morale, c'est de rendre abondamment à l'indigence ce qu'ils lui ont enlevé, supposé même que la morale soit parfaitement à couvert, quand on donne aux uns ce dont on a privé les autres. Mais pour l'ordinaire ceux qui ont causé la misere du peuple, croyent s'acquiter en la plaignant, ou même se dispensent de la plaindre.

Les moyens honnêtes de faire fortune, sont ceux qui viennent du talent & de l'industrie ; à la tête de ces moyens, on doit placer le Commerce. Quelle différence pour le sage entre la fortune d'un courtisan faite à force de bassesses & d'intrigues, & celle d'un négociant qui ne doit son opulence qu'à lui-même, & qui par cette opulence procure le bien de l'état ! C'est une étrange barbarie dans nos moeurs, & en même tems une contradiction bien ridicule, que le commerce, c'est-à-dire la maniere la plus noble de s'enrichir, soit regardé par les nobles avec mépris, & qu'il serve néanmoins à acheter la noblesse. Mais ce qui met le comble à la contradiction & à la barbarie, est qu'on puisse se procurer la noblesse avec des richesses acquises par toutes sortes de voies. Voyez NOBLESSE.

Un moyen sûr de faire fortune, c'est d'être continuellement occupé de cet objet, & de n'être pas scrupuleux sur le choix des routes qui peuvent y conduire. On demandoit à Newton comment il avoit pû trouver le système du monde : c'est, disoit ce grand philosophe, pour y avoir pensé sans-cesse. A plus forte raison réussira-t-on par cette opiniâtreté dans des entreprises moins difficiles, sur-tout quand on sera résolu d'employer toutes sortes de voies. L'esprit d'intrigue & de manége est donc bien méprisable, puisque c'est l'esprit de tous ceux qui voudront l'avoir, & de ceux qui n'en ont point d'autre. Il ne faut d'autre talent pour faire fortune, que la résolution bien déterminée de la faire, de la patience, & de l'audace. Disons plus : les moyens honnêtes de s'enrichir, quoiqu'ils supposent quelques difficultés réelles à vaincre, n'en présentent pas toûjours autant qu'on pourroit le penser. On sait l'histoire de ce philosophe, à qui ses ennemis reprochoient de ne mépriser les richesses, que pour n'avoir pas l'esprit d'en acquérir. Il se mit dans le commerce, s'y enrichit en un an, distribua son gain à ses amis, & se remit ensuite à philosopher. (O)

FORTUNE, (Mythol. Littér.) fille de Jupiter, divinité aveugle, bizarre, & fantasque, qui dans le système du Paganisme présidoit à tous les évenemens, & distribuoit les biens & les maux selon son caprice.

Il n'y en eut jamais de plus révérée, ni qui ait été adorée sous tant de différentes formes. Elle n'est pas cependant de la premiere antiquité dans le monde. Homere ne l'a pas connue, du-moins il n'en parle point dans ses deux poëmes ; & l'on a remarqué que le mot ne s'y trouve pas une seule fois. Hésiode n'en parle pas davantage, quoiqu'il nous ait laissé une liste très-exacte des dieux, des déesses, & de leurs généalogies.

Les Romains reçûrent des Grecs le culte de la Fortune, sous le regne de Servius Tullius, qui lui dédia le premier temple au marché public ; & sa statue de bois resta, dit-on, toute entiere, après un incendie qui brûla l'édifice. Dans la suite la Fortune devint à Rome la déesse la plus fêtée : car elle eut à elle seule plus de temples que les autres divinités réunies. Tels sont ceux de Fortune favorable, Fortune primigénie, bonne Fortune, Fortune virile, Fortune féminine, Fortune publique, Fortune privée, Fortune libre, Fortune forte, Fortune affermie, Fortune équestre, Fortune de retour, ou Réduce, redux ; Fortune aux mammelles, mammosa ; Fortune stable, manens ; Fortune nouvelle, grande & petite Fortune, Fortune douteuse, & jusqu'à la mauvaise Fortune. La Fortune virile, virilis, étoit honorée par les hommes ; & la Fortune féminine, muliebris, l'étoit par les femmes.

Il ne faut pas s'étonner de ce grand nombre de temples consacrés à la Fortune sous divers attributs, chez un peuple qui la regardoit comme la dispensatrice des biens & des maux.

Néron lui fit bâtir un temple. Elle en avoit un autre à Antium, patrie de cet empereur, aujourd'hui Anzo-Rovinato, petite place maritime auprès de Capo d'Auzo, à 7 lieues d'Ostie vers l'orient d'hyver, & à environ une demi-lieue de Nettuno. On appelloit ce temple, le temple des Fortunes, ou des soeurs Antiatines. L'église de sainte Marie égyptienne à Rome, étoit un des temples de la Fortune virile, dont Palladio a donné la description & les desseins.

Mais le temple de la Fortune le plus renommé dans l'antiquité, étoit à Praeneste, la froide Praeneste d'Horace, aujourd'hui Palestrine, à 18 milles de Rome. Il ne reste plus de ce fameux temple, qui rendoit cette ville si célébre, que le seul premier mur inférieur, bâti de briques, où on voit une grande quantité de niches posées les unes sur les autres en deux lignes. Ce temple occupoit toute la partie de la montagne, dont les différentes terrasses étoient ornées de différens bâtimens à l'usage des prêtres & des filles destinées au service de la déesse. L'autel étoit presqu'au haut de la montagne, & il n'y avoit au-dessus qu'un bois consacré, & au-dessus du bois, un petit temple dédié à Hercule. C'est le palais Barbérin, peu digne d'attention, excepté par sa belle vûe, qui occupe aujourd'hui l'ancien temple de la Fortune de Praeneste, & qui est bâti, à ce qu'on prétend, dans l'endroit même où étoit la statue de cette divinité, & la cassette des sorts.

Vossius a ramassé toute la mythologie de la Fortune dans son II. livre de idolol. cap. xlij. & xliij. & Struvius, dans son synt. antiq. rom. a recueilli tous les différens titres généraux & particuliers que les Romains donnoient à cette déesse. Les médailles, les inscriptions, & les autres monumens des Grecs sont remplis du nom & de l'effigie de la Fortune. On la voit tantôt en habit de femme, avec un bandeau sur les yeux & les piés sur une roue ; tantôt portant sur sa tête un des pôles du monde, & tenant en main la corne d'Amalthée ; ici Plutus enfant est entre ses bras ; ailleurs elle a un soleil & un croissant sur le front ; mais il est inutile d'entrer là-dessus dans un plus long détail. Les attributs de la Fortune sont trop clairs pour qu'on puisse s'y tromper. (D.J.)

FORTUNE DE VENT, (Marine) c'est-à-dire un gros tems où les vents sont forcés. (Z)

FORTUNE DE MER, (Marine) ce sont les accidens qui arrivent à la mer, comme d'échoüer, de couler-bas d'eau, d'essuyer quelque violente tempête, &c. (Z)

FORTUNE, VOILE DE FORTUNE ; (Marine) la voile de fortune est la voile quarrée d'une tartane ou d'une galere ; car leurs voiles ordinaires sont latines, ou à tiers point ; & elles ne portent la voile de fortune, qu'on nomme aussi treou, que pendant l'orage : les galiotes en ont aussi. Voyez TREOU. (Z)


FORTUNÉadj. voyez FORTUNE.


FORTUNÉES(ISLES-) Géog. anc. Les anciens décrivent ces îles comme situées au-delà du détroit de Gibraltar, dans l'Océan atlantique ; on les regarde ordinairement chez les modernes comme les îles Canaries : & cette opinion est fondée principalement sur la situation & la température de ces îles, & sur l'abondance d'oranges, de limons, de raisins, & de beaucoup d'autres fruits délicieux qui y croissent. Les oranges étoient sans-doute les mala aurea qui croissoient, selon les anciens, dans les îles fortunées.

Il est assez vraisemblable que ces îles sont le reste de la fameuse atlantique de Platon. Voyez ATLANTIQUE & CANARIES.


FORUM(Littérat.) ce mot très-commun dans les auteurs, désigne plusieurs choses qu'il est bon de distinguer ; il signifie 1°. les places publiques, dans lesquelles se tenoient les divers marchés à Rome pour la subsistance de cette ville ; 2°. les places où le peuple s'assembloit pour les affaires, pour les élections, &c. 3°. les places où l'on plaidoit, & qui étoient au nombre de trois principales ; 4°. finalement une ville de la dépendance de l'empire romain, & dans laquelle l'on tenoit des foires : tels étoient le forum Livii, forum Julii, &c. comme il se trouvoit un grand concours de négocians qui venoient perpétuellement à ces foires, on fut obligé d'y construire plusieurs maisons & bâtimens pour la commodité du public ; & dans la suite des tems, ces lieux s'aggrandirent, se peuplerent, & devinrent des villes assez considérables. Voyez MARCHE, PLACES DE ROME, COMICES, FOIRES. (D.J.)


FORURES. f. (Serrurerie) On entend en général par ce mot les trous percés au foret pour l'assemblage, tant des grands ouvrages de serrurerie que des petits ; mais il se dit principalement du trou pratiqué à l'extrémité d'une clé, vers le panneton, qui reçoit une broche à son entrée dans la serrure. Il y a de ces forures d'une infinité de figures possibles. Les rondes sont les plus faciles ; elles se font au foret, sans exiger d'autre attention de la part de l'ouvrier, que d'avoir un foret de la juste grosseur dont il veut percer sa forure, & de prendre bien le milieu de la grosseur de la tige. Cela fait, la broche entrera droit & juste dans la forure, & le bout de la clé ira bien perpendiculairement s'appliquer sur le palâtre, à l'origine de la broche, ce qui n'arriveroit pas si la broche ou la forure étoit un peu versée de côté ; mais un autre inconvénient, c'est que pour peu que la forure fût commencée obliquement, ou la tige de la clé seroit percée en-dehors, avant que la forure eût la profondeur convenable, ou la broche, sur-tout si elle est juste, ne pourroit y entrer : ce qui l'empêcheroit encore, ce seroit le canon qui est monté sur la couverture ou le foncet de la serrure, & dont la broche occupe le centre sur toute sa longueur.

Si l'on perce au bout de la tige huit petits trous de foret, & qu'on en pratique un neuvieme au centre de ces huit, qu'on évuide ce qui reste de plein, & qu'on finisse le tout ensuite avec un mandrin fait en croix de chevalier, on aura la forure en croix de chevalier.

Si l'on perce au centre de la tige un trou de foret ; & qu'en évuidant avec un burin, on pratique autour des petits rayons, & qu'on finisse le tout avec le mandrin en étoile, on aura une forure en étoile.

Si l'ouvrier, après avoir bien dressé le bout de sa tige, y trace la forme d'une fleur-de-lis, & qu'aux centres des quatre fleurons les plus forts de la fleur-de-lis, il perce quatre trous de foret ; qu'il évuide le reste avec de petits burins faits exprès, & qu'il finisse le tout avec un mandrin en fleur-de-lis, qu'il fera entrer doucement dans la forure, de peur de l'y casser, il aura une forure en fleur-de-lis.

Il en est de même de la forure en tiers-point, de la forure en treffle, & d'une infinité d'autres qu'on peut imaginer.


FOSSAIRES. m. (Hist. ecclésiastiq.) les fossaires étoient autrefois des officiers de l'église d'Orient, qui avoient soin de faire enterrer les morts.

Ciaconius rapporte que Constantin créa neuf cent cinquante fossaires, qu'il tira de différens colléges ou corps de métiers ; il ajoûte qu'ils étoient exempts d'impôts & de charges publiques.

Le P. Goar insinue, dans ses notes sur l'eucologue des Grecs, que les fossaires ont été établis dès le tems des apôtres ; & que ces jeunes hommes qui emporterent le corps d'Ananie, & ces personnes remplies de la crainte de Dieu, qui enterrerent celui de S. Etienne, étoient des fossaires.

S. Jérôme dit que le rang de fossaires est le premier parmi les clercs ; ce qui doit s'entendre de ceux qui étoient préposés pour faire enterrer les fideles. Voyez CLERC ; voyez les dictionn. de Trévoux & de Chambers. (G)


FOSSANO(Géog.) vile récente d'Italie dans le Piémont, avec une citadelle & un évêché suffragant de Turin : elle est sur la Sture, à deux lieues E. de Savillan, quatre N. E. de Côni, dix S. de Turin, onze S. E. de Pignerol. Longit. 25 d. 23'. latit. 44 d. 25'. (D.J.)


FOSSES. f. en Architecture, se dit de toute profondeur en terre, qui sert à divers usages dans les bâtimens, comme de citerne, de cloaque, &c. dans une fonderie, pour jetter en cire perdue des figures, des canons, &c. & dans un jardin, pour planter des arbres. (P)

FOSSE D'AISANCE, lieu voûté au-dessous de l'aire des caves d'un bâtiment, le plus souvent pavé de grès, avec contre-mur, s'il est trop près d'un puits, de crainte que les excrémens qui sont reçûs dans la fosse ne le corrompent. (P)

FOSSE A CHAUX, cavité feuillée quarrément en terre, où l'on conserve la chaux éteinte, pour en faire du mortier, à mesure qu'on éleve un bâtiment. (P)

* FOSSE, (Hist. ecclésiast.) c'est un lieu creusé en terre, soit dans l'église soit dans le cimetiere, de la profondeur de quatre à cinq piés, & de la forme d'un quarré oblong, où l'on enfoüit un corps mort. Voyez les articles CIMETIERE, EGLISE, ENTERREMENT.

FOSSE AUX CABLES, (Marine) c'est un retranchement fait vers l'avant du vaisseau, sous le premier pont, dans lequel on place les cables. Voyez Marine, Pl. IV. fig. 1. n°. 42. (Z)

FOSSE AU LION, (Marine) c'est un retranchement vers l'avant du navire, fait sous le premier pont, destiné à mettre le funin, les poulies, & les caps de mouton de rechange, & qui sert aussi de chambre au contre-maître. La fosse au lion est à côté de la fosse aux cables, en avant d'icelle. Mar. Pl. IV. fig. 1. n°. 40.

FOSSE AUX MATS, [ Marine ] c'est un lieu rempli d'eau de la mer, dans lequel ont met les mâts pour les conserver. Voyez MATS.

FOSSE MARINE, [ Marine ] On donne quelquefois ce nom à un endroit de la mer proche les côtes, dans lequel il y a bon fond, & où les vaisseaux peuvent mouiller un peu à l'abri. [ Z ]

Fosse marine est encore un endroit qui se trouve sur un banc lorsqu'il est plus profond, & qu'il y a plus d'eau que sur le reste du banc. [ Z ]

* FOSSE, terme de Fonderie, est un espace profond entouré de murs, dans le milieu duquel est placé l'ouvrage à fondre : de façon qu'il y ait un pié de distance entre les parties les plus saillantes de l'ouvrage, & le mur de recuit. On fait cette fosse ronde, ovale, ou quarrée, selon que le travail de fonderie l'exige ; les fosses rondes sont les plus usitées & les plus commodes : ordinairement on fait les fosses dans les terres à hauteur de rez-de-chaussée ; de maniere que les terres qui l'environnent soûtiennent le mur de pourtour de la fosse : mais il faut prendre un terrein où l'incommodité de l'eau ne soit pas à craindre. Voyez l'article EQUESTRE FIGURE, & les figures des Planches de la Fonderie des figures équestres, & leur explication.

FOSSE, en terme de Monnoie, signifie cette profondeur ou cavité qui est au-devant du balancier où se frappent les monnoies & les médailles ; c'est dans cette fosse que se place le monnoyeur pour poser les flancs entre les coins, afin qu'ils en reçoivent l'empreinte, & pour les retirer quand ils l'ont reçue. Trévoux.

* FOSSE, les Fayenciers & Potiers de terre ont aussi leur fosse ; voyez ce que c'est à ces articles.

* FOSSE, [ Plombier ] espece de chaudiere de grès ou de terre franche où l'on fond le plomb à mettre en tables ou à faire différens ouvrages : elle est pratiquée au-dessous du rez-de-chaussée de l'attelier ; elle est revêtue en tout sens d'un massif de pierre qui la soûtient contre l'effort d'un métal fondu, dont le poids va quelquefois jusqu'à 3000. Il y a au fond de la fosse une poësle de fonte qui rassemble le plomb à mesure que la fosse s'épuise ; sa partie supérieure est couverte d'une cheminée qui donne issue à la fumée & aux vapeurs. Quand on veut fondre, on commence par échauffer le fond de la fosse avec de la braise ardente : ensuite on la remplit de plomb & de charbon jettés pêle-mêle. On écume le métal à mesure qu'il se met en bain, on en puise avec la cuilliere, on remplit la poësle à verser, & l'on jette l'ouvrage qu'on se propose de faire. Voyez l'article PLOMBIER, & les Planches de Plomberie, avec leur explication.

* FOSSE, [ Potier d'étain ] c'est un trou pratiqué sous une cheminée, & fait de brique : il est posé à niveau du plancher, & il s'éleve à la hauteur du genou : il est plus long que large. On y allume du feu, & l'on y jette l'étain qui s'y fond, voyez FONDRE L'ETAIN. Il y en a qui fondent dans une fosse, au lieu de fondre dans une chaudiere.

* FOSSE, [ Tanneur ] grande cuve profonde faite de pierre ou de bois, mastiquée dans la terre, où le tanneur met le cuir, avec le tan imbibé d'eau, pour le faire tanner : on appelle cette manoeuvre faire prendre nourriture. Voyez l'article TANNEUR.


FOSSÉS. m. en Architecture, espace creusé quarrément de certaine profondeur & largeur à-l'entour d'un château, autant pour le rendre sûr & en empêcher l'approche, que pour en éclairer l'étage soûterrein.

FOSSE REVETU, est celui dont l'escarpe & la contrescarpe sont revêtus d'un mur de mâçonnerie en talud, comme au château de Maisons. [ P ]

FOSSE SEC, est celui qui est sans eau, avec une planche de gason qui regne au milieu de deux allées sablées, comme au château de Saint-Germain-en-Laye. [ P ]

FOSSE, [ Droit françois. ] On environne quelquefois en France les maisons de campagne de fossés, lorsque l'assiette du lieu le permet, c'est-à-dire qu'elle est dans un fond : ces fossés sont le plus souvent remplis d'eau, & servent de défense aux châteaux qu'ils entourent, personne n'y pouvant entrer que par des ponts-levis. Quelquefois aussi ces fossés sont creusés exprès pour attirer les eaux, & dessécher par ce moyen le terrein qui est trop humide : on met, si l'on veut, du poisson dans ces sortes de fossés, & on les revêt de murs à chaux & à ciment.

Mais quel qu'en soit l'usage, un noble ne peut pas faire des fossés autour de sa maison sans lettres-patentes du roi adressées à la chambre des comptes, qui ne les vérifie qu'information préalablement faite de la commodité ou incommodité, & à la charge d'un droit de reconnoissance. A l'égard du seigneur, son consentement est toûjours requis. Ainsi un censitaire ou un vassal ne peut faire fossés ni ponts-levis en sa maison, sans le consentement de son seigneur. Pour peu qu'on sache l'histoire de France, & qu'on remonte aux siecles précédens, on découvre aisément l'origine de ces sortes de servitudes. [ D. J. ]

FOSSE [LE] dans la Fortification, est toûjours une profondeur qu'on pratique au pié du côté extérieur du rempart.

La ligne qui le termine du côté de la campagne se nomme contrescarpe ; il est ordinairement revêtu de maçonnerie vers ce côté, afin que les terres ne s'éboulent point dans le fossé.

Lorsque le rempart de la place est revêtu, son talud extérieur est continué jusqu'au fond du fossé ; & quand il ne l'est point, le talud extérieur se termine au bord du fossé, au niveau de la campagne : alors on laisse entre le pié du rempart & le fossé un chemin de dix ou douze piés, qu'on nomme berme ou relais ; il sert à soûtenir les terres du rempart, pour qu'elles ne s'écroulent point dans le fossé.

Le fossé des places fortes est sec ou plein d'eau ; l'un & l'autre ont leurs avantages & leurs inconvéniens : le fossé sec se défend mieux que le fossé plein d'eau ; mais aussi met-il la place moins à l'abri des surprises : le fossé plein d'eau est meilleur à cet égard, mais il ne donne pas la même facilité pour faire des sorties sur l'ennemi. Au reste, il ne dépend point de l'ingénieur qui fortifie une place, d'en faire les fossés secs ou pleins d'eau ; il est obligé de se conformer à la nature des lieux où les places sont situées. Ainsi dans les lieux aquatiques le fossé est plein d'eau, & il est sec dans les autres.

Les meilleurs fossés sont ceux qui sont secs, & qu'on peut remplir d'eau quand on le veut par le moyen des écluses ; tels sont ceux de Landau, de Valenciennes, & de plusieurs autres places.

La largeur & la profondeur du fossé se reglent sur le besoin qu'on a des terres pour la construction des ouvrages de la fortification : c'est pourquoi dans les terreins où il y a peu de profondeur, il faut donner plus de largeur au fossé : cette largeur doit toûjours être assez grande pour qu'on découvre le chemin-couvert, lorsqu'on est placé sur la banquette ; elle est ordinairement de quinze, dix-huit, ou vingt toises au fossé du corps de la place, & de douze à celui des dehors. Pour la profondeur, elle ne peut être moindre que la hauteur d'un homme : on la fait de trois toises ou dix-huit piés, si le terrein le permet.

Pour tracer le fossé d'un front de fortification, il faut prendre avec le compas dix-huit ou vingt toises de l'échelle (Pl. I. de Fortification, fig. 5.), mettre une de ses jambes sur le sommet A de l'angle flanqué, & décrire un arc E F vis-à-vis cet angle, en-dehors le bastion. Il faut du même intervalle de dix-huit ou vingt toises, & de l'angle flanqué B, décrire un arc C D ; poser ensuite l'angle sur l'angle de l'épaule L & sur l'arc F E ; en sorte que la ligne E M L tirée le long de la regle, soit tangente à l'arc F E au point E, c'est-à-dire qu'elle touche cet arc sans le couper, & qu'elle aboutisse au sommet L de l'angle de l'épaule I L B. On tirera de même la ligne C G tangente à l'arc C D au point C, & aboutissant sur le point G. Ces deux lignes E L, C G se couperont dans un point M, qui sera le sommet de l'angle rentrant E M C de la contrescarpe : on tracera de la même maniere le fossé de tous les autres fronts.

Par la construction qu'on vient de donner ; le fossé est découvert des flancs dans toute son étendue. La partie qui est vis-à-vis la courtine est vûe & défendue par les deux flancs G H, I L. Le fossé vis-à-vis la face L B est défendu par tout le flanc G H, puisque la contrescarpe ou le bord extérieur du fossé C M étant prolongé, aboutit au sommet G de l'angle de l'épaule. Le fossé opposé au flanc I L vis-à-vis A G, est défendu de même par ce flanc. Il en resulte que toutes les parties du fossé sont flanquées des plans.

Si le prolongement de la contrescarpe donnoit sur le flanc à sept ou huit toises de l'angle de l'épaule, il est clair que cette partie du flanc deviendroit inutile à la défense du fossé, & que par-là on seroit privé de l'avantage qu'on en peut tirer pour augmenter la défense du fossé des faces des bastions.

Si la contrescarpe étoit parallele à la ligne magistrale, comme dans la fig. 6. Pl. I. de Fortification, les flancs A B, C D ne pourroient défendre le fossé vis-à-vis les faces D E & A F, parce que la partie G H I K leur en cacheroit la vûe. D'où l'on voit qu'il faut nécessairement couper cette partie, & donner beaucoup plus de largeur au fossé de la courtine qu'à celui des faces, afin que tout le fossé soit défendu des flancs. Elémens de fortification.

Lorsque la place est revêtue de gason de même que la contrescarpe, on est obligé de donner un assez grand talud aux deux côtés du fossé. Ce talud est ordinairement les deux tiers de sa profondeur : alors s'il est sec, on plante un rang de palissades dans le milieu du fossé, pour empêcher que l'ennemi ne puisse le franchir facilement.

Les fossés taillés dans le roc ont cela de particulier, qu'on peut les escarper sans leur donner beaucoup de talud, & qu'on en peut tirer les matériaux nécessaires à la construction de la place. Ils ont d'ailleurs l'avantage de ne pouvoir être minés que très-difficilement. Il est vrai qu'ils coûtent beaucoup à creuser, mais ils épargnent aussi bien de la maçonnerie.

FOSSE A FOND DE CUVE, est un fossé sec, escarpé ou avec peu de talud.

FOSSE, (Econ. rustiq.) ouverture de terre étendue en longueur, qui sert à environner un champ pour en défendre l'entrée : c'est en cela que consiste la défense qu'on pratique souvent en Angleterre à la place des haies, particulierement dans les terreins marécageux ; & l'on s'en trouve fort bien. Pour lors on fait ces fossés de six piés de large contre les grands chemins, & de cinq piés du côté des communes : mais les fossés qui sont pour tenir lieu d'enclos contre des voisins, n'ont d'ordinaire que deux piés de largeur dans le fond, & trois piés dans le haut. Un fossé de quatre piés de large en-haut, doit avoir deux piés & demi de profondeur ; si l'on le fait de cinq piés de large, il doit en avoir trois de profondeur, & ainsi à proportion. On ne fait jamais ces fossés perpendiculairement, mais en talud, pour éviter que la terre ne s'éboule. D'ailleurs dans un fossé dont le fond est étroit, si les bestiaux s'y jettent, ils manquent d'espace pour s'y retourner ; & au lieu de grimper en-haut, & en détacher la terre, ils vont chercher leur sortie au bout du fossé. (D.J.)

FOSSE, (Droit civil & coûtumier) La loi sciendum, ff. finium regundor. veut qu'on laisse entre un fossé & le fonds de son voisin autant d'espace qu'il y a de profondeur.

Il y a plusieurs observations à faire sur les fossés, qui sont souvent disputés entre deux voisins. 1°. Dans le doute, les fossés sont déclarés communs aux deux voisins : 2°. selon la coûtume d'Auxerre, art. 115. de Berri, art. 14. tit. jv. & de Rheims, art. 369. si la terre que l'on a jettée sur les bords est dans les deux côtés, le fossé est de même commun : 3°. le jet de la terre sert beaucoup à terminer la difficulté sur la propriété du fossé ; ainsi on présume que le fossé appartient au propriétaire du fonds sur lequel on jette la terre que l'on en tire : 4°. s'il est établi par de bons titres ou par des bornes, que le fossé appartient à un voisin, la coûtume de jetter la terre du côté de l'autre voisin ne lui en attribue point le droit ; & la prescription ne prévaut point aux titres ni aux bornes. Remarques de M. Aubri sur Richelet. (D.J.)


FOSSERÉES. f. (Jurisprud.) dans le pays de Bugey & de Gex, est la même chose que ce qu'on appelle ailleurs une oeuvrée ou ouvrée, ou le travail d'un homme : on mesure les vignes par fosserées ou ouvrées. Voyez Collet, sur les statuts de Bresse, part. II. p. 79. col. ij. & OEUVREE. (A)


FOSSETS. m. (Econom. rustiq. ou Tonnelier) petite cheville de trois à quatre lignes de diametre, d'un bois dur, & d'une figure conique, qui sert à boucher le trou qu'on pratique au-dessus des tonneaux, pour y donner entrée à l'air, & en tirer le vin.


FOSSETTES. f. (Medecine) ulcere de l'oeil nommé par les Grecs , & par les Latins fossula, annulus. C'est un ulcere étroit, profond & dur, dont la cornée transparente (quand il est au-dessus de l'iris ou de la prunelle) ne paroît point changée de couleur, car elle ne blanchit que lorsque l'ulcere se cicatrise ; mais quand il est sur la cornée opaque à l'endroit du blanc de l'oeil, il est fort rouge dans sa circonférence, & son milieu paroît noirâtre, à cause que la cornée est émincée dans cet endroit. Voyez son traitement au mot ULCERE DE L'OEIL, parce que le nom particulier qu'il porte ne change rien à la méthode curative générale. (D.J.)

* FOSSETTE, (Chasse) espece de chasse aux petits oiseaux, qui consiste à creuser des trous en terre le long des buissons, & à y attirer par de l'appât les oiseaux, qui, posant leurs piés sur la marche d'une fourchette qui soûtient une planche ou une piece de gason, font tomber la fourchette & se trouvent enfermés dans le trou. Cette chasse commence à la fin de Décembre, & dure jusqu'en Mars.


FOSSILEsub. m. (Hist. nat. Minéralogie) On appelle fossiles en général toutes les substances qui se tirent du sein de la terre. Souvent on se sert indistinctement du nom de fossiles & de celui de minéraux, pour désigner les mêmes substances. C'est ainsi que l'usage veut que l'on dise le regne minéral, & non pas le regne fossile. Cette derniere façon de parler seroit pourtant plus exacte, attendu que la signification du mot fossile est plus étendue, & comprend des substances dont les minéraux ne font qu'une classe. Voyez l'article MINERAUX.

On distingue deux especes de fossiles, 1°. ceux qui ont été formés dans la terre, & qui lui sont propres ; on les appelle fossiles natifs. Tels sont les terres, les pierres, les pierres précieuses, les crystaux, les métaux, &c. 2°. ceux qui ne sont point propres à la terre, que l'on appelle fossiles étrangers à la terre. Ce sont des corps appartenans, soit au regne minéral, soit au regne végétal : tels que les coquilles, les ossemens de poissons & de quadrupedes, les bois, les plantes, &c. que l'on trouve ensevelis dans les entrailles de la terre où ils ont été portés accidentellement.

On se sert encore souvent du mot fossile comme d'un adjectif, en le joignant au nom de quelque matiere, qui, sans devoir son origine à la terre, se trouve pourtant dans son sein ; & alors l'épithete de fossile sert à la distinguer de celle qui est naturelle, & qui se trouve ailleurs que dans la terre. C'est ainsi que l'on dit de l'ivoire fossile, du bois fossile, des coquilles fossiles, &c.

De tous les phénomenes que présente l'Histoire naturelle, il n'en est point qui ait plus attiré l'attention des Naturalistes, que la prodigieuse quantité de corps étrangers à la terre qui se trouvent ensevelis dans son sein & répandus à sa surface ; ils ont donc fait des hypothèses & hasardé des conjectures, pour expliquer comment ces substances appartenantes originairement à d'autres regnes ont été, pour ainsi dire, dépaysées & transportées dans le regne minéral. Ce qui les a sur-tout frappés, c'est l'énorme quantité de coquilles & de corps marins, dont on rencontre des couches & des amas immenses dans toutes les parties connues de notre globe, souvent à une distance très-grande de la mer, depuis le sommet des plus hautes montagnes jusques dans les lieux les plus profonds de la terre. En effet, sans sortir de l'Europe, la France, l'Angleterre, l'Allemagne, l'Italie, &c. nous en fournissent des exemples frappans. Les environs de Paris même nous présentent des carrieres inépuisables de pierres propres à bâtir, qui paroissent uniquement composées de coquilles. En général il y a tout lieu de croire que toutes les terres & pierres calcaires, c'est-à-dire qui sont propres à se changer en chaux par l'action du feu, telles que les marbres, les pierres à chaux, la craie, &c. doivent leur origine à des coquilles qui ont été peu-à-peu détruites & décomposées dans le sein de la terre, & à qui un gluten a donné de la liaison, & fait prendre la dureté & la consistance plus ou moins grande que nous y remarquons. Voyez l'article CALCAIRE.

Ces couches immenses de coquilles fossiles sont toûjours paralleles à l'horison ; quelquefois il y en a plusieurs couches séparées les unes des autres par des lits intermédiaires de terre ou de sable. Il ne paroît point qu'elles ayent été répandues ni jettées au hasard sur les différentes parties de notre continent ; mais il y en a qui se trouvent toûjours ensemble & forment des amas immenses. Il semble que les animaux qui les habitoient ayent vêcu en famille & formé une espece de société. Une chose très-digne de remarque, c'est que suivant les observations des meilleurs naturalistes, les coquilles & corps marins qui se trouvent dans nos pays ne sont point des mers de nos climats ; mais leurs analogues vivans ne se rencontrent que dans les mers des Indes & des pays chauds. Quelques individus qui sont de tous les pays, & que l'on trouve avec ces coquilles, ne prouvent rien contre cette observation générale. Il y en a plusieurs dont les analogues vivans nous sont absolument inconnus : telles sont les cornes d'Ammon, les bélemnites, les anomies, &c. Il en est de même de beaucoup de plantes, de bois, d'ossemens, &c. que l'on trouve enfoüis dans le sein de la terre, & qui ne paroissent pas plus appartenir à nos climats que les coquilles fossiles.

L'on avoit observé déjà dans l'antiquité la plus reculée, que la terre renfermoit un très-grand nombre de corps marins ; cela donna lieu de penser qu'il falloit qu'elle eût autrefois servi de lit à la mer. Il paroît que c'étoit le sentiment de Xénophane fondateur de la secte éléatique ; Hérodote observa les coquilles qui se trouvoient dans les montagnes de l'Egypte, & soupçonna que la mer s'en étoit retirée. Tel fut aussi, suivant le rapport de Strabon, le sentiment d'Eratosthene qui vivoit du tems de Ptolemée Philopator & de Ptolemée Epiphane. On croyoit la même chose du tems d'Ovide, qui dans un passage connu de ses métamorphoses, liv. XV. dit :

Vidi ego, quod fuerat quondam solidissima tellus,

Esse fretum. Vidi factas ex aequore terras,

Et procul à pelago conchae jacuêre marinae. &c.

Ce sentiment fut aussi celui d'Avicenne & des savans arabes ; mais quoiqu'il eût été si universellement répandu parmi les anciens, il fut oublié par la suite ; & les observations d'Histoire naturelle furent entierement négligées parmi nous dans les siecles d'ignorance qui succéderent. Quand on recommença à observer, les savans à qui la philosophie péripatéticienne & les subtilités de l'école avoient fait adopter une façon de raisonner fort bizarre, prétendirent que les coquilles, & autres fossiles étrangers à la terre, avoient été formés par une force plastique (vis plastica) ou par une semence universellement répandue (seminium & vis seminalis). D'où l'on voit qu'ils ne regardoient les corps marins fossiles que comme des jeux de la nature, sans faire attention à la parfaite analogie qui se trouvoit entre ces mêmes corps tirés de l'intérieur de la terre, & d'autres corps de la mer, ou appartenans au regne animal & au regne végétal ; analogie qui eût seule suffi pour les détromper. On sentit cependant qu'il y avoit des corps fossiles auxquels on ne pouvoit point attribuer cette formation, parce qu'on y remarquoit clairement une structure organique : de-là vint, par exemple, l'opinion de quelques auteurs qui ont regardé les ossemens fossiles que l'on trouve dans plusieurs endroits de la terre, comme ayant appartenu aux géans dont parle la Sainte-Ecriture ; cependant un peu de connoissance dans l'Anatomie auroit suffi pour les convaincre que ces ossemens, quelquefois d'une grandeur demesurée, avoient appartenu à des poissons ou à des quadrupedes, & non à des hommes. Des prétendues forces plastiques & ces explications, quelques absurdes & inintelligibles qu'elles fussent, ont trouvé & trouvent encore aujourd'hui des partisans ; parmi lesquels on peut compter Lister, Langius, & beaucoup d'autres naturalistes, éclairés d'ailleurs.

Cependant dès le xvj. siecle plusieurs savans, à la tête desquels on peut mettre Fracastor, en considérant les substances fossiles étrangeres à la terre, trouverent qu'elles avoient une ressemblance si parfaite avec d'autres corps de la nature, qu'ils ne douterent plus que ce ne fût la mer qui les eût apportés sur le continent ; & comme on ne voyoit point de cause plus vraisemblable de ce phénomene que le déluge universel, on lui attribua tous les corps marins qui se trouvent sur notre globe, que ses eaux avoient entierement inondé. Burnet, en suivant le système de Descartes, prétendit expliquer comment cette grande révolution s'étoit faite, & d'où étoit venue l'immense quantité d'eau qui produisit cette catastrophe. L'hypothèse de Burnet, en rendant raison de la maniere dont le déluge avoit pu se faire, n'expliquoit point comment il avoit pu apporter les corps marins que l'on trouve si abondamment répandus sur la terre. Woodward crut remédier & suppléer à ce qui manquoit à la théorie de Burnet par une idée assez ingénieuse, mais qui par malheur ne s'accorde point avec les observations que l'on a eu occasion de faire. Il prétendit que toutes les parties non organisées du globe terrestre avoient été parfaitement détrempées & mises en dissolution par les eaux du déluge universel, & que toutes les substances organisées qui s'y trouvoient, après avoir été quelque tems suspendues dans ces eaux, s'étoient affaissées peu-à-peu, & enfin s'étoient précipitées chacune en raison de leur pesanteur spécifique. Ce sentiment fut adopté par un grand nombre de naturalistes, & entr'autres par le célebre Scheuchzer. Cependant il est difficile de concevoir que le tems de la durée du déluge ait suffi pour détremper une masse, telle que le globe de la terre, au point que Woodward le prétend. D'ailleurs l'expérience prouve que les corps marins que l'on trouve dans l'intérieur de la terre, n'y ont point été jettés au hasard, puisqu'il y a des individus qui se trouvent constamment les uns avec les autres. Outre cela, ces corps ne se trouvent point disposés comme étant tombés en raison de leur pesanteur spécifique, puisque souvent on rencontre dans les couches supérieures d'un endroit de la terre des corps marins d'une pesanteur beaucoup plus grande que ceux qui sont au-dessous. Enfin, des corps fort pesans se trouvent quelquefois mêlés avec d'autres qui sont beaucoup plus legers.

Plusieurs naturalistes, sans adopter les sentimens de Burnet sur la cause du déluge, ni l'hypothèse de Woodward, n'ont point laissé que de regarder le déluge de Noé comme la cause qui avoit porté les corps étrangers sur la terre ; ils ont cru que par un changement dans la position de l'axe de la terre, la mer pouvoit avoir été jettée avec violence sur le continent qu'elle avoit entierement inondé, & que de cette maniere elle y avoit apporté les productions & les animaux qui lui sont propres.

On ne peut douter de la réalité du déluge, de quelque voie que Dieu se soit servi pour opérer cette grande révolution ; mais il paroît que, sans s'écarter du respect dû au témoignage des saintes Ecritures, il est permis à un naturaliste d'examiner si le déluge a été réellement cause des phénomenes dont nous parlons, sur-tout attendu que la Genèse garde un silence profond sur cet article. D'ailleurs rien n'empêche de conjecturer que la terre n'ait, indépendamment du déluge, encore souffert d'autres révolutions. Cela posé, il y a lieu de croire que ce n'est point au déluge dont parle Moyse, qui n'a été que passager, que sont dûs les corps marins que l'on trouve dans le sein de la terre. En effet l'énorme quantité de coquilles & de corps marins dont la terre est remplie, les montagnes entieres qui en sont presque uniquement composées, les couches immenses & toujours paralleles de ces coquilles, les carrieres prodigieuses de pierres coquillieres, semblent annoncer un séjour des eaux de la mer très-long & de plusieurs siecles, & non pas une inondation passagere & de quelques mois, telle que fut celle du déluge, suivant la Genèse. D'ailleurs si les coquilles fossiles eussent été apportées par une inondation subite & violente, comme celle du déluge, ou par des courans d'eaux, comme quelques auteurs l'ont prétendu, tous ces corps auroient été jettés confusément sur la surface de la terre ; ce qui est contraire aux observations, comme nous l'avons déjà remarqué. Enfin s'ils avoient été apportés de cette maniere, on devroit plutôt les trouver dans le fond des vallées que dans les montagnes ; cependant on trouve presque toûjours le contraire. On voit par tout ce qui vient d'être dit, que le sentiment le plus probable est celui des Anciens qui ont cru que la mer avoit autrefois occupé le continent que nous habitons. Tout autre système est sujet à des difficultés invincibles, & dont il est impossible de se tirer.

Il seroit trop long d'entrer dans le détail des fossiles étrangers à la terre : les principaux sont, comme on l'a déjà remarqué, les coquilles de toute espece, qui sont quelquefois si bien conservées, que l'on y remarque un émail aussi brillant & la même vivacité de couleurs, que dans celles qu'on vient de tirer de la mer ; d'autres fois elles sont plus ou moins détruites & décomposées : on en trouve qui sont comme rongées des vers & percées d'une infinité de trous ; d'autres enfin sont si parfaitement détruites, qu'il est impossible d'y remarquer aucune trace de structure organique. Les ouvrages d'une infinité de naturalistes sont remplis de descriptions de ces corps marins, & plusieurs ont fait l'énumération de ceux qui se rencontroient dans les différens pays qu'ils habitoient. M. Roüelle, de l'académie royale des Sciences, fait espérer un ouvrage sur la matiere dont nous parlons : c'est le fruit de ses recherches & des observations qu'il a eu occasion de faire dans un grand nombre de voyages qu'il a entrepris dans le dessein de vérifier ses soupçons. Cet habile naturaliste ayant remarqué que certains corps marins se trouvent toûjours constamment ensemble dans de certains endroits, pense qu'il est plus naturel & plus commode de diviser les coquilles fossiles par familles ou par classes qu'il nomme amas ; il compte donc décrire les individus qui se trouvent toûjours ensemble dans un même amas, & en donner les figures, & prouver que certains coquillages, quoique de différentes especes, vivent toûjours constamment ensemble dans certains endroits de la mer, & forment une espece de société semblable à celle que l'on remarque dans quelques animaux terrestres, & dans un grand nombre de plantes qui croissent dans le voisinage les unes des autres. Cette méthode ne peut qu'être infiniment avantageuse, en ce qu'elle épargnera beaucoup de recherches inutiles, & facilitera la description des fossiles d'un district ; puisque, sans entrer dans le détail minutieux de toutes les coquilles qu'on trouvera dans un tel district, & s'exposer par-là à redire ce qui a déjà cent fois été dit par d'autres, il suffira de connoître deux ou trois des individus qui s'y rencontrent, pour savoir quelles sont les autres coquilles qui s'y doivent encore trouver. Si par hasard il en étoit échappé quelques-unes à l'auteur, on pourroit aisément donner par supplément celles qu'il n'auroit point décrites, ou celles qui dans de certains pays feroient des exceptions à la regle générale. Ces avantages joints à un grand nombre d'autres observations intéressantes, doivent faire desirer à tous les curieux d'être bien-tôt mis en possession de l'ouvrage de M. Roüelle.

Outre les corps marins, tels que les coquilles, madrépores, &c. il se trouve encore beaucoup d'autres fossiles étrangers dans les entrailles de la terre : tels sont les dents de poissons ou glossopetres, les ossemens d'animaux, soit pétrifiés, soit dans leur état naturel, c'est-à-dire sans avoir souffert de décomposition, des bois, des plantes, &c. Voyez FIGUREES (PIERRES), PETRIFICATIONS, DELUGE, &c. (-)


FOSSOMBRONE(Géog.) petite ville d'Italie dans l'Etat ecclésiastique, au duché d'Urbin, avec un évêché suffragant d'Urbin. Elle est bâtie des ruines de l'ancien Forum Sempronii, près la riviere de Métro, à sept lieues S. O. de Pésaro, quatre S. E. d'Urbin. Long. 30d. 28'. lat. 43d. 42'. (D.J.)


FOSSOYEURSS. m. pl. (Hist. eccl.) ce sont aujourd'hui les mêmes hommes qu'on appelloit autrefois dans l'Eglise des fossaires. Voyez FOSSAIRES. On leur donne le nom de corbeaux, parce qu'ils suivent les cadavres, & qu'ils en tirent leur subsistance. Les Quakers qui attachent à la sépulture des morts des idées de piété, ne cedent point cet emploi à des mercenaires ; ils ferment les yeux à leurs parens, à leurs amis ; ils les ensevelissent & les déposent eux-mêmes dans le sein de la mere commune.


FOTAS. m. (Hist. mod.) tablier rayé de bleu & de blanc, dont les Turcs se couvrent dans le bain.


FOTASparure des femmes de l'île de Java. On nous apprend que les fotas s'apportent tout faits de la côte de Coromandel, de Surate, & de Bengale ; mais on ne nous dit point ce que c'est, & heureusement cela n'est pas fort important à savoir.


FOTCHÉOU(Géog.) une des plus célebres villes de la Chine, capitale de la province de Fokien. Il y a un grand commerce, de beaux édifices publics & des ponts magnifiques. Elle est arrosée de la riviere de Min & des eaux de l'Océan. Son terroir abonde en litchi, lungyen & muiginli. Sa longitude suivant le P. Martini, qui place le premier méridien au palais de Pekin, est 2d. 40'. latit. 25d. 58. orient. (D.J.)


FOTOou POUX DE MER, (Hist. nat.) insecte qui se trouve dans la mer. Il a un pouce & demi de long, & un pouce de large ; son corps est composé d'une écaille d'un jaune tirant sur le brun, & remplie de petits points ou taches blanches. Ceux d'Amboine sont petits, & ceux de Banda sont plus grands ; on les mange. Hubner, dict. univ.


FOTOQUES. m. nom des grands dieux des Japonois. Ces peuples ont deux ordres de dieux, les Fotoques, & les Camis. Ceux-ci accordent aux hommes des enfans, de la santé, des richesses, & tous les biens de cette vie. On obtient des autres les biens de la vie future ; & ce sont ces derniers qu'on appelle Fotoques.


FOTTALONGES. f. (Comm.) étoffe des Indes rayée ; elle se fabrique d'écorce d'arbres & de soie. Il faudroit savoir quel est cet arbre, & comment on prépare cette écorce.


FOTTESS. f. plur. (Comm.) toile de coton à carreaux, qui vient des Indes orientales, & surtout de Bengale. La piece a une aulne & demie de long, sur sept à huit de large.


FOUadj. pris subst. Voyez l'article FOLIE.

FOU, (Hist. mod.) société des fous. Voyez MERE-FOLLE.

FOU, s. m. oiseau de mer des Antilles, qui ressemble pour la figure du corps à un grand corbeau ; il a le dessus du dos gris-brun, le ventre blanc, & les piés comme les cannes. Il vit de poisson. La chair a un goût de marécage. On l'appelle fou, parce qu'il va se poser sur les vaisseaux, & qu'il se laisse quelquefois prendre à la main. Il y a aussi dans les Antilles d'autres oiseaux auxquels on donne le même nom, quoiqu'ils soient plus défians ; ils sont un peu plus gros que celui dont il vient d'être fait mention, & blanc comme des cignes : on les voit le long des terres. Histoire nat. des Antilles par le P. du Tertre, tom. II. pag. 275. (I)

* FOU, (Jeu) aux échecs. Il y a deux pieces qu'on appelle de ce nom, presque égales aux chevaliers, mais de meilleur service à la fin du jeu qu'au commencement. Les fous sont toûjours placés immédiatement après le roi à droite, & après la dame à gauche. Le fou qui occupe la case noire, ne marche qu'obliquement, & toûjours sur les cases noires. Celui qui est sur les blanches, y marche toûjours aussi de biais. Les fous vont tous deux aussi loin qu'ils peuvent aller, c'est-à-dire tant qu'ils rencontrent des cases vuides. S'il se trouve une piece ennemie sur leur chemin, ils peuvent la prendre ; alors ils se mettent à la place de la piéce prise.


FOUAGou AFFOUAGEMENT, (Jurisprud.) appellé dans la basse latinité foagium & focagium, étoit un droit dû au roi par chaque feu ou ménage. Ce droit est encore dû à quelques seigneurs.

L'étymologie de foüage ou feu ne vient pas à feudo, comme quelqu'un l'a prétendu, mais du latin focus, feu, d'où l'on a fait focagium, & par corruption foagium, & en françois foüage.

En quelques endroits ce même droit est appellé fournage, à cause du fourneau ou cheminée qui doit l'imposition ; pourquoi on l'a aussi appellé fumarium tributum. Spelman l'appelle tributum ex foco, & dit qu'en Angleterre il est appellé cheminagium.

Au pays de Forès on leve un droit semblable, appellé blande.

En quelques endroits on l'appelle droit d'hostelage ou d'ostise.

L'origine du foüage ou imposition qui se leve sur chaque feu ou chef de famille, est fort ancienne. Cedrenus & Zonare en font mention dans l'histoire de Nicéphore, où ils appellent ce droit fumarium tributum ; & Landulphe, lib. XXIV. dit que cet empereur exigeoit un tribut sur chaque feu, per singulos focos census exigebat.

Dans une constitution de Manuel Comnene il est parlé de la description des feux en ces termes, describere focos ; ce qui est appellé focularia par Frédéric II. roi de Naples & de Sicile. Lib. I. tit. ult.

Ce droit est aussi fort ancien en France ; on en levoit au profit du roi dès le tems de la premiere race, sous les rois de la seconde, & encore pendant longtems sous la troisieme race.

Le foüage eut d'abord lieu principalement en Normandie ; il appartenoit au roi comme duc de Normandie ; on le lui payoit tous les ans, afin qu'il ne changeât point la monnoie : c'est pourquoi dans la coûtume de cette province il est nommé monnéage. Voyez MONNEAGE. Il est parlé du foüage dans la charte commune de Roüen, de l'an 1207, & dans une chronique de la même ville, de l'an 1227.

Cette imposition par feux fut aussi établie dans plusieurs autres provinces, tant au profit du roi que de divers seigneurs particuliers qui s'attribuerent ce droit. Les priviléges manuscrits de Saint-Didier en Champagne, de l'an 1228, font mention que chaque personne mariée, ou qui l'avoit été, payoit au seigneur cinq sous pour le foüage.

Une charte d'Alphonse comte de Poitou, de l'an 1269, justifie qu'on lui payoit tous les ans un droit de foüage.

On en paya aussi en 1304 pour la guerre de Flandres, suivant un compte du bailli de Bourges de l'an 1306.

Les foüages dont la levée étoit ordonnée par le roi pour fournir aux besoins extraordinaires de l'état, étoient d'abord quelquefois compris sous le terme général d'aide : telle fut l'aide établie en conséquence de l'assemblée des états tenus à Amiens en Décembre 1363, qui consistoit dans un droit de foüage ou imposition par feux. Il en fut de même de l'imposition qui fut mise sur chaque feu dans le Dauphiné, en 1367.

Dans la suite les foüages furent distingués des aides proprement dites, qui se percevoient sur les denrées & marchandises, à cause que certaines personnes étoient exemptes des foüages, au lieu que personne n'étoit exempt des aides : c'est ce que l'on voit dans des lettres de Charles VI. du 24 Octob. 1383, portant que l'aide qui étoit alors établie, seroit payée par toutes sortes de personnes, & notamment par ceux des habitans de Languedoc qui s'en prétendoient exempts ; & la raison qu'en donne Charles VI. est que ces aides n'avoient pas été établies seulement pour la défense de ceux qui n'étoient pas taillables, mais aussi de ceux qui étoient taillables ; & que lesdites aides n'étoient pas par maniere de foüage, mais par maniere d'imposition & de gabelle.

Il y avoit des villes, bourgs & villages, qui étant dépeuplés, demandoient une diminution de feux, c'est-à-dire, que l'on diminuât l'imposition qu'ils payoient pour le foüage, à proportion du nombre de feux qui restoit ; & lorsque ces lieux ruinés se rétablissoient en tout ou en partie, on constatoit le fait par des lettres qu'on appelloit réparation de feux ; on fixoit par des lettres le nombre des feux existans, pour augmenter le foüage à proportion du nombre de feux qui avoient été réparés, c'est-à-dire rétablis.

Quelques auteurs disent que les tailles ont succédé au droit de foüage ; ce qui n'est pas tout-à-fait exact : en effet dès le tems de S. Louis & même auparavant, nos rois levoient déjà des tailles pour les besoins de l'état. Ces tailles n'étoient point ordinaires. Le roi & même quelques-uns des grands vassaux de la couronne, levoient aussi dès-lors un droit de foüage dans certaines provinces. Les ducs de Normandie, les comtes de Champagne & autres seigneurs, percevoient chacun dans leur territoire des droits de foüage.

Ces droits cessoient néanmoins quelquefois, moyennant d'autres impositions ; ainsi lorsque les communautés d'habitans de la sénéchaussée de Beaucaire se soûmirent, le 18 Février 1357, à payer au comte de Poitiers, en qualité de lieutenant-général du royaume, un droit de capage ou capitation ; ce fut à condition que tant qu'il percevroit ce capage, il ne pourroit exiger d'eux aucune autre imposition, soit à titre de foüage ou autrement.

Charles V. fit lever un droit de foüage pour la solde des troupes : il étoit alors de quatre liv. pour chaque feu.

Du tems de Charles VI. le prince de Galles voulut imposer en Aquitaine sur chacun feu un franc, le fort portant le foible ; ce qui ne lui réussit pas.

Charles VII. rendit le foüage perpétuel, & depuis ce tems il prit le nom de taille.

Il n'y a donc plus présentement de foüage qu'au profit des seigneurs, qui sont fondés en titre ou possession suffisante pour lever ce droit sur leurs sujets.

Quelques curés prétendent aussi droit de foüage sur leurs paroissiens le jour de Pâques. Voyez Spelman, en son gloss. les recherches de Pasquier, liv. II. ch. vij. le glossaire de Lauriere, au mot foüage. (A)


FOUANGS. m. (Comm.) poids dont on se sert dans le royaume de Siam. Il faut deux fouangs pour un mayon, & quatre mayons pour un tical, qui pese environ demi-once poids de marc. Le foüang se divise en deux sompayes, ou quatre payes, & la paye en deux clams. Le clam pese douze grains de ris. Voyez MAYON, TICAL, SOMPAYE, PAYE, CLAM, GRAIN, &c. Dictionn. de Comm. de Trév. & de Chamb. (G)


FOUANNES. f. FISCHURE, ou TRIDENT, (Pêche) instrument de pêcheur ; c'est une espece de rateau de fer à grandes pointes droites, emmanché à l'extrémité d'une longue perche. On pique la foüanne à-plomb vers les embouchures des rivieres, pour prendre les flets ensablés. On ne se sert guere de la foüanne que quand on ne peut employer le filet. Voyez la foüanne dans nos Planches de Pêche.

Les riverains de Port-Louis en Bretagne, pêchent à la foüanne. Cet instrument a, parmi eux, deux, trois, ou cinq tiges ou doigts, & sa gaule six à sept piés de long. Pour se soûtenir sur les vases, les pêcheurs attachent sous leurs piés des chanteaux de fond de barrique. Ils vont ainsi le long des rivages, lorsque la marée commence à perdre, ou qu'elle est retirée. Ils lancent de tems en tems la foüanne sur le poisson plat qui s'envase : ils prennent ainsi des anguilles de mer & des congres.

La foüanne s'appelle ailleurs bout de quievre, ou bouteux ; aux côtes de haute Normandie, haveneau ou petit haveneau. Le bout du manche en est arrêté dans un demi-cercle de bois ou de fer. A chaque côté de ce demi-cercle, joignant au manche, il y a un morceau de bois de dix-huit à vingt pouces de long. Cet assemblage sert à tenir l'instrument debout. Le pêcheur lance cet instrument devant lui ; il prend des chevrettes & d'autres poissons qui restent sur les sables, dans la basse marée, lorsqu'il y a encore un peu d'eau.

Les anguilles se prennent à la foüanne ; les pêcheurs sont dans de petits bateaux ou engins de bois qu'ils nomment tignolles. Un seul homme peut porter la tignolle sur ses épaules, & elle n'en peut tenir que deux. Ce sont trois planches liées ; celle du fond est la plus large ; les deux autres font avec celle-ci une espece de navette, de la forme des margotats qu'on voit sur la Seine.

Ils vont dans ces tignolles à basse eau & à mi-marée ; ils dardent leurs foüannes au hasard. Les branches de cet instrument ont treize à quatorze pouces de long, & sont au nombre de six ou sept ; elles vont en se réunissant à une douille de fer, qui reçoit un manche de dix ou douze piés de long.

Ils cessent la pêche aussi-tôt que le flot commence à se faire sentir. Le tems favorable est depuis le commencement de Déc. jusqu'à la fin de Février.

Il y a une autre maniere de pêcher l'anguille de mer, qui differe peu de la pêche à la foüanne. Quand il y a basse eau, le pêcheur se deshabille ; il entre dans les vases ; il a un bâton à la main ; il cherche de l'oeil les trous où l'anguille s'est retirée. Ces trous sont en entonnoir. Quand il en apperçoit, il ébranle la vase avec ses piés ; l'anguille sort, & il l'assomme avec son bâton : si elle résiste à sortir ou qu'elle soit peu enfoncée, il la tire avec la main, l'étourdit, & la tue. Cette pêche est abondante, sur-tout si les vases de la côte sont étendues.


FOUDRE(Gramm. & Physiq.) matiere enflammée qui sort d'un nuage avec bruit & violence. Ce mot est masculin & féminin : on dit frappé de la foudre, & le foudre vengeur. Cependant on ne l'employe guere qu'au féminin dans les livres de physique : on dit la matiere de la foudre. Foudre au pluriel n'est guere que masculin : on dit les foudres vengeurs, plutôt que les foudres vengeresses.

Foudre differe de tonnerre 1°. en ce que le premier ne se dit guere que de la matiere enflammée qui s'échappe des nues ; au lieu que le second se dit aussi de cette même matiere, en tant qu'elle roule avec bruit au-dedans des nuages : ainsi on dit j'ai entendu plusieurs coups de tonnerre, plutôt que j'ai entendu plusieurs coups de foudre. 2°. Foudre s'employe souvent au figuré, & tonnerre toûjours au propre : on dit un foudre de guerre, un foudre d'éloquence, les foudres de l'église, &c.

La matiere de la foudre & celle du tonnerre sont donc la même chose : ainsi nous renvoyons au mot TONNERRE ce que nous avons à dire sur ce sujet. Nous nous contenterons de faire ici quelques observations.

La matiere de la foudre paroît être la même que celle de l'électricité, sur quoi voyez les artic. COUP-FOUDROYANT, ELECTRICITE, FEU ELECTRIQUE, & sur-tout les mots TONNERRE & METEORE.

La foudre est beaucoup plus fréquente dans les endroits où le terrein exhale plus de soufre ; au lieu qu'elle est rare dans les pays humides, froids, & couverts d'eau. Le terrein n'est pas sulphureux en Egypte, ni en Ethiopie : aussi la foudre est-elle rare dans ces pays. Les anciens disoient comme par une espece de proverbe : les Ethiopiens ne craignent point la foudre, ni les habitans de la Gaule les tremblemens de terre. Voyez Plutarque, traité de la superstition, chap. iij. Mais l'Italie est un pays très-rempli de soufre ; ce qui fait qu'il est très-sujet au tonnerre : c'est aussi pour cela qu'il tonne toute l'année à la Jamaïque.

L'utilité de la foudre est 1°. de rafraîchir l'athmosphere ; en effet, on observe presque toûjours qu'il fait plus froid après qu'il a tonné : 2°. de purger l'air d'une infinité d'exhalaisons nuisibles, & peut-être même de les rendre utiles en les atténuant. On prétend que la pluie qui tombe lorsqu'il tonne, est plus propre qu'une autre à féconder les terres.

Selon les observations de M. Musschenbroeck, il tonne à Utrecht quinze fois par an, année moyenne ; il a remarqué aussi que la direction & la nature du vent ne fait en général rien à la foudre, mais qu'il tonne plus communément par un vent de sud. La foudre est plus fréquente l'été que l'hyver, parce que les exhalaisons qui s'élevent de la terre par la chaleur, sont en plus grand nombre. Selon le même physicien, la matiere des globes de feu est la même que celle de la foudre. Voyez GLOBE DE FEU. Il fait quelquefois des éclairs & du tonnerre en tems serein ; ce que M. Musschenbroeck attribue aux exhalaisons qui s'enflamment avant d'être montées assez haut pour produire des nuages. Une grande pluie diminue la foudre, ou même la fait cesser, parce que cette pluie emporte avec elle une grande partie de la matiere qui contribue à former la foudre. Quelquefois la nuée est si épaisse, qu'elle empêche de voir l'éclair, quoiqu'on entende la foudre.

Pour juger de la distance de la foudre, voyez ÉCLAIR.

Plusieurs liqueurs fermentent par l'action de la foudre ; d'autres cessent de fermenter, comme le vin & la biere ; d'autres se gâtent, comme le lait. Ces phénomenes si simples sont très-difficiles à expliquer, & nous ne l'entreprendrons point.

On peut détourner la foudre en tirant des coups de canon ; le son des cloches est un moyen bien moins sûr ; il produit quelquefois plus de mal que de bien, il fait crever la nue au-dessus de l'endroit où l'on sonne, au lieu de la détourner. Voyez l'hist. de l'acad. de 1718.

Les Priscillianistes croyoient que la foudre étoit un effet du démon ; mais leur opinion a été condamnée dans un concile, qui, comme l'observe M. Musschenbroeck, s'est conduit très-sagement en cela. (O)

* FOUDRE, pierres de (Hist. nat. & Physiq.) pierre dont le vulgaire pense que la chûte, ou même la formation du tonnerre est toûjours accompagnée. Leur existence est fort douteuse. M. Lemery croit pourtant qu'il n'est pas absolument impossible que les ouragans, en montant rapidement jusqu'aux nues, n'enlevent avec eux des matieres pierreuses & minérales, qui s'amollissant & s'unissant par la chaleur, forment ce qu'on appelle pierre de foudre. Si cette idée de M. Lemery n'est pas une vision, il ne s'en manque guere.

Ce qu'on a pris pour une pierre de foudre, est une matiere minérale, fondue & formée par l'action du tonnerre, ou peut-être même quelque substance, telle que la terre en renferme beaucoup dans les endroits où elle a été fouillée par des volcans qui se sont éteints.

Le tonnerre étant venu à tomber dans ces endroits, & le peuple y ayant ensuite rencontré ces substances qui portent extérieurement des empreintes évidentes de l'action du feu, il les aura prises pour ce qu'il a appellé des pierres de foudre.

FOUDRE, (Medec. & Anatom.) Les Medecins recherchent très-curieusement quelle peut être la cause de la mort des hommes & des animaux qui périssent d'un coup de foudre, sans qu'on leur trouve aucun mal, ni aucune trace de ce qui peut leur avoir ôté la vie. Meurent-ils par la frayeur que leur fait le fracas horrible du tonnerre, & le grand feu dont ils se voyent environnés ? Sont-ils étouffés par la vapeur du soufre allumé, qui est le poison le plus promt pour tous les animaux ? Ou bien ne pourroit-on pas croire aussi que lorsque la foudre éclate, & qu'elle chasse l'air de l'endroit où elle agit, en lui faisant perdre en même tems son élasticité, les animaux se trouvent alors comme dans un vuide parfait, & meurent de la même maniere que ceux que l'on enferme sous le récipient d'une pompe pneumatique ? Il est assez vraisemblable que ces trois causes séparément ou conjointement, produisent la destruction de la machine.

Scheuchzer raconte qu'une femme qui portoit son enfant sur ses bras, fut touchée d'un coup de foudre dont elle mourut, sans que l'enfant en reçût le moindre mal : on voit par cet exemple, que la frayeur seule peut avoir procuré la mort de cette femme, puisque les deux autres causes ne paroissent point avoir eu lieu dans cette occasion.

Lower & Willis ayant ouvert un jeune homme qui avoit été frappé de la foudre, lui trouverent le coeur sain & les poumons très-gonflés ; ce jeune homme n'étoit donc pas mort par la troisieme cause, mais par l'une des deux premieres.

D'autres cas nous apprennent que les hommes peuvent mourir de frayeur, ou que la terreur peut les réduire à l'extrémité : deux exemples suffiront pour le prouver. Le tonnerre étant tombé en 1717 sur la tour de S. Pierre à Hambourg, un jeune garçon de quinze ans qui dormoit sur une chaise, en fut tellement saisi, qu'il demeura quelque tems sans mouvement & sans sentiment. La tour de ville d'Epéries, dans la haute Hongrie, ayant été frappée de la foudre la même année 1717, un étudiant qui se tenoit près d'une fenêtre, tomba par terre presque mort, & ne reprit ses esprits que par les secours de la Medecine.

On dit que MM. du Verney, Pitcarn, & autres, ayant ouvert plusieurs personnes qui avoient été frappées de la foudre, leur trouverent les poumons affaissés, comme ceux des animaux qu'on fait mourir dans le vuide. La cause de la mort de ces personnes sera donc ici la troisieme de celles que nous avons exposées.

Enfin quelquefois la foudre opere sur le corps de ceux qu'elle fait périr, plusieurs phénomenes fort étranges ; & les mémoires de l'académie de Petersbourg m'en fournissent un exemple trop curieux pour le passer sous silence : ces mémoires rapportent, tom. VI. pag. 383. que dans la dissection du cadavre d'un homme tué d'un coup de foudre à Petersbourg, le bas-ventre & la verge furent trouvés prodigieusement enflés. La peau, du côté gauche, ressembloit à du cuir brûlé ; toutes les autres parties du corps avoient une couleur de pourpre, excepté le cou qui étoit rouge comme de l'écarlate : on appercevoit les marques d'une petite hémorrhagie à l'oreille droite : sur le dessus de la tête se voyoit une legere blessure, comme si le péricrane avoit été déchiré ; & le crane n'avoit point souffert : le cerveau néanmoins étoit rempli de sang très-fluide, & l'étui des vertebres d'une grande abondance de sérosités : les poumons étoient noirâtres & tombés, le coeur privé de sang, de même que les vaisseaux qui l'entourent : la vésicule du fiel & la vessie urinaire étoient affaissés & entierement vuides, tandis que les ureteres se trouvoient extrêmement distendus par la quantité d'urine qu'ils contenoient.

Toutefois, quand l'on rencontre de tels phénomenes, ou simplement des meurtrissures & des blessures à ceux qui sont morts de la foudre, ce n'est pas tant leur mort qui surprend que la route tout-à-fait singuliere que la foudre a prise, en causant les meurtrissures, les plaies, & les blessures des parties externes ou internes : mais il est vrai que ces sortes de singularités de la foudre ne sont pas particulieres aux corps animés. Voyez FOUDRE, (Physique) (D.J.)

FOUDRE, (Mytholog.) sorte de dard enflammé dont les Peintres & les Poëtes ont armé Jupiter. Célus, dit la Fable, ayant été délivré par Jupiter de la prison où le tenoit Saturne, pour récompenser son libérateur, lui fit présent de la foudre, qui le rendit maître des dieux & des hommes. Suivant les Poëtes, ce sont les Cyclopes qui forgent les foudres du pere des immortels. Virgile ajoûte que dans la trempe des foudres les Cyclopes mêloient les terribles éclairs, le bruit affreux, les traînées de flammes, la colere de Jupiter, & la frayeur des humains.

Fulgores nunc terrificos, sonitumque, metumque

Miscebant operi, flammisque sequacibus iras.

Aeneid. VIII. 431.

Stace est le seul des anciens qui ait donné la foudre à la déesse Junon ; car Servius assûre, sur l'autorité des livres étrusques, dans lesquels tout le cérémonial des dieux étoit reglé, qu'il n'y avoit que Jupiter, Vulcain, & Minerve, qui pussent la lancer. Chaque foudre renfermoit trois rayons de grêle, trois de pluie, trois de feu, & trois de vents.

La foudre de Jupiter est figurée en deux manieres ; l'une, en une espece de tison flamboyant par les deux bouts, qui ne montrent qu'une flamme ; l'autre, en une machine pointue des deux côtés, armée de deux fleches. Lucien semble lui donner cette derniere forme, lorsqu'il nous représente fort plaisamment Jupiter se plaignant de ce qu'ayant depuis peu lancé sa foudre longue de dix piés contre Anaxagore, qui nioit l'existence des dieux, Périclès détourna le coup qui porta sur le temple de Castor & de Pollux, & le réduisit en cendres : par cet évenement, la foudre s'étoit presque brisée contre la pierre ; & ses deux principales pointes avoient été tellement émoussées, que le maître des dieux ne pouvoit plus s'en servir sans les racommoder.

La principale divinité de Séleucie, selon Pausanias, étoit la foudre, qu'on honoroit avec des hymnes & des cérémonies toutes particulieres ; peut-être étoit-ce Jupiter même qu'on honoroit ainsi sous le symbole de la foudre. Quoiqu'il en soit, on voit sur quelques médailles de cette ville un foudre posé sur une table que Tristan prend pour un autel ; & il regarde ces médailles comme un monument de ce culte subsistant encore sous Eliogabale & Caracalla, de qui sont les médailles.

La foudre représentoit un pouvoir égal aux dieux ; c'est pourquoi Apelles peignit Alexandre dans le temple de Diane d'Ephèse, tenant la foudre à la main : c'est encore par cette raison qu'on trouve sur les médailles romaines, que la foudre y accompagne quelquefois la tête des empereurs, comme dans des médailles d'Auguste. La flaterie des peuples asservis s'est portée à des bassesses bien plus étranges.

Icquez me paroît plus heureux que Ménage dans l'étymologie du mot foudre ; il le dérive de fudr, terme de la langue des Cimbres, qui signifie chaleur, brûlure, & mouvement rapide. (D.J.)

FOUDRE, (Littérat.) les surprenans effets que produit la foudre, ont fourni de tout tems une ample matiere à la superstition des peuples. Les Romains serviront de preuve, & me dispensent d'en chercher ailleurs.

Ils distinguoient deux sortes de foudre, celles du jour & celles de la nuit ; ils donnoient les premieres à Jupiter, & les secondes au dieu Summanus ; & si la foudre grondoit entre le jour & la nuit, ils l'appelloient fulgur provorsum, & l'attribuoient conjointement à Jupiter & à Summanus.

Non contens de cette distinction générale, ils tiroient toutes sortes de présages de la foudre. Quand, par exemple, elle étoit partie de l'orient, & que n'ayant fait qu'effleurer quelqu'un, elle retournoit du même côté, c'étoit le signe d'un bonheur parfait, summae felicitatis praesagium, comme Pline le raconte à l'occasion de Silla. Les foudres qui faisoient plus de bruit que de mal, ou celles qui ne signifioient rien, étoient nommées vana & bruta fulmina ; celles qui promettoient du bien & du mal s'appelloient fatidica fulmina ; & la plûpart des foudres de cette espece étoient prises pour une marque de la colere des dieux : telle fut la foudre qui tomba dans le camp de Crassus ; elle fut regardée comme un avant-coureur de sa défaite ; & telle encore, selon Ammien Marcellin, fut celle qui précéda la mort de l'empereur Valentinien. De ces foudres de mauvaise augure, il y en avoit dont on ne pouvoit éviter le présage par aucune expiation, inexpiabile fulmen ; & d'autres, dont le malheur pouvoit être détourné par des cérémonies religieuses, piabile fulmen.

La langue latine s'enrichit de la sotte confiance qu'on donnoit aux augures tirés de la foudre. On appella conciliaria fulmina celles qui arrivoient lorsqu'on délibéroit de quelque affaire publique ; auctorativa fulmina, celles qui tomboient après les délibérations prises, comme pour les autoriser ; monitoria fulmina, celles qui avertissoient de ce qu'il falloit éviter ; deprecaria fulmina, celles qui avoient apparence de danger, sans qu'il y en eût pourtant effectivement ; postulatoria fulmina, celles qui demandoient le rétablissement des sacrifices interrompus ; familiaria fulmina, celles qui présageoient le mal qui devoit arriver à quelque famille ; publica fulmina, celles dont on tiroit des prédictions générales pour trois cent ans ; & privata fulmina, celles dont les prédictions particulieres ne s'étendoient qu'au terme de dix années.

Ainsi les Romains porterent au plus haut comble d'extravagance ces folies ; ils vinrent jusqu'à croire que le tonnerre étoit un bon augure, quand on l'entendoit du côté droit, & qu'il étoit au contraire un signe fatal, quand on l'entendoit du côté gauche ; il n'étoit pas même permis, suivant le rapport de Cicéron, de tenir les assemblées publiques lorsqu'il tonnoit, Jove tonante, fulgurante, comitia populi habere nefas.

Les endroits frappés de la foudre étoient réputés sacrés ; & comme si Jupiter eût voulu se les approprier, il n'étoit plus permis d'en faire des usages prophanes. On y élevoit des autels au dieu tonnant, avec cette inscription, deo fulminatori. Les aruspices purifioient tout lieu sans exception sur lequel la foudre étoit tombée, & le consacroient par le sacrifice d'une brebis appellée bidens, c'est-à-dire à qui les dents avoient poussé en-haut & en-bas ; ce lieu séparé de tout autre, s'appelloit bidental, du nom de la brebis qu'on avoit immolée, & on regardoit pour impies & pour sacriléges ceux qui le prophanoient ou en remuoient les bornes ; c'est-là ce qu'Horace appelle quelque part movere bidental.

Tout ce qui avoit été brûlé ou noirci par la foudre étoit placé sous un autel couvert, & les augures étoient chargés de ce soin. On employoit en particulier certains prêtres nommés par Festus strufertari, pour purifier les arbres foudroyés. Ils faisoient à ce sujet un sacrifice avec de la pâte cuite sous la cendre, comme nous l'apprend l'inscription tirée d'une table de bronze antique trouvée à Rome, & citée par nos antiquaires.

Avant cette purification, les arbres frappés de la foudre passoient pour être funestes, & personne n'osoit en approcher. Aussi dans le Trinummus de Plaute, act. iij. sc. 2. un esclave voulant détourner un vieillard d'aller à une maison de campagne, il lui dit : gardez-vous-en bien ; car les arbres y ont été frappés de la foudre ; les pourceaux y meurent ; les brebis y deviennent galeuses, & perdent leur toison.

Pline rapporte qu'il n'étoit pas permis de brûler le corps de ceux que la foudre avoit tués, & qu'il falloit simplement les inhumer, suivant l'ordonnance de Numa. En effet Festus, au mot occisum, cite deux lois à ce sujet : homo si fulmine occisus est, ei justa nulla fieri oportet ; l'autre est conçûe en ces termes : si hominem fulminibus occisit, ne suprà genua tollito ; au lieu que l'usage contraire se pratiquoit dans les funérailles ordinaires, où l'on mettoit les corps sur les genoux pour les baiser & pour les laver, comme il paroît par ces vers d'Albinovanus :

At miseranda parens suprema neque oscula fixit,

Frigida nec movit membra, tremente sinu.

Il faut, pour le dire en passant, que ce point de religion n'en fût pas un chez les Grecs, puisque Capanée, après avoir été frappé du feu de Jupiter, reçut les honneurs du bûcher, & qu'Evadné sa femme s'élança dans les flammes, pour confondre ses cendres avec celles de son cher époux. Mais les Romains s'éloignerent de cette idée & en prirent une autre, dans la persuasion que les personnes mortes d'un coup de foudre avoient été suffisamment purifiées par le feu, qui les avoit privés de la vie.

Enfin on regardoit généralement tous ceux qui avoient eu le malheur de périr par la foudre, comme des scélérats & des impies, qui avoient reçû leur châtiment du ciel ; & c'est par cette raison que l'empereur Carus, qui fut plein de courage & de vertus, est mis au rang des mauvais princes par quelques auteurs.

Ce détail suffit, sans-doute, pour faire connoître les égaremens de la superstition payenne ; sur laquelle Séneque observe judicieusement, que c'est une marque d'un esprit foible que d'ajoûter foi à de pareilles sottises, & de s'imaginer que Jupiter lance les foudres, qu'il renverse les colonnes, les arbres, les statues, & même ses images ; ou que laissant les sacriléges impunis, il s'amuse à brûler ses propres autels, & à foudroyer des animaux innocens. Le genre humain, quoiqu'aujourd'hui plus éclairé sur la nature & la formation de la foudre, n'est pas encore guéri de toutes ces vaines superstitions.

Cependant le lecteur curieux de morceaux de littérature sur cet article, en trouvera beaucoup dans les savans commentateurs de Pline, de Perse, de Juvénal, & de Stace ; dans Saumaise sur Solin, dans Josephe, dans Scaliger sur Varron ; dans les dictionnaires & les auteurs d'antiquités romaines. (D.J.)

FOUDRE, en Architecture, ornement de sculpture en maniere de flamme tortillée avec des dards, qui servoit anciennement d'attribut aux temples de Jupiter, comme il s'en voit encore au plafond de la corniche dorique de Vignole, & aux chapiteaux du portique de Septime Sévere à Rome. (P)

FOUDRES, (Jardinage) ce sont des touffes très-garnies qui viennent au pié des plantes qui portent des fleurs. (K)

* FOUDRE, (Tonnelier) vaisseau de bois ou tonneau d'une capacité extraordinaire, & garni de cercles de fer, dont on se sert en plusieurs endroits de l'Allemagne pour renfermer le vin & le conserver plusieurs années. Voyez les art. TONNEAU, TONNE.


FOUDROYANTEadj. pris sub. les Artificiers appellent ainsi une espece de fusée qui imite la foudre.


FOUÉ(Géog.) d'autres écrivent Foa, Fuoa, Fua, ancienne ville de la basse Egypte sur le Nil, dans un terroir agréable, à sept lieues de Rosette, & seize S. d'Alexandrie. Longit. 49. latit. 30. 40. (D.J.)


FOUETS. m. se dit en général de tout instrument de correction ; il y en a pour l'homme & pour les animaux. Les pénitens se foüettent ; on foüette les singes, les chiens, les chevaux. On fait donner le foüet aux enfans, dans l'âge où l'on ne peut encore se faire entendre à la raison. Foüet se dit alors & de l'instrument & du châtiment : il y a des foüets de toutes sortes de formes & d'un grand nombre de matieres : presque tous ceux dont on use pour les animaux sont terminés par une petite ficelle noüée en plusieurs endroits : c'est de cet usage que cette ficelle a pris le nom de foüet.

FOUET, (Jurispr.) est une des peines que l'on inflige aux criminels.

L'usage en est fort ancien ; il avoit lieu chez les Juifs, chez les Grecs & les Romains ; & il en est souvent parlé dans les historiens du bas empire.

Cette peine étoit reputée legere chez les Romains ; elle n'emportoit aucune infamie, même contre des hommes libres & ingénus.

En France elle est reputée plus legere que les galeres à tems, & plus rigoureuse que l'amende honorable & le bannissement à tems ; ordonnance de 1670, tit. xxv. art. 13. elle emporte toûjours infamie.

Le foüet se donne sur les épaules du criminel à nud ; autrefois on le donnoit avec des baguettes, avec des escourgées ou foüet fait de courroies & lanieres de cuir avec des plombeaux, des scorpions ou lanieres garnies de pointes de fer comme la queue d'un scorpion ; présentement on ne le donne plus qu'avec des verges, dont on frappe plusieurs coups & à différentes reprises, dans les places publiques & carrefours, suivant ce qui est ordonné.

C'est l'exécuteur de la haute-justice qui foüette les criminels hors de la prison ; mais lorsqu'un accusé detenu prisonnier n'a pas l'âge compétent pour lui infliger les peines ordinaires, ou lorsqu'il s'agit de quelque leger délit commis dans la prison, on condamne quelquefois l'accusé à avoir le foüet sous la custode, sub custodiâ, c'est-à-dire dans la prison : auquel cas ce n'est pas l'exécuteur de la haute-justice qui doit donner le foüet, mais le questionnaire s'il y en a un, ou un geolier, ce qui est moins infamant. La Rocheflavin, liv. II. tit. x. rapporte un arrêt du parlement de Toulouse, du 6 Juillet 1563, portant qu'un prisonnier de la maison-de-ville seroit fustigé avec des verges par un sergent, & non par l'exécuteur de la haute justice, & feroit un tour seulement dans la maison-de-ville.

Autrefois en quelques endroits c'étoit une femme qui faisoit l'office de bourreau pour fustiger les femmes. Voyez ce qui en a été dit au mot EXECUTEUR.

Anciennement lorsque l'Eglise imposoit des pénitences publiques, le pénitent étoit foüetté jusqu'au pié de l'autel. C'est ainsi que fut traité Raymond, comte de Toulouse, petit-fils du premier de ce nom : ayant été soupçonné de favoriser les hérétiques, Innocent III. mit ses terres en interdit, & les abandonna au premier occupant ; le comte implora la clemence du pape, & crut que c'étoit assez de s'être humilié ; mais le légat l'obligea de venir à la porte de l'église ; & l'ayant fait dépouiller de tous ses habits à la vûe d'une nombreuse populace, il le foüetta de verges jusqu'à l'autel, où il reçut l'absolution. Voyez les annales de Toulouse de la Faille.

Le juge d'église, selon la disposition canonique, pouvoit condamner ses justiciables au foüet. Dans la primitive Eglise les clercs souffroient la correction du foüet pour l'amendement de leurs fautes. Ils pouvoient y être condamnés judicio episcopali, comme on peut l'inférer du canon cum beatus distinct. 45. du canon non liceat distinct. 86. & autres ; Hilarius sous-diacre ayant accusé faussement un diacre, & les juges s'étant contentés d'absoudre l'accusé, le pape ordonna que l'accusateur seroit dépouillé de son office, qu'il seroit foüetté de verges publiquement, & envoyé en exil ; cap. j. de calumniat. Les canonistes ont tous conclu de-là que le juge d'église peut condamner au foüet, pourvû que ce ne soit pas jusqu'à effusion de sang ; néanmoins les juges d'église ont rarement prononcé de telles condamnations.

Bernard Diaz, dans sa pratique criminelle, chap. cxxxiij. prétend que les juges d'église peuvent sans encourir aucune irrégularité, condamner au foüet, quoiqu'il y ait communément effusion de sang ; parce que, dit-il, cette effusion de sang n'est pas ordonnée, & ne procede pas principalement du jugement, mais d'accident, & ex post facto. Cette distinction paroîtra sans-doute plus subtile que solide.

Aussi Ignatius Lopez qui a commenté l'auteur que l'on vient de citer, observe que ce n'étoit guere qu'en Espagne où les juges d'église ordonnoient cette peine, & que depuis 21 ans il n'avoit point vû dans la ville de Alcala de Henares que les officiaux eussent condamné personne au foüet.

Julius Clarus dit aussi que dans l'état de Milan, les juges d'église ne condamnoient point les coupables au foüet.

En France autrefois, les juges d'église condamnoient quelquefois au foüet, mais c'étoit abusivement ; & cela ne se pratique plus : l'église ne pouvant infliger aucune peine afflictive.

Il a néanmoins été jugé par arrêt du 7 Août 1618, rapporté dans Bardet, qu'un bénéficier-juge n'avoit pas encouru d'irrégularité pour avoir condamné au foüet, parce que cette peine, quoiqu'afflictive, n'ôte point la vie, & n'est pas dans le cas de celles que l'Eglise abhorre. (A)

Foüet sous la custode, c'est lorsqu'on le donne dans la prison ; on condamne à cette peine les enfans au-dessous de l'âge de puberté, qui ont commis quelque delit grave. (A)

FOUET DE MAT, (Marine) on ne se sert de cette expression, un grand foüet de mât, que pour dire une grande longueur de mât. (Z)

* FOUET, (Verrerie) c'est ainsi qu'on appelle dans les Verreries, l'ouvrier qui arrange les bouteilles ou les plats dans les fourneaux à recuire, & qui a soin de les tenir dans une chaleur convenable. S'il donne trop de chaud, l'ouvrage s'applatit ; trop de froid, il casse. Il est aidé dans sa fonction par les gamains. Voyez les articles VERRERIES & GAMAINS. Le foüet présente aussi la planche pour trancher les plats, & il aide l'ouvrier à les placer & arranger dans les fourneaux.


FOUETTERv. act. Punir par le foüet, voyez l'article FOUET.

FOUETTER, v. n. (Mar.) on dit que les voiles foüettent contre le mât quand elles sont presqu'entierement sur le mât, & qu'elles battent contre lui un peu plus fort que lorsqu'elles ne sont qu'en ralingue. (Z)

FOUETTER, terme de Maçonnerie, c'est jetter du plâtre clair avec un balai, contre le lattis d'un lambris ou d'un plafond, pour l'enduire ; c'est aussi jetter du mortier ou du plâtre par aspersion, pour faire les panneaux de crépi d'un mur qu'on ravale. (P)

* FOUETTER, chez les Relieurs, c'est après qu'un volume est couvert, ou de veau, ou de maroquin, le placer entre deux ais qu'on serre fortement de haut en-bas avec de la ficelle cablée, & passer ensuite une autre ficelle sur le dos de nerf en nerf, ficelant des deux côtés. Les ficelles doivent se trouver croisées en tous sens. Voyez nos Planches de Relieure ; voy. les articles AIS A FOUETTER & RELIER.

* FOUETTER LES COCONS, c'est une des préparations de l'art de tirer la soie. Voyez l'article SOIE.


FOUGADou FOUGASSE, s. f. (Fortification) c'est dans la guerre des siéges, une mine qui n'a que 6, 8, ou 9 piés de ligne, de moindre résistance, ou qui n'est enfoncée dans la terre que de cette quantité. V. MINE, & LIGNE DE MOINDRE RESISTANCE. (Q)

FOUGASSE, voyez l'article FAYENCE.


FOUGERv. neut. (Chasse) il se dit de l'action du sanglier, qui arrache des plantes avec son boutoir. La plante ou racine enlevée s'appelle fougue, & les troncs, affranchis. Fouger se dit aussi du cochon.


FOUGERE(Botan. géner.) s. f. filix, genre de plante qu'on peut nommer capillaire, & dont les feuilles sont composées de plusieurs autres feuilles rangées sur les deux côtés d'une côte, & profondément découpées. Ajoûtez aux caracteres de ce genre le port de la plante. Tournefort, inst. rei herb. Voyez Plante.

FOUGERE, (Botan.) c'est à M. William Cole en Angleterre, & à Swammerdam en Hollande, qu'on doit la découverte des semences de la fougere. M. Cole date la sienne de 1669, & Swammerdam de 1673.

M. Cole remarque 1°. que dans ces sortes de plantes, les loges ou capsules des graines sont deux fois plus petites que le moindre grain de sable ordinaire. 2°. Que dans quelques especes, ces capsules n'égalent pas la troisieme, ni même la quatrieme partie d'un grain de sable, & paroissent comme de petites vessies entourées d'anneaux ou de bandelettes en forme de vers. 3°. Que néanmoins quelques-unes de ces petites vessies contiennent environ cent graines si petites, qu'elles sont absolument invisibles à l'oeil, & qu'on ne peut les distinguer qu'à l'aide d'une excellente lentille. 4°. Que l'osmonde ou la fougere fleurie, qui surpasse en grandeur les fougeres communes, a des capsules ou vésicules séminales d'une grosseur égale à celles des autres qui appartiennent au même genre. 5°. Enfin, que l'extrême petitesse de ces vésicules, étant comparée avec la grandeur de la plante, on n'y trouve pas la moindre proportion, ensorte qu'on ne pourroit s'empêcher d'admirer qu'une aussi grande plante soit produite d'une aussi petite graine, si on ne voyoit souvent de semblables exemples dans la nature.

Les observations de Swammerdam sur les graines de la fougere, se trouvent dans son livre de la nature (biblia naturae) ; nous y renvoyons le lecteur, parce qu'elles ne sont guere susceptibles d'un extrait. Il suffira de dire à leur honneur, que M. Miles reconnoît après les avoir vérifiées, qu'on ne peut trop admirer leur justesse & leur exactitude. Passons donc à celles de M. Tournefort, qui ne sont pas moins vraies.

La fougere, suivant cet illustre botaniste, porte ses fruits sur le dos des feuilles, où ils sont le plus souvent rangés à double rang, le long de leurs découpures ; ils ont la figure d'un fer à cheval, appliqué immédiatement sur les feuilles, & comme rivé parderriere ; chaque fruit est couvert d'une peau relevée en bossette, & qui paroît comme écailleuse ; cette peau se flétrit ensuite, se ride, & se reduit en petit volume au milieu du fruit ; elle laisse voir alors un tas de coques ou de vessies presqu'ovales, entourées d'un cordon à grains de chapelet, par le racourcissement duquel chaque coque s'ouvre en-travers, comme par une espece de ressort, & jette beaucoup de semences menues. Les graines de la fougere femelle sont placées différemment sur le dos des feuilles, que ne le sont les semences de la fougere mâle ; car dans la fougere femelle elles sont cachées sur les bords des petites feuilles, qui se prolongent, se refléchissent tout-autour en automne, & forment des especes de sinuosités où naissent les feuilles.

L'ingénieux M. Miles a observé de plus : 1°. que les capsules des graines de la fougere commune, de la ruë de montagne, de la langue de cerf, de l'adiante, & autres capillaires, étoient toutes semblables dans leur forme générale, & que la seule différence consistoit dans la grosseur des graines, leur arrangement, & leur quantité. 2°. Que les especes où les graines sont en petit nombre, ont une substance spongieuse assez semblable à l'oreille de judas, & qui semble leur être donnée pour mettre les semences à couvert. 3°. Que lorsqu'elles sont tombées, on découvre sur la plante de petites membranes un peu frisées, qui paroissent comme si elles eussent été élevées adroitement de dessus la surface de la feuille avec une pointe de canif. 4°. Que le cordon élastique par lequel les coques s'ouvrent & jettent leurs graines, est composé de fibres annulaires, comme le gosier d'un petit oiseau. 5°. Qu'on peut voir le jet même de ces graines & l'opération de la nature, sous le microscope, en faisant les expériences avec la fougere fraîchement cueillie au commencement de Septembre. 6°. Que quand il arrive que la capsule est dans son juste point de maturité, le jet se fait insensiblement, & par degré. 7°. Qu'il s'écoule quelquefois un gros quart-d'heure avant que la capsule s'ouvre, & que la corde à ressort jette la graine, mais qu'alors on est dédommagé de son attente, parce qu'on voit distinctement & complete ment le procédé de la nature. 8°. Enfin, que quand on frotte les feuilles de la plante pour en avoir les graines, elles s'envolent en forme de poussiere, qui entre souvent dans les pores de la peau, & y cause une espece de demangeaison, comme ces especes d'haricots des îles de l'Amérique, qu'on appelle pois grattés. Mais il faut lire les détails de tous ces faits dans les Trans. philos. n°. 461. pag. 774. & suiv. où l'auteur indique la maniere de répéter ces expériences, & de les vérifier. On peut actuellement caractériser la fougere.

Nous la nommerons donc une plante épiphyllosperme, c'est-à-dire portant ses graines sur le dos des feuilles, renfermées dans de petites vésicules, qui lors de leur maturité, s'ouvrent en-travers par une espece de ressort. Sa feuille cotonneuse, est composée d'autres feuilles attachées à une côte, de maniere qu'il y a des loges de l'un & de l'autre côté. Ses lobes sont découpés, & la découpure pénetre jusqu'à la côte principale ; on n'a point encore découvert ses fleurs.

Parmi la quantité de fougeres que nous présentent l'un & l'autre monde, il y en a trois principales d'usage dans les boutiques ; savoir la fougere mâle, la fougere femelle, & la fougere fleurie.

La fougere mâle s'appelle chez nos botanistes filix, filix mas, &c. sa racine est épaisse, branchue, fibreuse, noirâtre en-dehors, pâle en-dedans, garnie de plusieurs appendices, d'une saveur d'abord douçâtre, ensuite un peu amere, un peu astringente, sans odeur. Elle jette au printems plusieurs jeunes pousses, recourbées d'abord, couvertes d'un duvet blanc, lesquelles se changent dans la suite en autant de feuilles larges, hautes de deux coudées, droites, cassantes, d'un verd-gai, qui sont composées de plusieurs autres petites feuilles placées alternativement sur une côte garnie de duvet brun ; chaque petite feuille est découpée en plusieurs lobes ou crêtes larges à leur base, obtuses & dentelées tout-autour. Il regne une ligne noire dans le milieu des feuilles, & chaque lobe est marqué en-dessus de petites veines, & en-dessous de deux rangs de petits points de couleur de rouille de fer. Ces points sont sa graine, qui croît en petits globes sur le revers de la feuille. Cette plante paroît n'avoir point de fleur, ou si elle en a, on ne les a pas encore découvertes. Elle croît à l'ombre des haies, dans les sentiers étroits, dans les forêts, & comme dit Horace dans les champs incultes.

Neglectis urenda filix jam nascitur agris.

La fougere commune ou la fougere femelle a dans nos auteurs les noms de filix faemina, filix faemina vulgaris, filix non ramosa, thilypteris. Dilleu, &c. sa racine est quelquefois de la grosseur du doigt, noir âtre en-dehors, blanche en-dedans, rampante de tous côtés dans la terre, d'une odeur forte, d'une saveur amere, empreinte d'un suc gluant ; & étant coupée à sa partie supérieure, elle représente une espece d'aigle à deux têtes.

Sa tige, ou plutôt son pédicule est haut de trois ou quatre coudées, roide, branchue, solide, lisse, & un peu anguleuse. Ses feuilles sont découpées en aîles : & ces aîles sont partagées en petites feuilles étroites, oblongues, pointues, dentelées quelquefois legerement, d'autres fois entieres, vertes en-dessus, blanches en-dessous. Ses fruits ou ses vésicules sont ovales comme celles de la fougere mâle, mais placées un peu différemment sur le dos des feuilles, comme nous l'avons dit ci-dessus, d'après les observations de Tournefort.

Elle vient presque par-tout, principalement dans les bruyeres, dans les lieux incultes & stériles. Sa racine est la seule partie dont on se serve en Medecine. Elle est d'une odeur forte, différente de celle de la fougere mâle, & ne rougit point le papier bleu. Il y a apparence qu'elle contient un sel analogue, ou sel de corail, embarrassé dans un suc glaireux que le fruit détruit, & qui suivant Tournefort, est un mélange de phlegme, d'acide, & de terre.

La fougere fleurie s'appelle plus communément osmonde ; voyez-en l'article sous ce nom ; & pour ce qui regarde les fougeres exotiques, voyez le P. Plumier, de filicibus americanis ; l'hist. de la Jamaïque du chevalier Hans-Sloane ; Petiver, pterygraphia americana continens plusquam 400. filices varias, &c. Lond. 1695. fol cum fig. Ce sont trois ouvrages magnifiques à la gloire des fougeres. Il n'y a point de plantes à qui l'on ait fait tant d'honneur. (D.J.)

FOUGERE, (Agriculture) la fougere femelle commune est pour les laboureurs une mauvaise herbe, qui leur nuit beaucoup, & qui est très-difficile à détruire quand elle a trouvé un terrein favorable pour s'y enraciner : car souvent elle pénetre par ses racines jusqu'à 8 piés de profondeur ; & traçant au long & au large, elle s'éleve ensuite sur la surface de la terre, & envoye de nouvelles fougeres à une grande distance. Quand cette plante pullule dans les pacages, la meilleure maniere de la faire périr est de faucher l'herbe trois fois l'année, au commencement du printems, en Mai, & en Août. Les moutons que l'on met dans un endroit où il y a beaucoup de fougere, la détruisent assez promtement ; en partie par leur fumier & leur urine, & en partie en marchant dessus. Mais la fougere qu'on coupe quand elle est en sève, & qu'on laisse ensuite pourrir sur la terre, est une bonne marne pour lui servir de fumier, & pour l'engraisser considérablement. Les arbres plantés dans des lieux où la fougere croît, réussissent très-bien, même dans un sable chaud ; la raison est, que la fougere sert d'abri aux racines, & les conserve humides & fraîches. Enfin on répand de la cendre de fougere sur les terres pour les rendre plus fertiles. (D.J.)

FOUGERE, (Matiere médicale & Pharmacie) On distingue chez les Apothicaires deux especes de fougere, l'une appellée fougere mâle, l'autre fougere femelle ; il y en a encore une troisieme qui est la fougere fleurie ou l'osmonde ; mais on employe fort rarement cette derniere. Quant aux deux autres, on les confond assez souvent, & l'on prend sans scrupule l'une pour l'autre, c'est-à-dire que l'on employe celle qu'on se peut procurer le plus facilement. Les auteurs sont pourtant partagés au sujet de leurs vertus ; les uns donnent la préférence à la fougere mâle, d'autres à la femelle.

Il est fort peu important d'accorder ces diverses opinions, parce que cette plante qui étoit très-usitée chez les anciens, n'est presque plus employée dans la pratique moderne : peut-être pour le dégoût qu'en ont pris les malades, selon l'idée de M. Geoffroi ; peut-être par celui qu'en ont pris les Medecins, après l'avoir employée inutilement ; peut-être aussi parce que nous avons restreint à un très-petit nombre de plantes nos remedes contre les maladies chroniques. Ce n'est presque plus que comme vermifuge que nous employons aujourd'hui cette racine dont nous faisons prendre la décoction, & plus ordinairement encore & avec plus de succès la poudre au poids d'un gros ou de deux. Cette poudre passe pour un spécifique contre les vers plats ; & c'est-là le principal secret des charlatans qui entreprennent la guérison de ce mal. (b)

Mais si les charlatans ont quelque succès dans ce cas, c'est qu'alors ils joignent adroitement & en cachette à la racine de fougere réduite en poudre le mercure, l'aethiops minéral, ou quelqu'autre préparation mercurielle, qui sont seules le vrai poison des vers.

Les vertus de la fougere dépendent, les unes de son huile, les autres de son sel essentiel, qui est tartareux, austere, accompagné d'un sel neutre, lequel ne s'alkalise point. Elle agit en dissolvant les humeurs épaisses par son sel essentiel, & en resserrant les fibres solides par ses particules terreuses astringentes. On peut donc la prescrire utilement pour base des boissons apéritives & desobstruentes dans les maladies spléniques & hypochondriaques, pourvû que les malades soient capables d'en continuer l'usage quelque tems, sans le dégoût ordinaire, très-difficile à surmonter.

Le suc des racines de fougere mêlé avec de l'eau-rose, ou autre semblable, est un assez bon remede pour bassiner les parties legerement brûlées, à cause du suc visqueux & mucilagineux dont cette plante est empreinte. (D.J.)

FOUGERE, (Arts) On tire un grand parti de la fougere dans les Arts. Il est même arrivé quelquefois dans la disette de vivres, qu'on a fait du pain de la racine de fougere. M. Tournefort raconte qu'il en a vû à Paris en 1693, que l'on avoit apporté d'Auvergne ; mais ce pain étoit fort mauvais, de couleur rousse, presque semblable aux mottes d'écorce de chêne, qui sont d'usage pour tanner le cuir, & qu'on appelle mottes-à-brûler.

On employe la fougere dans le comté de Saxe pour chauffer les fours & pour cuire la chaux, parce que la flamme en est fort violente & très-propre à cet emploi.

Le pauvre peuple en plusieurs parties du nord de l'Angleterre, se sert de cendres de fougere au lieu de savon pour blanchir le linge. Ils coupent la plante verte, la réduisent en cendres, & forment des balles avec de l'eau, les font sécher au soleil, & les conservent ainsi pour leurs besoins. Avant que d'en faire usage ils les jettent dans un grand feu jusqu'à ce qu'elles rougissent ; & étant calcinées de cette maniere, elles se réduisent facilement en poudre.

Personne n'ignore qu'on employe les cendres de fougere à la place de nitre, que l'on jette ces cendres sur les cailloux pour les fondre & les réduire en verre de couleur verte ; c'est-là ce qu'on nomme verres de fougere, si communs en Europe. V. VERRE.

Les cendres de la fougere femelle commune présentent un autre phénomene bien singulier, quand on en tire le sel suivant la méthode ordinaire, à la quantité de quelques livres ; la plus grande partie de ce sel étant séchée, & le reste qui est plus humide étant exposé à l'air, pour en recevoir l'humidité, il devient promtement fluide, ou une huile, comme on l'appelle improprement, par défaillance : ensuite le reste du lixivium qui est très-pesant & d'un rouge plus ou moins foncé, étant mis à-part dans un vaisseau de verre qu'on tient débouché pendant cinq ou six mois, laisse tomber au fond de la liqueur une assez grande quantité de sel précipité jusqu'à l'épaisseur d'environ deux pouces au fond du vaisseau. La partie inférieure de la liqueur est pleine de saletés, mais la partie du haut est blanche & limpide. Sur la surface de cette partie se forment des crystallisations de sel d'une figure réguliere, semblable à plusieurs plantes de fougere commune, qui jetteroient un grand nombre de feuilles de chaque côté de la tige ; ces ramifications salines subsistent plusieurs semaines dans leur état, si l'on ne remue point le vaisseau ; mais elles sont si tendres, que le moindre mouvement les détruit, & alors elles ne se réforment jamais. Voyez les Transact. philos. n°. 105.

Enfin les Chinois se servent dans leurs manufactures de porcelaine d'une espece de vernis qu'ils font avec de la fougere & de la chaux ; ils y parviennent si aisément, qu'il ne seroit pas ridicule de l'essayer dans nos manufactures de porcelaine. Voici le procédé & la maniere.

Ils prennent une quantité de fougere bien séchée qu'ils répandent par lits sur un terrein suffisant à la quantité de vernis dont ils ont besoin. Sur cette fougere ils font une autre couche de pierres de chaux fraîchement calcinées, sur laquelle ils jettent avec la main une petite quantité d'eau suffisante pour l'éteindre ou la délayer. Ils couvrent cette couche de chaux d'une troisieme couche de fougere, & multiplient toûjours alternativement ces couches jusqu'à la hauteur de huit ou dix piés ; alors ils mettent le feu à la fougere qui se brûle en peu de tems, & qui laisse un mélange de chaux & de cendres. Ce mélange est porté de la même maniere sur d'autres couches de fougere qu'on brûle de même. Cette opération est répétée cinq ou six fois.

Quand la derniere calcination est finie, ce mélange de chaux & de cendres est soigneusement rassemblé & jetté dans de grands vaisseaux pleins d'eau ; & sur chaque quintal de poids, ils y mettent une livre de kékio. Ils remuent le tout ensemble ; & quand la partie la plus grossiere est tombée au fond, ils enlevent la plus fine qui surnage au-dessus en forme de creme, qu'ils mettent dans un autre vaisseau d'eau, ils la laissent tomber au fond par le séjour ; alors ils versent l'eau du vaisseau, & y laissent le résidu en forme d'une huile épaisse.

Ils mêlent cette liqueur avec de l'huile de cailloux préparée, en pulvérisant & en blanchissant de la même maniere une sorte particuliere de pierre-à-caillou, & ils en couvrent tous les vaisseaux qu'ils ont intention de vernisser. Ces deux huiles, comme on les nomme, font toûjours mêlées ensemble, & ils les font soigneusement de la même épaisseur, parce qu'autrement la vernissure ne seroit point égale. Les cendres de fougere ont une grande part dans leur avantage que cette huile a au-dessus de nos vernis communs. On dit que la manufacture de Bristol est parvenue à attraper la beauté du vernis qu'elle possede, par l'imitation des deux huiles dont les Chinois vernissent leurs porcelaines. (D.J.)

FOUGERE, sorte d'agrémens dont les femmes ornent leurs ajustemens & leurs habits.

FOUGERES, (Géog.) petite ville de France en Bretagne sur le Coesnon, entre Rennes, Avranches, & Dole, aux confins de la Normandie & du Maine ; son nom lui vient, selon M. de Valois, de ce que ses environs étoient autrefois remplis de fougere. Longit. 16. 22. latit. 48. 20.

Elle est la patrie de René le Païs, né en 1636, mort en 1690 ; c'étoit un écrivain très-médiocre, qui donnoit comme Voiture, dont il étoit le singe, sans avoir certaines graces de son modele, dans un mauvais goût de plaisanterie. On sait à ce sujet le vers ironique de Despréaux, sat. iij.

Le Païs sans mentir est un bouffon plaisant. (D.J.)


FOUGONS. m. (Marine) les matelots du levant se servent de ce mot pour signifier le lieu où l'on fait la cuisine dans certains petits vaisseaux. Le fougon des galeres est dans le milieu des bancs. (Z)


FOUGUES. m. (Gramm.) mouvement de l'ame impétueux, court, & promt ; il s'applique à l'homme & aux animaux : l'homme & le cheval ont leur fougue. On l'employe pour désigner cet emportement si ordinaire dans la jeunesse ; & c'est en ce sens qu'on dit, la fougue de l'âge : on dit aussi d'un poëte, il est dans sa fougue.

FOUGUE, (Marine) mât de fougue ou foule, c'est le mât d'artimon. Voyez MAT. (Z)

Fougue, vergue de fougue ou foule ; c'est une vergue qui ne porte point de voiles, & qui ne sert qu'à border & étendre par le bas la voile du perroquet d'artimon. Voyez VERGUE, Marine, Pl. I. n°. 42. (Z)

Fougue, foule, perroquet de fougue, c'est le perroquet d'artimon. Voyez MAT, & Marine, Pl. I. n°. 45. (Z)

FOUGUE, (Artificier) les Artificiers appellent ainsi des serpenteaux un peu plus gros que les lardons, qui ont un effet plus varié, changeant subitement de vîtesse & de direction. Voyez LARDON.

Ces variétés peuvent être causées de plusieurs manieres ; 1°. par un changement de composition, en mettant alternativement une charge de matiere vive & une de lente, en les foulant également.

2°. En foulant la même matiere inégalement, & donnant plus de coups de maillets sur l'une que sur l'autre.

3°. En donnant du passage au feu dans une charge, & non point à l'autre ; ce qui se fait en mettant un pouce, par exemple, de charge massive, & ensuite une autre charge bien foulée & percée d'un petit trou au milieu, avec une meche de vilbrequin : le feu s'insinuant dans le trou, pousse la fougue, & trouvant le massif, qu'il ne peut pénétrer que successivement, perd son mouvement, puis le reprend ; & ainsi de suite.

On voit que par ce moyen, en variant la longueur des parties percées & des massives, on peut varier l'action du feu comme l'on veut, & finir par un pétard, comme aux serpenteaux. La composition de cette espece de serpenteaux doit être un peu plus foible, c'est-à-dire plus mêlée de charbon que celle des petits, parce que les trous augmentent le feu par son extension sur une plus grande quantité de matiere.

* FOUGUE, FOUANNE, ANFOU SALIN, termes synonymes de Pêche, usités dans le ressort de l'amirauté de la Rochelle.

La pêche à la fouanne, fougue, salin, se fait la nuit au feu sur les vases à la basse eau. Les Pêcheurs choisissent les nuits les plus sombres & les plus obscures ; alors ils se munissent de torches ou bouchots & brandons de paille ou de bois sec qu'ils tiennent de la main gauche, & de la droite ils dardent avec la foüanne les poissons qu'ils apperçoivent : ils font aussi cette même pêche dans l'enceinte des parcs de pierre ou écluses, & prennent ainsi les poissons que la marée y a laissés en se retirant.


FOUILLES. f. (Architecture) se dit de toute ouverture faite dans la terre, soit pour une fondation, ou pour le lit d'un canal, d'une piece d'eau, &c. On entend par fouille couverte le placement qu'on fait dans un massif de terre, pour le passage d'un aqueduc ou d'une pierrée. (P)

FOUILLE des terres (Agriculture) action de remuer les terres pour en connoître le fond, le mettre en état d'y recevoir diverses plantes, l'améliorer en y faisant des tranchées pour des palissades, des couches sourdes ou autres projets d'agriculture. Voici comme on se conduit communément dans la pratique du jardinage pour fouiller les terres.

On fait d'abord sur le terrein qu'on veut fouiller, une tranchée large de trois ou quatre piés pour un homme, profonde de deux piés & demi ou trois piés, selon que le terrein le demande, c'est-à-dire selon qu'il y a de bonnes terres. Dans les endroits où il n'y a qu'un pié & demi, on ôte cette terre de la tranchée, & on pioche dans le fond environ un demi-pié de la mauvaise terre, soit pierrotis, ou autre chose qu'on y laisse.

Cela fait, & lorsque cette tranchée, qui doit avoir environ quatre piés de longueur, est vuidée, on la remplit d'autant de terre, qu'on prend en suivant toûjours son chemin ; de sorte qu'on fait consécutivement une seconde tranchée, puis une troisieme, & ainsi du reste, jusqu'à ce qu'on soit au bout du morceau de terre qu'on veut fouiller. Si on est plusieurs, on se met tous de front, & chacun ouvre tout de suite une tranchée large, comme on l'a dit. On continue de même ; & comme la derniere tranchée reste toûjours à remplir, on se sert pour cela de la terre qu'on a tirée de la premiere tranchée, & qu'on transporte dedans, ou dans des broüettes ou dans des hottes. La fouille des terres contribue à l'accroissement des plantes ; les habiles jardiniers en sont assez convaincus par l'expérience. (D.J.)


FOUILLERse dit, dans l'art militaire, d'une recherche exacte faite dans une ville, un village, ou un bois dans lequel une armée ou un détachement de troupes doit passer, pour examiner s'il n'y a pas d'ennemis. Tout commandant de troupes prudent & expérimenté ne s'engage jamais dans aucun lieu couvert, sans l'avoir fait reconnoître & fouiller auparavant. Les bois se fouillent en les parcourant exactement, en visitant les lieux creux & les ravins qui peuvent s'y trouver, & où l'ennemi pourroit se cacher. Pour les villages, on visite les maisons, les caves, les greniers, les granges, & enfin tous les lieux propres à le dérober à la vûe. On ne doit pas se contenter d'entrer simplement dans les granges & les greniers, il faut culbuter une partie du fourrage qui y est renfermé, & donner dedans des coups de bayonnette ou de halebarde, afin de s'assûrer qu'il n'y a personne de caché. (Q)

FOUILLER, v. neut. (Hydrauliq.) c'est chercher l'eau, la suivre quand on en trouve toûjours en remontant, afin de la prendre le plus haut qu'il se peut. (K)


FOUINEfoyna, s. f. (Hist. nat.) animal quadrupede. La foüine, martes fagorum, & la marte, martes abietum, different l'une de l'autre en ce que la premiere est plus brune, & qu'elle a la queue plus grande & plus noire. Sa gorge est blanche, & celle de la marte est jaune : les peaux des martes sont beaucoup plus cheres que celles des foüines ; ces animaux sont gros comme des chats, mais ils ont le corps plus allongé, les jambes & les ongles plus courts. La foüine est carnaciere ; elle tue les poules & mange leurs oeufs ; elle est très-legere, & elle s'insinue, comme la belette, dans des ouvertures si étroites, que l'on ne croiroit pas qu'elle pût y entrer : aussi a-t-elle été mise par les nomenclateurs dans le genre des belettes, genus mustellinum vermineumve, avec le putois, le furet, la genette, &c. Les excrémens de la foüine ont une odeur forte & pénétrante, que l'on a comparée à celle du musc : cet animal est sauvage ; cependant on l'apprivoise aisément lorsqu'on l'éleve dans les maisons. Raii synop. meth. animalium quadr. Voyez QUADRUPEDE. (I)

FOUINE, (Pelleterie) la peau de la foüine fait une partie du commerce de la Pelleterie ; on l'employe à différentes sortes de fourrures, comme manchons, palatines, doublures d'habits, &c. on les met au nombre des pelleteries communes appellées sauvagines.

On trouve dans la Natolie une sorte de foüine dont le poil est fin & très-noir ; elles sont fort estimées pour les belles fourrures.


FOULES. f. attelier & manoeuvre où passent les draps, après qu'ils ont été fabriqués au métier. Voy. à l'article LAINE, MANUFACTURE EN LAINE.

FOULES, (Géog.) peuples d'Afrique dont les voyageurs écrivent le nom diversement, Faluppos, Feluppes, Floupes, & par les François Foules. Ces peuples habitent au nord & au midi du Sénégal ; mais d'ailleurs nous les connoissons si peu, que quelques voyageurs nous assûrent qu'ils sont mahométans & assez civilisés, tandis que d'autres prétendent qu'ils sont payens & sauvages. On convient en général que le pays des Foules abonde en pâturages, en dattes, & mil, & que ces peuples tiennent le milieu pour la couleur entre les Maures & les Negres, moins noirs que ces derniers, & plus bruns que les premiers. (D.J.)


FOULÉvoyez l'article FOULER.

* FOULE, adj. pris subst. chez les Raffineurs de sucre ; il se dit d'un pain, lorsque l'humidité de l'eau qu'on n'a pû suffisamment égoutter à cause des grandes chaleurs, en a fait affaisser & fondre la pâte sur les lattes de l'étuve. Voyez PATE & ETUVE.


FOULÉES. f. terme de Chamoiseur ; il se dit d'une certaine quantité de peaux de chevre ou de mouton, passées en huile & mises en pelote, pour être portées dans la pile du moulin. La foulée est communément de soixante pelotes, & la pelote de quatre peaux. Voyez l'article CHAMOISEUR.

* FOULEE, (Vénerie) c'est la trace legere que le pié de la bête a laissée sur l'herbe, les feuilles, le sable, ou la terre : on dit aussi foulure.


FOULERv. act. (Gram.) au simple, presser fortement, soit avec les piés soit avec les mains, soit avec un instrument ; ce verbe a un grand nombre d'acceptions différentes. On est foulé dans un grand concours de monde ; on foule le drap, la vendange, le chapeau, la terre : au figuré, on foule les peuples, lorsqu'on les charge d'impôts excessifs ; on foule la gloire aux piés, par l'extrême mépris qu'on en fait ; il se dit aussi de la vertu, de ses devoirs, &c.

* FOULER, chez les Chapeliers, c'est presser le feutre sur une table de foule ou sur un fouloir avec le roulet, à l'eau chaude, chargée de la lie des Vinaigriers. On ajoûte à l'eau la lie exprimée des Vinaigriers, parce qu'il faut pour amollir les poils & d'autres substances animales, un degré de chaleur supérieur à l'eau bouillante, que la lie donne à l'eau. Il en est de cette manoeuvre ainsi que de toutes les dissolutions de sels dans l'eau. Voyez les articles CHAPEAU, ROULET.

* FOULER LE CUIR, terme de Corroyeur, c'est une des préparations qui se réiterent souvent dans la fabrique des cuirs corroyés.

On foule les cuirs une premiere fois avec les piés, après qu'ils ont séjourné pendant quelque tems dans une cuve pleine d'eau ; cela s'appelle, en terme du métier, fouler pour amollir. On fait la même opération une seconde fois ; ce qui se nomme fouler pour retenir ; & enfin on foule les cuirs une troisieme fois, après leur avoir donné le suif ; & c'est fouler pour crépir. Voyez la fig. A de la vignette du Corroyeur.

* FOULER LE CUIR, terme de Hongrieur, c'est agiter & presser le cuir en marchant dessus, dans un cuvier long fait en forme de baignoire, où l'on a mis de l'eau chaude imprégnée de sel & d'alun qu'on y a fait dissoudre.

* FOULER LE DRAP, voyez à l'article LAINE les ouvrages de manufacture en laine.


FOULERIES. f. attelier où on foule & où l'on prépare des draps ou des étoffes. Voyez FOULON.

Ce mot s'entend principalement du moulin à foulon : ainsi quand on dit, il faut porter un drap, une serge, &c. à la foulerie, on veut dire qu'il faut les envoyer au moulin, pour y être dégraissés, foulés, ou dégorgés. Voyez l'article LAINE, MANUFACTURE EN LAINE.

* FOULERIE, chez les Chapeliers, c'est l'attelier où sont dressées les fouloires, & où le fourneau & la chaudiere à fouler sont placés. Au milieu de la foulerie est la chaudiere, qui contient jusqu'à quatre ou cinq seaux d'eau : il y a tout-autour des fouloires plus ou moins, selon le nombre des compagnons : enfin sous la chaudiere est le fourneau.

Ces atteliers se nomment plus ordinairement batteries. Voyez CHAPEAU.


FOULOIRS. m. instrument avec lequel on foule. Le fouloir des Chapeliers se nomme roulet. Voy. ROULET, & les figures des Planches du Chapelier.


FOULOIRES. f. c'est ainsi que les Chapeliers appellent la table sur laquelle ils foulent leurs chapeaux ; elle est faite comme un étau à boucher, c'est-à-dire arrondie par-dessus ; mais avec cette différence, qu'elle est élevée du côté de l'ouvrier qui foule, & en pente du côté de la chaudiere où elle est scellée, afin que la lie dont on se sert pour fouler les chapeaux, puisse retomber dans la chaudiere. Voyez l'article CHAPEAU, & les Planches du Chapelier.


FOULONou FOULONIER, s. m. (Draperie) ouvrier que l'on employe dans les manufactures pour fouler, préparer, ou nettoyer les draps, ratines, serges, & autres étoffes de laine, par le moyen d'un moulin, pour les rendre plus épaisses, plus compactes, & plus durables. Voyez FOULER.

La fonction des foulons, chez les Romains, étoit de laver, nettoyer, & de mettre les draps en état de rendre service ; ils jugeoient ce métier d'une si grande importance, qu'il y avoit des lois formelles qui prescrivoient la maniere dont cette manufacture devoit s'exécuter : telle fut la loi metalla de fullonibus. Voyez aussi Pline, l. VII. cap. lvj. Ulpian, leg. xij. ff. de furtis, l. XIII. §. 6. Locati, l. XII. §. 6. ff. &c. Chambers.

* FOULON, terre à foulon, c'est ainsi que l'on appelle une terre fossile, grasse, & onctueuse, abondante en nitre, qui est d'un très-grand usage dans les manufactures d'étoffes de laine. Voyez TERRE.

Elle sert à nettoyer ou à écurer les draps, les étoffes, &c. à repomper toute la graisse & toute l'huile nécessaire à la préparation des étoffes de laine. Voy. LAINE, CARDER, TISTRE, ou FABRIQUER AU METIER, DRAP ou ETOFFE, &c.

On tire une grande quantité de terre à foulon de certaines fosses proche Brich-hill en Staffordshire, province d'Angleterre, de même que près de Riegata en Surry, proche Maidstone dans le comté de Kent ; proche Nutley & Petworth, dans le comté de Sussex, & près de Wooburn en Bedfordshire.

Cette terre est absolument nécessaire pour bien préparer les draps ou les étoffes de laine ; c'est pourquoi les étrangers qui peuvent faire venir clandestinement des laines d'Angleterre, ne peuvent jamais atteindre à la perfection des draps d'Angleterre, &c. sans cette terre à foulon.

C'est la raison qui a déterminé à en faire une marchandise de contrebande : il y a les mêmes peines établies contre ceux qui transportent de cette terre en pays étranger, que pour l'exportation des laines. Voyez CONTREBANDE.

Excepté en Angleterre, on fait par-tout un très-grand usage d'urine, au lieu de terre à foulon ; cette terre abonde en sel végétal, qui est fort propre à accélérer la végétation des plantes ; c'est pourquoi M. Plot & quelques autres la regardent comme un des moyens les plus capables d'améliorer les terreins. Quand elle est dissoute dans le vinaigre, elle dissipe les boutons ou les pustules, les élevures ; elle arrête les inflammations, & guérit les brûlures.

Herbe à foulon, chardon à carder. Voyez CHARDON. Chambers.


FOULQUES. f. fulica, (Hist. nat. Ornitholog.) oiseau aquatique auquel on donne plus communément le nom de poule d'eau. Voyez POULE D'EAU ; on l'a aussi appellé diable, parce qu'il est noir. (I)


FOULURES. f. voyez ENTORSE.

FOULURE, (Manége, Maréchall.) terme qui dans notre art a plusieurs acceptions ; il indique une extension violente & forcée des tendons, des ligamens, d'une partie, ou d'un membre quelconque ; en ce cas, il a la même signification que les mots entorse, effort. On s'en sert encore pour désigner une contusion externe occasionnée par quelque compression ; telle est, par exemple, celle qui résulte du frottement & de l'appui de la selle sur le garrot, lorsque les arçons trop larges ou entr'ouverts ont permis à l'arcade de reposer sur cette partie, &c. (e)

* FOULURE, terme de Corroyeur, il se dit de la façon que les cuirs reçoivent quand on les foule. Les Corroyeurs ont deux sortes de foulure, savoir la foulure à sec, & la foulure avec mouillage ; mais toutes les deux se donnent avec les piés nuds. Voyez CORROYER, & la fig. A, Pl. du Corroyeur.


FOURS. f. en Architecture, c'est dans un fournil ou cuisine, un lieu circulaire à hauteur d'appui, voûté de brique ou de tuileau, & pavé de grands carreaux, avec une ouverture ou bouche, pour y cuire le pain ou la pâtisserie. Voyez l'article suivant.

On appelle four banal ou four seigneurial & public, celui où des vassaux sont obligés de faire cuire leur pain. (P)

* FOUR de Boulanger ; il se dit de tout le lieu où l'on fait cuire le pain, mais particulierement d'un ouvrage de maçonnerie composé de tuileaux ou de brique liés avec du plâtre ou de la chaux, & fermé par en-haut d'une voûte surbaissée, sous laquelle est un âtre ou aire plate où on range le pain. Le four n'a qu'une seule entrée par-devant, qu'on nomme proprement bouche de four. Voyez les fig. 1 & 2. Pl. du Boulanger. La fig. 1. représente le four par-devant, où on voit la bouche & la plaque C D F E, qui la ferme, & la hotte G H de la cheminée M, par où s'échappe la fumée du bois que l'on fait brûler dans le four, pour le chauffer au point que la chaleur puisse faire cuire le pain qu'on y met, après avoir retiré la braise avec le rable & l'écouvillon. Voyez les figures de ces deux instrumens, fig. 6 & 8. Pl. du Boulanger.

FOUR A CHAUX, voyez l'article CHAUX.

* FOUR DE CAMPAGNE, en terme de Confiseur, est un four de cuivre rouge portatif, long, & de trois ou quatre doigts de hauteur, un peu élevé sur ses piés, pour qu'on puisse y mettre du feu dessous selon le besoin, & garni d'un couvercle rebordé pour retenir le feu qu'il faut quelquefois mettre dessus. Voyez la fig. 5. Pl. du Confiseur.

FOUR des grosses forges, voyez GROSSES FORGES.

FOUR de Verrerie, voyez VERRERIE.

FOUR [LE-], Géog. écueil ou grande roche toûjours découverte, sur la côte de Bretagne, vis-à-vis le bourg d'Argenton : c'est à cause de cette roche, que l'on nomme le passage du Four la route que prennent les navires entre la côte de Bretagne & les îles d'Ouessant, pour éviter le grand nombre de rochers dont cette côte est bordée. Les tables des Hollandois donnent à cet écueil 11 d. 54'. de longit. & 48 d. 35'. de latit. [ D. J. ]


FOURBERv. act. c'est tromper d'une maniere petite, obscure, lâche.


FOURBERIES. f. [ Iconol. ] on la représente sous la figure d'une femme, tenant un masque dans une de ses mains, & ayant un renard à côté d'elle.


FOURBIRv. act. nettoyer, rendre poli & luisant ; ce mot se dit plus particulierement des armes : fourbir une cuirasse, un casque, & encore plutôt des épées.


FOURBISSEURS. m. celui qui fourbit ; il ne se dit plus que de l'artisan qui fourbit & éclaircit les épées, qui les monte & qui les vend. Voyez FOURBIR.

Les outils & instrumens dont se servent les maîtres fourbisseurs, sont divers marteaux, toutes sortes de limes, des tenailles de fer, des cisailles, des rapes, des bigornes, des étaux, soit à main soit à établi ; un tas, des grateaux, des brunissoirs, des forets avec la palette & leur archet, quantité de différens mandrins, comme ceux qu'ils nomment mandrin de plaque, mandrin de garde, mandrin de corps, mandrin de branche, & mandrin debout ; une pointe, des pinces rondes, quarrées & pointues ; une chasse-poignée, une boule au chasse-pommeau ; des filieres à tirer l'or, l'argent, le cuivre : grand nombre de ciselets, entr'autres, des gouges, des feuilles, des rosettes, des perloirs, des frisoirs, des masques, des matoirs, des pointes, des grattoirs, des couteaux à refendre, des filieres, & quelques-autres qui servent à damasquiner & ciseler en relief les gardes, plaques, & pommeaux d'épée ; enfin divers burins & instrumens de bois sans nom, pour soûtenir le corps de la garde en montant. Voyez une grande partie de ces outils, Pl. du Fourbisseur.

Les maîtres de cette communauté sont qualifiés, maîtres jurés Fourbisseurs & Garnisseurs d'épées & autres bâtons au fait d'armes, de la ville de Paris.

Ils ont droit de fourbir, monter, garnir, & vendre des épées, des lances, des dagues, des halebardes, des épieux, des masses, des pertuisanes, des haches, & les armes qu'on a inventées de nouveau. & dont on se sert en place des anciennes.

Quatre jurés, dont deux sont élus tous les ans, veillent à l'observation des réglemens, & doivent faire les visites deux fois le mois ; ils donnent le chef-d'oeuvre aux aspirans à la maîtrise, & appellent quatre bacheliers de ceux qui sont les derniers sortis de jurande, pour juger si le chef-d'oeuvre est recevable.

Pour être reçû au chef-d'oeuvre, il faut avoir fait apprentissage de cinq ans chez les maîtres de Paris. Les apprentis des autres villes y peuvent néanmoins être reçûs, en justifiant de trois années de leur apprentissage, & en le continuant encore trois autres à Paris.

Les fils de maîtres, même des maîtres de lettres, ne sont point tenus au chef-d'oeuvre.

Les veuves joüissent de tous les priviléges de leurs maris, à la reserve du droit de faire des apprentis : elles peuvent cependant achever celui qui est commencé.

Aucune marchandise foraine ne peut être achetée par les maîtres, qu'elle n'ait été visitée des Jurés ; & même après la visite, elle est sujette au lottissage.

Les maîtres Fourbisseurs peuvent seuls dorer, argenter, ciseler les montures & garnitures d'epées & autres armes ; comme aussi y faire mettre des fourreaux.

Le bois qui sert à la monture des fourreaux se tire de Villers-Coterets ; on n'y employe guere que du hêtre qu'on achete en feuilles de quatre pouces de large, & de deux ou trois lignes d'épaisseur ; & qu'après avoir dressé avec des rapes, on coupe le long d'une regle avec un couteau, pour les réduire & partager en une largeur convenable à la lame qui doit y être enfermée : ces feuilles de hêtre se vendent ordinairement au cent.

On n'employe point d'autre moule pour faire ces fourreaux, que la lame même de l'épée, sur laquelle on place d'abord le bois, qu'on couvre ensuite de toile, & enfin d'un cuir bien passé qu'on coud pardessus, après avoir collé le tout ensemble. On met un bout de métal à la pointe & un crochet au haut.

Il y a des maîtres Fourbisseurs qui ne s'appliquent qu'à la fabrique des fourreaux ; d'autres qui ne font que des montures ; & d'autres qui montent les épées, c'est-à-dire qui y mettent la garde & la poignée.

Les Fourbisseurs de Paris ne forgent point les lames qu'ils montent ; ils les tirent d'Allemagne, de Franche-Comté, de S. Etienne en Forez ; ces dernieres ne servent que pour les troupes ; celles d'Allemagne sont les plus fines & les plus estimées, celles de Franche-Comté tiennent le milieu : elles se vendent toutes au cent, à la grosse, à la douzaine, & à la piece. Voy. les dict. de Chambers, de Trévoux, & du Comm.


FOURBISSURES. f. (Art méch.) la fourbissure en latin furvus, ou furvor, selon M. Huet, de l'anglois to furbish, fourbir ; selon Kinner, de l'allemand farb, couleur, & farben, mettre en couleur ; & selon Ignez, de furben, qui dans la langue des francs signifie nettoyer, polir, est en effet non-seulement l'art de polir & rendre luisant toute espece d'armes, telles que les lances, dagues, haches, masses, épieux, pertuisanes, halebardes, couteaux, poignards, épées, &c. & quantité d'autres armes blanches offensives & défensives, mais encore celui de les fabriquer, vendre & débiter.

L'art de fourbir, selon plusieurs auteurs, paroît fort ancien ; quoi qu'on ne puisse déterminer exactement le tems de son origine, on pourroit vraisemblablement la faire remonter à la nécessité que les hommes avoient de se défendre d'abord contre la férocité des animaux, & ensuite contre leurs semblables ; l'intérêt & l'ambition des nations n'en ont été que trop sans doute le principal motif ; les historiens sacrés & profanes parlent beaucoup des armes des héros de l'antiquité la plus reculée, & s'accordent assez sur leur beauté & leur poli, preuve que l'on s'appliquoit beaucoup à leur perfection.

Anciennement on appelloit indifféremment fourbisseurs tous ceux qui travailloient aux armes qui ne formoient alors qu'une profession ; mais depuis l'invention des nouvelles armes, en quantité, & de différente espece, cet art prit plusieurs branches ; on le divise maintenant en quatre parties, la premiere est la fourbissure, qui consiste dans la fabrique des armes blanches offensives & défensives, comme épées, sabres, halebardes, lances, &c. la deuxieme est l'armurerie, qui consiste dans la fabrique des armures, especes d'armes blanches défensives, comme casques, cuirasses, boucliers & autres ; la troisieme est l'arquebuserie, qui consiste dans la fabrique de toute sorte d'arquebuses, espece d'armes à feu inventées depuis ces derniers siecles, tels que les fusils, pistolets, mousquets & autres ; la quatrieme enfin est l'art de faire des canons d'arquebuse, & l'autre dans la fonte des gros canons, mortiers, bombes, & autre grosse artillerie.

On divise la fourbissure en deux parties : l'une est la connoissance des différens métaux, & l'art de les travailler ; l'autre est la maniere d'en fabriquer toutes sortes d'ouvrages propres à cet art.

Des métaux. Les métaux que l'on employe le plus communément dans la fourbissure sont l'acier, le fer, le cuivre, l'argent & l'or, l'acier quelquefois seul, & quelquefois mêlé avec le fer qu'on appelle alors étoffe, s'employe le plus communément aux lames ; les autres métaux, comme plus rares & moins propres aux lames, sont réservés pour les gardes, soit en partie, soit par incrustement, selon leur rareté, quelquefois enrichis de brillans & autres pierres précieuses.

Les lames faites pour trancher, couper, piquer ou percer, sont de deux sortes : les unes sont élastiques, & les autres non élastiques ; les unes servent ordinairement aux épées, sabres, fleurets, &c. les autres aux couteaux, lances, piques, halebardes & autres ; leur bonté en général dépend non-seulement de la qualité du fer & de l'acier que l'on employe pour les composer, mais encore de la maniere de les mêlanger, selon les différentes especes de lames que l'on veut faire ; ce mêlange est d'autant plus nécessaire pour les rendre bonnes, que premierement le fer étant mou & pliant, n'auroit pas seul assez de roideur pour donner aux unes de l'élasticité, & en même tems de la fermeté, & aux autres une fléxibilité jointe à une force capable de résister aux efforts auxquels elles sont sujettes ; deuxiemement, que l'acier étant dur & cassant, seroit seul trop roide & trop sujet à casser pour les unes & pour les autres ; c'est pourquoi ces deux métaux joints ensemble, procurent en même tems, & comme de concert, la perfection convenable aux lames.

Ce mêlange se fait de deux manieres, la premiere en mêlant indifféremment l'un & l'autre ensemble, moitié par moitié ce qu'on appelle étoffe, ce qui se fait en les corroyant tous deux ensemble, à différentes reprises ; cette dose doit cependant varier selon la qualité des métaux, & la roideur que l'on veut donner aux lames, car un acier trop fier & trop roide a besoin d'un peu plus de fer pour l'amolir, lui donner du ressort, & l'empêcher de casser ; un fer mou & filandreux, a besoin d'un peu plus d'acier pour lui donner du corps ; la deuxieme se fait ainsi, on commence d'abord par forger la lame en fer, voyez la fig. 1. & lui donner à-peu-près la forme qu'elle doit avoir ; étant faite, on fend ensuite le fer sur son champ, en formant sur la longueur une entaille ou fente A A capable de contenir environ le tiers ou la moitié de la largeur d'une lame d'acier A A, fig. 2. en forme de couteau que l'on y insinue à froid, lorsque le fer est chaud, comme le représente la fig. 3. je dis à froid, parce que la masse d'acier étant plus petite que celle du fer, & recevant aussi par sa nature plus promptement la chaleur, il est nécessaire que l'un soit froid & l'autre chaud, sans quoi l'acier se brûleroit lorsque le fer ne seroit pas encore assez chaud pour souder ; il faut observer d'ailleurs en les faisant chauffer tous deux à la forge, de les y disposer de maniere qu'il ne prennent pas plus de chaleur l'un que l'autre, sur-tout l'acier qui auroit alors beaucoup plus de difficulté que le fer à reprendre fermeté ; on corroie ensuite le tout ensemble d'un bout à l'autre, & de cette maniere le taillant de cette lame se trouve en acier, & le dos en fer qui lui donne tout le corps & la fermeté qu'elle exige.

Des ouvrages. Les ouvrages de fourbissure étoient déja fort en usage chez les anciens, la nécessité qu'ils avoient de se préserver des irruptions de leurs ennemis, les rendit nécessairement industrieux dans l'art de fabriquer les armes. Josephe assure qu'avant Moïse toutes les armes étoient de bois ou d'airain, & qu'il fut le premier qui arma ses troupes de fer ; les Egyptiens, selon le sentiment unanime des anciens auteurs, furent en cet art, comme dans la plupart des autres, les plus ingénieux, & ceux qui donnerent aux armes les formes les plus avantageuses ; ensuite vinrent les Grecs qui enchérirent sur ces inventions, & après eux les Romains : l'histoire nous en fournit quantité d'exemples, leur description & leur usage ; on en peut voir plusieurs au naturel dans quelques cabinets de curiosité de différens particuliers ; nous les distinguerons pour plus de clarté en anciennes & modernes.

Des armes anciennes. Les armes anciennes se divisent premierement en masses ferrées ou non ferrées, à pointe & sans pointe ; deuxiemement en lames à un & deux tranchans, aigus & non aigus, dont les unes sont élastiques, & les autres non élastiques, les unes sont les massues & masses de différentes especes, les autres sont les haches, les piques & demi-piques, les lances, les javelots & javelines, les fleches, les dagues & poignards, les épées & bâtons, braquemarts, espadons & les cimeterres, coutelas ou sabres, & quantité d'autres, dont la connoissance n'est pas parvenue jusqu'à nous, soit par l'usage qui s'en est perdu, soit par le désavantage que l'on trouvoit à s'en servir.

Les premieres & celles qui ont semblé aux anciens les plus propres & les plus avantageuses pour attaquer ou pour se défendre, sont les massues (fig. 4.) ; en effet cette forme qui paroît la plus simple & la plus naturelle n'étoit autre chose qu'une piece de bois grosse & lourde par un bout A d'abord simple, & ensuite armée de pointe dont on se servoit dans les combats en la tenant par son extrémité B ; on en peut voir de semblables dans les allégories qui représentent la force.

Les masses étoient des armes offensives à grosse tête, dont on se servoit aussi autrefois dans les combats, il en est de deux sortes, les unes simples, & les autres composées ; les premieres, fig. 5. sont composées de grosses têtes de fer A, à angles aigus, montées sur un manche de bois B, par lequel on les tient ; les autres sont de plusieurs formes ; la premiere fig. 6. est composée d'une espece de boule de bois ou de fer A, percée d'un trou, suspendue par une corde B, à l'extrémité du bâton C, par lequel on la tient ; la seconde, fig. 7. est aussi composée d'une boule de bois ou de fer A, armée de pointe, portant d'un côté B un anneau suspendu à une chaîne de fer C, double ou simple, arrêtée à un autre anneau D, placé à l'extrémité supérieure d'un bâton E garnis par en bas d'une poignée F, par où on la tient.

Les haches d'armes ont été fort long-tems en usage chez les anciens. Les premiers rois des Romains en faisoient porter devant eux à l'exemple de quelques nations voisines, comme le symbole de leur puissance & les instrumens des peines imposées aux coupables ; elles étoient composées par un bout (fig. 8. & 9.) d'un fer large & tranchant en hache d'un côté AA, d'une pointe B ou marteau C ; par l'autre, d'une autre pointe D ou bouton E au milieu monté sur un manche de bois F, quelquefois simple & quelquefois garni d'une poignée G.

Les bâtons ferrés (fig. 10.) étoient d'ordinaire les armes des anciens cavaliers, & n'étoient autre chose que des bâtons A garnis par chaque bout B B d'une pointe de fer.

Les piques (fig. 11. Pl. II.) étoient des armes offensives que portoient les anciens fantassins : c'étoit des armes d'hast (c'est ainsi qu'on appelloit les armes qui avoient un long manche de bois, espece de bâton A d'environ douze à quinze piés de long, armé par le haut d'une lame de fer B à deux tranchans & pointue), quelquefois simples & quelquefois garnis d'un gland brodé en or, en argent ou en soie, comme celui marqué B de la fig. 12, & par le bas C simples ou garnis d'une virole en pointe.

Les demi-piques (fig. 12.) ne différoient des précédentes que par leur longueur, qui étoit d'environ huit à dix piés. Les officiers s'en servent encore maintenant à la guerre, ainsi que pour porter les étendards & les drapeaux.

Les lances (fig. 13.) étoient fort en usage autrefois, sur-tout dans les combats singuliers ; ces armes étoient de même longueur que les demi-piques, mais le fer A tranchant de chaque côté en étoit en forme de dard.

Les javelines (fig. 14.) étoient des especes de demi-piques dont on se servoit autrefois tant à pié qu'à cheval, composées par en-haut d'un fer triangulaire & pointu, monté sur un long manche ou bâton B d'environ cinq à six piés de longueur, quelquefois ferré par l'autre bout C.

Les javelots (fig. 15.) étoient des especes de javelines beaucoup plus courtes & un peu plus grosses, qu'on lançoit à la main sur les ennemis, composées, comme les précédentes, d'un fer triangulaire & pointu A monté sur un manche de bois ou bâton B.

Les fleches étoient de deux sortes : les unes (fig. 16.) que l'on appelloit quarres ou quarreaux, parce que leur fer étoit quarré, étoient composées d'un fer A quarré & très-pointu, monté à l'extrémité supérieure d'une verge ou baguette B, à l'autre extrémité de laquelle étoient des pennons ou plumes croisées C ; les autres (fig. 17.) que l'on appelloit vireton, parce qu'elles viroient ou tournoient en l'air après les avoir décochées, étoient composées d'un fer A quarré & cannelé à angle aigu, monté comme les précédentes, sur une verge ou baguette B, dont l'autre extrémité portoit des pennons C, souvent de cuivre, aussi croisés, dont la disposition faisoit tourner la fleche. Les unes & les autres étoient lancées par le secours d'un arc (fig. 18.) : c'étoit en effet une espece d'arc de bois très-élastique, composé d'une poignée A, par laquelle on le tenoit de la main gauche, à chacune des extrémités B B, duquel étoit arrêtée celle d'une corde C que l'on tiroit de la main droite pour bander l'arc lorsque l'on vouloit décocher des fleches.

Les dagues (fig. 19.) étoient des especes de poignards gros & courts, dont on se servoit autrefois dans les combats singuliers. Les anciens portoient cette arme à la main, à la ceinture & dans la poche ; elles étoient composées d'un fer A gros & court, triangulaire & cannelé, monté sur un manche de bois ou d'yvoire B garni quelquefois d'or ou d'argent, & quelquefois aussi de pierres précieuses.

Les poignards que les anciens employoient comme les dagues étoient de différente sorte ; les uns (fig. 20.) étoient composés d'un fer A méplat & pointu à un tranchant, monté sur un manche de bois ou d'ivoire B diversement orné comme ceux des dagues ; les autres (fig. 21.) étoient composés d'un fer A à deux tranchans, ronds, quarrés, triangulaires, & cannelés, menus & déliés, montés, comme les autres, sur un manche de bois ou d'ivoire B enrichi d'ornemens.

Les épées en bâton ou épées fourrées (fig. 22.) étoient des especes d'épées très-fortes & pesantes, dont on se servoit à deux mains comme des espadons ; elles étoient composées d'une grosse & forte lame A à deux tranchans & pointue, montée sur un long & fort manche de bois B.

Les braquemarts (fig. 23.) étoient aussi des especes d'épées grosses & courtes, dont on se servoit souvent d'une main, composées d'une grosse & forte lame A à deux tranchans, montée sur un manche de bois ou d'ivoire B simple ou enrichi.

Les espadons (fig. 24 & 25.) étoient de grandes & longues épées, dont on se servoit à deux mains & en tout sens, ce qu'on appelloit espadonner. Plusieurs auteurs rapportent qu'il y en avoit de si fortes, qu'elles fendoient un homme en deux. Telle fut celle de l'empereur Conrad au siege de Damas ; telle aussi celle de Godefroy de Bouillon, mentionnée dans l'histoire des croisades ; elles étoient composées d'un fer A d'environ cinq à six piés de longueur, à deux tranchans larges & pointus, garnies d'une poignée de bois ou d'yvoire B séparée d'une garde C, pour préserver le poignet ou la main des coups des adversaires.

Les cimeterres (fig. 26.) sont des especes de sabres lourds & pesans, dont se servent encore maintenant les Turcs & presque tous les peuples d'Orient, composés d'un fer A fort & large, tranchant d'un seul côté, & recourbé par une de ses extrémités, garni par l'autre d'une poignée de bois ou d'ivoire B simple ou ornée, séparée par une tête de serpent C faisant garde.

Les coutelas ou sabres (fig. 27.) sont des especes de cimeterres gros & lourds, dont on se sert aussi chez les Orientaux, composés d'un fer A large & épais, tranchant d'un côté & courbé par l'une de ses extrémités, garni par l'autre d'une poignée de bois ou d'ivoire B séparé par une coquille C ; ces deux dernieres especes d'armes sont quelquefois enrichies d'or, d'argent & de pierres précieuses en entier ou par incrustement.

Des armes modernes. Les armes modernes sont de deux sortes : les unes élastiques, & les autres non élastiques : celles-ci sont les pertuisanes & halebardes, les épieux, espontons & les bayonnettes ; les autres sont les sabres, les couteaux-de-chasse & les épées.

Les pertuisanes (fig. 28. Pl. III.) dont l'usage est déja fort ancien, sont des armes d'hast dont se servent encore les gardes qui approchent le plus de la personne du roi : ce sont des especes de halebardes composées d'un fer A très-large, long, pointu & tranchant des deux côtés, élargi vers son extrémité inférieure B en forme de hache à pointe de chaque côté, montée sur un hast ou bâton C d'environ six piés de long, orné par en-haut de cloux, rubans & glands D en soie, or ou argent & garni par enbas E d'une douille de cuivre ou de fer à pointe ou à bouton.

Les halebardes (fig. 29.) faites à-peu-près comme les pertuisanes, sont aussi des armes d'hast plus foibles & plus petites que les précédentes, que portent les Suisses, sergens & autres ; elles sont composées d'un fer A pointu & tranchant de chaque côté, élargi vers son extrémité inférieure en forme de hache B d'un côté & à pointe ou dard de l'autre C garnie d'une forte douëlle D montée sur un fust ou bâton E orné ou non de cloux, rubans & autres choses semblables en soie, or ou argent, & garni par en-bas F d'une douëlle à pointe ou à bouton.

Les épieux (fig. 30.) sont des armes d'hast, principalement d'usage pour la chasse du sanglier, mais dont on ne se sert presque plus ; maintenant ces armes sont composées d'un fer large, pointu & à tranchant A garni d'une douille B montée sur une hampe ou bâton C d'environ quatre à cinq piés de long, ferré par l'autre bout D.

Les spontons ou espontons (fig. 31.) espece de demi-piques dont on se sert sur les vaisseaux, principalement à l'abordage, ainsi que les officiers d'infanterie, quelquefois les mousquetaires & autres de la maison du roi. Cette espece d'arme est composée d'un fer A pointu & à deux tranchans, garni d'une douille B montée sur une hampe ou bâton C ferré par l'autre bout D.

Les bayonnettes (fig. 32.) sont des especes de dagues ou petites épées d'environ dix-huit pouces de longueur, que les dragons & fusiliers placent au bout de leur fusil, lorsqu'ils ont consommé leur poudre & leur plomb ; on s'en sert aussi à la chasse du sanglier & autres animaux qui ne craignent point le feu ; mais alors on les fait plus larges & plus fortes ; elles sont composées d'une lame A à deux tranchans & pointue, renforcée & échancrée en B, portant une douille C percée à jour & fendue, se fixant à l'extrémité d'un fusil D, sans l'empêcher de tirer ni de charger.

Les sabres modernes sont des armes que portent les houssards & la plupart des cavaliers armés à la legere ; ce sont des especes d'épées courbes, fig. 33. & 34. ou droites, fig. 35. à un seul tranchant, composées d'un fer ou lame A de différente sorte, & d'une garde composée d'une poignée B, pommeau C, d'une coquille ou garde-main D, & quelquefois d'une branche E.

Les couteaux-de-chasse, fig. 36. 37. 38. 39. & 40. sont des especes d'épées grosses & courtes à un seul tranchant, dont on se sert assez ordinairement à la chasse qui lui en a fait donner le nom. Il en est de plusieurs sortes plus courts les unes que les autres ; les uns dont les lames sont courbes, & les autres dont les lames sont droites. Ils sont tous composés de lame A d'environ 31 à 32 pouces de longueur à 2 tranchans & pointue, & d'une garde composée de poignée B, pommeau C, coquille D, & branche à vis E ou double F. D'autres, fig. 43. que portent les officiers ne différent de ces derniers que par la forme des gardes dont la branche E est simple ; d'autres enfin portés par toutes sortes de particuliers, ne different de celui-ci que par la longueur de la lame qui est depuis environ 18 pouces, portée des enfans, jusqu'à 30 & 32 pouces.

Les fleurets, (fig. 45. & 46.) sont des especes d'épées servant aux exercices de l'escrime, composées de lames A méplates par un bout de bouton B couvert de plusieurs peaux les unes sur les autres, pour empêcher de blesser son adversaire lorsque l'on s'en sert, & par l'autre d'une espece de garde composée de poignée C de bois couverte ordinairement de ficelle, d'un pommeau de fer D & coquille pleine ou évuidée E.

Développemens d'une garde d'épée. Les pieces qui composent une garde d'épée ordinaire sont, la poignée & sa virole, le pommeau, la branche, & la coquille.

La poignée d'épée, (fig. 47.) appellée ainsi parce qu'on la tient à poignée, est de forme ordinairement méplate ou ovale, pour empêcher que l'épée qui y est arrêtée ne tourne dans la main. Elle est composée intérieurement d'un moule de bois de même forme, percé d'un trou quarré pour passer la soie A A d'une l'ame d'épée, fig. 52. Ce moule est couvert d'une lame A de cuivre, d'or ou d'argent, d'un fil simple ou double B de cuivre, d'or ou d'argent. Quelquefois à côté d'un autre fil plus fin, tournant alternativement autour du moule & arrêtés ensemble à chaque bout C D par une virole en forme de chaîne entrelacée de même métal ; ces sortes de poignées se font quelquefois massives en cuivre, en argent ou en or, ciselées, damasquinées, enrichies aussi de brillans & autres pierres précieuses.

La fig. 48. en représente la virole ornée de moulure, faite pour servir de base à l'extrémité inférieure C de la poignée, fig. 47.

Le pommeau (fig. 49.) fait pour être placé à l'extrémité supérieure D de la poignée, (fig. 47.) est une espece de petite pomme A d'où il tire son nom, de cuivre, d'or ou d'argent, simple, ornée, évuidée, damasquinée, garnie de sa gorge B, base C & petit bouton D ; le tout d'une seule piece, percée au milieu d'un trou quarré pour passer la soie AA d'une lame d'épée, fig. 52.

La branche (fig. 50.) faite pour servir de garde à la main ou au poignet, est composée d'une tige A en forme de balustre percée au milieu d'un trou quarré pour le passage de la soie AA d'une lame d'épée, (fig. 52.) sur laquelle est arrêtée une branche double BB en forme de croissant, plus une seconde branche double CD aussi arrêtée, dont l'une C se termine en bouton, & l'autre D formant une demi-ellipse, est garnie au milieu d'une amande E, & se termine en crochet par l'autre bout F ; le tout d'une seule piece en cuivre, or ou argent, simple, ornée, évuidée ou damasquinée.

La coquille (fig. 51.) faite pour préserver le poignet des coups des adversaires, est en effet en forme de coquille percée au milieu d'un trou méplat pour le passage de la soie A d'une lame d'épée, (fig. 52.) en cuivre, or ou argent, simple, ornée, évuidée ou damasquinée, comme le pommeau & la branche.

La fig. 52. représente la soie d'une lame d'épée, cette soie AA traversant la coquille (fig. 51.), la tige A de la branche (fig. 50.), la virole (fig. 48.), la poignée (fig. 47.) & ensuite le pommeau (fig. 49.) va se river au bout de son bouton D, & de cette maniere maintient la garde dans une parfaite fermeté, telle qu'on peut le voir en petit dans les figures précédentes.

Chacunes de ces lames d'épées, de couteaux-de-chasse, de sabres & autres, sont renfermées dans un fourreau de même forme fait pour les conserver.

Ces fourreaux (fig. 53 & 54.) sont les étuis qui doivent contenir les lames d'épées, de couteaux-de-chasse, de sabres, &c. & qui par conséquent doivent avoir la même forme ; aussi leurs lames servent-elles de mandrins pour les faire : on les fait en bois de hêtre qui nous vient en feuilles des environs de Villers-coterets & de quelques autres endroits, couverts d'abord en toile & ensuite en peau, en chagrin, en roussette, en requin ou autre chose semblable, noirs, jaunes, blancs, verds & autres couleurs, bien collés, garnis par le bout A, côté de la garde de l'épée, d'une petite virole A (fig. 55.) de même métal, portant un crochet B ou petit bouton pour l'arrêter dans la boutonniere d'un ceinturon, & par l'autre B (fig. 53 & 54.) d'un bout (fig. 56.) aussi de même métal, espece de virole pointue qui environne son extrémité pour la rendre plus ferme contre la pointe.

Des lames. Les fourbisseurs de Paris ne forgent point les lames qu'ils montent, ils les font venir des provinces d'Allemagne, de Franche-Comté, de S. Etienne-en-Forez, & autres endroits. Les premieres sont sans contredit les meilleures & les plus estimées ; celles de Franche-Comté sont moindres, & celles de S. Etienne, dont on se sert dans les troupes, sont les moins estimées de toutes. Il en est de deux especes ; les unes sont à deux tranchans & servent aux épées, les autres sont à un seul tranchant & servent aux sabres, couteaux-de-chasse, coutelas, &c. Les premieres sont les plus légeres & portent environ depuis 30 jusqu'à 34 pouces de lame & environ six à sept pouces de longueur de soie. On les divise encore en deux sortes ; les unes plates & les autres triangulaires ou à trois quarres. Les fig. 57. 58. 59. 60. 61. 62. 63. & 64. représentent des lames plates avec chacune leur coupe à côté ; la premiere à quatre quarres avec tranchans simples AA ; la seconde à quatre quarres avec tranchans cannelés AA ; la troisieme applatie en A avec tranchans simples BB ; la quatrieme applatie en A avec tranchans cannelés BB ; la cinquieme creusée à angle aigu en A avec tranchans simples BB ; la sixieme creusée en cannelure en A, avec tranchans cannelés BB ; la septieme creusée à angle aigu en A, applatie en BB, avec tranchant simple CC ; la huitieme creusée en cannelure ronde ou plate en A, arrondie ou applatie de chaque côté BB, avec tranchans cannelés CC.

Les fig. 65, 66, 67 & 68 représentent des lames triangulaires, ou à trois quarres, avec chacune leur coupe à côté ; les deux premieres avec renfort au collet AA, dont l'une est à trois quarres simples, & l'autre à trois quarres, cannelée ; les deux autres sans renfort, dont l'une est à trois quarres, cannelée & creusée en cannelure ronde en A, l'autre aussi a trois quarres, cannelée & creusée au milieu en angle aigu.

Les lames de sabre, coutelas, couteaux de chasse, &c. sont les plus pesantes, & portent environ depuis douze à quinze pouces de longueur de lame, jusqu'à trente à trente-deux pouces, la soie étant à-peu-près de même longueur que celle des épées, les unes sont droites & les autres coudées.

La fig. 69 représente l'élévation, & la fig. 70 la coupe d'une lame de sabre droite & simple, dont le tranchant AA est un peu évidé de chaque côté pour la faire mieux couper.

La fig. 71 représente l'élévation, & la fig. 72 la coupe d'une lame de sabre courbe & cannelée en AA, &c.

La fig. 73 représente l'élévation, & la fig. 74 la coupe d'une lame de sabre très-courbe, dont le profil est en forme de balustre AA, &c. & cannelée sur le dos BB, &c.

La fig. 75 représente l'élévation, & la fig. 76 la coupe d'une lame de sabre ou coutelas simple & cannelé sur le dos AA, en usage chez les Orientaux, dont le côté B s'élargit à mesure qu'il approche de la pointe.

La fig. 77 représente l'élévation, & la fig. 78 la coupe d'une lame de sabre ou cimeterre triangulaire ou à trois quarres, & cannelée en AA, aussi en usage chez les Orientaux, dont le bout B s'élargit à mesure qu'il approche de la pointe.

La fig. 79 représente l'élévation, & la fig. 80 la coupe d'une lame de couteau de chasse droite & simple, dont le taillant AA est un peu évidé.

La fig. 81 représente l'élévation, & la fig. 82 la coupe d'une lame de couteau de chasse courbe à un seul tranchant en AB, & à deux tranchans en BC.

La fig. 83 représente l'élévation, & la fig. 84 la coupe d'une lame de petit couteau de chasse ou coutelas simple à un seul tranchant AA.

La fig. 85 représente l'élévation, & la fig. 86 la coupe d'une lame de petit couteau de chasse courbe en forme de balustre, & cannelé sur le dos AA, &c.

La fig. 87 représente l'élévation, & la fig. 88 la coupe d'une lame de petit couteau en forme de poignard, droit, quarré & cannelé.

La fig. 89 représente l'élévation, & la fig. 90 la coupe d'une lame de petit couteau en forme de poignard droit triangulaire ou à trois quarres, avec tranchant cannelé AA, & creusé en cannelure sur le dos B.

Le haut de la Pl. VII. représente un attelier de fourbissure garni d'ouvriers, avec une machine à fourbir les lames, mue par le courant d'une petite riviere ou ruisseau près de là. Cette machine fort simple est composée d'une quantité de meules de pierre AA, &c. & de bois BB, &c. les unes pour éguiser les lames, & les autres pour les fourbir ou polir, mues par le secours de plusieurs poulies ou petites roues CC, dont le mouvement commun vient de la grande roue de charpente D, mue à son tour par une seconde roue E, placée dehors, garnie d'aubes que le courant de la riviere fait mouvoir : ce courant est quelquefois arrêté par une vanne F, levée par une bascule G.

Le bas de cette planche fait voir les développemens en grand de cette machine. La fig. prem. représente la grande roue de charpente, composée d'un moyeu A, monté sur un arbre à tourillons B, commun avec celui de la roue motrice, garnie de rayons CC, portant le grand cercle DD, &c. de la roue cannelée en deux endroits E & F dans son pourtour en forme de poulie, autour de laquelle sont deux cordes GG, faisant mouvoir de chaque côté une petite roue de même façon, aussi à noix creusée en deux endroits dans son pourtour HH, percée au milieu d'un trou quarré I, pour y placer un arbre à tourillon, servant à faire tourner des meules d'un grand diametre, garnie à son tour d'une corde gg, faisant mouvoir une petite poulie K percée d'un trou quarré au milieu L, dans lequel s'ajustent les arbres des petites meules.

La fig. 2. représente un arbre à tourillon, qui s'ajuste dans le centre de la petite roue de la fig. précédente ; c'est une piece de fer quarrée A, garnie de viroles ou embases BC, dont l'une est à demeure, & l'autre serrée contre la roue par une clavette chassée à force dans le trou D de la piece de tourillons EE, à l'extrémité de l'un desquels est une douille quarrée F, espece de canon dans lequel s'ajuste l'extrémité G d'un arbre de meule, arrêtés ensemble par une broche ou clavette.

Les fig. 3 & 4. représentent des meules de pierre propres à éguiser les lames ; elles ont depuis environ quatre piés, jusqu'à cinq piés de diametre, & cinq à six pouces d'épaisseur, percées au milieu d'un trou pour pouvoir les monter sur les arbres.

La fig. 5 représente une meule de bois propre à polir ou fourbir les lames, portant depuis environ dix-huit pouces, jusqu'à deux piés & demi de diametre, trois & quatre pouces d'épaisseur au collet, & environ un pouce sur les bords, percée aussi d'un trou au milieu pour les monter.

Des outils. Les tasseaux ou tas (fig. 1. Pl. VIII.), sont des especes de petites enclumes portatives, propres à forger, acérées par leur tête A, montées sur un petit billot de bois B.

Les bigornes (fig. 2.) sont aussi des especes de petites enclumes servant aussi à forger, composées d'une tige A, d'une bigorne quarrée B, d'une bigorne ronde C, garnie d'embase D, montée sur un billot de bois E.

Les étaux (fig. 3.), espece de presse faite pour serrer & tenir fermes les ouvrages que l'on veut travailler, sont composés de deux tiges A & B, portant chacune un mord denté & acéré C, & un oeil de la premiere A, portant un pié E, garni de chaque côté de jumelles F, rivées & soudées sur la tige ; & l'autre B, renvoyée par un ressort G, porte par en-bas un trou formant charniere dans les jumelles F, par le secours d'un boulon à vis à écroux : au travers des yeux DD des tiges, passe une boîte H, garnie intérieurement de filet brasé, servant d'écrous à une vis à tête ronde I, taraudée & mue par une manivelle K formant levier ; cet étau est garni d'une bride double L, & d'une simple M, qui s'arrête sur l'établi, arrêtées ensemble de clavettes N, pour le démonter & remonter au besoin.

Les marteaux (fig. 4.) faits pour frapper sur les ouvrages ou sur les outils, sont composés de tête acérée A, de panne aussi acérée B, & d'un manche C.

Les petits marteaux (fig. 5.) employés aux mêmes usages que les précédens, mais plus foibles, sont composés de tête acérée A, de panne aussi acérée B, & d'un manche C.

Les marteaux à deux têtes (fig. 6.), propres aux ouvrages de sujétion, sont composés de deux têtes acérées AA, & d'un manche B.

Les marteaux à ciseler (fig. 7.) uniquement propres à cette sorte d'ouvrage, sont composés de tête ronde acérée A, de panne ronde ou méplate, aussi acérée B, & d'un manche C.

Les maillets sont des especes de marteaux de bois de deux sortes, les uns à panne, & les autres à deux têtes ; les premiers (fig. 8.) sont composés d'une tête A, d'une panne B, & d'un manche C ; les autres (fig. 9.) sont composés de deux têtes AA, & d'un manche B.

Les ciseaux faits pour couper le fer, sont de trois sortes ; la premiere (fig. 10 & 11.), qu'on appelle burin, l'un gros & l'autre petit, sont des ciseaux applatis & acérés par leur taillant AA, & quarrés par leur tête BB ; la deuxieme (fig. 12 & 13.), qu'on appelle bec d'âne, faite pour bédâner, l'un à un seul biseau, l'autre à deux biseaux, sont des ciseaux larges du derriere sur une face, & étroits sur l'autre, acérés par leur taillant AA, & quarrés par leur tête BB ; la troisieme (fig. 14 & 15.), qu'on appelle langue de carpe ou gouge, sont des especes de burins, dont le taillant AA arrondi plus ou moins selon le besoin, est acéré & quarré par la tête BB.

Les poinçons (fig. 16 & 17.) faits pour percer des trous sont de plusieurs especes, les uns ronds, d'autres méplats, d'autres quarrés, d'autres enfin de différente forme, selon les trous que l'on veut percer, acérés en AA, & quarrés par leur tête BB.

Les matoirs (fig. 18, 19 & 20.) faits pour mettre les ouvrages, mot d'où ils tirent leur nom, sont quarrés, arrondis, méplats, & de différente forme, selon le besoin, acérés en AAA, & quarrés par leur tête BBB.

Les ciselets (fig. 21, 22, 23, 24 & 25.) sont des especes de petits matoirs de quantité de sortes, selon l'exigence des cas, employés aux mêmes usages que les précédens, acérés en AA, &c. & quarrés par leur tête BB, &c.

Les chasse-poignée, chasse-pommeau ou chasse-boule (fig. 26, 27 & 28.) faits en effet pour chasser les pommeaux ou boules des gardes, sont des petites plaques de bois échancrées de chaque côté en quarré AA (fig. 26.) en rond (fig. 27.) ou à angle aigu AA (fig. 28.)

Les grattoirs (fig. 29.) faits pour gratter les ouvrages, sont des tiges à crochets & acérées par un bout A, & à pointe, emmanchées par l'autre B.

Les pointes (fig. 30 & 31.) faites pour tracer & dessiner sur les ouvrages, sont droites ou coudées, mais acérées par chaque bout AA, &c.

Les vilebrequins (fig. 32.) faits pour contribuer avec les équarrissoirs A, à aggrandir ou équarrir les trous, sont composés d'un fust garni d'une douille quarrée B, faite pour recevoir la tête de l'équarrissoir A coudé en C & en D, garni d'un manche à touret E, & d'un autre à virole F, par laquelle on le fait tourner.

Les équarrissoirs faits par le secours du vilebrequin, figure précédente, pour aggrandir & équarrir les trous, sont de plusieurs sortes ; les uns (figure 33.) sont quarrés ; les autres (fig. 34.) sont exagones ; d'autres (fig. 35.) sont octogones, & plus doux à tourner à proportion de la quantité des angles dont ils sont composés, mais aussi moins expéditifs les uns & les autres ; en acier sont composés d'une tige pointue A, & d'une tête quarrée B, faite pour entrer dans la douille du vilebrequin.

Les équarrissoirs à main (fig. 36, 37 & 38.) ne different des précédens que parce qu'ils sont un peu moins aigus & qu'ils sont emmanchés en B.

Les mandrins sont de plusieurs sortes ; les uns (fig. 39.) appellés mandrins debout, servent à mandriner ce qu'on appelle bouts d'épée, que l'on place au bout des fourreaux ; c'est une piece de fer ovale à pointe arrondie par un bout A, à tête par l'autre B ; les autres appellés mandrins de crochet, servent à mandriner la virole qui tient le crochet, que l'on place ordinairement à l'extrémité du fourreau, il en est de deux sortes, la premiere (fig. 40.) est large & de forme ovale en A, & quarrée du côté de la tête B ; la deuxieme (fig. 41.) est à trois quarres & à trois faces, dont une est plus large que les autres en A, & quarrée du côté de la tête B ; d'autres encore appellés mandrins de garde de poignée ou de pommeau (fig. 42.) servent à mandriner les trous des coquilles, poignées & pommeaux pour les équarrir ; c'est aussi une piece de fer de même forme que la soie des lames, quarrée en A, & quelquefois à crochet du côté de la tête B.

Les limes faites pour limer les ouvrages sont en acier & de plusieurs especes ; les unes (fig. 43.) appellées quarrelets, sont méplates en A, emmanchées en B ; les autres (fig. 44.) appellées demi-rondes, sont en effet arrondies d'un côté en A, emmanchées aussi en B ; d'autres (fig. 45.) appellées quarrées ou à potence, sont quarrées en A, emmanchées en B ; d'autres (fig. 46.) appellées queues-de-rat, parce qu'elles ont en effet la forme, sont arrondies en A & emmanchées en B ; d'autres enfin appellées tier-point (fig. 47.) sont à trois quarres en A & emmanchées en B.

Les brunissoirs (fig. 48 & 49.) aussi en acier, faits pour brunir & donner le luisant, sont de deux sortes, les uns droits & les autres coudés, les uns & les autres emmanchés en B.

Les limes à queue (fig. 50, 51, 52, 53 & 54.) appellées ainsi parce qu'elles ont une queue, sont plus petites que les précédentes & de même espece, c'est-à-dire quarrelettes, demi-rondes, quarrées ou à potence, tiers-point, & queue-de-rat.

Les rapes (fig. 55 & 56. Pl. X.) espece de lime dont la taille differe de celle des précédentes, faites pour limer ou raper le bois, se divisent comme les limes en plusieurs especes, & sont comme elles emmanchées en B.

Les riflards (fig. 57, 58, 59 & 60.) sont aussi des especes de limes en acier, coudées à deux côtés, faites pour fouiller dans les endroits des ouvrages où les limes ordinaires ne peuvent approcher ; on les fait aussi comme les limes en quarrelettes, demi-rondes, tiers-point, à potence, & queue-de-rat.

Les riflards ou rapes (fig. 61.) faits pour limer le bois, sont aussi de diverses especes, comme les limes.

Les tenailles de bois (fig. 62.) faites, étant placées dans les étaux pour serrer & tenir ferme les ouvrages polis, délicats, & de sujétion sans les gâter, sont composées de deux jumelles de bois A A, avec mors à talon par en-haut B B, frettes ensemble par en-bas C, & éloignées l'une de l'autre à force par une calle ou serre D, pour leur donner du ressort.

Les tenailles à vis, appellées ainsi parce qu'elles servent à faire des vis, sont de deux sortes ; les unes (fig. 63.) à mors, à queue-d'aronde ; & les autres (fig. 64.) à mors droits : les unes & les autres sont composées de deux mors égaux A A, à charniere en B, portant chacune un oeil C C ; on passe une vis D garnie d'écroux à oreille E, & de ressort F.

Les pinces ainsi appellées parce qu'elles pincent, sont de plusieurs sortes ; les unes appellées quarrées (fig. 65.) parce que les mors en sont quarrés ; les autres appellées rondes (fig. 66.) parce que les mors en sont ronds & pointus ; d'autres enfin (fig. 67.) appellés à queue-d'aronde, parce que les mors en sont à queue-d'aronde : les unes & les autres sont composées de mors acérés A A, à charniere en B, & à branche C'C', dont celles de la derniere étant droites, sont garnies d'une petite virole méplate D, pour les tenir serrées ferme.

Les cisailles (fig. 68.) faites pour couper à la main du laiton, de la tôle, &c. sont composées de deux mors acérés A A, à charniere en B, & à branches C C.

Les fraises (fig. 69.) faites pour fraiser des trous, sont composées d'une tête acérée A, quarrée ou à pans, & d'une queue B, garnie de boîte de bois C.

Les forets (fig. 70.) faits pour percer, sont composés d'une tête acérée A, & de queue B, faite pour entrer dans une boîte semblable à celle de la figure précédente.

Les archets (fig. 71.) faits pour faire mouvoir les fraises ou forets, sur-tout les petits, sont composés d'une corde à boyau A, arrêtée par chaque bout à une branche de baleine B.

Les arçons (fig. 72.) espece d'archets forts & longs, employés aux mêmes usages, sont composés d'une corde de cuir A, arrondie & savonnée, arrêtée par chaque bout à une lame d'épée ou de fleuret B, emmanchée en C.

Les palettes (fig. 73.) faites étant appuyées sur l'estomac pour supporter la tête des forets ou fraises lorsque l'on perce des trous, sont composées de palettes de bois A avec manche B, garnies d'une piece de fer C attachée dessus, percée de trous allant jusqu'au milieu pour porter la tête des fraises ou forets.

Les filieres (fig. 74.) faites pour tirer le fil d'or, d'argent, de cuivre, &c. sont des plaques d'acier A, percées de plusieurs trous de différente grandeur, & bien polis intérieurement, quelquefois avec un manche de fer B.

Les scies à refendre (fig. 75.) faites pour scier ou refendre l'or, l'argent, le cuivre, ou autre métal, sont composées d'une scie dentée A, montée sur un chassis de fer contourné B, garni d'un manche de bois C.

Les blocs de plaque (fig. 76.) faits pour soutenir les plaques des épées lorsqu'on les travaille au ciselet, sont composés d'un bloc ou espece de billot de bois A, fretté par chaque bout, garni d'une vis à écrou B.

La fig. 77. représente la vis de plaque composée d'une tige quarrée en A, à tête quarrée en B, à vis en C, garnie d'écroux à oreille D.

Les blocs de corps (fig. 78.) faits pour soutenir les gardes des épées, sabres, & autres pieces de fourbissure lorsqu'on les travaille au ciselet, sont composés d'un bloc de bois applati A, garni d'étrier à vis B, avec brochette C.

La fig. 79. représente l'étrier à vis, fait pour serrer les ouvrages sur le bloc de corps, composé d'un étrier à deux branches, percée chacune d'un trou méplat par chaque bout A A, pour le passage de la brochette coudée en B, renforci au milieu C, & percé d'un trou taraudé garni d'une vis à écroux D, ayant par un bout E un oeil pour la tourner, & de l'autre F une petite plaque à pointe servant de point d'appui lorsqu'on la tourne.

La fig. 80. représente la brochette faite pour appuyer & maintenir les ouvrages sur le bloc, coudée en A & droite en B. Article de M. LUCOTTE.


FOURBU(Maréchallerie) cheval fourbu, voyez FOURBURE.


FOURBURES. f. (Maréchall.) maladie d'autant plus aisée à reconnoître, qu'elle se manifeste à tous les yeux par la roideur de l'animal, par la difficulté avec laquelle il manie ses membres, par la sorte de crainte & de peine qu'il témoigne quand il pose les piés sur le terrein, par l'attention avec laquelle il évite alors de s'appuyer sur la pince, par la foiblesse du train de derriere qui, lorsqu'il est entrepris, flotte continuellement quand l'animal chemine ; ses jambes postérieures s'entre-croisant alternativement à chaque pas, par le dégoût qui l'affecte, par une tristesse plus ou moins profonde, enfin par un battement de flanc & une fievre plus ou moins forte, selon les causes, les degrés & les progrès du mal.

Ces causes sont ordinairement un travail excessif & outré ; un refroidissement subit, succédant à une violente agitation, soit que l'on ait imprudemment abreuvé le cheval au moment qu'il étoit en sueur, soit qu'on l'ait exposé dans cet état à un air vif & humide, soit qu'on l'ait inconsidérément conduit à l'eau ; une douleur qui attaquant un des membres, & ne permettant à l'animal aucune espece d'exercice, le contraint de séjourner long-tems dans l'écurie ; une nourriture trop abondante proportionnément au travail qu'on exige de lui ; une trop grande quantité d'avoine ; des alimens, tels que le verd de blé & même le verd d'orge quand ils sont épiés ; des saignées copieuses ; des flux violens spontanés, ou produits par des purgatifs forts & drastiques, &c.

Lorsque l'on envisage les symptomes de la fourbure & tous les évenemens qui y donnent lieu, on ne peut s'empêcher de penser qu'elle dépend principalement de l'épaississement de la partie blanche ou lymphatique du sang, ainsi que de l'irrégularité du mouvement circulaire, ou du vice de toute la masse, s'il y a fievre, oppression, dégoût, &c. Les vaisseaux destinés à charrier la lymphe, abondent & sont en un nombre infini dans toutes les parties membraneuses : or celles qui enveloppent les articulations éprouvant dès-lors un engorgement plus ou moins considérable, le jeu des membres s'exécutera avec moins de liberté & d'autant plus difficilement, que la liqueur mucilagineuse répandue entre les pieces articulées à l'effet d'en favoriser les mouvemens, participera inévitablement du défaut de celle d'où naîtront les premiers obstacles, & que les nerfs étant infailliblement comprimés, l'animal ne pourra que ressentir lors de son action & même dans les instans de son repos, des douleurs plus ou moins vives, suivant l'excès & la force de la compression, & selon la quantité des particules âcres & salines, dont l'humeur se trouvera imprégnée. Tout ce qui pourra exciter une forte dissipation, ralentir, ou précipiter la marche des fluides, forcer les molécules lymphatiques à pénétrer dans les tuyaux trop exigus qu'elles engorgent nécessairement, susciter la constriction des petits vaisseaux, la coagulation, l'augmentation de la consistance naturelle des liqueurs, sera donc regardé, avec raison, comme la cause occasionnelle & évidente de la maladie dont il s'agit.

Est-elle récente ; ne provient-elle que de la constriction des canaux, ou d'un leger embarras ; ne se montre-t-elle que comme un simple engourdissement dans les extrémités antérieures ? elle cede facilement aux remedes : mais l'épaississement est-il à un certain degré, les fluides ont-ils contracté une certaine acrimonie ; la fievre attaque-t-elle l'animal ; l'humeur intestinale paroît-elle dans les excrémens comme un mucilage épais, sous la forme d'une toile graisseuse qui les enveloppe ? elle sera plus rebelle & plus difficile à vaincre.

Tout indique d'abord la saignée dans de pareilles circonstances. En desemplissant les vaisseaux, la masse acquierra plus de liberté, & les engorgemens diminueront. Cette opération sera réitérée, si la fourbure est accompagnée de la fievre ; elle suffira même pour opérer l'entiere guérison de l'animal, lorsque les symptomes ne présageront rien de formidable, pourvû que l'on multiplie en même tems & promtement les bains de riviere, qui ne seroient pas convenables dans le cas où la maladie seroit ancienne, & où les fibres auroient perdu leur ressort. Les lavemens émolliens seront encore mis en usage, ainsi qu'un régime délayant & humectant ; on retranchera entierement l'avoine ; on promenera avec soin & en main le cheval, plusieurs fois par jour, mais on ne lui demandera qu'un exercice court & modéré ; un mouvement trop long & trop violent fatigueroit incontestablement l'animal, & pourroit occasionner l'inflammation, la rupture des petits vaisseaux & des dépôts sur les parties. Les purgatifs seront encore administrés avec succès ; on les fera succéder aux délayans & aux lavemens, & l'on passera ensuite aux médicamens propres à diviser & à atténuer la lymphe. Ceux qui ont le plus d'efficacité sont les préparations mercurielles. On ordonnera donc l'aethiops minéral, à la dose de quarante grains jusqu'à soixante, jettés dans une poignée de son ; on pourra même humecter cet aliment avec une décoction de squine, de salsepareille, de sassafras, & terminer la cure par la poudre de viperes.

Ces remedes internes ne suffisent point ; il est à craindre que le séjour de l'humeur dans les vaisseaux qui sont fort éloignés du centre de la circulation, & que l'engorgement qui y augmente toûjours, produisent dans le pié les plus grands desordres. On s'efforcera de prévenir l'enflure de la couronne, les cercles de l'ongle, les tumeurs de la sole, la chûte du sabot, par des topiques repercussifs & résolutifs, tels que l'essence de terebenthine, dont on oindra exactement & sur le champ la couronne, sur laquelle on appliquera de plus un cataplasme de suie de cheminée, délayée & détrempée dans du vinaigre. On mettra aussi de cette même essence chaude, ou de l'huile de laurier, ou de celui de pétrole, ou de celui de romarin sur la sole ; on y appliquera encore un cataplasme de fiente de vache bouillie dans du vinaigre : toutes ces précautions pourront garantir la partie des accidens qui sont à redouter. Le premier de ceux dont j'ai parlé, survenu par la négligence ou l'ignorance du maréchal, on dégorgera la couronne par plusieurs incisions pratiquées avec le bistouri, & l'on en reviendra aux mêmes topiques prescrits ; si le mal est tel que l'on entrevoit des difformités sensibles dans la sole, on doit conclure de l'inutilité des médicamens externes que j'ai indiqués, que les piés de l'animal seront à jamais douloureux, malgré toutes les ressources de l'art & les attentions qui suivront les opérations de la ferrure. (e)


FOURCATSS. m. pl. [ Marine ] quelques-uns les nomment aussi fourcals, fourques, fours, sanglons ; ce sont des pieces de bois triangulaires, dont l'une des extrémités est posée sur la quille ; à chaque bout vers l'arriere & vers l'avant, au lieu de varangues, les deux extrémités qui sont en-haut se joignent au bout des genoux appellés de revers. Elles sont fourchues, & se mettent après les varangues, acculées vers l'endroit où le vaisseau se retrécit le plus ; elles sont bien plus ceintrées que les varangues acculées, & achevent de donner les façons au vaisseau. On leur donne les noms de fourques & de fourcats, à cause qu'elles sont fourchues. Voyez Marine, Planche IV. fig. 1. n°. 16. les fourcats de l'avant ; & n°. 17. les fourcats de l'arriere. Il y a encore des fourcats de liaison à l'avant & à l'arriere ; voyez-les, dans la même figure, marqués du n°. 37. Voyez aussi, Planche VI. la forme particuliere des fourcats. (Z)


FOURCHES. f. (Gramm.) instrument ou de bois, ou de fer, ou d'autre matiere, composé d'une tige, d'un manche ou fust, plus ou moins long, & terminé par une, deux ou trois pointes ou branches droites & aiguës, qu'on appelle des fourchons. Voy. dans les articles suivans, les différentes acceptions de ce mot.

Les fourches de fer sont ordinairement à trois fourchons ; elles servent à remuer le fumier & à le charger. Le taillandier les fait de quatre pieces ; il forge la douille, puis le fourchon du milieu, ensuite les deux autres. Il les soude tous trois séparément, les deux seconds à côté de celui du milieu. Voyez nos Planches de Taillanderie. 16 fourchon du milieu enlevé, 17 douille enlevée, 18 douille tournée & enlevée, 19 fourche avec deux fourchons reparés, & le troisieme prêt à être soudé ; 20 la fourche entierement reparée.

FOURCHES PATIBULAIRES ou GIBET, (Jurisp.) sont des piliers de pierre au haut desquels il y a une piece de bois posée en-travers sur deux de ces piliers, à laquelle piece de bois on attache les criminels qui sont condamnés à être pendus & étranglés, soit que l'exécution se fasse au gibet même, ou que l'exécution ayant été faite ailleurs, on apporte le corps du criminel pour l'attacher à ces fourches, & l'y laisser exposé à la vûe des passans.

Ces fourches ou gibets sont toûjours placés hors des villes, bourgs & villages, ordinairement près de quelque grand chemin, & dans un lieu bien exposé à la vûe, afin d'inspirer au peuple plus d'horreur du crime : c'est pourquoi ces fourches sont aussi appellées la justice, pour dire qu'elles sont le signe extérieur d'une telle justice.

On appelle ces sortes de piliers fourches, parce qu'anciennement au lieu de piliers de pierre, on posoit seulement deux pieces de bois faisant par en-haut la fourche, pour retenir la piece de bois qui se met en-travers, & à laquelle on attache les criminels.

L'origine du terme de fourches patibulaires est même encore plus ancienne ; elle remonte jusqu'aux premiers tems des Romains, chez lesquels, après avoir dépouillé le condamné à mort de tous ses habits, on lui faisoit passer la tête dans une fourche, & son corps attaché au même morceau de bois qui finissoit en fourche, étoit ensuite battu de verges jusqu'à ce que le condamné mourût de ses souffrances. Voyez Suétone, in Nerone, cap. xljx. Livius, lib. I. Seneca, lib. I. de irâ, cap. xvj.

Quelques-uns confondent les fourches patibulaires avec les échelles ou signes patibulaires, quoique ce soit deux choses différentes. L'échelle est bien aussi un signe de haute-justice, mais elle ne sert pas à mettre à mort ; elle n'est destinée qu'à pilorier.

A l'égard du simple signe patibulaire, ce nom se donne quelquefois au simple poteau ou carcan, qui est aussi une marque de haute-justice.

Les simples seigneurs hauts-justiciers ne peuvent avoir que deux piliers. Peronne, art. 20. Grand-Perche, 11. Blois, 20. Les châtelains en ont trois ; les barons en ont quatre ; les comtes en ont six. Tours, art. 74.

L'usage n'est cependant pas absolument uniforme à ce sujet ; car il y a des coûtumes où les seigneurs châtelains peuvent avoir des fourches patibulaires à trois ou quatre piliers ; celle de Blois, art. 24. permet au moyen-justicier d'en avoir à deux piliers : cela dépend aussi des titres & de la possession.

Le roi comme souverain peut faire élever au-dedans de ses justices tel nombre de piliers que bon lui semble.

Lorsque les fourches patibulaires des seigneurs sont tombées de vetusté ou autrement, elles doivent être rétablies dans l'an & jour de leur destruction ; passé lequel tems elles ne peuvent être relevées sans lettres du prince dont l'entérinement doit être fait au bailliage royal, sur les conclusions du procureur du roi & sur le vû de pieces : autrement les fourches patibulaires ne pourroient être élevées que pour le tems des exécutions seulement ; & l'exécution faite, le seigneur seroit obligé de les faire abattre. Voyez Bacquet, des droits de justice, ch. jx. n. 10. 11. 12. (A)

FOURCHE, (Archit.) Voyez PENDENTIF.

FOURCHES pour carener, (Marine) ce sont de longues & menues fourches de fer, qu'on emmanche au bout d'une épave, pour prendre le chauffage dans la carene & le porter au vaisseau ou en tel autre lieu qu'il est besoin. (Z)

FOURCHE de potence de pompe, [ Marine ] Voyez POTENCE.

FOURCHES, s. f. pl. [ Hydraul. ] sont des tuyaux de cuivre qui s'emboîtent & se brident sur le corps de pompe de même matiere, avec des brides qui se joignent par des écrous de cuivre & des rondelles de plomb ou de cuivre entre deux. Il est essentiel que ces fourches soient de même diametre que le corps de pompe, ainsi que le tuyau montant. Voyez MACHINES HYDRAULIQUES, POMPE.

On appelle encore fourche ou branche, le tuyau qui se soude sur un autre dans la conduite des eaux. (K)

* FOURCHE, chez les Blanchisseurs de cire, c'est un instrument de bois long de quatre ou cinq piés, terminé à un bout par deux branches qui sortent de la même tige, de la longueur d'un pié environ. La fourche sert à ôter les rubans de la baignoire, & les mettre dans la manne. Voyez ces mots.

Il y a une autre fourche qui ne differe de la premiere, que parce qu'elle est bien plus petite ; ce qui la fait appeller fourchette ; elle sert à régaler les rubans. Voyez REGALER & RUBANS, & l'article BLANCHIR.

* FOURCHES ou ARBALETRES, terme d'ouvriers en gase ; ce sont des ficelles qui tiennent les lissettes dans le métier à faire des gases. Voyez GASE.

FOURCHES ou BRANCHES, (Jardinage) Voyez FOURCHONS.

FOURCHE, (Manége) outil assez connu & nécessaire dans une écurie. Il est des fourches de bois ; il est des fourches de fer. Le palefrenier se sert des unes & des autres ; des premieres pour faire, pour remuer, & pour enlever la litiere ; des secondes pour distribuer le fourrage dans le ratelier, & pour remuer le fumier, ou pour le ranger dans la cour destinée à cet effet. Le peu de confiance que mérite cette espece de gens, devroit engager à bannir toute fourche de fer de nos écuries, souvent le défaut de zèle ou la paresse, les portent à en faire usage dans le cas où il seroit de leur devoir de se servir de la fourche de bois, & un coup d'un des fourchons de fer est capable de blesser dangereusement l'animal : d'ailleurs une fourche de bois est aussi propre au transport de la paille & du foin, que celles que nous conseillons de proscrire. (e)

* FOURCHE, (Verrerie) tringle de fer d'environ six piés de long, sur dix lignes de diamêtre. On s'en sert pour avancer ou reculer une barre de la grille. Voyez l'article VERRERIE.

FOURCHE, (Vénerie) bâton à deux branches, qui reçoit le forhu dans la curée.

FOURCHE, (Montagne de la) Géog. haute montagne de Suisse, à l'extrémité orientale du pays de Vallais, qu'elle sépare du canton d'Uri ; ou plutôt, c'est une chaîne de montagnes fort hautes & fort étendues, ainsi appellées à cause de deux grandes pointes fort élevées en guise de fourches qu'on y remarque. C'est dans cette montagne, qui fait partie des Alpes lépontiennes, que le Rhone a sa source, dans les glacieres éternelles dont elle est couverte. On confond quelquefois cette montagne, nommée en latin Bicornis, Furca, ou Furcula, avec celle de Saint-Gothard : c'est ici le grand chemin pour passer du canton d'Uri dans le Vallais. Voyez Scheuchzer, itinera Alpina, pag. 264. (D.J.)


FOURCHou FOURCHU, adj. (Gramm.) qui est terminé en fourche, ou qui a la forme de fourche.

* FOURCHE, s. m. (Rubanier) se dit d'un patron symmétrique, dont les deux côtés se ressemblent si parfaitement en tout, qu'on est obligé de n'en passer que la moitié. Supposons qu'un patron soit de 80 rames de large, on n'en passera que quarante, parce que cette quarantieme s'attachera à deux lissettes ; de façon que ces deux lissettes étant levées par la même rame, doivent nécessairement produire le même effet que si toutes les rames étoient passées. Un exemple éclaircira ceci. Il est bien sûr que la premiere rame du patron levant & sa propre lissette, & la quatre-vingtieme lissette que devroit lever la quatre-vingtieme rame, l'effet de ces deux lissettes doit produire la même chose que si elles étoient levées chacune par leur propre rame : ainsi des autres. On voit que la quarantieme rame portera avec sa lissette, la lissette de la quarante-unieme rame, en rétrogradant toûjours. Ces lissettes ainsi attachées doubles à chaque rame passée, sont mises sur les différentes brochettes d'un rateau, qui est attaché lui-même au porte-rames de devant. Ce double emploi est d'une grande ressource, en ce qu'il épargne du tems pour le passage des rames, & fait éviter l'embarras que toutes les rames produiroient dans les hautes lisses, si elles y étoient toutes passées.

FOURCHE ou FOURCHU, en terme de Blason, se dit de ce qui est divisé en deux, & particulierement de la queue du lion renversée de cette maniere dans quelques écus. On appelle croix fourchée, celle dont les branches se terminent par trois pointes, qui forment deux angles rentrans. Voyez nos Planches de Blason.


FOURCHETÉadj. terme de Blason : on appelle croix fourchetée, celle qui a ses branches terminées en ces sortes de fourchettes dont on se servoit pour porter les mousquets. Voyez nos Planches de Blason.


FOURCHETTEsubst. f. (Gramm.) petit instrument en forme de fourche.

FOURCHETTE, (Anat.) en latin fraenum vulvae ; la partie inférieure de la vulve, & qui en fait la séparation d'avec l'anus.

Parlons-en avec plus d'exactitude. La fourchette est proprement l'union des grandes levres par leur partie inférieure ; l'on y remarque un ligament membraneux, qui se trouve tendu dans les filles, relâché dans celles qui ont souffert l'approche d'un homme, & presque toûjours déchiré dans les femmes qui ont eu des enfans. Ce déchirement de la fourchette (pour me servir du terme des Accoucheurs) est une suite ordinaire de l'excessive dilatation que souffre ce lien membraneux au passage du foetus.

Il arrive même dans des accouchemens laborieux, que non-seulement la partie inférieure de la vulve, se déchire par la sortie de l'enfant, mais encore l'espace qui est entre la partie inférieure de la vulve & l'anus : dans ce triste cas, l'ouverture du vagin & celle du fondement se joignent ensemble à l'extérieur, & ne forment plus qu'un seul conduit.

Si on laissoit cette dilacération sans en procurer la réunion, il est bien vrai que la femme devenant une autre fois grosse, accoucheroit avec plus de facilité, & sans être en danger d'essuyer un nouveau délabrement dans sa couche, mais ces parties restant dilatées, la vulve est tellement salie par les excrémens, que la femme en devient dégoûtante & à son mari & à elle-même : c'est pour cette raison qu'il vaut beaucoup mieux réunir ce déchirement le plutôt qu'il est possible, & même en cas de besoin par une forte suture qui engage toute la longueur de la division. (D.J.)

FOURCHETTE, instrument de Chirurgie dont on se servoit pour élever & soûtenir la langue des enfans, quand on leur coupe le filet. Elle est semblable à une fourchette ordinaire à deux fourchons, excepté que ces fourchons sont mousses & courts. Il n'est pas nécessaire d'avoir un instrument particulier pour élever & soûtenir la langue ; l'extrémité qui sert de manche à une sonde cannelée (Voyez la fig. 6. Pl. II.) pouvant servir beaucoup plus utilement à cet usage. Voyez FILET. (Y)

FOURCHETTE, (Maréchallerie) c'est ainsi que l'on nomme la portion qui plus ou moins élevée sous le pié du cheval & au milieu de la sole, présente la figure d'un cone, dont la pointe seroit tournée en-devant, & dont la base échancrée répondroit aux talons. Voyez FERRURE.

La fourchette doit être proportionnée au pié dont elle est une dépendance. Ceux qui ont prétendu qu'une fourchette petite & dessechée est le partage d'un pié encastelé, parce que le retrécissement du talon la prive de nourriture & l'affame, ont-ils refléchi que l'on peut répondre que le desséchement de cette partie, desséchement qui d'ailleurs annonce l'aridité de l'ongle, contribue au contraire à l'encastelure, & prouve que l'animal y a de la disposition ? Son volume extrême est une imperfection considérable, à laquelle les chevaux dont les talons sont bas, sont fort sujets ; elle est en eux une cause fréquente de claudication. Nous nommons ces sortes de fourchettes, fourchettes grasses ; & les fourchettes trop petites, fourchettes maigres. Toute fourchette de l'une ou de l'autre nature, caractérise ordinairement un mauvais pié ; il est rare en effet que le pié soit bon, & qu'il ne soit pas d'une difformité préjudiciable, lorsque la nourriture ne se distribue pas également dans toutes les parties qui le composent.

Nous disons encore que le cheval fait fourchette neuve, lorsque cette portion du sabot se corrompt, conséquemment à des causes externes ou internes, & que par sa chûte elle fera place à une portion semblable produite au-dessous d'elle & qu'elle nous cache.

Les fourchettes grasses, celles des piés plats & des chevaux épais & chargés d'humeurs, tombent fréquemment en pourriture ; nous y entrevoyons une humidité très-fétide ; & si des causes internes occasionnent cette corruption, selon le degré de l'âcreté de l'humeur qui y afflue, le mal est plus ou moins dangereux. Voyez FIC.

Les fourchettes maigres n'en sont pas exemptes ; il arrive très-souvent qu'elles pourrissent, lorsque nous laissons trop long-tems des chevaux sur leur vieille ferrure, & que nous en parons trop rarement le pié. L'expérience seule suffit pour prouver cette vérité, relativement même à des chevaux d'Espagne & des chevaux barbes.

Quoi qu'il en soit, dans le cas où la chûte de la fourchette provient de la perversion & de l'affluence des humeurs sur cette partie, les médicamens intérieurs, tels que ceux que j'ai prescrits (voy. EAUX), sont absolument indispensables ; on recourra ensuite à des topiques legerement rongeans, tels que l'onguent d'aegyptiac, que l'on assujettira & que l'on fixera sur la partie par le moyen des plumaceaux que l'on en aura chargé, & on peut encore employer l'eau de chaux, l'eau seconde, l'eau infernale faite avec la céruse à la dose double du verd-de-gris & de cantharides, infusée dans l'esprit-de-vin pendant quarante-huit heures sur la cendre chaude, ou saupoudrer la fourchette avec l'alun de roche, ou le verd-de-gris, ou de la couperose verte ou blanche, ou de la céruse, ou de la tutie, & recouvrir dèslors le tout avec l'aegyptiac ; la teinture de myrrhe & d'aloès produit encore d'admirables effets, &c. Les uns & les autres de ces remedes externes seront appropriés à l'état du mal, & seront suffisans pour en opérer la guérison, si néanmoins la source n'en est pas dans l'intérieur. (e)

FOURCHETTE, en Architecture, c'est l'endroit où les deux petites noues de la couverture d'une lucarne se joignent à celle d'un comble. (P)

* FOURCHETTE, chez les Cardeurs, c'est un morceau de bois presque quarré, de la forme d'une chaise avec son dossier. La partie évidée est presque remplie de vieux cuir ; la surface qui a forme de dossier, garnie de deux aiguilles longues d'environ un demi-pouce. Cet outil sert à percer le feuillet. Voyez FEUILLET & l'article CARDIER.

* FOURCHETTE, terme de Charron, ce sont deux morceaux de bois de charronnage qui sont posés & enchâssés dans le train de devant, & qui sortent en-dehors, & forment une fourchette. Voyez dans les Planches du Charron, la figure qui représente un avant-train.

* FOURCHETTE, (entre-deux de fourchettes), terme de Charron, ce sont deux morceaux de bois enchâssés dans les mortaises faites à la face de dessous du lissoir de devant. Ces entre-deux de fourchettes sont faites en gentes, & forment un rond. Voyez les Planches du Charron.

* FOURCHETTE, terme & outil de différens ouvriers ; c'est un morceau de fer fait en Y, qui est planté sur leur établi, qui leur sert à assujettir les cisailles, & à les élever un peu au-dessus de l'établi.

* FOURCHETTE, (Cuisine) diminutif de fourche ; c'est un petit instrument, ou d'étain, ou d'acier, ou de bois, ou de fer, ou d'argent, dont l'extrémité est divisée en branches ou fourchons pointus ; on enfonce les fourchons dans un mets, & on le porte de cette maniere d'un plat sur son assiette, ou de l'assiette dans la bouche. Il y a des fourchettes de cuisine de différentes grandeurs.

* FOURCHETTE, (Grosses Forges) voyez cet article.

* FOURCHETTE, outil commun à plusieurs ouvriers, ce sont deux morceaux de bois de la longueur de 4 piés, serrés à vis par en-bas, où leurs surfaces sont en talud ; ce qui les fait écarter par en-haut, où ils ne sont point arrêtés : ils sont larges d'environ quatre doigts ; & on les met entre les mâchoires de l'étau, pour empêcher que les dents de l'étau ne marquent sur l'ouvrage, par exemple, sur la lame d'une épée quand le fourbisseur la monte. Voyez les Planc. du Fourbisseur.

FOURCHETTE, signifie en Horlogerie, une piece 444. fig. 2. Pl. I. de l'Horloger, qui recevant la verge du pendule dans une fente située à sa partie inférieure recourbée à angle droit, lui transmet l'action de la roue de rencontre, & la fait mouvoir constamment dans un même plan vertical. Le plan de cette fente est représenté en P F, fig. 17.

La fourchette est enarbrée par sa partie supérieure C sur la tige qui porte les palettes ou l'anchre ; elle n'est d'usage que pour les pendules suspendues par des soies ou par des ressorts. Voyez COQ, VERGE, ANCHRE, PENDULE, &c. (T)

FOURCHETTES, (Jardinage) sont de petits bâtons de bois taillés à dents, que l'on enfonce autour des cloches de verre placées sur les couches, pour les élever, afin de donner de l'air aux plantes. Il y a plusieurs étages à ces fourchettes, qui peuvent aussi, étant plus fortes, soûtenir des paillassons & brise-vents. (K)

* FOURCHETTE, (Verrerie) voyez l'article VERRERIE.

* FOURCHON, s. m. (Gramm.) c'est une des branches ou pointes qui terminent la fourche ou la fourchette. On dit une fourche, une fourchette à deux ou trois fourchons. Le trident n'est proprement qu'une fourche à trois fourchons.

FOURCHON, s. m. (Jardinage) on entend par ce mot la rencontre de deux branches qui viennent en forme de fourches. Cette branche, dit-on, fait le fourchon. (K)

FOURCHONS de la fourche de la potence, (Marine) oreilles ou branches de la fourche. (Q)


FOUREUou PELLETIER, voyez FOURREUR.


FOURGAGNER(Jurisprud.) c'est rentrer de la part du propriétaire dans son héritage, faute de payement de la rente ; coût. de Namur, art. 76. & en la coût. des fiefs du comté de Namur, Tournay, tit. viij. art. 17. (A)


FOURGONS. m. (Charron) espece de charrette dont on se sert pour porter du bagage & des munitions, soit à la campagne, soit à l'armée. Elle est ordinairement à quatre roues, & chargée d'un coffre couvert de planches en dos d'âne. Dict. de Trévoux.

FOURGON, les maîtres Chauderonniers appellent le fourgon de la forge, un fer long d'environ deux piés, un peu large & applati par le bout, dont ils se servent pour attiser le charbon de leur forge. Ils en ont encore un autre pour retirer la braise ; mais ils le nomment plus ordinairement croissant, à cause de la figure courbée qu'il a par le bout. Dictionnaire de Commerce.


FOURIERES. f. en Architecture, c'est un bâtiment destiné à mettre le bois, charbon, &c. (P)


FOURMIS. f. (Hist. natur.) formica, insecte qui subit diverses transformations, & qui vit en société comme les abeilles. Suivant les observations de Swammerdam, il paroît d'abord sous la forme d'un petit oeuf qui est composé d'une membrane fort mince & du ver de la fourmi qui en est revêtu ; cet oeuf est lisse, luisant, & si petit qu'on ne l'apperçoit que difficilement. Le ver sort de l'oeuf en se dépouillant de sa membrane, & il la roule de façon qu'elle devient presqu'invisible ; alors il n'a point encore de jambes, mais on distingue les douze anneaux sur le corps, & on voit la bouche, la tête est panchée sur la poitrine, & reprend cette situation toutes les fois que l'on essaye de la relever ; lorsqu'il a pris son accroissement, tous les membres de la fourmi y sont déjà formés, mais ils restent cachés sous une enveloppe. Quoique ce ver ait du mouvement & plusieurs caracteres propres aux animaux, & qu'il soit quelquefois plus gros qu'une fourmi, cependant on croit vulgairement que c'est l'oeuf de cet insecte ; & on en vend dans les marchés sous ce nom pour la nourriture des rossignols & d'autres petits oiseaux. Ses membres paroissent à découvert après qu'il s'est dépouillé de son enveloppe, & dans cet état on lui donne le nom de nymphe.

On voit dans cette nymphe les deux yeux & les dents de la fourmi ; ses antennes sont étendues sur la poitrine : elle a six jambes, trois de chaque côté, &c. Enfin tous les membres de la fourmi sont formés dans la nymphe ; mais leur consistance est très-molle, & ils sont recouverts par une membrane fort mince. Lorsque la nymphe s'en dépouille, la couleur des yeux qui étoit blanche devient noire, les antennes, les jambes, & tout le corps entier changent aussi de couleur ; toute l'humidité superflue s'exhale, tous les membres commencent à se mouvoir, & se débarrassent de la membrane qui les enveloppoit ; alors la nymphe devient une vraie fourmi, mais c'est toûjours le même insecte que l'on a vû successivement sous la forme d'un oeuf, d'un ver, & d'une nymphe. Dans l'oeuf il étoit enveloppé d'une peau luisante & unie : dans le ver il étoit recouvert d'une peau velue & sillonnée : dans la nymphe la peau enveloppoit chacune des parties de l'insecte : enfin cette troisieme peau étant tombée, la fourmi paroît à découvert, & sous une forme qui ne change plus dans le reste de sa vie ; sa peau se durcit & prend une consistance approchante de celle de la corne. Biblia naturae, p. 287. & suiv.

Il y a diverses especes de fourmis, & dans chaque espece, outre les mâles & les femelles, il y a encore les fourmis ouvrieres. Swammerdam a donné la description de ces trois sortes de fourmis de l'espece la plus commune qui se trouve dans les jardins & dans les prés.

La fourmi ouvriere a la mâchoire inférieure divisée en deux parties qui sont courbes, qui avancent au-dehors, & qui sont terminées chacune par sept petites pointes ; ces deux portions de mâchoire sont mobiles, & servent comme des bras pour transporter différentes choses, sur-tout les jeunes fourmis qui sont sous la forme de vers ; la tête est séparée de la poitrine par un étranglement fort court ; il y a une partie mince & assez longue entre la poitrine & le ventre ; la tête est aussi grosse, mais moins allongée que la poitrine ; le ventre est à-peu-près aussi long que la poitrine, mais plus gros ; les yeux sont noirs ; les antennes ont une couleur brune, & se trouvent placées au-devant des yeux, une de chaque côté : elles sont hérissées de petites soies, & composées de douze pieces, dont la premiere est la plus longue ; la tête & la poitrine sont revêtues d'une peau dure & inégale ; les lombes forment le second étranglement qui est entre la poitrine & le ventre ; les six jambes tiennent à la poitrine, trois de chaque côté, & ont chacune quatre parties, dont la derniere est le pié ; celle-ci est de quatre pieces, posées successivement les unes au bout des autres ; & la quatrieme a deux petits angles ; le ventre est velu de même que les jambes & le reste du corps, mais il a une couleur roussâtre. Swammerdam croit que les fourmis ouvrieres n'ont aucune des parties qui caractérisent le sexe du mâle & de la femelle : que par conséquent elles ne contribuent en rien à la propagation de l'espece, & qu'elles nourrissent & soignent les jeunes fourmis qui ne sont pas encore parvenues à leur derniere transformation.

Les fourmis mâles & les femelles ont les deux portions de la mâchoire inférieure un peu plus petites que les fourmis ouvrieres : mais les yeux des mâles sont plus grands que ceux des femelles & des ouvrieres ; les mâles & les femelles ont sur la tête trois tubercules semblables à de petites perles qui manquent aux fourmis ouvrieres ; il y a aussi des différences dans la forme & la couleur de la poitrine ; mais le mâle est caractérisé d'une maniere bien plus apparente par quatre aîles qui tiennent à la poitrine, deux de chaque côté, dont la premiere est plus grande que la seconde ; il a aussi une couleur plus foncée, & il est plus grand que la fourmi ouvriere. Les nymphes des fourmis mâles different aussi des autres en ce qu'elles ont des aîles. On ne trouve pas des fourmis mâles dans les fourmilieres en tout tems ; il est à croire qu'ils ont le sort des abeilles mâles que les ouvrieres tuent après que les femelles sont fécondées. Aussi Swammerdam a souvent observé des fourmis ouvrieres qui maltraitoient des mâles.

Les fourmis femelles sont non-seulement plus longues que les mâles & les ouvrieres, mais encore plus grosses. En les disséquant on y apperçoit aisément de petits oeufs de couleur blanche ; la poitrine est de couleur moins brune que celle du mâle, & plus rousse que celle de la fourmi ouvriere.

Swammerdam a observé que parmi les fourmis les plus communes en Hollande, il ne se trouve qu'un petit nombre de mâles & quelques femelles, en comparaison du grand nombre des fourmis ouvrieres. Il a ramassé ces insectes dans la campagne & dans des jardins pour les nourrir dans sa maison ; & pour les voir plus commodément, il les empêchoit de se disperser au loin, en leur opposant de toutes parts un petit fossé plein d'eau qu'elles ne pouvoient pas franchir, car les fourmis fuient l'eau : pour cet effet il appliquoit sur un grand plat de terre concave un rebord de cire, & il l'étendoit dans toute la circonférence du plat, à quelque distance des bords, de sorte qu'il restoit un petit canal circulaire entre le rebord de cire & les bords du plat ; il remplissoit d'eau ce petit canal, & il plaçoit les fourmis sur l'aire du cercle formé par le rebord de cire : dès qu'elles y avoient passé quelques jours, il s'y trouvoit de petits oeufs dont il sortoit des vers tels qu'ils ont été décrits plus haut ; alors il voyoit les fourmis ouvrieres occupées à soigner ces vers, à les nourrir, & à les transporter d'un lieu à un autre, les tenant entre les deux prolongemens de la mâchoire inférieure. Dès que la terre dans laquelle elles étoient logées sur le plat, se desséchoit à la superficie, elles transportoient les vers & les nymphes au-dedans, à l'endroit le plus profond ; & lorsqu'on versoit assez d'eau dans le plat pour inonder des vers, bientôt les fourmis ouvrieres les remontoient au-dessus de l'eau ; mais si on ne répandoit qu'une petite quantité d'eau pour humecter seulement une partie de la terre, c'étoit dans cet endroit humecté qu'elles apportoient les vers qui se trouvoient dans une portion de terre trop seche, ce qui prouve que la terre humectée leur convient mieux que celle qui est trop seche ou trop mouillée.

Les soins des fourmis ouvrieres sont si nécessaires à ces vers & à ces nymphes, que Swammerdam a tenté plusieurs fois, mais toûjours inutilement, d'en élever sans leur secours. Il nourrissoit les fourmis qu'il observoit avec du sucre, des raisins, des poires, des pommes, & d'autres fruits ; jamais il ne les a vû construire d'autres nids que de petites routes qu'elles pratiquoient sous terre ; elles se placent toûjours du côté qui est échauffé par le soleil, & elles y déposent leurs vers & leurs nymphes. Il n'a jamais trouvé dans ces fourmilieres de provisions pour l'hyver, & il pense que ces insectes ne prennent aucune nourriture dans les tems froids. Biblia naturae, pag. 292. & suiv.

Outre l'espece de fourmi dont il vient d'être fait mention, Swammerdam en avoit vû six autres. La premiere venoit du cap de bonne Espérance : elle étoit de couleur brune foncée. Il paroît par la figure que l'auteur a fait graver, qu'elle étoit plus de trois fois aussi grande que celle qui a été décrite.

La seconde espece se trouva en Hollande ; la figure qui en a été gravée dans l'ouvrage de Swammerdam est à-peu-près de la même grandeur que celle de la fourmi mâle de l'espece ordinaire ; l'auteur n'a pas pû reconnoître si c'étoit une femelle ou une ouvriere, mais cette fourmi n'avoit point d'aîles comme les mâles, qui étoient aussi un peu plus grands ; elle avoit une couleur rougeâtre. Ce qu'il y a de plus singulier dans les fourmis de cette espece, c'est que les nymphes sont renfermées dans des coques tissues de fils, comme une sorte de toile ; ces coques étoient beaucoup plus grosses que les fourmis ouvrieres qui les transportoient.

Les fourmis de la troisieme espece étoient plus petites que les fourmis ordinaires, plus noires & plus luisantes : l'auteur les trouva sur des saules.

Celles de la quatrieme espece étoient encore plus petites, mais plus épaisses, & de couleur roussâtre.

Les fourmis de la cinquieme espece avoient le corps plus mince & plus allongé que celles de la quatrieme. L'auteur a vû les mâles : ils avoient des aîles ; mais il n'a point apperçû de mâles parmi les fourmis de la troisieme & de la quatrieme espece.

Celles de la sixieme étoient très-petites : l'auteur n'a point vû les mâles ; il a fait graver une ouvriere dont la figure n'a qu'environ une ligne de longueur ; ces fourmis étoient de couleur brune, & ressembloient aux autres par la figure du corps. On ne les voyoit que vers le milieu du mois de Juillet, il en venoit tous les ans dans ce tems quelques centaines qui se répandoient sur le pain & sur le fromage ; passé le mois d'Octobre il n'en restoit aucune ; ces fourmis sortoient de la cave : mais l'eau y ayant séjourné pendant quelques mois, elles ne reparurent plus dans la suite.

Swammerdam ne doute pas qu'il n'y ait bien d'autres especes de fourmis ; il en donne pour exemple : 1°. des fourmis blanches qu'on lui a dit être dans les Indes orientales : elles sont plus petites que les fourmis ordinaires, & elles gâtent les provisions de bouche & les marchandises : 2°. des fourmis rouges à piés noirs qu'on lui avoit envoyées de l'île de Ternate ; elles étoient un peu plus petites que celles de la seconde espece dont il a été fait mention. On lui a dit encore que l'on avoit vû dans les grandes Indes des fourmis longues comme la premiere phalange du pouce ; que leurs fourmilieres avoient six piés de tour, qu'elles étoient divisées au-dedans en plusieurs cellules, & qu'elles paroissoient quelquefois en partie hors de terre, & étoient d'autres fois entierement enfoüies. Biblia naturae, pag. 266. & suiv.

Le P. du Tertre a vû dans les Antilles quatre sortes de fourmis : elles font, dit-il, des provisions dans le tems de la récolte, quoiqu'il n'y ait point d'hyver dans ce climat ; souvent elles causent un grand dommage en enlevant les graines du tabac, ou d'autres plantes en une seule nuit, aussi-tôt qu'elles sont semées. Les fourmis qui emportent ainsi les semences, sont petites, noires, & assez semblables à celles que l'on voit le plus communément en Europe ; elles sont en si grand nombre qu'elles infectent les provisions de bouche, telles que les confitures, les viandes, les graisses, les huiles, les fruits, &c. quelquefois elles couvrent les tables, de façon qu'on est obligé de les abandonner sans pouvoir manger de ce qui a été servi ; on est aussi contraint de sortir de son lit lorsqu'elles y arrivent. Il y a deux sortes de fourmis rouges très-petites, qui ne sont pas si communes que les autres ; les fourmis de l'une de ces especes ne mordent pas, mais elles entrent dans les coffres qui renferment du linge, en si grand nombre qu'elles le tachent & le gâtent entierement ; les autres restent dans les bois sur les feuilles des arbres ; lorsqu'il en tombe sur la chair, elles causent une demangeaison très-vive.

Les fourmis les plus dangereuses sont celles que l'on appelle chiens, à cause de leur morsure qui est plus douloureuse que celle des scorpions ; mais la douleur ne dure qu'une heure au plus ; ces fourmis sont longues comme un grain d'avoine, & deux fois aussi grosses. On en trouve par-tout dans les îles, mais elles ne sont pas en si grand nombre que les autres. Hist. nat. des Antilles, tom. II. pag. 343.

Il y a au Sénégal des fourmis blanches de la grosseur d'un grain d'avoine ; leurs fourmilieres sont élevées en forme de pyramide, unies & cimentées au dehors ; elles n'ont qu'une seule ouverture qui se trouve vers le tiers de leur hauteur, d'où les fourmis descendent sous terre par une rampe circulaire. Hist. gen. des voyages, tom. II.

A Batavia les fourmis font leurs nids ou fourmilieres sur des cannes, pour éviter les inondations ; elles les construisent avec une terre grasse, & y forment des cellules. On voit sur la côte d'or en Guinée des fourmilieres au milieu des champs, qui sont de la hauteur d'un homme. Il y en a aussi de grandes sur des arbres fort élevés. Les fourmis sortent souvent de ces nids en si grand nombre, qu'il n'y a point d'animal qui puisse leur résister ; elles dévorent des moutons & des chevres, en une seule nuit il n'en reste que les os. En une heure ou deux elles mangent un poulet ; les rats ne peuvent pas les éviter ; dès qu'une fourmi a atteint un de ces animaux, il s'en trouve plusieurs autres qui se répandent sur son corps tandis qu'il s'arrête pour se débarrasser de la premiere ; enfin elles l'accablent par le nombre, & l'entraînent où elles veulent ; on a remarqué que ces fourmis ont assez d'instinct pour aller chercher du secours dans la fourmiliere lorsquelles ne peuvent pas emporter leur proie : les unes la gardent pendant que les autres vont à la fourmiliere, & bien-tôt il en sort une multitude.

On trouve à Madagascar des fourmis volantes qui ressemblent à celles de l'Europe ; elles laissent sur les buissons épineux une humeur gluante, ou gomme blanche, qui sert de colle & de mastic aux habitans du pays, & qui est astringente. Voyez LAQUE.

On appelle en Amérique fourmis de visite, celles qui marchent en grandes troupes, & qui exterminent les rats, les souris, & d'autres animaux nuisibles ; lorsqu'on voit paroître ces fourmis, on ouvre les maisons, les coffres, & les armoires, afin qu'elles puissent trouver les rats & les insectes ; elles ne viennent pas aussi souvent qu'on le voudroit, car il se passe quelquefois trois ans sans qu'il en arrive ; lorsque les hommes les irritent, elles se jettent sur leurs souliers & leurs bas qu'elles mettent en pieces. Voy. INSECTE. (I)

Selon le rapport de personnes dignes de foi, il y a une espece de fourmi dans les Indes orientales qui ne marchent jamais à découvert, mais qui se font toûjours des chemins en galerie pour parvenir où elles veulent être. Lorsqu'occupées à ce travail elles rencontrent quelque corps solide qui n'est pas pour elles d'une dureté impénétrable, elles le percent, & se font jour au-travers. Elles font plus : par exemple, pour monter au haut d'un pilier, elles ne courent pas le long de la superficie extérieure, elles y font un trou par le bas, entrent dans le pilier même, & le creusent jusqu'à ce qu'elles soient parvenues au haut. Quand la matiere au travers de laquelle il faudroit se faire jour est trop dure, comme le seroit une muraille, un pavé de marbre, &c. elles s'y prennent d'une autre maniere ; elles se frayent le long de cette muraille, ou ce pavé, un chemin voûté, composé de terre liée par le moyen d'une humeur visqueuse, & ce chemin les conduit où elles veulent se rendre. La chose est plus difficile lorsqu'il s'agit de passer sur un amas de corps détachés ; un chemin qui ne seroit que voûté par-dessus, laisseroit par-dessous trop d'intervalles ouverts, & formeroit une route trop raboteuse : cela ne les accommoderoit pas ; aussi y pourvoyent-elles, mais c'est par un plus grand travail ; elles se construisent alors une espece de tube ou un conduit en forme de tuyau, qui les fait passer pardessus cet amas, en les couvrant de toutes parts.

Une personne qui a confirmé tous ces faits à M. Lyonnet, a dit avoir vû que des fourmis de cette espece ayant pénétré dans un magasin de la compagnie des Indes orientales, au bas duquel il y avoit un tas de clous de girofle qui alloit jusqu'au plancher, elles s'étoient faites un chemin creux & couvert qui les avoit conduites par-dessus ce tas sans le toucher au second étage, ou elles avoient percé le plancher, & gâté en peu d'heures pour une somme considérable d'étoffes des Indes, au-travers desquelles elles s'étoient fait jour.

Des chemins d'une construction si pénible, semblent devoit coûter un tems excessif aux fourmis qui les font ; il leur en coûte pourtant beaucoup moins qu'on ne croiroit. L'ordre avec lequel une multitude y travaille, avance la besogne. Deux fourmis, qui sont apparemment deux femelles, ou peut-être deux mâles, puisque les mâles & les femelles sont ordinairement plus grandes que les fourmis du troisieme ordre, deux grandes fourmis, dis-je, conduisent le travail, & marquent la route. Elles sont suivies de deux files de fourmis ouvrieres, dont les fourmis d'une file portent de la terre, & celles de l'autre une eau visqueuse. De ces deux fourmis les plus avancées, l'une pose son morceau de terre contre le bord de la voûte ou du tuyau du chemin commencé : l'autre détrempe ce morceau, & toutes les deux le pétrissent & l'attachent contre le bord du chemin ; cela fait, ces deux fourmis rentrent, vont se pourvoir d'autres matériaux, & prennent ensuite leur place à l'extrémité postérieure des deux files ; celles qui après celles-ci étoient les premieres en rang, aussitôt que les premieres sont rentrées, déposent pareillement leur terre, la détrempent, l'attachent contre le bord du chemin, & rentrent pour chercher dequoi continuer l'ouvrage. Toutes les fourmis qui suivent à la file en font de même, & c'est ainsi que plusieurs centaines de fourmis trouvent moyen de travailler dans un espace fort étroit sans s'embarrasser, & d'avancer leur ouvrage avec une vîtesse surprenante. Voyez M. Lyonnet sur les insectes.

Les voyageurs parlent beaucoup de certaines fourmis blanches du royaume de Maduré, nommées par les Indiens carreyan, & qui sont la proie ordinaire des écureuils, des lésards, & autres animaux de ce genre ; ces sortes de fourmis élevent leurs fourmilieres à la hauteur de cinq ou six piés au-dessus de terre, & les enduisent artistement d'un mortier impénétrable. Les campagnes du pays sont couvertes de fourmilieres de cette nature, que les habitans laissent subsister ; soit par la difficulté qu'ils ont d'empêcher ces insectes de les rétablir promtement, soit par la crainte de les attirer dans leurs propres cabanes.

Quoi qu'il en soit, on remarque en tous lieux que chaque espece de fourmi fait constamment bande à part, & qu'on ne les voit jamais mêlées ensemble ; si quelqu'une par inadvertance se rend dans un nid de fourmi qui ne soit pas de son espece, elle perd nécessairement la vie, à moins qu'elle n'ait le bonheur de se sauver promtement.

La fourmi vue au microscope, paroît curieuse par sa structure, qui est divisée en tête, corps, & queue, qu'un ligament très-délié joint ensemble. Ses yeux perlés sortent de la tête, qui est ornée de deux cornes ayant chacune douze jointures ; ses mâchoires sont garnies de sept petites dents ; la queue de quelques fourmis est armée d'un aiguillon creux, dont elles se servent quand elles sont irritées, pour jetter une liqueur acre & corrosive.

Tout le corps est revêtu d'une espece d'armure hérissée de soies blanches & brillantes ; les jambes sont aussi couvertes de poils courts & bruns. Voyez Hook microsc. obs. 49. Powers expér. phil. obs. 42. & Bakers, microsc. &c.

Mais le lecteur avide d'autres détails, peut consulter le traité des fourmis de M. Gould, Lond. 1747. in-8°. & à son défaut les Trans. philos. n°. 482. sect. 4. Nous dirons seulement ici que cet habile homme détruit complete ment dans son ouvrage l'idée vulgaire de la prévoyance des fourmis & de leur approvisionnement pendant l'hyver. (D.J.)

FOURMI, (Econom. rustiq.) ces insectes préjudicient beaucoup aux arbres qui portent du fruit, particulierement aux poiriers & aux pêchers ; ils mangent les jets de ce dernier arbre, & les font mourir : c'est pourquoi les Jardiniers cherchent tous les moyens possibles de détruire ces petits animaux nuisibles, & y travaillent sans-cesse. Les uns, pour y parvenir, employent le fumier humain, que les fourmis ne peuvent supporter ; & ils en mettent une petite quantité au pié des arbres qu'elles aiment davantage : d'autres, pour les en écarter, se servent de sciûre de bois qu'ils jettent autour du pié de l'arbre ; desorte que quand elles veulent y monter, elles sentent que le terrein n'est pas ferme sous leurs pattes, & elles se retirent ailleurs : on peut encore employer le mercure, qui est un poison pour ces insectes.

On prend aussi des bouteilles à moitié pleines d'eau miellée ; on en frotte un peu les goulots pour y attirer les fourmis ; quand il y en a beaucoup de prises, on les noye, & on répete le piége jusqu'à ce qu'on les ait détruites : d'autres frottent de miel des feuilles de papier, qu'ils étendent aux environs du passage des fourmis ; elles couvrent bien-tôt ces papiers qu'on leve par les quatre coins, & qu'on jette dans quelque baquet d'eau où elles périssent. Quelques uns font un mélange de miel & d'arsenic en poudre dans des boîtes percées de petits trous de la grosseur d'une fourmi ; & ce moyen en détruit un grand nombre : mais il faut éviter de faire ces trous assez grands pour que les abeilles y puissent passer ; car elles y entreroient avec les fourmis ; & alors elles pourroient par hasard, avant que de mourir, porter de ce miel empoisonné dans leurs ruches.

Quelques jardiniers n'ayant pas le tems de s'occuper de ces minuties, prennent le parti d'entourer le bas des tiges de leurs arbres précieux, de rouleaux de laine de brebis nouvellement tondues : d'autres enduisent ces tiges de goudron ; cependant comme le goudron nuit d'ordinaire aux arbres, je ne puis recommander cette derniere pratique. Mais un des bons moyens de chasser bien-tôt ou de faire périr les fourmis, est d'arroser fréquemment les piés d'arbres & tous les endroits où elles peuvent aborder, parce qu'il n'est rien qu'elles craignent plus que l'eau. Si par tous ces divers stratagèmes, & autres semblables, on ne détruit pas ces insectes, du-moins on en éclaircit beaucoup le nombre, ou on les éloigne des arbres dont la conservation est importante. (D.J.)

FOURMI, oeufs de- (Hist. nat.) c'est le nom populaire qu'on donne à ces petites boules blanches qu'on trouve dans les nids & cellules de fourmis, & qu'on suppose communément être les oeufs de cet insecte ; faute d'avoir considéré que ces oeufs sont plus gros que l'animal même qui leur auroit donné naissance.

Cette idée vulgaire n'est donc qu'une erreur grossiere. Aussi les naturalistes modernes ont démontré que ce ne sont pas là de purs & simples oeufs de fourmis, mais les jeunes fourmis même emmaillottées dans leur premier état d'accroissement, ou plutôt ce sont tout autant de petits vers enveloppés dans une coque très-mince composée d'une espece de soie que les fourmis tirent de leurs corps, comme font les vers-à-soie & les chenilles.

Ces vermisseaux semblent à-peine remuer dans ce premier état ; mais au bout de peu de jours, ils montrent de foibles mouvemens de flexion & d'extension : alors ils commencent à paroître comme autant de fils jaunâtres, & croissent sous cette apparence, jusqu'à-ce qu'ils ayent atteint la grosseur naturelle de la fourmi : ensuite lorsqu'ils ont subi leur métamorphose, ils se présentent sous la forme de fourmi, avec une petite tache noire près de l'anus. Leeuwenhoek croit que cette tache est l'excrément que l'insecte a rendu par cette partie.

Le docteur King a ouvert plusieurs de ces prétendus oeufs ; & tantôt il a vû le vermisseau dans sa premiere origine, & tantôt il a trouvé que ce vermisseau avoit déjà commencé de revêtir la forme d'une fourmi, montrant sur la tête deux petites taches jaunes à l'endroit des yeux, & quelquefois ayant déjà ses yeux aussi noirs que du jayet. Enfin il a souvent trouvé sous l'enveloppe transparente les fourmis parvenues à leur état de perfection, & courant immédiatement après au milieu des autres fourmis.

Les oeufs dont nous venons de faire l'histoire, sont portés par les fourmis chaque matin en été au haut de leurs fourmilieres, où les meres les laissent pendant la chaleur du jour à l'exposition du soleil : mais dans les nuits fraîches, ou lorsqu'elles craignent la pluie, elles les transportent au fond de la fourmiliere, & si avant, qu'on peut creuser jusqu'à la profondeur d'un pié sans les rencontrer. Quand on renverse ces fourmilieres, on voit toutes les fourmis occupées à pourvoir à la sûreté des oeufs qui renferment leurs petits ; elles les emportent en terre hors de la vûe, & recommencent cet ouvrage tout autant de fois qu'on cherche à les déranger : ce sont-là les oeufs qui font la nourriture délicieuse de plusieurs oiseaux, entr'autres des rossignols, des jeunes faisans, & des perdrix.

Les vrais oeufs de fourmi sont une substance blanche, tendre, délicate, douce au toucher, & qui en ouvrant leurs nids, brille à l'oeil comme les petits crystaux de sels, ou les brillans d'un sucre blanc raffiné. Cette substance vûe au microscope, paroît figurée comme de petits oeufs transparens, & formée de pellicules distinctes. On trouve cette même substance dans le corps des fourmis femelles qu'on disseque, & c'est proprement leur frai : quand ce frai est jetté sur terre, ce qui se fait par les meres à la maniere des mouches, on voit les fourmis accourir en nombre pour le couver ; & au bout de quelques jours, il est changé en vermisseau de la grosseur d'une mite.

Leeuwenhoek a tracé le premier très-exactement le progrès de la génération, de l'accroissement, & de la métamorphose des fourmis. On en peut lire l'extrait dans la biblioth. univers. tome XI. Voyez aussi les Transactions philosophiques, n°. 23. p. 426. Swammerdam biblia naturae, & l'article FOURMI, (Hist. nat.) (D.J.)

FOURMI, (Chimie & Mat. med.) les fourmis méritent une considération particuliere dans l'analyse des substances animales, par l'acide connu sous le nom d'esprit de fourmi ; l'huile essentielle, & l'huile par expression qu'elles fournissent. Voyez SUBSTANCES ANIMALES.

Les fourmis sont regardées comme portant singulierement aux voies urinaires & aux organes de la génération, & comme réveillant puissamment l'action des organes ; c'est pourquoi elles passent pour un remede excellent dans la foiblesse des vieillards, dans la paralysie, la disposition à l'apoplexie, la foiblesse de la mémoire, l'impuissance, &c. & cela, soit employées intérieurement en substance, soit extérieurement sous forme de bain ou de fomentation. Tous ces secours sont fort peu usités parmi nous ; on y employe plus souvent, quoiqu'assez rarement encore, l'esprit de fourmis distillé avec l'esprit-de-vin, qui est regardé comme un puissant remede contre la paralysie & contre le bourdonnement des oreilles. (b)

* FOURMI, (Mythol.) les Grecs en général étoient si vains de l'antiquité d'origine, qu'ils aimoient mieux descendre des fourmis de la forêt d'Egine, que de se reconnoître pour des colonies de quelque peuple étranger. Les Thessaliens entêtés apparemment du même préjugé, honoroient ces insectes.


FOURMI-LIONS. m. formica-leo, (Hist. nat.) insecte qui a beaucoup de rapport au cloporte pour la figure du corps, & à l'araignée non-seulement par la figure, mais encore par l'instinct, par sa maniere de filer, & par la mollesse du corps. Le fourmi-lion est d'un gris sale, avec des points noirs, qui sont de petites aigrettes composées de picquans qu'on ne distingue qu'avec la loupe. Le corps est entouré de plusieurs anneaux. Cet insecte a six jambes, dont quatre tiennent à la poitrine, & les deux autres à une partie placée au-devant de la poitrine, à l'endroit du cou. La tête est menue & plate ; elle porte deux antennes ou cornes creuses, dures, longues de deux lignes, un peu plus grosses qu'un cheveu, & crochues par le bout : à la base de chacune de ces antennes, il y a des yeux.

Le fourmi-lion ne vit que d'insectes ; il ne marche qu'en reculant & par petites secousses, ainsi il ne peut pas aller chercher sa proie ; il est obligé de l'attendre, & de dresser des embuches pour l'attirer à soi : c'est pourquoi il se place dans un sable fin & sec, contre un mur, à l'abri de la pluie ; il y creuse une petite fosse ronde & concave ; à cet effet, il commence par courber en-bas la partie postérieure de son corps, qui est pointue, & il l'enfonce dans le sable : il s'enfoüit de cette maniere jusqu'à une certaine profondeur, la tête en-haut : alors il jette assez loin avec ses cornes, par des mouvemens promts & réitérés, le sable qui se trouve sur sa tête ; à mesure qu'il déplace ce sable, il en retombe de nouveau des alentours, il le jette encore ; & enfin il forme une fosse concave qui ressemble à une trémie, au centre de laquelle il reste placé la tête & les cornes en-haut. Pour faire une fosse plus grande, il décrit un cercle avec la partie postérieure de son corps en reculant, & à chaque pas il jette au loin du sable avec ses cornes, ensuite il parcourt l'aire du cercle, en suivant une ligne spirale qui fait plusieurs tours jusqu'à ce qu'il soit arrivé au centre. Il reste-là continuellement pour attendre sa proie, & souvent il l'attend pendant long-tems avant qu'elle arrive ; car il faut que quelque insecte passe sur les bords de la trémie. Comme ce terrein cede sous les piés de l'insecte, à cause de la pente & du sable mouvant, l'insecte tombe nécessairement dans la trémie, & fait rouler du sable qui va au centre sur la tête du fourmi-lion : ce mouvement l'avertit qu'il est tombé un insecte dans la trémie ; aussi-tôt il l'apperçoit, & jette avec ses cornes du sable sur cet insecte, pour le faire descendre jusqu'au centre, malgré les efforts qu'il pourroit faire pour remonter : alors il le saisit avec les extrémités de ses cornes, & le tient long-tems de cette maniere à une distance considérable de la tête, sans que l'on apperçoive, même avec la loupe, aucun aiguillon qui sorte de la tête pour sucer l'insecte. Aussi il est à croire qu'il le suce par le moyen de ses cornes, qui sont creuses, & dans lesquelles on a vû avec le microscope un corps transparent & membraneux qui s'étend d'un bout à l'autre de la concavité de la corne. Ainsi on a observé qu'une mouche que l'on avoit donnée à un fourmi-lion, & qu'il avoit tenue pendant deux ou trois heures entre les extrémités de ses cornes, étoit devenue seche, & qu'on l'avoit réduite en poudre en la froissant entre les doigts.

Le fourmi-lion a été ainsi appellé, parce que les fourmis sont sa proie la plus ordinaire ; cependant il ne peut que les sucer : & lorsqu'il n'en tire plus rien, il jette les restes hors de la trémie, & ensuite il se débarrasse du sable qui s'est écroulé, & il dispose de nouveau la trémie, pour y faire tomber un autre insecte : en l'attendant, le fourmi-lion se passe de nourriture. On en a gardé pendant six mois dans une boîte, où ils ont vécu sans en prendre aucune.

Lorsque le fourmi-lion est parvenu à un certain âge, il ne fait plus de trémie, parce qu'il n'a plus besoin de nourriture ; il pratique alors plusieurs routes irrégulieres dans le sable, & il s'y enfonce pour se métamorphoser : il s'enveloppe, sans changer de forme, dans une coque composée de soie très-fine, d'une sorte de colle, & de sable. La soie vient de la partie postérieure, comme celle de l'araignée. La coque est grosse & ronde ; les parois intérieures sont revêtues, & pour ainsi dire, drapées d'un tissu de soie fort serré, qui ressemble à un petit satin couleur de perle. L'animal reste en repos dans cette coque, la tête entre les jambes, pendant six semaines plus ou moins avant de se changer en nymphe. Lorsque le tems de cette transformation arrive, l'insecte se dépouille de sa premiere peau, à laquelle les cornes, les yeux, & les poils restent attachés, & il paroît sous la forme d'une nymphe qui a environ trois lignes de longueur, quatre aîles membraneuses, six jambes, deux grosses cornes ou antennes molles & creuses, deux yeux noirs, & deux serres en forme de scies, qui lui servent de dents. Cette nymphe reste encore pendant quelque tems dans la coque : enfin l'insecte se transforme en une belle mouche que l'on appelle demoiselle. Il fait une petite ouverture dans la coque ; & en s'insinuant dans cette ouverture, il y laisse la seconde peau. C'est un fourreau membraneux & transparent, qui a la forme des cornes ou antennes, des yeux, des dents, des aîles, des jambes, &c. de la mouche qui en est sortie. On trouve ainsi dans la coque la peau du fourmi-lion, qui est pelotonnée, & quelquefois un oeuf que la mouche y a fait avant d'en sortir : la longueur de cet oeuf est de deux lignes, & l'épaisseur d'une ligne ; il a une coque semblable à celle des oeufs de poule ; mais il n'est pas fécond, puisqu'il a été pondu avant l'accouplement du mâle avec la femelle. Cependant on n'a trouvé qu'un seul oeuf dans le corps de quelques-unes de ces femelles que l'on a ouvertes ; elles sont infécondes, lorsqu'elles le pondent avant les approches du mâle : aussi les fourmi-lions sont assez rares.

La demoiselle du fourmi-lion a quinze ou seize lignes de longueur : en sortant de son fourreau, ses aîles sont courtes & plissées ; mais en deux minutes, elles se développent & deviennent plus longues que le corps. Elle reste d'abord pendant quelque tems sur ses piés sans mouvement, pour se sécher, avant de prendre l'essor. Les demoiselles de cette espece ont deux antennes, qui sont menues près de la tête, & deviennent de plus en plus grosses jusqu'à l'extrémité. Le bout de la queue est hérissé de poils, & les aîles sont d'un blanc cendré, avec quelques points noirs, & sans aucune couleur vive. Elles ont deux gros yeux aux côtés de la tête, & elles different des autres insectes de ce genre, en ce qu'elles n'ont point d'yeux au-dessus de la tête, & que le ventre n'est pas cannelé tout du long. Mém. de l'acad. royale des Sciences, année 1704, p. 235 & suiv. Voyez les mém. pour servir à l'hist. des insectes, tom. VI. p. 333 & suiv. Voy. aussi les Transact. philosophiq. n°. 469. Voyez DEMOISELLE, insecte. (I)


FOURMILIERursus formicarius, s. m. (Hist. nat. Zoolog.) tamandua guacu du Brésil ; animal quadrupede qui a la tête fort allongée, avec une trompe longue d'un pié & plus ; le museau est pointu, & il n'y a dans la bouche aucunes dents ; la langue ressemble à un poinçon ; sa longueur est d'environ deux piés ; elle se replie en double dans la bouche ; mais elle est étendue de toute sa longueur, lorsqu'elle en sort : l'animal la pose sur une fourmiliere, & lorsqu'il la voit couverte de fourmis, il la retire, & il avale ces insectes dont il fait sa nourriture ; c'est pourquoi on lui a donné le nom de fourmilier. Il a les yeux petits & noirs, & les oreilles presque rondes ; la queue est garnie de crins qui la rendent large d'environ un pié ; desorte que l'animal peut s'en couvrir lorsqu'il la redresse : la trompe a plus de quatre pouces d'épaisseur dans le milieu, mais elle est de plus en plus petite jusqu'à l'extrémité ; le cou a cinq pouces de longueur & neuf pouces d'épaisseur : la longueur du corps jusqu'à l'origine de la queue, est d'environ deux piés, & l'épaisseur d'un pié huit pouces. La queue a deux piés trois ou quatre pouces de longueur ; celle des jambes de derriere est d'onze pouces, & les jambes de devant ont un pouce de plus. Il y a dans les piés de derriere cinq doigts, & dans ceux de devant, quatre, dont les deux du milieu sont les plus longs, & ont des ongles de deux pouces & demi de longueur. Les poils du dos sont noirs ; il s'en trouve aussi de blancs : ceux de la tête & du cou ont le moins de longueur ; ils sont dirigés en-avant. Le poil des jambes de devant est blanc, & il y a une tache noire au-dessus de chaque pié, & sur la poitrine une large bande de la même couleur, qui s'étend de chaque côté jusqu'au milieu du corps ; cette bande est terminée en-haut par une ligne blanche. Les jambes de derriere sont noires : tous les poils de cet animal sont durs ; un homme peut l'atteindre à la course. On l'a nommé ursus formicarius, parce qu'il ressemble à l'ours par les piés de derriere & par son poil long & hérissé. Raii synop. meth. anim. p. 241. Voyez QUADRUPEDE.. (I)


FOURMILIERE(Hist. nat.) lieu où les fourmis vivent en société ; elles pratiquent de petites routes en terre, sous quelque abri : telle étoit la fourmiliere qu'a décrit Aldrovande, lib. V. de insect. p. 509. & qu'il trouva sous une poutre. Des fourmis d'une autre espece entassent différentes matieres, & forment sur la terre une éminence qui a la forme d'un cône, & dans laquelle il se trouve diverses routes & des cellules où les fourmis habitent, où elles déposent leurs oeufs, leurs nymphes, & toutes les choses dont elles se nourrissent. D'autres fourmis construisent des nids sur des arbres, & les cimentent avec de la terre, pour se garantir de la pluie. Voyez ci-devant FOURMI. (I)

FOURMILIERE, (Econom. rustiq.) Ces petits monceaux de terre que les fourmis forment en cône pour leur demeure & la nourriture de leurs petits, causent un grand dommage aux prairies seches des pays chauds, & non-seulement en diminuant d'autant le fourrage qui y est précieux, mais encore en altérant la seve de l'herbe, & ne laissant qu'une nourriture pernicieuse au bétail affamé.

La bonne méthode de ruiner toutes fourmilieres, consiste à les découper depuis le sommet en quatre parties, & ensuite à creuser dans chacune assez profondément pour détacher la racine de la fourmiliere : alors il faut en retourner la terre, & l'abaisser un peu plus que le niveau du reste du terrein : ce moyen rendra cette terre plus humide, & empêchera les fourmis de rebâtir leurs logemens dans la même place : la terre de la fourmiliere qu'on vient de détruire doit être jettée de toutes parts à une assez grande distance : sans quoi les fourmis ne manqueroient pas de se rassembler de nouveau, & de construire pour leurs besoins une habitation voisine.

Le tems propre à l'opération dont il s'agit ici, est l'hyver, parce que la gelée & les pluies de cette saison contribuent beaucoup à la destruction des four mis : mais alors il faut avoir soin de semer au printems de la graine de sain-foin ou de luzerne sur la terre qui est nue & pelée : autrement elle produiroit infiniment moins d'herbe que les autres endroits.

Dans quelques pays, où le nombre des fourmilieres est fort nuisible, on se sert d'un instrument fait exprès pour les couper ; c'est une bêche pointue & taillée en croissant, de maniere que tout le tranchant de la bêche fait plus que les trois quarts d'un cercle : aussi coupe-t-elle de tous côtés, & par conséquent expédie très-promtement : enfin on peut employer au même usage les instrumens particuliers qui ont été imaginés pour détruire les taupinieres. (D.J.)

FOURMILIERE, s. f. (Med.) en latin formica, maladie des paupieres. C'est une petite excroissance charnue qui croît dans l'intérieur ou l'extérieur des paupieres ; cette excroissance a la base large diminuant vers le haut, calleuse, quelquefois noirâtre, mais le plus souvent rougeâtre, blanchâtre, ou de la couleur de la peau, couverte de plusieurs tubercules semblables aux grains d'une mûre ; d'où vient qu'on l'appelle encore verrue mûrale. On la nomme fourmiliere, parce que par le grand froid, ou dans certains tems, elle cause des douleurs qui imitent les picotemens des fourmis. Nous parlerons de la maniere de détruire les verrues mûrales, en traitant des autres verrues qui attaquent les paupieres, dont il importe de faire un article général. Ainsi voyez VERRUE DES PAUPIERES. (D.J.)


FOURNAGES. m. (Jurisprud.) est le droit que le seigneur prend par chacun an, ou autrement, sur ceux qui sont obligés de faire cuire leur pain en son four banal, ou pour la permission de le cuire en leurs maisons. Voyez le glossaire de M. de Lauriere au mot fournage.

Ce terme se prend aussi quelquefois pour foüage ou feu, à cause du fourneau ou cheminée. Voyez ci-devant FOUAGE. (A)


FOURNAISES. m. (Gramm.) espece de four où l'on pourroit allumer un grand feu. Nous ne connoissons plus de fournaise ; & ce mot n'est guere employé que dans cette phrase, & quelques autres : L'ame s'épure dans l'adversité, comme le métal dans la fournaise ; les trois enfans de la fournaise.

FOURNAISE, ancien terme de Monnoyage, étoit l'endroit où les ouvriers s'assembloient pour battre les carreaux sur le tas ou enclume, pour flatir & réchauffer les flancs.


FOURNALISTES. m. en terme de Potier de terre, est l'ouvrier qui fait toutes les grosses pieces comprises sous le nom général de fourneaux. Voyez FOURNEAUX à l'article POTERIE. C'est encore un ouvrier qui fait tous les vaisseaux de Chimie en terre en usage dans les laboratoires, les atteliers des Artistes, & les cuisines.

Les fournalistes ne sont point du corps des Potiers de terre. Il n'appartient qu'aux fournalistes de faire les fourneaux de ciment, qui servent aux hôtels des monnoies, aux affinages & fontes de métaux, aux distillations ; enfin à tous les ouvrages d'Orfévrerie, de Fonderie, & d'opérations de Chimie.

C'est pareillement à eux seuls qu'il appartient de faire & vendre toutes sortes de creusets, de quelque forme & grandeur, & de quelque usage que ce soit. Outre les ouvrages de terre ordinaire pour lesquels ils dépendent de la communauté des Potiers, ils ne dépendent que de la cour des monnoies. C'est pardevant le procureur général de cette cour qu'ils font leur chef-d'oeuvre, sont reçus maîtres, & prêtent serment.

Cette petite communauté n'a point de jurés ; la cour des monnoies leur en tient lieu.

L'apprentissage est de cinq ans ; & le service chez les maîtres après l'apprentissage, de deux autres années.

Le fils de maître ne doit que la simple expérience, & l'apprentif étranger le chef-d'oeuvre. L'un & l'autre leur est donné à la cour des monnoies, où l'aspirant est reçu à la maîtrise ; son brevet d'apprentissage & ses lettres de maîtrise enregistrés, aussi-bien que la réception du serment qu'il y fait.

Les veuves joüissent des priviléges de la maîtrise de leurs maris ; elles ne peuvent cependant obliger de nouvel apprentif, mais seulement achever celui qui est commencé. Elles peuvent travailler par elles-mêmes ou faire travailler des compagnons.

Les maîtres ne peuvent vendre des fourneaux & des creusets propres aux fontes des métaux ou aux distillations, qu'à gens connus, ou avec permission obtenue par écrit des officiers de la cour des monnoies. Ils ont liberté entiere pour la vente des autres ouvrages de terre ordinaire.

La matiere dont on fait les fourneaux & les creusets, est partie de ciment & partie de terre glaise, bien courroyés ensemble. Le ciment ne doit être que de grès de pot-à-beurre pulvérisé & bien battu, le ciment de tuileau n'y étant pas propre.

Les outils sont en petit nombre & simples. Un maillet ou masse de bois à long manche, dont la tête est armée de clous. Il sert à battre le ciment ; un petit rabot aussi de bois, ou plus simplement une palette faite d'une douve, à le courroyer & le mêler avec la terre glaise.

Les fourneaux se font à la main avec la seule palette que l'on poudre de sablon, afin qu'elle ne s'attache point à la terre. Les creusets ont des moules de bois plus ou moins grands, suivant l'ouvrage, & de la figure de l'ouvrage même. Ces moules se tiennent par une queue ou manche aussi de bois ; & après les avoir saupoudrés d'un peu de sable, on les couvre à discrétion d'autant de terre bien courroyée qu'on le croit nécessaire, qu'on arrondit ensuite tout-autour, & qu'on applatit par-dessous avec la palette.

Il y a de grandes & de petites palettes, de quarrées, de longues, & en triangle. Ces dernieres sont un peu tranchantes, & servent comme de couteau pour enlever ce qu'il y a de trop de matiere, & réduire l'ouvrage à sa juste épaisseur. On les appelle palettes, parce qu'en effet les plus grandes ressemblent à celles dont les enfans se servent dans quelques-uns de leurs jeux.

Des bâtons longs, ronds & pointus, de diverses longueurs & de différens diamêtres, servent à ouvrir les trous, qu'en terme de l'art on appelle des registres, qu'on laisse aux fourneaux pour, en les bouchant ou en les laissant ouverts, y entretenir le dégré de feu convenable. Ces bâtons, à cause de leur figure, se nomment des fuseaux.

Outre les fourneaux & les creusets, les Fournalistes ne font guere que des réchaux & des especes de fourneaux quarrés, mais plus longs que larges, dont les blanchisseuses se servent pour chauffer leurs fers-à-repasser. Ces sortes d'ouvrages sont aussi de grès de pot-à-beurre, de même que les fourneaux d'une nouvelle invention propres à faire du café. Dictionnaire & réglemens du Commerce.

Cet état demanderoit beaucoup plus de connoissance d'Histoire naturelle, de Physique & de Chimie, que ces ouvriers n'en ont communément.


FOURNEAUFOURNEAU

FOURNEAU SUPERFICIEL, terme de Fortification qui signifie la même chose que caisson. C'est une caisse remplie de trois, quatre, cinq ou six bombes, & souvent remplie simplement de poudre. On s'en est servi dans les siéges pour faire sauter les logemens du chemin couvert & du fossé sec ; mais ces caissons ne sont plus guere d'usage. On leur a substitué les fougasses. Voyez ci-dev. FOUGASSE ou FOUGADE. (Q)

* FOURNEAU, chez les Bimblotiers faiseurs de dragées pour la chasse ; c'est un massif de maçonnerie qui entoure une chaudiere de fer dans laquelle on fond le plomb dont on doit faire les balles ou dragées. Voyez la Planche de la fonte des dragées. C est le fourneau ; A la chaudiere, autour de laquelle sont deux anneaux de fer qui garantissent la maçonnerie du fourneau du frottement des moules qui la détruiroit en peu de tems ; D l'ouverture par laquelle on met le bois allumé sous la chaudiere ; E la cheminée du fourneau par laquelle la fumée du bois qui est sous la chaudiere passe dans la grande cheminée F qui couvre tout le fourneau, d'où elle se perd hors de l'attelier ; B une ouvriere assise près du fourneau, & qui tient un moule dans ses mains qu'elle ouvre pour en faire sortir la branche (voyez BRANCHE), qu'elle tire avec des béquettes, sorte de pinces plates ; les branches sorties du moule sont posées à terre sur un ais placé en G à côté de l'ouvriere.

FOURNEAU à fondre les caracteres d'Imprimerie ; il est fait de la terre dont se servent les Fournalistes pour la fabrique des creusets, mais moins fine. C'est un mélange de ciment de pot-à-beurre cassé & de terre glaise petris ensemble ; sa grandeur ou hauteur est de 18 à 20 pouces, 10 à 12 de diametre, sur deux piés & demi de longueur. Il est séparé en deux dans la hauteur ; on met le bois dans la partie supérieure, au bout de laquelle est une grille aussi de terre qui donne l'air qui est nécessaire pour faire allumer le bois. La partie inférieure est composée du cendrier & des ventouses pour l'air ; on pose sur la partie supérieure dudit fourneau la cuilliere dans laquelle est le métal qui est toûjours en fusion par le feu continuel qui est dessous. Depuis la grille jusqu'à la partie supérieure, on ménage une ouverture sur laquelle on met un tuyau de tôle, qui sert de passage à la fumée qui s'échappe hors l'attelier. Voyez les Planches de la Fonderie en caracteres.

* FOURNEAU, (Chapelier) Ces ouvriers en ont de trois sortes : un qu'ils mettent sous les plaques, lorsqu'ils bâtissent & dressent ; un plus grand dans la foulerie sous la petite chaudiere, qui contient l'eau chaude & la lie à fouler ; un troisieme très-grand sous la chaudiere à teinture. Ces fourneaux n'ont rien de particulier, qu'on n'apperçoive d'un coup-d'oeil sur les Planches. Voyez les Planches de Chapellerie & leur explication.

* FOURNEAU, (Cuisine) c'est un ouvrage de maçonnerie qui est fait de brique, qui a environ trois piés de haut, & sur lequel sont scellés des réchaux qui déposent leurs cendres dans une espece de voûte pratiquée sous le fourneau, & à-peu-près vers le milieu. Le bâti qui soûtient cette maçonnerie est de pierre. Les contours de la partie supérieure sont garnis & liés de bandes de fer.

FOURNEAU DES GRANDES FONDERIES ; voyez l'article BRONZE.

FOURNEAU DES USINES EN CUIVRE ; voyez l'article CUIVRE.

FOURNEAU DES USINES EN FONTE ; voyez ci-devant à l'article FORGE, FORGES (GROSSES-).

FOURNEAU DES USINES EN FER ; voyez aussi ci-devant à l'article FORGES (GROSSES-).

* FOURNEAU des Tailleurs de limes ; c'est une espece de moufle faite de brique. Le tailleur de limes les y renferme avec la suie, & autres matieres de la trempe en paquet. Voyez l'article TREMPE. Voyez aussi Planches de Taillanderie & FOURNEAU, 9 le fourneau, 5 son cendrier, l les supports de la grille qui porte le paquet.

FOURNEAU, chez les Mégissiers ; voyez l'article CHAMOISEUR.

FOURNEAU DES FONDEURS EN SABLE ; voyez à l'article SABLE, FONDEUR EN SABLE.

* FOURNEAU, (Plombiers) ils en ont trois ; la fosse, la poesle, & le fourneau à étamer.

Ils fondent dans la fosse le plomb destiné pour les grandes & petites tables ; & c'est-là qu'ils jettent aussi d'autres ouvrages. Voyez l'article FOSSE.

La poesle est une partie de la fosse. Voyez le même article & l'article POESLE.

Le fourneau à étamer est un chassis quarré de grosses pieces de bois ou massif de maçonnerie, sur lequel est un foyer de brique. Il est élevé de terre d'environ deux piés & demi, sur quatre piés de longueur, & presque la même largeur ; il est bordé de brique ou de terre grasse tout-autour ; mais le rebord est plus haut par-derriere & par-devant, que par les côtés : c'est-là que les Plombiers étament. Voy. l'article ETAMER.

Leur étamage occupe deux ou trois ouvriers qui tiennent la piece à étamer élevée au-dessus du fourneau, jusqu'à ce qu'elle ait pris le degré de chaleur convenable. Voyez nos Planches de Plomberie & leur explication.

* FOURNEAU, (Potier d'etain) il est comme le fourneau de cuisine, fait de brique, long d'environ huit à dix pouces, de la même profondeur, large de six à sept pouces, ouvert par-devant, coupé par une grille qui porte le charbon. On y met chauffer les fers à souder ; fondre l'étain dans la cuilliere à jetter les anses ou autres garnitures, &c. Les Potiers d'étain ont des fourneaux portatifs de fer, de tôle ou de brique, qui leur servent aux mêmes usages.

* FOURNEAU, en termes de Raffineur de sucre, est un massif de brique à plusieurs feux, d'environ six piés de large sur quinze de long ; il est ordinairement chargé de trois chaudieres, séparées par des élévations triangulaires, sous lesquelles sont les évents des fourneaux. Au-dessous des chaudieres qui y sont descendues jusqu'à un pié de leur bord, sont des grilles sur lesquelles on jette le charbon, & qui donnent passage aux cendres & au vent qui vient des aspiraux. Voyez ASPIRAUX. Ce fourneau est fermé sur le devant d'une porte de fer, couvert de plomb & garni de trois poeslettes. Voyez POESLETTE & nos Planches.

FOURNEAU, (Fontaines salantes) Voyez les articles SEL & SALINES.

FOURNEAU des Teinturiers. Voyez l'article TEINTURE.

FOURNEAU de Verrerie ; voyez l'article VERRERIE.

Il y a dans les Arts un beaucoup plus grand nombre de fourneaux ; mais nous croyons devoir en renvoyer la construction & les usages aux articles principaux de ces Arts.

FOURNEAU, (Chimie philosophique.) furnus de furvus, c'est-à-dire noir ; in furnum calidum condito, Plaut. cas. act. II. scene v. vers 1. Il se rend encore en latin par fornax & fornacula, qui ont de même été employés forcément pour signifier les fourneaux dont nous avons à parler, pendant qu'il est évident qu'ils ont toûjours désigné de grands fours ou fourneaux : quantis fluerent fornacibus aera effigies ductura tuas. Claud. &c. Les fourneaux sont des ustensiles destinés à contenir la pâture du feu, & à appliquer cet élément comme instrument aux substances qu'on veut changer par son action : on peut les ranger parmi les vaisseaux. Nous allons proposer des exemples des différentes especes de ceux que des travaux assidus & une longue suite d'expériences ont perfectionnés, notre but n'étant point d'en donner un traité complet, c'est-à-dire une vaste compilation de tout ce qui a été fait de bon & de mauvais dans ce genre. La plûpart de ceux qui se trouvent dans nos Planches sont représentés avec les vaisseaux qu'on a coûtume de leur adapter, afin de donner une idée des différens appareils. Ici il ne sera question quant au fond que des fourneaux : si on y parle des vaisseaux, ce ne sera qu'en passant ; réservant pour leur article le détail qu'ils exigent chacun séparément, la maniere de les ajuster ensemble & avec leurs fourneaux ; ensorte que par cette réunion qui porte le nom d'appareil, il y sera question des fourneaux, comme ici des vaisseaux.

Pour observer quelqu'ordre, nous tirerons notre division des opérations.

Des fourneaux à distiller par ascension. Ce sont ceux qui se trouvent représentés dans nos Planches de Chimie, fig. 2. 14. 76. 84. 96. & 123. Du-moins ce dernier-ci l'est-il en partie ; celui de la fig. 2. est fait en terre. Il a un pié 10 pouces de haut, sur quatorze pouces de diametre à sa partie inférieure, & dix-sept à la supérieure, hors d'oeuvre. Voyez son explication. On commence par faire une plaque circulaire de terre épaisse de deux pouces, & on éleve les parois de la même épaisseur. Il est divisé en trois corps ; l'inférieur a sept pouces de haut : on l'appelle le cendrier, cinerarium, conisterium ; on y ouvre une porte ou soupirail large de cinq pouces, & haute de trois. Cette porte est embrasée ; on peut toutefois se dispenser de séparer ce corps du suivant : celui-ci s'appelle le foyer, focus, pyriaterium : il a huit pouces & demi de haut ; à sa partie inférieure il a trois ou quatre pitons en terre pour soûtenir une grille de fer ; ces pitons paroissent imités de ceux que le Fêvre met dans son fourneau à lampe. Immédiatement au-dessus de cette grille est la porte ou bouche du foyer ; elle est large & haute de trois pouces & demi, & sémi-circulaire par sa partie supérieure ; au milieu de ce corps extérieurement sont deux poignées ou anses de terre pour le manier aisément. Reste enfin le troisieme corps ou supérieur qu'on appelle l'ouvroir, le laboratoire, ergasterium : celui-ci n'a rien de particulier que trois ou quatre trous faits à sa partie supérieure pour servir de regîtres. Ces trous vont de bas en haut, & sont très-larges intérieurement. Au-dessus, dans le bord intérieur & supérieur de ce corps est un rebord de terre appliqué dans le tems qu'on a fait le fourneau, qui sert à éloigner le vaisseau distillatoire de ses parois : ce fourneau est donc conique. Il est mieux de le faire d'une seule piece que de trois ; on le relie avec de gros fil d'archal pour le soûtenir & empêcher qu'il ne se fende ; on s'en sert pour distiller avec l'alembic de cuivre polychreste ; on le monte ordinairement sur un pié-d'estal qui le met plus à portée des mains de l'artiste.

La grille, craticula, doit être faite premierement d'un cercle de fer auquel on cloue de petites barres de cinq ou six lignes d'équarrissage, posées en losange, & éloignées de cinq ou six lignes aussi les unes des autres. Cette disposition a pour but de favoriser la chute des cendres & des petits charbons qui pourroient nuire au passage de l'air. C'est par la même raison qu'il faut que la grille soit de telle grandeur, qu'il y ait un bon doigt entre sa circonférence & les parois du fourneau. Nous parlerons plus particulierement dans la suite de la maniere dont on construit un fourneau en terre, & nous dirons les raisons de la plûpart des faits que nous avons avancés.

Ce fourneau doit être garni de ses portes pour le soupirail & la bouche du feu. On les trouve marquées lettres o p ; ces deux portes sont les mêmes pour le fourneau que nous venons de décrire, & pour celui de la fig. 1. La porte o est creusée par deux petites fossettes faites de façon qu'on peut le prendre avec des pinces ou les doigts, & la porte q a une petite poignée pour le même sujet. Il est bon de remarquer que cette poignée ne peut la faire tomber, par la raison qu'elle porte sur une mentonniere ou saillie extérieure qui est de niveau avec la bouche du feu. Nous n'avons point donné ici de grille en particulier ; nous aurons assez occasion d'en voir dans la suite. Ce fourneau n'est que celui de la Pl. V. de Lémery, dont on a ôté le dôme. On le trouve communément chez les fournalistes de Paris.

Le fourneau marqué fig. 14. ne differe guere du précédent que par ses dimensions ; il est destiné aux cucurbites de verre basses. Il est de terre & a treize pouces de haut sur dix & demi de diametre par le bas, & un pié par le haut hors d'oeuvre. Le sol du cendrier, ainsi que les autres parois, sont épais d'un pouce & demi ; il est d'une seule piece ; son soupirail est large de trois pouces & haut de deux ; la bouche du feu est arquée & a les mêmes dimensions ; la grille est éloignée de trois pouces du sol du cendrier ; il a deux anses de terre extérieurement, quatre regîtres au haut comme la fig. 2. & une grille de la même façon : mais à trois ou quatre pouc. au-dessus la grille, sont deux trous qui percent ses parois de part en part, destinés à recevoir une barre de fer capable de soûtenir le vaisseau qu'on y met ; il lui faut aussi deux portes comme à la fig. 2.

Le fourneau de la fig. 76. destiné à renfermer entierement une cucurbite, peut être considéré comme celui de la fig. 2. à laquelle on a ajusté un dôme, fornix ; il est de terre & conique également ; il est haut de deux piés deux pouces ; il a neuf pouces de diametre par le bas, & quatorze à la partie la plus large de son dôme hors d'oeuvre ; il est communément divisé en quatre corps ; le premier ou cendrier & les deux suivans sont hauts de sept pouces, & le dôme l'est de cinq ; le sol du cendrier & les parois des autres corps ont deux pouces d'épais, excepté que le dôme est un peu aminci vers sa grande ouverture. La porte du cendrier est large de trois pouces & haute de deux ; la grille ni ce qui la porte n'ont rien de particulier. La bouche du feu qui se trouve au second corps est large & haute de trois pouces, & demi-circulaire par le haut ; il est comme les précédens muni de deux anses ; le troisieme corps ou l'ouvroir n'a rien de particulier : ce n'est qu'un cercle de terre fait en cône renversé. Dans l'endroit où il se joint avec le second, on a fait au bord supérieur & intérieur de celui-ci quatre échancrures pour loger deux barres de fer. Ces deux barres destinées à soûtenir la cucurbite, sont également éloignées entr'elles & des parois du fourneau ; elles sont paralleles : ainsi on sait la situation des échancrures ; on a soin de les creuser ou de choisir les barres, de façon que le second & troisieme corps du fourneau joignent bien ensemble. Au reste une seule barre peut suffire, quoique deux ne nuisent pas & fassent même mieux. Le quatrieme corps ou dôme est une espece de voûte demi-circulaire, qui a au milieu de son élévation un trou assez grand pour passer le col d'une cucurbite de terre ou de verre. On voit dans sa partie inférieure quatre trous servant de regîtres. Il seroit mieux pour donner plus de chaleur, de les faire le plus près du grand qu'il seroit possible ; mais alors le chapiteau en seroit échauffé. Les portes dont nous avons parlé, sont comme celles des fourneaux précédens, faites en embrasure & garnies chacune de leur fermeture. On met aussi ce fourneau sur un pié-d'estal convenable ; ce pié-d'estal au reste ne sert pas plus pour l'élever que pour le garantir de l'humidité que les corps chauds ne manquent pas d'attirer, & des inégalités du pavé qui l'endommageroit. Il est le même que le fourneau de reverbere qu'on voit Pl. V. dans Lémery.

On observera que les corps des trois fourneaux que nous venons de décrire s'agencent ensemble au moyen d'une languette qu'on pratique à la partie supérieure du corps inférieur, & d'une rainure faite à l'inférieure du supérieur. Ainsi placée elle ne se remplit pas d'ordures qui empêchent les deux corps de s'ajuster exactement ensemble, & font toûjours perdre du tems. La languette & la rainure ont à-peu-près le tiers de largeur de l'épaisseur des corps.

La fig. 84. n'est guere remarquable que par son vaisseau ; le fourneau qui en fait partie ne différe de la fig. 14. qu'en ce qu'il est cylindrique. On peut le faire en tôle comme en terre ; mais on garnit la tôle comme nous le dirons des fourneaux de fusion. Le cendrier fait environ un tiers de sa hauteur totale, & est ouvert aux deux côtés par deux trous qui servent à transmettre le col de deux cornues qui reçoivent leur chaleur du foyer supérieur. Ainsi ce corps doit être séparé du foyer ; les portes n'ont rien de particulier ; elles sont toûjours en proportion avec les regîtres, le diametre du fourneau, & ce qu'on doit y introduire. Les regîtres sont pratiqués un peu au-dessous du bord inférieur de la partie qu'on peut appeller l'ouvroir, quoiqu'elle ne soit pas séparée du reste ; la grille est comme à l'ordinaire. Il faut pourtant remarquer que, comme la cucurbite ou vessie ne remplit pas exactement le fourneau par le haut, il est souvent nécessaire d'avoir un cercle de tôle ou de terre qui soit posé sur les bords supérieurs du fourneau pour boucher l'intervalle que laisse la cucurbite. Nous ne parlons point des soûtiens qu'on y voit attachés ; peu importe qu'ils tiennent au fourneau, ou qu'ils en soient isolés. Les fermetures des portes sont de tôle, & roulent sur des gonds. Nous détaillerons dans la suite des fourneaux qui répandront beaucoup de clarté sur la construction de celui-ci qui se trouve page 316. de Libavius.

La fig. 96. est un fourneau en briques ; il est quarré extérieurement ; il doit être rond intérieurement ; il a un cendrier, une grille, un foyer, un ouvroir, & quatre regîtres comme les précédens. La porte du foyer est quarrée, parce qu'il est plus aisé de lui donner cette figure avec des briques. Au reste, peu importe celle qu'elle aura, soit dans ce fourneau, soit dans ceux qui précédent ; il faut des fermetures à l'ordinaire. Il est dans Manget, Pl. X. & en remontant dans Lémery, Pl. II. qui l'a pris dans la Pl. IV. de Charas, qui l'a pris dans la Pl. I. de le Fêvre, tome I. Ce dernier le tient de Béguin, p. 162.

La fig. 123. représente un fourneau, au moyen duquel on peut distiller par en-haut & par le côté tout-à-la fois. Comme cette espece de fourneau est mixte du côté de l'opération, & que les vaisseaux qu'il contient le sont aussi, nous n'en donnerons la description qu'à l'article VAISSEAUX. Voyez Libavius, page 322.

On a vû que les fourneaux que nous venons de décrire ne différent pas essentiellement entr'eux ; nous ajoûterons ici que quand ils sont extrèmement grands, & qu'ils doivent recevoir un alembic de cuivre de deux piés de diamétre, par exemple ; on les fait en briques, comme celui de la fig. 96. & l'on ne fait pas le foyer de toute la largeur de la cucurbite, parce qu'il se consumeroit trop de bois inutilement.

Nous mettrons encore les fourneaux à lampe au rang de ceux qui servent à la distillation ascensoire. On en trouve deux dans nos Planches, marqués fig. 64. & 65. Le premier est un cylindre creux de tôle, de cuivre, ou de laiton, qui a environ neuf pouces de haut sur sept ou huit de large ; il a une ouverture au-bas pour recevoir le canal d'une lampe à pompe qui brûle à trois ou quatre meches ; on y brûle de l'huile d'olives à vil prix, ou de l'huile de navette ; mais il vaut mieux, si l'on peut, n'employer que celle d'olives, parce que celle de navette donne une forte odeur qui incommode. D'ailleurs elle produit plus de champignons que l'autre, toutes choses égales d'ailleurs. On aura soin de faire les lumignons courts, terminés en un petit pinceau, & assez gros pour remplir exactement les petits tuyaux par lesquels ils passent ; on allume le nombre de meches nécessaire au degré de feu qu'on veut donner. Ce fourneau se trouve dans Libavius, d'où il a passé successivement dans les ouvrages de Béguin, de Sgobbis, connu sous le nom de Montagnana sa patrie, de Lémery, & de M. l'abbé Nollet, t. IV. de ses leçons de Physiq. expérim. mais avec quelques accessoires différens.

Le second, dont nous croyons le Fêvre l'inventeur, ou tout au-moins celui qui le premier en a donné la description, se trouve aussi tome II. de la bibliotheque pharmaceutique de Manget, Pl. XI. fig. 2. On le voit dans la II. Planche de le Fêvre, & il est marqué fig. 65. dans les nôtres. Ce fourneau, dit l'auteur où nous l'avons pris, peut servir à plusieurs opérations de chimie capables de satisfaire & de piquer les plus curieux. Il doit être fait d'une bonne terre bolaire, compacte, bien pétrie, bien liée, & bien cuite, afin que la chaleur de la lampe s'y conserve bien. Si l'on craignoit qu'elle ne transpirât, on pourroit enduire le dehors & le dedans du fourneau, après sa cuisson, avec des blancs-d'oeufs qu'on auroit réduits en eau par une continuelle agitation.

Ce fourneau doit être de trois pieces, qui auront en tout 21 pouces de haut. Il sera épais d'un pouce, & en aura 8 de diametre dans oeuvre. La premiere piece ou base en aura huit de hauteur ; son sol sera percé d'un trou de 4 pouces & demi de diametre. Cette ouverture est faite pour le passage de la lampe qui en aura 3 de diametre, & 2 de profondeur. Cette lampe sera ronde & couverte d'une platine ayant dans son milieu un trou environné de six autres également éloignés entr'eux, & de celui du milieu. Chacun de ces trous sera assez grand pour admettre une meche de 12 fils au plus. Le second corps aura 7 pouces de haut ; il faut qu'il s'emboîte juste dans le premier, & qu'il ait quatre pattes de terre qui ayent un pouce de saillie dans le fourneau, pour soûtenir un vaisseau de terre ou de cuivre qui aura six pouces de diametre & quatre de haut. Ce vaisseau de terre est une capsule dans laquelle on mettra à volonté de l'eau, des cendres, ou du sable, pour servir d'intermede & faire un bain qui en tirera son nom. Ce que nous disons ici, est une modification qui ne se trouve point dans la figure. Car on n'y voit qu'un petit rebord saillant d'un pouce tout-autour, qui soûtient un trépié ; ainsi on pourra choisir. Il faut aussi que cette seconde piece ou corps soit percé de deux trous à l'opposite l'un de l'autre, d'un pouce & demi de diametre. On y ajustera deux crystaux de Venise. Ces deux trous doivent être pris à la hauteur de 4 pouces du second corps, & ne lui laisser conséquemment qu'un pouce & demi au-dessus d'eux. Tout vis-à-vis, dans le vaisseau qui enferme l'oeuf philosophique, seront ouvertes deux autres fenêtres, auxquelles on ajustera aussi deux verres pour voir le changement des couleurs, &c. dans l'opération, au moyen d'une chandelle qu'on mettra à la fenêtre opposée à celle à laquelle on regardera. La troisieme piece du fourneau doit être de 6 pouces, pour achever les 21 pouces de la hauteur entiere. Elle doit être faite en dôme ou en hémisphere, & avoir dans son milieu un trou d'un pouce de diametre. Il servira à recevoir plusieurs pieces pyramidales de trois lignes chacune, ayant un rebord qui s'appliquera sur le bord du trou, qu'on bouchera par ce moyen autant & aussi peu qu'on le voudra. On aura une autre piece aussi pyramidale, qui fermera le milieu s'il est nécessaire. Il faut qu'il y ait encore quatre autres trous faits comme le premier. Ils seront faits dans le troisieme & quatrieme pouce de la hauteur, & également éloignés les uns des autres. Ce sont ces trous qui servent de regître au fourneau de lampe, c'est-à-dire au moyen desquels on gouverne la chaleur ; sans compter qu'on remplit encore les mêmes vûes par l'éloignement ou l'approximation de la lampe. Cette lampe sera posée sur un rond de bois ajusté sur une vis qui l'élevera ou l'abaissera à volonté. On changera encore le degré de chaleur selon les différentes opérations, en allumant plus ou moins de meches, & les faisant avec plus ou moins de fils chacune. Mais on ne fixe guere bien le degré de chaleur au point où il convient, qu'au moyen d'un thermometre qui peut s'introduire aisément dans le fourneau. On pourra rectifier les huiles dont on se servira pour la lampe, sur de l'alkali fixe bien calciné. Par-là elles donneront moins de suie & plus de chaleur, parce qu'on leur enleve leur humidité & mucosité. Les meches doivent être d'or, ou d'alun de plume, ou d'amiante. On peut cependant leur substituer la moëlle de sureau ou de jonc bien desséchée, qu'on changera toutes les 24 heures ; ce qui fait qu'il faut avoir deux lampes qu'on substituera l'une à l'autre, afin qu'il n'y ait aucune interruption dans la chaleur. Si on employe la moëlle de sureau, il faut qu'il y ait une petite pointe de fer aiguë, qui soit soudée au fond de la lampe, & qui réponde au milieu du trou du couvercle qui doit contenir la meche. Ce couvercle peut encore être flottant, au moyen de quelques petits morceaux de liége, selon une méthode qui est trop connue pour que nous en parlions davantage.

Au reste, il est évident que ces fourneaux de lampe, particulierement ce dernier, & même tous ceux dont nous avons parlé jusqu'ici, sont employés à d'autres opérations. Nous en parlerons en son lieu.

Les fourneaux à capsule qui sont indiqués dans les auteurs latins sous le nom de furni catinarii, doivent être aussi placés avec les fourneaux à distiller par ascension, soit parce qu'ils y servent souvent, soit parce qu'ils sont du genre des autres bains, qui trouveront ici leur place. Ces fourneaux sont principalement de deux especes ; ou ils servent par emprunt aux capsules, ou bien ils y sont particulierement destinés ; & cette seconde espece se trouve quelquefois comprise sous le nom d'athanor. Quant à la premiere, elle est composée d'individus semblables à quelques uns de ceux que nous avons déjà mentionnés, & à d'autres que nous verrons dans la suite sous le nom de fourneau de distillation latérale, & même d'athanors. Aussi n'en avons-nous représenté qu'un, pour l'appareil dont il est suivi ; c'est celui de la figure 13. il ressemble parfaitement à la fig. 14. ainsi nous n'en donnerons point de description. Nous dirons seulement un mot en passant du vaisseau d'où ils tirent leur dénomination.

Une capsule est un petit vaisseau hémisphérique de terre, de tôle, ou de fonte, & souvent une poële dont on a coupé la queue, ou ce que les officiers appellent un diable, qui sert à contenir l'intermede sec dont on se sert quand on ne veut pas exposer un corps à feu nud.

La seconde espece est un genre particulier, dont nous n'avons point encore vû d'exemple jusqu'ici. Nous renverrons à leur place ceux dont quelqu'accessoire a changé le nom. Ainsi nous ne parlerons ici que de la fig. 23. qui est un fourneau à capsule propre, ou un bain de sable uniquement employé à ce dont il porte le nom. On l'a pris dans la Planc. IV. tom. I. de Schlutter, qui l'employoit à départir. On apprendra par la suite que l'usage du bain de sable est très-étendu. L'auteur en question s'en servoit à placer plusieurs matras ou cucurbites. Pour cet effet, on construira des murs de briques, dont la longueur en-dehors sera de 4 piés sur 2 piés de large, & la hauteur de 2 piés 3 pouces. Il aura en-dedans un pié de large sur 3 piés de long à l'endroit du foyer. Son soupirail sera de 9 pouces en quarré. Le cendrier regnant dans toute la longueur du fourneau, sera de même largeur. Au-dessus seront des barres de fer posées sur un petit mur d'appui qui se trouve tout fait par cette construction. Ces barres serviront de grille à la chauffe ou foyer. A quelques pouces au-dessus du foyer, seront maçonnées au même tems que la brique, des barres de fer pour soûtenir une plaque de tôle épaisse, sur laquelle on mettra le sable. Au bout du fourneau est un regître pour l'issue de la flamme & de la fumée. On lui ajuste un tuyau de poêle qu'on porte dans une cheminée, &c.

Les différentes especes de bains ne sont que des fourneaux semblables à quelques-uns de ceux dont nous avons déjà parlé, mais qui portent des noms différens, relativement à l'intermede qui constitue ce bain. Ainsi nous ne parlerons pour le moment que d'un seul fourneau particulierement destiné au bain-marie. Ce fourneau ne differe du précédent qu'en ce qu'au lieu d'une simple plaque de tôle ou de fonte, on y a encastré un chauderon de cuivre pour tenir de l'eau. Mais ce chauderon pourroit également contenir du sable, des cendres, &c. s'il se brûloit trop vîte, on le feroit de fonte. Ce fourneau est notre fig. 11. On fait donc des murs de briques de telle épaisseur & longueur qu'on veut. La largeur est aussi indifférente ; mais on ne donne que peu de largeur à l'endroit où l'on met le bois, pour l'épargner, & parce qu'il ne faut pas un grand feu. On lui donne, par exemple, un pié de large, & autant de haut, si ce fourneau est de la même grandeur que le précédent, & si on ne lui met point de grille comme à nôtre fig. 11. & quand il est élevé à la hauteur convenable pour admettre un chauderon de 10 pouces de profondeur, par exemple, on l'y encastre en ménageant au bout opposé au soupirail un trou pour la fumée. On ajuste un tuyau de poêle à ce trou, & l'on couvre ce chauderon rond ou quarré, ou quarré-long, d'une plaque de cuivre ou de tôle, dans laquelle on fait des trous. Ces trous servent à passer les vaisseaux distillatoires, digestoires, &c. ou les plats, terrines, évaporatoires qu'on veut mettre au bain-marie. Le fourneau de la fig. 118. sert au bain-marie ou diplome des anciens. Outre les bains dont on a parlé à leur article, nous dirons qu'il y en a encore d'autres, comme par ex.

Le bain de limaille, où ce corps est employé à la place du sable.

Le bain de fumier, ou celui qui se fait au moyen du fumier échauffé par sa seule fermentation, ou par l'eau chaude, comme nous le verrons en parlant des vaisseaux, & le bain de marc de raisin. Voy. VERDET.

Le bain de sciure ou de rapure de bois dont parle Cartheuser, seconde édition de sa Chimie.

Le bain sec qui est de deux especes : celui où il n'y a d'autre intermede qu'une capsule, & il est opposé à l'humide ou au bain-marie, & celui où le vaisseau contenant la liqueur à distiller, par exemple, est exposé au feu immédiat, ce qu'on appelle encore feu nud.

Les fourneaux qu'on appelle de décoctions, sont encore des fourneaux de l'espece de ceux que nous avons vû. Dans ce rang nous placerons les fig. 12. 69. 72. & 162.

La fig. 12. est précisément la même que les 13. & 14. ainsi nous n'en donnerons point de description. On en voit un à-peu-près semblable dans la Pl. III. de Lémery, lettre s ; il paroît que s'il lui manque un cendrier, c'est par la négligence du dessinateur.

Les 69. & 72. n'en different que parce qu'elles représentent des fourneaux de fonte à piés, dont le premier est couvert ; celui-ci est de Glauber, Part. I. de ses fourneaux, & celui-là de Lémery, Pl. VI.

La 162. n'a rien qui demande une description particuliere quant au fourneau ; il est dans Libavius, p. 331.

On employe encore d'autres fourneaux en Chimie, qui sont à peu de chose près les mêmes que la plûpart de ceux qui précedent. Je veux parler des fourneaux à aludels ou de sublimation, qui est à proprement parler une distillation ascensoire seche. Tels sont ceux qu'on a marqués fig. 5. 66. 98. & 167.

Le premier est de l'adepte Géber. Il se trouve page 65. de sa somme. Outre les fourneaux usités actuellement en Chimie, nous avons crû que nous devions exposer quelques figures des premiers qui ont été représentés, afin qu'on pût voir le point d'où l'on est parti, & sentir les additions & corrections qui ont été faites depuis. Géber, qu'on appelle le roi, à cause de son habileté en Chimie, est l'auteur le plus ancien qui les ait figurés, & qui y ait joint une description assez claire, & meilleure que ses figures qui n'y répondent pas trop exactement. Géber vivoit au vij. siecle, selon Boerhaave ; au viij. selon Moreri, & au jx. selon son continuateur, qui parle d'après l'abbé Lenglet, fondé sur la même autorité que Boerhaave. Quoi qu'il en soit, il est très-certain que Géber est fort ancien, & se trouve cité dans Albert le grand & Arnaud de Villeneuve, qu'il n'a point cités. Avant cet artiste, l'ignorance & la mauvaise foi s'étoient toûjours enveloppées du voile de l'emblème & de l'énigme, même pour les plus petites choses, comme cela est encore arrivé depuis, & même de notre tems. Tout auteur qui écrivoit des choses inintelligibles, étoit un homme respectable, précisément parce qu'on ne l'entendoit point. Aujourd'hui la raison a repris le dessus ; & tout homme qui voudroit ramener ces tems précieux où l'on ne parloit ni n'écrivoit pour se faire entendre, & où la crédulité étoit la dupe du jargon mystérieux, feroit croire qu'il auroit de bonnes raisons pour en user de la sorte. Si Géber est tombé dans cet inconvénient quant aux opérations, au-moins a-t-il pû être de quelqu'utilité par la description de ses ustensiles. Il avertit que le fourneau qu'il décrit & destine aux aludels, doit être plus ou moins épais & plus ou moins grand, selon la grandeur des vaisseaux qu'on y veut mettre, & l'intensité du feu auquel on veut les exposer. On éleve des parois circulaires à la hauteur de 9 pouces, en pratiquant une porte pour le bois, dont la partie inférieure soit de niveau avec le sol ou pié-d'estal du fourneau. On assujettit pour lors une barre de fer grosse comme le doigt, pour soûtenir l'aludel. On donne à-peu-près autant de hauteur au fourneau au-dessus qu'au-dessous de la barre de fer ; & au milieu de la partie du fourneau supérieure à cette barre, qu'on peut appeller le second corps, ou l'ouvroir du fourneau, on fait quatre trous ou regîtres, dont la grandeur doit être déterminée par celle du fourneau, & la vivacité nécessaire au feu. On couvre le tout d'un dôme un peu convexe, & ayant un grand trou au milieu pour recevoir l'aludel, quoique Géber & sa figure n'en disent rien. Entre ces vaisseaux & les parois du fourneau, il doit y avoir un espace de deux doigts, plus ou moins, selon le degré de chaleur nécessaire. On lutte l'aludel au fourneau. Ces deux vaisseaux ont la proportion qu'ils doivent avoir entre eux & avec le feu qu'on y tient, quand celui-ci circule bien autour de l'aludel, que la matiere qui y est contenue reçoit le degré de feu convenable, & que la flamme & la fumée sortent bien par les regîtres. Si ces conditions ne se trouvent pas remplies, on diminue l'aludel, ou on aggrandit le fourneau : & on augmente ou retrécit les regîtres jusqu'à ce qu'on ait trouvé le juste point qu'on desire.

Pour peu que l'on compare ce fourneau avec ceux qui ont été faits depuis, on y trouvera, je pense, assez de ressemblance pour conjecturer qu'il n'a pas peu servi à contribuer à leur perfection & aux avantages qu'on en retire. Au-moins voit-on que l'auteur a bien entendu la méchanique du feu.

Le fourneau de la fig. 66. est non-seulement un fourneau sublimatoire, mais encore un fourneau où la matiere est exposée à feu nud. Nous en parlerons en particulier dans la section des fourneaux à distiller par le côté, pour ne pas le séparer d'un autre de cette espece.

La fig. 98. représente encore un fourneau tiré de Géber, p. 72. Il est destiné aux aludels dans lesquels on doit faire la sublimation de la marcassite, &c. Il dit que ce fourneau doit donner un degré de feu capable de fondre le cuivre ou l'argent, si cela est nécessaire. Le haut doit être fermé avec un disque percé pour recevoir la cucurbite, qu'on lutte à ce disque, pour empêcher que le feu ne vienne à échauffer l'aludel, & à fondre la matiere sublimée. On fait seulement quatre petits regîtres dans ce disque, avec autant de bouchons. C'est par-là qu'on met le charbon dans le fourneau. On en fait encore quatre autres dans les parois du fourneau, pour mettre également les charbons ; sans compter qu'il en faut encore 7 ou 8 capables d'admettre le petit doigt. Ces derniers doivent être toûjours ouverts, pour que le fourneau puisse se délivrer de ses fumosités. Ils seront pratiqués dans l'endroit où le fourneau se joint avec son couvercle.

Le fourneau qui donne un grand degré de feu, est celui dont les parois sont élevés de 3 piés, ayant dans leur milieu une grille de terre capable de soûtenir le grand feu, percée de quantité de petits trous en entonnoir renversé, afin que la cendre & les charbons puissent tomber aisément, & laisser une libre entrée à l'air. C'est cette liberté qu'a l'air d'entrer en grande quantité par ces trous inférieurs, qui excite un grand feu dans ce fourneau. Ainsi il n'est que de s'exercer sur ce point de vûe, & l'on en viendra à son but.

Il est aisé de voir que Géber vient de décrire un fourneau de fusion, quoiqu'il l'applique à ses aludels ; en suivant sa description, on doit réussir presque comme aujourd'hui à en construire un, excepté qu'on y a ajoûté quelque chose ; ainsi je ne vois pas pour quelle raison Glauber a eu tant de peine à trouver le sien, que nous décrirons à la section des fourneaux de fusion. On remarquera en passant qu'il semble que Géber n'ait pas dessiné lui-même ses figures, quoiqu'il en parle comme les ayant données. C'est une faute qu'on ne peut attribuer qu'au dessinateur ou graveur qui nous les a transmises.

L'édition de Géber dont nous avons tiré ce que nous avons donné de lui, est celle de Dantzic, faite en 1682, d'après un manuscrit du Vatican. C'est la meilleure ; elle est très-rare, comme l'a fort bien remarqué M. l'abbé Lenglet dans sa bibliotheque hermétique. Mais on la trouve imprimée en latin dans le vol. I. de la bibliotheque chimique curieuse de Manget, avec les planches fidelement copiées. Elle se trouve aussi, mais traduite en françois, dans le tom. I. de la philosophie chim. donnée par Salmon, en 4 vol. in-12.

Enfin le quatrieme ou dernier fourneau sublimatoire est celui de la fig. 167. Il ne se trouve dans nos Planches que pour l'élégance de l'appareil ; car ce n'est au fond qu'un pur fourneau de décoction ou à capsule, qui a un rebord à sa partie supérieure, & une barre pour soûtenir un aludel. Cet appareil est de Manget, Pl. IX. qui l'a pris dans la Pl. III. de Charas, ou bien Pl. II. de le Fêvre, ou Charas l'a pris. Mais nous nous appercevons qu'il ne suffit pas de donner des proportions pour les fourneaux ; nous allons donc exposer la composition & la maniere de construire ceux qui sont en terre, avant que de passer à notre seconde section.

Les Fournalistes de Paris font leurs fourneaux avec de l'argille qu'ils prennent à Gentilli ou à Vanvres, & avec les taissons des pots de grais élevés & cylindriques, où l'on apporte à Paris le beurre salé de Bretagne & de Normandie ; ils font tremper pendant une nuit leur argille divisée en grosses pelotes, après quoi ils la corroyent & la pétrissent avec les piés, pour en écarter les corps étrangers, comme les pierres, les pyrites, &c. d'un autre côté, ils pilent les pots de grais & les passent par différens cribles pour en avoir des morceaux de même grosseur à-peu-près. La partie la plus fine est reservée pour les creusets, mouffles, scorificatoires, &c. on employe pour les fourneaux celle qui est réduite en morceaux gros comme du millet, de chénevis, des lentilles, relativement à l'épaisseur de leurs murailles, quoiqu'une exactitude scrupuleuse ne soit pas nécessaire à cet égard. On met environ égales parties de ce ciment & d'argille préparée ; on les mêle bien intimement : on garde cette composition à la cave pour la tenir fraîche jusqu'à ce qu'on la mette en oeuvre.

Pour construire un fourneau, soit donné, par exemple, celui de la fig. 2. l'artiste prend un morceau de sa composition qu'il juge assez volumineuse pour faire le sol du cendrier ; il la pétrit & en fait une plaque qu'il pose sur une pierre plate saupoudrée de cendres criblées, & portée horisontalement sur un billot de hauteur convenable. Quand il lui a eu donné la même épaisseur par-tout, & qu'il l'a eu arrondie à vûe d'oeil, il échancre ses bords en les pinçant, afin que l'argille qu'il doit ajoûter s'y incorpore : pour élever la paroi, il prend un autre morceau de sa pâte, le pétrit & le réduit en un cylindre long de trois ou quatre piés, suivant la quantité de cette pâte ; il en applique une extrémité sur la circonférence du sol, la presse avec le pouce, & continue ainsi d'en imprimer les empreintes sur toute la longueur du cylindre qu'il applique au sol. Ainsi la grosseur de ce cylindre est déterminée par l'épaisseur qu'on veut donner aux parois du fourneau ; non qu'il doive avoir un diametre égal à cette épaisseur, car il en faut retrancher ce qu'il peut acquérir étant applati. A ce premier cylindre en succede un second, & ainsi de suite, jusqu'à ce que les parois soient élevées jusqu'au foyer. Alors l'artiste donne le premier poli à son ouvrage, en ôtant l'excédent par-dehors avec un doigt qu'il passe à-peu-près perpendiculairement de bas-en-haut ; il passe presque de la sorte sa main par-dedans, pour voir s'il n'a rien à retrancher ; car si son fourneau est trop épais, il passe un couteau tout-autour pour emporter l'excédent, & il polit ensuite avec la main, puis avec une petite palette ou pelle de bois qu'il trempe de-tems-en-tems dans l'eau : on conçoit bien que cette palette doit être convexe d'un côté. Pour lors il enleve son ouvrage de dessus la pierre pour le placer sur la planche sur laquelle il doit sécher.

S'il veut faire le sol du foyer en terre, & qu'il veuille que ce sol soit fixe, il fait une plaque semblable à la premiere, mais convexe supérieurement, & en couvre les parois ; il l'échancre aussi en la pinçant, & il continue d'appliquer ses cylindres.

Mais s'il ne veut faire qu'un rebord, ou même que trois ou quatre mentonnets pour soûtenir une grille de terre ou de fer ; il se contente d'appliquer en-dedans & à la hauteur requise, un cylindre qui parcoure la circonférence du cendrier une fois ou deux, suivant la saillie qu'il veut faire, ou bien il ne l'applique que dans trois ou quatre endroits, mais à diverses reprises, pour faire la saillie nécessaire ; après quoi il continue comme auparavant, d'élever ses parois.

Quand le fourneau est fini, il examine s'il est bien rond, s'il n'est point plus panché d'un côté que d'un autre, ou si un bord n'est point plus haut que l'autre : quant à la rondeur, elle se donne aisément en pressant avec les deux mains le grand diametre du fourneau. On ajoûte au bord qui n'est pas assez élevé, ou l'on diminue celui qui l'est trop ; mais on ne corrige l'obliquité qu'en pressant avec les deux mains placées vis-à-vis l'une de l'autre, le côté qui rentre dans le fourneau, pour lui donner plus d'étendue & l'en faire sortir, & en frappant doucement avec la main le côté opposé qu'on doit refouler : on le polit ensuite comme avant, premierement avec les mains, & ensuite avec la palette, avec laquelle on le frappe d'abord également de toutes parts pour remplir les petits interstices qui peuvent y être restés. On fait tout-de-suite la mentonniere, les poignées du fourneau, & celles des parties qui doivent devenir les portes ; après quoi on les met sécher à l'ombre.

Telle est la pratique de l'artiste à qui un long exercice a donné le coup-d'oeil qui supplée aux instrumens nécessaires à arrondir un fourneau, ou qui se soucie peu d'une exactitude géométrique qui d'ailleurs ne subsiste pas toûjours. Il n'en est pas de même de ceux qui commencent & qui veulent travailler avec soin : les uns ont pour guide un petit bâton poli planté perpendiculairement dans la planche sur laquelle ils construisent leur fourneau tout-autour de cet axe, & ils l'arrondissent en le mesurant avec une ficelle qui joue aisément autour de l'axe passé dans son anneau ; d'autres se servent d'une fausse équerre qu'ils ouvrent à angle droit, par exemple, quand c'est un fourneau cylindrique, & à angle aigu quand c'en est un en cone renversé qu'ils veulent faire.

Quand il a essuyé sa plus grande humidité, on le frappe & on le polit encore ; on coupe avec un couteau mince les portes en embrasure, on ouvre les regîtres, & on expose de nouveau le tout à l'air jusqu'à parfaite dessication ; après quoi on fait cuire.

Le four qui sert à cet usage est une cavité de cinq piés de profondeur sur quatre de large, cinq de haut dans le fond, & cinq & demi ou plus à l'embouchure ; il est fait en-dehors d'une maçonnerie capable de soûtenir la poussée de la voûte, & revêtu en-dedans de briques de Bourgogne placées sur deux rangs, excepté à la voûte. Du fond à l'embouchure regnent des deux côtés deux petits murs de brique, épais & hauts de neuf pouces, appliqués aux murs du fourneau : sa porte est marquée par deux petits piés droits, de même largeur & épaisseur que les deux petits murs d'appui : ils s'étendent de bas en-haut.

Quand on veut ranger les fourneaux dans ce four, on met pour les soûtenir, des barres de fer sur les petits murs d'appui, & on les place debout ou couchés ; peu importe : c'est le sens qui permet qu'on en mette davantage, qui décide. Le four étant plein, on ferme le devant avec de grands carreaux ou de grandes pierres plates qui s'étendent d'un côté à l'autre de la porte, avec toutefois la précaution de le laisser ouvert en bas à la hauteur des petits murs d'appui, pour le passage du bois, & en haut d'environ autant dans toute la largeur de la porte, pour le passage de la flamme : on remplit de menu bois tout l'espace compris entre les petits murs, & on entretient le feu de la sorte pendant huit heures ; on consume environ le quart d'une voie de bois. La cheminée de ce four est placée comme celle du four du boulanger, avec cette exception que la sabliere en est presque aussi basse que la partie inférieure de l'ouverture qu'on a laissée pour le passage de la flamme.

L'endroit du four ou le feu est le plus vif, c'est la partie de la voûte qui est près du passage de la flamme : le fournaliste met cependant au milieu les grosses pieces qu'il a à cuire, sans-doute parce qu'elles sont environnées d'une plus grande masse de feu, & non pas parce que le feu y est plus actif. L'ouverture supérieure ne devroit avoir que la moitié ou les deux tiers tout-au-plus de l'inférieure. Si l'on examine ce qui se trouve dans la cheminée, on voit à la paroi antérieure quantité de cendres bien calcinées ; & à celle qui est mitoyenne avec le four, un noir de fumée fort sec ; ce qui indique que la matiere fuligineuse est mêlée en petite quantité avec beaucoup de cendres.

L'argille de Gentilli est d'un bleuâtre assez foncé ; ce qui, joint aux pyrites qui s'y trouvent fréquemment, peut faire soupçonner qu'elle contient du fer ; aussi est-il inutile d'y ajoûter de la limaille, que quelques artistes regardent comme nécessaire à la composition de leur pâte. Toute argille s'amollit dans l'eau & y devient une pâte ténace & bien liée ; elle se durcit quand on la seche à l'air : si on ne l'expose qu'à un feu médiocre, d'abord elle devient dure ; mais si on augmente son activité, elle se convertit en un verre demi-opaque, d'un verd tirant sur le roux. C'est pour cette raison que les fournalistes ne donnent un feu ni trop long ni trop vif ; car leur argille est d'autant mieux disposée à prendre la vitrification, qu'elle est mêlée d'une matiere (les pots de grais) qui la favorise. On sait par expérience qu'un corps vitrifié veut être échauffé & refroidi lentement ; mais on ne peut pas observer ces précautions à l'égard des fourneaux, dans lesquels il faut pouvoir mettre le feu tout-d'un-coup, de même qu'il faut être le maître de l'en retirer de la sorte : ils ne doivent donc pas être vitrifiés ; il y a plus, c'est qu'il faut qu'ils soient assez poreux pour soûtenir constamment sans altération les vicissitudes de chaleur & de refroidissement qu'exigent l'opération ou la commodité de l'artiste. On n'a pas encore trouvé de matiere qui remplît mieux ces vûes que l'argille mêlée d'un corps étranger tel que le grais. L'argille a assez de consistance pour se lier malgré les obstacles qu'elle trouve ; mais en même tems ses parties ne s'unissent pas assez fortement pour former un corps qui ait les inconvéniens du verre : d'ailleurs le grais, quoique susceptible de se vitrifier avec cette terre, demande pourtant un feu assez vif ; ensorte que celui qu'on donne aux fourneaux ne produit tout-au-plus qu'un petit commencement de liaison.

On trouve différentes compositions pour les fourneaux dans les auteurs, qui mériteroient de trouver place ici, parce que ce sont des faits qui peuvent être utiles & qui sont dûs à une longue expérience : mais comme le même lut est applicable à différentes circonstances qui ne se trouvent point dans cet article, nous en ferons un article particulier auquel nous renvoyons. Voyez LUT & VAISSEAU.

Des fourneaux à distiller par le côté. Tels sont ceux de nos fig. 1. 3. 7. 67. 69. 73. 145. & 161. celui de la fig. 1. est composé de quatre corps ; il est cylindrique, haut de deux piés cinq pouces, & large de 14 pouces en-dehors : son épaisseur est de deux par-tout, excepté vers le trou de son dôme où il s'amincit ; son cendrier est haut de six pouces, en comptant l'épaisseur du sol ; le soupirail est large de quatre & haut de trois. Le second corps ou le foyer est haut de neuf pouces ; dans sa partie inférieure, on laisse en le construisant trois ou quatre pitons pour soûtenir la grille ; c'est pour cela que le second corps est plus élévé que le premier. La porte du foyer est haute & large de quatre ou cinq pouces, & demi-circulaire à sa partie supérieure. L'inférieure est élevée de deux pouces au-dessus de la grille : à la partie supérieure de ce corps, on pratique quatre échancrures pour loger les barres de fer qui doivent soûtenir la cornue, ainsi que nous l'avons dit en parlant de la fig. 74. au commencement de cet article. Ces barres de fer ont communément huit ou dix lignes d'équarrissage. Le troisieme corps ou l'ouvroir est un cercle cylindrique, dont le bord supérieur est échancré pour le passage du cou de la retorte : on fait toûjours cette échancrure demi-circulaire plus grande qu'il ne faut, parce qu'on bouche ce que la cornue laisse d'espace avec un lut convenable. Ce corps est haut de sept pouces ; le dôme ou quatrieme corps a la même hauteur ; il est, ainsi que le précédent, échancré demi-circulairement, avec cette différence que son échancrure est moins profonde que celle de l'ouvroir, quoique aussi large ; enfin ces deux échancrures font à elles deux une ovale dont le grand diametre est perpendiculaire : on sent bien que cela étoit nécessaire pour loger commodément le cou de la retorte qui est incliné pour l'ordinaire. Au milieu du dôme est un trou circulaire de deux pouces de diametre ; on le garnit quelquefois de terre qu'on termine en une naissance de tuyau, auquel on en ajuste un autre : ce fourneau se met, ainsi que la plûpart des précédens, sur un dez de hauteur convenable. Nous avons déjà parlé de ses portes de soupirail & de foyer, en décrivant la fig. 2. Nous avons ajoûté une troisieme piece de terre tout-près de ces deux premieres ; elle est marquée q : elle sert à boucher l'échancrure du cou de la cornue, du-moins celle de l'ouvroir ; il en faut une seconde pour le dôme, de la grandeur réquise : chacune de ces pieces s'emboîte dans son lieu au moyen d'une petite languette de chaque côté qui entre dans une petite rainure pratiquée dans l'échancrure, & elles ont outre cela la languette & la rainure qui se trouvent dans tous les corps de ce fourneau & des autres qui sont de même faits en terre. La grille est d'un fer de huit ou dix lignes d'équarrissage, & laisse entre elle & les parois du fourneau un espace d'un bon doigt, comme nous l'avons déjà dit. Ce fourneau est portatif, comme tous ceux que nous avons décrits, à l'exception de ceux qui sont en briques : on l'appelle aussi fourneau de réverbere ; qualité qui lui est commune avec d'autres bien différens ; il ressemble beaucoup à l'athanor de la Roquetaillade, que nous décrirons en son lieu. Il est le même que celui que Béguin a donné, p. 148. car celui-ci a 4 corps cylindriques & un seul trou au milieu du dôme : il a pourtant cette différence qui le met au-dessus du nôtre ; c'est que son foyer est elliptique par le bas, ensorte que le diametre de la grille n'a que la moitié de celui du fourneau. La cornue y est encore appuyée sur une tourte ; Béguin le chauffoit avec le bois de chêne ou de cornouiller, & s'en servoit aux mêmes usages qu'on l'employe aujourd'hui, c'est-à-dire à distiller les acides minéraux. Au reste, il ne faut pas confondre ce fourneau avec celui qu'il qualifie, pag. 80. servant à toutes les opérations de Chimie ; nous en toucherons deux mots à la section des polychrestes. Nous avons figuré le couvercle dont on se sert quelquefois pour fermer en partie la naissance du tuyau & ralentir le feu. On voit dans le laboratoire chimique de Kunckel, un fourneau de distillation latérale dont le foyer est elliptique par le bas, comme ceux de Charas, Béguin, &c. mais la grille dans ces auteurs, est à-proportion plus grande que dans Teichmeyer.

Le fourneau de distillation latérale marqué fig. 3. differe du précédent en ce qu'il est fixe, construit en briques & d'une seule piece, quant à ce qui répond aux trois corps de la fig. 1. Il se trouve dans la Pl. II. de Glaser deux fois & dans la Pl. I. de Lémery, qui l'a mieux décrit qu'il ne l'a représenté ; il y a toute apparence que lui & Manget le tiennent de Charas, au-moins ces deux derniers se ressemblent-ils parfaitement ; mais ils different de celui de Glaser en ce qu'ils ont la figure elliptique de celui de Béguin. Voy. Manget, Pl. XI. Charas, Pl. V. & Rhenanus, Pl. X. & XIII. Il est destiné aux mêmes opérations que le précédent, avec cette différence qu'on y fait celles qui demandent un feu violent & long-tems continué, comme le phosphore, par ex. on lui donne des dimensions qui varient à-proportion de la quantité de matiere qu'on y veut traiter. Cependant comme il faut y placer une grosse cornue, on agit en conséquence, & on le fait assez grand pour qu'il puisse la contenir : on commencera donc par élever des murs de briques à double rang, qu'on liera bien selon les moyens que nous dirons dans la suite ; on lui donne de l'épaisseur afin que la chaleur s'y puisse conserver plus long-tems. On fera le cendrier haut d'un pié pour le moins, rond ou quarré, peu importe ; on en tournera la porte, qu'on fera haute & large d'un demi-pié, du côté que vient l'air, s'il est possible : on posera dessus des barres de fer épaisses de cinq ou six lignes & larges de deux ou trois pouces, pour soûtenir les briques qu'on posera ensuite. Quelquefois au lieu de commencer tout-d'un-coup à élever son cendrier, on avance les deux premiers rangs de briques ou de grais, pour plus d'élégance, comme nous l'avons marqué dans notre fig. mais c'est un ornement qui ne sert qu'à embarrasser, & il n'en doit être guere question en Chimie. Ce que nous disons ici doit également s'entendre de tous les autres fourneaux massifs, comme de la forge, par exemple, pour laquelle on est encore dans l'usage d'entrer dans cette minutie. Après avoir élevé le cendrier de la hauteur convenable, & avant que d'élever le foyer, on pose deux grosses barres de fer, d'un pouce d'équarrissage au-moins, qu'on scelle bien dans les murs : on ne les met pas en losange pour l'ordinaire, quoique ce n'en seroit que mieux d'observer cette position à leur égard. Ces barres sont destinées à soûtenir la grille qu'on peut faire d'une seule piece, comme celles dont nous avons parlé jusqu'ici, mais plus grosse & plus large, ou bien qui est brisée, c'est-à-dire composée de plusieurs morceaux de barres de fer qui ne tiennent point les uns aux autres : en ce cas on les lutte à chaque extrémité, pour les tenir en losange sur les deux premieres. Ces deux pratiques valent mieux que si on scelloit dans le mur du fourneau les différentes barres qui constituent la grille par leur réunion, parce qu'on n'est plus le maître de les changer quand elles sont usées, ou de les nettoyer quand elles s'obstruent. On éleve ensuite le foyer du même diamétre que le cendrier, mais en rond ; & si on ne lui donne pas cette figure avec les briques, on en remplit les coins d'un lut ordinaire, comme Charas le conseille pour presque tous ses fourneaux. Le foyer sera haut de huit ou neuf pouces environ, depuis la grille jusqu'à deux barres de fer qu'on scellera dans le fourneau pour soûtenir la cornue : ces barres seront encore de dix lignes ou d'un pouce d'équarrissage : au-dessus de ces barres, on élevera encore ce fourneau à la hauteur nécessaire, pour qu'il puisse cacher la retorte, d'un pié, par exemple, parce qu'il s'agit ici d'un vaisseau qui a quelquefois ce diamétre ; mais on laisse à côté une échancrure pour passer son cou, comme nous l'avons dit de la fig. 1. telle est la construction du massif du fourneau. On couvre ce massif d'une piece de terre mobile pour réverbérer la flamme ; c'est un dôme comme celui du fourneau de la fig. 1. qui a un trou dans son milieu avec une naissance du tuyau à laquelle on en adapte quelquefois plusieurs piés. Ordinairement on ne fait point d'échancrure à ce dôme, parce que celle du corps du fourneau est assez profonde ; & quand on veut l'employer à d'autres usages, comme par ex. au bain de sable, avant que d'y mettre une capsule, on a une piece qui remplit l'échancrure, comme nous l'avons dit de la fig. 1. Ce dôme & cette piece sont faits de la même pâte que les autres fourneaux en terre. Il est bon d'observer que comme ce fourneau est sujet à se fendre en conséquence de la violence du feu, on l'arme vis-à-vis de la grille & à sa partie supérieure, sous l'échancrure, de barres de fer larges d'environ deux pouces, & épaisses de cinq ou six lignes, pliées comme il convient. On les scelle dans le mur auprès duquel le fourneau est construit ; ou elles font le tour, s'il est isolé. On rentre quelquefois les briques qui doivent en être couvertes, afin que les barres soient au même niveau que le fourneau : il n'y a nul inconvénient à se permettre cette élégance, quand la chose est possible du côté de l'exécution.

La porte du foyer est de même largeur que celle du cendrier, mais moins élevée ; on les ferme l'une & l'autre avec des briques taillées exprès.

Charas vouloit que la figure du foyer fût ronde non-seulement, mais encore elliptique par le bas, comme nous l'avons dit du fourneau de Béguin, pour épargner, disoit-il, le charbon, & pour que la chaleur pût se porter vers le haut. Boerhaave aussi fait son fourneau elliptique : mais Charas après avoir si bien dit, veut que les quatre regîtres qu'il fait à son fourneau, dans le cas où il l'employe au bain de sable, commencent dès la grille. Ces quatre trous, quand on les fait, doivent être placés de façon qu'ils puissent être recouverts par le dôme, sans quoi ils diminueroient la violence du feu. Pag. 77.

On multiplie, pour ainsi dire, ce fourneau, en le construisant assez grand pour qu'il puisse contenir plusieurs cornues ; on en voit un Pl. I. de Lémery, qui en contient six ; il ressemble assez à la galere des distillateurs de Paris : Charas en a représenté un à quatre cornues, qui a passé dans la Pl. IX. de Manget ; mais nous allons décrire le plus grand de tous, c'est celui des distillateurs de Paris.

On l'appelle la galere (voyez notre fig. 7.) c'est un grand fourneau long, construit en briques qu'on joint ensemble à plusieurs rangs. On en éleve tout simplement sur le pavé deux murs paralleles de la longueur que demande la quantité de vaisseaux qu'on veut y placer, & à telle distance l'un de l'autre, que deux de ces vaisseaux puissent y aller de front : à un pié de haut, on scelle dans le mur du fourneau des barres de fer plates, de distance en distance, pour soûtenir les vaisseaux : on l'éleve encore de façon qu'il puisse cacher ces vaisseaux, & on fait le mur en talud extérieurement. La porte est de la largeur du fourneau ; elle est couverte par un ou deux rangs de briques qui font une petite élévation par-dessus, qui se trouve précisément de niveau avec la partie supérieure des vaisseaux. A l'extrémité opposée est un tuyau de poêle de cinq ou six pouces de diametre. Quand on veut distiller, on met un double rang de cuines tout le long du fourneau ; on les ajuste à d'autres qui servent de récipient & qui portent sur le mur en talud. Nous proscrirons cette mauvaise pratique en parlant des vaisseaux. On couvre tous les vaisseaux qui sont dans le fourneau avec des tuiles & des carreaux dont on bouche les intervalles avec de la terre à four, & l'on allume le feu qu'on fait de bois ; tel est l'appareil avec lequel les distillateurs font l'eau-forte à Paris.

La fig. 67. est non-seulement un appareil de distillation latérale, mais encore d'une distillation où l'on expose le corps à distiller au feu nud, sans l'intermede d'aucun vaisseau : nous avons promis, en parlant des fourneaux à aludels, de parler de la fig. 66. en même tems ; c'est aussi ce que nous allons faire, parce qu'elle est dans le meme genre, quoiqu'elle soit pour la sublimation. Voyez Glauber, furn. nov. philosoph. page 1.

La grandeur du fourneau, fig. 67. n'est point fixée, on peut lui donner celle qu'on voudra ; cela dépend encore de la quantité de matiere qu'on a à traiter ; peu importe aussi qu'il soit rond ou quarré, en briques, ou en terre. Sur un pan de diametre, il doit en avoir quatre de haut ; un depuis le sol jusqu'à la grille, un depuis la grille jusqu'au trou par où l'on jette le charbon, & les deux autres depuis ce trou jusqu'à celui qui est destiné au canal enfilé par les vapeurs, qui doit sortir au-moins d'un pan hors de la paroi, pour empêcher que les récipiens ne s'échauffent par la proximité du fourneau. Ce canal doit avoir à son extrémité le tiers du diametre du fourneau, sans compter que la partie qui y est scellée doit être plus large. Il faut que la grille soit telle qu'on ait la facilité de l'ôter au besoin pour la nettoyer ; car comme elle est aisément obstruée dans la distillation des sels qui se fondent à-travers les charbons, il arrive que la communication de l'air avec le feu est interceptée, & conséquemment la distillation interrompue. Pour plus grande commodité, on peut la faire de quatre ou cinq barres de fer isolées, soûtenues par deux autres ; il y aura entre elles un travers de doigt de distance, & elles sortiront du fourneau, afin qu'on ait la facilité de les en tirer avec une tenaille dans le cas où il faudra les nettoyer ; ensuite de quoi on les remet en place : il est même à-propos que le fourneau soit ouvert vis-à-vis la grille, pour plus de facilité.

Ce fourneau doit être couvert d'une pierre ou d'un carreau de terre ayant un trou au milieu, avec une rainure tout-autour pour recevoir ce couvercle & l'appliquer plus juste, à l'aide du sable ou des cendres qu'on y mettra : par ce moyen, le cercle bouchera, & empêchera mieux la dissipation des esprits des corps qu'on jettera dans le fourneau ; ainsi ils seront forcés de passer totalement dans les récipiens : nous ne parlerons point ici de ces vaisseaux, c'est à leur article qu'ils doivent être renvoyés, & qu'on doit voir ce que nous avons à dire du manuel général de la distillation dans ce fourneau. Après ce que nous avons dit de celui qui sert pour la distillation latérale, nous n'avons que peu de choses à ajoûter au sujet de celui qui sert à la sublimation : le trou du premier, qu'on ferme d'un couvercle, est dans la fig. 66. fermé par le bas du premier aludel qui y entre ; son dôme n'a point de regître, les aludels en servent.

Nous avons déjà parlé de la figure 69 : nous l'avons mise au nombre des fourneaux de décoctions ; mais elle peut encore trouver sa place ici en qualité de fourneau servant aux distillations latérales ; comme il paroît par le vaisseau dont elle est chargée. Nous ne nous étendrons sur cet article qu'en parlant des vaisseaux.

La figure 73. n'est au fond que la répétition de la premiere, qu'on a mise ici plus pour l'appareil que pour l'utilité : nous en donnerons cependant les proportions, parce qu'elles sont un peu différentes. La figure en question a 22 pouces de haut, sur huit de diametre en-bas, & neuf & demi dans le haut, à la partie la plus large de son dôme, hors d'oeuvre. Son épaisseur est d'un pouce & demi. Le cendrier a cinq pouces de haut, y compris l'épaisseur du sol ; le soupirail est large de trois pouces, & haut de deux & demi. Le foyer est haut de huit pouces, & a sa bouche arquée, ses pitons & sa grille, comme nous l'avons détaillé en parlant de la figure premiere : cette bouche est haute & large de trois pouces. L'ouvroir a son échancrure pour la cornue ; il est haut de quatre pouces & demi. Le dôme est de même hauteur, & a un trou ou regître au milieu d'un pouce de diametre, qu'on diminue à volonté au moyen d'un couvercle. Les portes ont leur fermeture à l'ordinaire.

La figure 145. est dans Libavius, pag. 322. qui l'a prise dans Evonymus, pag. 90. C'est un fourneau en briques quarré, pour distiller les acides minéraux à feu nud : on y voit deux matras posés horisontalement, dont l'un est le vaisseau distillatoire, & l'autre le récipient. Les barres sont courbées, pour s'ajuster au vaisseau qui passe par un trou, comme nous l'avons déjà vû fig. 69. tirée de Glauber. Le dôme a un trou ou regître au milieu, comme il convient ; mais on voit encore quatre regîtres inutiles & nuisibles aux quatre coins. On a isolé exprès une des barres pour en donner l'idée. La même courbure se trouve aussi dans Dornaeus. Nous n'en dirons pas davantage sur ce fourneau ; une plus longue explication seroit inutile. On en peut voir la figure.

La figure 161. est encore un fourneau dont nous avons parlé à la section des fourneaux à distiller par ascension, & dans ses subdivisions en fourneaux à capsule, à aludel ; & elle n'est en effet autre chose que les ustensiles représentés figure 12, 13 & 14. L'appareil, qui est de Glauber, en fait la différence : cet auteur n'y met pourtant qu'un gros ballon ; mais on sait depuis long-tems qu'on en a enfilé des centaines ensemble. Ainsi l'on voit de plus en plus qu'un même fourneau peut être employé à différentes opérations. C'est en partie pour cette raison que nous en avons présenté quelques-uns sous différens aspects. Nous examinerons pourtant, en parlant des polychrestes, jusqu'à quel point cela peut être vrai.

On fait encore des distillations latérales dans les fourneaux dont nous parlerons dans la suite ; comme aussi plusieurs des opérations auxquelles sont employés ceux de notre premiere section, nous en parlerons à-mesure que l'occasion s'en présentera.

Des fourneaux à distiller par descension. Comme ces sortes de fourneaux ne sont pas d'un grand usage, & que d'ailleurs on y peut suppléer par d'autres appareils, nous n'en avons donné qu'un seul exemple : il est tiré de la pharmacopée italienne de M. de Sgobbis. On le construit en briques, de la hauteur nécessaire pour contenir les vaisseaux. On ouvre de plusieurs côtés le cendrier, qui n'en est point un au fond, & on ne lui laisse même la plûpart du tems que quatre piliers, qui font les quatre coins : ensuite on place une grille à un pié de haut environ du sol ou pavé. Cette grille a un trou au milieu assez grand pour admettre le cou du matras descensoire ; il est même bon d'observer qu'on n'y en met que pour employer ce fourneau à un autre usage ; car dans le cas du descensoire il ne faut qu'un disque de terre cuite, au milieu duquel on introduit le vaisseau descensoire : ainsi on en met donc un de terre ou de tôle sur la grille. On place le vaisseau, & on allume le feu tout-autour : cet appareil ne peut donner qu'un feu doux. On pourroit toutefois l'augmenter si l'on vouloit ; ce seroit de conserver la grille, & de garantir le récipient par un entonnoir métallique dont il seroit couvert ; le sommet en seroit près de la grille, & la base environneroit le ventre du récipient. Nous avons ouvert tout le devant de ce fourneau, afin qu'en y vît la situation des vaisseaux ; & nous y avons ajoûté un dôme en cas de besoin. On peut voir la figure 161 ; on y trouve le corps inférieur d'un fourneau descensoire soûtenant un tonneau.

Des fourneaux à calciner. Ils peuvent encore être divisés en propres, & en impropres, ou qui sont particulierement destinés aux opérations en question, & qui peuvent y servir, quoiqu'ils soient construits pour d'autres. Dans ce second rang, on peut placer tous ceux dont nous avons parlé jusqu'ici & dont nous parlerons dans la suite, excepté les bains-marie propres, comme celui de la fig. 11. &c. Dans le premier nous compterons celui qui est marqué figures 15. & 16. nous en avons donné la coupe 15, avec l'élévation 16, pour en faciliter l'intelligence. Ce fourneau est construit en briques, est long de trois piés & demi, & haut de deux piés quatre pouces ; il est large de deux piés en-devant. Si on l'éleve davantage, ce n'en est que mieux ; il est plus commode, mais cela ne change rien à sa construction : comme il seroit un peu bas, nous supposerons que nous allons le construire sur un foyer élevé d'un pié environ pour y manoeuvrer aisément. On commence par asseoir un lit de briques de six pouces d'épaisseur ; on éleve ensuite deux murs à chaque côté de quatre pouces d'épais : le mur de derriere est de même épaisseur. La porte de ce foyer est large de 10 pouces & demi, & haute de sept en-dehors, réduite à un peu moins en-dedans : quand les murs ont cette hauteur, on met des barres de fer plates dessus en-travers, depuis la porte jusqu'à près de quatre pouces du fond ; on les couvre d'une couche ou deux de briques, en laissant une ouverture au fond, comme nous l'avons marqué en d dans la coupe 15 : on continue d'élever les murs à la hauteur de six pouces, après quoi on les couvre de barres de fer, qui soûtiennent les briques du dessus. La languette qui est entre le foyer a & l'ouvroir b, est en tout épaisse de trois pouces. La couche de briques qui couvre l'ouvroir est épaisse de six pouces ; le mur de devant est épais de quatre pouces, comme les autres ; la porte de l'ouvroir est de même grandeur, & un peu embrasée comme celle du foyer. Entre le mur du devant & la couverture du fourneau, regne dans toute la largeur du fourneau un espace, comme par derriere, pour la languette ou plancher, mais qui n'est que de deux pouces de large, qui se termine en une petite cheminée, c, épaisse de huit pouces & large de 14, hors d'oeuvre. La longueur intérieure de la cheminée & sa hauteur sont de huit pouces. A un mur latéral, on voit à l'ouvroir b deux portes marquées d, d, fig. 16. en embrasure, hautes de cinq pouces, & larges de quatre en-dehors. Ces quatre portes doivent avoir leurs fermetures de briques cuites, & presque épaisses comme le mur dont elles ferment le trou. Ce fourneau sert à la calcination de la potasse, des cendres qu'on veut lessiver, & des métaux qu'on veut réduire en safran, en chaux : c'est celui de Glaser simplifié, c'est-à-dire qui n'a qu'un plancher, au lieu que Glaser en met deux ; ensorte que le feu sort à la partie postérieure, qu'il y a trois portes en-devant, point de cheminée, & quatre portes latérales ; Glaser dit qu'on y ajoûte un quatrieme, & même un sixieme étage & au-delà. Nous verrons dans la suite où cette idée peut avoir été prise, ou du-moins quelque chose qui lui ressemble. Au reste le fourneau de Kunckel, aussi destiné à calciner la potasse, qu'on trouve Pl. XIII. pag. 311. de sa verrerie, ne differe du nôtre qu'en ce qu'il est rond, plus grand, & a un trou au milieu. Sa figure approche assez de celle d'un four de boulanger.

On peut encore mettre au nombre des fourneaux de calcination ceux d'essais ; parce qu'on n'essaye presque point de mines qu'on ne calcine, & cela dans ce fourneau sous la moufle.

Des fourneaux de fusion. Cette section sera un peu plus nombreuse que les deux précédentes, & par le nombre de ses individus, & par leur importance. Nous y ferons entrer les figures 6, 8-10, 25, 2635, 36, 37, n°. 1. & 37, n°. 2. 38, 39-44, & 71, sans compter que nous toucherons quelques mots d'une figure, qui est trop commune pour avoir eu place dans nos Planches, qui d'ailleurs s'y trouve assez bien sous un autre nom, & qu'on peut encore voir dans d'autres Planches. Je veux parler de la forge ou fourneau à soufflet.

Le fourneau de la figure 6. est dû à Glauber, du-moins c'est lui qui en a tout l'honneur, puisqu'il lui a donné son nom. Nous verrons dans la suite ce qui peut l'y avoir conduit sans peine. C'est dans Boerhaave que nous avons pris celui que nous donnons. Nous y avons conservé le tuyau de Glauber, comme étant plus propre à en recevoir un autre, que la cheminée de Boerhaave, & nous avons mis à côté le dôme de ceux qui ont été faits d'après celui de Glauber, au lieu de la voûte qu'il a jointe ainsi que Boerhaave, à son fourneau.

Tout le monde sait qu'un fourneau de fusion sert à fondre les métaux ; son nom le porte. Celui de tous qui est le plus en usage, est celui dont il s'agit : on le voit dans Glauber, part. IV. de ses fourneaux. Sur le sol ou pavé du laboratoire, on commence par élever un massif de pierres ou de briques constituant le cendrier du fourneau, à la hauteur de 3 piés, & d'un pié de diametre dans oeuvre ; on lui donne cette hauteur, afin que la bouche du feu soit à portée des mains de l'artiste, & on laisse ce cendrier ouvert en-devant à la hauteur d'un pié, qui est plus que suffisante. On pose la grille ; elle doit être faite de barres de fer qui ayent presque un pouce d'équarrissage, & qui soient éloignées d'à-peu-près autant ; elle a le même diametre que le cendrier. Par-dessus on éleve encore le fourneau cylindriquement comme d'abord, à la hauteur de six pouces ; après quoi on lui donne intérieurement la forme d'un cone parabolique, dont l'axe est de huit pouces, l'ordonnée inférieure de six ; ensorte que le côté droit est de quatre pouces & demi, & le foyer est à un pouce un huitieme du sommet. Quand cette figure parabolique a été élevée à la hauteur de six pouces au-dessus de sa base cylindrique, on construit par-dessus une cheminée cylindrique de trois pouces de diametre & de deux piés de haut, si l'on veut ; mais nous aimons mieux, pour plus de commodité, faire au-dessus de ce trou de trois pouces de diametre, une naissance de tuyau de même diametre, à laquelle on en peut ajoûter un tant long qu'on voudra. A la partie antérieure du foyer à deux pouces au-dessus de la grille, il faut ouvrir une bouche de feu de cinq pouces de large, de six de haut, & arquée comme un arc de cercle de 12 pouces de diametre. Un pouce au-dessus de cette porte, on fera un trou conique d'un pouce de diametre, dont la direction soit telle qu'on puisse voir dans le creuset, pour examiner si la matiere est fondue ou non. Il faut un bouchon de même dimension pour le fermer. Les pierres ou les briques qu'on employe à ce fourneau, doivent être capables de résister au feu. Ses murailles sont épaisses de cinq pouces, bien maçonnées, & couvertes intérieurement de chaux bien polie. Ce fourneau donne un feu d'une vivacité prodigieuse, quand il est une fois échauffé, principalement au milieu de son axe, & dans sa hauteur supérieure. C'est ce que les Géometres sont en état de démontrer. On fermera la bouche du feu avec une porte de fer, qui remplira exactement la feuillure dans laquelle elle sera logée. Le sol du cendrier sera fait d'une plaque de fer, afin qu'on puisse recueillir le métal qui pourroit tomber d'un creuset cassé, ou qui flueroit.

Quoique nous ayons préféré la figure & la description de Boerhaave à toutes les autres, nous ne laisserons pas d'ajoûter des traits de la description de Glauber, qui ne se trouvent point dans le premier.

Il dit que son fourneau n'a point de grandeur fixe, & qu'elle est déterminée par la quantité de la matiere qu'on veut examiner, car il l'appelle son fourneau d'essai. Dans la supposition où on lui donnera un pié de diametre, on y pourra placer un creuset contenant deux ou trois livres de matiere. Sous la grille, qu'on peut faire brisée à l'imitation de celle du fourneau de la fig. 67, on place à l'un des côtés un regître fait d'une lame de tôle, pour gouverner le feu. On fait la porte du foyer de six pouces de large, & d'un pié de haut ou à peu de chose près, pour introduire les creusets, les charbons & les autres ustensiles nécessaires, & cette hauteur est souvent indispensable : à la bonne-heure que la porte en soit de deux pieces pour contenir le charbon, dont il me paroît autrement fort difficile de mettre une suffisante quantité dans le fourneau. Cette porte doit fermer si exactement, que l'air n'y puisse entrer, car il faut qu'il vienne tout du cendrier. Par-dessus cette porte on éleve une voûte parabolique à la hauteur de huit pouces, terminée par un trou circulaire, dont le diametre soit le tiers du fourneau. A ce trou l'on ajuste un tuyau de tôle de cinq, six, & même de douze piés de haut, quand on veut un feu de la derniere violence. On peut, si l'on veut, construire au-dessus de la voûte, deux ou trois chambres garnies de leurs portes : c'est ainsi qu'on peut mettre à profit la flamme qui y entrera, pour diverses opérations, selon le degré de chaleur de chacune. L'inférieure peut mettre en fonte les sels, les minéraux & les métaux qui prennent aisément cet état ; elle peut servir aux calcinations, cémentations, réverbérations, à cuire & vitrifier les creusets & autres vaisseaux de terre, aux essais, grillages, &c. La seconde servira aux torréfactions des minéraux, & aux calcinations du plomb, de l'étain, du fer, du cuivre, du tartre, des os & des cendres du bois. La troisieme peut être employée à la dessication des vaisseaux de terre qu'on veut préparer à la cuisson. On peut encore se servir de ces chambres pour quantité d'autres usages, qu'il seroit trop long de détailler. Si l'on veut augmenter la vivacité du feu, on peut, au lieu d'ajuster une trompe au soupirail, bâtir ce fourneau dans une chambre haute, dont la cheminée ait pour contre-coeur la languette de la cheminée d'une chambre inférieure. On fera une ouverture à cette languette, qui percera dans le cendrier du fourneau, pour y dériver l'air de la chambre inférieure. Il faudra mettre un regître à ce trou pour gouverner le feu, & avoir soin de tenir la chambre inférieure ouverte : par ce méchanisme le feu sera plus violent que s'il étoit animé par les soufflets, & il le sera même au point, qu'on pourroit voir le fourneau se fondre lui-même, s'il n'étoit d'une terre bien fine ; car il arrive souvent que les meilleurs creusets coulent : de-là la nécessité du regître, ou plutôt d'avoir de meilleurs ustensiles.

Avec un pareil fourneau l'on n'est point obligé de se fatiguer à souffler, & l'on n'a point à craindre de vapeurs empoisonnées, ni de chaleur excessive : toute la fumée s'échappe par le haut, & cela est si vrai que quand on ouvre la bouche du foyer, il tire une vapeur étrangere à la distance d'une coudée ; & ainsi il n'y a rien à craindre de la part du feu, puisqu'il se concentre en lui-même. Il faut cependant avoir soin de garantir la main qui tient la tenaille avec un gant mouillé fait de linge en trois doubles, & d'avoir un écran dans l'autre pour ménager ses yeux. Ces précautions indiquent tous les inconvéniens qui sont à craindre.

L'écran dont il est ici question a été décrit en son lieu. Nous en avons donné plusieurs especes, & nous ajoûterons ici que celui qui a un verre se trouve en usage chez les Emailleurs, & est représenté Pl. XII. fig. 37. de la méchanique du feu de Gauger ; un peu de différence dans la figure ne fait rien au fond.

Quand on se sert d'un fourneau à soufflet, il faut un second qui en tire la brimbale ; d'ailleurs le vent venant à frapper le creuset, il le casse, sur-tout quand le charbon manque vis-à-vis ; ce qui est fort sujet à arriver, parce qu'il se consume plus vîte en cet endroit. Le creuset peut encore se renverser ; & comme il faut qu'il soit tout couvert de charbons, ce qui n'est pas nécessaire dans le fourneau à vent, il peut y tomber quelques matieres étrangeres.

Glauber met un regître à son fourneau, sous la grille immédiatement ; mais il est mal placé, il doit retenir les cendres. Il vaut mieux le mettre dans le tuyau, comme dans la fig. 8-10.

Ce fourneau n'est pas rendu dans Glaser ; il n'a pas le sens commun dans Manget, qui en a pris la figure & la description de Barner. On le voit pag. 75. de celui-ci, & Pl. VI. de celui-là. Celui de Lémery en est une mauvaise imitation, comme on peut le voir dans sa Pl. I. d'ailleurs il est percé tout-autour.

Au reste quoique nous n'approuvions pas les trous dans l'ouvroir, & qu'il y a toute apparence même qu'ils doivent être proscrits, nous croyons malgré cela qu'on n'a pas encore bien examiné jusqu'à quel point ils sont nuisibles, ou seroient peut-être utiles ; la raison en est que celui de Glauber attire l'air, & qu'on ne sait pas encore ce que l'air, attiré avec la force dont il parle, apporte de changement au feu. Il est bien vrai que quand on ouvre la grande porte de celui de Glaser, le feu diminue de vivacité : mais pourquoi celui-ci n'attire-t-il pas comme l'autre ? Ce que j'improuve dans le fourneau à vent de Glaser, c'est que son dôme soit fait d'une autre piece que son foyer. Il est vrai que ce dôme revient en quelque sorte à cette voûte parabolique que Boerhaave & Glauber demandent ; mais c'est une piece séparée qui ne peut pas s'échauffer aussi-bien que si elle étoit unie au foyer, comme dans ces deux derniers auteurs. Je sens bien que Glaser en a usé ainsi pour avoir un fourneau de réverbere : mais nous examinerons si l'on peut avoir beaucoup de fourneaux en un seul.

Il paroît que Glauber est le premier qui ait introduit les tuyaux dans les fourneaux de la Chimie, car on n'en trouve point que je sache dans les chimistes qui ont écrit avant lui. On n'en voit point dans Libavius, &c. cependant il pouvoit y en avoir de son tems, & à plus forte raison de celui de Glauber, comme nous le dirons plus bas. Il est vrai qu'ils existoient dans l'économie domestique, où Glauber en a pû faire la conquête.

Il n'en est pas de même des figures elliptique ou parabolique, que nous mettons ensemble parce qu'on les employe aussi souvent l'une que l'autre, & que l'une a nécessairement dû mener à l'autre presque dans le même instant. On voit, p. 107. de Libavius un fourneau de fusion elliptique, qu'il a pris dans Ercker ; & pag. 252 du même auteur, un fourneau de fusion qui ressemble à notre fig. 1. excepté qu'il n'a point de bouche du feu, & qu'il a trois regîtres dans son dôme. Le dedans en differe encore, en ce que la grille n'est qu'au-haut du deuxieme corps ; ce qui n'est pas un défaut ; & en ce que sur les bords du troisieme il y a deux barres de cuivre en croix, qui se fendent en deux à l'endroit où elles doivent se croiser, pour former un trou rond destiné à soûtenir les creusets.

Le fourneau marqué fig. 8-10. differe de celui de fusion de Glauber, par quelques accessoires ; il est fixe, construit en briques, haut de trois piés & demi, & large de 16 pouces, tant sur le devant que sur les côtés. On éleve le cendrier de 10 pouces & demi jusqu'à la grille, & on y laisse une porte de six pouces de large, qu'on discontinue à la hauteur de sept pouces : peu importe que l'intérieur du cendrier qui a neuf pouces de large, soit rond ou quarré ; mais le foyer est rond, & a neuf pouces de diametre. La grille est faite de barres de fer de 10 lignes d'équarrissage, posées en losange, & est de la grandeur requise. Il faut observer les mêmes précautions que pour les grilles déjà mentionnées. Au-dessus de la grille, dont l'épaisseur est comptée pour un pouce, on éleve le foyer à la hauteur de treize ; on continue encore à l'élever, mais on laisse une porte en-devant de sept pouces de large, & haute de dix & demi : cette porte est bordée par un cadre de fer, dont l'usage est de conserver les briques & de joindre mieux avec la porte brisée dont nous parlerons. Il est encore bon d'observer que dès le bas de la porte on diminue tout d'un coup l'épaisseur du fourneau, de celle de son mur antérieur, ou de trois pouces & demi : outre cela, le cadre qui en fait les jambages n'est pas perpendiculaire, mais incliné, de façon que sa partie supérieure est de deux pouces de plus en-arriere que l'inférieure ; ainsi, avec le secours de la figure que nous avons donnée, & en se la représentant de profil, on peut avoir une idée de l'effet que cela doit faire. Au-dessus de la porte, la paroi antérieure du fourneau s'approche insensiblement de la postérieure, & les deux latérales l'une de l'autre, de façon que le diametre du fourneau, qui n'étoit plus pour lors que de cinq ou six pouces, se trouve réduit à un rectangle de trois pouces & demi de large d'arriere en-avant, & à quatre pouces & demi de long d'un côté à l'autre, à quatre pouces & demi au-dessus de la porte : c'est dans cet endroit qu'on a mis un regître. Il est fait d'une brique un peu plus large que le trou qu'elle couvre, & assez longue pour sortir encore quand le trou est tout fermé : cette brique est logée dans une coulisse ; & elle est censée avoir un pouce ou un pouce & demi d'épais. Le fourneau se termine à deux pouces au-dessus, par une ouverture semblable aux dimensions qu'il a à l'endroit de son regître : on y ajuste un petit dôme, qui n'est guere que la naissance d'un tuyau qu'on met de la longueur qu'on veut. C'est ce que nous avons marqué fig. 10. La porte est brisée, c'est-à-dire qu'elle est faite de plusieurs pieces. C'est la fig. 9. Elle est composée de trois barres de fer plates, épaisses de six lignes, longues de neuf pouces, & assez larges pour faire à elles trois la hauteur d'un pié environ quand elles sont posées : elles ont un crampon au milieu, pour avoir la facilité de les prendre.

L'avantage de ce fourneau consiste en ce qu'on peut, au moyen de la construction de sa porte, regarder dans le creuset ; car dans celui de Glauber, on auroit de la peine à y voir une petite quantité de matiere. Il est d'ailleurs construit selon les bons principes. Il n'y a à y ajoûter que ce qu'on peut ajoûter à tous les autres. Je veux parler d'une trompe au soupirail. Nous l'avons fait dessiner d'après nature dans le laboratoire de M. Rouelle.

La fig. 25. est un grand fourneau de fusion en briques, dont le devant est ouvert, pour avoir la facilité de puiser dans les grands creusets, qui sont chargés de quelques quintaux de métal. Quand on n'a besoin que d'un feu médiocre pour fondre une grande quantité de métal à-la-fois, on construit avec des pierres des grands fourneaux quadrangulaires, dont les plus considérables ont leurs côtés larges de 4 piés ; ensorte qu'on y peut placer des creusets d'ipsen, capables de contenir ce qu'on a à fondre. Pendant la fusion on en tient le devant fermé avec des briques, qu'on ôte quand on veut puiser le métal. Par-là on évite les efforts nécessaires à les élever, & le danger qui en résulteroit. Le sol du cendrier est en glacis, & incliné en-avant, pour déterminer le métal qui peut tomber des creusets fêlés, à couler dans un creux fait devant la porte du même cendrier. Il est bon de remarquer que cette fig. qui est la 17. de la Pl. IV. de M. Cramer, doit être élevée, & se terminer en une pyramide comme un fourneau d'essai.

Nous comprendrons la forge, qui est un fourneau de fusion, au nombre des ustensiles nécessaires dans un laboratoire philosophique, quoique nous n'en ayons pas représenté, & cela par les raisons que nous avons alléguées. Mais nous croyons devoir avertir que la casse en doit être plus grande que trop petite.

La casse est cette boîte ou foyer rond ou quarré, d'un pié de diametre, & profond d'à-peu-près autant, où les charbons allumés sont contenus autour du creuset, & reçoivent le vent d'un soufflet double qui vient par-dessous ; elle est quarrée pour l'ordinaire. On donne encore ce nom à la boîte ou foyer d'un fourneau de fusion à vent.

On fait communément la casse plus grande qu'il ne le faut pour l'ordinaire, parce qu'on la diminue avec des carreaux qu'on fait faire au fournaliste. On en ferme le dessus avec un carreau qu'on leur fait faire aussi, qui a dans le milieu un gros bouton servant de poignée, pour réverbérer la flamme & augmenter la vivacité du feu. Le soufflet en doit être fait comme celui du maréchal, à deux vents, & de cuir épais, afin qu'on puisse forcer le vent à volonté. Ceux qui ressemblent aux soufflets d'orgue, ont bien le vent plus égal, mais il est plus foible ; & il ne s'agit pas ici d'une grande précision. C'est la coûtume de diviser en deux le tuyau descendant du soufflet à une certaine hauteur. On suppose que le soufflet soit plus élevé que la forge. Cette division se fait par un sommier à-peu-près semblable à celui de l'orgue ; au moyen duquel on donne à volonté le vent au tuyau de la casse, ou à un autre tuyau qui va s'ouvrir sur le foyer de la forge, pour servir au petit fourneau de fusion de la fig. 37. n°. 1. par exemple, mais quelques artistes y renoncent, par la raison que ce regître est sujet à se déjetter, en conséquence de la chaleur voisine, & perd le vent du soufflet. Je crois cependant que s'il étoit fait de bois de vauge ou de Hollande, la chose n'arriveroit pas. En voici la construction : le tuyau du soufflet porte son vent dans une petite chambre du sommier, que nous nommerons la laie. La paroi opposée à celle qui reçoit le tuyau du soufflet, est composée de trois petites planches couchées les unes sur les autres. Celle du milieu n'est pas si large que les deux autres, mais elle est plus longue ; c'est celle qu'on appelle proprement regître. Elle n'a qu'un trou, & les deux autres en ont deux. Ce qui lui manque de largeur à chaque côté, est rempli par des liteaux ajoûtés à l'une des deux autres, ou bien pris sur leur épaisseur. Les trous de la planchette extérieure reçoivent les deux tuyaux qui vont à la casse & au foyer de la forge. Ces deux tuyaux sont bien étoupés comme ceux des porte-vents, pour boucher juste. Les trous de la planchette intérieure reçoivent le vent de la laie, & le communiquent au tuyau, vis-à-vis duquel se trouve le trou du regître. Ce trou se rencontre justement vis-à-vis l'un des deux tuyaux au moyen de deux arêtes qu'il a à chaque extrémité. On conçoit que les deux planches entre lesquelles il glisse, sont garnies de peau blanche pour empêcher la dissipation du vent.

Au reste, si l'on ne veut pas se donner la peine de construire ce sommier, ou si l'on craint d'en manquer le succès, on peut y suppléer par un autre moyen, qui n'est pas non plus sans inconvénient ; c'est d'avoir un boyau de cuir qui établisse la communication entre le tuyau du soufflet & le tuyau de la casse, qui sont en droite ligne, ou qui doivent y être. Ce boyau de cuir sera attaché par ses deux bouts à deux cercles de fer-blanc fort, dont le supérieur recevra la partie du tuyau venant du soufflet, & l'inférieur sera reçu dans celle qui va à la casse : ensorte que quand on voudra appliquer le soufflet de la forge au petit fourneau de fusion placé sur son foyer ou en-dehors, on retirera la partie inférieure du boyau du tuyau allant à la casse, pour l'introduire dans le tuyau postiche représenté avec ce petit fourneau de fusion fig. 37. n°. 1. Ce boyau est sujet à dessécher, & à tirer à lui l'un de ses anneaux quand il est trop juste, ou bien à rapprocher ses parois quand il est trop long. Il est bon d'observer que ces sortes de tuyaux ne veulent pas être recourbés à angles droits. La vivacité du souffle en est amortie. Ainsi, au lieu d'un angle droit, il en faut faire deux ou trois obtus, ce qui approchera d'une courbe.

Le soufflet doit être à deux vents, sans quoi il seroit bien-tôt brûlé. Les tuyaux de cuivre valent mieux que ceux de fer-blanc. On tient toûjours le soufflet tendu quand on ne s'en sert pas, pour empêcher le cuir de se couper, & on le frotte trois ou quatre fois l'année d'huile de baleine.

On trouve une forge semblable à celle qui convient dans un laboratoire philosophique dans la Pl. X. de Manget, qui la tient de la Pl. XI. de Charas, ou de la page 6. de Rhenanus. Nous avons indiqué les corrections qu'il y faudroit faire.

Il faut encore dans un laboratoire philosophique, un soufflet comme celui dont nous venons de parler, monté sur un chassis, afin de l'appliquer aux fourneaux où il est nécessaire. Ce chassis doit être construit de façon qu'on puisse monter le soufflet au point nécessaire. Nous n'en avons point représenté dans nos Planches ; la chose se comprend assez aisément. Ceux qui voudront voir quelque détail là-dessus, peuvent consulter les docimastiques de Cramer & de Schlutter, ou le laboratoire portatif de Beccher.

Au lieu d'un soufflet, on peut faire usage d'une éolipyle. C'est une sphere creuse de cuivre. On la fait de 16 pouces de diametre à-peu-près. On y soude un tuyau gros comme celui d'un soufflet, dans la direction d'une tangente ; on la remplit d'eau jusqu'aux deux tiers : on la fait bouillir, & elle souffle vivement le feu vers lequel on tourne son tuyau. Faute de cet instrument, on peut employer tout vaisseau qui en approchera, c'est-à-dire où l'on pourra faire bouillir de l'eau, & qui aura un bec à-peu-près dans le même goût. Cependant le soufflet double mérite la préférence, parce qu'on est mieux le maître de gouverner le feu quand on s'en sert, sans compter qu'il en est de l'éolipyle comme du chalumeau dans lequel on souffle. Il sort de l'un & de l'autre des gouttes d'eau qui peuvent troubler l'opération. Elle est malgré cela en usage depuis plus de cent ans pour les fourneaux & pour les lampes de l'émailleur, comme on peut le voir dans un livre anglois intitulé the art of distillation un peu postérieur à Glauber, qu'il a copié, & dans Libavius, page 107. Vitruve l'a employée pour empêcher la fumée.

La fig. 37. n°. 1. représente le petit fourneau de fusion fait en terre des fournalistes de Paris. Il a 13 pouces de haut & 11 pouces de diametre hors d'oeuvre. Il est épais de 2 pouces, & d'une seule piece. Il a deux anses pour la facilité du transport. La porte du soupirail est large de trois pouces, & haute de deux. On la tient fermée & lutée quand on se sert du gros soufflet. A côté est un trou pour recevoir le tuyau qui en vient. La grille est forte, à trois pouces du sol, claire, & bien détachée des parois sur lesquelles elle porte au moyen de trois mentonnets. Quand on employe ce fourneau pour la fusion, on le couvre du dôme de Glaser, que nous avons représenté avec le fourneau de Glauber, fig. 6. On en anime le feu au moyen du soufflet monté sur un chassis, ou bien avec celui de la forge, par les moyens que nous avons indiqués en en parlant ; c'est pour cela qu'il a été représenté avec le tuyau qui doit communiquer avec son gros soufflet double. Ce fourneau est trait pour trait une petite forge portative ronde.

On trouve encore chez les mêmes fournalistes d'autres fourneaux portatifs à vent ; ce sont aussi des petites tours ou cylindres creux sans fond, qui se posent sur un trépié où l'on a mis une grille de fer. Ces especes de tours, qui sont quelquefois renflées vers le milieu, sont percées tout-autour de plusieurs trous : ainsi ce fourneau prend l'air par-dessous & par les côtés. On met dessus un dôme qui finit en-haut par un tuyau d'un demi-pié, qu'on peut allonger à volonté. A ce dôme il y a une porte par laquelle on introduit ce qui est nécessaire à l'opération. Cette notice est de M. Hellot ; on ne l'a mise ici que pour en dissuader l'usage, comme cet illustre artiste, qui a reconnu qu'ils étoient peu propres à la fusion, & conséquemment aux essais, pag. 90. Elle répond & à la description du petit fourneau de fusion qu'on voit Pl. I. de Lémery, & à celle du dôme de Glaser, dont nous avons dit qu'on appliquoit l'usage au petit fourneau fig. 37. n°. 1. qu'on peut voir avec la fig. 6. dans nos Planches.

La fig. 36. represente un petit fourneau quarré portatif pour les essais. Il a 7 ou 8 pouces d'ouverture, & 8 ou 9 de hauteur. On s'en sert à la place de la forge dont nous avons parlé. On y fait faire à un pouce au-dessus de son fond, deux trous opposés, ou vis-à-vis l'un de l'autre, dans lesquels on ajuste avec du lut deux goulots de bouteilles de grès pour servir de tuyere, & diriger le vent de deux soufflets, quand on a besoin d'un feu extrême, sur la partie de la tute où le bouton doit se rassembler. Dans le troisieme côté de ce fourneau quarré, M. Hellot a fait faire une porte qui lui sert, lorsqu'un essai est fini, à retirer la braise, pour pouvoir y placer le creuset d'un nouvel essai sans être exposé à la grande chaleur de cette braise, qu'il est difficile d'enlever entierement sans cette porte. Si l'on a à faire un essai de mine douce, comme le sont presque toutes les mines de plomb, on approche d'une seule tuyere le soufflet à deux vents, qu'on suppose monté pour cet usage sur un chassis de fer mobile. Si c'est une mine de cuivre jointe à une roche de fusion difficile, à laquelle il faille un feu plus fort que pour la mine de plomb, on couvre le fourneau d'un couvercle aussi quarré, pour concentrer la flamme du charbon & la réverbérer sur le creuset. Dans l'un & dans l'autre cas, il faut boucher exactement d'un bouchon de terre enduit de lut, la tuyere qui est vis-à-vis celle par laquelle on introduit le vent du soufflet double. Enfin lorsqu'il s'agit de fondre une mine de fer, ou pour connoître la quantité de fer qu'elle peut rendre dans les travaux en grand, ou pour scorifier le fer avec du plomb, & introduire dans celui-ci l'argent & l'or que celui-là peut contenir, on se sert de deux soufflets qu'on applique aux deux tuyeres opposées. L'un est le soufflet double dont on vient de parler, l'autre peut être absolument un soufflet simple. Mais il faut que le canal de fer qu'on ajuste à son tuyau soit long de 2 piés au-moins ; sans quoi il pomperoit la flamme jusque dans son intérieur, & se brûleroit, pag. 88. Mais il vaut mieux que les deux soufflets soient chacun à deux ames. Cela peut se trouver dans un laboratoire où il y a une forge & un soufflet monté sur un chassis. En mettant le fourneau sur l'aire de la forge, il n'est plus question que d'avoir un canal un peu recourbé, qui aille du soufflet mobile à la seconde tuyere du fourneau.

La figure 26. avec laquelle doivent aller les suivantes jusqu'à la 35e inclusivement, est un fourneau de fusion de tôle, varié pour la facilité de l'appliquer à différentes opérations. C'est le second de ceux qui sont nécessaires à l'essayeur, celui de coupelle étant le premier. On le fait de tôle ; on peut le construire à l'aide du moule elliptique, fig. 35. Ainsi on fera une ellipse creuse, de façon que ses deux foyers soient éloignés l'un de l'autre de douze pouces, & les ordonnées soient de cinq pouces. On retranchera ensuite les deux extrémités comprises entre le foyer & le sommet de la figure : ensorte que celle qui en résultera, sera notre 26. 1°. On fera près de son bord inférieur quatre trous de 8 lignes de diametre, deux desquels seront vis-à-vis des deux autres c c. 2°. Les bords inférieur & supérieur de cette cavité elliptique seront garnis chacun d'un anneau de tôle d, large de près d'un pouce & demi, que l'on attachera en-dedans. On placera aussi intérieurement à 3 ou 4 pouces les uns des autres, de petits crochets de fer de la longueur de 6 lignes, pour tenir conjointement avec les anneaux, le garni qu'on y appliquera. Voyez cet article. Reste maintenant pour que le corps du fourneau soit achevé, à lui attacher supérieurement en-dehors deux anses de fer pour avoir la commodité de le transporter. 3°. Quant au dôme, fig. 27. on pourra lui donner la figure des parties retranchées de l'ellipse, fig. 35. a. On y fera une porte haute de 4 pouces, large de 5 par le bas, & de 4 par le haut, à laquelle on appliquera une fermeture convenable roulant sur des gonds, fig. 34. Sa surface interne sera garnie d'un rebord qui remplira exactement l'ouverture de la porte ; la largeur doit en être telle, que la saillie qu'il formera intérieurement, soit au niveau de la surface du lut, au soûtien duquel il est destiné. L'aire qu'il renferme sera aussi munie de quelques crochets de fer. L'on garantira également de l'action du feu le dôme, fig. 27. dont on garnira le dedans de terre, après y avoir enfoncé des crochets de fer & ajusté un anneau de tôle pour le soûtenir, comme nous l'avons prescrit pour le corps du fourneau fig. 26. On attachera en-dehors à la partie supérieure du dôme, fig. 27. deux crochets de fer longs de six pouces, pour le prendre avec des tenailles quand il sera chaud. On pratiquera à son sommet une ouverture circulaire de 3 pouces de diametre, à laquelle on attachera un bout de tuyau long de quelques pouces, presque cylindrique, destiné à être reçû dans un autre tuyau de tôle, semblable à celui de la fig. 38. Ce fourneau exige encore deux pié-d'estaux mobiles : l'un pour recevoir les cendres & l'air qui doit animer le feu, l'autre destiné aux réductions & fusions des métaux qui se font en stratifiant avec les charbons les mines métalliques ou les chaux, ou scories métalliques. Le premier, fig. 28. se fait de tôle & est cylindrique. On laisse la partie supérieure ouverte, mais on ferme l'inférieure avec une plaque de même matiere. On lui donne cinq pouces de haut, & un diametre tel qu'il puisse recevoir un demi-pouce du corps du fourneau fig. 26. On est aussi obligé pour cet effet d'attacher à la partie intérieure de ce pié-d'estal, à un demi-pouce de son bord supérieur, un cercle de fer large d'un demi-pouce, pour soûtenir le corps du fourneau. Ce pié-d'estal ou cendrier doit avoir un soupirail haut & large de 4 pouces, qui se ferme exactement avec une porte roulant sur deux gonds, afin de pouvoir à son aide augmenter ou diminuer le jeu de l'air, & conséquemment gouverner le feu. Au côté gauche de cette porte, environ à la moitié de la hauteur du cendrier, on fera un trou rond d'un pouce & demi de diametre, pour recevoir la tuyere d'un soufflet, en cas que les circonstances l'exigent. Le second cendrier, fig. 32. sera semblable au premier pour la figure, la matiere & le diametre ; mais il aura le double de hauteur. On y attachera pareillement à un demi-pouce au-dessus de son bord supérieur, un anneau semblable à celui du premier cendrier, & destiné aux mêmes usages. Immédiatement au-dessous de cet anneau, on fera une ouverture arquée par sa partie supérieure, large de trois pouces & haute de deux. Au côté gauche de celle-ci, en commençant également tout-près de l'anneau, on en fera une seconde large de deux pouces, & s'étendant en hauteur jusqu'à la moitié de celle du cendrier. Cette ouverture est destinée à recevoir le cone o, qui doit lui-même admettre une tuyere de soufflet. A droite de la premiere, à 3 pouces du sol du cendrier, on en fera une troisieme circulaire, de deux pouces & demi de diametre. On appliquera dans tout l'intérieur de ce cendrier, excepté au-dessus de l'anneau, un garni composé de terre glaise préparée & mêlée d'une bonne quantité de sable & de petites pierres, qui fassent l'office d'un mur. On fera au fond du même cendrier un bassin ou catin, dont la figure sera celle qu'on voit décrite par la ligne f g h.

Un bassin ou catin de reception est donc un accommodage qu'on fait dans un fourneau, ou par-dehors avec une matiere appropriée à l'opération. Cette matiere est ce qu'on appelle une brasque.

La brasque est de deux especes ; il y a la pesante & la legere. La brasque pesante est composée d'argille séchée & de charbon pilé & tamisé, mêlés à parties égales. On humecte le tout jusqu'à ce qu'on puisse le manier sans qu'il s'attache aux mains. Si l'argille étoit trop grasse & trop compacte, & conséquemment se fendoit aisément au feu, on en prendroit qui en eût déjà éprouvé l'action. On la pile, on la tamise, & on en ajoûte une moitié ou un tiers à celle qui n'a pas encore servi ; car toute argille n'est pas propre à recevoir une quantité de charbon pilé qui réponde à toutes les circonstances ; n'en admettant que difficilement un volume qui excede le double du sien. La différente nature des substances qu'on a à fondre, celle de l'argille qui doit être combinée avec le charbon, empêchent qu'on ne puisse établir de proportion entre ces deux dernieres matieres. La brasque legere n'est autre chose que du frésil ou poussier de charbon ; on en connoît les propriétés. Quand on réduit une mine de fer dans le fourneau dont il s'agit, elle est d'une nécessité absolue. Sans elle l'opération manqueroit. On met encore de la brasque legere entre la pierre de zinc & la chemise du fourneau, où l'on traite la mine de Rammelsberg. Voyez Schlutter, tome II. page 241. Planche XX.

Il y a une chose à remarquer à l'égard de la préparation & de l'usage de la brasque pesante : c'est que plus on y fait entrer d'argille, plus elle est solide & durable, & par conséquent plus difficilement rongée par les matieres fondues qu'il reçoit. Mais aussi d'un autre côté, la quantité de scorie devient plus considérable ; il faut pour lui donner le degré de chaleur nécessaire, avant qu'on puisse mettre dans le fourneau les matieres qu'on y doit fondre, un feu plus violent & plus long-tems continué. Lorsque c'est au contraire le charbon pilé qui excede la quantité de l'argille, le mélange est rongé plus aisément par les matieres en fonte, sur-tout si elles sont arsénicales, sulphureuses, ou demi-métalliques ; pendant que le métal n'y déchoit pas tant, que le bassin se seche plus aisément, & exige pour être échauffé moins de tems & de feu. Le meilleur parti qu'il y ait à prendre en pareille occurrence, c'est de prendre le juste milieu en-deçà & au-delà duquel on seroit exposé aux inconvéniens en question.

Il est bon d'observer en général que les effets du froid & de la chaleur ne se communiquent jamais avec plus de difficulté que quand ils ont à traverser des corps solides qui sont en même tems rares, caverneux, & spongieux. Ainsi on peut empêcher un corps fondu & qui a un grand degré de chaleur, de se refroidir promtement en le couvrant de charbon pilé ; & l'on ne peut pas soupçonner que cette chaleur soit entretenue par le feu que ce corps embrasé peut avoir mis au corps, puisqu'il faut pour cela le contact de l'air, & qu'on ne voit point d'ailleurs de cendres qui en ayent été produites. Il s'ensuit que c'est autant pour conserver au métal l'état de fusion que l'état métallique par le phlogistique, qu'on mêle le poussier de charbon à l'argille. On peut se convaincre de la vérité de cette doctrine, si on examine la disposition des grands fourneaux des fonderies & des travaux qui s'y font ; comme aussi les inconvéniens qui en naissent, & les remedes qu'on y apporte.

Pour rendre notre bassin plus durable, on le saupoudrera avec des scories pilées, & on l'applanira avec une boule de laiton. On choisira celles qui ne peuvent plus donner rien de métallique par une réduction ordinaire, & qui ne contiennent ni soufre, ni arsénic. Si on n'en a point de semblables à celles qui doivent rester après la fusion qu'on est sur le point de faire, lesquelles sont préférables à toutes les autres, on leur substituera du verre pilé. On observera que le bassin en question doit avoir au milieu une petite cavité g, qui soit le segment d'une sphere creuse plus petite que celle qui auroit formé la cavité totale. Cette cavité exige les mêmes précautions que les grandes coupelles, c'est-à-dire qu'il en faut tasser la brasque avec un pilon à dents, l'applanir avec une boule de laiton, & y passer aussi une plane courbe.

Le fourneau fig. 26. est principalement destiné aux fusions : on les y peut faire avec des vaisseaux, ou même sans ce secours. Si l'on s'en sert, on mettra le corps du fourneau fig. 26. sur le premier piédestal, fig. 28. garni d'une porte roulant sur deux gonds ; l'on introduira deux barres de fer dans les trous c c de la partie inférieure de la fig. 26. pour soûtenir la grille fig. 29. qu'on y fera entrer par l'ouverture supérieure. Au milieu de cette grille on placera une tourte ou culot de terre cuite, très-unie, & d'égale épaisseur ; on la fera rougir pour la sécher ; sans quoi l'on risqueroit de faire fêler les vaisseaux, les grands sur-tout qu'elle soûtiendroit, en conséquence des vapeurs humides qui s'en éleveroient pendant l'opération. Sa hauteur & son diametre doivent excéder un peu celui du fond du creuset qu'on veut mettre dessus, qui n'est convenablement échauffé qu'à la faveur de cette élévation, & suffisamment stable que par la largeur en question. On met ensuite sur cette tourte le creuset contenant la matiere à fondre ; on l'entoure de toutes parts de charbons qu'on range avec les précautions que nous avons indiquées, en parlant du fourneau de coupelle à l'article ESSAI. On gouverne le feu en ouvrant ou fermant la porte du cendrier, fig. 28. on l'augmente en mettant le dôme fig. 27. & ensuite le tuyau de la fig. 38. au moyen duquel on a un feu de fusion très-violent : mais l'on surpasse de beaucoup celui d'une fournaise ordinaire, si l'on introduit la tuyere d'un soufflet par le trou du cendrier, (fig. 28.) destiné à cet usage d ; après avoir préalablement lutté exactement avec une fine pâte d'argille les jointures du corps du fourneau & du cendrier, & même celles de la porte, qui ne peut jamais fermer assez bien, pour qu'on puisse s'en dispenser. L'avantage qu'on retire de cette méthode consiste en ce que les creusets ne sont pas si sujets à se briser, le vent du soufflet ne donnant pas directement dessus, & animant également le feu de tous côtes. Ainsi voilà une expérience qui contredit celle de Glauber ; mais il y a toute apparence que ce chimiste n'avoit pas la précaution de faire passer de même le vent de son soufflet par un cendrier, comme il passe aussi dans la forge dont nous avons parlé. Cet appareil peut servir à examiner les pierres, lorsqu'on veut savoir quel sera sur elles l'effet d'un feu extrème. Nous ne nous croyons pourtant pas dispensés pour cela de donner le fourneau de M. Pott ; les effets en sont connus ; au lieu qu'il n'est pas de même aussi évident que celui de la fig. 26. donne les mêmes résultats.

Mais si l'on veut fondre à feu une des mines de cuivre, de plomb, d'étain, de fer, ou réduire leurs chaux ou scories, on se servira du cendrier, (fig. 32.) qui contient un catin ou accommodage, & l'on observera de déboucher d'abord avec un couteau les ouvertures e & d fermées par le garni, de retrancher proprement les bavûres, & de remplir d'argille les petites cavités. On assujettira dans l'ouverture d, à gauche du soupirail, le cône de tôle o destiné à recevoir la tuyere du soufflet à deux ames. On parlera de la disposition que doivent avoir le cone & le soufflet, quand on traitera les opérations qui exigeront cet appareil. Le trou arqué c du cendrier sert à différens usages ; on connoît par-là, au moyen d'un crochet de fer, si la matiere contenue dans le bassin de réception est fondue ou non : par-là on a la facilité d'écarter les corps qui pourroient fermer le passage du vent du soufflet, comme aussi de retirer les scories qui s'y trouvent dans de certaines occasions. Il est à-propos de luter intérieurement la jointure qui résulte de l'assemblage du cendrier, & du corps du fourneau, afin de ne plus faire qu'une seule & même surface de ce qui étoit séparé avant. Avant que de mettre dans le fourneau la matiere qu'on a à fondre, on y jette du charbon de la hauteur d'un pan ; on l'allume & on l'anime avec le soufflet, afin de rougir le bassin : faute de cette attention, ces scories se refroidissent & se congelent avant que la matiere réguline se soit précipitée & réunie. On fournit de nouveau charbon à mesure qu'il s'en consume ; le bassin étant convenablement échauffé, on met du charbon de nouveau, puis de la matiere à fondre : mais il faut faire attention que la quantité n'en soit pas assez considérable pour empêcher l'action nécessaire du feu. On ne peut déterminer ici cette quantité, parce qu'il n'y a que l'expérience seule qui puisse l'apprendre. On met un nouveau lit de charbon, & par-dessus un lit de matiere à fondre ; & ainsi successivement, en faisant plusieurs couches les unes sur les autres. Si la matiere fondue n'étoit pas capable de soûtenir un certain tems l'action du feu, ou que l'on en voulût fondre à-la-fois une plus grande quantité que le bassin n'en peut contenir ; on creuseroit pour lors dans le lut du bassin un canal, qui, commençant dès sa petite cavité g, iroit aboutir à l'ouverture circulaire (fig. 32. e) du cendrier ; & l'on recevroit dans un catin ou autre vaisseau garni d'un mélange d'argille & de charbon (fig. 33. i), la matiere qui découleroit du premier. Nous avons déjà dit que ce ne seroit qu'en décrivant les opérations qui se font par cet appareil, qu'on pourroit détailler les précautions qu'elles exigent par leurs variétés.

Le fourneau qui vient d'être décrit peut encore servir à d'autres opérations, soit en l'employant tel qu'il est, soit en y faisant des changemens. Nous en parlerons encore dans la section des polychrestes ; il est tiré de Cramer, part. I. nous en allons décrire d'autres qui en approchent, & qui peuvent en avoir donné l'idée. Voyez celui de Beccher.

Le fourneau de fusion qui doit être placé ici, est celui que nous a donné Beccher dans son laboratoire portatif, que nous avons marqué fig. 71. mais comme cet auteur en a plus fait un polychreste que toute autre chose, & qu'il n'y a presque rien à en dire sur la fusion, que nous n'ayons déjà dit à l'occasion de celui qui précede, ou que nous ne soyons sur le point de dire au sujet de celui de M. Pott, dont nous allons parler, nous n'en ferons mention qu'à la section des polychrestes.

Mais je crois devoir parler avant d'un fourneau qui mérite attention par sa singularité : il est tiré du commerc. litterar. de Nuremberg, ann. 1741. p. 224. & Pl. II. fig. 8. On en parle comme d'un extrait des ouvrages de M. de Kramer de Vienne, qui s'exprime en ces termes : " Je serois fâché de passer sous silence que j'ai connu il n'y a pas long-tems une nouvelle espece de fourneaux chimiques. Voyez nos Planches de Chimie, fig. 37. n°. 2. Ces sortes de fourneaux sont portatifs, & propres à toutes sortes d'opérations chimiques ; ils ne deviennent jamais rouges à l'extérieur, quoiqu'ils puissent donner intérieurement tous les degrés de chaleur : on peut même y pousser le feu au point d'y mettre en fonte toutes les terres connues ; ils ne font d'ailleurs aucun mal, pourvû qu'ils soient placés sous une cheminée. Ces propriétés sont particulierement fondées sur trois conditions ; la matiere dont on les fait, leur figure, & leur construction. On employe pour les faire une espece de pierre tendre & legere, qu'on appelle pierre ollaire ; il est bon d'observer qu'elle est plus legere que la pierre ollaire de Pline, à laquelle les Suisses donnent le nom latin d'appen-zellensis, ou de clarensis, que Scheuchzer a fait connoître dans sa description de la Suisse, & qu'elle est d'une nature bien différente. On en tire beaucoup à Hesse-Cassel, ou plutôt dans la province de Nassau, & dans la Thuringe, tout près d'Ilmeneau, où on l'employe principalement à la construction des édifices, parce qu'on peut la tailler & la scier. Quand on veut l'employer au fourneau en question, on en façonne plusieurs segmens circulaires de la maniere que la figure du fourneau & la nécessité de les maçonner exactement ensemble, l'indiquent. D'ailleurs, on arme ces segmens depuis le bas jusqu'au haut du fourneau de cercles de fer qui les empêchent de se désunir & de se briser. On en construit un fourneau cylindrique extérieurement à la hauteur d'environ trois piés ; on le couvre d'un dôme fait de la même pierre, & dont la figure varie selon les différentes opérations ; la grille peut se placer à différentes hauteurs. Pour donner accès à l'air ; il n'est question que de déplacer un ou deux segmens circulaires, suivant le degré de feu qu'on veut donner. La cavité de ce fourneau est telle, que dans quelque point qu'on le coupe, pourvû que ce soit horisontalement, on aura une ouverture parfaitement ronde : mais si on l'examine de-haut en-bas, on trouvera qu'il est formé par deux demi-ellipses ; au reste tout est dans l'exactitude. Je ne doute point qu'on ne puisse au moyen de ce fourneau séparer l'argent que je sais faire la moitié du plomb ; car cette opération ne se fait qu'au moyen d'une vitrification excitée par un feu de la derniere violence, & de vaisseaux qui y résistent, qu'on doit faire de cette pierre ".

On trouvera ce fourneau mieux figuré dans de Sgobbis, Pl. II. lettre Z, que dans nos Pl. parce que nous avons voulu prendre la figure trait pour trait, quoique la description la rectifie. Il n'est je crois pas besoin d'avertir que le dôme doit avoir un regître au milieu, quoiqu'on n'en voye rien dans la figure.

La fig. 38. represente un fourneau de fusion qui produit des effets inconnus jusqu'ici : quoiqu'il soit imité de celui de Beccher, comme son auteur l'avance, nous avons cru que nous devions les prendre tous deux, parce qu'ils ont des différences considérables ; nous les examinerons dans la suite : c'est M. Pott qui parle.

Lorsque j'ai dit dans mon traité de Lithogéognosie, que le feu des cuisines & des fonderies n'étoit pas assez fort pour les opérations & les fusions que j'ai décrites dans le cours de cet ouvrage, j'ai aussi eu en vûe les fourneaux des Apothicaires, & même ceux des verreries & des manufactures de porcelaine, dans lesquels on ne mettra pas en fusion, quoiqu'à l'aide d'un feu de plusieurs jours, les matieres que je ferai fondre dans mon fourneau avec un feu de deux heures, comme les grenats orientaux, ceux de Bohème, & même les Hyacinthes.

Mon fourneau est à-peu-près le même que celui dont Beccher a donné la description dans son laboratoire portatif, page 32. il sera facile d'en voir la différence. Le corps de mon fourneau A A est fait de lames de fer, afin qu'il soit en état de mieux résister à l'action du feu : le dedans est enduit d'argille blanche, crue, mêlée avec parties égales de la même argille, détrempée dans du sang de boeuf.

B B est aussi couvert de lames de fer, & enduit de même en-dedans ; il se met sur le corps A A, & contient la porte D, par laquelle on met le charbon, & le tuyau de fer A, dans lequel on emboîtera un autre tuyau H, qui ait au-moins six piés de long. Plus ce tuyau sera long, & plus le feu agira avec force ; il faut attacher ce tuyau dans la cheminée avec une chaîne de fer, de peur que par son poids il ne vienne à faire pancher le fourneau.

Si on vouloit que ce fourneau augmentât encore plus la violence du feu, il faudroit ajoûter un tuyau C à l'ouverture B du cendrier, de façon que l'entonnoir C placé hors de la fenêtre, pût attirer de fort loin l'air extérieur dans le fourneau.

On ne doit employer dans ce fourneau que des charbons de la grosseur d'un oeuf de poule ou d'oie ; ceux qui se trouveront plus petits ou plus gros, doivent être rejettés ; il faut emplir le fourneau de charbon presque jusqu'au-haut, afin que le creuset soit toûjours couvert de charbon allumé, & le feu dans toute sa force. Il faut aussi avoir soin de mettre des charbons ardens dans le fourneau au-moins toutes les huit minutes : on doit ensuite fermer promtement & exactement la porte ; par ce moyen tout ce qui est fusible dans la nature sera mis en fusion dans l'espace d'une heure ou deux. Pott, Lithogéognosie, part. I. pag. 421.

Nous n'avons point donné l'échelle de M. Pott, parce qu'elle est particuliere à son fourneau ; mais en voici les rapports. Suivant cette échelle divisée en cinq piés, le cendrier de son fourneau est haut & large d'un pié ; le corps est haut de deux piés deux pouces, & a un pié neuf pouces de diametre dans la plus grande capacité de son ventre. On sent bien que le bas a un pié de diametre, ainsi que le cendrier : son dôme B B, ainsi que l'ouverture supérieure du corps du fourneau, a seize pouces de diametre, & sept ou huit pouces de haut jusqu'à la naissance de son tuyau, qui a environ cinq pouces de diametre dans le bas. La porte du cendrier y est trop élevée, devant être de niveau avec le sol. L'on conçoit qu'elle doit être plus large que le tuyau supérieur. Si l'on prévoit que l'on soit obligé dans quelque cas d'appliquer le canal e, il faudra la faire ronde, ou boucher les vuides avec de l'argille & des platras.

Ce fourneau, comme on le peut voir, a encore beaucoup de ressemblance avec celui de fusion de M. Cramer, fig. 26. & suiv. Néanmoins il y a entre eux des différences essentielles qui nous les ont fait admettre tous les deux. Celui de M. Cramer est plus composé & plus varié, & conséquemment peut être appliqué à plus d'opérations ; mais celui de M. Pott donne le plus fort degré de feu qui ait jamais été produit par aucun fourneau.

La fig. 39-44. trouvera aussi sa place avec les fourneaux de fusion, quoiqu'elle serve plus particulierement à la vitrification des terres, pierres, &c. qui n'est au fond qu'une fusion de ces mêmes corps. Le fourneau nécessaire à ces sortes d'expériences, se trouve représenté dans la Pl. XI. de l'art de la Verrerie de Kunckel, mise en françois par M. le baron d'Holbach. Mais comme M. Cramer s'en est beaucoup servi pour les émaux, &c. il l'a corrigé de façon que le feu peut être donné plus fort aux vaisseaux, qu'on y peut introduire plus de choses, & que les torréfactions & calcinations nécessairement longues en pareil cas, peuvent se faire en même tems que le reste.

Pour le construire, on employe des pierres capables de soûtenir la violence du feu. C'est ce qu'il est aisé de connoître, si l'on se sert d'une pierre pareille pour soûtenir un creuset dans lequel on fait une fusion qui demande un feu vif, telle que celle du cuivre ; car si elle n'adhere pas au fond du creuset, quand on le retire ; si elle ne prend point de vernis, à-moins que ce ne soit un très-leger enduit ; si elle ne se gerse point, & si elle garde sa dureté étant refroidie, alors on peut être sûr qu'elle a toutes les qualités requises. Il faut rejetter comme mauvaises celles qui, après avoir soûtenu un grand feu, se fendent en refroidissant. On peut se servir pour mortier de la composition argilleuse dont on a fait les briques du fourneau, si c'en est qu'on employe, ou celle dont on a fait les mouffles d'essai. On observera que les pierres joignent si bien entr'elles, que le trait de rustique soit très-petit, c'est-à-dire qu'une legere couche de mortier suffise pour les maçonner.

Il faut qu'il y ait dans le lieu où l'on construira le fourneau en question une cheminée pompant bien la fumée ; que toutes les grandes ouvertures qui s'y trouvent puissent être fermées exactement ; & que le fourneau soit placé près de la cheminée, de façon que l'artiste puisse tourner librement autour.

La figure extérieure d'un fourneau peut être celle d'un cylindre terminé par une voûte. Son diamêtre sera de 24 pouces, ou plus, selon la différence des pierres : sa hauteur de 48 ; l'épaisseur du mur dans les endroits les plus minces sera au-moins de quatre pouces ou de six : sa cavité intérieure sera divisée en chambres, dont la voûte doit suivre la direction d'une ligne parabolique. La plus basse qui sert pour le cendrier, sera haute de 12 pouces, & son plus grand diamêtre ou l'inférieur en aura 14, & ainsi l'on voit quelle est la direction de la ligne parabolique. On fera à sa voûte une ouverture de 10 pouces de diamêtre ; en sorte qu'il ne restera sur son dos qu'un bord circulaire de deux pouces. Ce bord sert à soûtenir des barres de fer équarries que l'on met sur cette ouverture, au lieu d'une grille. On scelle ces barres à l'endroit du rebord d'une couche de lut de même épaisseur, qu'on applanit avec soin, pour qu'elle puisse recevoir les vaisseaux qu'on y place de toutes parts. On laisse à la base du cendrier une ouverture ou soupirail en quarré long, large de six pouces sur quatre de haut, qui se ferme avec une porte de fer roulant sur des gonds.

La seconde chambre élevée sur la premiere, est le foyer ou lieu recevant l'aliment du feu. Elle est de même largeur & hauteur que la précédente, excepté que les pierres n'en soûtiennent pas si bien l'action du feu. C'est pour cette raison qu'on lui donne quelques pouces de plus en largeur, & qu'on remplit cet excédent d'un garni soûtenant la derniere violence du feu. Ce garni se fait, si l'on n'en a point d'autre, de creusets d'ipsen pilés, qu'on mêle avec l'argille la plus réfractaire qu'on peut trouver. Au milieu de la voûte est un trou circulaire de six pouces de diamêtre, dans la circonférence duquel la voûte n'a qu'un doigt d'épais. Sur le dos de cette voûte est un emplacement large de quatre pouces, servant à mettre les vaisseaux. Dans la circonférence de cette chambre on fait sept portes arquées, à égales distances les unes des autres, six desquelles sont larges & hautes de six pouces, & dont la septieme a deux pouces de plus. Leurs bases sont éloignées de deux pouces de la couche du lut qui assujettit les barres de fer, laquelle doit être regardée comme le pavé de cette chambre. Le mur du fourneau est diminué d'un tiers de son épaisseur, entre la base de chaque porte & le sol de la chambre. Toutes les portes sont garnies de fermetures roulant sur des gonds, faites ainsi que nous venons de le dire, en décrivant la fig. 26. & couvertes d'un garni de deux doigts d'épais ; elles seront reçues dans une feuillure large de quelques lignes, & de même profondeur que l'épaisseur du garni. Chaque fermeture a d'ailleurs à sa partie supérieure un petit trou, à-travers duquel on peut voir aisément ce qui se passe dans le fourneau.

La troisieme chambre, supérieure à la seconde, est parfaitement semblable aux deux précédentes, si ce n'est que sa voûte est plus basse de deux pouces, & que le trou au moyen duquel elle communique avec la quatrieme chambre, est de quatre pouces en quarré seulement, & n'est pas dans le milieu.

La quatrieme & derniere chambre est de même largeur que les autres ; mais sa voûte n'est élevée que de huit pouces. A l'opposite du trou qui établit la communication de cette chambre-ci avec l'inférieure, & à deux pouces de son pavé, est un tuyau cylindrique de tôle de quatre pouces de diamêtre, servant à déterminer la fumée & la flamme dans cette chambre. Entre ce trou & ce tuyau ou cheminée, est une ouverture haute & large de six pouces, commençant dès le sol de la chambre. Elle est garnie d'une fermeture de fer, & sert à introduire & retirer les vaisseaux. Ce fourneau est exécuté dans le laboratoire de M. Roüelle.

On se sert de ce fourneau de la maniere qui suit. On allume le feu dans la seconde chambre ; il se fait de charbon ou de bois sec, & principalement de hêtre, qu'on y introduit par la maîtresse porte. Mais il est bon d'observer les choses suivantes, quant au choix d'une pâture propre à donner un feu violent en général. Si l'on veut donner la derniere violence du feu à un vaisseau absolument couvert de son aliment, il faut que les charbons soient petits ou d'une grosseur médiocre, & que les tourtes n'ayent pas plus de trois doigts de haut, si les vaisseaux sont grands, ni moins d'un, s'ils sont petits. Mais si l'on met les vaisseaux à côté ou dessus l'aliment du feu, comme il arrive d'ordinaire dans ce fourneau, pour leur donner la chaleur & la flamme la plus vive, il faut préférer en ce cas le bois & les gros charbons. Maintenant si l'on fait dans le mur du laboratoire une ouverture un peu grande, ou du moins égale au soupirail, qu'on établisse un canal de tôle ou de planches qui conduise de l'un à l'autre, & qu'on ferme d'ailleurs le laboratoire de tous côtés, pour qu'il n'y entre que peu d'air : alors son action est d'autant plus rapide par ce canal, que la cheminée du laboratoire est échauffée ; de sorte qu'on parvient à donner au feu un degré de la derniere violence. Il sera si vif aux petites portes de la seconde chambre, que quelques onces de cuivre, jettées sans addition dans un creuset rougi, seront fondues au bout d'une minute, bouilliront, & seront beaucoup plus embrasées qu'il n'est nécessaire, pour lui faire prendre dans un moule la figure qu'on veut. On met les vaisseaux par ces petites portes, & on les place sur le lut servant à assujettir les barres de fer faisant l'office de grille. On place autant de vaisseaux dans le pourtour de la chambre, qu'il y a de portes. Les vaisseaux qu'on y introduit, avant que le fourneau soit parfaitement chaud, peuvent se poser sur une tourte épaisse d'un pouce, & difficile à vitrifier. On peut voir & examiner la matiere contenue dans les vaisseaux par le petit trou pratiqué dans cette porte. Comme le sol de la troisieme chambre est beaucoup plus large que celui de la précédente, il est capable de tenir un double rang de douze vaisseaux chaque, ou plus s'ils sont de médiocre grandeur. Le feu n'est pas si fort dans celle-ci que dans la précédente, & son degré n'est que celui d'une fonte médiocre. Enfin dans la quatrieme & derniere le feu est beaucoup plus doux. Il y est très-propre aux calcinations & grillages, qu'on doit faire à un feu leger ; car les vaisseaux ne font qu'y prendre un commencement de rougeur. Si l'on veut les placer dans le fourneau déjà embrasé, on les chauffera bien d'abord ; ensuite on les mettra dans la quatrieme chambre, après quoi ils seront en état, par le rouge médiocre qu'ils auront pris, de passer dans la troisieme ou seconde.

Avant que d'allumer le feu, il faut avoir des appareils pour plusieurs opérations. On fait ainsi quantité d'expériences avec très peu de peine, en peu de tems, & à peu de frais. Enfin M. Cramer assûre qu'il n'en a jamais fait qui lui ayent procuré autant de plaisir que celles qu'il a faites dans le fourneau en question, quoiqu'elles soient d'ailleurs très-ennuyeuses, parce que le feu doit y être très-fort & très-long-tems soûtenu dans le même état ; & il affirme qu'il avance peu, en disant que tout en est dix fois plus aisé, si on en sait tirer parti.

Les vaisseaux qu'il employe pour son fourneau, sont des creusets & des tutes qu'on y place avec ou sans couvercle. Mais si l'on est obligé d'examiner ou d'agiter souvent la matiere qu'ils contiennent, & de les garantir en même tems de la chûte des cendres qui voltigent, il faut faire une échancrure à leur bord supérieur, puis y appliquer une fermeture qu'on assujettira avec du lut. On peut encore construire exprès des vaisseaux cylindriques fermés par le haut, n'ayant qu'une ouverture par le côté, qu'on aura soin de tourner vers la porte, enfin ce qu'on appelle des creusets de Verrerie. Si l'on se sert de creusets triangulaires, il faut que l'un des angles soit dirigé vers le centre du fourneau, & le côté opposé tourné du côté des portes. Faute de ces précautions, les vaisseaux sont sujets à se fendre.

Au défaut de ce fourneau, M. Cramer s'est servi autrefois, avec assez de succès, de son athanor que nous avons marqué fig. 56. & que nous décrirons plus bas. Il ajustoit une trompe à son cendrier comme au précédent ; il plaçoit les vaisseaux sur des tourtes dans la chambre voisine de la tour ; il levoit tout-à-fait la plaque de fer destinée à empêcher l'accès du feu de la tour dans la premiere chambre ; il maçonnoit la porte de cette chambre avec des briques & du mortier, laissant pour introduire les vaisseaux deux petites portes qu'il fermoit avec des pistons ; il plaçoit les vaisseaux qui demandoient le plus grand feu tout près de la fenêtre biaise, au moyen de laquelle le feu passe du foyer dans la premiere chambre ; ceux à qui un feu plus doux suffisoit, au milieu de la chambre, & vis-à-vis la même fenêtre. Mais comme les pierres n'étoient pas des meilleures, & qu'il y avoit soûtenu pendant deux jours un feu de la derniere violence, le fourneau s'étoit tout détruit, & les tourtes s'étoient confondues avec les pierres vitrifiées, quoiqu'il ne se fût pas répandu de verre des vaisseaux ; inconvénient qu'on doit prévenir avec tous les soins imaginables ; car s'il arrive un certain nombre de fois, le fourneau est hors d'état de servir davantage.

Des fourneaux d'essai. Ce sont ceux dont nous avons donné la description à l'article ESSAI, & qui dans nos Planch. de Chimie sont marqués fig. 4548. 49-50-53. 54 & 55. leur place naturelle eût été celle-ci. Après les fourneaux de calcination & de fusion, doivent venir ceux qui sont cela tout-à-la-fois ; mais nous nous contenterons d'y faire quelques additions. Voici les proportions que les fournalistes de Paris donnent à ceux qu'ils font en terre, fig. 54. Ils font un sol de 18 ou 20 lignes d'épaisseur, de 12 ou 13 pouces de large, ou d'un côté à l'autre, & de 13 ou 14 pouces de devant en-arriere ; quelquefois ils le font tout-à-fait quarré, & le fourneau en est tout aussi bon. Tantôt il est plus grand, & tantôt il l'est moins ; cela dépend du nombre d'essais qu'on y veut faire à-la-fois, & de la quantité de matiere qu'on a à y traiter. Ils élevent ensuite des murailles à la hauteur de trois pouces ou trois pouces & demi ; & c'est pour lors qu'ils pratiquent le petit rebord qui soûtient les barres faisant l'office de grille. Ces murailles ont aussi 18 ou 20 lignes d'épais. Ils pratiquent trois ouvertures ou soupiraux au cendrier, une en-devant & une de chaque côté. Toutes trois ont en largeur quatre pouces & demi d'embrasure réduits à quatre pouces en-dedans sur trois de hauteur. Au-dessus des barres-grilles qui sont posées en losange, & qui, ayant huit lignes d'équarrissage, occupent environ un pouce d'épaisseur horisontale, ce qui fait quatre pouces & demi de haut, ils élevent encore les murailles de deux pouces, & quelquefois de trois ou quatre, avant que de faire les trous pour placer les barres soûtenant la moufle. Ces trous sont au nombre de quatre, deux devant & deux derriere. Ils ont huit ou neuf lignes de diamêtre pour recevoir des barres rondes de même grosseur à-peu-près. Comme ces barres terminent la couche de charbon placée entre la grille & la moufle, & que cette couche ne suffit pas à beaucoup près pour la plûpart des essais, nous avons déjà remarqué à leur article que c'étoit un inconvénient à corriger, & qu'il falloit quatre ou cinq pouces, au lieu de deux, entre la moufle & les barres-grilles. Cet espace doit même être plus considérable, quand on veut employer ce fourneau à l'émail, soit tel qu'il est, soit modifié de la façon particuliere qui convient à ce genre de travail. Voyez EMAIL. Du-dessus des barres au haut du fourneau, il y a cinq ou six pouces d'espace. Deux ou trois lignes au-dessus de ces mêmes barres, on fait une ouverture demi-circulaire de cinq ou six pouces de large en-bas sur trois ou quatre de haut dans son milieu. C'est la porte de la moufle. Quand celle-ci est un peu longue, & qu'on y place des vaisseaux un tant-soit-peu grands, il manque de l'élévation à sa porte. Ainsi on ne risque rien de la faire d'un pouce ou d'un demi-pouce plus haute. Au-dessus de ce corps qui est en tout haut de quinze pouces, est le dôme en pyramide quarrée haute en tout de cinq pouces, & se terminant par une ouverture de quatre pouces aussi quarrée. Cette ouverture doit se terminer de façon qu'on y puisse ajuster la buse i ou naissance de tuyau qu'on voit au-dessus de la fig. 54. pour augmenter le feu, & avoir la facilité de continuer cette cheminée. Ainsi la hauteur totale du fourneau est de vingt pouces sans sa cheminée.

On fait encore des fourneaux d'essai sur le champ avec des briques & des barres de fer, ou bien une grille d'une seule piece. On leur laisse en côté une fenêtre pour observer si le charbon s'affaisse bien sous la moufle & à ses côtés : cette fenêtre est aussi nécessaire dans les autres especes de fourneaux d'essai.

Le fourneau d'essai sans grille qu'on voit représenté Planche I. Tome I. de Schlutter, & fig. 55. de nos Planches, est celui de Fachs. Ercker en a senti les inconvéniens, & préfere celui qui a un cendrier. Le fourneau de Fachs se trouve dans Libavius & Glaser. Celui de Cramer est pris d'Ercker. Il est précisément le même, si on en excepte peut-être que les deux portes en coulisse du cendrier ont chacune, de même que celles de la bouche du foyer, un trou qui n'y est pas fort nécessaire. Celui qu'on voit dans Rhenanus est aussi le même que celui d'Ercker.

Fachs a fait beaucoup de corrections aux fourneaux d'essai d'Agricola ; mais il les a laissés sans grille. Ceux d'Agricola sont très-défectueux ; ils ressemblent assez à certains fourneaux d'émail qui sont encore aujourd'hui en usage.

Stahl me paroît être le premier qui ait demandé pour les fourneaux d'essai, comme pour ceux de reverbere, un tuyau ajusté à leur dôme, fund. chem. p. 44. Il avance p. 157. que l'espece de fourneau en question ne demande pas, pour être construit, autant de précision qu'on l'a cru, & que c'est s'amuser à des inutilités & à des minuties ; que les qualités que doit avoir un fourneau d'essai se réduisent à ce qu'il pompe bien l'air, & puisse fondre de l'argent. Ces vûes sont remplies par des regîtres placés à la partie supérieure du fourneau, un cendrier garni de sa porte, & un couvercle pour donner froid, par une juste proportion de la moufle & une distance de deux doigts entr'elle & les parois du fourneau. On verra par la lecture de cet article, si Stahl n'a pas pu se tromper.

Le fourneau d'essai à l'angloise (fig. 45-49.) en brique, & celui qui est en terre, dont nous avons donné la description, ne se trouvent, que je sache, qu'une fois chacun à Paris.

Le fourneau d'émail qu'on voit dans Haudicquer de Blancourt, est sans grille comme tous les autres. Il est plus que probable que l'émail qui doit son origine à la chimie, lui doit aussi le fourneau qui y est employé. C'est le fourneau d'essai qu'on a pris, mais le fourneau d'essai sans grille. Depuis ce tems les Chimistes ont corrigé ce défaut de grille ; mais les Emailleurs qui en ont été séparés n'ont point profité de cette correction ; & cela n'est point étonnant. La plûpart des essayeurs eux-mêmes ne l'ont pas encore admise ; & l'on fait même encore des essais avec une moufle sans sol, comme celle des émailleurs ordinaires : construction qui peut avoir ses avantages pour les essais, mais qui me paroît n'avoir que des inconvéniens pour l'émail. Voyez MOUFLE.

On n'a mis à l'article ESSAI que ce qui regardoit la construction du fourneau de la fig. 50-53. au-moins s'est-on peu étendu sur son usage général. Le voici. Pour faire usage de ce fourneau, l'artiste l'élevera de deux ou trois piés, de quelque façon qu'il le fasse, afin qu'il puisse voir commodément par l'embouchure de la moufle les progrès de l'opération, sans être obligé de se baisser. Il passera dans les quatre trous inférieurs qui répondent les uns aux autres, deux barres de fer épaisses d'un pouce, & de telle longueur que leurs extrémités débordent un peu les parois du fourneau de chaque côté. Ces barres sont destinées à soûtenir la moufle qu'on introduit par l'ouverture supérieure du fourneau, avant que d'y mettre le dôme pyramidal ; on la place de façon que son embouchure ne semble faire qu'une seule & même piece avec le bord de la porte qu'on appelle de son nom : après quoi on la lute avec ce même bord, parce qu'il faut l'assujettir. La substance qui doit servir d'aliment au feu & la grille se mettent par le haut du fourneau, dont le dôme doit être conséquemment mobile encore pour cette raison, & assez leger. Les charbons faits de bois dur, & sur-tout ceux de hêtre, sont les plus propres pour ces sortes de circonstances. On les met par morceaux de la grosseur d'une noix, & l'on en couvre la moufle d'une couche de plusieurs pouces. Nous donnons l'exclusion aux charbons qui sont plus longs ou plus gros, parce qu'ils ne se rangent pas bien autour de la moufle, & ne remplissent pas exactement l'espace étroit qui est entr'elle & les parois du fourneau : d'où il arrive que le feu est, ou inégal, ou trop foible, à cause des vuides qui se rencontrent nécessairement pour lors. C'est pour cela que nous avons conseillé de faire une petite porte à côté du fourneau. Il est cependant un juste milieu duquel on ne peut s'écarter ; car si l'on cassoit le charbon trop petit, la plus grande partie passeroit à-travers la grille, & tomberoit dans le cendrier ; ou bien se réduisant trop promtement en cendres, elle boucheroit bien-tôt la grille par la quantité en laquelle elle s'y amasseroit, & empêcheroit le libre passage de l'air, qui est si nécessaire en pareille occasion.

Comme les opérations qu'on fait avec ce fourneau exigent pour l'ordinaire un feu conduit avec exactitude, on fera attention aux circonstances suivantes. 1°. Le fourneau étant plein de charbons allumés, si l'on ouvre entierement la porte du cendrier, & qu'on approche l'une de l'autre les coulisses de la porte de la moufle, on augmente le feu. Son action deviendra plus forte, si on met le dôme, & qu'on lui adapte le tuyau de deux piés (fig. 49.) 2°. Mais on aura un feu extrème, si, laissant le fourneau dans l'état dont nous venons de parler, excepté la bouche de la moufle qu'on ouvrira, on lui applique le canal de tôle rempli de charbons ardens. On est rarement obligé d'en venir à cet expédient pendant l'opération ; on n'y a recours que quand on commence à allumer le feu, parce que ce seroit en pure perte qu'on attendroit patiemment pendant quelques heures qu'il eût acquis le degré d'activité convenable. On est encore obligé de recourir à cette disposition, quand on a à faire une opération qui exige un feu violent pendant un tems chaud & humide, l'air étant en stagnation, & n'étant plus capable par la diminution qu'il souffre de son ressort, de donner au feu l'activité nécessaire au succès de l'entreprise. On peut déduire de ce que nous avons dit, quels doivent être les moyens de diminuer le feu.

Lorsqu'il a été poussé à la violence qu'il peut avoir dans le fourneau en question, elle devient moindre si l'on retire les charbons du canal de tôle, & si l'on ferme la porte de la moufle ; on lui ôtera encore un degré d'activité en retranchant le tuyau du dôme ; l'action du feu se ralentira encore, si on ne laisse la porte de la moufle fermée que par la coulisse qui a la plus petite ouverture : sa diminution sera plus considérable, si on lui substitue la seconde coulisse dont l'ouverture est plus grande. Le feu enfin sera encore affoibli si l'on ôte le dôme, & s'éteindra ensuite tout-à-fait, si l'on ferme en tout ou en partie la porte du cendrier, puisqu'on interdit par-là le passage à l'air, dont le jeu est nécessaire à l'entretien & à l'augmentation du feu. On a encore un moyen de diminuer l'ardeur du feu presque tout-d'un-coup si l'on veut, c'est d'ouvrir tout-à-fait la bouche du foyer ; car l'air froid qui y entre pour lors avec impétuosité, rafraîchit tellement les matieres qui sont placées sous la moufle, qu'il n'est point d'opération qui demande un degré de feu si foible, puisque l'ébullition du plomb cesse même entierement. Si l'on voit que le feu commence à manquer, ou même à devenir inégal dans quelque endroit de la moufle, c'est une preuve que le charbon ne s'est pas affaissé à-mesure qu'il a brûlé, ou bien même avant qu'il fût allumé, & qu'il a laissé conséquemment des vuides entre la moufle & les parois du fourneau : ainsi on les fera tomber à l'aide d'une petite baguette de fer qu'on introduira par l'oeil du fourneau. S'il arrivoit que le feu fût plus fort d'un côté de la moufle que de l'autre, on pourroit le diminuer incontinent, si on le jugeoit à-propos, avec un instrument ou regître. On saura en général qu'on n'aura promtement un degré de feu égal & convenable, qu'autant qu'on aura la précaution d'ôter les cendres & de nettoyer le foyer avant que d'y mettre le charbon. Voyez ESSAI, MOUFLE, &c.

Des fourneaux d'affinage & de raffinage. Les fourneaux qui servent à ces deux opérations sont exactement les mêmes ; ce sont ceux que nous avons representés fig. 17. 18. 19. 20. 21. & 22.

Un fourneau d'essai est bien certainement un fourneau qui peut servir à l'affinage & au raffinage de l'argent ; mais il n'est pas fait pour qu'on y en puisse traiter une grande quantité à-la-fois : ce n'est pas que notre dessein soit de parler de l'appareil en grand qui sert à ces sortes d'opérations ; il n'entre point dans notre plan : mais nous allons donner les fourneaux qui peuvent être nécessaires au chimiste, qu'on trouve dans les monnoies & chez les Orfevres, & qu'un essayeur ne peut se dispenser d'avoir. Nous n'avons point parlé des fourneaux de liquation qui auroient dû précéder ceux-ci, non-seulement parce qu'ils demandent une grande suite de fourneaux, mais encore parce que cette opération regarde strictement les travaux en grand. On ne liquéfie l'oeuvre ou plomb chargé de l'argent du cuivre, qu'après l'avoir fondu avec ce cuivre dans un fourneau à rafraîchir ; après quoi on le passe au fourneau de liquation, puis à celui de l'affinage ; pendant que d'un autre côté on desseche les pieces de liquation dans un fourneau de ressuage : toutes opérations qui sont du ressort de la Métallurgie. Dans les essais on détruit le cuivre, & on a d'ailleurs tous les jours beaucoup d'argent allié, de la vaisselle, &c. à affiner & raffiner, comme à départir.

Le fourneau (fig. 17. & 18.) est tiré de Schlutter : cet auteur rapporte qu'en Bohème, en Saxe, en Hongrie, & ailleurs, les fourneaux d'affinage sont construits à-peu-près comme une forge ; mais cette forge est couverte d'une voûte au milieu de laquelle il y a une cheminée ; au-dessous est un arceau sur lequel se trouvent deux foyers pour deux tests ou coupelles ; chacun de ces foyers a quatre piés de long sur trois piés & demi de large : à côté est un mur à-travers lequel passent deux tuyaux de cuivre jaune, venant du soufflet, & c'est sur ce mur que la voûte est portée. Ce mur h, k (voyez la coupe & l'élévation) se fend en deux ou est creusé de chaque côté vis-à-vis les tuyaux du soufflet, pour pouvoir toucher à leurs robinets, & donner le vent du côté qu'il est nécessaire. Le soufflet qui est de bois, est monté sur son chassis ; on en tire la brimbale avec le pié : le vent de ce soufflet entre dans un porte-vent ou boîte de bois qui reçoit les deux tuyaux qui vont aux deux foyers. Comme il n'y a qu'un test occupé à-la-fois, on ferme exactement le canal de l'autre.

Les fig. 19-21. représentent un fourneau dont Schlutter se dit l'inventeur, & prétend n'en avoir pas vû de semblable : il est vrai qu'on n'avoit pas encore appliqué le fourneau à fondre les canons, ou prétendu anglois, à l'affinage de l'argent ; mais il n'en existoit pas moins, & celui de Schlutter, à ce que je pense, n'en differe pas beaucoup, s'il n'est pas tout-à-fait le même, comme on va le voir. Ce fourneau se chauffe avec le bois ; il est construit en briques, & le sol en est élevé de trois piés, avec un cendrier de même hauteur à l'un de ses côtés : on place la grille au haut du cendrier, ou plûtôt un peu au-dessous du sol du fourneau, comme on peut la voir en b, fig. 19. C'est sur cette grille qu'on fait le feu, qui par conséquent se trouve à l'un des côtés du fourneau, le test ou coupelle étant à l'autre. L'endroit où se met le bois, & qui est séparé du sol en-bas par un petit mur, s'appelle la chauffe. La chauffe & le sol ou coupelle sont couverts d'une voûte commune e, fig. 19. Il y a devant le test une ouverture c (fig. 21.), en-travers de laquelle on met quelques barres de fer qui servent à faire entrer & sortir le test : quand il est placé, on ferme cette ouverture avec des briques, & on n'y laisse qu'une petite embouchure, comme on le voit même fig. 21. il y a pour mettre le bois dans la chauffe b, fig. 20. une autre ouverture a, qu'on ferme avec une porte de fer chaque fois qu'on y a jetté du bois. On place une plaque de fer fondu e, au-devant de ce fourneau ; & près du test d, (fig. 20.) on ménage dans l'intérieur du mur f, un tuyau pour la sortie de la flamme, f, fig. 21. La maçonnerie extérieure du fourneau a cinq piés de long & trois piés quatre pouces de large, y compris la plaque de fer. Le fourneau anglois est aussi plus long que large, & cela avec d'autant plus de raison que le sol en est ovale, au lieu qu'ici le sol ou la coupelle sont ronds. Le dedans est de deux piés de long sur un pié & demi de large. La grille de la chauffe a neuf pouces de large sur un pié six pouces de long. Le petit mur c, (fig. 19.) n'est guere élevé que de l'épaisseur d'une brique ou deux tout-au-plus, parce que l'élévation de la chauffe doit se prendre sur le cendrier pour la place de la quantité de bois nécessaire : au reste, la grille b, (fig. 20.) est composée de barres de fer isolées & portées sur deux autres plus grosses posées en-travers dans des mortaises qui doivent avoir huit ou dix pouces de haut, afin qu'on puisse élever la grille ou la baisser à volonté, suivant la quantité qu'il faudra d'aliment au feu, & la nature de cet aliment. La voûte qui couvre tout ce fourneau ne doit être élevée que de quinze pouces ; mais cela doit s'entendre depuis la grille b, (fig. 19.) jusqu'à la voûte qui est immédiatement au-dessus ; car elle ne doit pas faire l'arc comme en e, mais aller toûjours en baissant jusqu'en f, commencement de la cheminée, pour rabattre la flamme & la déterminer sur le métal : ainsi la courbure de la voûte doit être prise dans un autre sens, c'est-à-dire que sa naissance ou chaque extrémité de son arc doit porter sur les murs des côtés, & non sur ceux g g, (fig. 21.) des extrémités ; ce qui est encore indiqué par la situation de la cheminée. Le cendrier est, comme la grille, large de neuf pouces ; son soupirail est de même largeur, & haut d'un pié : les poêles dont on se sert pour former avec des cendres le test où l'on met les matieres à affiner, sont de fer fondu. Voyez nos Planches & leur explication ; voyez aussi le fourneau anglois. Ce fourneau doit être très-utile dans un laboratoire philosophique ; il est meilleur que celui de nos fig. 15 & 16. qui pourtant peut avoir son utilité. Je dirai ici en passant, que les Anglois ont appliqué le fourneau qui porte leur nom à l'affinage ; je ne sai point si c'est depuis Schlutter ou avant ; mais ils y ont fait ce changement. Au lieu du massif qui porte le test dans notre fig. 19. il y a un vuide ; & la coupelle, qui est un cercle de fer de trois ou quatre piés de diamêtre, & haut de sept ou huit pouces, est soûtenue sur deux grosses barres de fer posées selon la longueur du fourneau. Il y a une petite ouverture au-dessus de la coupelle, comme en c, (fig. 21.) pour laisser passer le vent d'un gros soufflet, & une autre à l'opposite pour la chûte de la litharge : c'est ainsi qu'on affine une grande quantité de plomb à-la-fois. J'observerai encore ici une chose que j'ai déjà dite ailleurs ; c'est que Schlutter est tombé dans l'erreur sur l'origine du fourneau anglois : il rapporte, page 114. de l'édition publiée par M. Hellot, qu'on prétend qu'il a été inventé vers l'an 1698 par un medecin chimiste nommé Wrigth : mais ce medecin n'en a pu faire qu'une application à la fonte des mines de plomb & de cuivre d'Angleterre : puisque le fourneau pour la fonte des cloches qui lui est absolument semblable, est très-ancien & remonte peut-être à quelques milliers d'années. Il est vrai qu'on n'en trouve point dans Agricola ; mais Biringuccio, auteur italien traduit en françois par Vincent en 1572, l'a figuré & décrit de plusieurs façons. Voyez cet auteur, p. 121. il l'appelle fourneau de réverbere. Wrigth tout au plus y a ajoûté la cheminée d'après les tuyaux des poêles & des fourneaux de fusion.

La fig. 22. représente un fourneau à vent à affiner l'argent dans un test sous une moufle ; cette figure est de M. Cramer, & se trouve aussi dans Schlutter : on s'en sert au hartz. On construit plusieurs de ces fourneaux le long d'un mur sur un foyer commun qui non-seulement sert de support, mais encore de tuyaux pour le jeu de l'air : pour cela on y fait des fentes étroites, comme on voit en e pour le passage de l'air ; ces fentes commencent dès le pavé, & sont hautes de trois piés, comme le foyer ou support. Comme ces fourneaux sont à côté les uns des autres, l'air de chaque soupirail est conduit à leurs foyers par deux tuyaux tant d'un côté que de l'autre ; de sorte qu'un fourneau reçoit par quatre tuyaux l'air de deux soupiraux. Du fond de chaque fourneau s'éleve un tuyau de respiration qui a sa sortie près du mur & par-dessus le fourneau, comme on le voit en f ; à cela près que cette sortie est au milieu du dôme, & doit être par le côté ; les bases de ces fourneaux sont construites en briques ; ils le sont aussi en partie, & peuvent l'être en entier : mais on fait ordinairement leur dôme en terre, comme on le voit en B. Chacun d'eux a par le bas un pié huit pouces de large, & la même étendue en long, quand ils sont fermés par des briques ; leur hauteur est de deux piés, & ils se resserrent vers le haut, où il ne reste qu'onze pouces de large sur quinze pouces de long. Le devant demeure ouvert jusqu'à ce que le test & sa moufle y soient placés, comme on le voit en A, qu'on a représenté ouvert : alors on le ferme avec de méchantes briques, & on ne laisse d'ouvert que l'embouchure ; ou bien on y fait une très-grande porte en tôle g, comme en B, à laquelle on fait un petit guichet h pour le besoin. Le dôme est encore garni d'une autre porte i, roulant sur des gonds, comme la premiere, qui est l'oeil du fourneau & l'endroit par où l'on jette le charbon : on arme ces fourneaux de cercles de fer & de plaques ; sans quoi il faudroit les rétablir souvent. Les poêles où l'on fait les tests sont de fer à l'ordinaire, & les mouffles sont sans sol. Voyez ces articles.

Des fourneaux de verrerie. Nous n'entendons par-là que ceux qui peuvent être de notre plan, ou entrer, comme nous l'avons déjà répété plusieurs fois dans d'autres occasions, dans le laboratoire du chimiste. Ces sortes de fourneaux ne sont, à proprement parler, que des fourneaux de fusion ; la vitrification n'étant elle-même qu'une fusion, mais une fusion qui demande un degré de feu supérieur à celle des métaux. Cette nuance n'a pu nous déterminer à faire un article séparé des fourneaux de vitrification dont nous avions à parler ; on les a trouvés à la fin de la section des fourneaux de fusion : ce sont ceux du commercium litterarium, fig. 37. n°. 1. celui de M. Pott, fig. 38. & celui de M. Cramer, fig. 39-44 : on peut encore y ajoûter le fourneau de fusion, fig. 26.

Des athanors. Nous en avons représenté quatre dans nos Planches ; le premier est la fig. 56-60. celui de M. Cramer : le second est la figure 61. qu'on voit chez M. Roüelle : le troisieme est la fig. 62. dont M. Maloüin a donné la description, art. athanor : & le quatrieme, celui de Rupescissa, qui n'est qu'un fourneau philosophique : nous parlerons de celui-ci en son lieu, & nous donnerons en même tems quelques remarques sur le mot athanor.

L'athanor, le fourneau de la paresse, acedia en latin, tiré du grec , ou qui ne donne aucun soin, est un fourneau où l'on entretient du feu long-tems. On construit 1°. avec des pierres capables de résister à un violent feu de fusion, une tour quarrée, (fig. 56. a a a a), dont les murailles épaisses chacune de six pouces, en doivent avoir dix de large dans oeuvre, b b b b. On la fait plus ou moins haute, suivant le tems qu'on veut que le feu dure sans être obligé de lui donner de nouvel aliment ; on lui donne pour l'ordinaire cinq ou six piés de haut. 2°. Dans la partie la plus inférieure de cette tour, on fait une ouverture quarrée c, large & haute de six pouces, qu'on ferme exactement à l'aide d'une porte de fer roulant sur deux gonds, excédant le soupirail d'un pouce dans tout son contour, & reçûe dans une feuillure ou entaille à angles droits, large aussi d'un pouce, pratiquée tout-autour du bord extérieur du même soupirail. 3°. A dix pouces au-dessus du sol de la tour, on place une grille d, faite de plusieurs barres de fer d'un pouce d'équarrissage, & éloignées de trois quarts de pouces les unes des autres. On les dispose en losange, ou de façon que deux des angles d'une barre, sont opposés à ceux des deux autres barres au milieu desquelles elle est, & que les deux autres sont tournés l'un vers la partie supérieure de la tour, & l'autre vers l'inférieure. Cette disposition sert à favoriser la chûte des cendres. 4°. Immédiatement au-dessus de la grille on fait une autre ouverture e, arquée, large de sept pouces, & haute de six, garnie, comme le soupirail, d'une porte de fer suspendue sur deux gonds ; cette porte sera munie intérieurement de crochets de fer & d'un rebord qui remplira exactement l'ouverture de la tour, afin qu'elle puisse soûtenir le lut qui la doit garantir de l'action du feu. 5°. On ferme le sommet de la tour avec un couvercle ou dôme de fer f, garni d'une anse, & excédant l'ouverture de la tour de deux pouces dans tout son contour. On fait ce dôme d'une tôle épaisse, dont on forme une pyramide creuse, quarrée, ouverte par sa base, & se terminant par un bord presque tranchant qui est reçû dans une feuillure ou rainure d'égal contour, pratiquée dans le bord intérieur de la partie supérieure de la tour : telle est la construction de la principale partie de ce fourneau.

6°. Un pouce & demi ou deux pouces au-dessus de la grille d, on fait à la muraille droite de la tour une ouverture rectangle biaise, c'est-à-dire allant en montant du dedans de la tour en-dehors, g g, haute de quatre pouces & demi sur dix de large. Cette ouverture est faite pour établir une communication entre la tour & la cavité dont nous allons parler.

On construit donc cette cavité ou chambre tout contre la muraille percée de la tour : on la fait de pierre & de façon que sa partie inférieure est un prisme creux h h h h, haut de six pouces, long & large de douze, terminé par une voûte i i, décrivant un arc de cercle de six pouces de rayon ; ensorte que la hauteur du milieu de la chambre est en tout de douze pouces ; elle doit être totalement ouverte antérieurement, & garnie d'une porte de fer K, (fig. 59.) au moyen de laquelle on la ferme exactement. La surface intérieure de cette porte sera couverte d'un garni de deux pouces d'épais, qui sera soûtenu, comme nous l'avons dit en parlant de la porte du fourneau de fusion, & même de celle de la bouche du feu de la tour. Au milieu de cette porte on fera un trou circulaire ou plûtôt ovale l, de quatre ou cinq pouces de diamêtre, à la circonférence duquel on attachera perpendiculairement au plan de la porte une bande de tôle saillant en-dedans, également pour contenir l'enduit qu'on y appliquera. L'embouchure de la chambre sera pourvûe d'une feuillure large d'un pouce & profonde de deux, pour recevoir la porte lutée. L'usage du trou circulaire l, qui est au milieu, est de donner passage au cou d'une retorte ; & en cas qu'on n'en ait pas besoin, on la ferme à l'aide du piston A. Deux barres de fer horisontales n n, l'une en-haut & l'autre en-bas, tiennent la grande porte en situation, au moyen de quatre crochets de fer o o o o, enclavés dans le mur près du bord de la même partie. 8°. Comme on doit être le maître de diminuer le feu, supposé que faute de l'avoir manié assez fréquemment, on lui ait laissé faire trop de progrès ; il est-à-propos d'établir entre la tour & la chambre que nous venons de décrire, une porte de fer qui ferme l'ouverture oblongue g g, & qui intercepte par conséquent la communication qu'elles avoient entr'elles. On aura donc soin, en construisant la voûte de la chambre, de laisser entr'elle & la muraille de la tour une rainure longue d'onze pouces & large d'un demi, laquelle descendra aussi perpendiculairement le long des bords antérieur & postérieur de l'ouverture de la tour g g, & un demi-pouce au-dessous de son bord inférieur. Cette rainure servira à maintenir une plaque de fer (fig. 58.) épaisse de six lignes, longue d'onze pouces & haute de cinq, & débordant par conséquent l'ouverture de toutes parts. A son bord supérieur seront attachées deux chaînes p p, pour l'élever ou l'abaisser. On les tiendra suspendues au moyen de deux clous à crochet * *, scellés dans le mur adjacent de la tour, & posés perpendiculairement sur chaque chaîne, dont on pourra varier l'élévation au moyen des différens chaînons qu'on accrochera. La plaque de fer étant mise en place, on bouchera la rainure par laquelle on l'aura introduite, avec des pierres & du mortier, & on ne laissera que les deux petits trous nécessaires pour le passage des chaînes.

9°. Au côté droit de la chambre, à huit pouces de son fond, on construira avec des briques une cheminée q q q q, quarrée, haute de quatre piés, large de trois pouces & demi par le bas, & de trois seulement par le haut ; on la fermera avec une plaque de fer garnie d'un manche r r, (fig. 57.) & encadrée dans une rainure de tôle, s s s s, qui l'assujettira de tous côtés, excepté par-devant, où les deux lames de tôle doivent s'ouvrir pour la laisser mouvoir, ou manquer tout-à-fait. On scelle cette plaque avec son cadre dans les murs de la cheminée, à la hauteur la plus commode.

10°. Sous cette cheminée on fera une ouverture en quarré long t t, semblable à la premiere g g, allant obliquement de bas en haut, & communiquant avec une autre cavité cylindrique haute de huit pouces u u u u, d'un pié de diamêtre, ouverte par sa partie supérieure, & garnie dans son bord intérieur d'un cercle épais d'un pouce & large d'un demi, destiné à soûtenir un chauderon de fer. A la partie antérieure de cette cavité, l'on fera une échancrure demi-circulaire, large de cinq pouces, & profonde de trois, allant en talus par-devant, v v, pour transmettre le cou d'une cornue.

11°. Cette cavité exige un chauderon de fer, (figure 60.) de douze pouces de diamêtre, de dehors en-dehors, à-peu-près profond de neuf, entouré à un pouce & demi de son bord supérieur, d'un cercle de fer x x, large d'un pouce, qui y sera assujetti : ce cercle, au lieu de continuer sa route en ligne circulaire, comme il convient, l'interrompra pour accompagner le bord d'une échancrure aussi demi-circulaire y, large de cinq pouces & profonde de quatre & demi, faite au chauderon, la partie inférieure de laquelle doit être reçûe par celle du mur v v.

12°. Vis-à-vis l'ouverture t t, en quarré long, qui établit la communication entre la premiere cavité & la seconde, on en fera, à deux pouces du fond de celle-ci, une pareille z aux deux autres g g, t t, allant également en montant du côté d'une troisieme chambre i i i i, égale & semblable à la seconde u u u u ; afin que le feu puisse passer de celle-ci dans celle-là.

13°. On élevera sur le mur, du côté postérieur de l'ouverture z, une cheminée semblable à la premiere q q q q, de même hauteur 2 2 2 2, & pareillement garnie d'une plaque de fer, (fig. 57.) pour la fermer.

14°. On fera enfin au côté droit de la cavité i i i i, une troisieme ouverture semblable aux précédentes g g, t t, z, mais plus éloignée du fond, laquelle au lieu de communiquer par sa partie latérale droite avec une autre cavité, sera fermée par un mur, & ouverte par sa partie supérieure qui répondra à une troisieme cheminée 5 5 5, semblable aux deux premieres q q q q, 2 2 2 2. Telle est la construction de ce fourneau, qui est très-propre à un grand nombre d'opérations. Nous en allons détailler une partie, & parler de ses usages & du méchanisme du feu dans l'athanor.

On peut introduire par la bouche du foyer de la tour qui est arquée e, une moufle longue de douze pouces, de même longueur & largeur que cette ouverture, épaisse de trois quarts de pouce, ouverte par-devant & par-derriere, supposé qu'elle puisse être fermée par la partie postérieure de la tour, jusqu'à laquelle elle doit s'étendre. On mettra sur la grille du cendrier d une plaque de terre cuite, pour servir de base à la moufle : cette moufle aura des trous près de son sol, ainsi que les mouffles ordinaires ; on y place des creusets de cémentation, ou d'autres corps, qui exigent pour être calcinés un feu long & violent : néanmoins ces sortes d'opérations peuvent se faire indépendamment de ce secours, quoiqu'avec moins de commodité & de facilité, pour voir ce qu'on fait & pour conduire le feu. 2°. On peut se servir de la premiere chambre pour faire des distillations, qui demandent un feu immédiat & violent ; car on y peut mettre des retortes ou des cuines ; mais il faut avoir soin de les placer de façon, soit qu'elles portent sur le sol de la cavité, soit qu'on les éleve sur des pié-d'estaux particuliers de différente hauteur, selon la grosseur du vaisseau, que leur cou puisse passer librement à-travers l'ouverture l, de la porte k k k. Lorsqu'elle est bien assujettie à la faveur de ses deux barres, on lute toutes les fentes qui se trouvent autour de la porte & du cou de la retorte ; après quoi on lui ajuste une allonge, c'est-à-dire un fuseau ou espece de cone tronqué, long de dix pouces ou plus, par l'intermede duquel les vapeurs brûlantes ont le tems de se rafraîchir, avant que d'arriver au récipient, qui est toûjours de verre, & qui se casseroit sans cette précaution. Cette allonge qui embrasse par sa base le cou de la rétorte, est reçûe par son sommet dans celui du récipient, qu'on appuie ou sur le pavé, ou sur un trépié ou pié-d'estal, qu'on éleve ou abaisse à volonté, au moyen de trois vis. 3°. Cette même chambre peut encore servir à des cémentations, à des calcinations, & à d'autres travaux qui exigent un feu de reverbere ; & pour lors on ferme le trou l circulaire de la porte avec son bouchon A, & on ne l'ouvre que quand on veut voir ce qui se passe dans la chambre. 4°. La seconde & la troisieme chambres sont employées principalement aux opérations qui se font avec le bain de sable, de cendre, ou de limaille. On introduit dans l'une des deux cavités le chauderon de fer fig. 60, & on lute avec de la terre glaise un peu molle, la petite fente qui se trouve entre son cercle & le bord de la cavité sur lequel il est appuyé, ou bien on la bouche avec du sable mouillé qu'on presse bien tout-autour. C'est pour donner un exemple de cet appareil, qu'on a représenté la retorte 9, placée dans le chauderon & ajustée à son récipient. Dans l'autre chauderon de fer, on voit une cucurbite surmontée d'un chapiteau 11, adapté à un ballon ou récipient à long cou 12. 5°. Ces deux dernieres chambres peuvent encore servir, ainsi que la premiere, à des distillations au feu de réverbere ; & quoique le feu n'y soit pas si actif, il ne laisse pourtant pas de faire passer l'eau-forte. Pour cette opération on renverse le chauderon de fer fig. 60, & l'on introduit dans l'embouchure de la chambre son bord supérieur, saillant d'un pouce & demi au-delà de son cercle ; ensorte qu'il résulte de l'assemblage de son échancrure y, & de celle du fourneau v v, un trou propre à transmettre le cou d'une cornue. 6°. L'appareil étant dressé, quel que soit celui qu'on aura choisi pour faire plusieurs opérations à-la-fois, on introduit d'abord par le haut de la tour quelques charbons allumés ; puis on la remplit de charbons noirs, en tout ou en partie, à-proportion du tems qu'on veut faire durer le feu. On ajoûte incontinent son couvercle, & l'on répand tout-autour de son bord du sable, ou des cendres qui valent encore mieux, & on les comprime legerement. Si on n'avoit cette attention, tout l'aliment du feu contenu dans la tour flamberoit & brûleroit en même tems.

Comme on ne peut avancer rien d'absolument particulier sur le régime du feu dans le fourneau dont il est question, nous ne toucherons ici que quelques généralités sur cette matiere : le reste s'apprendra aisément par la pratique, pour peu qu'on soit versé dans la Chimie. On rend très-violent le feu de la premiere chambre, si la porte du cendrier & la premiere cheminée sont entierement ouvertes, & si la plaque de fer est tout-à-fait levée : au contraire plus cette cheminée & la porte du cendrier sont fermées, plus on y diminue la chaleur ; mais ce phénomene ne se passe jamais plus promtement que quand on abaisse en partie la plaque suspendue par les chaînes, car alors le feu contenu dans la tour ne brûle plus que de la hauteur comprise entre la grille du cendrier, & le bord inférieur de la plaque de fer. Si l'on a intention de diminuer un degré de feu trop violent, sans cependant que les vaisseaux cessent d'être rouges, on doit se procurer cet avantage, en fermant autant qu'il convient la porte du cendrier & l'ouverture de la cheminée, la plaque de fer demeurant suspendue aussi haut qu'elle le peut être, & totalement renfermée dans la muraille ; parce que si l'on s'en servoit pour remplir ces vûes, l'activité du feu auroit bientôt détruit la partie de cette plaque qui lui seroit exposée : d'où il suit qu'elle ne doit jamais être employée que lorsqu'il s'agit de régir un feu médiocre ou bien d'en diminuer un grand, au point qu'il ne rougisse que médiocrement les vaisseaux. On observera aussi qu'on ne tiendra ouvert que le moins qu'il sera possible, le trou circulaire de la porte de la premiere chambre, dans les opérations qui ont besoin d'un grand feu ; parce que l'air qui y entreroit avec impétuosité, auroit eu bien-tôt refroidi les corps qu'on y auroit placés. On peut faire en même tems dans la seconde & troisieme chambres les distillations latérales & ascensoires dont nous avons parlé, puisque le feu se communique de la premiere à la seconde, & qu'on l'augmente dans celle-ci en ouvrant sa cheminée ; observant de diminuer l'ouverture de celle de la premiere, de la même quantité qu'on ouvrira celle de la seconde. Par la même raison, on peut déterminer l'action du feu sur des corps contenus dans la troisieme chambre, & même lui donner issue par sa cheminée seulement, lui interceptant tout passage par les deux premieres, ou bien ne lui en laissant pas l'une des deux, ou par les deux ensemble, qu'autant qu'on lui en diminuera par la troisieme. Il suit évidemment qu'on ne peut avoir un grand feu dans la troisieme chambre, que les deux précédentes n'en ayent un semblable, & qu'on peut au contraire le diminuer dans celle-là, en fermant sa cheminée, sans changer son état dans celles-ci ; ce qui s'exécute en donnant la plus grande ouverture à la seconde cheminée. Les phénomenes sont les mêmes pour la seconde chambre, respectivement à la premiere. Enfin l'on ne peut donner un grand feu à la moufle placée dans le foyer, que la premiere cavité n'y participe : ce feu s'augmente ou se diminue en fermant ou en ouvrant la porte de la bouche du foyer, changement qui n'empêche pas que les degrés des autres chambres ne soient constans relativement les uns aux autres, quoique susceptibles de différentes nuances. Le reste s'apprendra facilement par l'usage.

Quoique la grandeur qui a été fixée pour l'athanor & les fourneaux d'essai fig. 50, & de fusion fig. 26 & suiv. soit la plus avantageuse pour les expériences en petit & en grand, il n'est pas absolument nécessaire de s'y conformer ; on peut l'augmenter selon le nombre & la nature des travaux qu'on y doit faire, en gardant toutefois les proportions que nous avons établies. On peut aussi faire l'athanor en tôle, si on veut l'avoir portatif.

Il suit donc évidemment qu'un pareil fourneau doit être utile à un essayeur qui voudroit aller à l'épargne de ces sortes d'ustensiles, puisqu'on peut faire dans celui-ci quantité d'opérations qu'il est obligé de faire lui-même ; il lui convient d'autant mieux que la plûpart d'entr'elles exigent un feu long-tems soûtenu. Si la quantité de charbon que peut contenir la tour ne suffit pas, on peut en remettre comme dans les autres fourneaux : d'ailleurs le degré de chaleur en est toûjours constamment le même, à-moins qu'on ne le change, & on a vû qu'il pouvoit se varier considérablement. Enfin ce fourneau est d'autant plus commode, qu'on peut appliquer facilement par son moyen tous les degrés de feu qu'il peut donner par différentes voies, & qu'on peut faire plusieurs travaux différens en même tems, & avec le même feu.

L'athanor fig. 61. se construit en briques, & reçoit les proportions qu'on lui donne, selon ce qu'on en veut faire. Celui-ci a trois piés de long, autant de haut, & 18 pouces de large. On éleve quatre petits murs de l'épaisseur d'une brique, & en même tems on en fait un qui va d'un côté à l'autre, entre les deux portes e & d. Il sert à séparer la cavité du cendrier d d'avec une autre cavité qui est en e, que nous appellerons l'étuve. Quand on a élevé en même tems ces cinq murs de briques à la moitié de la hauteur qu'on veut donner au fourneau, on couvre l'étuve qui occupe une moitié du bas, d'une plaque de tôle afin que la chaleur y pénetre. J'ai dit que les quatre murs du tour étoient épais de la largeur d'une brique, mais il est bon d'avertir que le mur latéral du cendrier est plein jusqu'à sa porte, comme la ligne ponctuée l'indique. Quand la plaque de tôle est posée, on continue tous les murs du contour jusqu'à la hauteur de quatre ou cinq pouces, excepté le mur de refend, qui ne passe pas la premiere plaque de tôle : d'ailleurs au lieu de continuer le mur à gauche du cendrier de la même épaisseur, on le fait en talud jusqu'au-haut que commence la tour, où il n'a d'épais que la largeur d'une brique. La ligne ponctuée indique ce trajet. On peut voir la même chose dans Charas & le Fêvre dont l'athanor est le double de celui-ci. Cet auteur couvre le talud d'une plaque de tôle unie, afin que le charbon coule mieux. La porte du foyer c ne s'ouvre qu'au besoin, mais celle du soupirail doit l'être continuellement, sans quoi le fourneau n'iroit pas. A 4 ou 5 pouces de la premiere plaque de tôle, on en met une autre aussi de tôle ou de fonte, qu'on encastre pareillement dans le mur : celle-ci est destinée à soûtenir le sable ; on laisse cependant aux quatre coins la place de quatre regîtres, qui sont quatre tuyaux de tôle d'un pouce de diamêtre, qu'on diminue si l'on veut avec des bouchons percés de différente grandeur. On éleve ensuite les murs & le massif qui doit porter la tour à la hauteur d'un pié environ ; ensuite de quoi on fait la tour en terre, ou en tôle, ou en briques, cela est indifférent : on lui fait aussi un couvercle, qui la ferme bien juste, comme nous l'avons déjà dit du précédent athanor, dont la description ne sera pas inutile pour celui-ci, quoique inapplicable dans bien des cas. La tour & son dôme dans notre figure 61 sont de terre. On conçoit aisément que la porte f de la chambre du feu, & la porte e de l'étuve, doivent être continuellement fermées, & particulierement la porte f, car la porte e s'ouvre de tems en tems pour ce qu'on a à faire sécher à l'étuve.

Quoique l'invention des athanors, dont le feu brûle dans la tour, soit effectivement bien commode, on a inventé après eux une sorte de tour, de laquelle le charbon tombe dans le foyer des fourneaux qui lui sont joints, & qui contiennent les matieres, lesquelles par ce moyen en sont bien plus échauffées qu'elles ne seroient par une chaleur qui ne viendroit que de la tour.

Si après avoir allumé le feu dans les foyers des fourneaux de l'athanor de Charas (ce sont ses remarques), on remplit les canaux de la tour de charbon qui ne soit ni trop gros ni trop menu, & si ensuite on bouche les ouvertures de la tour & les portes des foyers des fourneaux, car la tour n'en a point du tout, non plus que de soupirail, on peut être sûr d'avoir un feu égal, qui continuera du-moins pendant vingt-quatre heures ; ce feu chauffera très-doucement, si on bouche encore les soupiraux des fourneaux adjacens, & qu'il n'y ait d'ouvert que leurs regîtres.

Quelquefois on fait quarrée la tour de l'athanor, afin qu'elle communique sa chaleur à un plus grand nombre de fourneaux. On en voit un dans Libavius, dont la tour est hexagone ; ensorte qu'elle est environnée de cinq fourneaux, & a ses portes à son sixieme côté. Ces sortes d'athanors se placent pour lors au milieu du laboratoire ; mais ils doivent marcher difficilement.

Le Fêvre & Glaser disent que le dôme de la tour de l'athanor peut être converti en un appareil utile, & qu'il suffit pour cela de mettre une terrine à sa place. L'intermede qu'on y mettra, déterminera la nature du bain auquel elle servira ; mais je croi que la chaleur de ce bain doit être bien foible : au reste c'est un essai qu'on peut faire aisément d'après le Fêvre qui en parle comme par expérience ; & peu importe que le dôme ferme la tour par sa partie convexe ou concave. Voyez-en l'appareil, page 144. de Biringuccio.

Nous pourrions citer ici avec le Fêvre, Glaser & Charas, une foule d'auteurs qui ont toûjours mis quatre regîtres aux quatre coins de leur athanor, comme on le voit dans notre figure 61. mais les deux regîtres voisins de la tour ne me paroissent faits que pour ralentir l'action du feu ; & cela doit être évident pour ceux qui auront lû attentivement la description de l'athanor de Cramer, & qui considéreront le jeu du feu dans le grand fourneau anglois, ou dans notre figure 19-21. qui est la même chose, ou dans tous ceux qui approchent de leur structure.

Outre la grille du foyer de la tour de l'athanor, fig. 61, il faut qu'il y en ait encore une autre horisontale, comme celle des artistes qui font la cire d'Espagne. Charas n'en a rien dit, & il ne le pouvoit pas ; il vouloit que le charbon de sa tour tombât dans le foyer des fourneaux adjacens, & les remplît : mais il n'en est pas de même de notre figure 61, le charbon ne doit pas passer la grille de la tour, mais il la passeroit nécessairement s'il n'étoit pas retenu par une grille horisontale qu'on ne voit pas, mais que la raison supplée aisément. Quand il y a deux fourneaux & qu'il n'y a qu'une tour, il faut nécessairement une plaque à l'une & à l'autre, comme à celui de Cramer, pour gouverner le feu. Cette plaque se trouve dans quantité d'auteurs, & est fort ancienne. Par ce moyen on peut se servir de leurs foyers sans allumer le charbon de la tour ; parce qu'on n'a pas toûjours occasion de faire marcher deux fourneaux à-la-fois, & de faire des opérations qui demandent un feu de vingt-quatre heures ; mais pour lors les quatre regîtres doivent être ouverts.

La tour de notre athanor, fig. 61, est conique. Cette figure est exigée par la plûpart des auteurs. Voyez Charas, &c. Mais M. Cramer, comme on peut le voir, a cru pouvoir négliger cette précaution qu'on ne prend que pour empêcher que deux charbons se rencontrant par l'une de leurs extrémités, ne viennent à s'arcbouter par l'autre contre les parois de la tour, & à empêcher la chûte de ceux qui se trouveroient par-dessus : mais il est bien aisé de voir que cet inconvénient n'aura jamais lieu dans une tour dont les parois verticales seront bien polies, & qu'il pourroit très-bien arriver même dans une tour de figure conique, dont les parois seroient raboteuses. On peut éviter cet inconvénient, soit que la tour soit conique ou pyramidale, en cassant le charbon comme pour les fourneaux ordinaires, avant que de le mettre dans la tour.

Il suit donc que si M. Cramer n'est pas le premier qui ait senti la nécessité de bien construire un athanor, il est au-moins le premier qui y ait remédié & qui l'ait bien figuré & expliqué. Son athanor va comme il le dit. On en a construit un à Paris d'après sa description, qui le prouve. Le méchanisme de ce fourneau doit être fondé sur ce que le feu veut monter, & non descendre. M. Cramer l'a bien vû, & c'est une remarque qui ne doit pas échapper à ceux qui examineront son fourneau : mais il me semble qu'il y a encore quelque chose à y mettre de plus ; c'est l'inclinaison dont nous venons de parler au sujet de la figure 61, afin que le charbon de sa tour, au lieu de descendre perpendiculairement comme il fait, descende obliquement pour s'approcher de la premiere chambre, & rende par-là le canal du feu plus droit. Nous appellons ici le canal du feu, la ligne que nous faisons passer par le soûpirail, le cendrier, la grille, le foyer, la fenêtre biaise & la premiere cheminée, ou par la derniere cheminée aussi si l'on veut, & nous remarquons que plus cette ligne sera droite & ira de bas en-haut, mieux l'athanor marchera : mais comme cette premiere chambre a pour regître une plaque de fer, il faudroit de toute nécessité à son fourneau la grille horisontale dont nous avons parlé, pour empêcher que le charbon venant à tomber sous cette plaque, ne s'oppose à la liberté qu'elle doit avoir de joüer dans ses coulisses, & de fermer tout-à-fait la fenêtre biaise de communication. Cette grille & l'inclinaison dont nous parlons, peuvent même être prises dans l'épaisseur du mur de la tour de M. Cramer.

L'athanor de Gellert ou celui de Ludolf, qui sont presque la même chose, ne sont quant au fond que celui de Cramer, augmenté de plusieurs chambres qui ne doivent pas beaucoup servir, si ce n'est d'étuve, peut-être, ou à empêcher que le fourneau n'aille bien, ou à y faire faire un feu si violent pour qu'il puisse être de quelqu'effet à l'autre bout, que le fourneau ne pourroit manquer de couler. Il y a pourtant cette différence commune entre les athanors de Cramer & de Gellert, & celui de Ludolf, que ce dernier auteur a construit le sien de façon qu'il faut que le feu descende au lieu de monter. Voyez le même défaut, Planche III. de Barchusen, page 77. de Barner, & Planche IV. de Manget. Au reste, on peut bien ne pas regarder les dernieres chambres que Ludolf & Gellert ont ajoûtées au fourneau de Cramer, comme tout-à-fait inutiles ; au-moins peuvent-elles n'être pas nuisibles entre les mains d'un bon artiste ; la longueur de l'athanor pouvant être considérée ainsi que nous l'avons déja avancé, comme le canal qui sert à augmenter la vivacité du feu dans les fourneaux de fusion, & par cette raison-là étant dirigé obliquement de bas en-haut : il s'ensuit donc que la chaleur qui regne dans les chambres les plus éloignées, peut servir à quelques opérations, quoiqu'elle y soit foible. Je sens bien qu'en raisonnant sur les principes de la construction de quelques fourneaux en grand, comme du fourneau à l'angloise, on croira que la chaleur dans le canal de l'athanor doit être semblable à celle de la cheminée de ces grands fourneaux, mais on seroit dans l'erreur si l'on se fondoit sur cette idée. Il y a une très-grande différence entre la flamme du bois qu'on brûle dans le fourneau anglois, & la flamme du charbon, qui est peu de chose.

On peut considérer les fourneaux à lampe comme des athanors différens des autres par la forme & la pâture du feu. Il y a une certaine analogie entre la pompe d'une lampe & la tour d'un athanor.

Des fourneaux polychrestes. Ce sont des fourneaux qui, comme on le peut conjecturer par la signification du mot grec composé dont on les qualifie, servent à plusieurs opérations. Il y a même des auteurs qui prétendent qu'avec un pareil fourneau bien construit, on peut se dispenser d'avoir tous les autres, pourvû toutefois qu'on n'ait pas plusieurs opérations à faire à-la-fois. Examinons ces prétentions.

Les Chimistes ont observé que le même fourneau servoit à plusieurs opérations. La nécessité en a étendu l'usage, & est devenu un principe. On a donné des preuves de sa sagacité en mettant les fourneaux à la torture ; mais on a fait voir qu'on n'en connoissoit point la méchanique. Ceux qui ont appliqué les fourneaux à plus d'objets, ont été regardés comme les plus habiles ; & en effet, il a fallu de l'imagination. De-là est venu l'axiome, qu'un bon artiste avoit besoin de peu d'instrumens. Mais cela ne prouve que de l'analogie dans l'esprit de l'artiste, & de la sagacité si l'on veut, & non point-du-tout que les instrumens soient bons à exécuter son idée ; de façon qu'elle ne pourroit l'être en moins de tems, de peine, de dépense, & avec plus de facilité par un autre. Malgré cela les plus habiles se sont exercés à chercher des fourneaux qui puissent servir à toute sorte d'usages, & il faut avoüer qu'ils y ont réussi jusqu'à un certain point. Cependant on ne peut se dissimuler qu'ils sont partis d'après un principe erroné ; & quel principe ne l'est pas, ou peut être général ? Ils ne se seroient pas donné tant de peine s'ils eussent été bien convaincus que l'art des fourneaux n'étoit & n'est encore que dans son enfance ; & que leurs bonnes ou mauvaises qualités dépendent d'un rien qui n'a point été connu, & qui vraisemblablement ne le sera jamais. La connoissance des fourneaux seroit certainement plus avancée, s'ils ne l'eussent pas retardée par leurs idées de vouloir prévenir la nature. Il falloit commencer par faire un fourneau simple parfait pour un seul usage, avant que de le vouloir appliquer à plusieurs ; & sans-doute qu'ils eussent été guéris de cette demangeaison. Ce n'est pas que je regarde la chose comme aisée & même comme possible ; car il me semble que l'exécution d'un pareil ustensile dépend de la connoissance composée de la nature des matériaux qu'on y employe, du feu qui y exerce son action, des vaisseaux & des corps qu'ils contiennent, & de l'espace à parcourir ; comme celle d'une machine dépend de la raison composée de la flexibilité des leviers, de leur poids, densité, frottement, &c. mais on peut au-moins tenter d'approcher de l'une & de l'autre.

Nous avons à donner des exemples particuliers de fourneaux polychrestes, sans compter que nous considérerons sous ce point de vûe la plûpart de ceux dont nous avons déjà parlé. Il ne faut pourtant pas croire qu'il faille autant de fourneaux que d'opérations, & que le même fourneau ne puisse & ne doive servir à plusieurs du même genre. Il faut donc entendre par polychreste, celui qui pourra servir à plusieurs opérations disparates, comme par exemple, distillation & fusion, &c. Nous avons à parler en premier lieu du fourneau de Dornaeus, fig. 75. & de celui de Beccher, fig. 71. le plus polychreste de tous, si l'on peut parler ainsi, ou celui qui se prête le mieux à la plus grande quantité d'opérations. Nous ferons revenir ensuite comme tels ceux qui nous paroissent plus précaires que ce dernier. Au reste, nous ne voulons point prevenir l'esprit du lecteur. Nous allons le mettre à portée d'examiner.

Les esprits fourmillent quelquefois d'inventions singulieres qu'ils varient sans aucune nécessité jusqu'à l'intempérance. Quelquefois la nécessité ou l'économie cherchent à abréger les travaux, sans faire attention que, quand on veut faire à-la-fois deux choses différentes, on ne fait souvent ni l'une ni l'autre. Un bon artiste ne cherchera point à abréger mal-à-propos, & il évitera avec le même soin de prodiguer ses peines. Il sait employer les fourneaux & les instrumens nécessaires, quoiqu'il voye qu'il faudra plus de tems & de dépense. Ceux qui voudront essayer de faire plusieurs travaux en même tems & au même feu, peuvent consulter Dornaeus. Ce chimiste donne un fourneau où l'on peut distiller de trois façons : par ascension au bain de sable & de cendres ; par le côté à la retorte ; & enfin par descension, dans le même tems, avec le même feu, sans beaucoup plus de peine, & dans peu d'espace ; car son fourneau est élevé & étroit ; & il ne lui étoit pas même difficile d'augmenter son fourneau & ses vaisseaux, au cas que l'élévation de l'endroit le lui eût permis, pour distiller aussi au bain-sec, au bain-marie, & à ceux de vapeurs, de cendres, & de sable.

Il éleve deux murs de briques, fig. 75. à un pié & demi l'un de l'autre. Ils ont aussi un pié & demi de haut, & autant de large ; ainsi le premier étage du fourneau est ouvert par-devant & par-derriere. Il pose sur ces deux murs deux barres de fer en-avant, & autant en-arriere, pour soûtenir les murailles & le sol du second étage. Ces barres, comme on peut juger, ne paroissent qu'en-dessous. Elles sont à la hauteur de O ; on peut toutefois s'en passer en faisant un petit arc de voûte entre les deux murs latéraux, comme on voit dans la partie antérieure du premier corps A. On laisse dans le sol qui sépare le premier du second étage B, un trou circulaire de 4 pouces de diametre, pour passer le col d'un matras descensoire : ensuite on éleve trois murs d'un pié & demi de haut ; à angles droits sur les barres O, pour former le second étage. Le devant est ouvert par une grande porte arquée. Sur les murs de ce second étage, on met des barres de fer à un doigt de distance les unes des autres ; c'est ce qu'on voit sous la retorte, dans l'espace I. On éleve après cela trois murs nouveaux sur la grille pour former le troisieme étage C. Mais quand on en est à la moitié de l'élévation, on place dans les deux murs latéraux deux barres de fer arquées au milieu, comme nous l'avons dit du fourneau d'Evonymus, fig. 45. à la sect. des fourneaux pour la distillation latérale ; ces barres servent à soûtenir la retorte. Dans l'un de ces murs, au-dessous des barres de fer, on laisse une ouverture pour passer le col de la cornue. Le mur antérieur est toûjours ouvert, & on ne le ferme que quand la cornue est placée ; seulement on y laisse deux petites ouvertures pour remuer le charbon. On met encore des barres de fer sur ce troisieme étage pour soûtenir les murs & le pavé du quatrieme O. Mais avant on voûte la chambre de la cornue pour en faire un reverbere, & on laisse au milieu de la voûte un trou pour y jetter le charbon. On le ferme avec une brique, s'il est nécessaire. On éleve ensuite les murs de la quatrieme chambre, qu'on couvre aussi d'une voûte au milieu de laquelle on laisse le trou S. On fait une porte arquée R dans la partie antérieure. Au trou S on met une grille pour soûtenir un bain, si l'on veut se servir du trou T ; enfin on éleve les derniers murs d'un pié & demi comme les précédens, pour former le cinquieme étage E, en laissant encore ouverte une porte arquée pour donner la facilité de fermer le trou S d'une brique. On ferme la partie supérieure de ce cinquieme étage avec de l'argille, mais on laisse encore un trou T au milieu pour une capsule de terre ou de cuivre. Aux quatre angles sont quatre regîtres capables d'admettre le doigt, qu'on ferme avec des bouchons quand il est nécessaire. Telle est la structure de ce fourneau. Libavius, p. 168.

La capsule X contient du sable, au moyen duquel on distille de l'esprit-de-vin ou de l'eau-de-vie. Le récipient Y est dans cet auteur une cornue appesantie par un cercle de plomb à la maniere d'Ulstadius, pour empêcher qu'elle ne flotte dans le bacquet Z plein d'eau froide. On voit encore une cornue servant de récipient dans la seule figure du laboratoire de Kunckel. Dornaeus se servoit de ce fourneau pour tirer des huiles de végétaux & des animaux, comme il l'apprend, liv. III. chap. jv. de sa Chimie ; sans-doute qu'il faisoit quelque digestion dans la quatrieme chambre.

Je ne vois nul inconvénient à se servir d'un pareil fourneau. Je ne présume pas qu'on y puisse faire toute sorte d'opérations indistinctement ; mais je crois qu'il peut s'en trouver qui s'accordent assez bien pour aller ensemble, avec toutefois les restrictions que nous avons déjà mises. Au reste, on n'y dépense pas plus en charbon pour un vaisseau seul, que dans un autre plus simple. On peut, je crois, le regarder comme un fourneau de distillation latérale, dont la troisieme chambre est l'ouvroir, les deux inférieures le cendrier, & les deux supérieures le tuyau de cheminée. Il semble que Glauber y ait pris l'idée des chambres qu'il met à côté du tuyau de son fourneau de fusion, fig. 6. & que Kunckel l'ait imité dans son fourneau de verrerie que nous avons donné, corrigé par Cramer, fig. 39. Ces derniers vont bien, celui-ci doit aller de même.

Le fourneau du laboratoire portatif de Beccher, fig. 71. dont nous avons renvoyé ici la description, à la section de ceux qui servent à la fusion, a 3 piés 3 pouces de haut, 16 pouces de large dans la plus grande capacité de son ventre, & 9 de diametre dans le bas. Ainsi c'est une figure conique ou entonnoir qui est voûté ou elliptique supérieurement. On le fait de tôle forte, & on lui donne un pouce & demi d'épais ; car c'est jusqu'à-ce point qu'on le couvre d'un garni fixe au feu, qu'on soûtient avec des crochets de fer ; & on met aux bords supérieurs & inférieurs des différens corps, des anneaux de fer qui servent aussi à le soûtenir ; ainsi que nous l'avons dit du fourneau de fusion de Cramer, fig. 26.

Ce fourneau est composé de quatre parties ; 1°. d'un dôme, 2°. d'un cercle ou couronne, 3°. de son corps, 4°. de son fond, pié-d'estal, ou cendrier.

Ce dôme, à l'ordinaire, sert à couvrir l'orifice du fourneau, soit que la couronne y soit ou n'y soit pas. Les dimensions de l'un & de l'autre sont les mêmes, & la couronne est parfaitement cylindrique. Il sert à concentrer & reverbérer la flamme, comme cela est nécessaire dans les essais à la coupelle, la cémentation, la reverbération, & la distillation à la cornue, qui se font à feu ouvert. Ce dôme est aussi garni en-dedans, pour supporter le feu. Il a un trou supérieurement, qu'on peut tenir ouvert ou fermé jusqu'à un certain point. Non-seulement il est d'un grand usage pour gouverner le feu, il sert encore à recevoir les pots ou les ballons sublimatoires qu'on lui peut ajuster pour faire toutes les sublimations des fleurs, des minéraux, & les distillations abondantes des esprits salins ; c'est-à-dire toutes les opérations de Géber & de Glauber ; voyez nos fig. 5. 66. 67. & 98. en jettant les matériaux sur les charbons ardens, par la porte du corps, qu'on ferme sur le champ. On ôte les grilles de fer, & pour lors le feu tombe dans le cendrier D 1 ; on l'anime avec le soufflet ; & ainsi la matiere quoique fixe en quelque sorte, est obligée de monter ou sous la forme de fleurs, ou sous celle d'esprit ; & le feu ne s'éteint point comme dans les fourneaux de Glauber. Le corps est muni de deux anses.

Vient ensuite le cercle ou la couronne, qui n'a que deux variétés dans nos Planches, comme on voit en B 1, & B 2, & qui dans Beccher en a cinq que nous avons crû inutile de représenter, parce qu'elles peuvent s'entendre sans ce secours. La couronne B 1, sert à amplifier le fourneau, & à donner le feu de suppression dans la distillation & le coupellage ; à la cémentation, au reverbere, à l'ignition, & à la calcination. Pour donner le feu de suppression, on met donc ce cercle B 1 sur le corps C, & on lui adapte le dôme A avec la seconde grille seulement ; car il en faut trois pour ce fourneau. La premiere est celle qui se met en-bas tout près du cendrier ; la seconde, celle du milieu ; & la troisieme, celle qui se met sur le corps C au-dessus de sa porte. Ces trois grilles tiennent par la seule figure du fourneau. C'est leur largeur qui fixe leur place, parce que le fourneau est un cone renversé. Il est à-propos, quand le garni est fait, d'y enfoncer un peu chaque grille, de façon qu'elle y fasse une petite gouttiere, qui, quand il sera sec & dur, la soûtiendra plus exactement. Dans cette circonstance où l'on employe la seconde grille, on met le pié-d'estal ou trépié D 2, s'il ne faut pas un grand feu, ou D 1, s'il le faut vif ; auquel cas on employe le soufflet dont nous nous sommes contentés de représenter le muffle e. Pour lors on ajuste une cornue de terre ou de verre, de façon que son col passe par la porte ou échancrure du corps C, qu'on lute tout-autour de la cornue : ou bien on y met une moufle dans la même situation ; mais ensorte qu'on puisse fermer la porte. Les choses étant ainsi disposées, on jette par le trou du dôme, d'abord des charbons ardens, si l'on veut distiller de l'eau-forte ; ou bien si l'on veut un feu de suppression, on ne mettra les charbons ardens que les derniers. On laissera le feu s'allumer par les degrés qu'on voudra, & l'on continuera l'opération de même avec un feu plus ou moins violent. A l'aide de cet appareil, on pourra distiller à la cornue de l'eau-forte, de l'huile-de-vitriol, & autres esprits concentrés à la violence du feu. Mais si l'on veut calciner, cimenter, ou réverbérer, on ôtera la grille du milieu : on mettra la premiere au-dessous, & on ajoûtera la troisieme ; après quoi on adaptera le dôme après le cercle ou couronne B 1. On met les vaisseaux cémentatoires sur la troisieme grille. On peut examiner les degrés du feu par la porte du cercle. Dans ce cas on se sert du pié-d'estal en trépié. On peut gouverner la flamme par le regître du dôme. On met les charbons par la porte du corps ; ainsi la flamme surpasse la grille la plus haute, leche & rougit les vaisseaux que cette grille soûtient. Si la matiere à cémenter, à reverbérer, ou à calciner étoit volatile, & qu'on voulût en retenir la partie la plus subtile & la plus mobile, il faudroit mettre au regître du dôme des vaisseaux sublimatoires, comme on en voit dans la figure. On voit évidemment l'utilité qu'on peut retirer d'une opération qui se fait sur un corps qui demande la troisieme grille & le dôme. On peut encore essayer & réduire des mines dans des petits pots de cémentation, avec le flux noir ou un autre, à l'imitation des Métallurgistes. On peut mettre plusieurs vaisseaux en même tems dans ce fourneau.

Le second cercle B 2 s'ajuste avec le corps, de la même maniere que le cercle B 1 ; avec cette différence qu'on n'employe ni la troisieme grille, ni le dôme. On a par ce moyen trois bains secs, à l'aide desquels on peut distiller dans des cornues de verre non lutées, sans observer les degrés de feu. Et il ne faut pas craindre malgré cela qu'elles se brisent. On peut même pousser le feu au point de les faire fondre, pourvû qu'elles restent dans leur entier ; l'opération n'en est pas moins sûre, & elle en va plus vîte ; car il ne faut que trois heures pour l'achever. Beccher dit qu'une pareille opération avoit été admirée du roi d'Angleterre, qui l'avoit vûe avec le prince Rupert ; qu'il avoit fait quantité d'expériences par cette méthode ; qu'on étoit surpris qu'il les fît avec tant d'exactitude en si peu de tems, avec si peu de dépense & de charbon ; & qu'il lui eût été impossible de s'en tirer à l'aide de son fourneau, de quelque genre qu'elles eussent été. On peut examiner les retortes tant qu'on veut, en levant le couvercle des bains secs. Tout ce cercle est aussi de fer avec les bains, mais il n'est pas couvert d'un garni en-dedans ; parce qu'il n'exige pas un feu si violent. Les trois petits couvercles qu'on voit dessus, ferment autant de regîtres. On en voit un quatrieme ouvert.

Le troisieme cercle dont parle Beccher, & qu'il représente même, est un chauderon de cuivre ou de laiton, qui ne differe en rien quant à sa figure du cercle B 1. Il sert pour les décoctions différentes, l'extraction, l'évaporation, l'inspiration. On l'ajuste à l'orifice du corps, dont on ouvre la porte pour laisser sortir les vapeurs ignées ; c'est aussi par-là qu'on jette les charbons sur la 1ere ou 2e grille. Ainsi l'on voit que ce chauderon doit avoir les mêmes dimensions, du-moins du côté du diamétre, que le cercle B 1, pour s'appuyer sur les bords du corps sans y entrer. Le corps du fourneau alors est porté sur son trépié. On peut de même employer pour toute sorte de décoctions un feu de la force requise. D'ailleurs si l'on a travaillé tout le jour, il conserve sa chaleur toute la nuit, & l'on peut en profiter pour la digestion de quelque corps, en y mettant un bain-marie, ou de cendre, ou de sable. Si on met la troisieme grille dans le cercle B 1, sur ce cercle le vaisseau digestoire dont nous avons parlé, & si on introduit une lampe par la porte de ce cercle, on a un très-bon fourneau de lampe. Quelques artistes, comme le docteur Dinckinson, se sont fait construire ce fourneau pour faire des digestions seulement, parce qu'ils le trouvoient très-propre à ces sortes d'opérations.

Le quatrieme cercle dont parle Beccher, & qu'il représente aussi, est une capsule de plomb, aussi semblable au chauderon & au cercle B 1 ; elle est conséquemment à large fond ; elle est garnie d'un alembic d'étain, ayant à-peu-près la même forme que les cucurbites qu'on vendoit publiquement à Londres de son tems. Celles du nôtre peuvent y aller tout de même. Cette capsule distillatoire se met sur le corps immédiatement. On donne le feu, comme on l'a dit, au sujet du chauderon digestoire ; & l'on peut ainsi distiller très-commodément au-bain-marie des eaux de toute espece, qui demandent cet intermede ; telles que les eaux & les huiles essentielles des plantes aromatiques, &c. On peut encore dissoudre avec cet appareil l'or des sables qui en contiennent, & autres corps dont Glauber fait mention, & dit qu'il retiroit son dissolvant. Ce quatrieme cercle n'est pas si bon qu'un chauderon de cuivre. Il n'a nul avantage qui doive le faire préférer, & il peut être sujet à un inconvénient qui doit le faire rejetter : c'est celui de se fondre.

Le cinquieme cercle est une forte poêle de fer qu'on met sur le corps monté sur le trépié. On allume le feu sur la premiere ou seconde grille. Par ce moyen on peut ensoufrer & calciner pour la vitriolisation, faire des cendres d'étain & de plomb pour le minium, l'ochre & la litharge, décrépiter du sel marin, sécher la frite, fondre de l'alun, calciner du vitriol, & faire plusieurs autres opérations qui demandent un feu plus fort ; telles, par exemple, que celles qui conduisent à la vitriolisation & à la mercurification des métaux & minéraux. Toutes ces préparations peuvent être exécutées très-commodément avec cette méthode.

Jusqu'ici nous avons donné les usages raisonnés du dôme & des cinq cercles, ou plûtôt cinq corps ou vaisseaux dont il étoit inutile de représenter les trois derniers que tout le monde connoît ; nous avons aussi parlé assez en général du corps du fourneau, & spécialement de ses trois grilles ; actuellement nous allons l'examiner en particulier. Il ne varie point, il est toûjours le même pour tous les appareils. Il ne sert qu'à une seule opération, c'est la fusion, qui se divise en deux especes : car il faut remarquer qu'il s'en fait avec & sans grille, avec & sans creuset, ce qui peut s'exécuter supérieurement dans le corps C. Dans ces deux cas, il ne faut ni le dôme, ni le cercle B 1. Le corps sera ouvert par le haut & par le bas, il n'aura que le pié-d'estal D 1 avec le soufflet portatif monté sur son chassis. Si l'on veut fondre d'abord dans le creuset, il faut le mettre sur la grille du milieu, ou quelque massif de fer, ou un morceau de pierre apyre, dont la largeur sera déterminée par celle du pié du creuset ; car il ne faut pas qu'il soit à nud sur la grille, il se refroidiroit. Le creuset étant couvert, ou avec du fer ou de la terre, jettez les charbons dessus, & faites joüer le soufflet, après avoir préalablement fermé la porte du corps : & la matiere se fondra ; pourvû toutefois que le soufflet soit animé par une puissance active. Il y a trois avantages à considérer dans cette méthode. 1°. L'air ou la colonne supérieure de l'atmosphere ne peut frapper le creuset, ni conséquemment le casser, comme il arrive communément à ceux qui fondent le fer ; & l'on peut régler le feu à volonté : cela dépend du jeu qu'on donne au soufflet ; ce qui est impossible dans les fourneaux à vent. 2°. S'il arrive que le creuset flue, la matiere tombe dans le pié-d'estal D 1, & n'est pas perdue. 3°. On peut toûjours regarder dans le creuset pour examiner le progrès de l'opération, & remuer la matiere ; & l'on peut modérer le feu aisément par la facilité qu'on a de ne mettre que si peu de charbon qu'on veut, beaucoup mieux que dans les fourneaux de Glauber, ou semblables.

En second lieu, si l'on veut fondre sans creuset & sans grille, comme en Métallurgie, on ne sauroit avoir d'appareil qui remplisse mieux ces vûes ; & c'est même un très-bon moyen de faire un essai exact. Il ne faut pourtant pas vouloir travailler de la sorte en grand ; car les amateurs en ont été dégoûtés par les sommes considérables que cela exigeoit : malgré cela, on y fait par la réduction, des opérations très-utiles & des alliages de métaux peu connus jusqu'ici des artistes, à cause des difficultés de l'opération : on le fait même commodément & pas trop en petit ; car on y peut traiter à-la-fois jusqu'à dix livres de métal ou de mine, & de fer même. Or la disposition du fourneau est telle pour cette circonstance qu'elle l'étoit dans la précédente, c'est-à-dire pour la fusion dans le creuset ; à cette différence près, qu'on n'employe ni creuset ni grille : seulement on conserve le soufflet & le pié-d'estal D 1. On allume le feu par degrés, ensuite de quoi l'on jette alternativement des charbons & de la matiere à fondre. Ce qui est fondu tombe dans le pié-d'estal. Nous parlerons de cette opération en dernier lieu : enfin ce fourneau, dans cette circonstance, revient au même que celui de M. Cramer (fig. 26.).

Nous voici enfin parvenus à la derniere piece de notre fourneau, c'est son fond ou fondement, ou pié-d'estal, ou cendrier, qui est de deux especes, comme nous l'avons déja dit, & qu'on peut encore le voir en D 1. & D 2. Le premier est un cylindre dont on voit assez la grandeur & la figure, pour qu'il soit inutile d'en parler ; on le remplit de brasque pesante : quand elle est un peu seche, on y enfonce un hémi-sphere de bois au point qu'on juge nécessaire, pour que la cavité pratiquée puisse contenir la matiere fondue. On fait au fond un trou d'un pouce de diamétre qui va sortir à l'un des côtés du pié-d'estal ; on est le maître de le tenir ouvert ou fermé. Le soufflet donne son vent vis-à-vis, directement à la superficie de la matiere ; les scories & les charbons nagent sur son bain ; elle coule si-tôt qu'on ouvre le trou. En un mot Beccher assûre avoir trouvé par ce moyen plusieurs mines, & fait des observations singulieres au sujet de cette fusion : quant à la précédente, il est avantageux qu'on puisse toûjours voir le creuset. Ici quand la matiere est fondue, on ôte le corps, & elle reste dans le catin, ou bien on la verse au moyen d'un manche qu'on lui ajuste dans un crampon qu'on y attache exprès, si on ne la veut pas faire couler par le canal qui perce dans le milieu de sa cavité. Nous nous sommes déjà étendus là-dessus en parlant du fourneau de fusion de M. Cramer, fig. 26. & suiv.

D 2. est un trépié qui permet l'accès de l'air libre au fourneau pour différentes opérations, dans les cas où il ne faut pas un grand feu, c'est-à-dire l'appareil du soufflet & du pié-d'estal D 1. car quand on employe la fig. D 2. il faut aussi se servir de la premiere ou seconde grille. Il donne pourtant une grande flamme avec la fig. D. 2. & la pousse à quelques coudées par-dessus l'orifice. Il est pour lors d'un usage admirable dans plusieurs opérations où il n'est pas besoin de soufflet ; mais il faut encore faire remarquer une autre décomposition & assemblage de ce trépié D 2. Mettez dessus le dôme renversé, & par-dessus le cercle B 1. & vous aurez un très-beau fourneau descensoire. Vous pourrez mettre ou une cucurbite ou une retorte dans cette cavité, en faisant passer son cou à-travers le regître du dôme ; lutez tout-autour & ajustez un récipient : allumez le feu par-dessus, & vous aurez le résultat que vous pouvez désirer, si vous employez toutefois les matieres qui sont propres à être traitées par cette voie. En voici assez sur la structure & les applications de ce fourneau ; les Planches & leurs explications doivent y avoir suppléé.

Il faut avoüer que Beccher épuise la matiere par l'étendue de l'application qu'il donne à son fourneau ; on ne peut qu'admirer ses vûes, & l'on ne doit pas douter qu'il ne dise vrai. MM. Cramer & Pott ne l'auroient pas imité & n'auroient pas fait les merveilles qu'ils racontent, si ce fourneau ou ses imitations n'avoient un mérite réel ; mais il doit user une quantité considérable de charbon, souvent pour peu de chose, ce qui est un grand inconvénient ; sans compter qu'il y a encore des opérations qui ne s'y font pas, & qu'il doit être fort incommode pour d'autres. Cependant nous croyons qu'il peut être exécuté avec beaucoup de fruit, & qu'il peut être très-utile : au reste, on appercevra aisément entre les trois fourneaux en question les différences qui nous les ont fait admettre tous trois. On trouve quelque analogie entre ceux de Beccher & de Glauber.

Le fourneau de fusion de M. Cramer (fig. 26. & suiv.), que nous avons décrit à sa section, peut encore servir aux distillations & sublimations ; opérations très-utiles & même nécessaires ; ensorte qu'un essayeur, par exemple, qui n'auroit point l'athanor, pourroit se servir de celui-ci, pour y faire une partie des opérations qu'il exécute au moyen de l'athanor. Ce dernier lui est pourtant moins nécessaire qu'un fourneau de fusion ; car il peut faire dans celui-ci tout ce qu'il fait dans l'autre, à l'exception du coupellement qu'il fait dans son fourneau d'essai, & même encore le peut-il par la nouvelle variété suivante. Pour le rendre propre à tous ces usages, on n'a qu'à pratiquer au corps du fourneau une ouverture garnie d'une porte roulant sur deux gonds a (fig. 30.), semblable à celle du dôme. Sa base sera éloignée de trois pouces de l'anneau inférieur ; elle sera arquée, large de quatre pouces par le bas, & haute d'autant dans son milieu. La cavité elliptique en question recevra son complément du dôme (fig. 31.), garni de deux poignées au moyen desquelles on pourra le manier aisément. Ce dôme destiné à recevoir le chauderon de fer (fig. 60.), muni d'une échancrure, en aura pareillement une c, qui répondra à la premiere. Cette échancrure sera fermée d'une porte quand il faudra faire des opérations auxquelles le chauderon de fer ne devra point avoir de part. Pour favoriser le jeu de l'air & la conduite du feu, l'on pratiquera, tant dans le cercle supérieur du dôme, que dans le bord du chauderon, quatre trous ou regîtres à égale distance les uns des autres ; & l'on fera autant de couvercles pour fermer le passage à l'air, quand on le jugera à-propos, quoique la porte du cendrier (fig. 28.), employée avec le fourneau dont il s'agit, puisse servir aux mêmes fins : les figures & l'explication que nous en avons données répandront de nouvelles lumieres sur ce que nous venons d'exposer.

La variété dont nous venons de parler peut être employée dans la place de la fig. 26. & lui est même semblable, excepté qu'elle est séparée en deux corps, & qu'elle a des portes que l'autre n'a pas, mais qui ne préjudicient absolument à aucune opération, si ce n'est peut-être en donnant moins de chaleur & en s'échauffant plus lentement que la fig. 26.

Depuis fort long-tems on a pensé aux fourneaux polychrestes, comme on l'a vû par celui de Dornaeus : depuis ce tems-là, & peut-être même avant, tous les auteurs en ont donnés & se sont exercés pour en trouver : Libavius, Béguin, Rhénanus, Glauber, Glaser, le Fêvre, Charas, le Mort, Beccher, Barner, Lémery, Manget, Barchusen, M. Teichmeyer, Boerhaave, Juncker, Cramer, Cartheuser, & Vogel, dont la succession est indiquée par l'ordre que je leur donne, en ont parlé les uns plus, les autres moins : il n'y a pas jusqu'au fourneau de notre fig. 1. qui ne se mêle aussi d'être polychreste ; car on peut s'exprimer de la sorte après avoir parcouru la description de celui de Beccher. Le premier que je sache qui l'ait donné, & donné comme polychreste, est Béguin, comme je l'ai déjà dit en son lieu ; je dis comme polychreste. Voyez la section suivante des philosophiques ; il est intitulé, pag. 80. de cet auteur, servant à toutes les opérations de Chimie. Il en dit ce qu'on peut penser là-dessus, & moins même quand on se rappelle le détail de Beccher.

Voici ce qu'on peut dire en particulier sur les fourneaux de décoction proprement dite, où l'on expose la matiere dans une bassine, un chauderon, une cuilliere de fer, &c. avec l'eau exposée à l'air libre. Ce sont les mêmes qui servent pour la distillation à feu nud, si le chauderon est surmonté d'un chapiteau ; au bain-marie, si l'on met dans ce chauderon un vaisseau d'étain qui baigne dans l'eau contenant la matiere à distiller, soit à sec, avec l'eau ou l'esprit-de-vin ; au bain de vapeur, si ce même vaisseau d'étain n'étant pas assez profond pour baigner dans l'eau, qui en même tems n'est pas en assez grande quantité pour y atteindre, n'en reçoit que la vapeur. Voy. les artic. VAISSEAUX, ALEMBIC, POLYCHRESTE, BAIN-MARIE, & BAIN DE VAPEUR. Si l'on change l'intermede des bains, ils seront pour lors des bains de cendre, de sable, de limaille de fer, de farine de briques, qui y sont placés dans une poêle de fer ou capsule : ils servent encore aux calcinations qu'on y fait dans des capsules de terre ou de fer. On les employe aux distillations dans la cucurbite basse ou chapelle des anciens, en passant une barre de fer ou deux dans des trous faits exprès, & lutant le contour de la cucurbite. Si les regîtres ne sont point au-dessous du bord, on en laisse en lutant, & on les détourne du vaisseau distillatoire au moyen du lut ; ainsi c'est une peine de moins quand ils sont au-dessous du bord & non dans le bord intérieur. Les mêmes fourneaux servent encore pour les sublimations du soufre, du benjoin, &c.

Les fourneaux de lampe qui sont encore des polychrestes, ne sont, comme nous l'avons dit, que des fourneaux de décoction ou de distillation ascensoire & latérale, & par conséquent de bain-marie, de vapeurs, de cendres, de sable, ou de limaille, & de farine de briques, qui, au lieu d'être chauffés par des charbons, le sont par une ou plusieurs meches de lampe, parce qu'on a pour but d'y soûtenir le degré fixe d'une chaleur modérée. Voyez les fig. 64. & 65. On ne fait plus guere d'usage aujourd'hui des fourneaux de lampe en Chimie ; le second peut servir pour la distillation latérale à feu nud. Voyez la section des philosophiques. Le premier est un de ces petits instrumens qui ne sert plus guere qu'à ceux qui ne sont point chimistes de profession ; quelques physiciens, les gens du monde, & des femmes l'employent à distiller quelques onces d'esprit-de-vin, d'eau-de-vie, d'eau-de-lavande, de thym, de romarin, de fleurs-d'orange, simples ou spiritueuses, de roses, de mirthe, de lait, de miel, &c. (voyez ABDEQUER) ; à faire chauffer du bouillon, de la tisane, &c.

On peut regarder à juste titre les athanors comme des polychrestes ; mais on ne peut pas dire l'inverse : c'est pour cette raison que nous avons mis les polychrestes après.

Le fourneau de verrerie de M. Cramer (fig. 39. 44. voyez la section des fourneaux de fusion) est aussi un polychreste ; les fourneaux d'essai, & les fourneaux de fusion en sont aussi : mais il ne faut pourtant pas abuser de ce terme au point de l'étendre à un fourneau où l'on fait deux opérations de même genre, comme on l'a déjà dit, comme les bains-marie & tous les bains, les fourneaux de décoction, &c. car il n'est point de fourneau où il ne se fasse qu'une seule opération ; & de la sorte tous les fourneaux seroient des polychrestes. Au reste il seroit peut-être bon que cela fût ; la manie d'en faire de particuliers pourroit cesser.

J'ai dit qu'on avoit étendu la nécessité de faire servir un fourneau à plusieurs opérations de différens genres, & ce sont sans-doute celles d'un même genre qui y ont conduit ; la preuve en est que les premiers fourneaux qui ont été employés dans ce dessein, ont pris le nom de polychrestes, que l'enthousiasme a ensuite converti en celui de catholiques ou universels. Cependant celui de Beccher, qui est le plus en droit de prétendre à cette prérogative, n'atteindra jamais à cette universalité ; & les enthousiastes du polychrestisme seront obligés de convenir qu'il laisse les autres bien loin derriere lui, comme plus précaires ; tels que les athanor & fourneau de fusion de Cramer : mais il y a toute apparence qu'il ne fond pas des corps d'aussi difficile fusion que celui de M. Pott.

Des fourneaux philosophiques. On donne ce nom aux fourneaux qui sont particulierement consacrés au grand oeuvre, quoiqu'il s'entende aussi de tous ceux qui sont du ressort de la chimie philosophique, ainsi qu'on peut s'en convaincre par le titre de nouveaux fourneaux philosophiques, donné par Glauber au traité qu'il a fait sur cette matiere. Ces sortes de fourneaux différent peu des autres, & ils peuvent être employés à la plûpart des mêmes usages ; de même que les autres peuvent presque tous être employés à la confection de la pierre philosophale (voy. PHILOSOPHIE HERMETIQUE), en les ajustant toutefois à ce sujet.

Nous n'avons donné qu'un exemple de fourneaux philosophiques, à-moins qu'on ne comprenne au même rang les fourneaux à lampe (fig. 64. & 65.) les fourneaux de Géber (fig. 5. & 98), qui sont aussi des fourneaux philosophiques ; c'est celui de la Roquetaillade, plus connu sous le nom de Rupescissa, que la coûtume pédantesque de son tems lui avoit fait prendre : la coupe de ce fourneau que nous avons prise seule, se trouve pag. 48. de son livre in-4 °. intitulé liber lucis ; ouvrage qui, pour le dire en passant, n'a point été mis au nombre de ceux de ce cordelier, dans la notice que nous en a donné Bayle. Voyez son diction. critiq. art. Roquetaillade, note E. Ce chimiste appelle ce fourneau son athanor : athanor à la verité, est nn nom qu'Abulcasis donne indifféremment à toutes sortes de fourneaux chimiques, comme on peut le voir dans son liv. II. où il traite du vinaigre distillé. Mais il est bon de savoir que ceux qui ont traité de la pierre philosophale, ont entendu particulierement sous ce nom le fourneau qui leur servoit à cet usage, où ils convertissent, par ex. leur mercure préparé en lait de la Vierge, c'est-à-dire le dissolvent, le coagulent, & l'exaltent. Ce fourneau des arcanes, ce fourneau d'Hermès & des philosophes, ce fourneau enfin qui portera tel beau nom qu'il plaira à MM. les adeptes de lui donner, doit être construit de façon qu'il puisse fournir trois degrés de chaleur à la volonté de l'artiste, & sans que le feu frappe immédiatement la matiere du grand-oeuvre, ni le vaisseau qui la contient ; il faut qu'il ne donne précisément qu'une vapeur chaude qu'on soit le maître de modérer. Il faut donc qu'il ait un foyer & même une grille de cendrier, en cas qu'on veuille le chauffer avec le charbon, comme cela se fait d'ordinaire ; car on peut avoir recours au ventre de cheval ou au feu de lampe ; l'ouvroir y est nécessaire : c'est pour éloigner le vaisseau du feu, qu'on a fait le foyer élevé, & pour reverbérer la chaleur qu'on a mis un dôme ; ensorte que ce fourneau est fait de quatre pieces. Ce dôme est concave, parce que le ciel a cette figure (ou paroît l'avoir) ; ce qui lui a fait donner le beau nom d'Uraniscus. Il a des trous autour pour regîtres ; celui du milieu sert à observer le degré de chaleur : Libavius qui a représenté ce fourneau, pag. 166. de son alchimie, dit l'avoir fait exécuter en terre, s'en être servi, y avoir vû ce noir qu'on appelle la tête du corbeau, & y avoir fait toute la putréfaction & séparation ou dissolution.

La hauteur du fourneau sera de trois piés & demi, & la largeur d'un pié & demi inclusivement : le cendrier sera haut d'un pié, y compris la grille & le sol du fourneau. Le foyer sera terminé à la hauteur de neuf pouces par un diaphragme de fer ou de terre, ayant dans son milieu un trou rond de quatre pouces de diamétre, pour la communication de la chaleur. On aura trois regîtres ou lames de tôle plus larges que le trou ; ces lames de tôle seront percées & auront, la premiere une ouverture de trois pouces de diamétre, la seconde une de deux, & la troisieme une d'un seul ; on appliquera sur le diaphragme celle qu'il faudra ; cela dépendra du degré de chaleur qu'on voudra donner. L'ouverture aura quinze pouces de haut de puis le diaphragme jusqu'au dôme : sur ce diaphragme on placera un trépié de terre ou de fer, de trois pouces & demi de diametre, & de six de haut ; c'est sur ce trépié qu'on place l'oeuf philosophique : le tout est surmonté d'un dôme de fer hémisphérique, haut de six pouces. Le regître du milieu est d'un pouce de diametre, on en approche la main pour régler le feu ; on place sur le trépié une sphere creuse partagée en deux hémi-spheres : cette sphere a sept pouces de diametre ; on y enferme un oeuf philosophique de terre.

Le trou du diaphragme sans regître étant de quatre pouces de diametre, passe pour donner une chaleur de quatre degrés. Si l'on ne veut que le troisieme degré, on a recours au regître ayant un trou de trois pouces de diametre, & ainsi de suite. La grille est de beaucoup trop grande pour le premier & second degré : ainsi il faut la changer ou mettre dessus une feuille de tôle qu'on puisse graduer à volonté : Libavius en a fait faire de différentes pour les divers degrés de feu, percées comme la grille d'une rape. Quelques artistes ont un catin où ils mettent du feu ; ce catin est percé de petits trous, & placé sur la grille dont il fait les fonctions ; on lui fait de grands bords. Quand on a fixé le regître l, on lute bien les vuides qu'il laisse. Dans Libavius il y a un tuyau de quelques doigts de haut, attaché au bord du trou du diaphragme ; & le regître se glisse néanmoins entre deux : le trépié l'embrasse & porte dessus à la place des oeufs partagés en hémi-spheres. On met encore une cucurbite dans laquelle on renferme l'oeuf philosophique, & qu'on scelle quelquefois hermétiquement ; car si la figure de Rupescissa a été faite selon son intention, il y a toute apparence que tantôt il a scellé ainsi sa cucurbite, & tantôt il l'a laissée ouverte. Ce fourneau est portatif & peut être divisé en moins de corps ; on peut encore le faire de différentes grandeurs ; quelques artistes l'ont voulu transporter, comme il arrive aux faux-monnoyeurs de transporter avec eux tous leurs ustenciles : mais le vrai chimiste sera un philosophe sédentaire, pag. 165. de la Scevastique de Libavius. On trouve encore la description & la figure de ce fourneau, pag. 87. tom. I. de la bibliotheque chimique de Manget.

Le fourneau de lampe est appellé fourneau secret des philosophes, & aussi fourneau des arcanes. Ceux qui en voudront davantage là-dessus pourront consulter les descriptions qui en ont été données par Isaac le Hollandois, Paracelse, Despagnette, Raimond Lulle, Bernhard, &c.

Il est évident que le fourneau donné par la Roquetaillade, qui vivoit au quatorzieme siecle, a dû fournir tout naturellement la construction du fourneau de notre fig. 1. qui n'en differe qu'en ce qu'au lieu d'un diaphragme ouvert, elle a deux barres de fer & un trou pour passer le cou de la cornue ; on observe encore qu'il n'y a qu'un regître au dôme.

Nous aurions peut-être dû placer les fourneaux polychrestes après ceux-ci, comme étant censés servir aussi au grand-oeuvre par la généralité qu'ils affectent ; mais nous aurions par-là confondu la philosophie hermétique avec la Chimie positive ; ce que nous avons voulu éviter.

Généralités sur la division des fourneaux. Il est évident que tous les fourneaux qui précédent tirent leur dénomination des opérations auxquelles ils sont destinés.

On eût peut-être souhaité que cette division eût été déduite des qualités intrinseques de chaque espece de fourneau, de même qu'on a distingué les plantes par les pétales, par exemple, &c. mais les fourneaux sont un acte de la raison humaine ; ils sont tous construits sur le même principe, l'action de l'air & du feu ; & leurs accessoires dépendent du corps à traiter ou du vaisseau qui le contient, ou bien de tous les deux ensemble. Ainsi quoiqu'ils puissent absolument être considérés en eux-mêmes, & abstraction faite de ces différentes conditions, elles cessent en quelque sorte de leur être étrangeres, puisqu'elles sont le principe de leur structure ; & l'on ne peut les en séparer, qu'on ne sépare les moyens de la fin qui leur a donné naissance, & qu'on ne réduise alors les fourneaux à de simples êtres chimériques & devant leur origine au hasard, quoique capables de servir à quelques usages. On n'en peut pas dire autant des vertus des plantes, qui ne sont pas des productions humaines ; il a donc fallu diviser les fourneaux, non d'après l'action combinée de l'air & du feu, qui n'y exige par elle-même aucune différence, mais d'après les corps auxquels on veut appliquer le feu.

Telle est la division que nous avons crû devoir établir pour mettre quelque ordre dans ce que nous avions à dire : on la regardera peut-être comme un systeme de plus qui ne servira qu'à charger la mémoire ; mais il est aisé de ne faire attention qu'aux faits.

Nous avons fait onze sections des fourneaux, d'après l'usage dont ils sont dans les opérations ; ce n'est pas qu'elles se bornent à ce nombre, mais il y en a quantité & même de très-différentes, qui se font dans les mêmes ; & nous entendons parler de celles qui demandent quelque changement particulier dans la construction d'un fourneau, quoiqu'elle soit presque la même quant au fond ; il est bon d'avertir qu'il se trouve dans la plûpart d'entr'eux des diminutions ou additions qui les rendent plus propres à remplir les vûes qu'on se propose. Si nous n'avons point parlé des fourneaux de cémentation, par exemple, c'est que cette opération ressemble à une fusion, quant à l'appareil, & que les fourneaux de celle-ci servent à celle-là ; car quoi de plus semblable qu'un creuset à fondre, & un creuset ou pot de cémentation ? cependant on ne confondra pas aisément ces deux opérations.

Les derniers fourneaux n'ont été mis avec les vaisseaux, qu'afin que l'appareil fût complet, c'est-à-dire pour accompagner les vaisseaux & figurer avec eux, de même que ceux-ci ont été représentés au commencement pour accompagner les fourneaux ; avec cette différence toutefois, que les fourneaux sont faits pour les vaisseaux, quoi qu'en dise Manget, qui appelle ceux-ci vaisseaux secondaires. L'utile nous a conduits, l'agréable s'y est trouvé.

Autant que nous avons pû, nous avons fait dessiner d'après nature les fourneaux représentés dans nos Planches ; mais il en est un certain nombre qui ne se trouvent que dans les ouvrages des Chimistes. On s'attend bien de trouver sur-tout parmi nos ustenciles, ceux qui sont aujourd'hui en usage ; on pensera même tout naturellement que nous avons dû consulter le laboratoire de M. Roüelle, qui est très-bien fourni en ce genre. Nous n'avions garde de négliger cette ressource, & il nous a été ouvert avec cet empressement qui naît du desir de contribuer au progrès des Sciences. Nous lui devons les figures 1, 2, 3, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 54, 61, 73, 74 & 161. Nous aurons soin en parlant des vaisseaux & ustensiles, de reconnoître aussi ceux que nous aurons fait dessiner chez lui. Par-tout nous avons indiqué nos sources, & nous avons cité de notre mieux en parlant des différens auteurs où l'on peut voir la même figure, afin de satisfaire ceux qui seront curieux d'y recourir, & de reconnoître en même tems ce que nous devons à autrui. Tout devient intéressant pour ceux qui aiment & cultivent une science ; non contens d'être parvenus à ses bornes, ils aiment encore à en examiner les progrès, & savoir à qui l'on est redevable de ceux qui l'ont amenée au point où ils la trouvent. Nous ne devions pas épuiser les matieres, mais nous avons fait ensorte de piquer la curiosité de ceux qui voudroient en savoir autant qu'il est possible.

On ne voit pas, au moins que je sache, que les chimistes qui ont écrit avant Géber, ayent eu soin de nous parler des ustensiles qu'ils ont employés pour leurs opérations ; c'est cependant par-là qu'ils devoient commencer. Est-ce mystere ou ignorance de la vraie méthode ? On peut dire qu'ils font l'extrème de quelques auteurs modernes, qui pour lier un fait à ce qui a été inventé avant eux, commencent leur narration dès les élémens de la science, dont leur découverte doit reculer les bornes.

Quoiqu'on puisse faire quantité d'opérations chimiques dans le même fourneau, & qu'il y en ait quelques-uns de ceux qui sont représentés dans nos Planches qui reviennent presqu'au même, nous avons cru devoir rassembler tous ceux qui pouvoient entrer & être nécessaires dans un laboratoire philosophique qu'on voudroit rendre complet, & dans lequel on seroit obligé de faire plusieurs opérations à-la-fois dans différens genres, afin que ceux qui voudroient s'occuper de ce travail, pussent choisir dequoi se satisfaire. La plûpart des auteurs s'accordent sur six, qu'ils regardent comme nécessaires & suffisans : ceux de distillation latérale, le grand fourneau de décoction pour la cucurbite de cuivre, un fourneau à capsule, un fourneau de fusion à vent, un fourneau d'essai, & un athanor.

Nous avons cru devoir nous étendre sur cette matiere avec d'autant plus de raison, qu'on n'en trouve rien dans les autres dictionnaires. Trévoux n'en dit que très-peu de chose, & même ce qu'il y en a n'est pas exact. Le grand dictionnaire de Médecine, où l'on auroit dû trouver cet article très-détaillé, avec de nombreuses planches, n'en donne qu'une mauvaise définition de quatre lignes. MM. Boerhaave & Cramer ont fait l'un & l'autre une faute contre la vraie méthode, en commençant l'un sa chimie & l'autre sa docimastique par la théorie, ou la partie la plus abstraite de ce qu'ils traitoient, & en comprenant dans cette théorie, & encore à la fin, la partie des fourneaux & des vaisseaux, qui sont un sujet très-pratique. On doit écrire comme on doit enseigner ; & dans un livre & un cours de Chimie faits méthodiquement, on doit débuter d'abord par les vaisseaux & fourneaux.

Si quelques personnes croyent que nous avons trop insisté sur le détail de la description de chaque fourneau en particulier, nous les prions de considérer que nous avons cru ne pouvoir être utiles qu'en nous comportant de la sorte ; que tel qui veut construire un fourneau aime à en trouver la description à son article, sans être obligé de l'aller chercher par comparaison dans celle d'un autre fourneau différent, ou dans des généralités inutiles à ceux qui ne savent point & à ceux qui savent ; par la raison que les premiers n'en sauroient faire l'application à des cas particuliers qu'ils ignorent, & que les derniers n'en ont pas besoin, parce qu'ils les savent. Enfin je serois presque tenté de dire que ceux qui trouveront que nous en avons trop dit, sont précisement ceux pour qui nous n'en avons pas dit assez, & qui seroient incapables d'exécuter la plus étendue de nos descriptions, même quand nous l'augmenterions encore. Une pareille description doit être jugée sur la facilité de son exécution ; il faut pourtant supposer que ceux qui l'entreprendront soient artistes, au-moins en général. Nous ne parlons point des autres.

Nous avons rejetté comme insuffisantes les distinctions qui ont été faites des fourneaux en fixes & portatifs, en ronds & quarrés, en simples & composés, en fourneaux à vent, à soufflet, à tour, ainsi que celles qui ont été tirées du vaisseau dans lequel on y traite les corps ; de la maniere dont le feu y est appliqué, du nom de l'auteur, de l'effet de leur matiere, figure, de leur grandeur : ces différens noms doivent être connus ; mais comme ils ne sont dûs qu'à quelques accessoires, à des conventions ou à des qualités communes à quelques fourneaux seulement, ils n'ont pû se prêter à la méthode que nous avons voulu suivre par les raisons que nous allons détailler.

Il n'y a peut-être point d'auteur qui ait parlé des fourneaux, qui n'ait repété machinalement la plûpart des divisions que nous venons de proscrire, sans en mentionner les avantages ni les inconvéniens. Il n'étoit pas étonnant qu'ils ne parlassent point des avantages, nous ne pouvons y en trouver ; mais nous allons indiquer les inconvéniens que nous y voyons.

Les moindres sont un fatras de noms qui ne servent qu'à charger la mémoire. Voici les autres.

1°. La division en fixes & en portatifs n'est d'aucune utilité, en ce qu'elle ne change point la nature du fourneau ; car le même exactement peut être fixe & portatif dans bien des cas. On peut comparer nos figures premiere & trois dans tous les cas où il ne faudra que le degré de feu que le fourneau de la figure premiere pourra supporter ; car alors on pourra toûjours se servir de la figure troisieme, comme de la figure premiere : d'ailleurs il n'est pas toûjours nécessaire qu'un fourneau soit fixe pour soûtenir la violence du feu ; celui de Pott qui est en tôle, en est la preuve.

2°. Que veut dire la distinction entre fourneau rond & fourneau quarré ? La figure extérieure, car c'est d'elle qu'il s'agit ici, influe-t-elle sur les qualités du dedans ? C'est faire trop d'honneur à des distinctions aussi frivoles, que d'en parler.

3e. Celle des simples & des composés a d'abord un air spécieux : mais que signifie-t-elle au fond ? veut-on mettre en comparaison des fourneaux qui servent à plus d'opérations, ou qui ont plus de parties, ou qui ont plus de variétés que d'autres ? Nous avons fait voir que tous les fourneaux pouvoient servir à plusieurs opérations, plus ou moins ; ainsi on ne peut rien dire que de vague sur cet article. En second lieu s'agit-il ici de la différence qui peut être entre un athanor & un fourneau de distillation, quant à la quantité des pieces ? il est vrai qu'il y a de ces derniers qui n'en ont qu'une ; mais il y en a aussi qui en ont quatre & cinq, comme il y a des athanors qui n'ont que la tour & un petit fourneau de décoction pour lequel seul elle a été construite ; & d'ailleurs l'athanor est d'une seule piece.

4°. En fourneaux à vent & fourneaux à soufflet. Sous le nom de fourneaux à vent, on entend tous ceux dont le feu n'est point animé par les soufflets, mais seulement par le jeu de l'air ; ensorte qu'il seroit plus à-propos de les appeller fourneaux à air, si l'usage n'en avoit autrement décidé : ainsi tous ceux que nous avons mentionnés doivent être placés dans ce rang, hors ceux-ci seulement ; la forge qu'on peut voir dans les Planches du Fondeur en cuivre, qui est le seul vrai fourneau à soufflet, & qui ne va jamais sans cela ; les fourneaux de fusion, fig. 26, 36, 37 n°. 1. & 71, mais seulement quand ils vont par le moyen du soufflet, car ils sont plus souvent animés par le jeu de l'air. Ainsi ce que nous pourrions avoir à dire actuellement sur les fourneaux à soufflet, s'entend assez par la distinction que nous venons de faire. La Chimie philosophique n'employe le soufflet que dans un petit nombre de circonstances, si l'on considere le nombre total de ses opérations, & ce n'est guere que pour le regne minéral qu'elle en fait usage. Il s'ensuit donc qu'on ne doit regarder que comme un nom, l'expression qui ne tombe vraiment que sur la forge seule, ou tout-au-plus encore sur notre fourneau d'affinage (figure 17), qui n'est au fond qu'une forge ; cette expression étant équivoque pour les autres fourneaux que nous avons exceptés, par la raison qu'ils sont tantôt à vent, & tantôt à soufflet.

5°. En fourneaux à tour : ceci n'est encore qu'une expression qui ne tombe que sur un seul fourneau qui est l'athanor.

6°. On a encore nommé quelques fourneaux du nom du vaisseau dans lequel on y traite les corps, tels sont les fourneaux à capsule ; mais on a dû remarquer qu'en ôtant leur vaisseau on leur ôtoit aussi leur nom, & qu'ils n'étoient plus pour lors que des fourneaux de décoction ou de distillation ascensoire, ou même latérale. Voyez nos figures 5, 12, 13, 14, & 161. Il est vrai qu'il y en a qui ne servent qu'à cet usage, comme par exemple notre athanor, fig. 61, en supposant qu'il n'eût point de tour ; mais ce sera un bain de sable tout simplement ; & s'il a une tour, ce sera un athanor à bain de sable ; autrement il faudroit dire un fourneau à tour & à capsule.

7°. D'autres ont été nommés fourneaux de reverbere, d'après la maniere dont le feu y est appliqué. Toutes les fois qu'on a vû un fourneau où la flamme ne pouvant s'échapper librement, & refléchie par leurs parois ou d'autres obstacles, retomber sur elle-même, ou se frapper continuellement, se reverberat, verberibus in se agit ; d'où ce terme est venu, on a appellé ce fourneau de reverbere : mais comme on n'a vû ou cru voir ce phénomene que dans quelques fourneaux seulement, il n'y en a eu aussi que quelques-uns qui ont été décorés de ce titre. On a encore appellé de la sorte ceux où la flamme n'étoit que refléchie sur le corps sans circuler autour, comme celui de notre figure 15, & le grand fourneau anglois, ainsi que nous l'avons dit à la section de ceux qui sont employés à l'affinage. Mais il me semble qu'il y a plus de fourneaux de reverbere qu'on ne pense, & qu'il n'y en a peut-être pas un seul en Chimie, où la qualité reverbératrice ne se rencontre. Nous la voyons dans les fourneaux de distillation ascensoire, où la chaleur est certainement obligée de circuler & de se refléchir sur elle-même & autour de la cucurbite, avant que de sortir par les regîtres ; & nous ne voyons pas un individu dans cette section toute entiere qui fasse exception. Ceux de distillation latérale sont ceux qui ont été nommés plus généralement fourneaux de reverbere, mais ils ne le sont pas plus que les autres ; il est vrai que le vaisseau y est entouré de la chaleur, mais il l'est bien mieux encore dans une forge, &c. & ce n'est pas du vaisseau environné de la chaleur que ce nom est tiré, mais de l'action de la flamme ; car le fourneau (fig. 15.) à calciner la potasse, & le fourneau anglois, sont des reverberes. Les fourneaux de distillation descensoire seront certainement des reverberes, si on les couvre par le haut. Tous les fourneaux de fusion sont éminemment dans le même cas, comme nous le verrons plus particulierement dans la suite, & cependant on n'a jamais pensé à joindre ces deux mots ensemble, fusion & reverbere. Enfin les fourneaux d'essai, d'affinage, de verrerie, les athanors, les fourneaux polychrestes & philosophiques, sont tout autant de reverberes. La forge, sur-tout quand on la couvre d'un carreau, les fourneaux à lampe, de décoction, & généralement tous les fourneaux, peuvent être appellés des fourneaux de reverbere ; & ce n'est pas abuser des termes, comme on a fait en ne nommant ainsi que quelques fourneaux : car soit que la chaleur y circule par une construction particuliere, ou par un dôme, ou par un vaisseau, qui en fait en quelque façon l'office, ou un carreau, ou une plaque de tôle, la chose revient au même, & c'est une qualité qui entre dans la définition d'un fourneau. C'est pour cette raison que nous avons fait plus d'usage de ce mot dans nos descriptions, comme signifiant une action dont la flamme étoit susceptible, que nous ne l'avons employé comme une qualification ; & si nous l'avons employé quelquefois dans ce dernier sens, c'est parce que nous n'avons pû renoncer tout-d'un-coup à l'usage reçu. La division des fourneaux d'après les opérations, prouve ce qu'on avance. Il s'ensuit donc qu'on peut rejetter & admettre ce mot dans le sens que nous avons expliqué.

8°. Quelques fourneaux ont retenu le nom de leur auteur, & il faut avoüer que cela apprend quelque chose, & qu'il est juste que ceux à qui l'on a ces obligations, en retirent tout l'honneur qu'ils méritent ; mais ce n'est qu'un trait historique qui ne désigne point la nature du fourneau. Les noms de Beccher, Glauber & Dornaeus qui servent à distinguer leurs fourneaux dans l'usage, ne veulent point dire que celui de Beccher est un fourneau de fusion qui sert à quantité d'opérations, &c. au reste je crois qu'il vaudroit mieux que tous les fourneaux portassent le nom de leur auteur, & n'eussent que celui-là ; ce seroit un embarras de moins, & on n'en connoîtroit pas moins tous les usages auxquels ils peuvent s'étendre.

9°. On s'attend bien que nous aurons de l'indulgence pour ceux qui ont nommé les fourneaux d'après leur effet ; mais nous aurions souhaité qu'ils eussent été plus conséquens. De tous les auteurs que nous avons parcourus sur cette matiere, & qui ont parlé de cette distinction, nous n'en avons pas trouvé un seul qui n'en ait admis d'autres en même tems ; elles se trouvent parmi celles que nous proscrivons.

10°. Les différentes matieres employées à la construction des fourneaux, leur ont encore mérité des noms qu'on a cru pouvoir apprendre quelque chose. Il est vrai que dans leur description on doit dire, s'ils sont fixes, ronds ou quarrés, en terre, en brique, en tôle ou en fonte ; mais je ne vois pas que ces noms doivent leur rester ; ils n'y apportent aucune différence, le même fourneau pouvant être construit de diverses matieres.

11°. La figure des fourneaux (on entend ici l'intérieure) a été trop vague aussi pour qu'on ait pû s'en servir comme d'un signe pour les reconnoître. Un fourneau elliptique n'est pas plus un fourneau de fusion que de distillation, &c.

12. Leur grandeur n'a pas dû non plus constituer leurs noms ; ce n'est une distinction bonne tout-au-plus qu'à s'entendre dans un laboratoire, soit pour les fourneaux du même laboratoire, soit pour ceux des travaux en grand.

13°. La qualité de fourneau à dôme est encore applicable à plusieurs especes, & par conséquent trop vague.

14°. Les fourneaux domestiques ne font rien à la Chimie ; à la bonne-heure que l'économie les ait admis, de même que la Chimie a profité de l'économie domestique. Nous dirons néanmoins que ce sont pour l'ordinaire des fourneaux de décoction, comme ceux des figures 12, 13, &c. plus ou moins mal-faits, & criblés de trous. Il y en a d'autres cependant qui ont leur utilité, & qui sont très-bien construits pour ce à quoi ils sont destinés. Qu'on s'imagine qu'au fourneau de la décoction de la figure 12, il y a à l'opposite de la bouche du foyer un trou d'un pouce & demi de diametre environ, auquel on fait un petit tuyau de terre qui se termine aux bords du fourneau, & va quelquefois un peu plus haut, pour être reçu dans un tuyau de poêle ; ils servent à la cuisine. Quant aux autres fourneaux de cuisine, ils n'entrent point dans notre plan, quoiqu'ils soient de notre compétence. Nous n'en parlons ici que pour dire qu'ils sont très-mal faits pour l'ordinaire.

On fait mal-à-propos synonymes fourneaux domestiques & d'apothicaire.

15°. On a pû voir par ce que nous avons dit des fourneaux de lampe, que l'aliment du feu n'y apportoit pas une différence bien considérable ; car c'est du feu de la lampe qu'il est ici question, & non de sa figure, soit qu'on y brûle de l'esprit-de-vin ou de l'huile : on auroit dû par la même raison dire fourneaux à bois, à charbon, à tourbe, &c.

Tout fourneau a son cendrier, sa grille & son foyer, disent Stahl, le Fêvre, Charas, & quantité d'autres ; mais il existe un fourneau d'essai qui n'a ni grille ni cendrier, ou dont le cendrier & le foyer sont confondus : d'ailleurs le fourneau à lampe n'a pas de grille ; mais on peut dire, je crois en général, comme le même Stahl, qu'il n'y a point de fourneau qui n'ait une partie dont la figure est la même dans tous, & que chacun en a outre cela au-moins une qui lui est propre.

Nous ne parlerons point des autres distinctions en ouverts & fermés ; en fermés par une fermeture plate ou convexe ; en droits & renversés ; à canaux ; perpétuels & extemporanés ; composés de parties contiguës & continues ; paresseux & vigilans ; libres & fixés au mur ; elles ne servent de rien, & ne méritent pas qu'on s'y arrête.

Nous n'avons encore rien dit des regîtres qu'en passant & en particulier ; nous ne les avons, pour ainsi dire, encore guere considérés que comme des trous qu'on faisoit au-haut d'un fourneau, excepté en parlant de l'athanor (fig. 56.), du fourneau de fusion (fig. 26), & de quelques autres. Voici ce que nous avons à ajoûter sur cette matiere.

Des regîtres. Un regître est une ouverture pratiquée à la partie supérieure des fourneaux, pour servir de passage aux vapeurs fournies par l'aliment du feu, & au torrent de l'air qui l'anime. Ce nom vient de régir, parce qu'on gouverne le feu par ce moyen. On n'a point encore de regles certaines pour la proportion que ces regîtres doivent avoir avec le reste du fourneau. Glauber demande un tiers de son diametre pour le regître : Boerhaave n'en veut qu'un quart pour le même fourneau de fusion. Il est fort peu question des autres.

On avoit fait des fourneaux de décoction, &c. ayant pour regître des échancrures dans le bord qui touche le vaisseau, & il faut avoüer que c'étoit-là la meilleure place qu'on pût leur donner ; mais on est revenu à faire quatre trous au-dessous de leur bord supérieur. Voyez nos figures 2, 12, 13. C'est la méthode ancienne ; voyez notre figure 76, qui est de Libavius.

Quand on met un bain au lieu de dôme dans le fourneau de distillation latérale fig. 1, les regîtres se trouvent faits tout naturellement par les échancrures des barres inutiles pour lors.

Il y a des regîtres qui méritent vraiment ce nom par l'espece de ressemblance qu'ils ont avec ceux des orgues ; tels sont ceux de la forge & du fourneau de fusion fig. 8. Au reste c'est leur usage, & non la figure qui décide. On appelle encore regîtres les instrumens, ou ces petits parallélipipedes de terre cuite, qu'on met devant les soupiraux de la moufle.

Une ouverture seule au milieu du dôme fait que la chaleur est par-tout égale dans le fourneau, & plus concentrée ; d'ailleurs il est plus aisé de la fermer. Quand il y en a trois ou quatre, il faut les tenir toûjours ouverts, ou si on les ferme dans la suite, ne les pas rouvrir ; car il arrive que la partie de la retorte qui est vis-à-vis, & qui s'est refroidie pendant qu'ils ont été fermés, parce que la chaleur n'a plus été déterminée de ce côté-là, se fend parce qu'elle est frappée d'une chaleur subite : cet inconvénient arrive d'autant mieux qu'elle est plus épaisse, par la raison que la table interne ne peut pas être dilatée en même tems que l'externe. Cet usage d'un seul regître au milieu du dôme est fort ancien, comme nous l'avons remarqué à la section des fourneaux philosophiques. Peu d'auteurs en ont mis quatre. Il n'y a eu que quelques mauvais artistes ou fournalistes qui en ont introduit ce nombre de tems-en-tems.

Si les regîtres sont au nombre de quatre, & tout-autour du dôme du fourneau servant à la distillation du vinaigre, de la manne, du miel, &c. fig. 74. c'est qu'on ne peut pas les placer ailleurs, qu'on les laisse ouverts continuellement, & qu'il ne faut qu'une chaleur douce pour ces sortes d'opérations.

Quoiqu'il soit vrai qu'on augmente le feu en ouvrant les regîtres, cela n'a pourtant lieu qu'à l'égard de ceux qui ne sont pas trop grands ; car plus on en ouvriroit, & plus on devroit augmenter le feu, au lieu qu'on le diminue réellement si on en ouvre trop ou s'ils sont trop grands : ainsi il n'est question dans cet axiome que des regîtres qui sont en proportion avec le reste.

Les regîtres doivent être au plus un tiers ou un quart du diametre du cendrier, dont je crois qu'on peut regler la porte sur le diametre du fourneau. Celui de Glauber, par ex. a un pié de diametre, ainsi égale dimension suffira pour son soupirail, & le tiers ou le quart, comme on a dit, pour le tuyau. Quant au soupirail, je pense qu'il suffit qu'il fournisse au foyer ; mais le foyer n'a que cette largeur, & elle est même diminuée par la grille & les charbons : ce sera donc assez pour le soupirail, ce sera même trop ; mais dans le cas où l'on ne peut apprécier au juste la quantité convenable, il vaut mieux pécher par cet excès que par le contraire ; & je crois qu'on doit s'en tenir à cette dimension, une plus grande ne seroit pas fondée en raison, comme on voit au fourneau de Boerhaave ; elle est même nuisible, comme il est aisé de le penser, & comme nous le dirons en parlant des athanors. Mais il n'en est pas de même du tuyau ou cheminée, il ne doit pas avoir le même diametre que le fourneau : ceci au reste est une affaire d'expérience, sur laquelle on n'a pas encore fait beaucoup d'observations. On peut néanmoins assûrer, qu'en faisant un fourneau de maniere qu'il aille toûjours en retrécissant, il admettra plus d'air qu'il ne lui en faut.

Au reste, si l'on pense qu'un soupirail de même diametre que le fourneau ne suffise pas, il faudroit, non l'élever ni faire plusieurs portes tout-autour du sol du cendrier, cela seroit inutile, mais aggrandir le diametre du cendrier lui-même, & par ce moyen on auroit une porte plus large ; car il est aussi inutile de la faire plus haute que large quand elle est de la largeur du cendrier, que d'en mettre plusieurs tout-autour, de cette même largeur. Cela ne peut avoir lieu que quand chacune d'elles n'a qu'une partie du diametre du cendrier, & en ce cas elles ne doivent faire entr'elles que la somme de sa largeur.

Des degrés du feu. C'est par le moyen des regîtres & du soupirail, comme nous l'avons déjà dit en plus d'un endroit, qu'on regle les différens degrés du feu. Voyez ce qu'on en a dit à l'article FEU.

Les Chimistes se sont un peu plus donné de peine pour regler les degrés du feu, que pour la construction des fourneaux ; & cependant l'un & l'autre devoient aller ensemble.

Les anciens avoient distingué quatre degrés de feu ; le premier étoit le bain de vapeur, le second l'eau bouillante, le troisieme la rougeur des métaux, & le quatrieme la fusion. Ils avoient fait encore une autre gradation, dont les distances étoient moindres : le premier degré étoit le bain de vapeur, le second l'eau bouillante, le troisieme le bain de cendres, le quatrieme le bain de sable, le cinquieme le bain de limaille, &c. Nous nous contentons de les exposer pour en montrer l'insuffisance.

Ils avoient encore distingué les premiers degrés de feu par le tact ; mais cette méthode étoit extrêmement incommode, & n'alloit pas bien loin ; d'ailleurs on sait en Physique qu'elle est très-incertaine.

Vanhelmont compte quatorze degrés du feu d'après l'intensité qu'il doit avoir dans son application, & l'augmentation exacte de cette intensité.

Le degré des bains de vapeur & marie sont les mêmes, & approchent beaucoup, selon la remarque de Czwelfer, de celui de l'eau bouillante, qui est le seul constant ; ainsi il ne faut pas les donner dans toute leur étendue, si on veut qu'ils approchent, par exemple, de la chaleur animale.

Le bain de vapeur s'appelle encore bain de rosée ; & le bain-marie a d'abord été nommé bain d'immersie ou de mer ; &, par une corruption introduite par Basile Valentin, bain-marie, en l'honneur de la Vierge.

Les cendres, qui doivent être criblées, donnent un degré presque aussi fort que celui du sable, & s'échauffent plus lentement : mais comme il seroit à craindre qu'elles ne fissent casser le vaisseau en conséquence de l'humidité que prend leur sel, il les faut dessaler avant. Elles ne retiennent pas non plus la chaleur si long-tems que le sable, &c. par cette même raison qu'elles sont plus rares.

On peut donner le même degré de chaleur à une cornue au bain sec, comme nous l'avons vû en parlant du fourneau de Beccher, & peut-être plus fort qu'au bain de sable ou de limaille, par la raison que les particules ignées ne se dissipent point en l'air.

Il faut que le sable soit pur & criblé ; s'il étoit mêlé de grosses pierres, il s'échaufferoit inégalement & casseroit les vaisseaux. Il doit aussi être sec ; s'il étoit mouillé, il casseroit encore les vaisseaux, ou, s'il avoit le tems de se sécher, il formeroit des pelotes qui reviendroient au même que les pierres ; & ainsi de la limaille & des cendres dans le même cas. Il faut que la capsule de ces bains soit couverte d'une autre pour éviter le contact de l'air froid.

D'autres ont évalué les degrés de feu par les différentes ouvertures des regîtres ; d'autres au moyen du thermometre de mercure divisé en degrés très-petits, comme on peut le voir par la chimie de Boerhaave. Cette méthode est assez exacte, & seroit préférable à toutes les autres ; mais l'application de cet instrument est quelquefois très-difficile, d'autres fois tout-à-fait impossible ; car on peut à peine aller jusqu'au mercure bouillant ; d'ailleurs on est sujet à en casser une prodigieuse quantité. Nous croyons cependant qu'on en peut faire usage, & que cet usage peut avoir son utilité dans les travaux qui ne demandent qu'un leger degré de chaleur. Vogel, d'après Boerhaave, divise le feu en cinq degrés : le premier est celui de la chaleur animale, & il s'étend depuis le trente-quatrieme jusqu'au quatre-vingt-quatorzieme degré du thermometre de Fahrenheit ; le second depuis le quatre-vingt-quatorzieme jusqu'au deux-cens-douzieme degré de l'ébullition ; le troisieme depuis le deux-cens-douzieme jusqu'au six-centieme, & c'est celui de la combustion, & qui rend les vaisseaux d'un rouge obscur ; le quatrieme degré depuis le six-centieme jusqu'à la fonte du fer ; & le cinquieme celui des miroirs catoptriques & dioptriques. Telle est la preuve que nous avions à donner des difficultés de trouver les degrés du feu.

On peut voir dans la physique soûterreine de Beccher, page 500. l'application des thermometres aux fourneaux.

Mais puisque les thermometres ne peuvent aller que jusqu'à un certain point, & que la plûpart des chimistes veulent avoir une connoissance des degrés du feu qui ne me paroît pas fort importante ; car le degré de feu nécessaire à fondre de l'or, est celui où ce métal se fond ; ne pourroit-on pas mettre en oeuvre la dilatation de certains corps solides, du fer, du cuivre, par exemple ? On en feroit passer une barre à-travers un fourneau, & on pourroit mesurer sa raréfaction ou son allongement, comme on le fait en Physique, au moyen d'une machine graduée ; & dans les cas où l'on passeroit la fusion du fer, ne pourroit-on pas avoir recours à un cylindre de pierre apyre ? Il est vrai que je propose ici des machines embarrassantes, & peut-être même impraticables ; j'invite les savans à nous donner quelque chose de plus satisfaisant.

On ne connoît point encore les bornes du feu produit par les miroirs ardens, à cause de la difficulté de s'en servir. Voyez les Mém. de l'acad. des Sciences, les élém. de chim. de Boerhaave, page 121. & l'article LENTILLE de Tschirnaus. Avant M. Pott, on ne savoit pas que le feu ordinaire s'étendît au-delà de celui des fourneaux de verrerie ordinaires. Voyez ce que nous avons dit à la fin des fourneaux de fusion. On peut toutefois établir cette gradation entre les feux les plus violens, en commençant 1°. par le fourneau de M. Pott, au-dessus duquel sont encore les feux ; 2°. la lentille de Tschirnaus, connue sous le nom de lentille du palais royal ; 3°. le miroir de Vilette, ou concave du jardin du Roi ; & enfin 4°. celui du Briquet, qui est le plus vif de tous, puisqu'il scorifie le fer dans un instant presque indivisible.

Nous avons dit qu'il étoit difficile de conserver un thermometre de mercure en l'introduisant dans un fourneau ; car il ne peut pas toûjours l'être dans le vaisseau, quoique cela fût mieux, & qu'on risquât qu'il ne s'y rompît. Nous avons aussi laissé penser que les progrès d'une opération étoient le meilleur thermometre sur lequel un artiste exercé pouvoit se régler. Mais dans le cas où il seroit possible d'employer cet instrument, ne pourroit-il pas se faire que la même opération précisément demandât un degré de feu différent, parce qu'elle se feroit dans un fourneau & un vaisseau plus ou moins épais, ou avec une quantité de matiere différente ? Au reste, la connoissance de ces degrés de feu, n'est qu'une curiosité de plus, & n'est pas d'une grande utilité.

De l'aliment du feu. Les différentes matieres combustibles avec lesquelles on entretient le feu dans les fourneaux ont été mentionnées à l'article FEU. Cet élément est le principal instrument des Chimistes, comme il l'est de la nature ; ils ne font rien que par le feu ; aussi ont-ils pris le titre vrai & sublime de philosophes par le feu. Les Romains avoient fait une divinité de certains fours. Voyez les fastes d'Ovide. Si les Chimistes eussent été moins philosophes, ils auroient peut-être fait le même honneur à leurs fourneaux ; mais ils les ont imités à bien plus juste titre en déïfiant le feu, leur agent universel. Le feu s'entretient dans les fourneaux, non-seulement de la pâture qu'on lui donne, mais encore de ce que l'air nécessaire à son mouvement lui porte. Le concours de l'air est nécessaire pour l'embrasement, comme tout le monde sait, & comme le seul Stahl l'a bien expliqué dans ses trecenta, & autres ouvrages : ensorte qu'on pourroit définir le feu une matiere qui fait effervescence avec l'air, & qui tire sa force du mouvement qui naît de ce mélange. Mais l'air n'anime pas seulement le feu par ses parties propres, il augmente encore son aliment par les corps qu'il y porte. Tels sont le feu élémentaire qui est peut-être nécessaire pour le rendre fluide ; l'acide sulphureux volatil qui s'y trouve (Voyez STAHL, trecenta) ; la transpiration des animaux, les sels volatils, les huiles, les semences, les poussieres, les odeurs, l'eau, les sels, & peut-être des minéraux & des métaux. Boerhaave. Il ne fait donc pas juger le feu des fourneaux par sa simple qualité de vapeur élastique ; peut-être même produit-il ce phénomene plus par l'eau qu'il contient, que par lui-même, soit que cette eau agisse directement comme un corps mu, ou indirectement en le condensant ; ce qui est prouvé par l'action de l'air qu'on tire d'un endroit frais, comme de la rue ou d'une cave, par le moyen d'une trompe.

Il y a un choix à faire dans le charbon ; les plus durs & les plus sonans doivent être préférés : ils conservent la chaleur plus long-tems, & la donnent plus vive. Ceux qui sont faits de bois plus durs que le chêne, valent encore mieux. Tels sont ceux de gayac, par exemple, qui rendent un son clair, & sont très-compactes & pesans. Les plus mauvais de tous sont ceux de tilleul & de sapin ; ils sont mous, brûlent vîte, & donnent peu de chaleur. On doit rejetter les fumerons ou charbons mal cuits, parce que la suie ou l'humidité acido-huileuse qu'ils exhalent, peut nuire aux opérations où l'on ne peut pas employer le bois ; cet inconvénient a fait quelquefois tomber en apoplexie le fameux distillateur Glauber. Les charbons doivent être tenus dans un lieu sec ; ceux qui ont pris de l'humidité pétillent & s'écartent de toutes parts en conséquence de l'explosion que leur cause l'humidité dont ils sont impregnés, explosion qui brise souvent les vaisseaux.

Le charbon de terre donne une chaleur plus vive & plus durable ; mais il donne de mauvaises exhalaisons, même quoiqu'on l'ait calciné. Barner, Stahl.

La tourbe qui est composée de pédicules & de racines de plantes entrelacées & impregnées d'une terre bitumineuse, conserve aussi le feu assez longtems, & elle donne une flamme claire : mais elle donne encore des exhalaisons nuisibles. Quand on en veut chauffer un fourneau, on en prend un morceau, on le fait flamber dans le feu, & on l'éteint dans l'eau : quand on en veut allumer d'autres morceaux, on met celui-ci dans le feu ; il s'embrase promtement, & sert à mettre le feu aux autres. Stahl, fund. page 46.

Tout le monde sait quel est le meilleur bois pour l'usage, & de quelle grosseur il doit être pour ce qu'on en veut faire.

L'huile & l'esprit-de-vin sont très-commodes, en ce qu'ils fournissent en abrégé un aliment qui entretient long-tems le feu, quand il le faut doux sans-doute : mais Vogel y trouve cet inconvénient, que l'esprit-de-vin est trop cher, & que l'huile donne un charbon qui retombe aisément & souvent sur les meches, s'allume tout-d'un-coup & occasionne une explosion ; il dit encore que quelquefois elles sont éteintes par le charbon ou le champignon qu'elles forment ; ensorte qu'outre la dépense on court du danger, si l'explosion se fait quand on en est près. Mais je ne crois pas qu'on doive se laisser aller à ces craintes : en premier lieu, on ne feroit pas au même prix avec le charbon ce qu'on fera avec l'huile ; si cet aliment coûte beaucoup, c'est qu'il faut qu'il brûle long-tems ; il a raison au sujet de l'esprit-de-vin, il est beaucoup plus cher & dure moins que l'huile : en second lieu, si les lampes ont fait beaucoup de charbon, c'est qu'il en a mal arrangé les meches, & qu'il a brûlé de l'huile très-épaisse. Quand le lumignon d'une lampe est bien fait (voyez Leutmann,) on peut le laisser brûler quatre heures sans y toucher : de toutes les huiles qu'on brûle la plus mauvaise, sans contredit, pour la poitrine, est celle de navette ; cette huile contient un alkali volatil qui échappe au-moins en partie à la déflagration, ou qui s'éleve de la lampe échauffée.

Généralités sur le jeu de l'air & du feu, & sur son aliment dans les fourneaux. On chauffe pour l'ordinaire les grands fourneaux de décoctions, ou servant à la courge, au grand alembic de cuivre de quelques piés de diametre ; enfin ces fourneaux que nous avons dit ressembler à notre fig. 3. excepté qu'ils sont un peu moins élevés à-proportion ; on les chauffe, dis-je, avec le bois, pour épargner la dépense. Ils ont un tuyau de poêle pour la sortie de la fumée : mais s'ils sont mal construits, c. à d. si le cendrier & le foyer ne sont distingués que par leur grille, qui ne laisse entrevoir au-dehors qu'une seule & même porte, comme on le voit dans quantité de laboratoires, & par notre fig. 84. tirée de la Pl. III. de Lémery, où il y en a deux l'un contre l'autre ; la fumée est sujette à sortir par la porte du cendrier, sans qu'on puisse l'en empêcher, à-moins que le tuyau qui dérive la fumée ne soit bien fait & bien exposé, & encore y a-t-il des tems où il fume. Il faut donc que ces deux portes soient éloignées l'une de l'autre, sinon comme dans notre fig. 3. au-moins à-peu-près autant : on peut la citer comme un exemple de ces sortes de fourneaux, au-moins quant au fond ; car les autres n'ont besoin ni d'échancrure ni de dôme. Il s'ensuit donc nécessairement que le fourneau de décoction aura une grille, & ils n'en ont pas tous ; ce qui est un défaut ; & cette grille est nécessaire pour remédier à l'inconvénient en question. Par-là la bouche du foyer étant exactement fermée avec une brique qui aura l'épaisseur de la paroi du fourneau, & lutée, s'il est nécessaire, la fumée sera obligée d'enfiler son tuyau de poêle, ou de descendre dans le cendrier ; & elle ne peut pas s'échapper par ailleurs : car on suppose que le fourneau n'ait pas de crevasses, & que la cucurbite de cuivre soit bien lutée tout-autour. Mais la fumée ne pourra descendre dans le cendrier, qu'elle ne passe à-travers la flamme ; & elle n'a pas le tems de faire ce trajet, qu'elle est toute consumée & qu'on n'en voit rien ; car on n'a jamais vû de fumée sortir du cendrier, pourvû toutefois que la grille soit bien garnie de braise. Ce phenomene qui existe particulierement dans le poêle sans fumée, & qui est le principe de sa construction, pourroit être appliqué aux poêles ordinaires ; nous en parlerons encore dans la suite. On auroit plus de chaleur avec la même quantité de bois, sur-tout si on y joignoit la disposition du poêle à l'italienne, imité de ceux de Keslar & des ventouses de Gauger, quant au tuyau seulement, & non quant à la circonvolution de la flamme : on y a, dis-je, plus de chaleur, parce que la fumée s'y brûle ; ce qui est autant de perdu pour l'aliment du feu ; & il n'en faut pas nettoyer le tuyau si souvent.

Que la fumée devienne la pâture du feu toutes les fois qu'elle est soûmise au mouvement de ce principe, c'est ce que nous n'entreprenons point de prouver ici : on peut voir les articles FUMEE, HUILE, & PHLOGISTIQUE : au reste il est aisé de comprendre que la suie n'est qu'une fumée concrete, & l'on ne sait que trop qu'elle est capable de brûler. Nous nous bornons donc à parler des cas où la chose arrive. La fumée du four du boulanger n'est plus humide, plus blanche, ne blesse moins la vûe, & enfin ne sent mieux celle du foin mouillé qu'on commence à allumer, que parce que l'huile qui en fait une grande partie est presque toute consumée avant que de sortir du four où elle étoit renfermée, où elle a circulé & a été forcée de passer à-travers une étendue de flamme assez considérable ; ce qui fait qu'on n'en nettoye que rarement les cheminées, & qu'on n'y trouve qu'une petite quantité de noir de fumée, qui ne se voit point dans les cheminées des cuisines.

La flamme du grand fourneau anglois ne ressemble point à la flamme ordinaire ; je puis même avancer qu'on n'en a aucune idée si on ne l'a vûe : cette singularité n'est dûe qu'à la fumée, qui étant exposée à l'ardeur de la flamme dans un long canal (car ce fourneau a souvent une cheminée de vingt à trente piés de haut, au-dessus de laquelle on voit la flamme la nuit), brûle en vapeurs, c'est-à-dire étant divisée en des molécules très-fines qui forment autant de petits points lumineux très-rouges : pour en donner une idée qui en approche, je la comparerai à du carmin en poudre fine qu'on agiteroit rapidement dans un vase de verre crystallin, ou aux vapeurs formées de l'acide nitreux le plus concentré, qui auroient l'éclat du feu ; car la flamme de ce fourneau est obscure, tant elle est chargée ; ce qui peut venir de la cendre qu'elle entraîne. On a encore quelque chose d'approchant dans quelques compositions de feux d'artifice. Il ne doit donc point ou presque point sortir de fumée par la cheminée de ce fourneau : la chose est démontrée par l'art qu'on a de mettre au sommet de la flamme d'une chandelle ou d'une lampe, un petit tuyau métallique où la lumiere monte & consume le peu de fumée qu'elle laisse échapper. Nous avons vû qu'on peut se dispenser d'employer ce tuyau pour la meche de la lampe par l'arrangement qu'on lui donne ; ce qui est encore appliquable à ce dont il est ici question.

On pourroit m'objecter que les fourneaux des cloches & des canons remplissent l'atmosphere du hangard qui les couvre d'une matiere fuligineuse, tendre, & legere, comme on peut voir à l'arsenal de Paris, &c. mais c'est prêter de nouvelles forces à ce que j'ai avancé. Cette matiere fuligineuse ne blesse point la vûe ; elle est en petite quantité, malgré celle du bois qu'on brûle pendant plusieurs heures, & si legere qu'elle se soûtient dans l'air sans paroître tomber, semblable à celle de la chandelle qui ne se repose que dans les endroits les plus tranquilles & les plus à couvert de l'agitation de l'air ; avec cette différence pourtant, que celle-ci est plus charbonneuse, plus noire, & plus nuisible ; d'ailleurs ces sortes de fourneaux sont sans cheminée ; ils n'ont pour regîtres que trois ou quatre ouvertures de six ou huit pouces en quarré, selon la grandeur du fourneau, horisontalement disposées contre la chûte des corps. Que deviendra donc cette matiere fuligineuse, quand elle aura été encore exposée pendant la longueur de vingt ou trente piés, à l'action d'une flamme beaucoup plus vive & plus rapide, en conséquence de la longueur qu'elle a à parcourir ? elle doit être résoute en ses élémens, & être invisible comme le noir de fumée que Stahl a brûlé dans un creuset.

Si on approche deux chandelles l'une de l'autre, la petite atmosphere lumineuse qui paroissoit à-peine d'abord, étant vûe à un pouce ou deux de distance, devient sensible, soit en conséquence de l'augmentation de mouvement, soit parce que le charbon qui s'en échappe peut être brûlé.

Une chandelle allumée n'en allume une autre inférieure mal éteinte & qui fume encore, que parce que la fumée ou les parties grasses & charbonneuses qui s'élevent encore de celle-ci, fournissent un aliment qui touche la flamme de la supérieure, & que celle-ci suit.

L'auteur ingénieux du poêle sans fumée, focus acapnos, est M. Dalesme, qui le publia en 1686, comme on peut le voir pag. 116. du journal des Savans de la même année. M. Justelius, anglois, fut le premier qui en rendit la figure publique ; il la donna presque en même tems dans les memoires de la société royale de Londres : comme nous n'en avons point représenté la figure, nous prendrons parmi nos fourneaux de quoi nous faire entendre. Soit donnée la fig. 37. n°. 1. on fait un cylindre creux en tôle, au milieu duquel on met une grille, comme à un fourneau : la partie supérieure est aussi ouverte ; on peut encore le faire cubique de cinq lames de tôle, dans le goût de la fig. 36. & cela est même plus aisé. par-dessous la grille on ajuste un tuyau elliptique au cendrier : on fait ce tuyau le plus gros qu'il est possible, & même on fait l'axe de l'ellipse égal au diametre du foyer, & conséquemment horisontal. Il est dans la même position précisément que notre tuyau b, à cela près qu'il est plus gros, comme nous l'avons dit, recourbé à angles droits, & deux ou trois fois plus haut que le corps du fourneau : on commence par échauffer la partie horisontale du tuyau ; on met des charbons ardens sur la grille du foyer, & ensuite quelque matiere combustible, comme du bois, de la tourbe, &c. La flamme passe à-travers la grille, descend dans le cendrier, & enfile le tuyau b ; & toute la chaleur sort par son orifice b. Mais la fumée est obligée de suivre le même chemin, c'est-à-dire d'enfiler aussi le tuyau b, & de passer à-travers la flamme qui remplit tout ce tuyau : ensorte qu'elle perd sa consistance & son caractere de fumée, se convertit en flamme, & sort sous cette apparence par l'extrémité du tuyau b, sans donner aucune marque de sa nature ; car elle est devenue insensible : ce que nous venons de donner est plus la correction qui se trouve dans les remarques que M. de la Hire a ajoûtées dans l'endroit cité du journal des Savans, que la premiere ébauche qui en a paru. Peu importe qu'on chauffe la partie horisontale du tuyau avant que de mettre des charbons sur la grille ; si-tôt qu'ils y sont, l'air s'échauffe au commencement de ce tuyau, & on n'y met des charbons ardens que pour l'échauffer plus vîte ; ainsi on peut se dispenser de cette peine. Voyez plus bas ce que nous rapporterons des expériences de Gauger. A mesure que l'air s'échauffe sous la grille dans le tuyau, la chaleur qu'on sentoit sur la grille diminue : ensorte qu'à la fin on voit la flamme passer par l'extrémité b, & qu'on ne sent plus aucune chaleur au-dessus de la grille. Quand les choses en sont à ce point, si on jette de la paille sur le charbon, la flamme passe rapidement sous la grille, & sort par l'extrêmité du tuyau sans donner de fumée : mais elle y produit une vive chaleur, tandis que le froid continue au-dessus de la grille. Le bois, la tourbe, le soufre, les huiles, donnent le même phénomene, & le tuyau s'échauffe au lieu de rougir ; on y entend même siffler la flamme, tant sa rapidité est grande. On observe que les corps qui répandent en brûlant une puanteur insupportable ou un parfum agréable, ne donnent ni bonne ni mauvaise odeur dans ce poêle, & ne laissent d'autres vestiges de leur combustion, que des cendres. Enfin tous les corps combustibles subissent le même sort ; leur flamme est également chassée par l'air qui presse le foyer plus bas que l'extrêmité du tuyau, dans toute la longueur duquel réside la chaleur : c'est pour cette raison que la fumée y devient flamme ; elle s'y atténue enfin à un point que tout ce qui étoit combustible ou capable de prendre le mouvement igné, ne laisse plus aucune trace de sa premiere existence. Ainsi la matiere du feu se résout en ses élémens, & ne paroît point sous une espece d'aggrégation, comme dans le noir de fumée ; tant le mouvement qui lui est imprimé est considérable. Boerhaave, element. chem. pag. 163.

Ne pourroit-il pas se trouver des occasions où il seroit nécessaire d'employer une flamme qui n'auroit que très-peu ou point-du-tout de fumée, & conséquemment d'avoir recours à la construction du poêle sans fumée ? La fumée est nuisible, par exemple, dans les fourneaux de verrerie, où les creusets demeurent toûjours ouverts. Elle gâte le verre, & l'empêche de se perfectionner. Néri, préf. page 17. Le fourneau qui seroit le plus approchant de ce poêle, celui auquel il y auroit moins de changement à faire, seroit le grand fourneau anglois, ou notre fig. 19. On m'objectera que la fumée ou partie charbonneuse fine du bois qui échappe à l'embrasement, y est nécessaire pour le succès de certaines opérations, comme, par exemple, du minium, de la fonte des mines, de celle du cuivre, &c. mais on peut répondre à cela, que si cette partie charbonneuse est consumée dans le commencement de son trajet à-travers la flamme, ce qui n'est pas démontré, il s'ensuit que cette méthode ne sera pas bonne dans les circonstances où la partie charbonneuse est nécessaire ; & en effet on parle de celles où elle seroit nuisible. On pourroit donc en ce cas, au lieu de mettre la grille en b au-dessous du sol, la placer au niveau de la voûte qui est immédiatement au-dessus ; on ouvriroit un espace au-dessus de la grille, comme dans celui du poêle sans fumée, capable de contenir l'aliment nécessaire au feu ; & sous la grille on condamneroit le cendrier qui pour lors seroit inutile & nuisible, & on le mettroit au niveau du sol du fourneau ; ensorte qu'on auroit un vrai poêle sans fumée en toutes les regles, mais en grand. Mais il faut observer que la cheminée, comme celle des fourneaux anglois, seroit nécessaire en ce cas, & qu'on ne pourroit pas faire ce changement aux fourneaux des canons de l'arsenal de Paris, à-moins que d'y en construire une.

Nous avons encore observé, en parlant du fournaliste, que dans sa cheminée on trouvoit des cendres noires, ou une matiere noire & seche qui n'étoit pas onctueuse comme le noir de fumée. On trouve encore la même matiere à la partie supérieure que les fourneaux y ont dans son four, c'est-à-dire dans cet endroit qui y est le moins exposé à l'action du feu ; & cette matiere y est encore moins noire & fuligineuse que celle de la cheminée.

Le four du potier de terre est beaucoup plus large & plus long que celui du fournaliste ; mais sa cheminée est derriere, & la flamme n'est pas obligée de s'y réfléchir, ce qui la rend d'autant plus vive : aussi n'apperçoit-on ni sur les pots ni dans la cheminée pas le moindre vestige de suie. J'ai aussi remarqué que l'endroit le plus vitrifié, celui qui avoit le plus éprouvé l'action du feu, c'étoit l'extrêmité du four & le commencement de la cheminée.

On peut profiter de tous ces exemples pour la Chimie & l'Economie domestique : ce n'est pas que nous conseillions de faire des poêles sans fumée dont le tuyau seroit ouvert dans les appartemens ; nous ne connoissons que trop les accidens qui arrivent tous les jours de la part de la vapeur du charbon ou matiere du feu, quoiqu'invisibles, encore associées à des corps qu'on ne connoît pas, comme les gas de Van-Helmont ; mais il n'y auroit rien à craindre, si les tuyaux avoient une issue au-dehors ; & s'il restoit encore des doutes sur l'ouverture de la partie supérieure de la grille, on pourroit la fermer & dériver l'air, qui lui seroit nécessaire, par un tuyau recourbé qui perceroit dans une chambre inférieure, ou même qui seroit horisontal & viendroit du dehors. Nous en parlerons dans la suite.

Quand on allume les fourneaux, on sent pour l'ordinaire une odeur de foie de soufre, & quelquefois de soufre brûlant ; on en trouvera les raisons aux articles SOUFRE & PHLOGISTIQUE.

Quand on les veut allumer lentement, on met, comme nous l'avons déjà dit à l'art. ESSAI, les charbons ardens par le haut sur les charbons noirs dont on les a eu remplis. Les soupiraux & les regîtres étant ouverts, le feu descend ; c'est de la sorte qu'on allume ordinairement la tour des athanors, & qu'il faut nécessairement allumer celle qui n'a point de bouche du feu, comme dans Charas, à moins qu'on ne veuille se donner la peine d'ôter le charbon dont elle peut être pleine. Son dôme & son soupirail étant ouverts, le feu descend de haut-en-bas, à-peu-près dans la même quantité qu'on l'y a mis ; c'est-à-dire que les charbons allument de proche en proche pareille quantité de charbons à-peu-près, & perdent l'ignition qu'ils ont communiquée, jusqu'à-ce que l'embrasement étant parvenu au fond du charbon ou du fourneau, il se communique enfin à tout celui qui est dans la tour, si on n'a soin de fermer sa partie supérieure : voilà le fait ; cherchons-lui quelque application. L'air passe par le soupirail ou par les regîtres qui sont inférieurs à la partie supérieure de la tour, pour se mettre en équilibre avec celui qui étant raréfié par le feu, doit déterminer son action par en-haut ; puisque le feu étant plus leger que l'air, il doit s'élever au-dessus de celui-ci : ou, ce qui revient au même, que l'air chaud, qui est plus rare & plus leger, doit s'élever au-dessus de celui qui est froid : ensorte que le feu, au-lieu de s'étendre par en-bas, s'éteindroit faute de pâture au-dessus de lui. Quelle est donc la cause qui produit ce phénomene, & qui change le cours de l'air, non-seulement dans la circonstance présente, où il est tout le contraire de ce qu'il est ordinairement ; mais encore dans la suite, où le charbon de la tour étant allumé par le bas, l'air reprend son jeu ordinaire ? seroit-ce par un méchanisme approchant de celui du poêle sans fumée ? La chose ne s'y passe de la sorte que parce qu'il y a un tuyau qui est supérieur à son foyer : ainsi il ne seroit pas étonnant que la même chose arrivât dans l'athanor de M. Cramer, en supposant que l'une de ses petites cheminées fût plus haute que la partie supérieure de la tour, & ouverte aussi, selon les expériences de Gauger. Si l'on expose un tuyau au feu horisontalement, il donne une vapeur chaude à chaque extrémité : si on l'incline, le côté supérieur soufflera un air chaud capable d'éteindre la flamme d'une bougie ; & cet air le sera d'autant plus, qu'on l'élevera davantage. La chose sera la même, si l'on change de bout ; celui qui étoit supérieur d'abord se refroidira, & celui qui est devenu le supérieur, d'inférieur qu'il étoit avant, s'échauffera à son tour ; & quoiqu'on bouche l'extrémité inférieure, l'air ne laissera pas de sortir, quoiqu'avec moins de vivacité ; par la raison qu'il fait pour lors comme dans un tuyau d'orgue à vent fermé, où il a une colonne entrante & une colonne sortante. Ainsi une moufle d'essai pourra n'avoir point de soupiraux ; & l'agitation de l'air, malgré cela, ne laissera pas d'entraîner ses vapeurs, quoique plus foiblement. Au reste, il y a au-moins certainement une vapeur ignée comme autour des poêles, &c. qui produit le phénomene qu'on attribue peut-être mal-à-propos à l'air : d'où il s'ensuit que l'air le plus chaud est le plus leger & prend le dessus, & qu'une chambre doit être plus chaude en-haut qu'en-bas, &c. Mais si au lieu du tuyau droit dont nous venons de parler, on en employe un courbé comme un syphon, la chose sera précisément la même, c'est-à-dire que l'air sortira pour lors par la plus longue branche. On pourroit comparer la tour de l'athanor de Cramer avec son foyer & une de ses cheminées à un syphon.

Mais on observe que la petite flamme que donne le charbon se porte en-haut pendant que l'ignition prend le bas ; ensorte que si on répete l'expérience même dans un petit fourneau bien fait, le fond en est plutôt rouge que le corps qu'on mettra dessus. Il faut donc qu'un fourneau ne s'allume bien que quand la partie inférieure, & sans-doute les parois, en sont bien échauffées : & en effet qu'on allume du feu dans une cheminée qu'on n'a pas chauffée depuis quelque tems, le bois ne brûlera jamais bien qu'elle ne soit échauffée. Il est vrai que l'humidité y contribue ; mais la chose est la même sans humidité. Qu'on jette un tas de charbons embrasés dans un coin très-sec ; comme ils ont beaucoup à échauffer, ils s'éteindront, non pas faute d'air, mais parce qu'ils ne sont pas en assez grande quantité pour échauffer l'endroit qu'ils occupent, & pour se consumer ensuite. Il résulte delà que la matiere des fourneaux est d'un choix plus important qu'on ne pense communément ; son épaisseur aussi doit être considérée : il s'ensuit encore que la structure y doit entrer pour beaucoup, & que les fourneaux en tôle avec un garni, méritent peut-être la préférence sur les autres : nous examinerons cela bien-tôt. Qu'on se rappelle ici ce que nous avons dit, article ESSAI, que des charbons noirs mis à l'entrée de la moufle du fourneau de coupelle, s'allumoient d'eux-mêmes ; que Glauber a dit qu'ils s'allumoient aussi d'eux-mêmes dans son fourneau ou notre fig. 67. que Beccher a dit que la chaleur se conservoit très-long-tems dans le sien, ou notre fig. 71. Non-seulement la construction des fourneaux épargne le charbon, mais encore on peut conserver le feu avec peu d'aliment, quand le fourneau & les vaisseaux sont échauffés ; mais il faut avoir eu soin pour cela de fournir du charbon : car si l'on n'en a mis que peu-à-peu, il brûle de même, & fait peu d'effet, en sorte qu'il ne faut presque plus compter que sur la chaleur qu'on en tire. Il suit conséquemment que, si l'on vouloit manier le feu à volonté, & être maître de passer tout-à-coup d'un extrême à l'autre, il ne faudroit pas employer des fourneaux épais ; ils conserveroient leur chaleur trop long-tems. Il seroit à-propos qu'en pareil cas ils fussent minces & métalliques. Les vases de métal ne conservent pas long-tems leur chaleur, & l'ébullition, p. ex. cesse si-tôt qu'ils sont hors du feu ; au lieu que les vaisseaux de terre non-seulement la conservent long-tems, mais encore en donnent une plus considérable, le moment d'après qu'ils sont ôtés de dessus le feu. Une pareille espece de fourneau peut être nécessaire en certains cas. On aura beau fermer tous les regîtres du fourneau massif qui sera bien échauffé, le feu s'y éteindra à la vérité ; mais il n'en est pas de même de l'embrasement des briques, &c. le concours de l'air ne lui est pas nécessaire pour subsister.

On conçoit aisément comment le charbon brûle dans le foyer d'un athanor ; il se trouve placé, ainsi qu'on l'a déjà dit, comme dans un canal placé dans un courant d'air qui s'étend depuis la porte du cendrier jusqu'à l'extrémité des regîtres : plus ces regîtres seront élevés, & mieux l'athanor ira. Aussi le grand art de M. Cramer est-il d'avoir élevé ses regîtres par les petites cheminées qu'il y a faites ; sans compter qu'il a encore disposé sa porte de communication entre la tour & la premiere chambre, dans les mêmes vûes, c'est-à-dire selon l'idée qu'il avoit qu'il étoit de la nature du feu de monter & de ne pas descendre.

On peut encore croire que l'air monte & descend dans la tour de l'athanor fermée & allumée, comme il fait dans un tuyau d'orgue à vent fermé, quoique par une cause différente : car il est très-certain que l'air qui remplit les interstices du charbon, est raréfié par la chaleur, comme on a dû le conjecturer par le conseil de Glaser & le Fêvre, &c. de mettre un bain sur le haut de la tour ; que l'air du dehors doit se mettre en équilibre avec lui, & conséquemment le chasser & s'introduire à sa place ; ensorte qu'il y aura une colonne d'air nouveau qui montera continuellement & fera descendre une autre colonne d'air raréfié.

D'ailleurs on peut encore penser que le feu descend dans la tour ouverte d'un athanor, comme celui de notre fig. 61. parce que la partie inférieure de cette tour & le corps de l'athanor font ensemble un canal dans lequel l'air est raréfié comme s'il étoit dessus, ou, comme il arrive au poêle sans fumée, dans lequel le feu ne peut pas être déterminé à passer par son canal, quoique plus long, qu'il n'ait une cause, qui est la raréfaction de l'air dans ce canal qu'il doit conséquemment échauffer avant : ensorte que l'air tendant à se mettre en équilibre avec lui-même, il ne pourra manquer de descendre, au-moins en partie. Il est vrai qu'un tuyau qu'on chauffe au milieu à-peu-près, peut donner l'air chaud constamment à sa partie supérieure ; mais si on le chauffoit à cette extrémité supérieure, même ouverte, nécessairement l'air chaud devroit passer par le bas. Dans les réchaux où le feu n'a de tuyau ni par le haut, ni par le bas, il est long-tems à s'allumer, parce qu'il ne peut presque se déterminer d'aucun côté ; & il faut qu'il ait rougi sa grille pour être agité par l'air : & cela est si vrai, que si on le comble de charbon, ce qui en excede les bords, & même un peu au-dessous, ne s'allume jamais qu'après la rougeur de la grille, & même n'est jamais parfaitement allumé. On m'objectera peut-être que du moment que je mets des charbons allumés dans le haut de la tour, sa partie inférieure n'est pas plus échauffée que la supérieure ; mais il est aisé de voir que la chaleur se répandant de toutes parts, raréfiera plus la colonne d'air inférieure que la supérieure ; par la raison que celle-là est renfermée : ce qui, je crois, n'a pas besoin de preuves. Ainsi donc l'air pourra tendre à se mettre en équilibre en allant de haut en-bas. C'est sans-doute par la même raison en partie qu'une trompe qui communique avec un cendrier, augmente la rapidité de l'air & la vivacité du feu. Car non-seulement on tire de l'air frais du dehors par son moyen, mais encore on en accélere la vîtesse, parce qu'il y est certainement raréfié.

Il y a des bains-marie faits d'un grand chauderon, au milieu duquel passe une tour de fonte qui contient le feu comme une tour d'athanor. On en a une image en petit dans les bouilloires en cuivre qui servent ordinairement au thé, ou dans ces appareils destinés aux bains, à laver la vaisselle. Si la grille est de même niveau que le fond du chauderon, il faut que le haut de la tour soit ouvert, ou ait un tuyau de poêle, voyez the art of distillation & Leutmann ; mais on peut le fermer si la tour est prolongée, & même un peu enflée en-dessous ; car alors on y fait des regîtres qui, non-seulement font brûler l'aliment du feu jusqu'à l'endroit où ils sont ouverts, mais qui échauffent encore le fond du chauderon ; & on a par ce moyen un vrai athanor. La tour peut encore être fermée, la grille étant de niveau avec le fond du chauderon, si on éleve à fleur-d'eau de petits tuyaux servant de regîtres, qu'on fera de la longueur qu'on voudra, & qu'on détournera à sa commodité ; & pour lors l'aliment du feu ne brûlera que de la hauteur des regîtres, & ce sera encore un athanor. Il est aisé de concevoir que les tours qui ont un tuyau de poêle, doivent ressembler à un poêle à cloche.

En Pharmacie, on est dans l'usage de sécher les plantes, & de tenir seches les drogues qui ne doivent point prendre d'humidité, avec un athanor, notre fig. 61. par exemple, dont le bain de sable est dans la petite chambre servant d'étuve, & la tour est dehors au moyen d'une petite cloison de planches, ou d'un petit mur de briques bâti entre la tour & le bain de sable. Par cette précaution on a pour but de garantir ce qui est dans l'étuve, de la poussiere du charbon, qui gâte & noircit tout. Mais si on n'a pas la commodité d'y introduire un tuyau de cheminée comme ceux de Gauger, il vaut mieux se servir du poêle à l'italienne, qui peut aussi servir d'athanor.

Ce poêle communiqué à M. Duhamel par M. Maréchal, se trouve dans le traité de la conservation des grains du premier, pag. 173. On en peut prendre une bonne idée en suivant ce que nous allons changer à la coupe de celui de la calcination de la potasse, fig. 15. de nos Planches. La cavité inférieure a, où le foyer en est plus élevé, c'est-à-dire qu'il y a plus de distance entre le sol & le plancher intermédiaire, à-peu-près autant que dans un poêle ordinaire. Le sol en est fait d'une plaque de fonte sous laquelle il y a une petite chambre de même largeur, & de quelques pouces de haut seulement. Cette petite chambre a en devant une ouverture qu'on peut fermer avec une porte de fer ; & en-arriere elle communique avec le trou inférieur d'un autre petit poêle de fonte en cloche, dont la porte ordinaire est fermée & lutée, lequel occupe précisément la place du mur de derriere de notre fourneau, & ferme une partie du fond. Au-dessus de ce sol est une voûte qui, comme le plancher de notre fig. 15. laisse un passage à la flamme par-derriere en d : ensorte qu'elle est obligée de revenir en-devant où elle enfile un tuyau placé comme la cheminée c de notre fourneau. Le reste de la partie postérieure du poêle est fermé par un mur, qui met par ce moyen presque tout le petit poêle de fonte en-dedans, & ne laisse paroître que son tuyau, qui passe à-travers. Ce tuyau est allongé de quelques pouces, & est ouvert dans l'étuve pour lui donner sa chaleur. Cette chaleur y est déterminée d'abord par son propre mouvement ; mais on y joint encore l'air. C'est à son accès & pour l'échauffer, qu'est destinée la chambre située sous le foyer. Le grand poêle est terminé supérieurement par une autre plaque de fonte garnie de sable, pour donner une chaleur plus douce ; & il a son ouverture hors de l'étuve. Les murs des côtés sont en briques ; & quand le feu est tombé, les différens massifs qui le constituent donnent encore de la chaleur pendant long-tems. Telle est cette machine ingénieuse. Nous omettons bien des particularités qui ne sont pas de notre objet ; mais nous y reconnoissons un mérite réel, quoiqu'il eût été à souhaiter qu'il s'y fût trouvé un peu plus de simplicité, & que nous y voyions de la ressemblance avec les cheminées de Gauger, qui existoient même avant cet auteur, comme on le voit par l'architecture de Savot, qui dit qu'il y avoit au Louvre une cavité sous l'atre & derriere le contre-coeur de la cheminée du cabinet des livres.

On croira peut-être qu'un poêle ordinaire peut revenir au même pour les petites étuves ; il se trouve tout fait à la vérité, mais il sera plus dispendieux ; & il n'aura pas l'avantage qui se trouve dans le poêle italien, ou les ventouses de Gauger. Dans le poêle à l'italienne, les surfaces se trouvent multipliées ; l'étuve n'en reçoit que de la chaleur, & point de fumée, ni de vapeurs ; & ce qui est capital, c'est que l'air y est renouvellé continuellement, & comme il est très-chaud, il en desseche d'autant plus vîte. D'ailleurs la flamme y fait un trajet qu'elle devroit faire dans tous les poêles, pour donner plus de chaleur avec moins de bois. Pour cela il ne seroit question que d'une plaque de fer de plus, & de mettre le tuyau sur la porte directement. Par-là on auroit moins de fumée, parce que le feu en consumeroit plus : & il faudroit nettoyer le tuyau plus rarement. Il est encore d'autres moyens de corriger les poêles, & de les appliquer aux étuves. Mais cette correction peut être appliquée aux poêles simples dont M. Duhamel propose l'usage pour les petites étuves à sécher le blé.

Un pareil poêle sera préférable aux athanors servant à l'étuve des apothicaires, par la raison qu'il renouvelle l'air & ne porte point dans l'étuve la vapeur charbonneuse qui sort des quatre regîtres de l'athanor ; vapeur qui peut changer la couleur & la saveur de bon nombre de plantes, quoiqu'elle ne fasse point de tort au blé, selon M. Duhamel. On peut donc renvoyer les regîtres, même dans l'athanor, au moyen d'une plaque de fonte qui fera circuler la flamme ou la chaleur comme dans le poêle, à un tuyau commun, ou à plusieurs qui monteroient le long de la paroi interne du mur de séparation, & serviroient encore par-là à l'étuve.

Une chose digne de curiosité, ce seroit de savoir si on a imaginé les poêles d'après les fourneaux, ou ceux-ci d'après les poêles ; ou peut-être encore les premiers indépendamment des seconds, & réciproquement. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'on y trouve le même méchanisme. L'observation du feu de la cheminée, & peut-être de la lumiere de la chandelle, a pû donner lieu à ce méchanisme. Peut-être aussi l'idée refléchie n'en est-elle venue que d'après quelques ébauches de l'ustensile en question, employé peut-être par hasard. Quoiqu'il en soit, on a vû, soit dans les premiers fourneaux, soit dans les premiers vaisseaux qui pouvoient en approcher, ou dans la cheminée, & la chandelle, qu'un corps embrasé étoit un fluide qui tendoit de bas en-haut ; que ce fluide étoit moins actif quand il ne recevoit pas d'air par ses parties inférieure ou supérieure. C'est d'après ces connoissances réflexives qu'on a vû qu'il falloit toûjours construire les fourneaux de façon que l'air pût avoir accès à la partie inférieure de l'aliment embrasé, & suivre son trajet. Mais on a encore remarqué qu'il falloit qu'il y eût une proportion entre la grandeur du fourneau, la quantité de la pâture du feu, & ses ouvertures inférieures & supérieures. C'est ce qui a fourni les principes généraux ou les réflexions ultérieures qui ont éclairé la pratique des artistes déjà instruits des particularités qui concernent la même matiere.

On voit de l'analogie entre nos fourneaux & les ventouses, les tambours physiques, & le poêle sans fumée. C'est peut-être dans les fourneaux qu'on a puisé l'idée de construire un grenier à travers le blé duquel il se fait un courant d'air, au moyen d'une espece de pavillon ou trémie, exposée au nord, & d'une issue au midi ; celle d'allumer du feu à une ouverture pratiquée dans le plafond des salles d'un hôpital, &c. pour renouveller l'air aux malades ; celle d'allumer du feu dans les mines, ou auprès d'un de leurs puits, pour en changer aussi l'air. Voyez AGRICOLA. Mais les ventouses de Gauger valent mieux, pour renouveller l'air, au-moins en hyver ; elles le donnent chaud ; au lieu que ce foyer allumé sur un plafond donne du froid, qui peut incommoder les malades.

Au reste, il pourroit bien se faire que l'économie domestique eût aussi fourni à la Chimie. Au-moins est-il vrai que c'est d'elle que cette science a tiré ou pû tirer la meilleure construction de ses fourneaux ; car les poêles de Keslar ont paru 30 ou 40 ans avant le fourneau de fusion de Glauber. Le fourneau de Beccher est pris d'ouvriers qui s'en servoient pour remettre des piés de fonte à des marmites de fer. Ils mettoient un manche au pié-d'estal D 1, au moyen d'un crampon dont ce pié-d'estal étoit muni, à-peu-près comme certaines caffetieres, sans-doute ; & ils s'en servoient comme d'un vase avec lequel ils auroient puisé. Ne pourroit-on pas ajuster ce fourneau de façon qu'on pût s'en servir pour fondre des canons pendant une campagne ? mais voyons où Glauber a pû trouver son fourneau.

Les poêles de Keslar ont beaucoup de ressemblance avec notre fig. 15. que nous prendrons encore pour piece de comparaison. Qu'on se rappelle ce que nous en avons déjà dit. Mais ces sortes de poêles, au lieu de deux étages qu'a notre fourneau, en ont jusqu'à huit les uns sur les autres. Ils ont une grille & un cendrier. Nous croyons devoir nous dispenser d'entrer dans un grand détail là-dessus, parce qu'il en faudroit une figure ; quoiqu'il soit possible d'en donner une idée sans cela. Keslar, par exemple, sépare ses corps ou étages les uns des autres pour multiplier les surfaces. On peut s'en former une idée en s'imaginant qu'au niveau de l'extrémité de la cheminée c de la fig. 15. commence un autre plancher de briques qui porte sur de petites colonnes de quelques pouces de haut ; qu'à l'extrémité de ce plancher opposé à la cheminée, on fasse une autre cheminée, & ainsi de suite. D'ailleurs après avoir élevé son foyer un peu plus qu'il ne faut pour le bois, il n'en employe que la moitié postérieure pour communiquer la chaleur au premier plancher, dont l'extrémité antérieure est d'un pié plus longue que le cendrier, & est conséquemment soûtenue par deux colonnes qui portent des barres de fer. L'autre moitié est couverte d'un bain de sable. Mais ce qu'il y a de mieux, c'est que le soupirail tire son air du dehors par une trompe, & que la fumée y est aussi dérivée par un tuyau. Ces deux tuyaux ont chacun une soûpape ou fermeture en-dehors pour le gouvernement du feu dont Keslar a très-bien connu la méchanique ; car sa raison de préférence en tirant l'air du dehors, étoit qu'on n'en attiroit point d'air froid, ni mauvais. Il a cependant vû qu'on ne purifioit pas celui de la chambre ; aussi conseille-t-il de faire deux soupiraux à son cendrier ; l'un pour la trompe, & l'autre qui soit ouvert dans la chambre, afin d'en renouveller l'air. Gauger a encore mieux remédié à cet inconvénient, & il a peut-être connu l'ouvrage de Keslar. Quoique celui-ci usât du bois dans son poêle, il étoit rarement obligé de le nettoyer.

Il a aussi donné quantité d'autres poêles domestiques, dont on peut tirer parti. Il dit encore qu'on en faisoit de tôle, qu'on enduisoit d'un garni.

Mais Gauger a rendu un service important par les nouvelles cheminées qu'il a publiées. Il en fait l'atre, la tablette, & le contre-coeur de plaques de fonte. Derriere ces plaques sont des canaux de 5 ou 6 pouces de large, qui communiquent entr'eux. Ces canaux tirent l'air du dehors, & se terminent dans la chambre à côté de la cheminée, par une ouverture qui a sa fermeture. Le feu étant allumé, l'air des cavités se raréfie, est poussé par celui du dehors, entre dans la chambre, & l'échauffe ; il en renouvelle l'air, & fournit celui qui est nécessaire à faire monter la fumée, & empêche que l'air froid du dehors n'y puisse entrer. Cette méthode renferme tout-à-la-fois l'avantage des poêles, & n'en a point les inconvéniens.

Il prouve par plusieurs expériences bien faites, que, quand il tiroit son air de la chambre même, par une ouverture qui communiquoit comme celle du dehors avec les canaux des ventouses de la cheminée, & par laquelle on pouvoit fermer celle du dehors, sa chambre ne s'échauffoit pas si rapidement, étoit sujette à fumer, & attiroit des vents coulis.

Il part d'après cette expérience pour ces ventouses. Si on met dans le feu un tuyau de quatre pouces de diametre, fait en syphon, & que ce tuyau ait une de ses extrémités en-dehors, celle du dedans donne un air très-chaud avec quelque rapidité qu'il passe dans ce tuyau. Mais comme ceux qu'on met derriere les plaques des cheminées ne peuvent s'échauffer que par une petite surface, relativement à leur circonférence, il arrive qu'ils ne donnent jamais la même chaleur, quelque longueur qu'on leur donne ; mais ils en donnent toûjours assez & même plus qu'il ne faut pour échauffer une chambre.

On peut par ce moyen échauffer l'air d'une chambre supérieure, inférieure, ou latérale, en y conduisant le tuyau ouvert au haut de la cheminée ; mais soit que l'air soit tiré du dehors ou de la chambre qu'on veut échauffer, il faut toujours que celui qui doit donner la chaleur, soit plus élevé que l'autre, selon une expérience que nous avons rapportée.

Pour plus d'élégance, il n'a pas voulu placer ses tuyaux dans le feu ; il les a cachés sous l'atre, la tablette, & derriere le contre-coeur ; mais il me semble qu'il étoit bien-aisé de le faire sans se départir de son principe. Il n'étoit question que de faire servir les chenets à cet usage. Il faudroit qu'ils fussent un peu plus gros qu'à l'ordinaire, doubles, & fixes. Enfin je voudrois appliquer cette idée à tout. Je voudrois ajuster dans le même goût les barres de fer qui soûtiennent une cornue, & qui servent de grille dans un fourneau fixe. On pourroit encore faire passer de pareils tuyaux à-travers un poêle ordinaire, & échauffer ainsi plusieurs chambres ; & l'on pourroit alors en dériver l'air du dehors, selon la méthode de Keslar.

Ainsi donc si les Apothicaires n'échauffent pas bien leurs étuves, s'ils y font passer des vapeurs nuisibles, & s'ils font trop de dépense pour cela, c'est qu'ils ne savent pas tirer parti de choses très-avantageuses, & déjà assez anciennes pour être bien connues.

Il est aisé de voir l'analogie qu'il y a entre ces cheminées de Gauger, & le poêle à l'italienne. On y trouve aussi quelque ressemblance avec le bain-sec de Glauber. Voyez VAISSEAU. Gauger met encore d'après quelques autres une petite trape devant l'atre qui donne l'air du dehors pour souffler le feu. Cette invention vient encore originairement des poêles de Keslar.

Il est une espece de fourneaux en Chimie, à la figure desquels on dispute son mérite, quoique les auteurs & l'expérience ayent assez parlé en sa faveur. C'est des fourneaux de fusion elliptiques & paraboliques qu'il est question. Béguin en est pour la figure cylindrique & l'elliptique ; je place la cylindrique avec, parce qu'elle doit avoir le même sort. On conçoit aisément qu'elle ne peut s'entendre que d'un fourneau qu'on ne voudra pas faire elliptique ; & qu'on préfére cette figure à la quarrée. La figure cylindrique doit être aussi essentielle pour réflechir les rayons horisontalement vers un même centre, que l'elliptique pour les refléchir en haut & en bas. Barchusen se déclare pour la forme ovoïde, & dit que par son moyen on peut exciter un grand feu. Il veut aussi la ronde au sujet de son fourneau universel, qui est celui du reverbere de Glaser. Teichmeyer n'en veut qu'à l'elliptique, & il faut avoüer qu'il a outré les choses ; car il aime tant à ne rien perdre de l'ellipse, que les grilles placées à leur sommet ont à peine le quart du diametre de ses fourneaux. Vogel, qui est vraisemblablement celui qu'il appelle son disciple chéri, dit que c'est la meilleure pour les fourneaux, & qu'elle est d'un avantage bien supérieur à son épaisseur, comme on le peut voir par le fourneau de M. Pott. Enfin Charas, le Mort, Barner, & Juncker demandent tous la figure ronde & l'elliptique. Glauber l'admet pour son fourneau. Le fourneau de Beccher, fig. 71. en approche. Boerhaave s'en sert non-seulement pour le fourneau de Glauber, mais encore pour son fourneau de distillation latérale ; & il est aisé de voir par l'explication qu'il en donne, qu'il y croyoit ; & l'on sait quel homme c'étoit que Boerhaave dans une pareille matiere. M. Pott a fait un fourneau qui devroit imposer silence aux ennemis de la figure elliptique. M. Cramer, encore bon juge dans cette matiere, l'a admise pour son fourneau de fusion ; & la parabolique pour celui de verrerie ; & il est aisé de voir que s'il n'y compte pas tout-à-fait, il la croit au-moins la meilleure de toutes, par les soins qu'il a pris d'ajoûter quantité de variétés au fourneau de fusion dont il se sert. Enfin tous les Chimistes ont admis pour couvrir leurs fourneaux, un dôme qu'ils n'ont peut-être pas regardé comme elliptique, mais qui ne l'est pas moins, ou qui en approche. Voici cependant les objections qu'on fait contre cette figure.

On ne doit pas être d'une exactitude scrupuleuse quand il s'agit de donner aux fourneaux dans lesquels on doit faire un feu violent, une figure qui tende à ramasser en un centre les rayons ignés refléchis.

1°. Parce que le garni qu'on leur donne n'est pas fort propre à recevoir le poli : & que, quand bien même il seroit possible de le lui donner, il ne pourroit manquer d'être bien-tôt altéré.

2°. Sans compter que les rayons du feu donnés par les charbons ne suivent pas des lois si constantes que les rayons solaires & les sonores, & ne peuvent conséquemment être déterminés sur le corps qui en doit éprouver l'action.

3°. Et que les vaisseaux qui contiennent la matiere à fondre, ou cette matiere même mise à feu nud, sont entourés de charbons de toutes parts.

4°. D'ailleurs un foyer de peu d'étendue seroit presque inutile, puisque le feu ne pourroit agir que sur une très-petite partie du corps qui lui seroit exposé.

5°. Une pareille figure ne sert qu'à ramasser les cendres, & à nuire au jeu de l'air & à l'action du feu.

Telles sont les objections, excepté la derniere, que fait M. Cramer contre la figure qu'il adopte ; il faut donc croire qu'il a des raisons contraires qui sont plus fortes, qu'il n'a pas dites : essayons d'y suppléer.

On ne doit pas être d'une exactitude scrupuleuse, &c. A la bonne heure ; mais s'ensuit-il de-là qu'on n'y doive pas apporter tous ses soins, & que si on pouvoit y réussir, la chose en iroit plus mal : & d'ailleurs n'y a-t-il que cette raison de préférence ? c'est la principale à la vérité ; mais les accessoires doivent-elles être négligées ? La sphere est la figure qui contient le plus de matiere sous la même surface ; mais un fourneau ne peut avoir cette figure, & l'elliptique qu'on lui donne est celle qui en approche le plus ; ainsi donc celui qui sera construit de la sorte, contiendra le plus de charbon autour du vaisseau qu'on y place. C'est un avantage qu'on ne contestera pas.

1°. Parce que le garni, &c. Mais ce garni ne sera pas plus poli dans un autre fourneau ; & s'il s'altere plus dans celui-ci, ce qui doit être, c'est une preuve que le feu a été plus fort.

2°. Sans compter que les rayons, &c. Cela est très-vrai ; mais ces rayons qui se refléchissent à droite, à gauche, & en tous sens, sont-ils autant de perdus pour la somme totale du degré de feu qui regne dans le fourneau ? non sans-doute. Ils doivent concourir à augmenter le mouvement sur quelque endroit qu'ils tombent. Il devroit s'ensuivre par la même raison que les miroirs ardens ne devroient produire aucuns effets, parce qu'ils ne produisent pas tous ceux qu'ils pourroient, ainsi que tout le monde le sait ; car s'ils sont vûs de plusieurs endroits, c'est qu'ils y réfléchissent des rayons de lumiere.

3°. Et que le vaisseau, &c. Il seroit à souhaiter à la vérité que le charbon produisît son effet, sans nuire par sa présence ; mais de ce que tous les rayons ignés ne parviennent pas au vaisseau, s'ensuit-il qu'il n'en vienne aucun, & en viendroit-il davantage, si le fourneau n'étoit pas elliptique ? Il s'ensuit au-moins, selon M. Cramer même, que la figure elliptique doit être conservée dans les endroits où le charbon ne sera point un obstacle entre le rayon igné refléchi, & le corps qui doit subir son action, & par la même raison la parabolique : tel est le principe de structure du dôme, du four du Boulanger, de tous les fours quelconques, & de la plûpart des fourneaux en grand, comme le fourneau à l'angloise, ceux d'affinage & de raffinage, &c. où la voûte ne doit pas être regardée comme une simple commodité de construction.

4°. D'ailleurs un foyer, &c. Quand ce foyer ne seroit qu'un point indivisible, devroit-il être négligé ?

5°. Une pareille figure, &c. Oui quand elle est fermée par le bas, ou terminée par une grille de la petitesse de celles de Teichmeyer ; mais si on suit les exemples donnés par MM. Boerhaave, Cramer & Pott, & que d'ailleurs on veuille se ressouvenir des pitons ou des barres soûtenant la grille, & de sa distance des parois des fourneaux, on les verra tomber comme à l'ordinaire. L'angle n'est point assez considérable pour qu'elles puissent s'y soûtenir. Ceci nous donne occasion de remarquer une particularité du fourneau de M. Pott qui pourroit échapper aisément ; c'est que son fourneau s'éleve presque cylindriquement au-dessus du cendrier ou pié-d'estal, & que l'ellipse ne commence qu'à une certaine distance de ce même cendrier. Par-là, si la figure elliptique retient les cendres, comme pourroient toûjours le prétendre contre toute raison les détracteurs de cette figure, ces cendres ne peuvent manquer d'en être précipitées par les charbons, à-mesure qu'ils s'affaissent en brûlant ; ensuite dequoi elles se trouvent auprès d'une paroi perpendiculaire qui n'en fera certainement pas un amas.

Enfin quand il seroit vrai qu'on ne sauroit pas comment l'ellipse donne un feu plus fort que les autres figures, s'ensuit-il qu'il faudroit se refuser à l'expérience de Pott, par exemple, qui est la meilleure raison qu'on puisse donner ; il est bon d'avertir qu'elle est postérieure aux objections de M. Cramer. Il ne faut pas s'imaginer avoir épuisé l'art des fourneaux à beaucoup près ; il en est de cette partie de la Chimie la plus nécessaire & la plus maniée cependant, comme de toutes les autres opérations, où il y a toûjours plus de découvertes à desirer, qu'il n'y en a de faites. La plûpart des grands artistes ont négligé de nous donner des idées étendues à ce sujet, quoiqu'elles fussent du détail de leurs opérations, que presque tous ayent parlé des fourneaux, & qu'ils fussent assez philosophes pour ne trouver rien de petit en Physique. L'illustre M. Pott mérite particulierement ce reproche, lui qui a donné un fourneau qui peut passer pour un chef-d'oeuvre, puisqu'il donne un degré de feu supérieur à tout ce qu'on connoissoit de la part de cette sorte d'ustensile. On eût donc souhaité, & il faut espérer qu'il le fera ; on eût donc souhaité, dis-je, qu'il nous en eût donné une description très-circonstanciée, & les raisons de ce qu'il prescrit. On desireroit de savoir p. ex. quelque chose de plus sur la nature de son garni, quels en sont les avantages & les desavantages, quelle en est l'épaisseur, s'il est après la premiere opération tel qu'il sera après la vingtieme, s'il est demi-vitrifié, ou s'il l'est tout-à-fait ; à quelle hauteur il met sa grille ; quel est le corps qui soûtient son creuset, & sa hauteur ; de quelle composition est ce creuset. Si sa grille est posée, comme on peut le soupçonner, à un pié du sol du cendrier, il faut que le soûtien de son creuset soit très-haut, comme on peut l'inférer de ce qu'il dit, qu'il faut emplir le fourneau de charbon presque jusqu'au-haut, pour l'en couvrir. On sent bien qu'il prescrit d'y mettre des charbons ardens, parce que les noirs refroidiroient : mais il me paroît que l'intervalle de huit minutes est bien long pour un pareil feu, & qu'il faut vraisemblablement mettre des charbons noirs très-souvent, encore de crainte de refroidissement ; cependant il n'est point question de ceux-ci. S'il y a des cendres dans le cendrier autant qu'il doit y en avoir à-peu-près ; s'il en passe beaucoup par le tuyau de fer ; quelle est l'épaisseur de ce tuyau ; jusqu'à quelle hauteur il rougit ; s'il paroît un jet de flamme au-dessus ; quelle est communément sa hauteur, & ce qu'il est capable de faire ; enfin quels sont les inconvéniens qu'il a éprouvés avant que de parvenir à ce point, qu'on peut appeller de perfection. Toutes ces questions bien éclaircies de la part de M. Pott, & quantité d'autres encore que cet illustre chimiste est capable de se faire, ne pourroient manquer de répandre une grande lumiere sur la théorie des fourneaux qui éclaireroit sur leur construction. Il pourroit encore ajoûter à cela une docimastique de terres & de pierres, dans les vûes de les employer à la construction des fourneaux & vaisseaux ; ce qui abregeroit peut-être bien des tâtonnemens.

Il est aisé de voir que son fourneau n'est guere destiné qu'à ce à quoi il l'a employé, & il n'en vaut certainement que mieux : on peut cependant y mettre une grille de treize pouces de diametre, si on veut élever le foyer ; celle qui sera à la partie inférieure du corps près du cendrier, n'en peut avoir que neuf, en comptant un pouce & demi d'épaisseur pour son garni. J'ai dit que ce fourneau n'en valoit que mieux de ne servir qu'à un usage ; & en effet il y a toute apparence que cet illustre artiste ne l'a divisé en différens corps le moins qu'il a pû, que parce qu'il a vû que c'étoit autant de perdu pour la chaleur : delà l'inconséquence de ceux qui veulent tout faire avec le même. On ne disconvient pas que cela ne fût mieux si cela pouvoit être, & qu'on ne réussisse même jusqu'à un certain point ; mais on n'a recours à ces sortes de fourneaux abregés qu'en cas de nécessité, preuve certaine de leurs défauts en bien des circonstances ; & je ne crois point du tout que celui de Beccher, par exemple, pût fondre les corps qui se fondent dans celui de M. Pott : le fourneau de Beccher peut cependant être appellé un chef-d'oeuvre dans le genre des polychrestes, comme celui de M. Pott l'est en fait de fusion.

Le maréchal reverbere la flamme avec l'eau dont il arrose son charbon, & l'expérience lui dit qu'il a raison : mais la concentration qu'on se procurera de toutes parts sans éteindre une partie du charbon, & avec des parois qui l'allumeroient s'il étoit éteint, ne doit-elle pas l'emporter infiniment sur celui de la forge ? Les rayons ignés doivent toûjours être comptés pour quelque chose, quelque direction qu'ils ayent ; soit qu'ils soient droits, qu'ils aillent vers un centre commun, qu'ils soient refléchis vis-à-vis d'un charbon, ou d'un autre rayon igné ou non, ils doivent toûjours augmenter le mouvement : ainsi donc il n'importe peut-être pas tant qu'on le croit que le garni ait le poli du miroir parabolique ; d'ailleurs il faut remarquer que, comme on ne craint point de casser ce garni par une chaleur subite, on a la commodité de le faire, & on le fait aussi d'une composition qui donne un verre opaque, qui refléchit beaucoup plus de rayons ignés que la composition des autres fourneaux qu'on est obligé de faire poreux, de crainte qu'ils ne se cassent. Nouvelle raison de faire les fourneaux de fusion elliptiques en tôle, & les fourneaux de tôle elliptiques ; mais si la figure elliptique est celle qui approche le plus de la sphérique, la cylindrique approche aussi plus de l'elliptique que la quarrée : d'où il suit que cette derniere est la plus mauvaise de toutes.

Si les fourneaux en tôle coûtent plus que les autres, on en est bien dédommagé par ailleurs ; outre les avantages considérables que nous venons de parcourir, ils ont encore celui de la durée : on croiroit peut-être qu'ils seroient détruits par la rouille ; mais cet inconvénient n'arrive qu'avec l'aide de l'humidité, & un fourneau par sa nature n'est pas destiné à y être exposé : il est vrai qu'il a à essuyer celle du garni, mais pour lors il est neuf, il la supporte mieux, elle n'est pas de longue durée, & d'ailleurs on peut le vernir pour l'en garantir. On sait que le fer résiste long-tems au feu ; nous en avons exposé les raisons, article FLUX. Voyez aussi PHLOGISTIQUE & REDUCTION. A la vérité le garni empêche que la carcasse du fourneau ne jouisse de cet avantage ; mais il se trouve toûjours de petites crevasses, à-travers desquelles il se fait jour : au reste il est d'expérience que ces sortes de fourneaux sont les plus durables, ils ne se cassent pas comme ceux de terre ; & on doit remarquer que les artistes les plus exercés, tels que les Allemands, les préferent à tous les autres. Si l'on craignoit encore la rouille malgré ce que nous venons de dire, on pourroit avoir recours au cuivre ; mais il coûteroit bien plus cher, & pourroit se calciner.

Il y a des fourneaux dont la figure paroît être d'abord précisement le contraire de celle qui donne le feu le plus violent ; je veux parler de ceux de décoction, qui sont en entonnoir : mais il ne faut pas un grand feu pour faire bouillir de l'eau, & en second lieu il faut qu'ils reçoivent un vaisseau large : cependant si l'on considere, comme on le doit faire, le fourneau avec son appareil, on verra que son ouverture est réduite aux quatre regîtres ; ce qui corrige leur défaut apparent : je dis apparent, & en effet il n'est que cela. Les fourneaux coniques sont des especes de fourneaux elliptiques ; ils donneroient certainement moins de chaleur s'ils étoient cylindriques, tout étant égal d'ailleurs, c'est-à-dire s'ils avoient une ouverture de même diametre pour recevoir le même vaisseau, & si la quantité du charbon étoit la même. On observe qu'on les fait souvent trop élevés de foyer. Quoique la chaleur monte tout naturellement, & soit poussée en-haut par l'air qui frappe la grille, on ne doit pas laisser de faire un fourneau elliptique ou conique par le bas ; parce qu'il faut moins d'aliment pour le feu, que la même quantité y est plus à l'étroit, & fait un tas plus élevé, ce qui est capital, & que le feu en est plus fortement refléchi vers le haut. Enfin un fourneau de fusion doit être elliptique, par la même raison que ceux de décoction sont coniques. Je ne crois pas qu'on soit tenté de nier que le feu acquierre de nouvelles forces par l'augmentation de quantité, par la réflexion ; il n'est question pour appercevoir la vérité de ce fait, que de se rappeller qu'il est plus fort dans un fourneau qui ne prend point l'air par les côtés, que dans celui qui le prend ; & qu'un charbon seul perd peu-à-peu son mouvement igné, pendant que ce mouvement se conserve entre plusieurs, & est d'autant plus rapide, qu'il est entretenu par un plus grand nombre de corps qui se le communiquent & se le réfléchissent. On sait que plusieurs fils d'archal liés ensemble comme une gratte-bosse & soufflés vivement, se fondent. Ce feu réfléchi de toutes parts doit augmenter de vivacité, par la même raison que quand il est animé par plusieurs soufflets placés circulairement Mais si le mouvement constitue l'action du feu, comme il n'y a pas lieu d'en douter, il doit y avoir quelques endroits du fourneau où ce mouvement sera le plus considérable, comme à un certain espace du foyer, au milieu ou à l'extrémité supérieure du fourneau. Cette conjecture est tirée du rapport que paroît avoir le feu qui y est contenu avec celui de la lampe de l'émailleur : ne devroit-elle pas exciter les artistes à placer dans leurs fourneaux, à diverses distances de l'aliment du feu, des vaisseaux contenant des matieres qui pourroient leur donner de nouvelles lumieres sur son action ?

Nous n'avons point examiné si le feu étoit plus fort par la structure des fourneaux, qu'avec plusieurs soufflets. On ne trouve point de comparaison là-dessus dans les auteurs, qui la plûpart ont dit ouï & non. Je crois qu'il n'est pas nécessaire d'avertir que, si les soufflets ne peuvent donner un feu plus violent que celui que donne le fourneau de M. Pott par sa structure, il s'ensuit qu'il faut s'en tenir à cette derniere ; elle épargne les soufflets & leur embarras.

Mais les figures elliptiques & paraboliques n'ont pas été seulement appliquées aux fourneaux, Gauger en a encore fait usage pour ses cheminées ; il en a fait les jambages paraboliques, ou en quart d'ellipse, parce qu'il n'est question d'y refléchir la chaleur que vers leur partie inférieure, afin qu'elle entre dans la chambre : ainsi elles different des fourneaux, en ce que ceux-ci contenant le vaisseau qui doit subir l'action du feu, ils peuvent être coniques ou elliptiques par le bas, pour refléchir la chaleur vers leur milieu. Ce n'est pourtant pas qu'il n'y en ait aussi dans le goût des cheminées, c'est-à-dire de paraboliques seulement par le haut ; mais ils ne doivent pas être aussi bons par les raisons que nous avons alléguées, quoique l'air pousse le feu en-haut & supplée en quelque sorte aux fonctions des courbes. Mais le tuyau des cheminées de Gauger est trop large ; son contre-coeur devroit être parabolique comme ses jambages, sans qu'on pût craindre la fumée. Ses cheminées sont imitées en quelque sorte dans les cheminées à la Nanci, qui sont en tôle & qu'on dit ne pas fumer ; ce que je crois volontiers. Leur tuyau est bien, en ce qu'il n'a guere qu'un demi-pié de long sur quatre ou cinq pouces de large : mais si elles ont cet avantage sur celles de Gauger, en revanche elles ne sont pas si bien par le devant, qui fait une hotte à-peu-près parabolique comme les côtés. Ce devroit être le derriere ; il est vrai qu'elles n'auroient pas tant de grace, mais ce qui est bon doit être beau. Les jambages paraboliques de Gauger empêchent encore la fumée conjointement, avec ses ventouses & son soufflet ; on pense bien que c'est parce que cette fumée est concentrée sur la flamme, & en est brulée en partie : c'est ce qui doit arriver dans les cheminées à la Nanci, dont le tuyau est encore plus étroit ; & je crois que cette méthode doit être admise, parce que ces sortes de cheminées peuvent encore chauffer considérablement par leur tuyau, qu'il faut prolonger en tuyau de poêle.

Généralités ultérieures. Il faut que les corpuscules du feu dégagés de leur combinaison, passent à-travers les pores du fer, d'un poêle par exemple, tels qu'ils sortent à-peu-près du charbon ; car on voit sur un poêle & même sur un fourneau, le même fourmillement dans l'air que sur un réchaud dont les charbons ou la braise sont à l'air libre. On peut s'assûrer de ce phénomene en fixant la vûe sur un mur blanchi, un peu au-dessus du foyer qu'on voudra examiner ; on apperçoit un fourmillement qui fait vaciller la vûe sur le mur, soit que la direction des rayons de lumiere qui en viennent soit troublée, ou que la vapeur qui en est la cause soit visible ou fasse cette illusion. De quelque façon que cela soit, on appelle ce phénomene fourmillement, parce qu'il paroît que la sensation est la même à-peu-près que dans la maladie qui porte ce nom. Enfin qu'elle soit dûe ou à l'air, ou au feu, ou à une action particuliere de l'un & de l'autre, elle n'en existe pas moins, & elle est même plus visible, si le soleil éclaire l'endroit où l'on fait l'expérience. Tout le monde connoît l'effet qu'elle produit sur les spirales qu'on attache aux poêles ; mais il faut qu'un chimiste sache que l'air qui monte avec cette vapeur, est autant de perdu pour l'intérieur de ses fourneaux : cet inconvénient n'est jamais plus sensible que quand on en allume plusieurs les uns près des autres. Le feu y est en partie suffoqué, en conséquence de la raréfaction & de la legereté de l'air environnant. La chose a également lieu quand le soleil, sur-tout en été, éclaire l'endroit où le fourneau est situé. On retient l'air qui est entraîné par cette vapeur, en fermant la cheminée & n'y laissant que le tuyau du fourneau, ensorte que tout l'air du laboratoire ne peut passer que par son soupirail.

L'effet n'est pas toûjours le même de la part du même appareil, quoiqu'on gouverne le feu avec la même exactitude : ces différences viennent de celle de l'atmosphere : car comme il est vrai à n'en pouvoir douter que tout charbon est d'autant plus animé que l'air est plus dense & le frappe avec plus de rapidité, ce qui est prouvé par le vent des soufflets ; il est évident que le feu des fourneaux sera beaucoup moins actif lorsque le tems sera chaud & mou, & que l'air de l'atmosphere sera plus leger. Barner remédie à cet inconvénient d'après Keslar & Glauber, en mettant au soupirail de ses fourneaux une trompe qui descend dans la cave ; & Charas en construisant son fourneau près d'un puits, dans lequel il descend tout près de l'eau un pareil tuyau qui aboutit à son soupirail.

Tout corps qui passe d'un milieu plus large dans un plus étroit, disent quelques physiciens, prend une accélération de mouvement ; & l'on croit expliquer par-là pourquoi une riviere est plus rapide quand son lit s'étrécit, & pourquoi l'air qui passe à-travers un fourneau acquiert une rapidité qu'il n'avoit pas. On croit aussi par la même raison que ces deux cas sont précisément les mêmes. Nous allons tâcher de faire voir que c'est comme on dit, le feu & l'eau.

En premier lieu, nous croyons qu'une riviere ne devient plus rapide quand son lit s'étrécit, que parce que l'eau ne pouvant plus couler avec la même facilité, s'arrête, s'éleve & retarde celle qui est derriere, laquelle étant aussi devenue plus élevée, a nécessairement plus de poids, & doit pousser avec plus de violence l'eau qui est devant elle. Peu importe que ce soit à une écluse, ou à un pont, ou dans son lit, la chose est la même ; & il faut croire qu'elle perd encore de cette rapidité par le frottement que M. Bouchu a découvert qu'elle éprouvoit en passant dans un canal étroit ; mais elle peut gagner du terrein en-dessus, au lieu que l'air ne peut pas faire la même chose dans un tuyau dont toutes les parois ne lui laissent aucune ressource pour s'étendre : l'eau d'ailleurs reste la même, & l'air se raréfie.

En second lieu, s'entend-on bien quand on dit que l'air accélere son mouvement, parce qu'il passe d'un lieu plus large dans un lieu plus étroit ? Si l'on approche la main du tuyau d'un fourneau horisontal qui n'est point allumé, on n'y sent point d'air du tout ; cependant l'air n'est jamais tranquille, & on devroit le sentir sans feu comme avec du feu dans un fourneau. Gauger n'a dû sentir l'air sortir du tuyau de cuivre de quatre pouces de diametre, que quand il l'a exposé au feu, & point avant. Je sens qu'on me répondra que rien ne détermine l'air à enfiler un tuyau froid, & qu'il faut pour cela le concours du feu : mais le tuyau de Gauger étoit cylindrique ; d'ailleurs m'étant trouvé devant le soupirail d'un grand fourneau anglois, j'ai senti l'air frais qu'il attiroit, & cet air n'avoit certainement pas passé d'un endroit plus large dans un plus étroit, car il n'étoit pas encore entré dans le fourneau ; & quand il fait du vent, est-ce que l'air de l'atmosphere passe d'un endroit plus large dans un plus étroit ?

C'est donc uniquement à la raréfaction de l'air par le feu, qu'il faut attribuer le jeu qu'il éprouve dans les fourneaux. L'air le plus chaud est le plus leger, & l'air le plus leger & le plus chaud est le plus élevé dans une chambre, comme Gauger l'a éprouvé par le thermometre & par le tuyau exposé à une chandelle, & d'autres physiciens avant & après lui. Ainsi toutes les fois qu'il y a du feu allumé quelque part, il raréfie l'air en tout sens, & le rend plus leger ; mais cet air plus leger monte au-dessus de celui qui est plus pesant, & d'autant plus rapidement qu'il est plus leger : plus le feu est violent, plus il raréfiera l'air & le fera monter rapidement ; mais cette raréfaction sera d'autant plus considérable, que l'air sera plus long-tems exposé au feu, & il le sera plus dans un long tuyau que s'il n'y en avoit point du-tout ; & d'ailleurs ce tuyau lui-même est fort chaud, puisque la flamme le surmonte encore. Ainsi le tuyau mis sur un dôme servant à la raréfaction de l'air qu'il enferme, occasionnera nécessairement l'abord rapide de celui qui tend à se mettre en équilibre en frappant le cendrier, lequel traversera le charbon avec d'autant plus de vivacité qu'il trouvera moins d'obstacles ; & il en trouve très-peu, parce que l'air y est très-rare, & que la colonne est très-longue : il devra donc monter avec d'autant plus de rapidité, qu'il a plus de place à occuper ; mais il ne peut passer lui-même à-travers ce canal embrasé, qu'il ne subisse la même raréfaction, & une raréfaction plus considérable dans le second instant que dans le troisieme. Il passera donc plus rapidement, & augmentera conséquemment le mouvement ou la chaleur ; ensorte que la colonne qui lui succédera, sera encore plus raréfiée & suivie d'une autre plus rapide, & ainsi de suite. Tels sont les accroissemens successifs & rapides de la chaleur dans les premiers instans qu'on met un tuyau sur un dôme : mais cela ne va que jusqu'à un certain point.

Les descriptions particulieres que nous avons mises à la tête de cet article, peuvent apprendre à construire des fourneaux, qui sont des objets particuliers : voici actuellement les corollaires généraux qu'on en peut tirer, qui ne servent guere qu'à satisfaire la curiosité ; parce qu'on ne bâtit point de fourneau en général, & qu'il est impossible de les appliquer à des objets qu'on ne connoît pas. La partie la plus essentielle d'un fourneau, celle pour qui toutes les autres sont faites, c'est le foyer, ou le lieu où le feu est tenu, animé, & déterminé. Mais comme le feu qui a besoin d'un aliment continuel ne peut subsister sans une cheminée qui dérive la fumée, & un soûpirail qui donne passage à l'air, & enfin une porte pour introduire sa pâture ; on a dû voir aisément quelles réflexions on pourroit tirer de leur construction. En second lieu, quand on a bâti un fourneau, on y a toûjours eu en vûe d'y conserver l'énergie du feu animé, de façon qu'elle ne pût se dissiper en vain, & que tout au contraire elle fût déterminée dans les endroits où elle est nécessaire pour y exercer son action. En troisieme lieu, on y a ménagé un endroit propre à contenir les vaisseaux chargés de la matiere à altérer, afin qu'ils pussent y subir l'action du feu uniformément, & dans le degré qui convient, jusqu'à ce que l'opération fût finie.

Le meilleur fourneau dans son genre sera donc celui qui sera capable de produire les effets qu'on en attend, avec le moins de frais qu'il sera possible, autant de tems qu'on le voudra, avec toute l'égalité qu'on peut souhaiter, & de façon qu'on puisse le gouverner aisément, c'est-à-dire sans trop de peine de la part de l'artiste, & sans qu'il soit obligé à une présence continuelle. La premiere condition est remplie, si le fourneau est construit de façon que la chaleur excitée soit toute appliquée au corps à changer, sans trop de dépense. On obtient cet avantage si le fourneau est fait d'une matiere très-solide, & si la surface intérieure est figurée de façon à déterminer dans le lieu destiné les forces qui se développent & sont dardées par la pâture du feu. La fabrique pourra aussi en être telle que l'artiste soit sujet à peu d'assiduités, pour fournir de quoi entretenir le feu. On remplit la seconde, quand la matiere combustible bien choisie se consume le plus lentement qu'il est possible, en fournissant toutefois la chaleur nécessaire. On a cet avantage quand le foyer, la cheminée, & les regîtres sont entr'eux dans des proportions convenables. C'est en conséquence de ce que nous avons dit, que d'habiles artistes remplissent leur fourneau de charbon ; ensorte qu'ils ne sont obligés d'y en remettre de long-tems. La troisieme condition, & la plus nécessaire de toutes, c'est qu'on puisse soûtenir long-tems le feu sans augmenter ni diminuer son degré. La Chimie prouve qu'un degré de feu donné produisoit un effet déterminé sur chaque corps ; & que quand l'action du feu étoit forte ou foible, les produits étoient différens ; en sorte que ce mélange confus de produits chimiques, étoit le résultat de ces alternatives d'augmentations & de diminutions. D'ailleurs on sait qu'elles changent la nature d'un corps, de façon qu'il n'est plus le même à chaque degré de feu déterminé. Car s'il arrive qu'en se servant du même feu pour les opérations chimiques, on confonde ses degrés d'une façon dans une opération, & d'une autre maniere dans une autre, le même corps ne donnera pas le même produit. C'est ce qui donne lieu à des erreurs souvent dangereuses. On a vû que l'artiste en construisant ses fourneaux, avoit pensé d'abord à la quantité de matiere combustible que le foyer devoit recevoir, contenir, entretenir. En second lieu, à l'espece de matiere qu'il y vouloit mettre pour ce qu'il avoit à faire. En troisieme lieu, à la force du feu requise pour chaque opération en particulier ; par la raison qu'égale quantité de la même matiere peut produire dans le foyer du même fourneau toutes les nuances de chaleur qui s'étendent depuis le plus foible degré jusqu'au plus fort, & cela d'une façon soûtenue. En quatrieme lieu, à se ménager la facilité de donner à son foyer l'accès de tout l'air qui lui est nécessaire ; il faut encore qu'il soit en état d'apprécier la force avec laquelle il frappe le foyer, soit qu'il y soit déterminé par le jeu ordinaire que lui donne ce foyer, soit qu'il y soit poussé par les soufflets : & enfin qu'il examine les différens états de l'athmosphere, comme la pesanteur, la legereté, l'humidité, la secheresse de l'air, sa froidure & sa chaleur. Car quand le barometre annonce que sa pesanteur est considérable, que cette pesanteur est accompagnée d'une grande secheresse, & qu'en même tems un froid vif roidit tous les corps, on peut s'attendre que le feu sera de la plus grande vivacité. Cinquiemement enfin, on a fait attention à l'issue qu'il falloit donner au feu qu'on vouloit allumer dans le foyer. On a vû qu'il ne falloit pas compter sur une grande activité de la part de celui qui auroit pû s'échapper aisément de toutes parts, & par de grandes ouvertures : mais qu'on pouvoit tout se promettre de l'action du feu, dont les forces réunies étoient déterminées vers le point auquel l'artiste avoit intention de faire subir ses effets. Nous avons indiqué en détail les circonstances particulieres, où tout ce que nous venons de dire en général ou d'une maniere vague, pourra trouver son application & ses exceptions ; & nous finirons par ce corollaire ultérieur, qu'un usage aveugle nous a obligé de changer en une définition inutile dans la place qu'elle occupe ; qu'un fourneau est un vaisseau au moyen duquel on peut tenir du feu, le gouverner, & l'appliquer comme instrument & quelquefois comme principe, aux corps qu'on veut changer par le feu.

En citant les auteurs dans cet article, on a eu pour but de faire voir à qui appartenoit ce dont il y étoit question. Voici donc par ordre chronologique la plûpart des ouvrages dont on s'est servi. Ce catalogue servira pour les articles Ustensiles & Vaisseaux, qui sont nécessairement liés avec celui-ci, & pour tous ceux où il sera question des mêmes auteurs, qui n'ont guere traité les fourneaux que proportionnellement au reste.

Gebri regis Arabum philosophi perspicacissimi summa perfectionis magisterii, &c Gedani, 1682. in-12. p. 278. Géber étoit grec, & a écrit en arabe. On trouve dans cet ouvrage des traits qui feroient honneur à des chimistes d'aujourd'hui.

Joannis de Rupescissa liber lucis, 4°. Colon. Agripp. 1679. Nous avons dit que Rupescissa vivoit au xjv. siecle.

Agricola de re metallica, lib. XII. fol. Basil. 1521. Cet auteur mériteroit encore de notre tems tous les éloges que lui donne Boerhaave.

Thesaurus Evonymi Philiatri, de remediis secretis, liber physicus medicus & partim etiam chimicus, &c. Tiguri, 1552.

Fachs a écrit en 1567.

La Pyrotechnie ou l'art du feu, contenant dix livres, &c. composée par le sieur Vanoccio Biringuccio, Siennois, & traduite d'italien en françois par feu Jacques Vincent, 8°. Paris, 1572. C'est le livre d'un homme qui paroît instruit de ce qu'il traite, & qui le décrit si mal, qu'on a de la peine à y entendre ce qu'on sait de mieux.

Ercker, aula subterranea, &c. 1574. Voyez l'article ESSAI sur cet auteur & l'avant-dernier.

Alchymia Andreae Libavii, &c. fol. Francofurti, 1606. Dans sa compilation, ce medecin a rassemblé au sujet des fourneaux & vaisseaux presque tout ce qui avoit existé avant lui. C'est celui qui a le plus écrit sur cette matiere, & il a quelquefois bien écrit.

Epargne-bois, c'est-à-dire nouvelle & par-ci-devant non-commune ni mise en lumiere, invention de certains & divers fourneaux artificiels, &c. par François Keslar, peintre & habitant à Francfort, maintenant publiée en françois pour le bien & profit public de la France, & de tous ceux qui usent de cette langue, par Jean-Théodore de Bry, marchand libraire & bourgeois d'Oppenheim, qui est sur le Rhin, 1619. petit in 4°. de 72 pages.

Les élémens de Chimie de M. Jean Béguin, &c. troisieme édition, in 12. Paris, 1624.

Rhenani opera chimiatrica, in-12. Francof. 1635. Cet auteur contient peu de chose.

Furni novi philosophici, &c. per Joannem Rudolphum Glauberum, Amstel. 1658. & suiv.

Kunckel laborat. chim. 1670.

Traité de la Chimie, par feu Christophe Glaser, &c. in-12. Paris, 1673.

Le Fêvre, seconde édition, in-12. 2. vol. Paris, 1674.

Pharmacopée royale de Charas, 4°. 1676. Charas est celui des françois qui a le mieux écrit sur les fourneaux, & qui a le mieux connu la nécessité d'en donner des descriptions détaillées.

Le Mort, Chimia rationalis & experiment. in-12. Lugd. Bat. 1688.

J. Joac. Beccheri tripus hermet. seu laborat. portat. &c. in-12. Francof. 1689.

Barneri chimia philosophica perfecté delineata, &c. in-12. Noribergae, 1689.

Cours de chimie, par Nicolas Lémery, 8°. Paris, 1701. M. Baron n'a rien ajoûté à la partie des fourneaux.

Mangeti bibliotheca pharmaceutica, &c. fol. 2. vol. 1703. Il est bon d'avertir que, quand nous avons cité Manget sans nom d'ouvrage, c'est celui-ci que nous avons entendu. La sixieme & septieme planche de cet auteur qui sont contenues dans la même page, sont de Barner ; les autres sont toutes les figures de Charas, & quelques-unes de celles de le Fêvre.

Mangeti Bibliotheca. chem. curiosa. fol. 2. vol. 1705.

La méchanique du feu, &c. par M. Gauger, Paris, 1713. ouvrage excellent qui n'est pas assez connu.

Barchusen, element. chim. 4°. Lugd. Batav. 1718. C'est la seconde édition de l'ouvrage que l'auteur donna en 1698. sous le titre de pyrosophia.

Vulcanus famulans ou méchanique du feu, ouvrage destiné à l'épargne du bois, & utile aux Fondeurs, Brasseurs, Chimistes, Fumistes, &c. par. Joh. Georg. Leutmann, in-8°. troisieme édit. 1735. La premiere est de 1723. Ce livre qui est en allemand, embrasse dans 53 Planches & 154 pages, tout ce qui est du ressort de la méchanique du feu. L'auteur a profité des poêles de Keslar, des cheminées à ventouses de Gauger, qu'il a augmentés & appliqués à d'autres objets. Il traite aussi des lampes. Il a exécuté ce que Gauger annonce dans sa préface au sujet des brasseries, &c. Enfin il contient en général sur cette matiere tout ce qu'il y a de plus excellent, de plus vrai, de plus ingénieux, & de plus savant. Teichmeyer y a pris quelques-unes de ses figures ; & il y a toute apparence que c'est-là qu'il a puisé l'affectation de la figure elliptique dans laquelle Leutmann est trop tombé. Ceux qui voudront varier les poêles à l'infini, pourront consulter son ouvrage, dont ils font la partie dominante, & ils n'auront plus rien à prendre dans l'obscur galimathias de Keslar.

Teichmeyeri, institut. chim. dogmat. experiment. 4°. 1729, auteur versé dans les parties de la Medecine, & par conséquent dans la Physique. Nous avons encore de lui des élémens de cette derniere science.

Junckeri conspectus chimiae, 4°. 1730.

Boerhaavii elem. chem. 2 vol. in-4°. Paris, 1752. L'édition de Leyde est de 1731.

De la fonte des mines de Schlutter. Ce livre parut en allemand en 2 vol. in-fol. Brunswick, 1738. L'édition françoise publiée par M. Hellot est en 2 vol. in-4°. Le premier parut en 1750, & le second en 1753. La premiere partie en françois, ou la seconde en allemand traitent de la Docimastique.

Crameri ars docimastica, Lugd. Batav. 1739. & la seconde édition en 1744. C'est l'auteur qui a le mieux écrit sur les fourneaux, comme sur l'art des essais.

Lithogéognosie de Pott ; la premiere partie parut en allemand en 1746, & la seconde en 1751. Il a donné quelque chose sur les fourneaux dans les Miscell. berolin. dont nous parlerons article LUT.

Cartheuseri, elem. chim. dogmat. experim. edit. secunda, in-12. 1753.

Rudolphi Augustini Vogel, M. D. &c. 8°. Gott. 1755. C'est un professeur de Gottingue qui a beaucoup de lumiere, mais qui n'est peut-être pas assez stahlien.

On peut encore consulter sur la même matiere les auteurs dont nous avons parlé à la section des fourneaux philosophiques ; les descriptions de Sennert, 1641. Horstius auteur des notes sur Gauger ; Strumphii dissertatio nonnulla de sublimationis apparatu exhibens, Halae 1745. c'est un ouvrage qui a été fait au sujet d'un fourneau de Teichmeyer, qu'on appelle le pot, & dont Vogel donne une haute idée ; la verrerie de Kunckel ; les ouvrages de Stahl ; les laboratoires des chimistes ; les distillateurs & les fournalistes de Paris ; Dornaeus, Mullerus & Crollius ; Ludolf pour les figures élégantes, & les élémens de Chimie théorique de M. Macquer. Vitruve ne parle que de quelques fourneaux en grand, qu'on peut voir dans Libavius, & on ne trouve rien de satisfaisant là-dessus dans l'Antiquité expliquée du P. Montfaucon. Cet article est de M. DE VILLIERS.


FOURNÉES. f. terme commun à plusieurs ouvriers qui font cuire au four un grand nombre de pieces à-la-fois ; comme le fayencier, le manufacturier en porcelaine, le potier de terre, le pâtissier, le boulanger, &c. c'est la quantité de pieces qu'ils ont enfournées à-la-fois. Ainsi ils disent que la fournée étoit entiere, lorsqu'il y avoit au four autant de pieces qu'il en pouvoit contenir ; & qu'il n'y avoit que demi-fournée, lorsqu'il pouvoit contenir une fois davantage.


FOURNETTEc'est un petit four dont on se sert dans les manufactures de fayencerie & autres, pour y calciner l'émail qu'on employe pour les fayences. Voyez FAYENCE.


FOURNIvoyez les articles FOURNIR & FOURNITURE.


FOURNILS. m. en Architecture, c'est dans une grande maison le lieu près de la cuisine, où sont les fours pour cuire le pain, la pâtisserie, &c. (P)


FOURNIMENTS. m. (Art mil.) c'est dans l'Art militaire une espece d'étui ou de bouteille de cuir bouilli, de bois, ou de corne, qui sert à mettre la poudre, & qui se bouche avec un tampon ou un bouchon de bois. Les soldats ont toûjours un fourniment ; il s'attache à deux cordons qui sont au bout de la bandouliere de bufle, qui sert à porter ou soûtenir la giberne, ou l'espece de gibeciere, dans laquelle le soldat met les charges ou cartouches qu'il a pour tirer. Le fourniment differe du pulverin ou poulverin, en ce que celui-ci est beaucoup plus petit, & qu'il ne contient que la poudre pour amorcer, & que l'autre contient la poudre pour charger le fusil.

On appelle encore fourniment dans l'Artillerie, une boîte de cuir ou de corde, qui renferme la poudre pour amorcer le canon & les mortiers. Les canonniers portent le fourniment pendu à leur cou en écharpe. (Q)


FOURNIRv. act. (Gramm.) c'est donner, mais dans une quantité relative à quelque emploi de la chose donnée ; par ex. il m'a fourni de l'argent pour mon voyage. Il est quelquefois un synonyme d'achever, mais avec l'idée accessoire de perfection ; il a fourni sa carriere. Il s'employe d'une façon neutre, quand on dit ce marchand, cette boutique, ce magasin sont bien fournis ; alors il a l'acception générale de contenir, & les acceptions particulieres de contenir abondance de chaque chose & variété de plusieurs. Fournir se prend en plusieurs autres sens, comme en Escrime, où l'on dit fournir une botte : en Morale ou Logique, avoir une mémoire qui fournit à tout : en Jurisprudence, fournir d'exceptions : en Manege, fournir son air. Voyez les articles suivans.

FOURNIR, (Jurispr.) signifie quelquefois donner, signifier, comme fournir des exceptions, défenses, griefs, & autres écritures.

Fournir & faire valoir, c'est se rendre garant d'une rente ou créance, au cas que le débiteur devienne dans la suite insolvable.

Cette clause se met quelquefois dans les ventes & transports de dettes ou de rentes constituées.

Son effet est plus étendu que la simple clause de garantie, en ce que la garantie s'entend seulement, que la chose étoit dûe au tems du transport, & que le débiteur étoit alors solvable ; au lieu que la clause de fournir & faire valoir a pour objet de garantir de l'insolvabilité qui peut survenir dans la suite.

Le cédant qui a promis fournir & faire valoir, n'est tenu de payer qu'après discussion de celui sur qui il a cédé la rente.

On ajoûte quelquefois à l'obligation de fournir & faire valoir, celle de payer soi-même après un commandement fait au débiteur, auquel cas le cessionnaire n'est pas tenu de faire d'autre discussion du débiteur pour recourir contre son cédant.

Dans les baux à rente, le preneur s'oblige quelquefois de fournir & faire valoir la rente ; l'effet de cette clause en ce cas, est que le preneur ni ses héritiers ne peuvent pas déguerpir l'héritage pour se décharger de la rente.

L'obligation de fournir & faire valoir n'est jamais sousentendue, & n'a lieu que quand elle est exprimée. Voyez Loyseau, traité de la garantie des rentes, ch. jv. Loüet & Brodeau, lett. F. n. 25. Le Prestre, cent. 2. ch. xxviij. Bacquet, traité des rentes, chap. xjx. xx. & xxj. Corbin, chap. cjv. Montolon, arrêt 104. (A)

FOURNIR son air, (Manege) c'est de la part du cheval répondre à ce que le cavalier lui demande dans un air quelconque, toûjours avec la même force, la même justesse & la même obéissance. Il est tel air relevé où un cheval ne sauroit fournir long-tems. Il y a moins de mérite du côté de l'animal qui fournit parfaitement son air, qu'il n'y en a du côté du cavalier qui n'exige de lui que ce dont il est capable, soit qu'il le conduise par le droit ou sur les voltes & dans les autres différentes proportions & figures du terrein que nous observons dans nos maneges. Le plus souvent le défaut de justesse & de précision du cavalier rompt la cadence du cheval, lui fait perdre la mesure de son air, qu'alors il fournit mal, ou plutôt qu'il ne fournit point. (e)


FOURNISSEMENTS. m. (Jurispr.) c'est le sequestre de la chose contentieuse en matiere possessoire & de complainte, le rétablissement des fruits qui doit être fait ès mains du commissaire. Voyez les coûtumes de Bourbonnois, art. 41. Poitou, 400. édit de Charles VII. de 1446, art. 37. de Charles VIII. en 1493, art. 48.

Fournissement de complainte signifie la même chose ; sentence de fournissement est le jugement qui ordonne le rétablissement des fruits. Voyez l'édit de Charles VII. de 1453, art. 55. de Louis XII. en 1499, art. 86. & en 1512, art. 54. d'Henri II. en 1559, art. 14. Style des cours & ordonnances du duc de Bouillon, art. 255. (A)

FOURNISSEMENT, terme de Commerce de mer, c'est le fonds que chaque associé doit mettre dans une société.

On dit compte de fournissement, pour signifier le compte de ce que chaque associé doit fournir dans une société, une entreprise, une manufacture, une cargaison de navire. Dictionn. de Comm. de Trév. & de Chamb. (G)


FOURNITURES. f. n'a pas des acceptions aussi étendues que fournir. Faire une fourniture, entreprendre une fourniture d'une chose, c'est se charger d'en procurer la quantité nécessaire à celui qui la demande : ainsi la fourniture, c'est la quantité nécessaire d'une chose fournie. Voyez l'article FOURNIR.

FOURNITURE, (Hydraul.) on entend par ce terme ce que les eaux fournissent par minute, par heure & par jour ; ce qui s'exprime par les mots de donner ou d'écoulement. On dit un pouce d'eau donne tant de lignes, tant de pintes par heure : ce qui veut dire tant de lignes, tant de pintes s'écoulent par heure. Voyez ECOULEMENT. (K)


FOURQUETS. m. (Brasserie) pelle de fer ovale, divisée sur sa longueur en deux parties par une cloison, & terminée par une douille où le manche de cette pelle est reçû. Cette pelle sert à rompre la trempe, &c. Voyez l'article & les figures de la Brasserie.


FOURRAGES. m. (Maréchall.) nourriture des chevaux. Ce mot généralement pris, renferme tous les herbages qui servent de pâture aux animaux qui vivent de végétaux.

Le fourrage du cheval comprend le foin, la paille & l'avoine, le sainfoin, la luserne & le son. Cet article seroit susceptible de bien des détails relatifs à la Botanique, à la Physique, à la Chimie, au Commerce & à l'Agriculture ; c'est aux Savans à les approfondir. Nous ne considérerons ici le fourrage que relativement à la santé, aux forces, & aux maladies des chevaux.

La bonne nourriture modérément donnée, concourt à entretenir dans le cheval, comme dans tous les animaux, un juste équilibre entre les solides & les fluides. Il résulte de cet accord une santé ferme & vigoureuse ; au contraire les mauvais alimens troublent cette harmonie : d'où suivent quantité de maladies dangereuses & quelquefois mortelles. Ce sont ces mêmes maladies qui nous ont fait scrupuleusement méditer sur leur genre & leur cause ; & c'est d'après leurs symptomes, leurs progrès & les impressions qu'elles font sur les visceres du cheval, que nous avons attribué la plûpart de ces accidens à une nourriture acide, acre, corrosive, en un mot pernicieuse, & rendue telle tantôt par le mélange du fourrage, tantôt par sa corruption. Les chevaux ne sont exposés à prendre une mauvaise nourriture que dans leur état de domesticité : libres & abandonnés à eux-mêmes pour chercher leur pâture dans les prairies, dans les bois, &c. ils n'ont garde de brouter parmi les plantes celles qui de leur nature peuvent être nuisibles à leur santé ; leur instinct seul les guide, & dirige leur appétit vers les plantes propres à leur entretien. Il en est tout autrement dans leur état d'esclavage ; ils sont obligés de se nourrir de ce que l'aveugle industrie de l'homme leur prépare & leur présente. La nécessité leur fait prendre la plûpart du tems des alimens qui leur sont contraires ; & leur appétit naturel irrité par la faim, n'a pas la liberté du choix : ainsi quelque bien intentionné que l'homme doive être pour la conservation de cet animal si secourable, il contribue en bien des cas à sa destruction, par les soins peu éclairés qu'il prend de le nourrir. La disette du fourrage, une épargne mal-entendue, la falsification que la cupidité des marchands de foin n'a que trop mise en usage, font que l'on donne la plûpart du tems aux chevaux un foin moisi ou pourri, par quelque altération qu'il a soufferte ou dans le pré pendant la fenaison, ou dans le grenier après la récolte. Cette nourriture corrompue engendre après un certain tems le farcin, la gale, la maladie du feu, & souvent même la morve. Ces genres de maladies qui tirent leur cause primitive d'une dépravation des humeurs occasionnée par ces mauvais alimens, deviennent la plûpart épidémiques, s'étendent, se multiplient & font les plus grands ravages dans les armées, dans les villes, & dans les campagnes. Si la corruption du fourrage est si pernicieuse, son mélange avec des plantes ne l'est pas moins : de ce mélange il en naît aussi des maladies bien aiguës & bien funestes.

Le foin est la nourriture du cheval la plus commune ; elle est aussi la plus suspecte. Les différens genres de plantes qui naissent dans les prés & dans les pâturages, & qui entrent dans la composition du foin, peuvent être distingués en trois différentes classes. La premiere contient celles qui sont bienfaisantes, appétissantes, rafraîchissantes, succulentes, humectantes, adoucissantes, &c. telles sont la jacée noire, la grassete des près, qui perdent leurs feuilles avant la récolte, mais dont les tiges s'élevent, se mêlent au fourrage, & sont la base du meilleur foin ; la pimprenelle des près, les paquerettes, le tussilage, la pédiculaire, tous les chiendents, les deux especes de prêles, l'ulmaria ou reine des prés, la scabieuse, le carvi, le sainfoin, la sarriette, la petite chélidoine, les especes d'orchis ou satyrion, le treffle des prés. Si le foin n'étoit composé que de telles plantes, qu'il fut fauché dans sa juste maturité, c'est-à-dire avant qu'il eût séché sur pié, & qu'il fût possible de le faner & de le serrer dans un tems sec, il seroit pour le cheval une nourriture très-salutaire.

La seconde classe des plantes qui se trouvent dans les prés, compose un foin d'une qualité inférieure au premier, sans être cependant pernicieux à la santé du cheval. Ces plantes sont la cardamine, l'aulnée, le daucus, l'eupatoire, l'euphraise, les especes de pentaphilloïdes, la jacobée, la campanula, le juncago, la leche, la linaire, la lisimachia, les marguerites, le morsus diaboli, la mousse terrestre, la dent de lion, le pouillot, les primeveres, le butomus ou jonc fleuri, le scordium, l'oliet ou treffle sauvage jaune.

La derniere classe est celle des plantes pernicieuses à la santé du cheval, & qu'on doit regarder comme autant de poisons. Ces plantes sont l'aconit, toutes les especes de titimale, la gratiole, la ptarmique, les persicaires, la catapuce, la thlaspic, le thora, le pelus, la sardonia, enfin la douve appellée ranonculus longifolius palustris. Ces plantes malfaisantes, confondues avec les bonnes, brisées, desséchées & bottelées ensemble, ôtent à l'animal le moyen de faire la distinction & le choix des bonnes d'avec les mauvaises ; il mord indifféremment çà & là dans la botte de foin qu'il a devant lui & avec avidité, selon que la faim le presse. Le cheval ayant mangé une certaine quantité de ces mauvaises plantes, il lui survient des tranchées de différens genres ; si elles sont flatueuses, le ventre lui enfle à un degré extraordinaire ; & s'il n'évacue ses vents, il périt en fort peu de tems : si elles sont convulsives, elles sont accompagnées d'une si grande constipation, qu'il ne peut recevoir ou du moins retenir les lavemens qu'on lui donne, ni laisser échapper les matieres stercorales, symptomes presque toûjours mortels. Souvent ce sont des douleurs néphrétiques, que l'on appelle rétention d'urine ; accident occasionné par une inflammation au cou de la vessie, ou à son sphincter. Enfin les accidens sont différens, selon la qualité de la matiere qui les produit. Nous traiterons de chacune de ces maladies, de leur cause & de leurs remedes, en leurs articles. Nous ne les indiquons ici, que pour prouver la malignité d'un foin mêlé de mauvais herbages.

La paille est une espece de fourrage convenable à beaucoup d'animaux domestiques ; elle leur sert à deux usages, à la litiere, & à la nourriture ; & dans l'une & l'autre, elle est essentielle au cheval. Ceux auxquels on en donne le plus au lieu de foin, sont les chevaux qui par leur tempérament ou à cause de leur exercice, demandent une nourriture moins forte & plus legere que le foin : tels sont les chevaux naturellement gros, & les chevaux destinés à la chasse & à la course.

On ne doit leur donner que fort peu de foin, & point du tout à ceux qui sont menacés de la pousse.

Les Espagnols & bien des nations méridionales & orientales, ne donnent à leurs chevaux que de la paille, à cause du peu de foin que ces contrées produisent. Leur paille est fort menue, parce qu'elle est brisée aux piés des chevaux ou des mulets, avec lesquels ils battent leurs grains dans une aire que l'on fait en pleine campagne.

La paille que l'on donne à manger à ces animaux à Paris & aux environs, est la paille de froment ; la plus nourrissante & la plus appétissante est celle qui est blanche, menue & fourrageuse, c'est-à-dire mélangée de bonnes plantes : telles que sont la gesse, le fétu, la fumeterre, le grateron, le laitron, le lisseron, le melilot, l'orobanche, la percepierre, la percefeuille, la tribulle, le pié-de-lievre, la varianella, la scabieuse, la nielle, les especes de psyllium, le rapistrum, la vesce, la bourse à pasteur, la velvote, le coquelicot, &c. Observons cependant que la bonté que ces genres de plantes communiquent à la paille, ne peut compenser le dommage que leurs graines causent au blé & à l'avoine.

La paille peut être gâtée & corrompue par quelqu'orage qui aura versé les blés dans les champs, ou par une pluie continue qui surviendra pendant la moisson, ou parce qu'on l'aura serrée encore humide dans la grange. Cette sorte de paille n'est ni bienfaisante, ni appétissante pour les chevaux.

On donne la paille de différentes manieres. Les Hollandois, les Flamands, les Allemands, & une partie de nos marchands de chevaux la donnent hachée fort menue ; on a pour cela un instrument fait exprès, & un homme exercé à cette manoeuvre ; on mêle cette paille avec du son & de l'avoine ; on prétend que ce mélange engraisse les chevaux, & les remplit. L'expérience des étrangers & des marchands n'a pû nous faire adopter cette espece d'économie, si c'en est une. Non que nous n'ayons fait des tentatives pour la constater ; mais elles n'ont fait que nous persuader le danger qu'il y auroit à suivre dans ce pays-ci la méthode des Hollandois & des Allemands, vû la différence qu'il y a entre le travail que ces gens-là font faire à leurs chevaux, & celui que nous exigeons des nôtres. Ces nations menent leurs chevaux au pas, ou tout au plus au petit trot ; cet exercice modéré ne leur cause point de forte transpiration, il est très-propre à entretenir une parfaite intégrité dans les excrétions & les secrétions, à donner de l'appetit au cheval, & par conséquent à les maintenir gras ; mais d'une graisse sans consistance. Il est avéré que les marchands de chevaux ne font point travailler les leurs, soit crainte qu'il ne leur arrive quelqu'accident, soit pour les entretenir gras, pleins, & polis, & d'une plus belle apparence.

Il est aisé de voir que la paille hachée n'est pas propre à donner de la force aux chevaux : 1°. il faut six mois, & quelquefois un an pour engrainer les chevaux ainsi nourris, au sortir de chez les marchands, avant d'en pouvoir tirer un travail pénible & suivi. 2°. On dresse & l'on éduque les chevaux plus facilement au sortir de chez les marchands, que lorsqu'ils ont été nourris un certain tems avec de l'avoine pure au lieu de paille hachée, & la docilité est souvent chez les chevaux comme ailleurs, une preuve de foiblesse. 3°. Nous observons que la plûpart des chevaux qui sont harassés après un travail outré, soit pour avoir poussé des relais à la chasse, ou au carrosse, soit pour avoir fait quelque course longue & rapide, pour peu qu'ils soient délicats de leur naturel, peuvent à peine manger du foin le plus choisi, & de la meilleure avoine ; à plus forte raison comment pourroient-ils manger ce mélange volumineux de paille hachée avec un picotin d'avoine ? Les plus affamés en mangent à la vérité une petite partie : mais dans ce qu'ils mangent, c'est l'avoine qu'ils choisissent autant qu'il leur est possible, & la paille hachée & le reste de l'avoine sont en pure perte dans la mangeoire, lorsqu'ils ont soufflé dessus. 4°. Il ne peut résulter de cette nourriture que fort peu de chyle, parce qu'il est impossible, comme il est d'expérience, que l'avoine enveloppée dans les parties rameuses du son & les parties irrégulieres de la paille hachée, puisse se triturer assez dans la mastication, pour procurer à l'animal une réparation proportionnée à l'épuisement ; de-là vient que la plûpart des chevaux qui mangent de ce mélange frauduleux, rendent une portion de l'avoine sans être digérée, ni même mâchée. Cette nourriture n'est donc propre que pour les chevaux qui font peu d'ouvrage, & qui sont d'ailleurs grands mangeurs.

L'avoine est sans contredit la principale & la meilleure nourriture des chevaux ; nous en avons de deux especes : la blanche & la noire. Celle-ci est la meilleure, sur-tout si elle est bien nourrie, bien luisante, pesante à la main, sans mélange de mauvaises graines que certaines plantes y déposent ; & si elle n'a point souffert d'altération dans le champ ou dans le grenier.

Les graines étrangeres qui se rencontrent fort souvent mêlées avec l'avoine, & qui dégoûtent le cheval, sont celles de coquelicot, de cardamine, de senevé, de nielle, d'orobanche, de percepierre, de psyllium, de colsas, &c.

Quelque bonne qualité que l'avoine ait par elle-même, ces sortes de graines diminuent beaucoup de sa bonté, au point que les chevaux ne la mangent que difficilement. La semaille de l'avoine, sa culture & sa moisson méritent beaucoup d'attention de la part du laboureur ; il doit sur-tout choisir pour ensemencer son champ, l'avoine pure & exempte des mauvaises graines que nous venons d'indiquer. Mais si malgré son attention quelques-unes de ces sortes de graines se sont glissées dans sa semence, ou que le champ en soit infecté d'ailleurs, il doit avoir le soin de les extirper dès qu'elles sont parvenues à une certaine grandeur.

Quand l'avoine a acquis sa parfaite maturité, le laboureur après l'avoir fauchée ou sciée, doit la laisser étendue sur le champ, pour lui donner le tems de ce qu'on appelle javeller, au moyen de la pluie ou de la rosée. Cette préparation sert à gonfler & à affermir les grains dans leurs épis : mais s'il arrive que la pluie soit abondante & de longue durée, ensorte que l'on soit obligé de laisser l'avoine coupée étendue dans les champs, elle y germe, & souvent une partie y pourrit. Cette altération la rend pernicieuse à la nourriture des chevaux.

Ce n'est point dans les champs que l'avoine acquiert son dernier degré de perfection ; elle demande encore beaucoup de soin dans le grenier. On doit la remuer souvent, non-seulement pour sa conservation, mais encore pour sa perfection. Si l'on néglige cette manoeuvre, qui doit s'exécuter toutes les trois semaines, ou du-moins tous les mois, l'avoine fermente & s'échauffe ; ses principes se developpent, son sel volatil s'exhale en partie ; son huile devient rance, fétide, & acide ; enfin elle tombe dans une espece de putréfaction qui cause aux chevaux les mêmes maladies que le foin corrompu : telles que le farcin, la maladie du feu, la gale, & quelquefois la morve.

Quoique sous le nom de fourrage on n'entende communément que le foin, la paille, & l'avoine, on en cultive cependant deux autres especes, le sainfoin & la luzerne.

Le sainfoin ou bourgogne, est une pâture qui demande un terrein chaud, crayonneux, & sec. On doit le faucher si-tôt qu'il est en graine, sans quoi il depérit, ses feuilles tombent, il ne lui reste que la tige ; pour lors les bestiaux ne le mangent que difficilement, par la raison que cette tige devient seche & coriace, & destituée de sucs nourriciers. Un champ semé de sainfoin dure trois ou quatre ans sans le semer de nouveau ; après ce tems il dégenere en pâturage qui n'est pas même des meilleurs. Le sainfoin ne produit qu'une récolte par an ; le regain ne sert qu'à faire paître les bestiaux ; on donne rarement du sainfoin pur aux chevaux lorsqu'on a le moyen de le mêler avec d'autres fourrages, par la raison qu'il est une nourriture trop foible. Selon M. de Tournefort, cette plante est détersive, atténuante, digestive, apéritive, sudorifique ; qualités par conséquent très-propres à la santé du cheval, & sur-tout si on coupe cette plante avant qu'elle soit trop mûre, c'est-à-dire sitôt qu'elle est en fleur, tems auquel ses feuilles sont encore succulentes, pourvû qu'on ne la donne à manger que mêlée avec du foin.

La luzerne est une des meilleures nourritures que nous ayons pour les chevaux, & nous croyons pouvoir l'égaler au meilleur foin. En vain dit-on qu'elle échauffe ces animaux. On semble fondé à tenir ce langage, en ce qu'elle est très-appétissante & très-nourrissante, que les chevaux en sont fort friands, & qu'elle leur cause des indigestions lorsqu'ils en mangent avec excès ; mais c'est à quoi l'on peut remédier facilement, en ne leur en donnant qu'une quantité mesurée.

Si on voit du terrein propre à semer de la luzerne, on en tireroit un grand produit ; 1°. elle donne beaucoup plus que les prés ordinaires, quand on n'y supposeroit que la premiere récolte. La luzerne fournit trois coupes au-moins par an : la premiere est excellente pour les chevaux ; la seconde est moins bonne, & la troisieme n'est propre que pour les vaches.

Enfin la luzerne se reproduit sans la renouveller huit à neuf ans ; elle demande un terrein, qui sans être sec, ne soit ni aquatique, ni marécageux. Elle produit d'autant plus que le terrein est meilleur ; il y a des pays où elle rapporte quatre ou cinq fois par an ; on n'en recueille la graine qu'à la seconde pousse. Nous croyons que cela dépend de ce que l'on coupe la premiere avant que la plante soit montée en graine. Elle engraisse les chevaux beaucoup mieux qu'aucun autre fourrage. Selon le botaniste que nous avons cité, elle est rafraîchissante, propre à calmer les ardeurs du sang. Columelle dit qu'elle guérit les mulets de plusieurs maladies, & que rien n'est meilleur pour eux lorsqu'ils sont si maigres qu'ils ont la peau collée sur les os. Quoique nous n'ayons point fait cette expérience sur les mulets, celles que nous avons faites sur les chevaux la confirment. Quant aux maladies que cet auteur prétend que la luzerne guérit, il est à présumer que ce ne sont que des suites du marasme ; & comme le marasme ne vient que d'un défaut d'aliment, la luzerne étant très-succulente, doit en guérir les accidens en même tems que la cause.

Le son est un accessoire du fourrage : c'est la partie la plus maigre & la plus terrestre du froment ; on en donne aux chevaux malades & à ceux que l'on prépare à la purgation, & pour leur faire de l'eau blanche, & quelquefois des lavemens ; le son est humectant, rafraîchissant, détersif, & adoucissant ; mais lorsqu'il est vieux, il contracte un mauvais goût : son sel essentiel s'évapore, il n'y reste que la partie huileuse qui devient fétide ; son altération fait que les chevaux n'en mangent point, & ne boivent point l'eau blanche avec lequel elle est faite.

Tous les genres de fourrages dans leur nouveauté doivent être interdits aux chevaux jusqu'après les premieres gelées, & plus long-tems s'il est possible, par la raison que ces sortes d'alimens doivent acquérir dans le grenier leur dernier degré de maturité. Cette élaboration ne peut être exécutée que par un mouvement naturel, & secondé à l'égard de l'avoine par le remuement de la pelle pour expulser de cette graine les principes les plus volatils qui troubleroient le méchanisme de l'économie animale : enfin pour se servir du terme du vulgaire, on ne doit pas faire manger des fourrages aux chevaux, avant qu'ils ayent jetté leur feu.

Si l'avoine nouvelle fermente dans le grenier ainsi que les autres fourrages, comme nous l'avons observé, elle fermente aussi dans le corps du cheval ; ses parties ignées avec les sels acides & alkalis volatils sont très-propres à former un chyle aigre qui sert de germe aussi à quantités de maladies, moins graves à la vérité que celles que produit l'avoine corrompue, mais qui cependant sont toûjours à craindre. Nous avons vû que dans le fourrage le mélange naturel & fortuit des plantes bonnes & mauvaises, est très-dangereux pour les chevaux ; on sent d'ailleurs l'extrême difficulté de purger les prés des herbes pernicieuses qui y naissent ; cependant l'industrie humaine est déjà parvenue à faire des prés artificiels en sainfoin & en luzerne ; on en fait de même de treffle dans le terrein de Flandre. Ne pourroit-on pas proposer à ceux qui ont un intérêt essentiel à recueillir un foin pur, pour procurer à leurs chevaux la nourriture la plus saine, de prendre parmi les herbes qui composent le foin, la classe de celles que nous avons indiquées comme les meilleures, & de ne se servir que de ces graines pour ensemencer leurs prés ? Le choix n'en seroit ni difficile ni coûteux, & procureroit de grands avantages ; cet objet demande d'autant plus d'attention, qu'il importe beaucoup à la conservation & à la santé de celui de tous les animaux, dont la foiblesse industrieuse de l'homme tire le plus de soulagement & de secours.

FOURRAGE, dans l'art militaire, est tout ce qui sert à la nourriture des chevaux des cavaliers & des officiers de l'armée, soit en garnison, soit en campagne.

Fourrager ou aller au fourrage, c'est lorsque les armées sont en campagne, aller chercher dans les champs & dans les villages le grain & les herbes propres à la nourriture des chevaux.

Lorsque des troupes sont commandées pour cette opération, on dit qu'elles vont au fourrage, & l'on dit aussi qu'un champ, une plaine ou un pays ont été fourragés, lorsque les troupes ont enlevé ou consommé tout le fourrage qu'il contenoit. Ceux qui travaillent à couper le fourrage ou à l'enlever des granges & autres lieux où il est renfermé, sont appellés fourrageurs.

Pour que les armées puissent se mettre en campagne, il faut avoir de grandes provisions de fourrage dans les lieux voisins de celui qu'elles doivent occuper, ou bien il faut que la terre soit en état de fournir elle-même ce qui est nécessaire pour la nourriture des chevaux. Comme ce sont les blés qui produisent les fourrages les plus abondans & les plus nourrissans, les armées ne peuvent guere s'assembler que lorsqu'ils ont assez de maturité pour servir à la subsistance des chevaux ; ce qui arrive en France & dans les pays voisins vers le 15 du mois de Mai. Avant ce tems il n'est pas possible de tenir la campagne sans de nombreux magasins de fourrages, qui sont d'une dépense très-considérable, & qui d'ailleurs servent souvent à faire connoître à l'ennemi le côté où l'on se propose de l'attaquer.

Lors donc que la terre est chargée de blés, d'autres différens grains, & d'herbes en état de couper, on envoye les troupes au fourrage.

Pour cet effet les fourrageurs, outre leur mousqueton ou leur épée qu'ils doivent porter chacun pour s'en servir en cas d'attaque, ont aussi des faulx pour couper le fourrage, & des cordes pour le lier & en faire des trousses. Ce sont de grosses & longues bottes du poids de cinq à six cent livres ou environ. On les charge sur les chevaux. Chaque cheval en porte une & le fourrageur par-dessus.

Fourrager de cette maniere en plaine campagne, c'est fourrager au verd ou en verd, parce que tout le fourrage que l'on coupe est verd ; mais lorsque les moissons sont recueillies & qu'il n'y a plus rien dans la campagne, on va prendre le fourrage dans les villages, & l'on dit alors qu'on fourrage en sec, ou au sec.

Dans les fourrages au sec, on prend le grain battu lorsque l'on en trouve, & on le met dans des sacs que l'on porte avec soi pour cet usage. On lie aussi avec des cordes le foin que l'on veut emporter, & l'on en fait des trousses que l'on charge sur le cheval ; le cavalier monte dessus, & il revient tout doucement au camp comme dans le fourrage au verd.

Lorsqu'une armée arrive dans un camp, elle se sert d'abord du fourrage renfermé dans l'enceinte des gardes du camp. Comme il est bien-tôt consommé, on s'arrange pour en aller chercher plus loin.

Pour le faire avec sûreté, le général donne une escorte aux fourrageurs, & il fixe le jour & lieu où doit se faire le fourrage.

L'escorte étant parvenue au lieu du fourrage, on lui fait former une espece d'enceinte qui renferme le terrein que les troupes doivent fourrager. Cette enceinte se nomme la chaîne du fourrage. Elle a beaucoup de ressemblance à celle des troupes qui composent la garde du camp ; c'est-à-dire qu'elle est formée de même de différens corps à portée de se soûtenir les uns & les autres, & d'empêcher que les fourrageurs ne puissent sortir de l'enceinte du fourrage. Comme ces corps n'ont pas la facilité d'être secourus du corps de l'armée comme les gardes du camp, à cause de leur éloignement, on les fait assez nombreux pour qu'ils soient en état de résister aux différens partis ou détachemens que l'ennemi pourroit envoyer pour troubler le fourrage & attaquer les fourrageurs.

Pour régler la force des escortes, il faut savoir quelle est la position de l'ennemi, la facilité qu'il a de se transporter au lieu du fourrage, & le tems dont il a besoin pour cela.

On doit comparer ce tems avec celui qui est nécessaire pour l'exécution du fourrage & pour la retraite des fourrageurs.

Si l'on juge qu'on n'ait rien à craindre que de quelques petits partis de troupes legeres, il suffit alors de former une chaîne de sentinelles & de védetes pour empêcher les fourrageurs de passer du côté de l'ennemi, & de placer seulement dans les lieux les plus exposés, des corps de quarante ou cinquante hommes.

Mais s'il y a un corps considérable de troupes ou un camp-volant de l'ennemi placé ou campé plus près du fourrage que ne l'est le camp de l'armée qui fait fourrager, il faut alors régler la force des escortes sur celles de l'ennemi, & prendre toutes les précautions nécessaires pour l'empêcher de troubler le fourrage, ou du-moins pour être en état de résister à ses attaques, en cas qu'il juge à-propos d'en faire.

Pour juger de l'étendue du terrein que le fourrage doit occuper, il faut, comme le remarque M. le Maréchal de Puységur, savoir le nombre des chevaux qu'il y a dans l'armée, afin de pouvoir évaluer à-peu-près la quantité de rations de fourrage dont on a besoin.

Suivant cet auteur, la nourriture d'un cheval par jour, dans le tems du verd, comme en Mai & en Juin, où l'on fauche les prés & les blés, doit peser de cinquante à soixante livres ; & comme le fourrage devient sec au bout de trois ou quatre jours qu'il est coupé, & qu'alors les chevaux n'en veulent plus, il s'ensuit qu'il faut nécessairement aller au fourrage tous les trois ou quatre jours.

Dans le mois de Juillet, où le grain commence à avoir plus de consistance dans l'épi, il n'est plus besoin d'un poids si pesant pour la nourriture du cheval : c'est pourquoi un moindre nombre de chevaux peut alors suffire à porter le fourrage dont on a besoin.

Lorsqu'on est parvenu à connoître le nombre des rations de fourrage nécessaires pour l'armée, & qu'on sait quelle est la quantité qu'un cheval peut en porter, il est aisé de déterminer le nombre des chevaux qu'il faut envoyer au fourrage ; ou, ce qui est la même chose, le nombre des trousses qu'il faut en rapporter.

Si l'on sait après cela ce qu'il faut de terrein pour faire une trousse, suivant les différentes especes de terres ensemencées, on pourra évaluer à-peu-près l'espace que le fourrage doit embrasser.

Quoique ce calcul ne puisse pas se faire avec précision, il peut servir néanmoins à donner une idée de la grandeur du terrein qu'il faut fourrager.

L'illustre auteur que nous venons de citer prétend que si on trouve qu'une plaine peut fournir, par exemple, vingt mille trousses, il faut les réduire à dix mille, parce que les troupes françoises sont dans l'usage de fourrager sans ordre, & de perdre ou gaspiller la moitié du fourrage ; inconvénient très-grand, auquel il seroit très-important de remédier : car outre qu'il oblige l'armée, pour peu qu'elle séjourne dans un même camp, à aller chercher les fourrages au loin, ce qui fatigue & ruine la cavalerie, il contraint aussi fort souvent le général de changer de camp & de position dans des circonstances où il ne peut le faire sans donner quelqu'avantage sur lui à l'ennemi. Comme les autres nations, & particulierement les Allemands, fourragent avec plus d'ordre & d'oeconomie, peut-être qu'il ne seroit pas impossible de parvenir à les imiter en cela, si l'on vouloit donner à l'exécution du fourrage toute l'attention qu'elle mérite

Avant de donner le détail de l'opération du fourrage, il est à-propos d'observer qu'il y a de grands fourrages & de petits. Les premiers sont ceux qui se font au loin pour toute la cavalerie de l'armée, dont il marche environ les deux tiers ; les autres se font dans l'enceinte des grandes gardes du camp, ou un peu au-delà : lorsqu'ils se font plus loin, c'est seulement par une partie de la cavalerie, comme d'une aîle ou d'une ligne.

Les grands fourrages, ainsi que les petits, peuvent se faire en-avant ou en-arriere de l'armée : comme dans ce dernier cas ils n'exigent pas les mêmes précautions que dans l'autre, parce qu'ils sont couverts de l'armée, nous ne parlerons ici que des grands qui se font en-avant, & nous donnerons un précis des différentes considérations qui peuvent contribuer à leur sûreté : car comme le dit M. le chevalier de Folard, ces sortes de fourrages ne se font qu'avec de grandes précautions & un très-grand art, lorsque les armées sont proches l'une de l'autre.

Exécution du fourrage. Lorsque le lieu que l'on veut fourrager est ouvert, c'est-à-dire qu'il est en plaine ouverte de tous côtés, sans bois ni défilés, les escortes doivent être plus fortes en cavalerie qu'en infanterie. Si au contraire il est couvert en partie de bois, de ravins, ruisseaux, &c. l'infanterie de l'escorte doit être alors plus nombreuse que la cavalerie, parce que la défense de ces sortes de postes la regarde uniquement. Il suit de-là, que pour regler le nombre & la nature des troupes qui doivent servir d'escorte aux fourrageurs, il faut avoir visité avec beaucoup d'attention le terrein que l'on veut fourrager.

Supposant donc que l'officier qui doit commander le fourrage, a pris toutes les précautions nécessaires à cet égard pour se mettre à l'abri des entreprises de l'ennemi, & qu'il a reconnu pour cet effet les différens postes que les troupes doivent occuper ; le jour du fourrage étant venu, si l'armée entiere doit fourrager, comme on le suppose ici, le commandant des fourrages fait partir les escortes à la pointe du jour, ou pendant la nuit, suivant la distance du camp au lieu où le fourrage doit se faire, ou selon qu'on veut cacher ses desseins à l'ennemi.

Les escortes partent toûjours quelque tems avant les fourrageurs, afin qu'elles puissent former la chaîne ou l'enceinte du fourrage avant leur arrivée, & s'assûrer des postes qu'elles doivent garder.

Les escortes partent ordinairement du camp sur deux colonnes, dont l'une sort par la droite & l'autre par la gauche. L'officier qui les commande, qui communément est un maréchal de camp, se met à la tête de celle de ces colonnes qu'il juge à-propos ; & le principal officier après lui, se charge de la conduite de l'autre. Elles marchent chacune de leur côté vers le lieu du fourrage : lorsqu'elles y sont arrivées, elles se réunissent vers le lieu le plus avancé du fourrage, en formant chacune la moitié de la chaîne qui doit le renfermer ; ce qui se fait de cette maniere.

A mesure que le commandant de chaque colonne passe à portée de l'endroit où il doit poster une troupe, il en donne l'ordre à l'officier qui la commande, ou à un autre qu'il choisit pour cet effet, lequel la fait rester dans cet endroit, & prendre la position qu'elle doit avoir.

On observe de prendre à la queue de chaque colonne les troupes qui doivent occuper les premiers postes, afin que les têtes des colonnes ne souffrent point de retardement dans leur marche, & qu'elles se réunissent ensemble pour fermer le milieu de l'enceinte ou de la chaîne du fourrage.

Comme les têtes des deux colonnes précédentes occupent la partie de l'enceinte la plus avancée du côté de l'ennemi, & par conséquent la plus exposée, le commandant du fourrage, outre les troupes qui forment la chaîne, en tient encore ordinairement en cet endroit d'autres particulieres pour le fortifier davantage, pour servir de reserves en cas qu'il soit nécessaire de porter du secours dans quelqu'autre partie de l'enceinte.

L'officier qui commande le fourrage doit prendre son poste vers le point de réunion des têtes des colonnes : c'est-là qu'on doit le trouver pour l'informer de tout ce qui peut arriver dans l'opération du fourrage, & pour prendre ses ordres. S'il veut néanmoins se promener dans l'enceinte du fourrage, pour examiner si les gardes sont bien postées & en bon état, il doit laisser des officiers à son poste, chargés de lui amener tous ceux qui auroient à lui parler, & à lui donner des avis sur les démarches de l'ennemi. Pour en être informé plus exactement, il est à-propos qu'il ait de petits partis de troupes legeres qui rodent continuellement entre le camp de l'ennemi & le lieu du fourrage.

L'heure prescrite par le général pour le départ des fourrageurs étant arrivée, on les fait sortir en ordre du camp, distingués par régimens & brigades.

A la tête de chaque régiment de cavalerie & de dragons, il y a un officier accompagné de quelques cavaliers armés, qui forment ce que l'on appelle petite escorte ; les colonels & les brigadiers qui vont au fourrage, se mettent à la tête de ces petits corps. Les domestiques des officiers de cavalerie & de dragons marchent immédiatement après les cavaliers ou les dragons de leur régiment ou de leur escadron. A l'égard des domestiques des officiers de l'infanterie, ils s'assemblent également par régiment, & ils ont de même des officiers de leur corps à leur tête, pour les commander.

Les fourrageurs du quartier général se réunissent aussi en corps pour aller au fourrage ; ils y sont conduits par des officiers particuliers chargés de veiller sur eux. Il en est de même des fourrages de l'artillerie & des vivres.

Tous ces différens corps de fourrageurs marchent en ordre sur le nombre de colonnes reglées par le commandant du fourrage. Lorsqu'ils sont arrivés sur le terrein qu'on doit fourrager, on leur permet, si la chaîne est formée, de se séparer, & d'entrer dans les fourrages qu'ils doivent couper ; ce qu'ils exécutent aussi-tôt au grand galop.

Ils se répandent dans la plaine, à-peu-près de la même maniere qu'un torrent qui auroit rompu ses digues ; & à mesure qu'ils arrivent dans les endroits où ils croyent devoir s'arrêter, ils se jettent à terre promtement, & ils désignent le terrein qu'ils veulent fourrager, en coupant avec la faux le dessus de l'herbe ou des grains de l'enceinte de ce terrein.

Tout endroit ainsi marqué appartient à celui ou à ceux qui en ont pris possession de cette maniere. Les autres fourrageurs vont plus loin s'approprier également le terrein dont ils ont besoin, ou dont ils jugent avoir besoin. Comme chacun d'eux détermine ainsi à sa volonté l'espace qu'il veut fourrager, il arrive presque toûjours que cet espace est plus grand qu'il ne faut ; ce qui oblige d'augmenter, & par conséquent d'affoiblir la chaîne du fourrage ; que d'ailleurs tout n'est pas coupé exactement ou avec soin, & qu'il y en a beaucoup de foulé aux piés des chevaux, & de gâté inutilement.

Pendant l'exécution du fourrage, les petites escortes se promenent dans l'enceinte, pour observer les fourrageurs de leurs régimens, & empêcher le desordre & les disputes qui pourroient s'élever entre eux.

Après que les commandans des petites escortes ont reconnu toute la disposition intérieure du fourrage, ils placent ces escortes dans les lieux les plus propres à découvrir tout ce qui se passe dans son étendue, afin de pouvoir se transporter promtement par-tout où on peut en avoir besoin, & d'agir même contre les ennemis, s'il y en a qui veulent inquiéter les fourrageurs.

Si-tôt que les fourrageurs ont marqué l'enceinte du terrein qu'ils veulent fourrager, ils le fauchent le plus promtement qu'il leur est possible.

Pendant cette opération, leurs chevaux qui y sont renfermés, repaissent & se reposent : lorsqu'elle est finie, ils font leurs trousses, ils les chargent sur les chevaux, & ils montent dessus pour regagner tranquillement le camp de l'armée.

On a observé que le tems de l'exécution du fourrage, depuis l'arrivée des fourrageurs dans le lieu où il doit se faire jusqu'à ce qu'ils soient prêts à partir pour retourner au camp, n'est que d'environ deux heures, pourvû toutefois qu'on ait soin d'empêcher les fourrageurs de courir aux légumes, & de s'amuser autour des villages pour chercher à piller.

Les petites escortes de chaque régiment se mettent en mouvement dès que leurs fourrageurs commencent à défiler : quand ils sont entiérement sortis du lieu qu'on a fourragé, elles les suivent pour y entretenir le bon ordre, & les empêcher de s'amuser en chemin.

Les fourrageurs étant tous retirés, le commandant du fourrage donne les ordres nécessaires pour réunir les troupes qui en ont formé la chaîne : il fait ensuite la retraite avec ces troupes, observant de ne laisser aucuns fourrageurs ou traîneurs en arriere.

Dans les fourrages au sec, on va chercher dans les villages les provisions que l'on ne trouve plus sur la terre ou dans la plaine. Souvent chaque brigade a ordre d'aller fourrager à un village déterminé ; alors les autres brigades ne peuvent venir dans le même lieu. Il résulte de cet arrangement beaucoup plus d'ordre & de police dans l'exécution du fourrage, parce que les chefs sont plus à portée d'y veiller.

Pour que cette opération se fasse sûrement, il faut avoir reconnu le pays auparavant, soit par soi-même, soit par le rapport des espions ou des différens partis qu'on y aura fait roder, commandés par des officiers intelligens.

Si l'on avoit tout le tems nécessaire, on pourroit, comme le propose M. le Maréchal de Puységur, aller examiner dans les granges de chaque village qu'on a dessein de fourrager, la quantité de fourrage qu'on en peut tirer : mais cet examen est presque impossible, tant par le tems qu'il exige, que parce qu'il faudroit mettre ensuite des gardes dans toutes les granges, pour empêcher les paysans d'en enlever le fourrage ou le grain, qu'ils enfoüissent souvent dans la terre, lorsqu'ils se croyent à portée d'être fourragés.

Pour éviter cet inconvénient, il faut que l'arrivée des fourrageurs dans les villages ne puisse pas être prévûe ; & alors on ne peut savoir ce qu'ils contiennent de fourrage, que par les lumieres qu'on peut tirer des gens du pays ; s'informant, dit M. le Maréchal de Puységur, combien le village nourrit de bêtes à corne ou de chevaux pendant l'hyver ; si les récoltes qu'il fait sont suffisantes pour ses différentes provisions, ou s'il est obligé d'en tirer d'ailleurs. On peut par-là avoir une idée de la quantité de fourrage qu'on peut trouver dans un village, & évaluer en conséquence le nombre de fourrageurs auxquels on peut l'abandonner.

Au lieu de laisser les fourrageurs se répandre ou se disperser dans un village pour en enlever le fourrage, on peut obliger les chefs du lieu à faire amener à la tête du village toutes les provisions qu'on peut en tirer. Lorsqu'on prend les précautions nécessaires pour qu'ils l'exécutent exactement & fidelement, le fourrage se fait bien plus promtement. Alors les cavaliers ont moins d'occasions de s'écarter dans les maisons pour y piller au lieu de fourrager : ce qui n'arrive que trop souvent.

Dans le fourrage au sec, il faut, comme dans celui qui est au verd, former une chaîne pour la sûreté du fourrage, & pour empêcher les fourrageurs libertins de se répandre dans le pays.

Comme on trouve dans les villages le fourrage de tout le terrein qui en dépend, un petit nombre de villages peut fournir celui dont on a besoin. Par conséquent la chaîne peut avoir moins d'étendue que dans les fourrages au verd : mais elle doit toûjours renfermer exactement les villages qu'on veut fourrager. Si ceux qu'on a renfermés d'abord ne sont pas suffisans, le commandant du fourrage fait étendre la chaîne pour en comprendre d'autres dedans ; il faut éviter de recourir à cet expédient, parce qu'il dérange l'ordre des postes, qu'il fatigue l'escorte, & que le fourrage est alors d'une expédition moins promte.

La retraite se fait dans les fourrages au sec de la même maniere que dans ceux qui se font au verd ; c'est-à-dire qu'à mesure que les fourrageurs d'un régiment ont chargé le fourrage sur leurs chevaux, ils partent aussi-tôt suivis des petites escortes de leurs régimens ; & qu'à mesure qu'un village est évacué, l'escorte qui forme la chaîne du fourrage, doit se resserrer pour se mettre en état de marcher à la suite de tous les fourrageurs.

Considérations qui servent de regles ou de principes pour la sûreté des fourrages. 1°. On peut compter d'abord sur l'ignorance de l'ennemi, qui ne sait ni le jour que l'armée doit fourrager, ni le lieu où elle doit aller, lorsqu'on prend la précaution de ne le point déclarer.

Quand il seroit instruit du jour du fourrage, à moins qu'il ne le soit aussi à-peu-près du lieu où il doit se faire, il ne sera pas à portée de venir le troubler.

S'il a plusieurs partis ou détachemens en campagne pour le découvrir, il faut que ces détachemens non-seulement rencontrent les fourrageurs, mais qu'ils puissent les suivre pour s'assûrer exactement du lieu que l'on va fourrager ; ce qui demande trop de tems pour que l'ennemi en soit informé assez tôt pour venir tomber en force sur les fourrageurs pendant l'opération du fourrage.

S'il se contente d'y envoyer des troupes legeres, l'escorte des fourrageurs sera en état de leur résister. Ainsi en observant le secret sur le jour & le lieu du fourrage, on empêche ordinairement que l'ennemi ne prenne des mesures pour le troubler.

2°. On fait ensorte de savoir le jour que l'ennemi doit aller lui-même au fourrage ; si l'on en est instruit, on peut s'assûrer qu'il s'occupera du sien, & qu'il ne cherchera pas à troubler le vôtre. Mais il faut bien prendre garde que ce ne soit une ruse de sa part pour vous engager d'envoyer vos troupes au fourrage, & tomber sur vous avec les siennes : c'est ce qui demande bien de l'attention, lorsque les armées ne sont qu'à très-peu de distance l'une de l'autre.

3°. Comme le général a toûjours des espions dans le camp de l'ennemi, il faut qu'ils ayent soin d'observer les différens détachemens qui en sortent, & de lui en donner avis aussi-tôt, en lui marquant le chemin que ces détachemens leur ont paru prendre. Par cette précaution le général, lorsque ses espions le servent bien, c'est-à-dire lorsqu'il les choisit intelligens & qu'il les paye bien, peut juger de l'objet de l'ennemi ; s'il croit qu'il ait dessein de tomber sur les fourrageurs, il leur envoye des ordres pour les faire retirer promtement.

4°. Si le général apprend que l'ennemi marche en force pour troubler le fourrage, & que cette nouvelle arrive avant que les fourrageurs puissent être parvenus au lieu du fourrage, il envoye aussi-tôt au-devant d'eux pour les arrêter, & si l'on présume qu'ils y soient arrivés, on leur fait les signaux convenus, pour les rappeller ou les faire retirer. Ces signaux se font ordinairement par un certain nombre de décharges de pieces de canon.

Si c'est le commandant du fourrage qui soit informé par ses partis, que l'ennemi s'avance en bon ordre pour l'attaquer avec un nombre de troupes supérieures aux siennes, il fait retirer promtement les fourrageurs, & il envoye au camp pour en instruire le général, & lui demander du secours, pour assûrer & protéger sa retraite ; en attendant il rassemble toutes les escortes, & il leur fait prendre le chemin du camp dans le meilleur ordre qui lui est possible.

Lorsque les ennemis qui marchent contre un fourrage sont en grand nombre, il est rare que le pays leur permette de marcher sur un assez grand front pour arriver ensemble. Si le terrein leur est favorable pour cela, il est au-moins difficile de marcher alors avec ordre & vîtesse. Les différens corps de l'armée ou du détachement de l'ennemi, se trouvent dans l'obligation de s'attendre les uns & les autres : pendant ce tems le commandant du fourrage, dont la marche est plus legere, fait sa retraite ou se met à-portée du secours que le général lui envoye.

Si l'ennemi détache quelques troupes en-avant pour commencer l'attaque & retarder la marche des fourrageurs ; pendant qu'il s'avance plus lentement avec le gros de son détachement, le commandant du fourrage doit faire ensorte que la retraite ne soit point interrompue ; & pour se débarrasser des ennemis qui le harcelent, réunir à la queue des fourrageurs un nombre de troupes de l'escorte, supérieur aux détachemens ou aux partis de l'ennemi ; & lorsque ces partis se trouvent à-portée d'être attaqués, on les fait charger vigoureusement, en recommandant expressément aux troupes de l'escorte de ne pas s'abandonner à leur poursuite, mais de rejoindre la queue des fourrageurs aussi-tôt qu'elles auront rompu celles de l'ennemi, de maniere qu'elles ne puissent pas se rallier aisément. On en use ainsi, afin que les troupes de l'escorte ne cessent point de couvrir la retraite des fourrageurs, & qu'elles soient toûjours en état de s'opposer aux nouvelles entreprises que l'ennemi pourroit faire contre eux.

5°. Lorsque l'ennemi se trouve obligé pour interrompre ou troubler un fourrage, de s'éloigner de son camp d'une distance trop considérable pour en être aisément secouru dans le besoin, il arrive rarement qu'il ose le tenter ; parce qu'il ne peut guere le faire sans s'exposer à être battu : car comme il est difficile qu'il soit exactement informé de la force des troupes qui composent l'escorte, il peut arriver qu'elles soient supérieures aux siennes, & qu'elles le laissent s'engager dans le pays pour lui fermer la retraite & le défaire entierement. Un général prudent ne s'expose pas à cet inconvénient ; c'est pourquoi il ne cherche guere à troubler les fourrages qui se font loin de son camp, au-moins avec de gros corps de troupes ; il se contente d'y envoyer quelquefois des troupes legeres, & alors les escortes bien placées & bien commandées, sont suffisantes pour la sûreté des fourrageurs.

6°. Lorsque le général est plus fort en cavalerie que son ennemi, & qu'il ne craint point de s'engager à combattre, il peut se hasarder davantage dans les fourrages qu'on ne l'a supposé ici.

Il peut mener sa cavalerie du côté de l'ennemi ; & s'il ne voit point de mouvement dans son camp, faire mettre pié à terre à une partie de son monde pour fourrager, pendant que l'autre qui est sous les armes, tient l'ennemi en respect. S'il se met en devoir d'attaquer les troupes qui couvrent les fourrageurs, ceux-ci laissent-là aussi-tôt le fourrage, se mettent en selle, & se présentent avec les autres pour combattre.

Mais si le général a des raisons particulieres pour ne point engager une action, il prend de bonne-heure les précautions convenables pour n'être point entamé dans sa retraite.

Pour cet effet il envoye de gros détachemens d'infanterie dans les bois, les villages, & les différens défilés, par où il doit se retirer. Il est à-propos que ces détachemens ayent avec eux plusieurs pieces de canon : on en impose alors davantage à l'ennemi, & l'on ralentit l'activité de sa poursuite. On doit aussi y joindre quelques troupes de cavalerie pour soûtenir la retraite de ces détachemens.

Lorsqu'en se retirant d'un endroit qu'on a fourragé on craint que l'ennemi ne tombe sur la queue des fourrageurs, la meilleure partie de l'escorte doit être à l'arriere-garde, mais s'il peut tomber sur le flanc de la marche, il faut qu'il y ait différens corps de troupes legeres qui rodent continuellement sur ce flanc, pour découvrir de bonne-heure les mouvemens de l'ennemi, & pour en avertir le commandant du fourrage. Il fait aussi-tôt les dispositions nécessaires pour s'opposer aux desseins de l'ennemi, & faire ensorte que la retraite des fourrageurs ne soit point interrompue.

Il y auroit encore beaucoup d'autres choses à dire sur l'opération du fourrage ; mais on a voulu se renfermer ici dans les principales observations qui peuvent servir de regles ou de principes pour l'exécuter sûrement. On renvoye pour le reste au livre de M. le maréchal de Puységur, tom. I. pag. 398. & tom. II. pag. 63. On pourra lire aussi très-utilement le xj. chapitre du XI. tome des réflexions militaires de M. le marquis de Santa-Crux ; ce que M. le chevalier de Folard dit sur les fourrages, pag. 341. & suiv. dans le quatrieme volume de son commentaire sur Polybe ; & les mémoires sur la guerre, de M. le Marquis de Feuquiere.

Lorsque le roi fait fournir du fourrage aux troupes, soit dans les villes ou dans les marches, la ration pour chaque cheval est de vingt livres de foin, & d'un boisseau d'avoine mesure de Paris. Voyez RATION & ETAPE. (Q)


FOURRÉpart. Voyez FOURRER.

FOURRE, (Jard.) se dit d'un bois épais & très-garni. (K)

* FOURRE, (à la Monnoie) piece imitant la véritable monnoie, par une feuille d'or ou d'argent qui la recouvre. On reconnoît facilement dans le commerce une piece fourrée, par la comparaison du volume & du poids. Ceux qui en fabriquent ou en répandent dans le commerce, sont punis de mort.

* FOURRE, (Bijouterie & Orfévrerie) On dit qu'un bijou est fourré ou garni, lorsqu'il y a quelque corps étranger, de vil prix, & non apparent, couvert & dérobé par l'émail, l'or ou l'argent. Les bijoux fourrés avoient d'abord été proscrits par la cour des monnoies ; mais sur la représentation du tort considérable que cet arrêt faisoit au commerce de la nation, le conseil a révoqué l'arrêt de la cour des monnoies, & permis la fabrication des bijoux garnis, comme ouvrages où la considération de la matiere n'étoit presque de nulle importance, en comparaison du prix de la façon.


FOURREAUS. m. ce mot a l'acception commune de gaîne & d'étui, celle de contenir, couvrir, envelopper, préserver ; mais avec l'acception particuliere d'être long, qui le distingue de gaîne, & de n'avoir point de couvercle, qui le distingue d'étui.

FOURREAU, les Artificiers appellent ainsi le grand cartouche des trompes, qui renferme plusieurs pots-à-feu entassés les uns sur les autres. Voyez TROMPE & POT-A-FEU.

* FOURREAU D'EPEE, (Fourbisseur) espece de gaîne, d'étui ou d'enveloppe, qui sert à couvrir la lame & à la garantir de l'humidité. Voyez EPEE. Le faux-fourreau est une longue enveloppe ou gaîne de peau qui garantit le fourreau, comme le fourreau garantit l'épée.

* FOURREAU, en termes de Batteur-d'or, c'est une espece d'étui sans fond, composé de vélin, dont on enveloppe les outils pour que les feuilles ne se dérangent point. On en met toûjours deux en sens contraire ; ensorte que la partie de l'outil qui n'est pas renfermée dans l'un, l'est par l'autre, & qu'il n'y a jamais qu'un côté qui ne le soit par aucun. On fait glisser l'outil des fourreaux, en le prenant & en le poussant vers l'ouverture, pour examiner dans quel état est l'or.

* FOURREAU, (Bourrelier) c'est une espece d'étui de peau, ou même de cuir, qui couvre la portion du trait qui correspond au flanc du cheval, & qui empêche que cette partie ne soit dépouillée de son poil par le frottement du trait.

* FOURREAU, (Ceinturier) papier, parchemin ou autre corps flexible & mou, qu'on roule & qu'on place dans les pendans d'un baudrier, pour les soûtenir & en conserver la forme.

* FOURREAU, (Econ. rustiq.) il se dit des feuilles qui couvrent l'épi du froment, de l'orge & des autres graines, lorsqu'il n'est pas encore formé ni sorti.

FOURREAU, (Manege & Maréchall.) La partie que dans le cheval nous nommons le fourreau, n'est autre chose que l'espece de gaîne qui en recele & qui en recouvre le membre. Cette gaîne dont la situation est suffisamment connue, est un prolongement de la peau ; extérieurement elle se présente comme une sorte de poche flottante, d'une consistance très-forte & très-épaisse, qui cede sans s'étendre dans le tems de l'érection, & qui paroît ouverte sur le devant lorsque le membre est retiré. Son orifice a la forme d'un bourrelet ; il est garni d'un plus ou moins grand nombre de rides & de plis différens. C'est sur la portion inférieure de ce même bourrelet, que l'on découvre dans quelques chevaux deux sortes de mamelons assez voisins l'un de l'autre ; d'où il n'est pas étonnant que l'on ait pensé qu'il en est qui ne sont pas absolument dépourvûs de mammelles, mais d'où il est singulier que l'on ait voulu conclure que ceux dans lesquels on n'observe aucune élévation qui puisse les annoncer, n'en ont pas toûjours été privés. Aristote a usé de plus de réserve. Lorsqu'il n'en a pas apperçu la plus legere trace, il n'a pas cru devoir supposer qu'elles avoient existé, & qu'elles étoient affaissées ou détruites par l'âge : j'ai vû d'ailleurs une multitude de jeunes chevaux, dans lesquels malgré les recherches les plus scrupuleuses, je n'ai jamais pû en reconnoître le moindre vestige. Je ne sai au surplus si ce grand naturaliste a parlé d'après des observations exactes & répétées, lorsqu'il a dit : equi mammas non habent, nisi qui matri similes prodiere.

Le fourreau est ordinairement dénué de poil. Comme il est dans la peau du membre une quantité de cryptes folliculeux du genre des glandes sebacées, que dans l'homme nous nommons glandes odoriférantes de Tyson, & qui filtrent une humeur grasse & très-fétide, dont l'amas & le séjour peut causer des inflammations, il importe extrêmement de laver & de nettoyer avec soin cette poche. Voyez PANSER. Il arrive souvent aussi qu'elle paroît enflée, sur-tout après que l'animal a séjourné long-tems dans l'écurie : ces sortes d'enflures auxquelles les chevaux entiers sont plus sujets que les chevaux hongres, ne résistent jamais aux bains de riviere, & à un exercice modéré. Ceux qui ne seront point à-portée d'avoir recours à ces bains, étuveront fréquemment cette partie avec de l'eau fraîche ; ce qui produira les mêmes effets. (e)


FOURRÉES. f. terme de Pêche, bas parcs que les pêcheurs forment sur les sables dans des terreins convenables, comme les fonds qui vont en pente. Pour cet effet ils plantent des pieux de deux, trois, & quatre piés de haut, à sept à huit piés de distance les uns des autres, en forme de fer à cheval qui se recourberoit vers ses deux extrémités. Ils amarrent sur ces pieux des filets d'une hauteur proportionnée, par le moyen d'un tourmort haut & bas ; & pour que les filets s'appliquent plus exactement sur le fond, on en ensable le pié, ensorte que rien ne peut s'échapper par-dessous. La marée montant rapidement sur les bas-fonds, y porte le poisson ; mais quand elle vient à se retirer, alors ce poisson rencontre le filet qui le retient, & les pêcheurs le prennent à sec. La quantité en est quelquefois très-considérable. Les pêcheurs contreviennent en deux points aux ordonnances. Le premier en ne donnant pas à leur maille l'étendue de deux pouces en quarré ; & le second en ensablant le pié du filet. Il s'ensuit de-là que la fourrée retient une multitude de petit poisson qui périt, & qui s'échapperoit. Voyez les Planches de Pêche.


FOURRERv. act. c'est garnir de fourrure. Voyez les articles FOURRE & FOURRURE. Il se dit aussi pour faire entrer à force. On ne peut rien fourrer de plus dans cette malle. On ne peut rien fourrer dans cette tête. Fourrer, c'est dérober sous une marchandise de prix, une autre marchandise de moindre valeur. Voyez l'article FOURRE.


FOURREUou PELLETIER, s. m. (Art méchaniq.) celui qui achete, vend, apprête & employe à différens ouvrages, des peaux en poil.

L'art du pelletier-fourreur est plein de manoeuvres ignorées, que nous allons décrire le plus exactement qu'il nous sera possible.

Dans les grandes villes, les pelletiers ne passent point eux-mêmes leurs peaux. Ils se reposent de ce travail sur des ouvriers particuliers qu'ils appellent habilleurs. Mais dans les villes de provinces ils sont obligés de faire tout par leurs mains, l'habillage ainsi que le reste de l'ouvrage.

Pour habiller, il faut au pelletier un couteau dont la lame soit de quatre pouces de longueur, sur un pouce & demi de largeur ; qui ait le dos abattu en chamfrain, sur la pointe, de la longueur d'un pouce & demi, & le manche avancé jusqu'à la moitié de la largeur de la lame, de niveau avec le dos, de huit lignes de longueur, sur six d'épaisseur & autant de largeur. Cet instrument porte environ une ligne & demie d'épaisseur sur le dos.

Pour le tenir d'une façon commode au travail, il faut que le pouce de la droite soit appliqué sur le côté de la lame qui lui correspond ; que l'index appuie sur le dos ; que le second doigt pose sur la platine du manche ; & que le troisieme soit étendu & couché sur le petit doigt, afin de tendre la peau, & la couper sans attaquer le poil. Tandis que le couteau travaille de la main droite, la main gauche soûtient ce que l'on a coupé.

Les autres instrumens du fourreur sont une regle de 30 pouces de longueur, divisée par pouces ; il s'en sert pour donner à son manchon les dimensions convenables.

Une paire de ciseaux semblables à ceux des Perruquiers ; des carrelets à trois quarts, des gros & des fins. Les carrelets sont des aiguilles dont il se sert aux endroits où la peau est épaisse.

Nous avons donné, en parlant du couteau du fourreur, la maniere d'habiller les peaux, ou de les détacher de l'animal. Il s'agit maintenant de les passer.

Pour cet effet vous commencerez par les plier en deux depuis la tête jusqu'à la queue que les ouvriers appellent la culée ; vous prendrez votre carrelet, & les coudrez tout autour, le poil en-dedans : ce qui s'appellent bourser les peaux.

Quand elles seront boursées, vous prendrez de la soupe ou bouillon de tripe, ou de l'urine, & vous les mouillerez bien. Si ce sont des peaux d'ours, de loups, ou de chiens, il faudra les mouiller à deux reprises, c'est-à-dire qu'après les avoir mouillées une premiere fois, vous les laisserez environ huit heures les unes sur les autres dans un endroit frais ; les mouillerez une seconde fois, & les laisserez reposer en pile le même intervalle de tems : il faut voir en les mouillant, s'il n'y a point d'endroits qui ayent pris plus d'humidité que d'autres ; si on humectoit ces endroits davantage, on ne pourroit passer la peau.

Lorsque vous vous serez assûré que les peaux ont bien bû leurs eaux, vous en prendrez trois ou quatre à-la-fois : si ce sont des peaux de loup, vous les mettrez dans un tonneau défoncé d'un bout. Vous pancherez le tonneau, afin que les peaux se trouvent sur le fond qui reste ; comme sur un plan incliné. Ce tonneau doit être regardé comme une espece de moulin à foulon. Un ouvrier nud depuis la ceinture jusqu'aux piés, entrera dans ce tonneau ; il se ceindra le corps d'un drap ou d'une sarpilliere qu'il rabattra sur l'ouverture du tonneau. On liera la sarpilliere sur le tonneau. Alors il commencera à fouler les peaux avec ses piés. Les peaux s'échaufferont ; & la sarpilliere qui couvre l'ouverture du tonneau, empêchera que la chaleur ne se dissipe. On foule les peaux pendant deux heures.

Après qu'on les a foulées, on les retire du tonneau. On a du marc d'huile d'olive, ou de la graisse, mais le marc d'huile vaut mieux ; on en oint par-tout les peaux. Cependant on a mis un rechaud avec du feu dans le tonneau ; quand il est échauffé suffisamment, on ôte le rechaud. On remet les peaux dans le tonneau ; l'ouvrier y rentre avec la sarpilliere qui est attachée autour de sa ceinture, & qu'on lie sur le tonneau, comme on avoit fait la premiere fois ; & les peaux sont encore foulées pendant deux heures.

Cela fait, il faut triballer les peaux. Cette manoeuvre a pris son nom de l'instrument qu'on employe, & qu'on appelle triballe. La triballe est un morceau de fer, tout semblable à celui dont on se sert à la campagne pour travailler le chanvre. Il a 18 pouces de hauteur, 3 de largeur, & 2 de branches ; sur le dos 5 lignes d'épaisseur ; mais cette épaisseur va toûjours en diminuant, comme si l'instrument devoit se terminer par un tranchant ; mais il est mousse & ne coupe point. La différence de la triballe & du fer des filassiers, c'est que la triballe a son espece de tranchant ou de côté menu, en-dedans des branches, & le dos tourné à l'ouvrier.

Pour triballer, l'ouvrier prend une peau tout au sortir du tonneau ; il a enfoncé les branches de sa triballe dans un poteau, ou dans un mur ; pour cet effet ces branches sont pointues par chaque bout, & sont longues d'environ 3 pouces. Il passe sa peau sous la lame de la triballe, entre cette lame & le poteau ; il en tient le milieu de la main droite, & la tête de la main gauche, sans être débousée ; il avance le pié gauche du côté du mur ; il retire le pié droit en-arriere : lâchant la peau & la conduisant de la main gauche, & la tirant fortement de la main droite, il la fait aller & venir sur la triballe contre laquelle tout le poids de son corps qu'il jette en-arriere à chaque mouvement, la tient appliquée.

On triballe de toutes ses forces les peaux de chien & de loup. On ne risque point de les déchirer. Il faut travailler les autres avec plus de ménagement.

L'action de triballer les peaux les corrompt & les assouplit, peut-être même aide encore à leur faire prendre l'huile qu'elles ont commencé à boire dans le tonneau à fouler.

Lorsque les peaux sont triballées, on les débouse, on les étend sur leur large. On a un chevalet tel que celui des Chamoiseurs, en dos d'âne, à demi-rond, ou convexe en-dessus, & concave par dessous ; ce chevalet doit avoir 5 à 6 piés de longueur. Vous le placez appuyé d'un bout contre le mur : vous élevez l'autre à la hauteur de votre estomac, par le moyen d'une espece de croix de saint André, qu'on appelle la gambette ; vous étendez votre peau de loup ou de chien sur le chevalet ; vous prenez un couteau à deux manches, qui ait depuis 22 jusqu'à 23 pouces de long, y compris les manches, dont la lame ait deux pouces & demi de large, & six lignes d'épaisseur au dos. Ce couteau qui est un peu concave du côté du taillant, pour pouvoir prendre la rondeur du chevalet, s'appelle couteau à écharner. Il ne coupe pas sur toute sa longueur, mais seulement d'un de ses bouts jusqu'au milieu. Vous pressez votre ventre contre la peau que vous arrêtez ainsi sur le chevalet. Vous appliquez dessus le concave de votre couteau, du côté de la chair ; vous la raclez avec la partie qui ne coupe point, afin de corrompre la chair & en préparer la séparation d'avec le cuir. Vous travaillez ensuite avec la partie tranchante, appuyant également & legerement, & craignant toûjours d'endommager la peau. Vous continuerez d'écharner, jusqu'à ce que vous apperceviez à la peau de petits points noirs. Ces points sont la racine du poil. Si vous continuez l'action du couteau, vous détacherez le poil du cuir ; & votre peau aura alors le défaut que les ouvriers désignent, quand ils disent d'une peau, qu'elle lâche.

Quand la peau est écharnée, vous la prenez, l'agitez en l'air de la main gauche, & avec une baguette que vous tenez de la droite, vous la frappez sur le poil, afin de le faire relever. Ayez ensuite un tonneau traversé de part en part des deux fonds, par un axe, à l'un des bouts duquel il y a une manivelle ; que ce tonneau soit soûtenu comme une roue, & puisse tourner sur lui-même ; qu'il y ait à son flanc une ouverture de huit pouces en quarré, avec une porte pour la fermer. Ayez du plâtre pulvérisé bien menu : faites-le chauffer d'une chaleur à pouvoir y supporter la main, & à ne point brûler le cuir ; mettez-le dans le tonneau avec les peaux, & faites tourner le tonneau lentement, ensorte que le plâtre s'insinue entre les poils de la peau, & les dégraisse. Pour empêcher que les peaux ne se tortillent sur elles-mêmes dans le tonneau, on y a pratiqué à sa surface, en différens endroits, des trous, où sont enfoncées des chevilles ou broches de bois qui entrent dans le tonneau d'environ 5 pouces de long.

On peut travailler ainsi quatre à cinq peaux de loup à-la-fois. Il faut pour ce nombre de peaux, un demi-boisseau de plâtre. On tourne ainsi les peaux pendant un quart d'heure : on les retire ; on les bat avec la baguette ou contre le mur, pour en faire tomber la grosse poussiere ; on les rebat avec la baguette ; on les repasse une seconde fois dans le tonneau avec le plâtre en poudre, ou de la cendre de motte de tan, ou des cendres ordinaires, mais de préférence avec le plâtre ; on les rebat, & on passe à une autre manoeuvre.

Nous observerons seulement sur celle-ci qu'elle a lieu pour les renards, les chats sauvages, les domestiques, & autres ; les foüines, les martes de France, &c. avec cette différence que ces dernieres peaux se dégraissent séparément ; au lieu qu'on peut travailler les autres ensemble.

Quand vous aurez si bien battu vos peaux dégraissées qu'il n'en sorte plus de poussiere, vous les tirerez au fer. Pour cet effet ayez un fer de pelletier. Cet instrument ou lame a 25 pouces de longueur, sur 6 de largeur ; il a le taillant en dos d'ane ; il vient en diminuant vers ses extrémités, où il n'a guere que trois pouces & demi de largeur ; il a 4 à 5 lignes d'épaisseur sur le dos ; cette épaisseur est la même jusqu'au milieu de la largeur de la lame, afin de le fortifier ; de-là jusqu'au taillant qui est arrondi, l'épaisseur diminue.

Voici comment on attache ou fixe le fer de pelletier ; on a deux branches ou pitons de la longueur de 21 à 22 pouces ; ils sont fendus à la tête, les bouts du fer sont reçus dans des especes de mortaises ou de fentes pratiquées à ces pitons. Vous plantez dans le mur votre piton le plus bas, environ à deux piés huit pouces de terre. Vous y fixez l'extrémité inférieure de votre fer, dont le taillant doit être tourné contre le mur, vous déterminez par la longueur du fer la hauteur à laquelle l'autre piton doit être planté. Vous arrêtez l'autre bout de votre fer dans la fente de ce piton que vous plantez dans le mur. Cela fait, vous tirez sur ce fer les peaux dégraissées, afin de les rendre nettes de chair, les corrompre, & les étendre davantage.

Vous commencez ce travail en prenant les deux flancs de la culée, endroits où il n'y a pas ordinairement beaucoup de poil, & qui se trouvent sous la cuisse de derriere de l'animal (il en est de même des épaules qui se trouvent sous les cuisses de devant). Vous passez votre peau entre votre fer & la muraille ; vous vous postez comme pour écharner ; vous inclinez seulement en travaillant votre tête sur le côté gauche du fer ; vous travaillez comme en écharnant ; vous veillez soigneusement à ce que la peau ne se plisse point sur le fer ; ces plis occasionneroient autant de trous à la peau ; vous menez ainsi votre peau sur le fer le plus fermement & le plus également que vous pouvez. Les piés ne se dérangent point ; tout le mouvement est des bras. Le corps se tord un peu sur lui-même ; il tourne de droite à gauche, quand on tire à gauche, & de gauche à droite quand on tire à droite. Il faut seulement observer en tirant à gauche, de ne pas fortement appuyer sur le fer. Il s'agit seulement dans ce mouvement de prevenir les plis qui pourroient se faire à la peau ; la force du bras droit, est la seule qui soit employée en entier.

Lorsque vous aurez corrompu votre peau sur le dos, vous la corromprez sur le ventre ; & vous travaillerez jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de chair : alors vous mettez votre peau sur son carré.

Il faut observer que quand le fer ne coupe plus, il faut lui donner le fil des deux côtés, & renverser le morfil du côté gauche.

Toutes les peaux soit en poil, soit en laine, se tirent de la même maniere. Quant à celles d'ours qui sont très-grandes & très-pesantes, il est difficile de les tirer au fer. On se contente de les bien écharner, ensuite on a un banc à quatre piés, semblable à celui des Bourreliers. Il est long de six piés, & large de quatorze pouces ; de la hauteur d'un siége ; on fixe à une de ses extrémités des fers paralleles ou qui se regardent, comme deux especes de palissons de chamoiseur & de gantier ; il y a à l'autre extrémité une perche mobile à charniere, de la longueur de neuf piés ; cette perche peut en s'approchant du corps du chevalet, retomber entre les deux planches qui sont encastrées sur le banc, & garnies des fers ou palissons paralleles.

Deux hommes sont employés à l'usage de cet outil. Il faut que celui qui doit manier la peau, se mette à cheval sur la perche ; qu'il prenne la peau, & qu'il la place sur les deux palissons du côté de la chair ; que la perche soit ensuite abaissée sur le milieu de la peau comprise entre les deux palissons ; qu'un autre ouvrier tienne le bout de la perche à deux mains, la leve & la laisse retomber de trois pouces de haut au-dessus des palissons ; que le premier fasse glisser la peau bien étendue sur les palissons ; que le second releve la perche & la laisse retomber ; & que le travail se continue ainsi jusqu'à ce que la peau soit bien corrompue.

Au demeurant ces peaux ne se dégraissent point dans le tonneau comme les autres. On les étend sur une table ; on a de la poussiere de motte de tanneurs bien seche & bien échauffée au soleil ; on en prend, & avec les mains on en frotte les peaux du côté du poil. Cela fait, on les bat à quatre sur le poil.

Il est bon de savoir que si l'on employoit à cette manoeuvre le plâtre, loin de donner à la peau d'ours un beau noir, on lui trouveroit le fond du poil blanchâtre.

Mais il y a d'autres peaux que l'ours, qui ne se peuvent fouler au tonneau ; telles sont toutes celles qui ont le poil tendre & délicat : comme le lievre blanc, le renard noir, le renard bleu, le loup cervier, &c. on se sert alors d'une pâte dont nous allons donner la préparation, après avoir averti qu'elle peut être employée sur des peaux qui ont été mal passées, & auxquelles la négligence de l'ouvrier n'aura laissé que cette ressource.

Prenez trois pintes grande mesure de farine de seigle, & une douzaine & demie de jaunes d'oeufs ; délayez le tout ensemble dans une grande terrine avec deux livres de sel que vous aurez fait fondre dans de l'eau. Mais avant que d'arroser la farine & les jaunes d'oeufs avec l'eau salée, mêlez-y une demi-livre d'huile d'olive ; ensuite achevez de détremper votre pâte par le moyen de l'eau salée. Cette pâte aura quelqu'épaisseur, mais cependant assez de fluidité. Appliquez-la sur le cuir de votre peau ; qu'il y en ait par-tout également, & à-peu-près de l'épaisseur de deux écus ; cela fait, pliez-la en deux, depuis la tête à la culée ; laissez cet enduit enfermé dans le pli environ douze jours. Au bout de ce tems ouvrez votre peau : raclez l'enduit en un endroit avec un couteau ; tirez le cuir ; s'il vous paroît blanc, il sera passé ; s'il n'est pas blanc, remettez de la pâte, repliez la peau, & la laissez encore huit jours en cet état. Mais ce tems écoulé, portez-la sur le chevalet & l'écharnez. Quand elle sera écharnée, gardez-vous bien de la faire sécher à l'air, de peur qu'elle ne durcisse. Mais prenez de la farine (de quelqu'espece que ce soit), étendez-en sur votre peau du côté du cuir, de l'épaisseur d'une demi-ligne : frottez bien par-tout avec vos mains : pliez la peau comme ci-dessus ; laissez-la ainsi saupoudrée & pliée pendant deux jours. Au bout de ce tems ouvrez-la, ôtez la farine : gardez à part cette farine pour une autre occasion, & passez la peau au fer de pelletier, comme nous l'avons dit plus haut.

On se sert de cette pâte pour passer les peaux de marte, de foüine, & de renard, qui ne peuvent se fouler.

Mais il y a une façon de passer les peaux d'agneaux, dont on se sert pour fourrer les manchons ; on l'appelle passement au confit.

Voici comme on passe au confit : Prenez un cent de peaux d'agneaux ; faites-les tremper pendant deux jours dans un grand cuvier rempli d'eau. Prenez votre chevalet ; placez-le comme nous avons dit ci-dessus, pour écharner. Ayez un tablier de peau de veau bien tannée : faites le haut du tablier de la tête de cette peau ; attachez à chaque patte de devant une ficelle, & ceignez ce tablier avec ces ficelles. Etendez la peau sur le chevalet ; contenez la culée entre le chevalet & votre estomac : écharnez avec le couteau à écharner ; ayez-en un autre avec lequel vous séparerez de la peau les oreilles, le bout du nez, & les mâchoires, qui ne serviroient qu'à faire tourner le confit. Voyez à l'article CHAMOISEUR, le travail de ces peaux sans poil.

Lorsque vous aurez écharné toutes vos peaux, vous les remettrez dans le cuvier rempli de nouvelle eau ; vous les y laisserez tremper une heure ou deux ; vous les en tirerez l'une après l'autre, pour les remettre sur le chevalet, la laine en l'air, que vous frotterez fortement avec le dos de votre couteau à écharner, afin d'en séparer toute la malpropreté : cette malpropreté feroit aussi tourner le confit ; cette manoeuvre s'appelle rétaler. Quand vous aurez rétalé toutes vos peaux des deux côtés, vous remplirez votre cuvier d'eau nouvelle, & les y laverez l'une après l'autre : pour les laver, on les prend par les flancs de derriere de chaque main ; on tourne sa laine en-dessus ; on les plonge ainsi dans l'eau, on les serre, on les frotte ; on fait sortir la crasse : quand l'eau tombe claire, on avance les mains du côté de la tête, qui est tournée vers l'ouvrier dans cette manipulation : on serre, on frotte, en un mot on lave cette partie, & tout le reste de la peau, comme la premiere. On rechange d'eau ; cependant les peaux s'égouttent : quand elles sont bien égouttées, on les reporte au cuvier, pour leur donner un dernier lavage, après lequel on les jette l'une après l'autre sur une perche exposée à l'air, où on les laisse pendant quatre heures. Alors elles sont prêtes à passer au confit.

Voici comment vous le préparerez. Vous prendrez pour un cent de peaux d'agneaux propres à faire des fourrures, un bichet de farine moitié seigle & moitié orge, avec quinze livres de sel : vous ferez fondre le sel dans de l'eau, & vous vous servirez de cette eau pour détremper votre farine. Quand elle sera bien délayée, vous y jetterez de plus, pour deux cent d'agneaux, de nouvelle eau, à la quantité en tout de cinq à six seaux, tant de cette eau nouvelle que de l'eau salée : au reste, cela varie selon la force des peaux.

Quand vos peaux seront bien égouttées, pliez-les de la tête à la culée, l'une après l'autre, la laine en-dedans ; que les deux flancs se touchent. Prenez de la main droite une peau par la culée ; tenez-la par la tête de la main gauche : que le dos soit tourné de votre côté. Trempez-la dans le confit ; d'abord d'un côté, ensuite de l'autre, la tournant & la retournant sans déranger vos mains, que vous glisserez seulement le long du dos, pour faire pénétrer la pâte dans la peau.

Quand vous aurez ainsi trempé toutes vos peaux, placez-les dans un cuvier propre, les unes sur les autres, les arrosant de ce qui peut vous rester de pâte. Deshabillez-vous jusqu'à la ceinture ; entrez dans le cuvier, & foulez pendant un quart-d'heure : marchez tout-autour du cuvier ; tâchez d'atteindre le fond avec vos piés ; pressez les peaux de toute votre force. Faites entrer la nourriture dans le cuir ; cela s'appelle renfoncer le confit. Cette manoeuvre se réitere deux fois par jour, une fois le matin, une fois le soir, & se continue quinze jours, & quelquefois trois semaines, pendant lesquelles, de deux jours l'un, on jette les peaux sur une planche mise en-travers sur le cuvier, les laissant égoutter pendant la journée : le soir on les remet de dessus la planche dans le cuvier, observant de les tenir posées lâchement les unes sur les autres & comme soulevées, afin qu'elles prennent sausse par-tout.

Ce travail du confit ne se pratique que dans les mois de Mai, Juin, & Juillet, afin d'avoir un tems favorable pour étendre. Si vous voulez vous assûrer que le confit est mûr, c'est l'expression du fourreur, c'est-à-dire si les peaux sont prêtes à étendre, regardez aux flancs de la peau du côté de la laine : placez vos doigts sous la peau du côté du cuir ; frottez-la du côté de la laine avec le pouce. Si vous emportez le court-poil, ou si même en avançant vers le milieu du corps, vous faites la même expérience & la même observation, il est tems d'étendre.

Vous choisirez un jour de beau soleil ; sur les trois ou quatre heures du matin, vous tirerez toutes vos peaux du cuvier, & les étendrez sur la planche mise en-travers du cuvier ; elles seront les unes sur les autres, la laine tournée en-dessus ; vous les laisserez égoutter pendant quatre heures : de-là vous les passerez dans quelqu'endroit d'un pré où l'herbe soit courte, & que le soleil échauffe long-tems ; vous les porterez par la culée, & les étendrez sur la laine, observant de tirer à droite & à gauche les deux ventres, & de bien étaler les pattes.

Lorsque le cuir sera sec, vous retournerez les peaux, & vous exposerez la laine en-dessus, ne négligeant pas de les changer de place. Si vous les remettiez au même endroit, l'humidité que la laine auroit laissée sur l'herbe, ne manqueroit pas de rentrer dans les peaux & de les ramollir ; ce qui pourroit les gâter.

Si la pluie survenoit tandis que vos peaux sont étendues, il ne faudroit pas manquer de les relever, & de les porter à couvert sur des perches, la laine tournée en-dessus. On les laisseroit sur les perches jusqu'à ce que la pluie fût passée, & qu'on pût les rétendre sur l'herbe, afin d'achever de les sécher. Il ne faut pas ignorer que si le confit pressoit, c'est-à-dire demandoit qu'on tirât les peaux du cuvier, & qu'on ne le fît pas, ou que le tems ne le permît pas, il pourroit arriver que les peaux seroient perdues ; elles lâcheroient la laine. Mais on prévient aisément ces accidens, avec un peu de précaution.

Lorsque votre confit ou vos peaux seront bien seches, il s'agit de les tirer au fer du pelletier.

Pour cet effet, ayez une grosse éponge ; trempez-la dans l'eau ; mouillez toutes vos peaux sur la chair legerement & uniment. Quand elles seront humectées, placez-les chair contre chair, culée contre culée, tête contre tête ; laissez-les ainsi jusqu'au lendemain, ou même deux jours ; elles s'imbiberont de leur eau. Quand elles seront bien soulées d'eau, prenez alors une claie ; placez-la au pié d'une table ; jettez dessus cinq à six peaux ; & les mains appuyées sur la table, foulez-les avec les piés : cette maniere de fouler est particuliere. L'ouvrier rassemble les peaux, il les roule sous le talon de son soulier droit ; il les développe en-arriere, en poussant fortement ; tandis qu'avec le derriere du talon de son soulier gauche, il les frappe, les pressant de la semelle, les tirant, les étendant, les brisant, les corrompant. Après cette manoeuvre pratiquée sur toutes les peaux, il s'agit de les tirer au fer de pelletier : nous avons expliqué ci-dessus comment cela se pratiquoit. Quand elles sont tirées au fer, on les étend à l'air, la laine en-dessus : on choisit un beau jour de soleil. Le but de cet étendage est de sécher les peaux, afin d'en faire ensuite sortir la farine, & leur ôter la mauvaise odeur qu'elles ont, ainsi que toutes les autres peaux en poil, qu'il faut par conséquent exposer à l'air, comme les peaux d'agneaux : trois ou quatre heures d'exposition suffiront à celles-ci. Quand elles seront séchées, vous les battrez sur la laine avec la baguette, comme il a été dit ailleurs.

Il ne s'agit plus maintenant que de savoir teindre à froid le poil de toutes sortes d'animaux : c'est le secret des fourreurs ; & c'est ce qu'ils appellent lustrer les peaux.

Pour teindre à froid ou lustrer les peaux, voici les drogues dont il faut se pourvoir.

De noix de galle ; il faut les choisir pesantes, noirâtres, & bien nourries : de verd-de-gris, soit en poudre, soit en pain, mais le plus sec, le moins rempli de taches blanches, & celui dont le verd est le plus beau : d'alun de glace ou d'Angleterre : de couperose d'un beau verd bleuâtre, claire, transparente, en gros morceaux, & bien seche : d'arsenic, en gros morceaux pesans, luisans en-dedans, & blanchâtres en-dehors : de sel ammoniac de Venise, en pains épais de cinq doigts, gris en-dehors, blancs & crystallins en-dedans ; blanc, net, sec, d'un goût acre & pénétrant : d'antimoine à longues aiguilles, brillantes & faciles à casser : de sumach. Voyez ces drogues à leurs articles.

Pourvû de ces drogues, ayez les ustensiles suivans.

1°. Un pot de cuivre rouge fait en poire, à deux couvercles ; l'un posé en-dedans sur un rebord, l'autre emboîtant le dessus ou la gorge du pot par-dehors, où il se fixe par deux crochets placés aux côtés opposés aux deux anses : ce pot doit tenir dix à douze pintes, grande mesure.

Allumez du feu ; mettez votre pot sur un trépié : prenez deux onces de graisse de boeuf ; hachez-la bien menu ; faites-la fondre dans votre pot : quand elle sera fondue, jettez-y huit livres de noix de galle ; couvrez le pot de votre premier couvercle, qui doit s'ajuster fort exactement ; couvrez du second, & accrochez-le. Lorsque ce mélange sera chaud, vous prendrez votre pot par les anses ; vous l'agiterez de gauche à droite, de droite à gauche ; ensuite vous le renverserez tout-à-fait, ensorte que le fond soit tourné en-haut, & le couvercle vers la terre. La matiere se mêlera dans ce mouvement. Remettez ensuite le pot sur le trépié ; tenez-le sur le feu pendant une heure, observant de le remuer, comme nous venons de le prescrire, de cinq en cinq minutes pendant la premiere demi-heure, & de trois en trois minutes pendant la seconde. Soûtenez le feu égal pendant l'heure entiere ; alors vous n'entendrez plus sonner vos noix de galle dans le pot ; elles vous paroîtront faire une masse, & rendre une odeur forte de brûlé : c'est à ce moment, disent les fourreurs, que creve la noix de galle. Otez le pot de dessus le feu ; ne le débouchez point, tenez-le renversé, & le laissez refroidir pendant huit heures : alors ouvrez votre pot : ayez un mortier de fonte tout prêt, de la capacité d'un seau d'eau, ou environ ; prenez trois poignées de vos noix de galle brûlées ; jettez-les dans le mortier, & pilez-les à petits coups, pour n'en pas perdre les éclats ; réduisez en poudre très-menue ; tamisez au tamis de soie ; remettez sous le pilon ce qui ne passera pas au tamis : cela fait, renfermez votre noix de galle brûlée & tamisée dans un pot de terre vernissé, que vous boucherez bien exactement.

Prenez un bichet de chaux ; mettez-la dans un tonneau de la capacité de dix à vingt pintes, grande mesure ; laissez-la s'éteindre ; emplissez ensuite votre tonneau d'eau ; remuez-bien, & laissez-le reposer jusqu'à ce que l'eau vous paroisse claire & nette.

Cela fait, voici comment vous lustrerez les peaux de renard, de chat sauvage, de loutre, &c.

Prenez une livre d'alun de glace, une demi-livre de sel ammoniac, une livre & demie de verd-de-gris, une livre & demie de couperose verte, un quarteron d'alun de Rome ; mêlez le tout ensemble dans un mortier ; pilez, réduisez en poudre ; arrosez de l'eau de chaux préparée peu-à-peu ; délayez. Lorsque le mélange aura la fluidité la plus grande, laissez reposer deux heures : alors prenez de vos noix de galle cuites, pulvérisées, & tamisées, trois livres ; de litharge d'or, une livre ; d'antimoine bien pilé & passé, une demi-livre ; une demi-livre de plomb de maire aussi bien passé, & de mine de plomb, deux livres : délayez-le tout ensemble dans un baquet avec votre eau de chaux. Quand tout sera dans une espece de bouillie, versez dessus cette bouillie ce que vous avez préparé dans votre mortier, ajoûtez un peu d'eau, mais très-peu : car les deux mélanges ensemble ne doivent pas faire plus de dix à douze pintes, toûjours grande mesure. Remuez-bien ; laissez reposer pendant une heure, & commencez à lustrer.

On ne doit point lustrer de peaux qu'elles n'ayent été bien passées & dégraissées, comme nous l'avons prescrit ci-dessus.

Pour lustrer une peau, étendez-la sur une table, le poil en-dessus ; qu'elle ne fasse aucun pli ; qu'elle ait la tête du côté gauche, & la culée du côté droit ; faites remuer votre composition avec une spatule ; ayez une brosse longue de huit pouces, & large de quatre, faite de soies de porc ou de sanglier de deux pouces de long, afin que ses poils puissent entrer parmi ceux de la peau. Appuyez votre main gauche sur la tête de la peau ; & de la droite, trempez votre brosse dans le bacquet, & passez-la sur la peau depuis votre main gauche jusqu'à la culée : faites-en autant sur le pates ; que votre peau ait été par-tout frottée de la brosse, & que les poils en soient bien unis : faites remuer la composition ; retrempez votre brosse dedans ; repassez-la sur la peau, mais en la faisant un peu tourner sur elle-même ; ce mouvement fera entrer les poils de votre brosse entre les poils de votre peau : frottez ainsi depuis la tête jusqu'à la culée. Par ce moyen, le lustre pénétrera à fond ; mais les poils de la peau seront tous mêlés. Reprenez pour la troisieme fois du lustre avec la brosse, & repassez encore de la tête à la queue, afin de coucher le poil & l'arranger. Cela fait, vous retremperez une quatrieme fois la brosse dans la composition au lustre ; vous l'appliquerez sur la peau, & la toucherez à petits coups, afin que le lustre dont elle sera chargée tombe sur la peau.

Regardez alors attentivement votre peau : si le lustre vous en paroît également étendu par-tout, prenez-la par la tête de la main gauche, & par la culée de la main droite : faites-la égoutter un moment sur votre bacquet, afin de ne point perdre de composition, & l'étendez ensuite au soleil, le poil en l'air ; à moins que ce ne fussent des peaux de renard : dans ce cas, il faudroit les mettre deux à deux, poil contre poil, le cuir exposé au soleil ; & de tems en tems retourner celle qui est dessous & la mettre dessus, le poil toûjours contre le poil : sans cette précaution, la chaleur du soleil feroit friser le poil, & gâteroit la peau. Si vous voulez cependant les faire sécher à l'air, le poil découvert, tenez-les à l'ombre : mais le plus sûr est de les mettre deux à deux, & poil contre poil.

L'ardeur du soleil échauffe le lustre, l'attache, & rend la peau noire & luisante.

Lorsque ces peaux sont seches, vous les battez jusqu'à ce qu'il n'en sorte point de poussiere ; vous les rétendez sur la table ; & avec une brosse plus rude, vous les brossez fortement de la tête à la queue, pour arranger le poil : après quoi, vous leur donnez du lustre, comme la premiere fois.

Il y a des renards que l'on lustre jusqu'à cinq fois, avant que de leur donner le fond.

Mais le travail du lustre avancera davantage, si l'on a une étuve où l'on puisse faire sécher les peaux ; & le lustre en mordra beaucoup plus facilement sur le poil. Il faut que cette étuve ait cinq ou six piés de long sur trois piés de large, & cinq à six de haut : c'est un cabinet de planches assemblées, dont on a bien fermé toutes les jointures avec du papier collé, afin que la chaleur ne s'évapore point : le dedans est garni de clous à crochets, auxquels on suspend les peaux lustrées. On y tient deux poëles de feu allumées, l'une à un bout, & l'autre à l'autre ; & l'on ferme la porte. Une attention qu'on ne peut avoir trop scrupuleusement, quand on met des peaux en étuve, c'est que la composition ou le lustre n'ait pas touché le cuir de la peau, & qu'il n'en soit pas mouillé : la peau en se séchant, en seroit infailliblement brûlée. Pour cet effet, quand vous avez mis une peau en lustre, vous en prenez une non lustrée ; & la tenant de la main droite par la tête, & la tirant, le poil tourné contre la table, vous en pressez le cuir de la gauche : tandis qu'elle glisse ainsi entre la main gauche qui la presse, & la droite qui la tire, elle enleve tout ce qui s'est répandu de lustre sur la table ; & celle que l'on y expose ensuite du côté du cuir, & le poil en-haut, ou la même, n'en prend plus du côté du cuir, & ne se mouille pas.

Lorsque vous voyez que la pointe des poils a bien pris le lustre, vous refaites de la composition telle que celle dont vous vous êtes servi pour lustrer ; & vous vous en servez pour donner ce qu'on appelle le fond, à vos peaux lustrées : mais pour un cent de peaux de renard, il n'en faut que 25 pintes ; vous séparerez cette quantité en deux ; vous tiendrez l'une à part, & vous tremperez vos peaux dans l'autre. A mesure que vous les tremperez, vous les tordrez bien, & vous les jetterez dans le cuvier, où vous aurez mis séparément le restant de votre composition. Quand elles y seront toutes, vous y entrerez les jambes nues ; les foulerez, & les tiendrez dans ce cuvier pendant deux jours, les foulant de huit en huit heures. Cela fait, vous les tordrez ; vous les prendrez par le dessus du quarré & le bas de la culée, & les secouerez fortement pour faire revenir le poil ; & pour que les peaux sechent plus facilement, vous les étendrez sur un cordeau à l'air : vous ne les quitterez point pendant ce tems ; vous vous occuperez à en manier le cuir, pour l'empêcher de durcir, toûjours secouant la peau, la corrompant avec les mains, & restituant le poil à sa place.

Lorsque les peaux sont seches, on refait de la composition ou du lustre ; & l'on en redonne une couche, afin de replacer entierement le poil. On les fait sécher ; seches, on les porte à la cave, où on les étend le cuir contre la terre, afin de leur faire prendre de l'humidité : alors on a un peu de sain-doux dont on les frotte legerement sur le cuir ; frottées, on les triballe, comme on a dit ; triballées & tirées, on les passe au tonneau à dégraisser : mais il faut bien le nettoyer auparavant du plâtre & des cendres qui ont servi à passer auparavant d'autres peaux ; parce que le lustre ne se dégraisse pas ainsi, mais avec du sable bien menu, qu'on fait chauffer d'une chaleur à pouvoir être supportée par la main. Il faut pour une quinzaine de peaux de renard, un demi-seau de sable : on le met chaud dans le tonneau avec les peaux ; on tourne le tonneau, comme on a dit ci-dessus, pendant une demi-heure ; après quoi on les en tire : on les secoue l'une après l'autre dans le tonneau, & l'on en remet quinze autres dans le même sable : c'est ainsi qu'on enleve le plus gros du lustre ; vous détachez le reste avec d'autre sable. Si votre sable vous paroît bien noir, vous repassez encore une fois, pour vous assûrer qu'il ne reste point de lustre superflu. Après ce travail, vous les appliquez les unes contre les autres, poil contre poil, & vous les gardez : mais vous ne pouvez être trop attentif à ce qu'elles ne fassent aucun pli dans le poil ; les peaux se travaillant encore sur elles-mêmes, ce pli resteroit.

Autre composition ou lustre. Prenez trois livres de noix de galle ; trois onces de verd-de-gris ; quatre onces de sel ammoniac ; deux onces d'alun de Rome ; deux onces de litharge d'or ; deux onces d'antimoine ; huit onces de couperose verte : pilez le tout ensemble dans un mortier, excepté la noix de galle, que vous délayez séparément dans un bacquet, après l'avoir pilée avec l'eau de chaux. Vous délayerez le reste des ingrédiens dans un bacquet, au sortir de votre mortier, avec de pareille eau : cela fait, vous mêlerez le tout, qui ne doit faire qu'environ dix à douze pintes. Ce lustre préparé, vous vous en servirez comme du précédent.

Autre composition pour donner à la fouine la couleur de la marte.

Prenez deux livres de noix de galle cuite, & demi-livre crue, également pilée ; trois livres de mine de plomb rouge ; une livre de sumac. Détrempez ces ingrédiens avec eau de riviere ou de citerne ; ajoûtez-y ce qui sera tombé de votre lustre, & le marc qui sera resté dans les bacquets. Détrempez le tout dans trois seaux d'eau ; ajoûtez une livre de litharge d'or, une livre d'alun de glace, une livre de couperose verte, une demi-livre de sel ammoniac, une livre de verd-de-gris, un quarteron d'antimoine crud, & deux livres de plomb de maire. Pilez le tout ensemble, & le mêlez avec la noix de galle. Prenez ensuite une grande terrine vernissée, où vous mettrez environ la moitié d'une pinte de votre composition. Vous y tremperez les peaux de foüines quatre à quatre, en les y plongeant & foulant, afin que le poil prenne le lustre par-tout ; vous les tordrez, secouerez, & mettrez dans le bacquet avec le restant de votre composition qu'elles n'auront pas bûe ; vous les y foulerez avec les piés ; vous les y laisserez un jour & demi. Au bout duquel, plaçant une planche en-travers au-dessus du bacquet, vous les en tirerez & les étendrez sur la planche l'une sur l'autre, pour égoutter. Elles égoutteront jusqu'au lendemain, ce qui leur fera prendre le fond. De-là vous les porterez à la riviere, où vous les laverez jusqu'à ce que l'eau en sorte claire. Ensuite vous les ferez sécher ; seches, vous leur donnerez une couche avec la même eau qui leur a fait prendre le fond ; réiterez cette couche plusieurs fois, & à chaque fois faites sécher au soleil. Lorsque vous leur trouverez la couleur de marte, vous les exposerez à l'humidité pour les radoucir avec la graisse : & vous finirez par les dégraisser dans le tonneau, comme nous l'avons dit ailleurs.

Si vous voulez que les peaux de renard prennent parfaitement le lustre, ayez une pierre de chaux de la grosseur de quatre oeufs : mettez-la dans un bacquet avec quatre pintes d'eau ; ajoûtez une demi-livre d'alun ; prenez une peau de renard non lustrée : trempez votre brosse dans cette composition : frottez-en votre peau comme pour la lustrer ; mais ne frottez pas à fond : passez la brosse superficiellement ; il ne s'agit que de faire prendre cette préparation à la pointe du poil de renard, qui est blanchâtre ou grisâtre. Cela fait, exposez vos peaux au soleil ; séchez, battez-les à la baguette ; brossez-les bien, & les lustrez ensuite comme nous avons dit plus haut.

Préparation des peaux de chien. Prenez une pierre de chaux de la grosseur de la forme d'un chapeau : mettez-la dans douze pintes d'eau ; lorsqu'elle sera éteinte, prenez deux livres de couperose verte, une livre & demie d'alun de Rome, une livre de verd-de-gris, & deux livres de litharge d'or ; jettez tout dans la chaux éteinte ; transvasez ensuite dans une grande chaudiere de cuivre, que vous tiendrez sur le feu jusqu'à ce que le mélange soit réduit à quatre à cinq pintes. Cela fait, approchez une table de votre chaudiere ; étendez dessus les peaux de chien les unes après les autres : prenez une brosse, trempez la dans la composition : brossez ensuite vos peaux chaudement par-tout, & sur-tout aux endroits où il y a du poil blanc. Cette premiere préparation sert à disposer les peaux à prendre le lustre plus facilement. On appelle en général ces préliminaires de lustre, le barbareau, & l'on dit donner le barbareau.

Pour tigrer les peaux de chien, donner à des lapins gris une façon de Genette, imiter la panthere, tigrer des lapins blancs, & généralement pour moucheter toutes sortes de peaux, servez-vous de la composition suivante.

Prenez une pierre de chaux du poids d'une livre, éteignez-la dans de l'urine : ajoûtez ensuite de l'eau avec un peu d'alun, une demi-livre ou environ que vous ferez bouillir pendant une heure ; observez que tout votre mélange n'excede pas la quantité de trois pintes. Prenez les peaux que vous voulez tigrer : donnez-leur une couche de cette drogue par-tout, sans déranger le poil, & frottant toûjours avec votre brosse en descendant de la tête à la culée. Cela fait, exposez au soleil ; il faut qu'elles soient sechées & battues le même jour où la préparation précédente leur a été donnée. Quand vous les aurez battues jusqu'à ce qu'il n'en sorte plus de poussiere, brossez-les bien afin d'arranger le poil ; prenez de la composition : lustrez ; mais avant que de lustrer les dernieres peaux, séparez dans un pot une portion de ce lustre, qui vous servira à tigrer toutes vos peaux. Pour cet effet ayez un pinceau : étendez votre peau sur une table, commencez par la tête ; si la peau étoit si longue que vous ne pussiez y atteindre commodément, vous la feriez prendre devant vous à une distance convenable ; vous vous ceindriez d'un tablier blanc de lessive, afin qu'en frottant vos habits, votre estomac, vos manches sur la peau, vous n'engraissassiez pas la pointe du poil. Ces précautions prises, vous formerez vos mouches sur la peau avec votre pinceau trempé dans le lustre. Vous observerez de les faire les plus petites possibles ; lorsque le poil sera sec, il s'écartera, & les taches ne paroîtront toûjours que trop grandes. Quand elles auront été mouchetées une fois, vous les ferez sécher, les battrez bien, les brosserez toûjours selon la direction des poils, afin que les mouchetures ne changent point de place ; vous repasserez le pinceau sur elles une seconde, troisieme, quatrieme fois, jusqu'à ce qu'elles vous paroissent assez noires. Alors vous laisserez sécher, battrez, passerez dans le tonneau au sable pour dégraisser : & si les mouches vous paroissent avoir perdu de leur nuance, vous leur redonnerez encore une couche. Mais quand le lustre est bon, on ne donne communément que trois couches.

On imite le tigre & la panthere de la même façon ; excepté qu'au tigrage les taches sont différentes ; il faut que l'ouvrier imite la nature, ait les peaux réelles de ces animaux sous les yeux, & s'y conforme le plus exactement qu'il pourra.

Pour moucheter en grisâtre les peaux de renards qui sont très-rousses, prenez quatre livres de bois d'Inde, une once & demie d'indigo : faites bouillir le tout ensemble jusqu'à diminution d'un quart : ajoûtez deux livres de couperose noire, & chargez vos renards chaudement avec la brosse, comme nous avons dit plus haut.

Pour imiter les peaux ou fourrures polonoises avec des renards blancs, prenez pour une douzaine de ces peaux ou environ, plus ou moins, selon leur grandeur, six pintes d'eau de chaux que vous mettrez dans un bacquet, une livre de couperose verte, une demi-livre de verd-de-gris, trois quarterons d'antimoine crud, un quarteron de vitriol d'Angleterre, une demi-livre d'arsenic : pilez tous ces ingrédiens ensemble : délayez-les dans l'eau de chaux : trempez-y ensuite vos peaux ; mais auparavant ayez l'attention de faire fondre du beurre, & d'en frotter avec un linge la pointe du poil de vos peaux, & de les laisser refroidir. Quand elles auront été trempées, vous les étendrez sur le plancher, où vous les laisserez pendant quatre heures ; vous les porterez de-là à la riviere ; lavées, vous les ferez sécher à l'ombre, & les manierez de tems en tems pour radoucir le cuir.

Il paroît par ce que nous venons de dire, que l'art de teindre les peaux en poil, pourroit être porté beaucoup plus loin ; nous allons maintenant passer à la maniere d'en faire la coupe, pour les employer en manchons & autres ouvrages.

De la coupe des peaux. Pour couper la peau d'un renard : après qu'elle est bien passée, étendez cette peau sur une table, la tête tournée vis-à-vis de vous, le poil en-dessus. Ayez un morceau de plomb, à-peu-près de la forme d'un écu, plus mince par les bords : discernez bien l'arête de la peau ; c'est la partie où le poil est le plus court ; cette ligne s'étend du milieu de la tête à la culée, & partage la peau en deux parties égales : appuyez fortement votre plomb par le bord sur cette ligne, en commençant par la tête, qui est contre vous, & tirant la peau de la main gauche, ensorte que cette peau glisse, fortement pressée entre la table & le plomb. Par ce moyen le côté du cuir qui touche à la table, se trouve rayé de la ligne tracée sur le poil le long de l'arête. Voilà ce qui déterminera de ce côté le milieu de la peau. Prenez votre regle, appliquez-la sur cette ligne, & avec votre plomb, suivez-la sur le dos, & la tracez.

Si vous coupez votre renard en quarré pour le lustrer, il faut que vous le fassiez en-travers en deux endroits faciles à connoître. Retournez votre peau du côté du poil : glissez votre main de la tête à la culée, vous rencontrerez entre le corps & le col un endroit moins fourni de poil, & d'un poil plus bas que le reste. Cet endroit sera une des lignes de division. Cette division faite, vous leverez une espece de langue de peau le long de l'arête qui la partagera également. Elle aura environ deux pouces de large proche les épaules ; elle ira toûjours en diminuant, & finira en pointe à la culée. Vous ferez remonter cette langue de peau de deux pouces du côté de l'épaule, de distance en distance. Elle fera renfler l'arête de votre renard, & donnera de la rondeur à votre manchon quand il sera lustré. Vous donnerez à ces quarrés vingt-trois pouces de long, sur douze pouces de large. Ce qui excédera de part & d'autre à la culée, servira à remplir les endroits où la tête est moins large que le corps. Ce sont ordinairement les renards les plus roux que l'on lustre. Quant à ceux qu'on ne lustre pas, il ne faut pas déranger la tête. Il faut laisser la peau comme elle est : prendre le milieu de l'arête avec le plomb, comme on a dit, & lui. donner vingt-deux à vingt-trois pouces de hauteur, sur onze pouces de largeur. On sépare toutes les gueules de renard qui sont blanches. Les officiers des hussards en bordent leurs habits. On employe la queue à border des mouffles au-dessus du bras. On met les pattes en mouffles ou en mitaines.

On faisoit autrefois des manchons de queue de renard. La mode en est passée.

On fait des manchons de renard avec la peau entiere. On passe la peau en pâte : on y laisse les dents & le bout des pattes. On la tire au fer sans ouvrir ni le ventre ni les pattes. On fait seulement une ouverture au bas de la gueule, en tirant du côté du ventre, assez grande pour pouvoir y passer la main ; une autre entre les cuisses, sous la queue, de la même grandeur. On laisse la queue & les pattes. Les deux ouvertures s'appellent les entrées du manchon.

Si l'on veut couper une peau de chien, il faut savoir qu'il y a des chiens qui portent deux quarrés, & d'autres qui n'en portent qu'un. Votre peau a-t-elle tente-quatre pouces de longueur, coupez-la en-travers. Pour cet effet, pliez-la de la tête à la queue en deux : frappez sur le pli pour le faire tenir ; coupez : ensuite tracez l'arête.

Cela fait, vous n'aurez que des morceaux de dix-sept pouces. Pour aller à vingt-deux, il faut chercher des ralonges.

Pour cet effet l'arête étant tracée, vous tirez sur votre peau par le haut des quarrés, des lignes paralleles qui renferment des espaces qui ont deux pouces & demi de hauteur. Il faut former trois de ces espaces. Tous ces espaces sont coupés en deux par l'arête. Vous prenez sur la base de votre premier espace, deux pouces de part & d'autre de l'arête, & vous tirez deux lignes paralleles à l'arête : ce qui forme deux quarrés oblongs, dont la base de chacun a deux pouces, & la hauteur deux pouces & demi. Sur la base du second espace, vous prenez de part & d'autre de l'arête quatre pouces, & vous tirez des paralleles à l'arête ; c'est-à-dire que vous formez de part & d'autre de l'arête, des quarrés oblongs dont chacun a deux pouces & demi de hauteur & quatre pouces de base. Vous prenez sur la base de votre troisieme espace, de part & d'autre de l'arête, six pouces : vous tirez encore des paralleles à l'arête, & vous formez deux autres parallelogrammes dont la base a six pouces, & la hauteur, deux pouces & demi. Cela fait, vous placez votre quarré à brousse-poil relativement à vous, c'est-à-dire le poil couché de votre côté. Vous tenez votre couteau de la main droite : vous vous inclinez un peu sur votre ouvrage : vous placez vos deux mains au-dessus de votre quarré, & vous coupez votre quarré selon les lignes A B, a b ; vous retournez votre peau de maniere que les sections A B, a b, soient paralleles à votre corps, & vous faites les sections par les lignes B C, b c ; vous remettez votre peau comme elle étoit, & vous coupez ainsi votre peau en escalier A B C D E F, a b c d e f, jusqu'à la ligne F f. Vous séparez votre peau en deux selon la ligne F f, & le morceau A a, F f en deux autres, selon l'arête ou ligne Q q. Voyez les Planches du Pelletier.

Cela fait, vous ralongerez votre quarré, en ajustant deux de vos morceaux, de maniere que le point R de l'un se trouve au point Q, & par conséquent le point S au point Q, & le point q au point S.

Vous coupez la portion inférieure de la peau qui est au-dessous de la ligne F f, de la même maniere. Par ce moyen, la peau qui ne portoit que dix-sept pouces de longueur, en portera vingt-deux, sur douze de large ; & cette coupe s'appelle coupe en échelle.

L'on coupe en échelle les oursins qui n'ont pas assez de longueur, & c'est la maniere de leur en donner ce qui leur en manque.

Quand on destine les oursins à des manchons d'homme, on les coupe encore autrement ; on trace l'arête : on marque au haut de l'arête neuf pouces de chaque côté, ce qui donne dix-huit pouces de large : on prend le couteau, on passe la main au bas de la culée contre l'arête, comme si l'on se proposoit de séparer l'oursin en deux ; on le coupe de-là en chamfrein, de maniere que la section vienne se terminer au haut, à huit pouces de distance de l'arête ; on en fait autant de l'autre côté. On a alors un morceau de peau fait en cone, dont la pointe est à la culée. Vous faites rentrer cette pointe en-dedans des deux morceaux, en descendant les deux morceaux à cinq ou six pouces plus bas que la pointe, ce qui donne une augmentation d'environ huit pouces sur cette peau.

Si le poil d'un oursin n'est pas fort court, on ne lui donne pour un manchon d'homme que vingt-six à vingt-sept pouces ; s'il est fort court, on lui en accorde vingt-neuf à trente. Pour la largeur du quarré, elle est de dix-huit pouces.

Quant à la coupe d'une grande peau d'ours de laquelle on peut tirer deux manchons d'hommes, sans être galonnés, voyez-en le patron, fig. 2.

Commencez à lever les ventres de la peau de chaque côté, où ils ne sont pas assez garnis de poil pour être travaillés avec le corps. Marquez l'arête : tournez la peau du côté du poil : prenez votre plomb ; tracez au-dessous de la nuque du col un trait fort, qui puisse se discerner du côté du cuir, comme nous l'avons prescrit plus haut ; que ce trait représenté par la ligne a a, atteigne au-dessous des deux pattes de devant. Formez un pareil trait b b au bas, qui atteigne au-dessus des deux pattes de derriere. L'espace compris entre les lignes a a, b b, sera le corps ; la seule portion de la peau pour laquelle, à proprement parler, le travail se fait.

Ensuite avec votre couteau, dépecez ce corps en autant de pieces qu'il y a d'espaces particuliers terminés par des lignes.

Vous aurez du côté de la nuque du col des demi-palettes 3, 3, 3. Elevez ces dernieres palettes au-dessus des manches des grandes palettes 2, 2, ensorte que les queues 4, 4, 4, des demi-palettes 3, 3, 3, soient appliquées aux queues 4, 4, des palettes entieres 2, 2 ; suivez la même disposition par en-bas, c'est-à-dire disposez les dernieres palettes 7, 7, par rapport aux grandes palettes 8, 8, 8, comme nous vous avons prescrit de placer les demi-palettes 3, 3, 3, par rapport aux grandes palettes 2, 2 ; vous placerez ensuite les deux grandes palettes 2, 2, par rapport aux grandes palettes 8, 8, 8, de maniere que les queues inférieures des palettes 2, 2, répondent aux queues supérieures des palettes 8, 8, 8. Alors votre peau se trouvera ralongée d'une quantité plus ou moins grande, selon l'étendue de la peau. Si l'allongement n'est pas assez considérable, vous éleverez les morceaux de la tête, & baisserez ceux de la culée d'une quantité plus considérable : & vous dirigerez votre coupe sur les lignes de la figure 3.

Pour travailler commodément le manchon coupé sur le patron de la figure 2. vous pliez votre peau de la tête à la culée, le cuir en-dedans ; vous frappez sur le pli, pour qu'il reste tracé sur le cuir ; vous retournez la peau du côté du cuir, vous la coupez selon la ligne tracée ; vous faites coudre vos coins : quand ils sont cousus, vous pratiquez aux bords qui forment la longueur du manchon, des hoches, comme vous voyez figure 4. C'est par le moyen de ces hoches dont les pleins & les vuides se correspondent, que vous arrondirez sans peine votre manchon. Couchez-le sur sa longueur faisant entrer les redens dans les vuides, de la quantité convenable ; levez ensuite deux petites bandes de peau le long des ventres ; qu'elles ayent neuf pouces & demi de hauteur, & dix lignes de largeur ; bordez-en les côtés de vos quarrés qui forment l'entrée du manchon, & votre manchon sera achevé. Cette coupe s'appelle coupe en palette.

Remarquez 1°. que sur nos figures les chiffres y sont disposés, de maniere que si vous observez de placer les mêmes sur une même ligne, en haussant & baissant vos morceaux, vos quarrés se trouveront formés.

2°. Que quand la peau est coupée & ses morceaux appointés, c'est-à-dire cousus à leur place, il faut prendre une petite planche de trois pouces en quarré, de l'épaisseur de trois lignes, & pointue d'un côté, qu'on appelle paumelle, & rabattre les coutures avec la paumelle ; ensuite aligner votre quarré ; tracer le milieu avec le plomb ; de chaque côté de la ligne du milieu, laisser un demi-pouce, ce qui forme un pouce tout le long de l'arête ; couper le quarré par bandes & toûjours longitudinales, qui n'ayent qu'un demi-pouce de large, excepté celle du milieu, & placer entre ces bandes un ruban de fil de la largeur de quatre lignes, que vous y cousez ; ce qui sert à rélargir votre quarré. Il faut avoir grand soin de ne point mêler les bandes.

La figure 5. représente encore une coupe d'oursin, où il y a dequoi faire deux manchons : coupez votre peau ; cousez-la ; rabattez les coutures à la paumelle ; tracez l'arête ; divisez par bandes d'un pouce de largeur, comme ci-dessus ; placez vos bandes, comme vous voyez fig. 6. de maniere que toutes les bandes qui ont un même chiffre soient rapportées à côté les unes des autres & cousues ensemble, & que l'arête se trouve autant dans un quarré que dans l'autre. Achevez à la maniere accoûtumée.

Voici une autre coupe qui peut convenir au loup-cervier, où il y auroit dequoi fournir deux manchons.

Etendez la peau sur son quarré, du côté du cuir ; séparez-en les pattes en pointe, comme vous voyez figure 7. cousez ces endroits ; tournez ensuite votre peau du côté du poil ; tirez les lignes de la nuque du cou & de la culée ou le poil est différent, ensorte que le corps se trouve compris entre ces lignes. Coupez cette peau en suivant les lignes de la figure 7. allongez-la ensuite de la quantité convenable, augmentant & diminuant les dimensions à discrétion. Cela fait cousez les morceaux ; passez legerement à la paumelle ; auparavant, si vous voulez, mettez votre peau deux heures à la cave pour l'amollir, le cuir contre terre ; rabattez les coutures ; coupez un peu le bas de la culée, en effleurant ce qui paroît cotonné ; donnez à votre manchon sa hauteur ; séparez la tête de la peau ; divisez le reste selon la ligne de l'arête. Rejoignez les deux ventres l'un à l'autre ; cousez-les ; rabattez les coutures ; divisez le tout par des lignes tracées sur le cuir, à la distance d'un pouce les unes des autres ; faites autant de bandes ; rejoignez ces bandes selon la fig. 8. cousez ensemble les bandes de cette figure, qui sont chiffrées à chaque bout, & ensemble celles qui ne le sont pas. Dans cette coupe, les ventres se trouvent autant dans un des quarrés de manchons, que dans l'autre.

On employe aussi les pattes & la tête en manchon & autres ouvrages ; mais ils ne sont pas de prix.

En voilà suffisamment pour faire entendre que la coupe n'est pas la moindre partie de l'art du Fourreur. Voyez, à l'article PELLETERIE, ce qui concerne le commerce de peaux.

Les Fourreurs s'appellent marchands Pelletiers-Haubaniers-Fourreurs ; Pelletier, du commerce de peaux qui constitue leur état ; Haubanier, d'un droit dit de hauban, qu'ils payoient pour le lottissage de leurs marchandises dans les foires & marchés de Paris ; & Fourreur, des ouvrages qui portent ce nom.

Il est défendu par leurs statuts de prendre un compagnon sans attestation du maître qu'il quitte ; de mêler du vieux avec du neuf ; de fourrer des manchons pour les Merciers & Fripiers ; de faire le courtage de marchandises de Pelleterie & Fourrerie, &c.

Les Pelletiers-Haubaniers-Fourreurs sont le quatrieme des six corps des marchands de Paris. Leurs premiers statuts sont de 1586, & les derniers de 1648. Ils ont formé deux corps ; l'un de Pelletiers, & l'autre de Fourreurs, qu'on a réunis. On ne peut avoir qu'un apprenti à-la-fois. On fait quatre ans d'apprentissage, & quatre de compagnonage. L'apprenti ne doit point être marié, forain, ou étranger. Six maîtres & gardes gerent les affaires de la communauté ; trois sont anciens, & trois nouveaux. Le premier des anciens est le grand-garde ; il est le chef de la communauté. Le dernier des nouveaux en est comme l'agent. On procede à l'élection des officiers de la communauté tous les ans, le samedi qui est entre les deux fêtes du Saint-Sacrement. Ces officiers peuvent porter dans toutes les cérémonies où ils sont appellés, la robe de drap à collet noir, à manches pendantes, bordée & parmentée de velours ; ce qui est proprement la robe consulaire. Voyez les statuts de cette communauté.


FOURRIERS. m. (Hist. mod.) c'est ainsi qu'on appelle des officiers de la maison du roi, qui lorsque la cour voyage, ont soin de retenir des chariots pour transporter les équipages & bagages du roi : c'est ce qu'on nomme fourrier de la cour.

Dans l'infanterie françoise il y a aussi des soldats nommés fourriers, chargés de distribuer à leurs camarades les billets de logement lorsqu'ils arrivent dans une ville. Ces fourriers marchent toûjours en-avant du corps. Dans la cavalerie on les nomme maréchaux des logis. Voyez MARECHAL DES LOGIS. (G)


FOURRIERES. f. (Jurispr.) il se dit des bestiaux trouvés en délit, pris & emmenés par le propriétaire ou fermier de l'héritage sur lequel ils ont commis le délit. Ces bestiaux doivent être remis à la garde de la justice ; c'est ce qu'on appelle les mettre en fourriere, parce qu'on les donne à garder & nourrir. Lorsque le délit est prouvé, on condamne le propriétaire des bestiaux à payer non-seulement le dommage, mais aussi les frais de la fourriere. (A)


FOURRURES. f. ce qui sert à garnir, doubler, soit pour la solidité, soit pour la commodité, soit pour le luxe & l'ornement. On fourre les bijoux d'or & d'argent de corps étrangers, pour les rendre solides : on dit dans ce cas plûtôt garniture que fourrure. On fourre un habit de peaux garnies de leur poil. On fourre aussi quelquefois pour tromper, comme des bottes de foin fourrées. La fourrure est encore un habit particulier aux docteurs, licentiés, bacheliers, professeurs, &c. de l'université. Voyez DOCTEUR.

FOURRURE, (Marine) c'est une enveloppe de vieille toile à voile, ou de fils & cordons des vieux cables, que l'on met en tresse ou petite natte, & dont on enveloppe toutes les manoeuvres de service pour les conserver. On en met aussi autour du cable, pour le conserver à l'endroit où il passe dans l'écubier, & lorsque l'ancre est mouillée. (Z)

FOURRURE ou ROMBALIERE, (Marine) c'est un revêtement de planches qui couvrent par-dedans les membres des grands bâtimens à rame. (Z)

FOURRURES, en termes de Blason, ce sont les doublures des robes, des lambrequins, qui marquent la qualité des personnes. Voyez MANTEAU, &c.


FOUTEAUS. m. fagus. Voyez HETRE.


FOWEY(Géog.) bourg à marché d'Angleterre, situé à l'embouchure d'une petite riviere qui porte son nom, dans le comté de Cornoüailles, entre Falmouth & Plimouth. Ce bourg qui envoye deux députés au parlement, est à 70 lieues S. O. de Londres. Long. 12 d. 30'. lat. 50 d. 12'. (D.J.)


FOYERS. m. ce mot a deux acceptions, l'une en Géométrie, l'autre en Optique, & ces deux acceptions ont quelque chose d'analogue.

En Géométrie il s'employe principalement en parlant des sections coniques : on dit le foyer de la parabole, les foyers de l'ellipse, les foyers de l'hyperbole ; & on a expliqué au mot CONIQUE ce que c'est que ces foyers. On a appellé ces points foyers, par la propriété qu'ils ont de réunir les rayons qui viennent frapper la courbe suivant certaines directions. Cette propriété est détaillée au mot CONIQUE. Voyez aussi ELLIPSE, HYPERBOLE, & PARABOLE.

Les points qu'on appelle aujourd'hui foyers, s'appelloient autrefois umbilics ou nombrils, umbilici ; parce qu'on peut les regarder comme les points les plus remarquables qui se rapportent à la courbe, & qu'on peut même déterminer l'équation de la courbe par des rayons tirés à ces points, ainsi qu'on l'a vû au mot ELLIPSE.

Il est quelquefois plus commode de représenter une courbe par l'équation entre les rayons tirés d'un point fixe à cette courbe, & les angles que forment ces rayons, que de la représenter par l'équation entre les co-ordonnées rectangles (Voyez COURBE & EQUATION) ; en ce cas on donne quelquefois par extension le nom de foyer à ce point fixe, duquel on suppose que les rayons soient tirés, quoique ce point n'ait pas la propriété de rassembler les rayons qui tomberoient sur la courbe. Tel seroit par exemple le point F (figure 18. Coniq.), par rapport à la courbe A M m, si on déterminoit l'équation de cette courbe, non par le rapport entre les variables A P & P M, mais par le rapport entre la variable F M, & l'angle variable A F M, que la ligne F M fait avec la ligne fixe F A. Voyez la seconde section des infiniment petits de M. de l'Hopital, vers la fin.

En Optique on appelle foyer d'un miroir, foyer d'un verre, foyer d'une lunette, le point où les rayons refléchis par le miroir, ou rompus par le verre ou la lunette, se réunissent, soit exactement, soit physiquement : sur quoi voyez l'article ARDENT. On trouve dans les mémoires de l'acad. des Sciences de 1710, une formule générale pour connoître le foyer des miroirs ; & dans ceux de 1704, une formule pour déterminer celui des verres. Nous donnerons ces formules aux mots LENTILLE & MIROIR, où est leur véritable place. Voyez aussi CONVERGENT, DIVERGENT, CONCAVE, CONVEXE, &c.

M. Bouguer a remarqué dans son ouvrage sur la figure de la terre, p. 203. & suiv. que le foyer des grandes lunettes est différent, 1°. selon la constitution des yeux de l'observateur ; 2°. selon qu'on enfonce ou retire l'oculaire ; 3°. selon la constitution actuelle de l'atmosphere ; & il donne des moyens de se précautionner contre ces variations. Voyez l'article LUNETTE.

Lorsque les rayons refléchis ou rompus sont divergens, mais de maniere que ces rayons prolongés iroient se réunir, soit exactement, soit physiquement, en un même point, ce point est appellé foyer virtuel ou imaginaire, & par d'autres point de dispersion. Ainsi (fig. 11. Optiq.) si les rayons fa paralleles à l'axe de, sont rompus par le verre a b suivant a K, ensorte qu'ils concourent en e étant prolongés, ce point e est le foyer virtuel de ces rayons.

Comme les rayons qui partent du foyer d'une hyperbole sont refléchis par cette hyperbole, de maniere qu'étant prolongés ils passeroient par le foyer de l'hyperbole opposée, on peut regarder ce second foyer comme un foyer virtuel.

Sur les propriétés des différentes especes de foyers, voyez la dioptrique de Descartes, celle de Huyghens, & beaucoup d'autres ouvrages. (O)

FOYER, (Econ. anim.) Les anciens philosophes & médecins désignoient par ce terme le siége principal de ce qu'ils appelloient calidum innatum, chaud inné. Ils fixoient ce siége dans le coeur ; d'où ils pensoient qu'il se distribue dans toutes les parties du corps. Selon eux, ce chaud inné qu'ils regardoient comme une substance, & qu'ils distinguoient de la chaleur naturelle, qui n'étoit dans leur système qu'une qualité, résidoit principalement dans cet organe où ils trouvoient tout ce qui est nécessaire pour l'y entretenir ; parce que d'après les idées qu'ils s'en étoient faites, il a besoin non-seulement de l'humide radical pour lui servir d'aliment (Voyez HUMIDE RADICAL), mais encore de l'air qui lui sert, comme au feu domestique, pour le fomenter & l'exciter continuellement. Or cet air se renouvelle sans-cesse dans les poumons, qui font, par rapport au coeur, fonction de soufflet pour l'usage qui vient d'être dit.

Les modernes ont abandonné cette théorie sur les causes de la chaleur animale, pour en substituer d'autres, analogues aux différentes manieres dominantes de philosopher ; causes sur lesquelles on a par conséquent beaucoup varié depuis un siecle, mais sans avoir fourni jusqu'à-présent rien de bien satisfaisant. On n'est pas même encore parvenu à déterminer si c'est à des causes méchaniques ou physiques, qu'il faut attribuer cet effet si important dans l'économie animale ; & dans les différens systèmes qui l'ont attribué à des causes purement méchaniques, on n'a pas pû non plus s'accorder sur le lieu du corps où la chaleur est principalement produite ; sur la partie que l'on peut regarder comme en étant le foyer : les uns l'ont fixé dans le coeur ; d'autres dans les poumons ; d'autres enfin dans les vaisseaux capillaires sanguins, sans qu'aucune de ces opinions soit incontestablement reçûe : ainsi on n'a encore rien de bien décidé sur ce sujet en général, d'autant moins qu'on commence à appercevoir que les causes méchaniques ne sont pas suffisantes pour rendre raison de tous les phénomenes, relatifs aux différentes altérations qu'éprouvent les humeurs animales dans les corps vivans. On revient à chercher dans les causes physiques l'explication que celles-là n'ont pû donner jusqu'à-présent d'une maniere bien complete ; on parviendra peut-être à découvrir, à trouver dans les influences de l'électricité, dans l'action universelle de cette puissance physique, & dans la nouvelle théorie que se fait la Chimie, d'après les seules expériences, les lumieres que n'ont pû fournir sur ce sujet les autres parties de la science des corps, qui ne sont fondées pour la plûpart que sur les productions de l'imagination. Voyez CHALEUR ANIMALE, COCTION. (d)

FOYER se dit aussi dans la Pratique médicinale, de la partie du corps où l'on conçoit que sont déposées des humeurs, des matieres morbifiques, qui étant susceptibles d'être portées de-là dans la masse des humeurs, leur communiquent, leur procurent & produisent de mauvaises qualités ; d'où s'ensuivent différens desordres dans l'économie animale. On trouve souvent dans les écrits des praticiens modernes, le mot foyer appliqué sous cette acception, principalement aux premieres voies ; en tant qu'ils supposent que c'est le résultat des mauvaises digestions ; que ce sont les mauvais levains qu'elles fournissent aux secondes voies ; que c'est la corruption des sucs digestifs qui y sont portés : d'où se forment les causes efficientes de la plûpart des maladies. Voyez MALADIE. (d)

FOYER, (Marine) ce sont des feux qu'on allume la nuit au-haut de quelque tour élevée, pour servir de guide aux vaisseaux par leur lumiere. Voy. PHARE. (Z)

FOYER, en Architecture, c'est la partie de l'atre qui est au-devant des jambages d'une cheminée, & qu'on pave ordinairement de grand carreau quarré de terre cuite, ou de marbre ; alors c'est le plus souvent un compartiment de divers marbres de couleur, mastiqués sous une dale de pierre dure, ou incrustés sur un fond de marbre d'une couleur, comme blanc ou noir pur, qu'on met au devant des jambages d'une cheminée. Il s'en fait aussi de marbres feints, & de carreaux de fayence. (P)


FRACTIONS. f. (Gramm.) L'action de briser un corps. Il n'est guere d'usage que dans ces deux phrases consacrées ; fraction de l'hostie, fraction du pain.

I. FRACTION, (Arithmétique & Algebre) Dans le sens le plus étendu, une fraction est une division indiquée ; dans un sens plus étroit, & en tant qu'on l'oppose à l'entier, c'est une division indiquée qui ne peut se consommer.

II. L'une & l'autre définition emportent nécessairement deux termes, dont l'un représente le dividende, l'autre le diviseur. On les place l'un sous l'autre avec une petite ligne transversale entre deux. Le supérieur, qui représente le dividende, est dit numérateur ; & l'inférieur, qui représente le diviseur, est dit dénominateur de la fraction. Ainsi a/b est une fraction dont a est le numérateur & b le dénominateur.

III. Si le numérateur est multiple du dénominateur, la fraction supposée ne l'est que par l'expression, puisque la division venant à s'effectuer, le quotient est un entier.

Si le numérateur, sans être multiple du dénominateur, est d'ailleurs plus grand que lui, il le contiendra, au moins une fois, avec un reste : c'est ce qu'on appelle fraction mixte, parce que le quotient est un entier joint à une fraction.

Enfin si le numérateur est plus petit que le dénominateur ; c'est une fraction pure sur laquelle la division n'a point de prise, & qui est elle-même son quotient.

12/3 = 4 est une fraction de la premiere espece ; 6/5 = 1 + 1/5 une de la seconde ; 2/3 = 2/3 une de la troisieme.

IV. Toute fraction, comme celle-ci 2/3, peut s'énoncer de deux manieres, ou 2 divisé par 3 (c'est-à-dire le tiers de deux) ou deux tiers. La premiere maniere est relative aux définitions ci-dessus. Suivant la seconde, on conçoit l'unité divisée en parties dont le dénominateur indique l'espece & le numérateur le nombre qu'il en faut prendre. Mais cette diversité dans la maniere d'énoncer n'influe en rien sur le fond ; soit qu'on divise 2 toises ou 12 piés par 3, c'est-à-dire qu'on en prenne le tiers, soit qu'on prenne les deux tiers d'une toise ou de 6 piés, le résultat est également 4 piés.

V. Pour procéder avec quelque ordre dans une matiere d'un détail assez épineux, nous traiterons d'abord des fractions prises singulierement, puis nous comparerons diverses fractions ensemble, enfin nous en donnerons le calcul.

VI. Des fractions prises singulierement. La valeur absolue d'une fraction est d'autant plus grande, que son numérateur est plus grand & son dénominateur plus petit ; & au contraire.

Pour en sentir la raison, il suffit de se rappeller que le numérateur est le dividende, le dénominateur le diviseur, & la valeur de la fraction le quotient. Voyez DIVISION.

VII. Pour doubler, tripler, &c. la valeur d'une fraction, c'est donc la même chose de multiplier son numérateur, ou de diviser son dénominateur par 2, 3, &c... comme pour en prendre la moitié, le tiers, &c. c'est la même chose de diviser son numérateur ou de multiplier son dénominateur par 2, 3, &c.

VIII. Donc la valeur d'une fraction n'est point changée, soit qu'on multiplie, soit qu'on divise ses deux termes par la même grandeur n ; car l'effet de l'opération faite sur le numérateur sera détruit par l'opération subséquente sur le dénominateur. C'est en effet multiplier ou diviser la fraction par n/n = 1 ; or 1 ne change point les grandeurs, soit qu'il divise, soit qu'il multiplie.

IX. Cela même fournit le moyen de réduire un entier a en fraction d'un dénominateur quelconque n, sans altérer sa valeur ; il n'y a qu'à le multiplier & le diviser par n.

Si l'on fait n = 1, on aura a x 1/1 = a/1 ; & c'est la maniere la plus simple de réduire un entier en fraction, lorsqu'on n'a pas d'ailleurs intérêt de lui donner un dénominateur déterminé.

X. On dit qu'une fraction est réduite à ses plus simples termes, quand les deux termes qui l'expriment sont premiers entr'eux. Voy. PREMIER & NOMBRE PREMIER. S'ils ne le sont pas, on les réduit à l'être, en les divisant par leur plus grand diviseur commun. Ainsi 18/24 se réduit à 3/4, en divisant le numérateur & le dénominateur par leur plus grand commun diviseur 6. Voyez DIVISEUR.

Il est clair (n°. VIII.) que par cette opération la valeur de la fraction n'est point changée.

XI. Pour trouver la valeur d'une fraction relativement à un entier d'une espece déterminée, voici la méthode. On suppose la fraction pure ; parce que, si originairement elle étoit mixte, on a dû préalablement en tirer l'entier par la voie ordinaire.

Le dénominateur de la fraction restant le diviseur constant, prenez successivement pour dividende, 1°. le numérateur réduit en aliquotes premieres de l'entier (voyez ALIQUOTE) ; 2°. le reste, s'il y en a, réduit en aliquotes secondes de l'entier ; 3°. le second reste réduit, &c. jusqu'à ce que la division soit exacte, ou que vous soyez parvenu à l'aliquote derniere. Ces divers quotiens seront, dans l'ordre qu'ils ont été trouvés, des aliquotes premieres, secondes, troisiemes, &c. de l'entier. Si le dernier quotient laisse un reste, vous l'écrirez en fraction à l'ordinaire. Ainsi cette fraction 3/5, s'il s'agit d'étendue, & que l'entier soit une toise, est 3 piés 7 pouces 2 2/5 lignes ; car = 3, & il reste 3 : = 7, & il reste 1 : = 2 2/5.

La même fraction 3/5, s'il s'agit de monnoie, & que l'entier soit une livre, est 12 s.

Cette même fraction 3/5, s'il s'agit de tems, & que l'entier soit une heure, est 36'.

XII. De la comparaison des fractions. Le but qu'on se propose, en comparant ensemble diverses fractions, est de découvrir le rapport qu'elles ont entr'elles. Ce rapport est sensible, dès que les fractions ont le même dénominateur ; car a/c . b/c : : a. b, puisque le produit des extrèmes est égal au produit des moyens (V. PROPORTION), c'est-à-dire qu'alors les fractions sont entr'elles comme leurs numérateurs.

Il ne s'agit donc que de donner aux fractions proposées un dénominateur commun, lorsqu'elles ne l'ont pas. Or pour cela, quel que puisse être le nombre des fractions, voici une regle simple & unique.

Multipliez les deux termes de chaque fraction par le produit continu des dénominateurs des autres fractions ; il est clair (n°. VIII.) que par cette opération la valeur de chaque fraction primitive n'est point changée ; & il n'est pas moins évident qu'il en résulte pour toutes les fractions réduites le même dénominateur, puisqu'il est pour chacune le produit des mêmes facteurs.

Premieres fractions... a/b c/d f/g.

Secondes fractions... , ou plus simplement .

(+) Si les dénominateurs des fractions ont un diviseur commun, on peut simplifier l'opération en cette sorte : Soit & qu'il faut réduire à même dénomination, les dénominateurs g e & g k ayant pour diviseur commun g, je multiplie le haut & le bas de la premiere par k seulement, & le haut & le bas de la seconde par e seulement, & j'ai & .

(+) Ainsi, si j'avois 3/16 & 5/24 à réduire à même dénomination, je prendrois d'abord le plus grand commun diviseur 8 de 16 & de 24 (voyez DIVISEUR) ; ensuite j'écrirois 3/16 = , & 5/24 = ; ensuite je multiplierois le haut & le bas de la premiere fraction par 3, & le haut & le bas de la seconde par 2, & j'aurois 3/16 = = 9/48, & 5/24 = = 10/48 ; & ainsi des autres.

Du calcul des fractions. Ce qui a été dit (n°. IX.) nous met en droit de supposer que les quantités sur lesquelles il sera question d'opérer, ne contiennent que des fractions.

XIII. Addition. Les fractions proposées étant préalablement réduites à la même dénomination, faites la somme des numérateurs, & écrivez au-dessous le dénominateur commun.

1/2 + 2/3 + 3/4 = = 46/24 = 23/12.

XIV. Soustraction. Après avoir réduit séparément les deux quantités proposées en une seule fraction, donnez aux deux fractions résultantes un dénominateur commun, & écrivez-le sous la différence des numérateurs.

3/4 + 4/5 - 1/2 - 2/3 = 31/20 - 7/6 = = 46/120 = 23/60.

(+) On voit par cette opération que lorsqu'il s'agit d'additionner & de soustraire des fractions, on peut les réduire à la même dénomination par la premiere regle générale, sans s'embarrasser si les dénominateurs ont un commun diviseur, ou non ; il suffira de réduire à la plus simple expression la fraction unique qui sera le résultat de la derniere opération.

En effet qu'on ait, par exemple, à ajoûter avec , on peut écrire indifféremment , après avoir réduit au même dénominateur par la seconde regle, ou en réduisant au même dénominateur par la premiere regle = , en réduisant & divisant le haut & le bas par g.

XV. Multiplication & division. Nommant premiere fraction celle qui représente le multiplicande ou le dividende, & seconde fraction celle qui représente le multiplicateur ou le diviseur, multipliez terme-à-terme la premiere fraction par la seconde, directe s'il s'agit de multiplication, & renversée s'il s'agit de division.

Le produit de a/b x c/d est .

Le quotient de a/b divisé par c/d est a/b x d/c = .

Pour le démontrer, soit a/b = p, d'où a = b p ; & c/d = q, d'où c = d q... Il faut faire voir que = p q, & que = p/q.

Or, que dans le premier membre de ces deux dernieres égalités, au lieu de a & de c, on substitue leurs valeurs b p & d q, on aura....

XVI. Si, pour la division on a préféré le renversement de la fraction qui représente le diviseur à la pratique usitée de multiplier en croix, qui au fond est la même chose ; c'est que la regle présentée sous ce point de vûe rend plus sensiblement raison d'une espece de paradoxe qui a coûtume de frapper les commençans. Il arrive souvent dans la multiplication des fractions que le produit est plus petit que le multiplicande, & au contraire dans leur division, que le quotient est plus grand que le dividende ; & cela ne peut manquer d'arriver toutes les fois que la fraction qui représente le multiplicateur ou le diviseur est plus petite que l'unité ; car alors son numérateur est plus petit que son dénominateur. Quand donc la fraction reste directe dans la multiplication, c'est le plus petit terme qui multiplie la premiere fraction, tandis que le plus grand la divise : cette premiere fraction doit donc être plus diminuée qu'augmentée, & devenir plus petite. Quand au contraire la fraction se renverse dans la division, c'est le plus grand terme qui multiplie la premiere fraction, tandis que le plus petit la divise ; elle gagne donc plus qu'elle ne perd, & doit devenir plus grande.

XVII. Soit a/c à diviser par b/c le quotient sera a/c x c/b = a/b x c/c = a/b. Ce qui fait voir que quand le dividende & le diviseur ont un dénominateur commun, on peut négliger celui-ci, & prendre pour quotient des deux fractions celui même de leurs numérateurs.

(+) On peut voir au mot DIVISION des remarques sur la division des fractions les unes par les autres, ou des entiers par des fractions ; on y a expliqué très-clairement & à priori pourquoi un nombre quelconque divisé par une fraction, donne un quotient plus grand que lui. On a vû aussi au mot EXPOSANT, comment la fraction 1/an se change en a-n.

(+) On a prouvé au mot DIVISEUR (voyez ce mot, & l'addition qu'on y a faite dans l'errata du cinquieme Volume), que si deux nombres a, b, n'ont aucun diviseur commun, & que deux autres nombres c, d, n'ayent aucun diviseur commun entr'eux, ni avec les deux premiers ; alors dans le produit , des fractions a/b, c/d a c & b d n'auront aucun diviseur commun. De-là il s'ensuit que si a/b est une fraction réduite à ses moindres termes ; , a3/b3 & en général an/bn sera aussi une fraction réduite à ses moindres termes. Donc une fraction, soit pure, soit mixte, élevée à une puissance quelconque, donne toûjours une fraction ; donc un nombre entier qui n'a point pour racine quarrée, cubique, &c. un nombre entier, ne sauroit avoir une fraction (même mixte) pour racine ; donc la racine d'un tel nombre est incommensurable. Voyez INCOMMENSURABLE.

XVIII. C'est à la multiplication qu'on doit rappeller la réduction des fractions de fraction, & non à la division, comme au 1er coup-d'oeil on pourroit être tenté de le croire. Prendre en effet les 2/3 de 3/4, n'est-ce pas, ce me semble, diviser 3/4 par 2/3 ? Non, c'est au contraire le multiplier, & l'on va en convenir. Si l'on n'avoit à prendre que le tiers de 3/4, il faudroit (n °. VII.) multiplier le dénominateur par 3 pour avoir 3/12 ; mais c'est les deux tiers qu'il s'agit de prendre. Il faut donc doubler ce qu'on a trouvé, c'est-à-dire (ibidem.) multiplier le numérateur par 2. La seconde fraction 2/3 reste donc directe dans l'opération, ce qui (n °. XV.) détermine celle-ci à être une multiplication. Donc 2/3 de 3/4 = 2/3 x 3/4 = 6/12 = 1/2.

Il suit qu'ayant un nombre quelconque de fractions de fraction, pourvû que ce qui étoit numérateur reste numérateur, & que ce qui étoit dénominateur reste dénominateur, on peut d'ailleurs transposer entr'elles les fractions, & échanger leurs termes comme on voudra, sans que la valeur de la suite en soit altérée, puisque les deux termes de la fraction qui l'exprimera seront toûjours formés respectivement des mêmes facteurs.

XIX. Elévation & extraction. Faites séparément sur les deux termes de la fraction celle des deux opérations qu'exige la circonstance, & elle se trouvera faite sur la fraction elle-même.

(+) XX. Fractions décimales. On a traité cette matiere au mot DECIMAL, auquel nous renvoyons. Nous remarquerons seulement qu'au lieu du point dont nous avons parlé dans cet article, & qui sert à distinguer les parties décimales des entiers, quelques auteurs se servent d'une virgule ; ce qui revient au même, & ce qui est quelquefois plus commode, lorsqu'il est à craindre que le point ne soit pris pour un signe de multiplication. D'autres ont employé une autre maniere, mais moins commode : par exemple, pour désigner 3. 0206, c'est-à-dire quatre parties décimales, ou ce qui revient au même, un dénominateur égal à l'unité suivi de quatre zéros, ils écrivent 30206"" ; de même pour désigner 3. 206, ils écrivent 3206''', & ainsi du reste.

XXI. Fractions sexagésimales. On nomme ainsi un ordre de fractions dont les dénominateurs sont les puissances successives de 60. On en peut imaginer de tant d'autres especes qu'on voudra ; mais nous ne nous y arrêterons pas : outre que leur utilité est bornée à un objet particulier, leur calcul peut aisément se déduire par analogie de tout ce qui a précédé.

(+) Ces fractions, dont le calcul est peu d'usage, ont été imaginées par quelques arithméticiens à cause de la division du cercle en 360 degrés, = 6 x 60, du degré en 60 minutes, de la minute en 60 secondes, &c. Mais on eût beaucoup mieux fait d'employer la division décimale pour les parties du cercle, & en général pour toutes les divisions quelconques, comme on l'a déjà dit au mot DECIMAL.

XXII. Il est encore d'autres fractions d'un ordre transcendant, qu'on nomme continues ; mais comme elles peuvent toûjours se résoudre en suites, nous les renvoyerons à cet article, celui-ci n'étant déjà que trop long. Voyez SUITE. Cet article, à quelques additions près marquées d'une (+), est de M. RALLIER DES OURMES.

FRACTION RATIONNELLE, est le nom que l'on donne à des fractions algébriques qui ne renferment point de radicaux, comme . M. Bernoulli a donné dans les mém. de l'acad. des Sciences de Paris pour l'année 1702, une méthode pour intégrer en général toutes les fractions différentielles rationnelles, comme , , &c. dans lesquelles a, b, f, n, m, q, p, &c. sont des constantes quelconques ; il démontre que ces fractions peuvent toûjours s'intégrer par logarithmes réels ou imaginaires, & que leur intégration peut se réduire par conséquent, ou à la quadrature de l'hyperbole, ou à celle du cercle. Cette méthode a été depuis extrêmement perfectionnée par plusieurs géometres ; dans les journaux de Leipsick de 1718, 1719 ; dans les mémoires de l'académie de Petersbourg, tom. VI. dans l'ouvrage de M. Cottes, intitulé harmonia mensurarum ; dans l'ouvrage de dom Charles Walmesley, qui a pour titre, mesure des rapports ; dans celui de M. Maclaurin, qui a pour titre, a treatise of fluxions, traité des fluxions, tome II. dans le traité de M. Moivre, intitulé miscellanea analytica de seriebus & quadraturis, &c. On peut aussi voir plusieurs recherches nouvelles sur cette matiere dans une dissertation imprimée tome II. des mémoires françois de l'académie de Berlin, 1746. Cette dissertation a pour titre, Recherches sur le calcul intégral. J'y démontre, 1°. que toute quantité algébrique rationnelle m x + r xp -1.... + t d'un degré quelconque, est réductible ou en facteurs simples, tels que x + a, ou en facteurs trinomes, tels que x x + b x + c, a, b, c, étant des quantités réelles. C'est ce que personne avant moi n'avoit démontré, & ce qui étoit nécessaire pour rendre complete la méthode d'intégrer les fractions rationnelles différentielles. On peut voir cette démonstration dans le traité du calcul intégral de M. de Bougainville, II. partie. 2°. J'y donne le moyen de réduire à des fractions rationnelles une grande quantité de différentielles qui renferment des radicaux. On peut aussi voir cette méthode dans l'ouvrage que je viens de citer, ainsi qu'une méthode particuliere pour intégrer les fractions rationnelles, & pour démontrer la méthode de M. Bernoulli ; méthode que j'avois présentée à l'académie des Sciences en 1741, avant que d'avoir l'honneur d'y être reçu. Cet ouvrage de M. de Bougainville contient d'ailleurs le précis de tout ce que les auteurs cités ont donné de meilleur sur cette branche importante du calcul intégral. Voyez INTEGRAL & IMAGINAIRE. (O)


FRACTURES. f. terme de Chirurgie, solution de continuité, ou division faite subitement dans les os, par la violence de quelque cause extérieure contondante. On appelle plaies de l'os, les divisions qui y sont faites par instrument tranchant.

Les fractures sont transversales, obliques, ou longitudinales. Les praticiens n'admettent point la fracture simple de l'os, suivant sa longueur ; parce qu'il n'y a aucun coup capable de fendre l'os en long, qui ne puisse le rompre de-travers avec bien plus de facilité. On trouve néanmoins, à la suite des plaies d'armes à feu, les os fendus suivant leur longueur, jusque dans les articulations : mais ces exemples ne prouvent point la possibilité de la fracture longitudinale simple.

Presque toutes les fractures ont des figures différentes. Les fractures en-travers sont avec des inégalités : ou bien les os sont cassés net, comme une rave : quelquefois un des bouts de l'os cassé est seulement éclaté, & forme une espece de bec qui ressemble à celui d'une flûte. Les fractures obliques sont de deux sortes : les unes sont obliques dans toute leur étendue ; & d'autres sont transversales pendant quelques lignes, & obliques dans le reste de leur étendue. Il y a des fractures dans lesquelles les os sont brisés en plusieurs éclats ; il n'est pas possible de rien déterminer sur leurs figures, qui peuvent être variées à l'infini.

Les fractures different entr'elles par l'éloignement des pieces fracturées : l'écartement est plus considérable dans les unes que dans les autres ; & il y en a sans déplacement. Les os peuvent être déplacés suivant leur longueur, quand les bouts chevauchent les uns sur les autres ; ou bien ils sont déplacés suivant leur épaisseur : il arrive même souvent, dans le dérangement transversal, que les bouts sont portés en sens contraire, sans cesser de se toucher par quelques points des surfaces de la fracture.

Par rapport aux accidens, les fractures sont divisées en simples, en composées, & en compliquées. La fracture est simple, lorsqu'il n'y a qu'un seul os de rompu, sans autre accident contraire à l'indication curative générale, qui consiste dans la réunion des parties divisées. La fracture est composée, lorsqu'il y a en même tems deux ou trois os de cassés dans la partie, sans cependant qu'il y ait d'accidens. La fracture compliquée est celle qui est accompagnée de maladies ou d'accidens qui multiplient les indications, & demandent qu'on employe différens remedes, ou qu'on fasse des opérations différentes pour parvenir à leur guérison : comme sont les luxations, les plaies, les apostèmes accompagnés de fievre, de douleur, de convulsion, &c. Parmi ces accidens, il y en a qui exigent des secours plus promts que la fracture. Si la plaie qui complique une fracture l'étoit elle-même d'hémorrhagie, il faudroit commencer par arrêter le sang, dont l'effusion forme l'accident le plus pressant. Quand il se rencontre en même tems fracture & luxation, celle-ci doit être réduite la premiere ; à-moins que la fracture voisine de l'articulation, un gonflement considérable, ou autres circonstances ne le permettent pas. Pour peu qu'il y ait d'inconvéniens à réduire préliminairement la luxation, on donnera les premiers soins à la fracture : car on peut réussir dans la réduction d'une luxation ancienne. Voyez LUXATION.

On distingue encore les fractures en complete s & en incomplete s. La fracture est complete , lorsque l'os est entierement cassé ; & incomplete , lorsque sa continuité est conservée en partie, au moyen de quelque portion osseuse qui n'a point souffert de division : cela ne se rencontre qu'aux os du crane, des hanches, aux omoplates. Cela peut cependant arriver aux os longs, dans les enfans très-jeunes ou rachitiques ; ou aux adultes, dans le cas des plaies d'armes à feu, qui peuvent écorner un os. Un chirurgien qui donneroit pour preuve de la fracture incomplete une observation dans laquelle le malade, pansé comme d'une contusion considérable, feroit quelque mouvement violent, à la suite duquel la fracture se manifesteroit ; ce chirurgien, dis-je, paroîtroit plutôt avoir méconnu une fracture complete sans déplacement primitif des pieces osseuses, qu'il ne persuaderoit la fracture totale de l'os, par le mouvement violent qui auroit, selon lui, achevé de rompre les fibres osseuses, que le coup ou la chûte auroient d'abord épargnées.

Les coups, les chûtes, les violens efforts, de quelque nature qu'ils soient, sont les causes les plus ordinaires des fractures. On appelle fractures de cause interne celles qui se font à l'occasion d'une cause très-legere, à cause des dispositions internes qui rendent les os très-fragiles : telles sont la carie, l'exostose, la mollesse, & autres états contre nature, qui dépendent de diverses dépravations de la lymphe & du sang, comme la vérole, le scorbut, le virus écroüelleux, le levain cancereux.

Les signes des fractures sont la douleur, l'impuissance du membre, sa mauvaise configuration, & le craquement des pieces fracturées, connu sous le nom de crépitation. Tous ces signes séparément pris, peuvent être équivoques : la douleur & l'impuissance étant les effets ordinaires de beaucoup d'autres maladies, ne prouvent rien en elles-mêmes. La mauvaise configuration du membre est souvent un vice originaire de conformation ; & l'on sait qu'il y a des fractures sans difformité apparente. Enfin les tumeurs emphysémateuses font ressentir une espece de craquement quand on les presse, & qui pourroit en imposer à ceux qui n'y feroient pas grande attention. Un chirurgien qui demande si la difformité qu'il apperçoit à un membre confronté avec la partie saine, est naturelle, ne peut guere se tromper à la simple vûe sur une fracture simple sans gonflement : il y a même fort peu de cas où cette question ne devînt ridicule. Si la mauvaise configuration du membre n'est pas assez manifeste pour faire appercevoir qu'il y a fracture, on pourra la reconnoître par le moyen du toucher, en sentant les inégalités que font les pieces d'os déplacées. Il faut pour cet effet que le malade soit assujetti par quelqu'un de fort ; de crainte qu'abandonné à lui-même, la douleur ne lui fît faire des mouvemens qui pourroient devenir très-nuisibles. Pour mieux reconnoître les inégalités des pieces fracturées, on choisira les endroits où l'os cassé est le moins couvert de muscles ; & glissant les doigts d'un bout à l'autre, l'on suivra l'une des faces ou des crêtes de l'os dans toute sa longueur. On aura encore attention, afin de ménager la sensibilité, de ne toucher qu'avec beaucoup de douceur & de circonspection les endroits où l'on sent des esquilles ou pointes d'os s'élever & faire tumeur : car en poussant durement les parties sensibles contre les pointes & les tranchans des os, on feroit un supplice d'un examen salutaire. La crépitation ou le bruit que font les bouts de l'os cassé, en se froissant l'un l'autre lorsqu'on remue le membre, est un des principaux signes des fractures. Pour faire avec moins de douleur cette épreuve presque toûjours nécessaire, il faut faire tenir fixement la partie supérieure du membre cassé ; afin qu'en remuant doucement la partie inférieure, elle puisse occasionner une legere crépitation : le chirurgien la sent par l'ébranlement que le choc ou le froissement des os fracturés communique à ses mains. Il n'est pas nécessaire que l'air extérieur soit mû au point d'ébranler les oreilles.

Le prognostic des fractures se tire de leur nature & différences de leurs symptômes, & les accidens qui les compliquent. Les fractures obliques, celles qui sont en flûte, celles où il y a plusieurs pieces éclatées, sont plus fâcheuses que les fractures transversales, non-seulement parce que les pointes & les tranchans des os peuvent blesser les chairs, & en conséquence produire plusieurs accidens, mais encore parce qu'il est plus difficile de contenir ces fractures exactement réduites. Les vices intérieurs qui accompagnent les fractures, les rendent dangereuses, parce que le suc osseux n'a pas toûjours alors les dispositions requises pour la formation du cal. Voyez CALUS. Le plus ou moins d'écartement des pieces osseuses, & les différens accidens qui compliquent les fractures, rendent la cure plus ou moins facile.

La cure des fractures consiste premierement à réduire l'os fracturé dans sa situation naturelle ; secondement à l'y retenir, moyennant les appareils convenables ; troisiemement à corriger les accidens, & à prévenir ceux qui pourroient arriver.

La difficulté de réduire les fractures, ne vient que de ce que les bouts de l'os se touchent par les côtés : il faut donc, pour lever cet obstacle, faire des extensions suffisantes. Voyez EXTENSION. Leur degré doit être mesuré sur l'étendue du déplacement, & sur la force des muscles qui tirent les bouts de l'os fracturé, & qui les tiennent éloignés. Les mains seules ne sont pas toûjours suffisantes pour faire les extensions & contre-extensions nécessaires : il faut avoir recours aux laqs appliqués avec méthode. Voyez LAQS. Il y a des cas où un seul aide fait en même tems l'extension & la contre-extension : la fracture de la clavicule en donne un exemple. Le blessé doit être assis sur un tabouret d'une hauteur convenable ; un aide placé par-derriere appuye du genou entre les deux épaules, & tire le moignon de chacune en-arriere. Le chirurgien qui opere travaille pendant ce tems à l'exacte réduction des bouts de l'os. Il faut voir le détail de toutes les manoeuvres particulieres pour la réduction de chaque os, dans les livres de l'art, & principalement dans le traité des maladies des os, par M. Petit. Dans toutes les fractures, lorsque les extensions nécessaires sont faites, on travaille à replacer les pieces d'os dans leur situation naturelle : c'est ce qu'on appelle faire la conformation.

Le seconde intention, dans la cure des fractures, est de maintenir l'os réduit ; ce qui se fait par l'appareil & par la situation. L'appareil est différent suivant la partie fracturée, & selon l'espece de fracture.

Dans les fractures simples des grands os des extrémités, qui sont la cuisse & la jambe, le bras & l'avant-bras, on applique d'abord sur la partie une compresse simple fendue à deux ou à quatre chefs. Pl. II. Chir. fig. 18 & 15. cette compresse doit être trempée dans une liqueur résolutive, telle que l'eau-de-vie camphrée ; non-seulement pour l'effet du médicament, mais aussi afin qu'elle s'applique plus exactement sur la partie, sans y faire aucun pli. On se sert ensuite d'une bande roulée à un chef, trempée dans la même liqueur : on commence par faire trois tours égaux de cette bande sur le lieu de la fracture, & l'on continue de l'employer en doloires sur la partie en remontant jusqu'à l'attache des muscles qui la font mouvoir. Voyez DOLOIRE. Après cette premiere bande, on en applique une seconde d'une longueur convenable à son usage, qui est de faire d'abord deux circonvolutions égales sur l'endroit fracturé : on continue les circonvolutions jusqu'en bas de la partie fracturée, & l'on remonte vers le haut par des doloires. Les différens tours de bande ne doivent laisser à découvert qu'une quatrieme partie du tour précédent, afin que la fracture soit plus exactement contenue. Le bandage trop lâche ne contient point, laisse aux muscles la dangereuse facilité de se contracter ; le calus est difforme ; & le membre peut se consolider dans une direction qui ne seroit pas naturelle : d'un autre côté, le bandage trop serré, lorsqu'il l'est avec excès, attire la gangrene ; & sans l'être au point de causer cet accident formidable, il peut l'être encore trop, & mettre obstacle à la libre circulation des liqueurs ; d'où résultera le manque de nourriture & l'atrophie.

L'inégalité des membres dans l'étendue de leur longueur, oblige en appliquant les bandes, de faire avec art des renversés ; sans quoi, il y auroit des godets, dont l'inconvénient est de ne pas faire une compression égale, & de laisser des inégalités capables de blesser la partie par la compression qui résulte de l'application des autres pieces de l'appareil.

Les deux premieres bandes appliquées, on met les compresses longuettes, Pl. II. fig. 17. suivant les regles que nous avons exposées au mot ÉCLISSE. Dans le pansement de la jambe fracturée, quelques praticiens remplissent le bas, depuis le défaut du mollet jusqu'aux malléoles, par l'application d'une compresse graduée inégale, Pl. XXXI. fig. 11. d'autres préferent de donner plus d'épaisseur à l'extrémité inférieure des longuettes ; ce qui se fait en repliant de la longueur qu'on le juge convenable, le linge simple, avant de faire les plis suivant la largeur, qui déterminent celle qu'on veut donner à chacune des compresses longuettes. On les maintient par une troisieme bande, dont les circonvolutions peuvent être faites en doloires plus larges, pour ménager la longueur de la bande. On peut contenir tout cet appareil entre deux gouttieres de fer-blanc ou de carton, liées avec des rubans de fil. On applique ensuite l'écharpe pour l'extrémité supérieure, voyez ÉCHARPE ; & des fanons dans les fractures de l'extrémité inférieure, voyez FANONS. Une legere tuméfaction, sans douleur ni rougeur, qu'on apperçoit au-dessus & au-dessous du bandage, marque qu'il n'est ni trop ni trop peu serré.

Lorsque l'appareil convenable est appliqué, il y a des précautions à prendre pour la commodité du blessé : il est à-propos d'insister un peu sur ces commodités, que tout le monde doit être bien-aise de connoître, & que peu de gens sont à-portée de rechercher dans les livres de l'art.

Nous avons dit au mot ECHARPE, ce qui concerne l'extrémité supérieure. Lorsque dans les premiers jours les malades sont obligés de garder le lit, il faut que le membre soit placé sans gêne dans une direction qui tienne tous les muscles relâchés, & sur un oreiller mollet. La jambe sera un peu élevée du côté du pié, pour favoriser le retour du sang ; elle sera appuyée sûrement & mollement : on la posera sur un oreiller égal, appuyé sur un matelas qui lui-même doit être fort égal. Pour cet effet, le lit doit être garni de matelas seulement, sans lit de plume ; & même il est bon de mettre entre le premier & le second matelas, une planche qui occupe depuis le pié jusque par-delà la hanche. Mais comme la nécessité d'être couché deviendroit à la longue insupportable, si l'on ne prenoit des précautions pour en diminuer la gêne autant qu'il est possible ; on fait attacher au plancher une corde qui passe à-travers le ciel du lit, & qui descende à la portée de la main du malade : cette corde lui est très-utile pour se remuer facilement, & satisfaire à ses différens besoins. On attache au pié du lit une planche qui doit être stable, & sur laquelle on a fait cloüer un billot garni d'un matelas ou coussin : ce billot est un des plus grands soulagemens qu'on puisse procurer au malade ; il lui sert à appuyer le pié sain pour se soûlever, avec l'aide de la corde, dans ses besoins, & pour se relever de-tems-en-tems, lorsqu'il glisse vers le bas du lit. Le chirurgien peut prévenir cet inconvénient, en donnant ses soins à la construction du lit ; il doit même aider à le faire convenablement pour le bien de son malade.

Pour éviter que le croupion ne s'écorche, M. Petit conseille de percer le premier matelas, afin de pouvoir passer commodément un bassin entre le premier & le second matelas, lorsque le blessé veut aller à la selle. Dans ce cas le drap de dessous doit être fendu ou composé de deux pieces qu'on puisse écarter au besoin, à l'endroit des fesses : faute de cette précaution, le croupion s'écorche ; & alors il faut l'examiner souvent, & bassiner cette partie avec de l'eau vulnéraire, ou de l'eau-de-vie camphrée, pour prévenir la mortification : on remédiera à cet accident par l'application de l'onguent de stirax.

Dans les fractures compliquées, la nécessité de panser souvent les blessés exigeroit de trop grands mouvemens dans l'usage des bandes roulées ; & ces mouvemens seroient un grand obstacle à la réunion, qui demande un repos parfait, autant qu'il est possible de le procurer. On se sert alors du bandage à dix-huit chefs. Voyez sa description au mot BANDAGE ; & sa figure, Pl. XXXI. fig. 10. Ce n'est pas seulement dans la fracture de la jambe, mais dans toutes celles des extrémités avec complication, qu'on doit s'en servir : on l'applique même dans les cas où il n'y a point de plaie. Dans les grandes contusions, par ex. quand il n'y auroit point de nécessité d'inciser, pour donner issue au sang extravasé, on employe le bandage à dix-huit chefs dans les premiers tems, & on revient ensuite au bandage roulé. On est alors dans le cas de lever souvent l'appareil contre la regle générale, pour observer ce qui se passe ; & aussi afin de serrer le bandage à proportion que le sang se résout, & que la partie se dégonfle.

Les fractures avec plaie sont plus ou moins fâcheuses suivant la nature de la plaie & de ses accidens. C'est quelquefois la même cause qui fracture l'os, qui fait la plaie ; comme une roue de carrosse, une balle de mousquet, un éclat de bombe, &c. Les os même qui sont cassés peuvent déchirer les muscles & percer la peau ; ces plaies sont avec plus ou moins de contusion, & peuvent être compliquées d'hémorrhagie, de corps étrangers, &c.

Les anciens se servoient dans ces sortes de cas, d'un bandage fenêtré, qui leur permettoit de panser la plaie sans toucher au reste de l'appareil. Suivant Paul d'Aegine & Gui de Chauliac, on peut se servir des bandes roulées, dans le traitement des fractures compliquées avec plaie, avec le soin de ne couvrir des circonvolutions de la bande que les parties circonvoisines de la plaie ; celle-ci demeurant à nud & à découvert, afin de la pouvoir panser tous les jours, & d'y appliquer les médicamens convenables, sans lever les bandes ni toucher à la fracture. Ambroise Paré desapprouve fort ce bandage : si la plaie n'est pas comprimée convenablement, les humeurs y seront envoyées, dit-il, des parties circonvoisines pressées ; & il y surviendra bien-tôt inflammation & gangrene. Jacques de Marque, célebre chirurgien de Paris, mort en 1622, & qui nous a laissé un excellent traité des bandages, qu'aucun écrivain sur la même matiere n'a pû rendre inutile, a disserté très-doctement sur les inconvéniens reconnus dans l'usage de ce bandage fenêtré ; il rappelle le précepte de Paré, qui veut que l'on se serve d'une bande en deux ou trois doubles, en façon de compresse qui ne fasse qu'une seule révolution ; c'est cette compresse en trois doubles, fendue pour en faire trois chefs de chaque côté, qui forme notre bandage à dix-huit chefs si recommandé dans la pratique. Il comprime également toute la partie ; & l'on peut, sans le remuer, réitérer les pansemens autant qu'il est nécessaire ; Guillemeau en est l'inventeur : mais Jacques de Marque, qui a écrit depuis ce savant chirurgien, digne éleve du grand Paré, a encore perfectionné ce bandage, tant dans son usage que dans sa construction.

Chaque compresse donne six chefs ; ce qui ne convient, dit-il, qu'aux fractures qui sont au milieu d'un membre ; & dans ce cas, on peut arrêter les chefs supérieurs & inférieurs, se contentant de lever à chaque pansement les chefs du milieu, pour découvrir la plaie. Si la fracture étoit proche de l'articulation, il suffiroit que chaque piece de linge fût fendue de chaque côté pour faire quatre chefs ; à-moins qu'en se servant du bandage avec des compresses à six chefs, on n'attachât les chefs supérieurs ou inférieurs, au-dessus ou au-dessous de l'articulation : c'est-à-dire, qu'en se servant du bandage à dix-huit chefs pour une fracture avec plaie à la partie inférieure de la cuisse, les six chefs inférieurs seroient employés au-dessous du genou ; ou les six chefs supérieurs au-dessus du genou, dans l'application qu'on feroit de ce bandage pour une fracture compliquée à la partie supérieure de la jambe ; ce qui me paroîtroit fort utile. M. Petit décrit le pansement & l'appareil des fractures compliquées, de la maniere suivante. On mettra sur la plaie couverte des plumaceaux, une compresse en quatre doubles, pour empêcher que les matieres purulentes ne gâtent le reste de l'appareil ; puis deux compresses longuettes assez épaisses, une de chaque côté : & au lieu du bandage à dix-huit chefs cousus ensemble, on peut appliquer plusieurs bouts de bande séparés, lesquels feront le même effet que le bandage ordinaire, & auront l'avantage de pouvoir être changés séparément, suivant le besoin. Pour maintenir ce bandage, on peut se servir des gouttieres de fer blanc, liées avec trois laqs ou rubans de fil : on mettra ensuite le membre dans la situation convenable.

M. Petit a corrigé les fanons pour les fractures compliquées de plaie à la partie postérieure du membre ; il faisoit envelopper les torches de paille dans deux morceaux de toile séparés, de façon qu'elle manquât dans l'endroit de la plaie. Cet intervalle peut contribuer à la facilité des pansemens, puisqu'on peut, à l'aide de ces fanons, soûlever le membre & panser la plaie, après qu'on l'a mise à découvert des compresses.

Dans les fractures compliquées de la cuisse, M. Petit recommande que le premier matelas soit partagé en plusieurs pieces qui puissent s'ajuster ensemble, & se séparer au besoin. Une grande piece s'étend depuis le milieu des fesses jusqu'au chevet : le reste est partagé en quatre, deux de chaque côté. L'une, du côté malade, doit commencer où finit la premiere, & s'étendre quatre travers de doigt au-dessous de la fracture : l'autre piece du même côté, commence où finit celle-ci, & s'étend jusqu'au pié du lit. Les deux autres pieces du matelas sur lequel appuie le côté sain, seront partagées de même, à la différence qu'elles soient plus larges ; le lit étant partagé de maniere qu'un tiers de sa largeur seulement fournit les portions qui soûtiennent le côté malade. Chacune de ces quatre portions de matelas est enveloppée de toile ; ce qui sert de drap, sans en avoir l'inconvénient, & sans pouvoir former de plis capables d'incommoder : on peut aussi changer facilement ces toiles, pour raison de propreté. La partie supérieure du matelas, recouverte d'une alaise ou petit drap, n'a aucune communication avec les pieces inférieures.

Voici les commodités qu'on tire de ces différentes pieces de matelas détachées. Quand on veut donner le bassin au malade, on ôte la piece du milieu, qui est du côté sain. Une partie de la cuisse & de la fesse portent alors à faux ; & l'espace qu'occupoit la portion de matelas ôtée, fait place au bassin qu'on présente au malade, & qu'on retire aisément lorsqu'il a été à la selle. Pour pouvoir remettre aisément cette portion du matelas, il faut y avoir fait coudre deux sangles étroites, ou deux rubans tire-bottes, qui passent sous la pareille portion de matelas du côté malade. Ces sangles sont tirées par quelqu'un, de maniere à ne point changer de place, ni remuer la portion du matelas sur laquelle appuie la cuisse fracturée. Le malade pourra aussi recevoir facilement un lavement, si l'on ôte les deux portions inférieures qui soûtiennent le côté sain.

Pour panser le blessé, on tire la piece du matelas qui est dessous la fracture ; & l'on a la liberté de passer les mains de tous côtés pour lever l'appareil, & le rappliquer, sans risque d'ébranler la fracture.

A l'égard de la fracture compliquée de la jambe, M. Petit a imaginé un moyen particulier dont nous avons donné la description au mot BOITE. Cette boîte a une planchette qui soûtient la plante du pié, & qui empêche le poids des couvertures sur la jambe fracturée. Dans les fractures simples, on est obligé de mettre une semelle de bois garnie de linge pour servir de point d'appui à la plante du pié. Un ruban de fil embrasse cette semelle, & y est fixé par son milieu. Les deux chefs se croisent sur le coup-de-pié, & sont attachés aux fanons par des épingles. On jette ensuite ces rubans alternativement de côté & d'autre, en les croisant également pour former des losanges jusqu'au haut de la partie. On les fixe aux fanons par des épingles, avant que de faire les renversés, pour passer les chefs d'un côté à l'autre. On met la partie sur un oreiller mollet, de façon que le talon n'appuie point ; sans quoi, il y surviendroit inflammation & gangrene.

Au moyen de l'archet ou arceau, qui est une espece de demi-cercle, ou demi-caisse de tambour, on fait un logement à la jambe & au pié, qui les met à l'abri du poids du drap & des couvertures du lit, Pl. IV. fig. 2. En hyver, pour entretenir la chaleur du pié, on est obligé de le garnir de serviettes & autres linges chauds, pour suppléer au defaut de l'application des couvertures.

Après avoir mis la partie en situation, il faut s'attacher à remplir la troisieme indication de la cure des fractures ; laquelle consiste à prévenir les accidens, & à les combattre, s'ils surviennent. Dans les fractures simples, il suffit de faire quelques saignées pour procurer la résolution du sang épanché dans l'intérieur aux environs des bouts de l'os cassé. On fait des fomentations résolutives & spiritueuses, & l'on fait observer un régime convenable pendant quelques jours. Les fractures compliquées exigent des attentions plus suivies & diversifiées, suivant les circonstances. Voyez l'article CHIRURGIE.

Au mot FLABELLATION, nous avons démontré la nécessité d'empêcher le prurit, en donnant de l'air à la partie blessée.

On doit continuer l'appareil sur les parties fracturées, jusqu'à la parfaite consolidation des pieces osseuses : elle se fait plus tôt ou plus tard, suivant la nature différentielle de chaque os. Il y a des précautions à prendre pour mouvoir la partie dans ses articulations ; de crainte que restant long-tems dans l'inaction, la synovie ne vînt à s'épaissir ; ce qui donneroit lieu à l'anchylose. Voyez ANCHYLOSE. (Y)

FRACTURE, (Manege & Maréchallerie) solution de continuité des os & même des cartilages, faite par un corps extérieur contondant, très-différente de la plaie faite à l'os par un instrument tranchant ou piquant, ainsi que de la luxation, qui n'est véritablement qu'une solution de contiguité.

Les os peuvent être fracturés dans tous les sens possibles.

Il est des fractures transversales ; il en est d'obliques ; il en est de longitudinales : dans d'autres enfin l'os est entiérement écrasé.

Nous appellons fracture transversale, celle par laquelle l'os a été divisé dans une direction perpendiculaire à sa longueur ; & fracture oblique, celle dans laquelle la division s'écarte plus ou moins de cette direction.

Ces fractures sont sans déplacement, lorsque chaque portion divisée demeure dans une juste opposition ; avec déplacement imparfait, lorsqu'elles ne se répondent pas exactement ; avec déplacement total, quand elles glissent l'une à côté de l'autre. Elles peuvent être encore transversales & obliques en même tems ; obliques dans une portion de leur étendue ; transversales dans l'autre, &c.

Dans les fractures longitudinales, les os sont simplement fendus selon leur longueur ; elles ne sont proprement que des fissures, les parties divisées de ces mêmes os n'étant & ne pouvant être séparés en entier.

Enfin nous comprenons dans les fractures où l'os a été écrasé, toutes celles où il a été brisé & réduit en plusieurs éclats, & en un nombre plus ou moins considérable de fragmens.

La chirurgie vétérinaire doit encore se conformer à la chirurgie du corps humain, en adoptant la distinction que celle-ci fait des fractures en fracture simple, composée, compliquée, complete & incomplete .

Un seul os cassé en un seul endroit sans accidens extraordinaires & sans un dommage évident pour les parties dont il est environné, constitue la fracture simple.

Plusieurs os cassés dans une même partie, ou le même os rompu en différens endroits, forment ce que nous entendons par fracture composée.

Nous nommons fracture compliquée, celle à laquelle s'unissent des symptomes, qui exigent de la part du maréchal une méthode particuliere dans le traitement : telles sont les fractures avec plaie, luxation, hémorrhagie, contusion violente, &c.

Nous disons que la fracture est complete , lorsque la solution de continuité est entiere ; & incomplete , quand elle ne l'est pas. Ce dernier cas qui n'a lieu dans l'homme & dans l'animal qu'eu égard aux os plats, pourroit ensuite d'un coup de feu arriver aux autres os.

Les coups, les chûtes, les grands efforts, sont les causes ordinaires des fractures ; la destruction de la direction du mouvement musculaire ; la cessation de l'action des muscles attachés à l'os fracturé ; le racourcissement du membre, conséquemment à la contraction spontanée de ces puissances ; sa défiguration relative à leur dérangement ; sa difformité provenant de la surabondance ou de la marche impétueuse des sucs régénérans ; la dilacération des tuniques qui revêtent extérieurement & intérieurement les os ; la rupture des vaisseaux qui rampent dans leurs cavités & dans leurs cellules ; l'irritation, le déchirement des membranes, des tendons & des nerfs ; la compression, l'anéantissement, l'inflammation des tuyaux voisins de la solution de continuité ; la contusion des parties molles qui se rencontre entre la cause vulnérante & l'os, en sont en général les suites les plus considérables & les plus graves.

Nous avons ici pour symptomes univoques, les vuides, les inégalités résultant des pieces d'os déplacées ; la crépitation ou le bruit occasionné par le frottement de ces mêmes pieces, lorsque la portion supérieure du membre étant fixement maintenue, on en remue legerement la portion inférieure, & l'état du membre qui plie dans l'endroit cassé, cette même portion inférieure étant plus ou moins mobile & pendante ; la douleur, la difficulté du mouvement ; l'impossibilité de tout appui sur la partie lésée, &c. sont des signes vraiment équivoques, puisqu'ils peuvent se rapporter à d'autres accidens qu'à celui dont il s'agit.

Quant aux preuves certaines de la réalité de fissures, elles sont très-difficiles à acquérir ; elles se bornent aux tumeurs qui les accompagnent, & quelquefois à l'inflammation, à la suppuration, à la carie ; & toutes ces circonstances ne présagent encore rien de constant & d'assûré.

Plusieurs auteurs, parmi lesquels on peut compter Ruini, dont l'ouvrage fut publié dès l'année 1599, ont proposé des moyens de remédier aux fractures. M. de Soleysel lui-même proteste avoir vû un mulet & un cheval parfaitement guéris ; le premier d'une fracture à la cuisse, le second d'une fracture compliquée au bras. Si néanmoins nous nous abandonnions aux impressions de la multitude, nous déciderions affirmativement que toute solution de continuité de cette espece est incurable dans l'animal. En effet, on a imaginé que ses os étoient dépourvûs de moëlle ; & de ce fait qu'il étoit aisé de vérifier, mais qu'on a dédaigné d'approfondir, on a conclu que dès qu'ils étoient fracturés, toute réunion étoit impossible. Quand on pourroit imputer ou reprocher avec raison à la nature d'avoir, relativement au cheval, négligé toutes les précautions qu'elle a prises, eu égard à tous les autres animaux, pour corriger par le moyen de la matiere huileuse & subtile dont les vésicules osseuses sont remplies, & par celui de la masse moelleuse contenue dans les grandes cavités des os, la rigidité de ces parties, il s'ensuivroit seulement qu'elles seroient plus seches & plus cassantes ; & l'on ne pourroit tirer d'autre conséquence de leur fragilité, que le danger toûjours prochain des fractures. Ce n'est ni à cette huile déliée, ni à cette masse médullaire, que les os doivent leur nutrition & leur accroissement. Parmi les vaisseaux innombrables qui traversent le périoste, s'il en est qui pénetrent dans leurs cellules & dans leur portion caverneuse, il en est d'autres qui s'insinuent dans leur substance, & qui y portent des fluides & suc lymphatique, qui coulant & circulant dans les tuyaux de leurs fibres, réparent toute dissipation. Cette lymphe ou ce suc nourricier qui parcourt ces fibres, ne peut que s'épancher à leurs ouvertures ; il s'épaissit dès qu'il y est déposé : ainsi dans la circonstance d'une fracture il se congele à l'embouchure de chaque conduit osseux, comme à l'orifice des canaux ouverts, dans la circonstance d'une plaie dans les parties molles. La réunion & la régénération s'operent ici presque de la même maniere. Voyez FEU, CAUTERE. Chaque molécule lymphatique fournit un passage à celles qui la suivent, elles s'arrangent de telle sorte, qu'en effectuant le prolongement des fibres à l'endroit fracturé, elles en remplissent tous les vuides, & soudent enfin très-solidement toutes les pieces rompues & divisées, pourvû néanmoins qu'elles ayent été réduites, rapprochées, & régulierement maintenues dans cet état. La supposition de l'absence totale de la moëlle dans les os du cheval, ne devroit donc point conduire à l'opinion & au système de l'incurabilité des fractures, à moins que par une suite de cette premiere absurdité, on eût encore pensé que les os de cet animal, non moins durs & non moins arides que ceux des squeletes, ne reçoivent aucune nourriture, & ne sont impregnés d'aucuns sucs.

Il faut avoüer cependant que toutes les fractures ne sont pas également curables ; la quantité des muscles dont, par exemple, l'humerus ou le bras proprement dit, & le femur ou la cuisse proprement dite, sont couverts ; la difficulté d'y faire une réduction exacte ; la force des faisceaux musculeux qui tendroient toûjours, sur-tout si la fracture étoit oblique, à déplacer les pieces réduites ; l'impossibilité de les assujettir solidement par un bandage, vû la figure des membres en ces endroits : tout me détermine à croire que dans le cas où il y auroit une fracture, même simple à l'un ou à l'autre de ces os, nos efforts seroient impuissans, & nos tentatives inutiles. Je ne vois dans les os du corps de l'animal, que les côtes ; dans ses extrémités antérieures, que les os du paturon, du canon, & le cubitus, c'est-à-dire l'os de l'avant-bras proprement dit ; & dans ses extrémités postérieures, que ces deux premiers os & le tibia, vulgairement & mal-à-propos nommé par M. de Soleysel l'os de la cuisse, dont la fracture n'offre rien qui doive d'abord nous faire desespérer des succès, encore ne peut-on véritablement s'en flater, relativement au tibia, qu'autant qu'il n'aura point été fracturé dans le lieu de sa tubérosité, ou dans sa partie supérieure. Je dirai plus, les prognostics de ces fractures ne sont pas tous avantageux ; un fragment d'os considérable emporté par une balle, nous met dans la nécessité d'abandonner à jamais l'animal. Il en est de même lorsque les muscles, les nerfs, les vaisseaux se trouvant entre les fragmens très-écartés de l'os, s'opposent au replacement, & lorsqu'un même os est cassé en plusieurs endroits, car alors il demeure semé d'inégalités sans nombre, & la cure est toûjours très-lente & très-incertaine. Elle est infiniment plus difficile quand il s'agit d'une fracture compliquée, d'une fracture avec déplacement total, d'une fracture oblique, d'une fracture ancienne, d'une fracture dans un vieux cheval, &c. que lorsqu'il est question d'une fracture simple, sans déplacement, transversale, récente, & faite à l'os d'un jeune cheval, ou d'un poulain ; & elle est aussi beaucoup plus promte dans ces derniers cas, selon néanmoins le volume des os fracturés ; le calus étant solidement formé au bout de vingt ou vingt-cinq jours dans la fracture des côtes ; le canon n'étant repris qu'après quarante jours écoulés ; le cubitus, qu'après cinquante, & quelquefois soixante, &c.

Quelque importans que soient ces détails, quand je les étendrois au-delà des bornes que nous devons nous prescrire dans cet ouvrage, ils seroient d'une très-foible ressource pour le maréchal, s'il ignore d'une part & par rapport aux os, leur nombre, leur figure, leur grosseur, la nature de leur substance, les inégalités, les éminences de leurs surfaces ; & de l'autre, & par rapport aux muscles, leur position, leur fonction, leur direction, &c. ainsi que la situation des nerfs & des vaisseaux considérables qui peuvent se rencontrer dans le membre fracturé ? La nécessité d'être parfaitement instruit de tous ces points divers, est absolue pour qui veut juger sainement des suites du mal, & se décider avec certitude sur les véritables moyens d'y remédier.

Ces moyens consistent à remettre l'os dans sa position naturelle, & à le maintenir fermement dans cet état. La réduction s'en fait par l'extension, la contre-extension & la conformation ; & cette réduction est fermement maintenue par le secours de l'appareil & par la situation dans laquelle on place l'animal.

Nous appellons extension, l'action par laquelle nous tirons à nous la partie malade ; contre-extension, l'effort par lequel cette même partie est tirée du côté du tronc, ou fixée de ce même côté d'une maniere stable ; & nous nommons conformation, l'opération qui tend à ajuster avec les mains les extrémités rompues de l'os, selon la forme & l'arrangement qu'elles doivent avoir.

L'extension & la contre-extension sont indispensables pour ramener la partie dans son étendue, & les extrémités fracturées au point d'être mises dans une juste opposition, & rapprochées l'une de l'autre. On doit donc observer, 1°. qu'elles sont inutiles dans les fractures sans déplacement ; 2°. que dans les circonstances où l'on est obligé d'y recourir, les forces qui tirent doivent être à raison de celle des muscles & de la séparation, ou de l'éloignement des pieces ; 3°. que ces mêmes forces doivent être appliquées précisément à chacun des bouts de l'os rompu ; 4°. qu'il importe qu'elles soient égales ; 5°. que l'extension ne doit être faite que peu-à-peu, insensiblement & par degrés, &c. Quant à la conformation, on conçoit sans peine qu'elle doit être le travail de la main, dès que l'on connoît le but que l'opérateur se propose ; & il seroit inutile sans-doute d'insister ici sur l'attention avec laquelle il faut qu'il évite de presser les chairs contre les pointes des os, & de donner ainsi lieu à des divisions & à des divulsions toûjours dangereuses. Je remarquerai encore qu'il ne s'agit pas dans toutes les fractures de tenter d'abord la réduction ; une tumeur, une inflammation violente, nous prescrivent la loi de ne point passer sur le champ à l'extension & à la contre-extension, & de calmer l'accident avant d'y procéder, par des saignées, des lavemens & des fomentations legerement résolutives. Une hémorrhagie nous indique l'obligation de nous occuper dans le moment du soin de réprimer l'effusion abondante du sang ; des esquilles qui s'opposent constamment à tout replacement & qui ne peuvent que nuire à la cure, exigent que nous commencions premierement à les enlever ; une luxation jointe à la fracture, demande que nous n'ayons dans l'instant égard qu'à la nécessité évidente de la réduire, &c.

Nous comprenons sous le terme d'appareil, les bandes, les compresses, & les attelles.

Les bandes que nous employerons seront des rubans de fil plus ou moins larges, & qui auront plus ou moins de longueur, selon la figure du membre fracturé. Les circonvolutions de ce ruban autour de la partie, forment ce que nous appellons bandage. Nous avons l'avantage de ne mettre en usage que celui que l'on nomme continu, c'est-à-dire celui qui est fait avec de longues bandes roulées, & qui est le plus souvent capable de contenir l'os réduit : car dans les fractures compliquées, nous pouvons nous dispenser de recourir au bandage à dix-huit chefs, puisque nous pouvons dérouler nos bandes & les replacer sur le membre sans rien changer à sa situation, & sans lui causer le moindre dérangement. On doit se souvenir au surplus qu'un bandage trop serré peut gêner la circulation, & produire un gonflement, une inflammation ; & qu'un bandage trop lâche favoriseroit la desunion des fragmens replacés : ainsi le maréchal doit être scrupuleusement en garde contre l'un ou l'autre de ces inconvéniens.

Les compresses sont des morceaux de linge pliés en deux ou en plusieurs doubles ; on en couvre les parties fracturées ; on les tient plus épaisses dans les endroits vuides ou creux qu'elles doivent remplir.

Les attelles ne sont autre chose que des especes de petites planches, faites d'un bois mince & pliant, mais cependant d'une certaine force & d'une certaine consistance, avec lesquelles on éclisse le membre cassé ; elles doivent être par conséquent adaptées & assorties à sa force & à sa grosseur.

A l'égard de la maniere dont on doit situer l'animal ensuite de l'application de l'appareil, il paroît selon le rapport & le témoignage de M. de Soleysel, qu'il est très-possible de l'abandonner sans crainte que par un appui indiscret sur le membre fracturé, il porte la moindre atteinte à la réduction faite. Le cheval & le mulet dont cet auteur parle, & qui avoient été jettés dans des prairies, offrent un exemple de l'attention que lui suggere l'instinct ; & j'en trouverois encore une preuve dans une jument, qu'une personne très-digne de foi m'a assûré avoir vû traiter avec succès d'une fracture sans autres soins, après que les bandages furent assûrés, que celui de la tenir simplement & à l'ordinaire dans une écurie. Je ne sai cependant si je ne préférerois pas la suspension de l'animal dans le travail jusqu'à l'entiere formation du calus, pour prévenir plus sûrement les accidens qui peuvent arriver en le livrant à lui-même, & pour être plus à portée de visiter mon appareil, de l'ôter, de le replacer dans une foule de circonstances qui nous y invitent & qui nous y obligent.

Terminons toutes ces discussions qui n'éclairent encore le maréchal que sur la cure générale des fractures, par l'exposition de la méthode particuliere qu'il doit suivre dans le cas d'une fracture à l'un des membres, & dans celui d'une fracture à l'une des côtes.

Supposons en premier lieu une plaie oblique & contuse de la longueur de quatre travers de doigt, à la partie moyenne supérieure du canon de l'une des extrémités postérieures, avec une fracture en bec de flûte à ce même os.

L'opérateur disposera d'abord son appareil ; il préparera un plumaceau de charpie, une compresse en double d'environ un demi-pié de largeur, sur 8 ou 9 pouces de longueur ; deux bandes de quatre aunes de longueur, & larges d'environ trois travers de doigt ; & des attelles, qu'il enveloppera chacune dans un linge égal, & dont la largeur & la longueur seront proportionnées au volume & à l'étendue de l'os fracturé.

Il procédera ensuite aux extensions. M. de Garsault dans son nouveau parfait Maréchal, propose à cet effet de renverser le cheval, & d'employer les forces opposées de plusieurs hommes. Je doute que ces forces soient toûjours suffisantes ; j'imagine de plus qu'il est assez difficile que les tractions soient en raison égale ; qu'elles soient opérées dans une direction juste & précise ; qu'elles soient exactement insensibles & par degrés ; & d'ailleurs il me semble que l'animal dans l'action de se relever étant nécessairement astraint à faire usage de ses quatre membres, se blesseroit inévitablement en tentant de l'effectuer, & ne pourroit que détruire par cet effort tout ce que le maréchal auroit fait pour replacer les pieces divisées, & pour les maintenir unies. Je conseillerai donc de le suspendre dans un travail ordinaire, mais susceptible des additions suivantes.

Soient deux rouleaux ou cylindres de trois pouces de diametre au moins, dont la longueur traverse toute la largeur du travail, l'un au tiers supérieur, & l'autre au tiers inférieur, de la hauteur des montans, & qui s'engagent par les deux extrémités par deux collets portés sur la face extérieure de ces mêmes montans. Soit l'une des extrémités de chaque rouleau assemblée quarrément, avec un rochet tel que ceux qui constituent communément les crics des berlines. Soit un fort cliquet attaché par un clou rond au montant, & sur la face latérale pour le bec de ce même cliquet, s'engager dans les dents du rochet.

Soient encore deux poulies, dont les chapes terminées en crochet puissent être accrochées, l'une à la traverse supérieure du travail, l'autre à une traverse à fleur de terre. Soient ces mêmes traverses garnies de divers anneaux solidement attachés, & entre lesquels l'opérateur pourra choisir ceux qui répondront le plus exactement à la direction de la partie qu'il est question de réduire. Alors le maréchal placera trois entravons rembourrés ; le premier précisément au-dessus du jarret ; le second directement au-dessous, c'est-à-dire à l'extrémité supérieure de l'os cassé ; & le troisieme à l'extrémité inférieure de ce même os, c'est-à-dire au-dessus du boulet. Ces trois entravons seront serrés, de maniere qu'ils ne pourront glisser du côté où les tractions seront faites. De l'anneau de fer situé à la partie postérieure de l'entravon qui enveloppe le tibia, partiront deux cordages assez forts, qui seront attachés à une traverse immobile à l'effet de fixer le membre. Des anneaux situés latéralement dans le second entravon, partiront encore des cordes, qui passeront dans la poulie supérieure, chargée de former le retour en contre-bas de ces mêmes cordes, qui s'enrouleront sur le rouleau supérieur, tandis que celle de la traverse inférieure recevra les cordages qui viendront des deux anneaux du dernier entravon, & favorisera leur retour en contre-haut, & leur enroulement sur le cylindre inférieur. Ces cylindres mus ensuite sur leur axe par une manivelle appropriée à cet usage, il est visible que l'extension & la contre-extension pourront avoir lieu selon toutes les conditions requises, & dans le même tems. Le maréchal examinera le chemin que feront les pieces fracturées : dès qu'elles seront parvenues au niveau l'une de l'autre, il fera la coaptation ; & dans la crainte qu'une extension trop longue n'ait de fâcheuses suites, il ordonnera à ses aides de se relâcher legerement, & d'introduire le bec de chaque cliquet dans les dents du rochet qui lui répond. L'un d'eux tiendra l'endroit fracturé, pendant qu'il pansera la plaie ; il y mettra le plumaceau qu'il a préparé, après l'avoir imbibé d'eau-de-vie ; il trempera la compresse dans du vin chaud, il en couvrira circulairement le lieu de la fracture : ensuite il prendra le globe de la bande, qui sera imbue du même vin ; sa main droite en étant saisie, il en déroulera environ un demi-pié. Il commencera le bandage par trois circulaires médiocrement serrés sur ce même lien : de-là il descendra jusqu'à l'extrémité de l'os par des doloires ; il remontera jusqu'à l'endroit par lequel il a débuté ; il y pratiquera encore le même nombre de circulaires, & gagnera enfin la partie supérieure du canon, où la bande se trouvera entierement employée. Cette partie ayant plus de volume que l'inférieure, le maréchal fera à celle-ci quelques circonvolutions de plus, & n'oubliera point les renversés, par le moyen desquels on évite les godets, & l'on fait un bandage plus propre & plus exact.

C'e n'est pas tout ; il se munira d'une seconde bande qu'il trempera dans du vin chaud, ainsi qu'il y a trempé la premiere ; il l'arrêtera par deux circulaires à la portion supérieure, où le trajet de cette premiere bande s'est terminé. Après quoi il posera deux ou trois attelles qu'un aide assujettira, tandis qu'il les fixera par un premier tour de bande ; il les couvrira en descendant par des doloires jusqu'au boulet, & remontera en couvrant ces premiers tours jusqu'au-dessous du jarret.

Cette opération finie, il laissera le cheval suspendu ; il le saignera deux heures après, & il le tiendra à une diete humectante & rafraîchissante. Dans les commencemens on arrosera l'endroit fracturé avec du vin chaud ; & si l'on apperçoit un gonflement inférieur à l'appareil, & que ce gonflement ne soit pas tel qu'il puisse faire présumer que le bandage est trop serré, on se contentera d'y appliquer des compresses trempées dans un vin aromatique. Il ne seroit pas hors de propos de réitérer la saignée le second jour, & de lever l'appareil le huitieme, à l'effet de s'assûrer de l'état de la plaie, qu'on sera peut-être obligé de panser d'abord tous les trois jours, & ensuite à des distances plus éloignées. Lorsqu'elle sera dans la voie de se cicatriser, & les pieces d'os de se réunir, on pourra interrompre tout pansement pendant un espace de tems assez long, pour que la nature puisse nous seconder ; & il y a tout lieu d'espérer qu'au bout de quarante jours, & au moyen de ce traitement méthodique, accompagné d'un régime constant, l'animal sera totalement rétabli de cette fracture compliquée & composée ; car les petits peronnés sont trop intimement unis au canon dont on peut les regarder comme les épines, pour n'avoir pas été rompus eux-mêmes. Il peut arriver encore que le mouvement du jarret du membre affecté soit intercepté en quelque façon, & que l'articulation en soit même si fort gênée que nous soyons dans le cas de redouter une ankilose ; mais un exercice modéré & des applications de quelques linges trempés dans la moelle de boeuf fondue dans du vin, ou dans des graisses de cheval & d'autres animaux, suffiront pour rendre à cette partie sa liberté, son action & son jeu.

Imaginons à-présent une fracture avec déplacement à l'une des côtes, & non une de ces fractures qui pourroient s'agglutiner sans notre secours, & que nous ne pouvons découvrir que par hasard dans l'animal, les fragmens n'étant point sortis de leur situation naturelle, & l'égalité de la partie n'étant point altérée ; supposons que cette fracture est en-dedans, c'est-à-dire que le bout cassé se porte du côté de la poitrine, ou qu'elle soit en-dehors, c'est-à-dire qu'il incline du côté des muscles extérieurs : dans le premier cas, nous la reconnoîtrons à l'enfoncement, à la toux, à la fievre, à une inflammation, à une difficulté de respirer plus ou moins grande, selon que les parties aiguës de l'os fracturé piqueront plus ou moins violemment la plevre : nous en serons assûrés dans le second, par l'élévation de la piece rompue, par une difficulté de respirer beaucoup moindre que celle dont nous nous serons apperçûs dans l'autre, par la crépitation, &c.

Ici la réduction n'est point aussi compliquée & aussi embarrassante. Pour l'opérer relativement à la fracture en-dedans, un aide serrera les naseaux du cheval, tandis que l'on pressera fortement avec les mains l'extrémité supérieure & inférieure de la côte, jusqu'à ce que les pieces enfoncées soient revenues dans leur situation. Si cependant les fragmens perçant la plevre, donnent lieu aux symptomes funestes dont j'ai parlé, on ne doit pas balancer à faire une incision à la peau, à l'effet de tirer ces fragmens avec les doigts, avec des pinces, avec une aiguille, telle que celle dont nous nous servons pour la ligature de l'artere intercostale, ou avec d'autres instrumens quelconques. Nous appliquerons ensuite des compresses ; l'une qui sera imbûe d'un vin aromatique sur toute l'étendue de la côte ; les deux autres qui auront beaucoup plus d'épaisseur, seront mises sur celles-ci à chacune des extrémités sur lesquelles j'ai ordonné de comprimer, & l'on maintiendra le tout par un bon & solide surfaix. Relativement à la fracture en-dehors, le replacement est plus aisé. Il s'agit de pousser les bouts déjettés jusqu'au niveau des autres côtes ; après quoi on place une premiere compresse, ainsi que je l'ai dit ; on garnit l'endroit fracturé d'un morceau de carton, que l'on assujettit de même par un surfaix, qui fait, comme dans le premier cas, l'office d'un bandage circulaire. Le nombre des saignées doit au reste être proportionné au besoin & aux circonstances : les lavemens, la diete, tout ce qui peut calmer les mouvemens du sang, doivent être employés, &c. (e)


FRAGA(Géogr.) bourg fortifié d'Espagne, au royaume d'Aragon, remarquable par la bataille qui s'y donna contre les Maures l'an 1134, & dans laquelle Alphonse VII. fut battu & tué. Fraga est au pié de la Cinea, à 4 lieues S. de Lérida, 20 S. E. de Sarragosse, 12 S. E. de Balbastro. Long. 17. 58. lat. 41. 28. (D.J.)


FRAGILITÉS. f. (Physiq.) qualité de certains corps par laquelle ils peuvent se briser aisément ; on appelle fragiles, les corps dont les parties se séparent facilement les unes des autres par le choc : ils different des corps mous, en ce que dans ceux-ci les parties se déplacent par le choc sans se séparer ni se rétablir ; des corps élastiques, en ce que les parties se déplacent dans ces derniers pour se rétablir ensuite ; & des corps durs, en ce que les parties ne se déplacent pas dans les corps de cette derniere espece. Mais d'où vient la fragilité de certains corps ? on le sait aussi peu qu'on sait d'où vient la dureté, la fluidité, la mollesse, & l'élasticité de certains autres. Voyez ces mots.

Fragilité se prend aussi au figuré : on dit, une fortune fragile ; la chair est fragile. Voyez l'art. suiv. (O)

FRAGILITE, (Morale) c'est une disposition à céder aux penchans de la nature malgré les lumieres de la raison. Il y a si loin de ce que nous naissons, à ce que nous voulons devenir ; l'homme tel qu'il est, est si différent de l'homme qu'on veut faire ; la raison universelle & l'intérêt de l'espece gênent si fort les penchans des individus ; les lumieres reçûes contrarient si souvent l'instinct ; il est si rare qu'on se rappelle toûjours à-propos ces devoirs qu'on respecteroit ; il est si rare qu'on se rappelle à-propos ce plan de conduite dont on va s'écarter, cette suite de la vie qu'on va démentir ; le prix de la sagesse que montre la réflexion est vû de si loin ; le prix de l'égarement que peint le sentiment est vû de si près ; il est si facile d'oublier pour le plaisir, & les devoirs & la raison, & le bonheur même, que la fragilité est du plus au moins le caractere de tous les hommes. On appelle fragiles, les malheureux entraînés plus fréquemment que les autres, au-delà de leurs principes par leur tempérament & par leurs goûts.

Une des causes de la fragilité parmi les hommes, est l'opposition de l'état qu'ils ont dans la société où ils vivent avec leur caractere. Le hasard & les convenances de fortune les destinent à une place ; & la nature leur en marquoit une autre. Ajoûtez à cette cause de la fragilité les vicissitudes de l'âge, de la santé, des passions, de l'humeur, auxquelles la raison ne se prête peut-être pas toûjours assez ; on est soûmis à certaines lois qui nous convenoient dans un tems, & ne font que nous desespérer dans un autre.

Quoique nous nous connoissions une secrette disposition à nous dérober fréquemment à toute espece de joug : quoique très-sûrs que le regret de nous être écartés de ce que nous appellons nos devoirs, nous poursuivra long-tems ; nous nous laissons surcharger de lois inutiles, qu'on ajoûte aux lois nécessaires à la société ; nous nous forgeons des chaînes qu'il est presqu'impossible de porter. On seme parmi nous les occasions des petites fautes, & des grands remords.

L'homme fragile differe de l'homme foible, en ce que le premier cede à son coeur, à ses penchans ; & l'homme foible à des impulsions étrangeres. La fragilité suppose des passions vives, & la foiblesse suppose l'inaction & le vuide de l'ame. L'homme fragile peche contre ses principes, & l'homme foible les abandonne ; il n'a que des opinions. L'homme fragile est incertain de ce qu'il fera ; & l'homme foible de ce qu'il veut. Il n'y a rien à dire à la foiblesse ; on ne la change pas, mais la philosophie n'abandonne pas l'homme fragile ; elle lui prépare des secours, & lui ménage l'indulgence des autres ; elle l'éclaire, elle le conduit, elle le soûtient, elle lui pardonne.


FRAGMENTS. m. (Gramm. Littérat.) il se dit en général d'une portion d'une chose rompue.

En Littérature, un fragment, c'est une partie d'un ouvrage qu'on n'a point en entier, soit que l'auteur ne l'ait pas achevé, soit que le tems n'en ait laissé parvenir jusqu'à nous qu'une partie. En Architecture, en Sculpture, il se dit de quelques morceaux détachés d'un tout, tels qu'un chapiteau, une corniche, une portion de statue, ou de bas-relief, qu'on a trouvé parmi des ruines.

FRAGMENS PRECIEUX, (LES CINQ) Pharmacie. On trouve sous ce nom dans les anciens pharmacologistes, au rang des remedes, le grenat, l'hyacinthe, le saphir, la cornaline & l'émeraude. Galien attribuoit à ces pierres & à un grand nombre de moins précieuses qu'il comptoit parmi les médicamens simples, la vertu dessicative. Elles ont passé depuis pour alexiteres, cordiales, caephaliques, stomachiques, &c. On a préparé avec ces pierres des sels, des magisteres, des liqueurs ou huiles, des élixirs, des essences, des sirops, & on les a fait entrer dans diverses compositions.

L'art est trop avancé aujourd'hui pour que des préparations aussi ridicules, & des vertus aussi imaginaires, ne soient pas justement décriées. Mais en Médecine plus qu'ailleurs, le droit des anciennes opinions cede bien difficilement & bien tard à celui de la vérité reconnue.

La pharmacopée de Paris n'a pas banni les hyacinthes de la confection à laquelle ils donnent leur nom. Voyez CONFECTION D'HYACINTHE, au mot CONFECTION. (b)


FRAIS. m. il se dit du tems où le poisson dépose ses oeufs ; nous sommes dans le frai : des oeufs déposés ; on voit le frai des poissons à la surface des eaux : du petit poisson naturellement provenu du frai ; il y a des sortes de filets qui détruisent les rivieres, & que l'ordonnance défend, parce qu'ils retiennent & les gros poissons & le frai. Le tems du frai varie selon les poissons. Les carpes frayent en Avril & en Août, & les grenouilles en Mars, &c.

FRAI DE GRENOUILLE, (Mat. med.) voyez GRENOUILLE.

* FRAI (Monnoyage) altération que le toucher successif & le tems apportent à la monnoie. Lorsqu'il est démontré que ces causes sont les seules qui ont diminué le poids d'une piece, & que la différence n'est que de six grains ; Louis XIV a déclaré par ordonnance qu'elle ne pourroit être refusée.


FRAICHE(bouche) Manége, voyez ÉCUME.


FRAICHEURS. f. (Gramm.) ce mot se dit de la sensation que nous éprouvons, de l'endroit où nous l'éprouvons & de la cause qui nous la fait éprouver. Ce que l'on cherche dans les chaleurs accablantes de l'année, & ce que l'on sent avec tant de plaisir à l'ombre des arbres, dans le voisinage des eaux, à l'abri des ardeurs du soleil, à l'impression legere d'un air doucement agité, au fond des forêts, sous un antre, dans une grotte, c'est de la fraîcheur. Virgile a renfermé dans deux vers tout ce que deux êtres peuvent éprouver à-la-fois de sensations délicieuses : celles de la tendresse & de la volupté, de la fraîcheur & du silence, du secret & de la durée.

Hîc gelidi fontes ; hîc mollia prata, Lycori ;

Hîc nemus ; hîc ipso tecum consumerer aevo.

quelle peinture !

FRAICHEUR DE COULEUR, (Peinture) c'est un éclat & une sérénité qui regnent dans toutes les couleurs d'un tableau, quoique la plûpart ne soient point éclatantes par elles-mêmes.

L'on dit encore, mais dans un autre sens, frais, fraîcheur, lorsque le couvert des arbres & la limpidité des eaux sont parfaitement imités ; il y a de la fraîcheur dans ce tableau : on semble respirer celle que communiquent ces objets lorsqu'ils sont réels. (R)

FRAICHEUR, (Marine) on dit qu'un navire cingle avec fraîcheur, lorsque le vent est égal & d'une bonne force. (Q)


FRAICHIRv. n. il se dit du vent lorsqu'il augmente, & qu'il devient plus fort. Le vent fraîchit. (Q)


FRAISFRAICHE, adj. il se dit d'une température d'air, moyenne entre le chaud & le froid, voyez FRAICHEUR ; d'une chose récente, des nouvelles fraîches, une lecture, une histoire fraîche, &c.

FRAIS, (Marine) le vent est frais lorsqu'il est bon & pas trop fort. Bon frais, lorsqu'il est un peu fort. Beau frais, lorsqu'il est assez fort & égal. Petit frais, lorsqu'il est médiocre. (Q)

FRAIS, s. m. (Gramm. & Jurisp.) sont les dépenses que quelqu'un est obligé de faire pour parvenir à quelque chose. Il y en a de plusieurs sortes.

Frais de bénéfice d'inventaire, sont tous ceux qu'un héritier bénéficiaire est obligé de faire pour la conservation des biens de la succession, & pour défendre aux actions intentées contre lui en la dite qualité ; on ne met dans cette classe que ceux qu'il lui est permis d'employer dans son compte de bénéfice d'inventaire. (A)

Frais bien & légitimement faits, sont tous les frais des procès qui étoient nécessaires. Ces frais sont les seuls qui entrent en taxe. (A)

Frais de contumace, sont ceux qu'une partie est obligée de faire contre l'autre partie qui est défaillante, pour l'obliger de défendre à la demande. Le défaillant est reçu opposant aux jugemens obtenus contre lui par défaut en refondant, c'est-à-dire remboursant les frais de contumace. Voyez CONTUMACE. (A)

Frais de criées, sont ceux qui se font pour parvenir à une adjudication par decret, soit volontaire ou forcée.

On en distingue de deux sortes ; savoir les frais ordinaires, & les frais extraordinaires.

Les premiers sont ceux des procédures nécessaires pour parvenir à un decret sans aucun incident.

Les frais extraordinaires sont tous ceux qui se font pour lever les obstacles & incidens formés par la partie saisie, ou les oppositions des créanciers, soit à fin de charge de distraire ou de conserver, & aussi ceux qui sont faits pour parvenir à faire l'ordre.

Tous les frais de criées, soit ordinaires ou extraordinaires, doivent être avancés par le poursuivant criées : mais les frais ordinaires sont à la charge de l'adjudicataire, outre le prix de l'adjudication, parce qu'ils sont considérés comme les frais de son contrat ; ainsi il doit les rembourser au procureur du poursuivant criées, à-moins qu'il ne fût autrement convenu ou ordonné ; à l'égard des frais extraordinaires bien & légitimement faits, le poursuivant s'en fait rembourser sur la chose par préférence à tous créanciers, comme ayant été par lui faits pour la conservation de la chose & pour l'intérêt commun de tous les créanciers. Pour cet effet le procureur du poursuivant donne une requête en son nom, à ce qu'il soit payé par préférence à tous créanciers des frais extraordinaires, & de ceux de l'ordre ; & par le jugement de l'ordre on fait droit sur cette requête.

Le poursuivant peut même employer en frais extraordinaires les dépens des incidens auxquels il a succombé, à-moins qu'il n'ait été dit qu'il ne pourra les répéter.

Il peut aussi employer ceux qui lui ont été adjugés contre les parties qui ont succombé, sans être tenu de les poursuivre pour en avoir le payement. C'est aux créanciers sur lesquels le fonds manque à faire ces poursuites.

Les frais de voyage & séjour du poursuivant criées ont le même privilége que les autres dépens de criées, à-moins que le poursuivant n'y eût renoncé. (A)

Frais de direction, sont ceux que les directeurs des créanciers unis font pour l'intérêt commun. Voyez DIRECTEURS & DIRECTION. (A)

Frais extraordinaires de criées, voyez ci-devant frais de criées.

Frais, (faux) sont certaines dépenses qu'une partie est obligée de faire, mais qui n'entrent pas en taxe, comme les ports de lettres, les coûts des actes qu'il faut lever, les gratifications que l'on donne aux secrétaires, aux commis de greffe, &c. (A)

Frais funéraires, sont ceux qui se font pour l'inhumation d'un défunt ; ce qui comprend les billets d'invitation, la tenture, la cire, l'ouverture de la terre, l'honoraire des prêtres, & autres frais nécessaires & usités, selon la qualité des personnes.

L'annuel ne fait pas partie des frais funéraires.

Mais le deuil de la veuve & des domestiques qui sont à son service, sont compris dans ces frais.

Ils ne se prennent point sur la masse de la communauté, mais seulement sur la part du défunt & sur ses autres biens personnels.

Ils ne sont point à la charge du légataire universel seul, mais il y contribue avec les héritiers chacun à proportion de l'émolument.

Ils sont privilégiés sur les meubles à tous autres créanciers, même au propriétaire de la maison que le défunt habitoit. L. 45. ff. de reliq. & sumpt. funer. Ils ne passent néanmoins qu'après les frais de justice.

Leur privilége ne s'étend qu'à ce qui est nécessaire pour l'inhumation, selon la qualité de la personne, & non à des superfluités. L. 37. ff. de reliq. & sumpt. fun. (A)

Frais de gesine, sont les frais de l'accouchement d'une femme. Voyez GESINE.

Frais d'inventaire, sont ceux qui se font pour la confection d'un inventaire ; il ne faut pas les confondre avec les frais de bénéfice d'inventaire. (A)

Frais de justice : on comprend sous ce nom non-seulement tous les frais de procès civils & criminels, mais aussi tous les frais dûs à des officiers de justice, tels que les frais de scellé, inventaire, tutele, curatelle ; ceux de vente, d'ordre, de licitation, &c. Les frais de justice sont privilégiés, & passent avant tous autres frais, même avant les frais funéraires. (A)

Frais légitimement faits, voyez ci-devant frais bien & légitimement faits.

Frais de licitation, sont ceux qui se font pour parvenir à l'adjudication par licitation d'un immeuble indivis entre plusieurs co-propriétaires. Voyez LICITATION.

Frais & loyaux coûts, voyez LOYAUX COUTS.

Frais & mises d'exécution, sont ceux qu'un créancier est obligé de faire pour mettre son titre à exécution contre le débiteur. On comprend sous le terme de frais & mises, les frais des commandemens & saisies faites sur le débiteur & autres frais semblables ; les frais & mises sont une suite de dépens, c'est pourquoi on les comprend dans la taxe ; ils ont aussi les mêmes priviléges & hipotheques que les dépens. (A)

Frais ordinaires de criées, voyez ci-devant frais de criées.

Frais d'ordre, sont ceux que le poursuivant est obligé de faire pour parvenir à faire régler entre les créanciers opposans l'ordre & distribution du prix d'un immeuble vendu en justice.

Frais de partage, sont ceux que l'un des co-propriétaires fait pour parvenir au partage des héritages communs. Voyez PARTAGE. (A)

Frais de poursuite, sont ceux que l'on fait à la poursuite de quelque chose, tels que ceux du poursuivant ; la saisie réelle ou ceux qui se font à la poursuite de la distribution d'un mobilier, d'une contribution, d'une licitation, &c. (A)

Frais préjudiciaux, sont ceux qui sont faits sur des préparatoires & incidens que l'on est obligé de juger avant d'en venir à la question principale, comme lorsque quelqu'un est assigné en qualité d'héritier pour payer une dette du défunt, & qu'il y a d'abord contestation sur la qualité d'héritier ; les dépens faits sur cet objet sont des frais préjudiciaux. (A)

Frais & salaires, sont les vacations & déboursés dûs aux procureurs, notaires, huissiers, & sergens qui ont travaillé pour une partie. Ces sortes de frais different des dépens en ce que ceux-ci ne comprennent que les frais qui entrent en taxe ; au lieu que les frais & salaires comprennent tous les frais dûs aux officiers de justice par la partie pour laquelle ils ont travaillé, même des vacations & autres frais qui n'entrent point en taxe contre la partie adverse. (A)

Frais de scellé, voyez SCELLE.

Frais de séjour, voyez SEJOUR.

Frais de tutele, voyez TUTELE.

Frais de voyage, voyez VOYAGE.


FRAISES. f. ce mot a un grand nombre d'acceptions différentes. C'est le fruit du fraisier. Voyez les Articles FRAISIER & FRAISE. C'est un cordon de petites feuilles placées entre la peluche & les grandes feuilles de quelques fleurs. C'étoit anciennement une partie de l'habillement, une espece de collier de toile, coupé en rond, étendu, plissé, empesé, qu'on voit aux portraits du regne de Henri IV, & que les Espagnols ont conservé. C'est aujourd'hui une autre parure. Voyez FRAISE (Mode). C'est dans les animaux destinés à notre nourriture, les entrailles avec leur enveloppe. C'est une espece de fortification. Voyez FRAISE, (Art milit.) Ce sont dans l'art de bâtir, des pieux qui entourent & défendent les piles d'un pont. C'est un instrument commun à un grand nombre d'artistes. Voyez FRAISE. (Arquebusier & Horloger), c'est un coquillage qui ressemble au fruit de même nom. Il se dit aussi de la tête du cerf. Voyez FRAISE (Venerie).

FRAISE, en termes de Fortification, est une espece de défense ménagée avec des pieux pointus & presque paralleles à l'horison, qu'on enfonce dans les retranchemens d'un camp, d'une demi-lune, pour en empêcher l'approche & l'escalade.

Les fraises different des palissades, en ce que celles-ci sont perpendiculaires à l'horison, au lieu que les autres sont paralleles ou inclinées à l'horison. Voyez PALISSADE.

On se sert particulierement des fraises dans les retranchemens & aux ouvrages de terre ; on en met ordinairement au-dessous du parapet du rempart, c'est-à-dire à son côté extérieur vers le niveau du terre-plein du rempart, lorsqu'il n'est point revêtu de maçonnerie. Elles tiennent lieu du cordon de pierre qu'on met aux ouvrages de maçonnerie, & elles empêchent l'ennemi de franchir ou de monter sur le parapet. On leur donne une pente vers le fossé, afin que les bombes & les grenades que l'ennemi peut jetter dessus s'écoulent dans le fossé. (Q)

* FRAISE, (Arquebusier) voyez à l'article FRAISE (Horloger) la définition générale de ce mot.

L'arquebusier a quatre especes de fraise : la fraise à bassinet, la fraise plate, la fraise pointue, la fraise à roder.

La fraise à bassinet est un morceau d'acier gros & rond comme un gland, & mâché comme une lime ; elle a une petite queue quarrée & longue d'un demi-pouce ; cette queue entre dans le trou de la broche qui porte la boîte, & qui traverse le chevalet. Les Arquebusiers s'en servent pour polir le creux d'un bassinet, en posant le gland ou la fraise, & le faisant tourner dedans par le moyen de l'archet dont la corde entoure la boîte.

La fraise plate a un bout rond, plat, & plus gros que le reste ; ce bout est cannelé, & sert aux Arquebusiers de la même maniere que la fraise pointue pour faire un trou plat où l'on puisse placer la tête d'une vis plate, & empêcher qu'elle n'excede sur la piece.

La fraise pointue est un petit foret quarré, long de deux à trois pouc. dont un des bouts représente une fraise pointue & cannelée sur toute sa longueur ; les Arquebusiers s'en servent pour aggrandir un trou dans une piece de fer, & le faire plus large d'un côté que de l'autre ; l'on s'en sert comme des forets en la posant dans la boîte & la tournant de même.

La fraise à roder, est une espece de clou de la longueur du pouce, dont la queue est ronde, unie, & un peu forte ; la tête un peu plus large, ronde, épaisse, & un peu mâchée en-dedans comme une lime. Les Arquebusiers s'en servent pour unir en-dessus l'oeil où doit être placé une vis, pour que la tête porte bien à-plomb. Ils font passer la queue de cette fraise dans l'oeil, de façon que le côté mâché de la tête porte dessus la face de cet oeil. Ensuite ils mettent la queue de cette fraise dans l'étau à main, & tournent à droite & à gauche pour faire mordre la fraise sur le fer qu'ils veulent roder & unir.

FRAISE, (Horlogerie) espece de foret dont les Horlogers & d'autres artistes se servent pour faire des creusures propres à noyer les têtes des vis, & pour d'autres usages. Il y en a dont (fig. 49. & 50. Pl. XIV. de l'Horlogerie) la meche est ou quarrée ou triangulaire, ou ronde ; d'autres sont des especes de limes (fig. 41.) fixées à l'extrémité d'un arbre. Celles-ci servent pour dresser le fond d'une creusure, d'un barillet, ou d'une roue de champ. On se sert des fraises de la même maniere que des forets. Voyez FORET.

Les Horlogers appellent encore fraise, une espece de rochet (fig. 40. de la même Planche) monté sur un arbre ; cet outil sert à faire au bas de la fusée la creusure destinée à recevoir le rochet de la chaîne. Tous ces outils se meuvent par le moyen de l'archet, dont la corde fait un tour sur le cairrot.

On appelle encore fraise une petite plaque d'acier fort mince, circulaire, trempée fort dur, & taillée sur sa circonférence ; elle sert pour fendre les roues. Voyez MACHINE A FENDRE. (T)

FRAISE, en terme de marchand de Modes, est un tour-de-col, à deux ou trois rangs de ruban, ou de blonde froncée. Voyez FRONCER. Ces sortes de colliers s'attachent par-derriere avec un noeud de ruban, & sont garnis par-devant le plus souvent d'un noeud à quatre. Voyez NOEUD A QUATRE.

FRAISE, (Venerie) c'est la forme des meules & des pierrieres de la tête du cerf & du chevreuil, qui est le plus proche de la tête, que nous appellons massacre.


FRAISERv. act. ce verbe n'a pas toutes les acceptions du mot fraise, & il en a quelques-unes que le mot fraise n'a pas. On dit à la vérité fraiser les dehors d'une place, fraiser des manchettes, fraiser un trou dans un corps de fer ; mais on dit encore chez les Pâtissiers fraiser de la pâte, pour la manier beaucoup, en la pétrissant sur elle-même ; & fraiser une feve légumineuse, pour lui ôter sa peau, ou robbe.

FRAISER UN BATAILLON, (Art milit.) c'étoit autrefois l'entourer de piquiers qui empêchoient la cavalerie de le forcer. A-présent c'est faire mettre la bayonnette au bout du fusil aux soldats qui le composent, & principalement aux rangs qui en forment la circonférence, ou qui le terminent.

La colonne de M. le chevalier de Folard doit être fraisée de fusiliers & de piquiers. Mais ses piquiers au lieu d'une pique de 15 piés de longueur, doivent avoir des especes de pertuisanes de 11 piés.

" On ne regarde pas fixement, dit cet auteur, un corps de troupes fraisé de ces sortes d'armes, jointes aux halebardes, aux espontons, & aux bayonnettes au bout du fusil, particulierement contre une nation comme la françoise, dont l'ardeur & l'abord est des plus redoutables. Traité de la colonne ". (Q)


FRAISIERS. m. fragaria, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleurs en rose, composées de plusieurs pétales disposés en rond. Le calice est découpé ; il en sort un pistil qui devient dans la suite un fruit presque rond ou ovoïde, & pointu par le bout. Il y a plusieurs semences adhérentes à un placenta qui est charnu dans quelques especes, & sec dans d'autres. Ajoûtez aux caracteres de ce genre, que les feuilles sont portées trois-à-trois à l'extrémité d'un pédicule. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Boerhaave compte six especes de fraisiers fertiles ; mais il nous suffira de décrire la plus commune, le fragaria vulgaris, C. B. Pin. 326.

Sa racine est vivace, roussâtre, fibreuse, chevelue, d'une saveur astringente ; elle pousse des pédicules longs d'une palme, grêles, velus, branchus à leurs sommets, & qui portent des fleurs ; elle jette aussi des queues de même longueur & de même figure, qui soûtiennent des feuilles ; elle pousse encore des jets traçans & rampans sur terre, noüeux, donnant de chaque noeud des feuilles & des racines, par lesquelles cette plante se multiplie. Ses feuilles, au nombre de trois sur une queue, sont oblongues, larges, semblables à celles de l'argentine : veinées, velues, dentelées à leur bord, vertes en-dessus, blanchâtres en-dessous. Ses fleurs, au nombre de quatre ou cinq sur un même pédicule, sont en rose à cinq pétales blancs placés en rond ; elles ont beaucoup d'étamines courtes, garnies de sommets jaunâtres, & un pistil sphérique, porté sur un calice découpé en dix parties ; le pistil se change en un fruit ovoïde, bon à manger, charnu, mou, rouge quand il est mûr, quelquefois blanc, rempli d'un suc doux, vineux, odorant, chargé de quantité de petites graines entassées les unes sur les autres.

Cette plante fleurit en Mai, & donne son fruit mûr au mois de Juin. Elle vient naturellement dans les forêts & à l'ombre ; on la cultive dans les jardins où elle profite davantage, & porte des fraises plus grosses & plus douces que celles des bois & des montagnes, mais bien moins odorantes & moins agréables au goût.

M. Frézier en revenant de son voyage de la mer du Sud, a le premier fait connoître en Europe le fraisier du Chili, fragaria chiliensis fructu maximo, foliis carnosis, hirsutis. Il differe de toutes les especes européennes par la largeur, l'épaisseur, & le velu de ses feuilles. Son fruit de couleur rouge-blanchâtre, est généralement de la grosseur d'une noix, & même quelquefois aussi gros qu'un oeuf de poule ; mais sa saveur n'a pas l'agrément & le parfum de nos fraises de bois. Cette plante a produit du fruit au jardin royal de Paris, & en porte aujourd'hui dans le jardin de Chelsea par les soins de Miller. Elle réussit le mieux à l'exposition du soleil du matin, & demande de fréquens arrosemens dans les tems de sécheresse.

Le fraisier, tant celui qui porte des fraises rouges, que celui qui fournit des fraises blanches, se multiplie de plan enraciné. Le plan de fraisier qu'on tire des bois, vaut mieux pour transplanter que celui des jardins ; les fruits qu'il produit sont plus odorans.

On met les fraisiers en planche ou en bordure, dans une terre bien préparée ; & pour le mieux, on les plante sur des à-dos, contre un mur exposé au midi, afin d'avoir des premieres fraises ; on les espace de huit pouces en terre sablonneuse. On observe que les planches ou les bordures soient un peu plus enfoncées que les allées ou que les sentiers, pour y retenir les eaux de pluie & des arrosemens.

Si on en plante dans des terres grasses & presque fraîches, comme la grande humidité pourrit les piés, on les éloigne communément de dix à douze pouces ; & on en met deux à trois piés dans chaque trou, que l'on fait avec un plantoir.

Le tems de les planter est au commencement de Juin, c'est-à-dire avant les sécheresses ; on en plante néanmoins tout l'été dans les tems pluvieux. Il est important d'en faire des pépinieres dans quelque endroit exposé au nord, pour éviter les grandes chaleurs d'été : on les plante pour lors à trois ou quatre pouces l'un de l'autre. Lorsque ces piés sont fortifiés, on les replante dans le mois de Septembre, pour en faire des planches ou des quarrés, selon le besoin qu'on en peut avoir.

La principale culture des fraisiers consiste en premier lieu à les arroser fréquemment dans la sécheresse : on laisse en second lieu quelques montans des plus forts à chaque pié ; en troisieme lieu, on ne laisse sur chaque montant que trois ou quatre fraises, qui sont les premieres venues, & les plus près du pié. On pince toutes les autres fleurs de la queue des branches qui ont déjà fleuri, ou qui sont encore en fleurs ; car rarement on voit noüer & venir à bien toutes ces dernieres fleurs : il n'y a que les premieres qui réussissent ; & quand on est soigneux de bien pincer, on est assûré d'avoir de belles fraises.

Les fraisiers font fort bien l'année suivante qu'ils ont été plantés, si c'est au mois de Mai qu'on les a plantés ; mais médiocrement, s'ils n'ont été plantés qu'au mois de Septembre.

On doit renouveller les fraisiers au plus tard tous les 5 ans ; leur couper tous les ans la vieille fane, quand les fraises sont finies ; ce qui arrive vers la fin de Juillet. Les premieres mûrissent au commencement de Juin ; ce sont celles dont les piés ont été plantés le long d'une muraille au midi & au levant ; & les dernieres mûres sont celles dont les piés sont au nord.

Lorsque les fraisiers font leurs traînasses, il les faut soigneusement châtrer, & n'y laisser que celles qu'on destine pour avoir du plant. On fera tous les ans de nouvelles planches, & on détruira celles qui ont plus de quatre ans, parce qu'après ce tems, les fraises commencent à décheoir de leur bonté & de leur grosseur. On fumera ces planches de petit fumier un peu avant les gelées, afin de les améliorer, coupant toutes les feuilles, comme on le pratique à l'égard de l'oseille. Par rapport à la terre que les fraisiers desirent, le sablon leur est meilleur que la terre forte : on choisit pour cet effet la partie du jardin la plus sablonneuse pour les y planter. Si on veut avoir des fraises dans l'automne, on n'a qu'à couper toutes les premieres fleurs qui pousseront, & les empêcher de fructifier ; elles reproduiront d'autres fleurs, qui donneront des fruits dans l'arriere-saison.

Les ennemis du plant du fraisier sont les taons, qui pendant les mois de Mai & de Juin mangent le col de la racine entre deux terres, & font ainsi périr la plante : on doit donc alors parcourir tous les jours ses fraisiers, & fouiller au pié de ceux qui commencent à se faner ; d'ordinaire on y trouve le gros ver, qui après avoir causé ce premier mal, passe, si on n'a soin de le détruire, à d'autres fraisiers, & les fait pareillement mourir.

Les Anglois, qui ont poussé plus loin que les autres peuples la culture du fraisier, sont non-seulement très-attentifs à détruire la vermine qui peut endommager cette plante, mais encore à choisir l'exposition la plus favorable ; à arracher perpétuellement toutes les mauvaises herbes ; à bêcher le terrein ; à l'arroser abondamment ; à former chaque année de nouveaux plants avant que de détruire les anciens ; à les espacer à une distance convenable, & à laisser un sentier de deux piés de large entre les plates-bandes, pour y marcher commodément & cueillir le fruit. Ils prennent du fumier de cheval & autant de cendres de choux, qu'ils mêlent & incorporent bien ensemble ; ils en répandent sur leur terre préparée & nivellée, une quantité suffisante pour être enfouie & retournée au mois de Février ; ensuite ils forment des plates-bandes de trois piés & demi de large, & y plantent les especes de fraisiers qu'ils jugent à-propos, à dix, quinze, & vingt pouces de distance les uns des autres, suivant la grosseur de l'espece de fraises qu'ils veulent avoir. Comme les fraisiers ne donnent du fruit que la seconde année dans cette même terre, ils sement la premiere année une récolte de féves ; & dans ces mêmes carreaux, ils plantent encore de six en six piés des rosiers, des groseillers blancs & rouges, des églantiers odorans, qui, indépendamment de l'ombre qu'ils donnent aux fraises, sont d'un bon rapport.

Une piece de terre plantée en fraises, qu'on nomme écarlate (virginian strawberg), se conserve pendant cinq ou six ans ; & ils renouvellent les haut-boys (the haut-boy strawberry), & les fraises de bois, (commonwood strawberry), tous les trois ans : il renouvellent encore, comme nous, leur plant des nouveaux fraisiers, qu'ils vont chercher dans les forêts ; car ceux des jardins dégénerent. Voyez Bradley & Miller, si vous desirez de plus grands détails.

La fraise est un petit fruit rouge ou blanc ; il ressemble au bout des mammelles des nourrices ; c'est le plus hâtif, & un des plus délicieux fruits du printems : on connoît qu'il est mûr & bon à manger quand il quitte la queue sans peine. Il y en a de plusieurs especes, soit rouges soit blanches ; mais la plus petite & la meilleure pour le parfum, est la fraise de bois ou de montagnes. On cultive la fraise du Chily, fragaria chiliensis, par curiosité : la fraise écarlate de Virginie, fragaria virginiana fructu coccineo, est recherchée pour sa bonté ; & la fraise haut-boy des Anglois, fragaria, fructu parvi pruni magnitudine, C. B. est estimée pour la grosseur de son fruit. Voyez FRAISIER, (Mat. med.) (D.J.)

FRAISIER, & FRAISE, (Mat. med. Pharmac. & Diete.) Le suc des feuilles de fraisier rougit très-foiblement le papier bleu ; mais celui des racines donne une couleur rouge plus foncée à ce même papier. Les feuilles & les racines de cette plante paroissent contenir un sel essentiel tartareux, nitreux, mêlé de soufre & de terre astringente ; ce qui leur donne une saveur legerement stiptique. Le fruit contient un sel alumineux, dégénéré en sel tartareux aigrelet, accompagné d'un peu d'huile mucilagineuse & vineuse.

On se sert principalement des racines de fraisier, pour les usages médicinaux ; elles sont diurétiques & apéritives, & on les fait souvent entrer dans les tisanes, les décoctions, & les boissons qu'on donne aux personnes attaquées d'obstructions ou de jaunisse.

M. Geoffroy remarque que si on boit long-tems & en grande quantité de la racine de fraisier & d'oseille, les excrémens se colorent en rouge ; de sorte qu'on croiroit d'abord que le malade est attaqué d'un flux hépatique ; mais il suffit, ajoûte-t-il, de changer cette boisson, pour que les excrémens reprennent leur couleur naturelle.

Nobelius, misc. nat. curios. dec. iij. ann. 3. obs. 81. attribue aux feuilles & aux racines de fraisier une grande vertu vulnéraire ; ce qu'il prouve par quelques observations d'ulceres des piés, des jambes, & des cuisses, qui ont été guéris, & des tumeurs qui ont été résoutes par la seule application des feuilles de fraisier pilées.

Le fruit de la plante possede un suc mêlé & tempéré par beaucoup de mucilage, ou par des parties terreuses & aqueuses. Quand ce suc a fermenté, on en peut tirer un esprit ardent : mais si on le laisse fermenter trop long-tems, il s'aigrit & se corrompt.

Les fraises sont très-usitées sur nos tables ; on les sert principalement au dessert avec du sucre, & on les arrose d'eau, de lait, de creme, ou de vin ; c'est dans l'eau qu'elles se dissolvent le plus facilement, & qu'elles passent le plus vîte. Il faut les choisir bien mûres ; & la prudence demande de n'en point manger sans les avoir lavées ; du-moins le cas rapporté par Hilden, cent. v. observat. 38. justifie cette précaution ; il parle d'une femme qui, après avoir mangé des fraises à jeun, fut aussi-tôt attaquée de maux d'estomac, de lipothymies, de vertige, de l'enflure des hypochondres, &c. & ne fut guérie que par le secours d'un vomitif. Les fraises qu'avoit mangé cette femme, sans les avoir lavées auparavant, avoient sans-doute été empoisonnées par l'urine, la salive, ou l'haleine de quelque bête venimeuse, comme de serpens, de viperes, de crapeaux, ou par la piquûre de quelque insecte, qui leur avoit donné un suc nuisible.

Il arrive aussi quelquefois, que si l'on mange trop de fraises, leurs esprits vineux se développent par la fermentation, portent à la tête, enivrent en quelque maniere, ou produisent de violentes coliques. Il y a même des personnes mobiles qui tombent en foiblesse par la seule odeur des fraises. Mais tous ces cas particuliers ne prouvent rien contre les qualités salutaires de ce fruit, qui est émollient, raffraîchissant, apéritif, & propre à corriger l'acrimonie bilieuse des humeurs.

On fait pendant l'été chez les gens riches, & dans les caffés publics, avec le suc des fraises, des eaux ou des juleps excellens pour étancher la soif, soit en santé soit en maladie, sur-tout dans les fievres aiguës, bilieuses, & putrides. On prend aussi du suc de fraises, du suc de limons, & de l'eau en quantité égale, mêlés ensemble, avec autant de sucre qu'il en faut pour rendre cette boisson agréable ; elle fait les délices des pays chauds. En Italie, on broye la pulpe des fraises avec de l'eau-rose, & on en fait ensuite avec le suc de citron une conserve délicieuse. Cette même pulpe de fraises appliquée toute récente en forme de cataplasme, est recommandée dans les rougeurs & inflammations extérieures.

On distille encore quelquefois chez les Parfumeurs & Apoticaires, une eau de fraise qui passe pour un bon cosmétique. Quand cette eau est tirée des fraises de bois, elle est d'un odeur charmante ; & les dames s'en servent volontiers à leur toilette, pour effacer les rousseurs & les lentilles du visage : mais Hoffman préfere avec raison pour cet usage l'eau distillée de toute la plante, comme plus efficace & plus détersive. (D.J.)


FRAISOIRS. m. en terme de Doreur, c'est une espece de foret formant une demi-losange par son bout tranchant. On s'en sert pour creuser un trou & l'élargir assez à l'extérieur, pour y river la tête d'une vis, afin qu'elle ne surpasse pas le reste de la piece. Voyez Pl. du Doreur, fig. 20.

FRAISOIR, outil d'Ebéniste, espece de vilebrequin, dont la meche est terminée par un petit cône à rainure : il sert à faire des trous dans les matieres peu épaisses & sujettes à éclater, comme sont tous les ouvrages de placage & de marqueterie. Voyez MARQUETERIE ; & la fig. 10, qui représente seulement le fraisoir séparé de son vilebrequin.

* FRAISOIR, (Luth.) c'est le même que celui des autres ouvriers en fer ; il sert aussi à élargir l'entrée d'un trou où l'on veut noyer un clou, une vis. Il y en a de quarrés, d'autres à un plus grand nombre de pans, de cannelés, de taillés en lime, &c. celui qui se termine en cône, soit qu'il soit à facettes, soit qu'il ait été taillé en lime, s'appelle fraisoir à têtes perdues ; il est monté sur une boîte, comme le foret ; & l'on s'en sert à l'arson & à la palette, ainsi que du foret. Voyez l'article FORET.


FRAMBOISES. f. fruit du framboisier. Voyez les articles suivans.


FRAMBOISIERS. m. (Jardinage) arbrisseau qui est fort commun dans tous les climats tempérés, & qui est si robuste, qu'il se trouve jusque dans les pays les plus septentrionaux. C'est une espece de ronce, qui s'éleve à cinq ou six piés, qui n'est vivace que dans la racine, & dont les tiges se dessechent toûjours au bout de deux ans : elles sont remplacées par de nouveaux rejettons, qui ne donnent des fleurs & des fruits que la seconde année, à la fin de laquelle ils périssent à leur tour, sans que la racine en soit endommagée. Ses feuilles, d'un verd tendre en-dessus & blanchâtre en-dessous, sont au nombre de trois ou cinq sur une même queue. La fleur, qui n'a nulle belle apparence, paroît au mois de Mai ; & c'est en Juillet qu'arrive la maturité de son fruit, qui a beaucoup de parfum.

Cet arbrisseau vient naturellement dans les endroits sombres, pierreux, & humides des forêts ; ainsi on doit dans les jardins les placer à l'ombre & à la fraîcheur des murs exposés au nord, où il se plaira & réussira mieux qu'à toute autre exposition. Il lui faut une terre meuble, limoneuse, & mêlée de sable, mais qui ne soit ni trop humide ni trop seche ; ces deux extrémités lui sont également contraires.

Ses racines, qui s'étendent au loin à fleur de terre, poussent quantité de rejettons qui servent à le multiplier ; c'est le seul moyen qui soit en usage, parce qu'il est le plus sûr & le plus promt. On peut cependant le faire venir de semence, de branches couchées, & même de bouture ; ou bien encore en plantant simplement des brins de la racine.

L'automne est la saison la plus propre à la transplantation du framboisier ; & si on s'y prend dès le mois d'Octobre, les plants feront de bonnes racines avant l'hyver, & acquerront assez de force pour produire l'année suivante quelques fruits passables, & des rejettons suffisans pour donner l'année d'après des fruits à l'ordinaire : au lieu que si on ne les transplantoit qu'au printems, outre que la reprise en seroit incertaine ; il faudroit s'attendre à deux années de retard. Il faut planter les framboisiers à deux piés de distance, dans des rayons éloignés de quatre piés les uns des autres ; les réduire pour cette premiere fois à un ou deux piés de hauteur ; retrancher les racines trop longues ; & ménager les yeux qui se trouveront au pié de la tige, parce qu'ils sont destinés à produire de nouveaux rejettons.

Toute la culture que cet arbrisseau exige, c'est de lui ôter chaque hyver le vieux bois qui a porté du fruit l'été précédent ; de tailler les nouveaux rejettons à trois piés au-dessus de terre ; de supprimer tous ceux qui seront foibles ou surabondans ; & enfin de les renouveller tous les quatre ou cinq ans, si l'on veut avoir de beau fruit.

L'excellent parfum des framboises en fait avec raison multiplier les usages. On en peut faire du vin, du ratafiat, & du syrop ; des compotes, des confitures, des conserves, des dragées, & jusqu'à du vinaigre.

On connoît sept especes ou variétés du framboisier.

Le framboisier à fruit rouge ; c'est celui auquel on doit appliquer ce qui vient d'être dit en général.

Le framboisier à fruit blanc : la couleur du fruit en fait la seule différence, qui n'est pas avantageuse, parce que les framboises blanches ont moins de parfum que les rouges.

Le framboisier d'automne : il ne differe du premier que parce que son fruit est tardif.

Le framboisier sans épines ; c'est une petite variété dont la rareté fait le seul mérite.

Le framboisier à fruit noir : cet arbrisseau est originaire de l'Amérique septentrionale, du Canada surtout ; ses feuilles ressemblent à celles de notre framboisier ordinaire, si ce n'est qu'elles sont lanugineuses en-dessous : mais les framboises qu'il produit sont aigres & de moindre qualité que les nôtres.

Le framboisier de Canada. Il est très-différent des autres especes : ses feuilles sont grandes, d'un verd gai, découpées en cinq parties fort ressemblantes à celles du groseiller sans épines, & elles ont un peu d'odeur ; ce qui a fait donner à cet arbrisseau le nom de ronce odoriférante. Ses fleurs, d'une vive couleur de pourpre violet, sont de la forme d'une rose sauvage ; elles paroissent au commencement de Juin, & elles se succedent pendant deux mois : ce qui doit mériter à ce framboisier d'avoir place parmi les arbrisseaux fleurissans ; d'autant mieux que ses tiges sont sans épines. Son fruit est plus gros que nos framboises, mais il a peu de parfum ; il n'est pas à beaucoup près de si bon goût, & ce framboisier en donne très-rarement. Si cependant on vouloit lui en faire porter, il faudroit le planter dans une terre forte & limoneuse : mais s'il y avoit trop d'humidité, l'arbrisseau ne s'y soûtiendroit pas long-tems.

Le framboisier de Pensylvanie. Cet arbrisseau prend plus de hauteur que les précédens ; il a peu d'épines, & les extrémités de ses rejettons sont bleuâtres : c'est aussi pour sa feuille qu'on le cultive plûtôt que pour son fruit, qui ressemble parfaitement à celui de nos ronces communes : il a pourtant un goût différent, mais qui n'approche pas de celui de nos framboises ; il ne mûrit que sur la fin de l'automne.

Toutes ces especes étrangeres de framboisiers se multiplient & se conservent comme ceux d'Europe. Voyez RONCE. (c)

FRAMBOISIER, & FRAMBOISE, (Mat. med. & Diete) Les feuilles & les sommités du framboisier sont legerement détersives & astringentes, & peuvent être substituées à celles des ronces pour les gargarismes qu'on employe dans les maux de gorge & de gencives, lorsqu'il s'agit de procurer un leger resserrement à ces parties. C'est à-peu-près là tout l'usage qu'on tire de l'arbrisseau.

Son fruit rouge & blanc est plus employé sur les tables qu'en Médecine. Les belles framboises pleines de suc, & nouvellement cueillies, ont un goût & une odeur aromatique, également fine & flateuse ; ce qui provient du sel essentiel de ce fruit, joint & uni avec quelques parties huileuses un peu exaltées ; lesquelles picotant legerement les nerfs du goût & de l'odorat, excitent une sensation agréable. Comme les framboises contiennent à-peu-près les mêmes principes que les fraises ; elles sont humectantes, raffraîchissantes, & contraires à l'acrimonie bilieuse.

On prépare avec ce fruit, du sucre, & de l'eau, une boisson appellée eau de framboise très-bonne pour appaiser la soif dans les maladies aiguës. Le nitre dissous & crystallisé avec le suc de framboise, remplira le même but.

On fait aussi avec le suc de ce fruit, des gelées & des syrops très-convenables dans les fievres & les diarrhées putrides. On trouve le syrop de framboise tout préparé dans les boutiques d'Apoticaires, sous le nom de syrupus rubi-idaei. Le vin rouge framboisé, c'est-à-dire dans lequel on a infusé des framboises, paroît assez propre pour le vomissement causé par la foiblesse & l'atonie de l'estomac.

On tire des framboises, comme de tous les fruits rouges, une eau spiritueuse. (D.J.)


FRAMES. f. (Hist. anc.) espece de javelot dont les Germains se servoient autrefois à pié & à cheval ; le fer en étoit court & tranchant ; ils combattoient avec cette arme de loin & de près : elle fut aussi à l'usage de ces peuples dans les tems moyens.


FRANCFRANCHE, adjectif dont on fait l'article FRANCHISE. Voyez cet article. Il se compose avec un grand nombre de mots. Voyez les articles suivans.

FRANC, (greffer sur) Jardinage. Voyez GREFFER.

FRANC ou SAUVAGEON, c'est ainsi qu'on appelle le sujet sur lequel on a dessein de greffer quelque bonne espece de fruit.

FRANC, (Peint.) Peindre franc, c'est peindre facilement, hardiment, sans tâtonner, & à pleine couleur, sans le secours des glacis. Voyez GLACIS.

FRANC, (Jurispr.) ce terme a dans cette matiere plusieurs significations différentes, & s'applique à différens objets.

FRANC signifie quelquefois une personne libre, c'est-à-dire qui n'est point dans l'esclavage.

Loysel, liv. I. tit. j. régl. 6. dit que toutes personnes sont franches en ce royaume, & que si-tôt qu'un esclave a atteint les marches d'icelui en se faisant baptiser, il est affranchi.

Ce que dit cet auteur n'a pas lieu néanmoins à l'égard des esclaves negres qui viennent des colonies françoises en France avec leurs maîtres, pourvû que ceux-ci ayent fait leur déclaration en arrivant à l'amirauté, qu'ils entendent renvoyer ces negres aux îles. Voyez ESCLAVES & NEGRES. (A)

FRANC est aussi quelquefois opposé à serf ; car quoiqu'en France il n'y ait point d'esclaves proprement dits, il y a des serfs de main-morte qui ne joüissent pas d'une entiere liberté. Ceux qui sont exempts de cette espece de servitude sont appellés francs, ou personnes de condition franche. Voyez MAIN-MORTE & SERFS. (A)

FRANC, FRANKIS, ou FRANQUIS, (Hist. mod.) est le nom que les Turcs, les Arabes & les Grecs donnent à tous les Européens occidentaux.

On croit que ce nom a commencé dans l'Asie, au tems des croisades, les François ayant eu une part distinguée dans ces entreprises ; & depuis les Turcs, les Sarrasins, les Grecs & les Abyssins, l'ont donné à tous les Chrétiens européens, & à l'Europe celui de Frankistan.

Les Arabes & les Mahométans, dit M. d'Herbelot, appellent Francs, les François, les Européens, les Latins en général.

FRANC signifie encore libre & exempt de quelque charge ; par exemple, un noble est par sa qualité franc & exempt de taille. Il y a des lieux qui sont francs, c'est-à-dire exempts de tailles & de certaines autres impositions ; d'autres qu'on appelle francs à cause de la liberté que la coûtume du pays accorde pour tester, comme dans le comté de Bourgogne. Voyez le glossaire de Lauriere, au mot Franc. (A)

Franc ou Frent est un françois, & par extension un européen, ou plûtôt un latin ; à cause, dit M. d'Herbelot, que la nation françoise s'est fait connoître & distinguer entre toutes les autres qui ont porté les armes dans l'Orient au tems des croisades. Voyez CROISADE.

Le P. Goar, dans ses notes sur Codin, c. v. n. 43. nous fournit une autre origine du mot franc beaucoup plus ancienne que la premiere. Il observe que les Grecs n'appelloient d'abord Francs que les François, c'est-à-dire les Allemands établis en France ; ensuite ils donnerent le même nom aux habitans de la Pouille & de la Calabre, après que les Normands eurent conquis ces provinces. Dans la suite ils ont donné ce nom à tous les Latins.

Ainsi Anne Comnene & Curopalate, pour distinguer les François des autres nations de l'Europe, les appellent les Francs occidentaux.

Du Cange ajoûte que vers le tems de Charlemagne on distinguoit la France en orientale & en occidentale, en latine ou romaine, & en allemande, qui étoit l'ancienne France appellée depuis Franconie. Dictionn. de Trév. & Chambers. (G)

FRANC ou LIVRE, étoit autrefois une monnoie du poids d'une livre ; présentement le franc n'est plus qu'une valeur numéraire. Le franc est composé de 20 sous tournois, qui font une livre numéraire ou de compte. Voyez LIVRE. (A)

FRANC-ALEU NATUREL, est celui qui a lieu en vertu de la loi, coûtume ou usage du pays, où tous les héritages sont de droit réputés tenus en franc-aleu, s'il n'appert du contraire, sans que les possesseurs des héritages soient tenus de justifier le droit de franc-aleu. C'est au seigneur qui prétend quelque devoir sur les héritages, à l'établir. (A)

FRANC-ALEU NOBLE, est celui qui a une justice, ou un fief, ou une censive mouvante de lui. (A)

FRANC-ALEU PAR PRIVILEGE, est opposé au franc-aleu naturel ; c'est celui qui est fondé en concession & titre particulier. (A)

FRANC-ALEU ROTURIER, est celui qui n'a ni justice, ni fief, ni censive qui en dépende. (A)

FRANC-ALEU PAR TITRE. Voyez ci-dev. FRANC-ALEU PAR PRIVILEGE. (A)

FRANC D'AMBLE, (Manége) cheval amblant naturellement, ou dont l'alure la plus familiere est l'amble. Elle a été avec raison bannie de nos écoles & de nos manéges. Voyez MANEGE.

FRANCS ANGEVINS, c'étoit une monnoie qui se fabriquoit à Angers, de la valeur d'une livre. (A)

FRANCS-ARCHERS, c'est ainsi qu'on appella une nouvelle milice d'infanterie, établie en France par Charles VII. en 1448. Ce prince pour avoir toûjours une troupe d'infanterie sur pié, ordonna que chaque paroisse de son royaume lui fournît un des meilleurs hommes qu'il y auroit pour aller en campagne, & servir en qualité d'archer avec l'arc & la fleche. " Le privilége qu'il accorda à ceux qui seroient choisis, fit qu'il y eut de l'empressement pour l'être, car il les affranchit presque de tous subsides ; & c'est de cet affranchissement qu'on les appella francs-archers ou francs-taupins. Ce nom de taupins leur fut donné sans-doute, parce qu'on le donnoit alors aux paysans, à cause des taupinieres dont les clos des gens de la campagne sont ordinairement remplis. ". Hist. de la milice franç.

Les francs-archers étoient distribués en quatre compagnies de quatre mille hommes chacune ; ainsi ils composoient un corps de seize mille hommes prêts à servir au premier commandement. C'est-là le premier corps réglé de l'infanterie françoise. Avant sa création l'infanterie n'étoit composée, ainsi que s'exprime Brantome dans le discours des colonels, que de marauts, bellistres, mal-avinés, mal-complexionnés, fainéans, pilleurs & mangeurs de peuples, &c.

Les francs-archers ne subsisterent pas long-tems ; ils furent supprimés dans les dernieres années du regne de Louis XI. Mais ce prince qui sentoit le besoin d'entretenir toûjours un corps d'infanterie sur pié, commença, pour suppléer aux francs-archers, par faire lever six mille Suisses ; il leur ajoûta ensuite un corps de dix mille hommes d'infanterie françoise pour être à sa solde, & pour cela il mit, dit le pere Daniel, un grand impôt sur le peuple.

L'établissement des francs-archers peut avoir servi de modele à celui des milices qu'on leve également dans toutes les paroisses du royaume, à-peu-près de la même maniere qu'on y choisissoit les francs-archers. Voyez MILICE. Voyez aussi sur ce sujet l'histoire de la milice françoise du P. Daniel, dont cet article est tiré. (Q)

FRANC ARGENT, en la châtellenie de Montereau ressort de Meaux, signifie la même chose que francs deniers ; c'est lorsque le vendeur accorde avec l'acheteur que le prix de la vente lui sera franc, & qu'il n'en payera aucun droit au seigneur féodal ou censuel, de maniere que l'acheteur doit l'en acquiter. (A)

FRANCS D'ARGENT, étoient une monnoie de la valeur de 10 sous tournois. Le roi Henri III. en fit forger en l'an 1575. (A)

FRANC D'OR, étoit une monnoie d'or de la valeur d'une livre ; en l'an 1400 & auparavant, une livre, à cause de la forte monnoie, valoit un franc d'or : sur quoi Ragueau, en son glossaire au mot franc ou livre, dit que le franc d'or vaudroit à-présent autant qu'un écu sou & plus. (A)

FRANC-BARROIS, sorte de monnoie fictive, en usage dans la Lorraine & le Barrois, où les droits de seigneurie, cens, peines, amendes, & même des contrats de rente, sont en cette monnoie. Il en est parlé dans le mémoire sur la Lorraine & le Barrois, page 10. à la fin. Le franc-barrois se divise en 12 gros, le gros en 4 blancs, le blanc en 4 deniers barrois. Sept francs-barrois font exactement trois livres cours de Lorraine : ainsi le franc-barrois fait 8 sous 6 6/7 den. de Lorraine.

FRANC-BATIR, (Jurispr.) est un droit dont joüissent quelques communautés, de prendre du bois dans une forêt pour l'entretien & le rétablissement de leurs bâtimens. On ne peut user de ce droit que pour les bâtimens qui étoient déjà construits ou qui devoient l'être, lors de la concession qui a été faite de ce droit. Il ne s'étend point aux autres bâtimens que l'on peut construire dans la suite. (A)

FRANCS BLANCS, c'étoient des monnoies d'argent de la valeur d'une livre, ainsi appellées pour les distinguer des francs d'or. Voyez ci-après FRANCS D'OR. (A)

FRANCS-BOURDELOIS, étoient des monnoies que l'on frappoit à Bordeaux, de la valeur d'une livre. (A)

FRANCS-BOURGEOIS, nom de faction parmi les ligueurs d'Orléans, pendant le tems de la ligue.

FRANC DU COLLIER, (Manege) Tout cheval franc du collier est celui qui donne hardiment dans les traits, qui tire franchement, naturellement, & sans en être sollicité par les châtimens. Cette expression est indistinctement en usage pour désigner la franchise de tous les chevaux destinés ou employés à être attelés à une voiture quelconque, quoiqu'ils ne soient pas tous généralement attelés avec un collier.

FRANCS-DENIERS, cette clause apposée dans la vente d'un fief ou d'une roture, signifie que la totalité du prix doit demeurer franche au vendeur, & que l'acquéreur se charge d'acquiter les droits seigneuriaux. Cette clause est assez usitée dans quelques coûtumes, où sans cela le vendeur seroit tenu de payer les droits seigneuriaux ; comme dans les coûtumes de Meaux, art. 131. & 119 ; Melun, artic. 67 ; Troyes, 27 ; Chaumont, 17 ; Saint-Paul sous Artois, art. 64. (A)

FRANC-DEVOIR, est une redevance annuelle en laquelle le seigneur a converti l'hommage qui lui étoit dû pour le fief mouvant de lui. Ces sortes de conversions d'hommage en franc-devoir, qu'on appelle aussi abonnement ou abrégement de fief, furent principalement introduites lorsque les roturiers, ou ceux qui ne faisoient pas profession des armes, commencerent à posséder des fiefs ; ce qui arriva, dit-on, dans le tems des croisades. Le devoir annuel que le seigneur imposa sur le fief fut appellé franc, comme représentant l'hommage auquel il étoit subrogé ; il étoit comme l'hommage même la marque de la noblesse & de la franchise de l'héritage, lequel se partageoit toûjours noblement, même entre roturiers, quand il étoit une fois échû en tierce-main.

Quelques-uns confondent mal-à-propos le franc-devoir avec le franc-aleu. Voyez l'article 258 de la coûtume d'Anjou, & l'ordonnance de Philippe III. touchant les accroissemens, in fine.

Franc-devoir est aussi lorsque l'héritage du roturier est donné par le seigneur du fief à franc-devoir, soit que la redevance soit annuelle, ou dûe à chaque mutation d'homme ou de seigneur, au moyen de quoi l'héritage ainsi tenu ne doit point de rachat ; mais il est dû des ventes dans les cas où elles ont lieu par la coûtume. Voyez Lodunois chap. xjv. art. 21. & 145. (A)

Franc-devoir dans les anciennes chartes, signifie aussi les charges que les hommes de franche & libre condition, doivent pour usage de bois, pour pacage, panage ou autrement. Voyez le glossaire de M. de Lauriere, au mot franc-devoir (A)

FRANC-D'EAU, (Marine) rendre le navire franc-d'eau, c'est tirer l'eau qui peut être dans le navire, & le vuider par le moyen de la pompe. (Z)

FRANC-ETABLE, (Marine) voyez ETABLE.

FRANC ET QUITTE, est une clause qui signifie que les biens dont il s'agit ne sont grevés d'aucunes hypotheques ni autres charges. On peut faire la déclaration de franc & quitte, par rapport à un héritage que l'on vend ; ordinairement on le déclare franc & quitte des arrérages, de cens, & autres charges réelles du passé, jusqu'au jour de la vente.

On peut aussi déclarer l'héritage que l'on vend franc & quitte de toutes charges & hypotheques.

Quelquefois un homme qui s'oblige déclare tous ses biens francs & quittes, c'est-à-dire qu'il ne doit rien ; ou bien il les déclare francs & quittes à l'exception d'une certaine somme qu'il spécifie.

Lorsque la déclaration de franc & quitte se trouve fausse, il faut distinguer si c'est par erreur qu'elle a été faite, ou si c'est de mauvaise foi.

L'erreur peut arriver lorsque celui qui a fait la déclaration de franc & quitte ignoroit les hypotheques qui avoient été constituées sur les biens par ses auteurs, & en ce cas il est seulement tenu civilement de faire décharger les biens des hypotheques, ou de souffrir la résiliation du contrat avec dommages & intérêts.

Mais si la déclaration de franc & quitte a été faite de mauvaise foi, c'est un stellionat : & celui qui a fait cette déclaration est tenu de souffrir la résolution du contrat avec dommages & intérêts ; & l'on peut le faire condamner par corps, quand même il auroit des biens suffisans pour répondre de ses engagemens. Voyez STELLIONAT. (A)

FRANC-FUNIN, (Marine) c'est une longue corde plus ronde que le cordage ordinaire ; elle est blanche, c'est-à-dire qu'elle n'est pas goudronnée, & sert dans un vaisseau à plusieurs usages. Le franc-funin est composé de cinq torons, tellement serrés que le cordage en paroisse plus arrondi que le cordage ordinaire. Il sert pour les plus rudes manoeuvres, comme pour embarquer le canon, mettre en carene, &c.

FRANC-HOMME, c'étoit tout homme noble ou roturier, qui étant propriétaire d'un fief, demeuroit au dedans de ce fief ; car anciennement les fiefs communiquoient leur noblesse aux roturiers tant qu'ils y demeuroient. Voyez de Fontaines en son conseil, & M. de Lauriere en ses notes sur l'art. 248. de la coût. de Paris. (A)

FRANCS-MAÇONS, (Hist. mod.) ancienne société ou corps qu'on nomme de la sorte, soit parce qu'ils avoient autrefois quelque connoissance de la Maçonnerie & des bâtimens, soit que leur société ait été d'abord fondée par des maçons.

Elle est actuellement très-nombreuse, & composée de personnes de tout état. On trouve des francs-maçons en tous pays. Quant à leur ancienneté, ils prétendent la faire remonter à la construction du temple de Salomon. Tout ce qu'on peut pénétrer de leurs mysteres ne paroît que loüable, & tendant principalement à fortifier l'amitié, la société, l'assistance mutuelle, & à faire observer ce que les hommes se doivent les uns aux autres. Chambers.

FRANCS-MANÇAIS, c'étoient des monnoies de la valeur d'une livre, que l'on frappoit au Mans de l'autorité de l'évêque. (A)

FRANCS-MEIX, ou MEX, dont il est parlé en la coûtume locale de Saint-Piat de Seclin sous Lille, sont des héritages mortaillables qui ont été affranchis. (A)

FRANC-MARIAGE, c'est un mariage noble ; donner en franc-mariage, c'est marier noblement. Il en est parlé au traité des tenures, liv. I. ch. ij. liv. II. ch. vj. liv. III. ch. ij. (A)

FRANC PARISIS, étoit la monnoie d'une livre parisis, qui valoit un quart en sus plus que le franc tournois. Voyez MONNOIE PARISIS, (A)

FRANC-PRIS ou prisage, c'est-à-dire prisée dans la coûtume de Bretagne, art. 261. (A)

FRANC-QUARTIER, s. m. terme de Blason. Le premier quartier de l'écu, qui est à la droite du côté du chef, où l'on a coûtume de mettre quelques autres armes que celles du reste de l'écu. Il est un peu moindre qu'un vrai quartier d'écartelage.

FRANC-SALE, (Jurisprud.) Ce mot s'entend de deux manieres.

Il y a des provinces & des villes qu'on appelle pays de franc-salé, c'est-à-dire où chacun a la liberté d'acheter & revendre du sel sans payer au Roi aucune imposition : tels sont le Poitou, l'Aunis, la Saintonge, le Périgord, Angoumois, haut & bas Limosin, haute & basse Marche, qui ont acquis ce droit du roi Henri II. moyennant finance. La ville de Calais & les pays reconquis ont aussi obtenu ce droit lorsqu'ils sont sortis des mains des Anglois & rentrés sous la domination de France.

Le franc-salé ou droit de franc-salé qui appartient à certains officiers royaux & autres personnes, est une certaine provision de sel qui leur est accordée pour leur provision. Autrefois ceux qui avoient ce droit avoient le sel gratis, & ne payoient que la voiture. Présentement ils payent une pistole par minot. Voyez GABELLE. (A)

FRANCS-TAULPINS, voyez FRANCS-ARCHERS.

FRANC-TENANT, c'est celui qui possede noblement & librement. Voyez le liv. des tenures, liv. II. ch. j. & ij. (A)

FRANC-TENEMENT, est un héritage possédé noblement & librement, sans aucune charge roturiere. Voyez le même livre des tenures, liv. I. ch. vj. & jx. liv. III. ch. ij. (A)

FRANC-TILLAC, (Marine) c'est le pont le plus proche de l'eau, qu'on appelle le premier pont dans les vaisseaux à deux ponts & à trois ponts. C'est sur ce pont qu'on place les canons de plus fort calibre. (Z)

FRANC TOURNOIS, étoit la monnoie d'une livre que l'on frappoit à Tours de l'autorité de l'archevêque. Cette livre valoit vingt sols tournois ; présentement le franc tournois n'est plus qu'une valeur numéraire. Voyez LIVRE TOURNOIS. (A)

FRANC VIENNOIS, c'étoit une monnoie d'une livre, qui se frappoit à Vienne en Dauphiné de l'autorité des dauphins de Viennois. Il y a encore dans ce pays & dans les provinces voisines, des redevances fixées en francs sous & deniers viennois ; ce qui s'évalue en monnoie de France. Voyez ci-dev. DENIER VIENNOIS. (A)


FRANCAgenre de plante à fleur en oeillet, composée de plusieurs pétales disposés en rond & soûtenus par un calice cylindrique. Le pistil sort de ce calice, & devient dans la suite un fruit plus ou moins allongé, qui s'ouvre d'un bout à l'autre en trois parties, quoiqu'il soit renfermé dans le calice. Il contient des semences ovoïdes très-petites, & attachées au placenta. Nova plant. gener. Amer. &c. par M. Micheli. (I)


FRANCARTES. f. (Comm.) mesure pour les grains dont on se sert à Verdun. La francarte de froment pese 38 livres poids de marc, de méteil 34, de seigle 32, & d'avoine 25. Voyez les dict. de Comm. & de Trév. (G)


FRANCE(Géog.) grand royaume de l'Europe, borné au N. par les Pays-Bas, à l'E. par l'Allemagne, les Suisses, & la Savoie ; au S. par la mer Méditerranée & par les Pyrénées ; à l'O. par l'Océan.

Selon la carte de la mesure de la terre donnée par M. Cassini, la France a d'orient en occident 220 lieues de large, & du nord au sud, depuis Dunkerque jusqu'aux frontieres d'Espagne, 230 lieues de long. En prenant la France de biais, depuis la côte de Bretagne la plus éloignée jusqu'à Nice sur la côte de Provence, 250 lieues ; & depuis les confins d'Espagne au midi de Bayonne, jusqu'aux confins d'Allemagne, du côté des Pays-Bas, 210 lieues ou environ. Ainsi en prenant 220 lieues pour milieu entre ces différences, cela donne pour l'étendue de la France 400 lieues quarrées. Ces lieues sont selon la même carte, de 25 au degré.

Dans cette étendue, l'air y est pur & sain, sous un ciel presque par-tout tempéré. L'Océan arrose la France d'un côté, & la Méditerranée de l'autre. Elle a de hautes montagnes & de belles rivieres. Son pays fertile & délicieux abonde en sel, grains, légumes, fruits, vins, &c. mines de fer, de plomb, de cuivre, &c. Il y a en France 18 archevêchés, 112 évêchés, 14777 couvents, 12400 prieurés, 1356 abbayes de religieux, 240 commanderies de l'ordre de Malthe, &c. On y compte 13 parlemens, 12 gouvernemens généraux, ou si l'on veut, 36 gouvernemens des provinces, & 25 universités, qui ne sont pas toutes célebres. Sa situation se trouve, selon l'académie des Sciences, entre le treizieme & le vingt-sixieme degré de longitude, & entre le quarante-deuxieme & le cinquante-unieme de latitude.

L'histoire de ce royaume, dit un homme de génie, nous fait voir la puissance des rois de France se former, mourir deux fois, renaître de même ; languir ensuite pendant plusieurs siecles : mais prenant insensiblement des forces, s'accroître de toutes parts, & monter au plus haut point ; semblable à ces fleuves qui dans leur cours perdent leurs eaux, ou se cachent sous terre, puis reparoissent de nouveau, grossis par les rivieres qui s'y jettent, & entraînent avec rapidité tout ce qui s'oppose à leur passage.

Les peuples furent absolument esclaves en France, jusque vers le tems de Philippe-Auguste. Les seigneurs furent tyrans jusqu'à Louis XI. tyran lui-même, qui ne travailla que pour la puissance royale. François I. fit naître le commerce, la navigation, les lettres, & les arts, qui tous périrent avec lui. Henri le Grand, le pere & le vainqueur de ses sujets, fut assassiné au milieu d'eux, quand il alloit faire leur bonheur. Le cardinal de Richelieu s'occupa du soin d'abaisser la maison d'Autriche, le Calvinisme, & les grands. Le cardinal Mazarin ne songea qu'à se maintenir dans son poste avec adresse & avec art.

Aussi pendant neuf cent ans, les François sont restés sans industrie, dans le desordre & dans l'ignorance : voilà pourquoi ils n'eurent part ni aux grandes découvertes, ni aux belles inventions des autres peuples. L'imprimerie, la poudre, les glaces, les télescopes, le compas de proportion, la circulation du sang, la machine pneumatique, le vrai système de l'univers, ne leur appartiennent point ; ils faisoient des tournois, pendant que les Portugais & les Espagnols découvroient & conquéroient de nouveaux mondes à l'orient & à l'occident du monde connu. Enfin les choses changerent de face vers le milieu du dernier siecle ; les Arts, les Sciences, le Commerce, la Navigation, & la Marine, parurent sous Colbert, avec un éclat admirable dont l'Europe fut étonnée : tant la nation françoise est propre à se porter à tout ; nation flexible qui murmure le plus aisément, qui obéit le mieux, & qui oublie le plutôt ses malheurs.

Je suis très-dispensé d'entrer ici dans aucun détail de l'état présent du royaume. Sa force réelle & relative ; la nature de son gouvernement ; la religion du pays ; la puissance du monarque, ses revenus, ses ressources, & sa domination, tout cela n'est ignoré de personne. L'on ne sait pas moins que les richesses immenses de la France, qui montent peut-être en matiere d'or ou d'argent, à un milliard du titre de ce jour (le marc d'or à 680 liv. & celui d'argent à 50 liv.), se trouvent malheureusement réparties, comme l'étoient les richesses de Rome, lors de la chûte de la République. On sait encore que la capitale forme, pour ainsi dire, l'état même, que tout aborde à ce gouffre, à ce centre de puissance ; que les provinces se dépeuplent excessivement ; & que le laboureur accablé de sa pauvreté, craint de mettre au jour des malheureux. Il est vrai que Louis XIV. s'appercevant, il y a près d'un siecle (en 1666) de ce mal invétéré, crut encourager la propagation de l'espece, en promettant de récompenser ceux qui auroient dix enfans, c'est-à-dire de récompenser des prodiges ; il eût mieux valu remonter aux causes du mal, & y porter les véritables remedes. Or ces causes & ces remedes ne sont pas difficiles à trouver. Voyez les articles IMPOT, TOLERANCE, &c. (D.J.)

FRANCE, (ISLE DE-) Géog. province de France, ainsi nommée parce qu'elle étoit autrefois bornée par la Seine, la Marne, l'Oise, l'Aisne, & l'Ourque. Les Géographes vous indiqueront son étendue actuelle. (D.J.)


FRANCFORTFRANCFORT sur le Mein, s. m. (Géog.) ville d’Allemagne en Wétéravie, aux confins de la Franconie, entre la ville d’Hanaw & celle de Mayence.

Francfort est partagé en deux par le Mein, que l'on y passe sur un pont de pierre. La partie qui est sur le bord septentrional du fleuve, porte proprement le nom de Francfort ; on appelle l'autre Saxen-Hausen, c'est-à-dire les maisons des Saxons. Ces deux parties sont fortifiées avec des bastions à l'antique, un fossé plein d'eau, & un chemin-couvert.

Cette ville est la patrie de Charles le Chauve, roi de France : elle est riche, impériale, anséatique, peuplée, & marchande ; on y tient deux foires chaque année, l'une au printems, & l'autre en automne, où entr'autres marchandises, il se fait un grand commerce de livres.

C'est-là que les électeurs se rendent pour élire un empereur ou un roi des Romains, conformément ou non conformément à la bulle d'or de l'empereur Charles IV. dont l'original se garde à la maison-de-ville ; c'est un parchemin in-4°. de quarante-trois feuilles, selon Wagenseil.

Francfort est fameux par son concile de l'an 794, un des plus célebres qui se soient tenus dans l'occident : Charlemagne, en qualité d'empereur, y exerça la même autorité qu'avoient autrefois les empereurs d'orient dans les conciles, depuis qu'ils eurent embrassé le Christianisme. On rejetta dans ce concile le second concile de Nicée, dans lequel on avoit rétabli le culte des images. Voyez ICONOCLASTES.

Francfort embrassa la confession d'Augsbourg l'an 1530 ; le magistrat, & presque tout le peuple, sont de cette confession ; les Réformés, les Catholiques Romains, & même les Juifs, y sont également bien reçus, & y habitent avec liberté, quoiqu'ils n'y ayent point d'exercice public de leurs religions, mais on les tolere avec autant de sagesse que de profit. On est assez sage dans cette ville, pour ne s'y occuper que du soin de faire fleurir le commerce, & de maintenir les droits des citoyens.

Le gouvernement y est entre les mains de quelques familles, qu'on appelle patriciennes : cependant le choix des personnes particulieres qui y doivent remplir les charges, est fait par le corps des métiers ; ce qui rend ce gouvernement aristo-démocratique.

Le territoire de Francfort est un petit pays entre l'archevêché de Mayence, le comté d'Hanaw, & le landgraviat de Hesse-Darmstadt : il a seulement quatre milles de long & autant de large ; & il est partagé par le Mein en deux parties, dont la septentrionale est fort peuplée, tandis que l'autre n'est presque qu'une forêt.

La ville de Francfort, le seul lieu considérable de son territoire, est à environ quatre milles d'Allemagne à l'Est de Mayence, à deux milles d'Hanaw, & à cinq d'Asschaffenbourg. Long. 26. 6. 36. latit. 49. 55. 0. suivant les observations de Cassini. (D.J.)

FRANCFORT sur l'Oder, (Géog.) ville & université d'Allemagne dans la moyenne Marche de Brandebourg, autrefois impériale, à-présent sujette au roi de Prusse. Elle est à environ vingt-deux milles d'Allemagne S. de Stetin, quinze milles S. E. de Berlin, vingt-quatre milles N. E. de Wirtemberg, soixante-dix mille N. O. de Vienne, selon Sreet. Longit. 32. 26. 15. latit. 52. 22. 0. (D.J.)


FRANCHEadj. f. (Marine) la pompe est franche, c'est-à-dire que l'ossec est vuide, & qu'il ne reste plus d'eau à pomper. (Z)

FRANCHE-BOULINE, (Marine) Voyez BOULINE.

FRANCHE-AUMONE, (Jurisprud.) est lorsqu'un seigneur donne un fond mouvant de lui, pour construire une église, cimetiere, ou autre lieu sacré, sans y retenir aucun droit ; auquel cas, il ne lui reste plus ni foi ni jurisdiction proprement dites sur ce fonds, mais seulement le droit de patronage. Tous les biens aumônés à l'église ne sont pas donnés en franche-aumône : car on distingue deux sortes d'aumône, savoir, la franche-aumône, dont on vient de parler, & la pure aumône ; celle-ci est lorsqu'on donne à l'église des biens temporels, produisant des fruits & revenus, sur lesquels le fief & la jurisdiction demeurent, soit au donateur, s'il a fief & jurisdiction sur le fonds, soit au seigneur féodal & justicier, si le donateur ne l'est pas ; & néanmoins les biens ainsi tenus en pure-aumône par des gens d'église, sont tenus franchement, é'est-à-dire sans en payer aucun devoir ni redevance, ad obsequium precum. Voy. Maichin, sur la coût. d'Angely, tit. jv. art. 1. ch. viij. Dupineau, sur l'art. 112. d'Anjou ; Boucheul, sur l'article 108. de Poitou. (A)

FRANCHE-FETE ; c'est un privilége accordé à un seigneur pour l'exemption de tous droits sur les marchandises qui arrivent le jour de la fête du lieu, & quelquefois pendant un certain nombre de jours. Au mois d'Octobre 1424, Philippe, comte de Saint-Paul, permit au sieur de Heudin, son vassal, à cause de S. Paul, d'obtenir du roi une franche-fête ; & le 16 Juillet 1426, le même seigneur affranchit toutes les marchandises arrivant à la franche-fête d'Heudin, pendant l'espace de cinq jours, des tonlieux, péages, & travers à lui appartenans. (A)

FRANCHE-VERITE, est lorsque le seigneur justicier fait enquérir & informer d'office par ses hommes de loi, des délits commis en sa terre, sans aucune partie formée ou apparente, & lorsque le délinquant n'a point été pris en flagrant-délit ; comme il est dit en la somme rurale, comparoir à la franche-vérité, & tenir vérités, en l'art. 39. 40. de la coûtume de S. Omer sous Artois, imprimée en 1553 ; & en l'art. 10. de celle qui a été imprimée en 1589 à Arras ; c'est tenir les assises, tenir ou avoir vérité spéciale. Lille, tit. j. art. 4. 5. (A)

FRANCHES, compagnies franches, (Art militaire) ce sont des corps de troupes qui ne forment point de régimens ; elles ont chacune un chef, qui en est le commandant ou capitaine ; elles sont composées de cavalerie & d'infanterie : on s'en sert pour donner de l'inquiétude à l'ennemi, pénétrer dans son pays, y causer le dégât, ou pour établir les contributions. On donne ordinairement le nom de partisans à ceux qui commandent les corps particuliers. Voyez PARTIS. (Q)


FRANCHE-COMTÉou COMTE DE BOURGOGNE, (Géog.) Burgundiae comitatus, province considérable, bornée au nord par la Lorraine, à l'est par le Montbelliard & la Suisse, à l'oüest par le Bassigny & la Bresse, & au sud par le Bugey. Ce pays contient la plus grande partie du territoire des anciens Séquaniens, qui furent subjugués par Jules-César. Voyez Longuerue.

La Franche-Comté a environ cinquante lieues de long sur trente-deux dans sa plus grande largeur ; elle abonde en grains, vins, bestiaux, chevaux, mines de fer, de cuivre, & de plomb, outre plusieurs carrieres ; elle est partagée presque également en pays uni & en pays de montagnes. Le pays uni renferme le bailliage de Vésoul, Gray, Dôle, &c. le pays de montagnes comprend le bailliage de Pontarlier & d'Orgelet, de Salins, Ornause, Beaume, Saint-Claude, Quingey, Arbois, & la ville de Besançon, capitale de toute la Franche-Comté : cette province est arrosée par cinq rivieres principales, la Saone, le Lougnon, le Doux, la Louvre, & le Dain, toutes fort poissonneuses.

Louis XIV. conquit la Franche-Comté en 1674. Ce prince, avec un million d'argent comptant & une assûrance de six cent mille livres, détermina les Suisses à refuser à l'empereur & à l'Espagne le passage des troupes : il prit Besançon, après avoir gagné les grands seigneurs du pays ; & en six semaines, toute la Franche-Comté lui fut soûmise. Elle est restée à la France par le traité de Nimegue en 1678, & semble y être pour jamais annexée ; monument de la foiblesse du ministere autrichien-espagnol, & de l'habileté de celui de Louis XIV. (D.J.)


FRANCHIPANNES. f. (Cuisine) c'est un mets que les Pâtissiers font avec de la creme, des jaunes d'oeufs, du sucre, de l'écorce de citron, de la fleur-d'orange, & autres ingrédiens de cette espece.


FRANCHIRv. act. c'est traverser en s'élevant avec effort ; il se prend au simple & au figuré : ainsi l'on dit, franchir un fossé, une haie, & franchir les barrieres de la vertu.

FRANCHIR, (Marine) franchir l'eau de la pompe, signifie que l'eau diminue & s'épuise ; ce qui s'entend de l'eau qui entre dans le vaisseau, soit par quelques ouvertures, ou autrement. (Z)

FRANCHIR LA LAME, c'est couper les vagues qui traversent l'avant du vaisseau, & passer au-travers. (Z)

FRANCHIR UNE ROCHE, ou un haut-fond, c'est passer par-dessus, quand il y a assez d'eau pour n'y pas demeurer & échoüer. (Z)


FRANCHISES. f. (Hist. & Morale) mot qui donne toûjours une idée de liberté dans quelque sens qu'on le prenne ; mot venu des Francs, qui étoient libres : il est si ancien, que lorsque le Cid assiégea & prit Tolede dans l'onzieme siecle, on donna des franchies ou franchises aux François qui étoient venus à cette expédition, & qui s'établirent à Tolede. Toutes les villes murées avoient des franchises, des libertés, des priviléges jusque dans la plus grande anarchie du pouvoir féodal. Dans tous les pays d'états, le souverain juroit à son avenement de garder leurs franchises.

Ce nom qui a été donné généralement aux droits des peuples, aux immunités, aux asyles, a été plus particulierement affecté aux quartiers des ambassadeurs à Rome ; c'étoit un terrein autour de leurs palais ; & ce terrein étoit plus ou moins grand, selon la volonté de l'ambassadeur : tout ce terrein étoit un asyle aux criminels ; on ne pouvoit les y poursuivre : cette franchise fut restreinte sous Innocent XI. à l'enceinte des palais. Les églises & les couvens en Italie ont la même franchise, & ne l'ont point dans les autres états. Il y a dans Paris plusieurs lieux de franchises, où les débiteurs ne peuvent être saisis pour leurs dettes par la justice ordinaire, & où les ouvriers peuvent exercer leurs métiers sans être passés maîtres. Les ouvriers ont cette franchise dans le faubourg S. Antoine ; mais ce n'est pas un asyle, comme le temple.

Cette franchise, qui exprime originairement la liberté d'une nation, d'une ville, d'un corps, a bientôt après signifié la liberté d'un discours, d'un conseil qu'on donne, d'un procédé dans une affaire : mais il y a une grande nuance entre parler avec franchise, & parler avec liberté. Dans un discours à son supérieur, la liberté est une hardiesse ou mesurée ou trop forte ; la franchise se tient plus dans les justes bornes, & est accompagnée de candeur. Dire son avis avec liberté, c'est ne pas craindre ; le dire avec franchise, c'est n'écouter que son coeur. Agir avec liberté, c'est agir avec indépendance ; procéder avec franchise, c'est se conduire ouvertement & noblement. Parler avec trop de liberté, c'est marquer de l'audace ; parler avec trop de franchise, c'est trop ouvrir son coeur. Article de M. DE VOLTAIRE.

FRANCHISE de pinceau, ou de burin, (Peint. Gravure) on entend par ce terme cette liberté & cette hardiesse de main qui font paroître un travail facile, quoique fait avec art. Rien ne caractérise mieux les talens & l'heureux génie d'un artiste qui ne fatigue point, & qui se joue en quelque sorte des difficultés. Voyez FACILITE, LIBERTE.


FRANCISCAINSS. m. pl. (Ordre monastiq.) religieux encore plus connus sous leur autre nom de Cordeliers. Voyez CORDELIERS ; & joignez-y, avec vos propres réflexions, les deux traits historiques qui suivent, & qui méritent de n'être pas oubliés dans l'histoire de ces religieux.

Si les Franciscains vénerent singulierement François d'Assise ; s'ils lui attribuent tant de miracles, il faut du-moins convenir que c'en fut un bien grand qu'opéra ce fondateur, en multipliant son ordre, au point que neuf ans après l'avoir fondé, il se trouva dans un chapitre général qui se tint près d'Assise, cinq mille députés de ses couvens. Aujourd'hui même, quoique les Protestans leur ayent enlevé un nombre prodigieux de leurs monasteres, ils ont encore sept mille maisons d'hommes sous des noms différens, & plus de neuf cent couvens de filles. On a compté par leurs derniers chapitres cent-quinze mille hommes, & environ vingt-neuf mille filles.

La querelle théologique de cet ordre avec les Dominicains plus puissans qu'eux, quoique moins nombreux, paroît avoir pris sa source dans la seule jalousie. La premiere occasion qui se présenta de la déployer, tomba sur la naissance de la mere de J. C. Les Dominicains ayant dit qu'elle étoit livrée au démon comme les autres, les Franciscains crierent à l'impiété, & soûtinrent qu'elle avoit été exempte du péché originel. Les Dominicains s'appuyerent de l'autorité de S. Thomas, de celle même de S. Bernard, appellé le soldat de la Vierge ; & les Franciscains, de celle de Jean Duns, écossois, nommé improprement Scot, mais fort connu en son tems par le titre de docteur subtil. Voyez IMMACULEE CONCEPTION. (D.J.)


FRANCISQUES. f. (Hist. mod. milit.) arme faite en façon de hache, dont se servoient les Francs ; & c'est peut-être de-là que lui vient son nom. Quoiqu'il en soit, la francisque a été seulement en usage dans les tems où les Francs n'accordoient à leurs rois qu'une autorité très-bornée ; ne connoissoient guere leurs souverains dans le camp que comme généraux de soldats conquérans, & ne leur donnoient leur part du butin, que selon que le sort en décidoit : on sait là-dessus ce qui arriva à Clovis, après sa victoire sur Siagrius. Ce monarque voulant rendre à un évêque un vase sacré qui avoit été pris dans un pillage ; requit de ses troupes qu'il ne fût point compris dans le partage qui s'en devoit faire : mais un franc qui regardoit cette pieuse libéralité du prince comme une entreprise sur les droits de l'armée, donna un coup de sa francisque sur ce vase, & dit fierement au roi, qu'il ne disposeroit que de ce que le sort lui donneroit à lui-même dans le partage du butin. Clovis, quoique naturellement colere & terrible, fut obligé de dissimuler le chagrin qu'il ressentoit de ce refus. N'osant pas alors en tirer raison par l'autorité royale, il eut recours l'année suivante à celle de général, en faisant la revûe de ses troupes au champ de Mars ; dans cette revûe, il ne se contenta pas de reprimander ce soldat, sous prétexte que ses armes étoient mal en ordre, il lui arracha sa francisque, la jetta par terre, prit la sienne, & lui en fendit la tête, en lui disant, Souviens-toi du vase de Soissons : action bien indigne d'un prince qui, en se faisant chrétien, auroit dû apprendre à pardonner ou plutôt à être juste. (D.J.)


FRANCKENDAL(Géog.) petite, nouvelle, & ci-devant forte ville d'Alsace, dans les états de l'électeur palatin. Les François la prirent en 1688, & la démolirent en 1689 ; elle fut rendue dans cet état, par le traité de Westphalie à l'électeur palatin, qui ne l'a guere rétablie : elle est proche le Rhin, à trois lieues d'Heidelberg & de Spire, N. O. Long. 27. 4. latit. 49. 28.

Heidanus (Abraham), grand partisan de Descartes, naquit dans cette ville l'an 1597, & mourut professeur à Leyden en 1678. Sa théologie chrétienne a été imprimée l'an 1686, en 2 vol. in-4°. (D.J.)


FRANCKENSTEIN(Géog.) ville de la haute Silésie, dans la principauté de Munsterberg, mais qui n'est guere connue que pour avoir été la patrie de gens de lettres célebres, comme de David Pareus & de Christophe Schillingius, auteur de poésies greques & latines, imprimées à Genève, l'an 1580. Pareus, né en 1548, & disciple de Schilling, le surpassa de beaucoup. Son commentaire sur l'épître de S. Paul aux Romains, fut brûlé en Angleterre, parce qu'il contient des maximes anti-monarchiques, qui ne plurent pas à Jacques I. Ses oeuvres exégétiques ont été recueillies en trois vol. in-fol. il est mort en 1622, à l'âge de 74 ans, ou environ, & laissa un fils, qu'on peut mettre au nombre des plus laborieux grammairiens que l'Allemagne ait produits. (D.J.)


FRANÇOISou FRANÇAIS, s. m. (Hist. Littérat. & Morale) On prononce aujourd'hui Français, & quelques auteurs l'écrivent de même ; ils en donnent pour raison, qu'il faut distinguer Français qui signifie une nation, de François qui est un nom propre, comme S. François, ou François I. Toutes les nations adoucissent à la longue la prononciation des mots qui sont le plus en usage ; c'est ce que les Grecs appelloient euphonie. On prononçoit la diphtongue oi rudement, au commencement du seizieme siecle. La cour de François 1er adoucit la langue, comme les esprits : de-là vient qu'on ne dit plus François par un o, mais Français ; qu'on dit, il aimait, il croyait, & non pas, il aimoit, il croyoit, &c.

Les François avoient été d'abord nommés Francs ; & il est à remarquer que presque toutes les nations de l'Europe accourcissoient les noms que nous alongeons aujourd'hui. Les Gaulois s'appelloient Welchs, nom que le peuple donne encore aux François dans presque toute l'Allemagne ; & il est indubitable que les Welchs d'Angleterre, que nous nommons Galois, sont une colonie de Gaulois.

Lorsque les Francs s'établirent dans le pays des premiers Welchs, que les Romains appelloient Gallia, la nation se trouva composée des anciens Celtes ou Gaulois subjugués par César, des familles romaines qui s'y étoient établies, des Germains qui y avoient déjà fait des émigrations, & enfin des Francs qui se rendirent maîtres du pays sous leur chef Clovis. Tant que la monarchie qui réunit la Gaule & la Germanie subsista, tous les peuples, depuis la source du Veser jusqu'aux mers des Gaules, porterent le nom de Francs. Mais lorsqu'en 843, au congrès de Verdun, sous Charles le Chauve, la Germanie & la Gaule furent séparées : le nom de Francs resta aux peuples de la France occidentale, qui retint seule le nom de France.

On ne connut guere le nom de François, que vers le dixieme siecle. Le fond de la nation est de familles gauloises, & le caractere des anciens Gaulois a toûjours subsisté.

En effet, chaque peuple a son caractere, comme chaque homme ; & ce caractere général est formé de toutes les ressemblances que la nature & l'habitude ont mises entre les habitans d'un même pays, au milieu des variétés qui les distinguent. Ainsi le caractere, le génie, l'esprit françois, résultent de tout ce que les différentes provinces de ce royaume ont entr'elles de semblable. Les peuples de la Guienne & ceux de la Normandie different beaucoup : cependant on reconnoît en eux le génie françois, qui forme une nation de ces différentes provinces, & qui les distingue au premier coup-d'oeil, des Italiens & des Allemands. Le climat & le sol impriment évidemment aux hommes, comme aux animaux & aux plantes, des marques qui ne changent point ; celles qui dépendent du gouvernement, de la religion, de l'éducation, s'alterent : c'est-là le noeud qui explique comment les peuples ont perdu une partie de leur ancien caractere, & ont conservé l'autre. Un peuple qui a conquis autrefois la moitié de la terre, n'est plus reconnoissable aujourd'hui sous un gouvernement sacerdotal : mais le fond de son ancienne grandeur d'ame subsiste encore, quoique caché sous la foiblesse.

Le gouvernement barbare des Turcs a énervé de même les Egyptiens & les Grecs, sans avoir pû détruire le fond du caractere, & la trempe de l'esprit de ces peuples.

Le fond du François est tel aujourd'hui, que César a peint le Gaulois, promt à se résoudre, ardent à combattre, impétueux dans l'attaque, se rebutant aisément. César, Agathias, & d'autres, disent que de tous les barbares le Gaulois étoit le plus poli : il est encore dans le tems le plus civilisé, le modele de la politesse de ses voisins.

Les habitans des côtes de la France furent toûjours propres à la Marine ; les peuples de la Guienne composerent toûjours la meilleure infanterie : ceux qui habitent les campagnes de Blois & de Tours, ne sont pas, dit le Tasse,

.... Gente robusta, e faticosa.

La terra molle, e lieta, e dilettosa,

Simili a se gli abitator produce.

Mais comment concilier le caractere des Parisiens de nos jours, avec celui que l'empereur Julien, le premier des princes & des hommes après Marc-Aurele, donne aux Parisiens de son tems ? J'aime ce peuple, dit-il dans son Misopogon, parce qu'il est sérieux & sévere comme moi. Ce sérieux qui semble banni aujourd'hui d'une ville immense, devenue le centre des plaisirs, devoit regner dans une ville alors petite, dénuée d'amusemens : l'esprit des Parisiens a changé en cela malgré le climat.

L'affluence du peuple, l'opulence, l'oisiveté, qui ne peut s'occuper que des plaisirs & des arts, & non du gouvernement, ont donné un nouveau tour d'esprit à un peuple entier.

Comment expliquer encore par quels degrés ce peuple a passé des fureurs qui le caractériserent du tems du roi Jean, de Charles VI. de Charles IX. de Henri III. & de Henri IV. même, à cette douce facilité de moeurs que l'Europe chérit en lui ? C'est que les orages du gouvernement & ceux de la religion pousserent la vivacité des esprits aux emportemens de la faction & du fanatisme ; & que cette même vivacité, qui subsistera toûjours, n'a aujourd'hui pour objet que les agrémens de la société. Le Parisien est impétueux dans ses plaisirs, comme il le fut autrefois dans ses fureurs. Le fonds du caractere qu'il tient du climat, est toûjours le même. S'il cultive aujourd'hui tous les arts dont il fut privé si long-tems, ce n'est pas qu'il ait un autre esprit, puisqu'il n'a point d'autres organes, mais c'est qu'il a eu plus de secours ; & ces secours il ne se les est pas donnés lui-même, comme les Grecs & les Florentins, chez qui les Arts sont nés, comme des fruits naturels de leur terroir ; le François les a reçûs d'ailleurs : mais il a cultivé heureusement ces plantes étrangeres ; & ayant tout adopté chez lui, il a presque tout perfectionné.

Le gouvernement des François fut d'abord celui de tous les peuples du nord : tout se régloit dans des assemblées générales de la nation : les rois étoient les chefs de ces assemblées ; & ce fut presque la seule administration des François dans les deux premieres races, jusqu'à Charles le Simple.

Lorsque la monarchie fut démembrée dans la décadence de la race Carlovingienne ; lorsque le royaume d'Arles s'éleva, & que les provinces furent occupées par des vassaux peu dépendans de la couronne, le nom de François fut plus restreint ; & sous Hugues-Capet, Robert, Henri, & Philippe, on n'appella François que les peuples en-deçà de la Loire. On vit alors une grande diversité dans les moeurs comme dans les lois des provinces demeurées à la couronne de France. Les seigneurs particuliers qui s'étoient rendus les maîtres de ces provinces, introduisirent de nouvelles coûtumes dans leurs nouveaux états. Un breton, un habitant de Flandres, ont aujourd'hui quelque conformité, malgré la différence de leur caractere qu'ils tiennent du sol & du climat : mais alors ils n'avoient entr'eux presque rien de semblable.

Ce n'est guere que depuis François I. que l'on vit quelque uniformité dans les moeurs & dans les usages : la cour ne commença que dans ce tems à servir de modele aux provinces réunies ; mais en général l'impétuosité dans la guerre, & le peu de discipline, furent toûjours le caractere dominant de la nation. La galanterie & la politesse commencerent à distinguer les François sous François I. les moeurs devinrent atroces depuis la mort de François II. Cependant au milieu de ces horreurs, il y avoit toujours à la cour une politesse que les Allemands & les Anglois s'efforçoient d'imiter. On étoit déjà jaloux des François dans le reste de l'Europe, en cherchant à leur ressembler. Un personnage d'une comédie de Shakespear dit qu'à toute force on peut être poli sans avoir été à la cour de France.

Quoique la nation ait été taxée de legereté par César, & par tous les peuples voisins, cependant ce royaume si long-tems démembré, & si souvent prêt à succomber, s'est réuni & soûtenu principalement par la sagesse des négociations, l'adresse, & la patience. La Bretagne n'a été réunie au royaume, que par un mariage ; la Bourgogne, par droit de mouvance, & par l'habileté de Louis XI. le Dauphiné, par une donation qui fut le fruit de la politique ; le comté de Toulouse, par un accord soûtenu d'une armée ; la Provence, par de l'argent : un traité de paix a donné l'Alsace ; un autre traité a donné la Lorraine. Les Anglois ont été chassés de France autrefois, malgré les victoires les plus signalées ; parce que les rois de France ont sçû temporiser & profiter de toutes les occasions favorables. Tout cela prouve que si la jeunesse françoise est legere, les hommes d'un âge mûr qui la gouvernent, ont toujours été très-sages : encore aujourd'hui, la Magistrature en général a des moeurs séveres, comme le rapporte Aurélien. Si les premiers succès en Italie, du tems de Charles VIII. furent dûs à l'impétuosité guerriere de la nation, les disgraces qui les suivirent vinrent de l'aveuglement d'une cour qui n'étoit composée que de jeunes gens. François premier ne fut malheureux que dans sa jeunesse, lorsque tout étoit gouverné par des favoris de son âge, & il rendit son royaume florissant dans un âge plus avancé.

Les François se servirent toûjours des mêmes armes que leurs voisins, & eurent à-peu-près la même discipline dans la guerre. Ils ont été les premiers qui ont quitté l'usage de la lance & des piques. La bataille d'Ivri commença à décrier l'usage des lances, qui fut bien-tôt aboli ; & sous Louis XIV. les piques ont été hors d'usage. Ils porterent des tuniques & des robes jusqu'au seizieme siecle. Ils quitterent sous Louis le Jeune l'usage de laisser croître la barbe, & le reprirent sous François premier, & on ne commença à se raser entierement que sous Louis XIV. Les habillemens changerent toujours ; & les François au bout de chaque siecle, pouvoient prendre les portraits de leurs ayeux pour des portraits étrangers.

La langue françoise ne commença à prendre quelque forme que vers le dixieme siecle ; elle naquit des ruines du latin & du celte, mêlées de quelques mots tudesques. Ce langage étoit d'abord le romanum rusticum, le romain rustique ; & la langue tudesque fut la langue de la cour jusqu'au tems de Charles-le Chauve. Le tudesque demeura la seule langue de l'Allemagne, après la grande époque du partage en 843. Le romain rustique, la langue romance prévalut dans la France occidentale. Le peuple du pays de Vaud, du Vallais, de la vallée d'Engadina, & quelques autres cantons, conservent encore aujourd'hui des vestiges manifestes de cet idiome.

A la fin du dixieme siecle le françois se forma. On écrivit en françois au commencement du onzieme ; mais ce françois tenoit encore plus du roman rustique, que du françois d'aujourd'hui. Le roman de Philomena écrit au dixieme siecle en romain rustique, n'est pas dans une langue fort différente des lois normandes. On voit encore les origines celtes, latines, & allemandes. Les mots qui signifient les parties du corps humain, ou des choses d'un usage journalier, & qui n'ont rien de commun avec le latin ou l'allemand, sont de l'ancien gaulois ou celte ; comme tête, jambe, sabre, pointe, aller, parler, écouter, regarder, aboyer, crier, coûtume, ensemble, & plusieurs autres de cette espece. La plûpart des termes de guerre étoient francs ou allemands ; marche, maréchal, halte, bivouac, reitre, lansquenet. Presque tout le reste est latin ; & les mots latins furent tous abrégés selon l'usage & le génie des nations du Nord : ainsi de palatium palais, de lupus loup, d'Auguste Août, de Junius Juin, d'unctus oint, de purpura pourpre, de pretium prix, &c.... A peine restoit-il quelques vestiges de la langue greque qu'on avoit si long-tems parlée à Marseille.

On commença au douzieme siecle à introduire dans la langue quelques termes grecs de la philosophie d'Aristote ; & vers le seizieme on exprima par des termes grecs toutes les parties du corps humain, leurs maladies, leurs remedes : de-là les mots de cardiaque, céphalique, podagre, apoplectique, asthmatique, iliaque, empième, & tant d'autres. Quoique la langue s'enrichît alors du grec, & que depuis Charles VIII. elle tirât beaucoup de secours de l'italien déjà perfectionné, cependant elle n'avoit pas pris encore une consistance réguliere. François premier abolit l'ancien usage de plaider, de juger, de contracter en latin ; usage qui attestoit la barbarie d'une langue dont on n'osoit se servir dans les actes publics, usage pernicieux aux citoyens dont le sort étoit réglé dans une langue qu'ils n'entendoient pas. On fut alors obligé de cultiver le françois ; mais la langue n'étoit ni noble, ni réguliere. La syntaxe étoit abandonnée au caprice. Le génie de la conversation étant tourné à la plaisanterie, la langue devint très féconde en expressions burlesques & naïves, & très-stérile en termes nobles & harmonieux : de-là vient que dans les dictionnaires de rimes on trouve vingt termes convenables à la poésie comique, pour un d'un usage plus relevé ; & c'est encore une raison pour laquelle Marot ne réussit jamais dans le style sérieux, & qu'Amiot ne put rendre qu'avec naïveté l'élégance de Plutarque.

Le françois acquit de la vigueur sous la plume de Montagne ; mais il n'eut point encore d'élévation & d'harmonie. Ronsard gâta la langue en transportant dans la poésie françoise les composés grecs dont se servoient les Philosophes & les Medecins. Malherbe répara un peu le tort de Ronsard. La langue devint plus noble & plus harmonieuse par l'établissement de l'académie françoise, & acquit enfin dans le siecle de Louis XIV. la perfection où elle pouvoit être portée dans tous les genres.

Le génie de cette langue est la clarté & l'ordre : car chaque langue a son génie, & ce génie consiste dans la facilité que donne le langage de s'exprimer plus ou moins heureusement, d'employer ou de rejetter les tours familiers aux autres langues. Le françois n'ayant point de déclinaisons, & étant toujours asservi aux articles, ne peut adopter les inversions greques & latines ; il oblige les mots à s'arranger dans l'ordre naturel des idées. On ne peut dire que d'une seule maniere, Plancus a pris soin des affaires de César ; voilà le seul arrangement qu'on puisse donner à ces paroles. Exprimez cette phrase en latin, res Caesaris Plancus diligenter curavit ; on peut arranger ces mots de cent-vingt manieres sans faire tort au sens, & sans gêner la langue. Les verbes auxiliaires qui allongent & qui énervent les phrases dans les langues modernes, rendent encore la langue françoise peu propre pour le style lapidaire. Ses verbes auxiliaires, ses pronoms, ses articles, son manque de participes déclinables, & enfin sa marche uniforme, nuisent au grand enthousiasme de la Poésie : elle a moins de ressources en ce genre que l'italien & l'anglois ; mais cette gêne & cet esclavage même la rendent plus propre à la tragédie & à la comédie, qu'aucune langue de l'Europe. L'ordre naturel dans lequel on est obligé d'exprimer ses pensées & de construire ses phrases, répand dans cette langue une douceur & une facilité qui plaît à tous les peuples ; & le génie de la nation se mêlant au génie de la langue, a produit plus de livres agréablement écrits, qu'on n'en voit chez aucun autre peuple.

La liberté & la douceur de la société n'ayant été long-tems connues qu'en France, le langage en a reçu une délicatesse d'expression, & une finesse pleine de naturel qui ne se trouve guere ailleurs. On a quelquefois outré cette finesse ; mais les gens de goût ont sû toujours la réduire dans de justes bornes.

Plusieurs personnes ont crû que la langue françoise s'étoit appauvrie depuis le tems d'Amiot & de Montaigne : en effet on trouve dans ces auteurs plusieurs expressions qui ne sont plus recevables ; mais ce sont pour la plûpart des termes familiers auxquels on a substitué des équivalens. Elle s'est enrichie de quantité de termes nobles & énergiques, & sans parler ici de l'éloquence des choses, elle a acquis l'éloquence des paroles. C'est dans le siecle de Louis XIV. comme on l'a dit, que cette éloquence a eu son plus grand éclat, & que la langue a été fixée. Quelques changemens que le tems & le caprice lui préparent, les bons auteurs du dix-septieme & du dix-huitieme siecles serviront toujours de modele.

On ne devoit pas attendre que le françois dût se distinguer dans la Philosophie. Un gouvernement long-tems gothique étouffa toute lumiere pendant près de douze cent ans ; & des maîtres d'erreurs payés pour abrutir la nature humaine, épaissirent encore les ténebres : cependant aujourd'hui il y a plus de philosophie dans Paris que dans aucune ville de la terre, & peut-être que dans toutes les villes ensemble, excepté Londres. Cet esprit de raison pénetre même dans les provinces. Enfin le génie françois est peut-être égal aujourd'hui à celui des Anglois en philosophie ; peut-être supérieur à tous les autres peuples depuis 80 ans, dans la Littérature ; & le premier sans-doute pour les douceurs de la société, & pour cette politesse si aisée, si naturelle, qu'on appelle improprement urbanité. Article de M. DE VOLTAIRE.


FRANCOLINS. m. attagen, (Hist. nat. Ornit.) oiseau de la grosseur du faisan, auquel il ressemble beaucoup par la forme du corps. Il a le bec court, noir & crochu à l'extrémité. Son plumage est de différentes couleurs. Il porte sur la tête une hupe jaune avec des taches blanches & des taches noires. La prunelle des yeux est de couleur de noisette, & l'iris jaune. La membrane des sourcils est d'une belle couleur rouge, comme dans la gelinotte. Il y a au-dessous du bec une sorte de barbe, composée de plumes très-déliées. Le cou, quoiqu'un peu long, est assez bien proportionné au corps ; il est mince & de couleur cendrée, mêlée de taches noires & de taches blanches. On voit sur la poitrine des taches de même couleur que celles du cou, & elles sont traversées par d'autres taches de couleur de rouille. Les plumes du ventre, de la queue, du croupion & des pattes, sont de couleur cendrée ou plombée, mêlée de taches noires. Les doigts de devant sont longs, & celui de derriere est court ; ils ont tous à leur extrémité un ongle crochu. Les Italiens n'ont nommé cet oiseau francolin, que parce qu'il est franc dans ce pays, c'est-à-dire qu'il est défendu au peuple d'en tuer : il n'y a que les princes qui ayent cette prérogative. La chair du francolin est très-bonne à manger. Willughby, Ornith. Voyez OISEAU. (I)


FRANCONIES. f. (Géog.) selon les Allemands Franckenland ; contrée d'Allemagne, bornée au nord par la Thuringe, au sud par la Soüabe, à l'est par le haut Palatinat, à l'oüest par le bas-Palatinat. Le milieu est très-fertile en blé, vins, fruits, pâturages & réglisse ; mais les frontieres sont remplies de forêts & de montagnes incultes. Sa plus grande étendue du septentrion au midi peut être de 35 lieues, & de 38 d'orient en occident. Les diverses religions, catholique, luthérienne & protestante y ont cours. Ses rivieres sont le Mein, le Régnitz, le Sala & le Tauber, qui y prennent leurs sources. La Franconie renferme divers états ecclésiastiques ; savoir les évêchés de Bamberg, de Wurtzbourg, d'Aichstat, le domaine du grand-maître Teutonique, quelques états séculiers, & quelques villes impériales, comme Nuremberg & Weissemberg, &c. Voyez la géographie historique de M. de la Forest de Bourgon.

Entre les personnes illustres qu'a produit la Franconie, je ne nommerai que le sage & habile Oecolampade. Il naquit à Weinsberg en 1482, & mourut à Basle en 1531. Sa vie & ses ouvrages sont connus de tout le monde. La défense qu'il prit en main de l'opinion de Zwingle contre celle de Luther, au sujet de l'eucharistie, lui fit beaucoup d'honneur dans son parti. Erasme dit en parlant du livre d'Oecolampade sur cette matiere, qu'il l'a écrit avec tant de soin, tant de raisonnement & tant d'éloquence, qu'il y en auroit même assez pour séduire les élus, si Dieu ne l'empêchoit. (D.J.)


FRANEKER(Géog.) belle ville des Provinces-Unies, capitale de la Frise, avec une université célebre érigée en l'an 1585. Elle est assez près du Zuyderzée, entre Leuwarden & Harlingue, à 2 lieues de chacune, 6 N. de Slooten. Longit. 23d. 8'. latit. 53d. 12'.

On tient que Franeker a été bâtie l'an 1191, sous le regne de l'empereur Henri VI. fils de Frédéric-Barberousse. Ce fut en 1579 qu'elle se joignit pour toûjours à l'état des Provinces-Unies. Voyez les historiens des Pays-Bas ; & l'histoire particuliere de cette ville, qui depuis ce tems-là a été la patrie de plusieurs hommes distingués dans les Arts & dans les Sciences. (D.J.)


FRANGES. f. (Rubanier) vient de frangere, rompre, déchirer, enlever ; & de ce qu'avant l'invention des franges & effilés, on effiloit réellement les extrémités & bords des étoffes & du linge, sur-tout lorsqu'ils commençoient à s'user ; & pour cacher ce défaut on effiloit plus ou moins avant suivant le besoin : de-là les différentes hauteurs des franges ; les endroits usés occasionnant quelquefois des inégalités dans cet effilage, on achevoit de couper le tout suivant le contour de ces inégalités : de là les franges festonnées. Il y a des franges d'or, d'argent ou de soie, pour les ornemens d'église, les garnitures de carrosses, les garnitures de jupe, qui toutes sont guipées. Enfin il y en a d'unies & de festonnées, de toutes hauteurs, couleurs, & matieres que le métier peut employer.

Les franges pour les ornemens d'église, pour les carrosses & pour les tours de jupe, sont toutes faites au moule. Voyez MOULE. Il s'en fait de différentes couleurs, ou d'une seule. Il y a de plusieurs sortes de façons de les faire de différentes couleurs, soit en mélangeant ensemble ces couleurs, ou en travaillant une certaine quantité de duites avec une couleur, puis avec une autre, & cela alternativement autant qu'il y a de couleurs différentes. Cette façon n'est guere d'usage que pour les ornemens d'église : cela se pratique plus volontiers, lorsque l'étoffe de ces ornemens est de plusieurs couleurs. Il se fait des franges pour les vestes en noeuds, graine d'épinards, sourcils d'hannetons, enfin de toutes les façons. La fécondité des ouvriers en ce genre est inconcevable, ils savent par mille mains-d'oeuvres ingénieuses réveiller le goût & satisfaire l'inconstance. Voyez TISSER, GUIPER.

La frange est composée de trois parties, qui sont la chaînette, la tête & le corps.

Quand la frange est tout-à-fait basse, on l'appelle mollet.

Quand la tête en est large & ouvragée à jour, & que les fils en sont plus longs & plus pendans qu'aux franges ordinaires, on la nomme crêpine.

Il y a des franges de soie torse, & d'autres dont la soie n'est pas torse : ces dernieres se nomment franges coupées.

On attache les franges & les crêpines par la tête, & de maniere que les filets tombent toûjours perpendiculairement en em-bas.

Le mollet au contraire peut s'appliquer comme on veut, parce que les fils en sont si courts, qu'ils se soûtiennent d'eux mêmes.

Il n'y a que les Tissutiers-Rubaniers qui peuvent fabriquer des franges ; c'est pourquoi on les appelle aussi Frangiers, quoique les statuts de leur métier ne leur donnent point cette qualité.

Les franges & les mollets font partie du commerce des Merciers, qui peuvent même en faire fabriquer, pourvû que ce soit par les Tissutiers-Rubaniers.


FRANGÉadj. terme de Blason, se dit des gonfanons qui ont des franges, dont on doit spécifier l'émail. Auvergne, d'or au gonfanon de gueules, frangé de synople.


FRANGIPANIERplumeria, (Hist. nat.) genre de plante à fleurs monopétales, faites en forme d'entonnoir & découpées. Il sort du calice un pistil, qui entre comme un clou dans la partie inférieure de la fleur, & qui devient dans la suite un fruit ou une silique, qui est double pour l'ordinaire, qui s'ouvre d'un bout à l'autre, & qui renferme des semences oblongues, garnies de feuilles, placées comme des écailles, & attachées à un placenta. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Le frangipanier est un arbre de l'Amérique, il s'éleve d'environ 10 à 12 piés hors de terre ; il pousse de longues branches d'un bon pouce de diametre bien nourries, à-peu-près d'égale grosseur d'une extrémité à l'autre, & dénuées de feuilles dans toute leur longueur ; ce qui, ce me semble, n'a aucun rapport au laurier-rose. Les feuilles ainsi que les fleurs, viennent par gros bouquets aux extrémités des branches, ensorte que le reste de l'arbre paroît extrêmement nud.

Les feuilles sont trois fois plus grandes que celles du laurier-rose ; elles se terminent en pointe fort aiguë, ayant la figure d'une lame de poignard. Quant aux fleurs, leur forme est à-peu-près semblable à celles du jasmin, mais beaucoup plus grandes, ayant environ deux pouces & demi de diametre lorsqu'elles sont épanouies.

Il y en a de trois couleurs ; savoir celles du frangipanier blanc sont blanches, & n'ont qu'une legere teinte de rouge sur un des bords : celles du frangipanier musqué sont rouges, les bords se terminant par une couleur plus chargée : enfin celles du frangipanier ordinaire sont d'une belle couleur jaune, se confondant par gradation dans un oranger très-vif, qui passant par différentes nuances, se termine par un beau rouge de carmin.

L'odeur de ces fleurs est fort agréable ; mais je ne trouve en Europe aucun parfum à qui je puisse la comparer pour en donner une juste idée.

Si l'on arrache les feuilles, les fleurs, ou qu'on rompe les branches du frangipanier, il sort de dessous son écorce ou espece de peau, un lait abondant, épais & d'une grande blancheur : quelques habitans l'employent pour guérir les vieux ulceres. Article de M. LE ROMAIN.


FRANKENBERG& par les François Framont, (Géog.) montagne de la Vosge, la plus haute de toutes celles qui séparent la Lorraine de l'Alsace, située à environ six lieues de Molsheim, au pié de laquelle on rencontre un grand chemin qui la traverse. Plusieurs prétendent que Pharamond a été inhumé sur cette montagne ; & si le fait n'est pas vrai, du moins la tradition n'est pas nouvelle ni même sans quelque fondement. Voyez dom Mabillon, disc. sur les anc. sépul. des rois de France, dans les mémoires de l'acad. des Inscript. tom. II. Long. 25. 10. lat. 48. 35. (D.J.)


FRANSHEREou FANSHERE, IMOURS, RANERATE, (Géog.) riviere à 25d. 18' de latitude, au sud à trois lieues du fort Dauphin, dans la province de Carcanossi, sur les côtes orientales d'Afrique. (D.J.)


FRAPPES. f. (Fondeur de caracteres d'Imprimerie) est l'assortiment complet de matrices pour fondre lesdits caracteres. On dit une frappe de nompareille, lorsqu'une boëte renferme toutes les matrices nécessaires pour faire une fonte de nompareille, ainsi des autres.

Un assortiment de frappes contenant les matrices nécessaires pour fondre tous les caracteres, est la richesse & le fonds d'un Fondeur. C'est en tirant l'empreinte de ces matrices avec un moule, qu'il fond tous les caracteres nécessaires pour l'impression ; on les appelle frappes, parce que les matrices reçoivent la figure de la lettre par un poinçon sur lequel est gravé la lettre que l'on veut former dans la matrice ; ce qui se fait en frappant avec un marteau sur le poinçon qui s'enfonce, & laisse son empreinte dans le morceau de cuivre qui s'appellera matrice : cette opération s'appelle frappe. Voyez POINÇONS, MATRICES.

FRAPPE, terme d'ancien Monnoyage, qui exprimoit l'art de donner l'empreinte à un flanc avec le marteau. Ce mot est expressément cité dans les anciennes ordonnances du Monnoyage au marteau.

FRAPPE PLAQUE, (Bijoutier) est une plaque de fer, du contour que l'on veut donner à la piece, armée d'une poignée de fer élevée, que l'on empoigne avec la main, & sur la tête de laquelle on frappe avec la masse.


FRAPPÉen Musique ; c'est le tems de la mesure où l'on baisse la main ou le pié, & où l'on frappe pour marquer la mesure. On ne frappe ordinairement que le premier tems de chaque mesure, mais ceux qui coupent en deux la mesure à quatre tems, frappent aussi le troisieme. Voyez THESIS. (S)


FRAPPERv. act. voyez ses principales acceptions : c'est, au simple, donner un coup, soit avec la main, soit avec un instrument ; il m'a frappé rudement : au figuré, imprimer dans l'esprit la crainte, la terreur, ou quelqu'autre passion, par la force de l'éloquence ; son discours m'a frappé. Les Mariniers frappent une manoeuvre, voyez FRAPPER (Marine). On est frappé d'une maladie ; les Chasseurs frappent à route, pour remettre les chiens sur la voie ; aux brisées, quand ils sont au lieu du lancer. On marque les monnoies au balancier, cependant on a retenu l'ancien mot de frapper. Voyez FRAPPER, (Monnoyage.) On frappe une étoffe. Voyez FRAPPER, Manuf. soit en laine, soit en soie. On frappe sur l'enclume, &c.

FRAPPER, (Manuf. en soie) On dit qu'une étoffe est frappée, lorsqu'elle est bien travaillée, & qu'elle n'est ourdie ni trop serré ni trop lâche.

FRAPPER UNE MANOEUVRE, (Marine) c'est attacher une manoeuvre à quelque partie du vaisseau, ou à une autre manoeuvre. Frapper se dit pour les manoeuvres dormantes, ou pour des cordes qui doivent être attachées à demeure ; car on dit amarrer, pour celles qu'on doit détacher souvent. Le dormant du bras de hunier de misene est frappé sur l'étai du grand hunier ; frapper une poulie, c'est l'attacher à sa place. (Z)

* FRAPPER EPINGLES, terme d'Epinglier. C'est en former la tête : ce qui se fait en frappant d'un coup de marteau pendant que le fil de laiton est tenu assujetti dans un étau.

La tête de l'épingle est faite du même fil de laiton, & de la même grosseur que l'épingle, à l'exception que le laiton qui sert à la tête, a été tourné, & pour ainsi dire cordé par le moyen d'une machine qui fait le même effet que la roue des Cordiers par rapport à la filasse. Voyez EPINGLE.

FRAPPER LE DRAP, (Manuf. en laine) voyez l'article LAINE, & l'article FRAPPER, (Rubanier.)

FRAPPER CARREAU, terme d'ancien Monnoyage ; c'étoit battre le carreau sur le tas ou enclume, pour lui donner l'épaisseur que devoit avoir le flanc. Voyez CARREAU, MONNOYE AU MARTEAU.

* FRAPPER, (Rubanier) c'est approcher & serrer par l'action du battant le coup de navette qui vient d'être lancé, ce qui forme la liaison de la trame avec la chaîne ; il faut que l'ouvrier ait soin de ne lâcher le pas qu'après qu'il a frappé. Cette précaution est si nécessaire pour la perfection de l'ouvrage, que les connoisseurs s'apperçoivent lorsqu'elle a été négligée.

L'ouvrage pour avoir la perfection ou la fermeté qui lui est essentielle, a besoin quelquefois d'être frappé avec plus de force ; voici comme la chose s'exécute : pour frapper fort, il ne s'agit que de descendre la corde du bandage plus bas sur les aspes du battant, ce qui en augmente le poids, puisque le point d'appui de cette corde se trouvant plus près de l'ouvrage, & racourcissant par-là la partie du battant, la force du tirage doit en augmenter ; on peut encore charger le battant en entortillant la corde plusieurs fois à l'entour du bandoire, ce qui produit le même effet. Le frappé dépend encore de l'habileté des ouvriers, puisqu'on en trouve qui (montant sur les mêmes métiers où d'autres travailloient) sont obligés de décharger le battant, qui malgré ce soulagement, ne laissent pas de faire paroître leur ouvrage plus frappé que celui des autres ; il n'est donc pas toûjours nécessaire que le battant soit fort chargé pour frapper suffisamment ; l'ouvrage même se fait toûjours plus beau étant frappé à-propos à coups legers, que lorsqu'il est assommé par la force du battant ; plus on trame fin, plus il faut frapper fort. Voyez TRAMER.

FRAPPER, terme de Tisserands, & autres ouvriers qui travaillent de la navette, qui signifie battre & serrer sur le métier la trame d'une toile, &c.

L'instrument avec lequel on bat la trame s'appelle chasse, & c'est l'endroit où est attaché le rot ou peigne à travers duquel les fils de la chaîne sont passés : on ne frappe la trame qu'après avoir lancé la navette à-travers les fils de la chaîne qui se haussent & se baissent par le moyen des marches du métier.

La maniere de frapper est de ramener à plusieurs reprises la chasse qui est mobile, jusqu'à la trame, toutes les fois qu'on a lancé la navette de droite à gauche, ou de gauche à droite.


FRARACHAGES. m. (Jurisprud.) en l'ancienne coûtume du Perche, au chap. des successions, signifie la même chose que frerage. Voyez FARESCHAUX & FRERAGE. (A)


FRARACHAUXS. m. pl. (Jurispr.) termes qui se trouvent en l'ancienne coûtume du Perche, au chapitre des successions, signifie la même chose que frarescheurs. Voy. FRARESCHEURS & FRERAGE. (A)


FRARAGER(Jurisprud.) voyez FRERAGE. (A)

FRARAGER, (Jurisprud.) c'est partager. Voyez ci-après FRARESCHEURS. (A)


FRARESCHERv. neut. (Jurisprud.) ou FRARAGER, c'est partager une succession. Voyez ci-après FRARESCHEURS. (A)


FRARESCHEURSou FRARESCHEUX, s. m. plur. (Jurisprud.) qu'on appelle aussi en quelques endroits freres-cheurs, frarachaux, sont tous ceux qui possedent des biens en commun de quelque maniere que ce soit ; ils sont ainsi appellés quasi fratres, parce que le frerage arrive le plus souvent entre freres : tous co-héritiers, soit freres, cousins, ou autres parens plus éloignés, sont frarescheurs, mais tous frarescheurs ne sont pas co-héritiers.

Un frerage ou fraresche, frareschia, fratriagium, est un partage. On donne aussi quelquefois ce nom au lot qui est échu à chacun par le partage ; quelquefois par frerage on entend une succession entiere, comme on voit dans la charte de la Pérouse, publiée par M. de la Thaumassiere, pp. 100 & 101.

De fraresche on a fait frarescher, pour dire partager : les frarescheurs sont les co-partageans.

Un frerage n'est donc autre chose qu'un partage ; mais par rapport aux fiefs, les partages où les puînés sont garantis sous l'hommage de l'aîné, ont été appellés parages, & tous les autres partages ont retenu le nom de frerage, ensorte que tout parage est frerage, mais tout frerage n'est pas parage.

Anciennement en France, quand un fief étoit échu à plusieurs enfans, il étoit presque toûjours démembré ; les puînés tenoient ordinairement de l'aîné par frerage leur part, à charge de foi & hommage, comme on le voit dans Othon de Frisingue, lib. I. de gest. frider. cap. xxjx.

Pour empêcher que ces démembremens ne préjudiciassent aux seigneurs, Eudes duc de Bourgogne, Venant comte de Boulogne, le comte de Saint-Paul, Gui de Dampierre, & autres grands seigneurs, firent autoriser par Philippe-Auguste une ordonnance, portant que dorénavant en cas de partage d'un fief, chacun tiendroit sa part immédiatement du seigneur dominant.

Du Cange, en sa troisieme dissert. sur Joinville, p. 150, remarque que cette ordonnance ne fut pas suivie, comme il paroît suivant un hommage du 19 Octobre 1317, rendu à Guillaume de Melun, archevêque de Sens, par Jean, Robert, & Louis ses freres, tanquam primogenito causâ fratriagii & prout fratriagium de consuetudine patriae requirebat ratione castri de Sancto-Mauricio.

Beaumanoir, en ses coût. de Beauvaisis, ch. xjv. dit aussi que de son tems le tiers des fiefs se partageoit également entre les freres & soeurs puînés, & que de leurs parties ils venoient à l'hommage de leur aîné.

Au reste, quoique l'ordonnance de Philippe-Auguste ne fût pas suivie par tout le royaume, la plûpart des coûtumes remédierent diversement aux inconvéniens du démembrement. Celles de Senlis, Clermont, Valois, Amiens, ordonnerent que les puînés ne releveroient qu'une fois de leur aîné ; qu'ensuite ils retourneroient à l'hommage du seigneur suzerain dont l'aîné relevoit. Celles d'Anjou, Maine, & quelques autres, ordonnerent que l'aîné garantiroit les puînés sous son hommage ; ce qui fut appellé en quelques lieux parage, en d'autres miroir de fief.

Voyez les établissemens de S. Louis, liv. I. & II. l'auteur du grand coûtumier, liv. II. ch. xxvij. la somme rurale & des droits du baron ; Pithou, en ses mémoires des comtes de Champagne ; & les notes de M. de Lauriere, sur le gloss. de Ragueau au mot frarescheux. (A)


FRASCATou FRESCATI, (Géogr. mod.) est en partie bâti sur les ruines du Tusculum de Ciceron. C'est une petite ville d'Italie sur une côte dans la campagne de Rome, à douze milles de cette ville S. E. avec un évêché qui ne releve que du pape, & l'un des six que les six plus anciens cardinaux ont le droit d'opter. Elle est connue par les palais & les jardins délicieux que les Italiens ont bâti dans son territoire, & qu'ils appellent des vignes, entre lesquels on remarque les vignes Ludovisia, Borghèse, & Aldobrandine. M. Mathéi a donné l'histoire de Frascati, le lecteur y peut recourir. Long. suivant le P. Borgondio, 30, 17, 30, latit. 41, 45, 0. (D.J.)


FRASCAUXS. m. (Manuf. en soie) bouts de nerfs de boeufs, ou morceaux de boucs, dans lesquels sont passées les broches des roüets ; c'est la même chose chez les Cordiers. Au lieu de nerfs de boeufs ou de morceaux de boucs, ils se servent aussi de tresses de jonc ou de paille.


FRATERNITÉS. f. (Jurisprud.) est le lien qui unit ensemble des freres, ou le frere & la soeur.

Sur la maniere dont la fraternité doit être prouvée, voyez la loi 13 au code, liv. IV. tit. xjx.

On a aussi donné le nom de fraternité ou confraternité à certaines sociétés dont les membres se traitent entr'eux de freres, ou doivent vivre ensemble comme freres : telles sont les confrairies, les communautés de religieux. Voyez le glossaire de Ducange, au mot fraternitas. (A)

FRATERNITE D'ARMES, (Hist. mod.) association entre deux chevaliers pour quelque haute entreprise qui devoit avoir un terme fixe, ou même pour toutes celles qu'ils pourroient jamais faire ; ils se juroient d'en partager également les travaux & la gloire, les dangers, & le profit, de ne se point abandonner tant qu'ils auroient besoin l'un de l'autre. L'estime, la confiance mutuelle de gens qui s'étoient souvent trouvés ensemble aux mêmes expéditions, donnerent la naissance à ces engagemens ; & ceux qui les prenoient devenoient freres, compagnons d'armes. Voyez FRERE D'ARMES.

Ces associations se contractoient quelquefois pour la vie ; mais elles se bornoient le plus souvent à des expéditions passageres, comme une entreprise d'armes, telle que fut celle de Saintré, une guerre, une bataille, un siége, ou quelque autre expédition militaire.

L'usage de la fraternité d'armes dont il s'agit ici, est fort ancien. Nous lisons dans Joinville, que l'empereur de Constantinople & le roi des Commains, s'allierent & devinrent freres ; & pour rendre cette alliance plus solide, " il faillit qu'ils, & chacuns de leurs gens de part & d'autre, se fissent saigner, & que leur sang ils donnassent à boire l'un à l'autre en signe de fraternité ; & ainsi se convint faire entre nos gens & les gens d'icelui roi, & mêlerent de leur sang avec du vin, & en buvoient l'un à l'autre, & disoient qu'ils étoient freres l'un à l'autre d'un sang.... ".

Si nous remontons à des siecles plus reculés, nous apprendrons l'antiquité de cette pratique. Octavius faisant le portrait dés vices & des crimes des dieux que Cécilius adoroit, dit de l'inhumanité de Jupiter convaincu d'homicide : " Je crois que c'est lui qui a appris à Catilina de confirmer les conjurés dans leur dessein, en buvant le sang les uns des autres ".

Il resta long-tems parmi les hommes des traces de cette barbarie ; car Ducange cite des exemples de chevaliers, qui pour symbole de fraternité, se firent saigner ensemble, & mêlerent leur sang. Si cette derniere pratique paroît à-peu-près aussi folle & aussi barbare que la premiere, du-moins rien n'étoit plus éloigné de la barbarie que le sentiment qui l'inspiroit.

Le Christianisme s'étant répandu dans le monde, on l'employa pour rendre les fraternités plus solemnelles & plus respectables ; & en conséquence, on les contracta à la face des autels. C'est ainsi que quelques freres d'armes imprimoient à leurs sermens les plus sacrés caracteres de la religion : pour s'unir plus étroitement, ils baisoient ensemble la paix que l'on présente aux fideles dans les cérémonies de la messe. Nous avons même des exemples de la fraternité-d'armes autorisée par la réception de l'hostie consacrée : ce fut de cette maniere, au rapport de Jean Juvénal des Ursins, que les ducs d'Orléans & de Bourgogne lierent une fraternité, qui pourtant ne dura pas longtems : " ils oüirent tous la messe ; reçurent le corps de N. S. & préalablement jurerent bon amour, & fraternité par-ensemble ".

Mais on observoit rarement des cérémonies aussi graves dans ces sortes d'associations ; on les contractoit d'ordinaire, les uns par le don réciproque de quelques armes, les autres par le simple attouchement d'une arme, comme d'une épée ou d'une lance, sur laquelle on se juroit une alliance perpétuelle ; & ceux qui faisoient ces sermens s'appelloient fratres jurati.

Monstrelet nous apprend que le roi d'Aragon se fit frere-d'armes du duc de Bourgogne par un simple traité. Les princes formoient dans l'éloignement leur contrat de fraternité-d'armes, par des traités authentiques, suivant l'usage des tems. Ce fut par un acte semblable que le duc de Bretagne & le comte de Charolois devinrent freres-d'armes l'un de l'autre. M. Ducange, dans sa dissertation sur Joinville, a rapporté le traité de fraternité-d'armes entre Bertrand du Guesclin & Olivier de la Marche, & celui que Louis XI. & Charles dernier duc de Bourgogne firent ensemble.

On vit, à la vérité le duc de Bourgogne violer les sermens de sa fraternité-d'armes avec le duc d'Orléans ; mais c'est un exemple très-rare, auquel on peut opposer celui du duc de Bretagne, long-tems ennemi irréconciliable du connétable Clisson. La haine de ce duc fit place aux sentimens de la fraternité, lorsqu'il fut devenu frere-d'armes du connétable. Jamais amitié ne fut plus sincere que celle qui regna depuis entr'eux, jusqu'à la mort du duc de Bretagne : Clisson la lui continua encore après sa mort dans la personne de ses enfans ; il fut toûjours leur pere.

Au reste, les fraternités militaires donnoient à des seigneurs particuliers le moyen de faire des entreprises dignes des souverains. Lorsque la guerre ne les retenoit pas au service de leur monarque, ils s'associoient pour aller purger une province de brigands qui l'infestoient ; pour délivrer des nations éloignées du joug des infideles ; pour venger un prince opprimé, & déthroner un usurpateur. Enfin, comme les meilleures choses dégénerent, il arriva que les fraternités-d'armes rendirent un grand nombre de seigneurs indépendans, & quelquefois rébelles.

Il arriva pareillement de-là, que les fraternités-d'armes contractées par des sujets ou des alliés de nos rois, firent naître des soupçons sur la fidélité de ceux qui avoient pris ces engagemens. Le roi de France, en 1370, témoigna son mécontentement de la conduite d'Ostrenant son allié, qui avoit accepté l'ordre de la Jarretiere ; & l'on ne fut pas moins scandalisé de voir le duc d'Orléans se lier en 1399 par une fraternité-d'armes & d'alliance avec le duc de Lancastre, qui peu après déthrona Richard, roi d'Angleterre, gendre du roi Charles VI. Le crédit que donnoient ces sortes de sociétés étoit en effet d'une conséquence dangereuse pour le repos de l'état : on sait comment elles finirent dans ce royaume. (D.J.)


FRATRICELLESS. f. pl. (Hist. ecclésiast.) ce nom, qui signifie petits freres, se donna à quelques religieux apostats & vagabonds du treizieme & du quatorzieme siecle, qui prêchoient différentes erreurs. Cette secte fut occasionnée, dit M. Fleury, dans son huitieme discours sur l'histoire ecclésiastique, c. viij. par les disputes fameuses des Freres mineurs ou Cordeliers, pour savoir quelle devoit être la forme de leur capuchon, & si la propriété de ce qu'ils mangeoient leur appartenoit, ou à l'Eglise romaine ; dispute sur laquelle quatre papes donnerent des bulles contradictoires, ne se montrant en cela ni infaillibles, ni sages. Nicolas III. par sa bulle, exiit qui seminat seminare semen suum, déclara d'après S. Bonaventure, que la propriété de ce que les Cordeliers mangeoient ne leur appartenoit pas, mais simplement le seul usage de fait. Jean XXII. décida le contraire ; & l'empereur Louis de Baviere, qui ne l'aimoit pas, le fit condamner pour cela comme hérétique, dans une espece de concile tenu à Rome. Ce prince fit ensuite élire un anti-pape fratricelle, nommé Pierre de Corbiere, qui dès qu'il se vit pape, renonça à la pauvreté qu'il avoit prêchée, & vendit des bénéfices pour avoir des chevaux, des domestiques, & une table somptueuse. Mais ce pape ne fit pas fortune. Il y eut d'ailleurs quelques fratricelles de brûlés comme hérétiques. Cette sottise, dit un auteur célebre, n'ayant pas fait répandre beaucoup de sang, peut être mise au rang des sottises paisibles.

Les fratricelles s'appelloient aussi bizoques, begghards, &c. Voyez BEGGHARDS. (O)


FRATRICIDES. m. (Jurisprud.) quasi fratris caedes, est le crime détestable que commet celui qui tue son frere ou sa soeur.

On appelle aussi fratricide celui qui commet ce crime.

Celui qui tue son frere ou sa soeur se rend indigne de leur succession ; ses enfans en sont pareillement exclus : anciennement cette succession étoit confisquée ; mais présentement elle est dévolue aux plus proches héritiers habiles à succéder.

Le frere qui est complice de l'homicide de son frere, est aussi exclus de sa succession.

Voyez Anne Robert liv. III. ch. vij. Papon, liv. XXI. tit. j. n°. 22. & tit. jv. n°. 1. Charondas, liv. II. rep. 80. Maynard, l. VII. de ses quest. ch. xcxjv. Mornac, ad lib. I. cod. ubi causae finales. (A)


FRAUDES. f. tromperie cachée. La fraude est un des vices opposés à la justice & à la véracité. Elle peut se trouver dans des discours, dans l'action, & même quelquefois dans le silence. L'homme qui se taît est frauduleux, toutes les fois qu'il se laisse interpréter à faux. Il doit alors réparer le mal qu'il a toléré, comme s'il l'avoit commis.

La Mythologie faisoit de la fraude une des filles de l'Enfer & de la Nuit. L'Enfer & la Nuit, c'est-à-dire la méchanceté & l'hypocrisie, avoient donné naissance à tout ce qu'il y a de pernicieux parmi les hommes.

FRAUDE, CONTRAVENTION, CONTREBANDE, (Comm.) ces trois mots sont ici synonymes, & sont pris pour toutes infractions aux ordonnances & réglemens qui ont rapport aux droits établis sur les denrées ou marchandises ; avec cette différence, que la fraude est sourde & cachée, comme lorsque l'on fait entrer ou sortir du royaume des marchandises par des routes détournées, pour éviter le payement des droits sur celles permises, ou la confiscation sur celles prohibées. La contravention suppose de la bonne-foi, & vient de l'ignorance des réglemens, ensorte qu'elle se commet en manquant aux formalités prescrites. La contrebande est un crime capital, parce qu'elle se fait avec attroupement & port d'armes : elle est par conséquent contraire aux lois établies pour la sûreté de l'état.

La fraude & la contravention étant toute voie qui soustrait à la connoissance des fermiers ou des préposés à la levée des droits, les choses qui y sont sujettes, soit que celui qui use de cette voie le fasse à dessein de frauder, ou parce qu'il ignore que le droit est dû, les peines sont les mêmes ; parce que ce droit étant établi par une loi publique, est tenu pour connu de tout le monde : si l'ignorance pouvoit l'excuser, tous pourroient l'alléguer.

Lorsque le droit est disproportionné au prix de la chose, la fraude devient lucrative ; la peine de la confiscation des marchandises & d'une amende, n'est pas capable de l'arrêter, il faut alors avoir recours aux peines que l'on inflige pour les plus grands crimes ; & des hommes que l'on ne peut regarder comme méchans, sont traités en scélérats. D'un côté l'intérêt, & de l'autre la crainte de subir les peines portées par les defenses, excitent les peuples à la contrebande, & les font se tenir en force, & commettre la fraude à main armée.

La contrebande se commet le plus ordinairement sur les marchandises dont l'entrée & la sortie sont défendues, comme sont les étoffes des Indes ou de la Chine, les toiles peintes, les glaces de miroirs, les points de Venise, & autres, pour l'entrée ; les armes & instrumens de guerre, l'or & l'argent, les pierreries, le fil, le chanvre, les chardons à drapier, pour la sortie. Ces marchandises sont appellées de contrebande ; elles sont non-seulement sujettes à la confiscation, mais elles entraînent aussi celle de toutes les autres marchandises dont le commerce est permis, qui se trouvent avec elles dans les mêmes caisses & ballots ; comme aussi des chevaux, mulets, charrettes, & équipages des voitures qui les conduisent ; & toutes confiscations emportent amende, laquelle doit être arbitrée par les juges, lorsqu'elle n'est pas fixée par les ordonnances. Il y a des contrebandes qui sont défendues sous peine des galeres, & même de la vie, comme celle du tabac & du faux-sel. Voyez GABELLE & TABAC.

Le bien commun rend juste l'imposition & la levée des tributs ; & le besoin de l'état les rend nécessaires. Il s'ensuit de cette nécessité & de cette justice, que les peuples sont obligés à s'en acquiter comme d'une dette très-légitime, & qu'ils peuvent y être contraints par les voies que l'usage & les lois ont établies. De-là on peut conclure qu'il n'est pas permis de frauder les droits, & de les faire perdre ; que c'est un devoir de conscience de les payer ; car outre que l'on fait une injustice ou au public ou à ceux qui en ont traité, l'on occasionne de grands frais qui seroient moindres, & beaucoup de précautions qui gênent le commerce, pour prévenir les fraudes dont plusieurs usent. Mais il faut aussi convenir, que si l'on accordoit au commerce toute la liberté dont il a besoin pour être florissant, les fraudes, contraventions & contrebandes ne seroient pas communes.

De fraude, on a fait les mots frauder, fraudeur, frauduleux, &c.


FRAUSTADT(Géog.) petite ville de Pologne aux frontieres de la Silésie, remarquable par la bataille que les Suédois y gagnerent sur les Saxons le 14 Février 1706. Elle est à 28 lieues N. E. de Breslaw, & à 8 N. O. de Glogaw : c'est la patrie de Christian Griphius, grand poëte allemand du dernier siecle, & de Balthasar Timée, medecin, dont les oeuvres ont paru à Leipsick en 1715, in-4°. Long. 33. 25. latit. 51. 45. (D.J.)


FRAUXou FRECHES, s. m. pl. (Jurisp.) appellés aussi en d'autres lieux fros, frox, & froux, sont des terres incultes & en friche. Voyez les notes sur la coût. d'Artois, art. 5. n°. 1. & le glossaire de Ducange, aux mots froccus & friscum. (A)


FRAWENFELD(Géog.) petite ville de Suisse, capitale du Thurgow sur une hauteur, près la riviere de Murg. Voyez Longuerue. Long. 30. 42. latit. 47. 28. (D.J.)


FRAXINELLEfraxinella, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleurs anomales, composées pour l'ordinaire de cinq pétales. Il sort du calice une grande quantité d'étamines courbes, & un pistil qui devient dans la suite un fruit composé de plusieurs gaines disposées en maniere de tête. Chaque gaine renferme une capsule qui s'ouvre en deux parties, qui se recourbent à-peu-près comme des cornes de bélier, lancent au loin des semences qui sont faites pour l'ordinaire en forme de poire. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

On distingue cinq ou six especes de fraxinelle, mais nous ne parlerons que de la fraxinelle commune, nommée fraxinella par Gérard, 1056 ; Tournef. inst. 430. Boerh. Ind. 299. Parkins, theat. 417. dictamnus albus, par J. Bauh. 3. 494. Buxb. 217. Ray, hist. 1. 698. Rupp. flor. jen. 235. &c.

Son odeur est forte, tant soit-peu résineuse ; les racines sont branchues, fibreuses, de la grosseur du doigt ; ses tiges rougeâtres s'élevent à la hauteur de deux à trois piés, branchues, velues, garnies de feuilles aîlées ou composées de trois, quatre & cinq pattes de petites feuilles rangées sur une côte qui est terminée par une seule feuille ; leur couleur est d'un verd foncé en-dessus & d'un verd-clair en-dessous : elles sont luisantes, fermes, crenelées, de la forme des feuilles de frêne, mais plus petites ; ce qui peut-être a fait donner le nom de fraxinelle à cette plante. Au haut des tiges, sont des fleurs de plusieurs feuilles irrégulieres, d'une odeur forte & agréable, quoiqu'elle approche un peu de l'odeur du bouc : leur disposition en long épi fait un bel effet à la vûe ; elles sont à cinq pétales blancs ou purpurins, pannachés de lignes de couleur plus foncée.

Les extrémités des tiges & les calices des fleurs, sont couverts d'une infinité de vésicules pleines d'huile essentielle, comme on peut l'observer facilement à l'aide d'un microscope : en effet, elles répandent dans les jours d'été, des vapeurs sulphureuses en si grande abondance, que si l'on place au pié de la fraxinelle une bougie allumée, il sort tout-à-coup une grande flamme qui se communique à toute la plante.

La fraxinelle vient dans les campagnes & dans les forêts des pays chauds, en Provence, en Languedoc, & en Italie : on la cultive aussi beaucoup dans nos jardins, où elle fleurit en Juin & Juillet. Voyez FRAXINELLE, (Jard.) Enfin sa racine est d'usage en Medecine. Voyez FRAXINELLE, (Pharm. Mat. med.) (D.J.)

FRAXINELLE, (Jardin. Agricult.) cette plante vivace peut être mise au nombre des fleurs de la grande espece ; elle se perpétue également par sa racine ou par sa graine ; elle aime les pays chauds, & cependant sa culture est aisée ; car il s'agit seulement de la garantir du froid, après l'avoir semée sur couche. On aura soin de la transplanter à la fin de Septembre, afin qu'elle puisse prendre racine avant l'hyver ; & alors elle produira de plus belles fleurs que si l'on faisoit cette transplantation au mois de Mars. Elle demande une terre fraîche & riche, qui ne soit ni grasse ni humide.

Quand vous voulez la multiplier de graine, il faut replanter les racines qu'elle a poussées, dans de nouvelles couches, à demi-pié de distance les unes des autres, ayant soin de ne les point endommager, & de les fixer fermement avec de la terre que vous appliquerez tout-autour, pour éviter les effets de la gelée. On ne manquera pas de les laisser une année dans ces nouveaux lits, pendant lequel espace de tems elles prospéreront, & produiront des fleurs l'année suivante : alors ce sera le moment de les mettre dans les allées de vos parterres où vous desirerez qu'elles restent, & où elles méritent d'avoir place par leur beauté long-tems durable. (D.J.)

FRAXINELLE, (Pharm. Mat. méd.) cette plante porte aussi le nom de dictamne dans les boutiques ; mais il faut se ressouvenir que les feuilles du dictamne en matiere médicale, désignent toûjours les feuilles du dictamne de Crete, & que les racines du dictamne désignent pareillement toûjours les racines de notre fraxinelle. Leur emploi est moderne ; car on n'en trouve aucune mention dans les écrits des Grecs & des anciens Arabes.

La partie d'usage de la fraxinelle en fait de maladies, est donc sa racine, ou plutôt l'écorce de la racine de cette plante. Cette écorce est assez épaisse, blanche, roulée comme la cannelle, d'un goût un peu amer avec une legere acreté, d'une odeur agréable & forte lorsqu'elle est récente.

Toute la racine ainsi que l'écorce, abonde d'une huile essentielle subtile, & d'une portion considérable de sel essentiel, qui approche du sel ammoniac : on lui attribue les qualités d'être stimulante, apéritive, emménagogue, & vermifuge. La dose est depuis une dragme jusqu'à trois en substance, & jusqu'à deux onces en fusion. Elle entre dans beaucoup de préparations officinales, connues par leur ridicule.

On tire des fleurs de la fraxinelle des pays chauds, une eau distillée très-odoriférante, dont les dames italiennes se servent comme d'un cosmétique également agréable & innocent. (D.J.)


FRAYÉvoyez FRAYER.

FRAYE AUX ARS, (Manége & Maréch.) Nous disons qu'un cheval est frayé aux ars, lorsqu'il y a inflammation & écorchure à la partie interne & supérieure de l'avant-bras. Un cuir naturellement délicat, l'inattention d'un palefrenier à maintenir cette partie nette, un voyage de longue haleine, principalement dans des tems de chaleur ; telles sont les causes qui peuvent y donner lieu. Je dis un voyage de longue haleine, & dès-lors l'écorchure est causée par le frottement continuel de cette partie contre le corps du cheval. J'ai vû des chevaux qui en ont été tellement incommodés, qu'à peine pouvoient-ils marcher, & qu'en cheminant ils fauchoient comme s'ils avoient eu un écart. On y remedie en oignant la partie enflammée avec parties égales d'onguent d'althaea & de miel commun. L'inflammation dissipée, on la bassine souvent avec du vin chaud, & on peut la saupoudrer avec de la poussiere de bois pourri, de la poudre d'amydon, de sang-de-dragon, de céruse, &c. (e)


FRAYERv. act. (Gramm.) il se dit au simple d'une route ; celui qui fait les premiers pas ouvre la route ; ceux qui le suivent la frayent. Une route frayée ou qui a été déjà fréquentée, c'est la même chose. Frayer à quelqu'un la route du vice, c'est lever ses scrupules, & lui applanir toutes les difficultés. Se frayer à soi-même une route, c'est par efforts de génie atteindre un but par des moyens qui sont inconnus aux autres, & qu'on s'est rendus propres & familiers.

FRAYER, (à la Monnoie) est un crime de faux monnoyeur, qui altere une piece en imitant l'altération que le toucher & le tems ont pû produire. Ce crime est trop grossier & d'un lucre trop foible pour n'être pas facilement apperçû lorsqu'il s'étend sur trop d'especes. Dans un payement où le frai attaque toutes les pieces, il est permis d'arrêter l'argent pour être justifié par l'ordonnance de Louis XIV. conséquemment à ce qui est prescrit.

FRAYER, signifie littéralement s'érailler, comme fait un drap ou une étoffe, à force de les frotter ou de les porter trop long-tems.

FRAYER, se dit des poissons. Voyez ci-devant FRAI.

En terme de Vénerie on dit qu'un cerf fraye, quand il frotte sa tête contre un arbre pour faire tomber la peau velue de ses nouvelles cornes. Voyez TETE & FRAYOIR.


FRAYEURS. f. Voyez CRAINTE, EPOUVANTE, &c.


FRAYOIRS. m. (Vénerie) lieu où le cerf brunit son bois nouveau contre les baliveaux, pour détacher ou ôter une peau velue qui le couvre ; il l'enfonce ensuite dans la terre, & le brunit en lui donnant une couleur selon le terrein.

Les vieux cerfs frayent aux jeunes arbres des taillis ; plus ils sont vieux, plûtôt ils frayent ; & quand on trouve le frayer, on connoît la hauteur de la tête du cerf par celle de l'endroit où les bouts de sa paumiere auront touché.


FRECHE(Jurispr.) est la même chose que fraux. Voyez FRAUX. (A)


FREDONS. m. vieux terme de Musique, qui signifie un passage rapide & presque toûjours diatonique de plusieurs notes sur la même syllabe : c'est à-peu-près ce que l'on a depuis appellé roulade ; avec cette différence que la roulade s'écrit, & que le fredon est ordinairement une addition de goût que le chanteur fait à la note. (S)


FREDONNERverbe neut. & act. vieux terme de Musique, est l'action de faire des fredons. Voyez FREDON. (S)


FREESLAND(Géog.) île des Terres arctiques, entre l'Islande & le cap de Farewel. Elle gît entre les 340 & 345d de longitude, & depuis le 60d. de latitude jusqu'au 63, suivant les cartes des Anglois. (D.J.)


FRÉGATAIRES. m. (Commerce) terme qui n'est en usage qu'au bastion de France ; établissement de commerce que nous avons à l'extrémité du royaume d'Alger & sur les frontieres de celui de Tunis.

On y nomme frégataires, des portefaix ou chargeurs qui servent la compagnie françoise établie en ce lieu, & qui portent à bord des barques ou frégates, les grains, légumes, & autres marchandises que les commis des magasins ont traité avec les Maures. Les gages de ces frégataires outre la nourriture, sont de neuf livres, monnoie de France, par mois. Dictionnaires de Commerce & de Trévoux.


FRÉGATES. f. (Marine) c'est un vaisseau de guerre peu chargé de bois, qui n'est pas haut élevé sur l'eau, leger à la voile, & qui n'a ordinairement que deux ponts. On prétend que les Anglois ont été les premiers qui ayent appellé frégates sur l'Océan, les bâtimens longs armés en guerre, qui ont le pont beaucoup plus bas que celui des galions ou des navires ordinaires. Ce mot de frégate tire son origine de la mer Méditerranée, où l'on appelloit frégates de longs bâtimens à voile & à rame qui portoient couverte, & dont le bord qui étoit beaucoup plus haut que celui des galeres, avoit des ouvertures comme des sabords pour passer les rames : mais cette sorte de bâtimens n'est plus d'usage, & les frégates sont aujourd'hui des vaisseaux de guerre qui vont après les vaisseaux du troisieme rang, & l'on désigne leur force & leur grandeur par le nombre de leurs canons.

Les frégates depuis 32 canons jusqu'à 46 ont deux ponts, deux batteries complete s, un gaillard, un barrot en-avant du grand-cabestan, un château d'avant de 23 piés de long.

Les frégates depuis 30 jusqu'à 32 canons ont deux ponts, une batterie complete sur le deuxieme pont, un gaillard jusqu'au grand-cabestan, un château d'avant de 20 piés de long. On peut faire une frégate de ce rang qui n'auroit qu'un pont, une batterie complete , & un gaillard, avec un château d'avant, qui seroient séparés au milieu de la distance nécessaire pour placer la chaloupe sur le pont.

Une frégate de 28 canons a deux ponts, & la plus grande partie du canon se place sur le deuxieme pont ; il n'y a sur le premier que huit canons, quatre de chaque côté, un gaillard prolongé de trois barrots en-avant du mât d'artimon, & un château d'avant de 19 piés de longueur.

Depuis quelque tems on a changé cet usage, & maintenant une frégate de 28 à 30 canons n'auroit qu'un pont, sur lequel il y auroit 24 canons, & quatre ou six sur son gaillard d'arriere. Cette disposition est bien meilleure, quand les frégates ont leur batterie élevée ; car les huit canons qu'on mettoit sur le premier pont étant fort près de l'eau, étoient presque toûjours hors de service.

Une frégate de 22 à 24 canons n'a qu'un pont, un gaillard, & un château d'avant de 18 piés de longueur.

Au-dessous de 20 canons ce ne sont plus des frégates ; on les nomme corvettes, qu'on distingue comme les frégates, par le nombre de leurs canons.

Ce qu'on vient de voir est tiré de l'architecture navale, que j'ai eu occasion de citer en plus d'un endroit ; & pour entrer dans un plus grand détail, j'y ai joint le devis d'une frégate de cent quarante-cinq piés de long de l'étrave à l'étambot, trente-six piés de bau, & quinze piés de creux, dressé par un habile constructeur.

La frégate a cent trente piés de quille portant sur terre, & la quille a un pié neuf pouces en quarré.

L'étrave a vingt-huit piés de hauteur à l'équerre, un pié cinq pouces d'épaisseur, trois piés cinq pouces de large par le haut, deux piés dix pouces au milieu, trois piés cinq pouces par le bas, trois piés trois pouces de ligne courbe, douze piés quatre pouces de quête.

L'étambot a vingt-sept piés de long à l'équerre, un pié sept pouces d'épais, deux piés de large par le haut, deux piés sept pouces à la pointe de l'arcasse, sept piés par le bas, neuf pouces de ligne courbe, deux piés sept pouces de quête.

La lisse de hourdi a vingt-sept piés de long, un pié neuf pouces d'épais, un pié sept pouces de large en son milieu, un pié cinq pouces par les bouts, un pié d'arc ou de rondeur.

La pointe de l'arcasse en-dehors est à douze piés au-dessous de la tête de l'étambot, ou de son bout d'en-haut.

Les allonges de poupe ont vingt-quatre piés de hauteur, prise au niveau de la tête de l'étambot, & sont à la distance de seize piés l'une de l'autre.

Des deux grands gabarits, celui qui est le premier du côté de l'arriere est posé à soixante & quinze piés du dehors de l'étambot, & l'autre est onze piés plus en-avant. Le premier gabarit de l'avant est posé sur le ringot, & a trente-deux piés six pouces de distance d'un de ses côtés à l'autre à la baloire. Le dernier gabarit ou le premier de l'arriere, est posé à autant de distance de l'étambot que l'étrave a de quête, ou un peu plus, c'est-à-dire à douze piés six pouces. Il y a de distance de l'un de ses côtés à l'autre, vingt-neuf piés six pouces pris à la baloire, & vingt-quatre piés pris à neuf piés de hauteur au-dessus de la quille.

La plus basse préceinte a un pié trois pouces de large, & sept pouces d'épais ; la seconde a un pié deux pouces de large, & sept pouces d'épais ; la fermure qui est entre-deux, a un pié neuf pouces de large ; & la troisieme préceinte a un pié un pouce & demi de large, & la fermure, qui est la fermure des sabords, a deux piés six pouces ; la quatrieme préceinte a un pié un pouce de large, & six pouces d'épais, & la fermure entre la troisieme & la quatrieme, a un pié quatre pouces aussi de largeur. La lisse de vibord a un pié de large, & six pouces d'épais ; le bordage entre la quatrieme préceinte & la lisse de vibord, a deux piés trois pouces ; & les sabords de la seconde bande y sont percés.

Le grand mât a quatre-vingt-six piés de long, & deux piés six pouces d'épais dans l'étambraie. Le ton pris sur les barres de hune, a neuf piés de hauteur ; & sous les barres de hune,, six piés neuf pouces. Le mât de misene a soixante & dix-sept piés de long, & deux piés trois pouces & un quart d'épaisseur ou de diametre dans l'étambraie. Le ton pris sur les barres de hune a six piés de long, & quatre piés six pouces sous les barres. Le mât d'artimon a soixante-quatre piés cinq pouces de long, & un pié sept pouces & demi d'épais dans l'étambraie. Le ton pris sur les barres de hune, a six piés de long & quatre piés six pouces sous les barres. Le mât de beaupré a cinquante-quatre piés de long, & deux piés quatre pouces & demi d'épais sur l'étrave en-dedans. Le grand mât de hune a soixante piés de long ; le mât de hune d'avant, cinquante-quatre piés ; le grand perroquet, vingt-sept piés ; le perroquet d'avant, vingt-trois piés. (Z)

FREGATE LEGERE, (Marine) c'est un vaisseau de guerre bon voilier, qui n'a qu'un pont. Il est ordinairement monté depuis seize jusqu'à vingt-quatre pieces de canon. (Z)

FREGATE, (Hist. nat. Ornith.) oiseau des Antilles ainsi appellé, parce que son vol est très-rapide. Il n'a pas le corps plus gros qu'une poule ; mais il est très-charnu. Les plumes du mâle sont noires comme celles du corbeau ; lorsqu'il est vieux, il a sous la gorge une grande crête rouge comme celle d'un coq. La femelle n'en a point ; ses plumes sont blanches sous le ventre. Le cou est médiocrement long, & la tête petite. Les yeux sont gros, noirs, & aussi perçans que ceux de l'aigle ; le bec est de couleur noire, long de six à sept pouces, assez gros, droit dans la plus grande partie de sa longueur, & crochu à l'extrémité ; les pattes sont fort courtes, & les serres ressemblent à celles du vautour, mais elles sont noires. Cet oiseau a sept à huit piés d'envergure : aussi on prétend qu'il s'éloigne des terres de plus de trois cent lieues : quoiqu'il s'éleve quelquefois à une grande hauteur, il apperçoit toûjours les poissons volans qui s'élevent au-dessus de l'eau pour se sauver des dorades : alors les frégates s'abaissent précipitamment jusqu'à une certaine distance de la surface de la mer, & enlevent les poissons volans dans leur bec, ou dans leur serres. On a donné le nom d'islette des frégates, à une île dans le petit cul-de-sac de la Guadeloupe, parce qu'on y trouvoit beaucoup de ces oiseaux qui venoient des environs pour passer la nuit dans cette île, & pour y faire leur nid : mais on les a obligé de la deserter en leur donnant la chasse, pour avoir de leur graisse, que l'on regarde dans les Indes comme un souverain remede contre la sciatique. On les frappe avec de longs bâtons, lorsqu'elles sont sur leur nid, & elles tombent à demi-étourdies. On a vû dans une de ces chasses, que les frégates qui prenoient leur essor étant épouvantées, rejettoient chacune deux ou trois poissons grands comme des harengs, en partie digérés. Hist. nat. des Ant. par le P. du Tertre, tom. II. (I)


FREGATONS. m. (Marine) on donne ce nom à un bâtiment dont les Vénitiens se servent assez communément pour leur commerce, dans le golfe de Venise. Il porte un grand mât, un artimon, & un beaupré. Les plus forts sont du port de dix mille quintaux, ou cinq cent tonneaux. (Z)


FREIDBERG(Géog.) ville d'Allemagne en Misnie, remarquable par ses mines d'argent, de cuivre, d'étain & de plomb. Elle est sur la Multe à 14 lieues S. E. de Leipsik, six S. O. de Dresde. Zeyler nous en a donné l'histoire dans sa topographie de la Misnie, & peut-être aurons-nous un jour une exacte description de ses riches mines. Elle a produit quelques gens de lettres célebres, comme Horn (Gaspard Henri) jurisconsulte, mort en 1718, âgé de 68 ans ; Questenberg (Jacques Aurele de), antiquaire du XV. siecle ; & Weller (Jerôme), mort en 1572, âgé de 63 ans, connu par plusieurs ouvrages théologiques latins, réimprimés à Leipsik dans le dernier siecle, en deux volumes in-fol. Longit. 32d. 15'. latit. 51d. 2'. (D.J.)


FREINS. m. (Gramm. & Manége) terme qui n'est plus usité au simple ; on lui a substitué ceux de mors, d'embouchure. Il signifioit particulierement la partie du mors qui traverse la bouche du cheval. Mais on l'a conservé au figuré, & même dans le style le plus noble ; celui qui met un frein à la fureur des flots. (e)

FREIN DE LA VERGE, (Anat. & Chirurg.) c'est ainsi qu'on nomme le petit ligament cutané qui attache le prépuce sous le gland. Sa structure paroît assez semblable à celle du filet de la langue ; mais outre qu'il se gonfle & se roidit, son extrême sensibilité prouve qu'il doit être revêtu de quantité de papilles nerveuses, & peut-être mériteroit-il par ces raisons plus d'attention de la part des Anatomistes, qu'ils ne lui en ont donné jusqu'à-présent : d'ailleurs il est exposé à des jeux de la nature, qui demandent les remedes de la Chirurgie.

Il est si court dans quelques personnes, qu'on est forcé de le couper, pour mettre ces personnes en état de remplir le but du mariage : hoc enim vinculum si brevius fuerit, hypospadiaeos facit, dùm praeputii depressionem impedit, dit Riolan. Dans d'autres personnes, le frein avance jusqu'au conduit de l'urine ; de sorte que dans le tems de l'impression violente des mouvemens de l'amour, la verge roidie est tirée en em-bas par cette bride, & pliée très douloureusement en forme d'arc : ce second cas exige encore la même opération ; elle doit être faite avec adresse, & toutes les précautions nécessaires pour ne point blesser le gland : on évitera dans le traitement, la cohérence de la plaie avec le prépuce. Tyson remarque avoir été non-seulement obligé de couper quelquefois le frein de la verge, parce qu'il étoit trop court, ou parce qu'il étoit trop long, mais aussi de faire la même chose dans d'autres sujets, ensuite d'une cicatrice que des chancres vénériens y avoient laissée. (D.J.)

FREINS ou REFREINS, s. m. pl. (Marine) c'est le mouvement des vagues qui, après avoir été poussées rudement vers des roches, rebondissent au loin en s'éloignant de l'endroit où elles ont frappé. (Z)


FREISINGHEN(Géog.) en latin Fruxinum, ville d'Allemagne, capitale de l'évêché de même nom, dans le cercle de Baviere. L'évêque suffragant de Saltzbourg en est le prince souverain. Elle est située sur une montagne dont le pié est arrosé par l'Iser, à six lieues N. E. de Munich, huit S. O. de Landshut, quinze S. E. d'Ausbourg. Voyez, sur l'évêché de Freisinghen, Imhoff, not. imper. liv. III. c. iij. & Heiss, hist. de l'Emp. liv. VI. ch. vj. Long. 29d. 25'. latit. 48d. 20', (D.J.)


FREISTADT(Géog.) Il y a cinq ou six petites villes de ce nom en Allemagne ; savoir, une dans la haute Hongrie, une autre dans l'Autriche, une troisieme dans le duché de Glogaw, une quatrieme dans la principauté de Teschen, & une cinquieme dans la Poméranie ; mais aucune ne mérite de nous arrêter. (D.J.)


FREJUSou FREJULS, (Géog.) forum Julii, foro Julium, ancienne ville des Gaules ; elle est sur la côte de Provence, avec un évêché suffragant d'Aix.

Jules-César donna son nom à cette ville ; elle a été la patrie d'Agricola, beau-pere de Tacite, qui l'appelle une colonie illustre & ancienne. Pline la nomme classica, parce qu'Auguste établit un arsenal pour la marine dans son port, qui étoit autrefois très-assuré, mais qui est aujourd'hui comblé, sans qu'on ait pû le rétablir. Voyez Longuerue, & Bouche, histoire de Provence.

Fréjus est près de la mer, à l'embouchure de la riviere d'Argents, dans des marais qui en rendent l'air mal sain ; à 7 lieues d'Antibes, 14 N. E. de Toulon, 12 S. O. de Nice. Longit. 28. 27. latitude 44. 25. (D.J.)


FRELATERv. act. (Comm. de vins) c'est y mêler des drogues qui le rendent potable & mal sain ; espece d'empoisonnement qui devroit être puni par les châtimens les plus séveres, puisqu'il attaque la société entiere, & qu'il employe un des alimens les plus nécessaires & les plus communs. Voyez à l'article VIN, la maniere de connoître les vins frelatés.


FRÊLEadj. ce qui par sa consistance élastique, molle, & déliée, est facile à ployer, courber, rompre : ainsi la tige d'une plante est frêle, la branche de l'osier est frêle. Il y a donc entre fragile & frêle cette petite nuance, que le terme fragile emporte la foiblesse du tout & la roideur des parties, & frêle pareillement la foiblesse du tout, mais la mollesse des parties : on ne diroit pas aussi-bien du verre, qu'il est frêle, que l'on dit qu'il est fragile ; ni d'un roseau, qu'il est fragile, aussi-bien qu'il est frêle. On ne dit point d'une feuille de papier ni d'un taffetas, que ce sont des corps frêles ou fragiles, parce qu'ils n'ont ni roideur ni élasticité, & qu'on les plie comme on veut, sans les rompre.


FRELER les voiles, (Marine.) les plier, les attacher contre les vergues. Voyez FERLER.FRELER


FRELONcrabro, s. m. (Hist. nat. Zoolog.) insecte du genre des guêpes, plus grand que celles qui se trouvent dans ce pays, & plus à craindre par sa piquûre ; dans les tems chauds elle est très-vive & très-pénétrante, mais dans les jours frais elle a peu d'effet. Les gâteaux des frelons ne different de ceux des guêpes soûterreines, qu'en ce que les liens qui les attachent les uns aux autres sont plus hauts, plus massifs, & encore moins réguliers ; celui du milieu est beaucoup plus gros que les autres. Tous ces liens, les gâteaux, & l'enveloppe qui les renferme, sont de la même matiere, qui est une sorte de papier, couleur de feuille morte, plus épais & plus cassant que celui des guêpes soûterreines. Aussi les frelons ne prennent pas pour le former, les fibres entieres du bois, comme ces guêpes, mais ils les réduisent en poussiere, qu'ils lient par le moyen d'une liqueur qui vient de leur estomac. On trouve des nids de frelons dans des trous de vieux murs, contre les solives des greniers, & dans des lieux peu fréquentés & abrités : car la matiere dont ils sont composés, ne résisteroit ni à la pluie ni au vent. La plûpart de ces insectes se nichent dans des trous d'arbres creux ; ils percent l'arbre pour former l'entrée de leur nid : ils vivent d'insectes, & même de guêpes ; ils en détruiroient beaucoup, parce qu'ils sont plus grands & plus forts, si leur vol étoit moins pesant, & s'ils ne faisoient en volant un bruit qui les met en fuite. Les frelons ressemblent aux autres guêpes par la maniere de vivre & de se reproduire. Mém. pour servir à l'hist. des insectes, tome VI. pag. 215. & abrégé de l'hist. des insect. tome II. p. 84. Voyez GUEPE, GUEPIER, SECTEECTE. (I)


FRELUQUETS. m. (Rubanier) ce sont de très-petits poids de plomb pesant environ un demi-gros : ce petit poids est percé d'outre en outre, pour donner passage à un fil qui le suspend, ce fil est arrêté par ses deux bouts noüés au trou du poids, & sert à passer chaque brin de glacis, pour le tenir en équilibre pendant le travail. Il y a des freluquets plus forts pour les tranches de velours. Voyez ALLONGES DES POTENCEAUX.


FREMIRvoyez FREMISSEMENT ; il s'employe au simple & au figuré. On frémit de crainte, de colere, & de douleur.


FREMISSEMENTS. m. (Physiq.) mouvement des petites parties d'un corps, qui consiste en des vibrations très-promtes & très-courtes de ces parties.

On remarque sur-tout ce frémissement dans les corps sonores, comme les cloches, les cordes de Musique, &c. Voyez SON. Quelquefois aussi les cordes frémissent sans résonner. Voyez FONDAMENTAL. (O)


FRENEfraxinus, s. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plantes à fleurs sans pétales, dont les étamines ont ordinairement deux sommets, du milieu desquelles il sort souvent un pistil qui devient dans la suite un fruit en forme de langue : ce fruit est plat, membraneux, & renferme une semence qui est à-peu-près de la même figure. Il y a des especes de frênes, dont les fleurs ont des pétales ; mais comme elles sont stériles, on ne les a pas distinguées de celles qui n'ont point de pétales. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (L)

FRENE, fraxinus, (Hist. nat. Bot.) autre genre de plante à fleur en rose, composée de quatre ou cinq pétales très-étroits, très-allongés, disposés en rond, & soûtenus par le calice. Toutes les plantes de ce genre ne portent pas des embryons : mais lorsqu'il s'y en trouve, ils sortent des calices, & deviennent dans la suite des fruits qui ressemblent presque en tout à ceux du frêne appellé ornus. Nova plant. american. gen. par M. Micheli. (I)

FRENE, grand arbre qui croît naturellement dans les forêts des climats tempérés ; il fait une très-belle tige, qui s'éleve à une grande hauteur, qui est presque toûjours très-droite, & qui grossit avec beaucoup de proportion & d'uniformité. On voit ordinairement le tronc du frêne s'élever sans aucunes branches à plus de hauteur que les autres arbres. Sa tête est petite, peu garnie de rameaux, qui ne s'étendent que lorsque l'arbre a passé la force de son accroissement. Son écorce, d'une couleur de cendre verdâtre, est long-tems très-unie ; & ce n'est que dans un âge fort avancé qu'il s'y fait des gersures. Ses feuilles sont au nombre de quatre ou cinq paires, quelquefois six, & même jusqu'à huit sur une même côte, qui est terminée par une seule feuille : elles sont lisses, legerement dentelées, d'un verd très-brun, & elles font peu d'ombre. Cet arbre donne au mois de Mai des bouquets de fleurs, qui sont bruns, petits, courts, ramassés : ce sont des étamines, qui n'ont qu'une apparence de mousse. Les graines qu'il produit en grappe sont environnées d'une membrane fort mince, longue d'un pouce & demi, mais fort étroite : on compare la forme de ce fruit à celle d'une langue d'oiseau ; il n'est mûr que sur la fin du mois d'Octobre, qu'il commence à tomber ; mais il en reste sur quelques arbres jusqu'après l'hyver.

On met cet arbre au nombre de ceux qui tiennent le premier rang parmi les arbres des forêts, dont il égale les plus considérables par son volume : mais relativement à l'utilité, il ne peut entrer en comparaison avec le chêne, le châtaigner, & l'orme, qui l'emportent à cet égard. Il est vrai que l'accroissement du frêne est plus promt que celui de ces arbres, mais il est plus lent à grossir ; & il lui faut pour cela un sol bien favorable ; ce qui ne se rencontre que rarement.

Le terrein qui convient le mieux à cet arbre, est une terre legere & limoneuse, mêlée de sable, & traversée par des eaux courantes. Il peut croître dans la plûpart des situations, depuis le fond des vallées jusqu'au sommet des montagnes, pourvû qu'il y ait de l'humidité & de l'écoulement ; il se plaît sur-tout dans les gorges sombres des collines exposées au nord : on le voit pourtant réussir quelquefois dans la glaise, dans la marne, si le sol a de la pente ; & dans les terres caillouteuses & graveleuses, même dans les joints des rochers, si dans tous ces cas il y a de l'humidité. Cet arbre se contente de peu de profondeur, parce que ses racines cherchent à s'étendre à fleur-de-terre ; mais il craint les terres fortes & la glaise dure & seche : il se refuse absolument aux terreins secs, legers, sablonneux, superficiels, & trop pauvres, sur-tout dans les côteaux exposés au midi. J'en ai vû planter une grande quantité de tout âge dans ces différens sols, sans qu'aucun y ait réussi.

Il n'est pas aisé de multiplier cet arbre pour de grandes plantations, quoiqu'il y ait deux moyens d'y parvenir ; l'un en semant ses graines, qui ne levent que la seconde année ; l'autre, en se servant de jeunes plants que l'on peut trouver dans les forêts. Dans ces deux cas, la propagation en grand n'est nullement facile, parce qu'il faut employer la transplantation ; expédient très-coûteux & peu sûr pour peupler de grands cantons. La nécessité de transplanter, même les plants que l'on aura fait venir de semence dans les pepinieres, vient de ce qu'il est très-rare que l'on puisse semer les graines sur la place que l'on destine à mettre en bois, par la raison que les terreins qui conviennent au frêne sont ordinairement pierreux, aquatiques, inégaux, & presque toûjours impraticables aux instrumens de la culture.

Pour faire venir le frêne de semence, il faut en cueillir la graine lorsqu'elle commence à tomber, sur la fin d'Octobre, ou dans le mois suivant : on peut même en trouver encore pendant tout l'hyver sur quelques arbres qui conservent leurs graines jusqu'aux premieres chaleurs du printems. Si on les seme de très-bonne heure en automne, il en pourra lever quelque peu dès le printems suivant ; mais il ne faut s'attendre à les voir lever complete ment, qu'au printems de l'autre année. Si l'on vouloit s'épargner d'occuper inutilement son terrein pendant cette premiere année, on trouvera l'équivalent, en conservant dans des manequins les graines mêlées de terre, ou de sable pour le mieux, pendant un an dans un lieu frais, abrité & point trop renfermé : cette précaution disposera les graines à germer, comme si elles avoient été mises en pleine terre ; & en les semant un an après au printems, elles leveront au bout d'un mois ou six semaines : il faut pour cela une terre meuble, préparée comme celle d'un potager, & arrangée en planches. On peut se contenter de semer la graine sur la surface de la terre, & y passer le rateau ; mais le mieux sera de les mettre dans des rayons d'un pouce ou un pouce & demi de profondeur, pour faciliter la sarclure, qui leur sera très-nécessaire la premiere année, durant laquelle les semis ne s'éleveront guere qu'à 5 ou 6 pouces.

Les jeunes plants âgés de deux ans seront propres à être transplantés, soit en pepiniere, soit dans les places que l'on se proposera de mettre en bois de cette nature ; c'est même à cet âge qu'ils conviennent le mieux pour cet objet. Il faudra peu de travail pour les planter ; & ils réussiront sans aucun soin, si le terrein leur est favorable : au lieu que s'ils étoient plus âgés, & par conséquent plus grands & plus enracinés, il faudroit plus de travail ; & leur reprise ne seroit pas si assurée. Si au contraire le terrein leur étoit peu convenable, ils ne s'y soûtiendront qu'à l'aide d'une culture fort assidue, trop dispendieuse, & dont le succès sera encore très-incertain. Soit que les plants que l'on mettra en pepiniere proviennent d'un semis de deux ans, ou qu'ils ayent été tirés des bois, ils profiteront également, & ils s'éleveront en quatre ans à huit ou dix piés ; ils seront alors en état d'être transplantés à leur destination, qui est ordinairement d'en border les ruisseaux, d'en garnir les haies, & d'en faire des lisieres autour des héritages, dans les terreins aquatiques, ou même dans les terreins qui ont seulement de la fraîcheur : cet arbre s'y soûtiendra, si on le tond tous les trois ou quatre ans, comme cela se pratique pour la nourriture du bétail. Encore une observation qui est importante sur la transplantation de cet arbre, c'est de ne point étêter : il se redresse rarement, lorsqu'on retranche la maîtresse tige ; & il perce difficilement de nouveaux rejettons quand on a supprimé les boutons de la cime. Il faut seulement se contenter d'ôter les branches latérales.

Le frêne est sur-tout estimé par rapport à son bois, qui sert à beaucoup d'usages : quoique blanc, il est assez dur, fort uni, & très-liant, tant qu'il conserve un peu de seve : aussi est-il employé par préférence pour les pieces de charronage qui doivent avoir du ressort & de la courbure ; les Tourneurs & les Armuriers en font également usage. Mais une autre grande partie de service que l'on en tire, c'est qu'il est excellent à faire des cercles pour les cuves, les tonneaux, & autres vaisseaux de cette espece. Le bois des frênes venus dans des terreins de montagnes, ou qui ont été habituellement tondus, sont sujets à être chargés de gros noeuds ou protubérances, qui en dérangeant l'ordre des fibres, occasionnent une plus grande dureté, & une diversité de couleur dans les veines du bois ; ce qui fait que ces sortes d'arbres sont recherchés par les ébénistes. Mais quoiqu'il se trouve des frênes d'assez gros volume pour servir à la charpente, on l'applique rarement à cet usage, parce que ce bois est sujet à être picqué des vers, quand il a perdu toute sa seve. Le bois du frêne a plus de résistance & plie plus aisement que celui de l'orme : on y distingue le coeur & l'aubier, comme dans le chêne ; & lorsqu'il est verd, il brûle mieux qu'aucun autre bois nouvellement coupé.

Quand cet arbre est dans sa force, on peut l'élaguer ou l'étêter, sans que cela lui fasse grand tort, à-moins qu'il ne soit trop gros : par ce moyen, on en tirera tous les trois ou quatre ans des perches, des échalas, du cerceau, ou tout au moins du fagotage. Le dégouttement du frêne endommage tous les végétaux qui en sont atteints ; c'est ce qui a fait dire que son ombre étoit dangereuse : il n'en est pas de même à son égard ; il ne craint d'être surmonté par aucune autre espece d'arbre ; leur égout ne lui fait aucun préjudice. Aussi le frêne réussit-il à l'ombre & dans les lieux serrés, où on peut s'en servir pour remplacer les autres arbres qui refusent d'y venir. Son feuillage est excellent pour la nourriture des boeufs, des chevres, des bêtes à laine : tous ces animaux en sont très-friands pendant l'hyver. Il faut pour cela couper les rameaux de cet arbre, à la fin du mois d'Août ou au commencement de Septembre, & les laisser sécher à l'ombre. On pourroit employer le frêne, à plusieurs égards, pour l'ornement des jardins ; il fait ordinairement une belle tige & une tête réguliere : son feuillage leger, qui est d'un verd brun & luisant, contrasteroit agréablement avec la verdure des autres arbres ; mais il est sujet à un si grand inconvénient, qu'on est obligé de l'écarter de tous les lieux d'agrément : les mouches cantharides qui s'engendrent particulierement sur cet arbre, le dépouillent presque tous les ans de sa verdure dans la plus belle saison, & causent une puanteur insupportable.

On prétend que les feuilles, le bois, & suc du frêne ont quantité de propriétés pour la Medecine. Voy. le P. Schot, jésuite, qui les a rapportées fort en détail dans son livre intitulé, joco-seria naturae & artis.

Voici les especes de frêne les plus connues jusqu'à-présent.

Le frêne de la grande espece. C'est celle qui croît communément en France, & à laquelle on peut le mieux appliquer ce qui vient d'être dit en général.

Le frêne de la grande espece, à feuilles panachées de jaune. C'est une variété qui n'a de mérite que pour les curieux en ce genre : il est vrai qu'elle est d'une belle apparence. On peut la multiplier par la greffe sur l'espece commune.

Le frêne à feuilles rondes. Cette espece croît en Italie, mais elle est encore très-peu connue en France. On croit que c'est sur cet arbre que l'on recueille la manne qui nous vient de Calabre.

Le frêne nain, ou le frêne de Montpellier. Les feuilles de cet arbre sont plus courtes & plus étroites que dans toutes les autres especes de frêne : il se garnit de beaucoup de rameaux, & prend très-peu de hauteur.

Le frêne à fleurs. Cet arbre est originaire d'Italie ; il croît plus lentement que notre frêne commun, & s'éleve beaucoup moins ; sa feuille est aussi plus petite à tous égards, son bois plus menu, & l'arbre se garnit d'un plus grand nombre de rameaux. Il donne au mois de Mai des grappes de fleurs aussi grosses que les bouquets du lilas, & qui, quoique d'un blanc un peu jaunâtre, sont d'une assez belle apparence ; elles rendent même une odeur qui de-loin n'est point desagréable : ses graines, qui sont plus larges que celles de l'espece commune, levent dès la premiere année, quand on a eu soin de les semer de bonne heure en automne. Cet arbre est de tous les différens frênes celui que l'on doit le plus employer dans les jardins d'agrément, tant par rapport à ses fleurs, que parce qu'on peut lui former une jolie tête, & qu'il s'accommode de tous les terreins ; & il a de plus l'avantage de n'être pas sujet à être endommagé par les mouches cantharides, à-moins qu'il ne se trouve mêlé avec d'autres especes de frêne.

Le frêne à feuilles de noyer. Cet arbre a le bois plus gros & les feuilles plus grandes que toutes les autres especes de son genre ; elles sont d'un verd assez tendre ; elles ont au premier aspect quelque ressemblance avec celles du noyer ; mais elles ont une odeur forte & desagréable, quand on les presse entre les doigts.

Le frêne de la Nouvelle-Angleterre. C'est un joli arbre, qui ne s'éleve guere qu'à vingt-cinq piés : son écorce, quand il est dans sa force, est remplie de gersures d'une couleur jaunâtre, qui la font ressembler à celle de l'orme. Sa feuille n'est composée que de trois ou quatre paires de petites feuilles qui sont plus éloignées entr'elles, & qui sont terminées par une pointe plus allongée que dans les autres especes de frêne. Cet arbre & le précédent veulent absolument un terrein bas & humide ; ils ne font aucun progrès dans les lieux secs & élevés, quoiqu'il y ait de la profondeur & un bon sol. Il y a plusieurs plants de cet arbre dans la pepiniere de la province de Bourgogne, établie à Montbard, qui n'ont point encore produit de graine, quoiqu'ils soient âgés de quinze ans, & qu'ils ayent environ vingt piés de hauteur.

Le frêne blanc d'Amérique. C'est une nouvelle espece, qui est venue de graines envoyées d'Angleterre, & qui provenoient d'Amérique. La couleur de son écorce est d'un gris cendré ; & sa feuille a beaucoup de ressemblance avec celle du précédent, si ce n'est qu'elle est blanche & lanugineuse en-dessous, & qu'elle est unie sur ces bords sans aucune dentelure ; caractere particulier, qui distingue essentiellement cet arbre de toutes les autres especes de frênes que l'on vient de rapporter ici.

Toutes ces différentes sortes de frênes sont si robustes, qu'ils ne sont jamais endommagés par le froid des plus grands hyvers de ce climat : comme la plûpart ne produisent point encore de graine en France, on ne peut guere les multiplier que par la greffe, qui réussit très-bien sur le frêne commun. (c)

FRENE, (Pharmac. Met. medic.) son écorce, ses feuilles, & ses graines contiennent un sel alumineux, tartareux, de saveur austere, acre & amere : le sel qu'on tire de son écorce est un alkali fixe, actif & corrosif. Le sel tartareux, acre & amer que les graines contiennent, est plus huileux & plus actif que celui de son écorce. M. Tournefort trouve que le sel essentiel du frêne est presque semblable à l'oxisal diaphorétique d'Ange-Sala, uni avec beaucoup de terre & de soufre. La décoction ou l'infusion de son écorce, noircit la solution du vitriol, de même que la noix de galle.

On ordonne rarement ou jamais les feuilles de frêne : l'écorce de cet arbre a les propriétés de la noix de galle ; elle est atténuante, sudorifique, & dessicative ; le sel tiré des cendres de cette écorce excite puissamment les urines ; mais c'est une propriété qui lui est commune avec les autres sels alkalis.

La graine de frêne est appellée dans les boutiques ornithoglossum, ou lingua avis, parce qu'elle a en quelque maniere la figure d'une langue d'oiseau : c'est une graine extrèmement acre ; elle donne dans la distillation une huile empyreumatique, que l'on rectifie autant qu'il est possible, pour lui ôter son odeur de feu. Le petit peuple d'Angleterre confit cette graine, ou plûtôt le fruit du frêne avant sa maturité, dans de la saumure de sel & de vinaigre, & il en use dans les sausses. Cette graine entre dans la mauvaise composition galénique nommée électuaire diasatyrion de Nicolas Myrepse. (D.J.)


FRENESIEFRENETIQUE, voyez PHRENESIE, PHRENETIQUE.


FREQUENTATIFadj. terme de Grammaire, c'est la dénomination que l'on donne aux verbes dérivés, dans lesquels l'idée primitive est modifiée par une idée accessoire de répétition ; tels sont dans la langue latine les verbes clamitare, dormitare, dérivés de clamare, dormire. Clamare n'exprime que l'idée de l'action de crier ; au lieu que clamitare, outre cette idée primitive, renferme encore l'idée modificative de répétition, de sorte qu'il équivaut à clamare saepè ; criailler est le mot françois qui y correspond : de même dormire ne présente à l'esprit que l'idée de dormir ; & dormitare ajoûte à cette idée primitive celle d'une répétition fréquente, de maniere qu'il signifie dormire frequenter, dormir à différentes reprises ; c'est l'état d'un homme dont le sommeil n'est ni suivi ni continu, mais coupé & interrompu.

Le supin doit être regardé dans la langue latine, comme le générateur unique & immédiat, ou la racine prochaine des verbes fréquentatifs : l'on voit en effet que leur formation est analogue à la terminaison du supin, & qu'ils en conservent la consonne figurative : ainsi de saltum, supin de salio, vient saltare ; de versum, supin de verto, vient versare ; & d'amplexum, supin d'amplector, vient amplexari. D'ailleurs les verbes primitifs, auxquels l'usage a refusé un supin, sont également privés de l'espece de dérivation dont nous parlons, quoique l'action qu'ils expriment soit susceptible en elle-même de l'espece de modification qui caractérise les verbes fréquentatifs.

Il faut cependant avoüer que le détail présente quelques difficultés qui ont induit en erreur d'habiles grammairiens : mais on va bien-tôt reconnoître que ce sont ou de simples écarts qui ont paru préférables à la cacophonie, ou des irrégularités qui ne sont qu'apparentes, parce que la racine génératrice n'est plus d'usage.

Ainsi dans la dérivation des fréquentatifs, dont les primitifs sont de la premiere conjugaison, l'usage qui tâche toûjours d'accorder le plaisir de l'oreille avec la satisfaction de l'esprit, a autorisé le changement de la voyelle a du supin générateur terminé en atum, afin d'éviter le concours desagréable de deux a consécutifs : au lieu donc de dire clamatare, rogatare, selon l'analogie des supins clamatum, rogatum, on dit clamitare, rogitare : mais il n'en est pas moins évident que le supin est la racine génératrice de cette formation.

Dans la seconde conjugaison, on trouve haerere, dont le supin haesum semble devoir donner pour fréquentatif haesare ; & cependant c'est haesitare : c'est que le supin haesum n'est effectivement rien autre chose que haesitum, insensiblement altéré par la syncope ; & ce supin haesitum est analogue aux supins territum, latitum, des verbes terrere, latere de la même conjugaison, d'où viennent territare, latitare, selon la regle générale. Au reste, il n'est pas rare de trouver des verbes avec deux supins usités, l'un conforme aux lois de l'analogie, & l'autre défiguré par la syncope.

C'est par la syncope qu'il faut encore expliquer la génération des fréquentatifs des verbes qui ont la seconde personne du présent absolu de l'indicatif en gis, comme ago, agis ; lego, legis ; fugio, fugis. Priscien prétend que cette seconde personne est la racine génératrice des fréquentatifs agitare, legitare, fugitare : mais c'est abandonner gratuitement l'analogie de cette espece de formation, puisque rien n'empêche de recourir encore ici au supin. Pourquoi ago & lego n'auroient-ils pas eu autrefois les supins agitum & legitum, comme fugio a encore aujourd'hui fugitum, d'où fugitare est dérivé ? Ces supins ont dû assez naturellement se syncoper. Les Latins ne donnoient à la lettre g que le son foible de k, comme nous le prononçons dans guerre : ainsi ils prononçoient agitum, legitum, comme notre mot guittare se prononce parmi nous : ajoûtez que la voyelle i étant breve dans la syllabe gi de ces supins, les Latins la prononçoient avec tant de rapidité qu'elle échappoit dans la prononciation, & étoit en quelque sorte muette ; de maniere qu'il ne restoit qu'agtum, legtum, où la foible g se change nécessairement dans la forte c, à cause du t qui suit, & qui est une consonne forte ; l'organe ne peut se prêter à produire de suite deux articulations, l'une foible & l'autre forte, quoique l'orthographe semble quelquefois présenter le contraire.

C'est par ce méchanisme que sorbeo a aujourd'hui pour supin sorptum, qui n'est qu'une syncope de l'ancien supin sorbitum, qui a effectivement existé, puisqu'il a produit sorbitio ; & c'est par une raison toute contraire que les verbes de la quatrieme conjugaison n'ont point de supin syncopé, & forment régulierement leurs fréquentatifs, parce que l'i du supin étant long, rien n'a pû en autoriser la suppression.

Il faut prendre garde cependant de donner deux frequentatifs à plusieurs verbes de la troisieme conjugaison, qui, d'après ce que nous venons d'exposer, paroîtroient en avoir deux ; tels que canere, facere, jacere, qui ont cantare & cantitare, factare & factitare, jactare & jactitare. Les premiers, qui peut-être n'étoient effectivement que fréquentatifs dans leur origine, sont devenus depuis des verbes augmentatifs, pour exprimer l'idée accessoire d'étendue ou de plénitude que l'on veut quelquefois donner à l'action ; & les autres en ont été tirés conformément à l'analogie que nous indiquons ici, pour les remplacer dans le service de fréquentatifs.

Il est donc constant, nonobstant toutes les irrégularités apparentes, que tous les verbes fréquentatifs sont formés du supin du verbe primitif ; & cette conséquence doit servir à réfuter encore Priscien, & après lui la méthode de P. R. qui prétendent que les verbes vellico & fodico sont fréquentatifs ; outre que cette terminaison n'a aucun rapport au supin des primitifs vello & fodio, la signification de ces dérivés comporte une idée de diminution qui ne peut convenir aux fréquentatifs ; & d'ailleurs les mêmes grammairiens regardent comme de vrais diminutifs, les verbes albico, candico, nigrico, frondico, qui ont une terminaison si analogue avec ces deux-là : par quelle singularité ne seroient-ils pas placés dans la même classe, ayant tous la même terminaison & le même sens accessoire ?

Il est vrai cependant que l'idée primitive qu'un verbe dérivé renferme dans sa signification, y est quelquefois modifiée par plus d'une idée accessoire ; ainsi forbillare, avaler peu-à-peu & à différentes reprises, a tout-à-la-fois un sens diminutif & un sens fréquentatif. Donnera-t-on pour cela plusieurs dénominations différentes à ces verbes ? non sans-doute ; il n'en faut qu'une, mais il faut la choisir ; & le fondement de ce choix ne peut être que la terminaison, parce qu'elle sert comme de signal pour rassembler dans une même classe des mots assujettis à une même marche, & qu'elle indique d'ailleurs le principal point de vûe qui a donné naissance au verbe dont il est question ; car voilà la maniere de procéder dans toutes les langues ; quand on y crée un mot, on lui donne scrupuleusement la livrée de l'espece à laquelle il appartient par sa signification ; il n'y feroit pas fortune s'il avoit à-la-fois contre lui la nouveauté & l'anomalie : si l'on trouve donc ensuite des mots qui dérogent à l'analogie, c'est l'effet d'une altération insensible & postérieure.

Jugeons après cela si Turnebe, & Vossius après lui, ont eu raison de placer dormitare dans la classe des desidératifs, parce qu'il présente quelquefois ce sens, & spécialement dans l'exemple de Plaute, cité par Turnebe, dormitare te aiebas. Il faudroit donc aussi l'appeller diminutif, parce qu'il signifie quelquefois dormire leviter, comme dans le mot d'Horace, quandoque bonus dormitat Homerus ; & augmentatif, puisque Ciceron l'a employé dans le sens de dormire altè. La vérité est que dormitare est originairement & en vertu de l'analogie, un verbe fréquentatif : & que les autres sens qu'on y a attachés depuis, découlent de ce sens primordial, ou viennent du pur caprice de l'usage. Une derniere preuve que les Latins n'avoient pas prétendu regarder dormitare comme desidératif, c'est qu'ils avoient leur dormiturire destiné à exprimer ce sens accessoire.

Nous remarquerons 1°. que tous les fréquentatifs latins sont terminés en are, & sont de la premiere conjugaison.

2°. Qu'ils suivent invariablement la nature de leurs primitifs, étant comme eux absolus ou relatifs ; l'absolu dormitare vient de l'absolu dormire ; le relatif agitare vient du relatif agere.

Voyons maintenant si nous avons des fréquentatifs dans notre langue. Robert Etienne dans sa petite grammaire françoise imprimée en 1569, prétend que nous n'en avons point quant à la signification ; & soit que l'autorité de ce célebre & savant typographe en ait imposé aux autres grammairiens françois, ou qu'ils n'ayent pas assez examiné la chose, ou qu'ils l'ayent jugée peu digne de leur attention, ils ont tous gardé le silence sur cet objet.

Quoi qu'il en soit, il y a effectivement en françois jusqu'à trois sortes de fréquentatifs, distingués les uns des autres, & par la différence de leurs terminaisons, & par celle de leur origine : les uns sont naturels à cette langue, d'autres y ont été faits à l'imitation de l'analogie latine, & les autres enfin y sont étrangers, & seulement assujettis à la terminaison françoise. Il faut cependant avoüer que la plûpart de ceux des deux premieres especes ne s'employent guere que dans le style familier.

Les fréquentatifs naturels à la langue françoise lui viennent de son propre fonds, & sont en général terminés en ailler : tels sont les verbes criailler, tirailler, qui ont pour primitifs crier, tirer, & qui répondent aux fréquentatifs latins clamitare, tractare. On y apperçoit sensiblement l'idée accessoire de répétition, de même que dans brailler, qui se dit plus particulierement des hommes, & dans piailler, qui s'applique plus ordinairement aux femmes ; mais elle est encore plus marquée dans ferrailler, qui ne veut dire autre chose que mettre souvent le fer à la main.

Les fréquentatifs françois faits à l'imitation de l'analogie latine, sont des primitifs françois auxquels on a donné une inflexion ressemblante à celle des fréquentatifs latins ; cette inflexion est oter, & désigne comme le tare latin, l'idée accessoire de répétition : comme dans crachoter, clignoter, chuchoter, qui ont pour correspondans en latin sputare, nictare, mussitare.

Les fréquentatifs étrangers dans la langue françoise lui viennent de la langue latine, & ont seulement pris un air françois par la terminaison en er : tels sont habiter, dicter, agiter, qui ne sont que les fréquentatifs latins habitare, dictare, agitare.

C'est le verbe visiter que R. Etienne employe pour prouver que nous n'avons point de fréquentatifs. Car, dit-il, combien que visiter soit tiré de visito latin & fréquentatif, il n'en garde pas toutefois la signification en notre langue : tellement qu'il a besoin de l'adverbe souvent : comme je visite souvent le palais & les prisonniers.

Mais on peut remarquer en premier lieu, que quand ce raisonnement seroit concluant, il ne le seroit que pour le verbe visiter ; & ce seroit seulement une preuve que sa signification originelle auroit été dégradée par une fantaisie de l'usage.

En second lieu, que quand la conséquence pourroit s'étendre à tous les verbes de la même espece, il ne seroit pas possible d'y comprendre les fréquentatifs naturels & ceux d'imitation, où l'idée accessoire de répétition est trop sensible pour y être méconnue.

En troisieme lieu, que la raison alléguée par R. Etienne ne prouve absolument rien : un adverbe fréquentatif ajoûté à visiter, n'y détruit pas l'idée accessoire de répétition, quoiqu'elle semble d'abord supposer qu'elle n'y est point renfermée ; c'est un pur pléonasme qui éleve à un nouveau degré d'énergie le sens fréquentatif, & qui lui donne une valeur semblable à celle des phrases latines, itat ad eam frequens (Plaute) frequenter in officinam ventitanti (Plin.) ; saepius sumpsitaverunt (Id.) On ne diroit pas sans-doute que itare n'est pas fréquentatif à cause de frequens, ni ventitare à cause de frequenter, ni sumpsitare à cause de saepius.

La décision de R. Etienne n'a donc pas toute l'exactitude qu'on a droit d'attendre d'un si grand homme ; c'est que les esprits les plus éclairés peuvent encore tomber dans l'erreur, mais ils ne doivent rien perdre pour cela de la considération qui est dûe aux talens. (E. R. M.)


FREQUINS. m. (Commerce) sorte de futaille. L'article vj. du nouveau réglement de 1723, concernant les déclarations des Marchands aux bureaux d'entrée & de sortie, met le frequin au nombre des futailles qui servent à entonner les sucres, bouts, les syrops, les suifs, les beurres, & autres telles marchandises qui sont sujettes à déchet & à coulage. Dict. de Comm. & Trév. (G)


FRERAGES. m. (Jurisprud.) c'est le nom que l'on donne en certaines coûtumes aux partages de fiefs dans lesquels les freres & soeurs puinés ou autres co-partageans tiennent leur part en foi & hommage de l'aîné, ou si ce n'est pas entre freres, de l'un des co-partageans. Voyez ci-devant FRARESCHEURS. (A)


FRERES. m. (Jurispr.) ce terme signifie ceux qui sont nés d'un même pere & d'une même mere, ou bien d'un même pere & de deux meres différentes, ou enfin d'une même mere & de deux peres différens.

On distingue les uns & les autres par des noms différens ; ceux qui sont procréés de mêmes pere & mere, sont appellés freres germains ; ceux qui sont de même pere seulement, sont freres consanguins ; & ceux qui sont de même mere, freres utérins.

La qualité de frere naturel procede de la naissance seule ; la qualité de frere légitime procede de la loi, c'est-à-dire qu'il faut être né d'un même mariage valable.

On ne peut pas adopter quelqu'un pour son frere, mais on peut avoir un frere adoptif dans les pays où l'adoption a encore lieu. Lorsqu'un homme adopte un enfant, cet enfant devient frere adoptif des enfans naturels & légitimes du pere adoptif.

L'étroite parenté qui est entre deux freres, fait que l'un ne peut épouser la veuve de l'autre.

Les freres étant unis par les liens du sang, sont obligés entr'eux à tous les devoirs de la société encore plus étroitement que les étrangers ou que les parens plus éloignés ; cependant il n'arrive que trop souvent que l'intérêt les sépare, rara concordia fratrum.

La condition des freres n'est pas toûjours égale ; l'un peut être libre, & l'autre esclave ou serf de main-morte.

Dans le partage des biens nobles, le frere aîné a selon les coûtumes divers avantages contre ses puînés mâles ; les freres excluent leurs soeurs de certaines successions.

En pays de droit écrit, les freres germains succedent à leur frere ou soeur décédé, concurremment avec les pere & mere ; ils excluent les freres & soeurs consanguins & utérins ; ceux-ci, c'est-à-dire les freres consanguins & utérins, concourent entr'eux sans distinguer les biens paternels & maternels.

En pays coûtumier les freres & soeurs, même germains, ne concourent point avec les ascendans pour la succession des meubles & acquêts ; mais dans les coûtumes de double lien, les freres & soeurs germains sont préférés aux autres. Du reste pour les propres, les freres, soit germains, consanguins, ou utérins, ne succedent chacun qu'à ceux qui sont de leur ligne.

Quelque union qu'il y ait naturellement entre les freres & soeurs, un frere ne peut point engager son frere ou sa soeur sans leur consentement ; un frere ne peut pas non plus agir pour l'autre pour venger l'injure qui lui a été faite, mais il peut agir seul pour une affaire qui leur est commune.

Le frere majeur est tuteur légitime de ses freres & soeurs qui sont mineurs, ou en démence. On peut aussi le nommer tuteur ou curateur.

Suivant les lois romaines, un frere peut agir contre son frere pour les droits qu'il a contre lui ; mais il ne peut pas l'accuser d'un crime capital, si ce n'est pour cause de plagiat ou d'adultere.

Le fratricide ou le meurtre d'un frere est un crime grave. voyez FRATRICIDE.

FRERE ADOPTIF, est celui qui a été adopté par le pere naturel & légitime d'un autre enfant.

FRERE, (BEAU-) c'est celui qui a épousé la soeur de quelqu'un. Voyez le mot BEAU-FRERE.

FRERE CONJOINT DES DEUX COTES, c'est un frere germain. Voyez ci-après FRERE GERMAIN.

FRERE CONSANGUIN, est celui qui est procréé d'un même pere, mais d'une mere différente.

FRERE, (DEMI-) on appelle ainsi dans quelques coûtumes & provinces les freres consanguins & utérins, parce qu'ils ne sont joints que d'un côté seulement.

FRERES GERMAINS, sont ceux issus des mêmes pere & mere. Voyez FRERE CONSANGUIN & FRERE UTERIN.

FRERE DE LAIT : on donne ainsi improprement le titre de freres & soeurs de lait aux enfans de la femme qui a alaité l'enfant d'un autre, quoiqu'il n'y ait aucune parenté ni affinité entre les enfans de cette femme & les enfans étrangers qu'elle nourrit.

FRERE LEGITIME, est celui qui est procréé d'un mariage valable, de même qu'un autre frere ou soeur ; la qualité de frere légitime est opposée à celle de frere naturel.

FRERE NATUREL, est celui qui n'est pas procréé d'un mariage valable, & qui n'est joint que par les liens du sang & selon la nature.

FRERE PATRUEL, frater patruelis, c'est un cousin germain du côté paternel.

FRERE UTERIN, est celui qui procéde d'une même mere.

Sur les freres en général il y a plusieurs textes répandus dans le droit, qui sont indiqués par Brederode au mot frater. Voyez aussi le traité de duobus fratribus par Petrum de Ubaldis, & au mot SUCCESSION.

FRERE, (Histoire) ce terme a encore différentes significations.

Les premiers chrétiens s'appelloient mutuellement freres, comme étant tous enfans d'un même Dieu, professans la même foi, & appellés au même héritage.

Les empereurs traitoient de freres les gouverneurs des provinces & les comtes.

Les rois se traitoient encore de freres.

La même chose se pratique aussi entre les prélats.

Les religieux qualifient chez eux de freres ceux qui ne sont pas du haut choeur ; dans les actes publics tous les religieux, même ceux qui sont dans les ordres & bénéficiers, ne sont qualifiés que de freres ; on en use de même pour les chevaliers & commandeurs de l'ordre de Malte.

FRERES BARBUS, voyez ci-après, FRERES CONVERS.

FRERES CLIENS, fratres clientes, qu'on appelle communément freres servans. Voyez FRERES SERVANS.

FRERES CONVERS, sont des laïcs retirés dans des monasteres, qui y font profession, portent l'habit de l'ordre, & en observent la regle ; ils sont ordinairement employés pour le service du monastere. Dans les premiers tems on nommoit convers, quasi conversi ad Dominum, c'est-à-dire convertis, ceux qui embrassoient la vie monastique étant déjà parvenus à l'âge de raison, pour les distinguer des oblats que leurs parens y consacroient dès l'enfance. Dans le xj. siecle on nomma freres laïcs ou convers dans les monasteres ceux qui ne pouvoient devenir clercs, & qui étoient destinés au travail corporel & aux oeuvres extérieures. On les nomme aujourd'hui dans nos monasteres freres lais ou simplement freres. Voy. FRERES LAIS. L'abbé Guillaume est regardé par quelques-uns comme l'instituteur de cette espece de religieux. Les Chartreux en avoient aussi, & les nommoient freres barbus. Cette institution vient de ce qu'alors les laïcs ignoroient les lettres, & n'apprenoient même pas à lire, de sorte qu'ils ne pouvoient être clercs. Voyez l'hist. ecclés. de Fleury, édition de 1724. tome XIII. liv. LXIII. pag. 495. (G)

FRERES EXTERIEURS, fratres exteriores, sont la même chose que les freres lais, monachi laici ; on les a nommés exteriores, parce qu'ils s'occupent des affaires du dehors. Les moines lais sont différens de ces freres lais. Voyez OBLATS & MOINES LAÏCS.

FRERES EXTERNES, sont des clercs & chanoines qui sont affiliés aux prieres & suffrages d'un monastere, ou des religieux d'un autre monastere qui sont de même affiliés.

FRERES LAÏCS, sont la même chose que freres lais. Voyez FRERES LAIS.

FRERES LAIS, s. m. pl. (hist. eccles.) qui sont la même chose que freres laïcs, & qu'on appelle aussi freres convers, ou simplement freres, sont dans nos couvens des religieux subalternes non engagés dans les ordres, mais qui font les voeux monastiques, & qui sont proprement les domestiques de ceux qu'on nomme moines du choeur ou peres. S. Jean Gualbert fut le premier, dit-on, qui institua des freres lais en 1040 dans son monastere de Vallombreuse ; jusqu'alors les moines se servoient eux-mêmes. On prétend que cette distinction est venue de l'ignorance des laïcs, qui ne sachant pas le latin, ne pouvoient apprendre les pseaumes par coeur, ni profiter des lectures latines qui se faisoient à l'office divin ; au lieu que les moines étoient clercs pour la plûpart, ou destinés à le devenir. Ainsi, dit-on, les moines clercs avoient soin de prier Dieu à l'église, & les freres lais étoient chargés des affaires du dehors. Mais cette raison ne paroît pas trop recevable, puisqu'une pareille distinction a eu lieu chez les religieuses qui ne savent pas plus de latin les unes que les autres. Il y a donc beaucoup d'apparence que cette institution est uniquement l'effet de la vanité humaine, qui dans le séjour de l'humilité même, a cherché encore des moyens de se satisfaire & de se reprendre après s'être quittée. Aussi, dit M. Fleury, l'institution des freres lais a été pour les religieux une grande source de relâchement & de division : d'un côté les moines du choeur traitoient les freres lais avec mépris comme des ignorans & des valets, & se regardoient comme des seigneurs ; car c'est ce que signifie le titre de dom, qu'ils prirent vers le xj. siecle : de l'autre, les freres lais nécessaires au temporel, qui suppose le spirituel (car il faut vivre pour prier), ont voulu se révolter, dominer, & regler même le spirituel ; c'est ce qui a obligé en général les religieux à tenir les freres fort bas : mais l'humilité chrétienne s'accommode-t-elle de cette affectation de supériorité dans des hommes qui ont renoncé au monde ? Voyez Fleury, discours sur les ordres religieux. (O)

FRERES MINEURS, sont des religieux de l'ordre de S. François, appellés vulgairement Cordeliers ; ils prirent ce titre de mineurs par humilité, pour dire qu'ils étoient moindres que les autres freres ou religieux des autres ordres. Voyez CORDELIERS & ORDRE DE S. FRANÇOIS.

FRERES PRECHEURS. Voyez DOMINICAINS.

FRERES SERVANS, dans les ordres de Malte & de S. Lazare, sont des chevaliers d'un ordre inférieur aux autres, & qui ne sont pas nobles. Ils sont aussi appellés servans d'armes, quasi servientes. Voyez ORDRE DE MALTE & ORDRE DE S. LAZARE, & ci-après FRERE SERVANT.

FRERES SPIRITUELS, on donna ce nom à des laïcs qui étoient affiliés à une maison religieuse, ou qui s'adoptoient mutuellement pour freres dans un esprit de religion & de charité ; mais cette adoption n'avoit point d'effets civils. Voyez ce qui a été dit ci-devant au mot FRERE ADOPTIF. (A)

FRERES, terme qui semble consacré à certaines congrégations religieuses, telles que les freres de la charité, les freres de l'observance. Voyez FRERES DE LA CHARITE. On connoît assez toutes ces compagnies ; mais il est des sociétés laïques assez obscures, auxquelles on donne le nom de freres, & qui mériteroient d'être plus connues, comme les freres cordonniers, les freres tailleurs, & quelques autres.

FRERES CORDONNIERS. Vers le milieu du dernier siecle, un cordonnier voulant perpétuer parmi les ouvriers l'esprit de religion dont il étoit animé ; d'ailleurs encouragé par quelques personnes pieuses & distinguées, dont il étoit protégé, commença dans Paris l'association des freres cordonniers & des freres tailleurs, laquelle s'est étendue ensuite en plusieurs villes du royaume, entr'autres à Soissons, à Toulouse, à Lion, &c.

Leur institut consiste principalement à vivre dans la continence & dans l'exercice de leur métier, de façon qu'ils joignent à leur travail les pratiques les plus édifiantes de la piété & de la charité chrétienne, le tout sans faire aucune sorte de voeux.

Au reste, bien qu'ils ne soient pas à charge à l'état, puisqu'ils subsistent par le travail de leurs mains, il est toûjours vrai qu'ils ne portent pas les impositions publiques, autant que des ouvriers isolés & chargés de famille ; & sur-tout ils ne portent pas les tuteles & les collectes, le logement de soldats, les corvées, les milices, &c. ce qui fait pour eux une différence bien favorable.

Sur quoi j'observe que les gens dévoués au célibat ont toûjours été protégés avec une prédilection également contraire à la justice & à l'économie nationale. J'observe de même qu'ils ont toûjours été fort attentifs à se procurer les avantages des communautés ; au lieu qu'il est presque inoüi jusqu'à présent, que les gens mariés ayent formé quelque association considérable. Ceux-ci néanmoins obligés de pourvoir à l'entretien de leurs familles, auroient plus besoin que les célibataires des secours mutuels qui se trouvent dans les congrégations.

FRERES TAILLEURS, ce sont des compagnons & garçons tailleurs unis en société, & qui travaillent pour le public, afin de faire subsister leur communauté.

FRERES DE LA CHARITE, (hist. ecclés.) c'est le nom d'un ordre de religieux institué dans le xvj. siecle, & qui se consacre uniquement au service des pauvres malades. Ces religieux, & en général tous les ordres qui ont un objet semblable, sont sans contredit les plus respectables de tous, les plus dignes d'être protégés par le gouvernement & considérés par les citoyens, puisqu'ils sont précieux à la société par leurs services en même tems qu'ils le sont à la religion par leurs exemples. Seroit-ce aller trop loin que de prétendre que cette occupation est la seule qui convienne à des religieux ? En effet, à quel autre travail pourroit-on les appliquer ? A remplir les fonctions du ministere évangelique ? mais les prêtres séculiers, destinés par état à ce ministere, ne sont déjà que trop nombreux, & par bien des raisons, doivent être plus propres à cette fonction que des moines : ils sont plus à portée de connoître les vices & les besoins des hommes ; ils ont moins de maîtres, moins de préjugés de corps, moins d'intérêt de communauté & d'esprit de parti. Appliquera-t-on les religieux à l'instruction de la jeunesse ? mais ces mêmes préjugés de corps, ces mêmes intérêts de communauté ou parti, ne doivent-ils pas faire craindre que l'éducation qu'ils donner ont ne soit ou dangereuse, ou tout au-moins puérile ; qu'elle ne serve même quelquefois à ces religieux de moyen de gouverner, ou d'instrument d'ambition, auquel cas ils seroient plus nuisibles que nécessaires ? Les moines s'occuperont-ils à écrire ? mais dans quel genre ? l'histoire ? l'ame de l'histoire est la vérité ; & des hommes si chargés d'entraves, doivent être presque toûjours mal à leur aise pour la dire, souvent réduits à la taire, & quelquefois forcés de la déguiser. L'éloquence & la poësie latine ? le latin est une langue morte, qu'aucun moderne n'est en état d'écrire, & nous avons assez en ce genre de Ciceron, de Virgile, d'Horace, de Tacite, & des autres. Les matieres de goût ? ces matieres pour être traitées avec succès, demandent le commerce du monde, commerce interdit aux religieux. La Philosophie ? elle veut de la liberté, & les religieux n'en ont point. Les hautes sciences, comme la Géométrie, la Physique, &c. ? elles exigent un esprit tout entier, & par conséquent ne peuvent être cultivées que foiblement par des personnes voüées à la priere. Aussi les hommes du premier ordre en ce genre, les Boyle, les Descartes, les Viete, les Newton, &c. ne sont point sortis des cloîtres. Reste les matieres d'érudition : ce sont celles auxquelles la vie sédentaire des religieux les rend plus propres, qui demandent d'ailleurs le moins d'application, & souffrent les distractions plus aisément. Ce sont aussi celles où les religieux peuvent le mieux réussir, & où ils ont en effet réussi le mieux. Cette occupation, quoi que fort inférieure pour des religieux au soulagement des malades & au travail des mains, est au moins plus utile que la vie de ces reclus obscurs absolument perdus pour la société. Il est vrai que ces derniers religieux paroissent suivre le grand précepte de l'évangile, qui nous ordonne d'abandonner pour Dieu, notre pere, notre mere, notre famille, nos amis & nos biens. Mais s'il falloit prendre ces mots à la lettre, soit comme précepte, soit même comme conseil, chaque homme seroit obligé, ou au-moins feroit bien de s'y conformer ; & que deviendroit alors le genre humain ? Le sens de ce passage est seulement qu'on doit aimer & honorer l'être suprème par dessus toutes choses, & la maniere la plus réelle de l'honorer, c'est de nous rendre le plus utiles qu'il est possible à la société dans laquelle il nous a placés. (O)

FRERE ; ce nom étoit donné à des empereurs collegues. C'est ainsi que Marc Aurele & Lucius Aurelius Verus sont appellés freres, divi fratres, par Théophilus, & qu'ils sont représentés dans leurs médailles, se donnant la main pour marque de leur union fraternelle dans l'administration de l'empire. C'est ainsi que Dioclétien, Maximien, & Hercule qui ont regné ensemble, sont nommés freres par Lactance. Cette coûtume se pratiquoit de tous tems entre des rois de divers royaumes, comme on peut le confirmer par les auteurs sacrés & prophanes ; elle avoit lieu en particulier entre les empereurs romains & les rois de Perse, témoin les lettres de Constance à Sapor dans Eusebe, & du même Sapor à Constance, fils de Constantin, dans Ammien Marcellin. (D.J.)

FRERE D'ARMES, voyez FRATERNITE D'ARMES.

FRERES BLANCS, secte qui parut dans la Prusse au commencement du xjv. siecle. C'étoit une société d'hommes qui prirent ce nom, parce qu'ils portoient des manteaux blancs où il y avoit une croix verte de S. André. Ils se vantoient d'avoir des révélations particulieres pour aller délivrer la terre-sainte de la domination des infideles. On vit quantité de ces freres en Allemagne ; mais leur fanatisme ou leurs impostures ayant été dévoilés, leur secte s'éteignit d'elle-même. Harsfnoch, dissert. 14. de orig. relig. christ. in Pruss. (G)

FRERES BOHEMIENS, ou FRERES DE BOHEME, nom qu'ont pris dans le XV. siecle certains hussites, la plûpart gens de metier, qui en 1467 se séparerent publiquement des calixtins.

Ils mirent d'abord à leur tête un nommé Kelinski, maître cordonnier, qui leur donna un corps de doctrine, qu'on appella les formes de Kelenski. Ensuite ils se choisirent un pasteur nommé Matthias Convalde, simple laïc & ignorant ; ils rejettoient la messe, la transubstantiation, la priere pour les morts, & rebaptisoient tous ceux qui venoient à eux des autres églises. Ils reconnoissoient cependant sept sacremens, comme il paroît par leur confession de foi présentée en 1504 au roi Ladislas. Mais dans la suite Luther qui vouloit les attirer à son parti, leur persuada de réduire les sacremens à deux, le baptême & la cêne. A consulter leurs autres écrits, il paroît qu'ils admettoient la présence réelle de Jesus-Christ dans l'eucharistie, quoiqu'ils ne voulussent pas qu'on l'y adorât. Ils avoient aussi conservé beaucoup de pratiques de l'église romaine, comme les fêtes, les jeûnes, le célibat des prêtres, &c. ce qui n'empêcha pas les Luthériens & les Zwingliens de Pologne de les admettre à leur communion, lorsque les freres Bohémiens eurent été chassés d'Allemagne par Charles V. contre lequel ils avoient favorisé les intérêts de l'électeur de Saxe. Bossuet, hist. des variat. (G)

FRERES POLONOIS, nom qu'on a donné aux Sociniens ou Unitaires, Anti-trinitaires, nouveaux Ariens, & qu'ils ont pris eux-mêmes, parce qu'ils étoient en fort grand nombre en Pologne, avant qu'ils en eussent été chassés par un arrêt public rendu dans une diete générale en 1660. Nous avons un recueil des ouvrages de leurs principaux auteurs imprimé sous le titre de bibliotheque des freres Polonois. Quant à leurs opinions & à leurs erreurs, voyez SOCINIENS & SOCINIANISME. (G)

FRERE SERVANT, (Hist. mod.) c'est le nom que l'on donne dans l'ordre de Malte, à ceux qui sont dans la derniere des trois classes dont cet ordre est composé.

On prétend que Raymond du Puy, second maître de cet ordre, ayant fait dessein d'ajoûter aux statuts de l'ordre, l'obligation de prendre les armes pour la défense des lieux saints, & ayant amené ses confreres dans ses vûes, fit dès-lors trois classes de tout le corps des hospitaliers. On mit dans la premiere ceux qui par leur naissance & le rang qu'ils avoient tenu autrefois dans les armées, étoient destinés à porter les armes. On fit une seconde classe des prêtres & des chapelains, qui outre les fonctions ordinaires attachées à leur caractere, soit dans l'Eglise, ou auprès des malades, seroient encore obligés chacun à leur tour, de servir d'aumôniers à la guerre ; & à l'égard de ceux qui n'étoient ni de maisons nobles, ni ecclésiastiques, on les appella freres servans. Ils eurent en cette qualité, des emplois où ils étoient occupés par les chevaliers, soit auprès des malades, soit dans les armées, & ils furent distingués dans la suite par une cotte d'armes de différente couleur de celle des chevaliers. Vertot, histoire de Malte, liv. I. (D.J.)


FRÉSAIEvoyez EFFRAIE.


FRESANGEou FRESSENGE, s. f. (Jurispr.) est un droit de porc, dû en certains lieux aux officiers des eaux & forêts par le fermier des glandées & paisson.

Ce mot vient de friscinga, qui signifie porc.

Il en est parlé dans un cartulaire de Saint-Denis, de l'an 1144, dans des lettres de Louis le Jeune de l'an 1147. Il donne aux lépreux de S. Lazare decem friscingas, de trois sous chacune, qui devoient être fournies par le fermier des boucheries de Paris. Il en est aussi parlé dans l'histoire de Gand, liv. V. pag. 263.

Ce droit se changeoit souvent en argent ou autre espece. M. de Lauriere en rapporte plusieurs exemples en son glossaire, au mot fresange.

Cet auteur pense que ce droit peut être la même chose que celui qui est appellé ailleurs porcellagium ou porcelatio ; mais que friscinga est quelque chose de moindre que porcus. Il y a apparence que pour chaque porc, on ne devoit pour fresange qu'un morceau d'un certain poids, ou l'équivalent. M. de Lauriere rapporte une charte de l'an 1553, suivant laquelle celui qui avoit trois porcs ou truies ne devoit que deux sous tournois pour le droit de fresange ; & celui qui avoit voulu frauder le droit, devoit au seigneur soixante sous d'amende. (A)


FRESQUES. f. (Peinture) On appelle peindre à fresque, l'opération par laquelle on employe des couleurs détrempées avec de l'eau, sur un enduit assez frais pour en être pénétré. En italien on exprime cette façon de peindre par ces mots, dipingere à fresco, peindre à frais. C'est de-là que s'est formée une dénomination, qui dans l'orthographe françoise semble avoir moins de rapport avec l'opération, qu'avec le mot italien dont elle est empruntée.

La théorie de l'art de la Peinture étend ses droits sur toutes les façons de peindre existantes & possibles ; parce que les regles théoriques sont fondées sur l'examen de la nature, qui est le but général de toute imitation indépendante des moyens dont elle se sert. Il ne s'agit donc ici que d'exposer d'une façon claire les opérations nécessaires pour peindre à fresque.

Ce qui doit précéder ces opérations est un examen raisonné de l'endroit où l'on veut employer la fresque : il faut que l'artiste s'assûre de la parfaite construction des murailles ou des voûtes, auxquelles il est prêt de confier son ouvrage ; puisqu'il n'y a d'espérance de conserver les beautés dont, au moyen de la fresque, l'art peut embellir l'intérieur des palais ou des temples, qu'autant de tems que la construction des murs n'éprouvera aucun desordre.

La solidité de la construction reconnue, c'est d'un premier enduit, dont le mur doit être revêtu, que l'artiste doit s'occuper ; les matériaux qu'on employe étant différens suivant les pays où l'on construit, il faut faire ensorte que ceux de ces matériaux qui seroient par eux-mêmes moins propres à retenir l'enduit, le deviennent par les précautions qu'on peut prendre. La brique n'a besoin d'aucun secours pour se joindre aussi solidement qu'on le peut desirer au premier enduit : c'est aussi de tous les matériaux que l'on peut employer, celui qui convient mieux pour soûtenir la fresque. Si les murs sont construits avec des pierres raboteuses & pleines de trous, on peut encore se fier à ces inégalités du soin de retenir & de conserver le mélange qu'on y appliquera ; mais si la bâtisse est faite avec des pierres de taille, dont la surface est ordinairement assez lisse, il sera nécessaire de rendre cette surface inégale, d'y former pour cela de petites excavations, d'y faire entrer des clous ou des chevilles de bois qui puissent arrêter l'enduit & le joindre étroitement à la pierre. Ces précautions sont d'une extrème conséquence pour éviter les fentes ou les ardes que la moindre altération qui arriveroit aux matériaux, ou même l'effet alternatif que produit la sécheresse & l'humidité, pourroit occasionner.

Le premier enduit peut être fait avec de bonne chaux & du ciment de tuiles pilées : on employe plus ordinairement du gros sable de riviere, qu'on mêle à d'excellente chaux. Je ne doute pas que si la fresque étoit plus en usage, on ne pût trouver à composer un enduit peut-être plus compact encore, & plus indépendant des variations de l'air, tel qu'étoit, par exemple, celui dont on trouve revêtus les aqueducs & anciens réservoirs construits par les Romains aux environs de Naples : quel soin n'apportoit-on pas à ces recherches de construction ; & que nous sommes loin de l'industrie de ces peuples sur cet article ; nous qu'un usage assez peu refléchi conduit presque toûjours dans le choix & dans l'emploi des matériaux, que la nature semble nous avoir prodigués ; nous dont presque tous les bâtimens modernes portent un caractere national d'impatience & de précipitation !

Quoiqu'il soit nécessaire de dresser avec soin le premier enduit, pour que la surface qu'il compose conserve son à-plomb, il est à-propos cependant de le laisser assez raboteux, pour que les morceaux de sable & les inégalités qui s'y trouveront, retiennent à leur tour la seconde préparation dont je vais parler. J'observerai qu'avant de l'employer, le premier enduit doit être parfaitement sec, & que l'artiste a intérêt d'éviter sur-tout de peindre lorsque la chaux de ce premier enduit n'a pas jetté toute son humidité, s'il veut échapper au danger que manifeste son odeur désagréable & pernicieuse.

La premiere couche dont j'ai parlé étant parfaitement séchée, il faut l'imbiber d'eau à proportion de son aridité, pour donner plus de facilité au premier enduit de s'incorporer avec la nouvelle couche dont il faut le couvrir ; c'est cette derniere couche qui servira de champ ou de fond à la peinture à fresque. Cette nouvelle & derniere préparation aussi importante, mais plus délicate que l'autre, se fait en mêlant du sable de riviere d'un grain fort égal, qui ne soit ni trop gros ni trop menu, avec de la chaux éteinte, depuis une année si elle est forte, ou tout-au-moins depuis six mois si elle est plus douce. C'est à un maçon intelligent & actif qu'il faut donner le soin d'étendre, & d'approprier ce crépit ; il faut que ce manoeuvre soit intelligent pour préparer avec une juste proportion, ce que le peintre peut employer de cette surface dans sa journée, & il doit être actif pour l'étendre, la nettoyer, la polir, avec la promptitude nécessaire pour que son opération laisse au peintre tout le tems dont il a besoin. On sent bien cependant que cette intelligence & cette activité doivent être dirigées par l'artiste même, & reglées sur sa plus ou moins grande facilité, sur la nature de l'ouvrage & sur la longueur du jour.

J'ai dit que le manoeuvre doit étendre l'enduit. Cette opération se fait avec la truelle ; il doit le nettoyer, c'est-à-dire ôter, avec un petit bâton ou l'ente d'un pinceau, les grains de sable les plus gros, qui rendroient la surface trop raboteuse. Ce second soin est nécessaire dans les endroits qui sont plus exposés à la vûe. Enfin il faut polir cet enduit que l'on a nettoyé, & pour cela on applique une feuille de papier sur les endroits qui l'exigent, & l'on passe la truelle sur ce papier, pour applanir ainsi les petites inégalités qui nuiroient à la justesse du trait en produisant de loin de fausses apparences. Lorsque cette seconde couche de sable & de chaux a été appliquée, dressée, nettoyée & polie dans l'endroit par lequel l'artiste a résolu de commencer son ouvrage, il y dessine, & il y peint avec les couleurs propres au travail, & il employe dans la journée ce qu'il a fait enduire, de maniere à n'être pas obligé d'y retoucher. C'est cette obligation de peindre au premier coup, qui fait le caractere distinctif de la fresque. Cette nécessité en ôtant des ressources au peintre, le contraint à des précautions dont je vais parler.

Au reste si la difficulté qu'elle offre à surmonter, rend plus fréquentes les négligences inévitables dans les grands ouvrages, elle donne en récompense une franchise, une activité, & une fraîcheur au pinceau des artistes, qui dédommage des parties incompatibles avec ce genre de travail.

Les précautions dont j'ai promis de parler, sont 1°. l'esquisse terminée de la composition qu'on veut peindre ; 2°. des cartons de la grandeur de l'ouvrage même. Je vais reprendre ces deux articles, après quoi je dirai les couleurs dont on doit se servir pour peindre à fresque, en prévenant que sur cette partie physique des couleurs, il y auroit des examens & des recherches très-intéressantes à faire, qui demanderoient l'union difficile des lumieres chimiques & de la connoissance approfondie de la Peinture.

Ce n'est pas la premiere fois que j'ai parlé de l'avantage que les artistes doivent attendre d'une espece de sujétion, qui consiste à arrêter & terminer l'esquisse de la composition qu'ils veulent exécuter, de maniere à n'avoir aucun changement essentiel à y faire. Je ne me lasserai point de le répéter, c'est le moyen de parvenir à cette unité de composition & à cet ensemble refléchi & conséquent, qui approche autant qu'il est possible de la perfection : cette précaution avantageuse dans toutes les façons de peindre est indispensable, lorsque l'on peint à fresque. On ne peut dans cette derniere façon de peindre, commencer par ébaucher tout son ouvrage (façon d'opérer qui est d'une grande ressource pour ceux qui aiment à tâtonner & à composer sans esquisse) ; on ne peut, comme je l'ai dit plus haut, commencer une partie du tableau, sans être obligé de la terminer dans sa journée. Il faut dans ce court espace qu'on ait non-seulement achevé sa tâche, mais que cette portion de la composition soit tellement exécutée pour l'accord, que la composition entiere achevée, on puisse croire qu'elle a été exécutée suivant l'usage ordinaire, c'est-à-dire peu-à-peu en commençant par une ébauche générale, & en passant d'une harmonie plus foible à une harmonie vigoureuse & pleine, telle que la nature nous l'offre. C'est ainsi, pour donner de cette progression une image sensible à ceux qui ne sont point artistes, c'est ainsi que le crépuscule du matin, cette premiere ébauche de l'ouvrage de la lumiere, commence à colorer foiblement les objets, & à donner une idée foible de l'effet des jours & des ombres. Cet effet devient plus sensible de moment en moment ; les couleurs en conservant entr'elles les mêmes proportions, deviennent plus éclatantes ; enfin lorsque le jour est entierement développé, le tableau de la nature est terminé.

L'opération de la fresque qui ne permet pas de progression, exige donc comme un secours nécessaire celui que fournit une esquisse arrêtée, à-moins que l'imagination de l'artiste ne soit tellement vive & fidele, qu'il y trouve à sa volonté la nuance du tout de chaque partie de son tableau. Mais ce don de la nature est rare, & l'esquisse qui en est l'équivalent y supplée d'une maniere certaine & facile. J'ai indiqué une seconde précaution, qui consiste à employer ce qu'on appelle, en termes de Peinture, des cartons. Je m'arrêterai un instant sur l'explication de ce mot.

L'étude, ou le dessein, ou le trait d'une ou de plusieurs figures qui doivent être employées dans un ouvrage de Peinture, est ce qu'on appelle carton, lorsque ce trait de la grandeur juste des figures qu'on doit peindre est tellement étudié, qu'on le destine à être calqué sur la surface sur laquelle on doit exécuter l'ouvrage. Ce qui convient le mieux pour dessiner ces études ou ces traits, est le carton composé de plusieurs feuilles de papier collées les unes sur les autres, de maniere qu'il ne soit ni trop mince ni trop épais ; le simple papier trop sujet aux impressions de l'air, a l'inconvénient de se retirer ou de s'allonger ; ce qui peut produire, lorsqu'on veut calquer de grandes figures, des erreurs qui éloigneroient de l'extrème correction que l'on cherche à atteindre par ce moyen. Je vais reprendre l'ordre des opérations différentes du peintre, pour placer celle-ci à son rang.

L'artiste compose plusieurs croquis ou pensées de son sujet ; il choisit celle qui lui convient le mieux, il fait alors une esquisse dans laquelle il arrête sa composition, sans se contraindre cependant à donner à chacune de ses figures toute la correction de dessein dont il est capable, pour ne point trop perdre de tems. Après avoir terminé cette esquisse, il forme un carton de la grandeur de l'ouvrage même, pour pouvoir l'appliquer, lorsqu'il y aura dessiné ses figures, sur la surface qu'il doit peindre ; il établit par une échelle de proportion, ou par des quarrés, la grandeur que doivent avoir ses figures dans sa grande composition ; il les dispose alors sur son carton, comme elles doivent l'être dans le tableau ; ensuite plaçant & examinant le modele, il perfectionne son trait d'après la nature nue, il dessine chacune de ses figures, il corrige, il efface jusqu'à-ce qu'il soit satisfait ; alors coupant ce carton par partie, il ponce, il calque, ou enfin par quelque moyen que ce soit, il porte exactement ces contours du carton sur l'enduit de chaux dont j'ai donné la préparation : alors il n'est plus occupé que de peindre, en assortissant les nuances de sa palette à l'esquisse colorée, qui lui sert de modele & de guide. On trouvera aux mots PONCER, CALQUER, GRATICULER, du mot italien graticolare, les moyens de transporter aisément & fidelement le trait des figures dessinées sur les cartons, sur la surface où l'on doit peindre.

Je vais passer à l'énumération des couleurs, & rapporter ce que l'usage & les bons auteurs nous en apprennent. Je finirai par quelques petits détails de l'exécution, qui ne sont pas sans utilité.

Les couleurs indiquées par plusieurs bons auteurs comme les plus convenables pour peindre à fresque, sont :

Le blanc de chaux. Ce blanc, le meilleur qu'on puisse employer, se mêle aisément avec toutes les autres couleurs. L'usage en est bon & facile, pourvû qu'il soit composé d'excellente chaux éteinte depuis un an ou six mois tout au moins ; on la délaye avec de l'eau commune ; ensuite on la verse doucement dans un vase ; on y laisse déposer ce blanc, qu'on employe après avoir ôté l'eau qui le couvre.

Quelques auteurs font mention de la poudre faite avec du marbre blanc pilé. On mêle un tiers de cette poudre avec deux tiers de chaux ; mais il est à craindre, si la proportion qui doit varier à cause des différentes qualités de la chaux n'est pas juste, qu'il n'en résulte des inconvéniens : par exemple, si la poudre de marbre est trop abondante, elle fera noircir le blanc plûtôt qu'il ne noirciroit sans cela. Il me semble qu'il résulte de-là, que le blanc composé seulement d'une chaux bien choisie, bien éteinte & gardée long-tems, est le meilleur de tous. Cependant voici une seconde composition de blanc qu'il ne faut pas passer sous silence, en recommandant aux artistes qui auront occasion de peindre à fresque, de faire des essais & de constater les effets qui en résulteront par des notes, qu'ils rendront aisément publiques par la voie des journaux. Ce seroit ainsi que par une convention générale qui n'est pas encore assez établie, mais qu'on ne peut trop recommander, les Arts verroient perfectionner ou s'accroître les moyens qui sont nécessaires à leurs succès.

Le blanc dont je veux parler s'appelle blanc de coquille d'oeufs. On rassemble une grande quantité de ces coquilles, on les pile, on les nettoye en les faisant bouillir dans de l'eau avec un morceau de chaux vive ; on les met dans la chausse, & on les lave avec de l'eau de fontaine ; on recommence ensuite à les piler pour en composer une poudre encore plus fine, qu'on fait tremper de nouveau jusqu'à-ce que l'eau avec laquelle on lave cette poudre soit si claire, qu'elle n'ait aucune empreinte de malpropreté : lorsqu'elle est à ce point, on se sert de la pierre & de la mollette pour broyer cette poudre avec de l'eau commune autant qu'il est nécessaire, & l'on en forme de petits pains, qu'on laisse sécher au soleil. Il faut remarquer que si ces coques restoient trop long-tems dans la même eau, elles exhaleroient une odeur extrèmement fétide & insupportable, que l'on ne pourroit dissiper qu'en les faisant cuire dans un fourneau, après les avoir enfermé dans un vase de terre bien luté.

Le cinnabre. Cette couleur qui a un éclat supérieur à presque toutes les autres couleurs, a des qualités absolument contraires à la chaux ; on pourroit cependant la risquer dans des endroits renfermés, en usant des moyens que je vais indiquer, pour la préparer de maniere qu'elle se soûtienne plus long-tems. Prenez du cinnabre pur, c'est-à-dire qui ne soit point falsifié ; réduisez-le en poudre ; après l'avoir mis dans un vase de terre, versez-y de cette eau qui bouillonne lorsqu'on éteint de la chaux vive ; ayez soin que cette eau soit la plus claire qu'il sera possible ; jettez-la ensuite en la versant doucement ; réitérez plusieurs fois cette opération : le cinnabre ainsi lavé retiendra de l'eau de chaux une impression qu'il gardera long-tems. Il faut, comme je l'ai dit, observer de bien choisir le cinnabre, & de l'acheter plûtôt en morceaux qu'en poudre ; parce que les marchands qui le pulvérisent, le falsifient souvent avec le minium.

Le vitriol brûlé. Le vitriol romain cuit au fourneau, ce qu'on appelle brûlé, & broyé ensuite à l'esprit-de vin, réussit très-bien, employé sur la chaux ; il résulte de cette préparation un rouge qui approche de celui que donne la laque : cette couleur est sur-tout très-propre à préparer les endroits que l'on veut colorer de cinnabre ; & les draperies peintes de ces deux couleurs, pourront le disputer à celles qui seront peintes à l'huile avec la laque fine.

La terre rouge. Cette couleur, ainsi que toutes celles qui sont formées avec des terres, est très-bonne pour colorier à fresque. On s'en sert pour les carnations, pour les draperies, & c'est en général une excellente couleur.

L'ochre. L'ochre jaune mis au feu & brûlé dans une boîte de fer, produit un rouge pâle. L'ochre brun, avec la même préparation, devient jaune. Tous les ochres sont d'excellentes couleurs.

Le jaune, que nous appellons jaune de Naples, ou jaune clair, provient d'une espece de crasse qui se forme & qui s'amasse auprès des mines de soufre. Il n'est point, à beaucoup près, aussi solide que les ochres, dont on peut rendre les nuances aussi claires que l'on voudra, en les mêlant avec le blanc de chaux. Je ne crois donc pas prudent de risquer le jaune de Naples, sur-tout au grand air.

Le verd de Vérone ; c'est une terre verte qu'on nomme aussi verd de montagne : cette couleur est d'un très-bon usage ; elle est d'autant plus précieuse, que presque tous les verds qui sont plus composés, sont des couleurs auxquelles on ne doit avoir aucune confiance.

La terre d'ombre. Cette couleur brune & obscure devient plus belle, lorsqu'on a fait calciner dans une boîte de fer : elle est bonne & solide ; on doit cependant observer qu'elle devient plus foncée avec le tems, & qu'on fera bien de mêler en l'employant quelques nuances de blanc de chaux, pour empêcher cet inconvénient.

Le noir de Venise est propre pour la fresque, ainsi que la terre noire de Rome.

Le noir de charbon peut s'employer aussi ; on le compose avec du sarment ou des noyaux de pêches, ou avec des coquilles de noix, de la lie de vin, ou même du papier : tous ces noirs sont bons ; mais il ne faut pas se servir de celui que l'on nomme noir d'os.

L'émail est une couleur bleue, qu'il faut employer avec précaution, mais dont on peut se servir dans la fresque, pourvû qu'on la couche dès les premiers momens & tandis que la chaux est bien humide ; autrement elle ne s'incorpore point avec l'enduit : si l'on retouche avec cette même couleur, il faut le faire au plus une heure après avoir ébauché, afin qu'elle ait de l'éclat.

L'outremer est la plus fidele de toutes les couleurs ; de quelque maniere qu'on l'employe, elle ne change point, elle empêche même les couleurs avec lesquelles on la mêle, de changer ; s'il y a quelques petites exceptions à faire, elles se trouveront lorsque je parlerai de la peinture à l'huile, parce qu'elles y ont plus de rapport. J'avertis à cette occasion qu'il sera bon que ceux qui consulteront cet article, jettent aussi les yeux sur les articles où je parlerai des couleurs qui s'employent dans les autres façons de peindre, parce que les observations nouvelles que je pourrois faire, celles dont je pourrois être instruit, & celles que j'aurois omises, s'y trouveront.

Voici actuellement deux tables, l'une des couleurs dont il ne faut point se servir en peignant à fresque, l'autre des couleurs propres à ce travail.

Pour employer toutes ces couleurs, on les broye avec de l'eau commune, & l'on commence à former les teintes principales que l'on veut employer ; on les met par ordre dans des pots ou dans des terrines, & l'on se précautionne de plusieurs grandes palettes de bois ou de cuivre, dont les bords sont relevés, pour y former les nuances intermédiaires, & pour avoir plus aisément sous sa main les nuances dont on a besoin. Une précaution essentielle est d'éprouver les mélanges & les teintes que l'on forme ; parce que les couleurs détrempées à l'eau, s'éclaircissent de plusieurs nuances en séchant, hors le rouge violet, l'ochre brûlé, & les noirs. Pour s'assûrer de son accord, on applique avec la brosse un échantillon de chaque teinte sur des tuiles neuves, ou de la brique bien seche ; l'eau s'y imbibe dans l'instant, & la couleur paroît avec la nuance qu'elle gardera lorsque la fresque sera seche.

On aura sous sa main un vase d'eau claire pour humecter ces couleurs, ou bien une éponge, & l'on prendra garde de ne commencer à peindre que lorsque l'enduit de chaux aura assez de consistance pour résister à l'impression des doigts ; il arriveroit sans cela que les couleurs s'étendroient sur le fond trop humide, & qu'on ne pourroit donner aucune netteté à l'ouvrage.

Je ne veux pas ajoûter ici les moyens qu'ont imaginés quelques peintres pour retoucher à sec, & pour suppléer ainsi au défaut des ouvrages à fresque ; parce qu'ils ne peuvent servir qu'à voiler l'ignorance, à couvrir la mauvaise foi, & à tromper ceux qui feroient exécuter de ces sortes d'ouvrages : ces moyens n'ont aucune solidité, ne peuvent faire illusion que quelques instans, & ne méritent pas d'être expliqués ici, puisqu'ils ne tendent point à la perfection de l'art. Article de M. WATELET.


FRETou FRETTAGE, s. m. (Commerce) terme de commerce de mer ; il signifie le loüage d'un navire en tout ou en partie, pour voiturer & transporter des marchandises d'un port ou d'un pays à un autre. Ce qu'on appelle fret sur l'Océan, se nomme nolis sur la Méditerranée. Voyez NOLIS. Dictionn. de Comm. & de Trév. (G)

FRET signifie encore un certain droit de cinquante sols par tonneau de mer, qui se paye aux bureaux des fermes du roi par les capitaines & maîtres des vaisseaux étrangers à l'entrée où à la sortie des ports & havres du royaume.

Les vaisseaux hollandois furent déchargés de ce droit par le traité d'Utrecht en 1713 : il devoit aussi cesser en faveur des vaisseaux anglois, à condition que le droit de 5 sols sterling seroit supprimé en Angleterre en faveur des François ; mais cette condition n'ayant pas été remplie, les choses sont restées sur l'ancien pié. Les vaisseaux des villes hanséatiques joüissent en France du même privilége que les Hollandois, par le traité conclu en 1716 entre la France & les villes de Hambourg, Lubeck, & Bremen. Dictionn. de Comm. & de Trév. (G)

FRET se dit aussi de l'équipement d'un navire. (G)


FRETÉadj. en termes de Blason, se dit de l'écu & des pieces principales, quand elles sont couvertes de bâtons croisés en sautoirs, qui laissent des espaces vuides & égaux en forme de losanges.

Humiere en Picardie, d'argent, fretté de sable.


FRETILLARDESERPENTINE, (Man.) épithetes synonymes employées pour désigner, dans certains chevaux, le mouvement continuel de leur langue. Les langues fretillardes ou serpentines sont celles qui remuent sans-cesse, & qui s'arrêtent fort peu dedans & dehors la bouche : les embouchures qui n'ont pas beaucoup de liberté retiennent ces langues actives & mouvantes. Voyez MORS. (e)


FRETTES. f. (Architecture) est un cercle de fer, dont on arme la couronne d'un pieu ou d'un pilotis, pour l'empêcher de s'éclater. On dit fretter, pour mettre une frette. Voyez FRETTER. (P)


FRETTERv. act. (Hydrauliq.) On dit fretter des tuyaux de bois, quand on garnit de cercles de fer leurs extrémités, pour les emboîter & les chasser à force, sans craindre de les fendre ; ces cercles de fer s'appellent frettes. On est obligé de fretter les balanciers, les moutons, les pieux, & autres pieces de bois des machines hydrauliques. (K)


FREUDENBERG(Géog.) petite ville en Franconie, située sur le Mein ; elle appartient à l'évêque de Vurtzbourg. Long. 23. 16. 30. lat. 49. 38. (D.J.)


FREUDENSTADT(Géog.) petite & forte ville d'Allemagne dans la Forêt-Noire, bâtie en 1600 par le duc Frédéric de Wirtemberg, pour défendre l'entrée & la sortie de cette forêt. Elle est sur le chemin de Tubingen à Strasbourg, à 10 lieues S. E. de Strasbourg, & à 6 S. O. de Tubingen. Long. 26. 2. lat. 48. 25. (D.J.)


FREUXS. m. cornix frugilega, (Hist. nat. Ornitholog.) oiseau qui ressemble presque entierement à la corneille : on les confond souvent, & on les appelle tous les deux du même nom de corneille. Celui qui a servi de sujet pour la description suivante pesoit une livre trois onces ; il avoit un pié & demi de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & seulement un pié quatre pouces jusqu'au bout des ongles ; l'envergure étoit de trois piés. Cet oiseau n'a point de jabot ; mais la partie supérieure de l'oesophage est dilatée en forme de petit sac, dans lequel il porte la nourriture de ses petits : il enfonce son bec dans la terre pour chercher des vers, si profondément, qu'il détruit presque entierement les plumes qui entourent la racine du bec, & celles qui sont depuis la racine jusqu'aux yeux. La peau qui recouvre la base du bec est blanchâtre & farineuse. On distingue les freux des corneilles ordinaires, non-seulement par cette marque, mais encore parce qu'ils sont plus gros, parce que leurs plumes sont luisantes & qu'ils volent & nichent par troupes. Il y a dans chaque aîle vingt grandes plumes ; la quatrieme est la plus longue : le tuyau des petites plumes du milieu de l'aîle qui recouvrent les grandes, est terminé par des soies ou des barbes. La queue a sept pouces de longueur ; elle est composée de douze plumes, dont les extérieures sont plus courtes que celles du milieu. Le bec a deux pouces & demi de longueur ; l'ouverture des narines est ronde, & la langue noire, cartilagineuse, & fourchue. L'ongle du doigt de derriere est long & fort : le doigt extérieur tient au doigt du milieu, comme dans la corneille. Le freux se nourrit de fruits ; c'est pourquoi on l'appelle frugilega & freux : quelquefois aussi il mange des vers de terre. Willug. Ornith. Voyez OISEAU. (I)


FREYAou FRIGGA, (Hist. anc. ou Mythol.) c'étoit une des principales divinités des anciens Saxons, l'épouse de Wodan, & la conservatrice de la liberté publique. Elle étoit représentée sous la forme d'une femme nue, couronnée de myrte, une flamme allumée sur le sein, un globe dans la main droite, trois pommes d'or dans sa gauche, & les graces à la suite, sur un char attelé de cygnes : c'est ainsi qu'on l'a trouvée à Magdebourg, où Drusus Néron introduisit son culte. On prétend que c'est de Freya que vient le Freytag des Allemands, le dies Veneris des Latins, notre vendredi : d'où l'on a conclu que la Freya des Germains étoit aussi la Vénus des Latins. Mais comment arrive-t-il que des peuples tels que les Germains, les Latins, les Syriens, les Grecs, ayent, antérieurement à toute liaison connue par l'histoire, adoré des dieux communs ? Ces vestiges de ressemblance dans les moeurs, les idiomes, les opinions, les préjugés, les superstitions des peuples, doivent déterminer les Savans à étudier l'histoire des siecles anciens, d'après ces monumens, les seuls que le tems ne peut entierement abolir.


FREYSACHVirinum, (Géog.) selon quelques-uns, ancienne ville de la Carinthie, aux confins de la Styrie, dans l'archevêché de Saltzbourg ; elle a un terroir fertile, & est à 6 lieues de Saltzbourg V. Zeyler, Carinth. Topogr. Long. 36. lat. 38. 40. (D.J.)


FRIABLEadj. (Physiq.) se dit des corps tendres & fragiles, qui se divisent ou qui se réduisent aisément en poudre entre les doigts ; ce qui vient de la cohésion des parties, qui est si petite, qu'elle ne s'oppose que très-foiblement à leur desunion : telle est la pierre-ponce, le plâtre, & généralement toutes les pierres calcinées, l'alun brûlé, &c. Voyez COHESION. Chambers.


FRIAS(Géog.) petite ville de la Castille vieille en Espagne, avec titre de duché, sur l'Ebre. Long. 14. 5. latit. 42. 48. (D.J.)


FRIBOURG(Géog.) il faudroit écrire Freybourg, comme font les Allemands ; c'est la capitale du Brisgaw en Soüabe, fondée en 1120 ; son université a été érigée l'an 1450 ; elle a souffert bien des siéges, & a été prise plusieurs fois par les François, en 1667, en 1713, & en 1744.

Elle est située au pié d'une montagne, sur le Trisein, à 4 lieues S. E. de Brisach, 9 N. E. de Bâle, 12 S. E. de Strasbourg. Longit. 25. 32. latit. 48. 4.

Cette ville est la patrie du moine Schwartz, qui passe en Allemagne pour l'inventeur de la poudre à canon, & de Freigius (Jean Thomas), qui s'acquit beaucoup de réputation dans le seizieme siecle, par ses travaux littéraires ; il mourut à Bâle de la peste, l'an 1583, la même année que furent publiées ses oraisons de Cicéron, perpetuis notis logicis, ethicis, politicis, historicis, antiquitatis illustratae, en trois volumes in-8°. (D.J.)

FRIBOURG, Friburgum, (Géog.) ville de Suisse forte par sa situation, capitale du canton de même nom, fondée par Berchtold IV. duc de Zeringhen en 1176 ; elle fut reçue au nombre des cantons en 1481. On sait que son canton est un des treize qui composent la confédération des Suisses, & dont le gouvernement est proprement aristocratique. Voyez l'histoire des Suisses ; Longuerue ; & Heiss. hist. de l'Empire, liv. VI. La ville de Fribourg est sur le penchant d'une montagne raboteuse, arrosée de la Sane, à 7 lieues S. O. de Berne, 12 N. E. de Lausanne, 14 S. O. de Soleure, 30 S. O. de Zurich. Longit. 25. latit. 46. 50. (D.J.)


FRICANDEAUXS. m. pl. (Cuisine) les Cuisiniers appellent de ce nom du veau coupé par morceaux, sans os, lardé & assaisonné de différentes manieres. Il y a aussi des fricandeaux de boeuf, qui sont des morceaux de tranche lardés & assaisonnés.


FRICASSÉES. f. (Cuisine) viande ou mets cuit promtement dans une poële ou un chauderon, & assaisonné avec du beurre, de l'huile, ou de la graisse.


FRICENTIen latin moderne Fricentium, (Géog.) petite ville épiscopale du royaume de Naples en Italie, sur le Tripolta ; c'est l'ancienne Esclanum, ville des Hirpiens ; ou plûtôt elle est bâtie sur les ruines de cette ancienne ville. Long. 33. 10. lat. 41. 4. (D.J.)


FRICHESS. f. pl. (Econom. rustiq.) terres qui ne sont point cultivées & qui pourroient l'être. On peut mesurer sur l'étendue des friches dans un pays, les progrès de la mauvaise administration, de la dépopulation, & du mépris de l'agriculture.


FRICTIONS. f. en terme de Physique & de Méchanique, est la même chose que frottement ; mais ce dernier mot est plus usité ; le premier est presque absolument réservé à la Médecine. Voy. FROTTEMENT, (Physiq.) & FRICTION, (Chirurgie.)

FRICTION, (Chirurgie) l'action de frotter quelque partie du corps humain. La friction est au rang des exercices nécessaires à la santé ; c'est une des six choses non naturelles, & une espece de celles qui sont comprises sous le nom de mouvement ; les anciens en faisoient un grand cas, & elle est sans-doute trop négligée de nos jours. Les frictions seroient utiles aux personnes qui, à raison des circonstances particulieres, ne peuvent ni marcher, ni courir, ni monter à cheval, ni jouer à la paume, en un mot, qui ne sont pas dans le cas de faire les exercices convenables à leur santé.

Ambroise Paré, dans son introduction à la Chirurgie, réduit toutes les especes & différences des frictions, à trois ; savoir, la forte, la douce, & la modérée, qui tient le milieu entre les deux autres : dans la premiere, on frotte rudement les parties, soit avec la main, de la toile neuve, des éponges, & autres choses : la vertu de cette sorte de friction est de resserrer & de fortifier les parties que l'on y soûmet. Si on la réitere souvent, & qu'on frotte assez long-tems à chaque fois ; elle raréfie, évapore, résout, exténue, & diminue la substance des parties : elle fait révulsion, disent les auteurs, & détourne la fluxion des humeurs d'une partie sur une autre. J'ai vû des rhûmatismes & autres douleurs fixes, qu'aucun remede n'avoit soulagées, ceder à ces frictions. Elles sont très-efficaces pour fortifier les parties sur lesquelles il se fait habituellement des fluxions : par cette raison, elles sont un moyen utile dans la cure préservatrice des sciatiques & autres maladies du genre goutteux & rhûmatisant, fort sujettes à récidive. Au reste, on conçoit bien que le degré de force qui établit la différence des trois especes de frictions, doit être relatif : car celles qui seroient modérées pour une personne très-robuste, pourroient être trop violentes pour les frictions les plus fortes convenables à une personne délicate. Il faut aussi avoir égard à l'âge & à la constitution naturelle des parties plus ou moins tendres & sensibles.

Les plus grands maîtres ont conseillé, dans la cure de la léthargie, des frictions sur l'occipital & le cou, dirigées de haut en bas. Elles doivent être d'autant plus fortes, que l'assoupissement est plus profond. Lancisi rapporte que les gens du peuple, que les remedes les plus violens n'avoient pû réveiller d'un assoupissement apoplectique, ont été sur le champ rappellés à la vie par des fers rouges qu'on approcha de la plante de leurs piés. M. Winslow, dans sa thèse sur les signes de la mort, dit qu'on peut exciter avec succès, dans ces cas, une sensation douloureuse avec l'eau bouillante, la cire ordinaire, ou la cire d'Espagne brûlante ; ou bien avec une meche allumée, sur les mains, les bras, ou autres parties du corps. Mais les frictions très-fortes produiront le même effet, & sont préférables, à beaucoup d'égards. On lit dans les éphémérides de l'académie des curieux de la nature, qu'un medecin ayant soupçonné qu'un homme qui étoit sans pouls & sans respiration, n'étoit pas mort, fit frotter la plante des piés de cet homme pendant trois quarts-d'heure, avec une toile de crin pénétrée d'une saumure très-forte, & que par ce moyen il le rappella à la vie. Les frictions faites avec un linge chaud sur la surface extérieure du corps des noyés, sont un des principaux secours qui favorisent l'effet des moyens qui ont le plus de vertu pour les rappeller d'une mort apparente à l'exercice des fonctions vitales. Dans ce cas, les frictions ne peuvent pas servir à rappeller le sang du centre à la circonférence ; mais elles préviennent la coagulation des liqueurs, auxquelles elles donnent du mouvement. Voyez les observations sur la cause de la mort des noyés, & sur les secours qui leur conviennent, à la suite des lettres sur la certitude des signes de la mort, à Paris, chez Lambert, 1752.

La friction douce ou legere a des effets différens de la forte ; elle amollit & relâche ; elle rend la peau douce & polie, pourvû néanmoins qu'on employe assez de tems à la faire ; car celle qui seroit d'une trop courte durée seroit absolument sans effet. Ces sortes de frictions en produisent un très-bon sur les membres débilités par la gêne & la contrainte qu'ils essuient de la part des bandages, & par l'inaction, pendant le tems de la cure des fractures, des grandes plaies, &c.

Quelques personnes sont dans l'usage de se faire frotter legerement le matin & le soir avec une brosse douce, pour ouvrir les pores & faciliter la transpiration ; & elles se trouvent très-bien de ce genre d'exercice.

La friction modérée tient le milieu entre les deux autres ; elle attire le sang & les esprits sur la partie ; elle convient aux membres atrophiés, parce qu'elle fait augmentation d'aliment & nutrition, comme disent nos anciens, d'après Galien, lib. de sanitate tuendâ. On a quelquefois réussi à rappeller la goutte dans les extrémités inférieures, en les frottant modérément depuis les piés jusqu'à la moitié des cuisses, avec une flanelle douce, de trois en trois heures, pendant un quart-d'heure à chaque fois.

En général, les frictions exigent les mêmes précautions, pour être administrées sagement, que les autres exercices. Il faut être attentif au tems, à la quantité, à la qualité, & à la réitération convenables. Toutes ces choses doivent être soûmises à des indications raisonnées sur l'état de la personne, & sur l'effet qu'on se propose d'obtenir des frictions. Voyez EXERCICE, (Médecine).

On prépare utilement à l'efficacité de l'application des ventouses, des vésicatoires & des cauteres potentiels ; à celle des fomentations résolutives, des emplâtres de même vertu, & de tous les remedes incisifs ou stimulans dont on se sert sur les tumeurs oedémateuses, & autres congestions de matieres froides & indolentes qu'on veut échauffer ; on prépare, dis-je, au bon effet de ces remedes, par des frictions modérées faites avec des linges chauds, & assez longtems. M. Petit parlant de la cure de l'anchylose, dans son traité des maladies des os, dit que les frictions faites avec des linges chauds, peuvent d'abord être mises utilement en usage, pour suppléer au mouvement de l'article ; & que si ces frictions ne suffisent pas seules pour résoudre la synovie & dissiper le gonflement de la jointure, elles servent du-moins à assûrer l'effet des autres remedes, qui par ce moyen agissent plus efficacement.

Il y a des fievres continues où les malades ont presque toûjours les extrémités froides : dans ce cas, outre les linges chauds qu'on renouvelle souvent, on fait des frictions douces avec des linges mollets, & ensuite des onctions avec les huiles d'amandes douces, de lys, de camomille, &c. afin de rappeller la chaleur.

Le duc d'Ascot demanda au roi Charles IX. de lui envoyer Ambroise Paré, premier chirurgien, pour le marquis d'Avret son frere, qui étoit à la derniere extrémité, à la suite d'un coup de feu reçû sept moins auparavant, avec fracture de l'os de la cuisse. Dans cette cure, l'une des plus belles qu'on ait faites en ce genre, Ambroise Paré prescrivit des frictions avec des linges chauds sur la partie, pour favoriser l'action des remedes capables d'atténuer & de résoudre l'engorgement du membre blessé ; & il en faisoit faire " le matin d'universelles de tout le corps, qui étoit grandement exténué & amaigri par les douleurs & accidens, & aussi par faute d'exercice ".

Dans les sueurs qui arrivent spontanément, ou par l'action des remedes sudorifiques, aussi-bien que dans celles que procure un exercice violent, tel que le jeu de la paume, il est convenable, avant de changer de linge, de se faire essuyer & frotter modérément avec des linges chauds. Cette friction non-seulement nettoie le corps, en absorbant l'humidité qui le mouille, mais elle fait sortir & exprime des pores de la peau des restes de sueurs & de sucs excrémenteux qui y ont été portés, & donne du ressort aux parties : aussi remarque-t-on que ces frictions préviennent la lassitude ; effet ordinaire de l'épuisement.

On donne le nom de frictions aux mouvemens que le chirurgien fait dans l'opération de la saignée, pour pousser le sang vers la ligature, dans la veine qu'on doit picquer, afin de faire gonfler ce vaisseau, pour la facilité de l'ouvrir.

Friction mercurielle, est une onction faite sur les parties du corps avec l'onguent napolitain, pour la guérison des maladies vénériennes. V. VEROLE. (Y)


FRIDERICKS-HALLou FRIDERICKSTADT, (Géog.) ville forte de Norwége, mais commandée par une montagne dans la préfecture d'Aggerhus ; elle est à l'embouchure du Glammen dans la Manche du Danemarck sur la côte du Cattegal, à 20 lieues S. E. d'Anslo, 26 N. O. de Bahus, 11 S. E. d'Aggerhus. Long. 28. 20. lat. 59. 2.

Ce fut au siége de cette ville, le 11 Décembre 1718, que fut tué Charles XII. roi de Suede, d'une balle qui l'atteignit à la tempe droite, & qui pacifia le nord de l'Europe. (D.J.)


FRIDERICKSTADT(Géog.) petite ville de la presqu'île de Jutland, dans le duché de Sleswick, au confluent de la riviere de Trenne & de celle d'Eyder, fondée en 1621 par Frédéric, duc de Holstein-Gottorp ; elle est à 2 lieues N. E. de Tonneingen, 7 S. O. de Sleswick. Long. 28. 58. lat. 54. 32. (D.J.)


FRIDING(Géog.) petite ville d'Allemagne dans la Soüabe sur le Danube, à 8 lieues S. E. de Tubingen, 12 N. de Constance. Longit. 32. 42. latit. 47. 50. (D.J.)


FRIDLAND(Géog.) il y a plusieurs petites villes de ce nom, dont il est inutile de parler ici ; une en Bohème, une en Pologne, une en Prusse, & deux en Silésie. Voyez le dictionn. de la Martiniere. (D.J.)


FRIGIDITÉ(Jurispr.) Ce vice qui forme dans l'homme un empêchement dirimant pour le mariage, est un défaut de force, & une espece d'imbécillité de tempérament, qui n'est occasionnée ni par la vieillesse ni par aucune maladie passagere ; c'est l'état d'un homme impuissant, qui n'a jamais les sensations nécessaires pour remplir le devoir conjugal.

Celui qui est froid ne peut régulierement contracter mariage ; & s'il le fait, le mariage est nul & peut être dissous.

On ne parle ici que des hommes ; car la frigidité n'est point dans les femmes une cause d'impuissance, ni un empêchement au mariage.

La frigidité peut provenir de trois causes différentes ; savoir, de naissance, ou par cas fortuit, ou de quelque maléfice.

Celle qui provient de naissance peut aussi procéder de trois causes différentes ; savoir, de la qualité du sang, qui étant trop chargé de flegme, empêche les esprits vitaux de se porter avec assez de vivacité dans la partie qui doit agir ; ou bien le défaut provient de ce que les esprits vitaux ne se communiquent pas facilement aux muscles ; ou enfin de la foiblesse des organes.

Un homme, quoi que froid de naissance, peut être bien conformé ; mais le défaut de bonne conformation peut aussi occasionner la frigidité : cependant les eunuques, qui sont impuissans, ne sont pas toûjours froids ; leur inhabileté vient de leur mauvaise conformation.

L'inaction, & même l'inhabileté momentanée n'est point considérée comme un vice de frigidité, à-moins qu'elle ne soit perpétuelle.

La frigidité peut arriver par cas fortuit, comme par maladie, blessure, ou autre accident, qui met l'homme hors d'état de remplir le devoir : si cet accident précede le mariage, il forme un empêchement dirimant ; s'il est survenu depuis, il ne peut donner atteinte au mariage, quand même la cause de frigidité seroit perpétuelle.

Pour ce qui est de la frigidité causée par maléfice, qu'on appelle vulgairement nouement d'aiguillette, elle peut être procurée par des secrets naturels, ce qui est le plus ordinaire, ou par art magique, supposé qu'il se trouve quelqu'un dans ce cas. Voy. AIGUILLETTE, LIGATURE, MALEFICE, NOUEMENT D'AIGUILLETTE, IMPUISSANCE.

Voyez extra. de frigidis & maleficiatis ; Sanchez, de matrimonio ; & Zacchias, quaest. medico-legales. (A)


FRIGORIFIQUEadj. en Physique, signifie ce qui produit le froid. Voyez FROID.

Quelques philosophes, principalement Gassendi & les autres philosophes corpusculaires, nient que le froid soit une simple privation ou absence du feu ; ils soûtiennent qu'il y a des parties frigorifiques réelles, aussi-bien que des particules ignées ; & selon eux, c'est de ces parties que vient le froid & le chaud. Quelques philosophes modernes n'admettent point d'autres particules frigorifiques que les sels nitreux qui nagent dans l'air, & qui occasionnent la gelée, lorsqu'ils y sont en grande abondance.

Le docteur Clarck, par exemple, veut que le froid soit produit par certaines particules nitreuses & salines, qui par leur nature ont des formes capables de produire ces effets : c'est ce qui fait, selon lui, que le sel ammoniac, le salpetre, le sel d'urine, & plusieurs autres sels volatils & alkalisés étant mêlés avec l'eau, augmentent très-sensiblement le degré de froid. Ce peut être aussi, selon lui, la raison de ce fait connu de tout le monde, que le froid empêche la corruption, quoique cependant ce ne soit pas une vérité si générale qu'elle ne souffre quelque exception ; puisque les corps les plus durs, dont les pores viennent à être remplis d'eau, & exposés ensuite à la gelée, se brisent & se crevent, & que la gelée détruit les parties de quelques plantes : sur quoi, voyez les art. FROID, GLACE, &c. Chambers.


FRILLERv. neut. (Teinture) il se dit d'un pétillement que l'on entend dans la cuve, avant qu'elle soit formée ou remise à doux.


FRIMATS. m. (Physiq.) est la même chose que givre, & ne s'employe guere au singulier, même en Physique. Voyez GIVRE.

On donne aussi en général, & sur-tout en Poésie au pluriel, le nom de frimats à la gelée & à la neige, au verglas, & en général à tous les effets naturels de cette espece, qui caractérisent l'hyver & le froid. Voyez FROID, GLACE. (O)


FRIONS. m. (Marine) les matelots du Levant se servent quelquefois de ce mot pour signifier un canal ou une passe entre deux îles. (Z)


FRIOUL(Géog.) Foro-Juliensis tractus, & par les Italiens, Patria di Firili ; province de l'état de Venise en Italie. Elle est bornée à l'est par la Carniole, par le comté de Goritz, & par le golfe de Trieste ; au sud par celui de Venise ; au nord par la Carinthie ; à l'oüest, par la Marche Trévisane, le Feltrin, & le Bellunèse. Ce pays, qui a produit des gens célébres dans les Sciences & les Beaux-Arts, peut avoir 23 lieues de l'oüest à l'est, & 17 du sud au nord ; il est très-fertile, & arrosé par quelques rivieres, dont le Tajamento & le Lisonzo sont les principales ; il appartient en partie aux Vénitiens, & en partie à la maison d'Autriche ; Citta di Firili, autrement Udine, en est aujourd'hui la capitale. Voyez Leander Alberti, descrip. d'Italie ; Bonifacio, hist. Trévis. Candido, mémor. d'Aquil. Hérodote Parthénopéo, descriz. dell Friuli. (D.J.)


FRIPÉadj. (Gramm.) il se dit des étoffes, des meubles, &c. On dit qu'une étoffe est fripée, quand elle a perdu l'air neuf qu'on lui remarque au sortir des mains du manufacturier.


FRIPERIES. f. négoce des vieux habits & des vieux meubles.

Ce mot est aussi employé pour signifier le lieu où sont assemblés & où tiennent leurs magasins ceux qui font ce commerce. La compagnie des Fripiers de Paris est un corps régulier d'ancienne date, qui fait une figure considérable parmi les autres corps de cette ville. Voyez FRIPIER.


FRIPIERS. m. (Comm.) celui qui est de la communauté de ceux qui achetent, raccommodent, & vendent de vieilles nippes.

Cette communauté reçut ses premiers statuts en 1544, & ses derniers en 1665 ; elle a un syndic & quatre jurés. L'élection du syndic & de deux jurés, se fait tous les ans le jour des cendres. Il y a trois ans d'apprentissage & trois de compagnonage. Ces marchands sont obligés de tenir registre de ce qu'ils achetent, de le payer à-peu-près sa valeur, & quelquefois d'appeller un répondant.


FRIREchez les Cuisiniers, c'est mettre une piece passée par la farine & des oeufs délayés, dans du beurre ou du saindoux chauds, pour l'y faire cuire tout-à-fait ou en partie.


FRISEterme d'Architecture, voyez ENTABLEMENT.

FRISE, (Marine.) cet ornement de sculpture se trouve en plusieurs endroits du vaisseau ; il y en a une sur la dunette. Voyez Pl. I. n°. 31. une frise sur le côté du vaisseau, au château d'arriere.

La frise de l'éperon est faite d'une piece de bois plate, qui regne entre les deux aiguilles de l'éperon, depuis l'étrave jusqu'à la pointe du même éperon. Voyez Pl. IV. fig. 1. n°. 185. la frise.

FRISE, (Luth.) cet ornement dans l'orgue, est quelquefois percé à jour ; il y en a au haut des tourelles pour retenir les tuyaux par le haut, comme G H I, fig. 1. & au haut des plates faces, comme K L.

Frise est aussi la plate-bande O P M N, qui sert de socle aux tuyaux & vis-à-vis de laquelle les devans de la laie des sommiers sont placés. Cette plate-bande se peut ôter quand on veut, pour ouvrir les laies, & travailler aux soupapes ; elles sont retenues dans leur place avec des vis en bois ou des tourniquets semblables à ceux qui retiennent les devans de la laie. Voyez LAIE.

FRISE, s. f. (Commerce) sorte d'étoffe de laine qui se fabrique principalement à Colchester, en une halle appellée la halle des Hollandois, ou la halle neuve. On a ordonné qu'il ne se feroit à Colchester aucune frise, connue sous les noms de 54, 60, 68, 80, ou 100 ; mais que deux jours après les avoir fabriquées, on les apporteroit à la halle des Hollandois, pour s'assûrer par l'examen qu'elles étoient bonnes, & ce avant d'avoir été nettoyées ni foulées. Il est défendu aussi aux foulons de recevoir de frises qui n'ont pas été marquées à la halle. Chambers.

FRISE, en terme de Commerce, espece de ratine grossiere qui n'est pas croisée ; elle est faite de laine frisée d'un côté.

FRISE, (Comm.) toile forte & ferme d'un bon usé, mais inférieure en finesse à la toile de Hollande.

FRISE, (Menuis.) panneau couché dans les lambris entre le panneau du haut & celui d'appui, mais toûjours au-dessus de la frise du lambris d'appui. Voyez Planche d'Architecture.

FRISE, Frisia propria, (Géog.) une des Provinces-Unies ; elle est bornée à l'est par la riviere de Lauwers, qui la sépare de la province de Groningue ; au sud par l'Ovérissel ; à l'oüest, par le Zuyderzée ; & au nord, par la mer d'Allemagne. Cette province peut avoir 12 lieues du sud au nord, & 11 du couchant au levant ; son terroir est fertile en bons pâturages, où l'on nourrit quantité de boeufs & de chevaux de grande taille. La Frise se divise en quatre parties, qui sont l'Ostergow, ou partie orientale ; le Westergow, ou partie occidentale ; le Seven-Wolden, ou les sept forêts ; & les Iles. Les villes de l'Ostergow sont Leuwarde & Doreum : celles de Westergow sont Harlingen, port de mer ; Franeker, université ; Bollswert, ville ancienne, Sneeck, Worcum, Hindelopen, Staveren : le pays de Seven-Wolden, ou des sept Forêts, n'est rempli que de bois & de marécages, & n'a pour ville que Slooten. Les îles sont Ameland, Schelling & Schiermonickoog.

Cette province, après s'être jointe à la confédération, choisit pour son Stadhouder le prince d'Orange ; & cette charge est depuis héréditaire dans sa famille. Pour ce qui regarde la Frise ancienne, qui a eu diverses bornes, & qui a été divisée différemment selon les révolutions arrivées au peuple nommé Frisii par les Romains, c'est un cahos impossible à débrouiller aujourd'hui. On peut cependant consulter les savans qui l'ont entrepris, comme Spener, Altingius, Kempius, Hamconius, & Winsemius. (D.J.)


FRISELLESS. f. (Comm.) petites étoffes moitié coton, qui se fabriquent en Hollande. On les appelle aussi cotonnées. Voyez ce mot.


FRISERv. act. (Perruquier) c'est l'action de faire prendre des boucles aux cheveux, soit sur la tête de l'homme, soit détachés de sa tête. Sur la tête de l'homme, on les peigne, on en saisit une portion par la pointe, on leur fait faire plusieurs tours sur eux-mêmes, ensorte que la boucle soit en-dessus ; on enferme cette boucle dans un papier coupé triangulairement, dont on rabat deux angles l'un sur l'autre, & qu'on fixe en le tordant par le bout. Quand tous les cheveux sont ainsi préparés, ce qu'on appelle mis en papillottes, on a un fer plat fort chaud ; ce fer a des branches comme une paire de ciseaux ; ces branches sont terminées au-delà du clou par deux plaques rondes, fortes, & épaisses ; on saisit la papillotte entre ces plaques ; on la serre fortement ; & l'action de la chaleur fait prendre aux cheveux les tours ou la frisure qu'on leur a donnée ; on les peigne derechef ; on les oint d'essence ou de pommade ; on les poudre ; on dispose les boucles comme on le souhaite ; on les poudre encore, & la tête est frisée. Quant à la frisure des cheveux détachés de la tête, dont on fait ou des tours de cheveux ou des perruques, voyez l'article PERRUQUE.

FRISER LES SABORDS, (Marine) c'est mettre une bande d'étoffe de laine autour des sabords, qu'on ne calfate pas, afin d'empêcher que l'eau n'entre dans le vaisseau. (Q)

* FRISER LES ETOFFES DE LAINE ; cette opération s'exécute par le moyen d'une machine.

Cette machine sert à velouter en quelque sorte les étoffes de laine, dont elle cache le défaut, en formant dessus une espece de grain, uniformément répandu sur toute sa surface : on y frise cependant des bonnes étoffes ; mais pour l'ordinaire, celles qui sont mauvaises ou médiocres, sont soûmises à cette préparation, pour pouvoir les vendre avec plus d'avantage.

L'étoffe frisée est-elle bonne pour garantir du froid ou de la pluie ? On pense qu'elle n'est bonne ni pour l'une ni pour l'autre chose.

Si on veut la faire valoir pour se garantir du froid, il seroit nécessaire de mettre la frisure en-dedans & non en-dehors. Si on veut se garantir de la pluie, le poil relevé n'en laisse pas perdre une goutte. Quelle est donc son utilité ? Le goût bizarre des hommes les a déterminés à saisir avidement cette invention dont tout le mérite ne consiste que dans la nouveauté.

La machine à friser est composée d'une grande cage de plusieurs pieces de bois de charpente. Voyez nos Planches de Draperie. Sa longueur est telle, que les draps les plus larges peuvent y passer librement : deux tables, dont l'une est mobile & l'autre dormante, sont tout le secret de cette invention : la table immobile est un fort madrier de bois de chêne d'environ six pouces d'épaisseur, fortement assemblé avec des sommiers qui traversent les faces latérales.

La table mobile est une forte planche de bois de chêne d'environ deux pouces d'épaisseur, enduite par-dessous d'une couche de ciment d'asphalte d'un demi-pouce d'épaisseur, dans lequel on a mêlé des cailloux pilés & non pulvérisés ; il faut seulement qu'ils soient réduits à la grosseur de la graine de chenevis. On dresse la face du ciment qui doit porter sur l'étoffe, en frottant la table ainsi chargée sur une grande piece bien droite, sur laquelle on a répandu du grès en poudre, de même que l'on dégrossit les glaces. Voyez à l'art. VERRERIE, le travail des glaces.

Cette table s'applique sur l'étoffe que l'on a posée sur la premiere, contre laquelle on la fait presser au moyen de plusieurs étrésillons a a a, qui portent par leurs extrémités supérieures contre une planche b b, & par leurs extrémités inférieures sur la table mobile D D. La planche b b, contre laquelle les bâtons ou étrésillons a a a portent par leur partie supérieure, porte elle-même contre trois planches c d, c d, c d, cloüées à la partie inférieure du chassis qui sert de couronnement à la machine ; ensorte que les deux tables sont comprimées l'une contre l'autre par la force élastique des planches c d. On serre plus ou moins les tables l'une contre l'autre, en introduisant des calles entre le pié des étrésillons & la table mobile.

Pour faire mouvoir cette table, il y a un arbre A B, auquel le mouvement est communiqué, au moyen de la lanterne E, par un manége ou une roue à l'eau. Aux extrémités de cet arbre, qui est horisontal, sont deux roues à couronne, garnies d'un nombre d'alluchons convenable pour faire tourner promtement les deux lanternes G G ; une de ces roues est en-dedans de la cage, & l'autre en-dehors ; & leurs alluchons regardent du même côté, pour faire tourner les deux lanternes du même sens : ces deux lanternes, aussi-bien que les roues qui les conduisent, doivent avoir exactement les mêmes nombres. La tige de ces lanternes traverse par sa partie supérieure les sommiers qui soûtiennent la table immobile. La partie inférieure de la tige, qui est faite en pivot, entre dans une crapaudine de cuivre ajustée sur un sommier, placé parallelement & à une distance convenable, au-dessous de celui qui soûtient la table. Plus bas est encore un autre sommier soûtenu par deux tasseaux, qui reçoit sur des coussinets les tourillons du grand arbre A B. La partie supérieure de la tige des lanternes G G, après avoir traversé la table immobile, est un peu coudée, comme on peut voir en X, dans la partie qui traverse la table mobile ; ensorte que le centre de ce tourillon décrit un cercle autour de l'axe vrai de la lanterne ; ce qui fait décrire à chaque point de la table un semblable cercle : ces cercles peuvent avoir environ quatre lignes de diametre. Par ce moyen ingénieux, chaque pointe de caillou dont la table est parsemée, accroche plusieurs poils de l'étoffe qui doit avoir été chardonnée avant d'être mise à la frise, & en forme une petite houppe ; ce qui est ce qu'on se propose de faire : par cette méchanique, ces houpes sont d'autant plus également parsemées sur l'étoffe, que la table mobile l'est de petites pointes de cailloux.

Pour retirer l'étoffe d'entre les tables où elle est fortement serrée par les étresillons, on a un arbre cylindrique M N, placé à la partie moyenne & antérieure de la machine, qui est revêtu de vieilles cordes, dont on resserre seulement les basannes armées de leurs pointes ; on les attache sur la surface du rouleau, comme elles étoient sur le fût de la carde, observant que la pointe des crocs regarde la partie vers laquelle elles marchent : le mouvement est communiqué à cet arbre par le moyen d'une ou plusieurs roues qui sont menées par une lanterne fixée à l'extrémité de l'arbre A B, à l'autre extrémité duquel est un volant L L L L, dont l'usage est d'entretenir le mouvement & son égalité dans la machine. Voyez VOLANT.

Du rapport des dents des roues I K, & des lanternes O P, dépend la vîtesse du rouleau M N, qui tire à chaque révolution une longueur d'étoffe égale à sa circonférence, par le moyen des pointes dont il est armé, qui accrochent l'étoffe par son envers, & l'amenent insensiblement toute entiere. L'étoffe est guidée à l'entrée & à la sortie d'entre les tables, par deux bâtons très-polis H h. Le bâton h est celui qui conduit l'étoffe entre les tables, à mesure qu'elle s'avance pour être frisée, & l'autre bâton H la guide, après qu'elle a été préparée ; ensorte qu'elle entre & qu'elle sort presque horisontalement.

FRISER, terme d'Imprimerie ; on exprime par ce mot le mauvais effet d'une ligne d'impression qui paroît doublée sur elle-même. Ce défaut provient souvent de la façon dont un ouvrier gouverne sa presse, soit en négligeant de faire de legers changemens dans l'ordre de ses parties, ou de faire rétablir quelques-unes de ses mêmes parties qui se sont affoiblies par l'usage, ou enfin en travaillant nonchalamment & avec inégalité de force & de précision. Dans tous ces cas l'ouvrier peut y remédier ; mais il ne le peut jamais si le défaut provient de la mauvaise construction d'une presse.

FRISER, en termes de Plumassier, c'est replier les franges de plumes sur elles-mêmes en forme de boucles de cheveux ; ce qui se fait en tirant la plume entre un couteau à friser & le doigt, ou tout autre chose qui a quelque consistance.


FRISOIRS. m. c'est un des ciselets dont se servent les Fourbisseurs, Arquebusiers, Armuriers, & autres ouvriers qui travaillent en ciselure, pour achever les figures qu'ils ont frappées avec les poinçons ou ciselets gravés en creux, afin d'en fortifier les traits & leur donner plus de relief. Dictionn. de Trévoux. Voyez DAMASQUINURE, & Planche du Fourbisseur, figure 6.

* FRISOIR, en termes de Friseur d'étoffes, est une espece de table D D, de la même longueur & largeur que la table de la machine ; elle est percée comme elle à ses deux extrémités, d'un trou recouvert d'une grenouille, mais plus petit. Le frisoir est garni d'une sorte de mastic ou composition de sable, qui tord la laine des étoffes, & est mû circulairement par le fer à friser. Voyez la Planche de la machine à friser, parmi celles de la Draperie.


FRISONS. m. (Marine) ce sont des pots de terre ou de métal, dont on se sert sur quelques vaisseaux pour mettre des boissons. (Z)

FRISON, (Comm.) mesure des liquides dont on se sert en Normandie. Le frison contient deux pots, qui font environ quatre pintes de Paris. Voy. PINTE. Dict. de Comm. & de Trév. (G)


FRISQUETTES. f. ustensile d'Imprimerie, formée de quatre bandes de fer plates, legeres, assemblées & rivées à leurs extrémités, & formant la figure d'un chassis quarré long. A une des bandes de traverses sont attachés deux couplets, qui sont destinés à être assemblés à deux pareils couplets portés au-haut du tympan : là s'attache la frisquette en passant dans les couplets réunis, des brochettes de fer, que l'on ôte & que l'on remet à volonté. On colle sur la frisquette un parchemin, ou plusieurs feuilles de papier très-fort, & on découpe autant de pages sur la frisquette, qu'il y en a à la forme ; le papier blanc posé sur le tympan, on abat la frisquette, & ensuite on fait passer la feuille sous presse, d'où elle revient imprimée sans pouvoir être atteinte d'encre ailleurs qu'aux ouvertures des pages découpées sur la frisquette. Voyez la figure parmi les Planches de l'Imprimerie, où l'on a montré la frisquette d'un in-quarto attachée par le côté 44, au moyen de deux couplets au tympan.


FRISSONS. m. (Médecine) c'est un mouvement convulsif très-promt de la surface du corps, c'est-à-dire des tégumens, qui se fait à l'occasion d'un sentiment de froid externe, causé par l'application subite d'un air, ou de tout autre corps beaucoup plus froid que l'air dont on étoit environné dans l'instant précédent ; ou par un embarras de la circulation du sang dans les vaisseaux cutanés, en conséquence duquel embarras la chaleur de la peau est considérablement diminuée, & les nerfs qui en sont affectés de la même maniere, portent à l'ame la même impression que si le froid étoit de cause externe, absolument étrangere au corps.

Si ces différentes causes sont de nature à se renouveller ou à subsister, & à produire les mêmes effets pendant un tems considérable, sans interruption, ce mouvement extraordinaire de la peau est le frisson proprement dit ; si elles ne sont qu'instantanées, ou qu'elles ne se fassent sentir que par intervalles, la convulsion de la peau est appellée frissonnement comme par diminutif.

L'un & l'autre de ces mouvemens contre nature, constituent un véritable tremblement de la peau, dont les causes occasionnelles prochaines & finales ne different que par le siége & l'intensité de celles du tremblement des membres : celui-là, comme celui-ci, peut être produit par le froid, être un symptome de fievre, ou de différentes affections de l'ame : ainsi voyez TREMBLEMENT, (Patholog.) FIEVRE, PASSION, NATURE. (d)


FRISURES. f. Voyez FRISER.

FRISURE, (Brod.) c'est un fil d'or frisé qui se coupe par petits morceaux, & dont on fait un point pour enrichir la broderie, en l'assujettissant sur l'ouvrage.


FRITILLAIREfritillaria, s. f. genre de plante à fleurs liliacées, faites à-peu-près en forme de cloche pendante. Elles sont composées de six feuilles, au milieu desquelles il y a un pistil, qui devient dans la suite un fruit oblong divisé en trois loges, qui renferment des semences plates, disposées les unes sur les autres en deux rangs : ajoûtez aux caracteres de ce genre que la racine est composée de deux tubercules, demi-sphériques pour l'ordinaire, & que la tige sort entre ces deux tubercules. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

De tant d'especes de fritillaires connues des fleuristes, nous ne décrirons que la plus commune, fritillaria communis, variegata. C. Bauh. Elle a la racine bulbeuse, solide, blanche, composée de deux tubercules charnus, du milieu desquels s'éleve une tige haute d'environ un pié, grêle, ronde, fongueuse en-dedans, portant cinq, six, ou sept feuilles médiocrement longues, étroites, d'un goût tirant sur l'aigre. Son sommet ne soûtient ordinairement qu'une fleur, quelquefois deux ou trois : cette fleur est fort belle, grande, composée de six pétales qui sont disposés en maniere de cloche panchée, marbrée en façon de damier, de diverses couleurs, purpurine, incarnate, rouge, blanche, très-agréable à la vûe. Lorsque cette fleur est passée, il paroît un fruit oblong, anguleux ou triangulaire, divisé en trois loges remplies de semences applaties.

On trouve la fritillaire commune dans des lieux herbeux, dans des bocages, & le long des prairies ; mais on la cultive dans les jardins à cause de la beauté de ses fleurs, car elle n'a point de vertus médicinales. (D.J.)

FRITILLAIRE, (Jard.) c'est dans les jardins des Fleuristes & des curieux, qu'on voit un grand nombre d'especes de fritillaires, toutes variées, colorées, & diversement panachées. Cette fleur paroît l'été, & demande à être dans des pots plûtôt que dans les planches d'un parterre. Elle aime le frais, & veut quelques arrosemens pendant les grandes chaleurs. Il lui faut sur-tout une bonne terre grasse, fraîche, legere, un peu détrempée avec du tan jusqu'à la profondeur de quatre doigts. Les bulbes de ses racines en perpétuent l'espece ; mais on peut aussi multiplier les fritillaires, en plantant leurs rejettons dans un carreau de terre naturelle enrichie de tan, & elles seront en état d'être transplantées dans des pots à la troisieme année : alors on les levera au mois de Septembre ; & comme elles sont sujettes à pourrir, il faut les tenir un peu seches pendant l'hyver & les placer dans la serre, à un endroit de chaleur médiocre. Consultez Miller, il vous apprendra l'art de perfectionner la culture de ces sortes de fleurs, d'après les diverses méthodes qu'on peut employer pour leur multiplication. (D.J.)


FRITOou FRITEAU, poisson d'eau douce, semblable aux muges fluviatiles par les nageoires, par la figure de la queue, & par la qualité de la chair. Il n'a qu'une palme de longueur. Rond. hist. des poiss. de riviere, chap. xv. Voyez POISSON. (I)


FRITTES. f. c'est la matiere même du verre dont on doit remplir les pots ; mais qu'on a mis auparavant à calciner, pour en séparer toutes les matieres grasses, huileuses & autres, qui porteroient, sans cette précaution, quelque couleur sale dans le verre. Il y a des fours particuliers pour cette calcination ; on les appelle fours à fritte. Voyez nos Planches de Verrerie, & leur explication. a a gueule du four, b b b cendrier, c c c grille pour le bois, d d d barres de travers sur lesquelles on pose la grille pour le charbon, k coupe verticale du four, m m cheminée, o chambre à mettre le bois & à allumer le feu, p le mur de devant, n place à mettre sécher le sable.


FRITZLAR(Géog.) petite ville d'Allemagne enclavée dans la basse-Hesse, sur la riviere d'Eder, entre Cassel & Marpurg, à six lieues S. O. de Cassel, à douze de Marpurg, & à quatre S. E. de Waldeck. Cette ville, qu'on conjecture être l'ancienne Bogadium, ou du-moins bâtie sur ses débris, a été impériale & libre ; mais elle appartient maintenant, avec son petit territoire, à l'archevêque de Mayence. Voyez Zeyler, Mogunt. archiep. topog. Dilichius, chroniq. de Hesse ; Crantz, hist. saxonne ; Serarius, hist. rer. Mogunt ; Hubner, géog. Long. 26d. 55'. lat. 51d. 6'. (D.J.)


FRIVOLITÉS. f. (Morale) elle est dans les objets, elle est dans les hommes. Les objets sont frivoles, quand ils n'ont pas nécessairement rapport au bonheur & à la perfection de notre être. Les hommes sont frivoles, quand ils s'occupent sérieusement des objets frivoles, ou quand ils traitent legerement les objets sérieux. On est frivole, parce qu'on n'a pas assez d'étendue & de justesse dans l'esprit pour mesurer le prix des choses, du tems, & de son existence. On est frivole par vanité, lorsqu'on veut plaire dans le monde, où on est emporté par l'exemple & par l'usage ; lorsqu'on adopte par foiblesse les goûts & les idées du grand nombre ; lorsqu'en imitant & en répétant, on croit sentir & penser. On est frivole, lorsqu'on est sans passions & sans vertus : alors pour se délivrer de l'ennui de chaque jour, on se livre chaque jour à quelque amusement, qui cesse bien-tôt d'en être un ; on se recherche sur les fantaisies, on est avide de nouveaux objets, autour desquels l'esprit vole sans méditer, sans s'éclairer ; le coeur reste vuide au milieu des spectacles, de la philosophie, des maitresses, des affaires, des beaux arts, des magots, des soupers, des amusemens, des faux-devoirs, des dissertations, des bons mots, & quelquefois des belles actions. Si la frivolité pouvoit exister long-tems avec de vrais talens & l'amour des vertus, elle détruiroit l'un & l'autre ; l'homme honnête & sensé se trouveroit précipité dans l'ineptie & dans la dépravation. Il y aura toûjours pour tous les hommes un remede contre la frivolité ; l'étude de leurs devoirs comme hommes & comme citoyens.


FROCS. m. (Gramm.) il se dit du vêtement & de l'état religieux ; c'est proprement la partie de l'habit monacal qui couvre la tête. Il y a des frocs de toutes sortes de figures, grace à la bisarrerie & à la multitude des fondateurs d'ordres. On dit d'un homme il a pris, il a quitté le froc, pour signifier qu'il est entré en couvent, ou qu'il en est sorti. Voyez CAPUCHON.

* FROC, (Comm.) étoffe grossiere qui se fabrique à Bolbec, Gruches, & autres lieux de Caux. Le froc large a au-moins cinquante-deux portées de trente-deux fils chacune, dans des rots de cinq quarts moins un seize entre les doublets ou lisieres, pour être au retour du foulon, le foible, de trois quarts & demi de largeur entre les lisieres, & le fort de trois quarts. Le premier de vingt-six aulnes de long ; le second de vingt-quatre.

Le froc ordinaire est ordonné au-moins de trente-six portées de trente-deux fils chacune, dans des rots d'une aulne moins un seize entre les doublets ou lisieres, pour être au retour du foulon, le foible de deux tiers de large, le fort de demi-aulne un seize. Il ne peut excéder vingt-six aulnes de long en foible, & vingt-quatre en fort.

Il faut que le froc en foible, de trois quarts & demi & de deux tiers de large, où il y a de l'agnelin tondu à dos, soit distingué par une lisiere, composée de douze filets teints en bleu ; & le froc en fort de trois quarts de large, ou de demi-aulne un seize, où il y aura aussi de l'agnelin tondu à dos, soit aussi désigné par deux entre-battes, l'une à la tête, l'autre à la queue, de chaque côté du froc ; chaque entre-batte de douze fils teints en bleu.

Il n'est permis d'y employer que des laines de France, & des agnelins tondus à dos.

Il est défendu de le fabriquer avec plis, peignons, bourres, moraines, & autres matieres de mauvaise qualité.

Le froc en foible pour doublure, doit avoir vingt-six portées de trente-deux fils chacune, dans des rots de la largeur au-moins de 1/2 aulne plus 1/12, entre les lisieres, liteaux ou doublets, pour être au retour du foulon de demi-aulne, & ne peut excéder vingt-six aulnes de long.

Les lisieres, liteaux ou doublets de froc en foible de demi-aulne de large, sont de laine bege ou bleue de bon teint. Voyez les réglemens des manufactures.

FROCS ou FROS, (Jurispr.) sont des terres en friche, des lieux publics & communs à tous ; en quelques endroits, frocs sont les chemins publics. On écrit ailleurs fraux. Voyez ci-devant FRAUX.

Il en est parlé dans l'ancienne coûtume d'Amiens, dans celles de Saint-Omer, de Teroüanne, Ponthieu, Artois. Voyez le glossaire de Ducange, au mot froccus. (A)


FROIDadj. qui sert à désigner dans les corps une qualité sensible, une propriété accidentelle appellée froid. Voyez l'article suivant.

FROID, s. m. (Physiq.) Le mot froid pris substantivement a deux acceptions différentes ; il signifie proprement une modification particuliere de notre ame, un sentiment qui résulte en nous d'un certain changement survenu dans nos organes ; tel est le changement que l'on a quand on touche de la neige ou de la glace. On se sert aussi de ce même mot pour désigner une des propriétés accidentelles de la matiere, pour exprimer dans les corps l'état singulier dans lequel ils peuvent exciter en nous la sensation dont on vient de parler. Voyez SENSATION & PERCEPTION. Voyez aussi PROPRIETE & QUALITE.

La sensation de froid est connue autant qu'elle peut l'être par l'expérience ; elle n'a pour nous d'autre obscurité, que celle qui est inséparable de toute sensation.

Pour développer la nature du froid, considéré dans les corps comme une propriété ou qualité sensible, il est nécessaire d'en exposer d'abord les principaux effets ; ils sont pour la plûpart entierement opposés à ceux que produit la chaleur. Voyez CHALEUR & FEU. Les corps en général tant solides que fluides, se raréfient en s'échauffant, c'est-à-dire que la chaleur augmente leur volume & diminue leur pesanteur spécifique ; le froid au contraire les condense, il les rend plus compacts & plus pesans, ce qui doit être entendu, comme on le verra bien-tôt, avec quelques restrictions. Cette condensation est plus grande, quand le degré de froid qui l'opere est plus vif. Les corps les plus durs, tels que les métaux, le marbre, le diamant même, à mesure qu'ils se refroidissent, se réduisent comme les autres corps à un moindre volume. L'eau & les liqueurs aqueuses suivent cette loi, jusqu'au moment qui précede leur congelation ; mais en se gelant & lorsqu'elles sont gelées, elles semblent sortir totalement de la regle : elles se dilatent alors très-sensiblement & diminuent de poids par rapport à l'espace qu'elles occupent ; plus le froid est violent, plus la dilatation qu'elles éprouvent dans cet état est considérable. Il y a beaucoup d'apparence, comme M. d'Alembert l'a remarqué (article CONDENSATION), & comme nous le ferons voir nous-mêmes à l'article GLACE, que ce phénomene dépend d'une autre cause que de l'action immédiate du froid sur les parties intégrantes des liquides dont nous parlons. Les huiles se condensent toûjours par le froid, soit avant leur congelation, soit en se gelant, & sur tout lorsqu'elles sont gelées. Les graisses, la cire, les métaux fondus (à l'exception du fer qui dans les premiers instans qu'il perd la liquidité qu'il avoit acquise par la fusion, se trouve, suivant les observations de M. de Reaumur, dans le même cas que les liqueurs aqueuses) ; tous ces corps, dis-je, & d'autres semblables rendus fluides par l'action du feu, à mesure qu'ils se refroidissent, se resserrent toûjours de plus en plus, & occupent constamment un moindre volume.

Le froid lie les corps ; il leur donne de la fermeté & de la consistance ; il augmente la solidité des uns, il diminue la fluidité des autres ; il rend même entierement solides la plûpart de ces derniers, lorsqu'il a atteint un certain degré, susceptible de plusieurs variétés déterminées par les circonstances, & qui d'ailleurs n'est pas le même, à beaucoup près, pour tous les fluides dont il est ici question. On ne sauroit nier au-moins qu'il n'accompagne toûjours la congelation. Le froid produit beaucoup d'autres effets moins généraux, qui paroissent se rapporter à ceux que nous venons d'indiquer.

Les Philosophes ne sont pas d'accord sur la nature du froid. Aristote & les Péripatéticiens le définissent une qualité ou un accident, qui réunit ou rassemble indifféremment les choses homogenes, c'est-à-dire de la même nature & espece, & les choses hétérogenes, ou de différente nature ; c'est ainsi, disent-ils, que nous voyons pendant la gelée le froid unir tellement ensemble de l'eau, des pierres, du bois, & de la paille, que toutes ces choses semblent ne plus composer qu'un seul corps. Cette définition est opposée à celle que ces mêmes philosophes nous ont donnée de la chaleur, dont le caractere distinctif, selon eux, est de rassembler des choses homogenes, & de désunir les hétérogenes. Il y a dans cette doctrine beaucoup d'illusion & d'erreur : il est faux que le froid rassemble toûjours indifféremment toutes sortes de corps. Quand on expose dans nos climats du vin, du vinaigre, de l'eau-de-vie à une forte gelée, ces liqueurs se décomposent ; la partie aqueuse du vin, par exemple, est la seule qui se glace ; l'esprit conserve sa fluidité, & le tartre se précipite. On voit ici une vraie séparation de plusieurs substances, une entiere desunion. En second lieu, les mots d'accident, de qualité, & tous les autres semblables, n'éclaircissant rien par eux-mêmes, il faut y joindre des explications particulieres.

Epicure, Lucrece, & après eux Gassendi, & d'autres philosophes corpusculaires, regardent le froid comme une propriété de certains atomes ou corpuscules frigorifiques absolument différens par leur nature & leur configuration des atomes ignés, qui selon les mêmes philosophes sont le principe de la chaleur. Le sentiment de froid dépend de l'action de ces corpuscules frigorifiques sur les organes de nos sens. On verra dans la suite de cet article ce qu'il faut penser de cette opinion. Selon la plûpart des physiciens modernes, le froid en général n'est qu'une moindre chaleur. Ce n'est dans les corps qu'une propriété purement relative ; un corps qui possede un certain degré de chaleur est froid par rapport à tous les autres corps plus chauds que lui ; & il est chaud, si on le compare à des corps dont le degré de chaleur soit inférieur au sien. Les glaces d'Italie sont froides comparées à de l'eau dans son état ordinaire de liquidité ; mais par rapport aux glaces du Groënland, elles sont chaudes : l'eau bouillante est froide relativement au fer fondu. Suivant cette idée, nul corps, s'il n'est privé de toute chaleur, ne sauroit être absolument froid. Nous appellons froids, dit M. s'Gravesande, element. physic. lib. III. pag. 1. cap. vj. pr. edit. les corps moins chauds que les parties de notre corps, auxquelles ils sont appliqués, & qui par cela même diminuent la chaleur de ces parties, comme nous nommons chauds, ceux qui augmentent cette chaleur. A notre égard, le froid, continue le même auteur, n'est que le sentiment qu'excite en nous la diminution de chaleur que notre corps éprouve. Il y a de la chaleur, ajoûte-t-il, dans un corps que nous nommons froid ; mais une chaleur toûjours moindre que celle de notre corps, puisqu'elle diminue celle-ci. Voyez cet auteur à l'endroit que nous venons de citer ; Mariotte, troisieme essai de physique ; Musschenbroeck, essai de physique, tome I. chap. xxvj. vers la fin ; Hamberger, element. physic. n°. 493 & seq. &c.

Qu'est-ce qu'une moindre chaleur ? La réponse à cette question dépend visiblement de l'idée qu'on doit se former de la chaleur en général ; on sait que les Physiciens sont partagés sur cet article. Le plus grand nombre persuadés que le feu est un corps particulier distingué de tous les autres, croyent que la seule présence de ce même feu mis en mouvement, constitue la chaleur. C'est le sentiment le plus vraisemblable, & qui paroît le mieux s'accorder avec l'observation. Voyez FEU & CHALEUR. Au reste, comme la chaleur dans tous les systèmes imaginés jusqu'ici pour en expliquer la nature, est susceptible d'augmentation & de diminution, il est clair que dans chacun de ces systèmes particuliers, le froid peut toûjours être conçû comme une chaleur affoiblie.

Cette maniere de le concevoir est simple & naturelle ; elle ne multiplie point les principes sans nécessité ; elle rend raison des phénomenes. Pour les expliquer, elle n'a point recours à de vaines suppositions ; la diminution de chaleur & la force de cohésion suffisent à tout. J'entends ici par force de cohésion, celle que tous les Physiciens admettent sous ce nom, par laquelle les parties qui composent les corps, tendent les unes vers les autres, s'unissent entr'elles, ou sont disposées à s'unir. Voyez COHESION. Cette force qui est si obscure dans son principe, & si sensible dans la plûpart des effets qu'elle produit, est sans-cesse en opposition avec la chaleur. Ce sont deux agens, qui par la contrariété de leurs efforts toûjours subsistans, peuvent se surmonter réciproquement. L'un des deux ne sauroit un peu s'affoiblir, que l'autre à l'instant ne rentre, si je puis m'exprimer ainsi, dans une partie de ses droits. On voit par-là, que quand la chaleur qui écartoit les parties des corps les unes des autres vient à diminuer, ces mêmes parties se rapprochent aussi-tôt par leur cohésion mutuelle, d'autant plus que leur chaleur s'est plus affoiblie. Ainsi les corps qui, généralement parlant, se raréfient tous à mesure qu'ils s'échauffent, doivent se condenser quand leur chaleur diminue, pourvû toutefois que nul agent physique différent de la chaleur ne s'oppose d'ailleurs à cette condensation. Voyez COHESION & ATTRACTION.

Ce n'est point précisément par le défaut de chaleur (on ne peut trop le faire remarquer) que les corps se réduisent à un moindre volume. Un tel effet pourroit-il dépendre d'une simple privation, d'un être purement négatif ? Non sans-doute, c'est la force de cohésion qui condense les corps ; une moindre chaleur n'est ici qu'une résistance plus ou moins diminuée, qu'un obstacle plus facile à surmonter.

Ne perdons point de vûe ce principe incontestable que la cohésion des parties intégrantes des corps est d'autant plus forte, que la chaleur est plus affoiblie. Il suit évidemment de-là qu'un corps en devenant moins chaud, acquiert plus de fermeté & de consistance. Si la solidité & la fluidité dépendent essentiellement, comme on ne sauroit en disconvenir, du plus ou du moins de cohésion ; si par une conséquence nécessaire la chaleur doit être regardée comme une des principales causes de la fluidité, quelle difficulté y aura-t-il à concevoir qu'un corps auparavant fluide, devienne par une plus forte adhésion des parties qui le composent, une masse entierement solide, quand il aura été privé d'une partie de sa chaleur ?

Nous venons de déduire la formation de la glace de l'idée du froid, conçû comme une moindre chaleur. Musschenbroeck, quoiqu'attaché à cette même idée, explique autrement la congelation : le froid & la gelée ont beaucoup moins de rapport, selon lui, qu'on ne l'imagine communément. Il regarde le froid comme la simple privation du feu, & il croit que la gelée est l'effet d'une matiere étrangere, qui s'insinuant entre les parties d'un liquide, fixe leur mobilité respective, les attache fortement ensemble, les lie en quelque maniere, comme feroit de la colle ou de la glu. La présence de cette matiere tantôt plus, tantôt moins abondante dans l'air, & la facilité qu'elle a d'exercer son action en certaines saisons & en certains climats, supposent la réunion de plusieurs circonstances, dont le froid, s'il en faut croire l'illustre auteur que nous citons, n'est pas toûjours la plus essentielle. Ce n'est pas ici le lieu d'examiner en détail cette explication. Voyez GLACE. Qu'on la rejette ou qu'on l'adopte, le froid entant qu'il influe plus ou moins sur la formation de la glace, pourra toûjours être conçu comme une moindre chaleur.

C'est encore à l'introduction de cette matiere étrangere, que le même Musschenbroeck attribue l'augmentation du volume de l'eau glacée. Essai de physique, tome I. chap. xxv. D'autres physiciens en très-grand nombre, pensent que l'air contenu dans l'eau forme différentes bulles, qui se dilatant par leur ressort, sont l'unique cause de cet effet. Il y en a qui ont eu recours au dérangement des parties d'eau, en vertu de leur tendance à former entr'elles certains angles déterminés. Voyez M. de Mairan, dissert. sur la glace, pages 169 & suiv. M. de Reaumur admet un déplacement dans les parties du fer fondu, pour rendre raison de la dilatation qu'éprouve ce métal, dans l'instant qu'il perd sa liquidité acquise par la fusion. Toutes ces explications qui rapportent le phénomene dont il s'agit, à des causes particulieres, différentes de l'action générale du froid, ont chacune leur probabilité, comme nous le verrons à l'article GLACE. Ce qu'il est important d'observer ici, c'est qu'elles ne donnent aucune atteinte à l'idée du froid conçû comme une moindre chaleur, & qu'elles laissent subsister entierement le principe que nous avons établi, que les corps dont la chaleur diminue se condensent de plus en plus, quand rien d'ailleurs ne s'oppose à leur condensation.

Si nous considérons dans les corps froids l'action qu'ils exercent sur nos organes, nous n'aurons pas de peine à comprendre comment un corps moins chaud que les parties de notre corps auxquelles il est appliqué, peut en diminuant la chaleur de ces mêmes parties, exciter en nous la sensation de froid. Et premierement il est clair que l'application d'un tel corps doit diminuer le degré de chaleur de nos organes, suivant ce principe général, que deux corps inégalement chauds étant contigus, le plus chaud des deux communique de la chaleur à l'autre, & en perd lui-même. D'un autre côté, cette diminution de chaleur introduisant dans nos organes un véritable changement, pourquoi la sensation de froid n'en pourroit-elle pas résulter ?

Consultons l'expérience ; elle nous apprendra que la sensation de froid est relative à l'état actuel de l'organe du toucher, de sorte qu'un corps est jugé froid, quand il est moins chaud que les parties de notre corps auxquelles il est appliqué, quoiqu'à d'autres égards le degré de sa chaleur soit considérable. C'est par cette raison que des caves d'une certaine profondeur, qui réellement sont plus chaudes en été qu'en hyver, nous paroissent si froides dans la premiere de ces deux saisons, & si chaudes dans la derniere. Voyez CAVES. Il arrive souvent en été, qu'un orage succede à des chaleurs excessives & suffocantes. A peine cet orage est-il passé, que l'air semble se rafraîchir, & que cette grande chaleur est suivie d'un froid très-incommode. Nos corps sont vivement affectés de ce promt changement ; ils frissonnent, & l'on diroit presque qu'on est au milieu de l'hyver. Cependant le thermometre prouve que cet air, qui paroît si froid, est réellement si chaud, que s'il l'étoit à ce point en hyver, nous ne serions pas en état d'en supporter la chaleur. En effet, si dans le tems de la plus forte gelée, on excitoit dans une chambre un degré de chaleur, qui, au rapport du thermometre, seroit le même absolument que celui qu'a l'atmosphere au mois d'Août, après quelqu'un de ces orages, dont on vient de parler, il n'y auroit aucun homme, qui sortant d'un lieu découvert, où il auroit été exposé pendant quelque tems à un air froid, pût soûtenir la chaleur de cette chambre sans tomber en défaillance. Boerhaave, Chim. tom. I. tract. de igne. Les voyageurs nous disent que les nuits de certains pays situés sur la zone torride, sont quelquefois si froides, qu'elles causent des engelures aux Européens même établis depuis quelque tems dans ces pays. Ces mêmes nuits seroient jugées fort tempérées dans d'autres climats. Voyez observ. physiq. & mathém. faites aux Indes & à la Chine, dans les anciens mémoires de l'académie, tome VII. part. XI. Il seroit facile de multiplier ces sortes d'exemples, mais ceux-ci sont plus que suffisans pour prouver que la sensation de froid peut-être facilement conçûe comme une perception confuse de l'impression que fait sur nous une moindre chaleur.

Tous les autres effets du froid s'expliquent avec la même facilité par la simple notion d'une chaleur affoiblie. Cette idée se soûtient toûjours parfaitement dans l'application qu'on en fait au détail des phénomenes. Elle est d'ailleurs d'une grande simplicité. Par ces deux raisons elle doit être préférée. Imaginer d'autres systèmes, ce seroit s'écarter de la premiere regle de Newton, suivant laquelle on ne doit admettre pour l'explication des effets naturels, que des causes réellement existantes, propres à rendre raison de ces mêmes effets.

C'est en vain qu'on auroit recours à des parties frigorifiques, dont l'existence, pour ne rien dire de plus, n'est nullement prouvée. On ne nie pas que certaines particules subtiles s'introduisant dans les pores d'un corps ne puissent en chasser le feu, au-moins en partie, & on conviendra de même qu'elles pourront diminuer le mouvement intestin des parties du corps, si, comme le prétendent quelques philosophes, un certain mouvement déterminé constitue la chaleur. C'est en agissant de la sorte que les sels communiquent en se fondant un nouveau degré de froid à la neige ou à la glace pilée. Mais outre qu'il n'est pas prouvé que les corpuscules salins ou d'autres particules de cette espece se trouvent toûjours par-tout où il y a diminution de chaleur ; il est certain d'ailleurs que ces sortes de particules ne sont point frigorifiques dans le sens qu'on attache communément à ce terme. Les Gassendistes & ceux qui pensent comme eux à cet égard, désignent par-là des parties, qui non-seulement chassent le feu des corps, mais qui de plus exercent une action particuliere sur les organes de nos sens, en se repliant autour des filamens de la peau, en les serrant & les tiraillant ; ce qui cause ce sentiment vif & piquant que nous appellons froid. Or l'existence de ces sortes de parties n'est constatée, comme je l'ai déjà dit, par aucun phénomene. Voyez ce qu'on dira ci-après du froid artificiel.

Le froid n'étant qu'une chaleur affoiblie, le plus grand degré de refroidissement d'un corps est la privation de toute chaleur. Un corps refroidi à ce degré seroit froid absolument & à tous égards ; ainsi on a raison de donner à cette extinction totale de chaleur le nom de froid absolu. Il y a apparence qu'un tel froid n'existe point dans la nature. La chaleur tend toûjours à se répandre par-tout uniformément. Ainsi nul corps n'est probablement exempt de toute chaleur.

En voilà assez sur la nature du froid. Il est tems de parler des causes qui peuvent opérer le refroidissement des corps, ou ce qui est le même, diminuer leur chaleur. Ces causes sont en grand nombre ; les unes purement naturelles, agissent d'elles-mêmes en certaines circonstances ; les autres, pour produire leur effet, attendent que l'art ou l'industrie humaine les mette en action ; de-là la division du froid en naturel & artificiel.

Du froid naturel. Le froid naturel, comme nous venons de le dire, doit sa naissance à des causes purement naturelles, à des agens que l'art des hommes n'a point excités, mais qui obéissent simplement aux lois générales de l'univers. Tel est le froid qui se fait sentir en hyver dans nos climats ; tel est celui qu'éprouvent les habitans des zones glaciales pendant la plus grande partie de l'année.

C'est dans l'air de notre atmosphere que le froid dont il est ici question s'excite le plus promtement ; les autres corps placés sur la superficie de notre globe reçoivent les mêmes impressions ; ce froid pénetre enfin dans l'intérieur de la terre, jusqu'à une profondeur qui excede rarement 90 ou 100 piés.

Tout ceci ne suppose qu'une chaleur simplement diminuée. Or une grande partie de la chaleur des corps terrestres venant de l'action que le soleil exerce sur eux, il est évident que tout ce qui affoiblit cette action doit par-là même contribuer au froid.

On a vû au mot CHALEUR quelles sont les causes générales du chaud en été, & du froid en hyver, c'est pourquoi nous y renvoyons.

Les causes particulieres & accidentelles du froid en se mêlant avec la cause générale, empêchent qu'on ne puisse reconnoître ce qui appartient précisément à celle-ci. Ces causes accidentelles sont de plusieurs sortes. Celles qu'on a raison de regarder comme les principales, sont la situation particuliere des lieux, la nature du terrein, l'élévation ou la suppression de certaines vapeurs ou exhalaisons, les vents.

Plusieurs pays sont par leur situation particuliere beaucoup plus froids que leur latitude ne semble le comporter. En général plus le terrein d'un pays est élevé, plus le froid qu'on y éprouve est considérable. C'est une chose constante qu'à toutes les latitudes & sous l'équateur même la chaleur diminue, & le froid augmente, à mesure qu'on s'éloigne de la surface de la terre ; de-là vient qu'au Pérou, dans le centre même de la zone torride, les sommets de certaines montagnes sont couverts de neiges & de glaces que l'ardeur du soleil ne fond jamais. La rareté de l'air toûjours plus grande dans les couches plus élevées de notre atmosphere, paroît être la principale cause de ce phénomene. Un air plus rare & plus subtil étant plus diaphane, doit recevoir moins de chaleur par l'action immédiate du soleil. En effet, quelle impression pourroient faire les rayons de cet astre sur un corps qui se laisse traverser presque sans obstacle ? La chaleur du soleil réfléchie par les particules de l'air échauffe beaucoup plus que la chaleur directe. Or les particules d'un air subtil étant fort écartées les unes des autres, les rayons qu'elles réfléchissent sont en trop petite quantité. A cette raison générale, ajoûtons pour expliquer le froid qui se fait sentir sur le sommet des montagnes, que le soleil n'éclaire chacune des faces d'une montagne que pendant peu d'heures ; que les rayons sont souvent reçûs fort obliquement sur ces différentes faces ; que sur une haute pointe de rochers fort escarpés, laquelle est toûjours d'un très-petit volume, la chaleur n'est point fortifiée comme dans une plaine horisontale par une multitude de rayons, qui refléchis sur la surface de la terre, se croisent & s'entrelacent dans l'air de mille manieres différentes, &c. M. Bouguer, relation abregée du voyage fait au Pérou, à la tête du livre intitulé la figure de la terre déterminée par les observations, &c.

Les pays situés vers le milieu des grands continens sont en général plus élevés que ceux qui sont plus voisins de la mer ; aussi fait-il plus de froid dans les premiers que dans les derniers, toutes choses d'ailleurs égales. Moscou par cette raison est beaucoup plus froid qu'Edimbourg, quoique les latitudes de ces deux villes different à peine de quelques minutes.

La nature du terrein mérite une considération particuliere. Rien n'est plus ordinaire que de voir arriver au milieu même de l'été, de grands froids & de très-fortes gelées dans les pays dont le terrein contient beaucoup de salpetre, comme par exemple, à la Chine & dans la Tartarie chinoise. La plûpart des sels fossiles, & sur-tout le sel ammoniac, lorsqu'il s'en trouve dans les terres, produisent de semblables effets. Voyez ce que dit M. de Tournefort, voyage du levant, lettre 18. du grand froid qu'il éprouva dans le mois de Juin aux environs d'Erzerom, ville capitale de l'Arménie, pays abondant en sel ammoniac naturel. On doit remarquer qu'Erzerom n'est tout au plus qu'au 40e. degré de latitude.

En parlant du froid artificiel, nous verrons que les sels ont la propriété de refroidir l'eau dans laquelle ils sont dissous. Il suit de-là que des terres chargées de sels, pourvû qu'elles se trouvent fort humides, peuvent acquérir indépendamment de la cause générale des saisons, un degré de froid considérable. La froideur du terrein se communique en partie à l'air ; & si comme le prétendent plusieurs physiciens, l'action du soleil ou quelque autre cause fait élever dans l'atmosphere une assez grande quantité de corpuscules salins, le froid redouble, ces corpuscules refroidissant les molécules d'eau dispersées & soûtenues dans l'air. M. de Mairan, dissert. sur la glace, pag. 42. & suiv.

Il y a dans l'intérieur de la terre, au-moins jusqu'à une certaine profondeur, un fond de chaleur qui n'est nullement assujetti à la vicissitude des saisons. La température assez constante de certaines caves, des mines, & de la plûpart des lieux un peu profonds, les sources d'eaux chaudes, les volcans, les tremblemens de terre, & mille autres phénomenes en sont la preuve incontestable. Je n'examinerai point si cette chaleur a sa source dans un feu central, ou si elle dépend principalement de la nature du soufre & de certains minéraux qui se trouvent abondamment dans les entrailles de la terre. Tout ce qu'il importe de considérer ici, c'est que la terre indépendamment de l'action du soleil, doit pousser hors d'elle-même des vapeurs chaudes, quand rien ne s'y oppose d'ailleurs. Or ces vapeurs chaudes une fois admises, il est clair que la quantité qui s'en éleve en différens tems & en différens pays, doit varier à cause des fréquens changemens qui arrivent dans l'intérieur de la terre ; & il n'est pas moins évident qu'on ne peut supprimer en tout ou en partie ces mêmes vapeurs, sans que la chaleur qui en résultoit sur la terre & dans l'air n'en soit diminuée, ou ce qui revient au même, le froid augmenté. Plusieurs causes locales, telles que des bancs de rochers, des nappes d'eau soûterreines, & même en certains endroits des amas de glaces, peuvent intercepter les vapeurs dont nous parlerons. M. de Mairan, dissert. sur la glace, pp. 55. & suiv. Voyez FEU CENTRAL, TERRE, TREMBLEMENT DE TERRE, &c.

Tout ce qui vient d'être dit, sert à rendre raison de certains froids excessifs très-peu proportionnés à la latitude des lieux où on les éprouve. Les hyvers sont beaucoup plus rigoureux en Sibérie entre les 55 & 60 degrés de latitude, que dans la plûpart des autres pays situés entre les mêmes paralleles. C'est que la Sibérie, si on s'en rapporte aux rivieres qui y prennent leur source, est peut-être le pays du monde le plus élevé ; que le terrein y est fort compacte ; qu'il abonde en nitre & en autres sels ; que presque toûjours on y trouve en plusieurs endroits de la glace à quelques piés sous terre, & que cette glace s'étend vraisemblablement à une très-grande profondeur. Nous verrons ailleurs comment ces amas de glace peuvent se conserver sous terre, la chaleur de l'été n'étant pas assez forte pour les fondre entierement. Voyez GLACE.

On éprouve à la baie de Hudson sous la latitude de 57 degrés 20 minutes, un froid pour le moins aussi grand que celui qui se fait sentir en Sibérie. En général il regne un froid extrême dans le nord-oüest de l'Amérique. Le célebre M. Halley conjecture que cette partie du nouveau monde étoit située autrefois beaucoup plus près du pole ; qu'elle en a été éloignée par un changement considérable arrivé il y a fort long-tems dans notre globe. Il regarde en conséquence le froid qu'on ressent actuellement dans ces contrées, comme un reste de celui qu'elles éprouvoient dans leur ancienne position, & les glaces qu'on y trouve en très-grande quantité, comme les restes de celles dont elles étoient autrefois couvertes, qui ne sont pas encore entierement fondues.

L'air froid de la Sibérie ou de la baie de Hudson étant emporté par les vents dans d'autres régions, y doit augmenter considérablement la rigueur de l'hyver. Il fait beaucoup de froid dans la partie méridionale de la Tartarie moscovite ou chinoise, par certains vents qui viennent de la Sibérie. De même les vents qui soufflent du nord-oüest de l'Amérique, causent un froid extrême dans le Canada. C'est probablement la principale raison pour laquelle Quebec & Astracan, placés à-peu-près sous les latitudes de 46 ou 47 degrés, éprouvent des froids très-supérieurs à ceux qu'on ressent en France sous les mêmes paralleles.

Les vents ont une influence très-marquée sur les vicissitudes des saisons ; ils ne rafraîchissent point l'air par leur mouvement, mais ils apportent souvent avec eux l'air de certaines régions plus froides que la nôtre : ce qui fait le même effet. Dans notre hémisphere boréal le vent du nord est froid, principalement en hyver, parce que les pays d'où il vient sont plus froids par leur position que ceux où sa direction le porte. Il faut dire le contraire du vent de sud, qui dans notre hémisphere souffle des pays chauds vers les pays froids. Il est aisé de comprendre que dans l'hémisphere austral le vent de nord est chaud, & le vent du midi froid.

Il suffit de considérer ce qui arrive dans notre hémisphere. Puisque généralement parlant, le vent de nord y est froid, & le vent du midi chaud, les plus grands froids doivent se faire sentir en hyver par le vent de nord, ou par ceux de nord-oüest, de nord-est, &c. qui participent plus ou moins à la froideur du premier. C'est aussi ce que l'on observe le plus communément.

On remarque souvent en hyver que quand le vent passe subitement du sud au nord, un froid vif & piquant succede tout-à-coup à une assez douce température. La raison de ce dernier changement est facile à trouver. Quand le vent de sud regne en hyver, l'air est plus échauffé par ce vent qu'il ne le seroit par la seule action des rayons du soleil. Cependant la chaleur dans ces circonstances est encore assez foible ; puisque dans les provinces méridionales de la France, le vent étant au sud dans les mois de Décembre, de Janvier, & de Février, le thermometre de M. de Réaumur ne s'éleve guere le matin qu'à 6 ou 7 degrés au-dessus de la congelation, & l'après-midi à 10 ou 11 degrés. La seule privation du vent de sud doit donc causer dans l'atmosphere un refroidissement, qui sans être fort considérable, ira bien-tôt jusqu'à un terme fort approchant du terme de la glace dans des pays qui ne sont pas extrêmement froids. Si nous ajoûtons que le vent du nord augmente le refroidissement, nous verrons clairement pourquoi le froid est déjà assez vif, lorsqu'à peine le vent de nord a commencé de souffler.

Si le vent de nord est déterminé à souffler en même tems sur une grande partie de la surface de notre globe, le froid pourra commencer en même tems dans des pays fort éloignés.

Le froid est plus général ou plus particulier, selon que le vent de nord qui l'amene regne sur une plus grande ou sur une moindre étendue de pays ; il est d'autant plus considérable que les régions d'où vient ce vent de nord, sont plus voisines du pole, ou plus froides d'ailleurs par quelqu'une des causes locales indiquées ci-dessus.

Il n'y a nulle difficulté à concevoir qu'un vent de nord, ou tout autre vent regne en même tems dans une grande partie de notre hémisphere, les causes qui produisent les vents étant par elles-mêmes assez puissantes pour imprimer à une partie considérable de l'atmosphere terrestre un certain mouvement déterminé. Voyez VENT.

Qu'un vent de nord apporte dans notre zone tempérée l'air glacé des régions voisines du pole, c'est ce qui doit arriver naturellement dans plusieurs circonstances. Si par exemple les vents de sud ont soufflé pendant long-tems avec beaucoup de violence dans une grande partie de notre hémisphere, l'air fortement comprimé se sera resserré vers notre pole ; il se rétablira avec force, quand les causes qui produisoient les vents de sud auront cessé ; il s'étendra au loin ; il sera très-froid, parce que les régions d'où il viendra seront fort septentrionales.

C'est dans des circonstances à-peu-près semblables que le froid devenant plus considérable & plus général, on pourra éprouver dans une grande partie de la terre un froid pareil à celui qui se fit sentir en 1709.

Au reste je ne prétens nullement décider qu'on se soit effectivement trouvé en 1709 dans les circonstances que je viens d'indiquer. Différentes combinaisons des causes accidentelles du froid avec la cause générale pouvant produire à-peu-près les mêmes effets, il est souvent très-difficile, quand un froid extraordinaire arrive, de déterminer précisément ce qui peut y avoir donné lieu.

Le vent de nord nous apporte en assez peu de tems l'air des pays septentrionaux. On trouve par un calcul fort aisé, qu'un vent de nord assez modéré, qui parcouroit 4 lieues par heure, apporteroit l'air du pole à Paris en moins de 11 jours. Ce même air arriveroit à Paris en 7 jours par un vent violent, qui feroit par heure jusqu'à 6 lieues. Un vent de nord-nord-est viendroit de la Norwege ou de la Laponie en moins de tems.

Bien des physiciens sont persuadés que le vent de nord souffle presque toûjours de haut en-bas, parce qu'il nous apporte un air plus condensé. Je crois que cette direction de haut en-bas, à laquelle la terre résiste, n'a guere lieu que pour certains vents du nord qui soufflent dans une étendue de pays peu considérable. Un vent qui regne dans une grande partie de notre hémisphere, ne peut guere s'écarter de la direction horisontale que pour souffler de bas en-haut. Je mets à part les obstacles que les montagnes opposent à la direction du vent.

Ce qui est bien certain, c'est qu'un vent est froid, par cela seul qu'il prend sa direction de haut en-bas ; la raison en est sensible, après ce que nous avons dit, que les couches supérieures de notre atmosphere étoient toûjours plus froides que les inférieures.

Les vents qui ont passé sur les sommets des montagnes refroidissent beaucoup les plaines voisines, dans lesquelles ils se font sentir, principalement lorsque ces montagnes sont couvertes de neige. L'effet de ces sortes de vents est assez connu ; ils sont souvent bornés à une étendue de pays peu considérable, & ils occasionnent par-là des froids particuliers.

Un vent de nord peut quelquefois au milieu même du printems ramener dans un climat d'ailleurs assez tempéré, toutes les rigueurs de l'hyver. On sait que la fin de l'automne & le commencement du printems sont froids, par la cause générale des saisons. Si quelque nouvelle cause survient, il ne sera pas impossible que le froid de l'hyver soit surpassé par celui de l'automne ou du printems.

Sans apporter aucun changement à l'ordre des saisons, les vents peuvent causer du dérangement dans les climats. On ne niera point, par exemple, que le climat de Paris ne soit en général plus froid que celui de Montpellier ; cependant il a fait plus de froid en certaines années à Montpellier qu'à Paris. Un vent de nord-oüest ou de nord-est soufflant dans l'une de ces deux villes pendant que le sud-oüest regne dans l'autre, rend suffisamment raison de cette irrégularité.

Nous avons beaucoup parlé de vents de nord, de nord-oüest, de nord-est, &c. qui régulierement parlant, sont les plus froids de tous : les vents d'est & d'oüest peuvent aussi contribuer dans certains cas à la rigueur de l'hyver. Il suffit pour cela que dans les pays d'où ils viennent, le froid soit actuellement considérable. Le vent de sud même est froid en certaines circonstances, comme on l'éprouve à Paris, quand les montagnes d'Auvergne, méridionales à l'égard de cette capitale, sont couvertes de neige.

Un vent de nord, comme tout autre vent, selon les obstacles & les différentes résistances qu'il trouve, change de direction & passe à l'est, à l'oüest, ou même au sud, sans perdre son degré de froid. On peut expliquer par-là pourquoi en 1709 il gela très-fortement à Paris pendant quelques jours par un petit vent de sud ; ce vent succédant à un vent de nord qui venoit de loin & qui s'étendoit loin, n'étoit qu'un reflux de même air que le nord avoit poussé, & qui ne s'étoit refroidi nulle part. Voyez l'hist. de l'acad. des Scienc. année 1709. pag. 9.

On voit par tout ce qui vient d'être dit jusqu'où peut aller l'influence des vents sur la production du froid, & en général sur les saisons. Les vents étant fort variables, fort inconstans dans les zones tempérées, les saisons par une conséquence nécessaire y seront pareillement sujettes à de grandes variations. Voyez VENT & SAISON.

Quoique certains vents, ceux de nord sur-tout, produisent le froid de la maniere que nous l'avons expliqué, ce n'est pourtant pas lorsqu'ils soufflent avec plus de violence que le plus grand froid se fait sentir. Il ne regne d'ordinaire qu'un petit vent pendant les plus fortes gelées. Les grands vents échauffent un peu l'air par le frottement qu'ils causent. Si le vent, généralement parlant, refroidit plus nos corps qu'un air qui n'est point agité, c'est par une raison connue de tous les Physiciens. On sait que nos corps naturellement plus chauds qu'un air tranquille qui les environne, échauffent une partie de cet air, & par-là se trouvent comme plongés dans une atmosphere d'une chaleur souvent égale ou peu inférieure à celle de nos organes. Or les vents enlevent & dissipent promtement cette atmosphere chaude, pour mettre un air froid à sa place ; il n'en faut pas davantage pour qu'un air agité nous paroisse beaucoup plus froid qu'un air tranquille, refroidi précisément au même degré.

L'instrument qui sert à mesurer les degrés de chaleur, comme ceux du froid, est connu sous le nom de thermometre ; il est fondé sur la propriété qu'a la chaleur de raréfier les corps, sur-tout les liqueurs, & sur celle qu'a le froid de les condenser. Voyez THERMOMETRE.

Le thermometre nous a appris que le plus grand froid se faisoit sentir chaque jour environ une demi-heure après le soleil levé ; c'est au-moins ce qui arrive le plus souvent, & en voici, je crois, la principale raison. La chaleur imprimée à un corps ne se conservant que quelque tems, la terre & l'air se refroidissent depuis trois ou quatre heures après midi jusqu'au soir, & plus encore pendant la nuit : ce refroidissement doit continuer même après le lever du soleil, jusqu'à-ce que cet astre, dont l'action est très-foible à l'horison, ait acquis par son élévation assez de force pour communiquer à l'air & à la terre, plus de chaleur qu'ils n'en perdent par la cause qui tend toûjours à les refroidir. Or c'est ce qui n'arrive qu'au bout d'une demi-heure ou environ, la hauteur du soleil commençant alors à être un peu considérable. Au reste ici comme ailleurs, les vents peuvent causer d'assez grandes irrégularités. On a vû quelquefois, mais rarement, le froid de l'après-midi surpasser celui de la matinée ; ce qui venoit d'un vent qui s'étoit élevé vers le milieu du jour.

Depuis qu'on a rectifié la construction des thermometres, on a observé avec beaucoup d'exactitude certains froids excessifs en différens lieux de la Terre. La table suivante fera connoître quelques-uns des principaux résultats de ces diverses observations ; elle est tirée d'une autre table un peu plus étendue, donnée par M. de Lisle, à la suite d'un mémoire très-curieux du même académicien, sur les grands froids de la Sibérie. Ce mémoire est imprimé dans le recueil de l'académie des Sciences de l'année 1749.

Table des plus grands degrés de froid observés jusqu'ici en différens lieux de la terre.

En jettant les yeux sur cette table, on sera bientôt pleinement convaincu qu'un froid égal à celui qui se fit sentir à Paris en 1709, exprimé par 15 1/2 degrés au-dessous de la congelation, est un froid très-médiocre à beaucoup d'égards. Il suffit de comparer ce degré de 1709, avec la plûpart de ceux qu'on a marqués dans la table.

Le froid qu'on a marqué le quatrieme est celui qu'éprouverent en 1737 MM. les académiciens, qui allerent en Laponie pour mesurer un degré de méridien vers le cercle polaire. Ce froid fit descendre au trente-septieme degré les thermometres de mercure, reglés sur la division de M. de Reaumur ; les thermometres d'esprit-de-vin se gelerent. Par un tel froid, lorsqu'on ouvroit une chambre chaude, l'air de dehors convertissoit sur le champ en neige la vapeur qui s'y trouvoit, & en formoit de gros tourbillons ; lorsqu'on sortoit, l'air sembloit déchirer la poitrine. Mesure de la terre au cercle polaire, par M. de Maupertuis, &c.

Un froid qui produit de tels effets, est inférieur de 30 & de 33 degrés à certains froids qui se font quelquefois sentir en Sibérie.

On n'a point d'observations du thermometre faites à la baie de Hudson ; mais ce que les voyageurs anglois nous racontent des grands froids qu'on y éprouve, est prodigieux. Dans ces contrées, lorsque le vent souffle des régions polaires, l'air est chargé d'une infinité de petits glaçons que la simple vûe fait appercevoir. Ces glaçons piquant la peau comme autant d'aiguilles, y excitent des ampoules, qui d'abord sont blanches comme du linge, & qui deviennent ensuite dures comme de la corne. Chacun se renferme bien vîte par des tems si affreux ; mais quelque précaution qu'on prenne, on ne sauroit s'empêcher de sentir vivement le froid. Dans les plus petites chambres & les mieux échauffées, toutes les liqueurs se gelent, sans en excepter l'eau-de-vie ; & ce qui paroîtra peut-être plus étonnant, c'est que tout l'intérieur des chambres & les lits se couvrent d'une croûte de glace épaisse de plusieurs pouces, qu'on est obligé d'enlever tous les jours.

On ne croiroit pas, si l'expérience ne prouvoit le contraire, qu'un pareil froid pût laisser rien subsister de ce qui végete & de ce qui vit. Ce qui est certain, c'est que des froids bien moins considérables sont souvent nuisibles aux plantes & aux animaux.

La chaleur du soleil étant le principal agent employé par la nature dans l'ouvrage de la végétation, il est clair que quand cette chaleur diminue, les arbres & les plantes croissent avec plus de lenteur : ainsi le froid retarde par lui-même les progrès de la végétation. Il est vrai que certaines plantes exigent moins de chaleur que d'autres ; & de-là vient en grande partie la diversité des plantes selon les lieux & les climats : mais d'un autre côté il n'est pas moins constant que le froid poussé jusqu'à un certain degré est toûjours nuisible : & même pernicieux à quantité de végétaux. Voyez VEGETATION, PLANTE.

Les fortes gelées qui accompagnent les grands froids, produisent aussi sur les arbres & sur les plantes de funestes effets. Voyez GELEE & GLACE.

Plusieurs auteurs ont parlé des effets du froid sur les corps des animaux. Ils nous disent qu'un air froid resserre, contracte, raccourcit les fibres animales ; qu'il condense les fluides, qu'il les coagule & les gêle quelquefois ; qu'il agit particulierement sur le poumon, en le desséchant, en épaississant considérablement le sang qui y coule, &c. de-là les différentes maladies causées par le froid, les catarrhes, les inflammations de poitrine, le scorbut, la gangrene, le sphacele, l'apoplexie, la paralysie, &c. Le froid tue quelquefois subitement les hommes, & plus souvent les autres animaux, qui ne peuvent pas comme l'homme se procurer des défenses contre les injures de l'air. Tout ceci est parfaitement conforme à l'idée qu'on a donnée jusqu'ici de la nature du froid. Voy. Boerhaave, instit. med. n°. 747. Arbuthnot, essai des effets de l'air sur le corps humain, &c.

Une différence essentielle entre les animaux vivans & les corps inanimés, tels que les plantes, les minéraux ; c'est que ceux-ci prennent au bout d'un certain tems la température du milieu qui les environne, ensorte qu'ils participent aux changemens qui arrivent dans le degré de chaleur ou de froid de ce même milieu ; au lieu que les animaux vivans conservent dans les saisons les plus extrêmes, un degré de chaleur constant & indépendant en quelque sorte de l'air dans lequel ils vivent. Cette chaleur animale répond dans l'homme au trente-deuxieme degré au-dessus de la congelation du thermometre de M. de Reaumur. Au reste nous parlons ici de la chaleur intérieure du corps humain, ou de la chaleur des parties qu'on a suffisamment munies contre le froid ; car il est certain que la peau du visage, des mains, & en général la surface du corps humain, quand on néglige de prendre les précautions nécessaires, se refroidit plus ou moins, selon que l'air qui agit sur elle est plus ou moins froid. Voyez CHALEUR ANIMALE.

Nous ne parlerons point de quelques autres effets du froid, qui ont trouvé ou qui trouveront leur place ailleurs. Voyez, par exemple, sur l'évaporation des liquides pendant le grand froid, les articles EVAPORATION & GLACE.

Du froid artificiel. On donne le nom de froid artificiel, à celui que les hommes produisent en quelque sorte par différens moyens, dont plusieurs sont très-connus. Le plus simple de tous ces moyens est l'application d'un corps plus froid ou moins chaud que celui qu'on veut refroidir ; car il suit de la loi générale de la propagation de la chaleur, que ce dernier corps doit être rendu par-là moins chaud ou plus froid qu'il n'étoit auparavant. C'est ainsi que pour rafraîchir de l'eau, du vin, ou d'autres liqueurs, on les met à la glace ou dans la neige.

Un autre moyen de faire naître du froid est le mélange intime de différentes substances, soit solides, soit fluides. Il faut remarquer que ces substances qu'on mêle ont souvent le même degré de température ; & quand cela n'est pas, la plus chaude refroidit quelquefois celle qui l'est moins. Voici ce que l'expérience nous apprend au sujet du froid, qui résulte de ces divers mélanges.

1°. Si l'on jette dans une suffisante quantité d'eau un sel alkali volatil quelconque, ou un sel neutre tel que le nitre, le sel polychreste, le vitriol, le sel gemme, le sel marin, l'alun, le sel ammoniac, &c. ce sel en se dissolvant dans l'eau, la refroidira au-delà même du degré ordinaire de la congelation, si la froideur de cette eau en approchoit déjà : à cet égard le sel ammoniac est de tous les sels le plus efficace. Une livre qu'on en jette dans trois ou quatre pintes d'eau, fait descendre la liqueur du thermometre de M. de Reaumur de quatre, cinq, ou six degrés, plus ou moins, selon le degré de froid qu'avoit l'eau avant qu'on y eût mis le sel. De l'eau qu'on a refroidie de cette maniere au-delà du terme de la glace, ne se gele pourtant point. Si quelques gouttes séparées de cette dissolution viennent à se glacer, c'est par le hasard d'une promte crystallisation, & par le concours de plusieurs circonstances rarement réunies. M. Geoffroy, mém. de l'académ. des Sciences, ann. 1700, pag. 110. & suiv. M. de Mairan, dissert. sur la glace, pag. 374. & suiv. M. Musschenbroeck, essai de Physique, tom. I. ch. xxvj. & suiv. Voyez SEL, DISSOLUTION, NSTRUETRUE.

2°. Tous les sels concrets ou qui sont sous forme seche, de quelque espece qu'ils soient d'ailleurs, acides, neutres, ou alkalis, tant fixes que volatils, étant mêlés avec de la neige ou de la glace pilée, ce mélange prend bien-tôt un nouveau degré de froid plus ou moins considérable, selon que les sels ont plus ou moins de vertu, ou qu'on les employe en différentes doses. La maniere si connue de faire geler des liqueurs en été malgré le chaud de la saison, est une suite de cette propriété des sels. Voyez GLACE.

On voit par toutes les expériences qu'on a faites jusqu'à présent, que les sels mêlés avec la glace la fondent promtement, & que ce n'est qu'en la fondant & en s'y dissolvant eux-mêmes, qu'ils la rendent plus froide. Tout ce qui accélere cette fusion réciproque de la glace & des sels, doit hâter le refroidissement : au contraire, quand par un moyen dont nous parlerons bien-tôt, on empêche cette fusion, nulle nouvelle production du froid.

Deux parties de sel marin mêlées avec trois parties de glace pilée, font descendre dans les jours les plus chauds, la liqueur du thermometre de M. de Reaumur à 15 degrés au-dessous de la congelation. Le sel ammoniac un peu moins actif à cet égard, ne donne à la glace que 13 degrés de froid. L'efficacité du salpetre raffiné, ou de la troisieme cuite, est beaucoup moindre ; le froid qui en résulte, n'est que de trois degrés 1/2. Le salpetre de la premiere cuite qui contient beaucoup de sel marin, fait descendre le thermometre de 11 degrés. Il suit évidemment de-là qu'on s'est trompé pendant long-tems, quand on a regardé le salpetre comme le sel le plus propre aux congelations artificielles. Le sel marin fait plus d'effet : cependant il ne tient pas ici le premier rang, puisque le froid qu'il produit est inférieur de deux degrés à celui que donne le sel gemme, & de deux degrés 1/2 au froid qu'on fait naître avec de la potasse qui est un sel alkali. Tout ceci est constant par les expériences de M. de Reaumur. Voyez le mémoire de cet académicien sur les congelations artificielles, dans le recueil de l'académie des Sciences pour l'année 1734.

3°. Les esprits de sel & de nitre possedent à un plus haut degré que les sels concrets, la vertu de produire le froid. De l'esprit de nitre qu'on aura eu soin de refroidir jusqu'au point de la congelation du thermometre, étant versé sur de la glace pilée, dont le poids soit environ double du sien, on verra bientôt le thermometre descendre avec vîtesse jusqu'à 19 degrés. On produira un degré de froid plus considérable, si avant que de verser l'esprit de nitre sur la glace pilée, on a fait prendre à ces deux matieres un froid beaucoup plus grand que celui de la congelation, en les environnant séparément l'une & l'autre de glace, mêlée avec d'autre esprit de nitre. On a par cette préparation un esprit de nitre déjà très-froid, qui versé sur de la glace extrêmement refroidie, fera descendre le thermometre à 25 degrés. En refroidissant davantage par cette même voie l'esprit de nitre & la glace, nous aurons de plus grands degrés de froid. De cette maniere M. Fahrenheit a poussé le froid artificiel jusqu'à 40 degrés au-dessous du zéro de sa division, ou ce qui revient au même, au trente-deuxieme degré des thermometres de M. de Reaumur. Voyez le détail curieux de l'expérience de M. Fahrenheit, dans la chimie de Boerhaave, expér. jv. coroll. 4.

Il est possible en pratiquant cette même méthode, d'augmenter beaucoup le froid qui résulte du mêlange de la glace & d'un sel concret, quoiqu'on ne puisse jamais rendre ce dernier froid égal à celui que l'on obtient en employant des esprits acides. Si, par exemple, avant de mêler la glace & le sel marin on a fait prendre à chacune de ces deux matieres 14 degrés de froid, on pourra faire naître un froid de 17 degrés & 1/2, qu'il sera facile de pousser ensuite jusqu'à 22 degrés, en suivant toûjours le même procédé, pourvû néanmoins qu'après avoir mis ensemble la glace & le sel déjà refroidis, on verse sur ce mélange de l'eau chargée de sel marin, & froide de huit à neuf degrés : sans cela, comme M. de Reaumur l'a éprouvé, le sel & la glace ne se fondant point l'un l'autre, il n'y auroit aucun nouveau froid ; c'est qu'un froid de 12 à 14 degrés a congelé l'humidité nécessaire à ces deux substances, pour s'entamer réciproquement. Cette maniere de dessécher le sel & la glace en les refroidissant, est le moyen que nous avons annoncé plus haut de mettre obstacle à leur fusion, & d'empêcher par-là la production d'un nouveau froid.

Quoique le sel marin soit fort supérieur au salpetre par rapport à l'effet dont il s'agit, l'esprit de sel est cependant un peu inférieur à l'esprit de nitre. Eût-on deviné cette bisarrerie apparente ? Mais ce qui paroîtra plus singulier, c'est le froid causé par une liqueur ardente & inflammable, comme l'esprit-de-vin : ce froid n'est inférieur que d'environ deux degrés à celui que produit l'esprit de nitre, employé précisément de la même façon.

En général toutes les liqueurs, soit acides, soit spiritueuses, refroidissent la glace en la fondant ; les liqueurs alkalines volatiles, telles que l'esprit de sel ammoniac, ou l'esprit d'urine, font le même effet. Les huiles fondent bien la glace ; mais comme elles ne se mêlent point avec l'eau qui lui succede, elles ne donnent aucun nouveau froid. M. de Reaumur, dans le mémoire déjà cité. M. Musschenbroeck, tentamina experimentorum naturalium, &c.

4°. Certaines dissolutions chimiques accompagnées d'effervescence, c'est-à-dire où les matieres bouillonnent & se gonflent, & même avec bruit, sont cependant froides, & font descendre le thermometre qui y est plongé. C'est ce qu'on éprouve quand on mêle des alkalis volatils avec différentes liqueurs acides, par exemple, le sel volatil d'urine avec le vinaigre distillé ; le sel ammoniac étant jetté dans l'esprit de nitre ou dans de l'huile de vitriol, fait aussi avec chacune de ces deux liqueurs une effervescence froide très-considérable.

Du mélange du sel ammoniac & de l'huile de vitriol, il en sort pendant l'effervescence des vapeurs chaudes. Si par exemple on projette sur trois dragmes d'huile de vitriol deux dragmes de sel ammoniac, il s'en exhalera une fumée qui fera monter un thermometre placé immédiatement au-dessus d'elle d'environ quatre degrés & demi de la division de M. de Reaumur ; tandis qu'un autre thermometre placé dans le mélange, baissera de plus de cinq degrés. M. Musschenbroeck ayant fait cette même expérience dans le vuide, le résultat en a été différent ; les vapeurs se sont élevées comme auparavant, mais elles n'ont fait aucune impression sensible sur le thermometre exposé à leur action ; apparemment la chaleur de ces vapeurs s'augmente beaucoup par l'action & la réaction de l'air. A l'égard du thermometre plongé dans le mélange, il baisse également & dans l'air subtil & dans l'air grossier. M. Geoffroi, mém. de l'acad. des Sciences, année 1700, pag. 110. & suiv. M. Musschenbroeck, tentamina experiment. natural. &c. Voy. DISSOLUTION, MENSTRUE, FERVESCENCEENCE.

Quand on plonge une bouteille pleine d'eau dans un mélange de sel & de glace pilée, l'eau contenue dans la bouteille ne se refroidit & ne se glace que parce qu'étant plus chaude que le mélange qui lui est en quelque maniere contigu, elle lui communique selon la loi générale une partie de sa chaleur. Il n'en est pas de même des substances, qui mêlées intimement, font naître le froid artificiel ; elles ont le plus souvent le même degré de température ; quelquefois même un corps se refroidit en s'unissant à un autre corps moins froid que lui ; du sel, par exemple, moins froid de plusieurs degrés que de la glace, ne laisse pas de la refroidir. La loi générale de la propagation de la chaleur, paroît être ici violée ; mais on doit remarquer que cette loi ne s'observe que dans les corps simplement appliqués, & qui n'agissent l'un sur l'autre que par leurs surfaces. Quand deux substances s'unissent par voie de dissolution, d'autres lois se rendent sensibles par d'autres effets. Cet article est de M. DE RATTE, secrétaire perpétuel de la S. R. des Sciences de Montpellier, membre de l'institut de Bologne & de l'acad. de Cortone.

FROID, (Chimie) Les Chimistes prennent ce mot dans deux acceptions différentes.

Premierement, pour la présence, l'action positive & réelle d'une chaleur foible, de celle que notre atmosphere emprunte des rayons refléchis du soleil, ou, ce qui est la même chose, pour la chaleur naturelle de l'ombre, dans toutes les saisons de l'année. C'est ainsi qu'ils disent d'une dissolution faite à l'ombre, & sans le secours d'un feu artificiel, qu'elle est faite à froid ; d'une certaine application de l'eau, chaude comme l'atmosphere qui l'environne, que c'est une macération ou infusion à froid ; d'une lessive saline placée pour crystalliser loin de tout feu artificiel & à l'abri des rayons directs du soleil, qu'elle est mise ou gardée au froid, ou bien dans un lieu froid ou frais.

Les variétés des saisons & les diverses températures des lieux plus ou moins bas & profonds, ou ombragés par l'interposition de corps plus ou moins denses, fournissent les différens degrés de ce froid chimique sous lequel on opere ordinairement. La perfection qu'acquierent certains vins en vieillissant dans les bonnes caves, est dûe à une espece de digestion lente ou de fermentation insensible, que le froid, c'est-à-dire la chaleur foible du lieu, entretient dans ces liqueurs. Il est quelques cas rares dans lesquels on augmente ce froid par art, par l'application de la glace, comme dans la préparation de l'éther nitreux. Voyez ETHER NITREUX.

Il est clair que le froid dont nous venons de parler, n'est proprement qu'un degré de feu. Voyez FEU.

Secondement, les Chimistes prennent le mot froid dans son acception la plus vulgaire, pour le contraire ou l'absence de la chaleur. Le froid ainsi conçû comme agent ou comme obstacle physique, est employé principalement à suspendre des mouvemens chimiques, ces altérations communément appellées spontanées, que subissent les corps composés sous la température moyenne de notre atmosphere, c'est-à-dire à conserver ces substances. Voyez CONSERVATION, (Pharmac.) Ce froid est encore employé à modérer l'expansion de certains produits volatils des distillations, & à empêcher par-là la dissipation de ces produits ; ce qui s'appelle rafraîchir. Voy. RAFRAICHIR (Chimie), STILLATIONTION.

L'emploi de ce froid chimique est toûjours absolu ; & par conséquent les Chimistes cherchent toujours à s'en procurer le degré le plus fort qu'il est possible.

Mais le degré usuel, commun, vulgaire, est celui qu'on obtient dans le rafraîchissement, par l'application des linges mouillés, de l'eau froide en masse, ou tout au plus de la glace ; & pour la conservation, celui que fournissent les bonnes caves.

Il est clair par ce que nous venons d'exposer, que nous n'opérons & que nous n'observons que sous un degré de froid peu considérable ou peu durable. Cependant l'emploi philosophique d'un froid plus fort & plus constant, nous procureroit diverses connoissances aussi utiles que curieuses : d'abord, il feroit connoître le premier ou le plus insensible degré de corruption, & par conséquent, l'action naissante du feu, l'énergie de son moindre degré chimique ; il nous fourniroit l'occasion d'observer l'altération lente & réguliere de certaines matieres, des substances animales, par exemple, que le froid des meilleures caves ne sauroit préserver d'une corruption promte & tumultueuse. Il y auroit même des cas, où l'action d'un feu si leger pouvant être réputée nulle, on auroit la contre-preuve de nos dogmes sur le feu, par la considération des phénomenes à la production desquels cet agent ne contribueroit pas.

Une bonne glaciere qu'on pourroit disposer de diverses façons commodes, dans laquelle on pourroit pratiquer des especes d'étuves froides, des tiroirs à la façon de ceux des fours à poulets ; une bonne glaciere, dis-je, fourniroit le réservoir le plus sûr & le plus commode de ce froid. Nous ne saurions dans nos climats nous procurer un froid durable plus fort ; car les gelées ne s'y soûtiennent pas long-tems sans interruption, & les froids artificiels excités par des dissolutions salines, ne sont que momentanés, ou du-moins fort courts. L'application continuelle de la glace à l'air ouvert, n'est pratiquable que pour un tems fort court : or la durée & la continuité du froid sont absolument essentielles ; car comme la lenteur du changement chimique est proportionnelle au peu d'intensité de la cause qui le produit, du feu, il faut que cette lenteur soit compensée par la durée de l'action : il faudra souvent plusieurs années pour pouvoir observer des altérations sensibles.

Le chimiste qui voudra donc connoître les effets de la suite entiere des degrés du feu chimique sur différentes substances, placera son laboratoire entre un fourneau de verrerie & une glaciere, ou se pourvoira de l'un & de l'autre.

Le même degré de froid employé à conserver & à fournir en tout tems des gibiers & des fruits inconnus dans certaines saisons, pourroit procurer une source de luxe qui figureroit très-bien à côté des serres chaudes de nos modernes Apicius. Le premier moyen iroit au même but que le dernier, par une voie vraisemblablement plus commode & plus sûre, mais qui seroit moins dispendieuse, & par conséquent moins magnifique ; ce qui est un inconvénient réel.

La concentration à la gelée du vin & du vinaigre n'a aucun rapport avec l'usage du froid chimique, qui a fait le sujet de cet article. Voyez CONCENTRATION, VIN, NAIGREIGRE. (b)

FROID, (Docimastique) donner froid ; expression usitée dans cette partie de l'Alchimie, où elle signifie ralentir l'action du feu. On donne froid à un régule qu'on affine, quand les vapeurs s'élevent jusqu'à la voûte de la moufle ; que la moufle est de couleur de cerise, &c. On dit par opposition donner chaud. Voyez ce mot, & ESSAI. Article de M. DE VILLIERS.

FROID, (Economie animale) il n'y a point de corps dans la nature qui ne soit plus ou moins pénétré dans l'intensité de ses parties élémentaires, par le fluide universel, la plus subtile de toutes les substances matérielles, c'est-à-dire par l'élément du feu.

Il n'est donc aucun corps dans la nature qui ne soit plus ou moins agité dans ses parties intégrantes, par l'action propre à ce fluide, qui consiste à tendre autant à opérer la desunion des parties de matiere auxquelles il est placé, que ces parties-ci tendent par elles-mêmes, c'est-à-dire par leur force de cohésion, à se rapprocher, à s'unir de plus en plus. Or comme cette action varie continuellement, ne subsiste jamais la même deux instans de suite, & qu'elle produit ainsi une sorte d'oscillation continuelle dans les corps, voyez FEU, (Physique) ; il en résulte un frottement plus ou moins fort entre leurs molécules intégrantes ; d'où s'ensuit qu'il existe un mouvement continuel dans les particules ignées, qui est ce en quoi consiste la chaleur plus ou moins sensible, selon que ce mouvement est plus ou moins considérable. Voyez FEU, CHALEUR, & sur-tout ce qui a rapport à ces différentes matieres ; les élémens de Chimie de Boerhaave, partie II. la Physique de s'Gravesande, de Musschenbroeck, &c.

On peut dire conséquemment à ce principe, qu'il n'y a point de corps qui ne soit chaud, dès qu'on regarde la chaleur comme une qualité qui suppose dans le corps où on la conçoit, une action de feu, telle qu'elle puisse être, à quelque degré qu'elle puisse avoir lieu. Il n'y a donc point de corps, c'est-à-dire d'aggrégé des parties élémentaires de la matiere, dont on puisse dire qu'il est absolument froid, en entendant par ce terme la qualité d'un corps dans la substance duquel il n'y a aucune action du feu. On ne peut imaginer que les élémens même, atomi, qui comme ils sont les seuls solides parfaits, indivisibles, inaltérables, doivent par conséquent n'être pénétrables par aucun agent dans la nature, sur-tout par aucun agent destructeur, tel que le feu : mais comme cette exception unique, qui présente ainsi l'idée d'un froid absolu dans les seules parties élémentaires des corps ne tombe pas sous les sens, le froid qui peut nous affecter, n'est donc qu'une qualité respective par laquelle on a voulu désigner, non une absence totale du feu, mais une diminution de son effet, c'est-à-dire de la chaleur relativement à celle qui a lieu naturellement dans notre corps.

Ainsi c'est la chaleur animale qui fixe l'idée du chaud & du froid, selon qu'il résulte du premier de ces attributs une sorte de sensation à laquelle il est attaché de représenter à l'ame un plus grand effet du feu, que celui qu'il produit dans notre corps considéré dans l'état de santé ; & qu'il suit de l'attribut opposé, qu'il n'est autre chose que la faculté d'affecter d'une autre sorte de sensation, par laquelle l'ame s'apperçoit d'un moindre effet du feu que celui qu'il opere dans notre corps bien disposé.

Nous n'appellons donc chaud & froid, que ce qui nous semble plus ou moins agité par l'action du feu que ne l'est notre propre corps, autant que nous pouvons en juger par la comparaison des impressions que fait sur nos parties sensibles cette action du feu dans les substances dont nous sommes composés, avec celles qui nous viennent du dehors par le contact des corps ambians. Nous ne nous appercevons du chaud & du froid, que par les effets de cette agitation ignée, qui sont plus ou moins considérables, qui excedent ou qui n'égalent pas ceux de la chaleur vitale au degré qui est propre à l'état de santé dans chaque individu.

Le terme de froid n'est donc employé que pour désigner une sorte de modification des corps, respectivement à la sensation qu'ils excitent en nous, lorsqu'ils nous affectent par une mesure de chaleur moindre que celle de la nôtre. Comme les corps ne sont dits chauds, qu'autant que l'action du feu est en eux plus forte qu'en nous ; qu'autant que nous la sentons telle ; car elle n'est pas toûjours réellement ce qu'elle paroît, ainsi qu'on le prouvera ci-après : c'est donc toûjours la mesure de notre chaleur animale, qui est la regle de comparaison pour juger de la chaleur ou du froid de tous les corps qui sont hors de nous.

Or cette chaleur vitale, dont la mesure ne peut être déterminée que par le moyen du thermometre, ayant été fixée à l'égard de l'homme, par l'observation faite avec cet instrument, de la façon & selon la graduation de Fahrenheit, à la latitude de quatre-vingt-douze à quatre-vingt-dix-huit degrés pour les différens tempéramens & les différens âges dans l'état naturel ; & la plus grande chaleur de l'atmosphere étant limitée à un degré bien inférieur, puisqu'aucun animal ne pourroit vivre dans un milieu dont la chaleur seroit constamment portée à 98 degrés : il s'ensuit que l'on pourroit dire avec fondement, d'après ce qui a été établi ci-devant, que l'action du feu dans l'atmosphere ne va jamais jusqu'à la rendre chaude respectivement à nous, puisqu'elle n'excede & n'égale même jamais, d'une maniere durable & supportable, la chaleur qui nous est naturelle. Ainsi on peut regarder le milieu dans lequel nous vivons comme étant toûjours froid, respectivement à ce que nous en sentons : ce rapport est variable, selon que ce froid s'approche ou s'éloigne plus ou moins de la chaleur animale, non-seulement pour les hommes en général, mais encore pour chacun en particulier, selon la différence du tempérament & de l'âge, à-proportion de l'intensité ou de la foiblesse de cette chaleur naturelle, dans la latitude des limites auxquelles on vient de dire qu'elle s'étend en plus ou moins : de même tous les corps dans lesquels l'action du feu peut faire monter le thermometre à un degré quelconque supérieur à ceux de la chaleur humaine, sont constamment regardés comme chauds, à-proportion de l'excès de cette action en eux sur celle qui a lieu dans nos corps : telle est l'idée que l'on peut donner en général des qualités des corps, que nous distinguons en chauds & en froids, relativement à nos sensations à cet égard.

Ainsi nous attachons toûjours l'idée d'un sentiment de froideur ou de fraîcheur à l'impression que nous sommes susceptibles de recevoir de l'application, à la surface de notre corps, de l'air renouvellé & de l'eau laissés à leur température naturelle, selon que cette température est plus ou moins éloignée de la nôtre ; ce qui fait que l'air agité par le vent, par un éventail, nous paroît froid ou frais ; que l'on trouve plus de fraîcheur en été, en se baignant dans l'eau courante ; parce que ces fluides, par le changement qui se fait continuellement de leur masse autour de notre corps, y sont toûjours appliqués avec leur propre température, & ne le sont pas assez pour participer à l'excès de chaleur de la nôtre sur la leur : il en est de même de tous les corps, qui n'ont d'autre chaleur que celle du milieu, dans lequel ils sont contenus ; ils sont réellement tous froids, c'est-à-dire moins chauds que notre corps dans son état naturel : ainsi ils nous paroissent tous en général être froids au toucher ; & ce froid est au même degré dans tous, quoiqu'il nous paroisse plus ou moins sensible, comme dans les métaux, le marbre comparé au bois & à d'autres corps. Cette différence ne vient que du plus ou moins de facilité avec laquelle notre propre chaleur se communique aux corps que nous touchons : ainsi les plus denses s'échauffent plus difficilement ; ils doivent donc nous paroître plus froids, parce qu'ils résistent, pour ainsi dire, plus long-tems à devenir chauds : la durée de la disposition à procurer la sensation du froid, nous semble être son intensité, respectivement aux corps moins denses, qui participent plus promtement à la chaleur que nous leur communiquons en les touchant, & dont le froid cesse sitôt qu'il ne nous donne pas, pour ainsi dire, le tems de le sentir, & de nous appercevoir qu'ils ont moins de chaleur que notre corps.

Cette différence de l'impression plus ou moins froide, que font sur nous ces différens corps, ne doit effectivement être attribuée qu'à cette cause ; puisque par le thermometre, on leur trouve la même température, & que c'est une chose démontrée, qu'il n'est aucun corps dans la nature qui ait plus de chaleur par lui-même qu'un autre, dans le même milieu ; une pierre à feu n'a pas plus de chaleur par elle-même, qu'un morceau de glace ; & les corps mêmes des animaux chauds, n'ont après leur mort pas plus de chaleur que tous les corps inanimés qui les environnent, à-moins que ce ne soit par l'effet de la putréfaction, ainsi qu'il arrive au foin, qui est susceptible, par les différens mouvemens intestins qui peuvent s'exciter dans sa substance, de devenir plus chaud que le milieu dans lequel il se trouve : de même l'effervescence chimique fait naître de la chaleur dans l'union, le mélange de certains corps, par le rapport qu'il y a entr'eux, qui séparément n'auroient que la chaleur de tous les autres corps ambians inanimés.

Il suit encore de ce qui a été établi précédemment, que nous pouvons même, sans qu'un corps change de milieu, & avec une température constamment la même, juger différemment relativement au chaud & au froid dont ce corps peut exciter en nous la sensation ; ce qu'on ne doit attribuer qu'à la différente disposition de l'organe de nos sensations. Qu'on expose en hyver une main à l'air jusqu'à ce qu'elle soit froide ; qu'on chauffe l'autre main au feu, & qu'on ait alors un pot rempli d'eau tiede : aussi-tôt qu'on plongera la main chaude dans cette eau, on dira qu'elle est froide, respectivement au degré de chaleur qu'on sent dans cette main ; qu'on plonge, après cela la main froide dans la même eau, & on jugera qu'elle est chaude, parce qu'elle a en effet plus de chaleur que cette main n'en sentoit avant d'être plongée. Voyez à ce sujet les essais de Physique de Musschenbroeck.

Nous ne jugeons donc pas, suivant la véritable disposition des corps qui sont hors de nous, à l'égard du chaud ou du froid, mais suivant que ces corps sont actuellement exposés à l'action du feu comparée avec celle qui a lieu dans notre corps, dont les organes sensitifs portent continuellement à l'ame les impressions qu'ils reçoivent, par l'effet de la chaleur vitale jointe à celle du milieu, dans lequel nous nous trouvons ; ensorte que l'ame porte ensuite son jugement par comparaison des corps plus ou moins chauds, que celui auquel elle se trouve unie.

C'est ainsi que l'on peut rendre raison pourquoi les caves nous paroissent froides en été & chaudes en hyver. Si l'on suspend un thermometre dans une cave assez profonde, pendant toute une année, on trouvera que la cave est plus chaude en été qu'en hyver ; mais qu'il n'y a pas une grande différence du plus grand chaud au plus grand froid qu'on y peut observer. Il paroît par-là que quoique les caves nous semblent être plus froides en été, elles ne le sont pourtant pas, & que cette apparence est trompeuse. Voici ce qui donne lieu à ce phénomene.

En été, notre corps se trouvant exposé au grand air, notre chaleur étant toûjours de 94 à 98 degrés, la chaleur du grand air est alors dans les climats tempérés de 80 à 90 degrés ; au lieu que l'air qui se trouve dans ce tems-là renfermé dans les caves, n'a qu'une chaleur de 45 à 50 degrés ; de sorte qu'il a beaucoup moins de chaleur que notre corps & que l'air extérieur : ainsi dès qu'on entre dans une cave, lorsqu'on a fort chaud, on y rencontre un air que l'on sent très-froid, en comparaison de l'air extérieur, qui est presque aussi chaud qu'on l'est soi-même en hyver ; au contraire, lorsqu'il gele, le froid de l'air extérieur peut augmenter depuis le trente-deuxieme degré du thermometre de Farenheit, jusqu'à zéro, tandis que la température de la cave reste encore à 43 degrés : ainsi nous trouvant exposés dans ce tems-là à l'air froid extérieur, qui fait sur notre corps une impression proportionnée, & qui le refroidit en effet, nous n'entrons pas plûtôt dans une cave, que nous trouvons chaud l'air qui nous avoit paru froid en été, lorsque la température y étoit à-peu-près la même : ce qui arrive donc par la différente disposition avec laquelle nous y entrons : d'où il résulte, que nous ne pouvons pas savoir ni juger, par la seule impression que l'air fait sur nous dans la cave, relativement au plus ou au moins de feu qu'il contient, s'il y en a effectivement davantage, ou pour mieux dire, s'il est plus en action en été qu'en hyver. Ce n'est qu'à l'aide du thermometre, que nous pouvons être assûrés qu'il y a plus de chaleur dans les caves en été qu'en hyver, puisque c'est précisément le contraire de ce que nous éprouvons, par les différentes sensations qui en résultent.

Mais quelle est donc la disposition de nos corps à laquelle il est attaché, de pouvoir porter à l'ame l'idée du froid conséquemment aux impressions qu'ils reçoivent des causes frigorifiques ? Cette question tient à la recherche des causes de la chaleur animale, puisque ce ne peut être qu'une diminution des effets de ces causes, qui change les sensations des organes affectés par la chaleur : on a examiné dans l'article CHALEUR ANIMALE, avec une critique aussi éclairée que sage, & avec toute la précision possible, dans un sujet qui n'en est guere susceptible de sa nature, les différens systèmes les plus remarquables tant des anciens que des modernes, sur ce qui allume, dans les corps animés, le feu qui y produit cet effet d'une maniere presqu'invariable dans quelque température qu'ils se trouvent. On y a prouvé presque jusqu'à la démonstration, par les raisonnemens les plus solides, que nous sommes encore bien éloignés de pouvoir regarder les sources de la chaleur animale comme sûrement découvertes, puisqu'aucune des explications tant physiques que méchaniques, les plus spécieuses, n'ont pas encore acquis le degré de perfection nécessaire, pour rendre raison de tous les phénomenes qui dépendent du principe qu'il est question de connoître. On y donne à entendre avec raison, que l'idée de Galien & des Arabes, sur le feu inné, ventillé par l'air respiré, sur-tout entant qu'il est considéré comme un agent physique & réel, ainsi que Sennert & Riviere l'ont conçû, & non pas comme une qualité, selon la plûpart des auteurs antérieurs, n'est pas autant dénuée de fondement, qu'elle l'a paru assez généralement depuis que le joug de l'ancienne école a été secoué. On fait voir cependant aussi dans l'article dont il s'agit, que de toutes les hypothèses proposées sur ce sujet, il n'en est point jusqu'à-présent qui semblent davantage approcher de la vérité, que celles qui sont fondées sur l'effet méchanique, qui est une suite nécessaire des mouvemens qui entretiennent la vie, c'est-à-dire, l'attrition ou le frottement qui se fait des solides entr'eux, ou des fluides contre les solides. On y donne l'extrait du meilleur ouvrage qui ait paru en ce genre, qui est l'essai sur la génération de la chaleur dans les animaux, du docteur Douglas ; extrait par lequel on fait connoître que cet auteur en réfutant les différentes opinions des Physiologistes tant anciens que modernes, rejette également toutes les causes physiques, chimiques & méchaniques, pour substituer son sentiment, qui a néanmoins pour fondement une cause de cette derniere espece, le frottement des globules sanguins dans les vaisseaux capillaires, proportionné au resserrement de ces vaisseaux par le froid ; frottement auquel il attribue de pouvoir produire & entretenir une chaleur toûjours uniforme dans la latitude ordinaire des variations de notre température, ce qui fait le principal des phénomenes à expliquer, à l'égard duquel tous les systèmes lui ont paru en défaut ; mais mal-à-propos, selon l'auteur de l'art. CHALEUR ANIMALE, qui fait observer fort judicieusement que dans le système des anciens, qui attribue cette chaleur au feu inné excité par l'air respiré, la proportion entre l'augmentation de la chaleur du milieu & la diminution de sa densité, diminution par laquelle il contribue moins à l'entretien du feu vital, à-mesure que celui de l'atmosphere est plus en action, y opere plus de raréfaction ; entre la diminution de la chaleur du milieu & l'augmentation de sa densité (par laquelle seule, il peut rendre plus actif le feu du corps animé, à-mesure que le feu ambiant perd de son activité, & qu'il peut par conséquent en être moins communiqué à ce corps), est suffisante pour rendre raison de cette uniformité.

L'auteur de l'article mentionné ne se borne pas à revendiquer le peu d'avantage que peuvent avoir les opinions réfutées par le docteur Douglas, & à les défendre autant qu'elles en sont raisonnablement susceptibles ; après avoir rendu justice au système anglois, en convenant que c'est le plus satisfaisant qui ait paru sur cette matiere, il ne l'épargne pas ensuite, en lui opposant des difficultés qui paroissent sans réplique ; il attaque donc l'idée qui fait la base du sentiment de ce docteur, savoir, que le resserrement causé par le froid dans les vaisseaux capillaires, donne lieu à l'augmentation de frottement entre les globules sanguins & ces vaisseaux, & par conséquent de la cause interne de la chaleur animale, à-mesure que la chaleur externe diminue, & vice versâ. D'où il suit que la quantité de chaleur est à-peu-près toûjours la même dans l'animal, soit que cette chaleur lui vienne du dedans ou du dehors.

Mais, dit l'auteur de l'article dont il s'agit, 1°. la même cause interne qui engendre de la chaleur, c'est-à-dire ce resserrement des capillaires qui donne lieu à une plus grande attrition des globules sanguins dans ces vaisseaux, par-là même qu'il échauffe le sang plus qu'il ne seroit échauffé par le feu de l'air ambiant, n'échauffe-t-il pas aussi ces mêmes capillaires ? ne fait-il pas en même tems cesser à-proportion le resserrement de ces mêmes capillaires ? & par conséquent cette cause interne de chaleur animale ne se détruit-elle pas elle-même, dès qu'elle commence à produire ces effets ? 2°. En admettant le resserrement constant dans les capillaires, ne s'ensuit-il pas au-moins que le mouvement du sang doit y être diminué à-proportion ; d'où il semble qu'il doive se faire une compensation entre l'augmentation des surfaces exposées au frottement & la diminution de l'impulsion des globules, qui doivent opérer le frottement : compensation qui doit rendre de nul effet ce changement de disposition ? 3°. En ne s'arrêtant même pas aux deux difficultés précédentes contre l'auteur anglois, pourroit-on en passer sous silence une troisieme, qui n'est pas moins forte ? Elle consiste à faire observer qu'en supposant avec lui que la chaleur ne s'engendre que dans les seuls capillaires, les instrumens générateurs sont bien peu proportionnés à la masse qui doit être échauffée par leur moyen, puisqu'alors le foyer de la chaleur est censé n'exister que dans la peau.

L'auteur de ces objections contre le système du docteur Douglas, les laisse subsister comme une preuve que ce système a le sort de tant d'autres ; que quelque satisfaisant qu'il paroisse au premier abord, il n'est cependant pas parfait, & que la cause de la chaleur animale qui nous a été jusqu'à-présent cachée comme un de ses mysteres, ne nous a pas encore été révélée.

Mais si l'on convient que le système anglois approche plus qu'aucun autre de la perfection, on ne peut disconvenir aussi qu'il ne soit avantageux au progrès des connoissances humaines, de lever autant qu'il est possible les obstacles qui l'empêchent d'y atteindre. C'est dans cette vûe que l'on va placer ici quelques réflexions sur les trois objections qui viennent d'être remises sous les yeux au sujet de ce système ; ce qui sera d'autant moins étranger au sujet traité dans cet article, qu'il en résultera un grand nombre de conséquences qui y sont relatives, & serviront à rendre raison de bien des phénomenes qui en dépendent.

Premierement, ne peut-on pas dire, que quoique la chaleur qui naît des frottemens des globules sanguins dans les capillaires, puisse être conçûe se communiquer en même tems aux solides mêmes de ces vaisseaux, & les relâcher par la raréfaction qui s'ensuit, ce dernier effet sera toûjours d'autant moindre, qu'il sera plus contre-balancé par celui du froid extérieur, qui cause le resserrement de ces vaisseaux ; parce que le relâchement seroit bien plus considérable, tout étant égal, par l'effet de la cause interne de la chaleur, si ce froid extérieur ne s'y opposoit pas ? Ainsi, ne peut-on pas conclure de-là, qu'il reste toûjours que le resserrement doit être plus considérable par les effets du froid, qu'il n'est empêché par les effets synchrones de la chaleur dont il occasionne la génération ? d'où doit résulter plus de frottement, plus de chaleur par conséquent dans le cas du froid externe, que dans le cas opposé. Ne peut-on pas concevoir ainsi une contrenitence continuelle entre la cause de la chaleur animale & le froid extérieur ? D'où on peut inférer que dans l'hyver, la chaleur animale appartient davantage à l'animal même ; que dans l'été elle appartient plus aux causes externes ; qu'il y a donc en quelque sorte moins de vie dans les animaux en été, qu'en hyver ; puisqu'il y a moins d'action vitale ; que l'on est plus fort, plus vigoureux en hyver, tout étant égal ; parce que le froid, qui condense tous les corps en tenant les vaisseaux dans un état de plus grande constriction, & en donnant lieu par-là à l'augmentation des résistances, occasionne plus d'action, plus d'efforts par conséquent de la part de la puissance motrice pour les vaincre ; d'où l'augmentation du mouvement progressif des humeurs, plus de frottement dans les capillaires, plus de chaleur, sans que ces efforts, ce mouvement, puissent être regardés comme des effets de fievre proprement dite, puisqu'ils augmentent sans diminution de forces ; au contraire, attendu que l'augmentation d'action dans les solides procure une plus grande élaboration, une plus grande atténuation d'humeur, d'où résulte une préparation, une secrétion plus abondante de fluide nerveux ; plus de disposition par conséquent au mouvement musculaire, à l'exercice : au lieu qu'en été, la raréfaction des solides en général, par la chaleur extérieure diminue l'élasticité des fibres des animaux, en diminuant la cohésion de leurs parties élémentaires ; d'où tout étant égal, résulte moins de jeu dans leurs vaisseaux ; d'où s'ensuit dans les grandes chaleurs une presqu'atonie universelle, une diminution proportionnée de l'action des organes vitaux ; d'où le ralentissement du cours des humeurs dans les capillaires, le relâchement de ces vaisseaux, le moins de frottement des globules sanguins, moins de chaleur qui est l'effet de ce frottement, moins de résistance au cours des humeurs dans tous les vaisseaux ; conséquemment moins d'efforts de la puissance motrice, pour surmonter cette résistance ; d'où moins d'attrition, d'atténuation de la masse des humeurs, d'élaboration, de sécrétions du fluide nerveux ; d'où enfin la foiblesse, l'abattement que l'on éprouve toûjours par une suite de la chaleur de l'atmosphere : d'où s'ensuit, que les hommes obligés à se livrer à de grands travaux, à de grandes peines de corps, les soûtiennent mieux dans les tems froids, ont plus de forces, plus d'appétit pour les maintenir, que dans les tems chauds. C'est sans-doute par cette considération, que Dioclès médecin contemporain d'Aristote, dans sa lettre à Antigonus, roi d'Asie, qui contient plusieurs préceptes, concernant la conservation de la santé, donne pour maxime, en forme d'aphorisme, qu'il faut prendre plus d'alimens, boire moins en général, & boire davantage de vin pur, à proportion qu'il fait plus froid ; & qu'il faut par conséquent manger moins, boire davantage, & boire son vin plus trempé, à proportion que les chaleurs augmentent. On peut donc conclure de ce qui vient d'être dit, que le plus ou le moins de constriction dans les vaisseaux en général, & dans les vaisseaux capillaires en particulier, influe principalement sur tous ces effets, comme sur le plus ou le moins de génération de la chaleur animale ; ainsi l'on peut concevoir que cette chaleur y est produite, sans qu'elle fasse en même tems cesser le resserrement de ces mêmes vaisseaux, qui est la condition efficiente : ainsi l'assertion du docteur Douglas qui établit ce resserrement, & en conséquence le frottement des globules sanguins dans les capillaires, comme cause de la chaleur animale, semble subsister sans atteinte à l'égard de la premiere objection : passons à la seconde.

On ne peut que convenir avec tous les Physiologistes, que le mouvement du sang est très-lent dans tous les capillaires ; que le degré de cette lenteur doit varier à-proportion des résistances, & par conséquent qu'elle augmente avec le plus de resserrement causé par l'augmentation du froid. Mais n'y a-t-il pas lieu de penser qu'il augmente ce ralentissement du cours des humeurs, seulement jusqu'à ce que les forces vitales par la disposition naturelle de la puissance motrice, ayent surmonté les résistances qui le causent, sans changer l'état de resserrement des solides, c'est-à-dire jusqu'à ce que les humeurs ayent éprouvé l'effet de l'augmentation du ressort dans tous les vaisseaux, la plus grande action qu'ils exercent en conséquence sur elles ; que celles-ci en soient en général plus affinées, & que les globules sanguins en particulier soient desunis au point de pouvoir passer l'un après l'autre dans les extrémités capillaires, & même d'être forcés à s'allonger, à prendre la forme ovale ; ce qui les rend propres à opérer plus de frottement, à-proportion qu'ils touchent les parois des vaisseaux par des surfaces plus étendues ; qu'il se fait par conséquent entr'eux un frottement plus considérable qu'il ne se faisoit, lorsqu'il passoit plus d'un globule à la fois, & qu'ils touchoient aux parois des vaisseaux par moins de points : ensorte que l'on peut concevoir ainsi, que le mouvement des humeurs dans les capillaires redevient aussi peu lent qu'il étoit avant le resserrement, sans que le resserrement en diminue d'aucune façon, dans la supposition que la cause en subsiste toûjours. Or comme la faculté de procurer la sensation du froid est attachée à l'impression qui résulte de la diminution du mouvement intestin causé par l'action du feu, au-dessous de celui qui constitue notre chaleur naturelle : que la cause de cette diminution dépende du froid de l'atmosphere, ou d'une gêne dans le cours du sang, occasionnée par un resserrement spasmodique des vaisseaux, ou par épaississement des humeurs ; il est aisé ensuite de ce qui vient d'être dit, de rendre raison pourquoi est-ce qu'on est si sensible au froid, lorsqu'on passe tout-d'un-coup d'un milieu qui est d'une température plus approchante de notre chaleur, à une température bien plus froide. N'est-ce pas parce que celle-ci produit si promtement le resserrement des capillaires cutanés, qu'elle y forme à-proportion de plus grandes résistances au cours des humeurs qui se ralentit aussi à-proportion ? d'où la sensation du froid, ainsi qu'on l'observe à l'égard des changemens subits du chaud au froid dans l'air, qui ont lieu sur-tout en automne, tems auquel on éprouve plus de sensibilité à ce changement de température, qu'on n'en éprouve dans le tems de la gelée la plus forte, quoique dans le premier cas, les effets du froid soient absolument moins considérables, quoiqu'il se fasse alors une moindre constriction dans les capillaires, & qu'il en résulte absolument moins de résistance au cours des humeurs. Cette résistance est respectivement plus effective, parce que le relâchement des solides subsistant encore intérieurement, la puissance motrice ne peut augmenter ses efforts, & opposer plus d'action pour vaincre cette résistance, qu'après que les effets du froid ont condensé de proche en proche tous les solides, en ont augmenté le ressort, ont attenué les humeurs, en ont tiré plus de fluide nerveux ; ce qui n'a lieu que lorsque le froid a subsisté quelque tems. Alors un plus grand froid fait moins d'impression, parce que le cours du sang dans les capillaires étant rétabli, sans que leur resserrement ait cessé, il s'y fait plus de frottement, il s'y engendre conséquemment plus de chaleur. C'est par une raison à-peu-près semblable, que l'on est affecté d'une sensation de froideur dans les parties sujettes aux accès de douleur rhumatismale ; dans ces différens cas, cette sensation dure jusqu'à ce qu'il survienne, pour ainsi dire une fievre, c'est-à-dire, une augmentation d'emploi des forces vitales, une plus grande action des organes circulatoires, qu'il n'en falloit auparavant pour surmonter une moindre résistance dans les capillaires, où le cours des humeurs s'est ralenti. De ces augmentations doivent s'ensuivre plus de division de ces humeurs, plus de fluidité qui y rétablit la disposition à passer librement par les vaisseaux resserrés ou embarrassés ; d'où la cessation de celle qui donnoit lieu à cette sensation. C'est aussi pourquoi ceux qui passent en peu de tems d'un pays froid, d'un pays de montagne, par exemple, dans un pays d'un climat plus doux, dans un pays de plaine, trouvent qu'il fait chaud dans celui-ci, tandis que ceux qui l'habitent s'y plaignent du froid. On ne peut en effet attribuer cette différence de sensation dans le même milieu, qu'à ce que les premiers ayant leurs vaisseaux capillaires dans un état de resserrement plus grand que ne les ont ceux de la plaine, & la puissance motrice étant néanmoins montée dans ceux-là à surmonter ce resserrement, à en tirer plus de chaleur animale, par conséquent ils passent dans un milieu plus chaud ou moins froid, sans que la disposition génératrice de la chaleur interne, qui n'est pas la même dans ceux qui sont habitués à ce milieu, cesse aussi-tôt. Ainsi il y a donc dans ceux-là une cause de chaleur qui n'est pas dans ceux-ci : d'où suit l'explication du phénomene tirée de la lenteur des humeurs qui subsiste dans les capillaires des derniers, tandis qu'elle a été surmontée dans les premiers. Ainsi il suit de tout ce qui vient d'être dit, que la difficulté tirée de la lenteur des humeurs, ne peut plus être mise en-avant ; s'il est prouvé, comme on se flate de l'avoir fait, que par la disposition la plus admirable dans le corps animal, bien loin que le resserrement des capillaires retarde le cours des humeurs ; aussi constamment qu'il subsiste lui-même, il en occasionne l'accélération, par-là même qu'il lui avoit d'abord opposé de la résistance : ainsi la seconde objection contre le système anglois, paroît n'être pas plus décisive que la premiere ; il reste à examiner la troisieme.

Cette difficulté tirée du petit nombre de vaisseaux générateurs de la chaleur animale, en comparaison de toutes les autres parties, qui non-seulement ne contribuent pas à sa production, mais encore absorbent, pour ainsi dire, la plus grande partie de celle qui est engendrée dans ces vaisseaux. Cette difficulté paroît assez embarrassante dans le système du docteur anglois, si l'on borne, avec lui, le resserrement des capillaires causé par le froid, aux seuls capillaires cutanés, & si l'on ne considere ce resserrement comme cause occasionnelle de la chaleur animale, qu'entant qu'il a lieu dans ces seuls vaisseaux : mais en admettant, d'après ce qui a été proposé ci-devant, que le froid opere ce resserrement non-seulement à la surface du corps, mais encore dans toutes ses parties internes, à-mesure que le froid, par sa durée & par son intensité, parvient à condenser tous les corps sans exception, en gagnant de proche en proche de la circonférence au centre ; cette condensation ne peut-elle pas être conçûe également dans le corps humain, si l'on fait attention à ce que le froid extérieur étant en opposition avec la cause interne de la chaleur animale, quant à la propagation de celle-ci, empêche que les solides se raréfient, se relâchent autant qu'il arriveroit si le milieu ambiant n'absorboit pas, pour ainsi dire, les effets de la chaleur interne, à proportion qu'elle est plus considérable que celle de ce milieu ? Cette soustraction des effets de la chaleur ne peut-elle pas être regardée, par rapport aux parties qui les éprouveroient si elle n'avoit pas lieu, comme une vraie condensation proportionnée au moins de relâchement qui résulte de cette soustraction ? Ainsi, dans cette supposition, les solides de tous les vaisseaux, & par conséquent ceux des capillaires, devant être condensés par l'effet du froid, d'où s'ensuit la diminution en tout sens du volume du corps animal, dont il n'y a pas lieu de douter & de rendre raison autrement ; les capillaires de toutes les parties internes peuvent donc contribuer à la génération de la chaleur animale, par leur resserrement à-proportion de ce qu'ils sont susceptibles de recevoir les impressions du froid extérieur : ils le sont à la vérité d'autant moins qu'ils sont plus éloignés de la surface du corps ; mais ils le sont, & on ne peut pas refuser d'accorder que leur nombre est bien pour le moins aussi supérieur à celui des capillaires cutanés, que ceux-ci sont plus exposés au froid extérieur que ceux là : la chose est trop évidente pour qu'il y ait besoin de calcul. On peut hardiment assûrer que la somme du resserrement des capillaires internes, quoiqu'il soit bien moindre dans chacun en particulier, doit au moins égaler celle du plus grand resserrement des externes ; d'où s'ensuit que ceux-là concourent autant que ceux-ci à la génération de la chaleur : par-là même, que ceux-là pris en total sont susceptibles des effets du froid, à-proportion autant que ceux-ci.

Cela posé, c'est-à-dire les trois difficultés établies contre le système du docteur Douglas, étant ainsi résolues, il semble, par l'addition qui vient de lui être faite, n'avoir que gagné, en acquérant plus de vraisemblance, & en devenant plus conforme à tous les phénomenes que le froid produit dans l'oeconomie animale ; puisqu'il n'en reste pas moins, que la génération de la chaleur interne se fait dans les capillaires par le resserrement des capillaires cutanés ; mais qu'il en résulte aussi qu'elle se fait dans tous les autres capillaires ; & qu'il s'ensuit ainsi de plus, que les sources de cette chaleur sont plus étendues, plus abondantes, plus proportionnées à la masse à laquelle elle doit se communiquer. On satisfait de cette maniere à toutes les objections rapportées ci-devant.

On évite même une autre difficulté qui se présente à cette occasion ; elle consiste en ce qu'il n'est guere possible de comprendre comment on peut être affecté de la sensation du froid, si l'organe qui est le plus exposé à en recevoir les impressions, n'est pas moins exposé en même tems aux impressions qui lui viennent des seuls organes générateurs de la chaleur : car les houpes nerveuses sont bien aussi contiguës pour le moins aux vaisseaux capillaires cutanés, qu'elles le sont à la surface de l'atmosphere qui s'applique à celle du corps. Cette difficulté bien réfléchie paroît être assez importante contre le système du docteur Douglas, entant qu'il n'admet que les capillaires cutanés pour foyer de la chaleur animale ; au lieu qu'en l'étendant à tous les capillaires, elle tombe aisément.

D'ailleurs, il est des cas où les capillaires cutanés sont si resserrés par le froid, pendant un tems considérable, soit que ce froid vienne de cause externe, soit qu'il provienne de cause interne, que l'on ne peut pas concevoir que les humeurs y conservent encore du mouvement ; où il est si peu considérable, que le frottement qui en peut résulter, entre les humeurs & les vaisseaux qui les contiennent, non-seulement n'est pas suffisant pour engendrer une chaleur assez grande pour se communiquer à toutes les parties internes du corps, & y conserver uniforme celle qui subsistoit auparavant ; mais encore pour en engendrer une qui excede tant-soit-peu le degré de celle de l'atmosphere : d'où il suit que la chaleur du dedans du corps doit bien-tôt périr dans ces cas, comme celle de sa surface, puisqu'elle n'est plus renouvellée ; ce qui est contraire à l'observation, dans ceux qui sont rappellés à la vie d'une mort apparente causée par la violence du froid auquel ils ont été exposés, qui n'a pû être assez contrebalancé par la chaleur interne, & dans ceux qui sont dans un grand froid de fievre, mais sur-tout dans la fievre lypyrie. Il n'en est pas ainsi, dans la supposition que les capillaires internes contribuent à la chaleur animale, ainsi que les externes : dans tous ces cas, ceux-là peuvent conserver suffisamment la chaleur, pour empêcher la cessation du cours des humeurs dans les gros vaisseaux, & en entretenir la fluidité & la circulation, assez pour conserver un germe de vie, en empêchant que les humeurs ne perdent entierement leur fluidité : mais à l'égard de l'espece de fievre qui vient d'être mentionnée, peut-on ne pas convenir que les capillaires internes sont aussi propres à engendrer la chaleur, que les externes, tout étant égal ; puisque dans cette fievre, les malades se sentent dévorés par l'excès de chaleur interne, tandis qu'ils paroissent gelés au-dehors ? ce qu'il est aisé d'expliquer, en attribuant aussi la génération de la chaleur aux capillaires internes. Le grand épaississement des humeurs chargées de beaucoup de parties huileuses, suffit pour en concevoir, qu'elles ne peuvent pas être portées dans les capillaires cutanés, sans que le froid de l'atmosphere ne les dispose davantage à suivre la tendance de leur force de cohésion, à se figer, à suspendre leur cours, qu'à produire de la chaleur par le frottement ; tandis que les capillaires internes moins exposés à l'effet coagulant de l'air ambiant, contribuent d'autant plus à la génération de la chaleur, que les humeurs en général, & particulierement les globules sanguins, ont plus de densité. D'où on peut inférer ici à cette occasion, pourquoi les personnes d'un tempérament phlegmatique, cacochyme, cholorotique, ne sont pas sujettes à des fievres de cette espece, aux fievres ardentes, comme les personnes d'un tempérament bilieux, sanguin ; & c'est aussi pourquoi ceux-là, dans l'état de santé même, ont moins de chaleur naturelle que ceux-ci ; non-seulement donc parce que les humeurs sont plus denses, mais encore parce que les solides sont plus élastiques dans ceux-là que dans ceux-ci ; ce qui rend aussi les premiers plus susceptibles, tout étant égal, que les seconds, de sensibilité au froid, & de tous les effets qui en suivent.

Il n'a été question jusqu'ici, en traitant des causes de la chaleur, pour rechercher celles du froid, que du frottement entre les fluides & les solides : pourquoi ne seroit-il pas fait mention du frottement ou de l'attrition des solides entr'eux, & des globules des fluides aussi entr'eux ? Le docteur Douglas a prétendu, dans son ouvrage cité, que les effets de ces frottemens ne devoient point être comptés parmi les puissances méchaniques qui contribuent à la génération de la chaleur animale : mais son jugement à cet égard étant dénué de preuves solides, peut-il être regardé comme sans réplique, tant qu'il reste des faits, dont il est bien difficile d'écarter l'application qui se présente à en faire au sujet dont il s'agit ? Il est certain que les mains frottées l'une contre l'autre, sont susceptibles de s'échauffer : il ne se fait autre chose dans ce cas, qu'une attrition des fibres cutanées ; telle qu'elle peut avoir lieu entre deux morceaux de bois frottés l'un contre l'autre, qui s'échauffent par ce seul effet.

Peut-on ne pas concevoir que les vaisseaux innombrables dont est composé le corps humain, étant tous contigus, ne peuvent osciller, se dilater, augmenter de diamêtre, se resserrer, s'allonger, & se raccourcir ; éprouver alternativement ces différens changemens sans discontinuité, pendant toute la vie, sans se frotter entr'eux, sans se toucher pendant leur dilatation, par un plus grand nombre de points qu'ils ne faisoient pendant leur contraction ; ce qui est sur-tout bien sensible à l'égard de l'espece de vaisseaux que l'on sait être susceptibles d'une pulsation marquée, continuellement renouvellée, tant que la vie dure. Ces changemens de continuité plus ou moins étendue, ne peuvent pas se faire sans qu'il se fasse aussi en même tems une espece d'attrition entre les parties élémentaires des fibres qui composent les vaisseaux, & le frottement étant aussi répété & aussi fort que l'impulsion des humeurs dans leurs vaisseaux, il ne peut que s'ensuivre un développement, une plus grande action des particules ignées distribuées entre ces fibres, entre ces parties élémentaires, d'où doit être engendrée une véritable chaleur dans le corps qui en est composé. Voyez les élémens de Chimie de Boerhaave, part. II. expér. X. corol. 5.

Il y a donc lieu de penser que le mouvement des vaisseaux entr'eux, l'oscillation de leurs fibres, le frottement des muscles les uns contre les autres, lorsqu'ils sont mis en action dans les exercices & les travaux du corps, peuvent contribuer à la production de la chaleur animale ; & par conséquent, que ces différentes sortes de mouvemens servent par cette raison à combattre, à empêcher les effets du froid, à proportion qu'ils sont plus considérables ; & vice versâ.

Il n'est pas moins vraisemblable, que le mouvement des fluides, sur-tout le choc des globules sanguins entr'eux, leur broyement en tout sens par la contraction des vaisseaux, par la force impulsive, par la pression contre les extrémités résistantes, ont aussi part à ce phénomene. Si on a égard à ce que rapporte le docteur Martine, dans son traité de la chaleur animale, au sujet de l'eau même, qu'il assûre avoir échauffée par le seul mouvement, par la seule agitation : mais sur-tout ce qu'a observé Albinus à l'égard du lait, qui acquiert une chaleur sensible par la seule attrition nécessaire pour le convertir en beurre ; ce qui n'est pas ignoré des gens même qui le font ; observation fort relative à ce dont il s'agit, à cause de l'analogie que l'on sait être entre le lait & le sang, qui sont composés l'un & l'autre d'un grand nombre de globules huileux flottans dans un véhicule aqueux ; & entre la maniere dont sont préparés, battus, l'un & l'autre de ces fluides, pour que le lait soit changé en beurre & le chyle en sang : de ce que le lait est susceptible d'être échauffé par le seul mouvement, on peut même en inférer, à l'égard du sang, que tout étant égal, l'effet doit être plus grand, à proportion de la densité des globules de celui-ci sur les globules de celui-là.

Ainsi on peut conclure de cette derniere assertion, que la différence du sang dans les différens sujets, contribue beaucoup à la différence que l'on observe dans la chaleur naturelle ; & le plus ou le moins de disposition à recevoir les impressions du chaud & du froid, à l'égard de chaque individu, respectivement au tempérament dont il est doüé, c'est-à-dire selon que la masse de ses humeurs abonde plus ou moins en globules rouges, & que ces globules sont plus ou moins denses, plus ou moins élastiques. C'est sans-doute par cette considération, que l'auteur du livre sur le coeur, que l'on trouve parmi les oeuvres d'Hippocrate, dit, en comparant le sang aux autres humeurs, qu'il n'est pas chaud de sa nature, mais susceptible de s'échauffer, apparemment à cause de sa consistance : ce qui paroît en effet devoir réellement concourir, avec la disposition des solides, pour la production plus ou moins facile, plus ou moins constante de la chaleur animale, qui augmente & diminue avec l'augmentation & la diminution d'action dans les vaisseaux, & d'agitation dans les humeurs ; ce qui rend raison de l'intempérie froide qui domine dans les personnes d'un tempérament pituiteux, dans les hydropiques, dans les chlorotiques, en un mot dans tous ceux dont le sang est mal travaillé, manque de condensation, ou dont les globules rouges bien conditionnés ne sont pas en suffisante quantité, comme après les grandes hémorrhagies : ce qui sert aussi à l'explication du défaut de chaleur propre dans la plûpart des poissons, & dans tous les animaux, dont les solides relâchés, les humeurs aqueuses, ne sont susceptibles entr'eux & les solides, que de frottemens, de chocs très-foibles ; d'où résulte si peu de chaleur, qu'elle est emportée par le milieu ambiant, à-mesure qu'elle est produite : d'où s'ensuit que ces animaux ne peuvent acquérir aucun degré de chaleur supérieur à celle de ce milieu, & que leur température éprouve toutes les variations de celle des corps inanimés.

Toutes ces différentes puissances méchaniques qui viennent d'être proposées, d'après la plûpart des physiologistes modernes, comme propres à concourir à la génération de la chaleur propre aux animaux, & à la production, par la raison des contraires, de tous les phénomenes du froid, que les animaux sont susceptibles de ressentir, & dont ils éprouvent les effets les plus importans, particulierement pour le maintien de l'uniformité de cette chaleur, paroissent exister dans l'économie animale, d'une maniere si prouvée, qu'il est impossible de se persuader, avec le docteur Douglas, qu'elles doivent être rejettées, en faveur de son système ; d'autant plus qu'elles ne sont point incompatibles avec lui, ainsi qu'on vient de tâcher de l'établir ; & qu'au contraire elles sont comme des accessoires qui servent à l'étayer & à le soûtenir contre les objections qui pourroient le renverser entierement, si elles n'étoient pas de nature à fournir des moyens de défense tirés de l'adresse même avec laquelle l'attaque a été formée. Il est vrai que ce système perd par-là l'avantage de la simplicité, & qu'il semble par conséquent n'être plus conforme aux vûes de la nature, qui opere en général avec le moins de dépense possible : mais elle ne peut en user ainsi, que pour des effets non compliqués : il lui faut des causes multipliées, là où les besoins sont essentiellement distingués & différens, quoique relativement au même objet : les diverses combinaisons qui en dérivent exigent autant de causes différentes, qui prises séparément, sont aussi simples les unes que les autres, parce qu'elles ont chacune leur destination particuliere, par rapport aux circonstances variées qui les mettent en oeuvre.

Il résulte donc de tout ce qui a été dit dans cet article, que par une admirable disposition dans l'économie animale, c'est à la diminution de la chaleur dans l'atmosphere, c'est-à-dire au froid même, qu'il semble démontré que l'on doit attribuer principalement l'entretien des effets du feu, à l'égard des animaux chauds, à un degré à-peu-près uniforme dans l'état de santé, & proportionné en raison inverse, précisément à celui de l'augmentation du froid ; pourvû cependant que les efforts des organes vitaux pour conserver la fluidité, le mouvement, le cours des humeurs, soient toûjours supérieurs aux résistances causées par la constriction des solides, par le resserrement des vaisseaux ; effets constans du froid, auxquels il est attaché, en donnant occasion à de plus grands frottemens entre toutes les parties du corps animal, tant solides que fluides, mais sur-tout entre les globules sanguins & les parois des vaisseaux capillaires, d'exciter l'action des particules ignées dans l'intérieur de ce corps, à-proportion qu'elle diminue au-dehors.

Ce sont donc les mouvemens absolument nécessaires pour la conservation de la vie saine dans les animaux, qu'il faut regarder comme les antagonistes du froid ; puisque tout étant égal & bien disposé, la chaleur augmente constamment à-mesure qu'ils augmentent de force & de vîtesse, & qu'elle diminue de même avec la diminution de ces mouvemens, parce que le frottement qu'ils occasionnent augmente & diminue avec eux. Ainsi dans tous les cas où ils ne sont pas suffisans, soit par l'excès du froid dans le milieu ambiant, soit par le vice particulier des solides, ou par celui des fluides, pour entretenir la chaleur animale dans sa latitude ordinaire ; chaleur qui doit par conséquent toûjours excéder celle de l'atmosphere même, dans les plus grandes chaleurs de l'été : l'animal dans lequel ce défaut de chaleur naturelle a lieu, éprouve le sentiment & les autres effets du froid dans toutes les parties de son corps, si ce défaut y est général ; ou dans quelques-unes seulement, si ce défaut n'est que particulier. Dans l'un & dans l'autre cas, le froid ne peut ainsi se faire sentir pendant un tems considérable, sans devenir une cause de desordre dans l'économie animale. (d)

FROID, (Patholog.) il suit de ce qui vient d'être établi à la fin de l'article précédent, que le froid considéré entant qu'il produit ses effets dans le corps des animaux chauds, dans le corps humain, peut être lui-même produit par des causes externes & par des causes internes, par rapport à l'individu qui le souffre.

La principale cause externe de ce froid animal est le froid de l'atmosphere. Le premier degré de celui-ci, relativement à ses effets physiques les plus susceptibles, hors de nous, de tomber sous les sens, est marqué par la diminution de l'action du feu à l'égard de l'eau, au point où elle cesse d'être fluide, où elle devient un vrai solide, qui est la glace : mais ce changement, qui est la congelation, ne se fait encore à ce degré de froid, que dans de très-petites masses d'eau. Il est toûjours plus considérable, à-mesure que le froid augmente ; & dans les climats tempérés, cette augmentation se fait jusqu'à la moitié du nombre des degrés dont augmente l'action du feu dans l'atmosphere, par-dessus le degré de la congelation, pour former la plus grande chaleur dont ces climats-ci sont susceptibles : ensorte que comme le plus grand hyver de ce siecle y fit descendre le mercure du thermometre de Farenheit environ à 32 degrés au-dessous de zéro, c'est-à-dire du point où commence la congelation, les plus grandes chaleurs l'ont fait monter à environ 98 : ce qui fait une augmentation de deux tiers par-dessus le point de la congelation : ainsi le degré moyen entre le plus grand chaud & le plus grand froid dans l'atmosphere, est celui de la température qui a été observée dans les caves de l'Observatoire de Paris ; ce degré est fixé à 10 au-dessus du point de la congelation. Selon la division du thermometre de M. de Réaumur, c'est le point moyen des variations de cette température, dont la latitude, selon le thermometre de Farenheit, s'étend du quarante-cinquieme degré, ou environ, au cinquante-cinquieme. Ainsi au degré moyen de cette latitude, l'eau est également éloignée d'être convertie en glace & de devenir tiede. Tant que la chaleur de l'atmosphere n'est pas diminuée jusqu'à ce degré moyen, quoiqu'elle soit toûjours moins considérable que celle qui est ordinaire au corps humain, dans l'état de santé ; si la premiere diminue insensiblement jusqu'à ce degré, on ne s'en apperçoit pas beaucoup ; on n'est pas fort incommodé de cette diminution dans l'action du feu de l'atmosphere ; diminution à laquelle il est cependant attaché de produire les effets du froid, d'en exciter la sensation, comme étant la disposition physique qui est la principale cause externe du froid animal. Cette cause opérant à-proportion de son intensité, la sensation qui en résulte n'est pas bien forte, tant que le froid du milieu n'est pas parvenu au degré de la température dont on vient de parler ; d'autant que la chaleur propre à l'animal augmente à-proportion qu'il en reçoit moins de ce milieu : & cette augmentation se fait en raison de celle du resserrement que ce froid cause dans la surface du corps. Mais plus le froid approche du degré de la congelation, plus ce resserrement devient considérable ; il va toûjours en augmentant avec le froid, au point qu'il ralentit le cours des humeurs ; soit par la trop grande résistance qu'il cause ainsi dans les solides, soit par la condensation des fluides, qui leur fait perdre leur fluidité dans les portions où est opérée cette condensation ; effets qui diminuent par conséquent l'activité du frottement & la génération de la chaleur, qui dépend de cette activité ; d'où s'ensuit un double obstacle à l'impulsion des fluides dans les parties affectées du froid ; duquel obstacle établi suit une sorte d'impression sur les nerfs, qui a la propriété, étant transmise à l'ame, de faire naître la sensation desagréable du froid animal, ainsi qu'il a été dit dans l'article précédent : & cette sensation devient forte de plus-en-plus, à-proportion que le froid externe, & conséquemment le resserrement des vaisseaux capillaires, le ralentissement des humeurs, augmentent & s'étendent davantage de la circonférence vers le centre : ce qui arrive sur-tout si l'on est constamment exposé à l'air libre ; si l'atmosphere qu'il forme autour du corps est continuellement renouvellé par le vent : ensorte que l'air ambiant ne restant point assez appliqué au corps animal, pour le faire participer à la chaleur qu'il en tire, ne fait que lui en enlever sans-cesse, & ne lui communique que son froid actuel, qui pénetre dans sa substance, opere une véritable constriction dans ses solides, dispose à la coagulation ses fluides ; d'où s'ensuit qu'il diminue de volume en tout sens, & que bien des gens ont observé que les habits qui ne les entouroient, ne les enveloppoient qu'avec peine en été, pendant la raréfaction de tous les corps par l'effet de la chaleur, se trouvent alors trop amples ; tant la condensation de toutes les parties se rend sensible.

Ainsi les effets du froid de l'air sur le corps humain, peuvent être si considérables, qu'il y a des exemples d'hommes qui sont morts subitement par le seul effet du grand froid, sans aucune autre mauvaise disposition que celle qu'il avoit produite : ce qui arrive assez communément dans les pays septentrionaux, non-seulement à l'égard des hommes, mais encore à l'égard des bêtes.

On ne sauroit douter que ce qui donne lieu à des accidens de cette nature, ne soit le resserrement des vaisseaux, qui lorsqu'il est porté à un degré considérable, intercepte le cours des humeurs ; à quoi se joint la coagulation de celles-ci : effets qui ont lieu principalement dans les poumons, où les vaisseaux très-minces, très-exposés, très-faciles à se laisser pénétrer par le froid, & le sang très-exposé aux influences de l'air, étant presque à découvert dans ce viscere, sont, par ces différentes raisons, très-susceptibles d'engorgemens inflammatoires & autres, si promts même & si étendus, lorsqu'ils sont produits par un froid extrème, qu'ils peuvent procurer une suffocation subite ; comme dans les cas qui viennent d'être mentionnés.

Personne n'ignore que le sang sorti d'une veine & reçu dans un vase sous forme fluide, se fige dans l'espace de trois ou quatre minutes dans un air tempéré, & qu'il se change ainsi en une masse solide, qui s'attache ordinairement aux parois du récipient. Ce fluide animal se coagule encore plus promtement, si l'air auquel il est exposé est bien froid, comme dans un tems de gelée ; il n'est cependant pas aisé de déterminer précisément à quel degré de la diminution de la chaleur dans l'air, le sang perd ainsi sa fluidité, puisque cela arrive également dans l'été, & qu'il n'y a de différence en comparaison avec ce qui se passe à cet égard en hyver, qu'en ce que la coagulation est moins promte dans la premiere que dans la seconde de ces circonstances : on sait seulement que la sérosité du sang ne se congele qu'au vingt-huitieme degré du thermometre de Farenheit, & que par conséquent il faut un plus grand froid pour la convertir en glace. Qu'à l'égard de l'eau qui commence à se geler dès le trente-deuxieme, c'est peut-être parce que la sérosité est un peu salée, qu'elle résiste davantage à perdre sa fluidité : mais il suffit pour le sujet dont il s'agit ici, que l'on soit assûré que le froid hâte la tendance naturelle du sang à la coagulation ; c'est pourquoi s'il arrive à ceux qui tombent en syncope de rester assez dans cet état pour que par la grande diminution du mouvement des humeurs elles ayent eu le tems de se refroidir, il se forme alors, par une suite du défaut d'agitation vitale & du froid qui s'ensuit, des concrétions polypeuses autour du coeur dans les gros vaisseaux ; concrétions qui sont le plus souvent de nature à ne pouvoir être resoutes.

La constriction des vaisseaux & la coagulation du sang, sont donc des effets du froid de l'air sur les corps des animaux ; d'où peuvent s'ensuivre de grands desordres dans leur économie, à-proportion de l'intensité de la cause qui a produit ces effets. Cette cause est même de nature à pouvoir les opérer après la mort, puisque dans cet état il ne reste plus dans le corps animal d'autre principe de chaleur, que de celle qui lui est commune avec tous les corps inanimés ; chaleur qui, à quelque degré qu'elle soit dans l'atmosphere, n'est jamais, comme il a été dit plusieurs fois, qu'un froid respectif : ainsi ce froid causant une constriction générale dans tous les solides, elle est plus forte dans chaque partie à-proportion de sa densité ; par conséquent les arteres dont les tuniques sont plus compactes que celles des veines, se resserrant davantage, tout étant égal, expriment la partie la plus fluide du sang dans les vaisseaux plus foibles, c'est-à-dire dans les veines, & ne retiennent que la plus grossiere, celle qui a perdu sa fluidité, ensorte même qu'elles se vuident souvent entierement ; d'où résulte que le froid contribue à donner de l'action aux vaisseaux, non-seulement pendant la vie pour la conserver par l'exercice des fonctions, en y entretenant la chaleur à un degré uniforme & toûjours supérieur à celle de l'atmosphere, mais encore après la mort, en donnant lieu à certains mouvemens dans les solides & dans les fluides, tant que ceux-ci sont disposés à conserver de la fluidité, & à céder à l'action de ceux-là : d'où surviennent souvent dans les cadavres différentes sortes d'évacuations de sang, de sérosités, d'urine, &c. par les voies qui n'offrent pas de la résistance à ces efforts automatiques. On peut donc encore inférer de ces effets posthumes, que si le froid peut opérer des mouvemens aussi marqués dans les corps des animaux sans le concours de la vie, il doit influer bien davantage à-proportion sur les opérations des corps animés, en tant qu'il contre-balance les effets qu'y produit la chaleur qui leur est propre, en les bornant, d'autant plus qu'il a plus de part à sa génération, dans une certaine latitude ; en empêchant par conséquent le trop grand relâchement des fibres, la dissolution trop considérable des humeurs qui seroient les suites de la chaleur & du mouvement laissés à eux-mêmes dans les animaux ; en conservant convenablement la fermeté, l'élasticité dans celles-là, & la densité, la consistance dans celles-ci.

Mais lorsque le froid augmente au point de former des résistances au cours des fluides, résistances que la puissance motrice ne peut plus surmonter, & dont conséquemment elle ne peut plus tirer avantage pour la production de la chaleur animale, les effets qui s'ensuivent ne peuvent, comme on l'a déjà fait pressentir, qu'être très-nuisibles à l'exercice des fonctions nécessaires pour la vie saine, & même seulement pour l'entretien de celles sans lesquelles la vie ne peut subsister. Le cours des humeurs est d'abord considérablement ralenti, & s'arrête même totalement dans les parties les plus exposées à l'impression du froid, & dans lesquelles la force impulsive est le plus affoiblie, à cause de l'éloignement du principal instrument qui l'a produit, c'est-à-dire du coeur : ainsi la surface du corps en général, & particulierement les extrémités, les piés, les mains, le nez, les oreilles, les levres, sont les parties les plus susceptibles d'être affectées des effets du froid ; la peau se fronce, se resserre sur les parties qu'elle enveloppe immédiatement ; elle comprime de tous côtés les bulbes des poils, elle rend ainsi ces bulbes saillans ; elle reste soûlevée sous forme de petits boutons dans les portions qui les recouvrent, comparées à celles des interstices de ces bulbes ; elle est seche & roide, parce que ses pores étant resserrés, ne permettent point à la matiere de l'insensible transpiration de se répandre dans sa substance, pour l'humecter, l'assouplir, & que les vaisseaux cutanés ne recevant presque point de fluides, elle perd la flexibilité qui en dépend. Les ongles deviennent de couleur livide, noirâtre, à cause de l'embarras dans le cours du sang des vaisseaux qu'ils recouvrent : c'est par cette même raison que les levres & différentes parties déliées de la peau, paroissent violettes, attendu que les vaisseaux sanguins y sont plus nombreux, plus superficiels. Tout le reste des tégumens est extrèmement pâle ; parce que le resserrement des vaisseaux cutanés empêche le sang d'y parvenir. Le sentiment & le mouvement sont engourdis dans le visage, dans les mains & les piés ; parce que la constriction des solides pénétrant jusqu'aux nerfs & aux muscles, gêne le cours des esprits animaux, empêche le jeu des fibres charnues : d'où s'ensuit que même les mouvemens musculaires qui servent à la respiration, se font difficilement ; ce qui contribue à l'oppression que donne le froid, joint à ce que la surface des voies de l'air dans les poumons ayant beaucoup d'étendue, n'étant pas moins exposée que la peau, & n'ayant que très-peu d'épaisseur, éprouve à proportion les mêmes effets du froid qu'elle, par conséquent avec plus d'intensité ; & que le sang de ce viscere y est, comme il a été dit, très-exposé à la coagulation ; ce qui ajoûte beaucoup à l'embarras du cours des humeurs dans ce principal organe auxiliaire de la circulation.

Tous ces différens symptomes peuvent exister avec plus ou moins d'intensité ; mais ils constituent toûjours un véritable état de maladie : lorsque la lésion des fonctions en quoi ils consistent est durable, ils peuvent même, comme il a déjà été dit, avoir les suites les plus funestes, si par la continuation des effets du froid, les embarras dans le cours des humeurs s'étendent beaucoup de la circonférence vers le centre, & deviennent à proportion aussi considérables au-dedans qu'au-dehors : d'où tirent d'abord leur origine la plûpart des maladies causées par la suppression de la transpiration insensible (voyez TRANSPIRATION) ; d'où se forment souvent de violentes inflammations dans les membres, sur-tout dans leurs extrémités qui ont beaucoup de disposition à se terminer par la gangrene, le sphacele (voyez ENGELURE, GANGRENE, SPHACELE) ; d'où plus souvent encore prennent naissance les fluxions inflammatoires de la membrane pituitaire, de la gorge, des poumons, de la plevre, à cause du contact immédiat ou presque immédiat de l'air froid auquel sont exposées toutes ces parties. Voyez RHUME, ENCHIFRENEMENT, ESQUINANCIE, PERIPNEUMONIE, PLEURESIE.

L'application de l'air, de l'eau, ou de toute autre chose qui peut exciter un sentiment vif de froid sur certaines parties du corps qui y sont le moins exposées, qui sont toûjours plus chaudes que d'autres, produit toûjours des constrictions, des resserremens non-seulement dans les vaisseaux de la partie ainsi affectée & même de toute l'étendue de la peau, mais encore dans l'intérieur, dans les visceres, où peuvent être produits les mêmes vices, qui sont les suites des impressions immédiates du froid : d'où il arrive souvent entr'autres accidens, que les femmes éprouvent la suppression de leurs regles, par l'effet d'avoir passé subitement d'un air chaud à un air bien froid, ou d'avoir souffert le froid aux piés, aux mains avec assez d'intensité ou de durée, ou de s'être trempé ces parties dans de l'eau bien froide. Tous ces accidens surviennent dans ces cas d'autant plus aisément, si les personnes qui les éprouvent avoient auparavant tout leur corps bien chaud. Il en est de même à l'egard de la boisson bien froide, de la boisson à la glace, dans la circonstance où le corps est échauffé par quelque exercice, par quelque travail violent ; ce qui donne lieu à des maladies très-aiguës & très-communes parmi les gens de la campagne, les gens de fatigue.

Dans tous ces cas, quoique l'effet immédiat du froid ne porte que sur les parties externes, ou sur celles qui communiquent avec l'extérieur qu'il affecte par les propriétés physiques qui ont été si souvent mentionnées ; cet effet ne se borne pas à la surface de ces parties ; il est attaché à l'impression du froid, de causer une sorte de stimulus dans le genre nerveux, d'en exciter l'irritabilité, & d'occasionner une tension, un éréthisme général dans toutes les parties du corps ; d'où se forme un resserrement dans tous les vaisseaux, qui fait un obstacle dans tout le cours des humeurs, à raison de la diminution proportionnée dans le diamêtre de chacun d'eux ; diminution qui restraint par conséquent la capacité des parties contenantes, & donne lieu à une plethore respective ; ensorte que la partie des humeurs qui devient excédente par-là, est forcée par les lois de l'équilibre, dans le système vasculeux du corps animal, à se porter dans la partie qui en est la plus foible ; ou s'il n'en est aucune qui cede, il s'ensuit nécessairement que la circulation des humeurs trouvant par-tout une égale résistance, se trouve aussi par-tout embarrassée, & disposée à s'arrêter. Tel fut le cas d'Alexandre, mentionné dans Quinte-Curce, lib. II. cap. v. Ce prince ayant voulu pendant le fort de la chaleur du jour, dans un climat brûlant, se laver dans le fleuve Cydnus, de la poussiere mêlée à la sueur dont son corps étoit couvert, après s'être échauffé excessivement par les plus grandes fatigues de la guerre, fut tellement saisi du froid de l'eau, que tout son corps en devint roide, immobile, couvert d'une pâleur mortelle, & parut avoir perdu toute sa chaleur vitale ; ensorte qu'il fut tiré du fleuve sans forces, sans usage de ses sens, en un mot comme sans vie. Tous ces effets furent produits si subitement, que le froid n'avoit pas pû pénétrer dans l'intérieur, pour agir immédiatement, comme à l'extérieur, par sa faculté de resserrer les solides, de condenser, de figer les fluides : ce ne pouvoit être que par le moyen des nerfs qu'il se fit un desordre si promt & si terrible dans toute l'économie animale de ce jeune héros ; desordre qui faisoit un état si dangereux, que l'habileté & le zele des medecins de Philippe son pere eurent bien de la peine à l'en tirer, à le rappeller, pour ainsi dire, à la vie, & à lui rendre la santé ; parce que la lésion des fonctions avoit été d'autant plus considérable, que le sujet étoit plus robuste, & qu'il ne se trouva point dans son corps de partie foible disposée à souffrir pour le tout ; ensorte que le mal intéressa dans ce cas généralement toutes les conditions nécessaires pour l'entretien de la santé. Voyez, sur la théorie relative aux accidens de cette espece, l'article EQUILIBRE, (Economie animale.)

La cause à laquelle on vient d'attribuer ces derniers phénomenes comme effets du froid, sans qu'il porte ses impressions immédiatement, en tant que froid externe, sur les parties internes de l'animal, semble être encore plus prouvée par ce qui arrive en conséquence de l'application subite d'une colonne d'air froid, ou de quelqu'autre corps bien froid, sur une partie bien chaude & bien sensible de la surface de notre corps ; application qui excite une sorte de tremblement sur toute la peau, un vrai frisson momentané, c'est-à-dire qui dure autant que la sensation même du froid. C'est ainsi que l'aspersion de l'eau bien froide sur le visage des personnes disposées à la syncope, rappelle les sens & rétablit les mouvemens vitaux prêts à être suspendus, en produisant une sorte de secousse dans tout le genre nerveux : c'est ainsi que l'on a quelquefois arrêté des hémorrhagies, en touchant quelque partie du corps bien chaude, avec un morceau de métal bien froid, ou un morceau de glace ; en occasionnant par la sensation vive qui résulte de cette application, une sorte de crispation des solides en général, qui resserre comme par accident les vaisseaux qui se trouvent ouverts.

Ces considérations concernant les effets du froid externe sur le corps humain (effets que l'on peut distinguer en les appellant sympathiques, parce qu'ils influent sur des parties où ils n'ont pû être portés ou produits que par communication, & non immédiatement), menent à dire quelque chose d'autres effets du froid dans les animaux, produits par des causes absolument internes, sans aucun concours du froid externe : tels sont tous les obstacles à l'action du coeur & des arteres, tant qu'ils ne peuvent pas être facilement surmontés par sa puissance motrice ; tout ce qui de la part des humeurs s'oppose à leur propre cours, comme le trop de consistance, leur épaississement, leur trop grande quantité qui fait une masse trop difficile à mouvoir, leur volume trop diminué par les grandes évacuations, les hémorrhagies surtout qui diminuent trop considérablement la partie rouge du sang, le nombre de ses globules, tout ce qui empêche la distribution du fluide nerveux & en conséquence le mouvement des organes vitaux, même de ceux qui sont soûmis à la volonté, comme dans les parties paralysées qui sont toûjours froides ; enfin tout ce qui peut diminuer ou suspendre l'agitation, le frottement de la partie élastique de nos humeurs entr'elles, & contre les vaisseaux qui les contiennent. Voyez FIEVRE MALIGNE, LIPYRIE, INTERMITTTENTE, VENIN, POISON, GANGRENE, &c.

Ces différentes causes internes du froid animal sont certaines & fréquentes : il en est cependant encore d'autres d'une différente nature, qui produisent des effets que l'on ne sauroit attribuer à celles qui viennent d'être exposées, puisqu'il s'agit de cas où l'on éprouve une sensation de froid très-marqué & souvent très-vif, sans qu'il y ait aucune diminution d'agitation dans les solides & dans les fluides ; au contraire même souvent avec des mouvemens violens dans les principaux organes de la circulation du sang, du cours des humeurs, avec toutes les dispositions nécessaires pour la conservation de leur fluidité ; ensorte qu'il arrive quelquefois que les parties supérieures du corps sont brûlantes, tandis que les inférieures sont glacées ; qu'un côté du corps est refroidi, pendant que l'on sent beaucoup d'ardeur dans le côté opposé ; que l'on sent comme un air froid se répandant sur un membre, comme par un mouvement progressif, tandis que l'on est fatigué de bouffées de chaleur ; qu'il se fait des transports d'humeurs, des engorgemens dans d'autres parties, avec les symptomes les plus violens. On ne peut attribuer la cause de semblables phénomenes qu'à l'action des nerfs, qui par l'effet d'un cours irrégulier des esprits animaux, sont tendus & resserrent les vaisseaux dans quelques parties ; d'où les humeurs devenues surabondantes par rapport à la diminution de la capacité des vaisseaux, sont comme repoussées dans d'autres parties qui n'opposent point de résistance extraordinaire, où elles sont portées avec beaucoup d'agitation, tandis que leur cours est presque arrêté dans les vaisseaux resserrés ; de maniere qu'il s'établit dans ceux-ci une disposition, telle qu'elle peut être produite par le froid externe, pour exciter la sensation qui résulte de son application sur les parties sensibles ; & dans ceux-là une disposition telle qu'il la faut pour faire augmenter la génération de la chaleur animale, & le sentiment qu'elle fait naître. Voyez CHALEUR ANIMALE, & sur ces effets singuliers, ce qui est dit en son lieu de chacune des différentes maladies dans lesquelles on les observe, telles que la Fievre nerveuse, la PASSION HYPOCONDRIAQUE, HYSTERIQUE, les VAPEURS, l'EPILEPSIE, &c.

Dans d'autres cas il survient en peu de tems, & quelquefois subitement, à des personnes qui ont toute leur chaleur naturelle, tant au-dehors qu'au-dedans, un froid répandu sur toute la surface du corps avec pâleur, frisson, tremblement dans les membres, sueur froide ; tous symptomes que l'on ne peut encore attribuer qu'au resserrement plus ou moins promt, qui se fait dans les vaisseaux capillaires par le moyen des nerfs, ensuite d'une distribution irréguliere, plus abondante qu'elle ne devroit être, du fluide nerveux dans l'habitude du corps, & dans les organes du mouvement ; resserrement qui arrête le cours des humeurs, dans tous les tégumens, & en exprime sous forme sensible la matiere de la transpiration condensée par le défaut de chaleur animale.

On observe ces différens phénomenes avec plus ou moins d'intensité dans les grandes passions de l'ame, comme le chagrin, la peur, la surprise, l'effroi, la terreur, &c. Voyez PASSIONS, animi pathemata.

Après avoir considéré quelles sont les différentes causes tant externes qu'internes, qui peuvent nous affecter de la sensation du froid, il reste à dire quelque chose des différens moyens que l'on peut employer pour faire cesser la disposition contre nature qui produit cette sensation ; parce que l'on peut inférer de l'effet de ces moyens, la confirmation de tout ce qui a été avancé ici concernant la théorie du froid animal.

Parmi les causes, tant externes qu'internes, qui peuvent produire la disposition à laquelle en est attachée la sensation, il n'en est point de si générale & de si commune, que l'application du froid de l'air ambiant : or comme c'est par l'agitation de l'air, par le renouvellement continuel de la partie de ce fluide qui nous environne, que le froid est le plus sensible, tout étant égal ; le premier moyen que les hommes nés nuds & laissés à-peu-près sans défense à cet égard, ont trouvé de se garantir un peu de cette impression desagréable, a été vraisemblablement de se mettre à couvert du vent derriere des arbres ou tout autre corps, qui pouvoient être interposés entr'eux & le courant d'air. On eut ensuite bien-tôt occasion de découvrir quelque creux de rocher, quelque caverne, où l'on pouvoit encore se mettre plus aisément à l'abri de toutes les injures de l'air ; mais on ne pouvoit souvent pas y rester autant qu'elles duroient ; il falloit passer d'un lieu à un autre pour pourvoir à ses besoins. On s'apperçut que la nature avoit donné aux bêtes différens moyens attachés à leur individu, tels que les poils, les plumes, dont le principal usage paroissoit être de couvrir la surface de leur corps, & de la défendre des impressions fâcheuses que pouvoient leur causer les corps ambians : envier cet avantage & sentir que l'on pouvoit se l'approprier, ne furent presque qu'une même réflexion. En effet l'homme ne tarda pas à se procurer par art ce dont la nature ne l'avoit sans-doute laissé dépourvû, que parce qu'elle lui avoit donné d'ailleurs bien supérieurement à tous les animaux, l'intelligence nécessaire, non-seulement pour se défendre de toutes les incommodités de la vie, mais encore pour trouver tous les moyens possibles de se la rendre agréable, & par conséquent celui de se garantir du plus grand inconvénient de sa nudité, en se couvrant contre le froid, & de la faire servir par le moyen d'un tact plus fin & plus étendu, à des délices de différentes especes (que les animaux ne sont pas disposés à goûter), dans bien des circonstances où il pouvoit desirer d'avoir la surface de son corps découverte & exposée au contact d'autres corps propres à lui procurer des sensations agréables, comme dans les chaleurs de l'été, où il lui étoit facile de se dépouiller de tout ce qui pouvoit l'empêcher de sentir la fraîcheur de l'air, lorsque l'occasion s'en présentoit ; il se détermina donc bien-tôt à sacrifier au besoin qu'il avoit de se défendre du froid les bêtes, auxquelles il crut voir les couvertures les plus convenables qu'il pût convertir à son usage. Il n'eut pas à balancer pour le choix ; les animaux dont les fourrures sont les plus fournies, dûrent avoir tout-de-suite la préférence : c'est-là vraisemblablement le premier motif qui a porté les hommes à égorger des animaux ; ils pouvoient s'en passer à l'égard de la nourriture, les fruits pouvoient leur suffire ; mais il ne se présentoit rien d'aussi propre à les couvrir, & qui demandât moins de préparation, que la peau garnie de poil, dont la nature avoit couvert un grand nombre d'animaux de différentes grandeurs.

L'art ajoûta ensuite beaucoup à ce vêtement simple, pour le rendre plus commode ; il ne servit d'abord qu'à envelopper le tronc ; on ne parvint pas si-tôt à trouver le moyen de couvrir les extrémités séparément. Tout ce qu'on se proposa d'abord en cherchant à le perfectionner, fut d'en rendre l'application plus intime sur les parties que l'on en couvroit, & d'empêcher qu'il ne restât des issues à l'air pour pénétrer jusqu'à la peau. On s'apperçut bientôt que plus la substance du vêtement est compacte, plus elle garantit du froid : la chaleur du corps animal se répandant autour de lui, échauffe ce qui l'environne jusqu'à une certaine distance : ainsi l'air ambiant participe à cette chaleur, d'autant plus qu'il est appliqué plus long-tems à ce corps chaud sans être renouvellé, & il lui rend de cette chaleur empruntée à proportion de ce qu'il en a reçû. Mais comme les corps en général retiennent & communiquent plus de chaleur selon qu'ils sont plus denses, l'air étant de tous les corps celui qui a le moins de densité, ne peut donc retenir & communiquer que très-peu de la chaleur qu'il a reçue de notre corps : c'est donc en fixant davantage cette chaleur exhalée hors de nous, & en nous la rendant pour ainsi dire reversible, que les vêtemens nous servent d'autant plus qu'ils sont plus compactes, & plus exactement appliqués à la surface de notre corps ; de maniere qu'ils empêchent le contact de l'air, qui est plus propre à enlever de la chaleur animale, qu'à en rendre la dissipation profitable, & qu'ils absorbent eux-mêmes en bonne partie, ce qui s'échappe ainsi continuellement de cette chaleur, pour la réfléchir sur le corps qui l'a produite, pour contribuer par-là à empêcher les effets du froid sur la surface du corps, & s'opposer au trop grand resserrement des vaisseaux capillaires cutanés, à la trop grande condensation des humeurs qui y sont contenues, d'où suivroit la disposition contre nature, à laquelle est attachée la sensation du froid.

Ainsi c'est par le moyen des habits que l'on conserve la chaleur des parties qui en sont couvertes, que l'on garantit ces parties des effets du froid externe ; c'est aussi l'inconvenient de cette précaution qui les rend plus sensibles, tandis que le visage, les mains, ou toute autre partie qui est exposée au contact immédiat de l'air, peuvent être très-froides en comparaison de celles-là, sans qu'il en résulte une sensation aussi desagréable, ab assuetis non fit passio. Le plus souvent les premieres ne deviennent froides que par la communication sympathique dont il a été traité ci-devant, & non pas par l'impression immédiate du froid externe, qui pénetre difficilement lorsqu'on est bien vêtu, lorsque les habits sont d'un tissu serré & qu'ils enveloppent le corps bien exactement. Ils rendent au corps la chaleur dont ils sont imbus, & qu'ils retiennent d'autant plus qu'ils y participent, qu'elle leur est communiquée sans interruption, à-mesure par conséquent qu'elle s'engendre & qu'elle se dissipe. Ainsi le resserrement causé par le froid n'est jamais si considérable dans les parties couvertes ; il s'y engendre donc moins de chaleur animale, à-proportion que dans celles où il y a plus d'effets du froid, telles que le visage, que l'on n'habille jamais ; celles-là conservent leur chaleur par le moyen des corps chauds qui leur sont continuellement appliqués ; celles-ci en engendrent davantage, à-proportion qu'elles en perdent davantage ; ou elles se refroidissent lorsque le resserrement des capillaires y est si fort, qu'il empêche le mouvement des humeurs, & par conséquent la génération de la chaleur animale ; on peut encore dire à l'égard de l'effet des habits, en tant qu'ils servent à la conserver, qu'ils y contribuent peut-être aussi un peu par leur poids, en ce qu'ils compriment la surface du corps, & qu'en resserrant ainsi les vaisseaux, ils favorisent le frottement des humeurs contre les parois, auquel est attaché de reproduire la chaleur ; il est certain que des couvertures pesantes contribuent autant à défendre du froid, que des couvertures d'un tissu bien dense ; mais celles-là produisent cet effet d'une maniere très-incommode.

Ce n'est pas encore le tout d'être bien couvert, bien vêtu pour se garantir du froid externe ; il faut de plus, que comme on se propose par le moyen des habits d'empêcher la dissipation immédiate de la chaleur animale, l'on empêche aussi l'enlevement de celle qui est communiquée aux habits ou autres différentes couvertures ; au-moins est-il besoin de s'opposer par des moyens convenables à ce qu'ils ne perdent pas absolument toute celle qu'ils reçoivent ; ce qui arrive lorsque l'air ambiant se renouvelle continuellement par agitation ou par l'effet du vent ; on ne peut empêcher cette dissipation de la chaleur refléchie des vêtemens, qu'en se tenant dans un lieu bien fermé ; en rendant autant qu'il est possible l'air comme immobile autour de soi par les paravents, les rideaux, les alcoves, &c. ce qui procure alors une atmosphere toûjours chaude, parce qu'on l'échauffe soi-même, & que l'on se fait de cette maniere, pour ainsi dire, un poîle naturel dont le foyer de la chaleur animale est lui-même le fourneau ; on se procure encore plus sûrement cette atmosphere chaude par le moyen des poîles proprement dits (hypocausta), des chambres échauffées avec les différentes matieres combustibles dont on forme & entretient le feu domestique ; il n'est pas hors de propos d'observer ici que cette chaleur artificielle ne doit jamais être assez considérable pour faire monter le thermometre au-dessus de 60 degrés du thermometre de Farenheit, parce qu'étant jointe à celle que nous engendrons en tems froid, qui est beaucoup plus considérable qu'en tems chaud, elle seroit excessive, & relâcheroit trop vîte l'habitude du corps ; d'ailleurs, quoique la chaleur de l'été éleve souvent le thermometre bien au-dessus du terme qui vient d'être indiqué pour les poîles, il y a cette différence, qu'on ne reste pas en cette saison dans un lieu fermé, dont l'air ne soit pas renouvellé ; c'est le renouvellement de l'air auquel on s'expose tant qu'on peut pendant les chaleurs de l'été, qui contribue le plus à les rendre supportables, attendu que l'air n'y participe jamais à un degré supérieur, & même égal à celui de la chaleur animale dans ce tems-là ; par conséquent l'air agité, le changement d'atmosphere propre ou du fluide qui la forme, enlevent continuellement de cette chaleur, qui n'est pas alors bien plus considérable que celle de l'atmosphere en général, parce qu'il s'en engendre d'autant moins en nous, comme il a été établi dans l'article précédent, que l'air est plus échauffé & communique davantage de sa chaleur à notre corps.

Tous les moyens que nous employons pour nous garantir ou pour nous délivrer des effets du froid externe, tendent donc tous à opérer les mêmes changemens en nous & autour de nous, qui se font par le passage de l'hyver à l'été ; nous échauffons l'air qui nous environne, les corps qui nous enveloppent, & par-là même la surface de notre corps médiatement ou immédiatement ; ainsi nous ne faisons autre chose qu'empêcher ou faire cesser le trop grand resserrement de nos solides, la constriction de nos vaisseaux capillaires, sur-tout de ceux de la peau, qui sont le plus exposés ; la condensation excessive de nos humeurs, leur disposition à une coagulation prochaine, qui sont constamment les effets d'un trop grand froid, bien marqués par tous les symptomes qui s'ensuivent, dont la cause leur a été attribuée ci-devant à juste titre ; & par les douleurs que l'on ressent en réchauffant des parties bien froides ; douleurs qui ne sont produites que parce que le relâchement causé par la chaleur dans les solides, favorise le mouvement progressif, le frottement des humeurs presque coagulées, qui roulent durement, pour ainsi dire, dans les vaisseaux qui les contiennent, & causent conséquemment de l'irritation dans leurs tuniques ; ensorte que cette sensation desagréable dure jusqu'à ce que la chaleur extérieure ait ramolli, dissous ces humeurs en les pénétrant, & leur ait rendu leur fluidité naturelle ; les frictions sur les parties affectées du froid faites avec des linges chauds, sont plus propres à les dissiper sans douleur de l'espece dont on vient de parler, que de se présenter tout-à-coup à un grand feu.

La sensation & les autres effets du froid animal causés par communication (des parties affectées immédiatement par le froid externe à celles qui ne le sont pas, & qui en reçoivent cependant les impressions,) ne sont susceptibles d'être corrigés par les mêmes moyens que lorsqu'ils proviennent entierement de quelque cause externe immédiate que ce puisse être ; mais il n'en est pas tout-à-fait de même des causes internes du froid animal, c'est-à-dire de celles qui sont indépendantes du froid externe ; le plus souvent elles sont de nature à ne pas céder à l'application extérieure des moyens propres à dissiper les effets du froid externe ; ainsi lorsque la masse des humeurs est tellement épaissie, a contracté une si grande force de cohésion dans ses parties intégrantes, qu'elle ne cede point à l'action dissolvante des vaisseaux, ni à celle des particules ignées dont on les pénetre, comme il arrive dans le froid de la fievre, particulierement de certaines fievres malignes, pestilentielles, de celles qui sont causées par l'effet de certains poisons ou venins coagulans, de quelques especes de fievres intermittentes (voyez à l'article FIEVRE ce qui concerne le froid fébrile) : dans ces différens cas, on réussit mieux le plus souvent à faire cesser les effets du froid par tout ce qui est propre à ranimer, à exciter l'action des organes vitaux, le mouvement, le cours des humeurs ; à favoriser le rétablissement de leur fluidité, comme les cordiaux, les délayans aromatiques, les stimulans tant internes qu'externes, & ceux-ci particulierement à l'égard du froid des parties affectées de rhumatisme, que par quelqu'autre moyen que ce soit, appliqué à l'extérieur pour procurer de la chaleur.

Le vice des solides peut aussi être tel qu'ils manquent des qualités qu'ils doivent avoir pour co-opérer à la génération de la chaleur animale ; ils peuvent donc aussi contribuer à disposer à la sensation du froid ; c'est ainsi que dans le corps des vieillards les tuniques des vaisseaux deviennent si solides, si peu flexibles, qu'elles ne peuvent pas se prêter aux mouvemens, à l'action nécessaire, pour entretenir le cours des humeurs avec la force & la vîtesse, d'où dépendent l'intensité du frottement des globules sanguins dans les vaisseaux capillaires, & les autres effets qui concernent la chaleur naturelle ; ensorte que la vieillesse établit dans les solides une disposition contraire à la génération de la chaleur ; tout comme le grand froid : senescere, sicut frigescere est continuò rigescere. C'est pourquoi l'usage modéré du vin, des liqueurs spiritueuses, & de tout ce qui peut fournir aux organes vitaux des aiguillons pour exciter leurs mouvemens, est si salutaire aux gens âgés pour l'entretien ou le rétablissement de leur chaleur naturelle ; & quant aux moyens externes qu'il convient d'employer pour le même effet, il est certain que la chaleur douce & humide des jeunes personnes long-tems couchées avec les vieilles gens, est plus efficace, & leur est plus utile que la chaleur seche du feu artificiel : attendu que celle-ci racornit toûjours plus les fibres, & augmente par-là le vice qui empêche la production de la chaleur naturelle ; & que celle-là, en suppléant à ce défaut, assouplit les solides, ou au-moins entretient le peu de flexibilité qui leur reste.

Mais le froid animal le plus rebelle à l'action du feu artificiel appliqué tant extérieurement qu'intérieurement sous quelque forme que ce soit, & à quelque degré que l'on le porte, c'est le froid causé par le spasme de cause interne, l'érétisme du genre nerveux : puisque la chaleur, sur-tout lorsqu'elle est excessive, ne fait qu'augmenter le stimulus qui en est la cause ; par conséquent la disposition, le resserrement des vaisseaux qui s'opposent au cours des humeurs, d'où dépend la génération de la chaleur animale. Il n'y a que le relâchement procuré par la cessation du stimulus, de la cause qui irrite les nerfs, de l'influx irrégulier des esprits animaux, qui en augmentent la tension contre nature, selon le langage des écoles, qui puisse faire cesser cette disposition, de laquelle provient le froid animal dans les passions de l'ame, dans les maladies dont la cause occasionne un pareil desordre, qui se manifeste principalement par l'effet de tout ce qui affecte immédiatement la partie éminemment irritable & sensible du corps humain.

Comme donc ce desordre dans le physique animal proprement dit, dépend le plus souvent beaucoup de la relation qui subsiste entre la faculté pensante & les organes qui y ont un rapport immédiat, & qu'il est sur-tout entretenu par l'influence réciproque entre celle-là & ceux-ci, le repos de l'esprit & du corps, la cessation des peines de l'un & l'autre, les remedes moraux sont souvent les moyens les plus propres à faire cesser le froid animal qui provient de la tension des nerfs, sans aucune cause physique qui l'entretienne. Il est cependant bien des cas où ces moyens n'étant pas suffisans, on peut avoir recours avec succès aux médicamens propres à faire cesser cette tension morbifique, le resserrement des vaisseaux qui en est l'effet : tels sont les médicamens anodyns, narcotiques, anti-spasmodiques : les émolliens chauds employés intérieurement & extérieurement, tels que les lavemens, les bains de même qualité, &c. mais ce ne sont-là le plus souvent que des palliatifs : le régime, l'exercice, les médicamens propres à fortifier les solides en général, à diminuer la délicatesse, la sensibilité, l'irritabilité du genre nerveux, sont les moyens les plus propres à détruire la cause du symptome dont il s'agit, c'est-à-dire du froid animal, & de tous ceux qui proviennent du vice mentionné que Sydenham appelloit ataxie du fluide nerveux. Voyez le traitement de toutes les maladies spasmodiques & convulsives, & sur-tout des vapeurs. (d)

FROID, considéré médicinalement comme cause non naturelle & externe : froid de l'atmosphere, du climat, des saisons, des bains, voyez (ainsi que pour le mot CHALEUR, sous le même rapport) AIR, ATMOSPHERE, CLIMAT, SAISON, BAIN, & en général ce qui sera dit à ce sujet sous le mot HYGIENE.

FROID FEBRILE, voyez FROID, (Patholog.) FIEVRE, FIEVRE INTERMITTENTE.

FROID considéré comme signe dans les maladies aiguës, voyez FIEVRE en général, FIEVRE INTERMITTENTE, EXTREMITES DU CORPS. (d)

FROID, (Belles-Lettres) on dit qu'un morceau de poésie, d'éloquence, de musique, un tableau même est froid, quand on attend dans ces ouvrages une expression animée qu'on n'y trouve pas. Les autres arts ne sont pas si susceptibles de ce défaut. Ainsi l'Architecture, la Géométrie, la Logique, la Métaphysique, tout ce qui a pour unique mérite la justesse, ne peut être ni échauffé ni refroidi. Le tableau de la famille de Darius peint par Mignard, est très froid, en comparaison du tableau de Lebrun, parce qu'on ne trouve point dans les personnages de Mignard, cette même affliction que Lebrun a si vivement exprimée sur le visage & dans les attitudes des princesses persanes. Une statue même peut être froide. On doit voir la crainte & l'horreur dans les traits d'une Andromede, l'effort de tous les muscles & une colere mêlée d'audace dans l'attitude & sur le front d'un Hercule qui soûleve Anthée.

Dans la Poésie, dans l'éloquence, les grands mouvemens des passions deviennent froids quand ils sont exprimés en termes trop communs, & dénués d'imagination. C'est ce qui fait que l'amour qui est si vif dans Racine, est languissant dans Campistron son imitateur.

Les sentimens qui échappent à une ame qui veut les cacher, demandent au contraire les expressions les plus simples. Rien n'est si vif, si animé que ces vers du Cid, va, je ne te hais point.... tu le dois.... je ne puis. Ce sentiment deviendroit froid s'il étoit relevé par des termes étudiés.

C'est par cette raison que rien n'est si froid que le style empoulé. Un héros dans une tragédie dit qu'il a essuyé une tempête, qu'il a vû périr son ami dans cet orage. Il touche, il intéresse s'il parle avec douleur de sa perte, s'il est plus occupé de son ami que de tout le reste. Il ne touche point, il devient froid, s'il fait une description de la tempête, s'il parle de source de feu bouillonnant sur les eaux, & de la foudre qui gronde & qui frappe à sillons redoublés la terre & l'onde. Ainsi le style froid vient tantôt de la stérilité, tantôt de l'intempérance des idées ; souvent d'une diction trop commune, quelquefois d'une diction trop recherchée.

L'auteur qui n'est froid que parce qu'il est vif à contre-tems, peut corriger ce défaut d'une imagination trop abondante. Mais celui qui est froid parce qu'il manque d'ame, n'a pas de quoi se corriger. On peut modérer son feu. On ne sauroit en acquérir. Article de M. de VOLTAIRE.

FROID, (Jurisp.) en termes de droit, frigidus, est la qualité que l'on donne à un homme qui est atteint du vice de frigidité. Voyez ci-devant FRIGIDITE. (A)


FROIDES(semences) matiere médicale ; voyez SEMENCES.

FROIDE allure, (Manége) si l'on s'en rapporte à certains auteurs de vocabulaires, & même à quelques uns de ceux qui ont écrit sur notre art, on se persuadera que l'on doit entendre par allure froide, celle du cheval qui ne releve point en marchant, & qui rase le tapis ; mais si l'on recherche le véritable sens de cette expression, on se persuadera qu'elle ne doit être mise en usage que relativement au cheval dont la marche n'a rien de marqué ni d'animé, dont l'action des membres ne présente rien de remarquable & de soûtenu, qui chemine, en un mot, pour cheminer, & qui convenable à des personnes d'un certain âge, ou à des personnes du sexe, parce qu'il a de la sagesse, & que son allure n'est point fatigante, ne doit point être confondu avec des chevaux naturellement foibles ou usés, & toûjours peu sûrs. (e)

FROIDE, (épaule) Manége. Voyez EPAULE.


FROISSERv. act. (Gramm.) il se dit proprement de toutes les substances flexibles, minces, & dont la surface est unie ; ainsi on froisse du papier, une étoffe, en y faisant des plis par le maniement. Il se prend cependant pour une action beaucoup plus forte, & alors ce pourroit bien être une espece de metaphore empruntée de la premiere action : lorsqu'on dit, il s'est froissé tous les membres en tombant, cela signifie peut-être que sa chûte a été si rude, que le corps en a été froissé comme une feuille de papier.


FROLou CHAMAECERASUS, (Jardinage) arbrisseau dont il y a plusieurs especes, qui n'ayant toutes ni d'agrément, ni d'utilité, ni d'usages, sont assez méconnues & peu recherchées.

Le chamaecerasus à fruit rouge ; c'est un vil arbrisseau qui n'est propre à rien ; aussi n'a-t-il pas de nom françois bien connu, ou généralement reçû ; celui de chamaecerasus qui est moitié grec & moitié latin, signifie petit cerisier, & c'est le nom françois qu'on a commencé à lui donner dans le catalogue des arbres qu'on peut élever en pleine terre aux environs de Paris : nom peu propre au reste à désigner cet arbrisseau qui ne ressemble au cerisier en quoi que ce soit. Les Anglois l'appellent avec plus de vraisemblance par rapport à sa fleur, upright honey suckle, c'est-à-dire chevrefeuille à tige droite, par opposition au chevrefeuille ordinaire, dont les tiges sont rampantes. Dans une partie de l'Auxois en Bourgogne, on le nomme frole, & dans d'autres endroits on l'appelle petit bois blanc. Enfin Linnaeus a jugé à-propos qu'il dût s'appeller lonicera. Cet arbrisseau se trouve communément dans les buissons & dans les haies, où il s'éleve à 5 ou 6 piés, & quelquefois jusqu'à 10 dans des lieux frais & à l'ombre ; ses branches peu flexibles & qui se croisent irrégulierement, sont couvertes d'une écorce cendrée, qui fait sur-tout remarquer cet arbrisseau, dont les feuilles un peu ovales & sans dentelures, sont aussi d'un verd blanchâtre ; ses fleurs d'un blanc sale sont peu apparentes, quoiqu'assez ressemblantes à celles du chevrefeuille ; elles paroissent au commencement de Mai, viennent toûjours par paire à la naissance des feuilles, & durent environ quinze jours. Son fruit mauvais & nuisible, est une baie de la grosseur d'un pois, qui devient rouge & molle en mûrissant au mois de Juillet, & qui ne tombe qu'après les premieres gelées. Cet arbrisseau vient dans tous les terreins, résiste à toutes les intempéries, se multiplie plus qu'on ne veut, & de toutes les façons.

Le chamaecerasus à fruit rouge, marqué de deux points. Cet arbrisseau ne s'éleve qu'à quatre ou cinq piés ; ses branches qui se soûtiennent droites, permettent de l'amener à une forme réguliere ; sa fleur qui a une teinte legere d'une couleur pourpre obscure, est plus petite que dans l'espece précédente, & n'a pas meilleure apparence ; elle paroît au commencement du mois de Mai, & dure environ quinze jours. Ses fruits qui mûrissent au mois de Juillet, sont des baies rouges de mauvais goût, qui sont remarquables par les deux points noirs qui se trouvent sur chacune. Cet arbrisseau qui est originaire des Alpes & d'Allemagne, est très-robuste, réussit par-tout, se multiplie aussi aisément que le précédent, & par autant de moyens ; mais on ne lui connoît pas plus d'utilité.

Le chamaecerasus à fruit bleu : c'est un arbrisseau fort rameux qui s'éleve au plus à quatre piés ; ses fleurs pâles & petites paroissent de très-bonne heure au printems, dont elles ne font pas l'ornement. Son fruit qui mûrit à la fin de l'été, est une baie de couleur bleue, dont le suc aigrelet n'est pas desagréable au goût. Cet arbrisseau n'est nullement délicat ; on peut le multiplier de graine & de branches couchées, qu'il faut avoir la précaution de marcotter si l'on veut qu'elles fassent suffisamment racine, pour être transplantées au bout d'un an ; mais il ne réussit que difficilement de bouture.

Le chamaecerasus à fruit noir : c'est un fort petit arbrisseau qui ne s'éleve qu'à trois ou quatre piés ; ses feuilles le font distinguer des autres especes par leurs dentelures. Ses fleurs qui sont petites & d'une couleur violette très-tendre, paroissent au mois de Mai, & sont suivies d'une baie noire de mauvais goût qui mûrit au mois de Juillet. Cet arbrisseau aime l'ombre & un terrein humide ; il est extrêmement robuste, & on peut le multiplier de graine, de branches couchées, & de bouture ; on ne lui connoît encore aucun usage. (c)


FROMAGEle lait est composé de trois substances différentes : la creme, la partie séreuse, & la partie caséeuse, ou le fromage.

On sépare ces trois substances de toutes sortes de lait. Ainsi on a tout autant de sortes de fromages au-moins qu'il y a d'animaux lactiferes.

Nos fromages ordinaires sont de lait de vache. Les bons fromages se font au commencement du printems ou au commencement de l'automne. On prend le lait le meilleur & le plus frais. On fait le fromage avec ce lait, ou écremé ou non écremé.

Pour faire du fromage, on a de la presure ou du lait caillé, qu'on trouve & qu'on conserve salé, dans l'estomac du veau, suspendu dans un lieu chaud, au coin de la cheminée. Prenez de ce lait : délayez-le dans une cuilliere avec celui que vous voulez tourner en fromage : répandez de cette presure délayée une demi-dragme, sur deux pintes de lait ; & le lait se mettra en fromage.

Alors vous le séparerez avec une cuilliere à écremer : vous aurez des vaisseaux percés de trous par les côtes & par le fond : vous y mettrez votre fromage pour égoutter & se mouler.

Quand il est moulé & égoutté, alors on le mange, ou on le sale, ou on lui donne d'autres préparations. Voyez l'article LAIT, où l'on entrera dans un plus grand détail sur les différentes substances qu'on en tire.

FROMAGE, (Diete) le fromage est, comme tout le monde sait, un des principes constitutifs du lait, dont on le retire par une véritable décomposition, pour l'usage de nos tables.

On prépare deux especes de fromage ; un fromage pur, c'est-à-dire qui n'est formé que par la partie caséeuse proprement dite du lait ; & un autre qui renferme ce dernier principe, & la partie butyreuse du lait, ou le beurre.

Le fromage de la premiere espece est grossier, peu lié, très-disposé à aigrir ; il est abandonné aux gens de la campagne. Tous les fromages qui ont quelque réputation, & qui se débitent dans les villes, sont de la seconde espece ; ils sont moëlleux, gras, délicats, peu sujets à aigrir ; ils ont une odeur & un goût fort agréables, au moins tant qu'ils sont récens : on les appelle communément gras ou beurrés. Plusieurs cantons du royaume en fournissent d'excellens. Le fromage de Rocquefort est sans contredit le premier fromage de l'Europe ; celui de Brie, celui de Sassenage, celui de Marolles, ne le cedent en rien aux meilleurs fromages des pays étrangers : celui des montagnes de Lorraine, de Franche-Comté, & des contrées voisines, imitent parfaitement celui de Gruyere : le fromage d'Auvergne est aussi bon que le meilleur fromage d'Hollande, &c.

Tous les Medecins qui ont parlé du fromage, l'ont distingué avec raison en frais ou récent, & en vieux, ou fort & picquant ; ils ont encore déduit d'autres différences, mais moins essentielles, de la diversité des animaux qui avoient fourni le lait dont on l'avoit retiré ; de l'odeur, du goût, du degré de salure, &c.

Les anciens ont prétendu que le fromage frais étoit froid, humide, & venteux, mais qu'il excitoit moins la soif que le vieux ; qu'il resserroit moins le ventre, qu'il ne fournissoit pas un suc si grossier ; qu'il nourrissoit bien, & même qu'il engraissoit ; que cependant il étoit de difficile digestion ; qu'il engendroit le calcul ; qu'il causoit des obstructions, &c.

Le vieux étoit chaud & sec, selon leur doctrine, & à cause de ces qualités, difficile à digérer, très-propre à engendrer le calcul, sur-tout s'il étoit fort salé. Galien, Dioscoride, & Avicenne en ont condamné l'usage, pour ces raisons ; & encore, parce qu'ils ont prétendu qu'il fournissoit un mauvais suc ; qu'il resserroit le ventre, & qu'il se tournoit en bile noire ou atrabile : ils ont avoüé cependant, que pris en petite quantité, il pouvoit faciliter la digestion, surtout des viandes, quoiqu'il fût difficile à digérer lui-même.

La plûpart de ces prétentions sont peu confirmées par les faits. Le fromage, à-moins qu'il ne soit absolument dégénéré par la putréfaction, est très-nourrissant : la partie caséeuse du lait est son principe vraiment alimenteux.

Le fromage frais assaisonné d'un peu de sel, est donc un aliment qui contient en abondance la matiere prochaine du suc nourricier, & dont la fadeur est utilement corrigée par l'activité du sel. Les gens de la campagne, & ceux qui sont occupés journellement à des travaux pénibles, se trouvent très-bien de l'usage de cet aliment, qui devient plus salutaire encore, comme tous les autres, par l'habitude.

Le fromage fait, c'est-à-dire qui a essuyé un commencement d'altération spontanée, dont les progrès l'auroient porté à un vrai état de putréfaction ; celui-là, dis-je, est moins nourrissant, mais plus irritant ; il convient encore mieux aux corps robustes & exercés.

Enfin le fromage presque pourri, état dans lequel on le mange quelquefois, doit moins passer pour un aliment que pour un assaisonnement, irritamentum gulae, qui excite souvent avec avantage le jeu de l'estomac déjà chargé de diverses viandes, & qu'on peut par conséquent manger avec succès à la fin du repas : c'est celui-ci principalement dont il s'agit dans ce vers connu de tout le monde :

Caseus ille bonus quem dat avara manus.

L'usage du fromage n'est pourtant point sans inconvénient : le fromage frais pris en grande quantité, produit quelquefois des indigestions chez les personnes qui n'y sont point accoûtumées : ceci est vrai, sur-tout de ces fromages mous & délicats qu'on mange très-frais, délayés avec de la creme ou du lait, & qu'on appelle communément fromages à la creme. Ceux-ci different à peine à cet égard, du lait entier. Voyez LAIT, (Diete & Mat. med.) Le fromage fait pris aussi en trop grande quantité, excite la soif, produit une chaleur incommode dans l'estomac & dans les intestins, rend la salive gluante & épaisse, & cause de petites aphthes dans l'intérieur de la bouche. On prévient ces accidens, en usant sobrement de cet aliment ; & on les guérit, en faisant avaler quelques verres d'eau froide.

Le fromage vieux & piquant a toutes les mauvaises qualités des assaisonnemens très-irritans ; il est presque caustique.

En général, les personnes délicates, qui ont le genre nerveux sensible, ou qui sont sujettes aux maladies de la peau, doivent se priver de fromage ; le sel dont il est souvent très-chargé, & les parties actives développées par l'espece de fermentation qu'il éprouve, portent singulierement vers cet organe ; le fait est observé.

Le fromage est un de ces alimens pour lequel certaines personnes ont une répugnance naturelle, dont la cause est assez difficile à déterminer. Lémery le fils (traité des alimens), nous apprend qu'un Martin Schoockius a fait un traité particulier de aversione casei, auquel il a la discrétion de renvoyer le lecteur curieux : nous aurons aussi cette attention pour le lecteur raisonnable. (b)

FROMAGE, c'est chez les Orfevres, un morceau de terre plat & rond, que l'on met au fond du fourneau, & sur lequel on pose le creuset, pour l'élever, afin qu'il soit exposé de toutes parts à l'activité du feu, & défendu des coups d'air qui pourroient le refroidir & le faire casser.


FROMAGERS. m. (Hist. nat. Bot.) l'arbre que les habitans des Antilles nomment fromager, croît d'une prodigieuse grosseur, & s'éleve à proportion : les racines qui sont très-grosses, sortent hors de terre de 7 à 8 piés, & forment comme des appuis ou arcs-boutans autour de la tige. La partie inférieure de ces mêmes racines s'enfonce peu sous terre, mais elle s'étend excessivement à la ronde. Le bois du fromager est mou, leger, & de peu de durée : on ne s'en sert qu'à faire des canots, qu'il faut renouveller souvent : il est couvert d'une écorce grise assez épaisse, remplie de rugosités épineuses. On prétend que cette écorce est employée avec succès dans les tisanes qu'on fait prendre à ceux qui sont attaqués de la petite vérole : cet arbre porte un fruit ovale de la grosseur d'un oeuf de poule d'Inde, renfermant une ouate extrêmement fine, couleur de noisette, & aussi belle que la soie cardée : on ne s'en sert qu'à former des oreillers & des coussins. Le fromager se dépouille une fois l'année de toutes ses feuilles. Article de M. LE ROMAIN.


FROMENTS. m. triticum, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleurs sans pétales, disposés par petits paquets arrangés en forme d'épi. Chaque fleur est composée de plusieurs étamines qui sortent d'un calice écailleux, qui est le plus souvent garni de barbes. Le pistil devient dans la suite une semence oblongue, convexe d'un côté & sillonnée de l'autre : ces semences sont farineuses & enveloppées dans la bale qui a servi de calice à la fleur. Les petits paquets de fleurs sont attachés à un axe dentelé, & forment l'épi. Tournefort, instit. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

FROMENT, (Economie rustiq.) c'est le plus pesant de tous les grains ; c'est celui de tous qui contient la farine la plus blanche, de la meilleure espece, & en plus grande quantité.

Destiné particulierement à la nourriture de l'homme, son excellence le rend la matiere d'un commerce nécessaire qui ajoûte encore à son prix. Voyez GRAINS, (Econom. politiq.)

M. de Buffon pense que le froment, tel que nous l'avons, n'est point une production purement naturelle ; que l'existence de ce grain précieux n'est dûe qu'à la culture & à une longue suite de soins. En effet, on ne trouve point dans la nature de froment sauvage ; mais il n'y a encore là-dessus que des expériences trop incertaines, pour que cette opinion probable soit au rang des vérités reconnues.

Le grain de froment semé en terre, germe & pousse plusieurs tiges hautes de quatre à cinq piés, droites, entrecoupées de trois ou quatre noeuds, & accompagnées de quelques feuilles longues & étroites qui enveloppent la tige jusqu'à six pouces de l'épi.

Les épis placés au sommet de la tige sont écailleux, & forment un tissu d'enveloppes dont chacune renferme un grain : ce grain est oblong, arrondi d'un côté, sillonné de l'autre, & de couleur jaune.

On distingue plusieurs especes de froment ; la différence en est legere : quant à la forme du grain, elle se fait remarquer principalement dans les épis. L'espece la plus commune & la meilleure est celle dont l'épi est blanchâtre, sans barbe, & seulement écailleux. Celle qui est connue sous le nom de blé barbu, n'est cependant pas non plus sans mérite : on l'appelle ainsi, parce qu'effectivement l'épi est couvert & surmonté de barbes, comme sont les épis de seigle ; le grain en est ordinairement plus gros, la paille plus dure & plus colorée : on dit qu'il est moins sujet à verser ; mais la farine en est moins blanche que n'est celle du blé sans barbe. Le blé de Smyrne, ou blé de miracle, produit plusieurs épis assemblés en bouquet au haut de la tige. Il a quelques avantages, & encore plus d'inconvéniens.

On seme tous ces grains en automne ; ils levent, & doivent couvrir la terre pendant l'hyver : on les appelle blés d'hyver, pour les distinguer d'une autre espece de froment qu'on seme au printems, & qui est connue sous le nom de blé de Mars ; il est communément barbu ; mais on en voit aussi qui est sans barbe.

Ce blé, trop délicat pour soûtenir de fortes gelées, mûrit dans les années favorables, en même tems que celui qui a passé l'hyver. En général, il produit beaucoup moins de paille, & un peu moins de grain ; il manque souvent : cependant c'est une ressource à ne pas négliger dans les terres argilleuses, & dans celles que les pluies d'hyver battent aisément.

Quelle que soit l'espece du froment, la culture en est la même ; & c'est à cette culture que nous devons principalement nous arrêter.

On sait qu'avant de confier le blé à la terre, on la laisse reposer pendant une année, qui s'employe en préparations ; elles ont trois objets, d'ameublir la terre, de l'engraisser, & de détruire un nombre infini d'insectes dangereux & de mauvaises herbes.

On remplit le premier objet par les labours ; le second, par les fumiers, les terres, &c. le troisieme, en faisant brouter par les troupeaux les herbes qui y renaissent continuellement. Voyez AGRICULTURE, ENGRAIS, LABOUR, &c.

On donne aux terres depuis trois jusqu'à cinq labours, selon leur qualité, & quelquefois selon le hasard du tems. Lorsqu'on n'en veut donner que trois, on ne fait le premier qu'après les semailles de Mars ; mais si vous en exceptez les glaises, que souvent on ne peut labourer que trois fois, à cause de la difficulté de saisir le moment convenable, il est toûjours beaucoup plus avantageux de donner quatre labours aux terres pendant l'année de jachere. Dans ce cas, le premier labour se doit faire après les semailles des blés, c'est-à-dire pendant le mois de Novembre ; & on laisse la terre en grosses mottes, exposée à l'action des gelées qui servent beaucoup à la façonner : lorsqu'au printems elle est devenue saine, on donne le second labour ; & il est essentiel que ce soit par un tems sec, sur-tout dans les terres un peu fortes. Il est très-utile de herser la terre quelques jours après ce labour & les suivans ; elle en est mieux divisée ; & les herbes qui auroient repris racine sont arrachées de nouveau : mais il ne faut herser que par un beau tems, & lorsque la terre est saine. Le troisieme labour devient nécessaire vers le commencement de Juillet ; & à la fin d'Août, on commence à donner celui qui doit être le dernier, & qu'on appelle proprement labour à blé. Il est essentiel que ce labour soit fait au-moins quinze jours avant de semer le froment, lorsqu'on doit le couvrir avec la herse. La nielle est plus à craindre, quand on seme sur un labour frais. Pendant cette année de jachere, on choisit un intervalle entre deux labours, pour engraisser la terre. Le degré de putréfaction du fumier qu'on veut y répandre, & la facilité des charrois, reglent ce temps ; la nature & les besoins de la terre doivent décider de la qualité & de la quantité du fumier. Voyez ENGRAIS.

On promene aussi pendant tout le printems & la plus grande partie de l'été, les troupeaux sur les jacheres ; elles leur sont très-utiles, parce que les prairies étant occupées par le foin, il ne reste que très-peu de paturages proprement dits ; & les troupeaux, beaucoup mieux que les labours, détruisent l'herbe qui renaît continuellement. On seme le froment depuis la fin de Septembre jusqu'au commencement de Novembre. En général, on peut assûrer qu'il est avantageux de le semer de bonne heure. Il est bon que la plante acquerre une certaine force avant l'hyver ; qu'elle ait le tems de s'étaler, de se faire de la racine & de la pampe. Si dans une année où l'hyver sera trop doux, ce peut être un inconvenient d'avoir semé trop tôt, l'expérience apprend qu'il y en aura dix où l'on se repentira d'avoir semé trop tard. Il faut sur-tout se presser dans les pays où il y a beaucoup de gibier, lievres, perdrix, &c.

La quantité de lievres fait au blé un tort dont on ne peut se garantir par aucune précaution ; celle de semer de bonne heure & de fumer un peu plus, est suffisante pour préserver du mal que peut faire une grande abondance de perdrix. Pour semer d'une maniere avantageuse, il faut que la terre ne soit pas trop humide ; il est à souhaiter qu'elle soit fraîche : mais il vaut mieux semer dans la poudre, que de trop attendre. La semence doit être choisie avec soin : il faut que ce soit du plus beau blé de l'année ; & les bons laboureurs vont l'acheter à quelque distance, parce que le blé, comme beaucoup d'autres plantes, dégenere si on le laisse dans la même terre : on lessive cette semence dans une eau de chaux ; quelques laboureurs y ajoûtent avec succès de l'eau putréfiée avec leur fumier ; & il y a encore d'autres préparations plus avantageuses. Voyez NIELLE.

Dans les environs de Paris, on seme ordinairement un septier de blé, pesant deux cent cinquante livres, dans un arpent à vingt piés par perche : mais il est certain qu'un tiers de moins est suffisant dans une terre bien préparée par les labours & par l'engrais : on pourroit même avec succès en mettre encore moins.

Le froment semé un peu clair, est moins sujet à verser ; la paille en est plus forte ; les épis sont plus longs & plus gros ; & la recolte en grain n'en est que plus abondante.

Lorsque la terre n'est ni seche ni froide, le blé leve au bout de quinze jours : après cela, si un reste de chaleur favorise encore la végétation, ses racines s'étendent dans l'intérieur de la terre ; plusieurs tiges se préparent, & la pampe s'étale. Pendant l'hyver, la plante reste ordinairement dans un état d'inaction ; & elle prend souvent une couleur un peu jaune, lorsque la terre devient trop humide. Au printems, le premier air doux la fait reverdir ; la tige se forme & commence à monter : c'est alors qu'il faut nettoyer le blé des mauvaises herbes qui tendent à l'étouffer, & qui se multiplient malgré les précautions prises pendant l'année de jachere : il en est qu'il faut arracher avec la main, parce qu'elles ont des racines très-profondes ; telles sont une herbe connue assez généralement sous le nom de nielle, une autre appellée amourette en beaucoup d'endroits, & celle nommée queue de renard.

Il en est d'autres, comme sont les chardons, qu'on détruit avec un instrument appellé sarcloir. Toutes ces plantes malfaisantes croissent beaucoup plus vîte que le blé ; elles l'étouffent ; & si on les laisse monter, leurs semences infectent la terre au point que la destruction ne peut plus en être faite que par un travail de plusieurs années. Il faut donc une très grande attention à sarcler le blé : mais il faut que cette opération se fasse avant que la tige soit à une certaine hauteur : sans cela, elle seroit rompue ; & on détruiroit la plante, au lieu de la favoriser.

Le blé fleurit vers la fin de Juin ; chaque épi n'est en fleurs que pendant un ou deux jours : alors les pluies froides sont à craindre ; elles font avorter une partie des grains ; un mois se passe entre la floraison & la maturité. C'est pendant cet intervalle, qu'on redoute avec raison les brouillards, qui lorsqu'ils sont suivis du soleil, causent la maladie appellée rouille. Quelle que soit la maniere dont les brouillards agissent, leur effet malheureux n'est que trop certain ; les blés qui en ont été frappés ne grossissent plus ; les grains sont retraits, legers, & presque vuides : l'expérience n'a point appris les moyens de prévenir cet accident ; & il paroît être de nature à tromper toutes les précautions que nous pourrions prendre. La rouille n'est à craindre que dans des années humides & tardives. Cette maladie, quoique très-fâcheuse, l'est beaucoup moins que celle qu'on doit appeller nielle, & qui fait quelquefois de grands ravages : mais l'humanité doit tout récemment aux soins & à la sagacité de M. Tillet, la découverte des causes de cette maladie, & de plusieurs remedes qui la préviendront ou même l'anéantiront dans la suite. Voyez NIELLE. On donnera à cet article les différens caracteres des maladies confondues sous le nom de nielle, ou connues en divers lieux sous d'autres noms.

Lorsque le froment approche de la maturité, la tige jaunit à l'endroit nommé le collet, c'est-à-dire à l'extrémité de la tige qui approche de l'épi.

Lorsqu'il en est à ce point, rien ne retarde plus les progrès qui lui restent à faire : les pluies même semblent hâter l'instant où il sera bon à couper. Si l'on tarde trop, il s'égraine, & on en perd une partie : mais ce qu'il y a de plus essentiel à remarquer pour la récolte, c'est de ne lier le blé en gerbe, & de ne le serrer que par un tems sec ; sans quoi, il s'échaufferoit dans la grange, prendroit un mauvais goût ; & on perdroit totalement le grain & la paille.

La nouvelle méthode pour la culture des terres, & sur-tout pour celle du froment, a fait assez de bruit pour être examinée ici. Si vous voulez vous en instruire, lisez la fin de l'article AGRICULTURE. Cette méthode a eu moins de partisans & de célébrité en Angleterre où elle est née, qu'en France où elle n'est qu'adoptive ; elle y a été soûtenue par l'activité naturelle de M. Duhamel, par son zele plein de chaleur pour le bien public, par une sorte de tendresse paternelle qui masque les défauts de ce qu'on s'est approprié. Je ne parle pas des difficultés que l'on trouve dans l'usage des instrumens qui sont nécessaires pour la nouvelle culture ; je sais par expérience, que les instrumens se perfectionnent & deviennent commodes entre les mains des cultivateurs. Il m'a paru que cette culture avoit un vice intérieur, que rien ne pourroit jamais corriger. Il est certain que de fréquens labours paroissent rendre les terres fécondes : mais il ne faut pas beaucoup d'expérience pour savoir que si les labours sont la seule préparation qu'on leur donne, ce ne sera qu'une fécondité précaire, qui amenera une stérilité très-difficile à vaincre.

Les labours fréquens divisent, atténuent les molécules de la terre : mais cet avantage forcé n'est pas à comparer à celui qui résulte de la fermentation intérieure & sourde de ces mêmes parties, qui s'opere naturellement dans le repos, & qui est encore excitée par le fumier qu'on y ajoûte. On sait, qu'indépendamment des labours, on a besoin d'aider la terre par des engrais, en proportion de la quantité de récoltes qu'on lui demande. Il peut arriver qu'une très-bonne terre brisée par des labours continuels, produise pendant quelque tems avec une abondance extraordinaire ; mais ce seroit ces efforts mêmes qui détruiront sa fécondité dans son principe ; le repos long qui deviendra nécessaire, anéantira les avantages qu'on s'étoit promis. Indépendamment de ces principes généraux, on peut assûrer qu'il y a eu une erreur de calcul très-considérable, dans la comparaison qui a été faite entre cette culture nouvelle & l'ancienne.

Dans le détail de la dépense, ce qu'il en coûte pour sarcler devroit être doublé plus de six fois. On n'a pas vû de jardins, si l'on ne sait pas avec quelle assiduité il faut arracher les mauvaises herbes, que la culture rend vigoureuses & dominantes : la même chose arrive dans la nouvelle culture du froment ; chaque labour amene la nécessité de sarcler de nouveau : ce n'est point une opération facile & promte, comme celle qui se fait dans les blés ordinaires. Il faut arracher avec la main des herbes fortes, dont les racines s'étendent au loin dans une terre ameublie. Si leur tige se casse, on n'a rien fait. La répétition fréquente d'une opération aussi longue devient rebutante par les foins & les frais qu'elle exige. Il y a eu une autre erreur dans la comparaison des produits : on fait le parallele de ce que rend une terre cultivée à l'ordinaire, avec ce que donne la même quantité, suivant la nouvelle méthode. On établit la comparaison sur quelques arpens dont on a pris le plus grand soin, selon la nouvelle méthode. Pour que le parallele fût juste, il faudroit qu'on supposât l'ancienne pratiquée avec autant d'exactitude qu'elle pourroit l'être. Je connois des terres de qualité moyenne, qui ne sont bien cultivées que depuis deux ans, & dont chaque arpent a produit dix septiers de blé. Si les mêmes soins leur sont continués, il n'est pas douteux que dans la suite elles ne produisent douze septiers dans les années heureuses. D'après cela, un nouveau parallele pourroit n'être pas favorable à la nouvelle culture ; mais je ne le ferai point ici : je me contenterai de ne conseiller à personne de cultiver ses terres de cette maniere ; au reste, c'est au tems à décider de la valeur de mes présomptions. Quoi qu'on dise de la paresse & de la stupidité des laboureurs, l'intérêt les éclaire toûjours sur les choses vraiment utiles, dès qu'une fois on les leur a montrées.

Lorsque le froment a été serré bien sec, on peut le garder assez long-tems en gerbes dans la grange. Cependant l'usage de le battre sur le champ est établi dans plusieurs pays. Cette opération se fait de différentes manieres, dont aucune ne paroît avoir sur l'autre un avantage bien marqué. Le grain étant sorti de l'épi, on le vanne pour le séparer encore de la paille legere des enveloppes qui s'est détachée avec lui. Après cela on le passe par le crible pour le nettoyer mieux, & on le porte dans le grenier. Pendant les premiers six mois on fait bien de le remuer tous les quinze jours. Après cela il suffit de le faire tous les mois ; & la premiere année étant passée, on peut encore éloigner cette opération de quelques semaines. Le froment se conserve de cette maniere pendant six ans au-moins. M. Duhamel a éprouvé qu'on pouvoit porter cette conservation beaucoup plus loin, avec un grenier d'une construction particuliere. On y desseche d'abord le grain par le moyen d'une étuve, & l'on entretient ensuite ce premier dessechement à l'aide d'un ventilateur. M. Duhamel, sans rien oser assûrer, présume avec fortes raisons que cette maniere de traiter le blé doit le préserver d'une espece d'insectes très-dangereux, qu'on appelle charençons, & contre lesquels on n'a trouvé jusqu'à-présent aucun remede sûr. Voyez le traité de M. Duhamel sur la conservation des grains.

L'importance dont est le froment pour la vie des hommes, en a soûmis d'une maniere particuliere la conservation & le commerce à la vigilance publique. La crainte de disettes a fait faire beaucoup de réglemens précaires, & fait naître plus d'une fois l'idée des magasins publics. Mais avec une connoissance mieux approfondie des hommes & des choses, on a vû que de tels magasins seroient nécessairement mal régis, & exposeroient à un monopole odieux une denrée aussi nécessaire. Voyez l'essai sur la police des grains par M. Herbert.

Il est étonnant qu'en France on ait pris pendant si long-tems de fausses mesures sur un objet dont tant d'autres dépendent. Il n'y a pas deux ans que le commerce du blé étoit défendu d'une province à l'autre. Souvent une partie des citoyens soûmis au même maître mouroit de faim, pendant que la province voisine étoit incommodée d'une abondance ruineuse pour les cultivateurs. Cet abus ne pouvoit pas échapper à la sagesse du gouvernement, & il a cessé. Mais on ne peut pas penser aux avantages infinis qui résulteroient de l'exportation libre du blé dans un royaume aussi fertile, sans être affligé que cet encouragement soit encore refusé à l'agriculture. Voy. GRAINS, (Economie politique.) Cet article est de M. LE ROI, lieutenant des chasses du parc de Versailles.


FROMENTÉES. f. (Pharmacie), c'est une espece de potage, dont la base est du froment qu'on fait bouillir avec du lait & du sucre. On y ajoûte quelquefois des épices. Pline rapporte que dans son tems on y mêloit de la craie. Galien en parle comme d'une espece de blé ou de bouillie fort nourrissante. Il dit qu'on la faisoit bouillir avec de l'eau, du vin, & de l'huile.

Les Latins l'appelloient alica, que Festus dérive ab alendo, à cause qu'elle est fort nourrissante. Il est à observer qu'on en faisoit avec toute sorte de blé.

Mais comme la nôtre ne se fait qu'avec le froment, nous lui avons donné son nom de frumentum. Une émulsion où entreroit le froment, seroit une espece de fromentée. Chambers.

Cette bouillie n'est guere d'usage en France, cependant elle me paroît fort nourrissante ; on pourroit s'en servir aussi-bien que du riz, de la semoule, & de l'orge.


FRONCERv. act. en terme de Marchands de modes, c'est plisser l'étoffe, le ruban, ou la blonde, en les avançant à mesure qu'on les attache ; ensorte qu'il soit formé des plis égaux ou inégaux, & comme on le desire.


FRONDES. f. (Hist. & Méchan.) instrument de corde & à main, dont on se servoit autrefois dans les armées pour lancer des pierres, & même des balles de plomb avec violence.

Pline prétend que les peuples de la Palestine sont les premiers qui se soient servis de la fronde, & qu'ils y étoient si exercés, qu'ils ne manquoient jamais le but. Un passage de l'Ecriture rapporté par le pere Daniel dans son histoire de la Milice françoise, prouve leur adresse en ce genre. On trouve dans ce passage qu'il y avoit dans la ville de Gabaa sept cent frondeurs, qui tiroient si juste, qu'ils auroient pû sans manquer toucher un cheveu, sans que la pierre jettée se fût détournée de part ou d'autre *.

Les habitans des îles Baléares, aujourd'hui Majorque & Minorque, ont été aussi très-fameux chez les anciens, par leur habileté à se servir de cette arme. Dans les expéditions militaires ils jettoient, suivant Diodore de Sicile, de plus grosses pierres avec la fronde qu'avec les autres machines de jet. " Quand ils assiégent une place, dit cet auteur, ils atteignent aisément ceux qui gardent les murailles ; & dans les batailles rangées ils brisent les boucliers, les casques, & toutes les armes défensives de leurs ennemis. Ils ont une telle justesse dans la main, qu'il leur arrive peu souvent de manquer leur coup. Ce qui les rend si forts & si adroits dans cet exercice, continue ce même auteur, c'est que les meres même contraignent leurs enfans, quoique fort jeunes encore, à manier continuellement la fronde. Elles leur donnent pour but un morceau de pain pendu au bout d'une perche, & elles les font demeurer à jeun jusqu'à ce qu'ils ayent abattu ce pain ; elles leur accordent alors la permission de le manger ". Diodore de Sicile, trad. de M. l'abbé Terrasson, tom. II. pag. 217.

Vegece rapporte aussi à ce sujet que les enfans de ces îles ne mangeoient d'autre viande que celle du gibier qu'ils avoient abattu avec la fronde.

Les frondeurs, conjointement avec les archers ou gens de trait, servoient à escarmoucher au commencement du combat ; & lorsqu'ils avoient fait quelques décharges ou qu'ils étoient repoussés, ils se retiroient derriere les autres combattans, en passant par les intervalles des troupes.

Les Romains ainsi que les autres nations avoient des frondeurs dans leurs armées ; voyez VELITES.

" Nos peres, dit Vegece, se servoient de frondeurs dans leurs batailles. En effet des cailloux ronds lancés avec force font plus de mal malgré les cuirasses & les armures, que n'en peuvent faire toutes les fleches ; & l'on meurt de la contusion sans répandre une goutte de sang. Trad. de Vegece par M. de Sigrais.

Les François ont fait aussi usage de la fronde dans leurs armées. Ils ont même continué de s'en servir long-tems après l'invention de la poudre à canon. D'Aubigné rapporte qu'au siége de Sancere en 1572, les paysans huguenots refugiés dans cette ville s'en servoient pour épargner la poudre.

Selon Vegece, la portée de la fronde étoit de six cent piés. Voyez ci-après FRONDEUR. (Q)

L'effet de la fronde vient principalement de la force centrifuge. La pierre qui tourne dans la fronde tend continuellement à s'échapper par la tangente (voyez CENTRIFUGE & FORCE), & tend la fronde avec une force proportionnelle à cette force centrifuge ; elle est retenue par l'action de la main qui en faisant tourner la fronde, s'oppose à la sortie de la pierre ; & elle s'échappe par la tangente dès que l'action de la main cesse. On trouve au mot CENTRAL des théoremes par lesquels on peut déterminer aisément la force avec laquelle une fronde est tendue, la vîtesse de la pierre étant donnée. Cette force est à la pesanteur de la pierre, comme le double de la hauteur d'où la pierre auroit dû tomber pour acquérir la vîtesse avec laquelle elle tourne, est au rayon du cercle. Voyez aussi le mot FORCE. Il est bon de remarquer que la pesanteur du corps altere un peu cette force de tendance, en la diminuant dans la partie supérieure du cercle, & en la favorisant dans la partie inférieure ; il est bon de remarquer aussi que cette même pesanteur empêche la vîtesse d'être absolument uniforme, mais nous supposons ici, comme il arrive dans la fronde, que la pierre tourne avec une très-grande vîtesse, ensorte que l'effet de la pesanteur puisse être regardé comme nul. (O)

FRONDE, terme de Chirurgie, bandage à 4 chefs, ainsi appellé parce qu'il représente une fronde. On l'employe à contenir les médicamens, les plumaceaux & les compresses sur différentes parties du corps : comme à la tête, au nez, aux levres, au menton, aux aisselles, & ailleurs. Il se fait avec une bande ou un morceau de linge d'une largeur & d'une longueur convenables à la partie sur laquelle on veut l'appliquer. Aux levres, par exemple, la bande ne doit pas avoir plus d'un bon pouce de large ; & pour le menton, on prend un morceau de linge de quatre travers de doigts. Une fronde est fendue également en deux, suivant sa longueur, jusqu'à trois ou quatre travers de doigts du milieu. Le plein de la fronde s'applique sur les compresses dont on recouvre la partie malade, & les chefs de chaque côté se croisent & vont s'attacher à la partie opposée. Voyez figure 20. Pl. II. la fig. 7. Pl. XXVII. représente l'application de ce bandage à la levre supérieure. (Y)


FRONDEUR(Art milit. des anc.) Les frondeurs dans les armées faisoient partie de la milice des anciens, & servoient à jetter des pierres avec la fronde. Les Romains pour entretenir leurs soldats dans les exercices militaires, en faisoient faire de publics dans le camp ; on plantoit pour cela des pieux qui tenoient lieu du faquin, contre lesquels ils s'exerçoient avec un bouclier & un bâton à la place de l'épée ; tous deux beaucoup plus pesans que leurs armes ordinaires, afin que celles-ci leur parussent plus legeres à la main : de même pour se rendre le bras plus fort, ils lançoient de faux javelots beaucoup plus pesans que les véritables. Les archers & les frondeurs pareillement dressoient un but avec des fascines, contre lequel ils tiroient des fleches avec l'arc, & des pierres avec la fronde, à 600 piés romains de distance, qui font un peu moins de 550 de nos piés. Les frondeurs sont représentés sur les marbres antiques, ayant le bras droit nud pour ajuster leurs coups avec plus de force ; & ayant une petite bandouliere où pend une espece de gibeciere, pour porter les pierres ou les balles de plomb qu'ils jettoient contre l'ennemi. (D.J.)

(a) Habitatores Gabaa, qui septingenti erant viri fortissimi.... sic fundis lapides ad certum jacientes, ut capillum quoque possit percutere, & nequaquam in alteram partem ictus lapidis deferretur. L. Jud. cap. xx.


FRONTS. m. (Anat. & Chir.) le front est une des grandes parties de la face, & une de celles qui contribuent le plus à la beauté de sa forme, & au plaisir de la considérer ; frons ubi vivit honor ! Un poëte galant du siecle d'Auguste, disoit, en parlant de celui de sa maîtresse, frons ubi ludit amor !

Chez les Grecs & les Latins, c'étoit une beauté d'avoir le front petit, & même cette petitesse passoit encore pour une marque d'esprit : Horace en parlant de sa chere Lycoris, la peint insignis tenui fronte ; ce goût étoit si général, & les dames si curieuses de cet agrément, qu'elles s'appliquoient à cacher une partie de leur front par des bandelettes, qu'Arnobe appelle nimbos.

Il semble que nous avons un goût de beauté un peu plus exact que les Romains sur cette partie du visage. Il faut que le front, selon nous, comme le dit l'auteur de l'hist. nat. de l'homme, soit uni, sans plis ni rides, & d'une juste proportion ; qu'il ne soit ni trop rond, ni trop plat, ni trop étroit, ni trop court, & qu'il soit régulierement garni de cheveux au-dessus, & aux côtés. Mais sans nous occuper de ces idées accessoires, venons aux détails qui intéressent l'anatomiste & le chirurgien ; quelque secs que soient ces détails, il s'agit de les tracer dans cet article, & d'abandonner tous les autres.

L'os frontal qui forme ce que nous appellons le front, est un des cinq os communs du crane, dont nous donnerons la description au mot FRONTAL (os). Nous nous contenterons de remarquer ici que sa figure est symmétrique, & à-peu-près comme une espece de coquille de mer, qui est large & presque arrondie ; de sorte que deux os frontaux d'une même grandeur, joints ensemble par leurs bords, représentent en quelque maniere cette sorte de coquillage dans son entier.

Comme la peau qui couvre le crane a un peu de mouvement, principalement dans sa partie antérieure où elle se ride sensiblement dans quelques personnes, ces mouvemens sont exécutés par l'action de quatre muscles ; deux nommés frontaux, & deux occipitaux. Les premiers sont attachés par l'extrémité inférieure de leurs fibres charnues, immédiatement à la peau & aux apophyses angulaires de l'os frontal ; leurs fibres s'avancent jusqu'à la partie moyenne & presque supérieure de cet os, où elles se terminent à la face externe d'une espece de coëffe ou calotte aponévrotique, qui, après avoir recouvert le crane, semble se continuer autour du cou jusqu'au haut des épaules ; c'est dans les muscles frontaux que se distribue une branche du nerf ophthalmique qui passe par le trou sourcilier.

Les muscles occipitaux attachés par leur extrémité inférieure immédiatement au-dessus de l'apophyse transversale de l'occipital, s'avancent jusqu'aux apophyses mastoïdes, & vont aussi se terminer à la calotte aponévrotique. Ces quatre muscles paroissent toûjours agir de concert, les occipitaux n'étant que les auxiliaires des frontaux. Telle est du-moins l'opinion de la plûpart des anatomistes, à laquelle M. Winslow n'a pas donné son suffrage.

Quoi qu'il en soit, il est bon d'avertir les jeunes chirurgiens de prendre garde, en faisant des incisions profondes au front, de couper les muscles frontaux transversalement ; il faut les couper en long, selon la direction de leurs fibres ; cependant quand les incisions se font seulement à la peau, pour détruire des sinuosités superficielles, il vaut mieux suivre la direction des rides de la peau que celle des muscles ; & l'on peut en ce cas faire des incisions transversales ; mais s'il arrivoit à un chirurgien de couper par impéritie un muscle frontal transversalement & totalement, le sourcil tomberoit sur la paupiere, ce qui laisseroit une difformité considérable au visage, empêcheroit même le globe de l'oeil de pouvoir se découvrir dans toute son étendue, & nuiroit à l'action de cet organe.

Alors dans les coupures & les plaies transversales du front, où les fibres des muscles frontaux sont coupées, & les sourcils pendans, & où la peau du front ne peut plus se rider comme auparavant, la meilleure méthode, après avoir nettoyé la blessure, sera de rapprocher les levres au moyen de deux points d'aiguille, d'y appliquer quelque poudre ou baume vulnéraire, & par-dessus une emplâtre agglutinative que l'on assûrera par le moyen du bandage ; le malade de son côté doit se tenir en repos pendant quelque tems.

Il arrive pourtant quelquefois, sur-tout quand le sujet est jeune, que les fibres des muscles qui ont été coupées, se réunissent sans que la plaie tourne en suppuration ; mais s'il survenoit une hémorrhagie violente, on tâchera de s'en rendre maître avec des bourdonnets, des compresses, & un fort bandage ; ensuite on lavera la blessure avec du vin tiede, & on réunira ses levres avec une emplâtre agglutinative.

Dans presque toutes les plaies du front, il faut commencer par bien essuyer le sang, & oindre la plaie avec quelque baume, tel que celui de copahu, du Pérou, ou autre semblable ; on doit ensuite rapprocher les levres de la plaie au moyen d'une emplâtre vulnéraire ; cependant lorsque la plaie est considérable, ces moyens ne suffisent point pour la cicatriser également ; il faut donc pour y parvenir, saupoudrer la plaie de poudre de sarcocolle, ou d'une poudre préparée avec la racine de grande consoude, de la gomme adraganth, & de la gomme arabique ; on appliquera par-dessus les emplâtres dont nous avons parlé, & on assûrera le tout avec des compresses & un bandage.

Il ne convient point d'user de suture dans ces sortes de plaies, sans une nécessité indispensable, non plus que dans toutes les autres plaies du visage ; parce que la suture augmente l'escare, & rend la cicatrice beaucoup plus difforme. Dans les plaies longitudinales du front, le bandage unissant est ce qu'on peut employer de mieux pour cicatriser la blessure sans difformité.

Il se forme aisément des plis au front des enfans ; plis qui ne manquent pas d'augmenter avec l'âge, & qui sont très-difficiles à effacer. Le meilleur moyen pour y réussir, seroit peut-être de mettre sur leur front une bonne bande d'une largeur convenable, & de l'y laisser très-long-tems.

D'autres enfans ont le haut du front couvert de cheveux, qui leur viennent jusque sur la racine du nez. Il faut pour les détruire jetter avec un pinceau quelques gouttes de l'esprit-de-sel dulcifié sur la partie où naissent les cheveux, ensuite frotter legerement & souvent cette partie avec du linge. On se conduira de la même maniere pour faire tomber de petites excroissances rondes, pointues, & semblables à de la corne, qui poussent quelquefois au-dessus du front.

Enfin les enfans sont sujets, soit par accident ou autrement, à se donner en courant des coups au front, qui y font des bosses, se durcissent, & rendent le front inégal. On préviendra cet accident par des bourrelets ; on guérira le mal en appliquant sur la bosse fraiche une petite lame de plomb, & pardessus une compresse imbibée d'eau vulnéraire. On maintiendra la compresse par un bandeau, & on la laissera quelques jours appliquée sur le front, en l'humectant de-tems-en-tems au-dehors avec de l'eau-de-vie tiede. (D.J.)

FRONT DE FORTIFICATION, c'est un côté de l'enceinte d'une place, composé d'une courtine & de deux demi-bastions. Voyez FORTIFICATION.

FRONT D'UNE ARMEE, d'un bataillon, ou d'un escadron, c'est la partie qui regarde l'ennemi, ou l'étendue qu'occupe la premiere ligne de l'armée, le premier rang du bataillon & de l'escadron. Voyez ARMEE, BATAILLON & ESCADRON.

FRONT DE BANDIERE d'un camp, c'est la ligne qui sert à en déterminer l'étendue, & sur laquelle sont placés les drapeaux & les étendards des troupes qui occupent le camp. Voyez CAMP. Cette ligne exprime la longueur de la face ou du front du camp. (Q)

FRONT DU CAMP, voyez FRONT DE BANDIERE.

FRONT, (Maréchallerie) partie de la tête du cheval. Elle occupe précisément l'espace qui est au-dessus des salieres, du chamfrin & des yeux, & elle se trouve couverte par le toupet. Elle ne doit être ni trop large, ni trop étroite ; les chevaux dont le bas du front rentre en-dedans, se nomment chevaux camus ; & nous appellons tête busquée, tête moutonnée, celle dont cette partie est avancée, relevée, & pour ainsi dire tranchante. Ces sortes de têtes busquées sont plus communes dans de certains pays que dans d'autres ; les chevaux napolitains & les chevaux anglois ont presque tous une tête moutonnée. (e)


FRONTAILS. m. (Manége) partie du harnois & de la tétiere. C'est proprement la bande de cuir qui appuie & qui passe sur le front du cheval, à l'effet de contenir les montans dans leur place. Elle est terminée à chacune de ses extrémités par deux chasses qui résultent du retour de la courroie sous elle-même ; & là le repli qui forme ces chasses est arrêté par quelques points de bredissure. Dans les deux antérieures passent les courroies qui de chaque côté descendent du dessus de tête, pour s'unir au-dessous d'elles avec les montans, par le moyen de boucles de métal. Les deux postérieures qui terminent cette piece, reçoivent les deux autres courroies, qui de ce même dessus de tête descendent pour s'unir à la sous-gorge, au moyen de boucles semblables. Quelquefois ces deux chasses n'en font qu'une, divisée simplement par les deux griffes du bouton qui sert d'ornement dans les brides, ou dans les tétieres avec garniture. (e)


FRONTAL(OS) Anat. l'os frontal, autrement dit l'os coronal, est le premier des os du crane. Il est situé à la partie antérieure du crane, & a une figure demi-circulaire.

On le regarde comme un seul os, quoiqu'il soit séparé dans les enfans en deux pieces égales, par une suture qui paroît comme la continuation de la sagittale, & qui n'est pas plus particuliere à un sexe qu'à l'autre.

En considérant ici l'os frontal comme un seul os, on le peut diviser en partie supérieure, qui contribue à former le sommet de la tête, en partie inférieure, qui appartient à la base du crane, en antérieure ou front, & en latérales où commencent les tempes.

Il y a deux faces, une externe, & une interne ; l'externe se trouve convexe dans la plus grande partie de son étendue, & l'interne est concave.

On découvre dans la partie inférieure de sa face externe, cinq apophyses, dont quatre sont angulaires, parce qu'elles répondent aux angles des yeux ; quelques-uns les appellent orbitaires, & les distinguent en internes & en externes ; la cinquieme apophyse nommée nasale, sert d'appui aux os propres du nez, & dans quelques sujets, fait une partie de sa cloison osseuse. On remarque encore dans la face externe de l'os frontal, deux enfoncemens qui font partie des orbites, & au bord supérieur des orbites, deux trous nommés sourciliers, lesquels le plus souvent ne sont que des échancrures ; ces trous sont quelquefois doubles. La partie inférieure & moyenne de l'os frontal se trouve échancrée, pour loger l'os ethmoïde. On observe à la jonction de ces deux os, principalement du côté des orbites, un trou de chaque côté, auquel on donne le nom de trou orbitaire interne.

On considere dans la face interne du frontal, deux fosses dites coronales, une épine, une scissure, un trou nommé borgne ou épineux, & plusieurs enfoncemens superficiels, qui répondent aux inégalités des lobes du cerveau : enfin on y remarque des sillons pour le passage des vaisseaux sanguins. En appliquant le trépan dans cet endroit, l'hémorrhagie est à craindre, & l'on court le danger de blesser la dure-mere.

Ajoûtons que l'os frontal est composé de deux tables & du diploé : au milieu de la partie inférieure de cet os, les deux tables sont ordinairement écartées l'une de l'autre, pour former les deux cavités, qu'on appelle sinus frontaux ou sinus sourciliers. Voyez FRONTAUX (SINUS) ; & les pieces ainsi écartées sont encore composées de deux tables, ou pour le moins ont chacune deux surfaces, ce qui fait quatre surfaces ou quatre tables en tout.

Mais pour avoir une idée juste de la vraie situation de toutes les parties de l'os frontal, il est bon qu'en l'examinant & en le démontrant, on le tienne de la même maniere qu'il est situé dans une tête osseuse élevée droite à son attitude naturelle. Par-là, on verra que la partie supérieure de l'os frontal panche un peu en-arriere, & que la circonférence de ses bords est dans un plan incliné.

Il contient les lobes antérieurs du cerveau, & une portion du sinus longitudinal ; il forme le front, la partie supérieure des orbites, & une portion des tempes.

Il s'articule par en-haut avec les pariétaux, & par en-bas avec l'os ethmoïde, l'os sphénoïde, les os lacrymaux ou unguis, les os propres du nez, les os maxillaires, & ceux de la pomette.

Quoique l'os frontal ne soit pas exempt de jeux de la nature au sujet de son épaisseur en particulier, puisqu'on voit quelquefois des cranes où il est épais d'un travers de doigt, néanmoins il est généralement si mince vers la partie supérieure des orbites, qu'il y paroît de la transparence. Aussi l'on peut dans cet endroit, c'est-à-dire à la partie supérieure de la paupiere, au-dessus du globe de l'oeil, porter de bas en-haut un coup mortel avec un instrument pointu, & ne faire en même tems qu'une fort petite plaie à la peau. En effet, un coup semblable un peu violent, perceroit l'os, atteindroit les méninges, le cerveau même, & causeroit la mort.

J'ai remarqué en commençant cet article, que l'os frontal étoit séparé dans les enfans en deux pieces égales, par une suture qui s'efface lorsque les os ont pris leur accroissement. J'ajoûte ici que cette suture reste quelquefois dans les adultes, & même pendant toute la vie : M. Palfin en faisant une incision cruciale au milieu du front à un religieux âgé de quarante ans, s'apperçut que cette suture s'étoit conservée ; & ce n'est pas le seul exemple qu'en fournissent les observations anatomiques. Il faut donc s'en ressouvenir quand on examine une plaie de tête, afin de ne point prendre une telle suture pour une fracture. On découvrira la cause de cette division de l'os frontal par la suture sagittale, en remontant jusqu'à l'état des os du crane dans l'enfance. Dans ce tems-là, cet os est toûjours partagé en deux parties latérales ; ainsi la même séparation qui se trouve entre les deux pariétaux, se rencontre aussi entre les deux pieces qui composent alors le frontal : les deux pieces du frontal commencent à s'unir entre elles par des dents, ensuite elles se soudent ensemble, & la suture disparoît. Cette soudure qui se fait pour l'ordinaire de bonne heure, se fait aussi presque entre tous les autres os du crane, mais seulement dans la vieillesse. Au reste on voit quelquefois des cranes d'enfans dont le frontal & les deux pariétaux sont soudés ensemble, sans qu'il reste le moindre vestige de leur ancienne séparation. (D.J.)

FRONTAL, s. m. (Therapeutique) médicament appliqué sur le front & sur les tempes.

Le cataplasme, l'épitheme sec & liquide, l'onguent, le liniment, le baume, prennent le nom de frontal, dès qu'ils sont appliqués sur ces parties.

Si on employe le frontal aux usages immédiats & propres de tous ces médicamens extérieurs, il n'en differe point essentiellement ; le frontal n'est qu'un cataplasme, qu'un liniment, &c.

On ne l'employe plus du tout dans la vûe de remédier à des affections intérieures. (b)

FRONTAL & DOUBLE FRONTAL, outils dont les Facteurs de clavecins se servent pour faire les ornemens appellés treffles, qui sont à la partie antérieure des touches. Ces outils consistent en un fer aceré a b, Pl. de Lutherie ; l'extrémité a de ces fers qui est à deux biseaux, est profilée comme le dessein que l'on veut faire. Les fers sont emmanchés dans une piece de bois b c, semblable à celle qui tient les meches des vilbrequins. On monte de même les frontal & double frontal sur le fust de ce dernier instrument, en faisant entrer les queues c dans les boîtes de vilbrequin. Voyez VILBREQUIN. On se sert de cet outil, ainsi monté, pour commencer les treffles des touches ; pour cela on appuie la pointe du frontal au centre des arcs qui composent le treffle, & on tourne le fust du vilbrequin comme si on vouloit percer un trou : par ce moyen, l'outil trace un ornement circulaire, comme si la piece avoit été tournée. Voyez Planche XVII. de Lutherie, fig. 16 & 17.

FRONTAUX, (MUSCLES) Anat. voyez FRONT.

FRONTAUX, (SINUS) Anat. Les sinus frontaux ou sinus sourciliers, sont deux grandes cavités situées entre les deux tables de l'os frontal, immédiatement au-dessus du nez & des sourcils, qui s'ouvrent par deux trous dans les narines. Ils sont séparés par une cloison osseuse, qui quelquefois manque, quelquefois est percée, & quelquefois n'est pas entiere.

Ils varient beaucoup en divers sujets par rapport au nombre, par rapport à l'étendue, qui quelquefois est très-petite, & par rapport à la forme, qui souvent est très-irréguliere & en maniere de cellules. On les a vû manquer tout-à-fait ; & dans ce cas, la cavité du nez paroît plus ample en-dedans. On a encore vû que l'un d'eux ne s'ouvroit pas dans le nez, & qu'il communiquoit seulement avec l'autre.

Bartholin dit que l'on rencontre rarement les sinus frontaux dans ceux qui ont le front applati, & il n'a pas tort ; il ajoûte qu'ils ne se rencontrent point dans ceux qui ont l'os du front divisé au milieu par une suture, & cette derniere décision n'est pas toûjours vraie ; car Riolan a trouvé ces sinus dans des cranes qui avoient l'os du front plat, & partagé par une suture.

Les deux sinus frontaux communiquent quelquefois avec l'apophyse, nommée crista galli, quand cette apophyse n'est pas creusée intérieurement. Dans certains sujets, ces cavités sont si grandes, qu'elles s'étendent jusqu'à la moitié du front, & s'avancent même sur toute la partie supérieure de l'orbite. Ruysch dans la dissection publique qu'il fit à Amsterdam d'un homme de sept piés, trouva que ces sinus frontaux s'étendoient même entre les pariétaux, ce qui est entierement contre l'ordre naturel. Enfin, quelquefois il n'y a qu'un sinus frontal au côté droit, d'autres fois au côté gauche, & en d'autres cranes presque au milieu ; en un mot, c'est ici que les jeux de la nature sont infinis.

Cependant quand les sinus frontaux existent dans l'ordre naturel, ils sont entre les deux tables, tapissés d'une membrane parsemée de vaisseaux sanguins qui rampent dans la partie spongieuse de l'os qu'on nomme communément le diploé, & ils séparent un suc huileux. Cette membrane est une extension de la pituitaire ; les trous des sinus frontaux qui s'ouvrent dans les narines, sont percés de maniere que l'humeur mucilagineuse qui les abreuve, peut couler dans les cavités du nez, lorsque l'homme a la tête droite. Quelques anatomistes ajoûtent que lorsqu'un des sinus frontaux est percé, les mucosités séparées dans le sinus qui est bouché, passent dans l'autre par le trou qui est à la cloison, & se déchargent dans le nez avec les mucosités du sinus qui est ouvert. (D.J.)

FRONTAUX, (SINUS) Chirurg. Il est avantageux aux Chirurgiens d'avoir une connoissance exacte de la structure des sinus frontaux, afin de n'y pas appliquer le trépan, parce que l'ulcere resteroit toûjours fistuleux, & afin de ne pas prendre la membrane qui les revêt pour la dure-mere.

Il est quelquefois arrivé au sujet des plaies pénétrantes dans les sinus frontaux, que la mucosité qu'ils fournissent étant de couleur grisâtre, abondante, trop épaissie, & s'échappant par la blessure, des chirurgiens ignorans ont pris cette humeur glutineuse pour la substance corticale du cerveau, & en conséquence ont appliqué le trépan au grand détriment du malade.

On peut connoître que les plaies pénetrent dans les sinus frontaux, 1°. quand l'humeur muqueuse sort par la plaie ; 2°. quand la bouche étant fermée & l'air poussé avec force, la chandelle que l'on tient allumée près de la plaie est tellement agitée, qu'elle est prête à s'éteindre ; 3°. si l'on verse dans la blessure une liqueur amere, ou d'une autre saveur, elle se fait sentir dans la bouche ; 4°. enfin si l'on seringue quelque liqueur dans la même plaie, elle s'écoulera par le nez. Au surplus les plaies qui pénétrent dans les sinus frontaux, se guérissent difficilement, & dégénerent d'ordinaire en fistules & en ulceres malins ; parce qu'il s'amasse dans ces parties une humeur huileuse, laquelle venant à se corrompre, ne manque pas de carrier les os qui sont dans le voisinage.

Fallope non-seulement confirme cette vérité, mais il prétend même que les fractures pénétrantes dans les sinus frontaux ne se consolident point, tant à cause de la sécheresse de l'os, qu'à cause de l'air que l'on respire, qui s'échappe sans-cesse par l'ouverture de la plaie ; & il assûre n'avoir jamais vû une plaie de cette nature se fermer qu'à un seul enfant, dans lequel la cavité du sinus fut remplie d'une chair fongueuse.

Enfin les plaies qui pénetrent dans les sinus frontaux ont, avec les yeux, une si grande communication, que Fabrice de Hilden dit avoir vû (centur. ji. observ. 400.) que le pus acre qui découloit d'une plaie de ce genre dans les cavités frontales, tomba sur la conjonctive, & poussa l'oeil hors de sa place. (D.J.)


FRONTALIERSS. m. (Hist. & Comm.) On nomme ainsi en Languedoc & en Guienne, ceux qui habitent les frontieres de France, que les Pyrenées séparent de celles d'Espagne. C'est en faveur de ces Frontaliers qu'a été accordé le privilége des passeries, c'est-à-dire la permission de transporter, même en tems de guerre entre les deux couronnes, toutes sortes de marchandises qui ne sont pas de contrebande, par les portes & passages des montagnes, dans toute l'étendue marquée par le traité. Voyez PASSERIES. Dict. de Comm. & de Trév.


FRONTEAUS. m. (Architect.) Voyez FRONTON.

FRONTEAU se dit en parlant des cérémonies juives. Voyez PHYLACTERE. Ce sont quatre morceaux de vélin séparés, sur chacun desquels est écrit un passage de l'Ecriture sainte, qu'on pose tous quatre sur un quarré de veau noir qui a des courroies, & que les Juifs se mettent au milieu du front lorsqu'ils sont dans la synagogue, se ceignant la tête avec les courroies de ce quarré. Dict. de Trév.

FRONTEAU DE MIRE, (Artillerie) c'est dans l'Artillerie un morceau de bois de quatre pouces d'épaisseur, d'un pié de haut, & de deux piés & demi de long ou environ, dont on se sert pour pointer le canon. Voyez la figure du fronteau de mire, Planche VI. de Fortification, fig. 6. Voyez aussi POINTER. (Q)

FRONTEAU, (Marine) c'est une piece de bois plate & ouvragée de sculpture, qui est aussi longue que le vaisseau est large, & qui sert non-seulement à orner le dessus des dunettes, mais aussi les gaillards. Quelquefois ce fronteau est sur une balustrade, & il sert d'appui. (Z)

* FRONTEAU, terme de Sellier-Bourrelier ; c'est une bande de cuir qui fait partie de la bride des chevaux, attachée par les deux bouts à la têtiere, immédiatement au-dessous des oreilles, & qui leur passe sur le front. Voyez les Planches du Bourrelier.


FRONTIERES. f. (Géog.) se dit des limites, confins, ou extrémités d'un royaume ou d'une province. Le mot se prend aussi adjectivement : nous disons ville frontiere, province frontiere. Nous disons qu'il se prend dans ce cas adjectivement, à-moins qu'on n'aime mieux regarder ici frontiere comme un substantif mis par apposition. Voyez APPOSITION.

Ce mot est dérivé selon plusieurs auteurs, du latin frons ; les frontieres étant, disent-ils, comme une espece de front opposé à l'ennemi. D'autres font venir ce mot de frons, pour une autre raison ; la frontiere, disent-ils, est la partie la plus extérieure & la plus avancée d'un état, comme le front l'est du visage de l'homme.


FRONTIGNAN(Géog.) petite ville de France au Bas-Languedoc, connue par ses excellens vins muscats, & ses raisins de caisse qu'on appelle passerilles. Quelques savans croyent, sans en donner de preuves, que cette ville est le forum Domitii des Romains. Elle est située sur l'étang de Maguelone, à six lieues N. E. d'Agde, & cinq S. O. de Montpellier. Long. 15d. 24'. lat. 43d. 28'. (D.J.)


FRONTISPICES. m. (Architecture) Voyez FAÇADE.

FRONTISPICE, (Imprimerie) dans l'usage de l'Imprimerie, s'entend de la premiere page d'un livre où est annoncé le titre de l'ouvrage, quelquefois le nom de l'auteur, & ordinairement le lieu où il a été imprimé. Dans les ouvrages considérables, les frontispices ou premieres pages s'impriment ordinairement en rouge & noir. On entend aussi par frontispice l'estampe que l'on met avant le titre de l'ouvrage.


FRONTONS. m. (Architect.) on entend sous ce nom tout amortissement triangulaire, servant à couronner l'extrémité supérieure de l'avant-corps d'un bâtiment. L'origine des frontons vient des Grecs qui les plaçoient sur le sommet du frontispice de leurs temples, & représentoient les pignons de ces sortes de monumens ; de maniere que la hauteur de ce triangle, qui étoit à sa base comme un est à cinq, a fixé pour toûjours leur proportion. Ces peuples n'employerent d'abord les frontons qu'avec beaucoup de discrétion ; leurs temples étoient les seuls édifices où l'on pût les mettre en usage : mais dans la suite, leur application dans l'Architecture a dégénéré en abus, principalement en Italie, où non-seulement les architectes romains en ont placé dans tous leurs genres de bâtimens, mais les ont chantournés, enroulés, coupés & interrompus ; ensorte qu'ayant perdu de vûe l'origine des frontons, ils en ont fait un ornement arbitraire, sans égard à la convenance du lieu, sans méditer l'effet qu'ils produiroient dans leurs décorations, & sans prévoir si tout autre couronnement n'eût pas été préférable.

Nos premiers architectes françois n'en ont pas usé avec plus de modération que les latins ; & à l'exemple des productions de leurs prédécesseurs, ils en ont placé plusieurs les uns au-dessus des autres, dans un même frontispice : témoins le portail des Minimes, celui de S. Gervais, & celui du Val-de-Grace à Paris. On en remarque même trois, placés l'un dans l'autre, dans la décoration de l'intérieur de la cour du Louvre ; & l'on en voit une réitération condamnable dans la façade du même palais, du côté de la riviere. En un mot, les niches, les croisées, les tables saillantes, en sont ornées ; on en voit régner par-tout, couronner tout ; & par-tout tenir lieu d'une architecture rectiligne, & plus analogue à la direction perpendiculaire des piés-droits, & à la forme horisontale des entablemens qui couronnent nos façades.

Nos architectes modernes ont usé avec encore moins de prudence des frontons ; & à l'imitation du déréglement des Romains, du tems de Boromini, ils les ont fait circulaires, ou triangulaires, à ressauts, interrompus, retournés ou pliés, & cela sans autre but que de varier leurs compositions, & de placer dans le tympan de ces frontons des ornemens frivoles, sans choix & sans convenance. Enfin il n'est pas un de nos artisans qui ne s'imagine avoir produit un chef-d'oeuvre, lorsqu'il a terminé un ravalement par ce genre d'amortissement.

La source de cet abus vient sans-doute de ce que l'on perd de vûe l'origine qui a donné naissance aux diverses parties qui constituent l'Architecture ; loin d'avoir recours à nos historiens & à nos auteurs les plus célebres, on prend pour modeles les exemples récents, & on laisse derriere soi la doctrine de l'art : insensiblement & à force d'imitation, on prend la partie pour le tout. Les meilleures productions prises dans leur origine, ne présentent plus que des licences intolérables, des inadvertances monstrueuses, & des compositions hasardées. Or pour éviter ce déréglement, prévoyons l'effet que produiront les frontons dans l'édifice, & réservons-les principalement pour les frontispices de nos églises ; ensorte que si par tolérance nous les employons dans la décoration de nos palais ou de nos édifices publics, que ce ne soit que pour faire prééminer la partie supérieure du principal avant-corps. En supposant même que la saillie de ce dernier semble exiger séparément ce genre d'amortissement, pour lui tenir lieu de couverture, évitons qu'il couronne jamais plus de trois croisées ; préférons les triangulaires aux circulaires, & ne souffrons jamais qu'ils soient interrompus ni dans leurs bases, ni dans leurs sommets, si nous voulons que nos compositions soient conformes aux principes de l'art & aux lois du bon goût. (P)

FRONTON ou MIROIR, (Marine) c'est un cadre ou une cartouche de menuiserie, qui est placée sur la voûte à l'arriere du vaisseau. On la charge des armes du prince qui a fait construire le vaisseau ; quelquefois on y met la figure dont le vaisseau porte le nom. Communément on appelle cet endroit le miroir. Voyez Marine, Planche III. figure 1. le fronton, coté 0. (Z)


FROou FROCS, (Jurispr.) ce sont des terres en friche ; c'est la même chose que fraux. Voyez ci-devant FRAUX. (A)


FROTTEMENTS. m. (Méch.) c'est la résistance qu'apporte au mouvement de deux corps l'un sur l'autre, l'inégalité de leurs surfaces.

Il n'est aucun corps qui, lorsqu'il glisse sur un autre, n'éprouve une pareille résistance ; parce qu'il n'en est aucun dont la surface ne soit inégale. Il est aisé de s'en convaincre, en examinant au microscope ceux mêmes que nous regardons comme les mieux polis ; on y apperçoit bien-tôt bien de petites éminences & cavités qui avoient échappé à la vûe simple.

Lors donc que l'on applique l'une contre l'autre deux surfaces de cette nature, les petites éminences de l'une doivent nécessairement entrer dans les petites cavités de l'autre ; & pour en mouvoir une, il faut dégager ces éminences des cavités dans lesquelles elles sont enfoncées : pour cet effet il est nécessaire ou de les briser, ou de les plier comme des ressorts ; ou si leur extrême dureté empêche l'un & l'autre de ces effets, il faut un peu soûlever le corps entier. Toutes ces choses exigent une certaine force, & il en doit résulter un obstacle au mouvement : c'est ce que l'on nomme frottement.

On peut en distinguer deux especes. S'il s'agit de faire parcourir à un corps la surface d'un autre corps, cela peut s'exécuter de deux manieres différentes, qu'il est important de ne pas confondre : 1°. en appliquant successivement les mêmes parties de l'un à différentes parties de l'autre, comme quand on fait glisser un livre sur une table ; & on peut nommer ce frottement, celui de la premiere espece : 2°. en faisant toucher successivement différentes parties d'une surface à différentes parties d'une autre surface, comme lorsqu'on fait rouler une boule sur un billard ; & je le nomme frottement de la seconde espece. Le premier est celui dont j'ai parlé d'abord. Dans le second cas, les parties engagées se quittent à-peu-près comme les dents de deux roues de montre se desengrenent. Voyez figure 38. de la Méchanique, où C D est le corps roulant, A B la surface du corps sur lequel il roule, & H, F, les inégalités des deux surfaces au point d'attouchement. S'il arrive qu'elles ayent quelquefois peine à se quitter, c'est qu'il y a disproportion entre les parties saillantes & les vuides qui les reçoivent ; mais jamais cette seconde espece de frottement ne ralentit autant le mouvement que la premiere : c'est de celle-ci que je vais m'occuper plus particulierement.

La quantité du frottement dépend d'une infinité de circonstances, qui me paroissent pourtant toutes pouvoir être rapportées à quelqu'un de ces cinq chefs : 1°. la nature des surfaces qui frottent ; 2°. leur grandeur ; 3°. la pression qui les applique l'une à l'autre ; 4°. leur vîtesse ; 5°. la longueur du levier auquel on peut regarder comme appliquée la résistance dont il s'agit.

I. La nature des surfaces est certainement la principale considération, à laquelle il faut avoir égard pour juger de la quantité du frottement ; il est évident que plus les inégalités de ces surfaces seront ou nombreuses, ou éminentes, ou roides, ou difficiles à briser ou à plier, plus aussi le frottement qui en résultera sera considérable. Il suit de-là, 1°. que l'on doit trouver moins de résistance à faire glisser un corps poli sur une surface polie, qu'un corps rude & grossier sur une surface inégale & raboteuse. 2°. Que l'huile ou la graisse dont on enduit ordinairement les surfaces que l'on veut faire glisser avec plus de facilité, doivent effectivement diminuer le frottement ; puisque se logeant dans les petites cavités de ces surfaces, elles empêchent les petites éminences d'y entrer aussi profondément ; & que la forme sphérique des petites molécules de l'huile les rend propres, comme autant de rouleaux, à changer en partie le frottement, qui seroit sans cela uniquement de la premiere espece, en un autre de la seconde.

Ces raisonnemens, quelques plausibles qu'ils paroissent, ne décideroient pas néanmoins ces deux points, si l'expérience ne les appuyoit. La structure des petites parties des corps, & la nature de leurs surfaces nous est si peu connue, qu'il est impossible de suivre ici d'autre guide que l'expérience ; encore n'avons-nous pas l'avantage d'être conduits par elle dans cette matiere-ci aussi sûrement que dans la plûpart des autres. Nous ne trouvons dans les différens auteurs qui nous ont fait part de leurs tentatives, que des résultats opposés, & souvent des contradictions. Par exemple, M. Amontons nous dit qu'il a éprouvé que des plans de cuivre, de fer, de plomb & de bois, bien enduits de vieux-oing, placés sur d'autres plans de pareille matiere, & chargés également, ont à-peu-près le même frottement. M. Musschenbroeck au contraire nous donne une table de différentes expériences qu'il a faites, pour connoître le frottement d'un arc d'acier dans des bassinets de gayac, de cuivre rouge, de cuivre jaune, d'acier, d'étain, &c. par lesquelles il paroît que le frottement de l'essieu a été très-différent dans les différens bassinets, quoique huilés. Il paroît par la machine que M. Musschenbroeck a employé pour ces expériences, & par l'exactitude qu'il y a apportée, qu'on peut mieux compter sur ses résultats, que sur ceux de M. Amontons ; d'autant plus que le frottement dépendant de la nature des surfaces, il seroit bien singulier que l'huile interposée rendît tout égal.

L'eau fait un effet bien différent de l'huile ; un grand nombre de corps glissent moins aisément quand ils sont mouillés, qu'étant secs ; & il y a à cet égard de grandes différences entre les différens corps, le frottement de quelques-uns étant presque doublé, & celui de quelques autres au contraire diminué. Je ne crois pas que dans un ouvrage tel que celui-ci qui n'est point un traité complet du frottement, je doive entrer dans le détail des expériences faites sur les différentes sortes de matieres ; je remarquerai seulement que comme on a des tables de la densité spécifique des différens corps, il seroit aussi fort à souhaiter qu'on en eût sur leur frottement : mais en même tems que nous le desirons, nous ne pouvons nous empêcher de sentir qu'un tel ouvrage est presque impossible ; du-moins il demanderoit une patience infatigable, & plus d'un observateur. Il faudroit avoir grand soin que hors la différence de la matiere, il n'y en eût aucune dans les corps dont on voudroit comparer le frottement ; il faudroit employer la même huile, & varier ensuite beaucoup les circonstances, en les conservant néanmoins les mêmes pour chaque sorte de matiere. Une grande difficulté qui s'y trouveroit, seroit qu'on observeroit bientôt que dans de certaines circonstances, les mêmes pour le bois & le fer par exemple, le bois éprouve plus de résistance que le fer ; & que dans d'autres, aussi les mêmes pour ces deux corps, le fer en éprouve plus que le bois ; ce qui obligeroit d'entrer dans de prodigieux détails, pour pouvoir tirer de ces tables quelque secours.

II. La grandeur des surfaces frottées avoit paru jusqu'à M. Amontons, devoir entrer pour quelque chose dans l'évaluation du frottement ; il sembloit naturel que deux corps se touchant en plus de points, il y eût aussi plus d'éminences engagées réciproquement dans les cavités des surfaces de l'un & de l'autre, & ainsi plus de difficulté à les faire glisser l'un sur l'autre. M. Amontons en examinant la chose de plus près, a remarqué que ce n'étoit pas seulement au nombre des éminences engagées dans les petites cavités des corps, qu'il falloit avoir attention, mais qu'il falloit aussi considérer le plus ou moins de profondeur où elles pénétroient. Or comme les éminences d'un corps qui en touche un autre par une large surface, doivent entrer moins profondément dans les cavités de ce dernier, que lorsque cette surface est étroite, puisqu'alors le poids du corps est employé à faire entrer un plus grand nombre d'éminences, il en conclut qu'il se faisoit ici une compensation, & que la grandeur de la surface n'entroit pour rien dans l'évaluation du frottement. Ce raisonnement auroit converti peu de physiciens, s'il n'eût été accompagné de l'expérience : on auroit accordé à M. Amontons qu'il prouvoit très-bien que, toutes choses d'ailleurs égales, le frottement n'augmentoit pas autant que la surface, mais on lui auroit contesté l'exactitude de cette compensation qu'il supposoit, & que ce raisonnement ne démontroit nullement.

Il eut donc recours à l'expérience, pour se confirmer dans sa conjecture, ou pour l'abandonner, & il rapporte (mém. de l'acad. 1703 & 4.) qu'il a toûjours remarqué que la quantité du frottement étoit absolument indépendante de la grandeur des surfaces : M. Camus (des forces mouvantes), & M. Desaguliers (cours de Physiq. expérim.) confirment la même chose. Malgré toutes ces autorités, la question n'est point encore décidée. M. Musschenbroeck (essais de Phys.) nous fait part de quelques expériences qu'il a faites sur le point dont il s'agit, & qui sont entierement opposées aux précédentes. Ayant mis en mouvement sur des planches de sapin deux petites planches aussi de sapin, longues chacune de treize pouces, & larges l'une d'un pouce, & l'autre de deux pouces onze lignes, & chargées toutes les deux d'un même poids, y compris le poids de la planche ; la plus large a toûjours eu plus de frottement. M. l'abbé Nollet (Leçons de Physiq. expérim.) nous apprend aussi qu'il a toûjours trouvé le frottement augmenté avec la surface.

A ces expériences faites avec le plus grand soin, si l'on ajoûte que tous les artistes qui ont besoin pour la perfection de leur ouvrage, de diminuer le frottement, sont dans l'usage constant de diminuer le contact, & s'en trouvent bien : il sera bien difficile de ne pas pancher à croire que la grandeur des surfaces ne soit de quelque influence pour le frottement. Remarquons néanmoins, que si l'on diminuoit les surfaces jusqu'à les rendre tranchantes, le frottement, bien loin d'être diminué, seroit dans plusieurs cas beaucoup augmenté. M. Musschenbroeck est même dans l'idée que pour une pression donnée, il y a une certaine grandeur de surface à laquelle répond un minimum de frottement ; de sorte que soit qu'on l'augmente ou qu'on la diminue, la résistance est augmentée. Mais cela auroit besoin d'être déterminé encore plus exactement par l'expérience.

III. Tous les Physiciens conviennent que la pression qui applique l'une à l'autre les surfaces qu'on veut faire glisser, est une des principales considérations qui doit entrer dans l'évaluation du frottement. Non-seulement les expériences qu'ils nous rapportent, mais aussi les observations les plus communes & les plus journalieres, nous font voir que le frottement augmente avec cette force ; & l'on conçoit aisément qu'une plus grande pression fait entrer à une plus grande profondeur les éminences d'une surface dans les petites cavités de l'autre, & augmente ainsi la difficulté qu'il y a à les en dégager. Mais il se présente ici une question sur laquelle il faut avoüer qu'il reste encore de l'incertitude ; c'est de savoir si le frottement augmente proportionnellement à la force qui applique les surfaces l'une à l'autre ; de façon qu'il y ait toûjours un rapport constant entre cette force & la difficulté qui en résulte pour mouvoir le corps ; ou bien, si ce frottement augmente plus ou moins que proportionnellement à cette pression.

Les expériences de M. Amontons l'ont porté à regarder le rapport du frottement à la pression comme constant : il a crû que le frottement étoit à-peu-près le même pour les corps huilés ou graissés, & à peu de chose près le tiers du poids. M. Desaguliers le répete ; & la plûpart des Physiciens partent de cette hypothèse, quand ils veulent faire le calcul du frottement de quelque machine. Cependant, après ce qui a été dit plus haut des expériences de M. Musschenbroeck, pour montrer que le frottement des différens métaux huilés ou graissés, est très-différent, on ne sauroit regarder comme assez généralement vrai & exact, que le frottement soit le tiers du poids. Mais il y a plus. Si l'on examine avec soin les tables que MM. de Camus & Musschenbroeck nous ont données de leurs expériences sur cette matiere, on ne trouve pas qu'un même corps différemment chargé ait un frottement proportionnel à cette charge. Malheureusement ces expériences, d'accord en ce point, different en ce que celles du premier font le frottement d'une surface peu chargée, proportionnellement plus grand que celui de celles qui le sont plus : au lieu que suivant celles de M. Musschenbroeck, il est souvent proportionnellement plus petit. Par exemple, lorsque l'essieu du tribometre de M. Musschenbroeck (voyez TRIBOMETRE) se trouvoit dans le bassinet de cuivre rouge, il falloit quatre dragmes pour le mettre en mouvement, la charge étant de trois cent quatre-vingt-huit dragmes ; & il en falloit huit, s'il étoit chargé de six cent quarante-huit ; au lieu qu'il n'en auroit fallu que six & deux tiers, à-peu-près, si le frottement eût augmenté proportionnellement à la pression.

Une telle contradiction entre les expériences de ces deux Physiciens, est d'autant plus singuliere, qu'on n'en sauroit soupçonner aucun de n'y avoir pas apporté toute l'exactitude & l'attention possibles. Je ne vois qu'une façon de les concilier : l'essieu du tribometre de M. Musschenbroeck, & les bassinets qui le reçoivent, sont parfaitement polis, & s'appliquent ainsi l'un à l'autre très-intimement, de façon à laisser peu de vuide : cette application est d'autant plus intime, que l'essieu est plus chargé. Par-là l'essieu & le bassinet se trouvent dans le cas de deux plaques de verre bien polies, que la pression de l'air extérieur & l'attraction de contact collent si bien l'une à l'autre, que non-seulement il est presque impossible de les séparer directement, mais qu'outre cela elles glissent avec plus de peine que si elles eussent été moins exactement polies.

Il est vrai que l'essieu & le bassinet étant de forme cylindrique & arrondis, ne doivent se toucher que par une bien petite surface ; & que par conséquent, la pression de l'air extérieur & l'attraction qui les appliquent l'un à l'autre, semblent devoir produire ici peu d'effet : mais il est aisé de s'appercevoir qu'un contact d'une ligne quarrée suffiroit seule pour occasionner le phénomene que nous cherchons ici à expliquer.

Quoique la pression qui applique les surfaces de deux corps, soit une des principales causes de la difficulté qu'on éprouve à les faire glisser l'une sur l'autre, il ne faut pourtant pas croire que cette difficulté cessât toûjours entierement, si cette pression devenoit nulle. L'exemple de deux scies suspendues verticalement, de façon que les dents de l'une se logent dans les intervalles que laissent celles de l'autre, peut servir à nous convaincre du contraire. Il est sûr que si l'on vouloit mouvoir une d'elles verticalement, cet engagement réciproque de leurs dents y apporteroit quelque obstacle, & formeroit une résistance de la nature de celle que nous avons nommée frottement : il est vrai que cette résistance ou seroit absolument invincible, ou cesseroit bien-tôt, les dents s'étant dégagées, & n'y ayant aucune force qui les oblige à s'embarrasser de nouveau les unes dans les autres.

IV. La vîtesse des surfaces qui frottent paroît devoir influer sur la quantité du frottement : il semble qu'un corps qui se meut plus vîte rencontre dans le même tems un plus grand nombre de petites éminences de la surface de celui sur lequel il se meut, les choque aussi plus rudement, ou les plie plus vîte ; & par toutes ces considérations, doit éprouver beaucoup plus de résistance à son mouvement.

Aussi M. Musschenbroeck nous dit s'être assûré par des expériences dont il ne donne pas le détail, que le frottement étoit proportionnel à la vîtesse, excepté lorsque cette vîtesse est très-considérable : car dans ce cas il a trouvé le frottement beaucoup plus augmenté.

Cependant M. Euler considérant que dans le mouvement d'un corps qui glisse sur un autre, les petites éminences de sa surface se dégagent des petites cavités de l'autre, & y retombent alternativement, a crû qu'il ne devoit éprouver de résistance que comme par intervalle ; au lieu qu'un corps en repos qu'on veut mouvoir, en éprouvoit une continuelle ; & qu'ainsi la vîtesse d'un corps, bien loin d'augmenter le frottement, devoit le diminuer. A cette considération il en ajoûte une autre tirée de l'expérience : il lui a paru que lorsqu'on donnoit à un plan incliné une inclinaison très-peu différente de celle où le frottement étoit précisément égal à l'action de la pesanteur, pour mouvoir le corps, ce corps parcouroit le plan incliné beaucoup plus vîte qu'on n'auroit dû s'y attendre, vû le leger changement qui s'étoit fait dans l'inclinaison : d'où il a conclu que le mouvement une fois commencé, le frottement étoit diminué : il a même donné une méthode pour décider par le tems qu'un corps employe à parcourir un tel plan, si sa conjecture est juste & conforme à la réalité. Voyez, sur tout cela, les mém. de Berlin, ann. 1748.

De telles contradictions entre des Physiciens de cet ordre, nous montrent combien nous sommes encore éloignés de connoître la nature & les vraies lois du frottement ; c'est à l'expérience seule à nous les apprendre : sur le point dont il s'agit actuellement, nous n'en avons aucune qui mérite une confiance entiere. M. Musschenbroeck ne nous ayant point communiqué son procédé, nous ne pouvons pas juger s'il ne s'est point glissé quelque erreur dans les résultats qu'il nous donne ; & nous croyons qu'il est plus sage d'attendre de nouvelles expériences, pour décider si & comment la vîtesse doit entrer dans l'évaluation de cette résistance.

V. Le frottement retarde & détruit le mouvement d'un corps, comme le feroit une puissance qu'il tireroit dans une direction opposée à celle de ce mouvement : d'où il suit tout naturellement, que pour juger de la résistance qu'il apporte à l'action de la puissance, qui produit ou tend à produire ce mouvement, il ne suffit pas de connoître sa quantité absolue, mais qu'il faut aussi avoir égard au bras de levier auquel il est appliqué, relativement à la longueur de celui par lequel agit la puissance. Ainsi, par exemple, quand on employe pour élever un corps une poulie mobile autour de son axe, le frottement qu'il y a à vaincre est celui de l'axe de la poulie dans les petites cavités qui le reçoivent, la résistance qui en résulte se trouve donc appliquée à un bras de levier d'autant plus court que celui par lequel agit la puissance, que le diametre de cet axe est plus petit que celui de la poulie même : aussi le frottement est-il incomparablement moindre que si cette poulie étoit immobile autour de son axe.

On peut expliquer par-là l'avantage des grandes poulies & des grandes roues sur les petites, & celui des voitures montées sur des roues par-dessus les simples traineaux. Cette observation sert encore à faire comprendre pourquoi dans une descente rapide on se trouve très-bien d'enrayer les roues : c'est que par-là la résistance qui provient du frottement se trouve appliquée à la circonférence de la roue, au lieu qu'elle l'étoit à celle de l'essieu : la roue enrayée augmente donc le frottement, & empêche la voiture de descendre avec trop de rapidité.

Nous pourrons encore expliquer, au moyen des mêmes principes, pourquoi les balances courtes sont moins exactes que celles dont le fléau est long, & pourquoi les romaines le sont ordinairement moins que les balances communes : car il est facile de voir que si la marchandise dont on veut connoître le poids se trouve excéder tant-soit-peu ce qu'elle devroit être pour tenir en équilibre les poids auxquels on la compare, elle fera trébucher la balance d'autant plus aisément qu'elle se trouvera plus éloignée de l'axe autour duquel se fait son mouvement ; puisque le bras de levier par lequel elle surmontera le frottement qu'il y a autour de cet axe, sera d'autant plus long.

Il y a dans tous les Arts je ne sais combien de petites attentions de pratique, pour diminuer le frottement ; par exemple, celle de faire porter les essieux sur des rouleaux (fig. 39. méchaniq.) : je ne crois pas necessaire de m'y arrêter.

S'il est hors de doute que la diminution du bras de levier auquel sont appliquées les parties qui frottent, est un moyen très-efficace de diminuer le frottement, il ne l'est pas également que ces diminutions soient exactement proportionnelles l'une à l'autre. L'expérience semble avoir montré aux Artistes, que lorsque le pivot autour duquel on fait tourner une roue, est extrêmement petit, le frottement n'est pas diminué à proportion de la petitesse, & qu'on se tromperoit beaucoup, si du frottement d'un pivot d'un quart de ligne de diametre, on vouloit conclure celui d'un pié, en l'estimant 576 fois plus considérable : la raison en est sans-doute, que les petites éminences des surfaces des corps ont alors une proportion sensible avec le diametre du pivot, & font ainsi plus d'obstacle à son mouvement ; à-peu-près comme une petite roue a de la peine à sortir d'une orniere qu'une grande roue franchit aisément.

Voilà un précis des connoissances que nous avons de la nature & des lois du frottement ; connoissances bien imparfaites, comme on peut aisément s'en appercevoir, & qui le seront vraisemblablement encore long-tems. En effet, y ayant de si grandes variétés dans le tissu des différens corps, & celui d'un même corps n'étant pas lui-même homogene, & de plus, sujet à des variations par le froid & le chaud, le sec & l'humide, & par mille autres circonstances ; il paroît bien difficile de parvenir à des lois générales sur cette matiere.

Ajoûtez à cela que la plûpart des Physiciens qui s'en sont occupés, ont employé pour leurs expériences des méthodes sujettes à équivoque, & propres à faire naître de l'incertitude dans leur résultat. Le tribometre de M. Musschenbroeck a, par exemple, cet inconvénient, qu'une partie de la force destinée à faire tourner le disque, s'employe à plier la corde ; ce qui n'est pas à négliger. Le même inconvénient a lieu, lorsque la puissance qui doit mouvoir un corps sur un plan est appliquée à une corde qui passe sur une poulie ; & il y a de plus dans ce dernier cas, un frottement auquel on n'a aucun égard, qui est celui qui se fait autour de l'axe de la poulie. Il me semble que de tous les moyens qui ont été employés pour connoître par l'expérience les différentes lois du frottement, il n'y en a point de plus simple & en même tems de moins sujet à équivoque, que de se servir d'un plan incliné, auquel on donne une inclinaison telle que le frottement du plan & la pesanteur du corps soient précisément en équilibre. L'inclinaison du plan fait connoître la force qui eût été nécessaire pour retenir le corps sur un plan parfaitement poli ; & de cette façon, le frottement qui tient lieu de cette force sera connu sans équivoque. Cette méthode a été suivie par quelques physiciens : mais il semble qu'on auroit pû en tirer un meilleur parti.

Je ne m'arrêterai pas actuellement à calculer le frottement des différentes machines ; il faudroit embrasser, pour cet effet, quelque hypothèse particuliere ; & le choix ne laisseroit pas que d'en être embarrassant. D'ailleurs on peut voir dans les essais de Phys. de Musschenbroeck, un exemple de ce calcul. Je finirai cet article par quelques observations.

1°. On est quelquefois surpris de ce qu'il n'est pas nécessaire que la force qui a introduit un coin dans une fente y soit continuellement appliquée, pour qu'il y reste engagé, malgré l'effort des parois de la fente pour se rapprocher. La vis nous offre quelque chose de semblable. Si l'on comprime par son moyen quelque corps élastique, on ne voit pas que le ressort des parties comprimées fasse rétrograder la vis dans son écrou, lorsque la puissance cesse de lui être appliquée.

Le frottement est l'unique cause de ces deux phénomenes ; car dans l'un & l'autre cas, l'effort que font les parties séparées ou comprimées pour revenir à leur premiere situation, peut se décomposer en deux autres, dont l'un s'employe tout entier à appliquer les faces du coin contre les côtés de la fente, ou le filet de la vis contre les parois intérieures de l'écrou ; & l'autre tend à faire glisser le coin hors de la fente, & la vis sur son écrou, comme sur des plans inclinés : & tant que ce dernier effort n'est pas au premier dans un plus grand rapport, que le frottement à la pression qui le cause, son action est nulle ; la vis ne peut rétrograder, & le coin doit rester dans la fente. De-là vient que quand le pas de la vis est grand, c'est-à-dire quand son filet fait avec son axe un angle assez aigu, la vis remonte dans l'écrou par le ressort des parties comprimées, comme on peut le voir dans les imprimeries & dans les monnoies. De même aussi il arrive quelquefois, que lorsqu'on introduit dans une fente un coin qui n'est pas assez aigu, il en ressort avec promtitude, & est chassé en-arriere avec vîtesse ; par la même raison qu'un noyau de cerise s'échappe des doigts de celui qui le presse, & s'élance à une grande distance.

2°. On lit dans tous les livres de Statique, que la direction la plus avantageuse, pour mouvoir un corps sur un plan horisontal ou incliné, est celle qui est parallele au plan ; & l'on a raison, tant que l'on suppose ce plan parfaitement poli, & que l'on fait abstraction de tout frottement. Mais si l'on veut y avoir égard, ce n'est plus la même chose. En ce cas voici comme je détermine cette direction. Soit un corps P qu'il faut mouvoir sur un plan horisontal A B (fig. 39. Méchan. n°. 2.), au moyen d'une force donnée A, & soit C P la direction dans laquelle on fait agir cette puissance ; soit prise C P = 1, & soient menées P D parallele au plan & C D perpendiculaire à P D, soit C D = x ; donc P D = , il est évident que l'effort de la puissance A pour mouvoir le corps, peut s'exprimer par A ; & supposant le frottement à la pression dans le rapport donné de m à n, la résistance qui en résulte sera m/n P - m/n A x, puisque l'effort D C que fait la puissance A s'employe à diminuer la pression qu'exerce le corps sur le plan ; donc le corps P est mis en mouvement par une force A - m/n P = m/n A x ; & si la direction P C est la plus avantageuse, cette quantité doit être un maximum ; donc m/n d x - = 0 & x = . Ainsi le sinus de l'angle que doit faire la direction de la puissance avec le plan pour agir avec le plus d'avantage, doit être non pas zéro, mais . Si l'on suppose avec M. Amontons m/n = 1/3, on a x = , & l'angle C P D d'environ 18d 1/2.

3°. Si l'on avoit une théorie exacte des lois du frottement, on n'auroit pas besoin d'en faire abstraction dans plusieurs beaux problèmes de Méchanique, comme ceux de la brachystochrone, de la courbe isochrone paracentrique, des tautochrones, & beaucoup d'autres. J'ai fait un essai du problème des tautochrones, soit dans le vuide, soit dans un milieu qui resiste comme le quarré des vîtesses, & dans un milieu qui résiste infiniment peu, suivant une fonction quelconque des vîtesses, en y considérant aussi le frottement ; & j'ai eu le plaisir de retrouver encore pour tautochrone une portion de cycloïde, qui devient la demi-cycloïde, lorsque le frottement est nul. Comme l'académie devant qui j'ai eu l'honneur de lire la solution de ces problèmes, l'a jugée digne d'être imprimée dans le volume de ses correspondans, j'y renvoie ceux qui se feront plaisir de voir le détail du calcul. Cet article est de M. NECKER le fils, citoyen de Genève, & correspondant de l'académie royale des Sciences de Paris.

FROTTEMENT, (Hydr.) Outre les causes de frottement communes à toutes les machines, comme celles qui proviennent de l'engrenage des roues, &c. il se fait dans les pompes un frottement contre les parois d'un tuyau où l'eau passe, dans les passages des soupapes, des robinets, dans les coudes & jarrets des conduites, dans la souche d'un jet, & dans la platine d'un ajutage. Le canon d'une jauge n'en est pas même excepté, ainsi que l'épaisseur de la cloison qui est dans la cuvette.

Quant aux engrenages des roues dans les lanternes, on en rend le mouvement plus doux en les graissant avec du savon noir, ce qui les fait encore durer davantage. Pour les crapaudines, les boulons, les tourillons, les bielles, & autres pieces, on les frotte d'huile.

On ne peut éviter le frottement qui se fait contre les parois d'un tuyau, sur-tout dans les coudes & jarrets des conduites tournantes, qu'en interrompant le diametre ordinaire de la conduite pour y mettre deux ou trois toises de suite de plus gros tuyaux, & reprendre ensuite le diametre de la conduite. Les ouvertures des soupapes & robinets sujettes aux étranglemens, se peuvent encore éviter en y employant des soupapes & des robinets d'un plus grand diametre. La souche d'un jet sera tenue aussi plus grosse, & la platine de l'ajutage la plus mince qu'il se pourra.

On peut éviter plus de la moitié du frottement dans les jauges, en n'y mettant point de canons, & laissant couler l'eau par les ouvertures faites dans la platine qui sera des plus minces.

Il n'y a point de frottement pareil à celui qui se fait dans les fourches trop menues d'une machine hydraulique à trois corps de pompe ; le remede à cet étranglement, est de donner à chaque fourche un diametre égal à chaque corps de pompe, ainsi qu'au tuyau montant. Voyez POMPE. (K)

FROTTEMENT, (Horlogerie) L'Horlogerie est de tous les arts celui qui présente sur le frottement les plus grands & les plus singuliers phénomenes ; car dans tous les arts, excepté l'Horlogerie, les frottemens n'agissent que comme résistance, ou comme obstacle au mouvement des corps appliqués les uns contre les autres ; & par l'altération qu'ils causent aux pieces dont les machines sont composées. Avec de la force & une réparation nécessaire aux pieces altérées, l'on satisfait à tous les frottemens dans ces machines.

Il n'en est pas de même en Horlogerie ; les résistances & les altérations des pieces y sont presque pour rien. C'est de la variété connue des frottemens qui agissent en retardant plus ou moins la vîtesse des corps, que provient une si grande irrégularité dans l'Horlogerie, & principalement dans les montres.

Comme il sera nécessaire d'entrer dans quelque détail sur la cause de ces variétés, il est bon de poser quelques principes généraux pour nous servir de guide sur ce qui fait l'objet de nos recherches.

L'Horlogerie peut être considérée comme étant la science des mouvemens : car c'est par elle que le tems, la vîtesse, & l'espace sont exactement mesurés, & à qui toutes les autres sont subordonnées. Donc ce que je dirai sur les frottemens appartenans à l'Horlogerie, pourra être de quelqu'utilité à tous les arts, n'y en ayant point dont les objets ne soient susceptibles de mouvemens, par conséquent de frottemens.

Les frottemens sont cette résistance ou obstacle qu'on éprouve lorsque l'on applique des corps les uns contre les autres pour les faire mouvoir, ou simplement leur donner une tendance au mouvement ; car où il n'y a point de mouvement ni de tendance, il ne sauroit y avoir de résistance, par conséquent point de frottement. Je fais ici abstraction de l'inertie des corps.

Les lois du mouvement étant connues, il paroîtroit qu'on en pourroit déduire celles des frottemens, comme l'on en déduit celle de la vîtesse, de l'espace, & du tems : car dans l'un & l'autre cas il y a de commun l'espace parcouru. Mais malgré la connexion qu'il y a entre ces choses, l'on n'a pû encore déterminer de principe sur lequel l'on puisse établir une théorie des frottemens applicable à l'Horlogerie en petit.

Dans les pendules, sur-tout celles à grande vibration, le régulateur ou la puissance est si grande qu'elle réduit presque à rien les variations causées par les frottemens : de sorte que si l'on prévient l'altération des pieces par la dureté & le poli qu'on peut leur donner, & si l'on n'employe que la force nécessaire pour entretenir le mouvement, il y aura peu d'altération à craindre, par conséquent peu à réparer ; c'est donc tout ce qu'il y a de plus essentiel à observer dans les pendules.

Dans l'Horlogerie en petit, ou dans les montres, les altérations y sont presque pour rien. Il n'est pas rare de voir des montres qui pendant 40 ou 50 ans ont toûjours marché, & auxquelles on n'a fait autre chose que de les nettoyer de tems-en-tems, sans qu'il y eût des altérations absolument nécessaires de réparer. Avec si peu de changement, il est étonnant que l'on voye aller fort mal tant de montres, qui sont cependant assez bien composées & exécutées. Elles varient donc par la foiblesse du régulateur, qui ne surmonte pas l'irrégularité causée par les frottemens. C'est donc ce qu'il y a de plus essentiel à examiner.

Pour se former une idée des différentes causes qui entrent dans les frottemens, nous exprimerons en peu de mots toutes les choses que nous croyons concourir à les augmenter, & qui nous les présentent sous tant de faces différentes par les variations qu'elles occasionnent.

P le poids ou la force qui presse.

E l'espace parcouru dans un certain tems.

Q la quantité de pénétration réciproque des parties provenant de deux causes ; l'une, du défaut de poli qui n'est jamais parfait ; l'autre, en supposant même le poli parfait, de ce que ces parties ne laissent pas que de se pénétrer par les pores de leur tissu ou texture.

I l'inclinaison qui résiste le plus dans les parties qui se pénetrent ; c'est celle de 45 degrés que je retrouve même par-tout dans les arts méchaniques. Le ciseau qui taille la lime, doit avoir cette inclinaison pour que dans l'usage que l'on en fait, la taille ne s'égrise ni ne glisse sans user la matiere que l'on travaille. Les dents de scie sont aussi dans le même cas, & doivent avoir la même inclinaison.

Le fer du rabot doit être incliné de même pour couper plus avantageusement.

Le ciseau qui taille la pierre doit aussi avoir la même inclinaison.

Le soc de la charrue de même.

Le burin du graveur, soit en planche ou autrement, est dans le même cas.

Enfin il n'est point d'art méchanique qui ne fournisse quelqu'exemple de l'avantage de cette inclinaison, qui est celle qui résiste le plus.

D les différentes directions que peut prendre le corps frottant ; elles lui seront plus ou moins avantageuses selon qu'il rencontrera les inclinaisons dont nous venons de parler ; car le rabot ne couperoit point s'il étoit poussé dans le sens contraire, quelque force que l'on pût employer. Il en seroit de même de la lime, de la scie, &c.

T les différentes températures, c'est-à-dire le chaud & le froid, le sec & l'humide, qui changent en quelque sorte les parties intégrantes des frottemens.

R la roideur de ces parties qui se pénetrent étant plus ou moins flexibles, dures ou molles, présentent plus ou moins de résistance.

Les métaux & végétaux different sensiblement entr'eux de frottement.

Les gommes résineuses & vitrées résistent le plus au mouvement vif, & presque point au mouvement lent.

Les métaux les plus purs sont ceux qui résistent le plus ; ensorte que dans différentes pratiques d'instrumens d'Horlogerie, comme le cylindre d'un tour à balancier, on est obligé de le faire d'un mélange de cuivre & d'étain ; ce qui permet de le tenir juste, & l'empêche de former une adhérence ou cohésion, ainsi qu'il arrive entre les métaux semblables.

N le nombre de fois que le corps frottant passera sur ses mêmes parties ; car en les échauffant, il y occasionne une adhérence ou cohésion qui en augmente encore la résistance.

D'où il suit que les forces ou poids qui pressent le corps en mouvement, étant constantes, les frottemens ou résistances pourront augmenter de plus en plus, si toutes les parties frottantes qui se succedent les unes aux autres sont plus contraires que favorables ; ensorte que la vîtesse du corps sera tellement retardée, qu'elle pourra faire équilibre & suspendre totalement le mouvement.

Et réciproquement si toutes les parties frottantes qui se succedent les unes aux autres sont plus favorables que contraires, on arrivera au terme où la résistance deviendra comme nulle, & la vîtesse du corps peu ou point retardée. Ce dernier cas ne sauroit être complet, au lieu que le premier est très-fréquent.

C'est donc entre ces deux termes que nous avons à traiter des frottemens relatifs à l'Horlogerie, & sur quoi roule la plus grande cause de la variation des montres.

Le poids qui presse & l'espace parcouru dans un certain tems, sont la quantité constante qui fait la base de tous les frottemens, sans lesquels les autres quantités Q, I, D, T, R, N, qui n'en sont que les accidens, n'auroient pas lieu.

C'est en considérant les deux premieres causes que nous parviendrons à prévenir l'irrégularité de ces dernieres. C'est pourquoi nous devons porter toute notre attention, non-seulement à réduire la somme des frottemens, mais principalement à les distribuer de maniere qu'à mesure que la vîtesse des corps augmente, la pression en soit diminuée.

C'est en observant cette distribution que l'on s'éloignera des deux extrêmes de la plus grande & moindre résistance, qui sont les termes où j'ai trouvé les plus grandes variations par les expériences que j'ai faites sur ces frottemens.

Après ces notions préliminaires, nous allons considérer les frottemens sous sept points de vûe.

1°. Par le régulateur.

2°. Par l'échappement.

3°. Par les vibrations.

4°. Par les engrenages.

5°. Par les pivots.

6°. Par les ressorts moteurs & réglants.

7°. Enfin par quelques usages que l'on a pour faire tenir différentes pieces les unes aux autres, & que l'on appelle tenir à frottement.

§. 1. Du régulateur. Dans l'énumération des différentes parties qui entrent dans l'Horlogerie, nous allons commencer par celles que nous envisageons comme les plus intéressantes, celles du balancier dans les montres, & de la verge avec la lentille dans les pendules. Dans l'une & dans l'autre ils sont nommés régulateur.

L'objet du régulateur peut être considéré sous trois points de vûe. 1°. Comme modérateur de la vîtesse des roues, il suspend la force motrice ; & dans ce sens c'est un retardateur.

2°. Comme retardateur & ayant un principe de mouvement, il absorbe en quelque sorte toutes les inégalités qui lui peuvent être transmises, non-seulement par la force motrice, mais encore par les variations des engrenages des roues & du frottement de leurs pivots ; & dans ce sens c'est un véritable régulateur.

3°. Comme régulateur, il doit faire ces mouvemens en tems égaux ; ses oscillations doivent être isochrones. C'est donc l'unique piece qui mesure le tems. Alors toutes les autres ne sont que les accessoires, & ne sont relatives qu'à la durée du mouvement, & non à sa régulation.

Puisque c'est du régulateur que dépend la mesure du tems, il faut donner à cette piece tout ce qui peut concourir à lui faire faire ses oscillations en tems égaux, les dégageant de tout ce qui peut les altérer ou les troubler. Ainsi pour les montres le régulateur sera le balancier représenté par la figure suivante.


FROTTERvoyez l'article FROTTEMENT. FROTTER, en terme de Batteur d'or, c'est achever d'ôter avec un morceau de drap les parcelles d'or que le couteau n'a pû faire tomber des bords des livrets.

FROTTER, (Fondeur de caracteres d'Imprimerie) façon que l'on donne aux caracteres d'Imprimerie. Les lettres ne sortent pas du moule si unies, qu'il ne reste aux corps quelques bavûres qui les empêchent de se joindre. Pour ôter ces superfluités, on les frotte sur un grès préparé pour cela ; ce grès qu'on appelle pierre à frotter, fait la fonction d'une lime. Les petits grains qui sont dessus enlevent tout ce qu'il y a d'étranger aux corps desdites lettres, & les unit des deux côtés qu'elles doivent s'accoller. Voyez PIERRE SERVANT AUX FONDEURS DE CARACTERES : la fig. 7. de la troisieme Plan. du Fondeur de caracteres représente la meule de grès sur le plat de laquelle on frotte les caracteres après que le jet en a été séparé. On ne frotte le caractere que sur les faces latérales, & non sur les faces d'en-haut & d'en-bas.

FROTTER, en terme de Formier, c'est donner la derniere façon à la forme, pour la mettre dans sa perfection ; ce qui se fait avec un frottoir de peau de chien de mer. Voyez FROTTOIR ou BATON.


FROTTISS. m. terme de Peinture ; voyez GLACER, GLACIS.


FROTTOIRS. m. en terme de Boyaudier, c'est un tissu de crin, avec lequel on frotte les cordes à boyau pour les débarrasser des graisses ou autres matieres qui n'en sont point tombées dans les opérations antérieures.

* FROTTOIR, terme de Chapelier, c'est une espece de petite pelote de quatre ou cinq pouces en quarré, dont les Chapeliers se servent pour donner le lustre à leurs chapeaux. Le frottoir est un petit sac rempli de crin ou de bourre, & couvert de velours d'un côté & de drap de l'autre. Voyez CHAPEAU & CHAPELIER, & les Planches du Chapelier.

* FROTTOIR, terme de Corderie, est une planche d'un pouce & demi d'épaisseur, solidement attachée sur la même table où sont les peignes. Cette planche est percée dans le milieu d'un trou de trois ou quatre pouces de diametre, & sa face supérieure est tellement travaillée, qu'elle semble couverte d'éminences taillées en pointes de diamant.

Quand on veut se servir de cet instrument, on passe la poignée de chanvre par le trou qui est au milieu ; on retient avec la main gauche le gros bout de la poignée qui est sous la planche, pendant qu'avec la main droite on frotte le milieu sur les crenelures de la planche ; ce qui affine le chanvre plus que la préparation qu'on lui donne sur le fer : mais cette opération le mêle davantage, & occasionne plus de déchet.

* FROTTOIR, en terme d'Epinglier, c'est une espece de coffret de bois, dans lequel on entonne, pour ainsi dire, les épingles pour les sécher avec le son. Elle est suspendue sur deux montans ; on la tourne avec deux manivelles. Voyez SECHER, & les Planches de l'Epinglier.

FROTTOIR, chez les Formiers, voyez BATON, & la fig. prem. Pl. du Cordonnier-Bottier.

FROTTOIR, terme de Perruquier, est un linge que les Barbiers mettent sur l'épaule de la personne qu'ils rasent, & dont ils se servent pour essuyer leur rasoir, à mesure qu'il est chargé du poil coupé mêlé avec le savon.

FROTTOIR, outil de Relieur ; il doit être de fer mince par les deux bouts, & épais dans le milieu ou la poignée ; il en faut pour les petits volumes & pour les gros. On l'appuie sur le dos des livres, lorsque la colle est seche, & il sert à en ôter les inégalités pour que le veau n'ait rien qui lui fasse faire la grimace. L'ouvrier le tient à deux mains, & doit prendre garde de bien arrondir le dos, de ne point épater les têtes, ni pincer les queues, ni déchirer le parchemin. Voyez Pl. prem. de la Relieure, fig. N.


FROTTONS. m. terme de Cartier ; c'est un instrument composé de plusieurs lisieres ou bandes d'étoffe roulées les unes sur les autres, de maniere que le bas en est plat & uni, & que le haut qui lui sert de manche est terminé par une espece de cone. Le frotton sert à-peu-près aux mêmes usages chez les Cartiers, que les balles chez les Imprimeurs. Voyez les Planches du Cartier.


FROU(Jurisprud.) dans quelques coûtumes, signifie un lieu public & commun à tous. Voyez l'ancienne coûtume d'Orléans, article 157, & ci devant au mot FROCS. (A)


FROWARDle cap. (Géog.) & par les François le cap d'Avance, cap des terres magellaniques sur la côte méridionale de l'Amérique : c'est celui qui avance le plus dans le détroit de Magellan, & qui fait le coude de ce détroit. M. Frezier le place par le 54e degré de lat. & le 308d 45'de long. (D.J.)


FRUCTESAS. f. (Mythol.) déesse qui veilloit à la conservation des fruits.


FRUCTIFIERv. n. (Jardinage) ou rapporter du fruit. Voyez FRUIT.


FRUGALITÉ(Morale) simplicité de moeurs & de vie. Le docteur Cumberland la définit une sorte de justice, qui dans la société consiste à conserver, & qui a pour dispositions contraires, d'un côté la prodigalité envers des particuliers, & de l'autre une sordide avarice.

On entend ordinairement par la frugalité, la tempérance dans le boire & le manger ; mais cette vertu va beaucoup plus loin que la sobriété ; elle ne regarde pas seulement la table, elle porte sur les moeurs, dont elle est le plus ferme appui. Les Lacédémoniens en faisoient profession expresse ; les Curius, les Fabricius, & les Camilles, ne mériterent pas moins de loüanges à cet égard, que par leurs grandes & belles victoires. Phocion s'acquit le titre d'homme de bien par la frugalité de sa vie ; conduite qui lui procura les moyens de soulager l'indigence de ses compatriotes, & de doter les filles vertueuses que leur pauvreté empêchoit de s'établir.

Je sai que dans nos pays de faste & de vanité, la frugalité a bien de la peine à maintenir un rang estimable : quand on n'est touché que de l'éclat de la magnificence, on est peu disposé à loüer la vie frugale des grands hommes, qui passoient de la charrue au commandement des armées ; & peut-être commençons-nous à les dédaigner dans notre imagination. La raison néanmoins ne voudroit pas que nous en jugeassions de la sorte ; & puisqu'il ne seroit pas à-propos d'attribuer à la libéralité les excès des prodigues, il ne faut pas non plus attribuer à la frugalité la honte & les bassesses de l'avarice.

C'est vouloir dégrader étrangement les vertus, que de dire avec un Laberius, frugalitas miseria est rumoris boni, ou de répéter avec S. Evremont : la frugalité tant vantée des Romains n'étoit pas une abstinence volontaire des choses superflues, mais un usage nécessaire & grossier de ce qu'ils avoient. Rendons plus de justice au tems des beaux jours de la république romaine, à ce Fabricius par exemple, ce Curius & ce Camille dont j'ai parlé. Les uns & les autres sachant se borner à l'héritage de leurs ancêtres, ne furent point tentés de changer l'usage grossier de ce qu'ils possédoient, pour embrasser le superflu. Le premier refusa sans peine les offres magnifiques qu'on lui fit de la part de Pyrrhus ; le second méprisa tout l'argent qui lui fut présenté de la part des Samnites ; le troisieme consacra dans le temple de Jupiter, tout l'or qu'il avoit pris à la défaite des Gaulois. Nourris tous les trois selon les regles de l'austere frugalité, ils furent les ressources de leur patrie dans les guerres périlleuses qu'elle eut à soûtenir. Le luxe & la somptuosité sont dans un état, ce que sont dans un vaisseau les peintures & les statues dont il est décoré ; ces vains ornemens rassûrent aussi peu l'état engagé dans une guerre cruelle, qu'ils rassûrent les passagers d'un vaisseau, quand il est menacé de la tempête. Voyez LUXE & FORTUNE.

Pour sentir le prix de la frugalité, il faut en joüir ; ce ne seront point ceux qui sont corrompus par les délices, dit l'auteur de l'esprit des lois, qui aimeront la vie frugale ; & si cela avoit été commun, Alcibiade n'auroit pas fait l'admiration de l'univers. Ce ne seront pas non plus ceux qui envient ou qui admirent le luxe des autres, qui vanteront la frugalité : des gens qui n'ont devant les yeux que des hommes riches ou des hommes aussi misérables qu'ils le sont, détestent leur misere, sans aimer & sans connoître ce qui fait le terme de la misere.

L'amour de la frugalité est excité par la frugalité ; & c'est alors qu'on en sent les précieux avantages : cet amour de la frugalité bornant le desir d'avoir, à l'attention que demande le nécessaire pour sa famille, reserve le superflu pour le bien de sa patrie. Aussi les sages démocraties en recommandant, en établissant pour loi fondamentale, la frugalité domestique, ont ouvert la porte aux dépenses publiques à Athenes & à Rome : pour lors la magnificence naissoit du sein de la frugalité même ; & comme la religion, ajoûte M. de Montesquieu, demande qu'on ait les mains pures pour faire des offrandes aux dieux, les lois vouloient des moeurs frugales, pour que l'on pût donner à sa patrie. (D.J.)


FRUGINAL& FRUGURAL, fregintal, (Myth.) est le nom d'un temple dédié à la Venus pudique, appellée Venus frugi ; & frugural, le nom d'un temple dédié à Jupiter.


FRUITS. m. (Gram.) On appelle en général du nom de fruits, tout ce que la terre produit pour la nourriture des hommes & des animaux : ainsi les grains, les herbes, les légumes, sont des fruits.

Les fruits en particulier sont la production des arbres fruitiers, & la conclusion des opérations de la nature qu'elle nous avoit fait entrevoir en nous donnant les fleurs : ce n'est d'abord qu'un bouton, qu'un oeil ; ensuite vient une branche, une fleur, enfin un fruit, qui par le moyen d'une graine, d'un pepin, d'un noyau, d'une amande, perpétue son espece à l'infini.

On remarque dans les fruits les mêmes parties essentielles que dans les plantes, savoir les peaux & membranes, les pulpes ou chairs, & les fibres ou corps ligneux.

Les arbres à fruit distingués d'avec les plantes à fruit, se divisent en fruits à pepins, à noyau, à coquille, & à cosse épineuse.

Ceux à pepins ont plusieurs fleurs, & un pepin formant un bouton, peut avoir 9 à 10 fruits à chaque bouton. Ils sont composés de quatre parties, la peau, la pulpe, les fibres, & la capsule. Voyez tous ces mots à leur article. Les oranges, les citrons, & les raisins ont des pores plus remplis de liqueur, mais ce sont toûjours des fruits à pepins.

Les fruits à noyau viennent seuls à chaque bouton, & ont les mêmes parties que ceux à pepins : quant au noyau, il vient de la pulpe qui se coagule ; cinq grosses fibres s'étendent sur la surface du noyau, dont une entre dans son corps pour y nourrir l'amande qui y est suspendue par ses peaux.

Ceux à coquille n'ont que trois parties : la robbe, la coquille, & la moëlle ; un grand nombre de fibres entrent par la base dans la coquille ; une de ces fibres nourrit la graine, passe dans le centre de la base, & va jusqu'à la pointe de la coquille à laquelle les peaux de l'amande sont attachées.

Les fruits à cosse épineuse, tels que les châtaignes & les marrons d'Inde, viennent seuls ou plusieurs ensemble ; ils sont eux-mêmes la racine qui les reproduit.

Les plantes à fruits sont les melons, les courges, les citrouilles, les concombres, les coloquintes, les bonnets de prêtre. Ces fruits ont une écorce ou peau chargée de verrues, ou de parties galeuses ; on trouve dans leur pulpe des loges remplies de semences, avec des amandes ; plusieurs fibres sont répandues dans toute l'étendue du fruit.

Les fruits par rapport à leur chair, sont cassans ou fondans.

On distingue encore les fruits d'été d'avec ceux d'hyver ; les fruits précoces d'avec les tardifs ; nous avons encore les fruits rouges.

Il y a de grosses semences, comme les marrons d'Inde, les châtaignes, les amandes, les noisettes, les faînes, les noix, les glands, que l'on appelle fruits, parce qu'ils sont agréables au goût. (K)

FRUIT, (Botan.) M. Linnaeus distingue dans les fruits trois parties principales, qui sont le péricarpe, la semence, & le receptacle.

Le péricarpe, pericarpium, est formé par le germe ; il grossit & il renferme les petites semences ou graines, mais il ne se trouve pas dans tous les fruits. Il y a huit especes de péricarpes : savoir la capsule, la coque, la silique, la gousse, le fruit à noyau, la pomme ou le fruit à pepin, la baie, & le cone. La capsule, capsula, est composée de plusieurs panneaux secs & élastiques, qui s'ouvrent le plus souvent par leur sommité lorsqu'ils sont mûrs, & qui renferment des graines dans une seule loge ou dans plusieurs ; d'où viennent les dénominations des capsules uniloculaires & multiloculaires. La coque, conceptaculum, ne differe de la capsule qu'en ce que ses panneaux sont mous. La silique, siliqua, est composée de deux panneaux qui s'ouvrent d'un bout à l'autre, & qui sont séparés par une cloison membraneuse à laquelle les petites semences sont attachées chacune par un cordon ombilical. La gousse, legumen, est un péricarpe oblong à deux cosses assemblées en-dessus & en-dessous par une suture longitudinale ; les semences sont attachées alternativement au limbe supérieur de chacune de ces cosses. Le fruit à noyau, drupa, est composé d'une pulpe charnue, molle & succulente, qui renferme un noyau. La pomme ou fruit à pepin, pomum, a une pulpe charnue, au milieu de laquelle les semences se trouvent dans des enveloppes membraneuses. La baie, bacca, a une pulpe succulente qui renferme les semences. Le cone, strobilus, est composé de plusieurs écailles appliquées les unes contre les autres, & contournées par le haut.

Il y a deux sortes de semences, la graine & la noix. La noix, nux, est presqu'aussi dure qu'un os, & renferme la véritable semence. La graine, semen, est le corps de la semence ; elle a différentes figures, & on voit des graines qui ont une couronne. La couronne, corona, est simple, ou disposée en aigrette. L'aigrette, pappus, est composée de rayons simples ou de rayons branchus comme une plume. Ces rayons simples ou branchus tiennent à un pédicule, ou sortent immédiatement de la graine.

Le receptacle ou placenta, receptaculum, est la partie qui soûtient la fleur ou le fruit, ou tous les deux ensemble ; il y en a de différentes figures. Florae par. Prodromus, pag. 44. & suiv. (I)

Maniere d'avoir de beaux fruits, (Jard.) Pour avoir de beaux fruits, il faut détacher d'un arbre quelques boutons lorsqu'ils ne font que noüer ; le mois de Mai est le vrai tems de cette opération pour les pêches & abricots ; & celui de Juin & de Juillet pour les poires d'hyver & d'automne. On les détache du trochet où il y en a plusieurs, en les coupant avec des ciseaux par le milieu de la queue, & sur-tout ceux qui sont serrés, comme les plus sujets à se pourrir. Les poires d'été, telles que la robine, la cassolette, le rousselet, ne se détachent point ; elles ne se nuisent point l'une à l'autre, ainsi que les prunes, parce qu'elles sont médiocrement grosses ; quand le fruit est presque mûr, ôtez des feuilles tout-autour pour lui donner de la couleur & le faire mûrir. Cette pratique usitée à l'égard des pêchers, convient aussi à plusieurs poires, telles que le bon chrétien d'hyver, l'inconnue chéneau, &c.

Plusieurs se servent d'une seringue faite en arrosoir à pomme, pour leur jetter de l'eau, ou les frottent dans le grand soleil, ce qui certainement leur donne de la couleur, mais diminue leur bonté, à ce qu'on prétend. (K)

FRUIT VERREUX, (Hist. nat.) c'est le nom qu'on donne au fruit qui a été attaqué, habité, rongé, mangé par des vers, chenilles, fausses chenilles, ou autres insectes.

Les insectes qui se trouvent dans les fruits mûrs ou non mûrs de nos arbres fruitiers, dans les poires, les pommes, les prunes, les cerises, &c. sont généralement nommés des vers, & par cette raison on appelle les fruits où ils sont logés, des fruits verreux ; mais s'il y a de ces insectes qui sont des vers, c'est-à-dire qui se doivent transformer en mouches, ou en scarabées, il y en a, & en grand nombre, qui deviennent de vraies chenilles, de fausses chenilles, &c. Les prunes, par exemple, sont très-sujettes à être verreuses, par une espece de fausse chenille qui croît dans leur intérieur.

Les années où il y a le moins de fruit, sont celles où l'on se persuade qu'il y en a le plus de verreux, & on ne manque pas de s'en plaindre. Quoique la quantité des vers & des chenilles ne soit pas plus grande dans ces années stériles en fruits que dans des années abondantes ; si elle est la même, si la cause qui a fait périr les fruits, n'a point diminué le nombre des mouches & des papillons, dont les petits doivent croître dans les fruits, le nombre des vers & des chenilles des fruits doit paroître plus grand, quoiqu'il ne le soit pas réellement ; il l'est proportionnellement à la quantité des fruits de cette année.

Il y a telles especes de fruits, de cerises, par exemple, où l'on trouve communément l'insecte logé dans l'intérieur, & tel autre fruit, comme la poire, où on le rencontre rarement, parce qu'il en est sorti avant qu'on la cueille. De plus, il y a tels insectes qui dénichent de bonne heure du fruit, & tels autres qui y font un très-long séjour.

Les chenilles des pommes, des poires, des prunes, & de divers autres fruits, ne s'y tiennent que tant qu'elles ont besoin de manger, & elles les quittent quand le tems où elles doivent se transformer en chrysalides approche. Lorsque le fruit verreux tombe, ou est prêt à tomber, la chenille en est ordinairement sortie, ou est prête à en sortir.

Quand cette chenille a pris tout son accroissement, quand le tems de sa métamorphose approche, on voit quelque part sur le fruit un petit tas de grains rougeâtres ou noirs ; il n'est personne qui n'ait vû cent fois ces petits tas de grains, dont nous parlons, sur des pommes, sur des poires, & sur plusieurs autres de ces fruits, qu'on appelle verreux ; c'est même ce qui fait connoître qu'ils le sont. Dans d'autres, au lieu de ces petits tas de grains, on voit un petit trou bordé de noirâtre ; les grains sont tombés alors, & l'ouverture par laquelle ils sont sortis de l'intérieur du fruit, est à découvert. Or on demande quelle est la cause de cette bordure externe, & de cet amas de grains rougeâtres ou noirs qu'on trouve presque toûjours dans l'intérieur des fruits verreux. Les Physiciens répondent que cette bordure & ces grains ne sont autre chose que des excrémens de la chenille ; ordinairement les excrémens restent dans le fruit où l'insecte a séjourné, mais quelquefois il s'en trouve des tas au-dehors ; ce dernier cas arrive lorsque la chenille qui s'est tenue vers le centre du fruit, s'ouvre un chemin jusqu'à sa circonférence ; alors elle entretient ce chemin ouvert, & vient pendant quelques jours de suite jetter ses excrémens à l'endroit où le trou se termine. (D.J.)

FRUIT, (art de conserver le) Economie rustiq. Une maniere de conserver les fruits toute l'année sans les gâter, a été communiquée par le chevalier Southwell, comme il suit. Prenez du salpetre une livre, bol ammoniac deux livres, du sable ordinaire bien net quatre livres : mêlez le tout ensemble, ensuite cueillez votre fruit de toute espece avant son entiere maturité, & avec la queue de chaque fruit ; mettez ce fruit régulierement & symmétriquement un par un, dans un grand vaisseau de verre large par le haut ; fermez la bouche du vaisseau d'un papier huilé ; portez ce vaisseau dans un lieu sec ; placez-le dans une caisse garnie de la même matiere préparée, qui ait quatre pouces d'épaisseur ; remplissez le reste de la caisse de la susdite préparation, & qu'elle couvre de deux pouces l'extrémité du vaisseau : alors on pourra tirer le fruit au bout de l'an, aussi beau que quand on l'a enterré. Nous indiquerons une autre méthode générale pour la conservation du fruit au mot POIRE. Voyez l'article FRULEN. (D.J.)

FRUITS SECS, (Economie rustiq.) c'est le nom qu'on donne aux fruits à noyau & à pepins, que l'on fait sécher au four ou au soleil, comme prunes, cerises, pêches, abricots, poires, pommes, figures, & raisins.

Toutes sortes de prunes peuvent être séchées ; on les cueille dans leur entiere maturité, on les range sur des claies, on les met au four lorsque le pain en est tiré : on les tourne, on les change de place, & on les serre après qu'elles sont refroidies ; c'est la même méthode par rapport aux cerises.

Pour sécher les pêches, on les cueille d'ordinaire à l'arbre, on les porte au four pour les amortir, ensuite on les fend promtement avec un couteau : on en ôte le noyau, on les applatit sur une table, on les reporte au four ; & lorsqu'on juge qu'elles sont assez séchées, on les retire, on les applatit encore, & on les conserve dans un lieu sec.

Pour les abricots, on les cueille lorsqu'ils sont bien mûrs ; & au lieu de les ouvrir comme les pêches pour en ôter le noyau, on se contente de repousser le noyau par l'endroit de la queue, qui lui sert de sortie. Les abricots restant ainsi entiers, on les applatit seulement sans les ouvrir, & on les séche comme les pêches.

Pour faire sécher les poires, on les coupe en quartiers, on les pelle, & on les porte au four ; ou bien, sans qu'il soit besoin de les couper, on les pelle entieres, observant d'y laisser les queues : ensuite on les fait bouillir dans quelque vaisseau avec de l'eau : alors on se sert de leur peau pour les tremper dans leur jus ; cela fait, on les tire de leur jus, puis on les met au four sur des claies, de la même maniere qu'on se conduit pour les prunes.

Les pommes, à la différence des poires, se séchent sans être pelées, en les coupant par la moitié après leur avoir ôté le trognon ; on les fait bouillir afin d'en tirer le jus, & y tremper celles qu'on destine pour sécher.

Les raisins secs, & sur-tout les muscats, sont très-agréables à manger. On les met au four sur une claie pour les faire sécher, en prenant garde que la chaleur du four ne soit trop âpre, & en observant de tourner les raisins de tems en tems, afin qu'ils sechent également.

Les figues dont on a parlé ailleurs, se séchent comme les prunes. Le commerce de tous les fruits secs est considérable pour les pays chauds ; & on comprend dans la liste des fruits secs les amandes, les avelines, les capres même, & les olives, quoique ces deux derniers se conservent dans de la saumure. (D.J.)

FRUITS, (Diete) les auteurs tant anciens que modernes, qui ont écrit sur les alimens, nous ont donné sur les propriétés communes des fruits, des généralités si vagues, qu'on ne peut puiser dans ces ouvrages aucune connoissance positive sur cette matiere. Lemery les a bannies très-sagement de son traité des alimens, qu'il commence presque par un chapitre particulier sur les fraises.

En effet nous ne connoissons guere d'autres qualités communes entre plusieurs especes de fruits, que la qualité très énergique d'aliment végétal (voyez MUQUEUX & NOURRISSANT). Une pomme, une amande, une figue, une châtaigne, une olive, se ressemblent aussi peu qu'un fruit quelconque, & une racine ou une feuille ; & les especes qui paroissent les plus analogues entr'elles, sont réellement distinctes par des propriétés médicinales très-différentes. C'est ainsi que l'abricot est regardé par tous les Médecins comme sujet à causer des dyssenteries, des coliques, des fievres intermittentes, &c. & que la pêche est au contraire regardée comme très-saine.

La division que les anciens avoient faite des fruits en fruits d'été, , horaei, & fruits d'automne, est on ne peut pas plus mal entendue, plus incomplete , & fondée sur des prétentions plus précaires. Une poire fondante d'été ressemble parfaitement à une poire fondante d'automne ; & deux fruits d'été, savoir une cerise & une amande, sont absolument différens. La circonstance d'être peu durables ou de pouvoir être conservés long-tems, par laquelle les deux branches de leur division étoient spécifiées, ne fait rien aux propriétés diététiques des fruits, & ne peut convenir qu'aux fruits aqueux & pulpeux.

Les propriétés diététiques des fruits varient encore même dans chaque espece selon qu'on les mange dans différens degrés de maturité, frais ou séchés, vieux ou récents, cruds, cuits ou confits, seuls ou assaisonnés avec un peu de sucre, de sel, &c.

Pour toutes ces raisons, nous ne nous arrêterons pas plus long-tems sur ce sujet, & nous reserverons pour les articles particuliers ce que l'on sait de positif sur l'usage de chaque fruit. Voyez ces articles.

Nous rappellerons seulement en deux mots l'observation généralement connue des mauvais effets des fruits verds, que les femmes, les enfans & les estomacs malades appetent par une dépravation de goût, qu'on doit regarder comme vraiment maladive.

Nous ferons encore une observation sur l'usage des fruits en général : c'est que l'opinion commune qui les fait regarder comme une source très ordinaire des maladies épidémiques qui regnent souvent en automne, que cette opinion, dis-je, n'est vraisemblablement qu'une erreur populaire. On a observé que ces maladies n'avoient été ni plus communes, ni plus dangereuses pendant certaines années qui avoient été très-abondantes en fruits de toute espece.

Ce fait important mérite cependant d'être encore éclairci par de nouvelles observations. (b)

FRUITS, (Jurisprud.) ce terme dans sa signification propre ne s'entend que des émolumens qui naissent & renaissent du corps d'une chose, comme les fruits de la terre. Cependant on donne aussi le nom de fruits à certains émolumens qui ne proviennent pas de la chose même, mais qui sont dûs à cause de la chose, tels que les fruits civils.

Les fruits d'un héritage appartiennent au propriétaire, quand même il ne les auroit pas ensemencés : nam omnes fructus jure soli, non jure seminis, percipiuntur ; l. 25. ff. de usuris ; mais il doit rendre les labours & semences.

Le possesseur de bonne foi fait les fruits siens, c'est-à-dire gagne les fruits consumés ; il est seulement obligé de rendre ceux qui sont encore extans, au lieu que le possesseur de mauvaise foi est obligé de rendre même ceux qu'il a perçûs & consumés.

On distingue plusieurs sortes de fruits, savoir :

Fruits ameublis, c'est-à-dire qui sont devenus meubles, soit par la séparation qui en a été faite du fonds, soit après le tems de leur maturité, auquel cas quelques coûtumes les réputent meubles.

Fruits annuels, sont ceux qui se reproduisent chaque année, à la différence des fruits casuels, qui ne viennent qu'extraordinairement.

Fruits artificiels, sont la même chose que les fruits industriaux ; ils sont opposés aux fruits naturels : voyez la loi 22. au code, lib. III. tit. xxxij. On les appelle plus communément fruits industriaux.

Fruits casuels, sont ceux qui n'échéent qu'extraordinairement & par des évenemens imprévûs : tels sont les droits seigneuriaux dûs pour les mutations par succession, vente, ou autrement.

Fruits civils, sont des émolumens que la loi a assimilés à certains égards aux fruits naturels ; de ce nombre sont les loyers des maisons & héritages, les arrérages de rente, les intérêts, & autres profits annuels qui proviennent de la convention des parties ou de la loi ; les fruits casuels sont aussi des fruits civils.

Fruits consumés, sont ceux que le possesseur a perçûs & employés à son usage.

Fruits décimables, sont ceux sujets à la dixme. Voyez DECIMABLE & DIXME.

Fruits échûs, sont des fruits civils dont le droit est acquis à quelqu'un, soit au propriétaire, usufruitier, fermier, ou autre possesseur.

Fruits étroussés : on appelle ainsi dans quelques provinces les fruits adjugés en justice ; étrousse signifie adjudication.

Fruits extans, sont ceux qui subsistent encore, & ne sont pas consumés.

Fruits industriaux, sont ceux que la nature seule ne produit pas, mais qui demandent de la culture & autres soins, comme les blés, & autres grains, le vin, &c. Voyez fruits naturels.

Fruits insolites, sont ceux que l'on ne fait pas venir ordinairement dans le pays, ce qui est relatif à l'usage : car ce qui est insolite dans un lieu ne l'est pas dans un autre ; par exemple, le riz est un fruit insolite aux environs de Paris : il ne l'est pas en Provence.

Fruits naturels, sont ceux que la nature seule produit, & qui ne demandent aucune culture, comme le foin, le bois.

Fruits ordinaires, sont les fruits annuels ; ils sont opposés aux fruits casuels.

Fruits pendans par les racines, sont ceux qui ne sont pas encore séparés du fonds ; ils sont communément réputés immeubles, excepté dans quelques coûtumes, qui les réputent meubles après le tems de leur maturité, comme celle de Normandie, art. 488.

Fruits perçûs, sont ceux que le propriétaire ou possesseur a recueillis ; il ne faut pas confondre les fruits perçûs avec les fruits consumés. Voyez ci-dev. fruits consumés.

Fruits siens, sont ceux que le possesseur gagne en vertu du droit ou possession qu'il a. Le possesseur de bonne foi fait les fruits siens ; le seigneur dominant qui a fait le fief de son vassal par faute d'homme, droits, & devoirs non faits & non payés, fait les fruits siens pendant la main-mise.

Au digeste lib. XXII. tit. j. le traité de fructibus per jo. copum. Voyez la bibliotheque de Jouet, & les décisions de la Peirere, au mot fruits. (A)

FRUIT, en Architecture, c'est une petite diminution de bas en-haut d'un mur, qui cause par dehors une inclinaison peu sensible, le dedans étant à-plomb : & contre-fruit, c'est l'effet contraire. On donne quelquefois du contre-fruit en-dedans, aux murs, quand ils portent des souches de cheminée, afin qu'ils puissent mieux résister à la charge par le double fruit.

FRUITS, ornemens de Sculpture, qui imitent les fruits, & dont on fait des festons, des guirlandes, & des chûtes dans la décoration des bâtimens.

Il s'en voit de fort beaux à la frise composite de la cour du louvre. (P)


FRUITÉadj. enterme de Blason, se dit d'un arbre chargé de fruits.

Moucy d'Inteville, d'or au pain de sinople, fruité d'or au chef d'azur, chargé de trois étoiles d'or.


FRUITERIES. f. (Econ. rustiq.) est le lieu où l'on serre les fruits, bien différent de la serre qui n'est employée qu'à recevoir pendant l'hyver des orangers, des myrthes, & autres arbres délicats.

Une fruiterie doit être bien fabriquée, bien percée, élevée d'environ 10 à 12 piés, éloignée du foin, de la paille, du fumier, du fourrage, des amas de linge sale, exposée au midi ou au levant, avec des murs de deux piés d'épaisseur, des doubles chassis, & des portes ; il y doit entrer peu de jour, & seulement dans la belle saison, pour purifier l'air du dedans ; il faut bien calfeutrer les fenêtres & les portes durant l'hyver, en sorte que l'air étranger ne détruise point l'air tempéré de la fruiterie ; s'il y geloit malgré toutes ces précautions, on couvriroit les fruits avec des couvertures de lits, de matelats, ou on les porteroit dans une cave si le froid étoit long ; pour éviter d'allumer du feu, qui seroit très-nuisible à la conservation des fruits.

Les fruiteries seront entourées de tablettes de 18 pouces de large, & d'un pié de distance, un peu en pente, avec des tringles dans leur bord, qui retiennent les fruits : on les rangera sur du sable fin, sur de la mousse seche, ou sur des feuilles d'arbre plûtôt que sur de la paille. Il est essentiel de mettre des sourricieres, ou de laisser des entrées pour les chats, & de faire de plus une visite journaliere pour ôter les fruits pourris & emporter ceux qui sont mûrs.

Il est bon qu'il y ait dans toute fruiterie une table qui occupe le milieu de la place ; cette commodité est nécessaire pour dresser les diverses corbeilles de fruits qu'on veut servir.

Les pêches, pavies, brugnons, abricots, seront rangés deux ou trois jours avant d'être mangés, sur des feuilles de verjus bien seches, ou sur de la mousse d'arbre, & assises sur l'endroit de leurs queues.

Les poires d'été se rangeront de même sur l'oeil, la queue en-haut.

Les poires d'hyver ne veulent aucun air ; les pommes se mettent dans toute sorte de situation ; & pour qu'elles ne sentent point la paille ou le foin, on les rangera sur du bois.

Les abricots & les prunes resteront dans les mêmes corbeilles où ils ont été mis lors de la cueillée ; de peur de les défleurir, on les entourera de feuilles d'ortie, & on les laissera rafraîchir dans la fruiterie.

Les figues seront rangées sur le côté, & jamais sur l'oeil, où il doit y avoir une larme de syrop ; on les étendra sur des feuilles, & on ne les cueillera jamais en plein soleil.

Les raisins & muscats qu'il faut cueillir un peu verds, seront suspendus au plancher d'un lieu sec.

Les neffles & les cormes se mettent sur la paille pour mûrir.

L'expérience a appris que quand les pommes sont gelées, elles ne veulent point être approchées du feu ni maniées ; elles dégeleront d'elles-mêmes, & reprendront le goût que la gelée leur avoit fait perdre, quoique la Quintinie (page 221. tome II.) dise le contraire.

Au reste la cave ni le grenier ne sont point propres à faire une fruiterie bien entendue : la cave, à cause d'un goût moisi, & d'une chaleur humide qui pourrit tout ; & le grenier, à cause de la trop grande chaleur en été, & en hyver à cause du froid ou des pluies. (K)


FRUITIERadj. (Jardinage) arbre fruitier, voyez ARBRE. Ce mot se dit encore d'un jardin entierement rempli d'arbres à fruits.


FRUMENTAIRES. m. (Hist. mod.) les frumentaires étoient certains officiers établis & départis dans les provinces romaines par les empereurs, pour veiller aux tumultes, mouvemens, séditions, ou conspirations qui viendroient à s'élever dans l'empire, & en avertir le prince. Aurélius Victor les nomme race détestable, à cause des crimes qu'ils inventoient contre des innocens, qui, pour être trop éloignés de la cour, n'avoient pas le moyen de se justifier avant d'être opprimés. Ils porterent si loin leurs faux rapports & leurs calomnies, que Dioclétien les cassa & les abolit ; ils furent succédés par des officiers qu'on appella agentes in rebus ; c'étoient des agens ou couriers des empereurs, dont l'office consistoit à porter les lettres & paquets des empereurs, à voir & visiter toutes les lettres que les empereurs, ou leurs principaux officiers, donnoient à ceux qui couroient sur les grands chemins. (D.J.)


FRUMENTAIRESS. m. pl. (Hist. anc.) étoient dans l'empire d'occident des soldats ou archers.

S. Cyprien dit, dans une de ses lettres, qu'on avoit envoyé des frumentaires pour le prendre.

Il y avoit des frumentaires dès le tems d'Adrien ; Spartien dit, dans la vie de cet empereur, qu'il s'en servoit pour s'instruire de tout.

On ne donnoit auparavant ce nom qu'à des marchands ou des mesureurs de blé.

Les frumentaires dont nous parlons ne faisoient point un corps distingué des autres troupes ; mais il y en avoit un certain nombre dans chaque légion, comme nous avons des compagnies de grenadiers dans chaque régiment. Ainsi dans les anciennes inscriptions, on trouve les frumentaires d'une telle ou telle légion.

On croit que ce furent d'abord de jeunes hommes disposés par Auguste sur tous les grands chemins des provinces, pour avertir promtement l'empereur de tout ce qui se passoit.

Pour cela ils avoient une espece d'intendance sur toutes les voitures ; c'est pourquoi ils étoient chargés de faire porter le blé, frumentum, aux armées ; & c'est de-là que leur vint le nom de frumentaires ; on les incorpora ensuite dans les troupes, où ils retinrent toûjours leur nom.

Leur fonction étoit de donner avis au prince de tout ce qui se passoit, comme ceux qu'on nommoit curieux, curiosi, & auxquels on les joint quelquefois. Voyez CURIEUX. Dict. de Trév. & Chambers.


FRUSTRATOIRE(Jurispr.) se dit d'un acte ou procédure qui ne tend qu'à surprendre quelqu'un, à lui faire perdre son dû, ou à éluder le jugement. (A)


FRUSTUMS. n. (Géom.) terme latin qui signifie morceau, & que quelques auteurs ont employé pour signifier ce que l'on désigne plus communément par le mot tronqué : ainsi ils ont appellé frustum de cone, de pyramide, ce qu'on nomme cône tronqué, pyramide tronquée, &c. Voyez TRONQUE & SEGMENT. (O)


FRUTEX(Jardinage) veut dire arbrisseau. Voy. ARBRE.


FUCAS. m. (Hist. nat. Ictiolog.) poisson de mer assez semblable à la perche ; il y en a de différentes especes & de diverses couleurs ; on le prend sur le rivage parmi les joncs & l'algue. C'est un bon aliment, facile à digérer. Lémery, d'où cet article est tiré, ajoûte qu'il purifie le sang, & pousse par les urines.


FUEG(ISLA DEL-), Géog. ou en françois, l'île de Feu ; île de l'Océan atlantique, & l'une des îles du Cap-verd, à l'occident de la pointe la plus méridionale de San-Jago, & au levant septentrional de l'île de Brava, Les tables hollandoises lui donnent 351d. 48'. de longit. & 14d. 50'. de latit. M. de l'Isle met le bout septentrional de l'île de Feu par les quinze degrés de latitude ; & comme elle peut avoir cinq lieues de vingt au degré dans sa longueur N. & S. il se peut que les Hollandois n'ayent eu égard qu'à la partie méridionale de l'île. Le géographe françois met la longit. 353d. 12'. Au reste, cette île n'est proprement qu'une haute montagne, remarquable par les flammes sulphureuses qu'elle vomit, comme le mont Aethna & le Vésuve, & qui incommodent beaucoup le voisinage : ces flammes ne s'apperçoivent que la nuit ; mais on les voit alors de bien loin en mer. Il sort de l'ouverture quantité de pierres ponces portées par les courans de côté & d'autre, & qui viennent jusqu'à San-Jago. Lisez Dampier & Owington, en attendant mieux. (D.J.)

FUEGO, ou FOGO (ISLE DE-), Géog. cette seconde île de Feu est une île de l'Asie entre le Japon, Formosa, & le Tchekian, province de la Chine. Les tables hollandoises lui donnent 148d. 35'. de longit. & 28d. 5'. de latit. N. (D.J.)


FUENCHEou FOUENTCHÉOU, (Géogr.) grande ville dans la province de Chiknsi, dont elle est la cinquieme métropole, située sur la riviere de Fuen, on fait dans son canton, avec du riz & de la chair de bouc, un breuvage très-fort & très-nourrissant, que les Chinois nomment yangcieu, c'est-à-dire vin de bouc. Le P. Martini donne à Fuencheu 38d. 10'. de latit. longit. 128d. 27'. (D.J.)


FUESSENou FUSSER, en latin Fucena, & par quelques-uns, Abudiacum, (Géog.) petite ville d'Allemagne dans l'évêché d'Augsbourg en Soüabe sur le Leck, à seize lieues S. O. d'Augsbourg. Voyez Zeyler, suev. topogr. Longit. 34d. 10'. latit. 47d. 15'. (D.J.)


FUGALES(Mythol.) fêtes des Romains, que quelques-uns confondent avec les régifuges. Voyez REGIFUGES. Si cela est, les fugales furent instituées en mémoire de l'expulsion des rois & de l'abolition du gouvernement monarchique ; & elles se célebrerent le 24 de Février, après les terminales. Voyez TERMINALES : mais cette opinion n'est pas reçûe généralement. D'autres font venir les fugales de la fuite que prenoit le rex sacrorum hors de la place publique & des comices, après qu'il avoit fait son sacrifice. S. Augustin, le seul auteur qui ait parlé de fugales, dit que les cérémonies en étoient contraires à la pudeur & à l'honnêteté des moeurs ; ce qui a fait penser à Vivès, que c'étoient les mêmes fêtes que les populi-fuges, qu'on célébroit à l'honneur de la déesse de la Réjoüissance, après quelque victoire remportée, & dont on fait remonter la premiere institution au tems de la défaite des Ficulnates, des Fidenates, & des peuples voisins, qui avoient tenté de s'emparer de Rome, après que le peuple s'en fut retiré. Cette entreprise est, à la vérité, la date de l'institution des populi-fuges ; mais la retraite du peuple révolté en fut la cause, comme il est évident à la lecture de Varron. Quoi qu'il en soit, la conjecture de Vivès, qui ne fait des fugales & des populi-fuges qu'une même institution, n'en est pas moins vraisemblable.


FUGITIF(Gramm.) qui s'enfuit, qui s'échappe ; il se prend adjectivement dans cette frase, des circonstances fugitives ; substantivement dans celle-ci, un fugitif. Il se dit aujourd'hui de tout homme qui s'est éloigné de sa patrie, où il n'étoit pas en sûreté, pour quelque cause que ce fût ; il se disoit anciennement d'un esclave qui s'enfuyoit. Si les fugitivains le ramenoient, son maître étoit autorisé par la loi, ou à le faire marquer d'un fer rouge, ou à l'enfermer dans la prison publique, ou à le condamner au moulin, ou à lui couper les muscles des jambes, ou même à lui ôter la vie. Voyez ESCLAVE. Si l'on vendoit un esclave, & qu'il fût sujet à s'enfuir, il paroît par un endroit d'Horace, qu'on étoit obligé d'en avertir.


FUGITIVES(PIECES-) Littérat. on appelle pieces fugitives, tous ces petits ouvrages sérieux ou legers qui s'échappent de la plume & du porte-feuille d'un auteur, en différentes circonstances de sa vie, dont le public joüit d'abord en manuscrit, qui se perdent quelquefois, ou qui recueillis tantôt par l'avarice, tantôt par le bon goût, font ou l'honneur ou la honte de celui qui les a composés. Rien ne peint si bien la vie & le caractere d'un auteur, que ses pieces fugitives : c'est là que se montre l'homme triste ou gai, pesant ou leger, tendre ou sévere, sage ou libertin, méchant ou bon, heureux ou malheureux. On y voit quelquefois toutes ces nuances se succéder ; tant les circonstances qui nous inspirent sont diverses.


FUGUES. f. en Musique, est un chant répété successivement & alternativement par deux ou plusieurs parties, selon certaines regles particulieres qui distinguent la fugue de l'imitation, & dont voici les principales.

I. La fugue procede de la dominante à la tonique, ou de la tonique à la dominante, en montant ou en descendant.

II. Toute fugue a sa réponse dans la partie qui la suit immédiatement, & qui doit en rendre le chant à la quinte ou à la quarte, & par mouvement semblable, le plus exactement qu'il est possible ; procédant de la dominante à la tonique, quand le premier chant a procédé de la tonique à la dominante, ou vice versâ. Une partie peut aussi reprendre ce même chant après l'autre, à l'octave ou à l'unisson : mais alors c'est plûtôt répétition qu'une véritable réponse.

III. Comme l'octave se divise en deux parties inégales, dont l'une comprend quatre degrés en montant de la tonique à la dominante, & l'autre seulement trois, en continuant de monter de la dominante à la tonique ; cela oblige d'avoir égard à cette différence, & de faire quelque changement dans la réponse, pour ne pas quitter les cordes essentielles du mode : c'est autre chose, quand on se propose de changer de ton.

IV. Il faut que la fugue soit dessinée de telle sorte, que la réponse puisse entrer avant la fin du premier chant. C'est se moquer, que de donner pour fugue un chant qu'on ne fait que promener d'une partie à l'autre, sans autre gêne que de l'accompagner ensuite à sa volonté : cela mérite tout-au-plus le nom d'imitation. Voyez IMITATION.

Outre ces regles d'harmonie, qui sont fondamentales, pour réussir dans ce genre de composition, il y en a d'autres qui pour n'être que de goût, n'en sont pas moins essentielles. Les fugues en général servent plus à faire du bruit qu'à produire de beaux chants : c'est pourquoi elles conviennent mieux dans les choeurs que par-tout ailleurs. Or comme leur principal mérite est de fixer toûjours l'auditeur sur le chant principal, qu'on fait passer pour cela incessamment de partie en partie & de modulation en modulation ; le compositeur doit mettre tous ses soins à rendre toujours ce chant bien distinct, & à empêcher qu'il ne soit étouffé ou confondu parmi les autres parties : il y a pour cela deux moyens ; l'un est dans le mouvement qu'il faut sans-cesse contraster ; de sorte que si la marche de la fugue est précipitée, les autres parties procedent posément par des notes longues ; & au contraire, si la fugue marche gravement, que les accompagnemens travaillent davantage. Le second moyen est d'écarter l'harmonie, de peur que les autres parties s'approchant trop de celle qui chante la fugue, ne se confondent avec elle, & ne l'empêchent de se faire entendre assez nettement ; ensorte que ce qui feroit un vice par-tout ailleurs, devient ici une beauté. Les habiles maîtres ont encore soin, pour la même raison, de mettre en jeu des instrumens ou des voix d'especes différentes, afin que chaque partie se distingue mieux. En un mot, dans toute fugue, la confusion est en même tems ce qu'il y a de plus à craindre & de plus difficile à éviter ; & l'on peut dire qu'une belle fugue bien traitée est le chef-d'oeuvre du meilleur harmoniste.

Il y a encore plusieurs autres manieres de fugues, comme les fugues perpétuelles, qu'on appelle canons, les doubles-fugues, les contre-fugues, ou fugues renversées, qu'on peut voir à leurs mots, & qui servent plus à étaler la science du musicien qu'à flatter l'oreille de ceux qui les écoutent.

Fugue vient du latin fuga, fuite, parce que les parties partant ainsi successivement, semblent se fuir & se poursuivre l'une l'autre. (S)


FUIES. f. (Econom. rustiq.) petite voliere qu'on ferme avec un volet, & où chaque particulier peut nourrir des pigeons domestiques. On appelle encore du nom de fuie des colombiers sans couverture. Il y a de ces colombiers dans la Beauce.


FUIR(Gramm.) c'est s'éloigner avec vîtesse, par quelque crainte que ce soit : ce verbe est tantôt actif, comme dans cette phrase, je fuis les ennuyeux ; tantôt neutre, comme dans celle-ci, il vaut mieux s'exposer à périr, que fuir. Il est pris au simple dans les exemples précédens ; au figuré, dans celui-ci, le méchant fuit la lumiere ; il a quelques acceptions détournées. Voyez les deux articles suivans.

FUIR les talons, (Manége) on désigne communément par cette expression, l'action du cheval qui chemine de côté, ses hanches étant assujetties & forcées de suivre le mouvement progressif des épaules, en traçant & en décrivant une seconde piste.

L'utilité & l'avantage de cette action, relativement aux différentes manoeuvres d'une troupe de cavalerie, ne m'arrêteront point ici ; je ne l'envisagerai qu'eu égard à la science du Manége ; & en me bornant à cet objet, je m'attacherai d'une part à dévoiler les moyens mis en pratique pour suggérer ce mouvement à l'animal, & détailler de l'autre ceux qui me paroissent les plus propres & les plus convenables à cet effet.

De tous les tems, la plûpart des maîtres ont imaginé que l'intelligence de la leçon dont il s'agit, dépend en quelque maniere de notre attention à profiter d'abord de la facilité que la muraille semble nous présenter, lorsqu'il est question de limiter les actions du cheval. On l'a par conséquent conduit le long d'un des murs du manége droit d'épaules & de hanches. Là, dans l'intention de travailler ensemble l'une & l'autre extrémité, on a insensiblement engagé la croupe par l'approche plus ou moins forte de la jambe ou du talon de dehors ; & tandis que cette même jambe étoit toute entiere occupée du soin de fixer, de contraindre, & de chasser le derriere en-dedans, la main armée du caveçon, ou des rênes de la bride, entretenoit le mouvement de l'épaule sur ce même côté où l'on se proposoit de porter l'animal. Si les aides de la jambe n'avoient point d'efficacité, on recouroit à celle du pincer ; & dans le cas de l'inutilité & de l'impuissance de celle-ci, on faisoit vivement sentir l'éperon. C'est ainsi que le célebre duc de Newcastle s'explique lui-même, en parlant de la méthode qu'il a suivie à cet égard ; & lorsque le cheval fuyoit les talons aussi facilement à une main qu'à l'autre, il le travailloit éloigné de ce même mur vis-à-vis duquel il l'avoit commencé.

Quelques écuyers, ainsi que quelques-uns de ceux qui ont paru de nos jours, ont encore ajoûté à ces aides & à ce châtiment, pour vaincre avec plus de succès l'impatience de l'animal : les uns ont employé le secours d'un homme à pié, muni d'une chambriere ou même d'un nerf de boeuf, & préposé pour frapper sans pitié sur le flanc répondant à la muraille, à l'effet d'en détacher la croupe, & de la maintenir sur le dedans ; les autres se sont saisis d'une gaule dans chaque main ; ils en attaquoient l'épaule, afin de la déterminer & de la mouvoir sur la main à laquelle ils travailloient ; & si les hanches demeuroient, ils adressoient leurs coups sur les flancs, sans négliger l'approche du talon, tandis qu'un homme pareillement à pié & placé du côté opposé à celui où ils tendoient, dirigeoit ceux de la gaule dont il étoit pourvû sur la poitrine à l'endroit des sangles, quand l'épaule n'obéissoit pas, & sur les fesses, quand le derriere étoit rébelle.

Il en est qui ont tenté de réussir par une autre voie : ceux-ci ne se donnoient pas la peine de monter le cheval pour l'exercer ; ils le rangeoient la tête au mur, un homme de chaque côté tenant une longe du caveçon, laquelle avoit deux ou trois aunes de longueur. Celui qui se trouvoit sur la main, où il étoit question d'aller, tiroit fortement à lui la tête de l'animal ; & dans l'instant que l'épaule portée, par exemple, à droite, la croupe se disposoit à fuir à gauche, l'écuyer qui suivoit attentivement s'opposoit au mouvement de cette partie ; il la déterminoit dans le sens du devant, par le moyen du châtiment, & l'empêchoit d'échapper.

D'autres enfin, & de ce nombre sont Pluvinel & la Noue, ont préféré la leçon du cercle à celle de la muraille. Dans le centre de ce cercle, étoit un pilier auquel ils attachoient l'animal, la tête en étant plus ou moins éloignée : le cavalier l'aidoit tant de la main & de la gaule que de la jambe & du talon. Il l'arrêtoit de tems en tems, & lui demandoit ensuite quelques pas semblables au premier ; il le reprenoit sur l'autre jambe, & cherchoit à lui en faire entendre le tems, l'aide, & l'avertissement : après quoi, pour le confirmer dans l'habitude qu'il lui avoit donnée par ce moyen, il le promenoit en liberté sur un autre cercle qu'il lui faisoit d'abord reconnoître sans le contraindre. Ce cercle suffisamment reconnu, le cavalier faisoit insensiblement effort de la jambe & du talon, & il aidoit de la gaule, à l'effet de mettre le cheval de côté ; le devant étant toûjours un peu plus avancé sur la circonférence de la volte, que le derriere ; & le cercle tracé, il l'arrêtoit pour le remettre sur l'autre main ; enfin il parvenoit à le travailler de suite à l'une & à l'autre.

Quelle que puisse être la réputation de ceux qui ont adopté ces diverses méthodes, j'oserai en proposer une autre, persuadé que l'autorité des plus grands noms est un vain titre contre la raison & l'expérience.

A en juger par les efforts & par les précautions des maîtres dont j'ai parlé, on devroit envisager l'action dont il s'agit, comme une de celles qui coûtent le plus à l'animal ; la difficulté qu'il a de s'y soûmettre ; le sentiment desagréable qu'elle paroît lui faire éprouver, semblent en offrir les plus fortes preuves. Nous conviendrons que quoique la nature ait construit & combiné ses ressorts de maniere à lui en permettre l'exécution, le mouvement qui opere en-avant le transport de son corps, lui est infiniment plus facile que celui qui le porte & le meut entierement de côté : mais cette observation & cet aveu ne peuvent que confirmer de plus en plus dans la persuasion où l'on doit être, de la nécessité de profiter des ressources de l'art, & des secours de l'habitude, pour favoriser & pour perfectionner des déterminations primitives. Il est une gradation dans le développement des membres, comme il en est une dans leur accroissement ; c'est dans la science de cette gradation que résident les principes d'une saine théorie. Il ne suffit pas en effet de connoître ce que l'animal peut, il faut encore discerner les voies les plus propres à assouplir insensiblement les fibres destinées à l'exercice des opérations possibles, ainsi que les actes réitérés qui les rendront successivement capables de telle ou telle action, selon un certain ordre, & un certain enchaînement naturel. Tel mouvement conduit à un autre mouvement. Le passage de l'un à l'autre n'est pénible qu'autant qu'il est trop subit. L'animal ne se déplaira point dans le jeu de ses organes ; & ce jeu pour être excité n'aura pas besoin de l'impression de la force & de la violence, dès que les conditions sous lesquelles il peut être sollicité, seront exactement suivies, c'est-à-dire dès qu'il sera, s'il m'est permis de m'expliquer ainsi, en raison composée de la disposition premiere & de la disposition acquise de ces mêmes organes. J'entends par disposition acquise, celle qui résulte de la répétition d'une action, dont les rapports avec une nouvelle action demandée, sont évidens ; & si, eu égard au mouvement dont je traite ici, je recherche les actions qui lui étant relatives peuvent par leur nature y préparer le cheval, je les trouverai sans-doute dans celles que suggerent les leçons qui tendent à procurer la souplesse des épaules, & un commencement d'union. Voyez UNION. Ces leçons administrées 1° sur les cercles, 2° sur le quarré représenté par le manége, non-seulement invitent l'omoplate & l'humerus au mouvement circulaire dont ces parties sont susceptibles, mais elles contraignent, lorsque ce mouvement est bien effectué, les extrémités postérieures à un retrécissement, d'où naît de la part de ces extrémités une propension à chevaler, puisque la foulée de l'une des jambes de derriere se rencontre toûjours au-devant de la piste de celle qui l'avoisine. V. EPAULE. Or l'action de cheminer de côté, soit au pas, soit au trot, ne pouvant être accomplie qu'autant que les membres du devant & du derriere croiseront successivement, & que chaque jambe de dehors passera sur chaque jambe de dedans qui forme sa paire ou qui lui répond, il s'ensuit que le mouvement qui y a le plus de rapport & d'affinité, est sans contestation celui que les leçons dont je viens d'examiner les effets sollicitent ; d'où, par une conséquence nécessaire, on peut juger de l'importance d'y exercer parfaitement & long-tems l'animal, avant de tenter & d'entreprendre de lui faire fuir les talons. Supposons à-présent que nous soyons assurés de la liberté & de la franchise de ses membres, dans le sens où leur articulation sphéroïde leur permet de se mouvoir, nous débuterons par l'observation des lignes qui traçant de simples, conduisent à des changemens de main étroits. Nous maintiendrons d'abord scrupuleusement l'animal droit de tête, d'épaules & de hanches, sur celles de ces lignes qui sont droites, ainsi que sur la ligne oblique, que nous devons décrire pour arriver au mur. Ces demi-voltes exécutées avec précision à chaque main, nous commencerons à engager legerement la croupe, lorsque nous parviendrons sur cette derniere ligne, en dirigeant la rêne de dedans en-dehors, c'est-à-dire en la croisant de maniere à rejetter foiblement néanmoins l'épaule de dedans sur le dehors, & à assujettir proportionnément par ce moyen les hanches, naturellement portées à se déterminer toûjours dans une direction opposée à celle du devant. Dans cet état le corps de l'animal chemine dans un degré d'obliquité imperceptible ; & les pistes de ses extrémités antérieures & postérieures sont telles, que la ligne oblique qui passoit auparavant entre ses quatre jambes sur sa longueur, se trouve foulée par celle de dedans de devant, & par celle de dehors de derriere. A proportion de la facilité que le cheval acquiert par un travail réitéré & assidu, ce degré d'obliquité doit à l'une & à l'autre main, accroître insensiblement, jusqu'à ce que la foulée du pié antérieur de dehors s'effectue toûjours & à chaque pas, de maniere que si depuis cette foulée on tiroit une ligne droite en-arriere, cette même ligne répondroit au milieu de la piste tracée par les extrémités postérieures ; car les épaules dans cette action, doivent constamment précéder les hanches. Pour y parvenir, il s'agit d'augmenter insensiblement aussi la force de la rêne de dedans, qui doit captiver la croupe, en observant sans-cesse de la croiser de telle sorte que la résistance ne cede que graduellement à l'effort de la puissance ; & comme l'effet de cette même rêne agissant seule, & portée sur le dehors à un certain point, s'imprimeroit avec trop de violence sur les épaules, & que celle de dehors se trouveroit dès-lors si contrainte & si retenue, qu'il ne seroit pas possible à l'animal de chevaler, & qu'il s'entableroit infailliblement ; il est indispensable à mesure qu'il présente de plus en plus le flanc sur le côté où il est mû, de croiser & de mettre en oeuvre la rêne de dehors, dont l'office sera de porter continuellement la jambe de dehors sur celle de dedans, la rêne de dedans demeurant chargée de s'opposer à la sortie de la croupe. C'est ici que se manifestent principalement la nécessité & l'importance de saisir avec précision les tems des jambes. Les rênes, ces muscles artificiels, si je peux employer cette expression, n'ont d'efficacité qu'autant que la disposition actuelle des membres favorise la possibilité de l'action à laquelle elles doivent déterminer. Vainement les jambes seront-elles sollicitées dans l'instant de leur chûte, à suivre une autre direction que celle qui les attire sur le sol sur lequel elles descendent, & sur lequel elles sont en voie de se poser. Il faut donc absolument, & pour ne point faire violence à la nature, profiter des momens rapides & successifs, où elles seront dans leur soûtien. Celle de dehors est-elle en l'air, celle de dedans est à terre. Croisez la rêne de dehors en-dedans, l'épaule de dehors obligée au mouvement circulaire de la faculté duquel elle est doüée, l'extrémité qu'elle dirige sera nécessitée de passer sur celle qui repose. Celle-ci est-elle élevée à son tour, agissez de la rêne de dedans, mais en raison du mouvement que vous vous proposez de suggérer à la jambe du même côté, & opérez avec cette activité, cette finesse & cette subtilité qu'exigent les tems des deux rênes ; tems qui peuvent échapper d'autant plus aisément, qu'ils sont, ainsi qu'on doit le comprendre, extrêmement près & voisins l'un de l'autre.

Jusqu'à-présent nous ne nous sommes occupés que des aides de la main : celles des jambes du cavalier seroient-elles donc inutiles ? Je n'ai garde de les envisager comme telles ; mais en me défendant des piéges du préjugé, je les regarde simplement comme des aides nécessaires ou auxiliaires, à-moins qu'il ne soit besoin de déterminer la machine en-avant ; car ce n'est que dans ce cas qu'elles doivent être tenues pour des aides capitales. Voyez MANEGE. Or dans la supposition où le cheval se seroit retenu lors de mes premieres opérations, j'aurois approché mes jambes à l'effet de le resoudre, tandis que ma main auroit toûjours conduit & reglé les mouvemens des membres ; & si ma rêne de dedans n'avoit pû contenir les hanches, & empêcher le cheval de devuider, j'aurois d'abord & sur le champ mis à moi la rêne de dehors, sans cesser de croiser l'autre dont j'aurois accru la tension ; & je n'aurois fait usage de ma jambe de dehors, que dans la circonstance de l'insuffisance de ces deux premiers agens.

Cet exercice sur les changemens de main étroits, pratiqué assez constamment pour frapper l'intelligence du cheval, & pour le confirmer dans l'exécution de cette leçon, on lui proposera des changemens de main larges. De ces changemens de main larges, on le conduira sur des cercles plus ou moins étendus, en cherchant à le rendre également libre aux deux mains ; & enfin on le travaillera de la même maniere, la tête ou la croupe au mur ; la tête au mur s'il tire, s'il pese, s'il a de l'ardeur, parce que par ce moyen il sera forcé de se rassembler, de s'allégerir & de s'appaiser avec moins d'aide de la bride, & non s'il a de la disposition à être rétif ou ramingue ; car les leçons étroites & si fort limitées le rappelleroient à son vice naturel. Ses progrès doivent au surplus nous décider, eu égard au tems où il convient de susciter le pli auquel la souplesse de son encolure le dispose, & d'exiger que sa tête soit toûjours fixée sur le dedans. Ce pli est non-seulement nécessaire à la grace, mais à l'aisance & à la liberté de l'action du devant, puisqu'il ne peut avoir lieu que la jambe de dedans ne soit portée en-arriere, & que celle de dehors n'ait par conséquent plus de facilité à chevaler & à croiser. Il sera imprimé par la tension de la rêne de dedans, dirigée d'abord près du corps du cavalier, & croisée subtilement ensuite ; car une partie de l'effet de sa direction au corps du cavalier, tendroit inévitablement à chasser la croupe sur le dehors, & il est besoin que cette partie de son effet soit détruite par le port de cette même rêne en-dehors. Du reste le cheval dans les commencemens doit être plié foiblement ; & on ne doit l'habituer qu'insensiblement & peu-à-peu, à regarder ainsi dans le dedans, vû la contrainte dans laquelle le jette le racourcissement que le pli occasionne, & le retrécissement de ses hanches qui se trouvent alors extrêmement pressées. Si ce retrécissement est tel qu'elles soient prêtes à échapper, elles pourront être contenues par la tension de la rêne de dehors, rapprochée du corps du cavalier, dans l'instant même où l'animal alloit les dérober, & par la précision avec laquelle la rêne de dedans sera croisée ; précision qui suppose dans l'une & dans l'autre une proportion exacte, mais très-difficile à rencontrer. Enfin dans le cas où l'animal se retiendra, les aides des jambes l'en détourneront, & même celles de la jambe du dehors secourront celles de la main, si elles étoient impuissantes.

Je terminerai cet article par quelques réflexions très-simples, que je me dispenserai d'étendre, sur la pratique de ceux qui font fuir au cheval la gaule, la chambriere, ou le nerf de boeuf, plutôt que les talons.

Il n'est pas douteux, en premier lieu, que l'action de l'animal sur une ligne vis-à-vis de la muraille, ne lui coûte infiniment davantage qu'une action moins bornée, & dans laquelle ses membres moins assujettis joüissent de la liberté de se ployer en avant. Or je n'apperçois aucune raison capable de justifier ceux qui préferent d'abord cette ligne aux lignes obliques ou diagonales.

En second lieu, l'idée d'employer continuellement la jambe & même le talon, & de leur confier le soin entier de maîtriser l'arriere-main (abstraction faite de l'endurcissement même qui en résulte de la part de l'animal, & de l'action de quoüiller, que de semblables aides occasionnent), me paroît peu conforme à celle que l'on doit concevoir du système de ses mouvemens, lorsque l'on consulte sa structure. La correspondance des épaules & des hanches est intime. Celles-ci fuient naturellement du côté opposé à celui où les premieres sont mûes, & les premieres tendent toûjours au sens opposé à celui où les secondes sont portées. La propension qu'elles ont à ce mouvement contraire, est rachetée par la faculté dont les membres sont doüés, conséquemment à leurs articulations sphéroïdes, de croiser les uns sur les autres ; & c'est par ce moyen que l'action progressive peut être effectuée de côté : mais cette propension est toûjours telle, que la dépendance du devant & du derriere ne cesse point, & que la contrainte de l'un entraîne la contrainte absolue de l'autre. Or si lorsque j'entreprends de les mouvoir ensemble dans un même sens, je captive le devant par l'action de ma main, & le derriere en même tems par l'action plus ou moins violente de ma jambe, & par les châtimens que l'on substitue à cette action, dans le cas de son insuffisance, il est certain que toute la machine se trouve entreprise par la contrariété des effets qui suivent de ces différentes aides ; les hanches chassées & poussées sur le dedans, l'épaule que la main veut y porter est retenue sur le dehors, tout le corps se roidit, les membres ne joüissent plus de leur liberté, & l'animal se livre aux desordres que lui inspire la difficulté d'un mouvement, dont l'exécution, bien loin d'être facilitée, lui devient comme impossible. Il arrive encore que lorsque l'on est parvenu par un excès de force & de rigueur, & aux dépens de ses ressorts affoiblis par la gêne & par le travail, à l'habituer à l'obéissance & à le soûmettre par la voie dont il est question, à ce transport de biais & de côté, il est rare que son action soit exactement juste & mesurée, le cheval s'atteint & heurte fréquemment d'un sabot l'un sur l'autre. On remarque toûjours le peu d'aisance avec laquelle l'épaule & le bras accomplissent le mouvement en rond, d'où résulte celui de chevaler ; il se plie, il se couche dans la volte, il pousse la côte, il s'accule, il s'entable, il croise dessous de tems-en-tems, au lieu de croiser dessus ; il se traverse, il n'embrasse jamais assez de terrein ; on est obligé de le presser pour l'engager à décrire une diagonale ; ses hanches enfin précedent continuellement le devant ; & l'on peut dire que le cavalier ne regle en aucune façon son action, puisqu'il ne dispose point à son gré les membres sur le lieu même où ils doivent se poser, & qu'il le pousse plutôt qu'il ne le conduit. Tels sont en général les défauts qu'il est très-facile d'observer dans un nombre infini de chevaux exercés dans la plûpart de nos manéges. Ils ne naissent véritablement que de l'emploi dur, cruel & mal-entendu des jambes, que l'on charge trop inconsidérément d'une grande partie des opérations que l'on doit attendre de la précision, de la finesse, de la sagacité de la main, tandis qu'elles ne devroient que la seconder dans ses effets, lorsqu'ils sont combattus par la résistance de l'animal. J'avoue que cette maniere de le travailler n'est pas propre à le conduire à l'intelligence des aides qu'elles peuvent fournir ; mais les exercices qui ont eu pour objet de le déterminer & de le resoudre, ainsi que l'action du pas écouté, & du passage par le droit qui a précédé cette leçon, ont dû la lui suggérer. D'ailleurs pourroit-on lui imprimer la connoissance de toutes les gradations de ces mêmes aides dans un mouvement aussi pénible pour lui, & qui exige constamment non-seulement l'approche la plus vive de la part de la partie qui doit aider, mais encore des châtimens & des secours étrangers ?

Le cheval peut encore cheminer de côté dans des autres allures que dans celle du passage ; & même dans les airs relevés. Voyez les articles concernant ces airs & ces allures. (e)

FUIR ; il se dit en Peinture, des objets qui dans le lointain d'un tableau, s'éloignent naturellement des yeux : il faut faire fuir cette partie. On fait fuir les objets dans un tableau, en les diminuant de grandeur, de vivacité de couleur, c'est-à-dire en les faisant participer de celle de l'air, qui est entre l'oeil & l'objet, & en les prononçant moins que ceux qui sont sur le devant. (R)


FUITES. f. c'est l'action de fuir. Voyez l'article FUIR.

FUITE, (Art milit.) action promte & machinale par laquelle un être animé s'éloigne de quelque objet dont la vûe lui fait éprouver un sentiment de crainte, d'horreur, ou d'antipathie.

Fuite, à la guerre, est un mouvement rétrograde, précipité, fait malgré tous les chefs d'une armée, & par lequel le soldat cherche à se dérober aux périls d'un combat ; ce mot exprime l'acte des différens particuliers qui fuient, & non l'acte général de toute une armée. Quand la fuite se prolonge & devient universelle, elle prend le nom de déroute : une déroute est donc l'état d'une armée dont tous les membres ont abandonné le poste qu'ils devoient occuper, & dont les soldats dispersés ne peuvent plus se rallier.

Exemple. Dans le moment où les soldats prennent la fuite, la fermeté de leurs officiers peut les arrêter, dissiper leur frayeur, & les faire revenir au combat. Quand ils ont abandonné leurs camarades & leurs drapeaux ; que tous sont occupés du seul intérêt de leur conservation particuliere, on dit que l'armée est en déroute ; & rien alors ne la peut sauver, à-moins qu'un obstacle insurmontable ne l'arrête malgré elle, & ne la force à se rassembler avant qu'elle ait été jointe par son ennemi. Voyez l'art. FUYARDS. Article de M. LIEBAULT.

FUITE, (Jurisprud.) en termes de Palais, signifie un détour employé par une partie ou par son procureur, pour éloigner le jugement ; comme quand on affecte de demander des copies ou communication de pieces que l'on connoît bien. Ces fuites sont des chicanes très-odieuses. (A)


FULA(Hist. nat. bot.) plante très-aromatique qui croît à la Chine sur le bord de quelques rivieres ; elle porte des fleurs jaunes comme du safran qui ont l'odeur du musc, & qui ressemblent à des tulipes. La racine est noire & fort grosse ; il en part une forte tige de trois à quatre piés de hauteur ; la feuille ressemble assez à celle de la vigne. Hubner, dictionn. univers.


FULDEFulda, (Géog.) ville & abbaye célebre d'Allemagne érigée en évêché depuis peu d'années, au cercle du haut Rhin, sur une riviere de même nom. L'évêque abbé de Fulde est le dernier des princes évêques d'Allemagne, mais le premier des princes abbés de l'Empire ; il porte le titre d'archi-chancelier de l'impératrice : comme abbé, il relevoit immédiatement du S. Siége. L'abbaye de Fulde est très-riche ; elle fut fondée par S. Boniface, apôtre de l'Allemagne & archevêque de Mayence ; elle est de l'ordre de S. Benoît. Il faut faire preuve de noblesse pour être admis dans cette maison d'humilité ; & les moines, devenus chanoines aujourd'hui, élisent un d'entr'eux pour remplir la place d'évêque-abbé, lorsqu'elle est vacante. Long. 27. 28. latit. 50. 40.


FULGORAS. f. (Myth.) divinité qui présidoit aux éclairs, aux foudres, & aux tonnerres ; Seneque en fait une veuve : il ne faut pas la confondre avec Jupiter, qu'on invoquoit sous le nom de fulgur ou de Jupiter éclair.


FULGURATIONS. f. fulmen, coruscatio. (Chimie, Métallurgie) Voyez ÉCLAIR, AFFINAGE, & ESSAI.


FULGURITEfulguritum, (Hist. anc.) c'est ainsi que les Latins appelloient les lieux ou les objets frappés de la foudre, quasi fulgure ictum ; ils étoient sacrés par accident : on ne pouvoit plus les employer à des usages profanes. On y élevoit un autel sur lequel on sacrifioit des brebis de deux ans, ce qui faisoit encore appeller le lieu frappé de la foudre, du nom de bidental. Les grecs plaçoient sur cet autel une urne ouverte dans laquelle ils renfermoient les restes des choses que la foudre avoit noircies ou brûlées ; coûtume que les Romains adopterent : les augures étoient chargés de cette fonction. Quant à la purification des arbres foudroyés, elle étoit commise à des hommes particuliers connus sous le nom de strufertarii. On ne brûloit point à l'ordinaire les corps de ceux qui avoient péri par la foudre. La loi de Numa ordonnoit qu'ils fussent enterrés sur le lieu même de l'accident : fouler aux piés leur sépulture, étoit sinon un crime, du-moins un acte irreligieux pour lequel il y avoit des expiations & lustrations prescrites. Voyez EXPIATION & LUSTRATION.


FULIGINEUXadj. (Phys.) épithete qu'on donne à une fumée ou vapeur épaisse remplie de suie ou autre matiere crasse. Voyez FUMEE, SUIE, PEURPEUR.

Ce mot vient du latin fuligo, suie ; on l'employe rarement sans le joindre à vapeur.

Dès que les métaux se mettent en fusion, il s'en éleve beaucoup de vapeurs fuligineuses, qui étant retenues & ramassées, forment ce que nous appellons litharge.

Le noir de fumée est ce qu'on ramasse des vapeurs fuligineuses qui s'élevent des substances résineuses qu'on brûle. Voyez NOIR DE FUMEE. Chambers.

FULIGINEUX, adj. (Méd.) est une épithete employée par les anciens pour désigner certaines humeurs subtiles qu'ils imaginoient pouvoir être portées sous forme de fumée, de vapeurs, des visceres des hypochondres au cerveau. Voyez PASSION HYPOCHONDRIAQUE, HYSTERIQUE, VAPEURS, (d)


FULMINATIONS. f. (Chimie) c'est l'action d'un corps qui en conséquence de la chaleur qu'on lui applique, s'écarte rapidement & avec fracas, & qui est capable de l'imprimer à ceux qu'il rencontre ; ce qu'on appelle explosion : telle est l'action de l'or fulminant, de la poudre fulminante, de la poudre à canon, &c. La fulmination ne differe donc de la détonation qu'en degré de force ; c'est une détonation portée à l'excès, soit par la nature du corps même qui détonne, soit par sa quantité ou par les obstacles qu'il rencontre ; toutes causes capables de changer l'une en l'autre. Ainsi le mélange qui fait les flux noir & blanc, détonne simplement ; de même que celui qui constitue la poudre à canon, pourvû toutefois que cette poudre soit en petite quantité & à l'air libre. Mais la poudre fulminante & l'or fulminant ne détonnent pas simplement ; en sorte que c'est à juste titre qu'on les a qualifiés de la sorte. Lefevre a confondu mal-à-propos la fulmination avec la fulguration, outre qu'il en donne une définition fausse dans tous ses points. Voyez OR FULMINANT, POUDRE FULMINANTE, POUDRE A CANON, DETONATION, VAPEURS, EXPANSION. Article de M. DE VILLIERS.

FULMINATION, (Jurisprud.) est une sentence d'un évêque ou d'un official ou autre ecclésiastique qui est délégué par le pape à cet effet ; laquelle sentence homologue, c'est-à-dire ordonne l'exécution de quelques bulles, dispenses, ou autres rescrits de cour de Rome.

La fulmination de ces sortes d'actes doit être faite dans le diocèse où l'on veut s'en servir.

Celle des bulles des évêques, abbés, & abbesses, des dispenses de mariage, des signatures portant dispenses d'irrégularité des rescrits de réclamation de voeux, ou contre les ordres sacrés, de translation d'un religieux & autres semblables, sont ordinairement adressés à l'official diocésain. Voyez la Jurisprudence canonique de Lacombe, au mot official, & le diction. des arrêts, au mot bulles, n°. 9.

On dit aussi, fulminer une excommunication, c'est-à-dire la prononcer. Suivant le pontifical, l'évêque qui la prononce est en habits pontificaux, & accompagné de douze prêtres en surplis : après que la sentence est prononcée, ils jettent à terre les cierges qu'ils tenoient allumés. Voyez Eveillon, en son traité des excommunications. (A)


FULMINER(Chimie) Voyez FULMINATION.


FUM-CHIM(Géog.) petite ville de la province de Kiansi. Sa long. suivant le P. Noël, 152d. 13'. 30". & suivant d'autres observations plus récentes, 141d. 5'. sa latit. 28d. 5'. (D.J.)


FUMAGES. m. (Jurispr.) est un droit dû à quelques seigneurs sur les étrangers faisant feu & fumée dans leur seigneurie : le seigneur de Chevre en Bretagne joüit de ce droit. Voyez FOUAGE & FOURNAGE. (A)


FUMÉES. f. (Physique) on appelle ainsi cette vapeur plus ou moins sensible & plus ou moins épaisse qui s'éleve de la surface des corps qui brûlent. Elle est composée des parties les plus grossieres qui servent à l'aliment du feu dans le corps combustible ; savoir des parties terrestres, oléagineuses, aqueuses, & salines. Par conséquent, elle n'est pas fort différente de la flamme (voyez FLAMME) ; & elle peut facilement se convertir en flamme, dès qu'on y joint un peu de feu : c'est pour cela qu'on peut faire prendre flamme avec très-peu de feu à du bois qui fume beaucoup. Comme il y a dans la fumée des parties qui ne peuvent servir de nourriture au feu, telles que les vapeurs, les sels, & la terre ; il est nécessaire que la fumée puisse se dissiper librement, pour que le feu subsiste. Voyez FEU, & l'essai de Physique de Musschenbroeck, ch. xxvj. Voyez aussi CHEMINEE. (O)

FUMEE, (Médecine) Voyez VAPEURS.

FUMEE, (Vénerie) on prend des lapins à la fumée du soufre.

FUMEES sont les fientes des bêtes fauves, & l'on en remarque de trois sortes ; fumées formées, fumées en troches, & fumées en plateaux.

En Avril & Mai, les fumées sont en plateaux ; en Juin & jusque vers la mi-Juillet, elles sont en troches ; & depuis la mi-Juillet jusqu'à la fin d'Août, elles sont formées en noeud.


FUMERvoyez FUMEE.

FUMER, (Chimie, Métallurgie) faire fumer l'antimoine ; c'est fondre un régule d'antimoine tenant de l'or, & l'élever en fleur par le vent d'un soufflet. Dans la purification de l'or par l'antimoine, on se sert d'un creuset qu'on place au fourneau de fusion : ce demi-métal fondu se dissipe assez par l'action de l'air & du feu ; mais beaucoup plus vîte, quand on y joint le vent d'un soufflet à main. L'artiste lui adapte pour lors un tuyau courbe, afin de n'être pas obligé d'avoir les bras continuellement levés, & de n'être pas incommodé par la chaleur. Il est aisé de concevoir que cette opération doit se faire à l'air libre, & que le bain doit être bien liquide. Au défaut d'un fourneau de fusion, on a recours à la forge, dont on anime le feu avec le gros soufflet, indépendamment du soufflet à main dont on dirige toûjours le vent sur le bain. Au lieu d'un creuset, on peut encore employer un bon scorificatoire à fond plat, & l'opération en va plus vîte, parce que le bain a plus de contact avec l'air, en conséquence de sa plus grande étendue : mais la perte de l'or est plus considérable, surtout quand il est joint à une grande quantité d'antimoine. C'est ainsi qu'on sépare ce demi-métal de l'or : mais il n'est pas possible de dissiper le reste de la partie réguline, qu'en tenant le mélange long-tems dans un scorificatoire sur un feu vif, & le soufflant fortement ; à moins qu'on n'ait recours à la cémentation, ou qu'on ne fonde l'or avec le nitre & le borax. Cramer. Si on étoit tenté de retenir les fleurs d'antimoine, pour savoir si elles contiennent de l'or, on pourroit avoir recours à un appareil que donne Libavius, part. I. lib. III. pag. 279. Il consiste en un vaisseau elliptique, à chaque sommet duquel il y a un tuyau, l'un pour recevoir celui du soufflet, & l'autre pour conduire les fleurs dans un grand pot de terre placé à côté du fourneau. Ce pot est fermé d'un couvercle ; & le vaisseau elliptique qu'on couche dans le fourneau de fusion, a aussi une ouverture qu'on ferme encore exactement sans-doute : on met des charbons ardens dessus & dessous. Libavius croit trouver des vestiges de la description de ce vaisseau dans Dioscoride : mais reste à savoir si cet appareil peut aller ; & s'il ne faut point quelque issue au pot de terre qui reçoit les fleurs, pour le jeu de l'air. Si l'on veut savoir en quel état est cette chaux d'antimoine, on peut consulter la section antimoine diaphorétique, à l'article FONDANT DE ROTROU. Voyez OR, AFFINAGE, PURIFICATION, PRECIPITATION, TIMOINEOINE. Article de M. DE VILLIERS.

FUMER, (Chimie, Métallurgie) se dit en ce sens, faire fumer une coupelle, ou l'évaporer. Voyez ESSAI & ÉVAPORER.

FUMER, (Jardin) c'est engraisser les terres. Voy. ENGRAIS.

FUMER, BOUCANER, SORRETER, SORIRE, des harengs, sardines, &c. termes synonymes de Pêche. Voyez SORER.


FUMETS. m. (Vénerie & Cuisine) vapeur particuliere qui s'exhale de l'animal crud ou cuit, & qui désigne sa bonté, à l'odorat du connoisseur en gibier.


FUMETERRES. f. fumaria, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleurs polypétales, anomales, ressemblantes aux fleurs légumineuses, & composées de deux pétales qui ont en quelque façon la forme de deux levres ; celle du dessus est terminée par une sorte de queue, & est unie à la levre du dessous, à l'endroit du pédicule. Le pistil est enveloppé d'une gaine & situé entre ces deux levres, comme une sorte de langue ; il devient dans la suite un fruit membraneux, qui est plus ou moins allongé, & qui renferme une semence arrondie. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

On compte dix à douze especes de fumeterre, entre lesquelles il suffira de décrire ici la principale fumaria vulgaris offic. C. Bauh. pinac. 143. Tournef. inst. 422. Boerh. ind. A. 308. Park. 287. J. Bauh. 3. 201. Ray, hist. 405. synop. 3. 204.

Sa racine est menue, blanche, peu fibreuse, plongée perpendiculairement dans la terre : sa tige, ou ses tiges sont partagées en plusieurs branches anguleuses, creuses, lisses, de couleur en partie purpurine & en partie d'un blanc verdâtre ; ses feuilles inférieures sont alternes, portées sur de longues queues, un peu larges & anguleuses, d'un verd de mer, & finement découpées, comme les feuilles de quelques plantes à fleur en parasol. Ses fleurs sont ramassées en un épi qui ne sort pas de l'aisselle des feuilles, mais du côté opposé ; elles sont petites, oblongues, de plusieurs pieces irrégulieres, semblables aux fleurs légumineuses. Elles sont composées seulement de deux feuilles qui forment une maniere de gueule à deux mâchoires, dont la supérieure finit en derriere par une queue, & l'inférieure est articulée avec elle dans l'endroit où l'une & l'autre tiennent au pédicule. On trouve dans le palais qui est le creux d'entre les deux mâchoires, un pistil enveloppé d'une gaine, & accompagné de quelques étamines garnies de sommets. A chaque fleur succede un fruit membraneux, arrondi, qui renferme une très-petite graine ronde, d'un verd foncé, d'une saveur amere & desagréable. Cette plante vient naturellement dans les champs, les terres labourées, & dans les endroits cultivés. Elle fleurit en Mai, & est toute d'usage, sur-tout lorsqu'elle est fleurie. Voyez FUMETERRE, (Mat. med.) (D.J.)

FUMETERRE, (Pharmacie, Mat. med.) cette plante est une de celles qui sont appellées ameres par excellence. La fumeterre fraîche entre dans les infusions, les décoctions, & les bouillons appellés amers : on en exprime le suc, que l'on clarifie par ébullition ou par défécation. Voyez SUC.

On tient aussi dans les boutiques l'extrait de cette plante, qui se prépare en faisant évaporer au bain-marie le suc exprimé & clarifié jusqu'à la consistance requise. Voyez EXTRAIT.

La fumeterre est une plante à laquelle on attribue de grandes vertus ; elle est recommandée dans les obstructions, dans la rétention des regles & des urines ; elle passe pour fortifier l'estomac & les visceres ; elle est presque toûjours un des ingrédiens des remedes qu'on prescrit dans la cachexie, les maladies chroniques, hypochondriaques, scorbutiques, la mélancolie, la jaunisse, &c. Riviere & Ettmuller la recommandent beaucoup dans la cachexie & la mélancolie.

Cette plante est vantée comme un spécifique pour guérir la gale, même la plus invétérée : on en fait infuser une poignée dans du petit lait, qu'on fait prendre au malade ; ou bien on en donne le suc exprimé & clarifié, à la dose de 2, 3, 4 onces : elle procure de très-bons effets dans toutes les maladies de la peau ; elle est aussi réputée fébrifuge ; & on la mêle avec les autres remedes de cette classe. Le suc exprimé de cette plante se prescrit souvent & avec succès dans le scorbut ; on le mêle avec celui de cresson, de cochléaria, &c.

L'extrait est très-souvent employé dans les opiates apéritives, antictériques, & fébrifuges.

La fumeterre nous fournit, comme nous l'avons dit, plusieurs bons remedes, son suc, son extrait, &c. outre cela, on prépare avec son suc un sirop qu'on peut fort facilement faire prendre aux enfans auxquels on croit cette plante nécessaire. On distilloit autrefois cette plante ; & l'eau que l'on retiroit passoit pour être diurétique & sudorifique : mais cette eau ne se fait plus ; & en effet la fumeterre n'est pas d'une nature à être distillée. Voyez EAU DISTILLEE.

La fumeterre entre dans le syrop de chicorée composé ; le suc de cette plante entre dans l'électuaire de psyllium, dans les pilules angéliques : son extrait est prescrit dans la confection hamech & dans les pilules de Stahl. (b)


FUMEUXadj. (Gramm.) épithete qu'on ne donne guere qu'à certains vins mal-faisans qui portent à la tête, avec quelque modération qu'on en boive.


FUMIERS. f. (Econom. rustiq.) c'est un mélange des excrémens du bétail avec la paille qui lui a servi de litiere. Ces matieres étant foulées par les animaux, & macérées dans leur urine, sont dans un état de fermentation dont la chaleur se communique aux terres sur lesquelles on les répand : de plus, elles contiennent un sel alkali qui se combine avec l'acide répandu dans l'air, & forme avec lui des sels moyens dont les plantes tirent une partie de leur nourriture.

Les fumiers sont le principal ressort de l'Agriculture ; & ce mot, par lequel on désigne métaphoriquement ce qu'on juge méprisable, exprime réellement la vraie source de la fécondité des terres & des richesses sans lesquelles les autres ne sont rien. Tout système d'Agriculture dans lequel les fumiers ne seront pas mis au premier degré d'importance, peut être à bon droit regardé comme suspect.

Quelques personnes ont blâmé les vûes économiques de M. de Sully, & accusé de petitesse l'opposition qu'il marquoit pour l'établissement des manufactures de soie. Cette accusation pourroit être regardée comme faite au moins legerement & sans assez d'examen. Sans adopter aucun système exclusif, nous osons dire qu'il est à craindre que l'usage trop multiplié de la soie n'avilisse le prix des laines, & ne décourage sur l'entretien des troupeaux. Il est certain que notre Agriculture étoit beaucoup plus active & plus florissante du tems de M. de Sully, qu'elle ne l'est aujourd'hui : or l'état de l'Agriculture dépend de la quantité du bétail. Les terres ne peuvent emprunter que des fumiers, cette fécondité non interrompue qui enrichit les propriétaires & les cultivateurs. Quand on compare attentivement le produit général des Arts avec celui des terres, il est aisé de voir combien le dernier l'emporte sur l'autre par l'importance & par la sûreté. Voyez GRAINS, (Econom. politiq.)

Les Laboureurs n'ignorent pas que l'emploi continuel des fumiers est d'une nécessité absolue pour le succès de leurs travaux ; mais il en coûte pour nourrir des troupeaux ; & quelques-uns sont retenus sur cette dépense par l'avarice, d'autres sont arrêtés par l'impuissance : les premiers méritent de n'être corrigés que par la pauvreté, & ils doivent s'y attendre ; avec quelques efforts, les autres ont un moyen de se relever. Si je me trouvois chargé d'une ferme dénuée de fumier, & peu fournie de paille, voici ce que je ferois.

Je semerois en herbe, treffle, sainfoin, &c. une partie de mes terres, & je ne réserverois pour le grain que celle qu'il me seroit possible de fumer : dès-lors moins de dépenses en labours, &c. Ces herbes artificielles semées dans une terre mal préparée, ne produiroient pas de grandes récoltes, mais elles fourniroient à la nourriture de quelques bestiaux, aux fumiers desquels je devrois peu-à-peu la fertilité de mes terres : les près factices seroient eux-mêmes défrichés au bout de trois ou quatre ans ; améliorés par le repos, ils seroient devenus propres à porter des grains en abondance ; & les pailles me mettroient en état de nourrir une plus grande quantité de bétail : alors ma cour se rempliroit de fumiers ; & en peu d'années, mes terres seroient remises à ce degré de fécondité sans lequel la culture est onéreuse. Voyez PRAIRIES ARTIFICIELLES.

Les fumiers ont des qualités dont la différence est déterminée par l'espece de l'animal qui les façonne. Le fumier de vache est gras & frais ; il convient aux terres chaudes & sablonneuses : celui de mouton a plus de chaleur ; il réussit principalement dans les terres blanches & froides : celui de cheval a une sorte de sécheresse qui le rend spécialement propre aux terres fortes. Voyez ENGRAIS.

Une partie des propriétés du fumier tient, comme nous l'avons dit, à son état de fermentation. Il faut donc ne pas l'employer, avant que la fermentation soit bien établie : on doit même attendre que la putréfaction soit à un certain degré ; ce degré se reconnoît à la chaleur qui doit avoir précédé, & se faire encore sentir dans le fumier, & à une odeur assez forte d'alkali volatil qui s'en exhale. Si on le répand trop tôt sur les terres, il n'a pas encore acquis l'activité qu'il doit leur communiquer. Si on le laisse se consommer en terreau, ce ne sont plus que des parties friables qui s'interposent sans chaleur entre les molécules de la terre ; & l'alkali volatil est évaporé. Il y a cependant une remarque à faire ; & nous la devons à M. Tillet, à qui l'Agriculture doit tant : ses expériences sur la nielle lui ont appris que cette maladie se communique par les fumiers composés de pailles suspectes, à moins qu'ils ne soient réduits presque en terreau : il y a apparence que la poussiere noire qui perpétue cette contagion, contient un acide, puisque son effet est détruit pat les lessives de soude, de cendre, &c. Voyez NIELLE. Article de M. LE ROY, lieutenant des chasses du parc de Versailles.


FUMIGATIONS. f. (Chimie) est l'action par laquelle une vapeur corrode, dissout, ou pénetre un corps métallique dans la cémentation. V. cet art. On la distingue en seche & en humide ; & quelques auteurs, comme Cramer, donnent strictement le nom de fumigation à celle-là, & de vaporation à celle-ci. La fumigation proprement dite ou fumigation seche, est donc l'action d'exposer à une fumée ou vapeur, comme menstrue capable de devenir concrete par elle-même, le corps auquel on veut faire subir quelque changement ; comme quand on stratifie des lames de fer avec des matieres contenant du phlogistique (Voyez FER & ACIER, & TREMPE EN PAQUET) ; du cuivre avec de la calamine ou ses produits (Voyez CUIVRE & LAITON) ; du soufre & de l'arsenic au fer & au cuivre. Voyez VAPORATION.

FUMIGATION, en latin moderne fumigatio, fumigium, (Médec. thérap.) medicament externe, appliqué sous la forme de vapeur ou de fumée, à diverses parties du corps humain, pour la guérison des maladies. Il résulte de-là, qu'on peut distinguer deux sortes de fumigations, les unes humides, & les autres seches.

Les fumigations humides se font en exposant toute la surface du corps, ou seulement le partie malade, aux vapeurs d'un médicament qu'on fait bouillir sur le feu : telle est la vapeur des décoctions émollientes anodynes, que les Medecins conseillent de recevoir sur une chaise de commodité, pour appaiser les douleurs hémorrhoïdales. Telles sont encore les vapeurs du vinaigre que l'on tient sur le feu, & qui se répandent dans l'air pour en purifier l'atmosphere dans les maladies contagieuses & pestilentielles.

On conçoit déjà que la matiere des fumigations humides est toute liqueur qui peut par l'action du feu se résoudre en vapeurs ; par exemple, l'eau, le lait, le petit-lait, le vin, le vinaigre, l'esprit-de-vin, l'urine, les préparations officinales, comme les eaux distillées, les teintures, les essences, les esprits, les infusions, les décoctions, &c. Les vapeurs humides se tirent de toutes ces choses, ou en les enflammant, ou ce qui est le plus ordinaire, en les faisant bouillir sur le feu. Ce seroit sans-doute une chose ridicule, que d'employer pour fumigations humides, des mixtes dont la vertu ne pourroit se volatiliser par la chaleur de la liqueur bouillante. Par conséquent, les astringens, les extraits épaissis par la coction, les parties fixes des animaux & des fossiles, ne sauroient convenir.

S'il faut appliquer de fort près la vapeur humide sur le corps, on a inventé pour y parvenir des loges, des siéges, des coffres, des machines voûtées, où le malade debout, assis, couché, ayant la tête en-dehors, étant nud, ou simplement couvert d'un linge fin, reçoit la vapeur qui s'éleve de la liqueur bouillante ou enflammée. S'il s'agit de diriger les vapeurs dans quelque cavité du corps, par exemple, dans l'oreille, les narines, le pharynx, les bronches, le vagin, l'uterus, le fondement ; on se sert d'entonnoirs faits exprès.

Enfin, comme les vapeurs élevées par le feu sont d'une extrême pénétrabilité, & que le medecin n'a d'autre but que le soulagement & la guérison de son malade ; c'est à lui bien instruit, qu'il appartient dans chaque cas particulier de prescrire combien de tems doit durer la fumigation humide, combien de fois il faut la répéter, ce qu'il convient de faire avant, pendant, & après le remede.

Les fumigations seches, connues par quelques-uns sous le nom de parfums, se pratiquent en exposant la partie malade à la fumée de quelque médicament externe sec, inflammable, ou volatil, qu'on brûle sur des charbons ardens, & dont on introduit la fumée par artifice dans les ouvertures extérieures du corps humain. C'est ainsi qu'on employe la fumigation de l'ambre, du castoréum, du jayet, dans les suffocations de matrice ; la fumigation du soufre dans les maladies cutanées ; & quelquefois les fumigations mercurielles dans les maux vénériens. Voyez FUMIGATION MERCURIELLE.

On employe les fumigations seches dans la cure prophylactique & thérapeutique, pour fortifier, échauffer, résoudre, dessécher : en conséquence, on expose aux fumigations seches des morceaux de flanelle ou de toile, avec lesquels on peut frotter les parties malades, & de telles frictions méritent de n'être pas négligées. Voyez FRICTION.

Mais il faut remarquer que dans les fumigations seches, ainsi que dans les fumigations humides, le medecin doit toûjours faire attention à la porosité de toute l'habitude du corps, à la sensibilité, à la délicatesse des parties internes, enfin à cette force étonnante du feu, qui sépare le principe des corps concrets, & qui les change entierement. Ces sortes d'attentions sont nécessaires, afin de choisir les matieres qui conviennent au but qu'on se propose, & qui peuvent soulager les parties malades, sans nuire à celles qui sont saines. (D.J.)

FUMIGATION MERCURIELLE, (Chirurgie) espece particuliere de subfumigation employée par quelques personnes au traitement des maladies vénériennes, en faisant recevoir la vapeur du cinnabre, ou de quelque autre préparation mercurielle, pour exciter le flux de bouche dans la vérole.

Thierry de Hery, célebre chirurgien de Paris, qui a apporté vers le milieu du XV. siecle, d'Italie en France, la méthode des frictions, propose les fumigations mercurielles comme un moyen subsidiaire dans plusieurs cas. On a voulu depuis peu en faire une méthode universelle, & donner cette fumigation en couvrant entierement le malade d'un drap ou d'une couverture, les yeux & la bouche bandés, afin qu'il puisse recevoir la vapeur mercurielle par le nez. Les épreuves de cette méthode ont été faites aux Invalides & à l'hopital de Bicêtre, sous l'autorité des ministres & des magistrats ; elles ont trouvé pour protecteurs une partie des personnes chargées d'en examiner les effets. Les Chirurgiens guidés par l'expérience qu'ils ont acquise dans le traitement de cette maladie, n'ont point été les partisans de quelques réussites apparentes de ces tentatives ; elles ont eu en peu de tems le sort de presque toutes les nouveautés qui s'introduisent dans la pratique de l'art de guérir, & qu'on voit tomber peu-après dans l'oubli, jusqu'à ce que quelque homme entreprenant & avide tâche d'en tirer parti & d'en imposer au public, qui se laisse aisément séduire par ceux qui lui promettent guérison par des voies extraordinaires.

M. Col de Villars approuve dans son petit dictionnaire des termes de Medecine & de Chirurgie, l'usage des fumigations mercurielles. Elles réussissent sans inconvénient, dit cet auteur, pourvû que la dose du remede soit petite, & que la fumigation ne dure que deux ou trois minutes. De cette maniere le mercure ne cause point de salivation : quand elle paroît, continue M. de Villars, on cesse la fumigation, & on purge le malade.

Instruits par l'exercice & la pratique de l'Art, les Chirurgiens n'admettent point les fumigations, comme une méthode générale, complete , & qu'on puisse substituer aux frictions dont elles n'ont pas les avantages ; nous ne devons cependant pas les rejetter absolument : quoiqu'elles ayent été dans tous les tems la méthode de quelques empyriques, des mains habiles pourront quelquefois trouver des ressources dans leur usage. Les fumigations peuvent seconder efficacement & faciliter l'opération des frictions : celles-ci sont quelquefois insuffisantes pour déraciner entierement les maux vénériens. Lorsqu'on a emporté les principaux accidens, s'il y a des parties affligées de quelque reste de vérole, on peut les exposer aux fumigations. Hery, notre premier maître en cette partie, a traité des malades qui en ont éprouvé les plus heureux succès ; elles ont emporté des caries qui rongeoient les os du nez : voyez OZENE. Elles ont soulagé des affections même du poumon. Par quelle autre voie auroit-on pû appliquer le mercure immédiatement sur ces vices locaux ?

Lorsque le virus vénérien n'a point déconcerté toute l'économie animale, & que quelques parties en sont seulement infectées, leurs accidens peuvent être soûmis à l'administration locale du spécifique anti-vénérien par le moyen des fumigations. M. Bruyere de l'académie royale de Chirurgie, lut à la séance publique de cette compagnie le 7 Juin 1746, une observation sur une tumeur au genou, dont les douleurs étoient si violentes, que la personne ne pouvoit supporter l'application d'une simple compresse trempée dans une décoction anodyne. M. Bruyere après les préparations générales, jugea que l'administration du mercure étoit nécessaire : mais comme la méthode ordinaire lui étoit interdite, parce que la malade s'obstinoit à ne lui point faire l'aveu de la vraie cause de son mal ; entre plusieurs autres moyens accessoires, quoique moins sûrs, & souvent inefficaces, il se détermina en faveur des fumigations faites sur la partie malade ; elles procurerent une salivation très-médiocre, mais beaucoup d'évacuations par les selles, les sueurs, & les urines ; la tumeur & la douleur diminuerent de jour en jour, & enfin la malade fut parfaitement rétablie au bout de deux mois au moyen de vingt fumigations, des purgatifs, & de l'usage du lait. On peut lire le détail de cette cure dans le mercure de France, mois de Décembre 1746.

La fig. 2. Pl. VII. chirur. représente un entonnoir pour recevoir les fumigations dans le vagin. (Y)


FUMISTES. m. (Arts méc.) On appelle ainsi celui qui empêche ou qui prétend empêcher les cheminées de fumer. Sur quoi voyez l'article CHEMINEE.


FUNAMBULEdanseur de corde. Voyez SCENOBATE.


FUNCHAL(Géog.) ville de l'Océan atlantique, vers les côtes de Barbarie, capitale de l'île de Madere, sous la domination du roi de Portugal, avec un évêché suffragant de Lisbonne, un port & plusieurs forts. Le P. Biet qui y passa en 1652, l'appelle Fonsaie, & la décrit dans son voyage de la terre équinoxiale. Son commerce consiste en confitures & en vins. Long. suivant le P. Laval jésuite, 2d. 55'. 15". lat. 32d. 37'. 53". (D.J.)


FUNEBRE(Gramm.) qui appartient aux funérailles. Ainsi l'on dit, pompe funebre, oraison funebre, jeux funebres.

Les jeux funebres consistoient en des processions & des combats de gladiateurs, que l'on donnoit autour du bûcher. Voyez GLADIATEUR, FUNERAILLES.

FUNEBRE, (Colonne) Architect. antiq. c'étoit une colonne surmontée d'une urne, dans laquelle on supposoit enfermées les cendres de quelque mort. Le fût de cette colonne étoit parsemé de larmes & de flammes, qui sont les symboles de la Tristesse & de l'Immortalité. Rien ne convenoit mieux au témoignage de la douleur & du sentiment. (D.J.)


FUNEou FUYNEN, (Géog.) en latin Finnia, île considérable de Danemark, d'une figure presque ronde, dans la mer Baltique, entre l'île de Zéland dont elle est séparée à l'est par le grand Belt, & le sud-Jutland, dont elle est aussi séparée à l'oüest par le petit Belt. Cette île est fort peuplée, abondante en grains, en pâturages, en chevaux très-estimés, & elle est l'apanage du fils aîné du roi de Danemark. Odensée en est la capitale. Long. 27d. 26-28. 40. lat. 55d. 6-50. (D.J.)


FUNER un mât(Marine) c'est garnir le mât de son étai, de ses haubans, & de sa manoeuvre. Le défuner, c'est les ôter. Quand par de gros tems on veut mettre bas les mâts de hune ou le perroquet, il faut les défuner. (Z)


FUNÉRAILLESS. m. pl. (Hist. anc.) ce mot est dérivé du latin funus, & celui-ci de funalia ; parce que les torches (funes cerâ circumdati) étoient d'usage dans les enterremens des Romains.

Les funérailles sont les derniers devoirs que l'on rend à ceux qui sont morts, ou, pour mieux dire, c'est un appareil de la vanité & de la misere humaine. Voyons quelles étoient les cérémonies de cet appareil chez les Egyptiens, les Grecs, & les Romains ; car l'histoire en parle si souvent, qu'il est nécessaire d'entrer dans quelques détails à ce sujet.

FUNERAILLES des Egyptiens. Les Egyptiens sont les premiers de tous les peuples qui ont montré le plus grand respect pour les morts, en leur érigeant des monumens sacrés, propres à porter aux siecles futurs la mémoire des vertus qu'ils avoient cultivées pendant leur vie. Voici comme on se conduisoit pour les particuliers.

Quand quelqu'un étoit mort dans une famille, les parens & les amis commençoient par prendre des habits lugubres, s'abstenoient du bain, & se privoient de tous les plaisirs de la bonne-chere. Ce deuil duroit jusqu'à quarante & soixante-dix jours. Pendant ce tems-là on embaumoit le corps avec plus ou moins de dépense. Dès que le corps étoit embaumé, on le rendoit aux parens qui l'enfermoient dans une espece d'armoire ouverte, où ils le plaçoient debout & droit contre la muraille, soit dans leurs maisons, soit dans les tombeaux de la famille. C'est par ce moyen que la reconnoissance des Egyptiens envers leurs parens se perpétuoit d'âge en âge. Les enfans en voyant le corps de leurs ancêtres, se souvenoient de leurs vertus que le public avoit reconnues, & s'excitoient à aimer les préceptes qu'ils leur avoient laissés. J'ai dit des vertus que le public avoit reconnues ; parce que les morts avant d'être admis dans l'asyle sacré des tombeaux, devoient subir un jugement solemnel ; & cette circonstance des funérailles chez les Egyptiens, offre un fait des plus remarquables de l'histoire de ce peuple.

C'est une consolation en mourant de laisser un nom qui soit en estime ; & de tous les biens humains, c'est le seul que le trépas ne peut ravir : mais il falloit en Egypte mériter cet honneur par la décision des juges : car aussi-tôt qu'un homme étoit privé du jour, on l'amenoit en jugement, & tout accusateur public étoit écouté. S'il prouvoit que la conduite du mort eût été mauvaise, on en condamnoit la mémoire, & il étoit privé de la sépulture ; si le mort n'étoit convaincu d'aucune faute capitale, on l'ensevelissoit honorablement.

Les rois n'étoient pas exempts du jugement qu'il falloit subir après la mort ; & en conséquence d'un jugement défavorable, quelques-uns ont été privés de la sépulture ; coûtume qui passa chez les Israélites. En effet nous lisons dans l'Ecriture-sainte, que les méchans rois d'Israel n'étoient point ensevelis dans les tombeaux de leurs ancêtres.

Lorsque le jugement qui avoit été prononcé se trouvoit à l'avantage du mort, on procédoit aux cérémonies de l'inhumation ; ensuite on faisoit son panégyrique, & où on ne comptoit pour objets de vraies loüanges, que ceux qui émanoient du mérite personnel du mort. Les titres, la grandeur, la naissance, les biens, les dignités, n'y entroient pour rien ; parce que ce sont des présens du hasard & de la fortune : mais on loüoit le mort de ce qu'il avoit cultivé la piété à l'égard des dieux, la justice envers ses égaux, & toutes les vertus qui font l'homme de bien ; alors l'assemblée prioit les dieux de recevoir le mort dans la compagnie des justes, & de l'associer à leur bonheur.

FUNERAILLES des Grecs. Nous passons aux funérailles des Grecs qui suivirent l'usage de la république d'Athenes. Ce fut la premiere année de la guerre du Péloponese, que les Athéniens firent des funérailles publiques à ceux qui avoient été tués dans cette campagne, & ils pratiquerent depuis cette cérémonie, tant que la guerre subsista. Pour cela on dressoit, trois jours auparavant, une tente, où l'on exposoit les ossemens des morts, & chacun jettoit sur les ossemens des fleurs, de l'encens, des parfums & autres choses semblables ; puis on les mettoit sur des chariots dans des cercueils de cyprès, chaque tribu ayant son cercueil & son chariot séparé ; mais il y avoit un chariot qui portoit un grand cercueil vuide, pour ceux dont on n'avoit pû trouver les corps : c'est ce qu'on appelloit cénotaphe. La marche se faisoit avec une pompe grave & religieuse ; un grand nombre d'habitans, soit citoyens, soit étrangers, assistoit avec les parens à cette lugubre cérémonie. On portoit ces ossemens dans un monument public, au plus beau fauxbourg de la ville, appellé le céramique, où l'on renfermoit de tout tems ceux qui étoient morts à la guerre, excepté ceux de Marathon, qui pour leur rare valeur furent enterrés au champ de bataille. Ensuite on les couvroit de terre, & l'un des citoyens des plus considérables de la ville faisoit l'oraison funebre.

Après qu'on avoit ainsi payé solennellement ce double tribut de pleurs & de loüanges à la mémoire des braves gens qui avoient sacrifié leur vie pour la défense de la liberté commune, le public qui ne bornoit pas sa reconnoissance à des cérémonies ni à des larmes stériles, prenoit soin de la subsistance de leurs veuves & des orphelins qui étoient restés en bas âge : puissant aiguillon, dit Thucydide, pour exciter la vertu parmi les hommes ; car elle se trouve toûjours où le mérite est le mieux récompensé.

Les Grecs ne connurent la magnificence des funérailles, que par celles d'Alexandre le Grand, dont Diodore de Sicile nous la laissé la description ; & comme de toutes les pompes funebres mentionnées dans l'histoire, aucune n'est comparable à celles de ce prince, nous en joindrons ici le précis d'après M. Rollin : on verra jusqu'où la vanité porta le luxe de cet appareil lugubre.

Aridée frere naturel d'Alexandre, ayant été chargé du soin de ce convoi, employa deux ans pour disposer tout ce qui pouvoit le rendre le plus riche & le plus éclatant qu'on eût encore vû. La marche fut précédée par un grand nombre de pionniers, afin de rendre pratiquables les chemins par où l'on devoit passer. Après qu'ils eurent été applanis, on vit partir de Babylone le magnifique chariot sur lequel étoit le corps d'Alexandre. L'invention & le dessein de ce chariot se faisoient autant admirer, que les richesses immenses que l'on y découvroit. Le corps de la machine portoit sur deux essieux qui entroient dans quatre roues, dont les moyeux & les rayons étoient dorés, & les jantes revêtues de fer. Les extrémités des essieux étoient d'or, représentant des mufles de lions qui mordoient un dard. Le chariot avoit quatre timons, & à chaque timon étoient attelés seize mulets, qui formoient quatre rangs : c'étoit en tout seize rangs & soixante-quatre mulets. On avoit choisi les plus forts & de la plus haute taille ; ils avoient des couronnes d'or & des colliers enrichis de pierres précieuses, avec des sonnettes d'or. Sur ce chariot s'élevoit un pavillon d'or massif, qui avoit douze piés de large sur dix-huit de long, soûtenu par des colonnes d'ordre ionique, embellies de feuilles d'acanthe. Il étoit orné au-dedans de pierres précieuses, disposées en forme d'écailles. Tout autour régnoit une frange d'or à réseau, dont les filets avoient un doigt d'épaisseur, où étoient attachées de grosses sonnettes, qui se faisoient entendre de fort loin.

Dans la décoration du dehors, on voyoit quatre bas-reliefs. Le premier représentoit Alexandre assis dans un char, & tenant à la main un sceptre, environné d'un côté d'une troupe de Macédoniens, & de l'autre d'une pareille troupe de Persans, tous armés à leur maniere. Devant eux marchoient les écuyers du roi. Dans le second bas-relief on voyoit des éléphans harnachés de toutes pieces, portant sur le devant des Indiens, & sur le derriere des Macédoniens, armés comme dans un jour d'action. Dans le troisieme étoient représentés des escadrons de cavalerie en ordre de bataille. Le quatrieme montroit des vaisseaux tous prêts à combattre. A l'entrée de ce pavillon étoient des lions d'or qui sembloient le garder. Aux quatre coins étoient posées des statues d'or massif représentant des victoires, avec des trophées d'armes à la main. Sous ce dernier pavillon on avoit placé un throne d'or d'une figure quarrée, orné de têtes d'animaux, qui avoient sous leur cou des cercles d'or d'un pié & demi de largeur, d'où pendoient des couronnes brillantes des plus vives couleurs, telles qu'on en portoit dans les pompes sacrées.

Au pié de ce throne étoit posé le cercueil d'Alexandre, tout d'or & travaillé au marteau. On l'avoit rempli à demi d'aromates & de parfums, tant afin qu'il exhalât une bonne odeur, que pour la conservation du cadavre. Il y avoit sur ce cercueil une étoffe de pourpre brochée d'or : entre le throne & le cercueil, étoient les armes du prince, telles qu'il les portoit pendant sa vie. Le pavillon en-dehors étoit aussi couvert d'une étoffe de pourpre à fleurs d'or ; le haut étoit terminé par une très-grande couronne d'or, composée comme de branches d'olivier.

On conçoit aisément que dans une longue marche, le mouvement d'un chariot aussi lourd que celui-ci, devoit être sujet à de grands inconvéniens. Afin donc que le pavillon & tous ses accompagnemens, soit que le chariot descendit ou qu'il montât, demeurassent toûjours dans la même situation, malgré l'inégalité des lieux & les violentes secousses qui en étoient inséparables ; du milieu de chacun des deux essieux s'élevoit un axe qui soûtenoit le milieu du pavillon, & tenoit toute la machine en état.

Le corps d'Alexandre, suivant les dernieres dispositions de ce prince, devoit être porté au temple de Jupiter Ammon ; mais Ptolemée gouverneur d'Egypte, le fit conduire à Alexandrie, où il fut inhumé. Ce prince lui érigea un temple magnifique, & lui rendit tous les honneurs que l'antiquité payenne avoit coûtume de rendre aux demi-dieux. On ne voit plus aujourd'hui que les ruines de ce temple.

FUNERAILLES des Romains. Les Romains ont été sans contredit un des peuples les plus religieux & les plus exacts à rendre les derniers devoirs à leurs parens & à leurs amis. On sait qu'ils n'oublioient rien de ce qui pouvoit marquer combien la mémoire leur en étoit chere, & de ce qui pouvoit en même tems contribuer à la rendre précieuse. C'étoit aussi quelquefois un hommage qu'on accordoit à la vertu, pour exciter dans les citoyens la noble passion de mériter un jour de pareils honneurs. En un mot, Pline dit que les funérailles chez les Romains étoient une cérémonie sacrée : les détails en sont fort étendus.

Elle commençoit cette cérémonie sacrée dès le moment que la personne se mouroit. Il falloit dans cet instant que le plus proche parent, & si c'étoit des gens mariés, que le survivant du mari ou de la femme donnât au mourant le dernier baiser comme pour en recevoir l'ame, & qu'il lui fermât les yeux. On les lui ouvroit lorsqu'il étoit sur le bûcher, afin qu'il parût regarder le ciel. On observoit en lui fermant les yeux de lui fermer la bouche, pour le rendre moins effrayant & le faire paroître comme une personne dormante. On ôtoit l'anneau du doigt du défunt, qu'on lui remettoit lorsqu'on portoit le corps sur le bûcher. On l'appelloit plusieurs fois par son nom à haute voix, pour connoître s'il étoit véritablement mort, ou seulement tombé en léthargie. On nommoit cet usage conclamatio, conclamation ; & suivant l'explication qu'un célébre antiquaire a donnée d'un bas-relief, qui est au Louvre dans la salle des antiques, on ne se contentoit pas de la simple voix pour les personnes de qualité, on y employoit le son des buccines & des trompettes, ainsi qu'on peut juger par ce bas-relief. L'on y voit des gens qui sonnent de la trompette près du corps d'une personne qui paroît venir de rendre les derniers soupirs, & que, selon qu'on peut conjecturer par les apprêts qui y sont représentés, on va mettre entre les mains des libitinaires ; les sons bruyans de ces instrumens frappant les organes d'une maniere beaucoup plus éclatante que la voix, donnoient des preuves plus certaines que la personne étoit véritablement morte.

Ensuite on s'adressoit aux libitinaires pour procéder aux funérailles suivant la volonté du défunt, s'il en avoit ordonné, ou celle des parens & des héritiers, avec le plus ou le moins de dépense qu'on y vouloit faire. Ces libitinaires étoient des gens qui vendoient & fournissoient tout ce qui étoit nécessaire pour la cérémonie des convois ; on les appelloit ainsi, parce qu'ils avoient leur magasin au temple de Vénus Libitine. On gardoit dans ce temple les registres qu'on tenoit à Rome de ceux qui y mouroient ; & c'est de ces registres qu'on avoit tiré le nombre des personnes que la peste y enleva pendant une automne, du tems de Néron.

Les libitinaires avoient sous eux des gens qu'on nommoient pollinctores, pollincteurs : c'étoit entre leurs mains qu'on mettoit d'abord le cadavre ; ils le lavoient dans l'eau chaude, & l'embaumoient avec des parfums. Il paroît qu'ils possédoient la maniere d'embaumer les corps à un plus haut degré de perfection, que ne faisoient les Egyptiens, si l'on en croit les relations de quelques découvertes faites à Rome depuis deux cent ans, de tombeaux où l'on a trouvé des corps si bien conservés, qu'on les auroit pris pour des personnes plûtôt dormantes que mortes ; l'odeur qui sortoit de ces tombeaux étoit encore si forte, qu'elle étourdissoit.

Après que le corps étoit ainsi embaumé, on le revêtoit d'un habit blanc ordinaire, c'est-à-dire de la toge. Si cependant c'étoit une personne qui eût passé par les charges de la république, on lui mettoit la robe de la plus haute dignité qu'il eût possédée, & on le gardoit ainsi sept jours, pendant lesquels on préparoit tout ce qui étoit nécessaire pour la pompe des funérailles. On l'exposoit sous le vestibule, où à l'entrée de sa maison, couché sur un lit de parade, les piés tournés vers la porte, où l'on mettoit un rameau de cyprès pour les riches, & pour les autres seulement des branches de pin, qui marquoient également qu'il y avoit-là un mort. Il restoit toûjours un homme auprès du corps, pour empêcher qu'on ne volât quelque chose de ce qui étoit autour de lui : mais lorsque c'étoit une personne du premier rang, il y avoit de jeunes garçons occupés à en chasser les mouches.

Les sept jours étant expirés, un héraut public annonçoit le convoi, en criant : exequias L. tel L. filii, quibus est commodum ire, tempus est ; ollus (c'est-à dire ille) ex aedibus effertur ; ceux qui voudront assister aux obseques d'un tel, fils d'un tel, sont avertis qu'il est tems d'y aller présentement, on emporte le corps de la maison. Il n'y avoit néanmoins que les parens ou les amis qui y assistassent, à moins que le défunt n'eût rendu des services considérables à la république ; alors le peuple s'y trouvoit ; & s'il avoit commandé les armées, les soldats s'y rendoient aussi, portant leurs armes renversées le fer en-bas. Les licteurs renversoient pareillement leurs faisceaux.

Le corps étoit porté sur un petit lit qu'on nommoit exaphore, quand il n'y avoit que six porteurs ; & octophore, s'il s'en trouvoit huit. C'étoient ordinairement les parens, qui par honneur en faisoient l'office, ou les fils du défunt s'il en avoit. Pour un empereur, le lit étoit porté par des sénateurs ; pour un général d'armée, par des officiers & des soldats. A l'égard des gens de commune condition, c'étoit dans une espece de biére découverte qu'ils étoient portés par quatre hommes, de ceux qui gagnoient leur vie à ce métier. On les appelloit vespillones, parce que pendant un très-long-tems on observa de ne faire les convois que vers le soir : mais dans la suite on les fit autant de jour que de nuit. Le défunt paroissoit ayant sur la tête une couronne de fleurs, & le visage découvert, à moins que sa maladie ne l'eût entierement défiguré ; en ce cas on avoit soin de le couvrir.

Après que les maîtres de cérémonie du convoi avoient marqué à chacun son rang, la marche commençoit par un trompette & les joüeurs de flûte qui jouoient d'une maniere lugubre. Ils étoient suivis de plus ou de moins de gens, qui portoient des torches allumées. Proche du lit étoit un archimime qui contrefaisoit toutes les manieres du défunt ; & l'on portoit devant le lit couvert de pourpre, toutes les marques des dignités dont il avoit été revêtu : s'il s'étoit signalé à la guerre, on y faisoit paroître les présens & les couronnes qu'il avoit reçûs pour ses belles actions, les étendarts & les dépouilles qu'il avoit remportés sur les ennemis. On y portoit en particulier son buste représenté en cire, avec ceux de ses ayeux & de ses parens, montés sur des bois de javelines, ou placés dans des chariots ; mais on n'accordoit point cette distinction à ceux qu'on nommoit novi homines, c'est-à-dire gens qui commençoient leur noblesse, & dont les ayeux n'auroient pû lui faire honneur. On observoit aussi de ne point porter les bustes de ceux qui avoient été comdamnés pour crime, quoiqu'ils eussent possédé des dignités ; la loi le défendoit. Toutes ces figures se replaçoient ensuite dans le lieu où elles étoient gardées. Au convoi des empereurs, on faisoit encore porter sur des chariots, les images & les symboles des provinces & des villes subjuguées.

Les affranchis du défunt suivoient cette pompe portant le bonnet qui étoit la marque de leur liberté : ensuite marchoient les enfans, les parens, & les amis atrati, c'est-à-dire en deuil, vêtus de noir ; les fils du défunt avoient un voile sur la tête : les filles vêtues de blanc, avoient les cheveux épars sans coëffure, & marchant nuds piés ; après ce cortege venoient les pleureuses, praeficae : c'étoient des femmes dont le métier étoit de faire des lamentations sur la mort du défunt ; & en pleurant, elles chantoient ses louanges sur des airs lugubres, & donnoient le ton à tous les autres.

Lorsque le défunt étoit une personne illustre, on portoit son corps au rostra dans la place romaine, où la pompe s'arrêtoit pendant que quelqu'un de ses enfans ou des plus proches parens faisoit son oraison funebre, & c'est ce qu'on appelloit laudare pro rostris : cela ne se pratiquoit pas seulement pour les hommes qui s'étoient distingués dans les emplois, mais encore pour les dames de condition ; la république avoit permis de les loüer publiquement, depuis que ne s'étant point trouvé assez d'or dans le trésor public, pour acquiter le voeu que Camille avoit fait de donner une coupe d'or à Apollon delphien, après la prise de la ville de Veïes, les dames romaines y avoient volontairement contribué par le sacrifice de leurs bagues & de leurs bijoux.

De la place romaine, on alloit au lieu où l'on devoit enterrer le corps ou le brûler ; on se rendoit donc au champ de Mars, qui étoit le lieu où se faisoit ordinairement cette cérémonie : car on ne brûloit point les corps dans la ville. On avoit eu soin d'avance de dresser un bucher d'if, de pin, de melèze, ou d'autres pieces de bois aisé à s'enflammer, arrangées les unes sur les autres en forme d'autel, sur lequel on posoit le corps vêtu de sa robbe ; on l'arrosoit de liqueurs propres à répandre une bonne odeur ; on lui coupoit un doigt pour l'enterrer, avec une seconde cérémonie ; on lui tournoit le visage vers le ciel ; on lui mettoit dans la bouche une piece d'argent, qui étoit ordinairement une obole, pour payer le droit de passage à Caron.

Tout le bucher étoit environné de cyprès : alors les plus proches parens tournant le dos par derriere & pendant que le feu s'allumoit, ils jettoient dans le bucher les habits, les armes, & quelques autres effets du défunt, quelquefois même de l'or & de l'argent ; mais cela fut défendu par la loi des douze tables. Aux funérailles de Jules César, les soldats vétérans jetterent leurs armes sur son bucher pour lui faire honneur. On immoloit aussi des boeufs, des taureaux, & des moutons, qu'on jettoit sur le bucher.

On donnoit tout-auprès des combats de gladiateurs pour appaiser les manes du défunt ; on avoit introduit l'usage de ces combats pour suppléer à la barbare coûtume anciennement pratiquée à la guerre, d'immoler les prisonniers auprès du bûcher de ceux qui étoient morts en combattant, comme pour les venger. Les combats des gladiateurs n'étoient pas le seul spectacle qu'on y donnoit ; on faisoit aussi quelquefois des courses de chariots autour du bûcher ; on y représentoit même des pieces de théatre, & par un excès de somptuosité, on y a vû donner des festins aux assistans & au peuple.

Dès que le corps étoit brûlé, on en ramassoit les cendres & les os ; que le feu n'avoit pas entierement consumés. C'étoit les plus proches parens ou les héritiers qui en prenoient soin : afin que les cendres ne fussent pas confondues avec celles du bûcher, on avoit la précaution en mettant sur le bûcher le corps du défunt, de l'envelopper d'une toile d'amianthe, que les Grecs appellent asbestos ; on lavoit ensuite ces cendres & ces os avec du lait & du vin ; & pour les placer dans le tombeau de la famille, on les enfermoit dans une urne d'une matiere plus ou moins précieuse, selon l'opulence ou la qualité du défunt ; les plus communes étoient de terre cuite.

Ensuite, le sacrificateur qui avoit assisté à la cérémonie, jettoit par trois fois sur les assistans pour les purifier, de l'eau avec un aspersoir fait de branches d'olivier, usage qui s'est introduit dans le Christianisme à l'égard du cadavre seulement, & qu'on a jugé à-propos de conserver. Enfin, la même pleureuse congédioit la compagnie par ce mot I, licet, c'est-à-dire, vous pouvez vous en-aller ; alors les parens & amis du défunt lui disoient par trois fois, en l'appellant par son nom, & à haute voix : vale, vale, vale : nos te ordine quo natura voluerit sequemur ; adieu, adieu, adieu, nous te suivrons quand notre rang marqué par la nature arrivera. On portoit l'urne où étoient les cendres dans le sépulcre, devant lequel il y avoit un petit autel où l'on brûloit de l'encens & d'autres parfums : cérémonie qui étoit renouvellée de tems-en-tems, de même que celle de jetter des fleurs sur la tombe.

A l'égard de ceux dont on ne brûloit point les corps, on les mettoit ordinairement dans des bierres de terre cuite ; ou si c'étoient des personnes de distinction, dans un tombeau de marbre creusé ; on mettoit encore dans ce tombeau une lampe dite perpétuelle, & quelquefois de petites figures de divinités, avec des fioles qu'on appelloit lacrymatoires, qui renfermoient l'eau des larmes qu'on avoit répandues à leur convoi, témoignage qu'ils avoient été fort regrettés. On a trouvé dans quelques tombeaux des bijoux qui y avoient été mis avec le corps, parce qu'apparemment le défunt les avoit fort chéris de son vivant.

La cérémonie des funérailles se terminoit par un festin, qui étoit ordinairement un souper, que l'on donnoit aux parens & aux amis ; quelquefois même on distribuoit de la viande au peuple, & neuf jours après on faisoit un autre festin qu'on appelloit le grand souper, la novendale, c'est-à-dire la neuvaine ; on observoit dans ce dernier repas de quitter les habits noirs, & d'en prendre de blancs.

C'en est assez sur ce sujet, où je n'ai crû devoir employer que les traits historiques qui pouvoient convenir ici, en élaguant toutes les citations sans nombre qui m'auroient mené trop loin ; mais le lecteur curieux de plus grands détails, & de détails d'érudition recherchée, peut consulter l'ouvrage latin de funeribus Romanorum, publié par Jean Kirchman, dont la premiere édition parut à Lubeck en 1604. Cet ouvrage acquit de la célébrité à son auteur, & contribua à lui procurer un bon mariage. (D.J.)

FUNERAILLES, (Hist. mod.) après avoir rapporté les cérémonies funebres des anciens, on peut parcourir celles qui sont usitées de nos jours chez quelques peuples d'Asie, d'Afrique, & d'Amérique ; il semble que la nature a par tout inspiré aux hommes ce dernier devoir envers leurs semblables qui leur sont enlevés par la mort ; & la religion, soit vraie, soit fausse, a consacré cet usage.

FUNERAILLES des Arabes. Dès que quelqu'un a rendu les derniers soupirs chez les Arabes, on lave le corps avec décence : on le coud dans un morceau de toile s'il s'en trouve dans la maison, ou dans quelques guenilles s'il est pauvre ; on le met sur un brancard composé de deux morceaux de bois avec quelques traverses d'osier, & quatre ou six hommes le portent où il doit être enterré. Comme ces peuples changent souvent de camp, ils n'ont point de cimetieres fixes. Ils choisissent toûjours un lieu élevé & écarté du camp ; ils y font une fosse profonde, où ils mettent le corps la tête du côté de l'orient, le couvrent de terre, & mettent dessus de grosses pierres, afin d'empêcher les bêtes sauvages de venir le déterrer & le dévorer. Ceux qui portent le corps à la sépulture & ceux qui l'accompagnent, chantent des prieres pour le défunt & des loüanges à Dieu.

Dans ces occasions les hommes ne pleurent point, ce qu'on regarde comme une preuve de leur courage & de leur fermeté. Mais en récompense les femmes s'acquitent très-bien de cette fonction. Les parentes du défunt crient, s'égratignent le visage & les bras, s'arrachent les cheveux, & ne sont couvertes que d'un vêtement déchiré, avec un voile bleu & sale ; toutes marques de douleur extraordinaire, vraie ou apparente.

Les cérémonies des funérailles qui ne sont pas longues étant achevées, on revient au camp. Tous ceux qui y ont assisté trouvent un repas préparé, & mangent dans une tente ; les femmes dans une autre. Les hommes à leur ordinaire gardent la gravité, les femmes essuient leurs larmes ; les uns & les autres se consolent ; on fait à la famille des complimens de condoléance qui sont fort courts, puisqu'ils ne consistent qu'en ces deux mots, kalherna aandek, c'est-à-dire je prends part à votre affliction : & en ces deux autres, selamet erask, qui signifient Dieu conserve votre tête. Après quoi les parens du défunt font le partage de ses biens entre les enfans. Mém. du chevalier d'Arvieux, tom. III.

FUNERAILLES des Turcs. En Turquie, lorsqu'une personne est morte, on met son corps au milieu de la chambre, & l'on répete tristement ces mots à-l'entour, subanna allah, c'est-à-dire, ô Dieu miséricordieux, ayez pitié de nous. On le lave ensuite avec de l'eau chaude & du savon ; & après avoir brûlé assez d'encens pour chasser le diable & les autres esprits malins qu'on suppose roder autour de lui, on l'enveloppe dans un suaire sans couture, afin, dit-on, que dans l'autre monde il puisse se mettre à genoux lorsqu'il subira son jugement ; tout cela est accompagné de lamentations, où les femmes ont la principale part.

Autrefois on exposoit le mort sur une table, comme dans un lit de parade, orné de ses plus beaux habits, & de diverses fleurs de la saison ; après quoi on le portoit sur des brancards hors de la ville, dans un lieu destiné à la sépulture des morts. Aujourd'hui on se contente de le mettre dans une biére, couverte d'un poîle convenable à sa profession, sur lequel on répand des fleurs, pour marquer son innocence. La loi défend à qui que ce soit de garder un corps mort au-delà d'un jour, & de le porter plus loin d'une lieue. Il n'y a que le corps du grand-seigneur défunt qui en soit excepté.

Les Turcs sont persuadés qu'au moment que l'ame quitte le corps, les anges la conduisent au lieu où il doit être inhumé, & l'y retiennent pendant 40 jours dans l'attente de ce corps ; ce qui les engage à le transporter au plus vîte au lieu de la sépulture, afin de ne pas faire languir l'ame. Quelques-uns prétendent que les femmes & filles n'assistent point au convoi, mais demeurent à la maison pour préparer à manger aux imans, qui après avoir mis le corps dans le tombeau, reviennent pour faire bonne chere, & recevoir dix aspres qui sont leur rétribution ordinaire.

Aussi-tôt que le deuil est fini autour du mort & qu'on l'a enseveli, on le porte sur les épaules au lieu destiné à la sépulture, soit dans les cimetieres situés hors des villes, s'il est pauvre, soit au cimetiere des mosquées, à l'entrée desquelles on le porte s'il est riche, & à l'entrée desquelles les imans font des prieres qui ne consistent qu'en quelques complaintes & dans le récit de certains vers lugubres qui sont répétés mot pour mot par ceux qui accompagnent le convoi, & qui suivent couverts d'une piece de drap gris ou de feutre pendante devant & derriere.

Arrivés au tombeau, les Turcs tirent le mort du cercueil, & le descendent dans la fosse avec quelques sentences de l'alcoran. On ne jette point la terre immédiatement sur le corps, de peur que sa pesanteur ne l'incommode ; pour lui donner un peu d'air, on pose de longues pierres en travers, qui forment une espece de voûte sur le cadavre, en sorte qu'il y est enfermé comme dans un coffre. Les cris & les lamentations des femmes cessent aussi-tôt après l'inhumation. Une mere peut pleurer son fils jusqu'à trois fois ; au-delà elle peche contre la loi.

Les funérailles du Sultan sont accompagnées d'une majesté lugubre. On mene en main tous ses chevaux avec les selles renversées, couverts de housses de velours noir traînantes jusqu'à terre. Tous ses officiers, tant ceux du serrail que ceux de la garde, solaks, janissaires & autres, y marchent en leur rang. Les mutaféracas précedent immédiatement le corps, armés d'une lance, au bout de laquelle est le turban de l'empereur défunt, & portant une queue de cheval. Les armes du prince & ses étendarts traînent par terre. La forme du cercueil est celle d'un chariot d'armes ; il est couvert d'un riche poîle sur lequel est posé un turban, & lorsque son corps est une fois déposé dans le tombeau, un iman gagé pour y lire l'alcoran a soin de le couvrir tous les jours, surtout le vendredi, de tapis de drap sur lesquels il place ce que le feu empereur avoit coûtume de porter de son vivant, comme son turban, &c. Guer, moeurs & usag. des Turcs, tom. I. (G)

FUNERAILLES des Chinois. Ils lavent rarement leurs morts ; mais ils revêtent le défunt de ses plus beaux habits, & le couvrent des marques de sa dignité ; ensuite ils le mettent dans le cercueil qu'on lui a acheté, ou qu'il s'étoit fait construire pendant sa vie ; car ils ont grand soin de s'en pourvoir long-tems avant que d'en avoir besoin. C'est aussi une des plus sérieuses affaires de leur vie, que de trouver un endroit qui leur soit commode après leur mort. Il y a des chercheurs de sépulture de profession ; ils courent les montagnes ; & lorsqu'ils ont découvert un lieu où il régne un vent frais & sain, ils viennent promtement en donner avis aux gens riches qui accordent quelquefois à leurs soins une récompense excessive.

Les cercueils des personnes aisées sont faits de grosses planches épaisses d'un demi-pié & davantage ; ils sont si bien enduits en-dedans de poix & de bitume, & si bien vernissés en-dehors, qu'ils n'exhalent aucune mauvaise odeur : on en voit qui sont ciselés délicatement, & couverts de dorure. Il y a des gens riches qui employent jusqu'à mille écus pour avoir un cercueil de bois précieux, orné de quantité de figures.

Avant que de placer le corps dans la biere, on répand au fond un peu de chaux ; & quand le corps y est placé, on y met ou un coussin ou beaucoup de coton, afin que la tête soit solidement appuyée, & ne remue pas aisément. On met aussi du coton ou autres choses semblables, dans tous les endroits vuides, pour le maintenir dans la situation où il a été mis.

Il est défendu aux Chinois d'enterrer leurs morts dans l'enceinte des villes & dans les lieux qu'on habite ; mais il leur est permis de les conserver dans leurs maisons, enfermés dans des cercueils ; ils les gardent plusieurs mois & même plusieurs années comme en dépôt, sans qu'aucun magistrat puisse les obliger de les inhumer. Un fils vivroit sans honneur, sur-tout dans sa famille, s'il ne faisoit pas conduire le corps de son pere au tombeau de ses ancêtres, & on refuseroit de placer son nom dans la salle où on les honore : quand on les transporte d'une province à une autre : il n'est pas permis, sans un ordre de l'empereur, de les faire entrer dans les villes, ou de les faire passer au-travers ; mais on les conduit autour des murailles.

La cérémonie solemnelle que les Chinois rendent aux défunts, dure ordinairement sept jours, à-moins que quelques raisons essentielles n'obligent de se contenter de trois jours. Pendant que le cercueil est ouvert, tous les parens & les amis, qu'on a eu soin d'inviter, viennent rendre leurs devoirs au défunt ; les plus proches parens restent même dans la maison. Le cercueil est exposé dans la principale salle, qu'on a parée d'étoffes blanches qui sont souvent entremêlées de pieces de soie noire ou violette, & d'autres ornemens de deuil. On met une table devant le cercueil. L'on place sur cette table l'image du défunt, ou bien un cartouche qui est accompagné de chaque côté de fleurs, de parfums, & de bougies allumées.

Ceux qui viennent faire leurs complimens de condoléance saluent le défunt à la maniere du pays. Ceux qui étoient amis particuliers accompagnent ces cérémonies de gémissemens & de pleurs, qui se font entendre quelquefois de fort loin.

Tandis qu'ils s'acquitent de ces devoirs, le fils aîné accompagné de ses freres, sort de derriere le rideau qui est à côté du cercueil, se traînant à terre avec un visage sur lequel est peinte la douleur, & fondant en larmes, dans un morne & profond silence ; ils rendent le salut avec la même cérémonie qu'on a pratiquée devant le cercueil : le même rideau cache les femmes, qui poussent à diverses reprises les cris les plus lugubres.

Quand on a achevé la cérémonie, on se leve ; un parent éloigné du defunt, ou un ami, étant en deuil, fait les honneurs ; & comme il a été vous recevoir à la porte, il vous conduit dans un appartement où l'on vous présente du thé, & quelquefois des fruits secs, & semblables rafraîchissemens : après quoi il vous accompagne jusqu'à votre chaise.

Lorsqu'on a fixé le jour des obseques, on en donne avis à tous les parens & amis du défunt, qui ne manquent pas de se rendre au jour marqué. La marche du convoi commence par ceux qui portent différentes statues de carton, lesquelles représentent des esclaves, des tigres, des lions, des chevaux, &c. diverses troupes suivent & marchent deux à deux ; les uns portent des étendarts, des banderolles, ou des cassolettes remplies de parfums : plusieurs jouent des airs lugubres sur divers instrumens de Musique.

Il y a des endroits où le tableau du défunt est élevé au-dessus de tout le reste ; on y voit écrits en gros caracteres d'or son nom & sa dignité. Le cercueil paroît ensuite, couvert d'un dais en forme de dôme, qui est entierement d'étoffe de soie violette, avec des houpes de soie blanche aux quatre coins, qui sont brodées & très-proprement entrelacées de cordons. La machine dont nous parlons, & sur laquelle on a porté le cercueil, est portée par soixante-quatre personnes ; ceux qui ne sont point en état d'en faire la dépense, se servent d'une machine qui n'exige pas un si grand nombre de porteurs. Le fils aîné à la tête des autres enfans & des petits-fils, suit à pié, couvert d'un sac de chanvre, appuyé sur un bâton, le corps tout courbé, & comme accablé sous le poids de sa douleur.

On voit ensuite les parens & les amis tous vêtus de deuil, & un grand nombre de chaises couvertes d'étoffe blanche, où sont les filles, les femmes, & les esclaves du défunt, qui font retentir l'air de leurs cris.

Quand on est arrivé au lieu de la sépulture, on voit à quelque distance de la tombe des tables rangées dans des salles qu'on a fait élever exprès ; & tandis que les cérémonies accoûtumées se pratiquent, les domestiques y préparent un repas, qui sert ensuite à régaler toute la compagnie.

Quelquefois après le repas, les parens & les amis se prosternent de nouveau, en frappant la terre du front devant le tombeau. Le fils aîné & les autres enfans répondent à leurs honnêtetés par quelques signes extérieurs, mais dans un profond silence. S'il s'agit d'un grand seigneur, il y a plusieurs appartemens à sa sépulture ; & après qu'on y a porté le cercueil, un grand nombre de parens y demeurent un & même deux mois, pour y renouveller tous les jours avec les enfans du défunt les marques de leur douleur. (D.J.)

FUNERAILLES des sauvages d'Amérique. " Parmi les peuples d'Amérique, dit le P. de Charlevoix, sitôt qu'un malade a rendu les derniers soupirs, tout retentit de gémissemens ; & cela dure autant que la famille est en état de fournir à la dépense ; car il faut tenir table ouverte pendant tout ce tems-là. Le cadavre paré de sa plus belle robe, le visage peint, ses armes & tout ce qu'il possédoit à côté de lui, est exposé à la porte de la cabane, dans la posture qu'il doit avoir dans le tombeau ; & cette posture, en plusieurs endroits, est celle où l'enfant est dans le sein de sa mere. L'usage de quelques nations est que les parens du défunt jeûnent jusqu'à la fin des funérailles ; & tout cet intervalle se passe en pleurs, en éjulations, à régaler tous ceux dont on reçoit la visite, à faire l'éloge du mort, & en complimens réciproques. Chez d'autres, on loue des pleureuses, qui s'acquitent parfaitement de leur devoir ; elles chantent, elles dansent, elles pleurent sans-cesse, & toûjours en cadence : mais ces démonstrations d'une douleur empruntée ne préjudicient point à ce que la nature exige des parens du défunt.

On porte, sans aucune cérémonie le corps au lieu de sa sépulture : mais quand il est dans la fosse, on a soin de le couvrir de maniere que la terre ne le touche point : il y est dans une cellule toute tapissée de peaux ; on dresse ensuite un poteau où l'on attache tout ce qui peut marquer l'estime qu'on faisoit du mort, comme son portrait, &c.... On y porte tous les matins de nouvelles provisions ; & comme les chiens & d'autres bêtes ne manquent point d'en faire leur profit, on veut bien se persuader que c'est l'ame du défunt qui y est venue prendre sa réfection.

Quand quelqu'un meurt dans le tems de la chasse, on expose son corps sur un échafaud fort élevé, & il y demeure jusqu'au départ de la troupe qui l'emporte avec elle au village. Les corps de ceux qui meurent à la guerre sont brûlés, & leurs cendres rapportées pour être mises dans la sépulture de leurs peres. Ces sépultures, parmi les nations les plus sédentaires, sont des especes de cimetieres près du village : d'autres enterrent leurs morts dans les bois au pié des arbres, ou les font secher & les gardent dans des caisses jusqu'à la fête des morts.

On observe en quelques endroits, pour ceux qui se sont noyés ou qui sont morts de froid, un cérémonial assez bizarre. Les préliminaires des pleurs, des danses, des chants, & des festins, étant achevés, on porte le corps au lieu de la sépulture ; ou, si l'on est trop éloigné de l'endroit où il doit demeurer en dépôt jusqu'à la fête des morts, on y creuse une fosse très-large, & on y allume du feu ; de jeunes gens s'approchent ensuite du cadavre, coupent les chairs aux parties qui ont été crayonnées par un maître des cérémonies, & les jettent dans le feu avec les visceres ; puis ils placent le cadavre ainsi déchiqueté dans le lieu qui lui est destiné. Durant cette opération, les femmes, & sur-tout les parentes du défunt, tournent sans-cesse autour de ceux qui travaillent ; les exhortent à bien s'acquiter de leur emploi ; & leur mettent des grains de porcelaine dans la bouche, comme on y mettroit des dragées à des enfans pour les engager à quelque chose qu'on souhaiteroit d'eux ".

L'enterrement est suivi de présens qu'on fait à la famille affligée ; & cella s'appelle couvrir le mort : on fait ensuite des festins accompagnés de jeux & de combats, où l'on propose des prix ; & là, comme dans l'antiquité payenne, une action toute lugubre est terminée par des chants & des cris de victoire.

Le même auteur rapporte que chez les Natchez, une des nations sauvages de la Loüisianne, quand une femme chef, c'est-à-dire noble, ou de la race du soleil, meurt, on étrangle douze petits enfans & quatorze grandes personnes, pour être enterrés avec elle. Journ. d'un voyag. d'Amériq. (G)

FUNERAILLES des Misilimakinaks. Il y a d'autres sauvages de l'Amérique qui n'enterrent point leurs morts, mais qui les brûlent ; il y en a même, divisés en ce qu'ils nomment familles, parmi lesquelles est la prérogative attachée à telle famille uniquement, de pouvoir brûler ses morts, tandis que les autres familles sont obligées de les enterrer : c'est ce qu'on voit chez les Misilimakinaks, peuple sauvage de l'Amérique septentrionale de la Nouvelle-France, où la seule famille du grand Lievre joüit du privilége de brûler ses cadavres ; dans les deux autres familles qui forment cette nation, quand quelqu'un de ses capitaines est décédé, on prépare un vaste cercueil, où après avoir couché le corps vêtu de ses plus beaux habits, on y renferme avec lui sa couverture, son fusil, sa provision de poudre & de plomb, son arc, ses fleches, sa chaudiere, son plat, son casse-tête, son calumet, sa boîte de vermillon, son miroir, & tous les présens qui lui ont été donnés à sa mort ; ils s'imaginent qu'avec ce cortége, il fera plus aisément le voyage dans l'autre monde, & qu'il sera mieux reçû des plus grands capitaines de la nation, qui le conduiront avec eux dans un lieu de délices. Pendant que tout cet attirail s'ajuste dans le cercueil, les parens du mort assistent à cette cérémonie en chantant d'un ton lugubre, & en remuant en cadence un bâton où ils ont attaché plusieurs petites sonnettes (D.J.)

FUNERAILLES des Ethiopiens. Lorsque quelqu'un d'eux vient à mourir, on entend de tous côtés des cris épouvantables ; tous les voisins s'assemblent dans la maison du défunt, & pleurent avec les parens qui s'y trouvent. On lave le corps mort ; après l'avoir enveloppé d'un linceuil de coton, on le met dans un cercueil, au milieu d'une salle éclairée par des flambeaux de cire : on redouble alors les cris & les pleurs au son des tambours de basque ; les uns prient Dieu pour l'ame du défunt, les autres disent des vers à sa loüange ; d'autres s'arrachent les cheveux ; & d'autres se déchirent le visage, pour marquer leur douleur : cette folie touchante & ridicule dure jusqu'à-ce que les religieux viennent lever le corps. Après avoir chanté quelques pseaumes, & fait les encensemens, ils se mettent en marche, tenant à la main droite une croix de fer, un livre de prieres à la gauche, & psalmodient en chemin : les parens & amis du défunt suivent, & continuent leurs cris avec des tambours de basque. Ils ont tous la tête rasée, qui est la marque du deuil. Quand on passe devant quelque église, le convoi s'y arrête ; on fait quelques prieres, & ensuite on continue sa route jusqu'au lieu de la sépulture. Là on recommence les encensemens ; on chante encore pendant quelque tems des pseaumes d'un ton lugubre, & on met le corps en terre. Les assistans retournent à la maison du défunt, où l'on leur fait un festin : on s'y trouve matin & soir pendant trois jours, & on ne mange point ailleurs. Au bout de trois jours, on se sépare jusqu'au huitieme ; & de huit en huit jours, on se rassemble pendant un certain espace de tems, pour pleurer le défunt, & manger chez lui.

Au surplus, les gens curieux de parcourir les folies des hommes en fait de funérailles, les trouveront semées dans le grand ouvrage des cérémonies religieuses, & rassemblées dans le petit traité de Muret, pere de l'Oratoire, des cérémonies funebres de toutes les nations. Paris 1675. in-12. (D.J.)

FUNERAILLES des Chrétiens, (Hist. mod. ecclésiast.) " Les Chrétiens de la primitive Eglise, dit M. l'abbé Fleury, pour mieux témoigner la foi de la résurrection, avoient grand soin des sépultures, & y faisoient grande dépense, à proportion de leur maniere de vivre : ils ne brûloient point les corps, comme les Grecs & les Romains ; ils n'approuvoient pas non plus la curiosité superstitieuse des Egyptiens, qui les gardoient embaumés & exposés à la vûe sur des lits dans leurs maisons ; mais ils les enterroient selon la coûtume des Juifs. Après les avoir lavés, ils les embaumoient, & y employoient plus de parfums, dit Tertullien, que les Payens à leurs sacrifices ; ils les enveloppoient de linges très-fins ou d'étoffes de soie ; quelquefois ils les revêtoient d'habits précieux ; ils les exposoient pendant trois jours, ayant grand soin de les garder cependant & de veiller auprès en prieres : ensuite ils les portoient au tombeau, accompagnant le corps avec quantité de cierges & de flambeaux, chantant des pseaumes & des hymnes pour loüer Dieu, & marquer l'espérance de la résurrection. On prioit aussi pour eux ; on offroit le sacrifice ; & l'on donnoit aux pauvres le festin nommé agapes, & d'autres aumônes. On en renouvelloit la mémoire au bout de l'an ; & on continuoit d'année en année, outre la commémoration qu'on en faisoit tous les jours au saint sacrifice.

L'Eglise avoit ses officiers destinés pour les enterremens, que l'on appelloit en latin fossores, laborantes, copiatae, c'est-à-dire fossoyeurs ou travailleurs, & qui se trouvent quelquefois comptés entre le clergé. On enterroit souvent avec les corps différentes choses pour honorer les défunts, ou pour en conserver la mémoire ; comme les marques de leur dignité, les instrumens de leur martyre, des phioles ou des éponges pleines de leur sang, les actes de leur martyre, leur épitaphe, ou du-moins leur nom, des médailles, des feuilles de laurier ou de quelqu'autre arbre toûjours verd, des croix, l'évangile. On observoit de poser le corps sur le dos, le visage tourné vers l'orient. Les Payens, pour garder les cendres des morts, bâtissoient des sépulcres magnifiques le long des grands chemins, & par-tout ailleurs dans la campagne. Les chrétiens au contraire cachoient les corps, les enterrant simplement ou les rangeant dans des caves, comme étoient auprès de Rome les tombes ou catacombes. voyez CATACOMBES.

Les anciens cimetieres ou lieux où l'on déposoit leurs corps, sont quelquefois appellés conciles des martyrs, parce que leurs corps y étoient assemblés ; ou arenes, à cause du terrein sablonneux. En Afrique, on nommoit aussi les cimetieres des aires.

On a toûjours eu grande dévotion à se faire enterrer auprès des martyrs ; & c'est ce qui a enfin attiré tant de sépultures dans les églises, quoique l'on ait gardé long-tems la coûtume de n'enterrer que hors des villes. La vénération des reliques & la créance distincte de la résurrection, ont effacé parmi les Chrétiens l'horreur que les anciens, même les Israélites, avoient des corps morts & des sépultures ". Moeurs des chrétiens, art. 31.

Cette coûtume d'enterrer les morts, & de les porter au lieu de leur sépulture en chantant des pseaumes, a toûjours été observée parmi les Chrétiens ; les cérémonies seulement ont varié suivant les tems & les usages. M. Lancelot, dans un mémoire sur une ancienne tapisserie, qui représente les faits & gestes de Guillaume le Conquérant, observe que dans un morceau de cette tapisserie sont figurées les cérémonies des funérailles d'Edoüard le confesseur, qui ont beaucoup d'affinité avec celles qui se pratiquent encore aujourd'hui en pareil cas : " On y voit Edoüard mort & étendu sur une espece de drap mortuaire parsemé de larmes, dans lequel deux hommes, l'un placé à la tête l'autre aux piés, arrangent le corps. A côté est un autre homme debout, tenant deux doigts de la main droite élevés ; cette attitude & son habillement, qui paroît ressembler à une chasuble, désignent un prêtre qui lui donne les dernieres bénédictions.... On y voit aussi une église.... & un homme par lequel on a voulu désigner les sonneurs de cloches.... La biére est portée par huit hommes ; elle est d'une figure presque quarrée, traversée de plusieurs bandes, & chargée de petites croix & autres ornemens : de ces huit hommes quatre sont en-devant, & les quatre autres derriere ; ils la portent sur leurs épaules par le moyen de longs bâtons excédans la biére, 2 à chaque bâton : c'étoit alors la maniere de porter les morts... cet usage s'est même conservé jusqu'à nos jours ; & les hanovars ou porteurs de sel, qui avoient le privilége de porter les corps ou les effigies de nos rois, porterent encore le corps ou l'effigie d'Henri IV. de la même maniere sur leurs épaules en 1610. Dans cette même tapisserie, aux deux côtés de la biére, paroissent deux autres hommes, qui ont une sonnette en chaque main. L'usage d'avoir des porteurs de sonnettes dans les pompes funebres, & qui subsiste encore en la personne des jurés-crieurs, lorsqu'ils vont faire leurs semonces, est très-ancien. Suidas, & un ancien scholiaste de Théocrite, en parlent ; on les appelloit alors codonophori ; ils ont été depuis connus sous le nom de pulsatores & exequiates, & leurs sonnettes, campanae manuales pro mortuis, ou campanae bajulae.... à la suite du cercueil, on voit un grouppe de personnes qui semblent toutes fondre en pleurs & en gémissemens ". Mémoires de l'academie, tome VIII.

La description des funérailles de ce roi, conformes à la simplicité de ces tems-là, montrent que les usages & les cérémonies en étoient toutes semblables à celles qui se pratiquent aujourd'hui dans les funérailles des particuliers : car on sait que parmi les catholiques, dès qu'un homme est mort, les jurés-crieurs, pour les personnes qui ont le moyen de les employer, préparent les tentures, drap mortuaire, croix, chandeliers, luminaire, & autres choses nécessaires à la cérémonie ; convient les parens & les amis, ou par billets ou de vive voix ; qu'on expose ensuite le défunt, ou dans une chambre ardente, ou à sa porte dans un cercueil ; que le clergé vient enlever le corps, & le conduit à l'église, suivi de ses parens, amis, &c. & qu'après plusieurs aspersions, & le chant des prieres & pseaumes convenables à cet acte de religion, on l'inhume ou dans l'Eglise même ou dans le cimetiere.

Les funerailles des grands, des princes, & des rois, sont accompagnés de plus de pompe : après qu'on les a embaumés & déposés dans un cercueil de plomb, on les expose pendant plusieurs jours sur un lit de parade, dans une salle tendue de noir & illuminée, où des prêtres & des religieux récitent des Prieres jour & nuit ; les cours souveraines, les communautés religieuses, & autres corps, viennent leur jetter de l'eau benite ; & au jour marqué, on les transporte au lieu de leur sépulture, dans un char drapé de noir, avec leurs armoiries, & attelé de chevaux caparaçonnés de noir, grand nombre de pauvres & de domestiques portans des flambeaux : ces cérémonies sont accompagnées de discours pour remettre le corps & le recevoir, suivies à quelques tems de-là de services solemnels & d'oraisons funebres. On y porte ordinairement les marques de la dignité du défunt, comme la couronne ducale, &c. ce sont des officiers ou gentilshommes qui sont chargés de ces fonctions ; & aux funérailles des rois, elles sont remplies par les grands officiers de la couronne.

Parmi les Protestans, on a retranché la plûpart des cérémonies de l'Eglise romaine ; les aspersions, croix, luminaire, &c. Pour l'inhumation d'un particulier, le ministre le conduit au lieu de sa sépulture ; & lorsqu'on l'a mis en terre, il adresse ces paroles au cadavre : dors en paix, jusqu'à-ce que le seigneur te réveille. Celles des rois & des princes se font avec le cérémonial attaché à leurs dignités, & d'usage différent selon les divers pays. (G)


FUNÉRAIRE(sacrifice) Antiquité. Les Romains avoient coûtume d'offrir aux dieux des sacrifices sanglans ou non-sanglans, à la mort de leurs parens & de leurs amis ; l'Histoire en fait mention, & les monumens qui représentent en sculpture ou en gravure, ces marques de la piété & de la tendresse des vivans envers les morts, ne sont pas rares dans les cabinets des Curieux. Le Roi de France possede une agathe onyx, dont la gravure peut en augmenter le nombre : on y voit sous le toît d'un bâtiment rustique, & tel qu'on les construisoit dans l'enfance de l'Architecture, une femme nue vis-à-vis d'un autel, sur lequel est allumé le feu sacré. Elle paroît occupée d'un sacrifice qu'elle offre aux dieux infernaux, avant que de placer dans la tombe l'urne qu'elle porte, & qui sans-doute est remplie des cendres de quelqu'un qu'elle a aimé. Derriere elle, est posé sur une colonne un vase rempli de fleurs ; car c'étoit une pratique usitée, & même une pratique religieuse, d'en répandre sur les tombeaux : purpureos spargam flores, dit Virgile, au sujet de la mort de Marcellus ; & saltem fungar inani munere. (D.J.)

FUNERAIRES, frais, (Jurisprud.) voyez ci-devant FRAIS FUNERAIRES.


FUNERES. f. (Hist. anc.) nom que les Romains donnoient dans les cérémonies funebres à la plus proche parente du mort. Celle-ci renfermée dans la maison avec les autres parentes faisoit les lamentations & les regrets usités en pareille occasion ; une autre appellée praefica, qui n'étoit pas parente, mais pleureuse publique de son métier, s'acquitoit du même devoir dans la rue.


FUNESTEadj. (Gramm.) qui porte malheur ; comme on voit dans ces exemples, une guerre funeste, un conseil funeste ; il signifie aussi qui menace d'un malheur, ou qui l'annonce, ainsi que dans cette phrase, il a quelque chose de funeste dans le regard. On appelle jours funestes, ceux qui sont marqués de quelques grands malheurs ; les hommes redoutent le retour de ces jours comme s'ils devoient ramener avec eux les mêmes malheurs. Mais, s'ils connoissoient mieux l'histoire du monde, ils ne trouveroient peut-être pas dans tout le cours d'une année, un seul moment qui ne fût marqué par plusieurs grands accidens, & ils s'accorderoient à ne regarder aucun jour ou à regarder tous les jours comme funestes.


FUNEURS(Marine) voyez AGREEURS.


FUNG(Géog.) ville de la Chine, dans la province de Nankin. Le P. Martini lui donne 35d 20' de lat. & la fait de 35d plus orientale que Peking. (D.J.)


FUNG-GYANG(Géog.) ville de la Chine, dans la province de Xansi, remarquable par la naissance de Chu, qui de simple prêtre, devint empereur de la Chine. Long. 134d 10'. latit. 35d 20', suivant le P. Martini. (D.J.)


FUNGIFER LAPIS(Hist. nat.) quelques auteurs ont donné ce nom à une pierre, qui suivant Gesner, se trouve dans le royaume de Naples, & en d'autres endroits de l'Italie. Cette pierre a, diton, la propriété de produire des champignons au bout de quatre jours, pourvû qu'elle ait été couverte de terre, & arrosée d'eau tiede. Voyez Boetius de Boot, lib. II. Cette pierre est, dit-on, une espece de tophus, dont le tissu est très-spongieux ; la propriété qu'elle a de produire des champignons vient, suivant les apparences, de ce que des graines de cette plante se sont logées dans les cavités dont elle est remplie, que la terre & l'eau tiede servent à développer. (-)


FUNGITES(Hist. nat.) nom qui a été donné par les Naturalistes à une espece de corail ou de concrétion marine qui ressemble à un champignon ; c'est ce qui lui a fait donner le nom qu'elle porte. La forme en est ordinairement conique, garnie de sillons à la surface, & plus évasée par une extrémité. La pierre à bâtir connue à Paris sous le nom de pierre de Verberie, contient beaucoup de fungites ; il y en a plusieurs variétés. Les Naturalistes leur ont donné plusieurs noms différens, & les ont appellés coralloides undulati, kymatitae, astroitae undulati, columelli, undulago, fungitae, &c. Voyez la Minéralogie de Wallerius, tome II. pages 37 & 41, & l'article CHAMPIGNON DE MER. Il y a encore une pierre que les anciens ont nommée fungites ou fongites, que l'on prétend se trouver en Perse, & avoir une couleur de feu, suivant les uns, & celle du crystal de roche, suivant d'autres ; c'est tout ce qu'on en sait. On lui a attribué la qualité d'appaiser les douleurs quand on la porte à la main gauche. Voyez Boetius de Boot. (-)


FUNGMA(Géog.) île d'Asie, au sud du royaume de Corée, à l'é. de l'embouchure de la riviere Jaune, & à l'O. de Firando, île du Japon. Les tables hollandoises donnent à la pointe occidentale de Fungma 146d 15' de long. & 34d 30' de lat. M. de Lisle retranche les 30 minutes de lat. dans sa carte des Indes & de la Chine, & remarque que cette île s'appelle aussi Guelpaerts. (D.J.)


FUNGOIDASTERS. m. (Hist. nat. bot.) genre de plantes qui ont une tête comme le champignon, dont elles different en ce que leur chapiteau est lisse par-dessus & par-dessous, & que les semences sont attachées dans quelques especes sur la surface supérieure, & dans d'autres sur l'inférieure. Nova plantar. amer. gener. &c. par M. Micheli. (I)


FUNGOIDESS. m. pl. (Hist. nat. bot.) genre de plante dont le caractere dépend de la figure de ses différentes especes. Il y en a quelques-unes qui ont la forme d'un verre à boire ; d'autres ressemblent à une poire renversée ; quelques-unes sont faites comme un entonnoir, un petit bouclier, une lentille, ou une coupe : on en trouve qui ont un pédicule, d'autres n'en ont point. Les semences sont très-petites dans toutes les especes ; elles sont rondes ou ovoïdes, & placées sur la face supérieure de la plante ; le ressort des fibres ou l'impulsion du vent les enleve & les dissipe comme de la fumée. Nova plant. amer. gener. par M. Micheli. (I)


FUNGUSS. m. terme de Chirurgie ; mot latin qui signifie champignon, & qui a passé par analogie dans la langue françoise, pour signifier des excroissances charnues qui viennent sur les membranes, sur les tendons, autour des articles, à l'anus, & aux parties naturelles de l'un & de l'autre sexe, ou qui s'élevent en forme de champignons dans les plaies & dans les ulceres. Voyez FONGUS & EXCROISSANCE, CONDYLOME, FIC, HYPERSARCOSE, SARCOME. (Y)

FUNGUS, (Maréchall.) se dit d'une excroissance de chairs spongieuses & superflues ; elle survient dans les ulceres & dans les plaies. Nous nommons encore de ce nom certaines protubérances plus ou moins considérables qui se montrent quelquefois dans les plaies saines. Celles qui naissent des plaies, qui ensuite de quelqu'opération pratiquée, ou par d'autres causes quelconques, affectent les piés, sont appellées fort improprement par les Maréchaux cerises ou bouillons.

La nécessité de consumer toute chair superflue, lâche, molle & saillante, qui s'oppose à la guérison de l'animal, & à la cicatrice que l'on s'efforce de procurer, est généralement connue. Les moyens que nous employons à cet effet varient selon la nature, le genre, & le volume des fungus. Les cathérétiques plus ou moins forts, dissiperont ceux que des topiques dessicatifs & détersifs n'auroient pû détruire. Ces derniers médicamens seront préférables dans le cas des fungus, qui naissent des plaies saines. Voyez ULCERES & PLAIES.

A l'égard des bouillons ou cerises, qui le plus communément n'arrivent qu'ensuite du peu d'attention du Maréchal à comprimer dans ses pansemens la partie malade, ou à faire porter son appareil également dans toute son étendue ; il faut se hâter de les réprimer par la voie de la compression & par des corrosifs plus ou moins legers, tels que la poudre de sabine, l'ochre, le vitriol blanc, la chaux vive, l'alun brûlé, le précipité rouge, dont on saupoudrera le fungus, sur lequel on appliquera ensuite un plumaceau garni d'onguent aegyptiac. Voyez SOLE. (e)

FUNGUS PETRAEUS, (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à la terre calcaire, legere, & spongieuse, que l'on nomme lait de lune, lac lunae.


FUNICULAIREadj. (Méchan.) on appelle machine funiculaire, un assemblage de cordes, par le moyen desquelles deux ou plusieurs puissances soûtiennent un ou plusieurs poids. Cette machine est au nombre des forces mouvantes, & elle est regardée comme la plus simple. Voyez FORCE MOUVANTE.

Pour trouver les lois de l'équilibre dans cette machine, il faut 1°. prendre toutes les puissances qui concourent en un même point, & les réduire toutes à une seule par le principe de la composition des forces. Voyez COMPOSITION. Cette puissance doit tirer dans la direction de la corde, ce qui est évidemment nécessaire pour l'équilibre ; premiere condition. 2°. En suivant cette même méthode, on réduira toutes les puissances qui agissent sur différens points de la corde, à un systême de puissances qui agissent toutes sur un même point (on doit regarder les poids s'il y en a plusieurs, comme autant de puissances) ; réduisant ensuite par le principe de la composition des forces, ces dernieres puissances qui agissent sur un même point, on arrivera enfin à deux puissances uniques qui doivent être égales & directement contraires, pour qu'il y ait équilibre ; seconde condition. Voyez le projet de Méchanique, & la méchanique de Varignon ; voyez aussi l'article CHAINETTE où nous avons indiqué une autre méthode pour trouver les lois de l'équilibre dans la machine funiculaire. (O)


FUNINS. m. (Marine) c'est le cordage d'un vaisseau ; on dit le funin d'un tel mât, d'une telle vergue, pour dire les cordages qui doivent servir à ce mât ou à cette vergue : mettre un vaisseau en funin, c'est le funer & l'agréer de tous ses cordages.

FUNIN, voyez FRANC-FUNIN. (Q)


FUNTAS. m. (Commerce) poids dont on se sert en Russie pour peser l'argent. Le funta contient 96 solotnichs, & chaque solotnich pese un peu plus d'un gros. Hubner, dictionn. univers.


FUREMPLAGES. m. (Jurisprud.) terme usité dans quelques coûtumes, pour dire à proportion du prix & valeur de la chose, au prorata & furemplage. Voyez la coûtume de Château-neuf, articles jx. & x. celle de Chartres, art. x. & Dreux, art. vij. (A)


FURETS. m. mustela sylvestris, viverra, furo seu furunculus, (Hist. nat. Zoolog.) animal quadrupede du genre des belettes, des foüines, des putois, &c. Il est un peu plus grand que la belette, & plus petit que le putois ; il a la tête applatie par le dessus, les oreilles larges, courtes, & droites ; le museau long & pointu, le corps mince & allongé, & le poil de couleur jaunâtre. Ray, synop. animal. quadr. Voyez QUADRUPEDE. (I)


FURETERv. n. (Chasse) faire sortir les lapins de leur terrier par le moyen des furets. Il y a plusieurs manieres de fureter. Si on veut prendre indistinctement tous les lapins, on enferme le terrier avec des panneaux, à deux toises au-moins des gueules les plus éloignées ; on introduit des furets dans le terrier ; on a près de soi un chien sûr, attentif & muet, & on attend en silence. Les lapins poursuivis par les furets sortent, & se précipitent dans le panneau, dont les mailles les enveloppent. Le chien les y suit, les tue, & revient à son maître. De cette maniere les lapins abandonnent le terrier presque sans résistance, parce que l'éloignement du panneau leur cache le danger. Mais on ne peut pas s'en servir dans les garennes, où il est important de ménager les hases. Voyez GARENNE.

Alors au lieu d'enfermer tout le terrier avec des panneaux, on adapte à chacune des gueules une bourse faite de filet, dont l'ouverture est proportionnée à celle de la gueule. Le lapin poursuivi se jette dans cette bourse avec un effort qui la referme, & on le prend vivant. Ainsi on a l'avantage de choisir les mâles pour les tuer, & on peut laisser aller les femelles.

Une troisieme maniere de fureter, qui n'a guere pour objet que le plaisir, demande beaucoup d'adresse & d'habitude à tirer. Lorsqu'on a introduit le furet dans le terrier, on se place à portée, le visage tourné du côté du vent ; & on tue à coups de fusil les lapins qui sortent avec une vîtesse extrème pour se dérober à la poursuite du furet.

De quelque maniere qu'on furete, les furets doivent être emmuselés, assez pour qu'ils ne puissent pas tuer les lapins qu'ils chassent. Sans cela ils joüiroient d'abord, & resteroient endormis dans le terrier. Mais il ne faut pas que la museliere les gêne au point de les occuper. Leur ardeur en seroit ralentie, & souvent ils ont besoin d'opiniâtreté pour faire sortir les lapins. Dans un grand terrier, un ou deux furets se lassent inutilement ; il en faut souvent six, & même plus, pour tourmenter les lapins & les forcer. La fatigue rebute les furets & les endort. Alors on a souvent de la peine à les reprendre. Quelques garenniers enfument le terrier avec de la paille, du soufre, de la poudre, &c. pour les éveiller, ou les contraindre à sortir. Mais le plus sûr moyen de reprendre son furet, c'est de faire au milieu du terrier un trou rond, d'un pié & demi de diametre, & de deux à trois piés de profondeur. Ce trou doit être placé de maniere qu'il aboutisse par plusieurs passages aux principales chambres du terrier. On place au fond un lit de foin, & on se retire. Le furet qui est accoûtumé à coucher sur le foin rencontre ce lit, & on l'y retrouve presque toûjours endormi le lendemain matin. Article de M. LE ROY, lieutenant des chasses du parc de Versailles.


FUREURS. f. (Gramm. & Morale) il se dit au singulier des passions violentes : ç'en est le degré extrême ; il aime à la fureur. Mais il est propre à la colere. Au pluriel, l'acception du terme change un peu. Il paroît marquer plutôt les effets de la passion que son degré ; exemple, les fureurs de la jalousie, les fureurs d'Oreste. On dit par métaphore que la mer entre en fureur ; c'est lorsqu'on voit ses eaux s'agiter, se gonfler, & qu'on les entend mugir au loin. Quand on dit la fureur des vents, on les regarde comme des êtres animés & violens. Il y a une fureur particuliere qu'on appelle fureur poétique ; c'est l'enthousiasme, voyez ENTHOUSIASME. Il semble que l'artiste devroit concevoir cette fureur avec d'autant plus de force & de facilité, que son génie est moins contraint par les regles. Cela supposé, l'homme de génie qui converse, deviendroit plus aisément enthousiaste que l'orateur qui écrit, & celui-ci plus aisément encore que le poëte qui compose. Le musicien qui tient un instrument, & qui le fait résonner sous ses doigts, seroit plus voisin de cette espece d'ivresse, que le peintre qui est devant une toile muette. Mais l'enthousiasme n'appartient pas également à tous ces genres, & c'est la raison pour laquelle la chose n'est pas comme on croiroit d'abord qu'elle doit être. Il est plus essentiel au musicien d'être enthousiaste qu'au poëte, au poëte qu'au peintre, au peintre qu'à l'orateur, & à l'orateur qu'à l'homme qui converse. L'homme qui converse ne doit pas être froid, mais il doit être tranquille.

FUREUR, (Mythol.) divinité allégorique du genre masculin chez les Romains, parce que furor dans la langue latine est de ce genre. Les Poëtes représentent ce dieu allégorique, la tête teinte de sang, le visage déchiré de mille plaies, & couvert d'un casque tout sanglant ; ce dieu, ajoûtent-ils, est enchaîné pendant la paix, les mains liées derriere le dos, assis sur un amas d'armes, frémissant de rage, & pendant la guerre ravageant tout, après avoir rompu ses chaînes. Voici la description qu'en fait Petrone dans son poëme de la guerre Civile entre César & Pompée.

.... abruptis ceu liber habenis,

Sanguinem latè tollit caput, ora que mille

Vulneribus confossa cruenda casside velat

Haeret. ... laevae. ... umbo,

Innumerabilibus telis gravis ; atque flagranti

Stipite dextra minax, terris incendia portat. (D.J.)

FUREUR, (Medecine) c'est un symptome qui est commun à plusieurs sortes de délires ; il consiste en ce que le malade qui en est affecté se porte avec violence à différens excès, semblables aux effets d'une forte colere ; il ne parle, ne répond qu'avec brutalité, en criant, en insultant : & s'il cherche à frapper, à mordre les personnes qui l'environnent ; s'il se maltraite lui-même, s'il déchire, brise, renverse ce qui se trouve sous ses mains ; en un mot, s'il se comporte comme une bête féroce ; la fureur prend le nom de rage.

On ne doit donc pas confondre la fureur avec la manie, quoiqu'il n'y ait point de manie sans fureur ; puisque ce symptome a aussi lieu essentiellement dans la phrénésie, assez souvent dans l'hydrophobie, & quelquefois jusqu'à la rage dans chacune de ces maladies ; mais aucune d'entr'elles n'étant aussi durable que la manie, parce qu'elle est la seule qui soit constamment sans fievre ; c'est aussi dans la manie que la fureur qui la distingue de la simple folie, subsiste le plus long-tems.

Ainsi, comme on ne peut pas traiter de la manie sans traiter de la fureur, comme du symptome qui en est le signe caractéristique, en tant qu'il est joint à un délire universel sans fievre ; pour éviter les repétitions, voyez MANIE. Voyez aussi DELIRE, PHRENESIE, RAGE, RAGE CANINE, & l'article suivant (d)

FUREUR UTERINE, nymphomania, furor uterinus ; c'est une maladie qui est une espece de délire attribué par cette dénomination aux seules personnes du sexe, qu'un appétit vénérien démesuré porte violemment à se satisfaire, à chercher sans pudeur les moyens de parvenir à ce but ; à tenir les propos les plus obscènes, à faire les choses les plus indécentes pour exciter les hommes qui les approchent à éteindre l'ardeur dont elles sont dévorées ; à ne parler, à n'être occupées que des idées relatives à cet objet ; à n'agir que pour se procurer le soulagement dont le besoin les presse, jusqu'à vouloir forcer ceux qui se refusent aux desirs qu'elles témoignent ; & c'est principalement par le dernier de ces symptomes, que cette sorte de délire peut être regardée comme une sorte de fureur, qui tient du caractere de la manie, puisqu'elle est sans fievre.

Ainsi comme la faim, ce sentiment qui fait sentir le besoin de prendre de la nourriture, & qui porte à le satisfaire, peut, par la privation des moyens trop long-tems continués, dégénérer en fureur jusqu'à la rage ; de même le desir de l'acte vénérien qui est un vrai besoin naturel dans certaines circonstances, eu égard au tempérament ou à d'autres causes propres à faire naître ou augmenter la disposition à ressentir vivement les aiguillons de la chair, peut être porté jusqu'à la manie, jusqu'aux plus grands excès physiques & moraux, qui tendent tous à la joüissance de l'objet, par le moyen duquel peut être assouvie la passion ardente pour le coït.

Si l'observation avoit fourni des exemples d'hommes affectés d'une envie déréglée de cette espece, poussée à une pareille extrémité, on auroit pû appeller la lésion des fonctions animales qui en seroit l'effet, fureur vénérienne ; nom qui auroit convenu à cette sorte de délire considéré dans les deux sexes : mais les hommes n'y sont pas sujets comme les femmes ; soit parce qu'en général les moeurs n'exigent nulle part d'eux la retenue, la contrainte, en quoi consiste la pudeur, cette vertu si recommandée aux femmes dans presque toutes les nations, même dans celles qui sont le moins civilisées ; parce qu'elle est une sorte d'attrait à l'égard des hommes, qui leur fait un plaisir de surmonter les obstacles opposés à leur desir, & qui contribue par conséquent davantage à entretenir le penchant des hommes pour les femmes, à favoriser la propagation de l'espece humaine ; soit aussi parce que les hommes sont constitués relativement aux organes de la génération, de maniere qu'il peut s'y exciter des mouvemens spontanés ; d'où s'ensuivent des effets propres à faire cesser le sentiment de besoin de l'acte vénérien (ressource dont le moyen n'est dans les femmes que bien imparfaitement) ; & que d'ailleurs le libertinage du coeur est assez répandu pour qu'il y ait peu d'hommes qui ne préviennent même ce soulagement naturel par l'abus de soi-même, au défaut de l'usage des femmes, dans le cas où il ne peut pas être recherché, par bienséance, ou par tout autre empêchement. Voyez GENERATION, POLLUTION, MASTUPRATION. Ensorte qu'il peut y avoir à la vérité dans les hommes comme dans les femmes, une disposition à l'appétit vénérien, augmentée outre mesure, ainsi qu'ils l'éprouvent dans le priapisme, le satyriasis : mais elle n'est jamais portée jusqu'à dégénérer en fureur ; parce que le besoin est satisfait d'une maniere ou d'autre, avant que ce dernier excès puisse avoir lieu. Voyez SALACITE, PRIAPISME, SATYRIASIS.

La mélancolie érotique n'a pas pour objet immédiat l'acte vénérien en général, mais le desir d'y procéder avec une personne déterminée que l'on aime éperdument. Voyez EROTIQUE.

Il ne faut pas non plus confondre le prurit du vagin avec la fureur utérine ; celui-là peut être une disposition à celle-ci, mais il n'en est pas toûjours suivi ; il excite, il force à porter les mains aux parties affectées, à les frotter pour se procurer du soulagement, comme il arrive à l'égard de la demangeaison dans toute autre partie du corps, que l'on gratte dans la même vûe, c'est-à-dire pour en enlever les causes irritantes. Mais dans le cas dont il s'agit ici, les attouchemens se font sans témoin, sans indécence (voyez VAGIN), en quoi ils different de ceux qu'occasionne la fureur utérine ; ou s'ils sont faits avec affectation & par des moyens contraires à l'honnêteté, c'est l'effet de la corruption des moeurs, non pas un délire.

L'appétit vénérien, aestrum venereum (dont il a été omis de traiter en son lieu, à quoi il va être un peu suppléé ici, parce que le sujet l'exige ; voyez d'ailleurs GENERATION), ce sentiment qui porte aux actes nécessaires ou relatifs à la propagation de l'espece, peut être excité, en le comparant à celui des alimens (voyez FAIM), par l'impression que reçoivent les organes de la génération, transmise au cerveau, avec des modifications propres à affecter l'ame d'idées lascives ; ou par l'influence sur ces mêmes parties de l'ame affectée d'abord de ces idées, indépendamment de toute impression des sens ; par laquelle influence elles sont mises en jeu, & réagissent sur le cerveau ; d'où il s'ensuit que l'ame est de plus en plus fortement occupée de sensations voluptueuses qui ne peuvent cependant pas subsister long-tems sans la fatiguer ; qui la portent en conséquence à faire cesser cette inquiétude attachée à la durée de toute sorte de sentimens trop vifs ; à employer les moyens que l'instinct lui apprend être propres à produire ce dernier effet. Voyez SENS, PLAISIR, DOULEUR, INSTINCT.

Si l'appétit vénérien est modéré, on peut suspendre les effets des sentimens qu'il inspire, des desseins qu'il suggere pour se procurer le moyen de le satisfaire ; comme on ne se porte pas à manger toutes les fois qu'on en a envie ; comme on se fait violence pendant quelque tems pour supporter la faim, lorsqu'on ne peut pas se procurer des alimens, ou qu'on a des raisons de s'en abstenir, enfin lorsque la faim n'est pas canine. Voyez FAIM CANINE.

Mais ainsi que selon le proverbe ventre affamé n'a point d'oreilles, & qu'on n'écoute plus la raison qui exhorte à ne pas manger ou à prendre patience, dans les cas où on ne peut avoir des alimens à sa disposition, le sentiment du besoin pressant de nourriture l'emportant alors sur toute autre considération, & se changeant souvent en fureur : de même en est-il du besoin de satisfaire l'appétit vénérien ; celui-ci comme sensitif, l'emporte sur l'appétit raisonnable : ensorte que, comme dit le poëte,

Fertur equis auriga, nec audit currus habenas.

C'est ce qui a lieu sur-tout dans les femmes qui sont doüées d'un tempérament plus délicat & plus sensible, dont la plûpart des organes sont aussi plus irritables, tout étant égal, que ceux des hommes, surtout ceux des parties génitales.

Ainsi cet excès d'appétit vénérien qui est à cet appétit réglé ce que la faim canine, la boulimie, sont au desir ordinaire de manger, forme une vraie maladie, la salacité immodérée, dont le degré extrême dans les femmes, lorsqu'elle va jusqu'à déranger l'imagination, & porte à des actions violentes, est, ainsi qu'il a été dit ci-devant, la fureur utérine.

Les anciens attribuoient la cause de l'appétit vénérien excessif dans les deux sexes, à une vapeur qu'ils imaginoient s'élever en grande abondance de la liqueur séminale trop retenue & corrompue dans les testicules, qu'ils croyoient être portée par la moëlle épiniere dans le cerveau, & y troubler les esprits animaux ; d'où doit, selon eux, s'ensuivre le desordre des idées, le délire relatif à celles qui sont dominantes.

Mais comme il n'est plus question depuis longtems de vraie semence par rapport aux femmes, ou au-moins d'aucune liqueur vraiment analogue à la liqueur séminale virile, on a cherché ailleurs la cause prochaine commune aux deux sexes du sentiment qui les porte à l'acte vénérien ; il paroît que l'on ne peut en concevoir d'autre que l'érétisme, la tension de toutes les fibres nerveuses des parties génitales, qui les rend plus susceptibles de vibrations, par les contacts physiques ou méchaniques ; ensorte que ces vibrations excitées par quelque moyen que ce soit, transmettent au cerveau des impressions proportionnées, auxquelles il est attaché de représenter à l'ame, ou de lui faire former des idées relatives aux choses vénériennes ; d'où s'ensuit une sorte de réaction du cerveau sur les organes de la génération, vers lesquels il se fait une nouvelle évasion de fluide nerveux, comme il arrive à l'égard de toutes les parties où s'exerce quelque sentiment stimulant, de quelque nature qu'il soit ; desorte que par cette émission l'érétisme se soûtient & augmente, au point que l'ame toûjours plus affectée par la sensation qui en résulte, semble en être uniquement & entierement occupée, & n'être unie qu'aux parties dont elle éprouve de si fortes influences.

Telle est l'idée générale que l'on peut prendre de ce qui produit immédiatement le desir des actes vénériens ; il reste à déterminer les différentes causes occasionnelles qui établissent l'érétisme des parties génitales dont il vient d'être parlé ; l'observation constante a appris qu'elles peuvent consister dans l'effet des douces irritations procurées à ces organes, & à ceux qui y ont rapport ; par les attouchemens, par le coït, ou par l'action stimulante de quelques humeurs acres, dont ils sont abreuvés, humectés, ou par tout autre effet externe ou interne qui peut exciter l'orgasme ; tout cela joint à la sensibilité habituelle de ces mêmes organes.

Ainsi ces causes peuvent avoir leur siége dans les parties génitales mêmes, ou elles consistent dans la disposition des fibres du cerveau relatives à ces parties, indépendamment d'aucune affection immédiate de celles-ci ; dans la tension dominante de ces fibres, excitée par tout ce qui peut échauffer l'imagination & la remplir d'idées voluptueuses, lascives ; ainsi que la fréquentation de personnes de sexe différent, jeunes, de belle figure, qui font profession de galanterie ; les propos, les conversations, les lectures, les images obscenes, la passion de l'amour, les caresses de l'objet aimé ; & toutes ces choses établissent, augmentent d'autant plus cette disposition, qu'elles concourent avec un tempérament naturellement chaud, vif, entretenu par la bonne chere & l'oisiveté, dans l'âge où l'inclination aux plaisirs des sens est dans toute sa force.

Toutes ces causes morales & les conséquences qu'elles fournissent, regardent autant l'homme que la femme ; elles produisent des effets, elles font des impressions proportionnées à la sensibilité respective dans les deux sexes ; il ne peut y avoir de la différence entre les différentes causes procatartiques, qui viennent d'être rapportées, que par rapport aux causes physiques ; il faudroit donc à-présent voir de quelle maniere celles-ci sont appliquées à produire les effets dans chacun d'eux ; mais quant à l'homme, ce n'est pas ici le lieu, voyez PRIAPISME, SATYRIASIS. A l'égard de la femme dont il s'agit expressément dans cet article, on peut dire encore que la plûpart des causes physiques, les attouchemens, les frottemens, le coït, operent les impressions de la même maniere dans les deux sexes, en tant qu'ils ébranlent les houpes nerveuses des parties génitales, y causent des vibrations plus ou moins fortes, produisent des chatouillemens, des sensations délicieuses plus ou moins vives.

Ainsi ce n'est pas dans ces sortes de causes de l'orgasme vénérien que l'on trouve une autre maniere d'affecter dans les femmes que dans les hommes ; ce ne peut être que dans celles qui sont propres à leur conformation, telles que 1°. la pléthore menstruelle, qui en distendant les vaisseaux de toutes les parties génitales, donne conséquemment aussi plus de tension aux membranes nerveuses du vagin, & les rend d'une plus grande sensibilité aux approches du tems des regles, laquelle subsiste ordinairement pendant qu'elles sont supprimées ; de maniere que tout étant égal, les femmes sont plus disposées à l'appétit vénérien dans ces différentes circonstances, que dans toutes autres. 2°. La grande abondance de l'humeur salivaire, filtrée dans les glandes du vagin, qui étant portée dans ses vaisseaux excrétoires, les tient dilatés, tendus ; d'où suit le même effet que du gonflement des vaisseaux par le sang menstruel. 3°. La qualité acre, irritante de cette humeur, qui étant versée dans la cavité du vagin, excite une sorte de prurit par son action sur les nerfs, lequel produit dans les membranes de cette cavité une phlogose très-propre encore à les rendre susceptibles d'une grande sensibilité.

Toutes les différentes causes auxquelles il peut être attaché de produire un semblable effet, peuvent être rapportées à l'une de ces trois, ou à leur concours, différemment combiné avec le tempérament du sujet & les causes morales ci-devant mentionnées, pour établir la cause de l'appétit vénérien plus ou moins vif, à proportion de l'intensité de la disposition.

Ainsi on peut ranger parmi les choses qui peuvent contribuer à produire cette disposition, les drogues auxquelles on attribue une vertu spécifique pour cet effet, que l'on appelle par cette raison aphrodisiaques, c'est-à-dire propres à exciter aux actes vénériens. Celle qui a la réputation d'avoir le plus éminemment cette qualité, est la préparation des mouches cantharides. Voyez CANTHARIDES. Sennert vante aussi beaucoup l'efficacité du borax à cet égard : elle est si grande, selon lui, qu'une femme ayant bû un verre d'hypocras, dans lequel on avoit dissous de cette drogue, en fut tellement échauffée pour les plaisirs de l'amour, qu'elle tomba dans une vraie fureur utérine. Un mélange de musc mêlé avec des huiles aromatiques, introduit par quelque moyen que ce soit dans la cavité du vagin, peut aussi, selon Ettmuller, produire les mêmes effets.

Mais ces prétendus aphrodisiaques n'operent pour la plûpart qu'entant qu'ils sont stimulans en général, comme tous les acres subtils, pénétrans, sans aucune détermination à porter leurs effets plus particulierement sur une partie que sur une autre. L'expérience n'a appris à excepter guere que les cantharides, qui paroissent développer leur action dans les voies des urines plus qu'ailleurs ; d'où par communication elles se font sentir dans les organes de la génération, en y excitant une sorte d'érétisme.

De cette disposition corporelle produite par cette cause, ou par toute autre de celles qui viennent d'être exposées, s'ensuivent des sensations qui ne peuvent que faire naître dans l'ame des idées relatives aux plaisirs de l'amour ; comme un certain gonflement des tuniques de l'estomac, par le sang, par le suc gastrique, & l'écoulement de la salive doüée de certaines qualités, réveille dans l'ame des idées relatives à l'appétit des alimens (Voyez FAIM) ; idées qui peuvent être si fortes, s'il n'y est fait diversion par quelqu'autre, que les fibres du cerveau, dont un degré déterminé de tension est la cause physique à laquelle il est attaché de produire ces idées, contractent pour ainsi dire l'habitude de cette disposition, restent tendues, & par conséquent susceptibles d'affecter l'ame de la même maniere, indépendamment de l'impression transmise des organes de la génération ; ensorte que les causes physiques qui donnent lieu à cette impression, peuvent cesser sans que l'état des fibres correspondantes du cerveau change : & il subsiste ainsi une vraie cause de délire, en tant que l'ame est continuellement occupée d'idées relatives à l'appétit vénérien, sans qu'aucune cause externe y donne lieu, & que la personne ainsi affectée juge certainement mal durant la veille de ce qui est connu de tout le monde, puisqu'elle cherche à satisfaire ses desirs sans décence, sans discrétion, par conséquent d'une maniere contraire aux bonnes moeurs & à l'éducation qu'elle a reçûe. Or, comme c'est le propre de toutes les passions de devenir plus violentes à proportion qu'elles trouvent plus de résistance, celle de l'appétit vénérien immodéré dans les femmes n'étant pas ordinairement bien facile à contenter, soit parce qu'elle est quelquefois insatiable, soit parce qu'il n'est pas toûjours possible ou permis d'employer les moyens propres à cet effet, s'irrite par ces obstacles, & dégenere en fureur, qui parce qu'elle est censée être causée par les influences de la matrice, est appellée utérine.

Cependant non-seulement ce délire violent peut exister sans que cet organe continue à y avoir aucune part, après avoir concouru à en établir la cause, mais encore sans qu'il ait jamais été précédemment affecté d'aucun vice qui y ait rapport, & même d'aucune disposition propre à produire cet effet. Il suffit que les causes morales ayent fortement influé sur le cerveau, pour y établir celle de la fureur utérine ; ainsi que l'idée vive, le desir pressant de différens alimens, ou autres choses singulieres, qui affectent les femmes grosses, suffisent pour leur en donner de fortes envies, qui ressemblent souvent à un vrai délire, sans qu'il y ait aucune autre cause particuliere dans les organes qui puisse faire naître l'idée de cet appétit, de ces fantaisies : c'est alors une véritable espece de mélancolie maniaque. Voyez ENVIE, MELANCOLIE, MANIE.

Mais la fureur utérine ne s'établit jamais tout de suite, avec tous les symptomes qui la caractérisent. Les personnes qui en sont affectées, ont toûjours commencé à ressentir par degrés les aiguillons de la chair ; quoiqu'elles en soient d'abord fort inquiétées, la pudeur les retient pendant quelque tems ; elles tâchent de ne pas manifester le sentiment honteux qui les occupe fortement ; elles sont alors d'une humeur sombre, taciturne, triste ; & il leur échappe de tems en tems des soupirs, des regards lascifs, surtout lorsqu'il se présente à elles des hommes, ou que l'on tient quelque propos qui a rapport aux plaisirs de l'amour ; elles rougissent, leur visage s'allume ; & si on leur touche le pouls dans ce tems-là, on le trouve plus agité, ainsi qu'il arrive dans la passion érotique. Voyez EROTIQUE. Galien assûre qu'il n'a jamais été trompé à employer ce moyen, lorsqu'il a eu à découvrir les maladies causées par les desirs vénériens. Après ces premiers symptomes, lorsque le mal augmente, les personnes affectées paroissent perdre peu-à-peu toute pudeur ; elles deviennent babillardes ; elles ne cachent plus l'inclination qu'elles ont à s'entretenir, à jaser sur les plaisirs de l'amour ; elles s'emportent facilement contre les personnes qui les contrarient, qui tâchent de les contenir ; elles se livrent aussi quelquefois sans sujet à des accès de colere dangereuse ; elles paroissent violemment agitées ; elles font de grands cris mêlés d'éclats de rire, & passent subitement à donner des marques de chagrin, de douleur, à répandre des larmes, jusqu'à paroître desolées, desespérées ; ce qui dure peu, pour passer à un état opposé.

Enfin ces malheureuses en viennent à ne garder plus aucune mesure, à demander, à rechercher ce qui peut les satisfaire, à témoigner leur désir par les propos, les invitations, les gestes, & à se livrer pour cet effet au premier venu, s'il se trouve quelqu'un qui veuille s'y prêter ; elles ne se contentent pas de peu ; elles ne font souvent qu'irriter leur desir par ce qui sembleroit devoir suffire pour les assouvir ; ce qui a lieu surtout dans le cas où la cause n'a pas son siége dans les parties génitales, où elle n'est pas par conséquent de nature à cesser par les effets des actes vénériens, où en un mot elle dépend absolument du dérangement du cerveau, parce qu'il n'est pas susceptible d'être corrigé par le remede ordinaire de l'amour, qui est la joüissance : au contraire ce vice en devient toûjours plus considérable, attendu que l'érétisme des fibres nerveuses & l'orgasme doivent nécessairement augmenter de plus en plus par cet effet, & par conséquent l'idée de desir qui est attachée à cet état doit être de plus en plus forte & violente. C'étoit sans-doute par l'effet d'un délire de cette espece porté à cet excès, que Messaline étoit plûtôt fatiguée, lassée, que rassasiée des plaisirs grossiers auxquels elle se prostituoit sans mesure avec la plus infame brutalité. Ce ne peut être aussi vraisemblablement que par cause de maladie, que Sémiramis, cette reine des Assyriens, après s'être rendue digne des plus grands éloges, tomba dans la plus honteuse & la plus excessive dissolution, jusqu'à se livrer à un grand nombre de ses soldats, qu'elle faisoit après cela périr par les moyens les plus cruels. Martial fait mention des énormes débauches d'une Coelia, qui ne pouvoient être aussi, selon toute apparence, que l'effet d'une fureur utérine, puisqu'elle n'étoit pas une prostituée de profession ; autrement il n'y auroit rien eu de remarquable dans ses excès. Ce poëte en parle ainsi, Ep. lib. VII.

Das Cattis, das Germanis, das Coelia Dacis,

Nec Cilicum spernis, &c.

Le peu d'exemples que l'on peut citer de personnes atteintes de cette maladie, prouve qu'elle n'a par conséquent jamais été bien commune ; & elle est devenue toûjours plus rare, à mesure que les moeurs sont devenues plus séveres sur le commerce entre les deux sexes, parce qu'il en résulte moins de causes occasionnelles ; mais elle se présente encore quelquefois. Il est peu d'auteurs qui ayant été grands praticiens, n'ayent eu quelques observations autoptiques à rapporter à ce sujet, avec différentes circonstances : M. de Buffon, sans être medecin (hist. nat. tom. IV. de la puberté), dit avoir eu occasion d'en voir un exemple dans une jeune fille de douze ans, très-brune, d'un teint vif & fort coloré, d'une petite taille, mais déjà formée avec de la gorge & de l'embonpoint : elle faisoit les actions les plus indécentes au seul aspect d'un homme ; rien n'étoit capable de l'en empêcher, ni la présence de sa mere, ni les remontrances, ni les châtimens : elle ne perdoit cependant pas totalement la raison ; & ses accès, qui étoient marqués au point d'en être affreux, cessoient dans le moment qu'elle demeuroit seule avec des femmes. Aristote prétend que c'est à cet âge que l'irritation est la plus grande, & qu'il faut garder le plus soigneusement les filles. Cela peut être vrai pour le climat où il vivoit : mais il paroît que dans les pays froids, le tempérament des femmes ne commence à prendre de l'ardeur que beaucoup plus tard.

On observe en général que les jeunes personnes sont plus sujettes à la fureur utérine, que celles d'un âge avancé. Mais les filles brunes, de bonne santé, d'une forte complexion, qui sont vierges, sur-tout celles qui sont d'état à ne pouvoir pas cesser de l'être ; les jeunes veuves qui réunissent les trois premieres de ces qualités ; les femmes de même qui ont des maris peu vigoureux, ont plus de disposition à cette maladie que les autres personnes du sexe : on peut cependant assûrer que le tempérament opposé est infiniment plus commun parmi les femmes, dont la plûpart sont naturellement froides, ou tout au-moins fort tranquilles sur le physique de la passion qui tend à l'union des corps entre les deux sexes.

La fureur utérine est susceptible d'une guérison facile à procurer, si on y apporte remede dès qu'elle commence à se montrer, & sur-tout avant qu'elle ait dégénéré en une manie continuelle : car lorsqu'elle est parvenue à ce degré, il est arrivé quelquefois que le mariage même ne la calme point. Il y a des exemples de femmes qui sont mortes de cette maladie : cependant dans le cas même où elle est dans toute sa force, on est fondé à en attendre la cessation ; il y a même lieu de la regarder comme prochaine, lorsque les accès sont moins longs, que les intervalles deviennent plus considérables, & que l'on peut parler des plaisirs vénériens, sans que la malade paroisse en être aussi affectée, aussi portée à s'occuper de l'objet de son délire qu'auparavant. On doit être promt à empêcher les progrès de cette maladie naissante, d'autant plus qu'elle peut non-seulement avoir les suites les plus fâcheuses pour la personne qui en est affectée, mais encore elle établit un préjugé deshonorant à l'égard de la famille à qui elle appartient ; préjugé toûjours injuste, s'il n'y a point de reproche à faire aux parens concernant l'éducation & les soins qu'ils ont dû prendre de la conduite de la malade, qui d'ailleurs avec toute la vertu possible, peut être tombée dans le cas de paroître en avoir secoué entierement le joug, parce que l'ame ne se commande pas toûjours elle-même, parce que les sens lui ravissent quelquefois tout son empire, & qu'elle est réduite alors à n'être que leur esclave.

Les indications à remplir dans le traitement de la fureur utérine, doivent être tirées de la nature bien connue de la cause prochaine qui produit cette maladie, jointe à celle de ses causes éloignées, de ses causes occasionnelles, & du tempérament de la personne affectée.

Si elle est naturellement vive, sensible, voluptueuse, qu'elle puisse légitimement se satisfaire par l'usage des plaisirs de l'amour, c'est communément le plus sûr remede qui puisse être employé contre la fureur utérine, selon l'observation des plus fameux praticiens, qui pensent que la maxime générale doit être appliquée dans ce cas : quò natura vergit, eò ducendum ; aussi n'en trouve-t-on aucun qui ne propose cet expédient comme le plus simple, lorsqu'il peut être mis en usage. Voyez les observations à ce sujet, de Schenckius, de Bartholin, d'Horstius ; les oeuvres de Sennert, de Riviere, d'Ettmuller, &c.

En effet il en est de cet appétit, lorsqu'il peche plutôt par excès que par dépravation, comme de celui des alimens, lorsqu'il n'est qu'un desir violent des alimens ; la faim s'appaise en mangeant.

Mais si la fureur utérine ne dépend ni du tempérament seul, ni d'aucun vice dans les parties génitales ; si elle n'est autre chose qu'un vrai délire mélancolique, maniaque, provenant du vice du cerveau, sans aucune influence étrangere à ce viscere, on a vû dans ce cas que les actes vénériens ne procurent aucun soulagement, & qu'ils sont insuffisans, quelque répétés qu'ils puissent être, pour faire cesser la disposition des fibres nerveuses, qui entretiennent ou renouvellent continuellement dans l'ame l'idée d'un besoin qui n'existe réellement point. Il en est dans ce cas comme de la faim, que le manger ne fait pas cesser. Voyez FAIM CANINE. Il faut alors avoir recours aux remedes physiques & moraux, propres à détruire cette disposition.

On peut encore concevoir des cas où la fureur utérine, bien loin d'être calmée par les moyens qui semblent d'abord les plus propres à satisfaire les desirs déréglés en quoi elle consiste, ne fait qu'être irritée par ces mêmes moyens, en tant qu'ils augmentent & soûtiennent l'orgasme dans les parties génitales, dont l'impression ne cesse d'être transmise au cerveau, & d'y rendre l'érétisme toûjours plus violent ; ensorte que dans ces différens cas ils seroient plûtôt utiles à être employés dans la suite comme préservatifs, que comme curatifs.

Mais si la malade, quoique très-bien dans le cas où le coït pourroit lui être salutaire, n'est pas susceptible d'un pareil conseil, comme le mal est pressant, & qu'il ne faut pas lui laisser jetter de profondes racines, il faut recourir aux moyens convenables que l'art propose, pour faire cesser les effets d'un sentiment aussi importun que révoltant par sa nature. Ainsi lorsqu'il y a lieu d'attribuer la maladie à la pléthore, soit qu'elle soit naturelle à l'approche de l'évacuation menstruelle, soit qu'elle provienne de cette évacuation supprimée, on doit employer la saignée à grande dose & à plusieurs reprises, à proportion de l'intensité de cette cause déterminante, & il faut travailler à rétablir les regles selon l'art. Voyez MENSTRUES.

Si la maladie dépend d'un engorgement des glandes & des vaisseaux salivaires du vagin, avec chaleur, ardeur dans les parties génitales, on peut faire usage avec succès d'injections, d'abord rafraîchissantes, tempérantes ; & après qu'elles auront produit leur effet, on continuera à en employer, mais d'une nature différente. On les rendra legerement acres, apophlegmatisantes. Les bains domestiques, les lavemens émolliens, les tisanes émulsionnées, nitreuses, conviennent pour satisfaire à la premiere de ces deux indications-ci. Les purgatifs minoratifs, les doux hydragogues, les ventouses aux cuisses, les sangsues à l'anus pour procurer un flux hémorrhoïdal, peuvent être placés avec succès pour remplir la seconde. En détournant de proche en proche les humeurs dont sont surchargées les membranes du vagin, on doit observer d'accompagner l'usage de ces différens remedes d'un régime propre à changer la qualité des humeurs, à en corriger l'acrimonie, l'ardeur dominante, à en refréner la partie bilieuse stimulante : ainsi l'abstinence de la viande, sur-tout du gibier ; des alimens épicés, salés ; des liqueurs spiritueuses, du vin même, & un grand retranchement sur la quantité ordinaire de la nourriture (sine baccho & cerere friget venus) ; l'attention de faire éviter l'usage de tout ce qui peut favoriser la mollesse, la sensualité, comme les trop bons lits, les coites, qui, comme on dit, échauffent les reins ; en un mot de prescrire un genre de vie austere à tous égards.

Si la maladie doit être attribuée principalement à des causes morales, il faut être extrêmement sévere à les faire cesser, il faut éloigner tout ce qui peut échauffer l'imagination de la malade, lui présenter des idées lascives ; ne la laisser aucunement à portée de voir des hommes ; lui fournir la compagnie de personnes de son sexe, qui ne puissent lui tenir que des propos sages, réservés, qui lui fassent de douces corrections, qui lui rappellent ce qu'elle doit à la religion, à la raison, aux bonnes moeurs, à l'honneur de sa famille : en même tems, on pourra faire usage de tous les remedes propres à combattre la mélancolie, la manie : les anti-hystériques, les anti-spasmodiques, les anodyns, les narcotiques, sont les palliatifs les plus assûrés à employer, en attendant que l'on ait pû détruire entierement la cause par les moyens convenables.

La plûpart des auteurs proposent plusieurs médicamens, comme des spécifiques pour éteindre les ardeurs vénériennes ; tels que le camphre enflammé & plongé dans la boisson ordinaire, ou employé tout autrement, sous quelque forme que ce soit : il est bon à joindre à tous les autres remedes propres à détruire l'excès de l'appetit vénérien. Horstius, epist. ad Bartholinum, assûre n'avoir jamais éprouvé que de très-grands effets du camphre, l'ayant souvent mis en usage pour des filles attaquées de la fureur utérine. Voyez CAMPHRE. On trouve aussi le suc de l'agnus castus, des tendrons de saule, de morelle, de petite joubarbe, très-recommandé pour être donné dans les juleps, contre cette maladie : on fait aussi avec succès des décoctions des feuilles de ces plantes, pour les injections, les fomentations, les bains nécessaires. On vante beaucoup aussi les bons effets du nymphéa, des violettes, de leur syrop : on conseille sur-tout très-fort l'usage des préparations de plomb, entr'autres du sel de Saturne ; mais seulement pour les personnes qui ne sont pas & qui ne doivent jamais être dans le cas de faire des enfans ; parce que ce métal pris intérieurement rend, dit-on, les femmes stériles. Riviere, dans l'idée où il étoit qu'il falloit attribuer la fureur utérine à la semence échauffée, faisoit prendre, pour l'évacuer, des bols de térébenthine. Quel cas fera d'un pareil remede le medecin qui ne croit pas à l'existence de cette humeur séminale, & qui ne juge de son effet que par l'idée qu'en donne ce vénérable praticien ?

Mais aucun de tous ces médicamens ne convient dans le traitement de la maladie dont il s'agit, qu'entant qu'il peut satisfaire à quelqu'une des différentes indications qui se présentent à remplir, & non point par aucune autre vertu spéciale. Il n'en est aucun qui puisse être employé indistinctement dans tous les cas : c'est au medecin prudent à choisir entr'eux, conformément à l'idée qu'il s'est faite de la nature de la maladie, d'après les conséquences qu'il a judicieusement tirées de la nature de ses causes & de ses symptomes, combinée avec la constitution de la malade. (d)


FURFUR(Chirur.) ce mot signifie en général son ; c'est un symptome ou plûtôt un effet de la gale seche, qui en rongeant la peau, sur-tout la cuticule, en éleve des couches semblables à du son. Lorsqu'il attaque la tête, la barbe, ou les sourcils, il prend le nom de porrigo.


FURIESS. f. pl. (Myth.) divinités infernales imaginées par la Fable pour servir de ministres à la vengeance des dieux contre les méchans, & pour exécuter sur eux les sentences des juges des enfers. Expliquons ici l'origine des furies, leurs noms, leur emploi, leur caractere, le culte qu'on leur a rendu, & les figures sous lesquelles on les a représentées.

Selon Apollodore, les furies avoient été formées dans la mer, du sang qui sortit de la plaie que Saturne avoit fait à son pere Coelus : Hésiode qui les rajeunit d'une génération, les fait naître de la Terre, qui les avoit conçûes du sang de Saturne : cependant le même poëte dit ailleurs, qu'elles étoient filles de la Discorde, & qu'elles étoient nées le cinquieme de la Lune, assignant à un jour que les Pythagoriciens croyoient consacré à la Justice, la naissance des déesses qui devoient la faire rendre avec la derniere rigueur. Eschyle & Lycophron prétendent que les furies étoient filles de la Nuit & de l'Achéron : Sophocle tire leur origine de la Terre & des Ténebres ; Epyménide veut qu'elles soient soeurs de Vénus & des Parques, & filles de Saturne & d'Evonyme : d'autres enfin assûrent qu'elles devoient leur naissance à Pluton & à Proserpine. Ainsi chacun, en suivant en cela les traditions de son tems & de son pays, a donné à ces divinités les parens qui paroissoient le mieux convenir à leur caractere : mais la véritable origine de ces déesses se doit plus vraisemblablement attribuer à l'idée naturelle qu'ont eue les hommes, qu'il devoit y avoir après cette vie des châtimens de même que des récompenses : c'est sans-doute sur cette idée que furent formés l'Enfer & les champs Elisées des poëtes ; & comme on y établit des juges, pour rendre à chacun la justice qu'il méritoit, on imagina des furies pour leur servir de ministres, & exécuter les sentences qu'ils portoient contre les scélérats.

Si les anciens ont varié sur l'origine des déesses infernales, ils n'ont pas été plus uniformes sur leur nombre : cependant il paroît qu'ils en ont admis ordinairement trois, Tysiphone, Mégere, & Alecto, & ces noms, qui signifient carnage, envie, trouble perpétuel, leur conviennent parfaitement. Virgile suppose plus de trois furies ; car il parle d'elles en ces termes, agmina saeva sororum, la troupe des cruelles soeurs ; il comprend même les harpies au nombre des furies, puisqu'il appelle Céléno, la plus grande des furies, furiarum maxima. Plutarque, au contraire, ne reconnoît qu'une furie, qu'il nomme Adrastie, fille de Jupiter & de la Nécessité ; & c'étoit elle, selon cet auteur, qui étoit le seul ministre de la vengeance des dieux.

Outre le nom de furies que les Latins donnoient à ces déesses vengeresses, ils leur donnoient aussi le nom de poenae, témoin ce vers de Virgile :

Verberibus saevo cogunt sub judice poenae.

Les Grecs les appelloient Erynnies, parce que, suivant la remarque de Pausanias, signifie tomber en fureur : les Sicyoniens les nommoient déesses respectables, & les Athéniens, manies : enfin après qu'Oreste les eut appaisées par des sacrifices, on les appella Euménides, ou bien-faisantes. Voyez EUMENIDES.

Les poëtes grecs & latins donnerent souvent aux furies des épithetes qui marquent ou leur caractere, ou leur habillement, ou les serpens qu'elles portoient au lieu de cheveux, ou les lieux où elles étoient honorées : c'est ainsi qu'Ovide les appelle les déesses de Paleste, Palestinas deas, parce que ces déesses avoient un temple à Paleste en Epire.

Il n'est pas difficile de comprendre à-présent quel étoit leur emploi. L'antiquité les a toûjours regardées comme des déesses inexorables, dont l'unique occupation étoit de punir le crime, non-seulement dans les Enfers, mais même dès cette vie, poursuivant sans relâche les criminels, soit par des remords qui ne leur donnoient aucun repos, soit par des visions terribles, qui leur faisoient souvent perdre le sens.

Il faudroit copier les poëtes, principalement Euripide, Sophocle, & Séneque, si on vouloit rapporter tous les traits dont ils se servent pour exprimer dans quel excès de fureur elles jettoient ceux qu'elles tourmentoient. On sait avec quelle beauté Virgile peint le desordre que produisit une de ces furies à la cour du roi Latinus : ce que fit Tysiphone à l'égard d'Etéocle & de Polynice, n'est ignoré que de ceux qui n'ont point lû la Thébaïde de Stace. Ovide représente avec la même vivacité le ravage que fit à Thebes la furie envoyée par Junon pour se venger d'Athamas, & ce que fit endurer à Isis une autre furie que la même Junon avoit suscitée pour la persécuter : mais de tous ceux que ces implacables déesses infernales ont poursuivis, personne n'a été un exemple plus éclatant de leur vengeance, que le malheureux Oreste. Les théatres de la Grece ont mille fois retenti des plaintes de ce parricide, qu'elles poursuivoient avec tant d'acharnement.

Les furies étoient employées non-seulement lorsqu'il falloit punir le coupable, mais aussi quand il s'agissoit de châtier les hommes par des maladies, par la guerre, & par les autres fléaux de la colere céleste. Alecto passoit en particulier pour la mere de la guerre, comme Stace l'appelle ; il falloit bien une furie pour inspirer aux hommes l'idée de s'entredétruire, & l'art funeste d'y parvenir. Mais Cicéron rapporte à un trait de morale fort judicieux, toutes les différentes fonctions des furies. " Ne vous imaginez pas, dit-il, que les impies & les scélérats soient tourmentés par les furies qui les poursuivent avec leurs torches ardentes : les remords qui suivent le crime, sont les véritables furies dont parlent les poëtes ". Telle étoit aussi l'opinion des autres philosophes de l'antiquité.

Cependant, comme les peuples ne sont pas philosophes, des déesses aussi redoutables que les furies s'attirerent un culte particulier. En effet, le respect qu'on leur portoit étoit si grand, qu'on n'osoit presque les nommer, ni jetter les yeux sur leurs temples. On regarda comme une impiété, si nous en croyons Sophocle, la démarche que fit Oedipe, lorsqu'allant à Athenes en qualité de suppliant, il se retira dans un bois qui leur étoit consacré ; & on l'obligea, avant que d'en sortir, d'appaiser ces déesses par un sacrifice, dont ce poëte & Théocrite nous ont laissé la description.

Comme la crainte avoit été la mesure du culte qu'on rendoit aux divinités, & qu'il n'y en avoit aucune qui fût si redoutée que les furies, on n'avoit rien oublié pour les appaiser, lorsqu'on les croyoit irritées ; & c'est par ce motif qu'elles avoient des temples dans plusieurs endroits de la Grece.

Les Sicyoniens, au rapport de Pausanias, leur sacrifioient tous les ans, au jour de leur fête, des brebis pleines, & leur offroient des couronnes & des guirlandes de fleurs, sur-tout de narcisse, plante chérie des filles de l'Enfer, à cause du malheur arrivé au jeune prince qui portoit ce nom. Eustathe, sur le premier livre de l'Iliade, dit que la raison pour laquelle on offroit le narcisse aux furies, venoit de l'étymologie de ce mot, , torpere, parce que les furies étourdissoient les coupables qu'elles tourmentoient.

Elles avoient aussi un temple dans Céryne, ville d'Achaïe, où l'on voyoit leurs statues faites de bois & assez petites ; & ce lieu étoit si fatal aux gens coupables de quelque crime, que dès qu'ils y entroient ils étoient saisis d'une fureur subite qui leur faisoit perdre l'esprit ; tant la seule présence de ces déesses pouvoit causer de troubles ! Il falloit même que ces événemens fussent arrivés plus d'une fois, puisqu'on fut obligé de défendre l'entrée du temple de Céryne.

Pausanias nous apprend que les statues de ces déesses n'avoient rien de fort singulier ni de fort recherché, mais qu'on en voyoit dans le vestibule plusieurs autres en marbre, d'un travail exquis, qui représentoient des femmes qu'on croyoit avoir été les prêtresses de ces divinités. Néanmoins c'est peut-être là le seul endroit où il soit dit que les furies avoient des prêtresses ; puisqu'on sait d'ailleurs que leurs ministres étoient des hommes nommés hésychides par les habitans de Silphonse en Arcadie, & que Démosthene avoue lui-même avoir été prêtre de ces déesses dans le temple de l'aréopage. Tous ceux qui paroissoient devant ce tribunal étoient obligés d'offrir un sacrifice dans le temple, & de jurer sur l'autel des furies, qu'ils diroient la vérité ; tant il est vrai qu'il faut frapper les hommes par la terreur, pour les garantir du parjure !

Mais de tous les temples dédiés à ces divinités, il n'y en eut point, après celui de l'aréopage, de plus connus que les deux que leur fit bâtir Oreste en Arcadie ; le premier, au lieu méme où les furies avoient commencé de le saisir après son crime, & l'autre à l'endroit où elles s'étoient montrées plus favorables, & lui avoient paru mériter le titre d'euménides.

Enfin, pour terminer ce qui regarde le culte de ces déesses, je dois ajoûter, qu'outre le narcisse qui leur étoit consacré, on se servoit aussi de safran, de genievre, de branches de cedre, d'aulne, & d'aubépine ; qu'on leur immoloit des brebis & des tourterelles blanches, & qu'on employoit dans leurs sacrifices les mêmes cérémonies que dans ceux des autres divinités infernales.

Venons aux figures & aux portraits des furies. D'abord les statues de ces déesses n'eurent rien de différent de celles des autres divinités ; ce fut Eschile qui les fit paroître le premier dans une de ses tragédies, avec cet air horrible qu'on leur donna depuis. Il falloit en effet que leur figure fût extrêmement hideuse, puisqu'on rapporte que dès que les furies qui sembloient endormies autour d'Oreste, vinrent à se réveiller, & à paroître tumultuairement sur le théatre, quelques femmes enceintes furent blessées de surprise, & des enfans en moururent d'effroi. L'idée du poëte fut suivie, & son portrait des furies passa du théatre dans les temples : il ne fut plus question de les représenter autrement, qu'avec un air effrayant, avec des habits noirs & ensanglantés, ayant au lieu de cheveux des serpens entortillés autour de la tête, une torche ardente à une main, un foüet de serpens à l'autre ; & pour compagnes, la terreur, la rage, la pâleur, & la mort. C'est ainsi qu'assises au pié du throne de Pluton, dont elles étoient les ministres, elles attendoient ses ordres avec une impatience qui marquoit toute la rage dont elles étoient possédées.

Les furies se trouvent quelquefois représentées de cette maniere dans d'anciennes médailles. Patin Spanheim & Seguin prétendent, par exemple, que ce sont elles que l'on voit sur une médaille de l'empereur Philippe, frappée à Antioche, au revers de laquelle paroissent trois figures de femmes habillées en longues robes qui leur tombent jusque sur les talons, & qu'une ceinture serre à la hauteur de la poitrine : elles sont armées d'une clé, de torches ardentes, de poignards, & de serpens.

Nous n'avons point en grand de figures antiques de ces déesses. (D.J.)

* FURIE, (Comm.) satin ou taffetas des Indes, dont le trait du dessein est frappé ou imprimé en noir avec des planches gravées en bois, & les couleurs mises après coup avec le pinceau. Ces étoffes ont été appellées furies, des figures hideuses de serpens, d'animaux, & de monstres imaginaires dont elles étoient chargées. Comment expliquer, comment nommer la bisarrerie de nos femmes, qui se sont chamarrées pendant long-tems de ces desseins de bêtes gothiques, telles qu'on en voit autour de nos vieilles églises, où elles servent à l'écoulement des eaux de pluie ?


FURIEUSE(PASSADES-), Manége, voyez PASSADES.


FURIEUXadj. voyez FUREUR.

FURIEUX, terme de Blason, qui se dit d'un taureau élevé sur ses piés.

Dufenoil à Lyon, originaires de Naples, sous les noms de Taureau & Taurelli, d'azur au taureau furieux & levé en pié d'or ; & un chevron de gueules brochant sur le tout.


FURIN(Marine) mener un vaisseau en furin, c'est-à-dire le mener hors du port ou havre, & le conduire en pleine mer ; ce qui se fait ordinairement par des pilotes du lieu, qui connoissent parfaitement les dangers qu'il peut y avoir pour sortir du port. (Z)


FURINALES(Antiq. rom.) fêtes à l'honneur de la déesse Furine. Voyez FURINE.


FURINES. f. (Mythologie) divinité des voleurs chez les Romains, qui avoient établi en son honneur une fête nommée les Furinales, Furinalia, dont la célébration étoit marquée dans le calendrier & dans les fastes, au sixieme jour avant les calendes de Septembre.

Cette déesse avoit un temple dans la quatorzieme région de Rome, & pour le desservir, un prêtre particulier, flamen furinalis, qui étoit un des quinze flamines, mais dont la gloire vint à tomber insensiblement avec celle de sa divinité. Il falloit en effet que son culte fût fort déchû du tems de Varron, puisqu'il dit qu'à peine connoissoit-on le nom de ce prêtre. Plutarque remarque que le jeune Gracchus, pour éviter la fureur du peuple qui venoit d'immoler son frere, se retira dans le bois sacré de la déesse Furine, qui étoit situé près de son temple, & qui ne put lui servir d'asyle ; tant on respecte peu les droits de la religion dans le feu des guerres civiles !

On tire le nom de Furine du mot latin fur, un voleur : mais cette étymologie n'auroit pas été goûtée par Cicéron, qui croyoit que cette divinité étoit la même que les furies ; d'autant plus qu'il est parlé quelquefois des furines au pluriel. Turnebe, dans ses adversaria, défend l'opinion de Cicéron, par la raison que Plutarque, en parlant du bois sacré où périt le jeune Gracchus, l'appelle le bois des Erynnies ou des furies. (D.J.)


FURNES(Géog.) en latin Furnae, selon Grammaye & Meyer ; ville forte des Pays-Bas, capitale de la châtellenie de Furnes dans la Flandre : elle a été prise & reprise bien des fois. La châtellenie de Furnes, en flamand Furner-Anibacht, est seulement considérable par la richesse de ses habitans, & par sa situation. Voyez Longuerue & Grammaye, antiq. Flandriae. La ville de Furnes est proche la mer, à deux lieues S. O. de Nieuport, trois N. O. de Dixmude, quatre N. E. de Dunkerque. Long. 20 d. 19'. 38". lat. 51 d. 4'. 17". (D.J.)


FURONCLEou CLOU, s. m. terme de Chirurgie, est une tumeur inflammatoire, douloureuse, d'un rouge vif tirant sur le pourpre, circonscrite, & s'élevant en pointe. Cette tumeur se termine toûjours par suppuration, & se guérit avec peu de secours de la part de la Chirurgie, dès que la matiere est évacuée. Le furoncle differe du charbon, en ce que ce dernier reste dur & noir, semblable à une croûte formée dans la chair ; tandis que l'autre s'éleve en cône, s'enflamme, & suppure.

La cure du furoncle consiste à favoriser la suppuration, & à l'évacuer autant qu'on peut par les maturatifs ordinaires, comme les figues & la racine de lys blanc bouillies dans le lait. Voyez MATURATIFS.

Le peuple applique sur la tumeur de la cire de cordonnier ; mais l'emplâtre de melilot & de basilicum sont préférables ; ils produisent la suppuration & souvent la cicatrice de la tumeur. (Y)


FURSTENBERG(COMTE DE-) Géog. état souverain d'Allemagne en Soüabe, qui s'étend d'orient en occident depuis l'évêché de Constance jusqu'au Brisgow. Il ne renferme que quelques bourgs ou petites villes ; mais il est possédé par une des plus anciennes maisons d'Allemagne, avec le château de Furstenberg, qui donne le nom à tout le pays. Long. 25d. 46'. latit. 48d. 32'. (D.J.)


FURSTENFELDen latin Aquae, suivant Lazius, (Géog.) ancienne petite ville d'Allemagne dans la basse Stirie, sur la riviere de Lauffnitz ; elle est à douze lieues N. E. de Gratz, vingt S. de Vienne. Long. 39d. 10'. latit. 47d. 35'. (D.J.)


FURSTENWALD(Géog.) petite ville d'Allemagne, dans la moyenne marche de Brandebourg, sur la Sprée, à 8 lieues O. de Francfort sur l'Oder. Long. 32d. 5'. lat. 52d. 23'.

Elle a produit deux savans illustres : Hoffman (Maurice) célebre medecin y naquit en 1621, & mourut en 1698 ; Mentzel (Chrétien) né à Furstenwald en 1622, mort en 1701, est fort connu des Botanistes. Il a laissé manuscrit 4 vol. in-fol. des choses naturelles du Brésil, & 10 vol. in-fol. aussi manuscrit, tirés du lexicon chinois, intitulé Caguey ; il est à souhaiter que de tels ouvrages paroissent un jour. (D.J.)


FUSAINS. m. evonymus, (Hist. nat. bot.) genre de plantes à fleurs en rose composées de plusieurs pétales disposées en rond. Il sort du calice un pistil qui devient dans la suite un fruit membraneux & anguleux, qui est partagé en différentes loges, & qui renferme des semences oblongues pour l'ordinaire. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

FUSAIN, arbrisseau qui se trouve communément dans les pays temperés de l'Europe, parmi les buissons & les haies, où il s'éleve à six ou sept piés au plus. Sa tige est ordinairement droite ; son écorce est verte sur le jeune bois qui paroît quarré, à cause de quatre lignes quadrangulaires relevées, & d'une couleur cendrée qui regnent le long des jeunes branches. Ces lignes qui sont le commencement des rides & des gersures qui doivent recouvrir toute l'écorce, se dérangent, se multiplient, & s'étendent les années suivantes, à mesure que le bois grossit. Ses feuilles sont oblongues, pointues, très-legerement dentelées, & d'une belle verdure ; elles sont placées deux à deux sur les branches. Ses fleurs qui paroissent au mois de Mai, sont petites, de couleur d'herbe, & de peu d'apparence. Les graines qui leur succedent, sont renfermées dans des gousses quadrangulaires, qui ont fait donner à cet arbrisseau le nom vulgaire de bonnet de prêtre. Les gousses, ainsi que la graine qu'elles renferment, sont d'un rouge brillant, qui fait tout le mérite du fusain, qui est d'un assez bel aspect en automne, pour le faire employer dans des bosquets d'agrément.

Cet arbrisseau est très-robuste, il réussit dans tous les terreins ; & on peut le multiplier aisément de branche couchée, de bouture, ou de graine qui ne leve que la seconde année.

Le bois du fusain est blanc, cassant, & assez dur, quoique fort moëlleux dans les jeunes branches surtout. Il est propre à faire des fuseaux, des lardoires, & quelqu'autres menus ouvrages. Les Dessinateurs se servent du charbon de ce bois pour faire leurs esquisses, parce que les traits s'en peuvent effacer aisément.

On prétend que la feuille & le fruit de cet arbrisseau sont pernicieux au bétail, à cause de leurs qualités purgatives & violentes. Ce qu'il y a de sûr, c'est que tout le bétail a de la répugnance pour cet arbrisseau, & que les insectes même ne s'y attachent point.

Voici les différentes especes ou variétés du fusain.

1°. Le fusain commun à fruit rouge, c'est celui auquel on peut appliquer plus particulierement ce qui vient d'être dit en général.

2°. Le fusain à fruit blanc. Cette variété qui ne consiste que dans la couleur du fruit, est très-rare.

3°. Le fusain à fleur rouge. Cet arbrisseau se trouve en Hongrie, en Moravie, & dans la basse Autriche. Il est aussi robuste que le commun, il s'éleve à la même hauteur, & il se multiplie aussi aisément. C'est le plus beau des fusains ; sa fleur d'une couleur pourprée & brillante, paroît au mois de Mai ; ses fruits, dont l'enveloppe est d'un jaune vif, & les graines d'un noir luisant, font remarquer cet arbrisseau dès la fin de l'été, & pendant la plus grande partie de l'automne : mais cet arbrisseau est encore trop rare pour le voir si-tôt embellir nos bosquets.

4°. Le fusain à large feuille, ou le grand fusain. Cet arbrisseau vient naturellement dans les provinces méridionales de ce royaume : il est en toutes ses parties plus considérable que les trois variétés ci-dessus. Il prend plus de hauteur, sa feuille est beaucoup plus grande, & son fruit plus gros : il differe aussi des précédens, en ce que son écorce est roussâtre, & qu'elle n'est pas marquée de lignes quadrangulaires, & en ce que ses boutons pendant l'hyver sont fort gros, extrêmement longs & très-pointus. Cet arbrisseau donne une belle verdure, qui fait son principal mérite ; ses fruits ne sont pas si abondans que dans le fusain commun, ils n'ont pas tant d'apparence, & ne durent pas si long-tems, parce qu'ils murissent plûtôt. Cet arbrisseau est très-robuste ; tous les terreins lui conviennent, & on peut le multiplier très-aisément de boutures, qui font quantité de racines dès la premiere année.

5°. Le fusain de Virginie. Sa feuille est ovale, & sa fleur d'un verd rougeâtre. Il est bon d'observer qu'il quitte ses feuilles, afin de le distinguer du suivant, qui est toûjours verd. Cet arbrisseau est si rare en France, qu'il est encore peu connu : on peut le voir à Trianon.

6°. Le fusain de Virginie toûjours verd. Ses feuilles ont quelque ressemblance avec celles du buisson ardent, & ses fruits sont rouges & couverts de petites bosses. Cet arbrisseau est délicat ; il faut le conduire & l'abriter pendant l'hyver comme les orangers : mais on peut très-aisément le multiplier de bouture qu'il faut faire au mois de Mai ou en Septembre. Le seul goût pour la variété peut engager à cultiver cet arbrisseau, qui n'a pas grand agrément. (c)

FUSAIN, (Mat. médicale,) voyez BONNET DE PRETRE.

FUSAIN, (Peinture & Dessein) c'est un crayon fait avec le charbon de l'arbre de ce nom : les Peintres s'en servent beaucoup pour esquisser ; les traits ou lignes qu'on fait avec le fusain s'effacent facilement en passant dessus un linge blanc & sec. On prépare ces crayons en coupant le fusain par morceaux environ de deux lignes de grosseur, & les mettant dans un petit canon ou étui de fer, qu'on rougit au feu pour le réduire en charbon. (R)


FUSAROLES. f. en Architecture, moulure ou ornement placé immédiatement sous l'échinus ou ove dans les chapiteaux dorique, ionique & composite.

Les Italiens l'appellent fusciolo ; la fusarole est un membre rond, taillé en forme de collier ou de chapelet, qui a des grains en ovale. Dans le chapiteau ionique, cette moulure est précisément semblable à la baguette d'une astragal. Voyez ASTRAGAL. (P)


FUSCHIAou FUCHSIA (Hist. nat. bot.) genre de plante dont le nom a été dérivé de celui de Léonard Fuschius. La fleur des plantes de ce genre est monopétale, faite en forme d'entonnoir, & découpée ; son calice devient dans la suite un fruit arrondi, mou, charnu, divisé en quatre loges, & rempli de semences arrondies. Plumier, nova plantar. amer. gener. Voyez PLANTE. (I)


FUSEAUS. m. (Maison rust. & Econ. domest.) c'est un morceau de bois leger, rond, renflé dans le milieu, d'où il va en diminuant jusqu'à ses deux extrémités, où il finit en pointe ; ce sont presque deux cones assemblés par leurs bases. Il y en a de toutes sortes de grandeurs, & même de plusieurs figures. Celui que nous venons de définir, est celui de fileuses du chanvre ; le fuseau des faiseuses de dentelle est différent. Voyez l'article DENTELLE.

FUSEAU, (Géom.) quelques géometres ont appellé ainsi le solide que forme une courbe en tournant autour de son ordonnée ; comme le fuseau parabolique, autrement nommé pyramidoïde. Voyez ce mot. D'autres ont appellé fuseau le solide que forme une courbe en tournant autour de sa tangente au sommet ; d'autres le solide indéfini que forme une courbe de longueur infinie comme la parabole ou l'hyperbole, en tournant autour de son axe. Dans tous ces cas, si on appelle 2 n le rapport de la circonférence au rayon, u les parties de l'axe de rotation, z les ordonnés à cet axe, l'élément du solide sera n z z d u ; & comme on aura par l'équation de la courbe la valeur de z en u, le reste s'achevera par le calcul intégral : l'élément de la surface solide sera 2 n , qu'on intégrera de la même maniere quand cela sera possible. Voyez INTEGRAL, QUADRATURE, &c. (O)

FUSEAU, (Géog.) l'on nomme ainsi chaque partie d'une carte géographique ou uranographique destinée à être appliquée sur une boule, pour former un globe terrestre ou céleste ; ou pour s'exprimer géométriquement, un fuseau de globe est un espace renfermé entre deux courbes égales & semblables, dont le sommet de chacune se trouve sur l'équateur du globe terrestre, ou sur l'écliptique du globe céleste. L'axe de chacune de ces deux courbes est la moitié de la partie de l'équateur ou de l'écliptique, qui forme la largeur du fuseau. Les abscisses de cet axe, en partant du sommet, croissent comme les sinus verses des distances des paralleles à l'équateur ou à l'écliptique ; & les ordonnées à cet axe, en partant du même sommet, suivent la progression arithmétique 1, 2, 3, & des distances de ces mêmes paralleles à l'équateur, de sorte que la plus grande double ordonnée, commune à ces deux courbes, est le développement même du méridien du globe. L'on voit que cette courbe n'est pas une portion de cercle, comme le prétend Glareau dans sa Géographie, qui, pour tracer des fuseaux, fait prendre pour rayon les 3/4 de la circonférence de l'équateur. Voyez GLOBE. Cet article est de M. ROBERT DE VAUGONDY.

FUSEAU, (Chimie philosoph.) tuyau de verre, qui a pris son nom de sa figure ; on l'appelle encore allonge, mais ce n'en est qu'une espece. C'est un intermede qu'on employe dans les distillations à la retorte où il est nécessaire de donner un degré de feu, qui ne manqueroit pas d'échauffer un ballon. Il est vrai que quand on se sert d'un matras à long col, il est naturellement aussi éloigné du fourneau qu'un ballon avec son allonge ; mais il s'échauffe encore plus que quand ce col est une piece séparée : & d'ailleurs ce col est plus fragile qu'une allonge ; & celle-ci se répare plus aisément, si elle vient à casser. Voyez VAISSEAUX, & nos Planches de Chimie. Article de M. de VILLIERS.

FUSEAU DU TAQUETS DE CABESTAN, (Marine) ce sont des pieces de bois fort courtes, que l'on met au cabestan pour le renfoncer. (Q)

* FUSEAU, terme de Passementier-Boutonnier, ce sont des petits bâtons de bois dur tournés, sur lesquels ces ouvriers devident le fil d'or, d'argent, ou de soie, dont ils font différens ouvrages sur l'oreiller. Ces fuseaux sont faits en forme de quilles de cinq ou six pouces de longueur, & garnis par en-haut d'une petite tête pour en retenir les fils. Le bout d'en-bas restant est large & pesant, pour contenir par ce poids le fuseau dans la situation où l'ouvrier le place. Voyez nos Planches.

C'est par le différent arrangement de ces fuseaux, qui souvent sont au nombre de plus de cent, que se forment les différens desseins de l'ouvrage. Voyez les figures du Boutonnier, & leur explication.

* FUSEAU, en termes de Cloutier d'épingle, c'est une verge de fer qui traverse la meule, & est soûtenue sur deux tampons. Voyez TAMPONS, & les figures, Planche du Cloutier d'épingle.

FUSEAUX, nom que les Horlogers donnent aux dents d'un pignon à lanterne. Voy. PIGNON A LANTERNE.

* FUSEAU, (Potier-de-Terre) ce sont des broches de fer ou de bois, rondes & pointues, plus grosses vers le manche qu'au bout, dont ces ouvriers se servent pour percer des trous à leurs ouvrages. Ces trous s'appellent souvent des registres. Voyez l'article FOURNEAU (Chimie).

* FUSEAUX, (Rubanier) especes de broches quarrées, & longues de huit à dix pouces, de fer, pointues par un bout, & à tête plate par l'autre. Cette tête est percée d'un trou rond, qui sert à passer la ficelle qui suspend le fuseau aux lissettes. Chaque lissette a son fuseau particulier ; il y en a de différens poids ; les plus lourds sont des quatre, & les plus legers des douze à la livre. Leur usage est de faire tomber les lissettes, lorsque l'ouvrier quitte la marche qu'il enfonçoit. Dans les grands ouvrages il y a quelquefois deux cent de ces fuseaux en oeuvre ; leur poids rend souvent le pas de la marche très-pesant à lever, & c'est ici l'occasion où l'ouvrier a besoin d'être sanglé. Voyez SANGLE.


FUSÉES. f. (Medec.) est un terme employé par quelques anciens auteurs françois, comme synonyme du symptome pestilentiel, connu sous le nom de charbon. Voyez les oeuvres d'Ambr. Paré, liv. XXII. chap. xxxiij. Voyez CHARBON, PESTE.

FUSEES DE BOMBES ET GRENADES, (Art milit.) sont dans l'Artillerie des especes de fusées remplies d'une composition lente, qui brûle assez de tems pour que la bombe ou grenade ne creve ou n'éclate qu'en tombant sur les lieux où elle est jettée.

Les fusées pour les bombes de douze pouces de diamêtre sont de bois de tilleul, saule ou aulne bien sec, & sans aucune fistule. Quoique dans ces sortes de bois il se trouve quantité de noeuds ou de petits pertuis qui les rendent défectueux, ces bois ont d'autres propriétés qui obligent de s'en servir. Il faut que les fusées soient nettes & bien percées dehors & dedans ; car ordinairement il se trouve dans les lumieres, quand elles ne sont pas bien percées par un bon ouvrier, qui ait des outils faits exprès, des filanges qui sont fort nuisibles ; parce qu'en chargeant la fusée elles se mêlent avec la composition, & la rendent défectueuse & sujette à s'éteindre.

M. de Saint-Hilaire ayant assemblé en 1713 plusieurs officiers d'artillerie & de bombardiers, pour régler avec eux les proportions des fusées des bombes, il fut convenu que pour les bombes de douze pouces, les fusées en auroient huit de longueur, vingt lignes de diamêtre au gros bout, qui seroit terminé par une concavité ou enfoncement, à-peu-près en demi-sphere creuse, pour recevoir la composition de la fusée ; qu'à un pouce de la tête, le diamêtre de la fusée seroit diminué de deux lignes, & que le petit bout en auroit seulement quatorze de diamêtre. A l'égard de l'ame de la fusée, elle doit avoir seulement cinq lignes de diamêtre. Pour les bombes de huit pouces, il fut convenu de donner six pouces de longueur à leurs fusées, seize lignes de diamêtre au gros bout, douze au petit, & quatre à l'ame.

Pour faire la composition des fusées à bombes & à grenades, selon les bombardiers, il faut battre de bonne poudre & la réduire en pulvrin, & de bon soufre qui ne soit point verdâtre, & le réduire en fleur, & de bon salpetre en farine, aussi purifié de toutes matieres nuisibles, car c'est le corps de toutes compositions & de tous artifices.

Ces trois choses étant bien battues & bien pulvérisées, il faut les passer dans un tamis très-fin & couvert, l'une après l'autre ; & quand on en aura suffisamment, il faut prendre une mesure de soufre, deux de salpetre, & cinq de pulvrin, que l'on mêlera & assemblera l'un après l'autre, & l'on passera ces mixtions dans un tamis de crin commun ; après quoi l'on chargera les fusées.

Quand on aura bien visité les fusées à charger, qu'elles seront aussi bien conditionnées comme on l'a dit ci-devant, & qu'on aura plusieurs fois passé la grande baguette dans la lumiere, pour en sortir & chasser tout ce qui pourroit s'y trouver de nuisible, on pose le petit bout sur un billot, ou sur un fort madrier, avec un chargeoir fait comme une petite lanterne à charger du canon ; on prend de la composition environ plein un petit dé à coudre, que l'on met dans la fusée, & la grande baguette dessus, sur laquelle on frappe quatre ou cinq coups égaux, de moyenne force, avec un maillet de moyenne grosseur, & l'on continuera de mettre ainsi la composition dans la fusée, sans en mettre plus grande quantité chaque fois : mais il faudra à mesure que la fusée s'emplira, augmenter la force de frapper, & le nombre des coups jusqu'à douze ; car plus la composition sera serrée, plus elle fera d'effet.

Proportion des fusées à grenades. Celles du calibre de 33, 24, 16, 12, 8, 4, sont grosses au gros bout de 12 lig. 11, 10 1/2, 10, 9 1/2, 8 1/2.

Au petit bout de 9 lig. 8 1/2, 8, 8, 7, 6.

Diametre des lumieres, 4 lig. 4, 3, 3, 3, 2.

Les fusées sont longues en tout de 5 pou. 1/2, 5 pou. 4 pou. 1/2, 4 pou. 3 pou. 1/2, 2 pou. 1/2.

Et comme les grosses grenades sont faites pour jetter dans les fossés, ou avec de petits mortiers, il leur faut des fusées de différentes longueurs : celles-ci sont pour les petits mortiers. Celles pour les fossés doivent être plus courtes. Mémoires d'Artillerie de Saint-Remy, troisieme édition. (Q)

FUSEE, s. f. (Artificier) espece de feu d'artifice qui s'éleve dans l'air : c'est un petit cylindre de carton, étranglé par les deux bouts, rempli de matieres inflammables, sur un moule dont la broche forme au-dedans de la fusée une cavité qui pénetre plus ou moins profondément dans la matiere inflammable. Ce cylindre est amorcé, & dirigé dans l'air par le moyen d'une baguette.

ART. I. Des moules pour charger les fusées volantes. Le moule sert à soutenir le cartouche lorsqu'on le charge, & à regler la hauteur du massif. Sa forme extérieure est celle d'une boîte d'artillerie ; il est percé d'un bout à l'autre, & cette cavité dans laquelle on place le cartouche, doit être bien ronde & bien unie. On les fait communément de buis, ou de quelque autre bois dur.

La hauteur des moules doit diminuer à proportion que le diamêtre intérieur grandit. La cause de cette diminution est que la force de la matiere enflammée n'augmentant pas en même raison que le diamêtre des fusées, elle ne pourroit enlever une grosse fusée, si on lui conservoit la même longueur qu'à une petite.

Le moule est supporté par une base cylindrique de même matiere, qu'on nomme le culot.

La hauteur du culot est d'un diamêtre extérieur du moule, & sa largeur d'un diamêtre & un quart.

Il porte une broche de fer dans son milieu. Cette broche, quoique d'une seule piece, a quatre parties distinguées par leurs formes & par leurs noms.

La premiere, au-dessous du cylindre, est la queue de la broche ; elle est faite pour entrer dans le culot, où elle doit être fixée solidement.

La deuxieme partie est le cylindre ; son diamêtre est celui de l'intérieur du moule, & sa hauteur doit être égale à son diamêtre.

La troisieme partie est la demi-boule ; elle a de diamêtre les deux tiers du diamêtre intérieur du moule, & de hauteur moitié du même diamêtre. Cette demi-boule qui s'engage dans la gorge du cartouche lorsqu'on le charge, sert à lui conserver sa forme.

La quatrieme partie est la broche ; elle sert à ménager un vuide dans l'intérieur de la fusée : c'est ce vuide qu'on nomme l'ame de la fusée, qui la fait monter en présentant au feu une plus grande surface de matiere inflammable, qui se réduisant en vapeurs dans ce vuide, fait, dit M. l'abbé Nollet dans ses leçons de physique expérimentale, l'office d'un ressort qui agit d'une part contre le corps de la fusée, & de l'autre contre un volume d'air qui ne cede pas aussi vîte qu'il est frappé.

La table qui suit donne les proportions entre le diamêtre & la hauteur du moule, & entre sa hauteur & la longueur de la broche, dont la différence lorsque le moule est posé sur son culot, fait la hauteur du massif. L'expérience a fait connoître qu'il doit diminuer de hauteur, & la broche augmenter de longueur, à proportion que les fusées sont plus grosses.

Si l'on n'observoit pas cette progression, & que prenant la proportion moyenne on donnât également aux grosses & aux petites fusées un diamêtre & un quart de massif, il arriveroit que le massif des petites seroit trop tôt consumé, & qu'elles jetteroient leur garniture avant d'avoir fait vol, & que les grosses fusées ne jetteroient leur garniture qu'en retombant, attendu que le massif est plus épais (quoique dans la même proportion), & d'une composition plus lente, & qu'ainsi il seroit plus de tems à se consumer.

Les petites fusées de cinq lignes de diamêtre extérieur & au-dessous, n'ont pas besoin pour monter d'être percées, c'est-à-dire d'être chargées sur une broche ; il suffit de leur attacher une baguette : lorsqu'on les perce, elles montent si rapidement qu'on a peine à en voir l'effet.

ART. II. Des cartouches. On les forme en roulant le carton sur la baguette, qu'on nomme baguette à rouler. Elle doit être unie & sans manche. On lui donne de diamêtre les deux tiers du diamêtre intérieur du moule ; le tiers qu'elle a de moins est rempli par le cartouche, dont l'épaisseur est d'un sixieme du même diamêtre, ou du quart de celui de la baguette.

Le carton doit être entierement collé, excepté le premier tour qui enveloppe la baguette. Il faut prendre garde que la colle ne la mouille, & la frotter de savon lorsqu'elle a été mouillée, crainte que le cartouche ne s'y attache. On trempe dans l'eau le dernier tour du carton avant de le coller, pour en ôter le ressort qui feroit dérouler le cartouche après qu'il est formé.

Les cartouches pour les lances & pour les conduites de feu se font de papier. On pose la baguette sur la feuille, au tiers de sa largeur ; on renverse ce tiers dessus, & on le fait bien joindre contre ; on roule un tour sans colle ; ensuite on colle tout ce qui reste de papier, tant la partie double formée par le tiers de la feuille renversé, que la partie simple ; & on acheve de rouler le cartouche. Ces cartouches se nomment porte-feux, lorsqu'on les employe à communiquer le feu d'une piece d'artifice à une autre, par le moyen d'une étoupille qui y est renfermée.

Les cartouches de serpenteaux, & autres petites fusées de quatre à six lignes de diamêtre extérieur, sont faits de cartes à joüer. Il faut les tremper dans l'eau, & les employer à moitié seches ; elles en sont plus flexibles, & se roulent mieux. On commence par en rouler une ; on y en ajoûte une seconde, & on termine le cartouche par deux tours de papier gris, dont le dernier est collé.

ART. III. De l'étranglement des cartouches. Il ne faut pas attendre que les cartouches soient entierement secs pour les étrangler ; ils donneroient beaucoup de peine, & s'étrangleroient mal.

On commence par les rogner sur la baguette avec des ciseaux. Il ne s'agit dans cette opération que de retrancher la bavure du bout qui doit être étranglé, pour que les bords de cette partie, qui doit avoir la forme d'une calotte, soient à l'uni.

Pour les étrangler, on attache une corde ou une ficelle d'une grosseur proportionnée à celle de la fusée, d'un bout à un gond ou piton, vissé dans un poteau, ou scellé dans le mur, & de l'autre bout à sa ceinture, ou à un bâton que l'on place derriere & en-travers de ses cuisses, de maniere qu'il soûtienne le corps lorsque l'on fait effort pour étrangler. Dans cette situation, & la corde étant tendue, on pose le cartouche dessus ; puis on prend la partie de la corde qui est entre soi & le cartouche, & l'on en fait deux tours sur le cartouche, dans la partie que l'on veut étrangler à un demi-diamêtre extérieur de son extrémité ; on enfonce une baguette dans cette partie, la tenant de la main droite, & le cartouche de la gauche, & l'on serre la corde en jettant le corps en-arriere, & tournant chaque fois le cartouche pour en bien arrondir l'étranglement, jusqu'à ce qu'il ne reste qu'un trou à pouvoir passer la broche avec peine : alors il est suffisamment étranglé.

Il faut frotter la corde de savon, pour empêcher que le cartouche qui est encore humide lorsqu'on l'étrangle, ne s'y attache & ne se déchire.

Quand on a étranglé un certain nombre de fusées, il ne faut pas différer à les lier, crainte que l'étranglement ne se relâche. On les lie en passant trois boucles de ficelle dans la gorge, & serrant à chaque boucle ; ce qui s'appelle le noeud de l'artificier.

ART. IV. Compositions pour les fusées volantes. Les cinq compositions mentionnées en la table ci-dessus, donnent des feux qui different assez les uns des autres pour faire une agréable variété.

La deuxieme composition dont le feu est très-clair, fait particulierement un contraste bien marqué avec la cinquieme, dont le feu est fort rouge.

Les fusées de 11 & de 10 lignes se chargent en feu commun à 4 onces de charbon sur la livre de poussier ; celles de 9 à 7 lignes à 3 onces, & celles de 6 lignes & au-dessous à 2 onces.

Lorsque l'on a pesé les matieres, on les verse dans le tamis de crin le plus clair, & on les passe trois fois pour mélanger : alors la composition est faite & prête à être employée.

Une composition trop vive fait crever les fusées, comme un massif trop mince ou mal recouvert par le carton que l'on rendouble dessus, les fait défoncer. C'est le terme dont les Artificiers se servent pour exprimer qu'il n'a pu résister à l'effort du feu, faute d'être assez épais, ou parce que le carton rendoublé ne présentoit pas un point d'appui assez solide.

La composition des fusées volantes ne peut être employée trop seche, pour leur plus bel effet & pour les conserver bonnes ; si on l'humectoit, l'humidité en se dissipant y laisseroit des vuides qui admettroient trop de feu, & feroient crever la fusée. On en excepte le feu chinois, dont il faut un peu mouiller le sable pour que le soufre s'y attache. On renvoye à l'article des JETS pour la maniere de préparer cette composition.

ART. V. Maniere de charger les fusées volantes. Il faut pour charger les fusées volantes :

1°. Une cuilliere à charger, que les Artificiers nomment cornée ; son diamêtre est celui de l'intérieur du cartouche ; elle doit contenir autant de composition qu'il en faut pour remplir la hauteur d'un demi-diamêtre extérieur de la fusée étant refoulée.

2°. Trois baguettes creuses pour les moyennes fusées, & quatre pour les grosses. Leur cavité doit être telle que la broche puisse se loger en entier dans la premiere ; dans la seconde jusqu'aux deux tiers, & dans la troisieme jusqu'au tiers ; & pour la facilité de les entrer & sortir librement du cartouche, lorsqu'on le charge on les fait tant-soit-peu moins grosses que la baguette à rouler.

3°. Une baguette fort courte & de même diamêtre que celles à charger : on la nomme le massif ; elle sert à charger la composition qui excede la broche.

4°. Une baguette qui sert à rendoubler le carton sur le massif ; comme elle doit prendre & refouler la partie rendoublée du cartouche qui fait environ la moitié de son épaisseur, on lui donne de diamêtre deux tiers & un sixieme de celui du moule.

5°. Un maillet de bois dur, en le supposant de buis, le diamêtre de son cylindre doit être de deux diamêtres trois quarts de celui du moule, sa longueur de trois diamêtres un tiers, & son manche de cinq diamêtres, non compris la partie qui entre dans le cylindre.

Les cartouches étant rognés & réduits à la longueur du moule, on frotte la broche de savon pour qu'elle puisse entrer plus facilement dans le trou de l'étranglement, qui doit être plus petit que la partie la plus grosse de la broche, afin qu'en y entrant à force, elle le forme bien rond.

On remplit le vuide extérieur de l'étranglement avec de la corde pour soûtenir le cartouche, que les coups de maillet affaisseroient & feroient crever dans cette partie ; & malgré cette précaution, la même chose arriveroit si l'on refouloit la composition plus fort qu'il ne convient.

Le cartouche étant sur la broche, & recouvert si l'on veut du moule, car on peut très-bien s'en passer lorsque le cartouche a l'épaisseur donnée, on place le culot sur un billot bien uni & solide, on enfonce la premiere baguette à charger dans le cartouche vuide, & l'on frappe dessus dix ou douze coups pour en unir le fond & applanir les plis de l'étranglement, qui s'ils restoient pourroient occasionner quelque vuide, où l'air venant à se dilater feroit crever le cartouche.

On verse ensuite une cornée de composition, on introduit doucement la baguette dans le cartouche, on l'appuie ferme sur la composition, & l'on frappe quelques petits coups pour l'asseoir ; après quoi, pour les fusées de 18 lignes, on frappe quarante coups égaux.

La baguette étant retirée du cartouche, on fait sortir la composition qui est entrée dans sa cavité, en frappant contre avec une autre baguette ; sans quoi restant engorgée, elle se fendroit à la seconde charge. On juge qu'elle est vuide par la différence du son qu'elle rend.

L'opération de la seconde & de la troisieme baguette se fait de même, excepté qu'à chaque changement de baguette on diminue de cinq le nombre des coups, & le massif ne doit être frappé que de vingt coups ; la raison de cette diminution est que la matiere qui augmente d'épaisseur à mesure que la broche diminue, présentant au feu moins de surface, a moins besoin d'être refoulée.

Lorsque la fusée passe 18 lignes de diamêtre, on augmente le nombre des coups à proportion qu'elle est grosse jusqu'à 50 pour la premiere baguette, & l'on en diminue de même le nombre jusqu'à 25 coups pour les plus petites.

Une fusée doit être chargée en 12 à 13 charges, 9 à 10 pour couvrir la broche, & 2 à 3 pour le massif.

Le massif étant chargé à niveau du moule, on met dessus un tampon de papier chiffonné, & on le frappe d'une douzaine de coups ; puis avec un poinçon dont la pointe soit un peu émoussée, on dedouble la partie du cartouche qui est restée vuide au-dessus du massif jusqu'à la moitié de l'épaisseur du cartouche ; on la replie sur le tampon ; & posant dessus la baguette à rendoubler, on la frappe de vingt coups ; après quoi, sans ôter la fusée de dessus la broche, on perce le carton redoublé de deux à trois trous avec le poinçon à arête, en frappant dessus avec le maillet. L'arête sert à l'empêcher de pénétrer plus avant qu'il ne faut, il suffit qu'il atteigne la composition ; on conçoit que s'il pénétroit trop avant, il affoibliroit le massif, qui donneroit trop tôt feu à la chasse, ces trous étant faits pour y communiquer le feu.

Après cette opération, on retire la fusée de dessus la broche ; on délie la corde qui remplissoit l'étranglement, & on rogne la partie du cartouche qui excede le carton rendoublé.

Si les fusées doivent être gardées, il faut coller un rond de papier sur un chacun des bouts, pour les garantir de l'impression de l'air & du feu ; en cet état elles se conserveront très-long-tems bonnes, si avec cette précaution on a eu celle de n'employer que des matieres bien seches dans la composition.

ART. VI. Du pot & chapiteau, & comment on garnit les fusées volantes. Le pot doit être fait du même carton que la fusée ; on le roule sur un cylindre de bois que l'on nomme le moule à former le pot ; on lui donne d'épaisseur deux à trois tours de carton, suivant que la fusée est plus ou moins grosse.

Ce moule à former le pot, quoique d'une même piece, a deux parties cylindriques de différens diamêtres ; l'une sur laquelle on roule le pot, a de diamêtre un & trois-quarts de celui de la fusée, pris extérieurement, & de longueur, trois diamêtres.

Le diamêtre de l'autre partie, sur laquelle on étrangle le pot, est de trois quarts un huitieme, & sa longueur, de deux pareils diamêtres.

On observera que, pour les fusées de douze lignes, on peut leur donner la hauteur des serpenteaux ordinaires, faits de cartes à joüer, que ces fusées peuvent porter pour garnitures ; & comme les paquets d'étoiles sont beaucoup moins hauts, on réduira le pot à la proportion ci-dessus, lorsque ces fusées en seront garnies.

Le pot étant étranglé à la mesure susdite, on rogne bien droit la partie étranglée, ne lui laissant de longueur que ce qu'il en faut pour le lier commodément sur la fusée : on trempe dans l'eau cette partie, pour la rendre flexible ; & après avoir fait la ligature, on colle dessus une bande de papier brouillard, tant pour la cacher, que pour empêcher qu'elle ne se relâche.

Pour garnir la fusée, on commence à verser dans le pot une pincée de poussier ; & en frappant un peu contre, on la fait entrer dans les trous qui doivent communiquer le feu à la chasse : on verse ensuite dans le pot une cornée de la même composition dont on a chargé la fusée ; c'est ce qui s'appelle la chasse ; & on arrange dessus les serpenteaux ou étoiles qu'elle doit jetter, en observant de n'en pas mettre plus pesant que le corps de la fusée ; ensorte que la fusée de quatre onces n'en pese pas plus de huit, lorsqu'elle est garnie ; & ainsi des autres. Une fusée dont la garniture seroit trop pesante, ne s'éleveroit qu'à une médiocre hauteur, & retomberoit à terre, en faisant un demi-cercle. On dit d'une telle fusée, qu'elle a arqué, pour exprimer la ligne courbe qu'elle a décrite.

On place quelques petits tampons de papier chiffonné dans les interstices des serpenteaux ou des paquets d'étoiles, pour empêcher qu'ils ne balottent ; & on ferme le pot avec un rond de papier collé dessus : il faut le taillader par les bords pour empêcher qu'il ne fasse des plis.

Avant de mettre les paquets d'étoiles dans le pot, on les passe dans du poussier, pour leur faire prendre feu plus subitement.

Le chapiteau est ce qui termine la fusée en forme de cône ; il est fait d'une simple épaisseur de carton. Pour lui donner la grandeur qui convient, on trace sur du carton un rond au compas, dont l'ouverture doit être d'un diamêtre un tiers du pot ; on divise ce rond en deux ; & chaque moitié donne de quoi former un chapiteau ; on la mouille, pour en ôter le ressort ; on en colle les extrémités ; & en la contournant, on lui fait prendre la forme d'un cône.

Lorsqu'il est sec, on donne des coups de ciseaux sur les bords de sa circonférence, pour que cette partie joigne mieux sur le pot où elle doit être collée ; & on la mouille pour en ôter le ressort.

Le chapiteau étant placé bien droit sur le pot, on colle sur la scissure une bande de papier brouillard, tant pour la cacher, que pour empêcher qu'elle ne se décolle en séchant.

Cette bande de papier doit être mouillée de colle des deux côtés : on observera la même chose pour tout le papier que l'on employera à couvrir les scissures ou jointures des fusées ou porte-feux : le papier en est plus maniable ; & les plis en paroissent moins.

On amorce ensuite la fusée, en prenant un morceau d'étoupille plié double & de grosseur proportionnée, que l'on fait entrer dans le trou qu'a formé la broche, à la hauteur d'un diamêtre extérieur de la fusée ; & on la colle dans la gorge avec de l'amorce. Il ne faut mettre de l'amorce, que ce qui est nécessaire pour la tenir : une trop grande quantité, qui donneroit beaucoup de feu, pourroit faire crever la fusée.

On finit par coller un rond de papier sur la gorge ; ce que les Artificiers nomment bonneter : cela sert à empêcher, lorsqu'on tire les fusées, que celle qui part ne communique son feu aux autres, & aussi à les garantir de l'humidité.

Bien des Artificiers ne mettent point de pot aux petites fusées de caisse ; ils se contentent de rouler & de coller dessus un quarré de papier gris, qui déborde la fusée de la hauteur de la garniture qu'ils veulent y placer. Après qu'ils y ont mis la chasse & la garniture, ils lient le papier dessus pour la renfermer. Les fusées ainsi garnies montent plus haut, parce qu'elles sont moins chargées : mais comme c'est aux dépens de leur garniture, qui est fort petite, il n'y a rien à gagner, si ce n'est pour l'artificier.

ART. VII. Des baguettes & du chevalet. La baguette que l'on attache aux fusées, sert à les maintenir droites, en contrebalançant leur pesanteur, contre laquelle le feu agit par l'un des bouts, qui doit toûjours être tourné en-bas, & qu'elle force à garder cette situation.

Le bois le plus leger est le plus propre à faire des baguettes ; celles des fusées de dix-huit lignes & au-dessous, doivent être de sapin de sciage ; quant à celles d'au-dessous, le coudre, le saule, & l'orme, fournissent abondamment des baguettes qui leur sont propres.

Il faut leur donner au moins huit fois la longueur du moule. Son épaisseur en quarré par l'un des bouts doit être d'un demi-diamêtre extérieur de la fusée ; & depuis le bout auquel on attache la fusée, elle doit aller en diminuant jusqu'à l'autre extrémité, qui se termine à un huitieme du même diamêtre.

Plus les baguettes ont de longueur, plus les fusées montent droit ; elles ne sauroient en avoir trop, pourvû que n'ayant en tête que la grosseur ci-dessus, elles se trouvent en équilibre à une certaine distance, lorsque les fusées y sont attachées : cette distance se regle par le diamêtre extérieur de la fusée ; on en donne deux & demi aux plus petites fusées, jusque & compris celles de 12 lignes ; pour celles d'au-dessus, jusque & compris celles de 2 pouces 2 diamêtres, & à celles par-delà, un diamêtre & demi ; suivant lesquelles proportions, la baguette d'une fusée d'un pouce doit être en équilibre à deux pouces & demi de la gorge. On cherche l'équilibre avec un couteau, sur le tranchant duquel on pose la baguette ; si elle est trop legere, il faut en changer ; lorsqu'il y va de peu de chose, on peut attacher la fusée d'un pouce ou deux plus haut ; cela donne plus de longueur & de poids à la baguette : si elle est trop pesante, il faut en ôter, soit en retranchant de sa longueur, si elle a plus de huit fois celle du moule, soit en ôtant de son épaisseur.

On fait une cannelure aux baguettes de sapin, dans l'endroit où la fusée doit être attachée, pour qu'elle soit plus stable. A l'égard des baguettes de branchages, il suffit d'unir avec un couteau & de rendre plane la surface du même endroit : l'extrémité du gros bout doit être coupée en talus, tant pour la propreté, que pour faire moins de résistance dans l'air.

La fusée étant placée dans la cannelure, jusque & non compris la ligature du pot, qui doit excéder la baguette, il faut la lier dans deux endroits du noeud de l'artificier ; premierement, un peu au-dessous du talus qui termine la baguette ; & en second lieu, dans l'étranglement : on fait une entaille à la baguette à chacun de ces endroits, pour que la ficelle ne glisse point.

On a imaginé en Angleterre, pour éviter les accidens causés par la chûte des grosses baguettes, d'en composer avec de petits saucissons faits de cartes à joüer. On les arrange de maniere, qu'en débordant les uns sur les autres, & étant collés de colle forte, & recouverts de bandes de papier collées de colle de farine, ils puissent former une continuité unie & solide. Chacun de ces saucissons contient entre deux étranglemens, la petite quantité de poudre nécessaire pour le faire crever. Une étoupille qui tire son feu du pot de la fusée, & qui communique à tous ces petits saucissons garnis chacun d'une étoupille, leur donne feu dans l'instant que la fusée jette sa garniture ; & la baguette se divise en autant de petites parties qui font une agréable escopetterie : la cherté de ces baguettes ne permet guere d'en faire que pour essais : on croit cependant que si elles étoient fabriquées par des ouvriers qui ne fissent que cela, ils parviendroient en peu de tems à un point d'habileté qui les mettroit en état de les donner à un prix modique.

Le chevalet est un poteau que l'on plante en terre, ou qui est soûtenu sur terre par un pié en forme de croix : il est traversé en haut par une barre de fer plate posée sur tranche, sur laquelle on place les fusées l'une après l'autre pour les tirer.

Il y en a de plusieurs formes ; mais le plus simple de tous, & qui est d'autant plus commode qu'on le transporte aisément où l'on veut, est une perche armée par l'un de ses bouts d'un fer pointu qui sert à la piquer dans terre. On visse dedans à la hauteur que l'on veut, une vrille un peu longue, sur laquelle on tire les fusées.

Il faut débonneter la fusée, en crevant le papier d'un coup d'ongle, dans l'instant qu'on la pose sur le chevalet ; on y donne feu avec une lance placée au bout d'un porte-feu, qui est un leger bâton d'environ cinq piés, & qui est terminé par une espece de porte-crayon de fer, dans lequel entre la lance, & que l'on y retient en la serrant avec un anneau coulant.

ART. VIII. Des serpenteaux, pluie de feu, marrons, saucissons, & étoiles dont on garnit les fusées volantes. Les serpenteaux destinés à garnir les fusées volantes & les pots à feu, sont faits de cartes à joüer : on donne à ceux d'une carte qu'on nomme vétille, trois lignes de diamêtre intérieur ; à deux cartes, trois lignes & demie ; & à trois cartes, quatre lignes : ceux d'un plus grand diamêtre doivent être faits en carton.

On charge ceux de trois lignes dans une espece de boisseau un peu moins haut de bord que les cartouches, de la maniere qui suit.

Les cartouches étant étranglés & liés, on les arrange tous droits dans le boisseau, autant qu'il en peut tenir ; on frappe dans chacun un petit tampon de papier, pour boucher le trou de l'étranglement, & on y verse une mesure de poudre qui doit le remplir jusqu'à la moitié. Les ayant ainsi tous chargés en poudre, on répand dessus de la composition ; & on l'épanche avec une carte sur tous les cartouches. Lorsqu'ils en sont remplis, on prend la baguette à charger, & on les frappe avec un petit maillet, de huit coups chacun. On refait la même opération jusqu'à ce qu'ils soient remplis, à quatre lignes près, que l'on reserve pour les étrangler : on les retire ensuite du boisseau ; & après qu'ils sont étranglés, on ouvre leur gorge avec la pointe du culot, qui leur est propre ; on y place un bout d'étoupille, & on les amorce.

Les serpenteaux à deux & à trois cartes se chargent sur un culot qui porte une pointe dont la longueur est d'un diamêtre un quart de l'intérieur du cartouche, & la grosseur d'un tiers du même diamêtre ; on les frappe de dix coups à chaque charge. On commence par les charger jusqu'à moitié en composition : on met ensuite la poudre grainée & un tampon par-dessus ; puis on les étrangle & on les amorce, & ainsi qu'il vient d'être dit pour la vétille.

Lorsque l'on veut que les serpenteaux s'agitent beaucoup en l'air, on les charge sur une broche qui a de hauteur trois diamêtres & demi de l'intérieur du touche & un tiers d'épaisseur ; on les nomme alors serpenteaux brochetés. On en fait particulierement usage pour les pots à aigrettes.

Pour la pluie de feu, on moule de petits cartouches de papier sur une baguette de fer de deux lignes & demie de diamêtre ; on leur donne deux pouces & demi de longueur ; on ne les étrangle point : il suffit, ayant mis la baguette dedans, de tortiller le bout du cartouche, & de frapper dessus pour lui faire prendre son pli. On les remplit en les plongeant dans la composition : ils en prennent autant qu'il en faut pour chaque charge ; & après qu'ils sont chargés, on les amorce sans les étrangler. L'effet de cette garniture est de remplir l'air de feux ondoyans.

Les marrons sont faits de poudre grainée renfermée dans un cartouche de carton de forme cubique, & recouvert d'un ou de deux rangs de ficelle collée de colle forte : on perce un trou dans un de leurs angles ; & on y place une étoupille avec de l'amorce, pour y donner feu.

Pour tracer & couper juste le carton, qui doit former d'une seule piece un cube régulier, on a une planchette divisée en quinze quarrés, cinq sur une face & trois sur l'autre, & percée d'un trou à chaque angle, pour les marquer sur le carton : le parallélogramme qu'ils forment étant tracé & coupé, on divise avec des ciseaux les cinq quarrés qui le bordent de chaque côté dans la longueur : on les plie ensuite, on leur fait prendre la forme d'un cube.

On proportionne à leur grosseur celle du carton dont ils sont formés, & celle de la ficelle qui les couvre.

On fait assez souvent usage des marrons, pour les tirer en place de boîtes de métal, pour le prélude d'un feu d'artifice.

Les marrons luisans ne different des autres, que parce qu'ils sont recouverts de pâte d'étoiles, & roulés sur du poussier pour leur servir d'amorce : deux petites bandes de papier, que l'on colle en croix dessus, retiennent cette pâte, & l'empêchent de s'écailler en séchant.

Les saucissons ne different des marrons que par la forme ; l'effet en est le même : leurs cartouches sont ronds, & seulement de la hauteur de quatre de leurs diamêtres exterieurs, après les avoir étranglés. On frappe un bon tampon de papier dedans ; on les charge ensuite de poudre grainée sur laquelle on met un pareil tampon que l'on presse seulement à la main avec la baguette, pour ne point écraser la poudre : on étrangle par-dessus, & on rogne ce qui excede les deux étranglemens ; après cela, on les couvre de deux rangs de ficelle collée de colle forte, comme il vient d'être dit pour les marrons : on les perce par un des bouts, & on les amorce de même. On les employe aussi pour terminer avec bruit certains artifices, comme lances, jets, & autres, qui par leur petit volume & le peu d'épaisseur de leur cartouche, ne pourroient contenir assez de poudre, ni faire assez de résistance pour éclater avec autant de bruit.

On forme les étoiles avec une pâte composée de

On détrempe ces matieres avec de l'eau, après les avoir passées 3 fois au tamis pour les mêler ; & quand elles sont en consistance de pâte un peu solide, on coupe cette pâte avec un moule qui forme dans une virole de fer-blanc une pastille ronde & plate, de la force d'une dame à joüer, & percée au milieu : ce trou est formé par une petite broche de fer placée au centre du manche qui porte la virole : si cette virole a huit lignes de hauteur, le manche ne doit entrer dedans que de quatre lignes ; les quatre autres lignes de vuide font le moule, dans lequel se forme l'étoile.

Chaque fois que l'on moule une étoile, il faut ôter la virole ; & avec l'autre bout du manche, on pousse la pastille dehors, & on la fait tomber doucement sur une feuille de papier.

Lorsque les étoiles sont seches, on les enfile dans de l'étoupille ; & les ayant un peu séparées de six en six, on coupe l'étoupille dans ces séparations, & on en colle les bouts avec de l'amorce, sur la premiere & sur la sixieme étoile de chaque paquet.

On donne communément aux étoiles sept lignes de diamêtre sur quatre lignes d'épaisseur ; lorsqu'elles sont plus grosses, l'effet n'en est pas si beau, parce qu'elles retombent trop bas.

Les étoiles à pets, sont de petits saucissons auxquels on laisse une gorge longue d'un diamêtre & demi, que l'on remplit de pâte d'étoiles. Il ne faut pas oublier, après qu'ils sont chargés en poudre & percés, de remplir le trou de la gorge de poussier, pour que le feu de l'étoile, en finissant, se communique à la poudre grainée. Voyez FEU D'ARTIFICE. Voyez aussi nos Pl. d'Artificier, & leur expl. Cet art. est tiré du manuel de l'artificier, par M. PERRINET D'ORVAL.

FUSEE D'AVIRON, (Marine) c'est un peloton d'étoupe goudronnée, avec un entrelacement de fil de carret, qui se fait vers le menu bout de l'aviron, pour empêcher qu'il ne sorte de l'étrier & ne tombe à la mer quand on le quitte le long de la chaloupe. (Z)

FUSEE DE TOURNEVIRE, (Marine) ce sont des entrelacemens de fil de carret ; on les fait sur la tournevire de distance en distance, pour retenir les garcettes, & les empêcher de glisser sur la corde. (Z)

FUSEE DE VINDAS ou DE CABESTAN VOLANT, (Marine) c'est la piece ou l'arbre du milieu du vindas, dans la tête duquel on passe les barres. (Z)

FUSEE, c'est en terme de Cardeur, la quantité de fil que l'on retire de dessus la broche du roüet.

FUSEE, (Horlogerie) piece d'une montre ; c'est cette partie conique sur laquelle s'enveloppe la chaîne, & qui sert à transmettre son action au roüage. Voyez nos Planches d'Horlogerie.

Son utilité est très-grande ; car au moyen de sa figure elle remédie aux inégalités du ressort, qui étant plus bandé lorsque la montre est nouvellement montée, & moins lorsqu'elle est presque au bas, la feroit avancer dans le premier cas, & retarder dans le second. Les premiers horlogers qui firent des montres, tâcherent de remédier à cet inconvénient du ressort au moyen d'une machine qu'ils appelloient stochfred. Mais ses défauts les engagerent bien-tôt à la perfectionner, ou à y suppléer par une autre. Ainsi on l'abandonna dès qu'on eut inventé la fusée. Quelqu'ingénieuse que soit cette découverte, on n'en connoît point l'auteur ; ce qu'il y a de sûr, c'est qu'elle est fort ancienne.

Pour bien concevoir de quelle maniere la fusée compense les inégalités du ressort, il faut faire attention que dans une montre au bas, la chaîne est entierement sur le barillet ou tambour, & que lorsqu'on la remonte, on ne fait autre chose que la faire passer sur la fusée. Mais par-là on fait la même chose que si l'on tiroit la chaîne jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus sur le barillet. Or ce mouvement ne se peut faire sans qu'on fasse tourner le barillet, & cela précisément autant de fois que la chaîne feroit de tours dessus. De plus on a vû à l'art. BARILLET, que par la disposition des pieces, en le tournant on bande le ressort. Il sera donc bandé d'autant de tours exactement que le barillet aura tourné de fois, ce qui sera de trois tours & demi, qui est la quantité des tours qu'une chaîne fait ordinairement autour du barillet.

Ceci bien entendu, on voit manifestement que la plus grande bande du ressort, & par conséquent sa plus grande force, a lieu lorsque la montre est montée jusqu'au haut ; & que cette force va toûjours en diminuant à mesure que la fusée tourne ; & qu'elle est la plus petite de toutes lorsque la montre est presqu'au bas. Pour faire donc que malgré cette inégalité de force son action soit toûjours égale sur le roüage, on diminue le diamêtre de la fusée en haut, & on lui donne une forme telle que lorsque le ressort a le plus de force, le bras de levier de la fusée par lequel la chaîne tire, est aussi le plus petit, de façon que dans un point quelconque de la fusée, le produit formé de ce bras de levier multiplié par la force du ressort dans ce même point, est toûjours égal. Par ce moyen l'action du ressort transmise au roüage, est constamment le même ; & il est pour ainsi dire mû presque aussi uniformément que s'il l'étoit par un poids.

C'est un problème parmi les Géometres, que de trouver la figure précise que doit avoir la fusée d'une montre, c'est-à-dire quelle est la courbe qui tournant autour de son axe, produiroit le solide dont cette fusée doit être formée. M. de Varignon a déterminé cette courbe, pag. 198. des mémoires de l'académie royale des Sciences, année 1702, pour toutes sortes d'hypotheses de tensions du ressort. Ce qu'il y a de singulier dans la solution, c'est que la base de la fusée, au lieu de s'étendre à l'infini, comme il sembleroit que cela devroit être, pour que le ressort tirât également lorsque sa force seroit infiniment plus petite ; cette base, dis-je, est déterminée, & d'une certaine grandeur. Enfin pour parler plus géométriquement, la courbe qu'il trouve, & dont la révolution autour de son axe donneroit la figure de la fusée, n'a qu'une asymptote, au lieu qu'elle devroit en avoir deux ; parce que d'un côté elle doit s'approcher de plus en plus de son axe, sans jamais le toucher, & de l'autre côté s'en éloigner toûjours à l'infini. Au reste la détermination de cette courbe ne seroit pas d'un grand secours dans l'Horlogerie, car quelque parfaits que soient les ressorts, ils ne seront jamais assez uniformément élastiques, & par la nature de l'acier, & par le défaut d'exécution, pour qu'on puisse se servir d'une fusée formée selon une courbe trouvée d'après une hypothese quelconque des tensions du ressort. Les Horlogers ont trouvé un moyen plus sûr de lui donner la forme requise, en se servant d'un instrument nommé levier, voyez LEVIER ; par lequel ils vérifient à chaque point de la fusée, si la force du ressort est la même en la mettant toûjours en équilibre avec un même poids.

Les horlogers en Angleterre se servent de fusées dans les pendules à ressort, mais ici on ne les employe pas. 1°. Parce qu'on fait faire le ressort un peu plus long, & que l'on ne se sert que des tours qui sont les plus égaux ; & 2°. parce qu'on peut toûjours construire l'échappement de façon que malgré que la force du ressort diminue à mesure qu'il se débande, la pendule aille toûjours avec la même justesse. Voyez les articles PENDULE, ÉCHAPPEMENT, RESSORT, &c.

Après avoir parlé de la forme que doit avoir la fusée, nous allons expliquer sa construction. Elle est composée d'un arbre (voy. les Pl.) avec lequel elle ne fait qu'un seul corps. Cet arbre a deux pivots C & P à ses deux extrémités ; le pivot P doit être assez gros & assez long pour pouvoir déborder un peu le cadran, & pour qu'on y puisse faire un quarré sur lequel entre la clé. Lorsqu'on veut monter la montre, le pivot C doit être beaucoup plus menu, parce que le rayon de la fusée étant beaucoup plus petit à son sommet qu'à sa base, le frottement sur ce pivot en est beaucoup augmenté ; inconvénient auquel on remédie en quelque façon par la petitesse de ce pivot. Parmi tous les avantages que les montres à la françoise ont sur celles qui sont à l'angloise, celui-ci n'est pas un des moindres ; car dans celles-ci le quarré se trouvant du côté du sommet de la fusée, oblige à faire le pivot de ce côté fort gros, ce qui en augmente beaucoup le frottement ; frottement déjà assez considérable par la petitesse des bras de leviers de la fusée de ce côté, & par l'augmentation de la force du ressort.

Du même côté est le crochet C (voyez les Pl.) qui sert à empêcher qu'on ne remonte la montre plus qu'il ne faut. Voyez GUIDE-CHAINE.

Du côté de sa base elle a un petit rebord, où il y a des dents dont la figure ressemble à un triangle ; ces dents composent ce que l'on appelle le rochet, on en verra l'usage plus bas.

La grande roue ou premiere roue (V. les Pl.) portée sur l'arbre de la fusée, vient s'appliquer contre sa base. Elle est mobile circulairement sur cet arbre, qui pour cet effet est rond. Pour qu'elle pose continuellement contre la base de la fusée, elle est retenue par la goutte 2''' qui tient à frottement sur cet arbre, & qui entrant dans la petite creusure de la roue, la presse toûjours contre cette base. Voyez GRANDE ROUE, GOUTTE, &c. voyez les Planches, & leur explication.

Lorsque la fusée & la grande roue sont montées ensemble, le cliquet C de la grande roue entre dans les dents du rochet, & il s'y engage de façon que la fusée tournant dans le sens où elle est entraînée par la chaîne la montre allant, ses dents s'appuient sur le cliquet ; ensorte que la fusée & la grande roue tournent ensemble du même côté ; & qu'au contraire quand on tourne la fusée dans le sens opposé, elle se meut indépendamment de la grande roue, le cliquet ne s'opposant plus à son mouvement. Cette mécanique est nécessaire pour qu'en remontant la montre, la fusée tourne sans la grande roue ; car un point d'appui étant nécessaire, si la grande roue tournoit avec la fusée, il seroit impossible de remonter la montre.

Il y a des fusées qui sont disposées de façon qu'en tournant leur quarré d'un sens ou de l'autre, on remonte également la montre. On appelle les montres qui ont de ces sortes de fusées, montres à l'ivrogne ; comme il est rare que l'on en fasse usage, nous n'en parlerons point, d'autant plus que ces sortes de fusées sont fort inutiles. Voyez MONTRE. (T)

FUSEE, (Machine à tailler les) Méchanique, Horlogerie, &c. c'est un outil dont se servent les Horlogers pour former les rainures qui sont sur les fusées des montres.

On sait par ce qui précede, 1°. que la fusée est une espece de cone tronqué, sur lequel s'enveloppe une chaîne dans une rainure faite en ligne spirale, sur son contour, de la base au sommet. Un bout de la chaîne tient au barillet, & l'autre à la fusée.

2°. Que la propriété de la fusée est de rendre égale l'action du ressort sur le roüage.

3°. Qu'au moyen de la grandeur différente de ses rayons, lorsque le ressort est à son premier tour de bande, & par conséquent lorsque sa force est moindre, la chaîne s'enveloppe sur la plus grande partie de la fusée (ou plus grand rayon), & agit avec la même force sur le roüage, que dans le cas où le ressort étant monté au plus haut, la chaîne s'enveloppe sur le plus petit rayon de la fusée ; & de même à tous les autres degrés de tension du ressort ; car à mesure qu'on le remonte, sa force augmente : mais en même tems aussi les diamêtres de la fusée diminuent ; de sorte que l'action du ressort sur le roüage est toûjours la même.

4°. Qu'une autre propriété de la fusée, & qui est une suite de cette égalité de force sur le roüage, est de faire marcher plus long-tems une montre, en se servant cependant d'un même ressort ; ce qu'il est aisé de concevoir. Le barillet qui contient le ressort & sur lequel s'enveloppe la chaîne, est cylindrique ; je le suppose du même diamêtre que la plus grande partie de la fusée : dans ce cas si toutes les parties du premier tour de bande du ressort étoient égales entr'elles, lorsque la fusée fait un tour, le barillet en feroit aussi un ; mais comme cela n'est pas, & qu'à chaque degré de tension du ressort sa force augmente, & que, comme nous l'avons dit, les rayons de la fusée diminuent dans la même proportion, il s'ensuit de-là que pour le développement de la chaîne sur un tour de barillet, la fusée fera plus d'un tour ; & elle en fera d'autant plus que le ressort deviendra plus fort, jusqu'au point qu'étant au-haut, & dans ce cas supposant que sa force devînt double de celle de son premier tour, la partie de la fusée sur laquelle la chaîne s'enveloppe, sera de la moitié plus petite qu'au premier tour, & par conséquent un tour de barillet en fera faire deux à la fusée.

5°. Qu'afin que les diamêtres de la fusée soient moins inégaux entr'eux, on n'employe dans les montres qu'environ quatre tours du ressort, quoiqu'ils en puissent cependant faire davantage : qu'on ne prend que les tours qui ont le plus d'égalité entr'eux en ne remontant pas ce ressort jusqu'au-haut, & en ne le laissant pas développer jusqu'au-bas ; d'où l'on voit par ce qui vient d'être dit, que les formes des fusées ne sont pas exactement les mêmes, & qu'elles sont relatives aux différentes forces des ressorts. Ainsi on ne les détermine que par l'exécution ; car ce qui se feroit par la théorie, quoique satisfaisant, seroit en pure perte. On a acquis par l'habitude une forme approchante de celle qui convient aux fusées ; de sorte qu'on les tourne d'abord de cette forme qui approche assez de celle d'une cloche ; ensuite on les taille avec les outils que nous allons décrire ; enfin on les égalise par le moyen d'un levier qui s'ajuste sur le quarré de la fusée. Ce levier porte un poids mobile, que l'on met d'équilibre avec la moindre force du ressort, & l'on diminue les parties de la fusée qui sont trop grosses. Voyez LEVIER A EGALER LES FUSEES.

Je ne connois ni l'auteur de la fusée, ni celui de la premiere machine pour les tailler. Il y a apparence que comme les premieres montres ont été faites en Angleterre, de même cette partie essentielle pour la justesse des montres y a été trouvée. Au reste ces machines n'ont pas été composées d'abord telles qu'elles sont à-présent. Je donnerai la description des deux constructions de machine à tailler les fusées. La premiere est tirée du traité d'Horlogerie de M. Thiout, pag. 66. Je ne fais que transcrire sa description ; sa planche même a servi.

On dit que la seconde est de la composition de feu M. le Lievre, horloger fort habile. M. Proselle son neveu, a bien voulu me communiquer cette machine.

Description de la machine à tailler les fusées à droite & à gauche, avec la même vis, par M. Regnauld de Chaalons, p. 66. du traité d'Horlogerie de M. Thiout. " Les pieces U & X (voyez nos Planches) marquent le chassis qui porte les pieces depuis Z jusqu'en V. Z V est un arbre, que l'on peut tarauder à droite ou à gauche ; cela ne fait rien, quoique celui-ci le soit à gauche, & dans le sens que sont taillées les fusées à l'ordinaire. Cet arbre est fixé sur la piece X par les deux tenons g g, qui sont la même piece que X, en le faisant entrer par g. On passe ensuite une piece en forme de canon, taraudée en-dedans y, sur le même pas que la vis. On place sur la même vis une autre piece taraudée X, qui sert à déterminer le nombre de tours que l'on veut mettre sur la fusée. On passe l'arbre dans le tenon g, & après avoir placé la manivelle T dessus en m, dont le bout est quarré, on le fixe par le moyen de l'écrou n. A la piece y est jointe celle f ou petit bras, par la cheville z qui fait charniere avec elle ; & comme cette piece f est fixée au chassis par une autre cheville au point k, ce point lui sert de centre lorsque l'on tourne l'arbre. Par le moyen de la manivelle, la vis fait avancer ou vers g, ou vers X. La piece y ne peut tourner avec la vis, & se promener seulement dessus. Ce mouvement d'aller & de venir est répété sur le grand bras e, par le moyen de la traverse a a, que l'on fixe sur l'un & sur l'autre bras par les chevilles b, que l'on met dans les trous dont on a besoin, à proportion des hauteurs de fusée. Ce grand bras a vers son milieu un emboîtement L percé quarrément, dans lequel passe la piece L, dont une partie de la longueur est limée quarré ; elle remplit l'emboîtement L : l'autre partie est taraudée & passée dans un écrou N ; elle sert à faire avancer ou reculer la piece L, qui à l'autre extrémité porte une tête fendue, dans laquelle on fixe à charniere la piece H, par la cheville L ; laquelle piece H porte à l'autre bout l'échope G, qui passe au-travers de la tête de cette piece, où elle est fixée par la vis 7. L'arbre Z V porte une allonge ou assiette C, percée en canon, laquelle entre dans l'arbre, & y est fixée par une cheville à l'endroit Z. C'est dessus cette assiette que l'on fait porter la base de la fusée A, dont la tige entre dans le canon B du tasseau ou assiette. Cette fusée est fixée à cet endroit par l'autre vis D, pour y être taillée.

Tout étant ainsi disposé, il faut considérer deux mouvemens différens au grand bras e ; par exemple, si on le fixe au chassis par une de ses extrémités, & par la cheville R ; & que l'on tourne la manivelle T, tellement que la piece y avance vers G, & qu'alors on baisse la barre H qui porte l'échope G jusqu'à ce qu'elle touche la superficie de la fusée A ; cette fusée se taillera dans le sens que la vis de l'arbre z v est taraudée, qui est à gauche. Si au contraire on ôte la cheville R, qui servoit à fixer le grand bras e ; & que l'on donne à ce grand bras pour centre de mouvement le point P, en y plaçant la vis p dont l'assiette O arrête le grand bras : alors, si vous tournez la manivelle dans le même sens que vous avez fait ci-devant, le haut du grand bras e ira vers W ; au lieu qu'auparavant il alloit vers d : la piece H, par conséquent, ira aussi dans un sens contraire à celui qu'il avoir auparavant. Ainsi on ne taillera la fusée que lorsque l'on tournera la manivelle de l'autre côté. Il faut observer de retourner le bec de l'échope G de l'autre côté, quand on veut tailler à droite. La portion de cercle Q Q est pour contenir le grand bras par le bout, & passe dans un empatement fait à la piece S qui tient au chassis. On voit que le bout supérieur du bras e est fendu en fourche dans laquelle passe la barre d, pour lui servir de guide, lorsque l'on a ôté la vis p & remis la cheville R, pour tailler à gauche.

Il faut aussi que la piece F soit fendue, afin de servir d'appui à la piece H lorsqu'on la fait descendre, pour que l'échope touche à la fusée ".

Dans toutes les machines à tailler les fusées, on a toûjours eu en vûe de former des especes de pas de vis sur la fusée, pour contenir la chaîne, ainsi que nous l'avons dit. Or il y avoit deux moyens pour produire cet effet ; l'un de faire mouvoir la fusée sur la longueur de son arc, comme on le fait pour former des pas de vis autour ; l'autre, qui est la meilleure & la plus simple, c'est de faire mouvoir le burin qui doit former les pas de la fusée : c'est en effet le dernier principe dont on a toûjours fait usage. Pour faire mouvoir le burin ou échope, il y a encore différens moyens ; & c'est par-là particulierement que differe la machine de M. le Lievre, dont nous allons parler. On a vû dans la description précédente, que l'arbre qui porte la fusée, ainsi que la manivelle, est une vis qui fait mouvoir un levier qui porte l'échope ; & que suivant les différens points d'appui que l'on donne à ce levier, il fait parcourir à l'échope des espaces plus ou moins grands par rapport à un tour de la vis ; espaces qui déterminent le nombre de tours de vis ou rainures de la fusée, pour les différentes hauteurs de la fusée. Dans cette construction de M. le Lievre, l'axe qui porte la manivelle de la fusée, porte un pignon qui engrene dans une espece de cramailliere ou longue regle : cette regle se meut sur le chassis ; elle en porte une seconde de même longueur, qui forme un angle ou plan incliné avec elle : celle-ci agit contre un levier qui porte le burin : ainsi en faisant tourner la manivelle, & par conséquent le pignon & la fusée, la regle qui porte le plan incliné se meut sur la longueur, & fait mouvoir le burin, & suivant que l'on donne plus ou moins d'inclinaison au côté de la regle, le burin fait plus ou moins de chemin pour un tour de manivelle : venons à la description de cet outil de M. le Lievre.

On voit dans nos Planches d'Horlogerie cette machine représentée en entier. A A, B B, est la piece principale ou chassis, lequel est d'une seule piece & de cuivre fondu : il porte un talon T, qui sert à tenir cette machine dans l'étau lorsque l'on veut s'en servir. L'axe V V, qui porte le pignon p de 12, se meut dans les parties saillantes C C du chassis. R R est la regle dentée ; elle se meut sur la partie 1, 2, 3, 4, du chassis, creusée de sorte que cette regle y entre juste : son mouvement se fait perpendiculairement à l'axe du pignon p.

L L est une seconde regle attachée après la regle R R ; elle est de même longueur que la premiere, & mobile au point m ; on la fait mouvoir par son extrémité h, au moyen de la vis Q ; ensorte qu'on lui fait faire des angles différens qui servent, comme je l'ai dit, à faire les pas de la fusée plus près ou plus distans ; chose relative à la hauteur des montres & au tems qu'on veut les faire marcher. La piece i, g, mobile en g, porte un talon qui appuie continuellement contre la regle L L : un ressort r qui agit sur le levier p p, qui se met au point o, sert à cet effet, & par conséquent à faire parcourir à cette piece i g, & au levier où elle tient, des espaces relatifs aux différens angles, que fait la regle L L avec celle R ; c'est ce mouvement qui sert à promener le burin, & à former les pas de la fusée. La piece D D sur laquelle est ajoûté le coulant qui porte le burin, est mobile au point l du levier p ; elle se meut donc ainsi que le levier p sur la longueur de l'axe du pignon p (ou de la fusée, ce qui est le même). La piece D se meut encore dans un autre sens, qui est en s'approchant & s'éloignant de l'axe de la fusée f ; ce mouvement sert pour faire suivre au burin la forme de la fusée déterminée par les courbes faites à la piece H, sur laquelle vient poser la vis U qui tient au coulant qui porte le burin ; cela regle la forme de la fusée & la profondeur des pas. Cette piece D D exige un ajustement fait avec soin, une grande solidité ; celle-ci passe dans des fentes faites aux pieces K K, comme on le voit dans nos figures ; à l'endroit K cette piece est vûe de profil.

Une autre figure montre l'ajustement du levier p p vû dans un autre sens, & la façon dont se meuvent les pieces g i & D D, & comment il se meut lui-même sur la piece ou chassis A A B B, aux points o o. La piece D est mobile aux points l l, hauteur de l'axe du pignon & de la fusée ; elle tient à celle D D ; la piece g i est mobile aux points g g du levier p ; q est le prolongement du pignon p ; il est quarré & entre dans la manivelle, ensorte que par son moyen on fait tourner la fusée, les regles R R, L L, & par conséquent le burin.

La machine que je viens de décrire ne taille les fusées que du même sens de la base au sommet, & il est cependant nécessaire de pouvoir en tailler de l'autre, pour servir dans le cas où on ajoûte une roue de plus dans une montre, ou dans tout autre qui exige que la montre se remonte du sens contraire, ce qui s'appelle remonter à droite ou à gauche. Pour remédier à cette difficulté, M. Gédeon Dudal horloger, a construit une machine à tailler les fusées, à-peu-près dans les mêmes principes de celle-ci, mais qui en differe par cette propriété de tailler les fusées à droite & à gauche ; pour cet effet il a rendu le levier L L mobile au milieu de sa longueur, comme au point x, au lieu de l'être en m ; ensorte qu'on fait faire des angles à la regle L L dont les sommets sont situés ou au bout I de la regle R, ou à celui E, suivant le côté que l'on veut tailler sa fusée ; pour cet effet il ne faut que faire approcher ou éloigner le point K de I, au moyen de la vis C.

M. Admyrauld a aussi construit un outil qui a les mêmes propriétés de tailler à droite & à gauche ; c'est en rendant le levier L L mobile alternativement au point m comme à celle-ci, ou à un autre point m placé dans l'autre bout I ; il s'est aussi servi d'une cramailliere & des autres principes de celle que j'ai décrite. Je ne m'arrête donc qu'à ce qui différencie ces trois machines à tailler les fusées. Passons à quelques observations.

Pour tailler une fusée, il faut commencer par la fixer aux pieces t t que porte l'arbre ou pignon p v. ces pieces se rejoignent au centre de cet arbre, & y forment un trou quarré dans lequel on fait entrer la partie quarrée de l'axe de la fusée, & en serrant les visses 6, 6, cela fixe la fusée ; l'autre bout de la fusée qui se termine en pointe, pose au centre de la broche E qui passe dans le canon G de la piece G K ; il y a une vis de pression 7 qui fixe cette broche. Présentement si on veut tailler une fusée qui puisse contenir six tours de chaîne, je suppose, il faut tourner la manivelle de droite à gauche pour ramener le point F de la cramailliere près de l'arbre p V, ensorte que le burin se trouve situé à la base de la fusée, à l'endroit où doit commencer le premier filet ou rainure : alors faisant tourner la manivelle de gauche à droite, on comptera le nombre de tours que fait la manivelle, & par conséquent la fusée, tandis que le burin parcourt la hauteur du cone ; s'il fait plus de six tours demandés, il faut, au moyen de la vis Q, éloigner le point h de celui I, ou ce qui est le même, faire que l'angle h I L soit plus ouvert, & au contraire le diminuer si la manivelle ne fait pas six tours pendant que le burin parcourt la fusée de la base au sommet, & ainsi jusqu'à ce que les six tours demandés se fassent exactement. Il faut ensuite retourner la manivelle en ramenant le burin à la base de la fusée, où, comme j'ai dit, doit commencer le premier point de la rainure ; faire appuyer le burin en pressant la piece D D au point O, & ainsi tourner la manivelle de gauche à droite jusqu'à ce qu'elle ait fait six tours. Le burin ou échope est fixé sur le coulant W, la vis g v regle sur la courbe H l'enfoncement du burin dans la fusée. 8 est une vis pour fixer le coulant W sur la piece D D ; cette rainure de la fusée se fait en ramenant à plusieurs reprises le burin à la base de la fusée, & en continuant à appuyer pour que le burin coupe lorsqu'il va de la base au sommet, &c.

Ce que je viens de dire pour tailler une fusée ordinaire, servira à donner une idée d'opération que la pratique même étendra. Il faut employer les mêmes raisonnemens pour tailler de l'autre côté, & recourir à la description de la machine. Article de M. FERDINAND BERTHOUD.

* FUSEE, en terme de Fileurs d'or, est une piece de leur roüet, qui sort du corps de la machine par-devant, & qui est soûtenu par un boulon de fer qui passe dans un support attaché aux deux piliers de devant. Elle est partagée en huit, douze, seize parties, qui sont tournées en plusieurs crans, en forme de vis, excepté qu'ils ne communiquent point l'un dans l'autre. Ces crans sont encore de différentes grandeurs, pour donner aux roues la quantité de mouvement que l'artiste juge nécessaire pour son ouvrage. Cette fusée est terminée à droite par une roue de bois en plein, qui a elle-même plusieurs de ces crans inégaux pour la même raison.

FUSEE, (Manége, Maréchall.) nous appellons de ce nom deux ou plusieurs suros continus, & les uns sur les autres. Voyez SUROS.

FUSEE, terme de Riviere, voyez VINDAS.

FUSEE, terme de Blason, qui dénote une figure rhomboïde, plus allongée que la losange ; ses angles supérieurs & inférieurs sont plus aigus que ceux du milieu. Voyez nos Planches de Blason.

On regarde la fusée comme la marque de la droiture & de l'équité. Quelques-uns veulent cependant que les fusées en Blason soient des marques de flétrissure pour ceux qui les portent. Ils en donnent pour raison qu'après que les croisades eurent été publiées, nos rois condamnerent les gentilhommes qui se dispenserent d'aller à la guerre contre les infideles, à changer leurs armes, & à charger leurs écus de fusées, comme reconnoissant qu'ils méritoient d'être mis au nombre des femmes. Dict. de Trév. & Chamb.


FUSELÉadj. en termes de Blason, se dit d'un champ ou d'une piece toute chargée de fusées. Voyez FUSEE.

Du bec de Vardes, fuselé d'argent & de gueules.


FUSERv. n. (Chimie) se dit du phénomene que présente le nitre qu'on détonne sur les charbons ardens, parce qu'il ressemble à-peu-près à l'effet d'une fusée. Il seroit cependant bien singulier que ce fût-là l'origine du mot fuser en ce cas, & que ce ne fût pas ce mot au contraire qui nous eût donné celui de fusée ; car celle-ci ne fuse qu'à raison du nitre qui est sa base. Cependant cela ne paroît que trop vrai. Voyez NITRE. Article de M. de VILLIERS.


FUSEROLLES. f. (Drap.) brochette de fer qui traverse l'espolin, & qu'on place avec l'espolin dans la poche de la navette.


FUSIBILITÉS. f. c'est cette qualité qui se rencontre dans les métaux & minéraux, qui les dispose à la fusion. Voyez FUSION.

L'or est plus fusible que le fer ou le cuivre, mais moins que l'argent, l'étain, ou le plomb. Voyez OR, ARGENT, &c.

On mêle ordinairement du borax avec les métaux pour les rendre plus fusibles. Voyez BORAX ; voyez aussi FLUX NOIR & FONDANT.


FUSILS. m. c'est dans l'Art militaire, une arme à feu, qui a succédé à l'arquebuse & au mousquet, montée ainsi que ces deux armes sur un fust de bois qui est ordinairement de noyer.

Outre la monture du fusil dans laquelle on comprend la baguette, on distingue dans cette arme la platine & l'équipage.

La platine est une plaque de fer d'environ cinq pouces de longueur, placée à l'extrémité du canon vers sa culasse, à laquelle sont attachées les différentes pieces qui servent à tirer le fusil.

Ces pieces sont un grand ressort en-dedans de la platine, une noix & bride sur le chien avec sa mâchoire ; une vis au-dessus, le bassinet, une batterie qui couvre ce même bassinet, & un petit ressort qui le fait découvrir & recouvrir.

Le chien tient à la platine par le moyen d'une vis. Son extrémité en-dehors forme une espece de gueule dans laquelle est retenue fixement une pierre à fusil, par le moyen d'une grande vis. La partie supérieure de cette gueule est appellée la mâchoire du chien. Le bassinet est un petit bassin posé en saillie sur la platine, vis-à-vis la lumiere ou la petite ouverture faite au canon pour mettre le feu à la poudre dont il est chargé. La batterie est disposée en espece d'équerre, dont une branche couvre le bassinet, & l'autre se présente à-peu-près parallelement au chien.

Lorsque le chien est tendu, ou ce qui est la même chose, lorsque le fusil est bandé, & qu'on veut le tirer, on lâche la détente qui est sous la platine, ce qui fait tomber avec force sur la batterie le chien armé de sa pierre. Cet effort fait mouvoir la batterie, & lever sa branche qui couvre le bassinet ; & comme la pierre fait feu en même tems sur la partie de la batterie qui lui est opposée, elle allume la poudre du bassinet, laquelle communique le feu à la charge du fusil, & fait ainsi partir le coup.

Les platines du mousqueton, du pistolet, &c. sont composées des mêmes pieces que celles du fusil.

L'équipage du fusil est composé du talon, qui est une espece de plaque de fer qui couvre le bout de la crosse ; de l'écusson, qui est une piece de fer qui embrasse la clé des portes-baguette ; de la soûgarde avec sa détente, qui sert à lâcher le ressort du chien, &c.

Les fusils ont commencé à être généralement établis dans les troupes vers l'année 1704. Avant cette époque il n'y avoit que les grenadiers des bataillons qui en fussent armés, à l'exception néanmoins du régiment des fusiliers, créé en l'an 1671, qui fut dès lors attaché au service de l'artillerie. Tous les soldats eurent des fusils à la place des mousquets, qui étoient alors en usage dans tous les corps d'infanterie. Les fusiliers outre l'épée, furent aussi armés d'une bayonnette ; c'est le premier corps dont les soldats ayent été ainsi armés. Ce régiment est aujourd'hui royal artillerie. Quant aux raisons qui firent quitter les mousquets pour prendre les fusils, voyez MOUSQUET. (Q)

De la portée du fusil. Pour connoître ce qu'on doit appeller la portée d'une arme à feu, il faut considérer 1°. la ligne droite par laquelle on voit l'objet vers lequel on veut porter la balle ou boulet, laquelle s'appelle ligne de mire ; 2°. une autre ligne droite, qui représente l'axe qu'on peut supposer au calibre ou cylindre de l'arme, & que j'appellerai ligne de tire ; 3°. la ligne que décrit le globe qui est lancé par la poudre hors le calibre de l'arme, vers le but qu'on se propose de frapper.

FUSIL à portée de but en blanc. Si la ligne de tire se trouvoit parallele avec la ligne de mire, jamais la balle ou boulet ne pourroit arriver qu'au-dessous du but ; car à chaque instant après sa sortie, la balle ou boulet s'éloigne de la ligne de tire, & tend à se rapprocher vers la terre ; aussi la ligne de mire & la ligne de tire, sont-elles sécantes entr'elles dans toutes les armes à feu, & la ligne courbe que décrit le boulet coupe d'abord la ligne de mire, s'éleve au-dessus, & redescend ensuite la recouper : le point où la ligne courbe que décrit le boulet, recoupe la ligne de mire, est la portée de l'arme à feu, le but en blanc. Ce point est plus ou moins éloigné, à proportion de l'amplitude de l'angle que forment entr'elles la ligne de mire & la ligne de tire & en raison de la force qui chasse le boulet, de sa masse, de son volume, de sa densité, & de celle du milieu qu'il traverse, & de la longueur du calibre.

Soit supposé le canon d'un fusil épais de quatre lignes à sa culasse, d'une ligne à sa bouche, qu'il ait quatre piés de long, que le calibre soit de six lignes, la ligne de tire & celle de mire se couperont à quatre piés au-delà de la bouche du fusil, & l'angle que les lignes de mire & de tire fermeront en se rencontrant, sera de 0d, 10 ou 15' ; la balle montera au-dessus de la ligne de mire, formant à bien peu de chose près, le même angle ; donc à douze piés au-delà de la bouche du canon, elle sera sept lignes environ au-dessus de la ligne de mire. Pour calculer à quel endroit on doit trouver le point du but en blanc, il faut d'abord faire abstraction de la force d'inertie, centripete, ou pesanteur de la balle ou boulet, & calculer l'élévation que prend la ligne de tire au-dessus du point vers lequel on vise, eu égard au plus ou moins d'éloignement de ce but, estimer la vîtesse à parcourir l'étendue supposée, & diminuer sur l'élévation reconnue l'attrait occasionné par sa masse, & ce par les calculs des masses & des vîtesses, &c.

Soit supposé, que pour parcourir cent toises le globe soit 0' x" x''', &c. que la ligne de mire (suivant l'angle que nous avons supposé 0d, 10 ou 15'), soit à ce but éloigné de 600 lignes, égales à 50 pouces ou 4 piés 2 pouces. Si l'épreuve d'accord avec le calcul, fait voir que le globe frappe le but visé à cesdites 100 toises, il faudra en conclure qu'à 60 toises environ, par exemple, la balle étoit élevée au-dessus de la ligne de mire d'environ 2 piés, ce qui a été sa plus grande élévation : qu'il s'ensuit donc que s'il s'étoit trouvé à ces 60 toises un corps élevé à deux piés, ou quelque chose de moins, au-dessus de la ligne de mire, ce corps eût été frappé par la balle, quoique le coup ait été bien visé au but : on auroit dit à cela sans réfléchir : c'est que le coup releve ; mots vuides de sens. J'avoue qu'il y a beaucoup d'expériences à faire, pour établir théoriquement la portée des armes à feu ; j'en proposerai ci-après quelques-unes pour la pratique ; on ne fait jusqu'à présent que l'estimer à-peu-près, & l'on tombe quelquefois dans des défauts que l'on n'imagine pas, faute de connoître non-seulement le point de perfection, mais même ce que peut indiquer la théorie connue : par exemple on recommande souvent aux troupes de viser vers le milieu du corps de l'ennemi ; on leur prescrit même de tirer bas, & plûtôt plus que moins. Certainement rien n'est moins une loi générale que ce prétendu axiome, si suivant (la supposition faite ci-dessus) à 100 toises l'on frappe un but à l'endroit visé, quatre piés au-dessus de l'horison, à 60 toises on passera 6 piés au-dessus de l'horison, & l'on ne frapperoit pas un but M, N, qui seroit à cette distance, quand il auroit 5 piés 10 pouces de hauteur depuis le niveau de l'horison ; si à 100 toises l'on a visé précisément au pié du but H, B, l'on n'arrivera qu'à ce point ; & si le but eût été de quelques pas plus éloigné, on ne l'auroit pas frappé.

Si à 60 pas, l'on a visé deux piés plus bas que le pié du but O K, c'est-à-dire deux piés plus bas que la ligne horisontale sur laquelle le but seroit planté, on n'atteindra pas encore ce but. Il s'ensuit donc qu'on ne peut jamais avec un fusil atteindre au but quelconque, quand on vise deux piés plus bas que l'extrémité inférieure du but, à quelque éloignement qu'il soit ; que si l'on vise au pié du but, on ne peut le frapper que depuis ledit pié ou base, jusqu'à une élévation de deux piés ; si dans cette distance de 100 toises un but a d'élévation trois fois deux piés, on le frappera dans la dimension du milieu, si l'on vise à deux piés au-dessus de sa base ; & s'il est à 60 toises, on le frappera dans la dimension supérieure ; mais si le but est plus éloigné de 100 toises, il faut viser plus haut que lui, pour le frapper dans la dimension du milieu, & de plus en plus s'élever, suivant que le but seroit plus éloigné.

Je viens d'expliquer que ce qui faisoit qu'une balle ou boulet arrive au but que l'on veut attraper, c'est certainement à cause qu'on l'a dirigé vers un autre endroit ; car sans s'en appercevoir, on tire avec un fusil ou canon vers un but, comme les Archers ou Arbalêtriers tirent vers celui où ils veulent faire arriver leurs fleches. Il est démontré que la ligne par laquelle un coup peut être lancé le plus loin possible, est la parabole qui formeroit à ses extrémités un angle de 45 degrés avec l'horison, abstraction faite de l'effet de la pesanteur du coup lancé. C'est parce qu'ils approchoient davantage de cette projection, que les Perses de Xenophon lançoient leurs fleches, qui portoient plus loin que celles de tous les Grecs, excepté des Archers de Candie. Voyez RETRAITE DES DIX MILLE. Les carabines pourroient bien n'avoir une plus longue portée que par la même raison (leurs balles trouvant peut-être plus de difficulté à vaincre le milieu qu'elles traversent par la perte qu'elles font de leur forme sphérique) ; & les gispes du maréchal de Puisegur (voyez page 30 in-4°.), dont il souhaiteroit que plusieurs soldats par compagnies fussent armés, ne sont encore autre chose que des armes renforcées par la culasse, & dont par conséquent les lignes de mire & de tire formantes un angle plus ouvert, donnent une portée plus longue que les armes ordinaires. Ce n'est point pour donner aucun blâme à ce grand maître que j'ose le citer ici, mais pour faire remarquer aux Militaires l'avantage considérable que peuvent leur procurer les premieres notions des Mathématiques, dans les moindres comme dans les plus grandes parties de leur art. J'observerai encore que les plus habiles tireurs au blanc ne peuvent le plus souvent tuer une piece de gibier à la chasse, & les chasseurs qui tuent à tout coup, ne tirent jamais, en ayant parfaitement le gibier sur la ligne de mire de leurs fusils ; non-seulement ils tirent à l'endroit où sera la piece de gibier lorsque leur coup y arrivera, mais ils visent plus au-dessous ou au-dessus, suivant l'éloignement du but qu'ils veulent frapper.

FUSIL. Sa portée possible. Pour reconnoître la plus grande portée possible d'une balle ou boulet, il faut déterminer ses différentes portées, suivant l'élévation que l'on peut donner à la ligne de tire ; il faut connoître les lois de la projection des corps ; la plus longue est par l'angle de 45 degrés, & l'angle de 15 degrés donne une projection de moitié moins d'étendue. Voyez PROJECTION.

Il doit y avoir une compensation en progression, depuis la plus grande portée jusqu'à la plus courte, relativement à la longueur du calibre qui dirige la balle ou boulet dans l'une ou l'autre projection. Les expériences bien faites ne l'ont été qu'avec des bombes ou des jets d'eau, ou l'équivalent ; & le calibre plus ou moins long dans ces deux cas, n'a pas dû faire une différence sensible, ni des frottemens à beaucoup près aussi grands que ceux qui se rencontrent par l'effet du calibre du fusil.

Il faut observer que les différens calibres des armes ne sont pas ensemble en même raison de leur diametre à leur longueur : en général dans l'usage des armes à feu, plus le diametre est petit, plus le cylindre ou calibre est long en proportion ; plus le calibre ou cylindre est petit, plus les défauts en sont considérables proportionnellement ; plus le calibre a de longueur, plus il tend à donner une direction droite ; plus le calibre est petit, plus il y a de différence entre le diametre du boulet & le sien ; plus il y a de différence entre le boulet & son calibre, plus les ondulations du boulet dans ce calibre peuvent l'éloigner du but vers lequel il est dirigé.

Seroit-il vrai que tout globe d'une densité capable de résister à la force qui le chasse, dirigé par un calibre ou cylindre en proportion semblable relativement à son volume, poussé par une poudre d'une force proportionnelle à sa masse, lancé dans la même projection, parcouroit des distances égales, & peut-être même dans des tems égaux, & décrira la même courbe ? Les preuves pour ou contre ne peuvent être aisément éclaircies ; il est difficile de déterminer exactement une force proportionnelle à la masse du boulet dans l'usage de la poudre, non-seulement parce que sa force augmente à-proportion de la promtitude de sa dilatation, & que cette promtitude dépend de sa qualité, de son degré de siccité, de sa disposition dans le calibre, du plus ou moins de pression de ses parties, & de la résistance de la balle, mais encore par la difficulté dont il est de connoître la quantité de poudre qui s'enflamme assez tôt pour donner au boulet toute l'impulsion qu'il acquiert, avant de quitter tel calibre qu'il parcourt.

La théorie peut faire reconnoître que pour que la charge d'un fusil fît tout l'effet que sa dilatation peut produire, il faudroit que la longueur du canon d'un fusil fût de 90 piés ; mais l'expérience a prouvé que la balle chassée par la même charge dans un fusil de quatre piés de canon, peut aller à deux mille cent soixante toises : il s'ensuivroit donc, qu'avec cette longueur supposée de 90 piés, la balle seroit portée à 48600 toises ; ce qu'il n'est pas possible d'expérimenter, car on ne fera pas un canon de fusil de 90 piés.

Si d'un côté la théorie prouve que la meilleure longueur d'un fusil, pour chasser le plus loin possible la balle, est de 90 piés ; que de l'autre, l'expérience prouve que par une longueur de quatre piés de canon, on chasse la balle à 2160 toises : il doit donc s'ensuivre, que chaque pouce de longueur de plus ou de moins au canon, doit donner 45 toises de plus ou de moins de portée, & que le pistolet, qui est de 14 pouces de canon, auroit 630 toises de portée : mais des expériences faites avec des canons, des coulevrines, & autres armes à feu, ont prouvé que ces trois armes portent leurs globes à-peu-près à même distance entre 2000 & 2500 toises : donc on doit conclure qu'il n'y a pas une proportion en progression connue, entre la force qui chasse les balles ou boulets, & la longueur des calibres qui les dirigent. Il faut observer que la proportion entre la longueur du canon de 24, & son boulet, est à-peu-près la même que celle entre un petit pistolet de poche fort court, & sa balle, c'est-à-dire entre dix & douze fois le diametre respectif de leur calibre. Quand on a fait des expériences pour constater quelle étoit la longueur de calibre la plus avantageuse à un canon, on a été occupé principalement de voir la différence que ses différentes dimensions pourroient occasionner dans l'effet du boulet, lorsqu'il frappe le but : pour cela, on a tiré d'abord avec le calibre qu'on avoit fait le plus long possible ; ensuite on l'a raccourci à plusieurs reprises, en sciant à chaque fois l'extrêmité. Le résultat pour la force a été établi, mais celui pour la portée ne l'a point été : vraisemblablement, pour la portée du but en blanc, il auroit dû être, à bien peu de chose près, le même : mais pour la plus longue portée possible, le résultat auroit dû être différent à chaque fois, & relatif à celui de la force du choc, & par les mêmes raisons, une certaine longueur donnant le tems à plus d'effet de la poudre, qu'une moindre ; & l'étendue de la portée de but en blanc, n'est pas comparable à la plus longue portée possible. D'ailleurs, les lignes de tire & de mire étoient toûjours les mêmes dans les canons d'épreuve ; au lieu que dans les canons de différentes longueurs, elles forment des angles plus ouverts, à-proportion que les calibres sont plus courts.

Pour déterminer quelle est la courbe que décrit la balle d'un fusil de munition, de la dimension fixée par les ordonnances, & dont les troupes sont ou seroient armées ; il faudroit fixer un de ces fusils dans la position horisontale qu'on choisira ; placer ensuite sur la ligne de mire donnée plusieurs especes de grands tamis placés verticalement entre 300 toises à distance les uns des autres, & faire feu : la balle tirée perceroit les toiles, crins, taffetas, ou papiers dont ces tamis seroient faits ; & ces points-là reconnus détermineroient la courbe qu'auroit décrit cette balle. Si l'on ne vouloit que trouver seulement le point le plus haut de cette courbe, on pourroit faire tirer dessous une voûte dont le faîte seroit de niveau, en plaçant la ligne de mire parallelement au-dessous de cette voûte, à un pié, un pié & demi, ou deux piés ; & remarquant ensuite l'endroit où la balle ne feroit qu'effleurer le dessous de ladite voûte.

Les épreuves exactes de la plus longue portée possible, ne peuvent se faire sans risque que sur des canaux glacés de deux à trois mille toises de longueur environ, & assez larges pour espérer que la direction de la balle ne sera pas trop détournée par les diverses résistances qu'elle peut éprouver dans les cinq à six mille toises d'atmosphere qu'elle parcouroit. Des hommes placés à distance l'un de l'autre, sous des especes de guérites, le long des bords du canal, remarqueroient où la balle tomberoit.

Toutes ces épreuves pourroient se faire avec les différens calibres, & dans diverses dimensions de culasses. Il est à croire que les expériences, en fixant les idées sur les différentes portées des armes à feu, fourniroient les moyens d'en faire un usage à-peu-près semblable à celui que l'on fait des fleches. La pratique en seroit vraisemblablement beaucoup plus difficile à perfectionner ; parce qu'une balle n'étant point visible comme le peut être une fleche, & sa portée étant beaucoup plus étendue, celui qui auroit tiré ne pourroit pas reconnoître aisément quel effet auroit fait sa balle : mais la théorie pourroit faire tirer parti de cette connoissance, pour faire porter des balles à des éloignemens où l'on n'auroit pas lieu d'en craindre sans cela.

Les militaires instruits du résultat de ces expériences sur la partie du but en blanc & la plus longue portée possible, pourroient, suivant l'éloignement où ils se trouveroient de l'ennemi, ordonner à leurs soldats de tirer plus ou moins haut, suivant l'éloignement de leur ennemi. En visant, par exemple, à la hauteur de la pique ou fer des drapeaux, lorsqu'il seroit encore à 300 toises ; & s'il étoit à 200, à la hauteur de la pique ou fer des espontons ; à 150, au haut de la tête, aux chapeaux de cet ennemi ; à 100, à la ceinture ; à 60 toises, aux genoux, ou bien peu au-dessous ; mais jamais plus bas.

FUSIL A VENT, est la même chose que l'arquebuse à vent. Voyez ARQUEBUSE A VENT.

FUSIL, petit cône de fer sur lequel on passe les couteaux & autres instrumens tranchans, pour leur rendre le fil & les faire couper.

Le fusil des Luthiers est la même chose, excepté qu'il est poli, & que celui des couteaux est rude ; il sert à affiler les gratoires.


FUSILIERSS. m. pl. dans l'Art militaire, ce sont des soldats armés de fusils, qu'ils portent en bandouliere. Voyez ci-devant FUSIL.

Il y a eu un régiment de fusiliers créé en 1671, pour la garde de l'artillerie. On arma ce régiment de fusils au lieu de mousquets, qui étoient alors l'arme commune presqu'à tous les corps d'infanterie. Outre l'épée, on donne aussi des bayonnettes aux soldats : c'est le premier régiment dont les soldats ayent été ainsi armés.

Ce régiment commença par être composé de quatre compagnies, chacune de cent hommes, que l'on tira des autres troupes ; les officiers furent pris dans le régiment du roi. La premiere de ces quatre compagnies s'appelloit la compagnie des canonniers du grand-maître ; elle étoit en effet composée de canonniers : mais par une ordonnance de Louis XIV. elle fut remplie de soldats travailleurs, comme les trois autres ; elle étoit commandée par le commandant du second bataillon.

Une autre de ces compagnies étoit composée uniquement de sappeurs, c'est-à-dire des gens propres aux travaux des tranchées. On y mettoit aussi autant qu'on pouvoit des tailleurs de pierres, des maçons, & d'autres gens capables de travailler aux mines ; elle étoit commandée par le lieutenant-colonel du régiment, & principalement employée aux travaux de la sappe.

Les deux autres furent mises dans la suite à la tête du troisieme & quatrieme bataillon, & étoient composées d'ouvriers en bois & en fer : on s'en servoit pour faire les ponts & autres travaux de cette espece. Ce corps, composé d'abord de ces quatre compagnies en 1671, fut augmenté en 1672 avant la guerre de Hollande, de vingt-deux compagnies : on fit un régiment de deux bataillons, qu'on nomma le régiment des fusiliers : en 1677, on fit à ce régiment une seconde augmentation de quatre bataillons, de chacun quinze compagnies, lesquelles furent tirées des vieux régimens. Ces quatre bataillons prirent la queue des deux premiers, & le rang entr'eux par l'ancienneté du régiment d'où ils avoient été tirés.

En 1679, après la paix de Nimegue, on réforma le sixieme de ces bataillons. Peu de tems après, & la même année, on réforma six compagnies de canonniers, dont les soldats furent tirés des troupes. Quatre de ces compagnies furent données à quatre anciens capitaines des deux premiers bataillons : les deux premieres furent données aux deux plus anciens des quatre derniers bataillons.

En 1689 on fit aussi une augmentation de 6 compagnies de canonniers, lesquelles furent tirées des troupes, & les officiers tirés du régiment ; de sorte qu'il y avoit 12 compagnies de canonniers, qui n'étoient point enbataillonnées. Cette même année, le troisieme & le quatrieme bataillon furent augmentés de chacun une compagnie de grenadiers. En 1691, le roi ayant mis les bataillons de toute l'infanterie à treize compagnies au lieu de seize, on prit les trois dernieres compagnies de chacun des trois derniers bataillons de ce régiment, auxquelles on ajoûta trois autres compagnies tirées des troupes ; ce qui fit douze compagnies. Ces douze compagnies en fournirent une de grenadiers : & de tout cela, on en fit un troisieme bataillon, conformément au réglement du roi ; parce que le sieur de Bouvincourt, qui fut choisi pour le commander, se trouva le troisieme capitaine du régiment. En 1693, le roi ordonna que le régiment seroit appellé desormais le régiment royal de l'artillerie : les commissions des officiers sont du roi, mais elles sont adressées au grand-maître de l'artillerie, comme au colonel-lieutenant du régiment. Mém. d'artillerie de Saint-Remi.

Le régiment royal de l'artillerie est augmenté depuis 1721 du régiment des Bombardiers, qui y fut alors incorporé, pour ne faire qu'un seul & même corps avec ce régiment. Voyez BOMBARDIERS. Il fut divisé en cinq bataillons qui furent placés à Strasbourg, Grenoble, la Fere, & Perpignan : celui de cette derniere ville a été transféré depuis à Besançon.

Ces bataillons sont composés de huit compagnies de cent hommes chacune, non compris un capitaine en premier & un capitaine en second, deux lieutenans, & deux sous-lieutenans : chaque compagnie est divisée en trois escouades.

La premiere qui est double, est composée de vingt-quatre canonniers ou bombardiers, & de vingt-quatre soldats apprentis.

La seconde est composée de douze mineurs ou sappeurs, & de douze apprentis.

Et la troisieme est composée de douze ouvriers en fer & en bois, & autres propres à l'usage de l'artillerie, & de douze apprentis. Il y a aussi deux cadets & deux tambours dans chaque compagnie.

Les bataillons sont indépendans les uns des autres ; les officiers de différens bataillons ne roulent point ensemble pour les emplois ; chacun monte à ceux de son bataillon. (Q)

FUSION, s. f. (Chim.) c'est le changement qui arrive dans un corps solide, en conséquence de l'action du feu qui le rend fluide.

Dans cette opération, le feu diminue tellement la cohésion des parties intégrantes de ce même corps, qu'il les meut & les fait rouler les unes sur les autres à la façon des liquides.

On doit faire cette différence entre fonte & fusion, que fonte s'entend seulement de l'état d'un corps qui a perdu la cohésion de ses molécules aggrégatives, en conséquence de l'action du feu ; au lieu que fusion s'entend de l'action qui produit ce changement, de ce changement, de ses causes, & des phénomenes qui l'accompagnent. La fusion est un phénomene difficile à expliquer ; mais il n'est personne qui ne distingue la fonte d'un corps de son état de solidité. La fonte d'un métal qui doit passer à-travers un vaisseau, doit être bien liquide. Voyez COUPELLE & AFFINAGE.

Quoique la plûpart des auteurs employent le mot de liquéfaction ou de liquification dans le même sens que fusion, il faut pourtant ne l'appliquer qu'aux sels qui prennent de la fluidité sur le feu, par la grande quantité de leur eau de crystallisation, comme il arrive aux vitriols, au borax, &c. On peut encore les dire des métaux qui sont soûmis à la liquation.

Quand la fusion n'est que partielle, c'est-à-dire qu'elle n'a lieu qu'à l'égard des parties similaires d'une mine ou d'un alliage métallique, elle prend le nom de liquation. Voyez cet article.

On donne le nom de précipitation par la voie seche ou par la fonte, à cette espece de fusion où il arrive que la matiere fondue forme deux couches distinctes ; l'une pesante qui occupe le fond du vaisseau, & c'est le régule ; l'autre legere & qui surnage la premiere, qu'on appelle les scories.

On appelle vitrification, l'espece de fusion qui change tellement un corps, ou en combine plusieurs ensemble, de façon qu'il en résulte une matiere diaphane qui reste constamment dans le même état, quoique exposée de nouveau au feu de fonte.

Il ne faut pourtant pas croire qu'on employe pas aussi le mot de fonte dans bien des cas pour l'action du feu qui desunit les parties aggrégatives d'un corps : on dit aussi la fonte de la cire, de la graisse, &c. ensorte que le mot de fusion est plus particulierement employé pour les métaux.

Cette opération est une des plus fréquentes de la partie métallurgique de la Chimie.

Elle s'étend sur tous les corps fixes de la nature, avec toutefois cette restriction, qu'il y en a qui sont très-aisés, d'autres très-difficiles à fondre, & d'autres qui ne prennent l'état de fonte qu'à l'aide d'un ou de plusieurs autres corps fixes aussi. Ces corps prennent le nom de fondans ou de menstrues secs. Voyez la section des fondans à l'article FLUX, qu'il faut joindre avec celui-ci. On peut encore cependant comparer leur action à celle des menstrues humides. Ceux-ci n'ont besoin que d'une très-médiocre chaleur pour être dans l'état de fluidité, & joüir conséquemment de l'exercice de leurs propriétés. Les fondans en exigent une plus forte, les uns plus, les autres moins. Il est vrai qu'il s'en trouve qui demandent le même degré de feu que le corps à fondre, comme nous l'avons dit du mélange de deux corps infusibles par eux-mêmes ; mais ceux-ci se trouvent dans l'extrème, qui fait exception non-seulement avec les menstrues humides qui dissolvent & ne sont point dissous, quoique leurs parties soient divisées par la même raison qu'elles divisent, mais encore avec les fondans mêmes, qui doivent être plus fusibles que le corps qu'on veut fondre par leur intermede.

Les corps volatils en sont aussi susceptibles, mais quelques-uns seulement, & ils se dissipent sitôt qu'ils ont éprouvé cet état.

Il y a des métaux qui se calcinent au degré du feu qui les met en fonte.

Quelle que soit l'intention de l'artiste, il faut toûjours que le corps auquel il fait subir la fusion, devienne le plus fluide qu'il est possible : mais si cette condition est nécessaire à l'égard d'un corps simple, à plus forte raison l'est-elle quand c'en est un composé, comme quand il s'agit de faire un alliage ou une nouvelle matiere. Ceux dont le génie est assez pénétrant & l'imagination assez forte pour atteindre aux points physiques du tems, concevront aisément que dans l'espace d'un quart-d'heure chaque molécule intégrante ou principe d'un corps tenu en fonte bien liquide, subit un nombre infini de mouvemens qui méritent considération. Il est souvent indispensable de soûtenir long-tems cette fluidité, pour desunir d'abord les différens principes métalliques, & pour les combiner ensuite entr'eux. C'est pour lors que se font, ainsi qu'au milieu du fluide aqueux, qui est le véhicule des corps fermentatifs, ces nombres prodigieux de courses rapides de la part des molécules solitaires ou réunies, de chocs, de frottemens, qui produisent enfin ce nouvel arrangement de parties qui existe dans chaque molécule intégrante du nouveau résultat. La desunion préalable qui se fait des principes du corps primitif, arrive en conséquence de leur mouvement, tant spontané que forcé. C'est à ces différens phénomenes que nous avons donné le nom d'attraction à l'article FLUX. Il est à souhaiter qu'il naisse un nouveau Newton qui en pénetre la nature, & en développe le méchanisme. Si la raison inverse du quarré des distances a lieu dans la circonstance présente, l'application en paroît difficile à démontrer.

C'est pour les raisons mentionnées, que les expériences qu'on n'obtient qu'à la faveur de la fusion, sont sujettes à tant de variétés. Si l'on ne connoît ni le pouvoir de la fonte liquide, ni les avantages de la forme des vaisseaux, ni la mesure du tems qu'exige une expérience, & si l'on ne sait bien entremêler & combiner ces différentes conditions, on manque d'ordinaire tout succès. On peut citer pour exemple la mine perpétuelle de Beccher, toutes les autres vitrifications graduées, les fusions & réductions répétées, par lesquelles Isaac le hollandois retiroit toûjours quelque peu de métal précieux, & le départ par la voie seche, ou séparation de l'or d'avec l'argent. C'est dans ces sortes de cas particulierement que bon nombre d'artistes n'ont que trop éprouvé que quand ils manquoient aux conditions nécessaires, ils n'obtenoient rien de ce qu'ils pouvoient & devoient obtenir. Ce n'est pas que la réussite manque absolument parce qu'on n'a pas choisi les vaisseaux de la forme la plus avantageuse, mais ce défaut est au-moins capable de porter des imperfections dans l'expérience.

Mais il faut encore être bien convaincu que la quantité des matieres apporte une différence dans l'opération, & c'est un article de conséquence qui mérite l'examen le plus réflechi. Les opérations en petit donnent des phénomenes qu'on n'a point dans les travaux en grand. Il est vrai que souvent on ne fait pas attention à la différence essentielle qu'il y a entre une fusion faite dans les vaisseaux fermés, & celle où le métal a le contact immédiat des charbons qui leur fournissent la matiere corporelle du feu. Mais il n'en est pas moins positif que la différence infinie qui se trouve entre les produits de deux opérations, l'une en petit & l'autre en grand dans les vaisseaux fermés, résulte de la réciprocité, de la mesure du tems, de la fluidité du bain, de la grandeur du vaisseau, & de la masse du corps qui y est contenu.

Il est encore évident, par ce que nous avons dit, que la fusion veut être faite dans les vaisseaux fermés, quand on lui soûmet les métaux imparfaits & les demi-métaux. Sans cette précaution le mouvement qui leur est imprimé, leur enleve tout-au-moins le principe du feu ; Voyez CALCINATION. C'est ce mouvement qui constitue la fluidité ; & c'est ici que l'art l'emporte sur la nature. Ce n'est pas qu'elle n'ait bien la puissance de produire une fusion ou quelque chose d'approchant, & même une réduction, c'est-à-dire d'unir le principe matériel du feu à la terre, qui constitue un métal avec lui. C'est une vérité que personne, je crois, ne révoquera en doute ; mais d'imprimer à une grande masse métallique le mouvement le plus rapide, & dans un très-petit espace de tems, c'est ce qu'elle n'a jamais fait ; sans compter que l'art sait aussi combiner la matiere du feu dans moins de tems encore. Voyez REDUCTION & PRINCIPE.

Nous avons dit à l'article FLUX, que ce mouvement étoit excité par les particules ignées qui pénétroient la masse du corps qu'elles embrasoient & fondoient ; mais Stahl dit précisément tout le contraire. Après avoir accordé que quoiqu'on ne pût pas donner des phénomenes du tonnerre une explication qui satisfît à tout, il n'en étoit pas moins vrai qu'ils étoient l'effet d'un mouvement dont on n'a point coûtume de constater la vérité par ses propres réflexions, bien loin d'en pénétrer la nature, & dans lequel on ne savoit point assez démêler ce qui étoit en quelque façon à la portée de l'entendement humain, il continue ainsi : Unde tanto magis commendari meretur, pensitatio atque contemplatio, quid motus, motus inquam, quatenus talis, & possit & soleat, non solum in diversas, certas atque speciales materias, quam etiam vel quaslibet, si in illas impellatur.

Cujus rei duo ante oculos habemus exempla, veluti quotidiana, ignitionem, imo colligationem, lapidum, vitrorum, metallorum, quibus particulas igneas corporales irrepere, & in illis actum ignitionis perpetrare, vulgus interpretatur : cum nihil sit, nisi motus nudus illis materiis per minima incussus. Id quod vel à notissimis illis allegatis exemplis elucet, quomodo solo citatissimo motu, metalla talia graviter incalescant, imo incandescant, & ligna tornabili motu in flammam concitentur, &c. secundum est, &c. experim. §. 189. Il s'ensuit qu'on ne sauroit trop recommander à ceux qui étudient la nature, de refléchir profondément sur le mouvement, afin de savoir ce que ce même mouvement considéré comme tel, peut produire & produit en effet sur les différentes especes de substances en général, & sur chacune de celles en particulier auxquelles il est appliqué.

Nous en citerons deux exemples qui nous sont très-familiers. Le premier est l'ignition & la fusion des pierres, des verres, & des métaux. On pense communément que ce sont les molécules ignées qui s'insinuant corporellement à-travers les parties de ces sortes de corps, produisent ce phénomene : mais il est aisé de voir qu'il ne vient que d'un mouvement purement & simplement imprimé à leurs plus petites molécules. Ce qu'on avance est prouvé par les expériences connues que nous avons citées, où l'on voit qu'un mouvement rapide suffit pour échauffer & rougir les métaux dont il y est question, & embraser le bois sur le tout, &c. le second, &c.

Voilà qui est clairement énoncé. Ce n'est plus le feu élémentaire (nous n'entendons par cette distinction que le feu qui n'est point combiné aux corps) joüant dans les pores des corps, qui entrant en agitation par la vibration de leurs parties frottées, leur communique son mouvement, ou bien à la matiere du feu qui leur est combinée, pour les échauffer & les embraser ; ce n'est plus ce même feu élémentaire qui met un corps solide au ton de chaleur de l'atmosphere, à-peu-près en le traversant avec la quantité du mouvement qu'il a reçu du soleil, &c. ce n'est plus le phlogistique du charbon, qui devenant feu élémentaire par son dégagement, pénetre la masse des corps. C'est le mouvement seul à appliqué à la surface d'un corps, & se communiquant de proche en proche à toutes ses parties. Mais il seroit à souhaiter que Stahl eût un peu plus étendu son assertion, & nous eût prouvé que le feu élémentaire & la matiere de la lumiere ne pénetrent point les corps, ce qui répugne, & est démontré faux par les phénomenes de l'électricité ; ou que celui qui y est contenu n'entre pour rien dans leur échauffement ; ce qui ne paroît pas croyable par la même raison. Il auroit encore dû prouver que la mixtion du phlogistique n'est point rompue par ce mouvement, & qu'il ne concourt en rien à l'embrasement des corps frottés ; ce qui est aussi dénué de vraisemblance ; & que ce même phlogistique ne pénetre point l'aggrégation d'un corps ; ce qui est démenti par l'expérience qui convertit en acier une barre de fer, qui ne prend ce nouvel état que par une surabondance de ce principe, & par Stahl lui-même. En attendant que ces difficultés soient levées, il n'en restera pas moins pour constant que la fusion est ce changement qui arrive à un solide : en conséquence de l'action du feu qui pénetre son aggrégation, la rompt, & imprime son mouvement à ses molécules intégrantes qu'il fait rouler les unes sur les autres. Voyez les ouvrages de Stahl.

FUSION, (Chimie) se dit de l'espece de détonation particuliere au nitre. Voyez FUSER & NITRE.

FUSION, (Chimie & Métallurgie) c'est une opération par laquelle des corps solides & durs, tels que les métaux, les pierres, les sels, &c. sont mis dans un état de fluidité par le moyen du feu qu'on leur applique médiatement ou immédiatement.

Il y a des corps qui ont la propriété d'entrer en fusion par la seule application du feu ; les métaux, les demi-métaux, le verre, les sels alkalis fixes, la plûpart des sels neutres, les soufres, les résines, & quelques pierres, sont dans ce cas : d'autres corps n'ont point la même propriété ; & il faut leur joindre d'autres substances pour les faire entrer en fusion. Voyez l'article FONDANT.

Les métaux & demi-métaux exigent différens degrés de feu pour être mis en fusion, & présentent des phénomenes tout différens.

Le plomb & l'étain entrent très-promtement en fusion, & même avant d'avoir rougi ; l'or & l'argent y entrent en même tems qu'ils rougissent ; le cuivre & le fer veulent avoir été rougis pendant long-tems & vivement, sur-tout le dernier, avant que de se fondre.

Si l'on a fait fondre ou de l'or, ou de l'argent, ou du cuivre, ou du plomb, ou de l'étain, ou du zinc ; & lorsque l'une de ces substances métalliques sera fondue, qu'on y jette un morceau de métal de la même espece, il tombera au fond ; ou bien il restera au fond, si on verse du même métal fondu par-dessus. Ces mêmes métaux mis en fusion, occupent un plus grand espace que lorsqu'ils sont refroidis : d'où l'on voit que la fusion augmente leur volume & diminue leur pesanteur spécifique. Il n'en est pas de même du fer, du bismuth, de l'antimoine, & du soufre ; si on fait fondre une de ces substances en y jettant un morceau froid de la même substance, il surnagera à la matiere fondue ; ce qui prouve que ces dernieres substances acquierent par la fusion une pesanteur spécifique plus grande qu'elles n'avoient étant solides.

La fusion opere encore des phénomenes très-singuliers sur les métaux que l'on allie les uns avec les autres : il y en a qui par son moyen deviennent d'un plus grand volume qu'ils n'étoient avant que d'avoir été fondus ensemble, tandis que d'autres deviennent d'un volume moins considérable. Outre cela, il y a des métaux qui s'unissent parfaitement par la fusion ; tels sont l'or & l'argent, l'or & le cuivre, &c. D'autres métaux, au contraire, ne peuvent aucunement s'unir ; le zinc & le bismuth, l'argent & le fer, le cuivre & le fer, le plomb & le fer, sont dans ce dernier cas.

Le but qu'on se propose dans la fusion, est fondé sur la pesanteur spécifique des métaux, qui fait qu'ils ont la propriété de tomber au fond du vaisseau dans lequel on les traite, lorsque la matiere qui les environne a été mise en fusion ou dans l'état d'un verre fluide, à l'aide des fondans. Voyez l'article FONDANT. Dans cette opération, les particules métalliques éparses & répandues quelquefois dans un volume considérable de matieres pierreuses, terreuses, étrangeres, se rapprochent & se réunissent ensemble. On voit par-là que la fusion du minerai est nécessaire pour que la partie métallique se dégage de celle qui ne l'est pas ; & par conséquent, on doit la regarder comme la principale opération de la métallurgie. Voyez FONDANT, METAL, METALLURGIE, DOCIMASTIQUE, &c. (-)


FUSTS. m. (Architecture) voyez COLONNE.

FUST, ou FUT, s. m. (Commerce) vaisseau long & rond, à deux fonds, fait de douves ou de bois de mairrain, & relié de cerceaux, dans lequel on met du vin ou d'autres liqueurs : ce mot n'est guere usité que dans les provinces. A Paris, on dit futaille, voyez FUTAILLE. Dictionn. de Comm. & de Trév. (G)

FUST, ou FUT DE GIROUETTE, (Marine) c'est un bois plat comme une latte, & qui n'a de largeur que quatre doigts où l'on coud la giroüette. (Z)

FUST, en termes d'Arquebusier ; c'est le bois sur lequel on monte les fusils, les mousquets, les arquebuses, les pistolets, & les autres petites armes à feu. Voyez ARQUEBUSIER & FUSIL.

* FUST, (Métier à bas) c'est toute la charpente sur laquelle les parties en fer sont montées.

FUST D'ORGUE, (Luth.) c'est la menuiserie autrement appellé la caisse ou carcasse de l'orgue, dans laquelle tous les mouvemens & les tuyaux sont renfermés. Le dessein de cette partie peut varier à l'infini, selon le goût des architectes, qui ordinairement les composent. La face du fust d'orgue, qui est ornée de sculpture, dorure, est composée de deux sortes de parties, savoir de tourelles & de plates-faces. Voyez à ces articles. Il y a un enfoncement dans le milieu de l'orgue, à l'endroit où sont les claviers ; & sur la planche du fond de cet enfoncement, est un pupître sur lequel l'organiste porte la musique qu'il veut exécuter. Aux deux côtés de cet enfoncement, sont les pommettes des bâtons quarrés des mouvemens, par le moyen desquels on ouvre & on ferme les différens jeux dont l'orgue est composée. Voyez MOUVEMENS DE L'ORGUE. Les places vuides que la menuiserie laisse sont occupées par les tuyaux de la montre, qui par cette raison a ainsi été nommée, & par les tuyaux du prestant, lorsque les tuyaux de la montre ne suffisent point pour remplir la face du fust d'orgue. Voyez Planche I. d'orgue, fig. 1.

FUST ; les Paumiers nomment le fust d'une raquette le bois qui en porte les cordes, & qui en fait le manche.

FUST, outil de Relieur ; il est composé de deux pieces, chacune de cinq pouces & demi de hauteur, de neuf de longueur, sur deux d'épaisseur, à l'une desquelles sont attachées deux clés, chacune de vingt pouces de long sur un en quarré, qui traversent l'autre morceau en entier : cette piece s'appelle la piece de devant ; elle est percée d'un trou dans le milieu où passe une vis de vingt-six pouces de long, y compris la main qui doit être de six pouces. Cette vis passe dans un trou vissé de la piece de derriere, qui répond directement au trou de la piece de devant. Il y a de plus sous la piece de devant une entaille pour y placer un couteau plat & large dont la pointe coupe des deux côtés : ce couteau est percé dans le manche d'un trou quarré qui sert à y placer une vis de fer à tête plate, qui passe au-travers de la piece du devant, & y est assujetti au-dessus par un écrou de fer bien serré. Il y a sous la piece de derriere une rainure à queue d'aronde dans toute la longueur de la piece dans laquelle on fait entrer la tringle, qui est taillée de même, & qui est sur la piece de derriere de la presse à rogner, afin qu'elle dirige bien droit le fust lorsque l'ouvrier rogne les livres. Le jeu de la vis est aisé, afin que la main puisse aisément rapprocher les deux pieces à mesure que le couteau travaille, & qu'il le conduise sans le déranger jusqu'à la fin de cette opération. Voyez les figures du Relieur, & leur explication. Voyez ROGNER.

L'ouvrier qui se sert du fust doit avoir la main gauche sur le bout & la main droite sur la poignée de la vis, qui fait aller & venir les deux pieces du fust en les serrant l'une contre l'autre. En rognant, il tourne avec la main la vis dans le sens qui fait avancer le couteau, en observant que son ouvrage se fasse si uniment sur la tranche, qu'il n'y ait aucun sillonnage du couteau.

FUST, terme de Vénerie, c'est la principale branche du bois d'un cerf, ou la partie d'où sortent les andouillers, les chevillures, les cimes. Les petits bourgeons qui sont au-dedans se nomment des cercles. Voyez TETE.


FUSTES. m. (Marine) c'est un bâtiment de basbord & de charge, qui va à voiles & à rames. (Z)


FUSTÉadj. terme de Blason, qui se dit d'un arbre dont le tronc est de différente couleur ; & d'une lance ou pique, dont le bois est d'autre émail que le fer. Voyez EMAIL.


FUSTERv. n. (Chasse) il se dit d'un oiseau lorsqu'il s'est échappé après avoir été pris, ou qu'il a découvert les pieges qu'on lui tendoit.


FUSTETS. m. cotinus, (Hist. nat. bot.) genre de plantes à fleurs en rose, composées de plusieurs pétales disposés en rond. Il sort du calice un pistil, qui devient dans la suite un fruit. On ne sait pas bien s'il est composé d'une capsule, parce qu'il ne mûrit point dans ce pays-ci. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on le trouve sur de petits rameaux qui sont terminés par des filamens velus. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Cette espece d'arbrisseau vient naturellement sur les montagnes des provinces méridionales de ce royaume, où il s'éleve à six ou sept piés ; mais avec l'aide de la culture, on peut lui faire prendre jusqu'à dix ou douze piés de hauteur. Il se garnit dès le pié de beaucoup de rameaux, qui forment un buisson. Ses feuilles sont ovales, arrondies par le bout, & placées alternativement sur les branches. Ses fleurs paroissent dans le mois de Juin ; elles sont petites, de couleur d'herbe, & de peu d'apparence : mais elles viennent au bout des branches, parmi de grosses touffes de filamens rameux & hérissés, qui font un singulier agrément. Elles produisent des graines lenticulaires, qui ne parviennent point à maturité dans la partie septentrionale de ce royaume ; ensorte qu'on n'y peut multiplier cet arbrisseau qu'en couchant ses branches, à moins que d'en faire venir des semences des pays méridionaux.

Le fustet est assez robuste pour résister à nos hyvers ordinaires ; il faut de fortes gelées pour l'endommager. Il réussit dans tous les terreins ; il s'accommode des lieux secs & élevés ; il profite & s'eleve beaucoup plus dans les bonnes terres : mais il craint l'ombre, & l'humidité lui est tout-à-fait contraire.

Le bois de cet arbrisseau est peu compacte, quoique assez dur. On y distingue l'aubier & le coeur. L'aubier est la partie qui environne le tronc, & qui est sous l'écorce. L'aubier du fustet est blanc, & il n'est composé que de la derniere couche annuelle. Le coeur est mélangé d'un jaune assez vif qui domine, & d'un verd pâle qui différencie toutes les couches annuelles. Le mélange de deux couleurs fait un bois veiné de fort belle apparence, dont les Luthiers, les Ebénistes, les Tourneurs, &c. font quelque usage. On s'en sert aussi pour teindre les draps & les maroquins en feuille morte & en couleur de caffé ; mais cette teinture étant de petite qualité, on n'en use que par épargne, ou à défaut de meilleures drogues. Ses feuilles & ses jeunes branches s'employent pour la préparation des cuirs.

La belle verdure de cet arbrisseau qui dure jusqu'aux gelées, & qui n'est jamais endommagée par les insectes ; la singularité de sa fleur, & l'agréable odeur que rendent ses feuilles lorsqu'on les broye entre les doigts, peuvent bien lui mériter une place dans un bosquet d'arbres curieux. (c)


FUSTIGATIONS. f. (Jurispr.) est l'exécution de la peine du foüet, à laquelle un criminel a été condamné. Voyez ci-devant FOUET. (A)


FUTAIES. f. (Econ. rustiq.) c'est le nom qu'on donne en général à tous les vieux bois. On dit jeune futaie, depuis quatre-vingt jusqu'à cent vingt ans ; haute futaie, depuis cet âge jusqu'au dépérissement marqué, qu'on désigne par le nom de vieille futaie.

Les futaies sont l'ornement des forêts. La hauteur des arbres qui les composent, leur vieillesse, le silence & une sombre fraîcheur, y pénetrent l'ame d'une émotion sacrée, fort voisine de l'enthousiasme : mais leur utilité doit encore les rendre infiniment recommandables. Les futaies seules peuvent fournir la charpente aux grands édifices, & les bois précieux à la navigation. On ne peut attendre d'ailleurs aucun secours pour ces grands objets. Voyez BOIS & FORET.

On peut avec succès laisser croître en futaies plusieurs especes de bois ; le chêne, le chataigner, le hêtre, le sapin, sont celles dont on tire le plus d'utilité. Les futaies de hêtre & de sapin ne peuvent être composées que d'arbres de brins ; laissez vieillir au contraire des taillis de chêne & de chataigner dans un bon fonds, vous en aurez de belles futaies : chaque sepée se trouve alors composée de plusieurs brins, dont un petit nombre s'éleve aux dépens des autres. Dans ce cas-là, si vous voulez hâter l'accroissement des principaux arbres de votre futaie, il faut retrancher peu-à-peu ces brins, que leur foiblesse destine à être étouffés. Pour ne point vous y méprendre, vous pouvez tous les vingt ans choisir & couper ceux qui languissent d'une maniere marquée ; par ce moyen, les brins que leur vigueur naturelle aura distingués, auront plus de nourriture & plus d'air ; ils grossiront & s'éleveront plus promtement. L'économie n'indique pas d'autres moyens d'avancer les futaies. La nature fait le reste, & il faut la laisser faire. Si vous vouliez élaguer vos chênes, afin que le tronc profitât de la suppression des branches, le tronc lui-même pourriroit. Les branches inutiles meurent peu-à-peu, sans que l'arbre en souffre. Ayez donc attention que les arbres de vos futaies ne soient point élagués : c'est le genre de déprédation le plus ordinaire & le plus dangereux. Cet article est de M. LE ROY, lieutenant des chasses du parc de Versailles.


FUTAILLES. f. (Tonnelier) vaisseau où l'on met du vin.

Futaille montée, c'est celle qui est reliée & garnie de ses cerceaux, de ses fonds & de ses barres.

Futaille en botte, c'est celle dont les douves sont toutes préparées, & à qui il ne reste qu'à les monter & y mettre des cerceaux.


FUTAINES. f. terme de Commerce, étoffe de fil & de coton, qui paroît comme piquée d'un côté. Voyez COTON. Il y a de la futaine à poil, & de la futaine à grain d'orge. Il y a aussi de la futaine à deux envers, qu'on appelle autrement bombasin, qui vient de Lyon, & qui est doublement croisée. Il y a aussi un grand nombre de futaines dont la trame est de lin, ou même de chanvre. Voyez les dictionnaires de Trévoux & du Commerce.


FUTILEadj. (Gramm.) qui n'est d'aucune importance. Il se dit des choses & des personnes. Un raisonnement est futile, lorsqu'il est fondé sur des faits minutieux, ou sur des suppositions vagues. Un objet est futile lorsqu'il ne vaut pas le moindre des soins qu'on pourroit prendre, ou pour l'acquérir, ou pour le conserver. C'est dans le même sens qu'on dit d'un homme qu'il est futile. Une futilité, c'est une chose de nulle valeur. Voyez l'article suivant.

* FUTILE, (Antiq.) vase à large orifice & à fond très-étroit, dont on faisoit usage dans le culte de Vesta. Comme c'étoit une faute que de placer à terre l'eau qui y étoit destinée, on termina en pointe les vases qui devoient la contenir : d'où l'on voit l'origine de l'adjectif futilis. Homme futile, c'est-à-dire homme qui ne peut rien retenir, qui a la bouche large & peu de fond, & qu'il ne faut point quitter, si l'on ne veut pas qu'il répande ce qu'on lui a confié. Le futile fut aussi une coupe que portoient à leurs mains les vierges qui entouroient le flamen dans ses fonctions sacerdotales, les femmes qui étoient au service des vestales, & les jeunes enfans qui assistoient le flamen à l'autel, & qu'on appelloit camilles. Les Romains alloient chercher à la fontaine de Juturne, l'eau dont ils remplissoient les futiles. Cette eau guérissoit les malades qui en bûvoient, ainsi que l'assûre Varron (auteur grave).


FUTURadj. il se dit d'une chose qui doit être, qui doit arriver, qui est à venir. M. de Vaugelas dit (élém. p. 436.) que ce mot est plus de la Poésie que de la bonne Prose, & le bannit du beau style. Le P. Bouhours soûtient le contraire (élém. nouv. p. 596.) ; mais il ajoûte qu'il faut éviter de donner dans le style de Notaire, futur époux, future épouse. Cette derniere restriction est favorable au sentiment de M. de Vaugelas. En effet on dira plutôt le voyage que nous devons faire, qu'on ne dira, notre voyage futur, &c. Il est établi qu'on dise les biens de la vie future, par opposition à ceux de la vie présente. On dit aussi, les présages de sa grandeur future. Malherbe a dit :

Que direz-vous, races futures,

Quand un véritable discours

Vous apprendra les avantures

De nos abominables jours ? (F)

FUTUR, en termes de Grammaire, est pris substantivement : c'est une forme particuliere ou une espece d'inflexion qui désigne l'idée accessoire d'un rapport au tems à venir, ajoûtée à l'idée principale du verbe.

On trouve dans toutes les langues différentes sortes de futur, parce que ce rapport au tems à venir y a été envisagé sous différens points de vûe ; & ces futurs sont simples ou composés, selon qu'il a plû à l'usage de désigner les uns par de simples inflexions, & les autres par le secours des verbes auxiliaires.

Il semble que dans les diverses manieres de considérer le tems par rapport à l'art de la parole, on se soit particulierement attaché à l'envisager comme absolu, comme relatif, & comme conditionnel. On trouve dans toutes les langues des inflexions équivalentes à celles de la nôtre, pour exprimer le présent absolu, comme j'aime ; le présent relatif, comme j'aimois ; le présent conditionnel, comme j'aimerois. Il en est de même pour les trois prétérits ; l'absolu, j'ai aimé ; le relatif, j'avois aimé ; & le conditionnel, j'aurois aimé. Mais on n'y trouve plus la même unanimité pour le futur ; il n'y a que quelques langues qui ayent un futur absolu, un relatif, & un conditionnel : la plûpart ont saisi par préférence d'autres faces de cette circonstance du tems.

Les Latins ont en général deux futurs, un absolu & un relatif.

Le futur absolu marque l'avenir sans aucune autre modification ; comme laudabo, je loüerai ; accipiam, je recevrai.

Le futur relatif marque l'avenir avec un rapport à quelque autre circonstance du tems ; il est composé du futur du participe actif ou passif, selon la voix que l'on a besoin d'employer, & d'une inflexion du verbe auxiliaire sum ; & le choix de cette inflexion dépend des différentes circonstances de tems avec lesquelles on combine l'idée fondamentale d'avenir. En voici le tableau pour les deux voix.

Comme la langue latine fait un des principaux objets des études ordinaires, elle exige de notre part quelque attention plus particuliere. Nous remarquerons donc que les huit futurs relatifs que l'on présente ici, ne se trouvent pas dans les tables ordinaires des conjugaisons, non plus que les tems composés du subjonctif qui ont un rapport à l'avenir, comme laudaturus sim, laudaturus essem, laudaturus fuerim, laudaturus fuissem. Il en est de même des tems correspondans de la voix passive ; mais c'est un véritable abus. Ces tables doivent être des listes exactes de toutes les formes analogiques, soit simples, soit composées, que l'usage a établies pour exprimer uniformément les accessoires communs à tous les verbes. Il est assez difficile de déterminer ce qui a pu donner lieu à nos méthodistes de retrancher du tableau de leurs conjugaisons, des expressions d'un usage si nécessaire, si ordinaire, & si uniforme. Si c'est la composition de ces tems, ils n'ont pas assez étendu leurs conséquences ; il falloit encore en bannir les futurs qu'ils ont admis à l'infinitif, & tous les tems composés qui marquent un rapport au passé dans la voix passive.

Ce n'est pas la seule faute qu'on ait faite dans ces tables ; on y place comme futur au subjonctif, un tems qui appartient assûrément à l'indicatif, & qui paroît être plutôt de la classe des prétérits, que de celle des futurs : c'est laudavero, j'aurai loüé, pour la voix active ; & laudatus ero, j'aurai été loüé, pour la voix passive.

1°. Ce tems n'appartient pas au subjonctif, & il est aisé de le prouver aux méthodistes par leurs propres regles. Selon eux, la conjonction dubitative an étant placée entre deux verbes, le second doit être mis au subjonctif : qu'ils partent de-là, & qu'ils nous disent comment ils rendront cette phrase, je ne sai si je loüerai ; en conséquence de la loi, je loüerai doit être au subjonctif en latin, & le seul futur du subjonctif autorisé par les tables ordinaires, est laudavero : cependant nos Grammatistes n'auront garde de dire nescio an laudavero ; ils rendront cet exemple par nescio an laudaturus sim. Chose singuliere ! Cette locution autorisée par l'usage des meilleurs auteurs latins, devoit faire conclure naturellement que laudaturus sim, ainsi que les autres expressions que nous avons indiquées plus haut, étoient du mode subjonctif ; & l'on a mieux aimé imaginer des exceptions chimériques & embarrassantes, que de suivre une conséquence si palpable. Au contraire on n'a jamais pu employer laudavero dans les cas où l'usage demande expressément le mode subjonctif, & néanmoins on y a placé ce tems avec une persévérance qui prouve bien la force du préjugé.

2°. Ce tems est de l'indicatif ; puisque, comme tous les autres tems de ce mode, il indique la modification d'une maniere positive, déterminée, & indépendante : de même que l'on dit coenabam ou coenaveram cùm intrasti, on dit coenabo ou coenavero cùm intrabis : coenabam marque l'action de souper comme présente, & coenaveram l'énonce comme passée relativement à l'action d'entrer qui est passée : la même analogie se trouve dans les deux autres tems ; coenabo marque l'action de souper comme présente, & coenavero l'énonce comme passée à l'égard de l'action d'entrer qui est future. Coenavero a donc les mêmes caracteres d'énonciation que coenabo, coenabam, & coenaveram, & par conséquent il appartient au même mode. Les usages de toutes les langues déposent unanimement cette vérité. Consultons la nôtre. Nous disons invariablement, je ne sai si je dormois, si j'ai dormi, si j'avois dormi, si je dormirai ; & tous ces tems du verbe dormir sont à l'indicatif : j'aurai dormi est donc au même mode, car nous disons de même, je ne sai si j'aurai dormi suffisamment lorsque, &c. mais j'aurai dormi est, de l'aveu de tous les méthodistes, la traduction de dormivero ; dormivero est donc aussi à l'indicatif. Eh à quel autre mode appartiendroit-il, puisqu'il est prouvé d'ailleurs qu'il n'est pas du subjonctif ?

3°. Ce tems est de la classe des prétérits, plutôt que de celle des futurs. Quelle est en effet l'intention de celui qui dit j'aurai soupé quand vous entrerez, coenavero cùm intrabis ? c'est de fixer le rapport du tems de son souper au tems de l'entrée de celui à qui il parle, c'est de présenter son action de souper comme passée à l'égard de l'action d'entrer qui est future ; & par conséquent l'inflexion qui l'indique est de la classe des prétérits. C'est par une raison analogue que coenabam, je soupois, est de la classe des présens ; & aujourd'hui tous nos meilleurs grammairiens l'appellent présent relatif ; parce qu'il exprime principalement la coexistence des deux actions comparées. S'il renferme un rapport au tems passé, ce rapport n'est qu'une idée secondaire, & seulement relative à la circonstance du tems à laquelle on fixe l'autre évenement qui sert de terme à la comparaison. C'est la même chose dans coenavero ; ce n'est pas l'action de souper comme avenir que l'on a principalement en vûe, mais l'antériorité du souper à l'égard de l'entrée : cette antériorité est donc en quelque sorte l'idée principale ; & le rapport à l'avenir, une idée accessoire qui lui est subordonnée. L'analyse des phrases suivantes achevera d'établir cette vérité.

Coenabam, cùm intrasti ; c'est-à-dire cùm intrasti, potui dicere COENO, présent absolu.

Coenaveram, cùm intrasti ; c'est-à-dire cùm intrasti, potui dicere COENAVI, prétérit absolu.

Coenabo, cùm intrabis ; c'est-à-dire cùm intrabis, potero dicere COENO, présent absolu.

Coenavero, cùm intrabis ; c'est-à-dire cùm intrabis, potero dicere COENAVI, prétérit absolu.

Il paroit inutile de développer la conséquence de cette analyse ; elle est frappante : mais il est remarquable que ce tems que nous plaçons ici parmi les prétérits, en conserve la caractéristique en latin ; laudavi, laudavero ; dixi, dixero ; qu'il en suit l'analogie en françois. Il est composé d'un auxiliaire comme les autres prétérits ; on dit j'aurai soupé, comme l'on dit j'ai soupé, j'avois soupé, j'aurois soupé : & qu'enfin son correspondant au subjonctif est dans notre langue le prétérit absolu de ce mode ; on dit également & dans le même sens, je ne sai si j'aurai soupé quand vous entrerez, & je ne crois pas que j'aye soupé quand vous entrerez.

L'erreur que nous combattons ici n'est pas nouvelle ; elle prend sa source dans les ouvrages des anciens grammairiens. Scaliger après avoir observé que les Grecs divisoient le futur, & qu'ils avoient un futur prochain, dit, nos non divisimus ; & ajoûte ensuite, nisi putemus in modo subjunctivo extare vestigia & vim hujus significatûs, ut FECERO. Lib. V. cap. cxiij. de causis ling. lat. Priscien long-tems auparavant s'étoit encore expliqué plus positivement, lib. VII. de cognat. temp. Après avoir fait l'énumération des tems qui ont quelque affinité avec le prétérit, il ajoûte, sed tamen in subjunctivo futurum quoque praeteriti perfecti servat consonantes, ut DIXI, DIXERO. Nous avons fait usage plus haut de cette remarque même, pour rappeller ce tems à la classe des prétérits ; & il est assez surprenant que Priscien avec du jugement l'ait faite sans conséquence.

Nos premiers méthodistes qui vivoient dans un tems où l'on ne voyoit que par les yeux d'autrui, & où l'autorité des anciens tenoit lieu de raisons, frappés de ces passages, n'ont pas même soupçonné que Scaliger & Priscien se fussent trompés.

La plûpart de nos grammairiens françois qui n'ont eu que le mérite d'appliquer comme ils ont pû la grammaire latine à notre langue, ont copié presque tous ces défauts. Robert Etienne à la vérité a rapporté à l'indicatif le prétendu futur du subjonctif ; mais il n'a pas osé en dépouiller entierement celui-ci, il l'y répete en mêmes termes. Il l'a appellé futur-parfait, parce qu'il y démêloit les deux idées de passé & d'avenir ; mais s'il avoit fait attention à la maniere dont ces idées y sont présentées, il l'auroit nommé au contraire prétérit-futur. Voyez PRETERIT.

C'est un vice contre lequel on ne sauroit être trop en garde, que d'appliquer la grammaire d'une langue à toute autre indistinctement ; chaque langue a la sienne, analogue à son génie particulier. Il est vrai toutefois qu'un grammairien philosophe démêlera ce qui appartient à chaque langue, en suivant toûjours une même route ; il n'est question que de bien saisir les points de vûes généraux ; par exemple, à l'égard du futur, il ne faut que déterminer toutes les combinaisons possibles de cette idée avec les autres circonstances du tems, & apprendre de l'usage de chaque langue ce qu'il a autorisé ou non, pour exprimer ces combinaisons. C'est par-là que l'on fixera le nombre des futurs en grec, en hébreu, en allemand, &c. & c'est par-là que nous allons le fixer dans notre langue.

Nous avons en françois un futur absolu, que nous rendons par une simple inflexion, comme je partirai. Nous avons de plus deux futurs relatifs, qui marquent l'avenir avec un rapport spécial au présent ; & voilà en quoi conviennent ces deux futurs : ce qui les différencie, c'est que l'un emporte une idée d'indétermination, & n'exprime qu'un avenir vague, & que l'autre présente une idée de proximité, & détermine un avenir prochain, ce qui correspond au paulo-post-futur des Grecs ; nous appellons le premier futur défini, & le second futur prochain. L'un & l'autre est composé du présent de l'infinitif du verbe principal, & d'une inflexion du verbe devoir pour le futur indéfini, ou du verbe aller pour le futur prochain ; le choix de cette inflexion dépend de la maniere dont on envisage le présent même auquel on rapporte le futur. Je dois partir, je devois partir, sont des futurs relatifs indéfinis ; je vais partir, j'allois partir, sont des futurs relatifs prochains.

Dans l'un & dans l'autre de ces futurs, les verbes devoir & aller ne conservent pas leur signification primitive & originelle ; ce ne sont plus que des auxiliaires réduits à marquer simplement l'avenir, l'un d'une maniere vague & indéterminée, & l'autre avec l'idée accessoire de proximité.

Ces auxiliaires nous rendent le meme service au subjonctif, mais notre langue n'a aucune inflexion destinée primitivement à marquer dans ce mode l'autre espece de futur ; elle se sert pour cela des inflexions du présent & du passé, selon les diverses combinaisons du subjonctif avec les tems du verbe auquel il est subordonné ; ainsi dans ce mode, la meme inflexion fait, suivant le besoin, deux fonctions différentes, & les circonstances en décident le sens.

Quoiqu'il semble que certaines langues n'ayent pas d'expressions propres à déterminer quelques points de vûe pour lesquels d'autres en ont de fixées par leur analogie usuelle, aucune cependant n'est effectivement en défaut ; chacune trouve des ressources en elle-même. On le voit dans notre langue par les futurs du subjonctif ; & les latins qui n'ont point de forme particuliere pour exprimer le futur prochain, y suppléent par d'autres moyens : jamjam faciam ut jusseris, dit Plaute, (je vais faire ce que vous ordonnerez) : on trouve dans Terence, factum puta (cela va se faire, ou regardez-le comme fait).

Il ne faut pas croire non plus que l'usage d'aucune langue restreigne exclusivement ces futurs à leur destination propre ; le rapport de ressemblance & d'affinité qui est entre ces tems, fait qu'on employe souvent l'un pour l'autre, comme il est arrivé au futur premier & au futur second des Grecs. Il en est de même du futur absolu & du prétérit futur des Latins ; ils disent également, pergratum mihi facies, & pergratum mihi feceris. Mais on ne doit pas conclure pour cela que ces tems ayent une même valeur ; la différence d'inflexions suppose une différence originelle de signification, qui ne peut être changée ni détruite par aucuns usages particuliers, & que les bons auteurs ne perdent pas de vûe, lors même qu'ils paroissent en user le plus arbitrairement ; ils choisissent l'une ou l'autre par un motif de goût, pour plus d'énergie, pour faire image, &c. Ainsi il y a une différence réelle & inaltérable entre le futur absolu & l'impératif, quoiqu'on employe souvent le premier pour le second, curabis pour cura, valebis pour vale : l'un & l'autre effectivement exprime l'avenir, mais de diverses manieres.

La licence de l'usage sur les futurs va bien plus loin encore, puisqu'il donne quelquefois au présent & au prétérit le sens futur ; comme dans ces phrases : Si l'ennemi quitte les hauteurs, nous le battons, ou nous avons gagné la bataille : il est évident que les mots quitte & battons sont des présents employés comme futurs, & que nous avons gagné est un prétérit avec la même acception. L'usage n'a pas introduit de futur conditionnel : il le faudroit dans ces phrases ; c'est donc une nécessité d'employer d'autres tems, qui par occasion en deviennent plus énergiques : le présent semble rapprocher l'avenir pour faire envisager l'action de battre comme présente ; & le prétérit donne encore un plus grand degré de certitude en faisant envisager la victoire comme déjà remportée. On trouve même en latin le présent absolu du subjonctif employé pour le futur absolu de l'indicatif : multos reperias & reperies ; mais c'est à la faveur de l'ellipse : multos reperias, c'est-à-dire fieri poterit, ou fiet ut multos reperias. Tout a sa raison dans les langues, jusqu'aux écarts. (E. R. M.)


FUTURITIONS. f. terme de Théologie, il se dit d'un effet dont on considere l'évenement à venir, relativement à la préscience de Dieu, qui voyoit en lui-même ou dans les choses cet évenement avant qu'il fût. Cette futurition a fait dire bien des sottises. Les uns ont prétendu que Dieu voyoit les actions libres des hommes, avant que d'avoir formé aucun decret sur leur futurition : d'autres ont prétendu le contraire ; & voilà les questions importantes qui ont allumé entre les Chrétiens la fureur de la haine, & toutes les suites sanglantes de cette fureur. Voyez FORTUIT, & l'article précédent.


FUYARDSS. f. pl. (Art milit.) on donne ce nom aux troupes, qui après un combat desavantageux, quittent le champ de bataille en desordre, & se retirent en foule en fuyant de tous côtés. Voyez FUITE.

Le plus grand malheur qui puisse arriver à des troupes battues, c'est de se retirer ainsi. Car en gardant leur ordre de bataille, elles se font toûjours respecter de l'ennemi, qui n'ose s'en approcher qu'avec circonspection. Si les différentes tentatives qu'elles doivent faire pour lui échapper sont infructueuses, il est toûjours prêt à les recevoir à composition ; mais en fuyant sans ordre, on s'expose à périr presqu'indubitablement. Loin de songer à se défendre, on jette les armes pour fuir plus legerement ; tous les fuyards étant saisis du même esprit de crainte, s'embarrassent les uns les autres, de maniere que l'ennemi qui est à leur trousse, en fait, sans effort & sans danger, tel carnage qu'il juge à-propos. Ajoûtez à cela que lorsque la frayeur s'est une fois emparée d'une troupe, elle se précipite elle-même dans les plus grands dangers. Rivieres, marais impraticables, rien ne l'arrête. On court alors à une mort certaine & honteuse, plutôt que de s'arrêter pour regarder l'ennemi en face, & lui en imposer par une contenance assûrée, qui suffit seule pour modérer l'activité de sa poursuite, & quelquefois même pour le faire fuir lui-même (comme il y en a plusieurs exemples), si l'on est capable de faire quelques efforts pour profiter du desordre dans lequel sa poursuite doit l'avoir mis. " Dans une armée de vaillans hommes, dit Agamemnon dans Homere, il s'en sauve toûjours plus qu'il n'en périt ; au lieu que les lâches n'acquierent pas de gloire, mais leur lâcheté leur ôtant les forces, ils deviennent la proie des ennemis ".

M. le maréchal de Puysegur qui rapporte ces paroles d'Homere dans son livre de l'art de la Guerre, observe aussi à cette occasion, qu'en combattant vaillamment & en bon ordre, on perd beaucoup moins de monde, & que la perte des hommes est bien plus grande dans les déroutes.

Lorsqu'une troupe est une fois mise en desordre, on ne doit la poursuivre, suivant les plus habiles militaires, qu'autant qu'il est nécessaire pour la disperser entierement, & la mettre hors d'état de se rallier. C'étoit la pratique des Lacédémoniens. Ils pensoient aussi, & avec raison, qu'il n'est pas digne d'un grand courage de tuer ceux qui cedent & qui ne se défendent pas.

Si la poursuite des fuyards peut être susceptible de quelqu'inconvénient, lorsqu'on s'y abandonne trop inconsidérement, c'est sur-tout lorsqu'une aîle ou une autre partie de l'armée a battu celle de l'armée ennemie qui lui étoit opposée. Car si la partie victorieuse s'attache trop opiniâtrement à la poursuite des fuyards, elle laisse sans défense le flanc des troupes qu'elle couvroit dans l'ordre de la bataille ; alors si l'ennemi peut tomber dessus, & qu'il attaque en même tems ces troupes par le flanc & par le front, il les mettra bientôt en desordre, ainsi que le reste de l'armée, malgré la victoire de l'une des parties de cette armée. Le chevalier de Folard en rapporte plusieurs exemples tant anciens que modernes, dans son commentaire sur Polybe, II. vol. pp. 444. & suivantes. On en trouve aussi dans l'art de la Guerre par M. le maréchal de Puysegur, qui observe que les fautes de cette espece sont aussi anciennes que la guerre. " Il est si naturel, dit cet auteur, à des hommes qui combattent de la main pour s'ôter la vie, de ne songer qu'à ce qui se passe où ils sont, & non à ce qui se fait ailleurs, que quand ils ont tant fait que de renverser ceux contre lesquels ils combattoient, il n'est pas surprenant qu'ils cherchent à profiter de l'avantage qu'ils ont pris sur eux au péril de leur vie ; & il n'y a que l'art & la science de la Guerre qui puissent mettre de justes bornes à cette poursuite ". Art de la Guerre, liv. II. page 80. (Q)

FUYARD, (de milice) art milit. ce mot pris substantivement, signifie un sujet miliciable, qui ayant été averti de se rendre au jour indiqué pardevant le commissaire préposé à la levée de la milice, pour y tirer au sort, & qui ayant négligé ou refusé de s'y trouver, a été déclaré fuyard par le procès-verbal du tirage de la milice, sur la dénomination du syndic ou des garçons de la communauté.

Les garçons ou hommes mariés miliciables qui tombent dans ce cas, doivent être poursuivis & contraints de servir pendant dix ans, à la décharge de ceux auxquels le sort est échû, & qui les arrêtent, ou des communautés qui ont des miliciens à fournir.

Ceux qui pour raisons légitimes ne peuvent se présenter à la levée, doivent commettre une personne, à l'effet de déclarer les causes de leur absence, & de tirer pour eux, à peine d'être déclarés fuyards.

Ceux qui sont engagés pour entrer par la suite dans un état qui doit les exempter du service de la milice, ne sont pas pour cela exempts de tirer au sort.

Ceux qui se prétendent engagés dans les troupes, doivent en justifier par certificats des officiers qui ont reçû leurs engagemens, & cependant joindre sans délai leurs régimens, sans pouvoir reparoître dans la province, même avec congé, qu'ils ne justifient qu'ils ont joint leurs corps & passé en revûe, à peine d'être arrêtés & mis en prison pour six mois, & condamnés de servir dans la milice pendant dix ans ; ils encourent la même peine si après avoir joint ils restent plus de six mois dans la province.

Ceux qui ont été déclarés fuyards ne sont plus reçûs à tirer au sort, ni déchargés de cette qualité, au cas que par surprise ou autrement, ils parviennent à s'y faire admettre.

Les fuyards arrêtés sont présentés au commissaire chargé de la levée, & par lui constitués miliciens.

Les fuyards constitués miliciens, doivent servir dans la milice pendant dix ans, n'ont pas le droit d'en faire constituer d'autres en leur place, & sont sujets, comme tout autre milicien, aux peines des ordonnances concernant le service de la milice.

Ceux qui pretendent avoir des raisons valables pour se faire décharger de la qualité de fuyard, doivent les exposer à l'intendant de la province, qui y prononce suivant le mérite de la demande.

Tous ces moyens violens employés pour forcer des citoyens à embrasser un état pénible & souvent dangereux, auquel leurs inclinations répugnent, semblent attaquer les droits de la nature & de la société ; mais on abandonnera cette opinion, si l'on veut bien considérer que dans tout état l'intérêt général est le fondement & la mesure de ces droits ; que l'homme est à la société ce que la société est à lui ; qu'il lui doit les mêmes secours relatifs qu'il peut en prétendre pour sa conservation & son bonheur, & que tout individu dans un corps politique ne peut en être regardé que comme ennemi, quand il lui refuse ces secours, & qu'il sacrifie la chose publique à son avantage particulier.

Il y a autant de moyens de servir la patrie, que de classes différentes de citoyens ; celui du service de la milice est un des plus nécessaires, & en même tems des plus onéreux aux sujets ; le bien général & particulier exigent que la charge en soit répartie sur le plus grand nombre d'hommes possible, préférablement sur ceux qui n'ont pas d'état, d'industrie, ou fonctions essentielles pour la société, & que le législateur sévisse contre ceux qui, sans raisons légitimes, cherchent à s'y soustraire par des moyens frauduleux. Voyez LEVEE DES TROUPES. Cet article est de M. DURIVAL le jeune.